Les Dynamiques Socio

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 12

LES DYNAMIQUES SOCIO-SPATIALES DANS

LES QUARTIERS PERIPHERIQUES DE CASABLANCA

La ville de Casablanca qui s’est largement étendue, depuis le début du 20ème siècle,
a développé des formes urbaines périphériques très variées et très dynamiques, à la
fois sur le plan spatial et social. De ce fait, les quartiers périphériques ont pris de plus en
plus d’importance au sein de cette agglomération et dans la gestion de son espace et sa
population. De simples cités dortoirs, ces espaces ont acquis la forme et les fonctions de
véritables villes périphériques. Dans le même sens, des mutations profondes et
multiformes ont permis à des villages coloniaux des années trente de prendre de
l’ampleur et de se repositionner au sein de Casablanca.
Ces quartiers périphériques regroupent en 2007 près des deux tiers de la population de
cette ville. Sur 21 communes situées à l’intérieur du périmètre urbain de Casablanca, les
11 communes périphériques concentrent 59% de la population. Ainsi, d’anciennes
enclaves urbaines au sein des campagnes environnantes sont actuellement des villes
qui étoffent leurs équipements et qui se restructurent sur tous les plans.
Dans le cadre de ce travail de recherche, il est question ici de mettre en évidence
les principales étapes des dynamiques spatiales et sociales de ces entités urbaines,
pour essayer de comprendre les mécanismes de leur évolution et les
dysfonctionnements qui remettent en question leur intégration à la ville. Il s’agit en fin de
compte d’évaluer les dynamiques de l’espace et de la société dans des quartiers nés
d’une initiative publique et qui se transforment sous l’effet de l’initiative privée.

1 – Les dynamiques spatiales

1 – 1 : La naissance des années 50


Lors de l’établissement du plan d’urbanisme de H. Prost, en 1918, aucun des
quartiers périphériques actuels n’existaient. Ils remontent tous aux années 50, lorsque
l’administration coloniale a commencé à prendre « conscience » de la gravité du choix
politique qui consistait à laisser pour compte l’habitat de la population marocaine, surtout
au niveau de son intégration à la ville. C’est à partir de légères modifications apportées
à cette politique par le plan d’urbanisme de M. Ecochard, en 1946, que de nouvelles
concentrations de la population marocaine ont été créées dans les marges urbaines de
Casablanca. Avant la mise en œuvre de cette nouvelle politique, seuls quelques villages
coloniaux ponctuaient la banlieue de Casablanca et ont servi de point d’ancrage à
l’urbanisation périphérique. Il s’agit plus particulièrement d’Ain Diab, Ain Borja, Beaulieu,
Ain Sebaa, Beauséjour, Oasis…
Cependant, les véritables noyaux des quartiers périphériques actuels de
Casablanca ont pour origine des cités de recasement édifiées à la marge de l’espace
urbain. Il s’agit surtout d’Ain Chock, Sidi El Bernoussi, Hay Mohammedi, Hay Hassani et
Sidi Othman qui ont été édifiés pendant les années 50. En effet, suite à l’essor
économique qu’a connu Casablanca à partir de 1945, à l’explosion urbaine qui l’a
accompagné et à la montée en puissance du mouvement national qui a trouvé des
échos très larges au sein des couches les plus démunies, l’administration coloniale a
mis en chantier un certain nombre de programmes de logements sociaux en faveur des
Marocains. Autrement dit, sous l’effet d’une conjoncture économiquement favorable au
capital français et qu’il faut entretenir et à une conjoncture politique défavorable qu’il faut
désamorcer, l’administration a tenté une opération de récupération en faisant du
logement le cheval de bataille de son «œuvre sociale».
C’est dire que, les cités de recasement qui ont constitué les noyaux des quartiers
périphériques actuels sont le fruit de la politique de gestion urbaine qui a tenté de
remédier à un problème structurel par des solutions conjoncturelles. Lesquelles
solutions sont devenues déterminantes dans la dynamique spatiale et sociale de la ville
tout entière. Ainsi la trame Ecochard (8 x 8= 64m²) qui a été conçue pour une durée de
20 ans, à près quoi elle serait détruite pour être remplacée par des immeubles, a été
amenée à durer et même à devenir structurante pour de larges pans de la ville.
La politique de constitution de réserves foncières à la périphérie de la ville
préconisée par le plan d’urbanisme d’Ecochard a permis la réalisation de cette forme de
logement de grand nombre différente, à plus d’un niveau du logement de grand nombre
qui a été réservé à la population européenne de la ville. Les immeubles de Riviera,
Plateau, Bournazel, El Ank...ne sont pas spatialement tellement périphériques, à
l’exception de ceux de Bournazel, et ont été édifiés dans les quartiers aisés du sud-
ouest. Ce qui a donné à leur évolution un sens différent de celui des cités périphériques.
De ce fait, l’habitat du grand nombre, dans le cadre duquel sont nés les quartiers
périphériques, relève d’une stratégie de mise à l’écart des populations marocaines.
Cette stratégie qui a nécessité un important effort financier de la part de l’Etat ne se
ramène pas à une simple opération de relogement des bidonvillois dans des logements
en dur, mais se situe dans le prolongement de la politique de «regrouper en un lieu
unique une population flottante de plus en plus nombreuse qu’il serait plus facile de
surveiller» 1 . Ce recasement traduit également la réponse à la mise en œuvre d’un
urbanisme spécifique aux «indigènes» réclamé par les Européens refusant de cohabiter
avec les Marocains, que M. Ecochard a traduit en habitat du grand nombre.
Il y a lieu de rappeler que les quartiers périphériques dont l’origine revient à
l’initiative publique sont restés essentiellement une affaire publique, pour ne pas dire
politique, et les seules entreprises privées qui ont été attirées (sociétés CIFM, et SADNI)
n’ont fait que suivre de près l’initiative publique, du côté d’Ain Chock et Sidi Othman et
plus exactement à Ben Msick et à la cité Djamaa, dans le prolongement de la Nouvelle
Médina où le secteur privé s’est intéressé très tôt à la production des logements
destinés aux Marocains.
A un autre niveau, l’habitat du grand nombre conçu, au cours des années 50, et offert
dans le cadre des cités périphériques « se débarrasse progressivement des principales
caractéristiques qui avaient donné une personnalité très typée au quartier Habous » et
« on assiste lentement au passage du qualitatif au quantitatif ». 2 En plus, une nouvelle
conception de l’habitat du grand nombre a été introduite, à partir de 1958, avec la
transformation des anciennes trames horizontales pour les faire évoluer vers des types
d’immeubles plus économiques et pour prendre la forme d’un habitat à étages évolutif.
Ce qui annonce déjà les nouvelles orientations qui ont pris forme, avec le passage à
l’indépendance du Maroc.
Ainsi, la naissance des quartiers périphériques qui a été prise en charge par les
autorités publiques s’est concrétisée sous la forme de grandes concentrations (10 à 20
000 habitants) implantées à l’écart de la ville. Cette naissance qui consacre l’habitat du
grand nombre comme solution unique au problème du logement de larges couches
sociales reproduit la ségrégation socio - spatiale introduite par l’urbanisme colonial.

