Les Dynamiques Socio
Les Dynamiques Socio
Les Dynamiques Socio
La ville de Casablanca qui s’est largement étendue, depuis le début du 20ème siècle,
a développé des formes urbaines périphériques très variées et très dynamiques, à la
fois sur le plan spatial et social. De ce fait, les quartiers périphériques ont pris de plus en
plus d’importance au sein de cette agglomération et dans la gestion de son espace et sa
population. De simples cités dortoirs, ces espaces ont acquis la forme et les fonctions de
véritables villes périphériques. Dans le même sens, des mutations profondes et
multiformes ont permis à des villages coloniaux des années trente de prendre de
l’ampleur et de se repositionner au sein de Casablanca.
Ces quartiers périphériques regroupent en 2007 près des deux tiers de la population de
cette ville. Sur 21 communes situées à l’intérieur du périmètre urbain de Casablanca, les
11 communes périphériques concentrent 59% de la population. Ainsi, d’anciennes
enclaves urbaines au sein des campagnes environnantes sont actuellement des villes
qui étoffent leurs équipements et qui se restructurent sur tous les plans.
Dans le cadre de ce travail de recherche, il est question ici de mettre en évidence
les principales étapes des dynamiques spatiales et sociales de ces entités urbaines,
pour essayer de comprendre les mécanismes de leur évolution et les
dysfonctionnements qui remettent en question leur intégration à la ville. Il s’agit en fin de
compte d’évaluer les dynamiques de l’espace et de la société dans des quartiers nés
d’une initiative publique et qui se transforment sous l’effet de l’initiative privée.
1
DELAU : Un quartier Habous à Casablanca. Revue France – Maroc, n°76, 1923, p.53.
2
DETHIER J. : 60 ans d’urbanisme au Maroc. L’évolution des idées et des réalisations, Bulletin
Economique et Social du Maroc, n° 118 – 119, 1970, p.28
1 – 2 : L’extension horizontale : du milieu des années 60 au milieu des années 80
Pendant deux décennies, les cités de recasement héritées de l’époque coloniale ou
construites à près, selon les plans préparés durant cette période3, ont connu de
profondes mutations dans leurs dimensions et leur configuration globale. En effet,
l’administration marocaine a essayé de substituer progressivement à l’intervention
directe de l’Etat, l’engagement de la population concernée, à travers l’encouragement de
l’auto construction. Les cités périphériques ont servi de point d’ancrage à cette nouvelle
stratégie.
A la multiplication des cités de recasement des habitants des bidonvilles se sont
ajouté les lotissements conçus pour l’auto construction des logements. Pendant, les
années 70, l’Etat a mis sur le marché 4 500 lots dans les marges de Hay Hassani
(Oulfa) 4 000 lots en marge de la cité Ain Chock, 3 000 lots à côté de la cité Sidi Othman
(Sadri, Salama) 4 000 lots à proximité de Sidi El Bernoussi... En plus l’année 1973, à
elle seule a vu la commercialisation de 8 000 lots à Casablanca, par la seule Délégation
du Ministère de l’Urbanisme de l’Habitat et de l’Environnement.4 « Pendant, de longues
années et jusqu’à 1967, l’Etat s’est employé à régler lui-même le problème de l’habitat
populaire (...) A l’occasion du plan quinquennal 68-72, il était décidé de réserver les
disponibilités budgétaires (...) et de laisser le secteur privé répondre aux besoins en
logement urbain ». 5
La politique de lotissements en faveur des couches sociales prédisposées à l’auto
construction de leurs logements, dans les années 70, a donné lieu à la multiplication des
opérations d’habitat économique qui sont venues amplifier la diversité dans les cités
périphériques conçues en tant qu’ensembles morphologiquement homogènes. Avec ces
opérations, les quartiers périphériques sont entrés dans l’ère des mutations et partant de
l’hétérogénéité des formes urbaines. Par la même occasion, avec ces opérations de
lotissements ces quartiers ont atteint des tailles considérables qui dépassent 30 000 et
même les 50 000 habitants fixés comme seuil au départ, et ont pris même l’aspect
d’agglomérations de quartiers hétérogènes. Les premiers à évoluer dans ce sens furent
Sidi Othman, Hay Mohammedi, Ain Chock, et plus tard Sidi El Bernoussi. Les nouveaux
lotissements et les cités de recasement de la deuxième génération se distinguent par les
différences introduites par rapport à la configuration globale et à la conception des
logements de la première génération qui se caractérisaient par des emprunts affichés
aux médinas traditionnelles. La monotonie de ces cités a été ainsi brisée.
