Nathalie Montel - L'administration de La Preuve: Des Sciences Expérimentales À L'histoire Des Sciences

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L'administration de la preuve : des sciences expérimentales

à l'histoire des sciences


Nathalie Montel
Dans Genèses 2004/3 (no56), pages 148 à 162
Éditions Belin
ISSN 1155-3219
ISBN 2701137281
DOI 10.3917/gen.056.0148
© Belin | Téléchargé le 09/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.137.240.28)

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L
’histoire des sciences occupe, dans le
champ historique, une place à part.
Avant même de poursuivre, il convient
de spécifier que, par sciences, s’entendent ici
les sciences qualifiées bien souvent d’exactes

L’administration ou de dures, la nécessité de préciser souli-


gnant que la distinction radicale opérée avec
ces autres sciences, dites humaines ou
de la preuve : sociales, n’a rien d’une évidence. Cette singu-
larité de l’histoire des sciences tient notam-
ment au fait qu’en France comme dans les
des sciences expérimentales pays anglo-saxons, loin d’être le domaine
propre des historiens, elle est, pour une large
part, écrite par des scientifiques, des philo-
à l’histoire des sciences sophes, des sociologues ou des anthropo-
logues. Mon intention, dans ce qui suit, n’est
ni d’expliquer cette situation, ni d’analyser
Nathalie Montel comment et pourquoi l’étude des sciences du
passé est devenue un objet d’investigation
commun à ces différentes disciplines, ni de
retracer la longue et tumultueuse histoire de
leurs alliances ou de leurs dissensions et
affrontements, ni encore de dresser un nouvel
état des lieux de cette recherche foisonnante1,
encore moins de préciser de manière systéma-
tique les positions épistémologiques et les
démarches propres aux programmes des diffé-
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rentes écoles ou chapelles2.


Ouvrages commentés L’objectif ici poursuivi est beaucoup plus res-
■ Peter Galison, Ainsi s’achèvent les expériences : treint. Il est de profiter de la parution en 2002
la place des expériences dans la physique du XXe siècle, de deux ouvrages en français pour illustrer, au-
Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui »,
série « Anthropologie des sciences et techniques », delà des programmes et des déclarations de
2002, XXIV-334 pages [How Experiments End, principe, combien l’histoire des sciences, telle
Chicago, University of Chicago Press, 1987].
qu’elle est pratiquée aujourd’hui, a su tirer
■ Michel Atten et Dominique Pestre, Heinrich Hertz.
L’administration de la preuve, Paris, Puf,
parti de cette confrontation des disciplines,
coll. « Philosophies », 2002, 127 pages. combien elle a renouvelé ses objets d’études
autant que ses questionnements, mais aussi
1. On se reportera à l’article de Dominique Pestre, enrichi ses analyses des réflexions méthodolo-
« Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. giques et des débats féconds suscités par les
Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles
pratiques », Annales. Histoire, sciences sociales, n° 3, différentes approches en concurrence. À tra-
1995, pp. 487-522. vers l’analyse de ces deux livres, c’est à l’his-
2. Pour une présentation des différents courants toire des sciences telle qu’elle se pratique que
de la sociologie des sciences, on peut notamment je souhaite m’intéresser. Les mises en œuvre
consulter : Dominique Vinck, Sociologie des sciences,
Paris, Armand Colin, 1995 ou Olivier Martin,
des énoncés programmatiques et déclarations
Sociologie des sciences, Paris, Nathan, 2000. d’intention retiendront donc mon attention.
Genèses 56, sept. 2004,
p. 148-162 148
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Le choix des deux ouvrages retenus ne pré- adopté par les deux auteurs, particulièrement
tend pas être représentatif de l’ensemble de la clair, sert la visée pédagogique de l’ouvrage.
production récemment parue dans la totalité Bien que les époques considérées et les tem-
du champ. Le premier est la traduction d’un poralités prises en compte soient distinctes et
livre publié d’abord par les Presses de l’univer- bien qu’ils soient destinés, dans leur édition
sité de Chicago en 1987. Il est issu de la thèse française, à des publics sensiblement diffé-
de doctorat soutenue par son auteur, Peter rents, ces deux ouvrages possèdent plusieurs
Galison, au département d’histoire des points communs. Le premier d’entre eux est
sciences de Harvard. Intitulée « Ainsi s’achè- qu’ils ressortissent tous deux à l’histoire de la
vent les expériences: la place des expériences physique expérimentale. Ce faisant, ils appor-
dans la physique du XXe siècle», cette traduc- tent des contributions à un domaine qui s’est
tion de l’anglais (États-Unis) a été réalisée par considérablement développé depuis les
le physicien Bertrand Nicquevert, en relation années 1980 et qui est devenu emblématique
étroite avec l’auteur, et accueillie dans la col- du renouveau des manières d’écrire l’histoire
lection que dirigent Michel Callon et Bruno des sciences. Focaliser l’attention sur l’ana-
Latour depuis 1988 aux éditions La Décou- lyse historique de l’expérimentation résulte
verte3. Trois études de cas, situées respective- en effet d’un parti pris méthodologique8. Le
ment dans les années 1915-1925, 1930 et 1970, choix de l’expérimentation comme angle
scandent cette recherche consacrée aux expé- d’approche et centre d’intérêt marque une
riences de la microphysique du XXe siècle. Le rupture dans l’historiographie de la physique,
second ouvrage résulte de la coopération de dans la mesure où il traduit la volonté d’en
deux historiens français de la physique: Michel finir avec une réflexion historique et philoso-
Atten et Dominique Pestre. Tandis que le pre- phique sur les sciences longtemps occupée
mier est l’auteur d’une thèse sur les théories quasi exclusivement de théorie. Considérant
électriques en France à la fin du XIXe siècle4, le qu’au sein de l’activité des scientifiques, cette
second, aujourd’hui directeur du Centre dernière a jusqu’ici été surreprésentée et sur-
Alexandre Koyré5, est spécialiste d’histoire de valorisée, que l’image donnée des sciences a
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la physique du XXe siècle6 et s’est employé à été largement idéalisée, nombre des
mieux faire connaître en France les travaux recherches récentes en histoire des sciences
des historiens et sociologues des sciences s’emploient désormais, à la suite d’enquêtes
anglo-saxons 7 . L’ouvrage qu’ils signent et réflexions sociologiques, à explorer le
ensemble en 2002 a pour titre Heinrich Hertz. monde scientifique « tel qu’il est » et à appré-
L’administration de la preuve et traite d’expé- hender la science « telle qu’elle se fait » 9.
riences relatives à des ondes électriques qui Suivre par le détail la « science en train de se
ont eu lieu dans le dernier quart du XIXe siècle. faire » a constitué le mot d’ordre de ces nou-
Leur texte est paru dans la collection «philoso- velles recherches et le laboratoire est devenu
phies» des Presses universitaires de France. Ce l’espace privilégié des études sociologiques
choix n’est assurément pas anodin: il suggère puis historiques, le point d’observation de
plutôt la volonté d’investir la discipline domi- l’activité des scientifiques, le terrain d’analyse
nante du champ de l’histoire des sciences. Ce des pratiques expérimentales. Que la théorie
faisant, il la conforte, en même temps, dans sa ne soit plus l’unique prisme à travers lequel
position. Quant au format de poche, au prix soit lue l’histoire des sciences, tel est bien l’un
modique et au nombre tant réduit que fixe de des objectifs affichés de ces nouvelles
pages, imposés par la collection, ils indiquent enquêtes se proposant de livrer une vision
la large diffusion attendue. Le style d’écriture plus réaliste des activités des scientifiques.

