Creation Plastique Et Tournant Ethnologique en Hai
Creation Plastique Et Tournant Ethnologique en Hai
Creation Plastique Et Tournant Ethnologique en Hai
Éditeur
Musée du quai Branly
Référence électronique
Carlo Avierl Célius, « La création plastique et le tournant ethnologique en Haïti », Gradhiva [En ligne],
1 | 2005, mis en ligne le 10 décembre 2008, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
gradhiva.revues.org/301 ; DOI : 10.4000/gradhiva.301
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non pas de l’équipe de la Revue Indigène, mais de celle de la revue Les Griots (1938-1939)
qui, rappelons-le, est plus directement sous l’influence de Price-Mars4. L’art naïf reste-t-il,
dans cette seconde perspective, un avatar de l’indigénisme ?
3 Pour Danielle Bégot (1988), la peinture naïve « s’inscrit dans le sillage » de l’indigénisme
« mais pas dans sa mouvance ». Michel-Philippe Lerebours quant à lui, à la suite de
Philippe Thoby-Marcelin, distingue nettement un courant pictural proprement
indigéniste qui précède l’avènement de l’art naïf (Thoby-Marcelin 1956 ; Lerebours 1989).
Et, entre les deux courants, Félix Morisseau-Leroy (1955a : 5) martelait déjà que la
différence est radicale. En effet, leur mode d’instauration respectif diffère, de même que
leur démarche d’ensemble et les œuvres réalisées.
4 L’art naïf en tant que genre résulte des nouvelles relations nouées entre art et
anthropologie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, et son avènement en Haïti ne
procède pas pourtant de l’indigénisme ; il le déborde, le subvertit et en signale ainsi les
limites, observables jusque dans la difficulté éprouvée par « l’école haïtienne
d’ethnologie » à l’accompagner, à le penser ou, tout simplement, à l’approcher.
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8 Mais l’hybridité dont parle Thoby-Marcelin n’est en rien une nouveauté. Elle correspond
à la pratique des artistes du XIXe siècle. Eux aussi traitaient de thèmes locaux en utilisant
genres et styles des beaux-arts en vigueur à leur époque. Les artistes des années 1930
croyaient avoir été les premiers à représenter le paysage local alors qu’il est présent dans
l’estampe et la peinture depuis l’époque coloniale. Jaymé Guilliod, sculpteur et
dessinateur actif vers le milieu du XIXe siècle (Célius 1996), en fournit une illustration avec
son Fond-Calalou (Fig. 2), « demeure délicieuse enfermée dans un nid épais de hauts
palmistes, au milieu de la campagne sévère et volcanique de Jacmel, résidence chérie de
Faustin Ier, où la Présidence est allée le prendre, et où il va, avec une petite cour d’amis
dévoués, oublier les soucis, les fatigues et les préoccupations de la puissance ». Toute la
charge affective et symbolique investie dans ce paysage – à la fois lieu de souvenirs
personnels de Guilliod (« un dessin qui m’a rappelé de biens doux et de biens amers
souvenirs d’enfance », souligne-t-il) et d’histoire nationale (en ce qu’il est habité par
l’empereur Faustin Soulouque) – n’est pas sans rappeler certaines œuvres des peintres de
la tendance indigène. Pensons au sentiment nationaliste qu’entendait exprimer Georges
Remponeau à travers Le Lamentin (1940) ou encore Jean Parisot avec son Sémaphore (ca
1937)6. Cela dit, le courant pictural des années 1930 marque une différence par rapport au
XIXe siècle. L’éventail des thèmes susceptibles d’être traités s’est élargi. Portrait et sujets
historiques ne conservent guère leur ancienne prééminence, la préférence allant de plus
en plus à des sujets puisés dans le monde paysan et « populaire » urbain associés au
nouveau critère de valorisation : l’haïtianité. Ce qui constitue une transgression, même
sous le mode folklorisé, dans le domaine des beaux-arts, jusque-là espace symbolique
d’auto-représentation des élites remplissant une fonction de différenciation sociale
(Célius 2000).
9 Au XIXe siècle, le combat des artistes et l’évaluation de leurs œuvres reposaient sur
d’autres paramètres. On cherchait à fonder l’« Art en Haïti » plutôt que l’« art haïtien ».
La démarche de Guilliod le montre bien. Son Fond-Calalou est l’un des vingt dessins
accompagnés de cinq lettres qu’il publie dans l’hebdomadaire parisien, L’Illustration, de
1849 à 1852. Il engage explicitement un triple combat : la défense du gouvernement de
Faustin Soulouque, largement ridiculisé à l’étranger, dans diverses publications (articles,
livres, caricatures, en l’occurrence celles de Daumier et de Cham), et jusque sous la plume
de Victor Hugo et de Karl Marx ; la défense de son pays dénigré et celle de sa « race »
infériorisée. Trois combats en un, menés au nom du progrès de « La Civilisation » en Haïti.
Et c’est dans le cadre du paradigme civilisationnel que ses envois, acceptés par la
rédaction de L’Illustration, sont évalués. Non seulement Guilliod a réussi à faire publier ses
dessins, mais la rédaction a fini par le soutenir au fur et à mesure de sa correspondance,
apportant ainsi une note dissonante dans le concert de dénigrement dont le
gouvernement de Soulouque était accablé. Guilliod restitue des visages d’hommes et de
femmes politiques de son pays (Fig. 3), invitant à les comparer avec des hommes et
femmes politiques d’autres pays montrés dans les pages du même périodique. La réussite
du procès d’humanisation qu’il a engagé doit beaucoup à l’évaluation positive de son
talent d’artiste, sa maîtrise technique, au fait que ses œuvres peuvent tout à fait être
comparées à celles d’artistes européens reconnus. Autant de facteurs qui concourent à
prouver son aptitude personnelle à participer à l’œuvre de « Civilisation », qu’il partage
avec le peuple auquel il appartient, le gouvernement et la « race » qu’il défend.
10 L’enjeu de l’opération est considérable. Une certaine collusion entre anthropologie et
théories de l’art avait abouti, au XVIIIe siècle à l’établissement du critère esthétique dans
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la hiérarchisation des races. Le « noir » est alors placé après le singe au bas d’une échelle
au sommet de laquelle trône le « blanc », incarnant la beauté, sous les traits d’une belle
tête de sculpture grecque, une tête d’Apollon de préférence. Cette échelle, que l’on
retrouve dans les planches de physiognomonie destinées aux cours de dessin, sera reprise
par les théoriciens du racisme scientifique. Un Victor Courtet de l’Isle, par exemple, l’un
des premiers d’entre eux en France, publie, à la fin des années 1840, son Tableau
ethnographique du genre humain (1849), dont une première mouture avait paru dans
L’Illustration (1847) (cf. p. 99) 7. D’ailleurs l’un des « portraits » de Toussaint Louverture, le
plus connu, dessiné dans les années 1820 par Nicolas-Eustache Maurin est à l’évidence
inspiré de ces tables (Fig. 4)7. On comprend le défi lancé à Guilliod chargé de réaliser, à la
demande de l’Empereur, une statue de Toussaint Louverture, inaugurée à l’occasion de la
cérémonie du sacre en 1852.
11 L’entreprise de Guilliod n’est pas isolée. La réflexion théorique sur la création plastique et
sur l’esthétique passe, au cours du XIXe siècle, par la discussion du critère esthétique dans
la hiérarchisation des races. Sous la plume de De Vastey (1816 : 20-22), de Saint-Rémy des
Cayes en 1853, d’Anténor Firmin en 18858 ou de Jean Price-Mars en 1907 9, elle participe
d’un incessant combat antiraciste qui conduit les auteurs aux frontières d’un certain
relativisme. Mais le paradigme civilisationnel dans lequel s’inscrivent leurs démarches les
place dans un évolutionnisme qui les incite surtout à chercher à repousser les limites de
l’universalité, en tout cas ce qui était défini comme tel. Il s’agit au fond d’apporter la
preuve de l’humanité de l’homme issu de l’esclavage et de « l’homme noir » en général. Il
y a là une visée anthropologique qui prend en charge les différences pour autant qu’elles
concourent à prouver l’humanité de tous les hommes. Aussi adopte-t-on une conception
universalisante de l’art (beaux-arts) utilisée comme arme de combat. Mais les choses
changent dans les premières années du XXe siècle sous l’impulsion de la modernité
artistique et de l’ethnographie. Désormais prévaut une conception particularisante de
l’art où sont mis en avant des thèmes considérés comme étant l’expression de l’haïtianité.
