Un Système D'exploitation Ancien, Mais Une Interface Scientifique Nouvelle L'agroforesterie Dans Les Régions Tropicales
Un Système D'exploitation Ancien, Mais Une Interface Scientifique Nouvelle L'agroforesterie Dans Les Régions Tropicales
Un Système D'exploitation Ancien, Mais Une Interface Scientifique Nouvelle L'agroforesterie Dans Les Régions Tropicales
Or, au rythme actuel des activités humaines, lui-même, profondément séparé l'agriculture de
nous parviendrons à l'épuisement complet de la la forêt, ni la forêt de l'élevage. La mentalité
forêt tropicale humide primaire vers la fin du traditionnelle pactise, sans agressivité, avec le
siècle, et même plus tôt dans des pays ancienne- réel. Il apparaît que des sociétés vivent effective-
ment forestiers (par exemple Côte d'Ivoire, Nige- ment de culture et d'élevage en forêt, et qu'il
ria, Malaisie Péninsulaire, Tha·I1ande, Philippines, existe donc une solution agroforestière naturelle,
etc.). traditionnelle. Les agronomes occidentaux, habi-
tués aux monocultures, ne l'ont pas compris et
La régression forestière que l'on observe en beaucoup de pays (Antilles, Côte d'Ivoire,
actuellement a trois grandes causes que nous etc.) ils ont largement fait disparaître les pratiques
décrirons schématiquement. II y a tout d'abord, agroforestières traditionnelles. On découvre
malgré ce qu'en dit J.T. Wassink (1982), l'exploi- aujourd'hui avec étonnement, en d'autres pays,
tation abusive des bois. Cette exploitation est (Indonésie, Sri-Lanka, Philippines, etc.) que
facile, peu coûteuse, et essentiellement lucrative l'agroforesterie est bien vivante.
pour les sociétés multinationales qui la prati-
quent. Par l'intermédiaire de ces sociétés, elle Une convergence d'intérêts se dessine donc
profite essentiellement à l'étranger, où sont autour de l'agroforesterie. D'une part, elle semble
exportés les bois tropicaux. Les habitants de la offrir une solution pratique aux problèmes que
région sont généralement contraints de quitter pose l'utilisation des milieux tropicaux, dont on
les périmètres de l'exploitation forestière, ou de redoute actuellement la destruction irrémédiable.
s'embaucher comme tâcherons. A ces désordres Elle peut représenter aussi l'une des formes de
sociaux s'ajoute la dégradation écologique. Dans ce nouvel ordre économique mondial que l'on
la meilleure hypothèse, la forêt primaire laisse la souhaite basé sur des formules auto-centrées,
place à une forêt secondaire sans valeur. C'est assurant la sécurité alimentaire. L'agroforesterie
le processus de secondarisation. va dans le sens d'une réhabilitation des savoirs
traditionnels. Elle conduit la recherche vers des
La deuxième cause de la régression forestière thèmes actuellement très mobilisateurs : l'écodé-
est la recherche de nouvelles terres agricoles. veloppement, les technologies appropriées.
On a souvent prétendu que c'était la cause Enfin, elle définit typiquement une interface
principale, oubliant que l'exploitation de nouvel- scientifique.
les terres est au moins faite par les populations
locales, et à leur bénéfice (contrairement à
l'exploitation des bois par les multinationales).
Malgré cela, la recherche de nouvelles terres 1. Recherche d'une définition
signifie l'ouverture de pistes, le défrichement de
la forêt, le développement de cultures vivrières
souvent pauvres et inadéquates, la détérioration L'agroforesterie, nous venons de le dire, cor-
du sol. Dans les cas les plus mauvais, le sol est respond dans certaines régions du monde à une
colonisé par l' Imperata, et les feux peuvent se pratique de l'exploitation des milieux qui est
développer. C'est le processus de savanisation. traditionnelle et largement éprouvée. Constata-
tion surprenante et déplorable, l'agroforesterie est
La troisième cause de régression est la recher- pourtant ignorée, ou mal perçue, ou incomprise à
che de bois de chauffe, qui a pris une importance l'heure actuelle par beaucoup de scientifiques et
croissante, même en zone humide, et surtout de techniciens du monde rural, et plus encore
depuis le choc pétrolier de 1973. Le marché du par les managers du développement. Nous avons
bois ou du charbon de bois prend une ampleur interrogé à son propos de nombreuses personna-
particulière à la périphérie des grandes villes. Le lités de rencontre. Aucun consensus n'est apparu
processus est particulièrement grave en zones entre les réponses qui nous ont été données.
