Bassin Du Moyen Logone
Bassin Du Moyen Logone
Bassin Du Moyen Logone
Jean C A B O T
i' L E BASSIN
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I D U MOYEN LOCONE
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OFFICE DE LA REGHERCHE SCIENTIFIQUE
1
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ET TECHNIQUE OUTRE-MER
i' . .. -
LE BASSIN
DU MOYEN LOGONE
1
Jean CABOT
Docteur ès Lettres
Maftre de Conférences
B la Faculté des Lettres et Sciences Humaines äe l’université de Tunis
LE BASSIN
DU MOYEN LOGONE
O.R.S. T.O.M.
PARIS
1965
SOMMAIRE
AVANT.PROPOS. ........................................ 5
INTRODUCTION ......................................... 7
PREMIBRE PARTIE :
LE MILIEU NATUREL
Lessols . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... 59
Les sols squelettiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 59
Les sols h sesquioxydes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... 60
Les sols ferrugineux tropicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 60
Les sols hydromorphes ................................. 61
DEUXIRME PARTIE :
TROISIfiME PARTIE :
QUATRIf3hlE PARTIE :
.
CHAPITRE XVII. - Le handicap majeur à surmonter Le problème des voies de commhcations . .... 291
Les multiples projets ferroviaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 292
Le Douala-Tchad et le Transcamerounais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 293
Le Bangui.Tchad . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 293
CONCLUSIONGBNÉRALE .
.................................... 304
ANNEXES........................................... 309
........................................
BIBLIOGRAPHIE 315
TAkLE DES ILLUSTRATIONS TABLEAUX ET PLANCHES ........................ 325
AVANT - P R O P O S
I1 est pour moi très agréable de devoir exprimer ici toute ma gratitude à M. le professeur Jean DRESCH, Direc-
teur de l’Institut de Géographie de la Sorbonne, pour les conseils qu’il n’a cessé de me prodiguer, pour le respect
de la vérité scientifique qu’il m’a inculqué, pour le cordial intérêt qu’il a porté à mes travaux. Tout récemment
encore, il me donnait le plus précieux encouragement en venant arpenter à mes côtés les plaines e t les (( koros 1)
du Logone. Son parrainage actif et chaleureux m’ouvre une dette d’infinie reconnaissance.
Ma pensée émue évoque également la mémoire de M. le professeur Charles ROBEQUAIN qui nous a quittés
après une cruelle maladie. Dès le début de mon entreprise, il ne m’avait ménagé ni ses conseils, ni ses encoura-
gements. Je veux remercier M.le professeur Pierre MONBEIGd‘avoir bien voulu accepter de le remplacer dans la
I direction de mes travaux et d’avoir apporté dans cette mission tant de scrupuleux respect pour une t&che deja
commencée et tant de cordiale sympathie dans ses indispensables conseils.
Les encouragements que j’ai reçus de M. le doyen PAPY,de MM. les professeurs GEORGE,
MARRES,TROCHAIN,
DESCHANPSm’ont été un précieux réconfort.
Je voudrais aussi remercier Mme M. TERS,MM. ROUGERIE et H. ELHAï pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans
l’utilisation des méthodes de géomorphologie en laboratoire.
Ce travail commencé à l’époque où la décolonisation n’était pas encore à l’ordre du jour a reçu, néanmoins,
l’appui matériel de certains administrateurs : MM. F. RIVES,M. DECISIER, Jacques GUILLARD ; qu’ils soient sincè-
rement remerciés de leur aide et de leur compréhension qui ne furent jamais compromettantes pour aucun d’entre
nous.
J’ai toujours rencontré le meilleur accueil des organismes scientifiques installés au Tchad : auprès de
MM. A. BOUCHARDEAU et J. PIAS,directeurs successifs du Centre de Recherches Tchadiennes (O. R. S. T. O. M.),
de MM. J. BARBEAU et J. ABADIE,directeurs du Bureau de Recherches Géologiques et Minières au Tchad, de
Mhf. J.-P. LEBEUFet J. CHAPELLE,directeur et administrateur de l’Institut National Tchadien pour les Sciences
Humaines : qu’ils en soient tous ici remerciés.
Un heureux hasard a voulu que je rencontre à Nîmes M. BOUTEYRE, chargé de recherches à l’O. R. S. T. O. M.,
pédologue averti, dont les travaux sur les sols du moyen Logone ont favorisé une prise de contact et des échanges
de vues fructueux. Grâce à lui, j’ai pu effectuer certains travaux de laboratoire au Service des sols de la Compagnie
Nationale duBas Rhône-Languedoc, où il avait su me ménager un accueil bienveillant. I1 a droit à une mention
spéciale dans le remerciement collectif que j’adresse aux animateurs de cet organisme.
6 JEAN CABOT
I1 me faudrait aussi citer ici tous ceux qui ont droit à mes remerciements pour l’accueil qu’ils m’ont réservé,
le temps qu’ils m’ont consacré! les facilités qu’ils m’ont procurées : Directeurs de secteurs de modernisation rurale,
Directeurs de paysannats, Chefs de village, Chefs de terre, Instituteurs, Moniteurs des écoles de brousse, Paysans,
Pêcheurs, eleveurs tchadiens.
Je ne veux pas terminer cette grande liste de ma dette de reconnaissance sans citer mes élèves du Collège
de Bongor et du Lycée de Fort-Lamy qui m’ont aidé à comprendre et à aimer leur pays, soit en m’accompagnant
sur le terrain, soit en me servant d’interprètes. J’ai retrouvé bon nombre d’entre eux aux postes de commande de
la jeune République du Tchad, et leurs témoignages d’a9ection et de reconnaissance m’ont Bté un encouragement
supplémentaire dans Ia tâche que j’avais entreprises
Enfin, il me faut ici rendre hommage aux organismes sans lesquels la Recherche ne pourrait croître et se déve-
lopper, qui détiennent le (( nerf )) de la culture et qui, à ce t.itre, méritent notre reconnaissance et notre défense
active : le Centre National de la Recherche Scientifique et I’Ofice de la Recherche Scientifique et Technique Outre-
Mer.
INTRODUCTION
Les régions du sud-ouest de la République du Tchad et le nord de la Rbpublique du Cameroun sont les plus
peuplées de tout le bassin tchadien avec une densité moyenne de 11et des densités locales dépassant 100 habitants
au kilomètre carré. Le fait est assez rare en Afrique soudanienne pour mériter attention. Ces fortes densités se
situent en outre dans une zone de contact entre terres exondées et terres périodiquement inondées - comme il
s’en trouve sous les m6mes latitudes depuis les rives du Niger, aux alentours de Mopti, jusqu’au Bahr el Ghazal
Nilotique - zone de contact physique, favorable à de multiples formes d’adaptation de la vie humaine, susceptible
d’utiliser concurremment ou exclusivement l’agriculture, l’élevage, la pêche, la chasse ou la cueillette, zone de
contacts humains aussi par la variété des groupes ethniques juxtaposés ou imbriqués sur un domaine relativement
réduit.
Fortes densités, maintien des structures sociales et des techniques ancestrales, variété des activités et des
genres de vie traditionnels, tout contribue à faire du bassin moyen du Logone une région originale propre à attirer
l’attention du géographe, du sociologue, de l‘ethnographe désireux d’étudier un (( morceau d’Afrique )) authentique.
En effet, l’intérêt de cette étude s’accroit du fait que l’introduction des cultures commerciales a commencé
dans cette région à une date relativement récente. Les structures traditionnelles sont encore conservées dans de
nombreux groupes, et il était possible de tenter une étude dynamique de la région dans l’espace de temps qui sépare
la pénétration coloniale au début du siècle de l’entrée du pays dans l’économie moderne par le commerce né de
l’exportation des produits des cultures nouvelles, d’essayer de faire en quelque sorte le bilan géographique régional
des cinquante années qui séparent le Tchad traditionnel du Tchad en voie de modernisation.
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OUADAï
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100
F
....I 2
O 200 300 km
FIG. 1. - Aire d'affrontement des Royaumes du Soudan Central e t des tribus e kirdi u.
Légende : 1. Zones inondables; 2. Zones exondées des plateaux sableux; 3. Principaux centres Foulbé;
4. Incursions des royaumes soudanais en pays Kirdi. - Nota :Le non2 a Bt(nout!1 est ir reporter ir l'ouest
de Garoua et ct remplacer par : a mago Kebi *,
LE BASSIN D U MOYEN L O G O N E 9
A l’heure où les jeunes $tats africains ont besoin de faire le bilan de leurs possibilités et de leurs handicaps,
il a semblé que la meilleure contribution du géographe pouvait être une étude de (( géographie appliquée à une
région )), ou si l’on préfère, de n géographie appliquée )) consacrée à une région.
I1 est cependant malaisé de fixer les limites de l’aire sur laquelle porte cette étude qui semble pourtant avoir
pour cadre une région naturelle bien définie. Les critères à retenir sont ici contrariés par des faits d’ordre physique,
d’ordre ethnique ou plus généralement humains, par des considérations politiques, qui font se chevaucher les
diverses limites possibles.
Une longue résistance à des voisins pillards déjà organisés a trempé le caractère indépendant et fier des tribus
du bassin du Logone. La manifestation la plus significative de cette résistance fut leur opposition farouche à la
religion des royaumes voisins : l’Islam. Ainsi peuvent se délimiter aisément les n kirdi 1) (païens) des plaines, long-
temps méprisés par les féodaux croyants. Les limites des anciens royaumes du Baguirmi, du Bornou, des lamidats
foulbé de l’Adamaoua sont bordées par des zones encore faiblement peuplées, sortes de (( no man’s land )) au-delà
desquels vivent les lcirdi : berges désertes du Chari entre le sultanat du Baguirmi et le groupe Massa (I ), du
yaérés
bas Logone entre l’empire du Bornou et les tribus Mousgoum ou Kotoko, plateaux boisés de la ligne de partage
des eaux des affluents du Logone et des affluents de la Bénoué entre le Lamidat de Reï Bouba et le groupe Gambaye-
Laka. Ainsi, ces groupes de caractère indépendant, souvent anarchique, se sont trouvés en contact, refoulés dos à
dos dans les régions que la saison utile transforme en marécages impraticables aux cavaliers razzieurs ou sur les
bombements sableux du sud du bassin que la profondeur des nappes hydrostatiques rend difficilement habi-
tables.
Physiquement, le bassin du Logone est affecté d‘un déséquilibre total entre un large épanouissement de son
bassin supérieur et un rétrécissement subit à partir du confluent Logone-Tandjilé où la limite occidentale du bassin
est ramenée à la berge même du lit apparent du fleuve. A partir de ce confluent, le Logone ne reçoit plus d‘affluent,
il n’a que des effluents. A un bassin supérieur (( versant n, s’oppose un bassin inférieur (( déversant )). Si les eaux
échappées sur sa rive droite reviennent finalement au fleuve, la plus grande partie de celles qui s’étalent vers l’ouest
sont perdues pour le système Logone-Chari. Elles appartiennent déjà à un autre bassin versant. : celui du Niger,
qui fait ainsi irruption, en saison des pluies, dans les plaines du moyen Logone jusqu’aux berges mêmes du fleuve.
AU nord de Bongor les eaux descendues des monts du Mandara n’atteignent pas la rive gauche du fleuve. Elles
se mélangent avec ses propres déversements en un vaste marécage : le (( yaéré 1) qui possède à la fois des commu-
nications avec le Logone et un drainage propre en direction du lac Tchad.
Entre la solution restrictive qui limiterait le bassin du Logone à son seul bassin de (( réception )) et la solution
large qui admet les marges (( déversantes 1) du fleuve (déversements limités dans le temps à deux mois au maximumj,
nous avons opté pour la seconde, guidé vers ce choix par des considérations d’ordre humain. Car l’unité historique
des pays du moyen Logone se base sur une tradition de défense contre l’envahisseur islamisé. Elle s’appuie aussi
sur une même mise en valeur des terres, sur une civilisation agraire depuis longtemps adaptée aux nécessités impo-
sées par un climat qui limite la saison utile à quelques mois de l’année et par des sols médiocres qui nécessitent
de longues jachères pour se reconstituer. Sur ce fond de traditions agraires communes se superpose la variété des
activités secondaires nées des conditions locales, des contacts forcés avec les civilisations voisines. Dans la lutte
qui les opposa tour à tour aux assaillants et qui faisait se succéder temps de guerre et temps de paix, des échanges
ont fait évoluer les modes de vie. Ce voisinage a laissé son empreinte par l’emprunt de techniques agraires, guer-
rières ou artisanales. Nous verrons que les groupes ethniques se différencient autant par leurs activités secondaires
que par la langue ou les caractères somatiques.
Mais ces nuances dans les genres de vie n’effacent pas la profonde unité que l’on ressent en visitant successi-
vement les paysans Massa, Toubouri, Moundang ou Gambaye. Le mode de tenure des terres, le mode d’exploi-
tation familiale des champs, les techniques utilisées pour la mise en valeur du terroir, l’habitat même constituent
un fond commun de civilisation africaine, soudanaise ou, pour utiliser le terme consacré par les ethnologues, paléo-
négritique.
(1)NPUSavons adoptÉ les rEgles françaises de phonetique pour transcrire les noms de tribus ou de groupes ethniques, cet ouvrage étant coma-
cré B des regions oh la langue véhiculaire officielle est le Francais.
10 J E A N CABOT
C’est pourtant cette unité qu’est venue rompre la pénétration coloniale de l’Afrique centrale. La rivalité
franco-germanique pour l’accès au lac Tchad, les marchandages diplomatiques de 1911, puis la reconquête de 1915
ont délimité sans aucune logique des territoires où les groupes ethniques sont coupés en deux par une frontière qui,
pour être parfois naturelle, n’en est pas moins fantaisiste. Les Massa, les Mousgoum, les Toubouri, Moundang,
Foublé, Lalra sont devenus au gré des occupants européens : Camerounais ou Tchadiens selon qu’ils se trouvaient
Q l’ouest ou à l’est de frontières fixées autour d’un tapis vert. En adoptant un fleuve comme frontière, les occu-
pants partageaient ?I la fois un cadre physique naturel et une aire de commune civilisation.
Nous avons donc essayé de délimiter une région du moyen Logone qui soit, avant tout, significative du point
de vue humain. Les frontières physiques trop étroites et les frontières politiques conventionnelles en seront parfois
un peu bousculées. Cependant, nous serons parfois amen+ à redonner à ces limites politiques une importance rela-
tive en utilisant les données statistiques établies par les Etats nés du partage africain.
Les limites que nous avons respectées s’inscrivent entre les parallèles 8,50 et 110 nord e t les méridiens 140 à 170
est. Elles suivent à l’ouest la retombée de la chaîne la plus orientale du massif du Mandara pour inclure le piémont
sur lequel s’écoulent les mayos tributaires du yaéré de la rive gauche du bas Logone. Par Maroua, Mindif, Kahlé
et Binder, elles rejoignent le cours du Mayo Kebi Q hauteur des chutes Gauthiot. Elles seront légèrement repoussées
vers l’ouest, pour englober Ia totalité du groupe hioundang jusqu’au lac de Léré. La frontière tchado-camerou-
naise qui traverse le (( no man’s land 1) des plateaux lalra servira de limite du lac de Léré au confluent Logone-M’Béré
en amont de Baïbokoum. De là, nous suivrons encore la frontière entre le Tchad e t la République centrafricaine
jusqu’aux environs de Goré. Les bassins versants du Logone et du Chari sont approximativement suivis par les
limites départementales du moyen Chari e t du Chari Baguirmi à l’est, du Logone et du Mayo Kebi à l’ouest, qui
correspondent approximativement à des limites ethniques. Enfin, au nord, notre enquête humaine ne dépassera pas
les bornes de l’extension du groupe Massa-Mousgoum, au-delà duquel nous rencontrerions les groupes islamisés
des anciens royaumes.
Ainsi délimitée, notre étude exclut au nord les populations islamisées du confluent Logone-Chari, au sud et à
l’ouest les populations montagnardes du Mandara et de l’Adamaoua, mais elle englobe par contre, à l’ouest, les
populations Kirdi des plateaux de Pala et de Lamé, des lacs de Léré et de Tréné qui, pour habiter déjà le bassin
de la Bénoué n’en sont pas moins d’authentiques kirdi du Logone par leurs mœurs et leur genre de vie.
PREMIRRE PARTIE
LE MILIEU N A T U R E L
12 J E A N CADOT
17"
_-----
CARTE N O 1. - Précipitations. - Les hauteurs de pluie sont portées en ordonnées de 100 mm en 100 mm.
CHAPITRE PREMIER
LE CLIMAT
Le rythme de la vie est ici entièrement soumis 6. l’alternance régulière entre une saison des pluies, période
d’intense activité agricole, e t une saison sèche, époque des récoltes, des échanges et des déplacements. C’est donc
au climat qu’il Íaut accorder une place prééminente dans l’étude du cadre physique.
Pour ce vaste ensemble de populations bien adaptées au milieu, mais seulement adaptées, les impératifs
climatiques tissent la trame des travaux et des jours. Si les cultures ont pu bénéficier de la diversité des sols, le
calendrier agricole, à défaut d’aménagements hydrauliques, reste étroitenient déterminé par la répartition des
pluies dans l’année.
L’épandage des eaux de pluie, les déversements des fleuves en crue créent des conditions d’habitat et de
culture auxquelles le paysan noir a appris à se plier et dont il a parfois tiré parti.
Comme sous toutes les latitudes, le faFonnement du relief est commandé ici par les conditions climatiques,
mais de façon tangible, perceptible au fil des années. L’érosion des terres surcultivées, le décapage des cuirasses
ferrugineuses, les défluviations de cours d’eau, la formation de laisses sableuses ou de dépòts argileux sont des
phénomènes annuels renouvelés par l’alternance des saisons des pluies et des saisons sèches.
Sans diminuer l’importance des autres données naturelles du milieu auxquelles seront consacrés aussi les déve-
loppements nécessaires, il a semblé que la prééminence des faits climatiques sur l’ensemble des conditions pliy-
siques auxquelles l’homme du moyen Logone devait s’adapter demandait que la première place leur filt accordée
*
La cuvette tchadienne connaît du sud au nord toute la succession des climats tropicaux à nuance sèche, c’est-
à-dire où prédominent successivement et sans partage une saison sèche et une saison humide. La durée de chacune
des saisons est strictement liée à la latitude. La quantité et la durée des pluies dépendent directement de la position
occupée par les masses d’air qui s’affrontent et se déplacent en suivant la position zénithale du soleil.
La masse d’air continental sec, saharien, qui s’étend sur la Libye et le Sahara, envoie un flux d’ali26 de secteur
nord-est qui souffle durant toute la saison sèche et atteint le sud de la cuvette en Janvier-Février.
La masse d’air maritime humide en provenance du golfe de Guinée fournit un flux de mousson (1)sud-ouest
(il s’agit en fait de l’alizé austral dévié du sud-est au sud-ouest par le franchissement de I’équateur géographique).
Son avancée est maximum en Août au nord du lac Tchad.
Cette masse d’air maritime se glisse en biseau sous la masse d’air continental. L’affrontement des deux masses
détermine la zone de convergence intertropicale ou C. I. T. Celle-ci se déplace du sud au nord et du nord au sud
en suivant, avec un léger décalage, les oscillations zhithales du soleil. Une large bande de direction grossièrement
parallèle se trouve affectte par le passage du C. I. T. L’inclinaison du front de convergence donne ;ila masse humide
pénétrant en coin sous la masse continentale sèche des épaisseurs progressivement croissantes du nord au sud.
A chacune de ces épaisseurs correspond un type de temps caractéristique dont la manifestation se produit chrono-
logiquement sur chacune des zones intéressées par elle.
(I),Nousavons utilisé le terme de mousson plutôt que celui de pseudo-mousson proposé par P. Pedelaborde[ 1958, p. 1721 pour la commo -
dité de 1 exposi..
P
14 JEAN CABOT
Si l'on schématise successivement, du nord au sud, les types de temps caractérisés par le domaine de l'alizé
continental, celui du biseau de mousson et celui de la masse de mousson, on obtient la succession : (fig. 2.)
- domaine de l'alizé sec : ciel clair, cirrus d'altitude, vents de sable ;
- domaine du biseau de mousson : vents de convection, tourbillons donnant tornades sèches; plus au sud :
cumulus et pluies de convection j
- domaine de la masse de mousson : cumulus congestus, orages, lignes de grains.
La succession des types de temps se déroule donc assez régulièrement au cours de l'année. De Novembre à
Mars-Avril, tant que dominent les hautes pressions continentales et le vent de nord-est (harmattan), le ciel est
dégagé de nuages. Mais la violence du vent s'exerçant sur des sols desséchés soulève des voiles de poussière qui
masquent le soleil une partie de la journée. Le degré hygrométrique est très bas, l'évaporation intense. Dès les mois
de Mars-Avril, le sud du bassin est le siège de l'affrontement des grandes masses d'air. La mousson de sud-ouest
qui avance en direction du tropique enfonce son (( coin D sous la masse continentale, provoquant ainsi les premières
tornades sèches, puis les premières pluies de convection. Cette première zone d'instabilité progresse du sud au
nord : de Moundou, où elle se manifeste souvent dès le mois de Mars, à Fort-Lamy, où elle arrive fin Avril, début Mai.
Elle est suivie par la masse épaisse du flux de mousson qui atteint 1 500 m au sol et développe des systèmes
nuageux générateurs de pluies fréquentes (17 jours par mois) et abondantes. Durant trois mois : Juillet, Août,
Septembre, la zone des pluies s'étend sur tout le bassin du Logone. Le total des précipitations décroît régulièrement
de la bordure montagneuse au sud, aux plaines dunaires des abords du lac Tchad au nord (carte no 1).
Dès la fin Septembre, les pluies diminuent en fréquence et en quantité. La masse d'air humide se retire assez
rapidement vers le sud. Le mois d'octobre est encore marqué par quelques orages dus au passage à altitude de plus
LE BASSIN DU MOYEN LOGONR 15
en plus basse du front de convergence intertropicale . A la fin Octobre. seule la masse d’air continental domine le
bassin du Logone. La saison sèche s’installe et débute par l’intense évaporation des eaux epandues pendant la
saison des pluies .
Si l’on compare les manifestations climatiques dans le bassin du Tchad avec celles de la bande soudanienile
qui lui correspond en Afrique occidentale. on constate un décalage des isohyètes vers le sud. I1 semble que la masse
montagneuse de l’Adamaoua et du massif de Yadé retarde la pénétration du flux de mousson en direction du
Tchad . Cependant. ces massifs bénéficient eux-mêmes de pluies très abondantes étalées sur une période plus large
que celle du bassin. le caractère pérenne du réseau hydrographique du Logone en est la conséquence directe .
Ainsi les précipitations commencent-elles plus tard et leur total est moins élevé à latitude égale au Tchad
qu’en Afrique occidentale .
Le réseau des postes d’observation est relativement dense : souvent. chaque poste administratif se double d’un
poste privé dc la société cotonnière .
Le tableau ci-après mêle parfois à des résultats d’observations sur un grand nombre d’années les données
plus brèves de postes récemment installés .
Nombre
Latitude Longitude Altitude Moyenne d‘annies
d‘observation
I1 est difficile de comparer des résultats calculés sur un nombre d’années d’obscrvations différent ; c’est pour-
quoi le nombre d‘années est indiqué dans la dernière colonne. Les moyennes des dix postes cumulant plus de qua-
torze années d’observations peuvent être comparées entre elles. Pour les aulres postes où moins de dix années
d’observations consécutives ont été enregistrées, de fortes variations annuelles peuvent encore venir modifier la
moyenne.
Notons aussi que de nombreuses observations - surtout les premières années d’établissement des postes -
ont pu souffrir d’un défaut d’entraînement de lecteurs inexpérimentés, c’est pourquoi ce tableau est présenté i
titre indicatif avec les données brutes qui ont pu être jusque-là recueillies.
Un fait ressort clairement de la comparaison des chiffres : la pluviométrie décroît régulièrement avec la lati-
tude. De 1300 mm au sud du bassin, les totaux des précipitations s’amenuisent en 450 km d’approche du Sahel
jusqu’à 625 mm à Fort-Lamy. Les courbes isohyètes devraient être grossièrement parallèles, mais quelques nuances
sont à retenir.
La (( cuvette de Moundou )) semble bénéficier d’une pluviométrie supérieure à celle de ses marges : Moundou,
1212 mm, et Bebedja, 1 170, dépassent de plus de 120 mm Deli et Doba situés à l’ouest e t à l’est à une latitude voi-
sine.
Le poste de Guidari, à l’est de Laï, accuse (pour 8 ans), une moyenne de 1221 mm, nettement supérieure (plus
de 150 mm) à celles des postes situés approximativement sur le même parallèle : Laï, Kélo, Pala.
Entre Gounou-Gaya, située au milieu des plaines de la Kabia, et Léré, logé dans le creux des lacs du Mayo
Kebi, existe une différence de 200 mm au manque de L6ré. La station voisine de Mombaroua, à quelques dizaines
de kilomètres plus au nord et à 60 m d’altitude relative, reçoit 150 mm de plus que Léré.
Entre Bongor e t Yagoua, distants de 18 lrm, la différence est de 74 mm pour 5 minutes de degré.
Variations interannuelles
En fait, cette grande régularité dans l’affaiblissement des moyennes des précipitations du sud au nord du
bassin cache de sensibles variations d’une année sur l’autre.
Max. Année Moyenne Nomb. an. Min. Année
- - - - - -
Pianga ............. 1013 55 961 5 868 54
Bongor . .
........... 1150 43 909 17 683 39
Doba. . ............ 1198 47 1 O41 6 867 49
. . . . . . . . . . .
G. G a y a . 1408 54 ,1030 5 937 56
Icelo . . .
........... 1331 56 1064 5 sc4 53
Léré . . .
........... 1080 50 847 7 652 53
Laï. . . .
........... 1506 56 1085 8 94s 51
Tikem . .. . . . . . . . . . . 1156 53 853 9 631 45
Pala .............. 1246 48 1071 14 938 46
Kaélé. ............. 1056 53 794 13 380 45
Moundou ............ 2 470 34 1212 23 1 040 37
Le nombre d’années d’observations n’est pas suasant pour pouvoir dégager un rapport valable entre les années
les moins arrosées et les années de fortes pluies, mais le tableau ci-dessus montre que des variations du simple au
double ont déjà été enregistrées en quelques années d’observations (Kaélé a pu varier dans un rapport de 2,5).
Des variations d’une telle importance ont localement des conséquences sur les activités agricoles. Mais nous
verrons qu’il s’agit de variations extrêmement limitées dans l’espace. Les déficits ou les excès de précipitations ne
sont enregistrés que pour des aires bien circonscrites en liaison avec le cheminement variable d’une année à l’autre
des zones de grains, ou, comme l’on dit ici, des ((tornadesN.
Trois mois de fortes pluies se détachent nettement dans l’ensemble du bassin, avec un total supérieur à 100 mm :
Juillet, Août, Septembre. Le mois d’Août est partout le plus arrosé e t dépasse en moyenne 250 mm. Les graphiques
montrent la progression régulière de l’accroissement des chutes de pluies d’Avril à Août (fig. 3). L’installation de la
saison des pluies dure tout le temps qui sépare les deux passages du soleil au zénith, et le véritable déclenchement
des pluies ne s’opère qu’au moment du second passage. La fréquence et la quantité des précipitations augmentent
alors de façon notable avec 13 à 17 jours de pluie par mois et des chutes quotidiennes pouvant parfois atteindre
et même dépasser 100 mm.
En fait, ce schéma moyen cache, lui aussi, des variations interannuelles très sensibles et des répartitions
mensuelles capricieuses.
LE BASSIN DU MOYEN LOGONE 17
La figure 3 montre les excédents e t les déficits possibles par rapport aux moyennes mensuelles.
PLUVIQMETRIE
500 500
400
300
400
300
r-i I 400
300
+-I I I I
Ainsi Moundou peut recevoir en Mai : 257 mm (1934) ou I S mm (1944), alors que la moyenne est de 112 mm.
Juillet peut varier de 427 mm (1946) à 100 mm (1948) pour une moyenne de 343. Août 1938 a reçu 531,s mm pour
une moyenne inférieure à 300.
BOUSSO, en marge du bassin du Logone, peut enregistrer de plus fortes différences pendant les trois mois de
fortes pluies.
hfas. hh. Moyenne
- - -
Juillet . . . . 415 52 311
Août . ...
. 433 48 399
Septembre... 399 29 161
Par contre, Pala semble bénéficier d’un régime plus régulier. Les écarts possibles y sont plus modestes :
Max. Min. Moyenne
- - -
Juillet . . . . 313 169 241
Août .. . . . 344 137 250
Septembre. . . 286 135 200
Octobre. . . . 286 9 76
Seul le mois d’octobre peut enregistrer des variations très amples selon la rapidité du retrait de la masse de
mousson. Ces variations de précipitations mensuelles d’une année à l’autre s’expliquent par le caractère localisé
des ((tornades1) qui fait varier très sensiblement les totaux de localités voisines et qui donne souvent à la répartition
mensuelle des pluies une fantaisie que seules peuvent expliquer les conditions quotidiennes variables de l’ascen-
sion des formations nuageuses.
I1 est rare qu’une année soit uniformément sèche pour toute une région et tel mois qui s’avère sec pour une
localité ne l’est pas pour la voisine.
Sur le graphique (fig. 4) ont été portés les totaux mensuels comparés de 1953 (année inférieure à la moyenne),
1954 (année supérieure à la moyenne) et la moyenne établie sur cinq ans pour quatre localités sensiblement alignées
sur le même parallèle : Déli, Moundou, Bebedja et Doba.
I1 ressort de cette comparaison que 1953 a été une année de fortes précipitations pour Bebedja qui a
largement dépassé sa moyenne annuelle gr&e à 500 mm de pluies en Août. I1 est à remarquer que ce mois d’AoGt
fut également supérieur à la moyenne iDéli e t iDoba, bien que le total de l’annde ait été déficitaire à Déli et sen-
siblement moyen à Doba.
JEAN CABOT'
a b c
a: année 1953
année 1954
moyenne sur 5 années
300
200
1O0
FIG. 4. - Comparaison des précipitations mensuelles sur deux années et sur Ia moyenne de cinq années.
(Lire Bebedja sous le 30 graphique.)
A Déli, le mois de Juin 1954 très voisin de la moyenne fut encadre par des mois de Mai et de Juillet nette-
ment supérieurs à celle-ci. A Moundou, ce fut l'inverse qui se produisit, tandis qu'à Doba et Bebedja les trois mois
Mai, Juin, Juillet suivaient une progression conforme quoique supérieure à la moyenne.
Ainsi apparaissent des nuances assez accusées dans un régime de pluies qui, au premier examen, semblerait
obéir à un rythme d'une parfaite régularité.
Les variations, les contrastes, les irrégularités sont encore plus sensibles si l'on relève les chutes de pluie
non plus par mois entiers, mais par décades (fig. 5). De très fortes variations se révèlent, en effet, dans les totaux
décadaires successifs d'un même poste ou les totaux d'une même décade dans plusieurs postes voisins.
Alors que Juillet et Août 1954 ont été marqués à Bongor par une &partition équilibrée des pluies entre les trois
décades de ces mois, la deuxième décade de Juillet et la première décade d'Août ont été déficientes à Fianga. A
Gounou-Gaya, fin Juillet et début Août accusaient un véritable trou de sécheresse, tandis que Gagal accusait le
même fléchissement au début de Juillet, mais également au début du mois d'Août.
Ainsi le mois d'Août 1954 n'a été le plus arrosé que pour les postes de Bongor, Gagal et Mombaroua, tandis
que les maxima mensuels furent atteints en Juillet à Fianga et Gounou-Gaya, en Septembre à Karual.
Ces variations locales des précipitations dans le temps et dans l'espace jouent un grand r61e dans
l'agriculture. Nous verrons leurs conséquences sur la vie agricole. Notons déjà l'importance du mois de Juin
et de la première décade de Juillet pour le démarrage du coton. Juin 1954 à Bongor et à Mombaroua, avec
une dernière décade apportant moins de 10 mm de pluies a été néfaste aux plantations. Les autres postes ont
été mieux partagés cette année-là, mais l'examen des graphiques de répartition des pluies pour une autre année
que 1954 ferait ressortir d'autres déficits aussi regrettables pour de nouvelles localités mieux partagées les
années précédentes.
LE BASSIX D U MOYEN LOGONE 19
300
200
-t
I r7
r-w I
100
1, 1
952 mm. 1084 mm.
i
200
~~ ~ ~ ~~ ~
PIG. 5. - Répartition des precipitations par décades (en noir) pour les différents mois de l’ann8e (total en pointillé).
Ce phénomène de localisation des tornades est bien illustré par la comparaison entre les .totaux enregistrés
en deux points différents d’une localité. Certains postes bénéficient de deux points d’observation : ainsi a Doba,
le centre administratif implanté au cœur de l’agglomération et l’usine Cotonfran située à 1 km au nord de la
ville.
1952 Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Total
- - - - - - - - -
Doba Centre ....... O 80,6 74,9 98 173,3 385,9 289,2 61,s 1169
Cotonfran ........ 8,3 83,2 67,2 107,3 208,7 373,3 273,6 132,Z 1 253
1954 Nov
-
Doba Centre ....... O 39 145 244 282 232 117 122 33 1267
Cotonfran ........ O 68 131 237 293 429 198 125 26 1460
A la limite occidentale du bassin, au pied du rebord montagneux du Mandara, la disposition des massifs déter-
mine d’importantes variations dans le régime des pluies. L’exemple des deux stations de Maroua est frappant :
20 JEAN CABOT
Maroua-Salalr (aérodrome sur la route de Garoua à 10 lrm au sud de Maroua) et Maroua-Poste lagriculture) ont
\ v
Les précipitations supérieures à 50 mm sont l’exception. Plus de la moiti6 du total annuel est assurée par
des précipitations de O à 30 mm. Voici la répartition des journées de pluie en fonction de leur intensité pour 1955
à Moundou :
Janv. Féy. Mars Avril Mai Juin Juil, Août Sept. Oct. Nov. Dfc. Total
- - - - - - - - - - - - -
0,l . . ..... o o 1 4 7 13 1S 1s 19 9 O O S9
2 0 . . ..... o O O 3 3 6 1 1 5 7 2 0 0 3 7
30 . . ..... O O 0 3 0 1 4 0 3 3 0 0 1 3
50 . . ..... O O 0 1 0 0 1 0 1 0 0 0 3
Les pluies inférieures à 0,1 mm n’entraînent aucun ruissellement. Fréquentes pendant la saison des pluies, elles
résultent de la saturation de l’air en vapeur d’eau, presque constante de Juillet à Septembre. Mais ïes
pluies moyennes tombent sous forme de grains baptisés ici tornades, souvent au cours de l’après-midi. Leur rayon
d’action est de 20 à 50 km, ce qui explique la répartition très localisée des pluies pour une même journde. Leur durée
peut être de quelques minutes à plusieurs heures. Les chutes sont brutales et entraînent un ruissellement carac-
téristique en rill-wash sur les étendues subhorizontales.
Les pluies de forte intensité n’ont pas les mêmes conséquences selon la periode de l’année où elles se produisent.
Elles sont plus néfastes à la conservation des sols lorsqu’elles se produisent en début de saison, au moment où les
tcrres déjà houées, prêtes aux semences, ne bénéficient d’aucune couverture végétale et ne sont pas fixées par
l’enracinement des cultures. A ce titre, les fortes tornades du .mois d’Avril aggravent fortement I’érosion des
terres en pente clans le sud du bassin.
LE BASSIN DU M O Y E N LOGONE 21
HYGROMÉTRLE
L’humidité de l’atmosphère est étroitement dépendante du régime de mousson. Les maxima sont atteints
durant la saison des pluies. Mais, en toute saison, c’est en début de matinée que la teneur de l’air en vapeur d’eau
est la plus élevée, tandis que les minima s’enregistrent en milieu de journée. Entre le nord et le sud du bassin des
différences sensibles (surtout en saison sèche) soulignent le caractère progressif de l’assèchement du climat (fig. 7).
HYGROMETRIE
90 90 90
80 80 80
70 07H 70 70
60 60 60
50 07H
50 50
19H
40 40 07H 40 19H
30 30 30
13H 19H
20 20 20 13H
13H
10 10 10
o/
% /o %
MOUNDOU PALA BOUSSO
En saison sèche, l’humidité matinale n’est jamais inférieure h 60 % iMoundou, tandis qu’elle s’abaisse nette-
ment au-dessous de 40 yo à Pala et Bousso. Les différences sont moins grandes entre deux postes en milieu de
journée. L‘hart hygrométrique entre 7 h e t 13 h en Fbvrier est de 40 % à Moundou, alors qu’il n’est que de 10 % à
95 yo à Pala e t Bousso.
Les écarts de saison des pluies soulignent moins de différence entre les stations. Partout l’hygrométrie
niatinale dépasse 90 % en Juillet, Août, Septembre,
clle ne s’abaisse pas au-dessous de 65 % aux heures 100
les plus chaudes de la journée.
C’est en fin de saison sèche, au moment des
températures diurnes les plus élevées, que la teneur
clc l’air en vapeur d‘eau est la plus faible : en 80
Février à Moundou, Pala, Bousso ; en Mars h Fort-
Lamy. Le relèvement de la teneur en vapeur d’eau
précède les premières pluies. 60
Les valeurs moyennes superposées nous mon-
trent (fig. 8) la réduction de l’étalement des jours
humides au cours de l’année du sud au nord du
bassin. Ainsi l’humidité est supérieure à 60 % de 40
moyenne à Moundou de Mai à Novembre, & Pala de
Juin à Octobre, à Fort-Lamy de Juillet à Septembre
seulement. 20
En 1947, à Tikem, pour une pluviométrie de 860 mm, il a été enregistré une évaporation de 2 205 mm.
En 1953, à Bogo, l'évaporation était de 3 O00 mm.
filais comme le souligne A. BOUCHARDEAU, des réductions notables devraient intervenir, car sur une nappe
vaste se forme une couche d'air saturé, tandis que sur la masse réduite d'un bac. l'air sec vient constamment
remplacer l'air humidifié.
Compte tenu de cette restriction, les chiffres de l'année 1956 ont été de 3 213 mm à Fort-Lamy pour une
moyenne de 3 576 (1935-1950) et de 4 3.15 mm à Maroua SalaIr pour une moyenne (1950-1953) de 3 535 mm.
A la surface du lac Tchad, elle a été évaluée à 2 000-2 300 mm (BOUCHARDEAU, 1958).
L'importance de l'évaporation libre permet de supposer le rôle de l'évapo-transpiration de la végétat.ion et des
pertes de saison sèche au niveau des nappes phréatiques. L'assbchement de certains puits des cuvettes inondables
dès les mois de Mars-Avril confirme l'intensité de l'évaporation indirecte qui explique la grande misère de certaines
tribus qui, aprEs trois ou quatre mois de défense contre l'inondation généralisée, sont cependant soumises à la
quête d'une eau raréfiée durant les derniers mois de la saison sèche.
Dans ces conditions d'aridité, toute culture sèche est impossible. Seules les populations qui disposent de terres
libérées tardivement par la crue ou celles qui habitent au niveau de la nappe d'infiltration des eaux du fleuve
peuvent se permettre de pousser leurs cultures au-delà de l'arrêt des pluies.
LES VENTS
Les renseignements sont encore fragmentaires. Certains aérodromes sont équipés d'un anémomètre, mais
seuls les postes de Fort-Lamy, Moundou et Fort-Archambault sont assez anciens pour fournir des moyennes étalées
sur un nombre d'années suffisant (six ans, 1951-1956). A titre de comparaison, nous avons retenu les données de
cinq stations pour la seule année 1956.
Les roses des vents ci-contre ont été établies en portant sur chaque axe une longueur proportionnelle au pour-
centage du nombre de jours où le vent a soufflé de la direction considérée. Le cercle qui accompagne chaque
croquis donne en blanc le pourcentage du nombre de jours calmes pour le poste (vitesse du vent inférieure à 1 m/sec).
D'une façon générale, le pourcentage des jours calmes augmente du nord au sud. La moyenne s'établit à
13,5 % 4 Fort-Lamy, 58 % à hJoundou et 62,5 % à Fort-Archambault (fig. 9).
N
61 N
A J:..
.:.:.:.:.:.:.*
:.s.>:
..........
_..................._
.*.*...*.....7.
t- N
I
F" LAMY ,MOUNDOU FT ARCHAMBAULT
Moyennes 1951-56
1 7 1 ~ . 9. - Direction et intensité des vents-Bfoyennes 1951-56 - La réserve blanche du cercle indique le pourcentage de jours calmes dans l'annbe.
Les vents de sud à est correspondant au souffle de mousson en saison des pluies (Mai-Juin à Septembre-Octobre)
ont sensiblement la même fréquence dans tout le bassin, plus ou moins déviés suivant le site et la situation du poste
L E BASSIN DU M O Y E N LOGONE
23
considéré. Mais leur part dans le total des vents reçus varie fortement du sud au nord du bassin, l’influence des
vents de nord-ouest à est s’accroît avec l’approche du Sahel. A Moundou, les deux influences s’équilibrent. A Fort-
Lamy, au contraire, les vents de secteur sud i ouest ne représentent plus que le tiers des influences nord-ouest à
N
4 N N
t t
. . , .
MAROUA KAELË
1956 1956
est. L’harmattan et ses composantes s’y font sent.ir durant toute la saison sèche, tandis que Moundou n’en reçoit
qu’une faible part. On devine l’importance de ces vents secs pour la partie septentrionale du bassin où la couverture
végétale se fait de plus en plus lâche. Ces vents générateurs de voiles de sable presque permanents en .Janvier,
Février, Mars apportent les germes d’infection propagateurs de la méningite qui fait d‘importants ravages en
fin de saison sèche.
Ainsi, ti Moundou, on compte 212 jours calmes, tandis que Fort-Lamy n’en a que 49. Ces variations dans la
fréquence des vents en fonction de la latitude sont encore plus rapides que celles de l’abondance des précipitations.
Les donn6es de 1956 montrent la constance des vents regus à Fort-Lamy (fig. 10) par rapport à la moyenne
(fig. 9). Elles accusent, au contraire, pour Moundou, les influences méridionales (augmentation des vents de sud-
ouest et ouest, diminution des vents de nord à est). A Fort-Archambault, 1956 a été une année d‘intensité supérieure
à la moyenne pour toutes les directions, et le pourcentage des jours calmes a été de 44 contre une moyenne de 62,3.
Les roses des vents de Maroua (fig. 11)et Kaélé présentent deux ou trois directions dominantes qui résultent
de la déviation des vents par les reliefs environnants. Arrêtés par ces écrans montagneux, les vents de certaines
directions (nord-est pour Maroua; nord-est et est pour Ra&) sont déviés et canalises selon une seule dominante.
Le fait est particulièrement net pour les directions nord e t sud-ouest à KaElé.
Dans l’ensemble, les vitesses enregistrées ne sont pas très &levées.hIBme à Fort-Lamy, la violence du vent ne
dépasse pas 15 m/sec (moins de 55 Irm/h). Les vitesses les plus courantes se situent de 2 à 4 ni/sec (de l’ordre de
10 km/h). Elles sont sensiblement constantes toute la journée (3 observations par jour : 6 li, 92 h, 18 h).
A Moundou, les vitesses supérieures à 7 m/sec sont extrêmement rares (1fois en 1955).C’est vers le milieu de la
journée que le vent souffle le plus fort (10 km/h), mais il retombe en fin d’après-midi. Les relevés de 18 h sont
inférieurs à 1m/sec pour plus de 21 jours sur 11mois (Janvier 18).
LA TEMPgRATURE
Les températures sont caractéristiques de chaque saison ; en saison sèche, l’air continental est sujet à de fortes
variations diurnes : la température monte jusqu’au milieu de l’après-midi, puis s’abaisse fortement dans la nuit,
grâce au rayonnement. Les journées peuvent être chaudes, les nuits fraîches permettent au corps humain de récu-
pérer (1).Au contraire, l’air humide de la saison des pluies n’est pas sujet à ces variations diurnes de grande ampli-
tude, la température est alors plus constante et ne s’écarte guère d‘une moyenne de 270. Mais la forte hygrométrie
qui règne alors rend ce régime plus difficile à supporter que celui de saison sèche, car le corps baigne dans une sorte
de touffeur humide et chaude 24 h sur 34.
450
40
35
30
25
20
15
10
FIG. 12. -
Températures : la courbe centrale indique la moyenne annuelle. Les lignes brisées indiquent les moyenne?
mensuelles des Maxima et dcs Minima. Les points indiquent les Maxima et Minima absolus. (Pala sur l‘t ans,
Fort-Lamy sur 16 ans, ßousso sur 17 ans et Moundou sur O3 ans),
Nous disposons de relevés suivis sur plusieurs années pour les stations de Fort-Lamy, BOUSSO,
Pala et Moundou
qui encadrent assez exactement le bassin du Logone tel que nous l'avons délimité. Ils permettent de constater
(fig. 12) :
Pour tenter une comparaison du climat du bassin du Logone avec les climats types des classifications proposées
par les auteurs, il est nécessaire de calculer le nombre de mois de l'annke consid6rCs comme secs. M.A. AUBRÉVILLE
a fait la critique des différentes formules utilisées pour cette détermination. Les critères retenus varient, suivant
les auteurs, e t les chutes de pluies minima estimées nbcessaires B la survie de la vkgetation varient entre 35 et 66 mm.
M. -4.AUBRÉVILLE a adopté comme limite 30 mm qu'il estime en dessous de la valeur véritable, mais qui correspond
à une certitude : (( au-dessous de 30 mm la végétation forestière accuse cette sécheresse par le flétrissement de ses
feuilles 1) (1949, p. 68).
Dans la classification des climats qu'il propose ensuite (1949, p. 103-190), la rkgion du Logone se classe d8s
Moundou dans le climat sahélo-soudanien avec une température moyenne de 27,20, une moyenne des niinima de
26 fEAk Cabo$
2040, une moyenne des maxima de 340, une amplitude thermique moyenne de 6,50 et 1200 mm de précipitations.
Cependant, l’usage des moyennes annuelles de minima e t de maxima nous semble sujet à caution et peu probant.
Les mêmes moyennes pourraient être obtenues avec des minima et des maxima à écarts plus accentués.
Les conventions proposées par MM. F. BAGNOULS et H. GAUSSENpermettent de serrer la réalité de plus près
en liant précipitations et température. Sont réputés mois secs ceux dont le total des précipitations exprimées en
millimètres est égal ou inférieur au double de la température exprimée en degrés centigrades (P <
2 T). La (( période
sèche )) est une suite successive de mois secs.
Les courbes ombrothermiques obtenues par ce procédé permettent de classer hfoundou, Pala et Bousso dans
les régimes thermoxérochiméniques accentués (période sèche de 159 jours à Moundou, aucune moyenne mensuelle
de température inférieure à 150). Fort-Lamy est déjà dans les régions à climat subdésertique avec une période sèche
de 220 jours (fig. 13).
1300
J F M A M J J A S O N D J F M A M J J A S O N D
300
200
1O0
400 80
30 60
20 40
10 20
O mm
J F M A M J J A S O N D J F M A M J J A S O N D
PALA FT LAMY
FIG. i3.- Courbes ombrothermiques d’aprk la formule de Bagnouls et Gaussen. Sont réputés secs les mois
où la courbe pluviométrique prend des valeurs infbrieures à la courbe thermométrique. Cettc dernikre
est construite sur une échelle double de la précédente (100 C ayant la m2me ordonnée que 20 mm
de pluie).
LE B A S S I N D U MOYEN LOGONE 21
Les graphiques soulignent l’allongement de la période sèche du sud au nord du bassin : Moundou 6 mois,
Pala 7 mois, Bousso et Fort-Lamy 8 mois.
Comme nous l’avions déjà remarqué, la courbe de Pala accuse un régime de saison des pluies-mieux étalé que
celui de Moundou situé plus au sud. Les précipitations des mois humides ne dépassent pas une moyenne de 250 mm,
mais cinq mois reçoivent plus de 100 mm. Le phénomène peut s’expliquer par la situation de Pala au débouché
du fossé de la Bénoué par lequel les influences de mousson se font sentir plus régulièrement que dans la cuvette
de Moundou.
*
Ainsi, du sud au nord du bassin s’opkre le passage progressif d’un régime climatique h saison des pluies unique,
fournie et étalée sur six mois, régime que nous pouvons qualifier de tropical sec avec E. D E MARTONNE ou thermoxé-
rochiménique avec F. BAGNOULS et H. GAUSSEN,à un climat sahélien ou subdésertique où la saison des pluies ne
dure plus que trois mois, avec des précipitations réduites à la moitié de ce qu’elles sont au sud.
L’alternance d‘une saison des pluies et d’une saison sèche, l’affaiblissement des précipitations du sud au nord
vont se répercuter sur le régime hydrologique des fleuves avec netteté.
Cette influence est d’autant plus forte que le caprice du relief a orienté le cours de ces fleuves du sud au nord
de la cuvette tchadienne, d’une zone méridionale montagneuse où le drainage est bien organisé, vers le centre
d’une dépression endoréique que les alluvions comblent rapidement, favorisant l’épandage des eaux et les déflu-
viations fréquentes à proximité d’un seuil soumis à un écoulement exoréique.
Les cultivateurs ont donc à subir doublement les conséquences du climat : d’une part, le régime des pluies
limite étroitement le calendrier de leurs activités agricoles ; d‘autre part, il leur faut tenir compte des conséquences
hydrologiques de ce climat qui, par le caprice du relief, les voue à une existence amphibie à la limite des terres
exondées e t des dépressions inondables.
Les répercussions des conditions climatiques sur la santé des populations sont également importantes : le
vent d‘harmattan qui se déchaîne au cours de la saison sèche est un dangereux propagateur d’épidémies. Les basses
températures des matinées de Décembre à Mars sont souvent responsables des pneumonies dont meurent les jeunes
enfants, et même les adultes, démunis de vêtements de protection et de couvertures.
I1 conviendrait maintenant d‘étudier le modelé du relief, hérité dans sa plus large part des variations clima-
tiques qui se sont succédées depuis la fin du Continental Terminal. Nous ferons pourtant place d’abord à l’hydro-
graphie, car c’est elle qui fait (( sentir )) le relief de ces étendues uniformément planes. Dans la plus grande partie
du bassin, c’est l’inondation annuelle qui tranche entre I’exondé et l‘inondé, entre l’habitable et l’inhabitable.
C‘est elle aussi qui marque certaines limites à la végétation. C’est pourquoi nous l’étudierons d’abord.
CHAPITRE II
L’HYDROGRAPHIE
Depuis les travaux de la Commission Scientifique Logone-Tchad commencés en 1948, le bassin du Logone
est mieux connu (1). On sait, en particulier, que l’apport principal au Logone est dû à la Wina (ancien Logone
occidental). C’est donc cette branche et elle seule qui mérite le nom de Lbgone supérieur. Notons au passage que le
terme (( Wina )) a une valeur géndrique sur le plateau de Ngaoundéré, où il sert à désigner les cours d’eau d‘une façon
générale. I1 n’y a aucune raison non plus de désigner la Pendé sous le nom de Logone oriental.
Dans le sud du bassin, deux noms génériques servent également ;idésigner les cours d’eau. Est appelé (( kou 1)
toute vallée à drainage temporaire de saison des pluies, tandis que le mat (( nya 1) désigne un cours d’eau permanent.
Pour distinguer les korc et les nya les uns des autres, le plus commode est de leur accoler un génitif désignant un
village important situé sur leur cours ou à leur confluent avec un autre cours d’eau.
D’une façon générale, les rivières sont difficiles à désigner. Elles portent le nom qu’un voyageur leur a donné
après s’être renseigné auprès de l’habitant. I1 suffit de changer de tribu pour que la rivière change, elle aussi, de
nom. L’exemple le plus frappant est celui du Ba-Illi du nord, celui qui se forme aux environs de Deressia-”Gam
pour rejoindre le Logone à Logone Gana, Nous h i voyons porter successivenient une dizaine de noms. Les Icabalaye
de Deresda l’appellent (( Baïbera fi OU (( Bandoua 1). Pour les Kouang de N’Cam, il est (c Marba s, puis (( Motaya ))
pour ceux de blartchamaye, I1 devient u Ba-Illi )) entre Manil et Dangdou, puis (( Ba-Manie 1) à Soudio. Dans la même
région, il est aussi (c Polona 1) pour les Massa. 11 devient (( Ougandar 1) à Gama Massa chez les Goumeye, puis les
Bahiga de Loutou l’appellent (( Malfaye n. Nous l’avons souvent désigné sous ce nom pour le distinguer du Ba-Illi
de BOUSSO, affluent du Chari.
Long d‘environ 1 O00 km,le Logone prend naissance dans les monts de l’Adamaoua au Cameroun, E‘I 1200 m
d’altitude, dans la region de NgaoundCrk. SOUSle nom local de Wina - OU Vina -il pénktre PU Tchad et reçoit la
Mb&é grossie de la Ngou E’I quelques kilomètres ea amont de Baïbokoum, puis quelques kilomètres plus lain il
reçoit la Lim. Ces trois affluents descendent des monts de Yadk, prolongement oriental de l’Adamaoua. Ainsi se
trouve constitué le Logone dit c occidental 1) qui ne recoit plus d’affluent inlportant jusqu’à son confluent avec la
Pendé. La Pende, issue, elle aussi, des monts de Yadé, est grossie de la nya Balcassi. Comme le hgoile, la Pendd ne
reçoit aucun affluent de rive droite, il semble même que son tracé entre Bébo et le confluent soit récent et reooupe
un ancien écoulement général orienté sud-ouest-nord-est dont les affluents du Mandou1 conservent le tracé (2).
Après le confluent, le Logone n’a plus qu’un affluent aussi modeste que tardif ; la Tandjild, issue des plaieaux
Ialta5 e t qui le rejoint & firé.
Sur les 400 km qui lui restent à parcourir jusqu’au Chari, le Logone ne reçoit plus aucun affluent. Seules lui
reviennent, pai* l’intermt5diaire du Ba-Illi-Malfaye A droite, de la Logomatia à gauche, les eaux kchappées de son
BESLON,RODIER.
(1) Les travaux sont cités dans la bibliographie sous le nom des auteurs. Voir en particulier : BOUCIIARDEAU,
(2) Pour ce chapifre et les suivants se referer B la carte n o 5 en hors texte entre les pages G8 et 69.
3
30 JEAN CABOT
lit majeur par de nombreux effluents. Les (( mayos 1) descendus des monts du Mandara n’atteignent pas le Logone
e t mêlent leurs eaux dans le vaste (( yaéré )) qui s’étend sur la rive gauche, de Yagoua au lac Tchad (fig. 14).
Ainsi le bassin))du Logone peut-il etre découpé en deux zones distinctes :
- un ((hautbassin versant )) qui collecte les eaux des branches constitu-
tives, encaissées dans les hautes vallées des massifs granitiques de la bordure
montagneuse méridionale ou dans les formations de piémont, jusqu’à
hauteur du parallèle de Laï j
- un (( bassin inférieur )) où les hautes eaux du fleuve coulent à un
1100 niveau supérieur à celui des plaines alluviales qui constituent son cône de
déjection et où les déversements deviennent la caractéristique principale de
l’hydrographie. Les eaux épandues alimentent de vastes marécages et
1 000 diffluent en courants ou en nappes. Une partie de ces eaux est collectée à
nouveau au profit du fleuve et se dirige vers le lac Tchad, mais une
quantité importante évaluée à 400 millions de mètres cubes lui échappe,
900 définitivement chaque année, sur sa rive gauche et par la Kabia, le Mayo
Kebi et la Bénoué va rejoindre le Niger.
800
700
600
500
a
z
400
300
200
O 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1 O00 km
FIG.14. - Profìl en long du Logone et de ses amuents et figuration des reliefs encaissants (fichelle : distances 1/5 O00 000, hauteurs 1/6 666
I1 s’abaisse encore en aval de Laï dons la zone des déversements latéraux qui, par épandage, favorisent Yévapo-
ration et la fuite des eaux du fleuve.
Les bassins versants respectifs du Logone et de la M’Béré couvrent une superficie de 14 400 et 7 750 km2.
Étalonné à Baïbokoum, le débit de ces deux bassins versants (22 200 km2) fournit une moyenne annuelle estimée
à 280 malsec avec des débits moyens supérieurs à 900 m3/sec en Août e t Septembre, retombant à 20 m3/sec en
Rlars et Avril.
L’apport de la Lim étalonné à Ouli-Rangala donne pour un bassin versant de 4 370 kmz un débit,
moyen annuel probable de 65,4 m3/sec avec des débits moyens extrêmes de 250 m3/sec en Septembre et 4 m3/sec
en Mars.
Ainsi à Moundou, le bassin versant des trois branches mères occidentales (34 900 km2) présente un débit
moyen annuel de 365 m3/sec avec
un débit maximum de 1380 malsec
CRUE 1953
en Septembre et un débit d’étiage
moyen de 40 m3 en Avril.
L’apport de la Pendé, compa-
rable à celui de la Lim, est à Bégou- m31sec
ladjé, à la sortie des massifs cris-
tallins, de 67,5 m?/sec en moyenne
par an, le maximum d‘Août et Sep-
tembre apportant un debit moyen de
235 m3/sec pour un minimum d’étiage 1500
de 6,5 m3/sec en Avril sur un bassin
versant de 5 800 km2.
La propagation de la crue accuse )PICOR
un léger retard à Laï où le maximum
n’est plus qu’en fin Septembre ou au
début du mois d’octobre. L’ensemble
du (( haut bassin versant )i, tel que
nous l’avons défini ci-dessus, est à
1 O00
Laï de 60 320 km2. L’étalonnage des
débits calculé sur six ans (1948-1953)
donne une moyenne annuelle de
483 m3/sec avec maximum en Octobre
de 1400 malsec et minimum en
Avril de 45 m3/sec. Le volume annuel
écoulé correspond à 15 230 millions
de mètres cubes.
La grande crue annuelle du 500
fleuve ne commence guère avant
Juillet. Avec un léger décalage sur la
généralisation des pluies à tout le
bassin, le débit du fleuve augmente
lentement en Juin et au début de
Juillet. I1 atteint 500 m3/sec à la
mi-Juillet, successivement à Laï,
Bongor, Koumi, Katoa, marquant AOUT SEPTEMBRE OCTOEß,E
un décalage de un ou deux jours O
sur chaque poste. La crue passe par
un palier au début d’Août autour FIG. 15. -Profil des debits journaliers du Logone en 1953 (d’aprbsla C.S.L.T.).
de 1000 m3/sec. Elle accuse même
parfois une chute de débit pendant la première quinzaine d’Août, correspondant à un défaut d‘alimentation du
haut bassin soumis à la petite saison sèche de type oubanguien. Le flot remonte ensuite régulièrement et rapidement
au-delà de 1 700 m3. La pointe de crue se situe généralement fin Septembre, début Octobre. Les déversements du
bassin inférieyr se généralisent aussi bien sur la rive droite du fleuve (Sategui, Ham, Bongor, Koumi) que sur la
rive gauche (Eré, Domo, Tsébé). Les débits comparés du fleuve à Laï, Bongor, Koumi et Katoa font ressortir le rôle
de laminage de la crue réalisé par ces déversements. (Graphiques : crue 1953, crue 1954. La crue de 1954, très forte
A Laï, plus de 2 500 m3/sec en Septembre et Octobre, se répercute à Katoa sous un volume peu différent de la faible
crue de 1953 : 1 100 à 1 200 m3/sec). (Fig. 15 et 16.)
32 J E A N CABOT
CRUE 1954
m3/se
.!!.
.: :.
6 .
2 50 . .
..* ....
I :
.: :. ...
... .... ..::.
.
2:
. ::.:
2 O0
150
I
,L KOUMl
1O0
50(
Les conséquences d‘ordre physique, humain et économique de l’importance des déversements dans le bassin
du Logone exigent de consacrer une place à leur description.
Sur la rive gauche, le plus connu de ces déversements est sans aucun doute celui du coude d’gré en direction
de la dépression Toubouri, elle-même tributaire du mayo Kebi et, par celui-ci, de la Bénoué et du Niger. Les résul-
tats de la mission Tilho avaient laissé craindre une capture rapide du Logone par le mayo Kebi. Les travaux de la
Commission Hydrologique du Logone et du Tchad ont été plus rassurants. En fait, durant quinze à vingt jours,
c’est bien un flot de 150 m3/sec qui franchit la berge de rive gauche du Logone en amont du village d ’ h é , mais
aucune trace d’érosion ne se manifeste sur le seuil franchi par ces eaux. Cependant, le sapement de la berge sur
laquelle est bâti le village d’Éré, estimé à un recul de un mètre par an, est un fait important et, même s’il ne doit
jouer un rôle qu’à l’échelle des temps géologiques, il peut être le facteur décisif de l’ablation du seuil. A hauteur
du village de Bongor, une communication s’établit aux hautes eaux entre la nappe d’inondation du fleuve e t celle
du lac de Fianga (Toubouri-nord) par-dessus le seuil de Domo. En fait, il s’agit de la jonction de deux nappes
sensiblement au même niveau et l’on ne peut parler vraiment de déversement ; en revanche, le fait est d’un intérêt
économique certain.
A quelques kilomètres à l’aval, à Tsébé, commencent les déversements qui alimentent non plus la dépres-
sion Toubouri, mais le (( yaéré )) du nord Cameroun par les (( mayos )) (mal nommés puisqu’il s’agit de diffluences)
Guerléo, puis Logomatia. Une partie des eaux déversées revient au Logone ; la partie non évaporée est drainée
en direction du lac Tchad.
Les déversements de la rive droite, pour être moins connus n’en sont pas moins importants. De Laï à Katoa
il faut distinguer ;
- Le grand courant, né des déversements du Logone entre Satégui et Draïn Golo. I1 concentre ses eaux autour
de Deressia, suit un lit bien constitué jusqu’à ”Gam. La traversée de la zone forestière située au nord de Bongor
se fait sans déversement par un chenal régulier, large de 80 à 100 m, à berges franches, c’est le Ba-Illi du nord.
Baptisé de noms divers par les populations riveraines, nous avions suggéré de l’appeler Ba-Illi-Malfaye pour évi-
ter toute confusion avec le Ba-Illi du sud, dit de (( Bousso 1). Le seuil de Boudougour provoque un étalement des eaux,
puis la rivière se reforme vers Migou dans un lit profond et encaissé à courant rapide. Elle reçoit les eaux des affluents
du Logone échappées en aval de Bongor. A partir de Mornou, des liaisons s’établissent avec le Logone ;
- Le courant Boumo-Kim quitte le Logone en amont de Boumo et le rejoint en aval de Kim (Molrpé). I1 ne
peut s’étendre vers l’intérieur, arrêté par des bourrelets sableux ;
- La (( rivière Bissim )) est d’abord un collecteur d’eaux de ruissellement accumulées en arriere des berges du
Logone, entre Djoumane et Bongor, mais en Septembre le Logone la grossit de ses propres eaux en submergeant
sa berge droite, où disparaît le bourrelet, et la route-digue Bongor-Kim. Le seuil Bongor-Boudougour provoque
I’étalement de ces eaux dans les plaines nord Bongor ;
- Les effluents à l’aval de Bongor (actuellement endigués). De Bongor à Gouaye, quatre effluents : Boné
à 2 km au nord de Bongor ; Baa à 1km au sud de Koumi ; Tchina à Wayanka et le (( mayo de Gouaye )I drainent
les eaux du Logone Vers les plaines intérieures. Leur lit est d’abord très nettement marqué sur plusieurs centaines
de mètres, puis ils s’étalent, leurs eaux se confondent dans les mares déjà remplies par les eaux de pluie e t finale-
ment vont rejoindre le Ba-Illi-Malfaye, véritable drain situé aux points les plus bas des accumulations respectives
du Chari et du Logone (Pl. V).
Nous avons vu que l’ensemble des déversements régularise si bien le débit du fleuve que son niveau est pra-
tiquement invariable à Katoa d’Août à Novembre, à une époque où la crue atteint son intensité maximum.
Le pays est alors transformé en un vaste marécage d‘où n’8mergent plus que les buttes où se sont réfugiés
villages e t cultures. La marge de (( garde à la crue 1) est réduite à quelques centimètres, et il suffit d’une faible varia-
tion du niveau du plan d’eau ou d‘une (( tornade )) violente pour que telles cultures ou telles cours de ferme soient
inondées pendant plusieurs heures ou semaines. Certains villages, dangereusement situés, déplorent chaque année
la perte de plusieurs cases emportées par les courants ou sapées par la crue.
L’arrêt des pluies dans le courant d’octobre entraîne une décrue régulière du fleuve. Les plaines inondées
sont alors drainées, mais l’inorganisation du micro-relief et la faiblesse des pentes laissent subsister pendant plu-
sieurs mois de vastes mares dont l’évaporation assurera l’assèchement en saison sèche seulement.
Les effluents, coupés de leur alimentation lorsque le niveau du fleuve descend au-dessous des échancrures de
ses berges, se transforment en chapelets de mares sans communications entre elles, les seuils sableux qui les séparent
permettent, à nouveau, la circulation entre les deux rives.
34 JEAN CABOT
Entre 1954 et 1956 les gouvernements du Tchad et du Cameroun ont fait édifier des digues sur chaque rive du
fleuve dans sa section Bongor-Mogodi pour protéger des casiers agricoles. Ces endiguements continus ont supprimé
le phénomène d’écrêtement de la crue par les déversements que le fleuve lançait en direction du Ba-Illi ou du Guerléo.
Les chiffres du tableau ci-dessous font ressortir le relkvement du plan d’eau et l’accroissement du débit à Koumi
en fonction des cotes et des débits du fleuve à Laï. Au sortir de l’endiguement, les déversements reprennent puisque
les chiffres de Logone-Gana ne subissent pas de variations sensibles (1).
-
Laï Koumi Logone- Gana
Année
Cote Débit Cote D6bit 1 Cote Dkbit
Au cours des années 1959 et 1960, les niveaux e t les débits relevés à Koumi sont nettement supérieurs à ceux
de 1955, qui correspondaient pourtant à une crue beaucoup plus forte enregistrée à Laï.
La revanche prévue à l’origine pour les endiguements s’avère insuffisante. En certains endroits, le fleuve
coule au ras des digues. En 1959, les eaux ont ouvert une importante breche à Djafga par laquelle un flot de
200 ma/sec s’est écoulé, compromettant les aménagements des rizières. En 1962, c’est du côté du Tchad qu’une
brBche s’est ouverte, entraînant les mêmes conséquences.
I1 est donc envisagé de délester les fortes crues en augmentant les déversements de Satégui en direction du
Ba-Illi et en aménageant le seuil de Dana par le creusement d’un canal Yrding-Dana susceptible de régulariser
les crues par un déversement en direction du lac de Fianga, en quelque sorte une (( capture 1) organisdë du Logone
par le mayo Kébi.
Une autre solution, combinée à la mise en valeur de la zone du Mandoul, consisterait à détourner, au droit
de Doba, une partie des eaux de la Pendé en direction du Bahr-Sara, lui redonnant ainsi le sens d’un écoulement
ancien.
La pente est assez rapide (3,2 m/km) sur les accumulations de piémont du massif (sables, argiles). Les crues
se transmettelit rapidement e t ne durent guère plus de 48 h au-delà de la fin des tornades.
Les mayos semblent arrêtés par un bourrelet de sable fin, perpendiculaire à leur cours, bourrelet que l’on
suit de Yagoua à Limani et qui est jalonne par les pointements rocheux de Balda, Fadéré, IGlisaoua, Ouaza. Les
mayos le franchissent entre des rives abrup-tes parfois importantes, comme celles de la Tsanaga à Bogo, hautes
de 7 à 8 m (Fig. 21, A). Au-delà du bourrelet, la pente s’affaiblit, les alluvions s’accumulent en cônes de déjections
sur lesquels les eaux divergent avant de se mêler à celles du (( yaéré N.
Le mayo Danaye draine les eaux de pluie épandues dans la région nord de Kalfou. I1 longe le bourrelet sableux
au sud, passe par Yagoua et rejoint le Logone à Tsébé. Sa pente est insensible et son écoulement très lent. Son lit
est bien dessiné à l’ouest de Yagoua, entre le bourrelet sableux et une série de dunes perpendiculaires. I1 garde là
des eaux profondes, même au plus fort de la saison &che. On peut supposer qu’il a servi d’exutoire aux eaux
descendues du Mandara avant que les mayos aient franchi le cordon sableux.
L’hydrographie du bassin du Logone se trouve donc dans la dépendance étroite du régime des pluies qui
concentre toutes les précipitations sur une brève période de quatre mois. A l’inondation généralisée, dans le lit
majeur des vallées du haut bassin ou sur l’ensemble des plaines déprimées du bassin inférieur, succède l’amenui-
sement, parfois la disparition de l’écoulement.
Cette alternance entre deux modes aussi opposés de ruissellement et de drainage a des conséquences impor-
tantes dans le façonnement et l’évolution du relief e t des sols. Elle aide à comprendre les conditions dans lesquelles
se sont 6laborées les formes de relief qui se succèdent du sud au nord du bassin et qui déterminent, avec elle, les
caractéristiques de la nappe phréatique, dont le rôle majeur commande pour une large part les conditions d‘im-
plantation des populations du bassin.
CHAPITRE III
LE R E L I E F E T LES SOLS
LE RELIEF
Le relief du bassin moyen du Logone s’dhve insensiblement, des plaines argileuses inondables situées au nord
de Bongor (altitude voisine de 300 m), 4 la bordure du socle antécambrien qui limite la cuvettc dès 400 m à l‘ouest
et 500 m au sud, par l’intermédiaire de la zone sablo-argileuse des (( koros D, ancienne plaine d’accumulation de pié-
mont soumise Q l’érosion depuis la fin du Continental Terminal.
Le bassin se trouve donc divisé au point de vue géologique entre deus grands ensembles de formations que les
géologues ont longtemps désignés sous les rubriques générales de (( granite ou complexe de base granito-gneissique 1)
pour l’encadrement montagneux d’Lge antécambrien et (( formations de la cuvette tchadienne 1) pour le matériel
de remblaiement. La limite des formations du socle de la bordure méridionale et occidentale suit approximative-
ment une ligne qui part de Goré sur la Pendé et passe à Pandzangué sur le Logone, puis épouse le tracé de la fron-
tière entre Tchad et Cameroun jusqu’au mayo Tchina. Par l’encadrement de la vallée du mayo ICébi, elle pénètre
en direction de l’est jusqu’au-delà de Pala et aux monts de Fianga en bordure des lacs Toubouri; puis, par Kaélé,
Mindif et Maroua, elle englobe le massif du Mandara.
A l’exception de deux lambeaux de couverture du Crétacé moyen continental, dans les hautes vallécs de la
Vina et de la M’Béré, le Secondaire n’apparaît pas dans le bassin du Logone. I1 est, en revanche, conservé dans le
bassin de la moyenne Bénoué et sur le mayo Tchina où In série de Lamé comprend un faciès littoral. La surface
infra-Tertiaire n’apparaît pas ailleurs, Le Continental Terminal a fossilisé les formations secondaires, le cas échéant,
aussi bien que la surface infra-Crétacée.
Les formations continentales tertiaires et quaternaires occupent donc la majeure partie du bassin moyen et
inférieur du bassin du Logone. Elles comprennent les séries fluvio-lacustres du Continental Terminal (post-Turonien)
constituées de grès, d’argiles et de sables incluant plusieurs types de cuirasses ou de carapaces et surmontées en
ravinement par les sables, limons et argiles quaternaires qui dominent au nord et à l’est d‘une ligne Guidari, Laï,
Gounou-Gaya, Fianga, Yagoua, Maroua.
Les monts de l’Adamaoua ct leur aile orientale des monts de Yadé, profondément disséqués par l’érosion et
aplanis sur leur périphérie, se dégagent insensiblement de la couverture détritique de piémont.
Les derniers contreforts montagneux se dressent brusquement au-dessus des plaines rocheuses réalisées tout
autour et jusqu’à l‘intérieur des massifs au cours de I’élaboration de la surface d‘aplanissement tertiaire - pro-
bablement Miocène (1)- corrélative à la surface d’aggradation qui comblait la cuvette. Leur allure encore impo-
sante mais aussi l’étendue des plaines qui les séparent témoignent du long démanthlement subi par le vieux socle
centre-africain. Les témoins de deux surfaces anciennes sont conservés au cœur des massifs aux altitudes moyennes
de 1O00 à 1 100 m et de 800 m, lambeaux d‘aplanissements que les hautes vallées des rivières abandonnent par
des séries de cascades et de rapides pour atteindre le pediment le plus récent actuellement dégagé entre les alti-
tudes 560-600 m à la base immédiate des massifs et 500 m environ à la limite du socle.
L’Adamaoua qui culmine h 1 7 0 0 m est un plateau mollement ondulé d’altitude moyenne 1 200 m, tapissé
de basaltes autour de Ngaoundéré ou hérissé d’arêtes granitiques déchiquetées. Près de sa source, le haut Logone,
sous le nom de Boni, traverse ce plateau d‘ouest en est à travers un paysage de marécages et de prairies. Par une
série de rapides, il franchit la ((falaise de l‘Adamaoua D, rebord du haut plateau central, et coule sous le nom de
(1)J. DRESCE,
1946 (b).
4
38 JEAN CABOT
\Vina au centre d'une vaste plaine déprimée dans les granites et les gneiss à l'altitude de 600 m environ. Après
une nouvelle dénivelée de 90 m dans les rapides de Saombaï, il atteint le pIatcau de Sara filboum, large de 40 km,
sur lequel il décrit des méandres encaissés soulignés dans les parties concaves par de petites falaises gréseuses
(matériel daié du Cr6tac6 moyen). Le plateau, couvert d'une savane boisée assez dense prenant parfois l'aspect
de galeries forestières le long des affluenls, se resserre entre Ia montagne de la Ngaï au nord et un ensemble de
pitons granitiques étiré sur 60 km, des monts Courous, 1008 m, au sud-ouest, au massif Bogomé, 843 m, au nord-est
(coupe I, fig. 20). Le Logone coule alors dans un lit peu encaissé encombré de gros blocs, au centre d'une large
plaine rocheuse comprise entre 480 et 600 m, mollement vallonnée par les petits affluents, sur laquelle ne se dresse
plus aucun chicot granitique, mais où apparaissent en revanche les brusques ressauts des cuirasses ferrugineuses
dégagées par l'érosion entre les altitudes 480 e t 520 m.
Les pays de la haute et moyenne WBéré gardent plus Iongtemps leur aspect montagneux, la vallée s'encaisse
dès sa sortie du haut plateau dans un fossé tectonique de direction sud-ouest-nord-est, long de 40 km et large de
8 Irm. Le fossé correspond à un ensemble de roches migmatisées au-dessus desquelles se sont déposées des séries
continentales datées du Crétacé moyen (marnes grises et argiles intercalées de basaltes) (1).Le 'cours du fleuve
est déjà à 650-600 m, alors que le haut plateau granitique se prolonge sur la rive droite, en direction du sud-est, à
l'altitude moyenne de 1O00 m (hauts bassins du Ngou et de la Lim). Sur la rive gauche, une simple ligne de crête
sépare le fossé des bassins bien degagés par les affluents sud-nord de la Vina moyenne (coupe II, fig. 30).
Un resserrement de l'encadrement montagneux de la rive gauche encaisse plus Btroitcment ia moyenne M'Béré
sur 30 km, h hauteur du confluent du Ngou échappé du haut plateau de la rive droite par les chutes Lancrenon.
A partir du village de MBéré, la M'Béré coule sur la plaine rocheuse, aux molles ondulations parfois cou-
ronnées de cuirasses, qui s'étend jusqu'à la basse Vina. Les deux branches constitutives du Logone dit (( occidental ))
confluent dans cette plaine au droit de Baïbokoum, à proximité de deux chicots massifs dressés au-dessus du rock-
floor de 520 m jusqu'à 1016 m (Zali) et 861 m (Kongoara) (fig. 17 E).
- -- --
- y
- -
Basalte 3 Mindif
Monts Daoua
(granites)
Pic de Mindif
(granite et syenite)
FIG. 17. - Quelqucs types de relie€ de l'encadrement montagneux du bassin du Logonc (d'aprks pholographies Jean Cabot).
1.1) BRESSON-GUI~'~UDIE-ROC~,
1952.
L E B A S S I N D U M O Y E N LOGONE 39
La coupe (fig. I S ) réalisée perpendiculairement au fleuve entre Baïbolroum et Pandzangué donne une idée
de l’aplanissement presque parfait réalisé à la périphérie des vieux massifs. Les pitons r6siduels en pain de sucre
se font de moins en moins denses, tandis que des cuirasses fossilisent la surface d’aplanissement dans laquelle
le Logone actuel n’a encore pas imprimé profondément son lit, toujours encombré de blocs rocheux, attestant
ainsi la faiblesse de I’érosion linéaire sous le climat actuel.
+ + + + + + + + + + +
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le haut bassin de la Lim est établi sur les granites de la haute surface de 1 O00 m qui pousse sa dernière avancée
orientale entre Lini et Pendé. Après une strie de rapides, la rivière ddbouche dans son bassin moyen, où elle traverse
une strie metamorphique de mica-schistes et de gneiss affouillés par ses affluents. Toute cette partie du bassin de la
Lim est surplomb& à l’est (rive droite) par des massifs de chicots granitiques dont certains alignements (mont
Iioumbala) reflètent les cassures probables du socle.
QUATERNAIRE
Sables rouges.
Grès ferrugineux.
CONTINENTAL
Sables beiges et argilites.
TERMINAL
Grès de Pala.
Conglomérat e t sables blancs.
-~
Série de Lamé :
Marnes, argiles et sables i cailloux blancs.
Kemplissage de la fosse de Doba ?
CRÉTACB H O Y E N Calcaires lumachelliques àlamellibranches
Grès de Bého ? (Albien).
Cailloutis e t sables.
Série de Léré :
Synclinaux faillés de Léré-Fuigil-Ama-
koussou. Schistes e t calcaires fossiles du
Néocomien.
SOCLECRISTALLIN
-
40 JEAN CABOT
Ce n'est qu'à quelques kilomètres de son confluent avec le Logone que la Lim penetre sur le pediment rocheux
développé en bordure du massif et trEs nettement fossilisé ici, dans la région d'0uli-Bangala, par les cuirasses déve-
loppées entre 490 et 520 m (1).
Le massif de Yadé culmine à 1420 m (mont Gaou) dans la région de Bocaranga. I1 est constitué par un ensemble
de granites hétérogènes sur lequel flottent des lambeaux plus ou moins étendus de roches métamorphiques épar-
gnées par la granitisation, mais assez fortement migmatisées. L'ensemble est recoupé par des granites discordants,
plus jeunes, A bords circonscrits (granites ultimes).
m
600
500
400
J
COUPE
ML Erbo
I L
COUPE MT ERBO-BEGAMBER
La Pendé, jadis appelée Logone oriental, a dégagé son haut bassin autour de Bocaranga, dans les formations
métamorphiques d’une zone synclinale où les variations lithologiques ont favorisé l’élaboration de formes de
modelé très diverses entre les altitudes 700 et 1 O00 m. Les replats entre bassins affluents à peine imprimés, aux
bas-fonds plats souvent inondables, alternent avec des cours encaissés ou avec des jaillissements subits d’insel-
berge isolés. L’échappée du cœur du massif se fait pour la Pendé (comme pour son affluent Siboué-Erélrt? qui
semble à 10 km de la rivière principale jouer un rôle de mimétisme) par le franchissement en gorge d’un petit
massif cristallin (90 m de dénivellation), puis la traversée absolument rectiligne de plusieurs formations différentes,
K o r 0 de BBnoye
m
Lara
1BER-BILMA
COUPE DJABI-KOR0
Schistes Cristallin
. m
Cuirasses
Carapace =
‘ p l
:
Alluvions récentes
G.Grès violacés
- I
2
O 4 6 8 10km
P Haufeurs X 20
dans le prolongement sud-nord d’un petit affluent de rive droite déja affect6 par la fermeté d’un trac6 d’origine
certainement tectonique.
A la sortie du massif, la Pend6 e t ses deux principaux affluents de rive gauche (Fhéké et Nya de Goré) par-
courent de leur tracé sinueux le large trottoir rocheux (80 km) développé dans les grahites autour des monts de
Yadé à l’altitude 520-440 m. Jnsqu’a Goré, la pente générale n’est plus que de 1 pour 1 000. Les falaises dégagées
autour des nombreuses cuirasses ferrugineuses qui fossilisent la surface dès 520-480 m sont les seuls accidents
notables dans ce paysage aux formes estompées d’interfluves aplatis e t de vallées largement évasées au
42 JEAN CABOT
fond desquelles le lit mineur des rivières est cependant bordé de terrasses dégagées dans les alluvions tlcs
fonds de vallées (I).
L’altitude moyenne de 500 m peut être retenue comme celle du passage de la bordure granito-gneissique péné-
planée à la surface d‘accumulation du bassin sédimentaire proprement dit. Ce contact s’opère tout au long d’un
tracé presque rectiligne d’orientation est-sud-est-ouest-nord-ouest qui court de hlabeti sur la Nana-Barya $ Tagobo
Foulbé, sur le mayo Tchina, en passant par Goré, Bédane et Pandzangué.
Le passage du pediment rocheux à la surface d’accumulation des sables et argiles de la cuvette se fait insensi-
blement, sans ressaut brusque. Les différents contacts observés au sud du bassin ménagent une transition progres-
sive, que celle-ci se fasse au niveau d’un horizon cuirassé ou que les formations de couverture viennent mourir en
biseau sur le socle altéré.
A Kobo, sur la route de Bangui, à 17 lcm au sud de Goré, le contact est niveld par une cuirasse de nappe à gros
déments cristallins bruts. Cette cuirasse est. recouverte par places de sables plus ou moins consolidés par un ciment
blanc emballant des fragments de grès rouges. (Ech. 305.)
Sur la route Goré-Bédane, le passage se fait aux alentours de la petite d Z & ed u Guinzoro, au niveau d’une cuirasse
de nappe gravillonnaire qui fossilise vers 425 m les sables de couverture sur la rive gauche (est) et le cristallin sur la
rive droite (ouest). Cette cuirasse est en rapport difect avec un autre niveau cuirassé sur les sables, $ l’altitude 460,
activement démantelé par l’érosion $ Bédoumia (Ech. 308). La couverture sédimentaire cuirassée est ici plus haute
que le socle qui apparaît à la faveur du déblaiement.
Ce même phénomène se présente à K o r , où un petit castle-liopje de granulite (&h. 310) est domint. par utle
cuirasse développée sur la couverture sédimentaire à 20 ou 25 m au-dessus.
La coupe E. C. mont Erbo-Bégamber (fig. 19) met en evidence le dégagement par la Nya e t ses affluents d’une
modeste dépression périphérique autour du pediment cristallin, au contact de la couverture sédimentaire. Ici,
c’est la rivière Bolcomia qui travaille au dégagement du socle entre les massifs cristallins au sud et les bombements
de la couverture sédimentaire au nord.
Les carapaces latéritiques ou ferrugineuses et les affleurements de grès constituent les Cléments les plus carac-
téristiques de ce relief mollement vallonné dans l’ensemble. Ils forment des entablements horizontaux de super-
ficies varikes (quelques mètres carrés à plusieurs hectares) et se terminent par des abrupts de plusieurs mètres de
hauteur sur les sables, les argiles ou les graviers qui en ceinturent la base.
On les trouve sur le socle en amont de Goré, sur les deux rives de la Pendé, à l’altitude de 480 m, reposant
directement sur le cristallin. Entre Logone e t Pendé, on les trouve sur le socle à 480 m entre BBkila et Bébakar,
puis au sommet des koros, où elles couronnent les buttes de grès de Bégamber et Bégambré à plus de 600 m.
Sur la rive gauche du Logone, on les trouve autour de Beissa e t Déli, plus ou moins dégagées, à l’altitude de
450 m, puis nivelant les grès dans le lroro de Yamba-Bérété.
Elles couronnent les parties hautes du socle au nord de Pala, dans la région de Torrock, Goueyegoudoum, puis
on les retrouve à nouveau à l a périphérie du socle au nord du mayo Kébi, entre Fianga et Kaélé, et autour de Mindif.
Ces diverses cuirasses appartiennent h. des niveaux et à des types différents. Elles ne doivent pas h e confondues
avec les affleurements de grès violac&, souvent eux-mêmes très ferruginisés e t dégagés par I’érosion, soit en cuesta
comme à Pala, soit en ravinement comme sur les bords du Logone iMoundéri, Logo et Bara, soit à la base de
buttes cuirassées comme à Bégamber, Bégambré, Kaba, Bilma, soit encore en simples affleurements comme au
long de la route Pont-Carol, Pala ou sur le plateau de Sar à Djabi (1).
Ces cuirasses et ces grès, dont l’importance est primordiale pour expliquer I’évolution du relief, méritent un
examen plus approfondi. I1 semble que l’on puisse distinguer les étagements suivants dans la série des cuirasses :
10 Cuirasses-carapacesde type ferrallitique de Koro, Mbéri, sur le koro de Guidari et de Bégamber-Bégambré-
Binassé sur le koro de Manang.
Coupe de la butte de Bégamber de la base au sommet (no 315) :
- grès ferrugineux violacé comprenant une forte proportion de grains de quartz grossiers assez émoussés et
consolidés par un ciment ferrugineux (6 m d’épaisseur à la base de la butte) ;
- schistes argileux de teinte générale violacée avec des passées blanches ou jaunes (sur 3 à 3 m) ;
- formation sommitale épaisse de 20 à 25 m de type ferrallitique contenant peu de quartz, de teintes blanche,
jaune ou rosée.
La butte est ceinturée de sables rouges indurés par places par une cuirasse gravillonnaire.
Les coupes voisines de Bégambré et Binassé (no 61) sont du même type.
A Koro (no 244), la butte située au sud de la route, i l’ouest du carrefour, présente du sommet à la base (520-
470 m) :
- une cuirasse d‘horizon B avec traces de fer et silice de neoformation tapissant les parois de fins canalicules j
teintes : blanche, jaune, rose. Dans l’épaisseur, cette cuirasse s’oxyde et prend une teinte plus rouge j
- vers la base de la butte, la cuirasse beaucoup plus ferrugineuse englobe des fragments de schistes violac6s
d’un type voisin de ceux rencontrés à la base de la butte de Bégamber au-dessus des grès. Cuirasse conglomératique
ferrugineuse postérieure au cuirassement sommital et développée à la base des buttes résiduelles isolées par le
démantèlement de la surface ancienne supérieure.
(1) G. BOUTEYRE,
J. CABOT,J. DRESCH,
1964.
44 JEAN CABOT
E n bordure du Logone, à Besseï, une butte résiduelle coiffée du même typc de cuirasse surplombe le fleuve
(425 m) non loin des affleurements de grès de ßara (nos 58 et 247).
La cuirasse sommitale de Koro, dont l’analyse est citée par Pli. WACRENIER comporte 57,3 % d‘alumine
(I),
pour 3,S4 % de silice totale et 8,25 yo de Fe2 03. Celle de Besseï, placée en contrebas par rapport aux buttes de
Koro, pourrait n’être qu’un témoin de la surface développée à la base des buttes de Koro, dont elle aurait bénéficié
des apports détritiques e t colluviaux arrachés aux bauxites sommitales ainsi qu’aux sables inférieurs puisqu’elle
ne comporte plus que 35 % d’alumine associée à 37,5 % de silice et 5,75 % de fer (2). (Pl. I, B).
20 Une seconde surface cuirassée emboîtée au-dessous des buttes résiduelles de Bégamber et Koro semble
généralisée à tous les bombements sableux appelés, eux aussi, du nom générique de (c koros I), mais topographique-
ment plus bas. On la suit sur la rive gauche du Logone entre le confluent et Moundou, elle existe sous les sables
rouges du ltoro de Bénoyc où les puits la traversent à quelques mètres de la surface du sol, Elle sous-tend les sur-
faces rigides du versant nord du koro de Bénoye entre la Tandjilé et Kélo. On la retrouve entre Logone et Pendé,
entre Kagopal et Boro, dans la région d’Ouellé-Kourangati où, changeant d’aspect, elle cuirasse des sables blancs
dégagés par l’érosion de la Pendé au droit du pointement des grès de Bébo. Elle est encore à la base de ce pointe-
ment et se poursuit à l’est de la Pendé.
Les cuirasses de cette surface sont gónéralement très ferrugineuses et indurées. Elles englobent des gravillons
et des pisolithes qui témoignent de leur genèse d’accumulation absolue (en partie au moins). Elles sont masquées
par des sables rouges sur les versants en pente douce des koros ou sur les replats. G. BOUTEYRE (1963) les appelle
(( matériau rouge I), horizon de sables rouges indurés avec canalicules et les distingue des cuirasses de bas de pente
plus gravillonnaires. La surface cuirassée se degage nettement aux abords des cours d‘eau dont l’drosion a d6ve-
loppé une incision de 10 à 15 m particulièrement visible à Lara, Boroye, Béladjia. (Pl. I, A).
30 Un autre type de cuirasses apparaît dans les hautes terrasses des cours d’eau. De type vacuolaire, son façon
nement semble lié au battement saisonnier du niveau du fleuve entre hautes et basses eaux. Elle s’est développée
dans le matériel alluvionnaire des terrasses anciennes, souvent constitué par la &rie argilo-sableuse à concrétions.
Il faut rattacher à ce type les cuirasses de la berge de l’h8tel des chasses à Moundou (no 316), de Gabri-N‘Golo
(no 239) e t Hamgar, mais aussi les cuirasses des terrasses plus modestes des petits affluents du Logone et de la
Pendé sur le socle entre Baibokoum et Gor6 (3). (PI. III, B).
Les vallées qui individualisent les koros tdmoignent de plusieurs phases d’érosion et de remblaiement, ainsi
que des remaniements apportés à la masse sablo-argileuse des koros e t aux surfaces qu’ils portent.
La surface cuirassée des koros (appelons-la no 2 pour plus de commodité) épouse la forme moutonnée de ceux-ci.
Elle s’est élaborée à la fin du démantèlement du Continental Terminal dont il ne reste que les rares témoins de
Koro-Mbéri, Bégamber-Bégambré, sur un relief ondulé sans doute drainé vers l’est (cuvette de Doba-Fort-Archam-
bault). C’est dans cette surface ondulée qu’une reprise d’érosion a incisé les vallées actuelles du Logone et de la
Pendé dans lesquelles les hautes et basses terrasses sont encaissées à une dizaine de mètres au-dessous, comme
à Béladjia et Boroye. Le niveau des hautes terrasses est dégagé dans un matériel de remblaiement sablo-argileux
à concrétions, plus ou moins induré, qui constitue le niveau des cuirasses de nappes. Dans les grandes vallées du
Logone et de Ia Pendé, ce niveau est tres souvent masqué par le remblaiement actuel limono-sableux ou argilo-
limoneux qui comble les lits majeurs et apporte le témoignage d’un ralentissement du drainage sub-actuel. Mais, sur
les hautes vallées des affluents que le remblaiement n’a pas atteintes, le niveau induré des hautes terrasses s’emboîte
dans celui des cuirasses de bas de pente de façon bien visible, comme 4 Bédoumia e t sur les berges du Guinzoro
(nos 308 e t 309) ou à Bengamia (no 312), ou encore sur les cours d’eau au sud-ouest de Bédane (no 313).
(I Ph.
)WACRENIER, 1961.
(2) Analyse du Laboratoire d’Analyse Chimique de Min6raux et de Roches du Muskum.
(3) G. BOUTEYRE, J. CAROT, J. DRESCE, 1964.
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 45
limitent le cours du Logone sur sa rive gauche entre Lara et Logo ou celui de la Pendé aux environs du pont de
Doba. Elles semblent correspondre h une vigoureuse reprise d’érosion postérieure au dépôt de la série argilo-sableuse,
érosion de flots torrentueux susceptibles d’élargir leur lit plus que de l’approfondir. La même série argilo-sableuse
se retrouve en effet ravinée de part e t d’autre du Logone à plus de i 5 km de distance entre Boroye e t Bébedjia.
Ngai
I
1:ipTt;t
600
400
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+7 +
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+
+ + +
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O 10 km HX5
Bassin de la Lim
1087
Mbére
II + + + . + + + +
O HX5
m 484
500- le Logone Bembaida
III
400. + + + 7
Bétimono
m
500- le Logone Mékab Pan 470
IV 450.
400- ............................................................
I
I
...
...
...
.
O lokm HX20
O 10 km H X 20
H.T.
O
1,80
5
777777-
BOGO BELADJIA
Argilwlimoneux
Sableux fin
Sableux grossier
Granules ou concrétions
Le Zit apparent du fleuve est délimité par des berges distantes de 100 à 500 m, taillées dans la basse terrasse de
limons, d’argiles et de sables grossiers de l’alluvionnement récent et actuel, plus rarement au contact direct de la
haute terrasse, comme nous l’avons déjà dit. Les sinuosités de ces lits apparents commencent à partir de Moundou
pour le Logone, tandis que la Pendé commence ses méandres bien avant Goré. Les berges franches sont modifiées
par les crues annuelles. Les courants se déportent d‘une rive à l’autre en fonction des bancs de sable qui encombrent
le fond du lit et qui sont remaniés chaque année par la crue. D’énormes masses de sable abandonnées par les cours
d’eau affaiblis par l’arrêt des pluies sont reprises au début de la crue de l’année suivante e t déplacées vers l’aval.
Un tri s’opère dans le dépôt de ces sables selon les courants, les seuils, les coudes du lit. Le matériel des bancs et
des basses terrasses est ainsi classé dans de nouveaux dépôts qui constituent l’amorce de nouvclles terrasses.
Le lit d’étiage, large de 40 100 m, oh coule un mince filet d’eau claire, serpente entre ces bancs de sable et se
déplace chaque année, au gré des nouvelles formations sableuses, d’une rive à l’autre du lit apparent, mettant
ainsi brusquement les habitants d’un village bâti sur la rive à 300 ou 500 m de l’eau courante.
L’allure générale des vallées qui cernent les koros contribue donc, avec les larges plaines d’inondation, à donner
une impression d’empâtement d’un relief déjà peine marqué. Les remblaiements successifs des vallées laissent
déjà entrevoir les variations climatiques enregistrées par le bassin du Logone au cours du Quaternaire. En effet,
L E B A S S I N D U M O Y E N LOGONE 47
à l’exception des berges franches et des micro-falaises taillées dans les basses terrasses, les formes d’érosion sont
toutes héritées de climats anciens.
Deux autres vallées plus modestes découpent les plateaux Laka, koros situés au nord-ouest du Logone : celles
de la Tandjilé et de la Kabia. Alimentées par de petites sources au niveau des cuirasses, des argiles ou des grès, ce
sont de petits cours d‘eau qui coulent dans des dépressions inondables, à peine marquées, sur,les koros de Tapo1
et de Gagal.
La Tandjilé échelonne sur son cours une série de biefs inondables séparés par quelques kilomètres de cours plus
encaissé au franchissement d‘une cuirasse ou d’une série sableuse indurée par un début de ferruginisation. Dès le
pont de Bologo (route Iiélo-Moundou), la Tandjilé présente la même série d’encaissementssuccessifs que le Logone :
niveau des sables rouges et des cuirasses, hautes terrasses argilo-sableuses à concrétions, remblaiement récent à
actuel de sables fins (no 334).
De même, le lit de la Kabia est encaissé dans les grès et sables ferruginisés dans sa traversée du koro de Yamba-
Bérété. Au pont Carol (route Pala-Kélo), elle est bordée sur ses rives par des affleurements de grès violacés et de
cuirasses. A quelques kilomètres en aval, commence sa plaine d’inondation avec le lac Iiabia.
La zone des koros se termine au sud du poste de Pala par la brusque remontée d’une cuesta de grès violacés
sur un conglomérat cristallin au nord, sur les formations de Lamé à l’ouest. Le pendage semble faible (70 sud-sud-
ouest), mais la cuesta présente un modelé déjà très évolué : au sud de Pala, elle est disséquée en éperons presque
entièrement isolés en buttes témoins par une ancienne vallée obséquente, aujourd’hui morte et comblée par des
sables roux (nos 329 à 331).
Les reliefs des grès de Pala marquent la limite des bassins versants du mayo Iiébi au nord et du mayo Reï
au sud, tous deux affluents de la Bénoué. Le revers de la c8te au sud de Pala est drainé en saison des pluies par un
affluent du mayo Tchina, principal cours d‘eau de la plaine de Lamé. Les sables, marnes et grès du bassin de Lamé,
dominés à l’est par les grès de Pala, offrent un paysage de campagne dénudée e t mollement vallonnée où les pain-
tements cristallins (sud de Foul-Touaré) et basaltiques (sud de Lamé) laissent deviner la minceur de la couverture
sédimentaire. La partie septentrionale des plaines de Lamé est drainée par les affluents du mayo Kébi dont l’Aro-
sion active ravine les sables grossiers des versants du mayo Dala. (Pl. II).
Au nord de la cuesta des grès de Pala, le socle cristallin dégagé de sa couverture sédimentaire fait une avancée
en direction des plaines d‘inondation du Logone, de la Tandjilé et de la Iiabia. Sa réapparition est signalée par
le petit pointement de granite monzonitique de Daloué, les reliefs de quartz de Tagal (sud-ouest de Gounou-Gaya),
le mont Maouré à Goueye-Goudoum et surtout l’ensemble des monts granitiques de Fianga dont le plus haut sommet,
le mont Illi, culmine à 671 m (350 m au-dessus du niveau des lacs) (fig. 17 B). Cette réapparition du socle correspond
à l’ensellement le plus bas de la bordure cristalline de la cuvette tchadienne. Par la gouttière du Toubouri occi-
dental et des chutes Gauthiot, les eaux de la Kabia échappent actuellement en saison des pluies au système endo-
réique de drainage (Logone-Chari-Tchad),pour aller rejoindre par le mayo Kébi, la Bénoué e t le Niger les eaux du
golfe de Guinée (coupe F-G, fig. 19).
Cette gouttière est formée d’abord d‘une succession de larges dépressions lacustres ou marécageuses tapissées
de sédiments argileux et sableux jusqu’à Mbourao, puis par encaissement à la faveur des fractures du socle cristal-
lin, d’une série de rapides, de gorges e t de chutes qui font passer le mayo Kébi de 311 m à l’amont à 340 m à
l’aval des chutes Gauthiot en 20 lrm (fig. 17 et photos 1 et 2, pl. III).
AUnord du mayo Iiébi, la pénéplaine cristalline est à peine incisée par les mayos affluents. Leur lit est encombré
de sables grossiers, aréniques, que les dernières crues de saison des pluies n’ont pu entraîner. De larges seuils rocheux
encombrent leurs cours, témoignant de leur impuissance à tout travail d’érosion.
Cette impuissance des mayos à imposer une érosion lineaire à leur lit permet de supposer la stabilité des bas-
sins versants sous le climat actuel et d’écarter la solution (( paresseuse )) (1)d’une possible capture du Logone par
érosion régressive. (Pl. III, A).
La bordure montagneuse occidentale du bassin offre un ensemble de formes assez hardies malgré l’action
prolongée de l’érosion. Sur le pediment rocheux développé ici à l’altitude moyenne de 400 m, se dressent les chicots
(1)J. DRESCH,
1947 (a) et 1963.
48 JEAN CABOT
granitiques des régions de Kaélé, Lara, Mindif, Boboyo, Midjivim, Lam, qui rappellent, à proximité de l’ensemble
montagneux, les déments isolés des monts de Fianga.
Les formes héritées du démantèlement des roches cristallines sont ici nombreuses : désagrégation des boules
de granulites par exfoliation, cannelures élargies par le ruissellement horizontal, corrosion à la base des blocs dégagés
de l’arène d’accumulation, élargissement des diaclases par le travail des racines entraînant des fissurations verti-
cales, entrecroisées ou courbes. Le chaos de Lara porte toutes ces marques du démantèlement des granites; les blocs
en équilibre instable, très provisoire, sur des pentes voisines de 350, finissent par dévaler les versants e t viennent
s’immobiliser au milieu des champs de mil des villageois. (PI. IV, B, C).
On observe sur les faces verticales de certains blocs des creux polis de 20 à 30 cm de diamètre. I1 peut s’agir
d’anciens ateIiers de polissage d’armes. Certains d’entre eux se trouvent assez hauts pour être hors de portée de
l’homme debout, ce qui laisserait supposer un dégagement important de la couverture arénique au cours de l’ère
actuelle.
A hlindif, les reliefs résiduels sculptés dans trois roches différentes offrent trois types de façonnement (fig. 17, A
et C). Le pic de Mindif, dans sa partie orientale constituhe de syénite, se présente comme un magnifique pain de
sucre aux pentes dépouillées sous un angle de 70 à 750. La partie occidentale, granitique comme les reliefs de Lara,
a des pentes plus douces (35 à 459, encombrées de boules en cours de désagrégation. La végétation a pu s’y main-
tenir et contribue par l’action de ses racines à élargir les diaclases de la roche. A l’est du village, deux pointements
de basalte offrent leur relief en dômes aplatis, aux pentes douces mais complètement dépouillées, semblables au
dôme de basalte déjà signalé au sud de Lamé.
Le pPdiment rocheux pénètre par de larges K embayments )) dans le massif du Mandara, le long des affluents
qui rejoignent le mayo Tsanaga à Maroua : mayos Kaliao et hfizao. D’épais horizons ferruginisés, plus ou moins
conglomératiques, se relèvent à la base des pentes intérieures qui encadrent ces embayments (km 12 de la route
Maroua-MBri, altitude 440 m environ). Y a-t-il lieu de distinguer ces carapaces, développées sur un matériel détri-
tique plus épais, des cuirasses ferrugineuses gravillonnaires trouvées sur le pourtour du pediment dans la zone de
contact du cristallin et de la couverture sableuse, comme dans les profils de Laarié (1)et sur la route Maroua-
Mindif (a), où la couverture argilo-sableuse passe progressivement à un horizon gravillonnaire induré par places et
lité, alors que le granite altéré du socle est tout proche ( 4 m.) ?
En effet, le pediment rocheux s’ennoie progressivement sous la couverture de sables e t d’argiles qui, de plaine
d’accumulation exondée, passe bientôt à la plaine d’inondation. On le retrouve à des profondeurs légkrement
croissantes en s’éloignant vers l’est :
- autour des inselberge de Lara et Mindif : 2, 4, 5, 7, 14 e t 21 m ;
- sous la plaine d’accumulation à Tankirou, 12 m j Bizili-Kalfou, 22 m ; hlolvoudaye, 40 m.
L’approfondissement du socle est plus rapide autour des (( hosséré 1) situés plus au nord. Près du hosséré Ouaza,
on a foré jusqu’à 110 m sans l’atteindre (3).
Les mayos descendus du Mandara s’enfoncent verticalement dans les sables de la couverture sédimentaire.
Leurs cours s’encaissent entre les berges sableuses dont le recul rapide favorise les déplacements et les divagations
des lits (fig. 21, A).
Dans la région Kalfou-Yagoua, la couverture sableuse se termine sur les yaérés du bas Logone par un ensemble
de formes alignées, d’aspect dunaire, de direction sud-ouest-nord-est. Une série de moutonnements parallèles,
hauts de 10 à 15 m, fait alterner croupes exondées et dépressions inondées en saison des pluies. L’ensemble est
limité par le cours du mayo Danaye, de direction sensiblement perpendiculaire (sud-est-nord-ouest), parallèle lui-
même à un cordon sableux de 20 m de puissance e t quelques centaines de mètres de largeur que l’on peut suivre de
Yagoua à Limani, au Cameroun, et au-delà du Cameroun jusqu’en Nigeria (4). Ce cordon a joué un rôle important
dans la désorganisation du drainage de la plaine de piémont à l’est des monts du hlandara. Les mayos se sont
heurtés au cordon sableux, ils ont cherché un exutoire vers le Logone, donnant naissance au mayo Danaye, forme
relique de cet écoulement. Avant d’avoir réalisé le franchissement du cordon sableux, les eaux descendues du
hlandara ont colmaté l’arrière-pays avec des sables, des limons, des argiles. Aujourd’hui, malgré les percées des
mayos à travers le cordon, l’eau continue à s’épandre en saison des plaies au-dessus de ces sédiments de colma-
tage. La communication avec le mayo Danaye se rétablit chaque année.
Les phénomènes d’alluvionnement, qui, dans la zone des koros, se trouvent limités par les pentes des versants,
échappent à toute contrainte dans les plaines inondables. Les formations d’épandage prennent ici une extension
maximum, se masquant les unes les autres au gré des divagations du fleuve et de ses défluents.
Au nord de la zone des koros, on pourrait presque dire que le relief se manifeste par son absence. Les seules
(( rugosités )) sur lesquelles accroche le regard sont dues à la végétation. La taille encore majestueuse de certains
arbres qui parsèment la plaine dépasse parfois du double ou du triple celle des ondulations du terrain. Un baobab
de 20 m représente sur l’horizon une indentation bien plus remarquable que les 5 m de la plus haute terrasse du
fleuve (fig. 21, B, C).
Les dénivellations sont si faibles que l’Institut Géographique National a renonce à figurer les courbes de
niveau sur les coupures représentant le nord du 9e parallèle. I1 faudrait un nivellement de précision et des interca-
laires au moins tous les mètres pour arriver à rendre expressive la représentation du relief de ces étendues mono-
tones à force de platitude.
A la sortie des koros, les possibilités d’écoulement qui s’offrent aux eaux du Logone forment un éventail aux
pentes insensibles largement ouvert de l’ouest (dépression des lacs Toubouri) à l’est (Ba-Illi).
De Gabri-Ngolo à Kim, la pente générale du lit du fleuve est de 0,28 %, tandis qu’en direction du nord, vers
les plaines de Deressia! les pentes sont légèrement supérieures : Gabri-Ngolo-Bourou, 0,43 %, ; Gabri-Ngolo-Djogdo,
0,32 yo, ; Sategui-Ba-Illi, 0,35 %., Ainsi s’expliquent les déversements importants qui s’opèrent entre Laï et Kim
en direction du Ba-Illi, toutes les fois que l’absence de bourrelet de berge permet la défluviation des crêtes de crue
(fig. 22).
De même à partir d’Éré les pentes sont favorables aux difluences puisque la pente €?ré-Bongor n’est que de
0,22 %, celle d’Éré au Ba-Illi de 0,23 %o e t celle d’Eré au lac de Fianga de 0,29 %, Dès que les eaux échappent
au lit majeur, elles se trouvent sollicitées par des pentes supérieures à celle de la nappe. Ainsi, du Chari aux monts
de Fianga, les plaines du moyen et du bas Logone représentent un cône d’alluvionnement que le cours du fleuve
et ceux des effluents qui s’en échappent en période de crue ont balayé en tous sens au gré des pentes les plus favo-
rables, elles-mêmes modifiées par l’alluvionnement consécutif au passage des eaux. I1 en résulte une juxtaposition
d’alignements sableux jalonnant le tracé des cours abandonnés, mais reportés quelques kilomètres en amont ou en
aval à l a faveur de cheminements momentanément plus déprimés, eux-mêmes voués àl’exhaussement et à l’abandon.
Les alignements de buttes ont deux directions fréquentes : sud-ouest, nord-est e t sud-nord. Ces deux orien-
tations se croisent vers le nord, attestant de changements de lits sur un cône d’alluvionnement régulièrement
remanié. (GUICHARD e t POISOT, 1961.)
Ce cône d‘alluvionnement s’est édifié au-dessus de la série sablo-argileuse à concrétions calcaires que l’on trouve
partout, soit en affleurement, soit recouverte par les apports plus récents. C’est cette série argilo-sableuse qui
constitue la plaine d’érosion dans laquelle le Logone a incisé son lit. Elle apparaît dans les berges des hautes ter-
rasses limitant le lit majeur lorsque les formations de remblaiement du lit majeur ne les masquent pas. Elles sont
très visibles de Kim à Tougoudé sur la rive droite du fleuve, où elles prennent un faciès de grès résistant de teinte
jaunâtre à blanchâtre. La série s’étend de Mbourao sur le mayo Kébi à l’ouest aux rives du Ba-Illi et au-delà jus-
qu’au Chari à l’est et de la région du confluent Logone-Pendé au sud jusqu’à Logone-Gana au nord. Nous l’avons
même déjà signalée en amont du confluent dans les régions de Bébedjia, Moundou et Doba. De même, elle existe
dans le bassin du Mandoul, en liaison avec le système Chari-Bahr-Sara (1).
Dans la zone d’inondation, cette série laisse émerger par endroits des bombements ou des alignements de la
série sableuse des koros qu’elle n’a pas recouverts (butte Morfoudaye-Guéné à l’est de Fianga et butte Bongor-
Kaïna).
L’alternance de périodes d’érosion et de comblement s’exerçant sur une surface aussi plane a fait se succéder,
au gré des types de ravinement ou d’épandage, l’incision de dépôts ou l’atterrissement de nouveaux sédiments,
soit dans le lit du fleuve, soit dans les plaines latérales sous forme d’alignements sableux. Le bourrelet de berge
n’étant pas continu tout au long des rives, les épandages de crue utilisent les échancrures e t transportent vers les
plaines intérieures les sables, limons e t argiles amenés du haut bassin ou enlevés aux basses terrasses du lit majeur.
Ces matériaux constituent l’apport des effluents à l’exhaussement des plaines inondables : alignements sableux,
dépôts d’argiles et de limons dans les dépressions sans écoulement.
Les vues aériennes mettent bien en évidence ces formes de relief particulières aux plaines inondables. La
p1. XVII, A, montre le mayo Baa, effluent du Logom à hauteur de Koumi (en bas et à gauche de la photo). Le
cours sinueux du mayo est bordé par les dépôts ,de sables (boisés car exondés) qui s’opposent aux vastes étendues
( I ) G. BOUTEYRE,
1963.
50 JEAN CABOT
4 B6noye
r--/
PENTES DES PLAINES
ol, - DU MOYEN LOGONE
O 10 20 30 40 50km Moundou
7
inondables (plus sombres et privées de végétation arbustive par la crue). Le Baa est ici encaissé dans ses propres
apports, mais, à partir du coude qu’il fait au niveau de Biliam-Oursi (centre de la photo), on lui voit de nombreux
sous-effluents orientés vers les dépressions.
Les vues de la P1. V, A e t B, (Kaye-kaye et Pouss) montrent d’autres formes du même phénomène d’élabo-
ration du relief par les effluents du Logone ou leurs sous-effluents (Guerléo).
Les formes créées par cet alluvionnement récent et actuel ont une extension limitée et une faible épaisseUr
(1à 2 m au maximum). Elles n’en constituent pas moins un élément important du paysage, car leurs parties les plus
’
hautes échappent à l’inondation. Elles offrent un refuge à l’habitat en bordure des cours d‘eau et dans les plaines
inondables (fig. 22).
De même, les berges qui laissent affleurer la série résistante à concrétions, parfois recouverte de limons récents,
portent en général de forts villages bstis sur des buttes rehaussées par le travail des hommes pour échapper à
l’épandage des eaux de crue (Kim, Hamgar, Djoumane).
Les connaissances géologiques actuelles sur le sud de la cuvette du Tchad se limitent à quelques notes de pre-
mier inventaire publiées avant la parution des coupures de la carte géologique. La stratigraphie des sédiments
recouvrant le socle a été étudiée essentiellement sur le koro de Guidari, la cuesta des grès de Pala et dans les bassins
de Lamé et Léré. Les pédologues de l’O. R. S. T. O. M. chargés de dresser la carte des sols de toute la cuvette ont
souvent apporté des notations précieuses concernant la géologie. D’autre part, les recherches hydrogéologiques
sur les koros et la cuvette de Doba conduites ces dernières années avec les ressources de la technique moderne ont
ouvert de nouvelles perspectives sur la structure de la partie méridionale du bassin. Enfin, plusieurs tournées sur le
terrain, la dernière en compagnie du professeur J. DRESCH, nous ont permis de compléter un réseau d’observations
qui reste encore, hélas ! trop lhche.
C’est l’ensemble de ces observations qui nous permet d’essayer de dresser un tableau général des formations
de cette partie de la cuvette.
Le Crétacé
Les formations sédimentaires reconnues au-dessus du socle n’ont été datées avec certitude que dans le bassin
de la Bénoué, où les synclinaux de Léré, Figuil et Amakoussou contiennent des fossiles du Néocomien et où la
couverture des plateaux de Lam6 (bassin du mayo Tchina) contient des calcaires lumachelliques à lamellibranches,
des conglomérats et des arkoses à bois silicifies assez caractéristiques du Crétacé moyen. Ces formations ont fossi-
lisé la surface infra-crétacée, dont les reliefs résiduels pointent au travers de la couverture (1).
Ainsi la série de Léré serait à rattarher aux formations de faciès Wealdien, tandis que celle de Lamé, posté-
rieure, atteindrait le Turonien. Les plissements et cassures qui affectent principalement la série de Léré e t plus
faiblement celle de Lamé seraient post-cénomaniens (2).
Le Continental Terminal
Les grès violacés de Pala, dont la cuesta domine les environs du poste de Pala, reposent en discordance sur la
série de Lamé. Ils sont eux-mêmes déformés puisque leur pendage peut varier de 70 au sud de Pala à 220 nord-nord-
est à Djabi et 200 sud-sud-ouest à Bilma.
Cette série gréseuse, qui, à l’exception des cuirasses latéritiques ou ferrugineuses de datations diverses, constitue
la seule assise résistante des formations post-Crétacé, se retrouve dans toute la région des koros, soit en coupe dans
les puits, soit en affleurements. Elle comporte plusieurs couches séparées par des sables ou des argilites, ainsi qu’en
témoignent le dédoublement de la cuesta à l’ouest de Pala et les coupes de puits profonds de la zone de ICélo. A
Bodo-Iiakraï (puits de 90 m, coupe no 506), les séries gréseuses se retrouvent aux profondeurs de 3 à 4 m, 7 à 8 m,
20 à 21 m et 38 à 41 m, séparées alternativement par des sables et des argilites. La série inférieure des grès repose
ici sur plus de 40 m de sables blancs grossiers composés de quartz très usés. On retrouve les mêmes sables blancs
SOUS les grès B Pala (E. G. T. H.) (no 24), à Biélé-Fiangsou (no 28), à Zagobo (no31), à Manga-Barmin, de 34 56 m
(no 507).
(1)BOUTEYRE-CABOT-DRESCE,1964.
(2) ROCHet ROUBREAW 1952,ROCE1953,G ~ R A R1958,
1952,Rocn et NICKLES D p. 36-37.
52 JEAN CABOT
Ces coupes permettent de distinguer plusieurs types de grBs (1): les deux séries supérieures sont, en général,
peu épaisses et de type arlcosique à quartz grossiers peu usés A ciment ferrugineux (2). Les deux séries infkrieures,
plus fines, plus argileuses, passent parfois 4 un schiste violacé.
Entre les deux étages doubles de grès se situent des sables beiges ou jaunes d’épaisseur variable et compre-
nant souvent des passées d’argilites blanches ou violettes (puits de Bodo-Kakraï, de 12 à 20 m ; Manga-Barmin,
17 à 35 m ; Djalbey, 14 à 22 m).
Enfin, les couches supérieures des grès alternent avec quelques mètres de sables rouges, formation supérieure
. de cette série de a sables et grès paléo-tchadiens 1) (3). Les sables rouges prennent une épaisseur beaucoup plus
importante sur les koros où ils sont parfois fossilisés et ainsi conservés par plusieurs séries de cuirasses emboîtées.
Ils sont couronnés aux points les plus hauts par la cuirasse de type ferrallitique rencontrée à Bégamber et Koro.
L’épaisseur de ces séries, que faute d’indication chronologique précise il est utile de regrouper dans le (( Conti-
nental Terminal )), semble très variable. Toutes les couches ne se retrouvent pas à travers toutes les coupes, et
leur puissance variable semble découler des conditions fluvio-lacustres de leurs dépbts : alignements de bourrelets,
cônes d’épandage, comblement de cuvettes.
A l’exception du conglomérat de base qui ménage le contact entre le socle et les grès de Pala (Éch. no 66),
toutes les formations détritiques sont des sables ou des argiles, donc un matériel assez fin qui témoigne du caractère
relativement calme des types d’érosion, de transport et de dépôt parmi lesquels le type fluvio-lacustre semble avoir
dominé pendant tout le Tertiaire. Malgré la finesse et la relative homogénéité de certaines formations, l’intervention
des processus de transport éoliens ne semble pas avoir été importante. Les sables rouges qui constituent la série
la plus importante du Continental Terminal ne comportent que du matériel quartzeux non usé ou légèrement
émoussé.
Les conditions de dépôt et d‘évolution des formations de remblaiement ont dû faire alterner des périodes
d’érosion prolongée sous l’effet de climats tropicaux à saisons opposées e t des périodes de climats chauds e t très
humides pendant lesquelles le processus ferrallitique a pu se réaliser. Cette période de remblaiement semble s’être
prolongée depuis le Crétacé supérieur jusqu’au Pléistocène (4). L’épaisseur des formations témoigne de la durée et
de l’intensité des phénomènes d’érosion, de transport et de dépôt. Des sondages profonds ont été poussés jusqu’à
276 m à Bé-Ouaidou (Iroro de Guidari) sans sortir de la série des sables et argiles paléo-tchadiens (5). Si l’on consi-
dère que le socle réapparaît le long du Chari à Niellim, ainsi que dans le (( massif central tchadien )) du Guéra, les
bassins du Logone et du Chari seraient installés dans une vaste dépression comblée par les séries sédimentaires du
Continental Terminal, voire du Crétacé (6). Cette hypothèse concorde avec les résultats des études de J. BARBEAU
sur la structure de la cuvette tchadienne (7). Le soubassement de la vaste dépression centre-africaine serait, selon
lui, constitué d’une série de cuvettes tectoniques dont les pointements granitiques à travers la couverture sédimen-
taire marqueraient les limites.
Les sondages entre le lac Fitri et Fort-Lamy (8) font apparaître des niveaux rubéfiés caractéristiques du
Continental Terminal à 30 ou 50 m au-dessus du socle, ici peu profond :
Maïgana, niveaux rubéfiés à 142-150 m socle à 151 m
Habou-Hidjelidj, niveaux rubéfiés à 205-230 m socle à 260 m
Am-Tanaya, niveaux rubéfiés à 242-295 m socle à 311 m
Beurso, niveaux rubéfiés à 147-168 m socle à l 7 0 m
En revanche, un sondage réalisé en Nigeria à Maïduguri jusqu’à 1 006 m n’a pas atteint le socle. Les séries du
Chad Group 1) (C. T.) alternent jusqu’à 600 m de profondeur au-dessus de 400 m de marnes noires fossilifères d’âge
((
sous les sables et grès palio-tchadiens, les marnes crétacées et le Continental Intercalaire. J. MERMILLOD(1)tivalue
ainsi les épaisseurs respectives de ces couches prèg de Doba :
Continental Terminal. . . . . . de O Q 700 m
Marnes crbtacbes. . . . .. . . de 700 B 1500 m
Continental Intercalaire. . . . . de 1 500 Q 3 500 m
Comment se serait opéré le remplissage de cette fosse ? La présence du pointement des grBs siliceux de Bébo,
que nous sommes tentés, avec J. MERMILLOD (1)et J. DRESCH (2), de rattacher au Continental Intercalaire, attes-
terait l’existence d’un dép6t continental au-dessus d‘une surface anté-Karroo très développée. C’est sur la même
surface, peut-être déjà déformée, que la transgression de la Bénoué aurait pénétré d‘ouest en est, jusqu’à la zone
déprimée qui commençait à fonctionner dans la région de Doba. (Pl. IV, A).
La fin de la transgression crétacee s’est accompagnée de plissements et de dislocations dont témoignent les
synclinaux faillés de Léré-Fuiguil et les pendages de la série de Lamé. A partir de ces déformations, le bassin
de la Bénoué et la fosse de Doba semblent avoir évalué séparément. A l’ouest, l’évacuation des formations détri-
tiques du Tertiaire s’organise en direction du Niger. A l’est, au contraire, elles s’accumulent dans les fosses de Doba
et de Fort-Archambault, soumises à un phénomène de subsidence (1).La succession de phases d’érosion, d’alluvion-
nement, d’épandages, de sédimentation calme en cuvettes ainsi que la diagenèse subie au Gours de leur enfoncement
expliquent l’alternance des faciès dans le matériel déposé au Continental Terminal : conglomérats, grès violacés,
sables, argilites, grès ferrugineux, sables et argiles.
La période de remblaiement du Continental Terminal se termine par une phase climatique pendant laquelle
les phénomènes de pédogenèse prennent le premier pas sur les formations argilo-sableuses qui terminent la série
fluvio-lacustre. Ayant peut-être déjà subi une évolution pédogénétique sur le socle avant leur érosion et leur trans-
port, elles sont soumises après leur dépôt à un processus de ferrallitisation qui sera poursuivi à plusieurs reprises
pour aboutir aux cuirasses bauxitiques dont les buttes de Bégamber, Bégambré, Koro et Rlbéri portent les derniers
témoins.
Le Quaternaire
Après cette période de relative stabilité qui permet l’élaboration de la cuirasse sommitale, le sud du bassin
est soumis à une sévère reprise d’érosion - sous l’effet probable d’un relèvement du socle - érosion qui aboutit
à l’élaboration de la surface des koros, plus ou moins ondulée en fonction d’axes de drainage différents (voir ci-après)
et qui ne porte plus que de rares témoins de la surface ancienne : buttes de Bégamber-Bégambré e t de Koro-Méri.
Une nouvelle phase de stabilité sous climat à saisons alternées favorise alors le cuirassement de la surface
des koros tant par accurdulation relative que par accumulation absolue des éléments enlevés aux cuirasses supé-
rieures anciennes.
Le phénomène de subsidence qui affecte la cuvette de Doba se poursuit au Plio-Quaternaire, entraînant la
déformation des couches de grès. Le maintien d’une ride anticlinale du socle, selon la direction Fianga-Niellin,
semble attesté par les pointernents cristallins de Goueye-Goudoum, Tagal, Daloué et par la remontée du socle sous
le koro de Guidari (1).L’existence de cette ride favorise le rassemblement des eaux dans la cuvette de Doba et,
plus à l’est, dans celle de Fort-Archambault, ainsi que l’accumulation des sables du Continental Terminal remaniés
et des éléments arrachés aux cuirasses, aussi bien au nord des lcoros que dans ces cuvettes.
Les sables remaniés s’étalent très loin au nord des koros dans les régions de Yagoua, Bongor, Kélo, Guidari.
Leur altération pédogénétique est moins poussée que celle des sables rouges restés en place sur les koros, d’où leur
couleur (( beige 1) qui peut entraîner leur confusion avec les sables beiges de la série stratigraphique du Continental
Terminal. Ils s’en distinguent pourtant par leur aspect plus rubéfié et une &volutionpédogénétique des quartz.
Les sables beiges )) d’épandage ne sont que des sables rouges remaniés. Pour éviter toute confusion, l’appellation
de (( sables de Kélo )) sera limittie ici aux seuls sables remaniés par l’épandage des sables du Continental Terminal,
pour lesquels nous conservons l’appellation de sables paléo-tchadiens (3).
Tandis que les produits arrachés à la surface d’accumulation des grès et sables paléo-tchadiens - devenue
surface d‘érosion - sont épandus en direction du nord et à l’intérieur de la cuvette de Doba, les faibles pentes
soumises à cette érosion évoluent vers la ferruginkation d’une vaste surface cuirassée. L’épaisseur des cuirasses
(1) J. MERPIILLOD,1962.
(2)Propos de terrain.
(3)ERRART, 1954, p. 32, ROCE,1950 et 1952 c, Ph. WACRENIER,
1953,BOUTEYRE,
CABOT,DRESCE,
1964.
CARTE N O 2. - Le confluent Logone-Pendé et les koros de Bénoye et Guidari : 1. GrBs de Pala; 2. Affleurcments de cuirasse; 3. Village.
L E BASSIN D U MOYEN L O G O N E 55
développées 4 la périphérie des koros, cuirasses aujourd’hui dégagées et surplombant les terrasses actuelles des
cours d‘eau, permet de supposer une période assez longue d’élaboration, à la fois par accumulation absolue au
bas des pentes et par accumulation relative du fait des lessivages verticaux et obliques. La surface ainsi cuirassée
forme encore I’élément essentiel du relief de la zone des koros. On la suit depuis le Bahr-Sara au sud-est jusqu’au
mayo Kébi au nord-ouest.
La communication de la cuvette de Doba avec la zone de Laï ne devait être alors qu’intermittente, voire inexis-
tante. Le facteur décisif de l’érosion du seuil Logo-Bara, dont l’armature gréseuse est alors mise à nu (grès de Logo,
Bara, Djabi et Bilma), semble dû à un phénomène de déversement des eaux de la cuvette de Doba. Se frayant
une voie vers le nord, ces eaux ouvrent une brèche que les tracés hydrographiques ultérieurs utiliseront. I1 semble
préférable de parler de déversement plutôt que d‘attribuer la vidange de cette cuvette méridionale à des captures
régressives à partir de la cuvette tchadienne au nord des koros, le recru humide s’étant certainement manifesté
d’abord par le sud (1).I1 en résulte une incision de la surface indurée et la mise en relief de buttes cuirassées en
bordure des fleuves (exemple : Bara, Béladjia, Lara, Doba, Bébo). Carte 2.
