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Identification des risques pour les projets de

construction : revue des pratiques internationales et


propositions
Denys Breysse, H. Niandou, Myriam Chaplain, F. Jabbour

To cite this version:


Denys Breysse, H. Niandou, Myriam Chaplain, F. Jabbour. Identification des risques pour les projets
de construction : revue des pratiques internationales et propositions. CFM 2009 - 19ème Congrès
Français de Mécanique, Aug 2009, Marseille, France. �hal-03391307�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
19ème Congrès Français de Mécanique Marseille, 24-28 août 2009

Identification des risques pour les projets de construction :


revue des pratiques internationales et propositions

D. BREYSSE, H.NIANDOU, M. CHAPLAIN, F. JABBOUR P.

Université Bordeaux 1, Ghymac, Avenue des facultés, 33405 Talence cedex

Résumé :
La phase d’identification des risques est cruciale dans tout processus de gestion et de maîtrise des risques.
En génie civil, les projets de construction sont des opérations complexes, impliquant de nombreux acteurs, et
pour lesquelles les facteurs de risque sont d’origines multiples. Les pratiques des entreprises montrent que,
même sur les projets complexes, rares sont les cas où le management des risques est réellement formalisé.
L’occurrence d’échecs spectaculaires a convaincu les entreprises et les bureaux d’études d’améliorer ces
pratiques, mais les verrous demeurent nombreux, aussi bien sur le plan scientifique (difficulté de formaliser
la connaissance et de quantifier des savoirs disparates) que sur le plan opérationnel. Cet article synthétise
les principales préoccupations des travaux de recherche internationaux dans le domaine et présente les
types de modèles employés. Il présente ensuite comment, au sein du projet de recherche GERMA, ces
questions sont abordées, dans l’objectif de développer et de mettre en œuvre un cadre de modélisation
adapté au contexte français.
Abstract :
The risk identification stage is crucial in every risk management process. Construction projects are complex
processes, which concern many stakeholders and for which risk factors have various sources. Analysis of the
professionnal practices shows that, even on complex projects, risk management remains scarcely formalized.
Several spectacular failures and collapses have convinced contractors and engineering companies that these
practices must be improved, but many difficulties are encountered, as well scientific difficulties (knowledge
modelling) as practical difficulties, due, for instance to the lack of tools that can be handled by professionals.
This paper presents a synthesis of international research works in this field and describes what kind of
models are developed. Then it explains how,in the frame of the GERMA research programm, these questions
are tackled, with the objective of developing and using a modelling frame fitted to the french context.

Mots clefs : construction, génie civil, maîtrise des risques, risques de projet

1 Les enjeux et méthodes de la maîtrise des risques de projet

1.1 Le cadre du travail – vocabulaire et définitions


Le projet est défini comme (Norme ISO 1006) « un processus unique, qui consiste en un ensemble
d’activités coordonnées et maîtrisées, comportant des dates de début et de fin, entrepris dans le but
d’atteindre un objectif conforme à des exigences spécifiques incluant les contraintes de délais, de coûts et de
ressources ». Cette définition s’applique à des champs extrêmement divers, comme, entre autres, ceux de
l’industrie (aéronautique et espace, automobile…), des technologies de l’information, et de la construction.
C’est à ce dernier domaine que nous nous intéressons. De nombreuses méthodes et outils sont déjà
disponibles dans d’autres secteurs, il conviendra d’identifier si le secteur de construction requiert des
approches spécifiques ou non.

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L’objectif de la maîtrise des risques est de ramener les risques encourus à un niveau résiduel identifié et
acceptable, à la fois :
- pour l’entreprise en charge du projet, vis-à-vis de ses résultats économiques et marchés futurs, de son
image, de la sécurité des travailleurs…
- pour le client, dont les exigences portent sur la qualité du produit (dans notre domaine, l’infrastructure
ou l’ouvrage) et ses performances, les délais et les coûts.

