Chapitre Reeducation Orthophonique
Chapitre Reeducation Orthophonique
Chapitre Reeducation Orthophonique
ABSTRACT
Dans ce chapitre, nous décrivons une étude de cas clinique effectuée chez un étudiant dyslexique. Dans
un premier temps, nous abordons la mise en place du projet thérapeutique orthophonique en plaçant notre
démarche dans le cadre de l’Evidence-Based Practice. Nous détaillons ensuite concrètement la prise en
charge orthophonique proposée, celle-ci ciblant plus précisément la rééducation de l’orthographe. Nous
insistons pour terminer sur l’intérêt de vérifier l’efficacité du traitement afin de réajuster au mieux le projet
thérapeutique initial.
Collette, Emilie ; Schelstraete, Marie-Anne. Rééducation de l'orthographe dans le cas d'une dyslexie
développementale : Etude de cas clinique chez un étudiant. In: Rééducation Orthophonique, , no.261, p.
91-109 (2015) http://hdl.handle.net/2078.1/164897
Le dépôt institutionnel DIAL est destiné au dépôt DIAL is an institutional repository for the deposit
et à la diffusion de documents scientifiques and dissemination of scientific documents from
émanant des membres de l'UCLouvain. Toute UCLouvain members. Usage of this document
utilisation de ce document à des fins lucratives for profit or commercial purposes is stricly
ou commerciales est strictement interdite. prohibited. User agrees to respect copyright
L'utilisateur s'engage à respecter les droits about this document, mainly text integrity and
d'auteur liés à ce document, principalement le source mention. Full content of copyright policy
droit à l'intégrité de l'œuvre et le droit à la is available at Copyright policy
paternité. La politique complète de copyright est
disponible sur la page Copyright policy
Résumé : Dans ce chapitre, nous décrivons une étude de cas clinique effectuée chez un
étudiant dyslexique. Dans un premier temps, nous abordons la mise en place du projet
thérapeutique orthophonique en plaçant notre démarche dans le cadre de l’Evidence-Based
Practice. Nous détaillons ensuite concrètement la prise en charge orthophonique proposée,
celle-ci ciblant plus précisément la rééducation de l’orthographe. Nous insistons pour
terminer sur l’intérêt de vérifier l’efficacité du traitement afin de réajuster au mieux le projet
thérapeutique initial.
Abstract : In this chapter, we describe a clinical case study performed on a dyslexic student.
First, we approach the implementation of a therapeutic project by placing our methodology in
the Evidence-Based Practice framework. Then, we describe concretely the therapy that aims
to target accurately the improvement of spelling performance. Finally, we highlight the
importance to check the efficacy of the treatment in order to fine-tune optimally the initial
therapeutic project.
Key words : treatment, developmental dyslexia, spelling disorders, adult, student, case
study.
1. Introduction
La mise en place d’un projet thérapeutique orthophonique adéquat chez un patient n’est pas
toujours une chose aisée. Elle résulte d’un compromis parfois délicat entre l’expérience du
clinicien, les données issues de la recherche dont le clinicien dispose et les envies, besoins,
valeurs et contraintes du patient (cf. principes de l’Evidence-Based Practice, Maillart et
Durieux, 2012 ; Schelstraete et al., 2011). De plus, le projet thérapeutique ne se limite pas
au strict contenu des séances de rééducation. Il doit s’inscrire de manière plus large dans le
quotidien du patient, lui apportant ainsi des pistes concrètes et facilitant le transfert des
apprentissages dans la vie de tous les jours. Par ailleurs, dans un contexte multidisciplinaire,
la remédiation orthophonique ne constitue parfois qu’une des facettes d’une collaboration
entre différents intervenants (neurologue, neuropsychologue, psychologue, etc.). Enfin, le
projet thérapeutique est sans cesse remis en question et est amené à évoluer en fonction de
la réaction du patient au traitement, de ses progrès et de différents facteurs extérieurs qui
peuvent intervenir, comme de nouvelles contraintes ou de nouvelles priorités, par exemple.