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S’inscrivant dans cette dynamique, les deux


ouvrages retenus témoignent du renouvelle-
ment tout à la fois du regard porté sur l’acti-


vité scientifique et des questionnements de la


3. Peter Galison, How Experiments End, Chicago, discipline. En faisant de l’établissement des
University of Chicago Press, 1987, 330 p. (trad. fr., Ainsi « faits » scientifiques un objet d’histoire, les
s’achèvent les expériences : la place des expériences
dans la physique du XXe siècle, Paris, La Découverte,
auteurs reprennent en effet à nouveaux frais
coll. « Textes à l’appui », série « Anthropologie la question de la preuve dans les sciences et y
des sciences et techniques », 2002, 334 p.). Dans ce qui apportent des réponses fondées sur des
suit, les citations sont extraites de l’édition française.
De cet auteur, aujourd’hui professeur d’histoire des enquêtes empiriques solides. S’attachant à
sciences et de physique à l’université de Harvard, on peut décrire la construction des argumentations
également lire Image and Logic : A Material Culture
of Microphysics, Chicago, University of Chicago Press, considérées comme convaincantes, ils
1997 et Einstein’s Clocks, Poincaré’s Maps. Empires s’emploient notamment à souligner la diver-
of time, New York, W. W. Norton and Company, 2003. sité et la variabilité des facteurs qui y partici-
4. Michel Atten, Les théories électriques en France, pent. Soumettre ces travaux d’histoire des
1870-1900. La contribution des mathématiciens,
des physiciens et des ingénieurs à la construction
sciences à un traitement analogue à ceux
de la théorie de Maxwell, thèse nouveau régime d’histoire qu’ils appliquent à la physique est une
des sciences, École des hautes études en sciences sociales manière de prendre au sérieux leurs apports.
(EHESS), 1992.
C’est aussi mettre en application le « principe
5. Créé en 1958 au sein de l’EHESS.
de réflexivité », un des quatre grands principes
6. Il est notamment l’auteur de : Physique et physiciens méthodologiques constituant le « programme
en France, 1918-1940, Paris, Éditions des Archives
contemporaines, 1985 [rééd. 1992] ; Louis Néel, fort » énoncés par le sociologue David
le magnétisme et Grenoble : récit de la création d’un empire Bloor10, auteur dont se réclament explicite-
physicien dans la province française : 1940-1965,
Paris, CNRS, 1990 ; Science, argent et politique. Un essai
ment M. Atten et D. Pestre11. Le « principe de
d’interprétation, Paris, Inra, coll. « Sciences en questions », réflexivité » veut en effet que les modèles
2003. explicatifs élaborés par la sociologie des
7. D. Pestre, « Pour une histoire sociale… », op. cit. sciences s’appliquent à elle-même. Question-
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8. Sur ce même thème, et toujours en langue française, nant les modalités de l’administration de la
sont notamment également disponibles : Steven Shapin preuve par l’historien, je fixerai notamment
et Simon Schaffer, Leviathan and the Air-Pump. Hobbes,
Boyle, and the Experimental Life, Princeton, Princeton mon attention sur la manière dont les pra-
University Press, 1985 (trad. fr., Leviathan et la pompe tiques des physiciens sont appréhendées.
à air. Hobbes et Boyle entre science et politique, Paris,
La Découverte, coll. « Textes à l’appui »,
série « Anthropologie des sciences et des techniques »,
1993) ; Christian Licoppe, La formation de la pratique L’établissement des «faits» scientifiques
scientifique. Le discours de l’expérience en France comme objet d’histoire
et en Angleterre (1630-1820), Paris, La Découverte,
coll. « Textes à l’appui », série « Anthropologie Au cœur des deux ouvrages se trouve une pro-
des sciences et des techniques », 1996.
blématique commune qui touche aux modes
9. Voir Michel Callon et Bruno Latour (éd.), La science
telle qu’elle se fait. Anthologie de la sociologie des sciences
de constitution des savoirs, plus particulière-
de langue anglaise, Paris, La Découverte, coll. « Textes à ment à l’établissement des «faits» expérimen-
l’appui », série « Anthropologie des sciences taux et à l’administration de la preuve en phy-
et des techniques », 1991.
sique. Ce type d’interrogation traverse déjà un
10. David Bloor, Knowledge and Social Imagery,
Londres, Routledge & Kegan Paul, 1976 [réed. 1991]
grand nombre de travaux d’histoire des
(trad. fr., Socio-logie de la logique ou Les limites sciences. Contrairement à la plupart de leurs
de l’épistémologie, Paris, Pandore, 1983). prédécesseurs et aux approches tradition-
11. M. Atten et D. Pestre, Heinrich Hertz…, op. cit., p. 9. nelles, ces auteurs font le choix de ne pas y