Au cours de la décennie 1990 et au début des années 2000, les préoccupations pour cette maîtrise des risques
se sont multipliées. On citera tout particulièrement les travaux de Chapman et Ward [1] et ceux de Carr et
Tah [2]. Dans une synthèse bibliographique déjà ancienne, Williams dressait les grandes lignes des enjeux et
des difficultés des travaux dans ce domaine [3]. Aujourd’hui, des recommandations ont été établies pour les
professionnels du management de projet [4]. Cependant, les questions ne sont pas closes, car les pratiques
professionnelles ne suivent pas nécessairement les recommandations, et certains domaines professionnels
sont encore peu impliqués dans cette démarche. La construction en fait partie. Par ailleurs, une démarche
prescriptive, comme le sont les recommandations, ne suffit pas à répondre à des questions telles que :
comment quantifier les risques le plus objectivement possible et comment répartir ces risques équitablement
entre les acteurs concernés ?

Il est intéressant de noter qu’il n’y a d’ailleurs pas d’accord sur la définition du risque de projet lui-même.
Deux regards existent :
- pour le premier, le risque (de projet) est « une fonction de la conséquence/sévérité d’un aléa et de la
vraisemblance de sa survenue » [4],
- pour le second, c’est « un événement ou situation dont la concrétisation, incertaine, aurait un impact
négatif ou positif sur les objectifs du projet [5].
Cette différence a probablement pour origine la différence identique existant entre spécialistes des risques
industriels (le risque est le phénomène ou processus à l’origine de...) et spécialistes des risques naturels (le
risque est le résultat potentiel d’un aléa originel). Dans ce qui suit, nous considérerons que nous avons :
- des états des variables et des facteurs susceptibles de provoquer des événements qui pourront engendrer des
conséquences négatives pour le projet,
- des conséquences, relatives à un ou plusieurs objectifs du projet,
- le risque, défini comme une mesure des conséquences, résultant de l’occurrence des événements redoutés.

On parlera alors logiquement de :


- facteur de risque, pour toute « condition de l’environnement interne ou externe du projet qui favorise
l’occurrence d’un résultat indésirable ». On parle ici des causes, des sources de risque ;
- catégorie de facteurs de risque : groupe de causes potentielles de risque. Les causes de risque peuvent être
groupées en catégories telles que les risques techniques, externes, organisationnels, environnementaux ou les
risques de management du projet. Une catégorie peut comprendre des sous-catégories telles que la maturité
technique, la météorologie ou le degré d’optimisme ou de pessimisme des estimations.
- d’événement risqué (risk event) pour les événements redoutés, aléatoires, dont les conséquences impactent
le projet.

1.2 Objectifs de la recherche en maîtrise des risques de projet

Si les préoccupations françaises sont relativement récentes pour le développement d’outils d’analyse et de
maîtrise des risques de projet (MRP), il n’en est pas de même dans d’autres régions du monde (Etats-Unis et
pays anglo-saxons – Grande-Bretagne, Australie – Chine et Sud-Est asiatique, voire Moyen-Orient). Dans
ces pays, les recherches sont très actives depuis une vingtaine d’années et leurs avancées constitueront le
socle de notre réflexion. Les recherches s’appuient, comme nous le verrons à la fois sur le développement de
modèles et sur le retour d’expérience, même si ces « modèles » et ces « expériences » sont très éloignés de
ceux avec lesquels les mécaniciens sont plus familiers.

Posant la question « Qu’est-ce que le risque de projet ? », Williams [3] a apporté une réponse simple, à partir
du concept de « succès », avec les trois dimensions usuelles du projet (coût, délai, qualité) : un projet
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réussi c’est un projet « bien ! vite ! pas cher ! »). Il notait aussi que ces exigences varient selon la phase de
projet :
- en phase de définition, l’accent est mis sur les aspects de stratégie et de performance,
- en phase de contractualisation, l’aspect financier est essentiel,
- en phase de construction, c’est sur le respect des délais que l’on a tendance à insister,
- une fois l’ouvrage livré, ce sont ses performances qui mesurent le succès du projet.

Il montre aussi que les exigences varient selon les acteurs du projet et qu’il n’existe pas de mesure absolue de
l’échec ou du succès, d’où l’évolution progressive des exigences vers la « performance perçue » ou le
« degré de satisfaction », concepts qu’il est tout aussi difficile de définir et de mesurer ! Ces considérations
expliquent que de nombreuses recherches se développent dans les domaines de l’analyse multicritères, de
l’aide à la décision, de la simulation en contexte incertain.

