Tuaillon 266-1
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Tuaillon 266-1
Le
.Francoprovençal····
Progrès
d'une définition
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dans l'expression consacrée «Gaule Lyonnaise», fait un étrange effet au
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XXe siècle. Mario Roques l'emploie avec ce sens en rendant compte LE FRANCOPROVENÇAL,
d'un article de Morosi sur les colonies francoprovençales du Sud et de BANC D'ESSAIS
l'Italie: « ... prouve l'origine franco-provençale (lyonnaise ... ) de ces colo-
nies.» Ces émigrants du XIIIe siècle descendaient vraisemblablement du DE THÉORIES DIVERSES
versant oriental des Alpes. N'est-il pas bizarre de les appeler Lyonnais,
au XIIIe siècle? «Burgondien» a été proposé depuis peu, oralement du
moins, au CongrèS de Linguistique et de Philologie Romanes de Madrid,
en 1965. Ce qui serait pire que tout. L'explication fondée sur le super-
strat burgonde ne donne pas une sécurité telle pour qu'on puisse donner
à un groupe linguistique roman, le nom d'une peuplade germanique. Le
cas du français ne peut pas fournir de précédent: les Francs ont d'flbord Le francoprovençal a souvent servi de banc d'essais pour des dis-
donné leur nom à un pays: ce ne serait pas le cas pour le «burgond~n», cussions théoriques, depuis la grande -dispute entre Ascoli"' ej: Paul
car toute la Bourgogne est en dehors du domaine francoprovençal. Meyer, jusqu'à la confrontation actuelle sur l'importance d'un super-
Mieux vaut conserver la mauvaise dénomination d'Ascoli. strat qui divise les francoprovençalistes en deux classes, selon qu'ils
croient ou non à l'influence des Burgondes. Dans une autre domaine de
la linguistique, c'est un patois francoprovençal qui a été le premier étu-
1.2. Trait d'union? dié systématiquement dans une perspective phonologique(1). M. Marti-
Faut-il écrire franco-provençal ou francoprovençal? Dans une lan- net nous dit que c'est à partir de cet humble parler savoyard qu'il a en-
gue qui écrit sous-marin et souterrain, contre-chant et contredanse, seigné la phonétique fonctionnelle, aux U.S.A. Il devait d'ailleurs être
contre-amiral et contremaÎtre, ce problème de trait d'union peut paraître sensible à la disproportion qu'il y avait entre le petit village savoyard
dérisoire. On a d'abord utilisé le trait d'union; cette orthographe aug- dont il avait recueilli le patois et l'immense auditoire qui était prêt à rece-
mentait les risques de malentendus contenus dans l'appellation elle- voir l'enseignement de la science phonologique, quand il déclarait (Pré-
même. Ceux qui, à la suite de Mgr Gardette, proposent une graphie glo- face, p. 9): «Pour répondre aux demandes de ses étudiants et de cer-
bale, essaient, pour des raisons diverses, d'attirer l'attention sur le fait tains de ses collègues de Columbia University, l'auteur s'était procuré,
que ce goupe dialectal n'est pas un mélange de français et de provençal dès 1947, les sept derniers exemplaires du commerce. Ce fonds, vite
mais un ensemble original. Francoprovençal en un seul mot propose aux réduit d'ailleurs, a par un roulement continu, assuré en Amérique une
regards l'image d'un signe linguistique qu'il faut considérer comme con- certaine diffusion à la Description ... ».
ventionnel et arbitraire, dépourvu de toute motivation, bien que fondé
sur l'association de deux composants qui ont, chacun pour leur part,
une valeur très précise. Cette étude optera pour la graphie sans trait
d'union, tout en consevant dans les citations l'orthographe de l'auteur.
Tous ces avatars traversés par le signifiant sont peu de chose à côté de
l'extrême diversité des concepts qui se sont formés dans l'esprit des lin-
guistes qui ont abordé le problème.
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3 francoprovençal en Lotraine et même en Wallonie (3). C'était à coup sûr
prendre le plus mauvais chemin pour imposer sa conception d'un nouveau
ASCOLI ET PAUL MEYER type linguistique, que d'en voir des traces partout, jusqu'en Wallonie.
(3) Sch!zzi (p. 11,5): «E si mette ormai capo al francese, dove è pero grandemente osser-
(2) Archivio glottologico italiano 1/1 (p.61), La date 1878 donnée à ce tome est celle du
groupement sous la même reliure d'articles parus précédemment. Il ne faut donc pas
vab,lle =
~a traccla franco-provenzale deI!' aje AT A, la quale si continua ben al di là delle
sezl~m ?ella LO,rena che abbiamo toccato pur dianzi (cf. in ispecie Bar-le-Duc, e pure i
s'étonner si on lit dans les bibliographies que les Schizzi datent de 1878 et que la ré- Terntorl vallom),»
ponse de Paul Meyer remonte à 1875,
-9-1
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3.22 A toute fragmentation dialectale 3.4 Fln du débat
3.41 Ascoli ou les commodités théoriques
Avant d'en arriver à ce pragmatisme facile, Paul Meyer avait mené
une discussion rigoureuse: «Voici en effet comment nous procédons les prolongements de cette discussion qui a duré plusieurs années
pour constituer un dialecte. Nous choisissons dans le langage d'un pays entre les deux linguistes n'apprennent rien de fondamental, sinon que
déterminé un certain nombre de phénomènes dont nous faisons le ca- pour Ascoli (4) il est dans la nature des choses qu'un dialecte soit défini
ractères du langage de ce pays. Cette opération aboutirait bien réelle- par trois caractéristiques A, B, C et que la caractéristique A soit commu-
ment à déterminer une espèce naturelle, s'il n'y avait forcément dans le ne à ce dialecte et à un autre, la caractéristique B commune à ce dialecte
choix des critères, une grande part d'arbitraire.» Suit l'exemple du pi- et à un second et la caractéristique C commune à ce dialecte et à un troi-
card qui se délimite au Sud et à l'Est avec un isophone donné (C + A) et sième.
du côté de l'Ouest, par un autre (la formation des imparfaits). Mais cet
isophone risque d'étendre le normand jusqu'à l'Anjou. Autre constata- 3.42 Meyer ou la rigueur et le durcissement
tion de bon sens et de rigoureuse méthode avancée par Paul Meyer: Paul Meyer clôt la discussion par un fin de non-recevoir (5). Il esf
«l'auvergnat est bien plus semblable au dialecte du Bourbonnais qu'à vrai qu'il avait déjà poussé sa position au-delà du raisonnable, en ren-
celui du Béarn.» Or, le dialecte bourbonnais est classé parmi les dialec- dant compte d'un autre article de dialectologie francoprovençale qui
tes d'oui et l'auvergnat et le ,béarnais, parmi les dialectes d'oc. Paul avait paru dans la revue d'Asc;,oli (6). L'auteur, Nigra appelait le dialecte
Meyer s'accomodait de cette contradiction, car le dialecte n'est pour lui étudié, francoprovençal et il avait raison: il s'agissait d'un parler situé
qu'un mode de classement des faits linguistiques. «Toute définition du entre Aoste et Suse, dans la frange gallo-romane des hautes vallées pié-
dialecte est une definitio nominis, non une définitio rei.» Seules exis- montaises. Meyer écrit: «Ce patois peut être rattaché au groupe italien,
tent des variétés de roman et pour les faire apparaître sous le vrai jour, le bien que, conformément à sa position géographique (au pied des Alpes,
meilleur moyen «consiste non pas à tracer des circonscriptions mar- au Sud d'Aoste), il offre des traits communs avec les patois de la fron-
quées par tel ou tel fait, mais à indiquer sur quel espace règne chaque tière orientale française. Un phénomène digne d'attention est l'avance-
fait. » ment de l'accent dans certains mots féminins (par exemple feme/a) qui,
de paroxytons deviennent oxytons. Je crois que le même phénomène
est en train de se produire dans les patois de Franche-Comté et circon-
voisins.» On ne peut pas être pll!s injuste ni plus aveugle. Si impression-
nante que soit la discussion théorique menée par Paul Meyer contre la
notion même de dialecte, on ne peut ne pas être étonné des inconsé-
3.3 Avantage permanent de ce débat théorique quences de sa position dans ce cas pratique. Voici un parler qui a des
traits communs avec le savoyard; un parler qui est limitrophe avec la
Ces deux pages de discussion rigoureuse, hostile à la dialectologie
fondée sur la délimitation des domaines dialectaux, doivent être présen-
tes à l'esprit de tout dialectologue qui, après avoir tracé des isophones
,et des isoglosses comme le souhaitait Paul Meyer, devient un organisa- (4) Archivio glottologico Italiano Il, 1876: P. Meyer e il franco-provenzale (pp. 385-394).
L'article avait paru en 1875, avant d'être inséré dans le tome Il de la revue.
teur de famille dialectale. Des réponses à des objections aussi peu favo-
(5) La réponse de Paul Meyer dans la Romania de 1 87 p: "Sa tentative ne peut pas abou-
rables à la notion même de dialecte permettent de cerner la réalité de tir à la découverte d'une espèce nouvelle duement caractérisée, parce que de telles
plus près et de donner aux oppositions durcies par le tracé des isopho- espèces n'existent point dans le parler roman.» (p. 504).
nes, des nuances plus conformes à l'infinie complexité des parlers. (6) NIGRA C. Fonetica dei dialetto di Val-Soana (Canavese), eon un appendice sul gergo
Valsoanino, dans Archivio glottologico Italiano III (p. 160). Compte rendu de Meyer
dans Romania 1875, p. 293.
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Vallée d'Aoste, reconnue comme gallo-romane, car à l'époque c'était le
français qui y régnait comme langue de culture par-dessus les patois 4
francoprovençaux; un parler travaillé par une tendance à l'oxytonisme DIALECTOLOGUES DE L'ÉCOLE
- ce qui n'est pas très italien - d'ailleurs Meyer signale d'autres cas
semblables en Franche-Comté. Malgré tout cela, «ce patois peut être DE PAUL MEYER
rattaché au groupe italien.» Sans doute à cause de la concordance avec
les frontières politiques, qui, à l'époque où Meyer écrivait, avaient l'âge
respectable de quinze ans.
4.3 Glllléron
4.31 Au sujet des patois suisses romands
L'attitude de Gilliéron est tout aussi réservée: son hostilité au grou-
pement des patois en familles dialectales apparaît pour la première fois
dans le compte rendu (Romania 1879, pp. 458-59) de l'ouvrage
d'Ayer, Introduction à l'étude des dialectes despays romands. L'auteur
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y lançait un appel pour l'étude des patois suisses qui ne relèvent pas du 4.34 La pensée de Glllléron
français d'oui; c'est-à-dire l'ensemble de la Suisse Romande, moins la
région de Porrentruy. Gilliéron critique cette division de la Sl,lisse Ro- Les travaux de Gilliéron qui ont suivi la publication de l'ALF ont re-
mande, avec la sévérité dont aurait fait preuve Paul Meyer lui-même: nouvelé la vision qu'on avait de la réalité du langage, notamment en ce
«Mais excepter du romand le dialecte de Porrentruy parce que celui-ci qui touche la sémantique. Ses travaux ont révélé ce qu'étaient les
est regardé comme un dialecte français et non provençal (ou franco- aspects géographiques du langage. Mais on peut être étonné de consta-
provençal, si M. Ayer est de l'opinion de M. Ascoli) - Non! ... La division ter à quel point ce renouvellement de la linguistique intéresse peu le
des patois suisses est prématurée et peut-être arbitraire.» gallo-roman lui-même. Gilliéron aurait sans doute fait les mêmes génia-
les observations, à partir de n'importe quel autre domaine linguistique
4.32 Vlonnaz (Bas-Valais) soigneusement cartographié. Gilliéron a inventé la géo-linguistique. Gil-
L'année suivante, Gilliéron fait paraître le Patois de la commune de liéron est un linguiste français, qui a travaillé sur le domaine français.
Vionnaz (Bas-Valais) (Paris, 1890). C'est une simple description. Sur Gilléron n'a rien écrit sur la carte linguistique des dialectes de France. Ce
l'appartenance de ce patois francoprovençal à une famille dialectale, on caractère négatif de l'oeuvre de Gilliéron a étonné plus d'ûnJinguiste,
ne lit que ces lignes: «La présence de ces verbes en -yé ou -é constatée notamment Mgr Gardette qui, dans un récent article, Pour une géogra-
dans un grand nombre de dialectes regardés jusqu'ici comme phie linguistique de la France (Mélanges Straka 1, p. 262), trouve «quel-
provençaux est un des faits nouveaux sur lesquels se base M. Ascoli que peu abstraite et·intemporelle», la méthode de Gilliéron. Cela est vrai
pour créer une nouvelle division linguistique dans le domaine des lan- et cela tient au fÇlit que l'objet de notre science, la masse des patois qui
gues romanes, celle du francoprovençal. Vu l'importance du sujet, nous couvre un espace géographique, obéit à deux sortes de lois: les lois qui
en donnons une liste assez nombreuse.» C'est la seule allusion au pro- pèsent sur toute activité de l'homme et qui, elles-mêmes, découlent de
blème de la classification du patois étudié. la réalité historique et sociale servant de cadre à la vie des hommes, et
aussi les lois d'une mécanique purement linguistique qui est parfaite-
ment étrangère à l'activité des hommes. Parce que, à la suite de Paul
4.33 La Revue des patois gallo-romans (1887-91)
Meyer, il a admis «cette loi toute négative» de la non-existence des dia-
A cette prudence, fait place l'hostilité pure et simple à la proposi- lectes, Gilliéron n'a pas été empêtré dans les problèmes de délimitation
tion d'Ascoli, dans tout le reste de l'oeuvre de Gilliéron. On chercherait dialectale et de justification historico-géographique de ces familles dia-
vainement la moindre étude sur les familles de dialectes, dans les cinq lectales. Il a pu ainsi examiner librement les lois purement linguistiques
numéros de la Revue des patois gallo-romans, dirigée par Gilliéron et qui régissent les divers parlers, quelles que soient les conditons sociales
Rousselot entre 1887 et 1891. Le premier numéro publie in extenso ou historiques. Cette orientation vers une réflexion abstraite, Gilliéron la
l'argumentation de Meyer contre Ascoli et le second numéro, le di- doit en partie, à l'attitude rigoureuse de Paul MEYER. Ces efforts d'une
scours de Gaston Paris sur Les parlers de France (tome Il, pp. 1 61-1 75). pensée tournée vers les seules explications internes n'ont pas été vains
L'auteUr y proclame la non-existence des dialectes: «cette loi toute né- et quand on songe au renouveau linguistique apporté par Gilliéron, on
gative qu'elle soit en apparence, est singulièrement féconde.» Tous les est tenté de répéter, après Gaston PARIS, «cette loi, toute négative
articles que publie Gilliéron à cette époque sont étroitement limités à qu'elle soit en apparence, est singulièrement féconde». Mais cette dé-
des observations précises sur un seul phénomène bien caractérisé: marche plus abstraite ne peut pas rendre compte de toute la réalité:
Suffixe-ELLUM, en Savoie (tome 1, pp. 33-48); Conservation des con- l'espace dialectal est aussi un espace humain sur lequel les réalités
sonnes finales, à Bonneval (Savoie) (tome 1, pp. 177-183); Déplace- historico-sociales ont laissé des traces. Les dialectologues tournés vers
ment d'accent dans certains patois savoyards (Mélanges Rénier, Hautes l'étude des groupements dialectaux s'attachent à découvrir, à travers
Etudes, 1887, pp. 292-299). Gilliéron reste donc dans la plus stricte' les faits linguistiques, cette autre face de la réalité dialectale qu'ont for~
obédience à l'égard de Meyer: «indiquer sur quel espace de terrain règne mée les affinités historiques, le rayonnement des villes et les migrations
chaque fait.» des hommes.