Une accentuation du climat vers l’humidité semble avoir ensuite entraîné une accumulation des eaux dans
l’ensemble de la cuvette tchadienne, jusqu’à l’intérieur des koros et jusqu’à l’ensellement du socle entre Pala et
Mbourao qui joue alors le rôle de vaste déversoir en direction de la Bén0ué.j
Le Paléo-Tchad
A cette extension maximum du lac Tchad au Quaternaire correspond le dépôt de la série sablo-argileuse à
argilo-sableuse à concrétions calcaires qui présente des faciès très différents allant d’une dominante sableuse gros-
sière à une dominante argileuse selon les régions. La base est, en général, toujours plus grossière, prenant l‘aspect
d‘un grès blanchâtre caractéristique le long des berges du Logone de Laï à Bongor ou sur les rives des lacs de Fianga
et de Tikem. Les concrétions calcaires de neoformation voisinent parfois avec des nodules ferrugineux arrachés
aux cuirasses d’amont.
La présence de cette série généralisée à toute la zone du moyen Logone (2) entre le confluent Logone-Pendé,
les lacs Toubouri et le Ba-Illi en fait un niveau repère important. Les dépôts ont commencé en amont du confluent :
on les trouve dans les hautes terrasses de Moundou à Nama. G. BOUTEYRE les signale à proximité de Bébedjia et en
amont de Moundou en bordure des lacs Oueï et Géro, ainsi qu’en amont de Doba, dans la dépression de Béti (3).
I1 les retrouve à proximité de la Pendé dans le bassin du Mandoul. On peut donc penser que les koros de Guidari
et de Koumra ont été ceinturés par les eaux du grand lac paléo-tchadien ou tout au moins isolés par les basses
vallées inondables et anastomosées (4) des cours d’eau descendus du socle : Logone, Pendé, Mandoul et Bahr-Sara,
formant un vaste réseau à communications transversales au sud des koros, réunissant’ ainsi les anciens axes d’écou-
lement ouest-est à la percée récente sud-nord.
Plus au nord, les parties hautes des épandages des sables de Kélo échappent aussi à l’ennoyage du paléo-Tchad
e t au dépBt de la série à concrétions dans les zones de Morfoudaye-Hollom, Yagoua-Kalfou, Bongor-Kaïna, Baki-
Malaram-Ba-Illi. Certains points les plus hauts de ces secteurs sont encore couronnés de sables rouges, soit qu’il
s’agisse de la partie supérieure d‘anciens koros dont le matériel aurait alimenté les épandages environnants de
sables de IGlo, soit qu’il faille attribuer cette rubéfaction à une pédogenèse plus récente. Dans cette seconde hypo-
thèse, il faudrait admettre ou bien une localisation extrême du processus d’enrichissement en fer, ou bien l’érosion
massive de l’horizon rubéfié autour $es points épargnés : Gounou-Gan, Marba-Gogor, Tafé, sommet des alignements
sableux Yagoua-Kalfou (Poutiki, Ech. no 219). J. PIAS(5) pense plutôt que les sables des sommets des croupes
ont conservé la couleur rouge des quartz rubéfiés enlevés aux anciens sols ferrugineux tropicaux du socle, tandis que
les horizons inférieurs soumis peut-être aux fluctuations du lac perdaient cette rubéfaction. Dans cette hypothèse,
il semble que le battement de la nappe aurait dû favoriser l’induration de ces niveaux inférieurs, ce qui ne semble
pas être le cas.
La série à concrétions s’étend jusqu’aux lacs de Fianga et de Tikem, au niveau desquels a dû fonctionner,
au moins dès cette période humide, le déversement des eaux de la cuvette tchadienne en direction de la Bénoué.
Etant donne la faible épaisseur des dépôts ultérieurs, il semble logique que le même déversement se produise
chaque fois que les eaux d’épandage du bassin moyen du Logone atteignent le niveau supérieur de la série à concré-
tions. I1 cesse lorsque les eaux se trouvent à un niveau inférieur.
C’est ce qui s’est passé lors de la periode climatique suivante, apparemment plus sèche puisque le niveau du
la0 a baissé, entraînant le retrait de son rivagc vers le nord et l’érosion des fleuves obligés de se raccorder ti un
niveau de base plus bas. Dans la plaine au nord de Laï, la série ?I concrétions est directement recouverte et ravinée
par des alignements de sables grossiers. Leur orientation est sensiblement sud-nord au nord et nord-est de Laï,
ils sont beaucoup plus variés dans les plaines est de Bongor entre Bissini et Ba-Illi et sur la rive gauche du Logone
entre firé et les lacs Toubouri. Les apparences semblent indiquer que le drainage de la plaine s’est réalisé en éven-
tail, des lacs Toubouri au Ba-Illi, le Logone n’ayant pas encore 6x6 définitivement son cours sur le tracé actuel. I1
est même probable que les cours du Logone e t de la Tandjilé, avant de se rejoindre sur le tracé actuel, aient balayé
chacun un secteur de ces plaines : la Tandjilé en direction de l’ouest où le lit de la Lolra présente les caractéris-
tiques d’une vallée de fleuve important e t bien constitué, le Logone en direction du nord et de l’est. C’est par éro-
sion de la série à concrétions que le Logone fixe son cours entre Laï et Bongor. L’abaissement du niveau de base
local -niveau des eaux du lac -favorise le dégagement d’une large vallée sur les deux rives de laquelle on retrouve
la série à concrétions, lorsque les dépôts ultérieurs n’en ont pas fossilisé les berges.
Les dépôts de sables grossiers du même type que ceux des alignements des plaines environnantes comblent,
en effet, une large partie du cours actuel du fleuve, formant des basses terrasses dont le matériel repris et déplacé
chaque année favorise la création de bancs qui encombrent le lit mineur.
grosion.
Tropical sec. grosion des basses terrasses. Sables et limons.
Transport.
2e extension du lac.
Transport Cordon sableux Yagoua
Tropical humide. Alluvionnement. Limons des berges
Argiles des yaérés.
paléo-Tchad.
lar
Transport. Dépôt de la série argilo-sableuse.
Humide.
Alluvionnement. Déversement vers la Bénoué.
~~ ~
sableux marque, en effet, la limite de l’extension du dépôt des argiles récentes caractéristiques d’une nouvelle
sédimentation lacustre. Ces argiles constituent la surface inondable des plaines du bas Logone appelées yaérés.
Ce relèvement du niveau de base entraîne le dépOt dans la zone pdrilacustre des limons et argiles de la série
récente Q actuelle qui constitue la formation des berges du Logone. Cette formation des berges se dépose indiffé-
remment sur la skie des argiles à concrétions des hautes terrasses et sur les sables grossiers encombrant le lit du
fleuve. On la retrouve ainsi de part e t d‘autre du Logone, recouvrant tantôt la série ancienne, tantôt les sables
plus récents, si bien que la distinction entre hautes terrasses et basses terrasses devient assez dificile à partir de
Kim-Éré. Le dépôt des limons et argiles récents jusqu’à l’exutoire de Mbourao prouve que le déversement des eaux
du bassin en direction de la Bénoué a fonctionné une nouvelle fois.
L’existence d‘un cordon sableux plus récent proche du rivage actuel du lac permet de supposer une nouvelle
remontée du niveau plus faible qui n’entraìne pas de changements notables dans le bassin moyen, où la série limo-
neuse continue de se déposer. (PI. I, C).
L’absence de transports grossiers par-dessus les berges, le caractère limi té des dépôts actuels permettent
d‘affirmer que le bassin du Logone évolue vers un ralentissement du drainage et du transport. Les déversements
anciens par l’exutoire du mayo Kébi ont dû avoir une ampleur que les crues de saison des pluies sous climat actuel
n’arrivent pas à égaler.
Le tableau ci-dessus essaie de résumer l’évolution climatique et géomorphologique du bassin en Yétat des
connaissances actuelles. Nous avons limité le nombre des extensions lacustres considérées Q celles du Quaternaire,
et nous en obtenons trois alors que J. PIASet A. BOUCHARDEAU en notent quatre, en considérant les grès et argi-
lites paléo-tchadiens comme les sédiments déposés dans une mer du Continental Terminal qui se serait étendue
jusqu’au pied des massifs cristallins (1).
CARTEN O 3. - Sols du Moyen Logone : 1. Sols de Naga; 2. Sols argilo-limoneux et limono-sableux sur alluvions récentes et actuelles; 3. Sols sableux
sur alluvions rbcentes; 4. Sols argileux et argilo-sableux à concrétions calcaires; 5. Sols ferrugineux tropicaux : beiges e t rouges sableux e t
sablo-argileux; 6. Sols d’arknes en place; 7. Affleurements de cuirasses: 8. Sols sur dolérites (Youhé).
LE BASSIN DU MOYEN LOGONE 59
haut niveau de la nappe dans la cuvette de Doba serait dû à l’ensablement de la région et la formation d’un seuil
sur les affluents du Mandou1 (Goumlo-Dolmadji) (1).
A l’opposé des plaines inondables, les koros posent le problème difficile de leur alimentation en eau. La nécessité
de décongestionner leur périphhie surpeuplée au profit de leurs parties plus élevées a entraîné l‘exécution de cam-
pagnes hydrogéologiques grâce auxquelles les niveaux des nappes profondes ont été reconnus.
Les koros se caractérisent essentiellement par l’impossibilité d’atteindre une nappe phréatique par les moyens
de forage traditionnels des puisatiers locaux. Les forniations des koros : sables, cuirasses, argilites, grès, sont dues,
nous l’avons vu, à une sédimentation de type fluvio-lacustre où les dépôts sont essentiellement lenticulaires. Les
argiles, en particulier, ne forment pas une série unique d‘extension générale. Elles peuvent difficilement jouer
le rôle d‘un niveau imperméable continu.
La nappe hydrostatique du kor0 de Bénoye (2) est à 375 m sur sa partie nord-est, ce qui la met à 120 m du
sommet du koro. Elle semble s’approfondir et parfois se dedoubler dans la partie ouest. Le fait peut s’expliquer
par la présence de niveaux d’induration dans la masse sableuse favorisant la création de nappes temporaires (&h. 75,
Mballa).
Souvent, en effet, des niveaux de sources se manifestent à l’affleurement de cuirasses reposant ou non s i x une
série argileuse. C’est le cas à Gabri-Ngolo sous la cuirasse scoriacée qui domine le fleuve, à Nama, sous la série sablo-
argileuse à concrétions, sous les cuirasses du plateau de Sar, dans la région de Manso, où naît la Nya de Doher.
Parfois aussi, à la surface des koros OU sur leurs pentes, la présence d‘une cuirasse sous-jacente favorise le
maintien prolongé de l’humidité du sol. Le phénomène entraîne souvent le développement de termitières cham-
pignons. Mais ces zones ne sont humides qu’en saison des pluies et les brûlis de saison sèche détruisent l’avantage
qu’un surcroît d‘humidité pouvait présenter pour la végétation. (PI. I, A).
Après avoir fait le bilan des apports de la zone cristalline dans le débit d’étiage du Logone à Laï, J. MER-
MILLOD constate que, sur 75 m3/s environ, 35 peuvent provenir des nappes contenues dans le Continental Termi-
nal. L’existence de la cuvette de Doba reconnue par sondages électromagnétiques permet d’envisager l’hypothèse
d‘ (( un système de nappes en charge en relation les unes avec les autres )) (3), système (( limité à grande profondeur
par une assise imperméable qui pourrait être la base du Continental Terminal D.
Mais l’existence de nappes profondes (700 m) ne permettra pas de résoudre dans l’immédiat le problème du
peuplement des koros, problème sur lequel il nous faudra revenir.
LES SOLS
Le bassin présente une grande variété de sols dérivés des différentes formations qui s’étagent depuis la cein-
ture montagneuse cristalline jusqu’aux cuvettes déprimées du bas Logone. Le rôle de l’inondation limité aux
fonds de vallées dans le haut bassin prend une importance croissante vers l’aval, créant ainsi une distinction essen-
tielle entre sols exondés e t sols inondables (il).
Les trois autres grandes classes de sols que l’on rencontre dans le bassin sont essentiellement:
- les sols à sesquioxydes ;
-- les sols ferrugineux tropicaux ; . .
- les sols hydromorphes.
Sols à sesquioxydes
Outre les sols ferrallitiques des cuirasses anciennes limilées au sommet de quelques koros, cette classe de
sols est surtout représentée par les sols faiblement ferrallitiques. (Pl. I, B). (1).
Les sols rouges sont développés sur les séries du Continental Terminal, c’est-à-dire sur les koros du sud du bas-
sin et sur les buttes épargnées par la sédimentation argileuse lacustre à nodules. Leur horizon supérieur est composé
en forte majorité de sables grossiers et fins fortement rubéfiés, tandis que la proportion d’argile croît en profondeur.
Ce sont donc des sols profonds et bien lessivés, mais leur fertilité est réduite, car leur horizon supérieur sableux
est chimiquement faible e t sans réserves minérales. Ils exigeraient des jachères de 5 à 8 ans que le surpeuplement
de certaines zones ne permet pas toujours de leur accorder. Ils sont voués aux assolements classiques : coton OU
aitachides et mils, en mélange avec légumineuses.
Lorsque les sols rouges ont été tronqués et leur horizon supérieur sableux entraîné en épandage, l’horizon
argileux mis à nu donne des sols i forte capacité de rétention d’eau, plus difficiles à travailler.
D’autres types de sols rouges se rencontrent en divers points des koros :
- sols rouges à contritions ferrugineuses limités aux replats de bas de pente. Leurs horizons inférieurs h
partir de 30-40 cm sont nettement argileux, mais cette proportion d’argile diminue vers 1 m avec l’apparition des
concrétions. Ces gravillons ferrugineux semblent résulter d’un lessivage vertical mais surtout oblique des s&-
tions ferrugineuses.
- sols rouges peu profonds sur cuirasses ou cuirassements. 11s caractérisent les sommets et les pentes des
koros. La présence de cuirasses sous-jacentes favorise la stagnation des eaux en saison des pluies. Parfois, la végé-
tation arborée en est absente, tandis que des blocs de cuirasse jonchent leur surface très plate. Ces sols, peu épais,
ont le même degré de fertilité que les sols rouges cj-pais, et les agriculteurs n’hésitent pas à les mettre en culture
(coton, mil), mais la reconstitution de la savane arborée y est plus lente. (Pl. I, A.)
carapaces présentes sur les bords du Logone et de la Pendé, de Laï à Uébo e t Moundou, nous ont paru liées au
battement actuel de la nappe entre saison sèche et saison des pluies. En ccrtains points, ces cuirasses paraissent
n’être qu’un niveau de concrétionnement dans la série sablo-argileuse Q nodules. En saison sèche, de petites résur-
gences se produisent à leur base. Les sols qu’elles portent peuvent rester gorges d’eau pendant plusieurs mois par
an, bien que leur profil montre un profond lessivage de leurs horizons supérieurs. Le lessivage, plus ancien, pour-
rait avoir été interrompu par les phénomènes récents de concrétionnement.
- sols beiges ferrugineux tropicaux p e u lessivis.
Les alignements sableux laissés par les anciens cours du Logone ou de ses effluents présentent un relief suffi-
samment élevé pour que leur sommet échappe à l’inondation génthle. Les bourrelets anciens du Logone et de la
Pendé dans leurs lits majeurs présentent les mêmes caractéristiques en amont du confluent.
Ces sols sont pauvres, leur lessivage est faible. 11s ne sont pas uti1isC.s pour la culture dans les grandes vallées
où les terres voisines des koros sont suffisantes. En revanche, ils constituent les seules terres exondées des zones
inondables e t deviennent le lieu de refuge des villages et des cultures. Ils sont trop proches de la nappe phréatique
pour permettre la culture du coton. Les rendements en mil n’y sont pas brillants. Ces sols exigeraient des jachères
prolongées, mais l’exiguïté des buttes entraîne leur surculture et leur appauvrissement.
(1)ERHART,PIAS,LENEUF1954, p. 74.
(2)ERHART
1943 (b)terres appelées ici MOURSI B.
L(
(3)Y.CURESe t D. MARTIN1957.
6
62 J E A N CABOT
Dans les plaines d’inondation de Laï et de Bongor, les sols argileux à concrétions calcaires et à effondrements
constituent souvent la moitié de la superficie des terres. Ils sont inondés par les déversements du fleuve sous une
nappe d’épaisseur variable allant de 20 cm à 1 m. Siir le passage des courants, on constate une érosion qui favorise
l’évolution d’un micro-relief (1).
Le passage des eaux de déversement ou la stagnation des eaux d’inondation accentuent ce micro-relief fait
de petites buttes et de creux. Au sommet de chaque monticule, une épaisseur variable de gravillons ferrugineux et
de concrétions calcaires repose sur la masse argileuse. Entre ces buttes se creusent de petites dépressions dont le
fond, fait d‘argile e t d’humus, se dérobe sous le pied. Ce type d‘argile tire son nom de cette particularité : argiles
concrétions calcaires et à effondrements. Les pédologues expliquent ces effondrements soit par l’entraînement
mécanique de l’argile très dispersée le long des fentes de retrait, soit par la dénudation chimique en profondeur
lors du retrait des eaux, soit encore par l’action combinée de ces deux factcurs. I1 en résulte une succession de
dépressions et de buttes recouvertes de concrétions calcaires. Celles-ci protègent les buttes de l’érosion et tendent
à accentuer le micro-relief (2).
De vastes étendues de ces sols restaient incultes du fait de leur submersion pendant deux ou trois mois, mais
aussi du fait que les populations Massa ne pratiquent pas la culture des mils repiqués de saison sèche. Des travaux
d’assèchement ont été entrepris pour les livrer à la culture traditionnelle de saison des pluies. (Cf. Chap. XVI)
Les sols limoneux se forment sur les dépôts actuels. Sur les bourrelets de berge du Logone e t des effluents, les
alluvions argilo-limoneuses sont surmontées par des sols légers, pulvérulents ; ce sont des sols très acides, riches en
humus et en bases échangeables. Les populations riveraines les cultivent en riz ou en éleusine selon la hauteur
de la nappe d’inondation (de Laï à Djoumane et autour de Katoa).
Sur les dépOts actuels des dépressions intérieures se forment des sols limoneux-sableux peu &pais(20 à 80 cm)
constitués d’une terre légère poudreuse, pulvdrulente, noire, riche en matière organique. On les trouve indifférem-
ment sur des sédiments beiges sableux ou sur les argiles à concrétions calcaires. Ils sont donc allogènes, mais les
sédiments qui les supportent leur procurent une évolution différencibe. Ce sont toujours des sols faciles à travailler,
voués à la culture du riz; leur acidité est élevée en surface, niais ils sont riches en éléments échangeables, en matière
organique et en humus. Ils sont sujets, en saison sèche, à une érosion éolienne particulièrement intense.
Signalons, enfin, les (( sols de Naga I), dont la véritable extension ne commence qu’au nord du paral-
lèle de Mogroum. On ne les trouve dans la région de Bongor e t de ”Gam qu’en surfaces réduites entre Logone e t
Ba-Illi, ainsi que sur la rive gauche du Logone.
Leur horizon supérieur sableux peu épais repose sur des argiles grises contenant des concrétions calcaires,
ce qui leur donne une grande compacité e t une imperméabilité préjudiciable à certaines cultures (cotonnier). &lais
leur caractéristique principale est leur forte salinité, que l’on ne rencontre pas dans les autres argiles. Les condi-
tions de leur formation sont, encore discutées. (( Bien souvent, ces sols à alcalis sont situés en bordure d‘une inon-
dation importante ;il faut penser que cela favorise des phénomènes de remontée des solutions du sol et une fixation
plus importante de sodium sur le complexe absorbant )) (3).
(( Les Naga forment, en génGra1, des sols exondés, situés en dehors de la zone d’inondation normale. Faut-il
considérer dans ces sols l’horizon supérieur comme un horizon fortement lessiv6, ou bien y voir deux alluvionne-
ments différents? La seconde hypothèse semble plus fondée si l’on considère que les argiles à concrétions calcaires
peu imperméables ne présentent généralement pas de lessivage important ( 4 ) D.
Les sols du bassin du Logone sont donc assez variés grâce à la juxtaposition du socle, des formations sableuses
exondées du sud du bassin, des zones inondables du bassin moyen e t inférieur.
On peut considérer que les processus zonaux d’évolution des sols l’emportent sur le socle, les formations du
Continental Terminal et les épandages des sables de Kélo, aboutissant à la formation des sols ferrallitiques et
des sols ferrugineux tropicaux.
Les phénomènes d’hydromorphie apportent une gamme supplémentaire de sols hydromorphes que l’on pour-
rait baptiser azonaux ou intrazonaux (5) e t dont la situation, les qualités physiques e t chimiques ouvrent la possi-
bilité de cultures ininterrompues avec plusieurs récoltes par an. C’est 18 un facteur important dans l’explication
des densités humaines exceptionnelles rencontrées dans cette partie du Tchad et du Cameroun. C’est aussi une
promesse pour leur mise en valeur.
Mais le point le plus intéressant pour l’explication géomorphologique de ces régions découle de cette juxta-
positon de sols anciens conservés ou tronqués, de sols plus jeunes, eux aussi érodés, et de sols en cours d’élaboration.
Cette variété de paléosols vient confirmer l’analyse des formes du terrain en nous permettant de classer, ainsi
que R. R~AIGNIEN a pu le faire en Guinée (i),les différentes phases d’érosion et de pédogenèse qui se sont succédées
depuis le dépôt du Continental Terminal. I1 est particulièrement réconfortant que les méthodes de la Géomor-
phologie et de la Pédologie permettent d’aboutir à des hypothèses très voisines sur les paléo-climats qui ont pu
se succéder depuis cette époque. S tratigraphiquement, les sols les plus anciennement élaborés (sols ferrallitiques
e t ferrisols) se trouvent bien occuper les surfaces qui nous ont semblé les plus anciennes : sommets des koros et
pentes rksultant de leur individualisation. L‘ancienneté des sols ferrugineux décroît avec l’intensité de leur lessi-
vage et nous fait passer des surfaces d‘épandage des sables de Ké10 aux épandages plus récents des alignements
sableux. Tandis que ces processus de lessivage se poursuivent, le caractère hydromorphe des sols topographique-
ment les plus bas, mais les plus récents, s’élabore SOUS le climat tropical sec à saisons alternées dont bénéficie actuel-
lement le bassin moyen.
1'
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vkìÉTATION
DU
MOYEN LOGONE
Prairie inondable Aires défrichées
Elaeis Roneraie
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Savane boisée
y y y Savane à Bpineux
(bush)
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l%,pl Faidherbia
ms avane arborée
inondable
100 km
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9
... .
LA VÉGÉTATION
La transition entre les formations végétales de la zone soudano-guinéenneet celles de la zone soudano-sahélienne
s’opère dans le bassin du Logone en fonction de l’assèchement du climat du sud au nord de la cuvette, de la nature
des sols, des formations géologiques. Mais l’action de l’homme joue un rôle sélectif - volontaire ou involontaire -
parmi toutes les essences naturelles, et nous verrons que certains paysages de riheraies, de doumeraies ou de parc
à Faidherbia sont entièrement dus à l’action des agriculteurs.
La carte 4 souligne l’importance du rôle joué par les zones inondables dans cette transition. De Niellim
au mayo Kébi, la plaine inondable 4 graminées s’intercale entre une zone de végétation soudano-guinéenne (forêts
galeries, forêt sèche, savane boisée) au sud et les steppes arborées à mimosées, caractéristiques de la végétation
soudano-sahélienne au nord. La prairie inondable permet un passage progressif d‘une zone à l’autre par l’inter-
médiaire de ses marges et par sa végétation propre qui constitue une bande originale où se mêlent les deux types
de végétation, les essences caractéristiques de chacune, souvent conservées lorsqu’elles sont utiles au cultivateur.
Nous avons retenu la terminologie fixée par la conférence de Yangambi de 1956 pour désigner les différentes
formations du milieu tropical (J. TROCHAIN, 1957).
Du sud au nord du bassin, nous décrirons les formations végétales rencontrées successivement sur la ceinture
granitique méridionale soumise encore à de fortes précipitations de type oubanguien, sur les ondulations de la
masse sédimentaire des sables de Kélo, dans les plaines inondables du Logone et enfin sur la bordure occidentale
d e la cuvette où les sols exondes se retrouvent, mais sous un climat déjà plus sec qu’au sud du bassin.
Les plateaux e t croupes granitiques du bassin supérieur du Logone sont généralement recouverts par la savane
boisée dense où dominent Isoberlinia et Anogeissus. Les sols granitiques peu profonds alternent parfois avec des
cuirasses plus ou moins démantelées. La savane boisée dégradée par les déboisements nécessaires aux cultures a
de la peine à se reconstituer. Vue d’avion, cette savane boisée révèle deux sortes de clairières : d’une part, les champs
abandonnés après culture h plus ou moins grande distance des villages ; d’autre part, les zones de cuirasses OÙ
la végétation malingre ou absente semble une gale de la couverture forestière.
Dès que le relief s’accentue, sur les pentes les plus abruptes la végétation s’éclaircit, les pointements cristallins
dépouillés de leur manteau arénacé dressent leurs amoncellements de boules rocheuses dégagées de tout sol continu.
Seuls les vallonnements gardent suffisamment de terre pour que la végétation puisse fixer ses racines. Ainsi, les
monts Kongoara et les monts de Lam, près de Baïbokoum, dressent leurs formes plus ou moins chauves au-dessus
des croupes boisées aux pentes douces des interfluves (fig. 17, E).
Par contre, chaque ruisseau, chaque ravineau, où l’eau de ruissellement s’infiltre dans les arènes qui tapissent
le fond du lit, favorise une végétation plus abondante et les rives sont bordées de petites galeries forestières.
Sur la basse Vina, la savane boisée est peu dégradée en raison du faible peuplement de la région. Certains
resserrements du lit et les cours supérieurs des affluents sont bordés de petites galeries,
Sur les régions du socle, la M’BBré coule au milieu d’une savane boisée assez dense ; dans le massif Ouantounou,
I
chaque affluent favorise une végétation abondante en forme de galerie. La région du bassin de la Lim accuse, par
endroits, une dégradation de la savane boisée : dans les clairières abandonnées après cultures, la végétation ligneuse
a de la peine à se reconstituer.
66 JEAN C A B O T .
Dans le haut bassin de la Pendé, les galeries forestières sont plus rares, la savane boisée s’étend uniformément,
trouée seulement par les pointements rocheux du socle et dégradée aux abords des villages sur les emplacements
de cultures rendus à la jachère.
A partir de Bégouladjé, avec les plaines d’épandage de crue dans le lit majeur, apparaissent les prairies grami-
néennes inondables, étroitement limitées par les versants couverts d’une savane boisée souvent éclaircie par les
affleurements de cuirasses très nombreux entre la Lim e t j a Pendé.
Du parallèle de Goré à celui de Laï, Logone et Pendé traversent la masse des sables du Continental Terminal
accumulés au pied de la ceinture montagneuse. Les vallées s’y élargissent e t le lit majeur inondable varie de 1 à
10 km de largeur. Dès les premières pluies, un tapis herbacé se développe sur les parties de ce lit majeur non encore
gagnées par l’inondation. Les plantes sont assez grandes lorsque les eaux gagnent toute la largeur du lit, elles ne
risquent pas l’asphyxie e t se développent jusqu’à une hauteur de 2 m (Eclzinochloa, Vetiueria, Hyparrhenia,
Oryza) (1).
A l’est de la Pendé, la dépression où se rassemblent les eaux du Mandou1 (affluent de l’Ouham) présente un
peuplement exceptionnel sous cette latitude. Dans un véritable paysage de (c bayous N, au milieu d’une végétation
semi-aquatique, se développent des palmiers à huile (Elaeis).
Les terres sableuses exondées qui constituent les koros sont couvertes d’une savane boisée où dominent Isober-
linin Doka, Bicrkea africana, Agnogeissics leiocarpus. L’action de déforesta tion pour les besoins de la culture
contribue à hâter le remplacement de cette savane boisée par une savane arborie moins dense aux essences diffé-
rentes. La dkforestation sélective pratiquée par les cultivateurs favorise le maintien d’essences utiles à l’homme :
karité (Butyrospermum Parkii), Caïlcédrat (Khaya senegalensis), Rônier (Borassus zthiopicum). Mais les repousses
les plus frtquentes au moment de la reconstitution des jachères sont : Conzbretum sp. Hynzenocardia acida, Danietla
oliveri. Les zones les plus dégradées par des mises en cultures trop rapprochées sont surtout le koro de Bénoye
dans le coude du Logone entre Mondou et Laï (rive gauche) et le koro de Boro sur la rive droite du Logone au sud
de Moundou. La reprise de la végétation est d’autant plus dificile que ces terres sableuses sont indurées à faible
profondeur par des cuirasses ferrugineuses. Lorsque I’érosion les a mises à nu, toute végétation y devient impos-
sible, comme c’est le cas sur une large partie du plateau de Sar au nord du koro de Bénoye (2).
Les plateaux de l’ouest du Logone dans les régions de Tapol, Beinamar, Beissa portent encore une savane
boisée que les ddforestations semblent avoir épargnée depuis longtemps. Marche frontière entre le monde Foulbé
de la vallée du Mayo Reï et les plaines du Logone, cette région ne se repeuple que lentement. Le ruissellement y est
mieux organisé que sur les koros proches du fleuve, et certaines vallées bénéficient d’un écoulement permanent
favorable au développement de galeries de forêt sèche encore impressionnantes (Nya de Beinamar, haute Tandjilé).
Les plateaux sableux viennent mourir sur les dépressions humides de la zone de déversement par une frange
boisée qui court de Ké10 à Pala. Pénétrée et déforestée entre la Tandjilé e t Kélo, cette savane boisée est restée
intacte sur la haute Kabia. L’administration a profité d‘un I Z O man’s land important pour délimiter la forêt classée
de Yamba Bérété. La savane boisée s’y reconstitue lentement.
A l’est du confluent Logone-Pendé, le koro de Guidari porte, lui aussi, de beaux vestiges de savane boisée
tirant sur la forêt sèche. La difiiculté d’approvisionnement des populations en eau a limité le peuplement et pré-
servé ainsi la végétation naturelle sur les parties les plus hautes. Elle n’est entamée e t réduite en savane arborée que
sur la périphérie du lioro. Dans le voisinage des localités de Guidari et de Donomanga, une végétation particu-
lière s’est développée en bordure de dépressions humides où elle prend l’allure de galeries soudaniennes avec une
végétation haute e t dense oh se mêlent : Combretum, Daniella, Khaya, Butyrospermum.
L’inondation des plaines repousse la végétation vers les terres exondées ou faiblement inondées. La densité
du peuplement arboré est fonction de la profondeur de la nappe d’inondation, Au-dessus de 1 m d‘eau, la seule
végétation reste-la prairie de type marécageux. Les quelques arbres repères qui jalonnent les plaines de loin en
loin sont réfugiés sur les rares buttes, les termitières qui Bchappent à la nappe. Aucun lien ne peut plus être établi
entre la végétation et Ics sols : (( Dans les zones inondées, les relations qui lient le sol à la végétation arbustive sont
négligeables, car l’eau est le facteur dominant. L’étude d’une espace ou d‘un groupement arbustif ne nous conduit
pas à l’identification d’un type de sol, mais à la hauteur d’eau d’inondation ... )) (1).
Au nord de Kélo, les séries des sables du Continental Terminal son1 envahies par les déversements latéraux
de la Tandjilé : dépression de Kolon, (( doigts de la Tandjilé )) et dépression Rfarba. Les fonds inondables sont consa-
crés par la population à la culture du riz. Les buttes est-ouest qui les limitent portenL une végétation de savane
arborée où dominent les espèces qui s’accommodent d’une nappe phréatique proche du sol (Combreturn, Tertni-
nalia macroptera, Ficus sp.). Les buttes les plus larges et les plus élevées gardent parfois des varibtés plus typi-
quement soudaniennes (KyaAa sen., Bombax, Butyrospermum), auxquelles se mêlent les esseilces plus typiquement
sahéliennes (Hyphæne thebaica, Acacia seyal, Tamarinus indica, Faidherbia albida).
La Tandjilé est bordée sur sa rive gauche par une savane arborfie moyennement dense qui cesse au niveau des
déversements à partir de son confluent avec le Logone. La zone de déversenient d’Er6 au lac Boro est entièrement
recouverte par une prairie graminéenne. La végétation arborée reprend plus à l’ouest en bordure de la Loka et de la
Kabia, toujours caractérisée par les espèces s’accommodant d’un niveau phréatique blevb. (Pl. XI, B.)
(( La grande extension de Terininulia macroptera est souvent en peuplements purs et penetre assez avant dans
les surfaces inondées, relayé ensuite par le Mitragyna africana qui apparaît isolé dans la plaine. 1) (1)
Sur la rive droite du Logone, les déversements en direction du Ba-Illi entre Laï et Djouniane favorisent I’exten-
sion de la prairie graminéenne à Andropogon, Imperata et Vetiver. Certaines essences ligneuses parviennent i se
maintenir lorsque l‘inondation n’est pas trop profonde. La prairie se limite alors aux zones les plus basses, qui sont
bordées d’une savane arborée lorsque le relief gagne quelques centimètres sur le plan d’eau. Les essences carac-
téristiques de cette savane arborée des zones inondables sont essentiellement : Bauhinia reticulata, Comtretum
glutinosum. Gardena ternifolia, Terminalia macroptera, hlitragyna africana.
Sur les termitières exondées se réfugient des épineux du type tamarinier ( Tamarinus indica) ou Acacia (site-
riana) et les espèces buissonnantes (Ziziphus spina Christi) ou grimpantes (Cissus guadi aìigularis).
Les buttes sableuses exondées allongées sud-nord entre Logone et Ba-Illi portent les espèces déjà rencontrées
dans la savane inondable, mais celles-ci cèdent le pas devant les essences plus typiquement sahéliennes : Faidherbia
albida, Douni ( N y p h s n e thebaica), Rônier (Borassrcs sthiopicum), Baobab (Adansonia digitatu), Euphorbes. Cer-
tains de ces arbres forment même des peuplements homogènes favorisés par les cultivateurs qui épargnent l’es-
pèce dans leurs défrichements. Ainsi, les villages de Lodji et Tchaguen gardent les Faidherbia en peuplement
continu au-dessus des cultures vivrières du village. Les buttes sableuses à l’ouest de Deressia et la région de ”Gam
ont conservé un peuplement homogène de Borassus sthiopicum, veritables rôneraies auxquelles se mêlent les essences
de la savane arborée inondable lorsque la jachère se reconstitue.
Au nord de Bongor, la rive droite du Logone était jusqu’aux endiguements récents le domaine de la prairie
inondable sur les sols argileux envahis par les eaux pendant plusieurs mois de l’annbe. La végétation ligneuse
réfugiée sur les rares et étroites buttes sableuses ou le long des bourrelets de berge est à dominante de Faidherbia
albida, Hyphæne, Ficus, frangée en bordure des dépressions inondées par les essences supportant une faible inon-
dation : Terminalia macroptera, Com bretum glutinosum, Bauhinia.
Sur les buttes, los cultivateurs conservent Faidherbia et Hyphæne autour des villages de Malam-Sadi, Biliam-
Oursi, Fressou. Plus au nord, vers Gouaye, Icatoa, les raniers (Uorassus) sont conservés près des cases obus et les
villages conservent l’ombre des ficus sur leurs places.
Echappant à l’inondation généralisée, une large écharpe de terres sableuses va du Logone au Chari entre les
zones inondables de Laï et du nord Bongor. Griice à cette bande sableuse, une savane boisée peu pénétrée par
l’homme s’btend du Ba-Illi au Chari. Particulièrement bien conservée sur les rives du Chari (ancienne marche
frontière entre le Baguirmi e t les populations du Logone), elle s’&end vers l’ouest au-delà du Ba-Illi en direction
de Bongor jusqu’à Baki-Malaram. Elle garde son allure forestière jusqu’aux plaines inondées par la Bissim au nord-
est de Bongor.
Sur la rive gauche du Logone, en direction de la bordure montagneuse du Mandara, la végétation ligneuse
apparaît dès que cesse l’inondation profonde, mais les espèces sont, cette fois, franchement sahéliennes, dans une
savane arbustive claire où dominent les épineux. L‘Acacia seyal et les autres mimosées y deviennent prépondérants,
tandis que le sol se couvre d’un tapis graminéen peu élevé d’dristida.
(1)GUICHARDe t BARBERS
1960, p. 40.
68 JEAN CABOT
L'importance du peuplement dans le pays Toubouri et la culture permanente sur les terres argileuses des
dépressions légèrement inondables empêchent la reconstitution des jachères forestières sur de larges étendues. La
savane arborée puis la savane boiske font leur réapparition sur les terres granitiques du socle entre Kaélé et le mayo
Icébi. Les essences y sont m&léesavec une dominante de Boswellia delziellii, Adansonia digitata, Prosopis aJrican,a(I).
La couverture forestiere reste claire et facilement pénétrable sur des sols squelettiques. Les formes de dégradation
paraissent essentiellement constituées par des savanes arbustives à Terminalia. Mais, par endroits, la roche débar-
rassée de sa couverture arénacée est mise à nu et les conditions écologiques sont suffisantes pour expliquer l'indi-
gence du couvert forestier. La région qui entoure les chutes Gauthiot est, en effet, à peu près déserte e t les feux de
débroussage n'ont joué ici aucun rôle.
AU sud du mayo Kébi, la région de Lamé-Dari oÙ dominent les grès et sables du Crétacé se présente comme
une vaste campagne dénud&e,aux croupes blanchâtres piquetées de loin en loin d'arbres au port m4diocre, seuls
vestiges d'une végétation d6truite par l'ancienneté de l'occupation humaine. La vue aérienne montre l'occupation
trbs dense de ces terres, où le chevelu serré des thalwegs favorise l'érosion qui empêche la reconstitution du couvert
forestier. (Pl. II)
La savane boisée ne reprend qu'à l'ouest sur les reliefs granitiques du Goumbairé et à l'est sur les plateaux
de Pala. Certains îlots de forêt sèche subsistent encore dans la vallée du mayo Bamba-Daïna, tributaire du mayo
Reï, autour de Baida-Djerassim et au sud de ce village.
r-
l i \ R.LETOUZEY
1963.
BASSIN DU MOYEN LOGONE
MORPHOLOGIE
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La description du milieu physique où sont implantés les IGrdi du moyen Logone nous met en mesure de
dégager les impératifs naturels dont les effets déterminent en partie le mode de vie des populations.
Le grand rythme annuel de la vie végétale e t animale est regi par la succession des deux saisons bien tranchées
qui caractérisent le climat du bassin. Aucune surprise dans le déroulement des conditions de vie annuelles. I1 est un
temps pour chaque activité, un temps pour cultiver, un temps pour pêcher, un temps pour jeûner et, cependant,
débrousser.
- Le régime des eaux conditionne étroitement la vie de chacun. Les eaux épandues délimitent les zones habi-
tables et cultivables, elles apportent les limons, favorisent le retour du poisson, elles font lever les cultures. Comment
a-t-on pu baptiser (( hivernage 1) cette saison du retour des eaux porteuses d’espoirs, cette saison où chacun s’affaire
à obtenir le masimum de récolte ?
- Le caractere du relief oppose deux régions naturelles : monde exondé du sud du bassin et plaines inondables
du bassin inférieur. C’est pourtant la même humanité paysanne qui peuple l’ensemble des pays du Logone.
- Les sols, dans les deux grandes catégories des sols ferrugineux et des sols hydromorphes, par toute la gamme
étalée entre les terres sableuses et les terres argileuses, offrent, grrice aux conditions de l’hydrographie, une série
de variétés nuancée par l’exondation permanente, l‘inondation temporaire, les fluctuations du niveau de la nappe
phréatique.
- La végétation bénéficie sous ces latitudes de conditions climatiques sulfisantes pour que les jachères se
reconstituent en savanes arbustives et arborées, dans la mesure o h l’homme ne contribue pas à créer un climax
néfaste à cette renaissance.
Le milieu apporte donc ses contraintes dilficiles B tourner pour l’homme aux mains nues de la brousse souda-
naise. Tout son effort a été d’adaptation. I1 s’est accommod8, avec ses marques diverses de génie, des différents
emplacements topographiques qui s’offraient Li l’implantation des villages. I1 a choisi dans un éventail assez ouvert
de types de sols, ceux qui convenaient le mieux à ses techniques élémentaires, il a le plus souvent étendu la gamme
de ses cultures en essayant de tirer le meilleur parti des terrains.
L’obscur et long affrontement des peuples d’Afrique centrale, ila recherche perpetuelle du mieux-he, a
concentré là, sur l’une des marges favorisées de l’immense cuvette tchadienne, d’importants groupes ethniques
attachés, avec de faibles moyens techniques, à tirer le meilleur parti d’une nature aux rythmes de laquelle ils ont
su se plier, mais que leur dénuement et leur isolement ne leur ont pas permis d‘aménager.
I1 faut noter, cependant, que les mêmes types de paysage et les mêmes conditions climatiques e t hydrolo-
giques se retrouvent dans les bassins du Niger et du Nil. A l’ouest, dans la région du confluent Niger-Bani et jus-
qu’au lac Debo, les déversements du fleuve mettent en contact une large zone inondable e t l‘ensemble des terres
exondées du massif de Bandiagara ou les surfaces cuirassées du bassin moyen. A l‘est, dans la zone de confluence
du Bahr-el-Ghazal, du Bahr-el-Djebel et du Bahr-Sobat, les populatioiis Sliilluk, Dinka e t Nuer, sous des formes
diverses, représentent également un type d‘adaptation au milieu qui, sans être entièrement comparable, rappelle
aussi le monde Kirdi du Logone.
En étudiant le peuplement, les genres de vie et les structures traditionnelles des populations de noLre domaine,
nous noterons à l’occasion les points de similitude ou !es oppositions décelés entre les différents genres de vie
décrits dans les pays du Niger et du Nil, chez des populations livrées Li l’utilisation de milieux a u s caractéristiques
voisines.
7
DEUXIQME PARTIE
I1 / 16" 17"
Sur les 82 O00 kmz que couvre le bassin du moyen Logone dans les limites que nous avons définies, vivent
quelque 1 O00 O00 habitants, soit un peuplement voisin de 11 habitants au kilomètre carré, densité remar-
quable pour l’Afrique Noire. En certains points privilégiés, la densité atteint ou dépasse 100 habitants au kilomètre
carré, tandis que, dans certaines zones, elle tombe k moins de 1habitant au kilomètre carré.
Comment expliquer pareils déséquilibres ? Faut-il invoquer un dbterminisme naturel pliant les hommes sous
son implacable loi ? Faut-& à l’opposé, invoquer le génie inventif de certains groupes plus habiles k s’organiser
en fonction des données naturelles ? Tous les facteurs ont joué, s’additionnant ou s’opposant tour 5. tour : historiques
avec les incursions des empires féodaux (Imais ),aussi les contacts de civilisation; physiques avec la nature des
sols, le problème de la quête de l’eau ou de la défense contre les inondations; ethniques o u mythiques avec les tra-
ditions et les pratiques propres à chaque groupe. Lesquels ont été déterminants ? I1 est encore bien diEcile de
, le dire, car l’Afrique ne fait que commencer l’inventaire de ses structures propres, et la recherche est d’autant plus
complexe que, comme l’a souligné G. BALANDIER, le phénomène colonial en a bousculé les données (2).
Dans la mesure où certaines de ces données subsistent encore, elles permettent de comprendre le présent,
et le géographe ne sort pas de son domaine en affirmant qu’elles peuvent aider à construire un avenir africain qui ne
soit ni emprunt, ni replbtrage.
Après avoir défini les conditions naturelles, nous allons essayer de circonscrire le fait humain précolonial,
dans la mesure où il est encore discernable. Compte tenu de ce handicap, nous étudierons successivement les condi-
tions historiques et géographiques du peuplement, l’habitat, les types de terroirs, les techniques, les genres de
vie et les structures sociales traditionnels.
La carte ci-contre et la carte ethno-démographique (en encart) donnent la localisation des principaux groupes
installés à la périphérie ou & l’intérieur du bassin du Logone. Ils forment deux mondes encore distincts aujourd‘hui :
islamisés et Kirdis. Les Kirdis sonl: les incroyants (au sens de l’Islam). Malgré le dangereux voisinage des royaumes
islamisés, les Kirdis sont restés réfractaires à la religion du Prophète. Pillés et razziés mais non convertis,
ils se définissent par opposition aux puissances qui les ont encadrés ou les ont obligés à gagner des zones refuges
(montagnes, plaines inondables).
L’histoire des royaumes du Bornou (au nord), du Baguirmi (au nord-est), des sultanats Foulbé (à l’ouest) et
de l’éphémère empire de Rabah est mieux connue que celle des Kirdis. L’Islam avait apporté l'étriture, les chro-
niqueurs ont donc laissé des récits de batailles, de triomphes qui ont permis de reconstituer la trame chronolo-
gique des principaux événements survenus dans les empires organisés des abords du lac Tchad (CORNEVIN,1960 ;
LABOURET, 1950).
(1) Le terme féodal est pris ici et dons tout l’ouvrage dans son sens politique. I1 n’implique aucune reference économique.
(2) G. BALANDIER 1963, p. 37-38.
74 JEAN CABOT
LE BORNOU
Installé au sud-ouest du lac Tchad, ce royaume dont les princes sont musulmans depuis le XI^ siècle a dominé
la basse vallée du Logone dès le X I I I ~siècle, puisque les chroniques rapportent une révolte des Sao et des Boulala
contre son hégémonie, de 1220 à 1254. C’est l’empereur Idriss III qui, à la fin du X V I ~siècle, aurait rétabli l’autorité
du Bornou jusqu’aux rives du Logone.
Lors de la poussée Foulbé d’ouest en est au début du x ~ x esiècle, le Bornou s’allie au Kanem et passe bientôt
sous l’autorité de celui-ci vers 1814. Les princes de Kanem-Bornou s’installent à Kouba. Pour attaquer le Baguirmi,
une alliance est nouée avec le Ouadaï, mais elle est rapidement rompue et renversée, e t le roi Omar de Kanem-
Bornou est vaincu à Kousseri en 1846 par son ‘ancien allié. C’est ce même Omar qui reçoit i Kouka les explorateurs
européens : Richardson, Barth, Vogel, Rolfs, Nachtigal.
Les interventions des princes de Kanem-Bornou contre les populations du moyen Logone se poursuivaient
encore au X I X ~siècle puisque l’explorateur Barth accompagna les troupes du Bornou jusqu’en pays Toubouri,
pendant la saison sèche 1851-1852.
Ainsi se délimite le contact Bornou-Kirdi jusqu’à l’aube du X X siècle.
~ Le fils du roi Omar devait périr en 1893
sous les coups du conquérant Rabah, dont nous allons bientôt parler.
L E BAGUIRMI
La pression des royaumes organisés se fait également sentir sur le monde Kirdi au nord-est, sur la frontière
naturelle que constituent le Chari et ses défluents.
Les terres situées à l’est du Chari, anciennement peuplées de tribus noires, Boulala au nord et Sara au sud,
ont toujours été parcourues par des chefs de troupeaux. Jusqu’au début du x v ~ esiècle, aucune des peuplades
blanches ou noires qui les avaient traversées n’avaient cherché à les dominer. C’est au groupe Kenga, originaire
du Mongo, que reviendraient les premiers essais d’organisation. Le premier roi, le M’bang Malo, règne de 1546 à 1561.
Sous le règne de son fils Abdallah (1561-1602), l’Islam aurait commencé à pénétrer dans le pays.
Mais ce n’est qu’au X V I I I ~siècle que le Baguirmi prend vraiment figure de royaume avec lequel il faut compter.
Déjà, il doit faire face aux attaques de ses voisins du Bornou e t du Ouadaï qui cherchent, tour à tour, à le dominer.
Entre-temps, ses souverains dirigent leurs attaques contre les tribus voisines Kirdi, inorganisées, véritables sources
d’esclaves, bois d‘ébène précieux qui sera écoulé vers les régions nilotiques ou vers les routes du Niger.
L’histoire du Baguirmi aux X V I I I ~et xixe siècles est celle de ses inféodations successives aux empires de Bornou
ou de Ouadaï. Cela n’empêchait pas les invasions brutales en pays Kirdi pour razzier les villages dont la contribu-
tion en esclaves n’arrivait pas assez vite au Sultan. NOUSen aurons des échos par les rapports des premiers officiers
français entrés dans le pays (1).En effet, le dernier sultan baguirmien, Gaourang 11, soumis aux assauts de Rabah
(1892), accepta le protectorat de la France (1597) (2).
Ainsi peut se circonscrire du nord-ouest au sud-est la zone de pression des royaumes islamisés habitués à
considérer les régions du moyen Logone comme une réserve d’esclaves entraînés 4 payer le lourd tribut par la
menace d’expéditions punitives plus redoutables encore et plus meurtrières.
Le cercle va se compléter, à l’ouest, par la pénétration des Foulbé, toute pacifique pendant un siècle, avant
de devenir conquérante et dévastatrice à 1’égal des autres.
des environs. (( Au surplus, tel groupe négro-africain n’a pas plus conscience d‘appartenir à un cercle d’ethnologie
qu’à un groupe linguis tique ou qu’à une race. On ne saurait s’en étonner si l’on se rappelle les incessants brassages
de peuples, les migrations, les métissages de l’histoire ancienne et récente de l’Afrique I) (J. RICHARD MOLARD,
1953, p. 37). Ajoutons aussi que le mode de vie des populations de ces régions de l’Afrique borne vite leur horizon
social, Chaque famille, au mieus chaque clan, habitué à satisfaire entièrement à tous ses besoins par son propre
travail, étranger a u s échanges lointains, a tcit fait de limiter le monde à la parentèle issuc du dernier aïeul dont le
souvenir est encore vivant.
Néanmoins, pour adopter un critkre de classement valable, il faut faire appel, au moins contestable, au plus
simple aussi : celui des langues parlées. C’est celui que nous suivrons sur n cette plaque tournante de l’Afrique où
la pais française a cristallisé le chaos n (BALACHOWSKY, 1955, p. 21).
C’est le critère des langues qu’ont adopté DELAPOSSE e t GREENBERG. En partant de références différentes,
quoique voisines, leurs classements sont semblables. C’est celui que nous adoptons en complétant chaque famille
par le nom des groupes qu’ils n’avaient pas mentionnés :
20 Groupe charien : pas de classes nominales ni de pronoms de classes, c’est le groupe soudanais central de
GREENBERG.
a. Famille Kabalaye:
Kouang, Kabalaye, Gabri, Hunar, Hadje, Somraye, Ndam, Kossop, Lele, Nantchere.
b. Famille Sara:
Gambaye, Laka, Mbaye, Doba, Gama, Kaba, Goulaye.
Sans entrer dans les détails ethnographiques, nous allons situer chacun de ces groupes sur le terrain, en essayant,
lorsque les documents le permettront, de préciser leur histoire. (Cf. carte ethno-démographique en encart.)
RÉPARTITIQINETHNIQUE DU PEUPLEMENT
Le groupe nigéra-tchadien
Le nom Toubouri vient de la racine (( Ti Pour )I, qui signifie dans la langue : (( beaucoup de gens D.E n fait, le
groupe est l’un des plus nombreux de la région et compte environ 150 O00 personnes actuellement réparties sur le
Tchad (60 000) ct sur le Cameroun (85 000). La densité moyenne du groupe (40 hab./kme) est très élevée pour
l’Afrique Noire.
Les Toubouri se subdivisent en nombreux clans : Doré, Gora, Mougouri, Marein, Baïgard, Guyuri. Le clan ori-
ginal est celui des Doré, installé près du mont Illi, au pied duquel réside le chef suprême traditionnel : le (( Ouan
Doré)) (i), descendant du fondateur venu lui-même de la région de Pala. Les Toubouri seraient une branche de
même origine que les hloundang, venus par une migration jalonnée par Léré, Pévé, Doblaka, Daoua, Youé. Les rap-
ports entre Moundang et Toubouri sont excellents. Alliés contre les attaques Foulbé ils se considèrent comme frères.
La langue Toubouri s’apparente A celle des Mboum et des Dourou de l’Adamaoua, avec le P h é de Badjé, le hloundang
de Léré et le Djimd de Pala.
Rameau du groupe Toubouri, les Kéra occupent la bordure orientale et méridionale du lac de Tilcem (Toubouri
Sud) et les basses vallées des mayos Laïssé, Déhé et Iiabia. Ils se différencient des Toubouri essentiellement par la
langue dont le vocabulaire est différent, tandis que la structure grammaticale reste la même.
L’interpénétration des deux groupes est très forte. Dans le canton de Fianga, villages et quartiers des mêmes
villages parlent les lins le Toubouri, les autres le Icéra. Ainsi, sur la rive ouest des lacs, en pays Toubouri, les vil-
lages de Fianga et d’Illi parlent le Kéra, le village voisin de hlouta a un quartier très ancien où certaines familles
parlent le Kéra, d’autres le Touhouri.
Le même phénomène joue d’ailleurs entre Toubouri et Moundang. Au village de Gamba, d’ethnie Moundang,
la langue courante est le Toubouri.
L’implantation du groupe Moundang sur le pays des mayos Kébi, Solroye et Binder semble remonter à pllis de
deux siècles. I1 serait originaire des monts du Mandara et c’est une migration lente qui l’aurait ameni5 par Guider
jusqu’aux rives du mayo Kébi. Selon la légende, c’est vers 1740 que se situe l’arrivée du premier chasseur Moun-
dang sur les rives du mayo Sokoye (à Zalbi), la pénétration du groupe sur les terres occupées par les Kiziéré autour du
lac de Léré et par les Zasing le long du mayo Binder.
Lors des incursions Foulbé du milieu du X I X ~siècle, les Moundang de Léré, sous la conduite du Gong Tchomé,
résistèrent victorieusement aux troupes du sultan Ysufa, tandis que ceux de Binder durent franchir le mayo Kebi
vers le sud. C’est de cette retraite que date la création de Binder-Naïri et l’implantation des Moundang sur le bassin
du mayo Laïssé. Cette progression s’est faite au détriment du groupe Djimé qui occupait la région de Pala.
Au Cameroun, les Noundang sont établis autour de Lara, groupés dans l’éventail de vallées que les affluents
de tête du mayo Binder ont creusé entre les petites montagnes abruptes de Boboyo, Gadas et Lara. Le groupe
débordc également s u r le canton dc hlidjilrim et totalise 27 700 personnes.
La conquête Foulbé a délogé les Noundang de Binder et rompu l’unité de peuplement de la vallée du mayo.
Au sud du lamidat Foulbé de Binder, les Moundang constituent le peuplement exclusif des rives des lacs de Léré
et de Tréné. On les retrouve le long des affluents sud-est de ces lacs : mayo Podoué et mayo Dala (Binder Naïri),
ainsi que le mayo Tchina jusqu’à Doué, nouveau domaine de leur expansion après la poussée Foulbé de 1810.
Ils durent refouler les occupants antérieurs Lalra ou cohabiter avec eux et perdirent même au contact des Pévé
l’usage de leur dialecte, sinon celui de leurs coutumes (région de Lamé-Badjé).
Plus à l’est encore, les Moundang de Torrock se sont installés sur les terres voisines du mayo Laïssé après en
avoir chassé les populations Kado (Djimé) avec l’aide des Toubouri. Les bloundang de Torrock se disent originaires
de Lara et leur migration serait récente (1880-1890).
Par leur lutte contre les Foulbé, les hloundang ont fait la preuve de leurs qualités guerrières, mais le fond de
leur caractère est tout de douceur. Ils sont d‘excellents agriculteurs et éleveurs. Ils ont su assimiler les techniques
de leurs ennemis, comme le tissage du coton. Leur architecture originale, leur agriculture soignée montrent leurs
capacités d‘adaptation aux exigences du milieu naturel. I1 semble que la permanence des luttes contre l’envahisseur
ait favorisé la domination de certaines familles sur l’ensemble du groupe puisque aujourd’hui encore on peut dis-
tinguer des clans (Gué) nobles et roturiers. Les Gué Ban Lombori, Gonlrébiané, Gondaba peuvent prétendre à la
direction du groupe. Par contre, les autres Gué n’ont pas le droit d’intervenir dans les affaires politiques du village
ou du pays. Citons, à Léré, Ban Djin (adorateur de l’oiseau), Gaworé (venu du nord), TérB (adorateur de la rivière),
Pan Seu (du rhinocéros), Léré (descendant d‘esclave).
(1)Appelé aussi OUAN ICOULOU U d’un terme arabe qui signifie u tous a, chef de tous les Toubouri.
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 79
L’ensemble des faits constitués par la langue Moundang, les cases-fortins à toit plat, les greniers à coupole,
de même que les emprunts faits aux Foulbt!, la pratique de la circoncision, le tissage des bandes de coton (gab&),
l’élevage du bœuf, l’usage de l’arc et des flèches caractérisent nettement la civilisation Moundang et suffisent à la
distinguer des voisines.
L A F A M I L L E LOGONE
Le groupe Massa, improprement appelé Bana ou Banana, du mot ((banana)) = camarade, p.ar lequel les habitants
se saluent ou se désignent, se subdivise en deux rameaux : la branche Xassa proprement dite et la branches des
Mousseye.
dense. Sur les interfluves qui séparent les (( doigts 1) de la Tandjilé, les fermes RZarba alignent d’est en ouest leurs
domaines étroitement délimités par le niveau de crue.
Enfin, à l’ouest, sur les sables de Ké10 que dominent les plateaux de Pala, les Bérem e t les Tagal s’installent
le long des mayos où la saison des pluies ramène quelque humidit6 et crée des points d’eau.
Les u Moiiloui 1).
Le groupe Rfouloui porte de nombreux noms entre lesquels il serait bon qu’un seul fût choisi : sur la rive came-
rounaise, B. LEIIBEZ-AT (1) les désigne sous le nom de Musguni, mais il signale qu’eux-mêmes se nomment entre
eux (( Mouzouk n. Sur la rive tchadienne l’administration les appelle Mouloui.
Leur origine est discutée. Ilsne seraient pas un groupe original, mais un produit du croisement entr: les anciennes
populations Sao et les différents conquérants venus par les bords du Logone : Baguirmiens, Bornouans et finalement
Massa.
De leurs ancêtres Sao ils auraient gardé la taille élevée, la longueur des membres inférieurs. A leurs conqu6-
rants, ils seraient redevables de l’apparence d’islamisation que l’on peut déceler chez eux. LEMBEZAT signale
à Pouss une apparence d‘islamisation, mais de fortes attaches païennes qui subsistent. Par contre, les Mousgoum
seraient plus islamisés sur Guirvidig, oil le contact avec les Foulbé peut expliquer cette assimilation de la religion
conquérante au nord du Tchad.
(( Ceux de Guirvidig partiellement islamisés ont adopté la case ronde des Foulbé, tandis que ceux de Pouss
restés animistes ont conservé la case-obus e t le port des plateaux pour les femines 1) (LEXBEZAT, p. 19).
Les femmes portent ici, en effet, d’énormes labrets qui enlaidissent,
Des luttes soutenues jadis entre les villages subsistent encore des murailles de terre battue, déjà fort malmenées
par le temps, comme c’est le cas pour l’enceinte du village de M’Balla.
Le groupe charien
FAMILLE KABALAYE
Comme les Massa situés autour de Bongor, les tribus du groupe Iiabalaye habitent les plaines inondables autour
de Laï. Peu nombreux, leurs membres sont dispersés à travers les zones d’épandage des eaux de crue. Les fermes
occupent ici aussi les quelques croupes sableuses qui échappent 8 l’inondation.
(11 H. LEXDEZAT
2950, p. 62.
(2) J. CABOT.Enquête dbmographique sur le village de Badji.; rapport; archives Pala 1954.
LE BASSIN D U N O Y E N LOGONE 81
Sur la rive gauche du Logone, entre le fleuve e t son affluent Tandjilé, sont installés les Nantchéré et Lélé. Ces
populations de civilisation Chari-ouadaïenne ont été poussées i traverser le fleuve, refoulant vers le sud les Gam-
baye au cours de dures luttes qui duraient encore au début de ce siècle. Les Nantchéré durent également lutter
contre les Marba de la région de Kolon, plus anciennement implantés.
Les Gabri forment l’essentiel du peuplement autour de Laï. Leurs villages s’alignent selon deux grandes
directions principales : le long des effluents qui, par les plaines de Deressia, vont alimenter le Ba-Illi Malfaye ;
vers Tchaouen e t dans la rôneraie de ”Gam, les Kouang forment un groupe résiduel. Vers l’est, dans les plaines
aux profils incertains qui, par Darbé et Bordo, vont rejoindre la zone d’alimentation du Ba-Illi de BOUSSO, se trouvent
les populations clairsemées des Soumraye e t des Ndaye.
Les villages Kabalaye groupés sur les rares points exondés du bourrelet de berge offrent, entre Laï et Djou-
mane, le peuplement le plus original et le plus caractéristique de cette région. Issus du métissage de toutes les tribus
voisines : Mousseye, Gabri, Rlarba, Massa, ils constituent chacun comme un nouveau groupe, un nouveau clan qui
se veut différent du voisin. Le fait est surtout notable dans les gros villages concentrés qui se sont forgés des noms
génériques : Kossop à Kim, Garap à eré. Leurs voisins les désignent en bloc : (( Doudnina )) (ceux du fleuve, par les
Massa I-Iara) ou (( Hoorguina )) (ceux du pays d‘où vient l’eau, par les Massa Mousseye).
Kim a longtemps servi de relais aux troupes pillardes des sultans baguirmiens dans leurs raids contre Ké10
ou Kolon. Cela lui valut d‘être épargné par celles-ci, mais le ressentiment de ses voisins se manifestait dès que
les troupes baguirmiennes s’étaient retirées et Kim se défendait derrière ‘d’épaisses murailles de boue séchée contre
les attaques de ses voisins coalisés venus se venger sur l’allié du pillage dont ils avaient été victimes.
D I P F ~ R E NNOMS
TS DES HABITANTS DES VILLAGES.
Kim &ré
L A FAlCIILLE S A RA
Gambaye. - Le groupe Gambaye s’étend largement à cheval sur les plateaux sableux latéritisés du Logone
occidental entre les pays de la Tandjilé au nord, la Pendé 4 l’est, le socle granito-gneissique de l’Adamaoua et du
massif de Yadé à l’ouest et au sud.
Doit-on, comme on le fait habituellement, inclure les Gambaye dans le groupe Sara ? Eux-mêmes s’y refusent
catégoriquement et les Madjingaye (Sara purs) les en excluent non moins nettement. La réponse appartient aux
ethnologues et aux linguistes, car les techniques et les genres de vie ne permettent pas au géographe de trancher
en la matière. C’est pourquoi nous continuons à les ranger dans le groupe par pure routine.
Les Gambaye se subdivisent 6. l’origine en deux grands rameaux : les Mang 4 l’est, dans la boucle du Logone,
autour du koro de Bénoye, les Icélang l’ouest, sur les terres moins peuplées des plateaux de la Tandjilé. Un troi-
sième rameau hétérogène de formation récente occupe le nord de l’aire d’extension du groupe : les Makoula, résultat
du croisement des Mang e t Kélang avec les Lélé, Nantchéré et Goulaye voisins.
En outre, l’appellation blang est donnée aux populations riveraines du Logone, mais elles ne constituent pas
un nouveau rameau, elles tirent leur nom de leur mode de vie où la pêche tient un grand rôle. I1 s’agit d’une diffé-
renciation identique à celle que nous avons rencontrée chez les Kabalaye.
I1 faut rattacher au groupe Gambaye les populations Laka installées de part e t d‘autre du fleuve entre Moundou
et Pandzangué. Le groupe Laka a souvent été choisi comme référence pour décrire l’organisation des peuples paléo-
négritiques. I1 est assez peu nombreux, mais les groupes voisins avec lesquels il a été longtemps confondu, comme
les Massa par exemple, offrent les mêmes caractéristiques d’organisation.
Le groupe Gambaye est, de tous les groupes étudiés ici, celui qui a le plus été ébranlé par ïes contacts dus 4 la
colonisation. La conscience d‘être (( Gambaye )) l’emporte h l’heure actuelle sur toute considération clanique ou
tribale. Les traces de l’ancienne organisation traditionnelle s’effacent rapidement.
82 JEAN CABOT
Le bassin du Logone possède des densités humaines parmi les plus élevées de 1’-4frique Noire. Certaines zones
rurales des bords des lacs Toubouri OU des rives du Logone dépassent 150 habitants au lrilombtre carré (carte ethno-
graphique in fins et carte des densités, p. 72). .
Cependant, ce peuplement est inégalement réparti et laisse, à côté de régions surpeuplées, des zones où la densité
llulnaine tombe parfois au-dessous de un au kilomètre carré lorsqu’il ne s’agit pas d’un vide absolu.
Parmi les facteurs favorables aux fortes densités, il faut noter en premier lieu la richesse de certains sols argi-
leux et argilo-limoneux, bordure des lacs Toubouri, dont la capacité de rétention favorise les cultures au-delà
de l’arrêt des pluies et permet une récolte complémentaire de saison sèche. Les hauts rendements de certains sorghos
cultivés sur champs de case expliquent les densités supérieures Q la moyenne chez les tribus Massa des plaines inon-
dables. A ces facteurs p6dologiques OU agricoles s’ajoute la possibilité de pratiquer des pêches fructueuses, soit
dans le fleuve. soit dans les zones d’épandage des marécages et des lacs. Enfin, la pratique d’un élevage à la fois
sentimental et intéressé complète la gamme des ressources alimentaires dont disposent les groupes les plus denses.
Lorsque toutes ces données se trouvent réunies, elles favorisent à la fois l’augmentation de la densité et le
développement harmonieux des phis beaux types humains qu’il soit donné de rencontrer en Afrique (Toubouri,
Massa).
Cependant, les facteurs défavorables au peuplement maintiennent des zones de faible densité h proximité des
terres surpeuplées. Parmi les plus importants, retenons d’abord ISS facteurs endémiques, tels que celui qui depeuple
]a zone des chutes Gauthiot sur le mayo Iiébi. L’impossibilité d’atteindre des nappes trop profondes avec les tech-
niques traditionnelles de forage éloigne les populations du sommet des koros sableux, tandis que la submersion des
vastes (( yaéré )) k a r t e toute possibilité de peuplement. Le cuirassenient des sols de la bordure granitique e t du pla-
teau sableux écarte, lui aussi, les tentatives de mise en valeur.
A tous ces facteurs naturels favorables ou défavorables, l’histoire tumultueuse des royaumes noirs a ajouté
son apport. On connaît le rôle de refuge tenu par les monts du Mandara pour les Kirdi lllatakam et Kapiski (1).II
semble que les vastes étendues inondables, infranchissables une partie de l’année par les colonnes des razzieurs,
aient permis elles aussi à certaines tribus de se dérober aux exactions par l’éparpillement dans un milieu amphibie.
Le faible peuplement des marches boisées qui limitaient les royaumes organisés (rives du Chari, plateaux Laka)
peut s’expliquer par le danger d’attaques permanentes auxquelles se seraient exposées les populations qui s’y
seraient fixées.
E n étudiant la carte des densités (p. 72), nous retrouverons à tour de rôle ou mêlés ces divers facteurs d’expli-
cation du peuplement du bassin moyen du Logone.
Les terres de la bordure montagneuse du sud et du sud-ouest sont très peu peuplées. Les populations monta-
gnardes de l’Adamaoua (M’Boum, Kho, Karang) ne s’avancent pas ad-delà de la limite du socle et partout la densité
est inférieure à 5 habitants au kilomètre c a d , exception faite des centres commercants de Pandzangué-Ressao ou
(1)J. D R E ~ C1953,
H p 3-9.
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 83
administratif de Baïbokoum ( I O a 20 hab. au Irm2). E n outre, la vallée de la RII’Béré aux sols plus profonds a servi
de refuge devant les envahisseurs Foulbé, et autour de M’Bassaïe la densité s’élève à 30 au lcilomètre carré. Sur ]a
rive droite de la Pendé, seul le poste de Gor6 (usine d‘égrenage et contrôle douanier) offre un peuplement de plus
de 10 habitants au kilomètre carré ; les environs ont un peuplement inférieur 5 habitants au lrilomètre carré.
De même l’interfluve Logone-Pendé, où les assises sableuses souvent couronnées de cuirasses latéritiques
offrent peu d’attrait a u cultivateur, reste faiblement peuplé. A peine note-t-on quelques groupements dépassant
20 habitants au kilomètre carré autour de Boro, Riiladi, M’Bikou et Bébédja, sur la retombée nord du Icor0 de
Boro. La difficulté de creuser les puits profonds, l’bloignement des points d’eau (parfois 20 Irm) ont maintenu ce
sous-peuplement, malgrb. le besoin impérieux de terres ressenti dans les zones voisines surpeuplées. Les densités
moyennes s’établissent au-dessous de 5 habitants au kilomètre carré.
Vers l’ouest, les (( p l a t e a m L u k a )) étendent les solitudes de leurs savanes boisées depuis la rive gauche du Logone ,
jusqu’à la région de Lamé-Pala. La présence de cuirasses latéritiques, de germes de trypanosomiase a retardé
leur peuplement. Mais leur rôle de marche orientale des lamidats Foulbé de l’Adamaoua (Reï-Bouba) peut expli.
quer aussi le maintien d’un vide motivé par la crainte des razzias périodiques du siècle dernier.
Le regroupement administratif des populations le long des routes, les petites concentrations autour des usines
cotonnières (Gagal, Beinamar) expliquent les densités linéaires OU ponctuelles du reste peu tlevées (IO au Irmz)
rencontrées le long des pistes Tapol-Gaga1 ou Beinamar-Salamata-Goumadji.
La forêt classee de Yamba-Bérété maintient un vide humain presque absolu sur la haute Icabia entre Gagal et
Pont-Carol (Zamré).
La vallée drc. Logone ne se peuple réellement et sur sa rive gauche qu’à partir de Moundou. Jusqu’à POUSS, au
nord de Yagoua, c’est sur une bande de 300 lrm de long et de 50 lrm de largeur que se trouvent les densités les plus
élevées de la région. Le même phénomène se produit sur la rive droite de la Pendé à partir de la r6gion de Doba,
mais il s’interrompt au nord de Laï dans les plaines inondables à l’habitat clairsemé.
Plusieurs éléments favorisent les fortes densith de ces secteurs. L’élargissement des fonds de vallée du Logone
et de la Pendé met en contact les terres limoneuses du lit majeur du fleuve avec la retombee des bombements
sableux des lroros, élément favorable à la diversité des cultures :
- La proximité de la nappe phréatique permet l’établissement de puits nombreux qui favorisent la dispersior)
de l’habitat sur toutes les terres exondées à la périphérie de la zone inondable ;
- L’occupation du sol par des groupes ethniques sains, vigoureux et prolifiques : Gambaye, Rlousseye, TOU-
bouri, Massa ;
- La possibilité pour certains groupes de pratiquer des pêches fructueuses ;
- La disparition des foyers de glossines qui permet l’élevage bovin à partir du parallèle de Kim.
Riais déjà certains de ces facteurs établissent des nuances qu’il nous faut étudier de plus près.
Au nord-est de Moundou, le koro de Bénoye n’est fortement peuplé qu’à sa périphérie (35 hab. au lrms en
moyenne), tandis que ses hautes terres ne portent que 10 habitants au kilomètre carré environ. Cela s’explique par
la dikliculté de creuser, par les méthodes traditionnelles, des puits de plus de 60 ni pour atteindre les nappes exis-
tantes mais profondes. Ces puits sont plus aisés à creuser sur la pdriphérie, mais la surcharge humaine prend, en
certains points, un caractère dramatique. Les terres de culture n’ont plus le temps d’&treremises en jachères,
l’érosion les emporte et met les cuirasses à nu. Or, dans le détail, la densité moyenne de 35 habitants au lrilomètre
carré cache une répartition déséquilibrée entre les plaines limoneuses du lit du Logone peuplées seulement par
20 habitants au kilomètre carré, mais susceptibles d’accueillir un surcroìt de population, et les plateaux sablo-
latéritiques chargés de 55 habitants au kilomètre carré, au-delà de la limite possible de leur peuplement. (CABOT,
1961.)
De mgme, sur l’autre rive du fleuve, le koro de Guidari, plus élevé, plus bois6 sur ses parties hautes, est peu
peuplé en son centre (5 hab. au km2), mais sur sa périphérie les cantons de Kara, RIaïbo, Guidari, Donomanga
portent des populations de 35 à 50 habitants au kilomètre carré.
Avec la retombée nord des lroros commencent les plaines inondables d u Logone. Le peuplement change ;
aux Gambayes et aux M’bayes cultivateurs des terres sableuses exondtes succèdent les tribus Massa, Toubouri et
apparentées.
Sur la rive droite du fleuve, l’inondation s’étend vers l’est jusqu’à la rencontre du bourrelet alluvial du Chari,
longé par le drain du Ba-Illi. De Laï à Ham, le fleuve n’a plus de berge continue exondte. Seules, quelques buttes
exiguës échappent h la submersion et rassemblent les tribus composites d’actifs pêcheurs Hunar, Icabalaye ou
Kossop en forts villages groupés (densité supérieure à 75). E n arrière, les plaines inondables sont faiblement peuplées
(moins de 5 hab. au km2), niais une lente progression des tribus hIousseye de la rive gauche semble amorcer une
évolution dans cettc distribution du peuplement. A partir de Ham, les berges se reconstituent, permettant jusqu’à
84 JEAN CABOT
K o u m i des densités de peuplement variables : moyennes à Tougoudé et Télémé (20 i35), élevées autour de Koumi
et de Bongor (50 à 75) (fig. 23).
Les yaérés, plaines inondables, n'offrent que des densités de 10 habitants au kilomètre carré sur les plaines
nord Bongor, moins de 5 sur le yaéré de la rive camerounaise.
Sur la rive gauche, au nord du lcoro de Bénoye, les plaines inondables de la zone de déversement Eré-Lolca
varient en largeur de 5 à 30 km. Les densites humaines sont faibles dans le secteur de franchissement de la nappe,
PLAlNES . NORD-BONGOR
à proximité de la rive gauche du fleuve (moins de 5 hab. au km?). Mais ces densités se relèvent le long de la Kabia
chez les Domo, Gounou, Djarao, Hollom (20 à 25 hab. au km2), avec I’exondation plus nettement marquée dcs
buttes ou des bourrelets de berges.
La présence des lacs Toi~bourifavorise un accroissement spectaculaire de la densité du peuplenient qui, sur
toute leur bordure, dépasse 75 habitants au kilomètre carré e t atteint par endroits 150 habitants au kilomètre carré.
Terres limoneuses, prairies favorables à l’élevage, argiles iforte rétention d’eau favorables à la culture des mils
repiqués, tout contribue à permettre une telle densité d’occupation. Toubouri, Kéra, Massa dispersent leurs habi-
tations en un semis très serré utilisant au maximum les superficies exondées en saison des pluies.
Le même phénomène se reproduit autour de Yagoua, où Ia permanence des eaux du mayo Danaye et des bras
du Logone offre aux populations Massa d‘avantageuses possibilités de mise en valeur. Les bourrelets de berge du
fleuve se font plus continus, tandis que les plaines intérieures deviennent de véritables marécages pendant toute la
saison des pluies. Sur l'étraite chaussée exondée qui marque la rive gauche, se pressent les populations Massa de
Boudougoum à Yagoua, Mousgoum de Yagoua à Pouss.
Vers l’ouest, en direction des monts du Mandara, le peuplement Toubouri et Massa, encore tres important sur
les cantons deN’Doukoula (50) et Tchatjhali (30), décroît entre Kalfou et Mindif. I1 se relève fortement au contact
des massifs cristallins, sur le piémont balayé par les mayos issus de la ceinture montagneuse, autour de Maroua
et Bogo (plus de 50 hab. au km2), le long des mayos Tsanaga e t Boula (plus de 35 hab. au lcm2).
Sur le socle qui réapparaît & l’ouest d’une ligne nord-sud passant par Maroua, Mindif, Kaélé, les Kirdi forment
des peuplements importants accrochés aux pentes des collines, puis des massifs Guiziga de Moutourwa e t Midjivin
(20 hab. au km2). Les Foulbé sédentaires de Ka618 et Binder cultivent les dépressions argileuses (Karal) et les fonds
des vallées des affluents e t du mayo Binder. Ils dépassent 50 habitants au kilomètre carré. Sur les vallées du mago
Kébi et de ses affluents, le groupe Moundang, fractionné en trois blocs : autour de Lara (nord de Kaélé), autour des
lacs de Léré et de Tréné, plus à l’est, autour de Torrock, présente partout des densitds kilométriques supérieures
?i35.
Une vaste zone dépeuplée encadre la vallée du mayo Kébi entre RiI‘Bourao et le lac de Tréné, entre Guidiguis
et le mayo Dala. C’est le domaine de la (( simulie n, petite mouche bossue, agent vecteur de l’onchocercose, respon-
I1 ressort de ce rapide tour d’horizon que la plus ou moins forte occupation humaine du sol découle moins de
la personnalité des groupes ethniques que des conditions naturelles ou historiques ddterminantes dans l’établisse-
ment des fortes densités qui, selon les lieux, sont le fait de Toubouri, de Massa ou de Gambaye.
En effet, l’unité des conditions de vie dans le bassin découle du rythme des saisons, de la régularit6 du régime
des pluies, de la similitude des genres de vie des populations qui l’habitent. De même, mœurs, coutumes, croyances
sont assez semblables, car tous ces peuples sont des agricdteucs demeurés au stade de la cellule familiale qui doit
assurer tous ses besoins en ne comptant que sur elle-même. Cependant, les conditions géographiques font varier le
mode de prise de possession du sol, l’organisation du domaine familial, de l’habitat. Certaines activités peuvent
prendre une place plus ou moins grande dans le genre de vie selon les différents domaines naturels sur lesquels les
groupes se sont installés.
Peut-on dire que le milieu naturel (( a étouffé 1) les particularités ethniques ? Ce serait sans doute exagéré, car
les Moundang ont conservé un type d’habitation caractbristique, les RiIouloui aussi. Certaines techniques Foulbé
ont pénétré le monde Kirdi. I1 nous faut essayer de voir de plus près et ébaucher une tentative de reconstitution
de ce que pouvaient être l’habitat traditionnel, les types de terroirs antérieurs à l’introduction des cultures
commerciales.
86 JEAN CABOT
--
Cases rondes (torchis) O id. en gros quartiers
A Cases obus
-.+ Migrations temporaires
Migrations definitives
O
I - . . I - . ..
. ~
- 100 km
Les principaux domaines que l’étude du milieu naturel nous a permis de distinguer formeront le cadre de cette
étude de l’habitat.
- Les montagnes de la piriphérie du bassin, socles anciens où la décomposition des roches granitiques opérée
le long des pentes couvre celles-ci de chaos rocheux dépouillés des produits de leur désagrégation. Ces montagnes
ont servi jadis de refuge k des populations aujourd’hui revenues dans les plaines et les dépressions qui gardent les
alluvions arrachées à leurs pentes. Le district de Baïbokoum au sud du département du Logone, une partie des
districts de Maroua, hlindif, Kaélé à l’ouest du departement camerounais du Diamaré en sont des échantillons
marginaux au bassin. Ils appartiennent à d’autres unités régionales aussi bien délimitées que le bassin alluvionnaire
du Logone : l’Adamaoua et les monts du Mandara.
- Les platcaiu: de piémont, dans lesquels le réseau hydrographique du Logone et de ses affluents a dégagé les
vastes bombements sableux et latéritiques appelés ici (( koros P. Ils couvrent une partie des districts de Doba,
Laï, Moundou, Iiélo et Pala. Le peuplement y est conditionné par le problème de l’eau, la proximité des vallons
humides, la possibilité de creuser des puits.
- Les plairies invitdables commencent au nord de ces derniers koros limités approximativement par la ligne
Guidari, Tchaouen, IMO, Gounou-Gaya, Tilcem, Fianga, Kalfou, Maroua. Ici encore, c’est l’eau qui conditionne
le peuplement non par son absence ou sa rareté, mais par son omniprésence en saison des pluies. Les populations
se juchent sur les éminences exondées.
Dans ce milieu saisonnièrement amphibie, les rives du fleuve déterminent elles-mêmes un type d’habitat parti-
culier : les villages du fleuve.
A chacun de ces milieux particuliers correspondent des variantes de type d’habitat ou de genre de vie. La
société primitive reste la même, mais elle s’accommode au niieux des conditions naturelles qui lui sont imposées.
Le matériau et la forme des cases, la distribution de l’habitat et la forme des champs, les types de terroirs, les
méthodes de culture changent.
Le Logone quitte la région des koros en amont de Laï à partir de soil confluent avec son principal tributaire :
la Pendé. Les crues du fleuve ne sont plus contenues par des reliefs encaissants et les déversements divergent sur
l’éventail d’un vaste cône d‘épandage qui va de hl’Bourao (Toubouri occidental) par les plaines de la Kabia
jusqu’au Ba-Illi-Malfaye par les zones de déversement de Deressia et les plaines drainées par la Bissim.
La faiblesse de la penLe générale de ce cône de déjections provoque des divagations cycliques du fleuve ou
des diffluences échappées du lit par les brèches, les abaissements de niveau des bourrelets de rives.
Les seules terres qui restent exondées au plus fort de la crue sont les levées sableuses qui jalonnent le lit majeur
du fleuve ou le cours de ses effluents actuels ou anciens.
Dès les premières pluies, les plaines des interfleuves constituées en majorité d’argiles commencent à se gorger
d’eau, des mares se forment puis se rejoignent, transformant le pays en un vaste marécage. Peu à peu, par les
88 J E A N CABOT
brèches de ses rives, le Logone envoie ses hautes eaux qui, après avoir suivi les têtes bien marquées des défluents,
finissent par se mêler aux eaus de pluie pour ne plus laisser exondés que les bourrelets de berge les plus hauts et
les buttes dont les parties les plus élevées ne se trouvent qu’à quelques dizaines de centimètres au-dessus du plan
d’eau. Jusqu’à la décrue (mi-Novembre), les hommes et les cultures sont limités à ce domaine esigu.
Le peuplement s’inscrit donc en bandes grossièrement parallèles aux directions d’écoulement :
- alignements sud-est-nord-ouest des bourrelets du Logone, de Laï à Katoa et d’Éré à Pouss; du Guerléo à
l’ouest du Logone, de Yagoua à Guirvidig; du Ba-Illi-Rlalfaye de ”Gam à Matassi ;
- alignements sud-nord des buttes e t bourrelets jalonnant les deversements principaux à l’est d u Logone :
courant de Deressia et Tchaguen au nord de Laï, courants au nord de Bongor ;
- alignements sud-ouest-nord-est le long des lacs Toubouri de Tilcem à Dana, le long des mayos descendant
du Mandara ;
- alignements ouest-est des (( doigts )) de la Tandjilé en pays Marba et Bérem à l’ouest de Kolon, des tertres
esondés en bordure des cours de la Kabia et de la Lolca.
L’aspect du pays change totalement d’une saison à l’autre. En saison sèche (hiver), l’ensemble des plaines
n’est qu’une étendue fauve grillée de soleil sur laquelle les groupes de cases semblent avoir été jetés au hasard,
disséminés çà et là sur des terres ingrates oh bêtes et gens paraissent subsister par le plus grand des miracles. Les
bovins ressemblent à des squelettes ambulants, leur amaigrissement souligne l’absence d’alimentation rationnelle
qui est leur sort, véritable jeûne. Les humains consacrent leur temps à la refection des cases, aux promenades,
aux bavardages.
Viennent les premières pluies, tout reverdit. Les graminées dont le bétail était privé pendant plusieurs mois
croissent en quelques jours. Les cultivateurs s’emparent de leurs houes et retournent les terres qui entourent leurs
cases. L’argile craquelée des plaines se gonfle d’eau et les premières mares se forment dans les parties déprimées
d‘une plaine qui, le mois précédent, paraissait sans relief. A ce moment seulement, il apparaît que les cases occupent
les parties les plus élevées des terres. Lorsque les déversements du neuve ont rejoint les eaux stagnantes des mares,
l’immense plaine reverdie perd à nouveau tout relief sous le tapis de graminées géantes. A quelques mètres des cases,
on ne peut avancer qu’en acceptant la marche dans l’eau jusqu’i la ceinture ou à dos de cheval.
La figure no 23 donne la distribution du peuplement dans les plaines Nord-Bongor (avant les travaux d’endigue-
ment et de drainage). Elle montre une répartition très irrégulière sur des étendues d’une planéité presque parfaite
i l’œil. Seule la micro-topographie explique le regroupement des fermes tout au long du bourrelet de berge du Logone
et sur les alignements sableux qui courent sud-nord d’0gol à Magao, de Koumi à Bedem, bourrelets accumulés par
les effluents temporaires du fleuve en période de crue. Quelques dizaines de centimètres sufisent pour épargner
de l’inondation les sommets de ces levées de terre. C’est 18 que sont installés les u Sina I) e t les champs de case.
Selon que l’on établit la densité de population par rapport aux terres exondées ou à l’ensemble des terres, le rBsultat
passe de 100 habitants au kilomètre carré à moins de 30. Or les terres inondables ne sont pas utiliskes par les Massa
pour leurs cultures, elles ne représentent que des pâturages temporaires, des zones de p&cheou de chasse. C’est
donc d’une densité de 100 habitants au kilometre carré qu’il faut parler (PI. V).
L’HABITAT ION
Le type de case rectangulaire B toit plat qui domine dans la région de Fort-Lamy s’étend jusqu’aux villages
anciennement fortifiés de Logone-Birni et Logone-Gana.
Mousgoum. - I1 disparaît presque complètement chez le peuple Mousgoum (ou Mouloui). C’est avec le même
émerveillement que celui qui saisit André Gide (1)à leur approche que l’on découvre les magnifiques cases-obus,
(( travail de potier bien plus que de maçon )) (Pl. VI, C).
Entièrement pétries d’argile séchée ensuite au soleil, leur construction requiert habileté, patience, goût artis-
tique. Le groupe de cases-obus est généralement édifié sur un petit tertre de terre battue et lissée. La première
partie du mur de chaque case est montée en argile lisse jusqu’à 1, 2 m environ. C’est alors que lui sont accolées
extérieurement les nervures verticales en relief que les bltisseurs utiliseront comiiie marchepieds pour élever le
mur d‘un mètre encore, en commençant à l’incurver en €orme d’ogive. De nouvelles iiervures en forme de V ren-
versé sont ajoutées, le sommet de chaque angle formant marchepied. Les dessins sont contrariés de façon à faire
voisiner des sommets de niveaux différents pour faciliter l’ascension. La maçonnerie est terminée en ogive. Au
sommet de la case est ménagée une ouverture, toujours ouverte en saison sèche, recouverte par un capuchon de
paille au moment des pluies.
A l’intérieur de Ia case cohabitent petit bétail et humains. On trouve généralenient : à droite, en entrant, une
enceinte pour les cabris et moutons ; au centre ou à gauche, le lit chauffant b l t i en terre j contre le mur, d’étruites
étagères en alvéoles peuvent recueillir de menus objets. La case est à la fois chambre et cuisine, le trou supérieur
étant spécialement aménagé pour l’évacuation de la fumée.
Sur la même aire de terre battue, à côté des cases d’habitation, sont construits les greniers-bouteilles dont la
large ouverture sommitale permet le passage d’un adulte. Cette ouverture est obturée par un capuchon de paille
en saison des pluies, tandis que le grenier d’argile reçoit lui-même un habillage protecteur en paille.
L‘écurie-&table, de forme tronconique à base rectangulaire, est à toit plat comme la case de type arabe plus
septentrionale.
Le groupe de cases ne forme pas, en général, une enceinte fermée; les limiles sont constituées par le rebord de
l’aire de terre battue, dominant de quelques dizaines de centimètres les champs environnants. La ferme familiale
est, en général, distante des voisines, chaque ferme étant ceinturée par les terres cultivées du groupe.
Certains villages sont cependant groupés et ceinturés d’un mur (à M’Balla, les restes de ce mur d’enceinte sont
encore visibles). La survivance ou le rétablissement de chefleries anciennes a favorisé le maintien de cet habitat
groupé à Katoa et Pouss. Les villages présentent alors un: plus grande variété de types de cases : case de type arabe
quadrangulaire h toit plat, cases-obus, cases à corps cylindrique et à toit conique.
Chez les Massa, l’agglomération circulaire des cases individuelles, appelées (( Sida i), prend le nom de (( Sina i).
Le Sida du (( Boumsina )i, chef de famille, est en général construit près de l’entrée du cercle de cases aux côtés des
Sida des autres hommes de la famille. Chaque femme a son grenier entre sa case et sa cuisine. La première femme
a toujours sa case au fond du cercle, face à l’entrée. I1 arrive que la case du Boumsina soit construite au ceiitre de
l’enclos, elle est alors plus grande que la case usuelle, ou de style différent (quadrangulaire à toit plat, mais très
rarement en brousse). Les enfants en bas-&gelogent avec leur mère, les filles jusqu’à leur mariage, les garçons jus-
qu’à l’initiation. Les bovins sont répartis entre les cases des hommes, exceptionnellement chez les femmes, qui ont
plutôt la garde du petit bétail. Si le bétail du groupe est vraiment tres important, une ou plusieurs cases peuvent
etre spécialement construites. Les chevaux, lorsqu’il y en a, sont toujours abrités dans une case-écurie (fig. 24).
Le Sida est constitué d‘un mur circulaire en argile haut de 1,GU à 1,70 m. Le diamètre le plus courant des
cases d’habitation est de 3,50 à 4 m. Les murs extérieurs sont dépourvus de tout ornement, sauf dans la région de
Boudougour, sur le Ba-Illi, où ils sont décorés de bandes blanches et noires alternées. La forme de la porte varie
suivant les fonctions de la case. Lorsque les bovins sont susceptibles d’y être logés, l’entrée épouse la forme d’un
trou de serrure dont la base est B une vingtaine de centimètres du sol. Ce gabarit correspond à l’encombrement
du bétail à loger, mais se trouve toujours calculé au plus juste. Une tendance actuelle est à la fermeture de la porte
(surtout celle de la case du Boumsina) par un battant de bois ou de tôle. L’ouverture est alors rectangulaire, soit
au ras du sol, soit légèrement au-dessus. Influence du modernisme, le battant est maintenu fermé par un cadenas !
Le t o i t de la case Massa est très caractéristique. I1 se fait en deux temps. D’abord un dôme maintenu par
des boudins de paille tressée de diamètres décroissants constitue l’armature, la charpente du toit. Ce dilime est
tressé à la dimension exacte du mur de la case, soit sur le lieu même où a été coupée la paille, soit dans la cour
de la ferme. I1 est ensuite transporté ibras par une dizaine d’individus et ajusté sur le mur. Ce transport ne manque
pas de pittoresque, surtout si plusieurs charpentes de paille se promenent ainsi le long d’une route ou à travers
champs ; pour peu que les hautes graminées masquent les porteurs, l’illusion est complète, et l’on croit rêver en
voyant des cases se dCplacer dans le paysage. (Pl. VII, C).
Une fois la charpente posée, celle-ci est couverte de nattes dkoulées à partir de la base, la pointc des tiges
toujours tournée vers le haut. Cette couverture prend appui sur les boudins de renfort, ce qui ménage ainsi un vide
entre la paille protectrice et la paille du dòme. Souvent la paille de couverture est disposée de façon à descendre
jusqu’à terre de part et d’autre de la porte, en forme d’auvent protecteur.
Cette technique de couverture est liée au manque de bois de charpente dans les plaines inondables où l’arbre
est rare. Elle donne aux cases Massa un type facilement reconnaissable, mais disparait dès que le bois est moins diffi-
cile à trouver. Les cases des Massa-Boudougour font un large appel au bois : le chie de la charpente est constitué de
petits troncs ou de fortes branches de 3 m de long assemblés au sommet et maintenus par un entrelacs de branches
plus flexibles; la paille de couverture est déroulge directement sur cet assemblage. Cette charpente ne s’appuie
pas sur les murs de la case, mais sur des rondins verticaux plantés tout autour de la case, extérieurement au mur.
Parfois, en guise de décoration ou de renfort, lorsque le bois abonde, toute la case est ceinturée de rondins. Une
90 JEAN CABOT
technique nouvelle est pratiquke par certains qui suppriment. le mur de terre et sc contentent dc colmater d’argile
les interstices entre les rondins (1).
I- o m 4- **
2- 3 A 3 b 5- v v 8- 03
3- Y ml 6 - +++ 9- 0
FIG.%. - Schéma d‘organisation familiale dans un sina patriarcal à Bongor : l.Carré noir = Boumsina, carré avec chiffre = rang d’ancienneté
d’une femme du Boumsina; 9 . Triangle noir = fils du Boumsina e t rang d’Lge, un triangle évidé porte le rang d‘ancienneté de la femme
d’un fils du chef; 3. Garcon logeant chez sa mère, (exmple : garçon (fils de la I r e femme); 4. Fille; 5. Vache; C. Chèvrc; 7. Pierre
H moudre; 8. Foyer; 9. Grenier bouteille. Au centre à côté du grenier bouteille = auvent (balakna). Les surfaces quadrillées indiquent
les abris-cuisines.
Passé la porte, il existe souvent des contrevents de terre qui protègent les lits situes à droite ou à gauche,
parfois de part et d’autre de l’entrée. Au fond, ou sur le côté sans lit, un parc pouvant recevoir des animaux. Le lit
chauffant en terre (fig. 25), très répandu chez les Massa, est un palliatif incomplet (2) du vftement ou des couver-
tures qui seraient indispensables pour supporter les matinées froides de Janvier, Février.
(1) I. de GARINEdistingue tigalement chez les MASSA du Cameroun deux types de culture matérielle qu’il désigne sous le nom de a facies de
yaeré )I (canton de Yagoua) e t a faciès de brousse 9 (Canton Wina) qui u traduisent dans une certaine mesure une adaptation du genre d e vie au
milieu naturel B.
( 2 ) E t parfois dangereux : Les longues brûlures du torse chez certains individus en témoignent.
1.E BASSIN D U nIOYEN LOGOR’E 91
La cuisine peut être une case de terre de diamètre plus réduit que celui du sida, OU simplement un auvent de
paille supporté par quelques piquets plus ou moins tordus. Chaque femme a sa cuisine, son OU ses foyers N Guivina ))
et son grenier. Le pilon traditionnel peut être collectif, mais chaque femme ambitionne de posséder une pierre à
moudre (( Inir IOUouana n. En fait, deux pierres : l’une fixée dans un petit socle d‘argile sert de meule dormante;
l’autre, maniée d’avant en arrière par la cuisinière, écrase le grain. La farine est recueillie dans un vase de terre cuite
placé en fin de course dans le socle (fig. 35).
Rkserve
grenier
à
coupole
acces exterieur
Meule à farine
PIG.25. - Détails de l’habitat Massa e t Moundang.
Les greniers, comme chez les Mousgoum, sont d’argile, en forme de bouteille. Ils sont. protégés pendant la saison
des pluies par des habillages en paille. Au centre de la cour du Sina trône le gros grenier familial, (( Fara Dena n.
Seul le Boumsina a pouvoir d’en répartir le contenu, à l’occasion des fêtes, des deuils ou des disettes.
Près des cases des hommes, un ou plusieurs (( Balakna 1) servent, suivant les jours, au repos des hommes, h
leurs conversations animées ou au séchage des récoltes.
Les Sida, disposés en cercle grossier, sont reliés les uns aux autres par des murettes de banco dans les fermes
les plus soignées, mais le plus souvent par des entrelacs d‘épineux, de façon & ne laisser qu’une seule voie d‘accès
à la cour de l’enclos (fig. 2 4 ) . C’est dans cette cour que se déroulent les activités essentielles de la vie familiale :
préparation des repas, séchage et ensilage des récoltes, partage des repas, jeux des enfants, bavardages de la sieste,
parlotes de la veillée. (Pl. VII, B).
Toubouri. - L’enclos familial, unité d’habitat des Toubouri, est le (( Djarbi >).Une enceinte plus OU moins
bien entretenue de paille tressée (Secko) fixée 8 des piquets délimite une aire circulaire dans laquelle cases et gre-
niers sont répartis dans un ordre moins rigoureux que chez les Massa.
Le type de case (Ting) dominant est la case ronde à toit de chaume tressé posé sur‘des murs de torchis, deja
rencontré chez les Massa. I1 faut noter cependant, l’apparition, qui va se généraliser de plus en plus vers le sud,
des murs en nattes tressées (Seclto).Dans ce cas, le toit de cllaurne repose sur des piquets fourchus auxquels est fixbe
la cloison de paille. (Pl. VI, A j.
92 SEAN CABOT
Comme chez les Massa, l’entrée des cases en pisé est un orifice 6lroit arrondi, mais il n’a pas ici la forme d’un
trou de serrure, il est plut6t ovale. Pour pénétrer, il est nécessaire d’engager une jambe en m h e temps que le haut
du corps.
Les cases servent également à loger les gens et le bétail. Les bovins partagent la case des hommes e t des jeunes
gens, tandis que les chèvres, poulets et canards sont parqués chez les femmes dans de petits réduits de terre. Les
chevaux et les ânes ont toujours une case qui leur est propre.
Les greniers-silos (Bole) sont en poterie crue. Ils ont en moyenne 1m de diamètre et leur intérieur est cloisonné
pour permettre le stockage de récoltes différentcs. Les Massa n’utilisent pas ce cloisonnement, car ils ne récoltent
qu’une seule sorte de mil. Les Toubouri, les bloundang, dont les cultures sont plus variées, ont su adapter leurs gre-
niers à leurs besoins. Pbur protéger silos et récoltes de l’humidité et pour éloigner les stocks de l’attaque des ter-
mites, les greniers reposent à environ 50 cm du sol sur des bIocs de pierres ou sur une claie appuyée sur des bois
fourchus.
Par principe, les silos sont individuels, mais on rcncontre parfois des exceptions. Deux femmes peuvent rassem-
bler leurs récoltes et n’occuper qu’un seul grenier. Au début du mariage, les jeunes ménages peuvent également
faire stock commun.
Le nombre des cases est fonction de l’importance de la famille. Voici, par exemple, le Djarbi de Damgomla
(42 ans) ti Fianga. Il comprend 19 déments :
- la case rectangulaire du chef de famille, en pis& à toit plat j
- les 4 cases rondes en pisé ou en seclro flanquées chacune de sa cuisine, pour ses 4 femmes et ses 5 plus jeunes
enfants, auxquels se joignent la nuit 15 cabris, 20 poules, 15 canards ;
- trois cases rondes, en pisé, pour ses 3 fils (13 à 20 ans), qui hébergent chacune 2 bovins pour la nuit ;
- une écurie pour les 4 ânes ;
- une étable pour les bovins en surnombre ne pouvant être logés chez les fils j
- deux greniers-silos pouvant recevoir chacun 2 O00 kg de mil en épi j
- un pigeonnier contenant à ce moment 2 pigeons j
- un auvent (Tale) semblable au Balalrna des Massa.
La cl6ture de seclro n’est pas encore posée en raison de Yélargissement de l’aire du Djarbi à la suite de la
construction de deux cases destinées aux fils de 13 et 15 ans qui ont quitté la case de leur mère.
A quelques dizaines de mètres du Djarbi de Damgomla, voici celui du nouveau ménage de Yanlrréou (30 ans)
et de son époiise Jlaigongoua (24 ans). L’ensemble est ici réduit à sa plus simple expression : la case conjugale en
secko, la cuisine en pisé et le grenier encore bien modeste.
L’intérieur des cases Toubouri diffère de celui des cases Rilassa par le lit gknéralement constitué de deux grosses
traverses surélevées à l’aide de bdtons fourchus. Le lit chauffant en terre n’existe que dans certaines cases de pisé;
on ne le rencontre jamais dans les cases en paille. Pendant les nuits froidcs, le feu est allumé à même le sol, à proxi-
mité des lits en bois.
Les récoltes ne sont pas toutes logées dans les silos extérieurs comme chez les Massa. Chaque femme dispose
dans sa case de petits greniers, de réserves : jarres en terre cuite à demi enfouies dans le sol ou juchées sur quelques
pierres. Leur contenance varie de 80 100 kg de grain. Les femmes Toubouri ont aussi leur pierre à mil (Nini)
pour parfaire le dkcorticage commencé au pilon (Tchang),
Mousseye. - La case hfousseye est plus rudimentaire que celle des Massa et des Toubouri. Ses murs sont
presque toujours de paille et non de pisé, le toit repose sur des piquets fourchus. Par contre, l’enclos familial est tou-
jours bien délimité, soit par un seclco tendu sur des piquets, soit par une palissade de rondins lorsque la région est
boisée. Ce soin apporté à la clôture s’explique par le caractère plus sauvage des brousses habitées par les Mousseye.
A l’exception des Lé0 et des Gamé de la plaine d’inondation dépourvue de végétation ligneuse et semblable en cela
aux étendues habitées par les Massa et les Toubouri, les hlousseye sont installés sur les croupes et les buttes boisées
des zones de déversement l’est et à l’ouest du Logone. Les taillis buissonneux abritent un plus grand nombre
d’animaux sauvages que la plaine découverte, et l’enclos familial est toujours mieux protégé.
A I’intkrieur, les cases sont disposées en cercle ou en désordre, chaque femme s’ingéniant 4 se créer un (( coin ))
dans l’enclos autour de sa case, sa cuisine et son grenier. La case du chef de famille est presque toujours au centre,
flanquée d‘un auvent et de l’imposant grenier patriarcal.
Le mobilier est encore plus sommaire que chez les autres tribus. Le lit en bois est rare, il est remplacé par la
simple natte posée à même le sol. La pierre à moudre ne se rencontre qu’exceptionnellement, le pilon assure tout le
travail de meunerie.
LE BASSIN DU MOYEN LOGONE 93
Kouang-Hadjé-Soumraye. - Les groupes résiduels installés entre Logone et Chari sont peu nombreux, très
dispersés. Les conditions de l’habitat se font plus sévères, au milieu de plaines inondables aux rares éminences
habitables. A l’époque des razzias baguirmiennes, ces groupes avaient élaboré des types d’habitat originaux pour
tenter d’échapper à l’ennemi. Les Gabri avaient généralisé un type d’habitat perché. Leurs cases construites dans
les arbres leur permettaient parfois de passer inaperçus, mais ils étaient souvent délogés par la flèche ou par le feu.
Les Kouang construisaient des galeries souterraines dans les sables de la région du Ba-Illi. Les Baguirmiens
parvenaient à les réduire en les enfumant comme du gibier.
Actuellement, l’enclos familial est délimité par une palissade en secko, de forme circulaire ou rectangulaire.
Il est assez vaste et les cases des divers membres de la famille n’y sont pas juxtaposées. Lorsqu’il s’agit d’une famille
patriarcale, chaque famille (stricto sensu) dispose d’un coin de l’enclos. Chaque adulte dispose de sa case j les garçons
de plus de quinze ans se construisent eux-mêmes leur case à proximité de celle de leur père. Chaque femme dispose
d’une cuisine et d’un grenier-silo.
Le mobilier est très sommaire et se limite, dans la plupart des cases, au lit de rondins et à quelques jarres.
Notons que les Kouang ont l’habitude d’enterrer les morts dans leur case. Celle-ci est alors détruite. Si les murs
étaient de pisé, les débris forment un monticule respecté tant que dure le souvenir. Si la case est en secko,elle est
simplement déplacée au bout d’un certain temps.
Le mode d’appropriation de la terre dans l’agriculture traditionnelle des zones inondables était le champ
familial à monoculture annuelle permanente ;nous l’appellerons (( champ de case )) faute d’une appellation meilleure.
I1 ne s’agit pas d’un jardin, dont nous verrons à l’occasion quelques types, mais d’un champ bénéficiant d‘une
fumure plus ou moins consciente aux abords de la ferme.
Certaines populations favorisées ajoutent à ce champ de case des champs de décrue dans les zones inondables.
Sur les terres plus largement exondées, la dispersion et l’éloignemenl; des champs autour des fermes peut
permettre de parler de (( clzanzps de brousse 1).
Ces différents types de champs seront étudiés dans l’optique d’une définition des terroirs traditionnels. Les
champs de case et les champs de décrue ont de fortes chances de faire partie de cet héritage traditionnel puisqu’ils
n’ont jamais porté que des cultures vivrières. I1 n’en va pas de même des champs de brousse hérités d’un type de
cultures itinérantes basées sur un cycle de longues jachères e t de brèves mises en culture. L’introduction des cul-
tures commerciales est venue accroître l’étendue des défrichements e t accélérer le rythme de l’alternance jachère-
cultures. On est presque toujours certain de décrire un type de terroir traditionnel lorsque celui-ci se borne aux
deux premiers genres de champs. Cette certitude disparaît dès que l’on aborde les terroirs à champs de brousse.
UCDU
ALAE!NA
I H - 2 F
2 cnf.
@ Sina
,--.Ancien
‘.*I sina
Bedem Ourkila
Tabac
ALA0
26 a 50
mil : 42 o 50 & M arigot
fobac 5 o 25
1
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Echelle
\
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Fm
\ O
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\
\
mil : 1 ho 5 a
tabac 2a
FIG. 26. - Types de champs de case en pays Massa, Le carré au centre donne I’échelle.
L E BASSIN D U M O Y E N LOGONE 95
nécessitent réfection, soit qu’une série de décès trop rapprochés et à ce titre suspects semble marquer l’hostilité
des mauvais esprits, soit encore qu’une crue plus importante du fleuve ait menacé de trop près l’intérieur des cases.
I1 en résulte une fumure inconsciente répartiesau cours des années sur l’ensemble des terres familiales.
Chez les Massa, gros producteurs de tabac, l’emplacement des anciennes cases est systématiquement consacré
à cette culture. Les rendements y sont favorables et la tradition bien gardée. Ces espaces ne retournent aux cultures
vivrières qu’au moment où un nouvel emplacement est libéré par le déplacement d’un sina. (Pl. VIII, B).
Les champs de case n’ont aucune forme fixe, leurs limites sont fonction, avant tout, de l’énergie des cultivateurs,
du niveau de crue supposé de la prochaine saison des pluies. Pas de clôture non plus malgré la présence de troupeaux
nombreux. Sur les terres étroites occupées à plein rendement, les champs se distinguent les uns des autres à partir
de petites levées de terre de quelques centimètres de hauteur (Dam chez les Massa) ou par de petits fossés de faible
profondeur (Hotogoï). Les parcelles ne sont jamais de grande étendue. Elles varient entre 10 a et 4 ha. (Pl. VIII, C).
Pour nous faire une idée précise, entrons dans le détail. L’examen des parcelles familiales du quartier Tlaga
à Wayanha (fig. 26) (Plaines nord-Bongor avant l’endiguement) nous montre :
- l’absence de tout alignement, de toute forme géométrique dans la délimitation des champs. La superficie
mise en valeur garde les limites atteintes par le houage et les semis de l’année. Cette dimension varie d’une année à
l’autre selon le nombre de travailleurs, les conditions physiques des membres de la famille, les autres obligations
(pêche, chasse), le retard ou la précocit6 des premières pluies j
- la superficie travaillée est fonction de la composition du groupe : la famille Wina compte 8 membres, mais
4 seulement ont travaillé 95 a (3 enfants et 1vieillard n’ont pas participé aux travaux). Chez Soumai, sur 10 membres
composant la famille, 8 cultivateurs ont travaillé 1 ha 72 a. Aluo, veuf (40 ans), a cultivé 26 a avec son frère céliba-
taire (35 ans), tandis que son fils (20 ans) est parti pêcher dans la région de Fort-Lamy pour se constituer une dot.
La famille de Beletna comprend 10 adultes, dont 9 ont travaillé 2 ha 8 a, un fils étant parti, lui aussi, à la pêche.
La femme de Soumaï et ses deux belles-filles cultivent du tabac sur l’emplacement de l’ancien sina. La famille
Beletna a déplacé son sina pendant deux années consécutives. Le plus ancien des emplacements (I) porte encore la
trace de la culture du tabac faite l’année précédente. Le dernier emplacement abandonné (II) porte les carrés de
tabac de l’année en cours. Chez Ouina, le tabac est cultivé à proximité des cases. Le sina d’Ala0 sans femme est
aussi dépourvu de culture de tabac j
- la construction des cases se fait i partir de l’argile qui affleure ou se trouve à faible profondeur dans le sol
sous les sables récents j chaque groupe de cases voisine donc avec sa (( carrière )) d’où a été extrait le matériau de
construction. Ce trou se remplit d’eau en saison des pluies et devient le u marigot )) de la famille, dont il constitue
pendant une longue période de l’année le seul point d‘eau.
Autre exemple, celui de quelques familles de Bedem-Ourkila (entre Logone et Ba-Illi, au nord de Koumi).
Les superficies des Sinena ouor sina sont variables. Les levers à la planchette montrent les formes bizarres qu’ils
peuvent prendre. Partout le sina e t la culture de tabac se trouvent englobés ou sur la marge du Sinéna. Notons
que Ouangassou a cultivé une partie du champ de case de son frère parti dans un autre village. La femme de Ouan-
gassou n’a pas oublié de cultiver en tabac l’ancien emplacement du sina abandonné (fig. 26).
L’aire cultivée d’une famille Toubouri est déjà plus différenciée. Elle ajoute au champ de case (( Pai ting I),
situé sur terres exondées, un champ de zone inondable sur argile (soit en bordure des lacs, soit dans le fond des
cuvettes de la plaine libérées par la décrue), où le repiquage de mil de saison sèche K Mouskouari )) se fait dès le
retrait des eaux. Le nom de ces terres est souvent donné à la plante qu’elles portent : deux vocables sont utilisés
concurremment en pays Toubouri, selon que l’on se trouve sous influence foulbé ou arabe : (( Kara1 )) pour les
Foulbé, (( Berberé I) pour les Arabes.
A Mouta (Fianga), la famille Dangamla, déjà rencontrée, a cultivé sur son pai‘ ting 1ha 30 a de mil rouge autour
de l’enclos familial. En outre, elle a repiqué 2 ha 60 a de berbéré dans une cuvette argileuse située 500 m des cases.
Voici à Daoua, le long de la route Fianga-Léré, l’ensemble des champs de Baïdandi et de ses deux femmes,
Maïhané et Ouinsoaré. La ferme comprend 5 cases e t 3 greniers. Elle est située dans le champ de mil rouge sur sol
beige exondé. Chaque adulte de la famille y a cultivé sa parcelle, respectivement 33, 31 e t 24 a. A proximité d u
champ de mil rouge et presque contiguës à lui, deux parcelles cultivées en pois de terre (20 a et 2 a).
Les (( champs de décrue 1) sont à 300 m au sud de la route, en bordure de la dépression argileuse du mayo Dou-
doula, où l’eau stagne en fin de saison des pluies en liaison avec le niveau du Toubouri occidental. Ici, les parcelles
cultivées en mil blanc repiqué sont de 3 à 4 fois plus étendues que les parcelles vouées au mil rouge. La forme des
champs est aussi fantaisiste que celle du champ de case.
Voici enfin les parcelles carries héritées de la culture commerciale. Elles n’entrent pas dans le terroir tradi-
tionnel étudié ici (1).
Notons, cependant, que les deux parcelles cultivées en pois de terre au sud de la route (sur les terres à coton
de l'année précédente) correspondent à une simple mutation géométrique de cultures traditionnelles pratiquées
jadis avec défrichement sur terres sableuses exondées. I1 semble, à comparer ces champs de pois avec ceux qui
jouxtent le champ de case, que la culture du coton, en exigeant une aire défrichée de 36 a par imposable, ait
contribué à accroître les superficies consacrées aux pois.
La coupe théorique de la fig. 33 permettra de situer les dieérentes parties de ce terroir en fonction de la
topographie.
Les Mousseye installés sur les alignements sableux exondés des plaines situées à l'est de Bongor, entre Logone
et Ba-Illi, disposent de beaucoup plus de place pour leurs cultures. L'ensemble des terres cultivées prend un aspect
anarchique. Chaque membre de la famille semble avoir choisi l'emplacement qui lui convient le mieux sans aucun
souci de rassembler les cultures (fig. 27). Prenons deux exemples à Volobo. Le champ de case disparaît dans la
famille de Vayo. Autour de l'enclos (Vona), la brousse boisée subsiste, il faut la pénétrer pour découvrir les clai-
rières débroussées au milieu desquelles sont faites les cultures. La famille comprend 10 adultes qui ont cultivé
5,70 ha de plantes vivrières.
La famille de Buyenn qui comprend 7 adultes, a cultivé 5,5@ha de plantes vivrières, dont 1,75 ha sur le champ
de case (Sene mi vona), (( propriété I) personnelle du père. Trois autres champs de brousse portent respectivement
2.80 ha e t 95 a de mil rouge, haricots, arachides, plantés en association. Ces champs sont à 100 m, 600 m et 1,skm du
V o w familial, en pleine brousse.
Les zones inondables présentent donc trois types de terroirs liés aux conditions hydrologiques et au paysage :
- le mode d'habitat reste la dispersion des fermes familiales, presque toujours ceinturées d'un champ de case
voué à la culture sous pluie du sorgho hatif. C'est le type élémentaire de terroir généralisé par les Massa de la région
de Bongor, à l'étroit sur leurs buttes exondées ;
- l'espace cultivé des Toubouri ajoute aux champs de case l'ensemble des terres de décrue des lacs et des
cuvettes inondables pour la culture des champs de sorgho repiqué (végétation de saison sèche) ;
- enfin, le terroir des Mousseye combine le type élémentaire du champ de case avec la couronne de champs
itinérunfs circonscrite au village (ou au groupe de fermes). L'extension des terres exondées couvertes d'une savane
arbustive permet ce type d'exploitation agricole, au demeurant moins intensif que les deux précédents.
De Laï h Ham, les conditions géographiques de l'habitat e t des cultures sont encore plus sévères (fig. 28).
Le Logone coule ici au niveau de la plaine paléo-lacustre de la série argilo-sableuse à concrétions qu'il ravine.
Les déversements en période de hautes eaux empêchent généralement la constitution d'un bourrelet de berge
continu, la charge sableuse et argileuse des eaux de crue allant se déposer au-delà des rives du fleuve dans les plaines
d'épandage. Quelques rares buttes émergent cependant le long des rives. Elles sont étroitement associées aux affleu-
rements les plus élevés de la série argilo-sableuse à concrétions, dont la coupe au long des berges est faite de larges
ondulations convexes alternant avec des d6pressions colmatées par les argiles et les sables des séries récentes.
(Pl. X, A).
L'occupation humaine des parties les plus &levéesdes rives n'est rendue possible que par un travail permanent
d'exhaussement des buttes, afin de maintenir leur niveau au-dessus de celui des plus hautes eaux. La nappe uni-
forme du fleuve et des eaux de déversement cerne de toutes parts les villages groupés, qui apparaissent de loin
comme des amas de cases flottant sur les eaux.
Au cœur des groupes Massa, Mousseye, Gabri, dont la caractéristique d'implantation au sol est l'habitat dis-
persé en nébuleuse, se sont ainsi développés des points d'habitat hyperconcentré, étroitement limités dans leur
extension par le niveau des eaux de crue.
Quelques analyses de site permettront de comprendre.
Site du village d'gré.- De tous les villages du fleuve, le site #Ér6 est à la fois le plus tragique et le plus carac-
téristique, le cas limite de la rivalité entre la terre e t l'eau. Au plus fort moment de la crue, fin septembre, le village
fractionné en plusieurs quartiers-ìlots par les bras d'inondation représente, toutes proportions gardées, une véri-
table (( Venise africaine )). (PI. XI, C).
A un kilomètre en aval du confluent Logone-Tandjilk, Éré occupe sur la rive gauche du fleuve le point le
plus occidental du coude amorce en direction de l'ouest par le Logone entre Kim et Djoumane. Les eaux des deux
riviPres ne se m&lentpas tout de suite, car le Logone coule un flot boueux très chargé, tandis que la Tandjilé apporte
.pPrincipaux courants '
Zones inondables
Cultures inondables
Cultures exondhes
F
m
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m
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C
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W
100 J E A N CABOT
ment des hommes à vouloir se maintenir sur le site ancien du village favorise l’action érosive du fleuve. A l’origine,
les dix quartiers formaient chacun un seul bloc, comme le font actuellement encore les trois quartiers sud duvil-
lage : Agueila (AG), Azadé (AZ) et Baltétché (B), quoique ces deux derniers aient déjà une annexe en arrière de
leur emplacement (AZ I I et B II). (Pl. X, B).
L’attaque de la berge par le fleuve entraîne la destruction des cases, qui s’éboulent et sont emportées par le
courant. Après chaque saison des pluies, il faut reconstruire les cases et si possible regagner sur le fleuve la place
perdue par le recul de la falaise de berge, Pour cela, le constructeur ne va pas très loin chercher son matériau.
I1 prend l’argile et le sable nécessaires dans les trous creusés à faible distance de la butte, sans chercher à ima-
giner le rôle que pourra jouer cette (( carrière )) au moment de la crue. Le plus souvent, ces excavations favorisent
la pénétration des courants en arrière des buttes ou entre celles-ci. (PI. X, B).
L’élargissement du grand courant qui sépare actuellement le village dans le sens sud-nord a été favorisé par
ces pratiques. Les îlots ont alors subi les attaques du courant sur leurs deux faces, et le quartier Balégué (BL) a
été transformé en figure de proue sur laquelle vient butter toute la violence des hautes eaux du fleuve. Le
recul de la pointe sud de Balégué est extrêmement rapide. Peu à peu, les habitants ont dû se replier vers l’ouest,
en arrière du courant intérieur au village. La seconde et la troisième butte Balégué (BL II et III) portent actuelle-
ment la presque totalité des habitants du quartier.
Le cas de Koïmo (KO) est encore plus frappant. L’îlot original (KO I) ne porte plus aucune habitation, tous les
habitants se sont réinstallés sur deux îlots situés à l’ouest.
Le phénomène de migration s’étend aux quartiers aval jusqu’ici moins touchés par I’érosion ; ainsi Galto (GA)
et Gouroum (GO) ont déjà d’importantes annexes en arrière du courant intérieur.
Mais les nouveaux îlots d’accueil doivent d’abord être construits pour être habités. C’est-à-dire que l’on va
chercher sable et argile dans la plaine environnante, le moins loin possible puisqu’il faut les porter à dos d’homme
(et d e femme). Chaque année, les (( carrières )) sont élargies pour satisfaire de nouveaux besoins, et ainsi se crée en
arrière du village un chapelet de dépressions où le courant s’installera un jour, renouvelant le phénomène contre r
lequel les habitants sont en train de lutter.
La construction récente de digues destinées à barrer les courants entre deux îlots ou à protéger les arrières du
village de l’infiltration des nappes de déversement exige des prélèvements de terre qui sont faits, eux aussi, en
arrihre du village. Ajoutons que le goût pour la pêche des habitants des villages riverains les conduit à des pra-
tiques propres iaccélérer les déversements du fleuve. A l’amont d‘Eré, la rive gauche est entaillée tous les 30 à 50 m
par des échancrures destinées à capter une partie du flot de crue et à drainer les eaux au moment de l’assèchement
des plaines inondables. Aménagées dans un but bien précis de pêche, ces échancrures sont de véritables accélé-
rateurs de déversements, d’autant plus dangereux qu’ils sont surtout creusés à l’amont du village.
L’ancien site du village de Kim. - Kim, situé sur la rive droite, en amont du coude d’Éré et du confluent
Logone-Tandjilé, bénéficie d’un site moins dangereux. Le recul des rives est plus lent, le courant ayant tendance
à délaisser la rive droite dans son débordement vers l’ouest par-dessus l’interfluve recouvert par la crue. Mais
la place disponible en bor-
dure du fleuve se borne à
une simple crête (Wakal)qui
n’a que 200 m dans sa plus
_- I I
grande largeur. L’ancien
village de Kim (1) était
I I
i construit sur cette butte exi-
gu& Depuis 1959, le village a
I
WAKAL
I
BALPUL i SOGOAL été déplacé en bordure de la
avec
I
I avec route. P1. XX, A et IX, A).
MAMZANOGO I TOALPALA Sur l’ancien site, l’inon-
I
dation c o m m e n ç a i t par
l’établissement d’un bras du
FIG. 30. - Bourrelet de berge e t dépression inondable à Kim. Logone en arrière du village
vers l’est (Balpul). L’eau
s’introduisait par une échancrure de la berge qui coupait le quartier Goten en deux parties. Après -avoir longé
les quartiers Halmo, Sap, Kolobo et Poseï, elle retournait au fleuve par une large dépression qui séparait les
quartiers de Poseï et Korpé. Après la décrue, des mares subsistaient sur le parcours de ce bras (fig. 30).
Les mêmes phénomènes d’invasion par les eaux de crue se retrouvent dans les autres villages riverains de cette
section du fleuve. Draï-N’Golo, Djoumane, Ham paraissent moins directement menacés. Les rives plus rectilignes
(i)J. CABOT1953,
L E BASSIN D U JIOYEN L O G O N E 101
subissent une érosion moins active. La violence du courant est atténuée par les déversements de rive gauche.
Cependant, à la longue, la falaise d‘argile et de sable se laisse effriter, recule en entrainant les cases qui la sur-
moptent. La population doit consacrer une partie de la saison sèche à recharger la butte pour regagner, dans d‘autres
directions, vers l’arrière, les surfaces perdues sur le front du fleuve. Le niveau de crue délimite donc sévèrement
l’extension des constructions. La densité du peuplement est telle que les habitations s’imbriquent étroitement les 1
unes dans les autres. Des cheminements étroits et très contournés permettent de circuler à l’intérieur des quar- ‘
tiers. Leur largeur n’excède jamais 1,20 m. D’un quartier h l’autre, le recours h la pirogue est souvent indispensable.
Les villages de cette section du fleuve sont les seuls oÙ presque chaque famille possède sa pirogue. Elle est indis-
pensable pour atteindre les champs installés au-delà des zones d‘inondation trop profonde ou sur l’autre rive du
fleuve. (Pl. XI, B, C).
L’HA BI T AT I O N
Chaque famille dispose donc d’une place très réduite pour installer son enclos familial (Ya1 à Kim) et les cases
(ZOIC)sont entassées les unes contre les autres dans un espace mesuré.
Ces villages ayant été pénétrés par l’influence des missions chrétiennes, il nous faut distinguer plusieurs sortes
d‘enclos.
Ya1 des familles polygames : d‘une façon générale, les Ya1 des animistes polygames comptent aulant de fois
deux cases que le mari possède de femmes. A ce nombre s’ajoute la case du chef de famille. La double case appar-
tenant à chaque femme a pour chacune de ses parties une affectation bien précise. Dans la première, la plus petite
(diamètre : 2,50 m à 3 m ; hauteur du mur : 1,70 m), se trouve le matériel nécessaire à la cuisine : four à mil, pierre
â moudre, petit grenier permettant d’avoir sous la main la quantité de mil ou de riz nécessaire à la cuisine quoti-
dienne. Dans la seconde, parfois plus grande (diamètre : 3,50 m), se trouve le matériel de couchage : lit et natte de
la femme, natte ou emplacement de terre battue pour les enfants.
Entre les deux cases se trouvent les foyers et les récipients d’eau. Cette sorte de cour qui sépare les deux cases
est isolée du reste de l’enclos par deux murs en arc de cercle dont l’un est entaillé pour laisser un passage, à moins
que la première case ne possède deux ouvertures, l’une donnant sur l’extérieur, l’autre vers l’intérieur de cette cour,
qui est alors entièrement close.
Le père dispose pour lui d’une grande case situBe le plus souvent au centre du Yal. A l’intérieur se trouvent le
lit et le matériel, auquel il attache une grande importance : filets, armes (couteaux de jet, lances). E n général, les
plus aisés possèdent un matériel imité de celui qu’utilisent les fonctionnaires en tournée : table pliante, fauteuil
pliant, lit pliant (type surplus). Ajoutons que la chaise longue transatlantique est le premier objet de luxe que le
chef de famille cherche à acquérir.
’ Z des familles monogames :lorsque le chef de famille est monogame par conviction religieuse, la distribution
1a
des cases est basée sur la cohabitation du ménage. Chez les animistes, monogames provisoires, la tradition des
cases séparées pour l’homme et la femme reprend ses droits.
