FINALE Etude EY-FA Big Data 251113

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Comportements culturels

et données personnelles
au cœur du Big data
Entre la nécessaire protection et une exploitation
au service des nouveaux équilibres économiques
Sommaire
1. Faire parler le Big data : un nouveau pouvoir  p. 7
dans le secteur médiatique et culturel
• Du Big data au Worthy data p. 8
• La donnée personnelle culturelle au cœur de l'émergence p. 14
d'un marché stratégique
2. Pouvoirs en équilibre et responsabilités partagées :  p. 19
les nouveaux contours du Big data
• La réglementation, impulsion économique  p. 21
pour les acteurs de Big data en Europe
• Quelle fiscalité 3.0 pour l'économie digitale ? p. 33
• Responsabilités citoyennes p. 37
3. Vers un nouveau paradigme économique p. 39
propice à l’innovation et la création
• Opposer le principe de précaution au Big data :  p. 40
un risque réel pour l’innovation
• Le temps de l'action p. 42
• La nouvelle chaîne de valeur de la donnée personnelle culturelle p. 47

La donnée personnelle culturelle au cœur du Big data p. 50


Infographie

La présente publication peut être téléchargée sur les sites d’EY (www.ey.com/mediaentertainment)
et du Forum d’Avignon (www.forum-avignon.org).
Avant-propos
6 ans de partenariat entre EY et le Forum d’Avignon
La vocation première du Forum d’Avignon est de se faire l’écho des enjeux qui comptent pour les industries
de l’art et de la création. Le partenariat qui lie depuis maintenant six ans EY au Forum témoigne
d’un engagement commun, aux côtés des grands acteurs de l’univers des médias et du divertissement.

Depuis 2008, EY analyse les grandes thématiques inscrites La donnée personnelle culturelle, autour de laquelle se structure
au programme du Forum, pour leur donner, en capitalisant aujourd’hui un marché à la recherche de nouveaux équilibres,
sur son expertise et son expérience reconnue dans le secteur, est à l'origine d’une ruée d’acteurs des secteurs numérique,
une traduction concrète à travers l’identification d’enseignements médiatique et culturel, parce qu'elle vaut de l'or.
majeurs.
Année après année, EY a observé et décrypté les mouvements Méthodologie de l’étude :
à l’œuvre dans l’industrie des médias et des contenus, face à
une révolution digitale qui a rebattu les cartes des forces en Pour mieux comprendre, analyser et interpréter ces nouveaux
présence, à travers le prisme de la propriété intellectuelle (« La enjeux de contrôle et la structuration d’un nouveau marché
propriété intellectuelle à l’ère du numérique »), de la monétisation autour de la donnée personnelle culturelle, EY a rencontré
(« Monétiser les médias numériques ») ou encore de la vitesse de et interrogé des dirigeants d’institutions et d'entreprises
diffusion (« Maîtriser le tempo, organiser la relation entre le temps représentatives du secteur, dont la Réunion des musées
et la valeur dans l’industrie des médias et du divertissement »). nationaux - Grand Palais, l’INA, Solocal (PagesJaunes), Criteo,
L’écosystème qui s’est progressivement structuré semblait tendre InterCloud, Kantar Media... Cette étude qui a mobilisé nos experts
jusqu’à présent vers un point d’équilibre entre les opérateurs du secteur Médias et Divertissement, se fonde sur leurs points de
de l'Internet, de télécomunications et les groupes médias. vue, notre recherche sectorielle et nos propres analyses.
Néanmoins les enseignements de nos dernières études laissaient
déjà entrevoir la déferlante Big data, qui pourrait introduire un
nouveau facteur de déstabilisation, laissant un nombre restreint
d’acteurs, capables de faire parler le Big data, détenir le pouvoir
de contrôler et de prévoir.

Remerciements
EY tient à remercier vivement pour leurs éclairages :
Roei Amit (Directeur adjoint chargé du numérique, Réunion des musées nationaux - Grand Palais), Christophe Benavent
(Professeur, Responsable du Master Marketing opérationnel international, Université Paris Ouest), Julien Billot (Directeur
général adjoint en charge du segment média, Solocal - ex PagesJaunes), Jérôme Dilouya (Fondateur et Président-directeur
général, Intercloud), Denis Gaucher (Directeur exécutif Ad Intelligence Europe, Kantar Media), Alban de Nervaux (Directeur
de la stratégie et du développement, Réunion des musées nationaux - Grand Palais), Alexandra Pelissero (Directrice de la
communication, Criteo), Stéphane Ramezi (Responsable des éditions multimédia, INA).
Nous tenons aussi à remercier, pour leur apport lors des groupes de travail : Benoît Tabaka (Directeur des politiques publiques,
Google France), Pierre Geslot (Responsable Projets Lectures numériques, France Télécom Group), Laure Kaltenbach (Directrice
générale, Forum d'Avignon), Olivier Le Guay (Responsable éditorial, Forum d'Avignon).

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 3


Édito
Empreintes, fresques, statuettes, parchemins, hiéroglyphes et toute autre forme de production culturelle
ou artistique sont autant de traces matérielles laissées à la postérité, de façon consciente ou non,
qui nous ont permis de reconstituer des pans entiers de l’histoire de nos civilisations, pour forger notre savoir
et notre culture.

C’est l’évolution de l’humanité tout entière qui est indissociable Car au cœur de cette masse de données vertigineuse brille une
des traces, empreintes et autres indices que nous laissons catégorie de données qui vaut de l’or : la donnée personnelle
derrière nous. Avec l’avènement de l’ère numérique et l’apparition culturelle. Lorsque nous observons le bouleversement des
des traces immatérielles dont nous marquons la toile et que nous rapports de force entre opérateurs Internet, opérateurs de
pouvons désormais collecter, stocker et analyser à l’infini1, réseaux et groupes médias, sous l’effet de l’explosion des traces
nous est aujourd’hui donné un pouvoir inédit. Au pouvoir et informations liées à la révolution digitale, force est de constater
régalien, détrôné peu à peu par l’ouverture du savoir au plus la ruée de tous ces acteurs vers cette donnée personnelle
grand nombre à travers l’imprimerie, la radio et la télévision culturelle, nouveau sésame qui leur ouvrirait les portes de
- et duquel le règne d’Internet a semblé définitivement nous l’intimité de l’être.
affranchir - succède aujourd’hui le pouvoir de contrôler et de
À la fois miroir de nos goûts et de nos aspirations et reflet
prévoir, grâce à l’ouverture de données publiques et personnelles
de l’image sociale que nous souhaitons renvoyer, la donnée
de tous à un nombre d’acteurs restreints, capables de faire parler
personnelle culturelle représente en effet un fragment de notre
le « Big data ».
identité. Une donnée d’autant plus précieuse qu’elle introduit un
Volume, variété et vélocité : c’est en ces trois mots que peut se rapport inédit en réconciliant l’empreinte et le calcul3 : si, à la
résumer le Big data, pour exprimer le volume inédit de données manière d’une photographie, la donnée numérique conserve la
produites et échangées par un nombre croissant de canaux trace de notre activité digitale, elle s’en distingue toutefois par sa
(web, objets connectés au web et entre eux, plateformes), la disponibilité au calcul.
variété de ces données (avec une part croissante de données
Contrairement à une simple photographie, qui comme le rappelait
non structurées et volatiles2) et enfin la vélocité, qui désigne la
Roland Barthes4, « ne se distingue jamais de son référent,
vitesse, toujours plus grande, de ces échanges.
de ce qu'elle représente. [Le référent] s'entête à être toujours là,
Le Big data représente une formidable matière première pour il adhère », la donnée personnelle numérique est détachable et
qui saura en extraire la substantifique moelle, avec à la clé calculable.
des opportunités de création de valeur qui pourront irriguer
l’ensemble des secteurs d’activité de l’économie réelle… et en
particulier celui de l’industrie médiatique et culturelle.

1 Un yottaoctet est la capacité annoncée du nouveau data center de la NSA (National Security Agency) pour 2013, soit mille fois la totalité des données enregistrées en 2011
dans le monde - Sarah Belouezzane et Cécile Ducourtieux, « Vertigineux "Big data" », Le Monde, 26 décembre 2012
2 Données de géolocalisation, événementielles
3 Louise Merzeau « Faire mémoire des traces numériques », E-dossiers de l’audiovisuel, Sciences humaines et sociales et patrimoine numérique, INA, mis en ligne en juin 2012
4 Roland Barthes, La chambre claire - éd. Gallimard, 1980

4 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


En effet, la dimension révolutionnaire du "Big data bang" C’est à travers la protection de cet écosystème par un filtre de
réside dans l’autonomisation des processus de production et confiance que ses acteurs pourront conserver un équilibre entre
d’échanges massifs, continus et toujours plus rapides de données liberté et contrôle. Un contrôle qui implique également de ne
ubiquitaires. Dans le domaine des contenus culturels, l’offre pas se soumettre à la tyrannie de la donnée, dans une tentative
devient alors pléthorique. Mais à travers le téléchargement, le de profilage qui, poussée à l’extrême, enfermerait chaque
visionnage, l'échange de ces contenus culturels, les données individu dans des résultats qui ne laisseraient aucune chance à
personnelles du consommateur, tendent à se disperser de façon la sérendipité ; au risque de tomber sous la domination d’une
incontrôlée. Et alors qu'Internet peut apparaître comme un lieu de culture unique… Des craintes qui, en leur temps, avaient déjà été
normalisation et de surveillance, se pose avec acuité la question imputées à l’imprimerie, ou au latin à la Renaissance6…
du pouvoir de contrôle que permet la connaissance intime des
Au-delà des gains d’efficacité et de performance espérés, à
comportements et des données personnelles culturels. Et avec
travers une connaissance affinée du comportement de ses publics
elle, la question du respect de ces données et de la nécessité de
et usagers et donc d’une plus grande capacité d’anticipation de
développer des réponses concertées impliquant les acteurs de
leurs attentes, les données personnelles culturelles représentent
l’écosystème des contenus culturels numériques et des alliances
pour le secteur de l’industrie médiatique et culturelle une
autour de valeurs et impératifs communs : "Big data is ethically
formidable opportunité de révolutionner leur modèle économique
neutral, the use of Big data is not5".
pour stimuler la création... à l'infini.
Ainsi, si le Big data apparaît comme une rupture majeure qui
nous ferait définitivement quitter une ère, dont l'épuisement des
ressources fait poindre les limites, pour entrer dans une économie
du savoir et de la connaissance prometteuse, il est urgent Bruno Perrin
d’apprendre à préserver la fragilité de cette ressource qu’est la Associé EY
donnée personnelle culturelle, dont la pérennité repose sur les Responsable du secteur
Technologies Médias Télécoms
équilibres subtils et les responsabilités partagées, qui jetteront les
en France
premiers jalons de ce nouveau marché en pleine structuration.

5 Kord Davis, "Ethics of Big data – Balancing risk and innovation" - ed. O’Reilly Media, Septembre 2012
6 René Trégouët, Sénateur, « Des pyramides du pouvoir aux réseaux de savoirs - Tome 1 », Rapport d'information 331 - 1997/1998 - Commission des Finances, site internet du Sénat,
consulté le 10 octobre 2013

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 5


1. Faire parler le Big data :
un nouveau pouvoir dans le secteur
médiatique et culturel

| 7
Du Big data au Worthy data
Des traces à l’ADN de l’être numérique
Une explosion des traces numériques
Depuis quelques années, les données numériques connaissent En naviguant sur Internet, un utilisateur laisse des traces de
une croissance exponentielle et forment une masse gigantesque natures variées. Ces données sont collectées selon différents
de data, autrement appelée Big data. modes opératoires et lui sont rattachées a priori ou a posteriori,
selon qu’il se sera identifié volontairement, ou qu’il sera
L’augmentation de cette masse de données s’explique par trois
identifiable par recoupement (ex. : cookies, adresse IP, adresse
facteurs, connus sous la formule des 3V :
MAC).
• Le boom du volume de données émises : l’individu, de plus en
plus nomade, produit davantage de données, laissant derrière Aux 3V du Big data s’ajoute la valeur que représentent ces
lui en temps réel des traces numériques toujours plus fraîches. données, pour l’entreprise mais aussi pour l’utilisateur.
En parallèle, les capacités de stockage augmentent également En effet, l’exploitation de ces « traces » numériques peut offrir
de façon exponentielle, ce qui permet de conserver un aux utilisateurs un réel confort de navigation et leur fournir
historique de toutes ces traces numériques. En 2013, les des services de qualité (mise à disposition d’une boîte mail,
volumes de données créées ou manipulées auront dépassé les obtention d’applications gratuites, jeux gratuits, etc.), sans
4 zettaoctets1, soit l’équivalent d’une pile de DVD mesurant la contreparties financières directes. Conscientes de la forte
hauteur de… 4 millions de tours Montparnasse2. valeur de ces données, les entreprises tentent d’instaurer ou de
gérer une relation donnant-donnant, visant à récompenser les
• La variété des outils connectés s’étend : du portable au
utilisateurs qui transmettent leurs données personnelles, en leur
réfrigérateur, de la tablette à la voiture intelligente en passant
offrant des produits ou services pour les inciter à révéler leurs
par la smart TV, le nombre d’objets connectés explose, comme
préférences de consommation et des centres d’intérêt, via, par
en témoigne la demande croissante d’adresses IP. Capables de
exemple, des commentaires sur les réseaux. Toutefois, proposer
communiquer entre eux, ces objets qui forment « l’Internet des
des services additionnels contre les données cédées suppose un
objets », peuvent tracer leurs utilisateurs et envoyer des
équilibre délicat pour les entreprises : les consommateurs, pas
informations précises sur leurs mouvements et habitudes,
toujours conscients de la portée de ce rapport donnant-donnant,
même quand ceux-ci ne les utilisent pas. Une variété qui
peuvent se montrer réticents à l’idée d’être considérés comme
qualifie également la masse non structurée des données
des produits monétisables. D’où l’importance de porter à leur
produites par ces multiples sources, qui émettent des données
connaissance ce qu’ils sont en mesure de faire pour contrôler
présentant autant de codes, langages et formats différents.
leurs données personnelles. • En savoir plus p. 37
• La vélocité de l’information, à savoir la vitesse à laquelle les Cette masse de données numériques, à l’instar de la masse
données sont traitées simultanément, augmente elle aussi : monétaire, aurait-elle atteint un seuil suffisamment critique
ces données circulent toujours plus vite, émises par des pour faire fonctionner un système économique à part entière ?
sources toujours plus interconnectées et interdépendantes, Existe-t-il une hiérarchie de valeur entre ces traces numériques ?
dans des réseaux qui fonctionnent de moins en moins en silos. Quelle est la valeur de cette donnée numérique ?

