Etre Soldat de Hitler

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Du même auteur

Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et


dans certains cas par mesure de persécution, 1940-1945 (ouvrage
collectif), FMD, Tirésias, 2004.
La Grande Guerre au Moyen-Orient, 1914-1918, Espace Publication,
Beyrouth, 2009.
Le Dictionnaire du Débarquement (sous la direction de Claude Quétel),
Ouest-France, 2011.
Afrikakorps. L’armée de Rommel, Tallandier, 2013.
Invasion ! Le Débarquement vécu par les Allemands, Tallandier, 2014.
Les Divisions du Débarquement, Ouest-France, 2014.
Les Opérations aéroportées du Débarquement, Ouest-France, 2014.
Patton. La chevauchée héroïque, Tallandier, 2016.
L’Armée de Hitler, Ouest-France, 2017.
Rommel, Perrin, 2018.
Alarm ! Les Allemands face au débarquement des Alliés, Ouest-France,
2019.

Vous pouvez consulter le site de l’auteur à l’adresse suivante :


www.benoitrondeau.com
© Perrin, un département de Place des Éditeurs, 2019

12, avenue d’Italie


75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01

ISBN : ISBN : 978-2-262-08027-3

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre
gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du
Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions
civiles ou pénales. »

Crédit couverture : Deux soldats décorés de la Croix de Fer, Crimée, 1942 © DR


Sommaire
Couverture

Titre

Du même auteur

Copyright
PROLOGUE
INTRODUCTION

Être soldat de Hitler : la diversité des situations


La spécificité d’une armée constituant le bras armé d’une dictature
Une entente précoce et une communion de vues entre Hitler et son armée
Étudier le quotidien du soldat et questionner la réputation d’excellence de la Wehrmacht
Pourquoi écrire un nouveau livre sur l’armée allemande de 1939 à 1945 ?

Chapitre premier. Formation et discipline : de la caserne au front


De futurs soldats formés dès le plus jeune âge
Le Wehrkreis : une armée à cadre territorial
La Kaserne : l’entrée dans la vie militaire
La Wehrmacht : une armée à la discipline de fer
L’entraînement des soldats de la Heer
Les sous-officiers : colonne vertébrale de l’armée de Hitler
Les officiers allemands, symboles de l’excellence de la Wehrmacht
La Luftwaffe : la formation des soldats d’Hermann Goering
Les recrues de la Kriegsmarine
Les femmes de l’armée de Hitler
L’idéologie nazie au sein de l’armée de Hitler
La Waffen-SS
De l’Ersatzheer à la Feldheer : la montée au front
La poursuite de l’entraînement dans le cadre de la reconstitution d’une unité
Chapitre 2. La guerre sur terre :
conditions matérielles et vie quotidienne au front
La nourriture du soldat allemand

Les troupes de Hitler : des drogués ?


Équipement individuel et uniformes
Le service de santé aux armées
Enterrer les morts
Le moral du soldat allemand

Le quotidien sur le front de l’Est


La guerre en Méditerranée : désert et montagnes
Glace, neige et roc
Marais, forêts et bocage
Les loisirs des soldats de Hitler
Le soldat de Hitler : un commando ou un soldat de troupes d’élite ?
L’importance des décorations
Les relations avec les alliés
Les Waffen-SS et leurs camarades de la Wehrmacht
Vision de l’ennemi
Chapitre 3. La guerre sur terre : les conditions de combat
Les années fastes du Blitzkrieg, de 1939 à 1942
La transition vers une guerre de positions de 1942 à 1945
La Wehrmacht à l’abri de lignes bétonnées
Deux expériences nouvelles et déconcertantes : la retraite et l’encerclement
Être soldat allemand : combattre en état d’infériorité numérique
La guerre sur plusieurs fronts
Les panzers : l’avantage majeur de la Wehrmacht
1943-1945 : de meilleurs blindés… mais toujours trop peu nombreux

Les meilleurs blindés du conflit ?


Les armes antichars : l’autre atout de la Wehrmacht
Un armement de qualité pour les soldats de Hitler
Un armement cependant bien souvent hétéroclite
Les armes miracles : aucune incidence majeure pour les soldats allemands

Les transmissions : une lacune au sein de la Wehrmacht


L’équipement des Pioniere : dépassé dans presque tous les domaines
La Wehrmacht : une armée faiblement motorisée
Un parc de véhicules motorisés hétéroclite
Des véhicules de facture allemande de qualité
Les conséquences d’une trop faible motorisation
Une logistique défaillante
Souplesse d’organisation et supériorité tactique
Pourquoi le soldat de Hitler a-t-il été en mesure de faire preuve d’une telle combativité ?
Des leaders d’exception bridés par le Führer ?
Chapitre 4. La guerre aérienne des soldats de Hitler
Les hommes d’Hermann Goering
Une Luftwaffe taillée pour une Blitzkrieg lancée dans une guerre mondiale
Des chasseurs sur tous les fronts
Bombarder : du Stuka au V1
Les missions de transport : un rôle méconnu de la Luftwaffe
Les bases de la Luftwaffe : le quotidien des hommes de Goering
La Flak : l’arme la plus redoutée de la Luftwaffe
La Luftwaffe sous béton et les radars
Les forces de combat terrestres de la Luftwaffe
Chapitre 5. La guerre sur mer
La branche défavorisée de la Wehrmacht
L’impossible guerre navale
L’impossible coopération avec la Luftwaffe
Une vaine course aux armements

Les marins de Hitler


Une flotte de surface réduite
U-Boote : les loups gris
Les corsaires : les oubliés de la flotte de surface
L’assaut amphibie

Missions auxiliaires méconnues mais essentielles


Marins sous le béton
Marins sur le front : navires de soutien et fantassins de fortune
Chapitre 6. Les soldats de Hitler et les civils
Le courrier du pays : le moment tant attendu

Préserver la famille avant tout


Le sens du devoir mais un Vaterland devenu une altérité
La permission
Les soldats de Hitler et les civils des pays occupés
L’Occupation à l’Ouest

Le quotidien avec les civils


Paris, « Ville lumière » pour les soldats de Hitler
Les tensions se multiplient avec les populations occupées à l’Ouest
En Méditerranée et dans les Balkans
À l’Est : le racisme à son paroxysme

Une Russie idyllique


Des relations avec les femmes slaves empreintes de violence
Chapitre 7. Crimes
Une efficacité militaire au service de crimes innommables
Les crimes à l’Ouest dès la Westfeldzug de 1940

Le temps de l’Occupation à l’Ouest, 1940-1944


Les crimes à l’encontre des soldats alliés à l’Ouest en 1944-1945
La campagne de Pologne : le laboratoire d’une guerre menée sous l’égide
d’une idéologie raciste
Le massacre des prisonniers de guerre soviétique : le plus grand crime des soldats de Hitler
Les civils soviétiques : victimes des brutalités des soldats allemands

Les soldats de Hitler : complices de la Shoah en Union soviétique


Les crimes de la Wehrmacht et la Waffen-SS dans les Balkans
Une guerre sans haine en Afrique ?
L’Italie : cadre de méfaits méconnus de la Wehrmacht
1945 : un cortège de crimes dans le Vaterland

Résister à Hitler : l’opposition au sein de la troupe


Des généraux résistants ?
Une opposition qui naît de la perspective de la défaite
Tentatives d’assassinat
L’attentat du 20 juillet 1944

L’énigme Canaris
Le Comité national pour l’Allemagne libre
Chapitre 8. Après Hitler : la postérité d’une armée controversée
La défaite
L’épreuve de la captivité

Le refoulement d’un passé et la négation de toute culpabilité


Un contexte international favorable à l’ancienne Wehrmacht
Le mythe de l’excellence de la Wehrmacht
Les aspects protéiformes de l’intérêt porté à la Wehrmacht
Les lieux du souvenir
La postérité du matériel et de l’uniforme du soldat allemand
La remise en cause d’une image édulcorée en Allemagne même
Un renouveau historiographique salutaire au-delà de l’Allemagne
L’image de la Wehrmacht sur le grand écran : un résumé en images de sa postérité
Épilogue. Le temps de la réconciliation

Bibliographie
Remerciements
Notes
Index
À Pascal Goyceta, mon regretté ami,
autre passionné de la Seconde Guerre mondiale
PROLOGUE

« Je jure devant Dieu obéissance inconditionnelle à Adolf Hitler,


Führer du Reich et du peuple allemands, commandant en chef de la
Wehrmacht, et que je serai toujours prêt, comme un brave soldat, à donner
ma vie pour ce serment. » Ce sont par ces paroles, lourdes de conséquences,
prononcées au moment de son incorporation, qu’un soldat allemand
s’engage à une fidélité absolue à l’égard du Führer, devenant ainsi un soldat
de Hitler. Cette allégeance au dictateur nazi se reflète sur l’uniforme sous la
forme d’un aigle stylisé, aux ailes déployées ou repliées, la tête tournée sur
la droite – vers l’avant, avec dans ses serres une couronne de laurier
entourant un svastika, la croix gammée, l’emblème du Troisième Reich. Un
symbole omniprésent qui orne la droite de la poitrine sur les vareuses de la
Wehrmacht et les manches des tenues de la Waffen-SS, les casquettes, la
décalcomanie des casques d’acier, ainsi que les boucles des ceinturons.
La solennité du serment est empreinte de symbolique : les recrues se
tiennent à six devant un officier tenant épée1 ; les jeunes soldats touchent le
drapeau, celui du Vaterland bien-aimé ou de leur unité, tout en esquissant,
selon une tradition médiévale germanique, le geste de la bénédiction avec la
main droite2.
Le soldat s’engage ainsi à se battre pour Adolf Hitler, pour lequel il doit
être prêt au sacrifice ultime. « Celui qui a prêté serment au drapeau
allemand n’a plus rien qui lui appartienne », déclare l’Unteroffizier
(sergent) Lange au jeune Otto Henning, qui part rejoindre les rangs de
l’Afrikakorps3. Henning est devenu un soldat de Hitler. Tous ne goûtent pas
avec autant de gravité les implications d’un tel engagement, comme
l’illustre l’entrée du 29 novembre 1943 du journal de bord d’Andreas
Bucher, un jeune Alsacien enrôlé de force : « Prêté serment d’allégeance.
La comédie la plus drôle qu’il m’ait été donné de voir ; et ils osent en plus
jouer “Seigneur tout-puissant, nous Te louons” après la cérémonie4. » Cette
louange à Dieu, typiquement chrétienne, heurte Andreas Bucher, qui n’y
voit qu’une hypocrisie de la part de soldats d’une armée particulièrement
brutale et insensible.
Cette promesse de fidélité est le fruit d’une initiative du ministre de la
Défense, le général von Blomberg, qui, en août 1934, soumet de la sorte
l’armée au nouveau Führer (Hitler cumule les fonctions de chancelier et de
chef d’État) en faisant prêter à tous ses membres un serment de loyauté au
dictateur, serment qui les lie jusqu’à l’anéantissement final. En février 1945,
alors que l’apocalypse s’approche, un soldat écrit à son épouse : « En cette
période tu as ta foi en Dieu et la bénédiction de ton Église. De mon côté je
n’ai pas de croyances ni d’espérances, mais une détermination inflexible à
me tenir debout sous le drapeau et à honorer mon serment sans aucun
compromis5. » Une attitude généralisée au sein d’une armée inféodée à un
dictateur : l’armée de Hitler – la Wehrmacht et la Waffen-SS – qui a tenu
jusqu’à l’extrême limite, au service du Führer, souvent adulé comme une
divinité, et du nazisme.
Pour les officiers, militaires de carrière, ce serment prêté au
commandant en chef entre dans une tradition établie d’obéissance
inconditionnelle à l’autorité supérieure : la fidélité due à Adolf Hitler
s’inscrit dans la droite ligne de celle qui était due jusqu’à la fin de la Grande
Guerre à l’empereur, le Kaiser. Mais, contrairement aux événements
consécutifs à l’armistice de 1918, aucune révolte ne survient dans le Reich
en 1945, que ce soit chez les militaires ou chez les civils. Les conscrits,
sommés de combattre jusqu’au dernier homme, acceptent leur sort et
accomplissent ce qu’ils pensent être leur devoir, à savoir respecter leur
serment. À l’instar du général Blumentritt, il leur semble plus aisé
d’accepter la reddition sans conditions de 1945, qui consacre pourtant la
défaite la plus totale et la plus absolue subie par l’armée allemande dans son
histoire, que l’armistice de 1918 et la paix de 19196. Ce serment, dévoyé, a
servi de justification a posteriori pour les anciens soldats allemands
soucieux de se démarquer de l’attitude controversée, voire compromettante,
de la Wehrmacht et de la Waffen-SS au cours de la Seconde Guerre
mondiale. Être soldat de Hitler, c’est en effet se mettre au service d’une
idéologie et d’un État criminels.
INTRODUCTION

Être soldat de Hitler : la diversité des situations

Rommel, Wehrmacht, panzer, Luftwaffe, Blitzkrieg, U-Boot,


Afrikakorps, Waffen-SS… autant de noms et de termes militaires faisant
référence à l’armée de Hitler… autant de supposés synonymes d’excellence
militaire. Cette armée renvoie une image de puissance et de modernité.
Cette réputation est-elle usurpée ? D’où celle-ci tire-t-elle son origine ? Que
signifie le fait d’être un soldat de cette armée allemande, c’est-à-dire être un
soldat de Hitler ? Autant de questions auxquelles nous proposons des
réponses.
Parler de l’armée allemande ou du soldat de Hitler en général est une
facilité de langage qui recouvre une réalité très diverse. Près de 20 millions
d’hommes ont endossé l’uniforme de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS
sous le Troisième Reich, la plupart étant des conscrits, donc contraints et
forcés de partir à la guerre. Un nombre si élevé de soldats implique ipso
facto une très grande variété de destinées particulières, embrassant
l’intégralité du spectre des comportements et des caractères possibles : ces
soldats peuvent être apolitiques, socialistes, libéraux, conservateurs,
croyants ou athées, antimilitaristes, nazis fanatisés… L’expérience de la
guerre est également tributaire du front sur lequel le soldat sert, de la
période de la guerre considérée, du grade et de la fonction, de
l’appartenance ou non à une formation d’élite bien équipée, etc. Les
expériences sont multiples, de même que le ressenti des événements
auxquels ces hommes sont confrontés, chacun étant tributaire de son
éducation, de son milieu, de ses lectures et de son idéologie. On peut
cependant, à partir des destins individuels, définir un type, car des éléments
s’imposent par leur fréquence.

La spécificité d’une armée constituant le bras armé d’une


dictature

Une question ne peut être éludée sur un tel sujet d’étude : le soldat
allemand appartient-il à une armée ordinaire ? Autrement dit, est-il anodin
d’être un soldat au service d’un État raciste et totalitaire ? Le parti pris du
présent ouvrage est de répondre par la négative. Son propos est de mettre en
valeur ce qui fait la spécificité de l’armée allemande de la Seconde Guerre
mondiale en brossant le portrait du soldat de Hitler : qu’est-ce qui
caractérise le soldat allemand ? Jusqu’à quel point peut-on affirmer que
cette armée est celle de Hitler ? Quelles en sont les implications concrètes
sur les plans politique et éthique, que ce soit sur le champ de bataille ou
ailleurs ? Ces soldats sont-ils avant tout des victimes ou des instruments du
régime ? L’idéologie nazie a-t-elle donné un sens à leur combat ?
Les questions liées à la violence de l’endoctrinement idéologique sont
donc centrales. Pour cette nouvelle Allemagne idéale et fantasmée, cette
nouvelle société qui sera plus moderne et plus juste (pour les Aryens…),
quand bien même le projet est totalitaire et empreint d’un chauvinisme
extrême, les soldats de l’armée allemande sont prêts à se déshonorer par
leur fidélité à un chef d’État criminel et à commettre les pires forfaits. Il
importe donc de questionner la légende d’une Wehrmacht « propre » et
correcte, l’image de marque des décennies durant. Un chapitre entier est
donc logiquement dédié aux crimes de guerre et à l’implication des forces
armées dans la Shoah.
La légitimité de la lutte – réparation d’une injustice causée par le traité
de Versailles pour la Pologne, réponse à la déclaration de guerre de la
France ou guerre préventive face à l’Union soviétique – ne semble pas
poser question pour ces hommes. Le soldat Wilhelm Prüller exulte après la
victoire sur la Pologne. À ses yeux, il n’y a pas de place pour le doute :
« Les autres se battent pour une mauvaise cause… Nous sommes
aujourd’hui une Allemagne différente de ce que nous étions ! Une
Allemagne nationale-socialiste1. »
Beaucoup de soldats s’illusionnent sur les desseins réels de celui en qui
ils ont une foi aveugle, une confiance qui est également rassurante dans
l’adversité. À l’image d’un Lincoln déclarant que « les voies du Seigneur
sont impénétrables », certains soldats allemands laissent à Hitler la
compréhension des sacrifices endurés par l’armée : « Le Führer saura
pourquoi ils sont nécessaires2 », écrit un soldat encerclé dans la fournaise de
Stalingrad. Hitler a en effet prévenu la population allemande avant le
conflit : le soldat allemand doit être prêt à se sacrifier pour le peuple
allemand.
Une armée est en effet le reflet de la société dont elle est issue et qui l’a
forgée. Selon la volonté des autorités, le soldat allemand doit être politisé.
Et politisé, il le sera, faisant sienne la vision du monde selon l’idéologie
nazie, ainsi que son comportement sur le front et à l’égard des populations
occupées en fait foi. Une armée n’est pas apolitique : l’attitude de la
Wehrmacht envers le régime nazi est chargée de signification politique. Si
Hitler en personne déclare un jour qu’il a « une armée réactionnaire, une
Luftwaffe nationale-socialiste et une marine chrétienne », la réalité est
moins nuancée : quelle que soit leur branche d’appartenance – Wehrmacht
ou Waffen-SS –, les soldats de Hitler subissent un endoctrinement, et le
degré de nazification n’est ni insignifiant ni sans conséquences. « C’est un
véritable non-sens, écrit l’amiral Dönitz, le successeur de Hitler à la tête de
l’État nazi, de dire que le soldat, l’officier doit être apolitique. Le soldat
incarne l’État dans lequel il vit, il est le représentant, le protagoniste
qualifié de cet État3. » Une armée apolitique ? Hans Apel, ministre de la
Défense de la République fédérale d’Allemagne en 1980, a une tout autre
conception de la chose. Il s’oppose à ce que les officiers portent l’uniforme
aux obsèques de Dönitz : « Les qualités militaires ne doivent pas être
séparées des objectifs politiques qu’elles servent. Un commandant en chef
d’une partie de la Wehrmacht doit être apprécié à la mesure du
discernement politique dont il était capable et de sa responsabilité politique
conjointe4. » Notre travail insiste donc sur le degré de nazification de
l’armée.
La brutalité est la marque de l’armée de Hitler, qui, de la légalisation de
l’assassinat de civils passe à celle de ses propres soldats, retient notre
attention. Une armée dans laquelle Hellmuth Frey, un soldat de
l’Afrikakorps, aménage son abri dans le désert en juillet 1941 en n’oubliant
pas de fixer près de son miroir une photographie du Führer tirée du
Völkischer Beobachter, en lieu et place de l’épouse ou d’une pin-up plus
affriolante5… Lors de la chute de Stalingrad, l’Oberst (colonel) Rosenfeld
envoie un ultime message fort évocateur, car il rend compte du degré
d’allégeance envers Hitler de nombreux soldats allemands : « Le drapeau à
croix gammée flotte au-dessus de nos têtes. L’ordre de notre commandant
suprême sera suivi jusqu’au bout. Vive le Führer6 ! » Le bien-fondé de la
lutte ne pose pas question chez ce soldat, et la fierté point dans les propos
de celui qui se sait condamné à mourir : « Je suis fier de pouvoir me
compter parmi les défenseurs de Stalingrad. Quand viendra pour moi le
moment de mourir, j’aurai la satisfaction de m’être trouvé à la pointe la plus
extrême de la grande bataille qui se déroulait sur la Volga pour la défense de
ma patrie et d’avoir donné ma vie pour notre Führer et pour la liberté de
notre nation7. » Cet homme était incontestablement un soldat de Hitler. Pour
un autre combattant, servir le Führer pose un cas de conscience qui
témoigne de la multiplicité des situations : « Chacun doit crever un jour ou
l’autre, déclare le Feldwebel [adjudant] Anton Schmid à un Juif qu’il cache.
Mais, si je peux choisir si je dois crever dans la peau d’un assassin ou celle
d’un homme qui aide, je choisis de mourir en portant secours8. »

Une entente précoce et une communion de vues entre Hitler et


son armée

L’armée développe rapidement des liens forts avec le nouveau régime


car elle est l’instrument indispensable de l’hégémonie allemande à laquelle
Hitler aspire. Ce dernier redonne du prestige à une force militaire qui n’a
jamais admis sa responsabilité dans la défaite de 1918. L’avènement de
Hitler signifie la restauration d’un État national fort, auquel l’armée a
toujours aspiré, et une revalorisation de son statut et de son prestige. Dès sa
prise du pouvoir, Hitler flatte les officiers prussiens qui ont le sentiment
d’appartenir à une classe particulière et d’occuper une place de premier plan
dans la société. Il leur déclare que servir dans l’armée n’est pas, et n’a
jamais été, un « service contraint » pour les Allemands. Mieux : être soldat
constitue un « très grand honneur9 ». Celui qui s’y refuse n’est qu’un traître,
un pacifiste honni : ce n’est pas un individu digne d’être un Allemand, qui
se doit d’être mû par un esprit guerrier et belliciste.
L’idéologie nazie, mettant en exergue le Führerprinzip (soit le
« principe du chef », avec l’idée parallèle du respect de l’autorité), est basée
sur le racisme, l’antisémitisme, l’anticommunisme et le projet d’une
expansion territoriale au bénéfice de l’Allemagne qui se doit d’être la
puissance hégémonique en Europe : autant de thèmes partagés par une
grande partie du corps des officiers, même si des officiers prussiens comme
les généraux von Rundstedt et von Bock réprouvent certains aspects
révolutionnaires des nazis, tout en s’accordant avec eux sur tout le reste.
L’armée accepte de se mettre au service du régime, tout en refusant
d’être absorbée par le NSDAP et en conservant son identité, les succès
politiques remportés dans les années 1930 puis la mise au pas du haut
commandement ne faisant qu’accentuer le processus. Si son emprise
politique faiblit, le haut commandement semble s’en accommoder, pourvu
que le réarmement et la victoire soient assurés. L’armée est de fait rassurée
par la Nuit des longs couteaux, le 30 juin 1934, au cours de laquelle Ernst
Röhm et les principaux cadres de la SA sont éliminés sur ordre de Hitler :
Röhm, qui entendait intégrer la Reichswehr dans la SA, qui serait la
nouvelle armée du peuple allemand, est sacrifié au nom de la nécessité
politique pour le Führer de s’assurer du soutien de l’armée allemande. De
fait, la Wehrmacht, qui succède bientôt à la Reichswehr, est considérée
comme le second pilier de l’État nazi10. Une autre armée se développe
pourtant peu à peu à partir des rangs du NSDAP, la Waffen-SS, émanation
de la SS, la garde personnelle de Hitler issue du parti nazi. Des soldats
politiques qui sont qualifiés de « camarades » par le général von Blomberg,
commandant en chef de la nouvelle Wehrmacht à partir 1935.
August von Kageneck raconte que ses parents, pourtant conservateurs et
peu réceptifs à la rhétorique nazie, l’incitent à embrasser la carrière des
armes un jour d’avril 1939. « Là, au moins, tu peux encore ouvrir ta gueule
et dire ce que tu veux, et tu n’as pas à faire le salut hitlérien », lui déclare
son père, qui se méprend sur le caractère de cette nouvelle armée. Pis,
Kageneck père se leurre complètement en imaginant une armée
indépendante du régime et capable de représenter un contre-pouvoir face au
gouvernement et au NSDAP : « Choisir l’armée comme dernier rempart
contre l’omniprésence du parti, c’était une sorte de profession de foi11 »,
déclare un Kageneck plein de naïveté. La possibilité que l’armée ait pu
constituer une menace pour le pouvoir en abritant l’âme d’une résistance au
nazisme est une question qu’il nous faut aborder, car elle est significative de
ce que veut dire être un soldat de Hitler.

Étudier le quotidien du soldat et questionner la réputation


d’excellence de la Wehrmacht

L’armée allemande était-elle aussi puissante et parfaite qu’on l’a


prétendu ? « Rien n’est impossible au soldat allemand », a déclaré un jour le
Führer. Rien, en effet, pas même massacrer des civils en masse… Étudier ce
qui caractérise le soldat de Hitler, c’est également chercher des réponses à
des questions majeures : la Wehrmacht et la Waffen-SS sont-elles
correctement armées, convenablement équipées et bien commandées ? Le
haut commandement a-t-il dû subir les interférences d’un dictateur jugé a
posteriori seul responsable de tous les désastres et fautes de jugement ?
Le maréchal britannique Wavell a écrit un jour que les principes de la
tactique et de la stratégie sont simples « à l’absurde », et si la guerre est si
compliquée, elle le doit à ce qu’il appelle les « réalités de la guerre », à
savoir « les effets de la fatigue, de la faim, de la peur, du manque de
sommeil, du temps qu’il fait12 ». Cet angle d’approche est celui qui a été
retenu dans cette étude consacrée au soldat allemand, simple combattant
comme maréchal, quelle que soit sa branche d’appartenance aux forces
armées (Heer, Luftwaffe, Kriegsmarine, Waffen-SS), ressortissant du Reich
comme Volksdeutsche ou allié. Le présent ouvrage s’attache à dépeindre
tous les aspects de la vie militaire en temps de guerre : la formation à la
caserne, le combat, les tactiques, les conditions de vie matérielles sur le
front sous toutes les latitudes, le service de santé, les loisirs, les
permissions, les relations avec les civils des pays occupés…
Étudier le vécu du soldat allemand implique donc d’aborder tous les
aspects constituant son quotidien, au sein duquel il mène une lutte
perpétuelle pour l’existence dans un monde complexe et déroutant, au
milieu de la confusion et de la souffrance. Le soldat est un individu qui
cherche à survivre, qui éprouve en un laps de temps très court tout un panel
de sensations fort diversifiées : l’ennui, la peur, la haine, la panique, le
courage, la lâcheté… Les valeurs se forgent ou se redéfinissent au front, au
contact et sous la surveillance d’autres soldats avec lesquels on partage
tout : temps libre, temps du combat, temps de relaxation, plaisanteries, etc.
La dimension humaine ne saurait donc être négligée. Quelles sont les
relations entre les hommes au sein d’une unité ? Quels rapports entre les
officiers et les hommes de troupe ? Quels liens avec les alliés de
l’Allemagne ? Quelle vision de l’adversaire ? Autant de questions
auxquelles ce livre s’efforce de répondre. Livre qui multiplie par ailleurs
témoignages (avec la prise de distance requise) et anecdotes, qui visent à
faciliter la compréhension des faits et à en rendre la narration, et donc la
lecture, plus agréable, mais aussi plus vivante.
Être soldat de Hitler c’est aussi être en contact avec des civils, des
Allemands, ceux de la famille restée au Vaterland, mais aussi, et surtout, les
ressortissants des pays conquis. Les relations entre ces deux groupes, fort
variées selon les lieux et les périodes de la guerre, sont étudiées dans un
chapitre spécifique.

Pourquoi écrire un nouveau livre sur l’armée allemande de


1939 à 1945 ?

La littérature consacrée à la Seconde Guerre mondiale est pléthorique,


les études traitant de la Wehrmacht se taillant la part du lion. On ne compte
plus les multiples ouvrages consacrés au récit des campagnes et des
batailles, ou portant sur un matériel, un uniforme, un armement, des
insignes ou une unité spécifique. Les témoignages sont légion depuis la fin
des hostilités, ceux de simples soldats ou d’officiers subalternes
comme August von Kageneck ou Hans-Otto Behrendt, mais aussi les
Mémoires ou les carnets des plus hauts responsables de l’armée, désormais
accompagnés de commentaires appropriés (ainsi de La Guerre sans haine,
d’Erwin Rommel, présenté par Berna Günen). Tous ces ouvrages nous ont
été nécessaires pour saisir avec acuité ce qui constitue le quotidien d’un
soldat de Hitler.
Il est toutefois regrettable que la plupart des livres qui traitent d’une
bataille restent déconnectés des autres fronts, alors que l’incidence des
événements survenant en Union soviétique sur les fronts sud et ouest – et
vice versa – est essentielle. Ces livres négligent par ailleurs le plus souvent
un aspect déterminant : le nazisme et la question de l’idéologie au sein de
l’armée allemande. Ils n’envisagent jamais le particularisme que représente
le fait d’appartenir à l’armée de Hitler : le texte reste au niveau technique,
tactique, stratégique, n’abordant jamais le plan moral ou éthique. Pis, les
crimes de l’armée allemande sont passés sous silence ou présentés de
manière à esquisser une équivalence avec les forfaits dont se sont rendus
coupables les forces alliées, ce qui est un mensonge historiographique (dont
les racines ont un arrière-plan politique). Les exceptions sont donc
notables : citons L’Armée d’Hitler d’Omer Bartov (Hachette Littératures,
1999) et Les Crimes de la Wehrmacht de Wolfram Wette (Perrin, 2002).
Les livres en langues anglaise et allemande sont particulièrement
nombreux, bien que des éditeurs français comme Heimdal, Histoire &
Collections, Ysec ou encore des éditions à compte d’auteur (songeons à
Didier Lodieu) se distinguent par leur intérêt porté à l’armée de Hitler, avec
des productions de qualité. Certains livres, français comme étrangers,
restent toutefois d’une complaisance sulfureuse avec le sujet traité, tandis
que nombre d’autres ne représentent rien de plus qu’une accumulation de
documents iconographiques, ce qui a certes son intérêt, mais ne saurait
répondre à l’essentiel. Les relations avec les civils ont également été
envisagées dans certains ouvrages, dont l’étude a été précieuse : pour rester
dans les productions françaises, citons le livre très réussi de Marie Moutier,
Lettres de la Wehrmacht (Perrin, 2014), ou encore celui d’Aurélie Luneau,
Jeanne Guérout et Stefan Martens, Comme un Allemand en France
(L’Iconoclaste, 2016).
En revanche, l’historiographie française souffre du faible nombre de
synthèses consacrées à l’armée allemande pendant la Seconde Guerre
mondiale. Le livre de Philippe Masson, Histoire de l’armée allemande,
1939-1945 (Perrin, 1993), consiste essentiellement en un récit de la guerre
vue selon la perspective allemande. Celui de Philippe Richardot, Hitler, ses
généraux et ses armées (Economica, 2008), est une synthèse plutôt réussie
d’un ordre différent, car elle ne se veut pas un récit chronologique, mais
prend l’aspect d’une sorte de dictionnaire thématique, de l’organisation du
haut commandement aux panzers et aux avions de chasse. Un ouvrage qui
fourmille d’informations et de chiffres, mais qui n’aborde pas la question
humaine de cette armée. Mon livre, L’Armée d’Hitler (Ouest-France, 2017),
très différent du présent ouvrage, esquisse un bilan des forces et des
faiblesses de cette armée, décrit ses caractéristiques, tout en brossant un
tableau des événements survenus sur les différents fronts selon la
perspective allemande : l’approche est donc chronologique, comme dans le
travail de Philippe Masson, mais de façon actualisée.
Si certains livres anglo-saxons entendent livrer un récit de la guerre
telle que vécue par les soldats allemands, comme Hitler’s Soldiers. The
German Army in the Third Reich, de Ben Shepherd (Yale, 2016), ou
Frontsoldaten. The German Soldier in World War II, de Stephen Fritz (The
University Press of Kentucky, 1997), des ouvrages qui, par ailleurs,
abordent plus ouvertement, et avec détails, les crimes commis par les forces
armées allemandes, ainsi que les problématiques de l’Occupation, il
manquait donc un livre consacré au soldat de Hitler qui englobe tous les
aspects de la question autres que la narration des opérations militaires,
désormais bien connues. Aucun livre en français n’aborde le quotidien du
soldat, ni sa préparation au combat. Notre livre comble donc cette lacune
historiographique tout en évitant les deux écueils que sont l’apologie
outrancière et l’affirmation qui consiste à considérer la Wehrmacht comme
une armée intégralement nazifiée, et ce dès le début des années 1930.
Il n’est pas question ici de grande stratégie, ni de récits détaillés des
grandes batailles. Si on s’accorde à accepter comme juste l’assertion de
Wilhelm Prüller, un ancien combattant de la Wehrmacht, selon laquelle
« ceux qui n’ont pas combattu au front ne savent pas ce qu’est la guerre13 »,
l’ambition de ce livre est pourtant de décrire le plus justement possible ce
qu’a représenté le fait d’avoir été membre de l’armée allemande au cours de
la Seconde Guerre mondiale.
On s’y garde par ailleurs de tomber dans un autre écueil, parfois naïf ou
faussement étayé par des arguments qui n’en sont pas, qui consiste à donner
un sens téléologique à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale14 : ces
hommes, ces soldats de Hitler dont il est ici question, pouvaient gagner la
guerre. Une perspective qui n’est pas sans susciter des inquiétudes
rétrospectives.
La postérité de cette armée et, partant, du soldat allemand, est sans
équivalent. Pour appréhender dans sa totalité la signification du fait d’être
un soldat de Hitler, il est nécessaire d’étudier avec soin cette postérité, ce
qu’aucun ouvrage ne propose. Il faut chercher à comprendre les raisons et
les ressorts de cette aura d’excellence, de ce mythe de la Wehrmacht
« meilleure armée du monde », à tout le moins meilleur outil militaire de
son temps. Une autre question nécessite une réponse : d’où vient cette
image d’une certaine correction dans l’attitude du soldat de la Wehrmacht
comparativement au SS ? L’Occupation et son cortège d’atrocités ont un
impact sur la perception du soldat allemand, celle-ci diffère beaucoup selon
le pays considéré. L’étude de la mémoire de cette armée à travers la
littérature, le cinéma et les événements d’après guerre fait donc
logiquement l’objet d’un chapitre final.
L’immense majorité des Allemands n’est pas belliqueuse en 1939.
À l’annonce de l’invasion de la Pologne, le 1er septembre 1939, ce sont la
résignation et l’abattement qui dominent, sentiments renforcés deux jours
plus tard quand le Royaume-Uni puis la France déclarent la guerre au
Reich. La Seconde Guerre mondiale débute. Les soldats de la Wehrmacht et
de la Waffen-SS, quelles que soient leurs convictions politiques ou
religieuses, vont se battre pour le nazisme et ce qu’il représente, mais aussi
pour un homme, Adolf Hitler. Ces hommes sont donc bien les soldats de
Hitler.
L’ouvrage se propose de revisiter le second conflit mondial à l’aune de
ceux qui ont servi dans l’armée qui tient le rôle central dans cette
conflagration mondiale sans équivalent. Le casque d’acier de la Wehrmacht
et les bottes de cuir martelant le sol sont entrés dans les mémoires. Au-delà
du mythe et des légendes, place à la vérité sur les soldats d’une armée
entrée dans l’Histoire.
Chapitre premier

Formation et discipline : de la caserne au front

De futurs soldats formés dès le plus jeune âge

Lorsque les recrues sont incorporées dans les rangs de la Wehrmacht à


partir de la fin des années 1930, les corps et les esprits ont été façonnés au
préalable au sein du Jungvolk (l’organisation nazie pour les plus jeunes), de
la Hitlerjugend (les Jeunesses hitlériennes, à partir de 14 ans) puis du RAD
(le Reichsarbeitsdienst, ou « service du travail », encadrant les jeunes de
18 ans avant leur appel). Toutes ces organisations procurent une excellente
condition physique au plus grand nombre des jeunes Allemands. Elles leur
permettent d’acquérir des savoir-faire fort utiles pour de futurs soldats. Ces
premières années de formation et d’éducation sont aussi le temps de
l’endoctrinement dans la foi en Adolf Hitler et dans les valeurs du nouveau
régime, le principe de l’infaillibilité du chef et celui de l’Obrigkeit –
l’obéissance à l’autorité du supérieur répandue au sein de la population
allemande – étant communément acceptés.
L’esprit de camaraderie, capital en temps de guerre, est inculqué au sein
des Jeunesses hitlériennes, dans la droite ligne de la Volksgemeinschaft, « la
communauté du peuple » si chère aux nazis. La vie de camp, l’uniforme, les
jeux de guerre : tout n’est que préparation à la vie militaire. Les jeunes
chemises brunes se voient dispenser une première initiation au maniement
des armes pendant deux semaines dans une caserne, sous la supervision
d’un Oberleutnant (lieutenant) et de trois sous-officiers, le plus souvent des
invalides décorés au front1. Comme tous les jeunes des Jeunesses
hitlériennes, le futur Fallschirmjäger (parachutiste) Martin Pöppel passe ce
test de maniement du fusil dans une école de tir du Reich, en l’occurrence
celle d’Obermassfeld, en Thuringe2.
Une préparation physique et une cohésion renforcées au sein du RAD,
auquel incombent de grands travaux (autoroutes, etc.) tout aussi, si ce n’est
plus, exigeants sur le plan physique, comme le rappelle Friedrich Grupe,
alors jeune adolescent allemand : « Très tôt, à 4 heures, on sort du lit pour
une longue course dans la campagne avec les exercices du petit matin, puis
la toilette, le petit déjeuner, le cérémonial de la montée des couleurs et, dès
5 heures, la marche jusqu’au lieu de travail, en tenue, avec la pelle sur
l’épaule3. » Pas question de s’amollir par la lecture dans l’Allemagne
nazie… Des sentinelles montent la garde au RAD, comme à l’armée. Si la
discipline peut déjà se révéler impitoyable, on laisse apparemment encore
libre cours à certains écarts de comportement : Pöppel est surpris un jour
dans une guérite, assis sur sa pelle et une pinte de bière à la main, mais
aucune sanction n’est prise à son égard, et il ne reçoit pas la moindre
réprimande4.
D’autres organisations paramilitaires nazies participent à cette
exigeante préparation à la vie de soldat. C’est le cas du NSKK, le
Nationalsozialistische Kraftfahrkorps, soit le « corps de transport nazi », au
sein duquel les jeunes gens apprennent à conduire des camions. Les
activités menées par les sociétés de vol à voile, qui prennent un essor avec
l’arrivée au pouvoir des nazis, sont à l’avenant. Le NSFK, le
Nationalsozialistisches Fliegerkorps, le corps aérien nazi, permet aux
jeunes Allemands de s’initier au pilotage, sur des planeurs ultralégers,
dépourvus de cabine, les SG-38, puis, après succès aux premiers examens,
sur de véritables planeurs comme le Grunau Baby II. La Luftwaffe est elle-
même issue d’une conversion du Deutscher Luftfahrt-Verband (DLV), une
association sportive aérienne et paramilitaire. Martin Pöppel, qui rejoindra
les rangs de la Luftwaffe, est aussi membre de la section marine des
Jeunesses hitlériennes, preuve que toutes les branches de la Wehrmacht sont
représentées au sein des organisations de jeunesse nazies. Quand survient
l’heure de l’appel sous les drapeaux, les futurs soldats allemands sont donc
généralement bien mieux préparés à affronter la vie militaire que leurs
homologues des autres armées qu’ils vont combattre sur les champs de
bataille.

Le Wehrkreis : une armée à cadre territorial

Quelle que soit la branche à laquelle ils appartiennent, les soldats


allemands sont appelés et entraînés dans le cadre de l’Ersatzheer, ou armée
de réserve, dirigée jusqu’au 21 juillet 1944 par le général Friedrich Fromm,
avant son remplacement par Heinrich Himmler, le chef de la SS5.
L’Allemagne est subdivisée en régions militaires de la Heer (l’armée de
terre), les Wehrkreise, au nombre de treize en 1937, puis de dix-neuf en
1942, à la faveur de l’agrandissement territorial du Reich6.
Chaque Wehrkreis, ou région militaire, dispose de ses propres dépôts,
écoles et unités d’entraînement. Si à l’origine un seul corps d’armée dépend
de chaque Wehrkreis, l’expansion de l’armée va étendre les responsabilités
de ces derniers à plusieurs corps de la Feldheer (l’armée en campagne) –
jusqu’à cinq.
Cette organisation basée sur un recrutement régional confère donc une
assise territoriale aux divisions la Wehrmacht. Un Landser (le soldat
allemand, avant tout de la Heer) a toutes les chances de servir aux côtés
d’un compatriote issu de la même région, parlant le même dialecte,
pratiquant la même religion (les Bavarois sont, par exemple,
majoritairement catholiques), possédant la même assise culturelle, autant
d’éléments qui renforcent la cohésion au sein de la troupe. De retour de
convalescence en Allemagne, les blessés réintègrent toujours leur unité.
L’identité commune au sein du groupe augmente le rendement au combat et
est à l’origine des « groupes primaires » qui, selon Omer Bartov, expliquent
la combativité et la résilience des soldats allemands jusqu’à l’effondrement
final7. L’armée allemande organise donc ses unités aux échelons les plus
bas, de façon à intégrer les soldats dans une structure sociale unie par un
sentiment de fidélité spécifique. Toutefois, l’augmentation drastique des
pertes pousse à allouer les recrues avec plus de souplesse, et certains
appelés ne sont donc pas forcément enrôlés dans leur région militaire. Avec
l’expansion de l’armée au cours de la guerre, il est également arrivé qu’un
Ersatz-Bataillon finisse par alimenter plusieurs divisions.
Le Wehrkreis assure aux corps d’armée qui lui sont rattachés un flux
continu de renforts en hommes et en matériels ; jusqu’à 128 000 hommes
sont formés chaque mois au cours de l’année 1944, à l’apogée du
fonctionnement de l’armée de réserve8. Le lien entre les unités déployées au
front et leur Wehrkreis, c’est-à-dire entre la Feldheer et l’Ersatzheer, est
renforcé par la rotation entre les deux cadres qui assurent la formation des
recrues. Il est fréquent que l’instruction des futurs remplaçants d’une
division soit assurée par des officiers évacués du front à la suite d’une
blessure9.
Certaines unités font figure d’exception et ne cadrent pas avec ce
schéma organisationnel. Ce sont essentiellement les formations qualifiées
« d’élite », à commencer par la prestigieuse division « Großdeutschland »,
de même que les formations de l’armée qui ne dépendent pas de la Heer, à
l’instar des divisions de la Waffen-SS ou de parachutistes, ou encore des
équipages de U-Boote, toutes formations au recrutement s’étendant à
l’intégralité du territoire du Reich, et même au-delà pour la SS. Ainsi,
faisant appel au volontariat, la Luftwaffe, la Kriegsmarine et la Waffen-SS
forment leurs recrues en dehors du système des Wehrkreise. Il semble que le
volontariat ait pu exister dans quelques cas précis. Début 1941, Hans
Schilling, qui rejoint le 71e régiment d’infantertie (RI), entend un jour son
chef de compagnie lire une note appelant des volontaires pour rejoindre
l’Afrikakorps. Environ vingt-cinq hommes, dont lui-même, font un pas en
avant10.
La guerre bouleverse davantage ce cadre organisationnel, amenuisant la
distinction Feldheer-Ersatzheer, puisque les unités de réserve et de
remplacement sont déployées en nombre dans les territoires conquis et
occupés, où la tâche d’instruction est parasitée par des impératifs
opérationnels. Ce processus aboutit à la création, à l’automne 1942, de
Feldausbildungsdivisionen, ou divisions d’entraînement. Dans les faits, ces
unités sont engagées prématurément au feu.
À partir de 1943, la répartition des tâches pour la formation des soldats
de la Wehrmacht suit un cadre qui ne variera plus. Le haut commandement
assure les cours pour les futurs membres de l’état-major général, ainsi que
pour les futurs chefs de division ou de régiment. L’Ersatzheer s’occupe des
écoles pour officiers, prend en charge les nouvelles recrues et assure
l’entraînement de base des simples soldats, des sous-officiers, ainsi que la
formation des spécialistes des différentes armes. Au niveau des armées,
l’équivalent d’une « formation continue » est assurée pour les cadres et les
spécialistes, parallèlement à l’existence d’une compagnie d’entraînement.
Au niveau divisionnaire, la formation est achevée (sauf pour les officiers
qui sortent de leurs écoles) dans le cadre du Feldersatz-Bataillon. Pour tous,
la Kaserne constitue la première étape.

La Kaserne : l’entrée dans la vie militaire

L’appel touche le jeune Allemand à 20 ans, l’âge étant peu à peu


abaissé au cours du conflit, comme ce fut le cas au cours de la Grande
Guerre. À l’issue du RAD, tout jeune Allemand reçoit un télégramme lui
indiquant la caserne où il doit se présenter pour le conseil de révision
(Musterung), qui le déclarera apte ou non au service11. Les papiers
nécessaires sont listés, les états de service au sein des Jeunesses hitlériennes
et du RAD étant spécifiés comme importants12. Le laps de temps entre ce
conseil de révision et la réception de l’ordre d’incorporation est celui au
cours duquel l’appelé peut se porter volontaire pour la branche des forces
armées dans laquelle il souhaite servir, plutôt que laisser l’administration
militaire décider de l’affectation. Devancer l’appel permet donc de faire un
choix, une pratique courante dans de nombreuses armées. Des recruteurs
incitent les jeunes à rejoindre une arme spécifique, qui pour la
Kriegsmarine, qui pour les Waffen-SS, qui pour les parachutistes… En
1940 et 1941, le volontariat touche 348 000 jeunes Allemands : 102 000
pour la Heer, 124 000 pour la Kriegsmarine, 73 000 pour la Luftwaffe et
49 000 au sein de la Waffen-SS13.
Avec son incorporation, le nouveau soldat reçoit son Soldbuch. Celui-ci,
comme son nom l’indique, est le livret de solde14. Il est plus que cela et
constitue la véritable carte d’identité d’un militaire au sein de la
Wehrmacht : promotions en grade, prestigieuses décorations convoitées de
tous, séjours à l’hôpital, punitions subies, équipements fournis, mais aussi
permissions tant attendues figurent dans ce document. Le Soldbuch, que
tout militaire doit porter en permanence sur lui, indique le justificatif à
présenter sur l’injonction gutturale – « Papiere Bitte ! » – d’un
Feldgendarme (le « policier militaire », ou Kettenhund, le « chien
enchaîné », selon l’argot militaire allemand, en raison de la chaîne retenant
le hausse-col indiquant sa fonction ainsi que de la hargne dont il fait
généralement preuve dans l’accomplissement de ses missions15). Il est donc
aisé d’identifier formellement un soldat en cas de contrôle, dans un train ou
ailleurs, ou encore lorsqu’il se présente pour recevoir son courrier.
Le Wehrpass, reçu au préalable dès le conseil de révision, est conservé
dans le service administratif de l’unité. Il constitue en quelque sorte le
curriculum vitae d’un militaire au sein de la Wehrmacht, car y sont
annotées ses différentes affectations, soit un résumé complet de sa carrière
militaire. Il n’est remis au soldat qu’à sa démobilisation, ou à ses proches en
cas de décès16.
Incorporé, le Landser porte désormais son Erkennungsmarke, la plaque
d’identification, fabriquée en zinc ou en aluminium, sur laquelle figurent
son unité ainsi que son groupe sanguin17. Contrairement aux
Erkennungsmarken de la Grande Guerre, celles portées par les combattants
de la Seconde Guerre mondiale n’indiquent ni le nom du soldat ni son
adresse.
On distingue autant de casernes que de types d’armes, car, après les
classes, l’entraînement se doit d’être spécifique. La Wehrmacht se divise
entre Fechtende Truppen, ou unités de combats, Versorgungstruppen, ou
unités de soutien, et Sicherungstruppen, les unités de sécurité, qui incluent
les Landeschützen (les territoriaux). Différentes aussi sont les écoles de
cadets, réservées à ceux qui se vouent à une carrière d’officiers, ou encore
celles où se forment les sous-officiers. Les centres de formation de la
Luftwaffe et de la Kriegsmarine ont leur spécificité.
Avec l’officialisation du réarmement de l’Allemagne et le retour de la
conscription, les casernes se multiplient sur le territoire du Reich, une
aubaine pour les entrepreneurs, mais aussi pour la troupe qui logera dans
des constructions neuves. En dépit du manque chronique de matières
premières, les délais sont le plus souvent respectés, les entreprises du
bâtiment redoublant d’efforts : en 1937, près de Böbligen, il ne faut que
quarante-six jours pour édifier l’un des grands bâtiments réservés à la
troupe où sera cantonné le 8e régiment de panzers. Mais, pour cela, il a fallu
imposer une augmentation des heures de travail, y compris le week-end, car
la main-d’œuvre qualifiée dans un secteur très sollicité fait également
défaut. Le résultat final semble du plus bel effet sur les recrues : « Des
bâtiments magnifiques au milieu d’une forêt de hêtres18 », rapporte Kurt
Liestmann.
L’inauguration des nouveaux quartiers s’effectue le 9 avril 1938 dans
une liesse qui témoigne de la place accordée et reconnue à l’armée au sein
de la population allemande. Tôt le matin, les habitants de Böbligen
accueillent les nouveaux venus dans une ambiance festive digne d’un
carnaval : guirlandes de fleurs et drapeaux ornent tous les balcons des
principales artères de la ville. L’enthousiasme est non feint : bravant les
flocons de neige, la foule est au rendez-vous, acclamant les panzers qui se
fraient un passage dans la ville, et on se presse au coude à coude sur la
Postplatz et dans les rues attenantes afin d’écouter les orateurs, alors qu’un
pilote se risque à effectuer des acrobaties dans le ciel. Les festivités ne se
bornent pas à ce somptueux accueil des autorités et de la population : elles
se poursuivent à la caserne, où se rend la troupe, à pied ou à bord de ses
véhicules, fanfare en tête du cortège. Le convoi effectue une brève halte
lorsque le colonel Harpe, le chef du 8e régiment de panzers, accepte un
bouquet de fleurs d’un jeune garçon, trop petit et devant être hissé jusqu’au
panzer par son père, suscitant les rires et les applaudissements de la foule.
Après un nouveau discours d’accueil à la caserne, où résonnent l’hymne
national, le Deutschland über alles, et le Horst Wessel Lied (le chant des
Jeunesses hitlériennes), le drapeau nazi est hissé sur sa hampe, et le 8e
régiment de panzers a pris officiellement possession des lieux. Les civils
sont maintenant les invités de la Wehrmacht : pour un demi-mark, il leur est
possible de goûter aux rations de l’armée… Un spectacle sportif est donné
sur la place d’armes où s’agglutine une foule estimée à 12 000 personnes.
Quadrille du régiment voisin de Bad Cannstatt, le 18e régiment de cavalerie,
puis show de vingt-quatre motocyclistes du 8e régiment de panzers
entraînent les vivats de la foule avant la spectaculaire représentation de
l’artillerie qui tire une salve sur la place…
Vers 17 heures la neige tombe désormais à gros flocons et la plupart des
spectateurs quittent la caserne, sans doute à regret, d’autres préférant
profiter encore de l’occasion qui leur est offerte d’écouter de la musique ou
de danser19. On ne saurait observer un contraste plus saisissant avec la
France, victime au même moment d’un pacifisme et d’un antimilitarisme
marqués qui sévissent dans toutes les couches de la population, mais aussi
chez de nombreux politiques, alors que les nuages s’amoncellent et que la
guerre, qui semble de jour en jour plus inévitable, pointe à l’horizon.
La caserne Schlieffen de Stahnsdorf, près de Berlin, avec ses quatre
blocs et son portail, est du plus bel effet pour le jeune Otto Henning, engagé
volontaire à 17 ans20. Guy Sajer, l’auteur du Soldat oublié, un Alsacien qui
s’est fort bien accommodé de son service au sein de la Wehrmacht, rend
compte de ses premières impressions : « J’arrive à Chemnitz dans une
formidable caserne en forme de cirque, toute blanche. J’en suis très
impressionné, un mélange de crainte et d’admiration21. » Les quartiers,
d’imposants baraquements au-delà d’un portail plus ou moins ouvragé
encadré de guérites peintes des trois couleurs nationales, ne sont pas
toujours aussi rutilants. Martin Pöppel se remémore son arrivée à Stendal,
lorsqu’il se présente au régiment « General Goering » : « Nous traversâmes
avec fierté la ville dans nos habits civils. Puisque nous savions tous que
nous avions rejoint une élite superbe, nous fûmes désespérément déçus de
découvrir que notre hébergement se bornait à un camp de cabanes22. » Les
casernes de la Waffen-SS adoptent une architecture qui leur est propre, de
style néomédiévale, les tours évoquant un château fort, avec un porche
d’entrée en voûte, orné de l’aigle du Reich23.
Les hommes sont logés par chambrées de huit, sous l’autorité d’un
Gefreiter (caporal)24 ou Obergefreiter (caporal-chef), qui sera leur
Stubenälteste, l’« ancien de la chambre », soit le chef direct qui va leur
apprendre les détails de la vie militaire, comme savoir faire son lit ou se
préparer pour une inspection25. Les lits sont individuels, mais parfois sur
deux étages, chaque homme disposant d’un casier faisant office de vestiaire.
Fin 1944, les effectifs globaux s’étant grandement accrus, des hommes
doivent être hébergés chez l’habitant, ce qui est une déconvenue pour les
anciens de la 272e DI (division d’infanterie) encasernés à Döberitz en
septembre 1944 ; beaucoup de soldats sont cependant chaleureusement
accueillis et logés chez des civils entre Döberitz et Brandebourg26. Mais
cela reste un cas exceptionnel, la caserne ayant représenté le cadre de
l’entrée dans la vie militaire pour la plupart des soldats allemands.
La vie dans l’armée commence souvent par un passage chez le fourrier.
On quitte ses habits civils pour revêtir des effets militaires : une nouvelle
vie commence. Jean Hartmann, alsacien « malgré-nous », raconte son
arrivée à la caserne de Stablak, près de Königsberg : « Là, on nous a fourni
des uniformes Waffen-SS et l’équipement militaire tout neufs. Nous avons
dû abandonner nos habits civils et les renvoyer en Alsace. Après cela, un
formulaire signé devait attester que nous avions reçu des effets militaires et
jurions fidélité au Führer27. » On porte l’uniforme à la caserne, c’est une
évidence. Mais il est des équipements et des effets spécifiques à cette
période probatoire. Il y a notamment ce que l’on pourrait appeler la « tenue
de corvée », la tenue M1933 en coton blanc écru. En 1940, une tenue verte
remplace l’uniforme blanc, ce dernier, qui prend invariablement avec le
temps une teinte jaunâtre ou grisâtre, signalant que son propriétaire est un
vétéran.
L’arrivée à la caserne marque l’entrée dans un monde nouveau, aux
règles strictes et à la discipline de fer, un moule dont on s’accommode
d’autant plus facilement que le « dressage » a déjà débuté dans le cadre des
Jeunesses hitlériennes et du RAD. C’est un monde de contraintes : porter
l’uniforme, saluer et se comporter selon des codes bien établis, marcher au
pas, chanter en chœur, adopter un langage spécifique. Pour autant,
l’atmosphère au sein de la Kaserne est radicalement différente de
l’ambiance au sein d’un camp des Jeunesses hitlériennes. Comme pour tout
conscrit de tout pays, et à toutes les époques, l’entrée dans l’armée signifie
un changement absolu du cadre de vie. Des premiers pas inoubliables pour
tous ceux qui en ont fait l’expérience.
Les Grünschnabel, soit littéralement les « becs verts », c’est-à-dire les
« blancs-becs », ou plutôt les « bleus » dans le jargon militaire français, sont
pris en charge par leurs sous-officiers hurlant (même si certains s’expriment
de façon calme et sereine) ou donnant les ordres au son du sifflet. Au
nombre de ces sous-officiers, l’adjudant, le « juteux » dans l’argot de
l’armée française, le plus redouté étant le Spiess (souvent un
Hauptfeldwebel ou un Oberfeldwebel), l’adjudant de la compagnie,
responsable du travail administratif de la compagnie. Le Spiess porte sur lui
le Kompanie-Buch (que les soldats surnomment le Gebetsbuch, le « livre de
prières »), un carnet listant tous les hommes de l’unité, indiquant
promotions et récompenses, mais aussi les punitions ainsi que toutes les
informations nécessaires à sa tâche. Présidant à la distribution du courrier
(moment toujours attendu avec impatience), responsable des permissions et
de la répartition des tâches, le Spiess est surnommé « la mère de la
compagnie ».
Le premier face-à-face avec ces cadres reste un souvenir ancré dans la
mémoire du moindre Lansdser de la Wehrmacht. Pöppel est marqué par la
présence de l’Hauptfeldwebel Zierach qui porte constamment sur lui un
grand cahier de punitions coincé entre le deuxième et le troisième bouton de
sa vareuse. « Son sixième sens, note Pöppel, dont les sergents-majors sont
mieux dotés que les autres mortels, lui permettait de déceler tout ce qui se
passait. Dès qu’il portait son regard sur nous autres, pauvres morveux, nous
commencions à trembler28. » La discipline à laquelle est soumis Pöppel
comme tous les soldats de Hitler est d’une sévérité sans aucune mesure
avec ce qui a cours au sein des autres armées occidentales, même au
Royaume-Uni où la vie militaire est tout sauf émolliente.

La Wehrmacht : une armée à la discipline de fer

La discipline, qui assure la cohésion d’une unité et préside à son


efficacité au combat, est une donnée essentielle pour une armée, de tout
temps et quel que soit le pays considéré. L’obéissance absolue est une
nécessité au sein de l’armée, car un ordre doit toujours être exécuté. On
brime les recrues pour les amener à obéir aveuglément.
La Wehrmacht est réputée pour sa discipline extrêmement rigoureuse,
qui sévit dès les premiers instants passés dans la caserne. Sa sévérité est
proverbiale, sa réputation non usurpée. Il s’agit là d’une donnée qui n’est
pas nouvelle sur le sol allemand : l’armée prussienne depuis Frédéric le
Grand puis l’armée impériale du Kaiser durant la Grande Guerre sont tout
aussi réputées pour leur discipline. Les règles sont draconiennes : brimades,
punitions sévères, sanctions au moindre écart… sont le lot quotidien dans la
caserne. Toutefois, on décèle dès le début un lien étroit entre la discipline en
vigueur au sein de la Wehrmacht et l’idéologie du régime nazi, qui impose
sa conception de la morale à l’institution militaire29.
Officiers ou sous-officiers doivent cependant veiller à établir un habile
dosage des punitions, qui ne doivent pas dépasser un certain seuil, leur trop
grande répétition pouvant leur faire perdre leur caractère exemplaire. Les
recrues n’appréhendent pourtant pas toutes cette immersion dans le monde
militaire : « La discipline qui m’attendait ne m’effrayait guère, écrit August
von Kageneck. Elle ne pouvait être pire que celle des jésuites30 ! »
Pour le nouvel appelé, la discipline s’incarne avant tout dans la
personne de l’Oberfeldwebel ou de l’adjudant. Aucune faiblesse n’est
tolérée : Guy Sajer rapporte le cas d’un camarade qui écope de vingt jours
d’arrêts de rigueur, au pain sec et à l’eau, pour avoir négligé de boutonner
correctement sa capote31. Lui-même est puni pour avoir traversé la cour de
la caserne la main dans une poche de son pantalon32… Martin Pöppel est
signalé par l’Öberjäger Schönfeld pour un simple bout d’élastique sur sa
tenue d’entraînement33…
Malheur au soldat surpris à faire le mur, à celui qui fera montre de
maladresse ou qui laissera la moindre trace de poussière ou de poudre sur
son arme. Au besoin, s’il cherche à montrer son insatisfaction, un sous-
officier vide une poubelle d’ordures dans une chambre qui vient d’être
nettoyée et donne l’ordre que tout soit remis au propre de nouveau… Céder
à l’irrésistible désir de dormir lorsqu’on est de garde constitue un autre
manquement sévèrement puni, d’autant que les conséquences peuvent être
gravissimes en période de guerre.
Les cadres sont soumis aux mêmes exigences : prenant son tour de
garde au sein du 8e régiment de panzers, l’adjudant Kümmel signe
machinalement le document listant l’équipement des hommes de faction
que lui remet le sous-officier dont il assure la relève, omettant de vérifier
qu’aucune erreur ne s’est glissée dans cette liste. Or, un officier découvre
par la suite qu’il manque une cartouche dans la dotation en munitions du
corps de garde : Kümmel risque la cour martiale… Il est sauvé de ce
mauvais pas par un autre officier, plus complaisant, qui lui remet un clip de
cartouches, permettant ainsi à l’adjudant de prétendre que la munition
manquante a été retrouvée. Une mésaventure qui n’est pas sans rappeler
l’affaire des six cartouches disparues recherchées en vain par
l’Oberfeldwebel Schultz dans La Révolte du caporal Asch, le roman de
Hans Hellmut Kirst.
Les fortes têtes sont cassées, et mieux vaut s’abstenir de provoquer
inutilement un supérieur. Un sourire esquissé au mauvais moment peut
exposer un soldat à subir de nouvelles sanctions. Puni pour s’être fait passer
pour un sergent instructeur auprès de réservistes auxquels il fait subir des
manœuvres de drill, Werner Karstens est contraint d’effectuer des exercices
physiques pendant trois jours en portant un sac de sable de 15 kilos en sus
de son barda34.
Découvert hors de sa chambrée après l’extinction des feux, Pöppel,
visiblement un dur à cuire, écope de sévères sanctions : permission
supprimée et deux semaines de confinement dans ses quartiers. De retour à
la caserne après la campagne de Pologne, il est surpris par l’Öberjäger
Schönfeld après une soirée en galante compagnie dans plusieurs tavernes :
deux jours d’arrêt de rigueur. Puisqu’il n’existe pas de cellule dans la
caserne, le jeune homme est consigné dans une chambre agencée à cette
intention, séparée en deux par des armoires surmontées de papier scotché ;
les sous-officiers ont cependant omis le détail de la fenêtre, de sorte que
Pöppel peut s’y glisser pour rendre visite à ses camarades et dormir sur une
paillasse35.
À Stettin, le retour tardif d’un camarade de Werner Karstens qui avait
rendez-vous avec une jeune fille provoque l’ire de ses supérieurs. S’ensuit
une punition collective pour toute la chambrée. L’infortuné soldat subit les
représailles des autres, ce que le jargon militaire allemand appelle « la
justice des camarades », ou encore le Heiliger Geist, « l’Esprit saint », dont
l’application est loin d’être évangélique : frappé avec brutalité avec un
manche de pelle, le jeune homme sera hospitalisé, puis amputé d’un bras,
avant de succomber à une septicémie36… Lucien Colombe rapporte un autre
exemple de confinement en caserne, cette fois parmi le personnel navigant
de la Luftwaffe au sein de laquelle il n’est pas question de se livrer
indûment à des acrobaties dignes de la voltige aérienne : « La discipline de
vol était très stricte, car il fallait éviter à tout prix les accidents. Les
désobéissances aux ordres étaient punies de Stubenarrest, c’est-à-dire d’un
confinement dans les chambrées pendant un ou plusieurs jours37. »
Comme dans toutes les armées du monde, les punitions collectives sont
donc monnaie courante : un défilé qui n’a pas l’heur de plaire au
Hauptmann (capitaine), et voilà l’unité consignée à la caserne jusqu’au
dimanche suivant, non sans avoir dû auparavant subir de vertes
réprimandes. Manquer d’enthousiasme pour chanter peut se conclure par
une injonction à effectuer 150 mètres au pas de l’oie, de quoi stimuler
rapidement les récalcitrants et les faire chanter correctement et à pleins
poumons38…
Les exercices imposés à des Alsaciens ayant chanté La Marseillaise
nous éclairent sur les punitions qui peuvent être infligées aux soldats dans
la Wehrmacht. C’est une suite sans fin d’ordres répétitifs : « Couchés !
Debout ! En avant ! Demi-tour », comme on peut le voir dans un passage du
film Le Pont, de Bernhard Wicki, tourné en 1959 et mettant en scène de
jeunes recrues au moment où le Reich succombe à l’invasion des forces
alliées. « On était finis le soir ! » commente Marcel Scherrer. « Nous
n’avions plus de coudes à nos uniformes, poursuit-il, nos pantalons étaient
déchirés d’avoir dû ramper peut-être cinquante ou soixante fois dans la
caillasse de la place39 », un traitement que le commandant de compagnie
estime trop dur. Kirst nous offre tout un panel de punitions dans son roman,
le recours à la punition disciplinaire en cellule ou les jours de consigne ne
devant être pris qu’à la dernière extrémité, après usage de toutes les autres
formes de sanctions. Outre rester en équilibre sur un cheval de bois, le
contrevenant peut être amené à effectuer des « flexions des jambes en huit
temps, avec bras tendus tenant le fusil 98k40 ».
Il est des infractions passibles de mesures autrement plus graves.
L’usage de la peine capitale fournit l’indicateur le plus pertinent de la
sévérité d’une institution militaire. L’armée allemande reconnaît plusieurs
cas passibles de cette sanction ultime : trahison, mutinerie (ou son
incitation), désertion, attaque d’un supérieur sur le champ de bataille et
pillage. Des forfaits commis à l’encontre des civils peuvent en théorie
mener au peloton d’exécution : viol, meurtre, vols ; un principe qui sera
remis en cause sur le front de l’Est.
À cet égard, l’armée de Hitler se distingue par une sévérité sans
pareille : si 48 soldats allemands sont passés par les armes à l’issue d’une
cour martiale en 1914-1918 (soit le tiers des sentences de mort
prononcées)41, ce ne sont pas moins de 12 000 militaires allemands, peut-
être davantage, qui sont exécutés par la Wehrmacht pendant la Seconde
Guerre mondiale, chiffre qui ne considère pas les exécutions sommaires42.
Près de 250 hommes seront fusillés pour objection de conscience, au
nombre desquels des Témoins de Jéhovah (qui sont par ailleurs victimes de
déportation en camps de concentration43). Dix-huit soldats sont exécutés
pour désertion au cours de la Grande Guerre, contre 5 300 entre 1940 et
septembre 1944, avant même les excès de 194544… La lâcheté sape la
discipline et constitue de ce fait une entorse impardonnable. Lorsque, le
21 décembre 1941, le caporal Aiger de la 18e division de panzers
(18. Panzer) est condamné à mort pour s’être enfui du champ de bataille
complètement ivre, son cas est cité en exemple dans un ordre du jour de
l’unité45.
En 1935, année de la fondation de la Wehrmacht imprégnée de national-
socialisme, le code de la justice militaire allemande ajoute une nouvelle
offense passible de la peine capitale : Zersetzung des Wehrkraft (ou
Wehrkraftzersetzung), soit mot à mot la « dégradation46 de la puissance
militaire ». Avec la désertion, elle sera à l’origine de la majeure partie des
exécutions47. Les cas de Wehrkraftzersetzung se multiplient en 1943-1944,
la lassitude de la guerre et la perspective de la défaite aidant. Ce phénomène
s’accompagne parallèlement d’une augmentation du nombre de
dénonciations de la part des soldats, qui mettent un point d’honneur à
prouver leur fidélité au régime. En novembre 1944, en Prusse-Orientale,
l’Alsacien Robert Burgel est exécuté pour « désobéissance et corruption de
la Wehrmacht », échappant à la pendaison, jugée infamante pour un
militaire, pour être passé par les armes par un sous-officier qui s’est déclaré
prêt à appliquer la sentence48. Pendus, les Alsaciens Charles Kreutter et
Jean-Pierre Zimmermann le seront en Italie, le 15 août 1944, pour avoir
manifesté leur regret que Hitler échappe à la tentative d’assassinat perpétrée
contre lui le 20 juillet 1944, opinion qui, on s’en doute, ne peut être tolérée
au sein de la Wehrmacht49.
Le nombre de déserteurs et d’absents sans autorisation se monte à 9 778
en 1941 et il atteint 202 422 en 1944, soit beaucoup moins qu’au sein de
l’Armée rouge où 4 millions de soldats (soit 11 % des effectifs) auraient
déserté au cours du conflit, et ce au sein d’une armée où la discipline et la
sévérité sont encore davantage marquées par la brutalité. L’existence d’un
système coercitif ne doit donc pas être surestimée pour expliquer le nombre
relativement faible de déserteurs au sein de la Wehrmacht50. Enrôlés de
force, nombre d’anciens Polonais prennent le chemin de la désertion, sans
que cela soit systématique. Les motivations qui poussent à déserter, fort
diverses, sont difficiles à connaître car les tribunaux militaires sont avant
tout soucieux de prononcer des peines exemplaires51. L’envie de retrouver
les siens tenaille le soldat de toutes les armées. L’Alsacien Marcel Matter
assiste à l’exécution d’un déserteur allemand de la « Das Reich » qui était
retourné auprès de sa fiancée après le transfert de la division hors de Russie.
Rattrapé, il est exécuté dans le sud-ouest de la France par un peloton
d’exécution de douze hommes. « Nous avons appris ensuite de nos sous-
officiers, raconte Matter, qu’il y avait seulement trois balles réelles sur les
douze. Ainsi, personne ne pouvait savoir qui avait réellement tué le
condamné52. » Parfois, le bénéfice du doute est accordé. Une dizaine de
soldats, dont des Alsaciens, sont libérés lors d’une attaque contre des
partisans en Italie. Puisque ces anciens captifs sont découverts vêtus
d’effets civils, ils sont traduits devant le conseil de guerre et condamnés à
six mois d’internement au camp de concentration de Mauthausen, d’où ils
ressortent le 20 janvier 1945, pour être renvoyés au front. Jouissant d’un
traitement d’exception, ils sont consignés dans leurs baraquements et ne
subissent donc pas l’enfer concentrationnaire53.
Sur les arrières du front, le Heeresstreifendienst (le service de contrôle
des déplacements au sein de l’armée) et la Feldgendarmerie veillent au
grain : intercepté à un poste de contrôle, le moindre égaré ou traînard doit
justifier de son éloignement de son unité. Gare à celui qui aurait perdu son
arme ou son matériel : le moindre manquement conduit à des mesures
disciplinaires. En 1945, lorsque le Vaterland est envahi de toutes parts et
que la lutte devient désespérée, les mesures sont de plus en plus
draconiennes. Le 10 mars 1945, quand Albert Kesselring succède à von
Rundstedt à l’OB West, il instaure aussitôt des cours martiales volantes avec
sa Feldgendarmerie. Le Feldmarschall Schörner, nazi convaincu, sera tout
aussi impitoyable : nombre de déserteurs sont pendus (ce qui est jugé plus
infâmant qu’être fusillé), une pancarte rappelant aux passants les raisons qui
ont présidé à l’exécution : « Je suis un traître à ma patrie. » La peur de la
police militaire est souvent suffisante pour dissuader bien des vocations
pour la désertion. La rumeur – non fondée – que des unités de SS sont
déployées en arrière du front pour la même raison – empêcher les
désertions – participe également à cette peur de la désertion, d’autant que
les répercussions sur la famille peuvent se révéler dramatiques, avec mise
en détention et confiscation des biens, ainsi que le préconise le
Feldmarschall von Rundstedt en personne54, de sorte que la punition se
poursuit après la fin des hostilités et le retour du soldat déserteur de
captivité55. Une mesure qui, de façon surprenante, n’est pas avalisée par le
SD et la Gestapo56.
La mort n’est pas l’unique issue qui attend les contrevenants coupables
des pires manquements à la discipline. La dégradation représente une des
mesures disciplinaires auxquelles s’expose le soldat allemand, une autre,
non exclusive de la précédente, étant l’envoi en unité disciplinaire, une
Strafkompanie, au sein de la division d’appartenance du puni. Aux soldats
assignés à ces unités échoient les tâches les plus répugnantes, comme
enterrer les cadavres, ou les plus dangereuses : lancer une attaque suicidaire
ou déminer un secteur du front, mission appelée de façon fort révélatrice
Himmelfahrtskommando, soit « kommando du voyage au paradis ». Les
officiers qui y sont versés sont rétrogradés de plusieurs rangs dans la
hiérarchie.
Si l’offense est jugée particulièrement grave, la cour martiale peut
décider que la peine soit purgée hors de la division, au sein d’autres unités
disciplinaires, où le traitement est beaucoup plus rude : les Feld-
Strafgefangenen-Bataillone ou le Bewährungs-Bataillon 500 (et d’autres de
la série 500, unités de mise à l’épreuve), voire, pires et plus redoutés, les
bataillons pénaux de forteresse de la série numérotée en 99957. Les
Bewährungs-Bataillone sont une émanation des Sonderabteilungen, unités
disciplinaires existant avant l’entrée en guerre. La 999. Leichte-Afrika-
Division, qui participe à la campagne de Tunisie avant d’être engagée en
Russie et dans les Balkans, est une division pour le moins atypique puisque,
à l’exception des cadres, les soldats de ses régiments ont tous subi la cour
martiale, condamnés pour des motifs mineurs d’ordre politique ou de droit
commun – notamment pour marché noir. Le service armé constitue pour
tous ces hommes une possibilité de réhabilitation. Toutefois, pour marquer
leur situation disciplinaire, les membres de la division ne sont en aucune
manière autorisés à porter l’emblème national – l’aigle avec svastika – sur
leur uniforme. Cette division constitue cependant une bonne unité qui va
faire preuve de pugnacité. Pour l’Alsacien Robert Philipps, condamné à
mort pour avoir chanté La Marseillaise avec sa compagnie en quittant la
caserne, ce sera finalement la prison puis une unité disciplinaire engagée
sur le front de l’Est, un Panzer-Sturm-Regiment58. Les
Wehrmachtstrafgefangenlager, des « camps de punition pour la
Wehrmacht », tel celui de Börgermoor, sont particulièrement redoutés. Le
SS-Fallschirmjäger-Bataillon 500 est une unité disciplinaire de la Waffen-
SS, pourtant déjà réputée pour sa sévérité et pour accueillir des « têtes
brûlées » : autant dire que ces parachutistes SS sont impitoyables59. Cette
liste ne se veut pas exhaustive, il existait ainsi des unités pénales de la
Luftwaffe et de la Kriegsmarine.
La férocité de la discipline allemande est clairement illustrée par un
épisode que narre Guy Sajer, alors soldat de la division d’élite
« Großdeutschland », témoin d’une punition d’une violence inimaginable
au sein d’une armée issue d’une nation démocratique, marquant là une
différence de taille entre l’armée de Hitler et celles de ses adversaires
occidentaux. La scène décrite par Sajer se déroule en Russie, à Romny.
Après trente-six heures consacrées aux exercices militaires en compagnie
des autres soldats, les punis sont amenés dans une cabane des plus
rudimentaires, la Hundehütte (la « niche »), aménagée dans la caserne :
« Leurs poignets étaient enchaînés dans le dos à une grosse poutre
transversale et ils devaient passer leurs huit heures de repos le cul sur une
caisse. La soupe leur était servie dans un grand plat pour huit dans lequel ils
devaient laper comme des chiens, leurs mains étant entravées. Autant dire
qu’après deux ou trois séjours sous ce chalet, le malheureux déjà écrasé de
fatigue, à qui on refusait un repos absolument nécessaire, finissait par
sombrer dans un coma qui mettait enfin un terme à ses souffrances. Alors il
était hospitalisé. » Un de ces infortunés Landser, n’en pouvant plus, refuse
de suivre les entraînements ; il est alors passé par les armes60.
Une telle rigueur en caserne est-elle suivie d’effets sur le front ? Cette
exigence de discipline de tous les instants, qui ne tolère aucun manquement
au devoir du soldat, pousse les autorités militaires à ignorer l’idée de
« combat fatigue » admise au sein de l’US Army. Si un GI épuisé peut
espérer éviter un retour en première ligne, les cas psychologiques – en
général pour d’autres raisons que l’épuisement au combat – traités par
l’armée allemande, par ailleurs très inférieurs en nombre à ceux recensés
chez les Américains, se terminent dans l’immense majorité des cas par un
retour en unité.
La discipline inculquée dès la caserne a des conséquences dramatiques
sur le front de l’Est. Du fait d’une imprégnation très forte de l’idéologie
nazie, on assiste à une perversion de la discipline durant la guerre germano-
soviétique, marquée par une brutalité absolue envers les civils des
populations de « races » jugées inférieures61. Pis, les exactions qui auraient
auparavant entraîné les mesures disciplinaires des plus draconiennes sont
désormais tolérées, ce qui légalise les pires excès, ces derniers s’expliquant
avant tout par la perversion de l’idéologie nazie. En acceptant ces brutalités,
les officiers ont pu imposer une discipline impitoyable sur le front62.
À l’Ouest, en 1940, les exactions menées à l’encontre des civils – l’abus
d’alcool ayant favorisé l’insubordination et le relâchement de la discipline –
sont au contraire réprimées avec la plus grande sévérité : en octobre 1940,
la 12e DI prononce ainsi la peine de mort pour cinq soldats accusés de viol
et de vol à main armée63.
Pour autant, le conditionnement des soldats dans une discipline martiale
impitoyable à la caserne ne les empêche pas de défaillir lorsque la situation
militaire devient plus délicate pour la Wehrmacht. Le 16 juillet 1944, le
Panzergruppe West déplore que tant de soldats de l’arrière soient désœuvrés
alors que l’urgence de la situation exige que tous les hommes disponibles
soient engagés. Pis, des cas de pillages, parfois à main armée, sont déclarés.
En dépit du manque chronique de carburant, certains soldats usent de
véhicules motorisés, parfois dans le seul but de rendre visite à une relation
féminine… Les coiffures sont portées négligemment, quand on ne se
déplace pas nu-tête, ce qui semble être monnaie courante chez les tankistes
ou les motards. Quant aux sentinelles, elles portent leur fusil par temps clair
avec le canon pointé vers le sol, « à la manière d’un fusil de chasse ». On ne
salue plus ! La prolongation de la présence au front ne peut qu’avoir une
incidence négative sur la discipline, quoiqu’il soit stipulé de ne pas relever
les cas les moins graves tant que l’esprit combatif n’est pas altéré. En
revanche, il n’est nullement admis que les troupes de « l’arrière » fassent
montre de nonchalance : « Il n’y a aucune raison pour que les unités au-delà
de la ligne de front (en arrière des positions d’artillerie) puissent devenir
moins soucieuses dans la tenue, l’allure ou la discipline. » Des dispositions
doivent être prises pour remédier à la situation. On fait d’abord appel au
sens de l’honneur du soldat allemand, qu’il est demandé de rappeler au sein
des unités de l’arrière. Les officiers reçoivent ordre de sévir contre tout
manquement à la discipline, quelle que soit l’arme ou la branche à laquelle
appartient le contrevenant, y compris la Waffen-SS. Des patrouilles sont
envoyées et des sentinelles postées afin de s’assurer qu’il n’y ait plus le
moindre relâchement dans la tenue et l’allure, ni dans l’attitude envers les
populations. Une remise au pas qui touche également les officiers
supérieurs. On vise ainsi à combattre la corruption, qui semble sévir comme
un mal endémique aux échelons les plus élevés de la hiérarchie, s’il faut en
croire un rapport de l’OKH daté de la mi-juin 194464 : « De tels cas sont
susceptibles d’avoir une incidence sur l’attitude et le moral de la population
et pourraient avoir des conséquences décisives sur le cours de la guerre. »
La sévérité n’empêche nullement les écarts de conduite :
106 546 militaires sont traduits en cour martiale pour la seule période allant
de janvier 1940 à juin 194165, ce qui ne saurait surprendre, étant donné que
le moindre manquement à la discipline est sévèrement réprimé. Entre la fin
août 1939 et la mi-1944, 23 124 soldats sont condamnés aux travaux forcés
et 84 346 à des peines supérieures à un an d’emprisonnement66. Il est par
ailleurs difficile d’échapper à une peine : 90 % des cas étudiés en conseil de
guerre entre février 1940 et juin 1941 se terminent par des condamnations.
Pour autant, le soldat allemand ne reste pas démuni face à un système
qui semble impitoyable : si insulter un supérieur peut être sanctionné par
deux années d’emprisonnement, la réciproque est admise, puisque injurier
un subordonné est passible de la même peine ; situation similaire lorsqu’on
en vient aux mains, car il n’est pas permis de frapper un subordonné, ou
lorsqu’un soldat est soumis à un traitement qu’on pourrait qualifier de
harcèlement. Un abus de pouvoir, une séquestration indue peuvent donc être
sanctionnés. Une recrue peut formuler une plainte à l’encontre d’un cadre,
oralement ou par écrit, en se conformant à la voie hiérarchique, c’est-à-dire
en s’adressant au supérieur le plus direct, tout en restant autorisée à répéter
le processus au niveau supérieur (en théorie jusqu’au Führer en personne…)
en cas de rejet de la demande. C’est donc dans le cadre d’une discipline
hors norme que sont formés les futurs soldats de Hitler.

L’entraînement des soldats de la Heer

« La recrue est ici-bas la créature de Dieu la plus stupide. Elle ne peut


rien, ne sait rien, mais elle doit pourtant être capable de tout et tout savoir si
possible en peu de temps67. » De fait, on fait comprendre aux nouveaux
engagés que ce qu’ils ont appris jusqu’ici n’est que de la « merde », dans le
langage fleuri qui a cours dans les casernes.
En 1935, la nouvelle Wehrmacht reprend le modèle d’entraînement
intensif de la Reichswehr. Les recrues effectuent en premier lieu des
classes, soit seize semaines d’entraînement de base (Grundausbildung), au
sein de l’Ersatz-Bataillon de leur division avant la guerre. Ces classes sont
suivies par un cycle d’instruction avancée (Erweiterungsausbildung). Les
exigences du conflit contraignent l’Ersatzheer à réduire la période initiale
qui est diminuée de moitié dès 1940, avant de remonter à seize semaines en
1943, puis de descendre à douze puis quatorze en 1944, à tout le moins en
théorie. Tronqué devant l’urgence et la gravité de la situation sur tous les
fronts à partir de l’automne 1944, le programme d’entraînement progresse
rarement au-delà du niveau du bataillon, voire de la compagnie. Le reliquat
de la formation devra donc s’apprendre sur le terrain68…
Trois phases composent l’instruction de base : l’instruction individuelle,
l’instruction individuelle au sein du groupe et l’instruction de groupe69.
Quelle que soit l’arme à laquelle les soldats appartiennent, leurs débuts dans
la vie militaire restent identiques, ce qui assure une uniformité de la
formation assurée au sein de l’armée allemande – a contrario des
spécificités et des traditions qu’affectent de respecter les régiments de
l’armée britannique. Non que la tradition soit complètement ignorée au sein
de la Wehrmacht : la caserne Schlieffen de Stahnsdorf entretient ainsi celle
du 1er régiment de uhlans de la Garde70. Le maintien de la tradition est aussi
assuré au sein de certaines unités : le Maschinengewehr-Bataillon 8,
déployé au sein de l’Afrikakorps, assure ainsi le souvenir du 442e RI71.
L’esprit de corps et la cohésion ne sont pas obtenus et assurés par la
tradition rattachée à un régiment, mais, outre l’affiliation d’origine déjà
soulignée, par des pratiques collectives, telles que le chant au pas cadencé.
Des chansons aux fameux refrains, comme Heidi, Heido, Heida (en fait une
chanson à boire), sont passées à la postérité comme des chants
emblématiques du nazisme. Rien n’est plus éloigné de la réalité : si des
chants martiaux, parfois empreints d’accents nationaux-socialistes,
résonnent dans les casernes, les paroles sont le plus souvent le reflet des
préoccupations des soldats de toutes les générations, à commencer par les
femmes ou la nostalgie du Heimat (la terre natale). Les mêmes chansons
étaient chantées pendant la Grande Guerre et même bien avant. August von
Kageneck, futur lieutenant de panzers, le rappelle dans ses souvenirs : « Les
chants révolutionnaires des chemises brunes étaient remplacés par des
chants bien plus paisibles et anodins. Nostalgiques pour la plupart. Ils
disaient presque toujours l’amour d’un soldat pour une fille de garde-chasse
ou de meunier. Beaucoup de Lieder que nous chantions étaient connus dans
l’armée allemande depuis la guerre de Trente Ans. » On chante parfois dès
le petit matin, en se rendant à l’exercice, pratique tellement prisée au sein
de la Wehrmacht que Kageneck affirme que « chanter était une obligation
sacrée72 ». « Il paraît que chanter en marchant est un excellent exercice
respiratoire, explique Guy Sajer. Ce soir-là, puisque je ne suis pas mort, j’ai
dû me fabriquer des soufflets de forge73. » Kirst ironise sur la signification
du chant au sein de l’armée, et rend probablement compte de ce que
ressentent nombre de soldats : « À l’armée, il [le chant] est utilisé de plus
pour rendre la marche plus amusante et pour empêcher les hommes de
bavarder entre eux74. » Otto Henning, volontaire pour les panzers à l’été
1941, se souvient avoir dû, avec un masque à gaz sur le visage, revenir à la
caserne après des manœuvres en chantant Schwarzbraun ist die Haselnuss
et Erika75, deux des chansons de caserne les plus fameuses de l’armée
allemande, dans lesquelles il est question de jeunes filles.
L’instruction remplit de longues journées, qui débutent à 5 heures du
matin pour ne s’achever qu’à 22 heures76. Le réveil s’effectue dans chaque
chambrée au passage d’un sous-officier, au son de sa voix, souvent
accompagné d’un sifflet77, mais sans recours à un clairon. On range et on
nettoie rapidement la chambre ; on revêt prestement son uniforme après
s’être lavé78. Il faut alors rejoindre la place d’appel, le champ de manœuvre
ou le stand de tir.
Certaines casernes vétustes n’ont pas d’eau courante pour la toilette,
qu’il faut accomplir dans le froid, torse nu, en plein mois de décembre,
comme de véritables Spartiates79. Un froid mordant qu’il faut parfois
endurer des heures durant au cours des exercices, sur le terrain ou au stand
de tir : « Nous passions des heures entières dans la neige jusqu’aux genoux,
raconte Kageneck, les bottes pleines de morceaux de glace, les mains gelées
à servir une mitrailleuse80. » L’eau est froide aussi lorsque Guy Sajer et ses
camarades reçoivent l’ordre de plonger dans un étang dans le plus simple
appareil ; pas de serviette, il faut porter la tenue à même la peau humide et
retourner à la caserne au pas de course81. Quant au petit déjeuner, frugal,
quand il n’est pas supprimé au profit d’un exercice visant à corriger les
erreurs de la veille, il doit être englouti en un quart d’heure vers 6 h 4582.
Le niveau exigé est élevé et contraignant. Le « malgré-nous » Paul Kalt
se souvient de son arrivée à Cologne, de son premier contact avec l’univers
militaire et du début de sa formation de soldat : « L’entraînement des
recrues allemandes fut édifiant. Hurlements constants des cadres,
maniement du fusil, exercices de marche au pas cadencé allemand (plus lent
que le pas cadencé français), escalade d’un mur de 3 à 4 mètres de haut, le
tout accompagné de “pompes” et de vexations diverses, furent notre lot
quotidien. Bref, c’était l’a b c de la Wehrmacht83. »
« Le parcours du combattant est la chose la plus dure que j’aie connue
jusqu’à présent : je suis exténué ; à plusieurs reprises, je m’endors à la
cantine84. » Après l’entraînement, la journée se poursuit avec les corvées de
nettoyage de l’armement et du matériel, servitudes alourdies chez les
cavaliers qui doivent également prendre soin de leurs montures. Exercices
et tâches diverses se succèdent au cours de la journée. Dès qu’un travail est
terminé, le soldat doit se présenter au sous-officier de service, qui note
consciencieusement l’heure, le nom et le grade de l’intéressé.
Le soir, les hommes s’effondrent sur leur lit. L’extinction des feux
semble s’effectuer au son du cor ou du clairon, par le Bataillonhorniss85.
S’il faut en croire le roman de Kirst, il n’est pas permis de faire travailler
les hommes depuis le couvre-feu jusqu’au réveil86. Restent éveillées les
sentinelles et les cadres de service. Dans ce roman, l’artilleur Vierbein
explique ce que signifie « prendre la garde » : « Deux heures debout, deux
heures assis, deux heures de sommeil, et cela pendant un jour. » À 17 h 30,
la garde est passée en revue, la relève ayant lieu une demi-heure plus tard.
Outre assurer la garde à l’entrée de la caserne, les sentinelles effectuent des
rondes, contrôlent des serrures, etc.87.
Quel que soit son grade, le soldat allemand doit faire preuve d’une
solide condition physique. Le sport – comme la camaraderie – tient un rôle
essentiel. Toutefois, puisque les corps sont préparés dès le plus jeune âge
dans les organisations de jeunesse, davantage de temps peut être consacré
aux exercices spécifiquement militaires dans le cadre de la caserne. La
gymnastique et le sport restent néanmoins récurrents. Un 100 mètres doit
être couru en 13,4-14,2 secondes, on doit être capable de jeter une grenade
à 35-42 mètres88 et nager le 300 mètres en moins de neuf minutes.
L’endurance est testée et exigée : on fait courir les hommes portant de
lourdes charges de mortiers ou de mitrailleuses sur plus d’un kilomètre en
une succession de sprints de 50 mètres89.
Parmi les exercices habituels dont l’armée tire fierté, celui de faire
parcourir de longues distances à la troupe, avec le barda du combattant au
complet. Pöppel effectue une marche de 25 kilomètres, avec tout
l’équipement, y compris le poste de radio dont il est l’opérateur. Le
parachutiste en est quitte pour de belles ampoules90. Une unité du génie a dû
parcourir 140 kilomètres en trois jours avant d’effectuer illico une séance
d’exercices… De fait, la Wehrmacht est avant tout pédestre et hippomobile,
et ces exercices de marche ne seront pas vains quand il s’agira de partir en
campagne. Quant aux troupes motorisées, elles doivent se préparer à
l’éventualité de la perte de leurs véhicules de transport. Une attention qui
n’est pas réservée à l’armée d’active : la Wehrmacht est tout aussi exigeante
avec la réserve et la Landwehr (les territoriaux91).
La nuit n’est pas toujours l’occasion de goûter à un peu de repos : des
exercices d’orientation nocturne peuvent être programmés, avec boussole et
croquis. Le débriefing permet de souligner les insuffisances. Ceux qui se
distinguent peuvent être récompensés de leur zèle par une exemption de
service, donc de corvées. L’instruction individuelle prévoit également trois
heures d’exercices en extérieur avec tout l’équipement, Stahlhelm sur le
crâne et masque à gaz sur le visage92. Le processus d’endurcissement se
répète sans fin, jour après jour : exercices, corvées, etc. On court, on
marche, puis on se jette à terre, de préférence dans la boue, le cycle étant
répété jusqu’à épuisement… La monotone répétition de l’entraînement,
quoique d’une certaine variété, ne s’interrompt qu’avec les sorties du
dimanche ou les permissions. Johann Eisfeld se rappelle que sa compagnie
devait franchir un mur tous les matins avec le paquetage complet, aucune
occasion n’étant accordée pour faire sécher les tenues si elles étaient
trempées. Fritz-Erich Diemke garde l’amer souvenir d’un bivouac en pleine
nature, à l’abri de simples tentes, avec nourriture froide, après une marche
éreintante de 11 kilomètres dans une tempête de neige93.
Certains instructeurs poussent le processus de déshumanisation des
recrues à sa limite en humiliant les nouveaux soldats. Ces derniers finissent
par effectuer des gestes automatiques, font le maximum pour ne pas attirer
l’attention, n’osant pas esquisser un sourire qui pourrait être mal interprété.
Pour échapper aux TIG (travaux d’intérêt général ou corvées), l’une des
méthodes les plus connues est de se faire porter pâle. Le nettoyage des
latrines est une corvée classique à l’armée, mais elle devient
particulièrement pénible lorsque la tâche doit être accomplie à l’aide d’une
seule brosse à dents, ou encore, ce qui semble être une tradition au sein de
l’armée allemande, lorsqu’elle consiste à retirer les excréments avec de la
paille…
Les hommes de troupe qui ont quartier libre restent toutefois à la merci
d’une inspection impromptue ou d’une révision des armoires. Il s’agit là
d’une manière de tuer le temps pour des sous-officiers qui s’ennuient, ne
pouvant rester en permanence au mess pour jouer au billard ou aux cartes
ou partager une bière.
Dans le roman de Kirst, le samedi après-midi (le récit se passe avant la
guerre) est le moment consacré au nettoyage, qui peut nécessiter jusqu’à
cinq heures de labeur, mais le plus souvent trois, au bon gré des sous-
officiers qui, sur le coup d’une colère injustifiée, peuvent soudainement
supprimer permissions et sorties tout en prolongeant le temps consacré au
TIG. On reconnaît aux sous-officiers une sorte de sixième sens pour déceler
ce qui est sale, et il n’est pas rare que les recrues redoublent d’efforts
lorsque le pas d’un gradé se fait entendre94.
Pour la recrue bafouée et humiliée, il faut endurer sans craquer. La
tenue se doit d’être impeccable, l’équipement garder son aspect neuf, et les
hommes doivent être constamment rasés de frais. Une exigence pour ne pas
être privé de la sortie du dimanche, même lorsqu’on a été puni pour une
maladresse (Otto Henning, qui macule de boue le cahier de sorties), à
condition d’être en bons termes avec le sous-officier qui préside à la corvée,
et de savoir ensuite se présenter en tenue impeccable à l’officier de service
et lui faire admettre que tout est en ordre, que les tâches ont été effectuées95.
Herbert Asch, le héros du roman de Kirst, se montre astucieux pour se
déplacer où il le désire dans la caserne, sans éveiller les soupçons : « Il
suffisait de se charger d’un objet quelconque à réparer et l’on pouvait, sans
qu’un chef stupide s’avisât de vous poser des questions stupides, parcourir
la caserne dans tous les sens96. »
Paul Kalt garde un souvenir difficile de son passage à la caserne de
Bothfeld, après son séjour à Cologne97 : « Notre encadrement était surtout
composé de caporaux qui compensaient leur faible niveau intellectuel par
toute une série de méchancetés gratuites et d’insultes (en principe interdites
par le règlement). Mais qui aurait eu l’audace, parmi les Alsaciens, d’aller
se plaindre, au risque de voir se multiplier encore les brimades vengeresses,
celles-ci, par contre, tolérées par le règlement. Le summum des exactions
fut atteint lorsqu’on nous fit marcher au pas cadencé, le masque à gaz sur la
figure, avec obligation de chanter ! » Bien des soldats ont toutefois admis
que de telles épreuves constituaient un mal nécessaire pour inculquer une
discipline militaire. Par ailleurs, si les recrues pestent contre le régime qui
leur est imposé, le dicton « la sueur sauve le sang » se révélera chez
beaucoup rétrospectivement pertinent, lorsque le temps de l’action sera
venu.
Car aucun détail n’est négligé pour préparer les jeunes soldats au
combat. La recrue apprend à jeter une grenade en mouvement, à ramper
sous la mitraille, à avancer sur l’estomac en poussant avec ses pieds…
L’entraînement est rude, mais la plupart des sous-officiers ont sans doute à
cœur de former des soldats solides, qui assureront la défense du Vaterland.
Au final, l’Ersatzheer produit des soldats robustes et versés dans
l’utilisation de toutes les armes qu’ils pourraient être amenés à utiliser. Au
front, la poursuite de la formation, dans le cadre du Feldersatz-Bataillon de
la division de rattachement, est tout aussi exigeante. Guy Sajer raconte
l’entraînement qu’il suit à Romny, en URSS, à son arrivée à la
Panzergrenadier-Division « Großdeutschland » : après d’éreintants
exercices consistant à simuler le transport de blessés, « sur ordre du Feld
[Feldwebel, soit adjudant], nous nous jetâmes à plat ventre et la rude
ascension commença. Le Feld partit en courant rejoindre le Hauptmann.
Progressivement, nous avancions sur la pente rocailleuse. Halls s’affairait
sur ma gauche. Le point à atteindre nous paraissait, une fois allongés, plus
éloigné encore. Lorsque la silhouette encore petite du Hauptmann nous
apparut. Et tout de suite il commença sa fusillade. Nous demandant ce qui
nous arrivait, nous eûmes un moment d’hésitation avant de poursuivre.
Mais au loin, le sifflet du Feld continuait à nous signifier qu’il fallait
ramper. Le Hauptmann avait sans doute reçu des ordres pour ne pas
amocher sa troupe, sinon je ne pense pas qu’il ait hésité à faire mouche pour
de bon. Les balles de son revolver sifflèrent parmi nous jusqu’à ce que nous
ayons atteint l’endroit fixé. Ce petit jeu, on s’en doute, n’était pas sans
danger. Au cours des vingt et quelques jours d’entraînement, nous
enterrâmes au son de J’avais un camarade quatre de nos compagnons,
victimes d’accidents dits de formation. Il y eut aussi une vingtaine de
blessés, qui souffraient soit d’une grosse égratignure infectée à la suite du
franchissement d’un réseau de barbelés, soit d’une balle ou d’un éclat dans
le corps, voire d’un membre broyé entre les galets d’un char
d’entraînement. Nous ranimâmes aussi de justesse deux noyés, à la suite du
franchissement d’une pièce d’eau sur des croix faites avec le bois à peine
flottant de vieilles traverses de chemin de fer ».
Exercice de claustrophobie également des plus redoutables lorsqu’il
faut ramper dans une vieille conduite de gaz étroite98. Le manuel
d’instruction pour le groupe de combat est explicite : l’entraînement se fait
autant que possible à balles réelles, bien que des munitions factices
d’entraînement soient aussi employées, les balles à blanc étant utilisées par
les soldats simulant l’ennemi (celui-ci étant toujours incarné par de
véritables soldats au cours des exercices sur le terrain). Les rafales des
mitrailleuses frôlent les têtes des soldats à l’entraînement, et il faut suivre
de près les tirs des mortiers. Les grenades d’exercice restent dangereuses,
bien que la charge explosive soit moindre que dans le modèle de combat.
Dans ces conditions, un officier du génie concède : « Nous avions beaucoup
de pertes lors des entraînements en temps de guerre, mais c’était inévitable
pour familiariser les hommes avec la manipulation des explosifs et en faire
des experts. »
Les films constituent un vecteur de l’instruction. Les fondamentaux du
tir au fusil peuvent ainsi être présentés par des dessins animés très
pédagogiques99. Le fusil Mauser K98 est l’arme de base du combattant de la
Wehrmacht. Fusil à verrou, il ne bénéficie pas du mécanisme
révolutionnaire du fusil M1 Garand américain, arme semi-automatique qui
confère une puissance de feu et une cadence de tir bien supérieure.
Surnommé Mauserbüsche (Büsche est un terme ancien pour désigner une
arme), Flinte (carabine) ou encore Knarre (façon familière de nommer une
arme, qu’on pourrait traduire par « flingue » ou « calibre »100), le K98 reste
néanmoins une arme fiable et réussie. Toutes les recrues en apprennent le
maniement, l’usage du pistolet-mitrailleur MP 38/40 étant réservé le plus
souvent aux cadres. Les exercices de tir, des plus classiques, se déroulent,
dans la discipline la plus stricte, sur le champ de tir. L’arme doit être connue
dans les moindres détails, correctement entretenue et graissée, l’art de son
démontage ne devant échapper à aucune recrue. Chacune d’elles aura
effectué plus de 300 tirs au cours de la première période de seize semaines
d’entraînement101. Les meilleurs tireurs sont rapidement décelés et suivent
une formation au maniement de la mitrailleuse.
L’entraînement du fantassin prend en compte le fait que la Heer
considère que le pivot d’une unité d’infanterie, son arme la plus importante,
est la mitrailleuse (Machinengewehr ou MG), que tous doivent savoir
utiliser. La Wehrmacht dispose des excellentes MG 34 puis MG 42, armes
polyvalentes et très puissantes, redoutables (cadence de tir respectivement
de 900 et 1 200 coups/minute) et sans équivalent au sein des autres forces
armées. Pour les Allemands, cette arme est la clé du succès dans tout
combat d’infanterie102. Chaque groupe de combat, soit dix hommes, est
donc en conséquence doté de sa MG, alors que dans les armées des autres
belligérants les mitrailleuses, par ailleurs beaucoup moins efficaces, sont
regroupées au sein de compagnies103 ou de bataillons spécifiques.
La connaissance intime du matériel et de l’équipement est une exigence
au sein de l’armée allemande. Pöppel rapporte que son lieutenant eut
l’excellente idée d’emmener l’équipe de transmission en visite aux usines
Telefunken de Berlin, où étaient fabriqués les postes radio en dotation dans
l’unité104. Polyvalents, les soldats allemands sont capables d’utiliser toutes
les armes légères et collectives à disposition au sein de leur unité. Par
conséquent, tant qu’une mitrailleuse n’est pas détruite, elle reste en action,
même si le groupe de combat est quasiment anéanti. On prépare également
chaque artilleur – Kanonier – à remplir la fonction de n’importe quel
servant d’un canon ou d’un obusier (pointeur, tireur, chargeur, etc.), dans
l’éventualité de devoir accomplir la tâche d’un camarade qui viendrait à
tomber105. Les postes autour d’une pièce sont potentiellement
interchangeables. De même, chaque Panzerschütze (tankiste) apprend la
tâche d’au moins un coéquipier de son panzer.
On apprend aussi à servir sous les ordres de n’importe quel officier, une
réalité à même de dérouter plus d’un Tommy à la même époque, car dans
l’armée britannique, où l’initiative des subordonnés n’est pas encouragée,
les soldats se fient à leur supérieur direct. Si celui-ci vient à tomber, il sera
plus difficile à un inconnu de les prendre en main qu’au sein de la
Wehrmacht. Chaque soldat apprend à lire et utiliser une carte, à y déceler
les meilleurs terrains défensifs ou encore les angles morts, ainsi qu’à établir
un rapport, comme s’il était lui-même un cadre.
La coopération interarmes, spécifique à l’armée allemande, reçoit une
attention toute particulière. L’école des panzers de Döberitz insiste pour que
des exercices soient conçus et réalisés en concomitance avec l’infanterie,
l’artillerie, le génie, ainsi qu’avec l’aviation106. Les exercices tactiques
occupent la moitié du temps. Dès que possible, dans tous les cas moins de
six semaines après l’incorporation, c’est-à-dire pendant la période des
classes, les recrues participent à des manœuvres impliquant jusqu’à la
division dans son intégralité, et qui intègrent différentes armes.
Au bout de six semaines d’entraînement intensif au combat d’infanterie,
la recrue commence à se spécialiser dans une arme : panzer, infanterie,
artillerie, etc. Le soldat Siegfried Knappe débute ainsi trois mois
d’entraînement basique au sein de l’artillerie : les soldats sont répartis entre
Fahrer (les conducteurs de chariots) et Kanoniere (les servants). Le reste de
l’année est consacré à des exercices de tir, Knappe étant ensuite sélectionné
comme opérateur radio107. En 1942, l’école de Jüterborg exige douze
semaines d’entraînement pour les futurs artilleurs, avec évolution des
exercices suivis par les recrues : utilisation des pièces avec les masques à
gaz, entraînement à la défense contre une attaque blindée, combat de
nuit108…
Les Gebirgsjäger (chasseurs alpins) suivent évidemment un
entraînement intensif d’alpinistes et de skieurs, et sont instruits sur les
méthodes de survie en montagne. Il importe de faire l’apprentissage des
signes donnés par la nature et de savoir les interpréter : un changement
soudain du temps peut vite tourner à la catastrophe en haute montagne. Il
faut savoir reconnaître une plaque de neige susceptible de provoquer une
avalanche, l’ordre de marche enseigné étant adapté pour minimiser les
pertes si une catastrophe survenait109. Par ailleurs, le jeune chasseur alpin
suit des entraînements tactiques qui ne dépassent guère le niveau du
bataillon, le relief montagneux imposant une dispersion des unités.
Les soldats de l’armée de Hitler sont aussi la première génération
d’Allemands à servir en nombre au sein d’unités blindées. La première
école de panzers est mise sur pied en novembre 1933110. Il s’agit de la
Kraftfahrkampftruppenschule Wünsdorf, près de Berlin. Outre tester les
nouveaux matériels, on y forme les tankistes, mais également les servants
de pièces de Pak (Panzerabwehrkanonen ou canons antichars), les
Kradschützen (motocyclistes) et le personnel des unités d’Aufklärung (la
reconnaissance). Une de ses casernes satellites est la Schließlehrgang
Putlos, l’école de tir des blindés, établie sur la mer Baltique. Cela
représente beaucoup pour la seule école de Wünsdorf : dès 1937, elle est
dédoublée avec la Kavallerieschule Döberitz, qui est chargée plus
spécifiquement de la formation des troupes d’infanterie motorisées (les
futurs Panzergrenadiere), des unités de reconnaissances ainsi que, comme
son nom l’indique, de la cavalerie111. L’année suivante, cette école
déménage à Krampnitz, pour disposer de davantage d’espace
d’entraînement dans un espace rural (en 1945, l’école est transférée à
Bergen, en Norvège, tandis qu’une section est envoyée dans un nouveau
camp d’entraînement en Tchécoslovaquie112). Une autre école sera créée à
Bromberg au cours de la guerre ; on y dispensera l’instruction pour les
unités de reconnaissance motocyclistes et hippomobiles.
Les Panzerschulen se multiplient, à l’image de celle de Grafenwöhr, qui
sera l’un des principaux champs de manœuvre. La formation de base dure
vingt et une semaines, mais, à partir de 1944, elle est organisée de façon à
ce que le tankiste soit apte à connaître son baptême du feu au bout de seize
semaines seulement. L’entraînement de base du tankiste est similaire à celui
de l’infanterie, si ce n’est l’addition de l’apprentissage du combat antichar,
une manière d’ébaucher la coopération interarmes puisque les techniques de
combat d’infanterie ne seront pas inconnues du personnel des blindés.
Au bout de six mois, les recrues sont réparties en groupes pour un
entraînement plus poussé, en qualité de tireurs, conducteurs, mécaniciens
ou radios. Les apprentis tankistes sont d’abord entraînés individuellement,
puis en tant qu’équipage : dans un panzer, le travail en équipe est encore
plus primordial que dans l’infanterie. Des cibles mouvantes sont tirées sur
des traîneaux lors des séances d’entraînement au tir au canon, notamment à
Putlos.
En ces temps où la possession d’une automobile est encore réservée à
une élite relativement restreinte, apprendre à conduire à bord d’un panzer
constitue une expérience nouvelle, particulièrement excitante. « Je n’avais
jamais conduit de voiture avant, et j’ai immédiatement été fasciné à cette
seule pensée », raconte, ému, Wilhelm Ludwig après avoir découvert les
joies de la motocyclette et de la conduite d’un panzer. Technologie et
mécanique peuvent aussi se révéler fascinantes pour les nombreuses recrues
d’origine rurale113. « Nous nous amusons comme de vrais gamins que nous
sommes114 », commente Guy Sajer lorsqu’il évoque le moment où il
apprend à conduire une motocyclette, une Volkswagen puis un véhicule
tout-terrain. Lorsqu’il raconte la découverte d’un tracteur d’artillerie, il
souligne le plaisir vécu à cette occasion : « Nous avons ri toute la journée,
et le soir, n’importe lequel d’entre nous peut manier cette chenillette115. »
L’entraînement est-il efficace ? Si le contenu des cours et la formation
restent similaires au fil des années, l’Ersatzheer n’a de cesse d’assimiler les
retours sur expérience en provenance du front, et tient compte de l’entrée en
lice de nouveaux matériels et armements. L’exemple de l’Afrikakorps est
édifiant. Certes, les premiers contingents débarqués en février-mai 1941
bénéficient de l’expérience d’avant guerre, de l’expérience des premières
campagnes ainsi que du vaste programme de réentraînement suivi depuis la
victoire sur la France en juin 1940. Pourtant, les nouvelles recrues et les
jeunes vétérans de la 15e Panzer s’entraînent pour le combat en zone
forestière ou urbaine… un type de combat pourtant inconcevable en
Afrique, à moins d’un farouche combat de rues au Caire, ce qui n’est pas
une perspective pour le DAK116 à cette date. Pis, mis à part les instructions
ayant trait à l’eau et à l’hygiène, les cours dispensés sur le désert se révèlent
inadaptés, notamment pour préparer les soldats aux risques que représentent
la chaleur et les insectes117. Si l’entraînement en Prusse ne semble guère
préparer à l’Afrique118, on espère que la chaleur printanière et estivale
italienne fera office d’acclimatation pour les futurs soldats envoyés à
Rommel.

Les sous-officiers : colonne vertébrale de l’armée de Hitler

L’une des grandes forces de la Wehrmacht est la qualité de ses sous-


officiers, qui représentent le gros des instructeurs pour la formation des
recrues. L’armée allemande repose davantage sur un nombre plus important
de sous-officiers que dans la multiplication des postes d’officiers
subalternes. Au temps de la Reichswehr, un sous-officier suit un cursus
s’étalant sur trois années et demie. L’armée dispose ainsi d’une base solide
sur laquelle bâtir la nouvelle Wehrmacht. Ce n’est qu’en 1936 que voit le
jour une école spécifique à l’attention des sous-officiers. Après deux ans
d’entraînement, les candidats deviennent caporaux, la plupart étant nommés
ensuite adjudant au bout de quatre ans. Une promotion à un grade plus
élevé (Oberfeldwebel, etc.) nécessite un examen particulier.
Pour former davantage de sous-officiers, nécessaires à l’expansion
spectaculaire des effectifs, deux nouveautés sont adoptées par les autorités
militaires. Premièrement, lorsque les garçons des Jeunesses hitlériennes
effectuent une sorte de préparation militaire lors d’un séjour dans une
caserne de deux semaines, au cours desquelles ils reçoivent les rudiments
de l’utilisation d’un fusil ou d’une mitrailleuse, ceux qui se distinguent
peuvent se voir proposer pendant un an une formation initiale à la fonction
de sous-officier. Au bout d’un an, promus soldats de 1re classe, ils suivent
de nouveau six mois d’entraînement.
L’autre manière de sélectionner des candidats à la fonction de sous-
officier est de choisir les soldats qui se sont montrés les plus aptes et les
plus prometteurs au cours de leur première année de service. Les meilleures
recrues des écoles de blindés deviennent chefs de char, et les meilleurs
chefs de char prendront le commandement d’un Zug, ou peloton de panzers.
Cette sélection est du ressort du chef de compagnie (ou de batterie dans
l’artillerie), à qui il appartiendra ensuite d’accepter ou non ce nouveau sous-
officier au sein de son unité, une pratique très décentralisée, à même de
renforcer les liens au sein d’une unité, manière de procéder qui perdurera
jusqu’à l’écroulement du Reich. L’esprit de corps est renforcé par le contact
avec les sous-officiers les plus anciens, à la fois dans le cadre du service et
en dehors de celui-ci119.
Pour attirer les candidats, les recrues potentielles se voient offrir la
possibilité d’une option de cinq ans de service, parallèlement à
l’engagement sur douze ans déjà en vigueur. Jusqu’en 1939, un jeune
homme aspirant à devenir sous-officier ne doit pas envisager une carrière
d’officier, qui suppose un cursus différent, les passerelles entre les deux
systèmes étant inexistantes, à de très rares exceptions près. Les besoins du
temps de guerre vont bouleverser ce principe : en 1945, onze des généraux
de la Wehrmacht, au nombre desquels le Waffen-SS « Sepp » Dietrich, sont
des hommes ayant débuté leur carrière militaire comme simples sous-
officiers. Au sein de l’Ersatzheer, après l’embrasement de septembre 1939,
une promotion à un rang de sous-officier nécessitera toujours un délai d’un
an de service, dont deux mois passés au front, à la condition qu’une place
soit disponible. En revanche, un soldat méritant de la Feldheer peut être
promu au bout de six mois seulement, même en l’absence de poste vacant.
Ces procédures de recrutement n’entraînent pas une baisse de la qualité
car l’entraînement et la formation restent de haut niveau. La Wehrmacht
attend de ses sous-officiers qu’ils soient agressifs, qu’ils fassent preuve de
flexibilité et soient capables d’initiative personnelle, conformément aux
exigences de l’Auftragstaktik (« tactique de tâche ») qui laisse beaucoup de
latitude dans les décisions prises par les subordonnés.
Le sous-officier chef de peloton (ou groupe de combat) doit apprendre à
agir rapidement, à faire montre d’initiative et à mettre en œuvre les armes
dont il dispose avec intelligence. Il doit déployer son groupe de combat en
mettant à profit au mieux le terrain qui l’environne et dont il doit
immédiatement saisir les détails. Il lui faut aussi déterminer les cibles
prioritaires. À l’entraînement, celles-ci sont matérialisées par des drapeaux
de différentes couleurs. Cette procédure lui permet, ainsi qu’aux hommes de
troupe, d’apprendre à identifier les cibles les plus dangereuses.
Anciens hommes de troupe pour beaucoup, les sous-officiers cultivent
le sens de la camaraderie si cher à l’armée allemande, le sergent étant la
« maman » dans l’argot militaire. Friedrich Grupe se souvient, soldat,
d’avoir peiné à gravir une colline avec des caissettes de munitions pour la
MG, poussé sans cesse par son supérieur, Schmidt « la Grande Gueule ».
Pourtant, le soir, Schmidt rejoint ses hommes dans leur baraquement, il
« s’assoit de façon informelle au milieu de nous, rapporte Grupe, rit,
plaisante et chante avec nous comme un bon camarade120 ». Les sous-
officiers, considérés à raison comme une des forces de l’armée allemande,
sont le relais des décisions prises par leurs supérieurs : les officiers de
Hitler.

Les officiers allemands, symboles de l’excellence de la


Wehrmacht

Les officiers, craints121 et respectés de la troupe, constituent l’ossature


de la Wehrmacht. La force d’une armée réside dans la qualité de son
commandement. Comme leurs subordonnés, simples hommes du rang ou
non, les officiers sont qualifiés de soldats. Tous doivent se rendre un salut
mutuel122. L’officier se doit d’être un exemple pour la troupe, aussi bien sur
le plan moral que par son courage ou encore le contrôle de lui-même.
« L’officier est un chef et un éducateur dans tous les domaines », proclame
le Truppenführung (le manuel de conduite des troupes) de 1936, manuel qui
insiste par ailleurs sur l’importance de l’esprit de camaraderie. Responsable
de la discipline de son unité, l’officier est invité à vivre auprès de ses
hommes, à « partager avec eux le danger et les privations ». Le régime nazi
doit être tenu pour être à l’origine de cet état d’esprit de camaraderie. Le
général Elfeldt, commandant du 84e corps, capturé dans le « chaudron » de
Falaise, s’en fait l’écho : « Le national-socialisme a rendu les troupes plus
fanatiques, ce qui était bien et mal pour la discipline. Mais les relations
entre les hommes et les officiers étaient meilleures qu’en 1914-1918, et cela
a aidé la discipline. L’amélioration relationnelle était en partie due à une
nouvelle conception inculquée par la Reichswehr, basée sur l’expérience de
1914-1918, et en partie à l’influence du national-socialisme, qui ont
diminué le fossé entre les officiers et les hommes123. »
Les relations entre officiers subalternes et soldats sont empreintes de
paternalisme, au point que les hommes de troupe sont appelés Kinder, « les
enfants », par leurs supérieurs124. Au-delà de la camaraderie, cet aspect des
relations entre les cadres et la troupe est à l’origine d’une plaisanterie qui a
cours dans les casernes allemandes de l’époque. Un officier s’adresse à ses
hommes : « Qui est le père de votre compagnie ? » « L’Hauptmann
[capitaine], Herr General. » « Et qui est la mère de la compagnie ? » « Le
Feldwebel [adjudant], Herr General. » « Et que voulez-vous devenir au sein
de l’armée ? » « Un orphelin, Herr General ! »
Cette camaraderie est aussi celle des cadres entre eux, elle s’entretient
au mess des officiers, ou entre sous-officiers au-delà de la caserne, dans les
bars et tavernes trop heureuses d’accueillir les soldats de « leur » garnison.
« L’alcool ne manquait pas » au mess des officiers, rappelle Kageneck, qui,
aspirant, doit passer l’épreuve de garder contenance devant ses supérieurs,
même en état d’ébriété avancé après avoir vidé cul sec un nombre important
de verres125.
Le prestige de l’armée et les perspectives de carrière sont suffisamment
bien considérés pour attirer ceux qui, par leur naissance, ont la possibilité
de faire le choix de leur profession. Nombre des portefeuilles ministériels
ou des postes au sein des cabinets ministériels sont détenus par des officiers
ou des diplômés de l’École de guerre (Kriegsakademie)126. Le corps des
officiers représente 4 500 hommes au temps de la Reichswehr, dont
450 médecins et vétérinaires. Comme 500 rejoignent les rangs de la
Luftwaffe, seuls 3 050 restent disponibles pour la Heer. Il ne rassemble
encore que 10 800 hommes en 1936. L’enrôlement de policiers, la
promotion de sous-officiers et l’appoint en 1938 des 1 800 officiers
autrichiens, désormais allemands après l’Anschluss127, ne suffisent
aucunement à assurer le recrutement des 25 000 officiers d’active qu’il
faudra trouver et former avant l’entrée en guerre. Le 1er septembre 1939, la
Wehrmacht aligne 105 000 officiers, la plupart de réserve ; elle en compte
346 000 en 1944128, une augmentation sensible des effectifs. Pourtant, au
mois de mai 1944, la seule Heer manque de 13 000 officiers.
Après l’entrée en guerre, l’inflation des pertes devient sensible à partir
du moment où la Wehrmacht envahit l’Union soviétique. De 1939 à mai
1941, 1 200 officiers tombent au champ d’honneur. Du déclenchement de
« Barbarossa » à mars 1942, soit en l’espace de neuf mois, 15 000 sont
tués129… En février 1944, le docteur Freitag, Ia du 80e corps, participe à des
conférences à Paris. Ses notes fournissent de précieuses informations130. On
y apprend qu’au 20 janvier 1944, le corps des officiers allemands compte
23 776 tués, 67 488 blessés et 18 805 disparus (sans compter 5 000 officiers
perdus à Stalingrad). On dénombre au 1er janvier 1944 la perte de
97 généraux et de 380 colonels. Le 17 septembre 1944, 146 généraux sont
tombés au front, 115 sont portés disparus (ou prisonniers) et 46 sont
morts131. Mais plus de 24 000 officiers subalternes (lieutenants et sous-
lieutenants) sont tués, pour un total de 91 000 pertes à ce niveau de la
hiérarchie. Les besoins en commandants de régiment sont également
sensibles. Certaines branches sont particulièrement touchées, dans l’ordre :
Panzergrenadier, panzer, infanterie, artillerie, transmissions et services.
À ce stade de la guerre, les besoins immédiats sont estimés à
18 000 officiers. Les besoins se font également pressants au Grand Quartier
général : 1 900 officiers y ont été affectés, dont 500 issus de la réserve et
233 transférés à l’OKH, les autres – la majorité – en étant déjà membres.
À la mi-juin 1944, la Wehrmacht compte 240 000 officiers, dont
1 200 généraux ; la situation semble toujours critique puisque l’OKH admet
des difficultés pour pourvoir aux postes de commandant de régiment
(30 ans de moyenne d’âge, l’armée souhaitant la porter à 32 ans) et de
compagnie. On requiert d’employer des officiers d’état-major au front, la
troupe semblant demander que ces officiers d’état-major, plus âgés, se
voient offrir l’opportunité de commander des unités. Les jeunes officiers ne
peuvent en effet être jetés « dans le bain » sans être encadrés, au besoin en
confiant temporairement des compagnies à des sous-officiers… On veille à
ce que les promotions ne soient pas trop accélérées afin d’éviter de confier à
un officier des responsabilités qu’il ne serait pas apte à assumer : « Avant
d’être affectés à des postes d’état-major, tous les officiers doivent avoir
dirigé une compagnie au front pour une durée de six mois ; avant d’être
promus lieutenants, un bataillon entre trois et six mois ; avant la promotion
au grade de Generalmajor, un régiment ; et avant la promotion au grade de
Generalleutant, une division132. »
Sous le Troisième Reich, parvenir au rang d’officier ne semble pourtant
plus constituer un privilège réservé à une élite restreinte. L’émergence de la
Wehrmacht offre indubitablement l’occasion d’une ascension sociale pour
nombre d’Allemands. Pourtant, en dépit des efforts déployés par les nazis
pour démocratiser l’armée, ne serait-ce que devant la nécessité de pourvoir
à tous les postes d’officiers, le peu de temps dont le Reich a disposé avant le
conflit a eu pour résultat que les nobles sont restés dominants aux niveaux
les plus élevés de la hiérarchie133. En mai 1943, on compte encore 17,6 %
de hobereaux à partir du rang de Generalleutnant ; on compte même
davantage de nobles parmi les Feldmarschall en 1944 qu’en 1932134. Avant
guerre, devenir officier reste laborieux pour un homme d’origine modeste,
surtout s’il désire se marier, ce qui suppose l’accord du supérieur en grade,
outre la condition d’être âgé d’au moins 27 ans : en effet, le code des
officiers interdit à une épouse d’exercer une profession, une enquête
préliminaire étant effectuée sur sa personne, ainsi que sur les revenus de sa
famille, étant entendu que la solde d’un jeune officier reste peu élevée pour
assurer l’entretien correct d’une famille (2,40 marks par jour, en sus de
170 marks non imposables pour un sous-lieutenant135).
Un candidat à la carrière d’officier doit se présenter au régiment sur
lequel s’est porté son choix. Il appartient au commandant de l’unité où le
candidat postule d’accepter ou non la requête, après avoir examiné le
dossier de l’impétrant, le niveau d’exigence des critères sociaux et éducatifs
ne cessant de régresser avec l’accession de Hitler au pouvoir. Si le candidat
est retenu, il doit se rendre auprès de son Wehrkreis afin de suivre des
examens complémentaires. Regroupés par cinq ou six, les candidats
subissent des interrogatoires et des exercices pendant plusieurs jours :
discussion avec un psychologue, épreuves aussi agréables qu’escalader un
tronc lisse avec le barda complet ou supporter un courant électrique
d’intensité de plus en plus forte. Les candidats sont filmés à leur insu, afin
d’étudier leurs réactions faciales et leurs gestes. Les aptitudes techniques (à
l’aide d’un jeu de construction pour enfants !) et pédagogiques (un officier
doit aussi être un bon enseignant) sont également évaluées. Il n’est guère
question de tester l’intelligence : de la volonté, un esprit guerrier, une
aptitude à mener les autres, des compétences techniques… voilà ce qui
prime chez un officier. La personnalité est essentielle.
Un entretien final avec un officier, un psychiatre et un psychologue clôt
la série d’examens. Le résultat est transmis au commandant du régiment,
auquel revient la décision finale. August von Kageneck, qui n’a pas encore
17 ans, se présente avec cinq autres volontaires à la caserne du 17e régiment
de cavalerie, cantonné à Bamberg, le 20 avril 1939. « Nous subîmes
d’abord un rapide examen de nos facultés physiques et intellectuelles,
rapporte-t-il : il s’agissait de courir 3 000 mètres à l’intérieur des écuries, de
rédiger notre curriculum vitae et d’exposer les raisons pour lesquelles on
avait choisi le métier d’officier. Le tout était dénommé curieusement
“examen psychotechnique”. Nous fûmes ensuite conviés à un déjeuner au
mess des officiers auquel tous les chefs du régiment devaient participer. On
avait composé un menu diabolique : soupe avec des spaghetti
immangeables et poisson plein d’arêtes. Cela faisait partie de l’examen
psychotechnique : l’aspirant avait-il appris à manger avec sang-froid en
toutes circonstances, se riait-il des difficultés, restait-il de marbre devant un
mets peu appétissant ? C’était notre cas. Nous étions tous d’excellente
humeur136. »
L’entraînement est de très haut niveau. Jusqu’en 1937, celui-ci s’étend
sur quatre années. La formation se partage toujours en trois parties : un
entraînement de base au sein de la troupe, une deuxième période à l’école
des officiers, une troisième et ultime dans l’école de l’arme dans laquelle
l’officier s’est spécialisé. Les écoles de formation d’officiers (les
Kriegsschulen) inculquent certes des bases tactiques sur toutes les armes,
mais tous les cadets doivent impérativement suivre l’entraînement de
l’infanterie137. Un futur officier qui a débuté son cursus en août 1941 à
l’école de Braunau am Inn apprend à conduire une Kübelwagen et une
motocyclette, à monter à cheval et à conduire une charrette hippomobile.
À la caserne-école de Potsdam, les cadets sont répartis par chambrées de
quatre, équipées de sanitaires, l’« appartement » mis à leur disposition
disposant en outre d’une seconde pièce dotée de quatre bureaux (où sont par
ailleurs pris petits déjeuners et dîners, le mess accueillant le seul déjeuner à
midi138). Chaque journée comprend six heures de cours et trois heures sur le
terrain. Avant guerre, on prépare aussi les futurs officiers à assurer leur rang
social : on dispense des cours de danse avec les jeunes filles de la bonne
société… Trois fois par semaine, le cadet devra faire également montre de
ses bonnes manières à table, en compagnie de son commandant139.
L’instruction tend à prendre un aspect plus pratique, plus concret : à
l’école des officiers, les cadets consacrent de plus en plus de temps à la
tactique (neuf heures par semaine contre six auparavant). La répartition des
cours de la semaine est la suivante : neuf heures de tactique ; trois heures de
technologies des armes ; trois heures de génie ; deux heures pour la
topographie ; autant pour l’organisation de l’armée de même que pour la
citoyenneté (une heure est consacrée au national-socialisme) ; une heure
pour chacune des matières suivantes : transmissions, défense antiaérienne,
technologie des moteurs de véhicules, théorie du sport ; deux tiers d’heure
pour le service sanitaire et un tiers pour l’administration militaire. L’histoire
militaire (deux à trois heures) apparaît dans l’école spécialisée, de même
que d’autres cours ayant trait aux sciences (mathématiques, physique,
chimie).
La nécessité d’accélérer le processus pour former un nombre toujours
croissant d’officiers conduit à en raccourcir la durée pendant la guerre, mais
cela ne se traduit nullement par une baisse des exigences. À partir de 1942,
le cursus habituel pour devenir officier s’étale sur une période d’un an et
demi au maximum, selon le planning suivant140 : trois à quatre mois
d’entraînement basique au sein de l’Ersatzheer ; deux à quatre mois
d’entraînement comme sous-officier, toujours dans le cadre de
l’Ersatzheer ; deux mois d’entraînement comme chef de section dans
l’Ersatzheer, promotion au rang de sous-officier ; deux mois de service au
front et promotion au rang de Fahnenjunker (et donc de cadet) ; trois à
quatre mois à l’école des officiers, promotion au rang d’Oberfähnrich, soit
le rang le plus élevé pour un élève officier ; deux mois de formation
avancée. Parfois, le service au front s’effectue au bout de trois mois de
formation basique.
Des promotions issues du « champ de bataille » seront légion, puisque
des dizaines de sous-officiers, sélectionnés par leurs chefs de régiment,
accéderont au rang d’officiers de cette façon, après passage par une école141.
Ces aspirants officiers peuvent être recommandés au bout de six mois s’ils
sont bacheliers, un an dans le cas contraire. Comme il sied dans l’armée
allemande, le soldat reste attaché à son unité et l’officier fraîchement promu
rejoint son régiment d’origine. Jusqu’en 1942, c’est au chef du régiment
qu’échoit la décision de l’acceptation ou non d’un lieutenant 142. Au sein de
la Wehrmacht, il est donc admis que la meilleure préparation pour devenir
officier passe par le service au front, qu’on soit issu de l’Ersatzheer ou de la
Feldheer.
L’élite du corps des officiers est constituée des membres de l’état-major
général, la voie royale pour accéder au rang de général. Avec le
Truppenamt, le général Hans von Seekt entend maintenir l’existence du
Grand Quartier général, interdit par le traité de Versailles. Entre soixante et
quatre-vingts officiers suivent chaque année la formation pour l’état-major
général, cette dernière étant ouverte à entre cent et cent cinquante officiers à
partir de 1943143. Le cursus est suivi à la Kriegsakademie (l’École de
guerre), réinstaurée le 1er août 1934 sous l’égide du Generalleutnant Curt
Liebmann144, avec pour objectif de former des chefs d’état-major ou chef
des opérations (Ia) d’une division. La tactique, l’histoire militaire, la
préparation de manœuvres et les wargames (Kriegsspiele) tiennent un rôle
essentiel, les autres sujets étant clairement considérés comme seconds en
importance, en l’occurrence le travail d’état-major, le renseignement, la
logistique, la technologie des armes, etc. Langues étrangères, économie,
politique, affaires internationales et plus encore sport ont également leur
place. L’été est consacré à l’étude des différentes armes, pour en
appréhender leurs capacités et leurs limites. La formation se termine par un
staff-ride au cours duquel est simulée une opération ; c’est un examen
crucial pour le diplôme. L’intelligence, la logique, la rapidité d’exécution, la
créativité, l’endurance… : voilà les qualités requises. Après une ou deux
années probatoires au Grand Quartier général, l’officier est autorisé à porter
sur son pantalon les fameuses bandes rouges et les insignes de col argentés
afférents, ainsi qu’à ajouter le très convoité i.G. (im Generalstab, « de
l’état-major général ») à son rang. En 1938, la période de formation pour
devenir un officier de l’état-major général, qui ne regroupe que des cadres
de haut rang parmi les plus qualifiés, est désormais de trois ans, dont deux à
l’école d’état-major.
Lorsque le conflit éclate, assurée que la guerre sera courte, la
Wehrmacht ferme la Kriegsakademie, une formation de huit semaines se
substituant aux trois années de l’ancien cursus. Cette formation vise à
former des officiers pour assumer les tâches subalternes au sein de l’OKH.
Le caractère et la capacité à réfléchir de façon indépendante restent
primordiaux. À partir de 1942, un nouveau programme de formation est
établi. L’instruction se déroule en cinq phases, dont on peut suivre le détail
avec le programme de la dix-septième saison de formation du temps de
guerre, prévue entre août 1944 et… février 1946145. Il est prévu que des
rapports évaluant les capacités des candidats à poursuivre la formation
soient adressés au service du personnel de l’OKH pendant toute la période.
Il est par ailleurs stipulé que tout changement d’affectation à un état-major
doit être exceptionnel et ne répondre qu’à des impératifs de formation. Les
officiers sélectionnés pour suivre la formation pour rejoindre le Grand État-
Major général sont en premier lieu rattachés au QG d’une division pendant
trois mois (jusqu’au 31 octobre 1944). Au cours de la seconde phase, qui
s’étend du 1er novembre 1944 au 25 janvier 1945, les impétrants rejoignent
un QG de niveau supérieur (corps ou armée), pour y être formés dans
l’arme au sein de laquelle ils ont démontré les meilleures aptitudes. Le mois
de janvier est consacré à une instruction dans les Waffenschulen (écoles
spécialisées chacune dans une branche de l’armée) de l’Ersatzheer. Les
postulants qui sont retenus pour la poursuite du cursus de formation
étudient à l’école d’état-major tout en suivant en parallèle un enseignement
dans une Waffenschule (du 26 janvier au 4 mars 1945). Après cinq mois de
cours à l’école d’état-major, l’officier diplômé rejoint l’OKH pour une
durée de cinq mois, à l’issue de laquelle il est définitivement rattaché au
Grand État-Major s’il remplit les conditions requises et qu’il est jugé apte à
la fonction.
L’image d’Épinal d’une obéissance aveugle aux ordres au sein de
l’armée allemande doit être bannie. Au contraire, l’initiative des
subordonnés est encouragée. Si le haut commandement reste attaché aux
concepts de « manœuvre décisive » et de l’Entscheidungsschlacht
(« bataille décisive ») ou Vernichtungsschlacht (« bataille
d’anéantissement »), dans le cadre d’une Auftragstaktik (« tactique de
tâche »), celle-ci suppose que le chef fournit les grandes lignes de l’objectif,
donne des instructions qui laissent à l’exécutant l’initiative et l’autonomie
pour décider des choix à prendre pour s’acquitter de sa mission, voire pour
improviser selon l’évolution de la situation. L’action décisive est la voie qui
mène à la victoire. Le manuel officiel de 1936, le Truppenführung (le
« commandement des troupes »), insiste : « Tous, du commandant le plus
élevé en grade aux soldats les plus jeunes, doivent avoir conscience du fait
que l’inaction et les opportunités perdues pèsent plus lourds que les erreurs
dans le choix des moyens. » La formation reçue par les officiers vise donc
avant tout à les préparer à cette autonomie et à cet esprit d’initiative, a
contrario des autres armées où les décisions sont prises en amont par la
hiérarchie. Certes, comme pour les simples soldats, la formation des
officiers passe aussi par l’acquisition de réflexes, visant à obtenir une
efficacité maximale dans une prompte réactivité. Gerhard Muhm, qui
servira au sein de la 29. Panzer-Grenadier-Division, raconte : « Depuis le
premier jour en tant qu’élève officier, l’expression “Auftrag wiederholen !”
[“répétez la tâche”] résonnait comme un coup de tonnerre dans les oreilles,
nos supérieurs souhaitant que nous répétions la tâche qui nous avait été
confiée afin d’être bien certains que nous avions compris. Et ils disaient
toujours “Auftrag” [“tâche”] et non “Befehl” [“ordre”]. »

La Luftwaffe : la formation des soldats d’Hermann Goering

Se porter volontaire pour la Luftwaffe – mais aussi pour la


Kriegsmarine – est un choix qui a l’avantage de requérir une période
d’instruction plus longue, ce qui retarde l’épreuve du front, bien que cette
perspective n’ait probablement pas tenu un grand rôle dans le choix de la
plupart des volontaires. Avant d’être incorporés dans la Luftwaffe146, les
élèves pilotes sont passés par les centres de vol à voile, véritables pépinières
pour le recrutement du personnel navigant. Les recrues de la Luftwaffe
suivent six mois d’instruction de base dans une Fliegerersatzabteilung, où
elles apprennent le tir, le drill, la lecture sur carte, la manipulation des
radios… On y dispense donc une instruction militaire de base, où la culture
physique garde toujours son importance. Les meilleurs sont retenus pour
devenir pilotes, les autres sont orientés pour suivre un entraînement
d’opérateur radio ou de mécanicien.
Les futurs pilotes – qui auront tous le rang d’officiers – doivent faire
montre de leurs aptitudes au cours d’un stage au sein de la troupe, après
quoi ils suivent leur formation d’officier. Entre autres choses, on exige d’un
impétrant qu’il soit âgé de 17 à 24 ans, célibataire, de souche aryenne, que
sa taille soit de préférence comprise entre 1,70 m et 1,85 mètre, à tout le
moins pas inférieure à 1,60 mètre ; des conditions qui reflètent clairement le
caractère élitiste et national-socialiste que le Reichsmarschall Goering,
patron de la Luftwaffe, par ailleurs numéro deux du régime nazi, entend
donner à l’armée de l’air allemande, en quelque sorte « sa » garde
prétorienne.
Pour un futur pilote, la première étape suivant l’incorporation dans
l’armée, longue de deux à trois mois, est le Fliegerausbildungregiment, ou
« régiment d’instruction aérienne » (en 1940, les appelés y accèdent
directement, sans passer par le Fliegerersatzabteilung). On y dispense une
instruction sur la navigation, les radios, la mécanique aéronautique… Les
recrues rejoignent ensuite une Fluganwärterkompanie (compagnie
d’instruction aérienne), où ils suivent une formation de deux mois
d’entraînement au vol et d’instruction théorique aéronautique. Suivent six à
huit mois à l’école de pilotage élémentaire, dans une des cinquante
Flugzeugführerschule A/B, où les élèves pilotes effectuent en théorie cent à
cent trente heures de vol, débutant sur des avions-écoles avant de pouvoir
enfin prendre les commandes d’appareils modernes. Théorie et pratique se
conjuguent, mais la seconde prend de plus en plus d’importance. Si la
recrue est reçue à l’examen de sortie, le brevet de pilote de la Lutfwaffe
(licences A et B), tant convoité, leur est remis. Lucien Colombe témoigne :
« Les séances théoriques en salle de cours alternaient avec des exercices
pratiques qui aboutissaient peu à peu à des vols, d’abord sur
le Messerschmitt M17, un appareil ultraléger construit entièrement en bois,
avec moniteur dans le dos, puis sur le Messerschmitt Bf-108, qui pouvait
contenir quatre personnes. Je progressais rapidement car je possédais déjà
pas mal de connaissances théoriques et pratiques dues à mon activité de vol
à voile. La sélection était rigoureuse, avec un contrôle continu des
apprentissages et des aptitudes, qui était sans pitié pour ceux qui
échouaient147. »
L’ultime étape consiste en une formation de trois à six mois dans une
école de perfectionnement, dans la branche retenue comme spécialité pour
le nouveau pilote, à savoir l’aviation de chasse (Jagdfliegerschule), de
reconnaissance (Aufklärungfliegerschule) de bombardement
(Kampffliegerschule) ou de bombardement en piqué
(Sturzkampffliegerschule).
Comme leurs camarades des bombardiers, les pilotes des chasseurs
bimoteurs doivent suivre l’instruction dispensée par la C-Schule, l’école
multimoteurs. L’instruction est progressive, par tous les temps, de jour
comme de nuit. On append la naviguation, ainsi que la technique du combat
aérien, avec virages serrés, piqués ou chandelles pour échapper à un
adversaire. Lucien Colombe se souvient : « On nous apprit le tir à la
mitrailleuse sur cibles fixes (des panneaux carrés de 2,5 mètres de
diagonale), par rafales de cent coups, ou au canon, ainsi que les rudiments
de la survie au cas où nous serions abattus, et aussi à sauter en parachute en
cas de besoin148. » Un passage est exigé dans une école de pilotage sans
visibilité (Blindflugschule). Les pilotes de Stukas effectuent quinze sorties
en double commande avant d’effectuer leur premier piqué en solo, exercice
périlleux qui se solde parfois par des accidents. Au final, la formation d’un
pilote s’étale sur une période allant de dix-huit mois à deux ans, le nombre
d’heures de vol pendant l’instruction oscillant entre deux cent vingt et deux
cent soixante-dix. À l’instar de ce qui prévaut dans la Heer, la recrue
nouvellement formée rejoint une unité de remplacement, à savoir une
Ergänzungsgruppe pour la Luftwaffe, avant d’être dirigée sur une escadrille
– Staffel – du front.
Toutefois, les programmes de formation ont été sérieusement perturbés
par les besoins du front, ainsi que par la décision de Goering d’assurer le
ravitaillement des poches de Demyansk (hiver 1941-1942) et de Stalingrad
(hiver 1942-1943), ce qui a obligé à affecter des pilotes de bombardiers à
des tâches de logistique. Accidents, pannes et manque de carburant rendent
de plus en plus ardu le bouclage du programme d’entraînement et
conduisent au raccourcissement de la période de formation149. La pénurie
d’essence fait sentir ses effets dès 1942 : Paul Zorner, futur as de la chasse
de nuit (Nachtjagd), n’effectue que seize heures et demie de vol de nuit sur
les soixante-douze prévues… Début 1944, le nombre d’heures de vol tombe
à cent soixante heures (voire à cinquante150…), deux fois moins que pour un
pilote de l’USAAF. Pis, en novembre 1944, les apprentis pilotes ne
bénéficient plus que de trois ou quatre heures de vol d’entraînement, autant
dire rien151. L’Oberfähnrich Hans-Ulrich Flade n’a bénéficié que de
soixante heures d’entraînement, soit trois fois moins qu’un pilote allié152.
Quelques as et des pilotes expérimentés côtoient une foule de bleus sans
expérience avec à peine quelques heures de vol à leur actif.
Les « rampants » de la Luftwaffe n’ont certes pas le prestige des pilotes,
à une notable exception : les parachutistes, des soldats conscients
d’appartenir à l’élite. La première école d’entraînement pour parachutistes
voit le jour à Stendal, en Saxe, en février 1936. La formation inclut quatre
semaines d’exercices tactiques de base identiques à ceux des fantassins. Si
la recrue atteint le niveau exigé, l’entraînement étant très dur se souvient
Martin Pöppel, au point qu’il n’avait même pas le temps de penser153, elle
peut suivre les quatre semaines de cours de parachutisme. Un para y
apprendra notamment l’art de plier un parachute, cette corolle de soie à
laquelle il va confier sa vie : dans l’armée allemande, contrairement aux
autres armées, ce ne sont pas des jeunes femmes qui s’acquittent de cette
tâche vitale. Les exercices simulant le saut se succèdent, depuis un avion
factice ou accroché aux suspentes d’un parachute fixé au plafond d’un
hangar. Vient alors l’épreuve suprême : celle du premier véritable saut.
« L’avion fait cinq cercles, puis je me tiens à la porte, le premier à sortir.
Étrangement, mon anxiété disparaît tout d’un coup. Merveilleux ! Je suis
dehors ! Un petit choc et la canopée s’ouvre, je flotte doucement jusqu’au
sol, atterris et plie le parachute. » Après les premières années de la guerre,
l’entraînement est abrégé : on ne demande plus que quatre sauts au lieu de
six pour être parachutiste qualifié, les exercices tactiques tendent par
ailleurs à mettre l’accent sur la défensive154, en accord avec l’évolution du
cours de la guerre.
L’entraînement au parachutage est décentralisé depuis Stendal, car
plusieurs divisions vont voir le jour. Toutefois, une véritable capacité
aéroportée n’est plus vraiment exigée : elle le sera encore pour les 1., 2. et
3. Fallschirmjäger-Divisionen, mais plus pour les suivantes, au sein
desquelles ce seront essentiellement les cadres et quelques vétérans des
anciennes formations qui pourront encore arborer le prestigieux insigne des
parachutistes sur leur poitrine. L’entraînement des parachutistes allemands
reste poussé et ne le cède aucunement à leurs homologues alliés, à tout le
moins pour les divisions créées avant 1944. L’obtention du badge de
parachutiste ne signifie pas la fin de la formation. Ainsi, en août 1939,
Pöppel poursuit les exercices sur le terrain pendant deux semaines lorsqu’il
rejoint son unité de transmissions à Wildflecken, en Bavière : « Les
marches, exercices, alertes nocturnes, les exercices de tir et de radio étaient
tous encore pire qu’auparavant155. »
Le sens de la camaraderie, essentiel pour des hommes voués à se
retrouver isolés derrière les lignes ennemies, est particulièrement marqué
chez les paras. L’esprit de corps est très développé et on attend un
traitement plus généreux envers le parachutiste, la discipline étant supposée
être moins stricte qu’au sein de la Heer. Le général Kurt Student, le père de
l’arme aéroportée allemande, insiste sur le fait que la discipline doit émaner
d’une « confiance mutuelle », et non de la peur et d’une « obéissance
aveugle »156. La pire sanction pour un parachutiste ? La disgrâce de se voir
transférer au sein d’une autre arme…

Les recrues de la Kriegsmarine

Pour ceux qui ont une habileté technique particulière, il peut sembler
préférable de se porter volontaire pour la marine que d’endurer les affres
d’une caserne de la Heer. Avant la guerre, comme dans tous les pays du
monde, rejoindre la marine est également motivé par la perspective de
voyager et de voir le monde… En 1942, 42 000 hommes se portent
volontaires. Certains cherchent à éviter le front de l’Est en postulant pour
les sous-marins, ignorant que le service à leur bord, terrible, est aussi
dangereux, si ce n’est plus. La qualité de la formation des équipages de la
marine n’a rien à envier à celle des troupes de la Heer et de la Luftwaffe.
Certes, lancer un U-Boot (Unterseeboot, soit un sous-marin) exige un temps
relativement long, ce qui est a priori un avantage pour préparer son
équipage à ses futures missions.
Pour autant, postuler pour la Kriegsmarine n’assure aucunement un
service en mer ou dans une base navale… Le destin d’un appelé en 1945 est
révélateur. Le jeune homme a appris à servir les pièces des croiseurs.
Puisque la marine allemande ne dispose que de très peu de navires de
surface, et que de surcroît la majeure partie de ceux-ci montent la garde sur
les côtes norvégiennes et de la Baltique, cet Allemand n’a jamais eu
l’occasion de servir à bord d’un navire, comme un vrai marin : il sert au
front, face à la déferlante de l’Armée rouge… en qualité de Panzerknacker,
« casseur de char », équipé d’un lance-roquette antitank157…
L’élite de la Kriegsmarine, ce sont les U-Boote, dont l’école, la
Unterseebootsabwehrschule, est sise à Kiel depuis 1933, le terme Abwehr,
« défense », visant à leurrer les Alliés en faisant passer une école de sous-
marins, interdits par le traité de Versailles, pour un centre de formation à la
lutte anti-sous-marine… D’autres écoles voient le jour à la suite des accords
navals passés avec le Royaume-Uni en 1935, qui autorisent officiellement
le Reich à se doter de submersibles. Quatre Unterseebootschulen sont en
activité à la fin de la guerre, chacune procédant à l’entraînement de
4 000 recrues. À l’image de la Heer et ses Wehrkreise, une flottille
spécifique est rattachée à chaque Unterseebootschule158. Que ce soit pour un
service à terre, à bord d’unités de surface ou de sous-marins, des écoles plus
spécifiques assurent un complément de formation : qui pour les
transmissions, qui pour les torpilles, etc.
La propagande s’emploie à mettre en valeur les as des sous-marins, les
commandants intrépides, dans l’évident espoir d’attirer les jeunes
Allemands à servir dans cette arme, qui n’accepte en principe que des
volontaires. Les équipages sont composés d’authentiques volontaires
jusqu’en 1942159, même si 63 % des postulants sont encore refusés en
1944160, alors même que la conscription complète les effectifs dès 1941,
certains matelots sans bâtiment étant par ailleurs transférés au sein de l’U-
Bootwaffe161. Comme pour un équipage de panzer, le sens de la camaraderie
ainsi qu’une confiance absolue dans les autres, à commencer par le
commandant, sont essentiels au sein d’un U-Boot. La formation d’un
équipage veillera à assurer ces points cruciaux, puisque la moindre
défaillance sur le plan relationnel peut provoquer un désastre.
Le sous-marinier est instruit sur tous les aspects techniques de son
service, la conception et la construction des submersibles, les armes de
bord, les systèmes de propulsion Diesel et électrique… Les techniques de
survie ne sont pas oubliées : on s’entraîne à abandonner le navire. Au début
de la guerre, avant une accélération du cursus en raison de besoins
grandissants, la recrue d’un U-Boot suit six mois d’entraînement spécifique
de sous-marinier, période qui se réduira comme peau de chagrin, pour ne
plus excéder deux mois en moyenne. Comme dans l’armée, les futurs sous-
officiers sont des hommes de troupe qui se sont distingués, dans ce cas à
l’issue de deux ou trois années de service. Selon la branche de la
Kriegsmarine retenue, le futur sous-officier rejoint l’école appropriée, où il
suit une instruction s’étalant entre trois et dix mois, avant de rejoindre
l’école des sous-officiers de la Kriegsmarine de Friedrichsort (d’autres
verront le jour à Wesermünde puis à Plön). L’entraînement y est
particulièrement rude, incluant celui du fantassin, ce qui peut sembler
incongru, mais les exercices visent à développer le sens du commandement.
Le sport reste essentiel dans des postes où l’agilité à se mouvoir
promptement dans des espaces confinés peut décider de la survie d’un
équipage.
Le futur officier de la Kriegsmarine s’engage pour un service de vingt-
cinq ans, et, après avoir passé avec succès la sélection au camp de
Dänholm, puis l’entraînement initial suivi par tous, il embarque pendant
trois mois et demi sur un voilier, devenant Seekadet (« cadet de la
marine »), croisière suivie de quatorze mois de service sur un croiseur
(jusqu’à neuf mois en mer sur toutes les eaux du globe avant la guerre), puis
un an à l’académie navale, trois mois de formation comme spécialiste et six
mois à plusieurs années sur un navire de guerre en service actif en vue
d’acquérir de l’expérience et le sens des responsabilités, la durée de cette
ultime période étant modulée selon que l’on veuille servir sur un navire de
ligne, un sous-marin ou encore devenir officier-mécanicien. Il peut alors
être élu officier par ses pairs si cette formation s’est révélée satisfaisante.
Pour celui qui se destine aux sous-marins commence alors enfin
l’entraînement proprement dit en tant qu’officier de U-Boot, entraînement
qui requiert de bonnes capacités physiques, le sport tenant toujours un rôle
important. Test de volonté s’il en est, qu’on retrouve dans d’autres armes de
la Wehrmacht, l’officier doit être capable de supporter la douleur d’un
courant électrique. Des simulateurs permettent de s’entraîner à des attaques
avec des modèles réduits pour cibles. Après quinze simulations réussies, le
Leuntant unter Zee (unter Zee, « sous l’eau ») peut poursuivre
l’entraînement au sein d’une flottille ou, pour les meilleurs, rejoindre
directement un bateau162.
Tout l’équipage d’un U-Boot – officiers, sous-officiers et simples
marins – est réuni pour l’ultime étape de la formation. Le capitaine d’un
submersible ainsi qu’une partie de son équipage se rendent dans les
arsenaux où ils assistent à la construction de leur navire. Après son
lancement, suivent deux ou trois semaines de tests pour le U-Boot,
exercices toujours effectués dans la Baltique, qu’il importe de sécuriser face
aux Soviétiques. Cette période d’entraînement est la plus proche des
conditions de combat. Un arbitre accompagne l’exercice, annonçant
soudainement au commandant l’irruption de telle ou telle avarie ou de tel
événement imprévu, et il juge de sa réaction. On procède à des exercices de
plongée, toujours dangereux : trente U-Boote sombrent au cours de ces
exercices, entraînant avec eux 856 sous-mariniers dans les abysses. Lorsque
le bateau est jugé Frontreif, soit apte au service au front, les ultimes
préparatifs s’effectuant à Kiel. Dans cette base, comme ailleurs au sein des
différentes composantes de la Wehrmacht, des auxiliaires féminines ont
elles aussi rejoint les rangs de l’armée pour apporter leur part dans la
défense du Vaterland.