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4.4 Phllipon 4.42 ccUn place distincte dans la famille des langues
romanesn
Mais il semble bien que Philipon pensait à plus que cela: il n'a cessé
4.41 ccPour éviter des périphrases.. ! d'osciller entre la conception de Paul MEYER et celle d'un
francoprovençal, dialecte original et indépendant. En 1892, dans un
Philipon semble moins inconditionnellement fidèle au maître. La mê- opuscule sur Le patois de la commune de Jujurieux (Paris, Welter,
me année, en 1887, paraissent sous sa signature deux articles: l'un 1892) il dit que le patois étudié fait partie du «roman de France», tout
dans la Revue des Patois, nouvellement fondée par Clédat: le Dialecte simplement. Mais plus tard, en 1911, dans son article sur L'u long latin
bressan aux XIIIe et XIVe siècles (1, 1887, pp. 11-57), dans lequel il dans le domaine rhodanien (Romania 1911, pp. 1-16), il proclame fière-
présentait cette conclusion: «L'idiome de Bresse rentre donc bien dans ment l'indépendance linguistique de la moyenne vallée du Rhône:
ce groupe dialectal auquel M. ASCOLI a donné Le nom de franco- «C'est même là (non palatalisation du U long) un des traits linguistiques
provençal». Mais dans la Romania (1887, pp. 263-277), en publiant un étrangers à la fois au français et au provençal, qui caractérisent ce grou-
article sous le titre l'A accentué précédé d'une palatale dans les dialec- pe de parlers et qui permettent de lui assigner une place distincte 'Clans la
tes du Lyonnais, de la Bresse et du Bugey, il ne pouvait pas, au cours de famille des langues romanes». On retrouve dans ces lignes les expres-
cette étude portant sur l'essentiel même du problème, éluder la question sions dont se servait ASCOLI, en 1873 et même son style, une certaine
de l'originalité du francoprovençal. Il use donc du terme, mais après emphase joyeuse. On devine que, plus libre à l'égard de son maître, Phi-
s'être abrité derrière une note liminiaire de la plus grande prudence: lipon aurait adopté bien plus tôt le nouveau groupement linguistique
«Dans ce dernier article, M. ASCOLI s'efforce de répondre aux objec- «imaginé par ASCOLI», tout simplement parce que Philipon, plus pro-
tions de principe que soulève son système et que notre savant maître, fondément enraciné 'dans un terroir particulier, la Bresse et le Bugey,
M.P. MEYER, a résumées, avec une grande force logique, dans la Roma- était plus sensible aux liens de cette famille dialectale bien connue
nia (IV, p. 294 et V, p. 504). Bien que ces objections me semblent de qu'aux grands principes théoriques valables pour toute situation lingui-
nature à faire rejeter le nouveau groupement linguistique imaginé par M. stique, même en dehors du terroir familier.
ASCOLI, je ne m'en servirai pas moins, pour éviter des péri-
phrases, de l'expression de dialectes francoprovençaux, mais sans lui
attacher d'autre signification que celles de dialectes offrant tous cette 4.5 Devaux
paricularité phonétique de traiter l'A latin de façon différente, suivant 4.51 Distinguo
qu'il est ou non précédé d'une palatale». Voilà une définition, partielle
L'attitude de Devaux ressemble sur plus d'un point à celle de Phili-
mais possible, du francoprovençal, et voilà pour quelle raison le mot a
pon. Il étudie dans les anciens textes dauphinois et sur toute l'étendue
pu faire son entrée à la Romania: pour éviter des périphrases! La rigueur
du Dauphiné septentrional, ces parlers qui ne sont ni du français ni du
d'esprit de Paul Meyer rendait au francoprovençal un très grand service,
provençal. Dans la conclusion de sa thèse, Devaux se demande quelle
car enfin, il n'y a pas de plus solide justification pour un mot nouveau
place il faut assigner au dauphinois septentrional qu'il vient d'étudier à
que celle «d'éviter des périphrases» pour désigner une réalité dont on
travers le temps et dans tout l'espace compris entre Lyon, Vienne et
est obligé, de toute façon, de faire état. Plût au Ciel que les linguistes
Grenoble. Il répond (7): «On sait que M. ASCOLI l'a rangé dans le dialec-
eussent toujours attendu cette nécessité d'éviter des périphrases, avant
te de transition appelé par lui franco-provençal et que M. Paul MEYER a
de mettre en circulation un vocable nouveau! Le terme est donc' accepté
à la Romania, pour désigner la zone dans laquelle le -A connaît un traite-
ment particulier selon le caractère de la consonne qui le précède. P.
MEYER peut accepter cela, car cela correspond à sa notion de dialecto-
logie: délimiter exactement la région dans laquelle chaque traitement a (7) DEVAUX A. Essai sur la langue vulgaire du Haut-Dauphiné au Moyen Age. Paris-Lyon,
lieu. 1892, pp. 539-40.
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réfusé le nom de dialecte à ce groupement nouveau. Après les constat-
tions faites au cours de ce travail, on doit reconnaître que M. Paul 5
MEYER avait raison, et que, s'il existe en réalité un vaste territoire à DIALECTOLOGUES FAVORABLES
l'Est, entre le domaine français et le domaine provençal, où les parlers
présentent, en des proportions diverses, un mélange de formes A LA NOTION
françaises et de formes provençales ces parlers n'ont pas le caractère DEFRANCOPROVENÇAL
de dialecte un, distinct et délimité; s'il y a des parlers franco-
provençaux, il n'existe pas un dialecte franco-provençal».
5.3 Meyer-Lübke
Dans sa Grammatik der romanischen Sprachen, Meyer-Lübke reste
très prudent. Puisqu'on a détaché du français, le francoprovençal,
«c'est avec le même droit qu'on pourrait aussi séparer le gascon et le
wallon» (8). Pour ne pas séparer le Valais de l'ensemble défini par Ascoli,
Meyer-Lübke propose de remplacer ·Ia dénomination de Suchier
«moyen-rhodanien» par l'expression «français du sud-est». En 1 901,
dans son Introduction à la linguistique romane (9), Meyer-Lübke ne dis-
cute plus de l'indépendance dialectale ni de l'originalité du
francoprovençal. Ce domaine linguistique jouit à ses yeux d'une indivi-
dualité assez grande pour fournir un argument capable d'étayer la théo-
rie générale qui explique les limites linguistiques par les anciennes fron-
(8) Leipzig, 1890. Traduction française de Rabiet: Welter 1890. Le problème du franco-
provençal est abordé, page 8 de la traduction.
(10) Traduction de Mario Roques dans son compte rendu de la Romania (il 902) pp.
(9) Einführung das Studium der romanischen sprachwissenschaft. Heidelberg Winter 394-399 '
1901. " ' ,
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6 (12), se montre fort embarassé. Il proclamait à la fois une certaine indé-
pendance des parlers de Suisse et par conséquent du francoprovençal:
EN SUISSE ROMANDE «Que les patois vaudois fassent ou non partie d'un groupe plus considé-
rable de dialectes, il est incontestable qu'ils se distinguent dans leur en-
semble assez nettement soit de la langue d'oc, soit de celle d'oïl. On
pourrait à juste titre leur appliquer la définition qu'Ascoli donne de son
groupe francoprovençal». La phrase est au conditionnel. Pourquoi ce
conditionnel assez réticent? Parce que Odin'ilvait constaté quelques fai-
blesses dans le système d'Ascoli: «Je ne hasarderai pas à exprimer tou-
te ma pensée à l'égard de la tentative d'Ascoli; mais dès les premiers
6.1 Un terrain favorable au nouveau concept. pas que je fis dans l'étude des patois vaudois, je reconnus le point le
d'Ascoli plus faible de son système, celui d'avoir été élaboré d'après des don-
Avant même l'article d'Ascoli, les dialectologues suisses avaient nées tout à fait insuffisantes. Il se peut que sa théorie subsiste da~ ce
l'impression que les patois de leur pays ne se rattachaient ni à l'occitan, qu'elle a de plus général, mais seule une étude approfondie et scientifi-
que de tous les dialectes qui forment d'après lui le groupe franco-
ni au français d'oui. En 1866 déjà, dans l'introduction au Glossaire du
provençal pourra nous fixer à cet égard». Cette prudence du linguiste
Patois de la Suisse Romande (11) du doyen Bridel, Favrat expliquait
suisse allait servir la cause du francoprovençal.
pourquoi il a publié deux textes dialectaux pris en dehors de la Suisse:
«Les deux autres (traductions de l'Enfant prodigue) appartiennent, l'une
au roman des vallées Vaudoises du Piémont et l'autre au rouchi ou pa-
tois des environs de Valenciennes. Ces deux dernières ont une grande
6.3 Le problème MANDUCATAM > medzla
valeur comme points de comparaison: elles offrent un spécimen de la Odin a eu le mérite de trouver une ingénieuse explication pour justi-
langue d'oc et de la langue d'oïl, entre lesquelles se trouvent nos fier certains a toniques derrière consonne palatale: Pourquoi les partici-
patois.» Il semblait donc que la notion linguistique nouvelle proposée pes féminins comme mangée, fauchée, etc., comportent-ils un a derriè-
par Ascoli devait trouver en Suisse un accueil favorable. De plus, Ascoli re consonne palatale et non une voyelle palatalisée: MANDUCATAM
donnait du francoprovençal une définition qui convenait à la presque to- donnant mëdzya semble en contradiction avec le principe fondamental
talité des patois suisses romands. Pratiquement, seul le Jura Bernois qui a permis de délimiter le groupement dialectal nouveau. Le A tonique
traitait le A tonique libre du latin comme le français du Nord. Tout le res- latin aurait dû être palatalisé dans cette situation. Il l'est répond Odin qui
te de la Suisse entrait parfaitement dans la nouvelle délimitation linguis- établit le schéma évolutif suivant: MANDUCATAM > mëdzia puis
tique. mëdzia > mëdzya. Il ne faut pas s'étonner d'entendre un a tonique
derrière le groupe palatal dzy, car le A tonique du latin est bien devenu i
derrière dz dans la forme mëdzia, puis l'accent a basculé sur la voyelle
6.2 Un réticent, Alfred Odin atone finale comme dans VITA > vya. En somme, le A tonique libre
Pourtant les linguistes suisses, sauf Ayer, ne sont pas montrés im- du latin est représenté par y de mëdzya, ce qui constitue bien une pala-
médiatement de fervents partisans de la théorie nouvelle. Si Ayer re- talisation. Pendant une dizaine d'années s'est engagé un dialogue de
tranchait sans hésiter de la Suisse française «le patois de Porrentrury qui francoprovençalistes qui n'acceptaient pas encore cette dénomination,
se rattrache au franc-comtois», Alfred Odin, dans sa thèse de Leipzig mais qui, du Lyonnais et du Forez jusqu'en Suisse romande, traitaient
(11 ) BRIO EL. Glossaire de la Suisse Romande ... recueilli et annoté par L. FA VRAT, Lau- (12) ODIN A. Phonologie des Patois du Canton de Vaud. Halle, Karras, 1886.
sanne, Georges Bridel; 1866.
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22
d'un problème qui n'appartenait qu'au francoprovençal. Ainsi à l'expli- 7
cation d'Odin, Philipon, dans la Romania (1887, pp. 263-277: de l'A
accentué précédé d'une palatale) répond par une autre explication
LA NOTION DE LIMITE DIALECTALE
étayée par des exemples lyonnais, bressans et bugistes. Dans le même
numéro de cette revue, sous le titre latin MANDUCATUM = MAN DU-
CATAM (Romania 1887, pp. 278-287), Morf soutient l'explication
d'Odin, l'élargit et appuie son argumentation sur des exemples vaudois.
