"Gy Sommaire/Revue Mensuelle/Octobre 1979
"Gy Sommaire/Revue Mensuelle/Octobre 1979
"Gy Sommaire/Revue Mensuelle/Octobre 1979
DU
CINEMA
“Gy SOMMAIRE/REVUE MENSUELLE/OCTOBRE 1979
A nos lecteurs et lectrices.
Le prix de vente — qui n'a pas augmenté depuis janvier 1978 — sera porté
de 15a18F.
COMITE DE REDACTION Note sur Passe ton bae dabord, par Thérése Giraud p.17
Alain Bergala
Jean-Claude Biette FESTIVALS {
Bernard Boland
Pascal Bonitzer
Jean-Louis Comolli Venise 1979, par Pascal Bonitzer et Serge Toubiana ‘pl 9
Daniéle Dubroux
Thérése Giraud Trois cartes postales de Locarno, par Louis Skorecki p.28
Jean-Jacques Henry
Pascal Kané Deauville, petite vitrine pour grand écran américain, par Louis Skorecki p.35
Yann Lardeau
Serge Le Péron
Hyéres 1979, par Leos Carax et Alain Bergala p.40
Jean-Pierre Qudart
Louis Skorecki
CRITIQUES
EDITION
Jean Narboni Apocalypse Now (F. Coppola), par Serge Daney et Pascal Bonitzer p.45
CONSEILLER SCIENTIFIQUE Les Demoiselles de Wilko (A. Wajda), par Jean-Louis Bachellier p.53
Jean-Pierre Beauviala
Nighthawks (R. Peck et P. Hallam), par Nathalie Heinich p.55
MAQUETTE
Daniel et Co Les Petites fugues (Y. Yersin), par Serge Toubiana p.57
ABONNEMENTS The China syndrome (J. Bridges), par Pascal Kané p.61
Patricia Rullier
PETIT JOURNAL
PUBLICITE
Media Sud JEAN SEBERG: Lilith et moi, par Jean Seberg p62
1 et 3, rue Caumartin 75009
742.35.70 Lettre de Hollywood, par Bill Krohn p.65
Administration - Abonnements :
343.98.75. En couverture: Maurice Pialat, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert, pendant le tournage
Rédaction : 343.92.20. de Loulou. {Photo Sygma. E. George)
(Photo Sygma. E. George)
MAURICE PIALAT
C’était - impossible de l’oublier — non dans un film de Pialat, mais dans Que la béte
meure. et je ne sais pas qui, du cinéaste Chabrol, du scénariste Gégauff ou de Pacteur,
avait inventé la situation et la réplique : « Est-ce que tu te rends compte que ta vie est
foutue? ». Maurice Pialat, massif, abrupt et pourtant si incroyablement doux, disant
cela, du fond d’une douleur, 4 l’enfant qui venait d’avouer avoir tué la « béte », son
pére : une vérité de son propre cinéma m’a toujours paru étre recelée dans ce moment
du film d’un autre. Une vérité qui pourrait se décrire ainsi : la plus grande tension entre
la description, étape par étape, du mouvement de la vie comme démolition, et l’espoir
fou, ouvert par l'interrogation, que non, peut-étre, « pas définitivement foutue ».
Maurice Pialat a réalisé son premier long métrage, L’Enfance nue, a plus de quarante
ans. C’est-a-dire relativement tard par rapport a la majorité des cinéastes, mais aussi
dix ans apres la Nouvelle Vague. Ce n’est pas sans importance. Et au-dela du ressen-
timent qu’il exprime dans ]’entretien qui suit, il faut prendre au sérieux ce double retard
par rapport a lui-méme et a une tendance déterminante du cinéma francais, pour pou-
voir mesurer la place vraiment singuliére (autant que celle de Rozier ou Eustache) qui
lui revient. Celle aussi qu’i] occupe dans ses propres films, difficile 4 assigner (son point
de yue comme on dit), parce qu’indéfiniment déplacée dans I’échelonnement des géné-
rations et des sentiments, et qui pourrait lui faire revendiquer : tous les noms de la fic-
tion, c’est moi. Pour évaluer ce qui a bougé et ce qui stagne dans le cinéma francais,
il faut essayer de penser les films de Pialat non dans la descendance de la Nouvelle
Vague, non pas bien sir dans sa reprise, mais pas non plus dans une réaction contre
elle, simplement dans son aprés-coup : Passe ton bac d'abord dans celui d’ Adieu Phi-
lippine et du Pére Noél a les veux bleus, Nous ne vieillirons pas ensemble dans celui
de L'Amour fou et de Pierrot le fou, L’Enfance nue dans celui des Quatre cents coups.
Essayer de saisir son importance en constatant qu’il s’est d’emblée donné pour objet
celui auquel Godard (qu'il déclare détester) ne cesse, aprés quinze ans, de revenir depuis
Numéro deux: la famille et son neeud, la famille comme usine et comme paysage.
(Godard qu'il faut lui aussi prendre au sérieux, sans le croire entiérement, quand il dit
que dans Numéro deux, il occupe la place du grand-pére).
Ce qui avait frappé Oudart au moment de L'Enfance nue était une sorte de miracle
de la prise de vues, « ni distanciée ni complice », dans ce cinéma a peine narratif, sur-
tout pas existentiel. Or, ce mystére de la prise de vues me semble étre un trait commun
4 une sorte de courant erhnographique du cinéma frangais, cruel et exact (Rouch bien
stir, mais aussi Rozter, Eustache). Se demander si Pialat porte un regard, et de quelle
nature, sur l’adolescence ou l’enfance, s’il s’agit dans ses films d’un point de vue adulte
sur les jeunes, ou de I’obsession chez un vieux du regard que les jeunes, te/s qu’'t/ les voit,
portent sur lui, se demander en un mot ott il se tient dans tout ¢a, n’est sans doute pas
sans intérét, mais secondaire. La cruauté et l’exactitude de ce cinéma ethnographique
tiennent a une position de caméra (mais c’est encore trop « physique », il faudrait parler
de position d’« expérience ») telle que puisse étre saisi, et de la seulement, ce qui fait
mal ou ¢a fait mal. Rien ne doit nous étre épargné de ce que la chirurgie désigne du
terme: « point de douleur exquise ». Soit: celui ot impact sera maximum d’une
6
phrase (je cite de mémoire) comme: « Si tu mourais maintenant, cela ne me ferait
rien », ou « tu sens le vin », lancée dans un souffle par la mére agonisante 4 son mari
penché sur elle. Cette violence n’est pas chez Pialat sadique, comme elle I’est chez
Rouch ou Eustache, mais exactement masochiste. C’est-a-dire rien moins que complai-
sante: stricte et disciplinée au contraire. D’ou fa haine qu’il voue a la graisse (compren-
dre aussi 4 partir de 1a pourquoi Monte Hellman aime tant La Gueule ouverte).
Pas plus que I’approche existentielle (Passe ton bac d’abord west pas un film sur la
déprime des jeunes), Panalyse politique ou sociologique ne peut rendre compte de ce
cinéma, méme si elle en emporte des morceaux. Certes le mot « anarchie », parmi tous
les graffiti de lycéens qui ouvrent le film, est le seul filmé en trés gros et isolé. Mais pré-
cisément cela n’implique rien. On a écrit a gauche que le film traitait du chomage, de
la crise, de l'avenir sombre proposé aux jeunes (c'est vrai, c’est vrai...). Mais a droite
on peut dire aussi (on I’a d’ailleurs fait) : « Voyez ce que le monde moderne (id. le libé-
ralisme) fait des filles et des fils de notre bon peuple du Nord ». N’y manque méme pas,
comme dans certains films francais de l’immédiat avant-guerre, le show business cor-
rupteur, sous la figure des deux photographes (s¢quence admirable mais — pour ne pas
préciser plus — péniblement anti-« cosmopolite »).
La question que posent indéfiniment ces films est a la fois plus précise et plus ample :
« Est-ce que tu te rends compte que ta vie est foutue?». Soit: comment faire pour ne
pas mourir la gueule ouverte, comment en réchapper? « Repartez comme vous étes
venus », intime justement le pére d'une des filles aux deux photographes. Impossible :
on ne se tire pas d’un plan de Pialat dans I’état ot on y est entré. Le mal est fait. J.N.
ENTRETIEN AVEC MAURICE PIALAT
Cahiers. Passe ton bac d’abord, votre dernier fil, a absolument sans aucune raison, par suivisme; il y a des
déja une histoire assez longue... films qu’on est obligé pratiquement d’aller voir, méme si
on déteste ca. Ca m’est arrivé une fois avec Lelouch (je
Maurice Pialat. C’est un film qui ne devrait pas étre crois que c’était La Vie, l'amour, la mort) alors que je
fait. On m’a déja dit qu’il s’agit d’un film pessimiste; moi déteste ce cinéma-la, j’en connais toute la connerie, tout
je ne le vois pas du tout comme ¢a. Pourtantje dois bien le vide, et il m’est arrivé quand méme d’aller voir ca...
reconnaitre que lorsque je l’ai tourné, je n’éfais pas au
mieux de ma forme, et ¢a doit se voir effectivement dans Cahiers. Revenons a l'histoire de Passe ton bac d’abord.
le film. Ce sont des choses qu’on doit en principe oublier Quand a-t-il été tourné?
au moment ou le film sort (il est bien rare que la vérité
sur les films soit dite dans les interviews), mais je crois Pialat. En janvier et mai 78. Mon premier film,je l’ai
qu’il faut le rappeler, d’autant qu’il s’agit d’un probleme fait en 68 et j'ai un peu limpression depuis d’étre
général au cinéma francais: ce film, comme beaucoup condamné a refaire a chaque fois mon premier film. Et
d'autres, ne trouvait pas l’argent nécessaire pour exister. c’est ce qui est le plus dur, moralement, Passe ton bac
Finalement, il a été tourné a la place d’un autre que j'ai d'abord, c’est le produit de cette crise: j'avais 50 millions
arrété, et quand j’ai commencé a tourner ce qui a donné quand il m’en fallait 300. Dix ans aprés mon premier
ce film-la, le budget était a peine la moitié du budget dun film, je me trouvais dans la situation ol je ne pouvais
film francais bon marché. On ne peut pas parler sérieu- méme pas faire un film bon marché.
sement de ce film sans dire ces choses-la d’abord, et pour-
tant c’est exactement ce qu’il ne faut pas dire quand on Cahiers. Et pendant ces dix ans (ceux qui ont suivi 68),
sort un film, puisqu’on passe chez Drucker ou on dit que lVidée de faire des films avec d'autres gens que ceux qu'on
tout est bien, l’actrice formidable, etc. et tout le monde lait habitués @ voirau cinéma (des jeunes, des prolos, des
fait de la leche. On ne lit pratiquement — et cela vous le provinciaux, des non-acteurs) a fait son chemin et a sou-
savez mieux que moi — aucune critique dans les journaux vent abouti a des résultats décevants. C'est certainement
francais, alors il faut jouer une espéce de jeu lénifiant, mais le premier film de cette période qui trouve le ton juste pour
c’est difficile quand ca ne correspond pas du tout a la réa- parler et mettre en scéne, disons la réalité de jeunes
lité ou au contenu du film. Le réalisateur doit donc jouer ouvriers aujourd'hui.
avec la presse une espéce de jeu bébéte. Mais si le réali-
sateur ne peut méme pas parler du contenu de son film, Pialat. Peut-étre que les autres ont commis l’erreur de
quitte a casser ce discours lénifiant, alors il vaut mieux faire ces films avec trop d‘idées préconcues. Quand il ya
qu’il se taise, en tout cas dans ces cas-la moi je préfére me des choses bien dans ce film, c’est quand je laisse suffi-
taire. samment venir la réalité, cela ne signifie pas d’ailleurs
C’est d’ailleurs le méme probléme sur un tournage: qu’il ne faille pas diriger, contr6ler, écrire auparavant les
comme il n’y a pas de producteurs en France, on ne roles. La difficulté quand on rencontre des gens qu’on ne
trouve personne pour vous dire: « Ca, ce n’est pas bon, connait pas (ici une bande de jeunes), c’est de tomber
il faut le retourner ». Quand on tourne un film, il n’y a dans le coté enquéte, abstrait... Si l’on n’a pas l’équivalent
personne au dessus ou 4 c6té de soi. Et ga n’est pas seu- autour de soi, des gens qu’on connait trés bien et qui sont
lement une question d’argent : sur Lou/on, il n’y a pas eu susceptibles de vivre la méme chose, on n’y arrive pas.
de problemes d'argent, mais comme sur celui-la, j’étais Pour Passe ton bac d’abord je suis parti de quelque
tout seul... chose d’enregistré avec des gens que je connaissais bien.
La fille qui m’avait raconté (avec son gars) cette petite
Cahiers. C'est lié a la situation du cinéma aujourd'hui : aventure qui a été le point de départ du scénario, avait
cest a la fois au niveau des producteurs, du cété des cri- déja tourné avec moi il y a dix ans alors qu’elle était une
tiques et du cété des spectateurs que ¢a ne va pas. Tout gamine, et cela s’est fait comme ca; pas du tout a la suite
est lié, le spectateur est mis dans une position telle qu'il d’une sélection opérée a partir d’idées, de partis pris. Puis
na plus la possibilité de choisir tel film plutot que tel les choses se sont enroulées : comme eux n’ont pas voulu
autre. tourner dans le film (ils étaient pourtant trés bien: on a
fait des essais), j'ai cherché autre chose, j'ai voulu sortir
Pialat. Mais comme spectateur, je vois un peu de histoire prévue pour eux (une histoire simple: une
nWimporte quoi et il m’est arrivé d’aller voir des films fille qui vit en rupture avec sa famille, qui couche a droite
ENTRETIEN AVEC
MAURICE PIALAT 9
et a gauche, jusqu’a ce qu'elle rencontre un jeune gars et Cahiers. Est-ce que c'est mieux que Eustache, par
qu’elle se mette a vivre comme Ses parents), car ce scéna- exemple?
rio était complétement accroché a eux (elle était trés inté-
ressante et lui encore plus, c’était un gars particuliére- Pialat. Zidi? Non, parce que Zidi ¢a n’est pas ce que ca
ment attachant, intelligent). devrait étre. Zidi c’est interchangeable, tandis que Eusta-
Quand eux n’ont plus voulu tourner donc, j’ai cherché che ne l’est pas. Et si Zidi ou un autre que lui était tenu
des acteurs professionnels (c’est comme ca qu’on par des producteurs exigeants, la ca risquerait d’étre vrai-
retrouve dans le film Sabine Haudepin qui est une comé- ment intéressant; mais quand un producteur accepte aux
dienne et qui joue bien) que j’ai d’abord mélésa des jeu- rushes de monter £ ‘Atle ou la cutsse, il ny a plus rien a
nes du coin qui étaient bien mais qui ne jouaient pas espérer... Ca ne vous parait pas sérieux ce que je dis la?
beaucoup. Et puis dans le second tournage, j’ai tourne
sans comédiens professionnels (et c'est pour ca qu’a un
Cahiers. Non, il suffit de voir le nombre de films inté-
certain moment ils disparaissent du film, vous ne l’aviez
ressants qui font moins de 10 000 entrées.
peut-étre pas remarqué). Il ya donc eu ces deux tournages
successifs mis bout a bout qu’il a fallu travailler énormé-
ment au montage pour en faire quelque chose de cohé- Pialat. Prenez l'année 77 : le meilleur film, pour moi,
rent (en fait i] aurait fallu pouvoir retourner quelques cest L’Hotel de la plage... eh bien c'est celui qui a le
petites choses pour pouvoir le structurer tout a fait). mieux marché.
Pialat. Ce que je veux dire, c’est qu’un artiste ne Pialat. Non, moi je dis plutét que c’est parce que le
s’amuse pas a faire des choses moins bien, sil a du talent, cinéma meurt que Duras peut exister.
quand il a de argent que quand il fait des choses confi-
dentielles. Donc les films qui marchent sont quand méme Cahiers. Si les films se ressemblent actuellement, ga
les meilleurs films. nest certainement pas a cause de la cinéphilie, mais cela
vient d’un systéme de production-distribution bien défini.
Cahiers. C’est complétement
faux aujourd'hui. Et dailleurs vous, vous étes un cinéphile, complétement...
Pialat. Bien sir. Tout le monde 4 un moment de sa vie
(dans son enfance par exemple) est cinéphile, et je crois
Pialat. Si. Les films qui ne marchent pas sont plutét que le film qui a tout déclenché chez moi, c’est La Béte
moins bien que les films qui marchent... par exemple humaine de Renoir, vers les 13-14 ans. Je suis allé le voir
Zidi, c’est beaucoup mieux que Marguerite Duras. cing, six fois de suite (ca, c’est un comportement de ciné-
10 ENTRETIEN AVEC
es
La Gueule ouverte, de Maurice Pialat. En haut: Monique Mélinand, Philippe Léotard et Hubert Deschamps. En bas: P Léotard et Nathalie Baye.
MAURICE PIALAT 13
lirons pas ensemble, par exemple, Macha Méril devait formidable. Et il parvient a exprimer ce que les meilleurs
dire des phrases naives, des phrases de petite fille prati- acteurs parviennent parfois a faire : sa vérité, et ce qu'il
quement. On a tourné ces scénes et elles étaient impos- joue la, est exactement a Ja hauteur de ce qu’il est. Et du
sibles. I] a fallu les retourner avec un autre texte. Le texte coup i! ose dire des choses qui expriment en deux phrases
original était sans doute trop naif pour le cinéma de tout a fait banales la rivalité entre les générations.
maintenant : ces phrases, elles étaient indicibles, comme
aurait dit ma co-scénariste, Arlette Langman. Et finale-
ment Macha Méril a créé un personnage de femme Cahiers. C'est probablement a coups de circonstances
d’'aujourd’hui auquel on croit moins que le personnage conime celles-la que le film trouve un accent de vérité, une
un peu du dix-neuviéme siécle que j’aurais voulu qu'elle Justesse qui sont tout de méme rares dans le cinéma fran-
incarne. On ne pourrait plus faire La Porteuse de pain cals.
aujourd’hui, il n’y a plus de place pour le mélodrame et
cest dommage. Jean Yanne aussi a fait dans le film une
Pialat. C’est aussi que la banalité est la chose la plus
véritable transposition de son personnage. Mais la je m’y
difficile a traiter, Le conflit des générations, il n’y a pas
attendais plus;je le connaissais, il n’allait pas me faire un
plus banal, sur un script, ces phrases ne signifient nen, on
tdle de mélo,je ne le voyais pas pleurer pour une femme.
avi impression de les avoir entendues mille fois chez sa
D’ailleurs, au cinéma les hommes ne doivent pas pleurer,
crémiére.
c’est ce queje lui ait fait dire dans Nous ne vieillirons pas
ensemble, sauf dans Ordet.
Cahiers. Esi-ce que vous avez conscience de la maniére
Cahiers. Passe ton bac d’abord « été tourné en 35 mm? dont s effectue ce passage du naturel le plus plat a quelque
chose qui en est @ la fois la reprise littérale et la ressaisie,
Pialat. Qui et je vous assure que techniquement c’est la condensation. La méme chose et quelque chose de tout
du niveau d’un film de 3 millions de francs. a fait different?