12 Parmi ces thèmes, le vodou occupe une place de plus en plus significative. La comparaison
avec le milieu du XIXe siècle donne la mesure du changement survenu. Dans le numéro du
21 février 1852 de L’Illustration, paraît, sous la plume d’un dénommé A. Pigeard, un
reportage sur Haïti ayant pour titre « Une fête publique à Haïti ». L’auteur relate les
festivités organisées à l’occasion du retour de Soulouque dans la capitale après une
tournée dans le pays. Ces festivités consistent essentiellement en des « danses » vodou se
déroulant dans des cabanes en feuillage dressées le long de la route jusqu’à un arc de
triomphe éphémère, en bois, érigé à l’entrée de la ville, sur le chemin de la Croix-des-
Bouquets. L’auteur décrit longuement une « danse grossière », une « danse sauvage
venant directement d’Afrique, et autorisée par le gouvernement » à laquelle s’adonnent
des campagnards descendus en grand nombre des mornes. Une gravure anonyme fige une
séquence de cette danse (Fig. 5). Cette œuvre graphique, une des toutes premières
représentations d’une scène vodou, n’est pas parvenue à restituer la grossièreté et la
sauvagerie dont parle l’article (voir, à titre de comparaison, les dessins illustrant Magic
Island de William Seabrook, 1929) 10. Cependant, en accord avec l’argument soutenu dans
le texte, le dessin, comme une photo de reportage, montre une danse qui se déroule sous
une tonnelle, dans un espace ouvert, et qui atteste d’une pratique de plein jour, non
clandestine. Ce que renforce l’angle de vue adopté par le dessinateur : la danse est
représentée de l’intérieur, face à la rue, nettement décelable dans un arrière-plan
qu’aucune foule n’obstrue. Adeptes et assistants – parmi lesquels figurent des
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14 La peinture naïve peut être comprise comme « une tentative pour dépasser l’opposition
du même et de l’autre », pour abolir la dichotomie barbare / civilisé (Hurbon 1988 : 5).
C’est précisément dans le jeu de cette opposition que surgit le genre naïf.
15 En Haïti, tout commence par une incidence esthétique. Le Centre d’art, créé par l’artiste
états-unien Dewitt Peters en 1944, accueille en son sein les principaux artistes issus de la
mouvance indigène et s’oriente selon leur credo esthétique. Celui-ci est très vite ébranlé
par une rencontre fortuite : José Gómez Sicre, critique d’art cubain, est à Port-au-Prince,
pour présenter une exposition d’œuvres d’artistes de son pays, en janvier-février 1945. Il
découvre dans les réserves du Centre une peinture envoyée aux dirigeants de
l’établissement par un certain Philomé Obin qui peignait depuis quelque temps. La toile,
Visite du Président F. D. Roosevelt au Cap-Haïtien le 5 juillet 1934, avait été acquise mais, parce
que considérée comme l’œuvre d’un apprenti artiste, elle avait été placée dans les
réserves. Sicre, associant cette œuvre à celles d’artistes du courant d’art naïf déjà
constitué en Europe et en Amérique, fait valoir que Philomé Obin pratique une forme
d’art spécifique, digne d’être appréciée. En d’autres termes, il affirme qu’il y a de l’art là
où le credo esthétique en vigueur au Centre ne permettait pas qu’il soit reconnu. Ce
jugement ontologique, à caractère valorisant (« ceci est de l’art »), énoncé dans un
contexte favorable11 a rendu possible l’avènement de l’art naïf en Haïti (cf. Célius 2001,
2004). Cette appréciation de Sicre est suivie d’effets. Le Centre, à la suite de l’exposition
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19 Breton raconte que lors de sa visite au Centre, les œuvres d’Hyppolite « étaient les seules
de nature à convaincre que celui qui les avait réalisées avait un message d’importance à
faire parvenir, qu’il était en possession d’un secret » et « le secret c’est tout ». L’artiste est
pourtant « dans l’ignorance de toutes les recettes de “composition” que se transmettent
les artistes professionnels et qui tendent de plus en plus à faire dépendre la peinture des
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23 Un premier constat s’impose : il est possible de déceler un impact plus ou moins direct de
la pensée de Price-Mars sur le courant pictural développé autour de Pétion Savain mais
pas sur l’avènement de l’art naïf.
24 L’influence de Price-Mars commence à se répandre à partir des conférences qu’il
prononce dans les années 1910. Ses propositions rencontrent des préoccupations de plus
en plus partagées, auxquelles il donne une caution scientifique. Son impact est encore
plus net au début des années 1930. Il fournit au moins trois données au nouveau courant
pictural : un diagnostic sur l’état de la création plastique, les critères d’une haïtianité
artistique à fonder, l’exemple de la relation entre foklore et littérature.
25 Dans Ainsi parla l’oncle, Price-Mars observe l’existence de «… quelques manifestations
sporadiques de peinture et de sculpture [insuffisantes pour] caractériser une production
artistique ». Certes il écrit du sculpteur Normil Charles qu’il « pétrit dans la glaise les
rêves de gloire qui hantèrent jadis le cerveau de nos héroïques aïeux […]. Mais une
hirondelle ne fait pas le printemps… » (Price-Mars 1998 [1928] : 180). Ce constat d’un vide
en matière de création plastique est pour le moins étrange, et il révisera d’ailleurs plus
tard cette appréciation négative. Du reste une publication de 1926 d’Édouard Goldman,
lui-même peintre, fait notamment état des œuvres conservées au Palais du Centenaire
inauguré aux Gonaïves en 1904, des toiles du XIXe siècle accrochées à la cathédrale
coloniale de Port-au-Prince, et de ce fait ébranle ce diagnostic. Toujours est-il qu’il est
repris au début des années 1930 par Savain et son entourage (Savain 1936, Sylva 1938), qui
s’octroient ainsi le privilège de l’invention des beaux-arts en Haïti et de l’haïtianité dans
le domaine. Le vide s’étendant au-delà des limites de ce champ, aucune forme de création
plastique « populaire » n’est identifiée comme source potentielle d’inspiration, à l’instar
de celles indiquées pour la musique, la danse et la littérature. L’haïtianité en matière
plastique se limitera au niveau thématique, en recourant au modèle littéraire. D’ailleurs,
insiste-t-on : « L’atelier de Savain devint assez vite le lieu de réunion de l’avant-garde
littéraire de l’époque (le poète Émile Roumer en tête), qui l’emplissait de son exubérance,
ouvrant au peintre des horizons nouveaux, lui enseignant l’audace » (Thoby-Marcelin
1956: 23). Savain lui-même publiera un roman, La Case de Damballah (1936- 1939), illustré
de gravures (Fig. 11). Thoby-Marcelin remarque que dans le roman il expose « le drame
quotidien de nos paysans et [retrouve] de la sorte, les situations étant les mêmes, le
lyrisme naïf et la fraîcheur primitive de la Marchande d’accassan » (ibid.: 25). Nombre de ses
œuvres picturales, comme Marché dans la montagne (1938), semblent avoir été inspirées de
certains passages du roman.