Les femmes de l’armée de Hitler

Hitler est plus que réticent à employer les femmes dans un autre rôle
que les métiers traditionnels qu’on leur attribue : secrétaires ou infirmières.
À la fin de la guerre, ce ne sont pourtant pas moins d’un demi-million
d’Allemandes qui officient comme auxiliaires féminines au sein des
différentes branches de la Wehrmacht et dans la SS. Ces auxiliaires
allemandes sont cependant proportionnellement moins nombreuses que
leurs homologues britanniques et américaines.
L’uniforme les fait rapidement surnommer les « souris grises ». En
décembre 1941, le volontariat se montrant insuffisant à pourvoir aux postes,
le Reich décide du service militaire obligatoire pour les femmes âgées entre
18 et 40 ans, mais la loi n’est pas appliquée concrètement, sans doute en
raison de l’hostilité de Hitler163.
Rien n’est cependant prévu à leur endroit dans le plan de mobilisation
d’avant guerre : selon toute probabilité, la guerre sera courte et il ne sera
pas nécessaire de faire appel à tous les contingents masculins, a fortiori
l’engagement de femmes paraît superflu. Les premières victoires et la
nécessité de disposer de personnel administratif dans les territoires occupés,
puis les besoins sans cesse croissants en hommes pour le front poussent les
autorités du Reich à promulguer la création, le 1er octobre 1940, du
Nachrichtenhelferin, le corps des auxiliaires féminines des transmissions,
premier des nombreux corps où seront engagées des femmes allemandes,
dont les membres de la Croix-Rouge allemande qui sont transférés dans le
corps des Betreuungshelferinnen, soit le corps des « aides-soignantes ».
Certaines, les Bereiterinnen, les « écuyères », seront chargées du dressage
des chevaux, dans une armée encore largement hippomobile. À la fin de la
guerre, l’ensemble des auxiliaires féminines de la Heer, de la Luftwaffe et
de la Kriegsmarine est rassemblé au sein du Wehrmachthelferinnen.
Soumises à la loi et à la discipline militaires, les Helferinnen n’ont pas
pour autant le statut de soldat : elles restent des « auxiliaires de l’armée ».
En dépit de ses besoins au front, l’Allemagne, à l’instar de tous les autres
pays en guerre – à l’exception de l’URSS –, ne franchira jamais l’étape d’en
faire des combattantes164. Les termes présidant à l’organisation des unités
féminines – « superviseur », « guide/leader » – ne sont par ailleurs pas ceux
de l’armée, mais font plutôt référence à des fonctions politiques ou
d’entreprises. Toutefois, des femmes ont servi au sein des unités de Flak165,
d’abord comme opératrices de projecteurs ou de ballons captifs, ou ont
assuré les transmissions dans des postes situés en dehors du Reich. Les
Nachrichtenhelferinnen sont formées par des cadres masculins de l’armée, à
l’école des transmissions de la Wehrmacht, à Giessen. On leur apprend à
être opératrices radio, téléphonistes, standardistes et secrétaires. Dans la
Luftwaffe, on les forme également à servir dans les stations radar. Les
femmes SS sont formées au sein de la Reichschule SS d’Oberehnheim
(Obernai). Comme chez les hommes, la sélection est d’abord basée sur des
critères physiques très stricts à l’origine : être une aryenne âgée entre 17 et
30 ans, mesurer au moins 1,65 mètre. Des femmes SS : une réalité qui
rappelle la nature du régime que sert l’armée allemande, bras armé de l’État
nazi.

L’idéologie nazie au sein de l’armée de Hitler

La politisation de la Wehrmacht fait l’objet d’une attention toute


particulière de Hitler. Les liens entre l’armée allemande et le régime nazi
sont décelables dès l’accession au pouvoir des nazis. De nombreux officiers
supérieurs sont des nationaux-socialistes convaincus, adhérant aux théories
raciales et liberticides des nouveaux maîtres du pays. Nul besoin de
commissaires politiques à l’instar de l’Armée rouge : les généraux de
l’armée allemande en font office tout naturellement166. La Wehrmacht relaie
le NSDAP et l’État pour transmettre l’esprit national-socialiste à ses
recrues, un idéal qui doit guider l’action de tous les militaires, du simple
soldat au Feldmarschall. Ces préceptes qui sont inculqués aux soldats ne
sont que la continuation de l’endoctrinement subi depuis l’école. Ainsi, les
troupes qui entrent en guerre en 1939-1940 sont-elles formées des soldats
les plus politisés que l’Allemagne ait comptés, une tendance qui ne fait que
s’accentuer avec la guerre, notamment avec l’invasion de l’Union
soviétique, les générations les plus jeunes ayant grandi baignées dans le
national-socialisme.
Dès 1935, la Wehrmacht publie de nombreux textes et manuels insistant
certes sur l’importance des tâches militaires qui incombent aux soldats,
mais également sur l’aspect politique de ces missions. La mise en œuvre de
la clause d’aryanité, à savoir l’exclusion des Juifs du service armé, ne
soulève presque aucune protestation au sein de la Wehrmacht. L’épuration
antisémite est rondement menée et selon des critères nationaux-socialistes :
ce ne sont pas des Juifs en tant que tels qui sont écartés (il n’y en a aucun
parmi les officiers), mais ceux qui sont d’ascendance juive, peu importe
leur confession ou celle de leurs parents. L’armée accepte donc de se plier à
l’antisémitisme de l’État qu’elle sert. Une voix s’élève pourtant dans ce
concert assourdissant de silence : celle du colonel Erich von Manstein, voué
à un destin hors du commun sur les champs de bataille de la Seconde
Guerre mondiale, sur lesquels il ne fera montre d’aucune complaisance à
l’endroit des Juifs, bien au contraire167. Certes, ce brillant officier ne remet
pas en question la légitimité des principes raciaux consubstantiels à
l’idéologie nazie en tant que tels, il s’insurge contre une ingérence dans ce
qui ne devrait être que du ressort de l’armée, la question de l’exclusivité
sociale du corps des officiers lui semblant par ailleurs menacée168.
La question se pose alors de la présence de Juifs au sein de l’armée dès
lors que le service militaire universel est institué en Allemagne en 1935. La
loi de Défense écarte sans ambages les Juifs du service armé. Quant aux
« métis juifs », ils ne peuvent monter en grade. De fait, les « demi-Juifs »
portent l’uniforme de la Wehrmacht jusqu’en 1944, certains en qualité de
volontaires. Ils auraient dû être congédiés depuis 1940, mais les difficultés
militaires en décident autrement. Nombre d’Allemands parviennent
également à dissimuler leur ascendance juive. C’est ainsi que 2 000 à 3 000
Juifs et entre 150 000 et 200 000 « quarts de Juifs » et « demi-Juifs » – dont
non moins que le Feldmarschall Milch169 – ont combattu dans les rangs de
la Wehrmacht, au service d’un régime qui entreprend le génocide de leur
peuple, parfois même leur propre famille170. De façon édifiante, le Führer
sait se montrer reconnaissant aux « métis juifs » tombés au champ
d’honneur : ils sont déclarés de « sang allemand » à titre posthume171, étant
entendu que cela est considéré comme une reconnaissance et même une
récompense, être juif étant incompatible avec être allemand selon les
principes raciaux nazis.
D’une manière générale, fidélité au régime et marques de déférence
envers le national-socialisme représentent des atouts pour une carrière
militaire réussie. Les officiers qui ne sont pas politiquement sûrs doivent
être dénoncés à la Gestapo, les Juifs sont écartés du service armé… Plus
édifiant, le 30 janvier 1936, marquant ainsi de façon spectaculaire son
allégeance au régime à l’occasion du troisième anniversaire de l’accession
de Hitler à la fonction de chancelier, le général Blomberg décide que les
écoles et les académies pour officiers doivent consacrer deux heures par
mois à l’éducation politique nationale-socialiste. Peu avant l’entrée en
guerre, les brochures de l’OKW à destination des officiers jusqu’aux chefs
de section adoptent un langage semblable à celui du Führer. Dans un article
de 1938 intitulé « La lutte mondiale contre les Juifs », titre qui en dit déjà
long sur son auteur, il est question de la « volonté séculaire de la juiverie
d’annihiler l’Allemagne172 ». L’éducation politique est donc soutenue à la
caserne. Au cours de l’été et de l’automne 1944, le Wehrkreis XI, dont le
quartier général est établi à Hanovre, met en place des séquences de leçons
sur le national-socialisme de deux jours trois fois par mois173.
Un terrible constat qui n’accable pas que la seule Heer, ni que la
Luftwaffe, idéologiquement très marquée dès l’origine du fait de l’influence
d’Hermann Goering, qui préside à sa création. Dans un discours tenu le
12 mars 1939 à l’occasion de la journée des héros allemands, le grand
amiral Raeder, le « patron » de la Kriegsmarine, proclame sans nuances :
« Si nous devons apprendre au peuple la manipulation des armes, nous
devons aussi instruire le jeune soldat dans l’idéologie et la formation
national-socialiste. Cette partie de notre tâche, qui nous est à la fois un
devoir d’honneur et une obligation inéluctable, nous ne pouvons et nous ne
voulons la réaliser que coude à coude et dans un esprit de camaraderie avec
le parti et ses organisations174. » Tout est dit.
Le principe de « l’endoctrinement de la troupe » reste inconnu avant la
Grande Guerre, mais il est question de « prise en charge mentale » (geistige
Betreuung175). La Wehrmacht n’entend pas céder ses prérogatives au
ministère de la Propagande de Goebbels. Peu avant le déclenchement de la
Seconde Guerre mondiale, elle met en place son propre département chargé
de la propagande au sein de la troupe. Au niveau de la compagnie, les
opuscules du parti doivent faire régulièrement l’objet d’une lecture
commentée. Toutefois, les impératifs du service au front ne laissent pas
toujours à un Major (commandant) le loisir de procéder à un tel exercice176.
Goebbels fait pression sur l’état-major mais, à l’automne 1940, le
général Halder réaffirme sa volonté de confier la geistige Betreuung aux
seuls commandants. L’OKH refuse l’accord passé entre l’OKW et Alfred
Rosenberg, l’idéologue nazi, en vertu duquel le NSDAP devrait fournir à la
Wehrmacht des intervenants et la littérature afférente, tout en assurant la
formation politique des officiers. Le Feldmarschall von Brauchitsch, le
commandant de l’OKH, établit la liste des thèmes qui devront être abordés :
le peuple allemand, le Reich, l’espace vital allemand, le national-socialisme
en tant que base de différents aspects de la vie nationale allemande et
l’Allemagne avant le traité de Westphalie. Il y va dans l’endoctrinement
comme dans l’instruction des recrues : uniformisation. Brauchitsch insiste
pour qu’on inculque à tous les soldats les mêmes préceptes du national-
socialisme.
Suite aux premiers revers subis devant Moscou au cours de l’hiver
1941-1942, comprenant la nécessité de raffermir politiquement le moral
défaillant de l’armée, Keitel ordonne que soit nommé un Betreuungsoffizier
jusqu’au niveau du bataillon, à charge pour lui d’assurer la tâche de
responsable de la propagande, en sus de ses autres fonctions. Si bien des
généraux nazis adhèrent au programme, la mesure fait un flop, avant tout en
raison d’un blocage dû à la tradition militaire prussienne : les officiers les
moins compétents sont affectés à ces postes177, et Keitel doit en venir à
interdire la nomination des aumôniers pour transmettre l’idéologie
nazie178… Une idée similaire fait son chemin au Heeresgruppe Nord, où le
commandant Wilhelm Freiherr von Lersner suggère d’instituer un
entraînement idéologique, proposition acceptée par ses supérieurs et testée
au sein de la 3e armée de panzers179. À la 4e armée du Heeresgruppe Mitte,
le général Rendulic enjoint à ses divisions d’organiser des formations
s’étalant sur deux semaines, afin d’assurer « une solide base de
connaissances politiques180 ».
Fin 1943, sous l’égide de Martin Bormann, le tout-puissant secrétaire
de la chancellerie, le NSDAP parvient à ses fins : le 22 décembre, Hitler
entérine la création au sein des états-majors divisionnaires des NSFO, ou
Nationalsozialisticher Führungsoffiziere, soit les officiers de propagande
(littéralement « officiers de commandement nationaux-socialistes »),
chargés d’assurer une meilleure dissémination de l’idéologie nazie au sein
de l’armée. Leur mission est d’inculquer aux soldats « la haine et une
volonté d’extermination sans limite181 ». Hitler, qui joue son va-tout dans
l’attente de l’invasion à l’Ouest, pense insuffler un souffle nouveau au sein
de la troupe, la puissance de son armée ne pouvant qu’être décuplée en
faisant de chacun de ses soldats un nazi convaincu182. Lorsque, fin janvier
1944, il s’adresse à un aréopage rassemblant tous les chefs de groupe
d’armées et d’armée du front de l’Est, il insiste sur la nécessité de fournir
une éducation nazie à la Wehrmacht, toute nomination à un poste de haut
commandement requérant par ailleurs un endoctrinement à l’idéologie
nazie183.
La mesure est apparemment durement ressentie par l’armée, même s’il
convient de considérer avec le recul nécessaire les témoignages donnés a
posteriori par des officiers soucieux de se distancer des crimes nazis. Hitler
prend également la décision de créer le poste de Chef des NS-
Führungsstabes à l’OKW, fonction qui échoit au General der Infanterie
Hermann Reinecke. Ce dernier, en contact avec les principaux dirigeants
nazis (Himmler, Bormann, Goebbels, Rosenberg…), supervise tout ce qui a
trait à l’instruction politique et à l’idéologie nazie au sein de l’armée, et
donc les NSFO. À l’OKH, le poste de responsable des questions
politiques est tenu successivement par deux officiers, qui se révèlent être
des nazis notoires : les Generäle des Gebirgstruppe Schörner, qui n’accepte
pas d’être subordonné à Reinecke, puis Georg Ritter von Hengl184.
Reinecke, présentant la Waffen-SS comme exemple de système à suivre
pour les NSFO, informe Hitler que Himmler lui a accordé un soutien sans
réserve185. Les plus hauts responsables de l’armée acceptent de suivre ces
prescriptions sans renâcler (aucun refus n’aurait de toute façon pu être
admis) et ajoutent parfois leurs propres exigences. OB West, Gerd von
Rundstedt veut s’assurer que les NFSO soient compétents dans leur rôle ; il
exige qu’ils fassent preuve de tact et qu’ils parlent « avec leur cœur »,
plutôt qu’avec leur matière grise… Rundstedt prévient que tout changement
de NSFO jusqu’au niveau de la division devra être accepté par le NSF/OKH
(soit Hengl), mais qu’en revanche cette décision sera de la seule
responsabilité du supérieur direct aux échelons inférieurs186. Le haut
commandement contrôle donc le choix des NSFO, avec l’approbation de
Bormann et de Reinecke.
Les NSFO doivent en théorie être décorés d’une médaille attestant de
leur bravoure. Ils ne sont pas autorisés à s’adresser à la troupe en dehors de
la présence du chef de l’unité187, qui préside pourtant souvent à leur
désignation. Sont-ils bien considérés ? On ne peut se risquer de généraliser
à ce propos. Le général von Senger und Etterlin, le commandant du
14. Panzerkorps (14e corps de panzers) en Italie, déclare : « Il existait deux
catégories de NSFO : les fanatiques et mouchards redoutés, et ceux qu’on
appelait “braves types”, de bonne foi188. »
Les hommes de troupe sont tenus d’émarger un document attestant
qu’ils ont bien suivi les cours obligatoires dispensés par les NSFO, dont ils
doivent ponctuer les interventions par de vibrants « Sieg Heil ! », ce qu’on
ne doit pas forcément imaginer comme une contrainte189. Une méfiance
entoure apparemment le contenu de ces cours. Le 25 août, sur l’île de
Shouwen, aux Pays-Bas, un caporal de la 79e DI rapporte l’événement
suivant : « Un officier de propagande du corps et l’officier de propagande
Keller, de notre division, sont dans l’île. Le marchand de bestiaux, notre
commandant de compagnie, doit donner un cours de politique sous
surveillance. Il a parlé devant les officiers et les sous-officiers. »
Les cours de formation pour NSFO débutent en mars 1944, à
Krössinsee, en Poméranie. Mais, sur les 740 postes prévus à la mi-juin
1944, seuls 450 sont pourvus. Les suites de l’attentat du 20 juillet 1944 vont
accélérer les nominations aux postes vacants et le processus de nazification
de l’armée. Nommé quelques heures seulement après la tentative
d’assassinat, le nouveau chef de l’Ersatzheer n’est autre que Heinrich
Himmler. Les cadres assignés aux nouvelles unités levées dans le Reich,
baptisées Volksgrenadier-Divisionen (VGD), sont supposés être les plus
compétents, mais ils sont également sélectionnés pour leur loyauté à l’égard
du parti nazi190. Himmler supprime le poste de chapelain, jugé inutile à ses
yeux, tandis que la présence des NFSO, par ailleurs désormais assimilés à
des officiers d’active, est officiellement inscrite sur les tableaux
d’organisation des divisions et devient systématique191, une évolution à
mettre sur le compte de la défiance de Hitler vis-à-vis de la Wehrmacht. Au
sein de celle-ci, ce n’est plus le salut qui est de mise, mais le bras tendu, le
salut nazi (ou Hitlergruß d’abord appelé Deutschesgruß : le « salut
allemand ») : plus que jamais, la Wehrmacht est l’armée de Hitler.
Plutôt mal considérés par les autres officiers, les NSFO ne sauraient être
pleinement comparés aux commissaires politiques de l’Armée rouge du
début de guerre, et ce sur décision même de Hitler, car ces derniers
disposaient de pouvoirs de décision dont n’ont jamais bénéficié les NSFO,
en dépit des tentatives du NSDAP en ce sens, plus particulièrement au cours
des dernières semaines d’existence de l’Allemagne nazie192.

La Waffen-SS193

La nazification des forces armées allemandes atteint son apogée avec la


création de la Waffen-SS, parfois qualifiée de quatrième branche de la
Wehrmacht par Hitler en personne. Blomberg considère alors les SS comme
des « camarades ».
« Je te jure, Adolf Hitler, obéissance jusqu’à la mort. » Tel est le
serment prêté par tout homme rejoignant les rangs de la Waffen-SS194, dont
les deux premiers régiments, « Deutschland » et « Germania »195, sont mis
sur pied en 1936. La devise est à l’avenant, et engage celui qui la porte sur
sa boucle de ceinturon : « Mon honneur s’appelle fidélité. » Le volontariat,
basé sur une motivation politique, suppose que les recrues adhèrent
pleinement aux valeurs de cette branche des forces armées allemandes.
Avant la guerre et l’incorporation de contingents étrangers, être de « race »
allemande est obligatoire, à charge pour l’impétrant de prouver une
ascendance allemande remontant jusqu’à 1750.
Pour rejoindre les rangs de la Waffen-SS, il faut mesurer au moins
1,75 mètre (1,80 mètre au sein de la « Großdeutschland », la division d’élite
de la Heer). Rochus Misch raconte la sélection à son arrivée à la caserne de
Munich : « Il a fallu nous déshabiller, faire des exercices, de la
gymnastique. On nous a pesés, mesurés. Au passage de certains, j’entendais
les recruteurs dire à voix basse que ceux-là n’avaient rien à faire ici. C’est à
ce moment-là que j’ai cru comprendre que la taille était importante, qu’il
fallait afficher plus de 1,70 mètre sous la toise pour prétendre entrer dans la
troupe. » Misch précise que la taille détermine le bataillon auquel on est
affecté196. Ces exigences disparaissent en fin de guerre : « J’avais les
cheveux noirs et je mesurais à cette époque 1,65-1,66 mètre », rapporte
Marcel Mathern, un « malgré-nous »197. Qui rejoint les rangs de la SS ? Se
rêvant marin à bord d’un U-Boot, mais frustré dans sa tentative en raison
d’un arrêt des embrigadements, espérant ensuite rejoindre les panzers, le
jeune Günter Grass, futur prix Nobel de littérature, rejoint finalement les
rangs de la Waffen-SS à l’automne 1944, à son corps défendant, à l’en
croire. Günter Grass, dont l’appartenance à la 10e Panzer SS « Frundsberg »
est avérée, nous livre ses sentiments d’alors : « Pour moi – et là, je suis sûr
de mes souvenirs –, la Waffen-SS n’avait rien d’horrible. C’était une unité
d’élite qu’on engageait toujours là où ça sentait le roussi, et qui avait à
déplorer les plus grandes pertes, c’était du moins sa réputation198. »
Les témoins survivants rechignent à avouer leur sympathie pour le
régime : Rochus Misch, SS et garde du corps du Führer, prétend qu’il ne
s’intéressait ni au parti ni à la politique… Lors de son appel, il aperçoit des
hommes faisant la promotion de la Verfügungstruppe, et prétend que le fait
de lui avoir fait miroiter un poste de fonctionnaire à l’issue de son service a
suffi pour le convaincre. Faut-il le croire lorsqu’il écrit ces lignes : « J’ai
suivi, apposé ma signature en bas de la feuille avec mes coordonnées sans
savoir très bien où je mettais les pieds. » Un fois incorporé, il poursuit : « Je
ne connaissais toujours pas grand-chose à ce Hitler et ne pense pas avoir été
le seul dans cette situation. Les bras tendus, les Heil !, les prises d’armes,
tout cela était nouveau pour moi199. » On reste confondu devant un tel
témoignage… Le cas des « malgré-nous » alsaciens est plus complexe.
Lorsque le père de Paul Andrès s’insurge que son fils, encore mineur, ait été
incité à signer un document faisant de lui un engagé volontaire de la
Waffen-SS (s’il faut croire la version de la famille), les autorités lui
répondent le 19 août 1944 : « Le jeune homme a signé librement, suite à
l’exposé, présenté devant lui et ses camarades, sur les buts de l’armée
politique et sa lutte pour le grand Reich allemand, ainsi que par les récits
d’expériences vécues au front200. » Hugh Herz vit une mésaventure
similaire, mais parviendra à éviter la Waffen-SS en se portant volontaire
pour la Kriegsmarine : il précise qu’il n’a pas signé de force son
engagement dans la SS lors d’un examen de santé, mais que, « trop content
de pouvoir partir, j’ai signé une feuille sans regarder et sans demander de
précisions ! J’étais jeune et naïf201 ». De son côté, Marcel Boltz fait partie de
ceux qui ont visiblement été enrôlés de force, les signatures, à l’en croire,
étant obtenues par la peur, sous les injures et les menaces, notamment de
représailles sur la famille202.
La Waffen-SS, armée politisée s’il en est, se veut résolument nationale-
socialiste, tandis qu’elle considère la Wehrmacht, et en particulier la Heer,
comme réactionnaire, une appréciation qui ne reflète aucunement la réalité.
À l’instar de cette dernière, l’instruction politique est confiée aux chefs
d’unité dans la Waffen-SS ; sans doute ont-ils un profil qui les qualifie
d’emblée pour cette tâche203. Comme l’armée, l’ordre noir dispose d’un haut
responsable pour tout ce qui a trait à l’endoctrinement idéologique en la
personne du SS-Brigadeführer und Generalmajor der Waffen-SS Fick.
Endoctrinés, car les Waffen-SS sont significativement soumis à davantage
de cours politiques que les autres unités, ces soldats sont persuadés d’être
des surhommes et d’être les meilleurs représentants de la race aryenne.
Runes et têtes de morts de leurs uniformes noirs ou feldgrau, tenues et
couvre-casques camouflés, de même que le tatouage de leur groupe sanguin
sous leur aisselle gauche participent à ce sentiment d’exception. On
inculque aux recrues l’éthique SS, qui suppose une dureté sans pareille,
l’absence de pitié pour l’ennemi, une témérité plus marquée et surtout un
mépris des règles de la morale communément acceptées204. La brutalité
reste un mode d’action répandu. Dans la Waffen-SS, on ne prononce par
Herr, « monsieur », avant le grade de son supérieur. Le tutoiement est
même accepté… Mieux, le code de l’honneur permet aux officiers SS de
régler leurs différends dans un duel à l’épée205.
L’entraînement, visant à préparer une élite sans peur et téméraire,
physiquement irréprochable, est ardu, accordant généreusement la place aux
exercices à balles réelles : on va jusqu’à faire ramper les recrues sous les
tirs d’artillerie et de mortiers, d’aviation à l’occasion, et ce sans égard pour
les pertes. Ceux qui passent l’épreuve avec succès ne peuvent qu’être les
meilleurs. L’accoutumance aux grenades représente un exercice de
courage : le soldat doit demeurer debout dans sa tranchée, impassible,
lorsque l’instructeur jette la grenade à manche à une quinzaine de mètres de
lui. Cette formation au plus proche des conditions de combat va se
généraliser au sein de toutes les armées, mais, quand elle est adoptée par la
Waffen-SS dans l’entre-deux-guerres, cette innovation choque les plus
raides tenants de la tradition prussienne206. Cette instruction poussée dans le
maniement des armes a cependant fait défaut aux premiers contingents de
Waffen-SS, qui se sont révélés de piètres combattants au cours des
premières campagnes, avant que l’aspect d’élite combattante ne fasse son
chemin, ce qui n’a in fine véritablement été le cas que pour quelques
divisions de l’ordre noir. Nazie, l’armée allemande l’est donc assurément,
mais jusqu’à un certain point. De façon notable, et à l’opposé de ce qui a
cours pour d’autres fonctions en Allemagne, l’adhésion au NSDAP ne
constitua jamais une condition pour rejoindre le corps des officiers. Ainsi,
seuls 29,2 % des officiers de la division « Großdeutschland », de la
18e Panzer et de la 12e DI sont membres du parti. En revanche, sur
541 officiers qui entrent dans la Heer en 1934, 341 sont des membres du
parti nazi ; une proportion encore plus marquée à l’OKW en 1944 : 74 nazis
sur 96 officiers, étant entendu que les 24 qui ne sont pas affiliés au NSDAP
peuvent être des sympathisants du régime et en partager les valeurs.

De l’Ersatzheer à la Feldheer : la montée au front

C’est donc au sein d’une armée fortement imprégnée par l’idéologie


que les officiers, sous-officiers et hommes de troupe sont formés dans les
casernes et les différentes bases réparties sur le territoire du Reich. Vient
alors le moment de rejoindre le front, qui dans une division, qui dans une
escadrille, qui dans une base sous-marine… L’entraînement avant l’entrée
en action est alors loin d’être terminé.
Les nouvelles recrues de l’Ersatzheer sont regroupées en
Marschbataillonen, affectés aux divisions selon leurs besoins. En juin 1941,
à la veille de « Barbarossa », l’Ersatzheer en dispose de 88, soit
80 000 soldats prêts à être envoyés sur le front pour combler les pertes207.
Dirigés par des officiers de retour de convalescence ou envoyés par leur
division, les quelque 1 000 soldats d’un Marschbataillon sont de toutes les
spécialités. Parvenu en Normandie en juillet 1944, l’Ersatz-Bataillon 372
compte ainsi 735 fantassins, 151 artilleurs, 64 sapeurs, 21 soldats du
personnel médical, etc.208.
Le Marschbataillon est dissous à son arrivée à destination. Chaque
division comporte un Feldersatz-Bataillon chargé d’accueillir ces nouveaux
soldats, qui seront ventilés entre les différentes compagnies. C’est aussi
l’occasion de faire connaissance avec les sous-officiers et les officiers,
facilitant ainsi l’intégration. Le Feldersatz-Bataillon fait également office
de Kampfschule, d’« école de combat », assurée par les meilleurs officiers
et sous-officiers de la division, permettant l’assimilation des dernières
expériences émanant du front209. En juin 1941, 114 des 151 divisions
engagées dans « Barbarossa » disposent d’un Feldersatz-Bataillon
d’environ 790 hommes ; 90 000 remplaçants participent donc à l’invasion
de l’Union soviétique, ce qui porte le pool de soldats prêts à combler les
pertes à 561 000, si on tient compte des 471 600 recrues ayant suivi un
entraînement d’au moins trois mois210, sur plus du million d’hommes que
compte l’Ersatzheer211.
La qualité des remplaçants laisse parfois à désirer, faute d’un
entraînement suffisant et de l’absence de réelle sélection en raison des
besoins en hommes sur le front. Le 16 juillet, la 7e armée fait savoir que
« l’Ersatz-bataillon 361 est arrivé dans le secteur d’Argentan. Cette unité
est la plus médiocre de toutes les unités de remplaçants envoyées jusque-là
à la 7e armée, en ce qui concerne l’état physique, l’âge, l’équipement et
l’entraînement. À peine 30 % du bataillon d’environ 1 000 hommes est
constitué de troupes de ligne, alors que 70 % sont des troupes de service
limitées qui incluent un certain nombre de personnels qui sont
physiquement handicapés à la suite de blessures212 ».
Le 12 juillet 1944, Andreas Bucher déclare à son sergent : « Vous
pouvez dire ce que vous voulez, mais j’ai vu le piteux groupe de
remplaçants et vous n’en trouverez pas un seul qui croit encore en la
victoire. » Peu après, replié sur Düsseldorf, à la caserne Reitzenstein, il
écrit : « Des soldats de trois semaines âgés de 16 ans arrivent ici avant
d’être transportés à Trondheim, en Norvège. Beaucoup d’entre eux ne sont
rien d’autre que des enfants, d’autres ne sont que des estropiés. Seront-ils
jamais bons – j’en doute. »
Les pertes se multipliant, la tendance est à l’accélération de
l’incorporation des nouveaux venus sur la ligne de front, voire à
l’engagement direct du Feldersatz-Bataillon. En février 1944, engagés à la
va-vite sur le front russe, les jeunes conscrits de 18 ans de la 340e DI
craquent et cèdent à la panique dès leur premier engagement, faute d’avoir
été sérieusement pris en charge par le Feldersatz-Bataillon de la division.
Pour pallier l’insuffisance de l’instruction, les hommes reçoivent des
brochures, à glisser dans le Soldbuch, se bornant souvent à une check-list à
retenir selon les situations : « Mon cher camarade ! On attend beaucoup de
toi. Tu sais que tu es inexpérimenté. C’est pourquoi je [c’est un de ces
livrets qui parle] suis là pour t’aider213 ! »
Dès le mois de mai 1941, l’Afrikakorps met sur pied un Feldersatz-
Bataillon de trois compagnies commun à ses deux divisions d’origine. En
Afrique, à partir de l’été 1941, les nouveaux arrivés au DAK doivent subir
un nouvel entraînement, avec leurs camarades vétérans, prenant en compte
le retour d’expérience des premiers affrontements, les spécificités tactiques
de l’environnement désertique, une pratique qui prend de l’ampleur au
premier semestre de l’année 1942. Les recrues participent aussi à des
bivouacs dans le désert, afin de s’acclimater au nouveau théâtre des
opérations214. On apprend à naviguer et à s’orienter dans le désert,
notamment de nuit. Il y a toutefois loin de la théorie à la pratique. L’unité
de reconnaissance d’Otto Henning, qui débarque à Tripoli en mars 1942, est
envoyée rejoindre la 15e Panzer sans entraînement ni acclimatation
supplémentaires. À El-Alamein, en septembre 1942, l’arrivée de nombreux
remplaçants à entraîner ou à réentraîner pose des difficultés, car la guerre
du désert est devenue statique : toute la tactique doit être repensée.
L’entraînement ne cesse jamais, des cours étant par ailleurs dispensés
aux cadres pour les maintenir eux aussi à niveau, et ce dès les lendemains
victorieux des campagnes de Pologne en 1939 et de l’Ouest en 1940215. Les
hommes, soldats expérimentés comme nouvelles recrues, sont maintenus
sur le pied de guerre après chaque campagne et chaque opération. Ainsi,
Siegfried Knappe se rappelle des suites de la victoire sur la France, en juin
1940 : « Nous devions nous préparer à toute éventualité. Nous avons
planifié un emploi du temps complet pour chaque jour, de 5 heures du matin
à 8 heures du soir. Même s’il s’agissait des mêmes hommes avec lesquels
nous avions marché sur la France, nous les gardions actifs et à
l’entraînement. Nous voulions qu’ils gardent leurs aptitudes et qu’ils
s’entraînent aux autres fonctions, de sorte que si quelqu’un venait à être
blessé, nous aurions quelqu’un d’autre pour faire ce travail. » Le lieutenant
Woltersdorf suppose que ses hommes ont dû proférer des jurons à son
endroit lorsqu’il les obligeait à creuser des trous dans le sol dur, sous un
soleil de plomb. Il souhaitait inculquer des automatismes. « Je demandais
que cela ne requière que dix secondes, et non vingt secondes, pour être en
ordre de tir. Ils devaient comprendre que “Mettez-vous à couvert, chargez,
en avant !” n’est ni un exercice disciplinaire ni une forme de harcèlement
sadique, mais une assurance vie216. » En 1943, des cours de combats
antichar sont assurés pour vingt-cinq cadres de la 334e DI à partir du grade
d’adjudant dans la caserne Foch, à Tunis217.
L’entraînement permanent est le lot de tous. Les unités des casernes qui
assurent la formation des recrues en Allemagne se doivent de ne pas perdre
le contact avec les réalités du terrain ; elles servent de cadres pour de
nouvelles unités ou bien les bataillons d’instruction sont envoyés pour
certaines périodes sur le front, ainsi du Kradschützen-Lehr-Bataillon
(l’unité basée à Krampnitz) qui sert un temps avec la 11e Panzer en Russie
en 1942. Il faut alors reconstituer l’unité d’école qui va accueillir les
nouveaux conscrits, difficulté qui se répète au sein des autres armes de la
Wehrmacht, dès lors que les unités d’école sont embrigadées directement au
front, à la place d’unités de renforts. Exemple parmi tant d’autres, le
Luftwaffe-Regiment « Barenthin », une unité de parachutistes engagée en
urgence en Tunisie en réaction à l’opération « Torch218 » en novembre 1942,
est une unité créée ad hoc à partir de personnels d’école de troupes
aéroportées, en l’occurrence la Kraftfahrschule Helmstedt (l’école de
conduite d’Helmstedt), et du Segelflieger-Ergänzgruppe Posen (groupe de
remplaçants de pilotes de planeurs de Posen).

La poursuite de l’entraînement dans le cadre de la


reconstitution d’une unité
Les unités, malmenées dans la fournaise du front de l’Est, sont
régulièrement reconstituées en Allemagne et en France, ce que la
Wehrmacht appelle une période de « rafraîchissement » (Auffrischung). Le
processus nécessite au moins plusieurs semaines. Les divisions ou les
régiments sont parfois agglomérés pour en former de nouveaux avec
l’arrivée de recrues. La nouvelle 352e DI levée en 1944 amalgame le
Grenadier-Regiment 546 ainsi que les restes des 268e et 321e DI, qui ont
souffert à l’Est pendant la bataille de Koursk. Des vétérans des campagnes
d’Afrique du Nord et d’Italie rejoignent la nouvelle division après leur
période de convalescence ou de repos. Enfin, de jeunes recrues, la plupart
venant du camp de Schlann (en République tchèque, alors en territoire
incorporé au Reich), complètent les effectifs219. L’entraînement est similaire
à ce qu’il a toujours été au sein de la Wehrmacht, tout en étant axé dans la
perspective d’un engagement contre l’Armée rouge (dans les faits, la
352e DI sera déployée en Normandie). Toutefois, poursuivre l’entraînement
sous la supervision d’Ostkämpfer (les vétérans du front russe), prêts à
prodiguer tous les conseils que leur permet leur expérience, n’est pas
toujours chose aisée pour les unités déployées à l’Ouest avant l’invasion de
1944. Le Generalfeldmarschall Rommel exige en effet que les divisions
participent aux travaux de fortification du fameux Atlantikwall (le mur de
l’Atlantique), ce qui grève le temps consacré aux exercices militaires. Pis, à
la 352e DI, ordre a été donné de maintenir un tiers de la division en réserve
du 84e corps, ce qui fait que le commandant de la division, le
Generalleutnant Kraiss, est contraint d’effectuer une rotation partielle mais
régulière des éléments engerbés dans cette réserve afin que tous participent
aux phases d’entraînement220.
Lorsque la « Panzer Lehr » est mise sur pied, ses différents éléments,
issus de différentes écoles, sont regroupés en France, notamment dans la
zone Nancy-Lunéville. Un nouvel esprit de corps et une cohésion doivent
être insufflés à la troupe afin de cimenter l’unité. L’entraînement et la
formation des recrues ne sont pas terminés : avec l’activation d’une
nouvelle division, il faut maintenant pratiquer des exercices interarmes,
voire au niveau de la division dans son intégralité. En prévision de
l’invasion, il faut se préparer à effectuer une montée au front de nuit.
À l’issue de sa tournée d’inspection auprès de la division, en février 1944,
Heinz Guderian, alors Generalinspekteur der Panzertruppen, est satisfait de
son niveau de formation et la considère comme prête. Une fois engagée au
front, la formation est continue, dans le sens où les retours d’expérience
sont régulièrement mis à la connaissance des cadres.
Lorsque de nouvelles organisations sont adoptées avec un nouveau type
de division, les officiers doivent rapidement s’accoutumer aux nouvelles
structures et aux possibilités tactiques de leurs formations. On perçoit des
armes de la dernière génération, avec lesquelles il faut se familiariser. Las,
l’équipement fait parfois défaut, et les tankistes doivent s’entraîner avec des
« montures » bien différentes de celles qu’ils emmèneront au combat. Des
tankistes sont parfois pour un temps équipés de seuls vélos…, déconvenue
vécue par les tankistes de la future 116e Panzer221. L’intendance met à profit
les stocks parfois périmés d’avant guerre, les équipements issus du butin
des campagnes victorieuses du temps du Blitzkrieg, voire du matériel neuf
conçu pour d’autres latitudes, mais que les aléas de la guerre ont rendu
inutile : l’Oberstleutnant Ziegelmann, l’Ia de la 352e DI, obtient ainsi de
l’équipement conçu pour le défunt Afrikakorps, fabriqué en toile de coton
filé en lieu et place du traditionnel cuir noir.
En France se situe l’imposant complexe de Mailly-le-Camp, qui
constitue le cadre d’entraînement et de formation des bataillons de Panther.
La base est copieusement bombardée par la Royal Air Force dans la nuit du
3 au 4 mai 1944 : les Allemands perdent une centaine de véhicules (dont
37 Panzer) et 300 hommes, mais le raid coûte 42 appareils et 300 tués aux
Britanniques. L’activité ne s’interrompt pas pour autant. En juin 1944,
10 bataillons de Panther (dont 7 appartenant à des divisions de panzers
combattant sur le front de l’Est) y sont à l’entraînement222.
Les appelés sont de plus en plus jeunes. L’âge de l’incorporation tombe
à 16 ans au cours de l’automne 1944223. Ce recrutement tous azimuts n’est
pas sans conséquences. Dès juillet 1942, le Kriegstagebuch du Panzer-
Grenadier-Regiment 304 se fait l’écho des déficiences relevées chez les
nouveaux appelés : on déplore le manque d’entraînement, qualifié de
« négligé », et un moral défaillant224. Ziegelmann se plaint de la piètre
condition physique des nouveaux arrivants à la 352e DI : mal nourris en
raison des restrictions du temps de guerre225, ils manquent de muscles, et il
réclame des rations de lait et de beurre pour les fortifier. Le caporal-chef
Brass déplore de son côté que ces nouveaux soldats se montrent incapables
d’aller jusqu’au bout des marches d’entraînement, les menaces des sergents
restant sans effet… Il lui apparaît évident que ces hommes courent à leur
perte s’ils sont engagés sur le front. Le cas de la 3e compagnie du Festungs-
MG-Bataillon 276, déployée à Boulogne en septembre 1944, est tout aussi
édifiant : la majorité des recrues, âgées de 35 à 40 ans, mal entraînées, n’est
apte qu’à un service de garnison. Un des soldats porte un œil de verre ; un
autre souffre d’un bras rigide…
En mars 1944, 30 % des soldats du 729e RI de la 709e DI – 21 ans de
moyenne d’âge, ayant l’expérience du front de l’Est – sont renvoyés en
Russie et remplacés par des jeunes recrues âgées en moyenne de 18 ans et
demi, peu entraînées et venant directement d’Allemagne226. Certes, la
moyenne d’âge est généralement assez élevée en 1944 (31 ans en moyenne
pour l’ensemble de la Wehrmacht, contre 26 ans au sein de l’US Army227),
mais en revanche, en 1944, l’armée allemande n’est plus l’armée
inexpérimentée de 1940 (qui fut pourtant victorieuse) : elle compte de
nombreux vétérans de toutes les campagnes rompus aux divers aspects de la
guerre. Le Panzergrenadier-Regiment 125 d’Hans von Luck – lui-même est
un ancien du front de l’Est, mais aussi de l’Afrikakorps, comme
2 000 soldats de la 21e Panzer – compte de nombreux vétérans de la
Russie228. Le 1er avril 1944, 60 % des officiers de la 7e armée stationnée en
Normandie sont des vétérans du front de l’Est. Les vétérans, notamment les
sous-officiers, constituent la colonne vertébrale de l’armée, ils « corsettent »
littéralement les unités.
Le niveau d’instruction des recrues envoyées au front prend un aspect
dramatique à partir de l’automne 1944. Le système de l’armée de réserve
vole alors en éclats, et plus encore lors de l’invasion du Reich en 1945,
lorsque les écoles militaires montent elles-mêmes au front. Le cas de la
462e DI, chargée de défendre Metz en septembre 1944, est emblématique à
cet égard. L’unité incorpore ainsi de nombreux éléments disparates pour
disposer au final de 14 000 hommes : 2 000 élèves – vétérans pour
beaucoup – du Wehrkreis XII, de l’école de Wiesbaden, 1 888 élèves
officiers de la Waffen-SS de l’école des transmissions de Metz
(Fahnenjunkerschule VI), le Sicherungsregiment 1010, deux bataillons
d’infanterie d’instruction, un bataillon d’instruction du génie, ainsi qu’une
compagnie d’instruction de mitrailleuses lourdes, des soldats de la 9. Flak-
Division pour former des unités Pak et Flak… Les unités qui s’opposent au
même moment aux aéroportés alliés à Arnhem sont à l’avenant.
Pour parer au plus pressé, la Wehrmacht est contrainte de faire flèche de
tout bois dès l’été 1944, et ce sont des formations bien hétéroclites qui sont
en ligne. Hitler proclame la mobilisation générale des hommes de 17 à
54 ans. Les inaptes du début de guerre sont désormais mobilisables. Cette
mesure apporte 500 000 hommes à la Wehrmacht. Les plus âgés sont
mobilisés et les hôpitaux doivent déclarer aptes au service des hommes qui,
en d’autres temps, auraient bénéficié d’une convalescence plus longue. Des
soldats souffrant d’infirmités sont déclarés bons pour le front. Les bataillons
de Landesschützen, unités de défense territoriale, étoffent le dispositif.
L’apport d’Allemands ethniques, les Volksdeutsche, complète les effectifs.
À la mi-octobre, la Wehrmacht a mis sur pied 49 Volksgrenadier-Divisionen
(VGD229). Ces nouvelles divisions sont en fait le produit des efforts
désespérés de Hitler pour mobiliser tous les hommes encore en âge de
combattre au sein du Reich. Bon nombre de ces recrues sont issues de la
Luftwaffe, de la Kriegsmarine, des unités de forteresse, de la police ou des
troupes de soutien230. Au sein des VGD, l’instruction est limitée à six
semaines au lieu des trois mois d’entraînement requis par l’Ersatzheer.
Dans ces conditions, les exercices sont rarement pratiqués au niveau
régimentaire ou divisionnaire. Certains officiers pensent bien faire, à
l’instar du colonel Kittel de la Fusilier-Companie 272, en accordant deux
semaines de permission bien méritées à la plupart de ses vétérans de
Normandie231. « Où se trouve le soldat allemand de 1941 ? » se lamente
Hitler dès 1943, deux années après le déclenchement de l’invasion de
l’Union soviétique. Le Feldmarschall Model lui tient cette réponse : « Il est
mort Mein Führer, quelque part en Russie… » Dans le camp adverse,
particulièrement à partir de 1944, il faut compter avec des ennemis de plus
en plus professionnels et efficients, de mieux en mieux équipés, et ce sur
tous les fronts.
Chapitre 2

La guerre sur terre :


conditions matérielles et vie quotidienne au front

La nourriture du soldat allemand

À la guerre, il faut vivre en communauté, le plus souvent dans un


environnement inconnu, en plein air, ou peu s’en faut, dans un dénuement
qui n’a que peu de traits communs avec la vie civile. Il y a peu d’intimité.
Se reposer est parfois une gageure, d’autant que, les pertes s’accumulant, il
manque de plus en plus d’hommes pour s’acquitter des tâches. On vit dans
une forme de pauvreté. Il faut affronter les éléments : pluie, boue, froid,
neige, chaleur, poussière… On est sale, parfois loqueteux. Au front, ce sont
les mêmes vêtements qui sont portés, nuit et jour, avec la même couverture.
Pour tous, une préoccupation quotidienne majeure : que va-t-on manger ?
Quel est l’ordinaire du soldat allemand ? Une division nécessite un
approvisionnement quotidien important : 20 000 litres d’eau, 3 tonnes de
saucisses et suffisamment de farine pour plus de 10 000 pains1. À la
caserne, la nourriture est simple mais roborative : le café (avant qu’il ne
devienne une rareté) et ses ersatz, ainsi que le thé, la chicorée, les gâteaux,
les inévitables saucisses et leur accompagnement de légumes, de
choucroute ou de pommes de terre, quelques délices comme du pain
d’épices, et ce pain noir, typiquement germanique, le Kommissbrot. Les
boulangeries de campagne n’ont pas toujours la possibilité de préparer
suffisamment de pain frais. Les soldats disposent aussi du Kriegsbrot,
emballé dans du carton, avec 25 % de froment, 55 % de seigle et 20 % de
pommes de terre… Le pain se mange avec du beurre ou de la marmelade.
Parmi les boissons, un jus à base de pomme promis à un bel avenir : le
Fanta2. La bière est une récompense toujours appréciée. On boit des jus de
fruits quand l’occasion se présente, dont de rafraîchissants jus de citron en
Libye. La qualité n’est pas toujours au rendez-vous. « Malheureusement,
l’eau est polluée, écrit un certain Mielert en août 1943. Le café a un goût de
pisse mais il est quand même le bienvenu3. »
Contrairement à ce qui a cours au sein de l’US Army, le petit déjeuner
n’est pas considéré comme le principal repas du « trouffion »4 : c’est le
déjeuner qui compte avant tout. Le repas du midi représente la moitié du
total, le dîner (ou souper) le tiers, ce qui laisse un sixième au petit déjeuner5.
Au front, les repas sont au mieux irréguliers, les troupes de l’arrière étant
assurées de bénéficier d’une meilleure diète. « Le seul gros avantage est que
nous sommes très bien nourris ici6 », rapporte à Guy Sajer un soldat affecté
à une base logistique.
Au cours des déplacements, que ce soit à pied, en train ou à bord d’un
véhicule motorisé, le Landser touche la ration de marche (un repas froid).
Elle est constituée de pain ou de biscuits, de viande froide et/ou de
saucisses ou de fromage, de confiture ou d’un succédané de miel, de thé ou
de café et de sucre.
En campagne, la nourriture chaude (réservée pour le midi et le soir) est
plus rare, dépendant en premier lieu de la Gulaschkanone, une cuisine
roulante de campagne (chaque compagnie a la sienne), qui nécessite pour
fonctionner du bois ou du charbon, une rareté sous certaines latitudes,
notamment dans le désert nord-africain. La destruction des cuisines porte
une atteinte sérieuse au moral de la troupe, ce dont l’ennemi est
parfaitement conscient. Les soupes et les boissons chaudes peuvent être
acheminées aux positions avancées grâce à des containers portatifs de
grande contenance. La nourriture au front est appelée Feldportionen. Les
Allemands ignorent le concept des rations C ou K des Américains. Dans la
zone de combat7, on dispose de la Verpflegungssatz I (ou ration de type I),
qui combine denrées en conserve (bœuf, porc…) et emballages divers ainsi
que provisions fraîches. Le petit déjeuner, avalé parfois la veille dans
l’après-midi, se compose de pain, de confiture ou de beurre, de saucisses et
de fromage. Les deux autres repas ont pour base une soupe avec toutes
sortes de légumes frais (parfois cultivés par la troupe elle-même sur les
zones de front statiques), en fonction de l’approvisionnement et des
possibilités locales, souvent cuits en même temps que des pâtes et des
pommes de terre8… Les biscuits ont toujours une réputation douteuse au
sein des armées : celui qu’on appelle Panzerplatte, ou « assiette blindée »,
aurait un goût de biscuit pour chien… Certains types de biscuits sont salés,
d’autres sucrés. On cuisine au besoin avec des légumes déshydratés, mais
ils sont si durs sous la dent qu’ils sont vite surnommés Drahtverhau, ou
clôture.
On ingurgite des sardines en conserve du Portugal ou de Norvège, des
oranges d’Espagne, des nouilles, de la margarine ou du fromage en tube,
etc. Les rations de combat incluent ces petits mets peu encombrants mais
énergétiques : tablettes de chocolat et de fruits, bonbons, biscuits, sans
oublier les cigarettes.
La ration de type II est réservée aux troupes d’occupation et des zones
de communication, la ration de type III aux garnisons stationnées en
Allemagne et la ration de type IV aux infirmières et au personnel
administratif servant dans le Reich.
En cas d’urgence, il faut avoir recours à la ration dite de fer (Eiserne
Portionen), uniquement sur ordre exprès du commandant de compagnie. Le
soldat emporte lui-même une demi-ration, soit les biscuits salés et la viande
en conserve (200 g). Le reste, soit 150 g de légumes, 25 g d’ersatz de café
et 25 g de sel, est transporté par la compagnie du train.
À côté de ces rations théoriques s’ajoutent tous les apports possibles en
provenance du terrain, fort variables selon le front sur lequel on sert. Les
potagers soviétiques sont soumis au pillage, comme les poulaillers, les
hommes raffolant des oies, canards et autres poulets faciles à transporter et
à cuire9. Toutefois, il est inconcevable de « vivre sur le terrain » en plein
combat. En cas de manque, on n’hésite pas à découper des quartiers de
viande sur les bêtes qui ont été fauchées par la mitraille, voire à consommer
ses propres chevaux (comme à Stalingrad). On tente des expériences
culinaires avec toutes sortes de plantes ou on s’improvise trappeur pour
piéger des animaux… Un expédient consiste en l’achat de vivres auprès de
la population locale, à commencer par les fermiers : les œufs et le lait, par
exemple, améliorent l’ordinaire de façon notable. Parfois, comme aux
Loges-Saulces, en Normandie, des soldats allemands n’hésitent pas à
troquer de l’essence, pourtant si rare, contre des rasades de calva bien
réconfortantes10. En revanche, piller dans l’espoir de se procurer de la
nourriture reste périlleux, car cette pratique formellement interdite au sein
de la Wehrmacht – en tout état de cause sur le front de l’Ouest – peut
aboutir au peloton d’exécution. À l’Est, toute licence est laissée à la troupe
pour réquisitionner les vivres. En Afrique du Nord, où le dénuement est
absolu, l’alimentation doit être acheminée d’Europe et repose sur la
fourniture des denrées italiennes issues de l’Administrazione Militare,
fournissant notamment des saucisses à la troupe, un régime peu adapté aux
conditions de vie dans le désert11.
Un approvisionnement régulier en vivres est essentiel au maintien du
moral du combattant en première ligne et il n’est pas toujours assuré. Il se
dégrade à l’automne 1944. Tenaillé par la faim, Hans Woltersdorf a des
idées de cannibalisme après avoir été amputé. D’autres en viennent à
dévorer des pommes de terre crues. Certains vont même mourir, assassinés
pour une maigre pitance par des soldats de leur camp, que la famine a rendu
fous et désespérés12. La variété n’est généralement pas de mise. Les vivres
peuvent se faire rares faute de prévoyance au cours d’un combat, lorsqu’une
unité est isolée sans avoir pris la précaution d’emporter de la nourriture.
Une mésaventure que connaît Helmuth Paulus sur le front du Mious au
cours de l’été 1942 : quarante-huit heures après le début de l’offensive, il
n’a pas mangé. Après une nuit à rechercher de la nourriture dans les
retranchements adverses, ses compagnons et lui-même peuvent enfin
obtenir du pain et quelques biscuits d’une unité de Gebirgsjäger et se
désaltérer dans les cours d’eau13. Guy Sajer connaît un soulagement
similaire lorsque le ravitaillement arrive enfin, d’autant que cela signifie
que les liaisons s’effectuent toujours avec l’arrière : « Des marmites de
soupe étaient parvenues jusqu’au hameau et une gamelle pleine à ras bord
fut servie à ceux qui osèrent sortir du trou14. » Les unités encerclées, comme
les troupes de Paulus à Stalingrad, sont les plus à plaindre. Par solidarité, le
général Zeitzler, le chef d’état-major de la Heer en personne, consomme les
mêmes rations que ses hommes affamés, isolés à des milliers de
kilomètres…
Dès le début de la campagne de Normandie, certaines unités partent au
combat sans avoir avalé de repas depuis vingt-quatre heures. Il faut bien
souvent se contenter d’un seul repas par jour, pris le soir, la nuit tombée. Le
27 juin, le 84e corps fait savoir à la 7e armée que la ration de pain
quotidienne a dû être diminuée en raison de difficultés de ravitaillement à
mettre sur le compte de l’activité aérienne alliée15. Les conséquences d’un
régime alimentaire déséquilibré peuvent être inattendues : « Bien mieux
nourris que les Allemands, les soldats américains avaient en général une
épaisse couche de graisse qui non seulement rend la chirurgie plus difficile
et plus coûteuse, mais retarde aussi la guérison. En revanche, plus
chichement nourri et plus maigre, le soldat allemand est plus opérable16. »
Un combattant de la 91. Luftlande-Division compare son expérience avec le
front russe dans une lettre : « Je ne peux m’habituer à cette confusion et à
cette guerre cruelle. À l’Est, j’en étais moins affecté, mais ici, en France, je
ne parviens pas à m’y faire. La seule bonne chose ici, c’est qu’il y a assez à
manger et à boire17. » Kageneck n’a pas rapporté la même expérience : « On
vivait bien, très bien même, en Ukraine. Nous ne manquions de rien. Des
œufs, du beurre, des fruits, du lait, du vin même, un excellent vin rouge des
bords de la mer Noire : nous n’avions qu’à prendre ce que les civils nous
apportaient18. » Un autre soldat se fait l’écho d’un véritable festin sur la
route de Stalingrad : « Hier nous avons organisé un magnifique banquet
(grâce au camion-cuisine). J’ai mangé à moi seul onze œufs brouillés et sept
au sucre. Puis un poulet rôti entier avec des patates nouvelles (cuites dans
du bon beurre). Tout cela arrosé d’un vin doux russe. Vous pouvez vous
imaginer dans quelles contrées mentales je planais19 ! » Les situations
peuvent donc être très différentes, des contingences aussi diverses que le
front, la période de la guerre, l’unité ou encore le grade ou la saison entrant
en ligne de compte. En tout état de cause, le sens de la camaraderie exige de
ne pas dissimuler de la nourriture mais de la partager avec les autres.

Les troupes de Hitler : des drogués20 ?

Le sommeil salvateur est attendu par tous les combattants. En période


d’accalmie, on fait l’économie de ses forces et on s’accorde le plus de repos
possible, en prévision des insomnies des jours de bataille21. Comment
maintenir éveillés et actifs des soldats qui ne peuvent être que transis de
sommeil au bout de quelques jours de combats ? La solution proposée par la
Wehrmacht prend la forme de pilules : les soldats sont en effet drogués à la
pervitine (nom commercial allemand donné à la méthamphétamine) et à
l’isophane. La pervitine existe déjà largement sur le marché allemand avant
guerre, recommandée pour tous ceux qui veulent – ou doivent – décupler
leurs capacités de travail au service du Reich. Dès la campagne de Pologne,
l’ivresse de la victoire est développée par la consommation de drogue,
comme le laissent supposer des rapports établis par des divisions.
L’expérience semble agréable et son aspect pratique indéniable, pour
maintenir par exemple les sens en éveil lors des opérations nocturnes. Un
médecin-officier l’affirme sans détour : « Dans le cas d’un effort soutenu où
l’unité doit puiser dans ses dernières ressources, une troupe dotée de
pervitine prime sur celle qui en est dépourvue22. » La drogue a démontré
son efficacité : l’armée passe une commande massive de 35 millions de
doses23. Brauchitsch en personne a entériné le processus : la Wehrmacht
mise sur la drogue chimique comme vecteur du succès à la guerre. L’OKW
classe la pervitine comme élément d’« importance stratégique24 ». Des
unités reçoivent la consigne claire de consommer de la pervitine. La
Kriegsmarine n’est pas en reste : en février 1941, le passage en force de
cuirassés et de croiseurs à travers la Manche (opération « Cerberus »)
s’effectue avec le soutien des amphétamines, dont le puissant effet
stimulant de la pervitine chasse le sommeil et la fatigue au moment
opportun, ainsi que le rapporte le journal de guerre du croiseur Prinz
Eugen25. Certes, effets secondaires et addiction représentent le revers de la
médaille. On ne saurait non plus attribuer les succès du Blitzkrieg à la
consommation de drogue : il n’y a aucun lien de cause à effet. Si on met de
côté l’alcool et le tabac, le soldat de Hitler a néanmoins été, de tous les
combattants, le plus grand consommateur de substances psychoactives
pendant la durée de la guerre. Quant aux autres drogues, comme l’opium ou
l’héroïne, elles sont évidemment strictement interdites. Les consignes
valent pour les prisonniers de guerre tombés aux mains des Allemands :
ainsi, une directive de 1942 précise que des prisonniers originaires
d’Afrique du Nord peuvent recevoir, présenté comme du tabac, du « kif »,
du « takrouri » ou du « souffi », c’est-à-dire du haschich. Comme la
substance est totalement prohibée dans l’armée française, il est stipulé que
les prisonniers ne sont absolument pas autorisés à obtenir et consommer ces
produits qui leur ont été envoyés26.

Équipement individuel et uniformes

Le soldat allemand porte-t-il un uniforme moderne27 ? La vareuse de


fameuse teinte feldgrau, ornée de l’aigle national28 sur la poitrine dans la
Wehrmacht, sur la manche au sein de la Waffen-SS, existe en plusieurs
nuances de couleurs29. La coupe la plus commune de l’uniforme est
globalement arrêtée depuis les années 1930, avec une vareuse dotée de
quatre poches frontales, deux sur la poitrine ainsi que deux sur les
hanches30. Des modèles différents sont versés à des unités spécifiques, tels
les blousons croisés portés notamment par les équipages des canons
d’assaut. La tenue des tankistes est noire. En 1943-1944, l’apparence du
soldat allemand a sensiblement évolué depuis 1940. L’uniformité
recherchée dans la tenue n’est plus de mise, et les effets portés présentent
une grande variété. En 1944, nombre de soldats partent au combat en tenue
de treillis, nettement plus verte. À partir de septembre 1944, une nouvelle
tenue est adoptée, elle imite à l’évidence le Battledress britannique. Il
semble que le Landser l’ait appréciée dans la mesure où la coupe lui
paraissait plus moderne.
L’absence d’uniformité est plus particulièrement visible en
Méditerranée, aussi bien en Afrique qu’en Italie, où les uniformes tropicaux
côtoient les tenues continentales, ainsi que dans le sud de la France. Les
vareuses tropicales sont d’ailleurs de couleurs et de coupes fort variées. En
Normandie, quelques-uns parmi les 2 000 anciens du DAK qui servent au
sein de la nouvelle 21e Panzer portent encore des tenues tropicales. La tenue
d’origine de l’Afrikakorps n’est absolument pas adaptée aux conditions de
la guerre du désert. Le manque d’expérience de la Wehrmacht en la matière
est criant puisque les premiers uniformes de l’armée de terre en Afrique,
inspirés de l’expérience des anciennes colonies allemandes, sont vert olive,
avant les effets du blanchiment dus au soleil et aux lavages successifs. Les
hautes bottes lacées (bien trop longues à enfiler), la cravate, la vareuse, les
culottes de cheval ainsi que l’élégant casque colonial31 ne sont pas appréciés
par la troupe et se révèlent peu pratiques au front. En revanche, la fameuse
casquette à visière longue, inspirée de celle des Gebirgsjäger,
emblématique de l’Afrikakorps32, semble nettement mieux étudiée.
Bien souvent, les Allemands n’hésitent pas à porter des effets italiens
ou britanniques, dont les shorts de ces derniers, plus longs, protègent mieux
du soleil et des aspérités du terrain. Grâce à leurs colonies, les Italiens et
surtout les Britanniques ont en effet une bien meilleure expérience militaire
en milieu désertique. Dans tous les camps, ainsi qu’en attestent les
photographies, la tenue vestimentaire dans le désert subit de nombreuses
entorses au règlement. Les officiers sont en effet sensibles aux effets de la
dureté du climat sur leurs hommes. Foulards, lunettes de protection contre
la poussière et le soleil ainsi que filets antimoustiques complètent
l’équipement indispensable à la vie en milieu désertique. Ces écarts avec le
règlement ne sont pas inconnus à l’Est : à Stalingrad, des officiers, à l’abri
des postes de commandement, délaissent leurs uniformes infestés de
vermine et n’hésitent pas à adopter des tenues sportives, voire des shorts33.
Chez les Allemands, le souci du camouflage est une évidence, et cela se
traduit par des recherches plus élaborées et un effort industriel plus
prononcé en ce sens. L’Allemagne est en avance sur son temps si on
considère la variété des tenues camouflées disponibles pour ses troupes,
blouses et vestes du Panzergrenadier, du Jäger des divisions de campagne
de la Luftwaffe et du parachutiste et, plus encore, les multiples effets
bariolés de la Waffen-SS procurant une dissimulation remarquable dans le
paysage. Nombre de combattants allemands en Normandie disposent de ces
effets camouflés. Les Landser n’en ont certes pas tous perçu : il leur reste à
enfiler la toile de tente, voire, plus rarement, à peindre au pinceau sur une
veste d’uniforme en drap des taches de différents tons (c’est le cas d’un
soldat installé comme fleuriste en Normandie après guerre). En Italie, les
toiles de tente ainsi que les vestes de parachutiste camouflées de confection
italienne sont également réutilisées.
La confection des effets destinés à la période hivernale illustre une
nouvelle fois la créativité des Allemands et leur capacité à mettre au point
des uniformes performants. Si, en 1941, sur le front de l’Est, l’Ubermantel
(le manteau de drap standard) n’était pas adapté, pas assez chaud, lourd
quand il était trempé, raide quand il était gelé, l’armée dispose ensuite d’un
matériel de qualité pour lutter contre le froid. Les plus chanceux sont vêtus
d’une parka ou d’une veste de Gebirgsjäger34. La tenue d’hiver réversible
M1942 est disponible en versions plus ou moins épaisses. L’hiver reste une
épreuve pendant toute la durée de la guerre en Russie, mais aussi sur les
autres fronts : dans les Apennins, dans les Vosges ou dans les Ardennes, il
inflige bien des souffrances aux combattants des deux camps. Lors de
l’offensive des Ardennes, on a pourtant vu des soldats allemands encore
dotés de l’Ubermantel. Certains n’hésitent pas à s’approprier des tenues
américaines, à leurs risques et périls. Surbottes en feutre et gants épais
adaptés au froid et au maniement des armes complètent l’équipement : les
soldats allemands sont au final très bien parés pour l’hiver, mais tous ne
sont pas logés à la même enseigne.
Le casque d’acier allemand se caractérise également par sa forte
capacité protectrice en raison de ses formes étudiées. Il reste un des
symboles les plus mémorables de la silhouette du soldat allemand. Sa
conception est remarquable, puisqu’il assure une protection optimale grâce
à sa nuquière et à sa visière. Ses lignes sont annonciatrices des casques
modernes. En revanche, les Allemands n’ont pas adopté le principe du
casque américain M1, qui combine en fait deux casques emboîtés, un léger
et un lourd. La teinte est adaptée aux conditions de combat : blanc en hiver
(au besoin couvert d’un couvre-casque de fortune, souvent un simple
morceau de drap), beige en Afrique (ou recouvert d’une toile de jute, qui
protège le métal de la chaleur intense), etc. En 1943-1944, le casque est
bien souvent camouflé à la peinture en un ou plusieurs tons, doté d’un
treillis de clôture permettant la fixation de végétation ou recouvert d’un
couvre-casque (parfois improvisé) pourvu de passants autorisant également
la mise en place de branchages. L’imagination des Landser n’a pas de
limites : on utilise aussi de la boue séchée, de la paille broyée ou encore du
sable ou de la terre en plus de la peinture. Des filets de camouflage sont
également utilisés. La demande est cependant importante et, en dépit d’une
production record, seuls 50 % des besoins en casques sont assurés au début
de 1944, les prévisions tablant sur la réduction du déficit à seulement 15 %
au cours de l’année35. Les soldats portent aussi le calot. Depuis 1943, la
coiffure de repos est une élégante casquette à visière inspirée de celle des
unités de montagne.
La Wehrmacht et la Waffen-SS disposent donc d’uniformes
fonctionnels et parfois à l’avant-garde (même si la vareuse standard ne
confère pas une allure aussi moderne que celle du GI). Mais les vêtements
sont rarement changés et on est contraint de les porter usés jusqu’à la corde.
Des stocks d’uniformes sont pourtant disponibles dans des dépôts, pour
autant que les unités puissent y avoir accès. Dans ces conditions, on
n’hésite pas à rechercher des effets (chemises, sous-vêtements) dans les
fermes abandonnées ou à retirer aux blessés et aux morts ce qui peut être
réutilisé. Comme tant d’autres, l’Obergefreiter Brass, soldat en Normandie,
en est réduit à improviser sur le terrain : bien que peu habile à la couture, il
façonne des chaussettes à partir d’une serviette36. Cas extrême chez un autre
soldat luttant contre l’invasion, des capsules métalliques de bouteilles font
office de boutons d’uniforme de fortune. Dans ces conditions, percevoir de
nouveaux effets militaires après avoir porté des guenilles laisse un souvenir
impérissable. Un moment que savoure Guy Sajer au printemps 1943
lorsqu’il est affecté à la division d’élite « Großdeutschland » : « Je foutai
[sic] en l’air le caleçon merdeux à craquer et la chemise irrécupérable. Ma
dernière paire de chaussettes, que j’avais aux pieds depuis le début de la
retraite et qui ne formait plus qu’une succession de trous, rejoignit mes
premières ordures. Puis, à poil sur le gazon, nous allâmes déposer nos
anciennes tenues trempées mais consciencieusement pliées au magasin qui
devait nous en donner des propres. Deux femmes soldats de l’intendance
rirent à en mourir lorsqu’elles nous virent pénétrer ainsi dévêtus près des
comptoirs d’habillement. “Gardez vos bottes ! lança un sergent que la vue
de gars à poil n’amusait plus. Il n’y a pas de distribution de godasses.”
Nous touchâmes tout neuf, depuis le calot jusqu’au paquet de premiers
soins en passant par la couverture imperméable. Pourtant, quelques objets
indispensables manquaient au fourniment. Par exemple, le caleçon et les
chaussettes. Par la suite, ces deux éléments nous firent réellement
défaut37. » Début 1944, les tenues sont de nouveau défraîchies : « Le
feldgrau est devenu gris-jaune pisseux. Des accrocs, des trous, des brûlures
rousses ornent sinistrement l’ensemble. Les stiefels [bottes] redoutables
sont éculées, avachies, délavées de leur teinture noire. Des talons manquent,
les semelles bâillent. Tout cela est suffisant pour nous donner l’aspect de
clochards38. » L’Alsacien reconnaît que l’uniforme allemand – vareuse,
bottes ou encore chaussettes – ne cesse de perdre en qualité.
Le petit matériel est souvent pensé et réfléchi avec la rigueur que l’on
pense typiquement germanique. Le jerrycan39 est ainsi doté d’un bec
verseur, plus difficile à usiner mais qui évite les pertes en précieux liquide
tout en facilitant le versement. Quant aux caissettes à munitions des
servants de mitrailleuse, leur poignée décentrée permet d’en agripper deux
dans une main, alors qu’on ne peut tenir d’une main qu’une seule de son
équivalent américain où la poignée est centrale. L’équipement individuel
allemand40 fait encore la part belle au cuir, dont l’odeur spécifique a marqué
les GI. L’équipement de base est en effet généralement en cuir, parfois en
coton filé pour les lots conçus pour l’Afrikakorps. Le choix du cuir comme
matière première de l’équipement confère certes un bel aspect, mais il
s’accommode mal des conditions de vie en campagne et les possibilités
techniques de liaisons entre les divers éléments sont limitées. L’équipement
ne cesse d’être perfectionné à l’aune de l’expérience. Après la victoire sur
la France en 1940, des sacs en canevas et des harnais sont ainsi mis au point
pour transporter les caisses de MG, permettant ainsi au soldat de faire plus
facilement usage de son fusil.
L’ensemble de l’équipement est maintenu en place sur le ceinturon
grâce aux bretelles de suspension sur lesquelles s’arrime un paquetage
d’assaut ou un sac à dos recouvert le plus souvent de poil de vache. L’outil
individuel consiste en une pelle-bêche. La gamelle et la toile de tente – qui
est bariolée et peut donc faire office d’effet de camouflage – sont attachées
sur le paquetage d’assaut. Une musette, le « sac à pain », est portée en
sautoir sur le ceinturon ; le soldat y fixe son bidon et bien souvent sa
gamelle, et met à l’intérieur le nécessaire d’entretien de son arme et des
effets personnels. Ces derniers sont souvent mis également dans l’étui du
masque à gaz lorsque ce dernier est abandonné. Une housse renfermant une
toile anti-ypérite complète le matériel de lutte contre les gaz. À partir de
1944, de nombreux soldats perçoivent des brodequins, moins coûteux à
produire, et des guêtres en lieu et place des célèbres bottes. Ces dernières
restent toutefois encore largement répandues, même en 1944-1945. Si leur
étanchéité est remarquable, elle a des limites, et un séjour prolongé dans
l’eau d’un ruisseau ou d’un marais les rend spongieuses, maintenant les
pieds dans le froid. Chaque soldat emporte aussi un pansement individuel.
Les caisses à infirmerie (Verbandkasten) embarquées à bord des véhicules
et les sacs et trousses du personnel médical comportent le nécessaire pour
prendre soin des blessés. Le petit équipement allemand, parfois de qualité à
l’instar des porte-cartes ou des jumelles, est donc fonctionnel.
Le service de santé aux armées

Prendre soin des blessés et des malades est de la responsabilité du corps


médical, mais plus encore des autorités militaires et politiques auxquelles il
appartient d’apporter les moyens nécessaires au traitement des blessés. Au
début du conflit, la Wehrmacht dispose d’un personnel compétent et d’un
équipement suffisant. Les écueils sont pourtant nombreux et, à cet égard, le
soldat de Hitler, certes favorisé par rapport au soldat soviétique, n’est pas
logé à aussi bonne enseigne que son homologue américain. Puisque les
services médicaux sont eux-mêmes hippomobiles, les distances à parcourir
entre les différents points de recueil jusqu’aux hôpitaux doivent être
relativement courts, le système fonctionnant d’autant mieux quand les
campagnes sont menées sur des fronts peu étendus, comme de 1939 au
printemps 1941. Les difficultés surgissent dans l’immensité de l’espace
russe. En 1944, après l’invasion, les hôpitaux manquent bien souvent des
produits de première nécessité.
Il faut d’abord prendre des risques inconsidérés pour secourir les
blessés sur le terrain, parfois très dangereux – comme les champs de mines.
Les brancardiers (équipés de matériel pliable) et les infirmiers – les Sanis –
reçoivent toute la gratitude de leurs camarades. Des chiens sont dressés
pour rechercher les blessés, ce qui peut être utile dans les décombres des
villes en ruine. Les souffrances endurées par les soldats ne sont pas
circonscrites au champ de bataille. Il faut évacuer les blessés des premières
lignes, ce qui nécessite parfois des heures. Les brancardiers sont à
l’occasion des Soviétiques, des Hiwis. Sur le front arctique, il faut parfois
douze hommes pour transporter et escorter un seul blessé porté sur un
brancard pendant des heures41. En hiver, les évacuations se font sur des
traîneaux à la nuit tombée, dans un froid éprouvant et mortel, afin d’éviter
d’être la cible des Soviétiques. En Tunisie, le manque de véhicules
motorisés et les contraintes de la topographie montagneuse sont tels qu’il
faut envisager que les blessés de la 334e DI soient transportés sur 25 à
30 kilomètres en charrettes ou portés par des camarades42.
La chaîne de traitement sanitaire de la Wehrmacht, avec ses
Feldlazarett (hôpitaux de campagne) et Kriegslazarett (hôpitaux militaires),
est similaire sur tous les fronts. Les postes de secours sont improvisés à
quelques kilomètres du front, souvent dans des maisons, les centres de
triages plus importants étant installés dans des écoles ou des châteaux afin
de disposer de la place nécessaire. Les blessés sont envoyés dans des
Truppenverbandplätze, des dispensaires de campagne où ils sont examinés
et pansés. Les dispensaires principaux, ou Hauptverbandplätze, sont
installés plus en arrière et disposent de blocs chirurgicaux sous tente, de
dentistes et de pharmaciens. La Wehrmacht met à profit le réseau
d’hôpitaux et de cliniques préexistant dans les zones occupées, voire bâtit
des bunkers à vocation sanitaire43.
Les hôpitaux provisoires de campagne ont parfois l’aspect de mouroirs,
dans lesquels les blessés gisent dans la crasse, sous l’abri précaire de
couvertures couvertes de poux. Les patients, épuisés, se sentent misérables.
Un tri est immédiatement effectué : les hommes blessés à la tête ou à
l’abdomen sont abandonnés à leur sort en l’absence d’équipe chirurgicale.
Les opérations s’effectuent dans des conditions de fortune, parfois sans
pouvoir être apaisées par une anesthésie, alors que la table d’opération est
secouée par les explosions et que les balles sifflent aux alentours. Encerclés
dans une poche comme à Stalingrad, les blessés, couverts de poux et de
vermine, survivent dans une misère atroce. Un sous-officier atteint de
jaunisse, contraint de dormir dehors à même la neige, raconte : « Ici, tout
déborde. Les malades et les hommes légèrement blessés doivent se trouver
le gîte eux-mêmes. » Tous ignorent les appels à l’aide des blessés encore
entassés dans les camions garés devant les hôpitaux, le personnel médical
étant trop affairé par les patients déjà admis dans les bâtiments pour se
soucier ne serait-ce que de leur procurer eau et nourriture44… À l’angoisse
de la souffrance s’en ajoute une autre : l’ennemi, surtout s’il est russe, va-t-
il arriver avant l’évacuation ?
S’ils sont potentiellement de qualité et servis par un personnel bien
formé, les hôpitaux souffrent de pénuries. Dans Stalingrad encerclée, des
médecins pallient le manque de plâtre en maintenant tant bien que mal les
membres fracturés avec du journal45… Les bandages sont souvent sales,
faute de disposer de pansements en quantité suffisante. Parfois, du papier
fait office de pansement. Le personnel médical en est réduit à utiliser des
sulfamides, faute de disposer de pénicilline – que les médecins alliés
réservent souvent à leurs compatriotes car le produit est rare46 – et de
plasma. Bien des plaies grouillent de vermine. L’odeur est écœurante. La
gangrène gazeuse constitue un véritable fléau. « Des centaines d’entre nous,
tous atteints du typhus ou de la fièvre typhoïde, végétions dans des
chambres froides de baraquements, sans nourriture et avec le minimum de
soins. Seules quelques filles russes prodiguèrent des soins à ce grand
nombre de patients sévèrement atteint. Je me souviens avec beaucoup de
reconnaissance de leur gentillesse47. » Certains hôpitaux sont en revanche
confortables, et la nourriture, si elle est simple, ne manque pas. Dans les
zones de l’arrière, l’atmosphère est tout autre : des lits avec des draps, des
infirmières allemandes… C’est enfin le soulagement.
Le transfert des blessés d’un hôpital à un autre est un calvaire48,
d’autant que les ambulances (les sankas dans le jargon des Landser) ne sont
pas disponibles en quantité suffisante : seuls 31 % des besoins en véhicules
sont comblés en février 194449. Un soldat blessé en Russie témoigne : « Une
lourde voiture découverte sans portes ni vitres me transporta dans l’air froid
de l’hiver et ce trajet éprouvant et dans le froid me causa le retour de la
fièvre. Le 17 janvier, Maïkop dût également être évacué. Je fus transporté à
Krasnodar via Ijsti-Labinskaja50. » Si le trajet en ambulance ou en camion
est une épreuve, les conditions sont tout aussi spartiates à bord des trains
sanitaires, où la puanteur dégagée par le pus et l’urine s’ajoute aux
tourments des cahotements du train sur fond de plaintes plus ou moins
étouffées. L’évacuation s’effectue au besoin par voie aérienne, comme ce
sera le cas pour les assiégés de Stalingrad ou les Afrikakämpfer déployés en
Tunisie. Les blessés sont montés à bord des fameux Junkers Ju-52, les
« Tantes Ju », dans leur version sanitaire51.
Le risque d’être pris pour cible en dépit des multiples croix rouges
clairement identifiables n’est pas une vaine crainte : ainsi en est-il pour un
train sanitaire à Rostov52, un hôpital de campagne à El-Daba en Égypte53, un
convoi d’ambulances en sortie de la poche de Falaise54. En septembre 1941,
constatant que les Britanniques s’en prennent systématiquement aux
hôpitaux de campagne pourtant clairement identifiables, Rommel se
demande si Goering ne pourrait pas opérer des représailles55. En
Normandie, il semblerait, selon des rapports de pilotes alliés, que les
Allemands aient toutefois utilisé des ambulances pour le transport de pièces
antichars, de munitions et d’officiers56.
Pour tous, la blessure donne droit à un badge spécial, qu’on arborera
avec la fierté du devoir accompli. La blessure idéale pour le soldat est le
Heimatschuss, ce que les GI appellent la « blessure à un million de
dollars », c’est-à-dire celle qui est assez sérieuse pour justifier un retour au
pays, mais sans être fatale, ni laisser de séquelles sérieuses ou le moindre
handicap.
La blessure au combat n’est pas le seul vecteur qui amène un soldat à
l’hôpital. Les maladies sévissent : les maladies pulmonaires et le « pied de
tranchée » en saison froide et humide, les engelures avec la neige, ou encore
les inflammations de la vessie. En juin 1942, les pertes de l’Ostheer depuis
le lancement de « Barbarossa » se montent à 2 millions d’hommes, dont
715 000 malades57. Fatigue et malnutrition se conjuguent pour provoquer
une moindre résistance aux maladies : lorsque la 6e armée combat à
Stalingrad, pour le même nombre d’affectés, cinq fois plus de soldats que
l’année précédente meurent des suites de maladies infectieuses58. Lorsque
l’encerclement est effectif, les médecins constatent une multiplication des
morts subites par épuisement et inanition59. En juin 1943, un soldat de la
198e DI écrit sarcastiquement : « La saison du typhus est arrivée60 », celle-ci
survenant plutôt en début d’année, au moment où les poux pullulent. La
Wehrmacht souffre à l’Est de dysenterie chronique, ce que les soldats
appellent « le mal russe61 ».
Le service au sein de l’Afrikakorps n’est pas moins exigeant pour
l’organisme. En Afrique, les conditions de la guerre du désert ont un impact
négatif sur la santé des hommes. Un rapport médical allemand de 1942
indique que sur 68 879 malades, 28 488 étaient dans un état tel qu’ils ont dû
être rapatriés en Europe. L’immixtion avec les unités italiennes, aux
mesures d’hygiène très en deçà du minimum requis, peut expliquer cette
situation. En dehors des affections cutanées (les « plaies du désert »), les
maladies les plus courantes sont la malaria et les troubles intestinaux, qui
vont de la simple colique à la dysenterie – amibienne ou bacillaire –
répandue par les mouches. On rencontre aussi des cas de fièvres provoquées
par une petite mouche, la « mouche du désert », dont la piqûre peut
entraîner la mort. Les plaies du désert posent un problème particulier. Le
manque de vitamines dans le régime alimentaire des combattants a en effet
pour conséquence qu’une petite blessure ou une simple écorchure en
maniant une arme ou en heurtant un véhicule ou un rocher peut s’aggraver
et que certaines blessures mettent du temps à guérir. Il n’est donc pas
surprenant de voir des hommes dans une tenue usagée portant des bandages
autour des mains et des genoux.
Quant aux névroses de guerre, à la fatigue du combat, on feint de croire
qu’elles n’existent pas. Depuis 1926, l’armée allemande décrète que la
névrose due au combat n’existe pas du point de vue médical62. On préfère y
voir une tentative d’abandon de poste, donc de la lâcheté, soit une forme de
désertion… Plutôt que de parler d’effondrement nerveux, on utilise un
euphémisme en admettant que les soldats souffrent d’« épuisement ». Si
l’US Army prend en compte la réalité de la psychose de guerre, l’armée
allemande – qui manque de toute façon d’hommes pour tenir le front – n’y
est guère encline. Mais certains cas nécessitent une évacuation : le colonel
Groth, de la 352e DI, au combat depuis Omaha Beach le 6 juin, doit ainsi
être évacué vers un hôpital psychiatrique.

Enterrer les morts

Pour l’immense majorité des soldats, la vue du premier cadavre est un


choc. Rien n’y prépare vraiment. Les restes mutilés et sans vie d’un être qui
respirait encore quelques instants auparavant gisent parfois dans les
positions les plus grotesques ou les plus sordides. Harry Mielert estime
qu’une des pires choses est l’accoutumance à la mort : on finit par ressentir
de l’indifférence… D’où un constat un peu fataliste : « C’est la vie au
front63. » On s’accoutume, sans pour autant toujours trouver les mots pour
traduire l’indicible : « Je me souviens bien des premiers morts que j’ai
croisés au début de ma campagne. Ceux qui suivirent, des milliers et des
milliers, n’ont plus de visage. […] On a tort d’utiliser le mot “effroyable”
pour quelques compagnons d’armes qu’une explosion a mélangés à la terre.
On a certainement tort, mais on a l’excuse de ne pouvoir imaginer pire64. »
La vision des corps gonflés ou mutilés reste gravée dans les mémoires.
L’odeur pestilentielle dégagée par les cadavres tout autant.
Si ramasser les blessés constitue une tâche dangereuse, récupérer les
cadavres (Knochensammlung dans l’argot militaire allemand, c’est-à-dire le
« ramassage des os ») peut se révéler tout aussi suicidaire, sauf à bénéficier
d’une trêve accordée précisément dans l’optique de secourir les blessés et
de recueillir les morts. Cette tâche est donc souvent celle des unités
disciplinaires. Parfois, comme ce fut le cas à Stalingrad, on force des civils
à s’acquitter de la périlleuse entreprise, au péril de leurs vies, puisque les
soldats soviétiques n’hésitent pas à les abattre65.
Dans la mesure du possible, on n’abandonne pas les morts, pas plus
qu’on ne les piège. Les soldats allemands éprouvent beaucoup de respect
pour ceux qui sont tombés. Les camarades récupèrent les objets personnels
et intimes des défunts. On les traite avec les plus grands égards. On accepte
de peiner pour creuser un sol gelé, on endure le froid mordant de l’hiver
russe pour assister à un service funèbre en l’honneur des camarades tués66.
Kageneck relate un fait survenu à l’été 1941 : « Nous avions contemplé les
premières tombes de soldats allemands, avec le casque d’acier au sommet
de la petite croix en bois de bouleau et une inscription : “Unteroffizier
Schmitt, 1./IR 33, geb. 1.5.18, gef. 22.6.41, Zolkiev, Russland.” Plus tard,
nous n’aurions plus le temps d’écrire ce pieux rappel sur les croix, nous
nous contenterions du nom et des deux dates. À la fin, nous aurions juste le
temps de les recouvrir de terre ou de neige67. » Les cimetières sont édifiés et
entretenus avec le plus grand soin.
En dehors des périodes d’activité au front, l’inhumation suit un
cérémonial établi, en présence, si possible, d’un aumônier catholique ou
luthérien. Un supérieur du défunt doit être présent : chef du bataillon, de la
compagnie… Une garde d’honneur est censée être constituée. Sont
également présents les amis proches. Après la lecture d’un extrait des
Saintes Écritures, les hommes entonnent un émouvant Ich hatt’ einen
Kameraden (« J’avais un camarade »). C’est au commandant de compagnie
qu’échoit la pénible tâche d’annoncer la nouvelle aux proches de la
victime68.
Les soldats alliés seront surpris par la découverte de cimetières
militaires allemands très bien entretenus, les tombes marquées par des croix
de bois en forme d’Eisernkreuz (la croix de fer) frappée du svastika.
Parfois, et de plus en plus avec le temps, la dernière demeure ne prend plus
l’aspect que d’un simple trou dans la boue, surmonté d’un bâton où est
suspendu le casque. « Avec ma baïonnette, raconte Guy Sajer, je réussis à
faire une encoche dans le bâton et à y glisser une feuille de papier arrachée
du carnet qu’Ernst avait possédé. Avec un bout de crayon, j’y inscrivis en
français cette naïve épitaphe : “Ici, j’ai enterré mon ami Ernst Neubach69.” »
En Afrique, le corps est enterré dans le sable enveloppé dans un linceul,
puis des pierres sont disposées comme un parapet tout autour de la tombe.
Dans tous les cas, la moitié de l’Erkennungsmark, la plaque
d’identification, est laissée autour du cou du cadavre. La mort d’un
camarade est probablement ce qui affecte le plus le moral d’un soldat.

Le moral du soldat allemand

Les rumeurs de soldats, les Landserparolen (ce que les soldats


allemands appellent aussi, avec élégance, Latrinenparole…) : un mal
endémique de toutes les armées, un mal qui peut provoquer tourments et
confusion. Il est souvent bien difficile pour un simple soldat de se faire une
idée claire de la situation du front, pour ne pas parler du cours général de la
guerre… Il lui faut donc se résoudre à se concentrer sur les événements de
l’environnement les plus proches : la mission de la section, au mieux de la
compagnie. Les espoirs de paix surgissent. Lors du redéploiement des
unités en Pologne en prévision de « Barbarossa », les rumeurs circulent,
ainsi qu’en témoigne August von Kageneck : « Nous échafaudâmes toutes
sortes d’hypothèses. Le Führer avait négocié une convention secrète avec
Staline. Celui-ci laisserait passer la Wehrmacht par le sud de la Russie, la
mer Caspienne et le Caucase, pour permettre aux Allemands d’envahir le
Moyen-Orient par le nord70. » Faute pour les simples soldats de pouvoir
appréhender le cours des événements avec acuité, certaines décisions de
l’état-major les désorientent : « Toute la Wehrmacht de la rive ouest du Don
avait reçu l’ordre de se replier, rapporte Sajer. Nous ne comprenions
vraiment pas à quoi avait pu servir de résister héroïquement pendant trois
jours, pour battre ensuite en retraite une fois le danger écarté71. » L’Alsacien
ne s’en cache pas : il n’a toujours eu qu’une idée approximative de ses
déplacements72. Au contraire, lorsqu’il est en convalescence en Allemagne,
August von Kageneck prend du recul sur les événements et peut à loisir
réfléchir plus sereinement à la situation, alors que Paulus se rend à
Stalingrad73. La seule solution à adopter face à cette ignorance des faits est
de se consacrer entièrement à sa tâche.
Les rumeurs peuvent saper le moral d’une unité, ce que la hiérarchie ne
peut ignorer. Les généraux réagissent donc en conséquence. À la 272e DI,
pendant la bataille de Normandie, le Generalleutnant Badinski s’est senti le
devoir de sévir contre ce qu’il considère être des « bobards » défaitistes :
« Je condamne ces bavardages d’irresponsables comme du sabotage de la
pire espèce, punissable de mort. » Les unités d’élite ne sont pas immunisées
contre les on-dit les plus pessimistes. Ainsi, le 14 août, le Generalleutnant
Schimpf, commandant de la 3. Fallschirmjäger-Division, publie un ordre du
jour réfutant l’affirmation selon laquelle la division serait encerclée. Il
rappelle à cette occasion que si cela devait survenir « il n’y aurait pas de
raisons pour que les troupes parachutistes, entraînées à sauter au milieu de
l’ennemi, perdent courage »… Et d’ajouter : « Il est certain que nous
terminerons victorieusement la guerre. » Comme Badinski, Schimpf
stigmatise plus particulièrement les services arrière, d’où émanent
invariablement les rumeurs qui affectent le moral des troupes
combattantes74.
L’importance des pertes constitue un élément essentiel sur le moral. Un
rapide turn-over des effectifs n’est a priori pas de nature à maintenir le
moral et la combativité d’une unité. Certaines armes sont particulièrement
touchées, comme l’infanterie dans le bocage normand ou dans l’enfer
urbain de Stalingrad. A contrario, le succès remporté à relativement peu de
frais, comme en 1939 en Pologne, donne confiance au soldat allemand.
Avec la victoire sur la France et ses alliés du printemps 1940, le moral
atteint son zénith. Un soldat qui a déjà combattu en France au cours de la
Grande Guerre se félicite de s’y retrouver pour prendre part à une victoire
rapide. Le 14 juin 1940, Arnold Binder ne dissimule pas sa fierté d’être un
soldat du Reich : « Le casque allemand, aussi désagréable et pesant soit-il,
est revenu à l’honneur, et nous le portons avec fierté. À notre sentiment de
gratitude et de fierté s’ajoute ici aujourd’hui la joie infinie d’apprendre à
17 heures la nouvelle de la victoire, de la capitulation de Paris et de l’entrée
de nos troupes à 11 heures ce matin dans la ville75. »
En franchissant la frontière soviétique, les soldats allemands se sentent
invincibles, ils sont l’armée qui a vaincu toutes les autres… Le moment où
l’étendard flanqué de la croix gammée va flotter sur le Kremlin ne saurait
tarder… On n’est pas peu fier d’être un soldat allemand. Un Landser
exprime dans une lettre écrite de Russie en 1941 à quel point il est fier que
son pays marque des points contre tous ses ennemis. Selon lui, le monde
entier doit être conscient de la puissance de la Wehrmacht : « Aucune force
au monde n’est notre égale76. » Beaucoup considèrent que cette réussite est
inédite et sans pareille dans l’histoire du monde. Beaucoup de soldats
allemands, quand bien même ils ont été embrigadés contre leur volonté,
ressentent l’ivresse de la victoire. La fierté éprouvée n’est pas uniquement
celle des succès de l’Allemagne, elle est aussi celle d’y participer, d’en être
un instrument en tant que soldat de la Wehrmacht.
À l’arrivée d’un hiver tant redouté, les soldats – qui ignorent que le haut
commandement n’a rien prévu pour soutenir une campagne prolongée –
doivent compter avec un ravitaillement en vivres erratique, la menace des
partisans et la perspective d’une campagne d’hiver, sans oublier un ennemi
dont les armées semblent renaître de leurs cendres : tous les ingrédients sont
présents pour que le moral s’effondre. De fait, une crise de confiance
s’installe au sein de la troupe.
Après l’échec devant Moscou et la terrible épreuve de l’hiver 1942-
1943, un rapport sur le moral au sein de la 4e armée parvient à l’OKH :
« Les hommes sont complètement apathiques, incapables de transporter ou
d’utiliser leurs armes. […] Quand on leur adressait la parole, ils
n’entendaient pas ou commençaient à pleurer77. » Les hommes sont pleins
d’amertume et les critiques fusent. Après avoir été persuadé d’être si près
de la victoire, on ne veut pas envisager que la guerre puisse durer plus d’un
an encore, le maximum qu’on imagine pouvoir supporter.
L’endoctrinement et l’arrivée massive d’équipement et de matériel ainsi
que la foi intacte dans le Führer ont un effet indéniable sur les soldats
allemands à l’Ouest78. Le moral remonte donc au sein de la troupe : il
semble encore possible de remporter la bataille à venir. « Si les Anglais
essaient d’attaquer ici, sur la Manche, et subissent une défaite, écrit
Heinrich Böll à son épouse, cela pourrait peut-être nous apporter un
changement décisif dans cette guerre79. »
Le soldat allemand, contrairement au GI, est aussi un soldat qui craint
pour la vie de ses proches, les villes allemandes subissant des raids de plus
en plus dévastateurs et meurtriers, particulièrement à partir de 1943. La
vengeance attendue de la part des Soviétiques, notamment le sort que l’on
suppose devoir être réservé aux femmes allemandes qui seraient à leur
merci, est également la source de toutes les appréhensions.
Après les désastres subis sur tous les fronts au cours de l’été 1944,
l’invasion n’ayant pas été repoussée à l’Ouest, et en dépit de ce qu’on a
appelé le « miracle de l’automne 1944 », le soldat allemand ne croit plus en
la victoire, sauf les plus jeunes, fanatisés. Ceux qui ne sont pas frappés par
le défaitisme le ressentent chez les autres. Jusqu’aux derniers mois de la
guerre, avant l’effondrement final, si certains gardent leur foi en Hitler,
aveuglés par des promesses qui se révèlent pourtant être mensongères,
d’autres, admettant que les conséquences d’une défaite seraient
insupportables, poursuivent la lutte par crainte de l’ennemi. Il faut se battre
jusqu’au dernier, car « toute soumission de l’Allemagne provoquerait une
destruction totale à cent pour cent de tous les Allemands80 ».
Les pertes sont pourtant nombreuses, colossales même. Avec 4 millions
de militaires tués ou disparus, jamais l’armée allemande n’avait supporté
des victimes en si grand nombre. Les victoires des années 1939-1940 (si on
met de côté l’échec, lourd de conséquences, de la bataille d’Angleterre) se
soldent par 69 000 tués ou disparus au combat (16 500 en Pologne, 5 500 en
Scandinavie, 47 000 à l’Ouest81). En Afrique, ce sont 18 500 Allemands qui
vont mourir, et en Italie, 60 000. L’inflation des pertes survient avec
l’invasion de l’Union soviétique. En décembre, « Barbarossa » et « Taifun »
(la bataille de Moscou) coûtent un million d’hommes à l’Ostheer, dont
170 000 tués82. En 1943, 700 000 soldats allemands perdent la vie, et en
1944, 1,5 million83. L’offensive vers Stalingrad et le Caucase se révèle
d’emblée très dispendieuse en vies humaines : en août 1942, avant même la
terrible Rattenkrieg (« guerre des rats ») de Stalingrad, les Heeresgruppen A
et B comptent déjà 200 000 pertes.
Les soldats allemands n’hésitent pourtant pas à plaisanter à ce sujet,
non sans cynisme, comme au sein de bien des armées. Un capitaine
rapporte cette blague en juillet 1943, au moment de Koursk : « Hitler,
Staline et Roosevelt se rendent au ciel à un moment donné. Alors qu’ils
attendent dehors, ils se souviennent soudainement qu’il y a une guerre sur
terre. Ils appellent Mathusalem et lui demandent d’aller s’enquérir si elle
dure toujours. Au bout d’un moment, Mathusalem rentre en courant tout en
sueur. “Qu’est-ce qui ne va pas ?” lui demandent-ils. Agité et à bout de
souffle, il répond : “Vous savez, j’étais déjà à mi-chemin vers la terre
lorsque j’ai entendu que ma classe d’âge était appelée à son tour84.” » Le
tombeau de l’armée allemande est le front de l’Est, où disparaissent 80 %
des soldats de Hitler qui tombent au cours du conflit…
Le quotidien sur le front de l’Est

En entrant en Union soviétique, les Allemands sont confrontés à un


autre monde, qui leur apparaît comme sous-développé à bien des égards.
« Nous avions atteint la ville de Koursk, raconte Kageneck. […] Pour la
première fois de cette campagne, nous voyions des routes et des rues
asphaltées, et nous habitions des maisons de pierre85. » Ce pays est celui des
vastes étendues. Les soldats de Hitler en font l’expérience en Ukraine dès
1941, et davantage en 1942 quand ils s’enfoncent dans la steppe kalmouke.
Au début des opérations, les bivouacs deviennent ceux des premières
campagnes, bien que le pays soit d’un dénuement extrême. Pis, les
Allemands sont confrontés à la politique de la terre brûlée : tout ce qui peut
leur être utile – du simple magasin à la centrale électrique – est détruit,
brûlé par les forces soviétiques.
Comme en Afrique, la poussière est une gêne constante. Elle s’insinue
dans les moteurs, entraîne une surconsommation d’huile et use
prématurément les filtres à air. Elle fait éternuer les chevaux. Son odeur
âcre est incommodante pour les hommes, eux-mêmes recouverts de
poussière ; les gorges sèches rendent la marche particulièrement pénible86.
Un soldat se plaint de prendre l’aspect d’un ramoneur, un autre estime pour
sa part que c’est « comme si quelqu’un nous avait vomi dessus87 ».
Kageneck rapporte qu’elle dégageait une odeur pestilentielle et qu’on « la
sentait la nuit sur la langue88 ».
La raspoutitsa, la saison sans routes, est une épreuve d’endurance. Elle
survient à l’automne, puis au printemps, au moment du dégel. Les
Allemands l’appellent la Schlammperiode, la « période de la boue ». Pour
les hommes, c’est l’enfer. Le terrain se transforme en cloaque. La boue
englue tout : on a vu jusqu’à vingt-quatre chevaux attelés pour dégager une
unique pièce d’artillerie… Les véhicules s’enlisent : il faut descendre, au
besoin vider sa cargaison, et tenter de pousser l’engin dans l’espoir d’un
nouveau départ.
Dans cet océan de boue, le moindre déplacement, même à pied, est vite
épuisant. Il devient impossible de rester dans des trous inondés, même si on
a pris la précaution d’y étendre des bâches. Il faut donc construire des abris
de fortune en bois, véritables « arches de Noé89 » selon le mot de Friedrich
Grupe, un Ostkämpfer (combattant du front russe). Les hommes sont
trempés et tremblants de froid. La moindre caisse en bois vide devient une
plate-forme pour les sentinelles.
Pour les hommes, cette humidité constante, avec peu de possibilité de
changer de chaussettes, voire tout simplement d’ôter ses bottes, peut avoir
une conséquence dramatique : le « pied de tranchée », qui génère un
pourrissement pouvant conduire à une amputation. Cette couche de boue
collante, qui monte jusqu’aux genoux, épaisse de plusieurs centimètres,
gèle peu à peu, car avec l’automne survient la baisse des températures. Pour
s’en débarrasser les mains, il n’y a parfois d’autre méthode que d’uriner sur
celles-ci90… Une question se pose aussi pour bien des hommes occupés à
un travail physique : faut-il continuer à porter le manteau et transpirer
davantage ou bien continuer sans91 ?
L’hiver russe représente l’épreuve la plus redoutée. Bien des hommes
sont terrifiés à l’idée de connaître l’épreuve d’hiverner dans une Russie en
guerre. Napoléon est dans tous les esprits. « Que Dieu nous préserve d’une
campagne d’hiver à l’Est92 », s’exclame un soldat dès le mois de septembre
1941. Les températures atteintes sont si basses que les lubrifiants des
véhicules et des armes allemands gèlent, les rendant inopérants. L’un des
remèdes consiste à utiliser l’huile de tournesol, une plante relativement
abondante en Union soviétique93. La logistique – et par conséquent le
ravitaillement – est pareillement paralysée. Il faut maintenir les moteurs en
marche, ce qui entraîne une surconsommation en carburant ; en tout état de
cause il faut faire montre de patience avant de faire mouvoir son engin,
pour ne pas forcer la mécanique.
La congestion des voies de communication qui en résulte a une
répercussion dramatique : les vêtements d’hiver ne parviennent pas à leurs
destinataires avant le début de l’année 1942 ; ils sont par ailleurs trop peu
nombreux, l’OKH n’ayant pas anticipé une campagne hivernale – le remède
a été une grande collecte auprès de la population du Reich, ce qu’on a
appelé le « secours d’hiver ». Les officiers sont les premiers lotis, au grand
dam de la troupe. Celle-ci n’a d’autres ressources que de dépouiller
moujiks, villageois et prisonniers de leurs vêtements chauds, les
abandonnant à un sort atroce. À Stalingrad, l’ingéniosité et les ersatz sont à
l’honneur : on va jusqu’à écorcher des chiens pour se procurer la fourrure
nécessaire à la confection de gants ; on fabrique des vêtements avec la peau
des chevaux94.
Avec le grand froid, si les engins motorisés patinent – les hommes
doivent au besoin les retenir avec des cordes –, les véhicules chenillés
peuvent enfin reprendre leur progression, à condition toutefois que les
moteurs démarrent. On parvient à bricoler des traîneaux en fixant des
planches taillées en forme de skis sur des charrettes, parfois on met la main
sur des troïkas. S’il faut fuir devant l’ennemi, les véhicules encore en état
sont pris d’assaut. Certains, en dépit des risques, montent sur la plate-forme
arrière des panzers, où la chaleur dégagée par le moteur leur procure
quelque confort. Le conducteur de l’automitrailleuse de Kageneck
improvise un système de chauffage en inversant la courroie de transmission
du ventilateur, permettant ainsi à la chaleur dégagée par le moteur de
s’engouffrer dans l’habitacle de l’engin95.
Se déplacer ne s’effectue de toute façon jamais sans risque : les
tempêtes de neige obstruent l’horizon, et les immensités glacées sont aussi
déroutantes que le désert. On craint de s’égarer : « Des villages entiers sont
recouverts de neige, écrit Harry Mielert, et on ne peut plus prendre repère
sur quoi que ce soit96. » La pratique du ski s’impose pour les
reconnaissances, comme chez les Finlandais, à tel point que des unités
spécifiques sont mises sur pied au sein de la Wehrmacht, à l’instar des
Skijäger. Pour éviter les tirs fratricides en patrouille, on porte souvent des
brassards d’identification. L’un des rares avantages de la guerre en hiver
apparaît lors de ces déplacements : le moindre mouvement de l’ennemi peut
facilement être décelé par les traces qu’il laisse dans la neige. Il faut
pourtant faire face à un type d’adversaire plus répandu qu’à l’Ouest en
début de guerre : le cavalier. S’ils combattent à pied, les cavaliers russes se
déplacent avec une rapidité et une aisance stupéfiantes pour les Allemands,
particulièrement en hiver, ce qui facilite leurs manœuvres de contournement
et d’encerclement.
Creuser le permafrost représente une tâche éreintante, pour ne pas dire
impossible (on utilise alors des explosifs pour faire des trous). Aménager
des positions et des passages est de toute façon un travail de Sisyphe : la
neige a tôt fait de recouvrir le moindre espace dégagé par les pelles… Si la
survie passe par l’acquisition d’un véritable logis, ferme ou maison de
village, les soldats sont parfois contraints d’édifier un campement de
fortune : « Nous nous demandions où et comment installer notre toile de
tente, rapporte Guy Sajer. Certains se mirent à creuser la neige, d’autres
firent de véritables huttes, en se servant des sacs d’herbes sèches hachées
qui pendaient de chaque côté du collier des chevaux 97. » Les abris des
premières lignes restent glaciaux, l’appoint des petites lampes-chaufferettes
à essence étant bien dérisoire. Le vent souffle à travers les bâches des
véhicules ; on craint qu’il n’emporte la toiture de l’abri dans lequel on se
terre. Une isba n’est pas plus sécurisée pour autant : le risque d’incendie
dans une habitation de bois où un feu est entretenu des semaines durant est
réel98. Faire du feu devient pourtant une obsession : on est prêt à détruire
des charrettes pour se procurer le bois indispensable. On tente tant bien que
mal de partager la chaleur corporelle.
« Chaque homme lutte seul contre le froid99 », rapporte Siegfried
Knappe. L’épreuve de l’hiver russe, brutale, est démoralisante. Une agonie
qui semble sans fin… Certains ne tiennent que grâce à l’alcool. D’autres
sont résignés. La routine – se laver, manger, faire ses besoins – devient une
corvée. Si le froid conserve la viande, il faut la couper à la hache ; le beurre
quant à lui est tranché à la scie… Un soldat égare sa cuillère ; il lui faut à
peine trente secondes pour la retrouver : le temps pour la soupe de refroidir
et de durcir100… « On ramollit le lard à grands coups de plat de pelle-
pioche, raconte Guy Sajer, car il résiste aux baïonnettes mal affûtées101. »
L’activité la plus triviale comporte un risque : Guderian rapporte le cas
de soldats morts en faisant leurs besoins pour s’être exposés
dangereusement au froid102. Le vent glacial perce les vêtements et coupe les
visages. Les chairs gèlent si elles sont exposées trop longtemps au froid : il
importe de s’entourer la tête et le visage de tout ce qui tombe sous la main.
Les doigts gèlent, même dans les gants, et l’on se protège les mains dans
des boîtes de conserve… Sous le casque, on porte un passe-montagne, le
Kopfschützer. Les protège-nez n’ont pas toujours l’effet escompté : la
respiration s’y condense et ils deviennent des blocs de glace. Les plus à
plaindre sont les sentinelles : il faut les relever toutes les heures, quand cela
est possible, car l’effondrement des effectifs ne permet pas toujours de
disposer de suffisamment d’hommes pour assurer les tours de garde. Un
écueil qui peut aboutir à des évanouissements causés par l’épuisement et la
lutte contre le froid.
Avant que l’armée ne soit dotée d’efficaces surbottes en feutre, il faut se
débrouiller avec les bottes en cuir qui, « pourtant remarquablement
étanches, écrit Guy Sajer, n’étaient pas les chaussures idéales pour marcher
dans 20 à 30 centimètres de neige103 ». Sa souffrance est telle, alors qu’il est
de faction, qu’il doit se résoudre à abandonner son poste pour le réconfort
du feu qui crépite dans l’isba la plus proche : « Je fourre mes bottes, qui se
mettent à grésiller, dans les braises rouges. Le contact du froid et du chaud
provoque une douleur qui m’arrache des sanglots104. » On improvise en se
protégeant les membres avec de la paille ou des journaux. L’expérience
permet d’acquérir rapidement les bons réflexes : « Nous savions qu’il fallait
immédiatement se frotter les mains et la figure avec de la neige, si elles
commençaient à devenir blanches105. » Lorsque les bottes gèlent, on ne peut
plus les ôter : il faut alors amputer. À Stalingrad, un soldat affirme que des
souris lui ont dévoré deux orteils gelés pendant son sommeil106… Le froid
n’épargne pas les bêtes, qui souffrent, glissent. De nombreux chevaux ne
résistent pas aux rigueurs de l’hiver russe, d’autres souffrent d’engelures ou
de blessures diverses, difficiles à soigner.
« Je me torture l’esprit, écrit le général Guderian, pour savoir quoi faire
de plus pour secourir mes pauvres troupiers obligés de rester dehors sans
protection sous ce climat hivernal insensé. C’est effroyable, inimaginable.
Les gens de l’OKH et de l’OKW qui n’ont jamais vu le front ne peuvent se
faire une idée de ces conditions de vie107. » « Il faut avoir vu, pendant cet
abominable hiver, l’immensité russe ensevelie sous la neige à perte de vue
et balayée par des vents glacés qui effacent tout sur leur passage ; avoir
marché ou conduit pendant des heures à travers ce no man’s land, pour
n’aboutir qu’à un abri médiocre, avec des hommes insuffisamment couverts
et à demi affamés ; et avoir aussi réalisé quel contraste il y avait entre nos
soldats et les Sibériens bien nourris, chaudement vêtus et parfaitement
équipés pour se battre en hiver ; il faut avoir connu tout cela pour se
permettre de juger les événements. »
Les survivants se voient décerner une médaille commémorative de la
campagne de Moscou, la « médaille de l’hiver », que les Landser ont tôt fait
de rebaptiser, avec ce cynisme propre à tous les soldats, la « médaille de la
viande congelée ». Kageneck ironise avec ses camarades sur la signification
des couleurs nationales de la bande : le petit trait noir ce sont les
Allemands ; le blanc, la neige ; tout autour, du rouge : les Soviétiques108…
Le deuxième hiver, si la plupart des soldats sont désormais mieux
équipés contre le froid (les parkas et autres tenues adaptées sont désormais
en dotation au sein des unités), sauf pour les assiégés de Stalingrad
encerclés avant d’avoir perçu les tenues d’hiver, l’épreuve reste un calvaire.
Aux congestions pulmonaires s’ajoutent ce que Guy Sajer appelle du
hergezogener Brand, « sorte de gangrène du froid qui attaque d’abord la
figure, plus exposée, et gagne ensuite les parties même couvertes. Les
malheureux atteints par cette maladie de la peau étaient obligés de s’enduire
d’une pommade grasse et jaune, ce qui leur donnait un masque comique en
même temps que pitoyable109 ». Chaque contingent affecté à l’Ostfront doit
composer avec les rigueurs de l’hiver. Fin 1943, de nouvelles recrues
entretiennent un feu en permanence, alors qu’il fait – 10 °C. Les vétérans ne
se montrent guère rassurants : il faudra s’estimer heureux si le thermomètre
ne descend pas à – 25 °C voire à – 40 °C en janvier, une nouvelle
dramatique qui provoque des sanglots110.
Le dégel du printemps, en dépit du retour de la boue, accorde aux
soldats le répit tant attendu : c’en est fini des températures polaires se dit-
on, avec le secret espoir qu’on ne revivra pas cette épreuve d’endurance une
fois de plus. Le front russe redevient alors un immense cloaque. Guy Sajer
raconte : « Pour la Wehrmacht, qui avait enduré les affres de cinq longs
mois d’hiver, cet adoucissement tombait du ciel comme une bénédiction.
Avec ou sans ordres, nous avions ôté nos capotes ou survêtements crasseux
et commencions un nettoyage général. Des types, complètement à poil,
n’hésitaient pas à entrer dans l’eau glacée111. » La douche, même de fortune,
représente le suprême réconfort : « Un système de douche, installé avec un
gros réservoir de tracteur, fonctionnait remarquablement, une lampe-
chaufferette chauffait continuellement les 150 litres d’eau que l’on
maintenait toujours à niveau. Les premiers à essayer cette installation
reçurent une douche faite d’un mélange d’eau tiède et de gasoil. Malgré les
rinçages successifs que nous avions administrés à notre récipient, l’eau resta
longtemps teintée par le dépôt des matières qu’il avait contenues
précédemment112. »
Pour autant, les impressions laissées par la nature soviétique peuvent
être tout autres que celles renvoyées par la boue et l’hiver. La vision des
premiers contreforts puis des hautes cimes du Caucase est fantastique pour
plus d’un soldat. Les paysages fleuris – par les tournesols – et ensoleillés du
Kouban apparaissent tout aussi idylliques113. Un sentiment qui envahit des
combattants de la 6e armée en route vers leur destin à Stalingrad :
découvrant un nouveau paysage en franchissant le Don, nombre d’entre eux
aspirent à y acquérir une ferme après les hostilités, quand cette terre sera
devenue territoire colonial allemand114… Après la monotonie de la steppe,
ceux qui participent à la campagne du Heeresgruppe A dans le sud de
l’Union soviétique sont ravis dès qu’ils aperçoivent les premiers reliefs du
Caucase et les forêts qui en recouvrent les premiers contreforts : d’aucuns,
Bavarois et Tyroliens notamment, se sentent un peu plus à la maison…
On ne saurait terminer le tableau du quotidien du soldat de Hitler sur le
front de l’Est sans évoquer la guerre urbaine115. Si les combats urbains vont
se multiplier pendant tout le conflit, prenant l’aspect de véritables combats
de rues particulièrement intenses avec l’engagement à l’Est, au cours de
batailles telles que celle de Voronej à l’été 1942, Stalingrad représente
l’acmé de la guerre en milieu urbain116, la guerre en ville par excellence. Les
soldats allemands l’ont baptisée la Rattenkrieg, la « guerre des rats ». Les
chars y sont bien peu adaptés au combat et souvent canalisés vers des zones
minées et battues par les feux des antichars et de T-34 embossés au ras du
sol parmi les décombres. On en revient aux recettes de la Première Guerre
mondiale, avec des groupes de choc d’une dizaine d’hommes qui rappellent
les Stoßtruppen de 1917-1918117. La guerre devient une succession
d’engagements de peu d’envergure. La Wehrmacht est très bien équipée
pour relever le défi : lance-flammes, grenades disponibles à foison,
mitrailleuses, artillerie légère… Les Soviétiques choisissent avec soin les
bâtiments qu’ils fortifient et mettent en défense, s’assurant de champs de
tirs efficaces et d’une bonne visibilité, n’hésitant pas à mener des contre-
attaques pour s’emparer de nouveau du moindre immeuble concédé aux
Allemands. On se bat pour chaque cave, pour le moindre étage, ce qui
contraint les soldats allemands à une cohabitation forcée avec un ennemi
tout proche, tapi dans l’immeuble voisin en ruine, sinon dans le même
immeuble. On vit donc dans des gravats, au milieu de ruines qui menacent
constamment de s’effondrer sous le coup d’une pièce d’artillerie lourde. Le
décor est dantesque : « Il n’y a plus une maison debout, écrit un lieutenant.
Ce n’est plus qu’une inextricable accumulation de décombres et de gravats,
presque impraticables118. » Les Landser sont pilonnés sans relâche par
l’artillerie et les katiouchas qui déversent leur cargaison de mort depuis la
rive orientale de la Volga. Les égouts et les caves représentent les voies
privilégiées pour s’infiltrer derrière l’ennemi. À Stalingrad, la lessive n’est
plus possible : les soldats portent les mêmes vêtements non lavés pendant
des semaines. La toilette est pareillement escamotée : on ne se nettoie plus,
les barbes poussent. Portant guenilles, les soldats ont l’apparence de
vagabonds. Les souffrances endurées par les combattants de Stalingrad ne
laissent pas insensibles les Allemands qui ont la chance de servir ailleurs.
Heinrich Böll ressent presque de la honte à quitter son poste pour quelques
jours afin de suivre un traitement pour ses yeux ainsi que pour des maux de
tête119. En 1944, le soldat allemand possède tous les rudiments de la guerre
urbaine. Il en fait usage aussi bien à Ortona en Italie, à Brest ou à Aix-la-
Chapelle, qu’à Breslau et surtout à Berlin, dernière bataille de la guerre.

La guerre en Méditerranée : désert et montagnes

Si la nature est redoutable en Russie, l’environnement désertique


impose des conditions de vie particulièrement éprouvantes pour les
combattants allemands envoyés en Libye et en Égypte. Elles constituent les
préoccupations quotidiennes des soldats, bien plus que les considérations
tactiques et stratégiques qui captent l’attention de leurs supérieurs. À une
époque où voyager est encore très peu répandu, les soldats de Hitler
envoyés en Afrique découvrent un univers inconnu, très exotique ; il flotte
dans ce monde étrange comme un parfum d’aventure. L’épreuve de la vie
dans le désert, certes contraignante, s’accompagne d’une expérience
exaltante. Dans une lettre à sa femme, Hans-Joachim Schraepler, aide de
camp du général Rommel en France en 1940 puis en Libye en 1941, résume
les impressions ressenties par les nouveaux venus dans le désert : « Avant
d’atterrir à Tripoli, notre pilote a fait une boucle au-dessus du paysage, la
ville et le désert. Palmiers, cases, maisons carrées avec des toits plats. C’est
tout ce que je peux te dire pour le moment. C’est l’Afrique telle que tu as pu
la voir sur des photographies120. »
La chaleur est souvent associée au désert. La température monte dès les
premières heures de la matinée, l’air devenant suffocant à la mi-journée.
L’effet du soleil sur le métal est tel qu’on ne peut le toucher sans risque de
se brûler. De fameuses images photographiques ou filmées montrent ainsi
des combattants allemands cuisant des œufs sur le blindage de leurs
véhicules. Une torpeur s’abat sur la troupe, incapable de se mouvoir, terrée
dans ses foxholes sous un soleil de plomb. Ce simple trou, exigu et sans
confort, est le cadre de vie, jour et nuit. La toile de tente, par ailleurs
camouflée, y est mise à profit. Contrairement à ce qui prévalait durant la
Grande Guerre, les tranchées, facilitant le mouvement, sont rares, et
rarement conçues pour être opérationnelles sur le long terme. Ceux qui en
ont la possibilité profitent de l’ombre d’un véhicule. En été, le thermomètre
peut atteindre les 50 °C dans le désert, bien que dépassant rarement les
38 °C à proximité de la côte, ce qui reste élevé pour faire la guerre.
Combattre à l’intérieur de la fournaise d’un panzer – les chars ne sont pas
climatisés à l’époque – est dès lors particulièrement éprouvant. Les heures
chaudes sont également celles des mirages. Elles sont particulièrement
défavorables pour la reconnaissance, l’observation des positions de
l’ennemi et l’acquisition de cibles.
Les soldats de l’Afrikakorps découvrent pourtant une autre réalité
stupéfiante et inattendue du désert : la fraîcheur des nuits. « Tu as peur
qu’on se les gèle, en plein Sahara121 ? » aurait lancé le sergent Kelbing à un
fourrier. Il peut faire très froid dans le désert, particulièrement en saison
hivernale : les capotes en drap et les ceintures de flanelle ne sont alors pas
superflues. Les nombreuses photographies montrant des soldats de
l’Afrikakorps vêtus de manteaux témoignent de l’utilité de ces articles
d’habillement. Les soldats n’ont d’autre choix que de se contenter du sol en
guise de lit, un lit quelque peu inconfortable, particulièrement en terrain
rocailleux. Des petites bâches ou des tentes peuvent être mises en place
pour donner un peu de confort. Parfois, on dort sous les véhicules ou le long
de ceux-ci, sous une bâche retenue d’un côté par des piquets et fixée à
l’engin de l’autre. Même pour les soldats qui ne sont pas déployés en
première ligne, l’absence de véritable front et la menace des raids du SAS
et du Long Range Desert Group (LRDG, des unités de commandos
britanniques) font que seuls les éléments en garnison en Tripolitaine
peuvent s’accorder un réel repos nocturne pendant la plus grande partie de
la campagne.
La poussière et le sable, qui s’insinuent partout, constituent une des
épreuves majeures de la vie dans le désert. Les conditions de conduite dans
le sable sont particulièrement éprouvantes, ne serait-ce qu’en raison de la
maintenance que cela suppose. Il faut surveiller la température du moteur,
de l’huile et du radiateur, vérifier les pneus et libérer de l’air pour éviter
l’éclatement. La poussière est également aveuglante, obligeant les véhicules
à garder de grandes distances entre eux, tout en soulevant des nuages de
sable qui révèlent le moindre mouvement à l’ennemi. Le sable mou, outre
qu’il provoque une surconsommation en carburant, est une véritable
nuisance, car pour désensabler un véhicule enlisé, il faut bien souvent vider
celui-ci de son chargement, pousser l’engin et le recharger à nouveau, ce
qui est plus aisé avec des plaques de désensablement mais reste tout de
même très pénible. Les tempêtes de sable, le khamsin en Égypte, le ghibli
en Libye, sont redoutées. La chaleur devient étouffante et les nerfs des
hommes sont soumis à rude épreuve. Le sable pénètre les yeux, le nez et les
oreilles ; il écorche les mains et le visage. Peu à peu, l’obscurité diminue et
la clarté du soleil paraît de nouveau : tout redevient calme. Le 26 avril
1941, pris dans un ghibli, Hellmuth Frey met une heure pour avancer de
500 mètres avec son véhicule. Le thermomètre atteint 44 °C122.
Nombre de véhicules de l’inventaire de la Wehrmacht, comme les
motocyclettes, semblent inadaptés aux nouvelles conditions de combat sur
ce théâtre des opérations. Les petites Volkswagen, quand elles ne sont pas
encore équipées de pneus dit « ballons », qui offrent une surface au sol
beaucoup plus grande facilitant le déplacement en terrain meuble, souffrent
également des conditions de conduite dans le désert. La durée de vie des
moteurs n’y excède pas 5 000 kilomètres, alors qu’ils peuvent atteindre
60 000 à 70 000 kilomètres en Europe. Avec l’adoption de filtres spéciaux,
une Kübelwagen pourra faire entre 12 000 et 15 000 kilomètres en Afrique
avant de devoir changer de moteur123. Le taux de pertes en blindés dues à
des ennuis mécaniques est à l’avenant. Sur les 150 chars du 5e régiment de
panzers, 83 ont dû passer par les ateliers entre le 31 mars et le
10 avril 1941.
La pluie est rare, mais elle peut s’abattre soudainement avec violence,
transformant en quelques instants les lits des rivières asséchées (les wadi)
en torrents impétueux. L’eau et sa conservation sont évidemment de la
première importance dans une région aux ressources limitées, ne disposant
que de quelques puits et, dans certaines zones côtières, d’usines de
dessalement ; le précieux liquide doit généralement être laborieusement
transporté jusqu’au front. Des soldats n’hésitent pas à effectuer une longue
marche pour récupérer des bouteilles ou des gourdes oubliées par
inadvertance. Avec la mise au point de leur jerrycan, les Allemands
disposent d’un récipient efficace. Les précieux bidons transportant de l’eau
sont identifiés par une large croix blanche, afin de les distinguer clairement
de ceux destinés au transport de carburant. En cas d’urgence, l’ultime espoir
est de récupérer l’eau des radiateurs des véhicules endommagés, une
méthode qui a sauvé la vie à bien des égarés dans le désert. La ration d’eau
au sein de l’Afrikakorps se monte, en théorie, à 4 ou 5 litres quotidiens par
soldat, en pratique, le plus souvent 3 litres (à titre de comparaison, lors de la
guerre du Golfe, en 1991, chaque soldat français de la division Daguet
disposait de 60 litres d’eau, dont 10 potable124). Comme dans le camp
adverse, il s’agit en fait de la quantité d’eau perçue au niveau des cuisines,
le simple soldat n’obtenant directement qu’environ 75 centilitres. Une
partie de l’eau peut servir aux ablutions et au lavage des vêtements, si on
respecte bien les règles d’économie. L’eau souillée par le lavage peut aussi
être réutilisée pour les véhicules après avoir été décantée. Dans ces
conditions, une affectation en bord de mer représente un privilège certain.
Les mouches125 constituent une autre préoccupation, pour ne pas dire un
tourment, particulièrement pour les blessés étendus sur le sable dans
l’attente des secours. Les hommes éprouvent les plus grandes peines à s’en
débarrasser, même pour manger, se souvient Wolf Heckmann126 : à peine a-
t-on écarté les mouches, qu’elles reviennent de plus belle. Le plus souvent,
il faut boire en posant sa main sur le récipient et avaler le contenu entre le
pouce et le doigt. Les troupes de l’Afrikakorps cherchent une parade dans
des filets de protection qu’elles se mettent sur le visage. Seule la nuit amène
un répit salvateur pour les nerfs des soldats. La faune recèle d’autres
dangers, tels que les scorpions et les vipères des sables, particulièrement
après la saison hivernale.
Ces animaux ne sont pas les seuls responsables d’un état sanitaire
déplorable au sein de la troupe. Le manque de vitamines, comme cela a été
dit plus haut, a pour conséquence qu’une simple écorchure peut s’aggraver
et que les blessures peuvent mettre du temps à guérir. Pour se prémunir des
risques d’écorchure, un ordre émanant de la 164. Leichte-Division interdit
ainsi le port du short sur la ligne du front – sauf avec adjonction d’une
protection quelconque sur la jambe telle que bottes ou chaussettes longues –
et seulement à certaines heures en arrière du front 127.
Faute d’être en mesure de creuser un sol trop rocailleux, ce qui est
souvent le cas, on renforce les positions en érigeant des parapets de pierre –
les sangars, qui indiquent en revanche les positions à l’ennemi. On met à
profit la végétation, quand il y en a, on disperse les positions à fleur de sol
sous des filets de camouflage. Les hommes de Rommel ont intégré les
principes de base de la guerre dans le désert. La réverbération du soleil
signifie un arrêt de mort. D’où les pare-brise repeints couleur sable, à
l’exception d’une petite lucarne, voire des camions auxquels on les a tout
simplement ôtés. Les pierres ou les couvertures sont utilisées pour protéger
les pneus des véhicules de l’ardeur du soleil. On peut aussi se dissimuler au
creux d’un wadi. Il faut toujours veiller à ne pas dévoiler sa présence par
l’ombre de son véhicule : si différentes couleurs sont clairement distinctes
sur le sol, il faut se garer exactement à la limite de deux zones ; s’il y a un
arbre ou un arbuste moins haut que le véhicule, on gare celui-ci du côté
ensoleillé pour laisser l’ombre du véhicule tomber sur le végétal. Pour
s’assurer d’un camouflage parfait, une des difficultés majeures reste la
nécessité d’effacer les traces des pneus.
L’expérience du véritable désert, dans les profondeurs des grandes mers
de sable et des regs de l’intérieur du Sahara, n’est réservée qu’à un petit
nombre de soldats de l’Afrikakorps. Pour s’acclimater, des unités
s’entraînent sur les pistes de diverses oasis, où des garnisons peuvent opérer
comme flanc-garde à l’armée de Rommel128, mais, à part quelques unités,
des commandos Brandenburg du Sonderkommando « Dora »129 et des
géologues à la recherche d’eau potable, on n’arpente guère ces immensités
désertiques. Apprendre à y naviguer est particulièrement ardu. Le désert ne
procure que bien peu de points de référence ou d’éléments de paysage
constituant des repères remarquables. Une erreur minime peut avoir des
conséquences dramatiques. L’absence d’ombres rend par ailleurs
l’appréciation des distances et du relief bien malaisée.
La guerre en Méditerranée a pu se dérouler dans un cadre tout autre
pour les soldats de Hitler. La courte campagne menée en Grèce en avril-mai
1941 s’est également déroulée sous un soleil de plomb, mais dans un
environnement montagneux qui n’est pas sans rappeler celui de la
campagne de Tunisie, dans un espace et sous un climat fort différents des
déserts libyen et égyptien130. Comme aux alentours de Tripoli et dans le
djebel Akhdar libyen, la partie septentrionale de l’Afrique du Nord
française, plus peuplée et plus verdoyante, est beaucoup moins déroutante
que le désert pour le soldat allemand. Les champs et les vergers, notamment
d’oliviers, ne sont pas rares. Avec le printemps, les fleurs tapissent le sol.
Le relief, beaucoup moins plat qu’une immense partie des déserts libyen et
égyptien, apparaît très compartimenté : nombreuses y sont les éminences ou
les cols qui, âprement disputés, constitueront les pivots de systèmes
défensifs, telle la fameuse passe de Kasserine. Une réalité qui est également
celle de la guerre en Italie.
L’hiver de 1942-1943 en Afrique est pluvieux et rigoureux, une
déconvenue pour bien des soldats allemands, mais aussi pour leurs
camarades combattant en Italie, car la campagne menée dans la botte
italienne se révèle vite éprouvante. La période estivale en Sicile passée, la
première surprise pour les soldats de Hitler est de constater que le climat
italien est loin d’être celui des cartes postales qui présentent des paysages
ensoleillés sous une chaleur torride. En outre, le relief montagneux de la
péninsule rend les conditions de guerre particulièrement difficiles. Un petit
nombre d’hommes, retranchés sur une hauteur, sont capables d’en stopper
un nombre considérable. Sur les reliefs, les routes font souvent place aux
chemins, puis aux sentiers. En outre, les chemins détrempés deviennent vite
impraticables aux véhicules non chenillés. Les armées doivent alors
compter sur les mulets pour se ravitailler à travers les sentiers tortueux de
montagne. Dans ces conditions, acheminer vivres, munitions et
approvisionnements divers devient ardu. L’évacuation des blessés est une
épreuve pour ces derniers, qui doivent endurer maints tourments pendant les
trop longs portages qui les ramènent dans les vallées. Monter des pièces
d’artillerie en altitude n’est pas plus aisé. Les armées motorisées n’y sont
donc guère à leur aise et l’infanterie joue un rôle central dans les combats,
au détriment des unités blindées. C’est une guerre de tactiques
d’infiltration. La boue et la pluie incommodent particulièrement les troupes,
obligées de survivre dans des tranchées ou des positions qui deviennent de
véritables cloaques, avec les risques de « pied de tranchée », comme le
souligne le soldat Helmut Wagner131. Après la boue de l’automne, les deux
armées doivent supporter le froid mordant de l’hiver dans les montagnes.
Le froid polaire qui règne en très haute altitude est un calvaire pour les
hommes. Pieds et mains gelés peuvent mener à des amputations. En été, la
chaleur intense et la poussière ne sont pas non plus sans causer bien des
soucis. Comme sur tous les fronts, c’est la nuit que l’activité est le plus
marquée, à l’abri des regards ennemis. C’est aussi le moment du
ravitaillement et du repos.

Glace, neige et roc

Un des plus hauts combats de la guerre survient dans les Alpes le


17 février 1945, lorsqu’une compagnie d’assaut de la 5. Gebirgs-Division
tente, par – 25 °C, de reprendre le col du Midi et le refuge du Requin132. Si,
la guerre du désert mise à part, les campagnes menées en Méditerranée ont
essentiellement eu lieu dans un environnement montagneux, le plus souvent
dépourvu de neige, les soldats de Hitler expérimentent également la haute
montagne dans toute sa rigueur, ainsi que la guerre en milieu polaire. Hitler
dispose de troupes alpines rompues à ce type de combat : les Gebirgsjäger.
Lunettes de protection, réchauds, vêtements adaptés au froid, piolets,
crampons et cordes font bien entendu partie des impedimenta de ces soldats
d’élite. La première campagne menée en zone montagneuse survient en
Scandinavie. En Norvège, en avril-mai 1940, face à un adversaire qui
manque pourtant d’armes antichars, les Allemands sont confrontés à des
vallées bloquées. Il faut alors s’adapter : on opère des contournements, par
les hauteurs, si possible, tandis que le gros des forces, avec les panzers,
attaque frontalement, à la faveur de la nuit. La campagne, de courte durée,
n’a impliqué qu’un nombre restreint de combattants.
À partir de l’été 1941, les Gebirgsjäger sont engagés dans une guerre
improbable au-delà du cercle polaire, dans les confins de l’Arctique. Ils
vont devoir combattre dans des conditions extrêmes. L’objectif assigné au
général Dietl, le héros de Narvik, est le port de Mourmansk. La guerre dans
la toundra se déroule sur un front duquel n’affleure qu’un minimum de
végétation, pour ainsi dire aucun arbre ni arbuste, sur un terrain constellé de
modestes hauteurs rocheuses qui constituent autant de postes d’observation
ou de défense, chaque point d’appui étant isolé de la position voisine d’au
moins un kilomètre, voire d’une dizaine133. Toutefois, l’impossibilité de
creuser la roche ou le sol gelé du permafrost oblige à avoir recours à des
parapets de pierre, qui sont autant d’invites aux tirs ennemis… Pis, ces
dispositifs multiplient les risques d’éclats de roche et donc de blessures. Le
sentiment d’isolement est absolu. Les opérations sont au point mort pendant
des années, l’activité se limitant à des patrouilles et des coups de main,
particulièrement pendant les nuits du long hiver ou lorsque souffle le
blizzard. Un isolement et une lutte contre les éléments qui n’ont comme
équivalent que ce qu’endurent la poignée de météorologistes allemands qui
opèrent à partir de bases établies au Groenland, sur la terre François-Joseph
et au Spitzberg134.
En 1942, à des milliers de kilomètres plus au sud, à l’extrémité
méridionale du front de l’Est, d’autres Gebirgsjäger expérimentent une
forme de guerre extrême : combattre en haute montagne dans le Caucase.
La course des Gebirgsjäger vers les cols de haute altitude s’effectue dans
des conditions difficiles, voire périlleuses. Barrages et embuscades
soviétiques obligent bien souvent à opérer des manœuvres de flanquement.
Il faut alors traverser des torrents d’eau glacée135. Lors de leur avance dans
la vallée de Bolshaya Laba, les Gebirgsjäger doivent mettre en place des
ponts en corde à plusieurs reprises. Chutes de pierres, avalanches et
crevasses demeurent des dangers permanents. Bien souvent, les Allemands
tirent à dessein sur une plaque de neige pour ensevelir des Soviétiques. Les
échanges de tirs provoquent des échos qui font trembler les masses de neige
instables. Des hommes, épuisés, décrochent, glissent et sont précipités dans
le vide. Surprise par une tempête ou tout simplement par manque de vivres,
une unité peut être anéantie sans même combattre. Dans le Caucase, le
combat en montagne, fort déroutant, est avant tout une suite
d’affrontements dans des forêts de conifères. Les embuscades dans les
gorges étroites sont souvent fatales aux premiers éléments d’une troupe en
progression. Bien souvent, les vastes espaces enneigés ou les glaciers
n’offrent aucun couvert à l’assaillant. De même, bloqué en fond de vallée
ou sur une pente, l’attaquant doit mettre à profit la moindre protection pour
progresser. Les positions de montagne sont particulièrement favorables au
défenseur, qui peut aisément établir des bastions inexpugnables, quand bien
même ils ne sont défendus que par une poignée de combattants.
À une certaine altitude, selon un rapport de la 4. Gebirgs-Division, les
prairies font défaut, ou sont singulièrement ténues. Les animaux manquent
donc de nourriture et meurent de faim, immobilisant l’artillerie qui devient
inopérante136. Le bois aussi fait défaut aux plus hautes altitudes : une
pénurie qui génère des difficultés, notamment pour les pionniers qui ont le
plus grand mal à édifier retranchements ou passerelles de fortune. À des
hauteurs dépassant 4 000 mètres, le mal des montagnes, faute
d’acclimatation, est également à prendre en considération. Loin d’être
anodin, il peut rapidement mener à la mort. L’atmosphère raréfiée a en effet
des conséquences lourdes sur l’organisme. Le froid polaire qui règne en très
haute altitude est également un calvaire pour les hommes. Pieds et mains
gelés peuvent mener à des amputations. Le gel noircit le visage et la peau
part en lambeaux. Sans lunettes, nombre d’hommes souffrent d’ophtalmie
des neiges. Avec l’arrivée de l’hiver, les pertes s’accroissent avec
l’augmentation des décès dus au grand froid et à l’épuisement.
La guerre en montagne n’est pas le cadre d’engagement des seuls
chasseurs alpins : ces derniers sont même parfois minoritaires. Le
commandant de la 198e DI témoigne des difficultés rencontrées en direction
de Touapsé, le port de la mer Noire qui est un des objectifs du
Heeresgruppe A : la montagne est un environnement inhabituel pour ses
soldats ; il faut se frayer un chemin à travers les broussailles, l’outil
individuel à la main ; il faut négocier des passages difficiles sur les rochers
sous les tirs ennemis ; il faut attaquer sur les pentes les plus abruptes137.

Marais, forêts et bocage

Les soldats allemands vont connaître les affres de la guerre dans les
marais, particulièrement en Finlande et, plus encore, dans les immenses
marais du Pripet. Cette zone d’opération s’apparente ainsi à la jungle, dont
les obstacles sont d’autant plus difficiles à surmonter pour les opérations
militaires que la Seconde Guerre mondiale est une époque où les armées ne
sont pas encore dotées d’hélicoptères. Sur les vastes étendues
marécageuses, les moustiques et autres insectes volants sont des tourments
analogues aux mouches du désert. Pis, il n’y a pas de répit pour leurs
assauts. On peut parcourir ces étendues humides pendant des jours, sans
jamais trouver le moindre recoin sec où se reposer et se sécher. En été, alors
que le thermomètre peut allègrement dépasser les 30 °C, la survie dans ces
zones humides confine à la torture. Lorsque la boue inonde le terrain, dans
les zones marécageuses notamment, les pionniers sont contraints à un
labeur éreintant : mettre en place des routes de rondins – les
Knüppeldamm –, ce qui requiert des travaux d’abattage très pénibles,
d’autant qu’il faut souvent transporter le bois sur de longues distances. Un
travail de Romains qu’il faut sans cesse renouveler. Pour certains soldats
allemands, les chaussées de bois semblent flotter sur un océan de boue138.
Elles ne représentent nullement la panacée, car tous les instruments de bord
des engins, parfois très fragiles, souffrent des secousses occasionnées par
l’évolution sur de telles routes139. La Wehrmacht ne laisse pas ses soldats
démunis : des notices sont distribuées à la troupe avec des schémas
explicatifs donnant des consignes pour édifier des chaussées en bois plus ou
moins élaborées, qui pour des véhicules, qui pour de simples fantassins140. Il
est le plus souvent impossible d’employer des véhicules dans les marais,
faute de disposer de routes ni de la possibilité d’en réaliser une. Les Pays-
Bas sont aussi le cadre de combats menés dans les marécages, dans une
contrée par ailleurs fort humide. À l’automne 1944, Walther Happich donne
une description de la Hollande qui lui rappelle la Russie : les tranchées sont
noyées par les précipitations.
La guerre dans la sylve est tout aussi contraignante. Les soldats
allemands y mèneront des batailles acharnées, non sans un certain succès,
notamment à l’automne 1944 dans la forêt d’Hürtgen ainsi que dans les
Vosges. Le ravitaillement, erratique, est difficile, et, comme dans les marais,
on loge de façon plus ou moins précaire, à l’abri de bunkers en bois, ou de
béton pour les défenseurs du Westwall (le « mur de l’Ouest », soit les
fortifications érigées sur la frontière occidentale de l’Allemagne dans les
années 1930). En forêt, il est à l’évidence malaisé de repérer l’ennemi. Par
ailleurs, comment évaluer avec justesse ses forces ? En une occasion, sur le
front de Finlande, des patrouilles sont envoyées pour vérifier un rapport
alarmiste établissant que l’ennemi a contourné les positions par le flanc.
Bilan de la reconnaissance : l’ennemi supposé n’était en fait qu’un troupeau
de rennes141 ! La guerre en forêt est une guerre dans laquelle le soldat se
retrouve seul, sans l’appui salvateur des chars et des avions, l’artillerie
éprouvant toutes les peines du monde à acquérir des cibles, même si les
effets de ses tirs sont démultipliés par les éclats de bois qui se mêlent à
l’acier qui est projeté dans tous les sens. À l’extrémité nord du front, près
de Leningrad, et plus encore au sein de l’immense taïga de Finlande,
notamment sur le front de Kandalaksha, les Soviétiques semblent, à la
grande surprise des Allemands, être capables de mouvoir des véhicules, y
compris des tanks, sur des routes réputées inutilisables. La forêt est
également le cadre d’une technique spécifique de retardement, l’abattis : il
s’agit, après abattage des arbres à la scie ou à l’explosif, de les utiliser
comme obstacle en les entrelaçant, parfois dans le cadre d’un booby trap
savamment mis en place, des mines et des pièges étant par ailleurs
astucieusement disposés aux endroits où il est attendu que l’ennemi
cherchera à contourner l’abattis. L’expérience acquise dès les premiers
combats à l’Est est mise à profit pour améliorer l’efficacité de la Heer en
combat forestier. On organise notamment avec soin les groupes de
reconnaissance, en prévoyant un homme portant une boussole, un autre une
carte et une montre, tandis qu’un ou plusieurs autres soldats sont équipés de
podomètres (ou comptent eux-mêmes leurs pas)142.
Les soldats de Hitler sont impliqués dans une autre guerre menée dans
un environnement à la végétation luxuriante : la bataille du bocage, en
Normandie, aussi appelée l’enfer des haies. Poussant sur les talus, clôturant
un paysage de prés verts, les haies peuvent atteindre plusieurs mètres de
haut. On ne peut se déplacer que sur des chemins étroits, les fameux
chemins creux, où la visibilité est des plus limitées. Dès qu’un engin est
immobilisé, une colonne entière peut aisément être bloquée puis anéantie.
En revanche, les Allemands sont desservis par la distance d’engagement
entre les chars : elle est si faible qu’elle réduit à néant la supériorité des
canons des panzers (sans oublier que la longueur du tube du Panther devient
une gêne considérable dans un chemin creux…). Par ailleurs, il est
impensable d’engager les panzers en masse dans le bocage, en raison de la
maîtrise du ciel par les Alliés et de la menace des bazookas, bien réelle dans
ce labyrinthe de haies. Pour les vétérans du front de l’Est ou d’Afrique du
Nord, il s’agit d’un changement radical de tactique avec lequel il faut
composer143. Comme en forêt, il est bien malaisé de connaître la progression
des unités voisines de la sienne ou de déterminer sa position avec
précision ; il s’agit avant tout d’une guerre de fantassins, menée par des
petits groupes d’hommes. L’importance de l’encadrement prend ici toute sa
mesure. Or, globalement et sans que cela soit systématique, les Allemands
peuvent compter sur un bon corps d’officiers subalternes et, surtout, de
sous-officiers, avec de nombreux vétérans.
Les soldats sont terrés dans des trous d’homme, des postes de combat
ou des abris savamment aménagés dans les talus. Un bunker de campagne
typique peut prendre la forme d’un trou de 2,5 mètres de profondeur qui
donne ensuite sur deux passages plus profonds. Les tranchées, creusées à
hauteur d’homme, ne sont ouvertes que sur de petites entrées, le tout étant
recouvert d’au moins un mètre de bois et de terre144. On renforce l’ensemble
avec des sacs de sable et des poutres ou des troncs, recouverts à leur tour de
terre sur une trentaine de centimètres, avant de mettre en place une seconde
rangée de rondins, le tout étant dissimulé sous des branchages à des fins de
camouflage. Ces abris se révèlent efficaces contre les obus allant jusqu’au
calibre de 155 mm145. Au besoin, on agrémente la position avec quelques
meubles, des caisses, des boîtes, de la tôle, des portes, voire de la paille… Il
faut ensuite rester terré dans son trou. Les tireurs embusqués (les snipers) et
les observateurs d’artillerie ennemis veillent en effet.
Le ravitaillement en vivres et l’approvisionnement en munitions ne
peuvent s’effectuer que de nuit, ce qui est de nature à diminuer encore les
trop rares heures de sommeil de soldats fourbus. L’Obergrenadier Karl
Wegner participe à une de ces corvées, une petite lampe discrète boutonnée
à sa vareuse, ce qui laisse les deux mains libres. Après avoir entamé
l’approvisionnement dans de petites carrioles à bras, Wegner et ses
compagnons, pour faciliter le transport, finissent le trajet en portant eux-
mêmes les caisses et en passant des bandes de cartouches autour de leurs
cous. De retour à son foxhole, Wegner peut bénéficier d’une heure de repos,
un vrai luxe pour un homme épuisé146. On bivouaque donc dans son trou, à
l’abri de rondins ou de sa toile de tente camouflée, la Zeltbahn. La boue et
la pluie rendent la vie misérable. Les vêtements ne sèchent pas… Se laver,
qui plus est à l’eau chaude, est un luxe réservé à celui qui peut s’absenter
des premières lignes. Blotti toute la journée dans son trou, le Landser en est
réduit à faire ses besoins naturels dans une douille ou une gamelle147. Le
matin, on se réveille couvert de rosée, les membres ankylosés. Un soldat se
souvient : « Il fait très froid au lever du jour ici. Tout est couvert de rosée et
nous gelons joliment dans nos combinaisons de paras. Heureusement que
nous avons tous de gros gants de laine italienne, au moins on peut garder au
chaud ses doigts engourdis148. » Quand il fait chaud, le soleil peut au
contraire se faire ardent en cet été 1944. Face à la tête de pont britannique à
l’est de l’Orne, il faut contenir les assauts répétés des moustiques149. Il faut
aussi constamment rester aux aguets, les sens en éveil. La nuit, les bruits
des combats se font entendre. Les trous étant espacés, une impression
d’isolement peut s’emparer de certains combattants.