sèches (sahéliennes, par exemple). Associé au Sans les caricaturer, voici à peu près quelles ont
surpâturage, il conduit fréquemment à la dispari- été ces réponses :
tion complète des arbres. C'est le processus de
désertification. - « dans ce foutoir, on ne sait pas où finit la
forêt, où commence l'agriculture» ; les cultures
C'est dans ce contexte inquiétant que l'on complexes sont très généralement assimilées au
commence actuellement à prendre conscience sous-développement lui-même, les monocultures
du fait que le paysan tropical n'a jamais, de exercent une véritable fascination ;
AgroForesterie dans les régions tropicales 39
- « l'agroforesterie li, nous dit un agronome, - l'agroforesterie consiste à pratiquer des cultures
« c'est mettre du mil sous des karités ou des stables, bénéficiant de la protection qu'assure
arachides sous des Acacia a/bida et constater des J'environnement forestier, faune comprise. La
rendements accrus li ; stabilisation des cultures conduit à supprimer la
- un autre chercheur nous a dit: « l'agrofores- recherche de nouvelles terres agricoles ;
terie, c'est installer des plantes médicinales sous
des ~évéas, et y laisser paître les moutons II ; - le système agroforestier doit être compris,
conçu, réalisé, géré par les populations rurales
- pour un ethnologue, l'agroforesterie « c'est locales. Le grand objectif du système est l'auto-
la cueillette en forêt amazonienne, en association suffisance, pour tous les besoins, et pas seule-
avec la culture itinérante sur de minuscules brûlis ment les besoins alimentaires.
temporaires li ;
- « j'ai toujours fait de l'agroforesterie ", nous En d'autres termes encore, une agroforêt est
affirme un planteur, « puisque j'ombrage des un système qui protège les sols, les climats, le
plantations de caféier et de cacaoyer avec des régime des fleuves. C'est une réserve génétique,
Erythrynes ou des Cordias li ; une source de bois, de gibier, d'aliments, de
- pour un sociologue ayant visité le delta du matières premières. Elle sert à nourrir jour après
Mékong, « l'agroforesterie, c'est l'installation et le jour, ses productions excédentaires peuvent être
maintien de vergers fruitiers autour des villages ll. converties en argent. Une agroforêt, c'est égaie-
ment un cadre de vie esthétique.
Devant la diversité du réel, on comprend qu'il Dirigée par l'ICRAF (International Council
soit malaisé de donner des définitions. L'exemple for Research in Agroforestry), une enquête est
donné par le concept d'agriculture peut aider à actuellement en cours pour recenser tous les
comprendre et à définir le concept d'agroforeste- systèmes agroforestiers situés dans les régions
rie. Sans doute, l'agriculture recouvre des réalisa- chaudes. Cette enquête doit s'achever en 1985.
tions extrêmement diverses. Qu'y a-t-il de com- Anticipant les résultats de ce travail, nous propo-
mun entre une plantation d'hévéas en Malaysie, serons de classer les agroforesteries tropicales en
de pyrèthres au Kenya, de laitues en banlieue trois catégories de complexité croissante, que
parisienne, et un vignoble languedocien? Qu'y nous décrirons successivement :
a-t-il de commun entre un alpage suisse et un
pâturage de la pampa argentine? Manifeste- - celles qui se font à partir des terres marginales,
ment, tout se simplifie si l'on adopte pour - celles qui se font à partir de plantations ligneu-
l'agriculture une définition fonctionnelle et résolu- ses,
ment anthropocentriste. Il apparaît évident de - celles qui s'installent en forêt.
dire que l'agriculture a pour fonction de fournir
des aliments, des matières premières, qu'elle
apporte des bénéfices à ceux qui la pratiquent.