Dix ans plus tard, dans Le patois de Dompierre (Zeitschrift für romani-
sche Philologie 1890, pp. 397-466), Gauchat, élève de Morf, précise
cette explication avec des exemples du canton de Fribourg. Enfin dans
un nouvel article de la Romania (1898, pp. 270-286), dont le titre mon- 7.1 Borolog (1893)
tre qu'il ne faut pas avoir peur d'insister Encore MANDUCA TUM =
MANDUCATAM, Gauchat élargit son information, pour donner une plus
7.11 VarlatloDs brutales daDs l'espace dialectal
vaste explication de la théorie ébauchée par Odin. Ses exemples vien-
nent du Lyonnais, de l'Ain, du canton de Genève, de Savoie, du Valais, Sur une autre notion, plus générale celle-là, la réflexion dialectologi-
du Val d'Aoste. Ainsi sur ce problème typiquement francoprovençal, on que fit des progrès qui aidèrent beaucoup à la reconnaissance du fait
avait sans discourir sur la légitimité de ce groupe linguistique, montré la francoprovençal. Dans un article intitulé Uber Dialectengrenzen im Ro-
cohésion interne des différentes régions, sur un des traits les plus spéci- manischen (Zeitschrift für Romanische Philologie 1893, pp. 160-187),
fique de ces parlers. La plupart de ces études ont paru dans la Romania Horning présenta des faits indiscutables qui devaient faire admettre
de Paul Meyer. Elles suivaient toute la stricte méthode inspirée par le po- l'existence des limites dialectales. En mettant sous les yeux des lingui-
sitivisme prudent et sévère du directeur: s'occuper d'un fait précis et le stes quelques affrontements dialectaux particulièrement nets, comme
délimiter géographiquement. Mais, dans cet exemple complexe, regrou- ceux du wallon et du lorrain entre Wirtry et Antier, comtois et du lorrain
pant à la fois la palatisation du A et la bascule de l'accent sur une atone entre Val d'Ajol et Plombières, du comtois et du francoprovençal entre
finale conservée, on étudiait conjointement deux faits qui entrent dans Délemont et Dompierre, Horning a eu le grand mérite d'attirer l'attention
la caractérisation d'un même dialecte et on délimitait ainsi, approximati- sur les endroits où les dialectes varient brutalement d'un point à un au-
vement, le territoire francoprovençal. tre, c'est-à-dire sur les zones-limites. L'étude reposait sur des faits que
personne ne pouvait récuser. De ces faits prouvant l'existence de limi-
tes dialectales devait logiquement découler une première conclusion as-
surant l'existence des dialectes enfermés à l'intérieur de ces limites. Et
s'il existe des groupes dialectaux, il faut bien essayer d'en trouver des
raisons historiques ou géographiques, expliquant les groupements lin-
guistiques par les groupements des hommes qui ont parlé ces dialectes
distincts. A partir d'observations solides, Horning ouvre des perspecti-
ves où il s'engage lui-même, prudemment, en esquissant des explica-
tions, notamment à partir du rayonnement des centres de latinisation. Il
est évident que, si les variations brutales de l'espace dialectal devaient
être tenues pour chose sûre et certaine, on pouvait encore formuler des
réticences sur l'existence des dialectes qui était une vérité déduite et
non encore contrôlée par l'observation directe de la cohésion interne de
la famille dialectale. Quant aux explications historico-géographiques,
24 25
sur lesquelles on discutera toujours pour savoir de quel poids elles ont chaîne d'intercompréhension dialectale qui unit tous les villages gallo-
vraiment pesé sur les faits linguistiques, elles offraient encore plus ma- romans de Dunkerque à Perpignan et de Nantes à Neuchâtel. Supposons
tière à critique. A la suite de cet article très important, les romanistes que cette métaphore corresponde à une certaine réalité et continuons à
ont réagi de deux façons. Ou bien ils ont insisté sur les faits non encore parler ce langage fleuri de Gaston Paris. L'article de Horning prouvait
contrôlés, pour rester sur leur position personnelle de la non-existence que tous les maillons de cette chaîne d'intercompréhension n'avaient
des dialectes; ou bien ils se sont lancés délibérément dans les perspecti- pas la même solidité et que certains maillons même étaient brisés. La
ves ouvertes par cette solide observation des variations brutales de théorie de la non-existence des dialectes devait être tout de même un
l'espace dialectal. peu ébranlée par la constatation de la fragilité de la chaîne. Gaston Paris
s'en tire avec plus d'astuce que de logique. Alors que Horning établis-
7.12 L'accueil de Gaston Paris sait un fait qui mettait à mal la théorie de la non-existence des dialectes,
puis avançait prudemment une proposition déduite du fait solidement
Dans la Romania (1893, pp. 604-607), Gaston Paris donne immé- établi, Gaston Paris tire profit de cette prudence particulière pour insi-
diatement un long compte rendu de l'article de Horning et en dis- nuer d'une façon globale: «il n'est pas bien sûr de ce qu:il pense au
cute les conclusions. Gaston Paris s'en prend d'abord à la réflexion sur fond». La prudence de Horning n'est-elle pas plus scientifique que l'as-
les causes «historiques» ou «naturelles» qui expliquent de tels affronte- surance de Gaston Paris?
ments dialectaux. Sur ce point, la discussion restera toujours ouverte.
Mais l'habileté de Gaston Paris ne parvient pas toujours à masquer les
sophismes sur lesquels il établit son entêtement. Sa conclusion méri.te 7.2 La conversion de Gauchat
d'être citée et commentée: «En résumé, la position que prend dans la dis- Plus scientifique aussi l'attitude de Gauchat. En fidèle disciple de
cussion en question un savant de la valeur et de la circonspection de M. Paul Meyer et de Gaston Paris, il avait déclaré, dans son article sur Le
Horning est assurément un fait important, et plusieurs de ses r~marques patois de Dompierre: «il n'y a que la topographie des faits linguistiques
méritent d'être prises en sérieuse considération; mais je ne pUIS trouver pris isolément qui possède une réalité» (Zeitschrift für Romanische Phi-
qu'il ait réussi à ébranler une théorie qui me paraît toujours absolument lologie 1890, p. 398). Horning prit à partie cette position, d'autant plus
simple, conforme à la nature des choses telle que nous pouvons la con- qu'un de ses exemples portait sur la rupture qu'on peut observer entre
cevoir et confirmée par la plupart des observations qui ont été faites Délemont et Dompierre dont Gauchat avai' étudié le patois. Dix ans plus
avec I~ rigueur et l'absence de parti-pris désirables. Lui-même, évidem- tard, Gauchat écrivait coup sur coup un article théorique, Gibt es Mun-
ment, il n'est pas bien sûr de ce qu'il pense au fond; il n'avance ses dartgrenzen? (Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Litera-
idées qu'avec beaucoup de prucfence et même d'hésitation; après avo~r turen, 1903, pp. 365-403) et une étude appliquée à un domaine parti-
essayé d'établir par divers exemples qu'il existe bien réellement des li- culier, Les limites dialectales dans la Suisse Romande (Bulletin du Glos-
mites dialectales, il avoue qu'il n'ose pas se prononcer sur l'existence saire des Patois de la Suisse Romande, 1904, pp. 17-22). La conver-
même des dialectes; après avoir exposé la théorie de l'expansion du la- sion était totale; ou plutôt la progression scientifique de Gauchat, à par-
tin par le rayonnement de foyers distincts, il n'essaie pas de chercher tir de l'article de Horning lui permettait, à la fois de rester prudemment
dans les faits la confirmation de cette théorie; après avoir répété que les positiviste en se fondant essentiellement sur des faits particuliers et de
traits dont la réunion peut constituer un groupe dialectal doivent non se percevoir une certaine cohérence des faits dialectaux, en notant que la
compter, mais se peser (ce qui est juste), il ne nous dit nul.le part et ne «topographie des faits linguistiques» donnait parfois des aspects géo-
nous fait comprendre par aucun exemple à quels traits on peut graphiques aux pourtours superposables. Gauchat admettait l'existence
reconnaître un de ces groupes». Dans le Discours sur les parlers de Fran- des limites dialectales, là où passait un réseau d'isophones. De cette
ce Gaston Paris avait établi la théorie de la non-existence des dialectes, certitude, Gauchat est passé à l'interprétation historique des faits. Sur
no'n pas exactement sur des «observations ... faites avec la rigueur et la carte linguistique de la Suisse Romande publiée en 1904, on voyait
l'absence de parti-pris désirables», mais sur une métaphore, celle de la
1
que le réseau d'isophones le plus dense séparait deux villages relative-
26 27
ment proches l'un de l'autre, La Ferrière et Les Bois. Gauchat propose 8
cette explication: «Entre Les Bois et La Ferrière (Jura Bernois) il n'y a
guère eu de rapports avant le XVIIIe siècle. Les différences de prononcia-
CONCLUSION
tion ont pu s'accumuler, entre ces deux contrées, depuis un temps im- SUR LA PÉRIODE 1873-1911
mémorial. Les premiers colons arrivés dans ces lieux venaient des ré-
gions opposées, ils n'avaient pas le besoin ni l'occasion de se parler et
de s'assimiler. Cette limite remonte selon toute probabilité à l'ancienne
division entre les Francs et les Burgondes» (Bulletin du Glossaire des Pa-
tois de la Suisse Romande, 1904, p.20). Le groupement des dialectes
était associé aux groupes humains que l'histoire avait fondés.
Nous avons présenté jusqu'ici l'histoire des idées sur le
francoprovençal comme celle d'une tension entre deux écoles, l'école
parisienne qui ne reconaissait pas l'existence des dialectes et, l'autre
école formée par tous les romanistes favorables à cette notion. Il est dif-
ficile de prouver la non-existence des choses: la théorie de la non-
existence des dialectes a été abandonnée, parce que l'observation a
montré que l'espace dialectal n'était pas uniformément ni régulièrement
différencié, mais qu'il comportait des variations brusques et même dif-
férentes cohésions internes, autour de certains centres. La pensée des
linguistes groupés autour de la Romania a servi la géographie linguisti-
que, non seulement en favorisant l'éclosion d'une oeuvre comme celle
de Gilliéron, mais encore en imposant plus de rigueur à l'observation des
différents terroirs dialectaux. D'ailleurs, la théorie de la non-existence
des dialectes reposait plutôt sur une négation excessive que sur une vue
aberrante du réel. Dans l'espace gallo-roman, l'esprit du dialectologue
sera toujours attiré par deux séries d'observations contradictoires: cel-
les qui aboutissent à la fragmentation dialectale et celle d'une certaine
cohésion interne du gallo-roman qui, avec un excès de systématisation,
servirait de fondement à la théorie de la non existence des dialectes.
Cette partie de la réalité dialectale avait inspiré Paul Meyer, Gaston Paris
et Gilliéron. En 1971, nous souffrons plutôt d'un excès de découpage
dialectal. La pensée de l'école parisienne de la fin du siècle dernier
devait, non pas nous faire enseigner à nouveau, la non-existence des
dialectes, mais nous faire nuancer, par le rappel de cette cohésion
de l'ensemble gallo-roman, ce qu'il y a de trop tranché dans les
affirmations sur l'indépendance des dialectes, notamment sur l'indé-
pendance du francoprovençal. Mais au début du siècle, la reconnais-
sance du fait francoprovençal a tout de même été une démarche utile
vers une meilleure appréciation des choses. L'année 1 911 voyait à la
fois la parution de l'ouvrage de Morf Zur sprachlichen Gilde-
28 29
9
LES FRANCOPROVEN
31
10 mènes phonétiques qui, dans la pensée de l'auteur, composaient la
«physionomie originale» du francoprovençal: le malaise de l'accent et la
DURAFFOUR diphtongaison. Ces deux traitements peuvent d'ailleurs se regrouper
dans une loi unique plus générale. A la fin de ce monumental ouvrage,
Duraffour écrivait: «Le propre du travail scientifique, son vrai titre de no-
blesse, est d'être indéfini.» Lui-même a toujours été en quête d'une défi-
nition claire, simple et complète du francoprovençal. Il n'est pas sans in-
térêt de le suivre dans sa recherche de l'originalité du francoprovençal.
33
32
nétisme: «la sollicitation dans le sens palatal» des consonnes puis des 10.15 Le comportement général du francoprovençal
voyelles voisines. C'était là un grand pas vers la définition linguistique du
francoprovençal, que cette détermination des caractères spécifiques
10.14 La 101 de Duraffour annoncés plus qu'exposés par Ascoli. Duraffour ne se contentait pas
des faits de détail originaux, mais il les rassemblait dans une perspective
Mais aux yeux de Duraffour, l'essentiel relevait de l'intensité et de
«phonologique», au sens que Grammont assignait alors à ce terme,
son influ~nce sur le vocalisme. «Parmi les phénomènes étudiés ici, le
c'est-à-dire que Duraffour s'élevait au-dessus des faits particuliers d'ob-
plus important, celui dont le rôle a été le plus sensible dans l'évolutio~ servation pour édicter des lois générales capables de rassembler le plus
de nos parlers et qu'on verra à l'oeuvre tout au long de cet exposé, celuI grand nombre possible des originalités particulières. La réflexion théori-
aussi qui en raison de sa généralité, révèle à l'analyse l'action de forces
que de Duraffour a apporté la plus pénétrante analyse de l'unité profon-
qui se r~trouvent dans toutes les formes du langag.e, e~t l'intensi~é}) de du francoprovençal, malgré la déroutante diversité de chacun des pa-
(Phénomènes généraux, p. XX). L'importance des faits d accentuatlo~ tois.
sur la diphtongaison avait déjà été mise en lumière par Duraffou~ IUI-
même en 1929, dans le compte rendu qu'il avait donné à la Romama de 10.2 De la géographie linguistique sans carte
l'ouvrage de Salverda de Grave Sur une double accentuat~on d~s di~h
tongues en français (Romania 1929, pp. 2~3-286): Et c ~st la qu on Dans toute son oeuvre, Duraffour n'a jamais établi une seule carte
trouve formulée pour la première fois, la 101 phonétique sUivante, que linguistique. La dernière page de sa thèse n'est pas une carte linguisti-
beaucoup de francoprovençalistes appellent la Loi de Duraffour: «Lors- que, mais une carte géographique, une «esquisse» comme il le dit lui-
qu'une diphtongue décroissante est suivie dans la chaîne parl.ée d'un même, qui permet de localiser les villages cités dans son étude. Ce n'est
élément articulatoire qui demande encore un effort, plus ou mOins con- pas que les descriptions des domaines sur lesquels s'étendent les mê-
sidérable, à réaliser, la prévision de cet effort a pour effet de faire bascu- mes données linguistiques, manquent dans son oeuvre. Mais jamais Du-
ler la diphtongue en transportant le maximum d'effort du pr~mier, élé- raffour n'a donné une image cartographiée d'un aspect géographique du
ment sur le second». Duraffour mettait ainsi en lumière une 101 génerale langage. Duraffour était sensible au retrait possible que telle donnée au-
qui permettait d'apercevoir l'originalité fondamentale du rait pu subir au XXe siècle ou à une date récente. Il avait constaté et étu-
francoprovençal «chantonnant et traînard», épithètes que Duraffo~r dié les effets des nivellements phonétiques entre générations et sans
donne à un patois de l'Ain et qui conviennent à tous les patoIs doute craignait-il qu'une carte, avec ses isophones, ne donne une image
francoprovençaux (Aperçu du Patois de Cerdon (Ain), dans le Bulletin de faussée, parce que figée, d'une réalité linguistique en perpétuel mouve-
la Société des Naturalistes et Archéologues de l'Ain, 1927). De tous les ment. Sur l'étendue du francoprovençal, il se contente de déclarations
parlers gallo-romans, ce sont les parlers francoprovençaux qui ont oppo- négatives ou de directions générales. Duraffour ne pense pas que les li-
sé une plus grande résistance à la dégradation des voy~lIes fin~le~. Et gnes linguistiques se superposent à des frontières administratives ou
ainsi en conservant un plus grand nombre de syllabes, Ils ont laisse un politiques. Il doute de l'influence de vicissitudes politiques, «dont il ne
plus 'vaste champ aux possibilités de la double ac~entuatio.n des sylla- faut pas s'exagérer la portée, et une enquête approfondie, et désirable,
bes qui obéit à la même loi que la double accentuation des diphtongues. sur les patois de la rive droite de la Saône permettra de réduire à ses
Le francoprovençal est essentiellement, aux yeux de Duraffour, le seul vraies proportions l'opposition que présentent, dans l'Atlas linguistique,
groupe des parlers gallo-romans soumis à un véritable «malaise de l'ac- les points 917 et 919» (13). Il s'agit de deux points bressans, voisins
cent» malaise explicable d'ailleurs par le libre jeu d'une double accen-
tuatio'n. Cette double accentuation avait pu exister en ancien français,
comme l'a montré Salverda de Grave, mais nulle part, sauf très légère·
ment en provençal-nord, ce jeu de bascule de l'accent n'était resté si vi
(13) JEANTON G. et DURAFFOUR A. L'habitation paysanne en Bresse. Tournus 1935,
vant et si créateur de qiversité. p. 176
34 35
Il
ORIENTATION DES ÉTUDES
FRANÇOPROVENÇALES
APRES DURAFFOUR
(1
12 francoprovençaux en dehors de cette délimitation: M. Taverdet et Mme
Dondaine trouvent des caractéristiques franco provençales en Bourgo-
HASSELROT gne et en Franche-Comté; M. Burger en trouve dans tout le Jura Ber-
nois. Nauton appelait «amphizones francoprovençales» toutes les ban-
des étroites et allongées sur lesquelles l'occitan nord perd encore quel-
ques unes des consonnes intervocaliques. Sans aller aussi loin que Nau-
ton car à l'Est du Rhône l'amuïssement des intervocaliques atteint la
Côt'e-d'Azur, M. Bouvier aimerait que le provençal commence un peu
plus au Sud, avec l'isoglosse du verbe anar par exemple. Même du côté
piémontais, M. Grassi trouve des traces francoprovençales bie~ ~n aval
12.1 ceLa plaque tournante)) de Suse, dans la vallée de la Doire Ripaire. Tous les VOISinS du
francoprovençal voudraient en élargir le domaine. Et pourtant les crit!-
Le besoin d'une caractérisation pour un ensemble linguistique dé-
ques en sens inverse ne manquent pas: W. von Wartburg ne v~udra~t
sormais bien assuré inspire à M. Hasselrot, dans son Etude sur les dia-
appeler francoprovençaux que les parlers qui conservent la A tonique li-
lectes d'Ollon et du district d'Aigle (Vaud) (Uppsala 1937), une méta-
bre du latin, ce qui amputerait le domaine délimité par M. Hasselrot de
phore explicative: «Comme son nom l'indique, il fait la transition entre le
tout un croissant septentrional entre Louhans et Pontarlier. La délimita-
français et le provençal, mais aussi, bien qu'on y pense peut-être moins,
tion de M. Hasselrot, si critiquée qu'elle ait été par excès ou par défaut,
entre le francais et l'italien - ou disons le piémontais - et entre le
n'en demeure pas moins le meilleur outil de réflexion sur la réalité
francais et le~ dialectes rhéto-romans. Comme on a appelé la Suisse la
francoprovençale.