26 Il est moins aisé d’établir une relation directe entre l’œuvre de Price-Mars, le discours des
tenants de l’esthétique indigène et l’apparition de l’art naïf. Sicre a énoncé son jugement
sur l’œuvre d’Obin indépendamment et d’ailleurs contre les valeurs de l’esthétique
indigène. Son cadre de référence, comme celui de Breton, se situait ailleurs. Au moins
l’école haïtienne d’ethnologie était interpellée.
27 Quand se pose, en 1945-1947, la question de la promotion de l’art naïf, le processus
d’institutionnalisation de cette école est déjà bien engagé, surtout que l’Institut et le
Bureau d’ethnologie avaient été fondés en 1941. Ce nouveau type d’art soulève d’emblée
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bien des problèmes qui intéressent directement la nouvelle discipline, notamment ceux
relatifs à l’identité et à l’authenticité, au religieux et au sacré, à la mémoire sociale et
« raciale ». On s’interroge sur la meilleure façon de le qualifier : populaire ? naïf ?
primitif ? De surcroît, cet art accomplit, dans une certaine mesure, ce que le chef de file,
Price-Mars appelle de ses vœux depuis les années 1910 : la promotion des gens du peuple,
la reconnaissance de leurs potentialités et des valeurs dont ils sont porteurs. L’art naïf
apporte de nouvelles données à l’étude des caractéristiques de la culture haïtienne et de
sa dynamique interne.
28 Pourtant, dans la bibliographie des œuvres de Price-Mars dont on dispose (Hoffmann s.d.)
ne figure aucune étude spécifiquement consacrée aux langages plastiques d’Haïti en
général et à l’art naïf en particulier si ce n’est un compte rendu du roman de Pétion
Savain paru dans le numéro du 10 février 1940 de Haïti Journal. Il faut donc effectuer une
recherche minutieuse des opinions qu’a formulées Price-Mars sur la création plastique
dans son abondante production, notamment dans les « essais » sur « les arts », la
littérature et la culture des années 1950.
29 Au début de ces années, à l’heure où triomphe l’art naïf, Price-Mars parle de la diversité,
de la relativité du beau et des manifestations artistiques, reprenant ainsi un thème de
réflexion qu’il avait abordé dès 1907 dans sa conférence sur « L’esthétique dans les races »
(2001 [1919]).
« Que la beauté soit multiforme et ne réside pas seulement dans l’expression
immortelle qu’elle revêtit jadis sur les bords de la mer Egée dans la statuaire
grecque et la métaphysique aristotélicienne, qu’elle se soit extériorisée aussi dans
l’impressionnisme de l’art japonais, la richesse de détail de l’art hindou, le faste du
coloris de la peinture chinoise, qu’elle se soit explicitée dans le réalisme émouvant
et la stylisation de la sculpture nègre, c’est qu’en définitive la beauté ne doit pas
être prisonnière d’une forme unique, standardisée, immobile, momifiée. La beauté
peut et doit revêtir un idéal d’expression selon les peuples, les milieux et les
époques en incarnant la puissance de la vie dans la plasticité de la matière en
insufflant l’émotion dans la cadence du rythme, de la sonorité cristalline ou voilée
du vocable, dans la souplesse harmonique du mouvement, dans la symétrie et
l’ordonnance des détails. Peinture, sculpture, architecture, danse, poésie seront des
expressions d’art aussi bien génériquement humaines que spécifiquement
nationales ou indigènes » (Price-Mars 1951 : 51).
30 Qu’en est-il du cas précis d’Haïti ? Dans les années 1920, Price-Mars invitait les créateurs à
s’inspirer du folklore pour fonder un art véritablement haïtien. Il s’adressait aux
nombreux romanciers, aux musiciens dont « beaucoup d’ouvriers [étaient déjà] à la
tâche », mais pas aux plasticiens – il n’en voyait pas. Il tend par la suite à rectifier cet état
des lieux. Il reconnaît qu’« entre 1850 et 1904, la floraison des artistes et des hommes de
lettres s’épanouit en gerbes magnifiques dans tous les domaines. Musique, peinture,
sculpture, littérature ont fait éclore des talents robustes et brillants » (Price-Mars 1959a :
93). Aux côtés d’un Démesvar Délorme, théoricien, d’un Oswald Durand, d’un Tertullien
Guilbaud, Massillon Coicou, Georges Sylvain, Etzer Vilaire, littéraires, il retient les noms
d’Edmond Laforesterie et de Normil Charles, sculpteurs, d’un Colbert Lochard, peintre ou
d’Occide Jeanty, musicien. Cependant, c’est dans les années 1950 que la floraison s’est
montrée plus intense.
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« Il n’est pas interdit d’associer à cette ferveur dont jouit l’art sous toutes ses
formes, en ce moment, l’engouement qui a poussé le public depuis une vingtaine
d’années à encourager la floraison des arts plastiques. Comme par enchantement, a
paru, sous notre ciel, un essaim de peintres, de sculpteurs et d’architectes dont les
tableaux, les marbres, les bronzes ont soulevé l’admiration générale et ont acquis la
faveur des connaisseurs dans les expositions internationales en Europe et dans les
Amériques » (Price-Mars 1959b : 70-71).
31 Price-Mars tente d’être plus précis dans un autre essai. « De toute cette activité, il résulte
qu’entre 1915 et 1953, soit en trente-huit ans, notre littérature et nos arts se plièrent à
une orientation nouvelle. »
Il poursuit :
« Pour la première fois apparut une floraison d’arts primitifs qui conquirent les
lauriers des expositions internationales grâce à la diligente amitié de M. Dewitt
Peters. Pour la première fois des chœurs sous la direction de M. Michel Déjean,
participèrent avec succès à des festivals internationaux, au-delà des mers, en
faisant valoir des airs de notre folklore et de nos traditions populaires. Pour la
première fois, une Catherine Dunham qui vint chez nous s’instruire et
s’approvisionner des richesses de notre folklore s’appropria la technique de nos
danses populaires et alla sur les scènes américaines et européennes les faire
applaudir en un succès grandissant. Pour la première fois des troupes folkloriques
sous la direction de Madame Fusman Mathon ou d’autres personnalités après avoir
moissonné des triomphes locaux vont faire apprécier nos virtuosités artistiques à
l’étranger. Pour la première fois, des musiciens tels que Ludovic Lamothe, Justin
Elie, Carmen Brouard, sans renoncer à la norme classique de leur éducation
artistique, s’inspireront des motifs de nos paysages ou de nos mœurs pour écrire
“Sous la tonnelle”, “Danse tropicale” ou “La Mer Frappée” » (Price-Mars 1959a: 99).
32 Price-Mars enregistre avec satisfaction le triomphe de ses recommandations : pour la
première fois, les arts et la littérature prennent une orientation nouvelle en tirant parti
du folklore. Et « la floraison des arts primitifs » participe de cet accomplissement. Mais
ces « arts primitifs » équivalent-ils aux musiques, chants, danses… « populaires » ou à
celles qui s’en inspirent ? Le terme « populaire » situe explicitement les pratiques qu’il
associe au champ du folklore, tel que celui-ci est défini dans Ainsi parla l’oncle. Une
relation d’équivalence avec celui de primitif supposerait une conception désormais
élargie de ce champ : Price-Mars qui y en excluait les « arts populaires » aurait alors
identifié les formes de création plastique de notre « fonds de traditions ». De ce point de
vue, le rôle qu’il attribue à Dewitt Peters consisterait en la promotion internationale d’un
type de création jusque-là méconnue et qui fleurit désormais « comme par
enchantement ». Dans cette perspective, les « arts primitifs » ne sauraient avoir les
mêmes caractéristiques et le même statut que les créations inspirées du folklore. À
l’évidence, Price-Mars ne perçoit pas ces implications. Et ce qualificatif de primitif, dans
quel sens l’entend-il ? Dans Ainsi parla l’oncle il l’emploie pour caractériser les cultures
africaines. Il parle de « foi primitive » (Price-Mars 1998 [1928] : 106), de « pensée du
primitif » (ibid.: 88), « de la vie nègre en son mode primitif » (ibid.: 114). Pour lui,
« L’animisme nègre n’est autre chose qu’une religion de primitifs » (ibid.: 84). Et la
création plastique des nègres ? La « sculpture nègre » est réaliste et stylisée. Puisque nous
héritons de « lourds mystères de l’Afrique lointaine », c’est sans doute de là que nous est
venu « le réalisme [de notre] culture indigène » (Price-Mars 1951: 51). Reste à savoir
comment articuler « réalisme culturel » et « peinture primitive ». En admettant peut-être
le « réalisme » des « arts primitifs », y compris ceux qui fleurissent en Haïti, lesquels n’en
sont pas moins d’inspiration africaine18.