II. Une typologie générale des
Nous pouvons essayer de définir l'agroforeste- systèmes agroforestiers
rie de la même manière, tout en sachant que
pour un thème aussi vaste toute définition n'est 1. Agroforesterie et réhabilitation des
jamais complète ni définitive. Notre définition terres marginales
sera fonctionnelle et anthropocentriste. Elle s'éta-
blira par rapport aux écosystèmes et aux sociosys- Pour illustrer cette première situation, nous
tèmes indiqués plus haut, c'est-à-dire par rapport choisirons d'après G. Bonnis (1983) un exemple
au domaine des forêts tropicales et des sociétés qui est loin de constituer une réussite, mais qui
qui y cherchent leur propre voie de développe- servira justement à identifier les obstacles. Il s'agit
ment. Les principaux caractères à retenir sont de la Haute-Volta, l'un des pays les plus démunis
les suivants : du monde, et plus précisément de l'Aménage-
ment des Vallées des Volta (Noire, Rouge,
- l'agroforesterie consiste à cultiver des arbres, Blanche).
afin que les besoins en bois (bois d'œuvre et
bois de chauffe) soient couverts à proximité de Le milieu naturel de cette contrée est particuliè-
l'habitat. Des ponctions supplémentaires sur la rement sévère, avec une pluviosité moyenne
forêt naturelle doivent être alors inutiles; annuelle de l'ordre de 900 mm/an, avec une
40 F. HALL/;
saison sèche et chaude qui dure 8 mois. Les de Messe, par le concours du meilleur planteur,
sols ont une faible fertilité et sont peu profonds. du meilleur encadreur, etc.
Légèrement meilleurs dans les vallées des fleu-
ves, ils sont alors très lourds, et l'érosion les Après une dizaine d'années de fonctionnement
menace. Sur les interfluves, abondent les sols (1973-1984), le bilan de l'opération est possible.
squelettiques, pleins de termites et que les Il apparaît bien décevant. Peu d'arbres livrés ont
hommes abandonnent. Exploitées par les chèvres été plantés. Certains paysans n'ont planté aucun
des pasteurs peulh, les savanes sont aussi parcou- arbre. Il n'y a plus d'insecticide à Linoghin, et le
rues par les feux. L'onchocercose règne dans les «meilleur planteur» y attend toujours sa
Vallées des Volta et en a chassé les agriculteurs. brouette! On considère généralement que l'opé-
ration n'a réussi qu'à environ 30 %.
Le problème forestier est particulièrement dra-
matique pour le pays. La maigre « forêt" voltaï- Les raisons que l'on donne à cet échec
que est estimée à 76,5 millions de m3 de bois. sont essentiellement d'ordre psychologique. Il est
L'accroissement annuel est de 3,5 millions de facile de comprendre :
m 3 • Mais la consommation actuelle est de 0,7
m 3 par personne et par an, ce qui conduit à - que le paysan ne se sent pas sur sa terre
une consommation globale de 4,75 millions de d'origine, mais sur une terre prêtée par l'Etat,
m 3 pour l'année 1980. Avec l'accroissement - que dans la société rurale traditionnelle, la
démographique, la ressource forestière doit être . responsabilité agricole est collective, alors qu'à
épuisée en l'an 2.000. Or, dans le budget Linoghin elle est devenue individuelle,
énergétique actuel du pays, la part du bois
s'élève à 95 % ! - que l'organisation créée par l'AV.V. engendre
un comportement d'assistés,
- que les paysans ont le sentiment d'être perdus
Depuis les années 1960, le gouvernement dans les rouages d'une organisation énorme, et
voltaïque s'est inquiété de la situation. Une qu'ils réagissent par la crainte des cadres, la
Autorité de l'Aménagement des Vallées des méfiance, la négligence, parfois par l'opposition
Volta a été créee (AV.V.) avec pour mission directe et le sabotage (J.D. Madjri, 1983).