Les étudiants que nous rencontrons en consultation aux CPS1 sont parvenus, avec le temps,
l’expérience et une aide adéquate, à mettre en place des mécanismes de compensation leur
permettant d’atteindre un niveau d’études supérieures. Néanmoins, leurs difficultés
persistantes peuvent avoir un impact sur leur cursus universitaire. L’université exige en effet
de bonnes compétences écrites et il arrive souvent que les petits « trucs et astuces » de
l’étudiant ne suffisent plus. Si celui-ci est demandeur, il est donc particulièrement intéressant
de mettre en place une prise en charge orthophonique ciblée.
Se pose dès lors la question de savoir que travailler avec un étudiant dyslexique ? Et
comment travailler ? L’ « Evidence-Based Practice » nous semble être une bonne ligne de
conduite pour répondre au mieux à ces questions. Ce courant prône l’utilisation de trois
sources d’information pour guider les choix thérapeutiques : les connaissances issues de la
recherche, l’expertise du clinicien et de ses pairs et les caractéristiques du patient.
Le problème, à l’heure actuelle, est que nous manquons cruellement de données issues de
la recherche puisque que peu voire pas d’études ont évalué l’efficacité de la prise en charge
orthophonique chez les adultes dyslexiques. On trouve dans la littérature certaines
présentations cliniques (Launay, 2005) mais sans information quant à l’efficacité de la
remédiation.
Cela s’explique par le fait que, s’il est nécessaire d’évaluer l’efficacité des méthodes de
remédiation, cette tâche est difficile et coûteuse (Rapport de l’INSERM, 2007). D’une part, de
nombreux facteurs interviennent (par exemple, la présence possible d’un effet placebo) et il
faut comparer les résultats des différentes études en tenant compte de la durée de la
remédiation, de la longueur et de la fréquence des séances, etc. D’autre part, les études qui
portent sur la prise en charge nécessitent un grand nombre de sujets (pour diminuer l’impact
des différences individuelles) et doivent être réalisées de manière longitudinale sur une
assez longue période de temps (évaluations avant et après la prise en charge mais
également à plus long terme pour s’assurer du maintien des progrès).
Or, pour le thérapeute, il est essentiel de s’adapter au profil de chaque patient car les
troubles varient d’un patient à l’autre de par leur nature, leur intensité et leurs répercussions
sur la vie quotidienne (Rapport de l’INSERM, 2007). Seules des études de cas peuvent
1
Les Consultations Psychologiques Spécialisées (CPS) sont un centre de consultations appartenant à l’Institut de recherche
en sciences psychologiques de l’Université catholique de Louvain (UCL).
prendre en compte le profil spécifique du patient mais également d’autres aspects comme la
présence de troubles associés et d’autres compétences (par ex. cognitives) qui ont un
impact sur la prise en charge.
Notons que si la littérature sur la remédiation chez l’enfant et l’adolescent dyslexique est
assez limitée, elle offre néanmoins des pistes intéressantes à exploiter chez l’adulte (pour
une description détaillée des études réalisées sur la prise en charge des troubles du langage
écrit chez l’enfant, voir Casalis, Leloup et Bois Parriaud, 2013).
Les connaissances du clinicien sont pour celui-ci des éléments importants à prendre en
compte dans les décisions cliniques. Sa propre expertise chez l’adulte dyslexique, mais
également chez l’enfant et l’adolescent, lui permettra de guider ses décisions cliniques. Dans
ce contexte, il est essentiel que l’orthophoniste évalue l’efficacité de la rééducation. Cette
évaluation peut être réalisée de manière subjective, le thérapeute observant des progrès de
séance en séance, le patient se sentant plus à l’aise et l’entourage du patient observant une
amélioration au quotidien. Mais à cela doit s’ajouter une évaluation objective des progrès du
patient. Pour ce faire, l’orthophoniste peut proposer après un laps de temps (par exemple,
tous les 6 mois) un bilan d’évolution consistant en la passation des épreuves du bilan initial.
L’amélioration des scores sera alors un indicateur de l’évolution du patient. Cependant, on
peut imaginer que des progrès dans des domaines très précis (par exemple la confusion
entre deux graphèmes) ne ressortent pas suffisamment d’un tel bilan. Celui-ci peut donc être
complété par des épreuves ciblées (appelées « lignes de base ») proposées avant et après
un travail spécifique pour mettre en évidence des progrès plus fins.