1
DELAU : Un quartier Habous à Casablanca. Revue France – Maroc, n°76, 1923, p.53.
2
DETHIER J. : 60 ans d’urbanisme au Maroc. L’évolution des idées et des réalisations, Bulletin
Economique et Social du Maroc, n° 118 – 119, 1970, p.28
1 – 2 : L’extension horizontale : du milieu des années 60 au milieu des années 80
Pendant deux décennies, les cités de recasement héritées de l’époque coloniale ou
construites à près, selon les plans préparés durant cette période3, ont connu de
profondes mutations dans leurs dimensions et leur configuration globale. En effet,
l’administration marocaine a essayé de substituer progressivement à l’intervention
directe de l’Etat, l’engagement de la population concernée, à travers l’encouragement de
l’auto construction. Les cités périphériques ont servi de point d’ancrage à cette nouvelle
stratégie.
A la multiplication des cités de recasement des habitants des bidonvilles se sont
ajouté les lotissements conçus pour l’auto construction des logements. Pendant, les
années 70, l’Etat a mis sur le marché 4 500 lots dans les marges de Hay Hassani
(Oulfa) 4 000 lots en marge de la cité Ain Chock, 3 000 lots à côté de la cité Sidi Othman
(Sadri, Salama) 4 000 lots à proximité de Sidi El Bernoussi... En plus l’année 1973, à
elle seule a vu la commercialisation de 8 000 lots à Casablanca, par la seule Délégation
du Ministère de l’Urbanisme de l’Habitat et de l’Environnement.4 « Pendant, de longues
années et jusqu’à 1967, l’Etat s’est employé à régler lui-même le problème de l’habitat
populaire (...) A l’occasion du plan quinquennal 68-72, il était décidé de réserver les
disponibilités budgétaires (...) et de laisser le secteur privé répondre aux besoins en
logement urbain ». 5
La politique de lotissements en faveur des couches sociales prédisposées à l’auto
construction de leurs logements, dans les années 70, a donné lieu à la multiplication des
opérations d’habitat économique qui sont venues amplifier la diversité dans les cités
périphériques conçues en tant qu’ensembles morphologiquement homogènes. Avec ces
opérations, les quartiers périphériques sont entrés dans l’ère des mutations et partant de
l’hétérogénéité des formes urbaines. Par la même occasion, avec ces opérations de
lotissements ces quartiers ont atteint des tailles considérables qui dépassent 30 000 et
même les 50 000 habitants fixés comme seuil au départ, et ont pris même l’aspect
d’agglomérations de quartiers hétérogènes. Les premiers à évoluer dans ce sens furent
Sidi Othman, Hay Mohammedi, Ain Chock, et plus tard Sidi El Bernoussi. Les nouveaux
lotissements et les cités de recasement de la deuxième génération se distinguent par les
différences introduites par rapport à la configuration globale et à la conception des
logements de la première génération qui se caractérisaient par des emprunts affichés
aux médinas traditionnelles. La monotonie de ces cités a été ainsi brisée.
Cependant, la juxtaposition de lotissements et d’opérations d’habitat social, sans
plan d’ensemble, a donné aux quartiers périphériques en gestation l’aspect de banlieues
très fragmentées et partant difficile à gérer. Il faut ajouter à cela que la politique des
lotissements à équipement différé ou équipés sommairement, s’est traduite par
l’émergence d’espaces urbains qui le plus souvent n’ont pas tout à fait l’aspect urbain et
où la marginalité est très voyante. Certains bidonvilles y étaient plus ruraux qu’urbains.
C’était le prix à payer pour cette nouvelle stratégie se voulant plus sociale, étant donné
qu’elle exprime une vision croyant qu’ « il est moins social de construire un logement,
même modeste pour une famille que de contribuer avec le même crédit à l’équipement