On en distingue deux objectifs principaux à la recherche :


- l’évaluation des risques en amont du projet, et principalement des risques financiers consécutifs à la
décision de participer à un projet : évaluation précoce pour une phase d’appel d’offres, sélection entre projets,
risques liés aux montages (aux partenariats internationaux, joint-ventures…). Ces travaux sont souvent
relatifs à de gros projets d’infrastructures à l’international.
- les risques encourus pendant le déroulement du projet : risques de dérive financière ou dans les
délais, risques de non qualité… La dimension des projets concernés est alors très variable, elle va de
l’ouvrage ou de la partie d’ouvrage au « méga projet ».
Dans le premier cas, l’objectif est de maîtriser les risques pour rentabiliser au mieux les investissements
financiers. Dans le deuxième cas, l’objectif est de parvenir à un projet « réussi », sur ses différentes
dimensions (performances, coûts, délais…).

Trois familles de conséquences couvrent la grande majorité des études [5-7] :


- le non respect des délais, domaine le plus étudié. Les travaux s’appuient souvent sur la probabilisation de
diagrammes de type PERT (réseaux stochastiques) et constituent une suite logique de travaux sur le
management de projet. La cible est la quantification du délai total, mais aussi des tâches critiques. Un
problème est l’estimation de la durée de chaque activité. Les difficultés viennent aussi de la prise en compte
de ressources limitées, incertitudes sur leur disponibilité, d’incertitudes dans la structure du réseau,
d’incertitudes dans les conséquences, de distributions statistiques complexes…
- le non respect du budget : Le problème est plus simple car il repose sur des règles d’additivité. En général
on se limite à probabiliser les estimations des coûts,
- le non respect de la qualité, de la performance souhaitée. Ces études sont beaucoup moins nombreuses mais
sont véritablement celles dans lesquelles la dimension « risques » prend tout son sens. L’une des difficultés
majeures est que la performance est multi-critères, avec des échelles différentes selon les critères. Le concept
de « qualité » (ou de performance) peut être généralisé de manière à couvrir des objectifs de toute nature
(impacts sur l’environnement, sécurité…).

2 La maîtrise des risques de projet dans la construction

2.1 Quelles spécificités pour les projets de construction ?


Au-delà de problèmes spectaculaires comme les effondrements d’ouvrages (en cours de construction ou en
cours d’utilisation), qui peuvent attirer l’attention sur les questions de risques mal maîtrisés, la MRP est
justifié par le constat que les dépassements de budgets sont communs dans la construction, surtout pour les
projets complexes. Une étude sur les projets financés par la Banque Mondiale (1974-1988) a montré que 63
% des projets parmi 1778 ont connu une augmentation significative des coûts [8]. Pour la même période, sur
1627 projets achevés, les retards ont été de 50 à 809 % [9]. Parfois, c’est le projet finit par être abandonné.
Par exemple, la construction du « Second Stage Expressway » a été suspendue après que 3,1 milliards de
dollars aient été investis dans la construction de cette autoroute [10]. Ces chiffres justifient à eux seuls d’une
préoccupation croissante pour la MRP. Une autre source de préoccupation est l’existence de projets
défaillants, comme dans le cas des tunnels urbains, où de nombreux accidents sérieux qui ont conduit à une
prise de conscience collective et à la mise en œuvre d’une stratégie de réponse adaptée. Enfin, l’évolution du
contexte économique de la construction, avec d’une part les PPP et d’autre part la multiplication des
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interventions de grosses entreprises occidentales dans des pays émergents sont des facteurs qui conduisent
les financeurs à exiger une meilleure maîtrise des risques.

Les particularités de la construction sont souvent soulignées par ses acteurs. Citons par exemple :
- le caractère prototypique des ouvrages, du fait que chaque site et chaque environnement physique est
différent (ce qui n’est pas le cas pour un projet en informatique ou la fabrication d’un produit en
environnement contrôlé),
- la diversité et la multiplicité du nombre d’acteurs,
- la durée des projets, qui augmente la vraisemblance d’événements impactant significativement la
dispersion de la performance (changement des normes, évolution des objectifs…), les contraintes
économiques, politiques, sociales… [11].
Il ressort de plusieurs études que la principale particularité est la grande complexité de l’organisation, avec
de nombreux acteurs possédant une vision propre du projet, intervenant simultanément et poursuivant parfois
des objectifs contradictoires [12].