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répondre de manière théorique, de ne pas la d’un article dans les Comptes rendus de l’Aca-
traiter de façon abstraite et de considérer que démie de Berlin, dans lequel ce professeur de
la réponse n’a rien d’une évidence. Dans les physique expérimentale à l’université tech-
débats épistémologiques, la question de ce qui nique de Karlsruhe annonce avoir réussi à
fait preuve dans les sciences a notamment produire des ondes électrodynamiques se pro-
tracé la frontière entre deux camps retranchés, pageant à une vitesse finie, vitesse dont il
les « rationalistes » et les « relativistes ». Posi- fournit la mesure. Ce n’est pas une, mais trois
tionner les auteurs dans l’un de ces camps, leur études de cas que P. Galison entreprend de
attribuer d’emblée une étiquette serait réduire développer. Trois époques expérimentales
ces travaux à des positions caricaturales, sont ainsi successivement considérées, illus-
renouer avec les anciens débats, raviver des trant l’évolution des méthodes employées
polémiques devenues stériles en même temps pour mieux connaître la structure de l’atome.
que réactiver inutilement des procès d’inten- La première étude de cas se situe dans le pre-
tion. Il paraît préférable de s’en remettre à la mier quart du XXe siècle et met notamment en
manière dont les auteurs définissent eux- scène Albert Einstein. La mesure du rapport
mêmes leurs présupposés et d’examiner la gyromagnétique ou « facteur g » de l’électron
façon dont ils ont pu déplacer et affiner la accapare l’attention de ce physicien et
question, la sortir de l’ornière dans laquelle l’oppose à des confrères, à une époque où les
elle se trouvait pour conduire leur recherche. explicitations de la nature de l’infiniment petit
Comment les « faits » scientifiques sont-ils éta- se fondent sur des déductions à partir des pro-
blis ? Qu’est-ce qui, à une époque donnée, priétés macroscopiques de la matière. P. Gali-
emporte la conviction des physiciens ? Com- son porte ensuite son attention sur des expé-
ment les savants sont-ils amenés à croire à la riences à petite échelle construites autour des
justesse d’un résultat ? Qu’est-ce qu’une argu- rayons cosmiques et des matières radioactives
mentation convaincante ? Quels en sont les dans les années 1920 et 1930, qui conduisent à
fondements et comment est-elle construite ? la découverte d’une nouvelle particule élé-
Qu’est-ce qui fait preuve ? De quelles natures mentaire, le muon12. La troisième enquête est,
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sont les preuves apportées par les scienti- quant à elle, centrée sur des expériences qui,
fiques ? Quels types de preuves sont jugés dans les années 1970, s’appuient sur des accé-
recevables par les collègues ? Ce sont là des lérateurs géants de particules et aboutissent à
questions communes aux deux ouvrages. Pour la mise en évidence des courants neutres. Les
tenter d’y apporter des réponses, les auteurs principaux protagonistes en sont l’équipe
optent, de la même façon, pour des études de européenne du projet Gargamelle et l’équipe
cas fouillées et circonstanciées à partir des- américaine du Fermi National Accelerator
quelles ils se proposent d’analyser les modali- Laboratory (Fermilab). Le choix de ces trois
tés pratiques et concrètes d’élaboration des époques, mettant chacune en jeu une question
preuves et de certification des faits. M. Atten expérimentale reconnue aujourd’hui comme
et D. Pestre choisissent d’appuyer leur décisive pour certains aspects de la microphy-
réflexion sur un « micro-récit historique » sique, résulte en partie du fait qu’il s’agit éga-
(p. 12), sur une « analyse précisément située lement de trois situations au cours desquelles
des énoncés et des actions entreprises pour deux groupes de recherche se sont affrontés
maîtriser et penser les ondes de Hertz » (p. 6). ou ont été en concurrence. « Leur manière dif-
Le point de départ de leur enquête est la férente d’aborder leur problème fait ressortir
publication en février 1888 par le physicien les méthodes caractéristiques avec lesquelles
allemand Heinrich Rudolf Hertz (1857-1894) chacun élabore une démonstration convain-

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cante » explique P. Galison13, rejoignant sur ce


point les nombreux historiens qui ont souligné
tout l’intérêt, notamment du point de vue de
la production de traces et de l’explicitation
des enjeux, de l’étude des conflits ou les ver-
tus de la comparaison. À travers ces trois
études de cas, l’auteur entend chaque fois
suivre et décrire au plus près la manière dont
les convictions se forgent mais aussi interroger
l’évolution, au cours du XXe siècle, des modali-
tés de constitution d’un accord entre physi-
ciens, examinant notamment « dans quelle
mesure l’irrésistible évolution historique, qui
a fait passer le laboratoire d’une paillasse à
une usine, affecte la construction d’une argu-
mentation convaincante « (p. V).
Parmi les présupposés communs à ces deux
livres se trouve l’idée que l’administration de
la preuve est un processus. Proches dans leur
questionnement et dans la démarche adoptée
pour y répondre, les deux livres se focalisent
néanmoins sur deux moments différents de ce
processus. Dans Ainsi s’achèvent les expé-
riences, P. Galison choisit de centrer son ana-
lyse sur ce moment précis où il est décidé de
mettre fin à une expérience. Ce faisant, son
objectif est d’identifier les éléments (argu-
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ments, signaux, compétences, matériels, etc.)
qui conduisent les expérimentateurs à prendre
cette décision, à juger que les preuves
recueillies sont suffisantes, à estimer qu’un
résultat peut être énoncé. Les prémisses du


choix d’un tel sujet sont notamment qu’il


12. Sur la découverte scientifique, et sa reconnaissance
en tant que telle, on se reportera aux réflexions « n’existe pas de point de conclusion inhérent
très stimulantes d’Augustine Brannigan : The Social Basis au processus expérimental » (p. 3), mais aussi
of Scientific Discoveries, Cambridge, Cambridge
que l’expérience ne se confond pas avec
University Press, 1981 (trad. fr., Le fondement social
des découvertes scientifiques, Paris, Puf, 1996). l’observation et ne se réduit pas non plus à
13. P. Galison, Ainsi s’achèvent les expériences…, une mise à l’épreuve de théories. P. Galison
op. cit., p. 14. scrute plus particulièrement ce moment iné-
14. Harry M. Collins, Changing Order. Replication luctable dans l’élaboration d’un résultat où le
and Induction in Scientific Practice, Londres, Sage, 1985 mélange des divers composants se cristallise :
[réed. 1992]. Du même auteur on pourra également lire
l’ouvrage de vulgarisation : Harry Collins et Trevor Pinch, « À un certain point, les expérimentateurs en
The Golem : What Everyone Should Know About Science, viennent à dire : « ceci est un effet réel, ce n’est
Cambridge, Cambridge University Press, 1993 pas un artefact du dispositif ni une bizarrerie de
(trad. fr., Tout ce que vous voudriez savoir sur la science, l’environnement». Au moment de cette affirma-
Paris, Seuil, coll. « Points sciences », 2001). tion, tout est soudainement posé sur la table : tout