Toute décision doit être prise en concertation avec le patient. Il pourra ainsi exprimer ses
souhaits et ses préférences (par exemple, par rapport aux priorités de la prise en charge).
De plus, des aspects pratiques comme ses contraintes financières et temporelles, auront un
impact sur l’organisation concrète des séances.
Pour illustrer cette démarche, nous allons présenter la remédiation que nous avons
proposée à Benoit2.
Benoit a 25 ans et réalise un doctorat dans une filière scientifique. L’anamnèse nous indique
qu’un diagnostic de dyslexie-dysorthographie développementale a été posé quand il était en
primaire. Suite à ce bilan, il a été suivi 5 ans par une orthophoniste. Il a recommencé sa 4ème
2
Le prénom de cet étudiant a été modifié pour préserver son anonymat.
humanité3 à cause d’échecs dans les cours de langues (anglais et néerlandais) et sa 1ère
année de baccalauréat à l’université parce qu’il n’avait pas le niveau exigé en
mathématiques. Rien n’est à signaler en ce qui concerne les antécédents médicaux. Benoit
décrit un développement global (moteur, cognitif et langagier) dans la normale. Il ne présente
ni trouble auditif, ni trouble visuel.
Un bilan orthophonique est réalisé car Benoit voudrait faire le point sur ses difficultés,
celles-ci le gênant au quotidien (les différentes épreuves qui ont été proposées à Benoit sont
reprises dans le tableau en annexe). Nous relevons la persistance de difficultés en :
- lecture : scores déficitaires (inférieurs à -2 écarts-types) en précision et en vitesse
pour la lecture de pseudo-mots, en vitesse pour la lecture de mots courts, en
précision pour la lecture de mots irréguliers et en précision pour la lecture de texte.
- orthographe : scores déficitaires en dictée de texte, tant en orthographe phonétique,
qu’en orthographe d’usage et en orthographe grammaticale. Scores déficitaires
également en écriture de mots réguliers peu fréquents et de mots irréguliers.
- production écrite (rappel par écrit d’un petit récit proposé oralement au patient) :
difficultés dans l’utilisation de la concordance des temps.
- métaphonologie : scores déficitaires en vitesse de manipulation de phonèmes et
également en vitesse et en précision lors de la manipulation des syllabes.
Le bilan met donc en évidence la persistance de difficultés sévères en langage écrit (lecture
et orthographe) malgré un suivi orthophonique d’une durée de 5 ans. Les procédures
d’assemblage (voie sublexicale) et d’adressage (voie lexicale) ne sont pas opérationnelles et
nous notons des difficultés dans des habiletés associées au langage écrit (métaphonologie).
Ces difficultés sont présentes chez un patient ne présentant aucun autre trouble avéré et
avec un QI dans la norme. Une évaluation du QI a en effet été réalisée en parallèle, mettant
en avant une dissociation (compréhension verbale dans la norme supérieure, raisonnement
perceptif dans la moyenne forte, mémoire de travail dans la moyenne et vitesse de
traitement dans la norme faible). Par ailleurs, nous relevons des antécédents familiaux, la
sœur de Benoit étant elle-même dyslexique. Le bilan confirme donc le diagnostic de
dyslexie-dysorthographie développementale (profil mixte).
La demande spécifique de Benoit est d’améliorer son orthographe. En effet, sa lecture est
relativement « fonctionnelle » et ne le handicape pas réellement au quotidien malgré qu’il
soit plus lent et fasse plus d’erreurs qu’un adulte tout-venant. De plus, il utilise des logiciels
particuliers dans le cadre de son doctorat, qui sont incompatibles avec les logiciels d’aide
orthographique et se sent donc démuni par rapport à l’orthographe. Dans ce cas-ci, aucun
aménagement n’est souhaité par Benoit qui a déjà terminé un master et se sent
suffisamment armé pour suivre les différents séminaires auxquels il participe dans le cadre
de son doctorat.
Une prise en charge ciblée est donc mise en place à un rythme d’une séance d’une heure
par semaine, celle-ci visant l’amélioration de la voie d’assemblage en orthographe
(correspondance des phonèmes en graphèmes), l’enrichissement du stock orthographique
(voie d’adressage) et l’amélioration de l’orthographe grammaticale.