2.2 Les raisons d’une implication nationale


En France, le faible développement de la culture du risque d’une part, et l’absence de recherches
académiques en économie de la construction d’autre part, n’ont pas été propices à de telles évolutions.
L’effondrement du Terminal E de Roissy en mai 2004, qu’elles qu’en soient les causes (techniques,
organisationnelles…) a joué un rôle de déclencheur, d’autant plus qu’il faisait suite à quelques autres
accidents comparables (effondrement du chantier parisien Eole en février 2003). Les évolutions
internationales (développement des PPP, des joint-ventures…) citées ci-dessus concernent aussi au premier
chef les grandes entreprises françaises, très actives sur le marché international. Ce n’est qu’en 2008 qu’un
premier projet de recherche a vu le jour sur le sujet, avec le soutien de l’ANR (GERMA - (GEstion du
Risque de MAnagement de Projet). Simultanément, les pouvoirs publics, les professionnels et les chercheurs
travaillent dans le cadre d’un GT commun de l’AFGC et du GIS MRGenCi pour rédiger des
recommandations de « bonnes pratiques » dans le domaine. Bien entendu, les savoirs et questionnements
développés à l’étranger constituent le socle de ces travaux, qui doivent en outre traduire une adaptation aux
spécificités nationales.

2.3 Dimensions à traiter et voies d’approche


L’une des difficultés majeures du travail est la complexité du système à modéliser : système multi-acteurs,
dimensions techniques multiples, richesse de l’organisation, système dynamique avec une forte influence de
l’environnement (sol, météorologie…) et interactions obligées avec des tierces parties (riverains…). Un
support usuel de l’identification des risques est la « structure hiérarchique des risques » (RBS pour risk
breakdown structure), mais il n’existe pas de consensus sur la manière de décomposer les risques.

La façon la plus courante de décomposer les facteurs de risque repose sur la distinction entre risques
d’origine interne et risques d’origine externe. Ainsi, [10] a proposé un HSRU (Hierarchical Structure of Risk
and Uncertainty) reposant sur la vision de l’entreprise de construction, qui distingue, pour les facteurs
d’origine interne, ceux attachés au projet, qui sont regroupés en fonction des acteurs, et ceux attachés aux
activités, qui sont regroupés en fonction de ce qui contribue à la réussite ou à l’échec de l’activité (figure 1).
La décomposition en familles identifiées à partir des acteurs est fréquente. Une autre manière de relier les
risques aux activités consiste à identifier les facteurs de risque à partir des tâches identifiées sur la PBS. La
figure 2 illustre une telle identification (d’après [13]).

Remarquons que la décomposition selon la double arborescence risques/tâches, qui conduit à une
représentation matricielle des risques permet de faciliter la vision dynamique des phases du projet. Hélas, si
l’on souhaite ajouter la dimension des acteurs, il faut une troisième dimension et la représentation sur le
papier n’est plus aussi simple. Dans tous les cas, ces représentations s’appuient sur une vision hiérarchique,
qui demande que l’on ait préalablement identifié les facteurs de risque et les groupes de risque que l’on

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souhaite privilégier.

Figure 1. Exemple de décomposition hiérarchique des risques (d’après [10]).

Figure 2. Décomposition hiérarchique des tâches et sources de risque (d’après [13].

Modéliser la performance (ou la non performance), les coûts et les délais pouvant être considérés comme des
dimensions particulières de la performance, requiert de modéliser le « système-projet » dans sa complexité.
On peut distinguer quatre types de modèles, qui différent par les objectifs, les données traitées et la manière
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de représenter le système-projet : les modèles comportementaux, les modèles analytiques « fonctionnels »,


les modèles physiques et les modèles « boîte noire ».

Les modèles « comportementaux » sont destinés à analyser l’effet des pratiques professionnelles, des attentes
des acteurs… Ils visent à répondre à des questions telles que : « que se passe t-il dans telle situation ? ». Ils
reposent en général sur l’élaboration et l’emploi de questionnaires ou d’entretiens, qui permettent
d’expliquer quels caractères essentiels (des pratiques, des attentes…) conditionnent les risques. Ils relèvent
principalement des sciences humaines et comportementales. Les caractères sont identifiés en fonction de
données observables comme le statut de la personne ou de l’entreprise, la nature du projet… Ces modèles
sont souvent qualitatifs, mais ils peuvent aussi être semi-quantitatifs, en recourant à des échelles à N niveaux
(de type « Likert scale »).