de repeupler les Vallées des Volta où la densité
de population était tombée à 5 habitants au km 2 • D'un autre côté, l'expérience de Linoghin a
Le village de Linoghin, organisé par l'AV.V., fait apparaître certains aspects positifs sur lesquels
nous servira d'exemple. pourrait prendre appui une agroforesterie mieux
conçue:
Les migrants qui ont peuplé le village étaient
des volontaires de l'ethnie Mossi. Chaque famille - les paysans Mossi ont une excellente connais-
s'est vu confier 10 hectares. Les premiers labours, sance des arbres, de leurs effets sur les sols, sur
le forage des puits, les gros travaux sont pris en les climats, et ils les respectent toujours, même
charge par l'A V. V. qui fournit également un dans un défrichement mécanisé. Ils ne font pas
technicien d'encadrement pour 20 familles. Les la distinction entre un arbre forestier et un arbre
paysans cultivent le coton, le mil, le maïs, le fruitier. L'arbre doit être, pour eux, l'un et l'autre.
sorgho, le Niébé, et ils élèvent des chèvres. Le Karité (Butyrospermum parkiJ), c'est l'arbre à
beurre. Le Néré (Parkia biglobosa) , c'est l'arbre
L'aspect agroforestier de l'opération consiste à farine;
à fournir au paysan de Linoghin des plants - lorsqu'elles apparaissent bonnes, les nouveau-
d'eucalyptus ou d'acacia, à charge pour lui d'en tés sont facilement acceptées par eux. Cela a
faire des brise-vents autour des cultures, et d'en été le cas pour l'Eucalyptus camaldulensis, bien
tirer ensuite des perches pour sa maison, du qu'aucune tradition n'ait existé à son sujet. Cet
bois pour son feu. L'AV.V. fournit 100 plants arbre a une croissance rapide, il donne des
par an à chaque chef de famille, avec l'insecticide rejets, son ombrage est léger, ses feuilles ont
contre les termites. Pour 100 arbres forestiers des qualités médicinales. Mais il ne donne ni
plantés, le paysan reçoit un arbre fruitier en fruits ni fourrage: cet arbre forestier est un arbre
cadeau. Un conditionnement psychologique a incomplet! On voit apparaître ici l'une des
été entrepris par la radio locale, par l'invention notions centrales de l'agroforesterie, celle de
d'une «journée de l'arbre ", par l'intervention l'arbre à usages multiples (multi-purpose-tree, de
des Scouts, des Cœurs Vaillants, des Servants l'ICRAF) ;
42 F. HALa
FIG. 8 - A RRIM (Rubber Research Institute of Malaysia) l'utilisation des strates basses d'une
plantation d'hévéas par l'implantation d'agrumes (a), de la Composée médicinale Stivia
rebaudiana (b), ou d'une pâture pour les bestiaux.
.'
..
'
"
\
" ,.' .. ~. " .' .....
"
Agroforesterie dans les régions tropicales 43
- les paysans ont montré une forte prédilection une niche écologique vide et de lui faire produire
pour les arbres fruitiers, les plaçant près des du bois, des fruits, de la viande, etc.
maisons où ils sont jardinés. Ces arbres leur
fournissent aussi du bois et du fourrage. Le Cette deuxième catégorie d'agroforesterie est
jardin de case (home-garden de l'ICRAF) est un assez largement pratiquée de par le monde. C'est
autre concept agroforestier important. ainsi qu'en Côte d'Ivoire, sous des directives
gouvernementales visant à obtenir l'autosuffi-
Disons, pour en terminer avec Linoghin, qu'il sance alimentaire des villages, ont été expérimen-
s'agit d'un cas extrême. En Afrique même, tées des plantations paysannes d'hévéas, avec
(Kenya, Rwanda) d'autres exemples de réhabili- cultures vivrières intercalaires de maïs, riz,
tation de terres marginales par des techniques igname, arachide, manioc, banane. Le système
agroforestières ont donné de bien meilleurs résul- se rentabilise avant l'entrée en production de
tats. l'hévéa, les jeunes hévéas bénéficient du jardi-
nage vivrier et du travail du sol l'accompagnant.