3
CHENEBAUX A. : Maroc 1965. Revue. L’Afrique et l’Asie, n°70, 1965, p. 37
4
GHARMILI – SEFRIOUI S. : Les lotissements d’Etat au Maroc. Université de Paris, juin 1974, 27p.
dactylos. p. 11
5
MASSON A. : Urbanisation et habitat du grand nombre. L’approche marocaine. Annales de l’Afrique du
Nord, 1972, Paris, CNRS, p.115
du terrain pour la construction de plusieurs logements qui intéressent un plus grand
nombre d’individus ». 6
La diversité qui s’est généralisée à tous les niveaux s’est trouvée renforcée avec
l’extension verticale introduite par les améliorations apportées à la « trame 8 x 8 », pour
permettre la construction d’un étage supplémentaire. Cette nouvelle formule a été
pleinement expérimentée à Hay Hassani, à partir de 1959, 7 puis à Sidi Othman par la
suite.
Ainsi, les cités de recasement qui ont constitué le noyau des quartiers périphériques
ont été noyées dans un processus d’urbanisation multiforme. Elles ont beaucoup
évoluées mais tout en restant non intégrées à la ville. L’émergence de grandes
concentrations périphériques hétérogènes, ne va pas être sans problèmes, en matière
d’aménagement de l’espace et de gestion urbaine. La multiplication de ces problèmes a
posé avec acuité la question de la restructuration socio-spatiale de ces quartiers qui ne
font pas vraiment partie de la ville.

1 – 3 : Extension verticale et restructuration spatiale : à partir du milieu des années 80


Le découpage administratif de Casablanca, en 5 communes urbaines, en 1976, n’a
pas érigé les quartiers périphériques en entités à part, mais il les a plutôt répartis entre 4
communes plus ou moins rattachées aux quartiers centraux et péri-centraux. Cette
configuration administrative constitue, en réalité la première tentative de raccordement
des quartiers périphériques à la ville. Les opérations urbanistiques qui vont
accompagner ces découpages administratifs à la fin du 20ème siècle, sont à même de
confirmer ce choix.
Parallèlement à la restructuration administrative, les quartiers périphériques ont connu,
avec l’entrée en vigueur du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de 1985,
certaines améliorations de leur restructuration morphologique et fonctionnelle. Sur le
plan morphologique, la densification de ces quartiers, par le biais de l’extension verticale
va se traduire par l’attraction de nouvelles vagues de population et de nouvelles activités
urbaines. En effet, la surélévation de l’habitat économique qui s’est généralisée pour
toucher même la trame 8 x 8 d’Ecochard, comme à Sidi El Bernoussi, à Sidi Othman ...
s’est accompagnée d’une requalification fonctionnelle des noyaux des anciennes cités
de recasement. Sur le plan fonctionnel, l’accroissement de la demande en locaux
commerciaux et de services qui a accompagné l’implantation de nouvelles préfectures et
de nouvelles communes urbaines, s’est faite parallèlement à l’accroissement de la
demande en logements et en bureaux. La pression sur le cadre bâti a été telle que
rares sont les unités reliques qui peuvent encore témoigner de certains aspects de la
forme originale de ces cellules. Les cités de recasement ont vu, ainsi, leur fonction de
logement familial se dédoubler de celles de logements pour la location quand ce n’est
pas celles de bureaux et de locaux commerciaux. Autrement dit les cellules mono ou bi-
familiales qui ont caractérisé ces quartiers à l’origine ont cédé la place à des bâtiments
poly fonctionnels. Dans les lotissements prévus à l’origine pour l’habitat économique en
deux niveaux, comme à Jamila, la moyenne est actuellement de trois étages et dépasse
même quatre dans certains secteurs.
Nés comme cités populaires, ces quartiers sont devenus des espaces de spéculation
foncière et immobilière. L’âpreté de cette spéculation qui ne peut être comparée qu’à

6
Ministère des T.P. et des Communications. Service de l’Urbanisme : Pour une politique d’urbanisme et
d’habitat. Rabat, 1964, p.1
7
De MONTMARIN A. : Les nouvelles solutions en matière d’habitat. Leur application à Derb Jdid. Bull.
Econ. Soc. Mar. 1958, p. 440
celle qui a prévalu à Casablanca au début du 20ème siècle, ne s’explique que par la
promotion administrative de ces quartiers et l’exclusion de nombreuses couches
moyennes des quartiers centraux et péricentraux, sous l’effet de l’extension du marché
de bureaux et de logements de haut standing. Autrement dit l’Etat qui est à l’origine de
ces quartiers est également derrière leur métamorphose en espaces de consommation.
Pour que les cités dortoirs cèdent la place à des villes poly fonctionnelles, de grandes
opérations publiques ont été nécessaires :
- Des découpages administratifs successifs érigeant ces quartiers en entités
urbaines individualisées ;
- Edification de complexes administratifs impressionnants ;
- Aménagement des espaces environnants des centres administratifs pour
favoriser l’émergence de véritables centralités urbaines,
- Traitement de la voirie et amélioration du mobilier urbain ;
- Actions d’urbanisme opérationnel : opérations Moulay Rchid , Attacharouk, Al
Qods...
- Vastes et nombreux programmes de logements de la part de promoteurs publics
et privés
Toutes ces actions révèlent que les quartiers périphériques ont fait l’objet, depuis le
milieu des années 80, d’une vaste action de restructuration spatiale qui avait pour but le
transfert de la ville vers les périphéries. Transfert qui s’est avéré une véritable opération
de recomposition socio – spatiale. Ainsi, l’Etat qui a revu à la baisse sa production de
logements sociaux a entrepris un travail de fond qui s’est avéré politiquement et
urbanistiquement rentable. La ville a gagné, de cette manière des espaces qu’elle a
jusqu’ici laissé pour compte. L’unité de la ville perdue sur le plan administratif a été
gagnée sur le plan économique à travers l’unification du marché de travail, du marché
de logement, du marché de consommation... Cependant, cette intégration économique
ne s’est pas toujours faite avec la population de ces quartiers, mais assez souvent avec
une nouvelle population injectée dans ces espaces.