Intérieur des cuisines. - I1 serait plus juste d’appeler ces cases K ofices II, car elles sont réservées uniquement
à la préparation des mets. La cuisson se fait toujours dans la cour intermédiaire. Le matériel installé à demeure
dans ces cases comporte trois éléments permanents :
10 Les greniers intérieurs : ce sont d’énormes bouteilles de terre crue à gros goulots, construites à même le sol.
Leur diamètre varie entre 0,50 m et 1 m. Elles peuvent atteindre jusqu’h 1,70 m de hauteur, la moyenne étant
1,50 m. Ces greniers-bouteilles sont construits après l’achèvement de la case. Ils sont inamovibles et le cas échéant
sont détruits en même temps que la case.
20 Les fours à mil : souvent la récolte d’éleusine et de mil rouge se fait en période de pluies à la fin Septembre.
Les récoltes rentrées sont humides et sont vouées à la moisissure si on les enferme dans les greniers dans cet état.
Les fours sont destinés à sécher le grain sans le griller. Le four est constitué de deux colonnes comprenant chacune,
à sa partie supérieure, une vasque formant tamis et, à sa partie inférieure, une chambre de chauffage. Entre les
deux colonnes, un foyer permet de maintenir les chambres de chauffage à la température voulue. Les épis humides
sont déposés dans les vasques-tamis. Les grains se détachent et tombent par les trous des tamis. Par de petites
ouvertures situées au bas des chambres de chauffage, la mhagère brhsse les grains et les retire lorsqu’ils lui paraissent
sufisamment secs.
30 La pierre à moudre, déjà rencontrée dans les cases Massa.
102 JEAN C A B O T
Matériau et architecture
Le premier matériau est ici l’argile séchée, base de toutes les constructions du pays Massa. Mais les habitants
des villages du fleuve construisent leurs cases en briques d’argile crue. Ils diffèrent en cela de leurs voisins Massa
qui construisent leurs cases sans passer par l’intermédiaire de la brique (1).Durant toute la saison sèche, tant que
les dépressions situées à l’arrihe des villages gardent encore de l’eau, l’activité majeure des habitants est la confec-
tion des briques. De simples formes de bois en planches assemblées permettent la fabrication simultanée de trois
ou quatre briques qui sont ensuite démoulées e t laissées Q sécher au soleil. Deux tailles de briques sont utilisées :
35 Y, . 20 x 15 cm, grosses briques destinées aux cases, et 20 x 8 x 5 cm destinées aux greniers.
Le second matériau est la paille des plaines de déversement destinée à la couverture des toits en coupole.
Les toits, ici, ne sont pas tressés comme chez les Massa ; ils exigent un troisième matériau : le bois, fort rare
aux alentours des villages. I1 faut parcourir une dizaine de kilomètres en direction des buttes exondées des plaines
pour rencontrer une savane arborée susceptible de fournir des branches d’une grosseur suffisante.
10 Cases rondes :les cases traditionnelles sont de forme ronde. Nous avons vu que leur diamètre peut varier
de 2’50 m A 3’50 m. La hauteur de la partie maçonnée est toujours d’environ 1,70 m.
Pour la construction des cases, on utilise les grosses briques séchées. L’épaisseur des murs est donc de 20 cm,
plus le crépi intérieur. Les briques sont assemblées par un ciment d’argile fraîche. Le premier rang de briques est
disposé à même le sol, que l’on a très rapidement aplani. Lorsque le mur circulaire atteint 25 à 30 cm de hauteur,
on commence à réserver la place de la porte, soit une largeur de 65 cm. Les murs, montés verticalement sur les deux
tiers de la hauteur de la porte, se terminent en ogive sur le dernier tiers.
La maçonnerie terminée, on construit la charpente du toit A l’aide de branchages agencés en forme de cône
supportés par un pilier central e t maintenus par des baguettes flexibles incurvées et liées à chaque montant à
l’aide d’herbages. Les nattes d’herbes séchées sont ensuite déroulées sur cette charpente en commençant par le bas,
les parties les plus basses étant recouvertes par les parties supérieures. Des liens d‘herbages ou des cordes traversent
l’épaisseur des nattes pour fixer celles-ci aux montants de la charpente. La dernière natte dépasse légèrement le
sommet. Son extrémité est liée comme un petit fagot de 20 cm de haut environ.
20 Les cases élémentuires ci terrasse : les cases à terrasse sont de forme rectangulaire ou carrée et comprennent,
en général, deux pièces séparées par une cloison de même épaisseur que les murs extérieurs. Leurs dimensions
varient suivant la place disponible et les désirs du chef de famille, à l’usage duquel elles sont toujours réservées.
Leurs dimensions courantes sont 3,50 x 2 m. Leur hauteur est toujours supérieure à celle des murs des cases rondes,
soit de 1,85 à 2 m. Les murs étant montés verticalement, la charpente du toit est amorcée en disposant tous les
60 cm environ des poutres de rônier dans le sens de la largeur. En travers de ces poutres et de l’une à l’autre sont
posées des branches aussi serrées que possible. Puis on pose une natte très forte sur cet assemblage de poutres et de
branches. La natte est alors recouverte d‘argile sur 5 à 10 cm d‘épaisseur. La surface de l’argile est lissée e t incurvée
vers la périphérie, où sont disposées des gargouilles de terre cuite.
Alors que les cases rondes n’ont aucun système de fermeture (sauf parfois une natte légère), les cases 4 terrasse
sont toujours munies d‘une porte à battant. Au lieu d’être ogivale, la forme de la porte est rectangulaire.
Des ouvertures carrées assez étroites pour ne pas rendre l’édifice trop fragile sont ménagées dans le mur pour
éclairer l’intérieur.
30 Les cases rectangulaires à étuge .-les chefs de village, parfois aussi les catéchistes venus de la ville, réalisent
des cases à étage. Cela nécessite une grosse masse de briques, car l’aménagement d’un escalier intérieur exige la
construction d’un mur supplémentaire parallèle A l’une des façades. Ce mur devra supporter la poussée de l‘escalier;
celui-ci est réalisé à l’aide d’un empilement de briques d’argile disposées en degrés.
En général, I’étage ne comporte qu’une seule pièce occupant la moitié de la terrasse, dont la partie découverte
sert à faire sécher les récoltes.
Bien que ce type de case àtoit plat ne corresponde plus exactement aux conditions climatiques (900 à 1 100 mm
de précipitations), il est adoptée par les chefs de famille disposant d’une main-d’œuvre féminine ou filiale impor-
tante. Le type de case le plus courant est, cependant, la case circulaire à toit de paille bien adapté aux fortes préci-
pitations de la saison des pluies.
40 Les greniers .-pour la plus grosse partie de la récolte qui ne peut se loger dans les greniers intérieurs des
cases des femmes, le chef de famille construit ou fait construire par les siens un ou plusieurs grands greniers exté-
rieurs (un par épouse). La base du grenier repose d 30 cm au-dessus du niveau du sol sur lin bâti en rondins posés
(1) Technique acquise lors des migrations temporaires en Nigeria ou B Fort Lamy.
LE RASSIN D U MOYEN LOGONE 103
sur des blocs d’argile cuite. Sur cette base, les murs verticaux sont niontés en briques d’argile crue de petite dimen-
sion jusqu’à une hauteur de 1,70 m environ. Pour terminer le grenier en forme de bouteille, il faut ensuite abandon-
ner les briques et travailler avec de l’argile fraîche mêlée h de la paille de riz. Ce pisé est présenté en rondins facile-
ment maniables avec lesquels on façonne la partie arrondie du goulot. AU sommet de l’arrondi, on ménage une
ouverture circulaire de 40 cm de diamètre au-dessus de laquelle est montée la partie verticale du goulot (30 cm
environ). Le grenier est fermé en saison des pluies par une plaque en terre cuite.
Les buttes qui portent les villages ne laissent aucune place aux cultures. Parfois des jardins de décrue sont
cultivés dans les dépressions avoisinantes, mais les véritables champs sont situés très loin des villages, à 3 ou 4 km
ou plus.
Les villages du fleuve présentent donc un habitat dont la forte concentration découle de leur implantation
précaire sur d’étroites buttes sans cesse défendues e t rechargées en terre par les habitants. Les apports anthropiques
varient de 0,70 à 2 m d’épaisseur selon les lieux. On y trouve des débris de poterie, d’ossements, de perles, des
traces de foyer. I1 ne semble pas que cette occupation riveraine puisse être datée avec certitude (1).On ne saurait
trop cependant souligner ses effets morphologiques, notamment à aré, en un point particulièrement important pour
l’écoulement des nappes de crue.
L’acharnement mis par les hommes à se maintenir sur ces îlots construits s’explique par l’intérêt que présentent
ici les divers types de pêche praticables, grâce au caractère amphibie des plaines (2). Mais, pour être pêcheurs, les
gens du fleuve n’en sont pas moins cultivateurs et le problème des terres de culture a été réglé par la création de
terroirs éloignés.
LES TERRES
Les buttes qui portent les villages ne laissent aucune place aux cultures (3). Parfois des jardins de décrue sont
cultivés dans les dépressions avoisinantes, mais les véritables champs sont situés très loin des villages, à 3 ou 4 km
ou plus (fig. 28).
Le choix et l’extension des terres de culture obéissent à deux règles impératives :
- la limitation des étendues cultivables, par l’inondation annuelle ;
- la nécessité d’étendre sans cesse les surfaces de culture au fur et à mesure de l’accroissement de la POPU-
lation.
Certaines circonstances favorables compensent ce lourd handicap :
- le goût de ces populations pour des céréales de consommation traditionnelle, s’accommodant de l’inonda-
tion, comme réleusine et le taro ;
- l’introduction de la culture du riz ( 4 );
- la possibilité, grâce aux limons déposés par l’inondation, de travailler les mêmes parcelles sans interruption.
Ces facteurs favorables sont, cependant, contrariés par un grave inconvénient : l’absence de maîtrise du plan
d’eau par le cultivateur. Le choix des emplacements de culture pose chaque année le même dilemme :
- si les cultures de l’année précédente ont subi une trop forte inondation, la tendance du cultivateur est de
choisir un emplacement un peu plus élevé j il risque ainsi, si la crue est plus faible, de voir son champ de riz privé
d’inondation ;
- si les cultures de l’année précédente n’ont pas été sufisamment inondées, il risque en préparant des terres
plus basses de subir une crue exceptionnelle tout aussi néfaste pour sa récolte.
Ainsi les terres de culture sont très éloignées des villages, en direction des zones d’inondation à la périphérie
des buttes sableuses alignées entre Logone et Ba-Illi (5). (Pl. XII, B et XIX)
Les terres de culture Toalpala de Kim sont disposées en éventail autour du village sur un rayon de 10 km. Une
première bande semi-circulaire située à 4 km du village est interrompue en son milieu par des terrains légèrement
(1)Les prélavements ont été faits pour étude du C. 14. Les résultats ne nous sont pas parvenus au moment de l’impression.
(2) Cf. Chapitre VI11
(3) Elles rappellent le Fondé des rives du Sénégal. L. PAPY1953, p. 106-127.
(4)Cf. Chapitre XII
(5) J. CABOT1953.
plus bas que l’ensemble et rapidement inondables (Rfamzanogo). La partie ouest de cette bande s’étend en aval
de Kim entre le Logone et la route Bongor-Kim. La seconde partie commence à l’est de la route de ”Gam et
s’infléchit vers le sud-est parallèlement au fleuve, à 3,500 km environ de celui-ci (fig. 28). De même largeur que
la précédente, elle s’étire sur une dizaine de kilomètres. Une seconde bande de terres cultivables s’étend de la route
de Bongor à l’ouest jusqu’à la limite administrative du département du mayo Kébi au sud-est. Elle se trouve i
10 km en moyenne du village.
Les habitants d‘Éré ont deux secteurs de cultures. D’une part, la rive droite du fleuve face au village où sub-
sistent, entre les bras morts abandonnés par le fleuve dans son coude vers l’ouest, des buttes épargnées par la crue
moyenne du fleuve jusqu’à Ia mi-septembre. L’éleusine peut y croître avant l’inondation et la récolte a lieu avant la
submersion. D’autre part, en direction de l’ouest, dans la plaine d’inondation, autour des buttes de Tsalradéwa de
Mahoran, RIbélé, les terres où l’inondation n’est pas trop profonde peuvent également porter de I’éleusine ou du
taro. Actuellement, depuis l’introduction de la culture du riz, c’est plutôt à cette céréale qu’elles sont consacrées.
Ainsi les terres des villages du fleuve sont-elles distinctes des groupes d‘habitat. Situation entièrement à l’op-
posé des terres Massa qui, elles, se trouvent à la porte même de chaque Sina! Ici, le problème majeur n’est pas la
limitation de l’extension du groupe par le manque de terres cultivables - on trouve toujours des terres libres à
quelque distance - mais plutôt l’impossibilité d’accroître la superficie des buttes destinées à l’établissement ille
l’habitat lui-même. L’attrait du fleuve est tel pour la population qu’elle fait le sacrifice d‘une longue marche en
direction des terres de cultures plutôt que d’envisager le transfert du village sur des buttes plus larges de l’intérieur
des plaines, où pourraient se loger à la fois cases et champs, solution qui aurait I’inconv4nient d’éloigner le groupe
de l’artère du fleuve, vitale pour lui.
C’est dire la place primordiale tenue par la pêche dans le genre de vie des Kossop, Garap, Djoumane, etc.(4).
AUXterres de culture s’ajoutent les minuscules jardins enclos (5 à 25 m2)annexés aux Yals, placés à la périphérie
des quartiers. Au moment de la décrue, quelques plants de piment, de gombo, de tabac sont semés entre les cases et
protégés par des nattes tressées ou des claies déroulées.
Ce type de terroir dissocié de l’habitat par le retour de l’inondation annuelle aboutit à un début d’organisation,
car chaque quartier possède ses terres de culture dans un secteur bien déterminé de l’aire exondée ou semi-inondable.
L’introduction récente de la riziculture a favorisé quelques tentatives d’aménagement, sur lesquelles nous
serons amenés à revenir au chapitre XII.
En quittant les plaines inondables, les conditions de l’habitat changent totalement. Le relief se relève progres-
sivement sur les terres exondées de l’ouest et du sud du bassin. A l’omniprésence de l’eau succède un drainage orga-
nisé au fond des thalwegs qui modèlent les vastes accumulations sableuses de piémont. La nappe phréatique des
terres inondables, toujours proche du sol mgme en saison &che, devient dificile à atteindre dans l’épaisseur des .
formations argilo-sableuses e t gréseuses constituant les (( koros D. Les lignes directrices de l’implantation des fermes
ne sont plus déterminées par la nécessité de s’éloigner de l’eau, mais par celle de s’en rapprocher. Pourtant les rives
des grands cours d’eau : Logone, Pendé, ne semblent pas avoir joué le rôle d’attraction qu’elles ont plus au nord.
Le peuplement Gambaye, Lalra ou Mbaye n’est pas un peuplement de vallée. Les nébuleuses de fermes se situent
plut6t le long des (( Nya )), des (( hIan i), des (( Kou noms locaux qui désignent les petits vallons où s’écoulent, de
fapon plus ou moins permanente, les eaux restituées par les plateaux, fonds de dépressions où séjournent plus ou
moins longtemps les eaux de ruissellement de la saison des pluies. Autre caracteristique du peuplement dans ces
régions : la tendance qui s’est progressivement accentuée d’établir les fermes en bordure des routes au fur et à mesure
de leur création, si bien qu’à l’heure actuelle chaque intersection route-vallon est en général un site d’habitat.
Lorsque le peuplement s’éloigne des points d’eau naturels en direction des parties plus élevées des croupes sableuses,
le recours au puits devient indispensable. La surcharge démographique à la périphérie du lroro de Bénoye e t de son
appendice, le plateau de Sar, n’est possible qu’en raison de la possibilité d’atteindre les nappes de rétention favorisées
par la présence de cuirasses à l’intérieur des couches sableuses du koro. Lorsque les procédés rudimentaires de
forage à la main ne permettent plus de creuser plus profondément les puits, le peuplement cesse à moins que les
femmes ne s’assujettissent à la fastidieuse corvée d’eau sur plusieurs kilomètres. Ainsi, les sommets des koros de
Bénoye, de Guidari sont-ils peu habités.
I1 devient malaisé de saisir les caractéristiques de l’habitat original des populations du sud du bassin, car
Gambaye et Mbaye ont été très perméables aux influences étpangères : missions religieuses, ordres de l’administra-
tion coloniale, techniques modernes. Déjà le rassemblement des cases en bordure des routes avait modifié exté-
rieurement l’aspect du (( Tapourandal n familial, réduit les terres de case, rompu avec la semi-dispersion du groupe.
Les phénomènes de concentration urbaine, de déplacements facilités par les moyens modernes sont venus bris&
la cohésion intérieure de la famille patriarcale. Nous y reviendrons au chapitre XV.
L’HABITATION. - Le (( Tapourandal )) de brousse des Gambaye groupe les cases individuelles (Kéi) des
membres de la famille dans une enceinte circulaire faite de nattes fixées verticalement à des piquets. En s’alignant
le long des routes, ces enceintes ont pris la forme rectangulaire ou carrée. Les cases sont de type cylindrique à toit
de paille. Mais les murs d’argile séchée sont rares, et le matériau le plus usité est la natte de paille fixée aux piquets
qui supportent le toit.
L’aménagement intérieur est rudimentaire : nattes pour le couchage, jarres-greniers, parfois pierres í i moudre,
forment le fond commun des cases féminines. La case paternelle se trouve le plus souvent au centre de l’enclos,
côté d‘une case réservée aux visiteurs. Le chef de famille dispose parfois d’un mobilier plus recherche que celui
de ses femmes : l’influence du modernisme y est marquée par le lit en bois, parfois muni d‘un matelas, de couver-
tures, la chaise pliante de construction rustique due a u menuisier du village.
Les animaux bénéficient de cases spéciales : cabris d‘une part, volaille de l’autre. Les greniers, moins volumineux
que chez les Massa, sont également juchés sur pilotis, mais ils sont en paille tressée; la protection contre les intem-
péries est assurée par un vaste chapeau de paille conique.
L’aspect général de l’enclos est plus propre que chez les hIassa et les Toubouri, mais les constructions de paille
lui donnent aussi un aspect plus précaire.
Le R hlendogo )) des Laka, le N Kei ndogue )) des ”Baye diffèrent peu du Tapourandal. La case traditionnelle
de paille l’emporte partout sur la case d’argile (Keïbor), imitée des groupes voisins. La construction en brique crue
d’argile, déjà rencontrée dans les villages du fleuve, doit peut-être son introduction aux manœuvres ayant tra-
vaillé aux briquetteries installées à proximité des centres urbains. Elle a été utilisée par la plupart des chefs de vil-
lage ou de canton intronisés par l’autorité coloniale e t désireux d’imiter les constructions admirées au chef-lieu,
lors des convocations administratives. Ils utilisent parfois la main-d’œuvre villageoise pour édifier des cases en
argile. La case du chef se distingue ainsi de celle de ses administres à la traversée d’un village (Bao, Biramanda,
Marba Balrtchoro).
A la limite des civilisalions Laka, Massa et Moundang, l’habitat s’enrichit de toutes les particularités archi-
tecturales des voisins. Ainsi les cases et les greniers rencontrés à Badjé sont-ils un résumé de l’architecture des
trois groupes voisins.
Deux formes de cases sont B distinguer :
-la case simple, ronde, en pis&,surmontée du toit de paille conique. Certains de ces toits sont identiques à ceux
rencontrés chez les Massa : coupole ovoïde tressée sans armature ligneuse, d’autres ressemblent au toit Gambaye
à charpente conique de bois soutenue en son sommet par un pilier central ;
-Ia case complexe, composée de deux cases simples du type précédent, mais distantes de 2 m environ et re&s
par deus murs parallèles délimitant une pièce intermédiaire approximativement rectangulaire. Cette pièce est
couverte d’une simple claie de branchages; elle est alors utilisée plutôt comme cour intérieure. Lorsque le toit est
complet, la claie de branchages est recouverte d’une couche d’argile et de paille mêlés comme dans les cases-fortins
des Moundang.
11 n’y a pas de règle absolue clans la repartition des cases entre les membres de la faniille; mais, en général, la
case complexe est occupée par une femme, l’une des parties étant affectée à la cuisine. L‘ensemble des cases (Vana)
est plus ou moins bien enclos i l’aide de nattes fixées sur des piquets.
Les greniers sont de trois types :
- greniers imités des Moundang, en pisé, k coupole et k quatre compartiments (Zena Baoua = grenier grosse
t$te), haut de 3,50 m et de 2 m de diamètre ;
- le grenier moyen en pisé, cylindrique, recouvert d’un toit conique comme les cases, hauteur 2 m, dia
mètre 0,60 m (Bari) j
Ces deux types de greniers reposent h terre sur des blocs de terre cuite qui les isolent du sol et des termites ;
- le petit grenier (Tiamble), cylindrique bgalement, haut de 70 cm et de 60 cm de diamètre, repose sur Uxlc
table rustique h SO cm du sol. I1 est recouvert d’un toit de paille conique qui le caclie presque enticrement.
106 JEAN C A B O T
Il est à noter que les Vona qui disposent d’un grenier à coupole ne possèdent ni Bari a i Tiamblé. Ce dernier est
caractéristique du pays Gambaye comme le Zena baoua l’est du pays Moundang.
A l’intérieur des cases, des vases de terre cuite de diuérentes tailles (DJE) servent à conserver la farine ou les
grains vannés.
L’habitation conserve donc une partie de son aspect traditionnel : la case en paille tressée, les greniers, Déjà
son mobilier est en partie transformé, dû la plupart du temps à un paysan un peu artisan menuisier à ses heures.
La concentration des villages le long des routes, l’alignement des enclos familiaux derrière leur palissade de nattes
effacent l’ordre ancien. Est-il possible de retrouver celui-ci dans l’étude des terroirs ?
L E S T E R R E S DE C U L T U R E . - Sur les koros du sud du bassin, l’extension des cultures ne souffre aucune
contrainte du fait de l’inondation. Tout l’espace peut être vivifié. I1 sufit de le débarrasser de sa couverture
ligneuse.
L’emplacement du quartier ou du village est, en général, une clairière de déboisement d‘où toute végétation
naturelle est bannie par l’occupation prolongée du groupe. Les zones de cultures forment une ou plusieurs auréoles
plus ou moins nettes autour du village. Les champs de case (a Ndo guideke )) (Gambaye) ou (( Ndo bagodji (M’Baye)
peu étendus, proches des habitations, portent quelques pieds de cultures précoces :sorgho hâtif ou maïs, quelques
condiments. La concentration des enclos le long des routes a eu pour conséquence de réduire la superficie de ces
champs ou de les rejeter en arrière de l’agglomération, où ils se confondent maintenant avec :
- les champs de culture semi-permanente éloignés de quelques dizaines & quelques centaines de mètres du
village, où se font les cultures vivrières plusieurs années de suite entre de courtes jachères ;
- les champs de brousse forment une auréole irrégulière et éloignée de plusieurs kilomètres du centre du
village. Ce sont les (( Ndo lraga n, champs dégagés par déforestation de la savane arborée (( Mia lrag D.Dans l’ancienne
culture itinérante, ces champs représentaient le futur point d’implantation du groupe. A l’heure actuelle, avec la
sédentarisation des villages, le Ndo kaga n’est plus qu’un champ eloigné qui nécessite des va-et-vient fréquents.
Pour s’éviter ces déplacements, les cultivateurs établissent des cases provisoires dans les champs de brousse, ils y
séjournent pendant les travaux de déforestation, de houage ou de récolte.
Le village d’habitation permanente (BE) change rarement de place, sauf s’il dispose d‘un environnement
très vaste et libre de toute autre implantation. Ainsi le village de Bebanassa entre Bébo et Goré a changé trois fois
de place en l’espace de vingt ans à l’intérieur d’un domaine de 100 km2 (1).les nouveaux villages se créent par
sécession lorsque les terres se font trop rares ou lorsque le raccourcissement de la durée des jachères compromet
la reconstitution des sols.
Exemple du village de Badje. - A la limite des formations sableuses des plateaux Lalca et du bassin sédimen-
taire de Lamé, les terres du village de Badjé sont rarement argileuses, les grès affleurent en plusieurs points, les
terres sont à prédominance sableuse. L’érosion a été activée par les défrichements sur les versants des cours d’eau
qui encadrent le village. Ces terres sont perdues pour toute culture.
Autour des cases du village, chaque famille dispose d’un champ de case de culture permanente (Sine vona) ou
Riget siamla (la place du mil rouge) amélioré par les déchets, cendres, excréments animaux et humains, fumure
inconsciente, qui aboutit à la formation d’une véritable terre de kraal. Ces champs ne dépassent pas le demi-hectare.
Ils ne sont abandonnés qu’en cas de départ de la famille du village.
A quelque distance des habitations, sur les bords des ruisseaux à écoulement permanent, quelques jardins
ont été créés où, grâce à l’arrosage, poussent en toutes saisons légumes e t bananiers. Toutes les familles ne pos-
sèdent pas leur jardin; seuls le chef de village et quelques (( imitateurs )) cultivent (ou font cultiver) quelques ares.
Le jardin, type de culture absolument nouveau, est ici dissocié de la maison :le problème de l’arrosage impose,
en effet, la proximité du puits ou du cours d’eau. Nous verrons (Ch. XV) que presque partout dans le bassin du
Logone les jardins ont été établis sur les bords du fleuve OU dans les zones permettant un accès facile à une eau
abondante.
Au-delà, à moins d’un kilomètre du village, les champs de culture (Sine daba) portent la récolte de mil des
lamilles, mais leur superficie est limitée et ne dépasse pas 1 ha.
C’est au loin, en brousse, que chaque quartier trouve des terres sufhamment étendues pour compléter ses
plantations de mil. Ces champs (Sine mo goap) sont dégagés par défrichement dans la savane boisée ou les anciennes
jachères.
Le tableau (annexe, p. 31f de l’Annexe no2, fin de l’ouvrage.) donne une idée des superficies cultivées par
des familles types : tilibataire, monogame, bigame, polygame. I1 apparaît que, si les superficies totales s’accroissent
La zone des koros est celle oÙ le type d’exploitation agricole antérieur à la colonisation est le plus difficile 8
reconstituer. En effet, l’introduction de la culture du coton depuis une trentaine d‘années et la fixation des villages
le long des routes ont profondément modifié la taille, la forme et la répartition des champs, ainsi que nous le verrons
au chapitre XI.
Les types de terroirs originaux ont été largement oblitérés depuis cette époque, e t l’on ne peut guère que les
imaginer à l’évocation qu’en font les vieux chefs de terre et les quelques vieillards qui en ont gardé le souvenir.
I1 est possible que le mode d’exploitation du sol anciennement pratiqué ici ait pu être celui de l’agriczrlture
itinérante (shifting cultivation) où coexistaient deux types de champs : champ de case e t de quartier correspon-
dant à un débroussement ancien, en cours de rotation de cultures, et champ de débroussement récent en première
année de culture avec cases provisoires (campements) destinées à faire place à un habitat prolongé lors de la
migration de la famille ou de la fraction.
Au sud du bassin, le passage des formations de remblaiement aux terres du socle n’entraîne pas de modifi-
cations sensibles des conditions de l’habitat. Comme sur les koros, le peuplement s’organise le long des cours d‘eau
permanents ou temporaires, souvent à l’intersection d’une piste et d’un thalweg. La tendance à l’agglomération
s’affirme,sans doute liée aux pratiques de débroussage, dont le caractère collectif se fait de plus en plus impérieux
avec l’épaississement de la couverture ligneuse. Les reliefs en inselberge dressés au-dessus de la pénéplaine abritent
certains groupements, mais ce n’est pas là une règle générale. I1 semble que la distribution ancienne de l’habitat
ait été profondément modifiée par la création des routes, à l’écart desquelles on ne trouve plus de peuplement
important. La case ronde de type Laka-Gambaye domine partout dans le district de Baïbokoum, mais par la vallée
de la Pendé les premières influences oubanguiennes se font sentir avec l’apparition des cases rectangulaires en
murs de torchis et toits de paille à deux ou quatre pentes.
A l’ouest du bassin, la réapparition des formations du socle au-dessus des plaines d’inondation habitées par
les Toubouri et les Massa se fait presque sans transition. La dispersion anarchique de l’habitat s’ordonne brus-
quement dès que l’exhaussement du relief limite la présence de l’eau aux seules vallées des mayos. Les villages
nébuleuses des I&& s’égrènent à proximité des fonds de vallées, tandis que les croupes se dépeuplent. Les poin-
tements rocheux au pied desquels des poches d’eau se conservent dans les arènes toute l’ann6e durant, attirent
l’habitat plus resserré des cases et des champs contigus. Le peuplement Foulbé, qui commence 18, marque sou-
vent le passage à un habitat groupé, conséquence d’un commerce et d’un artisanat plus actifs.
La dépression empruntée par le mayo Kébi, grhce aux terres vivifiées par l’inondation et aux possibilités
de pêche offertes par les lacs, ouvre des conditions de peuplement très favorables, rappelant à la fois celles que
présentent les lacs Toubouri et la vallée moyenne du Logone.
Cette bordure occidentale du bassin du Logone, lieu d’affrontement entre les conquérants Foulbé e t les Kirdis
des plaines du fleuve ou des monts du Mandara, juxtapose les types d’habitat, favorise les échanges de civilisa-
tions e t de techniques, sans effacer les caractéristiques originales de chaque groupe.
J.]
(I CABOT1962.
108 JEAN CABOT
En fait, seuls Noundang et Foulbé, les uns poussés par les autres, ont colonisé les plaines. Les premiers de
Lara à Torroclc, les seconds de Binder à Guirvidig. Par contre, les Guidar, les Matalram, les Mandara sont restes
des montagnards et, ii ce titre, ils ne paraîtront pas dans cette étude.
L’HABITATION. - Rien de plus caractéristique qu’une ferme Moundang. De loin déjà, ses greniers à
coupoles signalent sa présence. A son approche, l’impression d’avoir affaire à un petit fortin s’affirme. L’ensemble
bien clos prend une allure solide, les cases couvertes de toits plats débordants sont flanquées de tourelles dont
l’usage fort pacifique étonne lorsqu’on le découvre (fig. 31).
-i
Cy’
c < L-.
D __I-
Toute construction commence par le grenier à coupole, véritable travail de potier, tout autant que les cases
Mousgoum de Pouss et de Katoa. La base du grenier est d’abord confectionnée au-dessus d’un plancher posé lui-
même sur des blocs de poterie cuite. Les murs du grenier s’é18vent verticalement en même temps que les cloisons
intérieures qui le divisent en chambres verticales. Chacune est fermée à sa partie supérieure ne laissant qu’un
trou assez large pour qu’une femme ou un enfant puisse s’y glisser. La coupole est construite enfin, de hauteur
sufisante pour que l’utilisateur puisse s’y tenir courbé. Une ouverture ovale ménagée sur le caté permet de pénétrer
dans le grenier après avoir gravi les marches grossièrement taillées d’une échelle faite d’un tronc fourchu de Doum.
Une simple natte obture l’entrée du grenier.
Les cases de forme rectangulaire s’appuient généralement sur le grenier, qui forme pilier d’angle; la cuisine
et la réserve intérieure sont également bâties en forme de tour et occupent d’autres angles de la case féminine.
La cuisine se termine en coupole trouée à son sommet pour l’évacuation de la fumée. La réserve a un toit plat,
comme celui de la case. Ces deux tours d’angle s’ouvrent directement dans la pièce rectangulaire qui, seule, commu-
nique avec l’extérieur. (1)Les cases masculines (celles des chefs de famille) n’ont pas de cuisine, mais comportent
souvent une réserve et un grenier. Pour les jeunes gens, de petites cases circulaires à toit de paille conique sont
construites dans l’attente de leur mariage. Tous les murs, rectilignes ou circulaires, sont construits en briques
crues liées par un ciment d’argile. Les toits des cases rectangulaires sont constitués par un plancher de nattes,
supporté par des poutres de palmier et recouvert d’argile pétrie de paille. A la différence des toits plats d6jà ren-
contrés, ils débordent assez largement les murs, qu’ils protègent du ruissellement.
Le bétail est soumis à des rhgimes divers : les chevaux ont droit à une écurie construite en terre, à toit plat,
de même que les caprins. Par contre, les bovins sont parqués à ï’extérieur dans des (( Zeribas n, enceintes d’épineus
aménagées i cÔt6 du Pitch&.
L’enclos de la famille Foulbé (Saré)peut prendrc l’allure d’une véritable construction permanente, surtout dans
les centres conimerciaux, lorsque tous ses bléments sont édifiés en terre sèche. L’enceinte de murs en pisé, plus
haute que la taille d’un individu, s’ouvre par une porte unique débouchant dans line pièce d’accucil rectangulaire
21 toit plat, où se font les parlotcs aux heures chaudes du jour. Dc cette p i h , une deuxième porte donne accès
Q la cour, sur laquelle s’ouvrent les autres cases. Les habitations des adultes sont toutes de forme rectangulaire
avec toit plat en terrasse. Ici, l’architecture foulbé se confond donc avec l’architecture de Lype arabe telle qu’on
la rencontre à ForkLamy et en Afrique septentrionale. Le brassage des influences au sein des anciens empires
du Bournou, du Kanem. du Baguirmi parait expliquer cette absence d’art spécifiquement foulbB.
Le Sari. rural a une apparence plus précaire qui rappelle le Tapourandal Gambaye : murs toujours bien clos,
mais de paille tress6e (Séko ou S a r g “ ) et maintenus par des piquets. Les cases individuelles à I’intBrieur de l’en-
clos sont du type circulaire, à mur eL t o i t de paille. Seule la case d’accueil, à l’entrée du Sare, garde la forme rectao-
gulaire des cabes urbaines, mais elle est entièrement réalisée de sélros.
LES TERXES D E CULTURE. - Le mode d’emprise au sol varie selon les secteurs. Chaque petit ensemble
topographique fournit des conditions de mise en valeur différentes.
Chez les Moundang autour de Lara, la distribution des terres familiales entre champs de case (Oa ka yan) et
champs de culture (Oa he) ne diffkre guère de celle que nous avons rencontrke chez les Toubouri. Autour du Pit-
chélé, le champ de case destiné a u s cultures vivrières de saison des pluies (mil rouge OU parfois maïs), dans les
d&pressionsargileuses inondables (Karal), situées en bordure des mayos ou dans les cuvettes du socle, champs de
mil repiqué de saison sèche. Souvent ces deux types de champs se jouxtent, formant un espace cultivé d‘un seul
tenant lorsque I’établissement de l’habitat à proximité du mayo est possible.
Dans les villages établis sur un ancien site défensif au pied d’un chaos granitique ou d’un pain de Sucre (Lara-
blindif), les champs sont dissociés : champ de case de cultures seches autour du Pitchélé, champs de cultures repi-
quées (Karal) dans une dépression parfois éloignée de 3 ou 4 km.
E n bordure des lacs de Tréné et de Léré, les variations du niveau lacustre ajoutent un nouveau domaine
de cultures (( dlongoicobé )) particulièrement prisé. Les populations Aloundang y pratiquent chaque année une cul-
ture hhtive levkc avant la crue (mil rouge (( Zimiri ))) et une culture de décrue (haricots (( Hé )) et patates (( Madbrb ))
en champs séparis, plus récemment le mil repiqué (( Mouslrouari a). Le pitehélé es1 Btabli, autant que le permet
la densité du peuplement de chaque village, en bordure des rives inondables sur les terres argileuses noires finc-
ment craquelées (Dame), et le champ de case (Oa ka yan) comprend une partie exondée (Oa tche Bore) où l’on
sème le maïs (( So hori 1) et les condiments : gombo (( Louri 11, oseille (( Nassi )) et la partie soumise h l’inondation
(Pye) qui porte successivement le mil rouge, puis les haricots et les patates.
Les champs de brousse (Tibouri après débroussage ou Ou fa après jachère) sont consacrés a u s mils blancs
à long cycle végétatif. Ici encore, il est très difficile de déterminer la place que pouvaient tenir ces champs de brousse
dans l’organisation traditionnelle des terroirs; la culture du coton a créé un domaine de culture systématique à
superficie contrGlée. Automatiquement, le mil prend la place du coton l’année suivante, parfois une année encore.
hIais les champs de brousse actuels n’ont rien de commun de ce fait avec les cultures traditionnelles certainement
moins étendues, moins géométriques et probablement moins prolongées.
*
On pourrait être tenté d’altribuer aux facteurs ethniques une idluence déterminante dans les types d’habitat
et les différents modes de prise du possession du sol. Les formes typiques de l’habitat, Moundang pourraient faire
pencher vers cette interprétation. En fait, l’habitation varie dans ses formes en fonction des matériaux disponibles,
en fonction aussi du mimétisme qui joue entre tribus voisines (Pévé et Moundang, par esemplc). I1 lie faut pas
perdre de vue le fait que chaque tribu a longtemps vécu replide sur elle-même, sans contact avec les tribus voisines.
La Patrie a été longtemps cékbrée au niveau du village, du clan. Toutefois, des échanges ont pu s’btablir; il en
10
110 JEAN CABOT
est résulté des emprunts de (( tours de main )), de techniques dont la supériorité avait été Bpruuvée. Ainsi la case
quadrangulaire est venue a u s hloundang par l'imitation des Foulbé, tandis que les hlassa et les populations Sara
l'ont empruntée aux Arabes.
Au-delà des nuances qu'il fallait présenter pour donner une description complère de l'habitat de ces régions,
il semble qu'un fait majeur se dégage : l'habitation traditionnelle était celle de la famille au sens large du mot
de la famille patriarcale. Mais chaque individu était assuré d'y posséder son propre abri, même s'il devait le partager
avec les animaux. Habitation collective à cellules individuelles, le Sina, le Pitchélé, le Tapourandal étaient aussi
des demeures d'agriculteurs avec les dépendances nécessaires à l'engrangement des récoltes (greniers de types
divers adaptés à la variété des récoltes), au logement des animaux le cas BchBant.
Nous avons essayé de déterminer queIle pouvait être l'organisation des terroirs dans I'économie ancienne des
groupes. Cette recherche a été rendue nialaisée par l'introduction de cultures commercialisables (le coton essen-
tiellement). Néanmoins, il est encore possible de distinguer plusieurs types de terroirs témoins de la mise en valeur
traditionnelle des différents milieux offerts à l'expansion des groupes :
- terroirs à (( champs de case 1) permanents quasi exclusifs de tout autre type de champ, li6s à l'habitat dispersé
sur buttes e t bourrelets de la zone inondable du Logone (populations Massa, Kouang, Gabri, Kabalaye, Hadjé,
Soumraye) j
- terroirs à champs de case exondés permanents et à champs de décrue en bordure des lacs et dépressions
inondables (Toubouri, Moundang) ;
- terroirs séparés des villages riverains par u-ne zone d'inondation profonde, champs dont l'inondation est
plus ou moins contrôlée (villages du fleuve : Kim, Eré, Djoumane, Draïn Golo) ;
- terroirs de la zone exondée disposés en auréoles concentriques, la première proche des villages, portant les
champs semi-permanents de cultures hltives, la seconde dans un rayon parfois très grand (plusieurs kilomètres),
avec alternance de quelques années de cultures e t de longues jachères. Une certaine mobilité des villages semble
héritée d'une agriculture itinérante par bonds successifs à l'intérieur d'un domaine très étendu.
Ainsi s'efface, peu à peu, l'image d'une Afrique agricole livrée à la seule culture itinérante à une K shifting
civilisation 1) dévorante responsable de la déforestation des marges sahélo-soudaniennes. Chaque type de terroir
témoigne du degré d'équilibre atteint dans les rapports entre le paysan africain et la nature (1).I1 nous faut étu-
dier maintenant les techniques dont l'homme disposait, ainsi que les genres et niveaux de vie que lui ont permis
d'atteindre ses rapports avec la nature.
(1)Cf. G. SAUT.TEH
1957.
CHAPITRE VI1
Comme tous les paysans du monde, le cultivateur du bassin du Logone doit adapter son agriculture aux condi-
tions imposées par le milieu. Nous avons vu qu’il avait appris à tirer le meilleur parti possible des terres et des sites
qu’il a reçus en partage. Mais cette action de l’homme sur le milieu s’est faite ci mains nues ou presque. Nous sommes
ici dans un monde où la seule source d‘énergie utilisée depuis des siècles est le moteur humain. Qu’il s’agisse de
retourner la terre, de batir des maisons, de transporter des récoltes, il n’est d‘autre recours quc les bras et les jambes
des individus. Pas de roue, pas d’attelage, pas de levier. Isolé au cœur du continent, l’homme n’a même pas appris
à utiliser les forces naturelles de l’eau ou du vent pour moudre son grain. Installé dans une économie familiale
d’autoconsommation, il n’a pas eu à se poser le problème des transports, que nécessite une économie de marché,
il n’a pas cherché à augmenter ses surfaces cultivées, l’énergie fournie par les membres de la famille patriarcale
suilit pour produire bon an mal an de quoi se renouveler et s’entretenir. Cette mobilisation de tous les bras par
les travaux agricoles a été, à la fois, la conséquence et la cause du retard des techniques et de l’absence de toute
spécialisation, de toute division du travail. Le groupe arrivant à se suffire avec les moyens techniques élaborés a u
cours des siècles avait ainsi atteint un équilibre économique e t culturel qui aurait pu se perpétuer encore pendant
des siècles.
Ces techniques utilisent un outillage réduit, deatiné à armer la main de l’homme pour l’adapter aux différentes
activités permises par le milieu : travail de la terre, abattage de la végétation, chasse a u s animaux, pêche dans
les rivières et les étangs.
Les outils se ramènent donc à un nombre restreint : instruments aratoires, armes, engins de pêche, les uns
et les autres adaptés autant que possible aux différents usages. La culture, l’élevage et la chasse font, en outre, appel
à une technique commune : le feu. Nous en verrons les différents usages e t les conséquences diverses de son utilisa-
tion selon les milieux et les époques de l’année.
LES OUTILS. -L’instrument du labour communément utilisé est la houe. Sous différentes formes, cet outil
s’adapte aux façons culturales et aux divers types de sols. Ainsi que l’avait souligné M. SORRE(p. 678) : (( A condi-
tion de ne pas trop presser la relation, nous apercevons un rapport général entre l’outil et les exigences de la culture.
La houe, sur tout le continent noir, est l’outil de culture des céréales du groupe des millets et des sorghos. Elle
donne au sol des façons superficielles, s’appliquant à des terres légères. On a partout observé au Soudan une curieuse
adaptation de la taille et de la forme ila nature des sols. ))
Les houes utilisées dans le bassin du Logone sont tantôt à soie, tantôt Q douille. Ce mode de fixation au manche
n’est pas déterminé par l’usage auquel la houe est destinée, mais plut& par tradition des forgerons, les uns étant
plus habiles à forger la pointe d’une soie, les autres préferant le système de lisation par douille. C’est la forme du
manche, de la pièce de bois destinée à porter le fer ,qui s’adapte aux besoins. On peut distinguer entre les houes A
sarcler, les houes à billonner et les houes à semer (1).
112 JEAN CABOT
Les houes à sarcler peuvent avoir deux types de manche selon la position du cultivateur au labour : les Gam-
baye et Mbaye travaillent accroupis e t utilisent une sorte de houe-pelle B manche droit plus ou moins fourchu
pour augmenter la prise à la poussée (fig. 32, D) (Koss). Elle remue le sol par tranchage, comme la bêche du jar-
dinier. Elle sert à gratter la terre, à couper les rejets, les branches, les herbes, à sarcler aussi. Son fer est presque
toujours trapézoïdal et fixé par douille.
Les autres cultivateurs du bassin travaillent courbés, solidement campés sur leurs jambes écartées. Leur outil
attaque le sol à la manière du pic de terrassier : le manche est donc coudé à l’extrémité qui porte le fer (fig. 32, A).
Chez les Massa (Douguermira) et les Toubouri (Son mini), le type de fixation à soie est le plus fréquent, mais il e s t
utilisé concurremment avec le type de fixation à douille qui, à son tour, prédomine chez les hloundang (Panhé),
les Kouang (Barda) et les Gambaye (Koss gue tar).
(1) Asscz semblables k la c DAnAalBa n utiliséc par I C s Baga de Guinée, cf. D. P A U L ~ I(1957).
E
LE BASSIN DU B r 0 i - m LOGONE 113
I,es hachettes ont Bgalement un usage varié. Elles constituent des instruments à tout faire : débroussage,
dBpeçage des animaux tués, travail du bois (menuiserie grossière). La partie métallique a la forme d’un coin, large
de 5 à 8 cm, épais de 2 à 3 cni. Le fer étant rare, c’est au manche qu’est demandé l’effet de masse. C’est pourquoi les
manches taillés dans des bois durs et lourds sont en forme de massue. La fixation du fer se fait soit par douille
sur les manches coudés, soit par pénétration dans la partie la plus renflée du manche (fig. 32, E, F).
Traditionnellement, outils et armes dtaient fabriqués dans certains villages chez les forgerons investis de
cette charge héréditaire. Le fer était extrait des cuirasses nombreuses qui affleurent sur l’ensemble des plateaux
Laka. La boule de cuirasse ferrugineuse a longtemps été une monnaie d’échange des populations des plateaus.
Cette monnaie entrait pour une large part dans l’6valuation des dots féminines.
Actuellement, la matière première la plus utilisée pour la confection de la partie métallique de tous ces outils
est la (( touque I), emballage dans lequel les hydrocarbures parvenaient jusqu’au Tchad il y a encore quelques années.
Mais le métal de ces fûts est peu épais et les houes d’importation du type Ceylan (œilleton)
i prennent une place
de plus en plus importante dans l’outillage paysan.
S u r les terres légèrement inondables 02 sont cultivés l‘éleusine, le taro et actuellement le riz, les pspulations
riveraines procèderzt d une préparation d‘kcobuage. Ce travail entrepris au mois de Mars a toujours lieu avant
l‘incendie des plaines pour éviter la destruction des herbes nécessaires à la constitution des andains d’incinération.
Une entente entre villages permet de repousser l’incendie de la prairie, après les travaux de préparation des champs.
L’écobuage, qui est, lui aussi, une technique du feu, a l’avantage de conserver les cendres sur le terrain i
cultiver. Elles ne sont pas dispersées à tout vent. Par contre, il a le même résultat que l’incendie : il laisse les
terres découvertes à l’emprise des tourbillons ascensionnels des premières tornades sèches.
Les incendies pr*écuZturaux de savane boisée sont pratiqués par les populations dont le système de culture
repose sur la jachère arborée. Lorsque les superficies destinées à être mises en culture ont été délimitées, pour tout
un quartier ou pour un groupe de familles, les hommes s’y rendent pendant la saison sèche, munis de leurs haches.
Les arbustes sont abattus. Ils ne sont pas attaqués à la base, mais un mètre du sol environ. Les plus gros arbres
sont ébranchés, si possible, sinon ils sont laissés tels. Les branches et les troncs coupés sont étalés à la surface
du champ et laiss& sur place jusqu’à la fin de la saison sèche. Avant les premières pluies, le feu est mis a u s brous-
sailles. Cette combustion n’est jamais complète et les débris non calcinés sont rassemblés au pied des gros arbres
destinés à. disparaìtre. Ces nouveaux foyers sont allumés et attisés jusqu’à destruction des arbres. Les plus vieus
troncs, souvent creux, se consument rapidement, formant cheminée, ils s’écroulent en flammes. D’autres r6chappent
de l’incendie et survivent plus ou moins atrophiés. Certaines espèces s’adaptent à ce climat d’inceadies répétés et
se protègent d’une écorce igni-résistante.
I1 n’est pas toujours possible de limiter les atteintes du feu à la seule partie destinée aux cultures, et souvent
l’incendie s’étend à la savane sur laquelle les cultivateurs n’avaient aucune intention de défrichage.
Les conséquences de la pratique des feux de brousse sur la dégradation des terres ont été étudiées par de
nombreux auteurs. La plupart ont insisté sur son caractère de nécessité dans un système agricole ne disposant
d’aucun autre moyen de régénération des terres que le retour à la jachère après un cycle de cultures. Or qui dit retour
à. la jachère dit reconstitution d‘un nouveau couvert arboré, donc tôt ou tard nouvel affrontement entre l’homme et
cette végétation. De quel autre moyen de défrichement que le feu le paysan africain dispose-t-il ? L‘incendie de
brousse a d’abord été un moyen de se débarrasser des produits du défrichement ; ce n’est sans doute qu’à l’usage
que l’agriculteur a pu noter le caractère bénéfique de l’apport des cendres sur ses champs. A l’origine, en défri-
chant, le cultivateur ne recherchait qu’à remplacer ses champs devenus infertiles par de nouvelles terres qu’il
fallait bien arracher à la brousse, la fertilisation passagère due aux cendres n’étant pas le but poursuivi, mais Ia
consdquence involontaire du seul moyen dont il disposait pour faire disparaitre le couvert forestier ou arboré.
11 semble bien que, sur les koros, l’ancien système de la culture itinérante ait été le mode courant d’exploitation
des sols, le village se déplaçait avec les champs. Aucun axe de circulation, aucune contrainte économique n’im-
posait aux clans la fisité de l’habitat. La durée des jachères était beaucoup plus longue et un équilibre profond
existait entre les exigences des cycles culturaux et les restitutions faites au sol par le retour à la végétation natu-
relle. Avec la stabilisation de l’habitat, certaines zones se sont peuplées plus rapidement que d’autres, accélérant
la rotation des terres autour des villages des zones à forte densité, laissant, au contraire, de longues périodes de
repos a u s terres des zones de faible peuplement. D’autre part, l’introduction de cultures commercialisables par
l’administration coloniale a inclus une nouvelle sole dans les rotations de cultures; il faudra voir dans quelle mesure
la durée des jachères s’en est trouvée écourtée.
Toujours est-il que la pratique des feux de brousse hâte la dégradation des terrains en pente par privation
du couvert végétal pendant toute la durée de la mise en culture. Mais les études les plus récentes sur la question
cherchent k mesurer les conséquences de la chaleur elle-même sur la structure des sols. Des expériences faites au
Sénégal ont permis d‘enregistrer des températures allant de 1000 à 8500 pendant 3 à 4 mn (MASSON,1949, p. 1933).
Cette élévation de température est surtout sensible dans les cinq premiers centimètres du sol. Elle a pour première
conséquence (( la destruction totale de l’humus de l’horizon A des pédologues )) (GUILLEMIN, 1958, p. 32) et par
suite l’abaissement de la capacité de rétention en eau du sol. Une autre conséquence grave est le ralentissement
considérable de la vie microbienne et par là la réduction de l’ammonification. La destruction des bactéries fixa-
trices d’azote rend extrêmement temporaire et fugitif l’accroissement de nitrification apporté par les cendres,
r a p p o r t fertilisant de ces dernières n’est finalement sensible que pour les carbonates.
Les actions indirectes du feu découlent de la dénudation du sol qu’elles entraînent. L’accroissement de la tem-
pérature d’un sol dénudé accélère l’évaporation, favorise l’action éolienne des sols légers, accélère le lessivage. Les
rhizomes n’étant pas atteints par le feu, la nouvelle couverture végétale comprend une plus grande partie de plantes
rhizomateuses favorables à l’érosion par leur port en touffes. Le renouvellement des feux entraîne une reconsti-
tution de plus en plus diEcile de la vegetation et le sol reste découvert.
(( Ceci est, bien entendu, lourd de conséquences pour l’agriculteur africain qui attend de la jachère la recons ti-
tution du taux de fertilité primitif des sols mis en culture. On en arrive finalement à une rupture d’équilibre irré-
versible qui compromet lourdement tout le système traditionnel d’exploitation du sol et nécessite le maintien
du nomadisme cultural, celui-ci restant l’élément déterminant de la stagnation économique et sociale des popu-
lations rurales. )I (GUILLEXIN, 1958, p. 38.)
Sauvegarde de certaines espèces. - Le cultivateur cherche à protéger certains arbres des atteintes du feu.
Pour cela, il evite d’étendre les amas de branchages à brûler autour et au-dessous des individus qu’il veut conserver.
Parmi les arbres le plus couramment respectés, citons : Butyrospermum parki (Karité), conservé pour la cueillette
de ses noix ; Borrasszcs æthiopicum (Rhnier), conservé pour ses fruits et son bois imputrescible utilisé dans les
charpentes j Hyphmze thebaica (Doum), conservé pour son bois, et surtout Faidherbia albida, l’arbre modèle (Harraz
en arabe tchadien, Dir en Sara). Ce dernier a le gros avantage de perdre ses feuilles dès le début de la saison des
pluies ; les cultures peuvent donc se développer sous sa ramure sans souffrir d’un excès d‘ombrage. Ses feuilles
riches en azote fertilisent le sol; tombées avec les premières pluies, elles se transforment en humus. Les fruits,
gousses nombreuses et charnues, tombent sur le sol en pleine saison sèche ; elles n’éclatent pas et restent bien pleines.
Le petit bétail, très friand de ces fruits, sOjourne donc sous les Faidherbia et enrichit leurs alentours de ses déjections.
LE BASSIN D U MOYEN L O G O N E 115
Cette sauvegarde d‘espèces appréciées par le cultivateur donne aux régions cultivées en permanence par une
population assez abondante l’aspect d’une savane parc aux essences variées. Citons, en particulier :
- les savanes parc Fnidherbia albida assez étendues sur les bandes sableuses alignées sud-nord entre Laï
e t le Ba-Iili, le long du grand courant, surtout entre Dérésia et ”Gam, également sur la rive gauche du Logone
entre Ham e t Tougoudé. On trouve aussi le même type de parc autour de Binder, où la densité des Faidherbia
atteint 25 à 30 à l’hectare, assurant une protection efficace des sols et le maintien de leur fertilité malgré l’absence de
jachère (1);
- la savane parc à rôniers, typique de la région de ”Gam et des rives du Ba-Illi ;
- les savanes parc à karités, caractéristiques des zones exondées du bassin de la Kabia au sud de Gounou-
Gaya ;
- sur les buttes exondées de la rive droite du Logone en aval de Bongor, la seule végétation conservée sur les
buttes aboutit à un parc mixte de doum (Hyphane) et de Faidherbia.
De toutes les techniques employées par l’agriculteur africain, il est certain que c’est le feu qui a la plus grande
efficacité. I1 permet d’ouvrir à la culture les zones fermées et hostiles à l’homme; il précède la mise en culture; il
chasse le gibier vers les filets, il assure un éphémère regain sur les prairies desséchées. I1 n’entraîne pas partout les
conséquences néfastes attachées généralement à son passage. Son action sur les plaines inondables est nettement
moins grave que sur les terres exondées du sud du bassin. C’est dans ce dernier domaine que la déforestation accé-
lérée pendant les dernières décades prend son caractère le plus grave, ainsi que nous le verrons dans un prochain
chapitre.
Les cultures
Incontestablement, le bassin du Logone appartient à l’aire des mils et des sorghos. Toutes les populations
pratiquent la culture des mils, parfois jusqu’à l’exclusivité. Ici se trouvent sans nul doute les cultures d’origine
africaine qui ont le mieux résisté - souvent faute de leur avoir été opposées - aux cultures d’importation arrivées
par la c6te de Guinée, la Méditerranée ou l’océan Indien (2).
Si les populations oubanguiennes ou les tribus Sara du sud du Tchad ont depuis longtemps adopté le maïs,
la patate, l’arachide e t plus récemment le manioc, l’introduction de ces cultures semble se heurter à la résistance
têtue des paysans Massa, chez qui tous les essais tentés jusqu’à ces temps pour introduire d‘autres cultures alimen-
taires aux côtés de l’exclusif mil rouge ont été voués à un échec complet.
La première place dans cette étude des cultures traditionnelles du bassin revient donc aux mils, tant par l’an-
cienneté de leur utilisation que par le volume qu’ils tiennent dans les récoltes vivrières annuelles (fig. 34).
LES M I L S
Grâce à leurs variétés nombreuses permettant un étalement des récoltes sur plusieurs mois, les sorghos repré-
sentent la céréale de base de toute l’alimentation soudanienne. Le sorgho sert à 1a.préparation des bouillies, base
de l’alimentation traditionnelle, mais aussi à la fabrication de boissons iermentées -certaines variétbs ne servent
même qu’à cela.
A chaque type de sorgho correspondent des exigences plus ou moins sévères de sols, de précipitations, de
places dans le calendrier agricole. A ces conditions naturelles de cultures s’ajoute le goût marqué des populations
pour telle ou telle variété, préférence appuyée souvent sur des croyances, des traditions tribales plus ou moins bien
conservées.
10 LES SORGHOS :
a ) Variété rouge, pricoce .-c’est le mil rouge, quasi-monoculture des Massa (Ouana), mais on le trouve cultivé
concurremment aux mils blancs et berbérés chez les autres groupes ethniques : (( Mogaï )I des Gambaye, (( Godji 1)
des Goulaye, (( Gara )I des Toubouri ; variété de Sorghum caudatuni & cycle court (90 à 110 jours), de petite taille
(1,50 à 2 m), B panicules demi-compactes (Pl. VIII, A), il est cultivé le plus souvent sur les champs de case et béné-
ficie de la fumure inconsciente aux abords des fermes. Adapté au régime des eaux, il peut mûrir malgré l’inondation.
Semé en poquct d2s les premièrefi pluies importantes (Mai), il est démarié à deux ou trois plants en Juin,
tandis que les manquants sonnt remplacds par repiquage. Souvezlt le cultivateur utilise les plants superflus pour
élargir son charup à la périphérie. Les plants reçoivent un ou deux sarclages avant la récolte. Les panicules coupées
au couteau sont s6chées au soleil sur les auvents des (( balalcnas I), puis engrangées. Les tiges sont, en partie, coupées
e t brûlées. Leurs cendres salées sont rincées e t le résidu, a p r h évaporation, est utilisé comme sel de cuisine. Bien
souvent les épis à peine mars sont coupés dès le mois d’Aoiit pour abréger la soudure. La récolte générale n’a lieu
qu’en fin Septembre et en Octobre.
En pays Mousseye il est parfois cultivé en champ de brousse, il vient en tbte de rotation, toujours en culture
mixte, soit avec haricots e t courgettes, soit avec d’autres variétés de sorghos ou de mil.
Partout où il est cultivé sur champ de case, il ne subit ni rotation ni jachère. Si des signes d‘appauvrissement
du sol apparaissent, la terre est complètement abandonnée et l’enclos familial est déplacé sur un nouveau champ
de case.
Malgré ses inconvénients : grains tendres, farineux, à conservation difficile, le mil rouge est quand même
cultivé dans tout le bassin du Logone. Les Gambaye ne lui consacrent que de faibles superficies (quelques ares) pour
assurer la soudure d’Août-Septembre, mais les tribus voisines le négligent moins (Mousseye, Toubouri), car son
rendement est assez élevé et de grosses quantités sont nécessaires à la fabrication de la bière de mil destinée à être
consommée abondammeut au moment des fêtes célébrant les récoltes. Le rendement moyen estimé & 700 kg en r
pays Gambaye est souvent doubl6 en pays Massa. I1 est vrai que le mil rouge devient ici une véritable monoculture.
Ancienne monnaie d’échange au même titre que le bétail, il est élevé à la dignité de matière de sacrifice, et lui-même,
des semis à la récolte, est entouré de rites et de sacrifices.
Outre ce mil rouge hâtif, de nombreuses variétés de mil rouge à cycle moyen (150 jours) sont connues des
paysans qui échelonnent leurs récoltes en fonction des variations de durée des cycles végétatifs de ces mils et des
mils blancs avec lesquels ils sont cultivés concurremment. Semés en Mai ou Juin, ils sont récoltés en Octobre-
Novembre. Les Gambaye cultivent l’une de ces variétés (Pouna) dans l’aire de culture proche des villages et par- L
fois en association avec les mils blancs sur les champs de débroussement.
b) Sorghos blancs à cycle long : peu cultivés sur la rive droite du Logone en pays RIassa et Kaba-
laye, ils deviennent prépondérants sur la rive gauche, vers l’est et le sud en pays Gambaye surtout, où ils constituent
la base de l’alimentation.
Ils appartiennent à la famille des sorghos avec de nombreuses variétés : S. caudatum, S. guineense, S. elegarw,
S. notabile, 5. membranaceum. Généralement plus hauts que les sorghos hltifs, ils atteignent 2,50 à 3,50 m et portent
des panicules tantôt dressées demi-compactes ( S . cazcdatum), tantôt des panicules inclinées à grains cornés peu
serrés. Leur culture en mélange a favoris6 les hybridations et rendu leur identihation souvent difficile.
Scmés en Mai-Juin, ils subissent les d m e s façons culturales que les sorghos hâtifs, mais ne supportent pas
l’inondationni les sols imperméables. Leurs cycle est de 200 jours. Ils sont récoltés de Novembre à Janvier. I
Ce sont donc des variétés particulièrement bien adaptées à la zone des sables du sud du bassin, où ils prennent
place en deuxième année de culture sur défrichement. Ils sont presque toujours en culture mixte.
c) Sorghos repipe’s de saison &he :venus du Cameroun, où ils sont cultivés sur une grande échelle dans la
région de Maroua. Ils représentent la culture essentielle de tous les groupements Foulbé. C’est peut-être de Binder
qu’ils ont gagné le pays Toubouri, où ils sont cultivés sur les riches terres du pourtour des lacs et des dépressions
inondables. On les trouve également dans la zone du Ba-Illi chez les Kouang, les Gabri, les Soumraye. (Pl. VIII, A).
Les (( berbérés 1) appartiennent la varieté S. durra. On les trouve sous des noms divers chez les cultivateurs :
Mousbouari des Toubouri, IGdji des Cabri, Mein des Soumraye. Semé en pépinières près des cases, repiqué en
Octobre et récoltci en Mars. II est de faible hauteur (1,50 m), L’épi, à maturité, se recourbe en forme de crosse. Le
grain, corné, dur, se conserve très bien.
Dans la zone des déversements de rive gauche du Logone e t de la Tandjilé, ils appartiennentà l’espèce S. cau-
datum et sont semés et repiqués un peu plus tôt, plus serrés, sur des terres abandonnées plus rapidementparles eaux.
En pays Toubouri les pépinières de Mouslcouari sont fréquemment installées sur les taches fertiles développées au
pied des Faidherbia albida. On le repique sur les terres d’où viennent d’être levées les récoltes de mil rouge hâtif.
Cette culture dérobée est permise par la richesse des sols argileux à concrétions calcaires. Elle est rendue néces-
saire par la surpopulation des cantons Toubouri (100 hab. au kmz), qu’elle permet aussi d’expliquer (fig. 33).
Les tentatives faites auprès des Massa pour introduire cette variété de mil, propre à étendre les possibilités
de récoltes chez des populations manquant de terres, se sont heurtées à dcs interdits, à des craintes d‘ordre religieux,
relayés par le goût prononcé de ces populations pour les rendez-vous de pêche qui marquent la période de décrue.
La region sableuse des koros ne peut bénéficier de l’extension de cette culture qui exige des terres argileuses à
forte r6tention d’humidité. Les sorghos repiqués sont quasiment inconnus en pays Gambaye et Mbaye.
LE llASSIN D U MOYEN L O G O N E 117
2O LES DIILLETS
Les mils chandelle (Pznnisetunz thyplwideuni) sont t r P s cultivés sur les sols pauvrcs e t sablonneux de la ICabia,
clans le canton Goulaye, chez les hfbnye du district de Doba et les Gambaye de la zone des liorus à l’est de Moundou.
On disdngue deux vari6tds : I’uiir liStive (75 jours, Mai-Juillet), à petits épis courts en massue, cultivée sous
le nom de Teïn meleïnd par les Goulaye de Donomanga, Wag par les Cabri ; l’autre à cycle plus long (150-180 jours,
Juin-Décembre), le véritable niil chandelle (Tein des Gambaye), gbnéralement semé en lignes à 4 ou 5 m de distance
en association avec haricots et pois de terre. (PI. VIII, Al.
w
M
’Oi
Sol argileu, Sol sablo-argileux Sol argileux Sol sabio-argileux
Argile noire Sable Sol beige sablo- limoneux beige
inondable à alcalis (hardé) inondable à alcalis (hardé)
berbéré (berbbré)
PIG. 33. - Utilisation du sol en pays Toubouri. Coupe transversnle des terres de Daoua (d’aprhs G. Combe).
L’bleusine ( E . cocarana), Dourou en Gambaye, Souara kossob à Kim, est une ressource importante pour les
terres inondables entre Logone et Iiabia, pour les villages riverains du Logone. Appelée à tort (( fonio 1) par les
Européens, c’est une plante de petite taille (50 à SO cm). Chaque talle porte 5 à 8 épis groupés en ombelle. Sem6e en
Mai, elle est récoltée en Août-Septembre et permet de rompre la disette de soudure. Elle constitue le fond de l’ali-
mentation des villages de pêcheurs des bords du fleuve entre Laï et Djoumane. Elle est semee à plat ou en billons
après écobuage. Elle bénéficie de deux sarclages soignés et donne des rendements variant entre 500 e t 700 kg h
l’hectare.
On la trouve encore chez les riverains de la Tandjilé, où sa culture est parfois moins soignée (semis à la volée
sur champ non nettoyé).
(( L’éleusine fournit un aliment de soudure très apprécié dans les regions où elle est cultivée. Mais les originaires
des autres secteurs ne l’aiment pas, trouvant les grains trop petits e t trop durs après cuisson (c’est la (( boule de
sable n, disent-ils). Cependant, c’est une culture intéressante, à faibles exigences, offrant une grande soupiesse
d’adaptation aux terrains (elle croît en sol sec ou inondé). Le grain fort petit, de couleur généralement saumon,
est tres nutritif et se conserve fort bien. )) (MAGNBN,p. 42.)
10 L’ARACHIDE est traditionnellement cultivée dans le bassin du Logone, soit en culture associée, soit en
petites parcelles isolées. Plusieurs variétés sont utilisées, mais chacune d’elles semble avoir son domaine d’élection :
- variété d’arachides rampantes donnant des gousses à deux graines après un cycle végétatif de 120 jours.
On les trouve surtout dans la Kabia, la Tandjilé e t à l’est de Laï. Leur rendement est faible (200 à 300 lcg à l’ha),
Souk en Toubouri j
- variété de semi-dressées donnant des gousses assez grosses après 130 jours. C’est la variété la plus répandue
dans Is département du Logone (Woul boubou des Gambaye, Woul doum des Mbaye). Le rendement moyen est
de 1. O00 lig 8. l‘hectare.
:LM J E A N CABOT
L’arachide est sem6e en Mai et Juin suivant les premières pluies qui sont de plus en plus avancées dans l’annee
au fur e t à mesure que l’on se dirige vers le sud. Quand elle est en association, elle est semée en même temps que
les mils en lignes alternées. Elle subit les mêmes façons culturales que ceux-ci.
Les agriculteurs n’attendent pas toujours la maturité complète pour procéder à l’arrachage, et une bonne
partie de la récolte est consommée en vert au moment des disettes de soudure au mois d’Aoiit.
mil rouge
mais
arachides IlII
sésame IIII11111
eleusine
patates IIIIIlIl
manioc
concombres
courges
gombo
berbér6 _I II I xxxxxxx
tabac - ooooooc
- -
J F A O N D I
plusieurs vari6tés : Jlindjlji /lass (hhtif), Jlindji ndn (tardif), Jlindji kug (haricot G rames). Le haricot rouge est
récolté dès le mois d’Août, le haricot blanc en Décembre seulement.
50 LE S$SAME tenait jadis une place très importante dans les rotations sur terres de défrichement. I1 &tait
semé à la volée sur les emplacements en cours de défrichement, sans attendre que celui-ci soit terminé. I1 se compor-
tait comme une avant-culture. On le trouve surtout chez les populations du sud du bassin : (( Keur )) (Gambaye),
(( Kor n (Mbaye). Semé fin Juillet, il est récolté fin Décembre. Cet oléagineux est très prisé des populations à la fois
comme friandise et comme source d’huile. DétrBné par le coton comme première culture d’assolement, il est main
tenant semé au cours des sarclages de mil, soit en lignes intermédiaires au milieu de celui-ci, soit en bordure des
champs.
Go UNE CULTURE ENvAmssANm ET DISCUTÉE : LE MANIOC. Le manioc s’est introduit dans le bassin
partir du sud. Sa culture avait été encouragée autour de 1930 à la suite d’invasions acridiennes qui avaient
compromis les récoltes de céréales. I1 a, en effet, le gros avantage de constituer des réserves permanentes, conservées
dans le sol aussi longtemps que nécessaire, à l’abri des attaques acridiennes. De plus, il peut séduire l’agriculteur
par le peu de travail que donne sa culture : bouturé en saison des pluies, il peut donner, selon la variété, des racines
de manioc amer au bout de six mois, des racines de manioc doux au bout d’un an.
Cependant, son extension a été freinée par les services o&ciels pour plusieurs raisons :
- le manioc n’est qu’un aliment mGdiocre comparé aux mils ; il remplit l’estomac mais nourrit peu. I1 ne peut
constituer qu’une nourriture d‘appoint j sa substitution a u mil aurait un sens régressif dans les conditions d’alimen-
tation des populations ;
- les façons culturales, sa culture à plat, son arrachage contribuent à riper les terrains qui lui sont consacrés.
Les anciens champs de manioc prennent, en effet, une allure de plaine aride autour des villages.
Pourtant, malgré ces inconvénients, il trouve des défenseurs qui font remarquer que le manioc peut devenir
un aliment de soudure apprécié du fait qu’il assure par hectare plus de calories que le mil. I1 pourrait devenir
une culture d’appoint (à la condition de ne pas déloger le mil), surtout dans les regions où les terres épuisées ne:
produisent pas assez de mil pour éviter les disettes en période de soudure (1).
70 AUTRESCULTURES DIVERSES. Le Taro (Arum esculentum, colocasse), Gounin à Kim, Lah en Gambaye,
exige beaucoup d’eau. I1 est surtout cultivé par les agriculteurs des villages du fleuve de Laï à Djoumane
et ceux des zones de déversement. Semé en Juin, récolté en Octobre, il fournit des tubercules appréciés. I1 est
cultivé sur billons écobués dans la région de Kim, $ré.
La patate douce (Ipomæs batatas) est surtout cultivBe par les Gambaye (Bangao) autour des centres urbains sur
buttes; son avantage majeur est de pouvoir se bouturer jusqu’à la mi-Août.
Les courges (Gabreu en Gambaye) sont mélangées au mil; semées en Mai, elles sont récoltées en Août. Le
fruit est consommé comme légume, les graines grillées servent de friandises. E n général, la graine est broyée pour
donner de l’huile ou la base d’une sauce.
Les concombres (I<oussou en Gambaye, Koss en Mbaye) sont aussi plantés dans le mil. Les Gambaye
distinguent deux variétés : Koussou Kadi (amère) et ICoussou Kou1 (douce).
L’hibiscus esculentis (Gombo, Yma en Gambaye) est cultivé à proximité des cases j il fournit l’élément de base
de la plupart des sauces.
Les potirons, semés en Juin, récoltés en Septembre, escaladent le toit des cases qu’ils couvrent de leur feuillage
pendant la saison des pluies. Les plus beaux spécimens sont laissés à sécher pour en tirer des calebasses, récipients
traditionnels de transport et de mesure.
L’oignon est cultivé par les Foulbé de la bordure occidentale du bassin. Véritable jardinage, la production de
ce légume repose sur l’utilisation des rives des mayos, exondées en saison sèche. Autour de Binder, le long du mayo
du même nom, les Foulbé se livrent à une patiente culture en petites planches carrées. Ces planches sont en creux
pour pouvoir bénéficier au maximum de l’arrosage qui leur est apporté à partir des trous creusés dans le lit même
du mayo aux endroits où les cuvettes du socle cristallin conservent, sous les sables, des nappes qui restent presque
jusqu’à la fin de la saison sèche.
Citons encore le ricin, entretenu pour l’liuile de ses graines, les plantes à filasse du type Dah (Hibiscus cana-
binus), certaines plantes dont les cendres donnent des solutions salées. Nous rejoignons, par ces plantes à végétation
spontanée mais conservées aux abords des cases, le domaine de la cueillette que nous étudierons plus loin.
(1)MAGNEN1956,p. 81.
120 J E A N CABOT
Les mils et le sorgho représentent donc l’essentiel de la production vivrière du bassin. Ils sont la base quasi
exclusive de toute l’alimentation traditionnelle. chaque groupe peut marquer une préférence pour telle ou telle
variété obtenue plus ou moins facilement, selon les types de sols e t la topographie des terroirs. Nous avons pu, au
passage, marquer certaines de ces préférences :
- sorgho rouge hâtif des Massa ;
- sorgho rouge hGtif e t surtout sorgho repiqué des Touhouri :
- mil chandelle des groupes Sara, Gambaye, Mbaye ;
- les villages du fleuve conservent la culture de I’éleusine associée à celle du taro.
Si les Massa font du sorgho hâtif leur alimentation quotidienne, les autres groupes ne le cultivent que comme
céréale d’appoint. I1 en existe généralement auprès de toutes les cases de 10 à 100 pieds; le maïs peut tenir la même
place. Cette généralisation des cultures d’appoint permet de mesurer la hantise des disettes qui marquent souvent.
la période de soudure.
Nous essayons ici de décrire les systèmes traditionnels précoloniaux, dans la mesure où il est possible de les
retrouver en faisant abstraction des nouvelles cultures commercialisables.
I1 faut souligner d’entrée le caractère exceptionnel, dans l’ensemble du bassin, de la monoculture sur champs
permanents pratiquée par les Massa de la région de Bongor.
Assez peu vari6 et étroitemcnt li6, lui aussi, à des pratiques traditionnelles est le système de culture des vil-
lages du fleuve : cultures quasi permanentes de zones inondées ou faiblement inondées. Plus variés et hautement
intensifs en comparaison avec les précédents, nous apparaissent les systèmes de culture pratiqués par les Tou-
bouri, les hloundang, les Marba des zones inondables e t des bordures de lacs, où les agriculteurs font succéder une
culture de saison sèche aux cultures traditionnelles de saison des pluies.
Enfin, caractéristique du milieu soudanais échappant à l’inondation, le système de culture sur défrichements
avec rotation et jachhe pratiqué par les paysans du sud du bassin compense son caractère limité dans le temps
par une grande variété de plantes adaptées au milieu.
L a monoculture des JInssa. - L e X a s s a ne pratique pas d‘assolement, il cultive mil rouge sur mil rouge sans
repos c h sol, la notion d e jachère lui est totalement inconnue. En revanche, la fumure constituée par les divers fumiers
de case : déchets, déjections des bovins et caprins en stabulation nocturne dans les cases, eaux grasses, est pratiquée
plus ou moins consciemment. Cependant, le Massa n’en est pas encore arrivé à accroître les quantités de fumier
qu’il pourrait obtenir en donnant une litière à ses bêtes. Plutôt que de fumure inconsciente, iI vaudrait mieux
parler de fumure peu intensive ou inorganisée. La stabulation nocturne du bétail sur les champs à fumer organisée
par les Dinlca du district d’dmeil (Sudan) paraît un syst8me très évolué, comparé à celui des Massa et des Tou-
bouri (1).
Logés sur les buttes exondées des plaines inondables, les Sinas sont situés de préférence à la périphérie des
buttes, au contact des zones de stagnation des eaux pluviales ou d‘écoulement des eaux fluviales. Le Massa préfère
se rapprocher au maximum de la zone inondable, quitte à construire des diguettes pour protéger les champs en
cas de trop forte inondation.
Les champs sont houés tout autour du Sina et agrandis en fonction du nombre de cultivateurs et de la place
disponible. Le Massa agrandit son champ quand il dispose de terre libre autour, mais il le fait très lentement, en
grignotant chaque annee quelques mètres à la périphérie. Les terres sont lourdes et leur houage pénible. Souvent,
pour alléger sa peine, le cultivat,eur prépare l’extension prévue pour l’année suivante pendant le temps libre du
mois d‘Août, alors que les terres sont détrempées par les pluies.
Si la place est vraiment trop réduite autour du sina paternel, il arrive que les fils aînés aillent ouvrir de nou-
velles terres à distance. Ces lopins seront fumés partiellement à l’aide de terre de kraal transportée, mais en cas de
rendement insuflisant seulement. C’est sur ces terres que les fils s’établiront lorsque le mariage leur aura donné leur
autonomie. A partir de ce moment, la fumure naturelle par déchets rendra une nouvelle fertilité au champ devenu
champ de case.
I1 peut arriver que le cultivateur modifie la forme de son champ par ouverture de nouveaux secteurs et abandon
progressif d’anciens lopins; l’opération n’est jamais brutale. Elle suppose la place disponible et le transfert de la
fumure dans les extensions projetées. I1 y a donc prévision, déplacement concert& hI. GAIDEsignale, à Donotou,
le cas de Kaini installé sur une butte en terre assez légère et non gêné par IPS voisins, qui agrandit chaque année sa
(1)J.D. TOTAILL
1948, p. 29k.
LE BASSIN D U MOYEN L O G O N E 121
propriété vers le nord-ouest et abandonne des lopins sur le sud-est (1).Ces déplacements ne sont pas courants sur
les buttes surpeuplées de la région de Koumi, oil l’habitation et le champ de case attenant sont quasi permanents,
Cultures inondables des villages du fleuve. - A l’opposé des Massa, les habitants des villages du fleuve ne pra-
tiquent pas de cultures sur les champs de case, faute de place. L’habitat concentré utilise toute la superficie des
buttes exondées et les terres de cultures forment une ceinture doignée parfois A 4 ou 5 km des villages, ed terres
de faible submersion. Les cul tures traditionnelles sont ici I’éleusine et le colocasse p r a t i q u k sur terres écobhées.
Les travaux agricoles commencent t b t -lin Février, début Mars -par le houage des terres abandonnées B la
jachère herbacée les années précédentes. Les herbes sont arrachées avec la motte de terre qui accompagne leurs
racines. En général, il ne s’agit que de chaumes, car la famille a pris soin de venir faire sa provision de paille (podr
Ia réfection des toits ei Ia préparation du pisé) sur le lieu même qu’elle compte vivifier. Lorsqu’une surface impor-
tante du champ a &é ainsi désherbée, le plus souvent par les hommes, les €emmes se consacrent i la confection
d’andains distants de 3 à 4 m avec les herbes arrachées. Elles veillent à enfouir le chaume sous la terre des racines,
au besoin elles ajoutent de la terre sur I’andain. h la fin de la saison sèche, on met le feu a u s andaíns, dont la paille
brûle lentement. Les cendres charbonneuses retenues par leur couverture de terre restent sur place au lieu d’être
emportées par le vent, comme c’est le cas dans les feux de brousse.
Après les premières pluies (Avril-Mai), le cultivateur vient sarcler son champ pour eli éliminer les repousses
de mauvaises herbes. Celles-ci sont alors entassées en alignements secondaires que l’on essaiera de brûler ou qui
pourriront sur place.
E n Mai, I’éleusine est semée en poquets sur les billons d’écobuage et à ia volée sur les parties planes intermé-
diaires que l’on recouvrira d’une partie des cendres. La récolte a lieu en Septembre.
L‘attachement des populations du fleuve Q l’éleusine a un caractère coutumier. A Kim, elle est appelée K Souara
Kossop n, c’est-&-dire (( le mil des Kim D, Elle doit cet attachement à ses grandes aptitudes d’adaptation au niveau
d’inondation, qui peut varier sensiblenient sans menacer les rendements.
Sur les champs cultivés en dleusine l’année précédente, les femmes cultivent le taro (colocasse) de Juin à
Septembre.
Sur les terres exondees situées iì l’intérieur des terres ou sur des buttes étroites du bourrelet de berge du fleuve,
certaines familles cultivent quelques petites parcelles de mil rouge, mais cette culture est de plus en plus abandonnée
depuis l’introduction du riz dans le Systeme agricole de ces régions (voir chap. III).
La pratique de l’écobuage nkcessite une quantité d’herbes importante demand& chaque année à la jachkre
graminéenne des zones d‘inondation. La place ne manquant pas dans la plaine soumise aux déversements du fleuve,
chaque cultivateur déplace ses champs d’éleusine d’année en année sans cependant tenir compte de la dur8e de la
jachère. E n effet, la submersion apporte des éléments limoneux sans cesse renouvelés et, d’autre part, la culture
écobuée puis inondée n’épuise pas les terres. I1 ne s’agit donc pas, à proprement parler, d‘une jachère de reconsti-
tution des sols, mais d’une alternance des emplacements de culture destinée iì fournir chaque année une quantitC
d’herbes sufllsante pour constituer les buttes d’écobuage.
Systdme des crrltures doubles de saison des pluies et de saison sèche. - Les Toubouri, Ilfoundang, Foulbé
distinguent deux types de sols qui portent chacun des cultures approprihes au cours des saisons successives.
E n pays Toubouri, sur Ies sols beiges argilo-sableux ou sablo-limoneux des buttes exondées sont installés le$
enclos familiaux et les champs de case, domaine du mil rouge. Sur ces terres, certains arbres sont congervés : Faid-
herbia, Parkia. La fumure naturclie par les habitants et les animaux permet, comme en pays Massa, de répéter
chaque année mil rouge sur mil rouge (Gara). Les Toubouri distinguent au moins dix-huit sortes de mil rouge ( 2 ) ,
dont dix variétés de Gara.
Parfois, sur dcs sols plus légers (Rlaska) et plus éloignés des enclos, les paysans Toubouri sbment du niil blanc
(16 variétCs), mais celui-ci participe ?i une rotation, les surfaces qui lui sont consacrées ont augmenté avec l’intro-
duction de la cultlire contrBlée du coton. La rotation coton-mil a succéd6 ?i des rotations traditionnelles qui faisaient
se succéder sur ces terres arachides, millets, pois en culture esclusive ou associke.
Le deuxième domaine est constitué par les sols argileux de bordure des lacs OU de dépressions humides : les
terres à berbérre‘. Les Toubouri distinguent trois types de berbéré : Babou, peu exigeant, D o d o n et Mouslroiri qui
n’admettent que les terres lourdes argileuses à forte rétention d’humidité.
Le berbéré revient chaque a n d e sur les mêmes champs. Les parcelles individuelles sont nettement délimitées
e t forment de longues bandes d’environ un hectare, Un régime foncier spécial régit l’exploitation permanente de
res surfaces (3).
(1)hl. GAIDE,p.lS.
(2) Dbnombrécs par ilI. G. Coarns.
(3) J. GVI~.L.LRD, 19UJ.
122 JEAN C A B O T
Les pépinières se font sur de bonnes terres et généralement sur l’emplacement d’anciens parcs à bovins (Gourna
ou Farana) sous les Faidherbia. Pour un hectare de berbéré on prépare un are de pépinière soigneusement travaillée
en billon et ensemencée à la volée fin juillet.
Les terres à berbéré font généralement suite, côté lac, aux terres de cases. La préparation des champs se fait
en fauchant la végétation herbacée développée grace à l’humidité des bords des lacs. Ensuite, les plants soigneu-
sement habillés sont repiqués dans des trous épars creusés à l’aide d‘un bâton souvent garni d’une pointe en fer
(KOUtou tou). La densité de repiquage est de 12 O00 pieds à l’hectare (fig. 33).
Les repiquages s’effectuent du mois de Septembre au mois de Novembre suivant les fluctuations de la nappe.
Après cette opération, a lieu le sarclage avec enfouissement des chaumes du tapis herbacé. Un second sarclage est
souvent nécessaire, afin de recouvrir les repousses et de réduire l’évaporation du mois de Novembre. Comme les
terres h berbéré sont lourdes, les sarclages deviennent une tiche particulièrement pénible et très longue qui néces-
site l’entraide collective récompensée à grand renfort de bière de mil (Yi Paï = la bière du champ). Les sarclages
en subissent parfois les conséquences mais, bien que bâclés, ils donnent de bons résultats.
Les épis sont ramassés en Janvier, les tiges laissées sur place sont pâturées par les troupeaux
Chez Ics PvIoundang de Lé& existe la même distinction entre les terres de cases ici destinées h une faible produc-
tion de maïs et les terres de bordure de lac (( Mongouobé 1). Mais ce dernier domaine subit deux mises en culture dans
l’année : avant la crue, les paysans sèment sur la plaine inondable un mil rouge hhtif (( Zimiri 1). Senié aux premières
pluies, il a le temps de croître e t d’être récolté avant la grande crue du lac fin Septembre. Au moment de la décrue,
courant Nouembre, au fur et A mesure du retrait des eaux, sont semés des haricots doliques (Hé) et les patates sont
disposées sur des buttes. L’introduction des berbérés parmi ces cultures dérobées est rdcente, elle n’appartient pas
au cycle cultural traditionnel des hloundang, dont la production de mil blanc est, en principe, assurée par des
cultures de pleine saison des pluies sur les terres légeres en retrait de la bordure des lacs.
I1 faut mentionner, pour ses conséquences, la quasi-monoculture du berbéré par les Foulbé du Nord-Cameroun.
Disposant à la fois de terres sableuses exondées où sont établis leurs Sarés et de terres argileuses déprimées, c’est h
ces dernières que les Foulbé consacrent l’essentiel de leurs travaux. Le berbéré étant le plus goûté, donc le plus
commercialisable des grains de sorgho, sa culture est quasi exclusive sur de larges surfaces de terres argileuses
(Karal). Mais, pour couvrir de vastes étendues a u fur et à mesure de la décrue, les Foulbé doivent faire appel à une
main-d‘œuvre saisonnière. Les Massa des régions de Koumi et de Yagoua se rendent traditionnellement dans le
Diamaré chaque année après la levée de leur propre récolte de mil rouge fin Septembre.
Cultures sur brûlis avec rotations et jach6res. - .\i l’exception des petits champs de case qui jouxtent immd-
diatement l’enclos familial ou qui, regroupés, forment comme une ceinture au village, toute I’agriculture des habi-
tants des terres sableuses au sud du bassin repose sur la déforestation des savanes et la reconstitution des sols par
jachères.
Les champs de case IC Guide Ndolrey )) sont, avant tout, consacrés aux cultures hâtives dont la récolte doit êLre
levée avant Septembre. Le travail des femmes y est prépondérant. On y cultive le mil rouge (Mougaï ou Godji),
peu prisé des consommateurs comme aliment. Nais ses avantages résident dans son cycle très rourt : 90 jours. Sa
récolte met fin aux disettes de soudure et, lorsque les autres récoltes sont venues assurer le relais, les quantités de mil
rouge en surplus servent à fabriquer la bière de mil (Bil-Bil) consommée les jours de festivités et de marché.
d u mil rouge s’ajoutent : le maïs (Djékari), excellente céréale dont le cycle court devrait permettre de résoudre
le problème des disettes, il est cultivé de Mai à Juillet-Août ; les patates (Ngoul Jama ou Bangao) plantées en
Juillet, récoltdes en Novembre ; des plantes destinées à la préparation des sauces complètent ces champs de case :
Gombo (Hibiscus), Hirri (oseille), piments, ricin, courges, concombres.
Les champs de brousse (Ndo Iiaga) évitent les terres infertiles (Bam) ou trop boisées (Mékag). Rares soni, main-
tenant les champs conquis pour la première fois sur la brousse vierge (Ndo Guessigue) et la plupart s’installent sur
d’anciennes jachères (Garem Ndo). E n général, à un assolement triennal succède une jachère de 3 à 5 ans. De ce fait,
les terres de culture sont très étendues et les champs de brousse peuvent se trouver à une grande distance du vil-
lage (de 7 à 20 km parfois). Cet éloignement exige l’établissement, au moment des travaux de semis et durant la
période qui sépare l’épiaison de la récolte, de villages de culture (Key Souroum). Des huttes sont sommairement
dressées en seckos. Elles abriteront pendant un à dcux mois un ou deux membres masculins de la famille chargés
d’éloigner les oiseaux du champ où mûrit la récolte. Au moment de la cueillette, toute la famille gagne le champ,
les épis sont entassés dans des paniers sommairement tressés. Lorsque toute la moisson est levée, des amis viennent
aider à son transport jusqu’au village. C’est alors l’occasion de réjouissances pendant lesquelles il se boit force biz-bil.
La rotation traditionnelle pratiquée sur les champs de brousse était : &ame -mil blanc et haricot -rcpousses
de mil et mil chandelle.
Le sésame était sem6 à la volée sur le champ grossièrement débroussé et non houé. Plutôt que de première
culture, il vaudrait mieux parler d’avant-culture puisque la plante ne recevait aucune facon culturalc.
LE BASSIN DU M O Y E N LOGONE 123
La seconde année est consacrée à la culture de base : le mil blanc (Oua et Sila) associé au haricot (Minda). Les
selllls sont faits en Mai, la récolte se situe de Décembre à Janvier.
La troisième année est consacrée au mil chandelle (Teïn) qui pousse au milieu des rejets de mil blanc (Dako).
Semé fin hlai, il est rdcolté fin Novembre.
Cette rotation type est sujette à de nombreuses variantes selon les tribus et les années, Gambaye-Laka et
Mbaye-Doba possèdent de nombreuses associations dont la base est toujours le mil blanc ou le mil chandelle, mais
les plantes associées varient : haricots, pois de terre, courges, concombres, arachides. Le manioc, d‘introduction
récente, prend maintenant sa place dans les cultures de fin de rotation. 11 a l’avantage de pouvoir rester un a n en
terre sans risques de déprédation et ne n6cessite aucune surveillance.
En conclusion de ces pages consacrées h l’agriculture, deux constatations s’imposent : d’une part, la diversité
des types de terroirs e t des séries de cultures ; d’autre part, l’absence de toute association entre cette agriculture et
l’élevage, dont nous avons intentionnellement laissé seulement entrevoir l’existence.
La diversité des terroirs d6coule des conditions naturelles qui varient assez rapidement d’un point à l’autre du
bassin. La grande différenciation opérée entre terres exondées en permanence des plateaux sableux et les terres
inondables ou à peine exondées des zones de déversement s’ajoute li la diversité des sols et des positions topo-
graphiques locales pour marquer les limites naturelles aux différents agencements de terroirs.
Nous avons pu passer ainsi du champ étroitement limité de butte exondée aux vastes aires de défrichement,
des koros.
I1 semble cependant que les groupes aient reagi de façons différentes face à des sites et des situations voisins.
On peut se demander, en effet, pourquoi les Massa, placés dans des conditions voisines de celles offertes aux Tou-
bouri, n’ont pas adopté comme eux la culture du mil repiqué sur les terres argileuses progressivement libérées par la
décrue. Les systèmes de culture sont moins hermétiques que les traditions d‘organisation de terroirs ; il semble bien
que les mils repiqués soient un emprunt fait aux Foulbé par les Toubouri et les Moundang. L’isolement des Massa
dans leur culture traditionnelle de sorgho rouge est sans doute un véritable archaïsme assez bizarrement conservé
dans une sociétb qui, par ailleurs, a su intégrer un élevage bovin, d’un genre il est vrai, assez spécial.
I1 est temps enfin de révéler l’existence d’un élevage important dans le bassin moyen du Logone. Nous avons
déjà évoqué la place tenue par les animaux dans les fermes Massa et Toubouri. I1 n’était pas possible d’en parler
plus longuement puisque le bétail élev6 par les agriculteurs sédentaires ne leur sert pratiquement à rien pour les
travaux agricoles. L’utilisation des déjections animales est elle-même peu organisée puisque les paysans n’en
sont pas arrivés à (( fabriquer du fumier 1).
C’est pourtant un troupeau de quelque 300 O00 têtes qui vit sur la partie la plus septentrionale de notre domaine,
limitée approximativement aux parallèles 9 et 100. Chez les éleveurs sédentaires, le pays n’apparaît pas comme une
zone d’élevage. E n saison des pluies, l’abondante végétation des champs de mil et de sorgho cache parfois quelques
vaches occupées à brouter à la périphérie des buttes exondées. Le retour de la saison sèche entraîne le rassemblement
des troupeaux de village et leurs déplacements vers les bas-fonds encore humides et verdoyants, la pr6sence de
troupeaux ne s’impose pas vraiment à l’ceil. Il faut s’écarter des villages et se diriger vers les cuvettes pour découvrir
ces rassemblements d’animaux confiés à quelques petits pâtres.
Les troupeaux nomades ou semi-nomades ne font que passer; on les voit deux fois l’an, à l’aller et au retour
de leur transhumance, journées pénibles pour les Sédentaires, qui redoutent toujours l’intrusion de ces hordes
migratrices.
Deux types d’élevage coexistent donc dans le nord du bassin du Logone, sans aucun rapport entre eux.
D’une part, l’élevage nomade ou surtout semi-nomade des islamisés (Bororo, Foulbé, Arabes) ; d’autre part, l’éle-
vage sédentaire des Kirdi. Opposés par leur but et par leurs techniques, ces deux systèmes n’ont pas le même poids
dans la définition du genre de vie des populations qui les pratiquent. Alors que l’élevage des islamisés crée un véri-
table genre de vie pastoral semi-nomade, l’élevage Kirdi se plie au genre de vie sédentaire et agricole. Les véri-
tables éleveurs que sont les premiers savent adapter leurs déplacements, leurs activités aux besoins de leur trail-
peau. Chez les seconds, c’est aux animaux à s’adapter aux conditions de vie choisies par le paysan en fonction
de ses besoins agricoles (fig. 35).
Pour les Foulbé, les Arabes, les Bororo, l’élevage est une occupation noble, elle est la source essentielle de leurs
revenus. Pour les Massa. Toubouri, hloundang, les bovins sont, avant tout, un placement, une thésaurisation qui
fournit en même temps un objet de sacrifices et une réserve de viande sur pied. Mais, avant tout, pour eux, le b e u f
est la monnaie coutumière de la dot.
80 100 km
FIG.35. - L'klevnge.
. .
LE BASSlN D U MOYEN LOGONE
Élevage nomade
Les seuls vrais nomades parmi les éleveurs islamisés sont les Bororo. Contrairement aux Foulbé dont ils consti-
tuent un rameau préservé des métissages, ils ne se sont jamais fixes et continuent depuis des siècles à pousser leurs
troupeaux devant eux, déplaçant chaque fois le matériel qui leur sert d’abri. Quelques nattes roulées, quelques
seckos arrimés sur le dos de bœufs porteurs, voilà tout leur bagage et tout leur habitat.
Le plus fort groupement Bororo dont le troupeau comprend environ 15 O00 animaux circule en saison des
pluies sur les terres faiblement occupées des plateaux de Pala, à la périphérie de ceux-ci, dans la zone de contact
entre les plateaux sableux et les zones inondables. Le déplacement vers le sud-est en saison sèche atteint les plaines
de la Icabia e t la région de I M O . Parfois le mouvement est de plus grande amplitude. Par exemple, en 1953, tout le
troupeau quitta la région de Pala pour les hauts pdturages de l’Adamaoua, dans la région de N’Gaoundéré. Une
fraction du troupeau atteignit même Yola en Nigeria. Mais les pasteurs durent trouver plus de inécoinptes que
d’avantages dans cet essai de rénovation du circuit de transhumance, car dès 1954 le troupeau, fortement décimé
par la trypanosomiase, fit retour sur les terres de Pala.
Un autre groupe de pasteurs Bororo au troupeau moins nombreux (3 O00 têtes) se déplace en saison des pluies
à l’ouest de Binder, de part et d‘autre de la frontière tchado-camerounaise, tandis que la saison sèche le voit se
déplacer vers le nord en direction des bords du Logone, vers Pouss et vers les yaérés entre Logone et Chari.
Ces vrais nomades du bassin du Logone représentent au maximum 500 individus, les seuls qui, dans le pays,
n’aient aucune attache terrienne. Le troupeau sufit à leurs besoins. Ils en consomment le lait et la viande. Ils
acquièrent par échange au gré de leur déplacement annuel les grains nécessaires à la confection des galettes et des
bouillies. Ils représentent à la latitude de 100 nord une avancée extrême vers le sud du grand nomadisme pastoral
des zones sahéliennes.
Élevage semi-nomade
11 est le fait des Foulbé et des Arabes. Sa pratique fait apparaître une réelle division saisonnière du travail
dans le groupe familial. Aux agriculteurs voués aux tdches sédentaires de saison sèche (récoltes, réfection des cases,
préparation des terres) s’opposent les pasteurs dont le mouvement débute fin Novembre et se termine fin Mai.
Au contraire, la saison des pluies ressoude le groupe familial dans ses activités agricoles, le troupeau vaque 5 proxi-
mité du village sous la surveillance de garçonnets ou d’adolescents, tandis que les adultes s’occupent de l’entretien
des champs.
Les quelque 30 O00 Foulbé du canton de Binder possèdent environ 40 O00 bêtes, troupeau en progression
légère mais constante. Les p h r a g e s traditionnels de saison sèche étaient les rives des lacs de Léré et de Tréné, mais
un déplacement des parcours est en train de s’opérer et les troupeaux sont de plus en plus conduits en direction
de l’est, vers les rkgions de Pala et Torrock, et jusqu’aux rives du Logone, soit en territoire tchadien, soit sur le
Cameroun. Certains troupeaux, de plus en plus nombreux, ont même tendance à séjourner toute l’année dans la
région de Pala.
Les quelque 5 000 bêtes de Tagobo Foulbé (ouest de Lamé) passent la saison des pluies sur place et prennent
leurs pâturages de saison sèche sur la rive sud du lac de Léré par Lagon et Guégou, une partie du troupeau gagne
le lamidat de Reï-Bouba.
Les bovins des Foulbé de Kalfou traversent le Logone et atteignent les rives du Ba-Illi. Parfois la saison des
pluies les retrouve toujours sur la rive tchadienne autour de Bongor (Guissédé, Djamboutou).
Quelques familles Foulbé venues du Cameroun à des époques diverses se sont installées sur les rives longtemps
inhabitées du Chari, aux environs de Mitau et de Malboum. Des arrivées régulières de la région de Maroua accroissent
le troupeau, qui dépasse actuellement 5 O00 t&es. En saison sèche, les animaux sont d6placés en direction des
yaérés entre Logone et Chari j ils reviennent en bordure du Chari en fin de saison sèche.
Aux déplacements de ces troupeaux originaires de la rive occidentale du Logone correspondent les mouve-
ments transhumants des troupeaux arabes venus du Baguirmi. Trois groupes d’inégale importance s’échelonnent
de Guélendeng au koro de Guidari :
Le groupe semi-sédentaire de Kakalé près de Guélendeng déplace son millier de bêtes vers Katoa et le yaéré
du Ba-Illi.
Un autre groupement semi-sédentaire installé en saison des pluies entre Gama-Massa et Ngam, dans la forêt
de Baki-Malaram, pousse ses troupeaux (6 000 têtes) en direction des rives du Logone, entre Ham et Laï, au moment
de la saison sèche. Les animaux qui, pendant le jour, pdturent les herbages des rives du fleuve sont parqués pendant
la nuit sur les larges bancs de sable découverts par la décrue dans le fond du lit du fleuve. Des cases rudimentaires
constituées d’herbes sèches abritent les familles qui accompagnent le troupeau.
il
126 JEAN CABOT
Le groupement le plus important, originaire du Baguirmi (Massénya e t Bousso), passe une partie de la saison
des pluies autour de Donomanga et Koutoutou. I1 s’agit d’Arabes Yessies dont les lieux de transhumance réguliers
atteignent les rives du Logone en saison sèche, de Moundou 8 Kim. Le troupeau compte plus de 15 O00 têtes, aux-
quelles se joignent les animaux des petits groupements isolés de Foulbé installés dans la région, malgré les risques
de trypanosomiase qui leur causent des déboires nombreux. En effet, les pâturages ne sont pas surchargés ici,
puisque les sédentaires n’y sont pas éleveurs.
Les problèmes de la transhumance. - Le déplacement de troupeaux nombreux dans une zone où les terres défri-
chées sont occupées par des populations agricoles, elles-mêmes nanties de leurs propres troupeaux, ne va pas sans
soulever d’épineux problèmes. La région de Pala, en particulier, offre depuis toujours des cas de bagarres, de dis-
cussions et eontestations renouvelées, du fait de la présence à Gaodan de sources natronées où tous les propriétaires
tiennent à faire séjourner leurs troupeaux quelques jours, au cours de leur déplacement. Cette très ancienne pra-
tique est une source de revenus abondants pour les chefs coutumiers des terres de Lamé et de Doué dont le domaine
est traversé par les troupeaux. La taxe coutumière de pacage près des sources est d’un veau par (( tokéré 1) (unité
de 30 à 60 bêtes) et d’un bœuf au-dessus d‘un tokéré. Des surveillants recensent le bétail e t perçoivent la taxe. Le
séjour donne droit à une (( cure )) de trois jours par tokéré aux sources natronées.
Mais ce qui fait le bonheur des chefs de terre ne fait pas forcément celui des agriculteurs. Ceux-ci réclament
une limitation de la période de circulation du bétail sur leurs terres. Ils voudraient la contenir entre la fin des
récoltes et les premiers semis. On peut estimer que le va-et-vient des troupeaux entre un point quelconque de la
périphérie et le centre de Gaodan où se trouvent les sources représente le piétinement de quelque 45 O00 bêtes entre
le 15 Novembre et le 15 Mai. Or, les récoltes de mil blanc et de mil repiqué, et plus récemment celles de coton, ne
sont pas levées avant le mois de Janvier au plus tôt. C’est dire l’importance des d6gâts qui peuvent être commis sur
les champs traversés. Le même problème se pose à nouveau à partir du mois d’Avril, où les semis de mil hâtif sont
commencés dans toute la région. Les archives de la sous-préfecture de Pala témoignent du nombre de plaintes
déposées et des demandes d’intervention que n’ont cessé de réclamer les agriculteurs pour obtenir une réglementa-
tion des parcours. Un rapport de M. P. LAMIsoulignait déjà en 1936 la gravité du problème : (( C’est une erreur de
croire que le problème qui se pose au Batha, au Kanem, au Ouaddaï (1)est analogue à celui qui se pose ici. D’une
part, de vastes étendues à population très clairsemée sans cultures industrielles. De l’autre, une zone de transhu-
mance possible dont la superficie ne dépasse pas 1800 km2 où vivent plus de 20 O00 cultivateurs possédant eux
mêmes 5 O00 têtes de bétail avec de nombreuses plantations vivrières et industrielles. 1)
L’élevage sédentaire
Les Kirdi sédentaires installés entre les monts du Mandara à l’ouest e t le Chari à l’est élèvent au village ou sur
des pâturages peu éloignés de l’habitat permanent un troupeau évalué globalement à 200 O00 têtes, moitié sur le
Tchad, moitié sur le Cameroun. Ce cheptel de peu de valeur, de piètre apparence, perpétuellement sous-alimenté et
carencé, est la proie de maladies microbiennes e t parasitaires qui le déciment régulièrement à chaque saison des
pluies (péripneumonie, streptotrichose). Les facteurs qui empêchent son développement découlent de la pauvreté
des pâturages, mais aussi de l’insouciance des éleveurs. Comme tous les animaux qui vivent dans les fermes, les
bovins ne reçoivent aucune nourriture de la main de l’homme. Celui-ci estime avoir assez de mal à subsister lui-même
Sans devoir prendre le souci de la nourriture des animaux qui l’entourent. En saison des pluies, les bonnes terres
sont vouées aux cultures, tandis que les zones inondées restreignent la faible marge de terres inutilisées où les trou-
peaux peuvent paître. En saison sèche, l’évaporation réduit les étendues inondées et restreint les points d‘abreu-
vage. La végétation graminéenne se dessèche et devient rapidement impropre à toute consommation. (Nous avons
vu que les feux de paille cherchaient à donner un regain de pâturage.) Les bêtes se déplacent sur les quelques kilo-
mètres qui séparent le village du point d‘eau (mare ou bord de fleuve) où elles risquent de trouver encore de quoi
s’abreuver et un peu d’herbe. L’amaigrissement des bêtes en saison sèche est un phénomène auquel le paysan ne
semble pas attacher un grand intérêt.
Pourtant ces troupeaux revêtent une importance capitale aux yeux des chefs de famille, car ils constituent
leur (( bas de laine D, Les gains réalisés par la vente du grain, du poisson, plus récemment du coton, sont consacrés
à l’achat de bovins. Si le chef de famille nourrit des projets matrimoniaux, pour lui-même ou pour l’un de ses fils,
il cherche à agrandir son troupeau pour pouvoir acquitter la dette qu’entraîne le changement de famille de la
jeune épousée.
Certains groupes ethniques pratiquent depuis peu cet élevage occasionnel : les Moundang, les Pévé, les Djimé
se sont constitué des troupeaux hétéroclites composés au hasard des mariages et des achats sur les marchés. Ils
comportent souvent autant de mâles que de femelles.
Certains, comme les Noundang de L&é, confient souvent en gardiennage leurs animaux aux Foulbé voisins.
Les troupeaux Massa et Toubouri sont mieux équilibrés et le troupeau de dot se transforme souvent en trou.
peau de rapport. Le taux des naissances y est normal (30 à 35 % d’animaux à dents de lait sur le total), mais la
inortalité chez les jeunes est considérable (souvent plus de 50 %). Elle est due principalenient à un sevrage hhtif et
un parasitisme intense (ascaridiase). Les achats d’animaux a u s nomades ne contribuent guhre à l’amélioration
du cheptel, car la plupart de ces animaux mal adaptés à leurs nouvelles conditions de vie meurent j la première
saison des pluies.
Cet élevage tradilionnel par des sédentaires agriculteurs est une exception en Afrique ; sa pratique pourrait
peut-être s’expliquer par les attaches lointaines des populations Iiirdi avec les éleveurs nilotiques. Si l’on excepte
le fait que le paysan ne songe pas à apporter un supplément de nourriture à ses bêtes en saison sèche - et nous
avons V U que cette façon d’agir est pratiquée envers tous les animaux domestiques - les Massa et les Toubouri
soignent tres bien leur bétail : aucun animal n’est laissé en stabulation extérieure ni pendant la saison des pluies,
ni pendant la saison fraîche. Les vaches sont traites chaque jour. Cette traite est précédée d‘un soufflage de vulve,
d’un réchauffementde l’animal par un petit feu de paille destiné également à éloigner les insectes. Lorsque le veau ne
peut suivre sa mère, il n’est pas rare de voir utiliser un veau-mannequin par le vacher attentif à créer une véritable
mise en condition de la vache qu’il veut traire. II est vrai que les rendements en lait sont si faibles (souvent moins
d’un litre par traite) qu’il ne faut s’épargner aucune peine pour obtenir un résultat toujours décevant. Car les Massa
e t Toubouri sont friands de lait. Chaque année, les jeunes gens d’une vingtaine d’années partent à la tête du trou-
peau de jeunes vaches et le conduisent sur un phturage de qualité. Là, coupés de toutes relations avec le village, ils
vont pratiquer une véritable cure de lait de trois mois. C’est le (( Gourouna I), qui se termine par des réjouissances au
village au retour du troupeau. Les jeunes gens repus de lait - ils poussent le luxe ce dernier jour $ se frictionner
tout le corps avec du lait - mènent une danse frénétique sur la place du village (i).(Pl. X, c).
Une autre pratique très répandue est le Golla, OU prêt d’animaux entre propriétaires. Cette coutume se retrouve
dans tous les villages, où chaque paysan désigne sans hésiter les bovins lui appartenant et ceux qu’il tient d’un O U
plusieurs prêteurs. Des b&tespeuvent vivre ainsi dans une autre ferme que celle de leur propriétaire pendant plu-
sieurs années. S’il s’agit de vaches, les veaux à naître appartiennent au propriétaire de l’animal, le gardien bénéficie
du lait. Si l’animal meurt, on distingue entre mort par maladie et mort par mauvais traitement. Dans ce cas, de
longues palabres naissent, que le tribunal coutumier sera appelé à trancher. Mais, s’il y a eu mort par maladie,
viande e t peau sont rendues au propriétaire ou vendues sur place, l’argent O U le mil produit de la vente allant au
propriétaire. Une nouvelle bête peut aussitôt être reprêtée à celui qui a agi honnêtement.
I1 ne semble pas que le Golla résulte d’un manque de pâturages, ear souvent le nombre des bêtes prêtées et des
bêtes gardées s’équilibre dans chaque ferme. Souvent, un animal est prêté pour remercier ou récompenser un ami
qui est venu apporter son aide lors des récoltes ou de la construction d’une nouvelle ferme familiale. I1 arrive aussi
que le mari prête des animaux à la famille de sa femme. Mais surtout le Golla semble être destiné rEpartir les
pertes en cas d’épidémie dans le bétail. Les risques sont diminués, le troupeau étant dispersé (3).
il. l’origine, les Mousseye n’étaient pas éleveurs de bovins, mais les déplacements opérés par des familles quit-
tant la Kabia pour venir s’installer aux environs de Bongor ont créé un mouvement de mimétisme qui a contribué
à étendre la boomanie des Massa à leurs cousins Mousseye. A l’origine, il s’agissait de la part des Mousseye de s’as-
surer une réserve de viande sur pied, et la part des mâles était prépondérante dans leurs troupeaux. Mais progressi-
vement leurs achats de femelles ont augmenté et ils se sont mis, eux aussi, à la consomniation du lait.
Une enquête sur la conduite de l’élevage chez les sédentaires, portant sur 62 villages et 13 239 têtes, a donné
les renseignements suivants, en pourcentage :
Léré Hollom Illi Youé Koumi I ICoumi II
- - - - - -
Hors d’âge . . . . . . . . . . .. 2,25 3,45 6,49 4,52 4,77
Ivfâles . . . . . . . . . . . . .. 24,47 24,93 21,97 24,26 7,99 16,77
Dont adultes . . . . . . . . .. 2,7Y 2,72 2,34 4’24 0,54 2,17
Proportions adultes . . . . . .. 6,80 599 4,9 897 4
11 ressort de ces chiffres que les Kirdi savent assez bien exploiter leur troupeau puisque la proportion des
mâles adultes ne dépasse pas 3 yo (sauf à Youé). La proportion des mâles décroît donc avec I’âge de ceux-ci, les prin-
cipales ventes, les sacrifices portent sur des bouvillons e t des msles. (Certaines cérémonies funèbres sont marquées
par l’abattage d’une dizaine de bouvillons et de trois ou quatre bœufs,)
(1) I. de GARINEdistingue 5 types de u cures de lait n dont 3 de type individuel et 2 de type collectif. I1 estime la participation à ces cures
i7 de la population masculine.
( 2 ) I. de GIRINE estime que u la plupart des transactions ne se satisfont pas d’une explication a rationnelle
8 telle que le désir de soustraire
le bétail aux risques d‘épid8mie B; il pense que la golla peut être définie comme un prêt prestigieux de bétail n qui est destiné à accroître le crédit
social dont dispose un individu (et non plus un groupe) n p. 179-186.
128 JEAN CABOT
On peut donc s’étonner du rôle important tenu par l’élevage dans une économie agricole où IC bétail est si mal
utilisé. On pourrait presque dire que l’intériX porté par les éleveurs à leurs troupeaux est en raison inverse des ser-
vices qu’ils leur rendent, la production du lait est faible, l’utilisation du fumier maladroite, par simple ignorance du
procédé de la litière, mais surtout la force de traction est inutilisée : pas d‘araire, pas de chariot pour accroître
l’emprise du cultivateur sur le sol ou pour soulager sa peine dans les transports.
I1 est vrai que l’insufisance des pâturages naturels explique la faiblesse de ce cheptel qui, dans I’état actuel
de sous-nutrition, ne pourrait supporter d’être attelé. Les jeunes animaux sont très rapidement sevrés par le taris-
sement de la lactation des vaches mal nourries. Beaucoup de génisses ou de veaux meurent en bas âge. Ceux qui
subsistent aprhs une saison sèche disposent de tres peu de temps pour (( se refaire )) pendant la saison des pluies.
Dès la période de sécheresse suivante, la disette entraîne une véritable (( autophagie )) puisqu’ils assimilent le peu
de graisse et les muscles que les pâtures vertes leur avaient permis d‘accumuler (i).
I1 est permis de penser qu’une agriculture attentive Q utiliser le cheptel pour sa force de travail aurait Cer-
tainement, à la longue, trouvé le moyen d‘entretenir et d’améliorer cette source d’énergie. Le manque d’imagina-
tion que laisse supposer l’ignorance de l’attelage résulte à mon avis de l’inutilité du problème aux yeux du cultiva-
teur africain. Comme pour les techniques agrico1es;il n’y a pas eu de progrès ou de révolution parce que les struc-
tures sociales ne l’exigeaient pas. I1 faut souligner à nouveau I’état d’équilibre que représente le système agricole
des paysans soudanais, avec les conditions naturelles fournies par le milieu, mais au$si avec les structures sociales
nées d’une économie de type primitif.
L’élevage pratiqué par les Kirdi n’est donc pas intégré Q leur système agricole comme celui des paysans Sérères,
il lui est simplement juxtaposé (2). Il peut apparaître comme une activité inutile. Pas plus inutile chez lui que chez
l’éleveur Foulbé ou Bororo, pour lequel il reste aussi une valeur d’échange.
Le bœuf est une monnaie noble pour le paiement des dots, une offrande coutumière pour les sacrifices. Le bétail
étant une monnaie, il n’est pas rare de le voir changer de propriétaire trois ou quatre fois dans l‘année. Le souci de
chaquc chef de famille demeurc d‘augmenter son avoir sous forme de bovins. E t J. SURET-CANALE note avec rai-
son : (( Valeur d’échange par excellence pour l’éleveur, le bœuf représente le signe de la richesse, et, tant que les
$changes demeurent peu développés, on conserve et on accumule volontiers cette richesse (( qui ne sert de rien N,
pas plus que les napoléons accumulés dans le bas de laine du petit bourgeois français d’il y a un siècle 1) (3).
La différence fondamentale entre le ((bas de laine )I Kirdi et le ((bas de laine )) Foilbé ou arabe réside dans les
échanges qu’ils permettent. Alors que les éleveurs islamisés échangent leur bétail contre de l’argent ou des produits
de consommation, les paysans Kirdi l’utilisent comme pouvoir libératoire de la dette contractée par le mariage.
Chez les premiers, le bétail sert 4 assurer la subsistance de l’éleveur j chez les seconds, il permet d’augmenter la
force de travail familiale par l’entrée d‘un nouveau membre apte aux travaux des champs. E t cette opération
d‘échange, 10 bœufs inutiles contre un individu actif, souligne mieux encore l’ignorance de la supériorité de la
force de travail animale, car 10 bœufs attelés permettraient de défricher cinquante fois plus d’espace qu’un seul
nouveau membre introduit dans la famille.
Compte tenu des deux types d’élevage rencontrés dans le bassin du Logone, c’est une masse de quelque
280 O00 à 300 O00 bovins qui circule ou stationne sur les départements du Mayo Danaye e t du Diamaré au Came-
roun, sur le département du Mayo Kébi et une partie de la Préfecture de Laï au Tchad. Au sud d’une ligne passant
par Pala, Ké10 et Laï, l’élevage sédentaire disparaît et les incursions des troupeaux nomades se limitent Q la période
de saison sèche. Le parallèle de 90 nord semble marquer la limite extrême des possibilités d’élevage du gros bétail.
Au-delà, vers le sud, la présence de glossines, agents vecteurs de la trypanosomiase, interdit toute extension du
domaine des bovins.
Les cheuauz du pays illousseye. - Les Mousseye de la Kabia élèvent traditionnellement de petits chevaux
appelés ici poneys kirdi. Ces chevaux tiennent dans leur Bconomie la même place que les vaches dans celle des Massa.
En effet, ces chevaux sont rarement montés (chasse, déplacements), et surtout ils ne sont jamais attelés. Ils consti-
tuent, dans la région limite du gros élevage, un troupeau peut-être moins sensible aux attaques des glossines que ne
le seraient les bovins. Comme eux, ils représentent le (( bas de laine 1) des Mousseye.
Le petit éleunge. - Chaque ferme, chaque famille possède un ou plusieurs caprins qui vivent en liberté autour
des cases pendant la saison sèche, errant d’arbuste en arbuste pour arracher les feuilles des branches basses, plus
fortunés lorsque le village est entouré de Faidherbia albida dont Ies gousses tombent au plus fort de la sécheresse.
En saison des pluies, ces animaux déprédateurs sont rassemblés sous la garde de quelques garçonnets qui les tiennent
éloignés des plantations. Quelques ovins de la race dite du Fouta-Djalon, sans laine mais à poils longs et fins, sont
élevés sous le même régime que les chèvres.
Tout ce petit bétail est une réserve de viande sur pied. En période de disette, l’échange mil-cabri est une
pratique courante. Certains agriculteurs avisés savent garder une partie de leur récolte pour procéder à ce troc
en temps voulu. C’est pour eux le moyen d’augmenter leur petit troupeau à bon compte, à une période où le grain
vaut Iort cher.
Mais caprins et ovins n’ont pas le caractère de monnaie noble réservé aux bovins. S’ils entrent dans le montant
des dots échangées en pays Gambaye, c’est concurremment à des pièces d’étoffe, à des provisions de bouche et
récemment aux espèces elles-mêmes,
Chaque ferme élève également quelques dizaines de poulets qui se nourrissent, eux aussi, par leurs propres
moyens, mais sont rentrés chaque soir, tout comme les chèvres et les moutons, dans les cases des femmes, où des
emplacements leur sont réservés. Ces animaux fort maigres donnent des ceufs à peine plus gros que des ceufs de
pigeon. Quelques canards pataugent dans les trous d’eau qui accompagnent chaque ferme et complètent l’inventaire
de ces basses-cours dont la volaille ne bénéficie jamais de la moindre volée de grains.
Si l’on tente une comparaison avec les types d’élevage pratiqués au Mali et dans le Soudan nilotique, un certain
nombre de nuances s’établissent.
Dans le bassin du Niger, l’élevage demeure l’apanage des Peul nomades ou semi-nomades. L’association entre
l’agriculture et l’élevage est temporaire et limitée A la fumure des terres. Les troupeaux des Peul en déplacement
vers les bourgoutières sont mis en stabulation sur les champs des sédentaires. Cela ne suffit pas à assurer trois ou
quatre ans de repos aux terres après cinq ou six ans de cultures (M.MARCHAND).
Chez les Dinka, agriculteurs-éleveurs du Bahr-el-Ghazal, le bétail ne joue un rôle effectif que dans le district
d’Aweil : vers le mois de Mai, les troupeaux regagnent le village et chaque propriétaire attache pour la nuit ses
animaux i un piquet que l’on change de place tous les trois jours pour que tout le cha mp reçoive la fumure. Le
troupeaux reviennent également après la récolte pour consommer les tiges de mil. Pendant la saison des pluies, le
bétail est mis à l’abri dans une étable collective au village, mais le fumier est plus ou moins bien utilisé (J. D. To-
THILL, 1948, p. 295).
Le genre de vie des Nuer se rapproche beaucoup plus de celui des Foulbé semi-nomades que des éleveurs
sédentaires Massa ou Toubouri, Ils ne peuvent, sauf exception, rester toute l’année au même endroit. L’inondation
les oblige à chercher refuge sur les buttes exondées. Mais l’absence d’eau et de pâturage sur les buttes les oblige à
se déplacer pendant la saison sèche. La nbcessité de compléter leur alimentation lactée et carnée par la pêche et
l’agriculture leur impose de grands déplacements entre les fleuves et les terres de culture, généralement éloignées de
ces derniers (EVANSPRITCHARD, 1940, p. 57).
La dissociation entre agriculture et élevage n’est donc pas le fait des seuls riverains du Logone. Elle caractérise
les zones de contact entre les steppes sahéliennes ou les plaines d’inondation qui imposent la transhumance des
tribus et des troupeaux et les zones agricoles où les sédentaires devenus parfois propriétaires de bétail n’ont pas
encore su tirer parti de la présence du troupeau pour pratiquer un mixed farming organisé. A ce titre, les Dinlca
d‘Aweil représentent une exception d‘un rare esprit évolutif.
Partout, en revanche, le bétail joue un rôle important dans l’évaluation de la richesse des familles et dans les
paiements de dot. TOTHILL signale que celles-ci peuvent se monter de 12 têtes chez les Shilluk à 20, 30 et même plus
chez les Nuer et les Dinka.
L’élevage tient donc une place importante mais très spéciale dans le bassin du Logone, Mis ti part son rôle
d’échange et compte tenu de son inutilité agricole, il ne faut pas négliger cependant son rôle alimentaire. Certes,
la viande de boucherie n’est pas une nourriture quotidienne, loin de là, mais il arrive qu’elle soit consommée en
très grosses quantités en une seule fois. De même, la volaille, appoint alimentaire de luxe, consommée surtout à
l’occasion des petits sacrifices.
’Mal utilisé, mal entretenu, le bétail joue donc un rôle alimentaire de complément aux côtés des céréales. I1
faut y ajouter la consommation du poisson, pêché en abondance dans les eaux du Logone, des lacs e t des nappes
d‘inondation.
Le bassin du Logone est peut-être le plus poissonneux de toute l’Afrique. Déjà, Th. ~VIONOD en avait souligné
l’importance dans une étude consacrée à l’industrie des pêches au Cameroun (1).Une enquête plus récente limitke
au bassin Logone-Chari-lac Tchad a permis de dégager le caractère exceptionnel des pêches pratiquées dans cette
(1)Th.MONOD1928.
I30 JEAN CABOT
région de l’Afrique (1).I1 semble que l’activité piscicole des habitants du bassin soit unique en son gcnre par son
ampleur et son efficacité. Les gens du fleuve connaissent admirablement les habitudes des poissons r t ont élaboré
leurs techniques de capture en conséquence.
Une estimation basée sur les quantités de poisson sec commercialisées chaque année, sur le nombre des engins
de peche utilisés et sur le rendement de chacun d’eux, permet d‘évaluer la production annuelle des pirches
pratiquées sur l’ensemble Logone-Chari-lac Tchad de 60 O00 à SO O00 t de poisson frais.
La richesse de la faune aquatique découle du rythme annuel de la crue, de la décrue et des déversements des
eaux dans les bassins moyens et inférieurs des fleuves : (( L’onde de crue envahissant rapidement les immenses
plaines monotones de la (( Mésopotamie tchadienne 1) et des N yaérés 1) calcinées par le soleil e t les feux provoque une
véritable explosion nutritive (insectes noyés, phyto-, puis zoo-plancton surabondants; plus tard, herbes immergées
et graines diverses (2). ))
Le calendrier des pêches suit le rythme saisonnier des débits des fleuves :
- aux hautes eaux : capture du poisson disséminé dans les zones inondées, en même temps qu’utilisation
d’engins pour la pêche en eaux profondes du fleuve ;
- à la décrue : exploitation des migrations latérales du poisson cherchant à rejoindre les eaus permanentes ;
- il’étiage : exploitation des bancs de poissons en migration ((longitudinale à la recherche des biefs profonds ;
))
- en période de crue : capture des poissons longeant les rives à la recherche des déversements vers les zones
d‘épandage ;
- en tous temps : emploi massif des lignes à hameçons multiples.
Sur le Logone, J. BLACHE a distingué les caractères de la pêche dans plusieurs sections du fleuve. Nous suivrons
sa classification (3) en soulignant au passage la concordance entre les types de pêche pratiqués et les caractéris-
tiques de l’habitat que nous avons déjà inventoriés.
De Gnmsnï d Bongor. -Les Massa et les Mousgoum diffèrent des populations riveraines sises en aval :les Kotoko,
en cela qu’ils ne sont pas des pêcheurs professionnels, pas plus qu’ils ne sont des éleveurs professionnels; leurs
activités se partagent entre la culture, l’élevage, la pêche. I1 faut, cependant, faire une exception pour les jeunes gens
qui consacrent une partie de leur vie -lesannées qui separent leur adolescence de leur passage au rang d’adulte -
à une migration vers le confluent Logone-Chari, années au cours desquelles ils cherchent, par les gains réalisés au
cours d’une vie de pêche exclusive de toute autre activité, à se constituer un magot qui les aidera à prendre femme.
Donc pas de pêcheurs professionnels chez les Massa à cette exception près.
L’hydrographie particulière des plaines Nord-Bongor qui transforme le pays en un lacis de. marécages, d‘étangs
et de marigots leur ont conféré une aptitude remarquable à la pêche.
Si les Mousgoum pratiquent encore la pêche à la snkama sur pirogue, les Massa procèdent presque exclusivement
à une pêche à pied, utilisant collectivement, h l’occasion, des engins adaptés ri un usage individuel. E n effet, le fleuve
étale son lit sur 400 In de largeur. Plusieurs chenaux sinueux divaguent entre des laisses sableuses faisant alterner
biefs relativement profonds et gués de moins d’un mètre aisément franchissables. Au moment de la crue, les
eaux du fleuve pénètrent dans les plaines latérales par les nombreuses échancrures des bourrelets de berge. Le
poisson suit la même voie pour atteindre les prairies aquatiques où il trouve sa nourriture.
Lors de la décrue, les riverains barrent chaque échancrure des berges par des nasses colmatées entre elles par
des murettes d’argile. II n’est pas rare que de nouvelles échancrures soient faites par les pêcheurs pour augmenter
leurs prises. Certains barrages comportent jusqu’à 80 nasses, la moyenne étant de 10 à 20. Les nasses sont relevées
trois fois par jour durant toute la décrue (mi-Octobre à fin Décembre). Les rendements varient de 450 g à 6 Irg par
appareil.