plaq~e tournante de l'Europe, on pourrait appeler le franco-provençal la
plaque tournante des langues romanes» (op.cit., p.2).
12.3 L'explication la plus simple et la plus
12.2 La délimitation la plus claire juste
La carte de M. Hasselrot date de 1938. Près de 30 ans plus tard, la
Le principal mérite de M. Hasselrot est d'avoir délimité le
Revue de Linguistique Romane (1966) la publie de nouveau, pour ac-
francoprovençal de façon géographiquement précise, à partir d'une dé-
compagner un nouvel article de M. Hasselrot: Les limites du
finition claire: «Je définis donc le franco-provençal comme l'ensemble
francoprovençal et l'aire de NOSTRON. Pendant cette trentain~ .d'an-
des parlers où A final précédé de palatale devient i (é, è) mais se conser-
nées, la délimitation de M. Hasselrot avait été soumise à des Crltlqu~s
ve dans tous les autres cas» (p. 80 de Sur l'origine des adjectifs posses-
ou avait recu des confirmations: en fin de compte, elle demeure la meil-
sifs NOSTRON et VOSTRON en franco-provençal, Mélanges Walberg,
leure délimitation du domaine. Dans son premier ouvrage, M. Hasselrot
pp. 62-84). Cette définition a l'avantage de faire intervenir deux des
comparait le francoprovençal à une plaque tournante; dans son dernier
grandes caractéristiques du francoprovençal en n'utilisant qu'une seule
article, il propose, dans la perspective d'une explication globale du
série de mots latins, les féminins en -A. Cette série de mots, une en la-
francoprovençal, quelques réflexions plus fécondes: «Je pourrais avan-
tin, conserve son unité en domaine d'oui (tous les mots sont oxytons) et
cer cette antithèse qui n'est peut-être pas aussi originale que je le vou-
en domaine d'oc (tous les mots se terminent en -a, parfois légèrement
drais: le francoprovençal est un dialecte qui a trop bien réussi. Lyon fut
fermé en à). Mais cette série se divise en francoprovençal, qui, comme
la capitale des Gaules et c'est à peine une hypothèse de dire que c'est
le domaine d'oc, conserve les atones finales et l'accentuation paroxyto-
de Lyon qu'ont rayonné les premières innovations préludant à la créa-
nique et qui, de façon originale, palatalise cette atone féminine derrière
tion du francais ... Mais l'influence prépondérante de Lyon fut de courte
palatale. Le choix de ce critère ne permet peut-être pas d'obtenir la déli-
durée, l'hégémonie passa au Nord de la France et c'est de là que p~rti
mitation maxima du francoprovençal. Tous les voisins du domai-
ront désormais les innovations linguistiques dont l'ensemble constitue
ne francoprovençal délimité de cette façon trouvent des traits
39
38
la langue d'oïl; Lyon se relevant peu à peu de sa déchéance, qui avait at- 13
teint son comble vers l'an 700, put opposer une certaine résistance aux WALTHER VON WARTBURG
infiltrations septentionales et donner au francoprovençal ce caractère
conservateur qui le distingue du français». Adoucissons un peu ce ET LE SUPERSTRAT BURGONDE
qu'ont de trop précis les termes politiques comme hégémonie, déchéan-
ce, se relever, résistance - car toute explication linguistique ne repose
pas exclusivement sur la politique - donc à ces nuances près, ces der-
nières lignes écrites par M. Hasselrot sur le francoprovençal proposent
la plus simple genèse de ce groupe linguistique. Ce doit être aussi la plus
juste.
13.1 La thèse
L'explication du fait francoprovençal par le superstrat burgonde a
agité les francoprovençalistes pendant les trente dernières années. Cer-
tes l'hypothèse remonte aux premières années du siècle, à Meyer-Lübke
et même à Boehmer. Mais quel que soit le romaniste qui ait songé le pre-
mier à cette explication, elle est vraiment devenue l'affaire personnelle
de Walther von Wartburg, tant son argumentation dépasse en ampleur
tout ce qui avait été proposé auparavant. Depuis un court article paru en
avril 1933, à Madrid, dans Investigaciàn y Progreso sous le titre La cau-
sa de la escisiàn de la Galorromania en dos regiones lingüisticas: la fran-
cesa y la provenzal jusqu'en 1967, à l'occasion d'une traduction
française de son ouvrage fondamental, Walther von Wartburg n'a pas
cessé d'augmenter son argumentation, notamment au sujet du franco-
provençal. Il répondait ainsi à certaines critiques qui lui ont été adres-
sées, sans apporter la moindre nuance à son explication et sans varier
dans la foi qui lui avait fait écrire dans Die Entstehung der romanischen
Volker (Halle, 1939): «La Providence, après avoir permis aux énergies
indo-européennes de submerger surabondamment la Méditerranée a
voulu mettre en réserve dans la Germanie une dernière source d'énergie
ethnique intacte et entière, afin de s'en servir pour renouveler au mo-
ment voulu l'Occident épuisé par son cycle d'évolution». (Cité d'après
la traduction française Les Origines des Peuples Romans, Paris PUF,
1941, p. 74). Pour Walther von Wartburg, l'occitan est une langue ro-
mane qui a évolué à l'abri de tout superstrat, le reste du gallo-roman
s'est différencié à cause du superstrat germanique. A l'intérieur de ce
domaine différencié, l'aire dialectale du francoprovençal s'explique aussi
par une variété un peu différente du superstrat: «L'action des Burgondes
ne fut pas à vrai dire assez forte et durable pour pouvoir constituer une aire
linguistique particulière sur le sol roman, d'autant plus que les particula-
40 41
rités d'articulation, d'accent et de rythme n'étaient pas loin de celles des
Francs. Mais leur pénétration fut assez forte et durable pour provoquer à mander quels sont les Germains qui ont joué un rôle en territoire
l'intérieur du Gallo-Roman septentrional, imprégné de Germanique la cri- francoprovençal» (Fragmentation, p. 81). Il est aisé de prouver que ce
stallisation d'une aire dialectale particulière» (Les Origines, p. 150). sont les Burgondes, puisque des traces du vocabulaire burgonde subsis-
tent dans les parlers francoprovençaux, que des toponymes burgondes
en -ens (non en -enges qui est un suffixe issu du francique - INGAS) sont
13.21 Syllabe entravée et syllabe libre
particulièrement nombreux dans la région et qu'un troisième argument
Pour Wartburg, le fait essentiel qui explique la fragmentation de la vient confirmer directement l'influence de ce superstrat particulier.
Romania occidentale est le suivant: «le provençal conserve en général, Dans une partie de la Suisse Romande et dans le Nord-Est de la Haute-
intactes les voyelles du latin vulgaire: avec le ,catalan, l'espagnol et le Savoie, la diphtongaison des voyelles e et 0 en syllabe tonique aboutit,
portugais, il traite de façon identique les voyelles en syllabe libre et en sauf devant r, aux mêmes résultats, quel que soit le degré d'aperture de
syllabe entravée (Fragmentation, p. 71); le français s'oppose à ces lan- chacune des deux voyelles. En pays vaudois par exemple:
gues en faisant une distinction fondamentale entre les deux positions, TELA aboutit à taila
entre les deux sortes de syllabes.» Sont donc considérées comme dé- MEL aboutit à mai;
coulant directement de cette opposition, de cet allongement en syllabe mais devant r, si SAPERE aboutit à savai,
libre toutes les évolutions qui ont lieu en syllabe libre et qui n'ont pas HERI aboutit à ver, yé.
lieu en syllabe entravée, à savoir:
1 - diphtongaison de è et de ô; La similitude de taila et de mai semble présupposer la confusion des timbres
2 - diphtongaison de é et de 6; ouverts et fermés, tandis que la différence entre savai et yé limite l'étendue
3 - Loi de Bartsch: Palatale + a; de cette confusion des timbres, qui n'a pas dû se produire devant -R. Or les
4 - Evolution de a vers é (par diphtongaison ou par fermeture). Burgondes fermaient ô et è sauf devant -R. Par cette exactitude des concor-
Les évolutions 1,2,3 sont françaises et francoprovençales: l'évolu- dances entre deux langues parlées à quinze siècles d'écart, l'influence bur-
tion 4 n'est que française. Mais ces quatre évolutions ont été occasion- gonde sur le phonétisme d'une partie du pays francoprovençal paraît établie
nées par un «allongement considérable dans la seconde moitié du Ve siè- sur un argument d'une solidité impressionnante. Dans son compte rendu
cle et au cours du Vie, des voyelles en syllabe libre» (Fragmentation, p. (Word 7 (1951) pp. 73-76) pourtant si critique sur d'autres points, M. Mar-
74).Or ces quatre évolutions sont - ou ont été avant un rayonnement tinet voit dans «ce parallélisme entre un type germanique et une évolution
secondaire de la langue de Paris - enfermées dans des aires' géo- romane locale», «le parfait exemple du travail d'u~ superstrat». La solidité de
linguistiques qui coïncident avec les aires des .implantations ethniques cet argument permet à Wartburg d'identifier cette région qui confond les
ou des administrations politiques des Francs et des Burgondes. «Dès timbres de e et de 0 en syllabe tonique sauf devant -R, avec la région des
lors, il paraît normal de conclure que l'allongement particulièrement in- premiers établissements burgondes, avec cette Sapaudia où les Burgondes
tense des voyelles en position libre est à mettre sur le compte de l'in- furent astreints à résidence après le désastre subi par leur roi Gundahar.
fluence francique» (Fragmentation, p. 75). C'est l'épicentre le plus burgonde d'un pays façonné dans son ensemble par
le peuple burgonde. En revanche, sur les pourtours de l'aire dialectale où des
13.22 Franc:oprovençal et Burgondes écarts sont observables entre l'isophone de A tonique libre é/a et l'isopho-
Le cas des Burgondes et du francoprovençal est examiné plus lon- ne de la conservation des voyelles atones finales, le territoire
guement. Au sujet des trois évolutions en syllabe tonique libre qui sont francoprovençal paraît mal délimité. Ce dégradé de la zone de transition en-
communes au français et au francoprovençal, Wartburg continue la mê- tre français et francoprovençal s'explique aussi pour Wartburg, par un dé-
me argumentation: «Si nous mettons en rapport, dans le sens défini plus gradé de l'influence burgonde: «Dans la Franche-Comté, où il est manifeste
haut, l'évolution des voyelles accentuées en français avec l'influence qu'une invasion alémanique venue du Nord-Est s'est heurtée à une riposte
des envahisseurs germaniques, nous devons nécessairement nous de- burgonde partie du Sud, la frontière dialectale qui s'y est constituée, s'élargit
par endroits en une zone de transition» (Fragmentation, p. 95).