Les trois étapes dégagées de l’évolution des quartiers périphériques relèvent au fond
de trois types d’aménagement. Le premier concerne un aménagement périphérique,
dans la mesure où les gestionnaires ont essayé de trouver des solutions aux problèmes
de la ville dans l’injection de programmes de logements dans les marges urbaines
externes. Le deuxième relève d’un aménagement périphérique interne, dans la mesure
où les cités de recasement ont évolué vers des quartiers de la ville et ont accru leur
connexion à la ville et leur caractère urbain. Le troisième s’assimile à un aménagement
d’intégration, dans la mesure où il s’est focalisé sur le transfert de la ville vers ses
périphéries. Dans tous les cas, la dynamique spatiale des quartiers périphériques relève
avant tout d’un aménagement et non d’une évolution spontanée, comme le veulent
certains. Quelles que soit les défaillances de cet aménagement il tranche avec la thèse
de l’anarchie érigée en véritable et unique responsable de tous les maux de
Casablanca.

2 – Les dynamiques sociales

2 – 1 : De cités de recasement à des quartiers périphériques socialement personnalisés


Le développement des cités satellites en quartiers urbains, est le corollaire des
mutations sociales qu’elles ont connu. Leurs premiers occupants étaient issus
essentiellement de couches défavorisées qui se sont trouvés contraints d’y habiter et
même de subir l’isolement et l’éloignement, faute de moyens d’accéder à un quelconque
logement en ville. Par contre la seconde génération s’est formée de foyers cherchant à
accéder à la propriété de leurs logements. Dans les deux cas, la contrainte s’est
assimilée à une certaine promotion sociale, du moins à travers l’accès à la propriété du
logement qui véhicule, en ville le signe de la réussite de l’aventure urbaine, surtout pour
la population d’origine rurale.
L’œuvre sociale des pouvoirs publics n’était pas sans fondements ni sans
conséquences sur le devenir de la société casablancaise. Favoriser l’accès à la
propriété du logement constitue, effectivement un moyen efficace de stabilisation de la
population et même de son implication dans la gestion urbaine, dans la mesure où la
propriété induit des obligations. Inaugurer l’expérience par les populations les plus
prédisposées à la stabilisation revient à donner à cette opération toutes les chances de
réussir. Ce n’est pas un hasard, donc, si la première œuvre de la colonisation a été
adressée à la bourgeoisie casablancaise, par le biais du quartier Habous et si la
première cité de recasement de bidonvillois, en l’occurrence Ain Chock, fut occupée
essentiellement par de petits fonctionnaires.
La diversité sociale au sein de ces nouvelles concentrations de population était
effectivement recherchée ; en témoigne la diversité des logements offerts dès le début.
Les premiers programmes, à l’origine de ces quartiers, ont presque tous associés les
logements individuels à des unités bi-familiales et à des immeubles collectifs. Comme ils
ont associé, par la suite, les logements clé en main à des logements évolutifs ou à des
logements produits dans le cadre de l’auto construction. Aux premiers habitants en
location se sont adjoints des résidents propriétaires. Ainsi, la porte de la diversité sociale
a été largement ouverte, dès le début de ces quartiers. Autrement dit, la politique de
l’habitat du grand nombre qui est à l’origine de ces quartiers a été conçue pour de
grandes concentrations socialement hétérogènes et, le qualificatif de grand nombre a
été instrumentalisé dans tous ses sens. En plus, dès leur inauguration ces quartiers se
sont avéré de puissants moyens de mobilisation de la population vers les marges
urbaines. Mais il faut dire, que ces programmes n’ont été lancés que lorsque la crise de
logement est devenue intolérable pour les Marocains qui sont devenus, ainsi,
prédisposés à tout accepter, pour accéder à un logement décent. Si la première cité de
recasement (Ain Chock) , a mobilisé à la fin des années 40 quelques 15 000
personnes, Moulay Rchid a permis le transfert de 70 000 habitants, au début des
années 80, sans compter la population attirée par le développement de la cohabitation,
l’extension verticale, les transformations non réglementaires des logements ...
Ces cités qui ont échoué dans leur mission de relogement des populations les plus
démunies ont réussi dans celle du brassage social et de mobilisation de la population
vers les marges urbaines. En plus l’habitat du grand nombre tel qu’il a été conçu par
l’administration coloniale s’est avéré également un puissant moyen de régulation
sociale. En effet, il s’agit d’un véritable « urbanisme répressif »8 non seulement par
l’interdiction d’y apporter des modifications mais surtout par son autoritarisme imposant
à d’importantes masses humaines de subir le façonnage du même moule architectural
et d’accepter un cadre de vie unique. Cet urbanisme tellement taxé de social, à la
coloniale évidemment, a malheureusement fait école au Maroc, et ce malgré sa
conception d’habitat standard pour un Marocain standard qui n’offre d’alternative
qu’entre un appartement dans un immeuble et un logement mono ou bi –familial. Cette
« uniformité théorique (...) censée réduire les multiples variantes de la société »9 a
constitué un véritable catalyseur de la généralisation de la recherche de la différence et
partant du développement de l’individualisme.