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à la fois les règles de démonstration et les hypo- effectifs de preuves » (p. 11). D’où ils dédui-
thèses sur les fonctionnements de l’instrument ;
mais également la réputation des expérimenta-
sent que «c’est donc à partir des faires et des
teurs et leur place respective dans la compétition dires des «lecteurs» qu’il convient de juger de
du monde scientifique » (p. IX). la force d’un argumentaire donné comme
En définitive, il entreprend d’analyser com- preuve » (p. 12). La structure narrative de
ment concrètement « les expérimentateurs en l’ouvrage traduit cette conviction et lui donne
arrivent à la conviction qu’il existe des neutri- forme, en déroulant chronologiquement une
nos, des positons et des courants neutres » « analyse précisément située des énoncés et
(p. 13). Pour en rendre compte, le récit de des actions entreprises pour maîtriser et pen-
P. Galison adopte une forme proche de celle ser les ondes de Hertz» (p. 6). Après un pre-
de la démonstration scientifique classique. Les mier chapitre dans lequel sont exposées la
trois enquêtes particulières sont introduites nature des expériences réalisées par H. Hertz
par un chapitre qui expose la problématique et les conclusions qu’il en tire, les six suivants
générale et discute les thèses de philosophes sont consacrés à différents moments et lieux
ou sociologues pour mieux définir le point de où, d’une manière ou d’une autre, des réac-
vue de l’auteur sur son objet d’étude et ses tions à ces résultats se sont manifestées ou ont
propres hypothèses. Tirant les enseignements été exprimées. Les situations décrites sont
des études de cas menées, deux chapitres sélectionnées pour leur capacité à illustrer des
conclusifs viennent clore l’ouvrage. Ils propo- propositions plus générales sur l’administra-
sent l’un des réflexions sur la nature de l’évo- tion de la preuve. Elles font office de pièces à
lution des démonstrations expérimentales, conviction. Un dernier chapitre succinct offre
l’autre une grille d’analyse des relations entre un bilan réflexif de la démarche mise en œuvre
expérience et théorie. Avec cette étude, par les auteurs et des résultats établis.
P. Galison concentre ainsi son attention sur
l’administration de la preuve au sein du labo- La construction collective des
ratoire. Le parti pris retenu par M. Atten et argumentations convaincantes
D. Pestre est, quant à lui, différent. Dans la
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lignée des travaux d’Harry Collins14, ils choi- Ces deux ouvrages s’accordent sur nombre de
sissent de ne pas rester confinés dans l’espace leurs hypothèses et leurs résultats convergent
clos de l’atelier du physicien où sont produites sur plusieurs points. Il n’est possible ici que
les preuves, mais d’examiner leur réception, d’en évoquer quelques-uns.
considérant que c’est leur acceptation par L’hypothèse à la source de ces travaux
d’autres qui, pour une large part, instituent les consiste à rompre avec une vision idéalisée de
preuves en tant que telles. C’est donc l’étape la preuve qui aurait la forme d’une implica-
qui, dans le processus d’administration de la tion logique ou d’une démonstration mathé-
preuve, suit celle examinée par P. Galison qui matique, une preuve qui tirerait sa force de
est ici analysée de manière privilégiée, l’étude persuasion uniquement de sa valeur intrin-
étant centrée sur les « lectures » que les sèque. Abordant l’administration de la
preuves avancées par H. Hertz ont suscitées, preuve comme une activité humaine et pra-
sur les différentes modalités d’appropriation tique mettant en jeu des connaissances, les
des résultats énoncés. Car, pour M. Atten et auteurs de ces ouvrages s’emploient à décrire
D. Pestre, « ce sont ces manières d’apprécier, la manière dont, en situation, les argumenta-
dans le feu de l’action, les actes expérimen- tions convaincantes se construisent. Processus
taux, les argumentaires et les hommes avec qui complexe, la constitution des faits expérimen-
on débat qui disent ce que sont les systèmes taux de la physique conjugue des éléments

153
P O I N T C R I T I Q U E

disparates, implique des instruments, des


matériels, des collaborateurs, des jugements
en situation, des négociations et des interac-
tions entre chercheurs, autant d’éléments
dont le rôle respectif exact est à définir dans
chaque cas. « Notre propos n’est toutefois pas
de dire qu’il n’y aurait ni rigueur ni « épreuve
du réel» en ces matières » (p. 120) affirment,
sans ambiguïté, D. Pestre et M. Atten.
P. Galison ne les démentirait pas. L’analyse
fine des contenus des savoirs – dont la lecture
pour le néophyte est, il ne faut pas le cacher,
parfois ardue – que proposent ces deux livres
en apporte l’assurance.
La question de la relation qui peut exister
entre expérience et théorie, abondamment
débattue par les philosophes, taraude à son
tour P. Galison. À travers les études de cas
menées, il s’efforce chaque fois d’observer de
quelle manière la théorie est impliquée dans
le travail expérimental, de comprendre com-
ment, pratiquement, expérience et théorie
interagissent, montrant par ailleurs que cha-
cune, et notamment l’expérimentation, dis-
pose d’une part d’autonomie et de vie propre.
P. Galison, et c’est là une des forces de son
étude, ne se satisfait pas d’évoquer ces rela-
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tions en termes vagues – influencer, orienter,
jouer un rôle… – mais cherche à préciser la
nature et l’importance des liens dont il
avance l’existence, à en décrire les formes


complexes. Pour qui veut mettre à jour les


15. De cet auteur, P. Galison cite à la fois La Méditerranée différents mécanismes qui relient le travail
et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, expérimental aux éléments de la théorie, il
Paris, Armand Colin, 1949, p. 18 et Écrits sur l’histoire,
Paris, Flammarion, 1969, p. 50 dans Ainsi s’achèvent importe, selon lui, d’abandonner les schémas
les expériences…, op. cit., p. 254. explicatifs classiques de relations univoques
16. Pour une critique de cette grille d’analyse, et déterminantes, pour considérer l’influence
on pourra se reporter à Andrew Pickering, des théories en termes de contraintes exer-
« Beyond Constaint : the Temporality of Practice
and the Historicy of Knowledge », in Jed Buchwald (éd.), cées sur le raisonnement expérimental et
Scientific Practice : Theories and Stories of Doing Physics, d’envisager plusieurs niveaux :
Chicago, University of Chicago Press, 1995, pp. 42-55.
P. Galison et A. Pickering entretiennent depuis longtemps « Parmi tous les niveaux de théories qui imposent
des débats sur les manières d’interpréter les sciences. les contraintes sur l’expérimentation figurent des
P. Galison présente son étude sur les courants neutres, croyances qui s’échelonnent depuis de grands
comme une réponse à l’ouvrage d’A. Pickering : principes métaphysiques englobants jusqu’à des
Constructing Quarks : A Sociological History of Particle modèles détaillés qui s’écrouleront bientôt au fil
Physics, Chicago, University of Chicago Press, 1984. du temps » (p. 75).