42
43
13.3 Critique tendant à défendre la notion de CAPISTRU > tsévètru; CRIST A> krèta,
superstrat pour ne citer que quatre exemples présentés à la page 34 de l'Etude sur
les Dialectes d'Ollon ... de M. Hasserlot. M. Schüle a eu le mérite de
Je ne pense pas avoir dans ces quelques pages déformé la pensée montrer que la confusion moderne des résultats ne reposait pas sur une
du grand romaniste; je ne pense pas avoir oublié malgré le condensé de confusion primitive des timbres. Les deux timbres à et 6 aboutissent au
ce résumé, d'arguments vraiment essentiels. En tout cas je ne pense même resultat, en tonique libre, dans le français moderne. Les graphies
pas avoir forcé le caractère systématique de la thèse que, pendant un médiévales, les rimes et les assonances nous apprennent surabondam-
tiers de siècle, a professée et développée Wartburg. Tout le res- ment que la confusion est secondaire. Pour des parlers qui n'ont pas de
pect et toute l'admiration qu'on peut avoir à l'égard de l'auteur du FEW textes médiévaux, la démonstration demande quelque habileté. M.
ne doivent pas empêcher une critique de cette thèse sur l' omni- Schüle explique à partir du patois de Chenit, comment la série
puissance du superstrat. Et même, puisque c'est Walther von Wartburg E > è > iè s'est par la suite dissociée devant R: cette consonne main-
qui a lancé le mot de superstrat au Congrès de Linguistique Romane de tient le stade primitif de la diphtongaison, tandis que devant les autres
1932, à Rome, c'est je crois servir une des idées dont il est l'inventeur consonnes, la diphtongue primitive ie passe à ei. En effet ce patois dit:
que de la défendre contre une présentation excessive et une utilisation LEPORE > leivra
outrée qui la feraient rejeter par bon nombre de linguistes immédiate- TELA> taèla
ment hostiles à cette notion générale, parce qu'ils auraient jugé fragile Si on avait eu la confusion primitive des timbres, on n'aurait pas pu
tel argument particulier. avoir une pareille dissociation des deux séries. Or les successeurs des è
ouverts ont connu, avant une récente nasalisation de la diphtongue, un
13.4 Vérification des arguments stade ei oral, qui est le stade primitif dans la série des é fermés. Ce pa-
13.41 Confusion des timbres ouverts et fermés tois avec deux séries bien distinctes, prouve que le ei dans la série des è
A propos de l'influence des Burgondes sur le francoprovençal, nom- ouverts est un stade secondaire de la diphtongue. En effet, dans le pa-
bre de critiques ont été formulées, tant par les germanistes que par les tois du Chenit, le ei primaire de la série des é fermés avait déjà évolué
romanistes. Toutes les objections des uns et des autres ont été reprises quand ce stade secondaire a été atteint par la série des è ouverts. Dans
et augmentées par M. Schüle dans une communication présentée au d'autres patois, ce stade secondaire a pu rencontrer le stade primaire
Colloque de Neuchâtel, en septembre 1969 et publiée aux pages 26-47 non évolué ei de la série des é fermés. Cette rencontre donne la confu-
du recueil Colloque de Dialectologie francoprovençale (Droz, Genève sion actuelle des résultats. Mais cette rencontre des ei2 (de la série des è
1971 ). Sur la confusion des résultats sauf,devant R de la diphtongaison ouverts) et des eit (de la série des é fermés) ne remonte ni au début de la
des é ouverts et fermés, ainsi que dans 0 ouverts et fermés, Franz J. diphtongaison ni aux Burgondes. Quant à la dissociation de la série des
Georgens avait déjà montré, dans Zur Gotischen Grammatik (Orbis diphtongues issues de è ouvert, elle s'explique par la loi de Duraffour qui
1968, PP. 187-197) que le gotique n'ignorait pas la distinction des e et enseigne que des contextes différents peuvent faire évoluer les diphton-
o ouverts et fermés, dans les emprunts au latin et au grec. On peut se gues de façon différente. Et c'est pour cela que la cohésion des résul-
demander alors pourquoi les Burgondes auraient commis cette confu- tats des diphtongaisons, de celle du è ouvert notamment, s'observe si
sion en parlant latin et pourquoi les Gallo-Romains auraient à leur tour rarement dans les parlers francoprovençaux modernes. Cet argument
commis une confusion de timbres, évitée par les Germains eux-mêmes qui paraissait si fort ne résiste pas à une critique minutieuse fondée sur
dans leurs emprunts lexicaux. M. Bengt Hasselrot fait remarquer (RLiR l'analyse des faits dialectaux. D'ailleurs si cette particularité dialectale
1968, p. 262) que les timbres ouverts et fermés de la voyelle e par de Savoie et de Suisse reposait sur une confusion primitive de é et de è,
exemple ne sont confondus qu'en tonique libre et que la tonique entra- de à et de 6, il aurait fallu que toutes ces voyelles eussent été encore
vée continue la distinction des timbres latins. Il est fort bien placé pour des voyelles simples, au moment où les Burgondes et plus précisément
présenter cette objection très pertinente, puisque le patois d'Ollon dit les Burgondes des montagnes ont appris le latin. Est-ce que la diphton-
dans un cas é: FENESTRA> fenétra; PRESSU > pré et dans l'autre è: gaison de è ouvert par exemple a pu attendre le Vie siècle?
44 45
masse, ne sont que broutilles. Et non seulement du point de vue numéri-
13.42 Les toponymes
que, mais aussi du point de vue importance sémantique. Personne n'a
Dans la critique de l'argument fourni par l'onomastique, M. Schüle encore établi la hiérarchie sémantique des mots. Il n'est pas interdit de
fait une remarque qui devrait inciter à la prudence tout constructeur penser qu'en tête viendraient père, mère, enfant, vie, mort, manger, ai-
d'édifice qui bâtit sur un soubassement de toponymie, surtout de topo- mer, pain, eau, vin, le corps, les mains, les yeux, etc. Il n'est pas interdit
nymie germanique. On sait que le suffixe -ens/-ans a passé pour burgon- de penser non plus que gloriole, femme de mauvaise vie, glouton et af-
de et le suffixe -enges/-anges pour francique; on sait moins qu'un chef famé, la salamandre et le veau châtré, le terrain inculte et l'écharde - je
lieu terminé en -enges peut avoir des hameaux terminés en -ens et vice- prends les mots burgondes dans l'ordre où ils sont présentés dans la
versa. Ainsi les établissements germaniques dessineraient une Fragmentation - que tous ces sens-là ne tiendraient pas tout à fait le
mosaïque aux arabesques bien compliquées dans lesquelles les patois haut du pavé. Si l'on étudiait l'extension géographique de ces burgon-
modernes auraient bien de la peine à retrouver la nature burgonde ou dismes, on dessinerait plus souvent de petites aires que de vastes espa-
francique de leur superstrat. Ce mélange des formes en -ens et en ces couvrant une portion importante du domaine francoprovençal.
-enges fait peser quelque doute sur les cartes des implantations germa- Seuls les mots désignant la poche et l'étable connaissent une extension
niques qu'on a dessinées d'après les toponymes et par conséquent sur importante. Les burgondismes lexicaux ne sont que des restès, de mai-
les hypotèses linguistiques qui les utilisent, ne serait-ce qu'à titre de gres restes. Ce sont aussi des reliques dignes du plus grand intérêt.
comparaison. M. Schüle propose une explication très vraisemblable de Mais ces reliques n'apporteront pas la solution finale au problème
cette imbrication des toponymes: «Cela signifie aussi que le suffixe francoprovençal. En définitive, il ne faut pas dans l'utilisation linguisti-
-ingos (ingas) a dû rester productif en bouche romane bien après la chu- que de ces étymologies burgondes commettre une erreur de méthode,
te du premier royaume burgonde - une mode onomastique, comme on dans laquelle nous entraînerait l'exemple de l'archéologie. La moindre
en connaît d'autres - et que l'existence d'un nom de lieu en -ens ne trouvaille exhumée par les archéologues peut être un témoin important
prouve pas nécessairement qu'à tel endroit une famille burgonde se soit et une pièce capable de supporter une vaste reconstruction historique,
fixée au Va siècle». car il est normal que la plupart des autres pièces aient été détruites au
cours des siècles. Il n'en va pas de même pour les mots qui doivent té-
13.43 Le superstrat lexical moigner de la vigueur d'un superstrat. Si ce superstrat est vraiment la
La petite dizaine de mots burgondes mis en avant dans l'argumen- force qui a déchenché la fragmentation linguistique de l'aire étudiée, les
tation, au moment de la parution des Origines des Peuples Romans n'a mots qu'il a introduits devraient avoir une certaine allure, une certaine
cessé d'augmenter. Lors de la traduction française de 1967, ces étymo- importance dans l'ensemble lexical de la région. On ne devrait pas être
logies avaient atteint le nombre de> 77. Chaque étymologiste a essayé obligé de les chercher à la loupe. Les Burgondes ont laissé des mots.
de grignoter sur cet ensemble. Quel que soit le nombre de ces burgondi- Soit. Mais c'est l'inverse qui serait étonnant! Les douzes pages d'éty-
smes conservés par les actuels parlers francoprovençaux, quelle que mologies burgondes que Wartburg produit dans la Fragmentation lingui-
soit leur véritable nature originelle (certains peuvent en effet être asso- stique de la Romania n'apportent pas à la recontruction linguistique un
ciés à la langue des Wisigoths et présenter aujourd'hui des extensions argument d'une solidité suffisante, mais elles déroulent devant les re-
très méridionales; et d'autres peuvent s'associer au francique et se trou- gards du linguiste admiratif, une étrange collection de trouvailles lexica-
ver également dans le domaine d'oui) quel que soit le montant exact des les qui pique la curiosité de son esprit sans convaincre sa raison.
étymologies burgondes, dont on peut croire que la somme maxima a été
13.44 Germains et allongement de la syllabe libre
établie par Wartburg, tous ces burgondismes tiennent en une petite
douzaine de pages. Qu'est-ce cela à côté des tomes XV,XVI,XVII, du Reste l'argument plus général tiré de «l'allongement considérable»
FEW dont les 1.600 pages à deux colonnes témoignent de la véritable de la voyelle en syllabe tonique libre qui serait dû aux Germains et expli-
importance de superstrat germanique en gallo-roman? Tous les burgon- querait toutes les évolutions vocaliques françaises et
dismes de la F,ragmentation linguistique de la Romania à côté de cette francoprovençales, même la diphtongaison conditionnée de A tonique
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46
derrière consonne palatale. Pour lier la distinction des syllabes libres et connai.ssait .Ie latin depuis quelque temps déjà. L'allongement de la sylla-
des syllabes entravées au superstrat germanique, Wartburg a recours à be tOnique libre est un fait attesté dans trop d'endroits de la Romania et
deux arguments: le grammairien latin Consentius et cette stupéfiante depuis des temps trop anciens pour que les Germains y soient pour quel-
association de «toujours» et de «jamais» pour opposer ces extrêmes q~e chose. D'ailleurs, à l'époque où le bilinguisme germano-roman au-
réunis, à «quelquefois». L'occitan ne diphtongue jamais la tonique; rait .pu por!.~r ses !ruits, certains de ces allongements de la tonique libre
l'espagnol diphtongue tous les è et à ouverts, à la tonique libre, comme avalent ~eJa attemt des stades nettement diphtongués, notamment
devant entrave; le français diphtongue quatre timbres vocaliques, mais pour les timbres ouverts de è et de à. Les patientes reconstructions de la
en tonique libre seulement. Wartburg regroupe dans une opposition bi- chronologie relative d'Elise Richter et de M. Straka mettent un écart de
naire cette tripartition de la Romania occidentale en associant occitan et p~~sie~rs siècles entre la diphtongaison de ces timbres et l'époque où le
ibéro-roman qui ne font pas de distinction entre tonique libre et tonique bilinguisme apporté par les Germains aurait pu avoir une influence sur la
entravée et délimite ainsi le pays qui se trouve en dehors de l'influence ph?nétique gallo-romane. Il est en effet improbable que cette influence
du superstrat. On pourrait organiser d'autres oppositions binaires: celle pUisse remonter au-delà de la seconde partie du Vie siècle. Tout ce qui
de l'espagnol et du français qui connaissent une diphtongaison face à s'est passé auparavant doit s'expliquer sans les Germains.
l'occitan qui l'ignore, paraîtrait assez naturelle. Plus artificielle, l'asso-
ciation du français et de l'occitan qui conserve toujours la voyelle entra- 13.5 Sur quoi a pu agir le superstrat?
vée; mais elle ne serait pas plus étonnante que celle qui nous est propo-
sée par Wartburg. Ces oppositions binaires masquent toutes, la réalité. ~ais il s' est ~assé. aussi beaucoup de choses après. Et justement ce qui
Le français a conservé la syllabation latine: tes-ta; pa-tre et toutes les s est passé a p~rtlr de la seconde moitié du Vie siècle distingue nette-
évolutions vocaliques des toniques distinguent les deux cas. L'espagnol ment le français des autres langues romanes, puis le francais du
a modifié la syllabation: te-sta comme pa-tre et par conséquent les évo- francoprovençal. Il n'est pas invraisemblable que certaines de c'es évo-
lutions vocaliques, quand elles existent, sont semblables dans les deux lutions aient quelque rapport avec le superstrat. La masse lexicale ap-
types de syllabe. L'occitan ne connaît pas d'évolution spontanées des p.ortée par les Germains, telle qu'on peut la connaître dans cette impres-
voyelles toniques et, de cette stabilité du vocalisme, on ne peut rien dé- sionnante collection ressemblée aux tomes XV, XVI, XVII du FEW don-
duire au sujet du type de syllabation. En dehors de ces constatations ne une idée de l'importance du superstrat germanique. Il est probable
sommaires, tout n'est qu'aventure. On n'a pas le droit d'enrôler l'occi- qu'une aussi forte influence lexicale se soit accompagnée d'une influen-
tan dans l'un ou l'autre camp, selon les besoins de la cause. Quant au ce sur la phonétique, d'autant plus que cette période a vu dans la France
témoignage de Consentius, il est irrécusable: «Quidam dicunt piper pro- du Nord, de nombreuses évolutions généralement inconnues des autres
ducta priore syllaba, cum sit brevis» (cité d'après Fragmentation, p.72). langues romanes;
De ce témoignage, Wartburg conclut que la différenciation entre syllabe 1 - diphtongaison spontanée des timbres fermés de e et de o en
tonique libre et syllabe tonique entravée ainsi que l'allongement de la to- syllabe tonique libre;
nique libre étaient choses faites au Va siècle. Ce qui est parfaitement lo- 2 - dip~tongaison conditionnée de A tonique libre derrière C palatalisé
gique. Comment alors accepter que cet allongement soit dû à un super- en le;
strat germanique? Tout s'y oppose, l'histoire et la géographie. Consen- 3 - vocalisation de 1 implosif;
tius était originaire de Narbonne, il vivait au Ve siècle et signale que la 4 - évolution spontanée de A tonique libre;
prononciation fautive était surtout le fait d'Africains (Fragmentation, 5 - a~u·l:sement. ou ~ffaiblissement des voyelles finales, évolution qui
note de la page 75), Faisons simplement remarquer que les délais sem- f~lsalt ou qUi allait faire du français, la seule langue romane oxyto-
blent serrés au Va siècle, pour que les Germains aient eu le temps, aussi nique: ce qui doit être son trait le plus typique.