Le patient est extrêmement motivé mais annonce d’emblée que dans le cadre de son
doctorat, il sera amené à voyager à plusieurs reprises. Cette contrainte a bien évidemment
eu un impact sur le rythme des séances. Les 30 séances réalisées se sont étalées sur une
période d’un an environ. Par ailleurs, Benoit s’est engagé à revoir les différentes notions
(sous forme de tâches à faire à domicile) au minimum une fois par semaine, son rythme de
travail ne lui laissant que très peu de temps de loisirs. Il essaye également au quotidien
3
La 4ème humanité en Belgique correspond à la 2ème année (lycée) dans le système d’éducation français.
d’utiliser les notions travaillées et garde toujours avec lui un carnet synthétisant l’ensemble
des stratégies vues en séance.
Le bilan nous indique que Benoit ne maitrise pas certaines graphies complexes (ex. « oin »,
« ail », « ien », « y ») et les graphies contextuelles (graphies qui varient en fonction du
contexte, comme le « g » / « gu »). Celles-ci sont donc systématiquement revues, un support
visuel représentant la règle étant à chaque fois proposé au patient (cf. Figure 1). Des
exercices ciblés sont ensuite proposés. Par exemple, nous demandons à Benoit d’écrire des
pseudo-mots contenant ces graphies et nous réfléchissons ensuite avec lui à toutes les
manières possible de les écrire. Nous utilisons également des mots réguliers peu fréquents
(ex. chatoyer, baldaquin) évitant ainsi une récupération directe du mot en mémoire à long
terme, le but étant que le patient ait recours à sa voie d’assemblage.
Figure 1 : Exemples de fiches proposées au patient (extraites et adaptées de « Rééducation de la dysorthographie » (Mazade,
2000)).
Pour évaluer l’efficacité de la prise en charge, une ligne de base est proposée avant et après
le travail de ces graphies. Nous créons 3 listes d’items que nous dictons à Benoit :
- Liste A : 20 pseudo-mots de 2 à 3 syllabes contenant les graphies complexes et
contextuelles visées (ex. spofeur, pargui, royan). Nous travaillons cette liste
spécifiquement durant la prise en charge, ce qui nous permettra d’évaluer les progrès
réalisés par Benoit suite au travail ciblé proposé en séance.
- Liste B : 20 pseudo-mots de 2 à 3 syllabes contenant les graphies complexes et
contextuelles visées (ex. trineur, guilonde, toyeu). Nous ne travaillons pas cette liste
durant la prise en charge, ce qui nous indiquera la capacité de Benoit à généraliser
l’apprentissage à des items non travaillés.
- Liste C : 60 mots irréguliers. Liste créée par Martinez Perez et Poncelet (2009) (cité
dans Martinez Perez, 2012) que nous ne travaillons pas en prise en charge. La
stabilité de la performance de Benoit à cette tâche nous informera quant à la
spécificité de notre travail, le patient ne progressant que dans les domaines abordés,
contrairement à des progrès globaux qui pourraient être expliqués par des facteurs
extérieurs à la prise en charge ou à un effet « placebo ».
Ecrire ou voir un mot de manière répétée n’étant généralement pas suffisant pour qu’un
patient dyslexique le mémorise à long terme, différentes stratégies sont proposées à Benoit.
L’apprentissage d’une stratégie probabiliste repose sur les régularités du français : par
exemple, les mots commençant par « ef - » doublent systématiquement le « f ». Cette
stratégie permet au patient de déduire l’orthographe des mots qui suivent telle ou telle
régularité en évitant de devoir mémoriser chaque mot par cœur. Le patient peut alors se
limiter à apprendre les exceptions. Les mots commençant par « af- », par exemple, doublent
généralement le « f » sauf dans des mots comme Afrique, afin de, etc. Moins il y a
d’exceptions, plus la règle est efficace.
Pour travailler cette stratégie avec Benoit, nous lui proposons une seule règle à la fois. Après
avoir écrit une liste de mots, nous cherchons ensemble la règle sous-jacente et les
exceptions. Nous tentons ensuite de justifier l’orthographe de chaque mot et remettons
ensemble la règle par écrit (cf. Figure 2). Nous déterminons ensuite les exceptions les plus
« intéressantes » à retenir prioritairement. Dans l’exemple ci-dessous, « le soufre » est
appris en priorité car Benoit est amené à rencontrer ce terme dans le cadre de son doctorat.