Le village de Mballa pratique de Mars à Mai une pêche collective très spectaculaire, déjà étudiée par Th.
MONOD :(( Ourgales, le barrage ànasses en trompettes (Daya). Le fleuve est barré sur toute sa largeur par des claies
qui obligent le poisson à rebrousser chemin et à s’engouffrer dans les Daya. J. BLACHE a évalué le rendement
du barrage à 27 t en 1955. E n tenant compte du fait qu’une senne à bâtons employée au confluent rapporte de
2,5 à 5 t par jour, on comprend que les riverains aient tendance à abandonner la pratique des barrages d’étiage pour
se rendre vers l’aval, où les pêches sont plus fructueuses tout en exigeant moins de matériel. Les Mousgoum utilisent
(1)J. BLACHE,
1962.
(2)J. BLACHE,
1962,p. 15.
6:)J. BLACI~E,
1962, p. 2‘1 i 32.
LE BASSIN DU M O Y E N LOGONE 131
également le grand filet du type Sakama des Kotoko. Ils l’appellent (( Agougana n. C’est (( un filet en poche conique
de 4 m de profondeur ; la poche est maintenue ouverte par deux perches en X dont deux branches mesurent 4,50 m
et les deux autres 0,75 m. A un mètre de leur point de croisement, une barre transversale relie entre elles les deux
grandes branches dont I’écartement maximum entre les extrémités est de 6 m. Le fond de la poche retombe dans
la pirogue. I1 est ouvert mais termine par un panier où tombe le poisson capturé. Le filet est à maille étirée de
4 à 10 cm )) (fig. 36, F).
Le filet est immergé, tandis que la pirogue descend le courant ou se rapproche d’une rive. Au bout d’un instant,
1’Agougana est relev6 et le poisson glisse dans le panier.
132 JEAN C A B O T
En toute saison, les hommes pêchent avec des lignes flottantes à hameçons multiples non appâtés. Les femmes
pêchent journellement pour les besoins familiaux, soit avec de grands paniers cribles, soit avec des paniers à deux
ouvertures.
Les Massa pratiquent assidûment les pêches de décrue, soit par des barrages de grandes nasses à double empêche
(Gafalda, fig. 36, E) sur les échancrures des berges, soit par de simples diguettes de retenue barrant les moindres
chenaux.
Malgré l’exode des jeunes gens pendant l’étiage pour les grandes pêches à la senne à bâtons en aval, il reste
assez de monde pour les grandes pêches collectives, assez semblables à celles que pratiquent les Shillulc du Bahr-el-
Ghazal et du Nil Blanc. (( Des villages entiers entrent dans l’eau : hommes, femmes, enfants, avec de petites salcamas
(Granga), des sennes, des haveneaux en double arc (Bineda), des paniers variés (Riga), des harpons )) (BLACHE p. 28).
La senne porte des noms différents selon les villages ou les clans : Alouana (Massa de Koumi), Baïna (Massa de
Ham), Soumara (Bongor), Talé à Kim. Elle est constituée par un filet formant une nappe de 0,70 4 0,80 cm de hau-
teur sur 6 à 8 m de longueur, maintenue ouverte par des bâtonnets espacés de 1,50 à 1,85 m. Plusieurs éléments sont
mis bout à bout, chaque pêcheur tenant rassemblés les bâtonnets qui terminent deux sennes jointives. La senne
est toujours utilisée dans le sens du courant pour capturer les poissons qui le remontent. Les pêcheurs s’avancent
dans le fleuve perpendiculairement à la rive, le dernier restant sur la berge, L’ensemble des pêcheurs balaie un large
arc de cercle en se rabattant vers la rive. (Pl. VII, A).
En saison sèche se pratique une ((pêche très spéciale..., 4 la houe pour deterrer les poissons Dipneustes (Pro-
toptères) qui s’enfouissent dans l’argile à la décrue. Avant l’assèchement complet des marigots, des foules compactes
armées de paniers de capture vident également les mares de tous leurs poissons. Le !mg du fleuve, des pièges à pois-
son du nom de Sillina, sortes de tambours de paille tressée, permettent de relever 1,5 à 2 kg de prises par jour.
Sur 9 km de rive, dans la région de Koumi, J. BLACHE en a compté 183. (Pl. XII, A).
Au plus fort de la crue, les riverains disposent des lignes à gros hameçon appâté. En surveillant de trois à cinq
lignes, chacun peut capturer une dizaine de pièces de 50 à 70 cm de longueur par jour.
D e Bongor au confluent Logone-Pendé. - C’est la région où les déversements du fleuve prennent leur impor-
tance maximum, soit en direction du Ba-Illi e t de la Bissim, soit en direction de la Kabia. Les riverains cherchent
à obliger le poisson à se concentrer dans certaines zones où ils ont préparé des chambres de capture.
Ces ((barrages enceintes à chambres de capture )) semblent une technique originale des populations que nous
avons baptisées (( gens du fleuve )) e t qui peuplent les villages de Djoumane, Éré, Kim, Draïn-Ngolo. Le même type
de pièges se retrouve sur le confluent Logone-Chari lorsque ces populations se déplacent vers Fort-Lamy en saison
sèche.
Ces barrages appelés Ka1 sont des chambres rectangulaires de grandes dimensions (30 X 50 m) utilisant des
claies et construites dans le lit mineur du fleuve. Une ouverture de plusieurs mètres est pratiquée en aval et, à
I’intbrieur, des chambres de capture en cceur sont disposées deux par deux dans les angles. Le poisson qui s’engage
dans l’aire de concentration longe les claies pour retrouver la sortie et arrive ainsi aux chambres de capture.
Nulle part ailleurs, la densiti: de ces engins n’est aussi forte que sur le bief Bongor-Laï. Installés en permanence,
ils sont déplacés suivant les fluctuations du niveau du fleuve. L’enceinte est plus ou moins développée, perpendicu-
lairement aux berges, suivant la profondeur des eaux et la force du courant. En 1955, sur 165 km de
fleuve, J. BLACHE a dénombre 160 enceintes. Leur rendement moyen est de 25 t. Les plus fortes prises se font à la
fin de l’étiage e t au déhut de la crue de Mai à Juillet, ainsi qu’au début de la décrue (Novembre).
On retrouve ici l’usage de la Sakama, légèrement modifiée par l’adjonction de (( cornes )) à l’extrémité des
perches soutenant le filet. I1 en a été dénombre 747 entre Bongor et Moundou. Elles sont employ6es en grandes
pêches collectives à la tombée de la nuit pendant la crue, et à cette période seulement. Leur usage n’est donc pas
permanent comme sur le bas Logone. La salrama à cornes est appelée Tiar à Kim, Salgue chez les Kabalaye, Kabra
chez les hlbaye e t les Gambaye. En 1961, le village d’Éïi:, avec 117 pirogues et 186 filets saltama, est le mieux équipé
pour cette pêche.
Les villages de Kim (l),Éré, Djoumane procèdent à de grandes pêches collectives en Avril et Mai. Le fleuve est
barré par des claies (Yol). Le poisson est refoulé vers ces barrages fixes par un filet mobile, constitué de chaluts
montés sur des perches verticales (Koal) et maintenus côte a cate à partir de pirogues. Les hommes, les femmes,
les enfants, munis d‘épuisettes (Kassual), de haveneaux (Biane), capturent le poisson prisonnier entre les deux bar-
rages. Les rendements ont été évalués à 800 kg par Koal, 40 kg par épuisette, 10 à 20 kg par panier. En 1955, il
y avait 80 chaluts à perches, 380 épuisettes et d’innombrables paniers.
Pendant la décrue, les riverains empêchent le retour au fleuve des poissons aventures sur les plaines d’inon-
dation. Ils barrent les bras de déversement par des diguettes de terre ou par des claies (Yol).
(1)J. CABOT1953. I
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 133
Les lignes à hameçons multiples sont utilisées toute l’année. En Mai, Juin, les prises atteignent SO lcg par jour
et par ligne.
La pêche tient une large place dans les sources de revenus des populations de cette partie du fleuve. L’impor-
tance des prises permet de fructueux échanges avec les populations moins lavorisées de l’intérieur des terres.
Cependant, il n’y a pas de spécialisation. Tous les habitants restent à la fois agriculteurs, pêcheurs et, à un degré
moindre que chez les Massa, élcveurs.
Le Logone, du confluent à Moundou. - La modification des caractères du lit majeur, ici bien encadré par les
hauteurs des koros, limite l’étendue des zones d’épandage. Les pêches sont moins fructueuses en période de hautes
eaux, car le poisson est moins abondant que sur les prairies aquatiques des zones de déversement. L’activité majeure
des habitants est l’agriculture. Cependant, certains villages riverains (Boumou, Nama, Boroye e t Béladja) pra-
tiquent une pêche d’étiage a u s rendements appréciables. Deus techniques dominent : pêche en pirogue avec
sakama à cornes (Salgue), il y en avait 383 en service en 1955 j pêche capture par enceintes rondes 4 porte (109 dé-
nombrées en 1955).
Sur les nyas et les kous, les eaux pauvres ne fournissent qu’un maigre fretin capturé quotidiennement par
paniers, épuisettes et haveneaux.
La Pendé. - Le bassin de la Pendé, entre Goré et le confluent, compte de larges étendues inondables, que ce
soit sur la rive gauche entre Pendé et Nya ou sur la rive droite, où les zones d’inondation de la Pendé et de la cuvette
de Doba sont presque jointives à quelques kilomètres de distance. Les poissons délaissant le Logone en amont du
confluent se dirigent plutbt, dans leur remontée du fleuve, vers les plaines inondables de la Pendé.
Les pêches d‘étiage caractère collectif se font par sennes (Nreng) ou par filets, les engins fixes sont peu
nombreux.
Mais les grandes pêches collectives ont lieu en Juin, au moment où la crue favorise Ia remontée du fleuve
par les colonies de poissons.
La rivière est barrée par des claies formant un barrage fixe, tandis qu’un barrage mobile de chaluts rabat le
poisson vers les salcamas (Kabra) et les sennes manœuvrées par les hommes, tandis que les femmes et les enfants
stationnés devant le barrage fixe pêchent avec des haveneaux (Ouendé).
Puis le barrage est démonté et reporté à 1Icm en aval. Dans la journée, 4 à 5 km de rivière sont ainsi exploités
et fournissent de 5 à, 10 t de prises.
Les lacs Tozcboiwi et de LCé-Tréné. - Les lacs Toubouri se repeuplent chaque annee par les déversements en
provenance du Logone et de la Tandjilé. Les paysans-éleveurs Toubouri y pratiquent une pêche destinée à couvrir
leurs besoins familiaux. Les cours du mayo Pé et du mayo Kébi ne sont pas exploités, mais la barriere des chutes
Gauthiot revêt une grande importance du point de vue distribution de la faune aquatique : certaines espèces absentes
du bassin tchadien se trouvent au pied même des chutes. Les lacs de Léré et de Trén6, peu profonds, sont activement
prospectés par les différentes tribus riveraines.
Les Toubouri possèdent un matériel varié utilisable pour la pêche individuelle aussi bien que collective. Leurs
sennes (Dendeh), au lieu d‘être retenues par les pêcheurs, sont poussées en avant grice & des montants verticaux
plus hauts que le filet lui-même. Pour la pêche individuelle à pied, ils possèdent une sorte de sakama de format
réduit : le Paï, les paniers à deux trous (Guerzagui) et des haveneaux & arc double (Boga) ou simple (Dama).
Au moment de la décrue, ils construisent des diguettes qui compartimentent la rive. Chaque casier est vidé à
la calebasse, l’eau est projetée sur un panier crible qui retient le poisson. Parfois, la diguette (Dam) est composée
de nasses colmatées à l’argile ou encore de claies verticales dont les seules sorties aboutisselit à des nasses (Pagn).
Les prises, quoique abondantes, ne suffisent pas pour alimenter les demandes en poisson des marchés locaux, e t
chaque année les Toubouri achètent une partie des pêches des villages de Kim, Eré ou de la région du confluent
Logone-Chari.
De profondes transformations ont été constatées par J. BLACHE dans les techniques de pêche des Rfoundang
de Léré et Tréné. Lors de son étude de 1925, Th. MONODavait not6 : (( Les Moundang de la région de Léré sont de
grands producteurs de mil, ce qui ne les empêche pas de pratiquer en saison seche une pêche très active ; mais, à
l’encontre des pêcheurs de fleuve, ce sont des pêcheurs de marigots chez lesquels triomphent les paniers et les have-
neaux :ils n’exploitent pas ou à peine les eaux libres, pourtant très poissonneuses, de leurs lacs splendides. ))
J. BLACHE constate qu’en 1956 le hloundang (( est toujours l’actif pêcheur de marigots, qu’il prospecte avec des
paniers (Minjiere), des harpons (Zil), de petites sennes à bâtonnets (Djemí) D, ainsi que des chaluls (Bakiole et
Djimpeere) ou de filets fixes (Malouamé)1) ; mais surtout il est devenu un très actif pêcheur de lac et plus spéciale-
ment du lac de Tréné. I1 y emploie de grandes sennes à flotteurs (Djémi) mouillées en pirogue, halées de la berge,
de grandes lignes à hameçons multiples appâtées et même de grands épervieru. S’interrogeant sur les origines de
cette transformation des techniques du pêcheur Moundang, S. BLACHE les attribue à la présence sur les bords du
lac, h Léré, d’une communauté Haoussa venue s’installer là vers 1945. Ce sont ces Haoussa qui auraient introduit
134 JEAN CABOT
chez les hloundang l’usage des filets de pêche pour eaux libres. (( Le plus curieux est que les Haoussa, après avoir
introduit les grandes sennes, en ont pratiquement abandonné l’usage aux Aloundang et prospectent le lac en pirogue
à l’aide d’ipervicrs, de lignes flottantes, de harpons (destinés aux hippopotames e t aux lamentins), de grandes
nasses. ))
De ce large inventaire des techniques de pêche dans le bassin du Logone et son exutoire occidental, il faut sur-
tout retenir la place importante tenue par cette activité chez les populations des villages de la zone de déversement.
Nous verrons que IC niveau de vie de ces pêcheurs en est confortablement amélioré. I1 nous faudra revenir aussi,
au chapitre des migrations, sur les déplacements d’équipes de pêcheurs vers le confluent Logone-Chari pendant
la saison sèche.
conservation et utilisation des produits de la pêche. - Une grande partie des poissons est consommée fraîche,
soit par les pêcheurs eux-mgmes, soit par les populations des centres urbains dont le marché est approvisionné dans
la journée.
Mais les captures sont supérieures aux besoins locaux pendant les périodes de grandes pêches de crue ou de
décrue, e t la plus grosse quantité doit être traitée pour conservation. Une seule technique est utilisée par les pêcheurs
Kirdi du bassin du Logone :le séchage. Seuls les Bornouans, les Haoussa e t les Kotoko procèdent au fumage à chaud,
qui donne un produit de bonne apparence, nommé Banda n.
Sans doute faut-il chercher dans le manque de bois de chauffage l’origine de l’absence de fumage par les popu-
lations du moyen Logone, mais la même raison ne vaudrait-elle pas à plus forte raison pour les autres groupes de
pêcheurs encore plus proches de la zone sahélienne ?
Le séchage au soleil se fait sans aucune adjonction de produit, même pas de sel. Les faibles teneurs hygro-
métriques enregistrées pendant la saison sèche favorisent la dessiccation du poisson pendant cette période j mais,
avec le retour de la saison des pluies, les conditions de séchage se font plus difEciles et, malgré le ralentissement
de la p&che consécutif aux exigences des champs, les prises dépassent encore les possibilités de consommation
locales. Parfois les pêcheurs sont obligés de consommer ou d’écouler du poisson dans un état de conservation plus
que douteux.
En période sèche, les petits poissons sont mis à sécher sur des nattes, sans autre préparation. Les poissons
de taille moyenne sont ouverts, éviscérés et suspendus sur des baguettes disposées sur des claies bien exposées au
soleil. Les plus grosses espèces subissent le même sort, mais I’épaisseur de leur chair ralentit la dessiccation et une
décomposition partielle a lieu, qui ne semble du reste gêner aucunement les consommateurs.
Les produits de la pêche tenaient une grande place dans l’éC onomie traditionnelle des populations riveraines
du fleuve. Outre l’appoint alimentaire qu’ils assurent e t sur lequel nous allons revenir, la pêche permettait aux
pêcheurs les plus actifs de disposer d’un produit d’échange estimt, dans une économie locale limitée et fermée. Le
poisson séché ou fumé préparé par les gros villages pêcheurs d’Eré, Kim, Djoumane a toujours été acheminé
tête d’homme ou en pirogue en direction des pays Gabri, hfousseye ou Toubouri. Échangé contre du grain ou du
bétail, le poisson pouvait devenir le moyen le plus rapide d’augmenter le nombre des femmes dans une famille
active. Nombreuses sont, en effet, les femmes originaires de groupes relativement éloignés des villages du fleuve
connues ou demandées en mariage lors d’un déplacement motivé par la vente du poisson.
I1 semble, en revanche, que les Massa des régions de Bongor, Koumi, M’Balla aient, avant tout, pratiqué une
pêche destinée à la consommation familiale. S’il y avait troc, cela ne pouvait être qu’entre familles voisines ou 4
l’intérieur du clan.
Ce dernier type de pêche s’apparente très fort à la chasse, que nous allons maintenant évoquer.
LA CHASSE
La chasse n’est pas une activité permanente. Elle représente un appoint de nourriture. L’abattage des ani-
maux domestiques étant exceptionnel, réservé aux rites funéraires, la chasse pallie l’insuffisance d’aliments carnés
du régime alimentaire de tous les jours. Elle est aussi un moyen pratique de se débarrasser d’animaux gênants ou
nuisibles en les délogeant par le feu.
Tout comme la pêche,.la chasse se pratique individuellement ou en groupe, soit à la trace et à la vue, pied
ou & cheval, soit en utilisant des pièges du genre fosses OU chausse-trapes, soit enfin au cours de la saison sèche
par des feux concertés.
La chasse individuelle se fait en toute saison, selon les besoins et les temps libres de la famille. Cependant,
la période la plus favorable reste la saison sèche, o h les animaux assoiffés sont attirés par les races points d’eau bien
connus des chasseurs. I1 s’agit d’une chasse d’affût OU de pistage dans laquelle les lances, les arcs ou même le simple
bâton sont les armes les plus courantes.
L E BASSIN D U MOYEN L O G O N E 135
En Rfars-Avril, les grandes chasses collectives rassemblent 300 à 400 hommes autour d’une aire destinée A l’in-
cendie. Selon la direction du vent, un filet est tendu sur le côté vers lequel les flammes chasseront le gibier. Les
hommes munis de sagaies cherchent à atteindre les bêtes au début de leur fuite, sinon elles sont abattues à leur
arrivée au filet. Ces feux sont pratiqués surtout dans les plaines inondables dont le tapis graminéen est desséché par
la saison sans pluies. Comme les populations de cette zone pratiquent la culture sur terres écobuées, des ententes
entre villages permettent d’éviter l’incendie des herbes destinées 4 I’écobuage. Malgré les précautions prises, il
arrive que l e feu de chasse d‘un village détruise les herbes du village voisin. I1 y a là source à (( palabres )) qu’une
rencontre entre notables des deux villages ne permet pas toujours de résoudre 4 l’amiable. Jadis, de pareils conflits,
tout comme les empiètements de zones de pêche, aboutissaient à la bataille rangée entre deux clans. Les récits
et légendes d’anciens des villages sont tissés de ce genre de conflits enchaînés les uns aux autres.
Une autre chasse collective a lieu en fin de saison des pluies (Septembre) sur les terres environnées d’eau de
toutes parts. Le gibier réfugié sur ces terres exondées est guetté à partir de postes d’observation. Juchés sur des
arbres, les guetteurs dirigent le pistage des chasseurs. Les bêtes sont rabattues vers le plan d’eau où d‘autres chas-
seurs les attendent.
Le partage des captures se fait entre tous les participants. Une part est toujours réservée pour le chef
de terre.
Outre son caractère alimentaire, la chasse permet d’éloigner ou de détruire certaines espèces nuisibles aux
récoltes sur pied comme l’antilope-cheval (Hippotrague), ou dévastatrices de récoltes comme lcs bandes d’éléphants
qui s’attaquent aux greniers en les brisant, ou les rongeurs qui s’introduisent dans les silos. Les animaux
féroces, comme le lion ou la pan-
thère, quoique de plus en plus
rares, sont chassés pour les attaques
qu’ils tentent sur les troupeaux de
gros et de petit bétail.
Les armes. - A l’exception des
Foulbé qui utilisent arcs et flèches,
imités depuis peu par les Moundang
dont l’gpre défense a emprunté les
moyens de l’envahisseur, toutes les
armes sont de lancer ou de jet.
L’arme défensive la plus répan-
due est le couteau de j e t (Hagi des
Toubouri, Billa des Massa, Mian des
Mbaye) (fig. 37), plus ou moins orne-
menté. I1 sert d’arme offensive à la
chasse, ses trois pointes animées
d’un vif mouvement de rotation
offrent un maximum de chances
pour atteindre un animal en dhpla-
cement.
Les lances ont des pointes de
formes diverses, en fonction des- PIG.37. - Couteaux de j e t e t pointes de fleches.
quelles elles sont nommées. Par
Lxemple, les Toubouri distinguent la lance hlandjar à fer large (II a ) , Yanre à fer pointu garni de barbules (II b ) ,
Giudjem à fer en pointe de flèche (II c). Chacune de ces lances s’adapte à une chasse particulière. La partie en bois
est constituée par une tige de 2 m de long sur 2 à 3 cm de diamètre.
LA CUEILLETTE
Toutes les populations du bassin pratiquent encore la cueillette des fruits et des produits divers de la végé-
tation naturelle. Outre les espèces soigneusement épargnées du feu lors des débroussements, les habitants dis-
tinguent parmi les repousses des jachères ou parmi les formations arborées un grand nombre d’arbres, d’arbustes,
de graminées dont ils tirent parti à un moment ou l’autre de l’année. Les petits animaux également, insectes adultes
ou chenilles, sont soigneusement ramassés ou attrapés en vue de leur consommation.
Mais la cueillette ne se borne pas à l’obtention de produits consommables, elle permet l’utilisation de certaines
fibres, de certaines pailles dans la confection d‘engins de pêche, de chasse ou mathriaux de construction.
136 JEAN CABOT
La cueillette et le ramassage à des fins alimentaires sont intermittents. Ils se pratiquent tout au long de l’année,
selon l’évolution de la végétation, mais ils reprennent une importance primordiale aux moments de disette, c’est-à-
dire pendant la période de soudure de fin Mai au mois d’Août. A cette époque, les femmes parcourent la brousse.
Certaines ramassent les feuilles d’arbres connus et repérés. D’autres déterrent des tubercules ou des rhizomes
comestibles. Le retour des pluies provoque l’éclosion de multitudes de termites ailés, mets apprécié des Mbaye e t
Gambaye qui les consomment frits.
D’une facon générale, les fruits des palmiers (Borrassus ou Hyphzne) donnent une pulpe fibreuse légèrement
sucrée consommée sur place. L’amande de ces fruits devient très dure, elle est connue sous le nom d’ivoire végétal,
ou coroso, mais elle n’est pas utilisée ici ni ramassée à des fins commerciales.
Divers types de ficus fournissent en abondance des figues sauvages. A Badjé, les habitants distinguent : Troum,
figues sauvages, rouges e t molles ; Djoum, vertes et dures ; Bindji, minuscules figues rouges, molles. Mais souvent
la récolte doit être faite prématurément, car des grappes de (( roussettes )), chauves-souris frugivores, s’abattent
la nuit sur les ficus en faisant de forts prélèvements de fruits.
Certains jujubiers donnent des fruits recherchés (Déré des Toubouri). La pomme cannelle sauvage (Panré),
les prunelles sauvages sont cueillies par les enfants et consommées sur place.
Mais l’arbre le plus respecté et le plus intéressant est le Karité (Brctyrospermum parkii), sorte de gros poirier
au bois rouge et dur, à l’écorce rugueuse. I1 donne des fruits à chair verdâtre de la grosseur d’un œuf. Son noyau
marron contient une amande riche de 45 yo de matière grasse dont les femmes préparent le beurre de karité. Le
parallèle de Bongor marque la limite septentrionale de l’extension du karité. Les plus forts peuplements se ren-
contrent en pays Mbaye et Goulaye du district de Laï, autour de Bodo, de Krim-Krim, de Laokassi et Beissa. Les
arbres sont toujours une propriété collective de la communauté familiale ou villageoise. La cueillette est réglementée
par la coutume.
Les prélhvements faits à la végétation naturelle à des fins non alimentaires sont également très nombreux.
I1 sufit de songer à la part importante tenue par les produits végétaux parmi les matériaux de construction des
cases : herbes graminées géantes destinées à la confection des toits, troncs des rbniers mâles au bois dur, imputres-
cible, utilists dans les charpentes de cases à toit plat. D’autre part, les habitants savent distinguer une infinie
collection de tiges et de fibres utilisées chacune à des fins différentes : filets de pêche, cordes, cordelettes, sacoches,
nattes, claies e t boucliers.
Le travail des nattes-boucliers est une spécialité des tribus Massa et hfousseye. Leurs boucliers de guerre
étaient faits de sortes de roseaux tres rigides assemblés côte à côte par des liens tressés très résistants ; le bouclier
était constitué par deux ou trois épaisseurs à trame croisée, à la maniPre des collages de contre-plaqué qui contrarient
le sens des fibres du bois. Le village de Kim a fourni, au debut de la colonisation, un grand nombre de ces nattes
pour la confection des plafonds des cases de type européen.
Les nasses de pêche, les paniers servant au transport des poissons, les claies utilisées dans les barrages sont
également fabriqués avec des tiges de graminées diverses très adroitement assemblées,
I1 faut souligner le haut degré atteint par ces populations dans l’art d’utiliser les produits de la végétation
naturelle. Si l’art consiste à tirer le meilleur parti des matériaux dont on dispose, à regarder l’astuce e t le goût qui
ont présidé à la confection de certaines nasses, de certains paniers, on peut assurément parler d’un art du tressage
pour ces populations. Malheureusement, les ouvrages réalisés avec un matériau aussi périssable ont peu de chances
de passer à la postérité et il est impossible de déterminer depuis combien de temps les populations savent les réaliser.
L’6conomie des populations du bassin du Logone est donc, avant tout, une économie agricole. Entendons
par là que l’essentiel des moyens alimentaires des familles est produit par la culture, nous pouvons mGme préciser,
par la culture du mil ou du sorgho, dans les limites des besoins du groupe. I1 ne s’agit pas, en effet, d’une économie
tournée vers la production de surplus agricoles destinés à être écoulés commercialement, mais d’une économie
de subsistance. Le groupe ne produit que ce qui lui est nécessaire et il ne consomme que ce qu’il récolte (au sens
large du mot : récoltes des champs, captures de chasse ou de pêche, cueillette). Quelques nuances sont à apporter
à cette définition, mais elles ne valent que comme exceptions ou signes avant-coureurs d’une évolution en cours au
moment où un nouveau type d’économie s’est introduit dans le pays au début du siècle : l’économie de marchés et
de traite.
Chaque groupe ethnique, en fonction des conditions naturelles de son implantation, en fonction aussi de
ses coutumes collectives, mhne un genre de vie légèrement différent de celui de ses voisins, mais dans l’ensemble
les activités annuelles des habitants du bassin consistent en un dosage très pragmatique entre culture, pgche, éle-
vage, chasse e t cueillette. La culture prend partout la plus grande part et les nuances s’ktablissent ensuite par la
place que tiennent les autres activités .dans la vie du groupe.
L E BASSIN D U 81bYEN LOGONE 137
Le genre de vie le nioins vari6 est sans doute celui des Gambaye, Lalca e t hlbaye du sud du bassin. L’impossi-
bilité de pratiquer un gros élevage bovin, du fait de la présence de glossines, Yéloignenient des tribus des vallées
inondables ou la rareté des cours d’eau permanents éliminent pour la plupart des villages la possibilité d’un genre de
vie très diffdrencié. Toute l’activiik des paysans repose sur une agriculture de saison des pluies qui semble compen-
ser son caractère presque exclusif par une grande variété de productions. Traditionnellement, la terre fournit les
oélagineux (sésame e t arachides), les céréales (sorgho, maïs), les féculents (pois, haricots, manioc), les condiments
(piment, hibiscus). L’dément carné est apporté par un petit élevage de ferme : cabris, volailles, OU par la chasse
dans les savanes boisées e t les terres en jachhre. Les populations riveraines du Logone ajoutent la pêche à ces
activités, sans cependant lui donner une place prédominante dam leur emploi du temps.
En revanche, les villages groupés des rives du Logone, de Laï à Djoumane, consacrent les temps laissés libres
par l’agriculture à. une pêche conduite avec passion. Le poisson apporte un complément important de l’alimenta-
tion, basée par ailleurs sur la quasi-monoculture de l’éleusine. Les bovins commencent à faire leur apparition,
mais leur gardiennage ne pose pas beaucoup de problèmes ; en saison sèche, ils parcourent la plaine sous la conduite
de garçonnets ; en saison des pluies, leur alimentation demande un peu plus d’activité, car, réfugiés sur les buttes
des berges, ils doivent être alimentés à l’aide d’herbe ramassée parfois en pirogue. Mais ils ne sont pas très nombreux
et les adultes ne s’en occupent pas, tout absorbés par l’entretien et le maniement de leurs engins de pêche.
Les Massa des deux rives du Logone pratiquent à la fois élevage et pêche avec le même intérêt, après avoir
assuré leur monoculture de mil rouge. Les riverains du fleuve sont favorisés dans leurs entreprises de pêche, mais le
régime de l’inondation généralisée entre Logone et Ba-Illi sur la rive droite, entre Logone, Toubouri e t Yadré
sur la rive gauche permet aux familles éloignées des berges de faire aussi de fructueuses pêches de crue et de décrue.
Le gardiennage des troupeaux assez nombreux pose surtout des problèmes en saison des pluies ; il faut protéger
le jeune mil et contenir les troupeaux sur les rares places vacantes des buttes.
Le genre de vie le plus varié est sans doute celui des Toubouri, qui ajoutent aux cultures de saison des pluies,
A. l’élevage, aux pêches de crue e t de décrue, une culture de saison sèche consacrée aux mils repiqués. Cette tech-
nique empruntée à leurs voisins et anciens ennemis Foulbé rend possible, grâce aux doubles récoltes, le maintien
sur les terres voisines des lacs des densités les plus fortes de tout le bassin (plus de 100 au km2). La double récolte
compense la réduction progressive des surfaces disponibles pour l’une ou l’autre des cultures (de saison des pluies
ou de saison sèche). Grace aux dépôts de limons et à la richesse des argiles en bases échangeables, les cultures repi-
quées de décrue peuvent se répéter sur les mêmes terres, année après année ; d’autre part, l’enrichissement naturel
des terres de case permet également la répétition de cultures de saison des pluies sur les mêmes terres.
On peut rapprocher de ce genre de vie celui des Moundang de Léré, venus plus tardivement à l’&levage,mais
disposant, eus aussi, grâce aux terres des bords de lac, de champs de décrue consacrés aux haricots, plus récemment
aux mils repiqués.
Le genre de vie des Foulbé est plus différencié, sans entraîner cependant une élévation sensible du niveau
de vie. Le bétail joue un rôle prépondérant dans l’économie des familles. Les produits du troupeau, naissances,
laitages, sont systématiquement commercialisés, source de revenus en espèces qui favorisent traditionnellement
une activité commerciale plus développée chez les populations islamisées que chez les Kirdi. Le coton tissé en
bandes, cousues ensuite pour donner des nappes ou des coupes d’étoffe destinées à la confection, les produits de
l’élevage, le grain des récoltes, le bétail lui-même constituent la base des échanges entre éleveurs purs et sédentaires
agriculteurs-éleveurs.
Dans l’ensemble pourtant, c’est une économie de subsistance h I’état presque pur qu’ont trouvé les coloni-
sateurs. Le monde lrirdi n’en avait jamais connu d’autre. D’où la di&culté que représente l’évaluation chiffrée des
niveaux de vie traditionnels. La meilleure évaluation est encore celle qui découle de l’étude du système d’alimen-
tation, du vêtement, jointe au calcul des rendements supposés des champs de mil (rendement supposé en fonction
des rendements actuels).
L’alimentation. - Les repas sont préparés par les femmes. Chacune d’elles, à tour de rôle, est chargée de nour-
rir le chef de famille et ses fils adultes (garçons pubères ayant subi l’initiation). Les hommes mangent i part dans
un coin de la cour ou sous un auvent ; les femmes et leurs enfants jeunes mangent à proximité des foyers ou dans la
cuisine lorsque celle-ci est couverte.
La base de tous les repas est la (( boule 1) de farine bouillie. La farine.la plus utilisbe est celle de mil, mais la
boule peut aussi être confectionnée de farine de haricot ou de pois de terre. Sauf chez les Massa, la farine de mil
rouge, peu prisée par les consommateurs, n’est utilisée qu’en période de soudure ; les mils blancs (Petiniseturn), les
sorghos de saison des pluies ou les sorghos repiqués de saison sèche donnent des farines préférées par les Toubouri,
Moundang, Gambaye, Mbaye... Nous avons déjh noté la préférence traditionnelle des gens du fleuve (Kim, Eré,
Djoumane, Draïn Golo) pour la farine de l‘éleusine, quasi-monoculture vivrière de cette “zone.
La farine est préparée de deux manières différentes, selon que le grain est décortiqué ou non. Le grain décor-
tiqué est traité à la pierre à moudre : broyage et pulvérisation entre deux fragments de granite (fig. 25). La farine
13s JEAN CABOT
est recueillie à l’extrémité de la meule dormante dans une petite poterie. Pour les grains non décortiqués, c’est le
pilon traditionnel qui broie son et farine tout ensemble. L’opération se termine par un vannage au vent.
La bouillie est préparée sur des foyers de terre cuite, dans des poteries. La farine délayée dans de l’eau se gonfle.
La cuisson est prolongée jusqu’à obtention d’une pâte ferme que l’on dépote et que l’on presente aux consomma-
teurs sous forme de boule, accompagnée d’une sauce servie à part.
C’est donc la variétd des sauces qui rompt la monotonie des menus quotidiens. Les femmes s’ingénient à pré-
parer celles-ci à partir de condiments OU de fonds différents. Les grandes sauces contiennent de la viande ou du
poisson, une matière grasse (huile d‘arachide, de sésame, de karité). A partir de pièces de viande boucanée (viande
de chasse ou viande d’abattage échangée) et réduite en morceaux minuscules ou à partir de poisson frais ou séché,
pareillement broyé, les femmes préparent des sauces fluides dans lesquelles chaque consommateur plonge la bouchée
détachée auparavant, de trois doigts de la main droite, de la boule de mil. Les petites sauces, signes des temps de
disette ou d’inconfort, se préparent à partir des multiples herbes à condiments cueillies en brousse ou cultivées à
proximité des cases. L’Hibiscus esculentus (Gombo) donne des sauces gluantes assez appréciées, semble-t-il. Toutes
ces sauces sont très fortement relevées à l’aide de piments cultivés dans les environs des cases.
La viande n’est consommée comme plat de résistance qu’au retour des chasses ou à l’occasion des &émonies
funèbres ou des sacrifices. Elle est alors consommée grillée ou même crue.
Le poisson, de consommation plus courante au retour des pêches, se pr6pare par grillade ; le poisson sec est
surtout utilisé pour les sauces.
Le lait est surtout consommé par les adultes, les jeunes gens, surtout au moment des cures de lait (( Gourouna
qui les isolent en brousse pendant plusieurs mois avec leur troupeau.
I1 est pratiquement impossible à l’heure actuelle de reconstituer ce que pouvait être la ration quotidienne
d’un individu dans l’économie ancienne. on peut tenter une évaluation approximative en étudiant les rendements
en mil des champs cultivés encore traditionnellement.
D’après les études faitcs cn pays hlassa autour de Bongor et de Koumi (l), les superficies consacrées au mil
rouge sur champ de case varient de 15 à 65 ares par consommateur. Les rendements passent selon les terres, selon
les soins donnés, de 600 lrg/ha à 1 600 kg. Des rendements supérieurs ont été rencontrés (2 500 lrg), mais ils cons-
tituent l’exception. On peut admettre le chiffre de 1O00 kg comme une moyenne assurée par la presque totalité
des cultivateurs. La superficie moyenne à retenir par consommateur doit s’établir entre 20 et 25 ares. C’est donc une
récolte de 200 à 250 lrg par consommateur qui constitue la base principale de la nourriture des paysans Massa,
soit une ration journalière de 600 à 700 g de mil non décortiqué. Ces chiffres montrent le caractère d’extrême fra-
gilité du niveau de vie : qu’une mauvaise récolte due à une mauvaise distribution des pluies ou aux déprédations
d‘oiseaux ou d‘acridiens survienne, et c’est la famine. La récolte familiale permet rarement, une année sur trois à
peu près, de mettre une partie de récolte de côté pour procéder à quelques échanges. Véritable économie de subsis-
tance, le système agricole des paysans Massa assure de façon très fragile le renouvellement de la force de travail
du groupe familial.
Les évaluations tentées en pays Gambaye donnent pour la production de mil des chiffres inférieurs aux précé-
dents, mais la variété des rCcoltes complète un stock de mil qui pourrait paraître insuffisant : (( Une partie de la
récolte sert à fabriquer la bière de mil. Les Gambaye, en bonne année de production, (( boivent )) environ un tiers
de leur récolte de mil. Nous supposerons donc que la bière entre dans l’alimentation de l’Africain pour déterminer
le nombre de jours d‘alimentation fournis par la culture du mil, e t nous tablerons sur une ration journalière moyenne
de 700 g environ (2). ))
I1 ressort de l’étude que le nombre de jours d’alimentation fournis par le mil varie de 295 dans le district de Laï
à 339 dans le district de Baïbolroum. La moyenne pour le département du Logone serait de 318 jours de subsistance
assurée en mil pour une année de production moyenne. I1 faut donc que les récoltes de pois de terre, de haricots,
de maïs viennent combler le déficit alimentaire de 45 jours. Elles y parviennent bon an mal an, mais le rôle des
femmes dans la préparation des menus quotidiens de période de soudure prend toujours l’aspect d’un jeu de corde
raide. L’appoint de la cueillette leur permet de combler les carences, au prix de longues courses en brousse, consa-
crées au ramassage d’herbes, de racines, de feuillages, maigre pitance qu’il leur faudra préparer tard le soir après
une journée épuisante.
Les échanges que peuvent faire ces producteurs autoconsommateurs sont donc assez réduits. Avant l’intro-
duction des produits manufacturés, les marchés locaux portaient sur l’échange entre cultivateurs favorisés et
cultivateurs défavorisés par la récolte de l’année. Quelques cabris, du tabac, de la volaille se troquaient contre
quelques calebasses de mil, quelques mesures de haricots ou de pois de terre. D’une année ii l’autre, les rôles se
trouvaient renversés et les cabris retrouvaient parfois leur ancien propriétaire.
Le &emerzt. - (( Le vêtement, si réduit soit-il, est un véritable unifornie 1) (LEMBEZAT, 9950, p. 25). Fillettes
et garçonnets Kirdi vivent traditionnellement nus, intégralement nus. Les hommes portent une peau de cabri
posée en tablier sur le postérieur ; les jeunes gens ne peuvent la porter qu’après leur initiation. Les filles nubiles
portent une mince cordelette autour des hanches, tandis que les femmes mariées portent une ceinture pelvienne
plus importante. Selon les tribus, cette ceinture s’ornemente de perles de couleurs (Mousseye, Moundang) ou d’une
élégante crinière blanche d’herbes rouies (Toubouri), plus souvent d‘un simple bouquet de feuillage (Mousseye,
Gambaye) (1).
Seuls les Foulbé, islamisés, portent des braies et un (( boubou N.L’art du tissage du coton s’était répandu Q leur
contact chez les populations Moundang qui commençaient tì remplacer les étuis péniens et les ceintures pelviennes
par d’étroites bandes de coton tissé (Gabak).
Chez toutes les populations Kirdi, l’absence de couvertures ou autres moyens de protection contre le froid des
nuits de saison sèche souligne l’état inférieur du niveau de vie.
Toute la production traditionnelle, tournée vers la satisfaction des besoins alimentaires des familles, est absorbée
par l’autoconsommation par le groupe de ses propres récoltes. Les rares surplus, propriété collective gérée par le
chef de famille, servent aux échanges Q base de bétail (bovins, chevaux ou cabris) qui permettent l’entrée d’une nou-
velle femme dans la ferme patriarcale. I1 n’y a pas, en réalité, création de richesses nouvelles, car le plus souvent
le bétail tourne de famille en famille au gré des échanges de jeunes épousées entre les clans. Cette économie fermée
permet tout juste le renouvellement de la force de travail des membres du groupe ; elle n’est pas évolutive et main-
tient dans toute la société Kirdi un niveau de vie précaire étroitement soumis aux aléas des récoltes. Néanmoins,
en l’état démographique de la population, en fonction des techniques longuement élaborées dans le contact sécu-
laire du paysan avec les sols, elle constitue, au moment de la pénétration coloniale, un ensemble cohérent, adapté
aux conditions naturelles, au milieu. Elle favorise le maintien de structures sociales que la nécessité de défense
vis-à-vis des empires féodaux voisins a plutôt renforcées qu’ébranlées.
(1) I1 s’agit ici du niveau de vie traditionnel et non des conditions actuelles en cours d’8volution.
CHAPITRE VI11
L’étude des genres de vie et des niveaux de vie des populations Kirdi du moyen Logone souligne I’état d’équi-
libre atteint par les sociétés rurales à la veille de la pénétration coloniale. État d’équilibre entre la ca,pacité de tra-
vail des familles et la possibilité de satisfaire à leurs besoins par le niveau de production réalisé. Equilibre aussi
entre plusieurs types d’activités complémentaires : agriculture, pêche, élevage, chasse, cueillette pratiqués concur-
remment dans le seul but de satisfaire a u s besoins du groupe.
Certes, les prémices d‘une division du travail entre les populations les mieux placées pour pratiquer avec profit
une seule de ces activités existaient déjà et avaient peut-être connu un début de réalisation avec les pêcheurs des
villages du fleuve, avec les migrations temporaires des planteurs de berbéré ou des jeunes pêcheurs. Les structures
traditionnelles n’étaient que timidement ébranlées. La grande masse des paysans restait encore attachée à ses
modes d’exploitation du sol et A I’économie familiale communautaire qui exigeait le maintien de ces structures
adaptées à une société économiquement non différenciée.
Face aux exigences des travaux agricoles, face a u s fléaux imprévisibles et incontrôlables infligés par la nature
à travers les épidémies et les endémies, face aussi aux attaques pillardes des voisins mieux organisés et matérielle-
ment mieux équipés, la vieille société tribale n’avait qu’un seul moyen de défense : le resserrement et le maintien
des structures collectives traditionnelles éprouvées par une longue histoire, confirmées par des siècles de mises à
l’épreuve et embellies par la légende.
LA PROPRIgTe
Chez toutes les populations du bassin du Logone, la notion de propriété est essentiellement liée au droit d‘usage.
Par définition, la terre appartient momentanément à celui qui la vivifie. En général, c’est la mise en culture en mil
qui crée le droit de propriété. Que la mise en valeur soit faite par une seule famille ou qu’elle soit collective au niveau
du quartier ou du village, la propriété dure aussi longtemps que la vivification. Que la famille ou que le groupe se
déplace, et la terre redevient disponible pour ceux qui restent ou pour de nouveaux venus. Mais le fait est extrême-
ment rare dans le système coutumier. En effet, les liens sacrés établis entre un clan, une tribu avec le sol ne sont
jamais rompus. Chaque groupe ethnique se développe dans une aire bien déterminée sur laquelle il se sent chez soi.
Ainsi que l’a dit M. SORRE: (( I1 a conclu une alliance solennelle avec les divinités du sol sur lequel il est installé.
Un lien religieux l’unit à la terre. La fécondité des champs dépend des puissances surnaturelles qu’il rend propices
par des sacrifices, dont il enchaîne la volonté par des charmes. )) Si la rareté des terres entraîne une sécession dans le
groupe, la fraction migratrice en quête de nouvelles terres aura à se concilier la bienveillance de nouvelles divi-
nités, mais la fraction qui demeure sur l’ancienne aire tribale se répartit les terres laissées vacantes. Dans le cas
très rare d’abandon des terres par la totalité du groupe, tout nouveau venu peut les vivifier et par ce geste en
devenir le nouveau propriétaire.
Nous avons vu que la propriété des arbres utiles, conservés lors des défrichements était collective. Cette pro-
priété est liée à l’occupation du terrain par une famille ou un clan. Si cette occupation cesse, un nouvel occupant
(famille ou clan) peut recueillir la propriété.
On peut donc parler plutôt d’un droit d’usage que d’un droit de propriété, faculté de posséder et de vendre
des terres. L’individu, ici, a le droit de jouissance de la terre, mais il n’en a pas la libre disposition, droit éminent qui
revient à la communauté (clan ou famille 1. s.).
i9
142 JEAN CABOT
Les conditions naturelles et la structure des groupes donncnt à ce droit d’usage des formes diverses que nous
allons étudier.
Limites et transrnission d u droit d’usage. - I1 est généralement impossible d’avoir une idée précise de la façon
dont les groupes le plus anciennement installés se sont fixés sur leur terroir. Le recours à la mémoire des anciens
ne permet d’accéder qu’à des récits de filiations, relativement unanimes jusqu’à six, sept, voire parfois dix généra-
tions antérieures. Lorsqu’on aborde le problème précis de l’installation de l’ancêtre fondateur, le récit prend, à
peu près dans tous les cas, la même allure de légende. Mais le point le plus curieux de toutes ces évocations réside
dans le fait que l’ancêtre du clan ou de la tribu ne s’est jamais installé sur une terre inoccupée. C’est tantôt un
valeureux chasseur adopté par les populations satisfaites de la provende qu’il leur procure (légende de Léré-Moun-
dang), ou un guerrier égaré qui épouse (( les filles )) d’un paysan déjà installé (légende des hlassa Wallia), ou encore
un (( poyoum )) (promeneur) capturé par une famille dont il devient d’abord l’esclave avant d’épouser l’une des
filles (légendes des tribus Massa-Bongor et Massa-Bahiga).
Au fur et à mesure de l’accroissement démographique des clans, de leur fractionnement e t de leur expansion
dans la région, la délimitation des terroirs pose un problème important. La descendance d’un même ancêtre commun,
connu de tous les membres du clan (Vououna en hlassa, Kaouboro en Toubouri, Gro en Marba, Dégué-bedjé en
Gambaye), occupe sa terre (Nagada vanou en hlassa, Andagara en Marba, Do nang en Gambaye) (1).
Cette terre de clan n’a de limite précise - matérialisée par un alignement d’arbres, une mince bande de terres
non défrichées, parfois une simple levée de terre - qu’en cas de voisinage proche d’un autre clan. La conscience
de cette limite devient alors très claire puisqu’elle se définit par plusieurs appellations : en Massa, par exemple,
elle s’appelle (( Damna 1) (comme la limite des simples champs), mais on précise (( Damna sinena vanou I), elle fixe
le K Bourounda 1) (le partage), la (iBetna 1) (division), elle représente le (( Djara 1) (ce qui est entre). NIais la nécessité
d’une telle délimitation n’existe vraiment que sur les terres où le peuplement est très dense (buttes et bourrelets
cernés par l’inondation, bordure nord du koro de Bénoye).
A l’intérieur de la terre du clan, chaque famille définit, à son tour, son aire de cultures. La primauté du champ
de case sur tout autre type d’exploitation, l’habitude de résider au centre des terres cultivées par la famille abou-
tissent à une apparence de propriété effective. rétablissement ancien des familles Massa sur les terres de Bongor
et de Yagoua fait qu’elles considèrent ces terres comme propriété personnelle et même comme terre sacrée. Igor
D E GARINEdéfinit très heureusement le champ de case (( A la fois un jardin, un cimetière e t un autel familial 1) (2).
Mais, en fait, la propriété cesse avec l’occupation ou l’arrêt définitif de la mise en valeur, cas extrêmement rare.
Les terres déjà cultivées se transmettent par héritage à la mort du père ; elles vont au fils aîné ou, s’il est trop
jeune, au frère du défunt. Le nouveau chef de famille se doit d’attribuer une parcelle de ces terres à chaque membre
du groupe continuant vivre dans la cellule familiale. (I1 arrive, en effet, que certains frkres cadets, déjà mariés,
quittent le groupe à la mort du père ; il leur appartient, et à eux seuls, de trouver une terre libre dans l’aire du
clan.) En fait, le nouveau chcf de famille se borne à confirmer le droit d’usage des terres que chacun cultivait aupa-
ravant.
Si le cultivateur meurt sans héritiers directs ni collatéraux, ses terres redeviennent disponibles pour la commu-
nauté (ses veuves, cependant, conservent leurs champs aussi longtemps qu’elles ont la force de les cultiver). Les
terres ainsi tombées dans la propriété collective peuvent être attribuées à de nouveaux venus ou à une famille voi-
sine à l’étroit sur ses terres, ou encore à un ménage quittant le sina patriarcal.
Un nouveau venu, étranger au clan, (( Sa ma poulla )), peut s’installer sur la nagada - aprks accord du chef
de terre - sans sacrifice spécial ; mais il doit s’associer (selon ses rites) aux sacrifices saisonniers faits lors des
semailles, des récoltes, des pêches éventuellement.
En général, le chef de famille possède la parcelle la plus grande e t la plus proche du sina. Il est aidé par ses fils
dans les travaux de houage et de sarclage. La récolte de ce champ est engrangée dans son silo, le plus important de
la ferme, silo dont le contenu subviendra aux besoins de toute la famille lorsque les autres récoltes seront épuisées.
Chaque femme en état de le faire cultive aussi une parcelle, aidée de ses filles. La récolte sera ensilée dans son gre-
nier personnel. Elle y puisera pour préparer les repas destinés à ses enfants, à elle-même et, suivant une rotation
établie entre les femmes, au père.
Les fils en âge de cultiver eux-mêmes une parcelle ouvrent leur propre champ, jointif à ceux des autres membres
de la famille. Les filles ne reçoivent pas de parcelle individuelle avant le mariage ; par contre, une divorcée revenue
dans sa famille reçoit un lopin individuel.
(1) Enquêtes faites de 1954 à 1963 auprhs des chefs de terre, chefs de villages et agriculteurs des diffbrents groupes ethniques du bassin.
( 2 ) Le champ de case constitue la partie bénéfique de la nagada a harrnonisCe Y par la présence des ancêtres morts. 11 est en accord p avec
les descendants de ceux qui l’on défriché initialement et s’oppose B la brousse (FIILLA) qui est considBr& comme l’aspect négatif, dangereux, non
civilisé de la terre. I. de GARINE,$ 8 P. Ch IV.
LE BASSIN DU MOYEN L O G O N E 143
Lorsque les terres sont assez étendues, comme c’est le cas sur la butte sableuse de Bedem-Ourkila, au nord
de Koumi, l’habitat dispersé à semis très lâche est la règle, car le Massa répugne à se grouper en quartiers compacts
et préfère à la vie collective sa solitude au milieu de son champ. Dans ce cas, le (( champ de case 1) est la seule terre
mise en valeur par la famille. Ce n’est qu’avec l’apparition des cultures imposées que de nouvelles parcelles éloi;
gnées des cases ont été mises en culture.
Mais lorsque l’habitat se resserre sur une butte, lorsque le fractionnement de la famille originelle en plusieurs
sina impose la limitation des champs de case devenus jointifs, la recherche de nouvelles buttes à mettre en culture
devient nécessaire. L’opération peut alors se faire par va-et-vient quotidiens sans déplacement du sina. Mais, si
la nouvelle butte est trop éloignée, un certain nombre de familles issues du fractionnement d’un sina patriarcal
vont s’installer au milieu de leurs nouveaux champs de case. La propriété reste liée à la durée du séjour de la famille
et à la mise en culture permanente. Le jour o Ù le sina est déplacé, les terres ne restent la propriété de la famille
que dans la mesure o Ù celle-ci vient encore les cultiver. Sinon, un nouveau sina peut venir s’installer, le droit d’usage
passe alors aux nouveaux occupants.
La notion de propriété personnelle apparaît plus nettement sur des champs séparés de l’habitation, comme
c’est le cas pour les champs de décrue. Leur extension est limitée par un morcellement et une appropriation bien
précis, tout au moins chez les Toubouri. A Mouta (Fianga), le droit d’utilisation de ces terres prend un caractère
de possession familiale très prononcé. On voit même apparaître la notion de location (un cabri par an pour un demi-
hectare environ). Un aspect nouveau de la propriété est donc en train de naître ici avec la liberté de louer son champ.
Néanmoins, cette liberté ne s’étend pas au droit de vente, car le bénéficiaire passager du droit familial d’usage n’a
pas le droit d’aliéner la terre de ses héritiers.
Tous les champs de décrue ne sont cependant pas soumis à ce régime. A Léré (Moundang), la répartition des
terres obéit à la fois à l’héritage patrilinéaire et à la libre disposition des terres vacantes. L’emplacement de l’habi-
tation est fixe dans un système d’implantation par gros villages concentrés. Dans chaque quartier, le peu de place
laissé libre entre les cases constitue un champ très réduit inséparable de l’héritage des constructions. En revanche,
les champs de bordure des lacs échappent B une distribution ordonnée. Tout en étant inclus dans l’héritage familial,
ils ne correspondent pas à un partage de l’espace conforme à la répartition par quartiers. Des habitants de quartiers
différents peuvent très bien être voisins de champs de décrue. Le seul critère qui préside à leur choix et à leur
première mise en culture répond à leur fertilité. Cette fertilité, remise en jeu par l’épandage d’alluvions sableuses
descendues de l’environnement montagneux du lac, impose des déplacements sur les terres de décrue. I1 ne semble
pas, pour l’instant, que le manque de ces terres pose un problème.
Ainsi se définit le droit de propriété - droit d’usage sur les terres de culture permanente e t familiale. Chaque
cultivateur vivifie, année après année, toujours la même parcelle, tant que dure l’implantation de la famille en un
même lieu. Un départ définitif ouvre immédiatement la vacance des terres, réutilisables par une autre famille après
accord du chef de terre.
I1 n’en va pas de même sur les terres sableuses exondées du sud du bassin, où le défrichement et la préparation
des champs sont généralement collectifs. Traditionnellement, villages e t quartiers se déplaçaient librement à la
recherche de nouvelles terres de culture, s’imbriquant les uns dans les autres sans aucune gêne. Sans doute existait-il
des chefs de terre avec lesquels il fallait s’entendre au sujet des rites religieux à accomplir pour satisfaire les génies
du sol, mais cela n’avait rien à voir avec le droit de propriété. Ainsi que nous l’avons dit, chaque quartier amorçait
sa migration sur de nouvelles terres par une année de défrichement e t de culture sans grosses exigences (sésame),
tout en continuant de cultiver les champs anciens auprès desquels le quartier ou le village était encore installé.
L’abandon de ces anciens champs rendait le sol à la reconstitution d’une jachère arborée. Quelque clan nouveau
venu pouvait se réinstaller sur cet ancien emplacement dix ou quinze ans après, à moins qu’un déplacement circu-
laire n’y ramenât ses anciens occupants. La situation n’a guère changé sur les koros où le peuplement reste faible.
Généralement, le regroupement et la fixation des villages le long des routes ont entraîné la K descente )) des quartiers
la périphérie des koros, mais les terres de culture restent à leurs anciens emplacements et les cultivateurs doivent
parfois s’éloigner de 10 à 15 km lorsque le déplacement des champs nécessité par les jachères les éloigne fortement
des villages. Bien que l’ouverture de nouvelles routes sur les koros ait facilité l’installation de nouveaux villages,
celle-ci reste limitée par l’impossibilit6 de creuser des puits assez profonds pour atteindre la nappe. Peu à peu,
cependant, les terres des sommets des koros sont gagnées à la culture et les (( finages 1) des villages tendent à devenir
jointifs dans le cadre de très longs cycles de culture e t de jachères.
A l’intérieur des communautés, les travaux de défrichement sont collectifs. Chaque cultivateur est ensuite res-
ponsable des cultures de sa parcelle jusqu’au retour des terres à la jachère. Lors de la remise en culture d’une
ancienne jachère, les cultivateurs ne retrouvent pas forcément les parcelles qu’ils avaient cultivées les années précé-
dentes. D’autant moins que la distribution des soles n’a rien de rigoureux, la délimitation des zones à défricher
étant surtout fonction de l’état de reconstitution de la végétation. C’est le chef de terre qui apprécie s’il est bon de
144 JEAN CABOT
défricher telle ou telle zone. Il le fait suivant les rites prévus par la coutume. E n principe, chaque village a son
propre chef de terre. Il arrive cependant que plusieurs villages issus de la sécession d’un groupe trop dynamique
conservent obédience A un chef de terre commun. Celui-ci assure la distribution des parcelles, qui reste valable
jusqu’à la remise des terres en jachère. Tous les membres d’une même famille travaillent une parcelle d‘un seul
tenant dont la superficie est calculée en fonction du nombre d’adultes en état de travailler. Lorsque les terres sont
sufisantes, les parcelles familiales n’ont d’autre limite que celle de l’ardeur au travail des intéressés.
Sur le plateau de Sar et autour de Bénoye, l’augmentation de la densité de la population, l’accélération de la
remise en culture des jachères, la dégradation consécutive des terres entraînent la prise de conscience par les collec-
tivités des limites de leur domaine agricole. L’introduction de cultures commercialisées n’a fait qu’accroître la gra-
vité du problème. Des contestations entre villages naissent chaque année, car les domaines de cultures sont devenus
jointifs et aucun d’eux ne permet plus d‘assurer une rotation correcte entre les cultures et les jachères. Certains
points du plateau de Sar ont des sols tellement dégradés qu’ils ne méritent même plus ce nom, le cuirassement
a été mis à nu et certains secteurs n’offrent plus de possibilités biologiques pour qu’un recru ligneux puisse s’y
ancrer (1).
Le droit de propriéte au sens ou l’entendent et le pratiquent les populations agricoles du bassin du Logone
est donc resté très nettement un droit d’usage. Le seul but recherché par ce droit était à l’origine de produire
suEsamment de grains pour permettre la subsistance de la famille d’une année à l’autre. Avant l’introduction du
commerce colonial, tous les habitants du pays produisaient approximativement le même type de récoltes. Les
échanges étaient donc limités aux besoins de complément, en période de soudure, entre paysans démunis. Cette
économie de type communautaire familial a duré jusqu’à l’introduction des cultures imposées destinées à l’expor-
tation. Si l’on tient compte du faible rapport de la culture du coton, on peut considérer que pour l’ensemble du
bassin les conditions de vie du paysan n’ont guère changé. Les niveaux de vie diffèrent peu de ce qu’ils étaient
il y a un demi-siècle. G. SAUTTER note justement que (( d’une façon générale, l’emprise collective sur la vie agricole,
au niveau de la famille, du village ou du clan, tend à freiner les tentatives individuelles pour cultiver davantage
ou gagner plus d’argent : c‘est une entreprise délicate et pleine de périls dans une communauté que d’acquérir des
biens si ce n’est pour les redistribuer aussitôt, ou de garder ses greniers pleins quand les voisins ont faim. )) (2)
Mais, par contrecoup, l’absence de surplus résultant de l’impossibilité d’en écouler de grosses quantités a épargné
la société Kirdi du recours à l’esclavage, au métayage ou au salariat. (( A l’absence de tout durproduit correspond
à la fois la nécessaire solidarite des membres du groupe social, qui sont toujours à la limite des possibilités de
survie, et l’impossibilitk de l’exploitation de l’homme par ‘l’homme )I (3).
Néanmoins, les populations Kirdi des plaines du Logone avaient su adapter leurs cultures aux nécessités
vivrières en fonction des possibilit6s du milieu. Comment ne pas s’étonner des densités humaines rencontrées
autour des lacs, le long des rives du Logone, sur les cônes de déjection des mayos du Mandara, si l’on ne tient pas
compte de l’habileté avec laquelle les Toubouri et les hfoudang, imitant sans doute les Foulbé, avaient su tirer
parti des terres lourdes argileuses des dépressions pour y cultiver du mil de décrue, de la patience des Massa créant
une culture de case semi-intensive pour accroître les rendements du mil rouge, de la capacité de défrichage des
Gambaye obligés d’étendre et de varier leurs cultures de saison des pluies pour pallier l’ingratitude de leurs terres.
En vérité, l’homme démuni du monde soudanais a su faire la preuve de ses facultés d’adaptation et de sa capa-
cité d’effort dans le cadre de ses propres besoins. Que ces méthodes adaptées au milieu aient contribué à figer
les structures sociales, rien n’est plus compréhensible.
Toutes les contraintes collectives nées des conditions d’exploitation de la terre, de la nécessité pour le groupe
de rester soudé, en grandes unités, pour faire face aux caprices des récoltes, pour résister aux entreprises des voisins
pillards, tout a contribué au maintien de structures sociales communautaires. La famille patriarcale, le système
gentilice, se maintient dans la sociélé Kirdi depuis les origines de Ia société agraire soudanaise. Lorsque les conditions
de culture permanente ou semi-permanente n’exigent pas le maintien de grands groupements plus ou moins concen-
trés, la dispersion des familles n’efface pas les liens que renouent les pêches collectives, les chasses de clan ou de
village, le gardiennage en commun des troupeaux. C’est le cas chez les Massa, les Toubouri, les Mousseye, les Moun-
dang. Plus au sud, l’habitat de clairière, le défrichement collectif, la chasse, à défaut de la pêche collective, imposent
le maintien du groupement en quartiers, en villages.
Si le Tapourandal Gambaye semble aujourd’hui plus soudé à la collectivitt, villageoise que le Sina de l’indivi-
dualiste Massa, les deux types de famille patriarcale maintenus par la survivance en plein xxe siècle d’une économie
communautaire primitive recouvrent un m6me système d’exploitation collective de la nature. L’existence de ce
système à caractère collectif, le caractère collectif de l’usage des terres, la limitation du droit d’usage à la possibilité
de vivification par le cultivateur lui-même (OU sa propre famille) sont autant de points précis sur lesquels une mise
en valeur volontaire du pays aurait pu ou pourrait prendre appui. Leur permanence a maintenu intactes les struc-
tures sociales traditionnelles encore observables dans la plupart des groupes ethniques.
l’autre ( K Sina )) des Massa, (( Djarbi 1) des Toubouri, (( Pitchélé 1) Moundang, (( Ya1 1) des Kim, (( Tapourandal 1) Gam-
baye). Pour faciliter l’expression, nous utilisons souvent le terme de (( ferme )) lorsque nous avons B parler de l’enclos
familial d’une façon générale et non le terme européen de (( concession 1) qui traduit très mal la libre détermination
par laquelle un chef de famille choisit l’implantation de sa ferme sans besoin aucun de se voir (( concéder )I par qui
que ce soit l’espace nécessaire.
Le fractionnement de la famille patriarcale a lieu lors de la disparition du dernier aïeul commun. Les familles
restent parfois sous la dépendance de l’aîné de la génération suivante, mais la pratique la plus courante est l’écla-
tement du groupe en autant de fractions qu’il se trouve de fils mariés. Les frères célibataires restent sous la dépen-
dance de leur aîné.
L’examen de quelques Jégendes recueillies auprès des anciens des villages ou des clans permettra de préciser
cette structure :
l b é :la fondation du village est attribuée à un Gabri nommé Gar ou Garap (frère du fondateur de Bousso).
L’éclatement de la famille de Gar isa mort a donné naissance Li deux yal familiaux qui, par fractionnements pro-
gressifs, ont donné les dix quartiers actuels.
Kim : la fondation est attribuée à plusieurs familles (Poséi, Gamar, Korpe) restées d’abord groupées en un
seul quartier. hfais les ya1 familiaux en s’accroissant sont devenus eux-mêmes des quartiers descendant d‘un même
ancêtre : les Yadin. Au nombre de sept aujourd’hui, les yadin ont gardé le nom des fondateurs.
I Lallé (Toubouri) : le clan ou Kaori est constitué par deux ou trois quartiers (Djémolé) issus d’un ancêtre
commun. L’interdit de mariage est de ,règle à l’intérieur du kaori. Chaque djémolé eut constitue de plusieurs Timini,
familles patriarcales placées sous l’autorité d’un arrière-grand-père ou d’un grand-père (elle prend alors le nom
de (( hlonribi 1)). La famille à deux générations ou (( Djarnini 1) vit rarement à part ; elle est le plus souvent incluse
dans le Monribi ou le Timini.
A Wayanka, village Massa, chacun des quatre quartiers se réclame d’un ancêtre commun dont le nom s’est
perpétué ou non : Anadama regroupe les descendants de Gaoulo ; Away, ceux d’bssoumafaraye ; Atolcoldi a gardé
le nom de son fondateur j Tlaga groupe les descendants de Kodi, ancêtre commun aux quatre quartiers. L’interdit
de mariage est de règle à l’intérieur des quartiers, mais non entre eux.
Chez les Massa et les Toubouri, la dot consiste essentiellement en bovins - 9 à 12 vaches sont une dot cou-
rante - qui ont t ô t fait de changer à nouveau de mains. Cependant, si certains animaux meurent trop rapidement,
le père peut reprendre sa fille, celle-ci pourra être à nouveau mariée, contre une dot moins élevée. L’épouseur
ne peut prétendre à vivre avec sa Iemme que lorsque les deux tiers au moins du nombre de vaches convenu ont été
donnés au beau-père. Le premier souci de tout jeune homme qui envisage le mariage est donc d‘acquérir un nombre
de vaches sufisant pour prendre parole avec la famille de la fille qu’il convoite.
. Chez les Mousseye, la dot s’acquitte en chevaux, ovins e t caprins (8 à 10 chevaux e t quelques chèvres). Le
paiement peut s’effectuer par moiiié au moment du mariage, le reste peut être versé à la naissance du premier
enfant. Les chevaux acquis par ce moyen servent à nouveau de dot pour le père ou pour l’un de ses fils. En cas de
désaacord dans le ménage, la femme peut retourner chez ses parents. La dot doit alors etre remboursée intégra-
lement.
En pays Gambaye et Mbaye, la dot se règle en provisions de consommation, en petits animaux, en objets d’uti-
lité domestique. Mais I’évolution rapide des mœurs fait de plus en plus de la dot un simple monnayage en espèces.
La recherche du fer à battre a’longtemps favorisé les clans logés à proximité des cuirasses ferrugineuses. Chez
les Pévé et Djimé de la region de Pala, la dot consistait en petites boules de fer obtenues par traitement au feu des
cuirasses. On peut considérer comme certaine l’accélération du démantèlement des falaises de grès ferrugineux
de la région par cette pratique.
Interdits de mariage. Exogamie. - Les interdits de mariage se maintiennent assez longtemps dans les groupes
jusqu’aux 78 et Se gknérations. En effet, le (( Sina 1) Massa, le (( Ting I) Toubouri, le (( Tapourandal 1) Gambaye, le
(( Pitchélé 1) Moundang abritent trois, parfois quatre générations. Les familles ayant récemment pris leur autonomie
à l’éclatement d’un groupe €amilial ne représentent qu’un degré dans l’éloignement collatéral. Le vieux chef peut
se remémorer ainsi deux ou trois éclatements du groupe depuis sa jeunesse. Les deux ou trois générations qui
sont sous son autorité e t les descendants des deux ou trois générations avec lesquelles il a été élevé e t a vécu repré-
sentent à ses yeux la (( lignée 1) à l’intérieur de laquelle il ne peut autoriser aucun mariage. L’exogamie, qui est
donc la règle générale, a favorisé depuis toujours les croisements de clans et de tribus au hasard des alliances défen-
sives ou des alliances offensives aboutissant au rapt de femmes. L’exemple le plus frappant de ces mélanges de
groupes ethniques est celui des villages du fleuve (Kossop, Kabalaye, Hunar). Si l’on remonte tant soit peu dans
l’échelle des générations, on découvre que ces groupes qui s’enorgueillissent de leur cohésion ont les origines les
plus mêlées qui soient. Ancêtres Gabri, Mousseye, Massa, Kabalaye sont à l’origine de la création des villages.
I1 est paradoxal de constater que la notion de village, la notion de cohésion entre quartiers n’existent réellement
que dans ces groupes ethniquement hétérogènes. (( Dans le village ainsi constitué, la solidarité fondéc sur les liens
du sang passe au second plan : la solidarité essentielle est celle qui découle de la communauté du terroir, de sa mise
en valeur et de sa défense collective )) (1).
Dans les tribus restées homogènes, les appellations utilisées dans la parentèle mettent en évidence une absence
de distinction dans la descendance des frères et des sœurs. Les neveux appellent (( père 1) le frère de leur père ;
entre eux, les enfants de frères ou de sœurs s’appellent du même nom que celui qu’ils utilisent avec leurs véritables
demi-frères, ne distinguant qu’entre demi-frère paternel e t demi-frère maternel.
Prenons, par exemple, les termes utilisés par les Massa de Bongor : les frères issus d’un mbme père et d’une
même mère s’appellent entre eux N’Boussouna j s’ils sont issus seulement du même phe, ils deviennent entre eux
Gorbouna, mais s’ils sont issus de la même mère ils sont N’Boussounsouna. L’oncle paternel est appelé père par ses
neveux, qu’il appelle (( fils )) (Gormanna) et (( fille 1) (Gormanda). Les germains issus de frères ou de sœurs s’appellent
entre eux K frères de père )) (Gorbouna) ou (( frères de mère 1) (N’Boussounsouna),tout comme de véritables demi-
frères.
Faut-il voir dans le maintien de ces appellations la survivance d‘anciennes pratiques de (( mariages
par groupes 1) (2), tels que ceux dont H. LABOURET a trouvé la trace chez les Lobi (3) ?
Rien ne permet ici de l’affirmer j le système patriarcal, base de la société Kirdi, étant solidement établi et lui-
même d&jàen voie d’évolution par les contradictions qu’il engendre.
En année de production normale ou supérieure à la moyenne, la part de récolte ensilée dans le grenier du
chef de famille - ultime recours en cas de disette - n’a pas l’occasion d’être consommée, puisque les repas quoti-
diens sont préparés à partir des récoltes ensilées dans les greniers des femmes. On peut donc considérer que la récolte
du chef de famille, qui, ces années-là, ne contribue pas à l’alimentation communautaire, représente un (( surproduit B
dont le père seul tirera profit, alors qu’il a partagé les récoltes des autres membres de la famille. Ce surproduit,
destiné selon les groupes à l’achat de bétail ou de pièces d’étoffe, aboutit en fin de circuit à l’accroissement de la
famille par un nouveau mariage de son chef ou de l’un des fils. I1 s’agit donc d’une exploitation d’un caractère bien
particulier, puisqu’elle se solde finalement par l’augmentation de la force de travail du groupe.
Cependant, cette pratique fait naître des contradictions qui avaient commencé à ébranler les structures patriar-
cales traditionnelles avant même que I’économie coloniale soit venue accélérer la décomposition des anciens rap-
ports économiques et sociaux. En effet, certains chefs de famille pouvaient refuser de consacrer leurs nouvelles
richesses au paiement de dots en faveur de leurs fils. Lorsque ces derniers étaient déjà dgés (et l’on devient vite un
vieillard en Afrique), ils supportaient de plus en plus diEcilement la contrainte familiale et cherchaient à se consti-
tuer par eux-mêmes une dot. C’est sous cette optique qu’il faut expliquer les séjours de jeunes Massa sur les plan-
tations de (( berbéré )) de leurs anciens ennemis Foulbé, sorte de (( navétanes )), aujourd‘hui relayés et amplifiés avec
les déplacements de phheurs vers le confluent Logone-Chari, les départs de Kim vers les mines d’étain de la région
de Jos en Nigeria, le placement des Gambaye comme boys dans les centres urbains. Autant de moyens, amplifiés
par le développement commercial consécutif à la pénétration coloniale, qui permettent aux jeunes gens d’échapper
aux contraintes du groupe, de se constituer une cassette personnelle sur laquelle ils pourront commencer de payer
une dot. A leur retour, ils s’installent hors de la ferme paternelle, rompant avec la coutume de cohabitation patriar-
cale.
Certes, ce mouvement d’évolution ne faisait que s’amorcer a u début de ce siècle, mais il a été accéléré par
toutes les occasions d’évasion du groupe, volontaires ou involontaires, que l’occupation européenne est venue
apporter dans le pays. Nous aurons à y revenir.
Le libre droit d’usage des terres, l’organisation familiale de leur exploitation, l’dchange des femmes entre clans
voisins pour assurer leur descendance ne font qu’un avec le système économique ancien, entièrement centré sur la
production vivrière nécessaire au groupe restreint. De même, les cultes, les cruyances et les cérémonies destinées
à les célébrer restent étroitement attachés au monde restreint de la société familiale et clanique et à son système
économique étroitement limité à la consommation des produits de la terre, de la pêche, de la chasse ou de la cueil-
lette : les sacrifices se font aux génies de la terre que l’on travaille, de l’eau dans laquelle on pêche j le décès d‘un
chef de famille entraîne l’abattage d‘une partie de son cheptel ; l’éducation des jeunes gens repose entièrement
sur les besoins de tous les jours. Tout se tient dans cette société dont les manifestations religieuses expriment les
limites d’un monde sans contact extérieur, soumis au retour régulier du cycle de saisons opposées (1).
Les populations du bassin du Logone sont animistes. Elles s’opposent en cela aux voisins Foulbé ou Baguir-
miens, islamisés de longue date et qui les désignent en bloc sous le vocable péjoratif de (( Kirdi (païens) ou de
(( Kado )) (esclaves).
Les Kirdi vénèrent un grand nombre de divinités dont il faut savoir s’attirer les faveurs. L’ignorance des causes
premières de tous les phénomènes qui frappent l’imagination aboutit à l’adoration d’esprits supérieurs, maîtres de
la pluie, des mystères de la germination, des crues du fleuve. Des sacrifices rituels permettent de se concilier leur
bienveillance et des prêtres sont spécialement commis à ce service. Ces chefs de terre, chefs du fleuve, chefs des
récoltes...,sont les seules autorités dont l’influence puisse à certains moments de l’année supplanter celle des chefs
de famille. Cependant, leurs compétences, strictement limitées, ne sauraient en aucun cas aboutir à I’établissement
d’une chefferie de caractère territorial, politique ou religieux.
Le chef de terre est traditionnellement choisi dans la descendance des premiers occupants des lieux censés avoir
établi un accord avec les génies locaux : accord par lequel ceux-ci garantissaient aux fondateurs non seulement le
droit d’usage du terroir (2), mais aussi la certitude de bonnes récoltes, à la condition que les sacrifices rituels soient
scrupuleusement accomplis. Transmis par voie héréditaire, le détail des gestes rituels exigés constitue le secret du
chef de terre, secret qui lui vaut le respect de ses (( frères de race I), mais également du conquérant éventuel qui
n’ose rompre le lien avec les génies protecteurs.
(1)Cf. A. VARAGNAC1948.
(2) La x NAGADA
Y des Massa.
L E BASSIN D U MOYEN LOGONE i49
En fait, les attributions du chef de terre se bornent le plus souvent à un rale de conseiller que l’on consulte en
cas de litige sur la répartition des terres entre habitants d’un même terroir. C’est lui qui indique aux nouveaux venus
les portions de terre non encore vivifiées ou retombées dans le domaine public où ils peuvent s’installer. Dans les
régions où la jachère est pratiquée, c’est lui qui décide de l’année où les cultures pourront être reprises.
D’autres officiants s’accordent avec le chef de terre pour célébrer les sacrifices requis pour une bonne germi-
nation, pour une bonne épiaison. On pourrait les appeler chefs des cultures ou chefs des récoltes, mais ces titres
seraient bien pompeux pour une fonction qui ne les occupe qu’une fois l’an.
De même les lieux de pêche, rivières et marigots, ont leur sacrificateur, qui doit oficier avant les p6ches collec-
tives organisées à dates fixes dans l’année.
Les sacrifices sont modestes : poulet égorgé dont le sang arrose la terre, œufs jetés dans le fleuve, nourriture et
boisson abandonnés sur des emplacements traditionnels dédiés aux génies ou aux esprits des ancêtres.
Les différents prêtres sacrificateurs ont le lourd devoir de rendre favorables à la collectivité les esprits attachés
aux différents domaines dont ils ont la charge. I1 est nécessaire que les sacrifices soient suivis d’effets concluants,
à brève échéance, sinon il faut invoquer les esprits mauvais qui contrecarrent les efforts des génies bienfaisants.
Car l’âme des méchants peut encore se manifester après la mort en donnant de mauvaises récoltes, en retardant
les pluies, en favorisant les destructions de récoltes (1)(sauterelles, Bléphants).
Chez les Moundang, chaque individu possède sa divinité (( hlasseign I), son esprit (( Tché 1) qui lui survit après la
mort en se réincarnant dans un de ses descendants, dans un animal, dans une plante. Les Moundang distinguent
une infinité de N Masseign N. Le dieu lare de la famille est a hfasseign Biané n. I1 récompense ou punit la famille,
accorde et retire la vie. Si une personne de bien meurt, la famille fait des sacrifices à K Masseign biané 1) pour qu’il
accorde au (( Tché 1) du défunt de revivre à nouveau parmi les siens. Fait assez rare chez les peuples de la région,
les Moundang possèdent des mannequins Masounounri conserv6s dans le (( bois sacré 1) à Léré. Ils sont promenés
dans la foule à l’occasion des cérémonies qui marquent la fin de l’école de brousse des jeunes.
Les Djimé de la région de Pala respectent le lézard margouillat (( Poulcourou )). Cette protection semble un loin-
tain héritage de totémisme. Celui qui mange le margouillat verra sa peau devenir rugueuse. Certains arbres sont
également respectés lors des défrichements : les (( Baous D, au pied desquels sont faits les sacrifices aux mânes des
ancêtres.
Les Massa et les Mousseye distinguent le dieu bon : Laona, qui s’occupe du bien de tous et punit les méchants
par le feu, et les dieux mauvais, Foulianas, que l’on doit se concilier par des sacrifices. L’esprit des méchants hommes
peut survivre e t venir causer des tourments aux vivants ; on doit empêcher le retour de ces mauvais esprits, surtout
à l’occasion des cérémonies funéraires.
Les féticheurs ne sont pas aimés chez les Kirdi du Logone ; en général, ils sont chassés, parfois mis à mort si
l’on suppose qu’ils ont jeté des sorts maléfiques. La superstition est fort répandue et les mauvais esprits sont conjurés
par le sacrifice d’objets auxquels l’on tient beaucoup e t qui sont alors brûlés ou jetés dans le fleuve.
Cependant, la divination est assez courante chez les Massa. Le devin (( Sonsa toun graida 1) tire ses prédictions
d’une espèce de (( réussite 1) réalisée avec des tessons de poteries : le (( Graida 1). On fait appel 4 ce procédé pour
éclaircir les causes d’une maladie, d’une mauvaise récolte, pour demander Conseil. Mais le devin n’a aucun pouvoir
magique, il est un oracle et non pas un sorcier (2).
Le système de divination Sara, le (( Worr N,recense tous les ((Yo)), force qui donne la mort, les lieux et les raisons
de leurs agissements, en même temps que les façons de les apaiser, c’est-à-dire les offrandes à faire. Ce Worrpeut
avoir de 200 à 500 figures selon les cas ou les (( géomaiiciens )) (3).
Cérémonies funèbres. - Chez les Massa, les cérémonies funèbres sont de véritables manifestations collectives.
Elles durent, en général, plusieurs jours et entraînent force consommation de bétail. Les lamentations de la famille
commencent parfois avant que la mort soit intervenue. Les femmes de la parentèle s’enduisent le visage de cendres
ou de boue et commencent à se lamenter. Les proches voisins viennent se joindre àla famille, e t une mélopée lugubre
résonne à travers champs. Peu à peu, tous les parents et amis arrivent et se joignent au concert de lamentations,
Les hommes se mettent à tourner au petit trot autour de l’enclos, bâton de cérémonie sur l’épaule, en scandant
toujours le même chant funèbre. La rotation a lieu dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Les femmes
suivent le groupe des hommes en pleurant. Soudain, tous les participants font volte-face, les hommes brandissent
leurs bâtons, les femmes redoublent leurs cris, puis, reprenant leur ronde, tous recommencent à tourner en se lamen-
tant. I1 s’agit ainsi d’éloigner les mauvais esprits qui rôdent, de les surprendre dans leurs tentatives et de les empê-
cher d’emporter l’esprit du défunt qui doit rester avec sa famille.
(1)N Les sociétés archaïques font dépendre leur subsistance et leur survie, d’échanges entre le monde des vivants et le monde des morts, ces
échanges étant rhgléa, favorisés ou symbolisés par des cérémonies saisonnikres D. A. VARAGNAC, 1948, p. 248.
(2) J. J. MOUCHET.
(3) R. JAULIN, 1958.
950 JEAN CABOT
Le corps est, en général, enterré dans l’enclos familial, ou, lorsqu’il esiste, sous l’arbre des morts : (( Goussoum
matna )).
Dans les villages ceinturés d’eau de toutes parts en période de crue (Éré, Kim), les morts sont ensevelis dans leur
propre case.
A l’occasion du décès, des bêtes sont sacrifiées pour nourrir les assistants. Chez les Massa et les Toubouri, il
se trouve toujours quelques bovins à abattre, les bêtes malades d’abord. S’il s’agit de la mort d’un grand chef de
famille, les cérémonies durent très longtemps, parfois une semaine, et le nombre des bêtes abattues peut dépasser la
demi-douzaine. Chez les populations qui n’élèvent pas de gros bétail, les assistants sont conviés à des festins plus
modestes à base de cabris, de mil et de bière de mil.
Au-dessus des tombes, petits tertres d’argile, sont déposés les objets ayant appartenu en propre au défunt :
armes, peau de cabri vestimentaire pour l’homme, poteries pour la femme. Chez les Mousseye, en pays plus boisé,
les tombes masculines surtout sont surmontées de troncs d’arbres plantés verticalement (autant de troncs que
le guerrier avait abattu d’ennemis). Si le nombre de troncs est élevé, ceux-ci sont disposés en cercle autour de la
tombe.
Des sacrifices sont célébrés sur la tombe ou sous l’arbre des morts. Les chefs de famille président toujours ce
culte des ancêtres (1).
Dans certains clans où les chefferies traditionnelles se sont maintenues face au danger extérieur, des rites spé-
ciaux accompagnent le décès des chefs. Voici, par exemple, le cérémonial suivi chez les Pévé de Badjé :
La nouvelle de la mort du chef est soigneusement cachée à la population. Pour tout le monde, le chef est soit
en voyage, soit alité. En réalité, le soir mbme, sa dépouille est transportée en brousse sur une jument blanche par
les soins du chef de terre et des autres sacrificateurs. I1 est enterré assis, Ia tête dépassant de terre. La fosse comblée
est recouverte d’un toit de paille et laissée ainsi sept jours. Ce délai est mis Q profit pour aller en pays Mboum
(foyer de la tribu Pévé), chercher un jeune garçon et une fillette. Dès leur arrivée au village, ils sont richement parés,
puis gavés et soûlés. Conduits auprès d’une fosse creusée dans le village, ils y sont précipités et enterrés vivants.
La nouvelle de la mort du chef est alors répandue. Les festivités funèbres commencent.
Au bout des sept jours requis, les sacrificateurs retournent à la véritable tombe du chef, ils détachent la t&te
du mort et la transportent chez le chef de terre, où elle rejoint les têtes des anciens chefs. Avec des lambeaux de
chair de cette tête, les sacrificateurs préparent l’huile d’intronisation du successeur.
En fait, cette cérémonie cruelle ne se déroule plus ainsi depuis deux générations de chefs. A la mort de Djo
Laptou, son fils et héritier, Badjé, épousa la fillette Mboum qui devait Stre sacrifiée. I1 en eut un garGon que j’ai
rencontré lors de mon enquête à Badjé.
Chaque année, une grande fête a lieu au début de la saison des pluies : (( Foragoua 1). Les têtes des chefs (2) sont
transportées de nuit dans la case du chef, où un sacrifice a lieu. Les assistants récitent les noms des chefs successifs
et les noms de leurs filles, et demandent à leurs mânes d’accorder au village de bonnes pluies et de bonnes récoltes,
L’enfance de tous les petits Kirdi se déroulait, il n’y a pas encore bien longtemps, en trois étapes bien dis-
tinctes qui les amenaient par passages tranchés du sein materne1 à la vie d’homme. Dans les brousses reculées,
c’est encore ce type d’éducation qui prévaut.
Le nouveau-né passe sa plus tendre enfance à proximité immédiate du sein maternel. Le moindre pleur étant
généralement interprété par la mère comme un signe de grande faim, l’enfant doit pouvoir btre allaité immédiate-
ment. D’où l’habitude d’emmener l’enfant partout : au marché, au champ, à la pêche. Maintenu autour des reins
de sa mère par un sac de cuir orné de cauris (chez les Toubouri), tenu par un bras maternel Q califourchon sur la
hanche (chez les Massa) ou arrimé à l’aide d’un pagne, l’enfant passe ainsi quinze à vingt mois dans l’ombre de sa
mère. Les exigences alimentaires du bébé entraînent une rapide déformation de la poitrine des jeunes mhres. Loin
d’btre tenu pour inesthétique, l’allongement des seins est la preuve d’un devoir maternel bien accompli, dont on tire
quelque fierté entre femmes.
La nuit, le jeune enfant couche sur le même lit ou la même natte que sa mère. Pendant les nuits froides de la
saison sèche, c’est la seule protection thermique qui lui soit accordée. S’il couche sur une natte Q portée de main de
sa mère, il n’a même plus cette protection. On comprend que la mortalité infantile puisse être très élevée en Janvier,
Février et Mars, sans qu’il soit besoin de faire intervenir les endémies meurtrières de méningite, courantes h la
même époque.
L’enfant n’est sevré qu’au moment où l’allaitement maternel devient impossible. I1 passe alors sans transition
à l’alimentation farineuse à base de mil. Mais cette alimentation n’est pas préparée spécialement pour lui. L’enfant
doit s’intégrer à un groupe de consommateurs adultes pour participer à leur repas. Si c’est une fillette, elle mange
généralement avec la mère, les autres femmes et le groupe des enfants. Si c’est un garçon, il arrive que le groupe
des hommes l’appelle pour lui tendre quelque aliment et s’amuse de ses maladresses, tout en appréciant déjà le
mâle appétit de ce dernier rejeton. Cet âge, qui va de deux à douze ans environ, est celui de la plus complète liberté
pour l’enfant. I1 passe ses journées à jouer, à se rouler dans la poussière ou à patauger dans l’eau sans encourir
jamais la moindre sanction. I1 se trouve à cette période de la vie sous la seule autorité maternelle et les bêtises qu’il
peut commettre sont pour le père et les oncles un sujet d’amusement. I1 arrive même que ceux-ci interviennent pour
l’excuser lorsque sa mère est tentée de le gronder s’il a couru un danger par imprudence ou commis une faute
grave par malice.
Progressivement, le garçonnet s’initie aux travaux de culture, à la pêche, au gardiennage du bétail. La fillette
aide à la préparation des repas ou accompagne sa mère aux champs. Destinée très t8t au mariave P ’
elle ne connaît
pas l’étape suivante réservée aux seuls garçons, sauf chez les groupes Sara qui pratiquent l’excision. Cette épreuve,
étudiée par G. BALAILDIER (1)chez les Kono, se pratique dans les cérémonies Sara, où elle correspond aux cérémonies
du (( Yondo )) suivies par les jeunes gens.
Le troisième âge de l’enfance est celui de l’initiation. Selon les groupes ethniques, le stage d’initiation des adoles-
cents a lieu tous les ans ou h périodes plus espacées (jusqu’à sept ans chez les Massa). Les renseignements sont diffi-
ciles à obtenir sur ces (( écoles de brousse 1) dont le cérémonial constitue l’un des domaines secrets les mieux gardés
des rites locaux. Baptisé (( Yondo )) chez les Sara, (( Labi )) chez les Toubouri, (( Labana )) chez les Massa (2), l’ini-
tiation dure plusieurs mois. Elle regroupe les garçons pubères sous l’autorité des chefs traditionnels de l’initiation.
Dans les groupes où elle n’a lieu qu’à des périodes espacées, l’âge des participants peut varier de douze à dix-huit ans.
L‘ (( école de brousse )) commence par l’enseignement d’une langue réservée aux seuls initiés. Cette langue
apprise très rapidement diffère assez peu, semble-t-il, de la langue courante, mais elle donne une signification
nouvelle à certains mots légèrement déformés. Elle semble surtout destinée à créer un moyen d’expression incom-
préhensible pour les femmes.
Le labana comporte sept à huit épreuves rituelles relatives à la force, au courage, à l’endurance, à l’habileté.
L’entraînement à la chasse est l’une des activités dominantes. I1 comprend l’art du camouflage. Les paroles et des
pas des danses coutumières qui évoquent les mânes des ancêtres sont acquis par répétitions quotidiennes. Dans
certains groupes, les scarifications sur le visage qui marquent l’appartenance 8 la tribu peuvent être faites avant
l’initiation. Seuls les Madjingaye semblent la pratiquer à ce moment.
Les fautes des stagiaires sont sévèrement sanctionnées, souvent l’enfant châtié très durement doit supporter
les coups sans se plaindre jusqu’à ce que l’ancien qui lui sert de parrain intervienne en sa faveur. Les enfants qui
se sont signalés par leur esprit subversif ou insociable (avant le yondo) risquent, n’ayant pas de parrain pour les
protéger, de succomber au rude traitement qui leur est infligé.
Chaque participant reçoit à la fin des épreuves un nom d’initiation connu de ses seuls compagnons de stage
et des anciens. I1 peut alors porter les ornements rituels des hommes : peau de cabri, pendant en tablier sur le pos-
térieur (3) et bhton de chasse e t d’apparat sur l’éPaule. Le stage ne se termine pas sans quelques énormes farces
destinées à terroriser les femmes crédules.
Mais le secret de l’initiation doit être bien gardé. Fréquemment, un griot joue au balafon un air connu des seuls
initiés, leur rappelant leur devoir de silence au sujet des rites d’initiation.
De telles épreuves créent entre les jeunes gens du même âge une solidarité totale. Ainsi se forment des (( caté-
gories d‘tige )) où l’entraide est une loi absolue entre les membres, qu’il s’agisse d‘aider à défricher, à bâtir OU Q
assouvir une vengeance. Les aventures vécues en commun fournissent le fond de nombreuses conversations - entre
hommes - au même titre que sous d’autres cieux les souvenirs de lycée ou de service militaire, mais elles prennent
ici une autre force et imposent une cohésion supérieure entre individus soumis à la vie étriquée du clan patriarcal.
Pour cruelles qu’elles puissent nous paraître, les épreuves subies par les jeunes gens (et chez certains groupes
par les jeunes filles) au cours de leur stage d‘initiation n’en constituent pas moins un véritable apprentissage de ce
qui formait la trame de la vie quotidienne traditionnelle : chasse, épreuves de force et d‘adresse en vue de la défense
du groupe pour les jeunes garçons ; préparation 5 la maternité et à la soumission à l’homme, chef de famille, pour
la jeune fille. I1 s’agissait bien, à proprement parler, d’une véritable école traditionnelle où se transmettaient les
connaissances essentielles jugées indispensables à la pratique de la vie quotidienne dans une société n’ayant pas
dépassé un certain niveau économique et culturel. Le caractère conservateur de ces pratiques, qui traçaient à l’in:
dividu les cadres immuables de son action sociale et l’enfermaient dans le respect absolu des traditions héritées
des ancêtres, aboutissait au maintien de l’organisation sociale confinée au clan, au mieux à la tribu.
MIGRATIONS - DePLACEMENTS
La profonde stabilité des structures sociales n’excluait pas cependant une grande diversitd de mouvements à
l’intérieur des sociétés patriarcales du Logone. La recherche de terres nouvelles, l’appât des gains espérés d‘une
prestation de services chez les populations voisines, l’attrait de pêches fructueuses vers l’aval étaient autant de
mobiles suffisants pour entraîner des migrations temporaires, voire définitives, d’individus isolés ou de familles
patriarcales au grand complet.
Migrations temporaires. -La culture massive du mil repiqué de saison sèche (berbéré) par les Foulbé contraint
ceux-ci à faire appel à la main-d’aeuvre temporaire des Massa et des Toubouri voisins. Traditionnellement, les jeunes
gens vont s’employer sur les champs de berbéré pour gagner quelque argent ou une tête de bétail, première amorce
à la constitution d’une dot.
Deux types de déplacements naissent de ce transfert de main-d’œuvre : les migrations saisonnières et les
migrations temporaires.
Les migrants saisonniers, sortes de (( navétanes )I, quittent leur ferme sitOt 13 récolte de mil rouge rentrée ;
ils peuvent ainsi se trouver à pied d’œuvre chez leur employeur dès le début du repiquage du berbéré (Octobre).
Le repiquage s’étend au fur et à mesure de la libération par les eaux des terres lourdes des dépressions argileuses.
I1 peut durer jusqu’à fin Novembre. Participant aux travaux d’entretien des champs, les saisonniers demeurent
chez leur employeur jusqu’à la récolte, à laquelle ils participent. Le battage et l’ensachage du grain ont lieu en plein
champ. I1 faut ensuite transporter sacs et paniers jusqu’au marché voisin, où la plus grosse partie de la récolte est
commercialisée. Les saisonniers sont alors payés pour leur travail. Ils reçoivent actuellement 5 O00 à 6 O00 francs CFA
pour un hectare repiqué, entretenu et récolté. Les plus avisés achètent immédiatement une génisse qu’ils ramènent
chez eux. D’autres vont perdre en quelques heures de jeu le gain de cinq ou six mois de travail. Tous se retrouvent
sur leurs terres familiales dès le mois d’Avril pour participer au houage préparatoire aux semis de mil rouge.
De plus en plus, cependant, les déplacements saisonniers ont tendance à céder le pas aux migrations tempo-
raires. Les jeunes viennent s’installer à proximité du suré de leur patron Foulbé. Ils cultivent souvent un champ
personnel de berbéré dont ils vendront une partie de la récolte. C’est sur place même qu’ils préparent leur champ
de mil rouge pour la saison des pluies. Prudents, ils prennent soin de renvoyer à leur famille restée au sina le pro-
duit de leur travail (bétail surtout) par un <( frère )) travailleur saisonnier. Ils ne rentrent chez eux qu’au bout de
trois ou quatre ans, l’embryon de troupeau déjà rassemblé leur permettant de prendre femme et d’installer leur
sina à proximité du sina paternel. Là, ils oublient complètement la culture du mil repique et s’adonnent à nou-
veau à la monoculture du mil rouge.
Ce sont surtout les Massa des deux rives du Logone (Yagoua et Bongor-Koumi) qui participent à ces déplace-
ments vers la région de Maroua. Les Foulbé de la subdivision de Kalfou font aussi appel aux voisins Toubouri,
mais la plupart de ceux-ci pratiquent pour eux-mêmes la culture du berbéré ; seuls se rendent sur les champs
des Foulbé ceux qui ne possèdent pas assez de terres à berbéré pour les cultiver eux-mêmes à leur seul profit.
Migrations entraides par la pêche. - Chaque année, les populations riveraines du Logone se livrent, une fois
les travaux de la terre assurés, à une pêche assidue, d’abord à proximité des villages, puis bientôt accompagnant
la décrue de plus en plus vers l’aval du fleuve. C’est ainsi que les Kabalaye, les Kim, eré, Djoumane propriétaires
de pirogues s’embarquent par familles entières pour aller s’installer durant la plus grande partie de la saison sèche
au confluent du Chari et du Logone. Le décalage de deux mois entre la décrue des deux fleuves leur permet des
pêches fructueuses qui attirent maintenant d’autres tribus de pêcheurs. Les Massa, en particulier, non possesseurs
de pirogues, se rendent parfois à pied (maintenant en camion) sur les lieux de pêche du confluent. Le produit de
cette activité saisonnière est vendu sur place à des commerçants arabes qui l’écoulent en direction du Nigeria
vers Maiduguri ou vers Garoua au Cameroun. I1 est difficile de préciser l’importance que pouvait avoir cette migra-
tion il y a une cinquantaine d’années, mais les populations déplacées ne font que croître d’une année sur l’autre.
Chez les Massa, ce sont surtout des jeunes gens célibataires qui se déplacent, toujours dans le même souci de se
constituer une dot. Les autres pêcheurs des villages du fleuve pratiquent cette migration dans le but d’améliorer
leurs ressources familiales. On peut considérer que 10 à 20 % de la population sont touchés par ces mouvements
de caractère coutumier (1).
-
(1)D’apriis J. ßLacwe, en 1954 sur 1700 pêcheurs dPplacPs entre Logone Gana et le COnflueht, 1900 étaient des MASSA.
-
L E BASSIN D U M O Y E N LOGONE 153
Migrations délinitives. - Les déplacements définitifs de certains groupes sont motivés par la recherche de
terres nouvelles, à partir d’un habitat devenu trop dense, ou pour fuir des terres épuisées. Les principaux mouve-
ments enregistrés dans le bassin sont ceux des Mousseye des plaines entre Logone et Kabia, des Massa de la région
de Koumi et des Mouloui de la region de Pouss e t de Katoa. .
La migration des familles Mousseye qui abandonnent l’habitat trop concentré de la région de Kolon ou les
terres infertiles des Lé0 se porte vers la rive droite du Logone, entre le fleuve et le Ba-Illi, à l’est de Bongor. Le
mouvement remonte à quarante ans environ, mais il n’a été suivi que plus récemment. I1 touche des familles déjà
détribalisées n’ayant gardé avec leurs clans d‘origine que des attaches très ténues, malgré les allées et venues conti-
nuelles entre leur nouvelle et leur ancienne résidence.
Voici l’exemple du village de Vabolo, composé à la fois de Marba de Kélo, de Gounou, de Gamé, de Mousseye.
Sa population a presque doublé en cinq ans :
1952 . . . . . . . 454 habitants dont 108 hommes et-120 femmes
1955 . . . . . . . 669 habitants dont 191 hommes e t 177 femmes (croit par migrations)
1956 . . . . . . . 781 habitants dont 197 hommes e t 208 femmes (croît par naissances)
1957 . . . . . . . 838 habitants dont 205 hommes e t 232 femmes (mariages)
L’accroissement principal se situe donc entre 1952 et 1955, o ù le nombre de chefs de famille passe de 108 à 191.
Ensuite le croît semble beaucoup plus imputable aux naissances et à la venue de nouvelles épouses qu’à l’installa-
tion de nouveaux chefs de famille, puisque de 1955 à 1957 leur nombre passe simplement de 191 à 207.
Mais l’installation des familles sur la rive droite ne devient pas du premier coup définitive :
Vayo, chef de famille du village de Vabolo, est arrivé sur le district de Bongor en 1936. I1 avait quitté le canton
de Ké10 pour éviter les ennuis qu’aurait entraînés sa promotion au titre de chef de village (incidence de l’occupation
coloniale). D’abord fixé 4 Olrli durant quatre ans, il se déplace sur Kaorang où il reste dix ans ; il arrive ensuite
à Vabolo où il est depuis onze ans.
D’autres exemples nous montreraient le caractère spécifique de ces migrations opérées par bonds. En fait,
il s’agit de migrations définitives quant à l’abandon du point de départ, mais elles ne débouchent pas sur une instal-
lation permanente. La migration amorcée par la rupture des liens tribaux se perpétue en migration temporaire
par petits bonds successifs tous les quatre, dix ou quinze ans.
C’est le manque de terres sur les buttes exondées des environs de Koumi qui a poussé les populations du canton
4 se déplacer en direction du Ba-Illi plus au nord. Ce mouvement se fait également par étapes successives (CABOT,
1955, b, p. 26-28). I1 aboutit au peuplement de la zone du Ba-Illi, où en quelques années 15 villages accusent un
apport de 2 550 personnes originaires des cantons de Koumi, Toura, Magao. Plus au nord encore, les Mouloui de
Pouss et de Katoa se déplacent insensiblement vers l’est en direction du canton de Mogroum et des rives du Chari.
Dans cette migration, ils rompent avec les techniques de construction des cases-obus j leurs villages, constitués
de huttes de paille ou de cases à murs de terre coiffés d’un toit de paille ne diffèrent plus de ceux des populations
environnantes Massa ou Arabes.
La recherche de terres nouvelles pousse également les populations de la bordure montagneuse occidentale
vers les régions situées plus à l’est. C’est ainsi que la majeure partie du district de Léré, presque dépourvue d’ha-
bitants avant 1940, a vu affluer vers elle plus de 10 O00 habitants d’origines diverses : Guidar de Guider, Moundang,
Guiziga de la subdivision de Kaélé. Les causes de cette poussée sont diverses, mais elle reste conforme au mou-
vement traditionnel qui a toujours poussé les groupes de l’Adamaoua vers l’est. Notons, en particulier, l’abon-
dance des terres autour de Binder - qui ont reçu plus de 7 O00 personnes depuis 1943 - alors que les terres de
Kaélé et de Guider sont surpeuplées.
A ces migrations de caractère traditionnel sont venus se joindre les déplacements vers les villes, les centres
cotonniers, les centres urbains de brousse. Nous serons amenés à les étudier plus spécialement dans un prochain
chapitre, car ils sont à ranger parmi les conséquences de la colonisation.
I1 est impossible de se faire une idée esacte des chiffres de population dans le bassin au début du siècle. Les
recensements n’ont guère commencé avant les années 1930 et pendant de longues années ils ont été faussés par
l’absentéisme des familles aux convocations officielles, par l’incomplète connaissance du pays, par les difficultés
matérielles de déplacement en période d’inondation. Nous ne pouvons nous faire une idée des conditions de vie
(et de survie) traditionnelles qu’à travers quelques sondages récents qui atteignent des populations encore faible-
ment touchées par l’action sanitaire ou scolaire. Ces renseignements fragmentaires permettront, cependant, de
dégager une impression d‘ensemble :
154 JEAN C A B O T
La population Pévé du village de Badgé comporte (en 1954) 32 yo de jeunes (moins de 15 ans) pour 59 %
d’adultes actifs et 9 % de vieillards (plus de 50 ans). Le taux de reproduction est affaibli par les conditions de la
maternité : sur 172 femmes en état de procréer, 19 sont stériles (11yo).Parmi les femmes fécondes, la proportion
des avortements et de la mortinatalité est de 2 pour une moyenne de 4,3 grossesses par femme. La capacité réelle
se trouve donc ramenée à 2,3 naissances par femme. Sur 32 femmes hors d’état de procréer, 6 ont été stériles (18 yo).
Sur les 26 qui ont procréé, le nombre moyen des grossesses s’établit à 5,9 par mère, et le nombre des avortements
ou des morts à la naissance est de 2,3. Soit pour toute leur vie un taux de capacité réel de 3’5 par mère (1).
Sur le district de Léré (2), la cohabitation des groupes Foulbé et hloundang souligne la régression démogra
phique Foulbé en remontant à ses causes :
pour 100 FOULB~ MOUNDANG
- - -
....
Proportion d ’ e n h n t s (moins de 14 ans) Q l a population totale 26 32
T a u x de nuptialité. ...................... 1,41 1,49
Taux de fécondité ....................... 1,85 2,49
T a u x de stérilité........................ 20,31 11,25
T a u x de capacité générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,61 4,22
Avortements ......................... 5,41 2,48
T a u x de natalité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,6 7,01
Les Moundang font figure de population prolifique à côté des Foulbé, en position nettement régressive.
I1 est intéressant de comparer ces quelques éléments chiffrés aux résultats d’enquête obtenus par la Mission
socio-économique du Nord-Cameroun chez les K i r d i des monts du Mandara (hlatakam en pleine expansion, Kapsilri
en stagnation, Goudé en recul) (3) :
pour 100 Matakam Kapsiki Goudé
- - - -
T a u x de natalité générale. ................. 6,s 6,6 4,05
T a u x de fécondité générale ................. 28,4 24,4 13,4
T a u x brut de reproduction (de Kuczynslci) . . . . . . . . . . 4,28 3,8 2,15
Nombre d’enfants mis a u monde par mère .......... 8,78 797 4,415
T a u x de stérilité. ..................... 10 13 25
T a u x de mortalité générale . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 5,1 4,88
T a u x de mortalité infantile . . . . . . . . . . . . . . . . . 16,7 28,3 13,3
I.’our avoir subi plus fortement l’influence des Foulbé, les populations Goudé accusent des coefficients démo-
graphiques aussi bas que ces dernières.
Les enquêtes officielles faites en pays Gambaye autour de Moundou donnent les taux suivants :
............
T a u x annuel des naissances 4 %
..............
T a u x annuel des décès. 3,7 y(,
Excédent annuel ................. 193 %
C’est dire que la population doit doubler en l’espace de 70 ans environ. Cette croissance serait bien plus rapide
si l’on n’avait pas à déplorer une très forte mortalité infantile : 33 % des décès se situent entre O et 1 an j 20 % entre
1 et 4 ans ; 15 % entre 4 et 14 ans. (( Une hygiène trop rudimentaire en est en grande partie responsable. Le
taux d’accroissement de la population serait bien plus éIevé si cette hygiène était un tant soit peu améliorée 1)
(d’ORNANO) ( 4 ) .
Tout contribue i rendre fragiles les chances de naissance puis de survie de l’enfant. Au départ, le taux d’ac-
croissement du groupe est déjà affaibli par le nombre important des femmes stériles, presque toujours supérieur
10 %. Les causes de cette stérilité très répandue en Afrique Noire découlent de la fréquence des tumeurs des
organes gíhitaux de la femme, de l’extension chez certains groupes des maladies vénériennes (le groupe Foulbé
est à ce titre fortement obéré), mais aussi de I’état de faiblesse des adultes atteints de maladies endémiques ou
chroniques : parasitismes intestinaux, bilharziose, paludisme. Certains y ajoutent les intoxications par l’alcool
e t le tabac.
(1)J. CABOT1956.
(2)Rapport du bf8dccin chef du Mayo Kébi (Arch. Bonger 1954, dactyl.).
(3) Mission socio-économique du Nord-Cameroun. Enquête démographique par sondage (Résultats provisoires]. Rápuhlique du Cameroun-
Service de la statistique 1960, 45 pages. Cf. A. PODLEWSKI
1961.
[ k ) Rapport dactylographié. Arrhives Moundou.
L E B A S S I N DU M O Y E N LOGONE 155
Mais le rôle des causes d’ordre social n’est pas à négliger : la grande polygamie entraîne l’accaparement des
jeunes femmes par les hommes les plus fortunés, mais aussi les plus bg&. Les jeunes hommes doivent attendre
d‘avoir passé le cap de la trentaine pour pouvoir prendre femme.
Sur 4 914 Toubouri recensés dans le canton de Youé, le nombre des enfants représente 40 yo du total du groupe.
Sur 1 289 femmes mariées: 312 ont plus de 3 enfants. Mais le rapport des femmes mariées au nombre des chefs de
famille est de 1,66, tandis que le rapport du nombre d’hommes célibataires à celui des filles de plus de 15 ans encore
célibataires est de 3,65.
Dans le village de Badjé, sur 165 chefs de famille, 112 sont monogames, 42 bigames, 11 ont 3 femmes ou plus,
mais, sur 87 hommes de 20 à 29 ans, 52 sont encore célibataires.
Chez les Moundang de Lara, R. DIZIAINnote un déficit des hommes adultes qui ne représentent que 78 % du
nombre des femmes ;ce déficit est particulièrement accusé dans la catégorie des 25-35 ans (58 %). Le fait s’explique
par le mariage de 1137 chefs de famille à 1 6 7 8 femmes (150 femmes pour 100 hommes). Les ménages polygames
représentent 35 yo du total. Jusqu’à 22 ans, la moitié seulement des hommes sont mariés, à 26 ans les deux tiers le
sont, 4 30, 85 %. Dès 40 ans, les polygames representent 40 % des chefs de famille. En contrepartie, dès 14 ans,
90 yo des filles sont mariées. Au-dessus de 20 ans, il ne reste pas plus de 1,2 yode femmes célibataires.
I1 est certain que la polygamie joue un r81e dans l’affaiblissement des taux réels de capacité génétique des
femmes, mais elle n’affecte que des virtualités. Plus importantes sont les causes qui abaissent effectivement la
natalité.
L’impossibilité, en l’absence d’état civil, de chiffrer globalement la mortalité infantile et la mortinatalité
ne donne pas une image fidèle de la fécondité générale des populations. Mais outre les causes déjà mentionnées :
état de santé des femmes, polygamie, il en est une qui fait autant de ravages que les autres réunies, c’est l’igno-
rance. De la méconnaissance des règles les plus élémentaires de l’hygiène de la femme enceinte et du nouveau-né
découlent tous les excès de travail supportés par la mère les derniers jours de sa grossesse, toutes les imprudences
que représente une délivrance à même le sol de la case ou du champ, l’absence de tout vêtement pour le nouveau-
né pendant les matins froids de Décembre à Mars, l’exposition de l’enfant h tous les temps puisqu’il ne quitte pas
le dos ou le bras de sa mère tant que celle-ci l’allaite, tandis qu’elle doit participer aux travaux de la collectivité.
A tout ceci s’ajoute la cohorte des maladies infectieuses, des épidémies, des germes portés par les vents de saison
sèche. Chaque année, la variole et la méningite entraînent la mort de nombreux enfants. Les mois de Février et
Mars sont redoutés entre tous, car les vents secs d’Harmattan propagent par les poussières soulevées les germes de
la méningite cérébro-spinale, dont les atteintes sont fatales aux jeunes organismes.
Nous reviendrons sur l’état démographique et médical des populations du bassin au cours de la troisième
partie, consacrée aux transformations dues à la période coloniale.
CONCLUSION
Véritable carrefour d‘ethnies et de peuples divers, le bassin moyen du Logone offre, à ce titre, un caractère
exceptionnel en Afrique Noire, car il ne s’agit pas de maigres vestiges de populations, reliques abandonnées là au
hasard des migrations séculaires. Les groupes qui peuplent les terres du Logone présentent des densités importantes
sous ces latitudes tropicales, qu’il s’agisse des Toubouri de la région des lacs, des Massa des rives du fleuve ou des
Gambaye de la périphérie des koros.
Après avoir inventorié les genres de vie et les structures traditionuelles, certaines oppositions se manifestent
dans l‘organisation du cadre de vie et des activités. I1 s’agit beaucoup plus d‘adaptations au milieu naturel que de
formes différentes de civilisation, d’accord prolongé entre la nature et l’homme que de différences fondamentales
- si l’on s’en tient à l’examen des seules formes d’organisation rencontrées chez les Kirdi. L’environnement,
souvent agressif, parfois éducatif, des populations islamisées de civilisation néo-soudanaise a permis, chez les
Kirdi situés au contact le plus proche, d’acquérir des techniques nouvelles, des tours de main nouveaux. Tout cet
apport s’est fondu dans les vieilles structures paléo-négritiques.
Néanmoins, il nous faut faire ressortir les oppositions rencontrées ; elles joueront encore leur rôle dans l’évo-
lution moderne du pays, d’abord sous l’ère coloniale, puis dans la période en cours, de libération nationale et éCo-
nomique.
Opposition des milieux de vie naturels que représentent les mondes tranchés des plaines inondées et des koros.
Comme les Shilloulc, les Dinka ou les Nuer de la Djézireh nilotique, Massa, Toubouri, Marba, Kabalaye se sont
adaptés à un mode de vie amphibie, tirant à la fois parti des terres exondées, des eaux poissonneuses, des terres
libérées par la crue. E n revanche, les Gambaye, Laka, Albaye, hIesmé s’attaquent aux savanes arborées des pla-
teaux sableux, aux puits dificiles à creuser, aux activités moins variées.
Les influences biologiques interviennent encore en faveur des populations les plus septentrionales, leur pre-
mettant -par l’absence de glossines -un élevage bovin que les populations méridionales ne peuvent encore tenter.
D’où la grande variété de genres de vie créée par la conjonction des diverses possibilités d’activités :
- élevage, pêche, agriculture chez les Massa de la bordure du fleuve et les habitants des villages groupés
Kossop et Kabalaye ;
- agriculture et élevage des Toubouri et des Moundang ;
- agriculture et chasse des Mousseye et des l’évé-Djime;
- agriculture presque exclusive de toute autre activité chez les Gambaye, hlbaye, Laka.
L’agriculture, nous le voyons, tient une place toujours essentielle dans chacun de ces types de genre de vie.
Elle présente cependant elle-même un assez grand nombre de variétés qui marquent le paysage - encore assez
faiblement - et permettent de différencier :
- les paysages résultant de cultures à longues jachères typiques de la zone des koros, où la savane arborée
s’ouvre de grandes clairières dues à la déforestation et porte les traces des essartages anciens en voie de reconstitu-
tion de la strate arborée. La polyculture de saison des pluies pratiquée par les populations du sud du bassin aboutit
à ce type de paysage. L’introduction de la culture du coton en accusera, nous le verrons, les contours et la systéma-
tisation ;
- les terroirs mixtes semi-aménagés (9j carac1.éristiques des populations pratiquant une culture permanente
de saison des pluies comme les Massa sur leurs champs de case ou une culture permanente en toutes saisons, à la
fois sur champ de case en saison des pluies et sur terres de décrue en saison sèche, comme les Tou-
bouri et les Moundang.
Ainsi, sous des formes extérieures différentes, la grande unité agricole de ces populations imposait sa marque
à des milieux très-opposés de nature.
(1)G. SAUTTER,
1957.
LE BASSIN D U nZOYEN LOGONE 157
Les populations Kirdi du bassin du Logone sont donc des témoins de la civilisation agraire paléo-négritique
conservés au cœur de l’Afrique en plein milieu du xxe siècle.
Les structures sociales primitives n’y avaient pas encore été entamées, à la veille de la pénétration coloniale,
par l’environnement et les incursions des empires féodaux islamisés. La prise de possession collective des terres,
familiale ou tribale, avait contribué à maintenir une société reposant sur la cohésion de la famille patriarcale, cellule
de production et de consommation. Le rapport délicat entre les possibilités de mise en culture et les besoins d‘une
population en équilibre démographique fragile était, semble-t-il, favorable, grâce à la libre disposition des terres
et la possibilité d’assurer des jachères suffisamment longues. Le niveau des techniques mises en œuvre ne permettait
pas, cependant, une évolution rapide de cette société d’autoconsommation vers une société où la spécialisation aurait
favorisé le progrès.
Toute la production reposait - et repose encore - sur l’utilisation de la force de travail individuelle de tous
les membres valides du groupe et au profit de ce seul groupe. Nous avons vu que le risque d’utilisation d’un sur-
profit par les chefs de famille aboutissait finalement à l’acroissement de la force de travail du groupe.
Cette force de travail restait pourtant partiellement inutilisée, soit que le manque de terres disponibles limitat
les possibilités d’extension des cultures, soit surtout que le niveau de production atteint parût suffisant à assurer
la survie des intéressés. Toute une partie de l’année consacrée aux menus travaux d’entretien des cases, au gar-
diennage des troupeaux (le cas échéant) et plus souvent aux déplacements maintenait en état de sous-emploi la
presque totalité de la masse des cultivateurs.
Le germe d‘évolution de cette société, qu’aurait représenté une diversification des activités, n’avait pas imposé
sa nécessité, puisque toute l’économie traditionnelle reposait dans un circuit fermé : produire le nécessaire ; inuti-
lité d’accroître la production (pas de débouchés) ; inutilité de modifier les techniques ; du fait de ces techniques,
production limitée mais suffisante aux besoins.
Le fait de tous appartenir à la même région économique d’agriculture de type soudanais entraînait, pour les
Kirdi du Logone, une sorte de cristallisation des structures traditionnelles. E t ce n’était pas parce qu’ils étaient
des (( paléo-négritiques 1) que ces peuples stagnaient dans une économie ou dans des structures de type primitif,
mais seulement parce qu’ils se trouvaient, depuis des siècles, à l’écart des grands axes d’échanges du monde. Des
Rhénans ou des Flamands placés dans les mêmes conditions d‘isolement et de milieu naturel n’auraient pas évolué
plus rapidement. Tant il est vrai que les prétendues différences morales entre les races n’ont rien à voir avec les
formes de civilisation atteintes. K Les structures traditionnelles sont moins qu’on ne dit souvent l’effet de la reli-
gion et de la culture, ou l’expression de (( l’âme d‘un peuple i), et beaucoup plus qu’on ne le croit la conséquence ...
de l’absence de facteurs essentiels du développement économique, la conséquence du sous-emploi, de l’insuffisance
de l’industrie et des lacunes de la formation i) (1).
Dans leur isolement, ces populations commengaient pourtant à connaître des mouvements de population
générateurs d‘un style économique progressif (navétanes Massa, pêcheurs). L’évolution, très lente, que ces migra-
tions auraient fait naître était susceptible d’ébranler à la longue la société traditionnelle. I1 appartenait, cepen-
dant à la pénétration européenne d’introduire une économie d’un type nouveau, apportant avec elle les contra-
dictions qui devaient accélérer cette évolution.
(1) G. ARDANT1959.
13
1 , .
1 I . . .
TROISIRME PARTIE
LES TRANSFORMATIONS
DUES A LA PERIODE COLONIALE
. .
CHAPITRE IX
LE BASSIN LQGQNE
DANS LE PARTAGE DE L’AFRIQUE
Le premier contact des Européens avec les pays du Logone est réalisé par le grand explorateur allemand
H.BARTHet son compagnon Overweg au cours des années 1851 et 1852. Pendant leur séjour à la cour du sultan du
Bornou (fin 1851),ils purent accompagner une expédition punitive contre les Mousgoum et par Dikoa, Bogo, Domo
et Massa atteignirent les rives du Toubouri septentrional et du Logone (H. BARTH,1860, t. 3, p. 5 à 110). En
1854, VOGELatteint aussi les lacs Toubouri, puis vingt ans passent avant qu’un autre explorateur allemand,
NACHTIGAL, parvienne jusqu’au Ba-Illi et traverse les pays Soumraye, Gabri, Toumak et N’Dam (1872).
La période des explorations scientifiques s’achève avec l’exaspération des rivalités impérialistes des grandes
puissances. La course au Congo, au Nil, au Tchad accélère le partage de l’Afrique centrale, véritable curée dans
laquelle la Conférence de Berlin (1884-1886) cherche à introduire quelque:, règles de conquête. L’Angleterre s’est
fait attribuer le contrôle des débouchés du Niger et de la Bénoué. L’Allemagne, par une mission officielle, confiée à
NACHTIGAL (1884), prend possession du littoral camerounais, En France, les milieux d’affaires constituent un
(( Comité de l’Afrique Française D (1890) comprenant de nombreux représentants du commerce et de la finance,
parties du Cameroun et du Niger 1) (MAISTRE,1902, p. 7), atteint, par la voie oubanguienne, en 1893, le bassin du
moyen Logone et par Koumra, Laï, Kélo, Pala et Lamé traverse le sud de la région du mayo Kébi avant de rejoindre
la Bénoué à Yola (MAISTRE,1895, p. 217-236), reliant ainsi les itinéraires d ê NACHTIGAL à ceux des divers voyageurs
qui avaient parcouru l’Adamaoua. Les traités signés avec les chefs indigènes, notammant à Laï et Lamé, permirent
ii la France, lors des négociations avec l’Allemagne, de réclamer et d‘obtenir un débouché dans la vallée de la haute
Bénoué (BRUEL, 1905, p. 6). Mais le partage de 1893-1894 reconnaît à l’Angleterre le pays Bornouan e t le sultanat
de Sokoto, tandis que l’Allemagne reçoit l’Adamaoua jusqu’aux limites du Baguirmi. La pénétration française
va donc se poursuivre par la seule voie du Chari.
E. Gentil atteint le lac Tchad en 1896 à l’aide du vapeur démontable Léon-Blot. A cette époque, la puissance
toute récente de Rabah a éliminé l’influence des suItans du Kanem et du Baguirmi de tout le bassin Chari-Logone,
La jonction des trois colonnes militaires Joalland-Meynier (ex-Voulet-Chanoine),Fourreau-Lamy et Gentil, en 1900.
asdure la défaite de Rabah à Kousseri (22 Avril).
Dès la fin de la même année, la première remontée du Logone en pirogue de Fort-Lamy à Laï est effectuée
par le lieutenant KIEFFER.lVenant de Fort-Archambault par voie terrestre, le lieutenant FAURE arrive à Laï le
29 Novembre 1900. Mais le poste de commandement ne sera fondé qu’en 1903, date de l’occupation définitive du
moyen Logone et de la mise sur pied de la division administrative : le cercle du moyen Logone. A la même
époque fut créée la Subdisivion du Mayo-Kébi, avec chef-lieu à Léré.
La recherche d‘une liaison permanente Logone-Bénoué continue à susciter les entreprises. Le capitaine L ~ F L E R
en 1901, le lieutenant FAURE (qui baptise les chutes Gauthiot en 1903) assurent que la liaison entre le lac Toubouri
162 J E A N CABOT
et le lac de Léré est possible. Le capitaine LENFANT vérifie l‘hypothhe en 1903, par le Niger, la Bénoué e t le mayo
Iiébi, il parvient, en pratiquant un portage entre la base des chutes Gauthiot et RI’Bourao, à faire flotter un (( cha-
landa sur le Logone en franchissant le seuil de Dana aux hautes eaux. Mais en 1904 le lieutenant de vaisseau AUDOIN
ne peut renouveler le même exploit en sens inverse, faute d’une crue suffisante pour établir la communication entre
Tsébé e t Dana. Comme, à cette époque, le Toubouri septentrional ainsi que l’interfluve Logone-Chari (le u bec de
canard ))) sont sous contrôle allemand au nord du 10e parallèle, il est impossible d‘envisager un portage sur territoire
allemand (seules les voies fluviales sont internationalisées).
La commission de délimitation des frontihres travaille sur le terrain de 1905 à 1907 pour introduire les divisions
conventionnelles décidées en Europe. Son premier travail 4 peine terminé est remis en chantier par la Convention
franco-allemande de 1911 qui, pour laisser le champ libre à la France au Maroc, modifie en faveur de l’Allemagne
les frontières du Cameroun. Toute la rive gauche du Logone passe sous contrôle allemand (ancienne subdivision
du Mayo-Kébi), tandis que le ((bec de canard )) revient à la France (subdivision de Bongor rattachée à Laï). Bongor,
occupé à partir de 1913, va devenir le poste de ravitaillement des colonnes françaises engagées dans la lutte contre
les troupes allemandes du Cameroun en 1914 et 1915. La réoccupation de la rive gauche du Logone après la (( cam-
pagne du Cameroun )) donne lieu à la reconstitution de la circonscription militaire du Mayo-Kébi avec trois subdi-
visions : Léré, Fianga, Kélo. Ce n’est qu’en 1921 que la circonscription recevra son premier administrateur civil.
La pCn6tration du bassin du Logone a été faite à l’aide de faibles moyens militaires. Les colonnes qui attei-
gnirent Laï et Léré étaient composées d‘un ou deux officiers, de quelques sous-ofilciers à la tête d‘une ou deux
sections de tirailleurs africains. Tantôt acheminées par le fleuve en faisant le détour par Fort-Lamy, tantôt dirigées
à travers la brousse à partir des rives du Chari, les troupes françaises eurent à démontrer leur efficacité pour prouver
aux autochtones leur mission anti-esclavagiste. Mais elles eurent aussi, hélas, recours à la même force pour sanc-
tionner le mauvais vouloir ou l’hostilité des tribus rencontrèes. Tour à tour, libératrice des razzias Foulbé ou baguir-
miennes et répressive vis-à-vis des habitants, la supériorité de leur armement imposa finalement la paix française
dans le bassin du Logone.
Quelques citations nous aideront à comprendre les conditions de l’installation militaire dans la circonscription
du moyen Logone. Remontant le fleuve de Fort-Lamy à Laï en Avril 1903, M. Antony (( trouva un pays désolé,
ruiné par une série de calamités : les sauterelles avaient mangé la récolte l’automne précédent ; les Baguirmiens,
sous les ordres du Fatcha et du Barma, l’avaient ensuite razzié au printemps de fond en comble, de concert on
simultanément avec les Foulbé de Kalfou e t les Marba de la rive gauche.
Seul de tous les nombreux villages très importants et très prospères vus en 1900 par RIRI. Kieffer e t Faure,
Kim était debout et intact. Cela tenait sans doute à ce que son chef avait fait cause commune avec les razzieurs.
Tous les autres villages avaient été mis à sac et les populations décimées mouraient de faim. Elles ne possédaient
même plus de semences e t elles subsistaient tant bien que mal des produits de la pêche ou des fruits de borassus e t
de racines (1) n.
La colonne qui gagnait Laï par voie de terre rencontra aux environs de Péni un pays ravagé par les razzias des
Foulbé de Ngaoundéré et de Boubandjida, le nombre des captifs était de 2 500 à 3 000.