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36 Son insistance à parler d’arts nous invite à ne pas nous en tenir à cette justification 22.
Tout en s’excusant de parler littérature, c’est en fait à la littérature que pense Price-Mars
lorsqu’il place d’emblée l’art au cœur de son projet ethnologique. En effet, dans Ainsi parla
l’oncle, il se préoccupe de savoir si la société haïtienne dispose « … d’un fonds de traditions
orales, de légendes, de contes, de chansons, de devinettes, de coutumes, d’observances, de
cérémonies et de croyances qui lui sont propres ou qu’elle s’est assimilée de façon à leur
donner son empreinte personnelle, et si tant est que ce folklore existe, quelle en est la
valeur au double point de vue littéraire et scientifique ? » (Price-Mars 1998 [1928] : 5). De
plus, il se demande « quel parti l’art et la littérature ont-ils tiré de [ce] folklore ? » Il
enchaîne : « Et d’abord y a-t-il un art haïtien, une littérature haïtienne ? » (ibid.: 173) C’est
dans ce contexte qu’il dresse le constat d’un vide en matière de création plastique.
37 La prééminence est accordée à la littérature et la délimitation du champ du folklore
exclut la culture matérielle – ce qui est conforme à la conception du folklore la plus
couramment admise dans les années 1910 et 1920 (Van Gennep 1943, I : 6-11, 19-42). La
relation privilégiée avec la littérature est ainsi toute trouvée. Et elle est, à bien des égards,
parfaitement justifiée aux yeux de Price-Mars. Lui-même a des aspirations littéraires
comme en témoignent ses nouvelles et ses méditations lyriques (cf. « Son idéal », 1900 ;
« Voyageuse », 1905, « Le Mufle », 1908 ; « Les Corbeaux », 1912, « Les Victoires
mutilées », 1913…). Témoin du mouvement littéraire du début du siècle, il y cherche sa
voie en s’exerçant aussi à la critique littéraire et à la réflexion sur l’esthétique. Sa
conférence sur « L’esthétique dans les races » reprend un thème récurrent tout le long du
XIXe siècle tout en étant en phase avec les discussions déjà amorcées sur la problématique
de l’haïtianité. On cherche en effet à caractériser une préoccupation de plus en plus
affirmée en parlant, dès 1905, des « Haïtianides », d’« haïtianités » (Marty 2000 : 74). Un
roman illustrant cette démarche, Mimola (1906) d’Antoine Innocent fournira à Price-Mars
matière ethnographique ; il y puisera pour Ainsi parla l’oncle des descriptions de
cérémonies vodou (Price-Mars 1998 [1928] : 138-143). D’ailleurs, en 1949, il consacrera
« Antoine Innocent ethnographe » (Price-Mars 1953). Il faut ajouter que le domaine
littéraire est alors le lieu d’expression le plus en vue de la créativité, le plus valorisé dans
le pays (et, de ce fait, une des principales portes d’entrée dans le monde intellectuel). Ce
poids de la littérature, lié à une définition traditionnelle du folklore, empêchait Price-
Mars de percevoir une quelconque forme de création plastique qui serait constitutive de
« notre fonds de traditions » et, subséquemment, la possibilité pour les artistes plasticiens
qu’il identifie, aussi peu nombreux soient-ils, d’en « tirer parti ». Les indices dont il
disposait ne prenaient pas sens pour lui. Pourtant, Paul Sébillot, sous l’autorité duquel il
se plaçait pour définir le folklore, peintre lui-même, s’intéressait aux « arts populaires » 23,
lesquels avaient acquis une incontestable visibilité dans les recherches folkloristes à
l’époque où émerge l’art naïf en Haïti ! Décidément le bouleversement provoqué par
l’irruption de l’art naïf n’a eu aucun effet sur les recherches de Price-Mars. Il ne l’a pas
conduit à réviser sa conception initiale du folklore qui a largement orienté l’école
haïtienne d’ethnologie.
38 Ses considérations sur l’esthétique telle qu’exprimée par des « races » différentes et la
diversité des manifestations artistiques sont reprises et font même l’objet d’un
enseignement24. Ses disciples, surtout deux d’entre eux en fournissent la preuve, adoptent
comme lui un rapport distancié à la création plastique. Lorimer Denis et François
Duvalier, dans un article de 1936, notent l’importance de la découverte des arts d’Afrique
pour l’art moderne : Picasso, Derain, Matisse, Segonzac, Laurencin y ont puisé les valeurs
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capables de les amener à « retrouver les frontières effacées de l’art ingénu des primitifs ».
« De même aussi dans la peinture encore à l’état embryonnaire chez nous, M. Pétion
Savain, au dire de sa critique M. Anthony Lespès, s’est affranchi des normes occidentales
pour assouplir son talent au contact des disciples du cubisme d’inspiration franchement
nègre. » (Denis & Duvalier 1968: 214). Cependant, quand il est question de la peinture
naïve, quand se pose le problème de son rapport à l’Afrique, les auteurs se dispensent
d’intervenir dans le débat. En 1952, l’un d’eux, François Duvalier, prononce une
conférence sur « la culture populaire » : il se limite à la poésie, au chant et aux danses
dans « l’esthétique vodouesque »25. Mais il n’a pu s’empêcher d’évoquer les beaux-arts.
Traitant de l’importance de la connaissance de la culture nationale, de la nécessité de « la
conserver » et de « l’augmenter », le conférencier soutient que :
« Cette conservation de la culture confiée aux musées, aux archives et aux
bibliothèques sera augmentée d’une façon insoupçonnée. Pour l’encouragement
moral de notre culture, qui est la base spirituelle de notre Nation et la base du
véritable sentiment populaire, nous disposerons de centres de diffusion des beaux-
arts, des sciences et des belles-lettres, de conférences, de radiodiffusions, de centres
de recherches scientifiques, littéraires, historiques, philosophiques, idéologiques, et
artistiques et nous aurons également des académies: l’Académie des sciences, des
belles-lettres, des beaux-arts, de l’histoire et des langues, des croyances religieuses,
de littérature populaire et des traditions familiales et régionales » (Duvalier 1968a,
I : 275-276).
39 Aucune allusion n’est faite au Centre d’art créé en 1944 par Dewitt Peters, qui promeut
l’art naïf, ni au Foyer des arts plastiques qui venait d’être fondé en 1950 par des dissidents
du Centre, ni encore au décor de la cathédrale épiscopale qui venait d’être inauguré en
1951 marquant le triomphe de l’art naïf en Haïti. En ce début des années 1950, où le
monde de la création plastique acquiert une certaine vigueur et suscite débats et même
polémique, le discours de l’ethnologue y est imper- méable tout en se risquant à esquisser
un projet d’institutionnalisation du monde artistique. Comme sur une table rase. Comme
s’il s’agissait de partir du vide « constaté » par Price-Mars en 1928.
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in Milo Rigaud, Ve-ve. Diagrammes rituels du voudou. New York, French and European Pub., 1974.