2. Agroforesterie par enrichissement de Le système agroforestier le plus important,
plantations ligneuses préexistantes ou connu dans toutes les régions tropicales sous le
prioritaires nom de TAUNGYA, est celui où la plante
prioritaire est un arbre forestier. Ce système a
Il s'agit là d'une situation classique, beaucoup fait l'objet d'une étude récente par Tran Van
mieux connue que la précédente, et qui présente Nao (1978). Les inventeurs du système TAUN-
évidemment plusieurs cas. GYA sont les Karens (ethnie vivant en Birmanie
mais refusant de se considérer comme Birmane,
La plante prioritaire peut être une petite plante. et qui a récemment fait parler d'elle). Dès 1856,
Elle est alors cultivée sous des arbres d'ombrage, les Karens ont établi une plantation de tecks,
qui évitent la dessication et fournissent du bois. par un système associant forestiers et paysans. Il
En voici quelques exemples : consiste à choisir un sol de haute qualité, où
l'on installe les tecks à 4 x 4m (au lieu de 2 x
- le thé sous Maesopsis, à Java (fig. 6), 2m). Les paysans cultivent leurs plantes vivrières
- le caféier, sous palmier à huile, en Afrique de entre les lignes et entretiennent les arbres, pen-
l'Ouest, dant une phase agricole de 2 à 3 ans. Les
- l'igname sous Leucaena leucocephala (Tran forestiers assurent les transports du village à la
Van Nao, 1978), plantation, et de la plantation au marché. Avec
- le caféier sous Cordia et Erythrines, au Costa le temps, les tecks finissent par couvrir tout le
Rica (fig. 7), sol (fig. 9). La finalité de l'opération est forestière
- le cacaoyer sous cocotier, en Inde, et les paysans doivent s'en aller. Le paysan peut
- il existe des cas beaucoup moins connus, se sentir frustré , il ne choisit ni son sol ni ses
comme les palmiers à fibre (Livistonia chinensis) plantes, il tire quelques vivres d'un sol gratuit
sous divers arbres fruitiers, ou comme le blé ou mais dont il ne devient pas le propriétaire. Il ne
le soja sous Paulownia fortunei en Chine (L. prend aucune part des bénéfices de la vente du
Huguet, 1980). bois.
La plante prioritaire peut aussi être une grande Malgré ces inconvénients, les avantages de
plante, sous laquelle agriculture et élevage peu- l'intégration forêt/agriculture, forestier/paysan
vent se développer. C'est ainsi qu'en Malaisie sont évidents. De tels systèmes ont été appliqués
on peut voir des Hévéas abritant diverses agru- notamment en Chine, en Indonésie, au Nigeria,
mes, des plantes ornementales, ou médicinales en Amérique Centrale.
(Stivia), ou même un pâturage et des bestiaux
(fig. 8). 3. Agroforesterie à partir de la forêt
(G. Michon et al., 1983)
La finalité du système est que la plante
prioritaire produise au moins autant qu'en mono- Il s'agit maintenant de la forme la plus achevée
culture, et même mieux lorsque cela est rendu de l'agroforesterie, celle qui a servi à définir le
possible par l'ombrage, la fixation d'azote, concept d'agroforesterie lui-même, et qui nous
l'apport d'engrais qu'assurent les plantes asso- apporte le plus d'espérance pour l'avenir. Le
ciées. La deuxième finalité est de rentabiliser système agroforestier est cette fois installé dans
" b.
1
a.
1
1
1
1
\
\ ,,
....
..... ....
.... ....
..... ---_ ....
FIG. 10 - L'amélioration du durian, Durio zybethinus (Bombacaceae). A
J'état sauvage, J'arbre demande 8 ans pour fleurir et atteint 30
mètres de haut (a). En substituant par greffe, à J'apex d'une
plantule, une branche de J'arbre adulte (b), on obtient la floraison
en 4 ans. L'utilisation d'un porte-greffe nanisant (c) permet la
récolte à la main. (d) est une astuce pour éviter la chute des
fruits (Station de Recherches Fruitières de Pliu, Chantaburi,
Thai1ande) .
d. e. b. a.