1 « Big data, nouveaux défis », Revue de l’Association Telecom ParisTech Alumni, n° 169, juillet 2013
2 Une pile de DVD de la hauteur de la tour Montparnasse = 1 pétaoctet (équivalences : 1 zettaoctet = 1021 octets ou 106 pétaoctets) - Sarah Belouezzane et Cécile Ducourtieux,
« Vertigineux "Big data" », Le Monde, 26 décembre 2012

8 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


145 milliards de mails envoyés

4,5 milliards de recherches sur Google


24h
104 000 heures de vidéos mises en ligne sur YouTube
dans la vie
du Big data 400 millions de tweets postés

552 millions d’utilisateurs se connectent à Facebook

Source : chiffres CNRS

De l'octet au yottaoctet, l'échelle des données

5
2 En 2011, il fallait 2 jours 24 h
exaoctets pour les générer
24 h

de données générées
depuis les premières mesures
jusqu’en 2003 2 En 2013, il faut 10 minutes
10 min
pour les générer

6 millions Une pile de DVD La totalité des Capacité


Une page Un morceau Un film de livres de la hauteur de la données enregistrées du data center
de texte Word de musique de 2 heures numérisés tour Montparnasse en 2011 de la NSA
1o 30 Ko 5 Mo 1 Go 1 To 1 Po 1 Zo 1 Yo

Octet Kilo-octet (Ko) Mégaoctet (Mo) Gigaoctet (Go) Téraoctet (To) Pétaoctet (Po) Exaoctet (Eo) Zettaoctet (Zo) Yottaoctet (Yo)
1 000 octets 1 000 Ko 1 000 Mo 1 000 Go 1 000 To 1 000 Po 1 000 Eo 1 000 Zo

Source : CNRS

Quelles traces laissées par une simple recherche culturelle sur le web ?
Exemple : réservation d’une entrée pour une exposition au Grand Palais

Traces numériques
Action utilisateur Services en contrepartie
à caractère majoritairement personnel

Session utilisateur
• Données de contact (âge, sexe, coordonnées…)
• Moteur de recherche • Données de connaissance (CSP, intérêts, relations,
• Messagerie profil de consommation…)
• Site tiers
• Réseau social…

• Rapidité de navigation

• Confort d’utilisation
Logiciel • Environnement logiciel
• Informations collectées par cookies
• Navigateur • Favoris, historique, paramètres, préférences • Richesse des informations
• Système d’exploitation de navigation et des services en ligne

• Gratuité des informations obtenues


et accès aux services
Physique
• Équipement (smartphone/ • Niveau d’équipement (type, résolution d’écran…)
tablette/ordinateur) • Vitesse et données techniques de connexion
• Type de connexion • Statistiques/comportement de navigation
• Adresse IP/Adresse MAC • Pays/zone géographique/localisation
• Localisation (ADSL) : DSLAM
• Géolocalisation (mobile, wifi)
Source : EY ©

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 9


« Avec le Big data, le nerf de la guerre est le contexte. Dans les
années 90, le contenu était roi, désormais, c’est le bon contenu
dans le bon contexte qui est roi, ce que l'on peut résumer par la
formule "content is king, but context is King Kong". L’Institut
National de l’Audiovisuel a parfaitement pris conscience que
la donnée numérique, enrichie d’éléments de contexte, voyait
sa valeur augmenter sensiblement du fait de services et de
contenus proposés mieux personnalisés et plus pertinents. »
Stéphane Ramezi, Responsable des éditions multimédia à l’INA

Donner de la cohérence aux traces numériques Recomposer l’ADN de l’être numérique à


Individuelles, hétérogènes, multiples et éparses, les traces travers des algorithmes toujours plus pointus
numériques collectées en temps réel n’ont, prises isolément,
Au-delà de la collecte de données et de leur stockage,
aucune valeur. Leur valeur vient du sens qu’on arrive à en tirer,
l’intelligence algorithmique est indispensable pour donner un
en termes de corrélation ou de prédictibilité.
sens à la masse de données que forment les « traces » laissées
Il est possible de donner du sens à ces données en les rattachant par chaque individu connecté. Cette intelligence algorithmique
à leur cause commune : le comportement d’un être humain. vise à regrouper et confronter des données numériques issues
De cette façon, on peut non seulement espérer comprendre le de sources diverses pour créer et caractériser l’ADN d’un être
comportement d’un individu à travers les traces qu’il laisse, mais numérique, afin de décrypter et d’anticiper ses comportements
aussi, in fine, recomposer l’ADN de son « être numérique ». dans des environnements différents.
Il faut donc contextualiser la donnée qui, seule, n’aura aucun
Il arrive que les images physique et numérique d’un individu
sens, mais prendra toute sa valeur dans la mise en relation
se recoupent. Le simple achat d’une carte de transport par
avec une multitude d’autres données. C’est ce pouvoir de
exemple : un individu qui passera, tous les soirs à 18h sauf le
contextualisation qui permettra à l’entreprise de proposer la
week-end, le portique du métro avec son titre de transport et
bonne offre à la bonne cible, au bon moment, à travers le bon
laissera dans le même laps de temps des traces de recherches sur
canal... en somme d’enrichir, personnaliser et valoriser son offre
Internet à partir de son téléphone portable, sèmera suffisamment
de contenus et services.
d’indices pour permettre de décrypter ses habitudes ; il s’agit
sans nul doute de son trajet à la sortie du travail. Mais il arrive
parfois que l’être physique et l’être numérique projettent des
images différentes. On peut par exemple avoir une interprétation
erronée d’une information transmise sur un réseau social,
telle que « j’aime » ou « j’y étais » : prise isolément, une telle
information sera non seulement trop parcellaire pour prétendre
décrypter un comportement ou une personnalité, mais surtout,
elle ne correspondra pas forcément à l’identité de l’être physique
en termes de niveau social, d’éducation, etc.
Dans tous les cas, que l’image projetée de l’être numérique se
recoupe ou non avec l’image réelle de l’être physique, l’image
numérique aura un sens si elle s’inscrit dans une cohérence dans
le temps. C’est à cette condition que les traces laissées par l’être
numérique pourront donner un caractère prédictif aux modèles
statistiques, et ainsi générer de la valeur.

10 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Prévoir le comportement de l’être numérique La valeur d’une trace numérique :
Parallèlement, ou au-delà de la corrélation avec le contexte,
un arbitrage entre cash-flow futur et coût
l’intelligence algorithmique vise à établir des liens de cause à effet de collecte/analyse
pour mieux prévoir les comportements de l’être numérique.
C’est en ce sens qu’œuvrent les informaticiens et data Le décryptage de l’ADN d’un être numérique a un coût (collecte
analysts qui élaborent les algorithmes. de la donnée, stockage, décryptage de l’information via des
algorithmes performants).
Ces modèles à visée prédictive sont déjà largement utilisés.
Les recommandations de sites d’achats de biens et services Le défi majeur réside ainsi dans les coûts et investissements
culturels en ligne tels que Netflix ou Amazon reposent sur des élevés que représentent les infrastructures de traitement de
modèles capables de prévoir ce qu’un individu serait en mesure données volumineuses, en trouvant notamment un moyen
d’apprécier au regard de ses achats antérieurs, mais aussi de valoriser et monétiser les nouvelles analyses rendues
d’achats similaires effectués par d’autres consommateurs, possibles grâce aux données issues du Big data. Avec, à la
afin de lui proposer des produits en conséquence. clé, l’optimisation des cash-flows générés par la justesse des
prédictions des comportements numériques, tout en gardant
la maîtrise des coûts de développement d’algorithmes, d’achat
Évolution des modes calculatoires informations, de collecte et de stockage.
Face à la déferlante des données et au phénomène de ruée vers
Le Big data implique le traitement de données volumineuses ce nouvel or numérique, il faut garder à l’esprit que toutes ces
(nombreuses sources d’historiques, bases de corrélations, etc.) données n’ont pas la même valeur. Une échelle de valeur va
en un temps raisonnable, voire en temps réel. donc s’établir, la valeur d’une donnée variant selon ce qu’elle
révèle ou non sur l’ADN de l’être numérique. Si, par exemple, une
Bien souvent, une combinaison de méthodes statistiques adresse ou un numéro de téléphone pouvaient avoir de la valeur
classiques (statistiques descriptives, segmentation, scoring, à l’époque du télémarketing de masse, ils se révèlent aujourd’hui
etc.) et de solutions de calcul permettent de résoudre ces bien moins précieux que des données sur les centres d’intérêt
difficultés. Par exemple, la parallélisation des calculs répète les ou les dernières recherches d’un individu. C’est pourquoi, dans
mêmes calculs sur des groupes de données séparés, des cet amas enchevêtré de données de toutes natures, se détache
séquences, avant de les réconcilier, afin qu’ils soient aujourd’hui une pépite prometteuse de laquelle on pourra extraire
globalement effectués de manière plus rapide. Cette méthode des worthy data : il s’agit de la donnée personnelle culturelle.
de calcul est combinée avec des estimateurs statistiques pour
converger vers une réponse la plus juste possible dans le délai
imparti.
Il est à noter que les formes de statistiques descriptives
auxquelles on aboutit aujourd’hui sont plus pures qu’à l’époque
où l’on ne disposait que d’échantillons de données qu’il fallait
extrapoler (du fait des coûts de récolte, de stockage et de
traitement). Raison pour laquelle la quantité de données
disponibles et leur traitement ne sont aujourd’hui plus une
limite, permettant ainsi de travailler sur des données plus
exhaustives.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 11


La donnée personnelle culturelle : une data qui vaut de l’or
Comportement culturel de l’homo conexus Une forte demande en données personnelles
à l’origine de la donnée personnelle culturelle culturelles numériques
Depuis plusieurs années, le temps consacré à la consommation de Bien plus que la consommation de biens et services matériels,
contenus culturels ne cesse d’augmenter, une tendance amplifiée qui satisfont les besoins fondamentaux et primaires, celle de
par le fait que le consommateur est désormais un homo conexus, biens et services culturels en dit beaucoup sur nos préférences,
connecté, mobile et multitâches. nos centres d’intérêt et nos aspirations. Elle touche ainsi à
notre identité, non seulement dans ce qu’elle a de plus intime,
Un phénomène à l’origine de l’explosion des traces personnelles mais aussi dans ce qu’elle a de plus social et communautaire :
culturelles laissées par l’homo conexus, parallèlement à les biens et services culturels que nous consommons, ou nos
l’augmentation des données émises par l’Internet des objets, comportements culturels, participent en effet largement de
qu’elles soient produites par son comportement culturel… : l’image que nous souhaitons renvoyer dans notre environnement
• … numérique : moteurs de recherche, transactions de biens et social. C’est pourquoi nous partageons volontiers notre
services culturels (billeterie, livres, musique…), consultation et expérience et notre avis sur un livre, un film, un jeu, un concert
partage de vidéos/musique/séries en streaming, réseaux ou une exposition avec nos amis ou communautés en ligne, tout
sociaux, portails médias, etc. ; comme avec les éditeurs de contenus en ligne.
• … ou physique : une séance de cinéma ou la visite d’une La donnée personnelle culturelle renferme des informations
exposition peuvent laisser des traces via les moteurs de contextuelles fortes et permet de qualifier de façon assez précise
recherche, les images et commentaires postés sur les réseaux le pouvoir d’achat de l’être numérique mais aussi de prévoir
sociaux, la géolocalisation. Mais aussi, une simple soirée son comportement. C’est pourquoi, en raison de sa valeur
devant la télévision : aujourd’hui, 52 % des commentaires sur intrinsèquement élevée, elle figure aujourd’hui au centre de
Facebook portent sur les programmes diffusés à la télévision. toutes les attentions des acteurs du Big data.
Il existe d’ores et déjà une demande sur le marché de la donnée
personnelle culturelle, largement portée par des groupes tels
que la Fnac et Amazon. Ils valorisent ces données personnelles
culturelles pour packager, adapter et cibler leurs offres en
conséquence. Mais, si la demande est bien là, qu’en est-il de
l’offre ?

12 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Benchmark de données : la donnée personnelle culturelle se distingue Source : EY ©

Données publiques Données Données Données personnelles


culturelles1 transactionnelles2 marketing3 culturelles4

Degré de digitalisation Faible Moyen Fort Moyen

Multiplicité des sources Fort Moyen Moyen Fort

Variété de format Fort Faible Moyen Fort

Volume de données Faible Fort Moyen Fort

Intimité Faible Moyen Moyen Fort

Une production de données toujours plus exhaustive, pour une meilleure appréhension
du comportement culturel de l’être numérique
Si, du côté de l’offre, la donnée personnelle culturelle est Ceci permet de prolonger l’expérience culturelle des clients et
longtemps restée cantonnée à l’analyse des paiements, de nouer une relation d’engagement avec eux. Une relation qui
on observe aujourd’hui chez les entreprises et établissements fournira de précieuses informations client, à condition d’être
du secteur médiatique et culturel un prolongement de capable d’engranger et de lier efficacement une quantité et une
l’expérience culturelle en-deçà et au-delà des transactions de variété inédites d’informations, générées dans des espaces et
paiement. Ces acteurs tendent à enrichir leurs offres de services temporalités différents.
culturels via un continuum de services.

Les comportements culturels, davantage que les traditionnels CSP, apportent de la valeur aux profils numériques.

1 Selon une définition consacrée, est une « donnée publique culturelle » la donnée produite ou détenue par un établissement, organisme ou service culturel ayant une activité culturelle
réelle et effective (Source : Guide Data Culture).
Ex. : inventaire du fonds artistique, horaire d'ouverture, catalogue d'exposition, œuvre du domaine public...
2 Données sur les actes d'achats de biens et services culturels.
Ex. : nombre d'entrées en salle, vente de disques, entrées aux musées, détenteurs de cartes d'abonnement, ventes Amazon...
3 Données de contact et qualification collectées au travers des opérations des acteurs de l'industrie culturelle.
Ex. : abonnés de l'espace personnel du Louvre, participants aux jeux-concours de promotion musicale, abonnés newsletters, données de navigation...
4 Ensemble des données permettant de connaître les préférences culturelles des consommateurs.
Ex. : discussions dans des forums, réseaux sociaux, avis et commentaires sur des œuvres/artistes...