Les loisirs des soldats de Hitler

Entretenir le moral des troupes suppose de leur accorder des loisirs.


L’armée s’arrange pour que le soldat puisse s’offrir quelques extras à ce
qu’on appelle la Kantina, où il trouvera par exemple du chocolat ou des
cigarettes, mais aussi des chaussettes ou encore une lampe de poche. Ces
boutiques offrent cependant moins de choix et de luxe que les PX, leurs
homologues de l’armée américaine.
La lecture est un passe-temps apprécié. La propagande n’est pas loin :
l’armée dispose de ses magazines et de journaux, au besoin adaptés à l’arme
et au front des destinataires. Le journal Ostfront Illustrierte est apprécié en
raison de ses nombreuses illustrations, entre autres parce qu’il met en valeur
les beautés du Vaterland. Les périodiques tels que Die Wehrmacht et Signal
sont toujours à disposition ; les soldats étant rassasiés de propagande, ils
s’attardent plus volontiers sur la pin-up de chaque numéro de Signal, les
revues pornographiques françaises d’avant guerre étant également très
recherchées au sein des unités en garnison en France150. Des bibliothèques
sont constituées. L’Afrikakorps dispose d’un journal dès le début de la
campagne de Libye, un bureau permanent équipé de machines à écrire étant
mis en place à Tripoli puis à Benghazi. Ce journal est baptisé Die Oase
(« L’Oasis »). C’est un hebdomadaire qui traite du front africain, mais qui
donne également des nouvelles des autres fronts, ainsi que du monde entier,
tout en n’omettant aucunement bien sûr d’informer les soldats sur la
situation en Allemagne. Les journaux sont distribués à la troupe par la poste
militaire. Un bihebdomadaire circule également en Afrique au sein de
l’armée de Rommel : le Adler von Hellas (« L’Aigle de Grèce »). Ce journal
est destiné aux unités de la Luftwaffe en service sur le théâtre d’opérations
méditerranéen ; il traite bien entendu du front africain, mais offre également
des pages de loisirs avec des mots croisés, des jeux et des histoires drôles.
Imprimé à Vienne, il est distribué aux unités via Athènes. Par ailleurs, les
soldats allemands en Afrique lisent occasionnellement les journaux que leur
envoient leurs familles par la poste. En Russie, Guy Sajer lit Ost Front et
Panzer Wolfram.
Des projections de films sont organisées dans les Soldatenkinos. Elles
comptent parmi les distractions les plus prisées accessibles aux unités en
ligne. Un soldat de la 25. Panzer-Grenadier-Division explique comment les
soldats du génie ont improvisé des balcons dans le bâtiment administratif
d’une gare. Certains, tel Otto Henning, bénéficient même de séances de
cinéma en plein désert. Le projecteur est placé sur un camion et un écran est
tendu sur le sable. Rien de tel pour être repéré par l’ennemi à des lieues à la
ronde : en période d’activité de la RAF, on ne projette donc qu’une partie
du film151.
Des spectacles sont donnés par des troupes itinérantes appartenant à
l’organisation de loisirs nazie Kraft durch Freude, « la force par la joie ».
Le groupe type comporte des acrobates, un comédien, un joueur
d’accordéon et une danseuse ; la qualité du spectacle proposé est
malheureusement beaucoup trop variable selon les troupes d’artistes, pas
assez correctement sélectionnées selon certains rapports émanant de
l’armée. Certains spectacles sont si ridicules qu’ils provoquent des fous
rires, ainsi que le rapporte le général Balck lorsqu’un artiste commence une
chanson intitulée Comme c’est drôle d’être soldat152. Des tickets sont
distribués pour suivre les spectacles donnés dans les théâtres. La troupe est
également encouragée à donner ses propres concerts.
Les soldats organisent ainsi leurs propres petites fêtes, en économisant
sur les rations et en prévoyant des liqueurs et du tabac. La plus importante
est Noël, mais pas seulement : à Stalingrad, des officiers bavarois de la
376e DI ne manquent pas de célébrer la fameuse Oktoberfest, invitant à
cette occasion leur commandant, le général von Daniels, à un concours de
tir153. Au besoin, on prépare un spectacle en organisant des répétitions de
chants154. Le départ pour le front peut être prétexte à bien des débordements.
Un soldat en poste dans les Flandres raconte par le menu les beuveries et
saccages en tous genres de son unité avant de partir pour le front : « J’ai dû
boire, fumer, chaparder, travailler les filles du village. » Certains ont couché
nu dans les champs… On brûle de la poudre ou des « cartouches éclatent au
plafond155 ». Gageons que ce genre d’excès n’a pas dû être monnaie
courante au sein de la Wehrmacht. Si l’alcoolisme représente une offense
gravissime en service, les hommes ne dédaignent nullement s’accorder un
remontant au café et au restaurant, voire dans leurs abris. On parle de
Zielwasser pour signifier toutes sortes de schnaps et autres boissons fortes
ou non, que ce soit le vin ou la vodka. Pour un officier en garnison à
Boulogne assiégé en septembre 1944, l’alcool représente le seul remède
pour tenir156…
La distraction la plus commune reste le jeu. On joue aux cartes, à
commencer par le Skat157, qui se joue à trente-deux cartes. Les règles sont
assez complexes, suffisamment pour permettre jusqu’à dix-sept possibilités,
avec trois ou quatre joueurs. Presque aussi populaire, le Doppelkopf – ou
Doko – se joue à quatre, mais avec quarante-huit cartes. Les parties de Skat
ont pour elles l’avantage d’être courtes : il est facile d’en terminer une avant
le retour du « grabuge158 ». On s’amuse aussi aux échecs, parfois avec des
pièces créées ex nihilo (en utilisant des munitions de plusieurs calibres pour
simuler les différentes pièces)159, à condition d’être en capacité de garder
toute sa concentration, ce que les hommes épuisés encerclés à Stalingrad ne
sont plus en mesure de faire160.
On joue d’un instrument ou on chante dès qu’on en a l’occasion. Un
soldat raconte une de ces soirées dans une ferme, en Russie, après avoir
posté les sentinelles : « L’un de nous joue de la guitare russe et les
camarades entonnent des chants du pays ou bien le Grammophone sanglote
Bel Ami161. » À Stalingrad, un officier mélomane de la 16e DI joue du piano
dans son abri, dont la taille a été pensée à dessein162. Certains orchestres
militaires allemands réussissent parfois à rejoindre les troupes combattantes
et leur offrent un concert, tandis que certains officiers entreprenants
parviennent à fournir des instruments de musique à leurs hommes : c’est
ainsi qu’un cadre de la 21e Panzer obtient huit accordéons pour ses hommes
au moment d’El-Alamein.
Écouter la radio est un des passe-temps favoris. Le Reich organise des
programmes spécifiquement destinés aux membres de la Wehrmacht. Si la
propagande y trouve sa place, on propose aux troupes des musiques
populaires, des talk-shows ou encore des actualités. L’écoute de radios
étrangères est strictement interdite, d’autant que les Britanniques leurrent
leurs adversaires en lançant sur les ondes de fausses émissions radio en
allemand… La station radio allemande de Belgrade va vite établir un lien
particulier avec l’Afrikakorps puisqu’elle diffuse régulièrement la chanson
qui devient le symbole de cette unité et presque son hymne : Lili Marleen
(que Marlene Dietrich plus tard rebaptisera Lili Marlene). Les Britanniques
sont tout aussi adeptes que leurs ennemis de cette chanson chantée par Lale
Andersen, d’après un texte de Hans Leip, sur une musique de Norbert
Schultze. En moins d’un an, cette chanson d’amour devient un des « tubes »
de la Seconde Guerre mondiale. De 1941 à 1944, une douzaine de stations
radio allemandes la jouent une trentaine de fois par jour. « Des millions de
soldats allemands l’entendaient en même temps, de Narvik à Benghazi163 »,
rapporte Kageneck, qui branche le poste sur la radio de Belgrade tous les
soirs à 22 heures. Marlene Dietrich et d’autres la chantent pour les soldats
alliés. Le succès est tel qu’il entraîne la création d’un magazine : Unter der
Laterne164. Dans une lettre à son épouse, Hans-Joachim Schraepler, un
temps à l’état-major de Rommel, résume ce que représente cette chanson
pour tous les soldats : « Presque tous les soirs, j’entends Lili Marleen sur
Radio Athènes. Tout le monde l’écoute. Au début, je n’avais pas compris
que cette chanson exprime nos pensées et sentiments à l’égard de ceux qui
nous sont chers en Allemagne. Maintenant, je sais que nos pensées se
rejoignent dès que cet air retentit165. »
Pour ceux qui en ressentent le besoin, l’armée, par ses aumôniers
militaires, un catholique et un protestant étant attachés à chaque division,
permet également au soldat le réconfort religieux, beaucoup d’Allemands
étant alors de fervents chrétiens. Les musulmans qui ont rejoint les rangs de
la Wehrmacht se voient également octroyer le droit de pratiquer leur culte.
À proximité de la mer, on se détend bien sûr par la nage. On discute
également beaucoup entre soldats, de tout et de rien. La nostalgie du pays
n’est jamais bien éloignée. Quel passe-temps plus émouvant que celui de la
lecture des lettres ? Les soldats écrivent aussi. Beaucoup.

Le soldat de Hitler : un commando ou un soldat de troupes


d’élite ?

Le quotidien des militaires allemands dépend à l’évidence de la


situation de chaque soldat. Être bien équipé (jusqu’à un armement issu de la
technologie de pointe), voire bien nourri, est souvent tributaire du caractère
d’élite attribué à une unité. Les situations et les expériences sont des plus
variées, selon le front concerné, le grade, l’arme, la période de la guerre…
Les soldats des premières lignes, les Frontkämpfer ou Frontsoldaten, en
particulier, sont les plus à plaindre. Ils n’éprouvent que mépris pour les
« planqués », les Etappenschweine, soit les « porcs de l’arrière ». Quel
rapport entre siroter un café à côté d’une Parisienne sur les Champs-Élysées
et avaler une gorgée d’eau croupie dans un gourbi du saillant de Rjev ? Nul
ne se distingue plus des autres dans leur quotidien que les soldats d’élite.
Les Britanniques sont réputés être les spécialistes des unités de
commandos. Qu’en est-il des Allemands ? L’image d’Épinal du commando
est aussi celle d’un Britannique, tout de noir vêtu et le visage grimé,
pagayant silencieusement et furtivement à bord d’une embarcation légère.
Les Allemands ne sont pourtant pas en reste. Les coups de main sur la côte
entraînent la formation des Küstenjäger, issus des Brandebourgeois. L’unité
se distingue en Tunisie, réussissant la capture de commandos alliés après
s’être saisie de radios et de codes, mais surtout à l’automne 1943, en mer
Égée, lorsque Hitler lance ses troupes d’élite sur le Dodécanèse. L’année
précédente, les Küstenjäger, montés à bord de Sturmboote, ont aussi mené
quelques raids en mer Noire depuis la tête de pont du Kouban. La demi-
compagnie de la 13e compagnie de la Sonderverband 288 – ou encore
Tropen-Kompanie – du capitaine von Koenen intervient en Afrique.
Rattachée au Kampfgruppe Hecker, elle doit mener pendant la bataille de
Gazala (mai 1942) un assaut amphibie sur les arrières des Britanniques aux
côtés de la brigade « San Marco ».
Les premiers saboteurs allemands sont engagés en Pologne sous le
commandement du capitaine von Hippel. Il s’agit de la Bau-Lehr-Kompanie
zbV 800, qui deviendra le Bau-Lehr-Bataillon zbV 800 puis le Lehr
Regiment Brandenburg zbV 800, les fameux Brandebourgeois. Une des
spécificités des forces spéciales est de mener des actions sous l’uniforme
ennemi autres que la classique mission de reconnaissance pouvant être
aisément mise sur pied par toute unité. Ainsi, les Brandebourgeois ont-ils
revêtu la tenue de l’armée royale hollandaise pour s’emparer de ponts en
mai 1940, celle des troupes yougoslaves en avril 1941, ou encore
l’uniforme du NKVD lors du coup de main sur Maïkop en août 1942. À la
tête de la progression de la Wehrmacht en mai 1940, avec pour mission de
s’emparer d’ouvrages d’art en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas,
ils opèrent le plus souvent en civil.
En septembre 1944, l’unité devient la Panzergrenadier-Division
« Brandenburg » et n’a plus rien d’une force spéciale. L’environnement
dans lequel interviennent les unités spéciales se reflète dans la composition,
l’organisation et les compétences des unités de commandos. Ainsi, dans la
perspective d’une intervention en Scandinavie, le Bau-Lehr-Bataillon
zbV 800 met-il sur pied un Nordzug composé des meilleurs skieurs. En août
1942, ce sont aussi d’excellents skieurs de la 15. Leichte-Kompanie, mais
opérant à pied puis en kayaks, qui sabotent la voie ferrée qui relie
Mourmansk au reste de l’Union soviétique.
La révolte contre les Britanniques menée par l’Irakien Rachid Ali al-
Gillani en avril 1941 pousse les Allemands à constituer deux unités, les
Sonderverbände 287 et 288, chacune de la force d’un régiment, pour
l’assister. La révolte est matée avant que l’Allemagne ait eu le temps
d’intervenir en force. La SS a aussi ses commandos, les soldats du célèbre
Otto Skorzeny. L’unité spéciale SS prend le nom de SS-Sonderlehrgang zbV
« Oranienburg », puis SS-Sonderverband « Friedenthal », avant de devenir
le SS-Jäger-Bataillon 502 en avril 1944. Confiée au SS Otto Skorzeny,
l’opération « Greif », lancée pendant la contre-offensive des Ardennes de
décembre 1944, consiste en la formation d’une brigade spéciale composée
de soldats allemands parlant anglais et vêtus et équipés en GI. La brigade
doit se faufiler entre les lignes américaines et prendre sous son contrôle des
ponts indispensables au succès de la 6e armée de panzers. À l’Est, un des
subordonnés de Skorzeny, Walter Grig, a lui-même mené des missions sur
les arrières russes à bord de T-34.
Il est difficile de comparer réellement les commandos allemands avec
leurs homologues alliés. La différence de taille est l’ampleur des effectifs :
outre une multitude d’unités (comme les SAS), les Britanniques vont
aligner dix régiments de commandos (le dixième étant interallié) au sein de
l’armée de terre, auxquels doivent s’ajouter les Royal Marine Commandos.
Ce sont ces unités qui vont mener des raids de plus ou moins grande
ampleur de la Norvège au sud-ouest de la France et en Méditerranée. Les
équipes du SAS parachutées avec leurs Jeep en de nombreux secteurs du
territoire français ont mené une guérilla avec un équipement, des moyens et
des résultats sans commune mesure avec les Brandebourgeois. Le
Sonderkommando « Dora » de l’Oberstleutnant Eichler, conçu pour mener
des reconnaissances et des raids en profondeur dans le désert, a un bilan
mitigé qui ne peut être comparé avec ceux du SAS et du LRDG.
Il apparaît que si l’Allemagne, peu coutumière des formes de combat
non conventionnelles, ne méconnaît pas le concept des commandos, elle ne
semble pas l’avoir particulièrement développé, limitant drastiquement les
effectifs des forces spéciales – contrairement à ceux des troupes d’élite
prises dans un sens général.
Les besoins en hommes et le système de sélection font que des
personnes très éduquées servent sur la ligne de front dans l’armée
allemande, davantage qu’au sein de l’US Army dans laquelle les plus
diplômés servent dans des armes spécialisées ou sont largement affectés à
l’armée de l’air et à la marine. Pis, la plupart de ceux qui sont un temps
exemptés ou réformés trouvent le chemin du front au moment où l’empire
hitlérien mobilise ses dernières ressources en 1944-1945.
L’unité de prestige de la Heer par excellence est la division
« Großdeutschland », dont l’origine est le détachement de l’armée affecté à
la garde personnelle de Hitler. Le recrutement est digne des standards de la
Waffen-SS : aryen, cela va de soi, une taille de 1,70 mètre au minimum, vue
excellente, casier judiciaire vierge… L’unité, devenue Panzer-Grenadier-
Division, en fait plus puissante et mieux dotée en armements que nombre de
divisions de panzers, termine la guerre élevée au rang de corps de
panzers… D’autres émanations de la garde personnelle, la Führer-Begleit-
Division et la Führer-Grenadier-Division, puis les Panzer-Grenadier-
Divisionen « Kumark » et « Brandenburg » rejoignent aussi le front. La SA
a également une unité d’élite rattachée à l’armée de terre : la Panzer-
Grenadier-Division « Feldherrnhalle », qui devient également un corps
d’armée à la fin du conflit. D’autres unités, particulièrement bien équipées
et au personnel sélectionné, ou aux états de service impressionnants par la
litanie de leurs faits d’armes, peuvent être assimilées à une élite : « Panzer
Lehr », 2e Panzer, 7e Panzer… Le soldat d’élite des forces terrestres, c’est
aussi un soldat de la Waffen-SS, à tout le moins celui des quelques divisions
de l’ordre noir qui peuvent se targuer de cette épithète. Pour l’immense
majorité des soldats allemands, le quotidien au front et l’expérience de la
guerre n’ont pas été ceux d’une formation d’élite, mais ceux d’une unité
ordinaire, parfois même de piètre qualité. Pour tous cependant, le sens du
devoir prime par-dessus toute considération, et il est de bons soldats,
modèles à suivre pour les autres, dans toutes les divisions. Ces hommes qui
se distinguent au feu portent la marque de leur valeur : des décorations.

L’importance des décorations

La Wehrmacht n’est pas avare de récompenses, de décorations ou de


citations. C’est avec un soupçon de fierté qu’un soldat arbore ses médailles.
« Je me suis également réjoui que ma compagnie m’ait distingué par
l’Infanterie-Sturmabzeichen (l’insigne de combat d’infanterie), écrit un
soldat à sa famille en 1942. Pour moi c’est la preuve que j’ai toujours
rempli mon devoir de soldat. Celui qui porte cet insigne a au moins
participé à trois percées dans les lignes ennemies166. » Georg Splettstösser,
alors en garnison en France en décembre 1942, fait partie de ces va-t-en-
guerre qui aspirent à devenir de véritables guerriers, les décorations
attestant de leur valeur : « Chère femme et chers enfants ! Il est possible que
je sois envoyé à l’Est. Il vaut mieux l’accepter, non ? Il le faut, je t’en prie ;
c’est que je ne veux pas devenir un soldat planqué, mais un vrai guerrier ;
s’il faut être soldat, autant en être un vrai avec l’insigne d’assaut167. »
Lorsque les soldats conversent entre eux, il n’est pas rare d’évoquer un
individu en rappelant la décoration qu’il a obtenu : « As-tu des nouvelles de
l’Oberst Bacherer, le récipiendaire de la croix de chevalier168 ? » August
von Kageneck voit un autre avantage aux décorations, elles peuvent éveiller
l’attention de la gent féminine : « Une croix de chevalier, cela valait à coup
sûr une nuit de délices169. »
Pour un officier, ce peut être un moyen de renforcer son autorité sur ses
hommes. Pour le simple troupier, lorsque l’heure du combat est venue, la
vue à ses côtés d’un uniforme bardé de décorations est à n’en point douter
particulièrement rassurante. Pour un officier supérieur susceptible d’avoir
servi au front, n’arborer aucune médaille ou très peu de décorations est
source de suspicion parmi ses pairs. Rentrer au pays sans décoration peut
être synonyme de honte, voire de déshonneur170. La décoration la plus
fameuse est la croix de fer, décernée à plus de 2 millions d’exemplaires
« pour courage personnel devant l’ennemi et pour mérites exceptionnels
dans la conduite des opérations171 ». Hitler décide de rétablir la prestigieuse
décoration le 1er septembre 1939, le jour même où son armée envahit la
Pologne : « Je rétablis l’ordre de la croix de fer, déclare-t-il, en souvenir des
combats héroïques que les fils de l’Allemagne ont livré au cours des
grandes guerres précédentes pour protéger la patrie172. » Elle est l’objet de
nombreuses conversations. Beaucoup n’hésitent pas à invoquer une
injustice flagrante, dès lors qu’on ne leur attribue pas la fameuse médaille.
La fierté rejaillit sur la famille. Le père d’Hellmuth Paulus, décoré,
s’empresse de faire ajouter le nom de son fils à la liste des récipiendaires de
la croix de fer publiée dans le journal local173. La croix de fer de première
classe se porte épinglée sur la poche gauche de poitrine de la vareuse. Un
ruban noir-blanc-rouge porté sur le revers de l’uniforme indique un
récipiendaire de la croix de fer de seconde classe. La croix de chevalier174
est autrement plus prestigieuse et convoitée, accessible avant tout aux plus
hauts niveaux de la hiérarchie pour les différentes distinctions qui peuvent
s’y ajouter (feuilles de chêne, glaives, diamants). « Notre général, qui
s’appelle Jeneke [Jaenecke], écrit un soldat de la 389e DI, a reçu la croix de
chevalier avant-hier. Maintenant, il a ce qu’il voulait175. »
Ces prestigieuses décorations ne sont pas les seules à récompenser la
bravoure ou la qualité du combattant : il existe un insigne des combats
rapprochés, un autre obtenu pour la destruction de tanks ennemis avec des
armes d’infanterie. Ceux qui ont été blessés arborent aussi un insigne
spécifique. L’armée commémore également des campagnes ou des batailles
avec la remise d’insignes qui sont fièrement portés par les soldats :
médailles (Moscou et l’hiver 1941-1942, Afrique du Nord…), bandes de
bras (Crète, Afrique), insignes métalliques de manche en forme de bouclier
(Narvik, Crimée)… Autant de décorations pour autant de campagnes
menées aux côtés de contingents des armées des pays alliés.

Les relations avec les alliés

Être soldat de Hitler signifie vivre et combattre au quotidien aux côtés


de soldats des nations alliées à l’Allemagne nazie. Loin d’être anecdotique,
la contribution des alliés du Reich signifie un appoint important de millions
de combattants, certes le plus souvent moins bien armés et globalement
moins efficaces sur le plan tactique, à l’exception notable des troupes
finlandaises, ainsi que de nombreuses unités alliées, y compris italiennes,
injustement sous-estimées. La norme semble pourtant être celle d’un certain
dédain ressenti par les Landser, un sentiment qui tire probablement son
origine de la fierté d’appartenir à la Wehrmacht, sans doute mâtiné d’une
dose de racisme en vertu de la vision du monde des nazis. L’armée veille
cependant au grain, car il en va de la cohésion des alliances et, partant, de la
solidité du front. À la fin de 1942, l’état-major de la 6e armée diffuse une
circulaire sans équivoque : « Conformément à un décret du Führer, les
critiques à l’égard des officiers et des soldats roumains doivent cesser176. »
La Wehrmacht a donc été contrainte d’en venir à donner des instructions sur
la manière dont les officiers allemands doivent se comporter avec leurs
alliés. Leur contenu est révélateur des pratiques qui pouvaient avoir cours
entre soldats allemands : « Vous ne devez pas adopter des attitudes de
supériorité envers nos alliés italiens. […] Ne les affublez pas de sobriquets
insultants et ne faites pas d’esprit à leurs dépens177. » De fait, les armées des
alliés du Reich – Italiens178, Roumains179, Hongrois – ne sont le plus souvent
que des troupes supplétives qui n’ont que très rarement la valeur des forces
allemandes. Quant aux Japonais, les alliés les plus puissants, ils sont
lointains, et si on apprécie le sentiment nationaliste qui les anime, ainsi que
le code du Bushido (le code de l’honneur très strict des samouraïs) d’une
armée qui a fait ses preuves face aux Chinois, la Wehrmacht relève aussi les
faiblesses de l’armée nipponne : manque de motorisation et de blindés,
difficultés face aux Soviétiques180…
Mis à part les Slovaques et les troupes de montagne roumaines181, le
Feldmarschall von Rundstedt, commandant du Heeresgruppe Süd (c’est-à-
dire le groupe d’armées engagé au sud de l’Union soviétique), estime que
ces forces sont inaptes à l’Ostfront182. Les Roumains sont mal équipés,
illettrés, mal payés… La discipline et les punitions semblent d’un autre
âge183, au grand effarement des soldats de la Wehrmacht. Frères d’armes
face aux Soviétiques, les Allemands en viennent parfois aux mains avec
leurs alliés roumains, ce qui pousse le commandement de la 3e armée
roumaine à organiser des fêtes entre les soldats des deux armées pour
abaisser les tensions. Les Allemands, conscients des défaillances en
armement de leur allié, consentent à des livraisons d’avions (s’y ajoute le
projet de fabriquer des chasseurs allemands Messerschmitt Bf-109 en
Roumanie) et de panzers allemands modernes, ainsi qu’une multitude de
matériel : en 1944, avant le revirement de la Roumanie, le Reich prévoit de
fournir 461 000 fusils, 148 000 mitraillettes, 12 800 mitrailleuses,
12 000 armes antichars, des centaines de canons, etc.184. La piètre opinion
envers les Roumains est également celle du Landser à l’endroit du soldat
hongrois, qui bénéficie également avec parcimonie de livraisons de matériel
allemand, dont une poignée de puissants chars Tiger. L’armée hongroise
n’est supposée efficace, au mieux, que dans l’offensive, à condition qu’elle
ne subisse pas de revers sérieux ; ses officiers sont jugés soucieux de leur
confort185.
L’opinion du Landser à l’endroit du soldat de Mussolini n’est pas
toujours favorable, mais les deux armées cohabitent sur la ligne de front,
parfois étroitement quand les unités italiennes sont corsetées à dessein par
des troupes allemandes afin d’en renforcer la solidité et la combativité : un
schéma particulièrement caractéristique de la bataille d’El-Alamein. Dans
ces conditions, les deux alliés apprennent à se connaître et à coopérer. Les
Allemands n’hésitent pas à louer les qualités du soldat italien, à commencer
par Rommel, dont les gros bataillons africains sont constitués de troupes
transalpines, mais aussi des généraux servant à l’Est, qui ne tarissent pas
d’éloges à l’égard des Bersaglieri ou des Alpini. Cependant, avec l’arrivée
du temps des désastres – Stalingrad et El-Alamein –, les tensions
s’accroissent. Chacun rejette les fautes sur l’autre. Le mépris tient une place
de plus en plus grande. Les Italiens sont jugés trop tendres, notamment sur
le front russe. Par ailleurs, les soldats allemands imbus de préjugés raciaux
ne peuvent s’empêcher d’éprouver des réticences envers un peuple non
aryen. Ainsi Hellmuth Frey, jugeant la réaction d’un groupe d’Italiens qui
ne songent qu’à prier dans leur embarcation de sauvetage suite à un
naufrage, ne peut s’empêcher d’écrire dans son journal : « Mentalité d’une
race du Sud186 ! » Chose peu connue, une poignée de combattants allemands
ont servi dans l’armée italienne en Afrique orientale187. En effet, une unité a
été constituée à partir d’équipages de la marine marchande et de colons
allemands établis en Afrique. Cette unité, entièrement équipée par l’armée
italienne, est la Compagna Autocaratta Tedesca, la Compagnie motorisée
allemande, forte de 138 hommes. À la mi-mars 1941, H. W. Schmitt, le chef
de cette unité, reçoit l’ordre de Berlin de dissoudre l’unité, les marins
devant tenter de forcer le blocus avec leurs navires.
Les étrangers cobelligérants, ce sont aussi des soldats qui portent le
même uniforme, celui de la Wehrmacht ou de la SS. La majeure partie
d’entre eux sont pourtant des Slaves ou des Asiatiques, des « sous-
hommes » dans l’esprit de nombre de soldats de Hitler. Les Hiwis,
abréviation de Hilfswillige – auxiliaires volontaires –, sont pour l’essentiel
d’anciens prisonniers de guerre soviétiques, souvent non slaves. Il s’agit en
fait des personnels auxiliaires de la Wehrmacht : les Hiwis sont en effet
affectés à des tâches de chauffeurs, de cuisiniers, de sapeurs, de personnel
de la logistique… D’autres servent également au sein des Einsatzgruppen
(unités spéciales SS chargées de l’extermination des Juifs). Être un Hiwi
permet d’éviter les mauvais traitements infligés par les Allemands à leurs
prisonniers soviétiques ou, pour les civils, d’éviter le départ en Allemagne
en tant que travailleur forcé. Ces supplétifs constituent un appoint non
négligeable pour la Wehrmacht, confrontée à des pertes de plus en plus
sensibles au fur et à mesure que se développe la guerre à l’Est. Cet afflux
d’auxiliaires soviétiques permet à l’armée allemande de concentrer tous ses
personnels nationaux dans les unités combattantes. « Nous devons vraiment
tirer le meilleur parti de ces hommes, écrit un sous-officier allemand, car
nous sommes terriblement à court de main-d’œuvre188. »
Parallèlement, la Wehrmacht procède à la levée de bataillons
d’Osttruppen, de troupes de l’Est, particulièrement à partir de l’été 1943. Il
s’agit cette fois-ci d’unités combattantes, vêtues à l’allemande,
commandées par des officiers allemands et engagées contre les partisans
(notamment en temps que sentinelles, interprètes, éclaireurs, surveillants
des voies ferrées et des gares…) et l’Armée rouge, avant d’être transférées
sur le front de l’Ouest, afin de se prémunir de tout risque de défection. En
janvier 1944, on compte ainsi 65 000 Soviétiques dans les rangs de la
Wehrmacht en France. Pour l’essentiel, les Osttruppen sont composées de
soldats originaires du Turkestan, du Caucase et de minorités diverses189. En
novembre 1944, les Allemands acceptent enfin de mettre sur pied la
1re division de l’Armée russe de libération (ou ROA) du général Vlassov,
qui attend cette éventualité depuis 1942. Cette armée Vlassov, qui doit
rassembler en divisions les bataillons de l’Est, ne voit pas réellement le
jour.
La perspective de voir des « sous-hommes » soviétiques portant la
tenue feldgrau n’obtient pas l’adhésion du Führer, qui déclare à Goering, le
27 janvier 1945 : « Ce monsieur von Seeckt a vendu des casques d’acier
aux Chinois. On n’a aucun amour-propre. On fourre n’importe quel bon à
rien en uniforme allemand. On aurait dû leur donner des uniformes et des
insignes cosaques comme indication qu’ils se battent pour nous. Il ne vient
pas à l’esprit des Anglais d’habiller un Indien à l’anglaise. Nous sommes
les seuls à avoir cette impudeur, parce que nous manquons de caractère.
Sinon, on ne mettrait pas de casques d’acier allemands sur la tête des
autres190. »
À la suite de la capitulation allemande de 1945, tous les Osttruppen
capturés par les alliés occidentaux sont remis aux Soviétiques, bien
déterminés à punir les traîtres. On estime à un million et demi le nombre de
Soviétiques enrôlés dans les forces allemandes, en grande majorité en tant
qu’Hiwis.
Avec la poursuite du conflit, le nombre de pertes aidant, nécessité se fait
jour de recourir à tous les mobilisables, à commencer au sein des
populations de Volksdeutsche, c’est-à-dire les « Allemands de race », issus
des populations de territoires désormais passés sous l’emprise du Reich
(Alsaciens et Mosellans, Sudètes, Polono-Allemands), mais aussi
ressortissants des pays occupés sympathisants de l’idéologie nazie… Cela
n’est pas sans susciter quelques difficultés a priori inattendues au niveau de
la langue, et donc de la compréhension des ordres : 2 000 Slovènes,
pourtant considérés comme Volksdeutsche, embrigadés dans des unités de la
334e DI, ne sont pas en mesure de comprendre les ordres191…
Ces volontaires ou conscrits de tous les horizons viennent grossir les
rangs de la Wehrmacht, mais ils sont peu nombreux en comparaison des
Osttruppen : Français de la LVF192 (qui sera intégrée ensuite à la division SS
« Charlemagne » ; 9 000 Français combattront dans la SS193) ; Wallons de la
légion Wallonie (future 28. SS-Freiwilligen-Grenadier-Division
« Wallonien ») de Léon Degrelle ; des Indiens issus de l’armée britannique,
capturés en Méditerranée, forment également une légion (une
« plaisanterie » aux yeux de Hitler…). Franco soutient l’effort de guerre de
Hitler en envoyant une division d’Espagnols (Hitler : « Les Espagnols,
militairement parlant, sont une bande de pouilleux ») combattre sur le front
de l’Est sous l’uniforme allemand : la division « Azul », ou 250e DI pour la
Wehrmacht. Les Croates lèvent trois divisions pour le Reich : la 369e
« Teufel », la 373e « Tiger » et la 392e « Blaue » DI194. Des soldats arabes
rejoignent aussi une « légion arabe » dont quelques contingents combattent
en Tunisie. Le Sonderverband 287 inclut des Arabes proallemands, en
particulier des Palestiniens et des Irakiens. Les volontaires qui rejoignent la
cause de l’Axe restent toutefois peu nombreux. On peut cependant se
demander si le haut commandement allemand en Tunisie ne se berce pas
d’illusions en imaginant qu’une offensive lancée vers l’ouest en direction de
l’Algérie bénéficiera d’une révolte des Arabes en faveur des Allemands.
Les nazis n’ont que mépris pour les non-Aryens. Hitler rejette ainsi
l’offre du général letton Bangerskis de lever une armée de
100 000 hommes. De même, si la Wehrmacht étudie sérieusement
l’organisation de forces coloniales195, après le recouvrement des territoires
outre-mer perdus à l’issue de la Grande Guerre, l’éventualité de disposer de
supplétifs indigènes, à l’instar des fameux askaris de la Première Guerre
mondiale, est fermement repoussée : contrairement à l’armée du Kaiser,
l’armée de Hitler ne compte aucun soldat noir… Le colonel von Lettow-
Vorbeck, qui avait mené la lutte en Afrique orientale allemande de 1914 à
1918 et dont les sous-officiers indigènes avaient pu donner des ordres à des
soldats blancs, avait eu une déclaration impensable au sein de la Wehrmacht
de Hitler : « Ici, en Afrique, nous sommes tous égaux. Le meilleur
surpassera toujours le moins bon et la couleur de peau importe peu196. » Mis
à part les Slaves, les soldats de Hitler non allemands, mais vêtus de
l’uniforme des forces armées du Reich, sont en fait plus nombreux en
dehors de la Wehrmacht…

Les Waffen-SS et leurs camarades de la Wehrmacht

Paradoxalement, la Waffen-SS, qui se veut initialement racialement


« pure » ainsi que l’armée aryenne par excellence, est contrainte d’élargir
les portes de son recrutement au cours de la guerre : sur les hommes qui ont
revêtu son uniforme, on ne compte que 400 000 Reichsdeutsche (Allemands
d’Allemagne et des territoires rattachés) et 300 000 Volksdeutsche pour
435 000 étrangers, dont 175 000 Soviétiques et même 3 000 Indiens197. Le
soldat de Hitler est de plus en plus souvent un Waffen-SS : à peine
100 000 en 1940, les Waffen-SS sont 500 000 dès la fin de l’année 1943,
910 000 un an plus tard198. Beaucoup de ces unités de SS sont au mieux
médiocres…
L’ouverture de la Waffen-SS à des Volksdeutsche puis à des volontaires
non germaniques fait que le soldat de Hitler sous l’uniforme SS est loin
d’être systématiquement le « pur Aryen » idéalisé dans l’idéologie nazie,
particulièrement après Stalingrad199. La 13. SS-Gebirgs-Division
« Handschar » est composée de musulmans bosniaques, ce qui leur vaut le
mépris de leurs instructeurs et cadres SS. S’ils se montrent cruels, les
désertions seront permanentes dans leurs rangs, en France dès 1943 et
surtout en 1944 lors de leur retour en Yougoslavie200. Les désertions seront
aussi une caractéristique de certaines divisions comme la 7. SS-
Freiwilligen-Gebirgs-Division « Prinz Eugen » avec ses Volksdeutsche des
Balkans, ou encore des SS néerlandais, biélorusses et ukrainiens : à Vesoul,
le 31 juillet 1944, 1 200 Waffen-SS ukrainiens passent du côté des FFI
après avoir assassiné leurs cadres allemands201. Les Européens considérés
comme Aryens ou assimilés sont les bienvenus dans les rangs de la SS :
Norvégiens, Danois… qui formeront des divisions entières. La division SS
« Nordland » engerbe même un Britisches Freikorps formé de…
volontaires britanniques202. Un pis-aller temporaire pour les nazis.
Cette armée politisée ne compte cependant pas plus d’une poignée de
divisions qui peuvent être réellement qualifiées d’« élite » : les divisions
« Leibstandarte Adolf Hitler », « Das Reich », « Totenkopf », « Wiking »,
« Hohenstaufen », « Frundsberg », « Hitlerjugend » et « Götz von
Berlichingen », qui sont toutes élevées au rang de Panzer-Division, hormis
la dernière qui reste une Panzergrenadier-Division.
Considérés, à tort ou à raison, comme des troupes d’élite, les SS
peuvent susciter la jalousie. Ils provoquent surtout l’envie, pour leurs tenues
camouflées si remarquables d’efficacité, ou en raison de leur dotation en
effectifs et en matériel supposée avantageuse, à tout le moins pour les
quelques unités blindées de la Waffen-SS. Les relations ont pu être tendues
en début de guerre entre l’armée et la SS. Pour ces derniers, les soldats de la
Wehrmacht sont les héritiers d’un ordre ancien, tandis que les militaires ne
considèrent pas les SS comme des professionnels de la guerre. Les soldats
de la Heer ont pu se gausser de leur manque de professionnalisme au début
de la guerre ; l’argument manque de pertinence ensuite. Si leur qualité de
soldat a pu être mise en question, on ne conteste nullement leur
combativité.
Les troupes de la Wehrmacht ont cependant dû composer avec des
camarades SS pouvant se montrer arrogants. Pendant la bataille de
Normandie, de jeunes Waffen-SS de la « Götz von Berlichingen » toisent
fièrement un groupe de soldats de la 352e DI de la Heer. Un sous-officier se
dresse alors devant les SS, leur montrant sa vareuse qui témoigne de sa
valeur militaire : croix de fer de première et seconde classes, médaille du
front de l’Est, insigne d’assaut d’infanterie203… Lors de la traversée de la
Seine consécutive au désastre survenu en Normandie, les Waffen-SS
prétendent bénéficier de la priorité pour le passage, l’un des soldats de
l’ordre noir faisant même usage de son arme sur des hommes de la Heer, les
stigmatisant comme étant « les hommes du 20 juillet » (allusion à l’attentat
contre Hitler perpétré par des officiers de la Wehrmacht). Les généraux
Mahlmann, Bayerlein et Kuntzen signalent ainsi que les Waffen-SS
s’arrogent effectivement des points de passage204.
Certes, uniformes et insignes sont des symboles d’une certaine altérité,
mais cela n’est pas spécifique à la SS : il en va de même avec l’élite de la
Luftwaffe, à savoir les parachutistes et la division « Hermann Goering ».
Certes, les SS ont pu sembler constituer des rivaux pour le commandement
de la Wehrmacht, mais ils sont également des camarades du front, un
soutien apprécié au combat, les Panzer-Divisionen SS étant souvent
employées comme « pompiers du front » en 1943-1945, aussi bien à l’Est
qu’à l’Ouest. La perméabilité entre la Wehrmacht et la Waffen-SS brouille
encore davantage les choses. Kageneck se souvient avoir côtoyé des
aspirants SS « car la Waffen-SS avait l’habitude d’envoyer quelques-uns de
ses aspirants officiers dans les écoles de l’armée ordinaire. Ils avaient été de
bons camarades205 ». Kageneck prétend qu’« il nous avait été impossible de
connaître leurs opinions politiques », ce qui est à l’évidence un mensonge.
Des liens particuliers se sont créés entre les formations de Gebirgsjäger de
l’armée et de la Waffen-SS, qui combattent côte à côte, notamment sur le
front de Finlande, à telle enseigne qu’un respect mutuel est né et perdure
jusqu’à nos jours au sein de l’association des anciens combattants des
troupes de chasseurs alpins, qui a accueilli dans ses rangs en 1950 à la fois
la 9. Gebirgs-Division, unité de la Heer qui engerbait des troupes SS, ainsi
que la 6. SS-Gebirgs-Division « Nord »206.
Faute de cadres suffisants, plus d’un officier de la Heer est versé dans la
SS à partir de la fin 1943. Des clichés de la toute nouvelle 12e Panzer SS
« Hitlerjugend » en font foi : des officiers SS y saluent encore comme il
sied dans l’armée au lieu d’effectuer le salut hitlérien. Certains haut gradés
consentent à cette mutation de leur chef : ainsi de Maximilian von Herff,
ancien général de l’Afrikakorps, qui demande à rejoindre la Waffen-SS,
dont il devient général207. À la fin de la guerre, un quart des Brigadeführer
et des Gruppenführer ont servi au moins trois ans au sein de la Reichswehr,
de la Bundesheer autrichienne ou de la Wehrmacht208. En 1944-1945, fait
impensable au début de la guerre, trois généraux SS accèdent au rang de
commandant en chef d’armée de campagne, et non des moindres : Hausser
(qui a été militaire avant d’être SS) pour la 7e armée, Dietrich pour la 6e
armée de panzers, Steiner pour la 11e armée. Les suites de l’attentat du
20 juillet contre Hitler, perpétré par des officiers de la Wehrmacht, ne font
qu’accélérer le processus d’amalgame. Les actualités filmées de l’époque,
la Deutsche Wochenschau, s’emmêlent elles aussi, puisqu’un commentateur
parle de la Wehrmacht sur des images de SS dès les premières étapes de
« Barbarossa » 209. En novembre 1944, le SS-Brigadeführer Kurt Meyer
déclare : « Je ne pense pas qu’il y ait la moindre différence entre la SS et
l’armée210. » Lorsque la guerre s’achève, alors que localement on
expérimente une fusion de la conscription entre la SS et l’armée, la Waffen-
SS, dont les généraux dirigent des armées entières, est sur le point
d’absorber la Wehrmacht211.

Vision de l’ennemi

Le soldat de Hitler, qu’il soit SS ou non, se considère comme le


meilleur soldat du monde. Corollaire direct de cet état d’esprit, les capacités
militaires de l’adversaire sont dénigrées, voire sous-estimées, ce qui a pu
mener à des désastres, à tout le moins de sérieuses déconvenues. Pour
autant, juger l’ennemi inférieur ne signifie aucunement systématiquement le
sous-estimer. Le ressort de la psychologie ne saurait être négligé dans le
cadre de l’étude des guerres. Ses manifestations vont au-delà de la
perception de l’ennemi. Propagande et guerre de désinformation visent à
influer sur le cours du conflit en agissant sur l’esprit des soldats de son
camp, comme sur celui de l’adversaire. Le soldat allemand n’a pas été
imperméable au matraquage idéologique auquel il a été soumis.
L’armée qui attaque à l’Ouest en 1940 a deux avantages sur ses
adversaires : elle a acquis une première expérience de la guerre en Pologne ;
elle a mis à profit la Sitzkrieg (« guerre assise », ce que les Français ont
appelé « drôle de guerre ») pour s’aguerrir, parfaire son outil de combat par
retour d’expérience. Si l’armée française est redoutée – le souvenir de la
Grande Guerre est là –, les soldats nazis s’offusquent de voir tant de troupes
coloniales dans les rangs de l’ennemi, ce qui confère à celui-ci un caractère
« inférieur ». L’ennemi est cependant respecté, les lois de la guerre le plus
souvent suivies. L’adversaire ne suscite aucune haine inexpiable : durant la
Sitzkrieg, un officier en inspection est consterné par les scènes de
fraternisation dont il est le témoin, des scènes qui ressemblent à s’y
méprendre à des discussions entre copains212. Pourtant, la victoire est
acquise en six semaines… Arrivé sur la Loire en juin 1940, un soldat
allemand se questionne : « Où est l’ennemi ? Où sont les poilus ? » La
campagne de 1940 lui semble si aisée213. La défaite française est sans appel,
l’image du soldat français brisée aux yeux du monde entier. Le soldat
français ne retrouve le respect du soldat de Hitler qu’à partir de 1942, avec
les terribles combats de Bir Hakeim, mais surtout au cours de la longue
bataille de Monte Cassino, entre novembre et mai 1944, au cours duquel le
CEF (Corps expéditionnaire français) réalise des prouesses qui auront
raison des redoutables défenses de la ligne Gustav. Le racisme sous-jacent
ou exposé ouvertement ressort néanmoins des témoignages et des actualités
filmées. Les prisonniers français capturés à Bir Hakeim font « une très
mauvaise impression » à Hellmuth Frey : « Des Noirs, des Bruns et des
Blancs de la légion étrangère214. »
Les troupes du Royaume-Uni, un État de « race » germanique dans la
rhétorique raciale nazie, font plus belle figure aux yeux des soldats de
Hitler, en particulier les marins de la Royal Navy et les pilotes de la RAF.
Les Allemands accordent des capacités guerrières à plusieurs contingents de
l’Empire : Australiens, Gurkhas, Néo-Zélandais, dont les Maoris… La
litanie des déboires à répétition subis par l’armée britannique, de la
Norvège à Caen en passant par la campagne de 1940, la Grèce et surtout la
guerre du désert, n’est pas de nature à provoquer des élans laudateurs et
admiratifs chez les soldats allemands. Bien plus, même défaits, ils se
permettent de railler leurs vainqueurs : « L’armée britannique n’est pas
bonne », ose dire un prisonnier allemand en Tunisie. N’en revenant sans
doute pas de tant d’outrecuidance de la part d’un adversaire vaincu, un
soldat anglais laisse fuser sa repartie immédiatement : « Et qui t’a mis dans
cette fichue bétaillère215 ? » Une défaite face aux Britanniques est
systématiquement mise sur le compte d’un rapport de forces trop
défavorable, ainsi que d’une logistique défaillante, jamais sur celui d’une
supériorité tactique. Comme face à l’armée française, la lutte qui oppose les
soldats allemands à l’armée de Sa Majesté reste globalement une « guerre
sans haine ». Connus à juste titre pour leur brutalité et leur propension à
commettre des crimes, les Waffen-SS ne sont pas sans faire preuve de
gestes d’humanité à l’occasion. Ainsi, le 16 juin, près de Caen, les soldats
de la division « Hitlerjugend » laissent les Canadiens relever leurs blessés
avant de les imiter eux-mêmes. On se salue mutuellement avant de
reprendre le combat216.
Le haut commandement allemand va lui aussi être aveugle sur la longue
durée quant aux capacités de l’US Army. Les succès temporaires, mais très
nets, remportés en Tunisie impriment d’emblée une piètre image de
l’adversaire. Un dédain qui persiste en Italie, puis en Normandie, où
l’adversaire le plus dangereux est – à tort – supposé être le Britannique, et
encore dans les Ardennes, fin 1944, secteur considéré comme étant le
« ventre mou » du front occidental, tenu par des GI dont on pense ne faire
qu’une bouchée… Certains ne se départiront jamais de leur morgue, tel le
général Hans Bruhn, capturé au cours de l’opération « Nordwind » lancée
en Alsace en janvier 1945, qui déplore que la jeunesse allemande « se fasse
faucher par l’aviation et les chars amassés d’une armée qui ne compte pas
de vrais soldats et qui n’a pas vraiment envie de combattre217 ». Comme
face aux Britanniques, les Allemands respectent le plus souvent avec les
Américains les règles communément admises de la guerre. Parfois, c’est au
cours d’une trêve dûment organisée que les brancardiers des deux camps
relèvent côte à côte les blessés et les morts demeurés dans le no man’s land.
C’est une telle demande qui est faite le 9 juillet aux Américains par les
Allemands, vers le bois de Bretel, sur la route de Saint-Lô. La tâche sitôt
achevée, le concert de l’artillerie reprend ses droits218. Certes, les crimes de
guerre, s’ils restent rares, les soldats de Hitler en sont aussi les victimes : en
Tunisie, une rumeur rapporte qu’un sous-lieutenant a été abattu après avoir
été capturé par des Américains219 ; en Sicile, plusieurs dizaines de
prisonniers allemands sont assassinés froidement220.
En 1945, si l’armée britannique est jugée trop prudente en attaque –
qu’elle n’envisage qu’à grand renfort de soutien en artillerie et en
aviation –, l’armée américaine, dont on admet la rapidité et qu’on respecte
désormais depuis les Ardennes, est encore vue comme se reposant trop sur
sa puissance de feu et négligeant la manœuvre. La 1re armée française est
celle qui reçoit alors le jugement le plus favorable, notamment ses troupes
coloniales, considérées comme de qualité, l’artillerie, le renseignement et la
reconnaissance. Preuve du respect mutuel sur les théâtres d’opérations
méditerranéens et européens entre les Allemands et leurs adversaires
occidentaux, les prisonniers et les blessés sont, dans la majorité des cas,
traités avec les plus grands égards.
Le grand ennemi, le plus redoutable, reste le Soviétique, le Russe,
considéré à la veille de « Barbarossa » comme un sous-homme, mal
commandé et piètre combattant. À l’aube de l’embrasement à l’Est, qui
décidera de l’issue de la guerre, l’Armée rouge n’est nullement jaugée à sa
juste valeur. Plusieurs éléments expliquent ce mécompte de la part des
Allemands : la défaite subie par les Soviétiques face à la Finlande, les
purges subies par l’Armée rouge, l’incroyable victoire remportée par la
Wehrmacht sur la France en 1940, victoire masquant bien des carences et
insuffisances, et, enfin, des considérations raciales et politiques, qui
donnent à l’armée allemande le sentiment de ne devoir être confrontée qu’à
des « sous-hommes ». Certes, la vision très négative renvoyée par le soldat
russe est nuancée au temps de la coopération entre la Reichswehr et
l’Armée rouge, dans les années 1920, mais l’idéologie nazie a ensuite
changé la donne221. Cette image caricaturale cède le pas à un respect de la
combativité de l’adversaire, non sans y adjoindre l’idée de fanatisme et de
brutalité typiquement « asiatiques ». « Vous pouvez imaginer comment ils
défendent Stalingrad : comme des chiens222. »
Au plus haut niveau, « cette constante sous-estimation du potentiel
ennemi tourne progressivement au grotesque et devient dangereuse », note
Franz Halder dans son journal en juillet 1942, alors que la
« Großdeutschland » et la « Leibstandarte Adolf Hitler » sont retirées du
front russe et expédiées en France et tandis que la 11e armée de Manstein,
vainqueur de Sébastopol, est dispersée aux quatre vents sur le front de
l’Est223. En 1944 encore, trois ans après le début de la guerre à l’Est, alors
même que l’Armée rouge est devenue particulièrement redoutable, il n’est
pas certain que Manstein, pourtant auréolé de ses victoires, en ait pris toute
la mesure : le stratège allemand pense encore pouvoir damer le pion à son
adversaire, pour peu que le Führer lui accorde le commandement suprême
de l’intégralité du front. Au début de « Barbarossa », n’anticipant
aucunement une campagne d’hiver, insuffisamment équipés pour mener un
Blitzkrieg dans les immensités russes, les Allemands n’ont pas été en
mesure de vaincre les Soviétiques dans l’espace d’une campagne en 1941.
Cette grave sous-estimation leur a tout simplement coûté la guerre… Sur le
front, le simple soldat redoute le soldat soviétique, l’« Ivan », dès le début
des hostilités, d’autant que les opérations à l’Est ont immédiatement marqué
de leur sceau un affrontement impitoyable : l’ennemi doit être anéanti.
Contrairement à l’Ouest, la guerre revêt à l’Est un aspect idéologique.
Chapitre 3

La guerre sur terre : les conditions de combat

Les années fastes du Blitzkrieg, de 1939 à 1942

Lorsque la mobilisation survient, le 26 août 1939, les Allemands n’ont


aucune idée de ce qui les attend. Les plus âgés se souviennent de la
difficulté de la vie quotidienne et des morts survenus vingt ans plus tôt. Les
hostilités débutent le 1er septembre, lorsque la Wehrmacht franchit la
frontière de la Pologne. En Allemagne, la nouvelle est accueillie dans un
calme manifeste, en l’absence de manifestations patriotiques, au grand dam
des autorités nazies. « Si seulement cette attente pouvait prendre fin1 »,
déclare Wilhelm Prüller à la veille de ce qui constitue le baptême du feu
pour la plupart des soldats de l’armée allemande encore dans l’incertitude
devant cette épreuve difficilement communicable. Au combat, malgré la
présence des camarades, le soldat éprouve une forme de solitude. Pour
beaucoup, sinon la plupart, la guerre réelle n’a pas encore débuté, il reste
des ennemis jugés redoutables, à commencer par la France. Ces premières
campagnes sont pour le soldat allemand le temps « heureux » des guerres
éclairs : la Pologne en 1939, la Scandinavie, puis la campagne de l’Ouest
(la Westfeldzug contre la France, le Royaume-Uni et le Benelux), les
campagnes des Balkans et de Libye en 1941, les débuts de l’invasion de
l’Union soviétique en 1941, soit l’opération « Barbarossa ».
Avec la Panzer-Division, la Wehrmacht dispose d’un formidable outil
de combat ; véritable armée en miniature, elle est longtemps sans équivalent
chez ses adversaires. Les armes sont combinées au sein des Kampfgruppen,
des groupes de combat interarmes, ainsi que dans les tactiques. Elles ne
sont pas conçues pour la percée, mais pour l’exploitation. Cet outil
redoutable permet à Hitler de remporter des succès éclatants et rapides,
grâce à la combinaison panzers/Luftwaffe et à la rapidité d’action, que la
postérité va résumer par un concept forgé après coup : le Blitzkrieg2, ou
« guerre éclair ». Un tandem qui va assurer les victoires, et qui rassure le
Landser, comme en témoigne encore à l’été 1942 un soldat de la 389e DI de
la 6e armée de Paulus, alors en route vers son destin à Stalingrad : « Vous ne
pouvez pas imaginer la vitesse à laquelle avancent nos camarades
motorisés. Et les vagues successives de notre Luftwaffe les accompagnent.
Quel sentiment de sécurité nous avons quand nos pilotes sont au-dessus de
nous3 ! »
La tactique du Blitzkrieg a brillamment réussi au cours des premières
campagnes, la Wehrmacht remportant des victoires relativement aisément,
avec des pertes modérées. Le soldat allemand, qui croise les longues files
de prisonniers en cette période faste de la guerre éclair, est envahi par un
sentiment de victoire. Beaucoup veulent en être. Kageneck est frustré de ne
pas avoir été de ceux qui ont participé aux campagnes de Pologne, de
Scandinavie et de France. « Nous brûlions de nous battre, écrit-il. Nous
nous sentions fin prêts pour le combat. Nous avions peur de rater la
guerre4. » De fait, en 1939-1940, loin d’imaginer que la lutte sera une
guerre éclair, les soldats allemands s’attendent à un combat long et acharné.
L’image du Blitzkrieg reste gravée dans la mémoire des participants :
« Tout notre régiment de panzers se déployait des deux côtés de la route,
derrière une petite côte, pour sa première attaque dans la nouvelle
campagne. Image inoubliable ! Cent soixante chars, hauts et fiers comme
des bateaux, voguaient sur une mer jaune de blé mûr. Leurs commandants,
enfoncés jusqu’aux hanches dans les tourelles, échangeaient des signes de
bras, précis et rapides. Un nuage de poussière jaunâtre montait jusqu’au
ciel. Des milliers et des milliers de chevaux-vapeur étaient déchaînés5. »
Cette forme de guerre semble à l’opposé de la guerre de positions :
l’impression est qu’il n’y a pas réellement de front – qui est en mouvance
en permanence.
La campagne de Pologne prouve la pertinence du concept d’infanterie
mécanisée (qui sera baptisée Panzergrenadiere6) ainsi que de celui de
Blitzkrieg. Les Schützen motorisés (c’est-à-dire des fantassins autoportés
montés à bord de semi-chenillés ou de camions) ont efficacement appuyé
les panzers, s’emparant de positions, bloquant toute progression,
accompagnant les chars et nettoyant les poches de résistance, encore que la
réduction de celles-ci soit le plus souvent dévolue aux unités d’infanterie
classique. Le soutien des semi-chenillés, ou SPW, avec leurs armes de bord
s’est révélé essentiel. Pourtant, à l’origine, les SdKfz 250 et 2517 – une
innovation militaire à cette époque – ne sont pas conçus comme devant être
des plates-formes de tir pour une infanterie portée.
La Westfeldzug (l’offensive à l’Ouest du printemps 1940) renforce le
bien-fondé des conceptions de Guderian, l’un des pères de l’arme blindée
allemande. Sans l’appui des formations d’infanterie motorisées et
mécanisées, les panzers des 10 divisions blindées n’auraient pu être en
mesure d’obtenir les succès qui ont permis à la Wehrmacht de remporter la
plus éclatante de ses victoires. À Sedan comme à Dinant, c’est le passage en
force des Schützen et des Kradschützen (motocyclistes), souvent à bord de
simples canots pneumatiques, qui a permis le succès. Cet exploit n’a certes
pas été remporté sans le soutien des panzers et de l’artillerie ouvrant le feu
depuis les berges orientales de la Meuse. L’intervention massive de la
Luftwaffe, face à un adversaire dépassé par la rapidité d’action des
Allemands, sera également une des clés du succès. La percée obtenue, le
rôle des fantassins motorisés s’est révélé indispensable pour maintenir un
rythme de progression soutenu ainsi que pour assurer la sécurité des flancs.
Le Blitzkrieg se réitère au printemps 1941 dans les Balkans et les sables
libyens.
Avec l’invasion de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, la Wehrmacht
aligne le double de divisions blindées (21). Une fois encore, les unités de
panzers et les divisions d’infanterie motorisée remportent une série de
succès spectaculaires. Comme en Afrique, les vastes compartiments de
terrain peuvent sembler favoriser les évolutions de grandes masses de
blindées, ainsi en Ukraine ou dans la steppe kalmouke, lorsque la terre dure
de l’été permet aux engins chenillés de progresser tous azimuts, comme
s’ils progressaient sur une route asphaltée. Comme en Pologne ou en
France, les soldats de Hitler contemplent leur victoire : des colonnes
d’innombrables soldats ennemis prennent le chemin de la captivité, qui sera
souvent dramatique pour les ressortissants de l’Union soviétique.
L’encerclement du « chaudron » de Kiev, en septembre 1941, se solde par
665 000 prisonniers ; ceux de Viazma et Briansk, qui donnent l’illusion
d’une chute prochaine de Moscou, 500 000 autres.
Pour la plupart des soldats allemands, la guerre éclair n’est pourtant pas
celle que relaie l’image d’Épinal des colonnes de panzers. La Panzerwaffe
ne constitue que le fer de lance du Blitzkrieg. L’essentiel de la troupe suit à
pied8. Le poids de l’équipement, notamment des armes lourdes comme les
MG ou encore d’une plaque de base d’un mortier de 8,1 cm, se fait
rapidement et douloureusement sentir, à moins de transporter ces matériels
à bord de véhicules, le plus souvent des chariots. Marcher et se battre du
lever au coucher du soleil : une façon exténuante de mener une campagne
en Pologne et en France, mais absolument éprouvante en Union soviétique.
Après une séance de repos, il est difficile de reprendre la marche :
« L’heure et demie de sommeil a fait plus de mal que de bien, raconte un
soldat. Il n’a pas été facile de réveiller des hommes épuisés. Nos os sont
froids, nos muscles ankylosés et douloureux, et nos pieds étaient enflés.
Nous n’enfilâmes nos bottes qu’avec de grandes difficultés9. » Des unités
parcourent jusqu’à 50 kilomètres par jour… Il faut essayer de garder le
tempo donné par les unités de panzers. Dans ces conditions, il est difficile
de n’accorder plus que quelques instants aux repas, qui doivent être
expédiés. Marcher, c’est aussi inhaler de la poussière, soulevée par des
colonnes interminables d’hommes, de véhicules, de charrettes et d’animaux.
Les efforts exigés ne sont pas sans conséquences sur les pieds qui sont
enflés, trempés de sueur et constellés d’ampoules : « Il faut des heures, écrit
un soldat allemand, pour que votre pied devienne à chaque pas insensible
aux plaies douloureuses10. » Certains se résolvent à marcher en
chaussettes…
L’effet répétitif de ces longues séances de marche finit par provoquer de
la monotonie et un sentiment d’ennui. Un Landser témoigne de la
campagne à l’Est : « Comme nous marchions, de petites collines émergèrent
de l’horizon, en face de nous, pour disparaître lentement derrière nous. Il
semblait presque que la même colline continua à apparaître devant nous,
kilomètre après kilomètre. » Les villages se succèdent et se ressemblent : la
terre russe semble sans fin… « On perd la notion du temps11 », rapporte
Siegbert Stehmann.
Le Blitzkrieg, c’est aussi prendre d’assaut des positions fortifiées. Pour
ce faire, la Wehrmacht engage des troupes de choc, à commencer par ses
pionniers d’assaut, des soldats généreusement équipés en charges
explosives et en lance-flammes, longtemps sans équivalents chez leurs
adversaires. C’est de cette façon que tombent les défenses les plus coriaces,
des ouvrages de la ligne Maginot en 1940 aux forts de Sébastopol en 1942,
en passant par les défenses de la ligne Metaxas ou du périmètre de Tobrouk,
en 1941.
Le Blitzkrieg a bénéficié d’une météorologie particulièrement
clémente : la campagne de 1940 s’effectue sous un soleil radieux, sans les
handicaps de la boue ou de la neige qui vont bientôt mettre en évidence les
limites des concepts tactiques et opérationnels allemands. L’essoufflement
(et l’échec) du Blitzkrieg à l’Est en 1941 ne tient pas qu’à la dispersion des
moyens motorisés et à l’ambition d’une Wehrmacht dont les plans ne sont
pas forcément en accord avec ses moyens logistiques, il s’explique
également par l’état de sous-développement des infrastructures de transport.
L’absence de routes bitumées – qui existaient à l’Ouest – change la donne.
Pis, il faut procéder à la mise en conformité des chemins de fer,
l’écartement des rails en Russie étant différent de celui qui existe en
Allemagne. Au-delà de son immensité, le terrain en Union soviétique ne se
prête donc pas à la guerre éclair. Zones marécageuses, grands fleuves,
forêts : tout concourt à contrecarrer les principes de combat auxquels les
Allemands sont accoutumés. Les soldats de Hitler découvrent ainsi la
guerre en zone forestière, pour laquelle leur tactique d’encerclement est
pour le moins inadaptée. La forêt est le domaine de la défensive par
excellence12.
Si des encerclements spectaculaires ponctuent « Barbarossa » et
« Taifun » (l’offensive sur Moscou), la combativité des soldats russes et
leurs T-34 laissent aussi présager que le temps du Blitzkrieg est révolu… Un
avant-goût de changement survient au printemps 1942 en Russie, à l’issue
de la bataille de Moscou. Les pertes ont été importantes. Bien des tankistes
et des artilleurs se sont improvisés fantassins avant de percevoir du matériel
de remplacement. Dans la perspective de la reprise de l’offensive à l’Est,
l’Ostheer est rééquipée. Retour au Blitzkrieg ? Oui, mais de façon limitée :
sur les 156 divisions déployées à l’Est, seules 40 sont recomplétées
entièrement en vue de mener des opérations offensives ; 54 sont déclarées
de second ordre, au sein desquelles un régiment où trois bataillons doivent
être dissous ; enfin, les 62 autres divisions ne doivent plus assumer qu’un
rôle défensif, et leur équipement est à l’avenant13. On assiste donc à une
forme de « démodernisation » de l’armée, étant entendu qu’une large part
de la Wehrmacht n’a jamais été réellement « moderne », si on entend par là
motorisée et équipée de matériel de dernière génération. Mais toutes les
unités subissent ce même processus : les engins, hors d’état de fonctionner,
doivent être abandonnés en masse. Ces conditions frappent tout
particulièrement les Heeresgruppen Nord et Mitte, non concernés par la
reprise de l’offensive en 1942. Moins de matériel, moins d’hommes, moins
de panzers, et un front scarifié de tranchées et de positions statiques : c’est
en quelque sorte un retour aux conditions de la Grande Guerre, quoique la
profondeur du dispositif soit bien moindre qu’en 1914-1918 et que les
tactiques aient passablement évolué, avec un armement autrement plus
performant14. Ce passage à la défensive ne signifie nullement une accalmie
et une absence d’opérations d’envergure. C’est ainsi que les Heeresgruppen
Nord et Mitte sont confrontés à des offensives soviétiques majeures,
particulièrement dans le saillant de Rjev où l’opération « Mars » est un
désastre pour Staline : entre 200 000 et 300 000 pertes pour les Soviétiques,
ainsi que 1 300 blindés détruits ou capturés15.
L’été 1942 représente la dernière période faste du Blitzkrieg : deux
chevauchées impressionnantes et concomitantes portent les colonnes
blindées motorisées de Hitler jusqu’à Stalingrad et dans le Caucase, en
Union soviétique, ainsi qu’à El-Alamein, en Égypte, après une spectaculaire
victoire remportée par Rommel à Tobrouk. Quelques derniers coups de
griffes qui s’apparentent à cette forme de guerre surviennent au début de
l’année suivante, à Kharkov, en Russie, ainsi qu’à Kasserine, en Tunisie.
Pourtant, le mécanisme s’enraie face à un ennemi devenu trop puissant,
sous un ciel qui n’est plus dominé par la Luftwaffe. Pis, le tandem panzers-
Panzergrenadiere fait défaut : à Stalingrad, les unités de Panzergrenadiere
étant laminées par la Rattenkrieg et les pertes essuyées lors de la poussée
au-delà du Don, les chars allemands doivent combattre aux côtés d’une
infanterie qui ne bénéficie au mieux que des rudiments de la coopération
avec les panzers16. Stalingrad, comme Voronej quelques semaines plus tôt,
est l’antithèse de la Blitzkrieg pour les chars. Décombres, trous de bombes
et d’obus, barricades, champs de mines et autres pièges, ainsi qu’un champ
de vision des plus limités, tout en accordant à l’ennemi la capacité de
s’approcher au plus près des panzers : tout concourt à une autre forme de
guerre. La fin de la Blitzkrieg est dramatiquement illustrée par
l’encerclement puis la destruction de la 6e armée à Stalingrad, soit de
250 000 à 330 000 hommes avec les Roumains et les troupes de la 4e armée
de panzers17.
À l’Ouest, la Heer est sur la défensive après la victoire de 1940. Le
passage à la guerre de positions survient dès la fin de 1941 dans les secteurs
nord et centre du front de l’Est, à l’été 1942 en Afrique et au printemps
1943 dans la zone sud de l’Ostfront. L’été 1943 marquera la dernière
tentative d’un retour à une guerre de mouvement à l’Est, à Koursk ; la suite
des événements suivra désormais le tempo imposé par les Soviétiques.

La transition vers une guerre de positions de 1942 à 1945

Passée maître dans l’art de la guerre de mouvement, montée au pinacle


avec le Blitzkrieg, la Wehrmacht mène une remarquable guerre défensive de
1943 à 1945, guerre pour laquelle elle se révèle tout aussi efficace et d’un
professionnalisme qui ne peut se contester. Ainsi, en 1943, l’Armée rouge
perd 7,5 millions d’hommes et 19 000 blindés, chiffres démesurés qui
témoignent de la redoutable efficacité de l’armée allemande sur la
défensive18. Le talent d’un Erich von Manstein, qui a conçu le plan
d’invasion de la France en 1940 et s’est révélé un maître de la guerre de
mouvement en Russie en 1942-1943, n’est plus ce dont le Reich a besoin :
la guerre défensive menée par la Wehrmacht sonne l’heure de gloire de
généraux comme Kesselring ou Model, qui président désormais aux
destinées des soldats de Hitler. Parmi les plus hauts responsables, peu de
tenants du Blitzkrieg sauront s’adapter à ce nouvel état de fait, Rommel
constituant l’exception la plus notable, comme l’illustrent ses conceptions
stratégiques et tactiques résolument défensives face à l’invasion en 1944.
Le Landser doit s’adapter. « Je ne connaissais pas ce qu’on appelle la
guerre de positions, écrit un soldat dans une lettre, mais maintenant j’ai
appris19. » Avec le passage à la défensive se développe l’art du camouflage,
qui est son corollaire direct, domaine dans lequel la Wehrmacht ne se
distingue guère au début du conflit ; mais la perte de la maîtrise aérienne
entraîne des progrès tels que cette armée devient experte en la matière. Les
Alliés, du fait de cette supériorité aérienne, vont imposer une nouvelle
forme de guerre aux Allemands, qui ne peuvent plus faire manœuvrer les
panzers en masse, pas plus qu’ils ne peuvent continuer à user du tandem
panzer-Stuka. Ce passage à des défenses statiques constitue un aveu de
faiblesse, l’illustration de la montée en puissance des Alliés : l’initiative
n’appartient plus aux soldats de Hitler. Et si la guerre était perdue ?
La trame des opérations entre 1943 et 1945 ne saurait pour autant se
résumer à une succession de manœuvres de repli et de combats sur des
positions solidement fortifiées. Au contraire, les soldats de Hitler
connaissent encore l’ivresse du rôle de l’attaquant car ils procèdent eux-
mêmes à des contre-attaques : sur le Mious, à Jitomir puis à Korsun, en
Ukraine en 1943-1944, contre la tête de pont d’Anzio, en Italie en février
1944, à Mortain puis en Lorraine, en France à l’été 1944, à Debrecen, en
Hongrie à l’automne 1944, en Alsace en 1945. De bien plus grandes
envergures sont les contre-offensives des Ardennes en décembre 1944
(« Herbstnebel ») puis du lac Balaton en mars 1945 (« Frühlingswind »).
Cette guerre défensive, statique sur de nombreux pans de l’Ostfront dès
1942, de même qu’en Méditerranée lors des campagnes de Tunisie et de
Sicile qui ont révélé aux Alliés la valeur combative des troupes allemandes
dans les combats défensifs (ce ne fut pour eux qu’un avant-goût de la
difficile bataille qui les attend dans les montagnes italiennes), n’empêche
nullement les revers et le repli progressif, plus ou moins rapide, des forces
allemandes. Celles-ci passent maîtres dans l’art du combat retardateur. La
Heer use de méthodes de défense retardatrices très efficaces, notamment au
cours de l’hiver 1941-1942 et du printemps qui suit, et aussi en Italie en
1943-1944. Outre de remarquables combats retardateurs à l’Est comme en
Italie, la Wehrmacht remporte en fait une série de victoires défensives,
notamment à l’Ouest au cours de l’automne 1944 – on parlera de « miracle
de la Wehrmacht ». L’échec de l’opération « Market Garden » à Arnhem, en
septembre, est la plus connue de ces victoires défensives. Le plus
remarquable est que la Wehrmacht parvient dans le même laps de temps à
faire échouer la grande opération aéroportée de Montgomery tout en
stabilisant le front en Alsace, en trouvant les ressources pour briser l’élan de
la 3e armée de Patton puis de contre-attaquer dans les marais de Peel20, tout
en épuisant la 1re armée américaine dans les combats pour Aix-la-Chapelle,
première ville allemande conquise par les Américains. Les Allemands
remportent une indéniable victoire défensive dans la forêt de Hürtgen, où
les Américains accusent la perte du quart de leurs effectifs, soit
33 000 hommes21.
Tenir le front, même sur la défensive, devient pourtant ardu dès 1942,
non seulement en raison de la crise des effectifs, mais aussi du fait d’une
réduction du nombre de bataillons d’infanterie au sein d’une Infanterie-
Division (division d’infanterie, DI) : trois régiments à deux bataillons ou
bien deux régiments à trois bataillons… Dans ces conditions, disposer
d’une réserve opérationnelle devient une gageure. Une donnée qui survient
très vite dans la guerre à l’Est : en 1941, 3,4 millions de soldats sont dans
les rangs de 153 divisions (avec les réserves) ; en 1942, l’Ostfront
représente certes désormais 179 divisions, mais avec seulement 2,7 millions
d’hommes22. Le manque d’effectifs (donc de réserves et de profondeur du
dispositif) ainsi qu’une faible motorisation globale limitent les possibilités
de manœuvre : la stratégie défensive repose donc sur des positions fixes,
fortifiées avec le plus grand soin, avec comme principe la contre-attaque
(Gegenstoss) immédiate visant à reprendre le contrôle des positions
abandonnées. En effet, si le front est linéaire, la densité des troupes en ligne
est faible par rapport aux standards de la Grande Guerre. Les combats
rappellent pourtant dans une certaine mesure ceux de la Première Guerre
mondiale, avec les patrouilles et les coups de main, mais avec un armement
beaucoup plus perfectionné.
Il ne s’agit plus des simples trous d’homme, que chaque Landser a
appris à creuser dès qu’il occupe une position23. La Wehrmacht réalise de
vastes complexes défensifs à partir d’une trame de tranchées ponctuées de
postes de tir. Ces tranchées sont de plus en plus étroites, pour atténuer les
effets des tirs d’artillerie, ainsi que pour les rendre beaucoup plus difficiles
à déceler par les tanks ennemis – ce qui n’empêche pas que des hommes
meurent ensevelis par un char qui nivelle à dessein un foxhole ou une
tranchée24. Les défenses s’organisent donc, deviennent plus solides ; seul un
coup au but peut en venir à bout : le 26 juin, les Britanniques ont expédié
pas moins de 25 000 obus pour s’emparer de Cristot, en Normandie, mais
les pertes allemandes se sont limitées à dix-sept soldats tués25… Les abris,
étayés avec soin, font 3 à 4 mètres de large et sont généralement pourvus
d’une table en sus des banquettes. Parfois sommairement décorés, ils
représentent le seul endroit relativement confortable (même s’ils ne sont
que des trous couverts de planches dans lesquels on ne peut se tenir
debout26) et sécurisé ; les soldats les plus favorisés sont cependant ceux de
la zone arrière logeant dans de véritables maisons (au besoin des cabanes
édifiées par le génie).
Les positions défensives prennent un aspect similaire quel que soit le
front considéré : mines27 et barbelés, fossés antichars, trous d’homme,
tranchées, postes de tir pour Pak, creusés ou non dans la roche, étayés par
des rondins et renforcés par des sacs de sable28. Des sangars (positions
défensives dont les parapets sont faits de blocs de pierre empilés) sont
également érigés en Afrique, en Italie et sur le front de Mourmansk. Un pis-
aller en zone rocailleuse et par ailleurs une pratique dangereuse car la roche
démultiplie l’effet des explosions avec la projection d’une multitude
d’éclats de pierre très coupants. On tire parti des éventuelles grottes et abris
naturels. Les Allemands mettent également à profit les éléments du terrain :
les forêts, comme celle de Hürtgen sur la frontière allemande en 1944, les
marais, comme ceux de Carentan en Normandie ou de Peel aux Pays-Bas,
les cours d’eau…
Parfois, l’ingéniosité des forces allemandes est à l’oeuvre pour mettre
au point des dispositifs surprenants. Ainsi, en décembre 1944, la lagune sise
au sud de Memel est dotée de 150 bunkers en bois (dotés de facilités de
chauffage), montés sur des traîneaux et disposés en travers de la lagune dès
que le gel le permet. Ces bunkers si originaux sont renforcés par des blocs
de glace et camouflés avec de la neige29.
Le schéma défensif adopté est partout le même. La ligne de résistance
principale est située de préférence à contre-pente, ce qui la rend moins
facile à détecter. Les avant-postes, légèrement tenus, servent d’alerte. La
ligne principale de résistance (doublée souvent d’un second secteur défensif
qui ajoute de la profondeur : parfois jusqu’à plus de 15 kilomètres) est
constituée d’une succession de points d’appui capables normalement d’une
défense tous azimuts et protégés par des barbelés et des mines. Les fossés
antichars sont situés derrière les tranchées de première ligne. Canons,
obusiers et mortiers sont habilement disposés, à l’abri et souvent à contre-
pente, avec le bénéfice de positions alternées et surtout de postes
d’observation. Les trous d’homme sont creusés à profusion. Sur tous les
fronts, on cherche à canaliser le flot des blindés adverses vers des pièges,
des zones densément équipées de Pak recherchant les tirs de flanquement.
Les villages, défendus par une première ligne défensive extérieure,
deviennent des hérissons défensifs ; ils sont jugés comme potentiellement
efficaces, surtout si les bâtiments sont en pierre ou en brique. Les blindés
adverses ne peuvent se déployer aisément en milieu urbain – qui a aussi
l’avantage de permettre l’attaque à bout portant avec un Panzerfaust.
Comme ailleurs, on cherche à canaliser l’ennemi vers des « zones de
mort ». Les pièges à blindés sont monnaie courante dans les combats
urbains : la bataille d’Ortona représente de ce point de vue un cas d’école30.
La bataille de Normandie offre une illustration du changement de
paradigme majeur que représente la fin du Blitzkrieg pour les soldats de
Hitler. Cette campagne constitue un chef-d’œuvre du combat défensif,
notamment par la mise à profit du bocage31. Il est impensable d’engager les
panzers en masse. Ils sont donc disséminés sur la ligne de front, selon le
principe de la Panzerkampftrupptaktik, attaquant en Zug (quatre panzers) ou
en Halb-Zug. Les tactiques de flanquement et d’infiltration ne sont plus
possibles face à des adversaires solidement retranchés avec de nombreux
antichars. Pour les vétérans du front de l’Est ou d’Afrique du Nord, il s’agit
d’un changement radical de tactique avec lequel il faut composer. Comble
du paradoxe, de puissantes unités mécanisées comme la « Panzer Lehr »
n’ont jamais été aussi bien dotées en semi-chenillés de toutes sortes, avec
quatre bataillons de Panzergrenadiere entièrement montés sur SdKfz 251,
soit 693 half-tracks. Dans la plaine de Caen, toute manœuvre relève de la
hardiesse. La nuit n’offre qu’une alternative non viable : la visibilité réduite
gêne les opérations, rendant caduque l’habituelle mais essentielle
coopération panzers-Panzergrenadiere, et n’empêche pas l’artillerie alliée
de rester très dangereuse. Jusqu’à la bataille de Mortain, début août, qui
n’implique elle-même qu’un nombre limité de blindés, il n’y aura donc pas
de contre-attaque massive de panzers. Les assauts dépasseront rarement
l’envergure d’un Kampfgruppe bénéficiant d’un soutien insuffisant.

La Wehrmacht à l’abri de lignes bétonnées


Hitler s’est targué d’être le plus grand constructeur de lignes défensives
de l’histoire. De fait, si les Allemands ont été contraints de recourir à de
multiples reprises à des mesures d’urgence, on ne compte plus les lignes de
fortification établies pour ses armées, du Westwall (ou ligne Siegfried pour
les Alliés), construit sur la frontière occidentale allemande à la veille de la
guerre, à l’Atlantikwall, le mur de l’Atlantique. L’un des intérêts majeurs
des lignes défensives, comme le souligne Rommel, le maître d’œuvre du
mur de l’Atlantique, est qu’elles peuvent être confiées à des unités de
second ordre qui, si elles sont inaptes à l’offensive, peuvent s’acquitter avec
brio de missions défensives. On fait couler le béton sur tous les fronts pour
édifier des bunkers, qui n’ont certes pas la sophistication ni la taille de
certains ouvrages de la ligne Maginot. Les fortins, généralement complétés
par des fortifications de campagne, sont habilement disposés afin de se
couvrir mutuellement par leurs feux. Les plans de tir sont donc étudiés avec
soin, en mettant l’accent sur les tirs de flanquement, et la défense est établie
en profondeur. Les champs de mines constituent le complément
indispensable des bunkers : c’est en Égypte, sur la ligne d’El-Alamein, que
les mines sont posées à profusion pour la première fois de la guerre32. Il faut
parfois faire flèche de tout bois pour constituer des « jardins du diable ». En
Italie, des pionniers ont enterré des obus explosifs pour parer au manque de
mines33 ; à El-Alamein, on improvise des pièges avec des bombes d’avions.
Rommel fait poser 5 millions de mines sur l’Atlantikwall34, outre
500 000 obstacles de plage, ainsi que, dans l’arrière-pays, des pieux érigés
dans les champs pour s’opposer à tout atterrissage de planeurs : les
fameuses « asperges de Rommel ».
Des nids de mitrailleuses préfabriqués en acier – des MG Panzernest –
complètent le dispositif35. Ces différents types d’abris sont le plus souvent
immunisés contre les tirs d’artillerie. Des tourelles de panzers, notamment
de type Panther (Pantherturm36), déployées en Italie et dans le Reich, sont
intégrées aux défenses. Partout, comme dans les Festungen (forteresses) de
l’Atlantique ou encore à Metz, en Lorraine, les forteresses des siècles
précédents sont mises à contribution. À Brest, les fortifications parfois
anciennes, comme le fort de Keranroux, datant du XIXe siècle, ou encore le
fort Montbarrey, tiennent un rôle aussi important que les casemates
allemandes les plus modernes. Tous les soldats allemands chargés de ces
défenses ne sont pas pour autant logés à même enseigne : l’Ostwall établi
sur le Dniepr en 1943 est plus une vue de l’esprit du Führer qu’une réalité ;
quant au Westwall (4 millions de mètres cubes de béton, 17 700 bunkers),
s’il offre un obstacle de taille en 1939-1940, il présente de toute évidence de
grandes insuffisances en 1944. Conçus dans les années 1930, les bunkers ne
peuvent accueillir de pièces supérieures au canon de 37 mm, déjà obsolète
en 1940.
La ligne de fortifications la plus ambitieuse est sans conteste
l’Atlantikwall37. Dans sa directive no 40 du 23 mars 1942, le Führer ordonne
la construction de 15 000 blockhaus. Pour les soldats de Hitler, militaire
devient synonyme de terrassier… À la 709e DI en poste dans le Cotentin, le
bataillon de réserve consacre trois jours entiers par semaine à ces travaux,
au détriment des exercices tactiques38. Les qualités militaires de
l’Atlantikwall et son intérêt tactique et stratégique ne peuvent se mesurer
qu’à l’aune des seuls événements de la journée du 6 juin. L’OB West, chargé
de défendre le littoral de l’Europe occidentale et, donc, de faire échec à
l’invasion, tente de concilier la doctrine tactique en vigueur au sein de la
Wehrmacht, fondée sur la contre-attaque, avec des effectifs insuffisants et la
volonté d’édifier des défenses statiques sur 5 000 kilomètres de côte.
L’Atlantikwall n’avait pas pour vocation de vaincre les forces alliées à lui
tout seul : la victoire supposait l’intervention des unités de panzers dès les
premiers instants de la bataille, avec des unités déjà déployées sur le littoral
selon la stratégie de Rommel. Toutefois, la planification de l’édification du
mur de l’Atlantique n’a pas été coordonnée, et les responsables militaires
n’ont eu qu’une faible latitude sur son programme : toutes les décisions
majeures ont été prises par Hitler. Des aberrations ont ainsi grevé l’effort de
guerre ; parmi les plus flagrantes, l’importance des fortifications et de la
garnison des îles Anglo-Normandes, ou encore les trop nombreux bunkers
édifiés dans le sud-ouest de la France, ainsi que le nombre de troupes qui y
furent déployées, alors même que l’évidence plaidait contre une opération
majeure dans ce secteur. Des écueils avec lesquels devront compter les
soldats allemands quand sonnera l’heure du combat. Dans les zones
occupées, à l’Ouest, ces derniers logent le plus souvent chez l’habitant,
dans des chambres, voire des granges, certaines unités occupant à tour de
rôle (ou à demeure) des positions côtières de l’Atlantikwall, même si les
troupes désignées ne logent toutes dans les bunkers qu’en cas d’alerte. Les
commodités – latrines, salles de bains – sont pour ceux qui ont la chance
d’être postés dans un château, les positions du mur de l’Atlantique étant par
ailleurs souvent équipées de façon plus moderne.
L’Atlantikwall est la ligne de fortifications la plus célèbre, la plus
puissante et la plus ambitieuse de toutes celles qui furent édifiées par le
Reich pendant le conflit. Pourtant, son impact réel sur les opérations fut des
plus limités. Qu’en est-il des autres grandes lignes de fortifications ? Les
Allemands ont bâti ou réaménagé de nombreuses lignes de défenses sur
tous les fronts, comme celles d’El-Alamein et de Mareth. Cette dernière,
prenant en fait appui sur des fortifications françaises en Tunisie, contraint
Montgomery à préparer de minutieuses et puissantes offensives pour
remporter la victoire. Les lignes défensives sont également légion au cours
de la campagne d’Italie, les plus célèbres étant la ligne Gustav, articulée
autour du fameux Monte Cassino, ainsi que la ligne Gothique, deux
systèmes défensifs élaborés vers lesquels les troupes allemandes se retirent
lentement. Elles tiennent en échec les Alliés, qui vont piétiner devant elles
pendant des mois, transformant cette campagne en une impasse stratégique.
La péninsule, en grande partie recouverte par un relief accidenté, est en
effet très étroite dans sa largeur : 137 kilomètres dans le secteur le plus
étroit, entre Rome et Naples. L’armée allemande bénéficie en outre de
l’orientation est-ouest des vallées et des cours d’eau, perpendiculaire à l’axe
de progression allié, ajoutant ainsi des obstacles supplémentaires à
surmonter.
À l’Est, le rempart infranchissable que devait constituer l’Ostwall, sur
le Dniepr, ne fut qu’illusoire et n’a jamais été aménagé selon les desiderata
de Hitler, faute de temps et de moyens, mais aussi parce que le dictateur
répugne à ce que ces généraux apprennent qu’ils pourraient bénéficier de
positions fortifiées qui sont autant d’invites à un repli… Un écueil qui se
réitère en France en 1944 lorsque le Führer – à l’insu des chefs luttant face
à l’invasion – exige trop tardivement d’édifier des défenses entre la Somme
et les Vosges, alors que le front s’effrite puis craque en Normandie.
Néanmoins, dans les zones longtemps relativement statiques et très
fortifiées des secteurs des Heeresgruppen Nord et Mitte, les Allemands ont
été en mesure de contrecarrer de nombreuses offensives soviétiques, avant
que ne survienne la succession de désastres consécutifs à l’opération
« Bagration » au cours de l’été 1944. À l’Ouest, le Westwall a joué son rôle
de protection et d’épouvantail au début des hostilités, alors que la
Wehrmacht concentrait ses forces à l’Est pour écraser la Pologne. En 1944,
ce même Westwall constitue, avec les forteresses de Lorraine et la ligne
Maginot, l’ossature sur laquelle se reconstitue un dernier rempart du Reich
à l’Ouest avant le Rhin, au cours d’un automne 1944 ensuite appelé le
« miracle de l’Ouest » ou le « miracle de la Wehrmacht ». Les ultimes
lignes défensives importantes sont édifiées sur l’Oder, à l’Est, et sur le
Rhin, à l’Ouest, où des centaines de positions de Pak sont improvisées à
partir de tubes initialement destinés à des panzers, le dispositif prenant de la
profondeur avec l’intégration des batteries statiques de la Flak aux abords
de la Ruhr39.

Deux expériences nouvelles et déconcertantes : la retraite et


l’encerclement

Le passage du Blitzkrieg à une guerre défensive n’opère pas qu’un


changement d’ordre tactique pour les soldats de Hitler. Un avant-goût d’un
nouveau processus de combat survient dès l’hiver 1941-1942 devant
Moscou, lorsque les Landser découvrent une nouvelle expérience
déroutante : la retraite. Une situation qui peut mener à la panique au sein
d’une armée réputée pour son sens élevé de la discipline, comme l’illustrent
certaines scènes observées en Biélorussie à l’été 1944 lors de l’opération
« Bagration », qui débouche sur un désastre pour la Wehrmacht. « Dès
qu’une unité a commencé à fuir, déclare Hitler à Zeitzler [le chef d’état-
major de l’OKH], l’ordre et la discipline se dissipent rapidement40. »
L’armée est pourtant prête à toutes les formes de coercition pour endiguer
ce qu’elle apparente à de la lâcheté : « J’attends des officiers, déclare le
commandant de la 18e Panzer à l’été 1943, qu’ils utilisent impitoyablement
tous les moyens à leur disposition contre les hommes qui déclenchent des
mouvements de panique et qui abandonnent leurs camarades, et, si
nécessaire, qu’ils n’hésitent pas à faire usage de leurs armes41. » La fuite,
qui peut aboutir à l’abandon précipité de positions essentielles, et,
davantage encore, la panique sont jugées indignes de soldats allemands.
Même l’Afrikakorps y a été confronté à son arrivée devant El-Alamein, en
juillet 1942. Ces écarts de conduite se sont pourtant multipliés avec le
temps des retraites et des encerclements.
La Wehrmacht réalise un certain nombre de replis organisés,
méthodiques, en direction de lignes fortifiées de recueil, mettant en œuvre
des manœuvres de retardement : la plus longue et la plus remarquable est le
sauvetage par Rommel de son armée, qui retraite sur 2 500 kilomètres, entre
El-Alamein, en Égypte, et la Tunisie. Les exploits en la matière se
multiplient : en Italie, vers la ligne Gustav en 1943, puis en 1944 sur la
ligne Gothique ; sur le front de l’Est, au niveau du Heeresgruppe Mitte, lors
de l’opération « Büffel » qui consiste en l’évacuation du saillant de Rjev ;
dans le même secteur – Heeresgruppe Mitte – en août 1943, lors du repli
sur la ligne Hagen ; en septembre 1943, lors du repli effectué de Kharkov
au Mious en direction du Dniepr, manœuvre délicate qui se réalise dans
l’ordre et avec succès, si ce n’est que les Soviétiques parviennent à établir
des têtes de pont sur le grand fleuve ; même mois, avec la retraite à travers
le détroit de Kertch, à savoir l’évacuation de la péninsule de Taman, dans le
Kouban, en direction de la Crimée, qui se solde par un nouveau succès
(202 000 soldats, 15 000 véhicules à moteur, 1 200 canons et 95 000 tonnes
de matériel sont évacués)42 ; puis lorsque le Heeresgruppe Nord se replie
vers la ligne Panther. Ce ne sera pas le dernier exemple de retraite réussie,
alors que la pression de l’ennemi manque de provoquer un désastre.
L’habileté des chefs des armées en lice à l’Ouest en 1944 permet de
sauvegarder de précieux effectifs au cours de retraites parfois
rocambolesques43. Fin août 1944, en Normandie, alors que Patton caracole
vers l’est, le Heeresgruppe B du Feldmarschall Model parvient à franchir la
Seine avec 240 000 soldats allemands et 39 000 véhicules44. En septembre
1944, devant la menace d’encerclement, accentuée par l’opération
aéroportée « Market Garden », le général von Zangen, commandant la
15e armée, réussit le tour de force de faire passer l’Escaut par
85 000 hommes, 600 pièces d’artillerie, 6 000 véhicules et 6 000 chevaux45.
Pareil exploit est également à mettre au crédit de l’Armeegruppe G du
général Blaskowitz, stationné dans le sud et le sud-ouest de la France, mais
qui parvient à rallier l’Alsace et la Lorraine et établir une jonction avec le
Heeresgruppe B en retraite depuis la Normandie. Soixante pour-cent des
effectifs sont toutefois sauvés. Ainsi, la 1re armée réussit à replier en
particulier les 82 500 hommes du 64e corps d’armée depuis la côte
atlantique jusqu’en Bourgogne. Toutefois, l’autre armée de
l’Armeegruppe G, la 19e, encaisse la perte de 1 316 de ses 1 481 pièces
d’artillerie au cours de la retraite46.
La retraite s’accompagne d’une expérience tout aussi inédite pour les
soldats de la Wehrmacht après les années du Blitzkrieg : la poche, le Kessel.
Si le plus célèbre encerclement est celui de Stalingrad, entre novembre
1942 et février 1943, le premier Kessel d’importance survient à Demiansk,
où 96 000 soldats luttent durant l’hiver 1941-1942. À Kholm, une petite
garnison résiste pareillement pendant 103 jours. Deux ans plus tard, en
janvier 1944, 59 000 Allemands sont encerclés dans la poche de Korsun
(aussi appelée bataille de Tcherkassy). La moitié sera sauvée. En mars-avril
1944, c’est au tour de la 1re armée de panzers de Hube d’être encerclée dans
une poche mouvante, à Kamenets-Podolski. Les opérations d’encerclement
se multiplient à l’été 1944. À l’Ouest, les Allemands sont enfermés dans
trois nasses en Normandie : 40 000 hommes sont perdus à Cherbourg, 7 200
à Roncey et 50 000 à Falaise, 25 000 autres sont encerclés à Mons, en
Belgique. À l’Est, le désastre de Biélorussie s’accompagne de grandes
manœuvres d’encerclement au cours desquelles des Allemands tombent
entre les mains des Soviétiques : 70 000 baissent les armes à Minsk,
150 000 soldats du Heeresgruppe Mitte sont faits prisonniers dans différents
Kessel.
Le passage à une guerre défensive se traduit par des innovations d’ordre
tactique et stratégique qui peuvent surprendre : les concepts de Festungen et
de Festen Plätze – c’est-à-dire ériger des villes, ou des ports sur le front
Ouest, en places fortes. Cette stratégie, mise en œuvre en 1944-1945, dans
un contexte de retraite, a pour principe la défense acharnée par leurs
garnisons, sans esprit de reddition, de places fortes encerclées par l’ennemi.
Dans les faits, puisque aucune contre-attaque n’est en mesure de renverser
le cours des affrontements et que tout secours de l’extérieur devient
virtuellement impossible, défendre une Festung ou une Fester Platz
s’apparente à une mission de sacrifice. En août 1944, au cours du transfert
de ses armées de la France vers l’Allemagne, Hitler ordonne de transformer
en forteresses les grands ports de la Méditerranée, de l’Atlantique et de la
Manche, défendus par 200 000 hommes, qui en interdisent l’utilisation par
les Alliés à des fins logistiques. Alors que Marseille et Toulon tombent sans
coup férir dans l’escarcelle de l’armée de Lattre, la bataille de Brest, qui
s’éternise jusqu’au 20 septembre en raison de la défense acharnée de la
garnison commandée par le général Ramcke, le chef de la
2. Fallschirmjäger-Division, rend compte du bien-fondé de cette stratégie.
Lorient, Saint-Nazaire, Royan, La Rochelle et Dunkerque, encerclés et
assiégés, tiennent jusqu’au printemps 1945 et à la capitulation finale.
À l’Est, les Festen Plätze sont plus souvent un échec : ces villes fortifiées
aux garnisons souvent improvisées ne parviendront pas à endiguer la
puissance des offensives soviétiques de l’été 1944. Si un sentiment
d’abandon et de sacrifice peut envahir les soldats allemands encerclés dans
ces villes érigées en forteresses, certaines Festen Plätze, à l’instar de
Königsberg et de Breslau, résisteront avec acharnement en 1945. Les fronts
de Courlande puis de Prusse-Orientale, tombeaux du Heeresgruppe Nord,
font figure d’immenses poches dans lesquelles des forces encerclées luttent
avec acharnement jusqu’à l’inéluctable fin.
Les défaites semblent inévitables. Les Allemands sont confrontés à un
ennemi bien trop supérieur sur le plan quantitatif et matériel, un ennemi qui
n’a de cesse de devenir de plus en plus efficient, à tous les niveaux : dans
l’entraînement et le matériel, mais aussi sur les plans tactique, opérationnel
et stratégique.

Être soldat allemand : combattre en état d’infériorité


numérique

La campagne de Pologne, en 1939, première campagne menée par


l’armée allemande au cours de la guerre, menée tambour battant, constitue
l’une des rares conjonctures où le soldat allemand bénéficie d’une
confortable supériorité matérielle et numérique. L’expérience du soldat de
Hitler au cours de la Seconde Guerre mondiale est en effet au contraire
presque systématiquement celle d’un affrontement contre des ennemis plus
nombreux, alliant la supériorité numérique à la supériorité matérielle.
Les effectifs dont dispose Hitler restent pourtant impressionnants. Le
1 septembre 1939, la Wehrmacht compte 3,18 millions d’hommes,
er

dépassant le seuil des 10 millions au cours de la guerre. Fin 1943, l’armée


allemande compte 7,2 millions d’hommes au sein de la Heer (Ersatztruppe :
2,9 millions), qui se taille la part du lion, 1,9 million dans la Luftwaffe
(Ersatztruppe : 432 000), 725 000 dans la Kriegsmarine (Ersatztruppe :
167 000) et 433 000 dans la Waffen-SS (Ersatztruppe : 136 00047). Les
effectifs restent importants jusqu’à l’effondrement final : en mai 1945,
l’armée de terre aligne encore 5,3 millions d’hommes (sur les 7,8 millions
alors présents sur les rôles de la Wehrmacht), auxquels s’ajoutent
800 000 Waffen-SS48. En ne considérant que les seules forces terrestres,
1,5 million d’hommes participent à l’invasion de la Pologne, 2,75 millions
combattent dans la campagne à l’Ouest en 1940 (sur les 4,1 millions que
compte la Heer), plus de 3 millions sont engagés pour « Barbarossa » (avec
900 000 de leurs alliés).
Si les Polonais n’alignent que 1,1 million d’hommes, les soldats alliés
sont environ 5 millions en 1940, et les Soviétiques ont 4,7 millions
d’hommes en ligne en juin 1941. Face à la France et à ses alliés de 1940,
l’Allemagne ne jouit guère de la supériorité numérique que dans le domaine
de l’aviation49. Face à l’Union soviétique, le rapport de forces est autrement
plus défavorable, et il ne cessera de s’accentuer : en juin 1944, les
Soviétiques sont 7,25 millions face à 2,62 millions d’Allemands à l’Est, soit
3 contre 1 ; en janvier 1945, sur le front de l’Oder, la Wehrmacht défend à 1
contre 4 en hommes, et à 1 contre 15 en blindés50. Pareille disproportion des
forces constitue le lot commun des armées allemandes engagées contre les
forces anglo-saxonnes, de l’Afrikakorps de Rommel en Libye en 1941 à la
7e armée luttant face à l’invasion sur les plages normandes, le 6 juin 1944.
Le 25 juillet 1944, on ne compte pas plus de 380 000 Allemands en
Normandie contre 1,4 million d’Alliés, soit un rapport de 1 contre 4. Début
1945, les forces d’Eisenhower sont à 7 contre 1 sur le front de l’Ouest.
La situation est à l’avenant quand on détaille la quantité de matériel à
disposition chez les belligérants, en particulier au sein des armes de soutien.
L’artillerie de campagne joue un rôle majeur au cours de la guerre. Cette
arme essentielle et incontournable règne sur le champ de bataille : dans les
deux camps, la majeure partie des pertes est le fait de l’artillerie et des
mortiers. L’Allemagne part au combat avec un désavantage dès 1940 face à
une armée française dotée d’une artillerie plus nombreuse et plus réputée.
L’Armée rouge déclenche l’opération « Uranus », qui débouche sur
l’encerclement de Stalingrad, avec 12 000 canons, alors que la 6e armée
allemande n’en a eu en dotation que 2 000 lorsqu’elle a lancé son offensive
en direction de la Volga trois mois auparavant… Au printemps 1943, la
disproportion des forces est stupéfiante : les Soviétiques peuvent compter
sur 33 000 pièces d’artillerie (plus 100 000 mortiers et canons antichars)
contre seulement 6 360 canons de campagne aux Allemands. Le rapport de
forces est défavorable pour les Allemands sur tous les fronts : à El-Alamein,
en 1942, la 8e armée britannique attaque avec environ 900 pièces
d’artillerie, contre 571 au sein de la Panzerarmee Afrika. À la veille du D-
Day du 6 juin 1944, en incluant les batteries en position sur le littoral, les
Allemands alignent 3 800 canons de campagne et obusiers. Les Alliés,
décidés à disposer d’une supériorité absolue dans ce domaine dès le premier
jour de la campagne, prévoient de débarquer 3 000 canons dès le 6 juin (ce
chiffre inclut la DCA et l’artillerie antichar). Le 25 juillet, un mois et demi
après l’invasion, si l’artillerie allemande compte 1 672 pièces, les Alliés en
alignent 3 240 (1 520 anglo-canadiennes et 1 720 américaines). Les Alliés
sont par ailleurs considérablement avantagés sur le plan de
l’approvisionnement. Si la Wehrmacht parvient à fournir environ
500 tonnes de munitions par jour (y compris d’infanterie), l’US Army
dépense quotidiennement 1 500 tonnes de munitions d’artillerie. Le
10 juillet, les Britanniques expédient 80 000 obus sur leurs adversaires qui
ne sont en mesure de répliquer qu’avec 4 500 coups. Pis, on ne discerne
point d’équivalent au sein de la Wehrmacht de cette extraordinaire et
redoutable capacité d’organiser des tirs de concentration au niveau
divisionnaire ou de corps terriblement efficaces : TOT (Time on Target)
dans l’US Army, Uncle et autres Victor Targets dans l’armée britannique.
À l’Est, les Soviétiques mettent en œuvre de véritables divisions d’artillerie,
la Wehrmacht n’en levant qu’une seule sous l’impulsion du général
Heinrici51. Le quotidien du soldat allemand sur tous les fronts est donc un
matraquage systématique de ses positions par une artillerie efficiente et aux
effets autant dévastateurs que terrifiants.
Pour le soldat allemand, les années 1943-1945 sont aussi celles d’une
défaillance de la couverture aérienne52. Dans ces conditions, le mauvais
temps – que les Landser ont baptisé Adolf Hitler Wetter53, « le temps
d’Adolf Hitler » – est le bienvenu. Des plaisanteries ont cours : « Quand tu
vois un avion blanc, c’est un américain ; un noir, c’est un anglais ; si tu ne
vois rien, c’est la Luftwaffe. » Ou encore : « Quand des avions britanniques
apparaissent, nous nous planquons. Quand des avions américains arrivent,
tout le monde se planque. Et si la Luftwaffe surgit, personne ne se
planque54. » Alors que les combats font rage devant Saint-Lô, la 7e armée
recommande une action – au moins une ! – des chasseurs de la Luftwaffe,
ne serait-ce que pour raffermir le moral de la troupe55. Les nuisances
causées par la maîtrise absolue du ciel par l’ennemi sont sans nombre : les
mouvements des forces allemandes sont décelés sans difficulté ; la
constitution de réserves importantes et capables de se rassembler en une
masse de manœuvre semble impossible ; les troupes allemandes en
mouvement doivent sans cesse faire halte pour se mettre à couvert, ce qui
constitue un handicap de taille pour la moindre contre-attaque, même
d’ampleur modeste. S’il faut se mettre à couvert avant l’aube, rouler la nuit
n’est pas sans générer de sérieux inconvénients : il n’est pas aisé de se
repérer si l’itinéraire est mal balisé, les risques d’accidents sont sérieux et il
convient de rouler avec davantage d’espace.
Faute de soutien aérien, le camouflage prend toute son importance. Le
général Lammerding, commandant de la « Das Reich », rappelle les
mesures de base qu’il convient de suivre : « Tous les panzers seront
camouflés. Les surfaces planes devront être couvertes d’un filet sur lequel
du feuillage sera appliqué. Les Schürzen (plaques de blindage latérales
additionnelles) devront être camouflées de la même façon56. » Surveiller le
camouflage fait partie du service normal de tous les équipages. On se
dissimule sous les épaisses ramures d’un arbre, ou encore le long des haies,
qui cachent les engins de toute vue latérale. En Normandie, le général
Bayerlein, chef de la « Panzer Lehr », se félicite des soins apportés par ses
hommes au camouflage, « domaine dans lequel ils sont passés maîtres.
Toutes les superstructures de leurs blindés doivent disparaître sous le
feuillage. Celui-ci est changé lorsqu’il commence à faner57 ». L’art du
camouflage atteint un tel niveau que certains engins deviennent
méconnaissables et impossibles à identifier : ils prennent l’aspect de
buissons ambulants. On use également parfois de filets de camouflage, que
l’on dispose au-dessus de chemins, pour masquer les mouvements que
révélerait la poussière soulevée par des véhicules58.
Les soldats allemands à l’Ouest ont pu connaître l’expérience terrifiante
du carpet bombing, le bombardement en tapis, réalisé par des
quadrimoteurs de bombardements stratégiques dans des missions d’appui
tactique dans le cadre d’une opération terrestre majeure. Le 18 juillet 1944,
en guise de levée de rideau pour l’opération « Goodwood »,
2 100 bombardiers larguent 8 000 tonnes de bombes sur les positions
défensives allemandes à l’est de Caen. L’impact sur l’ennemi est indéniable,
et beaucoup de combattants soumis à la terrible épreuve du bombardement
en sortent hébétés et prostrés, et ne peuvent plus opposer la moindre
résistance. L’explication d’une telle supériorité matérielle et numérique en
faveur des adversaires de la Wehrmacht réside dans un fait simple et
décisif : le Reich doit affronter simultanément plusieurs armées unies dans
la plus formidable coalition de l’histoire.

La guerre sur plusieurs fronts

Le soldat de Hitler peut-il avoir l’impression d’être en poste sur un


front oublié ? Au cours du printemps et de l’été 1942, alors que le
Heeresgruppe Süd lance des offensives d’envergure en Crimée, à Kharkov
puis en direction de Stalingrad et du Caucase, les Landser qui sont en ligne
sur le reste du front de l’Est, soit la bagatelle de 2 000 kilomètres à vol
d’oiseau, comprennent qu’il n’est nullement question de priorité pour eux.
Le secteur du front du Volkhov, près de Leningrad, est ainsi qualifié de
« trou du cul du monde » par le commandant dépité de la 121e DI59. Ceux
qui se battent en Italie entre 1943 et 1945 se savent en queue de liste pour
l’envoi de renforts et de matériel, ce qui aggrave la sensation de servir sur
un front inutile. Lorsque la situation devient difficile, comme après la
rupture du front de Cassino et la chute de Rome au cours de l’été 1944, le
moral en est d’autant plus affecté : « Si tu crois en la victoire, écrit un soldat
de la 90. Panzergrenadier-Division, tu peux aussi bien croire aux contes de
fées. Notre revanche était censée survenir au mois d’octobre, mais nous
n’avons encore rien vu venir et nous n’attendons plus rien60. »
Ce sentiment se rattache à la réalité la plus contraignante pour les
soldats de Hitler qui est d’appartenir à une force certes puissante, mais aux
ressources néanmoins mesurées, alors même qu’elle doit disperser ses
moyens sur plusieurs fronts, dissipant ainsi ses efforts. Entre 1941 et 1944,
le front principal et décisif est indiscutablement le front de l’Est. Les
chiffres des effectifs engagés dans la lutte titanesque menée en Union
soviétique sont impressionnants61. De ce point de vue, à la date du 22 juin
1941, jour du déclenchement de l’opération « Barbarossa », le front de l’Est
est la guerre, et il n’y a pas de « second front ». Les Allemands vont y
consentir 80 % de leurs pertes. Il convient cependant de replacer le front de
l’Est dans le contexte global de la guerre : si la Wehrmacht a été brisée à
l’Est, les conditions qui ont permis aux Soviétiques de prendre l’ascendant
et l’anéantissement final de l’armée allemande sont aussi à rechercher à
l’Ouest. Le haut commandement allemand finit par être quasiment
bicéphale : l’OKH gérant l’Ostfront et l’OKW assurant la conduite des
opérations partout ailleurs, chacun des deux états-majors cherchant à
obtenir la priorité dans l’allocation des moyens, et ce dans un esprit
d’égoïsme absolu faisant fi des impératifs de la grande stratégie.
Le tournant est indiscutablement l’échec de « Barbarossa62 », suivi de la
défaite de Moscou. L’Ostheer sort considérablement affaiblie de ces deux
épreuves : sa force de frappe et d’attaque est définitivement réduite et sa
capacité défensive est elle aussi amoindrie, alors même qu’il faut
poursuivre la guerre contre les Anglo-Saxons et que les États-Unis entrent
officiellement dans le conflit. Lorsqu’un armement plus important et
autrement plus efficace que celui des années 1941-1942 sera en dotation, la
nécessité de déployer une armée de plus en plus puissante pour affronter les
Américains et les Britanniques empêchera l’Ostheer de disposer des
moyens pour vaincre l’Armée rouge. À l’été 1942, lorsque la seconde
campagne est lancée en Union soviétique, il manque en moyenne entre
1 000 et 2 400 hommes aux divisions du secteur sud, pourtant favorisées car
passant à l’offensive. Ces moyennes se montent à 4 800-6 900 hommes en
deçà des dotations théoriques aux Heeresgruppen Nord et Mitte63.
Le « second front » n’a en effet nullement été ouvert le 6 juin 1944 sur
les plages de Normandie. Il représente déjà une dure réalité pour l’armée
allemande en 194264. 1,5 million d’Allemands sont à l’Ouest, alors que le
1er juin 1944 l’Ostheer aligne 2,62 millions d’hommes (avec les éléments de
la Waffen-SS et de la Luftwaffe qui lui sont rattachés), soit 600 000 de
moins que lors du déclenchement de « Barbarossa »65. Dès juillet 1943, le
déficit au sein des divisions de la Heer atteint 257 000 hommes, dont
194 000 pour l’Ostheer, un total qui s’accroît de 130 000 pour le seul mois
d’août 194366. Des centaines de panzers et de pièces d’artillerie sont
détournés vers l’Afrique, sans parler des efforts logistiques considérables
pour le maintien opérationnel de l’armée de Rommel. Ainsi
300 000 hommes sont sacrifiés pour la Tunisie, alors que Manstein fait face
au même moment à une situation dramatique à Stalingrad, dont il ne pourra
briser l’encerclement faute de moyens suffisants. La lutte pour la défense de
l’Italie va également drainer de plus en plus de troupes allemandes – une
cinquantaine de divisions serviront ainsi en Méditerranée, au détriment de
fronts autrement plus importants stratégiquement parlant.
Conséquence directe de cette multiplication des fronts alors même que
l’Ersatzheer n’est plus en mesure de combler des pertes croissantes : les
soldats allemands sont contraints de combattre avec des densités de troupes
bien trop faibles, particulièrement sur le front de l’Est. En octobre-
novembre 1942, sur les 60 kilomètres du front d’El-Alamein, Rommel
dispose de 100 000 Germano-Italiens (même si deux divisions sont
disposées en retrait, le long de la côte) et de 550 chars (dont 240 panzers), à
l’abri de défenses solides (avec plus de 400 000 mines, ce qui est alors un
record). Pour ne s’en tenir qu’aux effectifs allemands, cela équivaudrait à
environ 800 000 hommes et 4 000 panzers pour 1 000 kilomètres de front.
Or, le front russe est démesurément long : de telles densités sont
inconcevables à l’Est. Au moment de l’opération « Uranus », en novembre
1942, l’Heeresgruppe A est disposé sur un front de 1 000 kilomètres dans le
Caucase, l’Heeresgruppe B ayant au même moment un front de
1 300 kilomètres, la liaison entre les deux groupes d’armées étant assurée
par l’unique 16e DI, déployée sur 400 kilomètres. Les soldats allemands
doivent donc tenir la bagatelle de 2 500 kilomètres sur la seule partie sud de
l’Ostfront…
La situation ne fait que se détériorer alors même que nombre de
divisions sont anéanties. On dénombre un peu plus de 200 divisions
allemandes face aux Soviétiques le 1er avril 1943 : sur 2 250 kilomètres de
front, la densité est donc équivalente à celle de l’armée française sur la
Somme et en Champagne en juin 1940. En juin 1944, une division
allemande couvre en moyenne 7 kilomètres de front en Normandie, contre
respectivement 12 et 17 en Italie et sur le front de l’Est, voire entre 24 et
32 kilomètres dans le secteur du Heeresgruppe Mitte, frappé de plein fouet
par l’opération « Bagration ». À la fin de l’année 1944, si 235 divisions
allemandes s’opposent aux Soviétiques alors que seulement 65 sont
déployées face aux Alliés, le front de l’Ouest est étendu sur moins de
500 kilomètres, contre plus de 3 000 kilomètres à l’Est. Si la parité en
densité de forces affectées sur les fronts était respectée, même s’il faut tenir
compte du terrain du champ de bataille ainsi que de l’état opérationnel des
divisions considérées, il devrait donc y avoir au moins six fois plus de
divisions à l’Est qu’à l’Ouest, alors que le ratio n’est que de 4 pour 1. A
contrario, l’effort consacré à la lutte contre les Anglo-Américains est
constamment bridé par les impératifs de la confrontation face aux
Soviétiques.
La dispersion des panzers, dont le rôle tactique est essentiel pour la
Wehrmacht, illustre la contrainte majeure que représente l’obligation de
mener simultanément deux guerres contre deux adversaires aux ressources
importantes : il n’est plus possible de masser les moyens de la Panzerwaffe
face à l’Armée rouge et la part des unités blindées engagées contre les
Alliés occidentaux ne cesse de s’accroître67. En juin 1944, ces derniers sont
confrontés à près de la moitié des Panzer-Divisionen et des
Panzergrenadiere. À cette date, environ 2 000 panzers, Sturmgeschütze et
Panzerjäger sont déployés en France et en Belgique et 450 en Italie, pour
2 400 blindés à l’Est (un total qu’il faut toutefois presque doubler en tenant
compte des blindés non endivisionnés). Les conséquences de cette
dispersion sont dramatiques : le Heeresgruppe Mitte ne peut compter que
sur à peine 553 blindés en juin 1944, sur un espace aussi vaste que la
France. En Normandie, il en va tout autrement : sur un peu plus de
100 kilomètres de front, les Allemands vont concentrer un nombre inégalé
de troupes d’élite. Ce n’est que fin janvier 1945 que le front de l’Est
retrouve pour Hitler la priorité qu’il a perdue depuis l’automne 1943.
Désormais, la lutte contre les Soviétiques absorbe les dernières ressources
d’une Wehrmacht à l’agonie.

Les panzers : l’avantage majeur de la Wehrmacht

Depuis les premiers temps de la Blitzkrieg, l’une de forces de l’armée


allemande réside dans ses unités blindées. La Seconde Guerre mondiale est
la guerre des chars. Les confrontations de blindés prennent des proportions
gigantesques : à Koursk, 2 900 blindés allemands sont engagés contre
5 000 chars soviétiques, soit 8 000 engins au total68. La bataille de
Normandie est l’une des plus grandes batailles de blindés de la guerre :
12 000 panzers, tanks, chasseurs de chars (Panzerjäger pour les Allemands)
et autres canons d’assaut (Sturmgeschütze, soit des blindés sans tourelle) se
sont affrontés sur un front relativement étroit.
C’est dans les rangs de la Wehrmacht et de la Waffen-SS que se
trouvent les plus grands as de la guerre parmi les chefs de char de l’arme
blindée. Leurs palmarès sont impressionnants : 168 victoires pour Kurt
Knispel, 150 pour Otto Carius, 138 pour Michael Wittmann… Cinquante as
allemands sont crédités ensemble de 3 000 chars soviétiques69. Les unités de
Sturmgeschütze (qui relèvent de l’artillerie) comptent elles aussi des
équipages d’élite en leur sein, à l’instar de Bodo Spranz, qui s’adjure plus
de 70 chars russes sur l’Ostfront70.
Les tankistes semblent régner en maîtres sur le champ de bataille. De
fait, les Allemands infligent de très lourdes pertes en blindés à leurs
ennemis : les hommes de Rommel détruisent 1 188 tanks en Libye en mai-
juin 1942, soit plus du double de leurs pertes. Lors de la bataille de
Kasserine, en Tunisie, en février 1943, ce sont plus de 300 tanks et
automoteurs alliés (essentiellement américains) qui sont perdus contre
seulement 20 panzers définitivement détruits. La puissance supposée des
Panzer-Divisionen n’empêche aucunement les déconvenues, et ce dès le
début de la guerre. Le Pz-Rgt 7 perd 72 de ses 164 panzers dès le premier
jour de la campagne de Pologne71. Sur 2 675 panzers engagés au cours de
cette première campagne, 218 sont totalement détruits. Pendant la
Westfeldzug, l’inflation des pertes est sensible : ce sont 753 blindés qui sont
détruits sur les 2 580 panzers engagés.
Les soldats de Hitler sont-ils donc dotés d’engins de qualité et en
quantité suffisantes ? La Wehrmacht a connu à plusieurs moments une
inflation marquée de son armement, aussi bien sur le plan quantitatif que
sur le plan qualitatif. Contrairement à une idée reçue, et ce jusqu’en 1942,
les Allemands sont montés au front à bord d’engins moins puissants que
ceux de leurs adversaires. Dès le début du conflit, de nombreux tankistes –
pour ne pas dire la majorité – ont l’infortune de combattre à bord de
blindés fort obsolètes. Le Panzer I et le Panzer II, guère plus que des
chenillettes avec leurs mitrailleuses ou leur pièce de 20 mm, ont été conçus
comme des engins d’écolage. Ils représentent pourtant une proportion non
négligeable des effectifs : de l’ordre des deux tiers en mai 1940, plus si on
ne tient pas compte des chars de commandement. Le parc en blindés plus
efficaces augmente toutefois sensiblement entre la campagne de Pologne et
celle de 1940 : les Panzer III, armés d’une pièce de 37 mm, passent de 151
à 785 exemplaires ; les Panzer IV, équipés d’un canon de 75 mm, sont 247
en septembre 1939 et 381 en mai 1940. Avec les tanks tchèques de prise,
ces engins sont les seuls à pouvoir affronter les Somua, B1-Bis et autres
Matilda II, mieux blindés et dont l’armement surclasse au moins les
Panzer III.
Le nombre de divisions blindées est multiplié par deux dans la
perspective de « Barbarossa », puisque 20 Panzer-Divisionen prennent part
à l’opération. La Panzerwaffe aligne 979 Panzer III et 444 Panzer IV, ce qui
représente un bond quantitatif et qualitatif a priori de bon augure.
L’invasion de l’Union soviétique s’effectue en effet avec 3 811 panzers
(sans compter les Sturmgeschütze et les Panzerjäger, encore peu
nombreux), 4 634 avec ceux des alliés du Reich, mais les Panzer I et II
demeurent en dotation72. Une surprise de taille attend pourtant les
Allemands dès le début de la campagne en Union soviétique : l’Armée
rouge affronte la Heer à 5 contre 1 en blindés, dont un millier de modernes
et puissants KV-1 et T-34, ce dernier révolutionnant l’art de la guerre des
blindés avec son blindage incliné. L’effet négatif sur les soldats allemands
reste indéniable : « La troupe s’enfuit en courant dès qu’un char russe
apparaît73 ! » se lamente le Feldmarschall von Bock. Le T-34 ne représente
pourtant pas la panacée : son viseur optique est très inférieur aux modèles
allemands et peu disposent de radio ; par ailleurs les chefs de char sont
rarement dotés de jumelles efficientes74.
Comme en France, en dépit de chars moins puissants, la supériorité
tactique des Allemands fait la différence, provoquant des hécatombes au
sein des régiments blindés adverses. La saignée est cependant sensible chez
les tankistes de Hitler : à la 18e Panzer, on ne compte déjà plus que 12 chars
en état de combattre après un mois de campagne75. Pour la première fois, les
pertes en panzers sont très élevées : 2 304 sont perdus au cours de la bataille
de Moscou, entre octobre 1941 et mars 1942. Le 1er février 1942,
l’intégralité du front de l’Est ne compte plus que 1 479 panzers, dont à
peine 340 fonctionnels76. Le 1er avril 1942, ce dernier chiffre chute à 140,
moins qu’il n’y en a au sein de l’Afrikakorps : autant dire rien…
De nouveaux armements entrent en lice à ce moment précis, aussi bien
en Afrique qu’en Union soviétique. Ainsi, le Panzer IV F2, doté d’un canon
long de 75 mm très efficace, équipe-t-il les régiments blindés, tandis que
des Sturmgeschütze équipés de la même pièce entrent également en
dotation. La nouvelle mitrailleuse MG 42 rejoint le front, tandis que la
pièce antichar Pak 38 de 50 mm se généralise, en remplacement des 37 mm
obsolètes. Le Pak 40 de 75 mm sera la véritable réponse à la menace que
représentent les T-34. Pour accroître les capacités antichars, une nouvelle
génération de Panzerjäger apparaît : les Marder, armés de canon de 75 ou
76,2 mm, redonnant une nouvelle jeunesse aux châssis des panzers devenus
obsolètes et recyclés pour parer la menace des T-34.
Cette refonte de la Panzerwaffe permet-elle à l’armée allemande
d’affronter ses adversaires à parité ? Le 1er juillet 1942, la Wehrmacht
aligne 6 558 panzers et Sturmgeschütze, dont 2 836 à l’Est, 1 613 sur les
autres fronts et au sein de l’Ersatzheer, ainsi que 2 109 engins en stock, en
réparation ou autres77, mais près de la moitié sont dépassés… En juillet
1942, la Heer possède 1 221 blindés armés de pièces de 75 mm long ou de
76,2 mm78. Cinq cent six Panzer III armés du nouveau 50 mm long sont
déployés en Russie. Le Heeresgruppe Süd est rééquipé avec 1 700 panzers
dans l’optique de « Fall Blau », l’offensive devant aboutir au contrôle de
Stalingrad et du pétrole du Caucase. Dans le domaine antichar, le
Heeresgruppe Süd est également nettement avantagé sur les autres
Heeresgruppen : sur les 1 671 Pak d’un calibre supérieur à 75 mm, il en
compte 785, dont l’intégralité des tout nouveaux et redoutables Pak 4079.
Les succès remportés jusqu’à l’automne semblent confirmer que la
Panzerwaffe reste maîtresse du champ de bataille.
En Afrique, comme en Russie, le déséquilibre des forces est
fragrant dès 1941. Les panzers, par ailleurs engagés selon des schémas
tactiques nettement plus efficaces que chez l’ennemi, ont l’avantage décisif
d’être dotés d’obus perforants, ce qui leur permet de neutraliser les pièces
antichars et d’artillerie adverses, un luxe qui fait défaut aux tanks anglais.
Rommel, considérablement renforcé au printemps 1942, attaque la ligne de
Gazala avec 560 chars (332 panzers et 228 chars italiens, ainsi que
77 panzers en réserve) contre 849 en première ligne chez les Britanniques
(dont plus de 150 M3 Grant américains armés d’un redoutable 75 mm en
caisse). À El-Alamein, le 23 octobre 1942, il aligne 522 chars contre
1 035 tanks alliés en première ligne (sur plus de 2 600 en Égypte,
essentiellement dans les ateliers). Mais à El-Alamein, pour la première fois
de la guerre du désert, les Alliés disposent en nombre d’un char aux
performances supérieures à celles des panzers : le M4 Sherman. L’engin,
devenu l’emblème des forces blindées américaines du conflit, y réalise son
baptême du feu80. Contrairement à ce qui a prévalu au cours des combats du
printemps et du début de l’été, Rommel dispose cependant de puissants
panzers en nombre – 86 Panzer III J Lang armés d’un 50 mm long et
30 Panzer IV F2 à canon de 75 mm L/43. Ces blindés à l’armement
amélioré sont nettement plus dangereux pour les tanks alliés que leurs
prédécesseurs qui ont opéré dans le désert depuis février 1941, mais les
tanks de la 8e armée sont nettement plus nombreux. Un rapport de forces
défavorable qui ne fait que s’accentuer en Tunisie.
Les efforts de production et l’entrée en service de nouveaux modèles de
panzers en 1942 ne semblent pas avoir davantage retourné la situation à
l’Est. En janvier 1943, alors que le désastre de Stalingrad s’accomplit,
l’armée allemande aligne 3 300 panzers et Sturmgeschütze à l’Est, dont la
moitié sont opérationnels. Pas moins de 1 934 blindés ont été envoyés à la
rescousse dans le secteur sud vacillant81. Le déséquilibre semble plus
marqué que jamais : face à eux, 9 000 tanks russes, outre 4 300 blindés dans
les unités en formation82.

1943-1945 : de meilleurs blindés… mais toujours trop peu


nombreux

Les blindés sont-ils disponibles en trop petites quantités pour les soldats
de Hitler ? La production atteint des records en 1943 et 1944 avec
respectivement 17 300 et 22 100 unités produites. Sur le front, du fait de
l’intensité des combats, les pertes en panzers sont également à la hausse :
5 813 en 1943, 6 914 en 194483. Le parc en chars n’en semble pas affecté,
ce qui laisserait croire que la Wehrmacht gagne en puissance. On dénombre
3 410 Panzer III, Panzer IV, Panther et Tiger sur l’ensemble des fronts en
juillet 1943, 4 210 en janvier 1944, 6 180 en juillet 1944, 4 930 en janvier
194584. Cet effort de production est pourtant insuffisant : le 1er janvier 1944,
l’Armée rouge compte 40 600 blindés (au front, en réserve, en stock…),
chiffre qui monte à 60 100 au 1er janvier 194585. Totaux impressionnants qui
ne prennent en compte que l’adversaire soviétique… Les Sturmgeschütze et
les Panzerjäger, plus faciles à produire et généralement plus fiables
mécaniquement, auraient pu constituer une des solutions pour disposer de
davantage de blindés, et ce d’autant que les coûts de production sont
nettement moindres : un Sturmgeschütz coûte 87 000 marks, un Panzer III
103 000, un Panzer IV 117 000, un Panther 130 000 un Tiger 300 00086.
De la même manière qu’ils pensent que le fanatisme et les qualités du
soldat allemand priment sur la multitude des troupes adverses, Hitler et ses
séides sont persuadés que la qualité du matériel l’emporte sur la quantité et
fondent leur réflexion sur ce postulat. Un saut qualitatif encore plus marqué
qu’en 1942 survient en prévision de l’offensive d’été de 1943 sur le front de
l’Est, l’opération « Citadelle », la fameuse bataille de Koursk, que le Führer
veut décisive. Hitler souhaite absolument reconstituer les unités de panzers
en vue de l’offensive87, au grand dam de Guderian, alors inspecteur général
de la Panzerwaffe, qui craint à juste titre que la nouvelle offensive ne
décime des unités à peine reconstituées, d’autant que la mise au point du
nouveau matériel est loin d’être parfaite du fait de problèmes techniques. Le
nouveau char qui entre en lice pour l’offensive est le Panther, superbe engin
de guerre, conçu comme une réponse au T-34 et qui va se révéler être le
meilleur blindé du conflit. Le Panther semble représenter la synthèse
presque parfaite entre la puissance de feu, le blindage et la mobilité (même
si son obus explosif manque de puissance). Toutefois, à peine 200 unités
sont engagées dans l’offensive, aux côtés de 178 Tiger I. Les nouveaux
chasseurs de chars Nashorn et 89 Tiger Elefant, armés de terribles canons
de 88 mm, sont également engagés à Koursk. « Citadelle » voit aussi
l’entrée en lice de panzers spéciaux, en l’occurrence des chars Panzer III
lance-flammes et 45 obusiers sur châssis de Panzer IV, les Brummbär.
Hitler met de grands espoirs dans les nouveaux blindés et retarde ainsi la
date de l’offensive afin d’en disposer d’un plus grand nombre. Près de
2 600 panzers sont disponibles le 5 juillet dans le secteur d’attaque, sur les
6 291 blindés modernes dont dispose alors la Wehrmacht sur tous les fronts.
La concentration pour l’offensive est donc particulièrement remarquable.
La victoire ne sera pourtant pas acquise.
Comme nous l’avons dit, la bataille de Normandie, en 1944, est l’une
des plus grandes batailles de blindés de la guerre88 : 12 000 panzers, tanks,
chasseurs de chars et autres canons d’assaut se sont affrontés sur un front
relativement étroit, mais les neuf dixièmes opèrent dans le camp allié… Ce
sont 1 400 tanks qui débarquent le Jour J. Compte tenu des unités de
Panzerjäger des divisions d’infanterie, la Wehrmacht ne dispose, le « jour le
plus long », que d’environ 240 blindés non obsolètes (169 capables
d’affronter les tanks à la 21e Panzer). Si dix Panzer-Divisionen, une
Panzergrenadier-Division et des unités blindées autonomes (bataillons de
chars lourds Tiger, etc.) participent à la bataille avec pas moins de
2 500 panzers, l’ensemble est loin d’être homogène et pleinement
opérationnel. Plusieurs divisions manquent cruellement de panzers, de SPW
(semi-chenillés transporteurs de troupes) et de camions. Comme escompté,
les duels tournent le plus souvent à l’avantage des panzers, mais pas
systématiquement, d’autant que les premières contre-attaques allemandes
sont peu coordonnées et de faible ampleur. Les Panzer-Divisionen sont
puissantes, mais engagées de manière fragmentée : les bataillons de Panther
de la « Hitlerjugend » et de la « Panzer Lehr » arrivent après le reste des
divisions, la situation étant pire à la 2e Panzer dont les engins ne sont à pied
d’œuvre que le 18 juin, cinq jours après l’engagement de la division. Pis,
les panzers les plus puissants ne sont pas présents au cours des quarante-
huit premières heures si décisives : le Panther entre en lice le 8 juin, le
Tiger I le 13 juin, le Tiger II et le Jagdpanther à la mi-juillet seulement.
À l’Est, en ce même mois de juin 1944, le déséquilibre est tout aussi
marqué : les tanks soviétiques attaquent à 10 contre 1 les 500 blindés du
Heeresgruppe Mitte. Pour le soldat de Hitler à l’Est, le combat est d’autant
plus difficile que la priorité est accordée au front de l’Ouest. Ainsi, en
septembre, les meilleurs chars, Panther et Tiger (la Wehmacht aligne
500 Panther de plus qu’au mois de mai89), pourtant conçus pour affronter le
T-34, sont réservés au front de l’Ouest, qui bénéficie toujours de toutes les
priorités, au grand dam de Guderian. C’est ainsi que 2 299 panzers et
Sturmgeschütze neufs ou réparés sont fournis aux troupes allemandes
engagées à l’Ouest en novembre et décembre 1944, tandis que les troupes
de l’Ostheer, qui affrontent les Soviétiques, n’en reçoivent que 921,
majoritairement des Panzer IV90. Si les panzers arrivent, un élément
tempère cette remise en condition : la Wehrmacht a survécu aux désastres
de l’été 1944, mais les réserves de carburant sont désormais très limitées, ce
qui n’est pas sans conséquences désastreuses sur la formation des
équipages.
Les meilleurs blindés du conflit ?

La supériorité des panzers est-elle un mythe ? Les scores de


destructions de tanks attribués aux unités de Tiger sont stupéfiants : en
Afrique, les Schwere Panzer-Abteilungen 501 et 504 sont crédités de
300 chars ; le Schwere Panzer-Abteilung 502 aurait détruit 1 500 blindés
russes et le Schwere Panzer-Abteilung 505 en aurait détruit 900 ; en
Normandie, le Schwere SS-Panzer-Abteilung 102 revendique 230 tanks
incendiés91. Les 1 350 Tiger auraient détruit la bagatelle de 9 850 blindés,
ainsi que 35 000 matériels92 ! Les Tiger sont donc considérés comme les
maîtres du champ de bataille. Les soldats alliés ont une forte propension à
déceler des Tiger ou des canons de 88 mm au moindre engagement. Une
véritable phobie de ce type de blindés s’empare des troupes alliées.
Pourtant, la Panzerwaffe de 1943-1944 est à l’image de l’ensemble de
la Wehrmacht : le meilleur côtoie le pire. Le 21 janvier 1944, sur le front
italien, on dénombre encore 11 Panzer IV à canon court L/24 et
91 Panzer III (dont 21 à la « Hermann Goering » censée être une unité
d’élite) bien obsolètes. Sur le front de l’Ouest, alors que la bataille qui
s’annonce est considérée comme décisive, de nombreux chars français
complètement dépassés sont encore en dotation, particulièrement dans le
Cotentin. Lors de la crise de l’automne 1944, lorsqu’il faut faire flèche de
tout bois pour sauvegarder un Reich aux abois, de vieux Panzer II, III et IV
du Fallschirmjäger-Ersatz-und-Ausbildungs-Regiment « Hermann
Goering » participent aux combats menés pour repousser l’assaut aéroporté
de l’opération « Market Garden93 ».
La plupart des engins engagés en 1944-1945 appartiennent cependant
aux modèles les plus récents, équivalents et souvent supérieurs aux blindés
alliés qu’ils affrontent. Pendant toute l’année 1944, les meilleurs chars,
Panther et Tiger, se montrent nettement supérieurs au Sherman, qui est alors
le cheval de bataille des unités blindées anglo-canadiennes et américaines.
Dans les faits, les Britanniques déploient également deux autres engins : le
Churchill, un char d’infanterie au blindage épais, et le Cromwell, destiné à
l’origine aux unités de reconnaissance, en remplacement du Stuart. Comme
le T-34, les chars anglo-américains se révèlent tous inférieurs aux blindés
allemands, le principal avantage des panzers, outre un blindage plus épais,
étant une allonge nettement supérieure de leur armement qui leur permet
d’anéantir un tank avant que ce dernier ne soit en mesure d’atteindre une
portée permettant de neutraliser le blindé allemand. Le vieux Panzer IV,
dans ses dernières versions, représente toujours un adversaire sérieux : il est
mieux armé que le Sherman et il est plus rapide, mais c’est au prix de son
blindage, nettement moins épais sur les flancs, même avec les Schürzen94.
Les fameux Sherman Firefly, dotés de l’excellente pièce de 17 pounder,
sont trop rares pour avoir un impact décisif sur la bataille de Normandie.
On en dénombre 84 en ligne le 11 juin et seulement 232 au 30 juillet95.
Toutefois, les compartiments de combat du bocage normand ou encore de la
forêt des Ardennes sont peu profonds, annulant ainsi l’avantage de la
supériorité en armement des panzers. Il faut attendre 1945 et l’arrivée sur la
ligne de front des Pershing américains et des Comet britanniques pour que
les panzers soient confrontés à des adversaires à leur mesure. À l’Est, la
qualité du matériel des Soviétiques ne cesse de se renforcer : T-34/85, qui
surclasse le Panzer IV, puis chars lourds Joseph Staline JS 1 et 2, ainsi que
de nombreux chasseurs de chars SU-85, SU-122 et SU-152.
Une course au gigantisme pousse les ingénieurs à concevoir le
Panzer VIII Maus, monstre plutôt impotent armé d’une pièce de 128 mm et
d’un canon de 75 mm en coaxial, qui ne dépassera pas le stade du
prototype. Son poids avoisine les 188 tonnes ! Plus prometteur et avant-
gardiste est l’ensemble des dispositifs de visée nocturne et de combat
infrarouge. Une nécessité pour une Wehrmacht soumise à la toute-puissance
aérienne alliée. Un projecteur infrarouge de 200 mm FG1250 est installé sur
quelques Panther. Le programme de panzers de la série E (pour
Entwicklung, « développement ») est également très en avance sur son
époque, et certains engins sont sur le point d’entrer en production quand le
conflit arrive à son terme96.
Les écueils dont souffrent les équipages des panzers sont pourtant
nombreux. Le taux de disponibilité de ces blindés est un point faible
majeur. Supposés invulnérables, les Tiger et les Panther sont extrêmement
dispendieux en carburant. De surcroît, leur mécanique fragile nécessite des
travaux de maintenance répétés, de sorte que de nombreux engins ne sont
pas opérationnels mais dans les ateliers. Guderian déplore que l’usure du
moteur du Panther (environ 1 500 kilomètres) soit beaucoup plus rapide que
durant les essais. Nonobstant tous ces handicaps, les mécaniciens allemands
déploient pourtant des trésors d’ingéniosité pour s’efforcer de remettre en
état les engins en panne ou endommagés. Le 8 juillet, en Normandie, soit
un mois après l’invasion, Rommel reconnaît la perte de 349 chars. Deux
jours plus tard, on ne compte que 800 panzers opérationnels, soit la moitié
de ceux qui ont alors été envoyés sur le front. Si de nombreuses fragilités
d’ordre mécanique en sont ici responsables, cette situation résulte aussi des
difficultés rencontrées en matière de dépannage et de récupération sur le
terrain. L’opération se révèle délicate compte tenu du poids des engins et du
moindre nombre de véhicules aptes au dépannage : Famo et Bergepanther,
disponibles en trop petites quantités, ne suffisent pas. De nombreux chars
sont donc abandonnés ou sabordés à la suite de pannes et d’avaries dues au
combat. En 1944, tous fronts confondus, la Panzerwaffe perd
3 105 Panzer IV et 2 680 Panther, mais elle n’est parvenue à réparer et à
renvoyer en unités que 294 de ces Panzer IV et 110 Panther. La multiplicité
des pièces détachées, incompatibles entre les modèles de panzers, ne facilite
aucunement la tâche des ateliers. Le poids et l’encombrement, des Tiger
notamment, ne sont pas des données secondaires.
La qualité des aciers et de la manufacture, y compris des munitions,
décroît avec l’avancée dans le conflit. Les alliages d’acier manquent de plus
en plus de molybdène ainsi que de manganèse. L’acier contient de plus en
plus de carbone et a tendance à casser sous l’impact, les soudures étant par
ailleurs moins résistances aux tirs97. Le Panther de 1944 perd 20 % de son
efficacité comparativement à ceux sortis des chaînes de montage en 1943.
Par ailleurs, le tungstène qui entre dans la fabrication des meilleurs obus
perforants se fait de plus en plus rare. Les panzers sont également desservis
par la piètre qualité du carburant.
En revanche, l’optique est remarquable (mais trop fragile) et les
tankistes bénéficient d’un excellent équipement de visée. L’espace interne
est souvent plus spacieux que dans les chars alliés, les plus avantagés étant
les tankistes servant à bord des Tiger Elefant. Face aux alliés occidentaux,
la vitesse de rotation des tourelles est au désavantage des Allemands, faute
de moteur électrique.
Contrairement à leurs homologues alliés, donc, les tankistes allemands
ont l’avantage de disposer éventuellement de blindés spacieux et dotés d’un
blindage fort rassurant, à commencer par les équipages chanceux qui sont
dotés de Tiger, le « monstre » d’acier se pilotant par ailleurs au moyen d’un
volant. Les panzers, à l’ergonomie recherchée, sont également bien plus
confortables que les T-34 des Soviétiques, pour lesquels le bien-être du
soldat n’a rien de prioritaire et qui ne misent de toute façon pas sur une
durée de vie très longue d’un blindé sur le champ de bataille… Cette
puissance défensive alliée à un armement formidable est de nature à
rassurer les équipages et à leur donner confiance : une manière avantageuse
de se porter au combat. Encore faut-il disposer d’un équipage de qualité : de
ce point de vue, le pilote tient un rôle primordial, car c’est à lui qu’incombe
d’évaluer les possibilités de franchissement (le pont résistera-t-il au poids
de l’engin ? les arbres vont-ils se révéler gênants ?) et de négocier les
obstacles. À l’exception du Bordführer (le commandant du panzer) quand il
risque la tête hors de son tourelleau, le pilote est en outre celui qui a la
meilleure vue du terrain – relative car il ne peut pas voir les premiers mètres
devant le char… – et dont les données d’observation sont essentielles à ses
camarades. Les engins allemands ont aussi l’avantage d’être équipés
d’interphones. L’intérieur des engins est peint en blanc afin de faciliter la
vision dans l’obscurité, d’autant que les fumées peuvent envahir l’habitacle
au cours des combats. Pour faciliter la prise en main de ses engins blindés
sophistiquées, la Wehrmacht autorise la publication de manuels d’utilisation
parfois surprenants, quoique efficaces : ainsi, le Tigerfiebel, ou Abcédédaire
du Tiger I, est-il truffé de dessins d’une jeune femme sexy qui confère un
aspect ludique à la lecture.
Un panzer, stricto sensu, est un blindé de la Panzerwaffe entièrement
chenillé, à tourelle pivotante. De tels engins ne constituent nullement le seul
outil de l’arsenal blindé des Allemands. La Wehrmacht en engage d’autres
tout aussi efficaces : les canons d’assaut, ou Sturmgeschütze (avant tout
conçus comme supports de l’infanterie), ainsi que les Panzerjäger. Les
Allemands disposent de toute une gamme de puissants Panzerjäger avec le
Jagdpanther, le meilleur chasseur de chars de la guerre, le Jagdpanzer IV
(ou Panzer IV/70), et l’entrée en lice du Jagdpanzer 38 (t), normalement
destiné aux divisions d’infanterie, le Jagdtiger (un monstre armé d’une
pièce de 128 mm montée sur un châssis similaire à celui du Tiger II) étant
le dernier à être engagé. Ces blindés ne sont pas exempts de défauts et sont
loin de représenter la panacée. Si leur silhouette basse les avantage, assurant
une dissimulation plus aisée, ils sont desservis par l’absence de tourelle, ce
qui est un handicap tactique de taille. Leur profil bas peut se révéler gênant
pour ouvrir le feu au-dessus des hauts talus des haies normandes. Quant aux
Panzerjäger des premières générations, encore en lice en 1944, ils sont très
faiblement blindés et leurs compartiments de combat sont ouverts…
Les Allemands bénéficient de véhicules blindés particulièrement réussis
au sein des Aufklärungs-Abteilungen. La série des engins de reconnaissance
lourds à huit roues est parmi les plus remarquables mises au point par la
Wehrmacht. C’est plus particulièrement le cas du SdKfz 234/2 Puma,
équipé d’un moteur solide assurant 900 kilomètres d’autonomie et doté
d’une pièce de 50 mm, ou encore du SdKfz 243/3 Stummel armé d’un
canon de 75 mm L/24. Avec le Puma, qui entre en lice en petit nombre en
Normandie au sein des trois Panzer-Divisionen98, le concept de char de
reconnaissance fait un bond technologique. Pourtant, l’esprit de
récupération et le manque de matériel obligent les Allemands à conserver
les modèles les plus anciens comme à l’accoutumée : en Normandie
subsistaient des SdKfz 222 et SdKfz 231 conçus avant guerre dans certaines
unités de reconnaissance, alors qu’ils auraient dû être retirés du service actif
au profit de la série des Puma. Lorsqu’elle remonte la vallée du Rhône, la
7e armée allemande est toujours équipée, entre autres, d’automitrailleuses
françaises saisies en 1940 et toujours en service, mais sous les couleurs
allemandes.