A la même époque, l’administrateur Bruel note qu’au village de Kouno (( il rencontra le chef baguirmien Katourli
qui allait rejoindre le sultan Gaourang au Dékakiré. I1 était accompagné d’un convoi de 1 2 0 0 à 1500 esclaves
(dont 600 appartenant au sultan, d’après Katourli) pris dans les diverses razzias faites depuis l’automne 1902.
C’étaient presque exclusivement des femmes ou des enfants de quatre à huit ans qui mouraient de soif, car le pays
en cette saison est sans eau de Palem à Kouno, et les quelques puits qui existent ne peuvent suffire pour alimenter
une troupe aussi nombreuse n. (Rapport BRUELdu 28 Septembre 1903, cité par P.-O. LAPIE,1945, p. 74.)
La fourniture des esclaves était, du reste, la forme d’imposition la plus courante dans les pays dominés par les
grands empires du Tchad. Voici un dernier témoignage de Bruel à ce sujet : (( D’après le sultan Gaourang, les razzias
se faisaient annuellement enire Chari e t Logone, e t le centre d’opérations était toujours Goundi (entre Niellim et
Laï). Sur la rive gauche du Logone, on opérait seulement tous les deux ou trois ans, lorsque l’état du Baguirmi
permettait d’envoyer de grosses forces au-dehors. Un certain nombre de tribus soumises au Baguirmi devaient,
tous les ans, un nombre déterminé d’esclaves au sultan. Laï devait fournir, chaque année, 200 esclaves j les Niellim,
les Toumak, les Somraï, les Ndam, les Goulaye, chacun I 0 0 captifs; d’autres groupes plus faibles, 50. Au total,
les tribus soumises devaient au sultan 000 captifs par an. C’était en partie pour se les procurer que chaque
village ou chaque tribu faisait la guerre à ses voisins ,.. Ce commerce est si ancré dans les mœurs individuelles
qu’il n:est pas rare de voir un chef vendre de ses administrés, parfois même des gens de sa propre famille )) (BRUEL,
1905, p. 105-106.)
A la suite d’un accord signé entre le commandant de la Colonie du Tchad, Largeau, et le sultan Gaourang,
les razzias et la traite furent abolies à partir de 1903, et Bruel put faire libérer plusieurs colonnes d’esclaves au
cours de sa tournée.
Cependant l’installation de l’autorité française n’allait pas sans quelques répressions violentes rapportées
aussi par l’administrateur Bruel :
((En Juillet 1903, au cours d’une reconnaissance dans les monts de Koutou-kouma, au sud-est de Laï, le lieu-
tenant Antony fait ouvrir le feu sur les villageois de Marlou (8 morts, 5 blessés). Au cours d’une expédition punitive
contre le village de Manaï, il est fait 30 prisonniers et 10 morts.
(( Le 2 aoùt 1903, les gens de Békoundou ayant blessé deux de nos hommes qui étaient allés chercher des vivres
dans leur village, un détachement fut envoyé de Laï pour les chhtier. I1 attaqua le village le 26, le chef fut tué
ainsi que 21 hommes. Nous fîmes 17 prisonniers qui, par la suite, furent rendus après le paiement d’une amende, 1)
(BRUEL, 1905, p 22-23.)
Ce sont aussi sans doute les exigences des colonnes engagées contre les troupes allemandes en 1914-1915 (réqui-
sitions, portage) qui expliquent les troubles qui éclatèrent en 1915 dans la région de Bongor, à Katoa, Pouss, Gouaye
e t Télémé (1).
IL était tentant, certes, pour des militaires, d’user d’une (( justice )) expéditive de laquelle ils n’avaient à rendre
compte à personne qu’à leurs chefs, dont l’unique souci était que l’ordre fût maintenu coûte que coûte. Lorsque
l’administration civile prendra la succession du commandement, un effort de redressement sera fait, mais longtemps
encore l’usage du (( pouvoir discrétionnaire 1) du (( commandant N subsistera comme seul mode de justice.
Grhce aux rapports publiés de quelques gouverneurs de la Colonie du Tchad, il est possible de se faire une id4e
de l’organisation des régions du moyen Logone depuis l’arrivée des Français.
A la veille des accords de 1911, voici les estimations de population citées par le colonel Largeau (LARGEAU,
1913, p. 3, 20).
Mayo-Iiébi. ....
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I
Léré
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I
Pianga ’ 1
I
26 843 . I 34 895 45 633 107 371
A cette époque, deux entreprises privées européennes ont reçu des concessions : la Société Ouhame et Nana
chargée des transports administratifs entre Fort-Lamy et Léré par la voie mayo Kébi-Toubouri-Loka-Logone et
un commercant installé à Laï assurant le relais des troupeaux de bœufs destinés a u s territoires de l’Oubangui e t
du Congo.
L’ISOLEMENT A VAINCRE
En 1935, A. BERNARD pouvait encore écrire : (( La région du Tchad, siturie au cœur de l’Afrique, est comme
enfermée et séparée du reste du monde. )) (A. BERNARD, 1935, p. 505.)
Les difficultés rencontrées dans la pénétration de l’Afrique par tous les pays colonisateurs se sont trouvées
multipliées pour la France à l’égard du Tchad à la fois par la configuration du relief e t par le découpage politique
de l’Afrique entre les différents impérialismes. Pour l’atteindre à partir du golfe de Guinée, il fallait franchir le
bourrelet montagneux qui maintient la cuvette 8. 300 m d‘altitude moyenne, le dos tourné aux côtes, sans écoule-
ment permanent vers la mer. Une brèche dans la ceinture méridionale et occidentale de l’Adamaoua-Mandara
permettait, cependant, les plus grands espoirs. Par le fossb. de la Bénoué, il était possible, en période de hautes eaux,
de naviguer jusqu’au pied des chutes Gauthiot, au sommet desquelles le déversoir de M’Bourao régularise l’écoule-
-
(1)Rapport de l’administrateur VossnnT. Archives du Mayo Kébi, Bongor.
164 J E A N - CABOT
ment des lacs Toubouri en direction du Niger. C’est la voie qu’avaient empruntée hlizon e t Lenfant. Mais elle avait
le grand défaut, en période de conquête coloniale, d’être sous le double contrôle de l’Angleterre sur la majeure partie
du parcours fluvial et de l’Allemagne entre Garoua e t Léré. I1 ne pouvait être question de la faire emprunter par
des convois militaires.
Des trois itinéraires suivis par les missions militaires qui convergèrent au Tchad en 1899-1900, un seul pouvait
être raisonnablement retenu comme voie de ravitaillement : celui du sud, celui qu’avait emprunté Gentil, par le
Congo, l’Oubangui et le Chari. C’est encore un itinéraire très utilisé aujourd’hui sous le nom de (( voie fédérale D,
malgré sa longueur et les nombreuses ruptures de charge qu’il exige.
L’application de l’Entente cordiale, puis l’élimination de l’Allemagne de l’Afrique perniirent aux itinéraires
nigériens (Bénoué et chemin de fer Lagos-Kano) de concurrencer la voie fédérale. Nous étudierons brièvement
l’évolution de chaque liaison.
L’achèvement, en 1898, du chemin de fer belge qui contourne les rapides du Congo, entre Matadi et Kinkassa,
permit une amélioration notable du parcours entre la côte et le bief navigable du Congo en amont de Brazzaville.
Le transport par vapeurs, baleinières et pirogues atteignait Fort-Sibut, sur un affluent de l’Oubangui. Le franchisse-
ment de la dorsale qui sépare les bassins du Congo et du Tchad se fit d’abord sur le parcours le plus bref, entre
Fort-Sibut et Fort-Crampel, sur le Gribingui, affluent du Chari. Le rapport de la Commission d’Enquête au Congo,
rédigé après la mort de Brazza (i), note que 347 t de marchandises empruntèrent le trajet entre Juillet 1904 et Juil-
let 1905. En l’absence de tout autre moyen de transport, c’est le portage à tête d’homme qui assurait le transfer1
des marchandises de Fort-Sibut à Fort-Crampel. Soit, Q raison de 30 kg par charge, de quatre porteurs pour trois
charges et de dix étapes (240 lrm), un total de 11500 charges et de 15 O00 porteurs en 115 O00 journées.
Ce n’est qu’à partir de 1919 que les corvées de portage purent être réduites par la construction d’une route
carrossable sur un nouvel itinéraire qui reliait directement les rives de l’Oubangui à Bangui, au poste de Batangafo,
sur le Bahr-Sara, nouvelle tête de navigation du réseau du Chari.
Malgré ses inconvénients, la voie fédérale était la plus utilisée en 1922. Elle exigeait les délais d’acheminement
suivants : 20 jours de bateau entre Bordeaux et Matadi, 2 jours de train entre Matadi et Kinkassa-Léopoldville.
(Le Congo-Océan entre Pointe-Noire et Brazzaville, entrepris en 1925, ne sera achevé qu’en 1934.) Traversée du
Pool entre Léopoldville et Brazzaville, 10 jours de remontée du Congo et de l’Oubangui par vapeurs jusqu’à Bangui,
2 jours de route entre Bangui et Batangafo, de 8 à 15 jours de navigation entre Batangafo et Fort-Lamy. Soit au
total, dans les conditions les meilleures, 45 jours de route. En fait, ce délai n’arrivait à être tenu que pour les voya-
geurs ; les marchandises et les bagages de cale mettaient facilement de 4 à 18 mois pour faire le trajet. L’enquête
de BRUNEAU D E LABORIE révèle que l’on réceptionnait, en Janvier 1922, à Fort-Lamy, du matériel expédié par
cette voie et parti de France en 1920. I1 est facile d‘imaginer aussi les pertes, les détériorations subies par le matériel
au cours des multiples manutentions entraînées par les ruptures de charge. I1 est arrivé que des machines COQ-
teuses, acheminées par pièces détachées, n’aient pu être utilisées, certains éléments ayant été perdus en route.
La voie de la Bénoué
En vertu des accords de Berlin qui stipulaient la libre navigation commerciale dans les bassins du Congo et
du Niger, en raison aussi de l’amélioration des relations politiques franco-anglaises après 1904, la liaison Logone-
Bénoué reconnue par Lenfant fut utilisée tant que Ia France contrôla la haute vallée du mayo Kébi, c’est-à-dire
jusqu’à la fin de 1911. Le transit des marchandises entre les chutes Gauthiot et le Logone fut confié à la Compagnie
de I’Ouhamé et Nana. Un poste de régulation était alors installé à Hompi, pres de M’Bourao, au lieu-dit (( Poste du
Rocher )) (2). Mais, comme la navigation par le seuil de Dana (entre le Toubouri nord et le Logone) ne pouvait avoir
lieu en cas de trop faible crue et que la traversée du territoire allemand (nord du 10e parallèle) n’était possible que
par voie d’eau, il fallut adopter une solution pour le portage au sud du 10e parallèle. C’est ainsi que les pirogues,
au lieu de remonter le Toubouri vers le nord, empruntaient la basse Kabia, puis la Lolca jusqu’à Pogo. De Pogo à
Ham, sur le Logone, les 30 lcm étaient franchis par portage, Toutes ces opérations se passaient en pleine saison des
pluies (seule période de navigation possible sur la Bénoué et le mayo Kébi) e t les plaines entre Pogo et le Logone
étaient sous plusieurs dizaines de centimètres d’inondation. D’oh de grandes difficultés dans le recrutement des
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porteurs et un acheminement difficile qui devait être terminé sur Ham avant Novembre, car, à partir de cette date,
le Logone n’est plus praticable aux vapeurs. Les marchandises arrivées en retard à Ham devaient attendre le mois
de Juillet suivant pour être acheminées sur Fort-Lamy. Pour résoudre le problème du portage e t des délais de
transbordement, le capitaine Lancrenon eut l’idée de faire creuser un canal entre Ham et Pogo. Une partie du canal
était creusée avant la saison des pluies de 1911, et plus de 200 t ont pu, cette année-là, être acheminées avec deux
mois d‘avance sur Fort-Lamy.
Les accords de 1911, en enlevant la rive gauche du Logone à la France, interrompent les travaux de creusement
du canal. Ils ne seront pas repris après la guerre 1914-1918 :(( la ligne d’étapes Tchad-Congo,.par le Chari et l’Ou-
bangui, ayant été considérablement améliorée depuis 1909, elle pouvait suffire à tous les besoins du ravitaillement
des régions tchadiennes )) (TILHO, 1947, p. 22).
Effectivement, la voie de la Bénoué semble avoir été négligée entre les années 1912-1930 en raison des difi-
cultés de transbordement des marchandises entre Léré et le Logone en période d’inondations. L’une des solutions
suggérées en 1922 par BRUNEAU D E LABORIE était la construction d’un chemin de fer entre le Logone et Garoua,
assortie de la création d’une compagnie de navigation française ou franco-anglaise sur la Bénoué. Ni l’un ni l’autre
ne virent le jour.
La voie de la Bénoué ne reprit réellement de l’importance qu’au moment où l’évacuation de la production de
coton du bassin du Logone imposa son utilisation. Elle s’affirma alors comme la voie la plus économique pour
l’exportation des tonnages produits par le hfayo Kébi et le Logone.
La voie nigérienne
Terminée en 1912, la voie ferrée Lagos-Kano offrit bientôt, l’itinéraire le plus rapide pour atteindre Fort-Lamy,
le plus rapide mais aussi le plus cher. Moyennant 25 livres sterling la tonne, les marchandises pouvaient en moins
d’un mois faire le trajet Bordeaux-Lamy, soit : 15 jours de bateau entre Bordeaux et Cotonou, 2 jours Cotonou-
Lagos en lagune, 2 jours de chemin de fer Lagos-Kano, G jours d‘automobile Kano-Lamy. Cette voie fut utilisée sur-
tout pour l’acheminement du personnel. L’ouverture de la nouvelle ligne Port-Harcourt-Jos, en 1927, raccourcit
encore le trajet, et bientôt cette nouvelle voie fut utilisée concurremment avec celle de la Bénoué pour l’évacuation
du coton.
Jusqu’en 1940, tels étaient les principaux axes de desserte extérieure du Tchad. Peu à peu, cependant, l’intro-
duction de véhicules automobiles permettait d’accélérer les transports, au détriment des voies d’eau, réservées à la
seule période de saison des pluies.
A partir de 1920, l’ancien territoire militaire du Tchad devient une (( Colonie autonome )) dont le lieutenant-
gouverneur dépendra directement du Gouverneur Général de l’A. E. F. à Brazzaville. (La Fédération date de 1910.)
Au moment où l‘administration civile hérite du Tchad de la conquête, il s’agit, certes, d’un pays pacifié d’où
les razzias et les exactions des empires féodaux esclavagistes ont disparu, mais c’est un pays où le poids de l’u occu-
pation )) pèse encore. Dans un exposé de la situation du Tchad en 1923, le gouverneur LAVITtient à redresser les
procédés administratifs, jusqu’ici utilisés par l’armée : (( agissants, expéditifs ... les ordres, les réquisitions, les gane-
tions de nature disciplinaire plutôt que judiciaire, la réalisation au premier plan, les comptes seulement après )).
I1 note que les peines de l’indigénat étaient appliquées avec une sévérité excessive et à une foule de délits qui rele-
vaient des tribunaux, précisant : (( I1 a été distribué au Tchad, au titre de l’indigénat, en dix ans, de 1911 i 1920,
vingt siècles et quinze ans de prison à une population ne dépassant pas un million et demi d’habitants D. I1 regrette
que la politique pratiquée par des (( administrateurs militaires d’occasion n, pendant la guerre, ait été aussi maladroite
que brutale : (( Sous prétexte d‘impôt, on avait razzié dans les villages les rares cabris et jusqu’aux poulets qui s’y
trouvaient e t qui étaient le seul bien des occupants. I1 était même arrivé que l’opération exécutée par des détache-
ments de gardes livrés à eux-mêmes avait pris un caractère de sauvagerie inouï : incendie, meurtres, mutilations,
les malheureuxindigènes avaient tout souffert. Leur défiance actuelle n’est donc pas sans raison, et, s’ils confondent
encore dans leur esprit les mauvais bergers de cette période avec les Foulbé blancs de Rei Bouba qui les ont de tout
temps pillés et réduits en esclavage, on ne peut que leur être indulgent. ))
Mais le Tchad est aussi un pays du bout du monde, sans richesses naturelles à exploiter, sans richesse publique
permettant des aménagements collectifs. L’administration n’a, à sa disposition, qu’une masse de main-d’œuvre
que le statut de 1” indigénat )) livre A ses initiatives. Le pays ne produit que ce qu’il consomme et consomme, à coup
sûr, tout ce qu’il produit. C’est à partir de ces données qu’il faut essayer d’œuvrer. La (( corvée 1) et l’impôt en nature
seront les premiers instruments de la transformation qui s’opérera entre 1920 et 1930.
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 167
Les estimations de population faites en 1922 sont nettement supérieures à celles de 1911, non que la population
ait soudainement augmenté, mais du fait qu’un inventaire plus poussé a été réalisé avec les premiers recensements
administratifs. Voici les chiffres mis en parallèle. (I1faut noter, cependant, que l’évaluation faite pour le Mayo-Kébi,
en 1911, ne comprenait pas la subdivision de Bongor, le fameux K bec de canard B.)
En 1922, les circonscriptions sont modifiées pour prendre les contours qu’elles ont gardés jusqu’à 1961 : Moyen-
Logone, dont le chef-lieu reste encore à Laï, avec les subdivisions de Doba et deKélo (cette dernière enlevée au Mayo-
Kébi), et circonscription du Mayo-Kébi agrandi de la subdivision de Bongor enlevée au Moyen-Logone, devenant le
siège du chef-lieu, et subdivisions anciennes de Léré et Fianga, avec création temporaire d’une subdivision à Pala,
qui ne deviendra définitive qu’en 1933. En 1961, l’ancien département du Moyen-Logone a été divisé en trois nou-
velles unités administratives : départements du Logone oriental (Doba), du Logone occidental (Moundou) et de
la Tandjilé (Laï).
Au Cameroun, la rive gauche du Logone entre les I O e et Ile parallèles et jusqu’aux monts du Mandara forme
la (( région du Diamaré 1) avec chef-lieu à Maroua et trois subdivisions : Maroua, Kaélé et Yagoua. Ce n’est qu’en 1960
que la subdivision de Yagoua deviendra (( Département du Mayo-Danaye 1) et que le Diamaré sera divisé en trois
nouvelles sous-préfectures prélevées sur celles de Maroua et Kaélé : Pété, Bogo, Mindif.
Le problème qui domine tout essor des régions englobées dans ces unités administratives est celui des trans-
ports. I1 faut des routes pour évacuer les produits commercialisables, des routes pour les tournées de recensement
(nécessaires à l’établissement des listes d’impôt de capitation). I1 faut donc construire des routes u carrossables N.
Les voies d’eau utilisées presque exclusivement jusqu’alors ne peuvent suffire à la mise en valeur, n’étant utili-
sables que trois mois par an. Au début, les pistes construites par les corvées villageoises devront viser à une perfec-
tion relative : ((pistes de saison sèche sans fossés, ni remblais, ni ponts n, comprenant un débroussaillement et un
dessouchage sur 5 à 6 m de largeur et l’arasement des termitières. (( S’il y a sur la piste des passages difficiles pour
l’auto, on mettra au début le temps qu’il faut pour passer, devrait-on démonter la voiture. Les améliorations vien-
dront ultérieurement. 1) (LAVIT,1923.)
En 1922, il n’existe qu’un embryon de réseau routier. Une piste longe le Chari de Fort-Lamy à Fort-Archam-
bault; deux antennes : Bousso-Laï et Miltou-Laï relient le Chari au Logone. De nouvelles pistes sont en cours d’ou-
verture : Laï-Bongor, Laï-Doba, Bongor-Mogroum, Bongor-Léré (par la rive occidentale du Toubouri nord, sur
territoire camerounais),
Les difficultés rencontrées pour l’établissement des routes et pour leur entretien annuel tiennent aux condi-
tions physiques de la région, soumise alternativement à une saison sèche favorable à la circulation et à la réparation
des routes e t une saison des pluies qui transforme une bonne partie du pays en marécage, submergeant les routes
les plus basses, transformant en bourbiers les pistes exondées. Cependant, les deux domaines bien tranchés des
koros et des plaines inondables créent des conditions sensiblement différentes.
Au sud d’une ligne Pala, Kélo, Laï, Guidari, les bombements sableux des formations du Continental terminal
présentent des conditions de drainage convenables grâce au réseau de vallées bien dessinées où l’inondation est
contenue dans une limite précise. La présence dans l’épaisseur des sables de cuirasses ou de gravillons ferrugineux
permet l’établissement de pistes résistantes facilement rechargeables. C’est ainsi que pourra se constituer, entre
1930 et 1940, le premier réseau de pistes cotonnières autour de Moundou, Kélo, Pala, drainé par la route principale
qui, par Déli, Ké10 Pala, Léré, permettait d‘acheminer le coton égrené jusqu’à Garoua (cf. carte 11\.
Le seul problème difficile à résoudre était celui du franchissement des cours d’eau. Si le Logone et la Pendé
offraient des possibilités de franchissement par bac (accès aisé des berges, profondeur en eau suffisante), il n’en
était pas de même pour les cours d’eau moyens (Tandjilé, Kabia) fortement encaissés. Des ponts de construction
locale ou des radiers submersibles ont longtemps assuré une viabilité précautionneuse. Ce n’est qu’après 1950 que
la grande voie Goré-Léré a été dotée de ponts modernes pour le franchissement de tous les cours d’eau, permettant
ainsi l’évacuation du coton aussi bien vers Garoua que vers Bangui.
Les conditions changent du tout au tout dès que la retombée des formations de Ké10 fait place vers le nord aux
zones d’inondation de la Kabia, du Logone et du Ba-Illi. La route Bongor-Léré, en bordure du Toubouri nord, e t la
168 J E A N CABOT
route Fianga-Pala sont restées impraticables pendant quatre ou cinq mois jusqu’à ces dernières années. La route
Laï-Bongor utilisant le bourrelet de berge de la rive droite du Logone subit demombreuses submersions au moment
des déversements du fleuve en direction du Ba-Illi. Une véritable coupure s’établit de Juillet à Décembre au niveau
du 10e parallèle, entre le département du Logone et les districts de Pala, Léré, Fianga au sud e t le district de Bongor
au nord. L’isolement de Bongor pendant quatre à cinq mois est resté total jusqu’en 1956, date de mise en fonction
de la route-digue exondée reliant Bongor à Guelengdeng, sur le Chari.
Même les routes dites (( permanentes )) ne méritent qu’incomplètement ce titre. En effet, dès son début, la
saison des pluies impose quelques restrictions de circulation pendant et après les tornades. Des barrières de pluie sont
disposées le long des itinéraires pour stopper le trafic pendant quelques heures (de 6 à 12 h). La règle est surtout
impérative sur la route Bongor-Fort-Lamy, pour l’établissement de laquelle le service des Travaux Publics n’a pu
disposer de gravillons latéritiques et qui, constituée simplement de sable et d’argile compactés, devient glissante
et molle sous l’effet des pluies. I1 faut attendre que le soleil, immédiatement revenu après la tornade, sèche à nou-
veau Ia route pour rouvrir celle-ci à la circulation.
Chacune des voies dont dispose le sud de la République du Tchad pour son approvisionnement ou ses exporta-
tions intéresse, en partie ou en totalité, le bassin du Logone. Nous verrons plus loin dans quelle proportion chacune
d’elles contribue à ce double trafic, après avoir étudié les conditions de l’installation d’une production destinée à
fournir des denrées exportables.
I1 importait, cependant, d’insister par ce chapitre préliminaire sur les difficultés réelles et permanentes de
l’entretien d’un réseau de voies de desserte en direction du Tchad. Toutes les difficultés n’ont pas été lev6es. L’entre-
tien très coûteux de routes semi-permanentes grève le budget public sans permettre, pour autant, d’abaisser sensi-
blement les taux pratiqués pour le fret routier. Nous retrouverons le problème des transports lorsque nous essaierons
d’envisager les grandes directions du développement économique du pays. Problème majeur du Tchad, l’isolement
n’est pas encore entièrement vaincu.
Le coton existait déjà comme culture indigène avant l’introduction de sa culture obligatoire par l’administra.
tion et les sociétés cotonnières coloniales. La présence de la plante au Tchad est très ancienne. Elle a été signalée par
les premiers explorateurs e t vraisemblablement été apportée du Bornou et du Soudan par les caravanes qui par-
couraient l’Afrique entre Port-Soudan et le golfe de Guinée.
On distingue deux sortes de cotonniers sauvages subspontanés :
- un cotonnier, dit foulfoulo ou foulbé, à fibre courte laineuse très solide et à graine nue que l’on rencontre
actuellement encore dans les régions Est du Tchad, d’où il n’a pas été éliminé par la culture systématique d‘autres
variétés ; . , I
-- un cotonnier à fibre longue, jadis répandu au Mayo-Kébi, originaire sans doute de Nigeria. Les Foulbé de
I
Binder et Maroua en tissaient de larges (( godons 1) à usage vestimentaire, imités par les Moundang de Léré, pour la
confection d’étroites bandes d’étoffe, (c gabak )I, destinées à servir de pagnes. Cette variété a pratiquement disparu,
éliminée volontairement par les services agricoles au moment de l’introduction des variétés Triumph, puis Allen.
Au Cameroun, les Allemands avaient fait des essais de coton indigène amélioré à la station agricole de Pittoa.
Dès 1905, l’Association Cotonnière Equatoriale avait envisagé le développement de la culture du coton en A. E. F.
Mais les changements de frontières consécutifs aux accords franco-allemands de 1911, puis les opérations mili-
taires de 1944-1915 contre le Cameroun allemand vinrent interrompre ces projets.
Ce n’est qu’en 1921, après la mission BRUNEAU de LIBORIE,que les premiers essais furent tentés. En bordure
du mayo IGbi et du lac de Léré, le capitaine DELINGUETTE fit semer sur 500 ha de terrains non inondés la variété de
coton utilisée par les Foulbé de hlaroua (Otélo Pete). Les résultats furent très encourageants : sur 3 ha les plants
atteignirent 1,60 m dès Septembre et donnèrent de 80 à 92 capsules. La récolte faite en Novembre-Décembre
atteignit le rendement encore aujourd’hui surprenant de une tonne de coton graine à l’hectare. L’échantillon fut ~
COTON
SUPERFICIES ET RENDEMENTS
Rendement Centre d'achat > 200 t.
-.-.- de slpr6fecture
Inhabit6 .......-....-I de canton
O 50 100 km
/ / ' I I l
LE COTON
Le coton trouve dans le bassin du Logone des conditions climatiques favorables à sa culture sèche. La plante
exige, en effet, une répartition régulière des pluies à partir des semis pour aider le développenient de l’appareil végé-
tatif. (( Une température plus élevée, sans variations brusques, devient nécessaire; une température nocturne trop
fraîche est mauvaise à ce stade, car la croissance se fait principalement pendant la nuit. Du soleil, beaucoup de
soleil, peu de vent, des ondées bienfaisantes, un degré hygroscopique relativement élevé, pour réduire I’évaporation,
mais pas de trop, pour ne pas gêner la transpiration, telles sont les conditions idéales. Pour mûrir ses capsules,
le cotonnier exige une température oscillant entre 250 et 270 ; à cet égard, la moyenne de 260 est considérée comme
un optimum. Le cotonnier résiste à des températures élevées, mais 37,50 est le point critique qu’il ne peut dépasser
sans danger, sa résistance se trouvant alors annihilée par suite de l’arrêt presque complet de la végétation. 1) (CEE-
VALIER, 1942, p. 78-79.) Presque toutes ces conditions se trouvent réalisées pendant la saison des pluies dans le sud
de la cuvette tchadienne. Nous avons vu dans le premier chapitre de cette étude que la saison des pluies entraînait
un ralentissement notable des vents, une répartition des précipitations étalée sur quatre à cinq mois, une stabili-
sation des températures autour de valeurs moyennes toujours inférieures à 300 et une réduction sensible des écarts
quotidiens. Cependant, les variations locales de la pluviométrie, conséquence de la répartition capricieuse des
(( tornades D, ont des répercussions très sensibles sur le développement des plantations. Les semis ne doivent être
entrepris qu’une fois la saison des pluies bien installée; les graines et les jeunes plants supportent difficilement des
sécheresses supérieures à six jours. Mais, par ailleurs, le rendement optimum exige des semis aussi précoces que pos-
sible, afin d’assurer à la plante le bénéfice des dernières pluies au moment de la croissance des capsules. Les dates
recommandées pour les semis varient donc du début Juin à la mi-Juillet selon la latitude. Le respect de ces dates est
un élément essentiel du succès des campagnes cotonnières (R. DUMONT,1962, p. 137). La plante pourra recevoir des
pluies abondantes des mois de Juillet et Août bénéfiques avant la floraison. En revanche, le mois de Septembre
trop pluvieux est généralement défavorable pendant la période de pollinisation et de nouaison. Une reprise
des pluies en Octobre, et même début Novembre, favorise la croissance et la maturation des capsules de tête issues
des fleurs du sommet de la plante (MAGNEN,1956, p. 86). L’arrêt absolu des pluies à partir du mois de Novembre
correspond à l’époque de la déhiscence des capsules, qui ne courent plus le risque d’être abîmées par les pluies, même
si le ramassage est tardif.
Les exigences du coton en matière de sols sont moins impérieuses et sa culture a pu être introduite sans qu’il
soit besoin de faire une grande discrimination entre eux. Cependant, les sols inondables de la Kabia ou les sols
trop proches d’une nappe phréatique ont dû être rapidement abandonnés et livrés plus tard à la culture du riz
(zone des déversements de la région de Laï-Deressia et du coude d’gré). La fertilité des terres cotonnières exploitées
actuellement est conditionnée par leur richesse minérale (nature des argiles, pourcentage et réserves en bases
échangeables)et organiques (humus). Mais, dans des terres identiquement riches, les facteurs physiques de structure,
perméabilité et drainage des eaux de pluie sont primordiaux pour la productivité, car le coton s’accommode
difficilement des terres lourdes ennoyantes, ou des terres sableuses souffrant d’un excès d’eau par suite d’une nappe
phréatique trop proche (ERHART, PIAS,LENEUF, 1954, p. 105).
travail destiné à leur procurer des signes monétaires dont ils ignoraient l'usage jusqu'alors. Les premières planta-
tions furent donc assurées par coercition, soit par l'intermédiaire de chefs de canton à l'autorité éprouvée, soit,
le plus souvent, dans ces régions où la chefferie traditionnelle était inconnue, sous l'autorité directe des adminis-
trateurs usant d'un encadrement de gardes territoriaux.
La culture imposée
Les chiffres de production du département du Mayo-Kébi soulignent le démarrage diacile des années 1930 :
1930-1931. ........................... 249 tonnes
1931-1932. ........................... 11 tonnes
1932-1933. ........................... 735 tonnes
Pour obtenir le dernier chiffre, dont la plus grosse partie fut assurée par la subdivision de Fianga, (til fallut
vaincre la résistance ouverte de plusieurs villages qui, en pays Toubouri notamment, se refusaient catégoriquement
à entreprendre cette culture N.Le chef de subdivision fit faire de grandes plantations collectives (( seul moyen d'obte-
nir un rendement important, et le travail de plantation s'exécuta sous ses yeux )) (1).
Dans la subdivision de Léré, ce fut le système des plantations individuelles qui prévalut. u Les gens de cette
région étaient déjà familiarisés avec la culture du coton, et leur principale industrie est le tissage du gabak que les
Moundang font sous forme de bandes étroites, tandis que les Foulbé de Binder le tissent en bandes de 40 à 50 cm
de largeur. 1) Mais les 96 t apportées cette année48 à l'usine de Léré a ne représentent que le tiers de la production
de cette subdivision, car beaucoup de coton a été employé cette année pour le tissage et, d'autre part, de grosses
quantités ont été exportées et vendues sur le marché de Maroua, où le kilogramme de coton était acheté près de trois
fois plus cher que le prix consenti par la société cotonnière (0,70 F) D.
'
(( En ce qui concerne la subdivision de Léré, cette production fut obtenue sans qu'il soit nécessaire de recourir
d'autorité, réunir les hommes des villages et établir comme à Fianga de grosses plantations collectives. Malheu-
reusement, un incident qui se produisit dans le canton de Dari, où un garde fut blessé à la jambe d'un coup de sagaie
par un homme qui refusait d'aller aux plantations, rendit le chef de subdivision d'une excessive prudence. Le
résultat fut que la production de cette campagne représente à peine le poids des graines qui furent distribuées )J (1)
(23 t).
I1 semble que les populations Mousseye se soient mises plus résolument à la culture du coton. La présence d'un
chef traditionnel redouté y était peut-&tre pour quelque chose. En 1932-1933, le rendement moyen variait de
150 à 200 lcg de coton graine à l'hectare.
L'intéressement des chefs de canton traditionnels ou récemment désignés par l'administration fut assuré par
un régime d'achat très discutable. Chaque cultivateur devait transporter sa récolte jusqu'au marché de coton.
Là, toute la récolte du canton était rassemblée et comptabilisée par village, et la somme correspondant à l'achat
était versée a m chefs et non aux producteurs; ceux-ci devaient attendre la répartition du gain opérée par les chefs
selon le droit du prince. On comprend que de tels usages aient fort peu contribué à rendre populaire une culture
dont le paysan tirait la portion congrue à peine suffisante pour se libérer de l'impôt. Souvent même, pour être sûrs
de percevoir la totalité de celui-ci, les chefs le retenaient à la source et le producteur voyait se solder toute une cam-
pagne cotonnière par la distribution d'un reliquat correspondant au prix de quelques kilos de sel. Nous aurons à
revenir sur ce problème lorsque nous étudierons I'évolution des niveaux de vie. I1 était nécessaire de l'évoquer pour
expliquer l'impopularité d'une culture souvent maladroitement introduite.
Cette politique a été jugée de façons différentes, certains lui ont même trouvé des justifications. (( I1 faut bien
reconnaître qu'au début la culture cotonnière a été purement imposée à l'indigène, elle était en quelque sorte un
impôt en nature. Mais, en procédant ainsi vis-à-vis de populations arriérées e t imprévoyantes, l'administration
les obligeait 4 cultiver plus de produits alimentaires que ceux nécessaires à l'assolement, ce qui permit de lutter
contre le manque périodique de nourriture dont souffrait l'indigène. Graduellement, les sociétés cotonnières s'ef-
forcent de transformer la mentalité du Noir. Pour l'aider dans ses travaux, elles distribuèrent des houes j pour
réduire le portage, elles ont multiplié les centres d'achat et d'égrenage et développé les moyens de transport ; elles
ont distribué du sel et des primes d'encouragement (bicyclettes, fusils. )) (A. CHEVALIERet P. SENAY,1942, p. 66-67.)
Précisément, il nous faut étudier maintenant la place prise par le coton dans les assolements, son rôle dans
l'extension des cultures et l'incidence de son introduction dans la production vivrière traditionnelle et le calendrier
des cultures.
- -~
PLACE PRISE BAR LE COTON DANS LES ASSOLEMENTS
Nous avons vu que les différents groupes ethniques installés dans le bassin du moyen Logone pratiquaient
des cycles culturaux adaptés aux possibilités des terres, h la répartition topographique e t au régime d’inondation
de celles-ci. L’introduction d’une culture nouvelle ne pouvait se concevoir de la même manière chez les Massa
contraints de pratiquer une culture de champ de case par l’exiguïté des terres disponibles, chez les Toubouri et les
Moundang entraînés à un système de double culture au cours de l’année, et çhez les Gambaye -et d’une façon
gén6rale chez tout le groupe Sara - où la diversité des cultures et l’emprise au sol plus importante qui en dbcoule
allaient poser le problème de l’accélération des défrichements.
Au départ, les services de l’agriculture préconisèrent un assolement qui laissit au mil son caractère prioritaire
de première culture - culture vivrière de base. L’assolement proposé fut : 10 mil, 20 coton, 30 arachide. (GAIDE,
1956.)
Une telle solulion await ramené les superficies ensemencées en mil au tiers seulement de l’ensemble des
cultures, proportion nettement inSulEsante pour assurer la subsistance des populations. Elle donnait, d’autre part,
une place trop importante aux arachides en culture de caractère vivrier. S’il s’agissait, au contraire, d’introduire
par là une-seconde culture commercialisable, le déséquilibre entre production vivrière et production destinée à la
vente devenait nettement excessif. I1 n’aurait pu se justifier que dans la perspective d’une introduction sur le marché
de produits vivriers achetables par les cultivateurs. Ces produits (mil ou riz) devant être présentés à des prix tels
que le remplacement des cultures vivrières traditionnelles par les cultures de traite fût logique.
En outre, (( faire venir le coton derrière le mil, c’était s’assurer que, par suite des repousses naturelles, il y aurait
toujours eu une plante concurrente dans le coton : le mil, que la propagande la mieux faite n’aurait pas réussi
faire arracher. Imposer cet assolement n’aurait, certes, pu que mener l’agriculture traditionnelle une véritable
anarchie, étant en opposition complète avec les règles coutumières, si souples soient-elles. Reconnaissons à la
décharge du colonisateur que, loin de s’entêter dans son erreur, il a préféré laisser faire.
(( Le coton a alors pris la place qu’il occupe maintenant dans la quasi-totalité des cas, place qu’on ne lui conteste
pas : celle de culture de tête dans l’assolement. En cela, il ne fait que se comporter normalement comme une plante
sarclée. )) (GAIDE,1956.)
Dans le sud du bassin, en effet, le coton est venu prendre la place de l’avant-culture pratiquée par les Gambaye,
Lalca et Mbaye : le sésame. Mais, alors que ce dernier acceptait des terres grossièrement défrichées e t assurait une
récolte médiocre sans autres soins culturaux, le coton beaucoup plus exigeant demande un nettoyage parfait des
parcelles et nécessite au moins trois sarclages. Le gros effort consenti pour cette préparation des champs se retrouve
l’année suivante : les semis de mil se font sur des terres propres, ne demandant qu’un houage léger.
La rotation est donc devenue (1):
l’e année : coton (au lieu d’avant-culture de sésame ou de pois) j
2e année : mil, généralement en culture unique ;
3e année : repousses de mil associées à diverses autres plantes : arachide, haricr,t, courges j
L‘introduction du manioc en arrière-culture est un fait récent qui tend à se généraliser par le sud du bassin.
((Le manioc n’a pas pris la place d‘une autre culture (mil OU arachides), il est venu s’ajouter et, de ce fait, prolonge
la durée du cycle d’au moins un an et retarde d’autant la mise en jachère. )) (GAIDE,1956.)
Le coto11 a donc éliminé l’avant-culture traditionnelle qui constituait la provision familiale d’oléagineux
(sésame) OU une partie de la provision de féculents (pois). Les populations ont donc été obligées de demander cette
fraction de leur alimentation de base à de nouvelles cultures, soit en prolongeant la durée de la rotation tradition-
nelle par l’introduction d’une sole d’arachides en culture mixte (mil, haricots ou pois), soit en défrichant une super
fiCie plus importante. Dans les deux cas, la durée des jachères s’en est trouvée raccourcie. (( La superficie cultivée
en coton étant d’environ 0,5 ha par adulte, soit 0,25 ha par habitant, les superficies cultivées ont augmenté au moins
de 30 % la suite de notre action en faveur de la culture du coton. 1) (A. MAGNEN,1955, p. 145.)
Cet accroissement des surfaces enlevées à la jachère a eu des cons6quences différentes selon qu’il s’agissait dc
terres surpeuplées ou de terres encore faiblement peuplées. L’exemple du plateau de Sar, au nord du koro de Bénoye,
montre le danger de cette surculture sur les terres sableuses du sud du bassin. La présence à faible profondeur de
. .
( I ) I,o nifinir. typr de rotation n Ate mis au point dans 1c.s fermes écoles soudanaises charg8t.s de lu propagando cotunnièrc daus ICS proirinocs
du Icordofan c t d’Bquatoria (TOTEILL J.D., 1948, p. S48).
14
174 J E A N CABOT
carapaces ferrugineuses fossiles donne à l’érosion des conséquences dconomiques très graves, car la bowalisation
rapide de toute une contrée est en cours. Entre Dogueni et Mba Youel, sur une ancienne tenure collective, la cara-
pace ferrugineuse est entièrement mise à nu, surface d’une planéité parfaite, déblayée de toute terre arable. Tout
le terroir délimité par la route circulaire passant par Dolougou, hlilakar, Sar e t hloussoum est en voie de dénudation
rapide, la jachère arborée n’arrive pas à se reconstituer et la carapace sous-jacente est mise à nu par larges places.
4
, l’est et au nord de Sar, les croûtes ferrugineuses apparaissent la moindre dénivellation, où l’érosion les met à nu.
L’examen des puits des villages bénéficiant encore de quelques étendues de terres arables montre un danger de
dénudation également proche. A moins de 1 m de profondeur, ces puits révèlent l’existence d’une première carapace.
Il est facile d’imaginer le dégagement de celle-ci par ablation de la couche arable, sous l’effet de I’drosion activhe
par la surculture. (J. CABOT, 2961, p. 628-629.) (Pl. XIII, B).
Cependant le coton n’a pas partout trouvé place dans le cycle cultural traditionnel : chez les Massa de la région
de Bongor et de Koumi, où la culture unique de mil rouge se fait autour du groupe de cases familial, il a fallu lui
trouver de nouveaux emplacements (cf. fig. 38). Le manque de terres exondées a contraint les services oficiels à
réduire leurs exigences auprès des cultivateurs. Les surfaces de culture imposée ont dû &treréduites souvent de plus
de moitié par rapport 21 ce qui est demandé aux autres régions. D’autre part, le paysan Massa, déjà limité pour
l’extension de ses champs de mil, n’a pas voulu pratiquer une culture alternée mil-coton sur son (( sinéna ouor sina D.
rendements sont faibles et les terres épuisées. Parfois la sole collective empiète sur les terres à mil des cultivateurs,
et il arrive que le champ de coton, délimité sur cette fraction de champ de case englobée dans la culture adminis-
trative, ne soit pas cultivé par son utilisateur habituel.
(( Enfin dans le cas le plus défavorable, et c’est le plus fréquent en zone surpeuplée, on piquette sur les par-
celles de mil. On cherche alors à faire coïncider autant que possible la corde (1)avec une parcelle de celui qui doit
la cultiver. hIais le simple fait que la corde de coton est un carré de cBté bien déterminé ne permet pas de résoudre
entièrement le problème ; les angles, les bordures appartiennent à un, voire à plusieurs propriétaires autres que le
titulaire du piquet (de la corde). I1 arrive également qu’une corde complète est piquetée sur des parcelles appartenant
à d’autres que celui qui doit la cultiver en coton.
(( Mais, dans le champ de coton, les anciennes limites (sentiers, buttes, touffes de graminées) subsistent, e L
de coton, en général réduites à quelques cordes et disséminées au milieu du mil. Néanmoins, il y a des ententes
entre différents sina originaires d’un même ancêtre, e t on obtient alors une plantation continue de 10 à 20 cordes
entourée par les champs de case et les sina des cultivateurs intéressés. 1) (GAIDE,1954, p. 13 ; J. CABOT,1955, p. 53.)
La figure 38 montre pour le village de Biliani-Oursi I la répartition des soles de coton par rapport à I’implanta-
tion des sina familiaux et des champs de case contigus. Dans les trois quartiers : Gounou, Abagoké et AérP, près
de 50 % des cordes englobent tout ou partie de champs de case.
Cette pratique a pour conséquence la réduction des terres cultivCIes en mil. Le paysan doit donc, sous peine
de disette, chercher à récupérer des superficies au moins équivalentes pour son mil. I1 le fait en bordure de son champ
de case, à la limite de la zone d‘inondation ou en direction de terres plus médiocres qu’il avait précédemnient clédai-
gnées. Les rendements de la première année de culture sont toujours inférieurs à la moyenne, e t l’incorporation de
terres à mil dans les soles à coton se solde souvent par une récolte de grain insuffisante pour permettre à la famille
d’attendre la saison des pluies suivante.
Deus autres formes particulières de l’introduction du coton dans les cultures traditionnelles sont à signaler
dans la région de Léré et de Binder ; elles aboutissent toutes deux à l’implantation de cette culture sur les champs
de case, d’où elle déloge le mil.
Les Foulbé du canton de Binder ont toujours recherché les cultures les plus payantes. Déjà le jardinage de
l’oignon témoignait de cette tendance pour les cultures commercialisables. Lorsque le prix du coton a été relevé
à 25 F après 1950, les Foulbé ont préféré lui consacrer leurs terres de case, où il donnait des rendements supérieurs
à GOO kg à l’hectare (plus du double de la moyenne obtenue sur champs extérieurs), quitte à s’approvisionner en
mil sur le territoire voisin du Cameroun. Cette opération était rentable à l’époque où la culture du coton n’avait
pas été introduite sur ce territoire; les produits vivriers s’écoulaient à des prix relativement bas par rapport à ceux
pratiqués au Tchad, et les Foulbé y trouvaient leur compte. Le coton était, de ce fait, devenu une véritable culture
de case. I1 a fallu revenir à plus de modération lorsque le Cameroun a introduit, lui aussi, le coton sur les terres des
cantons voisins. La production du mil s’en est trouvée diminuée et le renchérissement des grains a réduit l’attrait
de la spéculation cotonnière réalisée par les Foulbé tchadiens. Actuellement, la tendance est à une rotation mil-
coton sur les champs de case et sur les champs de brousse.
Le même phbnomène s’est produit chez les Moundang dont les terres traditionnelles de culture s’apparentent
au champ de case du type hlassa. Les villages Moundang installés à proximité des terres fertiles de bordure des
lacs, près des argiles noires (Dame), pratiquaient sur ces champs cle case la culture répétée du gros mil. Avec l’appa-
rition du coton, l’appât du gain assez poussé chez les hfoundang, entraîna une rotation mil-coton tour à tour sur les
terres de case et sur les terres de pentes déjà dénudées qui encadrent la cuvette des lacs. Mais, tandis quela rotation
se fait sans aucun repos sur les champs de case, la jachère est nécessaire sur les champs de brousse. (( Une année,
les cases sont perdues au milieu d’un champ de mil; l’année suivante, au milieu d’un champ de cotoii. -4pparition
de l’assolement binaire. Mais, comme il faut tous les ans cultiver en même temps du mil et du coton, on pratique le
même assolement binaire, cette fois-ci avec jachère, loin du village, sur les terres hautes. C’est aussi sur les collines,
dans les moins mauvais endroits, que l’on continue à cultiver le mil sur mil avec utilisation des repousses (souvent
la mise en jachère est nécessaire au bout de deux années de mil) N. (GAIDE,1956.)
La culture du coton est donc venue accroître les défrichements, et cela sur des terres déjà en proie à l’érosion,
du fait de leur pente et de leur imperméabilité (socle granito-gneissique). Pour assurer chaque année leurs cultures
vivrières de subsistance chassées des champs de case par le coton, les Moundang des cantons de Léré, Tréné, Biparé
ont entamé une conquête des terres jusqu’ici protégkes par la végétation naturelle (savane arborée ou bush). Cette
évolution n’est pas sans danger, car le ruissellement intense de saison des pluies arrache aus pentes le peu de terre
arable médiocre, car très siliceuse, pour en recouvrir les bonnes terres noires du pourtour des lacs, qui disparaissent
(1) I1 faut entendre par l i un carré dont le côte rst mesuré par una cordc da dimrnsinus fishes par lc Service d~ l’agriculture.
176 J E A N CABOT
ainsi sous un alluvionnement de qualité très inférieure du point de vue agricole. La perte est double : disparition
des sols de pente, ennoyage des champs de case sous les nappes sableuses. Bien que la zone intéressée soit très réduite
en étendue, le danger qui menace les populations de la rive nord des lacs est total et mérite attention.
A ces types de rotation particuliers nés de l’introduction de la culture du coton dans le cycle traditionnel des
cultures s’opposent les cas où cette introduction fut impossible du fait même de l’inaptitude des sols à la végétation
du cotonnier : sur la rive droite du Logone, les zones de déversement des eaux en direction du Ba-Illi sont inondées
régulièrement entre Laï, Iiini et ”Gam. Les tertres exondés sont trop restreints pour que le coton puisse y trouver
place aux côtés des cultures vivrières. Le plan d’eau lui-même reste assez élevé pour que les bourrelets sableux ne
puissent présenter des sols assez profonds au-dessus de la nappe. Les rendements obtenus inférieurs à 150 lrg à
l’hectare découragèrent tout renouvellement des premières tentatives.
Sur la rive gauche du fleuve, toute la plaine des Gamés e t des Lé0 autour du lac Boro reçoit les eaux de déver-
sement du coude d‘Éré, les buttes exondées sont rares et la nappe phréatique y reste très proche de la surface. L B
encore, les échecs répétés de la culture du coton firent renoncer àtoute insistance. (Rendement à l’hectare en 1959-
1960 : cantons : Djera, 56 kg j Kolobei, 54 ; Moussa Nandjo, 29 ; Domo, 74 ; Gamé, 47.)
Les plaines inondées au nord de Bongor et de Yagoua, de part et d’autre du Logone, dont les buttes sont colo-
nisées par les Massa et les hiouloui, n’ont pu être récupérées à la culture qu’après endiguement récent du fleuve.
La qualité des terres (argiles récentes et série sablo-argileuse à concrétions calcaires, en majorité) écarte la possi-
bilité d’une culture cotonnière -tout au moins dans son caractère actuel de culture sèche.
Finalement, le coton est devenu essentiellement une culture des terres sableuses exondées : sables de la partie
sud du bassin et, de façon plus limitée, buttes sableuses exondées des zones inondables (lorsque le plan d’eau n’est
pas trop proche de la surface).
L’ANNÉE C O T O ~ R E
En Mars, les surveillants de culture, appelés ((boys cotons, s’entendent avec les chefs de terre ou de village pour
délimiter les soles à défricher pour la campagne cotonnière de l’année après le ramassage des dernières capsules
de la récolte de la campagne pr6cédente. A l’exception des cas particuliers que nous venons d’évoquer, la sole est
délimitée dans les zones arbustives où la végétation naturelle s’est reconstituée grâce à la jachère. Autant que pos-
sible, le piquetage s’effectue pour une collectivité importante (un quartier au moins, plus si possible). La superficie
à débrousser est calculée en fonction du nombre d’imposables - ou d‘adultes des deux sexes - du quartier ou du
village. La superficie à cultiver en coton est fixée à une corde. En général, la corde est de 71 m, ce qui porte la par-
celle (appelée aussi parfois (( piquet ))) à un demi-hectare environ. Dans les régions où les terres disponibles font
défaut, la corde est raccourcie. La corde utilisée dans le district de Koumi (Nord-Bongor) n’est que de 60 m - la
parcelle est donc de 36 a. Bien souvent même une corde est à cultiver par deux ou trois imposables. Pour fixer
la notion de cette (( unité de mesure )) pour les paysans, la corde est matérialisée dans chaque village par deux piquets
enfoncés dans le sol à l a distance imposée. (I1leur arrive de changer de place nuitamment, en général, dans le sens du
rapprochement.. .)
Une fois la sole délimitée, les travaux de débroussage commencent. Ils se font collectivement. Les hommes
abattent les arbres ; les femmes entassent les branches au pied des plus gros troncs ou les répandent également à
la surface du sol. Le feu est mis à ces abattis après quelques jours de dessiccation au grand soleil de la saison sèche.
Un houage préparele champ a recevoir les semis de coton; il a lieu dès que des pluies assez importantes ont ameubli
le sol.
Les semis sont faits en poquets, en respectant autant que possible des Bcartements variables selonla qualité des
terres. Le service de l’agriculture préconise 80 x 30 ou 35 cm en terres riches et GO x 20 ou 25 cm en terres pauvres.
En fait, il est difficile d’obtenir un respect rigoureux de ces distances. Des contròles de densités de semis ont permis
de constater une grande variété dans des secteurs disposant de terres de même qualité. En 1954, dans le départe-
ment du Mayo-Kébi, les densités rencontrées variaient de 30 O00 pieds à l’hectare à GG 000, alors que les densités
limites permises par les écartements préconisés seraient de 40 O00 à plus de 80 000 pieds,
La date des semis est essentielle pour les résultats de la campagne. Après de nombreuses années d’études et
d‘expérience sur le terrain, il a été constaté que les semis précoces assuraient les meilleures récoltes. Le mois de
Juin devrait voir se dérouler tous les semis. Les régions les plus septentrionales devant semer le plus t ô t possible
pour bénélicier au maximum de pluies de la saison humide, celles-ci s’arrêtant début Octobre dans la région de
Bongor. Plus au sud, le battement laissé au cultivateur est plus large, mais la date limite pour des semis profitables
scmble être la mi-Juillet à Baibolroum, limite sud de la région du Logone tchadien.
LE B A S S I N D U ~ I I I O l - E N L O G O N E 177
Pour encourager les agriculteurs h respecter les dates de semis, il a &té institué un système de primes à l’ense-
mencement. Seuls les agriculteurs ayant semé en temps voulu la perçoivent. D’une façon générale, par pression
administrative, menaces ou simple persuasion, cette prime est finalement payée à plus de 80 % des agriculteurs.
Ce qui témoigne, sinon d’un empressement spontane, au moins d’une certaine conscience de l’intérêt le plus immédiat.
11 faut bien reconnaìtrc que cette régularité dans les dates des semis a é t é , e t pour cause, la plus délicate des obliga-
tions à faire admettre par le paysan, Si l’on jette un regard sur le calendrier agricole (fig. 34), on constate immé-
diatement le caractère d’intrus abusif que prend le coton, venu le dernier, en concurrence avec les cultures vivrières
traditionnelles. Le même cruel dilemme se pose chaque année : abandonner pour un temps les soins donnés aux
plantes vivrières, ou s’attirer les reproches du boy-coton et peut-être du conducteur d’agriculture, ce qui ne manque
pas d’attirer les foudres du (( commandant )) sur le quartier. Ce délicat problème se pose toujours en une saison où
le regard quotidien jeté au fond des greniers confirme la redoutable certitude d’un manque de grains pour terminer
l’année agricole. I1 faut prévoir la plus grosse quantité possible de mil de soudure, mais éviter aussi les ((palabres1)
avec l’administration, et chaque famille s’ingénie à ne négliger ni le mil, ni le coton.
La plante exige des soins pendant sa croissance :
- sarclage et démariage à un plant, environ trois semaines après les semis. I1 faut également remplacer les
manquants j
- un second sarclage accompagné d’un buttage doit se faire pendant le mois d’Août j
- enfin, un troisième sarclage est souhaitable en Septembre. I1 n’est pas toujours accompli ponctuellement.
Le service de l’agriculture veille, par l’intermédiaire des (( boys-coton )I, à ce que les façons culturales soient
pratiquées à la date voulue. Les fermes d’expérimentation (Youé, Karual) ont augmenté les rendements de façon
très sensible en portant les sarclages à quatre et cinq pendant la saison des pluies.
Une soixantaine de jours après les semis, les premières fleurs apparaissent. Les capsules mettent deux mois
à se former et à grossir. Elles viennent à déhiscence durant le mois de Novembre, alors que la saison sèche est installée
dans la presque totalité du bassin. Cependant, l’ouverture des capsules s’éehelonne sur plusieurs mois, nécessitant
plusieurs récoltes successives.
Les récoltes rassemblent, en général, toute la famille sur le champ, les femmes de préférence dans certaines
tribus. Le coton graine est ramassé dans des paniers d’osier tressé e t ramené chaque soir à la case. Les plus conscien-
cieux séparent immédiatement le coton blanc du coton jaune (ayant souffert de l’humidité ou des parasites). La
récolte est disposée par qualités sur les auvents au centre de la cour de la ferme.
Après la dernikre récolte, qui a lieu au début de Mars au plus tard, les agriculteurs doivent obligatoirement
arracher les plants de coton afin d’enlever aux parasites tout support permettant leur survie pendant la saison sèche.
Les plants arrachés sont brûlés. La sole devient libre pour la deuxième culture de la rotation, le mil en général.
Une nouvelle sole est délimitée dans la savane arborée reconstituée ; les travaux de débroussage préparent une nou-
velle année cotonnière.
Les exigences de la culture nouvelle se heurtèrent, cela se conçoit très bien, à la routine des traditions. Implanter
le coton, c’était déloger les avant-cultures de sésame et de pois, exiger des débroussements de qualité dès la pre-
mière année de remise en culture des jachères, réduire et parfois déloger les cultures vivrières. C’était surtout boule-
verser le calendrier des semis pour inclure à la date voulue les soins à donner au coton. L’administration, en mettant
un point d’honneur (les notes de ses agents en dépendaient) à la réussite d’une culture d’exportation, source de
revenus permettant de transformer l’impôt réglé en nature en imp8t payé en espèces, se fit l’organisateur zélé de la
(( propagande 1) cotonnière.
Nous avons vu les administrateurs surveiller eux-mêmes, dès les premières années, les plantations conduites
inanzh militari. Mais l’énergie d’une seule personne dispersée sur l’ensemble d’une subdivision grande comme un
ou deux départements français ne pouvait suffire faire passer dans les mœurs la culture nouvelle. Malgré les sanc-
tions de police (1)que le code de l’indigénat mettait à leur disposition en cas de refus d’exécution de travaux d’in-
térêt collectif, les administrateurs trop peu nombreux dans un pays sous-administré n’obtinrent pas l’extension
rapide des superficies cultivées. En 1938, avec des rendements moyens de l’ordre de 200 lcg à l’hectare, les 12 600 t
de coton graine produits par les deux départements du I\layo-Kébi e t du Logone représentaient pourtant une
superficie ensemencée de 60 000 ha environ. Pour accroître les moyens de coercition sur les cultivateurs re’ticents,
un arrêté du Gouvernement Général en date du I S Décembre 1939 fixe parmi les infractions passibles des sanctions
de police tout (( refus ou mauvaise volont6 pour l’exécution des travaux ou mesures prescrits par l’autorité en vue
de la création ou de l’entretien de toutes cultures OU l’organisation des greniers de semences ou de vivres )) (1).
Les résultats ne se font pas attendre, et la production double d’une année à l’autre entre 1939 et 1940.
Les chefs des cantons ou de villages créés OU maintenus par l’autorité coloniale disposaient d’une délégation de
pouvoirs qui leur permettait d’envoyer auprès des administrateurs les agriculteurs récalcitrants ; lesquels pouvaient
alors méditer sur leur obstination dans l’ombre des prisons des chefs-lieux. Une des méthodes utilisées cette
époque pour (( faire faire du coton )) reposait sur l’intéressement des chefs locaux. Non seulement le coton vendu par
leurs administrés leur était réglé globalement dans les conditions déjà évoquées, mais, en outre, l’administration
fermait les yeux sur la pratique des (( champs de chefs )). Chaque petit chef mobilisait ses administrés pour cultiver
du coton sur d‘immenses champs dont la production était vendue à son seul profit. Cette regrettable institution
de (( corvée seigneuriale 1) mit longtemps A disparaître, même lorsque son caractère abusif eut été dénoncé. En 1954,
j’ai encore rencontré sur le village de Biliam-Oursi une sole de 25 cordes (soit 9 ha, car la corde est ici de 36 a),
cultivée par les paysans du lieu au profit du chef de canton de Koumi. Le chef de région de l’époque me confirma
qu’il ne s’agissait pas, hélas, d’une exception.
(1)La guerre europecnnc qui debutait allait augmenter les besoins en fibres textiles et rendre le ravitaillement plus précaire.
(2) @L’affairede BBLalem fit officiellement 14 morts 11. L’opposition des paysans aux exactions de leur chef de canton, soutenu par l’&mi-
nistration, entraîna l’intervention des troupes. La fusillade fit de nombreuses victimes.
Notons encore cependant qu’ (L il a fallu en 1953 la prGsence du Commandement et des gardcs, pour toutes les opérations culturales N. (Rapport
politique du Logone 1953).
(3) R. DUSIONT 1950 : Un encadrement cotonnier Qtroitement spécialisé, ax6 sur le seul tonnage do coton grains, peut amener h promou-
voir des mesures désastreuses pour l’ensemble de l’agriculture de 1’A.E.P. done en retour sur le taux de production cotonnikre i long term” Kou.,
lui préférons un développement de l’encadrement agricole h qui les probkmes de riz, d’arachides e t surtout de sorghos, de jachbre 6.t dp conscr-
vntion du sol soient aussi familiers que celui du coton 2.
LB B A S S I N DU MOYEN L O G O N E 179
tilche par ]’École d’Agriculture du Ba-Illi. Peu à peu, le cadre des conducteurs s’africanise et quelques candidats
ingénieurs agronomes font leurs études en France.
Grhce à l’encadrement qui couvre toute la région cotonnière, les superficies ensemencées n’ont cessé d‘aug-
menter, passant pour les deux départements du Mayo-I<ébi et du Logone de 138 O00 ha en 1949-1950 31 170 O00
en 1956 et 200 O00 en 1963, tandis que les chiffres correspondants pour l’ensemble du Tchad étaient respectivement
de 178 000, 230 O00 et 282 O00 (1).Les deux régions du bassin (devenues quatre départements) fournissent donc
70 % du travail cotonnier, cela malgré l’affectation des terres inondables à la production du riz e t malgré l’extension
de la culture du coton à de nouvelles regions à l’est du Chari.
11 faut mettre à l’actif du nouveau style de propagande la création d‘une prime à l’ensemencement, régulière-
ment payée à. partir de 1951, à raison de 900 F par hectare, à tout planteur dont les semis étaient termines le 5 Juil-
let. Pour être efficace sur le plan psychologique, cette prime ne devait pas être confondue par le paysan avec une
augmentation du prix d‘achat du coton. Seuls les planteurs ayant fait l’effort de procéder à leurs semis en temps
voulu devaient la percevoir, avant toute commercialisation de la récolte. C’est encore l’administration qui reçut
la mission de mener à bien l’opération à l’aide des fonds fournis par la Caisse de Soutien du Coton (2).
Ces améliorations des conditions de rendement et de commercialisation ont entraîné de notables changements
dans l’état d’esprit des populations. I1 n’est, pour s’en rendre compte, que de relire les rapports administratifs (3).
(( Sans remonter aux années qui ont suivi la guerre, alors que la culture du coton n’était obtenue que par la
coercition administrative, la poigne terriblement lourde des chefs, l’envoi de gardes en brousse, nous voyons que,
jusqu’en 1953, (( le coton, culture simple et rentable, est toujours considére comme une obligation administrative
au même titre que l’impôt, et tous les moyens sont bons pour tenter d’y échappera. C’est à partir de 1953 que nous
avons pu constater, d’une façon nette, les progrès réalisés. Dès 1954, on peut lire dans le rapport annuel : (( Tout
cela fait-il que le coton, culture du Commandant, soit devenu une culture populaire, une culture volontaire ? Non,
pas encore, mais le coton est accepté par 80 % de la population, et beaucoup, parmi les jeunes qui veulent de l’ar-
gent, le font spontanément. ))
Dès 1954, nous affirmions que la balance avait penché du bon côté et, cette année, nous pouvons avancer
que la culture est bien entrée dans les mœurs. L’administration intervient toujours pour diriger la campagne,
l’encadrement agricole, toujours extrêmement actif, guide e t conseille, mais le poids du chef, d’ailleurs très diminué,
est extrêmement faible. Les padjas armés de chicottes ont été interdits et le garde n’est presque plus employé.
Cette année encore, quelques rares gardes ont été employés en de rares points, du fait qu’il était nécessaire d’accé-
lérer telle activité culturale ralentie par une situation politique locale momentanément trouble et qui risquait de
se dégrader. Mais cette action a été exceptionnelle. A titre d’exemple, dans le district du Moundou, qui reste pour-
tant clans son ensemble le plus difficile à mener, le chef de district a tenu à ne pas utiliser un seul garde pour la cam-
pagne agricole. Bien que les conditions climatologiques du début aient été extrêmement défavorables et nous aient
même rendus à ce moment très pessimistes sur les résultats futurs, aucune action de force visant à l’accélération
ne fut menée dès que les conditions s’améliorèrent. Seuls les conducteurs d’encadrement continuèrent la propagande.
Les travaux furent effectués, les superficies ensemencées en coton sont en augmentation. 1)
Grlce ces nouvelles méthodes, les rendements ont pu être sensiblement améliorés e t portés à une moyenne
générale de 300 kg/ha pour l’ensemble du Tchad. La carte nog, page 170, montre cependant de fortes inégalités dans
les rendements par cantons. La surcharge des terres de certains secteurs du département du Logone occidental
(cantons de Bénoye, M’Balla, Biramanda, Manso, Sar) explique les rendements inférieurs à 250 Bg/ha. Ailleurs,
la même faiblesse de rendements découle de l’inadaptation de la culture cotonnière aux terres inondables ou trop
proches de la nappe d’infiltrations (Toubouri-Nord, cantons Gounou, Djarao, Léo). Les plus forts rendements
(entre 400 et 500 Irg/ha) se rencontrent surtout dans le département du Mayo-Kébi en pays Massa, Toubouri et
Moundang (cantons de Torroclr, Youé, Bongor, Télémé). Le cas du canton de Binder, en pays Foulbé, a déjà été cité
pour l’orientation spéculative donnée à la *culture du coton, parvenue à éliminer les cultures vivrières des champs
de case (au moins un an sur deux).
Deux laboratoires de l’Institut de Recherches des Cotons e t Textiles (I. R. C. T.) sont implantés dans le bassin
du Logone : l’un à TiBem, sur les terres caractéristiques de la zone inondable (argiles à concrétions, limons des
berges) j l’autre à Bebedja, sur les terres sableuses du sud du bassin. Ces laboratoires se sont attachés à l’amélio-
ration des varitités de coton par augmentation de la proportion dr fibres obtenue à I’égrcnage. La vnrsibté cultivCe
depuis les années quarante était l’Allen Comnzzm, bien adapté au pays, mais ne donnant qu’une proportion de
fibres de 30 % dans les meilleures conditions. En fait,les usines d’égrenage ne ddpassaient pas 28.9 29 yo. -
Trois variétés ont été mises au point, chacune d’elles s’adaptant bien à une zone particulière :
- 50 T donne 35,5 % de fibre, ce qui porte son indice de production à 118,3 si l’on prend comme base 100,
le rendement de l’Allen romnmn j
-A 58-151 donne 36,5 % de fibre, soit un indice de 122,6 j
-A 150 donne 37,4 % de fibre, soit 124,3 % d’indice de production. Cette dernière variété semble parfaite
ment adaptée aux conditions climatiques des départements du Logone entre les isohyètes 1200 et 1000. A 58-151
est adapté au climat du Rlayo-IGbi déjà moins arrosé. A 50 T donne ses meilleurs rendements encore plus au nord.
L’introduction des variétés nouvelles pose le problème de la production des graines en quantités sufisantes
pour couvrir toute la zone cotonnière intéressée. Une fois la variété mise au point par les généticiens de l’I. R. C . T.,
il faut la multiplier dans des fermes d‘expérimentation et de multiplication. Dans le bassin du Logone, les fermes
de multiplication cotonnière sont au nombre de cinq, trois fermes administratives et deux fermes appartenant à la
Cotonfran. Leur implantation a été assez judicieusement fixée en fonction des différents sols du bassin.
Les fermes administratives ont été créées dans un triple but :
- assurer dans de bonnes conditions le départ des multiplications de variétés améliorées de coton ;
- servir de centres d’expérimentation agricole pour la zone d’influence rattachée à chaque ferme (même
sols, groupes ethniques homogènes ou voisins, techniques culturales semblables) ;
- servir de points de départ pour l’amélioration des techniques agricoles traditionnelles.
La ferme de Youhé est implantée dans le district de Fianga, au nord de la partie occidentale des lacs Toubouri.
Ses 353 ha correspondent a u s terres lourdes caractéristiques issues des argiles largement répandues sur les districts
de Bongor, Fianga et Léré. Les essais correspondent aux conditions pluviométriques de la région (900 à 1 O00 min).
La ferme de Déli, dans le district de Rloundou, dispose de 953 ha, dont 675 cultivables (pluviométrie de 1100 à
1 200 mm). Elle est située dans la zone des sables paléo-tchadiens. Ses sols comprennent des terres beiges e t des
terres rouges. Sur les parties les plus hautes apparaissent des affleurements latéritiques de cuirasses dégagées par
l’érosion des koros.
La ferme de Békao, dans le district de Baïbolroum, dispose de 648 ha, dont 500 cultivables. Elle appartient k la
zone des sols granitiques en place sur la roche mère. La pluviométrie moyenne de la région est de 1 200 à 1 400 mm.
Les fermes de la Cotonfran :
La ferme de Karual a été créée en 1947 dans la zone des sols légers de la Tandjile et de la Iiabia. Ses 396 ha
sont situés la limite de la retombée des plateaux de Pala sur la dépression drainée par la Kabia et ses affluents.
La pluviométrie est intermédiaire entre celle de Youhé e t celle de Déli (1O00 mm environ).
La ferme de Béltamba, créée en 1948, joue un rôle équivalent pour les terres situées 4 l’est de la Pendé.
La mise en place de la variété A 150 sur le département du Logone a pris sept années. L’étalon a été tout
d‘abord multiplié sur les terrains d’essais de 1’1. R. C. T. à Tikem en 1953-1954. Les graines obtenues permirent
d’assurer les semis de 135 ha à Andji-Déli et Bélcao au cours de l’année 1954-1955. Finalement, la totalité des sur-
faces ensemencées en coton dans le département ne fut couverte qu’en 1959-1960 (103 400 ha).
L’introduction de nouvelles variétés exige de nombreuses précautions, car les hybridations qui pourraient
se produire seraient préjudiciables aux récoltes futures. Pour éviter le maintien des anciennes espèces, les services
agricoles procèdent la diffusion de variétés dites de ((rinçageD, améliorées par rapport a u s anciens plants et des-
tinées à les élimber. C’est ainsi que l’introduction de la variété A 150 fut précédée par les variétés de rinçage 44-10 et
A 49 T sur les terres à coton du département du Logone.
Expérimentation d’engrais
Le Tchad, victime de l’isolement dans de nombreux domaines, éprouve particulièrement sa disgrâce dans le
domaine des approvisionnements en matières pondéreuses, de faible coût à l’achat et dont le prix de revient, rendues
sur place, est grevé de tous les frais de transport maritimes e t surtout terrestres. Ainsi en est-il des engrais.
I1 a fallu attendre 1951 pour que commence l’expérimentation sur l’effet des engrais minéraux en culture
cotonnière. D’abord dans les stations de 1’1. R. C. T. de Tikem et Bébédja, dans les fermes de multiplication les
années suivantes. L‘expérience s’est poursuivie et a démontré :
- l’effet très &duit de l’acide phosphorique et de la potasse ;
- l’effet marqué de l’azote sous forme de sulfate d’ammoniaque.
L E BASSIN D U M O Y E N LOGONE %St
Les essais poursuivis j usqu’h maintenant pernietteiit de recommander l’emploi d‘une dose de 100 kg/ha
sulfate d’ammoniaque en terre moyennement riche. L’épandage doit se faire 4 l’époque du démariage, en lignes
parallèles aux semis. L’augmentation de rendement à attendre est de l’ordre de 25 %.
Faisant le calcul des frais entraînés par l’usage du sulfate d’ammoniaque sur les terres du Logone, A. ~ I A G N E N
Pcrit : a 1,e prix de vente moyen pond6ré du coton graines étant de 24,50 F par kilogramme et le coût de l’engrais
rendu 4 Moundou de 30 F le kilogramme, l’opération n’est actuellement rentable que pour les zones à rendements
supérieurs 500 kg/ha, ce qui n’est pratiquement pas le cas dans notre région.
Le but de l’opération serail évidemment d’augmenter la rémunération du cultivateur j celle-ci peut ètre
augmentée de 300 F par hectare (soit 150 F par cultivateur), si l e sulfate d‘ammoniaque est vendu de 15 4 24 F le
kilogramme.
Ceci nécessiterait une subvention de 6 à 15 F par kilogramme de sulfate d‘ammoniaque, soit de 600 à 1500 F
par hectare, donc beaucoup plus élevée que l’augmentation de revenu du cultivateur.
Est-il raisonnable que la Fédération (ou la Métropole) verse de 600 à 1 500 F par hectare pour augmenter le
revenu du cultivateur de 300 F par hectare et les droits de sortie de 235 à 530 F par hectare ? )) (A. MAGNEN,1955,
p. 118-119.)
Cet Le opération déficitaire ne profiterait finalement qu’aux marchands d’engrais et aux sociétés cotonnières,
alors que le pays dispose d’une fumure organique jusqu’ici détruite en pure perte : la graine de coton.
L’emploi des engrais organiques en expériences de fermes n’a été tenté que plus récemment encore.
Chaque ferme a été dotée d’un petit troupeau de bovins, trypanoso-résistants, dans les fermes du sud du bas-
sin, et le fumier obtenu a été utilisé sur les champs d’expérimentation. Un épandage de 20 t h l’hectare entraîne
une augmentation de rendement de l’ordre de 20 % environ.
I1 existe cependant une fumure naturelle à laquelle il aurait pu être pensé bien plus tôt : la graine de coton
broyée. I1 a fallu attendre la campagne de 1955-1956 pour que celle-ci soit utilisée.
Chaque année, les usines d’égrenage rejettent une quantité de graines de coton équivalente à plus de 60 % du
tonnage de coton usiné. Pour l’ensemble du bassin, il s’agit de 30 O00 à 45 O00 t de graines dont une partie seulement
est réutilisée pour les semences de l’année suivante (à raison de 30 à 50 Irg à l’ha)’; une autre partie sert de combus-
tible aux locomobiles qui actionnent les usines d’égrenage. hlais le reste était jusqu’ici brûlé en pure perte aux abords
des centres usiniers !... (I). PrBs de 20 O00 t de graines sont ainsi gaspillées pour l’ensemble du bassin.
Les essais de fumure à la graine de coton broyée, enfouie au moment du démariage parallèlement aux lignes
de semis, ont permis d’enregistrer une augmentation de rendement moyenne de 20 % à raison de une t/ha. La récu-
pération des 20 O00 t de graines brûlées chaque année permettrait de fumer 20 O00 ha parmi les terres les plus fati-
guées. I1 n’en coûterait absolument rien au cultivateur, puisque la graine broyée pourrait lui être véhiculée en frzt
retour gratuit au moment des achats de récolte dans les centres.
Parmi les insectes qui s’attaquent à la capsule du coton, il faut citer : les chenilles du Diparopsis, de I’Earias,
de I’Héliothis, ainsi que des hémiptères (Dysdercus, Gassides, Lygus). Les plus gros dégâts sont causés par le Dipn-
ropsis perditor dont les femelles pondent leurs œufs sur les cotonniers à raison de 30 à 40 par jour pendant une
semaine. Au bout de cinq jours d’incubation, les chenilles apparaissent et vont se loger dans les fleurs oules capsules,
auxquelles elles causent des dégbts irrémédiables. L’étape finale de la métamorphose se déroule dans le sol, d’où le
papillon jaillit hors de sa chrysalide, prêt à répandre ses œufs sur les plants.
Comme les premiers papillons font leur apparition en Avril, il est extrêmement important qu’à cette époque
les anciennes plantations aient été arrachées et les vieux plants brûlés.
Pour l’instant, la lutte à l’aide des insecticides serait beaucoup trop coûteuse pour un rendement aléatoire.
N Le traitement coûte environ 4 200 F par hectare. Une augmentation de 10 % pour un rendement de 400 kg/ha
(en terres riches et avec épandage d’engrais), soit 40 kg/ha, ne représente que 940 F. Non seulement l’opération
n’est pas rentable, mais l’accroissement de rendement obtenu ne peut justifier à notre avis, même dans le cas de
multiplication, les frais engagés )). (A. MAGNEN,Rapport, 1956 ( a ) ,p. 131.)
La lutte contre les autres ennemis du cotonnier est à I’étude dans les stations de l’I. R. C. T. Les résultats obte-
nus jusqu’ici ne permettent pas de proposer des campagnes insecticides à des prix rentahlcs.
.____
.__..__
_._ Récolte dépts Mayo-Kébi
I
et Logone
... :.
. . * i
.:
::
*.
La production cotonnière du Tchad est en progression depuis l’introduction de la nouvelle culture. Elle avait
atteint 20 O00 t en 1940 et se maintint ce chiffre jusqu’en 1944. C’est en 1944-1946 que se fait sentir le résultat de
1’ (( effort de guerre )) qui double la production (40 O00 t). Après un recul à 30 O00 t, en 1947, la progression reprend
pour atteindre GO O00 t, en 1952 (fig. 39).
C’est dans l’intervalle 1948-1952 que fut expérimentée la (( prime à l’ensemencement n. Annoncée aux cultiva-
teurs après la chute de production de 1947, elle permet l’essor des récoltes suivantes (52 O00 t en 1950). Mais les
promesses ne furent pas tenues et les agriculteurs ne reçurent aucune prime pour cette production record. Le résultat
immédiat fut la chute de production de 1951 (40 O00 t). La prime fut alors payée régulièrement chaque année et
par paliers successifs j la production atteignit les 80000 t en 1958 et approcha de peu les I00000 t en 1961, puis
en 1963.
I1 est intéressant de noter que les années de baisse de production sont immédiatement en rapport avec les évé-
nements politiques : elections générales de 1947 et 1951, aménagement de la Loi-cadre en 1957, Indépendance
en 1960. Mais, si la production est affectée, les surfaces cultivées en coton ne marquent aucun recul. Comment inter-
préter ces faits ? I1 semble que le principe même de la culture cotonnière ne soit plus en discussion auprès des pay-
sans. Ils ont trouvé là un moyen de se procurer un peu d’argent - de quoi payer leur impOt et s’offrir quelques
fantaisies - et ne songent pas à l’abandonner. En revanche, l’exercice des devoirs de citoyens, le contact avec les
représentants des partis politiques puis les espoirs de l’indépendance ont introduit un certain laisser-aller, l’impres-
sion que désormais on pouvait organiser le travail agricole à sa guise, D’oh les semis tardifs, les sarclages plus ou
moins bien faits. Le pourcentage de plantations primées habituellement, voisin de 90 %, tombe à 70 % e t moinb
en 1957 et 1960. A ces faits d’ordre humain s’ajoutent des conditions pluviométriques défavorables. Le résultat
est catastrophique. L’Indépendance est marquée par le recul de la production aux cliiffres d’avant-guerre avec
39 U00 t. Tout le pays ressent le mal, et l’année suivante marque un nouveau bond de GO O00 t d’augmentation.
Le tableau ci-dessous souligne les fléchissements enregistrés dans les rendements à l’hectare au cours des
récoltes 1956-1957, 1958-1959 et 1959-1960. Les résultats de la récolte 1961-1962, particulièrement faibles, cor-
respondent à une saison des pluies défavorable dans l’ensemble de la zone soudanienne (cf. chap. XV). La compa-
raison des rendements entre les deux régions (Mayo-Kébiet Logone) montre une tenue meilleure du Mayo-Kébi,
où la production à l’hectare n’est jamais descendue au-dessous de 200 kg, même au cours des années catastrophiques
1959-1960 et 1961-1962, alors que les départements de l’ancienne région du Logone accusaient des chutes à 130 kg/ha
en 1959-1960 e t même 121 kg en 1961-1962. Autre constatation qui découle de la part importante du bassin du
Logone dans la production tchadienne :le rendement moyen global ne diffère jamais très sensiblement du rendement
moyen des deux régions.
1949-1950 18 465 56 350 328 22 864 82 500 277 41 329138 850 300 52 975 178 650 297
1950-1951 18 846 53 300 278 17 932 75 GOO 235 32 778128 900 255 40 898 165 700 245
1951-1952 22 906 59 800 383 25 647 97 450 263 48 553157 250 309 60 332 206 590 292
1952-1953 24 191 64 359 375 22 149 95 834 231 46 340160 193 290 57 378 212 721 269
1953-1954 20 246 58 034 348 27 177 104 903 259 47 403162 937 293 57 925 21 5320 268
1954-1955 “4 504 61 715 397 28 169 103 ,156 276 52 673 163 871 322 71 316 222 980 319
1955-1956 24 694 64 322 384 28 239 105 197 269 52, 933 169 5.19 313 69 642 231 510 301
1956-1957 22 046 64 066 344 25 945 104 476 248 47 991 168 542 285 63 504 231 419 272
1957-1958 26 538 63 693 417 35 663 106 461 335 62 201 170 154 366 80 467 230 071 350
,1958-1959 19 842 62 738 315 3.1 049 ,112 187 275 50 891 ,174 925 “2 65 912 235 277 277
1959-1960 18 312 62 905 210 17 477 134 352 130 30 789 ,197 257 ,156 39 653 259 323 153
1960-j961 25 208 70 003 362 46 319 147 650 314 71 527 217 653 330 97 970 288 128 341
1961-1962 15 519 68 904 225 18 535 ,156 540 121 34 054 225 444 152 46 733 299 843 156
1962-1963 76 662 181 723 338 899
--
154 J E A N CABOT
I1 peut &tre intéressanl cle notw, h litre de comparaison, quelques renclemenls de la production cotorinihrc
en République Centrafricaine pour l’année 1958-1959. Voici les chiffres cités par Michel GEORGES (1) : rendcment
moyen sur l’ensemble de la République : 249 lrg/ha ; moyenne du district de Grimari : 346 kg (variantes de 282 à
464 Irg/ha). I1 ne s’agit donc pas de chiffres très différents de ceux obtenus au Tchad. En revanche, dans les fermes
spécialisées, les rendements notés sont neti.ernent supérieurs : 800 kg à YI. R. C. T. de Madomalé j 1O00 kg dans la
zone mécaniske de Goulinga j 1 200 lcg à la ferme spécialisée de Goulinga. RIais ces rendements obtenus sur de
faibles superfiries ne peuvent avoir, pas plus qu’au Tchad, i i n ~incidence notable dans les chiffres de rendrment
général.
PRODUCTION
COTONNIERE (ENSEMBLE D U TCHAD).
-I Campagnes
Production
coton, graines
Prix d'achat
coton graines
Production
coton fibre
Rendement
à l'égrennge
Il linnées
Tonnes
440
F (C. F. A.)
1,oo
Tonnes
170
1 240 0,90 457
995 0,70 412
3 350 0,70 1206
5 700 0,60 2 047
6 250 0,60 3 356
7 900 0,60 3 830
9 300 0,75 3 543
1937-1935 . . . . . . 14 O00 0,55 5 055
1935-1939 . . . . . . 11 O00 1,10 4 o10
1939-1940 . . . . . . 19 100 1,10 6 250
22 700 1,10 7 530
21 700 1,10 7 040
21 700 1,50 7 170
20 800 2,525 6 545
34 700 2,50 40 800
41 100 3,OO 1 3 O00
27 500 4,OO 9 134
37 soo 5,OO '11 954
44 200 12,oo 15 760
53 100 12,oo 14 747 27,90 %
40 895 16,OO 11 305 !27,60 %
60 332 25,OO 16 725 27,ÏO %
57 375 25,OO 15 932 27,so 76
57 925 25/20 (24,32) 16 362 28,20 yo
71 316 24/20 (23,49) 20 500 29,10 yJ
69 643 24/20 (23,52) 30 962 30,10 yo
63 504 34/20 (23,57) 20 902 32,90
SO 467 26/20 35 653 37,75 o/;
65 913 26/20 23 655 36,OO 76
39 653 26/20 1 4 115 35,50 yo
97 970 26/20 33 769 3 4 3 76
46 803 26/20 16 467 35,10 yo
94 459 36 33 495 35,50 env.
Au Tchad, la Cotonfran s'est organisée en trois secteurs correspondant aux départements où la culture du coton
fut d'abord introduite : Moyen-Chari (chef-lieu : Fort-Archambault), Logone (chef-lieu : Moundou), Mayo-Kébi
(chef-lieu : Bongor). Depuis 1954, un quatrième secteur a été constitué par le démarrage de la culture du coton sur
trois nouveaux départements : Chari-Baguirmi (chef-lieu : Fort-Lamy), Guéra (chef-lieu : Mongo) e t Salamat.
chef-lieu : Am-Timan).
L E BASSIN D U MOYEN LOGONE 4 57
Chaque secteur possède sa direction et ses bureaux. D’elle dépend un contrôleur d’égrenage, sorte de directeur
technique chargé de visiter les usines du secteur. Les usines sont appelées K postes N. Le personnel d’encadremunt
européen est constitué par le chef de poste, le mécanicien et l’acheteur chargé de la propagande en saison des pluies
et des achats au moment des marchés. En tout, une soixantaine d‘Européens assurant le fonctionnement e t le
contrôle de quinze usines et de deux directions (pour le bassin du Logone).
Le gros problème pour I’égrenage du coton est de réduire le plus possible le temps nécessaire à l’usinage, afin
de pouvoir évacuer les balles de coton fibre avant que les routes deviennent impraticables.
Si sa solution correcte depend principalement du rendement de l’usine (puissance, vitesse, organisation), elle
doit tenir compte également dans une assez large mesure de la cliniatologie (maturité du coton), de l’empresse-
ment plus ou moins grand des producteurs à apporter leur récolte dès les premiers marchés, de l’état général des
routes (réfections faites en temps voulu), de l’organisation et du bon fonctionnement des entreprises de transports
qui assurent l’acheminement du coton graine aux usines.
Tous ces impératifs expliquent l’implantation des postes dans le bassin du Logone. Réalisée à une epoque où
les moyens de transport étaient rares en Afrique, où les pistes étaient limitées aux axes principaux, la création des
usines fut pensée en vue de réduire les distances d’approvisionnement. D’oÙ la dispersion des postes et le nombre
relativement élev&des usines pour une production encore faible:
L’implantation des premières usines s’est faite entre 1930 et 1940, I? une époque où les conditions de transport
par route étaient dilhiles : pistes rares, importation de matériel automobile et de carburant très coûteuse et très
ongue. La tendance fut donc à la création d’usines aussi nombreuses que possible pour réduire les distances entre
les marchés de brousse et le centre d’égrenage. Les premiers travaus d’égrenage furent faits par des groupes niobiles
circulant de poste à poste et comprenant une égreneuse fixée sur remorque et actionnée au moteur à essence. Au
Mayo-Kébi, les premières usines construites furent celles de Bongor et de Léré (1929-1931). Ensuite, furent mises en
service celles de Fianga (1929-1933), Gounou-Gaya et Pala (1935), Monbaroua et Gagal (1936). Dans le département
du Logone, en 1938, quatre usines fixes étaient déjà construites (Moundou, Kélo, Doba, Pandzangué), mais sept
groupes mobiles desservaient encore les zones de Tapol, Doher, Gabri-Ngolo, Guidari, Douala, Baïbokoum et
Bédane. Les usines fixes ont utilisé, dès le début, un combustible facile à trouver : la graine de coton (1).Les loco-
mobiles importées pièce par pièce fournissaient des puissances variant entre 10 et 50 CV.
1
II
Kaé16 . . . . . . .I 1953 i I
Usine C.1J.D.T. d Iiailh
I 10 1 6 1 1 I 20 O00
i 30 O00
1 Il
188 JEAN CABOT
L’ensemble des usines a été modernisé après guerre, de 1949 à 1957. Les principales transformations-ont porté
sur l’accroissement de la puissance des groupes (locomobiles Fives-Lille, de 80 à 190 CV), adjonction de délinteuses,
de presses hydrauliques à 100 kg, de châteaux d’eau à pompes électriques, d’appareils pneumatiques pour l’aspi-
ration du coton graine. Ces transformations ont été rendues nécessaires par l’accroissement de la production et
l’augmentation des rendements à I’égrenage. Le temps de l’égrenage, qui, avec l’ancien matériel, s’étendait sur sept
et même huit mois, c’est-à-dire jusqu’en pleine saison des pluies, a été ramené à cinq mois au maximum, ce qui
permet I’évacuation des balles de coton fibre par route avant l’arrivée des pluies. Le pressage de ces balles, jadis
effectué à la main par 20 kg, es1 aujourd’huiassuré à l a pi-esse hydraulique par lots de 100 Icg, confornies aux normes
de conditionnement exigées sur le marché du Havre.
Le caractere saisonnier de l’égrenage entraîne l’existence de deux types d’emplois dans les usines : un fonds de
main-d’œuvre permanent payé au mois OU à la semaine e t un fonds saisonnier payé 4 la journde ou même à l’heure.
Le fonds permanent d’employés et d’ouvriers attachés à chaque usine est généralement constitué par des
Sara, Gambaye ou hlbaye, depuis plus longtemps habitués au travail hors de leur famille. L’extension du réseau
des usines s’est faite 4 partir du sud, et chaque création nouvelle drainait vers elle les jeunes gens déjà familiarisds
avec le travail en usine mensuellement rétribué. La pratique du salaire mensuel a rapidement transformé pour eux
le mode de satisfaction de leurs besoins alimentaires ou vestimentaires. En rupture complbte avec les traditions
patriarcales, ils forment dans tous les centres usiniers du bassin du Logone des colonies de proldtaires détribalisés.
C’est à ces colonies de Sara que la Compagnie cotonnière a recours lorsqu’elle s’ktablit en des points où IC
recrutement s’avère di%cile. Ainsi, à L&é, la Cotonfran avait tout d’abord essayé un recrutement de Moundang.
Mais ceux-ci apparurent vite inconstants, peu intéressés par le travail régulier de l’usine. I1 fallut, en 1953, faire
appel à des Gambaye du Logone qui, moyennant de fortes primes, acceptèrent de quitter leur rdgion pour venir
constituer le fonds permanent du poste. Les usines du secteur du Mayo-Ubi eompleiit tr6s peu d’employés origi-
naires de la région, presque tous sont venus du département du Logone au moment de la création des nouveaux
postes.
Le nombre des employés à titre permanent varie d’une année à l’autre de 1 O00 k 1 300 pour les quinze usines
du bassin du Logone. Malgré le caractère permanent de ces emplois, on note un 16ger flkchissement de leur nombre
pendant les mois d’arrêt des usines, suivi d’unc réembauche à l’approche des premiers marchés de colon. Par
exemple, le secteur du Logone passe, en 1960, de 567 emplois permanents en Avril à 447 en Août e l remonte à 554
en Novembre. Au Mayo-IGbi : 769 en hlai, 570 en Septembre et 759 en Novembre.
Les mois de marche au ralenti des postes (entre Juin et Octobre) permettent souvent aux employés de laisser
libre cours à leur humeur vagabonde. Ils changent de lieu d’emploi assez facilement, ou hien prennent des vacanccs
qu’ils prolongent au-delà de la durée normale de leur congE. Par ailleurs, la société met fin à certains stages pour des
candidats aux emplois permanents n’ayant pas donné satisfaction. Tout cela explique le fléchissement saisonnier
d’un eBectif en principe permanent.
La proportion de salariés (( étrangers 1) au Tchad, les Européens étant déjà dénombrés, n’est pas excessive.
Sur l’ememble du millier d‘employés, on n’en compte que 27 en tout, 14 originaires de Rlpiiblique centrafricaine,
13 Congolais, 7 Camerounais et 1 Togolais. Soulignons cependant que ces (( étrangcrs )) occupent le plus souvent
des postes exigeant une spécialisation (Il mécaniciens, 13 employls de bureau, 3 magasiniers). Ils perpoivent des
salaires plus Eleves en fonction des services qu’ils rendent.
Les salaires, laissés longtemps à la discrétion de l’employeur, sont fixés depuis quelques années par conventiori
collective. Les salaires fixés par la Convention de 1957 variaient de 68 F par journée de 8 heures au manœuvre
ordinaire 4 16 500 F par mois au comptablc hautement qualifié. Les ouvriers gagnaient respectivement : 240, 330
et 400 F par journée de 8 heures selon qu’ils étaient spécialisds, qualifiés ou hautement qualifiés.
La main-d’œuvre saisonnière, constituée essentiellement de manœuvres ordinaires, est recrulée sur place.
Ce sont des paysans du canton voisin rassemblés par appel d’offres. Souvent, lorsque la clientèle est rétive, la dési-
gnation a lieu d’olficc par les chefs de canton, intéressés à l’opération. Une fois incorporés, ces maneuvres assurent
ce travail volontaire ou imposé sans trop de réticences. S’ils ne tiennent pa5 à rester employés au-delà du lemps
conveiiu, ils apprécient quand même le salaire qui leur est versé, si modeste soit-il. Du res te, le nombrc de ces sai-
sonniers ne dbpasse jamais celui des (( permanents )). De Décembre à Avril ou Mai, leur effectif e n 1960 était de
j, 023 en Janvier, dc 326 en Avril, de 59 en hlai. Ils Etaienl rentrés chez eux en Juin. Ceci pour l’ensemble des
quinze usines.
Le nombre des saisonniers a été fortement réduit depuis que les usines ont été moderni_sé.es.En effet, avant 1950,
d e nombreuses opérations étaient encore manuelles : alimentation des égreneuses, rollectage du coton fibre la
sortie des scies, pesage (10 kg par 10 lig) du coton B presser, damage des balles avant pressage, entoilage et Cer-
L E BASSIN V U RIOX*iEN L O G O N E is9
clage des balles, d6placenient et marquage des balles, évacuation de la graine de coton stockée en dchors de l’usine,
alimentation en eau de la locomobile. Bref, chaque opération d’usinage exigeait une masse de manœuvres impor-
tante, multipliant les risques d‘accident avec un personnel inexpert.
Le renouvellement du privilège d’achat de 1949 fut accordé ti la condition stricte que la Cotonfran procé-
derait à l’aménagement de ses usines. Ainsi, de 1951 à 1955, toutes les usines (sauf Gagal) furent dotées de locomo.
biles plus puissantes permettant d‘aménager des circuits pneumatiques d’aspiration et de soufflerie pour alimenter
et dégager les égreneuses, pour évacuer la graine de coton jusqu’aux silos. L’alimentation des usines en eau fut
assurée par clr2teaux d’eau remplis par pompes électriques. Les seules opérations manuelles encore nécessaires
sont : le chargement et le déchargement des camions, l’entoilage, le marquage et la manutention des balles.
Grdce à ces transformations, l’effectif de la main-d’œuvre saisonnière non qualifiée a pu &tre réduit dans la
proportion des trois quarts aux deux tiers.
Compar6e à la masse paysanne intéressée par sa culture, l’activité industrielle qui découle de l’usinage du
coton paraît donc insignifiante (2 O00 employés - dont la moitié de saisonniers - face à 250 O00 planteurs). Cette
différence exprime tout le retard des terres africaines vouées aux productions agricoles. En soulignant le caractbre
essentiellement rural du pays, elle montre la nécessité des efforts à mener pour améliorer la production, qui reste
la richesse unique d’un bassin riche en hommes vigoureux e t courageux.
CHAPITRE XI
LA RIZICULTURE
ET LES AUTRES PRODUCTIONS COMMERCIALISABLES
Le riz trouve dans les plaines du moyen Logone les conditions de milieu favorables à sa croissance en culture
inondée. La concentration des pluies de Juin à Octobre apporte les 800 i 1 100 mm d‘eau nécessaires au cycle
végétatif relativement court de cette céréale. La moyenne mensuelle des températures varie entre 380 (Avril)
et 200 (Décembre) ; pendant la période de développement de la plante en saison des pluies, les écarts quotidiens sont
faibles. D’autre part, les sols argilo-limoneux ou limono-sableux, toujours limités à faible profondeur par l’horizon
imperméable des argiles à concrétions calcaires, conviennent particulièrement bien à la culture du riz. La planéitE
presque parfaite de la région favorise l‘immersion du sol par les eaux de pluies bienì.& relayées par les déverse-
ments du fleuve en août. La pente faible ralentit I’écoulement vers les drains naturels latéraux de la Kabia, des
lacs Toubouri, de la Logomatia sur la rive gauche, du Ba-Illi-Malfaye sur la rive droite.
I1 semble que le riz sauvage soit d’un peuplement ancien dans cette région de l’Afrique. Certaines
tribus, comme les Mouloui de la région nord-Bongor, pratiquent encore la cueillette de certains riz flottants
spontanés.
L’introduction du riz cultivé au Tchad remonte à 1910 environ, o ù les Allemands firent l’expérience de sa diffu-
sion sur la rive gauche du Logone. Par la suite, l’administration française encouragea ou délaissa l’extension de
sa culture au hasard des préoccupations majeures des fonctionnaires responsables. Dans certains secteurs, la culture
prit très bien parce qu’elle représentait un palliatif aux récoltes traditionnelles trop précaires. Ailleurs, elle se
heurta à l’indifférence de populations satisfaites de leurs récoltes.
Les viIlages de pêcheurs de la région de Kim, condamnés à pratiquer leurs cultures sur l’étroit bourrelet de
berge du fleuve, souvent sur des terres inondées vouées à l’éleusine ou au taro, n’assuraient qu’incomplètement
leur subsistance annuelle. Une grosse partie de la pêche servait à des échanges poisson-mil avec les Toubouri e t les
Iiéra de la rEgion de Fianga. Le riz s’y implanta progressivement comme culture vivrière pratiquée dans la zone
inondable périphérique aux villages.
Dans la zone nord-Bongor habitée par les Massa, nionoculteurs de mil rouge, le riz ne rencontra aucun enthou-
siasme. Les rendenicnts comparés du mil rouge et du riz sont largement en faveur du premier, et le hfassa répugne
à s’alimenter partir d’une autre céréale que son éterne1 u ouana )I,
C’est la crise de subsistances née dès l’isolement de l’Afrique durant la seconde guerre mondiale, de l’arrêt
des importations de riz de l‘Asie du Sud-Est, qui amena l’administration française à imposer la culture obligatoire
du riz dans les plaines du moyen Logone, afin de ravitailler les centres urbains africains, puis les troupes de la France
Libre. Sur de vastes zones inondables la culture du coton était impossible, et les habitants réfugiés sur leurs étroites
buttes exondées en saison des pluies échappaient ainsi à toute culture imposée. Sans appliquer autant de rigueur au
contrôle de la riziculture qu’à la (( propagande cotonnière )), l’administration demanda à tous les imposables des
zones inondables la mise en culture d‘une (( corde )) de riz. La superficie de la corde resta longtemps différente dans
le Mayo-Kébi et le Logone, 36 ares là, 100 ares ici.
Plus tardivement, vers 1954, le territoire du Cameroun instaura la culture obligatoire du riz sur la rive gauche
du Logone en aval de Yagoua. Les deux expériences parallèles, différentes dans leur conception première, seront
donc B comparer (cf. p. 256).
o Maroua
U Ferme pilote
Rizerie
O 20 40 60 80 100 km
F{
Zones amenageables
La zone rizicole la plus importante est représentée par les 13 O00 ha du pays Marba dans la région de Kolon.
La Tandjilé, jusqu’alors encaissée, débouche dans la plaine alluviale du Logone, aux eaux duquel elle mêle les
siennes jusqu’au confluent d’Éré. Les Marba occupent les moindres buttes exondées où ils ont situé leurs cases et
leurs champs de mil. La périphéric des buttes est consacrée au riz. Les superficies contrôlées par l’administration
ont été de 8 698 ha en 1953, 9 809 en 1954 et 10 756 en 1955. Elles se sont stabilisées à ce chiffre. Mais les super-
ficies cultivées en production vivrière ont tendance à s’accroître et à dépasser les 3 O00 ha atteints en 1955.
Les terres appartiennent à la série des sols beiges sableux (rive droite de la Tandjilé), argilo-limoneux ou limono-
sableux. Leur valeur est très inégale, les meilleurs sont les sols argilo-limoneux autour de Kolon. La culture se fait
le plus souvent sur billons et semis par poquets de trois à cinq graines. Les semis à plat sont inconnus. La première
année, la mise en culture a lieu après écobuage. (Pl. XV).
A l’inverse des rizières de la région précédente qui se trouvent rassemblées sur un espace réduit, celles de la
zone de Laï-Deressia (rive droite du Logone) s’étendent depuis le fleuve jusqu’au Ba-Illi. Le peuplement est faible
et dispersé à travers les plaines d’inondation. Les superficies ensemencées en riz n’occupent que 6 à 7 O00 ha sur
un ensemble de 6 250 km2. Lorsque la crue du fleuve est insuffisante, l’inondation est de courte durée ou de trop
faible profondeur, les rizières s’assèchent et la récolte est dérisoire, comme en 1953. Au contraire, une crue trop
forte inonde les rizières en herbe ou provoque une croissance exagérée de la plante, dont les panicules versent à
maturité. Les grains germent et la récolte est en partie perdue ou dépréciée; ce fut le cas en 1954 et 1955. Le secteur
Soumraye, entre les bassins de collectage des deux Ba-Illi, est celui qui souffre le plus souvent d’un manque d’inon-
dation.
E n bordure du fleuve, les sols limoneux faciles à travailler sont retournés à la houe 9 versoir. L’écobuage pra-
tiqué la premikre année de mise en culture est suivi pendant six ou sept ans de cultures sur billons, sans épuisement
notable des sols. Les sols beiges où la proportion de sable augmente demandent à être laissés en jachère après quatre
ou cinq ans de culture ininterrompue. Le problème du manque de terres ne se pose pas ici. De vastes surfaces inon-
dables pourraient encore être aménagées pour la riziculture, mais elles sont constituées de sols dérivés des argiles
à concrétions calcaires appelés ici coboana ou gougnon. Leur houage et leur nivellement sont très pénibles en raison
de leur compacité et des inégalités nombreuses de leur surface.
Toujours sur la rive droite, le secteur de Kim, Éré, Djoumane ne comporte pas une très grande superficie de
rizières (1 O00 à 1200 ha), mais il présente des caractères originaux. La culture du riz s’était assez facilement
implantée en culture vivrière étant donné les faibles rendements de l’éleusine. Lorsque l’administration a fait
appel à une production de riz accrue, les cultivateurs habitués à cette plante ont pu étendre leurs superficies et
satisfaire aux premiers marchés. Mais bientôt les besoins alimentaires des centres éloignés du Tchad ont pu être
couverts à moindres frais et la demande de riz s’est ralentie. Les Kossop sont donc restés avec une production
accrue qu’il leur était difficile de commercialiser eux-mêmes autrement qu’en très petites quantités. Le riz tend
donc à remplacer l’éleusine et il a pris place dans l’alimentation de ces peuples pêcheurs. Le succès du riz s’explique
par le fait que les rizières ne demandent du travail qu’au moment où la pêche chôme. Cette circonstance semble
avoir favorisé le maintien de l’écobuage. La préparation des andains doit se faire avant que les plaines soient
livrées aux feux de brousse allumés pour la chasse en Mars-Avril, donc avant les grandes pêches d’étiage d’Avril à
Juin. Les semis qui ont lieu à la fin de Juin et au début de Juillet coïncident avec la remontée du fleuve et le ralen-
tissement de la pêche. En Août, Septembre, Octobre, le riz inondé ne nécessite aucun soin, tandis que la pêche dans
la plaine submergée et en bordure du fleuve bat son plein. La récolte a lieu à la fin de Novembre et au début de
Décembre j le retrait des eaux a alors mis un terme à la pêche en plaine et le fleuve est encore trop gros pour que
soient commencées les p6ches de plein courant.
Les villages, ici très groupés, pratiquent la riziculture en vastes étendues sur lesquelles chaque famille cultive
ses parcelles. I1 n’y a que deux ou trois champs par village (I).
Le dernier secteur rizicole important de la partie tchadienne du bassin se situe en aval de Bongor, sur la rive
droite du Logone, autour de Koumi et de Katoa. Les superficies consacrées au riz sont ici limitées aux villages les
plus démunis de terres exondées et auxquels la culture imposée du coton n’a pu être maintenue. Les villages situés
sur le bourrelet de berge du fleuve sont les seuls (jusqu’en 1958) à pratiquer la riziculture contrôlée. Le riz lui-
même doit se limiter à la bordure de ces bourrelets où la nappe ne dépasse pas 50 à 60 cm. Avant l’endiguement
des plaines nord-Bongor (casier A), les plaines étaient largement submergées (1 à 2 m) en direction du Ba-Illi e t
toute activite agricole y était impossible.
Les Massa et les Mouloui ne pratiquent pas I’écobuage et maintiennent les rizières plusieurs années sur les
m&mesemplacements. Seuls les champs trop ou trop peu inondés sont immédiatement abandonnés. La mise en
culture de nouvelles terres est très ingrate dans ce secteur oil les argiles‘limoneuses sont compactes, peu aérées,
difficiles à ouvrir avec la simple houe. L’absence de culture e t la mise à feu annuelle des herbes favorise le dévelop-
pement de l’Imperata aux racines profondes et ramifiées à I’éradication dificile. De ce fait, les rendements des
deux premières annécs de culture sont bas. Ce n’est qu’à partir de la troisième année qu’ils atteignent ou dépassent
25 q à l’hectare.
D’autres périmètres rizicoles sont en voie de développement, mais ils n’en sont qu’à leurs débuts ; citons :
dans le district de Moundou, les 400 ha du canton de Tchaouen sur les limons du lit d’inondation du Logone et
300 ha autour du centre urbain ; dans le district de Doba, le confluent Pendé-Nya, la dépression nord-Doba ; enfin,
dans le district de Baïbolroum, quelques hectares de riz cultivés dans le fond des marigots.
de gros producteur et pour son cycle moyen. Dans des régions où la maîtrise des eaux n’est pas réalisée, il est néces-
saire de posséder, pour les secteurs où l’épandage des eaux de crue risque d’être allongé ou écourté selon les années,
un riz clont le cycle végétatif ne soit ni trop long ni trop court (130 jours environ). Si les fortes inondations du
type 1955 favorisent les variétés à cycle long, une crue faible du type 1953 exige des riz à cycle court. Le seul moyen
d e pallier les conséquences de crues capricieuses est d‘adopter un riz de cycle moyen.
La station pilote de riziculture de Boumo créée par le service de l’agriculture en 1953 a pour tâche la mise au
point des variétés les mieux adaptées au pays, leur sélection et leur diffusion dans la zone rizicole. Les ghéticiens
ont entrepris une sélection massale du Maroua pour en éliminer les grains rouges e t allongés. La multiplication
des grains sélectionnés entreprise dès 1956 a permis d’étendre à la zone rizicole une variété de riz satisfaisante tì
l’œil et moins fragile à l’usinage.
La récolte
La récolte s’étend d’octobre à-Décembre selon les variétés. Le i\í‘arozca et le Dokol sont mûrs fin Octobre.
Le Garoua ne se récolte qu’en Décembre.
Elle est traditionnellement effectuée panicule par panicule, au petit couteau, comme à Java, mais avec une
main-d’œuvre plus réduite. Le décortiquage se faisant à la maison, le temps consacré au transport absorbe lui-
même une part importante du travail. (( Un homme récolte (et transporte au village) 30 kg de panicules par jour ;
une femme 20 kg seulement, ce qui représente au minimum 50 à 70 journées par hectare. )) (A. MAGNEN,1956 (a),
p. 56.) La période de récolte tombe en même temps que celle des grandes pêches de décrue et les hommes doivent
se partager entre les deux activités. I1 en résulte un ralentissement de l’activité agricole.
- La récolte se traîne jus-
qu’à fin Janvier. Les annéos de forte production, il arrive que cerlains champs ne soient pas récoltés eritiP:rement.
(Pl. XS).
LE BASSIN D U M O Y E N L O G O N E 195
Le service de l’agriculture a tenté d’introduire l’usage de la faucille et du coutcau d e jet pour accdérer l’cnlè-
vement des épis, mis à sécher en moyettes, à l’ombre de préférence. Le battage sur l’aire de ramassage devrait,
d’autre part, réduire le temps et l’énergie consacrés au transport de la récolte jusqu’aux silos. Mais ces transforma-
tions qui se heurtent aux traditions sont lentes à s’implanter malgré leur plus grande commodité. Dès 1956, l’effort
tenté dans ce sens a porté ses fruits : 1O00 faucilles ont été distribuées aux cultivateurs et, sur les 887 t commer-
cialisées dans le district de Kélo, 526 t avaient été moissonnées précocement en javelles, à la faucille, et mises en
moyettes. Le nombre de journées nécessaires au travail de 1ha de riz s’en trouve nettement diminué : sur terrain
écobué, la récolte au petit couteau, épi par épi, demande 145 journées ; la récolte à la faucille le réduit à 100 jour-
nées; en culture sur billons, les chiffres respectifs sont de 108 et SO journées. Bien que l’adoption des nouveautés se
fasse lentement, il est certain qu’elles finiront par s’imposer lorsque les paysans en auront à la longue mesuré les
avantages. Le travail des conducteurs agricoles est fait surtout de ténacité, de patience et d’explication.
(1) C’est aumi le problème majeur des riziculteurs des zones salitlienne et soudanaise. Cf. J. DRESCH
1949, p. 295-312.
(2) Voir carte no 13.
1DG JEhiY CABOT
Mais le riz est par ailleurs la seule culture commercialisable des zones d’inondation. Une partie des récoltes
doit donc être achetée pour créer des disponibilités monétaires aux habitants. Jusqu’en 1958, trois acheteurs
(( oEciels )) commercialisaient de 1 500 B 2 500 t de paddy par an au prix de 8 F {plus 0’50 aux chefs) :
- les (( Sociétés Africaines de Prévoyance 1) ou S. A. P. gérées par l’administration stockaient ‘une partie de
la récolte en vue des périodes de disette et pour les achats des fonctionnaires des centres urbains (150 à 200 t par
an pour chaque district de Laï et Bongor) ;
- les (( Rizeries du Logone I), entreprise privée sise à Laï, achetaient pour l’usinage de SOO à 1300 t par an ;
- la (( Rizerie Pélissard )I, à I<élo, usinait, bon an mal an, de O à 200 t en fonction de ses disponibilités finan-
cières.
Le tonnage maximum commercialisé fut 2 400 t en 1954-1955 entre les trois districts rizicoles tchadiens.
Notons que cette commercialisation a officielle 1) se doublait d’un circuit de vente libre de gré à gré entre habi-
tants de zones voisines. Ce commerce réalisé par des revendeurs ambulants apportait un revenu supplémentaire
dans la zone rizicole. On doit y ajouter également le produit du troc : riz contre bétail, poisson ou arachides.
I1 est remarquable que le riz, culture introduite au cours de la dernihe guerre dans le but de ravitailler les
centres urbains par l’intermédiaire des commerçants locaux, soit finalement devenu un produit de consommation
locale : aux 2 500 1, commercialisées en 1955 correspondent plus de 20 O00 t consommées par les populations. I1
s’agit là d’un progrès indéniable sur le plan de la production vivrière : des récoltes suEsantes garantissent une
alimentation familiale correcte pour toute l’année ; la culture des terres basses inondables a permis de soulager
les terres exondées épuisées par la surculture. Néanmoins, la faible commercialisation du produit limite l’élévation
du niveau de vie des producteurs recherché par l’administration.
Cette évolution s’explique par les politiques différentes appliquées vis-à-vis des deux cultures contrôlées du
bassin. En fait, le contrale de la production du riz n’a été vraiment strict qu’à l’époque où le commerce local était
assuré d’écouler les produits de son usinage. Mais, lorsque la reprise du commerce maritime mit le riz tchadien en
concurrence avec les riz asiatiques, ces derniers l’emportèrent dans les centres les plus rapprochés de la côte d’abord,
puis progressivement jusqu’au cœur même du pays. La production du riz qui avait été poussée dans le moyen Logone
et dont à l’origine aucun grain ne devait être, en principe, détourné du circuit commercial se trouva bientôt sans
objet, sauf à être consommée sur place. I1 est à remarquer que le riz ne bénéficia jamais de primes à l’ensemencement
au Tchad, alors que celles-ci furent introduites pour le coton en 1948. En outre, les prix pratiqués à l’achat pour le
riz montrent sa constante dévaluation relative : en 1946 et 1947, le riz est acheté 3 F, le coton 3 et 4 F j en 1951,
le riz atteint le prix de S F qu’il ne quittera plus jusqu’en 1958 (1),tandis que le coton atteint 16 F pour monter
les années suivantes à 25 et 26 F {compte non tenu des primes à l’ensemencement qui apportent une plus-value
de 2 à 3 F au lrg). Le paysan tchadien n’a pas la notion du prix de revient d’un produit, la seule notion précise
qu’il puisse avoir est de caractère comparatif. Comment resterait41 insensible au déséquilibre constant qui s’est
aggravé entre les prix du coton et du riz.
L’évolution s’est donc faite en faveur d’une transformation de la culture commercialisable en culture vivrière.
Le paysan limite ses ventes (( oficiellcs 1) au minimum, de quoi payer son impôt j il consomme ou échange le reste
de sa récolte.
Si l’on compare les conditions d’introduction de la culture du riz dans la partie tchadienne du bassin à celles
qui furent adoptées plus tardivement sur la rive camerounaise, on ne peut que remarquer le caractère empirique
et primitif de l’une et l’opposer au caractère rationnel et moderne de l’autre (voir chap. XV).
. ,
(1) A partir r1r 1956 les S.K.I\I.A, achbtsnt IC paddy de 1“ qualiti. h 12 P, in 2e qualité A 8 P.
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 197
30 t. Les prix d’achat insufisants ne permettaient pas de poursuivre cette traite impopulaire qui allait du reste à
contre-courant de l’orientation cotonnière du pays. Depuis, l’arachide est redevenue la seconde culture vivrière du
pays.
Cependant, devant les dangers d’érosion des sols que la culture du coton fait courir à certains secteurs du dépar-
tement du Logone, il a été envisage de remplacer celle-ci par la culture de l’arachide (expérience du plateau de Sar,
paysannat de Dolougou). L’écoulement du produit commercialisé se ferait tout naturellement vers l’huilerie de
Moundou nouvellement créée. L’expérience commencée en 1955 suit son cours j elle s’insère dans les tentatives
d’amélioration de la culture traditionnelle par les paysannats (1).
Les oignons
La culture des oignons est très répandue dans les cantons Foulbé de la bordure ouest du bassin. I1 s’agit d’une
culture soignée 1 laquelle les Foulbe accordent toute leur attention. Les semis ont lieu en Aokt sur terre meuble bien
fumée. Le repiquage se fait en Novembre dans de petits carrés limités par des diguettes et alimentés en eau par des
rigoles d’irrigation. Chaque plantation possède un ou plusieurs puits niunis d‘un réservoir. La récolte a lieu en
Février, Mars, Avril. Les rendements estimés sont de 4 500 à 5 O00 pieds 6. l’are. L’oignon étant vendu 5 F et la
superficie cultivée par famille étant d’environ 1,5 a, la rentrée d’argent est de l’ordre de 20 O00 à 30 O00 F qui
laisse loin derrière elle le bénéfice réalisé sur une corde de coton. Le Mayo-ICébi et le Diamaré doivent commer-
cialiser environ 300 t d’oignons sur les marchés locaux.
Les m i l s
Le niil est commercialisé par certains producteurs au cours de l’année, soit que les réserves familiales paraissent
suffisantes, soit que la famille ait besoin d’argent pour satisfaire à des achats ou des obligations pressantes. La vente
a lieu sur les marchés locaux. L’administration a souvent organisé l’achat de ces surplus aux fins de stockage.
Les (( Socibtés Indigènes de Prévoyance )) finançaient l’opération pour disposer, au moment crucial de la soudure, de
produits vivriers cessibles aux plus nécessiteux sous forme d’avances à valoir sur la’récolte de coton. Mais cette
commercialisation du mil n’a jamais dépassé le cadre local.
Ainsi le bassin du Logone dispose-t-il de deux cultures éprouvées pour la commercialisation : coton et riz.
Nous avons vu que l’introduction de la première de celles-ci n’a pas toujours été du goût des cultivateurs, et qu’un
appareil sévère de coercition puis de persuasion a été niis en place pour assurer, malgré tout, sa réussite. Les condi-
tions de la culture du coton sont loin d’être devenues exemplaires. De nombreuses améliorations peuvent encore
lui être apportées, que ce soit au niveau des techniques appliquées par le cultivateur, dans l’usage des engrais,
l’amélioration des rendements. Une chose est certaine, elle ne peut être remise en question, le coton restant avec
l’élevage la source de revenus du Tchad.
La riziculture peut devenir un nouveau moyen d’enrichissement du pays et de ses habitants. Nous verrons
qu’elle se heurte cependant à certaines dificultés d’ordre économique.
Le caractère le plus frappant du commerce dans le bassin du Logone (et le fait est valable pour l’ensemble du
Tchad) réside dans la séparation presque absolue des deux domaines - habituellement jumelés - de l’exportation
et de l’importation. L‘attribution du monopole de l’achat du coton à une seule société chargée également de l’usi-
nage et de l’écoulement de la production, le caractère de (( monoculture d’exportation )) pris par le coton dans tout
le sud du Tchad privent les grandes sociétés spécialisées dans le commerce de traite de leur branche (( exportation 11.
Les compagnies de commerce implantées au Tchad sont, avant tout, des sociétés de distribution de matCriel import4.
Cette particularité explique certainement la lenteur de la pénétration de la (( brousse 1) par le réseau propre Q
chaque maison. N’ayant rien à acheter au producteur tchadien, les sociétés concurrentes n’ont pas été amenées à
organiser un circuit ramifié de ramassage, circuit qui aurait en même temps servi à la distribution. En freinant
l’installation de succursales dans les petits centres de brousse, ce clivage entre le ramassage e t la distribution a
empêché que les paysans ne deviennent les débiteurs permanents des grandes sociétés. II a permis aussi, plus
longtemps qu’ailleurs, le maintien d’un réseau important de petits revendeurs africains, seuls tributaires des grandes
compagnies.
L’organisation du commerce aurait été fort différente si, au lieu du coton, la culture impos6e avait été l’ara-
chide par exemple. I1 suffit de franchir la frontière nigéro-camerounaise pour constater qu’en Nigeria les mêmes
grandes compagnies dominent à la fois l’exportation et l’importation, la culture de l’arachide étant ici la production
commercialisable par excellence. L’intérêt d’un tel jumelage est certain pour les sociétés d’Iniport-Export. On
s’en rend compte par la compétition à laquelle donne lieu l’achat de quelques centaines de tonnes d’arachides
actuellement commercialisées au Tchad, et que se disputent les maisons de Fort-Lamy et de Bangui. I1 est vrai que
ces arachides assurent un fret de retour aux camions qui viennent du sud pour déposer leurs marchandises au Tchad.
LE COMMERCE D’EXPORTATION
Le seul produit d’exportation du bassin du Logone est le coton, lui-même premier grand produit d’exportation
du Tchad. En 1959, sur 4 117 millions de F C. F. A. de marchandises exportées par la République, le coton repré-
sentait 3 337 millions, soit 83 yo de la valeur totale (1).Les bovins sur pied venaient ensuite avec seulement
234 millions, puis la viande réfrigérée avec 145 millions. C’est dire la primauté absolue de la produc tion cotonnière
dans la balance économique du Tchad. Nous avons noté que le bassin du Logone avait fourni, i. lui seul, 77 yo de
cette production.
L’achat, l’égrenage et l’écoulement du coton tchadien :ont été dévolus Q la Compagnie Cotonnière Équatoriale
Française, ou Cotonfran, par les conventions cotonnières renouvelées à plusieurs reprises depuis l’introduction
de la culture. La Cotonfran transforme donc le produit avant de l’exporter. Nous avons vu dans un chapitre pré-
cédent le rBle industriel de la Société et les conditions de l’égrenage. I1 nous faut étudier maintenant les caracté-
ristiques du commerce d’exportation de la fibre après usinage du coton graine, la Cotonfran agissant en quali16
d’exportateur-vendeur.
( I )En 1960 = 3 271 millions d’esportation dont 2 038 millions de coton (62 %).
En 1961 = 5 292 millions d’exportation dont 4 229 millions de coton (80 %).
En ‘I962 = 4 UY4 millions d’exportation dont 3 830 millions de coton (til “/o).
En 19Kl = 5 (i03 millions d’exportation dont 4 3 1 1 millions de coton (77 ”/“o).
200 JEAN C A n O T
La presque totalité du coton traité par ICS usines Cotonfran est exportée vers l’Europe (voir carte no 8,
p. 165 et fig. 46, p. 295). Les balles de fibre produites par chaque usine sont acheminées dès que possible vcrs les
ports d’embarquement : Pointe-Noire, Burutu, Lagos, Douala, d’où elles voyagent aux frais du destinataire, les prix
pratiqués étant F. O. B. (1).Le prix de revient du coton exporté comprend donc : le prix d’achat au producteur,
le transport & l’usine et l’égrenage (tous frais de fonctionnement compris), le transport jusqu’aux ports maritimes,
auxquels s’ajoutent les taxes douanières de sortie. Le total de ces différents chapitres doit, évidemment, être infé-
rieur au prix de vente du coton fibre, pour que les soci6tés trouvent un intérêt à ce négoce. Au début, la tentation
de faire supporter les fluctuations du marché international par le producteur lui-même, par l’abaissement du prix
d’achat, vint contrecarrer la propagande en faveur de la culture cotonnière. Les populations se mettaient d’autant
moins volontiers au coton du (( Blanc )) que les gains qu’ils escomptaient de cette culture leur paraissaient sans
rapport avec l’effort à fournir. A plus forte raison si le prix d’achat était sujet à diminution.
Le lancement de la culture avait été amorcé en A. E. F. en pleine période de prospérité, de 1927 & 1930. Le prix
d’achat du coton graine au producteur avait PU être fixé à 1F. Mais, à partir de 1931, la grande crise économique
du monde capitaliste allait entraîner unc chute brutale des prix. hlalgré un abaissement sensible du prix d’achat
au producteur (0,60 F IC kg, de 1933 à 1936) (2), les sociétés cotonnières durent prélever lciirs frais d’usinage et
d’approvisionnement sur leur capital. Le Comité cotonnier de l’A. E. F. s’entremit pour obtenir une aide gouverne-
mentale aux sociétés. Celles-ci repwent de l’Etat des prcts à long terme, remboursables en vingt ans, destinés &
soulager leur trésorerie, et l’octroi de primes, non remboursables, garantissant un taux de réalisation du coton
fibre exporté (3). Les conventions stipulaient qu’au cas o h le prix de réalisation en Europe du coton fibre serait
inférieur au prix de revient des sociétés la Caisse de Soutien de la Production Indigène couvrirait la marge de
perte à concurrence de 4 F par kilogramme de coton fibre. Le total de ces primes dépassa parfois le prix d’achat aux
producteurs. Au cours de la campagne 1930-1931, par exemple, la prime par kilogramme de fibre exporté fut fixée
& 3,50 F, tandis que les 3 lrg nécessaires à la production de cette fibre étaient payés 2,70 F au paysan (0,90 le kg).
Ces primes cessèrent d’btre allouées lorsque la remontée des prix mondiaux, à partir de 1936, renversa la situation
e t rendit la gestion des sociétés nettement bénéficiaire.
Le renouvellement des conventions cotonnières en Août 1939 fixait une éehelle de paiement du kilogramme
de coton graine au producteur liée au prix de la tonne de coton fibre sur le marché du Havre (4). L’administration
coloniale faisait 18 un magnifique cadeau aux sociétés cotonnières qui purent alors - le conflit européen favorisant
la hausse des prix des matières premieres - réaliser d’importants bénéfices (5). La différence entre les augmenta-
tions de la tonne de coton fibre vendue en Europe et celles consenties aux producteurs laissait aux sociétés un béné-
fice double de la marge supplémentaire allouée aux paysans (6).
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, un réaménagement s’imposa en prévision des fluctuations pos-
sibles des cours. La création d’une Caisse de Soutien de la production cotonnière devait permettre, en période favo-
rable, la constitution de réserves susceptibles de compenser la chute des prix en période de contraction du marché,
afin que le prix d’achat payé au producteur n’en soit pas affecté.
La Convention du 15 Octobre 1946 prévoyait que 80 % des bénéfices réalisés sur la vente du coton (après prélè-
vement des bénéfices des sociétés) seraient versés & la Caisse de Soutien, les sociétés recevant les 20 % restants. Le
principe en lui-même excellent d’assurer, en dépit des fluctuations du marché, la fixité d’un prix d’achat minimum
au producteur aboutit ainsi à l’attribution d‘un surprofit garanti aux sociétés, surprofit calculé à un taux généreux.
En revanche, la Caisse de Soutien va devenir une sorte de superfiscalité aux frais du paysan. Au cours de la cam-
pagne 1946-1947, les sommes reversées à la Caisse approchèrent du total payé aux producteurs, auxquels le coton
aurait donc pu être payé le double du prix pratiqué (7). Cet afflux de millions dans la Caisse de Soutien permit au
Gouvernement général de l’A. E. F. de procéder à des prélèvements qui allaient grossir le budget de la Fédération (8).
Mais les travaux réalisés avec cette manne cotonnière n’avaient qu’un rapport. très lointain avec l’amélioration
du niveau de vie du paysan producteur.
L’expansion des prix et Ia dévaluation permanente du franc entraînsrent le relèvement du prix d’achat au
producteur jusqu’en 1952, oùilatteignit 25 F. Mais, après la flambée des prix favorisée par les approvisionnements de
la guerre de Corée, les cours retombèrent rapidement. Le fonctionnement de la Caisse fut alors gravement compromis.