bien à Narbonne qu'en Afrique, ou même ailleurs, de se fixer, d'appren- De ces cinq évolutions qui datent soit de l'époque mérovingienne, soit
dre tant bien que mal le latin, de donner de ce latin une image acousti- de l'époque ~arolingienne, quelles sont celles qu'on doit lier au super-
que particulière e~ de se faire imiter par la population gallo-romane qui strat germanique? Il sera longtemps difficile de le dire avec précision;
48 49
mais il est impossible, et même peu raisonnable, de dire que les Ger-
mains n'ont influencé aucune de ces évolutions, notamment les évolu- trouvait en lexicologie une application parfaite de la théorie du super-
tions spontanées, dont on ne trouve aucune explication dans l'entoura- s.trat. Personne ne lui reprocha jamais d'avoir soigné, avec une prédilec-
ge phonétique de la voyelle soumise à évolution. C'est en tout cas de tion heureuse et féconde, les étymologies germaniques du gallo-roman,
cette époque de bilinguisme germano-roman que la langue parlée en en les classant dans trois tomes particuliers, qui ne sont pas les moins
France du Nord s'est le plus nettement différenciée des autres idiomes bien rédigés de la collection. Fort de cette certitude dans le domaine de
romans. La région romane qui avait reçu les plus forts contingents de sa réflexion la plus constante, Wartburg a voulu trouver à la notion de
super~trat. une application plus générale et il a fait intervenir la phonéti-
populations germaniques a été aussi celle qui a le plus innové et qui
s'est le plus éloignée du modèle latin originel. que histOrique, la géo-linguistique, l'onomastique dans la construction
d'une argumentation qui expliquait la différenciation des langues roma-
nes par l'arrivée des Germains. Ces terrains n'offrent pas la même solidi-
13.6 La segmentation dialectale du té que la lexicologie: qui dira la cause première d'une évolution phonéti-
francoprovençal que? Devant un isophone dessiné sur une carte établie d'après des en-
quêtes faites au XX· siècle, qui oserait affirmer que cet isophone passait
C'est aussi de cette époque et plus précisément de l'époque où ont
là au VI(. siècl~? La témérité doctrinale de Wartburg ne s'embarassait pas
eu lieu les deux dernières évolutions touchant au A tonique libre et aux
voyelles atones finales que date la première grande segmentation du do- de ces .lncer.tltu~e~: lexicologue, il avait l'habitude de savoir. La Frag-
mentatIOn LmgUlstlque de la Romania a souffert de cette assurance. La
maine gallo-roman non occitan. Toute cette région avait eu jusqu'à cet-
réflexion linguistique y a sans aucun doute gagné: une pareille accumu-
te époque, la même histoire phonétique: les mêmes palatisations conso-
lation de faits, des constructions aussi cohérentes et aussi arbitraires,
nantiques, les mêmes diphtongaisons, les mêmes affaiblissements d'in-
de~ conclusions aussi catégoriques ont éveillé l'esprit critique des lin-
tervocaliques. Avec le refus des nouvelles innovations nées dans le
gUistes et notamment des spécialistes du francoprovençal qui ont, pour
Nord de la France, le domaine francoprovençal se constitue en conser-
la plupart, rejeté l'explication burgonde, mais trop souvent sans voir
vant un état de langue romane moins éloigné du latin. Cette fidélité à un
tout ce que cette application abusive d'une théorie générale avait appor-
état linguistique plus ancien ne peut pas être le fait d'un superstrat dont
té à leur propre réflexion sur ce problème ardu et délicat que le
la nature même est de troubler ce qui existe et d'innover. C'est pourquoi
francoprovençal pose aux romanistes.
le superstrat burgonde ne peut pas être tenu responsable de ce compor-
tement global de conservatisme, qui a donné naissance au
francoprovençal et qui a continué à le car,!ctériser jusqu'à nos jours.
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51
cheminaient ensemble sur une de kilomètres. vc
14 lontiers de côté les faibles écarts du Plateau de Noirétable, si compré
L'AUTONOMIE UNGUISTIGUE hensibles parce qu'ils sont peu importants et situés dans une région d,
passage où les frontières administratives avaient connu des flotte
DUFRANCOPROVENÇAL ments. Mais je ne négligerai pas de signaler que d~s isoglosses morpho
logiques avaient le bon esprit d'accompagner les isophones dans leur
cheminement commun; notamment l'isoglosse séparant l'artcle féminin
pluriel la occitan, de lé, lè francoprovençal, les isoglosses séparant les
pronoms sujets descendant de ME ou de EGO; le possessif occitan notr,
du typiquement francoprovençal notrDn ainsi que quelques désinences
14.1111gr. Gardette et la leçon da Forez personnelles au présent de l'indicatif. La cohésion de la carte linguisti-
que satisfaisait l'esprit. Certes quelques isophones amorçaient une di-
Pendant la trentaine d'années qu'a duré le développement de la vergence entre St~Anthème (occitan) et Gumières (francoprovençal),
doctrine de Wartburg. sur le superstrat burgonde, ont paru sur le pour séparer une portion moins nettement occitane au Sud du Forez, le
francoprovençal, d'importants travaux fondés soit sur les parlers mo- plateau de Saint-Bonnet (qui avait relevé, au xe siècle, de l'évêque du
dernes, comme ceux de Mgr Gardette, de Mme Escoffier et de M. Lo- Puy); mais entre ce plateau déjà nettement occitan et la plaine forézien-
beck, soit sur les textes anciens comme ceux de M. Hafner et de M. ne, les oppositions restaient claires. Dans l'histoire des idées sur la no-
Stimm. Tous ces travaux impliquaient ou développaient des vues per- tion de limite linguistique et sur le francoprovençal, ces études consti-
sonnelles sur le francoprovençal. En faisant paraftre ses thèses, GéDgra- tuent une étape importante. Elles ont mis sous les yeux des romanistes
phie PhDnétique du FDrez et Etudes de géDgraphie mDrphDIDgique sur le une véritable frontière linguistique solide, claire, dense, cohérente et ce-
patDisdu FDrez (Mâcon, Protat, 1941), Mgr Gardette attirait l'attention la au milieu du domaine gallo-roman. De plus cette frontière séparait
sur un faisceau d'isoglosses d'une densité étonnante, le plus important l'occitan, dont tout le monde reconnaissait l'indépendance et la dignité,
de tout le territoire gallo-roman, avec celui qui sépare le gascon du sain- de cette unité linguistique bâtarde dans son appellation même, de ce
tongeais, le long de la Gironde et au Nord de Bordeaux. Les Monts du francoprovençal que l'auteur lui-même appelait encore à cette époque,
Forez qui séparent les bassins de la Loire et de l'Allier, le Forez de l'Au- «franco-provençal». Après les travaux de Mgr Gardette, on ne devait
vergne, le pays des Ségusiaves de celui des Arvernes, le diocèse ~e plus penser, comme Bruneau: «Les limites dialectales existent, mais leur
Lyon de celui de Clermont, les départements de la Loire et du Puy-dè- existence est purement abstraite et historique)). Après les travaux de
Dôme, étendent du Nord au Sud un épaule.ment montagneux assez Mgr Gardette, on ne devait plus douter de l'indépendance linguistique
épais, boisé, qui ne s'élève pas très haut, 1.640 mètres à Pierre-sur- du francoprovençal qui se séparait si nettement de ses voisins. On n'au-
Haute, mais qui ne s'abaisse pas au-dessous des 754 mètres du Col de rait plus dû en douter. .
Noirétable. Cette chafne qui avait séparé les hommes et leurs adminis-
trations, comme elle sépare les eaux qui descendent du Velay, sert de
support à toute une série d'oppositions linguistiques qui permettent de
14.2 111. Lüdtke en 1969: le frpr. tout court
distinguer l'occitan du francoprovençal. D'un côté les sourdes intervo- n'existe pas'
caliques sont conservées sous forme de sonores, de l'autre côté elles Or, au colloque de dialectologie francoprovençale de Neuchâtel, te-
sont affaiblies ou amuïes; d'un côté aucune diphtongaison spontanée, nu du 23 au 27 septembre 1969, M. H.Lüdtke, à la suite de la commu-
de l'autre toutes les diphtongaisons spontanées gallo-romanes; d'un cô- nication de M. Burger A prDpDs de la limite nDrd du francoprDvençal,a
té l'amuïssement de l'n final, de l'autre côté des voyelles accentuées fi- commencé son rapport en déclarant: «Le terme de francoprovençal ne
nales nasalisées; d'un côté paré, de l'autrepairé; d'un côté les atones fi- désigne pas une donnée (ou un ensemble de données), mais plutôt une
nales de type occitan, de l'autre des atones finales féminines palatali- notion. Cela veut dire que le francoproven~ala les frontières qu'on lui as-
sées en -i et des atones mFisculines vélaires on -o.. Toutes cesisophones
52 53
Une pareille phase présuppose dans l'esprit de l'auteur et impose à
signe à titre de définition. Le francoprovençal to~t court n'~xiste pas.» l'esprit des lecteurs que le francoprovençal est une langue au même ti-
Moins de trente ans après les conclusions parfaitement claires de Mgr tre que le provençal et que le domaine de cette langue est sillonné de li-
Gardette, un romaniste remettait en doute l'existence du mites dialectales internes moins importantes que la limite linguistique
francoprovençal en reprenant à son compte les objections de Pa~1 qui le borne. Il faut ajouter que rien dans la Géographie phonétique du
Meyer: non definitio rei, sed definitio nominis. Comment en est-on arri- Forez et rien non plus dans la réalité linguistique des deux versants des
vé là? Entre ces deux positions extrêmes, celle de Mgr Gardette et celle Monts du Forez ne contredit une pareille opinion. Seule au contraire cet-
de M. Lüdtke, se situent toutes les opinions que les romanistes, pour te opposition de deux langues différentes justifie la réalité des faits ex-
des raisons plus ou moins nettement fondées en logique professent s~r posés.
ce qui n'est peut-être qu'une notion, mais qui décidément est un proble-
me, le francoprovençal. 14.4 Une première obJection: M. Lobeck
Mais, pour que l'enseignement de la dialectologie forézienne soit
14.3 Influence des travaux de Mgr Gardette applicable à l'ensemble du domaine, il faut que la situation de to':!.s les
Les conclusions de la Géographie phonétique du Forez traitent de la segments du pourtour soit semblable à l'opposition Forez-Auvergne. Il
notion de limite, des rapports entre limite linguistique et frontière adm!- n'en est pas ainsi, tant s'en faut. La première série d'objections ou du
nistrative, entre limite linguistique et obstacles géographiques. En fait moins de difficultés a été publiée par M.K.Lobek dans son excellent ou-
l'apport de l'ouvrage a été sur le problème du francoprovençal, bea~ vrage Die franz6sisch-frankoprovenzalische Dialektgrenze zwischen Ju-
coup plus Important que sur ces ~uestions générales e.t i,' s'inscrit.parfal- ra und Saône (Genève-Zurich, 1945). Du Mâconnais au canton de Neu-
tement dans la suite des conclusions de Duraffour. SI 1 on voulait com- châtel, les faits linguistiques ne rappellent en rien l'opposition
menter la conclusion des Phénomènes généraux: «nous avons donc le forézienne-auvergnate. Il est instructif de comparer les cartes synthéti-
mot consacré francoprovençal, en sous-entendant français du Sud-Est}} ques publiées par Mgr Gardette à celles que publie M. Lobeck. Seule la
on pourrait dire que pour Duraffour, le francoprovençal n'est pas. du carte synthétique B de M. Lobeck présente une certaine cohésion de
francoprovençal. Il manquait une carte linguistique à cette assertion. quelques isophones. En général dans cette région, les isoglosses s'en-
Les travaux de Mgr Gardette sur le Forez apportaient à l'opinion de Du- trecroisent et se chevauchent en formant des arabesques compliquées.
raffour, une confirmation cartographiée d'une solidité insoupçonnée. On distingue tout de même une ligne de force le long justement du pour-
De plus Duraffour avait montré que le francoproven~al, a u~ co~porte tour dessiné par M. Hasselrot à partir de la voyelle atone finale palatali-
ment phonétique qui lui est propre; M. Hasselrot avait etabh clairement sée. Mais, si l'on voulait reprendre les expressions de Mgr Gardette, «li-
mais avec un seul fait - ce qui est discutÇlble et qui a été tant contesté! mites de langues», «limites de dialectes», on devrait dire que la limite
_ le pourtour du francoprovençal. Mgr Gardette étudie un segment de nord du francoprovençal n'est qu'une limite dialectale et encore une li-
ce pourtour et montre que ce n'est pas une frontière fr~gile, ~ais u~e mite dialectale bien confuse. Remarquons d'abord que cette situation
véritable muraille de Chine. L'opinion générale des romanistes, a la sUite linguistique est aussi une confirmation cartographique des conclusions
de cette éclatante confirmation que la dialectologie forézienne apportait de Duraffour, dans ses Phénomènes généraux: «nos parlers ... nous les
de l'originalité du francoprovençal, a volontiers adopté l'idée que le avons orientés résolument du côté français». Puisque les parlers
francoprovençal était une langue romane parfaitemen.t indépe~dante. francoprovençaux «s'orientent vers» le domaine français, il n'est pas
Mgr Gardette n'employait-il pas d'ailleurs deux expressions dlfferentes: étonnant qu'ils soient imbriqués de façon plus compliquée, parce que
«limite linguistique» et «limite dialectale» qui orientaient l'esprit des lec- plus naturelle, plus vivante, avec les parlers de type français. Mais pour
teurs vers cette conclusion. Voici une citation qui oppose les deux ter- les dialectologues dont l'esprit penchait pour une indépendance impor-
mes: «si la limite de langue entre le franco-provençal et le provençal tante, ou même totale, du domaine francoprovençal, c'est-à-dire pour tous
s'est fixée sur une frontière géographique autant et plus que sur une les francoprovençalistes, il fallait apporter un réponse à ce problème: Com-
frontière historique, c'est sur une limite sociale que s'est fixée la limite ment une langue indépendante peut-elle avoir un pourtour aussi flou?
dialectale entre le Forez lyonnais et le reste du Forez francoprovençal».