FIG. Il - En Indonésie, la croissance des arbres fruitiers est stimulée par la soudure des plantules. Plusieurs
graines sont semées côte à côte (a). Les plantules (b) sont décortiquées le long d'une génératrice et
soudées par ligature (c). Après sélection de la meiJleure tige, J'arbre a une croissance accélérée.
Agroforesterie dans les régions tropicales 45
-~
b. c. d.
8.
FIG. 13 - A Kasaragod, au sud de l'Inde, les cocotiers, les cacoyers et les poivriers (en grisé)
sont cultivés en mélange, formant un système agroforestier intensif; les encombrements
racinaires et aériens sont respectés, ainsi que les exigences écologiques de chaque
espèce. D'après P.K.R. Nair, 1979.
Agroforesterie dans les régions tropicales 49
..
.. .. :
..
: o·
00
:
.:
: o.
a. ;
b. C. e.
~;.:.
·0 :
o·
: .....
Agroforesterie dans les régions tropicales 51
En réalité, si l'on voulait faire l'inventaire de la cette production permet les dépenses annuelles
technologie agroforestière, réelle ou potentielle, il (taxes, scolarité, fêtes, etc.) ; elle s'effectue, là
faudrait recenser une multitude de' petits procé- encore, sur le marché local;
dés dont l'ingéniosité est souvent très grande. - une production occasionnelle : gros bétail, can-
Nous retiendrons certains d'entre eux, qui ont nelle, bambous, rotins, bois d'œuvre (Damar,
été décrits récemment dans la littérature ou Surian, Durian ...). Elle permet de faire face aux
observés par nous : dépenses exceptionnelles (mariage, construction
ou pèlerinage à La Mecque) ; sa commercialisa-
- comment induire la floraison du manguier par tion se fait par l'intermédiaire des « middle-men»
la taille racinaire, l'enfumage, l'utilisation du sel et des commerçants grossistes.
(E. Costes, 1983) ;
- comment accélérer la croissance des arbres
en utilisant des gaines cylindriques en matière Au total, l'agroforêt sumatraise, qui ne coûte
plastique (G. Tuley, 1982) ; ni insecticide industriel, ni herbicide, ni engrais
- comment obtenir des bambous à section carrée chimique, rapporte plus d'argent que la rizière,
(en déformant mécaniquement les jeunes pous- tout en demandant moins de travail.
ses) plus pratiques pour les échaffaudages (A.
Ralambondrainy, 1983) ;
- comment se procurer des perles au centre des
noix de coco ou dans les entre nœuds des IV. Conclusions générales
bambous ; comment transformer une touffe de
bambous en un vivant instrument de musique
qui joue lorsque le vent souffle, etc. L'agroforesterie offre donc un modèle d'utilisa-
tion de l'espace rural permettant un développe-
ment auto-centré, en même temps qu'un com-
4. La question des rendements promis satisfaisant au problème de l'utilisation
non destructive des forêts ; en pays tropical, il
Ce qui est important à considérer, c'est la semble donc que cela puisse constituer une
finalité du système et la question des rendements. solution intéressante.
Le paysan français et le paysan indonésien ont
des objectifs complètement différents. Pour le
premier, il s'agit avant tout de dégager un Malgré cela, si l'on se réfère à ce qui se passe
excédent commercialisable et la monoculture actuellement en Indonésie, l'agroforesterie reste
convient à ce but (nous n'ignorons pas que pratiquement méconnue. Elle ne reçoit du gou-
l'agriculture française, évoquée ici très schémati- vernement aucun soutien, ni économique ni
quement, a des formules différentes de la mono- administratif. Signalons par exemple que les
culture ni que, à d'autres époques, une certaine paysans qui exploitent une agroforêt sont soumis
forme d'agroforesterie a été pratiquée en France, à une double taxe : sur les produits forestiers et
ainsi que l'ont très bien montré les historiens du sur les produits agricoles. Mise à l'écart de
monde rural). En Indonésie, l'objectif majeur est l'économie nationale, l'agroforesterie est considé-
l'autosuffisance, non seulement alimentaire mais rée comme un système rétrograde, alors que
envers tous les besoins majeurs et la sécurité. La sont encouragées les monocultures d'exporta-
stabilité de la production résulte d'une intrication tion.