Les armes antichars : l’autre atout de la Wehrmacht

Les blindés ne sont pas les seules armes à même de réduire à néant la
force blindée alliée. Les unités d’infanterie possèdent leurs propres armes
antichars afin d’être en mesure de repousser toute attaque de tanks : les
canons antichars, ou Pak. Il s’agit d’abord de faibles Pak 36 de 37 mm, déjà
obsolètes face aux chars français de 1940, et de Panzerbüsche (fusils
antichars). Ces derniers sont également souvent inopérants99. Les pièces
antichars Pak 35/36 de 37 mm et Pak 38 de 50 mm, que les soldats
apprennent vite à déployer à contre-pente, ne peuvent venir anéantir des T-
34 qu’à bout portant, à condition de frapper sur les côtés ou à l’arrière, là où
le blindage est le moins épais. En 1944, le Pak 35/36 retrouve toutefois une
nouvelle jeunesse avec la munition à charge creuse Stielgranate 41 : il peut
alors détruire n’importe quel tank jusqu’à 300 mètres.
Pragmatique, la Wehrmacht prend des mesures pour pallier le manque
d’efficacité de ses Pak. Pendant l’opération « Barbarossa », la défense
antichar repose ainsi beaucoup sur l’intervention directe de l’artillerie, qui
ne peut donc pas remplir son rôle premier, ainsi que sur les excellentes
pièces de Flak de 88 mm, éventualité prévue par Brauchitsch à l’issue de la
campagne de France, pendant les préparatifs de l’invasion à l’Est100. En
juillet 1942, près de Voronej, une attaque blindée soviétique est même
repoussée par des tirs de lance-roquettes Nebelwerfer. L’effet
psychologique de cette arme terrifiante est pour beaucoup dans l’échec
soviétique, davantage que les dommages réels infligés par les tirs
allemands101. Les effets redoutables de l’engagement des 88 contre des
cibles blindées sont passés à la postérité avec la guerre du désert. La pièce
est pourtant encombrante, et sa haute silhouette fait qu’elle est difficile à
dissimuler, donc vulnérable. Pis, les artilleurs de la Luftwaffe ne sont pas
toujours aptes et entraînés à affronter des cibles terrestres, comme c’est le
cas pour les équipes de pièces du III. Flak-Korps du général Pickert en
Normandie.
Si les premiers antichars se révèlent décevants, les soldats allemands
sont bientôt dotés des meilleures pièces antichars de la guerre. Le Pak 40
est autrement dangereux – sa puissance de pénétration est supérieure à celle
d’un Tiger I – et adapté que ses prédécesseurs, si ce n’est qu’il s’agit d’une
pièce attelée, pesant environ 1,5 tonne. Sa silhouette basse permet à ses
servants de l’embosser de façon à ce qu’il soit difficilement détectable. La
durée de vie de son tube est de 6 000 tirs, de quoi rentabiliser une arme
particulièrement létale dotée d’un viseur Zeiss ZE 38 3 × 8. L’Allemagne a
été en mesure d’en produire plus de 23 000 exemplaires. Le Pak 43 de
88 mm, déployé au sein des Panzer-Divisionen ou encore dans des
Panzerjäger-Abteilungen indépendants, est certes très dangereux, mais il
n’est produit qu’à hauteur de 2 098 unités et son poids est deux fois plus
élevé. Par ailleurs, ses dimensions le rendent beaucoup plus difficile à
dissimuler. Il se révèle cependant particulièrement létal, que ce soit dans la
plaine, polonaise ou caennaise, ou dans les reliefs plus tourmentés d’Italie
et des Ardennes. Les Pak représentent donc une menace réelle sur un vaste
compartiment de combat (en particulier avec l’usage de la munition
Panzergranate 40 possédant une puissance accrue de pénétration), et ils sont
d’autant plus difficilement repérables que les obus allemands ne laissent
échapper aucune fumée après un tir. La nature du terrain annule cependant
plus souvent qu’on ne l’a souligné l’avantage des Allemands en puissance
antichar, notamment dans le bocage normand, en relief montagneux
(Vosges, Apennins, Ardennes), en zone très urbanisée ou encore en zone
fortement boisée.
Pour parer à la faiblesse en moyens antichars au cours de la période de
la guerre antérieure à l’ère du bazooka (soit en 1939-1943), des charges
creuses peuvent être tirées à partir d’un dispositif spécial adapté sur K98,
mais cette arme reste rare et de courte portée. Des armes individuelles sont
aussi en dotation. Les Allemands disposent également de mines
magnétiques à charge creuse se fixant sur le blindage par des aimants
(Panzerhandmine). Les fantassins apprennent à s’attaquer aux chars. Le
froid a pu constituer un allié à l’occasion : les rebords gelés des tranchées
ne cèdent pas sous la pression des T-34, qui peuvent être détruits par
d’audacieux Landser qui y fixent des charges explosives après leur passage,
tandis que l’infanterie russe est maintenue à distance102. Lorsque les
fantassins soviétiques sont montés sur les superstructures de leurs blindés,
selon une méthode qu’ils affectionnent, il importe bien sûr de les neutraliser
avant de s’en prendre à leurs « montures ». Il n’y a guère d’autres moyens
avant l’entrée en lice des bazookas, mais le fossé est grand de la théorie à la
pratique… Un soldat allemand raconte que, tenant une charge en main, il se
rue sur un T-34. Une surprise de taille l’attend : l’engin est couvert de béton
et la mine magnétique ne colle pas ! Le Landser, qui ne manque pas de
courage, s’allonge dans une tranchée inachevée, dos au sol, alors que le
tank passe au-dessus de lui. C’est l’occasion : dans l’obscurité, alors que les
bords de la tranchée s’effondrent, il place la charge. Le tank poursuit sa
route et explose… Un peu anecdotiques, les fameux engins filoguidés ou
téléguidés SdKfz 302/303 Goliath103 et Borgward IV, remplis d’explosifs, se
révèlent trop peu efficaces car vulnérables : des matériels au final très
délicats d’emploi et des produits technologiques inutiles.
L’avènement du bazooka change la donne dans la lutte antichar.
L’avantage est aux soldats allemands qui sont armés à partir de 1943 des
deux bazookas les plus célèbres et les plus performants : les Panzerfäuste
(tube sur lequel est fixé un projectile à charge creuse) et les Panzerschreck
(l’équivalent allemand du bazooka américain). Les combats menés pour
Bernstein, les 3 et 4 décembre 1944, au cours de la bataille de la forêt de
Hürtgen, illustrent la létalité du Panzerfaust. Les défenseurs de la
272. Volksgrenadier-Division parviennent à surprendre l’ennemi et à
détruire huit des onze Sherman engagés, et ce uniquement à l’aide de
Panzerfäuste104. Le Panzerschreck est tout aussi redoutable. Dans la nuit du
9 au 10 juin, le sergent Brasche, servant d’une équipe de « casseurs de
chars » de la « Panzer Lehr », réalise un véritable exploit en parvenant à
détruire quatre tanks. Le 11 juin, l’exploit de Brasche est cité à l’ordre de la
division105.
Le Panzerfaust 30 n’a qu’une portée réduite à 30 mètres, et la tête du
projectile, mal dessinée, a tendance à ricocher. Au cours de l’été 1944, ces
deux problèmes sont corrigés avec le Panzerfaust 60. La production
mensuelle passe rapidement de 400 000 à 1,5 million106. Très efficace, le
pointage du Panzerfaust reste délicat car, tout en visant avec la hausse, il
faut passer le tube sous le bras pour éviter les brûlures dues aux gaz de
propulsion. En 1944, les divisions d’infanterie reçoivent en théorie 2 000
Panzerfäuste, répartis au sein de toutes les compagnies, 1 500 sont donnés
aux divisions Panzergrenadiere et 1 000 aux Panzer-Divisionen. Les unités
organiques des corps d’armée ainsi que les bataillons de réserve de l’OKW
en possèdent également. Les Racketenpanzerbushe ou encore
Panzerschreck, plus communément appelés Ofenrohr, c’est-à-dire « tuyaux
de poêles » (260 000 à 290 000 exemplaires produits avec plus de
2 millions de roquettes), sont en revanche normalement distribués aux
seules compagnies antichars. Les divisions d’infanterie, les seules qui
devraient en être dotées au sein de la Heer, en perçoivent 90 en 1943 puis
108 en 1944. Une Gebirgsjäger-Division en compte 72 en 1943 puis 117 en
1944 (mais au détriment des canons antichars). Les divisions de
parachutistes sont en revanche favorisées avec 250 exemplaires. En
septembre 1944, une Volksgrenadier-Division dispose d’une dotation
théorique de 216 (mais, là aussi, le nombre de Pak a diminué : il n’y en a
plus au niveau du bataillon d’infanterie). Le gros souci est que la charge
propulsive continue de brûler après sa sortie du tube sur deux mètres. En
dépit de son efficacité, l’engin ne laissera guère de descendance au contraire
du Panzerfaust. Le canon sans recul Rakentenwerfer 43 ou Püppchen tire
des roquettes similaires à celles du Panzerschreck mais avec une portée
accrue.
La Wehrmacht est donc très bien équipée pour mener des combats
antichars très efficaces, grâce à tout un panel d’armes qui conjuguent leurs
efforts à ceux des panzers, Sturmgeschütze et autres Panzerjäger. Ainsi, un
mois avant le débarquement du 6 juin 1944, la 7e armée du général
Dollmann dispose de 1 700 Pak, 17 000 Panzerfäuste, 900 Panzerschreck et
130 Püppchen.

Un armement de qualité pour les soldats de Hitler

À Salerne en 1943, face au débarquement anglo-américain en Italie, le


commandant de la 16e Panzer affirme que le matériel allemand est le
meilleur107. Qu’en est-il en réalité ? Si les soldats allemands seront souvent
dotés du nec plus ultra de l’époque en matière d’armement, la Wehrmacht
est entrée en guerre avec un matériel insuffisant, et cela reste un mal
endémique. Un axiome semble par ailleurs sous-tendre la dotation en armes
au sein de la Wehrmacht : la qualité de l’armement doit pouvoir pallier le
manque d’hommes, la crise des effectifs devenant criante dès le premier
automne de la campagne à l’Est.
L’armement de base est d’excellente facture, à commencer par les
redoutables MG 34 et 42 (respectivement à 900 et 1 200 coups par minute
de cadence théorique), surnommées le « canon à diarrhée », le « moulin à
café », la « scie de Hitler » ou encore le « violon de Hitler108 ». Les
mitraillettes MP 38/40, parmi les meilleures de leur génération, sont le plus
souvent réservées aux cadres (mais aussi aux tankistes ou à de nombreux
paras). Entre 1940 et 1944, la dotation passe de une pour onze à
treize hommes à une pour huit, voire une pour cinq. Le MP 40 est une arme
fiable sans pour autant être plus efficace que le PPSH 41 soviétique ou la
Thompson américaine, si ce n’est que cette dernière a une portée utile
limitée à 50 mètres contre 100 mètres pour le MP 40. Fin 1944, un bond
qualitatif supplémentaire est franchi quand la puissance de feu des
combattants est sensiblement renforcée par la dotation de plus en plus
grande en MP 44 (ou StG 44), un fusil-mitrailleur, en fait le premier fusil
d’assaut de l’histoire109, et avec le FG 42 des parachutistes. Le FG 42 est
une rareté et reste d’un maniement ardu en raison d’un recul trop puissant et
d’une difficulté à le contrôler en mode automatique. L’augmentation du
nombre d’armes automatiques individuelles est flagrante dans la dotation
théorique d’une Volksgrenadier-Division. Dans chaque section, un seul
groupe de combat est pourvu de MG 42 (onze par compagnie), en raison de
la puissance de feu que représente l’importante dotation en MP 44 : vingt-
six au sein de deux sections par compagnie, sans compter six fusils semi-
automatiques par compagnie pour les snipers. Certes, la section de base
compte encore des fusils à verrou K98, alors que l’armée américaine fournit
un Garand semi-automatique à la majorité de ses combattants. Dans la
Wehrmacht, les rares fusils semi-automatiques Gewehr 41 ou 43 (ce dernier
étant nettement plus réussi) étaient plutôt réservés aux snipers. Certaines
armes sont indéfectiblement rattachées à l’image du soldat allemand, ainsi
de la plus célèbre grenade en service au sein de la Wehrmacht, la
Stielhandgranate M-24/39. Cette grenade à manche a l’avantage de la
précision, et le manche de bois permet en outre de la lancer plus loin que
ses homologues alliées.
L’armée allemande est dotée d’un bien plus grand nombre d’armes
automatiques que les alliés occidentaux (c’est moins vrai si la comparaison
s’effectue avec certaines formations soviétiques), plus particulièrement
certaines unités comme les paras. Les mitrailleuses et autres fusils-
mitrailleurs ne constituent pas les seuls points forts des Allemands en
matière d’armement collectif. Les mortiers représentent l’arme la plus
létale, celle qui cause le plus de pertes. Les mortiers de 80-81 mm de tous
les belligérants sont des dérivés du modèle français Brandt, et ils ont tous
des caractéristiques proches. Les Allemands disposent du Granatwerfer 36
de 50 mm, du largement répandu Granatwerfer 34 de 81 mm, ainsi que du
puissant Granatwerfer 42 de 120 mm qui pèse plus de 280 kg, contre 56 kg
pour le précédent, mais de portée presque triple (6 000 mètres contre
2 400). Ce qui a fait la valeur du mortier allemand, c’est l’entraînement
particulièrement poussé des équipes de pièce. En outre, la cadence de tir du
mortier est élevée, et il est difficilement détectable. Précis et simple
d’utilisation, le Granatwerfer 34, dont le coût de revient est de 810 marks,
est livré en trois fardeaux transportables à dos d’homme. Parmi les autres
armements notables, citons les terribles lance-flammes dont disposent les
unités du génie, même si la dotation au sein de l’armée allemande fait de
leur emploi une occurrence beaucoup moins marquée qu’au sein de l’armée
américaine, particulièrement dans le Pacifique. Outre les terrifiants lance-
roquettes de type Nebelwerfer110, les pièces d’artillerie allemandes sont
également de très bonne facture – dont d’excellents automoteurs comme les
Wespe, les Hummel et autres Brummbär –, même si quelques-unes se sont
révélées inadaptées à certains théâtres d’opérations. Dans la guerre du
désert, ce sont certains obus de mortier qui se montrent inadaptés, leur
puissance de destruction étant nettement atténuée par le sol sableux.
Ces armes sont-elles produites en nombre suffisant ? Le Reich produit
la bagatelle de 308 624 canons et obusiers pendant la durée du conflit111. La
production atteint des records en 1944. La préparation de « Barbarossa »
marque une nette inflation dans le matériel dont dispose l’armée allemande.
La Wehrmacht possède de plus en plus de semi-chenillés transporteurs de
troupes SdKfz 251, mais aussi de panzers, d’obusiers légers d’infanterie et
de MG 34.
Entre l’été 1943 et l’été 1944, la machine de guerre nazie fonctionne
suffisamment bien pour permettre à l’armée allemande de compenser ses
pertes et de se maintenir à un haut niveau opérationnel112. Perdre une arme
constitue pour autant une faute sévèrement sanctionnée. Des ordres
drastiques sont donnés en ce sens par l’OKH le 12 août 1944 : sera
notamment puni tout soldat qui aura perdu sa mitrailleuse, son arme
individuelle et même son masque à gaz, pourtant inutile. Toute permission
sera ainsi supprimée pour une durée d’un an, et il faudra dédommager le
Reich de la valeur de l’équipement perdu, soit 120 Reichsmarks pour une
MG 34, 50 pour un MP 40 ou un fusil, ou encore 20 pour un masque à
gaz113. Il faut tout faire pour sauver le matériel. Willi Fisher, de la
12e Panzer SS « Hitlerjugend », perd son Panther à Krinkelt au cours de la
contre-offensive des Ardennes : « Jürgensen [son supérieur] m’a rendu
responsable, sous peine de cour martiale, de la défense de mon propre
panzer, mais aussi de quelques Panther de la 1. Kompanie avec des
équipages de trois hommes, et même d’un Panzer IV sans équipage du tout.
Imaginez la situation : isolé au milieu des “Amis” [Américains] qui
occupent le village [avec] huit hommes dans trois panzers, incapable
d’opposer une résistance s’il l’eut fallu114. » Trois ans plus tôt, à Tobrouk, le
sous-lieutenant Schorm s’estime heureux d’être sorti indemne de l’enfer qui
s’est déchaîné sur son unité, le 5e régiment de panzers, satisfaction qui se
double de l’exploit d’avoir secouru et pris en remorque un autre panzer :
« 250 000 marks ont été sauvés115 », commente-t-il.
Jusqu’à la fin du conflit, la Wehrmacht est donc en mesure de mettre en
ligne de nombreuses unités bien équipées et bien armées. Si l’accent est
souvent mis sur les divisions de panzers et de parachutistes, ou encore sur la
qualité des divisions d’infanterie de 1939-1940, certaines divisions
d’infanterie sont remarquablement bien équipées en 1944. Outre
d’excellentes formations appartenant à la 15e armée, citons deux divisions
qui seront envoyées en renfort sur le front de Normandie : la 353e DI du
Generalleutnant Mahlmann, initialement déployée en Bretagne, qui aligne
14 132 hommes, 24 blindés Marder III ou Sturmgeschütze, 9 Pak 40,
68 canons, 715 véhicules et 4 562 chevaux, ou encore la 272e DI du général
Schak, en poste à Perpignan, qui dispose de 12 700 hommes, 70 pièces
d’artillerie, 22 Pak 40, 489 véhicules et 4 302 chevaux.

Un armement cependant bien souvent hétéroclite

Ces considérations ne suffisent pas pour déterminer si le soldat


allemand part au combat bien armé et bien équipé. Plusieurs handicaps
grèvent les avantages d’un armement de qualité allié à une production qui
ne cesse de progresser quantitativement. Ainsi, l’importance des pertes
oblige à effectuer des choix : par exemple, à l’Est, les Heeresgruppen Nord
et Mitte n’ont pas la priorité en 1942, le matériel étant avant tout diligenté
vers le Heeresgruppe Süd en prévision des offensives en direction de
Stalingrad et du Caucase, tandis que la Panzerarmee Afrika est rééquipée
pour l’offensive au même moment ; de l’automne 1943 à l’hiver 1944, la
Westheer prime pareillement sur l’Ostfront. On a parlé de
« démodernisation » du front, les zones devenues statiques n’ayant plus eu
la priorité, notamment à l’Est. Si la production atteint des sommets, encore
faut-il que le matériel parvienne sur la ligne de front, ce qui se révèle
particulièrement difficile en raison des difficultés rencontrées sur des voies
de communication en proie aux attaques aériennes de l’ennemi : ainsi, fin
juillet 1944, la Wehrmacht n’a-t-elle reçu que 17 panzers en remplacement
des 250 perdus… Par ailleurs, l’armée allemande subit un déficit en pièces
détachées, en raison notamment de la volonté de Hitler, pour lequel la
quantité de véhicules ou de canons produits prime. Maintenir le matériel et
l’armement en état de fonctionner constituera donc toujours une tâche
ardue. Faute de tubes de rechange, des canons sont utilisés au-delà de toute
précaution, au risque d’éclater. Il faut également être en mesure de pourvoir
les troupes avec suffisamment de munitions, ce qui suppose une production
de masse et la capacité de l’acheminer en première ligne, ce second point
étant de plus en plus problématique en raison de la domination aérienne
alliée. Pendant les préparatifs de l’invasion de l’Union soviétique, la
production de munitions ne s’est pas accrue sensiblement du fait des stocks
amassés depuis la victoire de 1940 (plus rapide et moins consommatrice en
munitions qu’escompté116). Ceci suppose donc que la guerre contre l’URSS
soit rapide… En septembre 1942, près d’un an après l’échec de
« Barbarossa », la Wehrmacht consomme 25 millions de cartouches pour le
seul mois de septembre117… En 1944, alors que la production d’armement
n’a jamais été aussi importante, celle des munitions commence à décliner,
alors même que les besoins sont importants : en juin 1944, la seule « Panzer
Lehr » consomme 1 383 tonnes de munitions de tous calibres sur le front de
l’invasion.
L’un des écueils les plus dommageables pour les forces allemandes est
la multiplication des modèles d’armes, loin d’une standardisation dans
l’armement. La réutilisation systématique des armes provenant du butin des
victoires de la Blitzkrieg, ne fait que renforcer cette tendance. L’attaque à
l’Ouest en 1940 s’effectue avec 922 pièces d’artillerie tchèques et
polonaises en dotation au sein des divisions de la Wehrmacht118. Les stocks
d’armes françaises à l’issue de la Westfeldzug sont impressionnants :
300 000 fusils, 5 000 pièces d’artillerie, 2 200 chars, 3,9 millions
d’obus119… De nombreuses armes individuelles ou collectives utilisées par
les soldats allemands sont anciennes et dépassées. Si plus de 80 % des
besoins en MG sont assurés en février 1944120, on ne compte plus le nombre
de vieilles mitrailleuses MG 08/15 ou de MG 15, voire de fusils-mitrailleurs
d’armées étrangères, au sein des unités veillant sur l’Atlantikwall au
printemps 1944 puis sur le Westwall à l’automne de la même année. En
Normandie, des unités déploient des pièces d’artillerie de multiples
provenances : tchèques, russes, françaises… Des divisions comptent même
jusqu’à une centaine d’armes différentes ; pour certaines, on ne produit
alors même plus de munitions (pour 47 d’entre elles, selon Max Pemsel, le
chef d’état-major de la 7e armée). Un régiment d’artillerie reçoit ainsi le
sobriquet de « musée ambulant de l’artillerie de l’Europe121 ». Un choix qui
peut se révéler à double tranchant : la multiplication des pièces de prise ne
peut que provoquer des difficultés. Les limitations sur le plan tactique
induites par un tel mixage d’armes – à l’encombrement, au calibre et à la
portée différents – sont sans nombre. Le cauchemar logistique que suppose
leur approvisionnement en munitions correspondantes – quand elles sont
encore fabriquées – est à l’avenant. Ainsi, le 6 décembre 1942, les 155 mm
de l’Afrika-Artillerie-Regiment 2 n’ont déjà plus de réserve de munitions.
Paradoxalement, la 7e armée, déployée en Normandie, éprouve de sérieuses
difficultés à ravitailler en munitions les pièces d’artillerie qui montent en
ligne car celles-ci sont dotées d’armes allemandes… alors que ses stocks
contiennent une grande proportion de munitions de prise122. À Montjoie, en
septembre 1944, si le colonel Roesler aligne 75 Pak, il ne dispose que d’une
poignée de pièces d’artillerie pour son maigre Kampfgruppe de la 89e DI :
un obusier léger allemand, quatre pièces de 122 mm russes et un obusier
moyen italien, mais sans munitions. Roesler ordonne donc de leurrer
l’ennemi sur les effectifs en artillerie mis à sa disposition en ordonnant de
déplacer cet obusier continuellement et ostensiblement sur la ligne de
front123. Pareil écueil n’épargne pas la dotation en armes individuelles : des
Osttruppen engagés en Normandie ont ainsi perçu des mitrailleuses ou des
pistolets-mitrailleurs soviétiques124. Certes, si la production de mitraillettes
est impressionnante, elle ne répond pas aux besoins, et beaucoup de soldats
sont armés de fusils : en février 1944, l’armée ne possède que 10 % des
pistolets-mitrailleurs de sa dotation théorique, la production de 1944 devant
combler 33 % des besoins, ce qui laisse tout de même un déficit de 57 %125.
La situation devient ubuesque en 1945, lorsque le Reich est envahi et que
toutes les armes sont bonnes à utiliser : l’armement issu d’une technologie
de pointe côtoie le suranné, comme les vieux Panzer II et III ou d’antiques
fusils. Une unité compte ainsi des dizaines de types d’armes126. Les
mitrailleuses destinées aux avions sont recyclées en armes terrestres et des
pistolets lance-fusées détournés de leur vocation initiale pour être convertis
en lance-grenades127.
Les soldats allemands utilisent donc une gamme d’armements beaucoup
plus hétéroclite que celle des Alliés. Ils ne disposent pas toujours des armes
les plus modernes. Pis, ils doivent souvent se battre avec le désavantage
d’une nette infériorité quantitative : cet état de fait est dû à un manque de
concentration des moyens. La multiplicité des fronts en est la raison
principale, même en 1943-1944 lorsque la Wehrmacht est bien mieux
armée, équipée et plus nombreuse qu’en 1939-1942.

Les armes miracles : aucune incidence majeure pour les


soldats allemands

Le tour d’horizon des armes dont dispose les soldats de Hitler ne saurait
se terminer sans aborder les « armes miracles » si chère à Hitler. Ces
programmes coûteux ont constitué un détournement de moyens inutile, aux
dépens de l’équipement et de l’armement des forces combattantes. Les
ingénieurs et les techniciens allemands réussissent à mettre au point deux
types d’armes appelées « armes de représailles », Vergewaltungswaffe,
abrégé en V. Le programme, dirigé par le général Dornberger, a initialement
débuté sur l’île de Peenemünde, dans la Baltique, mais il est retardé à la
suite d’un raid aérien britannique, après que les Alliés eurent été avertis de
l’existence de ces armes. Le V1 est une bombe volante, emportant 850 kg
d’explosifs à 670 km/h, tirée à partir de rampes, fixes ou démontables, la
plupart construites dans le nord de la France. L’offensive des V1 débute le
12 juin 1944 et est orientée vers Londres et non vers les ports anglais et la
tête de pont en Normandie, comme le souhaitent les généraux allemands. La
DCA et la chasse alliées finissent par trouver une parade aux V1. En
revanche, aucune parade n’est possible contre le V2, fusée supersonique qui
ne se révèle que peu de temps avant l’impact. Mis au point par l’équipe de
von Braun, le V2 emporte une tonne d’explosifs à plus de 5 000 km/h. Le
premier V2 est envoyé sur Paris en septembre 1944. Il sera surtout utilisé
contre l’Angleterre et contre Anvers, à l’instar des V1. Ce sont 5 000 V1
(sur 9 000 tirés) et 1 115 V2 qui s’abattent sur Londres. Et 8 600 V1 (7 000
interceptés) et 1 600 V2 visent Anvers, sans perturber de façon significative
l’activité du port. Les V1 et les V2 tuent surtout des civils, mais le nombre
de victimes et le tonnage d’explosifs qu’ils représentent sont bien dérisoires
en comparaison des bombardements aériens alliés. Les armes de
représailles n’ont pas apporté le sursaut souhaité par Hitler, mais elles ont
participé au redressement du moral de la population allemande, écrasée
sous les bombes de l’aviation stratégique alliée. Entrés en action
tardivement et mal employés, les V1 et les V2 auraient pu représenter un
danger bien plus important pour les armées alliées. Ces « armes miracles »
n’ont en aucune manière eu une incidence positive sur les combats menés à
terre par une Wehrmacht aux abois, pas plus que nombre d’armes de haute
technologie qui n’ont le plus souvent pas dépassé le stade de prototypes.

Les transmissions : une lacune au sein de la Wehrmacht

Une des grosses déficiences de la Wehrmacht réside dans le matériel


radio. Certes, lors des premières campagnes, sa supériorité est pourtant
nette dans ce domaine : elle dispose de davantage de radios et de
téléphones, notamment dans ses panzers, alors que les tanks français en sont
dépourvus ; elle peut en outre compter sur douze fois plus d’opérateurs
radios entraînés que les Français. Ce n’est qu’en octobre 1943 que les
compagnies d’infanterie reçoivent des radios en dotation théorique, à savoir
des appareils transportables à dos d’homme et qui commencent à dater ;
d’un poids de 13 kg, encombrants, leur portée est limitée à un kilomètre.
N’usant que des fréquences AM pour communiquer, et non aussi des FM
comme sur les postes américains, les radios allemandes sont plus sujettes
aux interférences statiques. Il n’y a pas d’équivalent chez les Allemands du
fameux « talkie-walkie » américain (en fait des « handie-talkie », le SCR-
536) disponible au niveau de la section. En 1944, la Wehrmacht doit avoir
recours à des moyens de communication devenus obsolètes, dépassés,
comme l’estafette ou le recours au téléphone de campagne128. Dans ces
conditions, les délais nécessaires pour obtenir un soutien sont bien trop
longs… Être opérateur radio n’a rien d’une sinécure : il faut veiller même
lorsque le silence radio est imposé, de façon à ne pas manquer un ordre
important lorsque sa diffusion surviendra. Par ailleurs, si les téléphonistes
peuvent être repérés et leurs câbles coupés, les postes radio peuvent quant à
eux être détectés. Dans ce cas, ils sont copieusement bombardés par les
Alliés. Un rapport de Guderian fondé sur l’expérience du front de l’invasion
est édifiant à cet égard : « Dans tous les cas, interdire l’usage de la radio,
même pour l’écoute. C’est également vrai pour les zones de rassemblement.
Plusieurs fois, des unités derrière le front ont été recouvertes par un tapis de
bombes pour avoir envoyé seulement quelques messages. » Les sabotages
opérés par les mouvements de résistance ou les partisans sur les arrières
ajoutent aux difficultés de communication. La Wehrmacht a eu recours au
luminophone129 et aux pigeons, ce dernier mode de communication
provoquant les sarcasmes du SS Sepp Dietrich, le commandant de la
6e armée de panzers au cours de la contre-offensive des Ardennes, lorsque
le commandant von der Heydte soulève l’idée d’en emporter avec lui au
cours de son parachutage derrière les lignes américaines. La Wehrmacht a
également recours aux signaux par disques ainsi qu’aux instructions
rédigées sur tableau noir et déchiffrées à l’aide de jumelles130…

L’équipement des Pioniere : dépassé dans presque tous les


domaines

Dans le domaine du génie, si on met de côté les Sturmpioniere (les


unités du génie allemandes constituent des forces combattantes très
puissantes et très bien équipées, notamment au sein des Panzer-Divisionen),
les Allemands sont largement dépassés par leurs adversaires, à tout le moins
occidentaux, sauf en ce qui concerne l’habileté à préparer des
retranchements. Pourtant, en exagérant, on pourrait affirmer que les moyens
d’excavation pour le génie allemand se limitent à la pelle. Toujours est-il
que la Wehrmacht ne dispose d’aucun équivalent du bulldozer. Elle doit en
outre souvent avoir recours à la main-d’œuvre locale.
Au cours du Blitzkrieg, la rapidité de la progression des unités
allemandes est tributaire de la capacité de traverser les rivières et d’y établir
des ponts. Les moyens de franchissement de force des coupures humides
sont faibles, et consistent pour la plus grande part en canots gonflables. La
Wehrmacht ne dispose ni de péniches de débarquement (utilisées par les
Alliés pour franchir le Rhin) ni de camions amphibies DUKW. Les
Allemands n’ont guère que quelques Schwimmwagen amphibies. Ces
défaillances seront dommageables lorsqu’il s’agira de faire replier l’armée
en traversant la Seine en août 1944 : les blindés lourds devront être
sabordés et abandonnés. Les franchissements de cours d’eau de vive force
seront nombreux en 1939-1942. Les compagnies de pionniers disposent de
douze canots gonflables (Schlauchboten), avec une capacité d’emport de
trois ou sept passagers. L’assaut peut également être mené à bord de canots
à moteur. S’effectuant à bord d’embarcations légères n’offrant aucune
protection, les assauts fluviaux sont particulièrement périlleux : fumigènes,
tirs de couverture depuis la rive occupée et intervention massive de la
Luftwaffe sont indispensables, comme sur la Meuse en 1940. Ces
opérations ont été répétées au cours de multiples exercices au cours de la
Sitzkrieg. Chaque groupe de combat ayant sa MG, celles-ci sont disposées à
bord d’un nombre maximal de canots, le tireur occupant toujours la place
avant, prêt à ouvrir le feu sur les défenseurs. Munitions et vivres doivent
être emportés en quantité suffisante en cas d’isolement prolongé sur la tête
de pont qui sera acquise.
La dotation en ponts du génie chez les Allemands est également
moindre que chez les Alliés131, et surtout moins efficiente132. Les pontons et
les ponts flottants, de même que les portières ou ferries, ont des capacités
qui varient en fonction de l’équipement utilisé, mais aussi de la longueur de
l’ouvrage réalisé. Las, il semble impossible d’édifier des ponts lorsque les
rivières sont trop larges, ce qui se révèle préjudiciable au cours de la
campagne menée à l’Est. En 1943, chaque Panzer-Division dispose d’une
Brückenkolonne K pour les blindés, ainsi que d’une seconde unité de
pontonniers avec une Brückenkolonne J, dans le cas où un bataillon de
Panther serait présent au sein de la division. Cette dernière colonne est
supprimée au niveau divisionnaire début 1944. Certaines divisions, comme
la « Panzer Lehr », bénéficient aussi d’une Brückenkolonne S, permettant
de construire des ponts capables de supporter les engins les plus lourds. Ce
type de pont est généralement en dotation au niveau de l’armée ou du corps.
Les passerelles et les pièces des ponts sont généralement posées sur des
canots pneumatiques. La longueur de l’ouvrage commande sa capacité de
charge : un Bruckengerät B utilisant seize demi-pontons pour un total de
80 mètres peut supporter un engin pesant jusqu’à 8 tonnes, ce qui est peu.
Si les sections métalliques recouvertes de planches ne dépassent pas
54 mètres, alors cette capacité de charge monte à 16 tonnes, ce qui est
passablement juste en 1944. De nombreux ponts et passerelles sont par
ailleurs construits uniquement en bois. Dans la Wehmacht, les pionniers
disposent en effet de ce matériau pour improviser des ponts légers. Lors de
la retraite sur la Seine, le génie fait des miracles avec des ferries réalisés à
partir d’éléments de pont et en aménageant une voie de passage pour
véhicules sur le pont ferroviaire de Rouen pourtant endommagé. Un pont de
bateaux en partie escamotable est également mis en place. Mais on serait
bien en peine de trouver l’équivalent des matériels dont disposent les Alliés
avec les ponts Tradeways et surtout les fameux Baileys, dont tous les
éléments sont conçus pour être portés et édifiés à l’aide de la seule force
humaine, sans recours à des machines.
Les incidences sur les opérations peuvent se révéler cruciales. À l’issue
de la bataille de Normandie, la plupart des blindés les plus lourds ne
peuvent se replier à travers la Seine. Les Jagdpanther du Panzerjäger-
Abteilung 654 tentent leur chance à Orival où le bac sombre avec un Tiger à
son bord. Onze Jagdpanther doivent être sabordés au cours de la retraite. En
Italie, à Anzio, les panzers ne peuvent exploiter une brèche dans le secteur
de Cisterna faute de disposer d’un matériel de franchissement adéquat.
Dans les Ardennes, la « Panzer Lehr » prend un retard considérable sur
l’horaire au cours des premières heures décisives, tandis que les moyens
lourds des 5e division de parachutites et 352. Volksgrenadier-Division font
défaut la première journée, faute d’être dotés de moyens de franchissement
à la fois nombreux et efficients : la 7e armée ne dispose que de quatre
colonnes de pontonniers dotés de Bruckengerät B et d’une seule de
Bruckengerät J, contre quatre de chaque type à la Pz.AOK 5 et
respectivement cinq et quatre à la Pz.AOK 6. Le Heeresgruppe B dispose de
quatre colonnes de Bruckengerät B. Même en y ajoutant les unités de
pontonniers des divisions, cela reste insuffisant. Il est évident que si les
rôles avaient été inversés, lors de la poursuite de l’été 1944, en Italie ou en
France, la progression eût été fort compromise.

La Wehrmacht : une armée faiblement motorisée

L’image des colonnes blindées fonçant vers la victoire au temps du


Blitzkrieg est trompeuse : l’armée allemande est à 80 % hippomobile. Ce
sont 2 750 000 chevaux qui ont servi dans les rangs de la Wehrmacht.
Environ 400 000 chevaux sont aux armées le 1er septembre 1939, pour
200 000 véhicules. Lorsque la Wehrmacht déclenche « Barbarossa » près de
deux ans plus tard, elle aligne plus de 600 000 véhicules motorisés133, mais
aussi 700 000 chevaux134. Une division typique du début de guerre de
17 000 hommes dispose d’à peine 945 véhicules à moteur pour
5 375 chevaux135. Au sein des divisions d’infanterie, il n’y a guère que
l’état-major et le bataillon antichar à être entièrement motorisés. La
situation ne s’améliore aucunement au cours de la guerre : en 1944, les
divisions dites statiques (bodenständige-Divisionen), destinées à monter la
garde sur l’Atlantikwall, sont encore moins bien pourvues en moyens de
transport, y compris en chevaux. À l’été 1944, ces derniers sont toujours
aussi nombreux (500 000 à 700 000), et il est nécessaire d’affréter 10 % du
parc de wagons de chemin de fer du front russe pour transporter leur
fourrage et autres denrées136. Un ordre donné par Jodl au cours de la grande
retraite à l’Ouest, consécutive à la défaite de Normandie, est très éclairant
sur le rôle vital que revêt encore la traction équine au sein de la
Wehrmacht : il faut se replier avec tous les véhicules et les stocks d’essence,
mais aussi avec le bétail et tous les chevaux qu’il est possible de sauver.
Ainsi sont pris de force aux Français 60 000 équidés137. Ce recours aux
animaux se retrouve sur tous les fronts, et ce n’est pas toujours chose aisée
que de disposer de suffisamment de bêtes pour qu’une unité soit déclarée
opérationnelle. Le 10 janvier, la 334e DI, déployée en Tunisie, ne compte
que 110 animaux, alors que les besoins en bêtes de trait et de bât sont
estimés à 1 200. On ordonne donc d’en acheter 200 à Bizerte ; 448 animaux
et leur équipement arrivent par ailleurs à bord du navire Silvania, et 57
autres sont transférés d’Italie à bord de Junkers Ju-52138.
Faute de véhicules à moteur, il faut donc disposer de charrettes (huit par
compagnie de fantassins). C’est le cas de la Grosser Gefechtswagen
Hf 7/11, d’une capacité de 1,7 tonne, ou encore des Hf. 2 et Hf. 177. Ce
dernier, en métal, suppose un effort si contraignant qu’il reçoit le terrible
sobriquet de « tueur de chevaux ». Les rigueurs de l’hiver et les combats
coûtent la vie à 180 000 chevaux entre juin 1941 et février 1942. Contraints
d’accomplir des tâches harassantes, les chevaux succombent en masse : en
septembre 1942, 3 400 chevaux de la 6e armée de Paulus meurent
d’épuisement, chiffre porté à 6 400 le mois suivant139. Les pertes vont
s’accroître drastiquement lorsqu’il va falloir abattre des animaux pour
pallier une logistique défaillante après l’encerclement de l’armée à la fin du
mois de novembre.
En Russie, on utilise de petits chariots locaux, les panje. Tous les
hommes sont familiers des animaux, pas seulement les palefreniers. Il faut
en effet savoir s’occuper des bêtes, leur prodiguer les soins et l’attention
nécessaires, et s’assurer qu’ils seront nourris convenablement. Le cheval est
précieux : comme toute pièce d’équipement, gare à celui qui l’égare ou le
perd. August Kageneck en fait l’amère expérience : « Je songe au jour où
mon cheval “Max”, une prise de guerre de Pologne, s’est échappé le matin,
à l’abreuvoir ; j’avais passé des heures à sa poursuite, tandis que mon
Wachtmeister [sergent] me menaçait des pires sanctions140. » Outre le temps
accordé au soin de ces bêtes, ce qui mobilise des effectifs faisant défaut
ailleurs, il faut disposer de foin en quantité pour les nourrir : 12,6 tonnes par
jour pour les 800 chevaux de la 334e DI en Tunisie141. À Bricqueville-sur-
Mer, en Normandie, les soldats réquisitionnent chaque nuit des chevaux,
charrettes et tombereaux pour faire monter en ligne hommes et
ravitaillement. Il faut donc du foin et d’autres denrées. Les chevaux
disposent de leurs rations : les Feldrationen, soit entre 5 et 11 kg par
animal. Un certain attachement se développe vis-à-vis de ces animaux : en
dépit des horreurs de la guerre, beaucoup de soldats éprouvent des
difficultés à supporter la vue de chevaux blessés et agonisants ; pis, il leur
est impossible de presser la détente de leur arme pour mettre un terme à
leurs souffrances142. En secteur montagneux, les unités, notamment alpines,
ont recours à d’autres animaux, dont des mules. Dans le Kouban, on va
jusqu’à employer des chameaux pour assurer des colonnes de
ravitaillement. Le pire est sans doute atteint par la 320e DI au cours de
l’hiver 1942 en Russie : les pièces d’artillerie sont tirées par des bœufs143 !
Une image digne de la guerre des Boers…
Corollaire direct de cet état de fait : une grande partie des pièces
d’artillerie de l’armée allemande sont donc à traction chevaline. Outre la
lenteur des déplacements, la traction par des animaux suppose que ceux-ci
ne soient pas blessés en cas d’attaque : si un véhicule touché peut encore
rouler dans de nombreux cas, un animal blessé ne peut plus se déplacer.
Pourtant, en dépit de son aspect rustique, ce moyen de transport va
parfaitement remplir son rôle. Il est aussi économique, car facile et peu
coûteux à produire, et évite de consommer du carburant, si rare et si
précieux. Autre conséquence de la faible motorisation : pour nombre de
soldats allemands, mis à part les tankistes, Panzergrenadiere et autres
équipages d’autoblindés et de véhicules, le déplacement en campagne se
fait essentiellement à pied.
Le manque de matériel roulant est tel que des soldats en viennent à
transporter des armes et des munitions à l’aide de brouettes, voire de petites
carrioles d’enfants144. On a recours à toutes sortes d’animaux, en s’adaptant
aux réalités locales : chiens145 ou rennes tirant des traîneaux en Laponie,
chameaux dans le Caucase. Autre conséquence de cette situation : si les
chevaux viennent à être perdus, comme ce sera le cas dans la poche de
Stalingrad, ou si le manque de vivres a imposé un abattage des bêtes,
l’armée devient impotente et incapable de se mouvoir, fût-ce pour sa survie.

Un parc de véhicules motorisés hétéroclite

Un des défauts majeurs dont souffre l’armée allemande est son faible
taux de motorisation globale. Nombre de photographies nous révèlent
qu’une bonne quantité de véhicules alliés capturés sont réutilisés par les
soldats de l’Axe – une pratique déjà en vogue dans le désert en 1941. Un
effort important est réalisé pour « Barbarossa » puisque 600 000 engins
motorisés prennent part à l’opération, en y incluant de nombreux véhicules
de prise ainsi que des réquisitions et des voitures civiles. Pour autant,
l’épreuve de la guerre à l’Est a tôt fait de réduire drastiquement le taux de
véhicules opérationnels : en novembre 1941, on ne compte plus que 15 %
d’automobiles aptes au service. Entre juin 1941 et février 1942,
100 000 véhicules auront été perdus, détruits ou abandonnés. Le manque de
camions sera chronique.
La réutilisation des engins adverses capturés constitue un expédient
encouragé en haut lieu car, dès le début de la campagne de Tunisie (en
novembre 1942), on préconise officiellement d’encercler l’ennemi afin de
faire du butin146, notamment en véhicules : les troupes de l’Axe manquent
de tout. Un choix qui peut se révéler à double tranchant : outre la médiocre
qualité de certains matériels, la multiplication des pièces de prise ne peut
que provoquer des difficultés logistiques et de maintenance. Ce sont
16 500 véhicules italiens qui sont ainsi saisis et réutilisés. Des tracteurs
d’artillerie français Somua MCG5 finissent en Italie, ou encore des
chenillettes Vickers-Armstrong fabriquées en Belgique. Les véhicules
français sont encore utilisés en grand nombre en 1944, tandis que des
camions italiens servent en France.
La question du parc de véhicules affecté aux divisions jette également
un éclairage sur la réalité de la situation. Fin 1942, en Tunisie, le colonel
Broich, qui commande la division éponyme, a besoin de camions pour son
ravitaillement : Kesselring lui assure qu’il va s’en procurer 50 à son
intention auprès des Français ou des Italiens147. Les arrivées se font au
compte-gouttes et la question ne sera jamais réglée. Au moment de
l’opération « Ochsenkopf », soit en février-mars 1943, sur les 636 camions
de dotation théorique que devrait compter la 334e DI, celle-ci n’en aligne
que 200. Les motos et side-cars ne sont présents qu’à moins de la moitié de
la dotation (209 au lieu de 488). C’est pis encore pour les voitures : on en
compte 116 au lieu de 312. La récupération des véhicules saisis sur
l’ennemi durera jusqu’à la fin de la guerre : le 21 décembre, pendant la
bataille des Ardennes, la 2e Panzer a capturé une telle quantité de véhicules
depuis le début de l’offensive qu’elle se trouve désormais en mesure
d’équiper ses cyclistes (deux bataillons148) avec des engins américains de
prise. Dès le mois d’août 1941, la 18e Panzer, autre unité supposée
motorisée, est obligée d’assurer sa logistique sans le recours systématique à
des camions mais à l’aide de Panjewagen149.
L’inventaire des véhicules de l’armée ferait état, outre les engins
chenillés ou semi-chenillés, de près de 1 million de véhicules motorisés au
1er janvier 1943 – ce qui semble élevé –, dont 400 000 camions et
300 000 automobiles et autant de motocyclettes150. Pourtant, au premier
semestre 1944, la Wehrmacht perd des dizaines de milliers de véhicules sur
tous les fronts. À partir du printemps de la même année, ces pertes
dépassent la production151 et le pool de camions baisse de 2 % par mois, le
déficit étant plus marqué encore dans le domaine des tracteurs d’artillerie.
En février 1944, le déficit attendu pour l’année est estimé à 33 %152. En juin
1944, pour 3 500 hommes, le 6e régiment de parachutistes aligne à peine
70 véhicules mais de 50 modèles différents… La 5e division de
parachutistes ne possède que 9 % des engins de sa dotation normale. Lors
de la retraite de Normandie, la Wehrmacht franchit la Seine avec
25 000 véhicules, un chiffre certes élevé, mais modeste en comparaison des
quantités dont disposent alors les Alliés qui en ont déjà débarqué 150 000
au 30 juin.

Des véhicules de facture allemande de qualité


Si la motorisation globale est insuffisante et que la Wehrmacht doit
avoir recours à la réutilisation des engins ennemis, le matériel roulant
allemand est toutefois loin d’être de piètre facture. Les motocyclettes et
side-cars Zündapp, DKW ou BMW sont de qualité, quoique peu adaptés à
la guerre. Le Kettenkrad, autochenille conçue pour les parachutistes, est au
contraire à l’aise sur tous types de terrains et peut atteindre 70 km/h. De
nombreux camions allemands sont en dotation : Ford V3000S, Mercedes
L3000A, Borgward B3000S, Büssing-NAG 4500S, MAN ML 4500S, etc.
Mais le plus célèbre et le plus réussi est conçu par Opel. Le camion Opel-
Blitz 36-6700A sert sur la plupart des champs de bataille où l’Allemagne
est engagée et fait preuve d’une grande résistance aux longues distances et
aux mauvaises conditions de route (chaleur, froid, chemins de campagne,
etc.). L’engin, qui dépasse les 3,3 tonnes en charge, peut rouler jusqu’à
80 km/h grâce à un moteur Opel 4 cylindres de 68 chevaux à 3 800 tr/min
avec une autonomie de 385 kilomètres. Près de 82 000 unités sont
construites en plusieurs versions (médicale, de communications radio, semi-
chenillé : l’Opel Maultier, etc.) entre 1937 et 1944. L’engin est d’une
fiabilité remarquable et fait preuve d’une grande résistance.
Les Allemands ont certes conçu des véhicules tout-terrain, comme les
Horch, mais n’en disposent pas dans des quantités suffisantes. Il n’y a pas
de réel équivalent allemand de la Jeep : la Kübelwagen est certes capable
d’une bonne mobilité tout-terrain car elle est plus légère et bénéficie d’un
différentiel autobloquant, mais elle n’est dotée que de deux roues motrices,
tout en étant par ailleurs moins robuste. La Volkswagen apparaît
immédiatement comme une voiture très résistante, capable d’évoluer sur
différents terrains. Deux versions ont été produites à partir de 1940 : l’une
capable d’évoluer dans les zones arides, l’autre dans les zones très froides.
D’autres voitures spacieuses conçues pour l’armée entrent dans les tableaux
d’effectifs comme les Steyr 1500A ou encore les Mercedes L1500A.
La gamme des semi-chenillés est assez étendue et montre l’ingéniosité
des techniciens allemands : la gamme des tracteurs (SdKfz 7, 8, 9, 10 et 11)
ainsi que celle des transports de troupes (SdKfz 250 et 251, Opel Maultier)
en témoignent. L’un des points forts des SdKfz 250-251 est l’adaptabilité
des caisses à une grande variété d’armes en fonction de la destination du
véhicule. Les Allemands n’ont pas assez de SPW pour tous leurs bataillons
de Panzergrenadiere, mais les Landser y sont relativement en sécurité ; ils
sont assis plus profondément dans le compartiment de combat que les GI.
Par ailleurs, les lignes inclinées et le blindage – fait de deux plaques
d’épaisseur – du SdKfz 251 lui confèrent une meilleure protection
balistique. Cette dernière reste relative, car elle ne le met pas à l’abri d’un
coup direct. Le véhicule n’est par ailleurs que partiellement chenillé : il n’y
a pas chez les Allemands d’engin comparable au Kangaroo canadien. Les
Allemands disposent aussi d’une gamme de tracteurs semi-chenillés,
comme le lourd SdKfz 7, qui peut transporter huit hommes et une
importante quantité d’armes et de munitions. L’engin sert pour tracter des
obusiers ou des pièces de Flak lourdes. S’ils ne sont pas aussi répandus que
les Weasel américains, les Raupenschlepper Ost, ou RSO, sont des tracteurs
d’artillerie intégralement chenillés qui ont aussi servi en Italie et à l’Ouest.

Les conséquences d’une trop faible motorisation

Ce manque de véhicules a des conséquences désastreuses non


seulement en termes de mobilité opérationnelle, mais également en matière
d’approvisionnement. L’absence d’une motorisation généralisée oblige à
s’appuyer sur le chemin de fer, alors même que le trafic peut être neutralisé,
ou à tout le moins considérablement ralenti du fait des attaques aériennes
alliées ou des partisans (à l’Est notamment). Cette difficulté éclate avec
acuité au cours de la bataille de Normandie. La montée en ligne des 276e et
277e DI en provenance du sud de la France s’apparente à une odyssée. Le
QG de la 7e armée précise : « Les 150 à 200 kilomètres de route que vont
devoir effectuer ces divisions après avoir été obligées de descendre des
trains vont considérablement retarder leur arrivée », d’autant que la priorité
sur les voies de communication sera accordée au 2e corps de panzers SS, en
provenance de Galicie. Les besoins en renforts dans le secteur du 1er corps
de panzers SS sont tels que le 2e corps, dont l’arrivée est jugée pourtant
cruciale, doit fournir 40 camions à la 276e DI afin de la motoriser
partiellement de façon temporaire pour acheminer des troupes au front. Ces
difficultés se font déjà sentir dès le début de la campagne puisque la
3. Fallschirmjäger-Division, mise en route le 7 juin, voit son transfert en
Normandie conditionné par l’arrivée de moyens de transport additionnels.
Cette difficulté sera récurrente sur tous les fronts. Ces problèmes de
camions handicapent toutes les unités, y compris les plus puissantes ou les
plus favorisées. Cela ne peut que nuire aux délais d’acheminement si les
unités montent en ligne à pied, ou augmenter encore la surcharge du réseau
ferroviaire153 – celui-ci étant déjà sollicité pour les divisions blindées et la
logistique – si elles empruntent le rail.
Des conflits d’intérêts et de priorité surgissent donc. En juin, on compte
quatre trains de transport de troupes vers la Normandie, pour un de
ravitaillement, difficulté qui se retrouve à l’Est. La question logistique se
pose donc avec acuité. L’arrivée du 2e corps de panzers SS et la suspension
du ravitaillement posent de sérieux soucis. À la 7e armée, on note :
« Aucune disposition n’a été prise par le Heeresgruppe B pour ravitailler le
2e corps de panzers SS pendant son mouvement vers la Normandie, de
même qu’aucune mesure n’a été prise par le quartier-maître de l’OB-West
pour procurer davantage d’essence. Si le Heeresgruppe B continue
d’ordonner des mouvements tactiques sans tenir compte des besoins
logistiques croissants et si des approvisionnements n’arrivent pas en
quantités suffisantes du principal dépôt logistique de l’OB-West, alors un
manque de carburant, de munitions et de rations sera évident dans les
prochains jours. »
Sur le plan opérationnel, le manque de véhicules motorisés à des
conséquences désastreuses. L’invasion de l’Union soviétique s’effectue
avec à peine plus d’une vingtaine d’unités blindées et motorisées, qui ne
cessent de faire des allers et retours entre les Heeresgruppen, tandis que
l’infanterie impose un tempo trop lent aux opérations quand la vitesse
prime. Pis, les immenses opérations d’encerclement ne pourront être
hermétiques et exigent de trop longs délais pour aboutir à l’anéantissement
de l’ennemi… En Afrique du Nord, théâtre de la guerre de mouvement par
excellence, les unités non motorisées sont vouées à la destruction quand
sonne l’heure de la retraite, comme ce sera le cas à El-Alamein. Faute de
disposer de suffisamment de troupes montées, Hitler et ses généraux sont
contraints d’adopter une défense linéaire et statique à partir de 1943 à l’Est,
écueil qui conduit aux désastres de l’été 1944. Cet été 1944 sera aussi celui
de la vaine contre-attaque sur Avranches pour isoler la 3e armée américaine
de Patton : faute de mener une bataille mobile en raison de la faible
motorisation de son armée, Hitler est contraint de s’accrocher au front de
Normandie, ce qui provoque un désastre… La célérité des mouvements de
Patton après la percée d’Avranches, celle de l’ensemble des armées alliées
après la poche de Falaise, puis de nouveau celle de Patton pendant la
bataille des Ardennes, ou encore la montée en ligne des 82e et
101st Airborne auraient été impossibles si les rôles avaient été inversés.

Une logistique défaillante

Si la Wehrmacht peut être louée pour ses prouesses tactiques, il est


difficile de lui reconnaître des qualités équivalentes sur le plan de la
logistique. Le transport au sein des colonnes logistiques se fait avant tout
par la force animale ou par le train. Cette grande dépendance au train pose
des difficultés d’ordre tactique, mais aussi stratégique, car il faut s’assurer
du contrôle des nœuds ferroviaires et pourvoir à l’entretien du réseau. Si les
premières campagnes, rapides, ne mettent pas en exergue cette carence, la
situation logistique se révèle très préoccupante dès les premiers mois de
« Barbarossa ». En novembre 1940, le quartier-maître Wagner avait
pourtant prévenu l’OKH : il affirme qu’il peut soutenir une armée de
2 millions d’hommes, 300 000 chevaux et 500 000 véhicules motorisés sur
800 kilomètres de profondeur pendant trois semaines, après quoi des
problèmes de ravitaillement surviendront154. Or l’offensive lancée en juin
1941 implique des effectifs bien plus considérables, avec des moyens
logistiques qui n’ont pas été sensiblement renforcés.
La consommation en carburant et en munitions est d’emblée plus
importante que prévu, circonstance aggravée par le fait que la boue a tôt fait
de paralyser le ravitaillement. Le train tient donc un rôle primordial, mais le
transport par le rail est le cadre de conflits d’intérêts : il faut utiliser les
wagons pour la logistique, mais aussi pour le transport du personnel et des
matières premières. Pis, le matériel roulant n’est pas toujours disponible en
quantité suffisante. Si près de 4 300 locomotives sont déployées à l’Est
avant 1942, début décembre 70 % des trains allemands de la zone du
Heeresgruppe Mitte sont hors service155. L’action de sabotage des partisans
est particulièrement néfaste dans ce secteur du front où la chute du trafic est
jugée « insupportable » dans un rapport en date du 29 août 1942156. La
reconstruction des voies ferrées et leur mise à un écart correct conditionnent
les opérations. On ne gagne guère qu’entre 1 et 5 kilomètres de voies sur
chaque tronçon. Mais augmenter la largeur des voies, aussi herculéenne que
soit la tâche, ne représente pas la seule difficulté à surmonter : en 1941, il
faut réparer les dégâts causés par la Luftwaffe ; les deux tiers des unités
ferroviaires allemandes n’ont aucun véhicule ; le charbon russe se consume
mal dans les chaudières des locomotives allemandes ; de plus les rails ne
sont pas disponibles en quantités suffisantes157. La Wehrmacht réussit
toutefois le tour de force à convertir 21 000 kilomètres de rails en mai
1942158.
Les conséquences pour la troupe sont dramatiques. « Lorsqu’un soldat
n’a plus de munitions, déclare Harry Melert perdu dans l’enfer de
Stalingrad, il se sent seul. Les munitions lui procurent de la confiance et de
la sécurité159. » À Stalingrad, avant même les affres de l’encerclement, les
assaillants souffrent de pénurie en munitions lors des combats menés pour
le contrôle de la ville en octobre. La 6e armée lutte aux confins d’une ligne
logistique extrêmement distendue, d’autant que deux des principales lignes
de chemin de fer ne dépassent pas le Don… Que dire des divisions
d’infanterie qui doivent en outre aller quérir leur ravitaillement jusqu’à ces
gares à l’aide de colonnes hippomobiles ? Pis, des centaines de trains sont
retardés sous l’action combinée des partisans et de l’aviation soviétiques,
une situation qui sera la norme jusqu’en 1944.
Les difficultés logistiques seront également constantes en Afrique,
d’autant qu’il faut emprunter un chemin périlleux à travers la Méditerranée,
à portée des forces navales et aériennes alliées déployées à Malte. Le
ravitaillement de l’Axe doit ensuite parcourir une distance de
1 500 kilomètres depuis Tripoli jusqu’à Tobrouk, davantage encore quand
l’Afrikakorps s’enfoncera en Égypte : il faut compter deux semaines pour
un aller-retour de 2 200 kilomètres entre Tripoli à El-Alamein. Lorsque
Rommel lance sa première offensive en mars 1941, six jours sont
nécessaires aux colonnes de ravitaillement de l’Afrikakorps, dirigées par le
colonel Klinkowström, pour faire le trajet Tripoli-Arco dei Fileni (où sont
stockés les approvisionnements) et revenir160. Le ravitaillement est ensuite
pris en charge par les unités de la logistique de chaque division qui
emmènent le nécessaire d’Arco dei Fileni au front. Une grande partie du
carburant, peut-être à hauteur de 50 %, est utilisée dans le transport du
ravitaillement jusqu’au front. Les difficultés de l’armée de Rommel
commencent en Europe où le réseau ferré italien se révèle insuffisant pour
répondre à la demande. Il ne peut prendre en charge que 24 trains par jour
entre Rome et Naples, puis seulement 12 de Naples à Reggio di Calabria.
Au-delà, le ferry des chemins de fer ne fait traverser que 400 voitures à
Messine, dont uniquement 100 pour les Allemands161. En raison de la
faiblesse des infrastructures de transport de la Libye et de l’Égypte, la prise
en charge du matériel débarqué est confiée à des unités de transport
uniquement dotées de camions, car il n’y a aucune ligne de chemin de fer
continue en Libye. Construire une voie ferrée de Tripoli à Benghazi, voire
jusqu’à Derna, excède les capacités de la marine qui peine déjà à ravitailler
les forces déjà présentes en Afrique.
Cette situation explique la faillite de la campagne de Tunisie162, d’autant
que de nombreux moyens de transport aérien doivent être redirigés vers
l’Est, en raison des événements de Stalingrad : le soldat allemand est un
soldat qui doit se battre sans un soutien logistique adéquat. À la fin du mois
d’avril, le général von Arnim, commandant du Heeresgruppe Afrika, ne
reçoit que 5 à 6 % du minimum de ravitaillement requis pour son armée. Il
faut recourir à des expédients tels que du vin distillé pour procurer un
carburant léger et retarder l’inévitable échéance. In fine, les soldats de
l’Afrikakorps estimeront qu’ils n’ont pas été vaincus sur le terrain, mais
qu’ils ont dû rendre les armes du fait de la seule faillite de la logistique…
Le général von Vaerst, dernier commandant de la 15e Panzer, abonde en ce
sens en déclarant : « Le soldat allemand est parti en captivité avec l’idée de
ne pas avoir été vaincu sur le champ de bataille mais d’avoir été la victime
de l’effondrement de la logistique163. »
En Italie, en Normandie puis jusqu’à la fin de la guerre, les Allemands
souffrent de carences logistiques. Si les munitions et le carburant sont
parfois disponibles en quantités suffisantes, la tâche de les acheminer
jusqu’au front semble insurmontable. Fin juin 1944, sur le front de
Normandie, si la 7e armée compte 1 300 tonnes de ravitaillement et
800 tonnes en transit, il lui en faudrait 3 200 pour assurer une défense
convenable et 4 500 en cas de passage à l’offensive164. Ces problèmes
logistiques ne sont pas sans répercussions sur le confort du combattant
allemand. Puisque la place disponible au sein des unités de transport de la
logistique est comptée, priorité est allouée aux articles les plus importants :
vivres, matériel médical, munitions. En conséquence, le remplacement de
l’équipement personnel ou des uniformes usagés est des plus difficiles. Ces
difficultés logistiques s’expliquent en partie par le facteur aggravant de la
maîtrise aérienne par les Alliés, qui paralyse tout mouvement. Fin 1944, le
déploiement en prévision de la bataille des Ardennes témoigne des
difficultés que va subir la logistique : le train de Kageneck est attaqué à
trois reprises de Berlin à Coblence. « Au-delà du Rhin, écrit-il, il n’y avait
plus du tout de chemin de fer. Je me croyais en Russie en 1941. Les villes,
les villages, les ponts étaient détruits165. »
En toile de fond de ces difficultés logistiques que connaîtront les soldats
de Hitler, le manque de carburant – chronique, et dont découle la faible
motorisation –, qui explique le recours à la traction chevaline et au train.
Les principales ressources proviennent des champs pétrolifères roumains,
faute d’avoir pu s’emparer des puits du Caucase en 1942166. « Si nous ne
parvenons pas à prendre Maïkop et Groznyï, déclare Hitler à ses généraux,
il me faudra mettre fin à cette guerre. » Certes, le Reich se montre capable
de produire de l’essence synthétique et des biocarburants, procédés de
fabrication par ailleurs fort coûteux, mais cela ne saurait suffire à répondre
aux besoins. En septembre 1940, la situation est encore confortable avec la
saisie de stocks sur les Français, portant les réserves allemandes à
2 millions de tonnes167. La production s’effondre à partir de l’été 1944 du
fait de l’offensive aérienne alliée menée contre les raffineries. La pénurie
devient sévère à partir de la fin de l’été de cette même année. De façon
éloquente, sur le front d’Italie, un Landser qui revient de patrouille avec un
jerrycan plein pris à l’ennemi se voit octroyer la récompense d’un millier de
cigarettes168… Certes, dans la perspective de la contre-offensive des
Ardennes, le Reich réussit le tour de force à rassembler d’importantes
réserves d’essence, mais les difficultés de fret et la crainte que des dépôts de
carburant ne soient détruits par des frappes aériennes alliées font que la
moitié du précieux liquide se trouve encore sur la rive est du Rhin lors du
lancement de l’offensive, de sorte que bien des unités se trouvent
rapidement les réservoirs à sec… À plus d’une reprise, c’est la découverte
inopinée de carburant qui permet à une colonne de poursuivre l’avance
alors que les réservoirs sont quasi vides : ainsi la 1re Panzer SS à Büllingen
(227 000 litres) et la 116e Panzer à Samrée (136 000 litres). En 1944-1945,
la Wehrmacht, qui n’a jamais été aussi bien pourvue en armes et matériels,
en quantité comme en qualité, n’a plus de carburant pour faire mouvoir ses
puissants panzers… Pis, en 1945, la SS-Panzer-Brigade « Westfalen », levée
à la hâte pour la bataille de la poche de la Ruhr, compte dans ses rangs des
semi-chenillés SdKfz 251 propulsés au gazogène169…

Souplesse d’organisation et supériorité tactique

En dépit de ces multiples écueils, la qualité des panzers et des armes


antichars allemandes ne révèle son potentiel que dans la mesure où la
supériorité tactique des Allemands est incontestable. La doctrine allemande
repose sur plusieurs principes : loin de l’image d’Épinal d’une armée rigide,
la Wehrmacht insiste sur l’initiative laissée aux subordonnés ; une
organisation remarquable, si on la compare avec celle de ses adversaires ;
l’entraînement et la préparation de ses forces au combat. Des qualités certes
loin d’être universelles au sein de cette armée, mais qui se sont révélées
efficaces face à des adversaires qui n’ont cessé d’accumuler des erreurs de
toutes sortes170. Même si un des principes majeurs de la tactique allemande
– la contre-attaque immédiate pour recouvrer le terrain qui vient d’être
concédé à l’ennemi – a pu se retourner contre elle, la supériorité de la
Wehrmacht sur le champ de bataille est incontestable.
La clé des premiers succès allemands réside dans une étroite et
efficiente coopération interarmes. Quand elle fait défaut, c’est le désastre :
en septembre 1939, les panzers qui arrivent à Varsovie sans soutien
d’infanterie sont laminés… Une déconvenue qui survient également au
Panzer-Regiment 5, séparé de son infanterie de soutien devant Tobrouk en
avril 1941. Une des grandes forces de l’armée allemande réside donc dans
sa capacité à mettre sur pied des groupes de combat interarmes de
circonstance, les Kampfgruppen. Pendant les combats de la poche de
Falaise, puis lors du repli vers la Seine, ce sont des Kampfgruppen, parfois
constitués d’unités de bric et de broc, qui mènent l’essentiel des actions
défensives et offensives, et ce avec succès. Cet élément intervient très tôt
puisque la ligne Mahlmann, dans le secteur du mont Castre, dans la
Manche, attaquée en force début juillet, s’articule sur un certain nombre de
Kampfgruppen.
L’existence de ces unités temporaires de taille variable – du bataillon,
voire de la compagnie, à celui de l’équivalent d’un corps d’armée – est
consubstantielle à la doctrine militaire en vigueur outre-Rhin. Le
Kampfgruppe peut-être de taille variable, évoluer selon les besoins. Cette
souplesse tactique, utile dans l’offensive (lors de la fameuse bataille de
Kasserine, le Feldmarschall Rommel frappe dès le 15 février 1943 en
direction de Gafsa avec un Kampfgruppe baptisé Afrikakorps, commandé
par le colonel von Liebenstein), est parfaitement adaptée à une armée qui
doit réagir à de nombreuses crises sur tous les fronts à partir de 1943. Un
exemple tiré de la campagne de Tunisie suffit à illustrer le caractère
hétéroclite et bigarré que peut revêtir un Kampfgruppe, sans que cela altère
sa performance au combat. En mars 1943, lorsque Patton lance la 1st US
Armored Division sur Maknassy, il est frustré de voir cette unité stoppée par
une poignée de soldats ennemis qui reçoivent rapidement des renforts
importants constituant le Kampfgruppe Lang. Le colonel Lang aura sous ses
ordres des Italiens et des Allemands, ces derniers issus de deux régiments
différents de Panzergrenadiere, mais aussi des tankistes et leurs Tiger, des
artilleurs de plusieurs unités dont la seule de Nebelwerfer déployée en
Afrique, mais aussi des éléments de la Kesselring-Stabswache, la
Kampfstaffel O.B. (Luftwaffe), soit 30 hommes, ainsi que les restes de la
Kampfstaffel Rommel, qui constitue elle aussi une unité de circonstance
dont l’ordre de bataille n’a cessé d’évoluer. Une fois remplie la mission
pour laquelle le Kampfgruppe a été constitué, ses différents éléments
rejoignent leur commandement d’origine.
Le Kampfgruppe porte souvent le nom de l’officier qui le dirige, et
nombre de divisions sont engagées sous forme de Kampfgruppen : ainsi la
1re Panzer SS « Leibstandarte Adolf Hitler » pendant la bataille des
Ardennes, qui s’articule en quatre groupes de combat (les Kampfgruppen
Peiper, Knittel, Hansen et Sandig). Certaines divisions allemandes sont le
plus souvent – voire en permanence – engagées sur le front sous cette
forme : par exemple la 5e division de parachutistes ou la 2e Panzer SS « Das
Reich » en Normandie. Preuve de sa capacité de résilience, la Wehrmacht
amalgame les restes de ses divisions les plus éprouvées au sein de
Kampfgruppen, souvent avec le numéro de la division parente, et les
maintient sur la ligne de front, où leur combativité reste le plus souvent
honorable. Cette capacité a permis de maintenir un front cohérent et solide
beaucoup plus longtemps que n’aurait été en mesure de le faire une autre
armée. Les Kampfgruppen se révèlent efficaces jusqu’à la fin.
Au-delà du niveau divisionnaire, cette capacité des Allemands à
constituer des formations temporaires très efficaces sur le plan militaire
connaît son acmé au cours de la crise majeure que traverse l’Ostfront, à
savoir l’effondrement du front sud après l’encerclement de Paulus à
Stalingrad. C’est dans ce contexte que sont mis sur pied, en novembre 1942,
l’Armee-Abteilung Hollidt (qui formera le cadre d’une nouvelle 6e armée),
puis, à la fin de l’année 1942, l’Armee-Abteilung Fretter-Pico (à partir du
30e corps d’armée). Ces détachements d’armées sont mis sur pied et
engagés à la hâte, avec des divisions parfois de second ordre, telles que
deux Luftwaffe-Feld-Divisionen, des unités de Flak, de réserve et les
renforts qui sont dépêchés à l’Est.
Les crises successives que l’armée allemande doit surmonter à partir de
la fin de l’année 1942 poussent la Wehrmacht à adopter une autre mesure
d’urgence différente d’un Kampfgruppe ou d’un Armee-Abteilung : la
division créée ad hoc à partir d’unités de bric et de broc, unités souvent
disparates. C’est le cas de la division von Broich/von Manteuffel, levée le
15 novembre 1942, au tout début de la campagne de Tunisie, à partir de la
Schützen-Brigade von Broich formée à partir de l’Ortskommandeur II/960,
comprenant des éléments disparates chargés d’assurer la défense de Tunis et
Bizerte. L’ordre de bataille de la division est en effet pour le moins hors du
commun. Outre le Luftwaffe-Regiment « Barenthin » (régiment de
parachutistes, lui-même unité ad hoc formée à partir notamment d’unités
d’école, dont de pilotes de planeurs), l’organigramme de l’unité indique la
présence d’un régiment italien, le 10e de Bersaglieri, ainsi qu’un troisième
régiment de fantassins, nommé tardivement le 160. Panzergrenadier-
Regiment. Ce dernier compte trois bataillons, les Tunis-Feldbataillonen T3
et T4 ainsi que l’Afrika-Marsch-Bataillon A 30. Il s’agit donc d’un régiment
créé ex nihilo à partir de bataillons de remplacement présents à Tunis en
novembre 1942. Tout le service de soutien (artillerie…) et de logistique doit
être improvisé à partir de ressources de diverses provenances : allemandes,
italiennes, ou encore matériel allié capturé. L’appui d’artillerie est fourni
par plusieurs batteries du 2e régiment d’artillerie et du 190e régiment
d’artillerie. Une compagnie de reconnaissance, une unité de Flak, une
section de transmissions blindée ainsi que le Fallschirmjäger-Bataillon
(mot) 11 complètent l’unité avec les troupes de soutien divisionnaires
habituelles.
Tout aussi improvisée est la formation, à l’automne 1944, de la 462e DI
chargée de la défense de Metz. L’unité incorpore ainsi de nombreux
éléments disparates : 2 000 élèves du Wehrkreis XII, de l’école de
Wiesbaden, 1 888 élèves officiers de la Waffen-SS de l’école des
transmissions de Metz (Fahnenjunkerschule VI), le Sicherungsregiment
1010, deux bataillons d’infanterie d’instruction, un bataillon d’instruction
du génie, ainsi qu’une compagnie d’instruction de mitrailleuses lourdes, des
soldats de la 9. Flak-Division pour former des unités Pak et Flak…
Situation similaire en Hollande à la même période, lorsque les parachutistes
britanniques sont confrontés à une autre division de circonstance au cours
de la bataille d’Arnhem : la Division von Tettau, dans laquelle soldats de la
Heer, y compris de sécurité, de la Luftwaffe (dont un bataillon du
Fallschirmjäger-Ersatz-und-Ausbildungs-Regiment « Hermann Goering »)
et de la Kriegsmarine sont amalgamés à des unités de la SS.

Pourquoi le soldat de Hitler a-t-il été en mesure de faire


preuve d’une telle combativité ?

« Au soldat allemand rien n’est impossible », s’est exclamé un jour


Adolf Hitler. La ténacité du soldat allemand n’est pas mieux illustrée que
par la résistance menée à Stalingrad par la 6e armée, épuisée et plongée dans
un dénuement matériel extrême, mais capable de faire perdre
26 000 hommes aux Soviétiques au cours des trois premières journées de
leur offensive finale171. La guerre est trop cruelle pour être acceptée sans
motivation. Quelle est donc la véritable motivation du soldat allemand ?
Elle est d’évidence plus idéologique que celle du GI ou du Tommy. À partir
de la fin 1944, alors que la Vaterland est sur le point d’être envahi et que
l’issue du conflit ne laisse place à aucun doute, les soldats allemands
continuent à se battre avec acharnement pour une cause perdue. Des
milliers d’hommes sont tués chaque jour, mais l’esprit de résistance ne
fléchit pas, y compris à l’Ouest où il faudra attendre le mois d’avril pour
que le gros de l’armée, le Heeresgruppe B du Feldmarschall Model, soit
anéanti dans la poche de la Ruhr.
Endurer la guerre n’a bien souvent été possible qu’en raison du sens de
la camaraderie forgé dans l’enfer des combats. Le soldat allemand sait qu’il
peut compter sur les Kameraden. Une notion essentielle au sein de l’armée.
La camaraderie du front implique une solidarité entre les Frontkameraden.
Il s’agit peu ou prou de la Volksgemeinschaft transposée au niveau des
soldats du front (Frontsoldaten). Tout repose donc sur ce qu’on appelle les
groupes primaires172, au niveau du groupe de combat ou peloton (Zug), ou
de la section (Gruppe). Les soldats se sentent liés par un sentiment de
loyauté, un sens du devoir, une volonté d’accepter au besoin le sacrifice
pour les autres, obligation qu’on estime devoir être réciproque. Les soldats
savent aussi pertinemment que leur salut dépend de la cohésion du groupe.
Le groupe de combat devient ainsi une sorte de second foyer. Karl Fuchs ne
s’exprime pas autrement dans une lettre à son père : « Je suis devenu une
partie intégrante de ma compagnie, à tel point que je ne peux plus la
quitter173. » C’est un sentiment très bien illustré dans le film Croix de fer, de
Sam Peckinpah, avec James Coburn dans le rôle-titre. Rester à la maison,
c’eût été « trahir nos camarades174 ». En dépit des suppliques de leurs
épouses, des soldats repoussent l’idée de chercher à obtenir un poste de
gratte-papier à l’arrière, voire en Allemagne même : le front requiert « des
hommes, et non des comptables175 ». « Je n’aimais vraiment pas me sentir
éloigné de mes deux bons copains, écrit Guy Sajer. L’amitié compte
beaucoup pendant la guerre176. » Ne pas entrer dans ce cadre constitue une
faute. Dans une lettre à son épouse, un adjudant exprime à quel point son
supérieur désapprouve son attitude distante vis-à-vis des autres officiers
qu’il juge grossier : « Hier l’Oberleutnant m’a dit que je ferais bien de me
montrer un peu plus avec les autres types car peu d’entre eux me
connaissent. Il me disait cela comme si j’avais commis une faute ! Cela
tient au fait que je n’ai pas trouvé une once de camaraderie avec les deux
officiers de ma compagnie177. »
Cette camaraderie ne s’exprime jamais autant qu’à la veille d’un
combat, lorsque l’union semble plus ferme que jamais. « D’où proviennent
donc les bons sentiments qui, brusquement, font sortir les dernières
cigarettes, les chocolats si rares que l’on grignote par miettes en cachette,
qui incitent le salaud à vous faire entrer dans la confidence178 », se demande
Guy Sajer. La camaraderie semble pourtant fragile dans les épreuves les
plus terribles, ainsi pendant la captivité en Sibérie, ou encore face à un
danger, comme Kurt Kreissler en fait l’amère expérience lorsque, blessé, il
constate qu’aucun de ses camarades ne répond à ses appels à l’aide179. Être
soldat allemand, c’est aussi vivre dans un monde ou existent
paradoxalement un certain isolement, ainsi qu’une forme d’égoïsme.
D’égoïsme et de manque de camaraderie : c’est bien ce dont un
commandant de bataillon s’est rendu coupable lorsqu’il s’échappe vers
l’Allemagne, abandonnant ses hommes à leur sort – la captivité en Sibérie –
lors de la reddition des forces allemandes encerclées en Courlande en mai
1945180.
Si beaucoup d’historiens ont cru déceler dans ces groupes primaires la
raison essentielle de la combativité et de l’efficacité de la Wehrmacht181,
d’autres, à la suite d’Omer Bartov, rappellent qu’il ne faut pas oublier
l’idéologie182. La crise des effectifs en raison de pertes met en effet à mal le
système des groupes primaires, ainsi que le système de remplacement. Les
nombreuses unités de circonstance rassemblant des soldats de tous les
horizons semblent abonder dans ce sens, de même que les rapides turn-over
que connaissant certaines unités. Ainsi, l’Afrikakorps qui est en position
devant El-Alamein en octobre 1942 n’est pas celui de juin 1941 : nombre
d’Afrikakämpfer de la première heure sont morts ou prisonniers, ou ont été
évacués pour raison sanitaire, quoiqu’il ne faille pas imaginer
l’anéantissement de tous « noyaux durs » de vétérans. L’idéologie nazie
semble plus à même de renforcer les liens existants. Le nazisme, en
insistant sur la Volksgemeinschaft ainsi que sur la camaraderie, fait
comprendre que tous, toutes classes sociales confondues, endurent les
mêmes épreuves, les mêmes souffrances. S’ils défendent leurs foyers et leur
patrie, les soldats allemands se battent aussi pour le nazisme et tout ce que
cela suppose. Ils sont d’autant plus solidaires qu’ils ont un ennemi commun,
ce qui constitue le plus sûr vecteur d’unification d’un groupe183.
De façon fort remarquable, en dépit des revers et d’une situation
particulièrement dramatique en 1945, la Wehrmacht ne souffre d’aucune
mutinerie, si ce n’est des exemples à la marge, comme les SS musulmans de
la division « Hanshar ». La peur du sort qui l’attend s’il rend les armes ou
encore la haine de l’ennemi, en particulier le « judéo-bolchevik »,
expliquent aussi la ténacité jusqu’au-boutiste du Landser.

Des leaders d’exception bridés par le Führer ?


Les soldats de Hitler ont-ils été menés au combat sous les ordres d’un
haut commandement de qualité ? Si, au début de la guerre, la mentalité des
généraux franco-britanniques vis-à-vis de la guerre de mouvement reste
sclérosée, sur fond de système de commandement inflexible, il ne faut
cependant pas embellir le tableau côté allemand : en 1940, beaucoup de
généraux n’entendent rien aux capacités des unités de panzers. Face aux
Russes, les soldats allemands ont l’avantage d’avoir des adversaires dont les
initiatives sont brimées par la présence des commissaires politiques ainsi
que la perspective d’une exécution… Les officiers soviétiques ne sont pas
pour autant dépourvus de talent, ce que la suite du conflit démontrera
amplement.
Un des soucis majeurs des officiers du haut commandement est Hitler
lui-même. « Et ne vous faites pas d’illusions, déclare le Feldmarschall von
Kluge au Feldmarschall von Manstein au plus fort de la crise de Stalingrad.
Le Führer attribue la survie de l’armée durant la grande crise de l’hiver
dernier non pas au moral de nos soldats et à tout le dur travail que nous
avons accompli, mais uniquement à son propre talent184. » Ironiquement, en
privé, les généraux hostiles affublent le Führer d’un sobriquet : le Gröfaz,
acronyme pour Größter Feldherr aller Zeiten, « le plus grand chef militaire
de tous les temps185 ». La mainmise de Hitler sur les forces armées débute
en 1938, avec la création de l’OKW et l’abolition du ministère de la Guerre,
qui suivent la mise à l’écart de Blomberg et de Fritsch. Hitler va s’entourer
autant que possible d’officiers dociles, obéissants. Ses plus proches
collaborateurs sont dans cette veine : Keitel, Jodl, Zeitzler, Schmundt,
Burgdorf… La principale préoccupation du Führer semble être « la
nécessité d’endoctriner et de fanatiser l’état-major général186 », se lamente
Franz Halder, le chef d’état-major de l’OKH, en septembre 1942. Les
directives stratégiques de Hitler, imposées à ses généraux et qui ne leur
laissent aucune latitude autre qu’opérationnelle et tactique (ces dernières
étant souvent bridées par d’autres interventions), sont l’illustration la plus
flagrante de la domination de l’appareil militaire du Reich par le Führer.
Pour autant, Hitler n’est pas un chef de guerre dénué de talent, et ses
généraux, s’ils ont eu à pâtir de ses choix dramatiques, ont le plus souvent
accepté sa vision de la situation, voire proposé des solutions plus illusoires
que celles de leur chef. Sur tous les fronts, la cacophonie est pourtant
ahurissante au niveau du haut commandement allemand. Les interférences
entre les différentes armes, ainsi qu’avec la Waffen-SS, sont gênantes.
Pourtant, en 1942, Hitler en avait confié la direction à l’OKW, organe qui
en théorie chapeaute la Heer, la Luftwaffe et la Kriegsmarine, avec l’idée
qu’il était nécessaire de coordonner l’action des trois armes sur le théâtre
des opérations, alors que l’OKH (le haut commandement de l’armée de
terre) mène la guerre à l’Est, tout en restant responsable de l’entraînement
et de l’équipement des forces déployées à l’Ouest187… C’était compter sans
les rivalités internes au Reich et la politique du « diviser pour régner » du
Führer. L’unité du commandement n’est qu’une illusion. Les soldats de
Hitler vont en souffrir sur la ligne de front.
Ces généraux proches du Führer, parfois très critiques, profitent
toutefois du régime. Recevoir le bâton de maréchal est la récompense
suprême. Hitler sait récompenser les généraux victorieux : la plus grosse
promotion de maréchaux survient en juillet 1940, après l’éclatante victoire
remportée sur la France. L’argent est également distribué avec générosité.
Lorsque Rundstedt est limogé en 1941, Hitler le gratifie peu après de la
somme rondelette de 250 000 marks pour son anniversaire188. Les grands
maréchaux de la Wehrmacht bénéficient largement des largesses du régime
et sont comblés par les présents offerts par le Führer qui s’assure ainsi
davantage leur fidélité. Kluge et Milch reçoivent la même somme que
Rundstedt, Keitel reçoit en cadeau une propriété de 750 000 marks189.
Guderian jouit d’une belle propriété en Pologne… Halder lui-même, qui a
tant critiqué Hitler après le conflit, tout en s’écartant le plus possible des
crimes attribués au dictateur, n’est pas épargné par ces pratiques mafieuses.
Les exemples peuvent être multipliés à l’envi…
Hitler a besoin de ces hommes. Les talents tactiques et opérationnels,
voire stratégiques, d’officiers tels que Rommel, Manstein, Guderian, Kleist,
Hoth, Model, Hube et autres, ne sont pas à démontrer. Si Manstein est un
stratège de premier plan, à tout le moins avant 1944, beaucoup de ces
hommes ont l’esprit souvent moins affûté sur le plan stratégique. Les
défaillances n’ont pas été absentes : ainsi, dès le début de la bataille de
Koursk, le général Friessner, qui commande le 23. Armeekorps, apprend de
son subordonné qui dirige la 216e DI que les échecs sont dus « à des
insuffisances chez les officiers et les sous-officiers, qui n’ont pas su
s’imposer190 ». Au final, le commandement allemand, aussi bien le haut
commandement que les officiers de rangs subalternes, a su s’adapter aux
circonstances spécifiques des différents théâtres d’opérations. Pour autant,
nombre de généraux n’ont pas forcément admis ou compris certaines
faiblesses dont souffre la Wehrmacht. On pourra certes exclure Rommel de
ce constat affligeant : en 1944, il n’a eu de cesse de répéter l’importance
qu’aura l’aviation alliée sur le cours de la bataille qui s’annonce.
L’expérience de plusieurs années de guerre face aux alliés occidentaux n’a
pas été transmise avec efficacité, faute d’avoir pu convaincre des généraux
issus du front de l’Est, habitués aux grandes manœuvres d’unités mobiles
dans des espaces ouverts et qui, de surcroît, ont surtout retenu de la guerre
en Méditerranée l’impact de l’artillerie navale alliée sur le cours des
événements au moment des débarquements191. Pour ne retenir que
l’exemple de la lutte menée pour repousser l’invasion de 1944, les combats
menés en 1940, puis à l’Est, mais aussi en Afrique du Nord et en Italie
n’ont pas été de nature à fournir aux Allemands tous les éléments à prendre
en compte pour la bataille de Normandie.
Être un soldat de Hitler au plus haut niveau de la hiérarchie représente
pourtant un danger : celui de se voir démis de ses fonctions, une calamité
pour des hommes souvent ambitieux qui consacrent leur vie au service des
armes. Après la prise de Sébastopol, en mai 1942, Hitler jubile, et pourtant
le Feldmarschall von Bock rapporte une de ses déclarations qui ne manque
pas de sel quand on connaît le personnage : « Durant la conversation, le
Führer tourna en dérision les Anglais, qui se débarrassaient de leurs
généraux dès que les choses tournaient mal, tuant ainsi tout esprit
d’initiative dans leur armée192 ! » Remarque qui aurait provoqué l’hilarité
convenue des auditeurs. Hitler n’a pas hésité à se séparer brutalement de
certains de ses grands subordonnés. Avec le temps des défaites, en 1945,
cette pratique prend de l’ampleur chez lui : Guderian, finalement devenu
chef d’état-major de l’OKH, en fait les frais. La valse des généraux est aussi
l’occasion pour Hitler de s’assurer de la promotion des plus sûrs
idéologiquement aux postes les plus importants.
La raison la plus fréquente de limogeage d’un général – et cela ne
saurait surprendre – est la sanction pour une défaite. Les exemples sont
légion. La mise dans la réserve générale de l’armée (la Führerreserve au
sein de la Wehrmacht) permet de se débarrasser de chefs jugés indésirables
sur le moment, mais dont les compétences militaires, reconnues et avérées,
rendent impossible la radiation pure et simple de l’armée : les talents de ces
hommes sont indispensables. Contrairement à Staline, Hitler ne recourt pas
à l’exécution pour punir les généraux malchanceux sur le champ de bataille.
Trop pessimiste, le général Walther Nehring, l’ancien chef de
l’Afrikakorps en charge de la tête de pont de Tunisie fin 1942, est remplacé
par le général von Arnim. Au même moment, le 5 décembre 1942, Hitler
radie le général Heim de la Wehrmacht, lui faisant porter la responsabilité
de la percée soviétique sur le front de la 3e armée roumaine, qui aboutit à
l’encerclement de Stalingrad193. Écartés, les maréchaux von Rundstedt, von
Bock, von Leeb aussi l’ont été, ainsi que les généraux Guderian et Hoepner,
déboutés de leurs postes à la suite de la défaite de Moscou (désobéissance,
repli, défaitisme, échec final de « Barbarossa »…) : plus d’une trentaine de
généraux sont démis de leurs fonctions à la suite des échecs consécutifs de
« Barbarossa » et de « Typhon ». On se demande comment Rundstedt a pu
oser préconiser à Hitler un repli jusqu’à la frontière polonaise…
À l’exception du premier, tous les autres sont mis à la retraite. Pis, Hoepner
est chassé du corps des officiers. Le 19 décembre de la même année, c’est
Brauchitsch en personne, le commandant en chef de l’armée de terre
allemande (la Heer), qui doit se résoudre à démissionner à la suite d’une
crise cardiaque. Hitler s’empresse d’assumer ses fonctions en personne, et
ce jusqu’à la fin de la guerre. C’est également en Russie, au cours de l’été
1942, que le général List perd le commandement du Heeresgruppe A, qui
fonce dans le Caucase lorsque cette offensive qui se veut décisive échoue à
atteindre ses objectifs. Hitler, qui refuse d’accepter les faits et d’endosser sa
part de responsabilité dans l’échec de « Fall Blau » (l’offensive de la
Wehrmacht au sud de la Russie à l’été 1942), choisit cet officier compétent
comme bouc émissaire et prend en personne le commandement du
Heeresgruppe A. Il profite de l’occasion pour se débarrasser également du
général Halder, le chef d’état-major de l’OKH.
Le désastre qui s’abat en Biélorussie sur le Heeresgruppe Mitte, fin
juin-début juillet 1944, provoque le limogeage de son commandant, le
Feldmarschall Busch. Les difficultés concomitantes sur le front de l’Ouest,
en Normandie, provoquent les départs, entre autres, du Feldmarschall von
Rundstedt et du général Geyr von Schweppenburg. En août-septembre
1944, les généraux Blaskowitz (commandant de l’Armeegruppe G) et von
der Chevallerie (le chef de la 1re armée) sont démis de leurs fonctions.
L’intrigue d’un Gauleiter (Gustav Simon se venge de von der Chevallerie
qui a informé l’OKW de sa fuite ignominieuse de Luxembourg) et la fausse
impression chez Hitler que ces généraux manquent de fougue – alors qu’il
envisage une contre-attaque en Lorraine contre la 3e armée américaine –
sont à l’origine de ces limogeages, alors même que Blaskowitz et von der
Chevallerie ont incontestablement sauvé la Wehrmacht à l’Ouest au même
titre que Model. Au même moment, le général von Salmuth, le commandant
de la 15e armée restée trop longtemps l’arme au pied dans le Pas-de-Calais,
paie pour l’aveuglement de ses supérieurs (et le sien), leurrés par
l’opération d’intoxication « Fortitude ».
Être relevé ou muté est un moindre mal pour un officier jugé fautif par
ses supérieurs au point qu’il doit être limogé. Les conséquences peuvent
être beaucoup plus dramatiques. La guerre à l’Est n’épargne pas les
généraux allemands. Le général Hans von Sponeck est jugé en cours
martiale après avoir dû concéder du terrain aux Soviétiques en Crimée en
décembre 1941. S’il sauve son unité, l’unique division positionnée face aux
Soviétiques et défendant l’accès au détroit de Kerch, il s’est replié sans
ordres. Condamné à mort, sa peine est commuée en six ans d’internement
(il est fusillé après l’attentat du 20 juillet). Le général Stumme perd son
commandement (le 40e corps de panzers) au cours de l’été 1942, suite à la
prise par l’ennemi d’importants documents concernant « Fall Blau ».
Condamné par la justice militaire, il écope d’abord de cinq ans de détention,
puis il est muté en Afrique du Nord où il doit se réhabiliter. Son chef d’état-
major et le commandant de la 23e Panzer sont démis de leurs fonctions par
la même occasion. La cour martiale n’aboutit pas toujours à des décisions
aussi extrêmes (peine capitale, internement). D’abord condamné à mort,
Feuchtinger, le commandant de la 21e Panzer, est pourtant rétrogradé au
rang de simple artilleur en 1945 (accusé de défaitisme, il vit ouvertement et
avec aisance avec sa maîtresse sud-américaine). Le risque d’être
sommairement passé par les armes en cas de défaillance prend de l’acuité
en 1945 alors que le Reich s’effondre. Des cours martiales volantes
sévissent, avec l’approbation des principaux officiers supérieurs allemands.
Les quatre officiers jugés responsables de la prise intacte du pont de
Remagen par les Américains sont condamnés et exécutés. Lorsque
Kesselring apprend que le cinquième officier incriminé est entre les mains
des Américains, il n’hésite pas à ordonner l’incarcération de sa famille194.
A contrario, certains officiers supérieurs qui, selon toute probabilité,
auraient dû être limogés, sont contre toute attente maintenus in fine à leurs
postes. Le Feldmarschall Model, l’homme des situations désespérées de la
Wehrmacht en 1944 (Biélorussie puis Normandie), échoue dans la contre-
offensive des Ardennes que Hitler veut décisive. Le Führer, qui en a limogé
pour moins que cela, ne lui en tient pourtant pas rigueur. Erwin Rommel,
son favori, le héros de la propagande de Goebbels, échappe également par
deux fois à une disgrâce qui n’aurait pas manqué de frapper tout autre
maréchal moins emblématique. La défaite d’El-Alamein et la catastrophe
finale de Tunisie auraient pu signifier la fin de la carrière du grand général.
Mais Hitler comprend le symbole que représente Rommel, l’icône de la
propagande. Lorsque, fin juin-début juillet 1944, il démet Rundstedt et Geyr
von Schweppenburg de leurs postes, sanctionnant ainsi l’échec des mesures
face à l’invasion et des propositions de repli inacceptables au goût du
Führer, Rommel, dont les propos défaitistes ne sont pourtant pas passés
inaperçus, échappe à la purge qui frappe le haut commandement allemand à
l’Ouest.
Ces généraux ont été desservis par une méconnaissance de l’adversaire.
L’histoire de l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale est
celle d’une faillite du renseignement. L’offensive « Barbarossa » s’effectue
avec une sous-estimation dramatique de l’adversaire. Les personnels du
Fremde Heer Ost (FHO) mènent une véritable existence de Sybarites195.
Lorsque l’opération est lancée, l’OKH sous-estime les effectifs adverses
d’un tiers en ce qui concerne le nombre de divisions. En fait, les efforts
déployés par l’Armée rouge en matière de déception se sont montrés
extrêmement efficaces : pendant toute la durée de la guerre, la Wehrmacht
n’a jamais été en mesure de déterminer ni le lieu ni la date des offensives
majeures des Soviétiques196. De « Torch » à « Overlord » et « Bagration »,
on ne compte plus les erreurs flagrantes et dramatiques du système de
renseignement allemand. Leurrés par l’opération d’intoxication
« Fortitude » visant à faire croire à un second débarquement dans le nord de
la France, les Allemands sont dépassés dans la recherche d’informations sur
l’ennemi sur la ligne de front. Les services d’écoutes allemands ont parfois
obtenu des succès, mais ils restent insuffisants. Quant aux Aufklärungs-
Abteilungen, leur mission est en théorie d’assurer la découverte lointaine et
d’apporter des renseignements sur le dispositif adverse. Une fois au contact,
engluées dans l’enfer de la bataille, les divisions doivent procéder
autrement. Si, à partir de 1944, la Luftwaffe fait défaut pour collecter
également une moisson de renseignements, la reconnaissance du terrain à
pied ou à bord de véhicules demeure indispensable avant de mener une
opération. C’est l’objectif des patrouilles ou des coups de main menés dans
l’intention de ramener des prisonniers. Si le cassage des codes ennemis ou
l’écoute des communications adverses a apporté à plus d’une occasion des
renseignements décisifs, comme pour l’Afrikakorps avec l’unité d’écoute
621 du capitaine Seeböhm, le soldat de Hitler est donc un combattant qui
affronte un ennemi capable de leurrer ses supérieurs sur ses intentions…
Chapitre 4

La guerre aérienne des soldats de Hitler

Les hommes d’Hermann Goering

L’armée de Hitler, c’est aussi une force aérienne passée dans la


légende : la Luftwaffe. Des plaines de Pologne aux sables d’Égypte, elle
constitue une des armes emblématiques du Blitzkrieg, qui met en œuvre le
tandem redoutable qu’elle forme avec les panzers. L’armée de l’air
allemande est créditée de succès stupéfiants : au cours des quatre premiers
mois de « Barbarossa », elle détruit 15 178 avions soviétiques, la
destruction de 1 878 appareils ennemis étant revendiquée dès le premier
jour (la plupart au sol), pour la perte d’à peine 68 de ses avions1.
La Luftwaffe est la création2 d’Hermann Goering, lui-même ancien
pilote de chasse de la Grande Guerre et considéré comme le dauphin du
Führer. Il est assisté de brillants collaborateurs : Erhard Milch, auparavant
président de la Lufthansa, et un artilleur passé à l’armée de l’air, Albert
Kesselring, qui passe à la postérité pour ses commandements terrestres en
Méditerranée. L’armée de l’air allemande reçoit la priorité dans le
programme de réarmement. Le numéro deux du régime n’aura de cesse de
considérer la Luftwaffe comme « sa » chose, et ses troupes presque comme
une sorte d’armée privée, sa garde prétorienne, à l’instar de la Waffen-SS
pour Heinrich Himmler. Il faut faire preuve de tempérance sous ses ordres,
car Goering entend donner une belle image de sa Luftwaffe : pas de tabac
en public, aucun excès d’alcool3.
Si près de 3,4 millions d’Allemands4 servent au sein des forces
aériennes, les troupes de la Luftwaffe sont avant tout du personnel déployé
au sol, y compris des gardiens de camps de prisonniers. La Luftflotte 3
déployée à l’Ouest au printemps 1944 compte ainsi 300 000 rampants pour
à peine 800 appareils en dotation. C’est pourtant le personnel navigant qui
capte les imaginations, de même que des appareils entrés dans la légende de
l’histoire de la guerre aérienne et de l’aéronautique : Messerschmitt Bf-109,
Junkers Ju-87 Stuka, Focke-Wulf Fw-190, Junkers Ju-52…
Servir à bord de ces engins n’est pas une sinécure. Le stress, la fatigue
des longues missions, l’attention requise à tous les instants constituent
autant de facteurs éprouvants pour les nerfs et l’organisme. Pour « tenir le
coup », on embarque des sandwichs, ainsi que des denrées très
énergétiques, dites rations de vol, à base de chocolat, de fruits secs et de
tablettes Dextroenergen. Être membre d’équipage d’un avion en temps de
guerre requiert beaucoup de courage. Le moment le plus critique survient
lorsqu’il faut abandonner en urgence un avion en flammes, manœuvre
délicate, davantage encore lorsqu’on est blessé : il faut s’extirper d’un
appareil tombant en une vrille mortelle, soumis à une puissante force
centrifuge, puis sauter, sans heurter une aile ou la dérive de l’avion en
perdition, ni être percuté par un autre avion incapable de virer de bord
rapidement de crainte d’entrer en collision avec un autre appareil. L’arrivée
au sol n’est pas sans dangers : outre les aspérités éventuelles du terrain, le
risque de mort reste élevé si le saut s’effectue au-dessus du territoire
ennemi. La crainte de la captivité en Sibérie habite ceux qui opèrent dans la
profondeur du territoire soviétique. Les équipages qui doivent affronter les
dangers d’un amerrissage dans l’océan ou d’un atterrissage forcé aux
confins du désert de Libye sont soumis à des situations tout aussi
périlleuses.
Les images d’époque ont immortalisé ces « chevaliers du ciel » et leurs
camarades du personnel à terre. Les uniformes5, dans des tons gris-bleu,
portés parfois accompagnés d’un foulard ou d’une écharpe à bord des
appareils, ne manquent pas d’élégance. Dans sa version tropicale, de
couleur sable, bien étudiée avec ses pantalons amples et ses grandes poches,
l’uniforme se révèle bien plus pratique et nettement plus confortable que
celui de la Heer6. À la belle saison, les navigants enfilent une combinaison
de vol en toile beige, la Fliegerbluse, sur laquelle on porte un gilet de
sauvetage jaune7. À haute altitude, les Allemands n’ont rien à envier aux
aviateurs américains dotés de leurs fameuses vestes : le navigant de la
Luftwaffe porte une tenue en cuir, doublée ou non, ainsi que des bottes de
vol fourrées. L’hiver, les sous-vêtements, le gilet fourré, ainsi qu’un
manteau et un bonnet en peau de mouton (ce dernier doté de protège-
oreilles) constituent des réponses efficaces aux rigueurs climatiques. Les
chaudes combinaisons de vol sont un avantage en Russie, alors que le
personnel au sol subit les rigueurs de l’hiver exactement comme les troupes
de la Heer. Le système d’alimentation en oxygène, plus avancé
techniquement que celui des Anglo-Américains, fonctionne à la demande,
ne s’enclenchant qu’à l’inhalation, et non en continu, ce qui évite gaspillage
et réserves embarquées trop importantes. Ce sont donc des pilotes très bien
équipés qui partent à la conquête de l’Europe…

Une Luftwaffe taillée pour une Blitzkrieg lancée dans une


guerre mondiale

A priori favorisés par le régime, contrairement à leurs camarades de la


Heer, les soldats de la Luftwaffe bénéficient de la supériorité numérique au
cours des opérations menées entre 1939 et 1940, avantage qui se double
bien souvent d’une supériorité qualitative jusqu’en 1942. En 1940, la
Luftwaffe jouit indéniablement d’une avancée technique, et ses équipages
sont mieux entraînés et plus expérimentés. Par ailleurs, la coopération avec
les forces terrestres est plus efficiente que dans les armées adverses. Au
début de la guerre, la Luftwaffe est aussi la seule force aérienne à disposer
des compétences pour des raids nocturnes ou par mauvais temps, ou bien
des outils nécessaires à des frappes à de relativement longues distances, sa
capacité de soutien tactique étant assurée par l’existence de Koluft
(Kommandeure der Luftwaffe) au niveau de chaque groupe d’armées, armée
ou corps d’armée afin de contrôler les unités de reconnaissance rattachées,
ainsi que de Flivos (officiers de liaison de la Luftwaffe auprès de la Heer),
qui vont relayer les demandes de soutien8. Parmi les innovations
opérationnelles de l’armée de l’air allemande, une force de parachutistes,
dont le développement est nettement plus abouti que dans l’armée française
où le concept de forces aéroportées n’en est qu’à ses balbutiements.
Avec ses 4 033 avions disponibles au sein de ses escadrilles en
septembre 1939, peut-on dire pour autant que la Luftwaffe est prête ? Si la
Kriegsmarine n’est pas configurée pour mener la lutte contre le Royaume-
Uni, il semble qu’il en aille de même avec l’armée de l’air. Ernst Udet, le
responsable technique, confesse en début de guerre : « Je n’ai jamais pensé
que nous serions en guerre avec la Grande-Bretagne9. » Pis, le soldat de la
Luftwaffe de Hitler est confronté à un mal endémique à la Wehrmacht :
l’absence de standardisation. Les ingénieurs et les techniciens ont planché
sur 635 projets d’avions, générant une dispersion et un gaspillage des
ressources évident.
Comme les différentes composantes de la Wehrmacht, la Luftwaffe doit
compter avec un outil industriel dont la production se révèle insuffisante
comparée à ses adversaires. Dès 1942, alors même qu’il faut mobiliser
d’importants moyens pour continuer la lutte contre la Royaume-Uni en
Europe et en Méditerranée, la Luftwaffe reçoit 10 000 avions de moins que
la seule aviation soviétique. L’année 1944 est celle de tous les records de
production : 12 720 chasseurs sont livrés à l’aviation allemande. En raison
des pertes subies, le maximum d’appareils disponibles au cours de la guerre
atteint ainsi 4 928 le 31 mai 1944. En juin 1944, la Luftwaffe aligne
1 500 chasseurs monomoteurs, 240 bimoteurs, 780 chasseurs de nuit,
1 000 bombardiers en piqué et avions d’assaut, 1 100 bombardiers et
950 avions de transports, auxquels il faut sans doute ajouter les appareils de
reconnaissance et de liaison. Après la saignée du printemps et de l’été, la
résurrection de l’automne 1944 est surprenante. Les effectifs des formations
sont de nouveau étoffés, et Adolf Galland, le patron de la chasse, peut
annoncer au Führer que celle-ci aligne 3 700 avions. Produire des avions ne
suffit pas : les pilotes et le carburant, même synthétique, manquent
dramatiquement à partir de l’automne 1944. Les métaux tels que le chrome,
le tungstène et la bauxite font désormais défaut. L’aviation souffre
rapidement d’un manque chronique de pièces détachées, situation aggravée
par les défaillances logistiques.
Les soldats de la Luftwaffe sont donc confrontés à des conditions de
combat rapidement défavorables. La multiplicité des fronts engendre une
dispersion des moyens. En décembre 1942, c’est le quart du potentiel aérien
allemand10 qui est concentré en Méditerranée, contre un douzième un an et
demi plus tôt. Acheminer le carburant de l’autre côté de la Méditerranée
pose problème dès le début de l’intervention allemande en 1941. Pour éviter
de puiser dans les précieux stocks d’essence établis avec difficulté en
Afrique, les avions refont le plein en Sicile. À partir de 1943, le taux
d’usure oscille entre 11 et 24 %, 34 % même au sein des escadrilles de
bombardiers : il n’y a plus de périodes de calme relatif comme en 1940
(5 % de pertes pendant plusieurs mois11). Pis, l’immensité du front de l’Est
empêche d’y mener en même temps le même type d’opération sur plusieurs
théâtres. En juillet 1942, la Luftwaffe ne peut engager en soutien de « Fall
Blau » que 1 500 de ses 2 700 avions déployés à l’Est.
La fournaise du front de l’Est use donc une flotte aérienne pourtant
sous-dimensionnée pour la tâche à accomplir. La Luftwaffe est confrontée à
un ennemi de plus en plus redoutable. La bataille aérienne menée au-dessus
du Kouban et de la mer Noire constitue à cet égard un véritable tournant
dans la guerre à l’Est car la VVS (l’aviation soviétique) est en passe de
rattraper son retard doctrinal et tactique sur la Luftwaffe12. Une VVS d’une
nouvelle génération, beaucoup plus audacieuse et combative, a été en
mesure d’abattre ou d’endommager 400 avions allemands dans le Kouban
pour le seul mois d’avril 1943, les pertes étant à l’avenant le mois suivant13.
Toutefois, à Koursk, les escadrilles de la VVS souffrent autant que les
unités de tanks confrontées aux panzers : la Luftwaffe, qui concentre ses
moyens, reste redoutable14.
À l’été 1944, deux années après le lancement de l’assaut sur Stalingrad,
la Luftwaffe, principalement engagée à l’Ouest, n’est plus en mesure de
relever efficacement le défi. Pendant l’opération « Bagration », la VVS
semble avoir définitivement acquis l’ascendant sur sa rivale. Lorsque les
combats débutent, la Luftflotte 6 du général von Greim, affectée au
Heeresgruppe Mitte, aligne en théorie 920 appareils de tous types (sur les
2 085 déployés sur l’Ostfront), mais on ne compte que 602 avions
opérationnels sur ce total, dont 512 de combat. Il faudra donc se battre à 1
contre 5 face à la VVS… Certes, d’imposantes concentrations de forces
semblent encore réalisables : ainsi, le VIII. Fliegerkorps aligne
1 000 appareils pour soutenir le Heeresgruppe Nordukraine de Harpe. Aussi
impressionnant que soit ce chiffre, il faut se rappeler que cette portion du
front fait 1 200 kilomètres. Dans le sud de l’Europe, les pilotes de Hitler
sont placés dans une situation encore plus défavorable : au printemps 1944,
en Italie, l’aviation ne déploie pas 200 appareils face à près de 4 000 au sein
des forces aériennes alliées.
Au même moment, la bataille menée en Normandie résume les
difficultés auxquelles ont à faire face les pilotes de Hitler, luttant à 1 contre
15. La Luftwaffe parvient tout de même à atteindre un pic de
1 300 appareils le 10 juin. Ce jour-là, l’activité aérienne s’est accrue depuis
le Jour J puisque les seuls monomoteurs totalisent 500 sorties15. L’ensemble
de son personnel paraît bien hétérogène : quelques as, de nombreux pilotes
expérimentés sans être pour autant des Experten (des as) et une foule de
bleus sans expérience avec à peine quelques heures de vol à leur actif.
L’inexpérience de ces derniers ne fait que multiplier les pertes. Pis, un
certain nombre d’as sont rapidement perdus : le capitaine Weber
(136 victoires) le 7 juin, le capitaine Simsch (54 victoires), le lieutenant
Zweigart (69 victoires) et le commandant Huppertz (78 victoires) le 8 juin.
Épuisés, les pilotes allemands enchaînent les missions avec peu de chances
d’y survivre au final. Symbolique de la lutte inégale que doivent mener les
soldats de Hitler sur tous les fronts, la Luftflotte 3 engagée sur le front de
l’invasion accumule les difficultés. Totalement surclassée sur le plan
numérique, elle doit compter avec des bases éloignées, situées au mieux en
région parisienne. En outre, Ultra décrypte tous ses messages.
Les erreurs de production industrielle et la multiplicité des fronts ne
fournissent nullement les seules explications à cette situation : la Luftwaffe
est saignée à blanc pendant des années. Être pilote de Hitler, c’est courir un
grand risque d’être tué. L’armée de l’air allemande, en quelque sorte
l’enfant chéri du régime, est rapidement soumise à rude épreuve :
355 avions sont détruits ou endommagés dès le premier jour de la
campagne à l’Ouest en 1940. Plus de 1 500 appareils sont perdus au cours
de la Westfeldzug16. Après la terrible épreuve de la bataille d’Angleterre,
« Barbarossa » annonce un processus d’usure irréversible : en décembre
1941, 2 100 avions allemands ont été perdus et 1 400 autres endommagés :
des pertes inacceptables. Le mois de juillet 1943 est le plus coûteux de la
guerre : outre les avions perdus au-dessus du Reich, la Luftwaffe perd
771 appareils en Méditerranée et 558 à l’Est17. L’ennemi le plus redoutable
reste les forces aériennes anglo-saxonnes, et la grande bataille de la
Luftwaffe est la guerre menée au-dessus de l’Allemagne, qui absorbe toutes
ses ressources. L’effort de guerre mené par le pays pour préserver son
territoire des incursions des bombardiers adverses est considérable. Au
cours de la seconde moitié de l’année 1943, le tiers de l’industrie optique et
la moitié de l’industrie électrique sont consacrés à la défense du Reich,
notamment aux radars18. Le sort de la guerre repose donc en grande partie
sur les épaules des soldats de l’air de Hitler. Ces derniers luttent pourtant
dans des conditions extrêmement défavorables.
Et pourtant, que d’innovations ! Le bombardier et appareil de
reconnaissance à réaction Arado 234 représente une avancée technologique
d’envergure. La Luftwaffe sera dotée du matériel le plus perfectionné de la
guerre, notamment certains radars embarqués. Si les biréacteurs
Messerschmitt Me-262 Schwalbe (premier avion à réaction de l’histoire),
les avions-fusées Messerschmitt Me-163 Komet ou encore le monoréacteur
Heinkel He-162 Salamander (doté du premier siège éjectable au monde)
représentent des prouesses technologiques, certes non dénuées de défauts,
ils ne suffisent pas à renverser le cours des événements19. En revanche, les
projets les plus délirants sont envisagés comme pis-aller, tels que le Mistel :
la combinaison d’un chasseur piloté superposé à un bimoteur bourré
d’explosifs qui est lancé sur cible… Au contraire, des appareils plus
simples, comme le Fieseler Fi-156 Storch, petit avion de liaison, se sont
révélés particulièrement adaptés à leurs missions.
Assurément, la Luftwaffe, taillée pour un Blitzkrieg et non une guerre
longue, a dû résoudre la difficulté du maintien à niveau et de la course
technologique, sans y parvenir systématiquement, particulièrement face aux
remarquables appareils de l’USAAF (United States Army Air Force, les
forces aériennes américaines) et de la RAF (Royal Air Force, les forces
aériennes britanniques). L’équipement de base dont dispose le soldat de la
Luftwaffe, que ce soit son avion, son uniforme ou sa pièce de Flak, est
cependant généralement de bonne facture.
La Luftwaffe s’est indubitablement révélée redoutable : elle détruit
107 000 avions soviétiques au cours du conflit20. L’armée de l’air allemande
a cependant payé le prix fort. Sur les 160 000 avions qui ont porté les
couleurs du Reich entre 1933 et 194521, 116 000 appareils auraient été
perdus, pour moitié gravement endommagés22. Ces soldats de Hitler
peuvent s’enorgueillir d’avoir été ceux qui se sont enfoncés le plus loin au
cœur de la Russie – en bombardant les sites industriels de l’Oural –, en
Afrique en frappant Fort-Lamy au Tchad et le canal de Suez, au Moyen-
Orient en prêtant soutien à la révolte de Rachid Ali al-Gillani en Irak.

Des chasseurs sur tous les fronts

La solitude du combattant n’est jamais aussi manifeste que celle d’un


pilote de chasse dans son appareil. Une réalité particulièrement flagrante au
sein de la Luftwaffe lorsque de nombreux aviateurs doivent s’exposer aux
frappes des puissantes forteresses volantes hérissées de mitrailleuses dans
les années 1943-1944. Il faut affronter l’ennemi dans le froid des hautes
altitudes, dans un habitacle le plus souvent étroit et où la visibilité est
réduite en absence le plus souvent de verrière monobloc.
Sur tous les fronts, les pilotes de chasse sont surmenés. Comme leurs
homologues britanniques au cours de la bataille d’Angleterre, ils attendent
l’ordre de décoller en tenue, affalés sur un fauteuil de la salle de repos,
voire dans l’habitacle de leur appareil. Chaque base dispose de son service
météo, indispensable pour mettre sur pied une opération, ainsi qu’une
Kartenstelle, une salle des cartes, où les données sont constamment mises à
jour. Lorsque l’alerte survient, on enfile le casque et on boucle la ceinture
au plus vite : il faut que les escadrilles décollent le plus rapidement
possible. « Pauke ! Pauke ! » (« Timbale ! Timbale ! ») : c’est le code
convenu dès qu’un pilote aperçoit les petits points noirs annonçant la
formation adverse, points noirs qui ne cessent de grossir à vue d’œil avant
de devenir d’imposants bombardiers hérissés de mitrailleuses prêtes à
cracher la mort. L’officier donne ses ordres tactiques et le carrousel des
combats peut débuter. Les duels tournoyants s’engagent avec l’escorte
adverse en une suite de passes rapides, sur fond de messages d’alerte
envoyés par radio, quelques secondes de rafales suffisant à percer le
fuselage d’un appareil, qui s’embrase ou explose23. Comme au sein de la
Heer, les liens de camaraderie qui se tissent entre les soldats de la Luftwaffe
instaurent une cohésion au sein d’une unité. Le souvenir des camarades de
l’escadrille tombés au champ d’honneur constitue un autre facteur qui
soude les hommes entre eux.
Ce sont parmi ces pilotes de chasse que la Luftwaffe va compter ses
héros, les as tels qu’Adolf Galland ou Hans-Joachim Marseille (« l’étoile de
l’Afrique »), acclamés par une propagande avide de fait d’armes, à l’instar
des chefs de panzer ou des commandants de U-Boot. Les scores établis par
les as de la chasse allemande – les Experten – sont stupéfiants, un fait qui
s’explique par un engagement intensif et sur la longue durée, ainsi que par
une longue période d’infériorité tactique et technique de la VVS. Werner
Mölders est le premier à franchir la barre symbolique des 100 victoires.
Deux pilotes dépassent le cap fatidique des 300 succès : Erich Hartmann,
l’as des as de la Seconde Guerre mondiale (352 victoires), et Gerhard
Barkhorn. Ces as sont des héros et des modèles pour leurs congénères, mais
ils sont aussi des vedettes pour leurs camarades de la Heer, qui les
acclament au sol lorsqu’ils assistent, fascinés, aux combats aériens au-
dessus de leurs têtes. L’arrivée des correspondants de guerre et des unités de
la propagande est pourtant diversement appréciée : il faut supporter leurs
allégations mensongères (telles que « des pertes minimes ») et parfois les
embarquer à bord, bien que cela leur soit souvent refusé24.
Cette obsession des scores de victoires sera préjudiciable à plus d’une
reprise. En août 1942, le général von Richthofen tance vertement ses pilotes
de Messerschmitt, qui ont remporté un grand succès face à la chasse russe
non loin de Stalingrad : « Messieurs, vous devez maintenant cesser de voler
pour le plaisir et pour déterminer qui peut abattre le plus d’avions ennemis.
Chaque appareil, chaque goutte de carburant, chaque heure de vol
représente un élément irremplaçable. La vie facile que nous menons à terre
est futile, et la prolonger dans les airs serait totalement irresponsable.
Quand il n’y a pas d’objectif direct en vol, chaque balle doit être consacrée
à aider l’infanterie25. » Ce même mois d’août 1942, sur l’autre front de la
Heer, l’Égypte, les pilotes de chasse de la Luftwaffe, au premier rang
desquels se trouve leur as, Marseille, commettent eux aussi le péché
d’hybris en recherchant les scores face à la Desert Air Force plutôt que de
prêter un concours efficace à l’Afrikakorps qui peine dans sa dernière
tentative pour forcer les défenses britanniques d’El-Alamein.
Les pilotes de chasse rechignent en effet à mener ces missions de
soutien aux troupes terrestres, qui n’ont pas le panache des duels aériens,
tout en étant potentiellement très dangereuses : pour eux, il s’agit d’un
travail secondaire, pour ne pas dire inutile. Bombardiers, les chasseurs à
hélices le sont donc aussi, à l’occasion. Pour mener des attaques au sol
efficaces, encore faut-il y avoir été formé. Si les Bf-109 se révèlent être de
piètres chasseurs-bombardiers, les Fw-190 sont plus efficaces. Lorsque des
pilotes non formés à ces missions sont lancés dans la fournaise,
l’expérience court au désastre, comme en Normandie en juin 1944 : être
pilote de chasse est une chose, être pilote de chasseur-bombardier en est une
autre.
Ces pilotes de chasse ont-ils combattu dans des conditions optimales ?
L’été 1940 offre les signes des premières difficultés. Hitler, qui parie bien
prématurément sur un retrait de l’Angleterre du conflit, décide d’une baisse
de la production aéronautique et d’une démobilisation partielle, décision
surprenante si on songe que l’idée d’affronter l’Union soviétique a déjà fait
son chemin. C’est donc avec une capacité de remplacement des pertes
moindre et un pool relativement limité de pilotes que s’engage la bataille
d’Angleterre. Pis, les engins n’ont pas été conçus pour opérer si loin de
leurs bases, car il leur faut traverser la Manche : « La chasse allemande se
trouvait ainsi dans la situation enrageante d’un chien enchaîné qui voudrait
sauter à la gorge d’un ennemi restant hors de portée26. »
Les deux chevaux de bataille de la chasse allemande (la Jagdwaffe) sont
le Messerschmitt Bf-109, dont les variantes sont de plus en plus
perfectionnées, puis le Focke-Wulf Fw-190, premier chasseur doté
uniquement de canons et qui fait ses premières armes au-dessus du ciel de
Dieppe à l’occasion du raid malheureux du 19 août 1942. Ces deux
appareils sont très maniables, le second jouissant en outre de l’avantage
d’une bonne vitesse d’accélération. Les pilotes sont parfois bien novices,
surtout au cours de la seconde moitié du conflit, et le train d’atterrissage du
Messerschmitt Bf-109 se révèle fragile : les accidents feraient parfois plus
de pertes que l’ennemi… Le troisième modèle le plus répandu de chasseur
de jour est le Messerschmitt bimoteur Bf-110, qui se montrera finalement
peu convaincant dans les missions de jour et beaucoup plus efficace comme
chasseur de nuit. Les escadrilles de bimoteurs assurent également l’escorte
des convois maritimes : jusqu’à 45 Bf-110 et Me-210 sont affectés à cette
tâche pendant la campagne de Tunisie en raison de leur rayon d’action.
Si les débuts de la guerre du désert et de la campagne à l’Est se
déroulent sous les meilleurs auspices pour les pilotes de chasse allemands,
montés à bord d’appareils plus perfectionnés que ceux de leurs adversaires,
les progrès de la technologie aéronautique adverse sonnent rapidement la
fin de la période faste. La supériorité numérique anglo-américaine devient
sensible en Méditerranée à partir de la bataille d’El-Alamein, l’allié italien
se montrant incapable de pallier ce handicap27. S’il y a un bref sursaut en
Tunisie (les Alliés sont desservis par l’absence de terrains utilisables en
toutes saisons et souffrent de difficultés logistiques), il ne présage en rien de
ce qui attend les escadrilles allemandes en Europe.
La grande affaire des pilotes de chasse est l’imposante bataille aérienne
qui s’engage au-dessus du Reich dès 1942 et qui prend une ampleur
considérable à partir de 1943. Détruire un quadrimoteur représente une
tâche particulièrement ardue : outre un risque élevé d’être abattu, il faut
asséner suffisamment de coups de canon pour venir à bout d’un B-17. La
volonté de réduire le potentiel industriel du Reich à néant et l’illusion que
les bombardements de terreur entraîneront le détachement de la population
civile de ses dirigeants ne sont qu’une partie de l’explication de la grande
bataille aérienne de 1943-1944. La chasse allemande doit en effet être
éradiquée du ciel en prévision du débarquement en Normandie et elle
constitue également la cible des escadrilles alliées : c’est l’opération
« Pointblank » (littéralement « à bout portant »). Au cours de la Big Week
de février 1944, les bases aériennes et les industries aéronautiques de la
Luftwaffe sont durement frappées : entre 1 000 et 1 500 avions sont perdus,
essentiellement des chasseurs. Les pilotes de Hitler sont désormais
confrontés aux P-51 Mustang, des adversaires extrêmement dangereux,
d’autant plus qu’ils opèrent en nombre et que les pilotes américains sont
nettement mieux formés que leurs homologues allemands. La chasse de
nuit, dotée notamment de Ju-88, reste en revanche redoutable et efficiente,
presque imparable. Quant au bimoteur Bf-110, équipé du radar de nez
Lichtenstein, il retrouve une nouvelle jeunesse avec ce rôle de prédateur
nocturne.
Le nadir est atteint à l’automne 194428 : si les pertes sont de 1 pour 1
jusqu’à l’été 1944, la proportion devient intenable puisque, en novembre
1944, près de 500 chasseurs de la Luftwaffe sont détruits pour seulement
80 appareils de chasse américains. Nombre de pilotes allemands en
viennent à invoquer la moindre excuse pour ne pas avoir à prendre l’air et
affronter l’ennemi : qui un train d’atterrissage défectueux, qui une panne de
moteur29… Face aux boxes de bombardiers alliés hérissés de mitrailleuses et
à leur escorte de chasseurs, les roquettes semblent pourtant représenter une
parade, dont les terribles R4M Orkan : une seule est suffisante pour anéantir
un bombardier. Des centaines de quadrimoteurs en font les frais au cours
des dernières semaines de la guerre, mais il est trop tard30. On envisage
également de larguer des bombes pour disloquer les formations de B-17 et
de B-24 Liberator… Toutefois, depuis l’invasion, les escadrilles alliées sont
déployées en masse sur le continent, ce qui renforce les difficultés
auxquelles sont confrontés les pilotes allemands. Ces soldats de Hitler ne
bénéficient notamment plus du préavis d’attaque que permettait la détection
par les radars positionnés sur la côte des vagues de bombardiers ennemis31.
La chasse allemande du Troisième Reich c’est enfin le Messerschmitt
Me-262 Schwalbe (« Hirondelle »), le premier avion à réaction à avoir été
opérationnel en unité de combat. Faisant preuve de performances
absolument exceptionnelles pour l’époque, cet avion doit sa renommée à
des qualités techniques révolutionnaires. Le premier vol à réaction pure est
réalisé le 18 juillet 1942, par le pilote d’essai Fritz Wendel. La carrière
opérationnelle de l’appareil débute en juillet 1944, quand un Mosquito est
intercepté à Munich. Son entrée en action a été retardée pour sa mise au
point en tant que bombardier32, mais ses apparitions sont de plus en plus
fréquentes dans le ciel d’Allemagne et, en octobre 1944, il commence à être
utilisé par l’escadrille Nowotny. Toutefois, les pilotes commettent l’erreur
de réduire leur vitesse pour mieux ajuster leurs tirs et la phase d’atterrissage
se révèle si délicate qu’une escorte de Me-109 ou de Fw-190 est souvent
nécessaire. C’est en effet lors de la phase de retour au sol que le Me-262 est
le plus vulnérable aux attaques des chasseurs ennemis. Les Alliés sont
fascinés par cet avion capable d’atteindre 950 km/h, soit près de 250 km/h
de plus que leurs meilleurs chasseurs. Le Me-262 devient vite une hantise
pour les pilotes alliés. Le canon du jet est redoutable, d’autant que cette
pièce bénéficie de la cadence de tir la plus rapide qui soit :
1 200 coups/minute pour un 20 mm… autant que la fameuse mitrailleuse
MG 42 ! Le manque d’entraînement des pilotes allemands, le manque de
carburant qui cloue les avions au sol et limite le temps de formation au
strict minimum, la difficile mise au point et le nombre trop faible
d’exemplaires disponibles, en dépit des centaines de Me-262 fabriqués,
représentent de trop grands handicaps pour que la Luftwaffe puisse
retourner la situation. En tout état de cause, l’approvisionnement en
carburant constitue un goulot d’étranglement insurmontable : au printemps
1945, les réserves en carburant d’aviation se bornent à 11 000 tonnes quand
l’activité aérienne d’un seul mois de combat en requiert 195 00033…

Bombarder : du Stuka au V1

Piloter un bombardier n’a que rarement déterminé un jeune Allemand à


se destiner à servir au sein de la Luftwaffe : l’impétrant pilote se voit avant
tout aux commandes d’un avion de chasse, en digne successeur du « Baron
rouge » de la Grande Guerre. Les bombardiers sont cependant considérés
comme des armes absolument essentielles à la victoire : les meilleures
recrues rejoignent des équipages qui réclament de multiples talents, à
commencer par la capacité à intégrer un groupe et à y travailler. La
cohésion est vitale au sein d’un équipage, à telle enseigne qu’un
commandant de bord peut être poussé à formuler une demande de transfert
pour éloigner un individu qui ne bénéficie pas de la confiance des autres
membres de l’appareil. « J’ai un équipage formidable, écrit un pilote de
bombardier. Nous nous comprenons34. » L’observateur, en particulier, doit
être parfaitement versé dans l’art de déterminer la position de l’appareil,
faute de quoi la mission ne peut qu’échouer.
Contrairement aux pilotes anglo-américains, les aviateurs de Hitler
n’auront jamais l’occasion de piloter de puissants bombardiers
quadrimoteurs regroupés en immenses escadrilles. Le général Wever,
premier chef d’état-major de la Luftwaffe, est pourtant le promoteur d’une
force aérienne stratégique destinée à frapper les industries adverses35. Le
destin de la force de bombardement allemande bascule en juin 1936,
lorsque Wever perd subitement la vie dans un accident. Si certains généraux
isolés défendent le principe de bombardements stratégiques36, toujours dans
le cadre des Kriegsspiele, l’impulsion est au contraire donnée au
développement d’appareils de soutien tactique, capables de semer le chaos
au sein des lignes de communication et de frapper les industries ennemies
dans le cadre restreint d’une guerre de courte durée, ce qui constitue un
écueil majeur. Cette tendance est renforcée par les succès remportés par le
bombardier en piqué Stuka en Espagne : la capacité d’effectuer une attaque
en piqué devient le corollaire de toute étude portant sur un nouveau modèle
de bombardier37. La Luftwaffe doit donc compter uniquement avec des
bombardiers moyens : Junker Ju-88, Heinkel He-111, Dornier Do-17 et Do-
217, Messerschmitt Me-410, qui semblent suffisants pour des missions
stratégiques et tactiques menées dans l’optique d’un Blitzkrieg. Lorsqu’il
faut affronter la chasse, faute de disposer de l’équivalent des forteresses
volantes américaines, les soldats de l’air du Reich ne peuvent opposer de
multiples mitrailleuses à un avion ennemi38 : c’est un duel effrayant entre un
Allemand servant une unique mitrailleuse et un chasseur filant à toute allure
et décochant de puissantes rafales provenant parfois de huit mitrailleuses
lourdes.
Être membre d’équipage de bombardier, c’est l’assurance de vivre les
expériences opérationnelles les plus diverses. La cible peut être navale.
Attaquer un navire à la bombe ou à la torpille requiert une adresse
particulière. Le X. Fliegerkorps, basé en Norvège puis transféré en
Méditerranée, va se spécialiser dans de telles opérations. En l’absence de
véritable aéronavale, ce sont en effet des escadrilles de bombardiers
classiques qui s’attaquent aux cibles en mer, non sans succès : en 1940, la
Luftwaffe coule 2 croiseurs et 24 destroyers alliés au cours de la campagne
de Norvège, exploit réitéré avec les nombreux succès remportés dans la
Manche à Dunkerque (272 navires dont 13 destroyers coulés), puis au cours
des prémices de la bataille d’Angleterre. L’évacuation de la Grèce puis celle
de la Crète au printemps 1941 constituent une nouvelle opportunité de
victoires pour les équipages des bombardiers de Goering, puisque ces
opérations coûtent 124 navires aux Britanniques, qui sombrent sous les
coups de la Luftwaffe. Des exploits qui se poursuivent contre les convois
qui ravitaillent l’île de Malte en 1941 et 1942. Les combats menés contre le
convoi Pedestal en août 1942 représentent l’une des plus importantes
mobilisations de la Luftwaffe par son ampleur, impliquant pas moins de
784 appareils. En vain : si 13 navires sont coulés, au nombre desquels un
précieux porte-avions et 2 croiseurs, tandis que 10 autres bateaux sont
avariés, cela se révèle insuffisant pour empêcher l’île d’être ravitaillée et
réapprovisionnée. Les équipages de la Luftwaffe remportent ces succès par
largage de bombes et de torpilles aériennes. Un bond technologique est
franchi avec l’entrée en lice des bombes planantes radiocommandées
FX 1400 ou Fritz X, ou encore des missiles Henschel Hs-117 et Hs-293, qui
obtiennent leurs plus beaux succès en Méditerranée.
La guerre sur mer ne constitue néanmoins pas le cadre typique de
l’engagement des escadrilles de bombardement de la Luftwaffe. Le pilote
d’un bombardier mène le plus souvent son équipage dans une mission
d’appui tactique au sol, en accord avec la théorie de ce qu’on appellera le
Blitzkrieg, une situation qui ne sera jamais davantage mise en évidence que
lors du franchissement de la Meuse par Guderian à Sedan, le 13 mai 1940 :
850 bombardiers, dont 250 Stukas, pallient le manque d’artillerie et, ce
faisant, prennent de cours les défenseurs français.
L’avion par excellence de l’appui au sol est le fameux Stuka, dont la
contribution, après les succès remportés en Pologne et en France, sera
importante sur le front de l’Est ainsi qu’en Méditerranée. L’appareil est
entré dans toutes les mémoires par sa sirène – appelée « trompette de
Jéricho39 » – dont le bruit est occasionné par une petite hélice (et non par
ses freins de piqué), ce qui lui a valu le surnom de « miauleur » ou de
« musicien » par les Russes40. On imagine sans mal la tension vive qui saisit
le mitrailleur (et radio) lors du piqué : tourné vers l’arrière, il lui est
impossible de visualiser l’action ou un éventuel danger. Lent et peu
manœuvrier, cet appareil révolutionnaire offre cependant une cible facile
pour les chasseurs en maraude, défaillance mortelle qui sera mise en
exergue au cours de la bataille d’Angleterre.
Au début du conflit, la faible opposition ne pose guère de difficultés à la
coordination air-terre, bien que l’équipement soit alors encombrant. À partir
de 1943, la Luftwaffe cherche à améliorer sa capacité d’attaque au sol. Elle
se dote alors d’avions spécifiquement dédiés à cette tâche : chasseurs-
bombardiers Focke Wulf Fw-190, Henschell Hs-192B2 et Ju-87 Stuka D
des derniers modèles. Regroupés au sein du VIII. Fliegerkorps, ils se
révèlent très efficaces en soutien des forces terrestres de Manstein,
notamment à Kharkov et à Bielgorod41. Ces dernières versions du Stuka, qui
est armé de deux pièces de 37 mm, en font un véritable « casseur de
chars », à bord duquel s’illustre Hans-Ulrich Rudel, crédité du score
incroyable de 519 chars détruits42. Avec 2 000 missions effectuées, ce pilote
exceptionnel sera gratifié d’une décoration tout aussi exceptionnelle, et
unique, incrustée de diamants. En 1944, pendant l’opération « Bagration »,
les 106 Stukas Ju-87 G et les chasseurs-bombardiers Fw-190 fournissent
certes un appui d’attaque au sol bienvenu (27 d’entre eux apportent un
soutien efficace à la 12e Panzer à Stolbtsy les 2 et 3 juillet), mais trop peu
puissant pour contrer la déferlante soviétique. En Normandie, la situation
est autrement plus délicate : le matin du 7 juin, les Focke-Wulf d’attaque au
sol du Schlachtgeschwader 4 s’envolent vers la tête de pont. Une seule des
quatre vagues d’appareils est en mesure de s’attaquer aux plages, les autres
avions étant contraint de larguer prématurément leurs bombes et de faire
demi-tour, raccompagnés par des nuées de P-51 Mustang43.
Le soutien tactique n’est pas le seul cadre d’intervention dans la guerre
terrestre. L’absence d’aviation de bombardement stratégique n’empêche pas
la Luftwaffe de lancer des raids sur les zones industrielles britannique puis
soviétique, jusqu’à l’Oural. L’insuffisance criante des moyens de la
Luftwaffe éclate au grand jour dès la bataille d’Angleterre : les pilotes des
bombardiers allemands doivent s’acquitter de missions d’ordre stratégique
avec un matériel conçu dans l’optique du seul appui tactique : rayon
d’action, autonomie et capacité d’emport en bombes sont ainsi trop
réduits… Il faudra bombarder de nuit sans appareil de visée nocturne et en
absence d’un radar de bord44. Pis, les rendez-vous avec les escadrilles de
chasseurs n’étant pas systématiquement effectifs, ils sont souvent laissés à
eux-mêmes. Le tribut à payer est lourd. Il l’est également à l’Est : le
5 novembre 1941, le bombardement de Moscou est un désastre. Un pilote
qui attaque la ville en août de la même année se veut pourtant rassurant
dans une lettre : « Ce n’était pas facile : environ 700 à 1 000 projecteurs et
de nombreux canons antiaériens. Mais on peut toujours esbroufer les Russes
grâce à de longues manœuvres de diversion – du coup ils frappent
constamment à côté45. » Une fois les bombes larguées, l’équipage, pourtant
loin d’être à l’abri, éprouve un soulagement : « Quand nous avons largué
nos bombes, nous fumons notre première cigarette sur le chemin du retour
et nous écoutons les informations et de la musique grâce au goniomètre –
c’est un vrai bienfait46. »
En 1944, l’Allemagne possède encore des escadrilles de bombardiers,
telles celles du IV. Fliegerkorps, soit 405 appareils, en théorie regroupés
pour opérer des frappes stratégiques en Russie. Surclassée par ses
adversaires aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest, la Luftwaffe gâche ses ultimes
escadrilles de bombardiers au cours d’un Baby Blitz (opération
« Steinbock ») qui ne débouche sur aucun résultat tangible, si ce n’est la
perte de centaines de précieux appareils détruits au-dessus de l’Angleterre47.
En juin 1944, elle ne compte plus que 938 bombardiers en première ligne,
contre 1 665 un an plus tôt48. Pour s’opposer à la déferlante soviétique, la
Luftwaffe fait ce qu’elle peut, faisant flèche de tout bois, mais le rapport de
forces est décourageant. Le 28 juin, des Heinkel He-177 du
Kampfgeschwader 1 « Hindenburg » tentent de s’opposer à la progression
de la 5e armée de tanks de la Garde. Une attaque coûteuse en basse altitude
contre des chars pour des appareils conçus pour des missions stratégiques :
frapper l’industrie soviétique. Ces appareils flambant neufs –
40 exemplaires manquant par ailleurs de carburant – sont employés à
contre-emploi : la DCA et la chasse soviétiques s’en donnent à cœur joie.
À l’Ouest, les escadrilles de bombardement, contraintes de n’opérer qu’à la
faveur de la nuit, se révèlent incapables de neutraliser le port artificiel
d’Arromanches ou de menacer sérieusement la logistique des armées alliées
en Normandie. Le seul élément jouant en faveur de la Luftwaffe est que la
congestion est telle dans la tête de pont alliée sur le continent que même en
larguant ses bombes au hasard elle est presque assurée de causer des
dégâts… Mais ce n’est pas ainsi qu’on remporte une victoire. Dans la nuit
du 7 au 8, elle est ainsi en mesure d’effectuer 200 sorties de bombardiers.
Dans la nuit du 13 juin, 400 tonnes de munitions sont ainsi détruites par la
Luftwaffe sur Sword Beach.
L’aviation est-elle employée de façon optimale dans ces missions de
bombardement ? Il semble que non : en s’attaquant prioritairement à la
flotte alliée, la Luftwaffe n’assure en effet ni la protection des convois de
ravitaillement ni l’appui des troupes au sol.
Responsable du bombardement de Guernica pendant la guerre
d’Espagne49, la Luftwaffe va rapidement avoir le privilège d’être la
première flotte aérienne à ne pas hésiter à frapper des cibles non militaires
en nombre : Varsovie en 1939, Rotterdam en mai 1940, agglomérations
françaises et colonnes de réfugiés de l’exode en 1940, l’Angleterre en 1940-
194150, les Balkans en 194151… Les raids sur Malte, particulièrement
violents au début de 1942, touchent également essentiellement des cibles
civiles. Plus de 12 000 tonnes de bombes sont larguées sur la petite île en
1942. Participer à ces raids est extrêmement dangereux pour les équipages
de la Luftwaffe : des centaines d’appareils à croix noires sont abattus ou
endommagés au cours de ces attaques. L’assaut aérien mené sur Stalingrad
le 23 août 1942 représente le bombardement le plus massif de la guerre à
l’Est. Il implique 1 600 sorties permettant à la Luftflotte 4 du général von
Richthofen de larguer 1 000 tonnes de bombes52.
Dans l’optique de mener des raids de terreur, et faute de disposer d’un
bombardier stratégique, la Luftwaffe s’oriente sur un projet de bombe
volante, qui aboutira au missile de croisière V1, tandis que la Heer mise sur
une autre arme : la fusée V2, premier missile balistique de l’histoire,
impossible à intercepter.
Le déficit en effectifs des bombardiers et leurs limitations techniques
poussent les équipages à la limite de l’endurance, et ce dès la fameuse
bataille d’Angleterre : il faut parfois mener plusieurs missions par jour (puis
par nuit), avec briefings et débriefings, ce qui ne laisse que bien peu de
temps aux hommes pour reprendre des forces. Épuisé, renforcé par des
novices inexpérimentés, le personnel au sol est soumis lui aussi à des
cadences infernales : il n’est nullement surprenant que les accidents se
multiplient, y compris les redoutées collisions en vol. En novembre 1940,
des neurologues préconisent d’accorder des permissions aux équipages, qui
à la maison, qui à Paris ou à Bruxelles, tandis que les cas psychiatriques les
plus sérieux seront traités sur la côte bretonne53. Multiplier les sorties pour
compenser des effectifs insuffisants ou une infériorité numérique est le lot
des équipages pendant toute la guerre et sur tous les fronts. En septembre
1942, un pilote de Stuka opérant sur le front de Stalingrad calcule qu’il a
effectué 228 sorties en trois mois, soit autant que les trois années de
campagne précédentes, « en comptant ensemble la Pologne, la France,
l’Angleterre, la Yougoslavie et la Russie54 ».
Les risques inhérents au fait d’être membre de l’équipage d’un
bombardier sont connus, et les décorations témoignent de cette prise de
conscience : à partir de 1941, certaines sont accordées en fonction du
nombre de missions effectuées contre l’ennemi (en or à partir de
110 missions). Il faut toutefois s’être enfoncé de plus de 30 kilomètres au
sein des lignes adverses sur un front terrestre (mais 100 kilomètres au-delà
d’un littoral), la prise en compte des vols étant ensuite modulée selon la
durée de la mission au-dessus du territoire ennemi : une mission de plus de
quatre heures compte double, une dépassant huit heures le triple, etc.55.

Les missions de transport : un rôle méconnu de la Luftwaffe


La dangerosité des missions réalisées par les équipages des appareils de
transport n’est pas moindre que celle des bombardiers. Les pertes sont vives
dès la campagne de 1940, au cours de laquelle ils sont engagés en masse
pour acheminer sur objectif les troupes aéroportées du général Student.
L’appareil de transport de la Luftwaffe est le Junker Ju-52, la « Tante Ju »,
produit à 4 845 exemplaires. Il s’agit d’un appareil certes robuste, mais de
capacité de fret limitée. C’est le « cheval de bataille » des escadrilles
affectées au transport des parachutistes : des Ju-52 participent à la
Westfeldzug en mai 1940 (125 détruits et 47 endommagés aux Pays-Bas) ; la
Luftflotte 4 du général Löhr engage 493 Ju-52 au cours de l’opération
« Merkur » (150 transporteurs détruits et 120 endommagés), l’invasion de
la Crète lancée le 20 mai 1941 ; en décembre 1944, l’opération « Stösser »,
dernière opération de largage « massif » de parachutistes, implique une
centaine de Ju-52. Dans ces conditions, il n’est nullement surprenant de
constater qu’au 1er février 1944 la Luftwaffe ne compte que 27 % de ses
besoins en avions de transport.
Le Gotha Go-244 avec ses deux longerons de queue dispose d’une
capacité d’emport plus appréciable que le Ju-52, puisqu’il est capable
d’embarquer une pièce de 105 mm. L’engin le plus impressionnant est le
Messerschmitt Me-323 Gigant (229 exemplaires construits), dont le
particularisme est d’être doté d’un nez (où se trouve le poste de pilotage)
qui s’ouvre à l’avant en pivotant. Sa capacité de fret est impressionnante :
ce monstre pesant 30 tonnes à vide et d’une envergure de 55 mètres est
capable d’embarquer pas moins de 120 hommes ou une pièce de 88 mm et
son tracteur semi-chenillé. Des bombardiers sont aussi affrétés à des
missions de ravitaillement, un pis-aller faute de disposer d’une flotte de
transporteurs suffisante. L’engin, plafonnant à une vitesse d’à peine
220 km/h, est très vulnérable, même dans les versions équipées de
12 mitrailleuses et de 2 canons de 20 mm.
Les planeurs représentent un domaine dans lequel la Wehrmacht se
montre une nouvelle fois précurseur. Sous couvert d’interdiction liée au
traité de Versailles, les écoles de vol à voile de l’entre-deux-guerres ont été
la matrice des pilotes de la Luftwaffe. Piloter un planeur est devenu un sport
en vogue en Allemagne, particulièrement dans le cadre du NSFK, le
Nationalsozialistisches Fliegerkorps. L’idée de l’utilisation militaire du
planeur va faire son chemin, non sans opposition des tenants des
parachutistes, une nouvelle arme également promise à un bel avenir. Le
général Udet et le colonel Jeschonnek vont être les promoteurs de la mise
au point d’un planeur de combat. Ce projet sera mené à bien par l’ingénieur
aéronautique Jacobs et son équipe du Deutsche Forschungsanstalt für
Segelflug (DFS). Ce sera le DFS 230. Le général Student, le père des
parachutistes, teste en personne l’appareil à plusieurs reprises. Il se montre
enthousiaste et baptise le DFS 230 « planeur d’attaque ». Ce sont ces engins
qui participent au coup de main sur Ében Émael, la première opération
aéroportée de l’histoire. La nécessité de pouvoir embarquer des véhicules et
des pièces d’artillerie pousse les Allemands à créer la Gotha Go-242. Le
Junker Ju-322 Mammut est un géant de bois qui ne sera jamais capable de
voler de façon satisfaisante. Les Allemands vont mettre au point le plus
grand planeur du conflit, le Messerschmitt Me-321 Gigant (conçu pour
« Seelöwe », l’invasion de l’Angleterre). Ce monstre, dont est issu le
Messerschmitt Me-323, est deux fois plus long qu’un Hamilcar, le plus
grand modèle de planeur britannique. Le Me-321 est cependant très lourd et
ne peut être remorqué que par des Ju-290. On expérimente une traction
simultanée par trois bimoteurs Bf-110, mais le décollage se révèle bien
délicat, sans compter la sensibilité d’un tel attelage aux vents et aux
turbulences. La dernière solution, le He-111 Zwilling, consistant en deux
bombardiers He-111 fusionnés en un nouvel appareil doté de cinq moteurs,
ne se montre guère concluant non plus. Le monstre volant sera donc
converti en Me-323 par l’adjonction de six moteurs. Conçus pour les forces
de parachutistes (70 DFS 230 participent à l’opération « Merkur »), les
planeurs réalisent par ailleurs de nombreuses opérations de logistique, des
sables africains à la steppe russe.
Les missions de soutien logistique menées par la Luftwaffe sont
nombreuses et s’accomplissent le plus souvent dans des conditions
périlleuses, aussi bien en raison de difficultés liées à la météorologie qu’en
raison de la domination du ciel par l’adversaire. Les distances immenses, le
manque de routes et de moyens de transport obligent le haut
commandement allemand à avoir recours à la Luftwaffe pour ravitailler les
unités de panzers de pointe en carburant56. Cette situation est celle qui
prévaut au sud de l’Union soviétique au cours de l’été 1942, lors de la
progression vers la Caucase, la traversée de la mer Noire étant jugée trop
dangereuse et le ravitaillement transitant essentiellement par voie ferrée, sur
un réseau congestionné, via Rostov.
Les escadrilles de transport sont mises à rude contribution dès le
premier hiver russe, quand il faut assurer le ravitaillement des poches de
Demiansk (106 000 encerclés), du 8 février au 21 avril 1942, et de Kholm.
Le bilan est flatteur : près de 270 tonnes acheminées chaque jour,
36 000 soldats évacués et 33 000 transportés en renfort. Un exploit qui a un
coût : 265 avions de transports sont perdus. De fin novembre 1942 à janvier
1943, le défi à relever est autrement plus difficile : ravitailler les
300 000 hommes encerclés à Stalingrad. Les Ju-52 ne sont pas disponibles
en nombre suffisant. Il faut donc parer au plus pressé et utiliser des
quadrimoteurs de reconnaissance Fw-200 Condor ainsi que des
bombardiers Heinkel He-111 en guise d’appareils de transport de fortune.
Le pont aérien est un échec : si 65 000 tonnes avaient été convoyées à
Demiansk, il n’en arrive que 8 350 en soixante-dix jours à Stalingrad
(moins de 100 tonnes quotidiennes en moyenne, avec une pointe à
512 tonnes), la DCA soviétique prélevant un lourd tribut dans des
conditions météorologiques défavorables, alors même que les distances à
parcourir ne cessent de s’accroître avec l’éloignement toujours plus vers
l’ouest de la ligne de front. Le nombre d’évacués est également plus faible :
25 000. Les pertes en appareils sont dramatiques : 488, dont 266 Ju-5257.
Pour la Luftwaffe, la toile de fond du drame de Stalingrad est celle d’un
autre défi à relever de façon concomitante : assurer le support logistique des
deux armées germano-italiennes déployées en Tunisie, incluant le célèbre
Afrikakorps en retraite depuis l’Égypte : une tâche considérable, menée
dans des conditions extrêmement périlleuses. Ce pont aérien est mis en
place avant l’encerclement de Stalingrad et se poursuit toujours après la
conclusion de celui-ci. Le 10 novembre 1942, 673 appareils de transport
sont impliqués dans l’opération. Début décembre, la Luftwaffe aligne
encore 480 avions de transport Ju-52 et 22 Me-323 (ceux des I et
II/KGzbW 323 opèrent de Trapani en Sicile) et Ju-90, et ce alors même que
Stalingrad vient d’être encerclée. La Luftwaffe consent un effort
considérable jusqu’à la conclusion de la campagne d’Afrique, en mai 1943 :
une moyenne de 173 vols quotidiens est assurée en direction de la Tunisie,
acheminant chaque jour, toujours en moyenne, plus de 1 000 hommes et
200 tonnes de ravitaillement58.
Les équipages des Ju-52 n’en ont pas terminé avec les prouesses
opérationnelles dont ils sont capables : en février 1943, en vingt-six jours,
le VIII. Fliegerkorps achemine 500 tonnes de carburant et de rations chaque
jour dans le Kouban, où s’est repliée la 17e armée en retraite depuis le
Caucase, et évacue 50 000 hommes59. Lors de l’évacuation finale de cette
armée depuis la péninsule de Taman, à travers le détroit de Kertch, la
Luftwaffe apporte de nouveau sa précieuse contribution en transportant vers
la Crimée 15 500 hommes et 1 100 tonnes de matériel60. Les dernières
années de la guerre ne sont pas exemptes d’exploits similaires, mais, à
partir de 1943, ravitailler les troupes encerclées devient le plus souvent une
gageure. Le 28 juin 1944, des Ju-52 tentent de ravitailler les isolés de
Bobrouïsk. Carburant, munitions, Panzerfäuste et mines magnétiques sont
ainsi largués aux assiégés. Au même moment, en Normandie, les pilotes de
la Luftwaffe manquent tellement d’entraînement que du ravitaillement
destiné à la garnison de Cherbourg est largué par erreur au-dessus des îles
Anglo-Normandes61 ! Le 5 juillet, c’est la 12e Panzer, à court de
ravitaillement, qui reçoit des centaines de fûts de carburant par largage ou
par planeurs (des Fieseler Fi-156 Storch réalisent l’exploit de récupérer les
pilotes de ces derniers…). En 1945, la ville encerclée de Breslau, érigée en
forteresse, soutient un siège de près de quatre-vingts jours, ravitaillée par la
Luftwaffe qui apporte 1 700 tonnes de ravitaillement et évacue
6 600 blessés en effectuant 2 000 vols dans un ciel dominé par l’aviation
soviétique62.