Les modèles analytiques « fonctionnels », visent à établir les relations structurelles entre facteurs de risque,
catégories de facteurs de risque et sorties. Ils reposent donc sur une analyse du projet qui en décompose les
mécanismes organisationnels, physiques, relationnels... Le questionnement est du type : « quelles sont les
relations entre tel état ou telle condition et telle conséquence ? ». Ces modèles n’ont pas vocation à
permettre une évaluation quantitative des risques. Ils peuvent par contre déboucher sur des recommandations
de « bonnes pratiques » et participer ainsi à la maîtrise des risques.

Dans les modèles prédictifs de type « physique », on décrit, à l’échelle choisie, le projet comme un
processus (ensemble d’actions et d’opérations requérant des ressources, soumis à des contraintes) et on
étudie la réponse du processus en environnement incertain ou perturbé (on analyse par exemple les
distributions statistiques des délais ou des coûts et la probabilité de dépasser une valeur seuil). La finesse de
la description retenue dépend du processus modélisé, qui peut être très « micro » (séquences d’opérations de
construction) ou plus « macro » (déroulement du projet global).

Dans les modèles prédictifs de type « boite noire », on vise à estimer la valeur de variables de sortie Y (par
exemple niveau de performance) en fonction de variables d’entrée X. Les outils employés sont divers
(régressions statistiques, logique floue, réseaux neuronaux…). Ces modèles s’appuient souvent sur une
décomposition hiérarchique des risques, qui sert de support à la formalisation du problème puis à l’approche
quantitative, les informations d’entrée étant alors propagées au travers de la structure. A la différence des
modèles physiques, les liens entre entrées et sorties (et éventuellement variables intermédiaires) traduisent
seulement des relations fonctionnelles, mais ils ne cherchent pas à reproduire un mécanisme physique. Les
données X sont identifiées à partir d’une analyse des facteurs de risque et leur valeur est attribuée par des
experts, souvent au moyen d’enquêtes et de questionnaires, sur des échelles discrètes. L’identification des
paramètres internes du modèle permet ensuite d’utiliser le modèle dans une logique de prédiction. La figure
3 reproduit une décomposition proposée par [14]. Ce schéma met en évidence un ensemble de variables
(environnement du projet, condition du pays hôte, capacité et expérience de l’entreprise…), qui sont par
ailleurs quantifiées à partir d’observables. Par exemple la valeur de la variable « condition du pays hôte »
dépend de la réponse à une série de questions telles que : quelle est la fréquence de changement des
règlements ? la situation sociale est-elle stable ? quelle est l’étendue de la corruption ? Chaque question
correspond à un facteur de risque jugé pertinent. Une fois la structure du modèle établie, les relations
quantifiées (de tels modèles se prêtent bien à la mise en œuvre d’outils du type réseaux neuronaux), et les
observables fournis, le modèle peut être validé et utilisé de manière prédictive.

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Figure 3. Modélisation de la performance de projet (d’après [14]).

3 Identification des facteurs de risque et modélisation du projet


Le Projet GERMA s’est donné pour objectif de développer, en tenant compte des particularités du contexte
national, une méthodologie et des outils permettant aux acteurs de la construction de mieux maîtriser les
risques de projet. Il convient dans un premier temps de mettre en place un modèle conceptuel du projet, puis
d’identifier les facteurs de risque à prendre en compte. La figure 4 schématise les relations entre les acteurs
du projet, le figuré en pointillés schématisant le cadre du projet, qui recouvre aussi la phase d’exploitation de
l’ouvrage. Les « autres parties prenantes » recouvrent les acteurs qui interviennent à titre divers dans le
projet : acteurs avec liens contractuels (financeurs, assureurs, contrôle technique), ceux avec un lien
réglementaire ou administratif (autorités en charge de la réglementation, décideurs politiques, commissions
techniques) et les acteurs d’influence (usagers, riverains…). La multiplicité et la diversité des acteurs sont
source de risque, de par les risques induits par chacun des acteurs, et de par la multiplication des interfaces.