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 13


La donnée personnelle culturelle au cœur
de l'émergence d'un marché stratégique
Un marché en pleine structuration, sous l’effet de lourds investissements
La valeur élevée de la donnée personnelle culturelle numérique • D’autre part (tendance 2), les leaders du numérique, les
est source d’importants mouvements d’acteurs et fait l’objet de GAFA2, qui possèdent déjà des infrastructures de données et
lourds investissements. Un marché hautement stratégique est sont utilisateurs de données personnelles culturelles,
en train de se dessiner à la faveur d’un double phénomène de investissent pour se rapprocher de la production de données
rapprochement et de convergence, avec : personnelles culturelles, mais aussi pour produire et diffuser
• D’une part (tendance 1), les entreprises et établissements eux-mêmes des contenus culturels.
médiatiques et culturels qui innovent pour proposer un Exemple : l'Institut culturel de Google intègre différents projets
continuum de services, afin d’enrichir et de prolonger dont Google Art Project, qui permet de se promener dans les
l’expérience culturelle en recueillant des informations galeries de 151 musées ou lieux culturels en ligne à travers le
précieuses sur les préférences de consommation de biens monde (Versailles, Quai Branly, MoMa, The National Gallery à
et services culturels. Londres, Fondation Neslon Mandela, etc.). Ce service repose
Exemple : grâce au partenariat signé entre TF1 et Facebook en sur des bases de données utilisant différentes technologies de
octobre 2013, le réseau social partagera ses données avec le l’opérateur et collectant des données personnelles culturelles
groupe audiovisuel français qui bénéficiera des outils Facebook à l’échelle internationale, avec un effet multiplicateur fort via
dédiés au suivi et à l’analyse des conversations autour des les réseaux sociaux. Et avec une volonté forte de développer
programmes TV. Ces outils permettront à TF1 de mesurer le des standards communs ou interopérables pour les musées à
nombre de publications autour d’un sujet précis et de les analyser, travers le monde. Cette invitation dans le monde la culture vient
mais aussi d’afficher et de mesurer, pendant la diffusion de ses compléter les investissements du groupe dans les secteurs de la
programmes, le taux de conversations en temps réel sur le réseau vidéo (rachat de YouTube pour 1,65 milliards de dollars en 2006),
social, qui rassemble 26 millions d’utilisateurs en France et génère du livre (plusieurs centaines de millions d’euros3 ), des contenus
« 52 % des commentaires sur la télévision1 ». audiovisuels (films et séries provenant des catalogues de grands
studios américains ou de chaînes de télévision telle que BBC, etc.).
Amazon s’invite également dans le marché de l’art en lançant,
en août 2013, Amazon Art, une plateforme proposant à la vente
plus de 40 000 œuvres en provenance de 150 galeries à travers
le monde, des plus exceptionnelles aux plus accessibles, avec la
volonté clairement affichée de toucher une audience plus large.

Structuration d’un nouveau marché stratégique


Tendance 1 Être à la fois producteur et utilisateur de données personnelles culturelles

Acteurs des Producteurs de données Utilisateurs de données


personnelles culturelles Distributeurs de produits
échanges personnelles culturelles
et services culturels en ligne • Groupes de médias - Producteurs,
de données • Établissements culturels Ex. : Amazon, La Fnac
personnelles • Créateurs de contenus créatifs diffuseurs, distributeurs de
culturelles et culturels contenus culturels
Ex. : musées, bibliothèques Ex. : diffuseurs TV, éditeurs
• Sociétés de marketing digital
Les champions
du numérique
Ex. : Amazon, Apple, Google

Acteurs des Infrastructure Big data


Infrastructures Serveurs, data centers,
de données bases de données, algorithmes…

Source : EY ©

Tendance 2 Entrée des GAFA2 sur le marché des données personnelles culturelles

1 « Social TV : Facebook partagera ses données avec TF1 et Canal+ », Le Monde, 7 octobre 2013
2 GAFA désigne les Big 4 du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon
3 Début 2012, Google avait numérisé plus de 20 millions d’ouvrages (Jennifer Howard, “Google Begins to Scale Back Its Scanning of Books From University Libraries”, 9 mars 2012,
site visité le 10 octobre 2013) et le coût de numérisation de l’intégralité du catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BNF), soit environ 15 millions d’ouvrages, est estimé à
750 millions (selon Yann Gaillard, rapporteur spécial de la Commission des finances pour la mission « Culture » et auteur du rapport intitulé : « La politique du livre face au défi du
numérique. »)

14 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Infrastructure Big data : de quoi parle-t-on ?

L'information sur la localisation géographique des data centers est très difficile à obtenir et jugée stratégique par les grands acteurs
du secteur. Sur la base des informations publiques disponibles et pour les data centers vendant leurs services, EY a réalisé une carte
anamorphose des data centers, qui montre l'avancée des États-Unis en matière de capacité de stockage de données, par rapport à
l'Europe et aux autres régions du monde.
Les capacités de stockage dont se dotent les grands collecteurs de données sont bien supérieures aux besoins à très court terme
comme en atteste la capacité du dernier data center de la National Security Agency (NSA), qui atteint 1 yottaoctet4.
En outre, l’analyse des charges et revenus des GAFA montre que si la R&D, le stockage et le traitement des données constituent une
part significative des coûts, l’exploitation directe des données Big data ne constitue qu’une faible partie des revenus, l’essentiel5 de
ces derniers provenant de la publicité ou de la distribution.

Carte en anamorphose des data centers


Source : EY ©

Europe Si on compare, par grande zone


33 % géographique, les pourcentages de data
USA/Canada
44 % 25 % Asie centers dans le monde aux pourcentages
26 %
10 % de PBN mondial, on constate que
32 % certaines régions sont surreprésentées
Moyen-Orient en data centers par rapport à leur poids
2% économique (% de leur PNB/PNB mondial).
Autres pays Afrique 4% Ainsi, l’Amérique du Nord a généré 26 %
8% 1% du PNB mondial en 2012 tandis qu’elle
4% 2% abritait 44 % des data centers proposant
Part de data center des services commerciaux.
Part du PNB mondial
Amérique du Sud
2%
7%

4 Sarah Belouezzane et Cécile Ducourtieux, « Vertigineux "Big data" », Le Monde, 26 décembre 2012
5 Les revenus issus de l’exploitation directe des données Big data sont issus de la vente de services de stockage, de traitement et analyses de données Big data, Jeffrey Kelly, David Floyer,
Dave Vellante, Stu Miniman, "Big Data Vendor Revenue and Market Forecast 2012-2017", Wikibon, octobre 2013

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 15


« Les opérateurs tels que Google, Amazon
ou Microsoft construisent leurs propres
data centers. Google construit même les
machines à l’intérieur de ses data centers. »
Jérôme Dilouya, Fondateur et Président-directeur général
d’Intercloud

Caractéristiques du marché de la donnée personnelle culturelle


Pour mieux cerner le marché du Big data et en comprendre les règles du jeu, il convient d’analyser
les caractéristiques des principales forces en présence.

Des coûts marginaux dégressifs Cet effet « boule de neige » (winner-take-all effect) ajouté à la
barrière du coût initial, aux fortes économies d’échelles et à un
Les investissements initiaux sont principalement relatifs à niveau important de sunk costs tend inévitablement à concentrer
« l’infrastructure Big data » : serveurs, data centers, algorithmes. le marché à moyen terme.
Si la collecte massive de données personnelles, ainsi que le
développement des algorithmes pour les exploiter nécessitent Un marché touchant au « bien commun »
de lourds investissements de départ pour fournir le service au Le marché de la donnée personnelle culturelle est sensible car
premier client, les coûts nécessaires à l'acquisition de clients les informations concernant les comportements culturels d'une
supplémentaires sont dégressifs. population donnée et leur exploitation sont souvent issues
de statistiques ou d’enquêtes publiques et traitées/analysées
Un marché où seuls quelques acteurs
à l’échelle nationale, par les instituts de statistiques publics.
pourront survivre à moyen terme Rappelons par ailleurs que la propriété intellectuelle culturelle
Toutes les entreprises n’ont pas les moyens d’investir dans tombe dans le domaine public après une longue période
cette infrastructure dont le niveau déterminera la qualité de d’exploitation par les auteurs et producteurs de ces données/
l’exploitation des data. Ainsi, les chances de réussite d’un nouvel contenus1.
acteur sont loin d’être certaines, d’autant que celui-ci risque
d’encourir des sunk costs importants.
« Nous sommes face à l’enjeu suivant :
Par ailleurs, l’acteur qui possède la plus grande masse qui va gagner la course au CRM du web ?
d’informations (réseau social, application, operating system, etc.)
[…] Celui qui aura atteint la masse critique
et dispose des algorithmes les plus puissants attirera davantage
de clients et collectera d'autant plus de données fiables de données aura gagné la course de vitesse
additionnelles. Ceci aura pour conséquence de renforcer la qualité du CRM digital. »
de ses analyses et de ses algorithmes et, in fine, sa position sur le Roei Amit, Directeur adjoint chargé du numérique à la
marché. Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP)

1 
« La propriété intellectuelle à l’ère du numérique – Défis et opportunités pour le secteur Médias et Divertissement », EY, Novembre 2011

16 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


« Plusieurs milliards d'individus génèrent et échangent des
informations personnelles en temps réel tout autour de la
planète, bouleversant la science, l'économie et les relations
de pouvoir. La gestion des données s'affirme ainsi comme une
infrastructure essentielle de la mondialisation, qui doit être
régulée alors qu'elle s'affranchit des États et des frontières. »
Nicolas Baverez, « La révolution Big data », Le Point, mai 2013

Des caractéristiques de marché proches Les caractéristiques d’une infrastructure essentielle


de celles d’une infrastructure essentielle ?
• Caractéristiques techniques
Investissements initiaux important puis coût marginal faible, sunk
-- Indivisibilité technique (indivisibilité des investissements)
costs élevés, fortes économies d’échelle, winner-take-all effects,
domaine touchant au bien commun, traditionnellement animé par -- Longue durée de vie
des organismes publics, etc. : ces éléments, caractéristiques des -- Produit faisant l’objet de peu d’échanges
monopoles naturels, sont longuement décrits dans la littérature -- Produit faisant souvent partie d’un tout, difficile à isoler
économique. techniquement
Au regard des grandes tendances qui ont marqué certains • Caractéristiques économiques
secteurs avec monopoles naturels, comme les télécoms ou
-- Fonction de coûts sous-additive
les chemins de fer, l’enjeu consiste à identifier l'infrastructure
(existence d’économies d'échelle)
essentielle et ses marchés Amont et Aval afin de favoriser la
concurrence et la diversité des acteurs sur ces marchés. -- Coûts irrécupérables importants
(investissements non réversibles)
Dans cette optique, l’infrastructure et l’échange de données
-- Externalités de réseau (prime au leader, effet boule
constituent-ils un marché pertinent ? Est-ce une infrastructure
de neige, importance d'une masse critique de
essentielle ? Existe-t-il des acteurs dominants sur ce marché qui
consommateurs, anticipations auto-réalisatrices...)
doivent être régulés ?
-- Guerre des standards empêchant d'avoir des produits
De tels marchés ont besoin d'éléments de structuration pour substituables
arriver à leur point d'équilibre à moyen et long termes.
• Caractéristiques socio-économiques
En outre, au cœur de ce marché en construction, ce sont les -- Coordination et planification centralisées
données de milliards d’individus connectés, générant des
-- Traditionnellement détenue par l'État
zettaoctets de données numériques collectées et utilisées par
un nombre relativement restreint d’acteurs économiques, qui -- Traditionnellement considérée comme touchant
sont en jeu. Là aussi, dans un souci d’équilibre à long terme, au « bien commun »
la réglementation a un rôle à jouer pour instaurer une relation
de transparence et de confiance entre les entreprises et les
individus. C’est en leur donnant un droit de regard et de contrôle
renforcés sur leur identité numérique que ces êtres numériques
continueront à avoir une existence et à produire des données
créatrices de valeur.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 17


2. Pouvoirs en équilibre
et responsabilités partagées :
les nouveaux contours du Big data

| 19
« Si l’on veut construire une innovation
durable, qui ne soit pas rejetée par
l’utilisateur, les entreprises doivent apporter
des garanties en termes de protection des
données personnelles. Ce n’est pas un coût,
c’est un investissement. »
Isabelle Falque Pierrotin, « Data, la nouvelle ruée
vers l’or », Enjeux Les Échos, mars 2013

La masse de traces numériques disponibles est En effet, pour garantir son développement
désormais suffisante pour permettre de suivre et harmonieux à moyen et long termes et favoriser
de modéliser des « êtres numériques » rationnels un nouvel écosystème économique innovant
et cohérents. Dans cette course à l’extraction et et créateur de valeur pérenne, il faut s’assurer
à l’analyse de données pertinentes, se dessinent que l’échange et l’utilisation massive des données
les contours d’un marché à part entière : il s’agit personnelles culturelles se fassent dans le respect de
du marché des données personnelles culturelles la vie privée de chaque individu, premier producteur
numériques. de données personnelles culturelles. Mais aussi
favoriser les investissements des entreprises quant
S’il ouvre des perspectives économiques
à la collecte et à l’organisation des données et enfin
prometteuses et étonnantes, ce nouveau marché doit
instaurer une saine concurrence économique.
cependant être accompagné dans sa structuration et
son développement.