40 L’idée d’un vide artistique, admise en 1937 par Melville Herskovits – dont on sait qu’il a
été influencé par Price-Mars (Yelvington 1999) –, est reprise à la fin des années 1950 par
Milo Rigaud. Herskovits, à la recherche d’africanismes, observe qu’un ensemble de
facteurs sociohistoriques a eu pour conséquence la destruction des traditions artistiques
africaines en Haïti (Herskovits 1937 : 261-263). Il y voit les effets néfastes d’un conflit de
traditions et soutient «… it is important to recognize that the suppression of these forms
of the prevalent African tradition would seem to have lost to the Haitian an important
outlet for the resolution on inner tensions caused by pent-up drives » (ibid.: 293). Milo
Rigaud abonde dans le même sens, à partir de son approche cabalistique du vodou. André
Breton lui avait adressé son questionnaire d’enquête sur L’Art magique, dans lequel il
précisait :
« La catégorie d’œuvres d’art dont il s’agit comprenait à la fois celles que
commande – ou sous-entend – une magie en exercice, soit bon nombre d’œuvres
archaïques et la presque totalité de celle des “primitifs” (Afrique, Amérique,
Océanie), celles qui, du Moyen Âge à nos jours, véhiculent la pensée dite
“traditionnelle” et – sous la pression d’aujourd’hui – toutes celles dont le pouvoir
sur nous excède ce qu’on pourrait attendre de leurs moyens décelables » (Breton
1991 [1957] : 259).
41 Breton, on l’a vu, percevait la peinture d’Hector Hyppolite comme une « peinture
religieuse primitive » et soutenait que le statut de prêtre vodou du peintre présentait à
ses yeux une garantie absolue de l’authenticité de son œuvre. « J’ignore », ajoutait-il,
« quelle part Hyppolite faisait respectivement à la magie et au culte proprement dit. Le
plus probable est qu’il était de ceux qui, comme on dit en Haïti, “travaillaient des deux
mains” (sont à la fois prêtre et magicien) »26.
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La création plastique et le tournant ethnologique en Haïti 16
42 Milo Rigaud ne partageait vraisemblablement pas cet avis. Sa réponse, de portée générale,
le laisse comprendre :
« Pour avoir, en partie, “rejeté” (c’est-à-dire abandonné la volonté religieuse de
magie qui leur est traditionnellement propre parce que vaudou), les Haïtiens ont
perdu les “formes de l’art”. Cette perte essentielle a créé la nécessité d’une “refonte
de l’Histoire” d’Haïti où, seules les sources kabbalistiques qui ont valu à l’art
universel les merveilles de la sculpture nègre, freinant “le déchaînement des forces
obscures” qui conduisent sataniquement à l’imitation et à la fiction, redonneront
divinement les pouvoirs de l’art de création» (Breton 1991 [1957]: 276).
43 Au cours de la campagne antisuperstitieuse menée au début des années 1940, on invitait
les vodouisants à « rejeter » leurs pratiques, leurs objets, leurs croyances, d’où le nom de
« campagne de rejeter ». Quantité d’objets cultuels avaient été amassés et livrés en
autodafé. La campagne, toutefois, a échoué ; elle n’a pas réussi à détruire le vodou. Mais
c’est sans doute un rejet plus profond, global, que conçoit Rigaud. Ce que le statut conféré
au vodou dans la société semble confirmer mais qu’infirment, les pratiques
socioculturelles. D’où la nécessité de prendre en compte les conditions historiques de
gestation et de structuration interne du vodou pour chercher à établir et à comprendre
les types de productions plastiques qu’elles ont rendu possibles. Celles-ci paraissant
insignifiantes en comparaison avec les « merveilles de la sculpture nègre », autant
soutenir leur inexistence. Pourtant Milo Rigaud (1974) se penchera sur les vèvè, ce corpus
graphique des langages plastiques vodou, mais sa critique radicale s’étend bien au-delà du
vodou, et pour lui aucune forme d’« art de création » ne s’est développée en Haïti (Fig. 15a
et 15b). Les quelques manifestations plastiques qu’on pourrait relever ça et là seraient de
l’ordre de « l’imitation » et de… « la fiction », y compris l’art naïf, qui pour d’autres, un
Morisseau-Leroy, pour ne parler que de lui, aurait rompu avec une tradition d’art
d’« imitation » (Morisseau-Leroy 1955b : 1). Rigaud rejette aussi dans le même
mouvement la thèse selon laquelle l’art naïf serait un art néo-africain ou encore un art
magique.
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La création plastique et le tournant ethnologique en Haïti 17
auteurs, mais il a été à une autre école, celle de Paul Rivet au musée de l’Homme à Paris.
Et quelles que soient les limites de sa formation et de son œuvre scientifique, sa démarche
diffère de celle de Price-Mars par la place qu’y occupe la culture matérielle28. Il en est de
même de tous ceux qui constituent le noyau initial de cette nouvelle tendance, Louis
Maximilien, Kurt Fisher, Edmond Mangonès, Rémy Bastien, mais si tous s’intéressent aux
objets cultuels il ne s’agit pas des mêmes artefacts. En effet, des recherches
archéologiques avaient été amorcées malgré l’absence de tout cadre institutionnel local
(Aubourg 1951) et avaient donné lieu à une exposition d’objets taïnos organisée à Port-au-
Prince en 1941. Le catalogue, L’Art précolombien d’Haïti, avait été préparé par Louis
Maximilien et Edmond Mangonès (1941). Le titre de cette publication suffit à suggérer que
ce type de chercheurs était plus disposé à se pencher sur les autres formes de production
plastique. Quant à A. R. Bastien, il publie en 1944 une importante étude sur des tableaux
du XIXe siècle accrochés à l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince (Bastien 1944b).
Edmond Mangonès (1943a, 1943b) étend son champ de recherches à la numismatique.
Louis Maximilien (1943) s’intéresse à la plastique « populaire » sacrée et profane, liée à
l’héritage précolombien.
47 C’est dans cette perspective qu’il aborde le vodou dans son ouvrage Le Vodou haïtien. Rite
radas-canzo (Maximilien [1945]) où son intérêt pour les objets cultuels et les
manifestations plastiques est clairement exprimé. Le livre comporte un grand nombre
d’illustrations (dessins et photos) qui servent de supports à la description et à l’analyse.
Les décorations extérieures et intérieures des ounfò n’ont pas échappé à l’auteur. Il
consacre tout un chapitre aux vèvè (ibid.: 41-51) qui sont d’ailleurs évoqués tout au long de
l’étude. À part les photos montrant ces dessins en situation, un corpus a été établi de
vingt-quatre vèvè redessinés et présentés, pour vingt-deux d’entre eux, avec leurs
formules d’invocation, les deux autres étant des vèvè combinés (ceux des tambours et du
oungan, ceux des pots rituels dénommés zen). Pour Maximilien, ce sont des « éléments
essentiels aux rites cérémoniels », si bien qu’il convient de les analyser avant même
d’entreprendre la description des cérémonies. Il définit ce qu’est un vèvè, indique les lieux
et les moments de son exécution, les ingrédients et la technique utilisés pour le réaliser.
« [La] farine est prise par petite quantité entre le pouce et l’index, et on la laisse
tomber à la manière d’un sablier. Le houngan, en faisant mouvoir la main, obtient les
lignes de son dessin. Les motifs sont exécutés avec une habileté égale à celle d’un
artiste travaillant au crayon sur du papier ou mieux, à la craie, au tableau noir. Au
cours des cérémonies, ces vêvers [sic] constituent de véritables manifestations d’art.
Ils supposent un sens développé de la perspective. Aussi, les vodouisants,
accordent-ils une grande importance au fait de savoir “tirer la farine” » (ibid.: 41).