Maître d’ouvrage
Maître d’oeuvre

Conducteur Exploitant
de travaux

Entreprise

Fournisseurs Sous-traitant
autres parties
prenantes
Figure 4. Schématisation des relations entre les acteurs du projet

L’identification des facteurs de risque pose deux questions : celle de leur inventaire et celle de leur
classification. Les possibilités de classification sont multiples, comme nous l’avons vu au § 2.3 : par acteurs,
par phase de projet, par nature… Nous avons choisi une décomposition à deux niveaux : par acteur et par
type de « mission », qui s’appuie sur les missions dévolues à chacun des acteurs. Ainsi, par exemple, le
maître d’œuvre est en charge :
- de la conception, avec les études aux différents degrés d’avancement du projet (esquisse, APS,
APD, projet),
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- de l’exécution : assistance pour la passation des marchés, études d’exécution, direction de


l’exécution des contrats de travaux, assistance du maître d’ouvrage pour la réception des
travaux…
- du pilotage et de la coordination des autres acteurs.

Enfin, pour chaque acteur, on identifie en quoi les interactions avec les autres acteurs sont sources
potentielles de risque : mauvaise compréhension des documents, transmission d’informations incomplètes ou
tardives… Un avantage de cette décomposition est qu’elle sera adaptée à la fois à une description dynamique
des risques, puisque les missions sont le plus souvent attachées à des phases particulières de la vie du projet,
et à une modélisation prenant en compte les différences de perception des acteurs.

Le recensement des facteurs de risque s’est tout d’abord appuyé sur une large analyse de la littérature
internationale [6], qui a été adapté aux spécificités nationales (par exemple à l’absence du « project
manager » anglo-saxon en particulier), puis enrichi par les apports des experts des bureaux d’ingénierie et
des entreprises impliqués dans le Projet GERMA. L’analyse bibliographique a permis d’identifier environ
200 facteurs de risque (environ 120 facteurs internes au projet et 80 facteurs internes). La difficulté
principale est dans la hiérarchisation des facteurs principaux, au moins pour une première version de la
modélisation. Nous avons donc procédé à un recensement le plus exhaustif possible, en nous efforçant de
regrouper des facteurs de risque dont les expressions exactes différaient mais qui pouvaient être assimilés.
Puis, sur la base de la fréquence des citations, nous avons effectué une première sélection, qui a été ensuite
soumise aux experts professionnels. Les Tableaux 1 et 2 présentent un extrait des facteurs internes et
externes retenus.

Acteur Mission Facteur de risque


objectifs du projet et besoins du client mal définis, priorités mal
définition
établies
maître d'ouvrage financement problème de financement, budget insuffisant
exécution modification des objectifs en cours de projet
exécution délais insuffisants
financement retard de paiement des entreprises
conception conception technique défaillante
maître d'oeuvre
conception planning inadéquat ou erroné, non réaliste
exécution incompétence, erreurs
entreprises exécution matériel /techniques/méthodes inadaptés
exécution manque de personnel qualifié
exécution manque de leadership/supervision
exécution mauvaise communication, informations tardives
conduite de contrat mauvaise résolution des conflits
travaux suivi des modifications (des délais, des tâches, du budget) absent
contrôle
ou inefficace
expérience insuffisante, manque de connaissances et/ou de
exécution
compétences
Tableau 1. Facteurs de risque internes les plus fréquemment cités

L’inventaire exhaustif des facteurs n’est pas un objectif pertinent, dans la mesure où les facteurs dépendent
du niveau de finesse de la décomposition du projet. Il importe donc de privilégier la structure du modèle, en
établissant un modèle qui intègre les caractéristiques principales (organisation en phases, relations entre les
acteurs), valides quels que soient les types de projet, et qui pourra être enrichi dans une seconde étape. Ainsi,
par exemple, le même cadre pourra servir de base à un modèle approfondi pour les tunnels urbains, ou pour
les projets de barrages.