Les bases de la Luftwaffe : le quotidien des hommes de


Goering

En dépit de l’admiration glamour dont jouissent les as, et les pilotes en


général, la plus grande partie du personnel de l’armée de l’air est constitué
de « rampants », qui opèrent à terre, dans des tâches subalternes mais
essentielles. En septembre 1939, la Luftwaffe compterait dans ses rangs
80 000 mécaniciens et ravitailleurs et 25 000 membres des personnels
administratifs, outre 100 000 transmetteurs aériens63. La maintenance des
appareils requiert des effectifs importants : trente mécaniciens (surnommés
les Schwarze, en raison de la teinte noire de leur tenue de travail) sont
chargés de la maintenance des neuf à douze avions d’une escadrille
(Staffeln).
Il faut procéder à une révision technique de chaque appareil au bout de
cent heures de vol, même si cette durée est dépassée en raison d’impératifs
opérationnels. En théorie, 75 % des avions d’une escadrille donnée doivent
être opérationnels à tout instant, pendant que les autres appareils sont en
maintenance. En pratique, la réalité est tout autre, car il faut tenir compte
des pertes, des accidents, du manque de carburant ou de pièces détachées en
raison d’une logistique défaillante, ou tout simplement des conditions
météorologiques. Le manque de moteurs et de pièces de rechange est aussi
le résultat de choix de production. Faute de pouvoir remettre en état tous les
engins touchés, il faut se résigner à cannibaliser les avions plus sévèrement
endommagés au bénéfice des autres appareils. L’urgence de la situation peut
causer des pertes sensibles, faute de pouvoir évacuer les appareils
endommagés : Rommel abandonne près de 1 000 appareils sur les
aérodromes situés entre El-Alamein et Tripoli64.
La nécessité de multiplier les sorties des pilotes signifie que les
« rampants » ne connaissent pas plus de répit que le personnel navigant,
quand il s’agit de préparer au combat chaque appareil trois ou quatre fois
par jour, voire davantage. Pour l’équipage d’un avion, après parfois dix
heures de vol opérationnel, lorsqu’il s’agit de frapper des cibles lointaines
comme Moscou, le retour à la base est synonyme d’un repos mérité et de
délices : « De la soupe chaude, du café, des œufs nous attendent ensuite au
bercail ; nous ne manquons de rien, mais il est vrai que nous avons besoin
de tout cela65. » Aux mécaniciens de travailler…
Lorsqu’un équipage est cloué au sol à cause d’un appareil défectueux,
le soulagement cède souvent la place à une appréhension non feinte : et les
camarades partis au combat ? Comment cela se passe-t-il pour eux ?
À chaque retour de mission, un rituel immuable se répète pour les rampants
et les équipages restés à terre : on compte les survivants, on scrute les
avions avariés qui vont éprouver toutes les peines à atterrir. Les relations
entre les pilotes et les hommes chargés du maintien opérationnel de leurs
avions ne sont pas toujours cordiales. Les pertes et les mutations entraînent
un turn-over plus ou moins rapide des effectifs : les liens se distendent
parfois car on ne se connaît plus. On impute parfois injustement une
défaillance mécanique à une maintenance négligée. Le respect réciproque
est le plus souvent de mise, les équipages étant parfaitement conscients de
ce qu’ils doivent à leurs mécaniciens et armuriers, ces derniers étant de leur
côté parfaitement conscients des risques et des difficultés encourus par le
personnel volant.
Le danger menace aussi le personnel des bases aériennes car celles-ci
sont copieusement bombardées par l’ennemi, ou subissent des strafings
dévastateurs. Les Frontflugplätze (aérodromes de la ligne de front) sont les
plus menacés. Le 18 janvier 1943, une cinquantaine de Ju-52 sont détruits
au sol à Zverevo, sous les coups de dix-huit vagues de chasseurs et de
bombardiers soviétiques66. Au cours de l’été 1944, une centaine de Pe-2 de
la VVS s’offre le luxe de surprendre les Bf-109 de la
Schlachtgeschwader 51 sur le tarmac de l’aérodrome d’Orcha, anéantissant
par la même occasion l’état-major du groupe de chasse, le paralysant pour
plusieurs jours. Les forces terrestres adverses parviennent parfois à
s’infiltrer jusqu’aux aérodromes. Des terrains seront ainsi pilonnés par
l’artillerie. En plus d’une occasion, il faudra décoller in extremis pour fuir le
danger : ainsi à Tatsinskaïa, le 23 décembre 1942, où 125 avions décollent
de pistes attaquées par les T-34 qui parviennent à détruire 72 appareils, dont
de nombreux Ju-5267.
La dispersion est de mise pour des raisons de sécurité, bien que cela
induise des difficultés d’ordre tactique et logistique. Édifier les aérodromes
est le rôle des unités du génie de l’armée de l’air : les Luftwaffen-Bau-
Bataillonen. Il faudra souvent compter avec des aérodromes de fortune.
Pourtant, la Luftwaffe a mis sur pied dès la fin des années 1930 des
colonnes logistiques capables de remettre rapidement en état les
installations capturées ou en bâtir ex nihilo. Une tâche qui peut se révéler
épuisante lorsqu’il faut se redéployer sur de longues distances : qui du
Reich à l’ouest de la France après l’invasion, qui de Libye en Égypte lors de
la poussée sur El-Alamein, qui d’un secteur de l’immense front de l’Est à
un autre… Ces transferts épuisent les pilotes et les unités de construction
contraintes de suivre le tempo des opérations et de construire à la va-vite
des aérodromes de fortune, où les conditions de vie sont des plus précaires,
où l’on manque le plus souvent de tout.
Ces redéploiements, indispensables mais nuisibles au maintien d’un
haut niveau opérationnel des escadrilles si les opérations se poursuivent
dans le même temps, jouent en faveur de l’ennemi : la supériorité aérienne
alliée, déjà écrasante, est ainsi d’autant plus sensible en Normandie ; en
Afrique, la poussée vers El-Alamein concède la maîtrise des cieux à la
Desert Air Force au pire moment. La montée au front de Normandie
s’effectue ainsi dans une pagaille innommable : le plan de Goering pour
faire face à l’invasion – baptisé « Drohende Gefahr West » – implique
1 000 appareils en provenance du Reich68. Les escadrilles sont dispersées,
ainsi que le matériel69. Les convois des rampants de la Luftwaffe, apportant
matériels et munitions depuis l’Allemagne, doivent se frayer un chemin
parmi toutes les unités montant vers la Normandie et sont l’objet de
multiples attaques. Les aérodromes, le plus souvent de fortune, font
systématiquement l’objet d’attaques aériennes. Il faut donc avoir recours à
des ruses de camouflage : déguiser les hangars en granges et peindre de
faux cratères pour faire croire à une piste endommagée et non
fonctionnelle… La facilité d’aménager des terrains d’aviation en rase
campagne ne saurait compenser l’avantage de disposer de pistes en dur
(avantage dont jouit, une fois n’est pas coutume, la Luftwaffe face à ses
adversaires en Tunisie). La boue, la poussière et le gel peuvent se révéler
catastrophiques et paralysants. En 1945, les aérodromes du Reich étant
écrasés sous les bombes, il ne reste plus que les autoroutes en guise de piste
de décollage pour les pilotes de Hitler.
Dans la mesure du possible, les installations et aérodromes civils sont
réutilisés, ainsi que les résidences limitrophes, qui accueillent le personnel
(parfois plusieurs milliers d’hommes). Il faut sinon loger dans des bâtiments
en bois, voire sous la tente. Les tempêtes du désert ou le froid mordant d’un
blizzard russe ont tôt fait de rendre ces logements de fortune bien
incommodes. On aménage au besoin de nouveaux hangars, abris et autres
zones de stockage. Ces dernières doivent être sécurisées lorsqu’il s’agit de
dépôts de bombes, munitions ou de carburant. Une précaution qui n’est pas
vaine : en novembre 1942, une bombe russe larguée avec bonheur touche
ainsi un stock d’essence sur l’aérodrome d’Armavir, dans le Caucase,
provoquant des explosions en chaîne qui détruisent ou endommagent une
centaine de bombardiers70. La meilleure parade consiste à doter les bases
d’une protection antiaérienne importante. De fait, elles sont bien pourvues
en DCA : la grande base de Rheine-Hopsten, où sont déployés des Me-262,
est défendue par 160 Flakvierling 38 de 20 mm (des quadritubes71). À la fin
de la guerre, un Flak-Abteilung d’une trentaine de pièces a la capacité
d’expédier pas moins de 200 obus à la seconde…

La Flak : l’arme la plus redoutée de la Luftwaffe

La Flak (abréviation de Flugzeugabwehrkanone, soit « canon de


défense contre avions »), la DCA allemande, constitue un des atouts
maîtres, redouté et redoutable, de la Luftwaffe. Les servants des batteries de
Flak disposent d’un matériel de qualité : des télémètres efficaces, les
différents modèles du fameux canon de 88 mm, des pièces lourdes de
105 mm, et même de 120 mm qui les surclassent, mais aussi des pièces
légères de 20 et 37 mm (dont le Flakvierling 38 : une pièce de DCA
quadruple de 20 mm, à haute cadence de tir et aux effets dévastateurs), ainsi
que nombre de canons de prise, dont des Bofors de 40 mm. Les projets de
missiles sol-air, tels que les roquettes Föhn, Taifun ou Tornado (qui
déploient des filins d’acier comme les ballons de barrage) fabriquées en
trop petites quantités, ne débouchent sur aucun résultat viable72. Dans ce
domaine, les équipages de la Luftwaffe doivent eux aussi compter avec une
DCA adverse efficiente : en mai 1941, les forces antiaériennes de Grande-
Bretagne alignent 2 400 canons et 3 840 lance-roquettes73. En 1944, les
pilotes de Goering, confrontés à un mur antiaérien au-dessus de la tête de
pont normande, apprennent aussi à redouter les pièces de DCA quadruples
américaines lors des attaques en rase-mottes.
La plus grande partie des effectifs est absorbée par cette composante
essentielle de l’armée de l’air. En août 1939, la Flak représente
107 000 hommes, puis 500 000 après la mobilisation74. Ses effectifs vont
devenir pléthoriques, principalement affectés à la défense du ciel du
Vaterland. En 1940, le personnel d’une batterie de Flak de Berlin partage
son temps entre la surveillance du ciel, guettant l’éventuelle incursion d’une
escadrille, et des représentations théâtrales du Songe d’une nuit d’été en
dehors des heures de service75. Être un servant de Flak dans le Reich n’est
pourtant pas une sinécure. À partir de 1942, et surtout de 1943, la
nonchalance du début de guerre cède le pas à une tension de tous les
instants. Les sirènes retentissent : on se précipite sur sa position, on met la
pièce en batterie, puis arrivent enfin les appareils adverses, d’abord les
avions-marqueurs ou Pathfinders. Au bout de quelques jours, ce service
devient épuisant, or les raids adverses s’enchaînent… Parvenir à mettre un
coup au but constitue par ailleurs un exercice difficile : il faut en moyenne
25 000 à 33 000 obus pour abattre un seul bombardier…
La bataille aérienne dans le ciel du Reich absorbe les forces vives de la
Luftwaffe. À l’automne 1943, la Flak aligne 500 pièces lourdes de 88 mm
pour la seule zone de Schweinfurt. L’effort industriel est considérable. À la
fin de cette année-là, 55 000 canons de DCA et 7 000 projecteurs ont déjà
été construits. Près de 60 000 canons (17 500 lourds) sont alors déployés en
Allemagne, avec 4 000 ballons de barrage. Au cours des cinq premiers mois
de l’année 1944, la Flak abat 1 790 avions ennemis au-dessus du Reich (et
la chasse 2 223 autres). Pour défendre les usines et les villes allemandes, il
ne faut pas seulement y déployer l’essentiel de la chasse : en 1944, il faut y
consacrer 20 % de la production d’obus. Il faut aussi mobiliser des effectifs
suffisants pour servir ces armes et ce matériel, alors même que les fronts
terrestres absorbent la majeure partie des hommes en âge de combattre. En
février 1943, dans le cadre de la « guerre totale » décidée en réaction au
désastre de Stalingrad, les adolescents sont embrigadés dans les unités de
DCA dès 15-16 ans. On compte dans leurs rangs nombre de futures
célébrités : Helmut Kohl (chancelier de la RFA dans les années 1980-1990),
Joseph Ratzinger (le pape Benoît XVI), Günter Grass (lauréat du prix Nobel
de littérature) et Manfred Rommel (le fils du fameux « Renard du
Désert »)76. Certes, ces jeunes gens, dont les équipes sont par la suite
complétées avec des jeunes filles et des prisonniers russes, sont supposés
dans un premier temps se voir confier des tâches en accord avec leur âge,
mais ils sont rapidement utilisés comme servants des pièces antiaériennes.
Sur le front, la Flak n’assure pas que des missions de DCA au profit des
forces terrestres de la Wehrmacht (500 pièces de 88 mm et 1 400 de 20 mm
dans les Flak-Korps qui participent à l’invasion de l’Ouest en 194077), un
soutien particulièrement bienvenu à partir de 1944, lorsque les escadrilles
de la Luftwaffe sont le plus souvent absentes du ciel au-dessus du front. Les
artilleurs de la Flak doivent s’attendre à être engagés dans des circonstances
pour lesquelles ils n’ont bénéficié d’aucune formation, telles que
l’utilisation des puissants 88 mm en tir tendu contre des objectifs terrestres.
Expérimenté dès la guerre d’Espagne, l’engagement de la Flak lourde en
combat terrestre est de nouveau effectif au cours de la campagne de 1940,
notamment sous les ordres de Rommel, lors de la bataille d’Arras. L’emploi
des 88 mm sur des cibles blindées est particulièrement remarquable en
Afrique du Nord, leur intervention se révélant décisive à plus d’une reprise
et faisant entrer le canon dans la légende de la Seconde Guerre mondiale :
dès juin 1941, repoussant sans ménagement l’offensive britannique
« Battleaxe », les artilleurs des pièces de 88 revendiquent la destruction de
79 chars ennemis78… En Union soviétique, le 88 constitue une parade
indispensable face aux T-34 au cours des premiers mois de la guerre, alors
que l’armement antichar allemand fait défaut et que les panzers sont
surclassés.
Sur tous les fronts, les pièces lourdes et légères ont des effets
dévastateurs en appuis-feu, lorsque les artilleurs ciblent le personnel
ennemi. Les fantassins alliés apprennent vite à redouter les tirs de 88 ou de
Flakvierling 38. Faute de disposer de suffisamment de pièces d’artillerie,
l’expédient qui consiste à utiliser les 88 mm dans des tirs de barrage est
parfois nécessaire, comme en Normandie en juin 1944, sur le front tenu par
la 3. Fallschirmjäger-Division. Un constat qui prend toute sa pertinence
dans le secteur de Caen, où est déployée la plus grande partie du III. Flak-
Korps. Mais les artilleurs de la Luftwaffe manquent d’entraînement pour un
combat terrestre, et il convient de préserver les tubes contre l’usure. Si le
général Pickert, qui commande le corps, refuse que ses batteries participent
à des tirs de harcèlement, ses pièces de 88 mm, à la cadence très rapide (une
vingtaine de coups par minute, voire davantage), lancent des tirs de
suppression soudain et massifs, selon la méthode dite « de Normandie », à
l’aide de radios (dont les batteries de la Luftwaffe semblent être bien
dotées) par le biais desquelles un message clair et concis et non codé
indique simplement le carré correspondant de la carte qu’il faut matraquer
en force. Il suffit de dix à quinze minutes pour que les tirs soient effectués.
Toutefois, les dégâts qui pourraient être occasionnés sont limités par le fait
que les fusées de proximité – qui éclatent en l’air avant impact avec des
effets dévastateurs – sont réservées aux tirs antiaériens. La difficulté
soulevée par le fait que les obus de 88 mm suivent une trajectoire plane (car
un canon de Flak opère des tirs tendus) est atténuée dès lors qu’un nombre
important de cibles et de positions de tir sont présentes sur des reliefs, ce
qui est le cas en Normandie, sauf dans la seule plaine de Caen.
Les déboires ne sauraient être passés sous silence. À El-Alamein, les
Allemands accomplissent ce qu’on pourrait presque qualifier d’« erreur de
débutants » lorsque les servants de nombreuses pièces de 88 commettent
l’incroyable : alors qu’un affrontement contre des tanks anglais est en cours,
ils dévoilent leurs positions en pointant leurs tubes vers le ciel pour
repousser une incursion de la Desert Air Force… En Normandie, les
artilleurs de la Flak se montrent très médiocres dans l’usage de leurs pièces
face aux tanks alliés. Si le canon Flak de 88 mm a souvent été employé –
avec succès – dans un rôle antichar sur tous les fronts, les 88 du 3. Flak-
Korps sont rarement engagés contre des cibles blindées. Le corps de Pickert
ne revendique la destruction que de 14 véhicules blindés et 92 chars alliés
(sur près de 3 500 que la Wehrmacht estime avoir détruits en Normandie),
dont 12 victimes des Panzerfäuste des unités de protection rapprochée.
Comparé aux Pak 43 et Pak 43/41, des 88 mm conçus comme antichars, le
Flak de 88 mm a le désavantage d’avoir un poids excessif et de posséder
une silhouette trop haute, difficile à dissimuler (ce qui cause des pertes
sensibles en Afrique et en Russie). Pickert forme cependant trois
Flakkampftruppen pour le combat contre les chars. Le personnel étant mal
formé, les résultats restent décevants : 20 chars détruits pour la perte de
35 pièces de 88 mm et 70 pièces légères.

La Luftwaffe sous béton et les radars

Les radars sont une des grandes innovations de ce conflit. Lorsque la


guerre éclate, l’Allemagne est à l’avant-garde de la technique à cet égard.
En août 1940, les escadrilles allemandes sont guidées depuis Dieppe et
Cherbourg par un double faisceau directionnel radioélectrique (stations
Knickebein). Mais les Britanniques ont tôt fait de trouver une parade qui
réduit à néant l’efficacité du système. Les ingénieurs allemands mettent au
point l’appareil Y, véritable GPS avant l’heure, qui permet à un appareil de
situer avec précision sa position par rapport à la station émettrice79. Pour
assurer la défense du Reich et l’interception des escadrilles de bombardiers
ennemis, la Luftwaffe met en place une chaîne de radars et de stations de
contrôle, la « chaîne de Kammhuber », du nom de son promoteur. Ce
système met en œuvre des radars Freya, chargés de guider la chasse
allemande, et des radars Würzburg, plus précis, qui traquent les
bombardiers ennemis et sont utilisés de concert avec les batteries de Flak et
les projecteurs80. Grâce à cette conjugaison de postes radar à faisceaux
larges et étroits, les chasseurs, y compris ceux de la Nachtjagd (la chasse de
nuit), peuvent être guidés avec efficacité jusqu’aux vagues de bombardiers
alliés. À l’abri du béton de la station de contrôle, un bunker de trois étages
abritant un millier de personnes, des auxiliaires féminines reportent par
projection lumineuse les indications des radars sur une carte en verre : les
contrôleurs de vols visualisent ainsi les positions respectives des formations
aériennes allemandes et alliées. Grâce à un système de communications
efficient, les informations de tout le secteur d’une division aérienne
parviennent à son chef, également informé des conditions
météorologiques81. Les radars peuvent néanmoins être brouillés par le
largage de bandelettes d’aluminium, dites Windows, ainsi que cela survient
le jour du débarquement en Normandie82. Dans ce domaine, comme dans
les autres, les Allemands et les Alliés se livrent à une course technologique
avantageant tantôt les uns, tantôt les autres, les deux camps disposant de
matériels éprouvés et de qualité. Le maintien opérationnel des stations radar
de la Luftwaffe est cependant soumis à une contingence dont ses escadrilles
et ses pièces de Flak auraient dû la prémunir : la supériorité aérienne
écrasante des Alliés, dont les escadrilles sont en mesure d’anéantir les
installations radar. Les soldats de Hitler sont dont dotés d’un équipement
efficace, mais il leur est bien difficile d’en tirer profit.

Les forces de combat terrestres de la Luftwaffe

Contrairement aux autres armées, l’armée de l’air allemande entretient


des forces de combat terrestres déployées sur la ligne de front. Ces soldats
de Hitler sont également en quelque sorte également les soldats de Goering.
Le dauphin du Führer jalouse la puissance d’Heinrich Himmler et n’a de
cesse de s’assurer du contrôle personnel d’un maximum de forces. Selon la
volonté de Goering, et avec l’aval de Hitler, finalement pas mécontent de
circonvenir l’influence d’une Heer qu’il cherche toujours à contrôler
davantage, la Luftwaffe dispose à partir de la fin 1942 de 22 divisions dites
de campagne, les Luftwaffe-Feld-Divisionen83, des unités combattantes
formées à partir des régiments d’instruction de la Luftwaffe datant de 1939
(où les recrues se voient dispenser la formation de base des combats
d’infanterie). La création de ces unités, qui comptent parmi les plus
médiocres de l’armée allemande, a pour origine un ordre de Hitler de 1942
contraignant la Luftwaffe de reverser 200 000 hommes à la Heer, qui a
grand besoin de compléter ses effectifs, alors que les pertes humaines au
sein de l’armée de l’air ne semblent pas justifier le nombre de conscrits qui
lui est alloué. L’ancêtre des divisions de ce type, la Luftwaffe-Division
« Meindl », unité constituée ad hoc et qui a démontré sa valeur sur le front
de Leningrad, semble donner raison à la volte-face du Führer, qui accepte
les doléances de Goering. Ces soldats, les Jäger, bien armés et bien
équipés, portent une blouse camouflée caractéristique de la Luftwaffe, mais
sont très mal encadrés, manquant singulièrement d’officiers et de sous-
officiers expérimentés. Si certains faits d’armes peuvent leur être attribués,
les soldats de la majeure partie de ces divisions – mal entraînés, de piètre
qualité combative – résistent mal à l’épreuve du feu, d’autant que les
premières unités, à peine constituées, sont lancées au combat dans
l’urgence, lorsque survient le drame de Stalingrad. Les dernières divisions
en lice, renforcées, bénéficient enfin de l’appoint d’officiers issus de
l’armée de terre. L’initiative de Goering constitue in fine un incroyable
gaspillage de forces, caractéristique de la gestion catastrophique des
moyens disponibles pour la Wehrmacht, au détriment de la Heer qui souffre
pourtant d’un manque chronique d’effectifs et de moyens, alors même que
le poids de la lutte repose sur ses épaules, en particulier à l’Est. De surcroît,
si ces unités sont subordonnées à la Heer sur le plan tactique, elles
demeurent sous la juridiction de la Luftwaffe…
À côté de ces piètres Luftwaffe-Feld-Divisionen, la Luftwaffe engerbe
des unités combattantes de premier plan. Elle compte même dans ses rangs
une division blindée : la Panzer-Division « Hermann Goering »,
théoriquement « parachutiste », qui devient même un corps de panzers à la
fin de la guerre. Issue de la garde personnelle de Goering, le régiment
« General Goering », cette division qui se veut d’élite connaît son baptême
du feu en Tunisie. Parachutiste, la division « Hermann Goering » ne l’est
que de nom. L’arme aéroportée naît en 1936, sous l’égide du général
Student, également à partir du régiment « General Goering », ainsi que d’un
Fallschirmjäger-Infanterie-Bataillon levé au sein de la Heer, puis intégré à
la Luftwaffe en 1939. Si les premiers paras s’entraînent à Stendal, les jeunes
gens sont formés au cours de la guerre dans les écoles de saut de Wittstock
et de Salzwedel en Allemagne, Kraljevo en Serbie et Dreux en France. Ce
sont des soldats d’élite, dont l’appartenance à leur arme est marquée par la
possession d’effets et d’équipements spécifiques. L’Allemagne est la
première nation à adopter un casque d’acier réservé aux forces
parachutistes : le couvre-chef, qui se distingue par l’absence de rebords
protégeant la nuque et le cou, assure moins de prise au vent et est doté
d’une jugulaire à mentonnière fixée sur les cervicales, des innovations
promises à un bel avenir. À la fin de la guerre, faute de stocks suffisants, de
nombreux parachutistes touchent toutefois le casque standard de la
Wehrmacht. Les parachutistes portent la tenue de saut bariolée, qui existe
en plusieurs modèles, le plus souvent à partir de 1941. Cet effet spécifique
est accompagné d’autres équipements caractéristiques, telles les bottes de
saut. Certains sont armés à partir de la seconde moitié de la guerre d’une
arme conçue pour les forces aéroportées : le fusil d’assaut FG 42. Les paras
de Hitler sont en revanche desservis par un parachute dont les suspentes ne
permettent pas d’assurer la direction désirée. Pis, faute de disposer d’un
fusil à crosse pliable ou d’une arme démontable en plusieurs parties, les
parachutistes ne peuvent généralement sauter avec d’autres armes portatives
que des pistolets : il leur faut donc récupérer le matériel lourd dans des
containers, une opération qui coûte la vie à de nombreux soldats et qui
implique de sérieuses limitations d’ordre tactique.
L’avance doctrinale et matérielle des Allemands en ce qui concerne les
parachutistes est indéniable. La première action offensive de ceux-ci en
Scandinavie confirme les espoirs mis dans la nouvelle arme. Les succès à
l’Ouest en 1940 et en Grèce en 1941 contribuent à assurer le succès des
hommes de Student. La campagne de Crète de 1941 est entrée dans la
légende de l’arme aéroportée, mais le succès, difficilement remporté,
marque la fin des grandes opérations aéroportées allemandes. Hitler estime
à tort que le temps des parachutistes est révolu, faute de pouvoir remédier à
la perte de l’effet de surprise initial. Le Führer se trompe, ainsi que le
démontrent sans conteste l’incroyable montée en puissance des forces
aéroportées alliées et leurs opérations de grande envergure. Être
parachutiste de Hitler, c’est en fait pour ainsi dire ne jamais sauter en
parachute. Désormais, les parachutistes seront employés comme fantassins
d’élite84, un rôle dans lequel ils excelleront, aussi bien dans les montagnes
de Tunisie, le bocage de Saint-Lô que sur les pentes du Monte Cassino ou
les collines enneigées des Ardennes. Véritables pompiers du front, ces
soldats de Hitler sont engagés dans tous les « points chauds », parfois jetés
dans la bataille avant le gros des forces : en novembre 1942, réagissant à
l’opération « Torch », le débarquement allié en Afrique du Nord, les
Allemands parent au plus pressé et expédient rapidement en Tunisie les
forces disponibles. C’est ainsi que les premières formations à fouler le sol
tunisien sont des unités de parachutistes.
S’ils restent désormais une infanterie d’élite, les paras de Student ne
cessent de voir leurs effectifs gonfler, disposant en outre d’un matériel qui
leur est de plus en plus adapté. Jusqu’au printemps 1944, la Wehrmacht
dispose d’une arme aéroportée dont l’expérience opérationnelle et les
effectifs sont sans commune mesure avec ceux de leurs adversaires. Au
printemps 1943, les parachutistes sont des combattants de premier ordre,
préparés aussi bien à être parachutés qu’à intervenir par planeurs (au
contraire des troupes aéroportées alliées). Les paras allemands, outre cette
spécialité de l’assaut aéroporté, qui n’est guère mise à profit au cours de la
seconde partie de la guerre, présentent plusieurs atouts pour le haut
commandement allemand. Comme les SS, ce sont des troupes
politiquement sûres : elles seront impliquées dans la neutralisation de la
garnison de Rome et la libération de Mussolini. Les Fallschirmjäger-
Divisionen sont aussi des formations le plus souvent superbement
entraînées, particulièrement en 1943, avec dans leurs rangs des jeunes
soldats motivés, fanatisés, dotés d’un moral d’acier et d’un sens du devoir
hors du commun, même s’il reste assez répandu au sein de la Wehrmacht.
Les parachutistes sont aussi des soldats animés d’un esprit de corps et d’une
grande combativité.
Paradoxalement, au cours de l’été 1944, alors que le nombre de
parachutistes atteint son maximum de la guerre avec 150 000 hommes (dont
50 000 entraînés), dont les deux tiers regroupés en 6 divisions, soit la plus
imposante force aéroportée au monde, ce sont leurs homologues des forces
alliées qui sont engagés dans des opérations purement aéroportées
d’envergure (« Neptune », « Dragoon », « Market Garden »). Les
aéroportés alliés font preuve d’un professionnalisme et d’une réussite
témoignant dans ce domaine d’un degré de maturité et d’efficacité sans
commune mesure avec celui des hommes de Student – qui a pourtant
présidé aux premiers engagements opérationnels de parachutistes dans la
guerre.
L’arrêt brutal des opérations purement aéroportées d’envergure ne
signifie pas l’abandon de tout saut opérationnel de combat. En dépit de la
suprématie aérienne alliée, les paras allemands s’octroient le luxe de
plusieurs sauts opérationnels ou de transports aéroportés en zone de guerre,
particulièrement en 1943. C’est ainsi qu’un régiment de la 1re division de
parachutistes est promptement jeté dans la bataille de Sicile par un largage
opportun dans la plaine de Catane. L’intégralité de la 2e division de
parachutistes est convoyée par les airs depuis le sud de la France jusqu’à
Rome, où elle assure, non sans quelques combats, le désarmement de la
garnison italienne au moment du revirement du 9 septembre 1943. Après
cette trahison de l’allié d’hier, un bataillon est parachuté sur le Monte
Rotondo dans une vaine tentative pour s’emparer du haut commandement
italien, le Comando Supremo. Le 17 septembre 1943, des paras sautent sur
l’île d’Elbe. Les 12 et 13 novembre, c’est au tour de 700 hommes de sauter,
en l’occurrence sur l’île de Leros, en mer Égée, loin de l’Italie. L’action
aéroportée la plus fameuse est le sauvetage de Mussolini (le dictateur déchu
est assigné à résidence à l’hôtel Villetta, sur les pentes du Gran Sasso),
organisé le 12 septembre 1943 par un parachutiste, le commandant Mors (et
non le SS Otto Skorzeny). En 1944, c’est l’attaque sur le QG de Tito, en
Yougoslavie, puis, pendant la contre-offensive des Ardennes, l’opération
« Stösser », qui implique 800 aéroportés.
Si les paras de 1940-1942 sont incontestablement des soldats d’élite, en
1944 les unités de valeur ne manquent pas chez les parachutistes, mais le
meilleur côtoie le pire. Unités d’élite, ces troupes sont parfois
insuffisamment entraînées et leur équipement souvent incomplet. Leur
armement, quoique de qualité, est rarement en accord avec les dotations
théoriques.
Max Pemsel, chef d’état-major de la 7e armée, estime que la 3e division
de parachutistes a la valeur de deux divisions d’infanterie ordinaires85. Les
jeunes volontaires âgés de 21-22 ans bénéficient d’un encadrement
expérimenté rompu au combat. Afin de renforcer l’esprit de corps au sein
de la division, l’ensemble de l’unité suit un entraînement au parachutage.
Formée en mars 1944, la 5e division de parachutistes est de valeur
combative nettement moindre, avec un déficit de près de 5 000 hommes.
Les troupes sont insuffisamment entraînées et à peine 10 % des hommes ont
effectué un saut en parachute. Le matériel disponible est à l’avenant. La
division compte à peine 9 % des véhicules devant théoriquement l’équiper.
Au 6e régiment de parachutistes du commandant von der Heydte, les pièces
antichars font défaut et le régiment manque de moyens de locomotion,
puisqu’il ne compte que 70 véhicules de 50 modèles différents86. Les unités
sont parfois constituées à la hâte, faites de bric et de broc, à l’instar du
Kampfgruppe Walther et de la Fallschirmjäger-Lehr-Division Erdmann,
déployés en urgence aux Pays-Bas en septembre 1944.
Le formidable potentiel représenté par les paras allemands est
finalement dilapidé dans des opérations qui se soldent par de lourdes pertes
– qui semblent même parfois excessives – au cours d’engagements qui
auraient pu être menés par des formations plus conventionnelles. La
Wehrmacht consomme en vain ces précieuses unités d’élite, levées à grands
frais de matériels et de recrues jeunes et entraînées. Elles sont pour la
plupart engagées prématurément, alors que les effectifs sont incomplets et
que la formation reste inachevée. De toutes les grandes batailles, les paras
allemands contribuent ainsi à retarder l’inévitable défaite. Mais plus que des
paras, ces hommes sont avant tout une infanterie d’élite, rompue à la guerre.
Chapitre 5

La guerre sur mer

La branche défavorisée de la Wehrmacht

La difficile période de la défaite de 1918 est vécue par la marine


allemande avec le profond sentiment d’être restée invaincue1, une
impression partagée avec l’armée de terre. Mieux, les exploits des corsaires
du Kaiser, ainsi que l’action des U-Boote, ont largement participé à sa
flatteuse réputation, en aucun cas ternie par le match nul de la bataille du
Jutland (1916), à l’issue de laquelle la flotte de haute mer est demeurée à
quai jusqu’à la fin de la guerre.
En 1939, le commandant en chef de la marine allemande est le
Großadmiral Raeder, OBdM (Oberbefelehshaber des Marine). Le haut
commandement de la Kriegsmarine s’articule autour de la Seekriegsleitung,
ou « direction de la guerre sur mer », qui est l’organe décisionnel, chargé de
coordonner les actions. Raeder bénéficie-t-il de l’impulsion donnée par
Hitler dans le réarmement du Reich ? La grande affaire du second, c’est la
conquête de l’espace vital à l’Est, tâche pour laquelle la marine ne peut
tenir qu’un rôle très secondaire, logique entraînant ipso facto une priorité
accordée au réarmement de la Heer et, secondairement, au développement
de la Luftwaffe. Pis, cette situation était déjà celle de la Reichsmarine de
Weimar, sacrifiée et maintenue en deçà des limites pourtant accordées par le
traité de Versailles2. La Reichsmarine souffre de la politique du Führer qui
n’entend pas froisser les Britanniques, comme le fit le Kaiser Guillaume II
avant la Grande Guerre. À peine élu, le chancelier se montre très clair à ce
sujet : « Je ne veux plus jamais avoir de guerre avec l’Angleterre, l’Italie ou
le Japon. La flotte allemande doit en conséquence être construite dans le
cadre de ses missions à l’intérieur de la politique continentale
européenne3. » Si adversaire sur mer il doit y avoir, ce sera la Royale
française. La Kriegsmarine, qui succède à la Reichsmarine, doit avant tout
assurer la protection du minerai de fer suédois et norvégien.
Hitler a toujours espéré maintenir l’Angleterre hors du conflit. Or, cette
puissance navale – la première au monde – représente un adversaire de
taille pour quiconque doit l’affronter. Mais l’évolution de la conjoncture
politique l’oblige à envisager cette éventualité : puisqu’il est impossible
d’obtenir la parité en grandes unités avec la Royal Navy, c’est le talon
d’Achille de l’Angleterre qui sera l’objet des attaques : ses lignes de
communication maritimes.
Le principe d’engagement de la Kriegsmarine, selon Raeder, est celui
de l’action réciproque : l’action de chaque subdivision de la marine favorise
celle des autres en dispersant l’effort ennemi, et réciproquement. Ainsi, la
flotte de commerce alliée doit subir les attaques simultanées des croiseurs
lourds, des cuirassés de poche ou Panzerschiffe (en 1939 : Deutschland,
Admiral Graf Spee, Admiral Scheer), des raiders et des sous-marins. Encore
faut-il disposer des moyens en adéquation avec cette stratégie. Mi-octobre
1938, la marine définit le plan Z, plan de construction qui doit doter la flotte
des moyens voulus à l’horizon 1945. Las, en 1939, surprise par la
déclaration de guerre, la marine ne dispose pas des effectifs suffisants pour
accomplir les missions qu’on attend d’elle.
Le tonnage et le nombre de bâtiments de la Kriegsmarine est bien
modeste lorsque, à la stupéfaction de beaucoup, le Royaume-Uni se range
aux côtés de la Pologne agressée en septembre 1939 : « J’ai été frappé du
fait que Hitler s’est montré extraordinairement embarrassé à mon égard, se
souvient l’amiral Raeder, en me disant que, contrairement à tous ses
espoirs, désormais la guerre avec l’Angleterre était imminente et que
l’ultimatum était arrivé4. » La Kriegsmarine est indiscutablement la branche
de la Wehrmacht la moins bien préparée à la guerre et aux défis qu’il va lui
falloir relever.
L’impossible guerre navale

Après l’invasion de la Pologne, la campagne des U-Boote demeure la


seule action offensive à rapporter aux actualités. Il est pourtant difficile
pour la Kriegsmarine de se voir reconnaître une place de partenaire à part
entière dans le conflit5. La guerre au tonnage, qui a pour but d’asphyxier
l’Angleterre, semble de toute évidence une gageure : à peine 500 navires
marchands alliés sont coulés au cours de la première année de la guerre.
Les conditions dans lesquelles sont menées les opérations sont par trop
restrictives, de sorte que la tâche des marins de Hitler semble
insurmontable. L’ordre de prise, qui oblige à arraisonner un navire, vérifier
son identité et sa cargaison et permettre à son équipage d’évacuer, entrave
l’action des U-Boote, rendant leur action plus périlleuse. Les événements ne
font qu’encourager Hitler à suivre cette voie, et ce dès le premier jour de la
guerre avec l’Angleterre. Le 3 septembre 1939, premier torpillage de la
guerre et première bévue : le U-30 de Fritz-Julius Lemp envoie par le fond
la paquebot anglais Athenia. Le bilan est lourd : 128 passagers sont morts,
dont des Américains. Hitler interdit donc l’attaque des paquebots. Ces
limitations drastiques pour les opérations perdurent en 1940-1941, lorsque
le Führer interdit formellement toute attitude qui pourrait entraîner
prématurément les États-Unis dans le conflit, alors même que ce pays s’est
déjà engagé en faveur de la Grande-Bretagne et n’a de cesse d’accroître sa
zone de sécurité, allant jusqu’à soulager les Britanniques de l’occupation de
l’Islande et à fournir 50 destroyers à la Royal Navy6. Pis, en septembre
1941, l’US Navy reçoit l’ordre d’ouvrir le feu sur les sous-marins qui se
rapprochent des navires marchands américains7.
La Kriegsmarine doit vite compter avec une montée en puissance de
l’adversaire. En mars 1941, c’est la fin des « jours heureux », symbolisée
par la perte de quatre as très médiatisés : Prien, Kretschmer, Schepke et
Matz. Le radar et des escortes plus efficientes rendent inopérantes et
suicidaires les attaques en surface. Il faut donc attendre en embuscade
toujours plus à l’ouest, hors de portée des avions. Le 9 mai 1941, un
événement capital survient dans l’Atlantique Nord8 : l’U-110 de Lemp, un
commandant de sous-marin décidément malchanceux entre tous, est
abandonné après avoir été sabordé. Las, le bâtiment ne sombre pas, et
d’audacieux marins anglais ont le temps de mettre la main sur une machine
à chiffrer Enigma ainsi que sur un certain nombre de documents. Si le B-
Dienst casse lui aussi un certain nombre de codes anglais pendant la guerre,
cette prise est lourde de conséquences pour les Allemands. En août 1941,
un rapport établi par la Seekriegsleitung indique que le nombre de U-Boote
nécessaires à la destruction d’un tonnage donné a triplé…
Comme pour toutes les branches de la Wehrmacht, la multiplication des
fronts ainsi que la puissance de ses adversaires grèvent le panel des options
possibles pour la Kriegsmarine. Certes, à l’Est, la marine soviétique est
moins puissante et moins active, mais la Kriegsmarine est contrainte
d’entretenir dans la Baltique une flotte de 2 vieux cuirassés, 2 croiseurs
légers, 9 torpilleurs, 3 contre-torpilleurs, 8 grands mouilleurs de mines,
ainsi qu’une multitude d’embarcations de petit tonnage, soit un total
d’unités non négligeable pour une force navale relativement réduite. La
grande affaire est la lutte contre les Anglais, dans l’Atlantique et,
accessoirement, en Méditerranée. Les équipages des unités de la
Kriegsmarine affectés à d’autres fronts peuvent ainsi se sentir relégués sur
des « fronts oubliés », comme en mer Noire, où ne sont déployées que de
petites unités, au nombre tout de même de 428, qui ont transité via le
Danube9.
Des impératifs stratégiques ont pesé sur l’engagement de la marine
selon les besoins de l’armée et réciproquement. Ainsi, en 1943 puis en
1944, Dönitz, le patron des U-Boote devenu chef de la Kriegsmarine,
s’oppose au repli stratégique de l’armée sur le front de Leningrad, car un tel
mouvement conduirait à la fin de la sanctuarisation de la Baltique,
indispensable pour l’entraînement des équipages de sous-marins. A
contrario, la nécessité d’apporter son concours aux forces terrestres ainsi
que de soutenir l’engagement de l’Afrikakorps en Afrique oblige la marine
à déployer des forces en Méditerranée. La solution pourrait se trouver en
Extrême-Orient : l’entrée en guerre du Japon monopoliserait des moyens de
la Royal Navy et changerait la donne en levant toutes les restrictions…
Outre le manque de carburant et la consommation par trop importante
de mazout lors de la sortie des bâtiments de ligne (72 000 tonnes par navire,
alors que les stocks sont inférieurs à 400 000 tonnes fin 194210), les délais
de maintenance et d’entretien, ainsi que les travaux de carénage entraînent
des indisponibilités plus ou moins longues, ce qui limite l’emploi des
navires. Les ports de l’Atlantique français n’offrent pas davantage de
mouillages sûrs que les fjords de Norvège, en dépit du déploiement en force
d’une Flak active. Ainsi, le 24 juillet 1941, ancré à La Pallice, le
Scharnhorst subit une violente et puissante attaque de bombardiers lourds :
cinq bombes touchent au but, causant de graves avaries.
Un autre écueil de taille dessert la Kriegsmarine et ses marins, aussi
valeureux soient-ils : l’Allemagne n’est pas une puissance planétaire,
contrairement au Royaume-Uni qui dispose de bases dans tout son empire.
Faute de posséder des points d’appui outre-mer, il lui faut donc
impérativement résoudre la question du ravitaillement de ses unités en mer.
La solution adoptée repose sur la mise sur pied d’une flottille de navires et
de sous-marins ravitailleurs – tel le pétrolier Altmark – qui sillonneront les
océans au service des forces d’attaque. Les sous-marins ravitailleurs de U-
Boote sont les U-Tanker, type XIV, dits « vaches à lait ». Outre 50 tonnes de
vivres et de matériel, leur capacité d’emport est de 439 tonnes de gasoil en
sus de la réserve normale de 203 tonnes. Un médecin est également à bord,
ce qui n’est pas le cas pour les autres submersibles11. En juin 1941,
l’organisation logistique de la Kriegsmarine subit un revers sérieux quand la
Royal Navy parvient à démanteler son système de navires ravitailleurs.
Neuf des 12 ravitailleurs de surface sont coulés, les autres contraints de
demeurer à l’ancre au port, sur les côtes françaises12. En août 1943, c’est au
tour du système de soutien logistique des U-Boote de s’effondrer : 8 des
10 sous-marins ravitailleurs sont détruits13.
L’écrasante supériorité navale de leurs adversaires n’est pas le moindre
des maux auxquels sont confrontés les marins de Hitler : la puissance
aérienne alliée est le danger le plus redoutable, aussi bien pour les U-Boote
(elle sera responsable de leur défaite) que pour les unités de surface. À la
mi-juin 1944, deux bombardements de 300 Lancaster écrasent les petites
unités navales basées au Havre et à Boulogne, qui auraient pu interférer
avec le développement de la tête de pont de Normandie.

L’impossible coopération avec la Luftwaffe

Privée de porte-avions, la Kriegsmarine est surprise par la guerre avec


un parc limité à 228 hydravions embarqués ou lourds14. C’est un Dönitz
amer qui déclare à Hitler en 1943 : « Les historiens raconteront la Seconde
Guerre mondiale d’une façon différente selon leur nationalité. Ils seront
cependant unanimes sur un point : au XXe siècle – celui de l’avion – la
marine allemande aura combattu sans posséder son éclairage aérien et sans
sa propre aviation, comme si l’avion n’eût pas existé, et ils ne pourront pas
se l’expliquer. » Propos quelque peu excessifs, car la Kriegsmarine porte sa
part de responsabilité pour ne pas avoir mené à son terme de projets de
porte-avions et pour avoir concédé à la Luftwaffe l’attaque aérienne de
cibles en mer.
Faute pour la Kriegsmarine de disposer d’une aéronavale digne de ce
nom, les seuls appareils aptes à s’attaquer à des navires en mer sont
contrôlés par la Luftwaffe. Faute aussi de l’existence d’un réel haut
commandement de la Wehrmacht ayant autorité, la Kriegsmarine est donc
tributaire de la bonne volonté des hommes de Goering pour bénéficier du
soutien de l’aviation. Hitler se refuse en effet à interférer aux dépens de son
dauphin. Dans la lutte menée contre l’Angleterre, la Luftwaffe repousse
toujours les demandes d’engagement massif dans la lutte contre le transport
maritime : ses cibles prioritaires restent les objectifs terrestres. Les bombes
planantes radioguidées, tel le Hs-293, obtiennent certes quelques résultats
probants (lors des débarquements alliés en Méditerranée), mais pas dans le
cadre d’une coopération avec la Kriegsmarine engagée contre les lignes de
communication maritimes anglaises.
Les demandes de la Kriegsmarine pour obtenir la mise à disposition des
appareils d’attaque ou de reconnaissance à long rayon d’action les plus
efficaces se heurtent constamment à une fin de non-recevoir de la part de la
Luftwaffe : ainsi du Do-217 en 1941, ou encore du remplacement des He-
115 par les nouveaux He-111 H5 capables de mener des attaques à la
torpille15. Début 1941, si l’U-47 de Prien parvient à faire attaquer un convoi
ennemi qu’il a repéré par cinq Fw-200 Condor qui coulent ou avarient onze
navires, la coopération avec ces quadrimoteurs se révèle tout aussi
décevante : il est bien difficile de diriger des U-Boote sur un convoi
débusqué par un aéronef, et inversement. L’absence d’observateurs
suffisamment qualifiés au sein de la Luftflotte 5 (déployée en Norvège) peut
se révéler dramatique quand il s’agit de déterminer, lors d’un vol de
reconnaissance, quelles catégories de navires ennemis sont observés au
mouillage. Le He-177 est une autre déception, en dépit d’un grand rayon
d’action (2 500 kilomètres) et d’un armement redoutable (2 canons de
30 mm). Les délais de mise au point et une priorité accordée au front de
l’Est empêchent son entrée opérationnelle au profit de la Kriegsmarine
avant le début de 194416. Dönitz se voit aussi refuser l’attribution de
quadrimoteurs Me-410, d’autant que Hitler, par ailleurs fort irrité par
l’incapacité de la Luftwaffe à disposer d’un quadrimoteur de bombardement
analogue à ceux des Alliés, estime que l’appareil n’est pas au point. Quant
au Ju-290, un autre quadrimoteur, mais de reconnaissance, il ne rejoint les
escadrilles qu’en novembre 1944… La Luftflotte 3 basée en France ne
manque pourtant pas de bonne volonté, mais elle doit compter avec un
adversaire très supérieur aussi bien dans les airs que sur mer.

Une vaine course aux armements

En mars 1943, la Kriegsmarine fait état d’un déficit mensuel de


60 000 tonnes sur la part d’acier qui lui est normalement attribuée. L’effort
industriel du Reich en faveur de sa marine de guerre – de même que les
innovations de toutes sortes que cela nécessite – reste cependant important,
bien que tout ceci apparaisse in fine comme un gaspillage inutile de
ressources. Le 1er janvier 1942, Dönitz dispose de 249 U-Boote. Un chiffre
impressionnant qu’il convient de replacer dans de plus justes proportions.
Sur ce total, 91 à peine sont opérationnels, le solde étant des engins à
l’entraînement ou encore en construction. Sur les 91 Front U-Boote, 26 sont
en Méditerranée, 6 opèrent dans les parages de Gibraltar, 4 sont en
Norvège. Il ne reste donc a priori que 55 submersibles pour mener la guerre
sur les lignes de communications dans l’Atlantique Nord. Or, comme 33 de
ces unités sont en maintenance, il n’en reste plus que 22, dont la moitié en
transit, soit à peine une douzaine sur le front17. À partir du milieu de l’année
1943, avec 330 U-Boote dans l’inventaire, Dönitz n’est toujours pas en
mesure de maintenir plus d’une quarantaine de submersibles dans
l’Atlantique Nord. Pour éviter l’aviation adverse, il faut en effet opérer à
800 nautiques des bases françaises, ce qui augmente considérablement le
délai de déploiement des flottilles. Le maximum de la guerre est atteint en
avril 1944, alors que les U-Boote se sont repliés en Norvège : 444 sont en
service, donc 166 opérationnels18.
La Kriegsmarine, en dépit de matériels de qualité, ne sera pas en mesure
de fournir à ses marins des équipements et des armes d’un niveau technique
nettement supérieur à ceux de leurs adversaires, alors que les soldats de la
Heer auront l’avantage de la qualité dans de nombreux domaines. La piètre
qualité des torpilles (explosions prématurées, ratés des percuteurs
magnétiques) est à l’origine de nombreux déboires : le 14 septembre, le
porte-avions HMS Ark Royal échappe aux tirs manqués de deux U-Boote.
Ces torpilles défectueuses brisent le moral des sous-mariniers allemands.
Les tirs ratés représentent 35 à 40 % des torpilles lancées, voire 90 % au
moment de la campagne de Norvège en avril-mai 194019. La « crise des
torpilles », comme la nomment les sous-mariniers eux-mêmes, ne sera pas
réglée avant la fin de l’année 194220, lorsque entre en lice une torpille à
détonateur magnétique. La torpille acoustique (Zaunkönig) est également
redoutable mais se révèle décevante, car un bruiteur peut la leurrer. Parmi
les armes qui ont contribué à la défaite des U-Boote, on compte la torpille
acoustique Fido, larguée par avion. Son premier succès survient le 14 mai
1943 avec le torpillage du U-640. La Wehrmacht n’en possède pas
l’équivalent : les conflits sans cesse réitérés entre la Kriegsmarine et la
Luftwaffe empêchent la mise au point d’une torpille aéroportée21.
Les navires de surface ne sont pas épargnés par les progrès réalisés par
les ingénieurs alliés. L’avance prise dans le domaine électromagnétique se
résorbe peu à peu. Au moment où le Bismarck appareille, en mai 1941,
certaines unités de la Royal Navy sont désormais équipées de radars
modernes à antenne tournante22. Les progrès techniques alliés se
multiplient : après le sonar Asdic, le Huff-Duff, appareil de goniométrie
d’émissions ondes courtes, sera la hantise des sous-mariniers à partir de
l’été 1942.
Les progrès de l’aéronavale alliée sont décisifs. L’entrée en lice de
porte-avions d’escorte et la multiplication des patrouilles d’appareils à
longs rayons d’action sonne le glas de l’action des U-Boote. La traversée du
golfe de Gascogne pour rejoindre les « terrains de chasse » devient
périlleuse, même avec le soutien de navires d’escorte et une Flak dûment
renforcée à bord des sous-marins. Outre une peinture noire de kiosque
absorbant les ondes radar, les Allemands développent également une
gamme de radars leur permettant de détecter l’écho d’un radar ennemi avant
que celui-ci ne détermine la position du U-Boot : Metox, Zypern, Borkum,
Naxos et Tunis. Des réponses technologiques d’avant-garde qui ne sont
adaptées que sur un petit nombre de navires.
La solution pour révolutionner la guerre sous-marine existe pourtant : le
Walter U-Boot, un véritable sous-marin (et non un simple submersible) qui
peut en théorie évoluer en permanence sous l’eau. Mais la lenteur de sa
mise au point pousse les ingénieurs vers un autre concept, celui d’Elektro
U-Boot, le type XXI (ainsi que le type XXIII, plus petit et avec seulement
2 torpilles), aux capacités d’autonomie impressionnantes : 170 nautiques en
plongée à 8 nœuds ou 340 nautiques à 5 nœuds, contre seulement 4 nœuds
sur 80 nautiques pour le type VII C, qui est le cheval de bataille de la flotte
sous-marine pendant la guerre. Si les premiers types XXI et XXIII sont
livrés à l’été 1944, les premiers types XXIII ne sont opérationnels qu’au
début de 1945, et le U-2511, premier type XXI opérationnel, ne prend la
mer que le 30 avril 1945…

Les marins de Hitler

Ce sont 1,3 million d’Allemands qui vont servir au sein de la


Kriegsmarine. Dont 95 000 font le sacrifice suprême, le tiers appartenant à
l’U-Bootwaffe23. Beaucoup de marins sont originaires des ports
hanséatiques, à commencer par Kiel et Hambourg, mais aussi de régions
sans façade maritime. Comme au sein des autres armées de la Wehrmacht,
la marine compte dans ses rangs des as, très médiatisés. Comme dans
l’armée, la Kriegsmarine n’est pas avare de décorations : badge de guerre
des U-Boote pour ceux qui ont participé à deux croisières de guerre, une
médaille pour la bravoure et l’engagement, etc. Des récompenses qui sont
autant de témoignages de leur valeur et de leur courage, avec parfois
l’insigne privilège d’être reçu et décoré par le Führer en personne.
Ce dernier, moins empreint de suspicion et de défiance qu’envers la
Heer, entretient les rapports les plus courtois avec ses grands amiraux.
Lorsque Raeder est contraint de donner sa démission le 30 janvier 1943, la
Kriegsmarine ne subit pas l’affront infligé à la Heer lors du départ de
Brauchitsch à la fin de l’année 1941. Hitler n’assume pas en personne le
commandement de l’OKM et il nomme un successeur à Raeder en la
personne de Karl Dönitz (alors FdU : Führer der Unterseeboote, soit le
commandant en chef des sous-marins).
Ces marins de Hitler se distinguent des autres soldats du Reich par des
tenues spécifiques. La couleur dominante de l’uniforme, souvent élégant
(avec le fameux « col marin »), est le bleu marin, les tenues de cuir du
personnel préposé aux machines étant noires. Dans les mers chaudes,
l’équipage est autorisé à porter une tenue plus décontractée, sportive,
particulièrement à bord des petites unités, comme les dragueurs de mines ou
les vedettes, mais moins fréquemment sur les grands navires de surface, où
une discipline plus stricte est exigée à tout instant24. Sur les navires de
tonnage moyen, comme les destroyers, la discipline est certes plus formelle
qu’à bord des petites unités, mais, avec quelques centaines d’hommes tout
au plus, chaque marin est en mesure de connaître la plupart de ses
camarades, chose impossible à bord des cuirassés ou des croiseurs.
Le respect de l’adversaire : c’est ainsi qu’on peut traduire le
comportement réciproque entre les marins allemands et leurs homologues
alliés. Ainsi, sur le mémorial des U-Boote de Laboe, près de Kiel, une
plaque déclare sans équivoque : « Les hommes qui ont servi en mer
n’étaient pas des ennemis, mais des adversaires25. » De fait, en dépit des
ordres reçus enjoignant d’ignorer les chaloupes de sauvetage, les marins
allemands se portent volontiers au secours des naufragés, quand les
circonstances le permettent, quoique la traîtrise de certains équipages de
navires marchands anglais armés qui feignent d’être désemparés afin
d’attirer les U-Boote dans une étreinte mortelle pousse les sous-mariniers
allemands à la prudence26. Le tableau ne doit pas être trop idyllique : si les
naufragés de U-Boote coulés sont généralement bien traités, ils peuvent
subir des violences quand ils sont considérés comme nazis, à tel point que
certains rescapés seraient allés jusqu’au suicide27.

Une flotte de surface réduite

Il en va de Raeder comme de tous les amiraux des années 1930 : les


grands bâtiments de ligne doivent assumer le rôle prééminent dans la guerre
navale, reléguant le porte-avions à des tâches subalternes, à savoir, en ce qui
concerne la Kriegsmarine, assurer la reconnaissance à long rayon d’action,
encore cela est-il envisagé au profit de la guerre menée contre les navires de
commerce, non contre une flotte de guerre adverse28.
À la déclaration de guerre, la flotte allemande aligne 2 cuirassés,
3 cuirassés de poche ainsi que 8 croiseurs (2 lourds), contre 22 cuirassés,
8 porte-avions et 82 croiseurs (22 lourds) franco-anglais. Le déséquilibre est
tout aussi dramatique dans le nombre de destroyers : 21 face à 25329. Seuls
les cuirassés Bismarck et Tirpitz, ainsi que le croiseur lourd Prinz Eugen
s’ajouteront à cette liste30. Le porte-avions Graf Zeppelin ne sera jamais
achevé ; quant au plan Z, il est oublié. Pis, si la guerre avait débuté
quelques années plus tard, alors qu’une Kriegsmarine plus puissante
(notamment 4 porte-avions, 70 cuirassés et croiseurs et pas moins de
249 sous-marins à l’horizon 194831) aurait été en lice pour mener
efficacement une lutte sans merci contre les voies maritimes anglaises,
l’Allemagne aurait reçu le concours de ses consœurs italienne et japonaise :
mais en 1939, l’Allemagne est seule et sa marine n’a pas les moyens
d’affronter la Royal Navy. Les Panzerschiffe puis les navires de bataille (les
Schlachtschiffe) ne sont disponibles qu’à raison de quelques unités, bien
insuffisantes pour que leur action génère une perturbation profonde et
durable des lignes de communication maritimes britanniques. L’échec de la
tentative de faire main basse sur la flotte française de Toulon, en décembre
1942, puis le fiasco des dispositions prévues pour s’emparer des escadres de
la flotte italienne, y compris les plus petites unités32, en septembre 1943,
consacrent définitivement l’impossibilité pour la Kriegsmarine d’aligner
une flotte de surface importante, même en Méditerranée.
Si la quantité fait défaut, les marins de Hitler servent-ils à bord d’engins
de qualité ? Les navires les plus modernes peuvent se révéler de redoutables
adversaires. Les navires de ligne allemands, en particulier les cuirassés
Bismarck et Tirpitz, sont de superbes navires, puissants et modernes (leur
télémétrie est supérieure à celle des navires adverses). C’est à peine si
l’équipage ressent des vibrations quand les machines tournent à plein
rendement. Leur extrême stabilité induit une très grande précision de tir :
lorsque les tourelles montées sur gyroscopes font feu, la bordée ne
provoque presque aucun tangage. Des merveilles de technologie, certes,
mais à la mécanique fragile. Les destroyers souffrent également de pannes
récurrentes de leur système de propulsion, technologiquement avancé mais
beaucoup trop fragile. Ils sont par ailleurs plus puissants que leurs
homologues alliés, mais leur rayon d’action reste limité et ils sont sensibles
au mauvais temps, embarquant l’eau par paquets quand la mer est grosse.
Les destroyers les plus modernes sont capables en théorie de dépasser les
38 nœuds. Navires d’escorte, ils ont souffert lors des combats menés face
aux marines adverses.
Quelle est la journée type d’un marin monté à bord d’un navire de ligne
comme le Bismarck ? Une forme de routine s’installe en dehors des
périodes d’action. Elle n’est pas sans rappeler le quotidien d’une caserne.
Le réveil est à 6 heures, rapidement suivi du petit déjeuner, les corvées
débutant dès 7 h 15. Vers 8 heures, le marin peut procéder à des opérations
de maintenance avant de déjeuner à 11 h 30. L’après-midi suit le même
schéma jusqu’au repas donné à 17 heures. Après l’ultime séance de corvées,
le marin a quartier libre à partir de 19 heures, l’extinction des feux
survenant à 22 heures33.
Le quotidien de l’équipage est moins facile sur les petites unités,
souvent peu confortables car de modèles anciens, ou encore parce qu’il
s’agit de bâtiments civils convertis en navires de guerre, pour une fonction
pour laquelle ils n’ont pas été conçus. Un désagrément qu’il faut tempérer
par le fait que ces bateaux opèrent souvent au plus près des côtes et
généralement sur de courtes durées. La vie à bord des destroyers, pourtant
modernes, n’est pas plus aisée. Les cuirassés et les croiseurs, véritables
villes flottantes de plusieurs milliers d’hommes d’équipage, offrent plus de
confort. L’inaction ou la longueur des croisières laisse beaucoup de temps
libre, que certains occupent notamment par la réalisation de modèles réduits
de navires, un passe-temps apparemment répandu au sein de la marine34.
Certains participent à des compétitions sportives, tandis que des concerts
sont organisés. Les marins peuvent participer à la publication d’un journal
spécifique à leur navire. D’autres s’acquittent de corvées, comme le
traditionnel nettoyage du pont… Sur certaines petites unités à vapeur, la
pénible corvée de charbon attend les simples matelots.
Pour tous ces hommes, l’heure de gloire est la campagne de Norvège.
L’opération « Weserübung », l’invasion du Danemark et de la Norvège, est
un succès, mais un succès très coûteux pour la flotte de surface. La
Kriegsmarine y engage la presque totalité de ses moyens. Raeder n’est pas
dupe des risques encourus : l’opération est envisagée « en opposition avec
toutes les règles de la guerre sur mer35 ». Certes, elle peut espérer être
renforcée après la conclusion – victorieuse – de « Barbarossa ». En
décembre 1939, le sabordage de l’Admiral Graf von Spee dans la baie de
Montevideo provoque la consternation : Raeder ne peut que réitérer son
ordre de ne s’en prendre qu’aux bâtiments de commerce et d’éviter toute
confrontation avec les escortes ou les unités navales adverses dont pourrait
résulter la destruction d’un des navires de ligne de la Kriegsmarine, trop
rares et trop précieux36. Piètre perspective pour des marins : traquer des
navires marchands et les envoyer par le fond n’a rien de la gloire d’un beau
combat naval. Pis, l’inaction, souvent prolongée, les rend d’autant plus
amers. L’amiral Raeder s’écarte parfois de ces considérations et ordonne à
l’occasion de prendre le risque d’un affrontement avec des bâtiments de
ligne adverse, à la condition que la lutte soit menée « jusqu’au dernier
obus37 ». Le début de l’année 1941 semble pourtant prometteur : en février-
mars, les croiseurs lourds Scharnhosrt et Gneisenau ont envoyé 22 navires
de commerce par le fond ; en avril, l’Admiral Scheer revient au port après
avoir détruit 16 navires marchands (ce sera son unique croisière de
corsaire38). En mai, la Kriegsmarine subit pourtant un revers cinglant qui
jette un véritable camouflet sur la stratégie de Raeder : le supercuirassé
Bismarck est coulé dès sa première sortie. Le changement de stratégie est
entériné par le repli audacieux, réalisé en février 1942, des croiseurs sur la
Norvège à travers la Manche (opération « Cerberus »).
Les croiseurs et les cuirassés n’appareillent désormais que rarement
pour traquer des convois, tâche pour laquelle ils ont pourtant été conçus :
les cuirassés sont censés fixer l’escorte, tandis que les croiseurs envoient les
navires marchands par le fond. Les avaries récurrentes et le manque de fuel
contraignent l’OKM à garder ses précieuses unités au mouillage. Pour les
matelots servant à bord de ces grands bâtiments, l’inaction est le quotidien.
Leur principale mission est de fixer des escadres britanniques par la seule
menace potentielle qu’ils représentent. Ils sont supposés également refouler
toute tentative de débarquement en Norvège, crainte injustifiée mais qui
gardera son importance dans l’esprit du Führer. Le moral des équipages
s’en ressent. Dans la seconde partie de la guerre, les principales unités de
surface ont été détruites, le Tirpitz sombrant dans un fjord à l’automne
1944. Début 1943, le Führer ne voit plus d’intérêt dans ces navires de ligne
et ordonne leur désarmement : les puissants canons des tourelles
constitueront autant de batteries redoutables.
Au cours de la dernière année de la guerre, les grandes unités de
surface, notamment le Prinz Eugen et l’Admiral Scheer retrouvent une
utilité en assurant un appui-feu contre les forces terrestres de l’Armée
rouge. Ces grands bâtiments sont également impliqués par les évacuations
dramatiques de civils à travers la Baltique en 1945. Les témoignages de
vétérans, comme Guy Sajer, qui a servi dans la zone de Memel au sein de la
« Großdeutschland », confirment l’impact du soutien aux forces terrestres
apporté par la marine39.
Les cuirassés, croiseurs et destroyers accaparent l’imagerie attachée aux
navires de combat de surface. De nombreuses autres unités navales sont à
prendre en compte. Les S-Boote40, vedettes lance-torpilles, capables
également de mouiller des mines, opèrent principalement dans la Manche et
la mer du Nord, menant avec hardiesse des attaques furtives contre les
convois alliés, l’un des succès les plus célèbres survenant en avril 1944
lorsque plusieurs transports de troupes américains sont envoyés par le fond
au cours d’un exercice de débarquement. Une mission qui exige du sang-
froid et de la dextérité, leur rapidité étant leur seule chance de salut. À partir
de 1942, les succès se font rares car l’ennemi, qui articule son système de
défense autour du radar, est devenu trop puissant.

U-Boote : les loups gris

En 1939, la Kriegsmarine aligne 57 U-Boote, beaucoup n’ayant aucune


capacité océanique, n’étant que des navires côtiers ou d’écolage, voire des
prototypes. La priorité longtemps accordée aux sous-marins côtiers
s’explique par la prise de conscience tardive du risque d’une guerre avec le
Royaume-Uni. Le commandement des U-Boote doit étudier la façon de
détruire la flotte de commerce britannique, mais l’U-Bootwaffe se heurte à
la production de la flotte de surface. Le nombre de sous-marins
opérationnels suppose non seulement une augmentation de la production,
mais aussi de celle de la capacité de réparation. Or, de nombreux ouvriers
rattachés aux bases sous-marines doivent parfois s’acquitter de tâches de
maintenance sur les grandes unités de surface. Pourtant, en dépit de l’intérêt
accordé par Raeder aux cuirassés et aux croiseurs, l’importance prise par les
U-Boote dans la stratégie navale du Reich ne va cesser de prendre de
l’ampleur.
L’importance prise par la guerre sous-marine s’explique par les
contingences : c’est « faute de mieux » que la Wehrmacht est contrainte de
faire reposer son effort de guerre navale sur les submersibles. Avant guerre,
c’est des bâtiments de ligne que l’OKL attend les meilleurs résultats :
engagés seuls, les sous-marins permettraient à l’ennemi de concentrer ses
forces à la défense des convois41. La seule façon de s’opposer
victorieusement à la Royal Navy semble en effet résider dans l’U-
Bootewaffe, l’arme sous-marine. Le challenge est d’envergure : pour
étouffer économiquement l’Angleterre en s’en prenant à sa flotte de
commerce, il faut en effet compter avec une Royal Navy très puissante et
présente sur toutes les mers du globe. Le coup d’éclat de Günther Prien, le
commandant du U-47 qui coule le cuirassé HMS Royal Oak au nez et à la
barbe des Britanniques, au cœur même de leur base de Scapa Flow, est un
camouflet pour la Royal Navy. La propagande fait ses choux gras des
exploits des sous-marins, les U-Boote. La publicité qui entoure leur action
est largement diffusée, et les as sont connus du grand public. Ces derniers
accumulent les victoires : 47 navires coulés pour Wolfgang Lüth, 42,5 pour
Otto Kretschmer (mais avec le plus fort tonnage : 238 327), etc. Une
vingtaine de commandants sont crédités de 20 % des navires coulés42.
Servir à bord des sous-marins est très risqué. C’est ainsi 40 000 sous-
mariniers qui perdent la vie pendant la guerre. Et 1 170 U-Boote ont été
perdus, dont 630 au combat et 379 sabordés ou saisis par les Alliés43. Au
moment du départ, chaque homme remplit un formulaire après avoir déposé
ses effets personnels dans un entrepôt : il importe de savoir où et à qui
rendre ces affaires en cas de décès44.
Un individu incarne l’arme sous-marine allemande : l’amiral Dönitz, le
« patron » des U-Boote ou BdU (Befehlshaber der U-Boote), jouit de la
confiance du Führer, qui en fera son successeur dans un Reich agonisant en
avril 1945. Dönitz ne dissimule pas sa fierté : « La Kriegsmarine est la
meilleure armée de la Wehrmacht. La U-Bootwaffe est le meilleur service
de la Kriegsmarine45. » Même s’il a ses détracteurs, ses hommes lui vouent
une admiration sans bornes46 : il est Der Löwe, « le lion ». En retour, il
appelle affectueusement ses hommes les « loups gris », ce qui renvoie à la
couleur à la fois des uniformes et des U-Boote. Un amiral qui affectionne de
donner un aspect paternaliste à son style de commandement : même si
l’intéressé est en mission au cœur de l’océan, il n’oublie jamais d’informer
un marin qu’il est l’heureux père d’un nouvel enfant.
Les enfants chéris de Dönitz sont les 1 643 commandants de U-Boote
qui ont servi pendant la guerre, la plupart avec le grade de Kapitänleutnant
(lieutenant de vaisseau), abrégé en Kaleunt47, ou d’Oberleutnant zur See
(enseigne de vaisseau 1re classe). Ces commandants sont-ils réputés pour
leur irrespect envers le régime ? On ne rencontre guère de réelles
oppositions. Si l’as Joachim Schepke a pu avoir des propos qu’on peut
qualifier d’antinazis, il reste fidèle au régime jusqu’à sa mort. Le retour au
port du U-564 de « Teddy » Suhren est marqué par un incident fameux.
Empoignant le porte-voix, Suhren hèle le comité d’accueil qui l’attend sur
le quai : « Les nazis sont-ils toujours au pouvoir ? » Et de donner l’ordre de
faire machine arrière lorsqu’on lui répond par l’affirmative48. Convictions
réelles ou sens de l’humour dangereux ? L’Oberleutnant zur See Oskar-
Heinz Kusch paie de sa vie sa trop grande liberté de parole en mission :
dénoncé pour propos séditieux par un membre de son équipage, il est passé
par les armes après jugement49. Mais si l’indiscipline et le franc-parler sont
tolérés plus que dans tout autre service de la Wehrmacht, le discours de
l’état-major est très idéologique. Il semble que bien des sous-mariniers
soient des nazis convaincus, parfois d’anciens SS.
Le Kaleunt, c’est « le vieux » pour ses hommes, même si les
commandants n’ont qu’une moyenne d’âge de 25 ans, certains n’en ayant
que 20… Pour l’assister, un certain nombre de cadres particulièrement
importants : le I. Wachoffizier (I. WO), le 1er officier de quart, responsable
du bon fonctionnement des armes ainsi que du calcul de la solution lors du
lancement des torpilles, de même que le 2e officier de quart, le timonier et
l’officier-ingénieur50. Informé de sa mission par Dönitz en personne ou bien
par son supérieur direct, le Kaleunt fait exécuter les derniers préparatifs par
ses seconds. L’équipage reste encore dans l’ignorance de la tâche qui
l’attend : attaque de convoi, mouillage de mines, dépôt d’agent, observation
météo ?
La vie à bord d’un sous-marin c’est d’abord une proximité de tous les
instants. Le U-Boot type VII C, modèle de sous-marin le plus produit,
compte entre 42 et 52 hommes d’équipage51. Le nombre de couchettes y est
insuffisant : certains doivent donc se contenter d’un hamac, le nombre de
places disponibles obligeant de toute façon à partager sa couche avec un
camarade. Les moins bien lotis sont ceux qui sont confinés dans la salle des
machines, entre le matériel, les moteurs et des machineries de toutes sortes.
L’encombrement induit par les torpilles est important. Évoquant le
compartiment des torpilles avant, l’Oberleutnant zur See Suhren raconte :
« Jusqu’à ce qu’au moins une ou deux torpilles aient été lancées, laissant
ainsi plus de place, les occupants ne pouvaient même pas se tenir debout
pour changer de vêtements52. » Ironiquement, les sous-mariniers assignés à
ce compartiment sont surnommés les « lords », probablement pour leur
capacité à endurer les conditions de vie les plus dures avec un flegme tout
britannique, et sans écart de discipline ni agressivité particulière.
Les officiers et sous-officiers sont logés à meilleure enseigne. Le
commandant a le privilège de jouir d’un semblant d’intimité grâce à une
couchette pourvue d’un rideau. Le carré des officiers met à disposition de
ces derniers une table, luxe inconnu des autres membres de l’équipage. Pour
tous, il faut composer avec une activité permanente, notamment autour de la
« centrale » d’où est dirigé le bâtiment, activité qui génère un bruit
permanent. Ce dernier, intense et infernal dans la salle des machines, peut
mener jusqu’à la surdité, tout en mettant les nerfs à rude épreuve, faute de
permettre un sommeil réparateur. L’humidité constitue une autre épreuve,
notamment par gros temps, lorsque l’eau s’engouffre par paquets par
l’écoutille. La santé des hommes peut rapidement se détériorer, car
l’hygiène est toute relative, faute d’eau potable pour se laver et se raser. Au
bout de quelques jours, les marins commencent à arborer ces barbes si
caractéristiques de l’U-Bootwaffe, au sein d’une armée pourtant très
soucieuse des apparences martiales comme l’est la Wehrmacht. Seule une
minorité de commandants insistent sur un maintien au meilleur niveau de
propreté des hommes et du bateau à tout instant.
La lessive est souvent jugée superflue. Un seul cabinet de toilette est
utilisable pour la cinquantaine de sous-mariniers d’un bateau53 : on imagine
sans mal la file d’attente. Quand l’occasion se présente, on se soulage donc
sur le pont, retenu au navire par une corde. Le procédé a ses avantages.
L’usage des toilettes n’est en effet pas sans danger, car le système
d’évacuation nécessite un maniement délicat de manettes : gare à celui qui
ne maîtrise pas la procédure, car tout le contenu de la cuvette peut lui
revenir dessus54 ! Pis, le 14 avril 1945, l’U-1206 a été contraint de faire
surface en urgence suite à un problème de toilettes… pour se faire détruire
immédiatement.
L’ennui gagne vite une partie de l’équipage. Dans des eaux sûres, ce qui
est de plus en plus rarement le cas, les hommes sont autorisés à prendre l’air
frais sur le pont, voire à nager ou à prendre un bain de soleil. On organise
des tournois de jeux : jeu du moulin, skat, soixante-six, dames, échecs, etc.
On joue aux cartes, on lit, ce qui ne saurait suffire à occuper les nombreuses
heures d’inactivité. Certains Kaleunt veillent au moral en organisant des
compétitions, dont le prix ne peut être moins que de voir « le vieux »
assurer le tour de veille du matelot dans la « baignoire » (la passerelle du
kiosque), récompense fort appréciée en cas de gros temps. Tradition marine
oblige, on ne manque pas de célébrer le passage de l’équateur : un matelot
grimé en Neptune oblige l’initié à avaler une décoction à base d’eau de
mer… Les sous-mariniers écoutent aussi de la musique, disques 78 tours
embarqués, bandes magnétiques, ou encore des émissions de radio captées
sur les ondes, notamment américaines et britanniques, interdites d’écoute
pour la population allemande, mais autorisées à bord. Les hommes aiment
lire, mais la nécessité de préserver l’électricité en plongée limite cette
possibilité. Pour les fumeurs, à la nuit tombée, allumer une cigarette à
l’intérieur du bateau ou prendre le risque que la lueur soit visible depuis la
passerelle est impensable : la solution est donc de fumer dans le kiosque
blindé, l’écoutille vers l’intérieur fermée et celle vers l’extérieur ouverte.
Dans la salle des machines, le caractère exténuant des tâches est tel que
les rotations s’effectuent toutes les six heures : travail ou repos. Le rythme
des autres membres de l’équipage suit une rotation des activités par tranche
de huit heures : service, sommeil, tâches diverses, y compris se relaxer,
mais également effectuer des travaux de maintenance. La veille sur le pont
(à laquelle échappe le cuistot ainsi que le personnel préposé à la salle des
machines, dite « la caverne des Cyclopes ») ne dépasse pas quatre heures et
elle représente une véritable épreuve d’endurance, surtout par un froid à
couper au couteau. La tâche des opérateurs radio – vitale – ne représente
pas plus une sinécure : deux quarts de six heures par nuit et trois quarts de
quatre heures le jour55.
L’un des grands défauts des U-Boote est leurs faibles dimensions : le
kiosque, d’où s’opère le service de veille, ne culmine qu’à quelques mètres
de la surface, limitant l’horizon d’observation à guère plus de 6 nautiques
par temps clair. La nuit ou par gros temps, un veilleur ne voit qu’à quelques
dizaines de mètres, autant dire rien, d’autant que les tempêtes sont si
violentes que la seule chose qui importe à l’équipe de veille est d’éviter les
lames, se cramponner et reprendre son souffle après avoir manqué de
suffoquer lorsque le U-Boot plonge dans la mer sous l’effet des éléments
déchaînés. Les quelques autogires Focke-Achgelis FA-330 Bachstelze
(planeur tracté à l’aspect d’hélicoptère) embarqués sont trop délicats
d’emploi pour offrir une parade sérieuse56.
Le risque de somnolence est toujours présent, particulièrement lors du
service de quart, alors même qu’une surveillance tous azimuts, jumelles sur
les yeux, est vitale. Pour se prémunir d’un plongeon mortel suite à une lame
qui balaierait le pont, les hommes de quart sont reliés au navire par des
cordes. Pour éviter la noyade, on porte un gilet de sauvetage orange ou
jaune, le Dräger Lung, ou Tauchretter, ce dernier étant doté d’un container
d’oxygène cylindrique en cas de séjour prolongé en profondeur57. La durée
de ce dernier reste tout relative, le sous-marin ne pouvant demeurer plus de
vingt-quatre heures en plongée. Les batteries ne sont par ailleurs
rechargeables en plongée qu’à l’aide du Schnorchel (mis en service en
1944), un tube qui permet d’approvisionner les moteurs Diesel en air
lorsque le U-Boot est en immersion périscopique. Une valve obture le tube
dès que l’eau menace de s’y engouffrer, mais, si les moteurs Diesel sont en
marche, l’air est immédiatement aspiré par les moteurs.
La nourriture est stockée dans le moindre espace disponible, dont un
des deux cabinets de toilette, tout en prenant garde à ne pas entraver les
tâches quotidiennes (comme l’accès à une valve…), les denrées périssables
étant disposées de façon à être accessibles et consommées en premier, faute
de disposer d’une chambre froide : fruits frais, œufs, pain, viande et
légumes sont donc placés en dernier. Les saucisses et les jambons peuvent
être suspendus en hauteur. Le choix des denrées doit être réfléchi :
« Quatre-vingts camemberts avaient été commandés, raconte le Kaleunt
Hartmann, mais ils furent livrés dans des boîtes en bois et leur odeur était
presque insupportable58. » On vit ensuite sur des conserves (qui ne résistent
pas toujours à la pression des profondeurs) et des compléments de
vitamines (dont les tablettes de Scho-Ka-Kola). Les boissons sont
invariablement le café, le thé, des jus de fruits ou de noix de coco. Parfois,
une prise permet d’améliorer l’ordinaire : lorsque l’U-162 coule le
Parnhyha, en mai 1942, l’équipage prend soin d’embarquer des porcs et des
poulets, qui représentent une véritable aubaine. En Arctique, c’est un ours
blanc abattu au fusil qui rejoint la table des sous-mariniers de l’U-22559.
Il faut songer à tout arrimer avec précaution, l’équilibre et le
déplacement du sous-marin pouvant être dangereusement perturbés au
moment critique de la plongée. Comme à terre, on essaie de maintenir un
régime de trois repas par jour. Lorsque le navire vogue en surface par gros
temps, la cambuse est inutilisable : on mangera froid. Se débarrasser des
poubelles peut vite devenir problématique, d’où de fortes odeurs
contribuant à la puanteur générale, mélange de sueur, d’huile et d’effluves
diverses, dont le vomi des hommes qui souffrent du mal de mer. Les sous-
mariniers allemands ont une parade fournie par la Kriegsmarine : l’eau de
Cologne, dont l’usage est généralisé. Pour une mission de douze jours, il
faut embarquer 14 tonnes de vivres, la charge utile devant en outre prendre
en compte le mazout et les torpilles. Quatorze torpilles sont embarquées à
bord d’un U-Boot de type VII C, dont cinq prépositionnées dans les tubes,
ainsi que 250 obus de 88 mm et 4 380 obus de 20 mm60. Une quantité
d’impedimenta doit également trouver sa place à bord : vêtements de veille,
jumelles, cartes, mais aussi lunettes rouges pour accoutumer les
observateurs à la vison nocturne, etc.
L’apparence des « loups gris » est similaire à celle des autres marins61,
si ce n’est qu’ils ont une propension marquée à mixer les uniformes, à tel
point qu’il est presque impossible de croiser deux hommes d’équipage
vêtus à l’identique. L’uniforme de base rappelle la coupe du Battle-Dress
britannique, les chemises françaises de prise étant par ailleurs répandues,
voire les tenues tropicales sous les latitudes le permettant, l’espace confiné
du submersible étant de tout façon propice au port de vêtements légers, y
compris du short – le manque de ventilation peut amener les températures à
dépasser les 50 °C. Pourtant, dans nombre de sous-marins, le taux
d’humidité est tel que les effets trempés par l’eau de mer ne sèchent que très
difficilement, voire pas du tout.
Une tenue particulière peut être exigée en certaines circonstances : c’est
le cas pour le personnel de la salle des machines, qui doit se prémunir de la
saleté, de l’huile et surtout des brûlures, ou encore pour les matelots qui
sont de quart sur le kiosque, à la merci des intempéries. Si la tenue de
protection est en cuir, comme au temps de la Grande Guerre, le personnel
de veille est équipé de vêtements de gros temps en caoutchouc,
spécifiquement étudiés dans cette optique, avec notamment un col très large
capable de protéger avec quelque efficacité le cou et le visage. Les couvre-
chefs sont à l’avenant de la variété des tenues : on a même vu des chapeaux
de paille, sans doute issus du butin de quelque navire arraisonné avant
d’être envoyé par le fond. D’autres coiffures sont plus traditionnelles :
bachi, béret de marin (Pudelmütze), bonnet de police et toutes sortes de
casquettes, dont la fameuse casquette à couverture blanche, marque du
commandant de bord d’un U-Boot.
On comprend que, dans ces conditions, des entorses au règlement soient
acceptées. La discipline, si sévère au sein de la Wehrmacht, se relâche dans
les U-Boote. L’esprit de corps qui soude un équipage, dont la destinée est
commune par la force des choses, conscient d’appartenir à l’élite de la
Kriegsmarine, pousse immanquablement à pratiquer une forme
d’autodiscipline dans un climat de confiance. « Il est du devoir de chaque
commandant d’avoir confiance en ses hommes62 », déclare le Kaleunt
Wolfgang Lüth. L’esprit de corps est entretenu par la réalisation d’un
insigne spécifique à chaque U-Boot, fièrement arboré sur la coiffure de
chaque matelot. Une manière comme une autre de se distinguer des marins
de la flotte de surface. Les lourdes pertes essuyées par l’armée sous-marine
dans la seconde partie de la guerre n’entament en rien le moral des
matelots, leur sens de la camaraderie et la fierté d’appartenir à l’U-
Bootwaffe.
Les moments d’action rompent la monotonie. Si les observateurs de
l’équipe de veille (le plus souvent quatre hommes) détectent un danger,
l’alerte retentit immédiatement : « Alarm ! » Les écoutilles sont fermées, les
réservoirs de profondeur remplis d’eau et le sous-marin immergé. L’attaque
contre les cibles navales s’effectue à la torpille ou, le cas échéant, au canon
de pont, procédure toujours préférée si les circonstances le permettent – à
savoir pas le moindre risque de riposte aérienne. L’attaque à la torpille
s’effectue en immersion périscopique ou en surface. Dans ce dernier cas, le
commandant est sur la passerelle, manipulant l’UZO, le
Überwasserzieloptik, soit un binoculaire spécifique lié à l’ordinateur
d’attaque qui se situe dans la Zentrale, la salle de contrôle. En 1937, Dönitz
théorise la tactique de l’attaque en meute, c’est-à-dire coordonnée, d’un
ensemble de submersibles avertis de la présence d’un convoi par l’un d’eux.
Il faut attendre octobre 1940 pour que cette théorie soit mise en pratique.
Si le U-Boot est confronté à une escorte de navires ou une attaque
aérienne, cette dernière étant la plus dangereuse, une période de stress
intense débute : il faut avoir les nerfs solides et faire preuve d’un
professionnalisme à toute épreuve pour supporter les échos de l’Asdic, le
bruit des hélices des contre-torpilleurs, l’impression d’être vulnérable et
l’impossibilité de pouvoir riposter. L’onde de choc des explosions des
grenades sous-marines secoue le bâtiment dans tous les sens, générant des
ruptures de valves, cassant lampes et cadrans… On a dénombré jusqu’à
300 charges de profondeur larguées en l’espace de vingt-quatre heures. Le
manque d’air et le risque de voir le U-Boot en perdition écrasé par la
pression dans les abysses ne sont pas les seuls dangers. Faire surface, c’est
en effet s’exposer aux tirs ou à l’éperonnage des navires ennemis et prendre
le risque de se retrouver transi de froid dans des eaux glacées.
La protection des convois ne cesse de se renforcer à partir de 1943. Pis,
l’aviation alliée est en mesure d’assurer une surveillance presque complète
des océans. Les U-Boote sont donc équipés de davantage de pièces de Flak,
jusqu’à des pièces de 37 mm, ainsi que des 20 mm quadruples, canons
positionnés sur la plage arrière attenante au kiosque, dite « le jardin
d’hiver ». In fine, les U-Boote ne relèvent pas le défi de mettre l’Angleterre
à genoux. Le 23 mai 1943, Dönitz admet la défaite dans la bataille de
l’Atlantique : il ordonne de cesser les opérations et de replier ses unités à
l’ouest des Açores, et ce « jusqu’à ce que les bâtiments soient équipés de
nouveau avec de meilleures armes d’attaque et de défense63 ».
Le retour à la base s’accompagne d’un cérémoniale immuable. Le
Kaleunt fait déployer des pavillons de victoire attestant du succès de la
croisière (chacun indiquant le tonnage estimé d’une victime du U-Boot),
plus ou moins adroitement arrimés à un câble selon l’état du navire, parfois
avec l’étendard de la Kriegsmarine claquant au vent à l’arrière de la
passerelle. Sur le quai, une fanfare, une garde d’honneur et un comité
d’accueil, comprenant le plus souvent le chef de la flottille, attendent les
sous-mariniers. Après le débriefing, ce peut être le moment des
récompenses, et assurément celui de la détente au cours de permissions tant
attendues, à Paris si possible.
Les corsaires : les oubliés de la flotte de surface

Les opérations menées par les corsaires s’assimilent parfois à de


véritables épopées, et elles méritent à ce titre une mention particulière. Ces
bâtiments sont appelés croiseurs auxiliaires, Hilfskreuzer (abrégé en HSK),
soit, en début de guerre, quelques navires de commerce transformés en
navires de guerre. Les commandants baptisent leurs navires : Thor, Pinguin,
Komet, Kormoran, Atlantis, Widder, Orion… Jaugeant entre 3 800 et
8 750 tonnes, ces navires ont une autonomie à vitesse de croisière de 18 000
à 84 500 nautiques64. Ils sont armés de six pièces de 150 mm, datant
souvent du premier conflit mondial, d’une pièce de poupe de 60 ou de
75 mm, pour les coups de semonce, de six pièces de Flak de 20 et 37 mm,
ainsi que de deux à six tubes lance-torpilles. Certains HSK sont équipés
pour le mouillage de mines, armes redoutables dont ils peuvent embarquer
jusqu’à 420 unités. Pour la reconnaissance lointaine, deux hydravions sont
montés à bord, des He-114 puis des Arado Ar-196. Ces dix navires et leurs
3 400 marins vont vivre une épopée.
La surprise et la vitesse sont les clés du succès. Anciens navires
marchands, ces navires ont l’avantage de disposer de cales dans lesquelles
pourront être stockés suffisamment de vivres, de munitions et de
combustible. Le cas échéant, ces espaces accueillent les prisonniers saisis
sur les victimes des corsaires. La capacité de changer l’aspect du navire, tel
un caméléon, est à la base de l’emploi des raiders. Habilement dissimulé
derrière des panneaux amovibles, l’armement, invisible, laisse à penser que
le navire n’est qu’un bâtiment de commerce. Transformer la silhouette en
un navire existant déterminé requiert aussi de la subtilité : le bateau en
question ne doit pas avoir été coulé et l’éventualité qu’il puisse croiser dans
les eaux où se trouve le HSK grimé doit être crédible. Les avions de
reconnaissance sont pareillement déguisés, arborant des insignes nationaux
et des schémas de camouflage propres à induire l’ennemi en erreur.
Comme sur les U-Boote, un sens très étroit de la camaraderie se
développe au sein des équipages, les commandants devant être soucieux de
s’assurer de la cohésion de l’équipe qui les entoure. Une équipe que ce
dernier n’a pas eu le loisir de constituer : si certains membres d’équipage
peuvent déjà connaître le navire à bord duquel ils vont servir, la plupart des
hommes sont des réservistes, et certains n’ont même jamais vu la mer65…
Les équipages comptent le plus souvent entre 350 et 400 hommes, étant
entendu qu’il faudra fournir des hommes pour piloter les navires de prise.
Les corsaires ne bornent pas leur activité au torpillage ou à la destruction de
navires : ils arraisonnent et s’emparent de leurs « proies » dès que
l’occasion se présente.
Les zones d’opérations des corsaires sont vastes, et rarement atteintes
par des soldats du Reich. Les marins qui servent à bord des Hilfskreuzer de
Hitler sont donc animés de la sensation de vivre une aventure, qui les porte
aussi bien aux confins de l’Antarctique qu’au voisinage de l’Australie, au
milieu du Pacifique ou de l’océan Indien, voire jusque chez l’allié japonais.
En août-septembre 1940, le Komet emprunte même le passage du Nord-Est,
via l’Arctique, grâce, en partie, au concours (à leur corps défendant, mais
non sans une généreuse contrepartie financière) de brise-glace soviétiques.
Débouchant dans le détroit de Béring, le corsaire peut écumer le
Pacifique66. Les mines mouillées font payer un tribut aux flottes ennemies.
Des navires sont détruits à la torpille ou au canon, ou encore saisis avec
leurs cargaisons, parfois après des intimidations reçues par les avions de
reconnaissance qui n’hésitent pas à tirer quelques rafales et à larguer une
bombe légère si le message lesté lancé depuis le ciel n’a pas suffi à faire
obtempérer le navire marchand récalcitrant67. Le record en la matière est à
mettre au crédit du Pinguin d’Ersnt Krüder qui, le 15 janvier 1941, réussit
le tour de force de s’emparer de toute une flottille de onze baleiniers ainsi
que de trois bâtiments-usines, la plupart parvenant ensuite à rallier un port
français avec leur équipage de prise, au terme d’une traversée épique de
l’Atlantique68. Le Pinguin a également établi un score remarquable : il coule
ou capture vingt-huit navires (136 000 tonnes) pendant les 357 jours d’une
croisière au cours de laquelle il parcourt 59 000 nautiques. Le 8 mai 1941, il
atteint le bout du chemin et rencontre son destin dans le HMS Cornwall, un
croiseur lourd, qui ne lui laisse aucune chance69. Un autre croiseur, le
Sydney, est en revanche envoyé par le fond par sa victime, le Kormoran.
Le bilan des opérations des corsaires est flatteur : outre les bateaux
coulés par les mines, cent trente navires marchands ennemis sont coulés ou
capturés (soit 790 000 tonnes), ainsi que deux navires de guerre, l’HMS
Voltaire et le croiseur léger Sydney. Le prix payé pour ces résultats assure à
la Kriegsmarine un bon retour sur investissement : six Hilfskreuzer sont
coulés, un autre endommagé et un huitième détruit accidentellement70.

L’assaut amphibie

Dans l’imaginaire collectif, les opérations amphibies de la Seconde


Guerre mondiale restent attachées aux forces alliées, à commencer par le
débarquement en Normandie, la plus ambitieuse de toutes. L’Allemagne a
pourtant été une devancière. La Kriegsmarine relève le défi de l’opération
« Weserübung » et parvient à acheminer les troupes d’invasion de la Heer
jusqu’en Norvège au nez et à la barbe de la Royal Navy, qui aurait pourtant
aisément pu provoquer un désastre. Cette opération, particulièrement
hardie, est la véritable première opération combinée de l’histoire. Le
transport des troupes d’assaut représente un incontestable succès. Onze des
quinze cargos transportant les troupes, les vivres et les munitions arrivent à
bon port. Mais les autres échelons logistiques devant assurer des
approvisionnements divers ainsi que l’arrivée de l’armement lourd
subissent de lourdes pertes : 7 000 des 11 000 tonnes de la première vague
de ravitaillement sont perdues. Dans ces conditions, la Kriegsmarine a
recours à un pis-aller : utiliser des U-Boote pour assurer le transport de
fret71.
La campagne de Norvège se révèle être une victoire à la Pyrrhus :
l’assaut sur l’Angleterre devient chimérique. Pour autant, l’opération
« Seelöwe », le débarquement au Royaume-Uni, constitue le projet
d’opération amphibie le plus ambitieux conçu par la Wehrmacht.
« Seelöwe », chacun le sait, ne fut ni sérieusement envisagée par le Führer,
ni mise à exécution. Un rapport de l’amiral Raeder en date du 25 juillet
1940 prévoit que la seule première vague72 devra être assurée par
340 prames, 215 remorqueurs, 45 vapeurs et 550 bâtiments à moteur. Le
transport d’éléments de la Luftwaffe, dont de nombreuses pièces de Flak,
nécessite 800 autres prames73. À la mi-septembre, alors que le projet est
définitivement enterré et l’assaut des côtes anglaises écarté sine die, la
Kriegsmarine a rassemblé 155 bâtiments de transport, 1 200 prames et
allèges, 500 remorqueurs et 1 100 bâtiments à moteur74. Au final, on
compte 2 400 péniches, mais à peine 800 sont motorisées, un petit nombre
(environ 200) étant modifiées en barges de débarquement. Un effort
important pour l’économie allemande (péniches détournées de leur
destination première, etc.). Le projet le plus novateur est celui d’une jetée
flottante métallique (dite Stahlbau) commandée à Krupp, oscillant selon le
niveau de la marée, qui préfigure les fameux ports artificiels Mulberries des
Alliés en 1944 (dont les vestiges sont toujours visibles à Arromanches). Un
prototype est testé à Zeebruges en 194175. Certes, point de vagues de
péniches de débarquement spécialisées comme au cours du Jour J en
Normandie. L’armée ne dispose que de trois engins amphibies chenillés, les
Land-Wasser-Schlepper, capables d’emporter vingt soldats, de désensabler
un véhicule ou de tracter une barge. Dans l’optique de l’armée de terre, la
conception du plan s’apparente plus à un franchissement de coupure
humide – comme celui de la Meuse de Dinant à Sedan, mais sur une tout
autre ampleur. La Heer et la Kriegsmarine s’accordent sur le fait que
l’opération requiert une maîtrise absolue du ciel comme préalable
indispensable à son succès. L’incapacité de la Luftwaffe à s’acquitter de sa
lourde tâche permet à la Kriegsmarine d’être exonérée de toute
responsabilité dans l’annulation de l’offensive, lui évitant probablement un
désastre sans précédent.
Le transport de troupes pour mener des offensives sur le rivage d’un
littoral hostile incombe à plusieurs reprises à la Kriegsmarine, sans qu’il
faille y voir d’équivalents, dans l’ampleur des opérations comme dans les
moyens engagés, aux grandes opérations amphibies menées par les Alliés.
Les convois que la Kriegmarine affrète vers la Crète au cours de l’opération
« Merkur » traduisent de façon évidente l’impréparation de la Wehrmacht
dans ce domaine : ce ne sont que des caïques et divers navires saisis sur les
Grecs le mois précédant l’invasion, une flotte de fortune, insuffisamment
escortée, qui est interceptée par la Royal Navy. Les soldats de Hitler ne
connaîtront jamais un assaut de vive force sur une plage défendue par un
adversaire à l’abri de fortifications bétonnées. En revanche, quelques
opérations d’envergure limitée sont menées à bien. L’attaque de batteries
côtières dans le cadre d’un assaut amphibie semble constituer l’image
d’Épinal d’un raid de commandos. Si ce genre d’action relève surtout de
commandos britanniques, des Küstenjäger participent à l’opération
« Beowulf I », lancée sur l’île d’Ösel en septembre 1941. En septembre
1942, leurs Sturmboote les mènent à la pointe de l’assaut à travers le détroit
de Kertch, lorsque la Wehrmacht s’attaque à la péninsule de Taman. Les
Küstenjäger neutralisent des bunkers et des batteries, s’emparent d’un
vapeur soviétique et sécurisent l’île de Touzla sise au milieu du détroit.
Le manque de moyens ne permet pas de projeter d’importantes forces
outre-mer ni de mener des opérations amphibies d’envergure, même si des
projets plus ou moins extravagants sont envisagés, tels que l’invasion de
l’Islande (opération « Ikarus ») ou encore de l’Irlande (opérations « Grün »
et « Kathleen »). Faute de disposer d’une flotte de transport de troupes
spécialement étudiée pour les assauts amphibies, la Kriegsmarine en est
réduite à des pis-allers, comme l’usage de ses grandes unités pour
embarquer la troupe. Le 6 septembre 1943, la flotte de surface sort de son
inertie : c’est l’opération « Zitronella », dirigée par le vice-amiral
Kummetz, dans laquelle sont engagés le Tirpitz, le Scharnhorst et neuf
destroyers. L’opération consiste en un raid contre le Spitzberg. Le bataillon
d’infanterie embarqué mène la mission avec brio en détruisant les
installations et les batteries alliées. À l’automne 1943, à Leros, dans le
Dodécanèse, les opérations combinées mettant en œuvre largage de
parachutistes et assaut amphibie à bord de péniches de débarquement, le
tout avec le soutien de la Luftwaffe, sont les assauts qui se rapprochent le
plus de ce qui sera mis en œuvre par les Alliés, mais sur une petite échelle.

Missions auxiliaires méconnues mais essentielles

Des centaines de navires de faible tonnage s’acquittent de missions


moins spectaculaires que l’attaque d’un convoi. Ces opérations, le plus
souvent côtières, sont menées sur tous les fronts et révèlent un rôle essentiel
mais négligé de la flotte allemande. En 1942, la Kriegsmarine doit ainsi
assurer l’escorte de 7 000 navires de commerce (près de la moitié du
minerai de fer est importé par voie maritime). Les soldats de Hitler qui s’en
acquittent sont les « oubliés de la Kriegsmarine. » Il s’agit souvent de
patrouilles, de transport de fret ou de passagers, ou encore de mouillage ou
de dragage des mines. De nombreux navires n’opèrent que sur les fleuves
ou font du cabotage, à l’instar des navires basés dans les ports de Caen et de
Ouistreham et qui sont refoulés par les aéroportés britanniques défendant
« Pegasus Bridge » le 6 juin 1944. Un quotidien plus largement partagé que
celui des U-Boote ou des cuirassés, et pourtant ces tâches si importantes
menées par la Kriegsmarine n’ont pas un Lütjens (le commandant du
Bismarck) ou un Prien pour célébrer leur souvenir.
Les annexions ou les prises de guerre apportent quelques unités
supplémentaires dès 1938, lorsque la flottille autrichienne du Danube
rejoint les rangs de la Kriegsmarine, flotte modeste qui se limite à une
canonnière, quelques dragueurs de mines et autres76. Cela se révèle
insuffisant. Les besoins de la marine, tels qu’établis dans les estimations
formulées en avril 1943 par Dönitz, fournissent un éclairage sur
l’importance qu’il convient d’accorder aux petites unités : le commandant
en chef de la Kriegsmarine fixe les besoins de celle-ci à 6 destroyers et
9 torpilleurs (ou 18 torpilleurs), 72 vedettes, 181 dragueurs, 300 bâtiments
de protection, 900 prames77. Les effectifs et les moyens alloués aux amiraux
en responsabilité des différents fronts abondent en ce sens. Ainsi, le vice-
amiral Kieseritzky est-il à la tête des forces déployées en mer Noire78, soit
quelques U-Boote, mais surtout des torpilleurs, des mouilleurs de mines,
des navires de lutte anti-sous-marine ainsi que de nombreuses embarcations
de transport, assurant notamment le ravitaillement des forces déployées au
Kouban. L’inventaire des bâtiments à disposition de l’amiral Krancke,
commandant du Marinegruppe West, à la veille du débarquement en
Normandie est éloquent. À côté de 5 destroyers (2 opérationnels), 40 U-
Boote et quelques dizaines de S-Boote, on ne dénombre pas moins de 500
petits navires : dragueurs de mines, patrouilleurs, bateaux ravitailleurs, etc.
Cette myriade de bâtiments correspond souvent à de simples navires de
pêche reconvertis à des fins militaires79.
Parmi ces petits navires, existent de nombreux dragueurs et mouilleurs
de mines. Le mouillage de mines est souvent occulté, alors même que cette
opération occasionne une gêne considérable aux flottes alliées, causant des
pertes sensibles. L’entrée en lice des mines magnétiques, impossibles à
neutraliser par un dragage conventionnel (les mines classiques flottent,
retenues par un filin, et n’explosent qu’au contact), donne du fil à retordre à
la Royal Navy. Il faut ainsi, pour ouvrir la voie à la formidable armada qui
déferle sur les côtes normandes le 6 juin 1944, mettre en lice pas moins de
204 chasseurs de mines. Les sous-marins puis les destroyers allemands,
suivis par des unités de faible tonnage, mettent ainsi en place des champs de
mines défensifs et offensifs, ces derniers à l’entrée des ports et des estuaires
fréquentés de l’ennemi. Onze navires de commerce sont coulés par des
mines posées devant la Tyne en décembre 1939. De son côté, la
Kriegsmarine n’est pas prise au dépourvu, car ses dragueurs de mines sont
des modèles modernes et performants80.
Les missions logistiques, tâches également apparemment secondaires et
tout aussi méconnues, débutent dès la campagne de Norvège. Lorsque les
cargos ravitailleurs sont envoyés par le fond par les sous-marins
britanniques, Raeder réagit promptement en engageant des navires plus
petits mais plus rapides, que les submersibles anglais ne peuvent
intercepter. Après le succès des missions de logistique et de transport de
troupes en Norvège, ces opérations prennent de l’ampleur en Méditerranée
entre 1941 et 1943. Si la Kriegsmarine participe au transport et au
ravitaillement de l’Afrikakorps, l’essentiel des tâches logistiques et de
transport relève de la marine italienne. La donne évolue avec la campagne
de Tunisie, car l’envoi d’hommes, d’armes et d’approvisionnement pour
assurer la Brückenkopf Tunesien (la tête de pont tunisienne) nécessite une
intervention accrue de la marine allemande. Les pertes en navires
marchands subies par les Italiens depuis 1940 sont telles que cet appoint de
la Kriegsmarine est indispensable. Mais les moyens navals allemands en
Méditerranée se limitent, en dehors des cargos grecs capturés en 1941, à
quelques vedettes côtières. Lorsque la zone libre de Vichy est occupée en
novembre 1942, moins de 100 000 tonneaux de cargos saisis par les
Allemands dans le sud de la France seront disponibles pour la Tunisie.
Outre les navires saisis, les Allemands participent également à alimenter la
tête de pont en hommes et en matériel en engageant des ferries Siebel,
dûment hérissés de pièces de Flak, solides et dotés de capacités nautiques
suffisantes. D’autres ferries, les Kriegstransporter et les Marinefährprahm
allemands, ainsi que des engins italiens, sont également employés. En
janvier 1943, on dénombre 3 Kriegstransporter, 45 Marinefährprahm et
45 Siebel. Assurer le va-et-vient entre l’Italie et l’Afrique représente une
des tâches les plus périlleuses et les plus difficiles entreprises par les marins
allemands. La navigation, de jour ou de nuit, s’effectue sur des eaux
hostiles car soumises chaque jour davantage à la toute-puissance aérienne et
maritime des Alliés. Lorsque les marins de Hitler sont attaqués par des
appareils anglo-américains, ils comprennent que leur navire représente la
cible de l’attaque, que ce sont eux, précisément, qui sont visés : un
sentiment souvent inconnu au sein de la Heer où les bombardements, aussi
virulents soient-ils, ne visent jamais un homme ou un véhicule en
particulier.
Si le transport de troupes et de ravitaillement vers l’Afrique représente
la mission la plus connue en la matière, les marins de Hitler mènent à bien
des missions du même ordre dans d’autres circonstances. Ce genre de
mission est si courante qu’elle fait l’objet de règlements précis, notamment
pour le chargement. En outre, la Kriegsmarine met un point d’honneur à
distribuer à l’intention des soldats de la Heer et de la Luftwaffe des notices
d’information pour comprendre les termes typiques de la marine et savoir
utiliser comme il convient le gilet de sauvetage. Elle donne aussi des
instructions sur le comportement qu’il convient d’avoir à bord d’un navire,
y compris des évidences comme ne pas fumer ou allumer une lumière sur le
pont, près d’une écoutille ou d’un hublot81. En 1942, la Kriegsmarine doit
assumer le transport de 900 000 soldats sur toutes les mers : en mer Égée,
en mer Noire, dans la Baltique ou encore vers la Norvège. En juillet de la
même année, Hitler renonce à employer l’intégralité de la 11e armée de
Manstein dans le Kouban. La Kriegsmarine n’assure donc le passage en
force du détroit de Kertch, en direction de la péninsule de Taman, que de
quelques unités allemandes et roumaines. En 1943, la marine allemande est
sollicitée pour une opération délicate, dont elle s’acquitte avec habileté :
assurer l’évacuation de la 17e armée hors de la tête de pont du Kouban à
travers le détroit de Kertch. Le transfert maritime, sous l’escorte de U-Boote
et de navires de guerre de faible tonnage, s’opère entre Kertsch et Temruyk,
Taman et Anapa. La tâche est confiée aux 1re, 3e, 5e et 7e flottilles de
débarquement ainsi qu’au 770e régiment de pionniers de débarquement.
C’est un succès, salué par le général Konrad, qui commande le
49. Gebirgskorps : « Les unités de transport ont sécurisé la traversée de la
17e armée avec tous ses hommes, véhicules, camions et équipements à
travers le détroit de Kertch, malgré de puissantes attaques aériennes
ennemie82. » Le bilan est flatteur pour la Kriegsmarine, qui peut
s’enorgueillir d’un bel exploit : ont été évacués 177 000 soldats,
73 000 chevaux, 21 000 camions, 1 800 canons et 115 000 tonnes de
ravitaillement83. Exploit en partie renouvelé au printemps suivant, en 1944,
en Crimée. Hitler entend tenir à tout prix, suivi en ce sens par le
Feldmarschall von List qui estime que toute évacuation par mer est
impensable. Pourtant, en avril, 130 000 hommes sont évacués de façon plus
ou moins dissimulée, la Kriegsmarine parvenant à sauver 26 000 autres
soldats après la chute de Sébastopol le 9 mai. Cette même année 1944, c’est
la 214e DI qui est transférée de Norvège à la position de la Narva, au sud de
Leningrad, mais ces positions en Estonie ne résistent que brièvement aux
assauts soviétiques à l’automne et la marine évacue 50 000 hommes et un
important matériel depuis Reval.
Le transport de passagers représente une tâche dont l’ampleur devient
de plus en plus considérable à partir de l’automne 1944, davantage encore
au cours des derniers mois de la guerre, lorsqu’il revient à la Kriegsmarine
d’assurer les liaisons avec les poches de Courlande puis de Prusse-Orientale
où sont enfermées plusieurs armées allemandes. Assumer la responsabilité
du ravitaillement et de l’acheminement ou de l’évacuation des troupes se
double rapidement du sauvetage des civils qui fuient l’Armée rouge
(opération « Hannibal »). Pour s’acquitter de sa tâche, la Kriegsmarine met
en œuvre des moyens importants en engageant de nombreux transports, y
compris des paquebots reconvertis comme le Wilhelm Gustloff84, ainsi que
de grosses unités comme le Lützow ou l’Admiral Scheer et des destroyers et
torpilleurs qui fournissent un appui bienvenu aux forces terrestres qui
tentent de contenir le flot adverse. Environ 50 000 personnes,
essentiellement des civils, sont évacuées de Memel. Le mouvement
d’évacuation et de transport de troupes et de civils s’accélère pendant
l’hiver 1945. Outre le rapatriement de forces déployées en Norvège, la
Kriegsmarine doit ensuite ravitailler et évacuer la poche de Courlande, puis
celle qui se constitue autour de Königsberg, en Prusse-Orientale. Ainsi
475 000 personnes sont évacuées via Pillau jusqu’au 25 avril. Entre-temps,
en mars, 75 000 autres sont sauvées de Kolberg assiégé. Par ailleurs,
76 000 blessés sont transférés à bord de navires-hôpitaux, bien que ceux-ci
constituent des cibles pour les Soviétiques. Tandis qu’on évacue la
presqu’île d’Hela, près de Dantzig, la Courlande est la dernière zone à
recevoir la permission de procéder à l’évacuation : le 3 mai 1945, quelques
jours à peine avant la fin de la guerre. Las, seuls 25 000 des 225 000 soldats
de la Wehrmacht qui s’accrochent à Windau et Libau peuvent être sauvés.
Le 7 mai, douze destroyers et torpilleurs évacuent encore 20 000 hommes
d’Hela et de Courlande. Les derniers coups de canon de la guerre sont tirés
à Hela, à l’emplacement même où les combats avaient débuté le
1er septembre 1939 : le Rugard appareille et se fraie un chemin en
repoussant des vedettes lance-torpilles soviétiques85.
Les Allemands qui ont servi Hitler au sein de la Kriegsmarine ont donc
mené une multitude de missions moins spectaculaires que celles de l’U-
Bootwaffe ou des grands navires de surface, mais pourtant essentielles au
déroulement des opérations, et ce toujours avec des moyens très inférieurs à
ceux de leurs homologues alliés, et dans des conditions bien plus périlleuses
et précaires. De façon moins connue, être un marin de Hitler peut enfin
s’apparenter à être un commando chargé d’une mission suicide, ainsi que
l’illustre une unité très particulière de la Kriegsmarine : le K-Verbände86.
Mise sur pied en avril 1944 par le contre-amiral Heye, cette formation
regroupe des armes d’emploi très dangereux, telles que les Seehunde, Biber,
Neger, Marder et autres Linsen : des sous-marins de poche, des torpilles
propulsées avec un poste de pilotage exigu (la tête du marin n’émerge de
l’eau qu’à l’abri d’une coupole de plexiglas…) ou des vedettes chargées
d’explosifs. Impossible de survivre à un tir adverse dans ces conditions. La
procédure d’utilisation des Linsen fait frémir : après avoir lancé à toute
vitesse son embarcation en direction de la cible, le pilote se jette à l’eau…
Le Linsen est alors télécommandé depuis un navire de contrôle. Pis, des
sous-mariniers ont visiblement péri asphyxiés par les émanations du moteur
de leur Neger ou autres torpilles pilotées. Les quelques succès obtenus ne
sont pas de nature à repousser l’invasion, et le taux de pertes est effarant…
Tout aussi suicidaires sont les missions de destruction d’ouvrages d’art
effectuées par des nageurs ou des plongeurs de combats, notamment à
Pegasus Bridge et Ranville, près de Caen, en juin 1944, ainsi qu’à
Remagen, sur le Rhin, en mars 1945.

Marins sous le béton

La nécessité d’assurer des rades sécurisées aux U-Boote et aux Schnell-


Boote pousse à la réalisation d’un ambitieux programme de bases bétonnées
construites sous la férule de l’organisation Todt. Ces édifices comptent
parmi les bunkers les plus imposants construits par le Troisième Reich.
Deux sont édifiés en Allemagne, à Kiel et Hambourg, et deux autres en
Norvège, à Bergen et Trondheim. Dans la France occupée, les Allemands
vont édifier de vastes bases bétonnées dans cinq ports de la façade
atlantique : Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Pallice (La Rochelle),
Bordeaux. Un travail de titan : il a fallu trois années pour achever les
travaux entrepris à Lorient. Des bases idéalement situées car elles évitent
aux U-Boote le long détour par le nord des îles Britanniques et l’Islande
pour atteindre le « terrain de chasse » de l’Atlantique Nord. De petites
bases, qui sont l’équivalent de points de relais, côtoient de véritables
forteresses de béton. Ces dernières, placées sous l’autorité d’un ancien
Kaleunt, permettent de procéder aux travaux de maintenance entre deux
missions, tout en assurant une protection optimale – plusieurs mètres de
béton – contre les bombardements, l’aviation alliée devant en outre compter
avec un déploiement particulièrement puissant de la Flak (près de 300 tubes
à Lorient en 1944). Entre quinze et trente submersibles peuvent être à quai
simultanément (voire en cale sèche, si besoin) dans les alvéoles de ces
grands complexes édifiés pour la guerre sous-marine. Entrepôts pour les
stocks les plus divers, ateliers, logements (même si les équipages logent le
plus souvent en ville), bureaux, centre de transmissions, infirmerie, groupe
électrogène, station de pompage, etc. : rien de manque au sein de ces
bases87. Intégrées à des Festungen (forteresses), elles bénéficient de la
protection de batteries côtières lourdes et d’un réseau de bunkers, champs
de mines, fossés antichars et autres zones inondées assurant une défense
tous azimuts.
Ces bases sont intégrées dans ce qui constitue les poches de
l’Atlantique : des îlots de résistance assurant à Hitler le contrôle des
principaux ports français, certains jusqu’à la capitulation de 1945,
interdisant ou retardant leur usage par les Alliés88. Hitler demande à la
Kriegsmarine d’organiser la défense des ports et d’y tenir « jusqu’au dernier
homme89 ». Avec le contrôle de l’estuaire de la Scheldt (l’Escaut), il s’agit
d’entraver la logistique alliée, ralentissant ainsi le rythme et la puissance de
la poussée des armées d’Eisenhower en direction du Reich. Un répit qui
permet, dans l’optique de Hitler, de remettre sur pied la Westheer en vue
d’une contre-offensive décisive (ce sera la bataille des Ardennes).
Renforcés par des troupes de la Heer et surtout par des parachutistes très
combatifs, les marins de Dönitz vont répondre aux attentes du Führer. Si les
Festungen du Havre, Saint-Malo, Brest, Calais, Boulogne, Marseille et
Toulon tombent, parfois après de furieux combats (à Saint-Malo et surtout
Brest), réfugiés dans ces forteresses (Dunkerque, Lorient, Saint-Nazaire,
Royan, La Rochelle et la pointe de Grave), 90 000 soldats allemands ne
déposent les armes qu’en 1945. La bataille pour la réduction de ces poches
est ardue : les moyens dont disposent les Allemands sont parfois
importants, ainsi les 400 pièces d’artillerie de la poche de Lorient. Ces
poches ont résisté sans être totalement coupées du Reich, des sous-marins
assurant toujours des liaisons, sans compter les moyens de transmissions.
Les assiégés reçoivent le courrier plusieurs fois par mois… par voie
aérienne90 ! La vie dans les Festungen est rythmée par les coups de main,
pour maintenir une activité, alors même que le moral est maintenu
également par les loisirs. Avec la saisie du bétail, les stocks de nourriture
sont confortables (y compris grâce à des livraisons en provenance
d’Allemagne et d’Espagne), il n’y a pas de pénurie alimentaire, et les
Festungen peuvent vivre en autarcie. À Lorient, les munitions ne manquent
pas, tandis que la production d’électricité est assurée dans toutes les poches.

Marins sur le front : navires de soutien et fantassins de


fortune

Appartenir à la Kriegsmarine de Hitler c’est bien souvent servir à terre


plutôt qu’à bord d’un navire. La marine allemande a en effet sous sa
responsabilité de nombreuses batteries côtières, généralement les plus
puissantes, qui attachées à la défense d’un port (ce sont alors des
Festungen), qui faisant partie prenante de l’Atlantikwall. Des conflits
d’intérêts éclatent avec la Heer : où disposer les batteries et qu’en sera-t-il
de leur engagement en cas d’invasion ? Le choix des cibles prioritaires
réservées à l’armée et celles dévolues à la marine n’est pas clairement établi
avant le 6 juin 1944, de même que l’épineuse question de la subordination
des forces terrestres de la Kriegsmarine aux officiers de la Heer. Les marins
refusent d’être placés sous les ordres des forces terrestres tant qu’il y aura
des cibles en mer91…
Les positions d’artillerie côtière de la Kriegsmarine s’échelonnent sur le
littoral, le plus souvent en seconde ligne, légèrement en retrait des plages.
Elles constituent l’élément du mur de l’Atlantique le plus redouté par les
Alliés. La puissance défensive d’une batterie est très variable, le principal
facteur étant le calibre des pièces allouées à chaque position, ainsi que
l’avancée des travaux souvent inachevés. Le plus souvent, chaque batterie
compte quatre pièces. Celles-ci sont dans un premier temps positionnées
dans des encuvements. Ces derniers consistent en des aires circulaires en
béton dépourvues de toit, mais dotées d’un parapet et de soutes à munitions.
La vulnérabilité d’un tel dispositif aux attaques aériennes est vite constatée,
et il est donc décidé d’abriter les pièces dans des casemates. L’angle de tir
des pièces se trouve alors considérablement réduit (120° au maximum).
Toutefois, nombre de canons restent dans des encuvements. Le dispositif
inclut systématiquement un poste de commandement, un poste de direction
de tir, parfois à plusieurs niveaux, dont un de télémétrie, ainsi que les
indispensables soutes à munitions et abris pour le personnel. Le dispositif
de protection rapproché inclut des tobrouks (bunkers individuels) et des
canons antichars en encuvement, le plus souvent des pièces de 50 mm. Les
combattants attachés à la batterie peuvent évoluer à l’abri au sein de la
position en empruntant un système de tunnels ou de tranchées, ces dernières
disposées en zigzag afin d’éviter les tirs ennemis en enfilade et des pertes
trop nombreuses lorsqu’un obus ou une bombe obtient un « coup au but ».
Des pièces de Flak fournissent l’indispensable défense antiaérienne. Chaque
batterie est conçue comme une forteresse capable de se défendre tous
azimuts. Les attaques de parachutistes sont particulièrement redoutées. Les
Allemands procèdent donc à la mise en place de réseaux de barbelés et à la
pose de champs de mines sur l’ensemble du périmètre de chaque batterie.
Le secteur où se porte l’assaut allié le 6 juin 1944 compte
essentiellement des canons de 155, 150 et 105 mm. Mis à part les
Festungen de Cherbourg et du Havre, seule la batterie de Crisbecq compte
des pièces plus lourdes, d’un calibre de 210 mm. La flotte alliée n’aura
donc pas à affronter les meilleures pièces de l’arsenal adverse qu’elle
surclasse en armement. La batterie de Longues-sur-Mer, avantageusement
positionnée au sommet d’une falaise s’élevant à plus de 60 mètres, engage
ses quatre canons de marine allemands de 150 mm dans un duel avec les
grosses unités de l’armada alliée déployées au large. En vain. Le dernier
canon reste en activité jusqu’en fin d’après-midi. Le 7 juin, démoralisée, la
garnison de 184 soldats se rend sans combat. Certaines batteries de la
Kriegsmarine, comme à Crisbecq, résistent au-delà de toute prévision,
participant au ralentissement des opérations terrestres américaines. D’autres
encore, comme à Bénerville et autour de la Festung de Cherbourg, restent
opérationnelles jusqu’à la fin, sans toutefois remplir le rôle attendu par les
hauts responsables de la Wehrmacht.
Si des marins font le coup de feu sur la ligne de front lors des combats
menés pour les Festungen, que ce soit Brest ou Saint-Malo, où ils
combattent sans espoir d’être secourus ni même de victoire, la fin de la
guerre s’accompagne de transferts massifs de personnels de la Kriegmarine,
fussent-ils des sous-mariniers, à la Heer, la Luftwaffe ou la Waffen-SS, qui
doivent recompléter leurs effectifs. D’autres rejoignent les unités terrestres
levées par la marine. Les soldats de ces dernières unités portent la tenue
feldgrau, teinte adoptée par la Heer, mais les marques de grades, pattes de
col et d’épaules, ainsi que l’aigle national arboré sur la poitrine se
distinguent par leur couleur dorée et non argentée comme au sein de
l’armée de terre. L’aigle d’écu des casques d’acier est pareillement de teinte
or. Dönitz lève un certain nombre de Marine-Festungs-Bataillone
(notamment dans la poche de Saint-Nazaire) et surtout 6 divisions
d’infanterie de marine ou Marine-Infanterie-Divisionen, soit
50 000 hommes. La première brigade est formée à l’automne 1944. Deux
divisions sont déployées aux Pays-Bas. La plupart combattent à l’Est,
jusqu’à Berlin, aux côtés de plusieurs milliers d’hommes envoyés sur place
sur ordre exprès de Dönitz, dont une promotion de cadets92. Avec la perte de
ses principales unités de surface, coulées ou irrémédiablement
endommagées, la marine dispose en effet d’un surplus d’effectifs. La
formation au combat d’infanterie et à la lutte antichar est au mieux
sommaire, mais ces marins donnent le meilleur d’eux-mêmes : une
quarantaine de blindés britanniques sont ainsi détruits les 18-20 avril 1945
par une équipe de « casseurs de chars » de la Kriegsmarine93.
En août 1944, à l’image du soutien fourni par les armadas alliées aux
forces terrestres anglo-américaines en Méditerranée et pendant l’opération
« Overlord », le croiseur lourd Prinz Eugen et des destroyers fournissent un
appui-feu dévastateur lors de la contre-attaque menée sur Riga (opération
« Doppelkopf »). Cette intervention navale au profit des forces terrestres est
mise en pratique par la Kriegsmarine dès le premier jour de la guerre contre
la Pologne, le 1er septembre 1939, lorsque le vieux cuirassé Schleswig-
Holstein (renforcé ensuite par le cuirassé Schlesien) ouvre le feu sur le fort
de Westerplatte, devant Dantzig, avec un succès tout relatif.
La Kriegsmarine défaite, ses unités sont réutilisées par les vainqueurs,
et certaines sont encore en activité, suscitant l’admiration des visiteurs, sans
doute dans leur majorité ignorants de l’histoire des navires dont ils
découvrent les coursives : ainsi du célèbre et magnifique trois-mâts
américain Eagle, et du bateau russe Tovarishch, anciens navire-école de la
Kriegsmarine sous les noms de Horst Vessel et Gorch Fock I.
Chapitre 6

Les soldats de Hitler et les civils

Le courrier du pays : le moment tant attendu

Les civils, pour les soldats allemands, ce sont avant tous leurs
compatriotes, la famille restée au Vaterland. Pour celle-ci, le départ pour la
guerre est source de soucis, c’est une évidence : on craint pour la vie de
celui qui va s’exposer au front. Le phénomène prend de l’ampleur avec le
déclenchement de « Barbarossa » : les pertes se révèlent vite très lourdes,
auxquelles s’ajoute l’angoisse que l’être cher soit capturé par un ennemi
considéré comme cruel et brutal. La perspective d’une guerre longue ajoute
à la détresse. Les périodes de fêtes sont propices à la nostalgie du foyer,
particulièrement Noël. Si les services de propagande s’emploient à assurer
autant que faire se peut l’aspect festif et chaleureux de cette journée, rien ne
remplace la présence des êtres chers. Les soldats aménagent leurs cagnats
au mieux dans cette perspective. À l’Est, si la position se situe à proximité
d’une forêt de conifères, on place des sapins dans les abris et on
confectionne des décorations et des guirlandes de fortune. Des chants sont
entonnés au réveillon, à commencer par le fameux Stille Nacht, eilige Nacht
(Douce nuit, sainte nuit).
En une époque où les médias de l’instantané, tels qu’Internet ou le
téléphone portable, n’existent pas encore, le maintien d’un lien entre les
êtres chers prend la forme de l’écriture de lettres et de l’envoi de colis. Et
que de missives rédigées par ou pour les soldats allemands pendant le
conflit ! On estime à 40-50 milliards le nombre de lettres échangées entre le
front et l’arrière au cours de la guerre, le nombre d’envois pouvant atteindre
500 millions en un seul mois1… Écrire est primordial pour assurer le
maintien du moral des troupes. De façon significative, le courrier est
supprimé au sein des bataillons disciplinaires.
Si rédiger une lettre représente un plaisir attendu et recherché, il est des
missives pénibles de rédiger : celles qui annoncent un décès à des parents
ou à une épouse, obligation statutaire des officiers envers leurs
subordonnés. Certains soldats, proches du défunt, prennent l’initiative
d’écrire à un parent d’un disparu, estimant qu’il convient que la terrible
nouvelle parvienne d’un camarade plutôt que par la voie officielle. On
affirme que la mort a été non douloureuse, qu’on partage la peine de la
perte d’un être cher, tout en gardant conscience que rien ne peut se
comparer à l’amour d’une mère pour son enfant. En février 1942, Wilhelm
Prüller, alors sur le front de l’Est, est confronté à un dilemme : il a reçu la
lettre d’une jeune femme demandant des nouvelles de son fiancé, un
inconnu au sein de la compagnie. « Personne ne veut lui répondre, rapporte
Prüller, car il n’y a plus de survivants parmi ceux qui ont assisté à sa
mort2. »
La réception de lettres est le moment le plus attendu de chaque journée.
« Quand le courrier arrive, écrit un sous-officier de la 60e DI, tout le monde
sort de son trou et il n’est pas question de retenir quelqu’un à ce moment-
là3. » En janvier 1943, le soldat Mielert rapporte que son retour aux
quartiers s’accompagne de la découverte d’une merveille : une pile de
lettres pour lui4 ! Un soldat écrit à sa femme : « Tu peux imaginer
l’atmosphère joyeuse d’excitation et d’impatience qui règne ici lors de la
distribution. » Les célibataires reçoivent aussi des missives et des colis de
jeunes filles inconnues. « Ces échanges ne sont régis que par un seul mot
d’ordre : envoie-moi un colis avec de la nourriture. Ces fidèles jeunes filles,
pourtant affamées, expédient le nécessaire à un loyal et brave soldat, qui ne
sera soudainement plus fidèle dès que la guerre sera finie5. »
Les lettres sont tout aussi attendues du côté des destinataires en
Allemagne. Tous les civils ne sont pourtant pas logés à la même enseigne.
Pour ceux dont les proches sont tombés entre les mains des Soviétiques,
c’est l’angoisse qui prédomine, les craintes les plus folles étant alimentées
par les récits d’atrocités qu’on prête à des ennemis considérés comme des
« sous-hommes » brutaux. Au contraire, les familles des soldats de
l’Afrikakorps ou de la 5e armée de panzers capturés en Afrique du Nord
reçoivent des nouvelles, depuis les États-Unis ou d’un pays du
Commonwealth, de parents détenus de façon décente et correcte par des
adversaires qui respectent les conventions de La Haye et de Genève.
On échange aussi beaucoup de colis, le nombre de ceux qui sont
envoyés en Allemagne étant plus important que le nombre de ceux qui sont
expédiés en direction du front, les soldats de Hitler cantonnés en France ne
manquant pas de faire parvenir au pays les denrées précieuses et autres
articles de luxe auxquels ils ont accès. L’Allemagne vit en effet en autarcie
depuis des années, et le réarmement, prioritaire, a conduit à bien des
rationnements, celui portant sur la nourriture étant institué le 27 août 1939,
même s’il est sans commune mesure avec ce que subiront les populations
occupées par la Wehrmacht. Au début de la guerre, avant la mise au pillage
en règle de l’Europe, l’armée est mieux nourrie que la population civile.
Pour les militaires allemands, un colis est toujours le bienvenu. Un soldat
remercie ainsi sa mère pour ce qu’elle lui envoie et qui a du succès : des
friandises (qu’on se doit de partager avec les camarades), mais aussi des
produits de première nécessité, comme des chaussettes et des mitaines, qui
arrivent à point nommé avec l’hiver russe. Les soldats reçoivent de tout, y
compris des photographies, toujours très appréciées.
L’abondance des colis est une réalité moins régulière pour ceux qui
servent en Union soviétique. La crise du système logistique sur le front de
l’Est à l’automne 1941 oblige toutefois les autorités à réduire le poids des
colis à un, puis deux kilos6. C’est toutefois sur ce théâtre de combats qu’est
réalisée la plus grosse opération mettant en lien les soldats du front aux
civils du Vaterland. Goebbels organise le secours d’hiver, à grand renfort de
propagande, afin de collecter auprès de la population civile des vêtements
chauds à destination du front russe, une opération présentée comme « le
cadeau de Noël du peuple allemand au front de l’Est ». En janvier 1942,
67 millions d’objets ont ainsi été récoltés dans le Reich. Des femmes vont
jusqu’à tricoter et coudre dans cette optique7. Les Landser sont éberlués par
l’ampleur des dons qui leur parviennent : la solidarité avec ceux de l’arrière,
pour lesquels on se bat, ne semble pas vaine. Toutefois, le destinataire ne
reçoit pas toujours ce qui lui a été expédié. On ne compte plus les missives
et paquets destinés aux soldats de l’Afrikakorps perdus corps et biens,
coulés au fond de la Méditerranée… Une perte amère : les lettres
constituent un important dérivatif pour tous les soldats, car elles signifient
qu’il existe un autre monde que l’enfer du front.
Par ailleurs, contrairement aux GI, qui n’ont guère de soucis à se faire
pour la famille résidant dans un pays épargné par les affres directes de la
guerre, nombre de soldats de Hitler au front vivent avec une sourde
angoisse qui accapare leur esprit : et si la famille avait été anéantie par un
bombardement aérien ? Les hommes finissent par partager leurs inquiétudes
dans leurs lettres. Ils sont d’autant plus désemparés qu’ils s’avouent
impuissants face à cette menace. S’ils peuvent défendre les leurs au front en
préservant l’Allemagne d’une invasion, que peuvent-ils faire contre les
bombardiers ? Lorsqu’un homme reçoit des nouvelles l’informant de
destructions dans sa ville, l’inquiétude est encore plus vive chez ses
camarades originaires du même lieu. La crainte ultime chez les hommes est
de recevoir un pli officiel de la police ou de la municipalité les informant
d’un drame survenu au cours d’une attaque aérienne… L’angoisse devient
prégnante lorsque le soldat reste sans nouvelles des siens pendant une durée
inhabituelle.

Préserver la famille avant tout

Si le moral des soldats est tributaire du courrier, les familles ont elles
aussi besoin de réconfort. De fait, l’impression générale renvoyée par la
Wehrmacht auprès de la population allemande est telle que l’armée est
sollicitée par la propagande pour stimuler et renforcer le moral chancelant
des civils à la fin de la guerre, lorsque les perspectives de victoire
s’évanouissent8. Une résolution que certains soldats auront prise d’eux-
mêmes : « Faites qu’ils ne sachent jamais, chez nous, ce qui se passe ici9 »,
murmure un blessé mourant dans l’enfer des hôpitaux de Stalingrad.
Les civils sont en effet avides de nouvelles. Dès l’ouverture des
hostilités, le nombre de postes de radio vendus connaît une hausse
significative. Si on s’empresse de lire des journaux comme le Völkischer
Beobachter, les actualités représentent une expérience sensorielle autrement
plus marquante, la dramaturgie étant accentuée par le fond musical, les
propos du commentateur et les angles choisis pour les prises de vue.
Lorsque des soldats noirs apparaissent à l’écran, les insultes et les appels au
meurtre fusent, certaines femmes ne reprenant leur souffle qu’au retour de
valeureux Landser sur les images10. Les comptes rendus de victoires
stimulent le moral de la population civile. A contrario, la succession de
défaites laisse présager une issue défavorable au conflit. En décembre 1944,
lorsque la bataille des Ardennes – le « dernier coup de dés de Hitler » – est
déclenchée, Goebbels, soucieux de ne pas donner de vains espoirs, qui lui
seraient reprochés et mettraient en cause la crédibilité de son service de
propagande, prend bien soin d’attendre que des succès tangibles soient
obtenus avant de donner une couverture importante aux combats en cours.
La population est alors stupéfaite et soulagée de voir que l’armée a
conservé son potentiel offensif, confirmé par la nouvelle surprenante et ô
combien rassérénante de la capitulation de milliers de soldats américains
dans le Schnee Eifel. Les soldats à l’Est se montrent tout aussi
enthousiastes : si leurs camarades à l’Ouest remportent la bataille, l’espoir
est permis… Des permissionnaires donnent du grain à moudre aux plus
optimistes en affirmant que Paris sera repris avant le Nouvel An11.
La radio constitue également un des vecteurs essentiels du lien entre
l’arrière et le front. « La Voix du Front » est un programme du dimanche.
On insiste sur la similitude d’attitude attendue entre les civils et les soldats :
comme ces derniers, les hommes et les femmes restés au Vaterland doivent
se tenir fermement au poste, le regard porté vers l’avant. L’un des
programmes qui rencontrent le plus de succès est lancé le 1er octobre 1939 :
« Concert à la demande pour la Wehrmacht. » L’acteur Gustaf Gründgens
promet aux soldats allemands qu’ils vont éprouver la loyauté de la mère
patrie par-delà l’espace et le temps. Le principe des dédicaces est apprécié
et rapproche les époux séparés par la guerre. Le programme débute par une
fanfare suivie de Badenweiler, la marche favorite du Führer. Le succès est
immédiat et on enregistre plus de 22 000 demandes pour le second show. Il
faut ajouter trois heures de programmation le mercredi. Lorsque le
programme s’achève en mai 1941, à la veille de « Barbarossa », 75 concerts
ont été donnés, plus de 50 000 soldats ou unités cités et 9 300 pères
informés de la naissance d’un enfant. Quinze millions de marks ont par
ailleurs été collectés pour le fond pour le secours d’hiver12.
L’évolution de la guerre à l’Est au cours de l’hiver 1942-1943 marque
un tournant dans la façon dont la radio et les actualités assurent le lien entre
l’arrière et le front. La nation allemande subit un choc lorsque est faite
l’annonce du drame de Stalingrad. Les lettres poignantes reçues par les
familles reçoivent de l’écho, et les conditions atroces de la lutte qui se
déroule dans la ville sur la Volga hantent les proches demeurés au pays, tout
en heurtant les autres familles. Beaucoup d’Allemands se mettent à l’écoute
de radios étrangères. Un deuil national de trois jours est décrété lorsque
l’armée est anéantie13. Les cinémas, théâtres et spectacles de variétés sont
fermés… Pour les civils, c’est le choc, d’autant plus fort que les derniers
bulletins d’information ne laissaient pas présager un désastre de cette
ampleur. Si tous ne sont d’abord pas conscients de l’importance stratégique
de la confrontation survenue dans le sud de la Russie, beaucoup finissent
par comprendre que cette guerre pourrait bien ne pas être gagnée. Goebbels
saisit qu’il ne faut pas réitérer la même erreur en érigeant de nouveau une
bataille qui aboutit à une défaite en combat épique, presque mythique.
Lorsque des forces germano-italiennes capitulent en Tunisie en mai 1943, à
peine trois mois plus tard, scellant ainsi la campagne d’Afrique du
mythique Afrikakorps, la nouvelle est annoncée de la façon la plus banale
qui soit14.
Le lien direct par le biais du courrier est sans aucun doute le moyen le
plus efficace pour un civil d’avoir une idée de la réalité de la guerre. Le
ministère de la Propagande a conscience de l’effet délétère qu’aurait sur les
familles une description trop précise et détaillée de la vie au front. En mars
1942, les instructions données aux soldats sont claires : ceux-ci doivent agir
en propagandistes et censurer d’eux-mêmes toute forme de critique de
l’armée et ne donner que de bonnes nouvelles. Une manœuvre qui s’est
révélée n’être qu’un vœu pieux15. Les Frontsoldaten exposent sans
inhibition leur ressenti. Un certain Harry Mielert rapporte à sa femme qu’il
est le seul survivant, avec un autre soldat, d’un corps à corps avec l’ennemi,
précisant qu’il a été poursuivi par un tank : une façon de rassurer une
épouse qu’on peut estimer, sans trop de risque, assez peu efficace16. Si
Goebbels a compris l’importance cruciale du courrier pour assurer le
maintien du moral du combattant au front, a contrario, il en mesure toute la
dangerosité lorsque le contenu des lettres se fait trop insistant sur les
insuffisances du haut commandement, notamment au cours du premier
hiver en Russie, quand la troupe n’a de cesse de récriminer contre l’absence
de vêtements adéquats ou le manque de nourriture et de munitions. Si on
décèle le plus souvent des limites à ce que les soldats veulent raconter à
leurs proches, la situation réelle est bien connue, et les préoccupations des
combattants et des familles sont ailleurs, égoïstement tournées vers leurs
propres problèmes quotidiens.
Préserver une famille et les liens du mariage en temps de guerre se
révèle toujours délicat. Les séparations sont le lot commun de nombre de
soldats en temps de guerre. En 1935, de façon significative, le Troisième
Reich promulgue une loi autorisant le divorce en cas de non-appartenance
du conjoint au NSDAP17. Si nombre de couples ne cessent de renouveler
leur attachement mutuel dans les lettres qu’ils échangent, la guerre
s’éternisant, la solidité des unions est mise à rude épreuve. Les relations au
sein des couples deviennent difficiles. La crainte de l’adultère perce dans de
nombreuses missives. L’oubli constitue la trahison ultime. Dès que la
densité des lettres baisse, le soldat au front s’interroge, suspecte sa
compagne, car il spécule immédiatement avec inquiétude sur les causes de
cette absence soudaine de nouvelles. Les mariés ont besoin de se rassurer,
d’être sûrs que l’absence de sexualité partagée n’a rien changé entre eux.
Les femmes ont besoin de savoir si leurs hommes ne profitent pas des
opportunités qui s’offrent à eux. Il est donc question de bordels dans les
lettres, ou tout simplement des femmes étrangères qu’on côtoie. En
dénonçant les débauches auxquelles s’adonnent leurs camarades, certains
hommes espèrent dissiper les doutes, mais comment une femme pourrait-
elle être rassurée lorsque son mari lui raconte avoir accompagné ses
camarades au bordel tout en affirmant qu’il n’a pas eu de commerce avec
les « professionnelles du sexe » ? Un mari qui comprend qu’il ne reviendra
jamais de Stalingrad libère sa femme de l’engagement de lui rester fidèle :
comme d’autres, il lui enjoint de continuer à vivre après lui, de profiter du
temps qui lui sera encore accordé18.
L’absence de l’être cher est l’épreuve endurée par tous. « Cela me
désole de tout mon cœur de ne pouvoir être auprès de toi quand tu as besoin
d’aide ou quand je manque à notre petit Albert. Tu portes le sacrifice et tu
vis un héroïsme tranquille qui surmonte tout avec son caractère sublime19. »
Un soldat écrit parfois deux fois par jour, ses pensées ne quittant que
rarement son épouse : écrire et lire des lettres, c’est un peu comme
maintenir intacte une part de son identité de civil en dépit de l’uniforme que
l’on porte, c’est tenter de préserver son rôle au sein d’une famille éclatée
par la guerre20. L’absence prolongée du père est difficilement vécue par les
enfants. Certains soldats tentent de tenir leur rôle de père de famille en
sermonnant à distance – et avec quelque retard – leurs enfants lorsque des
échos leur parviennent sur un mauvais comportement à la maison. Il arrive
qu’un père sous l’uniforme s’enquière des résultats scolaires de son enfant
et de la façon dont il s’acquitte de ses devoirs à la maison21. L’éloignement
de l’être aimé peut devenir insupportable. Un soldat de la Luftwaffe écrit
ainsi à son épouse au début de l’année 1942 : « Je me suis couché, j’ai
rallumé la lumière pour exprimer par écrit mon immense désir d’avoir ma
femme ici, Hedi ! Je pense à ton corps, à tes baisers, à ton visage, à tes bras,
à ta poitrine, tes hanches et tes cuisses. Hedi, je n’arrive plus à supporter ton
absence. J’ai besoin de ton amour, de ta chaleur. Je t’aime et voudrais
t’aimer encore plus22 ! » Consciente du manque d’affection dont souffre son
fiancé, Edith Wulf lui enjoint de se constituer un cercle de véritables
camarades, et d’éviter certains sujets qui fâchent, comme la religion23.
On se promet de rattraper le temps perdu « quand tout sera fini ».
« Malheureusement tout ce temps est pris sur notre vie24 », écrit Alois
Scheuer à son épouse. Une femme reproche à son mari de toujours évoquer
la mort dans ses lettres. Elle lui enjoint au contraire de « vouloir vivre25 ».
Les projets pour l’après-guerre fleurissent dans les échanges épistolaires
entre amoureux, on fait des rêves, ces derniers semblant d’autant plus
réalisables que le spectre de la défaite n’est jamais envisagé au cours des
premières années du conflit. On parle d’amour et de sexe, parfois en termes
assez crus, les couples se rappelant les moments de bonheur partagés. Une
fleur glissée dans un pli rappelle l’intensité des sentiments qui unissent une
épouse et son mari. « Quand la guerre sera enfin terminée, alors, quand je te
tiendrai une fois de plus dans mes bras et trouverai ta bouche à embrasser,
tout sera oublié et je suis sûr que nous serons les êtres les plus heureux au
monde26. » Pour d’autres, la fin de la guerre apportera d’autres joies : « Il
sera beau de travailler. […] Et la Volksgemeinschaft, une bonté véritable et
l’amour entre Allemands, sera imposée de haute lutte, mieux encore que
pendant les années qui précédèrent la guerre27. »
Le sens du devoir mais un Vaterland devenu une altérité

La famille, avec le quotidien et les camarades : voilà ce qui préoccupe


avant tout le soldat allemand. Les lettres expriment le manque des êtres
chers, mais elles sont aussi l’occasion pour les soldats de formuler les
raisons de leur lutte : ils se battent avant tout pour leur famille. Les
nouvelles des enfants, les anecdotes sur la vie de la famille ne font que
renforcer ces sentiments : voilà le sens à donner à ce combat, voilà les
personnes dignes de défendre. Les soldats en sont persuadés : leurs
souffrances sont justifiées, dans la mesure où leur lutte représente la voie
qui mène à un futur meilleur. Mieux : par ce combat, ils éviteront à leurs
enfants de subir la même épreuve, car le danger mortel qui menace
l’Allemagne aura été conjuré. « Il est préférable que tu restes où tu es, écrit
Wilm Hosenfeld depuis la Pologne ; je suis heureux d’être soldat à ta place.
Dans tous les cas, maman se sacrifie suffisamment pour nous tous28. » Des
jeunes (et des moins jeunes) sont en effet frustrés de ne pas être de la
« grande aventure ». Les lettres du soldat Karl Fuchs ne disent pas autre
chose : il « était dévoué à la grande Allemagne, rapporte son fils, et
considérait comme son devoir de devoir participer au combat pour cette
cause29 ».
À son frère engagé en Russie, qui avait enragé à l’idée d’avoir manqué
la campagne victorieuse de l’Ouest en 1940, une sœur écrit : « Tu n’es
certainement pas “né trop tard” ; tu es venu au bon moment et tu te trouves
là où c’est le plus dur30. » Ceux dont les pères ont combattu au cours de la
Grande Guerre partagent la même expérience intergénérationnelle,
accentuée si le père et le fils ont combattu sur les mêmes champs de
bataille, à vingt ans d’intervalle. Les récits de victoires doivent laisser des
sentiments légèrement amers aux vaincus de 1918 : enfin la revanche,
certes, mais ils n’ont pas goûté l’ivresse de la victoire en qualité de soldats,
comme ceux qui ont maintenant la chance d’être sous les drapeaux.
Les soldats entendent remplir leur devoir : « Nous les jeunes, nous
tenons à la vie, nous accomplissons malgré tout notre devoir comme tous
les soldats l’ont fait depuis des siècles avant nous, pourquoi devrions-nous
être plus mauvais qu’eux ? Crois-moi, tu ne voudrais pas que je sois
lâche31. » On estime que la famille devrait être fière. « S’il te plaît, ne te fais
pas de souci, sinon ce sera encore plus dur pour moi quand on tirera. Toutes
les mères, toutes les femmes endurent le même destin32 », écrit un jeune
soldat en février 1940. Ce sens du devoir, aussi pénible soit-il dans ses
conséquences, est à l’évidence accepté par la majeure partie des familles :
les soldats sont assurés du soutien de leurs proches, qui ne les incitent
nullement à la désertion. De fait, le nombre de déserteurs n’est significatif
qu’au stade ultime de la guerre. Des femmes éprouvent même un attrait
certain pour le caractère hautement viril du service armé, ce qui les aide
parfois à accepter plus aisément le fait d’être les épouses de braves
soldats33.
Pour des millions de familles allemandes, ce sens du devoir aboutit au
sacrifice suprême. En cas de décès, la veuve de guerre et les orphelins sont
assurés de toucher une pension. Dans un régime encourageant la natalité, la
solde est ajustée en fonction du nombre d’enfants. Mieux, en cas
d’hospitalisation, une partie des frais est à la charge de l’État, jusqu’à 35 %
pour un général. Certes, le général le moins bien loti touche en un mois ce
qu’un simple pilote (Flieger) gagne en deux ans de service34… Le service
au front, ou en vol pour un aviateur, vaut un surcroît de paie : une prime de
risque. Le service sous les tropiques est également gratifié d’une prime,
dont bénéficient les soldats de l’Afrikakorps. Si le pire survient, on est au
moins assuré de ne pas abandonner les proches dans le besoin. Un destin
accepté par des soldats au front. Certaines lettres envoyées depuis
Stalingrad par des soldats se sachant condamnés restent empreintes du sens
du devoir accompli : « Chers parents, le sort en a décidé contre nous. Si
vous deviez apprendre que je suis tombé pour la Grande Allemagne, soyez
courageux. Je confie ma femme et mes enfants à votre amour35. »
Le soutien provient donc de l’arrière, et dépasse le contenu des lettres
échangées. Il n’est évidemment pas envisageable de se prêter à des
plaisanteries qui pourraient nuire au moral de la troupe. Ne pas travailler le
dimanche serait également afficher un manque de soutien aux soldats du
front. Pourtant, pour les soldats comme pour leurs familles, il devient de
plus en plus évident qu’ils évoluent dans deux mondes différents, parallèles,
parfois emplis d’incompréhensions.
Si les soldats cherchent à rassurer leurs proches, il est aussi nécessaire
de faire partager des expériences, de témoigner de son vécu. Le front est
pourtant le monde de l’altérité par rapport à la vie normale. « Ici, écrit un
sous-officier de la 60e DI, chacun doit devenir une personne entièrement
différente, et cela n’est pas si facile. C’est exactement comme si nous
vivions dans un autre monde36. » L’incompréhension mutuelle du fait
d’expériences fort différentes peut fragiliser les relations au sein d’un
couple ou d’une famille, parfois de façon involontaire lorsqu’une épouse
tente, avec maladresse, de rendre le quotidien de l’être cher plus facile à
vivre. À Pforzheim, des civils sortent des cartes et s’improvisent stratèges
de salon en commentant la topographie des champs de bataille. Une réalité
qui a dû consterner plus d’un permissionnaire. L’expérience traumatisante
de la guerre et la séparation qui s’éternise ne sont pas sans conséquences37.
Kageneck, qui profite des aménités des soirées de la haute société
berlinoise, décrit l’ambiance surréaliste qui y prévaut à l’automne 1944
alors que le Reich est aux abois : « On se croyait en dehors du temps et de
l’espace, loin de la misère qui nous entourait. On dansait sur des airs que
nous connaissions bien, en dépit d’interdictions vieilles de dix ans. »
Serveurs en gants blancs, whisky à profusion, jeunes filles faciles (« Des
petites chambres d’invités étaient installées sous les combles ; on en
profitait entre deux danses ») : la guerre semble loin… Seules les sirènes
des alertes prévenant des bombardements interrompent les fêtes38.