Cahiers. La couleur fait penser au dernier film de Pialat. Je ne saurais pas vous répondre, maisje sais que
Godard pour le cinéma, Comment ¢a va. c’est quelque chose que je ressens quandje revois les ban-
des qui ont été jusqu’ ici inégalées, celles des fréres
Pialat. Je ne vais plus voir ses films, a lui. Lumiere : c’est ce qu’on voit tout les jours et en méme
temps il y a quelque chose d’autre, d’irremplagable.
Cahiers. Est-ce que c’est trés écrit, le dialogue?
Cahiers. Méme chose pour les courts métrages de Grif-
Pialat. En général oui, assez. Dans La Maison des bois, fith qui passent a la télévision en ce moment. Mais il ya
c’était écrit 4 80%, méme si l'on croit que c'est impro- tout de méme un probleme dans la maniére dont vous
visé. C'est un peu la méme chose pour Passe ton bac exposez les choses, on aun peu impression quciil y a les
dabord. Eux rajoutent de petites choses de leur cru. Le acteurs (ou les non-acteurs) d'un cété et le metteur en
dialogue de Loulou est écrit par Arlette Langman a scéne de l'autre: c'est un peu comme si il n'y avait pas
100 %, mais il y a toujours une part d’imprévu, d’impro- quelque chose en plus au cinéma, a savoir la technique.
visation. Avec les non-professionnels, on peut toujours
s’attendre a ce qu’ils prolongent le texte avec leur propre Pialat. L’idéal effectivement au cinéma, ce serait qu’il
vécu. Quand le pére. apres la séquence avec les deux
n'y ait pas le probleme de la technique. Bien sir c'est
représentants de l’agence de photo, dit 4 son fils qui n’est important, mais c’est important 4 partir du moment ou
pas d’accord parce qu'il les a foutus dehors: « T’es jeune Lumiére a inventé la machine: depuis elle n’a pas vrai-
toi, tu connais tout », c’est une phrase impossible a écrire. ment changé, pas vraiment progressé. On serait d’ailleurs
plutét en pleine régression et ca me fait fulminer. Par
Cahiers. H/ v a aussi un moment trés beau ow se exemple sur le son, qui est de plus en plus mauvais. Pour-
condense tout le rapport entre le peére et le fils, west a la tant on trouve encore de bons techniciens et ¢a c'est ras-
fois un mot et tune maniére de le dire, une voix, un regard: surant. En France, méme au dernier moment, on arrive
if est assis @ la table et il dit a son fils qui ne l'a pas vu: toujours a réunir une équipe de gens qui sont compétents.
« Bonjour grand ». Mais on ne parvient pas aujourd’hui a la qualité techni-
que que les films d’autrefois atteignaient. I] y a par exem-
Pialai. Bien entendu, ce nest pas moi qui ai écrit ¢a. ple une chose que je ne supporte pas c’est le manque de
Mais cet homme-la est exceptionnel, comme acteur aussi profondeur de champ, cette manie d’éclairer a 4 et de
je veux dire. C’est le pére du jeune, il est mineur maisje pratiquer sans arrét le rattrapage de point. Et cela m’est
vous assure que comme acteur, il en a des emplois pos- encore arrivé sur Passe ton bac d'abord, mais de maniére
sibles : tous ceux qui vont de Gabin a Ventura, aussi bien bien pire encore sur Lou/ou. C’est un bricolage insuppor-
un ouvrier qu’un flic, un truand. Il y a des gens comme table. Je sais que maintenantje ne voudrais plus faire de
ca. réellement doués; c’est faux de dire: « il joue sa vie film 4 moins de 2,8. Mais c’est difficile a contr6ler, il faut
donc c’est facile »; quand il répond aux deux photogra- avoir le nez sur eux, ils trichent, ils s’arrangent en douce
phes, ca n’est plus sa vie, c’est du jeu a l’état pur et il est avec les labos, c’est trés dur.
ENTRETIEN AVEC
Cahiers. Compte tenu du budget sur Passe ton bac Pialat. Bien sir, on n’a pas manqué de me dire:
d’abord, i/ y avait un investissement important sur la « qu’est-ce que tu vas faire a Lens, bassin minier, tu parles
lumiére? d'une affiche! ». Eh oui, c'est vrai, ces jeunes, ils sont de
Lens, pas de Neuilly et ca nest pas Diabolo menthe. Mais
Pialat. Eh bien c'est assez remarquable, parce que sur Je ne saurais pas parler d’eux. Pourtantje les cdtoie, je les
ce film, avec 70 millions anciens on avait un matériel trés connais, je viens moi-méme d'un milieu bourgeois, mais
au point pour éclairer, on avait par exemple des Je ne sais pas : je me sens surtout proche de ces jeunes de
« Hacmi » qui donnent un éclairage caractéristique (que Lens que je filme, j’ai I’ impression d’avoir été toujours
d’ailleurs certains n‘aiment pas). dans leur situation. je me retrouve avec eux : j’ai fait des
études loupées etc.. Je suis peut étre une sorte de Pere de
Cahiers. Sur le plan de l'écriture. est-ce que vous voyez Foucauld. Mais c’est dur en France. Si Family life avait
une difference entre Passe ton bac d’abord et des films été réalisé par Eustache il aurait fait beaucoup moins
comme Adieu Philippine de Rozier ou Les Doigts dans d’entrées : il faut un peu d’exotisme ici, méme pour les
la téte de Doillon? Chez Rozier c'est stirement plis problémes quotidiens.
improvise et chez Doillon c'est comme vous beaucoup Et c’est comme ca dans le cinéma frangais depuis la
écrit. On pourrait dire de Passe ton bac : c'est Adieu Phi- Nouvelle Vague; on a perdu alors l’essence du cinéma
lippine 79; ce ne serait pas faux et pourtant votre film est davant-guerre. Il y avait des choses intéressantes dans ce
unique, different. En quoi selon vous? cinéma-la. Ce sont vos foutus prédécesseurs qui ont mis
Ga par terre.
Pialat. Je crois qu’il ya dans Adieu Philippine. des qua-
lités qui manquent a Passe ton bac d'abord. Vous savez, Cahiers. C'est difficile d'affirmer qu'ils sont responsa-
moi je trouve que Rozier est le seul cinéaste frangais qui bles du déclin du cinéma francais.
a du talent. Je voudrais le produire, Rozier et je pense
qu’on devrait pouvoir s’en sortir. méme encore
Pialat. Non, car ils n’ont jamais eu vraiment le pou-
aujourd’hui. voir, le pouvoir qu’en tout cas j’ai cru qu’ils avaient. Mais
tout de méme depuis, i] n'est plus possible de faire un film
Cahiers. Je veux dire que depuis Adieu Philippine, i/
francais en studio. On a perdu la quelque chose d’essen-
n’y a pas eu de films qui refletent autant l'époque. tiel du cinéma. Imaginez Le Jour se léve en décors natu-
rels.. Trauner, c’est plus important que Carné dans le
Pialat. C’est un film en liberté, c’est un film fait par
film.
quelqu’un qui n’était pas loin d’avoir le méme age que
ceux qu’il filmait (pour moi, avec Passe ton bac d'abord.
cest différent), un film trés improvisé (c'est la 4 mon avis Cahiers. C'est curieux au fond cette haine de la Nou-
la limite du style de Rozier mais c'est ce qui en fait en velle Vague. D’abord vous étes proche de cinéastes qui
méme temps tout le prix), et puis c’est un film trés dréle. étaient aussi des exemples pour la Nouvelle Vague
Crest, a la limite, presque un film d’amateur, mais c’est le (Renoir, Dreyer...), ensuite vous partagez avec elle un
seul bon film francais de ces années-la. Et en fait c’était mode de filmage :; un certain rapport @ lacteur en parti-
tout de méme un film construit car il y avait Michéle culier qui existait déja dans le cinéma classique mais qui
O'Glor. Mais le grand probleme c’est que c'est un film a été repris par la Nouvelle Vague (un rapport trés dur,
muet, c’est un film quia été tourneé sans le son et sonorisé, une espéce de mise ala torture de lacteur). Ona Vimpres-
et la-dessus, pour ma part, je Suis assez ferme: il faut qu'il sion que vous avez accompli un chemin paralléle avec la
y ait le son en méme temps que l"image (depuis qu’il y a Nouvelle Vague.
le son), sinon ce n’est pas du cinéma pour moi.
Pialat. C’était si on veut le liévre et la tortue : ils fai-
Cahiers. Et par rapport a Doillon? saient des films et je n’en faisais pas (j’étais pourtant plus
vieux qu’eux). La Nouvelle Vague, c’était une histoire de
Pialat. La,je ne sais pas. J’avais vu Les Doigis dans la copains et quand on n’en était pas, on avait du mal a tour-
1éte et j’avais été agréablement surpris. Mettez vous a ma ner. Truffaut aprés a permis que soit réalisé L’Enfance
place : quand on fait des films aujourd’hui et qu’on voit nue, et mon premier film passatt avec un film de Godard,
qu’il n’y a personne, on n‘est pas content au fond; bien. mais c’était une époque dure et je leur en veux peut-étre
sr on est jaloux des autres, mais on a aussi besoin d'avoir parce que, toute cette époque-la, je n’ai pas tourné. Cela
autour de soi d’autres gens: il y a Rozier, il ya Eustache dit, la Nouvelle Vague, ca n’avait pas a étre I’Assistance
et puis il y a pas grand monde. Aussi. quand j'ai vu le film Publique: ils s’étaient bien débrouillés. c’était un cou-
de Doillon j'ai été agréablement surpris, méme si on pou- rant. Certains d’entre eux ont fait des conneries qu'on
vait encore y voir un cété Godard attardé, mais pas trop. paye encore aujourd'hui maisje crois que c’était inévita-
ble.
Cahiers. La oti votre film fait rupture aussi avec la pro-
duction francaise courante, c'est tout simplement qu'il Cahiers. Votre film, Passe ton bac d’abord, fail aussi
prend comme sujet des jeunes de milieu ouvrier, et malgré penser @ un autre cinéaste que visiblement vous naimez
toutes les dénégations, c'est une catégorie qu'on ne voit pas beaucoup; cest Lelouch, (En méme temps cest un
pas dans le cinéma francais. film que Lelouch naurait jamais pu faire). Des senti-
MAURICE PIALAT 15
ments trés simples, trés quotidiens, trés roman-photo. I Pialat. Lui, je ne peux pas le voir. C’est dommage qu'il
¥ aun point commun avec lui: cest que contrairement soit plus fort que moi, car c’est une des rares personnes
aux cinéastes qui disent, tel personnage est bien et tel sur qui je bondirais immeédiatement s'il entrait dans la
autre n'est pas bien, lui = comme vous — vous vous inté- piéce. la, tout de suite. Malheureusement c'est un cos-
ressez plut6t aux sentiments. Dans Passe ton bac d’abord, taud, il sait faire les pieds au mur. II l’a fait publiquement
Timportant cest plutét les sentiments, moins les person- sur Le Mépris, devant Bardot. De toute facon i! y a une
nages. chose qu’on ne peut pas nier, c’est que ses films vieillis-
Cela peut donner des moments d'une grande cruauteé : sent trés mal. Il ya longtemps qu’d bout de souffle me fait
quand le jeune Don Juan largue la fille dans le café au mourir de rire, maisje suis sur que Pierrot fe fou, que je
début par exemple. Et méme quand le professeur de philo trouvais moyen, a pris aussi un sacré coup de vieux.
(Jean-Francois Adam) entre dans le café avec ostensible-
ment « Libé » sous le bras et que tout de suite Sabine Cahiers. Godard, ¢a devient vraiment unique apres
Haudepin lui pose la question qu'on pose en tant que Tout va bien, ef tout ce qu'il a fait depuis est réellement
spectateur: « Vous lisez « Libé?»; il pourrait y avoir la passionnant,
un discours idéologique ou opportuniste et il dit seule-
ment .« En fait c'est ma femme qui le lisait ». Ma femme Pialat. Cela arrive souvent : quelqu’un fait des choses
+ le passé, et d’emblée on se retrouve sur un autre terrain pas trés bien pendant dix ans et puis il se met a faire des
que celui des bons et des méchants. choses bien. Cela prouve qu’il ne faut pas se décourager!
Et puis, lui au moins, i! a de imagination. Vous savez
Pialat. Cest Adam qui a fait le texte, 1a. Jen veux (je dis bien: j'en veux) a la Nouvelle Vague,
c'est vrai et c'est a Iui que jen veux le plus, car c’était lui
Cahiers. Vous G1es content tout de méme de ce film? le plus intéressant de tous les autres réunis. Mais je
n‘aime pas son esprit suisse. Et puis, c’est quelqu’un
qu’on a beaucoup copie. Les gens qui ont du talent sont
Pialai. Je ne peux rien dire: j’en dirais trop. Je ne suis faciles 4 copier. Moi, c’est le contraire, je suis accusé de
pas du tout content de deux bobines. Comme il y en a plagier et déja condamné a propos de Nous ne vicillirons
neuf, cela fait quand méme une majorité de bobines qui pas ensemble, le seul film que j'aie fait qui ait bien mar-
vont 4 peu prés. Et c’est tout de méme lié aux moyens ché. J’espére qu'il y aura du monde dans la salle quand
dont on a disposé. Sur Loulou, exceptionnellement dans Ga va repasser en appel. Ce a quoi j’ai été condamné
le cinéma francais, on a eu plus de moyens. Mais ¢a ne (80 000 francs) avec les frais de justice, c’est mon cachet
signifie pas grand chose, c’est un peu un coup de chance, pour le film!
je tourne 4 un moment ou les autres ne tournent pas.
Mais vous savez, la crise du cinéma frangais, vous la res-
Cahiers. O8 en est fa réalisation de Loulou?
sentez aussi bien quand vous ne tournez pas que lorsque
vous tournez. Tenter quelque chose de relativement cot-
teux alors qu’on sait qu’on ne peut pits en général le faire, Pialat. Le film devait sortir en septembre mais il a
c’est aussi angoissant que de ne pas tourner du tout. Et mandqué trois jours de tournage. Non pas a cause d’Hup-
pourtant, il n’y a rien de plus logique que de permettre pert, comme on a pu le dire, mais parce qu'il y a eu un
a un réalisateur de passer a des réalisations plus cotiteu- malentendu avec un acteur (Guy Marchand) qui joue,
ses, de faire des choses plus difficiles, ne pas l'obliger en avec elle d’ailleurs, les scénes les plus importantes du
permanence a refaire son premier film. film. Il est possible qu’on puisse le sortir avant la fin de
C’est mon probléme. Il y a deux solutions qui se présen- l'année.
tent alors : ne plus tourner ou essayer de faire des films
trés bon marché, mais vraiment en dessous du cott Cahiers. Vous nes jamais content de vos films et sur-
moyen d’un film frangais(3 4 6 millions) : ga ne colle pas, tout quand ils sortent. Quand Nous ne vieillirons pas
parce qu'il n’y a pas une audience (internationale entre ensemble esf sorti, vous avez dit que c'éiait votre plus
autre) suffisante pour l’amortir. Et faire un film en des- mauvais film. Vous dites que Passe ton bac d’abord ne
sous de ce chillre, je ne vois pas trés bien comment faire. vous satisfait pas.
C’est tout de méme décourageant de voir que la moitié du
budget d’un film s’en va dans ce qui, pour moi, est secon-
Pialat. Je crois qwil ne faut jamais se dire que son der-
daire : charges sociales plus salaires des techniciens.
nier film est le meilleur, cela vous tue. Il vaut mieux dire
La solution, ce serait peut-étre de travailler compleéte-
que ca ne vaut rien. Mais sérieusement, ce que je peux
ment en coopérative et que tous ceux qui travaillent sur
dire de Passe ton bac d'abord, c'est que s'il avait eu les
le film soient les producteurs de ce film. Parce que la par-
moyens nécessaires, on pouvait faire un film du niveau
ticipation, c’est une imposture.
des Vitelloni. Et jenrage de ne pas avoir eu les moyens de
faire ca (méme si je n'ai pas une admiration folle pour Les
Cahiers. De ce point de vue aussi Godard c'est intéres- Vitelloni, au moins Ga raconte une histoire et ca a pu mar-
sant, car il est parvenu @ une relative autonomie de pro- quer toute une époque, et celui-la ne le fera pas parce
duction, il a monté cette petite entreprise Sonimage... qu’on n’a pas été jusqu’au bout). Et pourtantje trouve ca
Vous auriez peut-étre des choses a nous dire la-dessus: bien meilleur que La Gueule ouverte par exemple, film
c'est dommage que vous le détestiez tant. sur lequel j’étais un peu essouffle.
ENTRETIEN AVEC MAURICE PIALAT
Cahiers. Ce cinéma que vous voulez faire, avec des sen- découpé. Maisje crois queje vais revenir a mon ancienne
timents tres forts, trés excessifs,.c’est peut-étre un cinéma manieére de faire. Finalement, ma facon de tourner c’est
impossible @ faire maintenant : un film comme Gertrud celle-la ; on fait une scéne et puis on passe a autre chose;
(le dernier Drever) se casse la gueule, on ne supporte plus pas de graisse. Jusqu’a La Gueule ouverte, je tournais les
des sentiments au cinéma. scénes comme ¢a; il y avait des contre-champs car c’est
difficile a éviter, mais c’était la scene en un plan. Il y a
Pialat. Oui, méme Nous ne vieillirons pas ensemble d’ailleurs quelqu'un qui a su trés bien utiliser cette
posséde un indice de satisfaction trés mince. Il a marché maniére de faire, c’est Pascal Thomas et comme 1] met-
commercialement, d’accord, mais sur un malentendu. tait de la sauce moderne-roublard-journaliste. ga a mar-
Moi ce que j’aime dans le film, c’est que c’est un film sec, ché. Au cinéma, le plagiat c’est ¢a.
il n’y a pas de gras. Il n'y a d’ailleurs que 120 plans (80
dans La Gueule ouverte); dans Passe ton bac d’abord, il Entretien réalisé par Daniéle Dubroux,
y a bien 600 plans et dans Loufou aussi j'ai beaucoup Serge Le Péron et Louis Skorecki.
Marléne Jobert et Jean Yanne dans Nous ne weillirons pas ensemble, de Maurice Pialat
MAURICE PIALAT
Qu’est-ce qui rend le film de Maurice Pialat si émouvant, si ctrange? Pas seulement le fait qu'il aborde
— comme I'a trop facilement souligné la critique - le sujet grave de la jeunesse paumée du Nord (les [ils
et filles d’ouvriers et de petits-bourgeois cn bute au chGmage, sans autre avenir social que les petils meticrs
humiliants).
Le film résiste 4 toute lecture normative, il ne colle pas a l’actualité, pas plus qu'il n’est le produit de
cette actualité. Pialat ne filme pas des loubards (c’est peut-étre le sujet de son prochain film, Leufow), des
punks ou des marginaux, ceux qui défraient la chronique et qui produisent un « supplément liguratif».