Pour évaluer l’efficacité de la prise en charge, nous proposons une ligne de base à Benoit
avant de débuter le travail de cette stratégie. Elle consiste en la dictée de deux listes de
mots (liste A et liste B) pour lesquels les mêmes techniques probabilistes peuvent être
appliquées. Pour ce faire, nous avons utilisé la ligne de base créée par Martine Van
Rompaey (Van Rompaey, Mariol et Schelstraete, 2004) que nous avons modifiée et
complétée en fonction des règles travaillées. Nous attendons donc des progrès à la liste A,
travaillée en séance (ex. effectuer, affaire), mais également à la liste B, non travaillée en
séance (ex. effacer, affreux), indiquant une généralisation de l’apprentissage. Nous utilisons
comme liste C, vérifiant la spécificité de l’apprentissage, la liste des 60 mots irréguliers de
Martinez Perez et Poncelet (2009) (cité dans Martinez Perez, 2012) que nous utilisions déjà
comme liste C pour l’assemblage. Cela nous permet de limiter le temps consacré à la
passation des lignes de base (une seule liste de mots à dicter).
La morphologie est également utilisée : nous expliquons à Benoit le fait que les mots sont
construits à partir d’unités de sens pouvant être identifiées. Pour orthographier des mots, on
peut donc utiliser des stratégies comme la dérivation morphologique. Ainsi, mettre au féminin
un adjectif ou un participe passé (ex. sourd sourde ; pris prise) ou encore chercher un
mot de la même famille (ex. dos dossier) peut être utile pour « deviner » certaines lettres
muettes en fin de mot. La morphologie dérivationnelle a cependant été peu travaillée avec
Benoit qui utilise déjà spontanément cette stratégie. Nous ne présenterons donc pas la ligne
de base proposée à Benoit, la performance de celui-ci plafonnant déjà lors du pré-test.
Malgré toutes les stratégies que nous pouvons mettre en place pour « deviner »
l’orthographe d’un mot, de nombreux mots doivent être retenus par cœur. La méthode visuo-
sémantique est intéressante pour aider à la mémorisation des mots irréguliers, des
exceptions ou encore des homophones lexicaux (cf. Figure 3). Dans ce cas, une image est
associée au mot et à sa (ses) particularité(s) pour aider le patient à visualiser ce qui lui pose
problème et à le mémoriser à long terme (Valdois et al., 2003).
Dans cette approche, il est important de passer par une première étape de « visualisation »
du mot, de ses particularités et de l’image associée pour les mémoriser au mieux. On peut
ensuite épeler le mot, l’écrire en estompant progressivement les indices fournis. Une fois que
le patient a compris le principe, l’idéal est qu’il trouve lui-même l’image associée au mot, ce
qui facilitera sa mémorisation à long terme. L’objectif est ici de créer un référentiel personnel
que le patient peut alimenter au fur et à mesure qu’il croise des mots dont l’orthographe lui
est inconnue.
Ce type de méthode est un « apprentissage d’items spécifiques », pour lequel chaque item
doit être appris systématiquement, par opposition à l’apprentissage d’une stratégie (comme
la dérivation morphologique, par exemple) qui peut être généralisée à d’autres items. Pour
évaluer les progrès de Benoit, nous utilisons donc une ligne de base contenant seulement
deux listes de mots irréguliers : la première (liste A), travaillée en séance, pour laquelle nous
attendons des progrès et la seconde (liste B), contenant le même type d’items, mais non
travaillée en séance et pour laquelle nous n’attendons pas d’amélioration, vérifiant ainsi la
spécificité de l’apprentissage. Pour ce faire, nous avons divisé en deux la liste des 60 mots
irréguliers de Martinez Perez et Poncelet (2009) (cité dans Martinez Perez, 2012), la
première partie (liste A) étant travaillée en séance.
Il est fréquent qu’un patient soit capable de « réciter » par cœur certaines règles ; par
exemple « on accorde le verbe avec son sujet » ou encore « on accorde l’adjectif avec le
nom auquel il se rapporte ». C’est le cas de Benoit. Le problème se situe dans sa capacité à
repérer correctement le sujet d’une phrase, à ne pas confondre adverbes, adjectifs, noms,
etc. et à appliquer correctement les règles. Il faut donc dans un premier temps revoir les
natures et fonctions des mots de la phrase, avant de pouvoir rappeler et travailler les
différentes règles, pour enfin apprendre à Benoit à appliquer ces règles, en utilisant des
indices afin d’en « déclencher » l’utilisation (Estienne, 1973).