20 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


La réglementation, impulsion économique
pour les acteurs de Big data en Europe
La protection comme facteur de confiance
Un fort besoin de confiance quant à la gestion des données personnelles
Les réseaux sociaux se font souvent écho des manquements en Partant du postulat reconnu que la rétention d’un client requiert
matière de respect de la vie privée ou de sécurité informatique un investissement bien moindre que son acquisition, les
et propagent souvent le « buzz » autour de pratiques contraires entreprises déploient des stratégies pour maintenir et entretenir
à la loi sur la protection des données. La protection des données la fidélité de leurs clients. Celle-ci repose essentiellement sur la
personnelles apparaît ainsi au centre des préoccupations des confiance, laquelle ne peut être construite qu’en s'appuyant sur
consommateurs, qui questionnent de plus en plus les entreprises les deux notions fondamentales que sont la connaissance et la
et responsables du traitement sur les garanties et la sécurité qu’ils reconnaissance. La connaissance enregistre « l’historique du
peuvent garantir aux données personnelles qu'ils leur confient. client », c'est-à-dire ses interactions avec les différents services
Les questions les plus fréquemment posées sont relatives à la de l’entreprise, auxquelles s’ajoutent des informations relatives
localisation de ces données, aux mesures de sécurité mises en aux produits. La reconnaissance est la réponse personnalisée
place pour les protéger contre des accès non autorisés, à l’usage selon le client : il s’agit donc de s’appuyer sur la connaissance du
qui en est fait par le responsable de traitement, à qui elles sont client pour lui apporter une réponse ciblée, voire de devancer ses
destinées, etc. attentes.
Dans un contexte où les questions de confidentialité et de vie L'évolution constante des technologies qui a rythmé les dix
privée suscitent un intérêt grandissant chez l’ensemble des dernières années, à laquelle s’ajoute le décalage qui existe encore
parties prenantes, de plus en plus d'entreprises intègrent cette trop souvent entre les engagements, volontaires ou imposés, en
dimension dans leurs actions de communication, tentant ainsi de matière de protection des données et les pratiques de traitement
démontrer l'importance qu'elles attachent à la protection de la vie des données, ont pour effet de renforcer les attentes des
privée de leurs clients. consommateurs en matière de confiance et de transparence.
Au-delà de l’aspect juridique, la conformité à la réglementation
en matière de protection des données personnelles devient un
moyen efficace pour les entreprises de communiquer sur leur
engagement éthique et sociétal. Le respect des bonnes pratiques
en matière de protection des données à caractère personnel
constitue indéniablement un avantage concurrentiel pour les
entreprises, quel que soit leur secteur d'activité, mais également
un moyen de se prémunir du risque de réputation.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 21


Comment définir aujourd’hui une donnée à caractère personnel ?
Définir la notion de « donnée à caractère personnel » n'est pas La question se pose donc de redéfinir les catégories de
chose aisée en raison de son caractère mouvant, parfois subjectif données qui doivent être considérées comme sensibles et donc
ou relatif, mais avant tout contextuel. réglementées plus strictement par la loi. En effet, des données
collectées à partir de ce que peut lire, écouter ou regarder un
La directive 95/46, qui constitue le socle communautaire en
individu peuvent fournir des indications sur son orientation
matière de protection des données personnelles, définit une
politique, ses croyances religieuses ou même son orientation
« donnée à caractère personnel » comme « toute information
sexuelle, et de facto relever du statut juridique protecteur des
concernant une personne physique identifiée ou identifiable
données sensibles. Force est de constater que les données
(personne concernée) ; est réputée identifiable une personne qui
culturelles, qu’elles répondent ou non à la définition des données
peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment
sensibles, doivent faire l’objet d’une protection en cela qu’elles
par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs
relèvent de l’intimité d’un individu.
éléments spécifiques, propres à son identité physique,
physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale ». Cette question est d'autant plus cruciale dans le contexte du
développement de Big data et du cloud computing qui, par
D’autres définitions existent : « nous ne devrions plus parler
économie d'échelle, peuvent induire une augmentation de tous
de données personnelles, mais de données relationnelles et
les risques soulevés par les questions suivantes :
transactionnelles. Nous devons abandonner la vision des données
personnelles comme une chose définie.1 » • Où sont stockées les données personnelles ?
• Les données personnelles sont-elles sécurisées ?
En effet, les données qui, prises indépendamment, peuvent
sembler insignifiantes, sont assemblées et analysées pour recréer • Est-ce qu’un individu possède encore le contrôle
des profils individuels ou définir des identités numériques à partir de ses données ?
d’éléments de personnalité réels. • Comment un individu peut-il s’opposer au traitement
de ses données ?
Souvent, il suffit d’une date et du lieu de naissance pour identifier
un individu. Mais l’usage des réseaux sociaux, ainsi que des • Comment un individu peut-il récupérer ses données ?
moteurs de recherche ou des services de messagerie peuvent La question de la confiance devient encore plus fondamentale
donner une vision précise de cet individu à travers le prisme de lorsqu’il est question de bâtir une relation durable avec les
ses goûts, de ses habitudes, de ses projets ou de ses croyances. utilisateurs et clients, afin de répondre à des doutes ou des
Au risque de voir toutes ces données combinées afin d'identifier craintes qui pourraient freiner le développement de ce qui semble
un individu, sans même connaître précisément son nom. être appelé à devenir un levier majeur de création de valeur dans
La quantité de données qui sont désormais collectées, traitées l’industrie médiatique et culturelle.
et stockées sur chaque personne permet d'aller beaucoup plus
loin et contribue à un profilage très précis des individus avec la Conjointement à ces initiatives privées, les acteurs publics doivent
possibilité - en fonction des catégories de données traitées – de mener les actions qui s’imposent afin d’assurer un niveau adéquat
produire des modèles probabilistes pour en apprendre davantage de protection des données personnelles et soutenir la croissance
sur leur croyance religieuse, leur opinion politique, leur mode de du secteur, à l’image des politiques adoptées dans de nombreux
vie, leur orientation sexuelle et bien d'autres aspects de leur vie pays pour offrir un cadre au commerce en ligne.
personnelle et intime.

1 Dominique Boulier, Vie Privée à l’Horizon 2020, Cahier IP n° 1, CNIL, novembre 2012

22 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Boîte à outils
Comment les données personnelles sont-elles collectées et traitées ?
ÉVALUER LE RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

Privacy Score attribue une note aux sites web en fonction


de leur niveau de conscience et du respect de la vie privée.
www.privacyscore.com

TRAQUER LES TRACKERS

The Guardian a mis en place une application en ligne afin de permettre aux internautes
de comprendre comment ils sont suivis en ligne et par qui. Les cercles rouges sont les
dix premières sociétés de tracking les plus prolifiques ; les cercles bleus se réfèrent
aux 100 sites les plus populaires qui les utilisent.
www.theguardian.com

QUELLE EST LA VALEUR DES DONNÉES PERSONNELLES ?

Le site du Financial Times permet de calculer combien de commerçants feraient payer


des données personnelles sur la base de nombreux critères comme l'âge, le travail,
la famille, les maladies ou les activités potentielles.
www.ft.com

CONTRÔLER L’INFORMATION - CONFIGURER SON NAVIGATEUR WEB

Tous les navigateurs permettent le blocage des cookies de suivi.


Certains navigateurs comme Mozilla Firefox permettent de choisir une option spécifique,
laquelle consiste à informer les sites web qu’on ne souhaite pas être suivi par des annonceurs
et autres tiers. Respecter ce paramètre est facultatif, les sites web n’étant pas tenus de
respecter la volonté des internautes.
Il est également possible de mettre en œuvre des plug-in supplémentaires pour surveiller
l’intégralité des données recueillies à partir des appareils, la façon dont elles sont traitées et
éventuellement, s'opposer à toute collecte de données.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 23


États-Unis/Europe : deux approches différentes de la protection des données personnelles
En termes de politique publique, des approches différentes Au-delà de l’aspect législatif, la principale différence entre le droit
peuvent être mises en avant afin d’aborder la question de la vie à la vie privée aux États-Unis et au sein de l'Union européenne
privée et de la protection des données personnelles, à l’instar des est d’ordre philosophique. Alors qu’aux États-Unis, la loi sur la
États-Unis et de l’Europe qui ont une conception radicalement vie privée est axée sur la protection du consommateur et vise
différente des concepts de « protection de la vie privée » et de à atteindre un équilibre entre la vie privée et l'efficacité de
« donnée à caractère personnel ». l’entreprise, l’Union européenne considère le respect de la vie
privée comme un droit fondamental du citoyen, supérieur à tout
La première différence entre ces deux approches réside dans la
autre intérêt commercial. La loi américaine sur la protection de la
spécificité du système américain où les lois fédérales coexistent
vie privée entend protéger le consommateur plutôt que l'individu
avec les lois de chacun des cinquante États, ce qui place les États-
et sanctionnera les manœuvres déceptives ou trompeuses plutôt
Unis au premier rang des pays ayant adopté le plus grand nombre
que le non-respect de règles de protection des libertés publiques.
de lois dans le domaine de la protection de la vie privée
et des données à caractère personnel. Enfin, une autre différence marquante est certainement l’accent
particulier mis par la réglementation nord-américaine sur la
La deuxième différence consiste dans le fait qu’aux États-Unis,
protection de la sécurité des données, notamment à travers
il n'existe pas un corps unique de règles protégeant la vie privée
l'obligation de notifier les failles de sécurité. Plusieurs États nord-
(à l’exception du Privacy Act de 1974 qui donne aux citoyens le
américains ont depuis longtemps édicté des lois qui mettent à la
droit de connaître les informations que le gouvernement fédéral
charge des organisations des obligations de notifier les failles de
détient à leur sujet et de corriger ou d’obtenir réparation si leurs
sécurité. Ainsi, la grande majorité des États américains dispose
données sont utilisées de manière non autorisée).
de lois qui vont imposer aux entreprises la mise en place de
Aux États-Unis, la protection de la vie privée est déclinée par procédures particulières en cas de vol ou de perte de données
secteur d’activités, industrie, ou toute autre segmentation qui personnelles. Cette réglementation contraint les entreprises à
concernent par exemple le secteur de l’enfance ("Children's renforcer leurs mesures de sécurité internes, et cela afin d’éviter
Online Privacy Protection Act" - COPPA) de 1998 qui des procédures coûteuses et préjudiciables à leur image de
protège les données personnelles des enfants de la collecte marque en cas de publicité voulue ou subie.
et du détournement de leurs données sur les sites internet
Au niveau européen, l'obligation de notifier les failles de
commerciaux), le secteur financier ("The Financial Services
sécurité ne fait aujourd’hui pas encore partie du droit positif en
Modernisation Act" ou "Gramm-Leach-Bliley Act" de 1999
matière de protection des données dans le cadre de la directive
qui règlemente les conditions de communication à des tiers
européenne 95/46, même si elle existe déjà pour les prestataires
d’informations personnelles détenues par les institutions
de communication électronique en application de la directive
financières) ou encore des lois qui protègent la santé comme le
2002/58 sur la vie privée. Toutefois, le projet de règlement pour
"Health Insurance Portability and Accountability Act" (HIPAA)
la protection des données publié par la Commission européenne
de 1996 qui met en place des standards pour l’échange
devant refondre le cadre européen de la protection des données
électronique d’informations médicales afin de protéger la
prévoit une obligation similaire qui s'appliquera à tous les
vie privée des patients. De nombreux textes vont protéger
responsables de traitement et sous-traitants en Europe.
les données mais de manière sectorielle et non de manière
transversale. Dans le secteur des médias, on peut citer le
"Cable Communications Policy Act", le "Telecommunications Act"
ou le "Videotape Privacy Protection Act".

24 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


À cet égard, il est intéressant de souligner que les différences « L'Union européenne et les législations américaines commencent
entre ces deux approches ont vocation à se réduire compte à utiliser le même langage en ce qui concerne la loi sur la
tenu des enjeux d’interopérabilité nécessités par l’augmentation protection des données, tant sur la définition juridique proposée
croissante des flux transatlantiques de données. que sur les grands principes mis en œuvre.1 »
En effet, au moment où la Commission européenne a publié le Donc si les deux projets de réforme sont issus de sources de
projet de règlement pour la protection des données le 25 janvier droit différentes, ils convergent par l’émergence actuelle de
2012, la Maison Blanche publiait un mois plus tard le projet de loi dénominateurs communs et notamment la prise en compte de
relatif au respect de la vie privée des consommateurs. l’importance d’une responsabilisation des opérateurs (concept
d’accountability qui va être introduit en droit européen) et la
La comparaison entre ces deux projets de réforme constitue une
nécessité de fournir des garanties adéquates pour les personnes
brillante illustration des ambitions d’harmonisation entre les deux
afin de maîtriser les menaces pour la vie privée issues des
approches.
technologies.

RÉGLEMENTATION AUX ÉTATS-UNIS


RÉGLEMENTATION EN EUROPE
Sources
Sources
• Absence de corps unique de règles protégeant la vie privée
• Un corps unique de règles protégeant la vie privée et les données
mais des réglementations sectorielles.
personnelles des citoyens.
• Lois différentes dans les 50 États sur les questions de sécurité
• Directives transposées dans les 28 États membres.
informatique et de protection de la vie privée.

Philosophie/Objectifs
Philosophie/Objectifs
• La défense du droit à la vie privée comme droit fondamental
• La protection du consommateur et la poursuite d'un équilibre entre
supérieur à tout autre intérêt commercial.
protection de la vie privée et intérêt business.
• Une prise en compte à géométrie variable des risques liés à la
• La sécurité informatique au cœur des dispositifs réglementaires de
sécurité informatique, notamment s'agissant des obligations de
protection des données notamment au travers des obligations de
notification des failles de sécurité aujourd'hui limitées aux seuls
notification des failles de sécurité imposées à toutes les entreprises.
prestataires de communications électroniques.

1 Traduction libre de Gabriela Zanfir - "European Integration Realities and Perspectives: EU and US Data Protection Reforms. A Comparative View."

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 25


Ce qui va changer en Europe en matière de protection des données personnelles : des droits renforcés pour les individus,
une responsabilisation accrue des organisations, des technologies respectueuses de la vie privée et plus de sanctions

Le projet de Règlement (proposition de la Commission Les démarches « privacy by design » et « privacy by default »
européenne avant la prise en compte des amendements du vont également venir renforcer l’effectivité des règles
Parlement européen) sur la protection des données européennes en matière de protection des données - ce qui
personnelles renforcera les droits des citoyens en introduisant signifie que les garanties de protection des données seront
les règles suivantes : intégrées au sein des produits et des services, et que des
• Création d'un « droit à l'oubli » pour aider les citoyens à gérer paramètres respectant la protection des données personnelles
les risques en matière de protection des données en ligne. deviendront la norme - par exemple sur les réseaux sociaux.
Lorsque la personne concernée ne voudra plus que ses Ces règles vont renforcer les droits des personnes d'une
données soient traitées et qu'il n’existe pas de motif légitime manière pratique.
d’en maintenir le traitement, les données seront effacées. Grâce à ces règles plus strictes de protection des données,
Ces règles ont pour visée de renforcer les droits des la Commission européenne a pour objectif de contribuer à
individus. Il ne s’agit pas de supprimer des événements accroître la confiance dans les services en ligne, afin que les
passés ou de restreindre la liberté de la presse. citoyens soient en mesure d’utiliser les nouvelles technologies
• Création d'un droit à la portabilité des données personnelles avec plus de confiance en bénéficiant des avantages du marché
d'un fournisseur de service à un autre. intérieur.
• Renforcement du principe du « consentement », lequel Les autres avancées du projet de règlement sont les
lorsqu’il est nécessaire doit être donné de manière explicite. suivantes :
• Obligation mise à la charge des entreprises et des • Un seul corps de règles sur la protection des données,
organisations d’avertir sans délai injustifié les particuliers des valable dans toute l'UE.
failles de sécurité relatives à leurs données personnelles qui
• Un interlocuteur unique : les entreprises n'auront en principe
seraient susceptibles de leur nuire. Ils devront également
qu'à traiter avec une seule autorité de protection des
informer l'autorité compétente de protection des données.
données au niveau national, à savoir l’autorité compétente
• Amélioration des voies de recours administratives et dans l'État membre où elles ont leur établissement principal.
judiciaires en cas de violation des droits de protection des
• Les personnes auront le droit de se référer à leur autorité
données.
nationale de protection des données, même lorsque leurs
• Responsabilité accrue et application du principe données personnelles sont traitées en dehors de leur pays
d’accountability (« obligation de rendre compte aux parties d'origine.
prenantes ») des responsables de traitement - à travers des
• Les règles de l'Union européenne s'appliquent aussi aux
évaluations des risques en matière de protection des
sociétés non établies dans l'Union européenne, si elles offrent
données, des délégués à la protection des données et à
des biens ou des services au sein de l'Union européenne ou si
travers les principes de « privacy by design » et « privacy by
elles surveillent le comportement en ligne des citoyens.
default ».
• Des responsabilités accrues et l’avènement du principe
d’accountability pour les responsables de traitement des
données personnelles.
• Les contraintes administratives telles que les exigences de
notification systématiques pour les entreprises responsables
de traitement des données personnelles seront supprimées.