Cependant, la juxtaposition de lotissements et d’opérations d’habitat social, sans
plan d’ensemble, a donné aux quartiers périphériques en gestation l’aspect de banlieues
très fragmentées et partant difficile à gérer. Il faut ajouter à cela que la politique des
lotissements à équipement différé ou équipés sommairement, s’est traduite par
l’émergence d’espaces urbains qui le plus souvent n’ont pas tout à fait l’aspect urbain et
où la marginalité est très voyante. Certains bidonvilles y étaient plus ruraux qu’urbains.
C’était le prix à payer pour cette nouvelle stratégie se voulant plus sociale, étant donné
qu’elle exprime une vision croyant qu’ « il est moins social de construire un logement,
même modeste pour une famille que de contribuer avec le même crédit à l’équipement
3
CHENEBAUX A. : Maroc 1965. Revue. L’Afrique et l’Asie, n°70, 1965, p. 37
4
GHARMILI – SEFRIOUI S. : Les lotissements d’Etat au Maroc. Université de Paris, juin 1974, 27p.
dactylos. p. 11
5
MASSON A. : Urbanisation et habitat du grand nombre. L’approche marocaine. Annales de l’Afrique du
Nord, 1972, Paris, CNRS, p.115
du terrain pour la construction de plusieurs logements qui intéressent un plus grand
nombre d’individus ». 6
La diversité qui s’est généralisée à tous les niveaux s’est trouvée renforcée avec
l’extension verticale introduite par les améliorations apportées à la « trame 8 x 8 », pour
permettre la construction d’un étage supplémentaire. Cette nouvelle formule a été
pleinement expérimentée à Hay Hassani, à partir de 1959, 7 puis à Sidi Othman par la
suite.
Ainsi, les cités de recasement qui ont constitué le noyau des quartiers périphériques
ont été noyées dans un processus d’urbanisation multiforme. Elles ont beaucoup
évoluées mais tout en restant non intégrées à la ville. L’émergence de grandes
concentrations périphériques hétérogènes, ne va pas être sans problèmes, en matière
d’aménagement de l’espace et de gestion urbaine. La multiplication de ces problèmes a
posé avec acuité la question de la restructuration socio-spatiale de ces quartiers qui ne
font pas vraiment partie de la ville.
6
Ministère des T.P. et des Communications. Service de l’Urbanisme : Pour une politique d’urbanisme et
d’habitat. Rabat, 1964, p.1
7
De MONTMARIN A. : Les nouvelles solutions en matière d’habitat. Leur application à Derb Jdid. Bull.
Econ. Soc. Mar. 1958, p. 440
celle qui a prévalu à Casablanca au début du 20ème siècle, ne s’explique que par la
promotion administrative de ces quartiers et l’exclusion de nombreuses couches
moyennes des quartiers centraux et péricentraux, sous l’effet de l’extension du marché
de bureaux et de logements de haut standing. Autrement dit l’Etat qui est à l’origine de
ces quartiers est également derrière leur métamorphose en espaces de consommation.
Pour que les cités dortoirs cèdent la place à des villes poly fonctionnelles, de grandes
opérations publiques ont été nécessaires :
- Des découpages administratifs successifs érigeant ces quartiers en entités
urbaines individualisées ;
- Edification de complexes administratifs impressionnants ;
- Aménagement des espaces environnants des centres administratifs pour
favoriser l’émergence de véritables centralités urbaines,
- Traitement de la voirie et amélioration du mobilier urbain ;
- Actions d’urbanisme opérationnel : opérations Moulay Rchid , Attacharouk, Al
Qods...
- Vastes et nombreux programmes de logements de la part de promoteurs publics
et privés
Toutes ces actions révèlent que les quartiers périphériques ont fait l’objet, depuis le
milieu des années 80, d’une vaste action de restructuration spatiale qui avait pour but le
transfert de la ville vers les périphéries. Transfert qui s’est avéré une véritable opération
de recomposition socio – spatiale. Ainsi, l’Etat qui a revu à la baisse sa production de
logements sociaux a entrepris un travail de fond qui s’est avéré politiquement et
urbanistiquement rentable. La ville a gagné, de cette manière des espaces qu’elle a
jusqu’ici laissé pour compte. L’unité de la ville perdue sur le plan administratif a été
gagnée sur le plan économique à travers l’unification du marché de travail, du marché
de logement, du marché de consommation... Cependant, cette intégration économique
ne s’est pas toujours faite avec la population de ces quartiers, mais assez souvent avec
une nouvelle population injectée dans ces espaces.