55
54
14.5 La réponse de Jud: recul mite d'expansion de chacune des caractéristiques de cette langue. Il est
peut-être vain de chercher aujourd'hui une frontière». Mais avant d'en
M. Jud avait déjà proposé une hypothèse qui apportait une solution arriver à ce qui ressemble à une démission, avant d'abandonner les
à l'entrecroisement des isoglosses et qui sauvegardait l'indépendance zones-frontières, comme de no man's land inconfortables, Mgr Gardette
linguistique du francoprovençal. Dans Studies in French Language and avait sauvegardé la solidité du domaine central en lançant la formule:
Medieval Literature Presented to Professor Mildrek K. Pope (Manchester «le francoprovençal, langue des routes». Les pays de Vaud, de Genève
1939) Jud avait publié, pages 225-240, des Observations sur le lexi- et le Valais, le Val d'Aoste, la Savoie, le Dauphiné de Grenoble, des
que de la Franche-Comté et du francoprovençal. Jud limitait le Terres-Froides et de Vienne, le Lyonnais et le Forez, la Bresse de Bourg
francoprovençal moderne d'après les atones finales, il lui donnait donc et le Bugey ont l'avantage de constituer un pays linguistiquement cohé-
la plus grande extension septentrionale possible, et de plus il agrandis- rent, une région sans problème de bornage et, sur la carte des temps an-
sait encore pour le passé, l'aire francoprovençale, en se demandant: ciens, c'est justement le pays sillonné par les routes transalpines. Il est
«Cette limite du francoprovençal est-elle très ancienne? En d'autres ter- vrai qu'une étoile de grandes routes ne constitue pas forcément une pa-
mes, représente-t-elle autre chose qu'un arrêt provisoire d'une ligne qui, trie· mais elle indique nécessairement l'emplacement d'une capitale.
un jour, passa au nord de Bsançon? .. Le franc-comtois du Nord s'est To~s les chemins mènent à Rome, toutes les grandes nationales'mènent à
peu à peu dépouillé de ses traits autochtones et francoprovençaux sous Paris, toutes les routes transalpines mènent à Lyon, d'où elles repartent vers
la pression du parler directeur de Besançon qui s'était orienté vers le l'Ouest, le Nord ou le Sud. Cette étoile des routes romaines indique rimpor-
nord de la France ... Le franc-comtois de la région de Besançon, dans le tance du rayonnement de Lugdunum à l'époque de la latinisation du pays.
haut moyen-âge, était lié au francoprovençal par une solidarité bien plus En proposant la formule «le francoprovençal, langue des routes», Mgr Gar-
étroite qu'aujourd'hui». Si l'on excepte Walther von Wartburg, dont l'hy- dette invite les romanistes à regarder où convergent les routes pour qu'ils y
pothèse burgonde devient insoutenable avec un francoprovençal trop sep- trouvent le centre et l'explication de la région linguistique et pour qu'ils en
tentrional, aucun romaniste n'a repoussé cette explication qui rend compte concluent que le francoprovençal est la langue romane née à Lugdunum
des faits comtois. Si le francoprovençal recule devant le français, il doit d'où elle a rayonné sur l'ensemble du pays sillonné par les grandes voies de
s'agir de deux langues différentes qui ne peuvent unir leurs caractères. passage. Cela n'est même pas une hypothèse, c'est une lumineuse concor-
Reconnaître la force de rayonnement du français ne gêne pas du tout un dance entre un domaine linguistique et une donnée historique, à savoir le
partisan de l'autonomie du francoprovençal, car le recul géographique ne moment le plus glorieux de la région lyonnaise, le moment où Lugdunum
touche pas à la nature profonde de la langue: il l'assure plutôt. était le grand centre d'où rayonnaient vers le Nord la culture romaine et la
langue latine. Mais, si cette formule brillante explique la genèse du
14.6 Celle de Mgr. Gard~tte: langue des routes francoprovençal, elle ne rend pas compte des incertitudes de ses frontières.
Mais à ces incertitudes de la frontière nordi s'ajoutent d'assez vas- Elle affirme l'autonomie de la langue de Lugdunum et la justifie historique-
tes débordements de traits francoprovençaux (amuïssement de -T- ment. Sur le plan de la recherche, cette affirmation de l'autonomie du
intervocalique, terminaison en -0 atone à la première personne) dans le francoprovençal a servi d'idée directrice aux travaux de l'école lyonnaise.
francoprovençal d'Ardèche, de la Drôme, des Hautes et Basses-Alpes.
14.7 Mme Escoffier: Rencontre ou point de
L'indépendance de la langue francoprovençale devient plus difficile à
soutenir avec des frontières aussi perméables. En rendant compte de
rencontre?
l'ouvrage de Lobeck (Français moderne, 1950, pp. 146-47) Mgr Gar- Dans son ouvrage, La rencontre de la langue d'oil de la langue d'oc
dette énonce les difficultés du problème et propose une solution qui et du francoprovençal entre Loire et Allier (Paris, Belles-Lettres, 1958),
sauvegarde l'autonomie du domaine, dans sa partie centrale du moins. Mme Escoffier explique que le but de sa recherche est de «fixer en leur
«S'impose alors à nous la vision d'un francoprovençal n'ayant, ni au point de rencontre les limites respectives des trois grands groupes lin-
Nord, ni au Sud, une ligne frontière, mais deux vastes zones frontières». guistiques qui se partagent le territoire gallo-roman». Dans l'esprit de
D'où la conclusion: «chaque ligne-frontière d'aujourd'hui n'est que la li- l'auteur, le mot «point» voulait dire point d'intersection de deux droites,
56 57
au sens strictement géométrique du terme, comme la frontière entre la
France, l'Italie et la Suisse se rencontrent en un point précis. L'auteur plus solide sur lequel se fonde M. Stimm pour retarder à la fin du XIIIe
explique d'ailleurs, non sans humour, ce que serait la géographie linguis- siècle la diphtongaison spontanée en francoprovençal. Cette date tardi-
tique idéale: «L'enquêteur dialectologue qui est parti rêvant, naïvement, . ve laisserait supposer que le francoprovençal serait resté longtemps
qu'il rencontrerait un jour trois villages voisins, un de langue d'oil, un de dans la mouvance de la langue d'oc et que la composante provençale
langue d'oc, un francoprovençal, doit bien revenir de ses illusions!» Une des parlers francoprovençaux est généralement sous-estimée, notam-
situation linguistique de cette nature se rencontre, à l'Est de la Vallée ment par Duraffour. L'.idée est neuve et elle bouleverse trop de résultats
d'Aoste, sur la frontière orientale de la Vallée de Gressoney: Gaby est qui semblaient assurés, pour qu'elle ne soit pas examinée de près. La
un village francoprovençal, Issime et Gressoney dans la haute vallée Somme du Code, disent Royer et Thomas qui l'ont éditée (Paris, Impri-
parlent Un patois germanique et dans la vallée de Varallo qui s'étend à merie Nationale, ,1929), est un texte dauphinois de la région de Greno-
l'Est, on parle le piémontais: la rencontre entre parlers germaniques, pié- ble. Faisons remarquer que le domaine occitan commence à moins de
montais et francoprovençaux a bien lieu en un point précis. Mais les trente kilomètres au Sud de Grenoble et qu'il est, pour cela, un peu im-
trois langues sont beaucoup plus étrangères les unes aux autres que ne prudent de généraliser à tout le francoprovençal des traits occitans
le sont le français, l'occitan et le francoprovençal. Dans la région étu- qu'on pourrait trouver dans un texte si proche de la frontière linguisti-
diée par Mme Escoffier, la frontière linguistique la plus franche est cefle que. D'autre part, quand une innovation phonétique projette au loin, ses
qui sépare francoprovençal du Forez et occitan d'Auvergne. Mais au effets, dans une seconde expansion tardive, les résultats de cette nou-
nord, l'occitan d'Auvergne est couvert par les parlers divers du Crois- vel~e propagation donnent des aspects géographiques d'un type parti-
sant; du' côté francoprovençal, on constate aussi , une zone de culier, comme pour l'extension de ü en francoprovençal, ou l'étalement
francoprovençal dégradé. En somme, l'étude de cette région permet de de l'oxytonisme en Suisse Romande et en Franche-Comté: la carte des
délimiter le centre de gravité linguistique de la France, qui est le Sud-Est dialectes présente des distorsions, des excès ou des exceptions. Or la
dU département de l'Allier et le Nord-Est du département de la Loire, diphtongaison en franco provençal moderne du Dauphiné grenoblois ne
c'est-à-dire la Montagne Bourbonnaise et le versant oriental des Monts présente pas ces distorsions qui attesteraient une diphtongaison tardi-
de la Madeleine. Cet ouvrage prolonge vers le Nord l'enseignement tiré ve. Enfin, peut-on vraiment considérer cel < CAELUM, comme une
par Mgr Gardette de la dialectologie forézienne: le francoprovençal n'est forme occitane sans diphtongaison, en se fondant sur la seule graphie
, pas du provençal, et en même temps, il amorce, du côté de l'Ouest, l'en- de ce mot ou des mots de cette série? Si l'on tourne la page du glossaire
seignement de M. Lobeck: le français dégrade le francoprovençal, sur de la Somme du Code, on trouve comandar «commanden>, comencer
une assez large frange septentrionale. «commencer». Cette langue dauphinoise du XI"e siècle qui associe les
60 61
15 15.2 Gallo-roman septentrional refusant des
innovations
ESSAI DE CONCLUSION
Dans une précédente étude, Aspects géographiques de la palatali-
sation u > ü, en gallo-roman et notamment en francoprovençal (RLiR
1968, pp. 100-125), j'ai proposé une définition génétique du
francoprovençal à partir d'une segmentation d'un domaine linguistique
uni auparavant. «Cette segmentation s'est faite par un triple refus des
innovations de la France du Nord: refus de l'oxytonisme généralisé, re-
fus de dire é pour a en syllabe tonique libre, refus de dire ü pour u.» Cet-
te segmentation date de la fin de l'époque mérovingienne ou du début
de l'époque carolingienne. Quelle est jusque-là, l'histoire linguistique de
la Gaule? Par la diphtongaison des timbres ouverts et par la distinction
15.1 Tourner le dos au provençal entre intervocaliques sourdes et intervocaliques sonores, léîlatinisation
du Sud s'oppose déjà à celle du Nord. Dans l'aire septentrionale, s'ins-
Je ne rejetterai pas le concours de la diachronie, parce que, dans talle la palatalisation de C devant A qui se complique d'influences sur les
une entreprise difficile, il ne faut négliger aucun moyen et surtout parce voyelles; cette évolution s'étend aussi sur la zone méridionale, mais là,
qu'un géo-linguiste est habitué, à lire sur les cartes étalées sous ses elle ne complique pas le vocalisme. L'ensemble gallo-roman n'est pas
yeux, le déroulement de l'histoire. L'espace dialectal est tout imprégné totalement désuni. Cette innovation phonétique qui lui est propre orga-
d'histoire linguistique. Duraffour nous a appris que, par son comporte- nise l'espace linguistique de façon équilibrée. Au Sud, une large bande
ment phonétique, le francoprovençal s'orientait vers le Nord. M. Hafner reste étrangère au phénomène, tandis qu'au Nord, la Picardie et la Nor-
nous a clairement montré que les anciens textes confirmaient cette mandie ne subissent qu'une palatalisation très faible, dont on a des tra-
leçon et surtout Mgr Gardette nous a fait voir qu'entre les deux domai- ces sur le vocalisme, mais qui n'a pas affecté profondément les conson-
nes peut exister une barrière extrêmement solide et ferme. Ce faisceau nes associées à cette palatalisation des voyelles et qui a laissé en défini-
d'isoglosses n'a pas pu se former au fil des siècles; il est l'image d'une tive intactes les palatales devant A non modifié. Au centre, autour de
opposition ancienne entre deux langues originellement assez différentes Lyon, du Périgord au Valais, on a la palatalisation la plus forte, celle qui
l'une de l'autre et qui, dans leur expansion se sont rencontrées là, sur aboutit aujourd'hui à ts. De chaque côté, une palatalisation moindre,
les Monts du Forez. Que le latin de Narbonne soit différent de celui de celle qui aboutit à tch. L'opposition entre ts et tch passe par le Charolais
Lyon, c'est peut-être difficile à prouver avec des textes, d'autant plus et aboutit à Neuchâtel, c'est-à-dire qu'elle intéresse la délimitation du
que la ville de Lyon a été latine dès son origine, du moins sur l'une de ses francoprovençal. Pendant l'époque mérovingienne, se produisent les
collines. Mais que la latinisation qui a rayonné de Narbonne et des gran- diphtongaisons des timbres fermés et, quel que soit le lieu d'origine du
des villes méridionales ait été différente de celle qui a rayonné de Lyon phénomène, les résultats de ces diphtongaisons couvrent d'une maniè-
et des autres centres du Nord, cela est moins difficile à admettre. Plus re compacte et sans distorsions visibles, qui seraient dues à une secon-
précoce, la latinisation méridionale a été plus rapide sans doute, grâce à de expansion tardive du fait, tous les actuels domaines d'oïl et du
un apport plus important de colons: presque toutes les colonies de peu- francoprovençal. La segmentation dialectale n'a commencé qu'après,
plement se sont fixées en Provence, en Languedoc ou en Aquitaine. lorsque les voyelles atones finales ont commencé leur décadence qui
L'article de M.B. Müller La Bipartition linguistique de la France (RLiR devait aller jusqu'à leur disparition, lorsque l'A tonique libre s'est diph-
1971, pp. 17-30) est une excellente «mise au point de l'état des re- tongué ou fermé, lorsque aussi, semble-t-il, la vélaire s'est palatalisée.
cherches». L'expression figure en sous-titre. Pour comprendre la genè- Tout cela a commencé dans l'actuel domaine d'oïl et tout cela s'est arrê-
se du francoprovençal, il faut résolument tourner le dos au provençal. té dans le voisinage de l'isophone séparant la palatalisation forte
62 63
CA > ts et de la palatalisation moyenne CA > tch. C'est la première 15.4lntercompréhenslon et systèmes
fragmentation dialectale importante du domaine d'oïl ou la première phonologiques
fragmentation linguistique des Gaules du Nord. Il faudrait choisir entre
les deux formules, mais un point demeure assuré: le francoprovençal est Pour y répondre, il faudrait monter une expérience semblable à celle
né quelque temps avant l'empire de Charlemagne. Pour une langue ro- que les dialectologues de Toulouse, M. Ravier notamment, ont organi-
mane c'est une naissance tardive; pour un dialecte, c'est bien tôt. sée dans le domaine gascon. On enregistre une bande magnétique dans
la partie occidentale du domaine et on la fait écouter dans différentes
autres régions pour pouvoir mesurer la compréhension du texte dialectal
15.3 Tendances communes après la en différents points. Si les dialectologues de Toulouse ont surtout cher-
segmentation ché à connaître la cohésion de l'aire dialectale du gascon, on pourrait
Mais l'association d'un certain nombre d'isophones qui ne sont pas avec une expérience de ce type mesurer l'hétérogénéité linguistique de
encore totalement dissociés sur la carte linguistique du XXe siècle n'a deux domaines. Un texte francoprovençal d'un patois même central et
pas cassé complètement l'unité gallo-romane: les innovations phonéti- sans complication particulière, un texte lyonnais ou bressan, ne serait
ques postérieures du français, nasalisation et affaiblissement des con- pas compris très loin au nord de la délimitation d'Hasselrot. Et même un
sonnes finales intéressent le francoprovençal au même titre que le texte comtois paroxytonique provoquerait, malgré des similitudes lexi-
français. Le principe de la nasalisation et les contextes nasalisants sont cales presque constantes, un désarroi gênant gravement la compréhen-
les mêmes; certes les résultats modernes peuvent présenter des diffé- sion, si on le faisait entendre au Nord du Doubs ou dans la Haute-Saône.