8
DETHIER J. op. cit. p.36
9
Idem p. 35
Les cités périphériques qui par leur personnalité sociale bien affirmée ont créé
énormément de difficultés aux autorités coloniales, ont pu s’imposer, grâce à la vie de
quartier qu’ils ont cultivé lors de leur naissance, en tant qu’espaces socialement
homogènes, et se sont ancrées, en tant que telles, dans la mémoire sociale. Cependant,
les découpages administratifs qui se sont multipliés, parfois de manières artificielles, se
sont conjugués à l’injection des couches moyennes pour donner un coup de grâce à la
vie de quartier, dans ces espaces, où l’anonymat et l’individualisme ont succédé à la
densité des rapports sociaux et aux droits et devoirs de la vie collective de quartier.
Ainsi, aux anciens quartiers se caractérisant par un nivellement presque total des
disparités sociales ont succédé de grandes concentrations urbaines socialement et
morphologiquement inqualifiables. Sur ce plan, il faut l’avouer, l’intégration à la ville s’est
bien accomplie.
Toutes ces considérations soulignent clairement que les cités périphériques ont joué
un rôle non négligeable dans la dynamique sociale à Casablanca. Rôle d’une grande
complexité puisqu’il touche à la fois la structuration de la société, le mode de vie de la
population, ses comportements et son devenir. C’est dire la dynamique sociale dans
toutes ses composantes. Ce qui a permis à des cités de recasement de prendre l’allure
de véritables villes périphériques. Evolution qui révèle de l’instrumentalisation du
logement et des actions urbanistiques dans les processus de régulation sociale.

2 – 2 : Des quartiers périphériques socialement homogènes aux villes hétérogènes


Sous-produits de la gestion politique de la marginalité sociale, les quartiers
périphériques ont fait l’objet d’une récupération de la part d’autres couches sociales. Ce
qui a fait d’eux des espaces à enjeux sociaux multiples.
En effet, c’est par le biais des programmes sociaux réalisés au sein de ces espaces que
le principe de solvabilité redécouvert par l’auteur du SDAU de 1985, a été mis en œuvre
pour la première fois, puisque « ce ne sont pas toujours les familles les plus pauvres qui
sont venues habiter les cités réalisées par le service de l’habitat ».10 Une fois cet
objectif atteint, ce principe fut érigé en dogme administratif, en matière de logement
social, puisque l’administration a admis que les efforts de l’Etat pour « faire du social ne
bénéficient qu’à une petite classe de privilégiés qui disposent d’un emploi stable, quand
ce n’est pas une fonction administrative ». Par conséquent « il est cependant moins
social de construire un logement, même modeste pour une famille que de contribuer,
avec le même crédit à l’équipement du terrain pour la construction de plusieurs
logements qui intéressent un plus grand nombre d’individus ».11 De ce fait, l’œuvre
sociale de l’Etat, en matière de logement a été revue à la baisse, puisqu’elle n’est plus
destinée aux couches les plus démunies. Du coup l’accès aux quartiers périphériques
devient de plus en plus sélectif, et ces espaces nés comme sous-produits de la
marginalité ont fait l’objet d’un repositionnement au sein des stratégies des services
chargés de l’habitat social et partant dans toute la politique de l’Etat. Préparée par
l’administration coloniale qui a initié la sélectivité de l’accès au logement social, cette
évolution a fait du passage à l’indépendance une nouvelle ouverture des quartiers
périphériques devant des couches sociales plus aisées que celles de la première
génération.
En plus la nouvelle forme de production des logements dans le cadre de lotissements
économiques, a attiré en plus des ménages ayant des revenus stables et capables de
rembourser des crédits à l’auto construction, d’autres couches ne pouvant accéder au