Source : Commission européenne - le projet est encore en discussion (processus de codécision entre le Parlement européen et le Conseil)

26 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


La protection et la valorisation Big data et protection des données personnelles culturelles

des données personnelles en tant La question de la protection des données personnelles est au
cœur du marché du Big data culturel, puisque les données
qu’actif des entreprises personnelles culturelles reflètent la personnalité d’un
individu. Le culturel, c’est la « donnée de l’intimité », pour
Les données personnelles sont aujourd’hui au cœur autant la donnée culturelle n’est pas spécifiquement
de l'innovation et de la publicité en ligne et réglementée par le droit positif (directive européenne de
constituent « un type d'actif pour les entreprises1 ». 1995) et n’est pas appréhendée par le projet de Règlement sur
la protection des données personnelles en cours de discussion
Appelées à devenir l’un des moteurs de l’économie
à Bruxelles (le vote, initialement prévu au premier semestre
numérique, elles font l’objet d’investissements 2014, pourrait être reporté en 2015 - Conseil européen, 25
massifs. octobre 2013). Par ailleurs, et c’est aussi un enjeu
fondamental, il est important que le droit reconnaisse la valeur
Paradoxalement, les outils juridiques à disposition patrimoniale de ces données.
des entreprises pour protéger et valoriser leurs Le nouveau cadre réglementaire européen en matière de
données semblent aujourd’hui trop limités pour données personnelles demeurera certainement plus ambitieux
par rapport aux règles en vigueur dans le reste du monde.
appréhender de manière adéquate cet actif
Il pourrait contribuer au développement des acteurs de Big
stratégique. data en Europe dans la mesure où il va renforcer le niveau de
sécurité et confiance apporté que les acteurs européens seront
tenus d’offrir aux individus dont ils traitent les données.

Les outils juridiques existants


• La protection des bases de données
Les bases de données sont définies comme des recueils d’œuvres, Ces deux régimes de protection ont des objets différents
de données disposées de manière systématique ou méthodique (originalité du contenant c’est-à-dire de la structure, de la
et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou présentation de la base vs. investissement dans le contenu c’est-à-
tout autre moyen. dire dans la constitution de la base). Pour autant, leur articulation
ne permet pas de couvrir réellement l’intégralité de la valeur de
La protection légale des bases de données est double :
l’information même structurée au sein d’une base de données :
• Le droit d’auteur protège la structure de la base de données
• L
► e droit d’auteur protège une « coquille vide », la structure et
si celle-ci peut être considérée comme originale au regard de
l’organisation de la base et non pas l’information qu’elle
l’organisation du choix des rubriques et de leur disposition.
contient (sauf si celle-ci est protégeable indépendamment de
Il n’a pas vocation à protéger le contenu informationnel de la
son inclusion dans la base, par exemple des titres d’œuvres
base.
protégées par le droit d’auteur).
• L
► e droit sui generis des producteurs de bases de données
• L
► e droit sui generis permet la protection indirecte de
permet quant à lui de protéger l’investissement réalisé pour
l’information dans la mesure où elle octroie au producteur de
compiler le contenu de la base et pourrait donc palier, dans une
la base de données le droit d’en interdire l’exploitation par un
certaine mesure, les limites du droit d’auteur. Pour autant,
tiers, mais sous réserve d’apporter la preuve du caractère
cette protection est limitée dans sa portée dans la mesure où
(qualitativement ou quantitativement) substantiel de la
elle n'offre que la possibilité d’interdire la reprise d’une part
réutilisation ou de l’extraction du contenu de la base de
quantitativement ou qualitativement substantielle du contenu
données et surtout de la consistance des investissements
de la base.
réalisés en amont pour la constituer.
Le droit des bases de données ne permet donc pas la protection
de tout type d’information, des informations potentiellement
stratégiques peuvent ne pas être éligibles à la protection prévue
par le droit des bases de données.

1 
Competition and personal data protection, Joaquin Almunia, Vice President of the European Commission responsible for Competition Policy, Privacy Platform event: Competition and
Privacy in Markets of Data, Brussels, 26 November 2012, SPEECH/12/860

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 27


• La protection des informations par le biais du savoir-faire

Le savoir-faire est une notion à géométrie variable, dont la La faiblesse du régime de protection du savoir-faire, des
définition peut beaucoup varier d’un pays à l’autre. innovations non éligibles à la protection par le droit d’auteur ou la
propriété industrielle est un frein à la valorisation du patrimoine
En France par exemple, il n’existe pas de définition juridique
immatériel des entreprises. Pourtant les accords ADPIC qui ont
précise de cette notion. Elle se trouve donc limitée à une valeur
pour objet de définir les règles minimales de protection de la
qui peut faire l’objet d’accords de licence ou de cession auprès
propriété intellectuelle par les pays membres de l’OMC opèrent un
de tiers souhaitant bénéficier des connaissances qu’il recouvre.
rapprochement entre secret et savoir-faire et couvrent la notion
Pour autant, elle n’est pas directement protégeable par un titre de
plus large de « renseignement non divulgué ».
propriété industriel qu’il serait aisé de défendre.
Le savoir-faire est un bien économique pouvant être valorisé dans Cette notion permet de fonder une interdiction générale
le patrimoine d’une entreprise. Mais il n’est pas un bien juridique d’usurpation et d’usage d’informations, de renseignements
et ne peut être considéré isolément comme l’objet d’un droit confidentiels ou de techniques et procédés ayant une valeur
privatif. commerciale, qui ne sont pas généralement connus et ne sont pas
aisément accessibles.
Le savoir-faire entendu comme connaissance technique
transmissible et non immédiatement accessible au public n’est Si la conception française du secret est très étroite et que des
visé par les textes que sous l’aspect pénal très particulier de la incriminations pénales ne sont retenues qu’en ce qui concerne les
violation du secret de fabrique. Or cette notion ne désigne que les secrets de fabrique, parallèlement, d’autres pays ont retenu une
seuls secrets utilisables dans le domaine de l’industrie, sous forme notion plus proche de la lettre des accords ADPIC, permettant
de méthodes, de procédés ou matières utilisées (Cass. Crim., 24 ainsi une protection plus large du patrimoine informationnel des
juin 1985, n° 83-92.873). En revanche, elle n’appréhende pas entreprises, comme par exemple :
les méthodes commerciales ou les secrets de commerce (fichiers • En I► talie : protection des informations relatives à l’entreprise
clients par exemple). et à son expérience technico-industrielle, y compris son
La valeur économique résultant des investissements effectués expérience commerciale si ces informations sont secrètes et
afin de développer un savoir-faire n’est donc protégeable que sur ont une valeur économique.
le terrain du droit commun de l’action en concurrence déloyale • A
► ux États-Unis : protection des informations financières
ou en parasitisme, qui sont susceptibles de révéler deux types de économiques ou commerciales.
difficultés :
• L
► a nécessité de faire la preuve d’une faute, d’un préjudice et
d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice (à l’inverse la
violation d’un droit de propriété intellectuelle qui ne requiert
que la preuve de l’existence du droit et de l’acte de violation).
• L
► ’octroi de dommages-intérêts ne couvrira que très rarement
l’intégralité des préjudices subis par le titulaire du savoir-faire
et cela d’autant qu’une fois le savoir-faire divulgué, il perdra
une grande partie de sa valeur et ne bénéficiera plus d’aucune
protection.

28 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


De nouveaux outils juridiques à développer
pour protéger les actifs des entreprises
Une réflexion globale sur la protection juridique des
investissements effectués pour valoriser le patrimoine
informationnel des entreprises doit être conduite, afin d’élaborer
des outils juridiques permettant aux acteurs de Big data,
y incluant les entreprises du secteur culturel, de valoriser les
investissements réalisés autour de Big data pour mieux connaître
leurs clients et leur proposer de nouveaux services.

Une logique de droit d’auteur pour valoriser les actifs résultant des données personnelles

Outre la question de la protection purement juridique, plusieurs Pour mémoire, le droit d’auteur présente deux composantes
réflexions ont été menées à un niveau gouvernemental sur la distinctes :
distorsion existante entre la valeur réelle et la valeur comptable • D
► es droits moraux d’autoriser ou d’interdire la diffusion
des données personnelles. d’une œuvre.
Du point de vue des États, cette distorsion crée aujourd’hui un • Des droits patrimoniaux garantissant aux auteurs une juste
obstacle du point de vue de la fiscalité des GAFA dont le modèle rémunération au titre de l’exploitation commerciale de leurs
économique repose essentiellement sur l’exploitation des œuvres.
données de leurs utilisateurs et dont les profits ne sont pas Sur cette base, le rapport propose de reconnaître la composante
toujours correctement appréhendés par les États où leurs patrimoniale des données à caractère personnel en permettant
services sont distribués. aux personnes concernées d’appréhender la valeur réelle des
Nicolas Collin et Pierre Colin, les auteurs du rapport sur la données les concernant comme contrepartie des services
fiscalité du numérique, proposent de calquer la protection des « gratuits » disponibles sur Internet pour le grand public.
données personnelles sur le régime du droit d’auteur. La composante droit moral serait, quant à elle, calquée sur la
réglementation en matière de protection à caractère personnel.
Ainsi, les entreprises qui pourraient démontrer le respect de la
loi Informatique et Libertés, pourraient bénéficier de
l’application d’un taux de fiscalité réduit. • En savoir plus p. 37

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 29


Droit de la concurrence et structuration des marchés
sur l’échange de données personnelles
Un marché « biface » selon la Commission Un marché à analyser selon le droit
européenne de la concurrence
Jusqu'à présent, du point de vue du bon fonctionnement des À l'heure actuelle, une grande majorité des données personnelles
marchés, le point de convergence entre les données personnelles sont collectées par une poignée de fournisseurs de services en
et le droit de la concurrence a rarement été traité. ligne qui, en tant que leaders de l'innovation sur leur marché, ont
En effet, le terme d'« actif » pour qualifier les données la capacité de recueillir de grandes quantités de données.
personnelles a été utilisé pour la première fois par la Commission
La législation relative à la protection des données à caractère
européenne dans l’affaire de la fusion entre Google et DoubleClick
personnel et le droit de la concurrence ne poursuivent pas les
en 20081.
mêmes fins : la réglementation relative à la protection des
Pour la Commission européenne, les acteurs du marché de la données vise à la protection de la vie privée alors que le droit de
publicité en ligne, tels que les moteurs de recherche, opèrent la concurrence vise à assurer une concurrence effective sur le
sur un marché biface2. D'un côté du marché, le fournisseur de marché.
services en ligne propose des services gratuits (moteurs de
En conséquence, la possibilité de contrebalancer la montée
recherche, e-mails, le contenu, etc.) aux utilisateurs.
en puissance des principaux fournisseurs de services en ligne
De l'autre côté du marché, le fournisseur de services en ligne quant à la collecte et à l’usage de données personnelles doit être
propose des services payants pour les annonceurs. En d'autres recherchée tant dans le droit de la concurrence que du droit de la
termes, sur le premier côté du marché, les utilisateurs bénéficient protection des données.
de services gratuits en échange du recueil de leurs données et de
Diverses pratiques pourraient être qualifiées, en vertu du
l'autre côté du marché, ces données sont monétisées auprès des
droit de la concurrence, d'ententes anticoncurrentielles ou
annonceurs3. Les profits des nouveaux acteurs du numérique ne
d'abus de position dominante. De telles pratiques peuvent se
proviennent pas directement des services qu'ils fournissent aux
manifester au moment de l'acquisition de données personnelles
utilisateurs mais sont issus de leur activité publicitaire ou de la
ou lorsqu’une entreprise empêche d'autres d’acquérir de telles
distribution. • En savoir plus p. 15
données. Pourrait également être qualifié d’abus le fait, pour
une entreprise, de détenir à elle seule des données considérées
comme indispensables pour les autres opérateurs (selon la
doctrine des « infrastructures essentielles ») et de s’en réserver
l’usage, en se prévalant éventuellement du droit de la propriété
intellectuelle, notamment ici du droit spécifique sur les bases
de données. Enfin, les données personnelles, comme « actifs »,
peuvent être prises en compte dans l'analyse d’impact sur la
concurrence d’une opération de fusion ou de rapprochement
de deux ou plusieurs entreprises, analyse dite de « contrôle des
concentrations ».

1 Décision de la Commission européenne du 11 mars 2008 déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE,
Affaire n° COMP/M.4731 - Google/DoubleClick
2 Commission européenne, Affaire n° COMP/M.5727 – Microsoft/Yahoo! Search Business, 18/02/2010, §100
3 
Personal data, will Competition Law collide with privacy? – Competition law and personal data: Preliminary thoughts on a complex issue, D. Geradin and M. Kuschewsky,
Concurrences n° 2-2013

30 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Pratiques anticoncurrentielles dans l'acquisition de données :
empêcher d’autres opérateurs d’acquérir ces données
Deux exemples de pratiques anticoncurrentielles peuvent être mis Ces accords d'exclusivité peuvent également être conclus entre
en avant : tout d’abord, des accords d'exclusivité conclus entre des fournisseurs de services en ligne et des fournisseurs de
les fournisseurs de services en ligne et les éditeurs avec pour logiciels ou de matériels informatiques lorsque les services
effet d'empêcher d'autres fournisseurs de services en ligne de prestés par le fournisseur de services en ligne sont paramétrés
recueillir des données et ensuite le fait d’empêcher les utilisateurs par défaut sur ce type de matériel4.
de transférer leur données d'un fournisseur de services en ligne
• Interdiction de la portabilité des données
à l'autre.
L'interdiction de la portabilité des données fait référence à la
• Les accords d'exclusivité
pratique mise en œuvre par les prestataires de services en
Les fournisseurs de services en ligne peuvent conclure des ligne qui consiste à interdire aux utilisateurs de transférer
accords avec des éditeurs prévoyant que l'éditeur utilise leurs données à caractère personnel à un autre fournisseur de
exclusivement les services du fournisseur, comme un moteur de service en ligne. La portabilité des données constitue l'une des
recherche, sur son site Internet3. Conformément à ces accords, nouveautés du projet de Règlement sur la protection des données
l'éditeur ne peut pas recourir aux services prestés par d'autres générales (article 18)5.
fournisseurs de services en ligne. En conséquence, surtout
L'interdiction de la portabilité des données pourrait empêcher les
lorsqu’une multitude d’accords d’exclusivité est conclue entre
annonceurs d'exporter les données d’une campagne de publicité
éditeurs de services et un fournisseur de services en ligne unique,
d'une plateforme à une autre3.
les autres fournisseurs de services en ligne sont empêchés de
recueillir des données auprès des éditeurs qui, liés par leurs
accords exclusifs, ne peuvent pas conclure d'autres accords3.