La permission

« C’est aussi un sentiment agréable quand on se dit qu’on a cette


permission devant soi39. » Plus que les lettres, la permission est le moment
attendu entre tous. « Quand on a liquidé un blindé d’Ivan, écrit un soldat à
sa famille, on obtient quatre semaines de permission spéciale. On verra bien
si ça se fait40. » La permission se fait toutefois parfois attendre. Pour Noël,
ce sont avant tout les hommes mariés et pères de famille qui partent. Les
marins peuvent de leur côté bénéficier en moyenne de deux semaines de
permission tous les six mois. La permission, les marins de Hitler en rêvent
aussi lorsqu’ils sont en mer. Lorsqu’un U-Boot est de retour à son port
d’attache à l’issue d’une croisière de plusieurs mois, le bateau nécessite des
travaux de maintenance qui permettent à l’amirauté d’accorder
généreusement des permissions. Si une partie des effectifs est astreinte à un
service de garde à bord41, la majorité de l’équipage, chanceuse, reçoit douze
jours de permission immédiate. Dönitz est aux petits soins avec ses « loups
gris » : un train express spécial – le BdU Zug – est spécialement affrété pour
emmener les permissionnaires le plus rapidement possible en Allemagne42.
Au sein de la Heer, la situation est plus compliquée : sur l’Ostfront, un
Landser peut demeurer entre un an et un an et demi avant de retrouver les
siens. Les permissions sont généralement accordées pour une durée
s’étalant entre dix et vingt et un jours, la moyenne étant de quatorze jours.
Les soldats en poste sur l’Atlantikwall partent plus souvent : deux semaines
de permission tous les six mois43. Ces congés ne sont pas à confondre avec
une convalescence après blessure (Genesungsurlaub), voire une
Erholungsurlaub, soit un « congé de récupération », qui peuvent durer
jusqu’à un mois, et qui sont accordées à des hommes émotionnellement
épuisés, notamment des pilotes44, une procédure qui a dû se montrer fort
rare. Un soldat qui tient garnison en Bretagne écrit au début de l’année
1944 que « les permissions s’organisent indépendamment des opérations :
en France on a deux semaines de permission pour chaque semestre45 ».
Tous ne sont pas logés à la même enseigne. Quitter le sol africain n’est
pas chose aisée, d’autant que Rommel rechigne à voir ses hommes quitter le
théâtre des opérations, envisageant même d’inclure les blessés dans les
quotas de permissionnaires… Un caporal de 22 ans découvre l’île
enchanteresse de Capri après avoir passé vingt-trois mois sans permission
en Afrique, « sans arbre ni buissons, avec seulement la désolation et le
vide46 ». « Oui, ma chère Edwig, écrit un soldat allemand à son épouse
depuis la tête de pont de Tunisie, tu ne connais pas toute la situation, mais
je souhaiterais bien mieux partir en permission aujourd’hui. Mais nous, les
petits poissons, nous comptons pour du beurre – je garde cependant
espoir47 ! » De départ en permission depuis la Tunisie, alors que les lignes
de communication avec l’Italie sont presque coupées, il n’en est guère
question : les rares places dans les avions effectuant la navette sont
réservées aux blessés et aux spécialistes qu’on évacue de façon
dissimulée48.
Malheureusement pour les soldats allemands, dans la seconde partie de
la guerre, il est souvent nécessaire de maintenir les divisions sur la ligne de
front et les périodes de reconstitution sont accordées au niveau du régiment
et du bataillon, dans des zones dites « maisons de vacances »
(Erholungsheime), qui ont tendance à servir de substitut aux permissions.
Toutefois, dans certaines unités, jusqu’à 10 % des effectifs affectés aux
quartiers généraux relèvent périodiquement leurs camarades assignés à la
ligne de front, permettant à ces derniers de partir en permission ou en
camps de repos49.
Le maintien à l’état opérationnel d’une unité nécessite de lui accorder
des temps de repos et de relaxation. Les consignes sont strictes car le
permissionnaire est un représentant de la Wehrmacht. Les villes sont
l’occasion de côtoyer des femmes, auxiliaires féminines de l’armée ou
civiles croisées dans les rues, ou bien encore prostituées qui vendent leurs
charmes, avec de fâcheuses répercussions sur le plan sanitaire, en dépit des
efforts de l’armée pour informer les soldats, une autorisation devant de
toute façon être accordée par un officier du corps médical50. Des bordels
réservés à l’armée sont mis en place dans les territoires occupés, alimentés
par des professionnelles ou des jeunes femmes raflées. Point de mixité dans
de telles circonstances : les établissements spécialisés destinées aux
officiers sont différents de ceux des sous-officiers, la troupe étant accueillie
dans une troisième catégorie d’établissements. Les officiers supérieurs
recherchant une galante compagnie entretiendront des relations avec une
maîtresse, au besoin choisie parmi le personnel militaire féminin.
Mais la permission par excellence, c’est celle qui permet au Landser de
rentrer au Vaterland. Un voyage qui peut être semé d’embûches… et se
révéler bien long. Un soldat écrit à ses parents : « Un train de
permissionnaires part de Marioupol, en passant par Stalino, Dnipropetrovsk,
Jitomir, Lublin, Katowice, Breslau, Dresde, Leipzig, Halle, Nordhausen,
Kassel, etc., jusqu’en Rhénanie. Je n’ignore pas qu’il y a des permissions.
Ce n’est que pour les gradés ! Mais j’ai bien ri en apprenant d’un camarade
que j’avais une connexion directe avec la maison. Le trajet doit bien durer
quatre jours51. » Les véhicules font parfois défaut, et il faut alors parcourir à
pied une partie de trajet, des centaines de permissionnaires en rang comme
à la parade. Il faut prendre son mal en patience : Guy Sajer est ainsi
contraint de patienter à Romny, faute de train disponible. August von
Kageneck reçoit un congé de quatorze jours et effectue le retour en
Allemagne par voie aérienne, assurément plus rapide. Il parcourt les
1 600 kilomètres entre Koursk et Lemberg à bord d’un avion de transport
Ju-52. « À Lemberg, je vis pour la première fois depuis douze mois une
Allemande : c’était l’infirmière qui me passa au DDT. Je fus ébloui52. »
Lorsqu’un soldat a son nom dans la liste des permissionnaires, il doit se
rendre au PC de sa compagnie, où lui sont remis les papiers nécessaires53
ainsi que son Soldbuch. Guy Sajer, qui quitte le front depuis le fin fond de
l’Ukraine (Aktyrkha), ne voit son titre de permission pointé (et donc validé)
que lorsqu’il a rejoint Poznań, en Pologne54. Le bureau n’est ouvert que
quelques heures et la queue peut être longue. La crainte de tous : voir la
permission annulée. La présence des Feldgendarmes est également
dissuasive : mieux vaut rester discret et attendre patiemment son tour. Le
jour du départ, chargé des colis destinés à la maison, ainsi que du
Führergeschenk (le « cadeau du Führer », des denrées accordées aux
permissionnaires), il se rend à la gare où il doit veiller à éviter tout écart de
comportement – se faire remarquer sur sa tenue ou par une coupe de
cheveux négligée – qui pourrait signifier une annulation pure et simple de la
permission tant attendue. Las, le temps de celle-ci peut être décompté à
partir de la gare de départ, d’autant que rien ne garantit qu’on ne manquera
pas une correspondance. Lorsqu’une halte est nécessaire pour la nuit, le
permissionnaire doit signaler sa présence au bureau de contrôle et de
transport où il se trouve. On lui fournira le gîte et le couvert, parfois dans un
Soldatenheim (« maison du soldat55 »).
Puisque le soldat voyage avec son arme et le paquetage intégral, il peut
être – à son grand dam – requis en cas d’urgence, le plus souvent pour lutter
contre des partisans. Une déconvenue qui survient à plus d’un, en
particulier en Russie. Sajer accuse le coup après l’annonce faite par un
officier à l’aide d’un porte-voix en gare de Lublin : permissions annulées…
« Les haut-parleurs entonnèrent la Deutsche Marsche et notre
mécontentement fut submergé par les cuivres. Plusieurs milliers de projets
s’écroulaient et on dut amplifier le son pour couvrir la houle de
déception56. » En cas de nécessité, les permissionnaires sont donc organisés
en unités de combat. En cas d’attaque surprise, les occupants des wagons
doivent sauter à terre, à gauche ou à droite de la voie selon le numéro du
wagon, pour repousser l’attaque57. Le permissionnaire est donc parfois
victime des aléas de la guerre : qui son avion abattu au-dessus de la
Méditerranée, qui son train déraillé suite à une attaque de permission…
Le permissionnaire découvre également les effets de la guerre sur le
Vaterland58. Lorsque la demeure et la famille d’un soldat sont directement
touchées par un bombardement, celui-ci peut bénéficier d’une mise en
congé immédiate, dite Bombenurlaub59. Le soldat pense avoir laissé la
guerre loin derrière lui, mais elle le suit, elle est toujours là, bien présente,
et pas seulement dans son esprit : les ruines et les décombres des villes en
témoignent. Pis, le Landser en permission peut lui-même assister à un de
ces terribles bombardements qui ravagent son pays, n’épargnant personne.
La vue des victimes civiles allemandes, surtout les femmes et les enfants,
est de nature à l’émouvoir, quand bien même il a assisté, voire participé, à
des crimes en zone occupée. Certains sont d’ailleurs requis pour participer
aux opérations de déblaiement des décombres, ce qui les met ainsi
davantage en contact avec le drame vécu par les civils. Mais c’est la
satisfaction d’être enfin en Allemagne. Des jeunes filles rôdent près des
gares, à la recherche de soldats, avec des intentions évidentes, et certaines
de celles qui sont appréhendées par la police ne sont pas enregistrées par la
brigade mondaine.
Le contact avec la famille met les soldats aux prises avec une dure
réalité : il leur est impossible de transmettre leur expérience du front. Pis, ils
sont consternés de voir à quel point les civils se font une fausse image de la
guerre. Le service de propagande est le premier à blâmer pour cet état de
fait. Lors du drame de Stalingrad, le silence de Goebbels avant le
dénouement de la bataille explique que la majorité des civils restent dans
l’ignorance de la situation dramatique dans laquelle se trouve l’armée de
Paulus. « J’espère que vous allez bientôt briser l’encerclement, écrit une
marraine de guerre, et qu’alors vous aurez immédiatement une
permission60. » La situation est telle que certains permissionnaires ne sont
pas en mesure de le supporter : le front et leurs camarades peuvent venir à
leur manquer. Un sentiment de culpabilité peut en accabler d’autres,
particulièrement si la situation au front est critique et que le sort de la
guerre semble en jeu. Le soldat Reinhard Goes ne pense qu’à une chose :
retourner en Russie61. Le soldat Schmidtz, un Waffen-SS de la Panzer-
Division SS « Frundsberg », est accablé par la succession de
bombardements : « Les Anglais le jour, les Américains la nuit. À dire vrai,
j’aurais souhaité être resté en Russie62. »
Tous n’ont pas cette réaction. Paul Kreissler ne goûte que modérément
la « camaraderie du front » et, tout en étant préoccupé par la violence de la
lutte à l’Est, il doute de la victoire finale. Aussi, c’est avec une grande
satisfaction qu’il a l’aubaine de bénéficier d’une rallonge bien opportune de
dix jours de permission en juin 1942 pour raisons dentaires63. De son côté,
pour l’aristocrate von Kageneck, être en permission signifie prendre du bon
temps avec la haute société à Berlin, « Berlin l’orgueilleuse, Berlin la
folle ». Son frère Clemens l’emmène dans de nombreuses réceptions, où le
champagne coule à flots et où les jolies femmes ne se comptent plus64. La
permission est le moment idéal pour songer à convoler. L’accord suppose
que l’enquête sur la « pureté raciale » de la fiancée ne décèle aucune
incompatibilité. Parfois, lorsque le jeune homme est en poste auprès de sa
promise, une permission spéciale de quelques heures suffit. Le plus
souvent, le fiancé, à la guerre, est en service loin du Vaterland, voire en
outre-mer, en Afrique. Le soldat a alors recours à un Ferntrauung, « un
service de mariage à distance », qui suppose en théorie l’usage d’un
téléphone65. Dans la pratique, une cérémonie est organisée sous le patronage
du supérieur du jeune homme au front, tandis que la jeune fille procède de
même auprès de son bourgmestre, en Allemagne.
Au moment du retour de permission, le trajet s’effectue plus rapidement
que dans la direction inverse car les trains en partance pour le front
bénéficient d’une priorité absolue. « Comme dans tous les transports de
troupes de l’Allemagne, à cette époque, les hommes en transit n’avaient pas
besoin de manger. Aucune nourriture ne nous fut distribuée avant
Korostenva [Korosten]. Heureusement, à peu près tout le monde avait des
provisions. C’est sans doute là-dessus qu’avait compté le quartier
général66. » À Korosten, la pitance est infecte, aux dires de Guy Sajer ;
quant à l’eau, les soldats s’approvisionnent au remplissage des locomotives.
À Romny, les ex-permissionnaires sont prestement organisés selon leurs
unités, et le trajet de retour au front se poursuit séance tenante, sans pause.
Les cadres sont également de retour de permission, observe Sajer, et ils
appréhendent tout autant le retour au baroud, de sorte qu’ils accordent de
nombreuses pauses à leurs hommes au cours de la marche…

Les soldats de Hitler et les civils des pays occupés

Le quotidien du soldat de Hitler entre 1939 et 1945 n’est pas seulement,


parfois même jamais, l’expérience d’un militaire au combat, qui affronte
des soldats ennemis. Il est aussi bien souvent fait de contacts avec des
civils, en premier lieu les ressortissants des États passés sous la coupe du
Troisième Reich. L’expérience vécue est certes tributaire des parcours
individuels, des valeurs et de l’éducation de chaque soldat allemand, mais
elle suit également le plus souvent une norme, en accord avec les principes
idéologiques de l’État nazi : l’armée se veut en effet le reflet de la société
dont elle est issue. L’idéologie nazie transparaît dans les contacts avec les
civils. D’où un comportement fort variable du soldat allemand envers les
populations occupées, selon les critères raciaux attachés aux peuples
concernés : globalement, si le joug nazi s’instaure dans toute l’Europe
occupée avec son cortège de crimes et de privations, l’occupation est plus
dure au Sud qu’à l’Ouest ; elle est terrible à l’Est. Par ailleurs, le statut des
territoires occupés varie considérablement : zones annexées au Reich,
territoires placés sous administration civile, pays administrés par un
gouverneur militaire, territoires en zone de guerre… Les relations avec les
civils, variables dans l’espace, sont de diverses natures (travail, réquisition,
logement, voire amour…), elles connaissent également une évolution dans
le temps : avec la perspective de la défaite – ou de la victoire, pour les
autres –, les relations évoluent, changent, se nuancent.
Les soldats allemands qui résident dans ces territoires conquis occupent
les fonctions les plus diverses. Aux troupes d’occupation, chargées de la
surveillance et du maintien de l’ordre, au nombre desquelles on compte les
fameux Feldgendarmes, soit les policiers militaires de la Wehrmacht, et le
personnel des Kommandantur, s’ajoutent les services arrière des armées en
campagne (en Union soviétique ou en Afrique par exemple), ainsi que des
forces combattantes de la Feldheer (l’armée de campagne), particulièrement
à l’Ouest, pendant la période d’attente de l’invasion, à l’abri du mur de
l’Atlantique, le plus souvent des unités en reconstitution avant un retour
dans la fournaise du front de l’Est. Les Feldgendarmes sont souvent peu
appréciés des autres soldats soumis à leurs brimades. La Feldgendarmerie
réprime ainsi tout manquement à la règle : on ne doit pas tenir la main
d’une femme en public67, à moins d’être marié ou fiancé, ou bien pour une
danse. La troupe estime en outre que leur service est beaucoup moins risqué
que sur la ligne de front. Par ailleurs, les Feldgendarmes sont en contact
direct avec les populations occupées et s’acquittent d’une part active des
politiques de répression.
Le climat et les préférences personnelles de chaque soldat ne sont pas
les seuls critères qui vont déterminer l’expérience que va vivre un Landser
en territoire occupé. En ces temps où les voyages étaient fort rares,
l’Occupation est aussi pour tous ces soldats allemands l’occasion de
découvrir d’autres peuples, expérience qui fait parfois tomber la barrière
des préjugés, ou au contraire les renforce. Nombre de soldats noueront des
idylles, parfois sérieuses, pour l’amour d’une vie ; d’autres n’éprouveront
que mépris pour la « populace » des pays qu’ils ont vaincus. Entre hostilité
des populations et esquisses d’amitiés, parfois durables, pour tous la
comparaison avec le Vaterland va de soi.
Le quotidien diffère grandement de celui de la ligne de front, pour des
raisons évidentes. On s’ennuie souvent dans les territoires occupés, car il y
a des moments d’inaction. Les soldats s’acquittent de tâches répétitives,
d’exercices qui rappellent le temps de la caserne. On procède à des
patrouilles de sécurité, souvent mal vues, non en raison des risques
encourus, qui restent minimes, à tout le moins à l’Ouest, mais du fait de
l’ennui et de la fatigue induites – alors que l’on pourrait goûter un vrai
repos au lit. Cette lassitude, le caporal Heinrich Böll la ressent, après trois
années passées à surveiller le large au cap Gris-Nez et sur l’estuaire de la
Somme. « Rien ne se passe, si ce n’est les vagues allant et venant, allant et
venant68 », se lamente le capitaine Joachim Lindner, alors en garnison à
Dieppe.

L’Occupation à l’Ouest

Le Blitzkrieg à l’Ouest se réalise dans des contrées pour lesquelles


aucun sentiment d’animosité profonde n’anime la majorité des soldats
allemands. On n’y décèle rien de véritablement comparable à ce qu’ils
éprouvent envers les Slaves. Le Danemark, première conquête à l’Ouest,
accepte l’occupation allemande (le Reich en faisant la demande
officielle…), le petit royaume n’ayant de toute évidence pas le choix, ce qui
permet au gouvernement danois de conserver une certaine latitude – qui
reste relative dans le cadre d’une Europe sous la botte allemande. Un soldat
allemand, dans une phraséologie biblique, décrit le pays comme une « terre
de miel et de lait69 ». Les habitants sont considérés comme civilisés,
propres, et leurs habitations jugées confortables : comme en Norvège, on se
croit en quelque sorte en terre germanique. Un sentiment qui est aussi en
partie celui éprouvé pour les Néerlandais, qui connaîtront pourtant une
occupation assez contraignante.
Le sentiment de haine à l’égard des Français, le principal adversaire à
l’Ouest en 1940, reste peu répandu, même si des marques de francophobie
(ce qui n’est pas la même chose) ne sont pas absentes. Pour la plupart des
Allemands, c’est l’expérience de la découverte d’un pays et d’un peuple : la
France. L’heure de la revanche a également sonné, et les Landser goûtent
avec satisfaction l’ivresse de la victoire sur l’ennemi héréditaire français,
les soldats de Hitler s’estimant le devoir de laver l’affront subi par leurs
aînés (voire ressenti eux-mêmes pour les plus âgés) en 1918. Les Landser
découvrent en premier lieu le spectacle, souvent bouleversant, de l’exode.
Le sort des réfugiés apitoie certains soldats, qui réalisent la terreur des civils
face aux attaques des Stukas, ou qui expriment de la compassion envers ces
femmes et ces enfants qui fuient l’invasion : « Ils n’ont pas eu d’eau ou de
soupe chaude depuis des jours, et peut-être même pas un bout de pain70 »,
écrit un soldat décrivant des civils belges perdus sur les routes. Avisant ces
civils qui ont fui devant les Allemands, mais qui ont été rattrapés par
l’avancée irrésistible de la Wehrmacht, un Landser observe qu’ils « ne
manifestent pas de haine, sont plutôt indifférents et semblent ravaler leur
déception amère après la propagande mensongère de leurs gouvernements.
Maintenant ils voient que ça ne correspond pas à ce qu’on leur avait raconté
pendant des années : les soldats allemands sont disciplinés et ne sont pas
ces êtres amaigris par la misérable nourriture faite de pommes de terre et de
chou, comme le leur racontaient les journaux, ils n’assassinent pas non plus
les enfants et ne mettent pas le feu au coq rouge sur les églises, comme la
propagande le leur avait martelé71 ».
Heinrich Böll sera pour sa part bouleversé par l’image véhiculée par
l’Allemand lorsqu’une jeune fille de 16 ans lui affirmera « que le peuple
allemand tout entier adore la guerre, qu’il a profondément espéré cette
guerre72 ». Les francophiles, le plus souvent versés dans la littérature
rédigée dans la langue de Molière, découvrent, émerveillés, un pays qu’ils
admirent. Hans Albring commence la Westfeldzug avec un sentiment plutôt
favorable à l’égard des Français, « des gens courageux mais qui aiment
aussi la paix et qui ont de si belles cathédrales ». L’ennemi héréditaire est
pourtant rempli de haine : « Le Français est capable de haïr dans des formes
toutes différentes des nôtres. Leur haine gît dans des profondeurs que nous
avons du mal à sonder. Les témoignages de cette haine sont nombreux –
souvent je sais, mais pas toujours, pourquoi nous l’avons “méritée”73. »
Le mot d’ordre aux premières heures de l’Occupation est :
« Correction. » L’attitude que doivent adopter les soldats allemands à
l’Ouest est dûment consignée dans un document produit en juillet 1940 par
Brauchitsch en personne. Il y est explicitement mentionné que « le soldat
allemand est le représentant de son peuple ». On bannit donc toute forme
d’arrogance, le soldat allemand devant se comporter en toutes circonstances
avec honnêteté. Le pillage, la destruction des possessions des civils ainsi
que leur oppression sont condamnés, jugés « déshonorantes et
punissables ». Brauchitsch insiste sur le fait que ces restrictions ne
s’appliquent « pas moins à l’égard de la population féminine qu’aux
hommes74 ». Des troupes participent à la reconstruction des dégâts
occasionnés par la guerre. D’autres soldats assistent les populations en
organisant des soupes populaires75. Autant d’actions rassurantes,
popularisées par la fameuse affiche de propagande montrant un soldat
allemand, nu-tête, souriant, élégant et altier, portant dans ses bras un enfant
qui savoure une tartine, le tout souligné d’un slogan qui se veut rassurant :
« Populations abandonnées, faites confiance au soldat allemand ! » L’image
de l’Allemand « correct » est une antienne chez nombre de Français d’alors,
à rebours du barbare qu’on a fui durant l’exode. Abattus par la défaite
subite et d’ampleur inégalée qui les frappe, les Français, dans leur majorité,
semblent réceptifs à la propagande ennemie, dont cette fameuse affiche qui
vante les vertus du soldat allemand, soucieux des enfants auxquels il offre
des gourmandises. « Souvent, quand une femme avait beaucoup d’enfants,
j’ai donné ma ration du soir pour apaiser un tout petit peu la faim de ces
pauvres gens. Je n’ai pas pu supporter ça, je ne voyais pas l’ennemi en eux,
car ils n’y sont pour rien76. » Certes, les soldats allemands ont tôt fait de
constater qu’en dépit de leur amabilité et de leur disponibilité, ils ne
suscitent que bien peu de sympathie. Certaines mères de famille n’acceptent
pas ces marques de sympathie et jettent avec fureur les friandises offertes, à
la grande surprise de soldats, et sans doute au grand dam de certains enfants
qui s’apprêtaient à avaler des délices.
Si les civils ne savent pas toujours quelle attitude adopter, les soldats
peuvent également de leur côté se montrer méfiants : certains par exemple
font goûter l’eau à des femmes, de peur qu’elle ne soit empoisonnée77.
Certains civils se montrent au contraire amicaux, offrant des bouteilles de
vin. Le geste de sollicitude n’est pas toujours spontané : ce sont souvent les
civils qui mendient. La fin de la guerre semble proche, ce qui n’est pas sans
influer sur les comportements. Tous les soldats allemands ne sont pas
dupes, à l’instar d’Erich Kuby : « Pour beaucoup, on sentait que la peur
seule les retenait de manifester leur haine à notre égard78. » Un autre soldat,
qui force visiblement le trait, rapporte que « la plupart des Belges sont très
amicaux, les Français aussi, néanmoins dans cette région ces derniers ne
sont guère accueillants – mais ils vont s’habituer79 ».
Certains soldats allemands jugent les Français sales et négligés, et les
équipements publics de piètre qualité en comparaison de ceux dont sont
dotées les villes du Reich. Un soldat qui découvre le nord de la France
affirme que ce qu’il a sous les yeux est « au-delà de la pauvreté80 ». La
France renvoie une image de saleté, aussi bien la population que ses
habitats. « Nous sommes trop convenables pour cette racaille », écrit une
infirmière à ses parents, la jeune femme étant confrontée à l’hostilité des
Français ; les commerçants sont jugés « pour certains, insolents et
effrontés81 ». Le soldat Karl Fuchs voit dans la déchéance de la culture de la
France l’explication première de la défaillance des armées françaises :
« Mes amis et moi sommes allés dans une “librairie” de Versailles, écrit-il à
sa femme. Tu ne peux pas imaginer ce bric-à-brac et cette pornographie !
[…] C’est là qu’on voit jusqu’où sont descendus les Français sur le plan de
l’hygiène et de la morale. La même chose est tout simplement impensable
et impossible dans notre patrie allemande. Une société capable de dégrader
ainsi la beauté féminine perd tout droit à être appelée une “grande nation”.
La France a non seulement perdu son énergie vitale mais aussi sa
moralité82. »
Nombreux sont également les soldats allemands qui jugent les Français
« paresseux », une antienne dans le souvenir des civils qui ont connu les
heures sombres de l’Occupation. Helmut Nick s’en fait l’écho : « le peuple
est paresseux », ajoutant que « la population est assez pervertie83 ». Un
autre soldat exprime a contrario un jugement tout autre dans une lettre à sa
femme : « Les Français ne bossent pas comme des imbéciles comme nous,
ils prennent le temps pour tout et semblent, personnellement, être plus
heureux84. » Toutefois, les préjugés ne sont pas aussi marqués qu’à l’Est, car
les Occidentaux sont considérés comme plus « civilisés85 ».
En Alsace et en Moselle, on éprouve plus de considération pour une
population considérée comme étant constituée de Volksdeutsche, et toute
une série de mesures y sont adoptées pour germaniser la région. L’idéologie
raciale nazie transparaît dans les propos de certains soldats. Les Français ?
Des sang-mêlés aidés par des nègres. Un soldat ne cache pas son mépris :
« Et les voilà : ils passent par centaines devant nous : des Blancs, des Noirs,
des métis, des Sénégalais et des Marocains, la moitié du monde semble
avoir rassemblé ici ses fils86. » Paul Lingemann ne cache pas ses préjugés
racistes en rédigeant ce qu’il a ressenti à la vue des prisonniers de l’armée
française : « Et parmi eux, des Noirs, des Noirs, des Noirs !!! Vraiment,
jamais auparavant je n’avais ressenti comme dans ces heures une telle haine
contre la “grande nation”, ce pays qui se prétend le “gardien de l’humanité,
de la liberté et de la culture”87. » Et d’affirmer son « dégoût » et sa
« répulsion ».

Le quotidien avec les civils

De nombreux soldats allemands vont tenir garnison dans les pays


passés sous le joug hitlérien en 1940. La loi martiale est instituée et les
autorités militaires font rapidement connaître à la population civile les
conséquences encourues par ceux qui feraient acte de résistance, passive ou
non : la guerre continue en effet, contre l’Angleterre. Les relations entre les
civils et les autorités allemandes sont souvent tributaires de la personnalité
du responsable d’une Kommandantur. S’il est d’un abord sympathique et
qu’il pratique couramment le français, la situation s’en trouve
immédiatement facilitée. Ainsi du colonel Kloss qui succède au
commandant Marloh dans la région d’Angers88.
La découverte de l’autre est d’autant plus aisée que la troupe loge chez
l’habitant, les casernes ne suffisant pas. Avec la menace grandissante de
l’invasion, les occupants sont de plus en plus nombreux : près de
1,5 million sont déployés à l’Ouest à la veille du Jour J. Les soldats ont
leurs propres lieux de détente, qui leur sont réservés, comme les
Soldatenkino (les « cinémas pour soldats »), des Soldatenheim (les « foyers
du soldat »), voire des librairies allemandes, et on les incite, ou on les
oblige, à suivre les offices religieux dispensés par les aumôniers militaires
de la Wehrmacht, plutôt que de se mêler aux civils89. On organise des
concerts, des pièces de théâtre, des conférences…
La frénésie d’achat qui s’empare des membres de la Wehrmacht dans
les zones occupées est phénoménale. Le pillage est d’une certaine façon
admis : la France, qui a voulu la guerre, doit payer. Le taux de change,
extrêmement favorable pour les soldats allemands (le mark passe de 12 à
20 francs), a tôt fait de faire de la France un pays de Cocagne. On achète de
tout et à bon prix. Les paquets envoyés aux familles en Allemagne
regorgent de produits de luxe, ainsi que de vins, certains soldats n’hésitant
pas à acheter des vélos ou des automobiles, et même des bateaux de
plaisance. On expédie au Vaterland savon, chocolat, vins, etc., par la
Feldpost. Les boutiques sont rapidement dévalisées. Une blague raconte
que deux espions anglais déguisés en officiers allemands ont été trahis par
un détail : ils ne portaient pas de valises ! Les soldats allemands, habitués
au rationnement et aux produits de remplacement (ersatz), découvrent des
denrées qui n’existent plus chez eux et ils s’en donnent à cœur joie90. Un
officier va même jusqu’à confier à ses hommes qui bénéficient de
permissions des colis à destination de son épouse91. Certaines femmes
allemandes peuvent se montrer exigeantes à cet égard, à l’instar de Lucie
Rommel, dont l’époux et futur héros de l’Afrikakorps ne rapporte que deux
bouteilles de champagne à la maison. Rommel n’entend pas profiter
indûment de son rang de général : « Un soldat a le droit d’emporter deux
bouteilles hors de France, déclare-t-il à sa femme quelque peu dépitée.
Celles-ci sont les deux miennes. »
En dépit de la guerre, des relations cordiales peuvent s’établir entre
occupants et occupés, parfois de façon éphémère, à l’occasion d’un achat,
comme c’est le cas pour Hans Albring, qui apprécie la sympathie d’un
libraire de Rouen à qui il achète quelques raretés avec estampes92. Des liens
plus étroits peuvent se nouer dans les petits villages, où les soldats sont bien
connus des commerçants dont ils constituent la clientèle. Pour certains
soldats allemands, c’est un peu comme s’ils avaient une seconde famille en
France. Pour le caporal Severloh de la 352e DI, l’épouse du fermier qui les
héberge se comporte comme une seconde mère à l’égard des jeunes soldats
qui logent chez elle : elle prépare les repas, prend soin d’eux quand ils sont
malades, reprise leurs uniformes…
Beaucoup de soldats sont en bons termes avec les civils qui les
hébergent, la politesse étant de mise de part et d’autre, même si la barrière
de la langue pose des difficultés. Les occupants se découvrent bien des
affinités et des points communs avec l’ennemi juré. Observant le caractère
digne de bien des Français, un soldat observe : « Je crois d’ailleurs qu’il y a
beaucoup plus de choses qui nous unissent aux Français qu’on ne l’imagine.
[…] Les fermiers pourraient aussi bien être des fermiers allemands93. » « Ils
ont un gentil petit garçon de trois ans, Jean-Claude, écrit un soldat allemand
à son épouse à propos de ses hôtes. Un solide petit gars, blond, aux yeux
bleus. Il me rappelle un peu Christoph. Je pense que nous deviendrons
d’assez bons amis94. »
Travailler ensemble est une autre façon de nouer des contacts plus ou
moins forcés. En 1944, à l’approche de l’invasion, les civils sont de plus en
plus sollicités pour participer aux travaux des défenses côtières, parfois
même requis. Le soldat Kaiser, qui appartient à la 272e DI déployée dans la
région de Perpignan, décrit ces Français qui viennent travailler sur les
chantiers : « Certains, considérés comme des travailleurs du dimanche, se
présentent avec une bouteille de vin rouge dans une poche et un morceau de
pain dans l’autre. Personnellement, je suis responsable d’un groupe de vingt
personnes, souvent difficiles à diriger. Certains civils accusent le poids des
années, et il faut avouer que la barrière de la langue française cause des
problèmes de compréhension95. »
Outre par l’entraînement militaire, Brauchistch entend tenir ses soldats
occupés par la pratique des sports les plus divers. Il apparaît évident à
l’OKH qu’il convient de répondre aux besoins sexuels de ses troupes. Si des
bordels sont gérés par la Wehrmacht, soucieuse d’éviter toute propagation
de maladies vénériennes au sein de la troupe, on ne contraint pas des
femmes à s’adonner à la prostitution après les avoir raflées, contrairement à
ce qui aura cours en Union soviétique. Pour les soldats de Hitler, les
professionnelles du sexe ce sont les Dirnen (« filles »), les Huren
(« prostituées ») ou les Bordsteinschwalben (« les hirondelles du bord du
trottoir »), ou encore, le plus souvent des Nutten (des « putes »96). Pour se
rendre au bordel, la visite médicale est de rigueur : chaque soldat subit une
piqûre avant et après son passage au lupanar97.
La femme française, considérée comme frivole et de mœurs trop
libérées, est l’objet de tous les fantasmes, en particulier la Parisienne,
réputée pour son élégance. « On n’arrive pas à tuer l’inimitable chic, écrit
Felix Hartlaub. Les femmes m’impressionnent, c’était à prévoir. Même si
l’on ne voit que peu de beautés manifestes et que l’époque se lit sur tous les
visages. La Parisienne est la “quintessence absolue”, à coup sûr le produit
suprême de l’Occident98. » Les conversations entre soldats tournent souvent
autour des filles, sujet inévitable avec la perspective d’une permission à
Paris. En dehors des jours de permission, les soldats disposent de
suffisamment de temps libre pour courtiser.
En France, le régime de Vichy veille au grain et sanctionne lourdement
la prostitution illégale. La Wehrmacht interdit en théorie de se promener
avec une femme française, ou même d’en fréquenter une. Mais il n’est pas
question d’empêcher les flirts en terrasse. Impossible non plus d’avoir un
droit de regard sur les relations sexuelles pouvant s’établir entre un
Allemand et son hôtesse française – chose facile puisque la troupe loge
souvent chez l’habitant – ou toute autre femme de ses relations. Les
relations amoureuses sont assez fréquentes. Lors d’une de ses nombreuses
tournées d’inspection, Rommel croise sur sa route une moto montée par un
soldat et une jeune fille. Apercevant le Feldmarschall, le soldat ne perd pas
son sang-froid et se met au garde-à-vous tout en confiant le véhicule à sa
compagne, visiblement coutumière de son usage. « Caporal Schmidt, avec
la blanchisseuse de l’état-major du régiment qui rejoint son lieu de
travail99 ! » « Mon ami avait beaucoup d’amour pour moi100 », lance à Franz
Gockel, de la 716e DI, une Française revenant d’une salle d’armes. Des
idylles sérieuses peuvent se nouer, à l’instar de cette histoire d’amour entre
Aline, une serveuse de l’Hôtel des Bains de Morlaix, et un jeune soldat de
la Wehrmacht, un certain Walter, qui prend grand soin de ne revêtir que des
effets civils lorsqu’ils sortent tous les deux en public101. De même, le soldat
Bruno Skupski, en poste à Saint-Aubin-sur-Mer, s’amourache-t-il d’une
jeune épicière, Pauline. Les deux amoureux, qui ont un enfant, se marient
après la guerre102. Le phénomène est de grande ampleur : les bébés issus de
ces relations franco-allemandes se chiffrent peut-être à 100 000103. Des
aventures qui ne sont pas du goût de certains Allemands très religieux,
surtout si elles sont adultères. Pis, cet attrait pour la gent féminine peut
détourner plus d’un officier de sa tâche de soldat, d’autant que certaines
maîtresses se révèlent être des résistantes qui mettent à profit bien des
confidences obtenues « sur l’oreiller »104. Pour l’armée, la question
primordiale est celle de la discipline. Horst Juventus, pilote au
Kampfgeschwader 26, demande sa mutation hors des unités combattantes :
déprimé par la disparition de sa bien-aimée, menacée par la Résistance, il
n’est plus apte à être un bon pilote. Pis : obnubilé par son amour perdu, il
peut être un danger pour ses camarades105…
La situation est à l’avenant dans les îles Anglo-Normandes appartenant
à la Couronne britannique. Envahis le 28 juin 1940 (opération « Grüne
Pfeile »), les Anglais sont confrontés à un occupant correct avec lequel ils
se montrent respectueux, la faible superficie des îles empêchant par ailleurs
le développement d’une résistance importante. De plus, après la libération
de l’ouest de la France au cours de l’été 1944, les soldats allemands sont
isolés du Vaterland et contraints de vivre en autarcie en partageant les
misères des civils britanniques106.

Paris, « Ville lumière » pour les soldats de Hitler

La capitale française représente le paradis du shopping, d’autant que les


soldats obtiennent rapidement la possibilité d’acheter à crédit107. « C’était la
suprême récompense », raconte Kageneck. Même si les consignes étaient
strictes, à savoir porter une tenue impeccable, limiter les achats et ne pas
avoir de contacts avec la population, en particulier avec les prostituées
(c’est du moins ce que prétend l’officier dans ses souvenirs), la réalité
semble avoir été tout autre. Il ne cache pas que Montmartre représentait le
must : « La Mecque des plaisirs interdits, la colline de Vénus. » De fait, à
lire ses souvenirs de guerre, l’aristocrate Kageneck semble avoir passé
beaucoup de bon temps en France et en Allemagne au cours de ces années
difficiles. Avec ses célèbres cabarets comme le Moulin-Rouge et les Folies-
Bergère, Paris fait en effet figure de Babylone du vice – même si d’aucuns
éprouvent de la répulsion pour les prostituées fardées. La vie culturelle est
plus ouverte à Paris qu’à Berlin. Le soldat Herms raconte un souvenir à un
de ses camarades, alors qu’il est en captivité : « À Paris, tu n’as besoin que
de t’asseoir à un bar dans lequel il y a une fille assise à une table pour être
presque assuré que tu vas rentrer à la maison avec elle108. »
De son côté, Kageneck note un détail rapporté par nombre de vétérans
allemands dans leurs souvenirs : « Je retins surtout le vide absolu et
désolant des places et des rues. Les seuls êtres humains étaient les soldats
allemands : ils marchaient sagement en troupeaux sous la conduite d’un
guide français109. » Quand les Français sont de retour dans les rues, c’est
pour mieux ignorer les intrus. Felix Hartlaub s’en fait l’écho en écrivant ces
lignes le 15 janvier 1941 : « Ce qu’il y a de frappant, c’est le silence absolu
des Lutéciens, et quoi qu’il en coûte ils y sont résolus. »
Des soldats allemands semblent pourtant imperméables aux charmes de
la capitale française. Pour Paul Lingemann : « À Paris, dans le bastion de la
franc-maçonnerie mondiale, j’ai vu beaucoup de choses que le Français ne
voit peut-être pas : les Négresses attifées sur les boulevards ; les couples
mixtes ; les rues sans jeunesse ; les femmes sans enfants110. » Lingemann
découvre aussi la misère des quartiers populaires, ainsi que les civils en
quête de nourriture. Il est choqué par le train de vie luxueux des « nantis »
des grands boulevards.
La plupart de ceux qui y tiennent garnison sont au contraire enchantés
de la chance qui est la leur. « Il est difficile de nier les charmes de Paris »,
rapporte un officier, un autre appréciant sa chance de vivre à proximité de
l’Arc de triomphe : « Je passe mes journées dans un bâtiment
magnifique111. » L’impression donnée par Paris est durable. Avec
l’évolution défavorable du cours de la guerre, marquée par les
bombardements massifs sur le sol allemand, l’image de havre de paix hors
du temps de la guerre ne fait que se renforcer. Parlant de Paris, un officier
de la 9e Panzer écrit : « J’ai passé des journées merveilleuses ici112. » En mai
1944, le lieutenant Stölten, de la « Panzer Lehr », prend du bon temps à
Paris en compagnie d’un de ses camarades : quel contraste avec
l’Allemagne ! Ici, point d’alerte aérienne en permanence et une impression
d’élégance qui n’existerait plus dans un Vaterland déjà meurtri par la
guerre113. Hans von Luck, commandant à la 21e Panzer en 1944, prend le
temps d’emmener sa fiancée écouter Karajan à l’opéra de Paris114.

Les tensions se multiplient avec les populations occupées à


l’Ouest
L’immense majorité de la population adopte une attitude calme, parfois
qualifiée de « sage ». Même aux heures au cours desquelles la Résistance
est la plus active, l’Ouest représente une zone sûre où tenir garnison.
Pendant longtemps, les soldats allemands combattant sur tous les fronts ont
considéré leurs camarades occupant la France comme des privilégiés, des
planqués vivant « heureux comme Dieu en France ». La France est « un
paradis pour le conquérant115 ». Alfred Nüssle, qui perdra la vie en Russie,
éprouve le désagréable sentiment d’être un « planqué » en France, alors que
d’autres ont la malchance de servir dans le maelström du front de l’Est116. Il
est indiscutable que tenir garnison en France est sans aucun doute ce que
peut espérer de plus confortable un soldat de la Wehrmacht. Pour August
von Kageneck117, le « plus beau souvenir de la guerre » est celui de son
temps d’occupation en France, une appréciation probablement partagée par
nombre de soldats, particulièrement ceux qui ont connu également
l’expérience de la guerre à l’Est. Kageneck a gardé le souvenir d’un petit
bistrot, bien français, « qui servait un excellent gros rouge : on pouvait en
absorber des quantités impressionnantes sans perdre pour autant la maîtrise
de soi. La population était distante mais point hostile : elle nous écoutait
patiemment baragouiner sa langue et vaquait à ses occupations118 ».
Si la France et les pays occupés à l’Ouest sont relativement sûrs, les
Allemands doivent cependant vivre avec le risque d’attentats, fomentés par
ceux qu’ils appellent les « terroristes ». Si les collabos sont peu nombreux,
les Landser peuvent, en tant que soldats, comprendre les résistants, les
« gaullistes » dans la terminologie de Vichy et de l’Occupant. Les
volontaires de la LVF (Légion des volontaires français) et les rexistes de la
légion Wallonie du Belge Léon Degrelle, engagés à l’Est dans la « croisade
contre le bolchevisme », ne sont pas forcément bien considérés : même pour
nombre d’Allemands, ce sont des traîtres à la personnalité peu
recommandable, qui ont accepté de porter l’uniforme honni.
L’hostilité prend un aspect plus marqué dès 1941, en raison de la dureté
de l’Occupation et des déceptions vis-à-vis de Vichy. Elle peut prendre la
forme d’un simple regard empreint de haine ou de méchanceté. Si les
rapports sont aussi cordiaux que le permettent les circonstances, les
marques d’hostilité se multiplient, même sans faire pour autant acte de
résistance, qui en lacérant les affiches de l’Occupant, qui en sifflant les
Allemands apparaissant sur les images des actualités hebdomadaires
diffusées dans les cinémas. Certains soldats sont bousculés, on crache
devant eux. Les soldats qui cherchent des vélos n’obtiennent pas toujours
l’objet de leur quête, les Français feignant de ne rien comprendre quand
bien même des Landser éreintés par leur marche à pied miment, assis sur
des tabourets et sans équivoque possible, l’action de pédaler dans l’espoir
de dénicher des vélos119. Ignorer l’Allemand est aussi une marque de
défiance et d’hostilité, à l’instar des deux Français qui accueillent un
officier allemand sous leur toit dans Le Silence de la mer, le fameux roman
de Vercors.
Les Allemands ne sont pas dupes du fait que les Français ne mettent
aucun empressement à travailler pour eux. Dès l’automne 1941, les
premiers assassinats de soldats allemands poussent aux représailles : des
otages sont fusillés. Un soldat se montre très lucide à ce propos : il juge que
ces actions sont destinées à pousser à la révolte, « en forçant le pouvoir
allemand à prendre des mesures sévères, qui provoquent de l’amertume
parmi les opprimés120 ». Exactement ce qu’espèrent les FTP communistes.
La violence des Allemands n’a de fait de cesse de prendre de l’ampleur,
alimentée entre autres par les pratiques brutales qui ont cours à l’Est. Le
STO, les crimes et restrictions de toutes sortes achèvent de donner des
soldats allemands une image de barbares.
Ces derniers, oublieux que la Wehrmacht est une armée d’occupation et
que celle-ci se révèle particulièrement dure, ont l’illusion que les rapports
seraient plus cordiaux s’il n’y avait les restrictions alimentaires. Les
réquisitions participent à alimenter ce sentiment d’hostilité, qui se fait de
plus en plus présent. Heinrich Böll, le futur prix Nobel, n’est certainement
pas représentatif lorsqu’il écrit ces lignes : « On se sent très gêné, quand on
se tient debout dans leur pièce et qu’on vient leur réclamer du beurre et des
œufs pour la énième fois121… » Ces réquisitions laissent au contraire bien
des soldats insensibles. À propos de la saisie des chevaux sur les paysans,
un soldat estime que la Wehrmacht s’empare de « 6 % de leur effectif en
chevaux de labour, en fait pas assez, vu le grand nombre de chevaux qui
courent ici. C’est pourquoi j’écoute les plaintes des paysans sans émotion,
surtout qu’on les paye très bien122 ».
Les situations sont donc très variables selon le temps et le lieu. Il est
impossible d’établir des généralités, même en 1944, lorsque l’armée
allemande, défaite, doit évacuer la majeure partie des territoires conquis en
1940. Une jeune fille allemande, opératrice dans les transmissions à
Poitiers, observe un changement radical après l’invasion : « Tant de choses
changent pour nous après le 6 juin ! Bien qu’elle soit assez éloignée d’ici,
nous ressentons l’invasion. Nous avons quatre fois plus de travail. Les
terroristes rendent cette région très incertaine. Il y a des explosions et des
attentats partout123. » Au contraire, le 3 août 1944, Hellmuth Richter, un
soldat engagé en Mayenne après la percée d’Avranches de Patton, trouve le
gîte et le couvert en compagnie de camarades chez une paysanne. La
Française insiste pour leur préparer un repas et leur servir du lait et du cidre.
« Nous étions très étonnés d’être aussi bien traités par cette femme, d’autant
que son mari est prisonnier depuis 1940 en Allemagne ! » Les soldats paient
le repas, offrent du sel à la paysanne et lui achètent 150 œufs, à sa plus
grande satisfaction124. Des relations cordiales qui sont une expérience très
courante au sein de la Wehrmacht.

En Méditerranée et dans les Balkans

Comme en France, servir en Méditerranée, que ce soit en Grèce, en


Italie ou en Afrique, c’est la perspective d’excursions culturelles riches et
variées dans des cadres idylliques, mais aussi l’occasion de compléter
l’ordinaire avec des fruits et des légumes qui sont une rareté en Allemagne :
oranges, mandarines, olives, dattes… Les relations avec les civils dans les
zones d’opérations et d’occupation en Méditerranée sont pourtant tout aussi
empreintes de l’idéologie nazie. Les Grecs, premiers à subir le joug nazi,
sont l’objet de tous les préjugés. À l’instar des autres peuples des Balkans,
ils sont considérés comme intrinsèquement mauvais, bandits dans l’âme,
ayant l’instinct criminel et cruel. Des généraux ne cachent pas leurs
sentiments racistes à leur endroit, leur prêtant du sang sémite ; ce sont donc
des sous-hommes selon la terminologie nazie, sans que l’on sache par quel
absurde cheminement pseudo-scientifique ils en sont arrivés à de telles
conceptions. Le commandant de la 164e DI insiste ainsi pour que les troupes
préservent leur pureté raciale en évitant les contacts sexuels avec les
femmes grecques. En Italie, se montrer en public avec une femme ne pose
pas de difficultés majeures, et on ne compte plus les bordels. On raconte
cependant que les nouveaux uniformes tropicaux n’ont pas été perçus à
Naples, car les autorités italiennes se seraient inquiétées que des milliers de
jeunes soldats allemands en transit pour le front africain traînent dans les
rues de la ville en short. Lorsque les Allemands occupent l’Italie en 1943,
l’attitude et les relations avec les civils sont proches de ce qui a cours en
Europe de l’Ouest. Les rapports sont plus tendus avec la mise en vigueur de
l’occupation dans toute sa rigueur, notamment au cours des phases de repli
à partir de l’été 1944, lorsque la retraite peut s’accompagner de pillages de
magasins, notamment dans la Ville éternelle.
Pendant la guerre du désert, la propagande allemande s’emploie à
établir les relations les plus amicales avec les populations arabes125. En
Libye, il faut s’habituer aux mœurs, respecter les us et coutumes, et surtout
ne pas importuner les jeunes filles arabes, ni les femmes des colons italiens.
Certes, ceux qui restent à Tripoli entendent bien s’installer le plus
confortablement possible, siroter un verre de citron pressé aux heures
chaudes et sortir le soir quand cela est possible. Les rencontres avec les
civils sont moins rares pendant la campagne de Tunisie. Dès l’arrivée des
premiers Allemands en Tunisie, des Arabes les auraient accueillis en
affirmant que « Allemands et Arabes, kif-kif ! », sans qu’il faille généraliser
cette attitude. Chaque soldat de la Wehrmacht aurait en outre été porteur
d’une lettre de Hitler, rédigée en allemand et en français, soulignant que :
« Nous venons en Tunisie en amis. Nous nous considérons comme des
hôtes, non comme des conquérants. Nous comprenons et respectons votre
religion. Nous respecterons vos femmes. » Otto Henning se souvient que les
Arabes sont sympathiques avec les Allemands, qui ont l’avantage de ne pas
représenter une puissance coloniale. Pour se faire comprendre, il tente
d’ailleurs de parler un peu français avec eux126. À la suite de la prise de
Fériana, en Tunisie, le capitaine Heinz Werner Schmidt ne cache pourtant
pas sa défiance : il est d’avis que les Arabes ont tendance à se ranger dans
le camp du vainqueur, quel qu’il soit. On ressent le poids des préjugés au
ton qu’il emploie à l’endroit de simples villageois pris dans une guerre qui
ne les concerne pas et qui désirent avant tout se prémunir des ravages
qu’elle provoque : « Le reste du bataillon s’empresse de mettre pied à terre.
[…] Des nuées d’Arabes, hommes, femmes, enfants, jaillirent des
habitations, hurlant et gesticulant à qui mieux mieux pour simuler leur joie
de nous accueillir en vainqueurs, en attendant les suivants. Leur caïd dut
reconnaître en moi le responsable de l’unité. Il se précipita dans ma
direction, les bras grands ouverts, et, dans son charabia, m’inonda de
paroles de bienvenue. Je l’écoutai, la main sur mon pistolet automatique,
prêt à toute éventualité. Il essaya de m’attraper les doigts pour les
embrasser. Écœuré, je le repoussai brusquement127. » Les troupes
allemandes en Tunisie se montrent généralement amicales envers la
population autochtone. Il n’y eut pas un seul cas de sabotage par les Arabes
à déplorer128.

À l’Est : le racisme à son paroxysme

Si certains Allemands ont pu visiter la France, voire l’Italie, avant la


guerre, à une époque où les voyages sont réservés à une élite, l’Europe de
l’Est, particulièrement l’Union soviétique, est terra incognita, alimentant
fantasmes et préjugés. L’idée de la supériorité des Allemands sur les Slaves
est répandue depuis longtemps en Allemagne : elle existe déjà à l’époque
wilhelmienne, et même avant. De façon éloquente, l’Union soviétique est
jugée « asiatique », donc étrangère à l’Europe culturellement129. Nombreux
sont les soldats de Hitler à avoir fait leurs les préjugés racistes à l’encontre
des populations slaves. Une évidence dès la campagne de Pologne.
Les soldats de la Wehrmacht sont outrés par les crimes commis par les
Polonais à l’endroit des populations d’origine allemande, des
Volksdeutsche, par ailleurs discriminés dans ce pays. Un soldat du
13. Armeekorps écrit : « Ici, les Allemands ont vraiment beaucoup souffert,
mais ils ont remarquablement tenu en dépit du fait que deux cents ans de
leur culture aient été supprimés ou persécutés130. » « Une partie de la
population nous a accueilli avec des fleurs, tandis que l’autre nous
présentait des visages fermés131. » De fait, la répression menée en réaction à
des sabotages se traduit par un millier de morts parmi ces Volksdeutsche
dans le corridor de Dantzig. Le Reich ripostera par une campagne
systématique et méthodique de terreur par le biais de ses forces armées,
Brauchitsch se déclarant prêt à coopérer avec les SS. Une brutalité
exacerbée par la piètre image que l’envahisseur se fait du Polonais.
L’animosité à l’égard des Polonais ne peut qu’être attisée par l’atmosphère
de liesse liée à la victoire : on se croit tout permis. Le Reich a pour projet
d’exploiter un peuple jugé racialement inférieur et que la plupart des soldats
méprisent. Le pays suscite le plus grand étonnement, surtout à l’est, loin des
terres anciennement allemandes : « Le paysage de Galicie est terriblement
monotone, écrit un soldat. La population, très pauvre, vit à soixante-dix
personnes dans une pièce132. »
L’entrée en Union soviétique s’accompagne d’un déchaînement de
racisme qui s’exprime avec la plus grande virulence dans les lettres que de
nombreux soldats adressent à leurs proches. Le mépris des Slaves et
l’antisémitisme sont largement répandus au sein des plus hauts degrés de la
hiérarchie du corps des officiers. Hermann Hoth juge les mœurs et les
coutumes des Soviétiques médiévales et très différentes des Européens. Le
Generalleutnant Hoepner n’hésite pas à dire que cette guerre est celle de
« la défense de la culture européenne contre la vague asiato-moscovite et du
refoulement du judéo-bolchevisme133 ». Cette défiance et ces préjugés
envers les Slaves perdurent après l’invasion de l’Union soviétique,
alimentés par l’idéologie nazie : en janvier 1943, alors que le désastre de
Stalingrad se précise, le général von Richthofen, qui dirige la Luftflotte 4, se
replonge dans la lecture de Mein Kampf, notamment dans les passages
consacrés à l’Est : « Toujours très intéressant, commente-t-il dans son
journal, et répond encore à presque toutes les questions dans la situation
présente. Veillerai à souligner ces explications plus fermement aux soldats
de tout le secteur134. »
La troupe est mentalement préparée à sa confrontation avec les
populations soviétiques. L’image concrète renvoyée par celles-ci est
souvent, d’après les soldats allemands, le reflet exact de ce que la
propagande leur a asséné. Les soldats de Hitler s’attendent à toute forme de
perfidie de la part des civils. « Ici, les gens vivent avec les animaux. En fait,
ils vivent comme des animaux », écrit un certain Karl Fuchs. Et de
poursuivre : « L’hygiène est une notion absolument étrangère à ces gens.
Vous autres, à la maison, dans notre belle patrie, vous n’avez pas idée de ce
à quoi cela ressemble135. » L’antislavisme est tellement répandu qu’il est
difficile aux officiers qui en ont la volonté de limiter la brutalité de leurs
hommes à l’égard des civils. Les Soviétiques sont assimilés à des animaux,
des sauvages illettrés et barbares. Ils sont dépeints comme vivant de façon
primitive, couchant à même le sol, dans des masures ou des « trous
puants ». Et les soldats allemands de se gausser du « paradis des
travailleurs136 ». Le soldat Karl Fuchs, comme tant d’autres, esquisse une
comparaison avec le Vaterland : « Maintenant nous comprenons ce que
notre grande patrie allemande a donné à ses enfants. Il n’y a qu’une
Allemagne dans le monde entier137. » La dureté de l’occupation ne fait
qu’aggraver la situation matérielle des civils à l’Est, les rapprochant ainsi
davantage des stéréotypes qui leur sont associés.
Dans ces conditions, les soldats allemands ne font que se réjouir que
l’initiative de Hitler ait préservé le Vaterland des « hordes soviétiques » :
« Ce pays est un véritable désert, écrit un pilote de bombardier opérant dans
le secteur de Leningrad. Nul ne peut l’imaginer. Un territoire sale et peuplé
d’hommes grossiers et dépravés. Je n’ose pas songer à ce qui serait advenu
de vous et de l’Allemagne si les bolcheviques étaient arrivés dans le Reich
comme c’était prévu. Dieu merci, c’est l’inverse qui s’est produit138. » Le
Führer, pour lequel les soldats sont prêts à tous les sacrifices, est loué pour
sa clairvoyance. Les Allemands sont persuadés d’être dans leur bon droit :
« Cette guerre contre l’œuvre criminelle du bolchevisme est un combat pour
une juste cause, écrit un garçon de 21 ans à sa mère. Si jamais, un jour,
hélas, ces hordes asiatiques envahissent notre belle Allemagne !… C’est
indescriptible139. »
Pourtant, la campagne, qui devait être courte, prend une tournure
inattendue dès l’automne 1941. Il faut alors saisir des vivres et toutes sortes
de biens, ainsi que des logements dans des proportions gigantesques, au
mépris des populations. Les réquisitions sont dramatiques pour les paysans.
Pour nourrir la seule 6. Infanterie-Division, il faut fournir l’équivalent de
30 tonnes de rations quotidiennement. Pour assurer leurs besoins, les
soldats pillent sans vergogne, sans souci des conséquences sur le bien-être
des populations. Une vieille femme qui implore qu’on ne lui prenne pas sa
dernière vache est frappée sans ménagement140. Les plans de « Barbarossa »
n’envisagent rien d’autre pour la troupe que de vivre sur le terrain : les
« sous-hommes » slaves subiront la terreur et le pillage, ils seront affamés.
Vingt-sept mille fermiers d’Estonie sont poursuivis en justice pour n’avoir
pu fournir les quotas de lait exigés par les autorités allemandes. Or le
cheptel bovin de 24 000 de ces hommes se borne à une seule vache laitière :
il leur est donc impossible de répondre à la demande141.
La troupe perd ses derniers scrupules, pour autant qu’elle en ait jamais
eus, à l’approche de l’hiver, alors que les défaillances de la logistique la
privent des vêtements chauds que l’armée aurait dû lui fournir. À la
123e DI, « toutes les bottes en feutre doivent être immédiatement saisies sur
la population, sans égard pour l’âge ou le sexe142 ». Les malheureux moujiks
sont expulsés de leurs isbas et dépouillés de leurs effets les plus protecteurs,
ce qui les condamne à une mort certaine. Les traîneaux, les raquettes et les
chevaux dont ils ont tant besoin leur sont arrachés. Lors du repli consécutif
à la contre-attaque soviétique devant Moscou, la Wehrmacht opère une
politique de la terre brûlée. Les soldats n’y trouvent rien à redire. Au cours
de cet hiver, la 18e Panzer ordonne l’évacuation et la destruction de
quarante-huit villages, procédé réitéré au cours du repli, quand bien même
cela implique d’abandonner à leur sort des femmes et des enfants par –
40 °C143. Dans les zones urbaines, les civils sont rationnés. À Kharkov,
trente habitants meurent chaque jour de famine à partir d’août 1942. Les
pillages de la 11e armée du Feldmarschall von Manstein provoquent la mort
de 100 000 civils dans le sud de la Crimée en 1942144. La faim peut se
révéler une arme pour assurer l’ordre lorsque l’armée se charge de
distribuer les denrées, comme c’est le cas dans la zone arrière du
Heeresgruppe Nord. À la 18e Panzer, des soldats pillent les dernières
réserves de grain et s’emparent des bêtes possédées par les paysans jusqu’à
la dernière145.
L’avancée victorieuse de l’Armée rouge n’annonce pas la fin des
brutalités allemandes. De la fin du mois de juillet à la mi-août 1943,
pendant la bataille de Koursk, Model ordonne le repli sur la ligne Hagen, à
environ 80 kilomètres à l’ouest d’Orel, tout en opérant une politique de la
terre brûlée particulièrement rude, qui s’accompagne d’un exode forcé des
populations vers l’ouest. Une sévérité qui se répète sur l’intégralité de
l’Ostfront dans les mois qui suivent, particulièrement en Ukraine au cours
de la retraite au-delà du Dniepr, sur lequel Hitler espère édifier un Ostwall,
un « mur de l’Est ». La proportion de civils qui accompagnent
volontairement les Allemands dans leur retraite ne dépasse pas les 15 %146.
Des scènes semblables sont inconnues sur le front de l’Ouest lors de la
grande retraite de l’été 1944, faute notamment de temps, car la poursuite
des Alliés s’y effectue à un rythme soutenu. Si des milliers de chevaux sont
saisis, la population masculine n’est pas déportée vers le Reich pour y être
réduite à un travail servile dans les usines d’armements. L’exception en la
matière est la Norvège du Nord, qui subit une politique de la terre brûlée sur
ordre exprès de Hitler, déterminé à ne rien laisser aux Soviétiques. De
40 000 à 50 000 civils sont ainsi évacués de force et leurs habitations
détruites147.
Certains soldats allemands sont compatissants devant tant de misère.
Un Landser, pourtant membre du parti nazi et de la SA, affirme qu’« il y a
des choses que je ne peux plus supporter : hier j’ai mangé mon pain dehors
devant la porte et le garçon de quatre ans m’a rejoint. Il me regardait avec
des yeux si suppliants, sans impertinence, que j’ai pris une tranche de pain
tartinée de beurre et l’ai donnée aux enfants de Madka [son hôtesse
ukrainienne]148 ». Un autre soldat s’arrange pour qu’une provision de lait
soit assurée chaque jour pour les enfants de l’agglomération qu’il occupe en
sollicitant un village voisin, temporairement mieux loti pour ne pas avoir
abattu toutes ses vaches149.

Une Russie idyllique

A contrario des brutalités ou des jugements extrêmement négatifs,


frôlant la caricature, certains Landser expriment un sentiment plus positif à
l’égard des populations slaves, si ce n’est de la sympathie. « En fait, ils ne
sont pas désagréables », commente Fritz Farnbacher à propos des
Soviétiques. Mieux : il les juge décents et s’insurge des méthodes
expéditives de ses camarades, qui pillent sans vergogne150. Force est pour
lui de constater que l’image du Russe ne correspond guère à ce qu’il était en
mesure d’attendre à travers les images véhiculées par la propagande. Certes,
on est surpris de la teneur de certains souvenirs : « Le Russe, et
particulièrement l’Ukrainien, est très joyeux et hospitalier. Un peu comme
les Orientaux, il est toujours prêt à fêter quelque chose. » Et d’enchérir sur
les « jeunes filles riant aux éclats » qui sont comparées favorablement aux
Parisiennes151. Kageneck, qui a en revanche sans conteste apprécié
davantage les Parisiennes, se souvient lui aussi de l’accueil chaleureux des
Ukrainiennes : « Les femmes nous apportaient du pain et une bouteille de
miel, signes traditionnels d’hospitalité dans ce pays où coulent littéralement
le lait et le miel. Elles voyaient en nous leurs libérateurs152. » Pourtant, en
poursuivant avec une métaphore biblique à l’instar de Kageneck, ces soldats
du Reich étaient plutôt porteurs des dix plaies d’Égypte…
Un soldat posté en Ukraine en janvier 1942 raconte : « Le premier jour
les filles étaient un peu intimidées devant nous car on leur avait raconté
qu’on créchait partout comme des sauvages, mais à présent passer du temps
ensemble est devenu une évidence. Si je suis encore là ce soir elles
reviendront toutes et on discutera encore et on chantera au son des guitares
et de la balalaïka. » Ces jeunes s’appellent par leurs prénoms, ils chantent et
jouent ensemble : qui pourrait se croire en guerre153 ? Un soldat sympathise
avec une Ukrainienne, ainsi qu’il le rapporte à ses parents : « Elle m’a
demandé de venir chez elle. Elle a un Gramophone et des disques fort
intéressants, et comme j’aime beaucoup la musique j’ai voulu lui faire cette
faveur. Par ailleurs, elle parle un peu allemand, ce qui ne gâche rien. Je me
suis donc rendu là-bas en compagnie d’un jeune Ukrainien. Nous y sommes
restés un moment, nous avons écouté le Gramophone154. » Beaucoup ne
restent pas insensibles au charme des femmes slaves. La culture orthodoxe,
quand elle a été préservée, peut se révéler également un enchantement pour
ces envahisseurs qui découvrent qui des popes chantant des hymnes
religieux, qui de vénérables icones155.
Lors de la rapide poussée vers l’Est à l’été 1941, les partisans sont
encore peu nombreux et les civils ne subissent pas forcément
immédiatement les effets de l’occupation dans leur plus grande dureté. Des
rapports soviétiques font même état d’attitudes plutôt laxistes de la part des
soldats allemands, qui vont jusqu’à distribuer des bonbons et du sucre156. En
avril 1942, un soldat allemand peut encore souligner la sympathie des
civils, qui n’ont en fait guère le choix : « Les maisons russes ne comportent
qu’une seule pièce. Quinze personnes y vivent, auxquelles s’ajoutent sept
soldats allemands. Les Russes étaient personnellement très amicaux à notre
égard157. » En songeant à leurs propres femmes et enfants, les soldats plus
âgés de l’arrière ont pu se montrer plus complaisants que ceux du front.
En Ukraine et dans les États baltes, les soldats de Hitler sont fêtés
comme des libérateurs. L’armée tente par ailleurs de séduire la population
en réouvrant les cinémas et les théâtres, mais aussi en réautorisant le culte.
« La population se réjouit de notre présence, écrit un des envahisseurs ; elle
souhaite voir Staline se balancer au bout d’une corde158. » Pourtant, la
brutalité des prétendus « libérateurs » a tôt fait de dissiper les illusions des
populations soviétiques, à l’exception des Estoniens qui bénéficient d’un
régime plus favorable. Les peuples allogènes de Crimée et du Caucase,
notamment les musulmans, reçoivent en revanche plus d’égards de la part
des autorités nazies qui espèrent obtenir leur concours par leur
anticommunisme : ainsi des Tatars de Crimée, qui vont pourtant subir
l’occupation dans toute sa dureté, les SS les exécutant en prenant leur
circoncision (obligatoire pour le musulman) comme une preuve de leur
judéité… Outre les Juifs, ce sont incontestablement les femmes qui ont le
plus à craindre de la présence des soldats de Hitler.

Des relations avec les femmes slaves empreintes de violence

L’absence de femmes est une épreuve pour les soldats évoluant sur la
longue durée dans un monde d’hommes. Elles sont omniprésentes dans les
conversations – et notamment sujettes aux plaisanteries les plus vulgaires, si
répandues sur tous les fronts. En route vers le front de l’Est, August von
Kageneck fait halte dans une ville polonaise où lui et ses hommes sont
hébergés par des Waffen-SS qui les accueillent avec tous les égards, l’alcool
étant versé à flots pour l’occasion. Il est vite question des femmes. Les
Polonaises, affirment ces SS à Kageneck, sont « bien trop fières pour se
laisser aborder par un Allemand159 ». Gageons qu’il en va de bien d’autres
raisons et que plus d’un occupant ne s’est pas embarrassé de courtoisie.
Mais la conquête de territoires ennemis, loin du foyer, offre des
opportunités dont beaucoup s’accommodent sans difficulté. L’adultère
devient pratique courante chez certains, encouragé parfois par l’attitude des
camarades. Les aventures vécues avec les femmes des pays occupés sont
consenties ou non.
Alors que les crimes sexuels sont durement sanctionnés à l’Ouest, où ils
choquent le haut commandement, d’autant que cela engage « la réputation
de la Wehrmacht en territoire occupé160 », s’indigne le général von Kluge, le
viol, souvent collectif, est monnaie courante à l’Est, marque suprême du
caractère du conquérant et de la supériorité de l’homme sur la femme : le
front est un lieu où doit se manifester la virilité. En août 1941, Genia
Demianova est ainsi violée par un sergent allemand qui, fier de l’avoir
dépucelée, se vante de ses prouesses devant ses hommes ; s’ensuit un viol
collectif161.
Certes, le haut commandement réprouve ces pratiques, avant tout en
raison de leur effet délétère sur la discipline. Mais la Wehrmacht reste
laxiste sur la question du viol, contrairement à ce qu’avancent certains
vétérans comme Guy Sajer162 : on laisse toute licence aux soldats pour
abuser des femmes dans les territoires occupés, alors même que les
relations sexuelles avec des femmes de races considérées comme
« inférieures » sont condamnées. Le général SS « Sepp » Dietrich est clair
sur le sujet : cet ordre prohibant les rapports entre un Aryen et une femme
de race inférieure émane de théoriciens ; il ne sera pas appliqué dans ses
unités. Dans les faits, bien des Juives sont violées avant d’être exécutées, ce
qui permet d’échapper facilement à toute sanction. Certains membres des
Einsatzgruppen s’en seraient fait une spécialité163.
Dans les rares cas où des violeurs sont condamnés, ils ne le sont jamais
pour motifs moraux ou en raison des violences commises sur des femmes
slaves, mais uniquement pour des raisons disciplinaires. De fait, puisque les
femmes soviétiques sont infériorisées pour des raisons raciales, on ne fait
que peu de cas des affaires de viols, d’autant que nombre d’officiers
estiment qu’un laisser-aller en la matière est nécessaire pour que les soldats
acceptent la rude discipline du front et l’effroyable réalité de la guerre à
l’Est. Si à l’Ouest la Wehmacht punit – le plus souvent – les actes de viol et
de meurtre perpétrés à l’encontre des civils, la situation est radicalement
différente à l’Est : quand des soldats y sont poursuivis pour ces crimes – ce
qui reste rare –, ils le sont le plus souvent beaucoup moins sévèrement164.
La visite au bordel, où sont intégrées de force les femmes les plus
attirantes pour y faire commerce de leur corps, peut être aussi affaire de
camaraderie : on s’y rend en groupe. Ilse Schmidt, une auxiliaire féminine,
ressent de la misogynie lorsque son commandant annonce l’ouverture d’un
bordel et qu’il ordonne à ses hommes de s’y rendre ensemble165.
Les relations entre les soldats allemands et les femmes soviétiques
peuvent être nettement plus agréables et des idylles naissent dans les fermes
ou en ville. C’est parfois simplement pour être nourrie convenablement
qu’une femme accepte de devenir la maîtresse d’un soldat. Guy Sajer
rapporte l’épisode d’une « Ruski » qui accueillait son camarade Halls sur sa
couche, ainsi que d’autres hommes de l’unité, parfois plusieurs en même
temps166. Peter Stölten partage le lit d’une jeune Russe pendant des mois. Le
moment du départ est une épreuve pour la jeune fille. « Le père me souhaita
bonne chance et la mère me bénit », raconte Stölten. Et le soldat de poser la
question : « Ils sont supposés être des ennemis ? Jamais167. » Pourtant,
comme la SS, et alors même que la question du viol ne pose pas de
problèmes autres que disciplinaires, l’armée veille au grain quand il s’agit
d’une intimité recherchée par les deux parties. Elle tente de dissuader les
soldats de fraterniser avec les femmes slaves, comme toujours pour des
raisons raciales. La division « Großdeutschland » prévient ses soldats qu’ils
courent le risque d’être trahis et livrés à des partisans, ainsi que d’être
contaminés par des maladies vénériennes. À la 12e DI, les femmes surprises
avec des Allemands doivent être livrées à la police, tandis que les soldats
sont passibles de la cour martiale168. L’efficacité de ces mesures n’est pas
démontrée. La nécessité de les édicter laisse supposer que nombre
d’hommes passent outre ces consignes. Des centaines de milliers d’enfants,
voire plus d’un million selon certaines estimations, vont naître de ces
relations sexuelles entre des soldats de Hitler et des femmes slaves des
territoires occupés. Fruits d’amours légitimes parfois, ils sont le plus
souvent le résultat d’actes non consentis, qui ne représentent qu’un aspect
des crimes commis par l’armée de Hitler.
Chapitre 7

Crimes

Une efficacité militaire au service de crimes innommables

La manière dont l’armée allemande – Wehrmacht et Waffen-SS – s’est


comportée envers les civils des territoires occupés et les prisonniers de
guerre est révélatrice des valeurs qu’elle incarne. L’armée a pris une part
directe dans les crimes sans précédent commis au nom de l’idéologie nazie.
Elle a pillé et ravagé les contrées conquises, fait subir les pires traitements
aux civils et aux prisonniers de guerre tombés en son pouvoir, participé aux
opérations antipartisans et prêté main-forte aux actions criminelles
perpétrées à l’encontre des minorités considérées comme des sous-hommes
par les nazis et vouées à disparaître. Force est de constater que le régime n’a
pas eu à forcer la main de l’armée. La Wehrmacht ne remet pas en cause le
caractère de la guerre – radicale et faisant fi du droit international – menée
par le régime. Quant à la Waffen-SS, tout comme la SS des camps de la
mort (les unités dites « Totenkopf »), son parcours criminel embrasse
l’intégralité de l’Europe.
D’origines sociales et de parcours fort divers, les soldats allemands ont
cependant pour la plupart accepté les entreprises génocidaires de leur
gouvernement. Les crimes à l’encontre des civils se multiplient dès l’entrée
en guerre. Ils semblent toujours justifiés aux yeux des soldats de Hitler. Les
Anglais sont bombardés en 1940 ? Ils n’ont que ce qu’ils méritent ! Quatre
ans plus tard, la propagande rappelle aux soldats les effets terribles des
bombardements qui frappent les populations civiles en Allemagne, et ce
pour attiser leur haine des Anglo-Saxons1. On assiste à un retournement de
situation : on impute à la victime la responsabilité du sort tragique qui est le
sien, et ce sont les populations massacrées qui sont jugées responsables de
velléités génocidaires… En 1941, le soldat Fred Fallnbigl écrit ces lignes
terribles à propos de Soviétiques : « Remercions Dieu de ne pas avoir
attendu que ces bêtes nous aient attaqués. La mort la plus terrible est encore
trop bonne pour eux. Je suis content d’être ici pour mettre fin à ce système
de génocide2. »
Pétris d’idéologie nazie, les soldats allemands sont devenus des brutes.
Le dévoiement des soldats de Hitler nous illustre jusqu’où un homme est
capable de sombrer dans la spirale de la violence. Le degré d’efficacité de la
Wehrmacht est tel qu’elle a fait montre d’une capacité de résilience
exceptionnelle sur le front, mais cette discipline et cette efficience des
soldats de Hitler sont tout aussi patentes lorsqu’il s’agit de massacrer en
nombre des victimes civiles innocentes : leur sens du devoir et de l’autorité
les porte à obéir aux ordres, quels qu’ils soient, fussent-ils les plus
criminels. Plus que l’attrait de la violence, c’est le sens du devoir qui
semble avoir poussé les soldats allemands à commettre les pires exactions.
La force de la camaraderie au sein de la Wehrmacht renforce le sentiment
d’altérité qui ouvre la porte à tous les excès : le monde se divise entre
« nous » et les « autres » ; ce qui mène à l’exclusion de ces « autres »3, ceux
qui ne sont pas les camarades, ceux qui sont en dehors de la
Volksgemeinschaft. L’idéologie nazie donne un sens à leur expérience, à
leur mission4. Pis, la solidarité dans le crime renforce les liens entre les
coupables. Les crimes semblent en outre acceptés car jugés comme
nécessaires : il en va de la survie du Reich, pense-t-on.
On ne saurait certes généraliser la participation aux crimes de
l’intégralité de l’armée. Le romancier Ernst Jünger – qui avoue cependant
un instinct morbide au spectacle de soldats allemands sur le point d’être
fusillés5 – est en poste à Paris lorsque survient la « rafle du Vél’ d’Hiv ».
Observant quelques jours plus tôt les premières jeunes filles juives portant
des effets ornés de l’étoile jaune, il ne peut s’empêcher de consigner dans
son journal : « Je considère cela comme une date qui marque profondément,
même dans l’histoire personnelle. Un tel spectacle n’est pas non plus sans
provoquer une réaction – c’est ainsi que je me suis senti immédiatement
gêné de me trouver en uniforme. » Le jour de la rafle, l’écrivain s’impose
de ne jamais oublier qu’il est entouré d’êtres en souffrance6. La conscience
des soldats éduqués dans l’esprit de la philosophie des Lumières et du
christianisme peut être heurtée par les crimes auxquels ils assistent ou, pire,
participent. Mais ce constat est loin d’être général. Des contingences sont à
prendre en compte : en quelles circonstances ? Sur quel front ou zone
d’occupation ? À quelle période de la guerre ? Dans quel type d’unité ?
Dans le cadre de quelle mission ? Dans quel contexte ? La guerre de
partisans, une réalité à laquelle les soldats allemands sont confrontés en
Union soviétique, en Yougoslavie et en Grèce, mais également en Italie,
particulièrement au cours du premier semestre 1944, sert ainsi de cadre à
des violences d’un autre âge. Les crimes de guerre commis au sein de la
Kriegsmarine sont ainsi relativement rares. On prend même des risques
pour venir au secours de naufragés. Il convient pourtant de souligner que la
marine allemande a été essentiellement confrontée à ses homologues
occidentales, et non à la marine soviétique, ce qui aurait pu changer la
donne. Toutefois, on ne saurait pour autant absoudre la marine de
participation à la Shoah, puisque des unités participent aux assassinats et
que de nombreux officiers professent leur antisémitisme sans ambages, à
commencer par les amiraux Raeder et Dönitz, les commandants en chef
successifs des forces navales allemandes7. Le second n’hésite pas non plus à
accorder une promotion à des marins détenus aux États-Unis lorsqu’il
apprend qu’ils ont mis à mort un de leurs congénères qui a commis le
« crime » (à leurs yeux) de divulguer des informations aux Américains8.
D’aucuns parmi les soldats de Hitler affirment a posteriori ne pas avoir
eu vent des persécutions et des crimes, encore moins y avoir pris une part
active. Les desseins des nazis sont pourtant limpides, leur idéologie
largement relayée et acceptée au sein de l’armée. Dans son discours du
30 janvier 1939, Hitler ne dissimule rien lorsqu’il envisage les
conséquences qu’aurait un nouveau conflit mondial sur la population juive :
il en résulterait « l’annihilation de la race juive d’Europe9 ». Disons-le sans
réserve : les soldats de la Wehrmacht connaissent pertinemment les crimes
dont se rend coupable leur armée. Pis, ils les approuvent, voire y
participent. August von Kageneck n’est pas crédible lorsqu’il rapporte sa
rencontre avec un officier SS qui lui présente un Juif comme « son petit
youpin privé » : « Nous étions atterrés, prétend Kageneck. C’était donc
cela, notre occupation en Pologne ? Nous avions bien entendu de vagues
histoires sur les incroyables cruautés que les hommes de la police et de la
SS se permettaient à l’Est. Nous en avions parlé, quelquefois, dans les
salons de Berlin. Mais personne ne pouvait en apporter la preuve. […] Il
était impossible de savoir ce qui se passait dans les forêts de Pologne10. »
En Union soviétique, le même August von Kageneck semble tomber des
nues en apprenant un massacre perpétré à l’encontre de civils par des
Waffen-SS de la division « Wiking ». L’officier allemand prétend qu’il a du
mal à contenir la rage de ses hommes : « Qu’est-ce que ça veut dire, mon
lieutenant, aurait demandé un des soldats. C’est pour ça que nous nous
battons ? Salauds de SS ! Ils nous ont laissé prendre la ville pour ensuite
assassiner lâchement la population. C’est à eux qu’on devrait faire la
guerre. » Et Kageneck d’ajouter que le Gruppenführer Eicke, qui
commande la « Wiking », a ensuite été relevé de ses fonctions par Hitler :
« Est-ce pour calmer les esprits qu’on répandit cette nouvelle11 ? »
Souvenirs vraisemblablement reconstitués…
L’armée de Hitler s’est donc rendue responsable d’une multitude de
crimes sur tous les théâtres d’opérations. Les exécutions de prisonniers se
révèlent certes être une pratique dont se sont rendus coupables tous les
belligérants, y compris les Alliés occidentaux, mais les assassinats commis
par la Wehrmacht et la Waffen-SS – l’armée de Hitler – sont d’une tout
autre ampleur, et, surtout, et c’est là la différence essentielle, la brutalité
reste encouragée au plus haut niveau de la hiérarchie allemande, les
conceptions racistes de l’État étant largement relayées. Les prisonniers de
guerre de l’Armée rouge meurent par millions car ils sont considérés
comme des inférieurs, mais aussi parce que l’armée n’a pas prévu de gérer
une telle masse de captifs. Un pilote de bombardier qui frappe Leningrad
semble bien naïf dans une lettre écrite en septembre 1941 : « Nous
n’attaquons que les cibles militairement importantes ; ce n’est pas comme
les Tommies qui balancent leurs bombes sur les habitations et qui se
carapatent à tout berzingue12. » Non, l’armée allemande s’en est prise aux
populations civiles des territoires occupés avec une férocité sans équivalent.
Les crimes sur les Juifs et les civils à travers toute l’Europe, ainsi que
contre les prisonniers de guerre soviétiques, ne s’expliquent nullement par
le fait qu’il est impératif de les perpétrer. Les massacres que la Wehrmacht
fait subir aux populations, acceptés par la hiérarchie, sont sans commune
mesure avec le comportement des armées adverses. Plutôt que de chercher à
pacifier, l’armée allemande préfère des méthodes brutales et radicales,
optant pour des pratiques qui n’ont pas cours au sein des armées
occidentales alliées. Le schéma disciplinaire qui prévaut au sein de l’armée
allemande à l’Est – de lourdes sanctions en cas de manquement à la
discipline au front, l’absence de poursuites devant la justice militaire
lorsque les civils et leurs biens sont en jeu13 – est impensable pour l’armée
américaine ou l’armée britannique. Les écarts à l’encontre des civils tombés
en leur pouvoir, infiniment moins nombreux14, sont toujours sanctionnés au
sein des armées des alliés occidentaux. Quant à l’adversaire soviétique, un
constat terrible s’impose pour les Allemands : si l’Armée rouge laisse libre
cours à sa vengeance et procède à de nombreux crimes en entrant sur le
territoire du Reich, elle contrôle bien mieux ses hommes que la Wehrmacht.
L’Union soviétique va certes mettre en place des dictatures impitoyables,
mais il n’est nullement dans ses intentions de perpétrer un génocide : le
Troisième Reich prête à l’Armée rouge des desseins qu’elle n’a nullement.
Si les soldats de Hitler sont tourmentés par des remords en raison des
crimes que leur armée a infligés aux populations civiles et aux soldats
ennemis tombés en son pouvoir, le mobile de leurs états d’âmes n’est
nullement d’ordre moral : c’est la peur des représailles… D’aucuns, sans
nier le bien-fondé de l’extermination des Juifs, estiment qu’elle aurait dû
être mise en œuvre à l’issue du conflit, une fois la victoire certaine et
acquise15. « Que Dieu nous préserve d’une défaite, écrit un soldat lucide qui
assiste aux premiers massacres de Juifs dès le début de “Barbarossa”, car en
cas de vengeance, ça ira mal pour nous16. » Nombreux sont aussi ceux qui
n’admettent ni ne comprennent leur part de responsabilité, arguant du fait
qu’ils n’étaient pas des volontaires, mais des conscrits.

Les crimes à l’Ouest dès la Westfeldzug de 1940

L’armée allemande commet des forfaits dès les premiers jours de


l’offensive à l’Ouest, déclenchée le 10 mai 1940. Cinq jours plus tard, alors
même que des pourparlers sont en cours avec l’armée néerlandaise en vue
de sa reddition, la ville de Rotterdam subit un violent bombardement à la
demande de la 18e armée. Un ordre criminel et inutile, qui se solde par des
centaines de victimes civiles. La Belgique voisine n’est pas plus épargnée :
dans le secteur de la 35e DI, seuls des preuves tangibles et des témoignages
oculaires peuvent éviter l’exécution des civils simplement soupçonnés de
sabotage ou, pis, d’avoir ouvert le feu sur des soldats allemands. À Vinkt,
des civils belges sont pris en otage par la 225e DI et la plupart exécutés.
Si les crimes sur les civils, tels que les viols et les pillages, sont
durement sanctionnés par les supérieurs, les exécutions pour indiscipline au
front sont rares (la campagne a été rapide). En revanche, la crainte des
francs-tireurs, exacerbée et toujours latente, conduit à des drames. Cent
quatorze civils d’Oignies et de Courrières, dans la Pas-de-Calais, sont
assassinés par le 487e RI. La 267e DI commet d’autres massacres pendant la
bataille de Lille. Les tueries collectives sont imputables en grande partie à
la Waffen-SS. Fait révélateur, lorsque des critiques de généraux de la
Wehrmacht fusent à l’endroit des Waffen-SS, il s’agit avant tout de
condamner leurs piètres qualités combatives, jamais leurs excès de violence
envers les civils, qui sont avant tout considérés comme une dérive de ce qui
devrait être leur seule préoccupation : combattre.
La fureur des SS de l’unité « Totenkopf » (la SS-VT), commandée par
Theodor Eicke, se déchaîne contre les habitants de la commune d’Aubigny-
en-Artois. Pour le malheur de ces derniers, les SS ont en effet été confrontés
à une défense acharnée des forces alliées. Les représailles massives contre
les civils sont donc la résultante d’événements d’ordre militaire. Des
dizaines d’otages sont expulsés de leurs habitations, puis exécutés séance
tenante, tandis que des grenades sont lancées dans des fermes ; 82 hommes,
parfois des adolescents, sont assassinés. Les SS commettent également un
forfait violant les règles de la guerre en exécutant froidement 97 soldats
britanniques à Lestrem17. Les atrocités SS, déjà patentes en Pologne,
reprennent donc avec vigueur au cours de la campagne à l’Ouest. Comme
leurs camarades de la SS-VT, les Waffen-SS de la « Leibstandarte Adolf
Hitler » et de la « Das Reich » se distinguent par les massacres qu’ils
commettent. Cette dernière assassine 185 civils et une centaine de soldats
alliés faits prisonniers. La « Leibstandarte Adolf Hitler » tue 80 de ses
prisonniers britanniques à Wormhout.
Les soldats alliés qui sont les premières victimes des exactions
allemandes en 1940 sont les tirailleurs sénégalais (mais non les soldats
nord-africains), qui subissent de plein fouet les conséquences d’une
idéologie raciste qui s’est répandue dans toute la société allemande,
n’épargnant pas la Wehrmacht. Plusieurs milliers d’entre eux, peut-être
3 000, sont ainsi assassinés18. Les Waffen-SS se distinguent une nouvelle
fois dans leur propension à commettre des atrocités puisque 194 Noirs sont
assassinés par eux à Chasselay, près de Lyon19. Si aucun ordre explicite
n’émane de l’armée quant au fait que les soldats noirs devront être passés
par les armes, la propagande, l’endoctrinement et un racisme largement
répandu ont préparé le terrain aux pires exactions. « Les pires sont les
Noirs, écrit un soldat. Ils nichent dans les arbres et sont d’excellents
tireurs. » Si on leur accorde des qualités guerrières (du fait de leur
prétendue sauvagerie ?), les Noirs, souvent appelés les « Nègres », sont
donc assimilés aux singes, vivant dans les arbres. Un soldat les compare à
des « chiens20 ». « Personne n’aurait survécu si ces bandes étaient arrivées
en Allemagne21 », affirme Fritz Probst à sa femme. Certains cadavres de
Noirs suspendus aux arbres servent de cibles, comme en témoigne un
certain Hans Albring, qui ne s’en offusque aucunement22. Les unités de la
Wehrmacht ayant commis des crimes envers les tirailleurs sénégalais sont
toutefois relativement peu nombreuses. Elles incluent la 7e Panzer d’Erwin
Rommel23, la 10e Panzer et le régiment « Großdeutschland », des unités
d’élite. Les assassinats sont restés sporadiques, mais la Wehrmacht a montré
de quoi elle est capable envers des prisonniers de guerre jugés racialement
inférieurs. Les officiers allemands n’ont pas reçu d’ordres stipulant de
devoir exécuter les prisonniers noirs, mais ils l’admettent et le permettent,
estimant ces meurtres légitimes, en sachant pourtant qu’ils enfreignent la
convention de Genève24. L’habitude est prise et admise : ces écarts
criminels ne sont que les prémices des grands massacres qui seront
perpétrés à l’Est. La discipline militaire allemande se montre ainsi apte à
légaliser les crimes commis contre les prisonniers. Le 21 juin 1940, un
ordre criminel est donné à la 12e DI : les réfugiés politiques allemands25
tombés entre les mains de la Wehrmacht doivent être fusillés. Il est précisé
que « l’exécution doit avoir lieu dans les camps de prisonniers ».
Les civils ne sont pas épargnés : pendant l’exode, des colonnes de
réfugiés sont la proie des attaques de Stukas. En 1943, un pilote de chasse
ne cache pas l’ordre de mission reçu lors d’un vol au-dessus de
l’Angleterre : « Tirer sur tout, excepté des cibles militaires. Nous avons tué
des enfants et des femmes avec des poussettes26. »

Le temps de l’Occupation à l’Ouest, 1940-1944

Si l’occupation à l’Ouest est considérée comme ayant été moins


contraignante qu’à l’Est (ce qui n’empêche nullement son cortège
d’atrocités), les responsables allemands qui y sont en poste n’en partagent
pas moins les convictions qui animent leurs pairs engagés en Union
soviétique. La nécessité d’assurer l’ordre allemand, le pillage économique
méthodique dans l’intérêt du Reich, ainsi que la mobilisation de toutes les
ressources pour assurer l’anéantissement du « judéo-bolchevisme » sont
acceptés sans sourciller par les gouverneurs militaires responsables des
territoires occupés à l’Ouest. En Belgique, le Militärbefehlsaber
(gouverneur militaire) von Falkenhausen se montre particulièrement brutal.
Les gouverneurs militaires en France (Militärbefehlsaber Frankreich ou
MBF), Otto von Stülpnagel jusqu’en février 1942, puis son cousin Carl-
Heinrich von Stülpnagel, assurent l’ordre allemand avec la plus extrême
rigueur. Huit cent cinquante personnes sont fusillées comme otages et
3 000 peines de morts sont prononcées par les tribunaux militaires de la
Wehrmacht27.
Les troupes d’occupation déployées en France (de 40 000 à peut-être
près de 200 000 hommes selon les périodes28) opèrent de concert avec les
SS et la police et sont supervisées par le Brigadeführer Carl Oberg. La
plupart des soldats allemands déployés sur le sol français, ceux des troupes
d’opérations (400 000 en 1942-1943, un million en juin 1944), ne sont pas
de leur ressort : ils sont placés sous l’autorité d’un autre homme, le
Feldmarschall von Rundstedt, le chef de l’OB West, soit le haut
commandement à l’Ouest, en charge de la lutte contre les armées alliées.
Être soldat allemand en France c’est donc avant tout se préparer à affronter
les Anglo-Saxons, ou à retourner à l’Est, plutôt que d’assurer le maintien de
l’ordre et la lutte contre la Résistance.
La compromission de l’armée avec la Shoah est sans équivoque. Carl-
Heinrich von Stülpnagel29, qui n’hésite pas à faire exécuter des Juifs
lorsqu’il est le commandant de la 17e armée en Ukraine, décide que les
représailles en France doivent prendre la forme de déportations, et non plus
d’exécutions directes, même si la déportation signifie la mort à plus ou
moins brève échéance. À partir de l’automne 1942, les déportations se
substituent ainsi aux exécutions en France : plus de 160 000 personnes sont
déportées en Allemagne (dont 72 000 Juifs30) et 15 000 exécutées lors de la
répression « antiterroriste » menée au cours de la dernière année de
l’Occupation31. Cette mesure concerne aussi bien les Juifs que tous les
individus qui seraient arrêtés pour activités jugées « antiallemandes », au
premier rang desquels les résistants. Pourtant, il n’est pas question pour
Stülpnagel que l’armée participe à la déportation des Juifs : c’est l’œuvre de
la SS, assistée par Vichy. En revanche, la Feldgendarmerie apporte son
concours occasionnel aux SS en Belgique32. Pour autant, le MBF entérine
les mesures antijuives avec les ordonnances imposant le port obligatoire de
l’étoile jaune ou encore l’interdiction de fréquenter les lieux publics. Pis, la
proportion de Juifs parmi les otages exécutés reste importante33. Parmi les
victimes comptabilisées lors de l’opération « Brehmer », en Dordogne, on
dénombre des civils juifs, tués ou déportés : une pratique qui rappelle la
guerre antipartisans menée à l’Est34. S’il est difficile d’attribuer avec
précision les crimes à la Gestapo, la SS ou à la Wehrmacht, cette dernière
est un assistant fidèle de la police allemande, et même un exécutant très
impliqué.
Les actions de « maintien de l’ordre et de la sécurité » entreprises par la
Wehrmacht contre les résistants, en particulier les maquis, sont menées avec
la plus extrême vigueur, pour ne pas dire brutalité. Pour autant, il apparaît
rapidement que l’exécution d’otages ne fait qu’empirer la situation,
renforçant les sentiments antiallemands de l’immense majorité de la
population, voire développant une volonté de vengeance chez les parents
des victimes. Ce n’est qu’en 1944 que la Résistance, plus nombreuse et
mieux équipée par les Alliés dans la perspective du débarquement, mène
des opérations de guérilla sur une plus grande échelle qu’auparavant. Les
attaques se multiplient, rendant l’existence de l’occupant plus difficile. Les
Allemands vont répliquer en menant de vastes opérations de ratissage dans
divers secteurs, employant des méthodes proches de celles en vigueur à
l’Est. Aux côtés des SS, ce sont avant tout des unités de sécurité qui
interviennent. Il n’est plus question de respecter l’article 50 de la
convention de La Haye qui stipule qu’aucune mesure de représailles
collectives ne peut être entreprise sur la population du fait de l’action
d’individus isolés. Pis, certains responsables, tel Hugo Sperrle, le
commandant de la Luftwaffe à l’Ouest, décident de prendre des mesures
disciplinaires envers les officiers qui manquent de sévérité car « ils mettent
en danger la sécurité de leurs hommes35 ».
Certes, les hauts responsables à l’Ouest ne poussent aucunement à tuer
des femmes et des enfants, bien au contraire, puisque Carl-Heinrich von
Stülpnagel s’y montre ouvertement opposé, mais aucun soldat allemand ne
sera poursuivi pénalement s’il outrepasse ces limites. Le général
Blaskowitz, qui a condamné les massacres perpétrés en Pologne en 1939-
1940, est le commandant de l’Armeegruppe G en 1944, soit le groupe
d’armées occupant le sud et le sud-ouest de la France. « Nous combattons le
terroriste, déclare-t-il, et non le civil innocent, qui souffre lui-même du
terroriste36. » Blaskowitz va jusqu’à demander à Rundstedt que les
résistants qui se rendent volontairement ne soient pas punis, demande
rejetée. Rundstedt refuse de la même façon la demande du général
Eisenhower, le commandant en chef des forces alliées, de considérer les
résistants comme des membres à part entière des forces alliés, ce qui
implique de les traiter comme des soldats comme les autres, avec ce que
cela suppose comme garanties en cas de capture. Le Generalleutnant
Pflaum, chef de la 157. Reserve-Division, une unité activement engagée
contre les résistants, rapporte cependant combien ses hommes répugnent à
maltraiter des civils innocents. Si les méthodes de la SS et du SD sont
efficaces, concède Pflaum, il ne souhaite pas que ses hommes soient
impliqués.
De vastes opérations « antiterroristes » et de maintien de l’ordre sont
menées au cours du premier semestre 1944 : « Korporal » dans l’Ain,
« Haute-Savoie » sur le plateau des Glières, « Brehmer » en Dordogne et en
Corrèze, et « Printemps » dans l’Ain et le Jura. Les moyens engagés sont
lourds, y compris des escadrilles de la Luftwaffe. Le rapport des tués
allemands et résistants, 1 pour 25, est éloquent. Ces expéditions punitives
sont donc menées sans ménagement, les unités allemandes étant incitées à
ne plus faire de prisonniers lors des combats dans un ordre signé de Keitel
en date du 4 mars 1944. Quant aux captifs, le même sort les attend : la peine
de mort37. Une décision suivant le décret signé par le Feldmarschall de la
Luftwaffe Hugo Sperrle qui, en qualité de substitut de l’OKW, décide qu’en
cas d’attaque terroriste les soldats allemands doivent réagir immédiatement,
sans attendre les ordres, boucler la zone, arrêter tous les civils et mettre le
feu aux habitations d’où sont partis les coups de feu. Quant aux victimes
innocentes, la responsabilité en est attribuée aux seuls « terroristes »38. Si
les autorités allemandes à l’Ouest mettent un point d’honneur à distinguer
les « terroristes » des civils innocents, il n’est pour autant pas prévu de
sanctionner les soldats qui abuseraient de la licence qui leur est accordée.
La perspective de l’invasion alliée à l’Ouest en 1944 renforce les
tensions avec la population. L’érection du mur de l’Atlantique requiert
l’évacuation de 300 000 civils de leurs domiciles situés dans les zones à
fortifier. Les travaux de défense nécessitent une large main-d’œuvre,
souvent requise, outre des déportés soumis aux travaux forcés39. Rundstedt,
qui a déjà fait montre de fermeté en Russie et face aux Italiens lors de la
prise en charge de la zone d’occupation italienne dans le sud de la France,
montre de nouveau combien il est prêt aux méthodes les plus dures : il
estime ainsi que la meilleure méthode pour décourager les travailleurs à la
paresse est de les exécuter40. Le soldat de Hitler reste donc au service d’une
armée particulièrement brutale.
Pendant les six premiers mois de l’année 1944, 562 cas de vols sont
rapportés dans le secteur de la 7e armée déployée en Normandie et en
Bretagne, les populations se plaignant plus particulièrement des exactions
commises par les Osttruppen. Si ce chiffre est seize fois supérieur à celui de
la 16e armée engagée à l’Est41, cela s’explique sans doute parce que le
pillage est admis à l’Est et que les plaintes formulées par des civils y sont
probablement rares.
L’endoctrinement des soldats de Hitler mène pourtant aux pires
exactions. La fureur des troupes allemandes n’est jamais davantage mise en
évidence qu’au moment où elles mènent des représailles en réponse à un
attentat. Le 2 avril 1944, à Asq, en Belgique, les jeunes soldats fanatisés de
la 12e Panzer SS « Hitlerjugend » frappent à l’aveugle autour de la gare où a
été perpétré un attentat contre les forces d’occupation : 86 civils périssent.
Le massacre ne cesse que sur intervention de la Feldgendarmerie. Une
réaction à chaud qui en dit long sur le fanatisme des adolescents de Hitler.
À Nîmes, ce sont 17 civils qui sont pendus par les jeunes Waffen-SS de la
9e Panzer SS « Hohenstaufen ».
La violence se déchaîne après le Débarquement, lorsque la Résistance
se lance dans des opérations à grande échelle pour soutenir les Alliés. Les
massacres les plus terribles et les plus célèbres sont l’œuvre de la 2e Panzer
SS « Das Reich ». Le 10 juin 1944, la division anéantit le village
d’Oradour-sur-Glane et y massacre 642 hommes, femmes et enfants.
À Tulle, la division pend 99 otages aux balcons et en arrête des centaines
d’autres qui seront déportés en Allemagne. Le 25 août, le jour de la
libération de Paris, ce sont de nouveau des Waffen-SS (la
17e Panzergrenadier SS « Götz von Berlichingen ») qui anéantissent le
village de Maillé, en Indre-et-Loire, où ils assassinent 124 civils. Ces
massacres s’effectuent sous l’autorité d’un état-major de corps de la
Wehrmacht et ne soulèvent aucune protestation…
Le jour même des massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane, la
Kommandantur de Marseille fait arrêter et déporter en Allemagne tous les
hommes âgés de 18 à 40 ans du village de Capestang, au sud-ouest de
Montpellier, au motif d’un simple soupçon : ses habitants soutiendraient les
résistants42. Une mesure préventive qui rappelle les pratiques menées à
l’Est. La Wehrmacht se rend elle aussi coupable d’atrocités. Ce même mois
de juin, le Kampfgruppe Wilde de la 11e Panzer massacre des résistants
après leur capture, assassine des civils et brûle un village. La 189e division
de réserve tue froidement 76 résistants pris lors des combats. En août, les
hommes de la 3. Panzergrenadier-Division passent 86 civils par les armes.
Toutefois, les femmes et les enfants sont systématiquement épargnés43.
C’est également la Wehrmacht qui réduit de façon expéditive les maquis du
mont Mouchet et du Vercors.
Les opérations menées dans le Vercors impliquent de nombreuses
troupes de l’armée : 157e division de réserve, éléments de la 9e Panzer,
parachutistes, Osttruppen… Les atrocités sont nombreuses, la plupart
imputables aux supplétifs de l’Est. À La Mure, les Osttruppen exécutent
leurs prisonniers avec un raffinement sadique44. La Wehrmacht n’hésite pas
à appliquer les méthodes les plus dures attribuées à la police et à la SS : on
ne laisse que l’indispensable dans les fermes, l’armée procédant elle-même
aux incendies des écoles, mairies ou hangars qui ont servi de dépôts aux
résistants et procédant aux arrestations des hommes « de 17 à 30 ans qui
n’ont jamais appartenu à la Résistance et qui ne l’ont jamais soutenue ». La
responsabilité de la 157e division de réserve dans le massacre de 150 civils
est également établie45. Les pertes françaises se montent au total à 201 civils
et 639 maquisards tués, ces derniers pour partie exécutés. Les atrocités sont
acceptées par la majeure partie des soldats allemands impliqués : « Ces
gens ont été tués par nous sans pitié, écrit l’un d’eux à ses parents. Nous
avons complètement exterminé un hôpital de partisans, y compris les
docteurs et les infirmières. […] Mais ces salauds ne méritaient pas
mieux46. »
La perspective de la défaite rend les soldats allemands plus enclins à
commettre des excès. Un certain Büsing rapporte le massacre de civils
normands après qu’un parachutiste a été abattu par un coup de feu,
vraisemblablement tiré par des résistants. Blessé, le sous-officier enjoint à
ses hommes de tout détruire et de ne laisser personne en vie. Tirés de leur
sommeil, les pauvres villageois sont tous passés par les armes47.
La Hollande n’est pas épargnée par ces dérives criminelles d’une armée
au service d’une dictature brutale. Lorsqu’un attentat est mené contre une
voiture allemande près de Putten, en octobre 1944, les représailles
ordonnées par Christiansen, le gouverneur militaire allemand, dépassent
toute mesure : la ville est rasée, les hommes âgés entre 17 et 50 ans arrêtés
(600 sont déportés au camp de concentration de Neuengamme). La
population de la Belgique voisine, libérée en septembre 1944, subit une
nouvelle fois la barbarie hitlérienne au cours de la contre-offensive des
Ardennes de décembre 1944 : à Bande, 34 civils sont massacrés par le
Kampfgruppe Peiper. Quelques-uns sont assassinés à Wanne. Le
Kampfgruppe Knittel, de la 1re Panzer SS, se venge également sur la
population civile dans les villages de Ster, Parfond Ruy et Reharmont, sur
les hauteurs de Stavelot. On dénombre 164 civils assassinés dans le secteur
de la 1re Panzer SS : la plus jeune victime n’avait que 8 mois, la plus âgée
88 ans48…

Les crimes à l’encontre des soldats alliés à l’Ouest en 1944-


1945

Bien que militaires, des dizaines de commandos alliés sont exécutés ou


déportés en vertu du Kommandobehfel de Hitler du 18 octobre 1942, qui
stipule qu’aucun quartier ne sera accordé à cette catégorie de combattants.
C’est ce qui arrive à quinze infortunés commandos de l’OSS, vêtus de
tenues de GI, capturés en Italie le 22 mars 1944, dans le cadre de
l’opération « Ginny », dont le but est de saboter un tunnel ferroviaire près
de La Spezia. Ces Américains sont fusillés le 26 mars près du village
d’Ameglia et achevés chacun d’un coup de grâce dans la tête49. La litanie
des crimes commis par les soldats allemands se poursuit avec l’ouverture
d’un nouveau front à l’Ouest, en Normandie, le 6 juin 1944. Les forfaits les
plus célèbres sont imputables à la division SS « Hitlerjugend », qui
assassine froidement des prisonniers canadiens en début de campagne50.
À Graignes, d’autres Waffen-SS font montre de la brutalité qu’on leur sait
coutumière : tous les parachutistes américains capturés sont abattus séance
tenante, sans autre forme de procès. Michel Folliot témoigne : « En signe de
vengeance, des éléments de la 17. SS Panzergrenadier-Division fusillèrent
les abbés Leblastier et Lebarbanchon. » Denise Boursier-Lereculey se
souvient elle aussi du drame : « Ils les mirent, pendant deux heures, les
mains sur la tête en leur défendant de bouger. Un de ces malheureux, pour
avoir bougé, reçut un coup de botte de la part de ces brutes. Puis un autre
officier américain fut amené dans une charrette à traire escortée de deux
officiers qui le flattaient par pitié. Ces autres bandits se mirent à lui tirer sur
la jambe pour le faire crier, puis ils achevèrent ce malheureux dans l’église
ainsi que ses deux camarades51. » Perfidie aussi que le forfait commis par
ces SS qui, avançant avec de larges drapeaux blancs, les jettent
soudainement pour tirer sur des Canadiens trop confiants qui se portent vers
eux et sont criblés de balles. Un de ces SS, blessé, chute dans une rivière et
est sauvé de la noyade par un Canadien. Loin d’en être reconnaissant, le SS
n’hésite pas à abattre son sauveur d’une balle dans le dos52. La Croix-Rouge
n’est pas toujours respectée. Un chirurgien américain rapporte que des
infirmiers et des médecins ont été assassinés par l’ennemi. « Un infirmier,
déshabillé, avait été suspendu à une poutre et tué à coups de baïonnette dans
l’estomac53. »
Obéissant aux injonctions de son Führer dont le Reich est aux abois,
l’armée allemande se montre particulièrement brutale au cours de la bataille
des Ardennes. Dès lors, on ne peut s’étonner des atrocités que multiplient
les SS, en particulier ceux de la sinistre colonne du Kampfgruppe Peiper. Le
crime le plus célèbre est celui de l’exécution de 84 prisonniers au carrefour
de Baugnez, non loin de Malmedy. Le champ du massacre, près du café
Bodarwé, n’est pas sans provoquer un certain effroi rétrospectif. Toute
polémique sur l’attitude du Kampfgruppe Peiper à cet égard semble stérile :
abattre des hommes désarmés et passer entre les rangs des mourants pour
les achever constitue sans aucune discussion un crime de guerre. Il en est
d’autres : Honsfeld, Lanzerath, La Gleize et Ligneuville sont également le
cadre de l’exécution de prisonniers américains (65 au total) par les hommes
de Peiper54. Dès les combats de Normandie, les soldats alliés n’hésitent pas
non plus à abattre froidement leurs prisonniers, particulièrement les Waffen-
SS, notamment après le drame de Baugnez dans les Ardennes, ou encore
lors des combats pour Paderborn, lors de la bataille de la poche de la Ruhr
en 1945, après l’émotion suscitée par la mort du général américain Maurice
Rose, tué au moment où il offrait sa reddition. Des crimes pourtant moins
systématiques que dans le camp allemand, et non motivés par une idéologie.

La campagne de Pologne : le laboratoire d’une guerre menée


sous l’égide d’une idéologie raciste

Si l’idéologie tient une place relativement secondaire dans la guerre à


l’Ouest, il en va tout autrement à l’Est, où le racisme qui imprègne l’armée
allemande va se traduire par une litanie de massacres perpétrés par les
soldats de Hitler, massacres d’une ampleur sans commune mesure avec les
crimes commis par la Wehrmacht et la SS à l’Ouest. La Pologne constitue
dans une certaine mesure une phase d’accoutumance à une nouvelle forme
de guerre : une guerre menée sous le sceau de l’idéologie raciale. Cette
nouvelle conception du combat trouvera son acmé dans l’affrontement
contre l’Union soviétique deux ans plus tard.
Les soldats de Hitler considèrent la guerre d’agression menée contre la
Pologne comme légitime, un sentiment renforcé par la propagande qui joue
habilement sur l’antislavisme largement répandu. Le seul fait que la moitié
occidentale du territoire polonais ait été autrefois germanique représente le
symbole même de l’iniquité du traité de Versailles. Guderian, originaire de
l’ancienne partie de l’Allemagne cédée à la Pologne en 1919, s’en fait
l’écho dans ses Mémoires.
Pour les Allemands, les « sous-hommes » slaves ne peuvent qu’avoir
des comportements de barbares. On leur prête volontiers l’habitude de
mutiler les captifs. « Je ne voudrais pas être leur prisonnier, écrit un
caporal-chef de la 2e Panzer. Ils se comportent de façon non européenne et,
en fait, inhumaine. » Et de les comparer à des « Gitans avec leurs
charrettes », les Gitans, méprisés eux aussi par les nazis qui vont les
exterminer ; la comparaison est d’autant plus marquante que ce soldat
appartient à une division blindée, donc entièrement motorisée. Ce mépris
généralisé facilite le passage à l’acte criminel : on estime à 3 000 le nombre
de soldats polonais assassinés en dehors des combats, donc après leur
capture55. Les exactions auxquelles se livre la soldatesque nazie surviennent
rapidement au cours de la campagne : le 5 septembre, à Serock, les gardiens
allemands tuent 84 prisonniers qui auraient tenté de s’enfuir56. Le chiffre
paraît élevé pour une tentative d’évasion : quelques hommes abattus
auraient vraisemblablement suffi à stopper toute velléité de fuite…
Les civils polonais font aussi les frais de ce déchaînement de violence
provoqué en partie par des considérations raciales. Le 29 septembre, l’état-
major de la 12e DI enjoint à ses troupes de veiller à leur apparence et à leur
conduite, des officiers étant même punis pour état d’ébriété et agressions
sexuelles57. Les pillages sont monnaie courante, au grand dam des autorités
supérieures, à l’instar du Feldmarschall Gerd von Rundstedt, chef du
Heeresgruppe Süd.
Comme au cours de la guerre de 1870, la phobie du franc-tireur
s’empare des soldats allemands, ce qui va conduire aux pires excès. Des
rumeurs circulent : une femme âgée de 60-70 ans aurait tranché la gorge à
deux soldats durant leur sommeil58… Si passer par les armes un combattant
non revêtu d’un uniforme est admis, exercer des représailles aveugles et
collectives est expressément prohibé par les conventions. La spirale des
représailles sur les civils sera une constante dans la manière dont la
Wehrmacht réagit aux agressions dont elle est victime. Certains soldats,
assistant à l’incendie de villages d’où auraient été tirés des coups de feu, ont
du mal à supporter les cris. Mais ce sont les ordres : le Feldmarschall von
Bock, le commandant du Heeresgruppe Nord, préconise en personne que
tout soit détruit si on ne peut déterminer avec précision d’où venaient les
tirs. L’excès de zèle renforce le drame que vivent les populations civiles
polonaises. Lorsque le général von Reichenau ordonne d’exécuter trois
Polonais pour chaque soldat allemand assassiné ou pour tout acte de
sabotage, cet ordre est porté à dix otages fusillés par le Generalleutnant von
Schenckendorff59. La hiérarchie de la Wehrmacht, et partant toute l’armée,
est donc impliquée dans les crimes dès les premiers jours de la guerre. En
l’espace de deux mois, entre 15 000 et 27 000 civils sont exécutés et des
centaines de localités réduites à l’état de décombres60. Cette guerre des
soldats de Hitler est une nouvelle forme de guerre : les civils, mitraillés,
bombardés, exécutés, offrent des cibles comme les autres. Le Führer
entérine officiellement cette violence : dès le 4 octobre, il annonce une
amnistie pour les « excès » commis par les soldats allemands61. Une
amnistie dont bénéficie un officier de la 1. Leichte-Division coupable
d’avoir fait fusiller deux femmes sur le simple soupçon d’avoir envoyé des
signaux à des artilleurs polonais. Scandalisé par ce crime indigne d’un
officier allemand, un autre cadre de l’unité, un certain Stauffenberg, l’auteur
de l’attentat de juillet 1944 contre Hitler, fait tout son possible – en vain –
pour faire traduire cet homme en cour martiale62.
L’importance de la population juive en Pologne pose la question de
l’implication de l’armée allemande, et donc des soldats de Hitler, dans la
Shoah. Un soldat ne masque pas son mépris des Juifs lors de sa première
campagne (la Pologne) : « Si nous quittons un jour ce désert, ce sera comme
aller au pays des merveilles, car toutes les villes, de Cracovie à Lvov, sont
des repaires crottés remplis de Juifs63. » Les massacres perpétrés à grande
échelle contre les Juifs débutent au cours de cette campagne. De nombreux
officiers supérieurs s’insurgent contre ces pratiques, au premier rang
desquels le général Blaskowitz. Persuadé que ces assassinats sont commis à
l’insu du Führer, il tente d’en avertir celui-ci. Ses arguments sont que ces
crimes ne font qu’aggraver la situation et que tuer quelques dizaines de
milliers de Polonais et de Juifs ne va faire disparaître ni l’idée d’un État
polonais ni ces populations. Une position pour le moins ambiguë car elle
signifie que Blaskowitz n’appelle pas clairement à stopper ces massacres.
Le général craint seulement une généralisation de la violence et de la
brutalité qui ne peuvent rien régler : « La seule façon de se protéger contre
cette épidémie, écrit-il, consiste à traduire, dans les plus brefs délais, les
coupables et leur bande devant le commandement et la juridiction
militaires64. »
Si Blaskowitz réagit au nom de convictions humanistes a priori
profondes, d’autres officiers sont plus pragmatiques et avancent d’autres
raisons, telles que l’image renvoyée par le soldat allemand, ainsi que le
maintien de la discipline au sein de la troupe. Les protestations ne sont pas
relayées. Elles sont mêmes rares, alors que les assassinats de masse sortent
du cadre de ce qui est communément admis dans le droit de la guerre.
L’armée, préoccupée par des questions de sécurité, est prête à adopter les
mesures les plus sévères. De fait, la Wehrmacht participe activement aux
brimades et aux violences infligées aux Juifs. Un comportement qu’on ne
saurait généraliser : nombre de soldats allemands se comportent de façon
tout à fait correcte avec les Juifs et les civils polonais en général. Un témoin
rapporte même que des Allemands ont été invités à un mariage juif65. La
compromission de l’armée dans les violences faites aux Juifs ne saurait être
minimisée pour autant : le général von Brauchitsch, le commandant en chef
de l’armée, se déclare prêt à coopérer avec les SS dans un projet
d’installation de colons allemands, vétérans de la Wehrmacht. Ainsi, s’ils
sont l’œuvre de la SS, les crimes sont commis sous les yeux des Landser, et
même sous leur protection66.
La période sombre de l’Occupation ne fait que débuter pour l’infortunée
Pologne. La litanie des crimes ne va cesser de prendre de l’ampleur, jusqu’à
atteindre un paroxysme alors que sonne l’heure de la délivrance du joug
nazi. La Wehrmacht et la Waffen-SS font en effet montre d’un
déchaînement de violence inouï pour réprimer le soulèvement de Varsovie
d’août 1944. Le comportement des soldats de l’armée régulière oscille entre
le meilleur et le pire, le général Guderian, chef de l’OKH, ne condamnant
en aucune manière les méthodes ordonnées par Hitler ou Himmler. Les SS,
en particulier les troupes placées sous les ordres de l’Obergruppenführer
von dem Bach-Zelewski – et notamment la terrible brigade de
Dirlewanger –, se comportent de manière particulièrement barbare. La
campagne de Pologne, aussi brutale soit-elle, n’est pourtant que le prélude
de la guerre à l’Est.

Le massacre des prisonniers de guerre soviétique : le plus


grand crime des soldats de Hitler

Le crime le plus important imputable à la Wehrmacht est celui perpétré


à l’encontre des prisonniers de guerre soviétiques : les victimes se comptent
en millions. À la différence des autres crimes auxquels elle participe plus ou
moins directement, l’armée allemande, avec ses dirigeants, porte ici
l’entière responsabilité de cette abomination. Aucune des garanties
accordées aux prisonniers par les conventions de La Haye et de Genève
n’est assurée aux prisonniers de l’Armée rouge, loin s’en faut. Sur les
5,7 millions de soldats soviétiques faits prisonniers par l’armée allemande,
3,3 millions sont morts en captivité, dont 2 millions au cours du premier
hiver de la guerre en Russie, un total déjà impressionnant qui exclut tous
ceux qui sont vraisemblablement abattus dans le feu de l’action, avant
même d’avoir pu être comptabilisés au nombre des captifs. Ces derniers
sont probablement nombreux a avoir été assassinés dans la plus plate
indifférence, ainsi que nous l’apprennent certains écrits : « Nous avions fait
quelques prisonniers, nous les abattîmes tous dans la journée. » Le soldat
Landowski et ses camarades prennent pour leur part une pause près de
Velikié Louki, à 500 mètres d’un groupe de SS occupés à assassiner des
prisonniers à la vue des Landser, sans que cela semble incommoder
personne67.
La guerre à l’Est se distingue par sa férocité et son caractère
idéologique : cet aspect fait donc d’elle un conflit sans précédent sur le plan
historique. Pour le Führer, il ne peut être question de la camaraderie entre
soldats par-delà l’uniforme : le combat doit être mené sans pitié, car il s’agit
d’un combat à mort contre le « judéo-bolchevisme ». Hitler s’exprime
clairement à ce propos le 31 mars 1941 devant un aréopage de
250 généraux qui vont diriger les forces d’invasion en Union soviétique. Il
est d’emblée évident que l’armée va devoir mener une guerre contraire aux
règles du droit international et à l’éthique militaire. Pour autant, le discours
du Führer ne suscite aucun rejet, aucune objection commune, tout au plus
quelques réprobations isolées68.
Les « ordres criminels » stipulent que la Wehrmacht devra assister les
Einsatzgruppen sur les plans opérationnel et logistique ; les crimes qui
seront commis contre les civils et les prisonniers de guerre ne seront
passibles de la cour martiale qu’en cas de rupture de la discipline ; il est
expressément ordonné de se montrer « brutal » envers les Juifs, les partisans
et les saboteurs ; enfin, le Kommissarbefehl (l’ordre des commissaires)
ordonne l’exécution immédiate en cas de capture des commissaires
politiques, sans autre forme de procès. Ces ordres criminels de l’OKW sont
relayés sans états d’âme apparents par l’OKH et par la hiérarchie du front.
Avant même le lancement de l’opération, le général Hoepner écrit que
« chaque opération, dans sa conception et son exécution, doit être guidée
par une volonté absolue d’anéantissement total et impitoyable de l’ennemi.
Il n’y a en particulier aucune pitié à avoir pour les représentants de l’actuel
système russo-bolchevique ». Pour Hoepner, il s’agit ni plus ni moins de
« la défense de la culture européenne contre l’invasion moscovito-asiatique,
de la résistance contre le bolchevisme juif69 ».
Loin de se cantonner à l’exécution des commissaires politiques, les
soldats de Hitler vont procéder à des massacres collectifs de masse de leurs
captifs. Quels critères moraux mettre en avant pour s’y opposer, dès lors
que la discipline est pervertie par la licence accordée aux crimes contre les
civils ou qu’il est admis d’assassiner les Juifs et les communistes ?
Soucieux de l’honneur du soldat allemand, les généraux lui donnent ainsi
toute latitude pour le ternir de la façon la plus abjecte70. Les soldats qui
agissent de la sorte, sans ordres, ne peuvent être sanctionnés dès lors que
leurs supérieurs leur ont déjà donné des ordres similaires en d’autres
occasions71. Pis, lorsque l’ordre des commissaires est levé (on comprend
qu’il renforce la combativité jusqu’au-boutiste de l’ennemi), il est difficile
d’appliquer la mesure tant l’idéologie conditionne l’attitude des soldats
allemands. L’idéologie nazie est en effet acceptée par la troupe : elle seule
est à même de lui faire admettre la situation qui est la sienne, le caractère
impitoyable de l’adversaire et une guerre toute autre que celle qu’elle a
connue jusqu’alors72.
La haine du Soviétique constitue le terreau de ces actes de violence
d’une ampleur démesurée. Dans les rangs de la Wehrmacht, on colporte des
histoires de déserteurs ou de prisonniers allemands mutilés… Fritz
Farnbacher rapporte le cas de soldats allemands capturés en novembre
1941, déshabillés, aspergés d’eau, attachés sur un traîneau et abandonnés à
une mort horrible dans un froid mordant. « Pas de quartier pour ces
prédateurs et ces bêtes73 ! » écrit-il, rageur, dans son journal. Le mépris est
tel que, lorsque survient le temps de la retraite, certains se sentent humiliés
à devoir battre en retraite devant « une telle vermine74 ». Les soldats
allemands sont nombreux à considérer leurs adversaires comme des
Asiatiques brutaux, sournois et sauvages. Ils les voient comme des bêtes
sauvages. Le soldat Eugen Altrogge se montre incapable de comprendre un
peuple qu’il juge primitif, naïf et violent75. En revanche, un pareil appel à la
vengeance semble absent chez Guy Sajer, qui rapporte certes les mauvais
traitements infligés sur des prisonniers allemands, mais qui s’insurge devant
le sadisme de Landser anciennement captifs qui éventrent des prisonniers
russes à la grenade, des malheureux « qui, jusqu’à la dernière seconde,
imploraient leur grâce en hurlant76 ».
Comme en Pologne ou en France, mais alors que les crimes sont
innombrables et généralisés, seule la question de la discipline préoccupe les
cadres : on est loin de toute considération d’ordre moral. Certes, le général
Lemelsen, commandant du 47e corps de panzers, exprime une opinion
contraire aux vœux du Führer en s’indignant des exécutions car « un soldat
russe, qui a été fait prisonnier alors qu’il portait l’uniforme, et après avoir
bravement combattu, a droit à un traitement décent77 ». Un général
humaniste ? Loin s’en faut : Lemelsen ne remet pas en cause le bien-fondé
de l’ordre des commissaires, ni la brutalité de comportement à adopter
envers les partisans. De fait, la plupart des généraux font leurs les
conceptions de Hitler quant à la façon de mener la guerre à l’Est.
L’hiver russe est fatal à 2 millions de prisonniers, détenus dans les
conditions les plus atroces, dans un dénuement extrême. Il est formellement
interdit de prodiguer des soins aux blessés et de leur donner des
médicaments78, un ordre qui s’explique peut-être par la pénurie
d’équipement au front, mais aussi par une absence d’humanité. Laissés à la
merci des éléments dans le froid, la boue, sans hygiène et sans nourriture,
leur captivité n’est qu’une longue agonie, une vision de l’enfer. Les
mauvais traitements à leur endroit sont légion et perdurent les années
suivantes. Les soldats de Hitler n’hésitent pas à les utiliser pour déminer les
champs. À Stalingrad, en 1942, des captifs attelés à des charrettes font
office de bêtes de trait… Ceux qui ne montrent pas assez d’ardeur à la tâche
sont abattus séance tenante79. Les prisonniers de la poche de Stalingrad,
enfermés dans des champs clos par des barbelés, sans aucun abri, dans la
neige, subissent un calvaire. On n’est dès lors guère surpris que nombre
d’entre eux optent pour servir comme Hiwis, auxiliaires « volontaires » de
la Wehrmacht. Le calvaire ne se termine nullement en Allemagne pour les
survivants qui parviennent dans des Stalags. Nourris parfois de simples
épluchures de pommes de terre80, ils sont corvéables à merci, astreints à un
travail forcé en usine. Pis, ce sont des détenus de l’Armée rouge qui sont les
cobayes des chambres à gaz où seront exterminés des millions de Juifs dans
le cadre de la Solution finale.
Face à ces démonstrations de racisme sans équivoque, l’argument de
l’impréparation matérielle comme cause essentielle de ce drame ne saurait
suffire. Le Reich a sciemment prévu d’accorder la priorité aux troupes et
aux civils allemands. La levée – toute relative – des mauvais traitements à
l’issue du terrible hiver 1941-1942 s’explique non par des considérations
humanitaires, mais par un besoin de main-d’œuvre dans la perspective
d’une guerre longue. Ces crimes, avalisés par les plus hauts responsables de
la Wehrmacht à l’Est, sont commis sans états d’âme par la majeure partie
des soldats de Hitler de l’Ostfront, quel que soit leur niveau hiérarchique.
De façon très caractéristique et éloquente, les Soviétiques constatent que les
généraux allemands faits prisonniers à Stalingrad ne profèrent des critiques
envers le Führer qu’en raison de leur abandon dans la ville de la Volga. Nul
d’entre eux n’émet la moindre réserve quant à la politique criminelle du
régime entreprise en Union soviétique dès le premier jour de
« Barbarossa »81.

Les civils soviétiques : victimes des brutalités des soldats


allemands

Maltraiter ceux qu’on ne considère que comme des sous-hommes – ce


qui va au-delà des seuls Juifs et inclut tous les Slaves – devient habituel. Le
Landser moyen n’est apparemment pas choqué outre mesure par les ordres
les plus criminels. Il vit dans un environnement brutal, dans lequel la mort
est omniprésente : après tout, il ne fait que son devoir, estime-t-il, et peu
importe qui meurt et de quelle façon. Déshumaniser les victimes facilite
l’acceptation de leur mise à mort. Acceptant ces conceptions raciales, les
soldats allemands éprouvent moins de difficulté à brutaliser les Soviétiques,
jusqu’à commettre un crime, qu’à assassiner des ressortissants des autres
pays occupés. Un comportement devenu la norme : on ne fait plus attention
aux pendus. Les villages sont incendiés, les civils dépouillés de leurs
vêtements d’hiver ou on pille leurs provisions : rien de plus normal et
d’acceptable pour les Landser82. En mars 1943, loin de s’émouvoir qu’une
femme périsse brûlée vive et que les hommes soient évacués de force, un
soldat évoque la « vision fantastique » des villages en feu83. Les
déprédations sont si répandues que les civils soviétiques en viennent à se
montrer reconnaissants lorsque leurs maigres biens sont épargnés84.
Les crimes peuvent être parfaitement gratuits : une malheureuse jeune
femme, dont l’unique tort est de n’avoir pu fournir le pain demandé, est
pendue séance tenante85. Gare au civil qui ne respecte pas le couvre-feu : les
soldats sont invités à faire usage de leurs armes pour le faire respecter, et ce
« sans ménagement », c’est-à-dire probablement sans se soucier de faire des
sommations avant d’ouvrir le feu. À Kharkov, des centaines d’hommes sont
pendus aux balcons86. Le haut commandement, non content d’entériner les
ordres les plus criminels, va parfois les encourager ou, au mieux, légitimer
leur action avec des arguments d’ordre purement militaire87. Les familles
sont loin de réfréner les tendances criminelles de l’armée, à l’image d’Anna
Neuber qui enjoint à son fils Georg, soldat témoin d’atrocités, « de toujours
obéir à ses supérieurs, quels que soient les ordres, et de prier Dieu de ne
jamais être forcé à faire une chose mauvaise88 ».
L’armée doit vivre sur la population, et elle en accepte toutes les
implications. Par des températures extrêmes, plus la moindre trace de
scrupules ne retient le bras des Landser qui dépouillent les moujiks de leurs
maigres biens. Les forfaits ne perdent pas pour autant de leur ampleur à la
belle saison. Des villes entières seront affamées : Kiev occupée, mais aussi
et surtout Leningrad assiégée, dont la population est vouée sciemment à
l’extermination. Pis, dès la fin de l’été 1941, la peur que des civils déjà
affamés et contaminés par des maladies propagent celles-ci au sein des
troupes allemandes fait que le haut commandement ordonne d’ouvrir le feu
à l’artillerie de campagne sur les civils qui tenteraient de fuir l’ancienne
capitale des tsars89. Cette directive implacable émane du commandant en
chef du Heeresgruppe Nord en personne : le Feldmarschall von Leeb,
limogé quelques mois plus tard par Hitler et qui n’aura jamais à répondre
sérieusement de ses actes devant la justice, puisqu’il ne sera condamné qu’à
trois années de prison. Jusqu’en 1944, les civils sont réquisitionnés par la
Wehrmacht pour des travaux de fortification ou des corvées diverses,
astreintes s’appliquant aux femmes et aux enfants, ces derniers représentant
90 % des requis astreints à des tâches telles que déneiger les routes dans le
secteur de la 12e DI90.
Les dérives criminelles de l’armée et de la Waffen-SS à l’encontre des
civils soviétiques sont particulièrement marquées au cours des opérations
antipartisans. La menace partisane plane partout sur les arrières de
l’Ostfront et la lutte contre les « bandes », selon la terminologie nazie, y
atteint une ampleur inconnue ailleurs, si ce n’est en Yougoslavie. Les
divisions de sécurité, les Sicherheits-Divisionen, sont mises sur pied
spécifiquement pour cette tâche. Les soldats allemands peuvent s’attendre à
tout instant à voir leur train dérailler sous l’effet d’une explosion, ou encore
une sentinelle à se faire égorger nuitamment lors de son service de garde.
Les centres d’approvisionnement représentent des cibles privilégiées,
comme le raconte Guy Sajer : « Aux abords du village, des tranchées et des
postes de défense étaient installés. Ce coin subissait assez fréquemment des
attaques de groupes massifs de partisans. Tous ces mécaniciens et ces
magasiniers devaient alors abandonner outils et cahiers d’inventaire pour
sauter sur leurs mitrailleuses et assurer la sauvegarde du dépôt, ainsi que la
leur91. »
Les opérations antipartisans sont conçues dans l’esprit du pavillon noir :
pas de quartier. Dès la mi-septembre 1941, un ordre de l’OKH condamne
les soldats soviétiques qui se réorganisent derrière les lignes allemandes à
être considérés comme des partisans, avec ce que cela suppose pour leur
sort, encore moins enviable que celui des Frontoviki92. À la 12e DI, l’ordre
est interprété dans son acception la plus brutale : « Les prisonniers derrière
la ligne de front […]. Fusiller en principe ! Tout soldat tue tout Russe
trouvé derrière la ligne de front qui n’a pas été fait prisonnier au combat93. »
L’armée adopte des méthodes plus « policières » pour obtenir des
aveux ou des renseignements : on frappe, on torture, on brûle… Si de
véritables résistants sont découverts, bien des innocents périssent du fait de
ces pratiques. Même les civils les plus affables avec l’occupant ne sont pas
à l’abri : ceux qui s’offrent ou sont recrutés comme guides par des égarés
pour rejoindre les lignes allemandes sont parfois assassinés. On ne saurait
être trop prudents : et s’ils livraient ensuite des informations aux soldats de
l’Armée rouge ? Réduire un village en cendres et procéder à des exécutions
sommaires en guise de représailles devient monnaie courante. Une banalité
instaurée qui s’accompagne parfois des comportements les plus déroutants.
Certains soldats ne peuvent ainsi réprimer des rires après les drames : ils
sont en vie, encore épargnés par l’implacable guerre contre les partisans94.
Le Heeresgruppe Nord donne des consignes non équivoques, qui sont
appliquées par la Wehrmacht : les « repaires » des partisans, c’est-à-dire les
villages, doivent être « liquidés », et ce « du moment qu’ils ne sont pas
indispensables à l’hébergement de nos hommes95 ». Les massacres sont
d’autant plus facilement acceptés par les soldats du Reich qu’on prête –
souvent à juste titre – des pratiques cruelles aux partisans, qui
n’hésiteraient pas à assassiner leurs infortunés captifs, parfois dans les pires
tourments. De façon caractéristique et révélatrice, Guy Sajer insiste sur les
exactions commises par les partisans, tout en ignorant celles perpétrées par
les Allemands96.
Le principe de la lutte antipartisans est de procéder à un encerclement,
ce qui suppose que l’anneau soit solide. Pour mener la « chasse » aux
partisans, l’armée et la SS, ainsi que leurs supplétifs, organisent des
Jagdkommandos, des « commandos de chasse ». La directive du
Führer no 46 d’août 1942 établit sans contestation que la lutte contre les
partisans est du ressort de l’OKH dans les zones administrées par l’armée.
Celle-ci intervient également dans les secteurs contrôlés par la SS et la
police, à savoir les commissariats du Reich, la suprématie de la SS dans
cette lutte étant d’autant plus marquée à partir de juin 1943, lorsque
Himmler est nommé Chef der Bandenbekämpfung, « chef du combat contre
les bandits »97. L’opération « Bamberg », menée par la 707e DI en 1942,
particulièrement cruelle et sanglante, est éloquente quant à la part active
prise par l’armée régulière dans les crimes les plus sordides : cette
opération, comme tant d’autres, vise à transformer une zone en « territoire
sans vie », en pratiquant une politique de déportation de la main-d’œuvre et
de pillage des récoltes et du bétail, ainsi que de toutes les ressources.
Aucune considération de sexe ou d’âge : « Les enfants doivent être
accueillis dans des camps », déclare Goering dans une de ses directives.
In fine, les pires crimes perpétrés contre les civils sont rarement punis98.
Cette impunité accordée aux soldats allemands qui se rendent coupables des
exactions les plus brutales (avec parfois la sympathie de leurs supérieurs) a,
en qualité de soupape de sécurité, permis à l’armée d’imposer sa discipline
de fer. Les civils font à l’évidence office d’exutoire à toutes les souffrances
endurées, que ce soit au nom de la discipline draconienne que les soldats
allemands subissent, ou du fait des conditions du front et de la dureté de la
guerre en Russie. Certes, si la plupart des soldats se tiennent à distance des
différents crimes, ne serait-ce que pour ne pas participer directement à cette
infamie, ils approuvent99. Certains, attachés aux règles de la guerre et
conscients du caractère criminel des exécutions auxquelles ils assistent, se
réjouissent de ne pas en être. C’est le cas de Fritz Farnbacher : il se montre
soulagé de servir sous un commandant qui répugne à donner l’ordre de
piller ou de brûler les villages traversés, et ce quoi qu’il se passe ailleurs
avec d’autres soldats100. De son côté, Kurt Vogeler se lamente sur les
souffrances du peuple russe, assimilant le carnage de la guerre à l’Est à « un
crime contre l’humanité101 ».

Les soldats de Hitler : complices de la Shoah en Union


soviétique

Les civils soviétiques qui subissent les pires tourments des Waffen-SS
ou des Landser sont avant tout les Juifs. Une dérive facilitée par le fait que
l’antisémitisme, ferment de l’idéologie nazie, est largement répandu dans
les rangs de l’armée : « La Pologne russe est terriblement enjuivée, écrit un
soldat. Cinq cents Juifs pour six cents habitants, c’est ce que nous avons
constaté dans un village102. » Un soldat est témoin de brutalités dès les
premiers jours de l’invasion : « De nombreux soldats se tenaient sur une
petite place et maltraitaient un Juif déjà condamné. Il gisait sur le sol,
suppliant. On disait qu’il avait été complice de la mutilation de deux
aviateurs allemands qui avaient dû faire un atterrissage d’urgence. Peu de
temps après j’entendis quelques tirs de pistolet103. » Les témoins des crimes
sont nombreux au sein de l’armée. Pis, ils prennent de nombreux clichés,
envoyés en Allemagne, de sorte que l’ampleur des assassinats parvient
rapidement à la connaissance des civils, à commencer par les photographes
qui développent les pellicules104. Les rumeurs, invérifiables, se propagent,
notamment avec les permissionnaires, comme c’est le cas chez les Scholl,
qui sont à l’origine du mouvement de résistance La Rose blanche. Les
lettres des soldats évoquent aussi ces crimes105. Fritz-Dietlof von der
Schulenburg fait connaître à sa femme l’existence du camp d’Auschwitz où,
rapporte-t-il, des Juifs sont brûlés dans des fours106. En avril 1943, un
colonel décrit les exécutions de Juifs à l’Est à Ernst Jünger, ce qui fait
« frémir d’horreur » ce dernier. « Il paraît d’ailleurs, ajoute l’écrivain, que
ces fusillades n’auront plus lieu car, maintenant, on passe au gaz107. »
Des soldats ont l’occasion d’assister aux assassinats de Juifs, y compris
les Landser qui appartiennent aux unités servant sur la ligne de front.
Certains se délectent même du spectacle, n’hésitant pas à immortaliser les
crimes sur la pellicule. Hermann Gieschen fait partie de ces rares soldats
qui n’éprouvent aucune gêne à raconter dans leurs lettres les meurtres de
Juifs auxquels ils participent. Il enjoint à son épouse de ne pas s’en faire à
ce propos car « c’est ainsi que cela doit être108 ». Les massacres (notamment
des commissaires politiques), déprédations et destructions sont présents,
mais plus furtifs, pour les hommes en première ligne. Les troupes
stationnées à l’arrière en voient davantage, et sont souvent plus actives dans
la répression ou la persécution.
À l’automne 1941, bien des soldats prennent l’initiative d’abattre des
Juifs ou des prisonniers sur-le-champ plutôt que de les emmener à l’écart
avant de les assassiner. La peur des partisans attise ces pratiques iniques de
la part de soldats qui éprouvent un sentiment d’isolement et de danger. Les
crimes, la haine des Juifs se banalisent, la propagande et les ordres ne
cessant de mettre l’accent sur le péril « judéo-bolchevique »109. Les Juifs,
comme les prisonniers de guerre, sont également utilisés pour des
opérations de déminage110.
Comme la Waffen-SS et la SS en général (sans équivoque possible pour
celle-ci), la Wehrmacht participe directement à la Shoah en mettant
notamment sur pied des milices locales. Le vocabulaire employé à l’endroit
des Juifs est des plus virulents : « On a désormais formé une police
ukrainienne, rapporte un soldat allemand. Elle s’occupe de nettoyer la
région des Juifs et des commissaires de telle sorte que bientôt il n’existera
plus aucune de ces bestioles – j’ai constaté en peu de temps qu’il n’y avait
pas d’autres termes pour les qualifier111. » La brutalité des termes employés
porte témoignage de l’imprégnation de l’idéologie nazie dans les esprits :
« Ces créatures humaines sont des porcs, écrit un autre soldat en 1942. Il est
absolument évident que ce sont eux qui ont provoqué cette guerre
infâme112. »
Le massacre de Kaunas, en Lituanie, survenu dans la nuit du 25 au
26 juin 1941, soit à peine trois jours après l’invasion de l’Union soviétique,
est particulièrement éclairant. Ce sont 1 500 Juifs qui sont massacrés dans
cette localité au cours d’un pogrom suscité par l’Einsatzgruppe A. Un
assassinat en masse particulièrement brutal perpétré au vu et au su des
soldats allemands présents à Kaunas, dont le quartier général relève de la
16e armée. Parfois, ce ne sont pas seulement des supplétifs, comme la police
ukrainienne, qui assistent les SS dans leur besogne, mais des membres de la
Wehrmacht113. Lorsque le Feldmarschall Wilhelm von Leeb, commandant
en chef du Heeresgruppe Nord, est avisé des exactions survenant dans la
zone d’occupation dont il a la responsabilité, il ne trouve rien de mieux à
faire que de suggérer que de ne pas s’en mêler, et de deviser sur
l’opportunité ou non de stériliser les Juifs de sexe masculin plutôt que de les
massacrer114. Une réaction pour le moins édifiante et fort éloignée de toute
forme d’humanisme : un trait qui caractérise indubitablement l’armée de
Hitler.
Au mois de septembre suivant, le massacre de Babi Yar, au cours
duquel 34 000 Juifs sont assassinés dans un ravin, illustre sans conteste la
compromission de l’armée dans la Shoah. Si l’élimination des Juifs entre
dans les missions attribuées à l’Einsatzgruppe C, c’est une série d’attentats
très meurtriers visant des bâtiments occupés par l’armée allemande dans le
centre-ville de Kiev qui fournit le prétexte au massacre. Les responsables de
la Wehrmacht s’accordent immédiatement avec les SS pour que les Juifs de
Kiev subissent les représailles. « La Wehrmacht salue mesures et demande
procédure radicale », précise un rapport de la SS envoyé à Berlin. Certes,
les exécutions sont le fait des Einsatzgruppen. Néanmoins, des soldats du
génie de la Wehrmacht participent à la dissimulation de l’odieux
massacre115. Deux mois plus tard, en octobre-novembre 1941, l’armée
franchit un pas en organisant des massacres dans un ghetto de Biélorussie
(alors la Ruthénie blanche), sur ordres exprès du général von Bechtolsheim,
commandant de la Wehrmacht pour le commissariat général de Ruthénie
blanche116.
Les soldats de Hitler, conscients de leurs crimes, ne peuvent que
diaboliser l’adversaire, déshumanisé, pour justifier leur propre
comportement : l’ennemi est un monstre, un barbare, qui mérite le sort que
lui réserve cette guerre d’anéantissement menée en dehors des règles
habituelles117. Le thème de la revanche est également mis en avant par la
propagande pour écraser les scrupules. Dans cette vision des choses, les
civils soviétiques et les Juifs en particulier sont donc responsables des
brutalités qu’ils subissent… Constatant les crimes du régime stalinien, qu’il
attribue à « des méfaits qui ont été perpétrés ici par les Juifs », un sous-
officier affirme que « le peuple allemand a une lourde dette à l’égard de
notre Führer, car si les bêtes que nous avons ici pour ennemies étaient
venues en Allemagne, il y aurait eu des meurtres tels que le monde n’en a
jamais vus ». Et ce soldat d’affirmer que « même le Moyen Âge ne peut être
comparé à ce que nous avons vu ici118 ».
Les généraux ne proclament pas autre chose. Le général von Reichenau,
commandant de la 6e armée, dit à ses hommes en octobre 1941 que le soldat
allemand à l’Est est « l’instrument chargé de venger toutes les ignominies
qui ont été commises contre les Allemands et les peuples qui leur sont
associés. En conséquence le soldat doit avoir une parfaite compréhension de
la nécessité d’infliger un châtiment sévère mais juste aux sous-hommes
juifs ». Le général von Manstein abonde en ce sens : le soldat allemand est
« le vengeur de toutes les atrocités commises contre lui et contre le peuple
allemand ». Et il précise : « Le soldat doit montrer de la compréhension
pour le sévère châtiment infligé aux Juifs, représentants spirituels de la
terreur bolchevique. » Le général allemand estime que les massacres sont
nécessaires « pour étouffer dans l’œuf tous les soulèvements, qui sont le
plus souvent déclenchés par des Juifs119 ». Le général Hoth estime de son
côté qu’il n’y a aucune compassion à ressentir à l’égard de la population,
« asiatique », aux instincts « primitifs » et « excitée par un petit nombre
d’intellectuels juifs ». Le mot est lâché : « Juste. » La violence qui se
déchaîne contre les Juifs est donc légitime120.
Conscient de la portée des crimes que son pays a fait subir aux Juifs, un
soldat posté en Russie écrit ces lignes à sa sœur dès le mois de mai 1942 :
« Nous allons et devons l’emporter, sinon ça ira mal pour nous. La
vengeance des Juifs de l’étranger s’abattrait terriblement sur notre peuple –
car, pour apporter enfin le repos et la paix dans le monde, des centaines de
milliers de Juifs ont été tués ici. Il y a deux fosses communes aux abords de
notre ville. Dans l’une d’elles gisent 20 000 Juifs. Dans l’autre,
40 000 Russes. On pourrait s’en émouvoir, mais quand on pense à la grande
idée qui nous anime, on juge cela nécessaire. En tout cas la SS a fait tout le
travail, on doit lui [en] être reconnaissant121. » Ce soldat accepte l’antienne
nazi présentant les Juifs comme un péril pour la paix. Il n’éprouve par
ailleurs aucun remords : la seule inquiétude qui perce chez lui n’est mue
que dans la perspective d’une vengeance en cas de défaite…
L’attitude du capitaine Töpperwien est un peu différente. En 1943, il
relate dans son journal qu’il sait que les Juifs de Lituanie ont été exterminés
dans des conditions effroyables, qu’il qualifie « d’apparemment
véridiques ». Se pose alors pour lui un cas de conscience : qui, à la guerre,
peut être légitimement tué ? S’il admet les représailles collectives contre les
civils en cas d’aide à l’ennemi, massacrer un peuple lui semble relever
d’une tout autre démarche. Ce soldat ne condamne donc pas les assassinats
d’innocents le cas échéant, et il sert le Troisième Reich jusqu’au bout122.
En dépit des compromissions de l’armée dans l’extermination en masse
des Juifs, des exceptions existent. Le soldat Kuky est écœuré par les
massacres : il est clair pour lui que certains soldats de l’armée sont les
complices de ces crimes123. Le 20 août 1941, des soldats de la 295e DI
découvrent des dizaines d’enfants juifs ukrainiens dans une maison de
Belaia Tserkov. Ces jeunes y ont été rassemblés sur ordre de la
Kommandantur par la Geheime Feldpolizei, une unité qui dépend donc de
la Wehrmacht. De fait, sur le front de l’Est, l’armée se compromet en
ordonnant le repérage et l’enregistrement des Juifs à leur domicile.
L’Oberstleutnant Groscurth, de la 295e DI, tente de les préserver des SS et
de leurs séides ukrainiens, prétendant qu’il aurait été plus humain de les
tuer en même temps que leurs parents. Peine perdue : le général von
Reichenau, commandant de la 6e armée et nazi convaincu, balaie d’un
revers de main un argument qui lui paraît spécieux : les enfants seront
exécutés à leur tour124. Le lieutenant Sibille, du 691e RI opérant près de
Minsk, refuse d’obéir à un ordre qui stipule de massacrer les Juifs de son
secteur : des soldats allemands corrects ne se comportent pas de la sorte,
surtout s’il faut aller jusqu’à tuer des femmes et des enfants125. De tels
comportements, courageux, restent très isolés. L’un des plus célèbres, parce
que porté à l’écran par Roman Polanski126, est celui de Wilm Hosenfeld, qui
sauve des Juifs polonais, dont le pianiste Władysław Szpilman.
Le constat est donc accablant pour l’armée allemande : si une faible
proportion des 17 à 20 millions d’hommes qui ont porté l’uniforme de la
Wehrmacht a participé directement à la Shoah, celle-ci ne serait jamais
survenue sans son concours, ses victoires et sa fidélité sans faille au régime
criminel qu’elle sert. Si des soldats, dans une proportion impossible à
déterminer mais inévitablement faible, se sont risqués à critiquer les ordres
criminels reçus, ils ont obtempéré, faute de quoi ils auraient été traduits en
cour martiale.