10
NOIN D. : Casablanca. La Documentation Française n°3797 – 3798, 1971, p. 24
11
Ministère des T.P. op.cit. p. 1
logement que par le biais de la location. Ce qui est a permis de cultiver la diversité
sociale et d’accroître la capacité d’attraction des quartiers périphériques.
Cette évolution qui consacre l’habitat du grand nombre comme principale solution à
la crise de logement, surtout chez les couches moyennes, s’est traduite par une
amélioration de la qualité du cadre bâti nécessaire à la revalorisation sociale de ces
quartiers qui ont ainsi renforcé leur position d’espaces de promotion sociale. Si, pour
l’administration la lutte contre les bidonvilles « repose sur l’accession à la propriété en
tant que moyen adéquat assurant une juste promotion sociale »12, ce sont les quartiers
périphériques qui ont été instrumentalisés dans cette stratégie de régulation de la
dynamique sociale, puisqu’ils ont bien fonctionné comme lieux de concrétisation de cette
promotion sociale. C’est dans ce cadre que rentre la généralisation des lotissements
économiques à toutes les anciennes cités de recasement, à partir du début des années
70. L’instrumentalisation du logement comme moyen de dynamique sociale a été
consolidée par la transformation des locataires en propriétaires, à travers la vente des
logements édifiés dans le cadre des cités de recasement, à leurs locataires.
Toutes ces formes de mise en œuvre du logement au service de la dynamique
sociale, mettent en évidence le rôle accordé aux quartiers périphériques, non seulement
dans la régulation de cette dynamique mais également dans le processus de
recomposition socio – spatiale de la ville tout entière.
La dynamique sociale mise en œuvre dans ces quartiers a déclenché d’autres
dynamiques qui concourent aux mêmes objectifs. A titre d’exemple, la mise sur le
marché de lotissements à équipement différé, s’est traduite par la prolifération du
commerce informel. L’absence de marchés structurés a favorisé la multiplication, dans
les quartiers périphériques de bidonvilles-marchés. Ces souks qui ont donné une
nouvelle animation et du dynamisme aux bidonvilles, dans ces quartiers, ont permis, à la
fois de combler le vide généré par le déficit en équipements publics et ont attiré vers ces
espaces de vagues successives des couches les plus démunies. L’hétérogénéité
sociale recherchée s’est retrouvée ainsi accentuée, mais au prix d’une dégradation du
cadre de vie urbain, dans ces quartiers. Ainsi, de nombreux quartiers périphériques se
sont taudifiés, les bidonvilles s’y sont multipliés, les noyaux des cités de recasement se
sont densifiés, sous l’effet de la cohabitation et de l’extension verticale non
réglementaire. Cette évolution a eu des conséquences urbanistiques et sociales très
graves, particulièrement à Hay Hassani, à Sidi Othman, et à El Bernoussi.
La création de nouvelles zones industrielles, dans certains quartiers et centres
périphériques, en dehors de l’axe Roches Noires-Ain Harrouda, comme c’est le cas à
Moulay Rachid, Sidi Maarouf, Lissasfa, Bouskoura et à Médiouna, est à même de
donner aux anciennes périphéries résidentielles un certain détachement vis à vis des
grands bassins d’emplois traditionnels. Ce qui peut être positif en matière de gestion de
la mobilité de la main d’œuvre. Cependant, ce processus est porteur, d’une part, des
germes d’une nouvelle restructuration de l’espace urbain, en général, surtout, en
matière d’articulation des bassins d’emploi et des bassins d’habitat, et d’autre part, il
ouvre les quartiers périphériques devant l’invasion par les activités de production, sans
qu’ils soient préparés pour les recevoir. La pratique du fait accompli a joué à fond, et
partant a engendré des conséquences très lourdes, sur plus d’un plan. Ce qui s’est
passé, à Bouskoura donne à réfléchir.
Ainsi, les quartiers périphériques dont l’homogénéité sociale a été mise en cause
dès le début, ont connu une évolution qui est allée dans le sens de l’hétérogénéité sur
tous les plans. La stratégie des lotissements dits économiques à équipement différé a

12 Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire. Dir. de l’Habitat. Note à l’attention des


délégués du MHAT n° 3194/5, du 7 nov. 1979, p. 1
constitué un véritable tournant dans la dynamique sociale et dans la consécration du
caractère hétérogène de ces quartiers. Au début des années 80, les quartiers
périphériques sont devenus de véritables concentrations de formes urbaines, de
couches sociales et de problèmes urbains et sociaux. Les mouvements sociaux de juin
1981 ne sont pas donc le produit de la seule conjoncture. Les défaillances de la
planification urbaine dans ces quartiers y sont pour quelque chose.