Le sujet, vieux comme Ie monde. ce sont les tatonnements et la résistance de la jeunesse 4 devenir « comme
les parents ». Ces personnages sont d’hier et sans doute encore de demain, mais ils ne représentent pas fous
les jeunes. ils ne sont pas exemplaires, ils ne sont pas montés (montrés) en épingle. au contraire : c’est Ic
cinéma qui s’abat sur eux et dans le cinéma, ils jovenr leur rdle.
Acteurs non-professionnels pris sur le tas. filmés la ot ils sont et comme ils vivent, ne représentant
qu’eux-mémes : c’est un des points forts du film, qui fait qu'il s‘impose immédiatement et que les person-
hages atteignent aussitét une dimension plus générale, fantastique, proprement cinématographique. Le
cinéma n’émeut pas seulement pour le sujet qu'il se donne, mais par la capacité qu'il a de donner a voir,
comme si c'était la premiére fois, de fagon simple et condensée, les choses les plus banales du monde : I*his-
toire de la fille facile qui se range par amour sous la banniére du couple, l"histoire de celle qui se marie
par raison en laissant son ceeur ailleurs, les histoires du dragueur et de son inévitable copain qui recolle
les pots cassés, autant d'histoires et de figures qui ont alimenté le cinéma depuis toujours et que Pialat
recrée pour son film, comme si c’était la premiere fois
La premiére fois, c’est-a-dire en partant d'un point zéro, avec des acteurs vierges de cinéma.
Le film commence sur des plans de graffiti inscrits— incrustés - sur des tables d’école; ce sont des mar-
ques ou des traces de désir, d’amour, de jalousic ou de haine, tout simplement des appels de fiction dans
lequels Pialat s’engouffre pour filmer Passe ton hac d’abord, avec les corps de ces jeunes acteurs comme
mati¢re premiére.
Car ces jounes accédent au statut d’acteur non pour leur photogénie, ou leur bonne « nature », mais par
la capacité quils ont (ou qu'ils n’ont pas) de plier leur corps aux impératifs d’une fiction qui les prend
comme sujet(s), leur capacité de jouer ct de faire émerger la vérité de leur propre personnage.
Dans Passe ton bac dabord. les jeunes ne font pas ce qu‘ils font d’habitude (en dehors du cinéma): il
ne se lévent pas 16t le matin, ne prennent pas leurs petits<déjcuners, ne font pas leur toilette. ni leurs devoirs.
et pourtant, de tout cela il est question. Ils ne mangent qu'une seule fois en famille et ne vont au lycée
que Ic temps de trois courts plans. Et tout le film se déroule ainsi, en plans courts, concis, intenses, Ils ne
s¢ racontent pas non plus ct si jamais ils le font, cela préte a rire (la scene dans la chambre d‘hétel) ou
cela renvoice ironiquement a autre chose (draguer une fille sur la plage). Les jeunes ne répérent pas les gestes
du quotidien, ils ne racontent pas teur vie: ils sont la pour tenir un rdle (4 chacun son réle), donner vic
et corps a une figure dans le temps qui leur revient et dans les scules limites du cadre: sans le recours
(secours) du hors-champ. Ce qui implique une certaine cruauté, une cruauté de la mise en scéne, une
cruauté aussi dans les rapports des jeunes entre eux (au début du film, la scéne de la fille plaquée : elle
joue mal, ne tient pas son réle, rien ct personne ne vient la sauver, elle disparait du film, elle « coule »).
Un découpage ct un montage serrés viennent renforcer cet enfermement des personnages dans le cadre.
Est-ce un hasard si la seule fois ou le spectateur peut aisément repérer le paysage des corons du Nord cotn-
cide avec l‘arrivée dans ce petit monde d’étrangers perturbateurs (les deux photographes parisiens)? Il y
a dans le film comme une sorte de promiiscuité naturelle des jeunes entre eux, comme s‘ils vivaient les uns
sur les autres. Comme lorsqu’on prend des photos de vacances, ou les photomatons qu'on épingle devant
les petites cabines dans les gares et les super-marchés, ot les jeuncs s’entassent, le plus nombreux possible,
dans les limites du cadre. Et chacun, a l'intérieur du groupe. corps et visages amoncelés, tente, par un gestc
ou une mimique, de se détacher pour recentrer l'image sur lui — ou sur la demande de son regurd. T.G.
SEP ey a.
Wo,
Wis
VENISE, DE NOUVEAU
Le Festival de Venise (la « Mostra », qui est, il faut le rap- truste ce qu’il y a de meilleur dans la production mondiale, si
peler, le plus ancien festival de cinéma, et, 4 bien des égards, bien qu'il ne reste pour Venise que les films qui n’auront pas
le plus prestigieux : pendant longtemps Venise était tourné été terminés 4 temps pour le mois de mai. Ce handicap s’accen-
vers la qualité, les films d’auteurs, pendant que Cannes collait tuc du fait que de plus en plus les réalisateurs et les producteurs
plus a l'industrie) redémarre cette année, aprés les tumultes de s’arrangent pour mettre la derniére main a leur films en fonc-
68 et le chaos des derniéres années, avec I’idée de redevenir le tion des dates du Festival de Cannes. pour y organiser leurs
grand festival qu’il a été (certains diront qu’il n’aurait jamais « premiéres » mondiales. Venise doit éviter de ne montrer que
du cesser d’étre, mais ceux-la ont tendance a ignorer IHis- les films rejetés ou minorisés a Cannes, a cété des quelques
toire), a cété du Festival de Cannes. films qui auront été terminés entre mai et aoit.
Disons le tout de suite: au vu du cru 79, il reste beaucoup | L’autre difficulté tient a la faiblesse du cinéma italien (la
de chemin 4 faire pour que la « Mostra » ressemble un peu a qualité des films moyens est en baisse. ce que la critique fran-
ce quelle fut dans le passé : tant sur le plan de l’organisation caise met du temps 4 reconnaitre, tellement elle a du mal a se
(a part la grande salle du Palais ol la projection est excellente, débuarrasser de son regard attendri sur le peu de culture folklo-
les petites salles annexes ont besoin d’étre techniquement amé- rique qui subsiste dans le cinéma italien), ainsi qu’a la baisse
liorées; de méme, la presse — surtout étrangére— dont la « Mos- vertigineuse de la fréquentation des salles de cinéma qui
tra » a besoin pour redorer son blason doit étre mieux traitéc s’annonce (du fait, entre autres, de la concurrence des dizaines
et pouvoir travailler dans de meilleures conditions) que sur et des dizaines de chaines de télévision privées qui diffusent un
celui de la qualité de la sélection des films, il reste des efforts maximum de films), qui font qu’on peut se poser légitimement
a fournir de la part des organisateurs (autour du cinéaste Carlo la question : est-il possible de relancer un grand festival ~ une
Lizzani qui assure la direction de la « Mostra ») pour que tout grande féte du cinéma — dans un pays ou le cinéma est en.pleine
soit parfait. crise, ou le front de la production cinématographique‘est en
train de recevoir les coups de boutoir qui lui font passer un sale
Pour ma part, je vois deux difficultés qui risquent de géner quart d'heure? A cette question il n‘est pas possible de répon-
le redémarrage de Venise dans les annécs a venir: d'une part dre. il faut attendre les prochaines années pour se faire une idée
la concurrence de Cannes(et dans une moindre mesure de Ber- de ce que sera la « Mostra » de Venise.
lin, festival aux dents longues et au budget fourni) qui organise
son lestival moins de quatre mois avant la « Mostra » et qui S. T.
VENISE 79
PAR PASCAL BONITZER
Le film des Taviani, [/ prato, ouvrait la Mostra. Signe avant- politique des impasses du romantisme contemporain, identifié
coureur du désenchantement, de l’agacement qui devaient aux vicissitudes de l’esprit « révolutionnaire », communiste et
régner sur l‘ensemble de la manifestation et n’épargner, prati- gauchiste. La principale différence entre // pratu et les deux
quement, qu'un seul film, il fut trés fraichement accueilli - il films précités, est l'absence de toute distance historique: c’est
étail d'ailleurs précédé de bruits peu flatteurs—et parla plupart aujourd'hui, dans la période de l‘aprés-gauchisme, entre Flo-
jugé un total ratage. rence et San Giminiano, que se déroule le récit. Les themes
politiques en sont aussi plus assourdis, au bénéfice d’une his-
Sans doute // prato contient-il, «a la Taviani», quelques toire d'amour, qui est extrémement belle, et qui s’achéve par
roublardises agacantes, quelques tics de mise en scéne, comme l'un des suicides les plus tordus, les plus affreux et les plus
des entrées de champ « inattendues » un peu systématiques romantiques de I’histoire du cinéma.
(quoique jamais gratuites), mais pas davantage (ou a peine
davantage) que dans les précédentes ceuvres des deux fréres. Vécrivais 4 propos d’A flonsanfan, il ya quelques années, que
C'est peu de toute fagon au regard de la passion et de l‘ironie le théme le plus profond des films des Taviani était, non le gau-
lucide qui animent le film. Celui-ci poursuit et approfondit la chisme ou l'utopisme politique, mais « l’enfance », univers
méme problématique que celle de San Michele et Allonsanfan: enfantin congu comme un espace réservé ayant ses lois pro-
problématique complexe. voire retorse - autant que celle, pres. L’utopisme, le gauchisme aussi bién, étant dans I‘ceuvre
disons, d'un Rohmer, mais plus généreuse — et que l’on pour- des deux T. comme le retour, dans l‘univers du sérieux politi-
rait définir rapidement comme une analyse plus morale que que et social, de cette univers enfantin, ou du moins sa nostal-
FESTIVALS
gie: c’est, trés exactement, le théme central de // pratv. Tout se c’est le seul point commun. I] faut savoir gré, d’ailleurs, a Clair
passe dans ce dernier film comme si les Taviani, 4 cet égard, de femme, de ruiner une fois pour toutes, par une sorte de
avaient voulu mettre les points sur les i: deux films y servent dépense généreuse, cette figure d’intellectuel fatigué et dégu
de référence insistante, Allemagne année zéro (dont la que Semprun a fait, depuis quinze ans, endosser 4 Montand
séquence finale se trouve intégrée dans l’histoire) et Le Joueur par le biais de cinéastes de talent, et qui se périme ici radica-
de fltite de Hamelin, de Demy, allusivement cité et onirique- lement, sans espoir de retour (Semprun cette fois n'y est pour
ment parodié; deux films donc, dont les héros sont des enfants rien, mais on peut dire que son ombre hante le film). Par
- voire méme /es enfants - s‘opposant comme tels aux lois du « dépense généreuse », je veux dire que Clair de femme est un
monde adulte. Et si les enfants ont dans // prato une place mar- meélodrame, et qui s'assume comme tel: c’est la rencontre de
ginale (il y en a, comme dans San Michele et Allonsanfan, deux quadra-quinquagénaires riches et velléitaires, mais sur-
comme dans Padre Padrone, mais ils servent surtout de modé- tout frappés de désespoir: lui vient de perdre sa femme, - on
les, de points de référence), c'est I’enfance elle-méme, I"empire apprend in fine qu’il ’'a aidée 4 « mettre fin a ses souffran-
des désirs courts, de la « rivalité mimétique » comme dit René ces »-, elle, a la suite de l’accident qui a cotté fa vie a sa fille,
Girard, du « jouer 4 » (a l'eschatologie du bonheur et de la fra- son mari est devenu fou atteint d’« aphasie jargonnesque », ol
ternité), qui est au centre du film, et qui travaille les personna- il faut voir,je suppose, un symbole de notre temps. Ce n’est pas
ges. Comme Alice, ceux-ci voient par le trou de la serrure un drdle tout ca. C’est probablement ce qu’ont dd se dire les
paradis, mais ils n'ont pas — n’ont plus — la taille requise pour auteurs. d’ou vient que le récit. sinistre 4 souhait, tout comme
passer la porte, ou bien ils ont perdu la cle. le jeu des personnages, est littéralement criblé (un par plan,
minimum) de petits gags de traverse, de discrets incidents bur-
Erotique. le cinéma des fréres Taviani est un cinéma pédo- lesques, de personnages comico-lugubres (ainsi Je dresseur
phile. Entendons par la non je ne sais quelle complaisance d’animaux cardiaque, son caniche rose et sa guenon), comme
égrillarde, quel attendrissement équivoque sur le corps puéril, pour combattre la noire pesanteur que fait régner Montand, sa
mais plus profondément une tension érotique anxieuse pour silhouette et sa voix (condamnée ici a dévider interminable-
un agaima de l'enfance, situé précisément au niveau du regard, ment d’ineptes sentences). En vain. Je crois que le cdté insup-
fétiche tressé de cruauté candide et de joie pure, et que l'on tou- portable du film ne vient pas seulement du vedettariat usé qui
che pratiquement du doigt dans la lueur de I’ceil d°Isabella Ros- le constitue (Romy Schneider, personnage et actrice, est au dia-
sellini, lorsque, travestie en joueur de flute dans une de ces pason de Montand), mais de ce qu’il repose tout entier sur une
séquences oniriques pseudo-naives, incarnant limpossible, erreur psychologique. ou plutét sur une mécanique psycholo-
dont les Taviani raffolent, elle oblige, selon la légende, tous les gique simpliste, une sorte d’enthymeme présenté dans le film
habitants adultes du village a danser jusqu’a l"épuisement. (De 4 rebours, pour le suspense: a) ma femme est morte (ou mon
cette séquence, entre autres, on peut inférer que !"enfance mari est fou), b) donc je souffre, c) donc tout mest permis, d)
représente la perversion réussie 4 quoi révent les Taviani, de donc je fais (ou dis) tout et n*importe quoi. Cette logique assez
méme que la légende du joueur de fltite représente pour les faible peut, de fagon vraisemblable, étre mise en acte par un
trois adolescents du film la fraternité réussie 4 quoi ils n'attei- personnage, mais aucunement étre entiérement prise en charge
gnent jamais, ni politiquement, ni érotiquement). par le récit et la mise en scéne, sans la moindre distance.
comme c'est ici le cas. Ou alors. i] faut pousser un peu plus loin
I! prato, on Vaura compris, est un film trop riche et trop le « n’importe quoi » de principe, mais, commeje l'ai indiqué
sophistiqué pour étre analysé ici (je veux dire dans un compte- plus haut, les protagonistes se caractérisent par un velléita-
rendu de festival) comme il le mérite. Disons donc provisoire- risme d’ailleurs gratuit. On peut saluer le courage de Costa-
ment que c’est I’un des plus beaux films de la Mostra, sinon le Gavras, qui n'a pas pu ne pas étre conscient de braver le ridi-
plus beau, que les Taviani, étrangement décriés depuis Padre cule avec cette histoire, mais on ne peut que déplorer ce pro-
Padrone, sont parmi les cinéastes les plus passionnants du duit du star-system a la francaise.
moment. et qu’enfin Isabella Rossellini — non moins curicuse-
ment dédaignée, peut-étre parce qu’elle a le privilége ou la C6té américain, Menahem Golan, auteur d’un des trois
croix d'étre la fille de Roberto et d‘Ingrid — Isabella Rossellini, Entebbe sortis sur les écrans (j’ai oublié lequel), ct dirigeant de
pas seulement parce qu'elle ressemble si intensément 4 sa la Golan-Globus Prod., présentait une adaptation du Mfagi-
mére, Isabella Rossellini rayonne. cien de Lublin, de Singer. Il n’y a rien a dire de la mise en scéne,
académique, sinon queje n'ai jamais compris l"intérét que l’on
Il y cut ensuite une série d’ceuvres consternantes, Parmi les- pouvait trouvera flasher la pellicule: cela donne toujours une
quelles on est bien obligé de compter Clair de femme, de Costa- photographie laide, plate, sans charme. Malgré cela, I"histoire
Gavras. Je ne sais s'il faut jeter la pierre au cinéaste: que faire reste prenante — en dépit de longueurs au milieu du film-, celle
avec du Romain Gary sinon un film grotesque? Mais dans le d'un Houdini juif, au début du siécle, qui éléve solitairement
genre il nest battu que d’une courte téte par le film de la jour- la tour de Babel de son audace. de son habileté et de son
née suivante. Un dranuma burghese. daprés Woeuvre du charme, veut tout avoir, est aimé de toutes les femmes, et réci-
romancier Morselli, célébre en Italic (ct qui semble bien, lui. proquement — c’est sa fatblesse — ne sait résister a aucunc. Le
n’étre pour rien dans le résultat filmique). {] serait d’ailleurs film vaut surtout par les caractéres du protagoniste principal
malhonnéte de ma part de commenter ce dernier film. car au et de sa belle et jalouse assistante, splendidement incarnée par,
bout de - tout de méme — trois quarts d*heure d‘approche si je ne confonds pas Maia Danziger. Pour le reste, on voit pas-
incestucuse, lorsque la fille en chaleur frotte sa petite culotte ser Valérie Perrine en candide putain et Shelley Winters en lar-
contre la braguette de son pére (plan rapproché, caméra a hau- moyante pouffiasse, ¢a fait toujours plaisir. On peut évidem-
teurde cul) en criant « je te veux », et que celui-ci (Franco Nero ment se demander ce que ce type de film sans ambitions autres
barbu, en pyjama rayé), l'ceil révulsé. tombe évanoui sur le que commerciales fait dans un festival qui, en principe, devrait
lapis, nous nous sommies secoués et avons quitté la salle. privilégier le nuuveau, mais d'une part la Mostra s’est, tout au
long, caractérisée autant par l’incohérence de ses choix que par
Clair de femme va pas cette vulgarité. Comme Vancini, la nullité de son organisation, et d’autre part une belle histoire
Costa-Gavras est un cinéaste politique qui, peut-étre décon- racontée méme un peu platement, nous n’avons plus les
certé ou désenchanté. a de facon inattendue rabattu ses préoc- moyens de cracher dessus. Quant au nouveau. il se cache bien
cupations sur les malheurs de la vie privée bourgeoise. mais ces temps-ci.