Dans l'analyse des fusions

Dans le cas de la fusion entre Google et Doubleclick, la Commission européenne a examiné l'effet de
l’accroissement de la quantité de renseignements personnels obtenus par l'entité issue de l’opération.
Dans ce cas, « l'enquête a révélé que la combinaison des informations sur les comportements de recherche
et le comportement de navigation web ne donnerait pas un avantage concurrentiel dans le secteur de la
publicité tel qu’il ne pourrait être reproduit par d'autres concurrents qui ont accès à des données
d'utilisation du web similaires ».
Si cet élément a bien été pris en compte dans l’analyse de l’opération de fusion impliquant notamment
Google, il n'a pas abouti ici à la conclusion que la fusion pourrait avoir un effet anticoncurrentiel.

4 Ces accords d'exclusivité « sont susceptibles d’exclure les concurrents sur le marché, surtout quand ils sont conclus par des entreprises en position dominante », et a fortiori si un
ensemble d’accords de cette nature a été conclu
5  roposal for a regulation of the European parliament and of the council on the protection of individuals with regard to the processing of personal data and on the free movement of such
P
data (General Data Protection Regulation), 2012/0011, 25/01/2012

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 31


Quels facteurs d’équilibre possibles ?
Dans le cas où des acteurs dominants seraient identifiés sur ce marché, comme
ayant des caractéristiques proches d'une « infrastructure essentielle », certains outils
existent pour réguler ces situations et ont été largement testés dans d’autres secteurs,
comme celui des télécoms. Une Autorité peut, par exemple, réguler le marché ex-ante
en obligeant la publication d’offres de référence, fixant certains tarifs (ou les fixant à
moyen terme), en favorisant l’entrée d’acteurs sur des marchés de niche, en favorisant
la portabilité des données ou en obligeant les acteurs dominants à réaliser certaines
séparations fonctionnelles.
On peut imaginer également que le régulateur mette l’accent sur les utilisateurs,
obligeant les acteurs à une concurrence par la qualité. Pour ce faire, l’Autorité de
la concurrence a identifié des mesures en vue de renforcer l’usage des données
personnelles comme levier de différenciation concurrentielle :
• Le droit à la portabilité des données peut limiter le risque de blocage par la promotion
d’une adhésion cumulative ou alternative aux divers réseaux sociaux par exemple.
• La durée de stockage des données doit être proportionnée à l'objectif poursuivi par le
responsable du traitement et raisonnable ; la limiter pourrait abaisser les barrières à
l'entrée.
• La transparence sur la nature des données collectées, sur la finalité du traitement et
les destinataires de l'information donnerait aux utilisateurs les moyens de comparer
les offres sur la base du critère de la protection des données personnelles, leur
donnant le pouvoir de contrôler l'utilisation de leurs données personnelles1.

1 «
 Données personnelles, le droit de la concurrence doit-il prendre en compte la protection de la vie privée ? – Le point de vue de l’Autorité française de la concurrence », Bruno Lasserre,
Président de l’Autorité française de la concurrence, Concurrences n° 2-2013, p. 28

32 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Quelle fiscalité 3.0 pour l'économie digitale ?
Au-delà des défis que pose l’adaptation de la fiscalité 2013, un momentum pour la fiscalité
internationale aux enjeux de l’économie numérique, le sujet de la
fiscalisation des données est désormais clairement identifié.
de l’économie numérique
Les questions qui se posent à cet égard sont multiples Jamais les efforts menés par les États pour restaurer l’équilibre
et complexes : de leurs finances publiques n’ont été aussi intenses, se traduisant
par des hausses d’impôts généralisées dans la plupart des pays
• Doit-il y avoir un lien direct entre fiscalité et data et si oui
matures.
pourquoi ? (justification économique, contrainte budgétaire,
protection de la concurrence, émergence de champions L’économie du numérique est particulièrement visée, dans le
nationaux, partage de la valeur entre les opérateurs et cadre d’une volonté clairement affichée par les États de réaligner
créateurs). les recettes fiscales avec le lieu de génération du chiffre d’affaires,
• Faut-il mettre en place une fiscalité spécifique au numérique voire même de destination des services et biens numériques.
en général et aux data en particulier ? Si oui, comment taxer En parallèle, les déficits budgétaires réduisent le financement
les data ? public en faveur de la culture en général, et du développement
• La fiscalité doit-elle vraiment être un instrument de contre- de la création en particulier.
pouvoir dans le cadre de l’ère numérique ? Ou doit-elle
Le constat est désormais unanime : il est nécessaire d’adapter
simplement s’adapter aux nouvelles réalités ?
les règles de la fiscalité internationale aux nouvelles réalités du
monde numérique et des nouvelles technologies, principalement
en ce qui concerne les règles de territorialité de l’impôt sur les
sociétés et les taxes indirectes assises sur le chiffre d’affaires.
En effet, par l’effet combiné de la dématérialisation systématique
des services et des biens et de modèles d’affaires bipolaires2
(fondés principalement sur les incorporels et les technologies
de l’information), il n’y a souvent plus de nexus suffisamment
caractérisé permettant d’allouer le droit d’imposer aux États sur
le territoire desquels les services sont délivrés ou bien le chiffre
d’affaires se trouve généré par l’utilisation (payante ou non)
d’Internet par des consommateurs toujours plus connectés3.

2 Modèle d’affaires adossant une activité dite « gratuite » à une activité rémunérée, localisée le plus souvent dans des territoires différents
3 Nicolas Collin et Pierre Colin, Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, janvier 2013

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 33


En outre, les différences de régimes fiscaux (taux, bases, De même, l’harmonisation au sein de l’Union européenne des
régimes fiscaux dits de faveur etc.) entre les pays, parfois au règles de TVA soulève encore certains problèmes d’application
sein de mêmes zones économiques (ex. : Union européenne) et il n’a pas été possible d’accélérer son entrée en vigueur avant
créent des disparités fiscales entre les acteurs de l’économie 2015, alors même que cette problématique est connue de longue
du numérique en fonction de leur taille (multinationales versus date. Ce sujet de l’économie numérique est récemment venu
PME/ETI) et localisation (États-Unis, Europe, pays émergents). à l’ordre du jour du Conseil de l’Union européenne, lors d’une
Elles se traduisent également pour les États par des déperditions réunion qui s’est tenue les 24 et 25 octobre 2013.
significatives de recettes dont l’effet est aggravé par une
Ces difficultés théoriques comme pratiques s’expliquent
compétition fiscale accrue entre ces mêmes États comme parfois
principalement par la complexité et la spécificité des modèles
par des pratiques optimisées de la part des opérateurs globalisés.
d’affaires de l’économie numérique qui ne sont toujours pas
Les États ont réagi vigoureusement depuis 2012 et ont convenu parfaitement appréhendées par les concepts et outils fiscaux
en 2013 d’un plan d’actions ambitieux à court terme, incluant traditionnels.
notamment :
À cet égard, un mouvement d’opinion de plus en plus fort se fait
• Le Programme « BEPS » en 15 points de l’OCDE, visant à jour au sein des acteurs et experts de l’économie du numérique
lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert pour contester la nécessité d’une fiscalité spécifique au monde
des bénéfices (juin 2013), lequel intègre précisément la prise numérique, les technologies digitales imprégnant en effet tous les
en compte des défis fiscaux posées par l’économie numérique pans de l’économie (industries, services, secteurs marchand et
comme point d’action n° 1. non marchand, privé et public) et nécessitant donc un approche
• L’harmonisation au sein de l’Union européenne des règles de globale, si ce n’est de droit commun.
TVA en matière de traitements et services rendus par voie
électronique (nouveau régime unifié à partir du 1er janvier
2015, généralisant l’imposition dans l’État de consommation).
• Compte tenu de l’envergure internationale et politique de cette
approche, il s’écoulera un certain temps entre le lancement de
ces plans d’actions et réformes et leur impact dans l’économie
réelle.

34 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Consensus autour de la non-taxation des données
Plusieurs acteurs publics ont milité pour la mise en place de Imaginé par Nicolas Collin et Pierre Colin dans leur rapport, ce
mesures fiscales spécifiques au numérique et/ou touchant plus concept visait à créer une fiscalité propre liée à l’exploitation des
spécifiquement les géants internationaux de l’Internet. données issues du suivi régulier et systématique de l’activité des
utilisateurs sur un territoire donné. Reposant sur le constat de
Les buts poursuivis étaient multiples et divers :
l’importance de la collecte et de l’utilisation des data et données
• Financement de la culture, pour les pays dotés d’une politique dans la chaîne de valeur et le chiffre d’affaires des opérateurs
fiscale volontariste en la matière. du numérique, ce concept a, sur le papier, le mérite d’un fait
• Restauration des finances publiques. générateur simple et garantissant la neutralité du prélèvement.
• Équilibrage du taux effectif d’imposition entre les acteurs De façon plus novatrice, cette proposition ne visait pas tant à
nationaux et multinationaux. maximiser le volume des recettes fiscales nouvelles mais, de
• Restauration du lien direct entre territorialité de l’impôt manière très ambitieuse, à renforcer les libertés individuelles
et source de la valeur économique à l’ère digitale. et la concurrence en favorisant les comportements vertueux
des opérateurs utilisant les datas (via l’application de taux
La France est sans doute le laboratoire d’idées le plus dynamique
d’imposition réduits ou dégressifs selon les comportements
en la matière, comme l’a révélé l’étude des Politiques Fiscales
observés à l’aune de critère de conformité prédéfini3).
dans le domaine de la Culture menée par EY pour le Forum
d’Avignon sur la période 2009-2012, identifiant près de 50 Toutefois, bien que séduisant intellectuellement, ce concept de
incitations fiscales et 15 taxes spécifiques au domaine culturel. taxation « vertueuse » des données a été largement critiqué
au plan international, notamment car il pose, au-delà des
La question de la fiscalisation des données y avait dès lors suscité
débats idéologiques, des difficultés extrêmes et non résolues
un vif débat, qui trouve désormais écho au plan international.
d’application et de mise en œuvre et pourrait par ailleurs se
Après les concepts, rapidement abandonnés, de taxe assise sur traduire dans les faits par une augmentation du coût final
les recettes publicitaires générées sur Internet1, de taxation de pour le consommateur.
la bande passante, de taxe « au clic » ou de taxe assise sur les
Il n’a dès lors pas été retenu par le Conseil National du Numérique
activités de fabrication et ventes de téléphones mobiles2, c’est
(septembre 2013) dans son avis n° 2013-3, lequel a privilégié
le concept de taxe assise sur les données lancé en France qui
une stratégie de négociation politique pour une réforme
a été le plus novateur, et sans doute le plus polémique au plan
internationale des règles de la fiscalité des entreprises.
international.
Le sujet reviendra peut-être sur le devant de la scène,
notamment au plan européen, par exemple sur le fondement
d’une justification à taxer les exportations de données à partir
du territoire de l’Union européenne.

1 Taxe sur les recettes publicitaires proposée par M. Le Sénateur Marini (France) dès 2010
2 Taxes sur les téléphones mobiles intelligents préconisées par le Rapport de la Mission Lescure en 2013 (France), mais non retenues par le gouvernement français
3 Par exemple : niveau d’information de l’utilisateur sur ses droits à la protection des données personnelles, recueil de consentement et facilité de l’exercice de ses droits via l’interface,
ouverture à la concurrence et nouveaux services, accès des données à des tiers, etc.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 35


Prochaines étapes pour la fiscalité 3.0
Une récente étude EY1 observait que les problématiques et Plutôt que de créer de nouveaux impôts ou de nouvelles normes,
enjeux liés à l’utilisation croissante de services via le Cloud dans ne faudrait-il pas tout simplement appliquer ceux existants et,
l’économie numérique étaient encore très largement ignorés ou si besoin, se contenter de les adapter ou de les améliorer ?
laissés de côté, notamment :
Les pistes de réflexions de l'OCDE devraient désormais
• Une fiscalité inadaptée ou complexe dans de nombreux pays, privilégier à court terme la mise à jour de la définition fiscale de
règles non uniformes. l’établissement stable et la réforme des standards internationaux
• La caractérisation des revenus générés via le Cloud au regard en matière de prix de transfert.
des règles de retenues à la source (withholding tax).
À moyen terme, les États souhaiteront sans doute revisiter les
Dans le contexte globalisé et hautement technologique de principes de territorialité de l’impôt sur les sociétés en matière
l’économie numérique, il est plus que jamais nécessaire de de services numériques, compte tenu en effet de ce que les États
privilégier une action coordonnée au plan international, afin devraient être logiquement tentés, au plan national, de privilégier
d’adapter et d’uniformiser les règles de la fiscalité. l’imposition sur le lieu de destination des services.
Au plan local, et sans brider l’action des législateurs nationaux, Dans ce contexte, tout le défi des travaux désormais lancés
il semble clair que les efforts devront d’abord porter, d’une part, au niveau de l’OCDE sera de prendre en compte les réalités du
sur la simplification des régimes fiscaux, bien trop complexes à numérique pour créer enfin une fiscalité 3.0 adaptée au nouveau
ce jour, et d’autre part, sur une meilleure sécurité des opérateurs monde digital et ce sur la base d'un socle commun et homogène,
confrontés à des changements de législations permanents. afin d'éviter des approches disparates au niveau national.
Sans nier la véritable nécessité d’améliorer et harmoniser les
régimes fiscaux et de restaurer les finances publiques des États,
les opérateurs du numérique, petits comme grands, restent
toujours dans l’attente de politiques fiscales claires et lisibles
axées sur le long terme et permettant d’assurer le développement
des champions de demain.

