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Cependant, malgré ses efforts de renier son nom, de prononcer les mots &
Voccidentale, de se comporter comme les autres, il n’est pas accepté par le
Monde et il est rejeté par les Autres. Le personnage-narrateur échoue dans sa
rencontre avec I’autre et le Monde le renvoie encore a ses origines, 4 son
Impasse Tarfoune.
La deuxiéme partie, par sa position, place le personnage entre deux licux
qui s’opposent : le ghetto et le monde extérieur, deux univers antinomique,
deux symboles : |’enfermement et |’ouverture.
Outre cette triple division structurelle, les chapitres instaurent une suite
chronologique puisqu’ils décrivent la désintégration graduelle et la déception
progressive du personage de son enfance jusqu’a son adolescence. Mais
cette cohérence temporelle n’est encore qu’une illusion pour assurer l’effet
de réel dans la mesure ott il n’y a aucune relation interne de cause a effet
entre les chapitres et aucune continuité temporelle entre eux. Les différents
chapitres apparentent La SS a un roman d’apprentissage, en ce sens qu’ils
annoncent une série de ruptures malgré la linéarité apparente de l’ordre des
faits: “ma vie ne fut qu’une suite de ruptures’? (p.211) ou encore ; *Ma
destinge est d°étre en perpétuelle rupture’’. C’est pourquoi chaque chapitre
est considéré comme un micro-récit qui parle d’une expérience particuliére,
qui traite un sujet narratif autonome. La juxtaposition de ces chapitres qui
indiquent des changements de temps, de lieu ou d’état d’esprit ne justifie-t-
elle pas cette rupture ?
Comment justement parvenir a concevoir un récit unitaire alors qu’il met
en scéne une identité fragmentaire ? Comment respecter la linéarité narrative
alors que le récit se heurte au désordre dans lequel les souvenirs se
présentent 4 la mémoire? L’écrivain explique, en ces termes, sa
stratégie scripturale :
La SS est un récit autobiographique et il dépeint done un univers. Le résultat
est le foisonnement des caractéres secondaires et la coloration, l'utilisation de
tous les sens, et pour empécher que le livre ne s*éparpille pas, chaque
chapitre est dramatisé sur lui-méme ”
Malgré cette autonomie du contenu narratif, le lecteur de La SS est sensible
au jeu d’échos entre les différents chapitres. Le ressassement des souvenirs,
la répétition des mémes phrases et des mémes anecdotes tissent des liens
entre les micro-récits. C’est ainsi que I’épilogue ‘L’épreuve’” renoue avec le
début du roman qui porte d’ailleurs le méme titre : ‘j’en arrive maintenant
au point oit j'ai commencé ce récit”’ (p.355). Le lecteur retrouve la méme
salle d’examen, la méme feuille blanche, les mémes interrogations, que le
chapitre « Au Koutta » casse la linéarité du récit en nous renvoyant aux
7 Albert Memmi, Culture et tourisme, 20 aoiit 1959.
211premiéres expériences de I’enseignement traditionnel. Par ailleurs, le lecteur
prend conscience de I’aliénation du personage des les premieres pages du
roman, dés le chapitre d’introduction de ‘’impasse”’ qui décrit une situation
sans issue alors qu’elle est supposée étre dévoilée progressivement au
rythme des chapitres,
Dans sa quéte identitaire, le personnage se cherche et son récit tatonne en
fouillant, dans la mémoire, des souvenirs qui disent toutes ses difficultés
d’étre, qui évoquent ses moments de doute et de souffrance. Alors, le
narrateur ajoute, supprime, vérifie, résume, fait le bilan : tout un travail de
réécriture, de redistribution des séquences narratives : “le récit est destiné &
raconter sans arrét une histoire dont le commencement coincide avec
Pincapacité de raconter l’histoire”” comme l’affirme Robert Elbaz (p.87). Le
narrateur ne dit-il pas das le deuxiéme chapitre de La SS: “sur le bonheur
égal de mes jeunes années, j’aurais voulu écrire un livre entier ; mais malgré
ma nostalgie, j’arrive a peine a balbutier ces quelques pages” (p.25).
Par ce processus productif de la répétition, le personnage-narrateur
cherche a contréler le récit, 4 délimiter ses frontiéres pour ne pas le perdre,
pour ne pas I’éparpiller. Les répétitions et les reprises des mémes
paragraphes ou encore des mémes personages trahissent également, chez
lui, ce désir inconscient de tisser des liens entre les séquences narratives, de
mettre de l’ordre dans ses balbutiements, de donner une apparence dunité et
de cohésion a son récit faute d’une identité reconstituée ; un projet de
reconstitution qui sera amorcé par le narrateur a travers un voyage dans le
temps, & travers la quéte des origines.
3. LE ROMAN DES ORIGINES
Partant de cette consigne philosophique de l’oncle Makhlouf: °si tu ne
veux pas qu'on te traite en pauvre, commence toi-méme par te traiter de
seigneur’’ ", Benillouche tente de “se prendre en main’””, de sauver sa dignité
en se ressourgant dans le passé, dans le mythe des ancétres.
Pour compenser l’indigence du réel et le poids de Phéritage ancestral, le
personnage commence 4 tisser inconsciemment son roman familial’. II
Albert Memmi, La Vie intérieure, Paris, Gallimard, 1976, p.25.
Cette conception freudienne renvoie au mode fantasmatique sous lequel l'enfant vit ses
relations avec ses parents. Tel qu'il a été exploité par Marthe Robert, ce concept peut
expliquer Porigine du roman, I’écriture romanesque. Lorsque enfant imagine étre un
enfant trouvé, il nie Ia réalité et s'évade dans un monde chimérique. S"il se croit un
batard, il est alors m@ par une volonté de revanche et éprouve le besoin d’agir sur le réel.
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