VENISE 21
af tea EA,
Fen Hg eat
*
a aw vee rt, a
Ce n'est pas du Koweit, en tout cas. sil faut en juger d’aprés sieurs sens, puisque le portcur d'eau en question ne décede pas;
Ors in, signé Khalid Siddik, qu’on peut espérer le nou- cest une mort métaphysique, une mort du cceur et des sens, le
veau en question. En dépit de ce qui peut vraisemblablement sujet du film étant précisément le retour douloureux de la vie
passer pour une critique de la tartufferie de certains curés de dans cet homme qui. depuis le déces de sa femme en couches,
la-bas. dans le scénario, en dépit aussi du scope couleurs évi- dix ans auparavant, se veut non-vivant. Rien nest pire, sur un
demment adapté aux espaces désertiques du pays. ce film théme comme celui-la, que la lourdeur. De ce point de vue.
abjectement folklorique, cabotin et putassier était, au niveau Essakkamai est lexacte antithése de Clair de femme. Tou-
du scul savoir-faire technique, au-dessous du présentable (sans jours léger, dréle la plupart du temps sans jamais forcer le ton,
parler d'une caméra atteinte de paludisme, et pas ludique pour constamment rigoureux quant a son propos (une morale qu’on
autant, le montage rendait le simple fil des événements prati- pourrait résumer ainsi: pour vivre, il faut accepter la mort), il
quement inintelligible). atleint sans effort a l’émotion, puis au bouleversant, par exem-
ple dans la grande scéne ol le protagoniste principal, déchiré
Peut-étre pas marqué au coin de la nouveauté, mais infini- et halluciné aprés l’enterrement de son ami |’« escorteur de
ment plus sérieux, Exsakkamat (La Mort dit porteur d'eau), de morts » (tué par une overdose d’aphrodisiaques), invoque la
Salah Abou Seif. produit par Youssef Chahine sous la double Mort elle-méme, le grand Hors-champ.
nationalité égypto-tunisienne. Il faut souhaiter la sortie en
France de ce film, au moins aussi beau que Le Moineau, d’ail- En Occident, la demande de formes nouvelles ne vient pas
leurs trés différent du film de Chahine, plus métaphysique, seulement du public d’avant-garde. C’est du moins ce qu’on
apolilique et intimiste. On a parlé, assez 4 tort, de naiveté a peut déduire d'un film comme More American Graffiti. pro-
propos d’Essakkamat, sous prétexte que les protagonistes y duit par George Lucas comme il se doit, mais réalisé par Bill
sont des gens du peuple et y expriment des passions simples. Norton: suite des aventures des personnages de Lucas. L’inno- -
En fait, l'histoire, filmée avec la mate simplicité du grand vation, puisque innovation il y a, vient d’une utilisation systé-
cinéma égyptien (cadrages toujours justes, toujours clairs, tou- matique du split-screen, ou d'une de ses variantes, qui permet
jours sensibles, ni trop loin. ni trop prés, a hauteur de senti- par exemple des vues simultanées diverses sur une méme
ments), admirablement interprétée, maintient trés savamment action (on peut avoira la fois un intérieur et un extérieur, ctc.),
le ton entre le rire et l’émotion, entre la légéreté et la gravité. mais multiplie aussi les formats de l'image sur I’écran. Godard
Le titre méme. La Mort du porteur d'eau, est a prendre en plu- a déja utilisé, a partir de la vidéo, ce genre de procédés, mais
VENISE
dans un bout essentiellement spéculatif, réflexif quant a la /una, je dois communiquer une réflexion faite par Pierre Bau-
fonction du cinéma. Ce n’est pas le cas, il s’en faut, de More dry au cours d’un repas chez Valentino, le meilleur restaurant
American Graffiti, qui y puise seulement des effets de moder- du Lido: 4 savoir qu'il n’y a pas eu moins de cinq films, au
nisme — le film est c/b/é, comme on dit aujourd’hui, sur les jeu- cours de cette Mostra, traitant de l’inceste: Un dramma borg-
hes, et les jeunes, c'est connu, veulent un cinéma qui se hese, déja cité, Kosatzu, de Kaneto Shindo (pas vu, mais sans
défonce, qui s’éclate, ce qu'il fait ici 4 la lettre. Le résultat est regrets), Soldados, film espagnol de Alfonso Ungria (manqué,
donc un produit tape-a-l’ceil, dont la partition visuelle n’est avec regrets), Org, de l’Argentin Fernando Birri et La luna:
guére moins vulgaire que l’usage systématique des focales Comolli, présent au méme repas et dégustant la spécialité mai-
ultra-courtes et du zoom dans les films des années 60 égale- son, les pates au homard, ajoutait la réflexion suivante que,
ment ciblés sur les jeunes, genre The Strawberry Statement; apres la mode de l’inceste « horizontal » (frére-sceur) il ya une
quant a la fiction, partagée en quatre ou cing également selon dizaine d’années, on semblait donc en étre arrivé a celle de
les destins séparés des personnages, elle est dans toutes ses par- Vinceste « vertical » (fils-mére ou pére-fille). Baudry ajoutait,
ties conformiste, mimant les succés des années 60 puisque c’est tandis que j'entamais un prosciutto accompagné de figues
l’époque ot ca se passe, Afash, The Strawberry Statement déja (autre spécialité) que les festivals permettent entre autres de
cité, etc. Une jolie séquence tout de méme, celle ou, embarquée noter la récurrence ou l’insistance de certaines figures, ou de
par erreur dans le panier a salade, une jeune femme anti- certains thémes, a travers le cinéma mondial, certaines années:
contestataire reprend, par indignation, le chant d’une mili- ainsi, a tel festival d’Hyéres, telle année, l’insistance de la figure
tante noire frappée par la matonne, et galvanise le fourgon tout du poulet, apparaissant dans un plan au moins d’une bonne
entier: Je film est - il faut le dire puisque, depuis The Deer partie des films présentés. {] concluait, non sans une pointe de
Hunter, cane va plus de soi — nettement antiflic, antimilitariste regret, que de ce genre de notation, évidemment stérile, il était
et anti-guerre du Vietnam, ce qui est tout de méme a son actif impossible de tirer la moindre théorie. Je ferme la parenthése.
(méme si c’est un rétro-actif).
La luna, certainement le meilleur film de Bertolucci depuis
Restent les deux événements de la Mostra, celui qu’on atten- Prima della Rivoluzione, dune beauté plastique 4 peu prés
dait et celui qu’on attendait pas. indépassable, aurait pu étre un grand film si seulement Berto-
Celui qu’on attendait, c’est La luna, de Bertolucci, avec Jill lucci s’en était tenu, rigoureusement, a ce qui parait un
Clayburgh et le jeune Matthew Barry. Avant de parler de La moment étre fe sujet du film: fe bana! conflit de générations,
FESTIVALS
dont je ne sache pas qu’il ait été vraiment traité depuis qu'on lettes: Le Guerrier ct la captive, je crois (c’est dans L ‘Aleph, que
en parle tant (depuis, j'ai vu Passe tun bac d'abord, qui me fait je n‘ai pas sous la main), la deuxiéme partie surtout, l'histoire
changer d’avis). Le film contient un trés grand moment: celui de l'Indienne blanche, ou: que faire du semblable quand il est
ov Jill Clayburgh, la mere, grande cantatrice, passionnée de passé de l'autre cété, quand il s‘est Jibrement soumis a des pra-
Verdi, et bourgeoise libérale (voire libérée), lors de 'anniver- tiques abominables? Je sais bien que c’est le sujet des Dewx
saire de son fils, s'approche attendrie du coin ot! celui-ci est en Cavaliers, de La Prisonniére du désert et de maint western,
train de flirter: elle s'approche, elle s’approche fondante de Mais je pense justement qu'une approche non-américaine,
tendresse, et ses yeux soudain s’écarquillent d’horreur. Le gar- européenne, de la question, manque un peu. et manque mal-
Gon n’est pas, comme nous avons pu le croire, en train heureusement - il s’en fallait de peu~ dans La luna. « La dro-
d’embrasser sa compagne, il est en train de se faire piquouser gue » était justement le bon angle d’attaque, remplacgant avan-
par elle. Le film bascule 4 ce moment et se fait passionnant, tageusement les « festins de viscéres » évoqués par Borges, les
lincompréhension réciproque, le malaise, la sournoiserie, la tortures rituelles et les tatouages évoquées par Ford. (Et a pro-
haine, l’amour et la tendresse bloqués, entrent en jeu et pro- pos de Borges: La /una est le titre d’un de ses plus beaux poé-
mettent un film trés fort. Pourquoi est-ce manqué? Parce que mes, auquel sirement Bertolucci a songé:
la promesse n’est pas tenue. Bertolucci — le scénariste sous le
metteur en scéne -, peut-étre aliéné 4 une image de marque Comme chacun sait, cette mobile vie
scandaleuse et baroque, n’a pas cru suffisamment a cette his- Peut, entre autres choses, étre tres belle.
toire, je veux dire au réalisme de ce rapport meére-fils, et s'est ify ett ainsi certain soir ow avec elle
mis a dériver: le scénario de drogue aboutit 4 un scénario Nous Uavons regardée, 6 lune partagée.
d'inceste, et celui-ci, dont la crédibilité s'*épuise vite, a un feuil-
leton moins crédible encore de pére perdu et retrouvé, pour Ajoutons enfin que linceste matemo-filial est traité de fagon
s'achever par une apothéose peu convaincante de la mére aux mille fois plus intéressante, malgré ce qu'on a pu dire. dans La
Thermes de Caracalla (pour la splendeur. on y a droit. mais luna. que dans Le Souffle au ceur; les pratiques sexuelles y sont
une splendeur sans contenu, sans chair, est-ce bien de la splen- amenées de facon beaucoup plus crédibles (la premiére fois au
deur?). Alors on repense au début du film, a ce qu'il promettait moins). mieux filmées, et n’ont pas cette sotte valeur d’exor-
et ace qu'il aurait pu étre, quelque chose d’aussi beau que ce cisme et de réconciliation que le film de Malle leur donnait.
conte de Borges, auquel il m’a fail penser et que peut-étre Ber- Enfin le fils, Matthew Barry, n'est pas un petit coq triomphant
tolucci traitera un jour, quand il consentira 4 secouer ses pail- et baiseur. mais un enfant gaté, faible, névrosé. pas sympathi-
VENISE 25
que, bref plus réaliste. malgré le thédtralisme de la mise en sujet dessine, en quelques secondes, un arbre, censé refléter,
scéne bertoluccienne. et plus attachant que le personnage de d'un point de vue psychopathologique. son caractére). Le test
Malle. en question, dont Nichetti se sert pour définir en quelques
traits — c'est le cas de le dire — l’essence, le caractére comique
Comme // prato, La tuna (curieuse similitude des deux titres) de son personnage, devient par l’action de celui-ci une arme
a donc décu Ja critique, mais comme les Taviani, Bertolucci critique contre l’arbitraire sélectionniste de la société indus-
était, comme on dit, visé. Un outsider italien, en revanche, a trielle avancée. Tel est, me semble-t-il, le secret du succés du
remporté tous les suffrages, drainé les foules, été ovationné, film a Venise: voici un nouveau comique qui, sans rien sacri-
c’est Maurizio Nichetti et son Ratatdplan, petit fitm burlesque fier de la vertu propre du gag, retrouve sans effort la profondeur
de 100 millions de lires, produit par Cristaldi. Dans la grande critique, politique et métaphysique. des grands comiques
tradition comique, a laquelle en toute conscience Nichetti se d’autrefois et de naguére.
référe et se rattache, celui-ci est 4 la fois le metteur en scene et
acteur principal de son film, selon cette méme tradition il crée On avait oublié, avec les mécaniciens du rire a la Mel Brooks
un personnage, Colombo, curicux mélange de Keaton (pour et autres, que le grand cinéma comique a toujours été un
lingéniosité délirante, l'excés catastrophique d’inventivité cinéma intellectuel. Nichetti, avec son petit film inégal (I'épi-
pratique), de Chaplin (pour le marginalisme, les comporte- sode central, celui du cirque ambulant, n'est pas trés, trés fort,
ments sentimentaux et ressentimentaux), de Tati (pour la et c’est idée de base de |’épisode final qui est magnifique) nous
contestation schizophrénique de la société moderne). Nonobs- l'a rappelé, merci.
tant lenthousiasme unanime, le film est cependant inégal, et
juxtapose un prologue et trois épisodes, fort différents les uns Et cela dit, il faut bien constater que l’intérét principal de
des autres, qui constituent autant d’« essais» différents de Venise ne résidait pas, cette année du moins, au Lido, mais de
comique, et diversement réussis. Le plus remarquable est le Pautre cété de la lagune. Est-ce un signe, un symbole? Autant
prologue, la séquence prégénérique, qui sert a présenter le per- la Mostra cinématographique a été terne dans son ensemble,
‘ sonnage: en quelques plans un espace social est défini, mis en et souvent au-dessous du minimum admissible (c'est par égard
crise, analysé, une machine logique est en route, inexorable, plus que par paresge que je n’ai pas mentionné certains films,
mortelle, on croule de rire. I] est malaisé d’analyser le gag sans comme Cinéma, du Géorgien Liana Eliava), autant lexposi-
le défraichir, je ne le ferai donc pas ici, maintenant. Je signale tion photographique de la Biennale a été sensationnelle,
simplement qu’il repose sur le fameux « test de l’arbre » (le éblouissante. Mais ceci est une autre histoire. P. B.
FESTIVALS
son récit, mais qu’au contraire son récit - une sorte de journal
autobiographique en méme temps qu’ethnographique: une
femme quitte la ville pour retrouver les traces et les voix de son
enfance et de ses ancétres — trouve de fagon harmonieuse son
écriture « naturelle ». C'est assez rare chez des, cinéastes qui
VENISE - 2 font leur premier film — et c’est surprenant venant d’un pays
comme l’Algérie ot le cinéma fonctionne souvent a partir d’un
melting pot de genres - pour qu’on le signale deux fois, avec
PAR SERGE TOUBIANA lespoir que cela puisse aider ce film a circuler plus.
Dimanche 5 Aoit. 13 heures. Le soleil brille sur Locarno, montagnes, l’oxygéne, rare, est réservé aux heureux habitants
lieu du 32¢ Festival International du Film. commence depuis des hauteurs). Qui c’est, ces festivaliers, mis 4 part les journa-
jeudi et qui se poursuit jusqu’au 12. Le Festival, ici, avant listes de la presse internationale, les hommes de media en tous
d’étre celui du cinéma, est avant tout celui du passage et de la genres (radio, télé), le petit monde du cinéma suisse (Locarno
consommation: passage incessant de touristes riches et pressés est le Cannes helvétique). et les cinéastes, acteurs, producteurs
* (Allemands surtout), consommation sans réserve de tout ce’ qui sont venus vendre ou défendre leurs ceuvres ou leurs pro-
que cette vitrine de la Suisse riche a a offrir, tant au regard (éta- duits cinématographiques récents, par le biais d'un des créneaux
lages de fruits. montres, gadgets, lringues a la derniére mode — offerts (compétition, information suisse, tribune libre, semaine
on est ici au Tessin, en Suisse italienne et tout pres de Iltalie F.1.P.R.ES.C.1., et Marché du film, réservé aux profession-
—derniére mode italienne, donc, brillante, changeante, tape a nels)? Ils se divisent en deux catégories: ceux (le plus grand
lceil), qu’au portefeuille (pour la liste, se référer a la parenthése nombre, le public populaire) qui n’assistent qu’au film du soir
précédente et multiplier le nombre de choses a acheter par (des avant-premiéres, quelques uns des films en compeétition),
cent, le prix par trois au moins, rapport a la santé du franc dans des conditions assez merveilleuses (quand il ne pleut pas):
suisse). Les pauvres festivaliers suent a grosses gouttes, rapport sur un écran gigantesque, en plein air. en plein milicu d'une
au soleil qui tape et a l’air qui manque (on est coincé entre des belle place entourée de maisons souvent plus petites -—c’est dire
sa taillet - que celles que l'on peut voir projetées sur l’écran.
7 hin Ce public-la, il peut monter jusqu’a 5000 (surtout pour les
films en langue italienne: ca se comprend, c’est la leur). La 2¢
catégorie (4 mon avis, guére plus— hélas— de quelques dizaines)
se compose de cinéphiles, d‘amoureux fous du cinéma, assez
fous en tout cas pour s’enfermer par un soleil sublime dans des
petites salles obscures, et cela de 10 heures du matin jusque
. tard le soir, en prenant juste le temps d’avaler, vite fait et parce
que les restaus les ruineraient pour toujours, quelque sandwich
ou équivalent local du célébre Choco B.N. On peut dire, sans
risquer de se tromper outre mesure, qu’ils sont venus a
Locarno en grande partie a cause de la rétrospective Ozu, qui
commence tout juste (avant, on ne pouvait méme pas voir ses
films) a acquérir une renommée internationale, et ceci depuis
le (relatif) grand succés de Vovage a Tokyo et Le Gotit du saké
(40.000 et 60.000 entrées 4 Paris), et la réputation qu'il s‘était
faite en Angleterre et aux U.S.A., ot critiques et cinéastes,
depuis plusieurs années déja, le considérent comme un des
plus grand cinéastes de tous les temps. (C’est pour Ozu que
nous sommes 1a aussi, Alain Bergala et moi, invités par le fes-
tival a4 y faire un séminaire sur son ceuvre - (voir encadré).
D'Ozu,je vous parlerai dans ma prochaine carte (quand j’aurai
vu plus de ses films). Pour l"instant, on discute ferme, aprés la
projection du matin, c’est un peu débat de « ciné-club », mais
ca promet d’étre riche (personne n’est d’accord, mais si on
s’engueule ferme, tout Je monde est passionné: Ozu est pas-
sionnant).
x ik
ty thibbise,)
LOCARNO
Dick Van Dyke dans The Runner Stumbles, de Stanley Kramer, le meilleur film 4 Deauville, selon L.S.
Deauville, 5¢ année: la vitrine s’illumine. Les « Majors » se méme temps voir un peu de quoi a lair la production « indé-
sont laissé convaincre: il faut dire qu’Anne d°Ornano, maire de pendante ». Ce ne fut pas le cas: 4 croire que les « Majors » sont
Deauville, a fait elle-méme le voyage aux Etats-Unis pour les les Attila du cinéma paralléle: 14 ot ils passent, plus rien ne
persuader de l’importance de Ja manifestation. (Entre paren- repousse. Cela dit, puisque vitrine il y a, petite par la variété
théses, il est prévu un « festival du cinéma francais » aux Etats- des produits mais large par le nombre (40 films), examinons la
Unis, habilement négocié par ladite d’Ornano : c’est ce qu’on marchandise.
appelle, en termes poétiques, de l’import-export). Résultat de Premiere impression: si presque rien n'est vraiment mau-
toutes ces manceuvres: le festival de Deauville ne cache plus ses vais, presque rien non plus n’est vraiment bon. Tout se laisse
ambitions (mieux: il commence 4 les réaliser), c'est-a-dire voir. Alors, plutét que d’énumérer les quelques 25 films que -
offrir une vitrine au cinéma, américain, par ailleurs (voir le j'ai vus, je les ai classés en 6 catégories, un peu arbitraires
compte rendu de Pesaro par Le Péron dans le dernier numéro) comme toutes les catégories, mais qui me semblent indiquer
le mieux représenté sur les écrans du monde entier. Ce ne serait grossiérement les 6 directions qu’on peut dégager de la sélec-
pas aussi dérisoire si, comme les autres années, on pouvait en tion deauvillaise. :
- 36 FESTIVALS
1) Documentaires et apparentés. The Last of the Blue Devils sympathique) sur la folie qui s‘empare d’un lycée quand les
(Bruce Ricker) montre une réunion nostalgique des anciens Ramones viennent y donner un concert. Le rythme est rapide,
musiciens de Count Basie et de Jay McShann. Ils jouent moins les personnages inconsistants, la musique pseudo-punk des
bien qu’avant, évoquent Charlie Parker et Lester Young (qu’on Ramones plutot insignifiante (nostalgique des débuts du rock,
entend et qu’on voit, hélas fugitivement), le tout en 16 mm a pleins décibels): c’est un peu une version hyper-américaine
couleur, gonflé, mal filmé. C’est de la mauvaise télévision. Les de nos films sur les amours lycéennes ou les bidasses déchainés.