48 Maximilien s’interroge sur l’origine des vèvè. S’il soutient la thèse d’une provenance
précolombienne, il y voit l’expression des vestiges de la culture totémique africaine et
surtout les influences de la magie européenne, confirmées par des rapprochements
iconographiques. Car certains motifs s’apparentent à ceux relevés sur les pentacles du
« Clavicule de Salomon » ou du grimoire du Pape Honorius III et on y retrouve des cercles
magiques ou encore « Le Triangle des Pactes ». L’auteur établit un rapprochement tout à
fait convaincant entre le vèvè d’Èzili et l’effigie du Sacré-Cœur dessinée par sainte
Marguerite Marie en 1685, tout en démontrant que le motif est déjà présent dans le livre
de cabale alchimique de l’Agneau intitulé Harmonie mystique, ou accord des philosophes
chymiques, daté de 1636. L’ouvrage comporte en effet deux « hiéroglyphes alchimiques »
qui proviennent de deux monuments antérieurs au XVIesiècle, et qui sont, selon
Maximilien, une « représentation anticipée du Sacré-Cœur ».
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La création plastique et le tournant ethnologique en Haïti 18
49 La thèse de la provenance précolombienne des vèvè, bien que reprise encore aujourd’hui
(Saint-Louis 2000 : 18-20), a été très tôt contestée29. Mais Maximilien a ouvert en même
temps la voie d’une approche iconographique qui reste encore à explorer de façon
approfondie.
50 En 1947, il s’intéresse à Hector Hyppolite, qu’il perçoit comme un membre de « la grande
famille spirituelle des peintres de “l’instinct et du cœur” rencontrés sous tous les cieux et
à tous les âges », mais dont la singularité tient à ce que «…ses compositions et ses
rythmes » lui « viennent directement du vodou ». Hyppolite hérite des richesses de « la
religion populaire haïtienne » dont les rites sont « africains » tout en étant nourris
d’« apports alchimiques, magiques et maçonniques » (Maximilien 1947 : 25, 29), et il initie
une « nouvelle école de peinture à caractère ésotérique ». La parenté de cette proposition
avec le discours tenu par André Breton est évidente. Celui-ci connaissait les travaux de
Maximilien, les cite en plusieurs endroits, reprenant notamment ses considérations sur
les différents apports constitutifs du vodou et sa thèse sur l’origine précolombienne des
vèvè.
51 Le courant d’études sur la culture matérielle ne s’est malheureusement pas engagé plus à
fond dans la recherche sur l’art naïf. Il est vrai que cette tendance elle-même a eu du mal
à prospérer. Dans une analyse de la production scientifique du Bureau portant sur 116
articles recueillis dans 37 numéros de son Bulletin parus de 1943 à 1986, Raymonde
Giordani (1987) observe que soixante-deux articles, soit 53 %, traitent de la tradition
religieuse ; vingt-cinq d’entre eux étudient spécifiquement le vodou dans ses divers
aspects et les trente-sept autres en traitent d’une manière ou d’une autre. Dans cet
ensemble, la plastique vodou proprement dite n’a pas bénéficié d’une très grande
attention. Sous une autre rubrique, Giordani dénombre vingt-cinq articles consacrés à
l’archéologie et à l’histoire précolombiennes, dont onze, soit 40 %, écrits par des
chercheurs étrangers. Sur la totalité des articles répertoriés, et même en les complétant à
l’aide du répertoire établi en 1992 par Arnold Dormilus (1994), on ne relève aucun article
sur l’art naïf et on en compte seulement deux consacrés aux « arts populaires » : « La
vannerie haïtienne : généralités et particularités », « La poterie haïtienne : généralités et
particularités », publiés respectivement en 1969 et en 1974 par Jacques Oriol. Giordani
souligne l’absence d’études sur nombre de pratiques artisanales pourtant importantes
dans la vie de la collectivité. Certes les études recensées témoignent d’une grande
diversité thématique, mais la préoccupation centrale reste la tradition religieuse.
« Cependant, estime Giordani, ce souci se traduit trop souvent par des inventaires et
analyses du champ symbolique, alors que le champ de l’utilitaire reste inconnu. » Il faut y
voir, en fin de compte, le triomphe, au sein du Bureau dédié à l’étude de la culture
matérielle, de la voie initiale définie par Price-Mars.
52 Si la production scientifique de l’Institut, devenu Faculté d’ethnologie, semble présenter
une plus grande variété d’études, force est de constater que là aussi l’art naïf reste
singulièrement en dehors des préoccupations. Le répertoire des mémoires de fin d’études
pour la période allant de 1959 à 1970 en témoigne30. Il en est de même des travaux de
folklore de 2e année du cursus, si l’on s’en tient à la sélection proposée par Max Benoît
pour la période allant de 1969 à 197831. En cette année 1978, Jean-Baptiste Romain, alors
doyen de la Faculté, publie Africanismes haïtiens. Compilations et notes, ouvrage qui constitue à
la fois le n° 31 de la Revue de la Faculté et le n° 6 du Bulletin de l’Académie des sciences
humaines et sociales d’Haïti. Romain (1978: 9) entend, à partir de la méthode proposée par
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La création plastique et le tournant ethnologique en Haïti 19
Herskovits, établir une première synthèse des données sur les survivances africaines en
Haïti.
53 Pour Herskovits, la culture peut être étudiée comme une série de variables à la fois
interreliées et indépendantes qu’il dénomme « aspects ». C’est par ces « aspects » qu’est
donné le degré de survivance. Cela tient à la variabilité des éléments culturels dans leur
forme et dans leur capacité de changement dans une situation historique donnée. Ainsi
les degrés de rétention sont fonction des aspects de la culture. Il y a par exemple
beaucoup plus d’africanismes dans la religion que dans la vie économique, davantage
dans les classes sociales inférieures que dans les classes plus favorisées. Herskovits
aboutit à une échelle d’intensité des africanismes dans le Nouveau Monde où seul le plus
grand degré de rétention est retenu pour chaque groupe. L’échelle comprend six degrés
allant du purement africain (a) à l’absence d’indication (?) en passant par très africain (b), assez
africain (c), un peu africain (d) et traces de coutumes africaines ou néant (e). Dix « aspects »
sont retenus : technologie, vie économique, organisation sociale, institutions, religion,
magie, art, folklore, musique, langue (Herskovits 1967 : 305-307). Selon le tableau qui en
résulte, la religion, le folklore et la musique sont « purement africains » dans les
campagnes haïtiennes, tandis que dans les villes, seuls le folklore et la musique le sont. Et
l’intensité est variable pour les autres aspects. « L’art » par exemple est « un peu
africain » dans les campagnes et ne garde que des « traces de coutumes africaines ou
néant » dans les villes.
54 C’est cette approche que Romain entend reprendre en vue de sa synthèse. Il précise qu’il
s’agit pour lui « de vérifier si les manifestations culturelles d’inspiration africaine,
indiquées dans [le tableau établi par Herskovits]32, répondent à des réalités dans la société
haïtienne d’aujourd’hui ; si oui, de compléter ce tableau au besoin sans s’astreindre à
prendre en compte l’élément intensité en rapport avec la rétention des dites
manifestations » (Romain 1978 : 8). L’auteur conclut que le tableau d’Herskovits,
légèrement modifié et complété se vérifie encore et surtout dans la paysannerie et
qu’« Haïti se révèle ainsi un laboratoire d’expérimentation de ces survivances » (ibid.: 98).
En ce qui concerne « l’art » et en se référant à Marcel Griaule (1947), il part d’une
caractéristique définie de « l’art africain », de son « esprit utilitaire […] religieusement
parlant », qu’il retrouve « dans maintes démarches des masses paysannes haïtiennes, sous
le rapport de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, des arts du dessin, par
exemple » (ibid.: 26-27). Il retient le lakou, prototype de « l’habitation paysanne
traditionnelle » en matière architecturale, deux objets cultuels, l’asen33 et le pakèt34,
comme exemples de sculpture et les vèvè pour les arts du dessin. S’agissant de la peinture,
l’auteur se contente de parler de la symbolique des couleurs. En fin de compte, si cette
rubrique « art » a le mérite d’exister, elle est loin d’être une véritable synthèse des
différentes études menées jusque-là et l’art naïf n’est pas traité en tant que tel, même si
l’africanité de cet art est en débat depuis son irruption.