Elle avait toujours jusque-là fonctionné avec profit. I1 fallait envisager le comblement d’un déficit important,
tandis que les bénéfices des sociétés, garantis par les conventions, se trouvaient maintenus (I). Le prix d’achat au
producteur était, en principe, intouchable. Le déficit fut résorbé artificiellement par un abaissement des droits de
sortie sur les cotons. Les intérêts des sociétés étaient sauvegardés, tandis que les finances publiques subissaient une
large amputation sur les revenus douaniers de la Fédération. Le maintien des cours à un taux très bas pendant les
années suivantes entraîna le comblement automatique du déficit annuel par le Fonds de Soutien métropolitain.
Quant au principe qui avait présidé à la création de la Caisse de Soutien du coton, il avait lui-même subi une pre-
mière entorse puisque le prix d‘achat au producteur fut abaissé de 1953 4 1957 (2).
La puissance coloniale a donc soutenu les sociétés privées à l’aide des fonds publics. Ce soutien prélevé sur les
finances publiques l’a été ifonds perdus puisque les primes n’étaient pas remboursables. Grilce à cet appui, les
sociétés ont pu réaliser de substantiels bénéfices à partir de 1936. Après 1951, les conventions leur garantissaient de
toute manière un bénéfice minimum.
La Compagnie Cotonnière Équatoriale Française, société anonyme fondée en 1926, qui détient le monopole de
l’achat et de la vente du coton au Tchad a pu ainsi, par augmentations successives, porter son capital social de
15 millions de francs en 1926 à 742 millions en 1958. Toutes les augmentations de capital se sont faites par prélève-
ment sur les réserves spéciales alimentées par les bénéfices non distribués. En un quart de siècle, les actionnaires de
la Société ont vu leur apport de fonds se multiplier par 500 et leurs dividendes, régulièrement payés depuis 1936,
le plus souvent calculés à 10 ‘j!,du capital (croissant), n’ont jamais été inférieurs à 7 % (en tenant compte des années
de crise) (3).
LE COMMERCE D’IMPORTATION
Le commerce général se trouve concentré au profit d‘un petit nombre de compagnies importatrices dont l’éven-
tail de vente s’étale du camion 20 t à l’épingle de sûreté, en passant par tous les domaines de l’alimentation, de la
confection, de l’outillage et de la quincaillerie. Les principales compagnies agissant au Tchad sont des branches ou
des filiales de sociétés ou de groupements qui opèrent à la fois sur tous les pays de l’Afrique Noire, de Dakar à
Brazzaville. (( Elles profitent ainsi des services d’une organisation plus puissante qui leur facilite les achats en Europe
et dans le reste du monde, ainsi que le transit à travers les pays limitrophes et les échanges avec ces derniers. ))
On se trouve au Tchad devant une situation assez courante en Afrique, ((oùle marché se trouve accaparé en grande
partie par un nombre restreint de firmes ( 4 ) D.
Jusque vers 1950, une seule maison, la S. C. K. N. (Société Commerciale du Kouilou-Niari, filiale du Groupe
UNILEVER) faisait largement plus de la moitié du chiffre d’affaires du commerce d’importation. Depuis cette date,
quelques autres sociétés ont accru leur rayonnement : la S.C. O. A. (Société Commerciale de l’Ouest Africain), la
(1) Déficit estimé de 700 à 850 millions tandis que les 4 Sociétés étaicnt assurkes d’un bénéfice de 80 millions.
(2) 24 F le coton blanc, 20 P le coton sale.
(3) Capital social initial de 15 millions. réduit h 11millions en 1935, relevé h 18,5 millions en 1940.
Voici quelques chiffres de bénéfices en regard du capital :
Capital Bénéfice 1 Capita1 Utnéfice
- - - -
1936 .............................. 11000000 316 O00 1943 ........................... 18500000 I O 278 O00
,1937 .............................. 11000000 4922000 1944 ........................... 18500 O00 8 481 O00
1938 .............................. 11000000 6218000 1945 ........................... I8500000 5 567 O00
,1939 .............................. 11O00 O00 4 626 O00 1951 ........................... 23 500000 185 O00 O00
1940 .............................. I8500000 3794000 1956 ........................... 330000000 69 O99 O00
1941........... ................... 18500000 2321000 1958 .......................... ‘i42 O00000 88 799 OP0
1942 .............................. 18500000 8386000 1961 ........................... 742000000 ,118 159 O00
Si l’on tient compte de tout ce qui peut être valablement consid&é comme bbnéfice, l’exercice 1957-58 comporte : Béntfices répartis :
107 912 219, Provisions pourréserves: 68 O00 000, Reajustements titres: 11700 000, Imptts sur les bén6fices 26 O00 000, soit un total de 213 612 219
pour un capital social de 742 millions soit un benefice de : 34 p. 100.
Les chiffres de 1951 donnent 185 millions de bénéfices pour un capital de 23,5 millions soit une rente de 787 %. Voir à cc sujet J. DRESCH,
1946.
(4)G. SAUTTER, 195S, p. 122 e t Rapports économiques du Logone e t Mayo Kebi.
202 JEAN CABOT
La marge bénéficiaire généralement admise par les grandes sociétés entre les prix de gros e t les prix de détail
est de 30 à 35 yo environ. La carence du réseau de distribution de détail longuement maintenue par les sociétés
commerciales le plus anciennement établies au Tchad a favorisé le développement d’une classe commerçante inter-
médiaire : le demi-grossiste africain, qui se chargeait de la diffusion de la marchandise au-delà des centres par le
réseau des petits détaillants, regrattiers et colporteurs. Une grosse partie de la marchandise importée s’écoulait
donc par le canal des demi-grossistes. Ceux-ci profitaient de marges bénéficiaires réduites par rapport aux prix
pratiqués dans les boutiques de détail des compagnies (de 10 à 20 % environ). Le demi-grossiste consentait lui-
même des ristournes de 6 à 10 % aux revendeurs s’approvisionnant chez lui, en consentant souvent du crédit.
Sa marge bénéficiaire était donc très réduite en regard des risques et des frais auxquels il se trouvait soumis.
Par contre, par le simple jeu de leurs relations avec les demi-grossistes africains, les grandes maisons effec-
tuaient déjà des bénéfices de l’ordre de 15 yo en plus de leur marge bénéficiaire sur les prix de gros proprement
dits - tout en doublant ou triplant le chiffre d’affaires qu’auraient permis leurs seules boutiques de détail. La
création de cette catégorie intermédiaire de commerçants dispensait donc les sociétés de l’implantation de nou-
velles boutiques, elle permettait l’écoulement d’un surplus de marchandises sans nouveaux investissements, sans
extension du nombre de leurs employés. Elle était un palliatif à la carence d‘un réseau commercial mal articulé,
qui permettait cependant de conserver à leur compte 10 à 15 % des prix de gros sur les 35 % généralement admis
entre le gros et le détail.
Par ailleurs, les achaLs de cette clientèle, tenue à la fidélité par le crédit qui lui est toujours consenti, souvent
à mauvais escient, accroît sensiblement le chiffre d’affaires des grandes maisons. Or le chiffre d’affaires est le grand
souci des chefs de secteurs, qui se montrent beaucoup moins préoccupés de la notion de bénéfice. Cette psychologie
est sufisamment expliquée par la structure des grandes sociétés qui possedent à la fois usines de fabrication, réseau
commercial d‘exportation en Europe, réseau d’importation en Afrique et qui pratiquent à chacun des stades le
système des bénéfices en cascade, incorporant chaque fois une nouvelle marge bénéficiaire ichaque étape de leur
acheminement.
A peu de chose pres, on peut dire que les grandes maisons tiennent dans leurs mains la totalité du commerce
du bassin du Logone. Elles sont maîtresses de la plus grande part du commerce de gros. Jusqu’en 1954, bien peu
nombreux étaient les commerçants spécialisés dans le détail qui s’approvisonnaient à d’autres sources. Une seule
boutique de Moundou était approvisionnée par sa maison mère de Bangui.
Depuis 1955, deux demi-grossistes détaillants représentant des maisons de Bangui ont établi des boutiques,
non seulement à Moundou, mais aussi dans de petits villages de brousse bien choisis pour leur situation sur les prin-
cipales pistes. Ces maisons non seulement vendent au détail des marchandises provenant d’autres circuits commer-
ciaux, mais elles approvisionnent des distributeurs regrattiers et des colporteurs africains.
I1 s’agit là d’une menace certaine pour les grandes sociétés qui tenaient le commerce de demi-gros dans une
complète dépendance, même lorsque celui-ci avait été apparemment dévolu aux Africains les mieux doués et les
(1)(i Les maisons do commerce du Logone ne font qu’absorber l’argent distribué B l’occasion de l’achat du coton. Elles ne le redistribuent
pas, elles ne s’inskrcnt clans le circuit de la monnaie que pour en assurer Ia récupération e t le transport hors de la région B. (Rapport économique
du Logone, 1955).
L E BASSIN D U MOYEN L O G O N E 203
plus actifs. En fait, il n’y avait pas de demi-grossistes africains autonomes j le crédit exagéré qui leur était consenti
(peut-être intentionnellement), la faiblesse des marges qui leur étaient accordées proportionnellement à la quantité
de marchandise écoulée en faisaient plutôt des débiteurs des maisons de gros que de véritables commerçants indé-
pendants.
D’autre part, les secteurs des grandes maisons avaient commencé à prospecter des centres de plus en plus dis-
persés en brousse. Leur réseau de boutiques s’était étoffé, mais l’arrivée des nouveaux concurrents centrafricains
les a incités à l’étendre. Comme le montre la carte nolo, page 198, le principal centre d’importation et de redistribu-
tion sur la brousse est Moundou. I1 est le point de convergence des diverses voies d‘acheminement des produits
vers le sud du bassin du Logone. Cependant, depuis 1955, un changement important a eu lieu avec la promotion
de Doba au rôle de centre de redistribution secondaire pour deux sociétés. Cela tient, évidemment, à I’importancc
relative du volume des importations par la voie dite (( fédérale 1). Plus ce trafic augmentera, plus Doba aura ses
chances de devenir un centre commercial important. Les grandes maisons commencent à effectuer de Doba l’aiguil-
lage de leurs importations en provenance de Bangui, laissant sur place le tonnage nécessaire à l’approvisionnement
des boutiques desservies par ce centre (rive droite du Logone et de la Pendé) et dirigeant le reste sur Moundou.
Ce triage n’est pas encore tout à fait au point, il arrive encore que des marchandises destides 4 Doba ou à son
rayon d’action transitent encore par ce centre sans s’y arrgter et y soient renvoyées de Moundou. L’ancienne struc-
ture qui faisait de Moundou le seul centre de distribution subsiste encore; elle n’est pas toujours facile à modifier,
car l’organisation administrative des grandes compagnies est assez rigide et les importations d’un même produit
portent souvent sur des tonnages considérables qu’il n’est pas facile de fractionner en cours d’acheminement.
Si les succursales éprouvent quelques dificultés à répartir rationnellement leurs importations, elles ne paraissent
pas en rencontrer de particulières pour 1’6coulement de leurs stocks. I1 est admis qu’en général une marchandise
s’écoule dans les douze mois qui suivent son importation. Le temps moyen de liquidation des stocks varie de huit
à quinze mois, ce temps pouvant être de trois mois aussi bien que de deux ans, malgré la pratique de certaines
maisons qui consiste à effectuer de gros abattements sur les prix des marchandises reipertoriées depuis plus d’un an.
Une succursale de grande niaison estime que les stocks qu’elle constitue lui occasionnent des frais (amortissement
et entretien des bltiments, intéret des capitaux immobilisés) de l’ordre de 6 à 7 yo de la valeur de la marchandise
rendue à Moundou (1).
L’entrée en lice de la concurrence centrafricaine a contribué h accélérer I’évolution du commerce surtout clans
le département du Logone. Certaines grandes sociétés jusqu’ici presque uniquement préoccupbes de commerce en
gros sont allées jusqu’à équiper des camions pour le colportage des marchandises sur les marchés de coton. La
ponction des gains réalisés par la vente du coton est ainsi réalisée à sa source, et une telle pratique laisse bien peu
de numéraire en circulation pour faire vivre le revendeur africain. Cette ingérence massive des entreprises euro-
péennes dans le commerce de détail a profondément modifié le Systeme de distribution au détriment des petits
commerçants africains.
L’entrée en concurrence des maisons anciennement établies au Tchad e t des commerçants nouveaux venus
de République Centrafricaine aboutit donc à I’élimination du petit commerçant africain indépendant. En plaçant
Moundou ville. .. 1 9
-. Q 1 9 1
Moundou rural . . 4 4
1
5 10 3
Doba. . . . . . . 3 3 10 lo 11
Ké10 . . . . . . . 1 1 1 1 1
Laï. . . . . . . . 2 1 3 7 4
Baïbokoum . . . . 2 2 7 6 3
Bongor . . . . . . 1 1 .1
Pala . . . . . . . . 4 2 2
Uré . . . . . . . a 1
Fianga . . . . . . 2 1
la concurrence à un niveau commercial élev&,elle rend impossible la participation du boutiquier local, qui n’a plus
que la ressource de se faire commanditer par l’une des grandes maisons.
Le tableau ci-dessus et la carte no 10 montrent bien l’entrée massive des maisons centrafricaines dans le
commerce du bassin du Logone (1958). Le départenzent du Logone est lui-même le plus elhacement investi (ainsi
que le district de Pala). En revanche, le pays hfassa, Toubouri, hfousseye reste à I’écart de cette poussée.
Le principal poste d’entrée est Goré, sur la route Bangui-Doba.
L’implantation des maisons de demi-gros e t de détail de Bangui s’est faite en tache d’huile sur les trois districts
les plus proches desservis par l’éventail de routes qui s’ouvre à partir de Goré : Goré-Doba-Laï-Bongor, Goré-
Moundou-Kélo, Goré-Baïbokoum.
Les trois principales maisons ont multiplié leurs points de vente sur le district de Doba, le centre urbain de
Doba leur servant de lieu de stockage e t de redistribution.
Les petits détaillants ont bcaucoup moins souffert de cette proliferation des boutiques à direction européenne
que la catégorie des demi-grossistes. Ceux-ci ont dû faire face à la concurrence directe des maisons qui les four-
nissaient et qui venaient sur les points de vente jadis laissés au commerce autochtone pratiquer des prix voisins,
sinon inférieurs, à ceux qui lui étaient consentis au titre du demi-gros.
En revanche, les regrattiers e t colporteurs ont pu survivre en changeant de fournisseurs. Du demi-grossiste
local, ils sont ailés directement à la boutique des compagnies. Le domaine de la vente au petit ddtail, à la pièce, au
morceau (cigarettes, morceaux de sucre à l’unité), relèvera toujours de leur activité, e t leur nombre, comme celui
des petits artisans, ne s’est pas trouvé affecté par Ia nouvelle tournure prise par le grand commerce.
Le tableau ci-après donne une idée de l’importance des (( petits métiers )) par district (1) :
Pour importants qu’ils soient en regard du niveau de vie général des départements considérés, ces chiffres
ne doivent pas faire illusion : la classe artisanale et commerçante ne représente qu’une fraction infime de la popula-
tion des districts :0,63 % sur Moundou, 0,34 % sur Doba et Kélo, 0,27 ”/o sur Laï. Même Baïbokoum, apparemment
mieux servi, n’atteint qu’une proportion de 0,81 %. Le rapport du nombre de commercants à l’ensemble de la
population se révélerait encore plus faible sur le Mayo-Kébi.
Encore convient4 de souligner que la plupart de ces artisans et commerçants vivent dans les chefs-lieux.
Ils n’apparaissent de façon permanente que dans des villages bien groupés, dont la population est supérieure à
1. 500 ou 2 O00 habitants. Le reste des consommateurs éventuels (le plus grand nombre) n’est atteint que par les
colporteurs qui s’installent pour une ou deux journées à proximité d‘un quartier, ou Ies colporteurs qui se rendent
jour après jour aux différents marchés de tenue hebdomadaire dans un ou deux cantons voisins.
Le transport du coton des centres d’achat aux usines et des usines aux ports fluviaux OU aux gares d’embar-
quement fait l’objet d’un quasi-monopole par une seule société européenne (UNIROUTE). L’approvisionnement
des usines en coton graine nécessite, pour quelques mois d’utilisation seulement, un matériel adapté spécialement
à ce transport. L’évacuation du coton usiné exige une rotation régulière de camions gros porteurs, en exécution
d’un planning assurant l’embarquement des balles de fibre & des dates échelonnées tout au long de l’année.
Ce trafic porte, pour les deux départements du Mayo-Kébi et du Logone, sur une moyenne annuelle de 60 O00 4
80 O00 t de coton graine, à transporter en saison sèche en l‘espace de trois ou quatre mois, e t sur 20 O00 à 25 O00 t
de coton fibre à évacuer : vers Garoua, avant la fin du mois d’Août, c’est-à-dire en pleine saison des pluies, ou vers
Bangui, selon un calendrier moins impératif. Pour l’ensemble de la zone cotonnière du Tchad ces chiffres deviennent
respectivement : 80 O00 à 100 O00 t pour le coton graine et 25 O00 à 35 O00 t pour les balles de fibre.
(1) RAPPORTS
~ C O N O M I Q U E SLOGONE
ET ~ I A Y o - K ~ (1955).
~BI
L E IiASSIN D U RIOI’EN LOGONE 205
I
Total dont coton Part de coton
Tonnes Tonnes %
L’exportation du coton du Tchad est donc un monopole de fait contr618 par une seule société. La part que les
transporteurs locaux pourraient prendre dans cette activité, grice à une coopérative bien organisée, se trouve
pour l’instant bloquée au bénéfice d‘une compagnie étrangère qui a pour elle l’avantage de la situation acquise,
de l’amortissement assuré de son parc automobile.
Cette situation privilégiée sur le plan de l’exportation devient m&meune occasion d’dliminer les autres trans-
porteurs dans le sens importation. Le transport des marchandises Q l’entrée au Tchad n’est, en effet, rentable
(IE) n 1956 la capacité de transport des différents patentés était : moins de 10 t : 112, 11à 50 t : 32, 51 à 250 t : 10. plus de 250 t :1(Uni-
route 325 t). d’aprbs G. SAUTTCR, p. 154.
(2) Tarifs des transports routiers pour le coton
Années t/km tlkm
aoton graine coton fibre
- - -
1950/51 48 20.50
1951152 53.44 22.75
1953153 45.50 19.75
1953154 44.25 19.15 - _
1954155 44.15 - 18.75
1955/56 42.50 15.62
1957157 40 17
1958/58 44 17.50
1960 52 - -46
La compression des pris opérée de 1950 1 1956 a été annulée par la hausse considérable des pris de transports intérieurs d8s 1960. Les ton-
nages transportés en coton graine sont trois fois supérieurs B ceux d u coton fibre ce qui permet, sans difficulté, au transporteur d’abaisser 1égL.re-
ment le pris du transport fibre, largement compensé par l’augmentation maisivc du transport graine.
( 3 ) Les pris des transports routiers ont été réaménagés à partir de 1956 en faveur de la voie L( Fédi.rale I) oh le pris de la tonne kilométrique
a été abaissé 1 13 F au lieu de 16 sur les autres itinéraires.
De même la C.G.T.A. pratiqne des ristournes en fonction du plus grand éloignement de Bangui.
1954/1955
Voie fédérale
- T _1955/1956
-
Route tons parcours t/km 18.75 16
Route Moundou-Bangui . km 18.75 12
Fleuve f oli. fer
Postes rapprochés t/FOB 6480 6155
Postes intermédiaircs 6480 5445
Postes éloignfs 5770 5245
Ir,
206 J E A N CABOT
Batangafo P Crampe
langur Bangui
CARTEN O 11. - Viabilité dcs Pistes : 1. Pistes principales carrossables toute l'année; 2. Pistes secondaires; 3. Pistes impraticables en saison des pluies;
4. Projet du Bangui-Tchad; 5. Tonnage des bacs; 6. Projet de route.
LE B A S S I N D U MOYEN LOGONE 207
qu’avec la certitude de trouver un chargement de retour. Dans la mesure où ce chargement-retour est entièrement
monopolisé par la société qui assure l’exportation du coton, le jeu du prix de transport (( à l’importation 1) s’en
trouve affecté. Le petit transporteur calcule son prix (( montée 1) en tenant compte du caractère aléatoire d’un
fret de retour. En revanche, la société qui a déjà encaissé le prix de son transport de coton à la (( descente )) peut
se permettre un certain c dumping )) sur les prix (( montée n.
Si bien que la fraction de tonnage (( montée )) sur laquelle les petits transporteurs peuvent espérer travailler
se trouve limitée pratiquement à la différence entre le tonnage des importations par la voie considérée e t le tonnage
de coton exporté par la même voie. Or cette marge n’est positive que sur la voie nigérienne (qui intéresse surtout
Fort-Lamy) et sur la voie fédérale. Mais sur cette dernière tout l’approvisionnement (( boutiques )) est assuré par
les maisons de Bangui, vers leurs succursales tchadiennes.
Finalement, le système de (( libre concurrence )) aboutit à I’élimination presque complète du transporteur
local. Les tonnages disponibles sont, en effet, raflés par les quelques maisons de moyenne importance à direction
étrangère (Européens ou Levantins) implantées à Fort-Lamy, & l’exception d’une seule, sise à Moundou.
Jusqu’en 1953 les prix pratiqués à la tonne kilométrique étaient assez élevés et le transport a attiré une foule
de petits entrepreneurs locaux qui achetèrent un ou deux camions à crédit. Mais la concurrence de plus en plus
serrée entraîna la compression des prix, et certains n’hésitèrent pas à baisser leurs prix en dessous du prixde revient
pour pouvoir finir de payer leur véhicule. Les plus aisés, à commencer par les sociétés les mieux placées, réagirent
en achetant des camions diesel gros porteurs qui leur permirent de conserver leurs bénkfices tout en rajustant les
prix. Les plus faibles firent faillite, beaucoup végètent encore malgré l’organisation de la coopérative.
L’essor des transporteurs autochtones semblait devoir être facilité par les conditions de vente de camions
offertes par certaines grandes sociétés. Le commerçant pouvait acheter son véhicule à crédit, la compagnie vendeuse
acceptait que tout ou partie de la dette fût remboursable sous forme de transport de marchandises I? son compte.
Le système semblait intéressant pour les deux parties, puisque d’une part la vente de camions se trouvait accélérée,
tandis que, d’autre part, le petit transporteur était assuré de rembourser son camion par un fret assuré d’avance.
Mais les taux de transport - fixés par les sociétés - étaient très bas et le fret-retour n’était pas garanti. Lorsque
le camionneur voyait enfin arriver ses derniers remboursements, son véhicule était hors d’usage, tandis que la source
de ses transports disparaissait du jour au lendemain (au (( bénéfice II d’autres acquéreurs de camions). Le véhicule,
capital inutile, allait s’immobiliser dans la cour de sa concession. La fin du contrat d’acquisition en avait tari la
rentabilité.
LES VOIES D~ÉVACUATION
DU COTON (1).
1 t’oie congolaise Voie Bénoué Voie nigérienne Douala Rouie Douala Air Total (1
Tonnes % Tonnes % Tonnes % Tonnes % Tonnes % Tonnes II
1953-1954. . . 3 596 21,l 8 710 51,3 2 386 14 535 3 1781 10,5 1 7 O16
1954-1955. .
. 6 016 27,8 8 880 41 927 4,3 2 915 l3,5 2 887 13,3 21 635
,1955-1956. . . 9 083 41,7 7 132 32,7 950 4,4 3 447 15,s ,1185 5,4 21 977
1956-1957. . . 9 658 44,5 8 014 36,9 2 006 9,2 1356 6,2 686 3,2 21 730
1957-1958. . . 1 4 O82 49 10 791 37 2 361 8 - 1435 5 28 673
1958-1959. . . 1 4 O90 59 7 744 30,5 1307 5,5 516 1,2 23 688
4959-1960. . . 9 030 64 3 726 26,5 1157 8,2 200 1,4 1 4 115
1960-1961. . . 22 145 66 11149 33 390 1,1 71 0,2 33 769
1961-1962. . . l o 155 62 6 038 38 - - - 1 6 467
1962-1963. . . 2 1 243 63,5 10 135 30 2 105 6,5 1,5 0,04 33 495
A la longue, les sociétés concessionnaires de marques automobiles se rendirent compte que cette pratique ((tuaitB
le transporteur tchadien, client exploité, au bénéfice des plus gros transporteurs qui n’achetaient même pas leurs
camions par leur canal.
(1) Compte tenu des pris praliqubs en 1953, une btude de la Cotonfran fait ressortir ainsi les différents prix de revient du transport de la
tonne de fibre jusqu’i la cbte :
de Doba :voie Bénoué 14 735 F avion Douala 20 990
de Moundou : voie BBnoué 13 181 F avion Douala 19 310
de Pala :voie BBnoué 8 751 F avion Douala 18 110
A cette époque la voie u Fédérale n n’était m6me pas avantageuse pour Fort-ArchamLault o h les prix de transport par avion restaient compé-
titifs :voie Fédérale 20 736, avion Douala : 20 990.
208 JEAN CABOT
Le clivage entre le commerce d’importation et d’exportation a favoris6 et entretenu la disparité des tonnages
transportés à la montée et à la (( descente )) par chacune des voies de desserte. Les contrats passés par les différentes
maisons d’importation ou d’exportation n’entraînent généralement qu’un trafic simple d’approvisionnement ou
d’évacuation. (G. SAUTTEX, 1958 et P. L’HUILLIER, 1957.)
Pour l’ensemble du Tchad, le plus fort déséquilibre entre les tonnages de marchandises importées et de mar-
chandises exportées est celui de la voie nigérienne qui n’évacue pas le 1/10 du total importé. Première voie d’appro-
visionnement du Tchad, elle n’est que la troisième voie d’exportation, très loin derriere la voie fédérale et la voie
de la Bénoué. En effet, à la (( descente II, la Nigerian Railways Company (N. R. C.) ne peut accepter de gros tonnages
ébangers en raison du trafic de traite de l’arachide qu’elle assure en direction des ports. Les arachides de la Répu-
blique du Niger doivent elles-mêmes être évacuées par route vers le chemin de fer du Dahomey, Eaute de pouvoir
s’évacuer par Kano (opération Hirondelle).
T’oie nigérienne
La voie congolaise dite (( fédérale n, principale voie d’approvisionnement du sud du Tchad, en accroissement
régulier ces dernières années, accuse, elle aussi, un déséquilibre relatif entre les entrées et les sorties. Les secondes
ne (( couvrent 1) que la moitié des premières. Encore ne faut-il considérer comme utilisant la voie à l’exportation que
les marchandises qui sont transportées et déduire 5 O00 à 6 O00 t de bétail qui franchissent la frontière sur pied.
La voie de la Bénoué, contrairement aux précédentes, est excédentaire dans son tonnage d’exportation, qui
couvre de 120 à 140 yo le fret assuré à la montée. Longtemps prioritaire dans les exportations de coton fibre de la
Cotonfran-grâce à ses prix largement compétitifs-la voie de la Bénoué, gravement handicapée par son trop court
délai d’utilisation, est sérieusement concurrencée par la voie fédérale dont les prix ont été réaménagés.
Les voies camerounaises par route e t rail ou par avion n’entrent que pour une trbs faible part dans la desserte
du sud du Tchad.
Les cartes qui illustrent I’étude dirigée par Gilles SAUTTER ( 2 ) montrent bien que le bassin du Logone est le
domaine où les différents systèmes de desserte du Tchad s’affrontent et se concurrencent. E n I’état actuel du réseau
de voies de communications, les têtes de ligne fluviales ou ferrées de Kano, Jos, Garoua, Yaoundé, Bangui se dis-
tribuent très inégalement le trafic à destination ou en provenance du Tchad. I1 y a souvent spécialisation régionale
ou spécialisation d’une voie pour le transport de certains produits.
La voie nigérienne n’intéresse que fort peu le bassin du Logone, à l’exception de quelques milliers de tonnes
de ravitaillement de boutiques, redistribuées à partir de Fort-Lamy sur le district de Bongor (ou venus directement
de Maïduguri, par Mora, en saison sèche). A l’exportation, quelques centaines de tonnes de coton fibre des usines
de Fianga, Bongor e t Onolro empruntaient cette voie, pratiquement abandonnée en 1961 et i962 et faiblement
réutilisée en 1963.
La voie de la Bénoué sert surtout à l’importation de produits pondéreux (ciments, tôles, hydrocarbures),
mais son emploi limité seulement à deux mois fait dépendre le Mayo-Ubi des autres voies d’importation pour le
reste de l’année. A la sortie, la presque totalité de la production des usines d’égrenage du Mayo-Kébi, augmentée
de celle de Kélo, emprunte cette voie.
La voie congolaise importe tout : pondéreux, articles de détail, soit directement à destination des entrepôts
des grandes sociétés implantées au Tchad, soit à destination des petites boutiques de redistribution des sociétés
rayonnant dans le bassin du Logone à partir de Bangui. A l‘exportation, la grosse part du tonnage est assurée par
la production cotonnière des départements du Logone, du Moyen-Chari et du Salamat, & laquelle s’ajoutent quelques
centaines de tonnes d’arachides, de poisson et de natron. Une dizaine de milliers de têtes de bétail franchissent
la frontière sur pied.
La voie routière camerounaise importe quelques centaines de tonnes de matériel de boutiques destinées
Baïbokoum et Moundou. Les essais d‘exportation de coton par voie aérienne à partir de Léré (hydravions), Moundou
e t Pala & destination de Douala n’ont jamais intéressb; un tonnage important. Ils ont cessé en 1961, lorsque les trans-
porteurs routiers ont été en mesure de présenter des prix compétitifs.
DISTANCES,
DURÉE ET PRIX DES TRANSPORTS PAR LES DIFPÉRENTES VOIES.
km m Importation Exportation
Nigeria-Fort-Lamy
Lagos ou Jos. . .
. . . . . . . . .
.........
1925 12 30/40 j
1 11 750
17 750
IO 700 (1)
11 300
22 300 18 300
Fédérale de Lamy . . . . . . . . . 3 040 9 113 m
130 800 26 300
. . . . . . . 1 13 500
1 11 so0
‘I
BénouO de Fort-Lamy. .I 835 2 113 m
19 800 15 O00
9 850
\ 11 500
16 100
- de Moundou. . . . . . . . . 1 746 2 1/3 m 1 17 SOO
12 411
( .I5400
Camerounaise de Moundou. . . . . . 1450 12 10 j 1 21 O00
16 500
Avion Lamy-Douala. . . . . . . . . 1076 12 I j 20 O00
Moundou-Douala . . . . . . . . . . 870 12 .I j 15 YO0
Évoquant les progrès de tonnage réalisés au cours de l’effort de guerre, Ch. ROBEQUAIN écrit en 1946 : (( On
peut se fkliciter de l’accroissement de la production cotonnière au Tchad et dans l’Oubangui-Chari, si l’on n’a que
l’appétit des chiffres. I1 n’apparaît pas qu’elle marque un véritable progrès technique, ni qu’elle entraîne l’amélio-
ration durable du sort de l’indigène.)) Et, précisant son affirmation, il h i t , quelques années plus tard : ((La culture
du coton est 4 peu pres l‘unique source de numéraire pour les 850000 habitants des régions tchadiennes du Mayo-
Kébi, du Logone et du Rfoyen-Chari. Pour la campagne 1944-1945, le produit retiré de la vente de la fibre se répar-
tissait ainsi : €45 yo au transporteur, 14,l % à la compagnie qui assure l’égrenage et l’emballage, 6,2 % au budget
général de l’A. E. F. (droit de sortie), 45 yo à la Caisse de Soutien qui sert à financer des travaux divers dans les
régions de production, 23,2 % au producteur indigène qui reversait près du tiers de cette somme h titre d’impBt (2). n
Le rapport d’un inspecteur de la France d’Outre-Mer, rédigé en 1947, évoquant le problème de la rémunération
du producteur, comporte ces lignes : (( Une des préoccupations essentielles a été de permettre aux sociétés de couvrir
leur prix de revient, voire même, depuis 1944, de s’assurer une marge bénéficiaire. Par contre, la détermination du
coût de production du cultivateur, qui n’est pourtant autre chose que la valeur de sa subsistance, ne semble pas
avoir retenu particulièrement l’attention. C’est au paysan noir que devrait aller le meilleur de la rémunération et,
en période de contraction, les baisses devraient s’étaler sur les divers postes qui vont du centre d’achat au magasin
du port d‘embarquement.
(( I1 faut réagir contre l’état d’esprit qui a présidé à l’établissement des conventions de 1945 et d’Octobre 1946,
à savoir que les entreprises commerciales de transformation ont eu, de tout temps, un droit acquis à des bénéfices
garantis, alors que le sort du producteur de la matière première peut rester incertain. ))
Ces constatations faites au lendemain de la seconde guerre mondiale ont conservé toute leur actualité, aussi
bien en ce qui concerne les bénéfices réalisés par les compagnies cotonnières (cf. p. 201) qu’en ce qui concerne le sort
du producteur, qui n’a guère été amélioré malgré le relèvement des cours d’achat du coton à partir de 1951-1952
(tableau, p. 186).
Les pages qui suivent utilisent les chiffres de 1955-1956 (prix d’achat du coton, primes diverses, prix de vente
des marchandises par les sociétés de commerce), afin d’établir un essai d’évaluation du niveau de vie procuré au
paysan tchadien par la vente du coton, au bout de vingt-cinq ans de cette culture et h la veille de l’indépendance
du pays.
Si la détermination des niveaux de vie actuels présente des dilfcult6s lorsqu’on veut faire intervenir tous les
aspects productifs de l’activité d’une famille : production vivrière, p6che le cas échéant, produits de la chasse et
de la cueillette, cultures commercialisées enfin, il est, par contre, relativement aisé de calculer le revenu moyen
représenté par le dernier de ces éléments du budget familial. Les sommes globales versées pour l’achat de la récolte,
les primes versées pour l’ensemencement aux dates voulues, les superficies ensemencées, le nombre des planteurs
sont des éléments connus. Ils permettent de calculer le revenu moyen par hectare et par planteur.
Voici l’exemple du département du Mayo-Kébi pour 1955.
Le prix moyen pondéré du coton à l’achat étant de 25 F, on obtient, pour un rendement moyen de 300 kg à
l’hectare, la rémuneration journalière suivante :
25
-- 300 - 47 F, alors que le salaire d’un manœuvre sans qualification est de 75 F (convention collective
460
de Novembre 1957).
Bien entendu, le gain par journée de travail s’accroît avec le rendement, le nombre de journées de récolte et
de transport s’accroît en conséquence. On peut évaluer à 5 jours de travail supplémentaire le fait d’avoir à récolter
et transporter 50 kg de plus de coton graine. La rémunération varie alors selon le tableau ci-dessous :
-7 Rendement, à l’hectare
kg/ha
Nombre de journées
de travail
P r i x de vente.
récolte
F (C. F. A.)
Rémunération
par journée
F (C. F. A.)
Il
100 140 2 500 18
150 145 3 750 26
200 150 5 O00 33
250 155 6 250 40
300 160 7 500 47
350 165 8 750 53
400 170 10 O00 59
450 175 11 250 64
500 180 12 500 70
L’évacuation ci-dessus se trouve corroborée par celle de M. GAIDE, calculée différemment : (( Le coton-graine
est maintenant payé 25 F CFA le kilo, il faut y ajouter la prime à la surface de 1O00 F par hectare, soit environ
3 F par kilo produit, au total 28 F, compte tenu des outils éventuellement distribués gratuitement. Supposons un
rendement de 300 kg correspondant à IS0 journées de travail, ceci fait une rémunération de plus de 46 F par
journée, donc légèrement supérieure au salaire de manœuvre [43 F par jour (i)]. ))
De même, l’estimation de A. MAGNENpour le département du Logone, moins large dans le calcul du temps de
culture (150 jours pour un hectare de rendement moyen à 260 kg) aboutit à un salaire journalier de 40 F (compte
tenu de la prime à l’ensemencement), et A. MAGNENprécise : (( Le taux de cette rémunération est apprécié par le
cultivateur, non, certes, aussi précisément que nous le faisons, mais d‘après le produit brut. On constute pratiquement
qu’il n’accorde u n intérit véritable à la culture du coton que lorsque le rendement atteint ou dépasse 300 kglha. La meil-
leure preuve en est, en 1955-1956, la progression des superficies dans les zones à rendement élevé, en particulier,
dans les districts de Doba, Kélo et Laï. La culture du coton était, jusqu’ici, une question d‘autorité. C’était surtout
l’énergie de l’autorité administrative, la présence constante e t l’activité de l’encadrement qui (( forçaient )) la pro-
duction à faire du coton (2). ))
Maintenant et de plus en plus cette situation se modifiera, puisqu’il a été décidé de (( décaporaliser )) la culture
du coton. I1 va donc falloir compter sur l’intérêt qu’y attache le producteur et sur les besoins de celui-ci. (MAGNEN,
1956 ( U ) , p. 90-91.)
Pour se faire une idée de ce que représentent ces revenus quotidiens en pouvoir d’achat, il est nécessaire de
considérer la part consacrée à l’imp6t annuel et les prix pratiqués par le commerce local. Nous comparerons des
chiffres portant sur les mêmes années.
(1)M. G ~ m ~ ’ 1 9 5p.
6 , 51. I1 s’agit ici d’un salaire journalier do manœuvre en 1955.
(2) En Rbpublique Centrafricaine, dans le canton Maliki, des rendements de 800 kg/ba portent le revenu du menage ?I 15.300 F CFA pour
83 ares cultives. Cetie s o m e represente les 73 % du revenu global annuel. (LAFARGE et GOUET).
En revanche au village de Pouyamba (sous-prbfeeture de Grimari) le rendement moyen de 307 kg/ha n’assure plus qu’un revenu
de 2 Y O 6 F par habitant ou 3 427 F par a d € agricole. (GEORGES M. 1063).
214 . J E A N CABOT
et, disons le mot, de la misère dans lesquels elles végétaient précédemment. C’est grâce à la culture du coton,
que, dans la plus grande partie du Territoire, l’indigène n’est plus dans l’impossibilité de payer son impôt annuel. ))
En fait, cette afiirmation n’a pas toujours été valable, tout au moins dans les premières années d’introduction
de la culture. Certaines circonscriptions, plus défavorisées que d’autres pour la libre disposition de terres à coton,
ont été assujetties au paiement d’un impôt calculé en fonction de rendement de coton qu’elles n’assuraient pas.
Ainsi la circonscription de Bongor reversait, en 1936-1937, 366 895 F d’impôts, alors que la vente de 217 t de coton
avait rapporté seulement 163 026 F aux producteurs. L’impôt représentait ici 225 % du revenu (les subdivisions
voisines, plus favorisées, payaient respectivement : Fianga, 50,7 % j Léré, 43,5 % j Pala, 38 % de leur revenu.
(( La subdivision de Bongor, saignée à blanc, est en train de se vider de sa substance et son bétail fait les frais de
cette fistalité désordonnée. Quand un pays en arrive à être obligé de-prélever sur son capital, qui ne peut être ici
que son cheptel, une somme égale à 125 % de la totalité de ses ressources annuelles pour acquitter ses charges
fiscales, on peut, sans prophétiser, garantir sa ruine définitive et prochaine (1).))
A l’époque où étaient écrites ces lignes, l’impôt était pourtant variable d’un département à l’autre et à l’inté-
rieur de chaque département d’une subdivision à l’autre. Bongor n’était imposé qu’au tarif minimum.
Le tableau ci-dessous donne l’évaluation en nombre de kilogrammes de coton du montant annuel de l’impôt
de capitation. Parti d’une équivalence du prix de 5 kg de coton, l’impôt, particulièrement lourd durant les dernières
années de guerre, s’est établi maintenant autour du prix de 20 kg de coton.
I 1929-1930 . .. 1
F P
5 à 10 5
Iig
à 10
1930-1931 . .. 0,90 5 à 13 5,5 à 14,5
1931-1932 . .. 0,70 5 à 18 7 à 25,5
1932-1933 . . . 0,70 5 à 18 7 à 25,5
1933-1934 . .. 0,60 5 à 15 8 à 16,5
1934-1935 . . . 0,60 7 à 15 13 à 28
1935-1936 . .. 0,60 7 à 15 13 à 25
1936-1937 . .. 0,75 10 à 13 13,5 à 17,5
1937-1938 . .. 0,85 1 0 à 13 13 à 15,5
1938-1939 . .. 1 11 à 1 3 11 à 13
1939-1940 . . . 1’10 14 16 13 à 14,5
1940-1941 . . . 1,lO 15 à 1 8 13,5 à 16,5
1941-1942 ... 1,10 20 18
1942-1943 . . . 1,35 20 16
1943-1944 ... 1,50 32 21
1944-1945 ... 2,25 55 24
1945-1946 ... 2,50 55 22
1946-1947 ... 4 85 21
1947-1948 . . . 5 85 17
1948-1949 .. . 12 125 10,4
1949-1950 ... 12 175 l4,5
1950-1951 . . . 17 270 11
1951-1952 . . . 25 350 14
1952-1953 . . . 25 450 18
1953-1957 . . . 24 450 18,7
1957-1959 . . . 36 600 23
1960. ..... 26 1O00 (1) 3 8 S (1)
(1) Depuis 1960 I’imp8t se paie par chef de famille; il s’agit encore d’un impat numerique de type familial et
non d’une capitation par adulte.
[IRapport
) économique du Mayo Kébi : (50 Sept. 1937) Archives Bongor.
L E B A S S I N D U MOYEN LOGONE 215
. .
A l’impôt de capitation se.sont ajoutées les taxes sur le bétail, dont‘le prix variait au fur et à mesure que la
capitation augmentait. Chaque imposable était, en outre, tenu de verser sa cotisation à la Société Indigène de
Prévoyance gérée par l‘administration.
Compte tenu des prix, pratiqués sur le marché, du montant de l’impôt annuel e t des ventes de coton ou de pro-
duits agricoles réalisées par les familles, essayons de voir dans le détail quelques budgets de cultivateurs dans les
années 1952-1956.
D’après les estimations du chapitre précédent, les achats de coton e t de paddy, auxquels il convient d’ajouter
le total du petit nombre de salaires payés par l’administration et les usines d’égrenage, donnent un chiffreapproxi-
matif moyen de 1 750 millions distribués annuellement sur l’ensemble de la partie tchadienne du bassin du Logone.
En défalquant de ce chiffre les 250 millions d’impôts perçus par les caisses publiques, il reste environ 1 500 mil-
lions entre les mains des producteurs.
La masse du numéraire est diversement utilisée selon les groupes ethniques. La tradition joue encore un grand
rôle dans le degré de rapidité avec laquelle le commerce pénètre les différentes tribus. I1 y a encore dix ans, il était
possible d’établir une différence tranchée entre les agriculteurs-éleveurs-pêcheursde la région du Mayo-Kébi (Massa,
Toubouri, Kossop) pour lesquels (( l’argent qui résulte de la vente du coton ne retourne pas au circuit du grand
commerce. I1 sert à acheter du bétail... 1) et les cultivateurs du sud du bassin (Gambaye, hlbaye, Sara, en général) :
a le Sara fait plus rapidement connaissance avec les produits manufacturés..., les jeunes, attirés par les routes, par
les groupements commerçants, sont à l’heure actuelle tous habillés à l’européenne : ils portent short et chemisette.
Le premier achat à réaliser lorsqu’on a quelques économies, est la bicyclette. La dot se paye en espèces et les femmes
exigeantes achètent des pagnes de cotonnades, tandis que leurs compagnes Massa vont absolument nues. ))
(J. CABOT,1955, p. 42.)
Certes, les Massa et les Toubouri continuent à consacrer l’essentiel de leur revenu monétaire à l’achat du bétail
destiné à acquitter les dots. Certes, le costume du villageois d’un certain Age reste encore limité à la peau de cabri
ancestrale chez les hommes et à la ceinture de cordelette chez les femmes, mais une évolution est en cours dans
laquelle les jeunes jouent un rôle important.
Le séjour des élèves dans les écoles implantées dans les centres urbains ; les déplacements saisonniers des jeunes
gens vers les lieux de pêche du Bas-Logone proches de Fort-Lamy, l’extension du réseau des boutiques ambu-
lantes (camions) à l’occasion des marchés de coton favorisent le contact des populations les plus traditionnelles
avec les aspects les plus pratiques d’un modernisme sommaire (plats émaillés, pagnes, couvertures, systèmes d’éclai-
rage) et, peu à peu, la brousse s’équipe de biens d’usage jusqu’ici inconnus ou dédaignés.
Soulignons à nouveau, ici, le rôle des marchés de coton ou de paddy qui, en apportant la notion de gain indi-
viduel, ont fractionné l’ancienne unité de consommation qu’était le sina patriarcal et favorisé la libre disposition
de revenus par producteur. En brisant la structure communautaire de l’économie, l’introduction des cultures
commerciales a multiplié les moyens de satisfaire les besoins au niveau des ménages ou des individus.
Néanmoins, les sondages réalisés à ce sujet montrent que les signes monétaires distribués dans le pays à l’oc-
casion des marchés ne sont jamais récupérés en totalité dans l’année même. I1 semble bien établi que le producteur,
chaque fois qu’il le peut, ne remet pas immédiatement en circulation l’argent qu’il a gagné. (( I1 y aurait sinon une
véritable thésaurisation, du moins un ralentissement de la vitesse de la circulation de la monnaie, dû soit à l’esprit
d’épargne, soit à l’existence de circuits monétaires parallèles à celui du commerce moderne (i). 1)
I1 est certain que les marchés traditionnels, habituels lieux de troc et d’échange, connaissent aujourd’hui un
régime o h les tractations font intervenir la monnaie dans une proportion sans cesse grandissante. La femme Massa
qui cède son tabac le fait contre paiement en billet, quitte à aller quelques instants plus tard échanger ce billet
contre la farine de mil que son acheteuse de tabac aurait pu lui proposer en troc.
Mais la part de numéraire utilisée dans ces achats de produits locaux n’est pas très importante. C’est dans la
constitution des dots qu’il faut chercher la cause d’une raréfaction momentanée des signes monétaires mis en cir-
culation.
Au sud d‘une ligne Pala-Kélo-Guidari, les dots ne se règlent pas sous forme de troupeaux de bovins j elles sont
devenues de simples versements en numéraire. Même l’habitude d’une dot réglée en partie avec de la marchandise
tend à se raréfier, les parents de la jeune fille donnée en mariage préfèrent percevoir une somme d’argent, réutili-
sable à leur gré plutôt qu’un stock de marchandises qu’il faudrait le plus souvent consommer en compagnie des
amis et connaissances venus nombreux tì la noce. Les sommes ainsi détournées du circuit commercial ont tendance
à augmenter avec l’accroissement de la population e t avec le relèvement insensible mais continu du montant des
dots. I1 arrive qu’une fraction de dot revienne vers les boutiques, mais c’est alors pour un achat important, en
général, pour l’acquisition d’une bicyclette. Dans l’ensemble, on peut considérer qu’un tiers des sommes payées
aux marchés de coton entrent dans le circuit des dots et s’y maintient.
Dans les régions o Ù l’élevage est possible, la coutume du paiement de la dot par du bétail s’est maintenue.
Mais les sommes consacrées à l’acquisition de bovins ne restent qu’en partie dans le circuit fermé constitué par les
dleveurs sédentaires. Une partie importante repart vers les régions du nord du Tchad avec les éleveurs nomades
venus vendre leur bétail sur les marchés Massa ou Toubouri. L’argent ainsi échappé au commerce du département
va se dépenser dans d’autres boutiques des régions d’élevage nomade.
Néanmoins, une fois la part des dots faite, la plus grande partie des revenus agricoles est absorbée par les mai-
sons de commerce. Si la multiplication des points de vente, constatée récemment, souligne l’iipreté de la lutte menée
par les sociétés pour éponger au maximum les sommes versées aux producteurs lors des marchés de coton ou de
paddy, elle favorise aussi I’éducation de l’acheteur qui sait maintenant profiter des baisses de prix entraînées par
la concurrence. I1 sait profiter de cette dernière et ne se précipite plus sur la première marchandise qui se présente
dès qu’il a en mains l’argent nécessaire pour acheter. I1 sait fort bien attendre l’occasion e t faire son choix.
Cependant, certains produits attirent le consommateur en permanence : le vin, les cigarettes, la bière. Ce sont
là des denrées et des produits qui, spécialement en période de marchés de coton, provoquent d’importantes dépenses.
Les commerçants usent et abusent de ces penchants de la population à festoyer immodérément. Ils veillent à ne
jamais en laisser démunis leurs points de vente en brousse. (Tableaux de prix page ci-contre).
District de Doba
District de Mondou District de Laï
2 quartiers
3 quartiers 4 quartiers
159 adultes
186 habitants 467 habitants
109 enfants
Bien que disparates e t fort réduits comme base d’appréciation, ces chiffres font ressortir un même dénuement
général particulièrement sensible dans les biens de protection thermique (couvertures de 3 à 32 %), de protection
hygiénique (moustiquaires de 1 à 14 %). Les chiffres relatifs à l’habillement peuvent paraitre plus satisfaisants si
l’on tient compte qu’ils se rapportent seulement à la moitié masculine ou féminine de la population considérée
(les pourcentages pourraient donc être doublés). Ils n’en restent pas moins très faibles (en particulier, ici, pour les
villages visités du district de Moundou).
Nombre de sina visités : 269 comprenant 2 160 cases (soit en moyenne 8 cases par sina).
Nombre d‘adultes interrogés : 1 132 dont 502 hommes e t 630 femmes.
2.18 JEAN CABOT
Bétail :384 bovidés, 391 caprins et 7 chevaux, soit par famille (sina) : 1,43 bovin, 1,45 caprin et 0,02 cheval.
Cette évaluation ne représente que la production commercialisable. La nourriture quotidienne est assurée par
la production vivrière familiale.
D’après les recoupements effectués, il semble que les budgets des .familles établies (( en brousse 1) soient d’un
ordre voisin à celui-ci. Néanmoins, à proximité des chefs-lieux de canton, le pourcentage des pagnes de fabrication
locale et des cuvettes est plus élevé que dans les villages de brousse. D’autre part, la différence entre familles de
chefs et de notables et familles de cultivateurs (( mesquines 1) y est encore plus accentuée que dans les autres villages.
Le reste du revenu est consacré à l’accroissement du cheptel, surtout à l’achat de bovins (( thésaurisés )) en vue
d’un mariage.
L E BASSIN D U MOYEN LOGONE 21o
Recettes en 1956 :
1 ha de coton (260 lcg à 24 F) . . . . . . . . . . . . . . . . . . ............. 6 240 F
Prime à l'ensemencement (1 ha à 900 F). . . . . . . . . . . . . . ............. 900 F
2 ha de cultures vivrières, estimation . . . . . . . . . . . . . . . ............. 11 200 F
Vente de suppléments de récolte (mil, arachide, sésanle et élevage). .............. 3 O00 F
21 340 F
Dépenses :
Impôt numérique (1 personne). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ........ GOO F
Cotisation Société de Prtivoyance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ........ 50 F
Achats alimentation (condiments, corps gras ; en moyenne 35 F par jour x 365). . . . . .... 12 775 F
Habillement familial (2 pagnes, 2 chemises, 1 pantalon, 1 short, 3 slips...) .... . . . .... 3500 F
2 couvertures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... 700 F
Éclairage (lampe, pétrole). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... 800 F
Cuvettes, ustensiles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . .... 500 F
Produits d'entretien (savon). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . .... 500 F
19 425 F
I1 reste dono environ 2 O00 F, soit le dixième du revenu familial qui est mis de côté en prévision de dépenses
inattendues : soudure vivrière difficile, aide à la famille, recours aux juges coutumiers, appel de complément à une
dot de parent proche.
La Mission Socio-Ihonomique du Sénégal a chiffré le revenu moyen d'un habitant à 10 190 F par an. Chez les
Toucouleur, la part de numéraire dans ce revenu s'élève à 4 395 F (année 1957-1958, chiffres publiés dans (( La
moyenne vallée du Sénégal 11, p. 196). I1 semble donc que les revenus moyens du cultivateur sénégalais et du culti-
vateur tchadien soient ici comparables.
I1 aurait fallu pouvoir préciser le régime alimentaire réalisé dans les conditions actuelles de développement.
L'entreprise nécessitait le travail d'un spécialiste comme en a bénéficié la région de l'Office du Niger (1).
E n regard du niveau de vie des habitants, il est intéressant d'essayer de dresser un tableau de l'utilisation des
fonds publics pour l'ensemble d'une région. Voici les chiffres correspondant aux dépenses ordonnées dans la région
du Logone (chef-lieu Moundou) pour l'année 1955 (2).
Dhpenses publiques.
Les impôts collectés sur la rhgion se montaient pour la même année à 121,6 millions. Cependant, il faut noter
que les droits de sortie sur le coton produit par la région sont imputés directement au budget général du Territoire.
I1 en est de même des impôts sur le chiffre d’affaires et sur les bénéfices industriels et commerciaux des entreprises
sises dans la région. En revanche, certaines dépenses d’investissements (locaux scolaires ou hospitaliers, marchés)
régIées par des fonds spéciaux d’attribution irrégulière ne paraissent pas ici.
Certes, il est facile de démontrer que le revenu moyen du producteur de coton tchadien reste l’un des plus bas
du monde. I1 ne suffit pas de le constater et d’accumuler des griefs contre les maladrcsses psychologiques ou écono-
miques qui ont preside à l’introduction de la culture dans le pays. I1 faut chercher les voies par lesquelles il peut y
Btre porté remède. Non pas à longue échéance, car ceci, nous le verrons, préoccupe les services agricoles et écono-
miques et des transformations importantes sont en cours, mais immédiatement, par une révision des conditions
de calcul de la part qui doit justement revenir à celui qui porte toute la peine de la récolte : au producteur.
Un premier manque à gagner du producteur réside dans le paiement des (( primes aux chefs n. Certes 0’30 F par
kilogramme ne représente pas une grosse somme pour le producteur qui, apportant 150 lrg au centre d’achat,
n’empocherait que 45 F de plus sur sa vente. Mais la (( prime aux chefs )) ne représente pas seulement un manque
à gagner, elle est de plus immorale, car elle ne sert qu’à changer les motifs de pression des chefs sur leurs adminis-
trés pour les pousser à faire du coton. Leur rôle de garde-chiourme est renforcé par l’intérêt que la prime fait
miroiter à leurs yeux. Ils ne forcent plus la production par crainte des reproches de l’administration ; ils ne sont,
désormais, guidés que par leur intérêt et le fait d’avoir aboli l’usage des (( cordes de chefs 1) pour le remplacer par
l’attribution d’une plus-value prélevée directement sur l’accroissement de la production de leurs administrés ne
semble pas présenter un grand progrès de civilisation.
Les avantages retirés par les chefs grâce à ces droits seigneuriaux d’un nouveau style ne sont pourtant rien à
côté de ceux que la compagnie d’égrenage retire de l’introduction de variétés nouvelles de plants de coton. Deux
opérations successives, l’une pendant les années de guerre, l’autre tout récemment, ont permis d’accroître sensible-
ment le prix de vente de la récolte sans que le producteur en tire le moindre bénéfice.
1 0 L‘introduction de l’Allen commun en 1940 au Tchad a permis une première opération profitable à la seule
société cotonnière. La fibre de l’Allen est plus cotée que celle du Triumph, mais son rendement à l’égrenage est
inférieur (29,2 % contre 33,3 %). Le prix d‘achat du kilogramme de fibre d’Allen était supérieur de 2 F environ à
celui du kilogramme de fibre Triumph autour des années 1943-1944 (13,64 et 14,98 F pour l’Allen contre 1‘1’55 et
12,44 pour le Triumph).
Or, en 1942-1943, le coton Triumph ou Allen fut payé au mBme prix au producteur, soit 1’50 F le kilogramme.
La compagnie d’égrenage arguait de la perte de rendement à l’égrenage pour justifier le maintien du prix d’achat
à un taux unique.
En fait, la perte à l’usinage était largement compensée par les prix d’achat plus élevés de la fibre d‘Allen.
100 lrg de Triumph donnent 33,3 kg de fibre a 11,55 F, soit : 3 846 F j
100 kg d’Allen donnent 29,2 lcg de fibre à 13,64 F, soit : 3 982 F.
Finalement, la vente d’Allen rapporta 1350 F de plus 4 la tonne égrenée, malgré la perte de rendement. Si
l’on considère la récolte commercialisée cette année-là (21 700 t de coton graine), c’est un benefice supplémentaire
de 3,5 millions environ qui a été réalisé par la compagnie sans que les producteurs y aient la moindre part (6 mil-
lions en 1943-1944).
2O L’introduction de variétés nouvelles entre 1955 e t 1960 va entraîner des conséquences identiques. Le plant
A 150 permet un léger accroissement du rendement à l’hectare, mais surtout un relèvement du rendement à l’égre-
nage de l’ordre de 8 % (de 29 à 37 %). Le passage du prix d’achat du kilogramme de coton blanc de 24 à 26 F n’a
été opéré qu’en 1958. Entre-temps, quelque 700 millions de bénéfices supplémentaires avaient été réalis& par la
vente du surcroît de récolte. Sur ce total, le producteur n’avait bénéficié lui-même que de l’amélioration de rende-
ment à l’hectare et non d u rendement ù l’kgrenage ; sa part représentait à peine plus de 10 yo des bénéfices supplé-
mentaires. (Cf MAGNEN, 1956, p. 109 à 112.)
LE BASSIN D U M O Y E N LOGONE 221
La culture du coton dans le bassin du Logone n’a pas entraîné une amélioration des conditions de vie des
populations en rapport avec les contraintes que le paysan a dû subir du fait de son introduction (modification des
cycles culturaux, réduction des productions vivrières, extension des défrichements avec le corollaire tragique du
démantèlement des terres de culture).
Les disponibilités financières créées par la commercialisation d’une production industrielle ont permis, certes,
l‘abandon du paiement des impôts à partir de la production vivrière ou du cheptel, mais l‘augmentation du taux
de l’impôt a toujours suivi les relèvements du cours du coton, si bien que les sommes dont disposait le producteur
pour améliorer ses conditions de vie (protection du corps, éclairage, alimentation) restaient toujours dérisoires.
Peut-on dire que l’absence d’amélioration du sort individuel du paysan ait eu sa contrepartie dans les inves-
tissements sociaux créés à partir des fonds publics ? C’est ce que nous essaierons de déterminer au cours du prochain
chapitre. Cependant, il semble bien, à l’examen des chiffres des pages 219-220, que les dépenses engagées pour
développer la production cotonnière (agriculture, 25,5 yo)aient dépassé le montant des investissements sociaux
autorisés à partir de$ revenus publics que cette culture permettait de rassembler.
17
CHAPITRE XIV
Pour la masse paysanne du bassin du Logone, le fait colonial le plus marquant a donc été l’obligation de la
culture du coton, obligation que toute la population a ressentie, jusque dans les villages de brousse les plus
reculés. Grgce aux gains mesurés permis par les récoltes, les paysans ont pu s’acquitter de l’impôt, payer de nouvelles
dots, faire connaissance avec les produits manufacturés du commerce d’importation.
Mais l’introduction du commerce, l’installation d’une administration civile rendaient nécessaire la formation
de quelques lettrés susceptibles d’établir un contact entre les populations locales et les structures coloniales. I1
fallait aussi que fussent créés les postes de santé, les œuvres sociales propres à justifier l’occupation du pays devant
la conscience universelle.
L’extension du réseau des boutiques jusque dans les villages de brousse les plus importants a favorisé la péné-
tration de l‘Islam dans les pays du Logone restés réfractaires à cette doctrine malgré leur environnement par les
anciens royaumes féodaux. Sur les pas des colonisateurs européens, les missions chrétiennes catholiques et protes-
tantes ont étendu leur influence à partir du sud et de l‘ouest.
Sans avoir été déterminantes, ces diff Brentes influences (prédication religieuse, scolarisation, services de santé)
sont venues jouer leur rôle dans la transformation des structures sociales traditionnelles ébranlées par le nouvel
ordre économique. I1 nous faut donc localiser et évaluer ces influences pour mieux mesurer ensuite quelle part leur
revient dans les changements constatés.
LA Plh’ÉTlhATION RELIGIEUSE
L’Islam
L’Islam est fort peu répandu dans le bassin du moyen Logone où les conditions historiques de son apparition
semblent le condamner pour un temps encore à garder son caractère de religion des anciens oppresseurs arabes ou
foulbé et des chefs mis en place par l’administration coloniale. La domination baguirmienne ou foulbé sur les rives
du Logone a fait de l’Islam la religion des empires esclavagistes pratiquée par les seuls représentants des lamido et
des sultans, puis par les chefs de canton.
Le Tchad semble être le (( centre névralgique de l’Islam noir )) où s’affrontent deux courants d’islamisation (1):
le courant kamitique ou peul, issu de l’Afrique du Nord, niarqué par l’enseignement almoravide, mais modifié
profondément dans un sens idolltrique (gris-gris, cultes niaraboutiques), privé de contacts avec les lieux saints et
la langue arabe, Cléments d’unification et de contact avec l’orthodoxie ; le courant negro-arabe, en contact per-
manent à travers le Soudan e t l’Égypte avec Le Caire e t La Mecque. Lorsque la conquête Foulbé partie de Nigeria
atteint le bassin du Tchad, elle y trouve déjà installée (entre le XI^ et le xve siècle) l’influence négro-arabe. Le bloc
lrirdi du Logone marquait la limite entre les deux influences. C’est la pacification qui a permis sa pénétration i la
fois par les commerçants Foulbé et Arabes.
A Bongor, les Foulbé introduisirent, vers l.910, la prédication de la secte Mohamedia, mais, vers 1948, la Tid-
jania fit son apparition e t finalement l’emporta avec l’influence arabe. C’est par les chefs de canton et de village que
commencent les conversions. L’usage de 1’ arabe tourlcou 1) comme langue véhiculaire populaire a favorisé la
multiplication des (( secrétaires de chefs )) rompus à l’usage de ce dialecte, mais aussi ardents propagandistes de leur
foi. D’autre part, la pénétration des commerces de détail tenus par des Bornouans, des Arabes, des Foulbé, a favo-
risé l’extension de cette religion qui prend souvent l’allure d’une religion des classes aisées africaines. Dans chaque
centre urbain, un certain nombre de lieux de prière sont aménagés dans les quartiers. La prédication est assurée par
les érudits (Goni), les instruits (Falri) et les simples lecteurs du Coran (Maloum) qui forment un groupe autour des
chefs et qui, par le verbe et l’exemple, convertissent leur entourage. Les islamisés épousent des femmes (( kirdi 11,
mais ne donnent leurs filles qu’à des convertis.
L’Islam n’est solidement implanté au Mayo-Kébi que dans le Lamidat de Binder (1). I1 peut, paraître exagéré
de parler de vie intellectuelle et religieuse à propos de Binder. L’enseignement coranique des marabouts e t fakis
mérite, cependant, d’être noté, car il joue un rble important dans la diffusion de l’Islam. La réputation de certains
marabouts dépasse largement les limites de la sous-préfecture de Léré, bien qu’aucun d’eux ne paraisse avoir une
connaissance très approfondie de la loi coranique. Alors qu’à Binder l’école officielle est peu fréquentée, leurs cours
sont suivis par des enfants venus souvent de loin, dont beaucoup, par la suite, se feront les propagandistes de
l’Islam chez les Kirdi des environs.
Dans les centres urbains du Logone, seuls les commerçants et quelques arlisans constituent un noyau musul-
man. L’emprise des religions chrétiennes y est beaucoup plus sensible.
La pénétration du christianisme
Le bloc kirdi oppose dans sa masse paysanne une indiffdrence massive à l’Islam. Par contre, il s’est laissé
entamer largement par l’évangélisation chrétienne, tout au moins dans le Logone et une partie du Mayo-Kébi.
Un môle de résistance à toute conversion (musulmane aussi bien que chrétienne) semble &tre constitué par les
groupes Massa et Toubouri chez lesquels les structures traditionnelles sont encore les mieux conservées.
Les premières missions installées dans le bassin étaient d‘obédience protestante et toutes d‘origine étrangère
(non françaises) :
(( The Church of Lutherian Brothers of America )) est installée à Léré depuis 1921 ; elle rayonne sur les dépar-
tements camerounais du Diamaré et du Mayo-Danaye, ainsi qu’au Tchad sur IC département du Mayo-Kébi. Son
centre d’animation de Léré a essaimé de nouvelles missions : une école biblique centrale installée à Kaélé - d’où
cinq pasteurs africains sont sortis en 1961 -, une mission à Yagoua et une autre à Bongor. Dans les seuls districts
de Léré et Pala, elle anime 120 chapelles tenues par des catéchistes africains.
La (( Mission Évangélique )) établie à Bongor depuis 1942 touche essentiellementles détribalisés du centre urbain,
mais elle a créé également des communautés très vivantes dans les villages de pêcheurs du bord du fleuve (Eré,
Kim, Djoumane).
La (( Sudan United Mission 1) rayonne sur le département du Logone. Son plus gros effort a porté sur le pays
Gambaye et Nantchéré. Plusieurs pasteurs ont fondé des églises (( de brousse )) (Bébalem, Béré, Ter) à côté des-
quelles fonctionnent des infirmeries et des foyers de jeunes. Un mouvement de jeunesse (( Le Flambeau )) qui tire
ses principes du scoutisme touche pour le seul district de Moundou de 3 O00 à 4 O00 jeunes invités à des sorties du
jeudi. Avec 300 lieux de culte, 10 O00 membres baptisés, 40 O00 fidèles, la S. U. M. est la mission protestante la plus
active du bassin. Une sorte de (( Faculté )) groupe à Bébalem un institut biblique en langues africaines et un institut
de formation de prédicateurs en langue française. Des écoles catéchistiques enseignent la langue maternelle ainsi
que quelques rudiments de français e t de calcul a quelques 1 500 élèves qui ne peuvent bénéficier de l’enseignement
officiel. La S. U. M. envisage pour 1962 la création d’un hôpital à Bébalem où un cours d’infirmières a été ouvert
en 1961.
Pour assurer la prédication dans les diflérents groupes ethniques, les pasteurs ont multiplié les traductions
permettant l’édition des textes bibliques dans les multiples langues locales. C’est ainsi que le Nouveau Testament
existe en moundang, toubouri, massana, gambaye, nantchéré, mbaye, goulaye, diffusé par les trois missions.
De son côté, la S. U. M. possède sa propre imprimerie à Koutou, d’où sort tous les deux mois un bulletin intérieur
de 28 pages, trait d‘union entre les Bglises. Les librairies protestantes de Moundou, Doba, Laï, Kélo, Béré, Bébalem
et Pala vendent cantiques, ouvrages pieux et catéchismes.
(1) I1 est plus largement répandu au CAMEROUN et son influence B plus profondément marqué les populations Massa OU Touliouri aux-
qucllc*selle a fourni, avec la civilisation materielle foulbé un cadre d’évolution anti!rieur à la pénétration européenne (cf. de GARINEchap. III].
1.13 B A S S I N U U MOYEN LOGUNII. 225
LES M I S S I O N S C A T H O L I Q U E S
Face aux origines étrangères des missions protestantes, les missions catholiques font figure de mouvement uni
et d’origine française. Encore convient4 de noter que les diocèses partagent le Tchad entre trois influences : les
Jésuites sont répandus dans tout le Tchad, sauf actuellement le bassin du Logone. Celui-ci est partagé entre la pré-
dication capucine pour le département du Logone et celle des Oblats pour le Mayo-ICébi. Moundou est un évêché,
Pala est préfecture apostolique sous la dépendance du diocèse de Ngaoundéré.
Alors que la pénétration protestante s’est faite de l’ouest, en provenance des pays sous tutelle anglo-saxonne,
les premières créations catholiques se sont faites à partir du sud avec la première paroisse de Doba en 1929, dépen-
dant de Berbérati. Ce n’est qu’en 1942 qu’un second centre s’ouvre à Moundou, appelé, il est vrai, à un rapide déve-
loppement, puis à Ké10 en 1948, Laï et Baïbokoum en 1952 (1).
La création d’un petit séminaire h Donia en 1953 implante le catholicisme entre deux Logones où actuellement
les deux tiers de la population sont touchés par les missions chrétiennes tant catholiques que protestantes. Dans le
reste du département., l’influence catholique contrebalance maintenant l’influence protestante, les fidèles de chaque
église représentant le cinquième de la population.
La pénétration catholique au Mayo-Kébi a été plus tardive e t plus lente. La paroisse de Bongor est créée en 1948,
Pala en 1951. Le milieu Massa et Toubouri offre une grande imperméabilité à la prédication chrétienne, seules les
marges niCridionales du bloc irrédentiste ont pu être entamées, dans les traces des missions protestantes.
L’influence catholique pourra, cependant, prendre le pas par le fait de son attitude scolaire. Contrairement aux
protestants qui, du fait de leur origine étrangère, n’ont pu créer leurs propres écoles primaires, les missions catho-
liques ont c&é des écoles même dans les centres urbains et les postes où existaient déjà des écoles publiques. Avec
20 écoles et 54 classes, cet enseignement touchait, en 1960 : 2 946 élèves dont 450 filles au Logone et 964 élèves
dont 186 filles au Mayo-Kébi.
I M P O R T A N C E DE LA D I F F U S I O N DU C H R I S T I A N I S M E
Que représente la conquête spirituelle des animistes du Logone par les missions chrétiennes ? Nous avons vu
que l’évangélisation ne (( prend )) pas avec la même rapidité sur toutes les populations (( kirdi 11. L’apparente réussite
des missions en pays Gambaye n’a pas son équivalent au nord. Ce n’est qu’après plus de trente ans d’efforts que la
mission luthérienne de Léré a vu une fraction relativement importante des Moundang (4 O00 à 5 000) sortir de sa
réserve et fréquenter les chapelles. Toutefois, à y regarder d‘un peu près, on s’aperçoit que 99 % des fidèles ne
dépassent pas les trente ans. I1 semble que, passé un certain âge, les Moundang se détournent de la mission. Les
jeunes gens sont attirés par un enseignement qui les encourage à se libérer de certaines contraintes et d’une tutelle
trop pesante, notamment en matière de mariage (dots très élevées). Une fois devenus chefs de famille, ils sont les
premiers à bénéficier de ces contraintes et de cette tutelle. Qu’ils retournent alors à des coutumes auxquelles,
d’ailleurs, ils n’avaient jamais cessé de rester attachés n’a rien que de très naturel.
L’échec -il n’y a pas pour le moment d’autre mot - de toute évangélisation, tant protestante que catholique
en pays Massa et Toubouri, s’explique par le maintien prolongé des structures familiales anciennes. Faut-il incri-
miner la pratique de la dot sous forme de troupeau qui exigerait le maintien de la communauté économique patriar-
cale ? Ou encore supputer d’une moins grande circulation d‘argent, jouant un rôle de frein ? Toujours est-il que les
cérémonies d‘initiation qui se renouvellent à échéances plus ou moins éloignées vident encore les écoles (et les mis-
sions) e t entraînent toute la population, y compris les anciens tirailleurs et de nombreux évolués, soulignant que
les vieilles structures animistes sont toujours respectées sur les rives des lacs Toubouri e t du Logone.
Comment expliquer alors l’engouement des populations Gambaye, Kossop, Nantchéré pour la pratique chré-
tienne ? Attrait de la nouveauté, d’un enseignement qui, confusément, apporte un correctif partiel au déséquilibre,
chaque jour plus marqué entre les structures traditionnelles de consommation et les nouvelles conditions de la pro-
duction économique? La prédication en faveur du ménage monogame, de la cellule familiale simple, constitue une
justification morale à l’éclatement des familles patriarcales, éclatement rendu possible par l’appropriation indivi-
duelle des gains réalisés par la vente des cultures commercialisées. E t ceci explique tout à la fois que l’action mis-
sionnaire touche surtout les jeunes, attirés par la perspective de contracter mariage en dehors des entraves coutu-
mières, mais aussi que, passé un certain âge, ces mêmes individus retombent dans l’animisme ou l’indifférence.
Pour un certain nombre aussi, la fréquentation des missions est une façon d’afficher une velléité d’évolution
manifestée par l’adoption des (( manières de blancs 1). Pour certains, le baptCme et la lecture de la Bible ont, à peu
près, la même valeur symbolique que le port du casque et des lunettes. Mais cette volonté d’occidentalisation est
(1958).
(1) PELORJAS
226 J E A N CABOT
aussi une revendication d’égalitarisme, une prise de conscience de l‘individu qui a confusément perçu dans l’en-
semble de la prédication chrétienne le message qui fut jadis libérateur d’esclaves dans la société antique.
Telles sont les tendances qui expliquent certaines conversions, certains enthousiasmes. Peut-on vraiment
tabler sur certains aspects quotidiens de la pratique, du respect des consignes religieuses pour augurer de l’évolution
des différentes confessions représentées ? Sans leur accorder une importance déterminante, il faut citer encore
quelques traits qui font partie des (( idées remuées 1) au cours des (( palabres 1) entre fidèles des différentes églises.
Le problème des boissons fermentées et alcoolisées place islamisés et protestants sur un terrain voisin €ace aux
catholiques. Le protestantisme tchadien doit sa rigueur et ses interdits envers toute boisson fermentée ou distillée
ses origines anglo-saxonnes. Cruel prohibitisme qui laisse souvent les fidèles protestants en état de péché d’envie
devant leurs frères en Christ que l’église catholique ne maintient pas dans les rets d’interdictions aussi sévères.
I1 y a toujours une quantité de mil commercialisable dans les villages touchés par la prédication protestante; par
contre, à l’ombre des missions catholiques, le (( bili-bili 1) absorbe une bonne part des réserves, tandis que les bou-
tiques écoulent facilement leurs dames-jeannes de vin. Chez les islamisés aussi, l’interdiction touchant la consom-
mation de l’alcool freine les conversions, jusqu’au jour où la pression sociale, la découverte de certains accommode-
ments avec le ciel aident à franchir le pas.
Mais il est un aspect plus récent de l’affrontement des religions : le problème du mariage vu à travers elles
Si les jeunes gens accueillent volontiers la prédication chrétienne favorable à la monogamie, on assiste actuellement
à l’évolution suivante : d’anciens chrétiens qui, en s’enrichissant, sont devenus aptes à acquérir de nouvelles épouses,
délaissent leur religion première pour l’Islam, plus accommodant à ce sujet. Tel ardent cathéchiste luthérien ren-
contré jadis à Kim m’expliquait dernièrement son adoption du a boubou )) (vêtement des islamisés), en me présen-
tant d’un geste évasif ses quatre femmes.
Ces quelques constatations permettent de rejoindre les remarques de deux éminents africanistes : (( La disso-
lution complète des cadres traditionnels hérités de l’époque gentilice, livrant à lui-même l’individu isolé, conduit
aux religions de caractère universaliste, monothéiste, En Afrique, ces religions de provenance extérieure se sont I
implantées et répandues en même temps que le commerce, ce ferment de dissolution des vieux cadres sociaux commu-
nautaires )) (1).E t pour expliquer l’attrait du christianisme aux yeux des Africains, il faut noter qu’ (( il a apporté
avec le monothéisme un principe d’unification. I1 a imposé l’exemple du RIessie qui, sacrifié par les pouvoirs publics
au meme titre infamant que les malfaiteurs, triomphe sur les autorités pour la plus grande (( joie )) des fidèles. I1 a
introduit toute la puissance révolutionnaire qu’il recelait à l’époque de ses origines, ainsi que l’espérance héritée
du messianisme juif )) (2).
La part prise dans les mouvements anticolonialistes par les églises évangéliques du pays Sara atteste bien que
cette partie du message chrétien n’était pas restée pour elles lettre morte, car la plus grande partie des cadres du
Parti Progressiste Tchadien à la veille de l’Indépendance se trouvait composée d’anciens catéchisés protestants.
L’ENSEIGNEMENT ET LA CULTURE
Au Tchad, en 1960, sur plus de 600 O00 enfants d’âge scolaire, 78 O00 seulement fréquentent l’école dont
69 O00 garçons et 9 O00 filles. Ce faible résultat s’explique si l’on découvre qu’en 1939 la (( Colonie du Tchad 1)
comptait en tout et pour tout quatre classes avec une centaine d’élèves à Fort-Lamy. En 1947 même, le départe-
ment du Logone ne possédait que cinq classes : quatre à Moundou avec 200 élèves et une à Doba. Les sept pre-
miers candidats au B. E. P. C. furent présentés (pour tout le Tchad), en 1951, les premiers candidats au Bacca-
lauréat en 1956.
Certes, les difficultés de pénétration du pays ont pu retarder, au début, l’acheminement des maîtres recrutés
en France. La pratique du congé colonial (deux ans de présence et six mois en France) exigeait un sucroît de per-
sonnel pour assurer la tenue des classes malgré les départs. Ce problème n’a été vraiment résolu qu’avec l’adoption
du congé annuel, rendu possible par les déplacements en avion. Mais toutes les raisons qui pourraient être trouvées
pour tenter d‘excuser ce retard n’emp6cheraient pas de constater qu’il a toujours été possible d’amener au Tchad
les officiers et sous-officiers nécessaires ou les administrateurs civils, et cela, malgré les dificultés de transport OU
les exigences de la relève en temps de congé. Disons tout simplement que la pensée courante du colonisateur excluait
l’idée de la possible scolarisation de toutes les couches jeunes du pays. I1 a fallu que tout l’édifice colonial craque
pour que le souci de laisser quelques réalisations sociales derrière soi fasse mettre les bouchées doubles et accélère
une scolarisation jusque-là négligée (3). Les chiffres disponibles montrent cette tardive accélération : 13 740 élèves
(1)Jean SURET-CANALE,
p. 125.
(2) Georges BALANDIER,
p. 247.
(3) Le rapport du Directeur de l’Enseignement en 1952 donne 1e:chiffre de 8 000 scolarisks soit 2 %.
LE BASSIR‘ D U M O Y E N LOGOILE 227
Mayo-Kébi .. ... 41 300 39 500 50 500 11 743 1045 7 4 2 791 25,4 2,6 15,s
Logone. ... . . . 61 050 55 450 119 500 27 343“ 2 760 30 103 44,7 427 25,l
Moyen-Chari . ... 33 050 31 650 64 700 17 643 2 521 20 164 53,3 729 31,l
Biltine . . . . . . . 16 050 15 350 31 400 279 19 295 127 020 099
Tchad . . . . .. . 310 910 297 550 605 500 69 642 9 O11 7 5 473 22,5 3 12,s
SCOLARISATION
m4 7
diffusée en francais par les écoles officielles ou privées. Cet éIan vers l’étude a d’ailleurs porté ses fruits, car le plus
grand nombre des employ& de l’administration ou des sociétés prides est actuellement compose de représentants
de ces groupes.
A tel point que l’on entend parfois parler de (( colonisation de l’administration n par les Sara. Cette perspec-
tive a entraîné une réaction salutaire des groupes jusque-là plus réticents à la fréquentation de l’école : Massa et
Toubouri, par attachement à leur culture traditionnelle, Musulmans du nord du pays, attachés à la culture arabe.
L’irréductibilité des kirdi : Massa, Toubouri, Hadjaraï (Guéra), en matière de conversions religieuses, a finalement
cédé en matière scolaire et seule la crise en personnel enseignant retarde l’ouverture d’écoles déjà construites par
initiative villageoise.
La fréquentation scolaire est assez régulière, sauf peut-être au moment des récoltes de coton qui mobilisent
la main-d’œuvre juvénile du village, enfants e t pensionnaires. Chaque enfant n’a pas, évidemment, la chance d’être
originaire du village oü se trouve implantée l’école. Nombreux sont les élèves placés en pension chez des (( frères ))
du village élevé à cette dignité. Mais bientôt, pour pouvoir suivre le cours moyen, tous les bons élèves des écoles de
brousse doivent se rendre à l’école à cycle complet du centre urbain le plus proche (la sous-préfecture en général).
Ils bénéficient alors d’une petite bourse d’entretien qui leur permet de vivre chez des amis ou parents. Le même
processus est reconduit au moment de leur admission en classe de sixième, soit qu’ils reçoivent une bourse d’entre-
tien et résident en ville, soit qu’ils deviennent pensionnaires complets, hébergés, habillés et nourris au collège.
La pratique des bourses scolaires pèse, évidemment, sur le budget de l’enseignement, mais elle réalise vrai-
ment pour chaque enfant la liberté de s’instruire et d‘accéder par son mérite aux classes terminales du Lycée de
Fort-Lamy.
LE SERVICE DE SANTfi
Depuis l’arrivée des Français au Tchad, c’est le service de santé militaire qui assume la responsabilité du
fonctionnement et de l’encadrement des formations sanitaires dans l’ensemble du pays. Cependant, aux côtés des
établissements officiels (hôpitaux, centres médicaux, disphaires), certains organismes privés ou semi-privés ont
créé leurs propres dispensaires ouverts spécialement à leurs employés.
Sur les deux départements du Logone et du Mayo-Ubi fonctionnaient en 1958 sept centres médicaux, dont
l’un, celui de Moundou, équipé d’une ambulance, comptait comme hôpital. L’ensemble regroupait 378 lits pour
une population globale de 940 O00 habitants, soit un lit pour 2 500 habitants en moyenne. Sur ce total, une
cinquantaine de lits étaient réservés à la section maternité. Cinq des sept centres étaient équip& d’appareils de
radioscopie.
Quinze dispensaires officiels et vingt-neuf dispensaires privés étaient équipés pour administrer les premiers
soins sous la direction d’infirmiers, soit un dispensaire pour 21 O00 habitants. Une dizaine de docteurs attachés
aux centres médicaux ou chargés de la lutte contre des grandes endémies avaient donc la charge de plus
de 900 O00 vies, soit un médecin pour plus de 90 O00 habitants (moyenne pour la France : 1X0).
Les principales endémies traitées après dépistage généralisé sont surtout : la lèpre, la trypanosomiase et la
bilharziose. L’examen des chiffres de détail relatifs aux soins dispensés contre la lèpre démontre l’importance de la
proximité des centres médicaux ou dispensaires pour assurer une lutte efficace. La proportion des lépreux tombe
rapidement dans les centres urbains où ils peuvent être suivis régulièrement : dans le district de Pala, le chef-lieu
compte 0,6 hansénien pour 100 habitants. Mais, dès que l’on s’éloigne, en direction des cantons de Keuni et Sala-
mata, la proportion s’élève à 3 et 4 %. I1 a été nécessaire de mettre sur pied des circuits de distribution de m8di-
caments, circuits assurés par des infirmiers, pour atteindre les malades des points les plus reculés. Mais le bon
fonctionnement de ces circuits est toujours conditionné par des problèmes de personnel, de temps et de véhicules.
(Les 12 342 hanséniens traités au Mayo-Kébi sont dispersés sur 33 O00 km2.)
La lutte contre la trypanosomiase exige un contrôle sévère des personnes contaminées. L’accroissement annuel
du nombre de cas a été fortement réduit. Au Mayo-ICébi, où la maladie ne règne pas à I’état endémique, l’indice
annuel des nouveaux cas de contamination a été ramené 0,013 %. Au Logone, où la mouche tsé-tsé existe encore
en peuplements réduits, les cas sont plus nombreux, les contaminations nouvelles y sont contenues dans la limite
de 0,04 %. Sur 1 156 cas recensés en 1960, 180 cas ont été mortels e t 431 guérisons ont été obtenues. La maladie
reste donc grave par le pourcentage des décès qu’elle entraîne. Son élimination repose sur le déparasitage de tous les
malades recensés et la destruction des gîtes de mouches.
La bilharziose vésicale ou intestinale est assez répandue dans ces régions d’inondation temporaire : avec
1 ’i82 cas traités sur le département du Logone, la proportion atteint 0’3 %.
Parmi les maladies endémiques, il faut encore citer l’onchocercose, dont l’agent de transmission est la mouche
simulie. Les conséquences de la piqûre de cette petite mouche bossue sont très graves puisqu’elle entraîne de graves
230 JEAN CABOT
lésions oculaires pouvant aboutir à la cécité totale. Les simulies sont installées sur la région des chutes Gauthiot
dans un rayon de 20 i40 lrm autour des rapides. Une grande campagne de destruction des larves a été entreprise
depuis 1954 en raison des dangers que représentait l’extension du foyer en direction des districts de Fianga e t de
Léré, mais aùssi dans le but de rendre habitables les rives du mayo Kébi, ici vides d’habitants. Les villages péri-
phériques à la zone dangereuse comptent un grand nombre de malades aveugles ou atteints de lésions et porteurs
de kystes. La prospection entreprise en 1954 a porté sur 16 116 personnes et les cas suivants ont été dépistés (1):
Chcité totale . . . . . . . ............................. 369 2,3 %
LBsions oculaires g6nBrales. ............................. 1819 11,3 yo
Porteurs de kystes. . . . . ............................. 1 696 10,5 %
Nombre total de positifs. . ............................. 3 677 22,5 Yo
Contre les épidémies annuelles de variole et contre la fièvre jaune, une politique systématique de vaccinations
jumelées a été entreprise. Son eacacité a été démontrée lors de la grande épidémie qui s’est étendue à toute la
zone soudanaise, des rives du Niger à celles du Nil en 1961.
Mais, malgré le dévouement et les miracles d’ubiquité réalisés par les membres du service de santé, l’action
nécessaire contre toutes les autres maladies qui frappent la population reste souvent précaire par manque de per-
sonnel et de moyens. Les pneumococcies, le trachome, la tuberculose, les maladies vénériennes (heureusement
assez limitées en milieu (( líirdi )I), le filaire de Médine demeurent encore trop souvent en dehors des actions prophy-
lactiques des services d‘hygiène. Peu de changements sont à noter aussi dans le domaine de la maternité et des
accouchements et le grand fléau démographique reste encore celui de la mortinatalité et de la mortalité infantile.
L’établissement de nouvelles structures administrat.ives, l’introduction d’une économie de marché par la double
pénétration de la culture du coton et du commerce d’importation, la diffusion des religions monothéistes islamique
ou chrétienne, la création de services sociaux comme celui de l’enseignement ou celui du service de santé n’ont
modifié que très faiblement les structures sociales anciennes des tribus kirdi du Logone.
En effet, l’extension d’une culture commercialisablen’a pas été accompagnée d’une amélioration des méthodes
culturales, l’emprise au sol du paysan ne s’en est pas trouvée accrue. Les marchés de coton ou de riz rapportent
encore trop peu au paysan tchadien pour que l’économie familiale en soit bouleversée, pour qu’un processus de
différenciation économique soit susceptible de s’amorcer au sein de la masse des producteurs.
Les abus de pouvoir des chefs et leurs privilèges, tolérés ou concédés par l’administration, favorisaient la résur-
rection ou l’instauration de structures féodales dans un milieu qui avait su, jadis, les repousser ou ne les subir
qu’à demi. L’enrichissement de certains et leurs tentatives pour s’intégrer dans la classe commerçante n’ont finale-
ment débouché sur rien. A quelques exceptions près, les boutiques se sont fermées et les véhicules se sont immo-
bilisés dans les cours des concessions, tant par impéritie de leur propriétaire que par son élimination des circuits
commerciaux dominés par les grandes sociétés.
Dans l’ensemble, le mode de vie des paysans a donc très peu évolué. L’habitat est resté semblable à ce qu’il
&ait au début du siècle. Si la famille patriarcale a perdu de sa force de cohésion, les fermes n’ont pas changé d’al-
lure - mêmes types de cases, mêmes matériaux, même distribution des constructions annexes (greniers, étables e t
écuries le cas échéant). Les quelques facteurs d‘évolution que nous serons amenés 2t noter n’ont qu’une incidence
limitée sur les genres de vie et sur les structures rurales.
En revanche, le développement de quelques noyaux urbains, d’importance réduite il est vrai, figure l’amorcé
des transformations entraînées par le contact entre deux types de civilisation. I1 souligne aussi le déséquilibre de
ce contact.
L’Bvolution du d e u rural
Les faits les plus importants à dégager de cette période d’ouverture à l’économie coloniale sont d’ordre agraire.
I1 faut noter d‘abord que, malgré l’introduction imposée de la culture du coton, les rapports entre l’homme et le
sol n’ont pas changé de nature. La cuIture d‘exportation n’a pas entraîné avec elle une appropriation individuelle
des terres, un morcellement foncier d’ordre irréversible. En outre, ce type de culture n’a pas tenté l’expérimentation
capitaliste, si bien que les terres collectives n’ont pas été distribuées par la puissance coloniale. C’est un fait extrê-
mement important pour l’avenir du pays. Les perspectives de développement ne sont pas obérées par une alié-
natian des terres, telle qu’elle fut pratiquée ailleurs SOUS le régime colonial.
En revanche, nous avons vu que l’addition d’une culture nouvelle aux côtés des cultures traditionnelles avait
posé, parfois de facon aiguë, le problème des terres disponibles. L’ancien équilibre entre les possibilités de mise en
valeur des terres et les besoins des habitants, maintenu selon les régions par une longue adaptation du cultivateur
aux différents milieux, a été rompu par la nécessité d’accroître les superficies cultivées. Aux migrations rendues
nécessaires par le croît naturel de la population sont venues s’ajouter celles que motivait la recherche de nouvelles
terres. La dégradation des sols dans certains secteurs imposait déjà, vers 1956, la recherche de solutions nouvelles
qui devaient s’expérimenter dans les paysannats. Les promoteurs de la culture du coton s’apercevaient que celle-ci
ne pouvait pas être prolongée - encore moins étendue - sans prendre les mesures de régénération des sols les plus
énergiques. Faute de les avoir prises à temps, les rendements insuffisants obtenus par les planteurs ne pouvaient
aboutir qu’au découragement de ceux-ci et, par voie de conséquence, à une défaveur croissante envers la nouvelle
culture.
La tare fondamentale de I’économie traditionnelle - le sous-emploi permanent de toute la masse paysanne -
n’a cependant pas été levée par la culture du coton. Nous avons vu que celle-ci, loin de venir combler les vides
du calendrier agricole, ajoutait, au contraire, aux activités du paysan en saison des pluies. Le plein emploi par les
travaux des champs semblait rester l’apanage des seuls hloundang et Toubouri, grhce à leurs cultures de mil repique
de saison sèche. Encore faut-il considérer ce (c plein emploi 1) seulement en regard des semi-chômeurs que sont les
autres kirdi. Une enquete détaillée de G. COMBEnous révèle que (( le paysan Toubouri se consacre entièrement à des
activités agricoles pures pendant quatre mois de l’année (Juin 233 h, Juillet 204 h, Août 185 h, Septembre 133 li).
Deux autres mois sont destinés à des travaux agricoles secondaires (Octobre et Novembre). Pendant trois mois,
ses occupations ne sont pas directement liées aux travaux de la terre (Mars, Avril, Mai). Divertissements et rites
traditionnels le retiennent trois mois durant (Décembre, Janvier, Février) 1) (1).
Notons que, sur 421 journées-hectare, le coton en exige 224, le mil rouge 104, le mil blanc 67 et l’arachide 26.
En bloquant les chronométrages quotidiens relevés pour chaque type d’activité, G. COMBEarrive, pour les hommes,
à 105 jours de travaux agricoles par an, 87 jours de travaux divers, 161 jours de repos. Pour la femme, la répar-
tition devient respectivement : 82, 106, 164 jours. Si donc la culture du coton semble avoir sensiblement relevé le
temps passé annuellement aux travaux des champs, elle n’a pas pour autant mis fin au sous-emploi de la masse
paysanne.
L’emploi du revenu monétaire il’acquisition de biens à destination plus individuelle que ne le serait l’achat
de produits vivriers - la cuvette émaillée ne saurait servir ti plusieurs ménages au sein de la famille patriarcale,
le pagne, la couverture encore moins - a favorisé le fractionnement de ce revenu entre les différents producteurs
du groupe, au niveau de la petite communauté matrimoniale, plutôt qu’au profit de la communauté patriarcale.
D’oÙ la tendance à la dispersion de cette collectivité en sous-groupes plus réduits et la plus grande facilité avec
laquelle les jeunes mbnages quittent la ferme patriarcale pour créer leur propre ferme à l’écart.
Cette évolution est plus sensible en pays Sara (Gambaye, Mbaye), où chaque imposable fait sa K corde 11, qu’en
pays Massa, où, faute de terres, il n’est souvent contrôlé qu’une seule corde pour plusieurs imposables, et où la pra-
tique de pêches collectives contribue maintenir la cohésion du groupe familial. L’influence des missions chrétiennes
elle-même n’est pas étrangère à cette dispersion du groupe patriarcal dans la mesure où leur enseignement favorise
l’autonomie de la famille monogame. Dans ce domaine aussi, le pays Sara marque son avance sur le pays Massa.
Chez les Massa Goumeye (N. BONGOR), l’autorité du Boumsina est encore respectée et les sina de plus de
dix cases ne sont pas rares sur les buttes étroites protCgées de l’inondation. Cependant, le mouvement de migration
en direction des rives du Ba-Illi et du Chari, généralement entrepris par de jeunes ménages à la recherche de terres
plus vastes, affaiblit déjà la structure patriarcale. Les sina s’individualisent, l’aspect de nébuleuse s’accentue,
l’habitat se disperse, se fractionne au maximum.
Dans les villages de pêcheurs de la région Kim-Éré, la famille évolue, elle aussi, vers l’autonomie du couple.
Malgré I’étroitesse des buttes sur lesquelles sont juchés les différents quartiers des villages, les anciens yal à strut-
ture gentilice se fractionnent intérieurement pour consacrer l’indépendance des jeunes ménages. L’influence des
missions luthérienne et évangélique a renforcé cette tendance. Un certain nombre de jeunes hommes de Kim,
Djoumane, Éré, ont fait le voyage de Jos en Nigeria (2). Le mouvement a dû commencer en faveur d‘élèves caté-
chistes de la mission protestante, pour leur formation religieuse vers 1925. Les premiers revenus ont dû inciter leurs
camarades 4 se rendre aussi à JOS,non comme catéchistes, dont le nombre est limité, mais comme travailleurs dans
les mines d’étain. La plupart reviennent après quelques années, parlant et écrivant le Haoussa. Ils rapportent du
matériel peu important et peu durable (vêtements) et. .. des idées nouvelles. Plongés dans l’activité d’une ville indus-
trielle, ils ont découvert la notion de travail salarié, l’esprit d’entraide dans l’équipe de mineurs, la notion exacte
de l’heure. Ils témoignent à leur retour un certain dédain pour le travail non rémunérateur des champs, pour les
croyances traditionnelles et le respect accordé aux chefs de terre, de chasse, de pêche.
Cette influence n’est pas toujours durable et la communauté villageoise arrive à reprendre son influence sur
les individus. Tel catéchiste dévot e t monogame, rencontré en 1951 à Kirn, ravi de me présenter son foyer chrétien
et sa jeune épouse, était, cependant, devenu polygame lorsque je l’ai retrouvé, en 1961, dans son oiEce de chef ¿e
village j son plaisir à me présenter ses quatre femmes ne fut pas moins grand. Le fait est assez courant et les exemples
identiques ne manquent pas. La polygamie reste encore la seule façon d’afficher et d’utiliser sa richesse dans une
économie peu évoluée.
E n pays Gambaye, ni l’habitat traditionnellement groupé, ni la pratique de défrichements collectifs n’ont
empêché le fractionnement de la société patriarcale. La pénétration des missions, facilitée par le fait qu’elles trou-
vaient leurs ouailles regroupées et, par là, plus sensibles au mimétisme, la commercialisation individuelle du coton,
l’impossibilité de thésauriser en c bétail N, tout a contribué à accélérer l’émancipation des ménages et des individus. 1
Les jeunes gens désireux de gagner de l’argent en vue du mariage quittent facilement le village pour aller à Fort-
Lamy ou dans les centres proches, s’engager comme (( boys )) ou se faire embaucher dans les usines d’égrenage.
L’implantation des écoles, plus dense dans les départements méridionaux du Tchad, a favorisé aussi le recrutement
des commis, agents, écrivains, indispensables aux maisons de commerce ou à l’administration coloniale. Ainsi le
cadre traditionnel du groupe gentilice s’est trouvé brisé plus rapidement au sud du bassin qu’au nord.
Autre facteur de dissolution des cadres traditionnels : le recrutement militaire. Bon nombre de tirailleurs dits
(( Sénégalais 1) étaient des Sara et apparentés, engagés )) pour quinze ans par les soins pressants des services de
recrutement. Rescapés des divers champs de bataille d’Afrique et d’Europe, les survivants ramenèrent au pays
des conceptions nouvelles. Familiarisés avec l’emploi de l’argent, accoutumés à la perception d’une pension qui les
mettait à I’abri du besoin et les dispensait de reprendre la houe, beaucoup se fixèrent dans les centres administratifs.
Certains furent mCme regroupés en quartiers spéciaux dits (( quartiers quinze ans 1) où, pour ne pas perdre les bonnes
habitudes, la hibarchie et la discipline furent parfois maintenues par le truchement d’un caporal ou d’un sergent
inassouvi.
Notons, cependant, de louables exceptions à cette règle, comme ce Massa Hara de Kourou, rencontré la houe à
la main au milieu d e ses terres e t qui me raconta (( sa guerre n. Engagé dans les troupes britanniques (sans doute au
cours d’un déplacement en Nigeria), il avait connu successivement les débarquements d’Italie, puis ceux du Paci-
fique. Rescapé de tous ces combats, il était revenu (( vivre entre ses parents )) et, bien campé dans son champ de
mil, dans le plus simple appareil vestimentaire, il me contait son odyssée dans un anglais approximatif, mais avec
un large sourire qu’illuminaient les reflets d’une série de dents en or.
Les résultats d’une enquête-pilote préparatoire sur l’agriculture au Tchad menée en 1960, permettent dc
dégager quelques notions sur l’état actuel des structures agricoles : étendue des exploitations en fonction du nombre
de membres de la famille, activités principales et annexes. L’enquête menée durant le dernier trimestre 1958 et
le premier trimestre 1959 porte sur un échantillonnage raisonné de 198 exploitations dans 34 villages, image réduite
du domaine réel de I’étude portant sur 1 180 O00 habitants répartis en 4 456 villages dans la partie sud de la Répu-
blique du Tchad plus spécialement habitée par les agriculteurs sédentaires. Sur les 198 exploitations visitées grou-
pant 11658 habitants, il s’en trouve 113 dans le bassin du Logone ainsi que nous l’avons délimité, soit 6 166 habi-
tants dans 19 villages.
Le nombre moyen de personnes par exploitation ressort à 5,3 j les fermes de plus de 10 persorines ne représentent
que 10 % du total des exploitations mais groupent encore 21 % de la population. Rapporté au nombre de personnes
actives, la distribution se restreint encore : 27,4 % d’exploitations avec un seul actif, 40 % avec deux, 16,s % avec
trois, 8,9 yo avec quatre et 6,9 % avec plus de cinq adultes actifs.
La superficie moyenne cultivée s’établit ainsi : 154 ans par adulte actif, soit 67 ares par personne ou 117 ares
par personne de plus de quatorze ans. Les superficies comprennent au moins 1/2 ha de culture de coton imposée
par personne de plus de quatorze ans. L’une des constatations les plus frappantes qui viendrait contredire l’hypo-
thèse généralement posée d’une exploitation déguisée sous la pratique de la polygamie, réside dans le fait que la
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 233
surface cultivée diminue sensiblement avec l’accroissement des membres du groupe, que le calcul soit fait par rapport
au nombre total ou par rapport au seul nombre des actifs :
La diversification des activités des membres du groupe entraîne une diminution de la superficie moyenne
cultivée : dans les exploitations où tous les actifs sont essentiellement cultivateurs (66 yo des cas), la superficie
moyenne est de 369 ares, lorsqu’une partie du groupe a des activités annexes (24 yo des cas), la superficie se réduit
à peine : 358 ares. Par contre, lorsque tous les actifs du groupe ont plusieurs activités, l’exploitation moyenne
se réduit à 231 ares.
1 I 1 I I/
1 1:
Activités Nombred’exploitations Superficie totale Superficie moyenne %
En zone cotonnikre
L’introduction des cultures imposées a sensiblement modifié la forme des champs. La détermination des
c cordes )) de coton individuelles dans de grands ensembles collectifs aux fornies quadrangulaires donne a u s clai-
rières ouvertes dans la savane boisée des alignements rigoureux. Cependant, l’introduction des cycles de reconsti-
tution de jachères ne permet pas un agencement aussi rigoureux des grandes soles entre elles. Le déboisement d’une
année ne s’aligne pas automatiquement sur celui de l’année précédente. Les photos mettent bien ce fait en relief.
Les champs de coton de Yamba-Maloum (Pl. XIV, B) sont délimités par grandes soles de 30 à 40 cordes, les
unes assez bien alignées à l’ouest de la route de Pala, les autres plus ou moins imbriquées selon des directions fan-
taisistes au nord du village. Les soles de coton sont de couleur claire unie, les soles de 2e ou 3e année de culture
(mil ou cultures associées) offrent un aspect de damier aux teintes plus variées.
Le désordre des défrichements est encore plus apparent autour de Nangassou-Kali (Pl. XIV, A). Les soles sont
beaucoup moins ordonnées dans leurs formes propres e t dans leur disposition entre elles. Les trois quartiers du
village (taches blanches au carrefour des sentiers) sont sép-arés par une étendue o ù le cuirassement affleure (tache
noire aux bords festonnés). Les champs se sont éloignés de cette aire autant que possible, mais son défrichage a
quand même commencé dans sa partie sud-ouest. On voit nettement à la surface de la sole défrichée la coloration
brune des sols gravillonnaires ferrugineux. Sur la même vue, on voit très bien la reconquête des soles anciennes
par la jachère et la reconstitution de la savane (coins sud-est et nord-ouest).
En zone rizicole
Dans les zones inondables, l’introduction de la culture du riz a provoqué également une régularisation des
contours des champs. Cependant, l’étendue des champs est moindre (une dizaine de cordes au maximum), car il faut
tenir compte de l’importance et du niveau de l’inondation, éviter les zones trop basses autant que les croupes trop
t ô t exondées. La photo de la planche XV montre la juxtaposition des champs de mil (bandes blanches ouest-est),
sur terres esondées et des (( cordes 1) de riz situées dans les zones inondables des (( doigts de la Tandjilé N ; région
où la culture du coton a du être abandonnée, mais les champs de mil ont conservé la forme quadrangulaire des
anciennes (( cordes )I de coton. 1
La vue de Kim (Pl. S I S , B), prise au début de la saison des pluies, au commencement de la crue du fleuve
montre l’imbrication des champs de riz au sud du village, selon des formes géométriques souvent fantaisistes, à
l’intérieur des soles de quartier. On distingue, à la périphérie des soles de l’année les traces de cultures anciennes
que la végétation naturelle herbacée est en train de reconquérir.
Le maintien des paysages traditionnels s’est perpétué sur la rive camerounaise du Logone jusqu’à l’intro-
duction, plus tardive, de la culture du coton. Certains cantons échappent encore à cette culture comme celui de
Boudougoum. La planche XIV, C montre, sur la berge exondée qui court sud-est-nord-ouest en bordure de la zone 1
d’inondation du fleuve, l’imbrication des champs de case de culture traditionnelle des Massa. Leur forme, leur
superficie restent celles que nous avons décrites et cartographiées au chapitre VI (fig. 26). L’habitat reste étroite-
ment soudé à l’espace cultivé. La fumure naturelle dérivant de la présence du groupe humain et du bétail favorise
la culture permanente du champ.
La concentration qui s’est opérée autour des centres urbains n’entraîne pas, la plupart du temps, l’abandon
des activités agricoles par les habitants. Ceux-ci doivent continuer à assurer leur approvisionnement en grains et
ils restent assujettis à la culture obligatoire (coton ou riz).
L’exemple du centre urbain de Kélo (PI. XIII, A) montre l’occupation quasi totale des terres par les cultures au
nord e t à l’ouest du poste sur un demi-cercle de 5 à 6 lrm de rayon. Les superficies cultivées (aux formes nettement
quadrangulaires) l’emportent sur les terres laissées en jachère (plus foncées). I1 s’agit là de l’aire agricole de l’impor-
tant quartier Gambaye et Sara situé au nord-ouest du centre. La zone est, cultivée par les Banana (Kolon) et les
Nantchéré montre un semis de champs à la fois plus lâche et moins ordonné. Les terres de jachère ne dominent
vraiment que dans la zone sud-ouest (voir aussi PI. XVI).
L’introduction des cultures commerciales a donc modifié les implantations ou les formes des champs, tandis
que le début de la concentration urbaine entraînait l’extension des zones cultivées autour des centres.
Sur le domaine de l’agriculture à champs itinérants (zone des koros e l des terres exondées) où la tradition
des champs collectifs dégagés par brûlis était prédominante, la culture du coton a seulement introduit la forme
géométrique des champs collectifs (par quartiers ou villages) e t ded champs familiaux, sur la base de parcelles
carrées de 50 ares par individu. Elle n’a cependant pas contribué à fixer avec précision les limites des soles succes-
sivement mises en culture. Nous avons vu, par ailleurs, qu’elle avait en revanche accru les dangers de l’érosion par
l’accélération des défrichements. On pourrait désigner ce type de culture sous le terme de (( soIes temporaires de
défrichement en savane boisée (ou arborée) 1).
En zone temporairement inondable où l’habitat traditionnel soudé au champ de culture permanente dessi-
nait un type de terroir entièrement calqué sur les éminences exondées, l’introduction de la culture cotonnière a
déterminé la création de nouvelles aires travaillées - dans la mesure où la superficie des terres exondées et la pres-
sion démographique le permettaient - et ces nouveaux champs demeurent, pour la plus grande partie, étrangers,
de forme (carrée ou rectangulaire) et de situation (terres sableuses dédaignées, jadis, pour le mil), aux terroirs tra-
LE BASSIN D U MOYEN LOGONE 235
ditionnels. Souvent même, les champs de coton sont délimités sur une butte éloignée e t l’on aboutit à un (( terroir
dissocié de buttes exondées à champs de case permanents et champs de brousse semi-permanents )) (nous avons
VU que l’exiguïté des terres obligeait parfois à faire coton sur coton ou à faire du coton un an sur deux sur les mêmes
parcelles).
Lorsque la culture du riz remplace celle du coton comme culture commercialisable, les terroirs traditionnels
de champ de case soudé à l’habitat se dédoublent égalenient d‘une auréole de champs inondables : (( chanips de
riz 1) et non rizières (lorsque aucun aménagement particulier n’assure la maîtrise de l’eau). Le type de paysage
créé est donc un ((terroirdissocié de buttes exondées h champs permanents et champs inondables semi-permanents n.
De tous les terroirs traditionnels étudiés, celui qui a gardé le plus de stabilitE dans ses formes et sa situation,
reste le u terroir à champs inondables semi-permanents )) des villages du fleuve où le riz a pris, peu à peu, la place
des anciennes cultures : éleusine, taro. Cependant, la période où le riz fut une culture imposée à la corde, a laissé
son empreinte plus ou moins nette sur la forme des champs, actuellement vaguement rectangulaires ou carrés.
Pour sensible qu’elle soit, l’empreinte laissée par l’introduction des cultures commercialisables n’a pas forte-
ment contribué à humaniser le paysage. Les champs dispersés dans la brousse au bout de sentes tortueuses, les
champs de case mal délimités ou simplement protégés d’épineux connaissent une période végétative trop brève
pour laisser leur empreinte de façon durable, la saison sèche qui fane tout et couvre le pays de son grand tapis
fauve, efface la trace de la peine des hommes. Le retour annuel de l’inondation ou le recru arboré ont t ô t fait, à
leur tour, d’éliminer les anciennes limites des champs délaissés. Seule une fixation des terroirs par des cultures
permanentes ou des assolements réguliers permettra de donner aux paysages ruraux de cette région du Tchad
l’allure d‘une terre profondément marquée par la volonté de l’homme.
ÉVOLUTIONDES ÉCHANGES
L’économie paysanne n’a pas Eté profondément modifiée par la ressource nouvelle que représente la venlr du
coton. En effet, le paysan ne compte pas sur le produit de cette vente pour faire vivre sa famille. L’argent du coton,
aprks paiement de l’impôt, ne sert pas à acheter des produits d’alimentation mais des biens d’usage, auxquels les
Kirdi se sont progressivement apprivoisés.
Traditionnellement, les échanges se faisaient à l’occasion des marchés de village dont la tenue revenait à période
fixe. La base du troc était constituée essentiellement par les produits vivriers (grains, tubercules, fruits), d’une part,
produits de l’abattage, de la pêche ou de la chasse, d’autre part. Les produits manufacturés en étaient absents OU
n’y entraient que pour une faible part. Le sel en usage était le natron venu du Nord du Tchad.
L’arrivée des colporteurs sur les marchés de brousse a progressivement modifié le caractère de ceux-ci en
donnant aux produits d’importation une place sans cesse croissante : le sucre vendu au morceau, la cigarette vendue
à l’unité, les colifichets de pacotille, puis insensiblement, les objets de valeur plus élevée : flacons de parfum, boites
de pommades odorantes, savons, cuvettes émaillées, lampes tempête et pétrole, enfin, pièces de tissu, pagnes et
confection masculine.
I1 n’existe de marché permanent que dans les centres importants : chefs-lieux de département, sous-préfet-
tures ou postes administratifs. La tenue d‘un marché permanent est souvent conditionnée par la présence d’un
groupe assez important de revendeurs arabes ou foulbé instalks dans le pays, c’est le cas de Binder ou de Mogroum.
D’autres marchés sont hebdomadaires. La carte 10 donne leur implantation et, pour eertains, leur jour de tenue.
Leur réseau est relativement dense. On peut compter au minimum un marché par canton, souvent deux.
La diffusion des produits d’importation se ramifie encore par la pénétration des colporteurs jusque dans les
villages où ne se tient aucun marché. Le colportage est donc le dernier maillon de la chaine qui permet l’écoule-
ment des marchandises d’importation. C’est un commerce de détail qui va au-devant de la clientèle et qui, en outre,
consent un crédit fort onéreux pour l’acheteur, puisque la marge bénéficiaire atteint parfois 60 yo du prix de gros.
Certaines conditions de voisinage entre groupes ethniques de tradition économique différente avaient, avant
la colonisation, favorisé une légère tendance à la spécialisation. Ainsi la coexistence, devenue pacifique, des groupes
hloundang et Foulbé sur les marges occidentales du bassin explique le dkveloppement de l’artisanat peul à Binder,
lã culture intensive de l‘oignon, la commercialisation des produits et sous-produits de l’élevage en échange des
productions moundang : poissons du lac de Léré, récoltes de haricots ou de mil, mais surtout gardiennage des trou-
peaux foulbé sur les dépressions inondables de la bordure des lacs.
Loin d’être renforcée par l’introduction d’une économie monétaire, cette tendance favorable à la diflérencia-
tion des activités a subi un coup de frein. Les échanges de caractère supérieur : fruits de la terre contre produits
de l’industrie artisanale ont été ralentis par le commerce d’importation. L’arrivée sur le marché des tissus, des
cuvettes émaillées, des houes de fabrication industrielle a fait reculer la part de l’artisan dans l’économie locale,
En pays kirdi, où il n’avait jamais atteint le stade de la complète spécialisation, l’artisanat s’est maintenu au seu]
236 J E A N CABOT
niveau de l’economie familiale pour certaines productions : poteries, briques de terre crue. En revanche, le monde
kirdi, h l’exception des Moundang, a adopté directement le tissu importé sans avoir jamais connu le tissage artisanal,
Les artisans établis dans les centres urbains : teinturiers, tisserands, forgerons, appartiennent, en général,
aux groupes ethniques touchés par la civilisation néo-soudanaise des empires féodaux arabes ou foulbé. La clientèle
citadine ou rurale ne fait appel à leurs services que pour les fournitures qu’ils sont seuls à pouvoir satisfaire, du
fait, des lacunes du commerce d’importation ou de son incapacité à satisfaire certaines exigences de caractère
traditionnel (pointes de flèches, couteaux de jet, houes, bandes d’étoffe).
L’introduction du commerce d’importation s’est opérée uniquement par les principaux centres. Les grandes
sociétés étrangères, n’ayant aucun produit de traite à acheter a u s paysans, ont tout d’abord négligé d’étendre
leur réseau de vente jusqu’aux villages. Dans les centres mêmes, les compagnies ont favorisé tout d’abord le lance-
ment de petits revendeurs en boutique. D’une manière générale, les petits boutiquiers n’étaient pas des repré-
sentants des groupes Kirdi. Arabes, Foulbé, Bornouans, Haoussa ont été les seuls créateurs de petits commerces
dans le bassin du Logone.
A l’heure actuelle, la classe commerçante établie avec boutique et pignon sur rue est uniquement constituée
de leurs représentants. Mais elle est peu nombreuse et elle s’est trouvée récemment menacée par l’âpre concurrence
que se livrent les maisons de commerce européennes parties à l’assaut du numéraire distribué par les marchés de
coton dans les campagnes. L’épreuve de durée entre le petit commerçant et la société s’achève vite par la ruine du
premier. I1 arrive, si celui-ci a fait la preuve d‘une gestion saine de ses propres affaires que la société l’engage comme
gérant de la boutique qu’elle installe à demeure. Ainsi se trouve menacé l’embryon de bourgeoisie nationale en cours
de formation. Le commerçant indépendant disparaît, pour devenir un employé du commerce étranger. Souvent
sa situation s’en trouve améliorée. Dans la mesure où il fait la preuve de sa bonne volonté et de son dévouement,
ses employeurs ferment les yeux sur les petits commerces annexes que le roulement de fonds qu’il manipule lui
permet de créer (1).
La rivalité des maisons de commerce européennes contribue à ralentir la formation d’une classe de petits
commerçants tchadiens, embryon d’une véritable bourgeoisie nationale. Le fait est assez frappant pour qu’il ait
trouvé place dans les rapports administratifs qui notent les conséquences psychologiques chez la population de la
mainmise sur toutes les activités commerciales par les grosses sociétés européennes : (t Jusqu’à cette année, ces mai-
sons n’avaient que peu de succursales en dehors des chefs-lieus de district et laissaient le commerce de la brousse
à de nombreux petits commerçants africains à qui elles vendaient au prix de gros. Actuellement, animées par la
lutte qu’elles se livrent entre elles, ces maisons ont couvert la brousse de nombreuses succursales, suivent les mar-
chés avec des camions de marchandises, réduisent leurs prix qui se rapprochent de très près du prix de gros. ))
Ainsi la lutte des petits commerçants contre les grosses maisons se trouve rendue impossible et nombre d’entre eux
ont (( imploré le secours de l’Administration )),soit par pétitions, soit par démarches personnelles. Ce problème est
posé pour tout le pays et nécessite la recherche d’une (( solution satisfaisante pour ces petits commerçants D.
(Rapport politique de la région du Logone, 1955.)
Ouvriers et employés
La classe ouvrière est essentiellement composée, d’une part, des employés des sociétés européennes (Compagnie
cotonnière, Entreprises de travaux publics et de construction, Sociétés commerciales),d’autre part, de gens de mai-
son (cuisiniers, (( boys )) et (( lavadaires ))). Son effectif, quelques milliers, représente à peine 0,5 à 1yode la population
totale du bassin. Ses éléments les plus nombreux : les employés de la Cotonfran, se trouvent dispersés dans les
16 usines des deux départements (a), par petits groupes de 100 à 300 individus, dans des postes de brousse ou des
centres urbains éloignés les uns des autres de 50 à 100 Irm. La main-d’œuvre de ces usines est saisonnière dans une
large proportion (les 2/3 environ). Les saisonniers sont des paysans qui, dans la majorité, ne font qu’un seul stage en
usine au cours de leur vie en qualité de manœuvres. Les effectifs permanents sont eux-mêmes composés
de manœuvres non spécialisés pour la plus grande part (3). Leur recrutement est souvent etranger aux groupes
(1) Le cas de ce gérant de succursale B Bongor, devenu maitre boulanger de toute la localité en est l’un des exemples les plus notoires. Une
autre source de profits pour les gérants consiste A donner B la revente par les petits detaillants une marchandise de premiere necessité qui fait
provisoirement dafaut dans les autres boutiques de la localite.
(2) Voir carte 10.
(3) Sur un effectif permanent de 1037 employés, les 8 usines de la Cotonfran comptaient en 1952 : 924 manceuvres, 33 maçons, 26 charpen-
tiers, 24 mécaniciens, 10 chauffeurs, I S employés aux écritures.
L E BASSIN DU MOYEN LOGONE 337
ethniques du poste, beaucoup sont des Sara Madjingaye de la région de Fort-iirchambault ; mais, parmi les employés
de bureau, les Camerounais et Centre-Africainssont nombreux. Ce personnel permanent est généralement logé a u s
alentours des usines dans des cases construites par la Compagnie. I1 s’agit donc de cités ouvrières réservées à des
détribalisés n’ayant aucun ou très peu de contact avec les populations autochtones. Pour certains, la seule langue
véhiculaire est le français utilisé dans l’entreprise et dans les conversations inter-tribales. Pour les (( étrangers )) .
installés depuis longtemps au Tchad, c’est l’arabe-tourkou, langue véhiculaire du nord du pays. Dans le sud du bas
sin, le sango, langue véhiculaire du bassin du Congo, fait son apparition.
Les autres entreprises regroupant un nombre d’ouvriers OU d’employés sont essentiellement les sociétés de tra-
vaux publics aux activités mobiles, soit au long des routes pour les travaux d’équipement et d‘entretien du réseau
routier, soit dans les chantiers éphémères ouverts pour la construction d’un ou plusieurs bdtiments dans un centre,
puis dans un autre. Ces entreprises n’utilisent que des manœuvres à l’exception des quelques ouvriers spécialisés,
attachés aux ateliers de réparation et des conducteurs d’engins. Nombre de ces derniers sont des (( étrangers )I
centre ou ouest-Africains.
Outre sa faiblesse numérique, la partie ouvrière de la classe prolétarienne se trouve donc à la fois dispersée
à travers le pays et placée en position marginale du fait de son recrutement en partie (( étranger 1). Son influence dans
la masse s’en trouve atténuée et son organisation retardée. A l’exception de Moundou, aucun des centres urbains ou
des noyaux industriels de brousse n’a encore sérieusement été touché par l’action syndicale.
Le nombre des gens de maison varie dans chaque localité en fonction de l’importance de la colonie européenne
installée. On peut l’évaluer comme approximativement égal au nombre des Européens du centre considéré.
Dispersés dans leurs emplois au cours de la journée, les boys, les cuisiniers se retrouvent le soir après le travail.
Presque tous originaires du pays Sara, ils sont organisés en sociétés fraternelles et pratiquent la mise en commun
de leurs gages pour procurer à l’un d’entre eux la forte somme qui lui permettra de prendre femme, d’acheter
une bicyclette ou de solder une dette. Placés au contact des représentants d’une autre civilisation, leur compor-
tement reflète le profond déséquilibre et le désarroi de leurs pensées. Habitués à une économie d’entretien et de
survie, ils se trouvent plongés par leur service au contact d’une économie de farte consommation et d’abondance
favorisée par l’énorme différence des moyens de subsistance. (L’Européen gagne de 30 à 100 fois le salaire de ses
employés) Ils se trouvent partagés entre leur désir d’imiter l’Européen (costume surtout) e t leurs pensées égali-
taires qui leur font condamner une telle disparité dans les revenus. Les attitudes des gens de maison entre eux
et les propos échangés après le travail reflètent ces tendances contradictoires : désir d‘afficher une hibrarchie nette
entre cuisiniers, boys, petits boys et marmitons, imitée de la hiérarchie que les Européens ne manquent pas d’afi-
cher entre eux lors des réceptions privées ou des manifestations publ<ques,mais, en même temps, ironie profonde
l’égard des (( manières de blancs )) dont l’anthologie sans cesse augmentée et améliorée constitue le fonds inépuisable
des causeries de veillée.
Mieux regroupés, plus sensibilisk par la profonde différence entre leur condition et celle de leurs employeurs,
les gens de maison constituent, dans chaque centre, un noyau réceptif, attentif aux questions sociales. Malheureu-
sement, leur analphabétisme les maintient dans une connaissance purement pragmatique.
Les fonctionnaires, agents des services sociaux ou techniques forment, 4 l‘heure actuelle, la fraction la plus
éclairée, la plus sollicitée de la classe travailleuse. Par les avantages pécuniers et l’influence publique que teur situa-
tion leur procure, certains ont tendance à se considérer plutôt comme membres de la classe dirigeante hue d’une
branche de la classe ouvrière. Tout en les maintenant dans les thches de stricte exécution, l’administration, coloniale
a su alternativement flatter leurs désirs (habitations modernes, permis d’armes de chasse) ou faire sentir que leur
avancement dépendait de leur souplesse. C’est pourtant parmi eux que se sont révélés les plus ardents propagandistes
du R. D. A. (I), lorsque l’espoir d’une émancipation proche se fit sentir au lendemain de la seconde guerre mon-
diale. Malgré la reprise en main opérée par l’administration à la veille des élections de 1951, l’idéologie anticolo-
nialiste fit son chemin griice h l’éch0 qu’elle trouva auprès de cette fraction éclairée de la masse tchadienne. Les
partis progressistes favorables à l’autonomie ou à l’indépendance purent reprendre, en 1956, la majorité légale que
les élections de 1951 leur avaient fait perdre au sein du conseil représentatif.
Il ne semble pas que les premières créations administratives aient été déterminantes pour l’évolution des
villages choisis. Ni Laï, ni Léré, chefs-lieux des régions primitivement créées au moment de l’occupation militaire
ne sont devenus des centres urbains importants. L’implantation des usines d’égrenage, elle-même, n’a pas systéma-
tiquement entraîné l’urbanisation des villages choisis. Sises le plus souvent à distance d’une petite agglomération
(I)
Rassemblement DBmocratique Africain.
18
238 J E A N CABOT
rurale, elles constituent avec leurs bâtiments, leurs hangars e t leur groupe d’habitations, un petit monde à part,
sans lien direct avec les autochtones.
Les quelques centres urbains que compte le bassin du Logone ne se sont vraiment développés qu’au lendemain
du second conflit mondial. C’est alors que les chefs-lieux de région, Moundou et Bongor, furent dotés d‘hôpitaux,
d’écoles régionales, tandis que l’arrivtk d’Européens plus nombreux attirait des gens de maison en rupture de ban
avec leurs tribus. Le retour des anciens tirailleurs entraînait la création de quartiers spéciaux. Les grandes soci&&
commerciales réaménageaient leurs factoreries, tandis que le réseau de redistribution des produits importés, en
s’élargissant à la brousse, faisait des centres urbains des points de stockage e t de répartition.
Ces extensions se firent souvent au détriment des anciens villageois. Le choix des meilleurs emplacements
pour implanter les édifices administratifs et les habitations d’Européens entraîna le (( déguerpissement )) des anciens
occupants. A Moundou, à Bongor, à Laï, les rives du Logone furent dégagées et les villages africains rejetés vers
l’intérieur.
Les centres urbains actuels, malgré leur importance encore modeste, répondent assez bien aux caractères déjà
notés des villes coloniales africaines (1).Ils sont séparés en deux quartiers distincts :
- le quartier européen avec les services de commandement : bureaux, garde, gendarmerie et l’inévitable
prison ; les boutiques des grandes sociétés, magasins et dépôts ; les résidences européennes de style ancien : villa à
véranda avec cuisine extérieure, le tout au centre d’une (( concession 1) ouverte j établissements scolaires et hospi-
taliers. Tous ces bâtiments sont généralement construits en (( dur )) (briques cuites et ciment) et couvertes de tôles
ondulées ;
- les quartiers africains aux cours fermées par des murs de terre ou de séko dessinent un vaste damier où
dominent les matériaux de construction traditionnels : le pisé et Ia paille. Le commerce n’est représenté que par de
petits détaillants, les uns ayant pignon sur rue avec une étroite boutique incluse dans leur (( concession 11, les autres,
déplaçant avec eux une sorte d’étalage-pupitre qu’ils installent au coin d’une rue ou devant une maison amie.
Dans la plupart des centres urbains, la place du marché se situe à la limite des deux quartiers. Une ou deux
halles couvertes abritent les marchands payant patente, tandis que la foule des agriculteurs et petits éleveurs venus
occasionnellement échanger leurs produits s’installe autour des halles.
Outre les commerçants patentés et les agriculteurs traditionnels, il faut noter l’apparition assez récente d&
(( jardiniers n, catégorie de producteurs essentiellement liés aux centres urbains. Une des manifestations les plus
récentes des centres est, en effet, la création de jardins maraîchers sur des terres alluviales, souvent inondables
en saison des pluies, d’arrosage aisé, proches du fleuve ou situées dans une dépression où la nappe est peu profonde.
Les centres urbains de Bongor, Laï, Doba, possèdent ainsi leurs jardins, principalement en bordure du fleuve.