Nous commençons donc par revoir les « natures » : déterminants, pronoms, noms, adjectifs,
adverbes et « mots liens » (cette catégorie regroupe les prépositions, conjonctions, etc. que
nous ne distinguons pas, pour plus de simplicité). Nous revoyons également les
« fonctions » clefs de la phrase, nécessaires à la maitrise des règles visées (ex. sujet,
complément direct). Loin d’être une analyse de linguiste, l’objectif est ici de simplifier ces
notions au maximum, en fournissant au patient des fiches concrètes et en proposant des
exercices ciblés, dans lesquels il doit, par exemple, retrouver le sujet d’un verbe. L’objectif
est ici qu’il dispose des outils nécessaires à la compréhension et à l’application des règles
grammaticales de base.
Nous réfléchissons ensuite avec Benoit aux éléments qui doivent « déclencher » l’application
de la règle. Par exemple, « je vois un verbe donc je cherche son sujet » (cf. modèle ACT-R
(Anderson, 1983, 2000)). Cela nécessite de systématiquement verbaliser sa démarche.
Dans un premier temps, nous guidons le patient en lui posant des questions : « qu’est-ce
que c’est comme type de mot ? », « doit-on l’accorder ? », « que devons-nous chercher ? »,
etc. Nous estompons ensuite au fur et à mesure l’aide et les indices proposés.
Nous travaillons ensuite chaque homophone grammatical l’un après l’autre, en veillant à
toujours mettre la règle par écrit avec un support visuel. Nous proposons au patient de
chercher lui-même des exemples et nous réalisons des exercices comme des choix
multiples, des textes à trous, des dictées de phrases, etc. en demandant systématiquement
à Benoit de se justifier dans ses choix, d’abord avec la règle sous les yeux, puis en enlevant
le support.
Nous débutons le travail du participe passé en proposant également une épreuve repère
qui nous sert de ligne de base. Dans cette épreuve, nous proposons à Benoit un texte dans
lequel il doit compléter la fin des participes passés et des infinitifs. Nous travaillons ensuite
par étape : (1) être capable de repérer un participe passé et le distinguer de l’infinitif, (2) être
capable de repérer un auxiliaire et reconnaitre s’il est issu du verbe être ou avoir, (3)
apprendre et appliquer la règle d’accord. Nous travaillons d’abord le participe passé employé
seul, avec être, avec avoir, puis le participe passé des verbes pronominaux. Nous mettons
systématiquement la règle par écrit et réalisons des exercices ciblés (ex. texte à trous, dictée
de phrases) en guidant Benoit à travers les différentes étapes.
3.4. Généralisation et transfert
Même si on observe assez rapidement des progrès pour chaque apprentissage pris de
manière isolée, il n’est pas évident pour le patient d’utiliser tous les « outils » en même
temps. Si, dans un premier temps, il est important de travailler chaque nouvelle stratégie
séparément, il est nécessaire d’augmenter ensuite la complexité et la charge cognitive pour
se rapprocher d’une situation réelle, en « mélangeant » les difficultés (en situation de dictée
de texte, par exemple) (Schelstraete et Maillart, 2004). Dans ce genre de situation, il est
difficile de porter son attention sur tous les éléments à la fois. La relecture est alors une
stratégie efficace qui permet de repérer ses fautes a postériori. Pour ce faire, nous avons
créé une fiche de relecture avec Benoit, contenant les différents éléments pour lesquels il
doit être particulièrement vigilant (cf. Figure 4). Cette fiche sera amenée à être modifiée au
fur et à mesure de la prise en charge (intégration des nouvelles stratégies, mise en avant de
ce qui reste le plus problématique, etc.).