55 L’avènement de l’école haïtienne d’ethnologie et celui de l’art naïf sont deux événements
distincts, qui participent toutefois d’un même paradigme. À travers l’un et l’autre
s’affirme l’existence de formes, de pratiques, de valeurs considérées comme premières,
primitives, qu’il convient d’accepter et de promouvoir comme telles. Ils s’inscrivent donc
dans le primitivisme et en cela subvertissent l’échelle des valeurs sociales établies,
fondées sur une conception de la « Civilisation ». En raison de ce partage d’un même
univers paradigmatique, le procès de valorisation du vodou, et de la « culture populaire »
d’une manière générale, engagé par Price-Mars a pu paraître comme l’événement qui a
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La création plastique et le tournant ethnologique en Haïti 20
engendré l’art naïf. La différence entre les deux phénomènes devenait d’autant plus
imperceptible que la démarche ethnologique offrait un cadre général de justification et
une explication globale de l’art naïf. Ce qui, en retour, ne manquait pas d’influer sur la
production artistique elle-même. Les conditions d’une exploration systématique de la
thématique vodou étaient alors créées, ouvrant de nouveaux espaces imaginaires à la
création plastique. Mais l’avènement de l’art naïf est un phénomène de grande ampleur
aux implications multiples. Il institue un mode de représentation en rupture avec celui
qui était jusque-là légitimé en entraînant la promotion d’hommes et de femmes issus
d’une catégorie sociale alors déconsidérée. Il provoque une densification, une
massification même, de la production plastique accompagnée d’une reconfiguration du
marché de l’art sur le plan interne. Et c’est dans cette dynamique que s’est constitué un
nouveau lieu de réflexion dans l’histoire intellectuelle du pays, celui du discours sur la
création plastique. Certes, des écrits sur « l’art » ont existé auparavant, mais désormais
émerge un véritable espace discursif, c’est-à-dire un espace créé autour d’une série de
questions posées, traitées, donnant ainsi lieu à une masse discursive plus ou moins
importante et clairement identifiable ; traduisant des enjeux spécifiques et ayant des
effets repérables. On voit bien que le phénomène de l’art naïf ne peut pas être confondu
avec ce procès de folklorisation de « la culture populaire », dénommée « mouvement
folklorique » en Haïti (Ramsey 2002). Évidemment il n’y a pas échappé, mais sa
dynamique propre ne saurait être occultée pour autant.
56 Au départ de tout cela, il y a l’énonciation d’un jugement esthétique fondé sur le
renversement opéré dans la relation d’opposition primitivité / civilisation. Car le
primitivisme n’est pas autre chose. Il consiste plus précisément en un relèvement de la
fonction négative jadis conférée au « primitif » par rapport au « civilisé ». C’est dans le
mode d’appropriation de ce renversement et dans ses effets que réside la différence entre
l’avènement conjoint de l’école haïtienne d’ethnologie et de l’art naïf. Le primitivisme qui
sous-tend l’injonction de Price-Mars, s’inspirer du folklore pour créer un art proprement
haïtien, était encore trop médiatisé par l’idéal civilisationnel pour être à même de libérer
une parole, comme celle de Gómez Sicre, capable d’instaurer l’art naïf. Par contre, cette
instauration une fois accomplie, on voudra transformer le nouveau genre en source
d’inspiration, la source jusque-là manquante à laquelle puiser les substances d’un
véritable art plastique haïtien. Philippe Thoby-Marcelin (1945) le recommande dès 1945 ;
Max Pinchinat en élabore la doctrine à travers toute une série de publications35 et il s’est
efforcé de l’illustrer par son œuvre.
57 C’est à ce niveau justement, celui de l’appréhension du phénomène naïf, des débats qu’il a
suscités, donc de la constitution de l’espace du discours sur l’« art », que l’école haïtienne
d’ethnologie joue un rôle essentiel. Elle n’inclut certes pas la création plastique dans son
horizon d’exploration, mais elle occupe très vite la place centrale dans l’univers discursif
– place qui revenait en quelque sorte à l’histoire au XIXe siècle – ; elle devient la formation
discursive36 qui informe toutes les autres en ce qu’elle redéfinit Haïti en tant que
« communauté », non pas uniquement par son historicité, mais aussi et avant tout par ses
composantes culturelles.
58 L’art naïf s’étant imposé, le discours ethnologique, qui définit ou redéfinit la culture et
valorise la « culture populaire », aide à le penser. Devoir le penser sans rejeter
l’expérience de la « modernité indigène », en prenant en compte toutes les controverses
et les prises de position des artistes produisant un art non naïf, offrait au discours haïtien
sur la création plastique une largeur de vue lui permettant d’élaborer une démarche
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Fouché pour affirmer que le vodou offre un « pré-art », « cet état d’avant l’Art»
(Lerebours 1992 : 98). Les formes d’expressions plastiques du vodou sont perçues comme
une réserve de matériaux bruts et non comme relevant d’un univers de création à part
entière, spécifique, autonome. Le discours exclusiviste, qui a fourni la version longtemps
dominante de l’haïtianité artistique, synthétisée dans l’équation art haïtien = art naïf = art
vodou, ne conçoit pas non plus cette autonomie. Elle a une portée homogénéisante qui
réduit la diversité des langages plastiques. En tout cas, les deux conceptions occultent
l’un des acquis des bouleversements survenus à partir des années 1940, à savoir la
visibilité des différents domaines de création existant et ayant existé parallèlement aux
beaux-arts. Il y a bien un domaine de langages plastiques propres au vodou. Révélé dès le
début des années 1940 à une école haïtienne d’ethnologie qui n’a pas su le constituer en
un véritable objet d’études, il est aujourd’hui de mieux en mieux exploré, notamment par
des chercheurs états-uniens40 et, en Haïti, à travers la collection, de plus en plus connue,
de Marianne Lehmann. Il est constitué d’un ensemble d’objets bien spécifiques, créés ou
appropriés, puis intégrés selon des procédures définies, évalués sur la base de critères
établis et auxquels sont assignées des fonctions particulières. Autant de facteurs qui
différencient nettement cette production d’œuvres picturales ou sculpturales non
destinées aux cultes, et cela même lorsqu’elles sont celles d’artistes vodouisants.
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NOTES
1. Claude Souffrant, « Jean Price-Mars et sa révolution culturelle », Haïti en marche, 15-21 juin
1988, p. 12.
2. La question de l’influence de Price-Mars sur les écrivains de la Revue Indigène n’est pas
nouvelle. Price-Mars, lui-même, avait jugé nécessaire de faire le point dès 1939. Dans un article
paru dans la revue Les Griots, il revendique l’antériorité de sa démarche et l’impact éventuel de sa
réflexion sur ces écrivains.
3. Le qualificatif de naïf n’est pas admis de tous les chercheurs. J’ai justifié ailleurs le choix cette
appellation. Cf. Célius 2001, 2004.
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21. Price-Mars (1998 [1928]: 176) écrit : « Il semblerait qu’une certaine sensibilité commune à la
race, voire un certain tour de langue, une certaine conception de la vie très propre à notre pays
dont un écrivain de talent marquerait ses ouvrages sans que ses personnages soient haïtiens, ne
manquerait point de leur donner le caractère indigène que notre critique réclame. Mais, à côté de
tout cela, il faudrait quelque chose d’autre qui soit plus grand, plus vrai de vérité humaine et
haïtienne, il faudrait que la nature des œuvres fut tirée quelquefois de cette immense réserve
qu’est notre folklore, où se condensent depuis des siècles les motifs de nos volitions, où
s’élaborent les éléments de notre sensibilité, où s’édifie la trame de notre caractère de peuple,
notre âme nationale. »
22. Position qu’avait déjà adoptée M. Laroche dans « La question du point de vue » (1978: 9-15).
23. De Paul Sébillot dans la Revue des traditions populaires : [Catalogue sommaire illustré, de] « La
section des Traditions populaires à l’Exposition des arts de la Femme », t. VIII, 1892, pp. 457-473 ;
« Les traditions populaires et les peintres romantiques au Salon », t. V, 1890, pp. 289-294 (Salons
de 1819 à 1840 inclus) ; « L’iconographie fantastique », t. IV, 1889, pp. 579-588, t. V, 1890, pp.