Les crimes de la Wehrmacht et la Waffen-SS dans les Balkans

« Le désir de vengeance des Allemands pour la trahison est devenu


terrible et de nombreux Crétois l’ont payé de leur vie. Mais ici règne encore
la vendetta. La petite guerre se poursuit et la haine empoisonne le peuple.
On ne cesse d’entendre parler d’exécutions punitives, etc.127. » La guerre est
inexpiable en Grèce, et la terreur qui s’abat sur les populations grecques
donne la mesure de ce dont est capable l’armée allemande en matière de
barbarie à l’encontre des populations civiles128. Les premiers écarts sont
commis par des parachutistes, au cours de la campagne de Crète en mai-juin
1941, dans le cadre de représailles aveugles : des dizaines de villageois sont
fusillés. En Grèce, le Generaloberst Löhr ne fait pas dans la dentelle : la
répression doit être implacable.
Si les Waffen-SS sont impitoyables, les soldats de la Wehrmacht ne sont
nullement en reste, y compris les troupes d’élite, à l’instar des
Gebirgsjäger. Le général von Stettner, chef de la 1. Gebirgsjäger-Division,
décide de pratiques draconiennes : « Toutes les localités pouvant offrir un
refuge aux “bandes” doivent être détruites, les hommes doivent être soit
fusillés en cas de soupçon de participation à des combats ou au soutien des
“bandes”, soit arrêtés immédiatement et incarcérés. » Un soupçon vaut donc
condamnation… Un tel ordre est la porte ouverte aux pires excès. De fait,
en juillet-août 1943, des dizaines de villages subissent le martyre, afin
d’assurer le contrôle de la route Ioannina-Preveza par le golfe d’Arta.
À Komméno, 317 civils sont assassinés, dont 172 femmes, 97 enfants de
moins de 15 ans, 13 bébés et 14 vieillards ; 38 brûlent dans leurs maisons129.
Avant de fondre sur le village, le lieutenant Röser déclare à ses hommes que
les Anglais ont bombardé Cologne, causant la mort de nombreuses femmes
et enfants. Une manière de montrer que la guerre n’épargne personne et
qu’il n’y a pas de sentiments à avoir envers ces Grecs. Rétrospectivement,
les soldats allemands qui ont pris part à ce massacre affirment que presque
personne ne jugeait cette opération justifiée et que les hommes ont été
bouleversés, la tuerie provoquant des « crises de conscience ». Certains
auraient demandé à leurs camarades dotés d’armes automatiques de
s’acquitter seuls de la répugnante besogne. Les faits sont pourtant
implacables : même s’ils ont rechigné à la tâche, les soldats ont
obtempéré130. La 1. Gebirgsjäger-Division massacre au total 1 800 civils
grecs et albanais pendant l’été 1943131. Cette tâche ingrate est pénible pour
nombre de soldats. Un aumônier constate les cas de conscience qui agitent
les esprits d’hommes sachant parfaitement qu’ils ont commis des actes
atroces. Pourtant, on ne déplore ni déserteurs ni mutineries. Pis, des soldats
se sont portés volontaires.
Les SS et les soldats de la Wehrmacht prennent également une part
active à la Shoah dans les Balkans. En juillet 1942, le général von Krenzski,
le commandant en chef de la Wehrmacht dans le nord de la Grèce, ordonne
de soumettre les Juifs résidant dans la zone de Salonique aux travaux
forcés, afin de réparer les routes et les aérodromes. La furie de la
soldatesque se déchaîne : la Wehrmacht se met au pillage, profane les
cimetières juifs, convertit les synagogues en écuries, humilie la
population132… Environ 2 000 Juifs sont acheminés par des chasseurs alpins
allemands vers les trains les emmenant vers les camps de la mort133.
L’armée fournit ainsi des moyens logistiques à la mise en œuvre de la
Shoah. Le concours de la Kriegsmarine est ici essentiel pour assurer la
déportation de Juifs depuis les îles grecques. Le colonel Jäger qui, à Corfou,
imagine toutes sortes d’expédients pour leur éviter le départ vers les camps,
arguant par ailleurs du prestige des soldats Allemands auprès des Grecs,
reste un cas isolé134. En revanche, avant leur revirement de septembre 1943,
les Italiens représentent un obstacle à la politique antisémite nazie.
À Salonique, le consulat italien accorde la nationalité italienne à des Juifs,
les sauvant d’une mort certaine. Lorsque les Allemands, soucieux de
contrecarrer la fuite de Juifs vers le sanctuaire que représente la zone
d’occupation italienne, demandent avec insistance d’introduire le port
obligatoire de l’étoile de David par les juifs, ils se voient opposer une fin de
non-recevoir135.
Si, dans les Balkans, les crimes commis à l’encontre des soldats alliés
restent isolés, en revanche, le revirement italien de septembre 1943
provoque les massacres les plus considérables perpétrés à l’encontre des
garnisons transalpines jusqu’alors chargées de missions d’occupation. Les
atrocités atteignent leur paroxysme à Céphalonie où 2 500 soldats italiens
sont tués, la plupart assassinés après leur capture. Ce sont 6 500 qui sont
massacrés de la sorte136, essentiellement en Grèce et en Yougoslavie.
La Yougoslavie est, comme la Grèce, le théâtre d’une impitoyable
guerre de partisans. Combattre la Résistance, c’est le plus souvent contrer
une guérilla. La guerre est faite de coups de main, de raids, de sabotages de
la part d’un ennemi le plus souvent insaisissable. Les batailles rangées ne
sont pas coutumières. Une exception survient en Yougoslavie où les
partisans de Tito ont commis l’imprudence d’affronter l’ennemi en de
véritables batailles, qui seront autant de désastres, le caractère accidenté et
montagneux du pays ne suffisant pas à leur donner l’avantage. Les partisans
grecs, moins bien équipés, ne commettent pas cette erreur. En outre, les
soldats allemands bénéficient d’un autre atout : les partisans yougoslaves se
battent entre eux, car ils sont divisés entre tchetniks, Bosniaques royalistes
et partisans communistes serbes, ces derniers sous l’égide de Tito. Quant
aux oustachis croates d’Ante Pavelić, ils se battent aux côtés des Allemands
et sèment la terreur.
Le pillage économique et les tensions ethniques ne font qu’exacerber
les sentiments antiallemands en Yougoslavie. Pis, la réponse de la
Wehrmacht et de la SS aux opérations menées par les partisans est
empreinte de brutalité et de cruauté : de part et d’autre, c’est la guerre
inexpiable. La 7e division SS « Prinz Eugen », de recrutement yougoslave,
est particulièrement impitoyable. Les généraux comme Benignus Dippold,
qui commande la 717e DI, exigeant de traiter les partisans avec décence, ne
les considérant pas « comme des bandits », ne représentent que des
exceptions, et la violence extrême est partout137. Les brutalités des soldats
de Hitler poussent la population dans les rangs des partisans, d’autant qu’à
partir de 1943 les Alliés, alors en Italie, sont en mesure de leur fournir
armes et ravitaillement.
Les Juifs de Yougoslavie souffrent également de la brutalité de l’armée
allemande. En Serbie, 20 000 civils, parmi lesquels 8 000 hommes juifs,
sont massacrés dans une unique et vaste opération de représailles138. Dès
l’automne 1941, des milliers de Juifs sont assassinés par la Wehrmacht sous
le camouflage d’« exécutions d’otages », dans le cadre de l’extermination
voulue par le régime. La désignation des Juifs comme ennemis est patente
dès l’invasion d’avril 1941 (opération « Marita »). Le général Halder, chef
d’état-major de la Heer, établit une directive non équivoque : doivent être
considérés comme ennemis les « émigrés, saboteurs et terroristes », les
« communistes », mais aussi les « juifs » 139. L’armée procède à des
massacres systématiques de Juifs de sexe masculin dès l’été 1941, le relais
étant assuré par la SS qui se charge d’exterminer à leur tour les femmes et
les enfants140.
Si les Landser semblent assimiler communistes et Juifs et accepter ces
exécutions, n’hésitant nullement à décrire les massacres par le menu à leurs
familles, photos à l’appui, le quotidien du soldat allemand posté en
Yougoslavie est empreint de brutalité et de crainte de tous les instants. La
peur de la capture est bien réelle. Un soldat raconte ce qui est arrivé à un
Landser capturé : il a été cloué vif sur une porte et torturé avec un fer
brûlant. Toutes sortes de supplices, souvent avérés, sont rapportés141.

Une guerre sans haine en Afrique ?

« Dieu merci, nous n’avions pas de divisions SS au désert ! a dit le


général Bayerlein, Dieu sait ce qui serait alors arrivé ; la guerre aurait été
toute différente à ce point de vue142 ! » Fritz Bayerlein veut naïvement nous
faire croire que la Wehrmacht est une armée comme les autres et que les
crimes du Troisième Reich ne sont imputables qu’aux SS. Certes, en Libye
ou en Égypte, nulle trace de la sauvagerie dont fait preuve l’armée
allemande en Union soviétique. L’Allemagne n’y opère en aucune façon
une guerre idéologique d’anéantissement. Par ailleurs, les civils et les
agglomérations sont peu nombreux dans la zone des combats.
Néanmoins, la situation aurait changé du tout au tout en cas de conquête
de l’Égypte et de la Palestine, où le sort de 700 000 Juifs dépend de l’issue
de la guerre du désert143. Walter Rauff, un des principaux exécutants de la
Solution finale, atterrit ainsi à Tobrouk le 20 juillet 1942, en avance sur son
Einsatzkommando de vingt-quatre membres. Il doit « recevoir de la part de
Rommel les instructions nécessaires à l’intervention de ce kommando144 ».
L’unité devra être rattachée à la Panzerarmee Afrika mais doit recevoir ses
ordres de la SiPo (la police de sécurité) et du SD (le Sicherheitsdienst ou
service de sécurité145). On peut supposer que, comme en Russie, l’armée
aurait aidé cette poignée de SS à rassembler les Juifs des contrées
nouvellement envahies. En tout état de cause, l’extermination de ces
derniers aurait été la résultante des victoires de la Wehrmacht. La défaite
d’El-Alamein en décide autrement. En Tunisie, les conditions de vie des
Juifs vivant dans la tête de pont de l’Axe entre novembre 1942 et mai 1943
sont particulièrement pénibles146. Ils sont contraints à des corvées,
notamment au profit d’unités de la Wehrmacht telles que le Luftwaffe-
Regiment « Barenthin »147.
L’idéologie nazie est évidemment aussi répandue au sein des unités
allemandes déployées en Afrique que sur tous les autres théâtres
d’opérations. Les permissionnaires de l’Afrikakorps ne cachent d’ailleurs
pas leur dégoût à l’endroit des Juifs qui continuent à commercer librement
en Libye148. Comme dans les Balkans, les soldats de la Wehrmacht pétris
d’antisémitisme se heurtent aux pratiques des Italiens qui ne partagent
nullement leur vision raciale de l’humanité : bien que discriminés, ce sont
ainsi pas moins de 16 000 Juifs qui peuvent vaquer à leurs occupations et
travailler149.
En revanche, les crimes de guerre commis à l’égard des troupes
ennemies ne sont que des faits isolés. De fait, la reddition est très rarement
refusée sur ce théâtre des opérations, et les prisonniers, ainsi que les blessés,
sont traités avec égard150. En Afrique, les marques de respect sont
manifestes. Les soldats allemands n’hésitent pas à offrir à leurs prisonniers
des cigarettes, ainsi que de l’eau, cette denrée si précieuse et si rare dans le
désert. Il convient de ne pas enjoliver à l’excès la situation qui prévaut en
Afrique : les soldats de Hitler, comme leurs ennemis, ont commis des
crimes de guerre à l’occasion. En 1942, en Tunisie, au cours des combats
pour Longstop Hill, une éminence située près de Medjez el-Bab, les
Allemands ouvrent le feu sur des ambulances britanniques. Pour ajouter à
l’ignominie de ce forfait, le crime a eu lieu le jour de Noël151.

L’Italie : cadre de méfaits méconnus de la Wehrmacht

Lorsque l’Italie signe un armistice avec les forces alliées en septembre


1943, le Reich, qui a anticipé cette éventualité, réagit avec vigueur et
célérité. Dans le nord de la péninsule italienne, le désarmement s’effectue
avec ordre. Dans la partie de la France occupée par les Italiens, les soldats
allemands chargés de la mainmise sur leurs anciens alliés reçoivent les
consignes les plus strictes. Le Feldmarschall von Rundstedt décide que les
troupes italiennes seront traitées comme des irréguliers et exécutées si elles
ne rendent pas les armes dans les douze heures152. L’Italien, considéré
comme un soldat indolent de second ordre, est aussi le représentant d’une
race inférieure pour le soldat allemand nazifié. La trahison de septembre
1943 ne peut que renforcer ce sentiment anti-italien.
Si les crimes que subissent les civils italiens sont d’abord le fait de la
SS et de la police allemande, ainsi que des fascistes de la République
sociale italienne153, la Wehrmacht commet également une série de
massacres dans le cadre de la lutte contre les partisans. Au printemps et à
l’été 1944, alors que la situation est très délicate pour celle-ci en Italie,
contrainte d’abandonner le verrou de Cassino et la ligne Gustav pour se
replier plus au nord, le Feldmarschall Kesselring se montre impitoyable
dans ses directives, enjoignant à ses généraux de faire montre de la plus
extrême sévérité : les civils sont déclarés « collectivement responsables »
des actes menés par les partisans. Et d’accepter sans sourciller l’exigence de
Hitler qui réclame dix fusillés pour chaque soldat allemand tué après
l’attentat de la Via Rasella, à Rome, du 23 mars 1944154. La terreur, aveugle,
frappe sans discernement : 204 actions de représailles sont menées dans la
seule Toscane, mais seules 38 d’entre elles s’effectuent en réponse aux
actions des partisans.
Les forfaits se multiplient au cours du second semestre de l’année 1944,
lorsque de nombreuses unités de l’armée se rendent coupables de crimes en
massacrant des civils, y compris des troupes comme la
15. Panzergrenadier-Division comprenant dans ses rangs des vétérans de
l’Afrikakorps, qui n’ont donc pas connu la brutalité de la guerre à l’Est.
Trois cents civils sont assassinés par cette division, 400 par la 34e DI, 63 par
la 114. Leichte-Division, la 194e DI se rendant elle aussi coupable de
plusieurs assassinats de masse, tandis que la Panzergrenadier-Division
« Hermann Goering » tue plus de 200 civils le 29 juin 1944. Cette unité
n’est pas la seule formation d’élite incriminée : la 26. Panzer-Division
massacre 175 civils le 23 août. Les représailles, aveugles, frappent de
nombreux innocents, dont des enfants, selon le même schéma qu’à l’Est : le
simple soupçon d’être favorables aux partisans… ou se trouver au mauvais
endroit au mauvais moment155. Comme partout, la Waffen-SS commet des
atrocités sur son passage : des dizaines de civils sont tués par la
« Leibstandarte Adolf Hitler » lors de son court séjour en Italie du Nord en
1943, tandis que plus de 2 000 civils sont massacrés par la 16. SS
Panzergrenadier-Division « Reichsführer SS » en 1944.
L’attitude de la Wehrmacht à l’égard des Juifs de la péninsule italienne
n’est pas plus conciliante qu’ailleurs. Ces derniers ont été soumis au travail
forcé au bénéfice de la Wehrmacht en Afrique du Nord et une situation
similaire aurait pu survenir en Italie, puisque le Feldmarschall Kesselring
envisage d’utiliser 50 000 Juifs comme main-d’œuvre forcée sur les
chantiers des nombreuses lignes de fortifications qui barrent la péninsule156.
Hitler, qui ne pense qu’à les exterminer, n’en a cure : ils doivent être
déportés.

1945 : un cortège de crimes dans le Vaterland

Les crimes imputables aux soldats de Hitler sont également commis sur
le sol même du Reich. Lorsqu’ils se battent sur le sol de la mère patrie en
1944-1945, ils savent que les villages et les fermes qui brûlent sont
allemands. Ils savent que les femmes qui fuient les violences qui leur sont
promises sont allemandes. Ce n’est plus la Russie. Les enfants et les
vieillards qui sillonnent les routes dans des charrettes ne sont que des
réminiscences de l’exode des Franco-Belges en 1940, mais cette fois-ci ce
sont des Allemands.
Les civils, sachant la cause perdue, n’acceptent plus les destructions,
qu’ils jugent désormais sans objet. On accuse la troupe de prolonger la
guerre, et donc ses malheurs. Des civils auraient proposé des vêtements aux
soldats : une invitation à la désertion ! Certains vont jusqu’à manifester
ouvertement leur hostilité aux soldats allemands qui traversent leur village,
surtout si ces derniers se mettent en demeure d’y organiser un môle de
résistance. « L’atmosphère est merdique, déclare le sergent Müller, basé à
Heidelberg à l’automne 1944 ; et la haine n’est pas dirigée contre l’ennemi,
mais contre le régime allemand157. » Pour s’assurer que les Alliés ne
détruisent pas leurs biens, les civils accrochent des drapeaux blancs à leurs
fenêtres. Une initiative pour le moins risquée : le 17 avril 1945, le général
Schulz, qui commande le Heeresgruppe G, ordonne que toute maison
pavoisée de la sorte soit brûlée et que les habitants mâles âgés de 17 ans ou
plus soient fusillés158.
« On n’avait que des regards hostiles et anxieux pour ces soldats
allemands qu’on n’attendait plus, raconte August von Kageneck. Après
avoir été les enfants chéris de la nation, nous étions devenus les
réprouvés159. » Des soldats sont insultés… Le gouvernement du Reich ne
peut rester sans réaction : le 15 février 1945, un décret met en place des
cours martiales à destination des civils. Pour les hauts responsables nazis,
que ce soient des civils, comme Goebbels, ou des généraux du terrain,
comme Kesselring et Schörner, seules les mesures les plus brutales pourront
être en mesure de stopper l’effet délétère du délitement de la discipline et de
l’effondrement du moral chez les civils comme chez les militaires. La
moindre parole assimilable à une marque de défaitisme peut conduire un
individu à être pendu à un arbre sans autre forme de procès. Des maréchaux
moins réputés pour leur sujétion au régime, comme Gerd von Rundstedt,
voire des hommes qui se sont montrés ouvertement hostiles aux crimes dont
se sont rendues coupables la SS et la Wehrmacht, à l’instar de Blaskowitz,
ne sont pas exempts d’ordres exigeant la sévérité la plus extrême160. Pis, les
soldats allemands sont à l’occasion devenus des pillards dans leur propre
pays, bien plus menaçants que les Américains envers lesquels les civils
n’ont pas de grandes craintes à avoir. Un état de fait qui survient dès le mois
d’octobre 1944, lorsque la Wehrmacht, vaincue en Normandie, s’est repliée
sur la frontière du Reich. Un médecin de la 3e division de parachutistes
prodigue un témoignage accablant : « Le comportement des soldats
aujourd’hui est incroyable. J’étais stationné à Düren et j’ai vu les soldats
dépouiller leurs compatriotes. Ils dévalisaient les armoires161. » La volonté
de Hitler de procéder à une politique de la terre brûlée mène à des excès,
mais elle se heurte à l’opposition des civils, y compris dans le
gouvernement.
La fin du conflit prend la forme d’une apocalypse pour une grande
partie de la population allemande, elle est particulièrement atroce pour les
déportés qui survivent encore dans les camps de concentration. Les détenus
vont subir le calvaire des « marches de la mort », qui coûtera
d’innombrables vies humaines. Ces marches s’effectuent sous la garde
d’éléments qui vont suppléer au manque de SS, notamment des soldats de la
Luftwaffe. Au début de 1945, plus de la moitié des gardiens des camps de
concentration – des réservistes – sont issus des rangs de la Wehrmacht,
établissant ainsi sans équivoque possible la compromission de l’armée aux
plus grands crimes du Troisième Reich jusqu’à l’anéantissement final. Si
certains de ces nouveaux gardiens peuvent faire montre de davantage de
compassion, ils ne remettent aucunement en cause le système
concentrationnaire et œuvrent à le maintenir en fonctionnement162.
Certains soldats de la Wehrmacht, très religieux, admettent que les
Allemands méritent leur sort : les Alliés, démocrates, vivant dans des
sociétés fondées sur les droits de l’homme, sont plus chrétiennes, ce qui
signifie que la victoire leur revient naturellement163. D’autres sont allés plus
loin en œuvrant pour la défaite de l’Allemagne, allant jusqu’à entrer dans la
résistance contre Hitler.

Résister à Hitler : l’opposition au sein de la troupe

Quand un soldat allemand décide de résister à Hitler, qui est le chef


d’État de son pays, ce qui assimile donc son geste à de la haute trahison,
geste aggravé par l’état de guerre, sa motivation peut être à l’origine un
refus d’accepter le caractère criminel de la guerre menée par la Wehrmacht.
Il serait pourtant hasardeux, et erroné, de généraliser une telle motivation et
il convient de ne pas héroïser sans discernement tout individu de l’armée
qui s’est opposé au Führer, qui par la désertion, qui par un engagement plus
marqué… Si déserter pour éviter de servir un État honni s’assimile à un acte
de résistance, en est-il de même quand on déserte pour lâcheté164 ? Certes
non. Définir la résistance est donc chose peu aisée. La désertion est un mal
qui frappe toutes les armées, y compris celles qui ne servent pas un régime
aussi répréhensible que le Troisième Reich. Il est par ailleurs notable de
constater qu’il n’y a eu aucune unité « allemande » dans les rangs alliés,
aucune sorte de légion comparable à ces centaines de milliers de
Soviétiques qui ont combattu pour le Reich ou à ces soldats indiens qui ont
été armés par les Japonais. Si, face à des SS, des soldats de la Wehrmacht
ont fait le coup de feu aux côtés de GI et de prisonniers français aussi
éminents qu’Édouard Daladier ou Paul Reynaud, cela s’est déroulé au
château d’Itter, mais c’était le 5 mai 1945165…
Au-delà du réflexe patriotique et du sens du devoir, accepter la guerre
de Hitler ne va pas de soi pour tous les soldats. Des millions d’hommes qui
n’ont pas voté pour Hitler ou qui sont même parfois farouchement antinazis
sont contraints de porter l’uniforme de la Wehrmacht pendant des années,
voire de mourir au service d’une idéologie honnie. Certes, la plupart des
soldats antinazis lettrés et cultivés évitent la question des responsabilités et
rejettent l’aspect politique des événements : ils vivent la guerre comme un
fléau, un désastre naturel, au-delà de la morale et des capacités de l’être
humain. Il faut donc faire avec en quelque sorte166.
Résister ne signifie pas forcément retourner les armes contre son camp.
Helmut Schmidt, devenu chancelier de la RFA dans les années 1970, est
enrôlé en 1937, un an après avoir été exclu des Jeunesses hitlériennes pour
menées antinazies, ce qui aurait pu lui coûter beaucoup plus. Devenu soldat,
il prend le risque de critiquer les ténors du parti, dont Goering en personne.
Risquant la cour martiale, il est sauvé par ses supérieurs compréhensifs qui
le transfèrent dans une autre unité167. Critiquer le régime, c’est en quelque
sorte résister et donc risquer sa vie. C’est le cas d’Hans Meier, qui ne voit
qu’illusion dans l’Atlantikwall et qui écope de cinq ans de forteresse pour
avoir refusé de participer à un peloton d’exécution : il fallait passer par les
armes un camarade de la Kriegsmarine, passé à la Résistance168.
Le commandant de U-Boot Oskar Kusch est l’un des rares antinazis
véritablement avérés, dans le sens où il n’a de cesse d’exprimer son mépris
pour le régime nazi. Il annonce en quelque sorte la couleur lorsqu’il
décroche le portrait du Führer en déclarant : « On ne pratique pas l’idolâtrie
ici ! » La suite est dans la même veine : la guerre ne peut être gagnée que si
Hitler est renversé, celui-ci est fou, etc. Il est finalement dénoncé et exécuté
en mai 1944169. D’autres se montrent plus prudents. Richard von
Weizsäcker fait partie de ces officiers conservateurs et nationalistes élevés
dans de tout autres valeurs que celles véhiculées par le NSDAP. Cet homme
ressent un malaise devant les crimes commis par la Wehrmacht, malaise
aggravé par le fait qu’il se sent prisonnier de son serment. Pour lui comme
pour ses camarades, la tension est parfois trop forte : on hurle son dépit ;
pis, on ouvre le feu sur un portrait du dictateur abhorré, ce qui suppose de
prendre un luxe de précautions170.
Certains franchissent le pas et s’engagent dans la lutte armée contre leur
pays. Le soldat Bernt Engelmann entre en contact avec la Résistance, ce qui
lui vaut d’être déporté en camp de concentration171. Hans Scholl est de son
côté confronté aux crimes de l’État allemand lorsqu’il sert comme
ambulancier sur le front de l’Est. S’il commence ses activités en se moquant
d’un enseignant nazi, ce qui lui vaut la cour martiale, il passe à la postérité
en mettant sur pied à Munich un véritable groupe de résistance, La Rose
blanche, qui va multiplier les tracts et les slogans. Les idées du groupe
essaiment auprès d’autres étudiants. La chute de Stalingrad les conforte plus
que jamais dans leur souhait de voir l’Allemagne défaite et dans leur
volonté de combattre le régime. Arrêtés et torturés, Hans et sa sœur Sophie,
ainsi que Christoph Probst, sont guillotinés.
Ces hommes sont souvent incompris. Un sous-lieutenant en service sur
le front de l’Est apprend un jour par son supérieur que son père a été
exécuté pour avoir comploté contre le Führer : « Je crus qu’il était devenu
fou. Mon père – un national-socialiste dévoué et un officier modèle –,
c’était incroyable. Pourquoi aurait-il rejoint l’opposition ? Nous devions
tout au Führer172 ! »

Des généraux résistants ?

L’argument le plus souvent avancé par les généraux allemands pour


justifier leur loyauté indéfectible envers Hitler est l’évocation du serment
prêté au Führer, donc un code de l’honneur. L’honneur eût plutôt été pour
eux d’admettre l’entreprise criminelle de leur gouvernement à laquelle ils se
sont activement associés par leurs victoires. Ceux qui se levèrent contre le
dictateur n’ont pas hésité à avancer un autre argument : le serment doit se
fonder sur une loyauté mutuelle, et il est donc nul et non avenu dans la
mesure où le Führer l’a rompu lui-même173. Leurs scrupules sont également
liés à l’idée qu’un complot contre Hitler aurait été une trahison contre
l’Allemagne car le serment d’allégeance signifie que toute opposition au
Führer est ipso facto assimilée à de la trahison. Quoi qu’il en soit, force est
de constater qu’au niveau du haut commandement et de celui des généraux,
la volonté de s’opposer au dictateur ne prend de l’ampleur qu’à l’aune des
défaites, lorsque la guerre semble irrémédiablement perdue. Certes, se
dresser contre Hitler avant le tournant de 1942 se serait heurté à l’hostilité
de la majeure partie de la population, et même de l’armée, pour lesquelles le
prestige du Führer n’était pas un vain mot, comme le montre le désavœu
généralisé des conspirateurs du 20 juillet 1944, à une date où la lutte est
sans espoir.
Quant aux manœuvres des généraux de Hitler avant le déclenchement
de la guerre en 1939, elles ne sont jamais mues par des considérations
morales, éthiques et politiques. Elles ne sont motivées que par des réactions
de caste ou la crainte de conduire le Vaterland à la catastrophe. Le corps des
officiers se considère en effet comme le pilier de l’État, l’incarnation de la
nation. La critique des officiers provient du fait que le gouvernement
n’implique pas l’armée dans les décisions politiques de grande ampleur :
Beck soutient que la Wehrmacht est la main droite de l’Allemagne et que le
chef d’état-major général aurait dû être consulté au sujet de toutes les
décisions pouvant affecter l’armée174.
Blomberg et Fritsch sont ainsi congédiés suite à leur manifestation
d’opposition aux projets d’expansion du Führer, que ce dernier exprime au
cours d’une réunion tenue le 5 novembre 1937. Outrés des accusations
d’homosexualité portées contre Fritsch, les généraux réclament une enquête
qui, de fait, le réhabilite, mais il ne recouvre pas son poste pour autant.
Beck, le chef d’état-major de l’armée, demeure en poste pour un an : en
août 1938, en signe de protestation contre les velléités de conquête de Hitler
qui lorgne sur les Sudètes, et alors qu’il se voit refuser le soutien de
Brauchitsch et des commandants des corps d’armée pour mener un coup
d’État175, le général allemand ne trouve rien de mieux à faire que d’offrir sa
démission. Il eût été plus avisé de conserver ses fonctions s’il espérait
infléchir les décisions du Führer. Craignant que l’invasion de la
Tchécoslovaquie ne se traduise par une guerre désastreuse pour le Reich,
son successeur, Franz Halder, aurait projeté de déposer Hitler et de le
traduire en justice176. Le coup d’éclat de ce dernier à Munich étouffe dans
l’œuf cette conspiration aucunement mue par des considérations politiques
ou morales : seule la crainte d’une défaite militaire motive Halder. De fait,
la perspective de la guerre en tant que telle n’entre jamais en ligne de
compte dans les mouvements d’opposition des généraux : ils la jugent
inévitable, la souhaitent même. En revanche, le risque d’essuyer une défaite
si le conflit était déclenché avant que la Wehrmacht ne soit fin prête puis la
crainte de ne pouvoir l’emporter dans une guerre menée sur deux fronts ont
pu motiver certaines velléités de protestation.
Les succès répétés de Hitler – création de la Wehrmacht en mars 1935,
réoccupation de la Rhénanie en mars 1936, annexion de l’Autriche en mars
1938, conférence de Munich de septembre 1938 suivie de l’annexion des
Sudètes, annexion de la Bohême-Moravie en mars 1939 – ne font que
renforcer sa position au sein de l’État allemand et lui confère une popularité
auprès de la population.
La victoire éclair remportée en Pologne ne suffit pas à apaiser les
craintes de l’amiral Canaris, le chef de l’Abwehr, le service de
renseignements, ni celles de son second, Hans Oster. Hitler désire en effet
lancer son offensive contre la France dès l’automne 1939, et les deux
hommes pensent que le Reich court à l’échec. Les approches qu’ils tentent
auprès des commandants des trois groupes d’armées se révèlent pourtant
infructueuses177. L’automne 1939 est le cadre de la seule opposition
formulée par Brauchitsch à l’encontre du Führer : il essaie de persuader
celui-ci de différer l’offensive à l’Ouest. Hitler entre dans une rage folle,
qui met définitivement Brauchitsch au pas. Ce dernier a tôt fait d’ordonner
aux officiers de faire cesser les rumeurs selon lesquelles il existerait de
l’animosité entre le Führer et la Wehrmacht.
L’éclatante victoire remportée à l’Ouest en 1940 balaie toute forme de
résistance : une fois de plus, et avec brio, Hitler peut se targuer d’avoir eu
raison de la timidité de ses généraux. Sa popularité atteint alors son zénith.
Même un homme comme Stauffenberg est gagné par l’ivresse du succès de
la campagne, à l’instar du plus grand nombre des Allemands, et, s’il met en
doute les qualités militaires du Führer, il estime que ce dernier, doté de la
faculté de discerner le dessin d’ensemble des choses, se bat pour l’avenir de
l’Allemagne, et que son devoir de soldat est de l’aider à gagner la guerre.
On est encore loin d’un opposant absolu du régime178 !
Quant le Führer s’ouvre à ses officiers de son projet d’invasion de
l’Union soviétique, le corps des généraux fait bloc : la Wehrmacht ne peut
que vaincre, et elle reste fidèle à Adolf Hitler, son commandant en chef.
Stauffenberg n’écrit pas autre chose à sa femme dans une lettre rédigée à
l’automne 1939 : il a pris connaissance d’activités relevant de la haute
trahison, qu’il ne révèle pas à ses supérieurs en dépit de son devoir de le
faire, mais il n’est aucunement envisageable pour lui d’entreprendre quoi
que ce soit contre Hitler tant que tout lui réussit179.
Une opposition qui naît de la perspective de la défaite

« Barbarossa » échoue : l’Union soviétique n’est pas vaincue en une


campagne. Pis, les États-Unis constituent désormais un ennemi déclaré. Le
général Henning von Tresckow devient alors l’âme d’une résistance qui se
révèle de plus en plus active et radicale. Chef d’état-major du Heeresgruppe
Mitte, il est persuadé que le corps des officiers est le seul à même de
s’opposer à l’État nazi180. Après avoir sondé des officiers subalternes, il
s’ouvre à deux hommes qu’il pense favorables à un renversement du
Führer, et dont le concours lui paraît indispensable : son supérieur direct, le
Feldmarschall von Bock, qui est aussi son cousin, et le commandant en
chef de l’armée, von Brauchitsch181. Las, les deux maréchaux répondent par
une fin de non-recevoir. Pis, Tresckow est sommé de cesser ses approches.
Aucun général d’importance ne s’engage. « Si vous persistez à vouloir me
rencontrer, lui déclare von Brauchitsch, je devrai vous mettre aux arrêts. »
Bock manifeste de son côté sa loyauté à Hitler : « Je ne permets pas qu’on
attaque le Führer182 ! » En revanche, aucun des deux hommes ne dénonce
ces subordonnés qui tentent de les approcher pour le compte de Tresckow.
Les conspirateurs craignent plus que tout que le prétendu « génie du
Führer » ne débouche sur des désastres militaires et, in fine, ne mène à la
défaite. Ils se seraient sans doute contentés d’une reprise en main des
commandes de l’armée par des généraux de premier plan. C’est ce que
Stauffenberg écrit en substance au général Paulus après le succès remporté à
Kharkov en mai-juin 1942, alors que se profile la seconde offensive
allemande d’été à l’Est, offensive qui se veut décisive : « Les chefs et ceux
qui devraient donner l’exemple entretiennent de mesquines querelles de
prestige ou n’ont pas le courage de s’exprimer franchement sur un problème
qui affecte la vie de milliers de citoyens183. » Aussi louable que paraisse la
démarche de Tresckow, de Stauffenberg ou de leurs complices, il ne faut
pas voir en ces hommes des démocrates en puissance, même si le
revirement de Stauffenberg s’explique aussi par la découverte du génocide
subi par les Juifs et le refus d’accepter la guerre monstrueuse de Hitler, qui
avait donc menti sur les causes de celle-ci.
Ils rêvent d’une société d’ordre et partagent bien des valeurs avec le
régime abhorré (« principe du chef », Volksgemeinchaft, etc.), valeurs qui
sont aussi celles de Stefan George, le maître à penser des frères
Stauffenberg184. Stauffenberg approuve la révocation des clauses du traité de
Versailles, la politique de « pureté raciale »185. Ainsi, en 1933, Cäsar von
Hofacker, futur conspirateur du 20 juillet 1944, fait campagne pour le
NSDAP. Il se proclame « le plus farouche opposant de la “démocratie” » et
appelle à la mise ne place d’une dictature186. Catholiques et traditionalistes,
les Stauffenberg rejettent cependant la vulgarité des nazis, une position
répandue au sein des familles aristocratiques. La plupart, Halder compris,
n’envisagent rien de plus que de faire renoncer Hitler au commandement
personnel de la Wehrmacht. Personne ne projette encore l’option d’un coup
d’État, encore moins le recours à l’assassinat.
Faute de pouvoir gagner à sa cause les officiers supérieurs en exercice,
la conspiration a plus de succès auprès des anciens généraux et maréchaux,
à la retraite ou placés dans la Führerreserve : Beck, mais aussi le
Feldmarschall Witzleben, ancien gouverneur militaire en France occupée,
mis à la retraite après un congé maladie en 1942. Les désastres qui
surviennent cette année-là sur tous les fronts poussent cependant dans les
rangs de la conspiration d’autres hommes déterminés à conjurer la
catastrophe annoncée. Car un fait essentiel caractérise le revirement des
officiers de la Wehrmacht qui entrent dans la résistance : leur engagement
ne serait sans aucun doute jamais survenu sans les revers essuyés à l’Est.
Puisque la guerre est perdue et que le Vaterland court le risque ultime de
l’invasion des bolcheviks abhorrés, il convient de prendre toutes les
mesures pour sauver l’Allemagne de l’apocalypse annoncée. Tresckow fait
partie de ceux qui estiment qu’un revers de grande ampleur pourrait être à
même de pousser le haut commandement à réagir enfin, à condition de
disposer d’un homme compétent et respecté de tous à un poste clé : cet
homme c’est le Feldmarschall von Manstein, nommé commandant en chef
du Heeresgruppe Don le 20 novembre 1942, alors que l’opération
« Uranus », qui aboutit à l’encerclement de Stalingrad, a été déclenchée par
les Soviétiques la veille. Tresckow s’arrange alors pour faire nommer à ses
côtés son cousin, Alexander Stahlberg, dans l’espoir de rallier le maréchal à
sa cause. Les conspirateurs ont la naïveté de postuler que Hitler accepterait
de renoncer à son commandement en chef de la Wehrmacht187. Ils
comprennent qu’ils se bercent d’illusions. Manstein se montre de toute
façon fidèle au Führer, interdisant absolument toute critique à son endroit
au sein de son état-major lorsque sont formulés des avis sur les
responsabilités du désastre de Stalingrad : il est même strictement défendu
d’aborder ce sujet188. Manstein note dans agenda, en date du 26 janvier
1943, après avoir reçu entre autres Stauffenberg : « J’ai fait savoir très
fermement qu’il était totalement hors de question de croire que le Führer
devrait céder le commandement de l’armée ; d’une part, il ne le fera jamais,
et d’autre part, toute la confiance repose sur sa personne189. » Pour
Manstein, si le commandement de l’armée doit être confié à un
professionnel, il est hors de question de forcer la main du Führer : il ne va
pas plus loin qu’une simple proposition formulée après le désastre de
Stalingrad.

Tentatives d’assassinat

Puisqu’il est vain d’espérer gagner les détenteurs des principaux postes
de commandement, germe alors l’idée de procéder de façon plus radicale, et
définitive : il faut éliminer physiquement Hitler, l’assassiner. L’âme de
l’opposition réside toujours au QG du Heeresgruppe Mitte, autour de
Tresckow, assisté entre autres de Berndt von Kleist. Les conspirateurs
gagnent des partisans à Berlin, au sein de l’Ersatzheer, à Paris, mais aussi
au quartier général du Führer. Au quartier général de l’Ersatzheer, les
conjurés peuvent compter sur le général Olbricht, chef de l’intendance. À la
Wolfsschanze, Tresckow peut compter sur le concours du général Stieff,
chargé de conserver les explosifs nécessaires à un attentat. Feignant d’avoir
besoin de renseignements pour le contre-espionnage, Rudolf-Christoph von
Gersdorff parvient à obtenir des explosifs et des détonateurs sans éveiller de
soupçons190. Le plus célèbre opposant à Hitler est le colonel von
Stauffenberg, gravement blessé sur le front de Tunisie où il opérait en
qualité de chef d’état-major de la 10e Panzer. Mutilé, il reprend du service
au sein de l’Ersatzheer et devient un personnage clé et de premier plan de la
conspiration à partir du moment où, en qualité de chef d’état-major du
général Fromm, le commandant de l’armée de réserve, il est en contact
direct avec Hitler au quartier général de celui-ci.
C’est le 13 mars 1943 que survient la première tentative d’assassinat
fomentée par Tresckow et Stieff. Baptisé opération « Éclair », le complot
envisage de tuer Hitler dans son avion au cours d’un vol de retour depuis le
front russe. Lorsque l’appareil est sur le tarmac, le lieutenant von
Schlabrendorff, un des collaborateurs de Tresckow, formant le noyau dur de
la conspiration avec Kleist191, demande à un officier de l’entourage du
Führer s’il peut lui confier un paquet à l’attention de Stieff, resté au QG de
Prusse-Orientale. Ne soupçonnant rien, l’officier acquiesce, ignorant que la
bouteille d’alcool prétendument être un cadeau pour Stieff contient en fait
un explosif puissant. Las, le mécanisme de mise à feu ne fonctionne pas du
fait d’un détonateur défectueux192. Les conjurés parviennent à reprendre la
bouteille et à faire disparaître cette pièce compromettante. Huit jours plus
tard, une deuxième tentative d’assassinat est manquée à Berlin. Le 21 mars
est le « jour des héros », qui coïncide avec une cérémonie du souvenir pour
les morts de la Grande Guerre. Hitler doit se rendre à une exposition
d’armes saisies à l’ennemi sur la fameuse avenue Unter der Linden, près du
monument aux héros. Rudolf-Christoph von Gersdorff dissimule des
explosifs dans son manteau, prêt à emporter le dictateur avec lui dans la
mort. Les conspirateurs jouent de malchance : Hitler écourte sa visite, et
Gersdorff en est quitte pour désamorcer prestement son détonateur doté
d’un retardateur de dix minutes…
Ce n’est que partie remise. En juillet 1943, les conspirateurs sont de
nouveau prêts à passer à l’action. La situation militaire est désastreuse :
échec de l’offensive à Koursk, débarquement allié en Sicile, chute de
Mussolini… Un certain Schulenburg, à Paris, affirme que si Rundstedt ne
rejoint pas le complot, il ne s’opposerait pas à un coup d’État (ce qui est
très conjectural), tandis que Kluge serait prêt à donner l’ordre à
l’Ersatzheer de prendre le contrôle de tous les centres de gouvernement.
Une unité de panzers serait sur le point d’arrêter Hitler. En fait, toutes les
réserves blindées sont expédiées d’urgence en Italie, ne laissant qu’un
bataillon à Fallingbostel, à sept heures de route du GQG. En fait, rien de
tangible ne montrait que Kluge ou un autre aurait mené le complot. Celui-
ci, s’il souhaite comme Manstein un changement salvateur de la structure
du haut commandement, reste en réalité hostile à toute forme de coup
d’État193.
Des officiers courageux n’hésitent pas à se proposer pour mener des
attentats suicides et emporter le dictateur dans la mort avec eux, avec
l’espoir que l’armée reprenne en main la direction des opérations et redresse
la situation. Parmi ces hommes au courage sans limites et à l’esprit de
sacrifice, le capitaine Axel von dem Bussche. En novembre 1943, ce
dernier, vétéran de l’Ostfront, témoin des crimes perpétrés à l’encontre des
Juifs, est sur le point de réaliser l’impossible : tuer Hitler194. Bussche
convient avec Stauffenberg que l’usage d’une arme à feu est à exclure car il
est trop difficile d’en dissimuler une, d’autant que les gardes du corps, bien
entraînés, peuvent être à même d’en dévier le tir. Le choix se porte de
nouveau sur des explosifs. Il est finalement admis que l’assassinat
entraînera inévitablement la mort de l’assassin. Bussche accepte
d’accomplir le sacrifice suprême en dissimulant la bombe dans son
manteau. Le plan prévoit de tuer le Führer lors de la présentation d’un
nouvel uniforme. Las, le 16 novembre 1943, veille de l’inspection prévue
de Hitler, le train transportant le nouvel équipement est détruit au cours
d’une attaque aérienne.
Bussche195 étant rappelé sur le front de l’Est, le projet d’attentat-suicide
trouve un nouveau candidat en la personne du capitaine Ewald von Kleist,
21 ans à peine. Une nouvelle inspection d’uniformes est en effet
programmée pour le 11 février 1944. Kleist doit endosser le rôle d’un
officier de première ligne et mener la présentation, tenant à la main une
serviette contenant un rapport, mais aussi des explosifs. Les conjurés font
marche arrière au dernier moment en apprenant qu’Himmler, le puissant
chef de la SS, et Goering, le dauphin désigné de Hitler, ne seront pas
présents. Lorsque le capitaine von Breitenburg (officier des opérations
spéciales au Heeresgruppe Mitte) s’apprête à son tour à assassiner Hitler au
cours d’une réunion tenue le 11 mars 1944 au Berghof, à Berchtesgaden, un
officier SS le retient au moment où il essaie d’entrer dans la grande salle :
aucun officier des opérations spéciales ne peut être admis196…
Parallèlement au groupe d’opposants regroupés autour de Tresckow,
d’autres comploteurs fomentent un attentat à Paris. Le Feldmarschall
Witzleben rallie ainsi des officiers en poste à Paris, alors qu’il est encore
OB West, avant d’être remplacé par Gerd von Rundstedt : le commandant
von Voss, le capitaine von Waldersee, le capitaine comte Schwerin von
Schwanenfeld…, tous en contact avec une autre âme de la résistance : Carl
Friedrich Goerdeler, un civil, le bourgmestre de Stuttgart. Les conspirateurs
prévoient d’assassiner Hitler à Paris, au besoin à la grenade, au cours d’une
parade organisée sur les Champs-Elysées. Las, le défilé est annulé…
L’attentat du 20 juillet 1944

Après le débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944, la nécessité


du soulèvement se fait plus pressante. Le plan repose sur l’idée de présenter
l’assassinat de Hitler comme un coup d’État au sein même du régime,
justifiant ainsi le déclenchement de l’opération « Walkyrie », cette opération
prévoyant que les hauts gradés militaires jouissent des pleins pouvoirs
exécutifs, tant civils que militaires, ayant reçu l’aval de Hitler en personne.
« Walkyrie » prévoit la mobilisation de l’Ersatzheer pour protéger les côtes
ou repousser des forces ennemies aéroportées, ou en cas de coup d’État, ce
qui pourrait conduire à l’arrestation des membres de la SS. Ces derniers, la
Gestapo et la police restent dans l’ignorance de l’existence d’un tel plan
d’opération. Les conspirateurs prévoient donc que l’annonce du lancement
de « Walkyrie » soit suivie de l’arrestation des responsables de la SS à
Berlin et à Paris. Un gouvernement intérimaire sera alors assuré par le
général Beck197. Les soldats allemands qui obéissent aux ordres n’imaginent
pas un instant être au service d’une conspiration.
Beck, l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre, espère naïvement
conclure une paix séparée avec les alliés occidentaux avant de retourner
l’ensemble des forces de la Wehrmacht face aux Soviétiques. Un tel projet
utopique montre bien à quel point les conspirateurs se bercent d’illusions
quant à la volonté des Anglo-Saxons d’en finir avec le nazisme et le
militarisme allemand. Les contacts secrets avec les Alliés se révèlent
d’ailleurs décevants. De façon caractéristique, si on met à part le cas du
général von Tresckow, nombre de conjurés de haut rang occupent des
fonctions sur le front de l’Ouest ou ne sont plus en service actif. Stülpnagel,
gouverneur militaire en France, est le chef de la conjuration à l’Ouest. Hans
Speidel, le chef d’état-major de Rommel, est un membre actif du
complot198. Hofacker, cousin de Stauffenberg, a échoué dans sa tentative de
rallier Rommel à la conspiration le 9 juillet. Si ce dernier n’est pas mis dans
le secret de l’attentat, il rejette l’idée d’un coup d’État, tout en exprimant
toutefois son souhait de parvenir à une paix séparée avec les Anglo-Saxons.
Le 7 juin, Stauffenberg, présent au GQG du Führer, n’a pas les
explosifs avec lui. La gravité de la situation empire le 22 juin, lorsque les
Soviétiques déclenchent « Bagration », leur offensive d’été, laminant le
Heeresgruppe Mitte en l’espace de quelques jours en Biélorussie. Il faut
donc passer à l’action. Le 11 juillet, l’attentat est reporté car Himmler et
Goering sont absents. Le 15 juillet, Stauffenberg est une nouvelle fois prêt,
mais les deux séides de Hitler n’assistent toujours pas à la réunion.
Lorsque « Walkyrie » est déclenchée le 15 juillet, l’insurrection n’est
pourtant pas mise en route, car l’attentat est annulé à la dernière minute.
Olbricht parvient à masquer les véritables intentions des conspirateurs en
déclarant qu’il ne s’agissait que d’un exercice d’alerte… Pourtant, à
l’instigation de son frère Georg qui agit sous l’autorité de Tresckow, le
commandant Philipp von Boeselager est allé beaucoup plus loin : il a
mobilisé 1 200 cavaliers qu’il a déplacés jusqu’aux aéroports de Pologne
occupée (le « Gouvernement général ») pour qu’ils embarquent jusqu’à
Berlin. Les six escadrons parcourent 200 kilomètres pour atteindre Brest-
Litovsk le 20 juillet, où des camions les attendent. Mais ils sont renvoyés au
front après une chevauchée qui a dû leur sembler pour le moins
incongrue199.
L’attentat survient le 20 juillet 1944. Hitler échappe miraculeusement à
la mort : la moitié seulement des pains d’explosif prévus est utilisée ; la
mallette contenant la bombe est inopinément déplacée et éloignée du
Führer ; un pilier salvateur protège celui-ci ; la conférence s’est tenue dans
un baraquement en bois aux fenêtres ouvertes qui n’a pas renvoyé l’onde de
choc… À Berlin comme à Paris, le putsch fait long feu. Lorsque le Führer
s’exprime enfin à la radio, le doute n’est plus permis et l’échec de la
conjuration est patent.
La réaction des principaux responsables de l’armée est fort révélatrice.
Kluge refuse de s’impliquer dès lors qu’il sait que le dictateur est en vie.
À Berlin, Fromm, le commandant de l’Ersatzheer qui avait fermé les yeux
sur la conspiration, ne franchit pas non plus le pas : pis, pour se disculper et
éviter des témoignages compromettants, il fait passer par les armes à la
Bendlerblock200 Stauffenberg, Olbricht et leurs complices le soir même de
l’attentat. Celui-ci est à certains égards l’œuvre d’amateurs : ainsi le fait de
renoncer à utiliser davantage d’explosif faute de temps et de confier la
préparation de la bombe à un manchot doté d’une unique main mutilée ; ou
le départ de Stauffenberg du GQG, qui ne laisse aucun doute sur sa
responsabilité, et le temps perdu avant qu’il n’atteigne Berlin ; ou encore le
fait d’omettre de couper les lignes de communications de la Wolfsschanze,
etc.
Comment réagissent les soldats au front ? Comme la plupart des
Allemands, ils sont consternés : c’est une trahison, alors que le pays est
menacé d’anéantissement. Pour ces hommes soumis à une discipline de fer
et à une obéissance de tous les instants, porter atteinte au commandant en
chef est inconcevable. « Pas de pitié pour les traîtres201 ! » déclare-t-on à la
cantonade. Le spectre d’un « coup de poignard dans le dos » rejaillit :
« C’est une impression agréable, écrit un lieutenant, que celle de savoir
qu’un nouveau novembre 1918 ne peut se reproduire202. » Les soldats qui
subissent le choc de « Bagration » sont consternés. Stauffenberg et les
autres conspirateurs sont considérés comme des bandits. En Italie, un soldat
de la 114. Leichte-Division voit son colonel tomber en larmes à l’écoute de
l’intervention radiophonique du Führer annonçant que le crime a été
perpétré par des généraux. Et certains d’y voir la main de la « juiverie
internationale203 ». En Allemagne, à l’annonce des noms des conspirateurs
connus, voire appréciés, Kageneck rapporte que c’est la consternation :
« Même ceux d’entre nous qui détestaient secrètement le régime
n’approuvaient pas cet acte de haute trahison en pleine guerre, à un moment
où des milliers de soldats allemands luttaient à mort pour arrêter
l’avalanche rouge qui déferlait déjà aux contreforts est du pays204. »
Il n’en va pas autrement en Normandie, où le front est lui aussi sur le
point de céder. Un soldat, incapable d’imaginer qu’un tel crime ait pu être
perpétré, affirme, parlant des conjurés, qu’« aucune peine n’est trop grande
pour eux ». Richard Wolff-Boenisch, de la 116e Panzer, une unité alors en
route pour le front, s’insurge contre ce crime et déclare : « Maintenant, plus
que jamais, nous devons poursuivre le combat205. » Rommel, officier loyal
et discipliné, alors à l’hôpital de Bernay, semble avoir désapprouvé le geste
des conjurés. Il espérait amener Hitler à la raison et le persuader d’entamer
des négociations avec les Alliés, au besoin en lui adressant un ultimatum206.
Hans von Luck, apprenant la nouvelle par des tracts britanniques, puis par
la radio allemande, rapporte que les plus anciens ont des sentiments
partagés, alors que les plus jeunes ressentent de la colère, l’impression d’un
« coup de poignard dans le dos ». Quant au général SS Dietrich, le fidèle de
Hitler, il aurait simplement demandé : « Qui a fait le coup ? La SS ou
l’armée207 ? » La possibilité que le Generalleutant von Schwerin, qui
commande la 116e Panzer, ait fêté la nouvelle au champagne avec son état-
major semble invraisemblable208. Warlimont, fidèle de l’OKW, présent lors
de l’attentat, est également peu crédible lorsqu’il affirme que, constatant
jour après jour le désastre auquel Hitler amenait l’Allemagne, il avait lui-
même caressé l’idée du geste perpétré par Stauffenberg209.
Quarante-cinq mille lettres de soldats du front examinées par la censure
expriment bien souvent une joie réelle au fait que Hitler ait survécu à
l’attentat. Quant aux prisonniers de guerre tombés entre les mains des
Alliés, on note chez eux une multiplication des signes d’attachement au
Führer à la fin du mois de juillet210. En fait, l’attentat rapproche les soldats
de leur Führer : un soldat écrit qu’en qualité de militaire au front il
comprend à quel point Hitler est un leader remarquable. Un autre estime
qu’il faut désormais serrer les rangs autour de lui plus que jamais, car le
Führer doit « poursuivre sa tâche pour le salut de l’Europe211 ». « Le Führer
a toujours tenu ses promesses », affirme un Landser.
En ces temps de crise de l’été 1944, l’unité autour de Hitler apparaît
comme plus importante que jamais : il faut conserver sa foi dans le chef.
Aveuglé, un soldat écrit : « Comme la nation se réjouit […] que notre
Führer bien-aimé vive […] sa mort aurait été un coup fatal pour la liberté de
millions de gens212. » Cette dernière affirmation est saisissante. L’attentat
manqué renforce l’aura surnaturelle de Hitler : s’il a survécu, c’est la
volonté de Dieu. Un autre considère comme criminel d’avoir tenté de
« supprimer par l’assassinat un chef populaire aussi méritant qu’Hitler213 ».
À l’instar du Führer, les soldats voient dans ce geste jugé criminel
l’explication des défaites répétées en dépit des sacrifices consentis.
La répression est féroce. Les arrestations se comptent par milliers.
Goebbels met en place une boîte postale à cet effet : les délateurs peuvent y
adresser des informations sur les « traîtres »214. La Wehrmacht, qui adopte le
salut hitlérien, subit une purge qui la nazifie davantage : Himmler prend en
charge l’Ersatzheer ; le rôle des NFSO prend de l’ampleur ; le tribunal
d’honneur de l’armée participe à la purge sous la férule zélée de Guderian,
sans doute soucieux d’écarter tout soupçon à son endroit. Plus que jamais, il
convient de mesurer ses propos. Ainsi d’August von Kageneck, alors
instructeur à l’école de Krampnitz, près de Berlin, lors de ses entretiens
avec Kurt Bley, un de ses aspirants qui lui rend visite le soir dans sa
chambre : « Nous discutions politique. Il s’exprimait très prudemment,
épluchant soigneusement mes propos. De mon côté, je me méfiais
également de lui, car j’ignorais s’il n’avait pas été chargé par la Gestapo de
surveiller les instructeurs de l’école215. » Kageneck et ses aspirants officiers
reçoivent l’ordre d’assister à cette parodie de justice : « Un jour, nous
reçûmes l’ordre de nous rendre avec nos aspirants au Volksgerichtshof, le
Tribunal du peuple, à Berlin, pour assister à des procès contre “l’ennemi de
l’intérieur”216. »
Faute du soutien des principaux maréchaux et généraux, les différentes
conspirations étaient vouées à l’échec. Compromis par le régime, aveugles
sur le caractère criminel de celui-ci et mus par ailleurs par une conception
erronée du sens du devoir, le haut commandement allemand est demeuré
fidèle au dictateur. Sur les 3 500 généraux et amiraux de la Wehrmacht,
seuls cinq appuient la conjuration, tandis qu’une quinzaine d’autres
sympathisent avec le mouvement. Au-delà du serment qui les lie à Hitler,
d’autres raisons ont manifestement pesé d’un poids autrement plus lourd :
les largesses accordées par Hitler, la complicité dans les crimes du régime
et, surtout, la perspective d’une inévitable guerre civile en Allemagne, avec
des conséquences incertaines sur l’Ostfront, le secteur qui suscite toutes les
craintes et d’où proviennent tous les dangers. L’issue même d’une guerre
civile restait incertaine : avec Himmler et Goering encore en vie, des forces
armées intactes et largement nazifiées, le succès des conspirateurs était loin
d’être garanti.

L’énigme Canaris217

Antisémite, anticommuniste et conservateur, l’énigmatique amiral


Wilhelm Canaris, victime des purges de l’après-20 juillet 1944, est le
résistant le plus controversé. L’homme voit d’un bon œil les premières
réalisations du régime. Propulsé à la tête de l’Abwehr, le service de
renseignements de la Wehrmacht, il est à la fois responsable de
l’espionnage et du contre-espionnage. Comme nombre des opposants à
Hitler, Canaris est en partie mû par ses conceptions religieuses, sa foi
chrétienne se heurtant à la violence des pratiques des nazis. Contrairement à
Beck, et plus tard Halder, l’homme a pourtant la présence d’esprit de ne pas
quitter son poste, ce qui aurait eu pour conséquence d’accroître
démesurément les pouvoirs de Reinhard Heydrich, le chef du
Sicherheitsdienst (SD), le service de renseignements de la SS. Sous le
couvert et à l’aide de son service, Canaris, assisté de personnalités de
confiance comme le colonel Oster ou le colonel Lahousen, procède à des
menées antigouvernementales : on n’exécute pas les ordres d’assassinat ou
d’enlèvement, on protège des individus menacés, on noue des relations avec
des opposants, allant même jusqu’à inciter les Britanniques à la fermeté…
La guerre déclarée, Canaris pense que l’Allemagne ne peut l’emporter. Il
espère en vain susciter un coup d’État de la part du haut commandement, en
accumulant les preuves des crimes perpétrés par le régime. Quant à Hitler, il
doit lui montrer que l’Abwehr est efficace – ce à quoi il ne parvient pas en
raison des échecs répétés –, tout en ignorant les ordres qui lui répugnent,
comme ceux lui enjoignant de faire assassiner Winston Churchill ou encore
le général Henri Giraud. En 1942 et 1943, ses services sont en contact avec
leurs homologues anglo-saxons, pour sonder les Alliés et connaître leur
position en cas de coup d’État en Allemagne. Comme avec les conjurés du
20 juillet, Canaris, par ailleurs tiraillé par un cas de conscience comme tant
d’autres (peut-il trahir l’Allemagne ?), se leurre sur les intentions des Alliés
qui mettent fin à toute discussion. La Gestapo découvre des documents
compromettants en 1943 au cours d’une perquisition menée suite à une
affaire de corruption. Pis, Himmler découvre que Canaris, dépêché en Italie
par Hitler après la chute de Mussolini, n’a pas hésité à inciter son
homologue transalpin à quitter l’alliance avec le Reich. Les échecs répétés
de l’Abwehr ainsi que le défaitisme avéré de l’amiral provoquent l’ire de
Hitler qui lui enlève la responsabilité du service de renseignements. Arrêté
après l’attentat du 20 juillet, auquel il n’a pas pris part, il est accusé de
haute trahison lorsque la découverte opportune de documents apporte la
preuve de ses actes de résistance. Le 9 avril, Canaris et Oster sont pendus
dans le camp de concentration de Flossenbürg.

Le Comité national pour l’Allemagne libre

L’attitude d’un certain nombre de généraux faits prisonniers dans le


Kessel de Stalingrad représente un des cas ultimes de rébellion contre
Hitler218. Ces officiers, au premier rang desquels le général Seydlitz, se
montrent déterminés à sauver l’Allemagne du désastre attendu et de la
mainmise des nazis. Ils sont certes avant tout motivés par d’autres raisons,
comme la crainte que leur inspirent les Soviétiques, ou le fait de s’assurer
une détention moins pénible. Seydlitz, Lattmann et Korfes, trois des
généraux allemands de Paulus capturés à Stalingrad, que les Soviétiques ont
jugé les plus « récupérables », gagnent à leur cause d’autres responsables de
l’ancienne 6e armée : les généraux von Daniels, von Drebber et Schlömer.
En revanche, Strecker, Sixt von Arnim, Rodenburg et Pfeffer rejettent toute
idée de renverser Hitler : ce serait un acte de trahison. Ils n’éprouvent que
mépris pour ces généraux prêts à servir les Soviétiques et les tensions sont
vives entre les deux groupes.
Comme les conjurés du 20 juillet, Seydlitz, devenu président de
l’Association des officiers allemands et soutenu par ses séides, se berce
d’illusions quand il va jusqu’à proposer de recruter quelques dizaines de
milliers de soldats allemands parmi les prisonniers de guerre faits à
Stalingrad219 afin de former une armée cobelligérante – Seydlitz se voyant
volontiers en futur commandant en chef des forces armées d’une Allemagne
libre. Le général propose en outre une véritable opération de propagande,
s’appuyant notamment sur l’envoi d’émissaires derrière les lignes pour
convaincre les différents responsables de l’Ostheer de se retourner contre
Hitler. En février 1944, la coopération du Comité national pour l’Allemagne
libre se traduit concrètement par le largage de tracts incitant au
renversement de Hitler. Le mois suivant, ce dernier reçoit au contraire le
soutien de ses maréchaux, dont Rommel, convoqués à Berchtesgaden, qui
déclarent unanimement leur fidélité au Führer, tout en condamnant
fermement Seydlitz et ses agissements. En 1950, ce dernier voit à quel point
son revirement ne lui a été d’aucun intérêt personnel : jugé « revanchard et
réactionnaire », il est condamné par les Soviétiques à vingt-cinq ans de
prison pour crimes de guerre220.
La certitude que la cause est entendue et que l’Allemagne court à sa
perte – et qu’il faut donc désormais épargner au Vaterland la poursuite de ce
bain de sang – pousse des officiers à réagir. Le Feldmarschall von Paulus,
dont un des fils tombe à Anzio en février 1944 (ce qui a probablement
influé sur sa décision), s’il ne rejoint pas Seydlitz, prend lui aussi l’initiative
de se rebeller contre le régime nazi, en août 1944. Le vaincu de Stalingrad
signe en effet une adresse au peuple allemand puis un appel au
Heeresgruppe Nord lui enjoignant de mettre bas les armes221. Cette
initiative, comme les précédents complots menés contre Hitler, se solde par
un échec.
Un échec sans doute salutaire : « Pour détruire à jamais la légende du
coup de poignard dans le dos, pour permettre le renouveau des âmes et des
mentalités allemandes, pour faire éclater l’évidence aux yeux des jeunes
générations d’outre-Rhin, peut-être a-t-il été indispensable – si cruelle soit
cette conclusion – que le Führer poursuive encore dix mois sa voie
criminelle et insensée jusqu’à l’anéantissement militaire total222. »
Chapitre 8

Après Hitler : la postérité d’une armée


controversée

La défaite

La catastrophe mondiale dans laquelle Hitler a entraîné son peuple


s’achève dans un cataclysme particulièrement meurtrier. L’année 1945 est
celle de l’apocalypse pour les Allemands : chaque mois, ce sont 300 000 à
400 000 ressortissants du Reich, civils et militaires confondus, qui
périssent1. Le fanatisme, la peur de l’invasion bolchevique, l’idée que les
Alliés vont faire table rase du Vaterland, condamné à disparaître, tout
concourt à pousser l’armée à lutter jusqu’à son dernier homme, selon le
principe de « la victoire ou la mort ». Le combat se poursuit donc sans autre
but que de prolonger la guerre. Le processus de désintégration de l’armée
prend de l’ampleur. Dans la Ruhr, le Feldmarschall Model dissout son
groupe d’armées. Les armes miracles ne sont qu’espoir chimérique. Bientôt,
ce sera même « Allemagne, année zéro ».
Les soldats de Hitler n’acceptent de cesser le combat et de baisser les
armes que le 8 mai 1945. Ils obéissent car ils en reçoivent l’ordre. Cet ordre
est possible car le Führer est mort depuis le 30 avril. La disparition du
dictateur, auquel les soldats sont sincèrement attachés, se traduit par un
sentiment de vide mêlé de déception et d’amertume. Chaque soldat assiste à
l’effondrement d’un monde, en premier lieu d’un système de valeurs, à
commencer par l’obéissance. « Soudain, plus rien n’avait de sens2 », se
lamente Gustav Köppke, alors jeune soldat de la division SS
« Hitlerjugend ». Une seule chose prime désormais : survivre et éviter
absolument la captivité entre les mains des Soviétiques.
Pourtant, tous les soldats n’acceptent pas d’être les ultimes victimes de
l’holocauste final qui perdure une semaine durant après la mort de leur chef
suprême. Alors que Dönitz, qui a succédé à Hitler à la direction du
Troisième Reich, exhorte à la poursuite du combat, Heinrich Jaenecke et
d’autres marins s’enfuient de leur caserne : « Nous préférions laisser le
Großadmiral terminer seul la guerre. Dans les villages, les déserteurs
étaient pendus aux arbres. Les paysans nous mirent en garde contre les
Jagdkommandos [commandos de chasse] : ils sont pires que les SS, et vous
exécutent sans poser de questions3. »
Il n’y aura pas de combat final dans un hypothétique « réduit alpin ». Il
n’y aura pas non plus de renversement d’alliance contre le « bolchevisme »,
alors même que l’armée de Hitler s’est considérée comme le rempart contre
les « hordes de l’Est » et la première ligne de défense de la « civilisation
occidentale ». La Grande Alliance, plus puissante que jamais, ne s’érode
pas, pas encore : la défaite, sans appel, est consommée.
La capitulation de 1945 ne saurait se comparer avec l’armistice de
1918. Il ne peut être question d’un nouveau mythe du « coup de poignard
dans le dos ». La lutte a été menée jusqu’au bout sans défaillir, ou presque.
Une lutte insensée qui coûte la vie à 1,5 million de soldats après décembre
19444. Plus de 5 millions de soldats allemands sont morts ou ont disparu
depuis le 1er septembre 1939. Fataliste, le soldat Rolf Hoffmann écrit : « Tu
dois accepter ton destin, même s’il est tragique5. »
Des historiens n’hésitent pas à dater la naissance de la légende d’une
Wehrmacht « propre », apolitique, au 9 mai 1945, en en attribuant le point
de départ au discours de Dönitz. Le Großadmiral déclare que la Wehrmacht
« a cédé dans l’honneur à une puissance nettement supérieure ». Sa lutte est
qualifiée d’« héroïque ». Dönitz estime que l’histoire saura rendre justice à
l’armée allemande et que « l’adversaire ne refusera pas non plus son respect
aux réalisations et aux sacrifices des soldats allemands sur terre, en mer et
dans les airs. Chaque soldat peut donc poser son arme debout, avec fierté6 ».
Très vite, l’idée de « libération » du nazisme fait son chemin, offrant un
consensus susceptible d’écarter tout sentiment de culpabilité vis-à-vis de ce
qui a été commis pendant le conflit.

L’épreuve de la captivité

Pour les soldats de Hitler, après le traumatisme de la défaite vient le


temps de la dure épreuve de la captivité. Ils ont été des fanatiques, mais des
fanatiques qui se sont rendus en masse… et ce dès les premiers revers de la
guerre. Onze millions de soldats allemands sont faits prisonniers. On en
dénombre 8,7 millions à l’été 19457. La détention en Union soviétique, dans
l’immensité glacée de la Sibérie, est la plus redoutée, dès les premières
heures de « Barbarossa » : sur les 17 millions d’Allemands ayant combattu
pour Hitler sur l’Ostfront, ils ne sont que 3 millions à être capturés par les
Soviétiques, contre 3,64 millions faits prisonniers par les Britanniques,
3,1 millions par les Américains et 940 000 par les Français8. Ce sont 26 000
des 500 000 auxiliaires féminines de la Wehrmacht qui sont faites
prisonnières par les Soviétiques9.
De fait, les conditions de vie dans les camps d’internement en Union
soviétique sont abominables : corvéables à merci, les anciens soldats du
Führer ne sont plus que des esclaves vêtus de haillons, squelettiques,
épuisés et pauvrement nourris, devant endurer toutes sortes de brutalités.
Cette expérience représente un traumatisme pour ceux qui l’ont endurée
ainsi que pour la société allemande d’après guerre. Le taux de mortalité y
est effroyable puisque 750 000 prisonniers perdent la vie10 (en y incluant
plus de 100 000 soldats capturés à Stalingrad, morts depuis longtemps),
alors qu’il reste marginal dans les camps occidentaux, passé le cap des
premiers mois difficiles de l’après-guerre, lorsque l’afflux considérable de
détenus a provoqué des hécatombes. Toutefois, les Soviétiques n’ont
nullement cherché à anéantir les prisonniers tombés en leur pouvoir, alors
que les Allemands ont sciemment laissé mourir de faim et de maladies des
millions de soldats de l’Armée rouge capturés en 1941. Par ailleurs, après
des années de bourrage de crâne idéologique, les prisonniers allemands
doivent faire un effort psychologique important pour accepter le fait d’être
détenus par ceux qu’ils qualifiaient de « sous-hommes ». La discipline et
l’autorité des chefs cèdent la place à un égoïsme nécessaire et indispensable
à la survie. Il faut collaborer avec les Soviétiques pour espérer améliorer
son sort.
Pour les autres, la destination la moins « prisée » est la France. « J’avais
entendu des horreurs sur les camps en France », raconte August von
Kageneck. Être relâché en bonne et due forme par les Anglais ne semble
pas constituer une assurance suffisante pour l’avenir. Un officier
britannique lui lâche une mise en garde : « Méfiez-vous d’eux [en parlant
des Français], ils ont besoin de main-d’œuvre pour la reconstruction de leur
pays, ils embarquent tout le monde11. » De fait, la captivité en France ne
sera pas la plus facile, mais le pays, exsangue et soumis au rationnement
pour plusieurs années encore, a souffert de l’Occupation et il est admis que
les anciens ennemis soient mis à contribution pour les réparations, voire
pour déminer les plages du mur de l’Atlantique12, même si la dangerosité de
la tâche s’accorde mal avec les conventions relatives au traitement des
prisonniers de guerre. L’idée même d’être au service des vaincus de 1940
est difficile à accepter pour les anciens de la Wehrmacht, à l’instar de ce
prisonnier allemand très contrarié d’être contraint de travailler pour le
compte d’un charron normand libéré des Stalags13. Certains de ces soldats
restent en France après la guerre, et ils pourront être très bien acceptés par
leurs nouveaux voisins.
Les soldats allemands détenus aux États-Unis, au Canada ou au
Royaume-Uni sont les mieux lotis14. Les conditions de vie sont les plus
faciles pour eux. Helmut Römer, capturé près de Pegasus Bridge, en
Normandie, témoigne : « Le Canada, ce fut en fait une période magnifique
de ma jeunesse. Franchement, comparée avec mon temps passé dans la
Wehrmacht, la captivité fut le paradis sur terre15 ! » Certes, les vaincus de
1944-1945 ont la consternation de découvrir le fanatisme de leurs
camarades de l’Afrikakorps, faits prisonniers entre 1941 et 1943. Chez ces
hommes, le moral et la foi en Hitler demeurent intacts jusqu’à l’annonce de
la défaite. « Quand l’Allemagne gagnera la guerre, ça fera au moins un bon
point pour vous16 », déclare un prisonnier. Heinrich Severloh, capturé à
Omaha Beach, décrit sa stupéfaction à son arrivée dans un camp de
prisonniers aux États-Unis : « Ils [les prisonniers issus de l’Afrikakorps]
nous ont fait sentir tout de suite qu’on était des hommes de seconde classe,
un tas de rien du tout sans tenue, sans courage, que si on était là c’est bien
parce qu’on s’était pas battus. Et dans ce camp tout était stupéfiant : la
discipline, les types de l’Afrikakorps qui affichaient tous les matins des
bulletins de victoire, les communiqués officiels allemands, imaginez l’effet
que ça nous faisait, à nous ! On croyait devenir fous17. »
Ce comportement est révélateur du degré de nazification de la
Wehrmacht. Dès l’entrée dans son baraquement, un des anciens cadres des
forces de l’Axe en Afrique met un point d’honneur à fixer une photographie
de Hitler sur le mur. « Adolf, the pin-up boy18 », commente un journaliste
américain. Des prisonniers chargés de semer du gazon à proximité du
bureau du commandant du camp vont pousser la provocation jusqu’à
répandre les graines de façon à ce qu’une immense croix gammée surgisse
de la pelouse dès les premières pluies19. Les journaux des camps sont nazis
pour la majeure partie d’entre eux : 33 sur 44, et seulement 3 antinazis,
selon une étude effectuée en mars 194520. Pis, certains détenus se plaignent
que les interprètes soient des Juifs, réfugiés aux États-Unis depuis les
années 193021 !
L’emprise des nazis sur les autres détenus au sein des camps avant la
défaite de 1945 est telle qu’on en viendra à parler d’une véritable
Lagergestapo, une Gestapo des camps22, faisant régner une vraie terreur
parmi ceux qui se montrent trop tièdes vis-à-vis du régime. « La discipline
allemande s’est recréée tout de suite, avec ses ordres, ses cris, ses
hurlements. Le côté politique de l’affaire a très vite occupé le premier rang,
avec des nazis fanatiques23 », se souvient Carl Amery. Des cours de justice
spéciales, les Femegericht, ou « tribunaux Kangourou » (on « saute » le
jugement qui est expéditif), sont improvisées par la Lagergestapo24.
Nazis ou non, si les deux tiers des captifs sont de retour dans leurs
foyers en 1947, les libérations dépendent du bon vouloir de leurs geôliers.
En 1948, les derniers soldats détenus par les puissances occidentales sont
libérés. À l’Est, 450 000 Allemands croupissent toujours dans les goulags
en 1948, ils sont encore 30 000 – ceux-ci en qualité de criminels de guerre –
à y être enfermés au début de 195025. Le général Ramcke, une légende des
parachutistes, ose réclamer la libération des derniers prisonniers, y compris
ceux qu’il n’hésite pas à appeler « nos braves camarades du SD [sic]26 ». En
1955, l’Union soviétique s’engage à libérer les 10 000 derniers détenus. Un
sondage réalisé en RFA en 1956 révèle que pour 37 % de la population de
l’Allemagne de l’Ouest il s’agit là de l’événement majeur de l’année, 4 %
seulement plaçant le réarmement du pays en tête des faits marquants.
Le retour au foyer n’est pas chose aisée. Comme dans toutes les
sociétés et toutes les armées, bien des couples ne résistent pas au retour à la
vie civile, au traumatisme de la guerre s’ajoutant ici celui de la captivité.
Ces hommes qui ont vécu dans un environnement exclusivement masculin
et très machiste doivent compter avec des femmes devenues en partie
émancipées, à qui a incombé la gestion du quotidien et la survie d’une
famille pendant les longues années de guerre, puis celles de l’occupation
étrangère, cette dernière pouvant être une épreuve également douloureuse.
Elles ont également participé à la reconstruction d’un Vaterland ruiné par
une guerre dévastatrice. Le retour à la vie civile est d’autant plus difficile
que beaucoup de soldats ont répondu à l’appel encore adolescents ou jeunes
hommes, avant même d’être entrés dans la vie active : n’ayant connu que
l’école, les études et la guerre, ils n’ont donc pour beaucoup aucune
qualification professionnelle particulière.

Le refoulement d’un passé et la négation de toute culpabilité

Le retour à la vie civile ne signifie aucunement un changement de


mentalité chez les anciens soldats de Hitler. La question majeure qui occupe
leur esprit, outre le sens à donner à tous ces sacrifices qui se sont révélés
vains, reste celle des raisons de la défaite (qu’est-ce qui n’a pas marché ?),
et aucunement celle de la responsabilité dans les crimes de guerre. La
popularité du dictateur défunt ne montre par ailleurs pas de signes de
désaffection trop marqués.
Certes, les souvenirs sont pour le moins hétéroclites : quoi de commun
entre le parcours d’un sous-marinier, celui d’un Landser sur le front de
Leningrad et celui d’un officier en garnison à Paris ? Peu de chose, mais un
élément fédérateur : ils ont tous été des soldats de Hitler.
L’histoire de la mémoire de la Wehrmacht est avant tout celle d’une
falsification, d’un refoulement. La tendance est celle de s’absoudre de toute
culpabilité. En juin 1945, Mgr Galen, évêque de Münster, celui-là même qui
s’était opposé ouvertement à l’euthanasie des malades mentaux entreprise
par les nazis, affirme sans ambages son respect pour l’exemple de
patriotisme dont ont fait montre les soldats allemands, évoquant les
« soldats chrétiens » qui n’ont pas cédé à la violence injuste et à la haine
[sic]27… Le mythe d’une Wehrmacht propre surgit rapidement. Les propos
d’auteurs comme Shils et Janowitz dénazifient le soldat allemand
ordinaire : ce dernier est présenté comme un combattant comme les autres,
aussi humain que tous les soldats de sa génération. Il ne s’est pas battu pour
le Vaterland et encore moins pour le Troisième Reich, mais pour ses
camarades28. Une explication commode, acceptée, et qui ne soulève aucune
contestation pendant des années : le soldat de Hitler, à tout le moins celui de
la Wehrmacht, pas le SS, s’est comporté comme les autres soldats, avec
correction, et il n’était pas un nazi. Il a obéi aux ordres et ce n’est que du
fait des circonstances qu’il a eu la malchance de servir un État criminel.
La littérature romanesque d’après guerre, les souvenirs de vétérans,
même si les sujets ayant trait à la guerre restent somme toute limités sur le
territoire allemand, procèdent également de ce mouvement qui aboutit à
forger l’image idéalisée d’un combattant de la Wehrmacht apolitique.
L’accueil favorable reçu par les récits autobiographiques des anciens
combattants (parfois célèbres, comme Adolf Galland ou Heinz Guderian)
ainsi que par les romans de fiction sont la marque d’une sympathie pour le
comportement de la Wehrmacht en guerre qui pose question29.
Parmi ces ouvrages hagiographiques, des best-sellers publiés dans les
années 1950, tels que la trilogie 08/15, de Hans Hellmut Kirst, ou encore Le
Médecin de Stalingrad, de Heinz Konsalik, et Stalingrad, de Theodor
Plievier. En 1950, le recueil intitulé Dernières lettres de Stalingrad, de
Heinz Schröter30, qui avait préparé le projet pour Goebbels en 1943, est un
immense succès de librairie. D’éminents historiens comme Hans Mommsen
dénient par ailleurs l’idée que l’armée allemande, y compris la Waffen-SS,
eût pu être largement endoctrinée sur le plan idéologique. Mommsen
déculpabilise au contraire les soldats de Hitler : « La guerre des partisans
conduisit à une brutalisation sans précédent de la conduite de la guerre dans
les deux camps. Mais le soldat moyen eut là-dessus une influence limitée et
pouvait difficilement se soustraire à l’escalade de la violence31. » A
contrario, les critiques de l’esprit guerrier et de la camaraderie du front,
formulées par des auteurs tels que Heinrich Böll ou Alfred Andersch, n’ont
que peu d’écho auprès de la masse de la population, leur influence
n’atteignant que des cercles restreints32. Quant aux publications américaines
sur les procès de Nuremberg, elles laissent indifférent et demeurent
largement inconnues.
Criminels ? Si la Waffen-SS est déclarée à juste titre « organisation
criminelle » par le tribunal de Nuremberg en 1945, les anciens de la
Wehrmacht ne se jugent nullement ainsi. Les Allemands prennent certes
conscience du caractère liberticide du régime nazi, et surtout des atrocités
commises sous l’égide de Hitler et de ses séides. Toutefois, alors que les
anciens ennemis occidentaux s’accordent le plus souvent pour admettre une
responsabilité collective au peuple allemand, si celui-ci éprouve de la honte
pour les crimes commis, ainsi qu’une sorte de déshonneur, il ne ressent
nullement le poids de la culpabilité. Beaucoup d’Allemands cultivent à
l’évidence la mauvaise foi en accordant une signification bien subtile au
sens du mot responsabilité. Le soldat Knappere reconnaît qu’il lui faut
admettre qu’il porte une part de responsabilité, « car sans nous Hitler
n’aurait pu commettre les horribles choses qu’il a faites ». Pourtant, il
tempère immédiatement ce jugement en déclarant : « Mais en qualité d’être
humain, je ne me sens pas coupable, parce que je n’ai ni pris part ni eu
connaissance des choses qu’il a commises33. » Aucun soldat ne peut
cependant échapper à une forme d’introspection et éluder la question de sa
responsabilité. Le parachutiste Martin Pöppel admet au mieux que certains
soldats ont été crédules, mais il n’admet pas qu’on puisse considérer les
soldats allemands comme des bourreaux ou des assassins. Lorsque Otto
Carius, l’as des chars Tiger, rédige ses Mémoires (Tiger im Schlamm,
1960), il ne fait jamais la moindre allusion aux crimes sur le front de l’Est.
D’autres vont pousser davantage le déni. La guerre est donc une
immense tragédie, une apocalypse dans laquelle le peuple allemand et son
armée ont souffert comme les autres – et ne sont ni plus ni moins
responsables. La réalité est donc déformée. Dans leur mode de pensée, les
souffrances endurées par les soldats et les civils allemands les absolvent des
crimes de la Shoah. Dès mars 1945, dans un Troisième Reich agonisant, un
soldat réfléchit sur le déchaînement criminel dont s’est rendue responsable
l’humanité, et de citer la barbarie des Soviétiques sur les civils allemands
dans l’est du Vaterland, les bombardements de terreur des escadrilles anglo-
américaines, ainsi que l’extermination des Juifs. Les trois faits sont mis sur
le même plan par ce soldat qui, clairement, n’estime pas que le dernier
crime évoqué soit plus répréhensible que les deux autres. On ne discerne
aucune différence fondamentale entre barbarie nazie, barbarie soviétique et
barbarie occidentale. Pour les Allemands d’après guerre, loin d’admettre le
caractère exceptionnel du crime, la Shoah n’est qu’une manifestation parmi
d’autres des horreurs de la guerre. Pis, dans leur esprit, le génocide des Juifs
et des Tsiganes ne peut être imputé directement au peuple allemand34. En
1950, Konrad Adenauer, le si célébré premier chancelier de la RFA, ose
esquisser une comparaison entre les camps de concentration du Troisième
Reich et les souffrances endurées par les prisonniers de guerre allemands en
Union soviétique35.
Une comparaison malvenue car son sous-entendu est lourd de
conséquences. Cette distorsion des faits fait florès et perdure des décennies
durant. Au cours de ses pérégrinations après guerre en Afrique, August von
Kageneck, devenu journaliste, croise un Père blanc, un Alsacien lui aussi
ancien de la Wehrmacht. Le prêtre place un microsillon sur un tourne-
disque : Lili Marlene… Kageneck formule alors une déclaration
surprenante : « C’est drôle, c’était une armée sentimentale, au fond, presque
une armée gentille. Et pourtant. » Et le père d’acquiescer : la Wehrmacht a
surtout été trop gentille vis-à-vis de ses dirigeants. « On nous a tout appris
sauf une chose : dire “non” à une cochonnerie. » Kageneck conclut en
affirmant qu’il s’estime innocent36. La plupart des vétérans qui ont servi
Hitler ne voient pas les choses autrement.
La fidélité à Hitler ne se dément pourtant pas, alors même que la
négation des crimes du régime nazi n’a plus aucun sens et qu’elle est
confrontée à des preuves accablantes. Une fidélité de mauvais aloi qui
transparaît dans les récits de souvenirs écrits après le conflit. Guy Sajer
n’hésite pas à écrire ces lignes dans son ouvrage-Mémoires sur son
engagement sur l’Ostfront : « Le seul chef qui, à ma connaissance, ait
finalement dit une parole sensée lorsqu’il encourageait ses troupes à ne
perdre à aucun moment est Adolf Hitler : “Même une armée victorieuse a
ses victimes37.” » Les propos de Sajer sont proprement stupéfiants, car ce
dernier pousse très loin son admiration pour le criminel en osant coucher
par écrit la pensée suivante : « Je savais que nous devions passer par ces
mauvais moments, pour ensuite connaître une humanité bienveillante [sic].
C’est du moins ce que nous avait dit notre Führer Adolf Hitler. Rien de cela
n’existe. Qu’il repose en paix [re-sic]. Je ne lui en veux pas plus à lui qu’à
tous les autres grands dirigeants de ce monde. Lui, au moins, bénéficie du
doute, puisqu’il n’a pas eu l’occasion d’établir ces lendemains de
victoire38. » Une prise de position consternante. On a peine à penser que
Sajer ait pu être aveuglé à ce point par la nature du régime qu’il a servi.
De façon fort révélatrice, la mémoire d’après guerre n’accorde pas de
place aux déserteurs et aux traîtres. Les héros sont des soldats malgré eux,
fidèles à leur patrie, dont le sacrifice et les souffrances sont d’autant plus
dramatiques qu’ils l’ont été au service d’un régime criminel : par un
travestissement de la réalité, ils apparaissent donc eux aussi comme des
victimes du nazisme. Les premiers à revendiquer ce statut sont les
Autrichiens, puis vient le tour de tous les ressortissants de l’ancien Reich.
Les anciens soldats de Hitler estiment donc être des victimes – la guerre
et la captivité ont pu leur prendre jusqu’à dix années de leur vie –, mais ce
sont des victimes qui ont suivi des criminels. Ils refusent de changer de
perspective et d’embrasser la guerre sur une autre échelle, se gardant bien
de projeter leur réflexion au-delà de leur expérience personnelle39.
L’inversion de perspective est habile puisqu’on n’exige jamais des victimes
qu’elles rendent des comptes40. Le processus est entériné par l’adversaire
d’hier. Quarante années après le conflit, en 1985, le président américain
Ronald Reagan tient des propos pour le moins désarmants au cours de sa
visite du cimetière de Bitburg, où reposent les dépouilles de Waffen-SS :
« Je crois qu’il n’y a rien de mal à visiter ce cimetière, où ces hommes
jeunes ont été victimes du nazisme aussi, même s’ils combattaient sous
l’uniforme allemand, appelés à exécuter les désirs odieux des nazis41. »
Le déni de culpabilité est d’abord l’œuvre de maréchaux et généraux de
la Wehrmacht (Brauchitsch, Manstein, Halder, Warlimont, Westphal),
auxquels les Américains offrent la possibilité de rédiger un mémoire à
l’intention du tribunal militaire international de Nuremberg qui entend
statuer sur l’état-major général allemand accusé d’être une organisation
criminelle. Cette faveur, octroyée sous l’égide du général américain
William J. Donovan, permet aux officiers allemands de se dédouaner de
toute implication dans les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité,
rejetant la responsabilité sur Hitler, le NSDAP et la SS42.
La plus grande opération de déni de réalité est orchestrée dans le cadre
de l’Historical Division de l’US Army au sein de laquelle plus de
300 officiers allemands détenus (le plus souvent des généraux) vont faire
œuvre d’historiens en rédigeant des textes. Le travail, mené sous l’égide de
Franz Halder, aboutit à une apologie de la Wehrmacht : remarquable,
efficace, dotée de soldats braves et résilients, commandée par un corps
d’officiers d’un talent exceptionnel et d’un professionnalisme que nul ne
peut mettre en cause… Une telle armée ne pouvait pas perdre : ses échecs
sont imputables à l’écrasante supériorité numérique et matérielle de ses
adversaires, voire également à un climat ou une géographie défavorables,
plus encore à l’amateurisme et au dilettantisme de Hitler (de façon
révélatrice, Manstein intitule ses Mémoires Victoires perdues) dont les
prises de décisions furent désastreuses… Bref, les généraux n’assument
rien, se seraient opposés aux crimes de guerre et, enjolivant la réalité à
l’excès, imputent en outre à Hitler tous les échecs opérationnels et
stratégiques subis par la Wehrmacht au cours de la guerre.
Jodl ne fait pas autre chose que défendre la cause des généraux
allemands lorsqu’il déclare devant le tribunal de Nuremberg : « Ce n’est pas
parce que Carthage a finalement été détruite qu’Hannibal était un mauvais
général… » La prise de distance avec les crimes du régime et Hitler est
remarquable. Les généraux allemands, qui n’ont pas trempé dans la guerre
atroce menée au mépris du droit international par la SS, osent même
prétendre que l’armée a tenté de résister par tous les moyens43. Les
généraux allemands qui ont servi Hitler n’ont sans doute jamais pensé
pouvoir s’en sortir à si bon compte : non seulement ils sont injustement
exonérés des pires crimes du régime nazi, mais ils ont l’opportunité de
sauvegarder l’honneur et la réputation de leur caste.
De façon remarquable, le tribunal de Nuremberg n’envisage à aucun
moment l’éventuelle complicité et responsabilité de la Wehrmacht dans la
Shoah44. Si les soldats de Hitler qui ont revêtu l’uniforme de l’ordre noir
sont considérés comme ayant appartenu à une organisation déshonorée par
les forfaits les plus odieux, la Wehrmacht n’est pas reconnue comme
« organisation criminelle ». Certes, de hauts responsables de celle-ci sont
condamnés : à mort pour Goering, Keitel et Jodl ; à l’emprisonnement pour
Raeder et Dönitz. D’autres officiers supérieurs sont traduits devant le
tribunal au cours de certains des « procès de suite ». Quatorze dirigeants de
l’armée sont sur le banc des accusés dans ce qui est appelé « le procès de
l’OKW », qui se tient entre décembre 1947 et octobre 1948. Comme on
pouvait s’y attendre, les intéressés contestent toute responsabilité
personnelle. Onze d’entre eux sont condamnés au titre de crimes de guerre
et de crimes contre l’humanité.
Peu après le retour des prisonniers, les associations de vétérans, d’abord
clandestines45, puis autorisées en 1949 avec l’entrée de la jeune RFA
(République fédérale d’Allemagne) dans l’OTAN46, fleurissent en
Allemagne de l’Ouest. Cadre des retrouvailles des « anciens » de chaque
unité, occasion de pérenniser des traditions, rappeler les faits d’armes
accomplis, cultiver le souvenir et prolonger la camaraderie du front, les
meetings des associations de vétérans sont tout sauf des lieux de remise en
cause de la conduite de la Wehrmacht et de la Waffen-SS au front. On y
raconte donc des souvenirs édifiants, des récits où la bravoure et les actes
chevaleresques se succèdent sans fin…
Les anciens soldats qui se retrouvent s’entraident aussi pour rétablir une
vie normale, qui pour retrouver un emploi, qui pour obtenir des biens de
nécessité. La camaraderie du front se perpétue donc47. Les relations
perdurent dans l’élite : le corps diplomatique de la jeune RFA compte
bientôt dans son personnel 43 % d’individus issus de la SS, outre 17 %
ayant servi dans le SD ou la Gestapo48.
Les réflexes de camaraderie ne se poursuivent pas seulement dans ces
réunions. La discipline martiale acquise à l’armée en temps de guerre et la
façon de saluer, toute « hitlérienne », sont évidentes également chez les
alpinistes partis conquérir un des toits du monde, le Nanga Parbat, appelé
fort à propos la « montagne aux Allemands ». Un des 8 000 les plus
meurtriers de l’Himalaya, le Nanga Parbat est finalement vaincu en 1953
par l’Autrichien Hermann Buhl, qui a combattu à Monte Cassino pendant la
guerre, au cours d’une expédition dirigée par Karl Herrligkoffer, qui tente
de vaincre le sommet que les alpinistes allemands ont vainement assailli à
de multiples reprises dans les années 1930, pour le compte de Hitler et la
plus grande gloire du Troisième Reich49.
Il existe pourtant une différence de taille entre les anciens de l’armée du
Kaiser, vaincue en 1918, et les vétérans de la Wehrmacht défaite en 1945.
Contrairement à la situation de l’entre-deux-guerres, lorsque 2 à 3 millions
de vétérans sont affiliés au Kyffhäuserbund, association de vétérans aux
ramifications régionales, la plus grande association des années 1950-1960,
la VdH (Association des rapatriés, prisonniers de guerre et des familles des
disparus), n’accueille guère plus de 500 000 membres, les anciens soldats
membres devant être d’anciens prisonniers (ce qui est à l’évidence le cas le
plus fréquent). La VdS (ou Ligue des soldats allemands) rassemble
plusieurs associations, dont celle des anciens de l’Afrikakorps, ainsi que la
HIAG (Association d’entraide mutuelle des anciens membres de la Waffen-
SS), qui regroupe 60 000 membres. En fait, la plupart des associations de
vétérans – une centaine au niveau de la division et autant aux échelons
inférieurs, jusqu’à la compagnie – maintiennent leur indépendance et
organisent leurs propres réunions, loin de toute association nationale.
Ces associations regroupent au maximum un million d’anciens soldats,
soit très peu en proportion des 10 millions de vétérans vivant en RFA après
la guerre. La plupart des soldats aspirent à autre chose que ressasser sans
cesse les années noires de la guerre : ils veulent tourner la page et, comme
nombre d’anciens combattants de par le monde, il leur est pénible et
difficile de communiquer leur expérience terrible de la guerre, y compris
avec leurs proches. S’ils acceptent de se confier, c’est le plus souvent de
mauvais gré. Le pacifisme ambiant dans l’Allemagne de l’Ouest de l’après-
Hitler est aux antipodes de la situation qui existait dans l’Allemagne de
Weimar, revancharde et humiliée par le traité de Versailles, avec ses
cohortes d’anciens combattants antirépublicains et prêts à répondre à
l’appel des plus extrêmes. Un pacifisme et une volonté de conserver pour
soi son expérience de la guerre qui se double d’une culture de la honte née
des révélations du procès de Nuremberg.
L’impunité qui sera accordée aux criminels est facilitée par le contexte.
Un sondage effectué en 1953 révèle que si 21 % des Allemands pensent
qu’il est légitime d’enquêter sur l’attitude des soldats allemands dans les
territoires occupés, 55 % y sont opposés et 18 % ne se prononcent pas. Les
partis d’extrême gauche mettent en doute le caractère réellement
démocratique qui anime les réunions d’anciens de la Wehrmacht et les
accusent de perpétrer le nationalisme et le militarisme honnis50. En 1954,
une loi d’amnistie, étape finale d’un long processus législatif commencé en
1949, semble pourtant entériner un consensus répandu au sein de la société
allemande qui désire qu’on mette enfin un point final à la période d’après
guerre : les anciens soldats ne veulent plus être remis en cause par leur
passé ; les seuls à devoir être traduits en justice sont les principaux
responsables de la SS, du SD et des Einsatzgruppen. Leurs complices, à
commencer par une multitude d’anciens de la Wehrmacht, au premier rang
desquels de nombreux généraux, doivent être épargnés, peu importe les
forfaits dont ils se sont rendus coupables. Ceux qui ont été condamnés les
premiers (les hauts responsables, à Nuremberg, en 1946) peuvent ainsi faire
office de boucs émissaires pour une population allemande qui entend
tourner la page du passé, refuse d’admettre ses responsabilités et exige la
réintégration au sein de la société des anciens nazis réhabilités, afin de
procéder à la remise sur pied du Vaterland. Ainsi, force est de constater que
la justice allemande n’a pas mis plus d’empressement à juger les crimes de
l’armée de Hitler que la justice des vainqueurs. Lorsque des recherches ou
des enquêtes sont diligentées, elles ne visent de toute façon pas la
Wehrmacht puisque le SD et la SS sont alors jugés responsables des crimes
commis dans les camps de concentration et les ghettos51.
Le but avoué des lois d’amnistie est d’annuler les peines prononcées et
de réintégrer les anciens membres du NSDAP, qui se comptent alors par
millions52. La HIAG et les associations d’anciens de la Wehrmacht vont
jusqu’à apporter leur soutien à des personnalités poursuivies pour crimes
commis sous leur commandement : ainsi du général SS Sepp Dietrich, nazi
de la première heure privé de pension, qui vit confortablement à sa sortie de
prison, grâce à la générosité de ses anciens soldats ; ainsi du commandant
Reder, emprisonné en Italie pour crimes de guerre, mais qui reçoit en
soutien une pétition rassemblant les signatures de 290 000 personnes, dont
20 000 anciens soldats alliés53. En revanche, un général de la Wehrmacht tel
que Geyr von Schweppenburg refuse de témoigner en faveur d’un ancien
camarade, l’ancien général SS Bittrich, de crainte de se voir accusé de
collusion avec un criminel54.
Fait remarquable et révélateur des mentalités, si la population
allemande des années 1950 n’entend pas que des poursuites soient prises à
l’encontre des anciens soldats soupçonnés de crimes de guerre, on va
pourtant jusqu’à intenter des procès à l’encontre de ceux qu’on considère
comme des traîtres pour avoir osé dénoncer des camarades ou leur avoir
porté préjudice au cours de la captivité en URSS ou en Yougoslavie. Les
cours prononcent des peines allant jusqu’à quinze ans d’internement55.
Quant à Winston Churchill, il se déclare prêt à offrir les moyens de se payer
deux avocats britanniques à Erich von Manstein, jugé devant un tribunal
militaire britannique en 1949. Grâce à l’action de Liddell Hart et à un
retournement de l’opinion publique anglaise désormais favorable à une
amnistie générale en faveur des criminels de guerre, Manstein, pourtant
condamné à dix-huit ans de prison, est libéré en 195556.
Les conséquences les plus controversées de ce déni de la responsabilité
de l’armée dans les crimes du faible intérêt porté à la poursuite des
criminels résident dans les opportunités offertes aux nazis de fuir la justice,
et ce avec la complicité d’instances qu’on aurait pu croire hostiles à ce
genre de pratique, à savoir le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés), le Vatican et le gouvernement américain57. La fuite des
nazis, orchestrée avec le bon vouloir d’autorités qui auraient été en mesure
de les placer face à leurs responsabilités de criminels, est révélatrice d’un
état de fait préoccupant. Le cas de l’Argentine du président Perón, qui
accueille entre autres les pilotes de la Luftwaffe Hans-Ulrich Rudel et Adolf
Galland, est édifiant. Si les grands criminels recherchés ne sont pas
forcément d’anciens membres des forces armées, des soldats de Hitler, et
non des moindres, trouvent un asile à l’étranger : ainsi en est-il d’Otto
Skorzeny, qui finit ses jours en Espagne. L’histoire rattrape pourtant des
individus comme Joachim Peiper, l’ancien chef du SS-Panzer-Regiment 1,
décédé en 1976 dans un incendie – vraisemblablement d’origine
criminelle – à Traves, en Haute-Saône.
La situation est tout autre en RDA, la République démocratique
allemande, placée dans l’orbite soviétique, où les associations de vétérans
restent bannies. Le fameux film de Wolfgang Staudte, Les Assassins sont
parmi nous, sort sur les écrans en 1946. Le film raconte comment Mertens,
un ancien chirurgien aux armées, témoin d’un crime de guerre, retrouve
l’assassin, Brückner, qui a refait sa vie après la guerre sous les apparences
d’un homme gai et urbain. Mertens souffre d’un cas de conscience – il n’a
pas interféré pour empêcher le crime – et entend rendre justice lui-même,
avant d’opter pour une procédure légale en faisant traduire Brückner devant
les tribunaux. L’œuvre traduit remarquablement le dilemme que doivent
ressentir de nombreux soldats (mais pas tous) : le fait d’avoir laissé
commettre des crimes. Dans la zone occupée par les Soviétiques,
contrairement à ce qui a cours en Allemagne de l’Ouest, on n’hésite pas à
critiquer la complicité existant entre la Wehrmacht et le régime nazi. Mais,
dès 1946, les Allemands, à commencer par les soldats, sont présentés
comme des « victimes du fascisme », exploités et envoyés à la mort par « la
clique de Hitler58 ».
Un contexte international favorable à l’ancienne Wehrmacht

Plus que toute autre raison, le contexte de la guerre froide fournit la clé
de l’explication du mythe d’une Wehrmacht propre et efficiente.
Eisenhower, devenu le commandant en chef de l’OTAN en 1951, exonère le
soldat allemand qui s’est battu « honorablement » de crimes imputés à
certains individus ainsi qu’à la SS. Pour lui, « il existe une véritable
différence entre les soldats et officiers allemands en tant que tels, d’une
part, Hitler et son criminel, de l’autre ». Adenauer abonde en ce sens en
disculpant les soldats « qui n’avaient commis aucune faute ». Le chancelier
déclare qu’il n’y a eu « aucun manquement à l’honneur au sein de
l’ancienne Wehrmacht allemande59 ». Ce que les anciens responsables de la
Wehrmacht ont appelé les « réparations d’honneur » constitue une
réhabilitation préalable indispensable à l’idée d’un réarmement, dont le
processus aboutit à la création d’une nouvelle armée allemande en 1955 : la
Bundeswehr. Adenauer va plus loin en faisant inscrire dans la loi
fondamentale un droit à la retraite et à l’assistance sociale pour tous les
anciens soldats de carrière de la Wehrmacht, au même titre que n’importe
quel fonctionnaire60.
La continuité entre la Wehrmacht et la Bundeswehr est patente à
plusieurs égards. Elle l’est d’abord au niveau du personnel, les cadres des
années 1950 ayant déjà été des gradés – des généraux – au service de Hitler.
L’état d’esprit, la manière de procéder, acquis sous la période hitlérienne, ne
peuvent que perdurer. Le parallèle se poursuit jusqu’à l’identification de
l’adversaire : l’ennemi d’hier, le Soviétique, reste le même. Reinhard
Gehlen, le si peu efficace responsable du Fremde Heer Ost, c’est-à-dire le
service de renseignements de la Wehrmacht sur l’Armée rouge, reprend du
service dans l’Allemagne fédérale en qualité de directeur du service de
renseignements61. Un cas loin d’être unique.
Pourtant, le pouvoir politique affecte de se distancer de la Wehrmacht et
du passé militariste allemand. Il importe de bouleverser la tradition militaire
du pays en restreignant les possibilités d’emploi de la nouvelle armée
allemande, plus particulièrement en dehors des frontières de la RFA.
L’Allemagne se doit de donner l’image d’une nation démocratique délivrée
à jamais des démons de son passé militariste. Pour les soldats de la
Bundeswehr, il ne saurait cependant être question d’envisager la défunte
Wehrmacht autrement que comme une force professionnelle, apolitique. Il
est donc légitime que cette armée, par ailleurs parée d’une aura
d’excellence, serve de référence ultime à la nouvelle Bundeswehr. On
n’hésite pas à baptiser navires et casernes, qui du nom de Rommel, qui de
celui de Hasso von Manteuffel, entre autres ancien Kommandeur
(commandant) de la division « Großdeutschland », voire du nom du très
nazi Eduard Dietl, le « héros » de Narvik, ou encore de Werner Mölders,
l’as de la Luftwaffe. En 1956, les casernes se voient en fait affubler des
noms choisis sur instruction de Hitler vingt ans plus tôt62.
Au sein de la nouvelle armée, les tenants de la tradition se heurtent au
réformistes – regroupés autour du comte Wolf von Baudissin – qui,
conscients du passé criminel de l’armée de Hitler, entendent « créer
radicalement du neuf », sans lien avec la Reichswehr ni la Wehrmacht. Las,
la guerre froide a raison des velléités des réformistes. Ceux-ci osent
toutefois mettre en avant Stauffenberg et les conjurés du 20 juillet : voilà le
modèle sur lequel doit se baser la Bundeswehr. Pensée iconoclaste et
irrecevable pour les anciens maréchaux et généraux de Hitler, pour lesquels
les « hommes du 20 juillet » ne sont que des traîtres, des officiers qui ont
failli à leur serment. D’autant que la mise en avant de Stauffenberg remet en
question leur propre positionnement personnel vis-à-vis de Hitler.
L’évolution fait néanmoins son chemin et peu à peu les anciens conjurés
sont honorés à leur tour par l’institution militaire qui rebaptise quelques
casernes. Un arbre qui ne fait que cacher la forêt. À la fin des années 1960,
un officier de la plus importante école militaire de RFA déclare sans
hésiter avoir « mis en œuvre le modèle de la Wehrmacht de 193963 ».
L’armée de Hitler reste la référence. Ainsi, dans son livre sur la guerre à
l’Est, Rolf Hinze déplore que la Bundeswehr ait recherché à se démarquer
de l’héritage de la Wehrmacht : « L’action des soldats n’a rien eu à voir
avec l’idéologie ou la motivation politique des dirigeants du Reich. Un
soldat s’acquitte de la mission qu’on lui a confiée64. »
Lorsque la Bundeswehr est mise sur pied, la question des crimes
éventuels qui seraient imputables à la Wehrmacht tient cependant une place
résolument secondaire : ce qui compte avant tout, c’est que l’armée de
Hitler a mené la lutte contre le communisme honni et redouté. Comme le
clamait la propagande de Goebbels, « Barbarossa » fut une « croisade
contre le bolchevisme », et les nouveaux alliés occidentaux ne voient
désormais pas les choses autrement : la Wehrmacht a constitué un rempart
contre le communisme, elle a préservé la culture européenne. Lorsqu’il
accepte de contribuer à l’Historical Division de l’US Army, Halder n’hésite
pas à affirmer qu’en agissant ainsi les officiers allemands perpétuent la lutte
contre le bolchevisme65.
Dans ce contexte de guerre froide, la réhabilitation de la Wehrmacht
repose également sur un postulat lourd de sens, repris chez de nombreux
historiens : à tout prendre, quels qu’aient été ses défauts et son caractère
criminel, mieux valait Hitler que Staline. Les conséquences mémorielles
sont importantes : la victimisation d’une armée criminelle devenue force de
salut par un tour de magie. Politiquement, cette vision facilite la nouvelle
alliance entre la RFA et les anciens ennemis occidentaux66. Le fait que
l’ennemi soviétique soit une dictature totalitaire que les anciens soldats de
la Wehrmacht ont affrontée facilite leur amalgame au sein de la nouvelle
coalition. Pour ceux qui ont connu l’Ostfront, avec un mépris pour les
Slaves, puis les affres de la détention en Union soviétique, la haine des
Russes est restée vivace67.
Les Alliés ne peuvent se passer de l’expertise des anciens officiers de
Hitler, fussent-ils nazis. Ils ont combattu les Soviétiques pendant des
années, cet ennemi dont les « hordes » innombrables suscitent la crainte du
monde libre. Faisant fi du passé nazi de leurs interlocuteurs, les Américains
et leurs alliés accordent une seconde vie à ceux qui ont été au service de
Hitler. Pis, s’il faut en croire le général Geyr von Schweppenburg, ancien
spécialiste de la Panzerwaffe, les autorités américaines n’ont pas hésité à
faire disparaître des documents à charge contre des responsables de la
défunte Wehrmacht68. Les historiens, théoriciens militaires et officiers
occidentaux font leur l’appréciation du Britannique Liddell Hart : les
généraux de Hitler ne sont rien de plus que des professionnels, et
d’excellents professionnels qui plus est69. D. Brader, officier de la RAF, ne
tarit pas d’éloges à l’endroit de son homologue Hans-Ulrich Rudel, ancien
de la Luftwaffe et nazi bon teint : « C’est de toute évidence un galant
homme et je lui souhaite bonne chance70. » Les nouveaux alliés de l’armée
allemande font leur l’idée qu’elle fut avant tout le premier rempart contre le
bolchevisme. Il faut donc mettre à profit leur expérience acquise dans la
lutte face aux Soviétiques.
C’est ainsi que se répand une vulgate qui perdure depuis les années
1950 : la Wehrmacht est la meilleure armée de la Seconde Guerre mondiale.
Cette armée renvoit une image positive, celle de l’excellence, celle d’une
armée professionnelle apolitique. Curieusement, alors même que les soldats
de l’Armée rouge sont supposés être de fervents communistes au sein d’une
organisation particulièrement politisée, l’idée même que la Wehrmacht soit
également politisée, c’est-à-dire nazie, n’est pas de mise à l’époque…

Le mythe de l’excellence de la Wehrmacht

Les anciens soldats de Hitler ne ressentent pas de remords pour les


forfaits commis, ils éprouvent peut-être la honte de la défaite, mais ils sont
assurément fiers de leur réputation : le soldat allemand est le meilleur du
monde. Sa maîtrise de la tactique militaire et la technique avancée de ses
armes font sa renommée. Nombre de faits d’armes et de campagnes sont
érigés au rang d’épopées. Toutes les branches de l’armée de Hitler jouissent
de cette réputation d’excellence71. Les fictions romanesques et les récits de
guerre ne narrent aucunement des parcours semés de tragédies criminelles,
mais présentent au contraire la guerre des soldats de la Wehrmacht comme
une grande aventure, dans laquelle la camaraderie prime sur toute autre
considération.
Le général von Vaerst, dernier commandant de la 15e Panzer détruite en
Tunisie en 1943, déclare que « le soldat allemand est parti en captivité avec
l’idée de ne pas avoir été vaincu sur le champ de bataille mais d’avoir été la
victime de l’effondrement de la logistique72 ». Un jugement partagé par la
plupart des anciens de la Wehrmacht, qui se double d’une antienne déjà
avancée par les généraux et reprise par tous : la défaite n’est due qu’à
l’écrasante supériorité numérique et matérielle de l’adversaire.
On a souvent mis l’accent sur le contexte de la guerre froide pour
expliquer le mythe d’une Wehrmacht considérée comme l’armée efficiente
entre toutes. Pour beaucoup, cet état de fait expliquerait le German Bias,
c’est-à-dire la tendance à mettre systématiquement en avant une armée
allemande supposée invincible. Certes, les Mémoires de Manstein et autres
Guderian ont fait la part belle aux erreurs du Führer et aux hordes
soviétiques, victorieuses des magnifiques soldats allemands par le seul
poids du nombre. Certes, les études diligentées par l’armée américaine ont
laissé la parole des généraux allemands s’exprimer librement avec la tacite
acceptation comme parole d’Évangile de tout ce qu’ils pouvaient avancer.
La littérature spécialisée a longtemps épousé cette vision déformée et
continue de le faire. L’image caricaturale donnée de l’Armée rouge en offre
un excellent exemple. Cette orientation de la mémoire de la guerre trouve
en effet son écho dans les nombreux ouvrages écrits sur le conflit, érigeant
en particulier la guerre à l’Est en épopée face à un adversaire innombrable,
brutal et sans finesse. Certes, faute d’accès aux archives soviétiques
pendant des décennies, l’approche des auteurs est souvent unilatérale :
citons Crucible of Combat. Germany’s Defensive Battles in the Ukraine,
1943-44, de Rolf Hinze, les ouvrages de Franz Kurowsky et autres Paul
Carell, ou encore la trilogie de Werner Haupt consacrée aux trois groupes
d’armées partis à la conquête de l’Union soviétique. C’est dans ce contexte
que surgit aussi le mythe d’une Waffen-SS considérée comme une troupe
d’élite, ce qu’elle n’est pas73. On ne compte plus le nombre de livres sur les
SS signés Jean Mabire et autres Sven Hassel. Les récits de la guerre par les
vétérans ont été pris au pied de la lettre. Les associations d’anciens SS sont
en grande partie responsables de cet état de fait en perpétuant l’idée d’avoir
constitué une élite militaire – ou comment la propagande de Goebbels, qui a
accordé à la Waffen-SS une couverture médiatique absolument
disproportionnée avec son importance numérique, continue à œuvrer à des
dizaines d’années de distance… Le souvenir s’attache plus facilement aux
unités SS car les divisions ne sont pas seulement numérotées : elles portent
un nom, un titre, tels que « Das Reich ». Il est donc plus facile pour ces
unités de sortir de l’anonymat.
La manière dont a longtemps été perçue la guerre germano-soviétique
illustre parfaitement la postérité de la Wehrmacht et d’une certaine vision
de la guerre. Il est intéressant de se pencher sur la terminologie souvent
acceptée à l’endroit de l’immense confrontation qui a mis aux prises deux
adversaires formidables en Europe de l’Est de 1941 à 1945. On parle
souvent du « front de l’Est ». C’est la vision originelle des Allemands et de
leurs alliés puisque, géographiquement, le territoire de l’Union soviétique
se trouve à l’est de l’Europe centrale dominée par le Reich. Ce faisant, ainsi
qu’en témoigne l’immense historiographie qui a eu cours pendant des
décennies, on adopte le point de vue, forcément quelque peu biaisé, du
camp allemand. On emploie également l’expression « front russe », qui
procède de la même démarche, mais qui fait fi d’une réalité : la Russie est
alors soviétique et se rattache à un ensemble plus vaste, l’URSS. Que disent
les Soviétiques et les Russes à leur suite ? Pour eux, cette guerre est la
« Grande Guerre patriotique » (la « Guerre patriotique » est la confrontation
victorieuse face aux armées napoléoniennes). Il s’agit donc d’une lutte pour
la patrie, pour sa sauvegarde, ce qui n’est pas faux si on songe aux projets
meurtriers des nazis à l’égard des peuples slaves. De façon significative, on
ne parle pas de lutte pour le communisme ou pour le système soviétique,
n’en déplaise sans doute à ceux qui voudraient faire leur l’affirmation nazie
selon laquelle la Wehrmacht a constitué un rempart face aux « hordes
bolcheviques ». Pour les Finlandais, qui se disent par un tour de passe-passe
de vocabulaire cobelligérants des Allemands et non leurs alliés, c’est la
« guerre de continuation » (après la guerre de l’hiver 1940). On objectera
que parler de guerre germano-soviétique, c’est oublier un peu rapidement
les contingents alliés des Allemands, parfois très nombreux : Roumains,
Hongrois, Finlandais, Italiens, Slovaques, Espagnols, sans parler des
quelques milliers de volontaires de la « croisade contre le bolchevisme ».
L’immense confrontation que fut la guerre à l’Est est encore
globalement vue – en dépit de travaux qui sortent du lot (La Guerre
germano-soviétique, de Nicolas Bernard) – selon le prisme allemand,
d’abord car les ouvrages sont d’abord essentiellement écrits d’après les
souvenirs, témoignages et archives allemandes, mais aussi car le contexte a
longtemps été celui de la guerre froide. Si toute cette littérature qui perdure
encore de nos jours n’est pas à rejeter, il est tout de même caractéristique de
constater qu’un parti pris semble parfois d’emblée adopté par l’auteur. Il est
question du « drame du front de l’Est ». Mais de quoi s’agit-il ? Des
exactions des Einsatzgruppen à l’encontre des Juifs ? Des misères du
peuple soviétique face aux atrocités allemandes ? Non, le « drame », c’est la
défaite (glorieuse pourrait-on dire à en lire certains) de la Wehrmacht et la
« retraite de Russie ». Car il s’agit bien de cela : la retraite menée avec brio
face à un ennemi très supérieur en nombre. Trop peu d’ouvrages parlent de
« reconquête » du territoire soviétique ou encore de la « victoire de l’Armée
rouge ». Il est au contraire plus fréquent de mentionner la défaite de l’armée
allemande, l’invasion de l’Allemagne, voire un crépuscule des dieux
wagnérien… D’ailleurs, on ne rate jamais l’occasion d’accorder un chapitre
entier aux viols et autres exactions commis par l’Armée rouge, certes réels,
en Allemagne, alors que, bien souvent, une étude de « Barbarossa » en 1941
suivra les groupes d’armées allemands les uns après les autres sans
forcément s’appesantir longuement sur le cortège d’horreurs, dont des viols,
qui accompagnent la conquête nazie.
Certes, rien ne peut assurer que l’armée allemande n’aurait pas été
considérée comme la meilleure de son temps sans la division du monde en
deux blocs74 : après tout, sa valeur est déjà reconnue et soulignée à maintes
reprises par ses adversaires pendant le conflit. La guerre froide n’est pas la
raison du mythe de l’excellence de la Wehrmacht. Les Britanniques portent
aussi leur part de responsabilité. On connaît le succès de l’ouvrage de Basil
Liddell Hart, Les généraux allemands parlent, où le point de vue des
généraux allemands, certes intéressant, pèche par son manque d’objectivité
tout autant que les livres sur la guerre à l’Est. Le concert de louanges de
l’ancien ennemi, sur le plan militaire s’entend, est aussi celui des anciens
combattants, aux premiers rangs desquels les généraux qui écrivent leurs
Mémoires : Eisenhower, Bradley, Montgomery…
Une armée particulièrement efficace, dotée d’un équipement de pointe
et qui n’a plié que sous le poids du nombre : cette distorsion partielle des
faits explique en grande partie l’intérêt apparemment démesuré accordé à
l’armée allemande dans les publications, alors même que la cause
indéfendable pour laquelle elle aurait si brillamment combattu est
étrangement occultée (ce qu’on n’a jamais accordé à l’armée soviétique).
Les ingrédients du German Bias semblent donc évidents : une propagande
de guerre efficace, une histoire réécrite et biaisée par les généraux
allemands, en particulier sur la guerre à l’Est et sur les troupes d’élite, une
récupération parfois par des écrivains douteux.

Les aspects protéiformes de l’intérêt porté à la Wehrmacht

L’intérêt suscité par cette armée considérée comme la meilleure du


monde en son temps est protéiforme. On ne compte plus le nombre de livres
qui lui sont consacrés. Certains titres sont évocateurs : le livre de Trevor
Dupuy paru en 1977 s’appelle A Genius for War. The German Army and the
General Staff, 1807-1945. Affirmer que la Wehrmacht est au cœur de la
Seconde Guerre mondiale est une évidence. C’est une armée qui a été
engagée sur de nombreux fronts, forts différents : elle s’est battue sur
plusieurs continents et a affronté ses ennemis sur de nombreux océans et
mers. Elle est aussi impliquée dans l’expérience de l’occupation des
territoires conquis, ainsi que dans de nombreux crimes de guerre, voire de
crimes contre l’humanité. Enfin, ses avancées techniques et technologiques
expliquent également l’intérêt qu’on peut lui accorder. Une telle variété de
situations explique donc que la littérature qui lui est accordée soit
particulièrement fournie et justifie dans un sens qu’elle ait la primauté,
même si celle-ci peut être considérée comme trop marquée.
Après les livres et la presse, le monde de la bande dessinée s’intéresse
au sujet, y compris avec des uchronies telles que Wunderwaffen. Si les
petites BD de maisons d’édition d’origine anglaise comme Attack ou
Panache accordaient le beau rôle aux soldats alliés dans les années 1960-
1980, les Allemands ont aussi leurs héros, comme l’illustrent Kaleunt ou
encore Kursk : et pour cause, sous le pseudonyme de Dimitri se cache…
Guy Sajer. Plus récemment sont parus les tomes de L’Armée de l’ombre
d’Olivier Speltens, où le récit narre également les aventures d’un groupe de
soldats allemands. Les séries mythiques du neuvième art ne sont pas
épargnées : ainsi les « méchants », dans QRN sur Bretzelburg des Aventures
de Spirou et Fantasio, comme les soldats du général Tapioca, dans Tintin et
les Picaros, portent des casques inspirés de ceux de la Wehrmacht, et même
à pointe dans Spirou, sans oublier le colonel bordure Sponsz, à l’allure bien
germanique avec son monocle et sa veste à revers rouges, dans L’Affaire
Tournesol.
L’attrait de l’armée de Hitler est tel qu’elle occupe davantage les
couvertures des magazines de la presse spécialisée que toute autre armée.
Pour un livre ou un article consacré exclusivement à une unité alliée,
combien de dizaines pour la Wehrmacht ou la Waffen-SS ? Car la postérité
de l’armée de Hitler, parée de son aura d’excellence, est aussi une question
économique. La Wehrmacht et le feldgrau font vendre. Celui qui aime la
chose militaire et qui ne considère que cet aspect de la question peut
ressentir aisément une attirance pour l’armée allemande en raison de son
aspect martial, de sa discipline. On ne saurait nier la différence d’allure, en
faveur de l’Allemand, entre le Landser de la Westfeldzug et le piou-piou
français qui lui fait face au cours de la même campagne. L’esthétique,
indiscutable, des uniformes et du matériel allemands tient son rôle. Sans
considération partisane ou idéologique, on ne peut guère en dire autant du
fameux casque « plat à barbe » anglais ni de l’uniforme du Frontovik
soviétique : l’armée britannique et l’Armée rouge attirent et passionnent
aussi, mais le plus souvent pour d’autres raisons. On ne compte plus les
sites Internet dédiés à l’armée allemande, parfois très spécialisés, parfois
aussi repaires de groupuscules d’extrême droite ou d’intervenants trop
compréhensifs et dithyrambiques à l’endroit de l’armée de Hitler et de ses
soldats.
La variété des uniformes au sein de l’armée allemande semble par
ailleurs inégalée. Une aubaine pour le fana de miniatures ou le féru de
militaria. Quel maquettiste n’a pas ressenti d’intérêt devant l’originalité et
la multiplicité des uniformes, des blindés et des avions allemands ? Quelle
autre armée de la Seconde Guerre mondiale offre un panel aussi large de
camouflages d’engins et d’uniformes ? De fait, rareté, aspect mythique de
certains effets (tenues camouflées, casques de parachutistes, casquettes de
l’Afrikakorps…), décorations (la croix de fer, les bandes de bras des unités
d’élite…), armes (le MP 40 ou le MP 44…), ou encore esthétique : le
militaria allemand a la cote auprès des collectionneurs d’uniformes et de
matériels militaires. L’envolée de la valeur attribuée à de nombreuses pièces
n’a fait qu’accentuer le processus, qui se double d’un vaste marché de la
contrefaçon. De façon fort logique, leur rareté, leur importance historique et
l’esthétique de nombre de pièces de l’armée allemande qui ont été
préservées jusqu’à nos jours tiennent une place de choix dans les musées et
sur les sites consacrés à la Seconde Guerre mondiale, y compris jusque dans
les sables d’Égypte, pour le passionné qui aura la chance de venir à El-
Alamein découvrir de nombreuses reliques de l’Afrikakorps. Le Tiger I, de
Vimoutiers, en Normandie, et le Tiger II, de La Gleize, en Belgique,
panzers préservés sur le champ de bataille, sont des pièces exceptionnelles,
mais aussi des témoignages de premier ordre d’une époque tragique.
Les photographies d’époque ou les albums des vétérans allemands ne
font pas exception : le soldat de Hitler fait vendre, sur eBay comme ailleurs.
La musique militaire allemande, les fameuses rengaines comme Lili
Marlene ou encore le célèbre refrain Heidi ! Heido ! Heida ! de la chanson
Ein Heller und ein Batzen (une chanson à boire du XVIe siècle qui n’a rien
de nazie) ont aussi la cote et sont disponibles auprès de nombreuses
maisons d’édition de disques, les airs martiaux typiquement nazis côtoyant
une majorité de titres traditionnels chantés par les armées d’outre-Rhin
depuis des lustres ; il y a toutefois une nuance entre un disque de chansons
de la Bundeswehr (reprenant de facto des airs de la Wehrmacht déjà
entonnés par les soldats allemands des siècles précédents) et un recueil
d’airs spécifiques du Troisième Reich, voire de la SS, avec force croix
gammées sur la couverture… Ces chansons chargées de mémoire
constituent également un autre legs de la Wehrmacht. Les témoins qui ont
vécu l’Occupation les assimilent aux heures sombres de la guerre. Quant à
la perspective d’imaginer une tournée des chœurs de la Bundeswehr qui
reprendraient ces airs traditionnels fameux à l’instar des chœurs de l’Armée
rouge75 – une armée pourtant elle aussi chargée de crimes et vecteur d’une
idéologie mortifère –, l’idée reste impensable et c’est un argument
supplémentaire qui montre bien que l’armée de Hitler n’est pas une armée
comme les autres.
L’évolution est parallèle sur le marché des figurines et des modèles
réduits, qui s’est particulièrement développé après la Seconde Guerre
mondiale avec l’avènement des jouets en plastique. Si les marques
mythiques des années 1960 et 1970, comme Airfix et Matchbox, et plus
tard Esci, ont eu leurs produits « Wehrmacht » phares, la parité semblait
alors encore de mise avec les boîtes de miniatures consacrées aux forces
alliées. Toutefois, l’inflation de l’offre en matière de soldats, avions et
véhicules de l’armée allemande devient spectaculaire : Esci, Italeri, Tamiya
et Dragon multiplient à l’envi les modèles à croix noires, ainsi que Solido.
Il en va de même au niveau des figurines : si les mannequins Action Joe
avaient leur officier allemand, leur Landser, leur parachutiste et leur soldat
de l’Afrikakorps, on ne compte désormais plus la quantité de soldats
allemands chez les marques de figurines au 1/6e. Les petits soldats n’ont pas
échappé à la règle : les Allemands de la marque Starlux sont les plus prisés
(le fabriquant n’a pas hésité à proposer un officier supérieur de la
Wehrmacht effectuant le salut nazi…) ; chez Britains, si beaucoup de
belligérants sont représentés, les soldats de la Wehrmacht sont les seuls à
bénéficier de deux séries de figurines. L’attrait pour l’armée allemande à ce
niveau ne s’explique pas uniquement par des considérations esthétiques ou
d’aura d’excellence, même si ce sont là les explications premières, il trouve
aussi son origine dans la multitude de produits possibles : la Wehrmacht,
qui s’est battue sous toutes les latitudes, est l’armée aux multiples
uniformes, de la récupération et des prototypes…
Une variété et un mythe qui font également le bonheur des concepteurs
et éditeurs de wargames, qu’ils soient sur plateau ou électroniques. Les
titres, parfois passés dans la légende des amateurs du genre, accordent la
part belle à l’armée allemande : Panzer Leader et Panzer Blitz chez Avalon
Hill, Panzer Command chez Victory Games, la série Panzer Grenadier chez
Avalanche Press, Guderian’s Blitzkrieg chez The Gamers, et on ne compte
plus les jeux qui portent le nom de « Rommel » dans leur titre… Pour une
maison d’édition de jeux décidée à proposer une simulation de la guerre du
désert, un Afrikakorps ou un DAK est bien plus vendeur qu’un 8th Army…
Les wargames basés sur des uchronies ont des titres qui frôlent le délire : SS
Amerika, Space Nazis from Hell, 4th Reich, America Aflame… Sur le
marché du jeu vidéo, une firme japonaise propose même un Girls und
Panzer pour PS4 ! Une série de jeux de PC s’intitule Panzer Elite. Il existe
aussi Iron Sky Invasion. Meteor Blitzkrieg, ou les nazis dans l’espace…
Wolfenstein : A New Order, dont l’action se situe dans les années 1960,
imagine un Troisième Reich dominant le monde76.
Les étals des boutiques de souvenirs des sites touristiques liés à la
Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire essentiellement en Normandie, ne
sombrent pas dans la surenchère à ce propos : si les souvenirs proposés par
certains magasins (quelques-uns sont plus proches de modernes
« marchands du Temple » que de boutiques sérieuses) sont souvent liés au
Débarquement et à la bataille de Normandie, la pléthore de cartes postales,
reproductions de peintures, posters, T-shirts, casquettes, mugs,
reproductions d’insignes et autres briquets et criquets sont ornés de soldats
ou de références aux armées alliées. L’armée allemande n’y est guère
représentée, voire, le plus souvent, pas du tout.
Par un étrange effet de mode, alors même que l’historiographie
démontre sans équivoque la responsabilité de la Wehrmacht dans la Shoah,
l’uniforme allemand est parfois jugé désormais acceptable, à condition que
ce ne soit pas celui d’un SS. Les opéras de Wagner, prolifique et talentueux
compositeur qu’admirait tant Hitler, sont également touchés : une version
de Tannhauser avec des acteurs vêtus en SS et une évocation des chambres
à gaz fait scandale à Düsseldorf en 201377. Le Parsifal présenté à Bayeuth
en 2012 est à l’avenant avec ses chevaliers grimés en soldats allemands et la
multiplication des étendards nazis78. En octobre 2016, des chanteuses
japonaises n’hésitent pas à s’affubler de casquettes noires à l’allure très
SS79. Pis, la passion morbide pour la Waffen-SS donne lieu à des
déclarations ubuesques : un des leaders du Ku Klux Klan (les runes SS
tatouées sur son cou !) déclare dans les années 1990 combien il est
admiratif devant ces troupes qu’il qualifie ni plus ni moins de
« chevaleresques ».
Si l’interdiction des signes nazis portés jadis par les soldats de Hitler se
justifie, et pas seulement lors des commémorations, le bannissement peut se
révéler ridicule et non avenu. C’est ainsi que les maquettistes, toujours
soucieux d’être au plus près de la réalité, ont pu être lésés par l’absence de
croix gammées pour les empennages de certaines maquettes japonaises
d’avions du Troisième Reich. Que dire aussi de la disparition de l’étendard
nazi de la couverture de l’Hanomag SdKfz 251 de la marque Matchbox,
représenté en pleine action dans le désert où l’utilisation du drapeau nazi
(alors national pour la Wehrmacht) était monnaie courante ? Une
éradication qui est aussi visible sur des sites de vente sur Internet, comme
eBay, et même dans certaines bourses aux armes dans lesquelles des
vendeurs vont masquer les svastikas de leurs insignes allemands. Comme si
l’exposition d’un insigne signifiait en partager les valeurs ou même
posséder le moindre pouvoir prosélyte. Dans un de ses gags consacrés à
Gaston Lagaffe, Franquin met pourtant ces terribles paroles, ô combien
injustes, dans la bouche de son héros gaffeur occupé à fabriquer un modèle
réduit de Messerschmitt Bf-110 : « Il paraît que ce sont les modèles à croix
gammées qui ont le plus de succès… chez les malades. » Toutefois, la
République fédérale d’Allemagne a récemment fait un pas en avant en
autorisant les symboles nazis dans les jeux vidéo.
L’intérêt d’un large public pour l’armée allemande est donc un fait. Il
n’a rien d’obligatoirement idéologique. Il serait stupide, et même insultant,
de supposer qu’il en va autrement. Ne pas céder aux mirages des
révisionnistes et autres admirateurs de tenues feldgrau (admirer n’a pas la
même signification que s’intéresser) est avant tout une question
d’éducation, de milieu, d’esprit critique. Le German Bias ne représente au
pire un danger potentiel que pour ceux qui sont influençables ou mal
informés : et encore, à condition que les textes soient outrageusement
partiaux, fascisants (il y en a, hélas !) et que le lecteur soit prédisposé à y
accorder foi.

Les lieux du souvenir

Les manuels scolaires démontrent que le souvenir du soldat allemand


varie avec le lieu où l’on vit. Sans surprise, les livres scolaires allemands
des années 1950 aux années 1970 n’évoquent jamais la responsabilité ou la
culpabilité des Allemands. Ceux des décennies qui suivent entament une
évolution en posant la question de la connaissance ou non des crimes par le
peuple allemand et en présentant une Wehrmacht spectatrice des
assassinats. Dans les années 1980, le cap de l’affirmation de la
responsabilité des Allemands et de la culpabilité de la Wehrmacht est enfin
franchi, devenant systématique en RFA dans les années 2000. Dans les
autres pays européens, seuls les manuels français et autrichiens abordent la
question de la complicité de l’armée allemande dans la Shoah et les autres
forfaits. Mais cette approche n’est nullement systématique, et les manuels y
faisant allusion restent minoritaires ; elle disparaît même des manuels
français dans les années 200080. Il faut également attendre les années 2000
pour que les mots « Holocauste » et « génocide » apparaissent dans les
manuels allemands, seule « extermination », voire « Solution finale » étant
utilisés auparavant, et encore, de façon moins fréquente (le mot « Shoah »
n’apparaît pas)81.
Le souvenir laissé par le soldat de Hitler est donc aussi question de
lieux. L’Occupation et son cortège d’atrocités ont un impact sur la
perception du soldat allemand. Les civils qui ont connu les heures sombres,
de même que les militaires de retour au foyer, beaucoup à l’issue d’une
longue captivité, n’ont guère envie de conserver le souvenir de l’occupant,
la trace du passage des soldats de Hitler ne se limitant toutefois aucunement
aux souvenirs plus ou moins pénibles. Pendant longtemps en France,
l’Allemand reste le Boche, le Chleuh, le Fridolin, le Frisé, le Teuton ou le
Vert-de-Gris, voire le doryphore… L’Allemand qui reste longtemps perçu
comme le type même de l’homme à l’esprit guerrier. Faut-il être surpris que
dans une fiction des années 1960 comme Les Tontons flingueurs, de
Georges Lautner, ce soit le gangster allemand, Hans, qui apparaisse comme
le plus belliqueux, semblant retrouver ses sensations de soldat en maniant
une mitrailleuse MG 42 et ne cessant de se référer à la guerre : « ça tombe
comme à Stalingrad » ou encore, par allusion à la plaque de ceinturon de
tout soldat de la Wehrmacht, « pour une fois que Dieu semble être avec
nous », sans oublier le char Patton, qui n’est pas sa « marque préférée » ?
Pour les Britanniques et les Américains, il est avant tout respectivement le
Jerry ou le Kraut, voire le Fritz ou le Hun, car l’Histoire, et donc la
mémoire, n’est pas la même outre-Manche et outre-Atlantique qu’en
Europe continentale, où l’on a connu la botte nazie.
L’Angleterre et les États-Unis n’ont jamais été occupés et cela se reflète
dans l’image renvoyée par le soldat allemand. En France, le Landser de la
Wehrmacht est encore pour beaucoup lié à un casque à la silhouette
inoubliable, à un martèlement de bottes et à des ordres gutturaux. Le temps
qui passe se conjugue avec les lieux pour affirmer la relativité de l’image
que renvoie le soldat allemand pour la postérité. Les commémorations de la
bataille de Normandie en fournissent un exemple remarquable. Jusqu’à très
récemment, porter l’uniforme allemand se faisait couramment au cours de
reconstitutions organisées aux États-Unis ou en Angleterre, notamment au
festival de Beltring, mais jamais en France. Pis, au Japon, des groupes de
collectionneurs s’habillent en SS sans aucun scrupule. Lors des
commémorations du Débarquement, côté couleurs d’uniforme, la nouveauté
des années 2000 est celle de l’apparition progressive du feldgrau. La
présence de collectionneurs en uniforme allemand pose un certain nombre
de difficultés, voire peut susciter un certain émoi, surtout pour ceux qui ont
connu les heures noires de l’Occupation (une réalité difficile à appréhender
pour un Américain, qu’il soit historien, comme le démontrent nombre
d’ouvrages, ou simple touriste). Ne tombons pas dans la facilité qui
consisterait à faire un procès d’intention à ces collectionneurs, souvent
sympathiques et consciencieux : s’intéresser à la Wehrmacht, l’armée qui
est incontestablement au cœur de la Seconde Guerre mondiale et dont
l’étude est incontournable sur ce sujet, ne signifie aucunement faire sienne
l’idéologie abjecte dont cette armée fut le glaive82. Mais c’est justement sur
ce point que le bât blesse : les commémorations du 6 Juin sont celles de la
victoire des démocraties, de la Libération… La complicité de la Wehrmacht
dans les crimes de guerre nazis est désormais clairement établie. Est-ce
donc bien le cadre pour arborer ces uniformes, même si les spectacles
offerts à Sainte-Mère-Église, à la batterie de Crisbecq ainsi qu’à celle de
Merville ou au château du Taillis sont plutôt réussis ? Sans aucun doute, à
condition de cantonner ces reconstitutions aux spectacles. La venue il y a
une quinzaine d’années du Tiger II du musée de Saumur à Émiéville, avec
figurants en uniforme, n’avait rien d’une apologie du Troisième Reich.
Préserver ce qui a été le mur de l’Atlantique procède de cette nécessité
d’associer la préservation d’éléments évoquant l’armée allemande à la
mémoire et à l’Histoire : la frénésie de destruction, toujours présente chez
les promoteurs immobiliers ou chez ceux qui ne possèdent pas le sens de
l’Histoire, semble céder la place à une volonté de conserver ce qui
s’apparente à des monuments historiques : ainsi des bunkers du mur de
l’Atlantique de l’armée de Hitler, parfois désormais très bien mis en valeur
dans le cadre d’une véritable muséographie.
Si beaucoup de musées évoquant la guerre, y compris les camps de
concentration, existent en Allemagne83, parfois de qualité et présentant des
matériels rarissimes (U-Boote, panzers, etc.), les Allemands n’ont certes pas
érigé sur leur territoire un musée traitant spécifiquement de la Wehrmacht
pendant la Seconde Guerre mondiale, et s’ils viennent à le faire, il est
impensable qu’ils y mettent en avant les prouesses guerrières des soldats de
Hitler à l’instar de ce qui prévaut au musée de Tokyo (le Yushukan), où les
victoires et les faits d’armes des forces nipponnes sont valorisées hors
contexte, sans véritable référence aux multiples crimes de guerre commis
par l’empire du Japon et en l’absence du moindre sentiment de culpabilité
ou d’amorce de repentance.

La postérité du matériel et de l’uniforme du soldat allemand

L’équipement et le matériel des soldats de Hitler ne survivent pas que


dans les musées. Dès 1944, la récupération de tout ce qui peut être utile
parmi la masse de matériel abandonné par l’armée en déroute devient un
sport national en France : qui réutilise les caisses à munitions en caisses de
rangement, qui retaille ou reteint des tenues diverses, qui use à son profit de
selles et harnachements divers, lampes, pansements, etc., sans oublier les
casques qui, transformés, deviennent autant de pots de fleurs ou d’ustensiles
de jardinage aux côtés de pelles, cisailles… voire des armes. Des monceaux
de matériels désormais rarissimes sont détruits, tandis que d’autres, oubliés
ou pieusement conservés dans les appentis et les remises de nombreuses
fermes, font la joie des collectionneurs qui les redécouvrent des années plus
tard84.
La postérité de la Wehrmacht, c’est également son influence
considérable sur l’équipement des armées d’après guerre. Le fameux AK 47
Kalachnikov doit beaucoup à son devancier allemand, le Sturmgewehr
MP 43/44. À l’instar des blindés et de l’armement, les uniformes allemands,
souvent en avance sur leur temps (songeons aux parkas et aux tenues
camouflées), sont des modèles pour nombre d’armées qui sont postérieures
(ou non) à la Wehrmacht. La rarissime tenue camouflée Buntfarbenaufdruck
45 (ou Leibermuster), adaptée au combat avec infrarouges, est mise au
point pour les troupes du Reich en 1945, mais elle constitue une avancée
qui fait date et qui suscite des émules. Les tenues des unités de la RFA ont
parfois été très proches de celles de la défunte Wehrmacht, une réalité
davantage évidente – et quelque peu surprenante – en RDA communiste,
dont l’armée adopte de surcroît un casque mis au point et proposé à Hitler à
la fin du conflit, le dictateur ayant repoussé le projet, qui s’accordait mal
avec la silhouette désormais admise et reconnaissable entre toutes du soldat
allemand. De façon significative, lorsque l’US Army abandonne son casque
de type M1 emblématique, c’est pour adopter un modèle en kevlar vite
surnommé « Fritz » en raison de la similitude de ses lignes avec le
Stahlhelm modèle 35 de la Wehrmacht. Les imitations des effets et
matériels de la Wehrmacht sont diverses, et ce dès avant la cessation des
hostilités en 1945. Un des exemples les plus fameux est la copie du célèbre
jerrycan, bidon d’essence désormais devenu universel. Cette imitation du
soldat de Hitler, qui va jusqu’à la reprise de son équipement (des panzers
dans diverses armées, dont des Panzer IV dans l’armée syrienne, des
Panther français, etc.), connaît cependant des limites. L’allure certes
martiale du soldat de la Wehrmacht, en dépit d’un caractère assez moderne
pour l’époque et d’une esthétique indéniable, ferait au XXIe siècle figure
d’uniforme de soldats d’opérette : un équipement en cuir et des bottes, une
vareuse surchargée d’insignes trop visibles (pattes de col et d’épaules, aigle
sur la poitrine), ainsi que des décalcomanies ornant un casque qui
donneraient une allure bien obsolète à un soldat contemporain.
Universelle semble pourtant l’idée que les tenues allemandes de
l’époque hitlérienne puissent renvoyer une image négative. Après tout, les
officiers de l’Empire de la saga Star Wars de George Lucas adoptent une
allure et des couleurs d’uniforme qui ne sont pas sans rappeler celles des
soldats de Hitler. Quant au casque du méchant par excellence, Dark Vador,
ses lignes tiennent visiblement leur inspiration tout autant des casques de
samouraï que du Stahlhelm modèle 35 de la Wehrmacht. Évidemment, ce
sont les « méchants » qui se doivent de vêtir pareils accoutrements. Lorsque
Steven Spielberg, l’ami de George Lucas, doit imaginer des antagonistes
sans scrupules pour s’opposer à Indiana Jones, ce sont évidemment les
nazis qui sont conviés à la tâche, et le héros archéologue doit donc affronter
des soldats allemands… Un dessin animé illustrant une fameuse comptine
enfantine85 mettant en lice des crocodiles du Nil n’est pas en reste : les
sauriens sont casqués « à l’allemande », aucun détail ne manquant au
couvre-chef. Les films, téléfilms ou épisodes de séries mettant en scène des
néonazis ou des organisations secrètes visant à l’établissement d’un
Quatrième Reich sont légion. Si l’uniforme allemand demeure un symbole
du mal, ou du militarisme, c’est que, parallèlement à la fascination pour les
soldats de Hitler, l’image renvoyée par ceux-ci a singulièrement évolué.