Il est essentiel que les progrès observés soient transférés dans la vie quotidienne. Pour ce
faire, il faut favoriser en séance des situations proches de celles vécues au quotidien (ex.
production spontanée) et il est important que le patient utilise les outils proposés en dehors
des séances. Dans ce cas-ci, Benoit transfère une fois par semaine, un mail professionnel à
l’orthophoniste, en faisant particulièrement attention à son orthographe et en exploitant tous
les outils mis à sa disposition. Benoit réalise également chaque semaine une courte
production écrite sur un thème de son choix (souvent un thème d’actualité) dont nous
discutons à la séance suivante (détection des erreurs, justifications, alimentation du
référentiel personnel, etc.)
Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, des épreuves ciblées (lignes de base) ont été
proposées à Benoit avant d’entamer chaque nouveau travail (pré-test). La passation de ces
épreuves après 12 séances (2ème évaluation), 20 séances (3ème évaluation) et 30 séances
(post-test) nous permet d’objectiver ses progrès et ainsi l’efficacité de la prise en charge.
L’analyse des résultats nous indique des progrès à tous les niveaux. Pour illustrer cela,
regardons les performances de Benoit à la ligne de base créée pour la voie d’assemblage et
pour la méthode visuo-sémantique.
Figures 5 : Résultats de Benoit à l’épreuve de dictée de pseudo-mots contenant des graphies complexes et des graphies
contextuelles : liste A et liste B.
Figure 6 : Résultats de Benoit à l’épreuve de dictée de mots irréguliers (Martinez Perez et Poncelet, 2009) : liste A et liste B.
Pour évaluer les progrès de Benoit dans l’utilisation des graphies complexes et des graphies
contextuelles, nous lui avons proposé une dictée de deux listes de pseudo-mots, contenant
les graphies cibles (liste A et B) (cf. Figure 5). Deux cotations ont été réalisées, une cotation
de la graphie cible (correctement orthographiée ou non) et une cotation du pseudo-mot
entier (une erreur pouvant survenir ailleurs dans le pseudo-mot). Nous observons qu’avant
d’entamer le travail (pré-test), seule la moitié des pseudo-mots environ est correctement
orthographiée. Les erreurs portent essentiellement sur les graphies cibles, Benoit ne faisant
qu’une seule erreur supplémentaire dans la liste A et dans la liste B. Nous notons que la liste
B est légèrement mieux réussie lors du pré-test. Nous avons ensuite travaillé ces graphies et
spécifiquement les pseudo-mots de la liste A durant 12 séances (d’autres mots et pseudo-
mots ont également été utilisés lors de la prise en charge, cf. 3.1. amélioration de la voie
d’assemblage). Lors de la deuxième évaluation, les progrès sont manifestes et
l’apprentissage est généralisé, la performance de Benoit plafonnant tant pour la liste A que
pour la liste B (non travaillée). Vu les progrès de Benoit, nous avons laissé le travail ciblé de
ces graphies de côté durant la suite de la prise en charge, ne les revoyant qu’en cas d’erreur
dans ses productions. On observe, lors des évaluations suivantes, que les progrès de Benoit
restent assez stables dans le temps.
En parallèle, nous avons proposé à Benoit une liste de 60 mots irréguliers (Martinez Perez et
Poncelet (2009), cité dans Martinez Perez, 2012). Cette liste n’a pas été travaillée dans un
premier temps, nous servant de « liste C ». Nous constatons que la performance de Benoit
reste stable entre le pré-test et la 2ème évaluation, ce qui confirme la spécificité des progrès
liés à notre prise en charge (cf. Figure 6). Après la deuxième évaluation, nous avons entamé
un travail sur la moitié de ces 60 mots irréguliers (liste A) via la méthode visuo-sémantique.
Nous observons un progrès de la performance de Benoit qui confirme l’efficacité de la
méthode et une stabilité de sa performance dans le temps. Nous constatons par contre, une
fluctuation de la performance de Benoit à la liste B, non travaillée. Cette fluctuation, nous
l’observons au quotidien car Benoit hésite énormément quand il écrit des mots (ex. « un h ou
pas ? ») et il lui arrive d’écrire correctement un mot lors d’une séance et de se tromper à la
séance suivante ou inversement.