154
P O I N T C R I T I Q U E

Affinant son analyse, en prenant comme Au cours de son enquête sur les courants
source d’inspiration La Méditerranée de Fer- neutres, P. Galison démontre par ailleurs
nand Braudel15, il propose, au final, de distin- comment la machine porte aussi des présup-
guer trois temporalités au sein du réseau de positions théoriques préalables qui y sont
contraintes s’exerçant sur les pratiques expéri- matériellement incorporées (p. 259).
mentales et les arguments : à long, moyen et Que les théories auxquelles on adhère aient
court termes16. également un rôle à jouer dans la manière
Dans sa première étude de cas, P. Galison non plus par laquelle les résultats expérimen-
montre comment les présuppositions théo- taux sont produits mais dont ils sont reçus,
riques qu’avait Einstein, en particulier la c’est ce que mettent en évidence M. Atten et
confiance qu’il manifestait dans la possibilité D. Pestre. Ils relèvent ainsi que les plus
d’unifier plusieurs phénomènes de la phy- prompts à être persuadés de la validité des
sique, ou encore sa ferme croyance dans résultats de H. Hertz, et à réagir à l’article
l’hypothèse de la validité du modèle de l’élec- qu’il avait fait paraître, lui réservant même un
tron en orbite autour d’un noyau, ont pu accueil très chaleureux, furent les défenseurs
conditionner sa façon de collecter les don- britanniques de la théorie du physicien écos-
nées, ou influer sur l’interprétation qu’il en sais James Clerk Maxwell (1831-1879), préci-
donnait. En attirant l’attention sur une partie sément parce qu’ils estimaient que les expé-
seulement des phénomènes qu’il est possible riences de Hertz apportaient une preuve
de considérer, en délimitant le champ des expérimentale confirmant leur hypothèse fon-
observations, en proposant une échelle de damentale, à savoir que « les ondes transver-
grandeur des effets à mettre en évidence, les sales de lumière sont des ondes électrodyna-
présuppositions théoriques façonnent les pro- miques » (p. 25). Avant même d’avoir tenté
cédures de mesure et les techniques d’inter- d’en vérifier les résultats, par la réplication
prétation. P. Galison évoque notamment cette des expériences, les maxwelliens britanniques
pratique courante des expérimentateurs qui ont ainsi applaudi aux travaux de Hertz.
consiste à trier les données issues de l’expé- Ce qui ressort également de cet exemple,
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rience. Le choix d’éliminer des données, comme des études de cas menées par P. Gali-
d’écarter certains résultats, peut être fondé son, c’est que ce qui convainc les expérimen-
sur le sentiment que les conditions d’une tateurs n’est pas nécessairement ce qui
bonne observation n’ont pas été réunies, convainc les théoriciens, mais aussi que la
qu’ils ne sont pas fiables ou qu’ils ne convien- conviction est affaire de degrés. L’examen de
nent pas parce qu’ils ne sont pas conformes situations où le doute s’insinue, où les pre-
aux attentes a priori de l’expérimentateur, à mières convictions établies se fissurent et
ce qu’annonce la théorie ou pour une autre conduisent à la remise en cause de résultats
raison. La collecte des données, loin d’être un se révèle à cet égard instructif. Les deux
enregistrement passif, met ainsi en jeu la ouvrages illustrent abondamment le fait que
capacité de juger des expérimentateurs. À si beaucoup d’individus peuvent, à une
l’encontre d’une vision de la science dans époque donnée, être convaincus par un
laquelle toute intervention humaine serait résultat expérimental, les raisons que chacun
proscrite, P. Galison rappelle que a d’y croire sont loin d’être identiques. Dans
« de tels jugements, fondés sur l’action conjointe son étude sur la découverte du muon,
de l’expérience et de la théorie, ne sont pas des P. Galison, analysant plus particulièrement
caractéristiques d’une « mauvaise» méthode
d’expérimentation. Ils font partie intégrante de les facteurs qui entrent en ligne de compte
l’entreprise expérimentale » (p. 75). dans la définition de ce qui fait preuve pour

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P O I N T C R I T I Q U E

le groupe des expérimentateurs, souligne le


poids des traditions ou styles expérimentaux
dans la force de persuasion de certains types
de preuves. D’un laboratoire à l’autre, des
traditions expérimentales distinctes se déve-
loppent, caractérisées notamment par des
savoir-faire acquis par les scientifiques dans
la manipulation de certains instruments ou
appareils. Ces traditions instrumentales sont
transmises par apprentissage sur le tas d’une
génération de scientifiques à la suivante. Les
dynamiques de développement de ces tradi-
tions instrumentales ont des temporalités qui
ne coïncident pas avec celles des théories ;
des pratiques expérimentales peuvent ainsi
se perpétuer alors qu’une théorie nouvelle
est venue supplanter l’ancienne (p. 13). À
propos des expériences sur les rayons cos-
miques, P. Galison montre, en comparant
deux équipes qui travaillent en parallèle,
combien leurs motivations, leurs équipe-
ments mais surtout le style de leur démons-
tration diffèrent. La réaction des physiciens
aux résultats énoncés par des confrères est
notamment conditionnée par leurs habitudes
expérimentales. Dans les années 1930, les
expérimentateurs chevronnés des chambres à
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brouillard font ainsi davantage confiance aux
« événements en or » – des photographies
uniques (de trajectoires à travers les plaques
de plomb montrant une perte d’énergie) qui
exhibent l’existence des phénomènes –
qu’aux démonstrations statistiques sur les-
quelles se fondent les scientifiques attachés à
l’usage des compteurs Geiger. Les deux
groupes de physiciens sont ainsi convaincus
par des preuves de nature distincte : tandis
que l’un accorde du crédit à des arguments


statistiques, l’autre fonde sa conviction sur


17. Sur l’importance du rôle joué par la confiance
accordée aux personnes que l’on connaît personnellement une preuve visuelle. De façon analogue, dans
dans la constitution des savoirs, voir Steven Shapin, le cas des expériences qui conduisent à
A Social History of Truth : Civility and Science
in Seventeenth-Century England, Chicago,
admettre l’existence de courants neutres, les
University of Chicago Press, 1994. expérimentateurs travaillant pour le projet
18. M. Atten et D. Pestre, Heinrich Hertz…, Gargamelle adhèrent aux arguments basés
op. cit., p. 117. sur l’utilisation de chambre à bulles, là où