émissions d’Averty sur les vieux jazzmen (FR 3) valent cent Amours lycéennes que Il’on retrouve dans deux autres films,
mille fois mieux que cela. Heroes of Rock'n Roll (Malcolm inégalement mauvais. Breaking Away (Peter Yates) est carré-
Leo. Andrew Solt) est un échantillonnage des grandes figures ment nul. C'est, filmé comme les pubs « soif d’aujourd’hui »
de l'histoire du rock, de Presley 4 Elton John. Le rock contem- pour Coca-Cola, l"histoire de quatre copains qui enterrent leur
porain est mal représenté, c’est le plus souvent du materiel adolescence a renfort de gesticulations moins originales les
fourni par les maisons de disques, mais on peut légitimement unes que les autres. On a une idée du film assez précise par les
avoir envie de voir Dylan, Buddy Holly, les Stones, les Beatles 6 titres (provisoires) que la 20th Century Fox propose pour
et quelques autres. Et de les entendre. Cest possible: pourquoi Vexploitation en France : « Des batons dans les roues », « Les
sen priver? Ken Murray Shooting Stars (Ken Murray) est le dérailleurs », « Les glandeurs », « Les juniors », « Le temps des
film révé pour tout cinéphile nostalgique: ce sont les bandes, juniors », « Place aux juniors ». Sans commentaire. Over The
muettes et sonores, que l’'acteur Ken Murray a tournées, des Edge (Au bord du Gouffre, Jonathan Kaplan) ne brille pas par
années 20 a aujourd'hui, avec la participation du « tout Hol- la qualité de son filmage. mais il a au moins le mérite d’un scé-
lywood », Les stars sont filmées le plus souvent chez elles, quel- nario assez original. C'est Vhistoire d’unc bande de gosses, dans
quefois lors de tournages. On voit des bouts d’essai (notam- une cité moderne, dont la moyenne d’age doit étre 14 ans : lais-
ment la premiére apparition sur film de Marilyn), des petits sés plus ou moins 4 eux-mémes, ils se défoncent, draguent,
gags improvisés, la premiére chanson de Bing Crosby, Clark écoutent de la musique pop, le tout sans violence excessive
Gable sans moustaches mais avec ses grandes oreilles, W.C. mais en imitant en tous points leurs ainés de quelques années.
Fields qui fait craquer un joueurde dames, Errol Flynn sur son Une société en réduction, en modéle réduit. Un gosse est tué
yacht, Chaplin qui fait (extraordinairement: c’est aussi beau par un flic a la gachette facile, le feu est — littéralement - mis
que dans un de ses films) rire un diplomate, et mille autres cho- aux poudres : vent de folie, on boucle les parents. incendies de
ses. L‘humour de I’acteur Ken Murray, dans le style « britan- voitures, explosions, délire total. Ce qui fait Pintérét de I"his-
nique » que certains Américains affectionnent particuliére- toire, plus encore que les cataclysmes de fa fin, c’est une his-
ment, n’est pas toujours bien venu, mais il est un cinéaste ama- toire d’amour trés touchante, un peu miévre sans doute mais
teur de tout premier ordre. Richard Pryor, Live in Concert (Jeff rendue singuliére par la personnalité du petit acteur qui l’inter-
Margolis) est le show filmé d’un « comedian » (il n'y a pas vrai- préte : entre deux Ages, encore gamin mais tout d fait adulte par
ment d’équivalent en France: c’est 4 mi-chemin entre le café- son comportement. Un film a l'image d'un certain désarroi
thédtre et le chansonnier) qu’on a pu voir au cinéma, notam- américain. Voices (Silence... Mon amour, Robert Markowitz)
ment dans Bive Collar. || est trés dréle, trés « physique », tou- est aussi une histoire d’amour entre deux adolescents (ils ont
jours aux limites de l’excessif et du mauvais gout, comme quelques années de plus), un joli petit film, mélodramatique au
devait l’étre Lenny Bruce. Sa caricature du « macho man » et possible : if veut étre chanteur, elle veut étre danseuse, il est
ses histoires de lit (comment faire parvenir - ou pas - une pauvre, elle est riche, i! est en pleine santé, elle est sourde-
femme a l’orgasme) sont criantes de vérité; américaines a un tel muette. Tout s’arrange a force d'amour et de délicatesse, aucun
point que le Coca-Cola en comparaison semble étre une inven- personnage n‘est vraiment méchant, la gentillesse régne. C’est
tion du Honduras britannique. J’oubliais: il est noir, et le film trés émouvant, sans trop d’emphase (avec un tel sujet on pou-
est trés bien, trés sobrement filmé, et sans doute a peu prés vait craindre le pire), et les deux acteurs (Michael Ontkean,
intraduisible. Amy Irving) sont trés beaux et trés doués. (Amy Irving, qui a
des yeux presque aussi bleus que Lee Remick, joue dans le pro-
chain Antonioni: Suffer or Die). Enfin, un film queje n’aime
2) Les films sur les jeunes. 6 films au moins mettent en scéne pas du tout: The Warriors (Walter Hill). C'est, 4 mi-chemin
des jeunes et des adolescents. Le plus honnéte (et le plus inté- entre Orange Mécanique et West Side Story (sans le talent), la
ressant) est The Buddy Holly Story (Steve Rash, Ed. Cohen, tribulation stylisée de quelques dizaines de bandes de jeunes a
Fred Bauer) qui, comme son nom I’indique, est histoire de travers New York la nuit. Aucune violence réelle, des pseudo-
Buddy Holly, un des pionniers du rock, l'un des musiciens les ballets pour les bagarres, aucune réalité sociale, bref un film
plus intéressants des années 50. Rappelons que Buddy Holly
(ses chansons les plus connues sont: Peggy Sue, Raining in my
Amy Irving et Michael Ontkean dans Vorces, de R. Markowitz
Heart, Words of Love) a été l'un des tout premiers Américains
a faire une synthése entre la musique noire et la musique blan-
che, celle de Nashville. I a été aussi l'un des premiers a pro-
duire entiérement ses disques et 4 essaycr de leur donner un son
original. 1] est mort dans un accident d’avion, le 2 février 1959,
A 22 ans. Le film est une reconstitution trés fidéle de sa vie et
de sa carriére, les chansons sont trés bien interprétécs, le film
n'est ni démagogique ni hystérisant, il donne une large pan a
Faspect purement musical de la création dans un domaine ou
elle est rare, la musique populaire. il montre avec beaucoup de
modestie (et néanmoins de précision) quels pouvaient étre la
vie, |"ambition, les réves d'un jeune chanteur du Texas dans les
années 50. Tout cela sans jamais tomber dans le rétro facile. ni
Veffet « pop music » clinquant. On sent qu‘il y a eu beaucoup
de travail de recherche. du respect, et de ’'amour. Rock'n'Roll
High School (Allan Arkush) est bien moins intéressant: c'est
un film baclé (son aspect série Z est d’ailleurs son seul coté
DEAUVILLE 37
pour le moins incongru et déplacé, vu le sujet. Trés esthéte (Folie Folie. Stanley Donen), une nostalgique réminiscence de
mais ambigu ;: les hommes sont filmés comme les athletes hui- « deux films comme on n’en fait plus », de l’époque révolue des
lés des magazines homosexuels américains, mais aucune rai- « double features » (deux films au méme programme). C’est
son ne semble jamais le justifier. Eat-il été carrément homo- trés bien, trés agréable, et un peu triste : on est heureux quand
sexuel, ce film n‘aurait sans doute pas paru aussi dérangeant, le film se hausse 4 peu prés au niveau de ce qu'il pastiche, le
aussi dénué de point de vue. Mieux vaut aller revoir les films cinéma @hier, et on se rend vite compte de la vanité de l’entre-
de Morissey-Warhol. Ceci dit, il est scandaleux qu’on veuille prise : comment faire aussi bien ? Le résultat : un épisode (I"his-
classer ce film « X », sous prétexte des bagarres qu’il a déeclen- toire mélodramatique d’un boxeur qui ne boxe que pour
chées en Amérique. Qu’au moins les adolescents puissent juger gagner I’argent nécessaire 4 faire opérer sa jeune sceur) assez
par eux-mémes ! 1] est a souhaiter que ce film sorte, et qu'on déplaisant, tant Donen semble se forcer 4 la caricature et a la
n’en parle plus. grimace au second degré, lui qui n'est que fluidité et premier
degré, et un second mieux venu, I‘histoire de la derniére revue
musicale d’un concurrent du grand Ziegfeld. Avec peu de
3) Les divertissements commerciaux. La on peut aller vite :
moyens, Donen réussit 4 enchanter 4 plusieurs reprises, ce qui
The Frisco Kid (Un Rabbin au Far-West, Robert Aldrich) est
n'est pas peu: quelques numéros musicaux trés aériens, un
une lourde comédie a peine améliorée par le regard candide-
hommage 4 Busby Berkeley, et surtout une scéne, presque par-
ment clairde Gene Wilder. C'est un rabbin de folklore dans un
faite, presque « aussi bien qu’avant », ol un jeune écrivain a
Far-West de pacotille filmé par un des maitres de lesbrouffe et
lunettes (entre James Stewart et Ryan O'Neal) réussit 4 persua-
de leffet. Love at First Bite (Le Vampire de ces dames, Stan
der le producteur, en mimant bien siir toute sa comédie musi-
Dragoti) est une aussi lourde pseudo-comédie, censée présen-
cale, qu’il peut étre le musicien de la revue au lieu d’étre son
ter le retour de Dracula dans le New York d’aujourd*hui. On
comptable. Movie Movie garde son unité du fait de la présence
ne voit ni un ni l'autre, mais leurs molles et pales imitations.
de George C. Scott, acteur qui en fait trop et que Donen utilise
Il parait que c’est le film préféré de Carter. Comme pour War-
A son mieux, pour justifier la parodie un peu forcée du film. Du
riors, un seul conseil : revoyez plut6t un Warhol-Morissey, Du
coup, ilen sauve le style. The Champ (Le Champion, Franco
sang pour Dracula par exemple. C'est la méme chose, mais le
ZelVirelli) est le remake minable du vieux Vidor avec Wallace
film est fait, The In-Laws (Ne tirez pas sur le dentisic. Arthur
Beery. Prototype de l"européanisation psychologisante d'un
Hiller) est plus réjouissant: Peter Falk entraine Alan Arkin
film fort et brutal. c’est (interminable et larmoyante histoire
dans @invraisemblables aventures C.[.A-esques, menées 4 un
d'amour d’un boxeur sur le retour et de son fils blond comme
train d’enfer, bien jouées, et qui ne portent pas a conséquences.
les blés. Si les larmes viennent (on n'est pas de pierre), le film
On rit: c’est rare, non ?
n’en vaut pas mieux pour autant. Saint Jack (Peter Bogdano-
vich) est I*histoire plaisante et assez légérement menée d’un
4) L’Amérique fait retour sur elle-méme, en passant par homme (Ben Gazzara) qui réve d’ouvrir a Singapour un
PEurope. On fait des remakes, on reprend les recettes qui ont luxueux bordel. Il ne réussira qu‘a diriger un camp de plaisir
marché, on gomme la véritable violence (qui n’existe pratique- pour les permissionnaires américains du Vietnam. Plus inté-
ment plus dans le cinéma américain), on cherche a faire savoir ressante, plus émouvante aussi, est I‘histoire de son amitié avec
qu’on a du savoir-faire, on prone l'équivalence de tous a V’inté- un digne britannique (Denholm Elliott), une amitié a rebon-
rieur de l’'American Way of Life, on incorpore en douceur : dissements qui n'est pas sans évoquer celle de The Long Good-
toutes ces remarques (celles de Le Péron a Pesaro. Opus cité) bye de Raymond Chandler. C’est ce qu'il y a de mieux dans ce
valent aussi pour les films américains présentés a Deauville. A film, un sur-place un peu désenchanté qui fait penser 4a Wen-
cela. il faut ajouter l'influence de l'Europe, principalement ders. Justement : c'est’ Robby Miiller qui a signé la photogra-
Mltalie et la France. L’ttalie, davantage que par ses grands réa- phie et Pierre Cottrell est chargé de production. The Seduction
lisateurs, Rossellini, Visconti, Antonioni, a marqué le cinéma of Joe Tynan (Jerry Schatzberg) est une version actuelle, truf-
américain par ses westerns : elle a montré un Far-West dillé- fautisée, des comédies politiques de Capra. Un sénateur (Alan
rent, avec des personnages inhabituels (tout simplement parce Alda, auteur du script), pour réussir sa carriére politique, est
que l’Amérique ne les avait pas inclus : les Chinois, les fous. les amené 4 faire des compromissions. {Il est intéressant de noter
marginaux par exemple), et une frénésie de violence et d’hé¢mo- que c'est un sénateur libéral, de gauche). Il a une liaison avec
globine qui tenait du cirque et de la peinture rouge vermillon une jeune avocate et il y renonce, a fa fois pour préserver son
plus que des exigences du scénario des films. La France a eu bonheur familial et pour ne pas ruiner sa carriére. Le film est
une influence tout aussi délimitable: des proportions plus trés subtil, les personnages attachants, les mécanismes politi-
humaines et des propositions qui jonglent quelque peu avec la
grammaire d’usage dans le cinéma dominant (La Nouvelle
Ben Gazzara (4 gauche} dans Saint /ack de P. Bogdanovich
Vague), un cinéma plus direct et improvisé (Lelouch), mais
aussi et surtout, plus que tout, le « style Truffaut ». celui par
exemple de La Nuit américaine, qui est un peu le modéle de
ce que les Américains eux-mémes semblent essayer de faire
aujourd’hui. Qu’est-ce qu'il faut entendre par «style Truf-
faut» (entre guillemets, parce qu'il s'agit de Truffaut bel et
bien vu par les Américains) ? Un humanisme bon enfant (tout
le monde a ses raisons, les bons et les méchants forment tout
de méme une méme famille, l'amour et Pamitié ga se ressem-
ble), allié a un style propre et coloré : personnages bien dessi-
nés, filmés avec chaleur, dans une lumiére « naturelle » (pour
ne pas dire « domestique »), et dans des aventures qui redon-
nent au quotidien sa coloration un peu héroique. Pour résu-
mer : le cinéma de Truffaut filmé par Lelouch. Ce « modéle »,
onaeu l’impression qu’il avait servi pour une bonne moitié des
films : ainsi Voices. Buddy Holly Story, Over the Edge auraient
pu entrer dans cette catégorie. Comme y entre Afovie, Movie
38 FESTIVALS
ques habilement mis en scene, mais on ne peut s’*empécher de
trouver la pilule dure 4 avaler: en politique ce serait donc,
comme partout ailleurs, impossible d’étre complétement hon-
néte, les dés sont truqués d’avance. Outre qu‘idéologiquement
la these n’est pas reluisante, le film (qui marche trés fort aux
Etats-Unis) rate son coup (mais le rate-t-il vraiment?) sur un
point important: la ot Schatzberg déclare critiquer le person-
nage, dénoncer ses compromissions, le public ne voit rien: la
majorité des spectateurs, emportée par un immense courant de
sympathie, aime le héros, un point c est tout. On lui pardonne
tout :c’est un homme. C’est un film émouvant et assez ambigu,
pour ne pas dire crapuleux. Goin’ South (En route vers le Sud.
Jack Nicholson) est un bon western que gache malheureuse-
ment une européanisation trop poussée. Un homme est sauvé
de la potence par une vieille loi : si une femme l’épouse, il peut
garder sa téte. Ce sont les rapports bizarres, comiques, tendres,
imprévus de ces deux personnages qui constituent, en fait, le
seul scénario du film. La mise en scéne est sobre. souvent trés
belle. Ce qui ne va pas, c’est d’abord le jeu de l'acteur Jack
Nicholson, trop grimacant pour étre crédible. C’est surtout la
photo de Nestor Almendros, trés belle en elle-méme avec sa
lumiére douce, trés « naturelle », mais dédramatisante au pos-
sible. La ol une photo et une lumiére « classiques » auraient
donné un réel poids au film, la photo trop douce d’Almendros
le fait constamment hésiter entre le joli documentaire et la fic-
tion étroite. Résultat : une sorte de western pastel, sympathi-
que en diable, saboté par un manque d’ancrage dans la réalité
américaine (son histoire autant que son cinéma) et un désir
trop francais d’en étre l’auteur total.
HYERES
PAR LEOS CARAX
En cing parties. 1} Rétrospective Robert Kramer. 2) Courts Kramer est un des cinéastes (avec Godard et quelques autres)
métrages. 3) Longs métrages. 4) Hommage a Marguerite a savoir filmer des gens qui parlent. Sans que le son soit trop
Duras. 5) Cléture. fort. Les dialogues sont d'une clarté et d'une précision formi-
dables. Les films ne sont pas « en faveur » de la lutte arméc, ils
1. Une rétrospective pas rétro: Robert Kramer. Les films autopsient avant de la prise des armes et témoignent de
sélectionnés 4 Hyéres sont répartis en trois sections : cinéma laprés. In the Country, The Edge et Ice se partagent un méme
d’aujourd hui, cinéma différent (la distinction n’est pas vide de plan: un plan banal, quotidien, et puis une arme déja dans le
sens;je n’ai pas suivi le cinéma différent), « voir et revoir ». Les champ mais cachée a nos yeux et qu’une main fait apparaitre
films de Robert Kramer étaient présentés dans cette derniére (de derriére un frigidaire, d'un tirotr, d'un papier journal, dunc
section (pour moi, il s’agissait de les voir) et c’étaient certaine- pate 4 poterie). Ce plan est Je centre de gravilé, aux deux sens
ment les plus différents et les plus d’aujourd hui du festival. J’ai du mot, des films. The Edge me parait le plus réussi : comment
vu F.ALLN,, Inthe Country, The Edge (le programme affichait les personnages agissent par rapport a |*Histoire, par rapport
« The Age ») et /ce. Quelques notes sur le cinéma de Kramer 4 la Marge, comment ils s’accomplissent comme individus (la
— quelques notes seulement — parce que je ne sais pas encore solitude folle de celui qui a décidé de tuer le président), comme
comment en parler. par que! bout le prendre (tant il repose, partenaire dans un couple, comme élément dans une commu-
singuliérement, le vieux probléme du fond et de la forme) et nauté. Les rapports de force entre les personnages ne naissent
que, quand on ne sait pas, on ferme sa... jamais d'une quelconque hiérarchie militante. Kramer filme la
HYERES 41
relation amoureuse et les corps nus, @ uu. Des acteurs comme cher sa place entre les genres, les retours-arriére, les clins d’ceil,
Hollywood n’en aura jamais. L’impression qu’ils jouent leur etc. Viens faire joujou,je te dirai qui tu es. Le jeu peut entre-
histoire en méme temps que leur réle. L*histoire immédiate : tenir des rapports formidables avec le cinéma — voir A.G,
« comment Ja lutte va-t-elle tourner? qu’est-ce qu’on va deve- Arrieta ou R. Ruiz ~ encore faut-il dépasser le niveau touche-
nir?» Pas dans dix ou quinze ans, mais demain matin. Un pipi du puzzle psychanalytico-culturel (a l'image : Botticelli,
cinéma de l"urgence. Ces films, comme La Chinoise de au son : Monteverdi). Ce cinéma, vu et revu. a déja tout donné.