Nous allons maintenant illustrer l’intérêt de nos « épreuves repères », même si elles sont
nettement moins rigoureuses qu’une ligne de base classique. Nous en avons proposé une à
Benoit dans le cadre du travail des participes passés. Avant la prise en charge, il n’accordait
correctement les participes passés (complétion d’un texte à trous) qu’une fois sur deux
environ et avouait répondre souvent au hasard. Ce texte à trous n’a pas été travaillé par la
suite (« liste B »). Le travail des participes passés ayant débuté plus tardivement, seules
quelques séances avaient eu lieu avant la 2ème évaluation, il ne nous a donc pas semblé
judicieux de proposer notre épreuve repère au 2ème temps. Lors de la 3ème évaluation, nous
observons un net progrès (cf. Figure 7). La performance de Benoit s’améliore encore
légèrement à la fin de la prise en charge et plafonne. Nous avons en effet continué le travail
des participes passés entre la 3ème et la dernière évaluation. L’épreuve « repère » confirme
donc les progrès de Benoit et la généralisation des apprentissages4.
.
Figure 7 : Résultats de Benoit à l’épreuve d’accord des participes passés (31 items non travaillés en séance).
Les progrès de Benoit sont également confirmés lors du bilan d’évolution réalisé à la fin
des 30 séances. On note des progrès en écriture de mots réguliers, de mots irréguliers et de
pseudo-mots, ainsi qu’en orthographe phonétique et grammaticale à l’épreuve de dictée de
texte. Notons également que ses performances se sont améliorées dans d’autres épreuves :
- en métaphonologie (temps de réponse) et en répétition de pseudo-mots, ce qui peut en
partie s’expliquer par la plus grande familiarité de Benoit avec le type de matériel proposé.
En effet, ces tâches font intervenir des pseudo-mots et ce type d’items a été beaucoup
employé lors de la prise en charge.
- en vitesse de lecture de mots et en précision de lecture de pseudo-mots et de textes
(nombre d’erreurs). Même si la lecture n’a pas été travaillée spécifiquement durant la prise
en charge, Benoit a sans cesse été confronté à du matériel écrit (ex. complétion d’un texte à
trous), il a appris à se relire en vérifiant les correspondances graphèmes-phonèmes, etc.
Ceci a bien évidemment pu avoir un impact sur ses performances en lecture.
Enfin, de manière plus subjective, Benoit dit également se sentir plus à l’aise, plus armé
pour écrire, il évite moins d’écrire et fait davantage attention à son orthographe (ne se dit
plus « tant pis »). Ses proches ont également remarqué spontanément qu’il faisait moins de
fautes d’orthographe.
4
Nous pouvons légitimement nous demander si tous les progrès mis en évidence dans les différentes lignes de
base sont « significatifs ». Faut-il une amélioration de 1, 2, 10, 20 points à une épreuve pour pouvoir affirmer que
le patient a réellement progressé ? Pour répondre à cette question, il aurait fallu utiliser des tests statistiques (par
exemple le test de McNemar), ce qui fait défaut dans notre étude de cas clinique.
Conclusion
A l’heure actuelle, nous manquons encore cruellement des données issues de la recherche
en ce qui concerne la prise en charge orthophonique chez l’adulte dyslexique. L’étude de
cas présentée dans ce chapitre est le fruit d’un travail clinique, bien loin de la rigueur des
études de cas que l’on peut retrouver dans la littérature scientifique. Elle illustre cependant la
démarche que peut suivre un thérapeute, tentant de mettre en place un projet thérapeutique
ciblé et adéquat et veillant à vérifier l’efficacité de sa prise en charge afin de pouvoir se
réajuster.
L’Evidence-Based Practice est un cadre qui nous semble très utile pour le thérapeute dans
sa réflexion quant à l’élaboration de son projet thérapeutique. Il fait intervenir trois éléments
clefs : les connaissances théoriques, l’expertise du clinicien et les besoins, valeurs et
préférences du patient. Chaque prise en charge ne pourra donc qu’être unique puisque
adaptée en fonction de ces trois facteurs.
Pour terminer, soulignons encore que le projet orthophonique ne doit évidemment pas se
limiter aux exercices ciblés proposés lors des séances, l’objectif du clinicien étant le transfert
des apprentissages et l’amélioration de la qualité de vie du patient au quotidien.
Bibliographie
Epreuves de barrage
(Hougardy, 2006, non
publié)
Coquilles au sein d’un texte
Pseudo-mots semblables
vs dissemblables