2 – 3 : Le déclenchement des processus de sélection et d’exclusion sociale


La mise en œuvre du SDAU de 1985, et les nouveaux découpages administratifs
qui se sont intensifiés depuis le début des années 80, se sont traduits par une certaine
amélioration de l’image des quartiers périphériques. Ce qui a facilité une deuxième
vague d’injection des couches moyennes dans ces espaces. En effet, l’édification de
centres administratifs luxueux qui s’est accompagnée d’une amélioration de la qualité
des grandes artères urbaines (mobilier urbain, éclairage public, espaces verts…) a
favorisé l’émergence d’ensembles résidentiels « luxueux » à même d’attirer de nouvelles
couches moyennes, à la recherche d’opportunité d’accès à la propriété du logement.
Ainsi, de nombreux pans des quartiers périphériques se sont mus en véritables espaces
résidentiels qui ont attiré de nouvelles catégories de fonctionnaires, d’employés et de
cadres du secteur privé. C’est le cas des extensions sud et sud-est d’Ain Chock, de
l’ouest de Sidi Moumen, d’El Qods à Sidi El Bernoussi, d’El Oulfa à Hay Hassani, de
Hay Sadri à Sidi Othman, d’Al Mouahidine à Hay Mohammedi... Ces pans résidentiels
ayant, parfois l’aspect d’un corps étranger à son environnement ont constitué assez
souvent des modèles qui ont fait école dans les quartiers périphériques. Cette forme
d’intégration de ces quartiers à la ville prônée par le SDAU, les a hissées au rang
d’espaces urbains où il est possible de monter des projets, de faire des affaires et de
bâtir même des fortunes. Ainsi, des richesses s’y sont constituées et de nouvelles élites
sociales y voient le jour, chaque jour. Les élections communales de 1997 ont révélé la
montée en puissance de cette nouvelle élite périphérique et son aspiration à jouer un
rôle politique effectif sur le plan local et même à l’échelle de la ville tout entière.
Ces mutations urbanistiques et sociales, n’étaient pas sans conséquences sur les
fonctions de ces quartiers et sur leur positionnement, au sein de la ville. Parallèlement à
l’injection de nouvelles couches moyennes et à l’émergence d’une élite locale, de
nouvelles activités s’y sont implantées (petite industrie : imprimeries, confection,
chaussures…, artisanat : menuiserie, ferronnerie, vitrerie, couture..., services de
réparation, commerce spécialisé, médecins, chirurgiens-dentistes, pharmacies…) Ce qui
s’est traduit par la transformation d’artères, autrefois désertes en véritables rues
commerçantes et même parfois en rues piétonnes. D’importantes concentrations
commerciales ont permis l’émergence de véritables centralités urbaines dans certains
quartiers périphériques. En d’autres termes, le développement du marché de
consommation qui a accompagné l’injection de nouvelles couches moyennes et
l’éclatement des couches populaires sous l’effet de la floraison des activités informelles
et des nouvelles opportunités d’insertion dans les circuits commerciaux, s’est traduit par
la transformation de ces quartiers en véritables villes poly fonctionnelles. Par
conséquent, les anciennes cités dortoirs sont devenues des espaces de travail qui
offrent de l’emploi pour d’importants contingents d’actifs de leur population et attirent
même d’autres des quartiers centraux et péricentraux. L’implantation d’un certain
nombre d’administrations relevant de la gestion urbaine ou des services extérieurs des
différents départements ministériels ont contribué au repositionnement de ces quartiers,
en tant que marché de travail.
Cependant, cette évolution ne s’est pas faite gratuitement. Le premier prix à payer a
été le déclenchement d’un processus de sélection sociale qui n’est pas non plus sans
conséquences. Ce processus ne relève plus de la seule spéculation foncière et
immobilière, mais s’étend pour englober également le commerce et les services. Le
commerce banal a été presque complètement chassé des grandes artères, pour trouver
refuge dans les petites ruelles, souvent aux dépens de pièces des rez-de-chaussée des
logements dont l’exiguïté se retrouve accentuée. Les rez-de-chaussée des anciens lots
d’habitat économique sont devenus des fonds de commerce très convoités.
L’interpénétration de l’habitat et des activités qui était planifiée pour les seules artères
principales tend à se généraliser, en englobant même les petites ruelles et les impasses
prévues, au départ pour sauvegarder l’intensité des rapports sociaux nécessaire au
processus de socialisation sur lequel repose la société marocaine. Sous l’effet de cette
évolution de nombreux ménages ont été contraints à la cohabitation ou à la
marginalisation vers des espaces plus défavorisés. La crise de logement a gagné ces
espaces et a pris même une ampleur catastrophique. Dans certains quartiers
périphériques, le logement ne se loue plus en entier, mais uniquement par pièce. En
d’autres termes, la sélection sociale et son corollaire l’exclusion bat son plein dans ces
quartiers.
La création de centres administratifs à l’écart des anciens noyaux des quartiers
périphériques s’est traduite par une repolarisation de ces espaces. Choix qui a
redynamisé les processus de marginalisation qui risque, à long terme de porter
préjudice aux vieux pôles fonctionnels ou en formation, dans ces quartiers. De nouveaux
déséquilibres sont donc à prévoir dans ces espaces et qui risquent de reproduire les
processus de marginalisation.
Ainsi, la recomposition sociale qui s’opère, dans les quartiers périphériques depuis le
milieu des années 80, sous l’effet de l’injection de nouvelles couches moyennes et à
travers l’exclusion des couches les plus défavorisées, constitue un révélateur à non pas
douter de la mise en œuvre d’une stratégie de restructuration socio-spatiale où les
marges urbaines sont contraintes à sécréter leurs propres marges. A Hay Hassani la
marginalité est reproduite à Sidi El Khadir et ses extensions péri-urbaines. A Sidi
Othman elle s’opère dans le prolongement de Lalla Meryem et notamment à
Lahraouyne. A Sidi Moumen elle est reproduite dans les nombreux bidonvilles et
particulièrement ceux d’Ahl Loghlam. A Sidi El Bernoussi elle est reproduite à la
fois dans le quartier Al Qods et les bidonvilles qui se prolongent au-delà du périmètre
urbain... Ce ci parallèlement à la taudification de certains noyaux des quartiers
périphériques qui prennent de plus en plus l’aspect de vieilles médinas ! contrastant
avec le luxe souvent tapageur des centres commerciaux, administratifs et résidentiels,
Ces « Anciennes Médinas » des quartiers périphériques reproduisent la dualité socio -
spatiale caractérisant le vieux centre de Casablanca. Par conséquent, ces quartiers
reproduisent la configuration spatiale qui est à leur origine, et Casablanca reproduit par
le biais de ses quartiers périphériques sa configuration globale. Ce qui permet de
soutenir, encore une fois, que les dynamiques socio – spatiales ne sont pas le produit
du hasard et que l’anarchie est un pur mythe artificiellement entretenu.