temporelle des productions élémentaires, qui fait
le pendant à l'intrication spatiale des plantes. La Pourquoi cette attitude gouvernementale néga-
commercialisation n'est qu'occasionnelle. Ainsi tive? Pour Pierre Grenand, ethnologue, « les
l'agroforêt de Sumatra fournira: techniques agricoles autosuffisantes sont contrai-
res au renforcement de l'Etat lI. Ainsi risque de
- une production régulière pendant toute disparaître en Indonésie un système d'utilisation
l'année: damar, muscade, papaye, Petay, légu- de la nature plus ancien que le gouvernement
mes, etc. Cette production est auto-consommée. actuel, plus ancien que la colonisation hollan-
Une petite fraction peut être commercialisée sur daise, plus ancien même que l'Islam en ce pays
le marché local (Pasar), les bénéfices servant à et qui semble correspondre aux aspirations les
couvrir les dépenses quotidiennes ; plus profondes de la population. Dans le contexte
- une production saisonnière: durian, poivre, actuel de l'économie de marché et d'urbanisation,
girofle, fruits divers, café. Des phénologies déca- la survie des agroforêts indonésiennes est deve-
lées assurent la sécurité. La commercialisation de nue très problématique.
52 F. HALIÉ
C'est du côté des scientifiques qu'émerge d'autres reglons tropicales humides, ni même
lentement la reconnaissance de l'agroforesterie. qu'ils soient viables à long terme dans leurs
En 1973, a été fondé à Turrialba, au Costa régions d'origine. Bien plus, dans l'état actuel
Rica, le Centro Agron6mico Tropical de Investi- de leurs connaissances, ni les forestiers ni les
gaci6n y Ensenanza (CATIE) qui a joué un rôle agronomes occidentaux ne savent pratiquement
pionnier en agroforesterie comme complément créer une agroforêt à partir d'une forêt tropicale.
des plantations. En 1978, à Nairobi au Kenya, Aux difficultés techniques d'une telle opération
s'est fondé l'ICRAF (International Council for viendrait d'ailleurs s'ajouter le handicap d'un
Research in Agroforestry) financé par des organi- environnement socio-économique hostile aux
sations internationales et par des pays comme techniques traditionnelles et moins préoccupé
le Canada, les Pays-Bas, la Suisse, la Grande- d'auto-suffisance alimentaire que de rentabilité
Bretagne, etc. Depuis 1983, le gouvernement des cultures d'exportation.
français apporte une aide à l'ICRAF. Diverses
institutions françaises (GERDAT, Museum d'His- Toutefois, s'il est une raison d'espoir, elle
toire Naturelle, ORSTOM), divers instituts inter- réside dans le fait que l'agroforesterie a des
nationaux (I.I.A.T., au Nigéria, East-West Center racines profondes en région tropicale, de telle
à Hawaï, SEARCA à Los Banos, etc.) sont sorte que son adoption là où elle a disparu, sa
maintenant engagés dans des programmes agro- réhabilitation là où elle subsiste, ne sont peut-être
forestiers. Enfin, il existe plusieurs revues, de pas du domaine de l'utopie.
création récente, qui présentent les recherches
effectuées en ce domaine. Parmi les résultats de Dans l'immédiat, et au risque de décevoir
ces recherches, soulignons l'idée selon laquelle l'optimisme, il sera sage de ne considérer cette
l'agroforesterie, sous des formes diverses, est agroforesterie que comme un modèle théorique,
encore bien vivante dans beaucoup de pays au moins jusqu'à ce que les pouvoirs publics,
tropicaux (<< home-gardens", jardins créoles, en accordant les moyens d'une expérimentation
oasis sahariens, agroforêts d'Afrique noire, réelle, ne marquent leur intérêt véritable envers
« solares ", « chinampa " mexicaine, forêts anth- l'auto-suffisance alimentaire des communautés
ropiques des vallées polynésiennes, etc.). paysannes en pays tropical.