156
P O I N T C R I T I Q U E

leurs homologues américains préfèrent faire « Dans une expérience de physique des hautes
énergies […], les structures sociales, techniques et
confiance aux détecteurs électroniques. Le
argumentatives sont toutes qualitativement plus
caractère plausible ou probant de certains complexes que celle que l’on trouve dans les
résultats peut aussi dépendre de la confiance expériences précédentes » (p. 280)
accordée aux hommes ou aux instruments répond P. Galison. Le développement de
auxquels ils sont associés17. l’expérimentation à grande échelle, en multi-
Les deux ouvrages s’accordent également à pliant le nombre des intervenants et des col-
souligner le caractère collectif de la construc- laborations expérimentales, a conduit à une
tion de la preuve. Dans Heinrich Hertz. reconfiguration des modes de travail des
L’administration de la preuve, les auteurs scientifiques, à une planification et une divi-
nous font découvrir que ce collectif n’est pas sion du travail plus poussées, à une centralisa-
limité à la communauté scientifique. Les tion accrue des décisions politiques, à l’ins-
démonstrations expérimentales organisées à tauration de hiérarchies de décision
destination de publics divers participent au parallèles, et, par conséquent, à une com-
processus de persuasion des scientifiques, à la plexification de la construction des argumen-
certification des résultats par la communauté. taires convaincants.
H. Hertz présente ainsi ses expériences tour à En en décrivant les formes historiquement
tour à ses proches, à ses collègues, aux situées, c’est la « variété de ce qui est pensé et
membres des sociétés savantes auxquelles il construit comme preuve »18 que s’attachent à
appartient, aux notables de Karlsruhe et à ses mettre en lumière les auteurs de ces deux
étudiants. À Paris ou à Londres, des confé- livres, dont la présentation de quelques-uns
rences ou autres manifestations publiques des résultats n’épuise pas, loin s’en faut, la
s’appuyant sur la mise en scène d’expériences richesse des analyses portées sur l’administra-
semblables à celles de Hertz ont également tion de la preuve en physique.
lieu. Ces démonstrations publiques «soulignent
le rôle qu’on fait jouer aux sens des spectateurs
Les pratiques saisies
dans l’administration de la preuve » (p. 69)
par l’histoire des sciences
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expliquent M. Atten et D. Pestre, rappelant
que le procédé est déjà fort ancien. Pointant Faire de l’histoire des sciences aujourd’hui
le changement radical d’échelle qui s’est conduit à exposer ses travaux à des critiques
opéré au cours du XX e siècle en physique sur plusieurs fronts disciplinaires. C’est un
expérimentale, P. Galison met notamment regard d’historien que je souhaite ici porter
l’accent sur l’intensification du caractère col- sur ces deux livres. L’historien des sciences
lectif des recherches conduites. On est ainsi interroge aujourd’hui non seulement les
passé d’expériences menées sur un coin de connaissances produites par les scientifiques,
table, effectuées par un ou deux chercheurs, à mais la manière dont elles ont été produites.
de véritables entreprises qui impliquent des Rien d’étonnant dès lors à ce que les manières
équipes internationales de centaines de per- de produire l’histoire soient à leur tour ques-
sonnes, travaillant dans des laboratoires qui tionnées.
s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares, L’ouvrage de M. Atten et D. Pestre débute
mobilisent des équipements monumentaux, par ces lignes :
se déroulent sur plusieurs années et requiè- « Ce petit livre n’est pas un livre d’histoire. Ce
rent des dizaines de millions de dollars. n’est pas un livre qui vise à établir de façon systé-
matique ce qui advint pendant les trois ou quatre
Quelle incidence cela a-t-il sur l’administra- années qui firent suite à la publication, par le
tion de la preuve ? grand physicien Heinrich Hertz, de ses fameux

157
P O I N T C R I T I Q U E

articles concernant la propagation des ondes élec-


tromagnétiques », avant d’enchaîner avec « Ce
livre est bien le fait de deux historiens… » (p. 5).

Le qualificatif de « grand » accolé ainsi


d’emblée au physicien H. Hertz, comme
d’ailleurs celui de « fameux » dont les auteurs


créditent d’entrée de jeu ses articles, pourrait


19. Il convient de noter ici que le raisonnement laisser craindre l’écriture d’une histoire dont
téléologique est au fondement de certaines conceptions de
l’histoire des sciences. l’explication se fonderait sur les connaissances
de la physique que l’on a aujourd’hui19. La
20. P. Galison, Ainsi s’achèvent les expériences…, op. cit.,
p. 86. suite de l’ouvrage rassure tout à fait sur ce
21. Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs écrivent : point de méthode. Chez P. Galison en
« Le travail de l’historien ne consiste toutefois pas à revanche, la cause n’est pas entendue de
prétendre tout dire mais à régler le flot d’informations de manière aussi catégorique. En attestent plu-
façon à produire une histoire lisible » (p. 116).
Contradiction ou nuance ? sieurs passages, introduits par l’adverbe
22. À moins qu’il ne faille interpréter ces propos « rétrospectivement », à l’image de celui-ci :
introductifs comme une concession faite à la manière de « Rétrospectivement, on peut noter que les deux
considérer l’histoire la plus répandue chez les philosophes, physiciens utilisèrent une mauvaise particule pri-
à qui l’ouvrage est prioritairement destiné. maire pour les rayons cosmiques (l’électron), pro-
23. Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité. duite dans un processus qui n’a pas lieu (la fusion
Cours au collège de France 2000-2001, Paris, Raisons spontanée d’atomes d’hydrogène en oxygène,
d’agir, 2001. azote, etc.), puis qu’ils invoquèrent une loi
d’absorption qui était également incomplète (elle
24. Michel de Fornel, Jean-Claude Passeron (éd.), ignore la production de paires, les effets de liaison
L’argumentation. Preuve et persuasion, Paris, EHESS, électronique, etc.)20. »
coll. « Enquête », n° 2, 2002, p. 7. Cet ouvrage tente
de remédier à ce déficit d’analyse en proposant, où l’analyse du physicien de formation qu’est
dans une perspective de comparaison interdisciplinaire,
six études « d’épistémologie descriptive visant à identifier
également P. Galison semble prendre le pas
quelques-unes des opérations les plus caractéristiques sur celle de l’historien.
de l’administration des preuves dans nos disciplines ». Mais, revenons sur l’entrée en matière de
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25. Voir notamment Bernard Lepetit (éd.), Les formes Heinrich Hertz. L’administration de la preuve
de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin
Michel, 1995 ; Jacques Revel, « Ressources narratives et
et ses présupposés. Est-ce là, aux yeux des
connaissance historique », Enquête, n° 1, 1995, pp. 43-70 ; auteurs, le caractère essentiel et caractéris-
Roger Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre tique de la pratique de l’historien que d’être
certitudes et inquiétude, Paris, Albin Michel, 1998 ;
Gérard Noiriel, Sur la crise de l’histoire, Paris, Belin, 1996 ; «systématique» 21 ? Une des spécificités de la
Carlo Ginzburg, Rapports de force. Histoire, rhétorique, méthode de l’historien réside-t-elle dans son
preuve, Paris, Seuil-Gallimard, coll. « Hautes Études »,
2003, pp. 13-42 (introduction).
aptitude à besogner ? La nécessité de faire
court, imposée par la collection dans laquelle
26. Antoine Prost poursuit une réflexion sur ce thème
au travers notamment de trois articles : « Histoire, vérités, paraît ce texte, est probablement source de
méthodes. Des structures argumentatives de l’histoire », cette formulation rapide22 qui, si elle était
Le Débat, n° 92, 1996, pp. 127-140 ; « Mais comment donc
l’histoire avance-t-elle ? », Le Débat, n° 103, 1999,
prise au pied de la lettre, tendrait à renouer
pp. 148-153 ; « Argumentation historique et argumentation avec l’image de l’historien en tâcheron labo-
judiciaire », in M. de Fornel, J.-C. Passeron (éd.), rieux qui établit ou met à jour les faits puis qui
L’argumentation…, op. cit., pp. 29-48.
doit laisser à d’autres, à l’épistémologue ou au
27. Bernard Lepetit, « Histoire des pratiques,
pratique de l’histoire », in B. Lepetit (éd.), Les formes
sociologue, le soin de les interpréter ou d’en
de l’expérience…, op. cit., p. 13. dégager le sens véritable. Cette vision de l’his-
28. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier toire comme discipline pourvoyeuse de maté-
d’historien, Paris, Armand Colin, 2002 [1949]. riaux empiriques dans lesquels il serait pos-