338-352 ; « Superstitions iconographiques : 1. Les portraits RTP », t. I, 1886, pp. 349-354 ;
« Superstitions iconographiques : 2. Les statues », t. II, 1887, pp. 16-23 ; « Superstitions
iconographiques : 3. Manies et superstitions des peintres ; 4. Les modèles ; 5. La peinture et le
mauvais œil, t. II, 1887, pp.270-272.
24. Cf. Duvalier [alias Abderrahman], « Esthétique » (1926?) (1968: 25-28), « Du mot
d’“Africain” » (L’Action nationale, 11 juillet 1934) (ibid. : 53-55), « Au cours de la durée les destins se
rencontrent » (L’Action nationale, 27 juillet 1934) (ibid. : 77-79).
25. Cf. « La culture populaire. De la poésie, du chant et des danses dans l’esthétique
vodouesque » (conférence prononcée le 27 avril 1952 à Port-au-Prince, à l’école République du
Venezuela) (Duvalier 1968a, I : 249-276).
26. Breton raconte aussi (1965a) : « Un jour que je sollicitais son opinion sur les toiles de Wifredo
Lam dont se préparait une exposition au Centre d’art, il afficha pour lui un vif et déférent intérêt
tout en se récusant légèrement parce qu’à ses yeux c’était de la “la magie chinoise” par
opposition à la “magie africaine” qu’il sous-tendait être son fait [Wifredo Lam était né de père
chinois et de mère cubaine noire]. »
27. Alfred Métraux (1989: 13). Métraux donne une autre version, où il lie ses propositions à
Roumain à la protection des sites archéologiques (1944).
28. Cf. Roumain (2003). Voir les travaux scientifiques de Roumain (pp. 1009-1160) ainsi que les
articles de Jean Michael Dash (« Jacques Roumain romancier », pp. 1359-1377) et d’André Marcel
d’Ans (« Jacques Roumain et la fascination de l’ethnologie », pp. 1378-1428). Sur les activités de
recherche de Roumain, voir aussi les rapports d’activités du Bureau dans le Bulletin du Bureau
d’ethnologie, 1943, n° 2, pp. 4-7 ; 1944, n° 3, pp. 5-8 ; décembre 1946, sér. 2, n° 1, pp. 8-11 ; Rémy
Bastien, « Archéologie de la baie de Port-au-Prince (Rapport préliminaire) », 1944, n° 3, pp. 33-39.
29. En 1947, C. Fernard-Pressoir soutient leur origine africaine (1947 : 48). Emmanuel C. Paul
estime, en 1949, qu’en introduisant cette référence, Louis Maximilien complique inutilement la
genèse du vodou pour ceux qui doutent encore de l’influence prépondérante de l’Afrique. Cf. Paul
(1949 : 26 ; voir aussi 1962 : 300). K. Mc C. Brown quant à elle admet leur origine africaine (1976).
R. F. Thompson (1984 : 188) n’a aucun doute non plus sur une telle provenance. Alfred Métraux
pense qu’ils sont d’origine dahoméenne mais qu’ils doivent leur style aux ferronneries et aux
broderies du XVIIIe siècle français (Métraux 1989 [1958]:148). Jean Kerboull (1977) insiste sur
l’apport de la magie européenne et de la franc-maçonnerie. S’appuyant sur la présence attestée
d’esclaves islamisés dans la colonie, Michel-Philippe Lerebours (1989, I : 53) n’exclut pas
l’influence même indirecte de l’art musulman.
30. Cf. la liste des mémoires soutenus à la Faculté d’ethnologie d’Haïti de 1959 à 1969, parue dans
la Revue de la Faculté d’ethnologie, 1970, n° 15.
31. Max Benoît, s. dir., Cahier de folklore et des traditions orales d’Haïti, Cenahfotro-Cinecutoh, 1980.
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32. Le tableau que Romain reproduit n’est pas fidèle à celui qui figure dans Herskovits (1967).
Entre autres différences, pour la rubrique « art », il est indiqué « (?), pas d’indication » alors qu’il
est mentionné « (d), un peu africain » dans Herskovits.
33. Tige de fer surmontée d’un petit plateau rond, plantée devant l’autel et servant de bougeoir.
34. Talisman d’un genre particulier : sacoche de soie portant des ornements et d’apparence
anthropomorphique.
35. M. L. Pinchinat (1949a, 1949b, 1957, 1958a, 1958b, 1962).
36. Sur la distinction entre univers discursif, espace discursif et formations discursives, cf.
Maingueneau (1984).
37. Voir entre autres de L. Price (1946a, 1946b), Lerebours (1989), Thoby-Marcelin (1956) et de M.
Paillère (1975).
38. Cf. L. Mars (1955 [1946]) qui établit très tôt un rapprochement entre l’espace rituel du vodou,
la possession et le théâtre. Cf. A. Métraux (1955) ; A. Schaeffner (1947-1948), M. Leiris (1989
[1958]). L’influence d’Haïti sur l’élaboration de cet ouvrage est mise en évidence par J. Jamin
(1999).
39. L. Mars (1966), article repris, avec un autre texte dans Cornevin ([1973]: 190-192), Mars
(1979a, 1979b, 1979c) cf. aussi A. Louis-Jean ([1970]).
40. Cf. entre autres Consentino (1995). Plusieurs articles de ce catalogue sont repris et traduits
dans M. Le Bris (2004).
RÉSUMÉS
L’avènement de l’art naïf en Haïti dans les années 1940 bouleverse le monde des langages
plastiques du pays. Il survient au moment où s’affirme le tournant ethnologique et apparaît
comme une de ses multiples fécondations. Or deux faits se révèlent à l’analyse : d’une part le
jugement esthétique qui instaure le nouveau genre artistique en Haïti ne procède pas de
l’esthétique indigène prônée par l’école haïtienne d’ethnologie, d’autre part celle-ci éprouve de
grandes difficultés à accompagner cet art, à le penser ou, tout simplement, à l’approcher. En fait,
on est en présence de deux ordres de choses distincts advenus dans le cadre d’un même
paradigme. Une parenté qui a facilité l’établissement d’une relation d’engendrement entre eux.
D’autant plus que l’ethnologie propose une caractérisation globale de la société, à partir de
laquelle on a pu justifier et élaborer des explications du phénomène artistique. Le discours
haïtien sur l’art y a recouru, ce qui lui a valu sa force autant que sa faiblesse.
The advent of naive art to Haiti in the 1940s upset the «world of plastic language» there. Naive
art arose at an «ethnological turning point» and emerged as one of its multiple fecundations. An
analysis brings to light two facts. For one thing, the aesthetic judgement that established this
new artistic genre in the country did not proceed from the native aesthetics advocated by the
Haitian school of ethnology. For another, this school had a difficult time keeping abreast of this
genre, thinking about it or even approaching it. Two distinct phenomena were happening within
a single framework that made it easy to establish a «kinship» between the two, especially since
ethnology proposed a global view of society that served as the basis for working out and
justifying explanations of the artistic phenomenon. Haitian «discourse» about art referred to this
basis with its strong and weak points.
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INDEX
Mots-clés : africanismes, art naïf, folklore, haïtianité, indigénisme, jugement esthétique,
primitivisme, race
Keywords : africanism, esthetic appreciation, indigenism, naive painting, primitivism
AUTEUR
CARLO AVIERL CÉLIUS
Université Laval, Chaire d’histoire comparée de la mémoire-CÉLAT, Québec, Canada, carlo-
[email protected]
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