Des travaux d'un indiscutable intérêt sont L'agroforesterie possède donc un double
actuellement en cours sur les agroforêts indoné- aspect. Elle est à la fois une pratique tradition-
siennes, qu'il s'agisse de Java -Parung Banteng, nelle d'exploitation du milieu et une discipline
Cibitung- (J.M. Bompard et aIl. 1980, G. Michon scientifique qui cherche actuellement à s'instituer.
et ail. 1983) ou de Sumatra -Krui, Maninju- (G. Ces deux aspects s'impliquent l'un l'autre. Sans
Michon et ail. 1983, E. Torquebiau 1984). Il l'exploitation traditionnelle, il n'y aurait certaine-
faut toutefois reconnaître que, jusqu'à présent, ment jamais eu de science agroforestière. A
l'intérêt de telles études reste essentiellement l'inverse, sans la recherche scientifique, les systè-
théorique. Nous n'avons pas la preuve que mes agroforestiers resteraient ignorés et condam-
ces modèles indonésiens soient transposables à nés à disparaître dans le monde moderne.
BIBLIOGRAPHIE
COSTES E.: Traumatismes destinés à améliorer la production des arbres fruitiers tropicaux.
Traditions et avenir des techniques de taille. DEA d'Ecologie., Univ. Montpellier, 81 p., 1983.
Guppy N.: Proposais for an organisation of timber exporting countries (O.T.E.C.). The
Malaysian Forester, 46, 1 : 1-19, 1983.
HUGUET L. : L'association de la forêt et de l'agriculture dans la Chine agricole de Beijing à
Gvangzhou. Bois et Forêts des Tropiques, 189 : 3-29, 1980.
MADJRI J.D.R. : Libérer et valoriser la parole paysanne, in Le Monde, 22 oct. 1983, p. 30.
MICHON G., BOMPARD J., HECKETSWEILER P. and DUCATILLON C. : Tropical forest agricultural
analysis as applied to agroforests in the humid tropics: the example of traditionnal village-
agroforests in West Java. Agroforestry Systems, 1, 2 : 117-129, 1983 (a).
MICHON G. : Village-forest-gardens in West Java, in : Plant Research in Agroforestry. Ed P.A.
Huxley, ICRAF, 13-24, 1983.
MICHON G., LOMBION P., MARY F. and BOMPARD J. : Shall peasant agroforests survive? Symp.
on Research on impact of development on human activity systems in South East Asia, Bandung,
8-11 August 1983 (b).
MONTADE D. and SABATIER D.: Multiple cropping rice-field system in West Java, DEA
d'Ecologie., Univ. Montpellier, 57 p., 1979.
MYERS N. : Conversion of tropical moist forests. National academy of Sciences, Washington,
205 p., 1980.
NAIR P.K.R. : Agroforestry with coconuts and other tropical plantation crops, in : Plant research
and agroforestry, Ed. P.A. Huxley, ICRAF, 79-102, 1983.
RALAMBONDRAINY A. : Les bambous: une classification des utilisations selon certains caractères
physiques des chaumes. DEA d'Ecologie., Univ. Montpellier, 43 p., annexes, 1983.
TORQUEBIAU E. : Man-made Dipterocarp forest in Sumatra. Agroforestry Systems, sous-presse,
1984.
TRAN VAN NAO : Agrisilviculture: joint production of food and wood. Eighth World Forestry
Congress, Jakarta 16-28 Oct. 1978, 15 p.
TULEY G. : Shelters for improving the growth of young trees. Arboriculture Research Note,
DOE Information Service, UK, 5 p., 1982.
WASSINK J.T. : Devastation of tropical forest through forest exploitation: myth or reality ? in :
Tropical hardwood utilization. Practice and Prospects. Ed R.A.A. Oldeman, 93-95, 1982.
.'
ET PAYSAGE--.--