Godard, doivent étre vus dés leur sortie du laboratoire; mais Avec ses codes, ses clés, ses femmes-statue. son humour au
dix ans aprés, ils restent Maciualiteé. quinzieme degré, il fait perdre son temps au cinéma
Robert Kramer était présent 4 Hyéres. Toujours agréable de d aujourd'hui, C’est une impasse, et elle pue.
le rencontrer — sans « groupies » aux fesses. pas comme Alain La Mort a regu deux prix. C’est ga le cinéma d*Hyeres.
Robbe-Grillet ou d’autres. Manifestement rodé aux débats, il Pourvu que ce ne soit pas celui de demain. Pour en finir avec
était le plus lucide des gens de la profession (9) présents au fes- la culture, une information: M.-E. Théry m’a confié que F.
tival, quant a /a situation, Hyéres est un bon endroit pour étu- Jost jouera dans son prochain film (gloussements progressifs du
dier ta crise - il parle d’une « crise de conception » - 1a plupart rire). Nu —en représentation du David de Michel-Ange.
des films ne se posent ni problémes de cinéma, ni problémes Un enfant sans histoire de Philippe Bensoussan retient
tout court, Dans le numéro 295 des Cahiers, Kramer disait : attention, dans la masse des courts métrages présentés, pour
« Si je veux progresser dans mon métier et avoir un peu plus plusieurs raisons: un Sujet d’Aujourd’hui (a la « Dossiers de
d argent pour faire mes films, il faut queje me pense comme l'écran »), un corps a corps entre le réalisateur et son sujet, une
cinéaste. Hl faut que ye Jasse un tas de choses auxquelles je ne FIN (trés discutable). Un journaliste de télévision enquéte sur
me suis jamais préparé et dabord me sentir responsable de la la banalisation du nazisme a l'heure d'Holocausie et de l'aflaire
distribution de mes films, rencontrer d'autres cinéasies, avoir Darquier de Pellepoix. Sa femme est juive; ils ont un fils. Un
des rapporis avec eux. en camarades, me sentir partie prenante jour. il fracasse le crane d'un jeune anti-sémite contre le zinc
d'une communauté », Aujourd’hui, il vit a Paris et travaille a d'un café. Le point (trés) fort du film (par ailleurs fnstuffisane
réaliser ces projets (création d'un « groupe Nickel»), avec par rapport au projet) c'est d’étre un film de 1979 - comme
Raul Ruiz. Nuit et brouillard était un film de 1956. Voir aujourd’hui sur
un écran de cinéma, une télévision (celle du journaliste dans
2. Courts métrages. Les rats d’auteurs. son appartement) qui passe le générique d’Holocauste, c'est
Couvrir le Festival du Jeune Cinéma International d’Hyéres trés fon.
1979 (de boue plutét que d’éloges, quant aux films), c’est faire L‘Etat des lieux de Francois Caillat (le plus beau titre du fes-
la semaine desoixante heures, la semaine de quelque cing mil- tival et le seul court métrage different) : voir le post-scriptum
lions cent quatre-vingt quatre mille images
— on achéve bien les _ d’Alain Bergala.
critiques... Chacun des quatre longs métrages quotidiens est
précédé d’au moins un court métrage. Quelques réflexions sur 3. Longs métrages. Le Nouveau Vague.
ces courts métrages. , Il faudrait faire l"inventaire de toutes les techniques de
Ils avaient tous une excellente « facture » : bonne photo, bon cinéma (plan fixe - gros, moyen, américain, large etc. - travel-
son, cadrages et montages efficaces. Beaucoup s’épuisent a ren- ling, pano, zoom, fondu enchainé, fermeture et ouverture au
dre fantastique le quotidien (quotidien : charibre d’hétel, stu- noir, voix offetc.) et retracer l’évolution de chacune d’elles, des
dio, hépital...). Le court métrage semble étre le lieu privilégié Lumiére Brothers 4 nos jours. Pour ce travail, il nous faudrait
du conditionnel, du ?, du peut-étre, du le spectateur ne saura un ou plusieurs Bazin et, pour ce qui est des évolutions a venir,
Jamais si, des «...» (il n'est qu’a lire les synopsis). On parle alors cette revue ol! « ceux qui font des films donneraient de temps
de déconstruction du récit et ces films, forcément, n'ont pas de en temps leur position, comme des navires de commerce divers
FIN. La cinéphilie a eu son heure de gloire cété réalisation. On sur l’océan ». Quelques micro-remarques sur les techniques
Partait d’un amour fou du cinéma, on refournait cet amour ’ des films d’Hyéres ~ tous des films d auteurs.
pour arriver (au bout des comptes a régler avec ce cinéma) a La quasi-totalité des films utilisent la voix off (en gros, on
des films tout a fait autres, neufs. Aujourd’hui, de plus en plus, peut distinguer trois voix off: la Welles, la Godard et la Duras,
et c’est surtout sensible a la vision des courts métrages, terrain, la plus cotée de nos jours: les organes vocaux de Delphine Sey-
s'ilen est, du travail, de la recherche — la cinéphilie est devenue rig et de Michel Lonsdale ont fait beaucoup de petits). Peu de
une cinéphylis libidineuse et stérile et les rats de cinémathéque plans fixes terroristes; ni zoom, ni trucage, ni artifice d’articu-
des rats d’auteurs. . lation entre les scénes (fondus, ouvertures et fermetures au
Par rapport a ces réflexions, cing courts métrages francais. noir, volets etc.). Les travellings (trés présents) n’ont pas de
Francois Orgeat (P. Pauquet). Relations épistolaires en voix off chute (le prototype du travelling a chute étant celui de Young
sur des plans d’hépital bruxellois, entre un fils et son pére and Innocent, célébre pour sa longueur). Plutét des travellings
atteint d’un cancer et entre le fils et le médecin du pére. On voit de lerrance — et singuliers, les rravellings fixes de Duras. Du
bien ot ce cinéma peut puiser (généreusement) son inspira- point de vue de leurs techniques et de leur montage aussi, les
tion. Le film, clinique et larmoyant, ressemble a un devoir films d’Hyéres manquaient terriblement de couilles.
décolier. « Vingt sur vingt » s’est exclamé le jury qui a remis Le festival posait quotidiennement le méme probléme, un
au réalisateur (le seul hyérois de la compétition) le prix du feu probléme de spectateur et de critique : a partir de quel moment
maire d’Hyéres. peut-on — si on le veut, c’est-a-dire souvent — quitter la salle de
Deux courts métrages produits par le G.R.E.C., Le Tour cinéma, soit: estimer que l'on sait ce qu’est le film? Ps
d écrit de Marie-Eve Théry, avec Marie-Eve Théry, et La Afort Tout fe début du film belge Plages sans suite (extraits du
du révolutionnaire, hallucinée, de Francois Jost avec Francois synopsis : un chauffeur-livreur... errance mentale et géographi-
Jost et Marie-Eve Théry. Les deux films revendiquent (?) la que... un quotidien pergu comme stérile) ob fe livreur — Pierre
filiation au méme Auteur (la barbe du nouveau roman) et M.- Clementi, ténébreux visage de jamaicain blanc - prend la
E.T proméne son corps (en)nu(yeux) - sa robe aurait-elle route, nous déroute - méme Si on est en terrain connu, quelque
grillé? — de l'un a l'autre (dans le second, elle est en représen- part entre Wenders, Handke, Duras et Akerman. Ce n'est
tation de la Venus de Botticelli). Je parlerai de La Mort, le plus qu’au bout d'un bon moment qu’on voit ce qu’est le film: nul
réussi des deux. C’est un film ot le spectateur est censé cher- et prétentieux; Plages sans suite est un plagiat sans fin.
42 FESTIVALS
Ce cher voisin. film hongrois de Z. Kezdi-Kovacs (auteur de Stilleben (Nature morte) est un petit film - soixante-dix
Quand Joseph revient) avec Laszlo Szabo (toujours bon): une minutes, 16 mm, noiret blanc - d’Elizabeth Gujer. Margrit est
comédie de meeurs a litalienne avec ses éternels affreux, sales veuve, elle a cinquante-cing ans. Elle rencontre des hommes
et pas si méchants que ca. par petites annonces et par hasard. Elle rencontre Max qui est
Deux films francais, La Moule Pipeau de B. Cohen et Y. antiquaire. Le film repose pour une bonne part sur les lourdes
Breux et 4 vendre de C. Drillaud. Le premier a le mérite d'étre et lasses paupiéres de l'actrice Margrit Winter. tres connue des
un film sale, fait de bribes de pellicules : un peu de documen- suisses et qu’on leur échangerait bien contre notre Girardot
taire. un peu de pomo. un peu de politique-fiction, un peu de nationale. Srilleben est découpé en dix-huit tableaux, chacun
réalisme; un humour proche de Bufuel. Le second met en introduit par un intertitre - a la maniére de Vivre sa vie.
scéne les habitants de deux fermes voisines sans que l’on puisse J’aime la facon qu’a le film de prendre son temps pour raconter
toujours établir les relations entre les personnages ni jamais son histoire et garder tout au long un ton tranquille et sans
cerner vraiment la psychologie de chacun. Méme si le film est contraste - comme la lumiére égale du Pickpocket ~ méme
assez raté, il retient J'atlention parce que pauvre el casse- quand, a la fin, « Margrit prend une décision » : tuer Max,
gueule (au sens ou le cinéma de Pialat, par exemple. est casse- Le film catalan Shirley Temple Story, de Antoni Padros
gueule : la plupart des films du festival étaient jowés d avance). (1975-76) était une sorte de « happening » dans la programma-
Trois films russes. Assia de I. Kheifetz et Cing soirées de N. tion du festival — méme s‘il ne restait qu’une vingtaine de spec-
Mikhalkov auraient leur place au Festival International du tateurs a la fin de la projection. Quatre heures de pellicule
Cinéma Grabataire. J’ai vu quinze minutes du premier, le brute. non raffinée. noire et blanche. A. Padros (2) a un tem-
second, moins poussiéreux, utilise de bons acteurs, trés pérament de cinéaste délirant — je ne parle pas d’un délire a la
joueurs, Le Merle chanteur d’Otar locellani s’attache au per- Ken Russel, fantasmatique et esthétisant. mais d’un rapport
sonnage d’un jeune type de la ville, percussioniste dans un fou au cinéma, a la pellicule, aux images qu’il prend (A.P. ne
grand orchestre. L’intéret du film est dans son rythme absurde. fait jamais de seconde prise: la quasi totalité des plans toumnés
La vie du garcon est constamment bousculée mais reste parfai- sont utilisés). {I s'agit au départ de raconter comment Shirley
tement vide. II arrive toujours en catastrophe au milieu des Temple, America’s little sweetheart, n’a pas obtenu le réle de
concerts, mais juste a temps pour assurer ses fonctions au tam- Judy Garland dans Le Magicien d'Oz. Mais le film est cons-
bour; on le voit draguer au moins une dizaine de filles, mais ce tamment défourné : par une bande d’anarcho-structuralistes,
sont toujours des dragues sans aucune suite; par hasard, il ris- par les Filles de Généraux (Pit, Pat, Put), par des anges fascistes
que trois fois sa vie mais a chaque fois, par hasard aussi. il s‘en et sexués, par Hollywood etc. S.T.S. joue avec et de sa durée :
sort sans peur ni mal. A la fin, il réepond au regard d'une pas- le spectateur bouge sans arrét par rapport au film, lequel a au
sante anonyme et se fait renverser par une voiture. moins cing fins. On en prend plein la vue et louie (répertoire-
Deux films suisse-allemands, trés appréciés 4 Hyeres. (1) fleuve de chansons américaines et allemandes des années
Schitten, de Beate Kurt raconte histoire d'un maitre d’école trente-quarante). L’usage du kitsch est tellement primaire qu'il
qui arrive dans un petit village pour remplacer son prédéces- n'est pas insupportable — comme souvent. La Shirley Temple
seur mort. Comme Le Locataire de Polanski, il est poussé a de l'histoire, c’est Rosa Morata, un corps enfantin et obscéne
suivre le méme itinéraire que « l'autre ». Ila ses idées (progres- qui s‘articule - se désarticule 4 volonté, un visage génialement
sistes) sur l’enseignement, mais les parents (invisibles) et le poupin. Elle a un don pour soutenir les longs plans fixes:
concierge de I’école, qui est aussi le fossoyeur du village, vei/- comme celui, démentiel, ou elle grignote des corn flakes avec
lent. La métaphore du sujet (école-société) fait de Schilten une flegme, assise contre un grand mur nu, alors que nous parvien-
fable pesante avec une trés mauvaise fin - réve ou réalité? - nent les dialogues d'un feuilleton-télévision américain, en voix
brume, forét. camaval, schizophrenie etc. Mais le film trouve off et hystérique.
par moments une écriture originale, en (se) jouant de sa lour-
deur (une scéne assez dréle ott le médecin du village se couche
dans le lit du maitre d’école malade et commence une séance
improvisée de psychanalyse; un beau plan fixe, lorsque le mai-
tre expérimente une école de nuit, avec les éléves endormis
dans leur sac de couchage, par terre, dans lobscurité de la
classe). L’acteur (Michel Maasen) est bien; il a un visage pro-
fond mais ennuyeux comme on n’en voit pas souvent au
cinéma.
HYERES
4. Ecouter-voir les films d*histoire de Marguerite Duras.
I. Schilten et Sulleben ont raflé la plupart des prix 4 Hyéres. D‘ou viennent
tous ces films suisse-allemands dans les festivals, cette année?
2, Filmographie d’Antoni Padros : Alice Has Discovered the Napalm Bomb,
Pim, Pam, Pum, Revolution, Ice-cream,
FESTIVALS
sion d’un festival. Ce court métrage impose dés les premiers
plans (il ne s’agit pas ici d’une formule rhétorique) une pré-
sence physique aigué de ses images et de sa bande sonore, ce
qui tranchait radicalement a Hyéres, dans une sélection domi-
née par le cinéma simulé. Ii y a dans ce film une lumiére froide
et piquée. une lumieére d’inventaire qui fait basculer la vision
de ces rues, cours et immeubles parisiens, dans une hyperréalité
qui répond a I'‘ambition du titre. L’tmage de Sacha Vierny est
somptueuse de précision et de densité, il n’y a rien la d’eton-
nant, mais il ne faudrait pas s’y tromper, ce n'est pas seulement
de belle image qu’il s‘agit, mais d’un projet dont la rigueur exi-
geait la maitrise formelle, un projet qui me semble étre de
pousser jusqu‘au bout une logique de la fronialité au cinéma,
et ceci aussi bien pour l'image que pour le son (le travail sur
le son est tout aussi précis et va dans le méme sens d’une pure
frontalité dans le rapport du spectateur a l’univers sonore).
Quant au texte, a deux voix, sil ne fait pas de doute qu'il est
dans le droit fil de cette méme logique de la frontalité, qui le
condamne 4 buter sur ces images plates et bouchées. je suis
moins sir (mais il faudrait revoir le film) qu'il y parvienne tou-
jours avec la méme maitrise qu’avec les images et les sons.
APOCALYPSE NOW Now témoigne sur la guerre du Vietnam, en tant qu’elle n’est
pas la simple répétition de la Corée ou du Pacifique, en don-
(FRANCIS COPPOLA) nant a voir— pour la premiére fois avec une telle intensité — ce
qui en fait rechnologiquement une autre guerre. Quand, dans
S’agissant d’un film hors du commun comme Apocalypse Les Nus et les morts, un champ brile, cela donne, pour le spec-
Now, le plus sage est de partir de ce qui a frappé tous ceux qui tateur, une belle image; dans Apocalypse Now, quand Willard
lont vu, 4 savoir le c6té décevant, voire le ratage de la derniére et ses hommes rencontrent un bataillon qui s'appréte a napal-
partie. Nous redevenons tous, face a un tel film,des spectateurs mer un champ, c'est d'abord un spectacle pour les personnages
«au premier degré » et méme d’assez bons critiques : on est du film. Pas de pauses donc, ni de temps morts, mais une accé-
sidéré ou on ne l’est pas. J’aimerais juste indiquer ici que le film lération constante, des changements de vitesse, des ellipses au
est le récit non pas d’une, mais de deux, trois ou méme quatre coeur méme des scénes. Le son — un usage particuliérement
remontées le long du fleuve et que si, comme dit Blanchot, manipulateur de l'effet-Dolby — joue un réle prépondérant, pas
«Apocalypse décoit », c’est qu'il est dans sa nature de déce- du tout pour ancrer l"image, la rendre plus intelligible, mais au
voir. A tout ce que le fleuve charrie, il n'est pas de fin possible. contraire pour la déchirer de l‘intérieur, pour I‘empécher de
Pas méme Vhorreur. devenir le refuge du spectateur, pour faire peur. Autrement dit.
plus de hors-champ. L’effet obtenu est tout a fait saisissant.