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P O I N T C R I T I Q U E

sible de puiser pour étayer théories ou nistration de la preuve est réglée dans cha-
réflexions n’est pas celle que je défends. Les cune des disciplines. Qu’est-ce qui fait preuve
auteurs de cet ouvrage sont, à n’en pas douter, pour l’historien, le sociologue ou l’anthropo-
trop avertis de ce qu’est un « fait », physique logue ? Michel de Fornel et Jean-Claude Pas-
comme historique, pour ne pas être soupçon- seron constatent que, pour ce qui les
nés de prétendre à une telle division du travail concerne, ces disciplines ont jusqu’ici plutôt
ou même de croire possible la dissociation de éludé les interrogations sur les modalités des
ces deux opérations que sont l’élaboration du démarches de preuve24. Pour ce qui est des
«fait» et son interprétation. Qu’un partage des historiens, il faut reconnaître que, si des élé-
tâches entre un auteur qui rassemblerait la ments de réponse ont été formulés, notam-
documentation historique et un autre qui en ment en réplique aux défenseurs du « tour-
tirerait les enseignements ne soit pas la nant linguistique »25, rares sont ceux qui, à
meilleure façon de procéder est également une l’instar d’Antoine Prost, abordent la question
banalité. L’impression de placage artificiel de frontalement26. C’est dans la perspective de
propos préconçus sur un matériau historique contribuer à nourrir une réflexion de ce type
qui en résulte inévitablement a pour consé- que ces deux ouvrages d’histoire des sciences
quence première de fragiliser le pouvoir de peuvent également être lus. Les réponses
conviction de l’étude. Les fragments de récit apportées dans le cas de la physique expéri-
historique sertis dans un discours qui n’a pas mentale des XIXe et XXe siècles sont autant de
servi à les établir ne cessent-ils pas de jouer le points de comparaison susceptibles de mettre
rôle qui leur est assigné, de faire preuves? en lumière des similitudes et analogies entre
L’aspect probablement le plus stimulant de les métiers d’historien et de physicien, ou au
ces deux ouvrages, et ce qui les rend contraire de faire apparaître des dissem-
attrayants et instructifs pour un public bien blances radicales.
plus large que celui des seuls historiens des La comparaison entre ces deux métiers n’est
sciences, est qu’interrogeant les pratiques des en rien nouvelle et sa fécondité n’est plus à
physiciens d’hier, ils questionnent en effet, démontrer. La définition de l’histoire comme
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involontairement peut-être mais immanqua- « une technique (un métier) fondée sur la
blement, les pratiques de recherche actuelles manipulation (d’archives, de séries, de
des sciences sociales. En application du prin- contextes, d’échelles, d’hypothèses) et l’expé-
cipe de réflexivité de D. Bloor, quelques rimentation »27, formulée par Bernard Lepetit,
sociologues des sciences se sont livrés à l’exer- dans l’ouvrage paru en 1995 qu’il a dirigé et
cice qui consiste à analyser leurs propres intitulé Les formes de l’expérience, suggère
façons de faire avec les grilles de lecture for- encore, par son vocabulaire, un rapproche-
gées pour étudier les sciences dures. On ne ment qui, près d’un demi-siècle plus tôt, était
peut manquer également de citer ici Pierre au cœur de l’essai inachevé de Marc Bloch,
Bourdieu, qui, pour son dernier cours au col- Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien28.
lège de France, a choisi de revenir sur les Dans cet exercice de légitimation d’une
résultats de travaux d’histoire et de sociologie « science des hommes dans le temps »,
des sciences, dont il livre une lecture fort inté- M. Bloch ne ménage pas les parallèles avec les
ressante, afin de tenter une analyse réflexive activités des savants reconnus comme tels.
de son œuvre23. Indirectement, les livres de Dans cette tentative pour définir le métier
P. Galison, M. Atten et D. Pestre invitent les d’historien, ses pratiques, ses méthodes
sciences sociales et l’histoire à un questionne- d’observation et d’investigation, les références
ment introspectif sur la manière dont l’admi- au scientifique, qu’il soit mathématicien,

159
P O I N T C R I T I Q U E

physicien ou chimiste, sont, en effet, omnipré-


sentes et les comparaisons entre les façons de
faire propres aux deux professions récur-
rentes. À l’excès parfois, sans que cela
n’entame toutefois l’intérêt ou l’actualité de
l’ensemble de cette réflexion méthodologique,
qui reste à méditer. En particulier, pour les
situations qui remontent à plus d’un siècle,
l’impossibilité absolue dans laquelle se trouve
l’historien d’observer lui-même les phéno-
mènes qu’il étudie et l’irréductible fatalité de
l’histoire à être une « connaissance par
traces », soulignées par M. Bloch, sont des
considérations qui, banales en apparence,
méritent de rester constamment présentes à
l’esprit. Elles apparaissent en effet pouvoir
notamment servir d’efficaces garde-fous à


l’occasion d’emprunts faits à des disciplines


comme la sociologie, l’ethnologie ou l’anthro-
pologie. L’historien importe des questionne-
ments, des concepts, des grilles d’analyse, fait
sien le vocabulaire, le jargon parfois, de ces
disciplines. Les apports de la transgression de
frontières disciplinaires sont indéniables
lorsque ces emprunts sont contrôlés, c’est-à-
dire s’accompagnent d’une réflexion sur les
possibilités mêmes ou les conditions d’un tel
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transfert. La crainte de voir l’appropriation
par l’historien d’outils nouveaux se faire au
détriment de certaines règles de base du
métier n’est cependant pas totalement infon-
dée. L’usage du mot « pratique(s) » dans les
travaux historiques aujourd’hui m’apparaît
ainsi symptomatique d’emprunts non maîtrisés
au vocabulaire d’enquêteurs ayant la possibi-
lité de se livrer à des observations en situation.
Le mot est sous toutes les plumes, ou presque.
Trop peu d’auteurs toutefois se sont interrogés
sur les meilleurs moyens d’approcher lesdites
pratiques lorsque celles-ci appartiennent au
passé. Dans de nombreux cas, le mot « pra-
tique(s) » est utilisé alors que, de toute évi-
dence, les sources mobilisées ne permettent
pas de les saisir et que, manifestement, de pra-
tiques effectives il ne peut être véritablement