Pierre CAPOT-REY a étudié la zone maraîchère de ’Moundou (2) dont la création remonte à 1955 sur l’initiative
d’un ancien jardinier de la Mission protestante installé à son compte dans la dépression de Koutou au nord-ouest
de la ville. Très rapidement, le nombre des jardins augmenta dans trois zones privilégiées :
Koutou. ............ 1 5 12 24 30 51
N. Moundou .......... 1 2 7 10 11 14
Bords Logone. ......... O O O 5 9 22
--
2 7 19 39 50 87
La création de ces jardins n’a pas entraîné de modification dans la notion de la propriété limitée à l’usufruit
des surfaces travaillées. On ne peut pas parler d’appropriation des terres, mais seulement de culture permanente sur
les mêmes parcelles après retrait des eaux. I1 n’existe ni haies ni clôtures, sauf parfois un croisillon de branches
d’épineux pour limiter les dégâts du bétail.
La superficie est variable : 81 jardins varient de 200 à 800 m2. La moyenne s’établit autour de 600 m2. Pour les
environs de Moundou, cela représente environ 5 ha de jardins.
Les jardiniers n’ont pas pour autant abandonné la culture traditionnelle du mil, mais une évolution dans ce
sens ne tardera pas à se manifester. Les calculs de P. CAPOT-REY aboutissent, en effet, à un revenu de 1million de
francs CFA pour Iha de maraîchage contre 20 O00 F pour 1 ha de mil.
Les centres urbains ont vu leur importance s’accroître dans la mesure où ils contrBlaient les moyens de commu-
nication, c’est-à-dire les installations de franchissement de rivières. Les bacs à perche et même à moteur cessaient
leur service à la tombee de la nuit et les camions en transit devaient stationner jusqu’au lendemain matin : chauf-
feurs et voyageurs (nombreux à être perchés au-dessus des marchandises transportées) devaient trouver à se loger
et à se nourrir. Bongor, Moundou et Doba étaient des places de transit importantes. La construction de ponts
modernes ne leur a pas, cependant, enlevé leur caractère de ville étape. Nous consacrerons quelques pages à la
description de quelques centres urbains caractéristiques. ~
Moundou, chef-lieu du département du Logone, deuxième ville du Tchad, est l’ancien Yérolrol reconnu par
les administrateurs de Laï, lors de leur remontée de la branche occidentale du Logone en 1903. A cette époque,
l’importance du nombre des cases avait frappé les explorateurs qui l’avaient évalué à IO00 environ, soit 2 O00 à
3 O00 habitants environ. La ville s’est développée sur un replat de la rive gauche du Logone, entre 395 et 400 ni
d’altitude. La rive est, à cet endroit, consolidée par des affleurements de cuirasse ferrugineuse e t la corniche domine
N
. .
, -,-
MOUNDOU
O 1000 m
FIG. 42. - Plan de In ville de Moundou : Les parties hachurées représentent les constructions en pisé. Les parties noires les constructions a en
dur n- 1. Prbfecture et Services administratifs; 2. Mairie; 3. Centre commercial; 4. lholes; 5. Hapital; G. Garde territoriale; 7. Gohdar-
merie; 8. Missions; 9. Cotonfran.
parfois le fleuve par des abrupts de 4 à 6 m de hauteur: La ville actuelle s’étend sur plus de 6 lrm, de la zone indus-
trielle au sud-ouest (entre le lac Oueï et le fleuve), aux quartiers africains au nord-est -limités dans leur extension
par un élargissement de la zone inondable du lit majeur.
Le village africain venait, jadis, jusqu’au bord du fleuve dans le désordre de ses cases, implantées au hasard
de l’humeur des habitants. La population d’origine était exclusivement (c Gambaye )yr Actuellement, le noyau ori-
ginel s’est augmenté de ruraux Gambaye (13 O00 au total), mais aussi de représentants de groupes ethniques plus
éloignés (1400 Mbaye et Kaba). Le commerce a été implanté par de petites colonies Haoussa, Arabe OU Bornouane,
aujourd’hui considérablement augmentées (500 chacune environ).
Le commerce moderne et le développement de l’administration ont favorisé la constitution de noyaux étran-
gers lettrés génkralement venus du sud (400 Oubanguiens, 200 Camerounais).
Le plan d’urbanisme a rendu plus rigides les limites jadis assez floues des différents quartiers de la ville : en
partant du nord-est, on trouve successivement les quartiers africains, le centre commercial, le centre administratif
et à l’extrême sud-ouest, le quartier industriel (Ij.
La ville africaine forme un bloc compact plus ou moins quadrangulaire. A travers l’ancien village aux rues tor-
tueuses, le plan d‘urbanisme a tracé un réseau de larges avenues droites bordées d’arbres, recoupé lui-même par un
quadrillage serré de rues. Toute la partie de la ville africaine comprise entre la route Moundou-Ké10 à l’ouest et le
Logone au sud-est, ressemble à un vaste damier dans les cases duquel les deux types de maisons traditionnelles
(rondes à toit de paille conique ou quadrangulaires à terrasse) constituent les principales formes d’habitation, bien
protégées des regards par des murs de pisé qui clôturent les cours intérieures. Les constructions bétonnées sont
rares. La principale exception est constituée par l’ensemble des bâtiments des religieux autour de la cathédrale,
en lisière de la ville africaine, sur le bord du Logone.
Le quartier commercial, centre de gravité de l’agglomération, marque la limite entre les quartiers africains et la
ville administrative et résidentielle. Les boutiques, de construction définitive (on dit ici (( en dur P),s’ouvrent sur les
péristyles qui encadrent la place du marché ombragée de flamboyants. Une halle couverte abrite les commer-
çants au centre de la place, tandis que les revendeurs occasionnels é$aillent leurs étalages alentour. Sur un espace
réduit, toutes les activités commerçantes de la ville se trouvent réunies : commerce de gros et de détail, banque,
pharmacie, postes à essence, marchands de cycles et de pièces détachées d’automobile.
La mairie est située, côté fleuve, à la limite des quartiers africains e t du centre administratif.
La ville europienne, administrative et résidentielle, s’étend sur 2 km en deux bandes parallèles au fleuve,
limitées par des rangées de flamboyants. Une étroite bande, située en bordure même du fleuve, comprend les r6si-
dences des fonctionnaires et les bâtiments de l’administration générale (préfecture, sous-préfecture). Sur une
bande plus large, parallèle à la précédente vers l’intérieur, se succèdent les (( services D : gendarmerie, garde, travaux
publics, enseignement, hôpital, garage administratif.
A l’opposé des quartiers africains, les (( concessions )) sont ici (( ouvertes 1) : une clôture basse délimite les jardins
au milieu desquels la maison d’habitation est visible de la rue. I1 est vrai que, sur une (( concession 1) du quartier
résidentiel, on pourrait loger parfois sept ou huit (( concessions 1) africaines et, de plus, l’Européen vit dans sa maison,
tandis que l’Africain vit dans sa cour. Pour l’un, la clôture est inutile, pour l’autre, elle est doublement exigée pas le
mode de vie et la promiscuité.
La zone industrielle constituée par les installations et les logements du personnel de la Cotonfran est séparée
de la ville administrative par un vaste no man’s land long de 2 lrm et non encore complètement nivelé. Autour
des hangars et de l’usine d’égrenage s’alignent, côté fleuve, les villas des techniciens et des dirigeants européens,
côté intérieur, la cité des ouvriers et employés africains permanents. Comme toutes les (( concessions )) Cotonfran,
celle de Moundou offre un aspect de parc-jardin soigné où les efforts persévérants de plantation poursuivis depuis
trente années portent agréablement leurs fruits e t leurs ombrages.
Simple v24age. dè--euhivateurs et de pêcheurs avant 1914, Yérokol, devenu chef-lieu de la région du Logone
SOUS le nom de Moundou, n’a vraiment connu une réelle expansion qu’après 1950. La population du centre urbain,
déjà parvenue 4 17 382 habitants en 1953, a atteint, en 1961, le chiffre de 21 230. Ce dernier accroissement au taux
. (1) Les termes a ville africaine a, N ville europbenne B sont purement descriptifs. 11 est bien évident que les hauts fonctionnaires
tchadiens resident dans la seconde qui reste ii suropbenne D par sa conception. On pourrait desormais parler de ville moderne pour la
seconde, mais le terme de ville traditionnelle pour la premiare ne convient pas en raison de la jeunesse de ce type d’habitat.
LE BASSIN-DU MOYEN LOGONE 241
de 3,27 %, comparé à celui du districL rural de Moundou entre les mêmes dates (1,75 yo seulement), souligne
l’attrait exercé par la grande ville sur les habitants de la (( brousse n. Moundou présente déjà, par rapport à son
environnement rural, les caractéristiques démographiques des villes : concentration des adultes, proportion
diminuée du nombre des enfants e t des vieillards :
Enfants . . . . . . . . 40 % 4415 %
Adultes . . . . . . . . 59 % 5195 %
Vieillards . . . . . . . 4%
D’autre part, la ville compte de moins en moins d’agriculteurs. A l’origine, tous les habitants de Moundou
étaient cultivateurs. L’afflux des fonctionnaires, des commerçants, des retraites de l’armée coloniale a fortement
abaissé la proportion des premiers. La concentration humaine et l’extension progressive de l’espace urbanisé
repoussent chaque année les cultures un peu plus loin vers la (( brousse 1) (1). A l’heure actuelle, seuls certains
jardins maraîchers et les rizières inondées de l’est de la ville ne sont pas trop distants. Mais les champs de mil et
de manioc ne sont jamais à moins de 3 km. Les cultures autour des cases en ville sont de plus en plus rares, proscrites
à la fois par les servies d’hygiène et par l’exiguïté des N concessions )).
De plus en plus, la population de Moundou, en rupture avec ses origines terriennes, doit faireappel au commerce
pour assurer sa subsistance. L’administration, par le canal des Sociétés de Prévoyance alimentées par les achats de
mil, d’arachides et de riz en brousse, ravitaille ses fonctionnaires en permanence et la population urbaine en période
de disette. De nombreux commerçants locaux introduisent sur le marché les produits des cantons ruraux voisins.
L’aérodrome de Koutou, à 10 km au nord de la ville, est aménagé pour recevoir des avions du type DC-6 ou
Constellation. Le ravitaillement en vivres frais, les marchandises de prix élevé et de faible volume arrivent par
air. Pendant quelques années (1955-1958), un certain tonnage de coton égrené était expédié directement sur Douala
par avion. Le tableau ci-dessous donne les tonnages reçus et expédiés.
TRAFIC
A ~ R I E N DE MOUNDOU-KOUTOU.
La desserte par route de Moundou a été considérablement améliorée par la construction des quatre ponts qui
commandent les voies d’accès au chef-lieu : sur la Lim à Ouli-Bangala (près de Baïbokoum, route directe
de Yaoundé) ; sur la Pendé à Goré et-à Doba ; sur le Logone, enfin, à-Moundou même. L‘entretien permanent de
la route principale Goré-Moundou-‘Kélo-Pala-Léréfait de Moundou un centre essentiel de redistribution pour toute
la zone occidentale du Logone.
’ (I)Lea terres exondées voisines de Moundou sont en grande partie épuisées, les habitants cultivent jusqu’8 18 km de la ville. A. MAGNEN
3955, p- 152.
242 . JEAN CABOT..
Le poste de Bongor tire son nom du chef de famille qui fonda le premier village Massa, au X V I I I ~siècle semble-
t-il. Les différents groupes familiaux issus de la première famille installée ont donné leur nom aux villages qui
PIG. 43.- Plan de la ville de Bongor. En liachures : constructions de pisé. En noir : constructions en
- -
materiaux durables. 1 Préfecture et centre administratif. 2 Sous-Prbfecture. 3 - Centre commercial.
- - -
4 Cours Normal et cole es. 5 - Hdpital. 6 - Garde territoriale. 7 Gendarmerie. 8 Missions.
9 - Cotonfran.
faisaient passer le bec de canard (entre Logone e t Chari) sous autorité francaise. Jusqu’en 1920, Bongor est
rest6 rattaché au cercle du Moyen-Logone dont le chef-lieu était alors Laï. Ce n’est qu’h partir de cette date’ que
la circonscription de Bongor est rattachée au département du hlayo-Kébi, Bongor devenant chef-lieu.
Le village était établi sur la rive droite du Logone, à l’altitude 327-330 m, sur un bourrelet sableux à l’abri
des plus hautes eaux du fleuve. Peu à peu, l’extension des services administratifs a rejeté le village africain en arrière
de la berge, tandis que les quartiers du village Massa, traditionnellement dispersés en nébuleuses, devaient céder
la place aux quartiers ordonnés et alignés des nouveaux venus (1): commerçants arabes et foulbés, employés de
bureau originaires des territoires du sud, ouvriers et gens de maison d’origine Sara. ,
Le centre urbain de Bongor s’allonge sur 2,5 k m en bordure du Logone et sur 800 à 1 O00 m de profondeur
vers l’intérieur. Ce sont les (( concessions )) administratives aux bltiments construits N en dur )) qui occupent le front
du fleuve sur toute sa longueur. En partant du nord-nord-ouest, on trouve : le centre administratif ordonné autour
d’une belle place agrémentée de palmiers (préfecture et résidences administratives). Puis se succèdent, entre le
fleuve e t la ville africaine; le centre commercial, construit autour de la place du marché, le dos au fleuve, les bou-
tiques étant ordonnées autour de la place ; le centre midical (hôpital, maternité, dispensaire), l‘Hôtel des Chasses ;
le centre scolaire (collège, cours normal, centre pédagogique, école d’application), Une dépression inondable inter-
rompt le boulevard de corniche planté de flamboyants (ancien lieu de prélèvement d’argile pour constructions),
Au-delà s’étend la concession industrielle de la Cotonfran qui englobe usines, habitations résidentielles et cité
ouvrière.
Les quartiers africains, en arrière des concessions riveraines, sont mieux regroupés dans un quadrilatère de
1 O00 x 600 m découpé en damier par des rues et des avenues approximativement perpendiculaires. Les blocs
délimités par les rues sont ceinturés de murs en pisé ou plus généralement de murs de sélros délimitant des cours
dans lesquelles sont édifiées les cases d’habitation. La forme de case prédominante est, ici, circulaire à toit de paille
conique; cependant l‘influence des commerçants venus du nord, l’imitation des chefs de quartiers tendent à favo-
riser l’augmentation des cases rectangulaires à terrasses.
Bongor n’a pas connu la fièvre de développement qui a saisi Moundou dans les dis dernières années. Si le
nombre des succursales des grandes sociétés de commerce s’est accru assez sensiblement (en doublant, il est parvenu
six boutiques), le marché traditionnel est resté le même, malgré la construction de deus vastes halles couvertes.
Seul, le marché aux bestiaux marque, chaque année, de nouveaux progrès grâce ii la multiplication des achats
favorisée par la circulation de l’argent apporté par la vente du coton. Bongor est resté un centre Massa, malgré la
colonie importante spécifiquement urbaine constituée par les autres groupes ethniques. Le souci vestimentaire
n’étant pas le premier à assaillir le paysan Massa, on peut encore voir circuler les nudités sculpturales des jeunes
(( gourou )) ou des jeunes filles des villages environnants en plein centre du poste. Les marchés du lundi sont souvent
agrémentés de (( luttes banana n, fraternels défis que se lancent les gourou de villages voisins, au centre d’un groupe
de spectateurs admiratifs, enthousiastes et nus, le plus naturellement du monde.
Bongor est une étape sur la route Fort-Lamy-Doba par la rive droite du fleuve ou Fort-Lamy-Moundou par
Fianga. Cette dernière voie nécessite le fonctionnement d’un bac entre Bongor et la rive gauche camerounaise,
la route Bongor-Fianga traverse en effet le Cameroun sur 40 km. Un projet de pont existe depuis longtemps,
mais son caractère inter-gtats a retardé saconstruction. Sa réalisation est, du reste, liée à l’aménagement d’une route
exondée permanente sur la rive gauche du fleuve, car la liaison Bongor-Fianga est actuellement impossible pen-
dant cinq mois (Juillet-D6cembre) en raison de l’inondation du seuil de Dana. (Pl. XII, C).
Le terrain d’aviation situé à proximité de Bongor, à l’est de la ville, était, jusqu’ii ces dernières années, le
seul moyen de liaison rapide avec Fort-Lamy. Ce terrain de secours a été amélioré pour recevoir des appareils
du type DC-4 à l’époque où la saison des pluies rendait impossible les relations routières avec la capitale. Le seul
moyen de transport était alors le fleuve que les baleinières 4 moteur mettaient 10 jours i remonter et de 2 à 4 jours
B descendre entre les deux villes. Depuis l’achèvement de la route Bongor-Guélendeng,le trafic routier permanent
est possible (24 h après les tornades) et le tronçon de la route fédérale Guélendeng-Fort-Archambault-Bangui a
perdu une partie de son trafic au profit de l’itinéraire qui, par Bongor, gagne Laï, Doba, Goré e t Bangui.
L‘accroissement de la population du centre urbain de Bongor s’est accéléré et atteint un taux suptirieur à
celui de Moundou. De 3 129 habitants en 1951, Bongor est passé à 4 397 en 1959, soit un taux d’accroissement
de 5 yo par an. L’accroissement est dû surtout à l’arrivée de nombreux représentants des groupes ethniques du sud
du bassin, parmi lesquels les divers groupes Sara représentent 27 % du total, tandis que l’dément autochtone
ne représente que i 5 %, l’élément Foulbé 18 % et les groupes divers 23 % (Arabes, Baguirrniens, Camerounais).
La plus grande partie des nouveaus venus appartient B la classe des détribalisés Q la recherche d’emplois non agri-
coles : beaucoup de Gamhaye e t de Mbaye sont des gens de maison ((( boys, lavadaires, marmitons et cuisiniers .).
1 .
(1)Voir annexa no 3.
244 t JEAN CABOT
La proportion des ouvriers proprement dits, c’est-&-diredes employés de la compagnie d’égrenage, ne représente
que 6 % du total d e la population (1). I
Pala
Pala doit d’&e devenue l’agglomzration la plus peuplée du Mayo-Kébi aux importants travaux routiers qui,
de 1949 à 1952, nécessitêrent l’implantation d’une entreprise moderne et l’appel de nombreux manœuvres.
Pala a grandi brusquement, sautant de mbids de 3 O00 habitants à 4 151 en 1953,4 600 en 1955 et 5 508 en 1960,
(taux d’accroissement de 4,6 yo).C’est un centre cosmopolite, ouvrier, avec une population flottante, nombreuse
et difficilement contr6lable. Les boutiques nombreuses, l’animation des rues, les nouvelles possibilités d’emploi
ont exercé une grande attraction sur les villages de’brousse. Il semblait qu’un certain ralentissement dans les possi-
bilités d’embauche sur les chantiers routiers ralentirait l’afflux des ruraux ; il n’en est rien puisque, depuis les licen-
ciements de 1952, la population s‘est cependant accrue de plus de 3.000 unités.
Pala est le type même de l’agglomération biitie sur un axe routier. Le mot agglomération est, du reste, mal
choisi ; il vaudrait mieux parler d’une ville-chapelet qui égrène au long de ses 8 lrm de route ses centres successifs :
en partant de l’est, la ville africaine encore mal délimitée autour de la bifurcation des routes Pala-Ké10 et Pala-
Pianga, puis I’unique rue digne de ce nom : la route qui traverse le quartier marchand, bordée de part et d’autre
de boutiques nombreuses, variées, pittoresques, allumant leurs quinquets la tombée de la nuit, étirées sur un kilo-
mètre jusqu’à la place du marché. Les magasins des sociétés se tiennent, eux aussi, en lisière de la route, plutôt
que d’encadrer la halle cpuverte pourtant proche. Les deux premiers kilomètres de la ville se terminent avec le
centre administratif (postes, sous-préfecture, campement-hqtel). II faut parcourir encore 2 km pour traverser la
concession de la Cotonfran établie, elle aussi, de part et d‘autre de la route, usines au nord, logements au sud. A
500 m, la concession de l’E. G. T. H. obéit ap même plan et termine ce qu’il est convenu d’appeler le centre urbain
de Pala (2).
La situation de Pala sur le grand axe Logone-Cameroun, au point de jonction de la route qui l’unit à la capitale
Fort-Lamy, contribue à maintenir une pr-ospérité relative du commerce. Les grandes compagnies ont toutes établi
une au plusieurs succursales ; l’une d’elles a fait de Pala un centre régional de redistribution, au moins pour les
marchandises importées par la voie de la Bénoué.
Le petit commerce lui-même, s’il ne prospère pas, cependant prolifère : plus de 40 boutiquiers ont, à Pala, des
installations fixes. Par leur origine, ils sont tous étrangers au district et comptent, .parmi eux, une forte colonie
fezzanaise ou libyenne (une quarantaine de personnes), (( sans oublier les deux ou trois petits Blancs qui cherchent
à se tirer d’affaire à la lisière de la légalité et qui demandent une surveillance de tous les instants (3) D.
Les entreprises industrielles .ou assimilLes ont chacune leur cité ouvrière, formant quartier : pour la Cotonfran,
278 personnes ; pour l’E. G. T. H., 543. Quant au quartier européen de l’E. G. T. H., il reste (( un petit morceau
découpé dans la banlieue parisienne e t parachuté, un beau jour, sous les tropiques 1) ( 4 ) .
Léré I !
I
Léré n’est pas àproprement parler un centre. II est formé de plusieurs quartiers très distincts qui s’échelonnent
sur 4 lrm le long de la route Pala-Garoua.
Léré-Moundang, anciep village où résidait jadis le chef tradiiionnel. Agglomération serrée de pitchélé consti-
tués de ces cases-fortips caractéristiques de l’art Mouqdang. Plus de 2 O00 personnes vivent là dans les conditions
les plus traditionnelles, à proTimité des berges inondables de l’n entp-deux-lacs N.
Léré-Foulbé, centre commercial installé dans un bas-fond, à proximité de la place du marché, a atliré I C s
quelques boutiques fives du lieu (4Q0habitants).
( t ) Deux recensements sucressifs (1953.et 1955) répartissaient ainsi 1;s diffhrrntes calégories de travailleurs du porte de nongor ’
Chefs de famille : 1117 en1953 1149 en 1955
“Fonctionnaires et clercs : 112’ soit 10 y(, I l 4 20 %
Retraitks [armhe) 41 ‘ 3,5 y(, 43 3,5 %
Ouvriers et domestiques 262 , 25 % 081 25 %
Manœ~vrcs 154 13 % 153 13.5 yo
- ‘- v .
Artisans et commerçants
Cultivateurs
154
353
14 %
32 yo
156 13.5 yo
362 32 %
” Oisifs 51 4,5 ‘$/o 40 3,5 %
( 5 ) E. G. T. H. Entreprise de grands travaux hydrauliques.
(3) Rapport économique 1955.
(4) Cf, E. NAIIAGHI 1960.
L E BASSIN D U nlOYEN LOGOXE 245
Léré-Posle : centre administratif de la sous-préfecture, perché sur un éperon qui domine le lac, se résume h
quelques constructions : bureaux, résidences de fonctionnaires, centre médical et camp des gardes.
Fouli-Léré (600 habitants), entre le poste administratif et la Cotonfran, sur les moutonnements des rives du
lac et des versants proches, représente une seconde agglomération de type traditiolinel Moundang, moins entassée
cependant que la première.
Binder i -
Vestige d‘un grand passé, Binder, qui compte plus de 4 O00 habitants, est encore aujourd’hui un gros centre,
commer*cial,artisanal, religieux, voire intellectuel. Le marché quotidien est surtout animé le samedi, jour tradi-
tionnel de gros échanges.
L’artisanat est représenté surtout par des tanneurs, des teinturiers, des cordonniers, des forgerons. Une place
4 pkrt doit être faite‘aux femmes foulbé qui tissent godons et gabalc de coton. C’est également à Binder que se
commercialisent les oignons et le tabac dont la culture est très répandue dans tout le lamidat.
ÉLÉMENTS DE DÉMOGRAPHIE
L’étude démographique précise des populations tchadiennes est difficile pour de multiples raisons que nous
allons exposer. Pourtant, les recensements de population ne manquent pas e t leurs résultats sont assez facilement
accessibles, mais leur étude exige beaucoup de circonspection (1).
Les chiffres correspondent à la population recensée, qui n’a pas toujours été la population réelle (3). A l’heure
actuelle, depuis la fin de la guerre 1939-1945, pays réel et pays recensé se recouvrent assez exactement. En revanche,
les chiffres antérieurs à 1945 risquent fort d’être en deçà du total de la population existante. La sous-administration
a été un mal chronique du Tchad, Cendrillon de l’A. E. F., et les recensements d’avant-guerre étaient incomplets.
Les administrateurs n’étaient que des collecteurs d’impôts, leurs contacts avec la population se faisait souvent
par l’intermédiaire de chefs locaux traditionnels ou inventés par l’administration elle-même. Beaucoup d’écarts,
de villages situés dans les zones inondées ou dans les refuges montagneux échappaient aux convocations collec
tives au centre de recensement. Les chefs de village, chargés du ramassage de l’impôt, avaient intérêt à ne pas faire
enregistrer la totalité de leurs ressortissants pour faire profit de la différence entre les sommes collectées et les
sommes réclamées par l’administration - car, recensé ou non, le (( meslcine )) payait quand même l’impôt au chef.
Étaient taillables tous les adultes, hommes ou femmes, de 1G à 50 ans. On (( oubliait 1) de faire enregistrer les jeunes
gens devenus imposables ou les adultes en déplacement.
L’âge des recensés ne doit être retenu, lui aussi, qu’avec beaucoup de prudence, car, en l’absence de tout état
civil, l’attribution d’un âge aux adultes reposait sur toute une série d’évaluations, d’estimations, de comparaisons
de dates dans lesquelles pouvaient se glisser de nombreuses erreurs. La référence à une année de forte crue, une année
de bonne ou mauvaise récolte, l’année du passage du premier Blanc, toutes ces indications sont sujettes à contro-
verses. Ajoutons aussi que, pour allonger les listes d’imposables, les préposés pouvaient 6tre tentés de vieillir d’un
an ou deux tel adolescent bien planté ou de retenir tel vieillard encore vert en deçà de son Pga primitivement sup-
posé. Les filles se marient très jeunes. Elles se trouvent rapidement en puissance d’enfants e t l’agent recenseur
est tout naturellement amené à les vieillir prématurément en fonction de 1’Pge que suppose, pour lui, la possession
d’une progéniture. I1 est rare que les dates portées sur le registre de recensement soient modifiees par la suite,
Beaucoup de paysans africains portent allégrement les deux, quatre ou six ans supplémentaires qui leur furent
généreusement dévolus par un jeune administrateur sortant tout droit du Quartier Latin. Cela ne simplifie pas notre
tâche.
- On arrive B une précision plus grande avec les jeunes générations, l’enfant est enregistré l’année de sa
naissance ou l’année suivante, les recensements ayant lieu au moins tous les deux ans. Mais les enfants décédés
dans leurs premiers mois échappent le plus souvent Q cette tenue sommaire de I’état civil ;
- Les déplacements, fréquents chez les populations africaines, causent souvent une certaine confusion dans
la tenue des registres, soit que les mbmes individus figurent h la fois sur les deux registres, celui de leur village de
départ e t celui de leur village d’arrivée, soit qu’ils aient disparu de l’un sans avoir été portés sur l’autre.
Tant que chaque village n’aura pas en dépDt son propre registre d’état civil et son secrétaire ad hoc, ces sources
d’erreurs seront difficilement éliminées. De toute façon, c’est à partir des chiffres fournis par les recensements
(1)Mr. P. CAPOTREY,aprOs enquête agricole menée dans les fermes estime que les reccnsements ¢s sont inférieurs de 10 A 20% de Ia
réaliti.. (com. verb.).
246 J E A N CABOT
que nous pouvons essayer de suivre les mouvements de la population dans les pays du Logone. Les enquêtes person-
nelles et les recoupements qui ont pu être opérés montrent des différences finalement négligeables lorsqu’elles se
compensent. Mais il peut arriver qu’elles s’additionnent et, dans ce cas, l’erreur peut atteindre 10 % du total.
Malgré toutes ces faiblesses, nous devons faire figurer certains chiffres de recensement pour donner une idée
de l’évolution des populations de la région.
A partir des chiffres ainsi disponibles, certaines valeurs peuvent être calculées :
- la proportion du nombre de jeunes (moins de 15 ou 18 ans) à celui de la population totale ;
- la proportion du nombre d’hommes à celui des femmes ou sex ratio ;
- le taux d’accroissement de la population, en veillant à ne comparer que des chiffres assez récents - en
principe postérieurs à 1945 - pour les raisons que nous venons d’évoquer ;
- faute de pouvoir établir, pour l’ensemble de la zone considérée, de véritables taux de remplacement don-
nant le rapport du nombre de filles à celui des mères qui les ont engendrées, nous essayerons de calculer un (( indice
de remplacement approché )) en faisant le rapport du quotient par 15 (ou 17) du nombre de filles de O à 15 (ou 17) ans
au quotient par 35 (ou 42) du nombre de femmes de 16 (ou 18) à 50 (ou 60) ans (1).Cet (( indice 1) n’a qu’une valeur
approximative, car il est bien évident que les filles actuellement recensées de O à 15 ans peuvent être nées de mères
déjà disparues. I1 n’est pas impossible, non plus, qu’une mère de 14 au 17 ans et sa fille figurent dans la même caté-
gorie. D’autre part, le nombre de femmes de 16 à 50 (ou 60) ans pourra comprendre un certain nombre de femmes
stériles, Btrangères à la catégorie des m6res qui, seule, nous intéresse.
En lisant les chiffres ainsi obtenus, nous ne devrons jamais oublier qu’ils découlent de recensements au carac-
tère sommaire qui constituent cependant le seul moyen actuellement disponible pour un essai d’analyse des mou-
vements naturels de ces populations.
La progression des chiffres des populations recensées depuis 1910 s’établit ainsi :
Logone ...... 84815 109 967 144 968 303 640 444 336 496 774 512 340
Mayo-Kébi ..... 82 203 107 731 137 911 202 400 324 839 349 582 368 333
Diamaré ......
I1 est évident que l’accroissement réel ne peut avoir atteint un taux de 10 % pendant les cinquante ans qui
séparent le premier et le dernier chiffre donné pour le Logone, ni même 4,75 % entre 1926 et 1961 pour le Mayo-
Icébi. Les chiffres ci-dessus ne peuvent s’expliquer que par le caractère incomplet des recensements de population
entre 1910 et 1936 et le perfectionnement progressif des méthodes de dénombrement à partir de cette dernière
date. Si l’on considère les chiffres de 1936 comme proches de la vérité, ce qui est certainement exagéré, les taux
d’accroissement réel deviennent pour les vingt-cinq ans qui séparent 1936 de 1961 : 2’75 % pour le Logone et
3,70 % pour le Mayo-Kébi.
Les chiffres de recensement qu’il est possible de tenir pour très proches de la réalité sont donc seulement
fournis par les dénombrements postérieurs à la seconde guerre mondiale. Entre 1953 et 1961, le rythme d’accrois-
sement moyen s’établit autour du taux annuel de 1,8 yo dans la région du Logone et 1’65 yo pour le Mayo-Kébi.
Ces taux d’accroissement vrai ne sont pas uniformes pour toutes les sous-préfectures d’un même département.
Dans le Mayo-Kébi, par exemple, la sous-préfecture de Léré accuse le taux d’accroissement le plus bas avec 1,12 yo
seulement, alors que l’arrondissement de Bongor atteint 2,12. Nous avons vu déjà (2) que la présence d’une forte
proportion de Foulbé sur Léré expliquait le caractère regressif de la population du district. En revanche, le taux
relativement élevé du district de Bongor s’explique par l’arrivée de familles en provenance de la région de Kélo,
Kolon sur le département du Logone. (Par voie de conséquence, la sous-préfecture de Kélo, bien que peuplée de
’
populations prolifiques, n’atteint qu’un taux moyen d’accroissement : 1’45 %.)
Le taux d’accroissement moyen annuel du département du Logone est supérieur à celui du Mayo-Kébi :
1,82 %, mais il recouvre, lui aussi, des différences sensibles qu’il est malheureusement difficile de faire ressortir ici,
les différentes divisions administratives du département ayant été remaniées entre les deux recensements considérés.
Pour les deux districts dont la superficie n’a pas été changée, l’accroissement s’établit à 1,45 yo sur Kélo et 1,09 yo
seulement sur Laï. La faiblesse relative de l’accroissement numérique de la population de IGlo n’est due qu’à
l’émigration en direction du district de Bongor, car les Marba, Nantchéré, Lélé sont des groupes dynamiques qui
comptent 47,2 % de jeunes de moins de 18 ans et dont l’indice de remplacement est légèrement supérieur à 2 yo.
En revanche, le faible accroissement relevé sur Laï s’explique par un indice de remplacement plus faible (1,76 yo)
e t une proportion de jeunes (43 %) inférieure à la moyenne du département (46 %).
ÉVOLUTION
DE LA POPULATION DE 1952-1953 A 1960-1961
POPULATION
CAMEROUNAISE DU BASSIN.
7I II
Département du Mayo-Danaye ...
Maroua (sous-préfecture) . . . . . .
Kaélé (sous-préfecture) . . . . . . .
Bogo (sous-préfecture) . . . . . . . 30 270
Mindif (sous-préfecture). . . . . . .
352 745
Le caractère le plus frappant de la population du bassin du Logone est son extrême jeunesse. A l’exception
des districts de Léré (35,5 %), Bongor (38 %) et Pala (40,7 %), la proportion des jeunes de moins de 18 ans par
rapport à la population totale est partout supérieure à 43 %. Elle atteint m6me 47,5 yo sur le district de Doba. I1
serait intéressant de pouvoir comparer ces proportions de 1961 avec les proportions antérieures, mais, là encore,
l’opération est rendue difficile, car le gouvernement tchadien a introduit, depuis 1959, un nouveau système derecen-
sement : les catégories anciennes de 0-15 ans, 16-50 ans et plus de 50 ans ont été abandonnées pour une nouvelle
classification de 0-17 ans, 16-59 ans e t 60 ou plus.
I1 est donc encore très dificile d‘avoir une connaissance vraiment scientifique des mouvements de population
tant que les recensements n’auront pas été remplacés par un véritable état civil. L’impossibilité de chifber la morta-
lité infantile e t la mortinatalité ne permet pas de calculer les taux de fécondité générale, de reproduction, d‘accrois-
sement naturel.
Aux renseignements fragmentaires donnés plus haut, il faudrait pouvoir ajouter encore de nombreux exemples
pour se faire une idée plus proche de la réalité. Les démographes ont un immense domaine à inventorier en Afrique,
le bassin du Logone mériterait l’envoi d’une mission semblable à celles qui ont récemment réalisé l’étude des popu-
lations kirdi du Mandara ou des populations du delta central nigérien.
245 JEAN C A B O T ,
Pour l’instant, les renseignements les plus récents concernent les villages du casier A (nord Bongor). Sur un
total de 2 151 personnes recensées en 1954 chez les Massa des quatre villages de Wayanka, Malam-Sadi I, Bedem-
Ourlula et Bedem-Sira, les enfants de moins de 15 ans ne représentent que 31,9 % du groupe pour 59 yo d‘adultes
actifs (1649) et 9,1 % de vieillards (plus de 50 ans). Les chiffres de 195s montrent un accroissement rapide de cette
population passée en quatre ans ti 2 930, soit un accroissement vrai de 8 yopar an. En fait, le nombre des hommes
adultes ne s’est accru que de 66, tandis que celui des femmes progressait de 279 et celui des enfants de 324. 11
semble donc que l’accroissement soit dd B un apport de femmes, signe d’enrichissement relatif (ou de liquidation
du cheptel) au moment où l’endiguement des terres inondables donnait la possibilité d’accroître les cultures tout
en imposant l’abandon ou la migration des troupeaux privés de pâture. Grâce à ces mariages récents, la proportion
des moins de 15 ans est passée à 34,2 yo du groupe, mais l’apport de femmes adultes a fait baisser l’indice de rem-
placement. ’
Trop fragmentaires encore, les données démographiques purement statistiques ne permettent pas une analyse
complète. I1 ressort cependant des chiffres ci-dessus que la population du bassin du Moyen-Logone avec un accrois-
sement vrai moyen de 1,75 % par an est en plein essor démographique. 11 n’en est que plus urgent de remédier
aux déséquilibres économiques nés de la colonisation.
CONCLUSION
Conclure cette troisième partie, c’est, en somme, faire le bilan d’un demi-siècle d‘administration coloniale. Le
partage de l’Afrique a été la conséquence historique de la rivalité des impérialismes. Que la colonisation ait été le
fait d’une nation ou d’une autre, sa caractéristique essentielle a été de mettre brutalement en contact des systèmes
économiques différents. A des régions demeurées, du fait de l’évolution historique de notre planète, dans une éco-
nomie de subsistance, elle a imposé de nouveaux rythmes de production pour satisfaire les exigences des classes
dirigeantes européennes qui la commanditaient.
Le bassin du Logone a été introduit dans une économie de marché par l’imposition d‘une nouvelle culture : le
coton. Celle-ci a exigé une extension des défrichements et l’accélération de la rotation des jachères. De ce fait,
l’érosion de certaines terres, celles des koros sableux exondés, a été activée à un point tel que le problème du trans-
fert des populations se trouve déjà posé. Les objectifs de l’économie de traite visaient à augmenter sans cesse la
production sans se soucier des améliorations techniques nécessitées par l’entretien des sols. Le gaspillage de la
graine de coton, engrais possible, en est une preuve accablante.
D’autre part, le calendrier des cultures s’est trouvé surchargé par une nouvelle production qui exige d’être
conduite en même temps que celle des plantes vivrières, sans apporter aucune solution au problème du sous-emploi
de saison sèche.
Certes, les marchés de coton ont donné au paysan la possibilitE de payer son impôt sans courir le risque de se
voir saisir son cheptel ou ses récoltes de produits vivriers. Mais, avec un revenu monétaire annuel moyen de 4 O00 F
par planteur, le niveau de vie des populations ne pouvait faire de grands progrès. Le solde de ce revenu après paie-
ment de l’impôt est encore consacré à l’achat de bétail chez les Massa e t les Toubouri; il va plus facilement au
commerce d’importation dans le sud du bassin.
La nouvelle économie de marché a contribué à l’apparition de quelques formes sociales nouvelles. Mais la petite
classe commerçante locale lutte difficilement contre l’emprise des grandes sociétés étrangères ; les quelques noyaux
dispersés d’ouvriers et d’employés en rupture avec l’économie de type ancien ne constituent pas encore une véritable
classe consciente e t organisée. Les centres urbains ne sont encore que les relais du commerce d’importation et de
la seule industrie cotonnière.
En fait, 1s colonisation a provoqué un déséquilibre croissant entre une énorme masse paysanne vouée à l’appro
visionnement de l’économie de traite et un secteur étranger qui exploite les richesses du pays sans y faire d’investis-
sements importants. Le retard de la scolarisation, de l’assistance médicale témoigne de ce déséquilibre. On peut se
poser la question : la masse de numéraire déversée sur le pays à l’occasion des marchiis de coton contribue-t-elle
l’enrichir ?
Les sommes prélevées par le fisc sur les producteurs servent, dans leur majeure partie, à payer l’encadrement
cotonnier et l’entretien du réseau routier utilisé surtout par les sociétés d’importation et d’exportation. Les achats
des planteurs en biens de consommation ou d’usage, non durables, ramènent dans les caisses des sociétés d‘impor-
tation la plus grosse partie du numéraire réparti, qui se trouve ainsi réexporté vers l’étranger, soit en règlement
d’achats, soit en bénéfices. Les sommes encaissées par Ia compagnie cotonnière sont réparties soit SOUS forme de
bénéfices distribués aux actionnaires européens, soit sous forme de salaires payés sur place, dont une partie retourne
aussi au commerce général, tandis que les économies des cadres européens sont réexportées. La part investie sur
place est compensée par les prévisions d’amortissement. Notons que la plus grande partie des installations est déjja
amortie depuis longtemps et continue à figurer dans le calcul des amortissements.
Les sommes versées aux transporteurs reçoivent approximativement Ia même affectation (salaires, matériel
vite amorti, bénéfices exportés).
En fin de compte, il ressort de cette étude que le pays continue de vivre parce que la vieille économie de subsis-
tance est rest6e solide malgré le circuit du commerce de traite e t d’importation qui lui a été artificiellement greffé
et qu’elle contribue à faire vivre, au prix de son travail, pour un mince profit.
11 est évident que cette situation de déséquilibre, cette distorsion, cette tension entre 1’6conomie de type ancien
et l’économie capitaliste ne saurait se prolonger Sans obérer gravement le capital national représenté par les terres
et la masse de main-d’euvre.
250 JEAN CABOT
Devant la forte poussée démographique qui s’inscrit déjà dans les chiffres,les sols ne peuvent plus continuer
à être exploités sans améliorations, la production ne peut plus etre accrue sans que de nouvellei techniques viennent
décupler l’efforthumain, diversifier les activités, résorber le sous-emploi chronique.
Toutes ces transformations ne peuvent être réalisées sans un profond remaniement des structures écono-
miques artificiellement imposées au pays par la colonisation. Ces transformations doivent s’appuyer d’abord sur les
riches traditions collectives et communautaires des populations lrirdi. Elles doivent être orientées vers une égale
répartition des améliorations et des profits. I1 nous reste à étudier les bases sur lesquelles ces perspectives d’avenir
peuvent s’ktablir.
..
. . .
i
,, I . -
. , .. - . I i . .
QUATRIEME PARTIE
REALISATIONS RECENTES
ET PERSPECTIVES D’AVENIR
CHAPITRE XV
Entre les années 1950 et 1960, sous la pression de l’kvolution internationale, devant l’accélkration de la décolo-
nisation politique devenue inéluctable, les nations colonisatrices ont été amenées à faire des concessions politiques
importantes, tandis que l’administration coloniale dont les jours etaient comptés s’efforçait de lancer des expériences
dont la réussite future puisse lui être imputable. Mais il était impossible de vaincre en quelques années les handicaps
accumulés, d’un côté, par le retard disons (( historico-géographique 1) du pays auquel la colonisation n’avait apporte
que des solutions très partielles, tandis que, d‘un autre côté, elle ajoutait à ce retard l’aliénation économique de
toute la masse paysanne par l’introduction de l’économie de traite.
Au moment où l’indépendance du Viet-Nam, de la Tunisie, du hlaroc ktait reconnue, où éclatait le drame algé-
rien, il fallait que l’administration coloniale appelée à disparaître puisse se justifier autrement que par l’introduction
d’une culture forcee à peine entrée dans les mœurs. D’oÙ les vastes projets d’endiguement du Logone dont la réali-
sation hktive commence en 1954, le lancement des paysannats en 1956, l’application de la loi-cadre, appelant les
Africains à la gestion de leurs propres affaires, puis l’indépendance dans l’interdépendance de la communauté pre-
mière manière, puis dans la comniunauté rénovée. En l’espace de trois ou quatre ans, les hommes politiques tcha-
diens ont été appelés brusquement à prendre la suite de cette administration coloniale dont ils recueillaient les
expériences en,cours avec leurs réussites ou leurs échecs.
*
Les premiers résultats des recherches de la Commission Scientifique du Logone et du Tchad (C. S. L. T.) (1)
avaient mis en relief le caractère particulier des plaines d’inondation du Logone et les possibilités d’aménagement
qu’elles présentaient. De part et d’autre du fleuve, le Cameroun e t le Tchad ont mene leur propre expérience.
Tandis que le Cameroun s’orientait vers des aménagements propices à la riziculture, le Tchad obnubilé par les pro-
blèmes cotonniers essuyait un échec dans le (( Casier A )).
Dans le même temps, le Cameroun venait, à son tour, à la culture cotoiinil?re, mais en tirant les leçons de
l’expérience tchadienne il réussissait à lier cette nouvelle culture à la modernisation des techniques agricoles et
amorçait le passage de l’agriculture extensive à une agriculture intensive sur les paysannats de Lara et de Golompui.
L‘étude parallèle des expériences tentées, de part et d’autre, de cette fausse frontière qu’est le Logone nous
permettra de mieux comprendre la différenceessentielle entre des entreprises menées sous l’étroit contriXe de I’État
dans la recherche du seul avantage des habitants e t du pays e t les entreprises conduites au bénéfice de sociétés
privées d’exportation pour lesquelles seule compte la production globale, même si celle-ci doit être accrue au détri-
ment des sols, richesse nationale ainsi dilapidée. Tandis que les bénéfices réalisés dans la vente du coton caniurou-
nais restent acquis au pays et se trouvent réinvestis sur place, chaque année, ainsi que nous l’avons déjà vu, les
bénéfices réalisks sur la vente du coton tchadien s’exportent vers l’Europe e t sont détournés de l’accumulation de
capitaux plus que jamais nécessaire aux pays en voie de développement.
-
(I )
Cormnission dc 1’O.R.S.T.O.Bf.dorit les travaux nu Tchad ont commrmcé en 2948. Les publications figurent dana la bibliographie au nom
di. cliaquc auteur.
ia
254 JEAN C A B O T
La maîtrise des eaux sur les terres inondables pourrait être obtenue par l’aménagement du bassin moyen du
flcuve. La morphologie actuelle du système de drainage entre Laï e t Logone-Gana se prête à de tels aménagements.
La faible pente du profil en long s’accoapagne du phénomène de déversements des hautes eaux sollicitées par
la pente transverse d’un cône d’alluvionnement dont le fleuve occupe la partie la plus haute. L’existence de drains
naturels, tels que le Ba-Illi-Malfaye sur la rive droite et la Logomatia ou le Guerléo sur la rive gauche, peut per-
mettre de discipliner un épandage des eaux qui prive les populations de vastes étendues de terres fertiles (sols sur
argiles récentes ou anciennes).
L’endiguement du Logone et la création de casiers protégés est facilitée par l’existence de croupes sableuses,
anciens bourrelets de berge du fleuve ou de defluents, naturellement orientées selon les lignes de plus grande pente
des plaines riveraines, en direction des drains latéraux naturels.
La période de hautes eaux se prolongeant au-delà de l’arrbt des pluies, l’endiguement du fleuve peut permettre,
en outre, d’irriguer les plaines protégées, par simple gravité, pendant un mois environ. (Au-delà, cette irrigation
ne pourrait se faire que par pompage.)
Enfin, les effluents actuels constituent l’amorce naturelle des réseaux d’irrigation des casiers ou de leur drainage
en direction des collecteurs latéraux.
Les plans d‘aménagement du bassin du Logone commencèrent à voir le jour lorsque les travaux de la Commis-
sion Scientifique Logone-Tchad eurent mis en relief les caractéristiques majeures du réseau, que nous venons de
rappeler.
Mais l’exemple fourni par les difficultés rencontrées dans l’aménagement des terres du Macina sur le Niger
aurait dû inciter l’administration à la prudence. On sait que l’entreprise de l’0fEce du Niger qui devait gagner
un million d‘hectares à la culture du coton irrigué a été gênée par le peu d‘empressement des populations à venir
s’installer sur les terres aménagées malgré les avantages consentis (lots de terre gratuits, prêts d’instruments et de
semences).
Les premiers projets d’aménagement furent d’abord grandioses. I1 était question d’endiguer le Logone de Laï
;i Katoa. Une série de casiers protégés devait s’échelonner sur la rive droite : casier A de 57 O00 ha, casier B de
50 O00 ha au nord de Bongor, casier Laï-Deressia 85 O00 ha ; sur la rive gauche, endiguement de la zone ILé-Loh-
Tandjilé (135 O00 ha).
11 faut noter que les habitants de ces plaines avaient depuis longtemps l’habitude de se protéger des incursions
du fleuve par la construction de diguettes d’argile, hautes de 50 à 60 cm et larges de 10 à 15 cm (1).Cette faible bar-
rière sufiisait à contenir les eaux du fleuve en crue à la limite des buttes les plus menacées par l’inondation, sans
toutefois gêner leur écoulement latéral en direction des drains naturels. L’administration avait, en 1953, étendu la
construction des diguettes à toute la berge du Logone, de Bongor à Iioumi. Les effluents du Logone avaient été
barrés par de fortes (( digues-routes )) construites avec les moyens locaux, c’est-à-dire à tête d’homme, petit
panier de terre après petit panier de terre. Le résultat avait été concluant : l’inondation des terres avait été moins
importante et de moins longue durée.
La sagesse aurait voulu qu’avant d’entreprendre toute action d’envergure, les modalités de la mise en culture
par les populations riverainse et les conditions d’utilisation des sols fussent d’abord étudiées. Une lerme d’essais
jurait PU fonctionner, à l’abri des digues de type traditionnel, et déterminer la vocation des terres conquises sur
l’inondation temporaire.
biais les décisions proconsulaires prises à Brazzaville dans le désir de réaliser du grand et du spectaculaire
entrainèrent le démarrage immédiat de puissants travaux réalisés avec les engins de planage et de terrassement
les plus modernes amenés à grands frais h travers le Sahara ou par avion par les sociétés privées de travaux publics
appâtées par l’aubaine (E. G.T. H. et S.E.T. R. A. P.) (2). Le bulldozer et le scraper ruineux remplacèrent les foules
aux petits paniers qui n’eurent qu’à retourner à leur sous-emploi de saison sèche.
Dès 1955, le (( casier A )) était endigué d’0gol à Bedcm, 57 O00 ha étaient protégés des déversements. Les enquêtes
agricoles, démographiques, pédologiques démarrèrent ensuite. Les essais de culture entrepris à la ferme aussitôt
implantée dans IC casier à Biliam-Oursi, devaient accumuler les déceptions. Les terres récupérées dans une perspec-
tive cotonnière s’avéraient impropres à cette culture. (( Le coton réussit mal dans la zone sud qu’on lui assignait.
Des étudcs pédologiques plus poussées laissent apparaître que les sols jeunes sur alluvions argilo-limoneuses qu’on
y trouve sont de réaction acide et les sols à concrétions calcaires à pli1 basique, qui seraient favorables au coton,
ne sont abondantes que dans la partie nord du casier où l’assainissement n’est pas acquis 1) (1).
Cependant, le casier continuait à être aménagé en vue de son drainage. Deux collecteurs conduisirent au Ba-
Illi les eaux de ruissellement. Endiguement et drainage modifiaient déjà sérieusement les conditions de vie des popu-
lations Massa dont le domaine de pêche se trouvait amputé de 57 O00 ha, tandis que les pâturages des troupeaux se
réduisaient rapidement avec la suppression de la submersion.
Devant les échecs de la culture cotonnière expérimentale, les entreprises privées qui s’étaient fait réserver des
zones d’action dans le casier déclarèrent forfait comme la Cotonnière du Tchad (groupe financier belgo-espagnol)
e t la Société Agricole du Logone-Tchad (S. A. L. T.), filiale de la Cotonfran. (Pl. XVII).
La politique de mise en valeur avait été orientée vers de vastes aménagements selon la règle qui veut que le prix
de revient de l’hectare aménagé soit inversement proportionnel à l’étendue protégée par endiguement. Mais cette
règle ne vaut que pour des zones très peuplées où la prise de possession des terres récupérées se fait immédiatement
en raison de la pression démographique. Ce n’était pas le cas pour les plaines nord Bongor. Avant l’endiguement,
sur les 57000 ha du casier environ 12000 étaient exondés dont GO00 à 7000 étaient cultivés par une population globale
de 15 O00 habitants environ. Par rapport aux terres exondées, la densité était donc d’environ 125 habitants au
kilomètre carré. La capacité moyenne de mise en culture étant de 1ha par adulte. Sur les 45 O00 ha précédemment
soumis à l‘inondation, environ 35 O00 ont été définitivement protégés, ce qui livre environ G ha de terres disponibles
par adulte. Pareille extension de l’emprise au sol du cultivateur Massa ne peut SC faire dans le cadre de l’agriculture
traditionnelle aux techniques rudimentaires. Deux formules de mise en valeur se présentent donc à l’esprit : migration
de popuIations sur les terres libres du casier ou accroissement des possibilités de mise en culture des occupants
actuels par la modernisation des techniques ou les deux à la fois. Les études prévisionnelles très poussées faites
4 l’époque permettaient d’évalucr ainsi l’amélioration du niveau de vie du cultivateur selon les techniques
employées (2) :
En culture associée mil-coton.
~
~
Les calculs portant sur une monoculture du riz avec les quatre cinquièmes de la surface cultivés.et un cinquième
en jachère ou en engrais vert donnent les résultats suivants :
-----I-
~~
Les superficies prévues par cultivateur ne dépassent pas 3 ha et permettent donc d’envisager à la fois la moder-
nisation des techniques et l’immigration de cultivateurs en provenance de zones surpeuplées.
Cependant, la version cotonnière de cette mise en valeur ne peut pas pour l’instant &treprise en considération.
I1 faudra attendre que le peuplement progressif rende possible et rentable l’assainissement des terres argileuses du
nord du casier. Pour que les frais considérables engagés par les fonds publics dans l’aménagement des plaines nord
Bongor (environ un milliard de F CFA) n’aient pas été consentis en vain, il a fallu reconvertir l’expérience. La
création des Secteurs Expérimentaux de Modernisation Agricole e t des Paysannats a permis la mutation nécessaire.
En décembre 1955 naissait le Secteur Expérimental de hlodernisation Agricole de Bongor (S.E. M. A. B.), orienté
non plus vers une production cotonnière systématique, mais plutôt vers la riziculture, ainsi que le bon sens I’esigeait.
Dans cette voie, l’expérience camerounaise du S. E. M. R. Y. (1)voisin avait pris déjà une sérieuse avance.
Les terres inondées du yaéré de la rive gauche du Logone en aval de Yagoua au Cameroun offrent des conditions
favorables à la culture du riz. Un défluent du Logone, le Guerléo, s’écoule paralldlement au fleuve à une distance de
15 à 20 Irm. Les tertres exondés peuplés de Massa et de Mousgoum (Mouloui) suIlisent à peine aux récoltes de mil L
rouge. Les déversements des deux rivières créent une zone d‘épandage favorable à la riziculture inondée. Le pro-
bldme de la inaitrise de l’eau a ét6 résolu par l’endiguement du fleuve e t l’aménagement de casiers dont l’alimentation
est commandée par vannes. Alors que les endiguements commencés à la même époque sur la rive droite visaient à
récupérer des terres pour le coton, le service de l’agriculture du Cameroun optait résolument pour le riz.
Un (( Secteur Expérimental de Rfodernisation de la Riziculture de Yagoua 1) (S.E. M. R. Y.) a été créé en 1954.
I1 a pour mission de promouvoir sur les terres inondables de la subdivision les conditions favorables à une extension
de la riziculture, d’améliorer les moyens techniques mis au service du cultivateur, d’assurer la maîtrise des eaux par
endiguements et aménagements de casiers, enfin d’organiser l’usinage de la récolte du paddy en vue de son écoule
ment vers les centres urbains du Cameroun.
Plusieurs organismes ont été mis en place : 10 une ferme de multiplication de semences implantée à Kartoua.
Son but est d’étudier les qualités de riz les mieux adaptées aux conditions naturelles et de mettre au point les
techniques et façons culturales à recommander aux riziculteurs. 20 Des unités mécaniques : tracteurs-charrues,
sous-soleuses mises à la disposition des cultivateurs pour la préparation des terres. 30 Une rizerie moderne installée
à Yagoua, équipée avec du matériel italien et dirigée techniquement par un spécialiste italien.
L’endiguement de la rive gauche du fleuve sur 40 km de Yagoua à Djafga a perniis l’aménagement d’environ
2 O00 ha de rizières. Les casiers sont de taille variable, mais ils sont tous divisés en clos de 4 ha limité par des
diguettes. Un réseau de canaus primaires alimentés par des prises ouvertes dans la digue principale amène l’eau
aux casiers. Un réseau secondaire alimente les clos. Le drainage est réalisé en direction du Guerléo utilisé comme
collecteur de l’ensemble.
A l’exception de quelque 300 ha de riz en culture sauvage, la zone endiguée ne pratiquait pas la riziculture.
La première campagne de 1952-1953 fournit 250 t de paddy. En 1960,3 600 t ont été commercialisées, représentant
g peu près les deux tiers de la production d’ensemble. Un tiers, en effet, est réservé à l’autoconsommation et au
commerce latéral, en paddy ou en riz.
Les semis ont lieu vers la mi-juin. La variété cultivée jusqu’en 1956 était le Maroua. Depuis cette date, le
Néangveng a été introduit donnant de plus forts rendements.
La mise en eau a lieu entre le 15 et le 30 juillet. Jusque-là, la jeune plante a grandi grâce aux seules eaux de
pluie, elle est assez forte pour être inondée sans danger. Le maintien de la riziculture par semis peut sembler
bizarre en culture modernisée, mais les essais de riz repiqué n’ont pas amélioré les rendements. Le repiquage, en
effet, entraîne l’allongement de la durée du cycle, exige de l’eau pompée pour les pépinières (au moment où le
fleuve est encore à l’étiage). Finalement, l’ensemble des plantations perd 15 jours de crue du Logone. Les semis
sont donc directs en poquets et à plat. Chaque poquet compte 7 à 8 grains. L’écartement le plus facile à enseigner
est le (( pied )I.
Les rendements moyens s’établissent autour de 20 q B l’hectare. Certains casiers de la région de Pouss donnent
facilement 40 q.
prix assez élevé (14 F, alors qu’il n’était payé que S F au Tchad). Mais la nécessité d’atteindre des prix de vente
concurrentiels à Douala, malgré un coût de transport de 10 F au kilogramme, impose à la rizerie d’accroître le
volume de paddy traité pour abaisser ses prix de revient. Grâce à un matériel parfaitement adapté aux besoins et
dirigé sur place par le spécialiste italien, le taux de décorticage atteint 66 % et la proportion de riz marchand est
de 75 % des produits. Mais le kilogramme de riz revient à la sortie de l’usine à 37 F, il arrive à Yaoundé à 47 F.
Son prix est actuellement ramené au prix de vente courant de 40 F par une péréquation opérée sur les riz d’impor-
tation (1).Dans le cadre de ce marché protégé, l’usine de Yagoua arriverait & tourner sans subventions à partir d’un
tonnage usiné de 4 O00 t. Cet objectif n’est nullement hors de portée. I1 peut être atteint soit par une extension des
rizières, soit par élévation du rendement à l’hectare. L’extension est projetée à moindres frais dans la région de
Pouss où les habitants ont l’habitude de construire les diguettes de protection contre l’inondation. L’aménagement
consistera dans la matérialisation des courbes de niveau de 20 cm en 20 cm par des diguettes basses 4 large section.
L’eau prise au Logone en crue circulera d’un niveau à l’autre par gravité en direction des dépressions intérieures.
Ainsi sera évité un nouveau recours aux engins mécaniques et l’investissement en travail humain permettra de
reporter l’argent économisé sur d’autres créations indispensables dans le cadre du plan.
Certes, le lancement de cette riziculture a coûté de l’argent à la puissance tutrice e t R.I. GOUROU juge assez
sévèrement (2) les résultats obtenus après sept ans de fonctionnement. Les résultats auraient pu être obtenus à
moindres frais et les projets d’utilisation de diguettes de fabrication locale viennent peut-être un peu trop tard,
néanmoins la riziculture a fait son entrée comme culture commercialisable, mais aussi comme culture vivrière,
à ce titre l’expérience pour coûteuse qu’elle ait pu être n’est pas un échec complet. Elle doit être simplement repensée
sous un angle évolutif d partir des techniques tmditionneZZes auxquelles les Cléments de progrès doivent &treintegr&
peu à peu. Les vieux mondes agricoles ne se bousculent pas en un ou deux lustres. I1 faut souvent l’espace d’une ou
deux gdnCrations pour que les ferments de progrès portent leurs fruits. I1 est encore trop tôt pour désespérerde
l’avenir du S. E. M. R. Y,
Les conditions de l’introduction de la culture du coton dans la partie camerounaise du bassin du Logone dif-
fèrent sensiblement de; celles qui furent appliquées au Tchad. Elles méritent examen au titre d’expérience snsceptiblc
d’amorcer une évolution réellement progressive dans l’économie des paysans lrirdi. Elles ont précédé de quelques
années les essais de paysannats qui furent tentés au Tchad à partir de 1956.
PRODUCTION
ET RENDEMENTS COTONNIERS D U NORD CANEROUN.
Les tonnages atteints par le Cameroun sont les plus élevés d’Afrique noire pour les zones contrôlées par la
C. F. D. T. En 1961, le Niger a produit 2 300 t, la Haute-Volta 2 350 t, le Togo 5 500 t et la Côte-d’Ivoire 3 300 t (3).
Dans les départements du nord Cameroun appelés à une vocation cotonnière : Diamaré et Mayo-Danaye,
plus particulièrement, l’éducation du paysan a été le premier souci des responsables chargés d’introduire la culture.
L’étude des méthodes agricoles traditionnelles a permis d’inclure le coton dans le calendrier sans bousculer trop
fortement les habitudes du cultivateur. Mais surtout la nouvelle culture fut introduite avec l’intention d’en faire une
culture intensive plutôt qu’extensive. C’est dire que l’attelage, la charrette e t surtout l’usage des fumures firent leur
apparition en même temps que le coton lui-même. De plus, l’acceptation de la nouvelle culture fut le résultat d’un
travail de persuasion e t non d’une obligation.
C’est la C. F. D. T. (Compagnie Française pour le Développement des fibres Textiles), société d’économie
mixte à participation majoritaire de l’fitat qui est chargée de tout l’encadrement cotonnier dans le nord Came-
roun ( 4 ) .
Les premiers essais remontent à la campagne 1951-1952. La production n’a cessé de croître, tant par l’augmen-
tation du nombre de planteurs que par l’amélioration des rendements ainsi que le montre le tableau ci-après.
La stabilisation des superficies ensemencées entre 1956 et 1959 a permis de rechercher un accroissement de la
production par l’amélioration des rendements. L’action de la C. F. D. T. ne s’est pas limitée, en effet, à la mise en
place de l’encadrement cotonnier chargé de distribuer les graines et de conseiller le paysan.
Elle recherche en même temps l’amélioration du système agraire dans son ensemble. Grlce à l’appui du gou-
vernement camerounais et de l’Institut de Recherches Camerounaises, des secteurs de modernisation ont pu être
délimités et inventori& (1).Loin de se heurter à l’hostilité ou à l’indifférence des cultivateurs, des mesures aussi
délicates à promouvoir que le remembrement des terres ont obtenu un franc succès et permis d’instaurer une rota-
tion logique des cultures de saison des pluies. Le rendement du travail humain a été accru par l’introduction de
l’outil attelé. La charrue permet d’accélérer la préparation des terres, d’étendre les cultures aux zones jusqu’ici
improductives. Tout en augmentant l’emprise de l’homme sur le sol, elle permet d’assurer une précocité suffisante
aux semis, condition première d’une bonne récolte. L’exécution des semis en temps opportun se trouve, en effet,
favorisée par le temps gagné sur la préparation des terres. Les labours, mieux faits qu’à la houe, assurent un meilleur
démarrage de la végétation e t une meilleure rétention de l’eau des premières pluies, les plus importantes pour le bon
départ des plantes.
L’intervention du travail animal, précieux pour l’exécution des façons culturales, a permis une véritable révo-
lution des moyens de transport. Le portage à tête d’homme disparait progressivement et la charrette permet non
seulement le charroi des récoltes, mais celui des personnes e t de tous les matériaux de construction. La charrette
permet d’introduire également, mais encore modestement, l’épandage des fumures, qu’il s’agisse de la graine de
coton broyée disponible à l’usine ou du fumier animal dont le paysan apprend la fabrication systématique sur les
aires de stabulation du bétail.
L’effort de modernisation
L’emploi de la charrue se traduit par un accroissement des rendements de l’ordre de 50 %. Grâce à la fumure
et aux traitements insecticides, des rendements de 1O00 à 3 O00 lrg/ha ont été obtenus sur certains secteurs de
modernisation. Les paysans sont maintenant persuadés de l’efficacité du tourteau comme engrais. Or les 3 000 t
disponibles de l’usine de Kaélé peuvent être fournies au prix modique de 2,50 F le kilogramme remboursables au
moment des achats de recolte.
Le problème de l’extension des surfaces cultivées se trouve donc en voie de solution puisque l’introduction
jumelée de la culture attelée e t de la fumure permet d’envisager, sans danger, un raccourcissement des jachères,
voire un jour la culture permanente. I1 sera particulièrement intéressant d’envisager la récupération des terres de
(( hardé 1) jusqu’ici tenues pour infertiles. Après ouverture ti la sous-soleuse et fumure aux tourteaux de graine de
Sur les 63 O00 ha ensemencés : 4 859 avaient été laboures (dont 2 165 sur le deparlement du Mayo-Dnnaye),
433 avaient reçu 300 Irg de tourteaux à l’hectare, 1 033 avaient été fumés au fumier de porc et 524 avaient reçu
des traitements insecticides (1).
(1) Rapport d’activité de la C.F.D.T. pour 1961. Les conditions climatiques sévères de la campagne 1961-62 qui ont entraîné la chute des
rbcoltes de cuton au Tchad (98 O00 t à 46 O00 t) e t en Nigeria (150 O00 t à 83 O00 t) n’ont pas atteint aussi sévèrement le Cameroun (29 238 t Q
25 IO0 t).I1 est intéi*essantde remarquer que les rendements ont été en progression ou au minimum stationnaires sur les zones de culture intensivß.
(2) R. DIZIAIN 1954, p. 102.
(,‘%I u L'arie est le seul investissement amortissable en une semaine 8 . R. DWMONT 1961, (a) p. 150.
(4)A l’exception de l’usine de Moundou (et depuis 1958 seulement) IPS graines de la récolte tchadienne servent en partie B l’alimentation des
locomobiles, le reste est brûlé en pure perte.
LE B A S S I N D U h I O Y E N L O G O K E 263
Notons que la C. F. D. T. ne redistribue pas de bénbfices, ceux-ci étant d6volus automatiquement li raison de
70 % ì!t la caisse camerounaise de soutien du coton, 10 yoaux Sociétés Agricoles de Prévoyance, 20 y(, aux investis-
sements nouveaux ou au remboursement des prêts et avances consentis par les pouvoirs publics au moment de la
création des installations industrielles de la Compagnie. A l’heure actuelle, la C. F. D. T. supporte la charge de
l’encadrement cotonnier à raison de 50 Yo,le reste étant encore payé par subventions (I.).
Les expériences d‘amélioration du milieu rural conduites de façon encourageante au Cameroun, dans le cadre
du S.E. R.I. R. Y. pour la riziculture ou dans les paysannats cotonniers contrôlés par la C. F. D. T. ont également
été tentées au Tchad, mais les conditions générales y étaient moins favorables du fait que les Secteurs Expérimen-
taux de Modernisation Agricole (S.E. M. A.) ont hérité d’aménagements antérieurs plus ou moins adaptés à leurs
buts, du fait aussi que les paysannats ont été des entreprises essentiellement administratives, fonctionnant sans
presque aucun rapport avec l’industrie cotonnière. L’absentéisme de la Compagnie Cotonnière equatoriale en
matière de promotion agricole avait abouti, nous l‘avons vu, à un style de propagande cotonnihre reposant unique-
ment sur la contrainte administrative.
Ces conditions ont donné aux différentes expériences d’amélioration rurale tentées au Tchad un aspect quelque
peu anarchique, mal hiérarchisé, avec des structures parfois mal définies. Après avoir exposé les motifs de ces entre-
prises de rénovation, nous 6tudierons chacune d’elles en regroupant dans un premier ensemble les S. E. M. A.
englobant un ou plusieurs paysannats et dans un second ensemble les paysannats isolés non hiérarchisés dans de
plus vastes entreprises.
Le: premiers paysannats ont été créés au Tchad en 1956, en application des directives du Haut Commissariat
en A.-E. F. (2) qui envisageaient :
- la fixation des populations rurales sur des terres de bonne qualité, afin de supprimer l’itinéraire des cultures,
responsable de la destruction des sols, frein permanent à l’amélioration de l’habitat et à Yéquipement social :
- la création de revenus nouveaux par l’introduction de cultures riches en polyculture, de l’élevage et de la
pisciculture ;
- la naissance d‘un lien permanent entre l’homme et le sol par l’instauration d’un système de cultures annuelles
aux jachères soigneusement étudiées assurant une conservation et une amélioration du patrimoine collectif et
individuel.
I’origine, les responsables de l’agriculture au Tchad obnubilés par la production cotonnière ne virent dans
les paysannats qu’un moyen d’étendre les superficies ensemencées en coton, grâce L l’introduction de la culture
.altel&. En fait, si cette nouvelle technique a réussi & s’implanter faiblement en pays cotonnier (Torrock, Youé,
Badé), elle s’est avérée utile surtout dans les zones rizicoles. C’est, en effet, dans les secteurs inondables que l’intro-
duction de la culture attelée paraît la mieux adaptée, car (3) :
- elle risque moins de dégrader les sols régulièrement rechargés en limons par les crues annuelles, sols
également plus lourds que les terres légères des koros cotonniers :
- le bétail peut bénéficier des pâturages en saison sèche sur les terres inondbes ;
- la culture attelée permet l’extension des superficies ensemencées : le facteur limitant cette extension étant
précisément la difficulté de préparation des terres lourdes ;
- les plaines inondables sont dbboisées et ne posent pas le Probleme du dessouchage préalable.
Tous ces avantages l’emportent sur des inconvénients facilement surmontables :
- les habitants des plaines inondables de la région de Laï et de Kolon ne sont pas éleveurs traditionnels de
bovins. Ce handicap peut &trefacilement réduit lorsque les centres de paysannat auront mis au point la propagande
relative à l’enseignement du dressage, de la prévision d‘une alimentation permanente assurée aux bovins et de la
(1)Nous avons vu qu’au Tchad l’encadrement est à la charge de 1’Qtat dans l a proportion de 75 p. lO(1.
(2) Circulaire 112 SE/CP du 30 Janvier 1956.
(3) La charrue u n’offre que des avantages en riziculture irrigube j). J. DRESCA
1949, p. 295-312.
préparation des fumiers. Les conditions zoosanitaires de ces régions nc diffèrent pas sensiblement de celles des
plaines inondables du pays Massa et Toubouri, les petits zébus Toubouri pourraient y prosp6rer ;
- le second inconvénient, celui d’une surculture aboutissant à la dégradation des sols des rizières peut, lui
aussi, être surmonté par la fertilisation des champs, soit par l’emploi de terre de kraal, de graine de coton broyée,
de tourteaux de graine de coton, ou plus simplement, lorsque la culture attel6e liée à un dlevage rationnel aura pris
sa place dans les habitudes paysannes, par l’apport de fumier de ferme.
En définitive, la créalion des paysannats, au lieu de se limiter aux zones cotonnières, a largement contribué aux
progrès des zones rizicoles où leur regroupement en S. E. RI. A. a permis de donner un essor à la culture attelée,
Ia commercialisation et à l’usinage des récoltes. I1 est vrai que les S. E. RI. A. axés sur la riziculture ont bénéficié
au départ d’installations antérieures dues àl’initiative publique ou privie : le S. E. M. A. de Bongor a hérité des amé-
nagements prévus pour le (( Casier A )) et le S. E. M. A. de Laï-Kélo s’est développé autour des anciennes rizeries
privées (( Rizeries du Logone 1) à Lai‘, Rizerie Pélissard à Kélo.
Dans les zones cotonnières, en revanche, les paysannats n’ont pas été regroupés, leur fonctionnement e t leurs
progrès dépendent essentiellement des individus qui les animent et I’étude des résultats obtenus nous obligera à
énumérer pour chacun les conditions de leur établissement et de leur évolution. I1 est souhaitable qu’un regrou-
pement des paysannats en S. E. M. A. de sous-préfectures ou de département permette d’intégrer les perspectives
de chacun d‘eux dans une planification plus vaste à l’échelle des problèmes A résoudre, communs à toute la zone
cotonnière.
Nous étuclierons d’abord les S. E. Rf. A. puis les paysannats.
Le secteur fonctionnant comme organisme est chargé d’assurer d‘une façon générale le développement agricole,
pastoral e t social du pbriniètre de mise en valeur, il peut réaliser ou faire réaliser par des entreprises avec lesquelles
il passe des marchés tous aménagements fonciers d’intérêt rural, il recherche, définit et applique les méthodes et les
techniques propres A assurer le développement des cultures industrielles et vivrières dans un ensemble équilibrs
sans négliger les activités traditionnelles représentées par l’élevage et la pkhe, de façon à réaliser le programme du
Plan e t à assurer la promotion sociale des paysans du casier par un développement de l’économie rurale.
Le S. E. RI. A. B. a repris k sa charge la gestion de la ferme de Biliam-Oursi et il coordonne l’action des diffé-
rents paysannats implantés sur le casier : Fressou, Koumi-MouIsou et Marga.
La première triche du secteur a été la reconversion du casier pour une utilisation propice 4 la riziculture. Les
aménagements avaient été conçus en vue du drainage des plaines exigé par la culture cotonnière, d’où l’importance
des collecteurs. Mais la création de rizières a nécessité l’aménagement d‘un rCseau d’amenée des eaux et la construc-
tion de diguettes. En 1959, les rizières couvraient 524 ha j en 1960, il y avait 1 160 ha aménagés. Le rythme des
augmentations prévu est de 800 ha par an.
L’introduction de la riziculture semble avoir été accueillie favorablement par les cultivateurs Massa, auprès
desquels Ia cuIture cotonnière était en revanche en particulière défaveur. Non seulement le coton était la (( culture
du commandant D, mais il était venu de surcroît déloger le mil des buttes exondées où le Massa cultivait tradition-
nellement son mil rouge. Sur les terres du sud du casier récemment récupérées de l’inondation et composées essen-
tiellement de sols sur argiles jeunes, les essais de coton n’avaient donné que des rendements médiocres qui payaient
mal la peine que le paysan avait pris à ouvrir, défoncer ses nouveaux champs. En effet, sur ces mêmes terres, le
coton n’avait jamais atteint un rendement supérieur B 300 Irg àl’hectare, alors que le riz en culture inondée contrôlée
permet déjà des rendements minimum de 1 800 à 2 O00 kg et que le mil rouge en culture seche dépasse les 1 O00 kg.
Les sols jeunes sur argiles récentes et les sols jeunes limoneux qui constituent la majeure partie de la fraction
sud du casier semblent donc parfaitement adaptés a la riziculture. Ils se trouvent généralement à proximité des
berges actuelles du fleuve et sont donc faciles à irriguer. Sans compter les années de crue exceptionnelle comme 1960
où l’irrigation a pu se poursuivre jusqu’à la fin Novembre, on peut tabler sur une irrigation possible jusqu’à la fin
Octobre pour relayer le ralentissement des pluies à partir de fin Septembre. Les riz de cycle í i 140 jours peuvent être
utilisés, comme la variété RIaroua déjà répandue dans les plaines du Logone. Correctement entretenu en rizière et
les semis ayant été faits à temps, le hlaroua donne des rendements allant de 1 200 à 4 500 kg à l’hectare, suivant Ia
valeur des terres.
En général, la première année de culture après ouverture des terres, les rendements sont faibles. I1 faut tenir
compte aussi de l’apprentissage réalisé par le Massa devenu riziculteur pour Ia première fois de sa vie. Mais, dès les
deuxième et troisième années, les rendements s’améliorent sensiblement.
Les faclcurs techniques et humains doivent permettre de faire progresser les rendements avec le temps. La
culture du riz est infiniment mieux admise par les paysans que Ia culture du coton. Elle est même réclamée par les
LE B.4SSIN D U JIO’I’EN L O G O N E 265
populations du nord et de l’est du casier, plus éloignées des zones de p6che et, à ce titre, plus disponibles, orientées
jusqu’ici vers les cultures sèches de buttes exondées (mil, coton). Cette adhésion spontanée et indiscutable à la rizi-
culture ne doit pas laisser croire, cependant, qu’il n’y a rien à critiquer dans les soins apportés par les cultivateurs
leurs rizières. Les Massa sont des pêcheurs actifs et le sort de leurs troupeaux les intéresse. Ils n’ont pas vu, sans
émotion, leurs lieux de pèche et les aires de pâturage se restreindre sous le coup de l’endiguement. I1 est certain
aussi que des résultats plus satisfaisants seraient obtenus par des populations plus attachées aux activités agricoles.
Mais l’intérêt d’une bonne commercialisation de son paddy amène le paysan Massa à une sage réflexion surtout
quand l’exemple de ses voisins est là pour l’inciter à l’effort (en 1960, un cultivateur de Biliam-Oursi a conimercia-
lisé 10 t de paddy pour 3,s ha ensemencés). Si bien que l’on peut déjà noter une nette progression dcs surfaces cul-
tivées par adulte : clans la zone la plus anciennement orientée vers la riziculture (Wayanka, Mogodi), la surface
moyenne cultivée est supérieure à 0,5 ha par adulte contre 0,3 ha jadis pour le coton. Sur ces bases, compte tenu
de la population actuelle du casier, on peut envisager un minimum de 3 O00 ha voués à la riziculture. L’amélioration
progressive des moyens de travail racharcbée par les paysannats (culture attelée, fumure), doit permettre de dou-
bler un jour ces chiffres. L’immigration amorcée en faveur du casier doit aussi jouer dans ce sens.
Les terres basses très argileuses ne sont rendues nialléables par les pluies que peu de temps avant les semis.
Avec sa seule houe et même avec un attelage, le paysan éprouve de grosses difficultés ouvrir ses champs. I1 a donc
fallu maintenir le principe de l’intervention mécanique annuelle pour les labours, intervention jadis prévue pour la
culture cotonnière. I1 est exclu de faire de cette intervention mécanique un cadeau que le paysan ne pourrait pas
évaluer à sa juste valeur et qui ne contribuerait pas à son éducation. La première annee, un remboursenient très
faible (( de valeur éducative 1) a été demandé aux cultivateurs. A. partir de 1960, ce remboursenient a été porté au
coût réel de l’opération, soit 3 200 F l’hectare. Le labour n’a kté fait qu’après accord du paysan. L’intervention
de la culture attelée se cantonnera donc dans les travaux de prCparation complémentaire du terrain (hersage) et
de semis, ainsi que pour le transport des récoltes. Les essais de Mogodi ont donné d’excellents résultats.
Les techniques préconisées seront donc une association equilibree, selon les besoins entre la traction mécanique,
la traction animale et les opérations manuelles pour le sarclage et les rtkoltes. Ces dernieres pourront $tre amé-
liorées par l’introduction de faucilles permettant la cueillette de plusieurs épis en moyettes au lieu de la cueillette
actuelle épi par épi.
L’expérience du casier A et du S. E. BI. K. Y. voisin montre que les aménagements nécessitent un minimum
de reprise après une première année de fonctionnement (tassement des diguettes, glissements de terres favorisés
par l’importance e t la concentration des prCcipitations de la saison des pluies. Le r6le des paysannats devra inclure
l’éducation du paysan pour l’entretien des installations. Les communautés villageoises devraient arriver à prendre
en charge le réseau de distribution tout comme leurs collègues des huertas niéditerranéennes.
Les ouvrages de prise au fleuve eL les canaux à grande section resteront, bien cntendu, à la charge du secteur et
lorsque celui-ci pourra, dans un devenir encore assez éloigné, &tre géré par l’ensemble des producteurs organisés
en cooperative, tout le travail d’6ducation ct d’exemple qui ne fait que ses tout premiers pas sera près de porter ses
plus beaux fruits.
Premiers résultats
Sur les 1 I G O ha aménagés en 1960, 1 076 ont 8t.d ensemencbs. Les 64 ha délaissks l’ont été par des cultivateurs
négligents qui, en repoussant la date des semis, se sont laissé surprendre par les pluies. Les rendements sont encou-
rageants. Ils sont excellents sur les terres linloueuses sur argiles récentes, au centre du casier, autour de Biliani-
Oursi, où l’on a enregistré, dès la première année, 3 t à l’hectare. Ces sols class& (( argiles récentes 1) donnent des
rendements élevés en parcelles expérimentales (3 et 4 t) surtout lorsqu’ils sont placas topographiquement en posi-
tion basse dans les micro-cuvettes de la plaine.
Par contre, la zone des sols jeunes en bordure immédiate du fleuve de ICoumi à Mogodi ne donnent qu’une
tonne en première année et 2,2 t en deuxième annbe.
Le riz, bien qu’éventuellement consommé sur place en alimenlation d’appoint en cas de r6colte de mil insufli-
sante, doit ètre considéré comme une culture commercialisable (cash-crop) destinée à couvrir par sa vente les autres
266 JEAN CABOT
besoins de la famille Massa. Pour l’instant, une importante partie de cet argent va encore à l’acquisition de cheptel
bovin par un réflexe traditionnel, mais de plus en plus on voit le hlassa faire usage de biens jadis inconnus de lui
ou simplement, dédaignés : pagnes, couvertures, culottes. Les bicyclettes elles-mêmes ont fait leur apparition dans le
(( casier )I.
hlême dans les villages qui cultivent le riz depuis dix ans ou plus, la culture du mil n’a pas disparu, bien au
contraire. Tout se passe comme si le mil rouge devait rester la culture vivrière de base avec l’appoint du mil repiqué
de saison sèche (berbéré) dont la culture s’étend. Même dans les zones où l’assainissement avait été prévu pour le
coton e t où cette culture a été abandonnée, les travaux d’entretien se poursuivent pour permettre l’extension des
cultures vivrières. C’est le cas pour la partie est du casier autour du paysannat de Marga.
Les cultures de buttes des terroirs traditionnels bénéficient aussi des travaux d’endiguement et d’assainisse-
ment. Leur exondation a été assurée d’une façon définitive, mieux que ne pouvaient le faire les endiguements empi-
riques individuels. Les champs de case se sont étendus sur leurs marges jadis sujettes à l’inondation. Les soudures
alimentaires difficiles qui étaient courantes en Juillet, Août, Septembre, sont actuellement ignorées et la population
s’accroît. Resté stationnaire de 1954 à 1956, le peuplement du casier a commencé à augmenter à partir de 1957.
En 1958, on notait un accroissement de 3 500 habitants. Les années 1959 et 1960, de nombreuses arrivées de Massa
du Cameroun ont été enregistrées. On estime actuellement l’accroissement de la population a 50 % du chiffre
de 1954.
Les essais dc ferme portent actuellement sur l’amélioration des variétés de riz proposées aux cultivateurs.
L’expérimentation est orientée vers l’obtention, par sélection, d‘un riz à gros grain échappant à la verse et vers la
destruction des herbes dans la rizière, soit par procédés chimiques, soit par une préparation plus poussée du sol.
Les essais de multiplication ont permis d’atteindre les rendements cités de 3 t sur la variété Maroua et sur
le Bantoubala, véritable riz de premier choix dont l’introduction est prévue sur le casier.
Des essais portant sur la culture du dah (Hibiscus cannabinus) ont permis d’obtenir des rendements de 1500 lrg
de fibre à l’hectare. Cette culture susceptible d’approvisionner une usine de fabrication de sacs e t de toiles d’embal-
lage pourra être implantée sur les périmètres orientaux du casier non aménagés pour la riziculture et impropres
à la culture du coton.
L’installation d’une rizerie à Biliam-Oursi depuis 1961 ouvre de nouvelles perspectives à l’approvisionnement
intérieur au pays. La production pourra être écoulée à la fois sur Fort-Lamy e t sur les populations du Nord du casier
lorsque la mise au point de la culture du coton sur les argiles à concr6tions calcaires aura entraîné son extension
sous forme de monoculture ou de culture dominante.
En effet, les argiles de la moitié Nord du casier ne semblent pas favorables à. la culture du riz. En outre, les
canaux d‘irrigation à aménager seraient trop longs, donc très coûteux. I1 semble, au contraire, que, moyennant
quelques améliorations de détail indispensables pour assécher complètement ces terres, la culture du coton y serait
possible. I1 faut supprimer les inégalités dues aux cuvettes d’effondrement de ces argiles. Dans des conditions ana-
logues, l’Office du Niger exécute un planage en (( touches de piano )). I1 est vrai que cette opération s’applique à
la culture d’un coton irrigué de haute valeur, ce qui lui donne un caractere rentable. Or, il n’est pas encore question,
ici, de coton irrigué pour lequel les canaux d’amenés d’eau à partir du Logone seraient aussi coûteux que pour la
riziculture, sinon plus coûteux, étant donné la nécessité d‘irriguer par pompage après la fin Octobre.
I1 se peut que la récupération de terres neuves favorise une (( descente 1) des cultures de mil actuellement limitées
aux terres sableuses exondées, vers les partirs basses argileuses. Traditionnellement, les bourrelets et les berges
exondées voyaient se concurrencer mil et coton, et la culture cotonnière obligatoire sur les buttes était d’autant
plus mal admise qu’elle provoquait une réduction des surfaces consacrées aux cultures vivrières. L’obtention de
rendements supérieurs en mil, sur terres argileuses, favoriserait la libération des buttes et les rendrait récupérables
pour la culture du coton. Celui-ci bénéficierait alors des terres de cases susceptibles d’en augmenter les rendements
e t d’en faire, enfin, une culture rentable. I1 faudrait pour cela que les paysans Massa rompent avec la tradition
qui veut que leur habitat soit fixé au centre de leur champ de mil et gardent, malgré le déplacement de celui-ci
vers les terres basses, leur habitat de butte. I1 se peut aussi que la culture du mil repiqué de décrue permette la
réduction des superficies traditionnellement consacrées au seul mil rouge. En 1962-1963, un mouvement très net
en faveur de la culture du (( berbéré 1) s’est dessiné sur les cantons de Koumi, Toura, Télémé. I1 faut noter, cependant,
qu’en revanche les résultats enregistrés pour la campagne rizicole de la même année semblent attester une lassitude
des Massa pour la riziculture. Sur 2 O00 ha labourés, seulement 1 600 ont été ensemencés. Malgré les rendements
moyens de 2 t à l’hectare obtenus par l’introduction de la variété Bantoubala, certains Massa du S. E. M. A. B.
se sont détournés de la culture (( cash crop )I pour se livrer exclusivement à la pêche ((plusrémunératrices, estiment-ils.
L’usine de Biliam-Oursi, apte B usiner 5 O00 t de pady, n’en a traité que 1 100 i .
L E BASSIN D U M O S E N LOGONE 267
Place de la pêche et de ~ ’ d e v a g e
Les objections 4 la mise en valeur faites à l’origine par les Massa en raison d& restrictions imposées à la petite
pêche disparaissent de plus en plus devant la multiplication des prises d’eau pour l’irrigation des rizières. Les
poissons amenés par les canaux d’irrigation sont tout naturellement capturés à la sortie des casiers. Cependant,
l’éducation des pêcheurs invétérés que sont les Massa devra être énergiquement entreprise pour leur apprendre
subordonner leur passion à la nécessité de respecter les diguettes limitant les casiers. A l’heure actuelle, trop
d’échancrures propices 5. l’installation des nasses sont encore pratiquées à t o r t e t 1 travers.
L‘élevage ne semble pas avoir souffert des aménagements. On noterait plut6t un accroissement du cheptel
lié à l’implantation de nouvelles familles et à l’augmentation de la circulation monétaire née des marchés de paddy.
L’état sanitaire des bêtes s’est même amélioré. Si l’extension des cultures et le drainage réduisent la surface jusqu’ici
laissée au pacage, la compensation réside dans l’amélioration des pâturages maintenus autour des points non drainés.
La mise en état par retenue d’eau d’une zone de pâturage de 2 500 ha autour de la Mandjaffe constitue une
opération essentielle de mise en valeur pour les éleveurs Massa.
11 est encore trop tôt pour tirer les lepons de la reconversion du casier A en casier rizicole. Les dernières obser-
vations permettent d’espérer une évolution vers une agriculture nettement plus différenciée que l’ancienne mono-
‘
culture Massa. On peut espérer que l’introduction du (( berbéré )) permettra de redonner aux terres exondées une
vocation cotonnière. Ainsi la polyculture Massa associerait équitablement le mil rouge traditionnel aux mils blancs
repiqués, au riz, au coton, sans oublier l’élevage susceptible, par l’éducation du paysan, de servir àl’apparition d’un
(( mixed-farming 1) indispensable.
Les deux premières expériences d’usinage de paddy tentées au Tchad par des particuliers n’avaient pas donnh
de résultats encourageants. Une certaine négligence dans le tri des lots hétérogènes de paddy livré, l’emploi d’un
matériel mal adapté au type dc riz usiné, le manque de compétence technique des responsables improvisés de l’usi-
(i)BESLON-BILLON
[1960).
Y.BOREL(1961).
ZONE LAI-KELO
Plaines inondables 0 yt Usines d'hrenage
RizDres Rizerie
nage n’ont jamais permis d’obtenir plus de 10 yo de riz classé en premi& categorie sur un taux de décorticage
lui-même très bas (60 % du paddy usiné). Malgré un pris d’achat très bas au producteur (8 F le kg), les frais occa-
sionnes par ce mauvais usinage aboutissaient i. des pris aussi éleves lì la sortie de l‘usine que ceux pratiqués par
la rizerie de Yagoua et pour des riz de qualite moindre.
La rizerie de Laï (anciennes rizeries du Logone) a été reprise par le S. E. RI. il. L. K. En 1960, l’usinage a repris
dans des conditions d’exploitation neltement améliorées : rendement en riz blanchi de 68 % dont 35 % de première
qualité, 30 yode brisures. Le premier écoulé à 40 F le ldogramme, les secondes à 25 F. Tous les frais d’usinage,
de main-d’œuvre et d’amortissement des travaux de modernisation ont été couverts 4 l’exception des frais d’enca-
drement européen. La campagne 196.1 a été bénéiiciaire malgré le faible tonnage usiné de GOO t.
Le jinarzceninnt dir S. E. M . A .
Une partie du personnel de direction, de recherche e t d’encadrement cst à la charge (lu budget gtnéral dn
Tchad. Le personnel européen de l‘Assistance Technique est payé sur crédits du Fonds d’Aide e t de Coopération.
Les frais d’entretien et de fonctionnement des fermes, des paysannats sont également irnputCs sur le budget de la
république tchadienne. Les investissements à partir de fonds publics consacrés à l’amélioration des rizeries (bâti-
ments, moteurs) sont remboursés par amortissements à long terme inclus dans le calcul du prix de revient du riz.
La vente à crédit aux cultivateurs des unités de culture et de transport (attelages, charrues et charrettes) est assurée
par des emprunts auprès du Crédit du Tchad, remboursables i court terme en deus ou trois ans. Les rizeries fonc-
tionnent sur leur budget propre. Les bénéfices, variables d’une année à l’autre mais limités statutairement à I 6 yo,
sont destinés au fonctionnement des usines et aux investissements futurs.
Le S. E. M. A. L. I<. englobe trois paysannats : deux sur la rive droite du Logone : Gabri-N’Golo et Dila, un sur
la rive gauche dans la zone des doigts de gant 1) de la Tandjilé 4 Marba Baktchoro. Chacun de ces paysannats
correspond à une zone caractéristique au point de vue hydrologique et pédologique :
L e paysannat de Dila
I1 ajoute aux problèmes déj; notés 4 Gabri-N’Golo celui du travail des terres lourdes, de plus en plus étendues
en s’éloignant du fleuve. L’efTort principal porte donc, ici, sur les améliorations de la culture du berbéré particu-
lièrement bien adapté à ces terres.
P a y s u m a t de Baktchoro
Le paysannat de Baktchoro est installé au cœur du pays Marba, dans la zone aménageable des R doigts de gant ))
de la Tandjilé. L’éducation du paysan en vue de l’introduction de la culture attelée sur les terres à riz des trois
90
I
270 J E A N CABOT
dépressions inondables : Tagou, Habang et Lololra, pourrait très bien être complétée par une mise en Ceuvre collec-
tive pour l’aménagement de ces dépressions. I1 serait possible de faire reprendre par les collectivités le projet du
service du Génie Rural qui prévoyait la construction de diguettes parallèles aux courbes de niveau e t le drainage
par des fossés collecteurs. I1 s’agit là de travaux réalisables par la seule mobilisation des énergies dans une région
suffisamment peuplée pour fournir tous les bras nécessaires.
La plaine des Djarao et des Lé0 porte des dehités très faibles en raison de l’inondation annuelle. Les aménage-
ments en vue de son drainage et de la réduction des déversements Tandjilé-Logone en direction de la Loka deman-
deront la participation d’équipes de travailleurs venus d’autres régions du pays. Les ouvrages projet& consistent
essentiellement en une digue parallèle à la Tandjilé, depuis le pays Rlarba jusqu’aux environs d’Eré et en deux
drains collectant vers le lac Boro, d‘une part, les eaux de ruissellement du pays Marba (drain hnbasglao-Boro) et,
d’autre part, les eaux de ruissellement et de déversement de tres fortes crues de la région d’Eré (drain gré-Boro).
Cet aménagement pose le problème de la participation des populations aux travaux de terrassement.
Les S.E. M. A. constituent donc de vastes entreprises agricoles animées par une direction locale directement
en contact avec les besoins et les difficultés des agriculteurs. Les modifications de planification, d’expérimentation,
peuvent être prises en cours d’année en fonction des buts assignés, des résultats recherchés. Chaque secteur possede
son autonomie financière et sa base industrielle fondée SUP l’usinage des produits permet l’utilisation des crédits,
voire des bénéfices au mieux des besoins des intéressés. Nous avons même vu qu’à Laï un début de système de
coopération avait ét6 amorcé avec les cartes de producteur.
I1 n’en va pas de même pour les paysannats, petites entités rattachées directement au Ministère de I’AgrícuI-
ture et ne disposant pas de l’autonomie financière consentie aux S. E. M. A. Le manque de moyens, le personnel I
limitd, l’isolement de chaque paysannat font de celui-ci une expérience fragile. Que l’animateur change, qu’il manque
son départ, et tout est ireprendre faute d’une structure suffisante. La séparation absolue entre l’usinage du coton,
monopolisé par la Cotonfran, demeurée toujours insensible aux possibilités d’amélioration agricole, et la produc-
tion du coton, dévolue à I’agriculteur non éduqué, ne permet pas a u s paysannats de jouer le rble essentiel qu’ils
pourraient jouer si, comme au Cameroun, le souci des améliorations agricoles était le but prioritaire des usiniers.
LES PAYSANNATS
Les paysannats de la zone cotonnière intéressent essentiellement les pays Moundang, Toubouri et Gambaye.
A partir du moment où l’on échappe à la zone inondable, chaque petit centre pose ses propres problèmes de disposi-
tion topographique de sols, de densité agricole. Nous étudierons successivement les conditions d’établissement et les
résultats obtenus à Torrock, Daoua, Dolougou et Badé.
Le paysannat de Torrok a été créB en niai 1957, en milieu Moundang, en vue d‘introduire la culture attelée pour
soulager le cultivateur de ses tâches les plus lourdes et de rechercher tous les moyens d’&leverle niveau de vie des
populations, en particulier par la pratique des cultures nouvelles e t l’amélioration du milieu social.
L’influence du paysannat s’étend à tout le canton de Torrolc qui groupe 15 600 habitants autour des trois
centres principaux de TorroIc, Goueyegoudoum e t Gouin distants entre eux de 5 à G lrm (voir carte 14). Les
populations Bloundang se sont installées autour des modestes reliefs cuirassés dits (( oua )) proches de ces deux derniers
cenlres. Leur implantation dans le pays ne semble pas très ancienne, cent ans environ. D’après les chroniques
orales, il s’agirait de Moundang de Lara (il existe un village appelé Gouin-Lara), primitivement. install6s autour de
Tilrem d’où ils avaient délogé les Toubouri. Mais le retour en masse de ces derniers obligea les Moundang à opérer
un mouvement vers le sud sur Balani et Torrolr d’où ils délogèrent les Kado, eux-mêmes repoussds sur Pala.
Le milieu humain est favorable à l’introduction de techniques nouvelles. Le canton, privilégié dans le domaine
scolaire, possède trois écoles de trois classes groupant plus de 1O00 élèves dont 10 % de filles. (Cela représente tout
de même plus de 100 élèves par maître.) Les 8 122 adultes cultivent 8 192 ha (non compris le mil de repousse en
deuxième année) dont plus de la moitié en coton (4 586 ha) et le reste en cultures vivrières diverses parmi lesquelles
le mil vient largement en tête (3 746 ha) devant l’arachide (50 ha), le manioc (20 ha), le riz (10 ha), le berbéré (10 ha)
PAYSANNATS DU TOUBOUWI
272 JEAN CABOT
et les oignons (7 à 8 ha). D’autre part, l’élevage des bovins est ici possible. Bien que pratiqué acluellement dans la
seule pcrspective dotale, il est perfectible et pourrait devenir utilitaire.
La région sans être très accidentée présente des pentes assez fortement ravinées par les ruisseaux temporaires
de saison des pluies appelés ici (( le1 N. Les axes de peuplement sont constitu& par le mayo Dorbo e t l e le1 Zétao,
tous deux saisonniers. Le mayo Dorbo coupe le canton en deux zones : à l’ouest, les terres lourdes peuplées par les
hloundang j à l’est, les terres sableuses légères souvent gravillonnaires habitées par les Kéra de Djougoundo, Fama
et Bamdi. (Pl. XVIII).
Les terres légères situées sur les pentes est du mayo Dorbo sont à peu près incultes du fait de la présence à
faible profondeur d’une cuirasse ferrugineuse. A l’ouest, les terres assez lourdes développées sur la roche mBre des
schistes bleus du pays toubouri sont beaucoup plus fertiles e t cultivées dans un rayon de 4 à G Irm autour des vil-
lages. Le manque d’eau, cependant, empêche la colonisation plus lointaine de ces tcrres. A Malrteta, quartier situé
à 6 km de Torrolr à l’ouest, un seul puits de 2’50 m ravitaille les habitants jusqu’en mars. A partir de cette date,
les femmes vont faire leurs provisions d’eau à Torrolr. Les départs en direction des vallées où la nappe se maintient
plus longtemps après l’arrêt de l’écoulement se font chaque année plus nombreux. Le village de Mapatchinré, qui
n’était, en 1952, qu’un petit quartier de 10 habitants, groupait en 1958 une population de 1 042 habitants disposant
de 120 bovins, cela grâce à la présence d’une nappe permanente sous les alluvions du le1 Zétao.
La concentration de la population le long des mago ct des ZeZ surcharge les terres avoisinantes, tandis que de I
vastes espaces libres sont abandonnés plus à l’ouest. On ne retrouve un nouveau foyer de peuplement, Toubouri
cette fois, que beaucoup plus à l’ouest et à la faveur d’une autre vall6e à écoulement temporaire : villages de Gamba
Toubouri et de Toulo.
A proximité des aires de peuplement, le danger de dégradation des sols a été accru par l’introduction de l’asso
lement coton-mil-mil répété sur les mêmes terres tant que celles-ci ne présentent pas des signes évidents de fatigue
(impérata, striga). Or, malgré la possession de bovins, malgré l’accumulation à proximité des cases des déchets et
des excréments, la richesse et les ressources du fumier ne sont même pas soupçonnées.
Néanmoins, les conditions d’établissement d’un paysannat étaient très favorables dans la région de Torrok,
grâce à un milieu humain assez ouvert de bons cultivateurs, grâce à la libre disposition de terres vacantes et aux
possibilités d’amélioration de l’élevage. I1 fallait d’abord vaincre le manque d’eau pour pouvoir ensuite promouvoir
une éducation agricole des paysans avec introduction de la culture attelée e t de la traction animale pour les trans-
ports et surtout de la fumure des terres.
C’est au paysannat de Torrolr que les résultats les plus encourageants de tout le Tchad ont été enregistrés dans
le domaine de la modernisation des techniques. E n 1960, plus de 1 500 ha étaient dPjà labourés à la charrue, les
paysans ne disposant pas d’attelage, louant les services de leurs voisins nantis, au prix de 2 O00 F le labour d’un
hectare.
La réussite du paysannat de Torrok a été due essentiellement à la conjoncture favorable : la rencontre d‘un
groupement humain très ouvert e t d’un directeur de paysannat compétent. Les champs de démonstration, les
cultures témoins, les concours de labour ont convaincu les paysans et conquis leur adhésion spontanée. I1 sufit de
comparer les rendements obtenus :
-
E n démonstration Gultuiv attelée Culture
au paysannat des paysans traditionnelle
-
Mil 1957-1958 . .. . 1164 kg/ha - 704 kg/ha
&fil 1958-1959 . .. . 1148 kglha 885 kg/ha 465 kg/ha
Coton 1957-1958 .. . - 1 O89 kglha 406 kg/ha
Coton 1958-1959 .. . 728 kg/ha 484 kg/ha 222 kg/ha
Les temps consacrés aux cultures vivrières sont considérablement réduits pour des rendements nettement
supérieurs. La culture attelée de 1ha de mil demande 98 h et donne un rendement de 1 148 kg, la culture tradition-
nelle exige 420 h pour un rendement de 465 kg. Ce raccourcissement des temps consacrés aux cultures vivrières per-
met d’apporter tout le soin voulu aux plantations de coton (fumure, sarclages).
L’attelage est acheté sur prêt consenti aux cultivateurs par le Crédit du Tchad, sous contrôle du paysannat.
Le paysan achète lui-meme ses bœufs avec une avance de 14 O00 F. Le contrat est ensuite signé pour la fourniture
des engins moyennant un versement d’arrhes (2 500 F pour une charrue de 8 500 F et 5 O00 P pour une charrette
de 20 O00 F). Le remboursement se fait en trois ans au moment des récoltes. (PI. XI, A).
LE B A S S I N D U MOYEN LOGONE 273
. Les acquisitions d’attelages vont en progressant ainsi que le montrent les chiffres :
41 41 40
1959. ........ 58 58 49
1960. . . . . . . . . 141 115 56
Kaddeu. .
Matchalcé .
Vounba. .
. . . .
. . . .
....
I
Nombre
d’adultes
2
3
o
1
Enfants Cordes
de mil
Récolte
de inil
250
1100
850
Divers
100 (riz)
20 (arachide)
7Cordes
de coton
1
3
9
1
Ventes
de coton
3 500
15 O00
8 500
Gains
divers
300 (riz)
Kakoré . ..... 3 1100 200 (riz) 2 1 0 O00
Gakna . . . . . . 2 1300 2 1 0 500 27 O00
(Porc)
Télcoalré. . . . . . 5 2 O00 5 21 O00 6 O00
I
(labour)
1 2 O00
(transport)
Tchingaï. ..... 2 1300 200 (riz) 4 21 O00 1 0 700
(transport)
28 O00
Les quatre premieres familles ne possedent pas d’attelage. Le cas de la famille de Kaddeu est exceptionnel : sa femme malade
n’a pas pu travailler aux champs. Les maigres récoltes ne sufiiront pas pour faire vivre pendant u n an les sept membres de la
famille.
II
L’achat des attelages en vue de leur location peut paraître décevante au premier examen. I1 permet, cependant,
la propagande de la culture attelée parmi les paysans non propriétaires (1).E n revanche, si les propriétaires d’atte-
lages préfèrent la recherche d’un gain immédiat de 500 F par jour (Iabour d’1/4 d’hectare) quitte à remettre à plus
(i) R. D U A ~ O N
1961
...
.
T (a], p. 149, souligne avec juste raison que l’appropriation de matériel de traction par familles de type conjugale
n’assure pas le plein emploi et développe l’individualisme paysan. C’est autour du matériel commun que peuvent utilement sc développcr les
groupes d’entraide faisant certain travaux en commun B.
...
274 JEAN CABOT
tard le travail de leur propre champ, ils finiront bien par s’apercevoir de la précarité de leur calcul lorsque leurs
propres champs travaillés trop tardivement leur donneront des rendements inférieurs à ceux des planteurs auxquels
ils se seront loués. Les non-propri$taires ne disposant pas encore des fonds nécessaires à leur équipement font un
calcul inverse et préfèrent payer 1O00 F delabour pour une corde, sachant qu’ils récupèreront larqement la dépense
au moment des marchés de coton, car :
- la précocité des semis leur assure l’octroi de la prime de 450 F par corde j
- le labour élimine les repousses, donc réduit le travail de sarclage qui peut se reporter sur les autres récoltes ;
- les rendements de coton passent du simple au double j
- l’année suivante le rendement en mil est accru de 20 à 25 %.
Néanmoins, l’introduction de la culture attelée ne doit pas être ici séparée de la nécessité de fumer les terres.
Tout l’essor du paysannat de Torrok serait condamné si l’extension des cultures permise par la traction animale
devait se solder par la ruine des sols. L’introduction de bétail suppose, bien entendu, l’établissement de compos-
tières et l’essai d’ensilage de fourrages verts pour résoudre le problème délicat de la nourriture du bétail en saison
sèche. Y
Dans l’angle nord-ouest formé par les deux parties des lacs Toubouri articulées autour des Monts Daoua, sont
installées les populations Toubouri avec des densités parfois supérieures à 100 habitants au kilomètre carré. Cinq
grands types de sols se partagent le terroir :
- les sols argileux à sablo-argileux des dépressionsinondables développés sur les anciennes formations lacustres
plus ou moins associées aux sables fins apportés par le ruissellement actuel. Ces sols très fertiles sont presque entière-
ment répartis entre les populations riveraines qui y pratiquent une culture de mil repiqué à la fin de la saison des
pluies, culture suivie d’une jachère pgturée de Février à Octobre ;
- sols beigcs sablo-limoneux des bords des dépressions qui constituent la majeure partie des terres exondées
mises en valeur par les villageois. Ils portent, outre les villages, la presque totalité des cultures de coton e t de mils
précoces qui s’y succedent en assolement continu. Les champs sont inégalement enrichis par la fumure plus OU
moins consciente des habitants. Mais le ruissellement y creuse de larges ravines ;
- les sols sableux gris particulaires de texture sablo-argileuse hydromorphes (taches de rouille). Le battage
de ccs sols est caractéristique, leur surface fondue présente des lentilles de sable grossier de couleur rose. Ils limitent
les zones de culture des villages e t sont dédaignés des paysans qui laissent leurs femmes y pratiquer leurs cultures
(arachides, pois de terre). Rapidement dégradés, ces sols deviennent vite stériles ;
- les sols beiges sableux exondés à longues jachères deux ou trois ans de cultures (coton-mil-mil) ;
- les sols à alcalis sur sables ou argiles, appelés hardé ou naga, complètement stériles, caractérisés par un
excès de sodium dans leur complexe absorbant. Ils portent une savane armée (Acacia seyal) et sont délaissés par les
cultivateurs (fig. 33).
Les fortes densités humaines du pays Toubouri contraignent le paysan à pratiquer une culture permanente
sur les deux premiers types de sols. Le plafond des possibilités de culture s’établit en moyenne à 2 ha par travailleur
(2,16 ha à Daoua et 1,70 ha à Golompui) (1).I1 s’agit là d’une limite spatiale dès que la densité de peuplement atteint
100 habitants au kilomètre carré (il faut compter environ 50 % d’actifs parmi ces groupes), mais aussi d’une limite
technique dans le cadre de la culture traditionnelle. Toute extension des superficies cultivées ne peut se faire qu’en
direction des sols sableux à longues jachères, ce qui nécessiterait le raccourcissenient de celles-ci et une compen-
sation par apport régulier de fumures. Dans toute la zone des sols sableux exondés la primauté de la fumure sur
toute autre novation technique s’impose (pas de charrue avant le fumier des bœufs), Les paysannats de Golompui
(Cameroun) e t Daoua (Tchad) ont donc pour tiiche principale l’intégration du bétail dans le système agricole, la
transformation des troupeaux de propriété sentimentale en propriété utilitaire : fumiers, labours, transports et,
par voie de nécessité, ensilage de fourrages.
Ces actions de transformation se sont voulues persuasives et non autoritaires. L’accent a été mis sur la recherche
et l’obtention de la confiance du paysan par la démonstration, la présence, le conseil.
A Golompui, où l’action du paysannat a été entreprise depuis 1954, certains perfectionnements de détail ont été
recherchés et ont permis l‘amélioration des conditions de vie :moulins à mil àtraction animale, semis de Faidkerbin
aux limites des champs, culture du coton sur les terres de case mieux fumées que les terres périphériques.
(1)J. GUILLARD,1960.
L E BASSIN DU MOYEN LOGONI3 275
Dans les deux paysannats, il a été possible de faire admettre par certains paysans la nécessité des traitements
insecticides sur les champs de coton. Des pulvérisateurs ont été acquis par les cultivateurs.
Les résultats sont déjà plus qu’encourageants : les rendements en coton ont été triplés, ceux des cultures
vivrières doublés. Un relevé des temps consacrés à la culture cotonnière traditionnelle et à la culture préconisée par
le paysannat fait apparaître un degré d’occupation égal du paysan pour des récoltes doubles ou triples (environ
200 journées de 7 h à l’hectare). Tandis que le houage traditionnel exige 48 journées, le labour n’en prend plus
que 9. En revanche, il faut, désormais, prévoir 17 jours consacrés i I’épandage de la fumure, tandis que la récolte
trois fois supérieure demande 53 jours au lieu de 18 pour être levée (I).
Sur l’ex-district de Moundou, devenu département du Logone occidental, l’inégale répartition de la distribution
du peuplement a contribué à l’accélération de la dégradation des sols dans la partie orientale à la périphérie du
koro de Bénoye. La zone la plus menacée se trouve être le plateau de Sar (2) o h la densité de population des cantons
de Manso et de Sar dépasse 55 habitants au kilomètre carré. La densité de l’ensemble de la sous-préfecture de
Bénoye atteint 25 habitants au kilomètre carré, malgré le faible peuplement des parties hautes du lcoro où le manque
d’eau €reine l’implantation de nouveaux villages. Ce chiffre est déjà trop élevé en culture tropicale sèche avec
défrichage et reconstitution de jachères (15 à 20 hab. au kilomètre carré paraît être la limite selon la valeur des terres).
Les terres des koros sont constituées par des sols en faible pente, dérivés des formations du C. T. et des sables
de Kélo, sols beiges et rouges. Les cuirasses ferrugineuses incluses à certains niveaux de ces sables sont déjà mises i
nu en de nombreux secteurs devenus incultivables.
A l’ouest de Moundou, sur des sols identiques, la densité du peuplement tombe au-dessous de 10 habitants
au kilomètre carré, parfois au-dessous de 5. Les conditions historiques (razzias foulbé) et les conditions sanitaires
(foyers de glossines à trypanosomiase) ont contribué à maintenir ce sous-peuplement.
Les deux paysannats de Dolougou et de Badé ont pour objectif essentiel de soulager la partie orientale du
district de son surcroît de population en favorisant les transferts volontaires de familles vers les terres occidentales
e t de promouvoir des techniques agricoles susceptibles de freiner l’érosion des sols tout en allégeant la thche du
cultivateur.
POUTl’instant, le paysannat de Badé est, avant to&, une tentative de colonisation de terres vacantes i l’aide
des techniques traditionnclles, sans r6vvo;lution agraire autre que l’introduction de la fumure (animale ou végétale).
Le pagsannat de D010iig0i~
I1 est implanté sur la partie occidentale du plateau de Sar, dans le canton de Blanso, à 25 ltm au nord-ouest de
Bénoye. Cré6 en 1956, le paysannat a élendu progressivement sa zone d’action du village de Dolougou (120 hab.)
à l’ensemble des quatre cantons de Manso, Sar, Bourou et Tchaouen, c’est-à-dire 12 O00 habitants. Les deux pre-
miers de ces cantons, comme l’ensemble du département, étaient vou& à la culture cotonnière, du fait de leur exon-
dation permanente, tandis que les cantons de Tchaouen et Gourou, soumis à l’inondation annuelle du lit majeur
du Logone, pratiquaient la culture du riz. Riais, tandis que Tchaouen et Bourou ne comptent que 20 habitants au
kilomètre carré (la riziculture permettrait un peuplement bien supérieur), les cantons de Manso et de Sar dépassent
la densité de 55 habitants au kilomètre carré.
La dégradation rapide des terres sous l’influence de l’accélération des rotations et du raccourcissement de la
durPe des jachères rend ce surpeuplement catastrophique. Les rendements de coton de Dolougou en 1954-1955 ne
dépassaient pa3 135 k g à l’hectare, laissant un revenu moyen de 1 657 F par cultivateur et de 828 F par habitant.
LE UASSIR’ DU MOYEN L O G O N E 277
II a fallu trouver une culture commercialisaLle moins pr6judiciatle aus sals que le coton. Celui-ci fut remplacé
par l’arachide moins Bpuisante pour les terres, offrant une meilleure cou\-ei*ture du sol en période vegetative et
supportant mieux la culture B plat. (Le billonnage du coton, souvent pratiqué dans le sens des pentes pour faeiliter
le ressuyage de ces terres battantes, était fatal a u s sols.)
L’introduction du nouvel assolement (a)sorgho-arachide-sorgho, en concurrence avec l’assolement tradition-
nel ( t )sésame sur défrichement-sorgho-sorgho, a permis une premiere amélioration des rendements de culture
commercialisable. Mais cela ne s u f i t pas. Les sols dégrad6s de ce secteur nécessitent un renauvellement total des
methades de culture par la fumure et l’amélioration des jachères.
Pour cela, les terres du village témoin de Dolougou ont ét&remembrBes et divisées en biocs :
- 50 ha de terres réservées à remplacement du village et des cultures de case ;
- 270 ha en 18 blocs de 15 ha chacun, en assolement ;
- 30 ha, soit deux blocs situés ;i la limite des cuirasses ou sur sols à gravillons ferrugineux et c0nsacri.s au
pacage du bétail ;
- enfin, 25 ha de terres incultes sur cuirasses ( f i g . 45).
’Ian des
en 19
Mil
Ambrevade
I I
...... Sisame Sol beige à gravillons ferrugineux
cuirasses sous-jacentes. Avant de songer à la charrue, il faut d’abord songer au fumier. L’expression (( ne pas mettre
la charrue avant les bœufs 1) prend ici un sens nouveau : d’abord produire du fumier, utiliser les attelages au trans-
port des récoltes, mais garder la charrue pour plus tard ou pour les terres basses des cantons voués à la riziculture.
En attendant que les paysans sachent fabriquer du fumier de ferme, c’est l’usine d’égrenage de coton de Doher,
toute proche, qui fournit la quantité de graine de coton broyée nécessaire à la régénération des terres.
Les expériences de culture attelée et de fumure réalisées dans les paysannats du bassin du Logone peuvent être
comparées à celles qui furent menées sur les terres de colonisation de I’Ofice du Niger. L’exemple du village de
Mpésoba où les précipitations annuelles sont de l’ordre de 800 mni paraît comparable aux expériences de la région
de Bongor et de Fianga. (( I1 est possible, écrit P. VIGUIER, d’obtenir des agriculteurs indigènes qu’ilsabandonnent
completement leurs méthodes agricoles traditionnelles (extensives sur brûlis) au profit d’une agriculture intensive
permettant le maintien de la fertilité du sol (mixed farming familial avec stabulation du bétail pour production
rPgulière du fumier). La charrue peut alors être utilisée normalement, après dix années de cultures, non seulement
les terres des villages de colonisation ne donnent aucun signe d’épuisement, mais s’enrichissent nettement (1).1)
La rotation adoptée sur ces terres est la suivante : l o coton avec fumier j 20 mil j 30 arachide ; 40 jachère ; 50 mil ;
60 jachère. Les soles sont de 2 ha et les 4 ha de jachère sont labourés avec enfouissement de l’herbe comme engrais
vert. Sur 100 ha vivent ainsi 8 familles de 10 personnes, cultivant chacune 6 parcelles. La densité kilométrique est
donc de 80 habitants sous un climat et sur des terres comparables à ceux du bassin du Logone.
Les problèmes de ¡’élevage, sans avoir été aussi négligés que ceux de la pêche, n’ont pas encore requ toutes les
solutions désirables. L’effort en sa faveur n’a réellement commencé qu’après 1950, en ce qui concerne les pays du
Logone au Tchad. Trois grandes directions peuvent être distinguées qui, chacune, ont été suivies plus ou moins
vite : la recherche d’un meilleur développement du troupeau actuel, tant par l’amélioration de l’alimentation que
par les soins vétérinaires, l’amélioration de la race bovine répandue dans le bassin moyen et la recherche d’une
extension de son domaine vers le sud, enfin la valorisation technique du bétail en vue de son utilisation à la traction
des outils agricoles e t des charrettes. Chacun de ces domaines a été confié à un secteur particulier des services de
l’Élevage ou de l’Agriculture.
Les médecins vétArinaires chefs de secteur administratif avaient la charge de l’entretien sanitaire du troupeau,
la ferme d’élevage de Fianga travaillait à la définition d’une nouvelle race bovine adaptée au pays, tandis que les
paysannats mettaient au point la culture attelée. Une lacune reste encore à combler, mais elle est importante :
la popularisation des jachères graminées e t des cultures fourragères d’assolement. Cette dernière étape sera sans
doute franchie lorsque les paysannats auront fait admettre par les paysans la nécessité de nourrir leur bétail.
L’action vétérinaire
Pour l’instant, les départements du hiayo-Kébj et du Logone forment un seul secteur vétérinaire dont les ser-
vices sont installés à Bongor et groupent une quinzaine d’infirmiers vétérinaires sous la direction d’un inspecteur,
docteur vétbrinaire. C’est peu pour les quelque 300 O00 bovins répandus principalement au nord d‘une ligne
Laï-Pala, mais présents aussi jusqu’au sud du département du Logone, soit en tout sur une étendue de 70 O00 km2.
L’action menée par le secteur ne peut être qu’une action de masse. Elle a porté essentiellement sur la lutte contre
la peste bovine et contre la streptotrichose.
Contre la peste, les centres de vaccination ont été créés dès 1934. Les animaux regroupés par centres distants
de 15 25 km étaient parqués dans des enclos d’épineux (zéribas) et recevaient à tour de rôle la visite d’un infirmier
qui les traitait au vaccin capripestique.
La lutte contre la streptotrichose a été entreprise plus récemment par bains parasiticides. I1 a été nécessaire
de construire des fosses, couloirs d’immersion (dipping tank) que les animaux franchissent à la nage dans un bain
de Cooper. Dès le premier bain, les tiques disparaissent, tandis que les plaques de streptotrichose sont cicatrisées
après un second passage qui favorise la repousse du poil. Le premier couloir d’immersion a été construit en 1954 à
Moulkou dans la zone de plturages en bordure du Ba-Illi, les autres sont construits ou projetés à Lallé (près de
Youhé), à Bongor, Biliam-Oursi e t Fianga.
Contre les affections microbiennes, l’action de masse n’est guère possible, mais la rapidit.é dans le signalement
des cas permet, en général, une action eficace lorsque les déplacements sont possibles. Les cas de péripneumonie
fréquents en saison des pluies, ceux de pasteurellose, surtout répandus autour du lac de Fianga, nécessitent une
action immédiate du secteur vétérinaire qui se heurte a u s dificultés de circulation de la saison des pluies. D’autre
part, les paysannats du Logone se plaignent de 1’éloignement du docteur-vétérinaire dont l’intervention rapide est
souvent impossible, alors que les nouveaux éleveurs de la zone sud auraient besoin d’un secours immédiat pour
être parfaitement convaincus de l’utilité, de l’intérêt d’un élevage associé. I1 est évident que les paysans
nouvellement convertis à la culture attelée ne pourront garder leur confiance dans cette nouvelle technique que
s’ils sont assurés de n’avoir pas à renouveler chaque année leurs attelages menacés par l’éloignement des services
vétérinaires.
La ferme a été implantée en milieu Toubouri, à proximité de Fianga. La population locale est habituée aux
bovins dont la race a été baptisée, elle aussi, Toubouri - parfois aussi race du Logone. Nous avons vu qu’il s’agit
d’un bétail de petite taille dont les individus ne dépassent pas les poids de 350-350 Irg, zébus arabes dégénérés,
mais parfaitement adaptés au climat. Ils ont les qualités d’une race standard particulièrement résistante aux
épizooties de saison des pluies. RlalgrB les qualités de cette race rustique, les Toubouri se laissent toujours tenter
par l’achat de bétail venu du nord du Tchad présenté sur les marchés de la région, principalement à Bongor le lundi.
Mais le climat soudanais à fortes précipitations de saison humide ne convient pas à ce bétail sahélien. Si bien que
les augmentations de cheptel réalisées par l’achat de ce bétail après les marchés de coton, c’est-à-dire avant les
pluies, sont très vite annulées par la forte mortalité des mois pluvieux. A la fin de la saison des pluies, le zébu
Toubouri constitue à nouveau l’essentiel du troupeau, le bétail venu du nord succombe aux péripneumonies et à la
pasteurellose i localisation intestinale ou pulmonaire. Ce bétail est mangé in exfremis e t même souvent après sa
mort. Mais la leçon ne sert pas et les achats se renouvellent au cours de la saison sèche.
Le service de l’élevage a voulu tenter l’expérience de la création d’une nouvelle race bovine adaptée au climat,
race rustique, modeste en nourriture dans une région où la presque totalité du terroir est consacrée aux cultures,
et pouvant bénéficier d‘une alimentation de complément assurée par les sous-produits de l’usinage des récoltes
(tourteaux de graine de coton, farine de riz). Le croisement des vaches Toubouri avec des taureaux N’Dama,
originaires du Fouta-Djallon et déjà implantés à la ferme de Mindouli au Congo (Brazzaville), doit permettre
d’obtenir une race stable, trypano-résistante, susceptible d’être introduite au-delà de la limite actuelle de l’élevage
bovin (1).
Actuellement, la ferme est en mesure de distribuer les métis de la première génération qui ont très bien supporté
plusieurs saisons des pluies et donné satisfaction comme bétail de labour. Pour que ce bétail soit bien suivi, sa
distribution n’est envisagée que dans le cadre des organismes structurés : fermes agricoles, paysannats, commu-
nautés villageoises. En 1961, la ferme avait déjà distribué 160 bovins sur Tikem, Daoua et Torrok. On peut seule-
ment regretter le principe de la distribution gratuite (exigé sans doute par le système de gestion de la ferme) qui
n’a pas de valeur éducative pour le paysan.
Aux côtés de cet élevage bovin, la ferme poursuit également un élevage modèle de porcs. Le milieu Toubouri
essentiellement animiste a très bien adopté l’introduction de l’élevage porcin qui donne une solution au problème
de l’insufllsance en lipides et en éléments carnés de l’alimentation. Les animaux sont des porcs de race limousine
importés. Leur réussite a été parfaite partout où leur élevage a été surveillé. Outre les fermes et les organismes
encadrés, la distribution s’est étendue iitous les villages demandeurs. Cependant cet élevage n’est pas sans poser de
problèmes : les porcs se sont révélés nuisibles pendant la saison des pluies. Leur gardiennage n’étant pas assuré, ils
ont causé de gros dégits a u s cultures. I1 faudra absolument que les villages trouvent un moyen pour éviter ces
dkprédations. I1 doit être possible de payer des gardiens avec le revenu très appréciable que peut laisser espérer
un troupeau bien soigné.
Un limousin de 100 kg donne 45 kg de graisse. Les laies donnent deux portées de sept par an et les jeunes porcs
atteignent facilement 70 kg sans apport de nourriture en un an. Vendue à 80 F le kilogramme, une portée de quatre
porcs rapporte, au minimum, 24 O00 F, c’est-à-dire six fois plus qu’une récolte de coton. Déjà les paysans les plus
avisés des paysannats de Torrok et de Daoua se sont assurés des rentrées de numéraire très confortables.
Enfin, la ferme vient de commencer la multiplication des volailles Sussex et Rhode-Island, les premières dis-
tributions de géniteurs ont commencé en 1961.
Le fait assez exceptionnel sous ces latitudes de la présence d’un élevage sédentaire juxtaposé à une agricul-
ture de moins en moins itinérante, conduit tout naturellement à l’idée d’une imbrication plus étroite des deux
activités, à la pratique d’un mixed farming bénéfique aussi bien à l’agriculture qu’au troupeau. Pourtant, la solu-
tion du problème n’est pas aussi simple qu’il paraît. Associer le travail du bétail à celui de l’homme exige d’abord
la possession d’animaux bien nourris, propres à fournir un coup de collier important au début de la saison des
pluies. Malheureusement, l’époque des labours vient précisément à la fin de la longue pCriode de sécheresse pendant
laquelle les bêtes ont subi un jeûne cruel que les déplacements à faible distance vers des pâturages surchargés
n’ont pas réussi à compenser. I1 faudrait donc que le troupeau reçoive pendant cette période un appoint de nour-
riture ensilée, amassée par la prévoyante activité de son propriétaire. Or, dans l’état actuel des techniques, il est
impensable de faire admettre par le paysan cette nécessité d’une culture destinée à des animaux ... à peine peut-il
mener lui-même, à la fin d‘une saison sèche qui ramène pour lui aussi les jours de disette, l’ouverture d‘une superficie
suEsante à assurer la nourriture en mil pour l’année à venir. Cercle vicieux qui serait difficile à rompre si la proxi-
mité d‘usines d’égrenage ou de rizeries n’était là pour proposer l’utilisation de sous-produits jusque-là inégalement
utilisés. Sans perdre de vue l’objectif à atteindre de cultures fourragères incluses dans la rotation des assolements,
il est possible d’assurer le démarrage de la culture attelée pay l’apport d’une nourriture indispensable au bétail
avant l’effort : graines de coton broyées, tourteaux des huileries, farine de riz. Solution de dEmarrage seulement,
car la graine de coton broyée et les tourteaux seront plus précieux par la suite comme engrais. Mais ce qu’il faut
réaliser tout de suite, c’est briser le cercle vicieux qui empêche l’extension des superficies cultivées. Lorsque
ce premier pas sera franchi, le paysan comprendra vite qu’il vaut mieux rkserver les dépenses à la fumure de ses
champs et nourrir ses bêtes avec le fourrage qui lui sera donné par surcroît après de meilleures récoltes de produits
commercialisables et de produits vivriers (1).