La remise en cause d’une image édulcorée en Allemagne


même

Au fil des années, quelques remises en cause isolées du mythe d’une


Wehrmacht « propre » et correcte surgissent çà et là, mais ne restent encore
que des voix qui crient dans le désert. En 1966, le scandale vient de
l’écrivain Krämer-Badoni qui n’hésite pas à déclarer que « nous fûmes les
barbares de la dernière guerre86 ». Peu sont alors prêts à admettre la
culpabilité du simple soldat, mais la situation va se renverser.
L’année 1968, l’année de toutes les contestations, est aussi celle de la
dénonciation par des étudiants, souvent gauchistes, de l’amnistie plus ou
moins tacite accordée aux anciens nazis. Le chancelier de l’époque, Georg
Kiesinger, n’est pas épargné : n’est-il pas lui-même un ancien adhérent du
NSDAP ? Les critiques visent également l’autoritarisme, la discipline
militaire, particulièrement virulente au sein de l’armée allemande, déjà
vigoureusement dénoncée par des auteurs tels que Remarque (après la
Grande Guerre) ou Kirst. Mais la critique vise cette fois-ci également la
Bundeswehr, la nouvelle armée allemande de la RFA, une armée dont les
cadres sont issus des rangs de la défunte Wehrmacht. La violence, les
humiliations ou le sadisme qui peuvent y avoir cours sont considérés
comme un anachronisme, comme un relent de totalitarisme dans une société
démocratique, dans un pays où on tente désormais de se distancer d’un
militarisme qui a plongé l’Europe dans une catastrophe sans précédent.
L’armée allemande a perdu de son aura d’antan auprès de la
population : le nombre d’objecteurs de conscience, qui risquent la prison
jusqu’en 1980, ne cesse de s’accroître, dépassant pour la première fois la
barre des 10 000 en 1968 pour atteindre 126 000 en 199487. Les jeunes gens
finissent par rejeter l’idée que le service militaire soit une étape nécessaire
pour devenir pleinement un homme. Cette évolution transparaît
parallèlement dans la façon dont l’opinion publique juge le fait de désertion
sous le Troisième Reich : puisque le caractère criminel de la guerre est
avéré, « toute forme de refus était un acte respectable répondant à un
impératif moral88 ». Mettre en avant ces déserteurs et la reconnaissance du
caractère moral, voire héroïque, de leur acte de résistance pose cependant
problème dans la mesure où l’écrasante majorité des anciens de la
Wehrmacht et de la SS ont au contraire obéi jusqu’au bout…
En 1969, après entre autres La Stratégie de Hitler, d’Andreas
Hillgruber, les livres consacrés à la Wehrmacht de Manfred Messerschmidt
et Klaus-Jürgen Müller participent de la remise en cause de celle-ci.
D’autres historiens, tels Walter Manoschek, emboîtent le pas au cours des
deux décennies suivantes, faisant vaciller davantage le mythe d’une
Wehrmacht « propre » : les crimes commis sur les prisonniers de guerre
soviétiques, les atrocités perpétrées dans les Balkans et en Italie.
Messerschmidt résume clairement la portée morale et les conséquences
pratiques et éthiques induites par les révélations sur l’ancienne armée
allemande. Évoquant la Bundeswehr, il estime que « se rattacher aux vertus
militaires de la Wehrmacht ou de tel ou tel soldat ne permet pas de faire
l’économie de savoir si ces vertus étaient consciemment ou aveuglément
dédiées au national-socialisme et à Hitler89 ». Les anciens de la Wehrmacht
ripostent en criant au scandale et à la calomnie : les criminels ont été
condamnés et on ne saurait généraliser les écarts d’une minorité à
l’ensemble de l’armée de Hitler… Des magazines très marqués à droite
comme le Deutschland Magazin n’hésitent pas à parler de falsification de
l’Histoire.
Dans les années 1970, le public allemand prend davantage conscience
de la réalité de ce qu’on appelle alors l’Holocauste (avant que le terme
Shoah ne s’impose), notamment par le biais de la diffusion de la série
éponyme, une réussite pour l’éveil des consciences, en dépit des erreurs
factuelles qui s’y sont glissées90. La SS devient plus que jamais répulsive. Il
est désormais impossible à un (ex-)membre de la HIAG (l’association de
vétérans rassemblant les anciens SS) de rejoindre les rangs du SPD. Les
réunions de la HIAG deviennent de plus en plus difficiles à organiser,
provoquant immanquablement une levée de boucliers et des manifestations
d’opposition91.
Les vétérans ont encore leurs supporters, particulièrement les plus
prestigieux d’entre eux. Lorsque Karl Dönitz est inhumé à Aumühle en
janvier 1981, les anciens de la Kriegsmarine sont outrés que le
gouvernement fédéral n’ait pas accordé de funérailles nationales à celui qui
fut l’héritier et le successeur de Hitler à la tête du Troisième Reich. Les
vétérans s’indignent de ne pas avoir été autorisés à revêtir leur uniforme
pour l’occasion. L’assistance offre un kaléidoscope de ce que furent les
forces armées de Hitler : sont présents des célébrités nazies de la Luftwaffe
comme Rudel, ou encore Wilhelm Mohnke, ancien commandant de la
1re Panzer SS « Leibstandarte Adolf Hitler » et un des défenseurs du
Reichstag et du bunker du Führer. Les croix de fer luisent sur les cous de
l’assistance. Des jeunes néonazis sont également présents. Lorsque le
contre-amiral Wegener, qui prononce l’oraison funèbre, conclut en signalant
que le ministre de la Défense ne s’est pas fait représenter à ces funérailles et
que « le Großadmiral n’a pas eu droit aux honneurs réglementaires dus à un
officier supérieur décoré de la croix de chevalier », les sifflets fusent. Et
Wegener d’ajouter, en parlant de Dönitz : « Nous le remercions de nous
avoir gardés purs de tout crime à travers la guerre. » Indubitablement il y a
deux mémoires de la guerre diamétralement opposées en Allemagne en ce
début des années 198092.
Le discours tenu par le président Richard von Weizsäcker le 8 mai
1985, à l’occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre en Europe,
procède de cette remise en cause progressive de l’image idéalisée de la
Wehrmacht : trop d’Allemands ont fermé les yeux sur la réalité de
l’Holocauste après la guerre, et trop ont feint n’en avoir jamais rien su.
C’était jeter un pavé dans la mare. Ce n’est qu’une étape dans la révision
progressive de l’attitude de la Wehrmacht pendant la guerre par les
historiens, les médias et les politiques.
Dès les années 1980, une nouvelle génération d’historiens écorne le
mythe d’une Wehrmacht apolitique, étrangère et imperméable à l’idéologie
nazie, et innocente des crimes du Troisième Reich. La génération de la
guerre cède en effet la place à de nouveaux intervenants, les débats sont
plus libres et les études plus critiques93. Parmi ces historiens qui mettent à
bas le mythe d’une Wehrmacht propre, l’Israélien Omer Bartov, dont
L’Armée d’Hitler est devenu un grand classique. Les faits sont
désormais soulignés et reconnus : la Wehrmacht a bien participé aux crimes
du Troisième Reich ; la Wehrmacht s’est montrée brutale dans
l’accomplissement de ses missions militaires.
La « querelle des historiens » (Historikerstreit) de 1986 illustre
combien le sujet est sensible et controversé. Ernst Nolte suggère
qu’Auschwitz s’explique par les horreurs du goulag et la peur du
bolchevisme94. Il prétend que « Barbarossa » ne fut qu’une invasion
préventive, reprenant une antienne de la propagande nazie. De son côté,
Andreas Hillgruber insiste sur les sacrifices consentis par l’Ostheer et le
respect qui serait dû à ses soldats, qui ont préservé une partie du peuple
allemand de la revanche des Soviétiques, qui se serait caractérisée par
davantage de cruautés que celles commises par l’armée de Hitler95.
Hillgruber laisse de côté le sort tragique des déportés, tout en admettant
pourtant que cette résistance acharnée de la Wehrmacht a permis la
poursuite de l’extermination des Juifs. Il s’identifie donc aux victimes
allemandes, mais pas à celles du Troisième Reich96. Pour ces historiens, les
atrocités des « bolcheviques » seraient de toute façon survenues en cas
d’invasion de l’Allemagne, « Barbarossa » ou pas…
L’exposition « Guerre d’anéantissement : les crimes de la Wehrmacht
de 1941 à 1944 », tenue d’abord à Hambourg, puis dans d’autres villes en
1995, constitue un tournant. Dans le contexte des commémorations des
cinquante ans de la fin du conflit et avec la réunification des deux
Allemagnes, la donne change brusquement. La prise de conscience de la
responsabilité de l’armée allemande dans les crimes nazis, en particulier la
Shoah, ne peut plus être refoulée. Les Allemands découvrent que les crimes
du Troisième Reich ne peuvent être imputables à une poignée de SS et aux
hauts responsables de l’armée : c’est toute une armée, toute une génération
qui est en cause97. Pis, la brutalité de la guerre à l’Est et la complicité plus
ou moins tacite du Landser lambda sont mises en lumière par la multitude
de clichés provenant de collections personnelles de soldats, des images
prises sur le vif, qui témoignent des pires horreurs, loin des photographies
de la propagande. Outrés, les vétérans n’y ont vu que diffamation98. La
Bundeswehr elle-même prend ses distances avec la défunte Wehrmacht en
n’autorisant plus les réunions d’« anciens » dans les enceintes de ses
casernes.
Des millions de visiteurs découvrent l’exposition. Le catalogue qui
l’accompagne devient un best-seller, de même que le numéro spécial de Die
Zeit intitulé : « L’obéissance jusqu’à la mort ? La guerre passée sous silence
de la Wehrmacht99. » L’exposition révolutionnaire est vue par une kyrielle
d’étudiants et de lycéens. Les jeunes générations d’Allemands, qui ne se
définissent plus par rapport à la Seconde Guerre mondiale, n’acceptent plus
ce travestissement de la réalité, ces non-dits, l’idée même que leurs aïeux
aient pu être des assassins. Les moins jeunes sont aussi concernés :
2,5 millions d’enfants ont grandi comme orphelins de guerre après 1945, la
plupart sans père. Cette figure paternelle, sans doute idéalisée par bien des
récits, se heurte à la dure réalité. Car, pour tous, une question ne peut être
éludée : mon père, mon grand-père a-t-il été complice de ces
abominations ? Elle en amène une autre : les assassins sont-ils parmi nous ?
Pis, certains reconnaissent leurs aïeux sur ces clichés si compromettants.
Beaucoup de jeunes sont tout simplement révulsés, dégoûtés par ces
révélations. La distinction communément admise depuis 1945 entre une
Wehrmacht « propre » et une SS criminelle, distinction rejetée dans le
milieu scientifique dès les années 1960, vole en éclats au sein de l’opinion
publique.
La pilule est amère, la réalité difficile à admettre. Les vétérans, les
veuves des anciens combattants, voire leurs descendants réagissent en
mettant en avant l’esprit de sacrifice des soldats de la Wehrmacht. Les
années 1990 sont aussi celles de la raréfaction des vétérans aux réunions
des anciens des unités de la Wehrmacht. Le poids des ans, les disparitions…
mais aussi la perte de prestige.
Nombreux sont ceux qui n’acceptent pas la réalité, jugeant la période du
Troisième Reich comme leurs plus belles années, celle d’une jeunesse
pleine d’espoir. Bernt Engelmann rapporte le cas d’une Allemande qui avait
cru en Hitler et qui fut contrainte, comme tant d’autres, de découvrir le
camp de Dachau, près de Munich : « Je suis certaine que le Führer n’aurait
pas voulu ces choses-là », déclare-t-elle. Et d’ajouter une profession de foi
consternante qu’elle ne reniera jamais jusqu’à sa mort : « Le vrai national-
socialisme était pur et correct100 ! »
La Bundeswehr n’est pas épargnée par cette remise en cause de la
Wehrmacht, et ce bien avant la fameuse exposition d’Hambourg. En 1982,
un décret sur la tradition déclare sans équivoque qu’il est impensable que
celle-ci puisse se fonder sur la Wehrmacht, même si cette dernière n’est pas
explicitement nommée : « Un régime d’injustice comme le Troisième Reich
ne peut pas fonder cette tradition101. » La querelle sur la question du rôle de
la Wehrmacht au cours de l’extermination perdure une décennie au sein de
la Bundeswehr, avant que Volker Rühe, le ministre de la Défense, n’affirme
en 1995 qu’« en tant qu’organisation du Troisième Reich, la Wehrmacht
[nommée explicitement, contrairement à la déclaration de 1982] a été
impliquée, par sa direction, ses unités et ses soldats, dans les crimes du
national-socialisme102 ». Paroles officielles, pas forcément relayées et
admises au plus profond des consciences de tous ceux qui servent alors sous
l’uniforme allemand.
Pourtant, signe des temps, le 8 mai 2000, une caserne reçoit le nom de
l’adjudant Anton Schmid, un soldat allemand déclaré « Juste parmi les
nations » par l’État d’Israël en 1967, traduit en cour martiale en 1942 et
fusillé pour avoir sauvé des centaines de Juifs103.

Un renouveau historiographique salutaire au-delà de


l’Allemagne

Admettre la responsabilité des soldats de Hitler dans les événements


parmi les plus dramatiques du XXe siècle ne doit pas constituer un frein à la
connaissance historique par un mouvement de rejet qui serait malvenu.
Comment imaginer étudier la Seconde Guerre mondiale sans s’intéresser de
près à l’armée qui se trouve au cœur des affrontements ? Sans connaître
l’armée dont les victoires et la combativité expliquent la durée et l’âpreté
des combats ? Étudier l’armée allemande est nécessaire et salutaire : des
spécialistes nous permettent de la connaître sous tous ses aspects. L’intérêt
toujours marqué pour la Wehrmacht est le bienvenu. Il permet un
révisionnisme, dans le bon sens du terme, de ce qu’était réellement cette
armée, aussi bien dans ses campagnes et son efficacité que dans son
implication dans les crimes les plus ignobles, à commencer par la Shoah
elle-même. Le travail des historiens français à cet égard est important.
Citons Lettres de la Wehrmacht de Marie Moutier et Fanny Chassain,
Comme un Allemand en France d’Aurélie Luneau, Stefan Martens et
Jeanne Guérout, Hôtel Majestic. Ordre et sécurité en France occupée,
1940-1944 de Gaël Eismann, ou encore Guerre et extermination à l’Est.
Hitler et la conquête de l’espace vital, 1933-1945 de Christian Baechler.
D’autres livres, nombreux, nous permettent d’accéder à une connaissance
précise de tel ou tel aspect militaire de la Wehrmacht grâce à un sérieux
travail sur les archives, dont aucun présupposé idéologique nauséabond ne
viendrait entacher le résultat. Les nouvelles biographies de Rommel ou de
Manstein ont également permis de revisiter l’aura qui entoure ces deux
officiers, et plus particulièrement le « Renard du Désert » dont les derniers
ouvrages qui lui sont consacrés104 n’ont rien en commun avec l’ancien et
dithyrambique livre de Desmond Young. Les travaux de ces historiens sont
indispensables pour la bonne compréhension de la guerre.
L’étude détaillée de l’armée de Hitler a toutefois ses limites. Certaines
maisons d’édition se sont fait une spécialité de publier des ouvrages portant
sur des unités allemandes, particulièrement des unités SS. Dans certains
écrits, à trop relativiser les crimes des uns et des autres, on finit par les
banaliser, établir une équivalence, et mettre sur un même pied les troupes
qui ont servi Hitler et celles qui l’ont combattu. Un révisionnisme voulu et
qui n’a rien d’anodin. D’aucuns estiment que l’Histoire n’est qu’un point de
vue. Dans ce cas, l’ombre de la négation de la Shoah plane sur la recherche
historique. L’historien, qui est à la recherche de la vérité des faits du passé,
entend que sa démarche soit scientifique, fondée sur des faits et une
argumentation, et ne peut accepter cette vision. Nier la politisation de la
Wehrmacht procède également de cet état d’esprit. Si un historien met en
lumière les crimes de guerre causés par des soldats alliés (par exemple le
massacre de prisonniers allemands par des Polonais en Normandie), cela ne
doit pas servir d’alibi pour relativiser des crimes allemands menés, non pas
individuellement par des soldats à la moralité douteuse ou dans le feu de
l’action, mais sous l’effet d’un endoctrinement fanatique. Certains osent
encore expliquer la brutalité des SS en Normandie uniquement par leur
expérience à l’Est ou encore l’enrôlement des ex-prisonniers soviétiques
comme Hiwis ou Osttruppen pour des raisons uniquement d’ordre
antisoviétique, sans même, dans ces deux cas précis, établir un lien avec la
politique nazie à l’égard des peuples slaves.
À l’inverse, prendre le contrepied systématique du German Bias peut
mener à un révisionnisme trop marqué. À trop le rejeter, à trop critiquer les
écrits des témoins allemands ou encore les ouvrages adoptant le point de
vue allemand datant de ces décennies de la guerre froide, on finit par
plonger dans l’outrance inverse. La relativisation des témoignages peut
pousser à des excès. Certains auteurs finissent par refuser d’accepter tous
les textes et souvenirs des années 1950-1960 – qui ne sont pourtant pas sans
intérêt à condition de savoir les prendre comme tels et de ne pas avoir la
prétention d’en savoir systématiquement plus qu’un témoin – ou le moindre
témoignage pour des raisons de méthodes historiques mal comprises. Le
dossier de Guerres & Histoire, no 7, n’hésite pas à proclamer : « La
supériorité militaire allemande ? Le mythe du siècle ! » Tout est dit. Deux
autres dérives sont à éviter : le recherche du scoop et l’omission. Soucieux
de souligner les talents de l’Armée rouge, si souvent décriée à tort, Jean
Lopez, dont les ouvrages ont redonné un nouveau souffle à la connaissance
de la guerre à l’Est, n’est cependant pas toujours convaincant lorsqu’il
minimise a contrario les qualités de la Wehrmacht, ou encore, dans son très
bon livre sur Korsun, lorsqu’il minore l’importance de la guerre menée à
l’Ouest (citons un seul exemple : il décrie la médiocrité des divisions
statiques de l’Atlantikwall, mais se garde de rappeler que nombre de
divisions de l’Ostheer ne sont pas plus mobiles ni mieux équipées…).
Or la réputation d’excellence est en grande partie justifiée et
aucunement usurpée. Les carences, évidentes et désormais bien connues, de
la Wehrmacht, notamment en stratégie, et dans une moindre mesure sur le
plan opérationnel, ne sauraient masquer ses réussites, aussi bien sur le plan
tactique que dans l’équipement et le matériel. Certains auteurs finissent par
confondre les difficultés qui émanent de l’armée elle-même de celles qui
sont le produit de l’économie ou du gouvernement du Reich, ce qui n’est
pas forcément la même chose. De là à admettre un aspect téléologique de
l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ce à quoi je me refuse, il n’y a
qu’un pas.
La connaissance de l’armée allemande, et donc du soldat de Hitler,
progresse par conséquent avec la relecture de faits bien connus en se
fondant sur des archives mal ou peu exploitées ou jusqu’alors inaccessibles.
Les historiens se questionnent sur la puissance de la Wehrmacht, sur le
tournant de la guerre (faut-il réellement s’accorder sur Stalingrad ?), etc.
Matériels et armements ne sont pas exempts de remises en question : quid
des qualités réelles du Tiger, du Messerschmitt Bf-109 ? Pourtant, bien des
mythes perdurent auprès du grand public : la cavalerie polonaise chargeant
les panzers en 1939, les Waffen-SS, troupes d’élite invincibles… L’Histoire
est questionnement. La remise en cause de la vision longtemps acceptée du
soldat de Hitler a le mérite d’apporter une réflexion, de renouveler nos
approches sur un événement. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

L’image de la Wehrmacht sur le grand écran : un résumé en


images de sa postérité

Parallèlement à la recherche historique, l’évolution de la mémoire et du


mythe de la Wehrmacht, de sa prétendue excellence comme de son
implication ou non dans les crimes de guerre, est admirablement montrée
par le cinéma, miroir de la postérité de celle qui fut l’outil de guerre de
Hitler.
On observe cependant une exception à ce constat : l’image d’excellence
et de professionnalisme attachée à la Wehrmacht le cède souvent à une
démonstration de manque de savoir-faire militaire. Une des caractéristiques
de nombreux soldats allemands, qui est celle de nombreux « méchants » au
cinéma, est de se montrer le plus souvent incapables de faire feu
correctement, en dépit de chargeurs très bien pourvus. On ne compte plus
non plus le nombre de grenades allemandes renvoyées à leurs propriétaires
(Quand les aigles attaquent, de Brian G. Hutton, 1968). Mauvais
combattants, ils sont aussi souvent dépeints comme de parfaits imbéciles,
ou à tout le moins comme des individus naïfs. Comment éloigner une
sentinelle ? Il suffit de lancer un caillou à l’opposé de sa cachette, ou encore
d’imiter le miaulement d’un chat : le Landser s’y laisse prendre
systématiquement (cela fonctionne à merveille dans Les Canons de
Navarone). Autre stratagème, une jolie fille suffit à leur faire manquer leur
devoir (la première scène à Pegasus Bridge dans Le Jour le plus long, de
Darryl Zanuck, 1962). Pis, bien que leurs interlocuteurs, pourtant distants
de seulement quelques mètres, ne soient pas particulièrement atteints de
surdité, ils ne savent qu’hurler, quand bien même un minimum de discrétion
serait fortement conseillé. Il est tout aussi caractéristique que le moindre
résistant ou soldat allié soit capable de faire illusion en portant l’uniforme
allemand par le seul miracle d’un « Ja ! Ja ! » bien placé (La Grande
Vadrouille, de Gérard Oury, 1966), ou encore en restant muet (Donald
Sutherland et Lee Marvin dans Les Douze Salopards, de Robert Aldrich,
1966). Les Allemands du petit écran ne sont pas plus conformes à l’image
idéalisée du soldat d’excellence : il suffit de visualiser un passage de
Stalag 13 (ou Papa Schultz) ou de Commandos du désert pour s’en
persuader.
En revanche, comme dans les livres de guerre des années 1950-1990,
l’impact de la guerre froide et l’image du soldat allemand apolitique est une
autre des caractéristiques majeures de nombre de films occidentaux des
années 1950 aux années 1970 qui dépeignent des individus très
manichéens et à la personnalité sans nuances : on remarque clairement,
chez les Allemands, des « méchants » et d’autres qui, eux, sont « corrects »,
voire « bons ». Cette distinction recoupe la césure Wehrmacht/SS. Ainsi, les
SS caricaturaux qu’on rencontre dans Le Pont de Remagen de John
Guillermin (1969), Quand les aigles attaquent de Brian Hutton (1968) ou
Les Canons de Navarone de Jack Lee Thompson (1961). En 1967, dans Le
Franciscain de Bourges, l’Allemand qui vient en aide aux résistants détenus
ne peut être un SS ; il s’agit d’un infirmier, par ailleurs religieux, joué par
un Hardy Krüger bien éloigné du rôle qui était le sien dans Un taxi pour
Tobrouk. Dans Le Passeur d’hommes, de Jack Lee Thompson (1979), le SS
pousse la caricature jusqu’à porter un signe nazi sur son slip… On retrouve
une rengaine habituelle dans nombre de films : l’officier de la Wehrmacht
est humain et incite ses prisonniers à parler, sinon il devra les livrer, à son
grand regret, à la SS ou à la Gestapo. Dans Le Pont de Remagen,
Robert Vaughn apparaît comme un soldat de métier injustement puni par
une hiérarchie impitoyable. On retrouve cette image d’officiers allemands
apolitiques et professionnels dans les ouvrages publiés à la même époque.
Le climat de la guerre froide y est pour beaucoup : le mythe entretenu d’une
armée loin des toutes les compromissions avec le régime nazi est admis.
Quant aux jeunes Allemands qui se sacrifient pour la défense de leur village
dans Le Pont, de Bernhard Wicki, réalisé en 1959, ce sont des victimes du
nazisme et de la folie d’une époque.
L’officier allemand est donc souvent le militaire éduqué et correct, qui
ne cherche qu’à accomplir son devoir en dépit de la cause qu’il semble
servir bien malgré lui : il n’est qu’un soldat qui obéit aux ordres. Le
septième art multiplie les portraits d’officiers impeccables et cultivés. La
télévision et le cinéma français abondent de ces exemples d’officiers
francophiles qui s’attachent à leurs hôtes : pensons aux rôles principaux du
film Le Silence de la mer (Jean-Pierre Melville en 1947, puis Pierre
Boutron en 2004), ainsi que de la série télévisuelle Le 16 à Kerbriant
(Michel Wyn, 1972). Le capitaine von Stegel, campé par Hardy Krüger
dans Un taxi pour Tobrouk (Denys de La Patellière, 1961), possède
également tous les attributs de l’officier de carrière, respectueux des lois de
la guerre et bon père de famille, à même de susciter la sympathie du
spectateur. Hollywood ne manque pas non plus d’officiers de carrière
honorables : citons seulement le commandant de sous-marin joué par Curd
Jürgens dans Torpilles sous l’Atlantique (Dick Powell, 1957), ou encore les
aviateurs de La Bataille d’Angleterre (Guy Hamilton, 1969).
Symbole éculé du « bon » officier allemand sous la plume des
historiens jusqu’à il y a peu, Rommel est systématiquement présenté sous
des traits sympathiques (à l’exception notable du film de 1943 de Billy
Wilder, Les Cinq Secrets du désert, avec Erich von Stroheim dans le rôle du
maréchal, mais il s’agit là d’une œuvre de propagande en temps de guerre) :
soldat de carrière (Le Jour le plus long, avec Werner Hinz, ou encore
Patton, où Karl Michael Vogler joue un Rommel peu crédible et assez
désabusé), subissant parfois les injonctions jugées absurdes de Berlin (La
Bataille d’El-Alamein, de Giorgio Ferroni, tourné en 1969, avec Robert
Hossein), voire conspirateur (La Nuit des généraux, d’Anatole Litvak,
1967). Le summum en la matière est atteint avec Le Renard du désert
(Henry Hathaway, 1951), d’après la célèbre biographie dithyrambique de
Desmond Young (qui apparaît d’ailleurs dans son propre rôle au début de
l’adaptation de son œuvre à l’écran). James Mason prête ses traits à un
Rommel de légende tel qu’il est apparu aux historiens et, partant, au grand
public pendant près d’un demi-siècle. Plus récemment, en 2012, les
spectateurs ont eu une nouvelle version, discutable, axée sur la fin de sa
vie : Rommel, le stratège du 3e Reich, de Nikolaus Stein von Kamienski,
avec Ulrich Tukur.
La guerre froide seule responsable d’une présentation manichéenne des
Allemands ? Voire. La méthode perdure, même après l’effondrement du
bloc soviétique. Certes, en 2002, dans Amen, de Costa-Gavras, Kurt
Gerstein, joué par Ulrich Tukur, est un SS plus inattendu que d’accoutumée,
puisque ce nazi tente d’alerter le Vatican du drame qui frappe les
communautés juives d’Europe. Fury, pourtant très récent (2014), met
encore en scène cette distinction SS/Wehrmacht avec un Brad Pitt
particulièrement avide de tuer des SS. On sait que la découverte des camps
de concentration ne fut pas sans conséquences sur la vision qu’eurent les
soldats alliés de leurs adversaires.
Les personnages campés par les Allemands sont plus nuancés dans
certaines œuvres, et ce bien avant la fin de la guerre froide, notamment dans
De l’or pour les braves, où ils paraissent aussi cupides et retors que les
héros américains du film. On appréciera la diversité des caractères, mais
aussi la présentation du soldat allemand au quotidien et dans la camaraderie
au front dans Croix de fer, de Sam Peckinpah (1977), Le Bateau, de
Wolfgang Petersen (1981), ou encore Stalingrad, de Joseph Vilsmaier
(1992).
Pourtant, des films comme Walkyrie, de Bryan Singer (2008), nous
laissent encore entrevoir l’image d’officiers que l’on veut nets et valeureux.
Le lieutenant von Witzland, qui est le héros du Stalingrad, de
Joseph Vilsmaier, se distingue ainsi par son attitude respectueuse envers une
jeune femme russe et par le fait qu’il se préoccupe du sort de prisonniers
russes. De la même manière que dans les décennies précédentes, ce sont des
soldats qui paraissent bien apolitiques et comme tous les autres, ainsi que
voudrait nous le laisser croire une certaine littérature. Steiner et Stransky,
les deux protagonistes de Croix de fer, n’ont-ils pas en commun de ne se
sentir aucune attirance pour le parti nazi, tout en mettant un point d’honneur
à faire leur devoir ? Steiner met immédiatement en garde l’unique soldat
« du parti » qui arrive à son poste, et ce avec une ironie et une franchise qui
auraient pu avoir de graves conséquences dans la réalité. Le commandant
de l’U-96, admirablement interprété par Jürgen Prochnow, ne lance-t-il pas
à la cantonade une tirade contre la propagande et les caciques du parti ?
Parallèlement à ces productions mettant en scène des soldats de la
Wehrmacht semblables aux soldats de toutes les armées du monde, certains
films les présentent sous des traits de fanatiques, dans des portraits sans
nuances. De façon caractéristique, ce sont des films biélorusses, russes ou
français, donc de peuples ayant subi l’occupation nazie, qui présentent le
soldat allemand sous ses aspects les plus noirs et criminels. La Bataille de
Brest-Litovsk, film biélorusse d’Alexandre Kott (2010), ou encore le film
russe Stalingrad, de Fiodor Bondartchouk (2013), dépeignent des Landser
brutaux, violeurs, assassins et sans respect pour les civils. Le célèbre
Requiem pour un massacre (Elem Klimov, 1985) est sans concession avec
les crimes nazis et la politique brutale menée contre les Slaves par les
Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Les films tournés dans
l’Hexagone sont nombreux à suivre ce schéma : citons pour exemple Le
Vieux Fusil (Robert Enrico, 1975), où des Waffen-SS commettent des
outrages dans une ambiance rappelant le célèbre massacre d’Oradour-sur-
Glane. Dans Les Femmes de l’ombre, sorti en 2008, les résistantes menées
par Sophie Marceau sont confrontées à un SS particulièrement violent,
quoique romantique dans son genre, aucun Allemand du film n’étant
cependant présenté sous un aspect neutre ou favorable. Deux ans plus tôt,
en 2006, Paul Verhoeven avait su mettre en scène un SS plus sympathique,
quoique au sort tragique, dans Black Book.
Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1998) nous présente un
personnage de soldat allemand apparemment sans scrupules (mais c’est la
guerre, et, dans le feu de l’action, quand il s’agit de vie ou de mort, peut-il
reconnaître celui à qui il doit la vie sauve ?), épargné au cours de la scène
de la station radar, et qu’on retrouve à la fin du film dans la scène du pont.
Parallèlement, dans Frères d’armes (David Frankel, 2001), comme dans Il
faut sauver le soldat Ryan et même Le Jour le plus long, les soldats alliés
n’hésitent pas eux non plus à commettre des crimes de guerre à l’endroit
des soldats allemands : les trois films (sur un ton assez badin dans Le Jour
le plus long) présentent des exécutions de prisonniers de sang-froid,
particulièrement dans Frères d’armes. Dans Fury également, les GI abattent
sans états d’âme un prisonnier et n’hésitent pas à laisser rôtir leurs
malheureux adversaires transformés en torches vivantes. Les crimes de
guerre semblent ne pas avoir de frontières… Ce qui n’est pas sans
conséquences sur l’image que peut se faire le spectateur du soldat de Hitler.
Cette image, à travers les quelques exemples retenus, est donc fort
variée, fruit de l’époque où les films ont été tournés, mais aussi de la
nationalité du réalisateur ainsi que de ses intentions. Les liens entre la
Wehrmacht et le régime nazi qu’elle a servi avec un zèle indéniable sont
complexes, et cette complexité se reflète sur l’écran au profit, trop souvent,
de raccourcis fâcheux. On relève, depuis les années 1950, une nette
distinction entre de « bons » soldats allemands (ceux de la Wehrmacht,
notamment des officiers pétris de culture française) et des « méchants » (les
SS). À l’image de l’évolution de l’historiographie consacrée à l’armée
allemande, quelques films récents atténuent en partie cette tendance
(personnages plus complexes, crimes également perpétrés par des Alliés,
moins de maladresses en tant que combattants), mais cela ne reste en rien
une généralité. Entre une image d’Épinal éculée, une réhabilitation
malfaisante d’une idée de « tous des soldats comme les autres » et une
présentation plus nuancée des caractères, l’armée allemande au cinéma
restera un élément incontournable auquel la plupart des réalisateurs
s’attaquant à une œuvre se déroulant entre 1939 et 1945 devront tenir
compte. Le mythe de la Wehrmacht a encore de beaux jours devant lui. Le
soldat de Hitler reste une icône, pour le meilleur comme pour le pire.
ÉPILOGUE

Le temps de la réconciliation

Par un étonnant phénomène dont l’Histoire est friande, en dépit de la


défaite finale, absolue, malgré la cause dont elle fut le bras armé, à laquelle
nul ne peut sérieusement se référer, dont nul ne peut se porter héritier,
l’armée de Hitler, et donc ses soldats, continue de jouir d’une aura sans
équivalent. Certes, les exploits militaires de cette armée sont remarquables,
la Wehrmacht représentant sans doute, à parité d’effectifs et de moyens, le
meilleur outil militaire de sa génération. La postérité de l’armée allemande
reste donc celle de l’excellence militaire et d’une réputation d’invincibilité
du soldat allemand. Un legs qui déteint et rejaillit depuis la fin des hostilités
sur tout produit estampillé made in Germany, comme garant d’excellence,
de sérieux, d’efficacité. Il en est ainsi jusque dans les équipes sportives
nationales – notamment celle de football –, qui jouissent de cette réputation.
Dans cet ordre d’idées, le soldat allemand ne peut être qu’excellent, pour la
simple raison qu’il est allemand…
La postérité des soldats de Hitler, ce sont aussi des millions d’enfants
légitimes, dont beaucoup orphelins, ainsi que des centaines de milliers
d’enfants (voire peut-être plus d’un million en ex-Union soviétique) nés
d’amours illégitimes – consentis ou forcés – entre des soldats de la
Wehrmacht et de la Waffen-SS et des femmes des territoires envahis. Des
enfants dont les mères ont dû supporter la dure épreuve d’avoir été les
compagnes de l’ennemi, des enfants qui ont dû aussi porter ce lourd fardeau
et endurer les brimades et l’incompréhension pendant des années, pour la
simple raison qu’ils étaient des fils ou filles de « Boches ». Être un soldat
de Hitler, c’est devoir faire face à une descendance qui doit composer avec
le douloureux héritage d’un passé difficile à assumer ou à accepter.
Pourtant, le 6 juin 2014, l’accolade du vétéran allemand Johannes
Borner donnée à Léon Gautier, ancien commando des FFL, avait marqué les
cœurs et les esprits des spectateurs des commémorations du débarquement
en Normandie. Les deux hommes, ennemis en 1944, étaient devenus amis
et symbolisaient la réconciliation franco-allemande. Les vétérans allemands
sont désormais les bienvenus en Normandie, et on ne peut que s’en réjouir1.
La défaite du Troisième Reich a poussé les anciens soldats de Hitler à se
poser des questions sur l’aspect criminel du régime qu’ils ont servi, ainsi
que sur leurs responsabilités. Des questions essentielles qui n’auraient
pourtant sans doute jamais été légitimes si le conflit s’était conclu par une
victoire de l’Allemagne.
L’élément le plus porteur d’espoir, et dont il faut se réjouir, réside sans
doute dans ce que nous révèle le parcours d’après guerre des soldats de
Hitler : il nous apprend qu’il n’y a pas de fatalité. Ces soldats, qui ont servi
un des régimes les plus criminels que l’Histoire ait vus naître, endoctrinés
pour beaucoup jusqu’au plus profond de leur âme, sont devenus les citoyens
d’une démocratie modèle, celle de l’Allemagne fédérale. Les événements
tragiques de cette guerre, le suivisme de millions de soldats allemands, alors
même qu’une poignée seulement ont osé s’opposer au déferlement de haine
et de violence incarné par leur État, offrent désormais aux Allemands, à
commencer par les soldats des nouvelles générations, un précédent
historique, un contre-exemple incarné par l’attitude des soldats de la
Wehrmacht et de la Waffen-SS : il faut apprendre à refuser les
compromissions, même lorsqu’on est un soldat tenu d’obéir aux ordres.
Beaucoup de soldats allemands ont à l’évidence connu un cas de conscience
pour exécuter des ordres et servir un régime dont les principes idéologiques
n’étaient pas les leurs. Mais ceux qui osèrent franchir le pas de l’opposition,
sous quelque forme que ce soit, restent marginaux. Un nombre considérable
ont au contraire approuvé la guerre et les politiques criminelles entreprises
par le Troisième Reich, et y ont contribué sans états d’âme.
Le souvenir des souffrances passées et des sacrifices consentis par les
soldats de Hitler est aussi mis en exergue par le Volksbund deutsche
Kriegsgräberfürsorge, soit la commission allemande pour les tombes de
guerre. Le travail de mémoire et le souvenir se heurtent à l’épineuse
question des nécropoles, dans lesquelles sont inhumés les soldats de Hitler,
plus particulièrement à l’Est où les cimetières furent systématiquement
saccagés par les Soviétiques. On éprouve toujours un sentiment partagé à la
vue de ces immenses rangées de tombes : il s’agit souvent de soldats
fauchés dans leur jeunesse, certes, mais ce sont aussi des soldats de Hitler.
Ils ont eu la déconvenue à la fois de mourir et de perdre la guerre. Mais on
est en droit de se poser la question de la façon dont on regarderait ces
tombes si le Troisième Reich n’avait pas été vaincu, ou si la guerre s’était
terminée d’une tout autre façon, plus favorable à l’Allemagne nazie.
Évoquant la Grande Guerre, le poète allemand Kurt Tucholsky, pacifiste
et antimilitariste, ose déclarer en 1931 dans une Allemagne revancharde que
les « soldats sont des assassins ». Tout autre poète actuel pourrait
s’exprimer de façon analogue à l’endroit des combattants allemands de la
Seconde Guerre mondiale. Mais il devrait ajouter en toute honnêteté que la
plupart le furent bien malgré eux. Leur malheur est d’avoir servi,
volontairement ou non, une cause indéfendable, une cause qui devait perdre
pour le bien de l’humanité. « L’honneur est le bien le plus précieux du
soldat2 », affirme le général von Brauchitsch en 1938. L’honneur est
pourtant ce qui a manqué à ces soldats de Hitler qui furent de formidables
combattants et des professionnels sans égal.
Bibliographie

Archives

Ont été consultés diverses archives de l’OKW et de l’OKH, ainsi que des KTB (Kriegstagebücher,
journaux de marche) d’unités.

Ainsi que le Russisches-Deutsch Projekt zur Digitalisierung deutscher Dokumente in Archiven der
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« Les grandes aventures de l’Himalaya », émission de télévision de Maurice Herzog et Daniel
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Sites internet

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https://www.forum-der-wehrmacht.de/
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appeles-ont-obtenu-le-statut-d-objecteur-de-cons_135318
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https://www.youtube.com
https://www.telegraph.co.uk
http://www.liberation.fr
Remerciements

Je tiens d’abord à exprimer ma plus profonde gratitude à mon ami


Claude Quétel, sans lequel ce projet qui me tenait à cœur et
m’enthousiasmait n’aurait pas existé. Ses conseils et sa relecture m’ont été
des plus précieux.
Merci à Benoît Yvert, à Nicolas Gras-Payen et à Christophe Parry,
toujours amicaux, pour m’avoir de nouveau accordé leur confiance.
Un grand merci pour l’ensemble de l’équipe très professionnelle et
efficiente des éditions Perrin. J’exprime toute ma gratitude en particulier à
Jean d’Hendecourt, pour son remarquable travail de relecture, ainsi qu’à
Marie de Lattre, pour son travail de couverture.
Merci à l’historien Éric Denis pour les archives qu’il m’a fournies.
Je tiens également à remercier avec sincérité ma famille, mon épouse
Sadim, toujours encourageante sur ce projet, et mes deux enfants, Dawem
et Cybèle. Sans leur présence, ces heures d’écriture perdraient toute leur
saveur…
Notes

Prologue
1. Gordon Williamson, Gebirgsjäger. German Mountain Trooper, 1939-1945, Osprey, 2003,
p. 11.
2. Philippe Richardot, Hitler, ses généraux et ses armées, Economica, 2008, p. 521.
3. Otto Henning, Als Panzerschütze beim Deutschen Afrika-Korps, 1941-1943, Flechsig, 2006,
p. 24.
4. Donald E. Graves, Blood and Steel. The Wehrmacht Archive. Normandy 1944, Frontline
Books, 2013, p. 86.
5. Marie Moutier, Lettres de la Wehrmacht, Perrin, 2014, p. 319.
6. Wolfram Wette, Les Crimes de la Wehrmacht, Perrin, 2002.

Introduction
1. Stephen Fritz, Frontsoldaten. The German Soldier in World War II, The University Press of
Kentucky, 1997, p. 212.
2. Ibid., p. 213-214.
3. François-Emmanuel Brézet, Histoire de la marine allemande, 1939-1945, Perrin, coll.
« Tempus », 2014, p. 416.
4. Ibid., p. 448.
5. Hellmuth Frey, Für Rommels Panzer durch die Wüste. Als Divisionsnachschubführer beim
Deutschen Afrikakorps, Brienna Verlag, 2010, p. 62.
6. Antony Beevor, Stalingrad, Le Livre de Poche, 2001, p. 509.
7. Ibid., p. 304.
8. W. Wette, op. cit., p. 283-284.
9. Ibid., p. 162.
10. Ibid., p. 14.
11. August von Kageneck, Lieutenant de panzers, Perrin, coll. « Tempus », 2003, p. 91.
12. S. Fritz, op. cit., p. 3.
13. Ibid., p. 37.
14. Si la dimension économique d’une guerre moderne est primordiale, Adam Tooze, dans The
Wages of Destruction (Penguin, 2007), semble tout ramener à des considérations économiques, ce qui
paraît bien hasardeux…
1. Formation et discipline : de la caserne au front
1. Rolf-Dieter Müller, Hitler’s Wehrmacht, 1935-1945, University Press of Kentucky, 2016,
p. 94.
2. Martin Pöppel, Heaven and Hell. The War Diary of a German Paratrooper, Spellmount,
2010.
3. Ben Shepherd, Hitler’s Soldiers. The German Army in the Third Reich, Yale, 2016, p. 14.
4. M. Pöppel, op. cit., p. 9.
5. Le rôle ambigu de Fromm au cours de l’attentat raté contre Hitler du 20 juillet 1944 n’a pas
échappé aux nazis.
6. La région des Sudètes est incorporée dans plusieurs Wehrkreise ; d’autres Wehrkreise sont
créés en Pologne, tandis que la Bohême-Moravie forme le Wehrkreis Böhmen und Mähren en octobre
1942. Nigel Thomas, The German Army in World War II, Osprey, 2002, p. 11-12 ; Archives OKW,
Wehrkreise.
7. Omer Bartov, L’Armée d’Hitler, Hachette Littératures, 1999, p. 54 sqq.
8. En 1944, l’armée aligne 305 Ersatz-Bataillone d’infanterie, 49 de Panzergrenadiere, 13 de
panzers, 49 d’artillerie, 15 du train.
9. Martin Van Creveld, Fighting Powers. German and US Army Performance, 1939-1945,
Greenwood, 1982, p. 72.
10. Dal McGuirk, Rommel’s Army in Africa, Crowood Press, 2003, p. 54-55.
11. Ce qui ne le dispensera pas d’être appelé à la fin de la guerre lorsque l’urgence de la
situation poussera le Reich à la mobilisation des hommes jusque-là exemptés de service.
12. David Westwood, German Infantryman (1), 1933-40, Osprey, 2002, p. 7.
13. Gregory Liedtke, Enduring the Whirlwind. The German Army and the Russo-German War
1941-1943, Helion & Company, 2016, p. 99.
14. Le soldat allemand touche sa solde en trois fois : le 1er, le 11 et le 21 de chaque mois. Une
prime de service actif (Frontzulage) s’ajoute à la solde de base, soit 1 mark quotidien, quel que soit le
rang du soldat. Le service en zone tropicale au sein de l’Afrikakorps signifie 2 marks supplémentaires
par jour pour un simple soldat, 3 pour un sous-officier et 4 pour un officier. D. McGuirk, op. cit.,
p. 34.
15. Heldenklau, littéralement « voleurs de héros », constitue un autre sobriquet attribué aux
Feldgendarmen.
16. Le Soldbuch est quant à lui censé être détruit lorsqu’un soldat quitte l’armée, ce qui ne sera
pas le cas lors des nombreuses redditions qui marquent la seconde partie du conflit.
17. A, B, AB ou O : les Allemands ne distinguent pas entre rhésus négatif ou positif. Le
Erkennungsmark se présente en deux morceaux détachables, l’un étant laissé sur le cadavre pour
identification, le second est ramené au PC de l’unité, pour établir le rapport des pertes.
18. Kevin Fish, Panzer-Regiment 8, Schiffer, 2008, p. 15.
19. Ibid., p. 16-17.
20. O. Henning, op. cit., p. 21.
21. Guy Sajer, Le Soldat oublié, Robert Laffont, 1967, p. 11.
22. M. Pöppel, op. cit., p. 9-10.
23. P. Richardot, op. cit., p. 524.
24. Une blague a cours lorsqu’un soldat devient Gefreiter : il déclare qu’il a désormais « le
même grade que le Führer ».
25. Gordon Rottman, German Pionier, 1939-45, Osprey, 2010, p. 8.
26. Douglas Nash, Victory Was Beyond their Grasp, The Aberjona Press, 2008, p. 41.
27. Nicolas Mengus, Histoires extraordinaires de malgré-nous, Ouest-France, 2016, p. 136.
28. M. Pöppel, op. cit., p. 10.
29. O. Bartov, op. cit., p. 94-95.
30. A. von Kageneck, op. cit., p. 84-85.
31. P. Richardot, op. cit., p. 248.
32. G. Sajer, op. cit., p. 102.
33. M. Pöppel, op. cit., p. 12.
34. S. Fritz, op. cit., p. 26-27.
35. M. Pöppel, op. cit., p. 22.
36. S. Fritz, op. cit., p. 28.
37. http://meyer.famille.free.fr/ahk/index.php?fichier=luc_colomb.html
38. A. von Kageneck, op. cit., p. 86.
39. N. Mengus, op. cit., p. 273.
40. Hans Hellmut Kirst, 08/15. La Révolte du caporal Asch, Robert Laffont, 1955, p. 142.
41. Près de 1 000 soldats français sont fusillés au cours de la même période.
42. Soixante-dix GI sur les 4 millions débarqués en France en 1944-1945 seront condamnés à
mort, tous sauf un pour des méfaits commis à l’encontre de civils. Seule l’Armée rouge dépasse
largement la Wehrmacht dans son système répressif : 13 500 soldats soviétiques auraient été fusillés
au cours de la seule bataille de Stalingrad (P. Richardot, op. cit., p. 223).
43. Nicolas Stargardt, The German War. A Nation Under Arms, 1939-45, Vintage, Londres,
2016, p. 72.
44. M. Van Creveld, op. cit., p. 113-114.
45. O. Bartov, op. cit., p. 145.
46. Ou encore « désagrégation », « démoralisation ».
47. On compterait entre 30 000 et 40 000 dénonciations au cours de la guerre, ce qui reste peu si
on met ce chiffre en parallèle avec les 10 millions de soldats encore sous les armes en 1945, parmi
lesquels un grand nombre étaient encore fanatisés. T. Kühne, The Rise and Fall of
Comradship. Hitler’s Soldiers, Male Bonding and Mass Violence in the Twentieth Century,
Cambridge, 2017, p. 180-183.
48. N. Mengus, op. cit., p. 94-95.
49. Ibid., p. 174-175.
50. T. Kühne, op. cit., p. 194.
51. W. Wette, op. cit., p. 171.
52. Ibid., p. 210-211.
53. Ibid., p. 215.
54. N. Stargardt, op. cit., p. 495.
55. D. Nash, op. cit., p. 28-29.
56. N. Stargardt, op. cit., p. 495.
57. Ibid., p. 30.
58. N. Mengus, op. cit., p. 246-247.
59. Gordon Williamson, German Special Forces of World War II, Osprey, 2009, p. 40-42.
60. G. Sajer, op. cit., p. 204.
61. O. Bartov, op. cit., p. 93 sqq.
62. Ibid., p. 142.
63. Ibid., p. 105-106.
64. D. E. Graves, op. cit., p. 210.
65. M. Van Creveld, op. cit., p. 115 ; un seul soldat américain sera exécuté pour désertion au
cours de la campagne de 1944-1945 qui mène l’US Army de la Normandie au cœur du Reich.
66. O. Bartov, op. cit., p. 144.
67. O. Henning, op. cit., p. 22.
68. D. Nash, op. cit., p. 22.
69. Claudio Biscarini, « Le Landser », dans Le Soldat. Moral, origines, armement,
entraînement…, 2e Guerre mondiale magazine, thématique no 18, 2009, p. 15.
70. O. Henning, op. cit., p. 21.
71. Archives OKH, Überlieferungs und Erinnerungspflege des Heeres, note envoyée au
Heeresarchiv Potsdam, 1er juillet 1941.
72. A. von Kageneck, op. cit., p. 85-86.
73. G. Sajer, op. cit., p. 14.
74. H. H. Kirst, op. cit., p. 90.
75. O. Henning, op. cit., p. 24-25.
76. Tom Ripley, The Wehrmacht. The German Army in World War II, 1939-1945, Fitzroy
Dearborn, 2003, p. 226.
77. O. Henning, op. cit., p. 22.
78. On peut également exiger des soldats des exercices de courses avant leurs ablutions.
D. Westwood, German Infantryman (1) 1933-40, op. cit., p. 11.
79. S. Fritz, op. cit., p. 26.
80. A. von Kageneck, op. cit., p. 85.
81. G. Sajer, op. cit., p. 13.
82. D. Westwood, German Infantryman (1) 1933-40, op. cit., p. 11.
83. Paul Kalt, Souvenirs de jeunesse. 1939-1945. J’ai été un « malgré-nous », Books on
Demand, 2015, p. 20.
84. G. Sajer, op. cit., p. 11.
85. Ibid., p. 16.
86. H. H. Kirst, op. cit., p. 105.
87. Ibid., p. 77.
88. L’arme est d’un maniement si simple à acquérir que les recrues n’y consacrent que trois
heures de leur temps d’instruction. D. Westwood, German Infantryman (1) 1933-1940, op. cit., p. 18.
89.
http://www.easy39th.com/files/Special_Series,_No._3_German_Military_Training_1942.pdf, p. 40-
41, Special Series No. 3, September 17, 1942, German Military Training Unclassified Regraded By
Authority, Prepared By Military Intelligence Service War Department.
90. M. Pöppel, op. cit., p. 17.
91.
http://www.easy39th.com/files/Special_Series,_No._3_German_Military_Training_1942.pdf, p. 40-
41.
92. Bizarrement, ce type d’entraînement perdure jusqu’à la fin de la guerre, alors qu’aucun
belligérant n’utilise les gaz de combat. Archives OKH, 549. Volks-Gren.-Div., Gasschutzlehrgänge,
30 novembre 1944.
93. S. Fritz, op. cit., p. 25-26.
94. H. H. Kirst, op. cit., p. 8-9.
95. O. Henning, op. cit., p. 26-27.
96. H. H. Kirst, op. cit., p. 16. et 105.
97. P. Kalt, op. cit., p. 21.
98. G. Sajer, op. cit., p. 199-202.
99.
http://www.easy39th.com/files/Special_Series,_No._3_German_Military_Training_1942.pdf, p. 45.
100. G. Rottman, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 28.
101. D. Westwood, German Infantryman (1) 1933-1940, op. cit., p. 16.
102. Au sein des armées alliées, la mitrailleuse est au contraire considérée comme une arme de
soutien, et non l’arme de base du groupe de combat.
103. Une compagnie compte trois ou quatre sections (ou pelotons), chacune d’elles étant à son
tour subdivisée en trois ou quatre groupes de combat (ou escouades). Dans toutes les armées, une
compagnie d’armes lourdes (mortiers, mitrailleuses, voire pièces d’artillerie) existe généralement au
niveau du bataillon.
104. M. Pöppel, op. cit., p. 17.
105. Helmut Konrad von Keusgen, Pegasus Bridge. Batterie de Merville. Deux opérations
commando du Jour J, Heimdal, 2018, p. 16.
106. Archives OKH, Erfahrungen aus den Versuchsübungen, die 1, Mai 1938 unter Leitung des
H.Gru.Kdo 1 auf dem Tr.üb.Pl. Döberitz durchgeführt wurden.
107. Samuel Mitcham, The Rise of the Wehrmacht, vol. 1, Praeger, 2008, p. 77-78.
108. Archives OKW, Die Materielle Lage der Wehrmacht am 1.2.1944.
109. G. Williamson, Gebirgsjäger…, op. cit., p. 11
110. B. Shepherd, op. cit., p. 18.
111. Robert Edwards, Scouts Out. A History of German Reconnaissance Units in World War II,
Stackpole, 2013, p. 11.
112. Ibid., p. 16.
113. K. Fish, op. cit., p. 15.
114. G. Sajer, op. cit., p. 18.
115. Ibid., p. 18.
116. Deutsche Afrikakorps.
117. Pier Paolo Battistelli, Afrikakorps Soldier, 1941-43, Osprey, 2010, p. 14-15.
118. K. Fish, op. cit., p. 63-64.
119. M. Van Creveld, op. cit., p. 121. On en a une illustration dans le roman de Hans Hellmut
Kirst.
120. S. Fritz, op. cit., p. 18.
121. Depuis Frédéric le Grand, il est admis que les hommes doivent craindre davantage leurs
officiers que les risques auxquels ils s’exposent…
122. Quel que soit l’individu concerné, on s’adresse à lui en précédant son rang de Heer,
« monsieur ». G. Rottman, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 16
123. P. Richardot, op. cit., p. 248.
124. O. Bartov, op. cit., p. 55.
125. A. von Kageneck, op. cit., p. 86-87.
126. Les chances d’obtenir un poste à un cabinet ministériel pour un officier diplômé de la
Kriegsakademie sont quarante fois supérieures à celles d’un diplômé de l’université. Van Creveld,
op. cit., p. 25.
127. G. Liedtke, op. cit., p. 53.
128. M. Van Creveld, op. cit., p. 152.
129. O. Bartov, op. cit., p. 67.
130. D. E. Graves, op. cit., p. 207.
131. Archives OKW, Gefallene, verwundete, vermisste u. verstorbene Generale seit
Kriegsbeginn. Stand : 17 septembre 44.
132. D. E. Graves, op. cit., p. 210.
133. La proportion a tout de même chuté de façon marquée, et ce dès avant l’arrivée au pouvoir
de Hitler : en 1911, 67 % des Generäle sont des nobles, ils ne représentent plus que 33 % en 1932.
134. M. Van Creveld, op. cit., p. 23.
135. K. Fish, op. cit., p. 17.
136. A. von Kageneck, op. cit., p. 77-78.
137. S. Mitcham, The Rise of the Wehrmacht, vol. 1, op. cit., p. 75.
138. Ibid., p. 78.
139. R.-D. Müller, op. cit., p. 99.
140. M. Van Creveld, op. cit., p. 139.
141. Franz Bäke, Leutnant en 1939, finit ainsi le conflit avec les épaulettes de Generalmajor.
142. R.-D. Müller, op. cit., p. 101.
143. M. Van Creveld, op. cit., p. 147.
144. S. Mitcham, The Rise of the Wehrmacht, vol. 1, op. cit., p. 72.
145. D. E. Graves, op. cit., p. 167.
146. Chris McNab, Hitler’s Eagles. The Luftwaffe, 1933-45, Osprey, 2012, p. 65 sqq.
147. http://meyer.famille.free.fr/ahk/index.php?fichier=luc_colomb.html
148. Ibid.
149. R.-D. Müller, op. cit., p. 96.
150. Bob Carruthers, The German Army in Normandy, Coda Books Ltd, 2012, p. 86.
151. P. Richardot, op. cit., p. 449.
152. Richard Hargreaves, The Germans in Normandy, Stackpole Books, 2006, p. 28.
153. M. Pöppel, op. cit., p. 10.
154. Bruce Quarrie, German Airborne. Mediterranean Theatre 1942-45, Osprey, 2005, p. 10.
155. M. Pöppel, op. cit., p. 11.
156. David Greentree, Mediterranean 1942-43. British Paratrooper versus Fallschirmjäger,
Osprey, 2013, p. 14.
157. R.-D. Müller, op. cit., p. 96.
158. Gordon Williamson, Grey Wolf. U-Boat Crewaman of World War II, Osprey, 2001, p. 10-
11.
159. Jean Delize, Les Hommes des U-Boote, Histoire & Collections, 2007, p. 55-56.
160. Xavier Tracol, « La vie à bord des U-Boote », dans Los !, hors-série, no 9, Caraktère, 2015,
p. 12.
161. C’est le cas des équipages des destroyers détruits à Narvik en avril 1940.
162. X. Tracol, « La vie à bord des U-Boote », article cité, p. 9 et 13-14.
163. Gordon Williamson, Word War II German Women’s Auxiliary Services, Osprey, 2003, p. 4.
164. Claude Quétel, Les Femmes dans la guerre, 1939-1945, Larousse, 2004.
165. « Elles tombaient bravement comme des soldats. Pourtant, cela faisait drôle de les enterrer
comme de vrais soldats », A. von Kageneck, op. cit., p. 176.
166. W. Wette, op. cit., p. 32.
167. Manstein, né Lewinsky et adopté par un oncle, a pourtant un arrière-arrière-aïeul juif, un
élément qui a par ailleurs pu motiver sa prise de position contre la loi d’aryanisation.
168. W. Wette, op. cit., p. 76-82.
169. Milch est l’un des hommes à l’origine de la création de la Luftwaffe. Hitler fait de lui un
« aryen d’honneur » en août 1935… Le Feldmarschall va jusqu’à demander à sa mère de fournir une
attestation selon laquelle elle n’avait pas conçu son fils avec son époux déclaré mais avec un autre
homme, incontestablement aryen… Peter Padfield, Dönitz et la guerre des U-Boote, Tallandier, 2017,
p. 434.
170. W. Wette, op. cit., p. 87 ; lire Bryan M. Rigg, La Tragédie des soldats juifs d’Hitler,
Éditions de Fallois, 2003.
171. W. Wette, op. cit., p. 87.
172. B. Shepherd, op. cit., p. 38.
173. Robert Lee Quinnett, Hitler’s Political Officers. The National Socialist Leadership
Officers, The University of Oklahoma, thèse de doctorat en histoire moderne, 1973, p. 189.
174. P. Richardot, op. cit., p. 363.
175. M. Van Creveld, op. cit., p. 84.
176. C. Biscarini, « Le Landser », article cité, p. 7.
177. R. L. Quinnett, op. cit., p. 56-57.
178. M. Van Creveld, op. cit., p. 85-86.
179. R. L. Quinnett, op. cit., p. 46-47.
180. B. Shepherd, op. cit., p. 318.
181. W. Wette, op. cit., p. 196.
182. Ibid., p. 86.
183. Ibid., p. 101.
184. D. Nash, op. cit., p. 10.
185. R. L. Quinnett, op. cit., p. 93.
186. Ibid., p. 157.
187. Ibid., p. 165.
188. P. Richardot, op. cit., p. 224.
189. D. Nash, op. cit., p. 11.
190. Ibid., p. 8.
191. Ibid., p. 10-11.
192. R. L. Quinnett, op. cit., p. V.
193. Le livre de référence en français est ici Jean-Luc Leleu, La Waffen-SS. Soldats politiques
en guerre, Perrin, 2007 ; voir aussi Roger Bender et Hugh Taylor, Uniforms, Organization and
History of the Waffen-SS, vol. 1 à 3, R. James Bender Publishing, 1971-1972.
194. Le terme apparaît en 1940, l’appellation initiale étant SS-Verfügungstruppe, ou SS-VT, soit
« SS à disposition ».
195. Le 3e régiment levé, « Der Führer », est créé à Vienne après l’Anschluss, pour incorporer
des Autrichiens.
196. Rochus Misch, J’étais garde du corps d’Hitler, 1940-1945, Le Livre de Poche, 2006, p. 26-
28.
197. N. Mengus, op. cit., p. 205.
198. R.-D. Müller, p. 97 ; voir les p. 291-313, écrites par Thomas Serrier, dans La
Dénazification, ouvrage collectif sous la direction de M.-B. Vincent, Perrin, coll. « Tempus », 2008.
199. R. Misch, op. cit., p. 26-29.
200. N. Mengus, op. cit., p. 14-15.
201. Ibid., p. 145-146.
202. Ibid., p. 65-66.
203. P. Richardot, op. cit., p. 524.
204. Ibid., p. 523.
205. Ibid., p. 520-521.
206. Ibid., p. 524.
207. G. Liedtke, op. cit., p. 73.
208. Mark Reardon, Defending Fortress Europe, The War Diary of the German 7th Army in
Normandy, 6 June to 26 July 1944, The Aberjona Press, 2012, p. 326.
209. M. Van Creveld, op. cit., p. 73.
210. G. Liedtke, op. cit., p. 99.
211. B. Shepherd, op. cit., p. 113.
212. M. Reardon, op. cit., p. 303.
213. D. Nash, op. cit., p. 24.
214. P. P. Battistelli, op. cit., p. 16.
215. K. Fish, op. cit., p. 61.
216. S. Fritz, op. cit., p. 19.
217. Kriegstagebuch, 334e DI.
218. Le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord française, le 8 novembre 1942.
219. Vince Milano, Bruce Conner, Normandiefront. D-Day to Saint-Lô through German Eyes,
Spellmount, 2011, p. 13.
220. Ibid., p. 19.
221. Didier Lodieu, L’Odyssée du bataillon de Panther de la 116. Panzer-Division en
Normandie, Histoire & Collections, 2012, p. 6.
222. M. Reardon, op. cit., p. 31.
223. P. Richardot, op. cit., p. 239.
224. R.-D. Müller, op. cit., p. 97.
225. Restrictions pourtant toutes relatives dans un Reich qui pille l’Europe sans vergogne pour
assurer un bon niveau de vie à ses ressortissants…
226. M. Reardon, op. cit., p. 29.
227. B. Carruthers, op. cit., p. 27.
228. Hans von Luck, Panzer Commander. The Memoirs of Colonel Hans von Luck, Dell Books,
1989, p. 168.
229. D. Nash, op. cit., p. 7 et 345 sqq.
230. Steven Zaloga, Lorraine 1944, Osprey, 2000, p. 20.
231. D. Nash, op. cit., p. 61.

2. La guerre sur terre : conditions matérielles et vie


quotidienne au front
1. Ian Daglish, Operation Epsom, Pen & Sword, 2007, p. 222.
2. G. Rottman, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 17.
3. S. Fritz, op. cit., p. 116.
4. Et pour cause, le Landser n’a fait que se reposer la nuit : il n’a donc nullement besoin de se
remplir la panse au petit matin… G. Rottman, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 18.
5. David Westwood, German Infantryman (2), Eastern Front 1941-43, Osprey, 2003, p. 7.
6. G. Sajer, op. cit., p. 75.
7. Ainsi que pour ceux qui opèrent en Norvège au nord du 66e parallèle de latitude nord.
8. D’ou le surnom donné à la soupe : Eintopf, soit « ragoût ». V. Milano, B. Conner, op. cit.,
p. 35.
9. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 115.
10. Eddy Florentin, Stalingrad en Normandie, Presses de la Cité, 1965, p. 155.
11. Toutes les boîtes de conserve italiennes distribuées aux soldats allemands portent donc la
marque « AM » que la troupe traduit pas Alter Mann (le « Vieil Homme ») ou encore Asinus
Mussolini.
12. G. Sajer, op. cit., p. 450.
13. N. Stargardt, op. cit., p. 306.
14. G. Sajer, op. cit., p. 247.
15. M. Reardon, op. cit., p. 117.
16. Antony Beevor, Ardennes 1944, Le Livre de Poche, 2015, p. 105.
17. Antony Beevor, D-Day et la bataille de Normandie, Calmann-Lévy, 2009, p. 269.
18. A. von Kageneck, op. cit., p. 127.
19. M. Moutier, op. cit., p. 191-192.
20. Voir Norman Ohler, L’Extase totale, La Découverte, 2015.
21. G. Sajer, op. cit., p. 358.
22. N. Ohler, op. cit., p. 64-65.
23. Ibid., p. 77.
24. Ibid., p. 115.
25. Ibid., p. 137.
26. Archives OKW, Az. 13 Chef Kriegsgef. (Gr. St.), Befehlssammlung Nr. 17.
27. Sur l’évolution des uniformes allemands au cours de la guerre : voir N. Thomas, op. cit.
28. L’aigle de la Wehrmacht, qu’on retrouve partout, à commencer par la boucle de ceinturon
ornée de la fameuse phrase Gott mit Uns (« Dieu avec nous »).
29. Voir Jean-Philippe Borg, Laurent Huard, Feldbluse, la vareuse du soldat allemand, 1933-
1945, Histoire & Collections, 2007.
30. Les soldats en campagne peuvent aussi commander uniformes et équipements sur catalogue
en versant des sommes à la Caisse des vêtements de l’armée à Berlin.
31. Il est relégué aux unités en service en arrière du front ou porté pour les cérémonies loin du
front.
32. À telle enseigne qu’elle devient un signe de reconnaissance à coup sûr dans le désert.
33. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 217.
34. G. Williamson, Gebirgsjäger…, op. cit., p. 16-17.
35. Archives OKW, Die Materielle Lage der Wehrmacht am 1.2.1944.
36. V. Milano, B. Conner, op. cit., p. 165.
37. G. Sajer, op. cit., p. 153.
38. Ibid., p. 411, 414.
39. Voir Philippe Léger, Stéphane Arquille, Wehrmacht Kanister 20 Liter. Une invention
allemande : le Jerrycan, Heimdal, 2014.
40. Voir Jean-Philippe Borg, Les Équipements de combat allemands, 1939-1945, Histoire &
Collections, 2007.
41. Quatre brancardiers ; quatre soldats faisant office d’équipe de relève pour porter le blessé ;
quatre hommes pour porter vivres et matériel. David Westwood, German Infantryman (3), Eastern
Front 1943-45, Osprey, 2005, p. 44.
42. Kriegstagebuch, 334e DI.
43. Claude Quétel (dir.), Dictionnaire du Débarquement, Ouest-France, 2011, p. 638.
44. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 353.
45. Ibid., p. 485
46. R. Atkinson, The Day of Battle. The War in Sicily and Italy, 1943-1944, Holt Paperbacks,
2007, p. 492.
47. D. Westwood, German Infantryman (2) Eastern Front 1941-43, op. cit., p. 58.
48. Cf. le récit de G. Sajer, op. cit., p. 110-113.
49. Archives OKW, Die Materielle Lage der Wehrmacht am 1.2.1944.
50. D. Westwood, German Infantryman (2) Eastern Front 1941-43, op. cit., p. 58.
51. Quand ils ne sont toutefois pas réquisitionnés au profit de la logistique. A. Beevor,
Stalingrad, op. cit., p. 130.
52. D. Westwood, German Infantryman (2) Eastern Front 1941-43, op. cit., p. 58.
53. Paul Carell, Afrika Korps, Robert Laffont, 1960, p. 482-483.
54. Jean-Paul Pallud, Rückmarsch. The German Retreat from Normandy, Then and Now, After
the Battle, 2006, p. 65-75.
55. BAMA RH19/VIII/5 1.10.1941.
56. Didier Lodieu, La Massue. Les soldats polonais dans la bataille de Normandie, Ysec, 2004,
p. 150.
57. G. Liedtke, op. cit., p. 170.
58. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 289.
59. Ibid., p. 409-412.
60. S. Fritz, op. cit., p. 377.
61. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 163.
62. Ibid., p. 211.
63. S. Fritz, op. cit., p. 35.
64. G. Sajer, op. cit., p. 87.
65. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 244.
66. S. Fritz, op. cit., p. 179.
67. A. von Kageneck, op. cit., p. 114.
68. D. McGuirk, op. cit., p. 70-71.
69. G. Sajer, op. cit., p. 123.
70. A. von Kageneck, op. cit., p. 106.
71. G. Sajer, op. cit., p. 107.
72. Ibid., p. 265.
73. A. von Kageneck, op. cit., p. 149-150.
74. Milton Shulman, La Défaite allemande à l’Ouest, Paris, Payot, 1948, p. 192-193.
75. Aurélie Luneau, Jeanne Guérout et Stefan Martens, Comme un Allemand en France,
L’Iconoclaste, 2016., p. 32.
76. S. Fritz, op. cit., p. 174.
77. N. Stargardt, op. cit., p. 215.
78. Russell A. Hart, Clash of Arms. How the Allies won in Normandy, University of Oklahoma
Press, 2004, p. 224.
79. R. Hargreaves, op. cit., p. 1.
80. O. Bartov, op. cit., p. 248-249.
81. P. Richardot, op. cit., p. 243.
82. G. Liedtke, op. cit., p. 169.
83. Rüdiger Overmans, Deutsche militarische Verluste im Zweiten Weltkrieg, Oldenbourg, 2004,
p. 238-239.
84. Ben Shepherd, op. cit., p. 378.
85. A. von Kageneck, op. cit., p. 133.
86. S. Fritz, op. cit., p. 108.
87. B. Shepherd, op. cit, p. 153.
88. A. von Kageneck, op. cit., p. 112.
89. S. Fritz, op. cit., p. 105.
90. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 382.
91. Ibid., p. 110.
92. S. Fritz, op. cit., p. 109.
93. D. Westwood, German Infantryman (2) East Front 1941-43, op. cit., p. 27.
94. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 384.
95. A. von Kageneck, op. cit., p. 135.
96. S. Fritz, op. cit., p. 111.
97. G. Sajer, op. cit., p. 78.
98. S. Fritz, op. cit., p. 111.
99. Ibid., p. 110.
100. Ibid., p. 114.
101. G. Sajer, op. cit., p. 400.
102. Heinz Guderian, Guderian. Souvenirs d’un soldat, Perrin, 2017.
103. G. Sajer, op. cit., p. 76.
104. Ibid., p. 393.
105. A. von Kageneck, op. cit., p. 137.
106. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 450.
107. H. Guderian, op. cit., p. 310.
108. A. von Kageneck, op. cit., p. 140.
109. G. Sajer, op. cit., p. 79.
110. S. Fritz, op. cit., p. 109.
111. G. Sajer, op. cit., p. 99.
112. Ibid., p. 100 et 332.
113. S. Fritz, op. cit., p. 127.
114. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 149.
115. Pour une excellente synthèse sur le sujet, lire Stéphane Mantoux, « L’enfer du combat
urbain (1939-1945) », 2e Guerre mondiale magazine, thématique no 34, 2014.
116. Lire à ce propos le meilleur compte rendu de cette bataille : A. Beevor, Stalingrad, op. cit.
117. Ibid., p. 207.
118. Ibid., p. 208.
119. N. Stargardt, op. cit., p. 330.
120. Hans-Albrecht Schraepler, Mon père, l’aide de camp du général Rommel, Privat, 2007,
p. 92.
121. Jean-Marie Fitère, Panzers en Afrique. Rommel et l’Afrika Korps, Presses de la Cité, 1980,
p. 38.
122. H. Frey, op. cit, p. 31.
123. P. P. Battistelli, op. cit., p. 73.
124. http://www.revuemilitairesuisse.ch/floor/cs?
&server=rms&lang=fr&item_categoryID=79&item_ID=117
125. Adrian Gilbert et IWM, The Imperial War Museum Book of the Desert War, 1940-1942,
Sidgwick and Jackson Limited, 1992, p. 34-35 ; Cecil Ernest Lucas Phillips, El-Alamein, bataille de
soldats, Plon, 1963, p. 17-18.
126. Wolf Heckmann, Rommel’s War in Africa, Doubleday, 1981, p. 126.
127. Roger J. Bender, Richard D. Law, Uniforms, Organization and History of the Afrika Korps,
R. James Bender Publishing, 1974, p. 177.
128. C’est le cas de l’oasis de Marada, au sud de la position de Mersa el-Brega.
129. Ils mèneront des patrouilles et des raids jusqu’au Tchad et en Algérie, deux espions étant
par ailleurs convoyés jusqu’au Caire. Cf. Andrea Molinari, Desert Raiders. Axis and Allied Special
Forces, 1940-43, Osprey, 2007, p. 48-49.
130. Cf. C. E. Lucas Phillips, op. cit., p. 13-22 ; A. Gilbert et IWM, op. cit., p. 29-42 ; R.-
D. Müller., op. cit., p. 32-33 ; Thomas André, « La Campagne de Tunisie, 1943 », dans Les Grandes
Batailles de l’histoire, no 25, 1993, p. 24-25 ; A. Léoni et M. Spivak, Les Forces françaises dans la
lutte contre l’Axe en Afrique, la campagne de Tunisie 1942-1943, Château de Vincennes, 1985, p. 52.
131. S. Fritz, op. cit., p. 107.
132. Yves Béraud, Les Gebirgstruppen en couleurs, 1935-1945, Heimdal, 2017, p. 191.
133. Earl Ziemke, German Report Series. The German Northern Theatre of Operations, 1940-
1945, Antony Rowe Ltd, 2009, p. 245, et Chris Mann et Christer Jörgensen, Hitler’s Artic War. The
German Campaigns in Norway, Finland and the USSR, 1940-1945, Ian Allan, 2002, p. 107.
134. Simon Rigge, War in the Outposts, Time-Life, 1980, p. 27 sqq.
135. Éric Hoesli, À la conquête du Caucase, Éditions des Syrtes, 2006, p. 306 ; Wilhelm Tieke,
The Caucasus and the Oil, Fedorowicz, 1995, p. 102.
136. B. Shepherd, op. cit., p. 263.
137. Ibid.
138. G. Sajer, op. cit., p. 339.
139. Erhard Raus et Oldwig von Natzmer, The Anvil of War. German Generalship in Defence of
the Eastern Front during World War II, Skyhorse Publishing, 2016, p. 77.
140. Archives OKH, Erkennen und Überwinden von Sümpfen, 20.4.1944.
141. D. Westwood, German Infantryman (3) East Front 1943-45, op. cit., p. 50.
142. Archives OKH, Waldkampf und Spähtruppausbildung, 1.1.1944.
143. Ian Daglish, Operation Goodwood, Pen & Sword, 2005, p. 162-163.
144. Martin Pöppel, Heaven and Hell. The War Diary of a German Paratrooper, The History
Press Ltd, 2010, p. 210-211, 218.
145. Jean-Pierre Benamou, Album Mémorial. Bataille de Caen, Heimdal, 1988, p. 177.
146. V. Milano, B. Conner, op. cit., p. 162-164.
147. Didier Lodieu, Mourir pour Saint-Lô, Histoire & Collection, 2007, p. 48.
148. Claude Paris, Paroles de Braves, Charles Corlet, 2007, p. 113.
149. H. von Luck, op. cit., p. 188.
150. V. Milano, B. Conner, op. cit., p. 50.
151. O. Henning, op. cit., p. 65.
152. B. Shepherd, op. cit., p. 386-387.
153. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 285.
154. M. Moutier, op. cit., p. 180.
155. Ibid., p. 241-242.
156. B. Shepherd, op. cit., p. 468.
157. Sans aucun rapport avec le scat américain.
158. G. Rottman, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 42.
159. George Forty, Afrika Korps at War, t. 2, The Long Road Back, Ian Allan Publishing, 1998,
p. 35.
160. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 451.
161. M. Moutier, op. cit., p. 119.
162. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 383.
163. A. von Kageneck, op. cit., p. 112.
164. « Sous la lanterne » : les premiers mots de la chanson. B. Shepherd, op. cit., p. 386.
165. H.-A. Schraepler, op. cit., p. 251.
166. M. Moutier, op. cit., p. 175.
167. A. Luneau, J. Guérout et S. Martens, op. cit., p. 167.
168. Sönke Neitzel, Harald Welzer, Soldaten, On Fighting, Killing and Dying, the Secret WWII
Transcripts of German POWs, Alfred A. Knopf, 2012, p. 278.
169. A. von Kageneck, op. cit., p. 96, 105.
170. C’est ce qui ressort de l’interrogatoire de prisonniers de guerre au Fort Hunt, aux États-
Unis (B. Shepherd, op. cit., p. 394). Cf. aussi le personnage de l’Hauptmann Stransky campé par
Maximilian Schell dans Croix de fer, de Sam Peckinpah.
171. Loi du 1er septembre 1939 instituant la croix de fer.
172. La croix de fer a été créée en 1813 par le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, puis rétablie
en 1870 par Guillaume Ier et en 1914 par Guillaume II.
173. N. Stargardt, op. cit., p. 217.
174. On dénombre environ 7 300 récipiendaires.
175. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 268.
176. Ibid., p. 369.
177. Ibid., p. 251-252.
178. Pour des informations et un résumé efficace, voir David Zambon, « Le soldat italien. Un
combattant d’une guerre de pauvres », 2e Guerre mondiale magazine, thématique, no 17, 2009.
179. Voir Mark Axworthy, Third Axis-Fourth Ally. Romanian Armed Forces in the European
War, 1941-1944, Arms and Armor Press, 1995.
180. Archives OKH, Die japanische Kriegswehrmacht, 1.9.1941.
181. Il aurait pu ajouter les Alpini italiens, mais ces derniers n’étaient pas en lice lorsqu’il était
encore le commandant du Heeresgruppe Süd.
182. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 121-122.
183. Les officiers roumains pouvaient fouetter leurs hommes.
184. Archives OKW, Von Deutschland zu liefernden Materialen die zur Ausstatung der
rumänischen Wehrmacht nötig sind.
185. Archives OKH, Die ungarische Kriegswehrmacht, 1.2.1940.
186. H. Frey, op. cit., p. 47.
187. H. W. Schmidt, dans son remarquable ouvrage Avec Rommel dans le désert, raconte
brièvement sa participation dans la campagne d’Afrique orientale en tant que chef du détachement.
188. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 285.
189. Des troupes musulmanes, des Tatars de Crimée notamment, rejoignent les rangs de l’armée
allemande, avec toutes les assurances du respect des préceptes de leur religion. On connaît aussi,
avec le long métrage Far Away de Kang Je-gyu, l’histoire incroyable de ce Coréen qui a été
successivement soldat japonais, soldat soviétique, puis soldat allemand.
190. Walter Warlimont, Cinq ans au GQG de Hitler, Elsevier Séquoia, 1975, p. 305.
191. Kriegstagebuch, 334e DI.
192. Une phalange africaine, rebaptisée Légion des volontaires français (LVF) de Tunisie à la
fin de la campagne, est cependant mise sur pied en Tunisie sous l’égide de Vichy. Trois cent trente
hommes rejoignent l’unité.
193. Voir Pierre Giolitto, Volontaires français sous l’uniforme allemand, Perrin, 1999.
194. Vincent Bernard, « La Wehrmacht. Une armée comme les autres ? », Ligne de Front, hors-
série, no 27, Caraktère, 2016, p. 82.
195. Voir à ce propos l’étonnant et passionnant article de Yann Mahé, « Kolonial
Wehrmacht ! », Ligne de Front, no 41, Caraktère, 2013, p. 22-43.
196. Robert Gaudi, African Kaiser. General Paul von Lettow-Vorbeck and the Great War in
Africa, 1914-1918, Caliber, 2017, p. 2.
197. Ibid., p. 535.
198. P. Richardot, op. cit., p. 527.
199. Voir Jochen Bölher, Robert Gerwarth (dir.), The Waffen-SS. A European History, Oxford
University Press, 2016.
200. Gordon Williamson, German Security and Police Soldier, 1939-45, Osprey, 2002, p. 49.
201. Yann Mahé, « La Waffen-SS : armée d’élite », Ligne de Front, no 31, Caraktère, 2011,
p. 40-43.
202. Quelques dizaines d’hommes. Stephan Cazenave, « Les Vikings d’Hitler », Ligne de Front,
o
n 64, Caraktère, 2016.
203. V. Milano, B. Conner, op. cit., p. 210.
204. Eddy Florentin, Der Rückmarsch, Presses de la Cité, 1974, p. 290, 494.
205. A. von Kageneck, op. cit., p. 102.
206. Roland Kaltenegger, German Mountain Troops in World War II. A Photographic Chronicle
of the Elite Gebirgsjäger, Schiffer, 2005, p. 9.
207. Samuel Mitcham, Rommel’s Desert Commanders. The Men Who Served the Desert Fox,
North Afrika, 1941-42, Stackpole Books, 2007, p. 173.
208. B. Shepherd, op. cit., p. 364, citant Bernd Wegner, The Waffen-SS, Oxford, 1990.
209. Deutsche Wochenschau, dans « Histoire parallèle », émission de Marc Ferro, 1991.
210. S. Neitzel, H. Welzer, op. cit., p. 290.
211. V. Bernard, « La Wehrmacht. Une armée comme les autres ? », article cité, p. 96.
212. B. Shepherd, op. cit., p. 68.
213. N. Stargardt, op. cit., p. 106.
214. H. Frey, op. cit., p. 259.
215. David Rolf, Bloody Route to Tunis, Greenhill Books, 2001, p. 282.
216. J.-P. Benamou, op. cit., p. 114.
217. A. Beevor, Ardennes 1944, op. cit., p. 561.
218. Albert Pipet, D’Omaha à Saint-Lô. La bataille des haies, Heimdal, 1980, p. 81.
219. Kriegstagebuch, division von Broich/von Manteuffel, 3.12.1942.
220. Benoît Rondeau, Patton. La chevauchée héroïque, Tallandier, 2016, p. 285 sqq.
221. W. Wette, op. cit., p. 27-28.
222. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 226.
223. Ibid., p. 121.

3. La guerre sur terre : les conditions de combat


1. S. Fritz, op. cit., p. 33.
2. Le mot apparaît en Allemagne avant la guerre, mais il est peu utilisé avant la spectaculaire
victoire sur la France en 1940. Il reste peu employé au sein de la Wehrmacht. En novembre 1941,
Hitler affirme lui-même : « Je n’ai jamais utilisé le mot Blitzkrieg à ce jour pour la bonne raison que
c’est un mot complètement idiot. » Xavier Tracol, Yann Mahé, « Une réelle supériorité tactique. Les
raisons des succès allemands », Ligne de Front no 38, Caraktère, 2012, p. 33.
3. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 162-163.
4. A. von Kageneck, op. cit., p. 87.
5. Ibid., p. 119.
6. Les informations sur les Panzergrenadiere sont tirées de Matthew Hugues, Chris Mann,
Fighting Techniques of a Panzergrenadier, 1941-1945, MBI Publishing Company, 2000 ; pour une
synthèse du sujet voir aussi Benoît Rondeau, « Panzergrenadiere ! Compagnons indispensables des
Panzer », 2e Guerre mondiale magazine, no 48, 2013, p. 22-48.
7. M. Hugues, C. Mann, op. cit., p. 77 sqq.
8. La Wehrmacht lève près de 290 divisions d’infanterie entre août 1939 et mars 1945. Yann
Mahé, « Le Landser. Qui est-il ? À quoi sert-il ? Où combat-il ? », Ligne de Front, no 70, Caraktère,
2017.
9. D. Westwood, German Infantryman (2) East Front 1941-43, op. cit., p. 12.
10. Ibid., p. 13.
11. S. Fritz, op. cit., p. 124.
12. R. A. Hart, op. cit., p. 208-209.
13. B. Shepherd, op. cit., p. 245.
14. Un exemple parmi d’autres suffit à démontrer la différence avec 1914-1918 : l’armée
allemande dispose désormais de nombreux blindés qui tiennent en outre un rôle essentiel dans les
tactiques défensives.
15. Nicolas Bernard, La Guerre germano-soviétique, 1941-1945, Tallandier, 2013, p. 284.
16. B. Shepherd, op. cit., p. 260.
17. N. Bernard, op. cit., p. 287.
18. Ibid., p. 430.
19. O. Bartov, op. cit., p. 48.
20. Russell F. Weigley, Eisenhower’s Lieutenants. The Campaigns of France and Germany,
1944-1945, Indiana University Press, 1981, p. 514 sqq.
21. Charles B. MacDonald, La Bataille de la forêt de Huertgen, Foxmaster & Pozit Press, 1992,
p. 259-260.
22. Charles Winchester, Ostfront. Hitler’s War on Russia, 1941-45, Osprey, 2000, p. 89, et
N. Bernard, op. cit., p. 96.
23. De toute façon, sur le champ de bataille, contrairement à ce que montrent bon nombre de
films hollywoodiens, on vit courbé ou aplati.
24. B. Shepherd, op. cit., p. 248.
25. R. A. Hart, op. cit., p. 333.
26. G. Sajer, op. cit., p. 88.
27. Au cours de l’été 1944, les Allemands posent 360 000 mines à l’est de Lvov, dans le secteur
où est attendue l’offensive d’été soviétique (l’assaut est en fait lancé d’abord en Biélorussie).
E. Raus, O. von Natzmer, op. cit., p. 59.
28. Archives OKH, Bildheft, Neuzeitlicher Stellungbau, 1.6.1944.
29. E. Raus et O. von Natzmer, op. cit., p. 53.
30. Claudio Biscarini, « La Bataille d’Ortona. Le “petit Stalingrad” italien », 2e Guerre
mondiale magazine, no 41, 2011, p. 60 sqq.
31. Pour la guerre des haies, voir Georges Bernage, Georges Cadel, Cobra. La bataille décisive,
Heimdal, 1984 ; D. Lodieu, Mourir pour Saint-Lô, op. cit. ; A. Pipet, D’Omaha à Saint-Lô, op. cit.
32. C’est l’Oberst Hecker, responsable du génie au sein de la Panzerarmee, qui est chargé de
superviser la mise en place de plus de 445 000 mines sur la ligne défensive d’El-Alamein.
33. G. Rottmann, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 56.
34. Ce qui est loin du total exigé car il estime le minimum à 50 millions.
35. Neil Short, German Defences in Italy in World War II, Osprey, 2006, p. 26-33 et 42-43.
36. Ibid., p. 30-33.
37. L’Organisation Todt (organisme de grands travaux paramilitaires qui édifie les bunkers
conçus par le Festungspionere Korps, le corps du génie de forteresse), qui double sa production de
béton armé, érige 4 600 blockhaus en 1944, alors que seulement 8 478 avaient été construits depuis
1941.
38. B. Carruthers, op. cit., p. 72.
39. Lire à ce propos Steven Zaloga, Defense of the Rhine 1944-45, Osprey, 2011.
40. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 401.
41. O. Bartov, op. cit., p. 150.
42. N. Bernard, op. cit., p. 422.
43. Pour un récit complet de la retraite à l’Ouest en 1944 selon la perspective du haut
commandement allemand, lire Joachim Ludewig, Rückzug. The German Retreat from France, 1944,
University Press of Kentucky, 2012.
44. J.-P. Pallud, Rückmarsch. The German Retreat from Normandy, Then and Now, op. cit.,
p. 192.
45. Ibid., p. 323.
46. S. Zaloga, Lorraine 1944, op. cit., p. 21.
47. Archives OKW, Verwerdung, gemäß Führererlaß am 27.11.43.
48. N. Thomas, op. cit., p. 7, 212.
49. Burkhart Müller-Hillebrand, Die Blitzfeldzüge 1939-1941. Das Heer im Kriege bis zum
Beginn des Feldzuges gegen die Sowjetunion im Juni 1941, vol. II, Mittler & Sohn, 1956, p. 45-49.
50. N. Bernard, op. cit., p. 537.
51. À l’Ouest, en 1944, le Feldmarschall von Rundstedt envisage lui aussi d’en mettre une sur
pied.
52. L’Afrikakorps en fait l’amère expérience dès le début de la bataille d’El-Alamein, en juillet
1942.
53. Georges Bernage, « Normandie 1944, la bataille finale pour Saint-Lô », Historica, no 69,
p. 110.
54. A. Beevor, D-Day…, op. cit., p. 317.
55. Mark Reardon, op. cit., p. 223.
56. Yves Buffetaut, « Normandie, la percée (2), opération Cobra », Militaria magazine, hors-
série, no 29, p. 106.
57. D. Lodieu, Mourir pour Saint-Lô, op. cit., p. 83.
58. A. Pipet, op. cit., p. 94.
59. B. Shepherd, op. cit., p. 247.
60. Ibid., p. 476.
61. 22 juin 1941 : 153 divisions allemandes envahissent l’Union soviétique, dont 19 PZD et
14 divisions motorisées, soit 3,2 millions d’hommes pour la Heer ; 47 sur les autres fronts, dont 38 à
l’Ouest, 7 dans les Balkans et 2 en Afrique, soit 564 000 hommes pour la Heer.
62. Fin novembre 1941, il manque 340 000 hommes à l’Ostheer. Jeff Rutherford, Combat and
Genocide in the Eastern Front, Cambridge University Press, p. 201.
63. O. Bartov, op. cit., p. 73.
64. Juin 1942 : 167 divisions allemandes à l’Est (mais 14 divisions du Heeres-Gruppe Süd
seront transférées à l’Ouest) soit 2,8 millions d’hommes pour la Heer, 54 sur les autres fronts, dont 3
en Afrique et 12 en Norvège, soit 971 000 hommes pour la Heer.
65. Archives OKW, Entwicklung der Iststärke des Ostheeres.
66. Archives OKW, Verwerdung, gemäß Führererlaß am 27/11/43.
67. Juin 1941 : 19 PZD et 14 divisions motorisées à l’Est, 2 en Afrique. Mars 1943 : 16 PZD et
15 divisions motorisées à l’Est, 4 en Afrique et d’autres en France. Juin 1944 : 22 PZD et divisons
motorisées à l’Est, 16 à l’Ouest et en Italie.
68. Roman Töppel, Koursk, 1943. La plus grande bataille de la Seconde Guerre mondiale,
Perrin, 2018, p. 119.
69. N. Bernard, op. cit., p. 399. Douze des quinze meilleurs tankistes allemands sont des chefs
de Tiger, Philippe Richardot, « T-34 et Tiger au combat. Quelles leçons en tirer ? », 2e Guerre
Mondiale Magazine, no 45, 2012, p. 43.
70. Yannis Kadari, « Bodo Spranz. As méconnu de la Sturmartillerie », Batailles & Blindés,
no 26, 2008, p. 68 sqq.
71. Thomas Jentz, Panzertruppen, Schiffer, 1996, vol. I, p. 93.
72. N. Bernard, op. cit., p. 94 et 654.
73. O. Bartov, op. cit., p. 46.
74. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 139.
75. O. Bartov, op. cit., p. 41.
76. G. Liedtke, op. cit., p. 192.
77. Ibid., p. 198 ; T. Jentz, vol. 1, op. cit., p. 236-239.
78. G. Liedtke, op. cit., p. 193.
79. Ibid., p. 187.
80. Le 11 septembre 1942, 318 Sherman arrivent à Suez. Deux cent cinquante-deux sont en
ligne le 23 octobre. I. S. O Playfair et alii, The Mediterranean and Middle East, vol. IV, The
Destruction of the Axis Forces in Africa, 1966, republié par Naval & Military Press, 2004, p. 8.
81. G. Liedtke, op. cit., p. 309.
82. C. Winchester, op. cit., p. 88.
83. Ibid.
84. Ibid.
85. N. Bernard, op. cit., p. 305.
86. R. Töppel, op. cit., p. 69-70.
87. Entre décembre 1942 et mars 1943, les divisons blindées et motorisées allemandes
enregistrent la perte de pas moins de 2 311 chars, 1 257 seulement étant arrivés en renfort, ce qui
signifie donc un déficit de plus de 1 000 blindés par rapport à l’automne.
88. Voir Stephen Napier, The Armoured Campaign in Normandy, June-August 1944,
Spellmount, 2015.
89. Das deutsche Reich und der Zweiten Weltkrieg, vol. 5/2, DVA, 1979, p. 652 ; Jean Lopez,
Bagration, Economica, 2014, p. 264.
90. R. Weigley, op. cit., p. 833.
91. Chiffres tirés de Jean Restayn, Tiger in Action, Histoires & Collections, 2001.
92. N. Bernard, op. cit., p. 390.
93. L’épisode le plus célèbre de cette opération voulue et conçue par Bernard Montgomery étant
celui de la bataille du pont d’Arnhem.
94. Plaques de blindage additionnelles destinées à provoquer l’explosion prématurée des
projectiles à charge creuse.
95. R. A. Hart, op. cit., p. 332.
96. Lire Y. Mahé et L. Tirone, Wehrmacht 1946. L’arsenal du Reich, vol. 1, Caraktère, 2016.
97. Lire à ce propos les détails donnés sur le Panther conservé à Celles, en Belgique, dans
Hugues Wenkin, Christian Dujardin, Les Témoins d’acier, t. 2, Weyrich, 2018, p. 94 sqq.
98. Didier Lodieu, La Big Red One face à la 2. Pz.-Div., Ysec, 2014, p. 63.
99. Les Panzerbüsche 41 à âme conique, véritables canons antichars, sont cependant très
redoutables.
100. Archives OKH, Ausbildung im Frühjahr 1941, den 21.2.1941.
101. E. Raus et O. von Natzmer, op. cit., p. 72-73.
102. D. Westwood, German Infantryman (2) East Front 1941-43, op. cit., p. 29.
103. Doodlebugs pour les soldats alliés. G. Rottman, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 10.
104. D. Nash, op. cit., p. 90-92.
105. Franz Kurowski, Panzergrenadier Aces, Stackpole Books, 2010, p. 57-60.
106. Huit millions de tubes de Panzerfaüste seront livrés.
107. B. Shepherd, op. cit., p. 346.
108. G. Rottmann, German Pionier, 1939-45, op. cit., p. 29.
109. En 1945, les Panzergrenadiere devaient escorter les blindés armés du StG 44 doté d’un
viseur infrarouge Vampir. Seules quelques-unes de ces armes révolutionnaires furent distribuées au
front.
110. L’équivalent allemand des « orgues de Staline » soviétiques. L’utilisation massive des
Nebelwerfer, que ce soient les modèles 41 ou 42 sur affûts biflèches ou les modèles montés sur des
semi-chenillés, est une caractéristique de l’armée allemande.
111. P. Richardot, op. cit., p. 295-297.
112. Il manquerait toutefois 710 000 fusils à la Wehrmacht et au Volksturm en octobre 1944.
N. Stargardt, op. cit., p. 456.
113. D. E. Graves, op. cit., p. 178-179.
114. Jean-Paul Pallud, Ardennes. Album Mémorial. 16 décembre 1944-16 janvier 1945,
Heimdal, 1986, p. 100.
115. Bernd Hartmann, Panzer in the Sand. The History of Panzer-Regiment 5, vol. I, 1935-41,
Stackpole, 2010, p. 220.
116. Voir les tableaux d’Éric Denis, 1940. La Wehrmacht de Fall Gelb, Economica, 2018,
p. 188.
117. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 210.
118. G. Liedtke, op. cit., p. 70 ; 2 600 canons de campagne allemands seraient pourtant en
surplus dans les stocks.
119. A. Tooze, op. cit., p. 385.
120. Archives OKW, Die Materielle Lage der Wehrmacht am 1.2.1944.
121. Samuel Mitcham, The Desert Fox in Normandy, Cooper Square Press, 2001 [1997], p. 17.
122. M. Reardon, op. cit., p. 89.
123. C. B. MacDonald, op. cit., p. 30.
124. Didier Lodieu, La Retraite de l’armée allemande vers la Seine du 23 au 25 août 1944,
Éditions La Poche de Falaise-Chambois, 2015, p. 102.
125. Archives OKW, Die Materielle Lage der Wehrmacht am 1.2.1944.
126. B. Shepherd, op. cit., p. 514.
127. N. Stargardt, op. cit., p. 457.
128. Sécurisés contre l’écoute par l’ennemi, ils sont en revanche sujets aux coupures.
129. Le procédé consiste en la transformation en rayon lumineux de messages radio. Y. Béraud,
op. cit., p. 185.
130. E. Raus et O. von Natzmer, op. cit., p. 69.
131. La situation ne cesse de s’améliorer au sein de l’armée soviétique, qui déclenche
« Bagration » à l’été 1944 avec des moyens de franchissement accrus.
132. Cf. Gordon Rottman, World War II River Assault Tactics, Osprey, 2013.
133. Aussi impressionnant que soit ce chiffre, les 400 000 camions inclus sont insuffisants en
nombre et par trop hétéroclites : il en faudrait un million… Yann Mahé, « L’aveuglement stratégique.
Les erreurs fatales du IIIe Reich », Ligne de Front, no 38, Caraktère, 2012, p. 56.
134. David Westwood, German Infantryman (2) East Front 1941-43, Osprey, 2003, p. 7 ;
600 000 chevaux et mulets selon P. Richardot, op. cit., p. 231 ; on compte entre 4 000 et
6 000 chevaux selon le type de division d’infanterie en 1939, V. Bernard, « La Wehrmacht. Une
armée comme les autres ? », article cité, p. 91.
135. Steven Zaloga, US Infantryman versus German Infantryman, Osprey, 2016, p. 8.
136. J. Lopez, Bagration, op. cit., p. 264.
137. B. Shepherd, op. cit., p. 462.
138. Kriegstagebuch, 334e DI, 10 janvier 1943.
139. B. Shepherd, op. cit., p. 259.
140. A von Kageneck, op. cit., p. 92.
141. Kriegstagebuch, 334e DI.
142. S. Fritz, op. cit., p. 153.
143. E. Raus et O. von Natzmer, op. cit., p. 53.
144. D. Westwood, German Infantryman (1), 1933-40, op. cit., p. 42.
145. En raison de l’odorat développé des canidés, les unités cynophiles sont également mises à
contribution pour les patrouilles, la surveillance des camps, ainsi que pour la recherche des blessés.
146. Kriegstagebuch, division von Broich/von Manteuffel.
147. Ibid.
148. Des cyclistes dans une Panzer-Division : un comble !
149. O. Bartov, op. cit., p. 42.
150. G. Liedtke, op. cit., p. 191.
151. Entre les mois de janvier et d’avril 1944, les pertes représentent le triple de la production.
R. A. Hart, op. cit., p. 243.
152. Archives OKW, Die Materielle Lage der Wehrmacht am 1.2.1944.
153. Il faut 52 trains pour transporter la 277e DI et 67 pour la 10. SS-Panzer-Division
« Frundsberg »).
154. B. Shepherd, op. cit., p. 86.
155. G. Liedtke, op. cit., p. 182-183.
156. Archives OKH, Abschrift, Fernschreiben von OKH Gen. St. d.H./op.abt. an H.Gr.Mitte,
29 août 1942.
157. B. Shepherd, op. cit., p. 153.
158. G. Liedtke, op. cit., p. 181.
159. S. Fritz, op. cit., p. 36.
160. F. Kurowski, Panzergrenadier Aces, op. cit., p. 92.
161. Janusz Piekalkiewiecz, Rommel and the Secret War in North Africa, 1941-1943, Schiffer
Publishing Ltd, 1992, p. 62.
162. Voir Alan Levine, The War Against Rommel Supply Lines, Stackpole, 1999.
163. D. Rolf, op. cit., p. 275.
164. Mark Reardon, op. cit., p. 115.
165. A. von Kageneck, op. cit., p. 172.
166. En cas de conquête de Bakou, la question du raffinage de ce pétrole et de son
acheminement hors du Caucase reste posée.
167. G. Liedtke, op. cit., p. 87.
168. R. Atkinson, The Day of Battle…, op. cit., p. 580.
169. Yann Mahé, « La bataille de Paderborn », Ligne de Front, no 75, Caraktère, 2018, p. 28.
170. B. Shepherd, op. cit., p. 524-525.
171. A. Beevor, Stalingrad., op. cit., p. 477.
172. O. Bartov, op. cit., p. 54.
173. S. Fritz, op. cit., p. 157.
174. T. Kühne, op. cit., p. 1.
175. Ibid., p. 161.
176. G. Sajer, op. cit., p. 107.
177. M. Moutier, op. cit., p. 73.
178. Guy Sajer, op. cit., p. 297.
179. T. Kühne, op. cit., p. 4, 169.
180. Ibid., p. 4.
181. C’est le cas de Shils et Janowitz.
182. O. Bartov, op. cit., p. 54, même si l’auteur sous-estime la destruction effective de groupes
primaires avec les lourdes pertes subies en Normandie à l’été 1944.
183. T. Kühne, op. cit., p. 116, citant Alfred Cohen.
184. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 371.
185. Ibid., p. 373.
186. Ibid., p. 203.
187. B. Carruthers, op. cit., p. 12.
188. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 83.
189. W. Wette, op. cit., p. 159-160.
190. R. Töppel, op. cit., p. 143.
191. Or, si l’importance de celle-ci ne saurait être négligée, elle est loin d’avoir été le facteur
déterminant et unique expliquant la réussite de « Husky », « Avalanche » et « Shingle ».
192. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 112.
193. Archives OKW, ordre du Führer en date du 5 décembre 1942.
194. N. Stargardt, op. cit., p. 505.
195. B. Shepherd, op. cit., p. 112.
196. Voir à ce propos David Glantz, Soviet Military Deception in the Second World War, Cass,
1989.

4. La guerre aérienne des soldats de Hitler


1. P. Richardot, op. cit., p. 424-425.
2. Officiellement en 1935.
3. Robert Stedman, Kampflieger. Bomber Crewman of the Luftwaffe, Osprey, 2005, p. 9.
4. P. Richardot, op. cit., p. 461.
5. Voir Gustavo Cano, Santiago Guillén, Deutsche Luftwaffe. Uniformes et équipements des
forces aériennes allemandes (1935-1945), Heimdal, 2014.
6. En outre, l’uniforme tropical de la Heer est vert olive : une teinte qui, dans le désert, offre
beaucoup moins de possibilités de camouflage que le beige de la Luftwaffe.
7. Cette couleur favorise le repérage à longue distance des équipages perdus en mer.
8. Stéphane Mantoux, « La doctrine de combat de la Luftwaffe. La naissance de l’art opératif
dans la guerre aérienne », 2e Guerre mondiale magazine, no 58, 2015, p. 27 sqq.
9. P. Richardot, op. cit., p. 417 ; É. Denis, op. cit., p. 56-58.
10. Mille deux cent vingt, sans compter une flotte d’avions de transport qui passe de 205 à
673 appareils.
11. Vincent Bernard, « Luftproduktion. Le défi industriel », Aérojournal, no 63, Caraktère, 2018,
p. 31.
12. Boris Laurent, Les Opérations germano-soviétiques dans le Caucase (1942-1943),
Economica, 2014, p. 273-281, 288-292.
13. Jean Lopez, Koursk. Les 40 jours qui ont ruiné la Wehrmacht, Economica, 2008, p. 64.
14. R. Töppel, op. cit., p. 132 sqq.
15. Yves Buffetaut, « 6 juin 1944. La bataille des plages », Militaria magazine, hors-série, no 72,
p. 63.
16. P. Richardot, op. cit., p. 415.
17. B. Shepherd, op. cit., p. 335.
18. N. Stargardt, op. cit., p. 392.
19. Des projets encore plus stupéfiants sont mis à l’étude par les ingénieurs allemands. Cf. Yann
Mahé, Xavier Tracol, Laurent Tirone, Wehrmacht 1946. L’arsenal du Reich, vol. 2, Luftwaffe,
Kriegsmarine, Waffen-SS, armes nucléaires, radiologiques et chimiques, Caraktère, 2016.
20. P. Richardot, op. cit., p. 425.
21. Les Américains, les Britanniques et les Soviétiques produisent près de 600 000 avions…
22. P. Richardot, op. cit., p. 455.
23. Ibid., p. 438-439.
24. Les pilotes (de bombardiers notamment) n’apprécient pas plus la présence à bord, jugée
encombrante et inutile, d’officiers seulement soucieux d’obtenir une décoration ou d’accumuler les
heures de vol. R. Stedman, op. cit., p. 26.
25. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 166-167.
26. P. Richardot, op. cit., p. 418.
27. La Regia Aeronautica (l’aviation royale italienne) dispose pourtant d’excellents chasseurs
comme le Macchi MC 202 Folgore.
28. Vingt mille appareils sont perdus par l’armée de l’air allemande au cours du second
semestre 1944.
29. A. Beevor, Ardennes 1944, op. cit., p. 515.
30. P. Richardot, op. cit., p. 484.
31. Les bombardiers alliés n’ont également plus à subir les tirs d’une première défense de Flak
positionnée sur le littoral.
32. Cette volonté d’en faire un bombardier ne procède pas de la volonté de Hitler comme
souvent annoncé.
33. Alexandre Thers, « L’évolution de l’économie de guerre », Ligne de Front, no 38, Caraktère,
2012, p. 61.
34. M. Moutier, op. cit., p. 140.
35. P. Richardot, op. cit., p. 411-412.
36. Ce qui n’implique pas nécessairement de disposer des moyens techniques, comme des
quadrimoteurs à grand emport de bombes.
37. R. Stedman, op. cit., p. 4.
38. En tout cas, beaucoup moins que face à une « forteresse volante » B-17.
39. É. Denis, op. cit., p. 70.
40. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 258.
41. R. A. Hart, op. cit., p. 219.
42. Les 14 meilleurs pilotes de Stuka auraient détruit 1 700 chars soviétiques… P. Richardot,
op. cit., p. 476.
43. R. Hargreaves, op. cit., p. 71-72.
44. À partir de novembre 1940, le Kampfgruppe 100, équipé d’appareils X, marquera les cibles
avec des bombes incendiaires.
45. M. Moutier, op. cit., p. 140.
46. Ibid.
47. Entre 330 et 470 appareils, selon que soient prises en compte ou non les pertes au sol,
d’après Bernard Roland, « Opération “Steinbock”. Le “Baby Blitz” ou les ultimes attaques de la
Luftwaffe sur l’Angleterre », Batailles aériennes, no 83, 2018, p. 86.
48. V. Bernard, « Luftproduktion. Le défi industriel », article cité, p. 32.
49. Même si la cible n’était pas entièrement dénuée de caractère « militaire ».
50. Le dernier grand raid sur Londres survient le 10 mai 1941 : il implique 505 avions qui
larguent 718 tonnes de bombes. N. Stargardt, op. cit., p. 122.
51. 17 000 civils périssent dans le bombardement de Belgrade en avril 1941.
52. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 154.
53. N. Stargardt, op. cit., p. 122.
54. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 195.
55. R. Stedman, op. cit., p. 20.
56. B. Laurent, op. cit., p. 67.
57. P. Richardot, op. cit., p. 429.
58. R. A. Hart, op. cit., p. 240.
59. B. Laurent, op. cit., p. 257.
60. Ibid., p. 313.
61. M. Reardon, op. cit., p. 282.
62. N. Stargardt, op. cit., p. 488.
63. Andrew Mollo, Les Forces armées de la dernière guerre, Atlas, 1981.
64. I. S. O. Playfair et alii, op. cit., p. 222, 238.
65. M. Moutier, op. cit., p. 140.
66. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 477.
67. Ibid., p. 404-406.
68. Voir Jean-Bernard Frappé, La Luftwaffe face au débarquement allié, Heimdal, 1999.
69. On ne peut comparer ces pistes de fortune mises à la disposition des escadrilles allemandes
avec les terrains d’aviation bâtis par les Alliés quelque temps après le Jour J par des troupes du génie
suréquipées (avec leurs fameuses Pierced Steel Planks) et quasiment immunisées contre toute
interférence de la part de la Luftwaffe.
70. R. Stedman, op. cit., p. 31.
71. P. Richardot, op. cit., p. 500.
72. Sur les missiles, voir Nicolas Pontic, « Wunderwaffen. Les “armes secrètes” d’Hitler », t. 1,
2e Guerre mondiale magazine, hors-série, no 40, 2016.
73. Celles-ci expédient des mines aériennes reliées par filin à un parachute. Richardot, op. cit.,
p. 422.
74. É. Denis, op. cit., p. 127.
75. N. Stargardt, op. cit., p. 120.
76. B. Shepherd, op. cit., p. 345.
77. É. Denis, op. cit., p. 130.
78. AWM52, 1/5/20, Intelligence Summary, no 232.
79. P. Richardot, op. cit., p. 422.
80. P. Richardot, op. cit., p. 440-441 ; Pascal Colombier, « Le Radar », Ligne de Front, no 56,
2015, p. 5.
81. P. Richardot, op. cit., p. 441.
82. Quatre-vingt-douze millions de bandelettes sont larguées lors du bombardement de
Hambourg, la nuit du 24 au 25 juillet 1943.
83. Loïc Bonal, « Les unités de combat terrestres de la Luftwaffe », Ligne de Front, hors-série,
o
n 32, Caraktère, 2017, p. 58-61.
84. Pour une réflexion et un récit détaillés des engagements des Fallschirmjäger, voir Benoît
Rondeau, « Les Fallschirmjäger en Italie », 2e Guerre mondiale magazine, no 67, 2016 ; « La
campagne de Tunisie, 1942-43 », 2e Guerre mondiale magazine, hors-série, no 24, 2011 ;
« Fallschirmjäger face à l’Invasion », 2e Guerre mondiale magazine, no 51, 2013 ; « Fallschirmjäger
durant Market Garden », Ligne de Front, no 60, Caraktère, 2016 ; « La 5. Panzerarmee. La meilleure
ennemie des Alliés », 2e Guerre mondiale magazine, hors-série, no 29, 2016.
85. R. Hargreaves, op. cit., p. 26.
86. Pour tous ces chiffres, voir notamment Niklas Zetterling, Normandy 44, German Military
Organisation, Combat Power and Organizational Effectiveness, Fedorowicz, 2000, p. 220-221, 164-
165.
5. La guerre sur mer
1. Elle préfère se saborder pavillons hauts à Scapa Flow plutôt que de remettre ses navires aux
Britanniques.
2. P. Richardot, op. cit., p. 358 : 3 cuirassés de poche pour 8, 6 croiseurs pour 8, 12 destroyers
pour 32.
3. F.-E. Brézet, op. cit., p. 24.
4. P. Richardot, op. cit., p. 362.
5. F.-E. Brézet, op. cit., p. 93.
6. Ce qui pousse Raeder à interdire de s’attaquer aux destroyers anglais dans l’Atlantique Nord,
faute d’être en mesure de pouvoir les distinguer des navires voguant désormais sous pavillon
américain.
7. P. Richardot, op. cit., p. 382.
8. F.-E. Brézet, op. cit., p. 258 sqq.
9. A. Mollo, op. cit., p. 196.
10. F.-E. Brézet, op. cit., p. 294.
11. Ibid., p. 284-285.
12. P. Richardot, op. cit., p. 371.
13. Ibid., p. 394.
14. Ibid., p. 361.
15. F.-E. Brézet, op. cit., p. 187.
16. Sönke Neitzel, Der Einsatz der deutschen Luftwaffe über dem Atlantik und der Nordsee
1939-1945, Bernard und Graefe, 1995, p. 193.
17. F.-E. Brézet, op. cit., p. 282.
18. P. Richardot, op. cit., p. 395.
19. Ibid., p. 365.
20. F.-E. Brézet, op. cit., p. 133.
21. S. Neitzel, op. cit.
22. F.-E. Brézet, op. cit., p. 238.
23. Ibid., p. 412.
24. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 23.
25. Gordon Williamson, German Seeman, 1939-1945, Osprey, 2001, p. 5.
26. P. Richardot, op. cit., p. 366.
27. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 55.
28. F.-E. Brézet, op. cit., p. 22.
29. Ibid., p. 39.
30. Sans compter quelques destroyers dont la construction est effective durant la guerre.
31. F.-E. Brézet, op. cit., p. 421.
32. P. Padfield, op. cit., p. 431.
33. G. Williamson, German Seeman…, op. cit., p. 30.
34. Ibid., p. 27.
35. P. Richardot, op. cit., p. 367.
36. F.-E. Brézet, op. cit., p. 83.
37. Ibid., p. 222.
38. P. Richardot, op. cit., p. 370.
39. G. Sajer, op. cit., p. 492.
40. Pour Schnell-Boote, littéralement « navires rapides ». De fait, ces vedettes filent à 40 nœuds.
41. F.-E. Brézet, op. cit., p. 37.
42. P. Richardot, op. cit., p. 381.
43. Ibid., p. 397.
44. X. Tracol, « La vie à bord des U-Boote », article cité, p. 41.
45. Ibid., p. 7.
46. On ne peut en dire autant du personnel de la Luftwaffe à l’endroit d’Hermann Goering…
47. Kapitänleutnant unter See, c’est-à-dire « sous la mer ».
48. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 42.
49. Ibid., p. 41.
50. X. Tracol, « La vie à bord des U-Boote », article cité, p. 25-26.
51. Entre 48 et 63 dans le U-Boot type IX, dans lequel l’équipage dispose de plus de place.
52. Teddy Suhren, Fritz Brustat-Naval, Memoirs of a U-Boat Rebel, Chatham, 2011, p. 67 sqq.
53. Le cabinet est en porcelaine, matériau qui n’est pas forcément le plus propice à supporter les
grenadages…
54. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 27.
55. X. Tracol, « La vie à bord des U-Boote », article cité, p. 45.
56. Ils sont embarqués à bord d’U-Boote type IX engagés dans l’océan Indien, où la couverture
aérienne alliée est moindre. Ibid., p. 47.
57. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 21.
58. Lawrence Paterson, U-Boat Combat Missions, Chatham, 2007, p. 66.
59. X. Tracol, « La vie à bord des U-Boote », article cité, p. 65.
60. Ibid., p. 36.
61. Sur l’uniforme, cf. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 16-20.
62. Ibid., p. 30.
63. F.-E. Brézet, op. cit., p. 347.
64. Luc Vangansbeke, « Corsaires du Reich », Los !, hors-série, no 15, 2017, p. 24-25.
65. Ibid., p. 20.
66. Lire à ce propos Robert Eyssen, HSK Komet, Kaperfahrt auf allen Meeren, Koehler, 2002.
67. L. Vangansbeke, article cité, p. 50.
68. F.-E. Brézet, op. cit., p. 208.
69. L. Vangansbeke, article cité, p. 53.
70. Ibid., p. 78.
71. F.-E. Brézet, op. cit., p. 133.
72. Quatre-vingt-dix mille hommes, 650 blindés, 2 600 pièces d’artillerie, 1 500 camions,
4 500 chevaux et 2 300 chariots, 25 000 bicyclettes.
73. F.-E. Brézet, op. cit., p. 152.
74. Ibid., p. 155.
75. Voir Peter Schenk, Invasion of England 1940. The Planning of Operation Sealion, Conway
Maritime Press, 1990.
76. P. Richardot, op. cit., p. 360.
77. F.-E. Brézet, op. cit., p. 355.
78. Patrick Toussaint, « La Kriegsmarine en opération en mer Noire », 2e Guerre mondiale
magazine, no 34, 2010, p. 56-69.
79. George Bernage et alii, Overlord. Jour « J » en Normandie, album mémorial, Heimdal,
1993, p. 101.
80. F.-E. Brézet, op. cit., p. 67.
81. Archives OKW, Merkblatt für das Verhalten an Bord.
82. B. Laurent, op. cit., p. 313-314.
83. W. Tieke, op. cit., p. 379.
84. Le navire est torpillé le 30 janvier 1945 avec entre 6 000 et 8 500 passagers à son bord.
85. F.-E. Brézet, op. cit., p. 411.
86. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 49-50 ; F.-E. Brézet, op. cit., p. 401-402.
87. X. Tracol, « La vie à bord des U-Boote », article cité, p. 32-34.
88. Lire à ce propos Stéphane Simonnet, Les Poches de l’Atlantique. Les batailles oubliées de
la Libération, janvier 1944-mai 1945, Tallandier, 2015, et Rémy Desquesnes, Les Poches de
résistance allemandes sur le littoral français, août 1944-mai 1945, Ouest-France, 2011.
89. S. Simonnet, op. cit., p. 40.
90. Ibid., p. 91, 197.
91. George Bernage et alii, Overlord. Jour « J » en Normandie, album mémorial, op. cit., p. 98.
92. F.-E. Brézet, op. cit., p. 406.
93. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 17.

6. Les soldats de Hitler et les civils


1. S. Fritz, op. cit., p. 9.
2. N. Stargardt, op. cit., p. 192.
3. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 287.
4. S. Fritz, op. cit., p. 83.
5. M. Moutier, op. cit., p. 232-233.
6. N. Stargardt, op. cit., p. 218.
7. Ibid., p. 225. Cette collecte se réalise sous le sceau de l’antisémitisme : les Juifs de Pologne
n’ont plus le droit de posséder des fourrures.
8. Ibid., p. 183.
9. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 501.
10. N. Stargardt, op. cit., p. 104.
11. Ibid., p. 479.
12. Ibid., p. 65 sqq ; un fond de secours d’hiver qui n’a forcément rien à voir avec celui de
l’hiver qui va suivre…
13. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 532-533.
14. N. Stargardt, op. cit., p. 333.
15. Ibid., p. 223.
16. S. Fritz, op. cit., p. 38.
17. R. Stedman, op. cit., p. 11.
18. S. Fritz, op. cit., p. 80.
19. M. Moutier, op. cit., p. 110.
20. T. Kühne, op. cit., p. 119-120.
21. B. Shepherd, op. cit., p. 387-388.
22. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 141.
23. T. Kühne, op. cit., p. 120.
24. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 142.
25. S. Fritz, op. cit., p. 143.
26. N. Stargardt, op. cit., p. 323.
27. O. Bartov, op. cit., p. 171.
28. N. Stargardt, op. cit., p. 100.
29. O. Bartov, op. cit., p. 169.
30. N. Stargardt, op. cit., p. 229.
31. M. Moutier, op. cit., p. 53.
32. Ibid.
33. T. Kühne, op. cit., p. 121.
34. R. Stedman, op. cit., p. 10.
35. A. Beevor, Stalingrad., op. cit., p. 467.
36. Ibid., p. 287.
37. M. Moutier, op. cit., p. 19.
38. A. von Kageneck, op. cit., p. 170.
39. M. Moutier, op. cit., p. 100.
40. Ibid., p. 237.
41. Ces marins partiront aussi en permission après le retour des premiers permissionnaires.
42. G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 29.
43. H. K. von Keusgen, op. cit., p. 23.
44. R. Stedman, op. cit., p. 11.
45. M. Moutier, op. cit., p. 265.
46. S. Fritz, op. cit., p. 181.
47. M. Moutier, op. cit., p. 230.
48. Hitler a en effet interdit toute évacuation.
49. E. Raus, O. von Natzmer, op. cit., p. 100.
50. Le soldat se voit remettre un préservatif et un désinfectant, ainsi qu’un papier, demandé par
la Feldgendarmerie, sur lequel la prostituée devra indiquer son nom. V. Milano et B. Conner, op. cit.,
p. 51.
51. M. Moutier, op. cit., p. 156.
52. A. von Kageneck, op. cit., p. 141.
53. Les documents relatifs aux permissions des sous-officiers et hommes de troupe sont
conservés à l’état-major de la compagnie. Archives OKW, Urlaub von Wehrmachtangehörigen, Der
Chef des Rüstungsamtes, 6 mai 1944.
54. G. Sajer, op. cit., p. 160.
55. V. Milano et B. Conner, op. cit., p. 56-59.
56. G. Sajer, op. cit., p. 348.
57. E. Raus, O. von Natzmer, op. cit., p. 65.
58. On pense au héros du film, Le Temps d’aimer et le temps de mourir, de Douglas Sirk
(réalisé en 1958).
59. H. K. von Keusgen, op. cit., p. 24.
60. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 448.
61. S. Fritz, op. cit., p. 179.
62. V. Milano, B. Conner, op. cit., p. 59.
63. T. Kühne, op. cit., p. 161.
64. A. von Kageneck, op. cit., p. 96-97.
65. R. Stedman, op. cit., p. 11.
66. G. Sajer, op. cit., p. 194.
67. V. Milano et B. Conner, op. cit., p. 53.
68. R. Hargreaves, op. cit., p. 1, 4-5.
69. B. Shepherd, op. cit., p. 89.
70. Ibid., p. 77.
71. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 22-23.
72. Ibid., p. 202.
73. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 21.
74. B. Shepherd, op. cit., p. 90.
75. Fabrice Grenard, Jean-Pierre Azéma, Les Français sous l’Occupation en 100 questions,
Tallandier, 2016, p. 29.
76. A. Luneau, J. Guérout et S. Martens, op. cit., p. 48.
77. N. Stargardt, op. cit., p. 99.
78. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 50.
79. M. Moutier, op. cit., p. 28.
80. B. Shepherd, op. cit., p. 97.
81. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 55.
82. O. Bartov, op. cit., p. 214-215.
83. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 58.
84. Ibid., p. 97.
85. O. Bartov, op. cit., p. 104.
86. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 23.
87. Ibid., p. 24.
88. B. Shepherd, op. cit., p. 97.
89. F. Grenard, J.-P. Azéma, op. cit., p. 95.
90. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 28.
91. Ibid., p. 82.
92. B. Shepherd, op. cit., p. 97.
93. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 49.
94. Ibid., p. 213.
95. Didier Lodieu, L’Enfer au sud de Caen. L’odyssée d’une division hippomobile allemande :
la 272. Infanterie-Division, t. I, Éditions La Poche de Falaise-Chambois, 2015, p. 29.
96. R. Stedmann, op. cit., p. 29.
97. M. Moutier, op. cit., p. 32.
98. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 71.
99. Friedrich Ruge, Rommel face au Débarquement, Presses de la Cité, 1960, p. 149.
100. Édouard Maret, Claude Paris, 6 Juin. Le Choc, Allemands et Américains se souviennent
des combats, Ouest-France, 2004, p. 31 ; V. Milano, B. Conner, op. cit., p. 40.
101. N. Stargardt, op. cit., p. 128.
102. Georges Bernage, « Débarquement sur Sword, Juno et Gold Beach », Historica, no 75,
2003, p. 65.
103. Fabrice Virgili, Naître ennemi. Les enfants de couples franco-allemands nés pendant la
Seconde Guerre mondiale, Payot, 2014.
104. H. K. von Keusgen, op. cit., p. 37 sqq.
105. R. Stedmann, op. cit., p. 29.
106. Voir Madeleine Bunting, The Model Occupation. The Channel Islands under German
Rules, 1940-1945, Vintage, 1996.
107. B. Shepherd, op. cit., p. 100.
108. S. Neitzel, H. Welzer, op. cit., p. 171.
109. A. von Kageneck, op. cit., p. 92-93.
110. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 63.
111. B. Shepherd, op. cit., p. 98.
112. A. Beevor, D-Day…, op. cit., p. 52.
113. Stargardt, op. cit., p. 326.
114. H. von Luck, op. cit., p. 169.
115. M. Shulman, op. cit., p. 60.
116. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 104-106.
117. A. von Kageneck, op. cit., p. 91.
118. Ibid., p. 92.
119. Anecdote qui m’a été rapportée par mon père, Michel Rondeau, lorsqu’il a été sollicité par
des soldats allemands alors en retraite en Normandie au cours de l’été 1944.
120. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 113.
121. Ibid., p. 154.
122. Ibid., p. 130.
123. Ibid., p. 239. Notamment la mise en œuvre le Jour J des plans « Tortue » (ou
« Bibendum ») et « Vert » visant à paralyser l’arrivée des renforts allemands.
124. Ibid., p. 262.
125. Voir Jeffrey Herf, Nazi Propaganda for the Arab World, Yale, 2009, et Christian
Destremau, Le Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2011.
126. O. Henning, op. cit., p. 218.
127. H. W. Schmidt, op. cit., p. 283.
128. P. Carell, op. cit., p. 508-509.
129. W. Wette, op. cit., p. 25.
130. B. Shepherd, op. cit., p. 51.
131. M. Moutier, op. cit., p. 44.
132. Ibid., p. 23.
133. B. Shepherd, op. cit., p. 122-123.
134. O. Bartov, op. cit., p. 191.
135. T. Kühne, op. cit., p. 140.
136. M. Moutier, op. cit., p. 154.
137. O. Bartov, op. cit., p. 224.
138. M. Moutier, op. cit., p. 36.
139. Ibid., p. 154.
140. B. Shepherd, op. cit., p. 166.
141. Peter Hoffmann, Stauffenberg. Une histoire de famille, 1905-1944, Presses de l’université
Laval, 2010, p. 189.
142. B. Shepherd, op. cit., p. 210.
143. O. Bartov, op. cit., p. 124.
144. B. Shepherd, op. cit., p. 278.
145. O. Bartov, op. cit., p. 118.
146. B. Shepherd, op. cit., p. 360, 371-373.
147. Ibid., p. 488.
148. M. Moutier, op. cit., p. 236.
149. B. Shepherd, op. cit., p. 278-279.
150. T. Kühne, op. cit., p. 144.
151. G. Sajer, op. cit., p. 154.
152. A. von Kageneck, op. cit., p. 126.
153. M. Moutier, op. cit., p. 160.
154. Ibid., p. 161.
155. N. Stargardt, op. cit., p. 165.
156. B. Shepherd, op. cit., p. 147.
157. Ibid., p. 284.
158. M. Moutier, op. cit., p. 37.
159. A. von Kageneck, op. cit., p. 107.
160. O. Bartov, op. cit., p. 105.
161. T. Kühne, op. cit., p. 174 ; la question des crimes sexuels pourra se reporter aux travaux de
Regina Mülhaüser, notamment in Raphaelle Branche, Fabrice Virgili, Rape in Wartime, Palgrave
Macmillan, 2012.
162. G. Sajer, op. cit., p. 203.
163. S. Neitzel, H. Welzer, op. cit., p. 165-166.
164. S. Fritz, op. cit., p. 97.
165. T. Kühne, op. cit., p. 173.
166. G. Sajer, op. cit., p. 262.
167. N. Stargardt, op. cit., p. 426-427.
168. O. Bartov, op. cit., p. 141.

7. Crimes
1. A. Beevor, D-Day…, op. cit., p. 272.
2. O. Bartov, op. cit., p. 222.
3. T. Kühne, op. cit., p. 10-11.
4. O. Bartov, op. cit., p. 11.
5. Ibid., p. 298.
6. A. Luneau, J. Guérout, S. Martens, op. cit., p. 139.
7. W. Wette, op. cit., p. 139.
8. Ces marins seront condamnés et pendus par la justice américaine en août 1945.
G. Williamson, Grey Wolf…, op. cit., p. 41.
9. M. Moutier, op. cit., p. 91.
10. A. von Kageneck, op. cit., p. 108.
11. Ibid., p. 124.
12. M. Moutier, op. cit., p. 139-140.
13. O. Bartov, op. cit., p. 109.
14. Robert Lilly, La Face cachée des GI’s. Les viols commis par des soldats américains en
France, en Angleterre et en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, Payot, 2004.
15. T. Kühne, op. cit., p. 191-192.
16. O. Bartov, op. cit., p. 183.
17. Jacqueline Duhem, Crimes et criminels de guerre allemands dans le Nord-Pas-de-Calais,
Les Lumières de Lille, 2016.
18. Lire Rafael Scheck, Hitler’s African Victims. The German Army Massacres of Black French
Soldiers in 1940, Cambridge University Press, 2006.
19. M. Moutier, op. cit., p. 57.
20. B. Shepherd, op. cit., p. 84.
21. N. Stargardt, op. cit., p. 104.
22. Ibid., p. 99.
23. Selon toute vraisemblance, ce dernier n’est pas à l’origine des massacres.
24. R. Scheck, op. cit., p. 6.
25. Il s’agit des Allemands qui avaient fui l’Allemagne nazie dans les années 1930.
26. S. Neitzel, H. Welzer, op. cit., p. 68.
27. Jean-Paul Cointet, Hitler et la France, Perrin, coll. « Tempus », 2017, p. 378.
28. Gaël Eismann, Hôtel Majestic. Ordre et sécurité en France occupée (1940-1944),
Tallandier, 2010, p. 99, 422.
29. Impliqué dans l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944.
30. Environ 90 000 déportés pour des raisons autres que raciales, d’après la Fondation pour la
mémoire de la déportation.
31. G. Eismann, op. cit., p. 465.
32. B. Shepherd, op. cit., p. 306.
33. G. Eismann, op. cit., p. 39.
34. Ibid., p. 432.
35. B. Shepherd, op. cit., p. 422.
36. Ibid., p. 454.
37. G. Eismann, op. cit., p. 437.
38. Ibid., p. 436-437.
39. Ceux qui travaillaient sur l’île anglo-normande d’Aurigny dépendaient du camp de
concentration de Neuengamme.
40. B. Shepherd, op. cit., p. 424.
41. Ibid., p. 423.
42. G. Eismann, op. cit., p. 451.
43. B. Shepherd, op. cit., p. 454-455, 463.
44. Paddy Ashdown, La Bataille du Vercors. Une amère victoire, Gallimard, 2016, p. 438.
45. G. Eismann, op. cit., p. 445.
46. P. Ashdown, op. cit., p. 447.
47. S. Neitzel, H. Welzer, op. cit., p. 202-204.
48. Hugues Wenkin, « Terreur dans les Ardennes », Ligne de Front, no 31, Caraktère, 2011, p. 7.
49. R. Atkinson, The Day of Battle…, op. cit., p. 492, 499.
50. J.-P. Benamou, op. cit., p. 61.
51. C. Paris, op. cit., p. 38-40.
52. E. Florentin, Stalingrad en Normandie, op. cit., p. 310.
53. A. Beevor, D-Day…, op. cit., p. 320.
54. H. Wenkin, article cité, p. 6-8.
55. Pour les jeunes soldats de Hitler, cette campagne c’est aussi le baptême du feu. Certains
crimes pourraient s’expliquer par le choc de la vision des premiers camarades tués.
56. B. Shepherd, op. cit., p. 49.
57. O. Bartov, op. cit., p. 99.
58. B. Shepherd, op. cit., p. 52.
59. Ibid., p. 54.
60. N. Stargardt, op. cit., p. 38.
61. B. Shepherd, op. cit., p. 57.
62. P. Hoffmann, op. cit., p. 135.
63. M. Moutier, op. cit., p. 24-25.
64. O. Bartov, op. cit., p. 102-103.
65. B. Shepherd, op. cit., p. 56-57.
66. O. Bartov, op. cit., p. 101.
67. S. Fritz, op. cit., p. 55, 57.
68. W. Wette, op. cit., p. 97-99.
69. O. Bartov, op. cit., p. 187.
70. Ibid., p. 108.
71. Ibid., p. 125.
72. Ibid., p. 52.
73. T. Kühne, op. cit., p. 152.
74. B. Shepherd, op. cit., p. 378.
75. N. Stargardt, op. cit., p. 314.
76. G. Sajer, op. cit., p. 149.
77. O. Bartov, op. cit., p. 129.
78. Ibid., p. 134.
79. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 349.
80. Un souvenir de mon grand-père, André Rondeau, prisonnier de guerre français en
Allemagne, qui a été le témoin de la brutalité des nazis envers les Russes.
81. A. Beevor, Stalingrad, p. 505.
82. N. Stargardt, op. cit., p. 313.
83. S. Fritz, op. cit., p. 50.
84. N. Stargardt, op. cit., p. 177.
85. S. Fritz, op. cit., p. 57.
86. O. Bartov, op. cit., p. 8.
87. Ibid., p. 27.
88. Ibid., p. 288.
89. N. Stargardt, op. cit., p. 185.
90. O. Bartov, op. cit., p. 122.
91. G. Sajer, op. cit., p. 75.
92. À savoir le soldat soviétique.
93. O. Bartov, op. cit., p. 128.
94. S. Fritz, op. cit., p. 51.
95. O. Bartov, op. cit., p. 137.
96. G. Sajer, op. cit., p. 390-391.
97. B. Shepherd, op. cit., p. 365.
98. O. Bartov, op. cit., p. 96.
99. T. Kühne, op. cit., p. 149-150.
100. Ibid., p. 151.
101. S. Fritz, op. cit., p. 52.
102. M. Moutier, op. cit., p. 122.
103. Ibid., p. 116.
104. N. Stargardt, op. cit., p. 233.
105. T. Kühne, op. cit., p. 5.
106. P. Hoffmann, op. cit., p. 161.
107. A. Luneau, J. Guérout et S. Martens, op. cit., p. 200.
108. N. Stargardt, op. cit., p. 168-170.
109. Ibid., p. 196-197.
110. O. Bartov, op. cit., p. 138.
111. M. Moutier, op. cit., p. 37.
112. O. Bartov, op. cit., p. 230.
113. W. Wette, op. cit., p. 131.
114. Ibid., p. 111-113.
115. Ibid., p. 119-124.
116. Ibid., p. 133.
117. Ibid., p. 159-160.
118. Ibid., p. 157.
119. Ibid., p. 104.
120. O. Bartov, op. cit., p. 188-189.
121. M. Moutier, op. cit., p. 39.
122. N. Stargardt, op. cit., p. 4.
123. T. Kühne, op. cit., p. 142.
124. N. Stargardt, op. cit., p. 173-175.
125. T. Kühne, op. cit., p. 144.
126. Dans Le Pianiste.
127. M. Moutier, op. cit., p. 131.
128. Voir Mark Mazower, Dans la Grèce d’Hitler, 1941-1944, Les Belles Lettres, 2002.
129. Y. Béraud, op. cit., p. 172-173.
130. O. Bartov, op. cit., p. 234.
131. B. Shepherd, op. cit., p. 352.
132. Ibid., p. 308.
133. Y. Béraud, op. cit., p. 176.
134. B. Shepherd, op. cit., p. 354.
135. W. Wette, op. cit., p. 140-141.
136. Et autant périssent dans les affrontements avec les forces allemandes.
137. B. Shepherd, op. cit., p. 312.
138. O. Bartov, op. cit., p. 8-9.
139. W. Wette, op. cit., p. 110-111.
140. Ibid., p. 142-143.
141. B. Shepherd, op. cit., p. 313.
142. Desmond Young, Rommel, Fayard, 1962, p. 166.
143. J. Herf, op. cit., p. 7.
144. Christian Destremau, op. cit., p. 244-246.
145. Martin Kitchen, Rommel’s Desert War, Cambridge, 2009, p. 278.
146. Ibid., p. 368-371 ; J. Herf, op. cit., p. 89.
147. Kriegstagebuch, division von Broich/Manteuffel.
148. Benoît Lemay, Erwin Rommel, Perrin, coll. « Tempus », 2011, p. 241.
149. W. Wette, op. cit., p. 140.
150. A. Gilbert et IWM, op. cit., p. 121-128.
151. Julian Thompson, Forgotten Voices. Desert Victory, Ebury Press, 2011, p. 276.
152. B. Shepherd, op. cit., p. 342.
153. Le nouveau régime politique italien dirigé par Mussolini après sa libération par Hitler, et
dont le gouvernement fantoche est établi à Salò, dans le nord de la péninsule.
154. R. Atkinson, The Day of Battle…, op. cit., p. 480.
155. B. Shepherd, op. cit., p. 411-416.
156. Ibid., p. 353.
157. A. Beevor, Ardennes 1944, op. cit., p. 74.
158. B. Shepherd, op. cit., p. 514.
159. A. von Kageneck, op. cit., p. 179.
160. N. Stargardt, op. cit., p. 504-505.
161. A. Beevor, Ardennes 1944, op. cit., p. 73.
162. B. Shepherd, op. cit., p. 475.
163. S. Fritz, op. cit., p. 102.
164. Une même tendance vise les fusillés de l’armée française au cours de la Grande Guerre :
certains en viennent à les considérer tous et sans distinction comme des victimes injustement
condamnées.
165. Stephen Harding, The Last Battle. When US and German Soldiers Joined Forces in the
Waning Hours of World War II in Europe, Da Capo Press, 2014.
166. N. Stargardt, op. cit., p. 416.
167. T. Kühne, op. cit., p. 180-181.
168. Documentaire Arte : « Le mur de l’Atlantique. Bouclier des nazis », par Johan Op de
Beeck, 2001.
169. T. Kühne, op. cit., p. 179-180.
170. Ibid., p. 181.
171. O. Bartov, op. cit., p. 165.
172. Ibid., p. 244-245.
173. P. Hoffmann, op. cit., p. 275.
174. Ibid., p. 131.
175. Le plan prévoyait notamment que, alors que le putsch éclaterait à Berlin, la 1. Leichte-
Division bloquerait l’unité de gardes du corps de Hitler, la « SS-Leibstandarte », sur la route de
Munich à Berlin. Ibid., p. 124.
176. James L. Collins (dir.), Les Généraux de Hitler et leurs batailles, Bruxelles, Elsevier
Séquoia, 1980, p. 33.
177. N. Stargardt, op. cit., p. 50.
178. P. Hoffmann, op. cit., p. 159-160.
179. Ibid., p. 139.
180. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 370.
181. Rudolph-Christoph von Gersdorff, Tuer Hitler. Confession d’un officier allemand antinazi,
Tallandier, 2012, p. 119.
182. J. L. Collins (dir.), op. cit., p. 34.
183. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 370-374.
184. P. Hoffmann, op. cit., p. 80-81.
185. Ibid., p. 345.
186. Ibid., p. 70.
187. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 103.
188. Ibid., p. 463.
189. P. Hoffmann, op. cit., p. 195.
190. R.-C. von Gersdorff, op. cit, p. 167 sqq.
191. Ibid., p. 118.
192. Certains évoquent le fait que le système aurait gelé avec l’altitude.
193. P. Hoffmann, op. cit., p. 226.
194. Ibid., p. 274 sqq.
195. Bussche est un des rares comploteurs à avoir survécu à la guerre.
196. P. Hoffmann, op. cit., p. 282.
197. B. Shepherd, op. cit., p. 450.
198. Hans Speidel, Invasion 44, J’ai lu, 1964, p. 135 sqq.
199. P. Hoffmann, op. cit., p. 307.
200. Siège de l’OKH et de l’Ersatzheer à Berlin, où le complot fut mis au point.
201. T. Kühne, op. cit., p. 183.
202. S. Fritz, op. cit., p. 216.
203. B. Shepherd, op. cit., p. 452.
204. A. von Kageneck, op. cit., p. 155.
205. R. Hargreaves, op. cit., p. 156.
206. B. Lemay, op. cit., p. 402, 421.
207. H. von Luck, op. cit., p. 201-202.
208. D. Lodieu, L’Odyssée…, op. cit., p. 10. Tout aussi douteuse est l’affirmation de cet officier
selon laquelle Rommel aurait gardé par-devers lui cette division en réserve : le déploiement et
l’emploi d’une division panzers est du ressort du Führer et, de toute façon, Rommel s’attendait à un
débarquement dans la Somme, ce qui explique le déploiement de cette unité.
209. W. Warlimont, op. cit., p. 259-260.
210. Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945, Nemesis, Penguin Books, 2001, p. 699.
211. S. Fritz, op. cit., p. 216.
212. Ibid., p. 216.
213. O. Bartov, op. cit., p. 242-243.
214. B. Shepherd, op. cit., p. 470.
215. A. von Kageneck, op. cit., p. 163.
216. Ibid., p. 167.
217. Nicolas Pontic, « Wilhelm Canaris. Résistant ou nazi convaincu ? », 2e Guerre mondiale
magazine, no 76, 2018, p. 14-24.
218. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 564-570.
219. Ce qui montre que ces généraux n’étaient pas conscients des conditions atroces de
détention de leurs anciens soldats, qui vont rapidement presque tous disparaître.
220. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 574.
221. Ibid., p. 570.
222. J. L. Collins (dir.), op. cit., p. 39.

8. Après Hitler : la postérité d’une armée controversée


1. W. Wette, op. cit., p. 187.
2. O. Bartov, op. cit., p. 164.
3. P. Padfield, op. cit., p. 554.
4. B. Shepherd, op. cit., p. 519.
5. S. Fritz, op. cit., p. 101.
6. W. Wette, op. cit., p. 209-210.
7. N. Stargardt, op. cit., p. 551.
8. Ibid., p. 553.
9. Frank Bliess, Homecomings : Returning POWs and the Legacies of Defeat in Postwar
Germany, Princeton University Press, 2006, p. 45.
10. N. Stargardt, op. cit., p. 556.
11. A. von Kageneck, op. cit., p. 183.
12. Lire Valentin Schneider, Un million de prisonniers allemands, Vendémiaire, 2013, et Fabien
Théofylakis, Les Prisonniers allemands en France, 1944-1949, Fayard, 2014.
13. Ce charron est mon grand-père, André Rondeau, qui a bénéficié de l’aide d’un prisonnier
allemand qui admettait mal de devoir travailler pour un ancien soldat qui avait été fait prisonnier par
l’armée allemande en 1940.
14. Les conditions d’internement en Allemagne au printemps et à l’été 1945 sont déplorables,
mais elles ne sont pas dues à une volonté délibérée des Alliés de faire mourir leurs prisonniers
allemands, contrairement aux assertions de James Bacque, Morts pour raisons diverses. Enquête sur
le traitement des prisonniers de guerre allemands dans les camps américains et français à la fin de la
Seconde Guerre mondiale, Sand, 1990. L’afflux de millions de prisonniers et les pénuries que subit
l’Europe expliquent les difficultés de la mise en place d’un système d’internement convenable.
15. H. K. von Keusgen, op. cit., p. 223.
16. Daniel Costelle, Les Prisonniers. 380 000 soldats de Hitler aux USA, Flammarion, 1975,
p. 28.
17. Ibid., p. 44-49.
18. Actualités américaines, mai 1943.
19. D. Costelle, op. cit., p. 135-136.
20. Ibid., p. 217.
21. A. C. Hudnall, An Historical Analysis of the Psychological Trauma Suffered by German
Prisoners of War Held in the United States During World War II, Appalachian State University, 2001.
22. D. Costelle, op. cit., p. 5, 37 sqq.
23. Ibid., p. 30.
24. Ibid., p. 50.
25. T. Kühne, op. cit., p. 216.
26. Ibid., p. 276.
27. Edward Shils et Morris Janowitz, Cohesion et Disintegration in the Wehrmacht in World
War Two, Public Opinion Quartely, vol. 12, 1948, p. 280-315.
28. T. Kühne, op. cit., p. 108.
29. O. Bartov, op. cit., p. 23.
30. Cette compilation de 39 lettres est un faux : l’auteur a lui-même forgé bien des passages…
31. Cité par O. Bartov, op. cit., p. 210.
32. T. Kühne, op. cit., p. 222.
33. S. Fritz, op. cit., p. 225.
34. O. Bartov, op. cit., p. 259.
35. T. Kühne, op. cit., p. 241.
36. A. von Kageneck, op. cit., p. 195.
37. G. Sajer, op. cit., p. 352.
38. Ibid., p. 121.
39. S. Fritz, op. cit., p. 226.
40. O. Bartov, op. cit., p. 259.
41. Ibid., p. 290.
42. W. Wette, op. cit., p. 211-212.
43. Ibid., p. 229-231.
44. Ibid., p. 226 sqq.
45. Les Alliés l’ont décidé au cours des conférences de Yalta et de Potsdam : ils s’appliqueront
à dénazifier et à démilitariser l’Allemagne une fois pour toute. Il est donc formellement interdit de
créer des associations d’anciens combattants qui cultiveront ces traditions militaires allemandes.
46. L’OTAN et la RFA datent toutes deux de 1949.
47. T. Kühne, op. cit., p. 220.
48. N. Stargardt, op. cit., p. 567.
49. Maurice Herzog et Daniel Costelle, émission de télévision « Les grandes aventures de
l’Himalaya », TF1, 1981 ; on pense aussi à Heinrich Harrer, alpiniste membre du NSDAP incarné au
cinéma par Brad Pitt dans Sept ans au Tibet.
50. T. Kühne, op. cit., p. 273.
51. W. Wette, op. cit., p. 242 sqq.
52. Ibid., p. 239.
53. T. Kühne, op. cit., p. 272.
54. Ibid., p. 266.
55. Ibid., p. 267.
56. W. Wette, op. cit., p. 224-225.
57. Lire Gerald Steinacher, Les Nazis en fuite. Croix-Rouge, Vatican, CIA, Perrin, coll.
« Tempus », 2018.
58. N. Stargardt, op. cit., p. 565.
59. Ibid., p. 566.
60. W. Wette, op. cit., p. 237.
61. A. Beevor, Stalingrad, op. cit., p. 304.
62. W. Wette, op. cit., p. 258.
63. Ibid., p. 262-263.
64. Rolf Hinze, Crucible of Combat. Germany’s Defensive Battles in the Ukraine, 1943-44,
Helion, 2009, p. 447.
65. W. Wette, op. cit., p. 229.
66. O. Bartov, op. cit., p. 25.
67. F. Bliess, op. cit., p. 50, 68.
68. W. Wette, op. cit., p. 128.
69. O. Bartov, op. cit., p. 199.
70. Ibid., p. 200.
71. Ainsi du mythe des U-Boote de la Kriegsmarine. Voir Stéphane Mantoux, « Les U-Boote.
Du mythe à l’histoire. 2e partie », 2e Guerre mondiale magazine, no 65, 2016, p. 70 sqq.
72. D. Rolf, op. cit., p. 275.
73. Ce qu’elle n’est pas, comme l’a démontré Jean-Luc Leleu, op. cit.
74. L’armée américaine et le GI connaissent presque la même aura auprès d’un large public.
75. Des chansons difficilement acceptées de nos jours dans des pays sortis du joug soviétique
dans les années 1990.
76. Sur les jeux vidéo et le nazisme, au-delà de la référence à la seule Wehrmacht, voir Nicolas
Anderbegani, « Le nazisme dans le jeu video. Enjeux d’une banalisation », 2e Guerre mondiale
magazine, no 74, 2017, p. 15-28.
77. https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/germany/10046415/Nazi-themed-
Wagner-opera-cancelled-in-Germany-after-audience-treated-for-shock.html (consulté le 18 juin
2018).
78. https://www.youtube.com/watch?v=SUMwAvjgb8k
79. https://www.lci.fr/international/japon-des-chanteuses-pop-font-scandale-en-portant-des-
costumes-inspires-d-uniformes-nazis-2010518.html (consulté le 18 juin 2018).
80. Jean-Baptiste Pattier, Vérités officielles. Comment s’écrit l’histoire de la Seconde Guerre
mondiale ?, Vendémiaire, 2012, p. 125-137.
81. Ibid., p. 186.
82. Les déclarations de certains individus appartenant à des groupes de reconstitution, sans
parler de leurs pseudonymes sur Internet, laissent toutefois pantois…
83. Voir Sébastien Hervouet, Luc et Marc Braeuer, 1939-1945, Guide Europe. 1 500 musées,
Éditions Le Grand Blockhaus, 2016, p. 249-280.
84. Un de mes amis de faculté, bas-normand comme moi, avait ainsi échangé quelques
bouteilles en verre vides à un paysan de ses voisins, uniquement préoccupé par sa production de
cidre, contre une tenue complète de Fallschirmjäger demeurée en l’état : casque, blouse camouflée,
bottes de saut…
85. « Ah les crocodiles ! », les animaux sont, dans d’autres versions, dotés de casques romains,
autre armée conquérante passée à la postérité et elle aussi devenue un symbole martial par
excellence.
86. T. Kühne, op. cit., p. 275.
87. Ibid., p. 263. http://www.liberation.fr/planete/1995/06/07/les-jeunes-allemands-boudent-l-
armee-en-1994-126000-appeles-ont-obtenu-le-statut-d-objecteur-de-cons_135318 (consulté le 7 juin
2018).
88. W. Wette, op. cit., p. 172.
89. Ibid., p. 251-252.
90. Erreurs qui, malheureusement, peuvent être mises à profit par les révisionnistes de
l’Holocauste ou, pis, par les négationnistes.
91. T. Kühne, op. cit., p. 274.
92. P. Padfield, op. cit., p. 646, 13-21.
93. B. Shepherd, op. cit., p. XIII.
94. Voir Édouard Husson dans Walther Manoschek (dir.), « La Wehrmacht dans la Shoah »,
Revue d’histoire de la Shoah, no 187, 2007, p. 247-267.
95. O. Bartov, op. cit., p. 25-26.
96. Ibid., p. 202.
97. T. Kühne, op. cit., p. 2.
98. Ibid., p. 280.
99. W. Wette, op. cit., p. 271.
100. O. Bartov, op. cit., p. 175.
101. W. Wette, op. cit., p. 263.
102. Ibid., p. 274.
103. Ibid., p. 276-287.
104. Benoît Rondeau, Rommel, Perrin, 2018.

Épilogue. Le temps de la réconciliation


1. Cf. le témoignage de Hans Höller, « “Nach 70 Jahren wider da.” Le retour du Leutnant Hans
Höller en juin 2014 », Normandie 1944 magazine, no 28, Heimdal, 2018, p. 76 sqq.
2. Archives OKH, Wahrung der Ehre.
Index

Adenauer, Konrad (chancelier) : 1, 2.


Arnim, Hans-Jürgen von (général) : 1, 2, 3.

Bayerlein, Fritz (général) : 1, 2, 3.


Blaskowitz, Johannes (général) : 1, 2, 3, 4, 5.
Blomberg, Werner von (général) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Blumentritt, Günther (général) : 1.
Bock, Fedor von (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Böll, Heinrich (écrivain) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Bormann, Martin (secrétaire de Hitler) : 1, 2, 3.
Bradley, Omar (général) : 1.
Brauchitsch, Walther von (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Busch, Ernst (Feldmarschall) : 1.

Canaris, Wilhelm (amiral) : 1, 2, 3.

Dietrich, Josef « Sepp » (SS-Oberst-Gruppenführer) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

Eisenhower, Dwight David (général) : 1, 2, 3, 4, 5.

Franco, Francisco (dictateur espagnol) : 1, 2.


Fritsch, Werner von (général) : 1, 2.
Führer : voir Hitler, Adolf.

Galland, Adolf (général) : 1, 2, 3, 4.


Goebbels, Josef (ministre de la Propagande) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Goering, Hermann (Reichsmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25.
Grass, Günter (écrivain) : 1, 2.
Guderian, Heinz (général) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18.

Halder, Franz (général) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.


Hartmann, Erich (Oberst) : 1, 2, 3.
Hausser, Paul (SS-Oberst-Gruppenführer) : 1.
Heinrici, Gotthard (général) : 1.
Himmler, Heinrich (Reichsführer SS) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
Hitler, Adolf (dictateur) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23,
24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48,
49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73,
74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98,
99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117,
118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136,
137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155,
156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174,
175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184.

Jodl, Alfred (général) : 1, 2, 3, 4.

Kageneck, August von (Leutnant) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38.
Keitel, Wilhelm (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Kesselring, Albert (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Kluge, Günther von (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.

Liddell Hart, sir Basil (Captain) : 1, 2, 3.


Luck, Hans von (Oberst) : 1, 2, 3.
Lütjens, Günther (amiral) : 1.

Manstein, Erich von (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Milch, Erhard (Feldmarschall) : 1, 2, 3.
Model, Walter (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Mölders, Werner (Oberst) : 1, 2.
Montgomery, sir Bernard (Field Marshall) : 1, 2, 3.

Patton, George (général) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.


Paulus, Friedrich (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Prien, Günther (Korvettenkapitän) : 1, 2, 3, 4.

Raeder, Erich (Großadmiral) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.


Reagan, Ronald (président américain) : 1.
Reinecke, Hermann (général) : 1, 2.
Richthofen, Wolfram von (Feldmarschall) : 1, 2, 3.
Rommel, Erwin (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44.
Rundstedt, Gerd von (Feldmarschall) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.

Sajer, Guy (Panzergrenadiere) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31.
Schmidt, Helmut (chancelier allemand) : 1.
Schörner, Ferdinand (Feldmarschall) : 1, 2, 3.
Seydlitz-Kurzbach, Walther von (général) : 1, 2.
Staline, Joseph (dictateur soviétique) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Stauffenberg, Claus von (Oberst) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Student, Kurt (général) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Suhren, Reinhard « Teddy » (Fregattenkapitän) : 1, 2.

Tresckow, Henning von (général) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.

Udet, Ernst (général) : 1, 2.

Vlassov, Andreï (général) : 1.

Wavell, sir Archibald (Field Marshall) : 1.


Weizsäcker, Richard von (président de la RFA) : 1, 2.

Zangen, Gustav-Adolf von (général) : 1.


Zeitzler, Kurt (général) : 1, 2, 3.
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