rences dues surtout à l'habitude francoprovençale d'allonger, de diph- J'ai vu à quel point l'intonation paroxytonique était une gêne pour l'in-
tonguer presque les voyelles nasales. Mais, pour l'essentiel, les phéno- tercompréhension, lors d'une enquête faite avec M. l'abbé Garneret, au-
mènes de la nasalisaton sont semblables. La plus notable exception - teur d'une monographie très riche sur le patois de Lantenne, patois com-
et elle a son importance - porte sur la confusion ou la distinction des tois oxytonique. Auprès de paysans comtois qui utilisaient l'intonation
timbres issus de AN + consonne et de EN + consonne. ANNUM et VEN- paroxytonique romane, c'est-à-dire qui parlaient francoprovençal, mon
TUM sont continués par des mots qui présentent le même son an, en compagnon d'enquête avait plus de mal que moi, à noter des mots qu'il
français et sur· le tiers nord du domaine francoprovençal; dans les deux connaissait sous une autre forme plus courte. Ces difficultés ne por-
tiers sud du domaine, on distingue nettement an de ven. Les consonnes taient évidemment que sur les mots paroxytons, pour tant d'autres cho-
finales ont disparu du français et du franco provençal et avec elles, la dé- ses, il retrouvait un patois familier. Si l'on fait des statistiques sur les bé-
clinaison. Pour trouver des consonnes finales et, parfois, des traces de vues d'Edmont dans le Sud de la France, on voit que les pourcentages
déclinaison, il faut aller jusqu'au fond des vallées intra-alpines qui, zo- d'erreurs les plus hauts portent sur l'intonation. La phonologie explique
nes marginales et montagnardes, renforcent une caractéristique du do- cela de façon claire: le francoprovençal connaît une opposition pertinen-
maine, le conservatisme. Les innovations francoprovençales tiennent à te entre rouza accentué sur ou et rouza accentué sur a (rose et rosée)
trois tendances, palatalisation des consonnes et des voyelles, mobilité entre siri et siri (cire et cirer) entre bi/yi et bi/yi (<<bille» et «biller», c'est-à-
de l'accent tonique, double articulation des diphtongues. Le français éli- dire entre un levier de bois et l'acion de serrer le chargement de foin
mine les diphtongues, fixe l'accent tonique sur la dernière syllabe et avec ce levier). Cette distinction phonologique fondamentale en
donne des articulations simples aux consonnes produites par la palatali- francoprovençal est totalement inconnue du français. Voilà au moins
sation. Le français semble avoir éliminé des tendances qui ont travaillé deux systèmes phonologiques étrangers l'un à l'autre sur un fait impor-
le proto-français; le francoprovençal semble leur avoir donné libre cours. tant. Nés de la même latinisation, séparés à date relativement récente,
Ces différences importantes qui font du francoprovençal l'image assez le français et le franco provençal ont entre eux une trop grande somme
bien conservée de ce que devait être le proto-français nous incitent à de différences pour que l'un soit un simple dialecte de l'autre. Un patoi-
poser cette question: «Deux états très différents de la même langue ori- sant normand ou lorrain doit endimancher son parler de semaine pour en
ginelle forment-ils deux langues?» faire du français parlé, régional certes, mais compréhensible pour tout
64 65
autre Français. Un patoisant francoprovençal doit changer de système
phonologique et, en quelque sorte, traduire. francoprovençal. C'était à coup sûr du francoprovençal qui en adoptant
un certain nombre de traits septentrionaux cesse de l'être, car le
15.5 Analyse du désordre français est historiquement du francoprovençal (ou du proto-français)
On pourra trouver cela trop diachronique. On pourra surtout trouver qui a changé certaines choses. La perspective dynamique de la dialecto-
la définition incomplète, et inapte à résoudre toutes les difficultés. Soit. logie a au moins l'avantage d'éviter des affirmations tranchées et puéri-
Mais cette perspective permet au moins d'expliquer un peu plus com- les et d'expliquer des termes dont on couvre le désordre des parlers, dé-
plètement les «traits francoprovençaux» que Jud, M. Lobeck, M. Bur- sordre qu'on est bien obligé d'observer mais qu'on adopte un peu trop à
ger, M. Taverdet, Mme Dondaine ont trouvés dans les parlers d'oïl. Le contre-coeur, car tout linguiste est un homme de bon ordre qui voudrait
passage de a tonique libre à é/è, l'affaiblissement des atones finales ne que la carte des dialectes soit un jardin à la française. Comme il se trom-
sont pas nées en Bourgogne ni en Franche-Comté. Ces deux provinces pe! Il ne faut pas seulement reconnaître l'existence du désordre et lui
ont accepté ces innovations soit tardivement, soit incomplètement. Les donner des appellations qui relèvent du désir inavoué de l'ordre, en mas-
voyelles a toniques libres disséminées d'Autun à Porrentruy, au Nord du quant le désordre sous un vocable prudent comme «zone-frontiète», ex-
domaine francoprovençal sont, sans doute pour la plupart, des buttes- pression qui n'est en somme qu'un comparatif d'infériorité du motlron-
témoins d'un état antérieur et constituent des échecs locaux de l'exten- tière. Il faut accepter le désordre comme la caractéristique fondamenta-
sion septentrionale. Plus certains, les exemples CAU DA > kwa, FARI- le de la dialectologie, on peut en analyser la complexité, mais c'est pour
NA > fama dans des parlers qui ont perdu toutes les atones finales constater que ce désordre est la plus naturelle image de la vie.
présentent des distorsions à la règle locale et témoignent d'une exten-
sion tardive d'innovations nées ailleurs. La frontière-nord du 15.6 Fonction du désordre
francoprovençal trouve ainsi une explication plus claire: elle est la zone Le désordre d'ailleurs peut avoir une fonction. Entre deux régions
dans laquelle le français avance ses traits caractéristiques, avec plus ou linguistiques assez différentes entre elles pour que l'intercompréhen-
moins de succès. On a deux témoignages directs de ces reculs du sion soit faible ou nulle, il est invitable qu'un jeu complexe de moyens
francoprovençal. L'un nous est transmis par Jeanton dans Les patois termes s'établisse pour brasser tous les traits linguistiques différents se-
mâconnais de Violet (Paris, Droz 1936): «(Dans l'ancien patois), les lon un dessin qui désappointe le linguiste mais qui a l'immense avantage
noms féminins terminés en français par un e muet le remplaçaient par de permettre aux patoisants de se comprendre entre eux de village à vil-
les finales demi-muettes 0 au singulier ... Ainsi l'on disait... «na greuso lage ou de cant<?n à canton. Et comme ces inter-communications for-
borso» (une grosse bourse). Donc l'A atone, affaibli en 0 existait dans le ment une chaîne continue de proche en proche, il est inévitable que le
patois d'Uchizy, d'une façon courante jusque vers le début du présent parler d'une région, même éloignée, ait une influence, atténuée certes
siècle». L'autre témoignage vient des enquêtes de M. Taverdet en Cha- et par des intermédiaires, sur les autres patois gallo-romans. L'espace
rolais et il nous le livre en ces termes: «On sait aussi que le Charolais où gallo-roman a été latinisé de deux façons fort différentes. Dans la latini-
«chanté» est aujourd'hui tsanté était naguère tsântà; c'est du moins ce sation septentrionale, se sont constituées deux aires assez étrangères
qu'affirment de nombreux témoins» (article cité, RUR 1971, p. 64). Il l'une à l'autre; la plus grande des aires a, en partie à cause du superstrat
est très normal de remplacer le mot frontière, par celui de zone- germanique, connu des innovations que la petite aire du Sud-Est, grou-
frontière; il n'est pas indifférent de voir quelle dynamique interne anime pée autour de la capitale de la latinisation, a refusées. Dans cet espace
ces régions de désordre. Avancées selon des lignes qui se chevauchent, qui ne connaissait pas de frontières ethniques, peu de frontières socia-
extensions tardives laissant derrière elles les signes de leur retard, main- les, dans cet espace qui a été soumis depuis Hugues Capet à un effort
tien sporadique et tenace d'un état ancien, loin de l'aire où cet état est ,continu d'unification et depuis François 1 er à un effort méthodique de
régulier et compact, voilà des descriptions de zone-frontière. Le front centralisation, dans cet espace où est née l'idée de Nation, il est bien
nord du franco provençal est très dégradé en Charolais, Mâconnais évident que les populations étaient aussi dans leur vie quotidienne,
et même en Beaujolais. Il est vain de se demander s'il s'agit de
F entraînées par ce mouvement unitaire, même aux endroits où des oppo-
66 67
sitions auraient pu se durcir. Or cet espace qui s'unifiait, était recouvert
par des types linguistiques différents. Le conservatisme linguistique est
tenace; les aires centrales des trois systèmes linguistiques différents en LE DOMAINE FRANCOPROVENCAL
fournissent la meilleure preuve. Mais chez des populations qui cohabi-
taient, d'inévitables compromis devaient entourer ces oppositions lin-
guistiques conservées fidèlement autour de Lyon-Genève, autour d'Avi-
gnon, de Montpellier ou de Toulouse.
Les désordres des zones-frontières du francoprovençal nous offrent
l'image de ces compromis, aussi bien du côté septentrional entre Cha- :. 0 ' ti&ud",~ '•
rolles et Neuchâtel que du côté provençal depuis la Haute-Loire .... .A."f"'J~t:....... ;'
jusqu'aux vallées provençales d'Italie. Dans cette perspective, le problè-
me francoprovençal le plus difficile à expliquer, c'est justement le plus :
.< ,,"
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simple, le faisceau d'isoglosses des Monts du Forez, surtout si l'on pose
le problème en ces termes: pourquoi ce phénomène se rencontre là et
"\ Lausa"..
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nulle part ailleurs? J'en ai proposé une explication, dans Aspects géo-
graphiques du dia-système dans les dialectes de France. Elle n'est qu'à
..... ,'.~
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1
0
s .....,
LEGENDE
Frontières d'Etat { FRANCE ( départements)
-
limites administratives SUISSE (cantons)
Limites linguistiques ITALIE (régions, provinces)
68
6 En suisse romande " 22
6. 1 Un réticent, Alfred Odin " 22
TABLE DES MATIERES 6.3 Le problème MANDUCATAM medzia " 23
7 La notion de limite dialectale " 26
7.1 Horning (1893) " 26
7.11 Variations dans l'espace dialectal " 26
7. 1 2 L'accueil de Gaston Paris " 26
7.2 La conversion de Gauchat " 27
1 Dénomination page 5
1 .1 Divers essais " 5 8 Conclusion sur la période 1873-1911 " 29
1.2 Trait d'union? 6 9 Les francoprovençalistes " 31
2 Le francoprovençal, banc d'essais de théories diverses 7 10 Duraffour " 32
3 Ascoli et Paul Meyer 8 10.1 Un phonéticien " 32
3.1 Déclaration de naissance (1873) 8 10.11 En quête d'une physionomie
3.2 Critique de Paul Meyer 9 générale du francoprovençal " 32
3.21 A la délimitation d'Ascoli 9 10.12 «-a final avec précession de palatale.» " 33
3.22 A toute fragmentation dialectale " 10 10.13 «La sollicitation dans le sens palatal» " 33
3.3 Avantage permanent de ce débat théorique " 10 10.14 La loi de Duraffour " 34
3.4 Fin du débat " 11 10.15 Le comportement général du francoprovençal " 35
3.41 Ascoli ou les commodités théoriques " 11 10.2 De la géographie linguistique sans carte " 35
3.42 Meyer ou la rigueur et le durcissement " 11 10.3 Place assignée au francoprovençal " 36
3.43 Et même l'entêtement " 12 11 Orientation des études
4 Dialectologues de l'école de Paul Meyer " 13 francoprovençales après Duraffour " 37
4.1 L'autorité d'un directeur de revue " 13 12 Hasselrot " 38
4.2 Cornu " 13 12.1 «La plaque tournante» " 38
4.3 Gilliéron " 13 12.2 La délimitation la plus claire " 38
4.31 Au sujet des patois suisses romands " 13 12.3 L'explication la plus simple et la plus juste " 39
4.32 Vionnaz (Bas-Valais) " 14
4.33 La Revue des patois gallo-romans (1887-91 ) " 14 13 Walther von Wartbourg et le superstrat burgonde " 41
" 15 13.1 La thèse " 41
4.34 La pensée de Gilliéron
" 16 13.21 Syllabe entravée et syllabe libre " 42
4.4 Philipon
" 16 13.22 Francoprovençal et Burgondes " 42
4.41 «Pour éviter des périphrases»!
1 3.3 Critique tendant à défendre
4.42 «Une place distincte
" 17 la notion de superstrat " 44
dans la famille des langues romanes»
" 17 13.4 Vérification des arguments
4.5 Devaux
" 17 13.41 Confusion des timbres ouverts et fermés " 44
4.51 Distinguo
" 17 13.42 Les toponymes " 46
4.52 Ce qui est français et ce qui est provençal
13.43 Le superstrat lexical " 46
4.6 Conclusions
" 17 13.44 Germains et allongement de la syllabe libre " 47
sur les attitudes des élèves de Paul Meyer
13.5 Sur quoi a pu agir le superstrat? " 49
5 Dialectologues favorables à la notion de francoprovençal " 19 13.6 La segmentation dialectale du francoprovençal " 50
5.1 Clédat " 19 13.7 L'attitude scientifique de Wartbourg " 50
5.2 Suchier " 20
5.3 Meyer-Lübke " 20
14 L'autonomie linguistique du francoprovençal .. 52
14.1 Mgr. Gardette et la leçon du Forez .. 52
14.2 M. Lüdtke en 1969:
le frpr. tout court n'existe pas .. 53
14.3 Influence des travaux de Mgr. Gardette .. 53
14.4 Une première objection: M. Lobeck .. 55
14.5 La réponse de Jud: recul .. 56
14.6 Celle de Mgr. Gardette: langue des routes .. 56
14.7 Mme Escoffier: rencontre ou point de rencontre? .. 57
14.8 Les anciens textes et M. Stimm .. 58
14.9 Les anciens textes et M. Hafner .. 60
14.10 Le frpr. diffus en dehors du domaine .. 60
15 Essai de conclusion .. 62
15.1 Tourner le dos au provençal .. 62
15.2 Gallo-roman septentrional
refusant des innovations .. 63
15.3 Tendances communes après la segmentation .. 64
15.4 Intercompréhension et systhèmes phonologiques .. 65
1 5.5 Analyse du désordre .. 66
15.6 Fonction du désordre .. 67