1 EY Global Survey Report "Tax Considerations in cloud Computing", March 2012

36 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Responsabilités citoyennes
Contrôler ses propres données
Face à la montée du contrôle des données émises par les individus Les recommandations et le renforcement de la notion
ou leurs objets connectés, une prise de conscience s’impose, tout de responsabilisation (accountability) des « opérateurs d’accès/
en excluant le renoncement à toute activité numérique, qui ne services Internet » vont de pair avec la confiance et
concerne qu’une partie infime de la population. l’e-réputation – actif clé pour l’ensemble des acteurs du marché.
• Voir schéma ci-dessous
Les recommandations de la Commission européenne en matière
de droit à l’oubli, de renforcement des principes de consentement Les effets conjugués d’une conscience plus aiguë du nécessaire
et d’amélioration des voies de recours administratif et judiciaires contrôle sur ses propres données d’une part et de la Directive
vont dans le sens d’un contrôle du contrôle. européenne d’autre part, redonneront confiance et pouvoir de
contrôle aux citoyens.

Comment contrôler ses propres traces et données numériques a priori et a posteriori ?

Traces numériques Contrôler ses données


Action utilisateur
à caractère majoritairement personnel Actions techniques et légales

Anticipation utilisateur
Comportement
Session utilisateur • Non création de comptes
• Données de contact (âge, sexe, coordonnées…)
• Moteur de recherche • Données de connaissance (CSP, intérêts, relations, utilisateurs (rarement possible)
• Messagerie profil de consommation…) • Non utilisation des nouveaux
• Site tiers services online/ cloud (de moins en
• Réseau social moins possible)
• Automodération (réseaux sociaux)

• Demande de droit d’utilisation


Logiciel • Environnement logiciel (géolocalisation, données
OPT-IN

• Informations collectées par cookies personnelles..)


• Navigateur • Favoris, historique, paramètres, préférences • Demande d’acception cookies
• Système d’exploitation de navigation (rattachés à un login) • Avertissement niveau de
confidentialité sur réseaux sociaux

Physique • Niveau d’équipement (smartphone, résolution


• Droit d’accès et de rectification
• Équipement (smartphone/ d’écran…)
aux données personnelles
OPT-OUT

tablette/ordinateur) • Vitesse et données techniques de connexion


(loi informatique et libertés)
• Type de connexion • Statistiques/comportement de surf
• Droit d’opposition
• Adresse IP/Adresse MAC • Pays/zone géographique/localisation
• Droit de sortie de fichier client
• Localisation (ADSL) : DSLAM • Données anonymes brutes
(se désinscrire)
• Géolocalisation (mobile, wifi)

Source : EY ©

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 37


3. Vers un nouveau paradigme
économique propice à l’innovation
et la création

| 39
Opposer le principe de précaution au Big data :
un risque réel pour l’innovation

Masse critique d’informations et niveaux d’analyses :


l’exploitation économique de la data est-elle réellement incompatible
avec le respect de la vie privée ?

La thermodynamique
La thermodynamique, qui a permis le développement de Cette efficacité de l’analyse macroscopique réside dans le fait
l’industrie du XIXe siècle en basant ses analyses uniquement qu’un grand nombre d’états microscopiques sont possibles
sur des indicateurs « macro », vise à comprendre les pour un même état macroscopique. Aussi, la température est
échanges d’énergie et de chaleur. la résultante d’un niveau d’agitation de molécules, qui peuvent
se trouver dans des milliards de configurations possibles pour
Elle est riche en applications pratiques que nous utilisons
une même mesure de la température.
tous les jours : moteurs, réfrigérateurs, turbines ou encore
réacteurs. Les modèles ont besoin de très peu de grandeurs Ainsi, la thermodynamique nous enseigne que l’on est capable
pour décrire le comportement des systèmes et leur évolution, de prendre des décisions sur la base d’une mesure d’un
principalement Entropie, Température, Pression, Volume. indicateur « macro » comme la température sans pour autant
avoir besoin de mesurer toutes les grandeurs au niveau
L’efficacité de ces prédictions macroscopiques est tout à fait
« micro » (positions, mouvements des milliards de molécules
étonnante quand on sait qu’au niveau microscopique, ces
à l’origine du niveau de la température). Par exemple, il est
comportements sont la résultante des particules composant
possible de pasteuriser du jus de pomme en maintenant une
les gaz et les liquides et que chaque particule est définie a
température de 75° . Pour ce faire, il n’est pas nécessaire
minima par son vecteur vitesse (3 données) et sa position
de modéliser ce qui se passe au niveau de chaque molécule
(3 données) soit des milliards d’informations nécessaires.
(niveau « micro »).

Par analogie avec le Big data, il est possible de prendre On pourrait imaginer que les grandeurs de mesures sont
des décisions en analysant les comportements « macro » « macro » et très précises pour permettre une adaptation
d’un groupe d’individus sans avoir besoin d’identifier parfaite à la demande. Cependant la demande, grandeur
parfaitement le comportement intime de chacun. macroscopique, est la résultante de nombreuses demandes
A-t-on besoin de tout connaître de M. ou Mme X pour faire des individuelles (microscopiques) qui peuvent rester anonymes.
prédictions sur une population de grande taille ? En d’autres Le retour au niveau « micro » pour l’acte d’achat peut
termes, est-il nécessaire d’associer la somme d’informations s’analyser de la même façon : une campagne de publicité avec
collectées à une personne clairement identifiée (nom, les bons messages envoyés à la population idoine pourrait
adresse…) afin de lui proposer de façon plus adaptée certains s’avérer plus efficace qu’un envoi ciblé personnel.
produits ?

40 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Ce que nous enseigne la science

La thermodynamique La physique quantique La génomique

Il est possible de prendre L'observation microscopique La combinaison de décryptages


une décision sur la base modifie le comportement des au niveau « micro » permet,
d'une mesure d'un indicateur particules, rendant aléatoire et dans le respect de la
« macro » sans avoir besoin de vaine la précision infinie de la confidentialité, d'aboutir à
mesurer toutes les grandeurs mesure. des découvertes sources de
au niveau « micro ». progrès.

Applications au Big data :

Big data et respect de la vie privée peuvent être conciliables dans un environnement
réglementé et sécurisé.
Source : EY ©

La physique quantique
La physique nous enseigne que l’analyse microscopique,
domaine de la physique quantique du XXe siècle, est La génomique
aléatoire par nature et que la précision infinie de la mesure
est vaine (on ne peut connaître en même temps la position Si la cartographie du génome d’un individu ne permet,
et la vitesse d’une particule). au niveau « micro », que d’émettre des probabilités de
Enfin, à ce niveau, l’observation interfère avec l’expérience. réalisation (maladies, etc.), au niveau « macro »,
En d’autres termes, l’observation modifie le comportement la combinaison de ces probabilités individuelles permettra
des particules. de révéler, sur une population de grande taille, les risques
et opportunités réels, justifiant ainsi des investissements
d’ampleur permettant d’améliorer la santé des individus
Par analogie avec le Big data, il en ressort que (R&D, vaccins, traitements).
l’observation « microscopique » d’un individu modifierait
son comportement. Lorsqu’une personne se sait
« observée », elle tend à modifier son comportement, On peut comprendre que si l’on respecte la confidentialité
rendant ce dernier moins prédictible. des décryptages individuels permettant, par leur
D’où l’importance d’un environnement sécurisé, de combinaison, d’aboutir à des découvertes et des décisions
confiance, afin que les individus se sentent libres et d'investissement, l’équilibre entre progrès et respect de
décisionnaires de leurs comportements et ne soient pas la vie privé est atteint.
réticents à échanger ou communiquer leurs données.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 41


Le temps de l'action
Il serait illusoire d’imaginer pouvoir ignorer le Invoqué face aux dangers, certes réels, que
« Big data bang », voire s’en barricader : l’exploitation du Big data ferait courir à notre intimité
la vitesse exponentielle avec laquelle la masse de ou à notre identité numérique, le « principe de
données générées augmente et est stockée, la précaution » n’apparaît pourtant pas comme une
progression des outils d’analyse et de rapprochement réponse adaptée.
de ces données ainsi que la capacité et l’intérêt
Nous devons en passer par une nécessaire phase
que suscitent ces résultats rendent irréaliste un
d’expérimentation test & learn, et les erreurs, voire
moratoire. Si l’avenir n’est pas totalement clair, il
abus, propres à cette phase de transition, devraient
est cependant certain que ceux qui n’auront pas su
éveiller les consciences, en particulier chez ceux qui
considérer le défi dès maintenant seront les grands
ont subi l’expérience désagréable d’une mise à nu en
perdants.
ligne de leur vie « privée ». Ces écueils obligeront
Ainsi, il est urgent d’opposer le « principe parfois certains à déployer leur capacité de rebond
d’innovation » au « principe de précaution ». pour faire peau neuve, en renonçant à leur identité
numérique première et aux traces qui pouvaient y
être associées.

42 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Entrer dans l’ère du Big data : par où commencer ?
1. Établir un diagnostic • Identifier le niveau de moyens adaptés à la stratégie :
il est indispensable de bien déterminer la donnée utile pour
• Dresser une cartographie des données disponibles, qu’elles
éviter un stockage systématique coûteux et inexploitable, et de
soient internes (données métiers) ou externes (sites web,
privilégier les approches test & learn éprouvées par les grands
réseaux sociaux, open data).
acteurs du digital, consistant à lancer des chantiers tests et
• Évaluer la qualité et la pertinence des données au regard des mesurer régulièrement et systématiquement leur efficacité
priorités de développement (ex. : financement de la création, afin de les améliorer rapidement, voire à les suspendre si
innovation, services, étude ou segmentation des publics/ besoin.
clients, valorisation des données, efficacité opérationnelle,
etc.)
4. Développer et insuffler en interne
2. Se doter d’une structure décisionnelle une culture de la data
et de compétences clés Dans le secteur médiatique et culturel, le niveau de maturité face
à la data diffère selon les acteurs : ceux qui ont un accès direct à
• Définir l’organisation et la gouvernance adéquates
leurs publics, avec des bases de clients ou d’abonnés (groupes de
pour l’exploitation de données en pensant l’organisation
presse, exploitants de salles…) ont déjà une bonne appréhension
de façon transverse.
de ces sujets et une culture du marketing direct. L’enjeu d’une
• Renforcer les compétences analytiques, mathématiques, approche Big data est de consolider et d’exploiter des données
statistiques et sociologiques pour la gestion et l’exploitation dans un contexte de croissance en volume, en vitesse et en
des données - que ce soit en croissance organique, par rachat variété des sources - notamment digitales - difficiles à réconcilier
de sociétés digitales ou via des partenariats. En d’autres avec les données historiques.
termes, les entreprises devront se doter de data scientists, ces
experts « capables de traiter le déluge de données et d’en tirer C’est une opportunité, mais aussi un défi de taille à relever, pour
toute la quintessence décisionnelle et managériale1 ». des acteurs tels que les diffuseurs audiovisuels et les créateurs de
contenus, qui, traditionnellement n’avaient pas de lien direct avec
leurs audiences.
3. Se doter d’une stratégie et d’un plan
Le développement de la culture et des compétences d’exploitation
d’action de la donnée client varie également en fonction des services : les
• Identifier et mettre en œuvre des leviers d’enrichissement métiers marketing ont déjà intégré ces logiques, tandis que les
de la connaissance client, notamment en : équipes éditoriales et créatives se l’approprient plus difficilement
-- Incitant les clients encore non connus (lecteurs achetant – voire y sont réticentes, pouvant considérer que l’exploitation des
en point de vente, public des salles de spectacle et de données est incompatible avec leurs règles éthiques. Or les outils
cinéma, etc.) à s’identifier via un programme de fidélité, en d’analyse des audiences et d’identification des tendances doivent
favorisant les actes d’achat sur Internet. être envisagés comme des sources complémentaires visant à
-- Analysant les comportements clients : contenus générés alimenter leurs contenus et non à se substituer à leur travail de
sur les réseaux sociaux, parcours client web, historique des recherche et de hiérarchisation. Et le succès rencontré par les
transactions et contenus consultés. infographies, fortement relayées sur les réseaux sociaux, montre
que l’audience est réceptive à l’information quantitative visuelle.
Engager cette mutation interne ne suffira probablement pas à
extraire toute la quintessence de la data. C’est en nouant des
alliances que les acteurs de l’écosystème culturel pourront
capitaliser sur les données personnelles culturelles pour innover
et créer de nouvelles propositions de valeur.

1 « Big data – nouveaux défis », Telecom ParisTech, N° 169, juillet 2013

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 43


Focus : Acquisition de droits
Une société comme Netflix combine deux sources
d’information pour définir sa stratégie d’achat de droits
pour son offre de vidéo par abonnement : l’analyse
des contenus les plus regardés (thématiques, acteurs,
formats, etc.) et celle des contenus les plus piratés.