L’expérience peut être engagée tout de suite dans les terres asséchées des casiers protégés où l’extension des
superficies cultivées est souhaitable pour justifier les travaux entrepris et où elle ne fait. courir aucun risque d’accé-
lération d‘usure des sols.
Sur les terres sableuses exondites, nous avons déjà vu que la culture attelée ne peut &tregénéralisée sans que le
problème des fumures ait été lui-même résolu. C’est le rôle des paysannats de mener de front ces deux techniques
avec toutes les précautions qui s’imposent.
Nous venons de souligner à propos d‘élevage le lien évident qui s’affirme entre les progrès de l’agriculture e t
l’essor de l’industrialisation de toute la région. Une meilleure valorisation des sous-produits de l’égrenage du coton
permettra de meilleures conditions d’alimentation du troupeau, et la fumure des meilleures terres 4 coton ; en retour,
l’accroissement des rendements e t des superficies ensemencées permis par la fumure et la culture attelée augmen-
teront la production des usines d’égrenage, etc. Mais il faut que tout soit mené de front. Le pays ne peut pas per-
mettre que l’opposition ou le manque d’enthousiasme d‘intérêts privés puisse compromettre le démarrage certain
de toute une région. L’essor du pays suppose au départ une série d‘options économiques, c’est-à-dire, en fin de
compte, politiques, sur lesquelles nous aurons à revenir.
La pêche tres active le long des cours d’eau et dans les zones inondées n’a pas retenu sufbamment l’attention
des autorités administratives ou économiques, pour ne pas dire qu’elle a été complètement négligéé. Son double
aspect de moyen de subsistance e t de source de numéraire n’a été révélé q d à la suite des recherches méthodiques
du Centre $Etudes des Pêches du Tchad.
Du confluent Logone-Chari & Laï, la production commercialisée a été chiffrée à l’équivalent de 30 000 t de
poisson frais, ce qui représente un chiffre d’affaires de 450 millions de francs CFA. Production typiquement fami-
liale, puisque les 507 t vendues sur le marché de Fort-Lamy, de Janvier à Mai 1955, avaient été livrées par 850 per-
sonnes : environ 600 kg par vendeur en cinq mois, soit un gain moyen de 9 O00 F.
Les améliorations possibles de cette activité concernent deux domaines : celui des techniques de prise et celui
de la commercialisation des produits.
(1)i( La région de Mvuazi (Bas Congo) ne pouvait tenir plus d’un bœuf sur 7 ha de plturage; l’incendie methodique e t le parcage en rotation
permirent un bœuf sur 3 h a ; I’irlimination des arhustcs, le passage d’une tondeuse, la diffusion d’une légumineuse ont enfin autnrisé la densit6
d’un bœuf par ha. u P. GOUROU1961 (bl, p. 246.
L E B A S S I N D U I\lOYEN L O G O N E 2Sl
La plupart des engins ne travaillent pas A plcin rendement, car les réparalions de filets ou de pirogues cntraìnent
des arrêts de trois A quatre jours. Les filets, jadis fabriqubs avec la fibre de l’hibiscus, utilisent de plus en plus les
fils de coton importés. Ils restent cependant fragiles, surtout lorsqu’ils travaillent en traction. Les déchirures
entraînent des remaillages plus ou moins longs. Les populations du sud du bassin ont conservé l’habitude de rouler
les filins dans de la poudre de latbrite, commc ils le faisaient pour le fil d’hibiscus. La protection qui découle de cette
operation est de faible durée et en grande partie illusoire.
L’amblioration des filets semble pourtaiil aisée en remphCant IC fil de coton par un fil de Schappe de nylon.
D&,¡àle secteur forestier du Nord-Cameroun en a pratiqué l’expérimentation et les villa‘ges de pêcheurs bénbfi-
ciaires de l’essai ont 6té conquis par le nouveau matbriau. Le pris de revient lkgèrenient plus élevé du fil de nylon
est largement coniper3é par sa résistancp A l’abrasion et Q la rupture.
Les pirogues en usage sur le Logone sont importees du sud. I1 s’agit, soit de pirogues creusées dans un seul tronc,
soit de pirogues en planches grossière? cousues et calfatbes avec de l’etoupe e t de l’argile. I1 serait souhaitable de
libérer le pècheur tchadien du souci d’importation de sa pirogue de pêche en lui permettaiit de la fabriquer sur place
et d’obtenir un matériel à navigabilite améliorée, d’entretien moins onéreux et moins fréquent. Etant donné
l’absence presque totale de bois d‘ceuvre dans le bassin, il sera toujours nécessaire de l’importer du sud, mais sous
forme de planches sciees mécaniquement. On pourra alors construire des pirogues en planches clouées comme
celles qu’utilisent maintenant les pêcheurs du delta central nigérien. De telles pirogues peuvent porter plusieurs
tonnes et être propulsées par un moteur hors bord dont l’usage s’est également généralisé sur le Niger. Des
constructeurs venus du Mali pourraient initier les pêcheurs tchadiens à la technique de fabrication des pirogues
en planches clouées.
h é l i ~ ~ ~des
~ conditions
t i ~ n de commercialisation des produits
Les techniques de conservation du poisson sont essentiellement le simple sdchage au soleil et le fumage à
chaud. Le poissoii séché est, en général, consommé sur place ou vendu dans les marchés des zones non productrices
du bassin après un court transport. Le poisson fumé est plut6t destiné à l’exportation vers le Nigeria, le Cameroun
ou la République Centrafricaine.
Lorsqu’ils sont stockés sur place, les poissons séchés ou fumés se conservent facilement. E n effet, le séchage
est réalisé dans des conditions d‘hygrométrie et d’insolation très satisfaisantes en pleine saison sèche, lors des
grandes pêches industrielles. De même, le poisson fumé est suffisamment boucané pour que sa conservation soit
assurée pendant de longs mois.
?dais le transport effectué dans des emballages défectueux, les chargements et dbchargements fréquents, les
attaques d’insectes ichtyophages contribuent à dégrader le poisson dès qu’il est déplacé. Les pertes peuvenL atteindre
25 % du poids initial.
Par l’amélioration des emballages et les traitements insecticides du poisson, il est possible de réduire la marge
de perte à 10 et même 5 yo. L’obstacle majeur A la généralisation de ces procédés rCside dans la multiplicité des
centres et des groupements de pêche et de revente.
Le remplacement des emballages traditionnels en nattes cousues par des emballages de type moderne : boites
de carton, caissettes en lattes clouées, grèverait trop lourdement le pris du poisson de conserve pour qu’il puisse
garder sa place de produit de consommation courante. L’ef€ort est donc actuellement orienté sur une meilleure uti-
lisation des nattes.
Seul un cadre organisé spbcialement dans ce but peut permettre a u s améliorations envisagees de rentrer rapi-
dement dans les moeurs. C’est pourquoi le Centre d’gtudes des Pêches du Tchad a créé, en 1960, la Coopérative
des pêches du Bas-Chari. A l’origine, la coopérative ne groupait que les pêcheurs installés dans la région du confluent
du Chari-Logone et sur le bas Chari. Les Massa et les Iiossob, en déplacement temporaire, s’y sont trouvés intégres
a u s chtés des pêcheurs résidents Iiotolro. Mais, par eux, la coopérative a étendu son action jusqu’aux groupements
de pêcheurs sédentaires du bas et du moyen Logone, jusqu’à Laï.
L’ensemble des pêcheurs compris dans la zone d’action de la coopérative assure une capture annuelle de
100 O00 t de poisson, dont les 213 sont consommés frais, tandis que 30 O00 t environ sont séchees ou fumées. Ce
dernier chiffre pourra sans doute être augmenté lorsque la commercialisation du poisson aura été améliorée aussi
bien par les techniques que nous venons d’évoquer que par une meilleure tarification des transports.
PÊCHES TONNAGES 1968
-
En blanc : Tonnage commercialisé
C e carré = 100 tonnes
O 50 km
Le service des pêches a installé des postes de contrble dans tous les gros villages de pêcheurs des rives du
1,ogone ; les résultats de ces contrôles donnent les chiffres suivants (1):
Gamsaye . . . . . . . . . . 65 t
bfballa . . . . . . . . . . . 13 t
Katoa. . . . . . . . . . . . 7 t
Bongor . . . . . . . . . . . 166 t
Naheina . . . . . . . . . . . 33 t
Djaroaye . . . . . . . . . . 39 t
Ham . . . . . . . . . . . . 46 t
Djoumane. . . . . . . . . . 126 t 13 t vers Laï, Bongor, Pianga.
Éré. . . . . . . . . . . . . 220 t 72 t vers Domo, Gaya, Kélo.
Kim . . . . . . . . . . . . 259 t 33 t vers IGlo, Laï, RIoundou.
Béladjia . . . . . . . . . . . 40 t
. 1961 . . . . . . . .
1960
1959
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
i P‘: ,
259 t
235 t
eré
166 t
220 t
358 t
Djoumane
121 t]
126 t
La pêche, activité jusqu’ici négligée par les pouvoirs publics, peut prendre une place de choix aux côtés des
productions agricoles d’exportation et de l’élevage, si l’on considère que les 100 000 t de poisson frais capturés
chaque année entre Laï et Fort-Lamy représentent une valeur marchande de 1,5 milliard de francs CFA, c’est-à-
dire l’équivalent du tiers à la moitié de la production de coton.
E n outre, les coopératives de pêcheurs peuvent devenir, tout comme les S. E. M. A. ou les communautés
rurales, des centres d’éducation civique qui permettront aux riverains du fleuve de créer des communautés i solide
armature économique collective.
*
Si l’on essaie de jeter un regard d’ensemble sur les expériences, les tentatives d’amélioration des ressources
agricoles dans le bassin du Logone, il faut tout d’abord en souligner le caractere récent. 1952 marque l’entrée du
coton et 1954 celle du riz sur la rive camerounaise, ainsi que les travaux d’amhagement du Casier A au Tchad,
1956 l’ouverture des premiers paysannats.
I1 serait trop tôt de tirer des conclusions sur les transformations en cours ; néanmoins, il est possible de dégager
quelques enseignements.
Le premier de tous est sans aucun doute l’enseignement de prudence et de modestie que donne I’échec du
(( Casier A D. L’aménagement ne doit pas précéder la connaissance physique et humaine du milieu. A vouloir tra-
vailler spectaculairement sans assises scientifiques, on ne peut que risquer l’aventure. Les populations du (( Casier ))
auraient été plus rapidement éduquées si l’installation des paysannats avait précéd6 les endiguements, car il est
parfaitement inutile de récupérer des terres si l’on ne donne pas d’abord au paysan le moyen de les travailler en
augmentant sa capacité de travail.
D’autre part, la reussite des paysannats cotonniers semble dépendre dans une grandc mesure de leurs liens
avec l’industrie d’égrenage. La possession d’un attelage, d’une charrette ne prend son vrai sens que si leur utilisa-
tion est fréquente : labours, fagons culturales, certes, mais aussi transport du fumier B partir des étables, mais aussi
des tourteaux B partir des usines d’égrenage, et enfin transport du coton jusqu’aux centres d’achat. L’introduction
du coton au Cameroun peut se confondre avec celle des paysannats j il a été une culture (( éducative )I, car il est
venu en même temps que l’attelage et le fumier. On ne peut en dire autant, hélas ! du coton au Tchad.
La riziculture semble s’accommoder d’une semi-mécanisation sur les casiers anihagés. On peut se demander
s’il est nécessaire d’étendre cette mécanisation. Ne vaudrait-il pas mieux, dans une première étape, faire l’édu-
cation du riziculteur par le biais de la culture attelée... non point tant pour son riz que pour ses autres cultures ?
@,tendre la superficie des champs et les fumer, voili le but que l’on pourrait d’abord proposer aux habitants-des
S. E. RI. A. pour que le riz, le mil rouge, le (( berbér6 D, voire le coton, prennent place dans une polyculture toute
nouvelle pour certains cultivateurs, heureux bénéficiaires des larges espaces endigués.
L’élevage ainsi porte à de nouvelles fonctions exigerait alors une infrastructure du service vétérinaire plus
poussée, tandis que progressivement des bceufs trypano-résistants pourraient être introduits dans le sud du bassin.
La pêche organisée et encadrée en coopératives peut permettre un accroissement sensible des revenus des
riverains.
Mais ce serait une erreur profonde de penser que le seid progr& possible dans ces régions soit limite à l’agri-
ciilture. L’extension de l’unique industrie actuellement pratiquée dans les usines d’kgrenage doit être l’amorce
d’une indus trialisation plus poussée qui ne manque pas de perspectives encourageantes.
CHAPITRE XVI
Poser le principe d’une industrialisation, c’est poser le problème des sources d’énergie. Pour l’instant, le Tchad
n’a pas encore entrepris la recherche pétrolière systématique dans la vaste cuvette sédimentaire qu’occupa jadis
la mer paléo-tchadienne ; les recherches qui vont commencer pour le compte de la République du Niger dans la
partie occidentale du lac permettront de matérialiser les simples suppositions.
Mais déjà, en l’absence de toute source d’énergie, a pu se créer au Tchad une industrie d’égrenage du coton
animée par la combustion de la précieuse graine de cette plante. A l’époque de la création des usines d’égrenage,
vers les années 1930, il n’était pas facile de transporter le carburant ou le combustible jusqu’au cœur de l’Afrique et
la solution des locomobiles animées par combustion de la graine de coton était une solution économique et astu-
cieuse. Elle n’est plus ni l’un ni l’autre. Actuellement, ce sont des centaines de millions de francs qui sont ainsi
volatilisées par sclérose et impéritie. La valorisation des sous-produits de I’égrenage du coton devrait permettre la
production d’huile, de tourteaux et laisser de surcroît suffisamment de coques pour continuer à chauffer les loco-
mobiles.
Cependant, il est souhaitable que le Tchad trouve d’autres sources d’énergie. Par chance, le phénomène de
déversement du Logone en direction de la Bénoué s’opère par une brusque dénivellation du socle, susceptible
d‘&e aménagée pour alimenter une usine hydro-électrique, l’utilisation de cette force naturelle permettrait une
première industrialisation de la région du mayo Kébi, en attendant que par le pétrole ou par l’atome soit assuré
l’équipement énergétique du pays.
UNE INDUSTRIE BASÉE SUR L’UTILISATION DES SOUS-PRODUITS DE L’ÉGRENAGEDU COTON (1)
YO
Nous avons vu que la graine de coton restant après égrenage (60 du poids total environ) était pratiquement
gaspillée et que sa richesse en huile, la valeur des tourteaux étaient systématiquement négligées par une industrie
de base intéressée par les seuls profits attendus de la vente de la fibre de coton.
Après réserve de 15 % du poids total, pour graines de semence, les 45 yode la récolte étaient -ou sont encore -
en partie brûlés pour fournir l’énergie des groupes locomobiles des usines d’égrenage, le reste est dktruit par conibus-
tion à l’air libre à proximité des usines.
Ce n’est que dans la dernière décade que certaines usines ont broyé les graines inutilisées pour les livrer aux
cultivateurs. Or I’épandage d’une tonne de graine broyée équivaut à un apport de 20 kg d’azote ou à 100 kg de
sulfate d’ammoniaque susceptible d’améliorer le rendement des terres à coton de 25 à 30 %.
Les possibilités de triturage des graines augmentent encore leur valorisation : le décorticage des graines donne
en moyenne : 17 % d’huile brute ; 43 % de tourteaux ; 32 % de coques ; 3 % de linters ; 5 YOde pertes et résidus.
L’huile, une fois rafinée, est parfaitement comestible (2) et peut être commercialiske directement sur le marché
intérieur à des prix sans concurrence possible. Les tourteaux peuvent permettre une alimentation rationnelle des
troupeaux jusqu’ici négligés - voire servir à l’alimentation humaine. Les coques peuvent cette fois être brûlées et
fournir un combustible suEsant pour les chaudières. Les linters peuvent etre utilisés dans une industrie de fabri-
(1)Cf. MAUMON,1960.
(2) L’huile de coton est d’un usage courant dans tes classes populaires e t moyennes des villes brbsiliennes (P. MONBEJC).
286 J E A N CABOT
cation de couvertures. Une partie des résidus peut même servir, comme aux gtats-Unis, à consolider les pistes rou-
tières. I1 n’y a aucune mesure entre le gaspillage qui a duré trente années et une utilisation rationnelle des sous-
produits de I’égrenage.
Quelles sont les possibilités d’écoulement de ces sous-produits ?
La graine de coton est actuellement objet de commerce international. Celui-ci portait entre 1955 et 1958 sur
300 à 400 milliers de tonnes entre divers fitats d’Afrique et la Grande-Bretagne, l’Allemagne occidentale, le Japon et
l’ggypte. Le Tchad pourrait prendre place dans ce commerce dont il retirerait, dans des conditions d’exportation
mal commodes, un bénéfice de 20 4 40 millions selon les récoltes. Mais ces chiffres font apparaître le profit supplémen-
taire dont bénéficient les sociétés d’égrenage lorsqu’elles disposent de la graine comme combustible. I1 n’y a aucune
raison valable pour détourner de la pbche du paysan tchadien les quelque 30 à 40 millions de francs de graines
brûlées dans les locomobiles de la Cotonfran (1lrg de coton graine fournit l’énergie produite par GO à 75 g de gas oil).
Autre mode d’utilisation de la graine de coton sans industrialisation : le broyage et l’épandage sur Ics champs.
Le tonnage disponible (chauffe déduite) permettrait bon an mal an d’obtenir des augmentations de récolte allant
de 2 700 t. à 1 950 t, soit une augmentation des ventes de fibre allant de 70 4 50 millions. Ce mode d’utilisation
est donc déjà supérieur à une exportation pure et simple ou à une combustion - source d’énergie gratuite.
Pourtant l’usinage de la graine en huilerie présente, outre la valorisation du produit lui-même, l’avantage de
procurer au pays des réserves de matières grasses, de nourriture pour animaux ou d’engrais pour les champs, tout
en conservant la source d’énergie gratuite, par combustion des coques. Quelles sont pour chacun de ces sous-produits
les possibilités d’absorption du marché intérieur ou extérieur ?
Marché interieur
Huile de graine de coton : En 1950, les besoins du Tchad en huiles comestibles de toutes sortes étaient estimés
à 1 O00 t, la consommation familiale a partir des cultures traditionnelles de sésame ou d’arachides n’étant pas
chiffrée. C’est un chiffre bien faible (moins d’un demi-litre par habitant et par an) que la seule huilerie arachidière
de Fort-Lamy suErait à couvrir (1500 à 1 600 t d’arachides donnant 700 t d’huile revenant à 110 F le litre sortie
d’usine), mais à u n prix de vente très élevé pour le consommateur tchadien. L’huile de coton livrée en fûts de 200 1
pour le marché intérieur pourrait sortir d’usine à 45 F environ. Pour l’instant, la production de l’huilerie de Moundou
n’a servi qu’à abaisser les prix de revient de l’huilerie de Fort-Lamy en pratiquant un mélange des deux types
d‘huile. L’opération ne se justifie pas du tout par des exigences hygiéniques ou gustatives et contribue à fausser
la loi du marché en masquant le caractère économique de la production d’huile de coton et en freinant la vente,
maintenue à un prix encore trop élevé par l’huile mélangée.
Toz6rteaux de graine de coton : Sans tenir compte encore d’un débouché problématique pour l’alimentation
humaine, les tourteaux de graine de coton riches en matières azotées peuvent être employés sur place pour l’ali-
mentation du bétail ou comme engrais.
Alimentation d z h bétail : Incorporés à la ration journalière de certaines espèces animales à raison de 10 à 20 g
par kilo de leur poids, les tourteaux apportent aux bêtes des protéines, des lipides, du calcium et du phosphore.
Mais le cheptel tchadien ( 4 millions de têtes de bovins) séjourne dans la partie septentrionale du pays, assez
loin de la zone cotonnière, et son alimentation relève encore de l’élevage extensif. Les tourteaux destinés à I’alimen-
tation du bétail ne trouveraient de proches acheteurs que dans les paysannats et les fermes administratives du
secteur cotonnier. La C. F. D. T. a déjà familiarisé les paysans camerounais avec ce mode d’alimentation du bétail
(1 O00 t à 4 F le kilo). Quelques centaines de tonnes pourraient être utilisées ainsi dans la partie tchadienne du
bassin du Logone,
Engrais : Le tourteau de graine de coton apporte au sol 4 à 5 % de son poids d’azote, 2 % de phosphore,
1à 2 yo de potassium et des éléments minéraux : chaux, magnésie, traces de soufre. Des essais ont permis
L E BASSIN D U M O Y E N LOGONE 287
d’accroître les rendements du cotonnier de 50 % par un apport de 600 à 1 O00 kg de tourteaux à l’hectare selon les
sols. Avec un apport de 500 kg/ha, l’accroissement de rendement est d’au moins 30 y-,.
Une production de 10 O00 t de tourteaux permettrait de fumer 20 O00 ha (sur 280 O00 !). Les possibilités d’uti-
lisation sont donc largement ouvertes dans cette voie. I1 est évident que l’apport d’engrais devrait se faire sur les
terres donnant les meilleurs rendements, afin de faire porter l’accroissement sur la partie de récolte la plus inté-
ressante (1).
Or, la production du tourteau n’entraîne aucun frais. Sa vente ne peut être envisagée que dans une optique de
réduction du prix de revient de l’huile ou dans celle d’une capitalisation nationale orientée vers les investissements.
Le prix de vente du kilogramme de tourteau peut donc être décidé en fonction du but recherché par le plan d’orien-
tation économique : accroissement des gains du paysan, répartition du bénéfice entre les paysans e t les fonds d’in-
vestissements nationaux, contribution paysanne à la capitalisation nationale. Vendu à 2 F le Irilogramme, il lais-
serait 58 millions aux paysans ; vendu à 4 F, il ne leur laisse plus que 38 millions pour une encaisse aux huileries
de 40 millions.
Sous-produits divers : Parmi les déchets utilisables, 10 % du tonnage d’huile extraite sont constitués par des
soapstocks susceptibles d’alimenter une savonnerie.
Les linters (3 % du poids total à l’égrenage) exigent pour leur production l’installation de délinteuses. Leur
utilisation dans la fabrication de couvertures pourrait être étudiée.
Marchés extérieurs
Nous avons &cartéla possibilité d’une vente des graines de coton sur le marché mondial, car c’est la solution la
moins rentable celle qui se rapproche le plus des système de traite qui prive les pays anciennement colonisés d’une
matière première achetée à bas prix et valorisée à l’étranger au lieu de favoriser sa valorisation sur le sol national.
il1arché de Z’huile :Pour garder des prix compétitifs dans le commerce international de l’huile de graine de coton,
il faudrait arriver à des prix de vente compris entre 1,40 et 1,70 F le kilogramme (2), soit 70 à 85 F CFA. Le plus
gros acheteur d’huile de graine de coton est l’Allemagne occidentale (119 O00 t) en 1957 sur un marché mondial
de 231 O00 t. A 70 F le kilogramme, elle pourrait absorber plusieurs milliers de tonnes d’huile tchadienne.
Tourteam :La demande dépasse les possibilités de production, mais nous avons vu que le Tchad a tout intérêt
à utiliser lui-même ses tourteaux comme engrais. 11 vaut mieux pour lui retirer un surcroît de production de coton
fibre évalué à 78 millions plutôt que de vendre 38 millions de tourteaux à l’étranger.
Linters :I1 n’existe pas de marché européen des linters, mais, en attendant la création d’une usine de couver-
tures locale, les linters du Tchad pourraient être travaillés dans les usines du Congo.
En résumé, la création d’une industrie tchadienne d’huilerie offrirait des possibilités d’élargissement du marché
intérieur des oléagineux par l’abaissement du prix de vente des huiles proposées à la vente, elle laisserait une marge
intéressante de ventes d’huiles à l’étranger. Par contre, la production de tourteaux trouverait son entière utilisa-
tion dans le pays : contribuant à améliorer l’alimentation et les conditions de travail du bétail dressé des paysannats
et à augmenter sensiblement la production du coton graine par une élévation très sensible des meilleurs rendements.
L’exemple du Congo (Léopoldville) et du nord Cameroun est, à ce titre, encourageant.
Au Congo (Léopoldville), la production de coton graine à la veille des événements de 1960 était de deux trois
fois supérieure à celle du Tchad. A l’exception des réserves pour semis, la quasi-totalité des graines étaient traitées
en huilerie, grgce à un réseau de voies de communications plus commode. Les rendements obtenus en huilerie étaient
assez bas (12 à 14 yo du poids total en huile), mais le tonnage produit était de 8 O00 à 10 O00 t dont 5 O00 7 O00 t
étaient exportées. La totalité des tourteaux, sauf 2 O00 t, était exportée, soit de 24 O00 à 30 O00 t. Une partie des
linters était traitée sur place et 60 yo environ exportés sur 2 500 à 3 O00 t. La valorisation totale des sous-produits
de l’égrenage se montait, selon les années, de 675 à 850 millions.
Au Cameroun, l’huilerie annexée à l a puissante usine d’égrenage de Kaélé, a une capacité de 8 O00 10 O00 t de
graines et peut produire de 1200 à 1500 t d’huile et de 3 O00 i 4 O00 t de tourteaux En 1957-1958, sur les 16 SOO t
de coton graine usinées, 35 yo en poids de graines (5 900 t) ont été pressées à l’huilerie et ont donné 766 t avec un
rendement de 13 %. Dès l’année suivante, le rendement était porté à 15,6 yo du poids total et, sur 18 300 t de coton
usinées, l’huilerie produisit 1057 t.
Le problème de l’acheminement de l’huile exportée vers Douala a reçu une solution originale : l’huile est
amenée à Douala ou 4 Yaounde par tankers ayant servi à approvisionner le Nord-Cameroun en produits pétroliers,
(1) A titre d’exemple voici le classement drs superficita d’aprbs leur rendement (au Mayo ICébi) en 1957-58 :plus de 700 kg/ha : 1,s y!, - de
-
500 B 700 kg/ha : 17 ”/b -
de 300 à 500 kg/ha : 68 “/o moins de SOO kg :13 Oh.
(Cl J1 s’agit du Franc 1963.
288 J E A N CABOT
après rinçage spécial à l’usine de Kaélé. Cette pratique actuellement limitée aux camions tankers pourrait aussi être
appliquée aux wagons-citernes du Transcamerounais-Tchad. L’exportation de l’huile de Iiaélé absorbe 80 yo de
la production. Par contre, la plus grosse partie des tourteaux (les 2/3 de la production) reste employée au Cameroun
dans les expériences de paysannats.
La première expérience d’utilisation des sous-produits de l’égrenage du coton n’a été tentée au Tchad que ces
toutes dernières années. La mauvaise volonté ou le manque d’enthousiasme mis par la Cotonfran à exécuter les
devoirs du cahier des charges amena le Haut Commissariat de l’A. E. F. à lier la société par une convention passée
en Octobre 1955 et par laquelle était prévue la construction d’une huilerie d’une capacité minima de 150 h 300 t
d’huile. Une filiale de la Cotonfran, la Société des Oléagineux du Logone-Tchad (S. O. L. T.) (I),fut fondée la même
année au capital de 35 millions de francs CFA.
Mise en service en 1958, l’huilerie a assuré au cours de la campagne 1959-1960 une prodaction de 407 O00 1
d’huile à partir de 3 O00 t de graines. Cette huile a été vendue h 65 F le litre et 330 t de tourteaux ont été écoulkes
h 4 F le kilogramme, sur une production de 1000 t. Le rendement en huile, encore médiocre (12 %), pourra être
amélioré jusqu’à 18 %.
L’expérience de Moundou peut être élargie et étendue à de nouvelles huileries distribuées dans la zone coton-
nière, de façon à regrouper dans les meilleures conditions possibles les tonnages de graine disponibles, Ces créations
seront conditionnées par le pourcentage de graine usinable selon les récoltes et par le coût du transport de cette
graine depuis les usines sans huilerie jusqu’au centre régional où sera implantée l’huilerie.
Quelles seraient les quantités de graines disponibles ? Les chiffres diffèrent sensiblement selon que la récolte
est bonne, moyenne ou faible. En effet, dans l’optique actuelle, il faut déduire des 60 yo de graines livrées par Yégre-
nage la quantité stable de 10 O00 à 12 O00 t de semences et le tonnage utilisé comme source d’énergie des usines.
Ce tonnage varie avec celui du coton récolté ainsi que l’indique le tableau ci-dessous. I1 est certain que la dieséli-
sation ou I’électrification des usines sans huilerie permettrait de libérer d’importants tonnages. L’usine régionale
complète peut être animée par les coques résultant du décorticage.
La dispersion originelle des usines d‘égrenage de la Cotonfran est un handicap à la concentration des graines
vers une huilerie régionale. Cependant, les études menées dans ce domaine ( 2 ) semblent montrer que la solution
optimum pour l’implantation des huileries ne réside pas dans la création d’usines trop importantes. Le projet le
mieux adapté semble être celui d’usines traitant environ 10 O00 t de graines par an.
L’étude la plus poussée suggère la création de trois huileries : Moundou, Doba et Pala (ou Fianga pour des rai-
sons de disponibilités en eau). Chacune de ces usines pourrait disposer des graines de coton fournies par l’égrenage
réalisé dans un rayon maximum de 100 lim j ce tonnage allant de 2 000 t à 10 O00 t par usine, selon que l’on envi-
sage une très mauvaise récolte et la non-diésélisation des usines ou une bonne récolte avec récupération totale des
~ (1)Le groupe u COTONFRAN u : u CotonniPre Franco-Tchadienne au capital de 742 500 O00 de F. C.F.A. détient 98,7
- ~ __
du capital de
253 O00 O00 de la Société Pinnncihre e t Immohili6rc Franco-Africaine, elle m6mc dbtentrice dr 94,6 ”/o des capilnnx de In S.O.L.T.
(2) &fAUWOW, 1960.
LE BASSIN D U MOYEN L O G O N E 259
graines (diesdisation des usines). Dans le cas d‘une très bonne récolte, comme celle de 1960-1961 (1DO O00 t), les
trois usines proposées n’arriveraient pas à traiter les I 8 O00 t de graines de leur secteur.
La création de trois huileries de I O O00 t entraînerait un investissement total de 435 millions de francs (CFA)
dont 42 seraient consacrés à la diesélisation des usines. L’opération peut se mener en deux étapes : extension de
Moundou à 10 O00 t avec création de Doba et Pala-Fianga à 5 O00 t, puis extension à 10 O00 t de Doba et Pala-
Fianga. La rentabilité de l’opération serait certaine même pendant la période de remboursement des fonds investis
où le bénéfice net varierait de 39 à 98 millions selon la récolte. Au bout des années d’amortissement, ces chiffres
passeraient de 57 à 210 millions, soit de 3,4 à 7 F par kilogramme de graines traité ou 0,SO A 2,60 F par kilogramme
de coton graine récolté dans l’ensemble du Tchad. Techniquement, la réalisation du projet ne pose pas de problème
particulier. Financièrement, au contraire, I’État tchadien aura à choisir entre un mode d’investissement privé qui le
liera pour longtemps et entraînera un prélèvement continu de bénéfices - même après le remboursement des fonds
investis - et un mode de financement public laissant au pays le bénéfice total de l’entreprise.
La quantite de liquides importés comme boissons par le Tchad prend une place trop grande dans sa balance
des comptes : 21 O00 hl pour 264 millions en 1959, sur un total d’importations de 6 milliards, soit 4,4 %. A eux
seuls, la bière e t le vin représentent 200 millions d’importation avec respectivement 11O00 et 8 700 hl.
D’oÙ le projet d’installation d’une brasserie Moundou capable de produire jusqu’à 20 O00 hl de bière. Une
société de 300 millions de capital a été créée par le groupe U. A. C. Anglo-Hollando-Belge (80 yo du capital) et par
la S. C. O. A., la C. F.A. O. et la S. C. I<. N. (20 % du capital) (1).Cette brasserie serait approvisionnée en matières
premières étrangères : 2’70 t de malt et 5 t de houblon. Elle occuperait une centaine d’ouvriers e t serait contrôlée
techniquement par la société hollandaise Heinelren.
D’autre part, la réussite d‘un atelier de montage de bicyclettes à Moundou également, a encouragé les projets
de création d’une usine plus vaste dont la production aura de plus en plus l’occasion de s’écouler avec le dévelop-
pement cotonnier de la région.
La création d’une savonnerie annexée h l’huilerie déjà existante de Moundou permettrait d’assurer, dans les
débuts, une production de 10 t de savon par mois.
D’autre part encore, le lancement de la culture du dah comme fibre de toile de sacherie dans le casier nord
Bongor pourrait permettre la création d’une usine de filature et de tissage qui pourrait peut-être se jumeler avec
une usine de couvertures utilisant les linters du coton, soit 4 Bongor, soit h Fianga.
Les tuileries et briqueteries devraient pouvoir se multiplier à proximité des centres où la construction (( en dur 2)
s’étend chaque année.
I1 s’agit là d’un programme de réalisation immédiate qui pourrait être mené à bien en quelques années seule-
ment. I1 est évident que la possibilité pour le Tchad de disposer d’une source d’énergie naturelle faciliterait les
créations industrielles.
Le Tchad possède le rare privilège, parmi tous les États de la zone soudanienne voués à l’horizontalité de leurs
plaines semi-arides, d’inclure dans ses frontières le phénomène géographique trop rapidement baptisé (( capture
du Logone par le mayo Kébi D.Si le risque de capture est loin de devenir une réalité, le drainage des eaux de ruis-
sellement des plateaux de Pala et des eaux de déversement du Logone e t de la Tandjilé au coude d‘Eré en direction
du lac de Tilrem et par lui vers le mayo Kébi est un phénomène naturel et permanent. Or, le départ de ces eaux en
direction de la Bénoué s’organise Q partir de M’Bourao à l’altitude de 320 m, niveau des hautes eaux des lacs dits
(( Toubouri-Sud 1). A partir de M’Bourao, la pente en direction de l’ouest s’accentue brutalement. Sur une trentaine
de kilomètres, les eaux constitutives du mayo Kébi dévalent de ‘75 ni, par une série de rapides terminées par les
chutes Gauthiot dont la dénivelée totale n’est elle-même que de 14 m (Zj.
I1 semble, d’après les premières études faites sur le terrain, que la construction d‘un barrage de retenue, haut
de 25 m aux environs de la cote 300, où le resserrement de la vallée dans les roches cristallines offreun site favorable,
(1) S.C.O.A. (Société Commerciale de l’Ouest Africain) 30 millions de F (1963) détlent 80 % des MAGASINS du TCHAD (Tohamag) : Prin-
tania (19 millions C.F.A.) avec IC Printemps (20 %).
S.C.K.N. (Société Commerciale du Kouilou Niari) est une filiale du trust international UNILEVER.
(2) If. ROCHETTE Amimagement des chutes Gauthiot (campagne 1960) (19611.
A. BOUCHARDEAU (1959 b).
a90 JEAN CABOT
permettrait de retenir 600 à 650 millionS.de mètres cubes utilisables sous une chute de 70 m. Le débit moyen
régularisé permettrait une utilisation de 7 O00 h SOUS une puissance de 13 O00 à 14 O00 lcW, soit, en 7000 h, 90 i
100 millions de kWh.
Le problème de l’utilisation de la puissance installée sera facilité par la position frontalihre de l’usine hydro-
électrique. En attendant de pouvoir prolonger jusqu’aux centres éloignés la distribution de l’énergie, il sera possible
au Tchad d’exporter de l’électricité au Cameroun. La cimenterie de Bidzar, le complexe égrenage-huilerie de
Kaé& le centre camerounais de Maroua pourraient bénéficier de cette exportation. Sur le territoire tchadien,
l’électrification des usines d’égrenage de Léré, Monbaroua, Fianga, Pala, toutes situées dans un rayon d’une cin-
quantaine de lcilom&tres,permettrait de réserver à l‘usinage tous les sous-produits de la graine de coton aujourd’hui
stupidement brûlée dans les chaudières. I1 serait également possible de créer à Fianga une industrie textile utilisant
les linters pour la fabrication de couvertures et susceptible de lancer le tissage du dah pour la sacherie en atten-
dant de pouvoir filer e t tisser le coton lui-même (9). Le secteur du mayo Kébi pourrait devenir une zone industrielle
pilote à partir de l’utilisation logique d’une source d’énergie naturelle peu coûteuse à l’entretien une fois les inves-
tissements d’installation réalisés. I1 est certain que ce projet trouvera des détracteurs parmi les représentants
du grand commerce pétrolier qui préfèrent populariser le faux axiome de l’absence de sources d’énergie naturelle
pour mieux inféoder les pays soudanais à la politique pétrolière internationale. Le démarrage d’une industrie
nationale, premier élément d’une libération économique extra-coloniale, est pourtant subordonné à la mise en
chantier immédiate de ce projet. Sa réalisation mériterait d‘&treplacée en tête de tout plan de transformation éCo-
nomique du pays au meme titre que la création du débouché ferroviaire vers Douala.
I1 est regrettable que le projet de centrale électrique atomique iFort-Lamy ait été abandonné et que la solu-
tion pétrolière ait finalement prévalu pour l’extension de la centrale de la capitale. (Le surplus d’énergie fourni,
pendant les premikres années par la centrale réalisable aux chutes Gauthiot, permettrait d’alimenter Fort-Lamy
en énergie, mais au prix d‘une ligne à haute tension de 350 km à travers le Yareré camerounais). I1 n’y a donc pas
d’opposition à la mise à l’étude des deux projets dans la perspective d’une industrialisation future du Tchad.
(1)Pourquoi ne pas envisager aussi une usine inter-atats de fabrication de l’azote, ainsi que le suggere R. buAloNT, 1961, p. 153.
CHAPITRE XVII
Toute l’économie tchadienne est tributaire d’un système de desserte coûteux et insuffisant. Chaque tonne de
marchandise importée ou esportée est grevée d’une surtaxe d’acheminement entre les ports de la côte du golfe de
Guinée et le cœur du pays. En 1960, pour Moundou, ces frais de transport varient à l’importation de 11 O00 à
25 O00 F et à l’exportation de 12 400 à 21 O00 F la tonne. Pour Fort-Lamy, les prix vont de 12 O00 F minimum à
l’importation à 30 O00 F maximum à l’exportation. Sur un total de trafic extérieur annuel de 10 milliards de francs,
le coût du transport représente plus de 2 milliards, soit plus de 20 yo du mouvement de fonds.
Entre Douala et Fort-Lamy, le prix du sucre est majoré de 50 yo, celui de l’essence double, celui du ciment
fait plus que tripler :
I
I
1
1 t sucre 1 t essence 1 t ciment
Douala. .......
Garoua.
Port-Lamy.
.......
.....
55 000
71 O00
81 O00
i: WJ:
30 850
5 500
15 060
17 500
~~
L’extrême continentalité du Tchad a donc pour conséquence le coût très élevé des investissements. Avec la
même somme, on avait pu construire, entre 1953 et 1955, à Pointe-Noire, un lycée trois fois plus important que
celui de Fort-Lamy, avec un ciment qui coûtait trois fois moins cher. De même à l’exportation, les frais élevés
de transport du coton, inclus dans un prix de vente qui se veut compétitif sur le marché européen, ont pour consé-
quence un faible prix d’achat au producteur.
Par ailleurs, l’appartenance de la voie de la Bénoué et de la voie nigérienne à la zone sterling entraîne pour le
Tchad l’obligation de se procurer des devises dans une proportion équivalente à la moitié des frais de transports.
Dans le but de réduire cette hémorragie de devises, le maximum a été tenté pour orienter la plus grande partie
du trafic en direction de la voie congolaise, dite (( fédérale 1) par Bangui, Brazzaville et Pointe-Noire. Le plus gros
effort a porté sur l’acheminement du coton égrené pour lequel les quantités exportées par Pointe-Noire sont passées
de 27 % de la production totale en 1953-1954 à 70 yo en 1960-1961, ce qui, avec l’augmentation de la production,
représente en sept ans un accroissement de tonnage de près de 600 yo (3 596 t contre 21 140 t). Oans le même
temps, la voie nigérienne cédait la première place à la voie congolaise pour le tonnage importé. De 1957 à 1961, la
fraction importée par le Nigeria est tombée de 51 800 t à 36 O00 t, tandis que les entrées par la voie congo1a;se
passaient de 26 800 à 46 100 t. (1).
Ces progrès de la voie congolaise ont été permis par une politique systématique en faveur des transporteurs
tchadiens et oubanguiens, au détriment des transporteurs nigériens dont le rôle est prépondérant sur les trajets
Kano ou Jos-Fort-Lamy, mais au détriment aussi de la coopérative des petits transporteurs tchadiens, nombreux
surtout à Fort-Lamy et spécialisés dans les transports Maidougouri-Fort-Lamy. Cette politique a été concrétisée
par les améliorations sensibles apportées au réseau routier du bassin du Logone, essentiellement à la route Goré-
Moundou-Kélo-Pala-Léré. L’achèvement des ponts de Goré et Doba sur la Pendé, de Moundou sur le Logone,
d‘0uli-Bangala sur la Lim, de Léré sur le mayo Kébi et de Zalbi sur le mayo Binder, a permis de rendre cette route
praticable en toutes saisons de jour et de nuit. Bongor, étant relié à Fort-Lamy par une route exondée en toutes
saisons, il ne manque plus qu’une jonction de caractère permanent entre Bongor et le sud du 10e parallèle, soit par
Laï et Doba en utilisant le bourrelet de la rive droite du Logone, soit par Fianga et Gounou-Gaya en franchissant
le Logone par un pont près de Bongor e t en traversant le Cameroun le long du lac de Fianga.
De toute façon, la création coûteuse de cette infrastructure routière et la nécessité de son entretien, coûteux,
lui aussi, ne permettront pas d’obtenir des réductions de tarif suffisantes sur les transports routiers pour abaisser
fortement le prix de revient des marchandises importées ou exportées. I1 faut $’efforcer de réduire au minimum
les trajets par camion e t les remplacer par des transports de masse par voie fluviale ou ferroviaire. Or, les trajets
fluviaux ne peuvent guère être améliorés, soit que les têtes de navigation se trouvent très éloignées comme Bangui,
soit que le rythme des crues de la Bénoué interdise un usage prolongé d’un port fluvial comme Garoua. Reste le
chemin de fer.
La nécessité d’une voie de chemin de fer s’impose donc et, dans ce domaine, les projets rivalisent, certains concrè-
tement, d’autres sur le papier seulement. I1 est temps de prendre conscience que, bientôt, les chemins de fer nigé-
riens seront à la porte du Tchad. La voie Jos-Maiduguri avance régulièrement et bientôt son terminus ne sera qu’à
200 km de Fort-Lamy, offrant aux importations une voie de desserte permanente, rapide avec une seule rupture
x +
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X
x *+++++
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x
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e t C. ROBEQUMN,
(1)B. VV. HODDER 1959.
L E BASSIN D U N O Y E N LOGONE 293
de charge, mais échappant, comme la voie de la Bénoué au contrôle de la République du Tchad. Une fois achevée,
cette ligne va solliciter fortement le trafic d’approvisionnement de la capitale et une partie du trafic d’évacuation.
La coopérative des petits transporteurs tchadiens verrait dors son rôle de liaison Lamy-Maiduguri s’accroître
sensiblement (1).
La réalisation du projet de liaison Khartoum-Abéché par Nyala n’a pas le même caractère d’imminence, mais
il permet d’envisager déjà le ròle important que pourrait jouer Fort-Lamy sur une voie ferrée ininterrompue Lagos-
Port Soudan (2).
Deux autres projets se concurrencent dans la zone cotonnière : le Douala-Tchad et le Bangui-Tchad.
Douala-Tchad et Transcamerounais
Le projet de prolongement du chemin de fer Douala-Yaoundé en direction du nord a été successivement repris
par les Allemands jusqu’à la première guerre mondiale, puis par les Français qui, en 1930, confièrent la mission
d‘études ferroviaires (( Cameroun-Tchad )) à l’ingénieur en chef MILHAU.Le tracé prévu alors suivait la Sanaga jus-
qu’à Goyoum, puis la vallée du Lom et, par un col, atteignait la haute vallée de la M’Béré d’où une bifurcation
permettait d’atteindre Ngaoundéré à l’ouest e t Baïbokoum-Moundou à l’est. La crise économique mondiale des
années 30 ne permit pas la réalisation de ce projet.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, tandis que le Tchad s’orientait vers la recherche d’une liaison
ferroviaire avec Bangui, le Cameroun remettait avec peine son réseau ferré en état et favorisait même le dévelop-
pement d‘un réseau routier concurrent. Mais, lorsque la diesélisation eut ouvert de nouvelles perspectives d’amélio-
ration ferroviaire, les interventions des chambres de commerce intéressées se firent plus pressantes en faveur du
projet Douala-Tchad.
Une commission d’études du Ministère de la France d’Outre-Mer fit conduire sur place une enquête économique
dont les résultats furent encourageants. La rentabilité d’un chemin de fer à voie métrique (&O6 m) desservant le
nord Cameroun, le sud du Tchad e t l’ouest de la République Centrafricaine (alors Oubangui-Chari) s’en trouva
confirmée (3).
Mais, depuis cette étude, des gisements importants de bauxite ont été découverts au sud de Ngaoundéré dans
les régions de Martap et de N’Gaou ”Dal. L’étude d‘une variante pour le chemin de fer a permis d’établir un
nouveau tracé qui diffère de celui de la mission Milhau à partir de Goyoum. Au lieu d’emprunter la vallée du Lom,
il remonterait directement vers le nord en empruntant les vallées du Pangar et de la Vina jusqu’à Ngaoundéré
(705 km), le raccordement Ngaoundéré-Baïbokoum-Moundou étant laissé à la discrétion du Tchad. La réalisation
du tronçon Yaoundé-Goyoum (350 km) a été décidée en Juin 1961 sous une dénomination locale, qui exclut toute
idée de concurrence avec d’autres projets voisins : le (( Transcamerounais n.
Cependant, offre a été faite au Tchad d’une zone industrielle et d‘un port franc à Douala, ainsi que la partici-
pation aux conseils du Port et du Chemin de Fer. Une décision du Gouvernement du Tchad en Mars 1962 a été
adoptée en faveur de la liaison Tchad-Transcamerounais. (4)
D’après les études faites, les évaluations de trafic permettent d’envisager un prix de transport très compé-
titif : prévisions de 313 O00 t sur Yaoundé-Ngaoundéré et 144 millions de tonnes kilométriques dès 1970. Pour 1980,
les estimations s’élèvent à 568 O00 t et 271 millions de tonnes kilométriques. L’apport nouveau de trafic se réper-
cutera sur le tronçon déjà existant Yaoundé-Douala où le tonnage kilométrique atteindra 338 millions en 1970
et 545 en 1980. I1 conviendra d’ajouter à ces chiffres le trafic qui pourrait résulter de l’exploitation des bauxites
de Martap et N’Gaou-”Dal, soit 750 à 1 500 millions de tonnes kilométriques, selon le niveau d‘exploitation.
L’abaissement du prix de transport sera très sensible, puisque le transport d’une tonne de Moundou 4 Douala
s’élèvera de 6 950 à 9 030 F, selon que l’amortissement des charges financières de construction portera sur la moitié
des fonds ou sur leur ensemble. Nous avons vu que les prix les plus bas pratiqués à Moundou étaient 11 500 F à
l’entrée et 9 850 F h la sortie, par la voie de la Bénoué utilisable deux mois par an seulement. Les prix suivants
deviennent respectivement : 15 O00 F à l’entrée par la voie routière camerounaise et 13 100 F à la sortie par la voie
(( fédérale 1) (prix spécialement aménagés pour le coton).
Le Bangui-Tchad
L’idée d’une restructuration de la voie (( fédérale 1) se fit sentir dès le lendemain de la seconde guerre mondiale.
Mais le projet de chemin de fer Bangui-Tchad est né surtout des craintes que la réalisation éventuelle d’un Douala-
Tchad fit naître chez les compagnies de transport qui détiennent le monopole de fait du trafic routier ou fluvial
entre le Tchad et, le Congo. La C. G. T. A. (Compagnie Générale des Transports en Afrique) opposa alors au projet
camerounais l’idée d’un Bangui-Tchad, de conception modeste mais décisive, pour détourner vers Bangui l’essen-
tiel des tonnages du sud tchadien (en supposant sa réalisation acceptée à l’exclusion de toute autre). Le Bangui-
Tchad serait un chemin de fer à voie étroite (0,60 m). Le tracé de l’avant-projet joignait Bangui à Berbéré (sur le
Chari à 50 km en aval de BOUSSO, en 860 km par Boali, Bossangoa, Koulri et Doba). La traversée de la zone inon-
dable entre Logone et Chari utiliserait les bourrelets sableux orientés sud-nord entre les deux Ba-Illi, de Laï à
Berbéré. Le trafic escompté, de 100 millions de tonnes kilométriques, permeitrait de pratiquer un prix moyen de
5 F la tonne kilométrique et des prix inférieurs sur les transports à favoriser.
Les études sur le papier, puis sur le terrain, se poursuivirent activement de 1955 à 1958, tandis que les milieux
d’affaires usaient de leurs appuis politiques auprès des gouvernements locaux ni.s de la loi-cadre.
Cependant, le premier (( rapport Girard )) : le Doula-Tchad et l’A. E. F. (1)(1955), concluait en faveur de l’amé-
nagement d’axes routiers plutôt que ferroviaires en direction de Bangui, il éliminait la solution Douala-Tchad à
l’aide d’arguments très contes tables. L’argument majeur, aujourd’hui fort caduc, était la sauvegarde des intérêts
de la (( FédPration d’A. E. F. n. Le Tchad, en se contraignant à l’usage de la voie fédérale, permettait du même coup
de sauver du déclin : la C. G. T. A., le C. F. C . O. et les finances fédérales.
L’importante étude dirigée par M. G. SAUTTER, (( Le chemin de fer Bangui-Tchad dans son conteste économique
régional )) (2)’ constitue une mine de renseignements sur l’organisation du commerce et des transports du Tchad
et de la République Centrafricaine. Les cartes de partage de trafic et de prix soulignent bien 1’6cartèlement des
voies d’approvisionnement et d’évacuation au niveau du bassin du Logone. Selon les conventions de calcul adoptées
pour la determination des prix de revient des transports, les lignes de partage entre la voie fédérale, d’une part,
les voies nigérienne, de la Bénoué et routière camerounaise se situent et fluctuent autour de I<élo, Goré et Baïbo-
koum. L’ensemble de l’étude et de l’appréciation des trafics se base non pas sur des virtualités, mais sur les réalités
de 2957, réalités routières, fluviales et ferroviaires existantes. C’est dire que les comparaisons de prix e t de i‘e‘par-
tition de tonnages ne font pas intervenir les données nouvelles qu’apporterait la réalisation du Bangui-Tchad,
encore moins celle du Douala-Tchad. Aussi, les conclusions de l’auteur sont-elles prudentes. Elles soulignent l’im-
portance d’un bon choix du tracé, faisant remarquer que la solution envisagée Bangui-Berbéré favorable à la liaison
la plus directe vers Fort-Lamy risque de se raccorder difficilement aux régions situées à l’est du Chari, qu’une
production d’arachide pourrait tirer du vide économique. G. SAUTTER (3) pense que les tonnages transportés sur
l’axe Tchad-Pointe-Noire ne pourront pas s’accroître indéfiniment et qu’il serait (( dangereux d’escompter, à la
suite de la construction du Bangui-Tchad, un progras géographique spectaculaire de la voie fédérale aux dépens
de ses rivales ( 4 ) n. I1 est évident que la construction, maintenant décidée, du Transcamerounais placera la voie
fédérale dans une situation de plus en plus dificile pour assurer Yévacuation de la production cotonnière du
bassin du Logone, Car (( on aura beau faire, il restera toujours que Pointe-Noire n’est pas le débouché (( naturel ))
du Tchad )) (5).
Les options politiques en faveur de l’un ou l’autre des projets précédents ont, Bvidemment, passionné l’opinion
des milieux économiques tchadiens entre 1958 et 1962 (6). Le Bangui-Tchad, avec le soutien des (( milieux inté-
ressés 11, était arrivé à créer l’unanimité des services en sa faveur. C’était pourtant la plus aberrante des solutions,
ou, pour être plus nuancé, la solution à n’envisager qu’en dernier recours. Au nom du maintien de l’ancienne u voie
fédérale I), le Tchad se serait laissé entraîner dans une réalisation peu conforme à ses intérêts : quadruple rupture
de charge à Berbéré ou à Doba, puis à Bangui, Brazzaville et enfin Pointe-Noire ; allongement de l’accès à la mer
jusqu’à Pointe-Noire, plus de 1O00 km supplémentaires par rapport aux autres voies (sans compter le trajet mari-
time Pointe-Noire-Douala ajouté automatiquement à cette voie) ; forte contribution à une construction dont la
plus longue partie se trouvait sur le territoire du Tchad, enfin, pour couronner le tout, l’adoption de la voie de 0,60 m
qui n’aurait jamais pu se raccorder à aucun autre réseau.
Le Douala-Tchad, voie la plus directe et la plus rationnelle reliant le Tchad au port qui est son débouché
naturel, était écarté pour des raisons d’ordre politique aujourd’hui caduques (en 4 ans à peine), SOUS prétexte que
le statut du Cameroun indépendant n’était pas le même que celui du Tchad lié à la Communauté. Raisonnement
sans aucune valeur logique, car l’évolution de l’Afrique Centrale est inscrite dans la géographie et non dans les
fictions de frontières ou de statuts héritées du régime colonial. La coopération économique Tchad-Cameroun-Cen-
trafrique est une nécessité qui, tôt ou tard, bousculera les fictions ou les interdits du néo-colonialisme. Si l’Afrique
~
(1) R. GIRARD,1955.
(2) G. SAUTTER1959, a e t h.
(3) G.SAUTTER, 1958, cartes XXI e t XXII.
(4)du même : p. 296.
(5) id.
(6)JUZEAU,1959.
LE BASSIN DU NOYEN LOGONE 295
veut vivre vraiment indépendante, il faudra qu’elle s’organise logiquement et non dans la nostalgie de structures
anciennes qui lui furent imposées. Le Tchad n’a pas à se faire le sauveteur d’une voie ex-fédérale qui n’a jamais
réussi à s’imposer réellement. Le salut du Tchad ne dépend pas de la réussite financière des sociétés de transport
sur le Congo-Oubangui, ni d’une gestion satisfaisante du Congo-Océan. La politique à suivre en matière de voies
Chemin de fer
DE FT LAMY
IFleuve
PORT-HARCOURT
1580
Route
LAGOS
1920
1970 R
;U
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1400
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GAROUA i BURUTU
1820 1
420 1400
1480
1350
POINTE-NOIRE
2490
Les richesses agricoles du bassin du Logone et leurs possibilités d’amélioration, les extensions industrielles
réalisables dans un proche avenir, l’ouverture d’une voie permanente de desserte massive et rapide ouvrent au
Tchad des perspectives économiques encourageantes. Mais ces progrè? posent les problèmes jumelés de l’animation
du milieu rural, d’une part, des possibilités d‘investissement, d’autre part. Loin d’être étrangères l’une à l’autre,
les solutions de ces problèmes sont étroitement imbriquées. Leur réussite dépend, à la fois, d’une planification
bien calculée, mais aussi e t surtout de la création d’un état d’esprit général où la prise de conscience par les masses
paysannes de la nature de l’effort à réaliser et de l’importance du but à atteindre permettra de donner le (( coup
du départ )) ila transformation du pays.
Les efforts actuels du gouvernement tchadien pour impulser ce démarrage se heurtent à deux problèmes
majeurs : le manque de cadres e t le manque de capitaux, qui ne peuvent être rapidement résolus que par des voies
énergiques, prononçons le mot : révolutionnaires. A la lente progression des élites, il faut adjoindre une action de
masse contre l’ignorance et l’analphabétisme par la mobilisation de toutes les capacités au service du pays tout
entier, par l’intervention dans l’éducation du peuple de tous ceux qui possèdent déjà des connaissances et se doivent
de les communiquer à leurs concitoyens moins favorisés. Pour garder au pays les capitaux que le travail de ses habi-
tants fait prospérer, il faut que soit instauré progressivement, mais sans faiblesse le contrôle total du commerce
extérieur. Enfin, pour compenser l’investissement trop lent des capitaux dtrangers, il faut réaliser une autre mobi-
lisation : celle des énergies, et remplacer toutes les fois qu’il sera possible l’investissement argent par l’investis
sement travail.
jeune élève de son monde rural originel, mais le former pour qu’il soit réellement en mesure de le faire progresser
dans l’ordre technique et économique. Ceci nécessite une totale révision de la conception même d’un enseignement
qui se dit ((humaniste)), mais qui, en réalité, accroît d’abord le mépris du travail manuel (1).)) Ce qui ne veut pas
dire que tous les lettrés devront retourner à la terre! hfais ce qui signifie que les deux tiers des enl‘ants d’aujourd’hui
perdus pour toutes les activités pourront, même en cas d’abandon prématuré de leurs études, être récupérés par leur
milieu d’origine pour le plus grand profit des communautés. Cela suppose évidemment que l’école devienne autre
chose qu’un simple institut de la lecture et du calcul. Cela suppose une école tournée non plus vers l’enregistrement
de notions théoriques (le problème des robinets posé à des enfants qui ne connaissent que le puits ou le marigot),
mais vers des savoirs e t des tours de main pratiques (le filtrage de l’eau du marigot avant le problème de sa distri-
bution par robinels); les notions élémentaires sur l’élevage des bovins e t des ovins avant la découverte de la famille
des plantigrades; le cycle de l’azote étudié au paysannat plut8t que sur le livre.
Le point le plus dificile à faire admettre par presque tous les responsables de l’instruction publique des jeunes
États africains est certainement celui de l’aménagement nécessaire des programmes en vue de leur adaptation aux
besoins pressants de l‘Afrique.
S’il est nécessaire de repenser certains aspects de l’enseignement élémentaire, il n’est pas moins nécessaire de
revoir certains programmes de l’enseignement secondaire. Ce n’est pas la place ici de débattre cette question au
fond, mais pour nous limiter à un exemple qui aura frappé tous les professeurs de géographie ayant exercé en
Afrique Noire : e s t 4 normal qu’un &lèvede l’enseignement secondaire, en sept ans d’études, n’entende traiter de
son pays que dans les fractions de leçons consacrées à l’Afrique tropicale ? C’est-à-dire, en mettant les choses au
mieux :une heure en classe de troisième et deux heures en classe de première sur les 300 heures qu’il aura consacrées
à la géographie durant sa scolarité. Comment s’étonner alors que les bacheliers africains soient plus aptes à disserter
sur les transformations attendues de l’aménagement du canal du Bas-Rhône-Languedoc ou de la création du com-
plexe sidérurgique d’Acier-sur-mer plutôt que de l’endiguement du Logone ou de la valorisation de la culture du
coton au Tchad ?
Lorsque le problème de l’adaptation de l’enseignement aux besoins du pays est posé, il ne s’agit nullement
de proposer un (( enseignement au rabais B; il s’agit réellement de décoloniser Z’école africaine pour en faire l’élément
moteur de l’essor du pays. Répétons-le, jamais les certifiés, les brevetés ou les bacheliers formés à l’école du centra-
lisme napoléonien exaltant les vertus bureaucratiques et intellectuelles ne seront aptes à résoudre les problèmes
d’animation de leur pays, problèmes agricoles d’abord, industriels ensuite, ou les deus à la fois, ces élèves ont trop de
mépris pour la vie paysanne et pour le travail technique. On ne saurait le leur reprocher, ils ont été obligés de
suivre la filière d’un enseignement mis au point dans une Europe du x ~ x esiècle qui avait déjà résolu les problèmes
agraires devant lesquels l’Afrique ne fait qu’arriver.
I1 faut donc trouver des solutions révolutionnaires qui permettent la mobilisation de toutes les compétences
au service de la lutte contre l’ignorance et l’analphabétisme. Les plans possibles, les projets ne manquent pas. Ils
ont tous des défauts et des qualités, mais ils ont tous pour l’instant la même tare : aucun d’eux n’est appliqué.
Certes, il est dificile de prendre des décisions aussi graves de conséquences pour l’avenir d’un pays. I1 est encore plus
grave de n’en prendre aucune. En ce domaine, celui qui n’avance pas recule, et les 12,8 % de scolarisés de 1961
(sur 600 O00 enfants) risquent de n’être plus que les 9 ou 10 % des 800 O00 enfants de 1975.
Sans nuire à l’enseignement complet actuellement implanté, nécessaire à la formation des cadres du pays, la
recherche d’un enseignement de masse doit mobiliser toutes les élites de la nation susceptibles de transmettre leurs
connaissances. L’exemple donné en 1961 par Cuba, où Y(( année de l’éducation )) a supprimé l’analphabétisme dans
l’île, devrait pouvoir être imité partout en Afrique. Mais un tel élan ne peut être donné (( à froid D. I1 faut qu’un
souffle révolutionnaire soulève le pays, que celui-ci prenne son destin ibras le corps, les élites donnant l’exemple.
La transformation du pays ne se fera pas en bureaux garnis de climatiseurs, en faux cols et en soulier vernis, mais
avec beaucoup de sueur, en short et en samaras (2), au milieu de la masse paysanne dont les élites doivent être
le levain, en partageant sa vie, ea lui éclairant le chemin. La lutte contre l’analphabétisme et l’ignorance n’est donc
pas seulement l’affaire d’un ministère, elle est l’affaire du gouvernement tout entier, de tous les services, du diTecteur
de ministère au planton de brousse. Comment peut-elle être conçue et animée ? C’est ce qu’il nous faut voir
maintenant.
L’animation rurale
Le gouvernement tchadien s’est déjà préoccup’éde ce problème, auquel il a cherché à apporter des solutions de
types divers. L’expérience des paysannats est l’une de ces solutions ; par l’exemple, l’éducation des paysans adultes
est en train de se faire :les réussites enregistrées ont déjà permis au mouvement de faire tache d’huile, et souvent les
responsables de paysannats ne peuvent répondre à toutes les demandes d’attelage qui leur proviennent de villages
parfois très éloignés de leur centre. Du point de vue du fonctionnement, ces paysannats sont peu coûteux pour le
budget de l’État, qui n’a à sa charge que les frais d’encadrement et les bitiments, toutes les prestations aux paysans
se faisant par avances du Crédit du Tchad. Ils peuvent constituer les noyaux de futures coopératives de consomma-
tion e t de production dans la mesure oh les lettrés des villages seront amenés à apporter leur contribution à cet
important moyen de transformation des campagnes. Nous touchons là un des problèmes majeurs de l’animation
du milieu rural : la coordination indispensable de tous les services représentés au niveau du village, qu’il s’agisse
d’agriculture, d’enseignement ou de santé.
Le manque de cadres qui se fera sentir encore longtemps dans le pays exige que soit repensée la formation dcs
fonctionnaires destinés à servir (( en brousse 11, c’est-à-dire la majorité d’entre eux. Conçus à l’image des services de
l’ex-métropole, les départements techniques créés par l’administration coloniale ont travaillé chacun pour soi,
contribuant à la spécialisation excessive des rares cadres que chacun d’eux arrivait à former. Durant mes séjours
au Tchad, j’ai toujours entendu les chefs de ces services se plaindre du manque de recrutement pour leurs écoles de
moniteurs, de conducteurs ou d’infirmiers. L’admission dans ces écoles se faisant au niveau du Certificat $Etudes
et les besoins de chaque service s’accroissant chaque année, il est aisé de comprendre que les quelques centaines de
certifiés ne suffisaient pas.
Or, chaque année, l’école renvoyait dans leurs foyers un nombre aussi important de recalbs au Certificat ou
d’élèves éliminés par manque de place dans les Cours RIoyens. Nous avons vu que ces malheureux étaient perdus
pour le progrès du pays, malgr6 un début certes peu efficace dans la voie de l’instruction. Pourquoi ne pas prévoir
pour ceux-là une nouvelle voie basée sur un enseignement plus pratique ? Ces enfants savent lire, écrire, compter
pour avoir été admis à suivre le cycle complet ou partiel de l’enseignement primaire, pourquoi vouer tout cet
acquis à un oubli plus ou moins certain ?
C’est le mérite du service des éducateurs ruraux que d‘avoir compris la nécessité de former des animateurs
polyvalents aptes à mener de front l’enseignement du français élémentaire, l’apprentissage de la culture attelée et
l’éducation sanitaire. Ces éducateurs ruraux pourraient être, aux côtés des directeurs de paysannats ou dans les
villages actuellement démunis d’école et d’infirmerie, les coordinateurs ou les défricheurs de l’éducation de base.
Cependant, les premières promotions constituées de très jeunes gens ont fait ressortir la dificulté d’une telle coordi-
nation lorsque ceux-ci se sont trouvés en présence de collègues de l’enseignement, de l’agriculture ou de la santé,
en général plus anciens qu’eux dans le métier.
Cela ne condamne pas la formule, qui paraît excellente. Elle pourrait, au contraire, être améliorée et prévue à
deux degrés :
l o Degré élémentaire : formation d’animateurs recrutés sur la base que nous venons de dégager : jeunes gens
ayant suivi les classes de l’enseignement primaire, mais ayant échoué au Certificat. Pour ceux-là, une formation
de plusieurs années devrait, tout en améliorant la culture générale reçue, augmenter leur bagage par des connais-
sances élémentaires mais solides en matière agricole e t sanitaire. Leur emploi à la sortie de l’école d’animation
serait destiné aux villages actuellement sans cadres. Ils pourraient tenir, aux côtés des notables, un rôle de secré-
taires d’é tat civil, de moniteur agricole, d’cc alphabétiseurs )) e t d’infirmiers-premiers soins. Pour que leur efica-
cité soit phis grande, il conviendrait de les nommer dans un village de leur ethnie pour que le contact avec la popu-
lation soit immédiat.
20 Degré supérieur : la formation polyvalcnte serait donnée à des cadres plus igés et plus expérimentés au
cours de congés spéciaux qui pourraient coïncider pour les fonctionnaires de l’agriculture avec la morte-saison
et pour les enseignants avec la période des grandes vacances. Le passage dans un stage de formation d’éducateurs
devrait entraîner pour ces fonctionnaires une promotion pour les meilleurs agents de l’agriculture, de l’enseigne-
ment e t de la santé. Ils pourraient alors s’imposer plus rapidement dans des villages plus importants auprès des
autres fonctionnaires et des chefs de famille. Le diplônie de sortie de stage entraînant une sensible amélioration de
carrière assoirait leur autorité et ferait d’eux les véritables coordinateurs indispensables.
C’est dans la même optique qu’une société privée avait proposé au gouvernement tchadien un programme
qui différait assez peu de celui des éducateurs ruraux. A la suite d’une analyse convenable de l’économie et des condi-
tions de vie tchadiennes, la S. O. G. E. P. (Sociétd Générale d’Études e t de Planification) avait conclu à la nécessité
pour le Tchad d’impulser le progrès rural par la création de communautés villageoises ainsi définies : un groupe-
ment de communautés villageoises est une entité démographique, sociologique et économique de 30 O00 à 50 O00
habitants. Chaque village ou unité d’habitat groupant de 500 à 1 500 habitants environ est érigé en communauté
villageoise pour répondre aux buts suivants :
- animation à la base pour entraîner les villageois dans la voie du progres j
t
300 JEAN CABOT
L’investissement-travail
L’exemple de IGm est fort utiIe. Il donne une idée précise de l’effort de renovation rurale qui pourrait être
entrepris sous l’autorité de cadres polyvalents spécialement entraînés à la détection des problèmes à résoudre dans
les villages et à la recherche des solutions pratiques susceptibles de recueillir l’adhésion des habitants et leur parti-
cipation active. I1 ouvre des perspectives encourageantes sur l’adoption éventuelle par le Tchad d’une recette efi-
appelé encore inves-
cace pour pallier l’insuffisance des investissements financiers titrangers : l’inoestissemeizt-tm~ail,
tissement humain.
Nous avons vu que l’une des caracléristiques de l’économie traditionnelle, à peine modifiée par l’adjonction
d‘une culture de traite, était le sous-emploi des travailleurs agricoles immobilisés pendant une longue partie de
l’année par la rigidité d‘un climat qui leur impose un système de cultures limité à la saison des pluies. Les cultiva-
teurs de mil repiqué de saison sèche (Toubouri, Foulbé, Kouang) et les groupes pêcheurs ne sont que des exceptions
trBs partielles à cette loi de (( chômage déguisé 1). 11faudrait ajouter à cette somme de temps perdu toutes les Bnergies
dépensées jour après jour à transporter (( à tête )) les récoltes des champs aux cases, à piler le grain dans les mor-
tiers rustiques, à tirer l’eau des puits et, évidemment, à travailler la terre avec les instruments archaïques qui
limitent l’emprise au sol. (Pl. XX, A, B, C).
Les améliorations attendues de l’énergie animale ne devraient pas se limiter à la traction des charrues et des
charrettes. Le bétail, correctement nourri, peut aussi tirer l’eau du puits e t arroser des cultures de saison sèche
par un système de noria; il peut aussi broyer le grain sous la meule tournante et libérer ainsi l’homme et la femme
de ces travaux routiniers.
Pourtant, il ne faut pas attendre que l’attelage soit partout introduit,- encore moins faut-il attendre l’arrivée
des engins pour entreprendre la transformation du pays. Les deniers que l’Etat arrivera à dégager pour les inves-
tissements doivent être consacrés en priorité aux réalisations qui nécessitent un outillage ou un équipement ìmpos-
sible à trouver dans le pays même. Nombre d’ouvrages peuvent être réalisés par la seule mobilisation des p o p
(1) J. CABOT,1953.
L E BASSIN DU MOYEN LOGONE 50%
lations iiitdressées A leur édification. Les aménagements hydro-agricoles sont de ceux-là. A la coirteuse utilisation
d’engins de terrassement pour la réalisation du easier A OU des casiers du S. E. M. R. Y., devrait succéder le labo-
rieux travail de construction de diguettes, travail auquel les populations sont habituées et pour lequel suffiront les
indications des ingénieurs du Gépie Rural, afin que les constructions traditionnelles, anarchiques et d’efiçacité
restreinte, deviennent des aménagements collectifs placés sous la responsabilité et. la gestion de5 communauté$
villageoises. Ainsi, la création des casiers rizicoles des plaines dei Déressia, l’amelioration du drainage des dépres-
sions de la Tandjilé ou de la zone gré-Loka pourraient passer sous le contrôle dç responsables ruraux polyvalçnts,
chargés la fois d’animer les villages au moment de la réalisation et d’intéresser les csmmunautts à rantretien at
& la protection des travaux.
La leçon chinoise doit servir pour l’Afrique N, comme le dit justement R, DUMONT. LL La Chine et plus paths-
tiquement encore la houe chinoise, le fléau d’épaule et son panier de paille tressée qui charrie la terre, )’infime
brouette qui, dérisoire mais inlassable, s’attaque à l’knormité des lendemains, qui transforme, jour après jaur,
peine après peine, d’échec en succès, de succès en échec, la misère en puissance, le travail en ciyilisatirm, @& le
tracteur ne peut assumer le départ : 1’ infanterie )) des nations débutantes doit démarrer tput de suite avec les
outils qu’elle possède déjh )) (1).
La longue période d’inactivit6 de la saison sèche devrait permettre le regroupement des villageois pour la réali-
sation des aménagements ruraux d’irrigation, d’assèchement, de protectioq par digues, & constructiqn d’écples,
de foyers de village, d’étables collectives. Cette mobilisation est facile dans les zones de fort peuplement où l’entre-
tien des routes, l’urbanisation des villages et les travaux hydro-agricoles deviendront, en fait, une gestion commune
du patrimoine collectif. Mais les zones de faible peuplement exigeront l’intervention massive de groupes de travail
déplacés, Pourquoi, dans ce cas, ne pas envisager pour tout le pays une sorte de service civique des jeunes gens,
regroupés pendant la saison sèclie dans des camps où le travail laisserait un temps sufisant zi Yalphabétisation et
à I’éducation civique. Cela permettrait d’atteindre un double but : réalisation immédiate d’un travail collectif
dans une région sous-peuplée et éducation des jeunes qui seraient rendus à leurs villages plus conscients de la valeur
des tdches collectives et de l’utilité d’un minimum d’instruction. Le service civique des jeune$, en brassant les ethnies,
en permettant un travail d’explication et de persuasion auprès des couches les plus actives du pays, perqettrait
d’insuffler rapidement un esprit nouveau propice à l’essor du monde rural.
Mais cette (( mobilisation civile )) de tout le pays risque fort de ressembler au (( trayail forcé Y des années de
la colonisation. Elle deviendrait effectivement cela si les travaux demandés A la masse paysanne p’avqieqk d’autre
but que de diminuer le coût des investissements des entreprises étrangères destinées à $tre les bh8ficiaires de
l’opération. I1 doit exister une voie permettant d’éviter cette dénaturation de l’effort collectif, une solutioq apte &
donner au plan d‘action du gouvernement un véritable sens national propre à Soulever l’adhésion des masses.
Mais,cettevoieétant trache, le plan d’action bien délimité :extension de l’action des S. E. M. p.,des paySapqats,
industrialisation progressive, création d’un barrage hydrpélectrique, ouverture de voies de communication, açor~is-
sement de l’effort budgétaire de l’gducation Nationale ; pour que la réalisation de ce plan devienne ,l’,a&irq de
chaque citoyen, il ne suffira pas d’exiger, il faudra expliquer, expliquer sans relache pour obtenir l’adhésion spon-
tanée des exécutants. I1 faudra donc sortir des bureaux, des comités politiques, il faudra aller a exhorder la brousse n.
Tous ceux qui ont la lourde charge de conduire le pays vers un mieux-être : ministres, préfets, fonctionnaires,
militants du Parti Progressiste Tehadien doivept se faire les éducateurs de leurs concitoyens et payer d’exemple
en prenagt les mancheroiis de la charrue dans un nouveau paysannat, en faisant la première classe de la nouvelle
école, en se faisant pour un jour les aides-infirmiers d’un nouveau centre et même en prenant le plus souvent pos-
sible la pelle et le petit panier lors de l’ouverture d’un chantier d’aménagements ruraux. En retroussant leurs
manches de chemise pour contribuer, toutes les fois qu’ils le pourront, à la peine de ceux qui poursuivront le travail
de longue haleine, ils montreront que le pays tout entier s’intéresse à la réussite de la nouvelle entreprise. Pour
souligner le rôle majeur de l’investissement-travail, ils ne passeront jamais à proximitk d’un chantier sans venir
apporter leur coup de main 6s qualité. Le passage des projets imprimes aux actes est le devoir le plus pressant
des dirigeants politiques.
Si cette mobilisation des energies n’est pas un nouveau moyen pour les capitalistes étrangers de réaliser le
maximum de bénéfices aux moindres frais, les travaux collectifs permettront alors une véritable capitalisation
nationale propre à dégager les tranches de budget jusqu’içi consacrées aux travaux de terrassement ou d’hydrau-
lique pour les reporter sur Bes secteurs où l’investissement en capital est nécessaire :équipement des usines, du réseav
ferré, de la centrale des chutes Gauthiot. Alors, la masse paysanne, éclairée par ses responsables, ne confondra pas
les travaux d’intérêt national avec les corvées de l’ancienne administration coloniale. En voyant ses dirigeantg
donner l’exemple, la confusion ne sera plus possible. L’esplication et l’émulation feront le reste, les transformations
du petit village de Kim en attestent.
(1) R. DIJXONT
1961,p. 214-215.
23
302 J E A N CABOT
hécessaires à l’essor du pays, il est indispensable qu’il contrôle le commerce extérieur. Seule une aut,orité unique
se référant en permanence aux besoins e t aux limites fixés par le plan économique peut assurer la r6alisation et la
réussite de chaque secteur de ce plan. ToTt en assurant aux entreprises Btrangères installées dans le pays la garantie
d’un bénéfice convenu, le contrôle de l’Etat sur tout le commerce extérieur permet de fixer, 4 l’entrée comme à la
sortie, les prix de revient réels, les prix de vente autorisés et de tenir un compte Btroit des bénéfices réalisés par ces
entreprises. La tenue régulière des camptes de la balance des importations et. des exportations permet, en outre,
a l’gtat d’orienter ses marchés en fonction des nouvelles propositions de prix favorisées par la concurrence étran-
gere et de sortir peut-être de circuits commerciaux que le régime plus ou moins voilé de l’exclusif colonial semblait
avoir définitivement établis.
’ ’ Seul un contrôle total de I’économie et de la monnaie permettrait au pays de mesurer exactement et de mettre
fin la ponction de capitaux réalisée annuellem3nt au profit de l’étrangar. Cette solution, qui peut paraître pré-
maturée & certains, peut se concevoir à 1’Bchelon régional, c’est-&-diredans un bloc de républiques d’économies
complémentaires ayant une même optique financihre et disposant d’un libre accès à la mer.
I1 est certain que, pour un ‘temps encore assez long, le Tchad ne pourra exporter que des produits ayant subi
une faible transformation, donc de faible valeur marchande, alors qu’il sera obligé d’acquérir des produits fabri-
qués hautement valorisés par l’usinage. Cette position ddfavorable dans le marché mondial demeurera incommode
si la diffBrenceentre les prix de ces deux sortes de produits s’accroit encore ainsi qu’ils l’ont fait ces dernières années :
u Les prix des produits de base ont, dans l’ensemble, diminué ces dernières années, alors que les prix des produits
manufacturés entrant dans le commerce international augmentent sensiblement. Les prix relatifs des produits
‘manufacturés par rapport, aux produits de base exportés par les pays en voie de d6veloppement ont augmenté de
près de 20 yo entre 1956 et 1961 (1). ))
L’obligation d’un choix impérieux parmi les produits importés : choix sur la na ture des produits à importer en
première nécessité, choix des fournisseurs les plus avantageux, n’en demeure que plus impérative et seul le contrôle
total. du commerce extérieur permet de réaliser ces options. D’autant plus que certains produits de l’agriculture
ou de l’élevage tchadiens peuvent être proposés sur le marché ouest et centre-africain Q des prix sensiblement plus
bas que leurs équivalents étrangers. Si l’on prend l’exemple de la viande de boucherie ou du beurre tchadiens, il
est certain qu’ils peuvent aisément rivaliser avec les produits européens dont le prix est de trois à cinq fois plus
élevé. On peut seulement s’étonner que le Tchad consacre une trentaine d i millions par an à 1’acha.t de viande e t
de beurre européens alors qu’il est en mesure de fournir aisément le marclié à des prix sensiblement plus bas. I1 en
sera de même demain avec l’huile comestible importée à un prix double du prix de revient de l’huile locale extraite
de la graine de coton.
En 1959, les sommes déboursées pour l’achat de 36 t de beurre étranger étaient supérieures à celles encaissées
pour la vente de 127 t de beurre local.
’
I1 peut paraître puéril de dégager ainsi des économies de 10, 13 ou 16 millions, mais chacune de ces sommes
économisée chaque année permettrait la création d’usines nouvelles, génératrices elles-mêmes de nouvelles éco-
nomies : savonneries (44 à 5s millions de savons importés), conserveries de lait (17 à 20 millions importés), conser-
Produits Années
Tonnage
exporié
Valeur
en millions
CFA
Prix au hg
/I importé
Tonnage
Valeur
millions en
CFA
Prix
flu lcg
veries de viande (25 à 38 millions), conserveries de poisson (12 à 15 millions), brasseries (110 millions). Chaque
élimination d’une importation devenue inutile grâce à la création de l’industrie locale correspondante permettrait
à la longue l’accumulation suffisante pour accéder à la grande industrie textile où I’économie à l’importation se
chiffrerait d’un seul coup par centaines de millions (500 millions pour 1 O00 t de cotonnades importées).
La nationalisation du commerce extérieur pourrait être réalisée progressivement, en fonction des possibilités
d’encadrement, chaque branche passant SOUS conbble devan1 être entithement organisée avant que celui-ci s’étende
à un nouveau secteur. La création de l’Office du Commerce Extérieur pourrait donc se faire par étapes. Pour plus
de commodité, elle pourrait débuter au Tchad par le contrôle des exportations massivement groupées sur quelques
produits, en tête desquels le coton se taille la plus grande part.
Le coton, objet du monopole d’achat de la Cotonfran est, en totalité, exporté après égrenage. La convention
cotonnière, renouvelée après l’Indépendance, a rendu le gouvernement tchadien propriétaire d’un certain nombre
d’actions de la compagnie. La Caisse de Stabilisation des prix du coton régularise le marché en compensant les
variations du cours mondial de la fibre. L’Jhat encaisse également une taxe sur le coton export& I1 s’agit donc d’un
commerce déjja contrôlé en partie, mais sur lequel l’emprise de l’gtat peut encore être accrue. En effet, le rôle
d’tsportateur de la Cotonfran peut très bien être repris par un office d’exportation, la Compagnie d’égrenage
n’intervenant, en somme, que pour un travail à façon sur le coton graine set remettant à l’0Ece le coton usiné.
Ainsi l’Office Tegrouperait toutes les fonctions jusqu’ici assumées séparément par la Caisse de Stabilisation, les
services douaniers et la Compagnie cotonnière.
Pour la viande e t le paisson exportés, Yétablissement d‘un contrôle à la sortie des abattoirs et de la coopé-
rative de conditionnement du poisson pourrait également être étudié. La question la plus délicate à résoudre serait
certainement celle du contrde des passages clandestins de frontière par le bétail sur pied.
A l’importation&la nationalisation du commerce ne pourra se faire que plus lentement, étant donné la plus
grande complexité des échanges. Elle pourrait commencer par les secteurs les plus importants : sources d’energie
(essentiellement pétrolière), machines-outils, moteurs, véhicules, matériaux de construction. Elle s’étendrait pro-
gressivement jusqu’à couvxir la totalité des échanges. Le réseau intérieur de distribution des produits serait constitué
par les grossistes et des détaillants nationaux ou étrangers qui accepteraient de travailler à la revente dans les
conditions de bénéfice fixées par le Gouvernement.
I1 ne semble pas que le profond réveil de la (( brousse tchadienne )) puisse être obtenu sans qu’une orientation
nette en faveur de l’indépendance économique soit prise par ses dirigeants. Certes, une telle décision exige du cou-
rage, elle indique pour tous une voie d’austérii8 à laquelle toute la nation devra se plier du plus petit au plus grand,
et les privations à rkaliser seront, certes, plus dures pour ceux qui se seraient trop vite laissés aller au mirage des
fausses valeurs de la civilisation. Pour beaucoup, il faudra savoir choisir entre le luxe d’importation e t les vraies
valeurs africaines. Mais le plus grand mérite ira à celui qui, aejoignant la nation au travail saura, lui aussi, prBférer
l’amertume doucehtre d’une calebasse de bière de mil à la bouteille de whisky, la (( 2 CV )) à la (( Mercédès n, l’eau du
fleuve filtrée à l’eau d’$via, ou à l’eau Perrier, le beurre de Massakori au beurre danois. Chaque cocktail-partie
économisée, chaque climatiseur inutile à celui qui s’habille simplement, chaque économie sur le luxe assureront
dans le pays la création d’un nouveau dispensaire, une distribution de médicaments, l’achat de livres et de cahiers.
I1 ne s’agit pas de produire des générations sacrifiées comme le craignaient parfois les élèves du Collège de Bongor
ou du Lycée de Fort-Lamy, auxquels je tenais de pareils propos. Générations sacrifiées par rapport à quoi? Par
rapport h l’ignorance et à la pauvreté qui sont encore le lot de la majorité des habitants du pays ? Certainement
pas. Par sapport alors au mirage, déjà évoqué, (des fausses valeurs que les représentants de la colonisation ont
étalées parfois sous les yeux des Africains? Seule une éducation orientée en fonction des besoins reels du pays peut
représenter un bien réelpour tous. I1 faut que la jeunesse ait le courage de choisir des spécialisations utiles au Tchad :
agronomes, pédologues, g&ologues, techniciens, ingénieurs, e t une fois la formation achevée, rentrer rapidement
au pays qui attend. M. P. GOUROU, optimiste quant à la profusion des richesses naturelles du monde tropical,
redoute seulement que celui-ci n’ait pas assez d’hommes pour les mettre en valeur : (( Les ressources de l’Afrique
tropicale sont dans la dépendance de la quantité de science consacrée à leur connaissance e t à leur exploitation.
Si cette quantité augmente, les ressources s’accroissent; qu’elle diminue, les ressources se restreignent 1) (1).
La vieille sagesse et l’esprit communautaire africains, jomts à la Connaissance objective des nécessités écono-
miques du monde moderne, peuvent armer de solides gknératìons de jeunes Abicains, décidés à tirer leur pays du
retard où 1’8volution du monde l’a laissé. Les pays du moyen Logone, que nous venions de perdre un peu de vue,
pourraient être alors un champ magnifique ouvert à leurs entreprises et B leurs audaces.
En concluant cette étude de géographie régionale qu’il a voulue dynamique, l’auteur découvre le côté ambitieux
de son entreprise à la mesure des insuffisances de son développement. L’image des structures traditionnelles
- reconstituée parfois avec difficulté - souffre d’une certaine sécheresse d’analyse qui estompe quelques aspects
de la vie d’une société que le lecteur aurait peut-être souhaité voir vivre plus directement. A trop partager la vie
des gens que l’on étudie, on finit par ne plus distinguer ses manifestations les plus caractéristiques et les actes de la
vie quotidienne ne semblent plus mériter mention.
L’étendue du domaine étudié aura donné parfois l’impression que certains secteurs avaient été moins bien
étudiés que d’autres, et c’est la stricte vérité. De même, certaines questions n’ont pu être qu’effleurées - souvent
faute d’enquêtes spécialisées - en particulier, la diététique, l’hygiène, la démographie.
Cet ouvrage n’est donc pas et ne pouvait pas être exhaustif. Par ses insuffisances, reconnues ou inconscientes,
il devrait inciter de nouveaux chercheurs à la découverte d’un pays attachant par la simplicité de ses mœurs et
l’humanité de ses gens. Tel qu’il est, cependant, il nous permet de dégager quelques conclusions provisoires qui
pourront servir de point de départ à de nouvelles études.
Au seuil du xxe siècle, les populations du bassin du moyen Logone vivaient dans une économie de type pré-
féodal caractérisée par une production familiale de stricte subsistance (1) écartant tout besoin d’échange du fait
de la similitude des productions entre groupes voisins et de l’absence de toute surproduction échangeable. Ces
deux dernières caractéristiques avaient, du reste, une influence réciproque et bouclaient un circuit fermé respon-
sable du retard de I’évolution des techniques.
Cette même civilisation de type paléonégritique basée sur une culture plus ou moins extensive et sur la libre
disposition des terres entre membres d’un même groupe, se retrouvait sur toute l’étendue de la bande soudanienne,
de l’embouchure du Sénégal aux rives du Nil. Contrairement à la forêt et au désert faiblement peuplés, cette zone
présahélienne portait par endroits, et dans des conditions naturelles parfois identiques, parfois différentes, des
densités humaines relativement élevées, grâce 4 l’équilibre établi par les agriculteurs entre l’étendue de leurs besoins
vivriers et les possibilités de régénération des terres cultivées. Les contacts séculaires entre groupes, de genres de
vie différents, avaient permis la cohabitation plus ou moins pacifique de pêcheurs, d’agriculteurs, d’éleveurs que ce
soit dans les bassins du Niger, du Logone ou du Nil blanc. Dans le bassin du Logone, nous avons pu inventorier
plusieurs types d’exploitation du sol allant de la culture quasi permanente sur les mêmes terres (double cycle de
récolte des Toubouri) & la rotation des cultures avec longues jachères (sur les terres sableuses exondées du sud du
bassin) en passant par la monoculture traditionnelle des Massa sur les buttes aux sols fumés plus ou moins consciem-
ment. L’élevage pratiqué par certains groupes restait, cependant, strictement dissocié de l’agriculture, si bien qu’en
dépit des efforts des paysans pour tirer le meilleur parti des sols et des espèces cultivées, la production stagnait
un niveau médiocre suffisant à assurer bon an mal an la seule subsistance du groupe.
Quelles causes faut-il incriminer de ce retard ? I1 est aussi facile et aussi peu scientifique d’invoquer des déter-
minismes d‘ordre racial que des déterminismes d’ordre physique. Rien n’est aussi simple. En fait, les peuples des
régions soudanaises doivent le retard de leur évolution à tout un faisceau de causes que nous avons déjà évoquées
sous l’expression malsonnante d’ (( historico-géographiques)),mais qui n’ont pas toujours, ni toutes, été déter-
minantes.
Certes, nous l’avons vu, le climat impose la règle implacable de l’alternance des saisons avec ce temps mort
pour la végétation que représente la saison sèche. Mais nous avons vu certains groupes utiliser les qualités des sols
argileux pour prolonger leurs cultures au-delà de la saison des pluies avec les mils repiqués. De même, la submersion
des terres restreint l’aire cultivable, mais elle favorise, par ailleurs, la prolifération et le développement de toute une
(I P!
. G,EORGB1963, p. 199, estime que l’on peut baptiser ainsi une économie qui consacre plus d e s deux tiers du sol et du travail des
productions d autoconsommation. Ici il était possible de parler de 95 à 100 % d’autoconsommation.
L E BASSIN D U MOYEN LOGONE 305
faune aquatique, source de pêches fructueuse pour les riverains. Les sols ferrugineux tropicaux de la partie sud du
bassin présentent le grand désavantage d’une érosion rapide lorsque le défrichement des jachères arborées se répète
à un rythme trop rapide, mais les populations qu’ils portent avaient su préserver l’équilibre nécessaire entre leur
mise en culture et leur repos. Les conditions démographiques résultant de l’absence de soins et d’hygiène et les
ponctions importantes réalisées par les trafiquants d’esclaves rejoignaient l’archaïsme des techniques agricoles
pour limiter la déforestation et maintenir ainsi l’équilibre nécessaire à la reconstitution des savanes arbustives et
des forêts sèches.
Mais pourquoi cette stagnation des techniques ? Pourquoi ce repli économique sur le petit groupe familial ?
Les contacts entre civilisations n’ont pourtant pas manqué entre la frange méditerranéenne et le Soudan, d’une
part, entre celui-là et les côtes atlantiques, d’autre part. Pourquoi l’attelage, la roue, la force motrice des cours d’eau,
le simple (( chadouf )) ne sont-ils pas venus sous ces latitudes soulager l’effort de l’homme ? Pourquoi le petit élevage
sédentaire traditionnel n’a-t-il pas été associé à l’ag&&“ie ?
I1 faut bien admettre que les rapports établis entre les civilisations méditerranéennes e t les peuples du Soudan
n’ont pas permis cet échange fructueux de techniques, cette pénétration de l’Afrique Noire par les habiletés et les
tours de main méditerranéens. Les contacts entre les zones intertropicale et subtropicale ont été limités au com-
merce, à des commerces bien particuliers : ceux de l’or et de la gomme d’abord, celui des esclaves ensuite. La péné-
tration des peuples pasteurs dans le domaine soudanien n’a pas apporté non plus la révélation de l’attelage, car les
pasteurs n’avaient nul besoin de la charrue, il leur suffisait de troquer les produits de leur troupeau contre du grain.
Lorsque les empires soudanais se sont constitués, leurs rapports avec les populations lrirdi ont été essentiellement
de domination, de pillage, de traite humaine. Pourquoi les paysans auraient-ils cherché par une amélioration des
techniques à emplir leurs greniers au-delà de leurs besoins, se sachant exposés sans cesse au pillage intégral de leurs
biens ?
Les conditions historiques de l’évolution des peuples paléonégritiques nous semblent donc peser d’un poids
aussi lourd que les conditions naturelles parmi les causes de leur non-développement. Restées à l’écart des grands
axes de propagation des découvertes, des perfectionnements rendus nécessaires par l’accroissement des échanges,
les populations paléonégritiques de la zone soudanaise ont simplement tiré le meilleur parti du cadre naturel qui
leur était dévolu, se contentant de survivre face aux razzias et aux pillages.
Le partage de l’Afrique par les puissances européennes allait par une brusque accélération faire passer ces
régions d’une organisation économique de type archaïque à l‘économie marchande, par l’introduction du régime
colonialiste de la traite. Régime qui consiste i acheter le produit de l’effort du travailleur avec un argent que l’on
est certain de récupérer par l’intermédiaire du commerce d’importation. I1 permet de réaliser un double bénéfice :
d’abord, à l’achat de la marchandise de traite, ensuite sur les produits d’importation vendus pour éponger l’argent
distribué. Cet argent ne fait donc que passer dans le pays, il n’y reste pas, il ne crée pas de richesse locale.
Certes, il faut porter à l’actif de la colonisation son rôle pacificateur qui mit fin aux exactions guerrières des
empires féodaux esclavagistes. La disparition de l’empire de Rabah et la mise au pas des lamido foulbé de l’Ada-
maoua et du Mandara mirent un terme au brigandage tumultueux de leurs bandes en pays kirdi. Désormais, l’exploi-
tation du pays au profit du commerce étranger pouvait se dérouler dans le calme et l’organisation de l’administration
coloniale.
La recherche d’une économie de marché a entraîné l‘introduction de la culture du coton dans le bassin du
Logone, comme dans tout le sud du Tchad et dans les régions oubanguiennes. Cette culture nouvelle a-t-elle permis
l’essor des techniques agricoles ? Nous avons vu que les conditions de son lancement sur le territoire du Tchad,
comme culture supplémentaire obligatoire, avaient accru le rythme des défrichements, particulièrement dans le
sud du bassin, sur les terres les plus menacées par l’érosion et la mise à nu des cuirasses (1).Aucune amélioration
des techniques agricoles (exception faite des changements d’espèces des cotonniers) n’avait été introduite jus-
qu’en 1956, alors que l’administration, utilisée comme force d’encadrement disposant de pouvoirs de coercition,
poussait sans cesse à l’extension des superficies cultivées, tandis que la Compagnie cotonnière, peu encline aux inves-
tissements, tardait à moderniser ses usines d’égrenage et perpétuait le gaspillage des graines de coton.
Si l’on essaie de faire le bilan de cinquante ans de colonisation pour cette région, on constate que tout l’effort
des services administratifs et agricoles a abouti à la création d’un revenu monétaire annuel nioyen de 4 O00 F CFA
par planteur et de 2 O00 F par habitant, au prix d’un danger réel pour les terres sur lesquelles les jachères ont été
écourtées, au prix d’un surcroît de travail qui n’a pas contribué à éduquer le cultivateur, mais qui l’a souvent rendu
hostile à la culture nouvelle. Est-ce B dire que le coton doit disparaître sous prétexte qu’il n’a été qu’une culture de
traite conduite dans un seul but spéculatif ? Certes non. Le jeune Gtat du Tchad a besoin de cette culture commer-
ciale pour équilibrer sa balance des comptes. On peut seulement regretter que l’apport agricole des services colo-
(1)a Le système de la traite se caractérise par le peu de souci accordi a u s conditions mBmes de la culture, RU mode de production, du rende-
ment a l’ha et par la faible part du prix de vente revenant au producteur. D Ch. ROBEQUAIN, 1949.
306 ’ J G k N CABOT
niaux n’ait pas ét6 une occasion de progres pour la masse paysanne. La leçon doit servir, elle a déjà. ét6 tirée par le
Cameroun, elle le scra, espérons-le, dans tous les paysannats. Le coton doit être intégré à la révolution agricole sur
les terres du Logone, comme il l’a étê dans le departement du Diamaré. Le caton doit aussi contribuer à créer
une capitalisation nationale. La poursuite de sa culture doit permettre de dégager les capitaus nécessaires à
l’industrialisation du pays.
La fureur cotonnière de l’encadrement europeen fit longtemps négliger une culture paustant bient à sa, place
dans les plaines amphibies du Logone : le riz. Celui-ci ne fit son apparition qu’au moment où Ics difficultés de ravi-
taillement de la seconde guerre mondiale obligeaient l’Afrique à ravitailler elle-mtime ses villes. Depuis, le ria a pris
sa place comme eulture commercialisable, mais il entre aussi de plus en plus dans la consommation courante des
producteurs. Progressivement, il a: jou6 le même r6le que le coton comme culture imposée susceptible d’assurer un
revenu monétaire a u s populations des zones inondables.
Le développement de ces cultures imposées a permis la mise en route du cycle de l’argent au profit du commerce
d’importation. La création d‘une Bconomie de marchë permettait aux entreprises étrangères de s’assurer le retour
de la masse d’argent dbversée sur le: pays & l’occasion des achats de coton e t de paddy. Le commerce extérieur de
la région a ét6 caractérisi dès son départ par la shparation organique des entreprises d‘exportation et d’impor-
tation, à la dBérence du systgme de traite habituel qui draine vers les mêmes compagnies le ramassage des produits
de base et la distribution des marchandises importhes. Ce partage financier du domaine import-export n’a pas
empbche‘ la concentration des moyens de transports, ici, essentiellement routiers. Le quasi-monopole du transport
de coton fibre à l’exportation par la plus grande compagnie routière a placé celle-ci en position privilégiée paur
enlever les contrats de fret à l’importation (essentidlement suc la voie oubanguienne).
La concentration des commerces d’importation, d’expmtation et de transport sous la directian d’entrepnises
étrangères a freiné la naissance d’une classe marchande locale. La place laissée au petit revendeur, au petit trans-
porteur, a même été réduite par l’extension du reseau de boutiques des grandes sociétés, si bien que l’on ne peut
même pas parler d’un embryon de classe houngeoise régionale.
D’autre part, la faiblesse des investissements industriels dans la région a limité le développement d’une classe
ouvrière aux quelques noyaux usiniers nés de l’égrenage du co8on et disséminés à travers le pays.
Lorsque le courant d’émancipation anticolonialiste a atteint le Tchad, le sud du pays, autour de Fort-Archam-
bault mais aussi de Moundou, a été le plus vivement mobilisé dans une hostilité générale contre les abus et les
injustices qui pesaient sur la masse paysanne.
Le pard progressiste tchadien (P. I?. T.-R. D. A.) qui exprimait le plus clairement les aspirations anticolo-
nialistes, regroupait essentiellement le petit nombre de lettrés formés par I’école publique et certaines missions
(surtout protestantes) : commis, secrétaires, enseignants, tandis que l’administration coIoniaIe s’appuyait sur les
forces conservatrices représentées par les chefferies, traditionnelres ou inventées par elle, et Ieurs clients intêressés
ou soumis ( I ) .
Lorsque la puissance coloniale dut brusquer subitement le processus d’accessian à Pindépendance politique,
la transmission des pouvoirs se fit à des cadres africains encore mal préparés à les assumer. La tendance fut donc,
pendant un certain temps, au simple remplacement des responsables d’ans les charges créées pour les besoins d’une
administration coloniale. Momentanément, Ia proclamation de Yindépendance polhique du pays semblait avoir
comblé toutes les espérances fondées sur la décolonisation.
En fait, tous les problèmes restaient posés et, peu à peu, les nouveaux dirigeants découvraient que l’indé-
pendance politique ne résolvait pas tout. Les questions économiques qui commandent I’avenir du pays attendaient
toujours une réponse, car cette indépendance purement nominale laisse en place les structures économiques de
l’époque coloniale. La dépendance du pays reste totale vis-à-vis du marché extérieur des produits tropicaux,
vis-à-vis des capitaux étrangers qui contr8lent l’exploitation des productions agricoles ou le commerce ïntérieur
et qui transfèrent la plus grosse part ae leurs profits vers l’Europe.
I1 ne sera pas aisé d’appliquer les solutions radicales susceptibles de libérer Ie pays de l’aliknation économiquc
assurée par le maintien des structures financières de I’époque coloniale, Mais les difficultês ne se situeront pas seule-
ment dans ce domaine, car il faudra aussi surmonter de nombreux obstacIes parmi lesquels l’enracinement profond
des traditions Iribales, des coutumes héritées d’un genre de vie archaïque, ne sera pas le plus facile & extirper. La
méfiance paysanne à I’égard des innovations n’est pas moins tenace en Afrique que sous d’autres cieux, les ralIie-
ments aux méthodes nouvelles - même si leur mérite est éclatant aux yeux de leurs promoteurs - seront Ients et
réticents jusqu’à ce que le paysan ait pris conscience du fait essentiel en économie moderne : la valeur du travail.
Cette valeur négligée en économie de subsistance, puisque tout le travail de la famille est consacré à la production
de bims nécessaires à son entretien et à son renouvellement, prend une signification majeure en économie d’8charrgc.:
I‘orsque Ie temps de travail consacré à la culture commercialisée est enlevé à la production vivrière.
Lomque l’augmentation des rendepents et llariiêliorakion des .conditiuns d‘achat des produci!ions commercia-
i ~ avantage en faveur de l’écmomie.d’échange (ocSmme cela fut le cas poursle coton pendant
lisées feront r e s s o ~ tun
quelques années autour de Binder), peut-ètre .I$notion de valeur du .travail fera-t-dle son apparition, appliquée
aussi bien à la production commerciahha qu’a la production vivrière. Le saus-emploi de saison sèche pourrait,
alors,, disparaître a u se rédulne, favocisant. l’extension des cultures de décrue, notamment les sorghos repiqués,
ou des cultures arrosées ou irriguées; commerciales : tabac, sisal, coton QU’ vivrières : vergers, et,jardins. La variété
des productionsLpermettra la spécialisation de certains secteurs plus favoris6s pour une culture que pour une autre,
mais assurés ainsi de possibilités d’échanges locaux.
La notion de prix du temps da travail pourrait également aider & dévdopper les moyens de transport par trac-
tion animale permettant d‘kliminer les longs va-et-vient de transport à tête d‘homme - ou de femme - perte de
temps et d’efforts pour un maigre résultat. Le transport des denrées commerciales par le paysan lui-même à l’aide
de sa charrette jusqu’au centre de regroupement permettrait d’augmenter le prix d’achat de ces produits du coût
de collectage anciennement réalisé par les sociétés pour un taux élevé.
Le but essentiel qui doit être de relever les revenus individuels et les investissements collectifs ne pourra être
atteint, quels que soient par ailleurs les aménagements politiques ou économiques, sans que le travail des masses
productrices soit organisé à plein temps et surtout rétribué à sa juste valeur sur le marché des produits.
Pour le sud du Tchad comme pour le nord du Cameroun, les possibilités d’évolution et d’amélioration de
l’agriculture sont en gestation dans les secteurs d’expérimentation de modernisation et dans les paysannats qui
s’efforcent d’inclure les cultures nouvelles nécessaires au commerce d’exportation, dans le cadre d’une agriculture
modernisée par la traction e t la fumure. Le caractère communautaire de l’exploitation du sol, la non-appropriation
individuelle des terres vacantes par les usagers permettent cette expérimentation dans les conditions les meil-
leures. En effet, les secteurs de modernisation où la préparation mécanique des terres, l’achat, l’usinage e t l’écou-
lement des récoltes sont assurés par un organisme autonome peuvent être autant d’amorces de vastes entreprises
collectives qui pourront déclencher le réveil de la brousse en assurant I’éducation complète du paysan en le faisant
passer du statut de producteur-consommateur à celui de producteur-échangiste, assurant ainsi la rupture des
économies fermées et la dissolution des petits groupes locaux, peu viables économiquement, au sein de collectivités
plus vastes.
Mais la réussite des secteurs et des paysannats dépend pour l’essentiel des disponibilités du pays en cadres
compétents. L’éCole actuelle ne fournit pas des responsables en assez grand nombre. L’enseignement de type clas-
sique trop orienté vers une formation purement intellectuelle ne donnera pas au pays les cadres ruraux et tech-
niques qui lui font défaut. La nécessité de repenser les structures de 1’Education Nationale est impérieuse. I1 fau-
drait trouver les moyens susceptibles de fournir des cadres polyvalenls et d’assurer une rapide alphabétisation
de la masse paysanne, car, pour se réaliser, le progrès doit d’abord se concevoir et, pour se transmettre, les concepts
ont besoin de mots et de chiffres.
Progrès agricole et éducation ne suffiront pas, cependant, i tirer le pays de son retard économique. Les possi-
bilités d’industrialisation du bassin du Logone sont certaines, elles peuvent rapidement être mises en œuvre. Les
chutes Gauthiot sont un magnifique don de la nature qu’il ne faut pas négliger. L’électricitB peut transformer toute
la région en permettant à la fois d‘installer les industries dont la création est possible : cimenterie, filatures, conser-
veries, d’animer les usines d’égrenage e t les huileries existantes ou à créer ; enfin, d‘utiliser le surplus d’energie dans
une grande usine inter-états de fabrication de l’azote qui mettrait un engrais efficace à la portée des bons agri-
culteurs que sont les habitants du bassin.
Enfin, le bassin du Logone doit pouvoir exporter ses productions et importer ses fournitures par une voie
rapide, directe et économique. Le projet de chemin de fer Cameroun-Tchad a été placé avec raison en tête des
réalisations du plan.
Sans doute les investissements à réaliser sont-ils énormes pour un pays dont le total des échanges se chiffre
seulement à 10 milliards de francs CFA. Comment trouver l’argent nécessaire à la réalisation de toutes les entre
prises, aussi urgentes les unes que les autres, à l’heure où tous les pays en voie de d!veloppement multiplient les
appels de fonds 2 La conjoncture internationale est actuellement favorable pour les Etats africains désireux de se
tirer du sous-développement, il appartient à leurs dirigeants d’user de discernement dans leurs appels de fonds
pour que l’aide qui leur sera accordée ne devienne pas fardeau ou aliénation. Cette aide leur sera d‘autant mieux
accordée qu’un immense éIan national sera parvenu à mobiliser toutes les énergies populaires dans la réalisation
des buts du plan de développement. De nombreuses transformations peuvent, en effet, être assurées par les POPU-
lations inoccupées une partie de l’année. Cet investissement-travail permettrait de consacrer à l’industrialisation
les crédits qu’il ferait économiser dans les aménagements hydro-agricoles, les routes, les digues, les talus de voie
ferrée.
Un immense effort collectif de ce type ne peut cependant pas être obtenu à froid. I1 ne s’agit pas de ressusciter
le travail obligatoire de l’indigénat, mais d’intéresser les masses travailleuses à la construction du pays. Cet intérêt
ne pourra se fortifier que dans la mesure où le paysan tchadien aura conscience de ne trapaillqr qu_e pow sQnpays.
308 JEAN CABOT
L’effort qu’il consentira ne doit pas,servir à augmenter les bénéfices exportés par les sociétés étrangères. Au contraire,
il doit servir à une véritable capitalisation nationale, source d’investissements, d’abord modestes, destinés à grandir.
Tout cela nécessite une ferme intervention de l’État dans l’économie nationale. Les formes, les modalités de cette
intervention sont à aménager j il ne semble pas qu’elles puissent être évitées (1).
Le bassin du moyen Logone, riche en populations vigoureuses attachées à leurs pratiques agricoles, à leur
élevage sentimental, à leurs pêches fructueuses, a été le champ d’expériences agricoles de spéculation étrang2re.
Le temps et les modifications de l’équilibre des forces économiques mondiales ont permis de modifier ces expé-
riences e t de les améliorer. I1 appartient à ses habitants que des rivalités, elles aussi étrangères, ont baptisés tcha-
diens ou camerounais d’en faire une région pilote, une des (( bases de décollage )) de l’Afrique nouvelle.
o BBgamber
Ctiltiircs vivridres
?A
E
Sine Daba
5 -
Composition de la. iantille
m
.e
a"
~~
Vaidissiam 40 ans
Gandaï (femme) 38 ans1 2 0,50 0,SG 1 .,35 h
Q,50
0,77 1,50
2e F. Mainoa badan 35 ans 5 0,44 0,3s
garçon : Dimanche 6 ans
fille :Sera: 3 ans
- -- - -
Vaissoulara 36 ans
.le F. Vainbrao 22 ans
1 garpon 2 ans 3,5 ),90(?] 1 0,36 0,46 1,50
2e F. Goa 21 ans
1fille 1inois
- - -
Voizar 25 ans
F. Dangui
le 22 ans
1garçon 6 ans
2e F. Kom 18ans 6 0,75 1,50 1,04 0,36 Q,43 3,50
F. du phre Maidissom 30 ans
1garçon 8 mois
1 fille 3 ans
Sa mère 50 ans
- - - - -
Koiltidi 40 ans
2e F. Vainbrao 22 ans
1 garçon 5 ans
F. de l'oncle Mai 42 ans
fille ( l e F.1 Mai 15 ans 6,5 0,26 2 0,36 2,50
fille ( l e F.) Kedai 6 ans
fille ( l e F.) Serai 7 ans
Niece Goa 18 ans
-
Keda 33 ans
1 e F. Vaihou ' 28 ans 2,s 1 0,43 130
3 fillcs 5 ans, 4 ans, 2 ans
- -
Maitoua 23 ans
l e F. Vaihou 19ans 2 1 0,10 0,Ol 0,50 O,S7 l,O 2
- -
Adjam veuf 50ans 1 0,50 0,64 0,50 1
- -- - -
Vaisina vri 32 ans
l e F. Kava 25 ans
1fille 2 ans
26 F. Ked& 23 ans 4,5 0,25 2 0,0s 025 0,57 3,0 4 1,14b
3a F. Voimbo 1 9 ans
- -
Kedai 35 ans
10 F. Djo maimbi 30 ans
1 garçon 7 ans
1 fille 2 ans 4,5 0,lO 1,s 0,15 0,02 0;14 0,43 1,50 3 1,20h
3e F. Icedia 28 ans
1 garçon 2 ans
- - - -
(1)Tao n'&tait pas imposable mais il a travai&.
(2) dont 1 ou 2 ares de maïs.
312 JEAN CABOT
h e x e no 3
NOTES SUR L’HISTOIRE DE BONGOR
Les faits e t événements antérieurs à l’occupation européenne sont de tradition orale. Leur authenticité ne peut être
prouvée mais les recoupements que l’on peut faire entre légendes de groupes voisins donneirt à certains événements un carac-
tere de véracitb. C’est ainsi que les personnages de la légende des Massa Bahiga se retrouvent dans celle des Massa Yanhgana
de Bongor.
D’après la légende, le groupement Massa de la rive droite du Logone implanté de Ham B ßongor, descendait des deux
€reres c( Hara n e t Danhgana 1). Ils auraient pris pied dans la région de Bongor tandis que leur compagnon de voyage a Re-
gassa )) aurait continub à descendre le fleuve jusqu’aux terres de Malam. (1)Les descendants de Hara sont installes de Ham B
Tougoudé.
Danhyana se serait installé à Marsi (nord de Bongor) sur une terre occupée par les Kargou (groupe alors en extension
entre Logone e t Chari jusqu’g Guelengdeng). Il est impossible de préciser si la chefferie de la terre fut immédiatement confiée
à cet étranger ainsi que le veut la coutume (chefferie confiée aux nouveaux venus, aux e Poyoum n - par extension esclave),
Les cinq fils de Danhyana émigrèrent chacun avec leur djaf (lignage -vient de djaf = semence) et fondèrent les terres
de Bongor, Miogoye, Poïdi. Guissédé e t Golona.
‘L’occupation européenne.
Les premiers Européens qui s’installèrent à Bongor furent les Allemands vers 1910. Le quartier Massa qui occupait le
front du fleuve à hauteur d u centre administratif actuel était le quartier Djahina implanté sur la c nagada Alasta D (terre des
descendants de Masta). L’habitat de type traditionnel englobait sur le même emplacement les cases (sina) e t les cltamps de
case (sin8 ma ouor sina). Les Allemands imposèrent le déguerpissement total du quartier dont les habitants durent se réfugier
en contTe-bas de la butte, a u nord, entre la douane actuelle et le mayo Boné. Cette zone étant inondable, ïl fut nécessaire de
construire des semelles de terre pour dtablir les cases. Beaucoup d’habitants abandonnèrent meme ßongor pour se réfugier
bur la rive opposée d u fleuve (Yrding). I
La construction de trois cases de type européen fut entreprise sur les emplacements actuels des résidences d u PrBfet et
du Sous-Préfet. Le reste de l’espace libéré par le départ des Massa se peupla peu à peu de commerpants islamisés : Bornouan;
et Foulbé.
I1 semble que les dépressions inondables qui bornent l’extension des quartiers administratifs actuels a u N e t a u 8 soient
dues A l’importante ponction de sables et d‘argiles qui furent nécessaires à l a construction du poste depuis le début de ~I’occu-
pation européenne jusqu’à nos jours. De m+me, le déboisement de la butte sableuse de Bongor à Guiséré s’est opéré progres-
sivement à mesure que ìes besoins en bois du poste grandissaient. La butte, jadis itrès boisée, était un domaine de chasse des
Massa.
Au départ des Allemands (Novembre 1911) le poste f u t occupé par un sous-officier français qui s’installa dans les eases
allemandes. (La dernière de ces cases existait encore en 1954). Les plantations de kapokiers e t de rôniers de la m u t e de Laï
dateraient de cette époque.
uorgahisation du poste s’est poursuivie par la création d’une infirmerie (derrière la case actuelle du Préfet), d‘une école
vers 1930 (emplacement de l’actuel garage administratif), d‘une prison (entre la Poste actuelle e t le magasin S.C.O.A.). T A ~
camp des gardes occupait la position de l’actuelle concession uniroute. Le marché avait lieu sur l’emplacement de la France:
Congo.
L’installation de la Cotofran au sud du poste a eu lieu vers 1930 sur l’emplacement du quartier Massa u Fifounda 9 ,(Lama-
Lama). Le déguerpissement ne se fit pas sans quelques heurts entre les manœuvres de lacompagnie e t les anciens ocwpants’
Ce plan du centre urbain allait être remanié au cours des années 1940-50 qui virent se former la répartition actuelle des
quartiers et concessions.
(1) J. CABOT,2954.
LE BASSIN DU MOYEN LOGONE 313
L’installation de l’hôpital sur le front du fleuve à la place de l’ancien quartier commerçant entrafna le repli de celui-ci &
l’est de la route de Laï (actuel quartier (t Commerçants 1)) entre 1940 et 1944.
La création de 1’Ecole Supérieure (Collège actuel) amena le déguerpissement de la dernihre fractioa du quartier Djahina
demeurée en place e t qui se replia vers Djo-Bongor (derrière l’actuelle Mission Lutherienne). La fraction Marba de ce quartier
quitte Bongor pour s’installer à Holtdi-Mousseye qu’elle fonde sur l’ancienne butte boisée à l’est de Bongor.
Les plantations de flamboyants en bordure du fleuve et de palmiers sur la place de la Préfecture datent de 1944 environ.
AprBs 1950 la dernière fraction du quartier Lama-Lama demeurée sur la berge nord de la dépression inondable séparant
le poste de la Cotofran, disparaît à son tour en direction du sud-est en direction de l’actuel village de Lama-Lama. Le front
du fleuve est désormais entièrement occupé par les services administratifs e t les résidences européennes.
Progressivement les cases d’argile qui encadraient la place actuelle du marché sont remplacées par des constructions
en e dur 1) où s’installent les succursales des grandes sociétés ou les commerçants européens. Les deux halles couvertes datent
de 1951-54.
Le Budget type d‘une famille de paysans MASSA de la Région Nord-Bongor est relativement facile à établir car les
chapitres Recettes e t Dépenses ne comportent qu’un très petit nombre de postes.
Pour les Recettes :
10 La vente de la récolte de plantes industrielles (essentiellement le coton, parfois le riz) ;
20 L a vente du poisson pêché en saison sèche;
30 L a récolte personnelle de plantes vivrières;
~
Le chapitre des dépenses ne comporte qu’un poste important :
- l’achat de vaches destinées à régler les dots des femmes nouvellement épousees.
Les autres dépenses -
fort modiques de toute façon - sont couvertes par la vente du tabac cultivé par les femmes
pendant la saison sèche. Ce tabac est vendu par petites boules de 50 grammes environ à raison de 5 francs la boule. Le pro-
duit de cette vente permet l’achat de sel, rarement de sucre (5 morceaux à la fois) niais pareois de mil (en fin de saison sèche,
quand les greniers sont vides).
Recettes : DBpenses :
Vente 300 kg coton. ........ 7.500 Achat de vaches pour finir de régler
Récolte mil ....... environ 3.000 kg la dot de la femme de Yanda
...........
.. 12.000
Récolte berbérb. ..... environ 120 kg Achat divers. p. m.
.......
Pêche, partie vendue. 5.000
Tabac. .............. p. m.
Au moment de l’enquête (Mai 1954) Soumaï e t sa femme, Yanda e t sa femme étaient partis à la pêche car le mil restant
dans les greniers était insuffisant pour nourrir toute la famille.
23
314 JEAN CABOT
Recettes : I Dépenses :
Vente coton ........... 4.800 Une ghisse ............ 4.000
Récolte mil ........... 1.300 lrg Achats divers ........... p. m.
Peche (1) . ...........
Tabac. ............. p. m.
Recettes : Dépenses :
Riz vendu à la SIP. ........ 9.900 ImpBt /(2 pers.) ........ . 620
2 paniers de poissons. ....... 5.000 .
Fin de paiement de dot 2e femme. 10.000
Menuiserie . . . . . ....... 8.000 .
Pirogue d’occasion . . . . . . . 5.000
Grande pêche ........... 5.000 Achat de mil . . . . . . . . .
. 5.000
.
1 culotte . . . . . . . . . . . 250
Sel. . . . . . . . . . . . . .
91.900 30.870
Ce budget paraît à la fois plus précis et plus sincère que le précédent bien que la quantilé de riz indiquée soit inférieure
environ de moitié à la récolte.
(1) Icadua (le Irhre) est parti pêcher mais n’est pas encore revenu (somme escompthe : 3.000 B 4.000).
(2) L’impBt ne signale que 7 imposables au lieu de 8 car la 7 e femme ne faisait pas encore partie do la famille au moment de la
perception des impbts. P a r contre la dot que YETINA a versée pour cette femme n’apparaît pas dans les dépenses, de mAmc la somme
indiqu6e ne représente pas la totalité de la dcolte de riz.
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LE BASSIN D U MOYEN L O G O N E 325
...
.* ..
CARTE1 .. Précipitations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
.
PLANCHE
.
V . - A .CBnes d'épandage des effluents du Logone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
B .Canes d'épandage du Logone et du Guerléo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
333
333
VI11.
PLANCHE A .Trois variétés de sorgho ..................................... 336
B .Culture de tabac . . . . ..................................... 336
C .Un sina Massa ......................................... 336
05
Region de Lamé
Les saldes e t griis crétacés sont fortement ravinés par les affluents d u Alayo Tchina, hordes de modestes
rideaux d’arbustes. Les croupes suhhnrizontales portent de nombreuses soles A coton.
Cliche I .G N.
PLANCIIE
III
.--
B - Afileurerrierit
de cuirasse lerrugineuse sur la rive
droite du Logone Ciabri Ngolo.
21”
A -Les grbs de Bébn fortement démani e16s laissant apparaître leurs litages entrccroisbs.
I( - Construction de canes
d’61JaIJdage par fran-
chisseriieiit de leurs
berges, par le Logone
leri haut à droite) et
par le Guerlbo (à
gauche). Au centre
Z U K ~ Cinonilalle.
L‘lichPs I. G. N.
PL'LiVClIE VI
Clirhds J c m Cabot.
PLANGIIE
VI1
A - Phhe collective RIassa à Bongor. Les B - Ferme BInssa protkgée par Tuile haie
porteurs de sennes à bktonnets décrivent d’épineux contre les déprkdations de
u11 niouvernerit tournant à travers le récoltes par les ariiniaus.
fleuve.
C - Transport’ d’un toit de c i i s e prélabriquk SUP le lieu rni.nie dc rkcolle tlc I:\ 1 d l c .
L‘lichés~Jerra Cabot.
PLANCITE
VIT1
13 - La plaine des Garilks à l’Ouest d’Eri. C; - Er6 aux hautes eaux, le village vit
eu periode d e dhversernents dii fleuve, h fleur d’eau, les relations entre les
circulation en pirogue. c1u:wticrs d u village se font en pirogue.
A - Pêche collective dans uno mare à Biliam Oursi. I3 - A Kim déchargement d'uno pirogue ayant servi
à ramener la rEcolte do iam au village.
C - La route Bongor-Daila eu saison des pluies au pllis for1 d e Ia CIWC (lu Lognne.
PLANCIIE
XII1
Cliché I . G. 11'.
PTANCIIE
SVI
Noundou. On distingue sur la rive gauche du Logone et du %-O. ari N,-E. : la zone industrielle,
I’hGpital, lo ccntre administratif et résidentirl, la place du marché, In ville africaine.
On notera l’importance clrs cultnres h la périphérie de la ville et sur Ia rive droite di1 flruve.
A - La Icrrne espériincnlale tlc Biliam Oursi est
inslallke en Lortlurc d u défluent. Baa au track
sinueux tres iict entre Kourni (Logone) el la
zone d’kpandage plus st~inbrc(coin N . 4 . ) .
CZiC/Ié.S 1. c n.
PLANCIm XVIII
Région tie TorroB. A l’est du Maye Dorbo (coin S.-E.) peu de cultures en raison du cuirassement visible
(zone sombre). Au contraire, cii?veloppcment des ciiltiires sur In rive gauche surtout autour (i11 village
de Torrolr oì1 les cultures sont presque continiirs.
A - Iiini en 1951. Le village est entasse sur la butte (foncBe) en bordure du
fleuve et a I’écart de la route. Saison s+che, fleuve <ìl ’ c t i a p , bancs desables.
(Le nord est i gauche.)
Clichés I . C.N.
PLANCIIE
SS
I 1
R - La r6ccilLv de riz est rcntrer à t b f p : C - La r8coltp: du riz est faite &pi par Cpi et le
d’homme à Kim. transport se fait par petite calebasses :i
tates d’liornme.
Page 96,'fig. 27, i n v e r s e r dans la' légende : 1. Champs de Bayena - 2. Champs de Vayo
ajouter " " " : 5. limite des anciennes soles de coton.
E H B A T U M
Page 5, ligne 5 - -
lire saponosides -
au lieu de sapanosides.
- -
Page 5, ligne 15 lire &es plantes au lieu de de plantes.
Page 8, ligne 18 - lire s o n t recheich&- au lieu de recherché. -
‘Page 16, ligne 33 - lire Decne -
- au lieu d e Deene.
’Page 16, ligne 37 - lire RIGNONlACEES au lieu de BIGNOGNIACEES.
-
ligne 16 - l i r e CAESALPlNIACEES
j__
~: i
Page 3 9 , ligne I O
Page 4 1 , ligne 5
-
-
lire MELASTOMNTACEES au lieu de MELASTOMACFE.
_?I_.
cf. ObtuSiflOrd(F.). I
Page 4 1 , ligne 22 - -
lire ARALIACEES au lieu de ARALIAC-EE.
Page 4 2 , ligne 5 - lire BLGNONUCEES
- au lieu de BIGNOGNIACEES. _I
’Page 4 2 , ligne 9 - -
lire CAESALPINIACEES au lieu de CAESALPINIACEE.
-- i
Page 4 3 , l i g n e 9 - - au l i e u d e Caseria.
Lire Casearia
Page 55, l i g n e 12 -
l i r e Decne au l i e u d e Diene.
\t
Page 7 7 , l i g n e 38 - -
l i r e , s t i g m a t e s au l i e u d e s t r i g m a t e s .
*
Page 9 9 , l i g n e 32 - lire ( R a d l k ) . R , Cap, au l i e u d e Radlk.
?age 182, l i g n e 26 ,- l i r e a n t í o d o n t a l g i q u e .
\?
Page 106, l i g n e 17 13 l i r e f l o r i b u-n d a a u l i e u d e flori-bonda. -
Page 107, l i g n e 1 - l i r e f l o r i b u-n d a au l i e u d e ,,
f l o r i b o-n d a .
Page 115, l i g n e 4 - lire HARONGA au l i e u d e IWRUNGANA.
Page 122, l i g n e s 4 e t 9 - l i r e HC1 a u l i e u d e HC.
Page 1 2 4 , l i g n e 16 - lire e x t r a k t a l c o o l i q u e au l i e u d e e x t r a - a l c o o l i q u e .
Page 1 2 6 , l i g n e 5 - au l i e u d e BRISEMORÉT.
- l i r e BRLSSEMOKET -
Page 126, l i g n e I2 - l i r e MOHRZA
- au l i e u d e MORHIA. - . 5
Page 1 4 3 , l i g n e 4 - -
l i r e m a d a g a s c a r i e n s i s au l i e u de-madatlascarlensis.
O.R. S . T.O.M.
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-
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O . R. S. T. O. M. Editeur - D6pGt legal : 1" trim. 1965