160
P O I N T C R I T I Q U E

question. L’écart entre ce qui est dit et ce qui manuscrits personnels de Hertz, rendus com-
est fait n’aurait que peu d’importance si modément accessibles grâce à leur publication
l’attention particulière portée aux pratiques en 1977, démontre pourtant tout le parti que
n’était au centre de la démarche préconisée. l’on peut tirer de documents de cette nature
Certains travaux d’histoire des sciences pour le type d’histoire que les auteurs se sont
n’échappent pas totalement à ce travers et fixé pour objectif d’écrire. L’utilisation de
l’ouvrage de M. Atten et D. Pestre est de ceux- sources de nature équivalente pour le milieu
là. À la suite des sociologues des sciences, la de la réception aurait, à n’en pas douter, fourni
nécessité d’analyser les pratiques effectives des des éléments permettant d’affiner l’analyse et
scientifiques y est affirmée à plusieurs reprises. d’affermir la démonstration. Ce constat d’une
Par ailleurs, reprenant les acquis des travaux mise en œuvre simplement esquissée du pro-
anglo-saxons notamment, les limites de ce sur gramme de travail énoncé ne retire cependant
quoi l’article scientifique peut renseigner sont rien au caractère stimulant des hypothèses et
énoncées – « un article scientifique est rare- des propositions formulées sur l’administra-
ment, nous le savons, le récit fidèle d’une tion de la preuve en physique.
expérience, l’enregistrement passif d’une suite Point de situation aussi paradoxale dans
de résultats obtenus «naturellement»» (p. 21) l’ouvrage de P. Galison, mais au contraire une
– et les distorsions opérées par ce type de attention explicite à la nature des sources
document soulignées – « ses publications ne convoquées, à leur adéquation au projet for-
sont qu’une représentation schématique, une mulé, à leur capacité à servir d’indices pour
image idéale et simplifiée de ce qu’il a fait et saisir des pratiques. Tirant les conséquences
vécu» (p. 36). Force est pourtant de constater des silences, non-dits ou omissions, qui carac-
que les sources primaires convoquées à l’appui térisent les articles scientifiques publiés, mais
de l’analyse de la réception des travaux de aussi, corrélativement, de la propension des
H. Hertz par les auteurs sont essentiellement publications savantes à couler dans le moule
des articles parus dans des périodiques scienti- du protocole scientifique idéal les expériences
fiques et, de manière exclusive, des documents qui ont été menées, P. Galison est parti en
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imprimés. N’y a-t-il pas là une contradiction quête d’autres sources, des documents non
interne à affirmer que «le faire, le tacite et le publiés, susceptibles de lui permettre de
corporel sont centraux dans les sciences » « reconstruire les présuppositions théoriques,
(p. 10) et à proposer une analyse de la récep- les essais, les procédures de mesure et les
tion des résultats du physicien H. Hertz avant caprices des instruments » (p. 4) ou de retracer
tout fondée sur des articles scientifiques, alors « les interactions quotidiennes entre les scien-
même que l’impuissance de ce type de docu- tifiques » (p. VI). L’un des résultats importants
ment à rendre compte de la science telle de cette recherche qui traite de trois exemples
qu’elle se fait a été mise en exergue ? Les appartenant à des époques différentes, c’est de
«faire et les dire» des lecteurs des travaux de montrer que la nature même des documents à
Hertz, les « manières effectives de travailler» interroger change au cours du XXe siècle. Les
(p. 8), « les matières pratiques de juger des traditionnels carnets ou journaux de labora-
choses, les jugements en situation » (p. 11) toire et les correspondances, avec lesquels
peuvent-ils s’appréhender au travers d’articles l’historien du XIXe siècle travaille, doivent
publiés dans des revues scientifiques ? Le ainsi, dans l’analyse les expériences plus
recours (pp. 34-36) à la correspondance de récentes de la physique, céder le pas à des
Hertz avec les maxwelliens, telle qu’elle a été matériaux d’un genre nouveau, demandes de
éditée en 1987, ou à une partie des écrits financement ou programmes d’ordinateur

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P O I N T C R I T I Q U E

(p. 4). Cette transformation de la nature des


documents que l’historien est amené à manier
et leur plus grande diversité – qu’on en juge
par la liste que dresse P. Galison des sources
qu’il a examinées : « propositions de projets,
rapports d’avancement, actes de conférences,
sorties d’ordinateurs, bandes de données,
films, organigrammes, diagrammes de circuits,
tirages de plans, résultats de dépouillement,
correspondances administratives, transparents
de présentations, résidus archéologiques de
l’équipement » (p. VI) – sont assurément des
données à ne pas négliger dans la définition
des politiques de conservation des archives
des sciences.
Le renouvellement des questionnements et la
désignation de nouveaux objets d’investiga-
tion invitent l’historien des sciences à innover
sur le plan des méthodes, à imaginer et
déployer de nouvelles ruses pour tenter
d’appréhender ce qui désormais fait partie
intégrante de l’analyse : les pratiques maté-
rielles, les savoirs tacites, les savoir-faire
incorporés29, les gestes. Les historiens des
techniques, tout particulièrement ceux qui
s’intéressent aux transformations métallur-
giques et aux mines, s’emploient depuis
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quelque temps déjà à formuler des hypothèses


sur les savoirs pratiques, à restituer des


29. Sur ce thème, voir notamment Christopher Lawrence, chaînes opératoires ou à reconstituer des
Steven Shapin (éd.), Science incarnate : Historical
Embodiments of Natural Knowledge, Chicago, gestes, à partir de la simulation de situations,
University of Chicago Press, 1998. de l’analyse physico-chimique en laboratoire
30. Voir, par exemple, Paul Benoît, Denis Cailleaux (éd.), des résidus de production et de démarches
Mines et métallurgie dans la France médiévale, archéologiques30. La reconstruction d’instru-
Paris, Association pour l’édition et la diffusion des études
historiques, 1991. ments et la reproduction de pratiques expéri-
mentales constituent également aujourd’hui
31. Concernant la reproduction de la balance de torsion
de Charles-Augustin Coulomb, instrument qui a permis des démarches suivies par quelques historiens
de déterminer la loi de force électrique, des sciences31, fructueuses en ce qu’elles per-
voir Christine Blondel, Matthias Döries (éd.), Restaging
Coulomb. Usages, controverses et réplications autour mettent de fournir des informations supplé-
de la balance de torision, Firenze, Olschki, mentaires susceptibles d’être confrontées et
coll. « Biblioteca di Nuncius : studi e testi », 1994.
Heinz Otto Sibum a, quant à lui, refait les expériences
recoupées avec celles recueillies au moyen de
de James Prescott Joule sur l’équivalent mécanique sources textuelles et iconographiques. De
de la chaleur : « Les gestes de la mesure. Joule, telles expériences contribuent, à n’en pas dou-
les pratiques de la brasserie et la science »,
Annales. Histoire, sciences sociales, n° 4-5, 1998, ter, à l’émergence d’un savoir historique
pp. 745-774. construit sur une critique de ses preuves.

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