Enrichir la donnée collectée


La gestion de la donnée et son exploitation sur le mode du C’est en adoptant une « approche data », comme levier
Big data sont au cœur du modèle économique des grands d’optimisation de la valeur client, que les acteurs de l’industrie
acteurs globaux du digital. culturelle pourront relever les trois défis que sont la relation
avec les publics et audiences, la diffusion des créations et
En dépit de l’intérêt que représente l’enjeu de la valorisation
contenus ainsi que le financement de la création.
des données personnelles, les acteurs français sont en retard
par rapport aux acteurs globaux du numérique, qui se sont
positionnés comme des distributeurs ou diffuseurs de référence
1. Assurer la diffusion et l'interaction
de la création. Citons par exemple Amazon, qui utilise ainsi
les données (pages consultées, historique d’achat, listes de des œuvres avec leur public
souhaits…) pour recommander des contenus et produits à ses Dans le secteur médiatique et culturel, le développement de la
clients : 35 % de ses ventes seraient liées à cette mécanique. « connaissance client » permet de répondre à un défi majeur
Ou encore Apple, leader de la distribution de musique avec qui consiste à instaurer une relation privilégiée et pérenne
iTunes, qui analyse les bibliothèques musicales de ses utilisateurs avec les publics. C’est en particulier le cas pour la production
(composition, titres les plus écoutés…) pour recommander de d’événements, de contenus et de créations, afin de créer des
nouveaux artistes ou disques. projets et contenus au plus près des publics visés.
À l’image d’autres industries, les acteurs de l’industrie médiatique Dans les médias, des outils d’analyse des tendances comme
et culturelle peuvent imaginer valoriser les données personnelles Trendsboard utilisent les données issues des réseaux sociaux et
afin d’affiner la connaissance de leurs publics, à travers par blogs pour identifier les sujets qui commencent à faire l’actualité,
exemple : permettant ainsi aux rédactions d’anticiper des « buzz » ou de
• L’analyse rationnelle de la propagation et des contenus des couvrir certains événements, jusqu’alors imprévisibles.
messages (positifs ou négatifs) sur les réseaux sociaux, à Proposer une interaction personnalisée en fonction des données
l’image des travaux réalisés dans les transports (Quantas analysées apparaît alors comme un levier clé pour créer ou
Airline, RATP) ou dans le secteur bancaire (Bank of America) ; renforcer la relation de proximité avec son public :
L’identification d’opportunités de diffuser des créations en
fonction des centres d’intérêt et des goûts avérés des • L’exploitation des données est un levier de promotion de la
utilisateurs ou des communautés. diversité culturelle, aussi bien dans les lieux que via les
supports numériques. La proposition de contenus sur la base
• L’anticipation des comportements, comme l’analyse de la de l’analyse des centres d’intérêts, sur le modèle des moteurs
fréquentation d’une zone touristique ou d’une salle de concert. de recommandation, suscite ainsi la rencontre entre les
• L’analyse croisée de données externes (réseaux sociaux, etc.) œuvres et leur public.
et internes (données de navigation, historiques de • La collecte et l’exploitation de données personnelles sur les
consultation/achat, centres d’intérêt, etc.) pour mieux publics permet de prolonger la relation au-delà d’un
connaître les attentes et les intégrer dans la conception des événement donné (spectacle vivant, visite d’un musée,
contenus et services proposés. visionnage d’un film…), à travers l’animation de communautés
et la proposition de services et contenus complémentaires.
• Dans l’industrie audiovisuelle, les offres proposées sur les
supports numériques permettent de développer et de valoriser
une connaissance individualisée des audiences.

44 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


2. Obtenir une vision globale du parcours 3. Assurer le financement de la création
des publics Les données peuvent être mises à la disposition d’autres acteurs
Les outils utilisés pour la collecte et l’exploitation de données de la culture, de la distribution, des réseaux sociaux, etc. pour
sont souvent inadaptés et/ou fragmentés du fait de logiques de qu’ils puissent les utiliser en l’état ou les intégrer dans d’autres
fonctionnement d’activités en silos. Ainsi, un établissement public combinaisons de données, dans une approche d’ouverture des
comme la Rmn-GP1 ne peut, à ce jour, savoir si une personne données (open data) ou dans une logique commerciale.
qui a acheté un livre donné dans une de ses 40 librairies ou Une utilisation commerciale des données permet ainsi de créer
boutiques pourrait être intéressée par une exposition au Grand des offres de contenus gratuites ou partiellement gratuites grâce
Palais, au Musée du Luxembourg ou tout autre service, comme un à la publicité. Pour les annonceurs, les audiences ont d’autant plus
abonnement à une newsletter ou un parcours à thème autour d’un de valeur qu’elles sont qualifiées et permettent un ciblage
artiste précis. En effet, les informations qui permettraient d’établir efficace, d’où l’importance de la donnée récente, même anonyme.
de tels liens ou prédictions ne sont actuellement pas disponibles,
soit parce qu’elles ne sont pas collectées, soit parce qu’elles sont Les données personnelles culturelles ont, dès lors, un rôle majeur
dispersées au sein de différentes bases de données gérées par à jouer dans un contexte où le secteur culturel cherche et invente
divers systèmes d’information, non encore interopérables à ce de nouveaux modèles de financement.
jour. Dès aujourd'hui, ces données sont au cœur du financement
L’enjeu est donc double : il faut non seulement investir pour se participatif, dont le modèle repose sur la création de
doter des compétences nécessaires en CRM mais aussi assurer communautés identifiées, d'individus connectés qui s'engagent
la transversalité entre les services impliqués dans la collecte et le personnellement pour financer un projet créatif.
traitement de données. Le crowdfunding est aussi générateur de données (d'un genre
Cette vision globale est indispensable pour proposer une comparable aux réseaux sociaux) et, si les sites ne monétisent pas
expérience plus personnalisée et contextualisée et espérer ainsi cette donnée sur un mode publicitaire, ils peuvent s'en servir pour
la prolonger dans le cadre d’une relation d’engagement. De animer le réseau et faire des recommandations et contribuer à
même les lieux culturels (galeries, sites touristiques, musées…) accroître les financements.
deviendraient plus accessibles grâce à l’utilisation de données sur
Demain, les données personnelles culturelles seront sans nul
le trafic ou la fréquentation. Si les projets sont nombreux dans
doute un nouveau relais de financement, dans un contexte
le domaine des transports publics, il reste encore beaucoup à
faire sur les lieux culturels. L’analyse de la fréquentation permet marqué par la raréfaction des financements publics. Un projet
d’informer en temps réel les potentiels visiteurs, par exemple, culturel pourrait demain valoriser, au moment de son
sur la durée d’attente à l’entrée d’une exposition, et elle pourrait financement, sa capacité à générer des données pour le
également permettre de définir des tarifications fines en fonction distributeur, au même titre qu'il peut générer des ventes.
du remplissage. Les plans de financement de projets cinématographiques ou
discographiques pourraient, par exemple, intégrer la valorisation
La construction d’une vision globale du parcours des publics des données nouvelles collectées : un producteur exécutif céderait
pourra également s’appuyer sur l’ouverture et la réutilisation des à un co-producteur le droit d’administrer la communauté de fans
données publiques culturelles. L’open data culturelle doit s’inscrire
de l’œuvre créée, et les revenus publicitaires éventuellement
en complément des actions que les acteurs des industries
générés.
culturelles et créatives mèneront pour utiliser et valoriser leurs
données. Offrir la possibilité à des acteurs tiers, et notamment des
start-ups, d’utiliser les données des acteurs de la culture élargit
considérablement le champ des possibles, notamment pour créer
des services pour les usagers ou clients.

1 Réunion des musées nationaux - Grand Palais

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 45


En France, plusieurs entreprises et établissements publics ont déjà rendu publiques leurs données culturelles

Depuis l'ouverture en 2011 du portail data.gouv.fr, le ministère De nombreuses applications s’appuyant sur les données
de la Culture et de la Communication s’attache à recenser culturelles ouvertes existent déjà :
et mettre à disposition des développeurs différents jeux • Les cartes interactives, comme le module développé par le
de données tels que la liste des établissements publics ministère de la Culture et de la Communication représentant
culturels géolocalisés et de leur offre éditoriale, les données l’ensemble des lieux culturels français sous forme de galaxie,
de la médiathèque de l'architecture et du patrimoine ou Cartographone, carte regroupant les lieux de tournage de
(liste des immeubles protégés au titre des monuments film à Paris.
historiques, liste des objets mobiliers propriété publique
• Les interfaces de visualisation de données, avec par exemple
classés au titre des monuments historiques), ou encore
un article du journal Le Monde contenant un module
une trentaine de jeux de données du Centre national du cinéma
permettant de visualiser de façon interactive les statistiques
et de l’image animée (CNC), comme par exemple les recettes à
de consultation des ouvrages dans les bibliothèques
l’international des films français ou la liste des établissements
parisiennes.
cinématographiques. De nombreuses villes et régions ont quant
à elles initié l’ouverture des données publiques, qui peuvent être • Les applications utilitaires, permettant par exemple de
des statistiques démographiques (anonymisées), aussi bien que trouver la bibliothèque la plus proche, des informations sur
la liste des lieux de tournage de film et les statistiques de les musées de la ville (comme Musambule à Marseille), ou
consultations d’ouvrages en bibliothèques. encore des agendas culturels multi-éditeurs (tels que Cibul
en région PACA).
L’ouverture de ces données, croisées avec les centres d’intérêt
• La visite augmentée : comme Culture Clic, proposant non
d’individus ou de communautés, représente non seulement
seulement des informations pratiques sur les musées français
l’opportunité de développer de nouveaux services et usages,
mais aussi un catalogue de 900 œuvres visualisables en
mais aussi de faciliter la promotion et l’accès à la culture.
réalité augmentée.

46 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


La nouvelle chaîne de valeur de la donnée
personnelle culturelle
Nouveaux acteurs
Le marché de la donnée personnelle culturelle est en pleine Le bon fonctionnement de l’ensemble de l’écosystème de la
structuration : tout au long de la chaîne de valeur de la data donnée personnelle culturelle dépend de ce que nous appellerons
se déplacent et se positionnent producteurs, agrégateurs et le « filtre de confiance ».
utilisateurs de données personnelles culturelles.
Le marché devrait donc évoluer vers une séparation entre la
Un marché qui devrait continuer à évoluer et faire émerger de data et son utilisation, une évolution qui aurait le triple avantage
nouveaux acteurs et de nouveaux métiers : des pure players qui d’apporter une réponse à un marché qui évoluerait vers un
se spécialiseront dans la production/sourcing de data, d’autres monopole naturel, à l’enjeu des données nominatives collectées/
dans l'agrégation et l’analyse de data (croiser les données des échangées et de libérer tout le potentiel de la donnée en matière
sourceurs entre elles et avec d’autres données, afin de les d’innovation. • Voir schéma p. 48
contextualiser et de fournir l’analyse nécessaire aux utilisateurs)
et les utilisateurs de données personnelles qui vont développer
des services et applications ciblés et à plus forte valeur ajoutée.
Tous ces services auront besoin de l’infrastructure Big data,
faisant intervenir une autre catégorie d’acteurs.

Les acteurs de la nouvelle chaîne de valeur de la data

• Les producteurs de données : ils constitueraient • Les opérateurs d’infrastructures du Big data :
de véritables bases de données fiables qui, nouveaux acteurs du numériques, opérateurs de
grâce à leur capital confiance, pourraient être télécommunications…
revendues à des tiers. • Les gestionnaires d’infrastructures : ils pourront
• Les agrégateurs de données : ils agrégeraient, louer, en plus de leurs capacités de stockage,
croiseraient et contextualiseraient ces données des capacités de calcul à des sociétés ayant des
à des fins d’analyse. besoins ponctuels en matière de traitement de
• Les utilisateurs de données : ils développeraient, Big data.
à partir des analyses obtenues, des nouveaux • Des acteurs de confiance s’assurant du maintien
services et nouvelles applications. Ces utilisateurs de l’intégrité/qualité des données, depuis leur
peuvent être des entreprises de média et des sourcing jusqu’à leur utilisation, rassurant ainsi
start-up développant des applications spécifiques utilisateur et consommateur finaux. Cette phase
et ciblées pour ces groupes de média ou des est indispensable pour garantir, par exemple, que
établissements culturels (application dédiée en la version électronique d’une œuvre, téléchargée
marge de l'exposition Hopper au Grand Palais). en ligne (e-book) corresponde à l’œuvre originale.

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 47


Les acteurs de la nouvelle chaîne de valeur de la data Source : EY ©

Producteurs de data
Agrégateurs de data Utilisateurs
(exemples)

• Réseaux de transport Croisement entre : Prise de décision


Acteurs des
échanges • + efficace
de données données produites autres données • + rapide
• Collectivités locales/ • + réactive
personnelles de contexte
territoriales
culturelles Innovation
• Établissements publics
(CSP des habitants/quartier, habitudes
culturels • Nouveaux services
de déplacements pendant les vacances
scolaires, météos locales, etc.) • Développement d’applications
• Exploitants de salles Découverte (sérendipité)

Acteurs des
Infrastructures Infrastructure Big data
de données

« Filtre de confiance » - Réglementation et sécurisation de la data


Données émises
Données analysées
Données améliorées (feedback)

Où et comment se positionner
Les champions du numérique et les entreprises culturelles vont chercher à étendre leur présence au sein de la chaîne de valeur de la
data, horizontalement (de la production à l’utilisation de la data) et/ou verticalement (de l’infrastructure Big data aux services destinés
aux utilisateurs et clients finaux). Ils procéderont par croissance interne ou externe, par des alliances avec des pure players, etc.
Des business models (pure players) et univers de services innovants vont émerger/se développer :
• Le Sourcing (producteur de données fiables).
• La spécialisation dans le développement de services et d’applications mobiles ultra-ciblés (exemple du marché du jeu vidéo mobile).
• La certification et l’audit liés à la sécurisation des données tout au long de la chaîne de valeur, pour répondre aux exigences de
transparence et de confiance des consommateurs et utilisateurs, mais aussi prévenir le risque de réputation.

48 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data


Infographie
La donnée personnelle culturelle
au cœur du Big data
La donnée personnelle culturelle,
une data qui vaut de l’or
Un marché qui se structure autour de la donnée personnelle culturelle

+
Source : EY ©

Homo conexus Internet des objets


2, 3 milliards 20 milliards d’objets connectés
dans le monde en 2013 dans le monde en 2013

Big data
Bang

Explosion des traces numériques


4 zettaoctets de données en 2013, soit une pile de DVD
de la hauteur de 4 millions de tours Montparnasse

Industrie des médias


Établissements et de l’entertainment
culturels

Données personnelles culturelles


Données de l’intimité,
issues du comportement culturel

* GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon


GAFA*
50 | Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data
Du Big data à la Big value
Vers un écosystème basé sur la confiance
Source : EY ©

Producteurs de data
Établissements culturels,
exploitants de salles,
librairies

Production de données personnelles culturelles


Open data

Utilisateurs Émetteurs de data Agrégateurs de data


Entreprises innovantes, Algorithmes,
créateurs de contenus etc.
Homo conexus et objets connectés

Nouveaux services, Traitement, calcul


applications, etc. et analyses de données

Infrastructure Big data


Data centers, serveurs,
bases de données

Collecte, stockage
Collecte, et mise
stockage, à disposition
calcul,
(réseau,
mise capacités...)
à disposition
de capacités

Acteurs de confiance
Réglementation
Sécurisation
Certification

Emploi Innovation
(4,4 millions d’emplois
créés d’ici 2015)

Comportements culturels et données personnelles au cœur du Big data | 51


EY | Audit | Conseil | Fiscalité & Droit | Transactions

EY est un des leaders mondiaux de l’audit, du conseil, de la fiscalité et Contacts


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Cette étude a été réalisée par EY, sous la direction de Bruno Perrin,
Fabrice Naftalski et Régis Houriez, avec la participation de Marie-Pierre
Bonnet-Desplan, Solenne Blanc, Vincent Placer, Louisa Melbouci,
Pierrick Vaudour, Guillaume Marcerou, Sébastien Bardou, Aurèle
Tabuchi, Colin Garnier, France de Roquemaurel à la rédaction et
Sandrine da Cunha au graphisme.

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