Il ressort de ce rapide examen de certains aspects de la dynamique sociale, dans les


quartiers périphériques, que ces derniers ont connu, au cours de la deuxième moitié du
20ème siècle, une évolution presque calquée sur celle de Casablanca, pendant la
première moitié du même siècle. De noyaux isolés ils sont passés au rang de villes
périphériques poly fonctionnelles, multiformes et contrastées. Les contrastes apparents
sur le plan spatial et sous-jacents sur le plan social qui caractérisent actuellement les
quartiers périphériques, rappellent étrangement le Casablanca de la période coloniale.
Ainsi, Casablanca a eu les quartiers périphériques non pas qu’elle mérite, mais que la
gestion urbaine a sécrété. La stratégie de refouler toujours plus loin les couches les plus
défavorisées s’est traduite, non seulement par la reproduction de la ségrégation socio –
spatiale qui est à l’origine de la configuration globale de la ville, mais également par
l’instrumentalisation continue des marges urbaines comme moyen de reproduction de la
sélection et de la marginalité sociales. L’ampleur prise, actuellement par les espaces
marginaux, dans la commune péri – urbaines conforte cette vision de l’évolution globale
et sectorielle de Casablanca.

CONCLUSION
Au terme de cette tentative de schématisation temporelle et explicative des
principaux processus qui sous-tendent les dynamiques socio-spatiales des quartiers
périphériques, il s’impose de souligner la concordance entre l’évolution globale de ces
espaces et celle de l’agglomération tout entière. Le processus de reproduction où le
changement et l’invariance vont en pair, qui se dégage de cette tentative, met en
évidence la permanence de certains fondements des dynamiques urbaines, dans leur
globalité et leurs interactions. A ce propos, il est à signaler que la gestion et la
planification urbaines qui n’ont pas beaucoup changé, dans leurs fondements, leurs
objectifs et leurs mobiles ne permettent pas à un sous-produit d’être totalement différent
de son original. Casablanca a eu donc, les quartiers périphériques que sa gestion
urbaine s’est attelée à forger, depuis le début du 20ème siècle.
Les cités dortoirs de recasement des années 50 que rien ne semblait prédisposer à
une pareille évolution et à assumer de pareilles fonctions, se sont avérées
stratégiquement bien étudiées, politiquement bien fructifiées et socialement bien
instrumentalisées. Le rôle joué par l’initiative privée, dans les dynamiques socio –
spatiales de ces quartiers s’insère, donc dans le cadre de la politique urbaine qui est à
leur origine et de celle qui a guidé leur évolution. L’unité de la ville présentée
actuellement comme perdue est, ainsi un simple prélude destiné à justifier un nouveau
découpage administratif à même de donner aux instruments de la gestion urbaine une
maîtrise mieux adaptée à la nouvelle configuration socio-spatiale, où les quartiers
périphériques sont devenus une partie intégrante de la ville.
Ce qui revient à dire que les opérations de recasement qui ont pris l’aspect d’actions
urbanistiques sectorielles, ont toutes été guidées par les mêmes principes et ont fait
l’objet des mêmes enjeux. Il en est de même pour la stratégie actuelle de requalification
des quartiers périphériques qui s’opère d’une manière sélective, et partant, ne pouvait
qu’entretenir le processus de sélection sociale qui permet aux anciennes marges
urbaines de développer leurs propres marges.
Somme toute, les opérations urbanistiques sectorielles s’insèrent dans le cadre d’une
stratégie globale embrassant la ville dans sa totalité. Ce qui incite à conclure que la
naissance et les mutations des quartiers périphériques relèvent toutes de la même
logique et des mêmes stratégies, en matière d’aménagement urbain. Vues de cet angle,
les dynamiques socio-spatiales ont mis en évidence que la continuité l’emporte sur le
changement. Cependant, l’importance prise par les couches moyennes dans ces
quartiers impose non seulement l’intensification des opérations d’aménagement, mais
incite à revoir à la hausse la qualité des interventions urbanistiques dont doivent être
dotés ces espaces. Autrement dit, ces quartiers qui ont des déficits quantitativement
importants, en matière d’équipements, deviennent qualitativement de plus en plus
exigeants, en matière d’aménagement.
Bibliographie

– CHENEBAUX A. : Maroc 1965. Rev. L’Afrique et l’Asie, n°70, 1965


– CHOUIKI M. (dir) L’aménagement des marges urbaines de Casablanca, Pub. POLAM, FLSH,
Ain Chock, Casablanca, 2003, 300 p.
-- DELAU : Un quartier Habous à Casablanca. Revue France – Maroc, n°76, 1923,
– De MONTMARIN A. : Les nouvelles solutions en matière d’habitat. Leur application à Derb
Jdid. Bull. Econ. Soc. Mar. 1958
– DETHIER J. : 60 ans d’urbanisme au Maroc. L’évolution des idées et des réalisations, Bulletin
Economique et Social du Maroc, n° 118 – 119, 1970,
– GHARMILI – SEFRIOUI S. : Les lotissements d’Etat au Maroc. Université de Paris, juin 1974,
27p. dactylos.
– MASSON A. : Urbanisation et habitat du grand nombre. L’approche marocaine. Annales de
l’Afrique du Nord, 1972, Paris, CNRS,
– Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire. Dir. de l’Habitat. Note à l’attention des
délégués du MHAT n° 3194/5, du 7 nov. 1979
– Ministère des T.P. et des Communications. Service de l’Urbanisme : Pour une politique
d’urbanisme et d’habitat. Rabat, Des. 1964, p.1
– NOIN D. : Casablanca. La Documentation Française n°3797 – 3798, 1971

Mustapha CHOUIKI

Etude réalisée dans le cadre du programme de recherche : Les trois grandes questions de
l’aménagement dans le Grand Casablanca,
Publiée in : L’aménagement des marges urbaines de Casablanca, Dir. M. Chouiki,
Pub. Université Hassan II, Casablanca, 2003, pp. 156 – 172

Vous aimerez peut-être aussi