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Groupe de facteurs Facteur de risque


économiques et financiers inflation, variation des prix, du coût du travail
carences de matériaux, modification des matériaux disponibles
économiques et financiers sur le marché
économiques et financiers carences en équipement
économiques et financiers carences en personnel compétent
économiques et financiers variation des taux de change, convertibilité
naturels-environnementaux conditions de site non prévues (géotechnique, archéologie…)
naturels-environnementaux météorologie défavorable (pluies, inondations…)
règlements changements de législation, de règles
règlements délais pour obtenir les autorisations / signatures, bureaucratie
divers “acts of God” - force majeure
Tableau 2. Facteurs de risque externes les plus fréquemment cités

En parallèle, nous développons une base documentaire d’études de cas, sur la base d’entretiens avec des
professionnels qui font part de leur retour d’expérience sur des projets complexes concrets (projets
immobiliers, ouvrages d’art, projets routiers…). Nous nous efforçons, dans ces entretiens, de recueillir les
avis de différents acteurs ayant été impliqués dans un même projet, pour identifier dans des situations
concrètes comment une même situation objective peut avoir des perceptions et évaluations diverses.

Conclusions et perspectives
Nous nous sommes engagés dans une action nouvelle dans le domaine de la construction : celle de la
formalisation et la modélisation des risques de projets pour les opérations de génie civil complexes. C’est à
notre connaissance le premier travail de cette nature dans le cadre national, même si de nombreux travaux
ont déjà été engagés à l’étranger, particulièrement dans le monde anglo-saxon. Une revue des limites des
approches développées dans le cadre professionnel, quasi-exclusivement prescriptives, et des capacités des
modèles développés en recherche nous a conduit à mettre en place les premiers éléments d’une modélisation
qui repose sur une description précise des relations entre les acteurs et des risques qui leur sont attachés.

Ce travail n’est pas achevé. Il se poursuivra par :


- l’élaboration d’un registre des risques, en privilégiant quelques dizaines de risques jugés les plus
essentiels. Ce registre devra intégrer, entre autres, l’estimation de la fréquence et de la gravité de
chacun des facteurs de risque. Il débouchera sur l’établissement d’un « profil de risque » pour
chaque phase du projet,
- l’identification des objectifs poursuivis par chacun des acteurs, dans la mesure où la réussite
perçue du projet est mesurée, pour chaque acteur, à l’aune de l’écart entre ses objectifs et ce qu’il
obtient. C’est dans ce cadre que nous pourrons étudier la manière dont le mode de passation des
marchés influence les risques et la réussite des projets.

L’objectif est, bien entendu, de valider un cadre de modélisation qui permette aussi de comparer des projets
entre eux, ou différentes options stratégiques pour un même projet. Ces comparaisons pourront se faire par la
mise en œuvre d’un modèle quantitatif, du type des modèles « boite noire » décrits au §3.2. Ce modèle
reposera probablement sur la distinction entre facteurs de risque observables (mesurables) et variables
latentes, qui conditionneront directement les performances du projet. De tels modèles, ou leurs variantes ont
été développés par plusieurs auteurs [14-16] et permettent de combiner les avantages des modèles
fonctionnels (description fine de la manière dont les facteurs interagissent) et le souci d’obtenir des sorties
quantifiées.

Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble des partenaires du projet GERMA, sans lesquels ce
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travail ne pourrait être mené, et en particulier Mme Joelle Conversy, M. Roland Russier, M.Patrick Perret
(du bureau d’études COTEBA), et M. Denis Morand (de l’Université de Marne la Vallée), ainsi que le
regretté Alain Thirion, qui a été à l’origine du projet de recherche. Ils remercient aussi l’ANR pour son
soutien à ce travail.

References
[1] Chapman C., Ward S., Project Risk Management: Processes, Techniques and Insights, Kindle Edition,
1997.
[2] Tah J.H.M., Carr V., Towards a framework for project riskknowledge management in the construction
supply chain, Advances in Engineering Software, 32, 835-846, 2001.
[3] Williams T., A classified bibliography of recent research relating to project risk management, Eur.
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[4] ITIG (International Tunneling Insurance Group), A code of practice for risk management of tunnel
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[5] PMBOK, Guide du corpus des connaissanBaloi D., Price A.D.F., Modelling global risk factors affecting
construction cost performance, Int. J. of Project Management, 21, 261-269
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CIRANO, Montréal, août 2003
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