Les trois étapes dégagées de l’évolution des quartiers périphériques relèvent au fond
de trois types d’aménagement. Le premier concerne un aménagement périphérique,
dans la mesure où les gestionnaires ont essayé de trouver des solutions aux problèmes
de la ville dans l’injection de programmes de logements dans les marges urbaines
externes. Le deuxième relève d’un aménagement périphérique interne, dans la mesure
où les cités de recasement ont évolué vers des quartiers de la ville et ont accru leur
connexion à la ville et leur caractère urbain. Le troisième s’assimile à un aménagement
d’intégration, dans la mesure où il s’est focalisé sur le transfert de la ville vers ses
périphéries. Dans tous les cas, la dynamique spatiale des quartiers périphériques relève
avant tout d’un aménagement et non d’une évolution spontanée, comme le veulent
certains. Quelles que soit les défaillances de cet aménagement il tranche avec la thèse
de l’anarchie érigée en véritable et unique responsable de tous les maux de
Casablanca.
8
DETHIER J. op. cit. p.36
9
Idem p. 35
Les cités périphériques qui par leur personnalité sociale bien affirmée ont créé
énormément de difficultés aux autorités coloniales, ont pu s’imposer, grâce à la vie de
quartier qu’ils ont cultivé lors de leur naissance, en tant qu’espaces socialement
homogènes, et se sont ancrées, en tant que telles, dans la mémoire sociale. Cependant,
les découpages administratifs qui se sont multipliés, parfois de manières artificielles, se
sont conjugués à l’injection des couches moyennes pour donner un coup de grâce à la
vie de quartier, dans ces espaces, où l’anonymat et l’individualisme ont succédé à la
densité des rapports sociaux et aux droits et devoirs de la vie collective de quartier.
Ainsi, aux anciens quartiers se caractérisant par un nivellement presque total des
disparités sociales ont succédé de grandes concentrations urbaines socialement et
morphologiquement inqualifiables. Sur ce plan, il faut l’avouer, l’intégration à la ville s’est
bien accomplie.
Toutes ces considérations soulignent clairement que les cités périphériques ont joué
un rôle non négligeable dans la dynamique sociale à Casablanca. Rôle d’une grande
complexité puisqu’il touche à la fois la structuration de la société, le mode de vie de la
population, ses comportements et son devenir. C’est dire la dynamique sociale dans
toutes ses composantes. Ce qui a permis à des cités de recasement de prendre l’allure
de véritables villes périphériques. Evolution qui révèle de l’instrumentalisation du
logement et des actions urbanistiques dans les processus de régulation sociale.
10
NOIN D. : Casablanca. La Documentation Française n°3797 – 3798, 1971, p. 24
11
Ministère des T.P. op.cit. p. 1
logement que par le biais de la location. Ce qui est a permis de cultiver la diversité
sociale et d’accroître la capacité d’attraction des quartiers périphériques.
Cette évolution qui consacre l’habitat du grand nombre comme principale solution à
la crise de logement, surtout chez les couches moyennes, s’est traduite par une
amélioration de la qualité du cadre bâti nécessaire à la revalorisation sociale de ces
quartiers qui ont ainsi renforcé leur position d’espaces de promotion sociale. Si, pour
l’administration la lutte contre les bidonvilles « repose sur l’accession à la propriété en
tant que moyen adéquat assurant une juste promotion sociale »12, ce sont les quartiers
périphériques qui ont été instrumentalisés dans cette stratégie de régulation de la
dynamique sociale, puisqu’ils ont bien fonctionné comme lieux de concrétisation de cette
promotion sociale. C’est dans ce cadre que rentre la généralisation des lotissements
économiques à toutes les anciennes cités de recasement, à partir du début des années
70. L’instrumentalisation du logement comme moyen de dynamique sociale a été
consolidée par la transformation des locataires en propriétaires, à travers la vente des
logements édifiés dans le cadre des cités de recasement, à leurs locataires.
Toutes ces formes de mise en œuvre du logement au service de la dynamique
sociale, mettent en évidence le rôle accordé aux quartiers périphériques, non seulement
dans la régulation de cette dynamique mais également dans le processus de
recomposition socio – spatiale de la ville tout entière.
La dynamique sociale mise en œuvre dans ces quartiers a déclenché d’autres
dynamiques qui concourent aux mêmes objectifs. A titre d’exemple, la mise sur le
marché de lotissements à équipement différé, s’est traduite par la prolifération du
commerce informel. L’absence de marchés structurés a favorisé la multiplication, dans
les quartiers périphériques de bidonvilles-marchés. Ces souks qui ont donné une
nouvelle animation et du dynamisme aux bidonvilles, dans ces quartiers, ont permis, à la
fois de combler le vide généré par le déficit en équipements publics et ont attiré vers ces
espaces de vagues successives des couches les plus démunies. L’hétérogénéité
sociale recherchée s’est retrouvée ainsi accentuée, mais au prix d’une dégradation du
cadre de vie urbain, dans ces quartiers. Ainsi, de nombreux quartiers périphériques se
sont taudifiés, les bidonvilles s’y sont multipliés, les noyaux des cités de recasement se
sont densifiés, sous l’effet de la cohabitation et de l’extension verticale non
réglementaire. Cette évolution a eu des conséquences urbanistiques et sociales très
graves, particulièrement à Hay Hassani, à Sidi Othman, et à El Bernoussi.