Premiére remontée. Du concret a l’abstrait ; la guerre. L’épisode le plus souvent cité comme le meilleur du film (a
L’histoire du cinéma a partie liée 4 celle des guerres. L’armée juste titre a mon avis, j’y reviendrai) est a cet égard celui de la
francaise fut une des premiéres utilisatrices de invention des bataille d'hélicoptéres. Pourquoi? Tout simplement parce
fréres Lumiére. Devenue mondiale, faite par tous contre tous, que, tcls des super-Fabrice 4 Waterloo, nous comprenons que
la guerre a entrainé tout le cinéma moderne en Europe. de nous n'avons jamais réellement rw un hélicoptére. Nous nous
Rome ville ouverte aux Carabiniers. Bazin a parlé du plaisir trouvons dans un en deca du sens: un hélicoptére est un héli-
pris au « spectacle des destructions urbaines » qu’il appelait coptére, rien de plus: une explosion une explosion, un mort un
« complexe de Néron », et dont le cinéma lui paraissait étre le mort. On rencontre trop vite des objets qui ne veulent rien dire
lieu privilégié. En Amérique, techniques cinématographiques pour personne mais qui tuent. La guerre est d’abord ce lieu,
et technologie de la guerre allérent de pair : tuer et filmer ont concret trop concret. Je suppose que si Coppola avail arrété le
« progressé » parallélement. Le spectateur de cinéma s'est peu film avant I’épisode Kurtz, il se serait exposé a un tollé général
a peu habitué a étre un survivant. C’est ce spectateur que Cop- et les distributeurs (qui, en occurrence, sont souvent ici les
pola vise aujourd’hui, celui qui a échappé aux massacres - ou producteurs) auraient refusé de montrer le film dans leurs sal-
qui en est revenu-, en lui montrant la plus moderne des guer- les. Inversement, des critiques de cinéma (nous, par exemple)
res. celle dont l'image n'est pas encore retombée. De la guerre auraient trouvé le film admirable puisque formellement adé-
du Vietnam, Coppola ne retient que ce qui en fait une guerre quat a l'inintelligibilité de la guerre, une guerre vue d’en-bas,
de type nouveau (mais un nouveau qui intégre ancien : les sans « remontée ». Or, la double contrainte a laquelle Coppola
tranchées, les javelots) et gomme tout ce qui pourrait renvoyer n’a pas échappé est celle-ci: les spectateurs (et il en faut des
a une certaine intemporalité de la guerre. Pas de ces scénes millions pour rentabiliser le film) viennent d‘aberd pour les
donc, encore fréquentes chez Hawks. Walsh ou Fuller, ou des scénes de guerre, mais ils peuvent difficilement assumer ce
soldats discutent - de la guerre par exemple. Pas de ces discours « d’abord » : il leur faut une fin, un dénouement, de lintelligi-
des combattants ot i] est question de Phorreur de la guerre en bilité pour venir justifier a posteriori ces scénes. Le sens ultime
vénéral (comme dans Les Nus et les morts de Walsh, qui inscrit comme couverture 4 la jouissance du non-sens. Quant 4 Cop-
le débat sur l'anti-militarisme) ou du bien-fondé en particulier pola, il a voulu cette derniére partie, bien que l'on sache qu'il
de telle ou telle guerre. Inutile donc de chercher dans Apoca- eut le plus grand mal a décider de quoi elle serait faite. Ilya
lypse Now une prise de position sur l’engagement ameéricain au donc un moment ob, le fleuve remonté, nous allons passer du
Vietnam. Tout comme The Deer Hunter, le film participe bien concret de la guerre (les choses dans I’éclair de leur étre-la, dans
d'une entreprise d’amnésie politique. sauf que chez Cimino, leur surgissement mortel) a l’'abstraction (les choses qui se met-
elle se fait du point de vue d'un repli réactifet que chez Cop- tent a signifier, parfois lourdement, 4 porter au-dela d'elles-
pola la dimension historique est d’embiée court-circuitée par mémes). C'est la ob le film échoue. Comme s’il était impossible
un passage direct du physique au métaphysique, a travers un (ou alors, il faudrait plus de temps) d’amener le spectateur de
scénario inspiré de Conrad. Et en méme temps, Apocalypse l'état de stupeur sidérée of on I'a plongé vers un autre rapport
' 46 CRITIQUES
Marlon Brando (en haut) et Martin Sheen {en bas) dans Apocalypse Now, de Francis Coppola.
RENALDO ET CLARA
(BOB DYLAN)
3) Le cété amstramgram drame, divertissement de salon qui l'impression que Wajda parle de la nouvelle de Jaroslaw Iwasz-
tourne mal. kiewicz a partir de laquelle !e film a été tourné), Par contre, le
film montre que Victor et ses amies font tout pour que l’été de
Le film de Wajda échappe magistralement a ces trois piéges: Wilko se reproduise. Quand Victor part, et il part 4 cause,de
1) Il échappe au premier grace a la névrose. Le sujet du film cela, la situation est exactement la méme que quinze ans plus
n'est pas tant la nostalgie que la répétition. Victor ne se sou- tét. Certaines choses ont changé (Kazia dit 4 Victor: « Tu n’as
vient pas. [la méme cherché a oublier (la guerre, Wilko?) en pas vieilli, tu t’es éteint »}, mais tout va étre mis en ceuvre pour
se tuant au travail pendant quinze ans. Victor et ses amies ne que la figure fondamentale soit la méme. Cette figure est celle
se souviennent pas, n‘ont rien appris et n’apprennent rien: ils du jeu de colin-maillard: un personnage, Victor, est au centre,
répétent. Rien ne leur sert de legon. Jeunesse ne se passe pas. aveugle et brillant, tandis que les demoiselles tournent autour
Les Demoiselles de Wilko n'est donc pas un film sur l’appren- ~ de lui.
tissage d’un héros. Victor va petit a petit retrouver son éclat et ramener a lui
Freud, parlant du refoulé qui sans cesse cherche a faire
tous les regards, qui, pendant quinze ans, avaient erré ailleurs.
retour dans le présent sous forme de réves, de symptémes, de Au moment du départ, il est de nouveau le centre brillant, le
mises en acte, écrit dans « Analyse d’une phobie chez un Jascinum de la ronde: Julcia, Kazia, Jola, Zosia, ne s’occupent
enfant de cing ans: le petit Hans»: « Ce qui est demeuré plus de leurs maris, de leurs amants, de leurs enfants, etc. mais
incompris fait retour; telle une Gme en peine, il n‘a pas de repos le regardent a la dérobéee se promener sur !a pelouse.
jusqu'a ce que soient trouvées résolution et délivrance ».
L’image de cette fascination se trouve dans le répertoire des
Tout fait énigme pour Victor, qui ne sait pas ou est son désir figures de la danse classique: c’est la pirouette: le sujet tourne
et qui ne comprend pas le désir des autres. [1 met en scéne ce sur une pointe, mais la téte tourne plus tard et beaucoup plus
qui s'est passé quinze ans auparavant. I! le met en acte dans vite que le reste du corps et revient métronomiquement se fixer
espace absolument clos et protégé (comme une scéne ou un sur un point, si bien qu’on peut penser qu’elle n’a pas bougé.
cabinet de psychanalyste) de Wilko.
Dans le film, ce point fixe est Victor et cette figure est mise en
Victor et ses amies, qu'il arrache peu a peu 4 ce qui n’est pas
scéne lors de la féte de Tunia: les demoiselles dansent et tour-
répétition, jouent leur rdle: celui qu’a inscrit le premier été de nent avec d’autres sans le quitter des yeux. .
Wilko. Hs ne s’attendrissent pas sur le passé, mais cela ne les
empéche pas d’étre tendres. Si elles pleurent (Kazia, Tunia, qui Dans le train qui 'emméne loin de Wilko, Victor croise le
joue le rdle de celle qui n’est plus 1a), c’est que les larmes sont regard d'un vieillard que le spectateur a déja apercu, errant
inscrites sur la partition. comme une ame en peine dans la prairie ou s’amusaient les
Dans un entretien (Positif, n° 219), Wajda dit que le sujet du enfants des demoiselles et que Victor traversait pour aller pren-
film c’est « l'impossibilité de revenir au méme endroit, a la dre le thé, le lendemain de son arrivée. Ce vieillard, c’est Victor
méme situation, au méme climat ». Rien ne dit aussi nette- dans deux ou trois fois quinze ans, car il n’y a pas de raison
ment dans le film que cette tentative est un échec (j'ai plutot pour que I’été de Wilko ne se répéte pas pour eux (« A dans
LES DEMOISELLES DE WILKO 55
quinze ans!» dit Kazia 4 Victor juste avant son départ). Le Les. personnages évoluent dans I’atmosphére transparente
vieillard du train est joué par Jaroslaw Iwaszkiewicz, auteur d'une tragédie structurée par la mort. La mise en scéne de la
de la nouvelle. répétition (sa forclusion), les jeux de regards, se produisent sous
le regard de la mort.
2) Les Demoiselles de Wilko vest pas un film rétro. Ce n'est La mort est la, partout, mais elle ne s’exhibe pas: c’est une
pas une évocation close, sans perspective, des années trente. auréole noire, comme celle qui cerne I’ceil d°un projecteur vu
L’été de Wilko est d’une certaine maniére hors du temps mais de face (Wilko est entouré de morts: ceux de la guerre: le vieil
s’inscrit dans une histoire, celle de la Pologne de l'entre-deux oncle de Victor qui se léve la nuit pour se livrer au souvenir et
guerres. pour voir venir la mort; l'ami de Victor) ou un point aveugle,
Cette inscription n'est pas due a l’exactitude de la reconsti- le centre vide autour duquel gravite la lumiére (la tombe de
tution (les films rétro sont souvent partaits de ce point de vue), Féla, 4 l’écart, dans le cimetiére ol Victor va souvent se
mais d’une friction de forces. Le troisieme été de Wilko devrait recueillir; la vieille mére des demoiselles, omni-présente-
avoir lieu en 1944, En 1944, il n'y aura pas d’été de Wilko. En absente comme une morte; le vieux serviteur). L*histoire et la
1945 non plus, ni les années suivantes. Le film est tendu par mort inscrivent la répétition et son deuil.
la contradiction absolue qui oppose la compulsion de répéti- L’automne est une saison propice aux larmes et a la
tion qui anime les sujets et la fin de non recevoir qu'imposent réflexion. Ces deux pratiques du « penchement » ont un méme
"histoire et la mort. fondement aquatique. A la fin du film. Victor passe directe-
D’ou le cété automnal et crépusculaire du film, qui n‘est pas ment de ]"été radieux de Wilko a l"hiver qu'il apercoit a travers
un effet d'atmosphére mais le résultat d’une forclusion. La la vitre de son compartiment.
guerre est souvent évoquee et l’accent discret mais insistant qui Certes Wilko est propice a la réflexion (le mari de Jola, qui
est mis sur les rapports des maitres et des serviteurs renvoie a ne fait que passer, le dit en passant a Victor), le plan d’eau qui
la transformation politique qui suivra la deuxiéme guerre sépare l’été de I'hiver comme une mince pellicule miroitante
mondiale en Pologne. Patteste. mais cette réflexion est un leurre: les personnages ne
Il y a dailleurs du Birkut (ouvrier stakhanoviste, héros de réfléchissent pas ou alors le font de travers ou en pure perte.
L’Homme de marbre) dans Victor: il a la méme force: comme [I ne pleut pas a Wilko et les larmes ne sont que des illusions
lui il ne comprend pas trés bien ce qui lui arrive et il ya en lui de pleurs, If n’y a pas d’automne a Wilko. La pluie, les larmes
le méme appel de croyance. et la réflexion ont été déplacées: elles n’y sont pas représentées
comme dans la nouvelle de Maupassant, par exemple. Dans
3) D'un point de vue narratif, Je film n‘a pas histoire, au Ventretien déja cité, Wajda déclare que Les Demoiselles de
sens linéaire du terme (il est difficile de raconter ce qui se passe Wilko est un film automnal... Ce nest pas de la peinture
a Wilko; on ne peut que le situer). L*été de Wilko a plutét la comme dans Le Buts de bouleaitx, je dirais plut6t une aqua-
forme d'une aporie, d’un embarras (ce que l'ancienne rhétori- relle. La pluie et les larmes auraient donc aquarellise quelque
que appelait une dubitation). chose qui réfléchit: le film.
Le drame (la diégése), le début, la fin, la cause, n'ont de place
qu’avant ou aprés Wilko, hors de son ciel. Ce qui explique et Il ne faut pas interpréter ceci dans le sens unique d'une fac-
ce qu’explique la répétition. ture. I] me semble plus intéressant de renvoyer cette remarque
La scéne du dévoilement tardif est 4 ce titre exemplaire a une posture. Le film de Wajda se pose d’emblée comme
se promenant avec Jola, Victor lui demande si, jadis, Féla, qui adaptation d'une ceuvre littéraire, dont l'auteur, que Wajda
se baignait nue avec elle, lui avait crié de s’en aller ou de venir considére comme un grand écrivain polonais et qui apparait
la retrouver. Jola, irritée, lui répond: « Arréte » (de me parler sur l’écran, est le dédicataire. Ce qu'on appelle mise en images
de l'autre). n'est que la mise en images d’images et de ce fait a a voir avec
L'image qui définit le mieux cette attitude de Victor et l’apo- le passé (ceci ne s’applique pas seulement aux adaptations
rie qui en résulte est celle d'un jeu de miroirs faussés, dun jeu d‘ceuvres littéraires, bien que le processus soit plus net dans ce
de regards qui se manquent. Victor est celui qui regarde ailleurs cas), On assiste dans le film de Wajda, qui touche de prés a cette
et qui, ainsi, capte d’autant mieux le regard de autre. Quand question du passé (le passé comme théme et le passé comme
Kazia enléve ses lunettes pour recevoir ce qu'elle attend, un neeud de l'adaptation) et qui la problématise, 4 un retourne-
baiser. il regarde au-dela du visage tendu. Victor parle a Pune ment exemplaire et logique: le passé n’est pas représentable. il
de son désir de l'autre: a Tunia de Féla: a Zosia, qui attend une se présente. Il n’y a pas d’automne a Wilko, parce que
invitation 4 danser, de Julcia, qui sommeille a étage: a Julcia, l'automne est dans le film.
qui est descendue danser, de Tunia, qui pleure dans le parc;
etc. Victor ne comprend rien au ‘désir de l’autre. L’innocence Jean-Louis Bachellier
donne a Victor la maitrise absolue. celle d’un metteur en scéne
aveugle (quand on sait ce qu’ont apporté au cinéma les met-
teurs en scéne borgnes, on ose a peine imaginer ce qu’appor-
terait un aveugle). Victor aligne les gaffes et de chaque galle fait
un accroche-ceeur. Il renvoie a l'autre le désir et image d'une NIGHTHAWKS
autre. Le soir de son arrivée, sur le chemin qui le méne 4 la (R. PECK ET P. HALLAM)
ferme de son oncle et de sa tante, il s’'arréte a Wilko. Dans la
pénombre du vestibule, Tunia ne le reconnait pas tout d’abord.
Elle ne met un nom sur ce visage inconnu («Victor») que lors- De l"homosexualité a4 Il’écran on peut attendre trois types de
que celui-ci l'appelle par un nom qui n'est pas le sien tilms : des films homosexuels, des films sur 'homosexualité ou
(« Féla? »). Le miroir ne refléte pas celle qui sy regarde. La des films sur les homosexuels. Les premiers. centrés sur ce qui
reconnaissance se tisse dans la méconnaissance. se passe pendant I’acte (homo)sexuel, entrent dans la catégorie
Cette particularité narrative (l’embarras) s‘explique d’un «homo » du circuit bien délimité du cinéma pornographique.
point de vue symbolique. II s’agit de la place qui est réservée et n’en sortent pas: les seconds, s’ils existent ou s’ils existaient.
4 la mort. On pourrait parler, si lon considérait les effets de se donneraient essentiellement pour objet ce qui se passe apres,
cette construction, de l’atmosphére du film, du climat. L’intri- dans le retoura la vie diurne, la confrontation avec les autres,
gue se déroule dans la lumiére nette d'un théatre a l’antique. avec l"image et le statut de l"homosexuel: c’est !’aspect social,
56 : CRITIQUES
voire politique de la question, ’homosexualité comme theme tandis que !ui fait son choix (et l'on ne comprend qu’au plan
de débat pour film didactique ou militant: les troisiemes enfin suivant gui il regardait) - enfin ces plans ou, au contraire. la
illustreraient plutét l'avani. les jeux nocturnes de la drague, les cameéra glisse sur des visages et fait le point sur lun, sur l'autre,
lieux du désir, l'errance des corps homosexuels, la vie souter- balisant avec une objectivité froide le parcours du regard, tout
raine — films apparentes 4 |'underground donc, qui n’exhibe- aussi objectif et froid, qui prélude au désir.
raient ni ne démontreraient, mais se contenteraient de mon-
trer. Cest donc cette partie nocturne qui me parait le plus éton-
nant, le plus fort du film: vision « de l'intérieur » dont le réa-
lisme. trés travaillé (2), enterre définitivement le naturalisme
Le pari de Ron Peck et Paul Hallam, réalisateurs de Nigh- insipide, le voyeurisme plat, pas méme pervers, des scénes de
thawks (présenté a Cannes par la Quinzaine des Réalisateurs). drague dans le déja oublié 4 la recherche de M. Goodbar. Mais
consiste a articuler systématiquement l’avant et Paprés, en fai- la partie diume, plus proche du réalisme social d'un Kenneth
sant "économie du pendant (1). Le film en effet a pour prota- Loach, permet d’équilibrer ces plongées souterraines qui
goniste un homosexuel londonien, professeur de géographie le ouvrent, scandent et ferment le film, lui conférant une dimen-
jour, dragueur de discotheques la nuit. Le jour: un espace sion critique (voire — allons-y — « humaine ») qui fait le prix,
asexué ol I"homosexualité se cache d’autant plus qu’on a mais aussi le risque du pari tenté par Ron Peck et Paul Hallam:
affaire a des enfants, ou I"hétérosexualité fait la norme (méme un pari difficile (comme Ie montrent les difficultés rencontrées
si cette norme n’est pas sans poser de probléme, comme le sug- a la production, cf. lentretien). qui consiste 4 concilier l'expé-
gére le personnage féminin, collégue et amie du protagoniste), rimental et le social, la constatation et la contestation, en évi-
ou l'arpentage des lieux est sans surprise. encadré comme les tant d’un cdté le misérabilisme, de l’autre le manichéisme; un
diapositives que prend le professeur a ses moment de loisir pari risqué aussi, dans la mesure of l'on ne peut prévoir a
pour illustrer ses cours. La nuit: un temps rythmé par le désir, Vavance quel type de public(s) sera touché. Raison de plus
cloturé par le sexe, of tout le jeu consiste a entrer, seul. dans pour ne pas laisser enterrer Nighthawks dans les sables mou-
le groupe des semblables, pour en ressortir a deux. De ce qui vants du marché.
se passe ensuite on ne voit. la encore, que l’avant et l'aprés:
avant, 'approche délicate de l’autre, le code nocturne des ges- Nathalie Heinich
tes: aprés. les rituels de la séparation, le code diurne des mots
chargé de mettre en place la bonne distance. Avant et aprés. 1. Economie qui n'a rien de puritain, bien au contraire: on sait trop (ou plutot
deux mondes hétérogénes dont la dualité est formidablement on ne sait pas assez, car il faudrait y aller voir) de quel type de plaisir releve la
exprimée par l’acteur principal (Ken Robertson): son corps, sa rhétorique filmique de l’acte seauel., plaisir qui se nourmt de l"interdit et le nour-
rit en retour, joulssance toute oculaire quia sans doute bien peu 4 « voir » avec
démarche. son visage méme se métamorphosent totalement la joussance de l'acte.
dune séquence a !’autre. Deux mondes qui ne peuvent se ren-
contrer que dans l'affrontement. le trauma: trauma de la jeune 2. C'est Maurice Pialat qui disait, dans l'entretien avec Claire Devarrieus
femme apprenant homosexualité de son ami, puis décou- récemment publié dans Le Monde, qu'il lui aurait fallu reconstruire en studio
les intérieurs de Passe ton hac dabord pour leur donner vraiment Puspect de
vrant quelque chose de la réalité de cette vie nocturne, dans HLM que les vrais logements HLM du tournage ne sullisarent pas 4 produire.
une longue et belle scéne, nocturne justement, un trajet en voi-
ture ot aprés une dispute il lui livre, et se livre a lui-méme, non Vor l’entretien avec R. Peck et B. Hallam, page 68
Les Petites fugues est un film qui raconte histoire d’un appren-
tissage: le héros, Pipe, découvre le mouvement (comment
devenir géographe), la liberté (comment découvrir le temps li-
bre en plus du temps de travail), le plaisir (comment oublier les
contraintes et jouir de son corps); il se met a vivre (a prendre
gout et a pratiquer) ces petites wopies — cest un leitmotiv du
cinéma suisse de fiction - qui font basculer sa vie dans la
Michel Robin (& droite) dans Les petites fugues, d'Yves Yersin
grande aventure. C'est donc le premier film de fiction (et de
long métrage) de Yves Yersin, cinéaste qui s’était fait connaitre
par des documentaires (Les Derniers passementiers) qu'on
aurait tout intérét a découvrir aujourd’hui. famille et la pénétration capitaliste dans la gestion de la terre
qui bouleverse, tout comme le progrés, la structure familiale.