La création de nouvelles zones industrielles, dans certains quartiers et centres
périphériques, en dehors de l’axe Roches Noires-Ain Harrouda, comme c’est le cas à
Moulay Rachid, Sidi Maarouf, Lissasfa, Bouskoura et à Médiouna, est à même de
donner aux anciennes périphéries résidentielles un certain détachement vis à vis des
grands bassins d’emplois traditionnels. Ce qui peut être positif en matière de gestion de
la mobilité de la main d’œuvre. Cependant, ce processus est porteur, d’une part, des
germes d’une nouvelle restructuration de l’espace urbain, en général, surtout, en
matière d’articulation des bassins d’emploi et des bassins d’habitat, et d’autre part, il
ouvre les quartiers périphériques devant l’invasion par les activités de production, sans
qu’ils soient préparés pour les recevoir. La pratique du fait accompli a joué à fond, et
partant a engendré des conséquences très lourdes, sur plus d’un plan. Ce qui s’est
passé, à Bouskoura donne à réfléchir.
Ainsi, les quartiers périphériques dont l’homogénéité sociale a été mise en cause
dès le début, ont connu une évolution qui est allée dans le sens de l’hétérogénéité sur
tous les plans. La stratégie des lotissements dits économiques à équipement différé a
CONCLUSION
Au terme de cette tentative de schématisation temporelle et explicative des
principaux processus qui sous-tendent les dynamiques socio-spatiales des quartiers
périphériques, il s’impose de souligner la concordance entre l’évolution globale de ces
espaces et celle de l’agglomération tout entière. Le processus de reproduction où le
changement et l’invariance vont en pair, qui se dégage de cette tentative, met en
évidence la permanence de certains fondements des dynamiques urbaines, dans leur
globalité et leurs interactions. A ce propos, il est à signaler que la gestion et la
planification urbaines qui n’ont pas beaucoup changé, dans leurs fondements, leurs
objectifs et leurs mobiles ne permettent pas à un sous-produit d’être totalement différent
de son original. Casablanca a eu donc, les quartiers périphériques que sa gestion
urbaine s’est attelée à forger, depuis le début du 20ème siècle.
Les cités dortoirs de recasement des années 50 que rien ne semblait prédisposer à
une pareille évolution et à assumer de pareilles fonctions, se sont avérées
stratégiquement bien étudiées, politiquement bien fructifiées et socialement bien
instrumentalisées. Le rôle joué par l’initiative privée, dans les dynamiques socio –
spatiales de ces quartiers s’insère, donc dans le cadre de la politique urbaine qui est à
leur origine et de celle qui a guidé leur évolution. L’unité de la ville présentée
actuellement comme perdue est, ainsi un simple prélude destiné à justifier un nouveau
découpage administratif à même de donner aux instruments de la gestion urbaine une
maîtrise mieux adaptée à la nouvelle configuration socio-spatiale, où les quartiers
périphériques sont devenus une partie intégrante de la ville.
Ce qui revient à dire que les opérations de recasement qui ont pris l’aspect d’actions
urbanistiques sectorielles, ont toutes été guidées par les mêmes principes et ont fait
l’objet des mêmes enjeux. Il en est de même pour la stratégie actuelle de requalification
des quartiers périphériques qui s’opère d’une manière sélective, et partant, ne pouvait
qu’entretenir le processus de sélection sociale qui permet aux anciennes marges
urbaines de développer leurs propres marges.
Somme toute, les opérations urbanistiques sectorielles s’insèrent dans le cadre d’une
stratégie globale embrassant la ville dans sa totalité. Ce qui incite à conclure que la
naissance et les mutations des quartiers périphériques relèvent toutes de la même
logique et des mêmes stratégies, en matière d’aménagement urbain. Vues de cet angle,
les dynamiques socio-spatiales ont mis en évidence que la continuité l’emporte sur le
changement. Cependant, l’importance prise par les couches moyennes dans ces
quartiers impose non seulement l’intensification des opérations d’aménagement, mais
incite à revoir à la hausse la qualité des interventions urbanistiques dont doivent être
dotés ces espaces. Autrement dit, ces quartiers qui ont des déficits quantitativement
importants, en matière d’équipements, deviennent qualitativement de plus en plus
exigeants, en matière d’aménagement.
Bibliographie
Mustapha CHOUIKI
Etude réalisée dans le cadre du programme de recherche : Les trois grandes questions de
l’aménagement dans le Grand Casablanca,
Publiée in : L’aménagement des marges urbaines de Casablanca, Dir. M. Chouiki,
Pub. Université Hassan II, Casablanca, 2003, pp. 156 – 172