Du cinéama documentuaire. Yersin n’est pas tout a fait sorti
cependant avec Les Petites firgues. Disons qu’il prolonge le Il me semble que cette trame documentaire, doublement ana-
genre par le cinéma de fiction, ou que le documentaire lui sert lysée du point de vue de l'économie de tournage et du point de
de point de départ, de background. Ses personnages construits vue de la thématique obsessionnelle de Yersin, confére au film
pour étre joués par des acteurs professionnels ont cependant une certaine force. Son film convainc, if ne trompe pas sur
pour modeéles des personnages réels. Pas seulement parce que objet dont il restitue les mulliples facettes réalistes, humaines.
Pipe (le personnage central remarquablement interprété par « naturelles » : voila un film ou rien ne jure, ou rien n'est pas-
Michel Robin) emprunte son réle 4 un personnage de paysan sible du verdict de fausseté, de roublardise ou de manipulation.
qui a bel et bien existé en Suisse, acteur malgré lui d'un fait La aussi résident ses limites. Le film de fiction, fondamentale-
divers dont fe film reprend le tracé fictionnel — un paysan quin- ment, reléve d'un autre genre que le film documentaire. Les
quagénaire découvre sur le tard les environs immédiats de sa économies de tournage, de narration et de montage sont diffé-
campagne dés lors qu'il s‘est acheté un vélomoteur; ses pa- rentes pour chacun des deux genres. Pour aller vite, on pourrait
trons lui ayant retiré engin, le malheureux se suicide -, mais dire qu’elles ne sont pas soumises au méme critére d'efficacité
parce que tout a été construit, minutieusement construit, aprés ou de rentabilité — rentabilité des moyens mis en ceuvre, du sys-
un travail d’enquéte approfondi sur «le milieu», parce téme narratif et du montage. Le systeme d’identification du
qu’avant de planter sa fiction Yersin avait remarquablement spectateur a un (ou a des) personnage(s) dillere aussi selon le
fait ses repérages, photographié la réalité paysanne romande. genre. Sil’on prend comme postulat que dans le film documen-
taire identification est ucquise au genre, du premier coup (le
Du documentaire, Yersin a repris les conditions de tour- travail du film consiste a complexifier cette identification, a lui
nage : son sujet l’a occupé durant sept ans : longue gestation du faire parcourir un trajet avec ou parmi des personnages issus
projet, tournage portant sur une longue période, montage ima- Wune réalité filmée), il faudrait dire que dans le film de fiction
ges et montage sonore étalcs sur plusieurs mois, voire plusicurs identification recouvre loujours un enjeu, un pari cinémato-
années. En un mot, la machine de production. dont Yersin graphique: il faut gagner quelque chose, capter l’attention du
s'est servi, avait besoin (ou croyait avoir besoin), ressemble spectateur. la maintenir, lui faire faire un parcours avec ou sur
plus a celle qui d’ordinaire concocte des films documentaires le dos d’un personnage. Dans Les Petites firgues, Videntifica-
(des films qui nécessitent une longue présence sur le tas), qu'a tion au personnage de Pipe fonctionne sur un registre trop sim-
celle qui permet de mettre en scéne des fictions. ple, trop positif : acquise d’emblée, elle nous fait parcourir un
trajet parsemé d'émorions ct non d’obstacles; nous !ui (Pipe)
Du documentaire aussi, Yersin a tiré cette obsession du sommes dévoués, i] nous est dévoué, corps et Ame. cofite que
détail vrai qui frappe dans son film, ce souci de coller au plus cotite. quoiqu’il arrive, dés le début du film. Si bien que la pro-
pres dune représentation vraic de la mentalité rurale, faite de gression du film ct l’itinéraire de Pipe vont en paralléle, de
ce mélange d’entétement, de piétinement (le monde rural est facgon linéaire, procédent plus par accumulation quantitative
un milieu de « résistance ») et de léger vacillement, ot! le moin- (une scéne se répéte, le personnage joue la méme scéne dans
dre bousculement emporte avec lui sa dose de tragique (chaque plusieurs lieux différents) que par sauts ou par accrocs propre-
chose nouvelle importée bouleverse la structure qui ment fictionnels.
laccueille) : pas de happy end possible dans Les Petites firgues,
mais la reconduction d'unc situation figée, ot Mintroduction Cette positivité d'origine (c’est toujours le metteur en scéne
du progrés— ici le vélomoteur est synonyme de liberté de mou- qui la contie 4 un personnage) ne se voit troublée par aucun
vement et de libération face au travail - est en fin de compte questionnement, aucun doute, et ‘identification devient pure
accepté (dans le film, si le vélomoteur est sacrifié, puisque c'est adhésion. L’apprentissage de Pipe (ce mot correspond bien au
lui qui introduit le drame dans la ferme, c'est pour laisser la cinéma de Yersin dont les films documentaires sont centrés sur
place a un polaroid : lui-méme symbolique, l'appareil de pho- des personnages exercant des métiers trés artisanaux ou juste-
tos renvoyant les clichés d'unc réalité passive, poétique et tris- ment l'apprentissage se perd) nous émeut — comment fui refu-
te) mais au prix d'un drame de plus: ici, I’éclatement de la ser notre accord? — mais ne nous engage pas, dans le sens ou
CRITIQUES
WILGIRA precy po
Wwe
NEKMUSIC
Panay
ia RYN TY HERD Mer p in
Biers te
on Ca fe vee ra
Jean Seberg
Lilith, de Robert Rossen, l'un des plus beaux films américains de I’ aprés-guerre, était impensable sans Jean Seberg. Lilith
fut un film maudit. Aux derniers plans du film, 'infirmier de Lilith (Warren Beatty), prenant sur lui sa folie aprés |’ avoir tuée,
s'avangait vers la caméra et disait: he/p me... C'est cet appel a l'aide — ni un ordre, ni une demande, presque un constat
~ qui a résonné en nous a l'annonce du suicide de Jean Seberg. En avril 1966, dans les Cahiers, elle parlait delle, de sa
carriére, de limpression pour elle de ce réle. En hommage a Jean Seberg, nous reproduisons ce texte aujourd'hui.
PETIT JOURNAL 63
LILITH ET MOI
par Jean Seberg
« Lilith », ga a d’abord été pour moi l'occasion de tenter, en Amé- Rossen a mis trés longtemps a se décider, il ne savait vraiment pas
rique, quelque chose en quoi je croyais profondément, avec qui il voulait. Il avait beaucoup aimé mon travail dans « A bout de
quelqu’un que j estimais beaucoup : ce film me permettait enfin de souffle », et le reste, guére, comme il est fréquent en Amérique.
sortir de mon personnage habituel, de faire autre chose que ce C'est Warren Beatty qui lui a conseillé de me voir. Au début, Ros-
qu’on me proposait d'habitude. C'est dire & que! point I'échec sen et lui avaient des rapports bizarrement fraternels, trés intimes,
financier du film nous a éprouvés, aussi bien Robert Rossen, qui trés complices méme. Curieusement, ces rapports d’intimité ces-
était déja trés malade, que moi. Nous avions véritablement donné sérent dés le premier jour de tournage et dés lors, ils ne firent que
le meilleur de nous-mémes, et cela, pour une salle vide. « Lilith » a se détériorer de plus en plus. Quoi gu’il en soit, ils étaient venus
donc été a la fois ta plus exaltante de mes expériences de comé- tous deux en Europe pour voir différentes personnes. II fut un
dienne, et quelque chose d’assez triste. La mort récente de Rossen, temps question de Natalie Wood, qui a cette époque avait une ami-
a laquelle je ne parviens pas a croire réellement, ajoute encore a la tié affectueuse avec Warren, mais elle est trés intelligente, et elle
tristesse. II ne lui aura pas été donné de connaitre le succés pour ne voulait en aucun cas risquer de recommencer un second
l'ceuvre la plus risquée et la plus personnelle qu’il ait jamais entre- « Splendor in the Grass », ce que le sujet de « Lilith», avec les
prise. Je me console en pensant que quelques personnes comme mémes comédiens que dans le film de Kazan, aurait forcément
vous, aux « Cahiers », ont aimé le film, et en espérant que d'autres favorisé. Puis Rossen a fait un essai a Londres avec Samantha
l'aimeront, en le voyant dans les ciné-clubs, ou a la Cinémathéque. Eggar, dont I était satisfait, et un essai avec Sarah Miles.
Lorsque je dis que « Lilith » a été la plus exaltante de mes expérien- Quand il est venu me voir, 4 Paris, il était déja trés souffrant. [I avait
ces de comédienne, je n‘oublie pas, bien sdr, « A bout de souffle ». une maladie étrange, une sorte d’ infection de la peau qui faisait des
Mais je dois avouer qu’a I’époque ou j'ai fait « A bout de souffle », taches sombres sur son corps et sur son visage. Je lui dis alors que
| étais trop jeune, trop introspective, et méme, sur le plan person- jaimais beaucoup fe personnage de Lilith. J’avais naturellement,
nel, trop malheureuse pour profiter pleinement d'une aventure qui, comme toujours, les cheveux courts, et sa secrétaire, qui avait été
honnétement aurait di étre beaucoup plus riche pour moi. Je Iai aussi la secrétaire d'Otto Preminger, dit alors que Lilith 'devait au
déja dit plusieurs fois, et tout le monde sait cela maintenant, que moins avoir les cheveux longs. Ce qui ne me convenait pas du tout.
dés le premier jour de tournage, j'ai eu un malentendu avec Jean- Je répliquais un peu vertement que je me trouvais trés bien avec
Luc. It voulait que le personnage de Patricia soit voleuse, qu'elle des cheveux longs, et cela amusa Rossen. Un de ses soucis cons-
vole l'argent de Michel. J'ai eu une étrange réaction, je ne sais pas tants était de vouloir éviter de tomber dans un cété trop facilement
si on doit 'imputer a l'inévitable nervosité des premiers jours de féerique du personnage: il était trop commode de faire de la folie
tournage, ou plus simplement a une mentalité profondément puri- Ophélie, et je partageais entiérement ses réticences a cet égard. La
taine, mais j'ai refusé d’étre voleuse, et Jean-Luc en a été affecté. preuve en fut d’ailleurs donnée lors du tournage, lorsqu’un photo-
Par la suite, nos relations sont devenues trés bonnes, et je conserve graphe est venu faire toute une série de photos de moi, vétue d’une
un merveilleux souvenir du film, mais je crois qu'il y a toujours eu robe blanche plissée, a la grecque, avec laquelle je gambadais a
entre nous le malentendu de ce refus, malentendu qui était entié- travers champs, les cheveux dénoués au vent. En voyant ces pho-
tement, je l'avoue, de ma faute. tos, Rossen les a tout de suite mises sous clé, en disant: c'est
Quand j'ai fait « Lilith », j'étais plus consciente de mes responsa- exactement ce que je ne veux pas ! |I voulait que le personnage de
bilités, et des difficultés que présentait le réle : c’ était pour moi le Lilith soit trés caractérisé comme féminin et viril a la fois, c’est-a-
plus grand « challenge » de ma carriére, le plus gros effort que j'ai dire le contraire de ce que moi j'avais envisagé comme « casting »
do faire et que j'ai voulu faire pour échapper au personnage stéréo- typiquement hollywoodien: Audrey Hepburn ou méme Yvette
typé que tous mes films, depuis « A bout de souffle » avaient des- Mimieux.
sing, un peu malgré mon. Il s‘agissait d’échapper a cette présence J’ai tout de suite eu l'impression que Rossen voulait démontrer
cinématographique brute que Godard, par exemple, exige de ses qu’en dehors des sujets durs et virils qu'on lui connaissait, il pouvait
comédiennes pour créer de toutes piéces un personnage fictif qui, aussi traiter un difficile sujet « psychologique », comme on dit. A
en apparence tout au moins, était assez éloigné de moi. mon avis, cette démonstration, il l'avait d’ailleurs déja faite dans
Avant méme de savoir que Rossen songeait 4 moi pour le réle, « L'Arnaqueur », qui est beaucoup plus un film psychologique
Jj avais lu le livre de Salamanca, alors que je me reposais, aprés un qu'un film d'action, mais en Amérique, on est tout de suite fiché par
voyage en Afrique, chez des amis. En lisant le livre, je ne m’étais la critique, on est mis dans des niches d’ou il est ensuite trés dif-
a aucun moment projetée en Lilith, et je ne pensaé& pas du tout ficile de sortir. On considérait donc Rossen comme une sorte
convenir, méme physiquement : je me sentais trop saine, trop fille d'Humphrey Bogart des metteurs en scéne, comme un dur, spécia-
de la terre en un sens, trop proche de ce personnage de « petite liste des coups de poing et de rien d’autre. Or, Rossen échappait
paysanne » que Preminger avait exploité dans « Bonjour Tris- singuliérement aux étiquettes. C’était un homme trés compliqué,
tesse », et surtout dans « Sainte Jeanne ». Si quelqu’un m‘avait angoissé méme, et qui se posait constamment des questions sur
alors demandé qui je voyais pour le réle, j’aurais tout de suite lui-méme. De cette angoisse, il faut peut-&tre rechercher la cause
répondu Audrey Hepburn, par exemple, que j'imaginais fort bien dans le grand traumatisme maccarthyste, ol| son monde, alors,
courant parmi les branchages, ou se roulant dans |'herbe de la prai- avait littéralement basculé. I! est pratiquement impossible de juger
ne. sereinement de tout ce qui s‘est passé en Amérique a cette épo-
La premiére actrice envisagée, ce fut Yvette Mimieux, qui est fort que-la, méme si beaucoup de gens en jugent avec légéreté. Tout
belle, et qui, physiquement, correspondait parfaitement au réle. De le monde est trop proche encore de ces horribles histoires d'enqué-
plus, elle s‘était prise de passion pour Lilith, et elle révait de |'inter- tes et de dénonciations pour pouvoir trancher. Dans vingt ans,
préter. Quand, aprés beaucoup de discussions, d’essais, de déci- peut-étre, quelqu’un écrira le livre définitif sur la question,
sions et de contre-décisions, Rossen m‘a choisie, Yvette Mimieux aujourd’hur c'est encore trop tét. Rossen avait été refoulé un jour
lui a fait parvenir, sans autres commentaires, un gros bouquet de de l'aéroport de New York, tandis qu'il essayait de partir pour
lys. Cela, c'est Rossen lui-méme qui me I'a raconté, au début de ‘Angleterre, afin d'éviter, comme Carl Foreman et quelques autres,
notre collaboration. les témoignages, les contre-témoignages, etc. Et le choc moral de
64 PETIT JOURNAL
cette affaire I’ avait, je pense, profondément changé. Il a été amené {'« élite de la folie ». Nous assistions aux psychodrames, et Rossen
a se retirer sur lui-méme, a vivre un peu a I'écart avec sa famille, me demanda de visiter certaines malades particuliéres qu'il avait
a mieux faire 1a part des choses, 4 examiner les motivations secré- eu l'occasion d'observer. Au début, les malades se méfiaient un
tes des 4tres: ainsi est-il devenu plus introspectif que s‘il avait eu peu de nous, car ils avaient vu « David et Lisa », qu'ils trouvaient
une carriére normale de cinéaste hollywoodien, mollement étendu un grand mensonge, et ils avatent peur que nous fassions la méme
a l'ombre des palmiers de Californie. || avait certaines hantises, chose.
déja visibles dans « L'Arnaqueur », et dévoilées au grand jour dans (ly avait une femme de quarante ans environ, totalement schizo-
« Lilith ». Son art devenait de plus en plus personnel, c'est peut- phréne, qui se faisait appeler Rita-Sylvia : si on lui disait « bonjour »
étre la qu'il faut voir la raison de I'échec commercial. Il s’attachait Rita », elle répliquait « je suis Sylvia », et le contraire En plus de ce
davantage aux symboles, aux idées profondes, qu’aux apparences. dédoublement, elle se prenait aussi pour Dieu, et elle se plaignait
Les indications qu’il donnait aux acteurs n’étaient jamais littérales, sans cesse du travail que cela lu) causait. Mais elle ne savait rien
mais visaient a les aider psychologiquement et intellectuellement, faire, que tricoter, et comme elle était Dieu, elle tricotait des cceurs,
4 mieux les imprégner de leurs rdles. Dans la scéne du pique-nique des poumons, des ovaires, des organes humains. Cette chose mer-
de Lilith, il ne m‘indiqua pas les gestes que je devais accomplir, veilleuse, aucun romancier ou cinéaste, je crois, ne pourrait l’inven-
mais il m’expliqua comment je devais étre fascinée par l'eau, par ter.
les reflets... Sa patience était exemplaire, et supprimait aux comé- Rossen m‘avait demandé aussi de voir une jeune femme, qui avait
diens tout souci extérieur. Je connais a ce sujet une anecdote amu- été reine de beauté dans son école, et qui marchait parait-il comme
sante, qui concerne « L’'Arnaqueur : il avait dit a Piper Laurie, quiest un fauve. Elle m’a recue dans sa chambre, entiérement dissimulée
une fille hyper-sensible, que son personnage boitait psychologi- sous ses draps — on voyait qu'elle était nue - y compris le visage.
quement. Au début, la claudication était juste une indication, une On ne voyait rien d’elle, Visiblement, elle se masturbait. Elle me dit
béquille pour obtenir un certain effet. Et Piper Laurie s'est mise 4 bonjour. Je lui rendis son bonjour, et j’ajoutais que j‘allais partir. Elle
boiter réellement. Au cours du film, elle boite de moins en moins, me demanda pourquoi. Je lui répondis qu’i! m'était impossible de
et les critiques new-yorkais en ont fait le reproche : qu arrivait-il? parler avec queiqu’un dont je ne pouvais pas voir les yeux. Elle me
était-elle guérie? Rossen se moquait d'un certain réalisme exté- demanda de rester, puis de revenir la voir. Au moment de partir, elle
rieur si c’ était pour obtenir une vérité plus profonde : il répliqua aux me fit part de son intention de se lever pour me dire au revoir: et
critiques que la claudication était uniquement symbolique. C'est la elle se leva, enroulée dans ses draps, la téte cachée comme un
une mentalité strictement non-hollywoodienne, et méme antihol- enfant qui joue au tantoéme, puis elle me tourna le dos ei me tendit
lywoodienne. la main par derriére. Ensuite, elle se recoucha. Je n'ai donc jamais
Un jour encore, Piper Laurie devait jouer une scéne ou elle faisait pu voir la facon dont elle marchait. Lorsqu’a la fin du film, Vincent
a diner a Paul Newman. Elle devait pour cela ouvrir une boite de vient m‘avouer qu'il est responsable de la mort de Stephen (Peter
potage. Elle se déclara incapable de jouer si ce n’était pas une cer- Fonda) et que je lui dis ne rien comprendre a ce qu'il raconte, la
taine marque de potage ! Et tous les assistants se mirent 4 courir scéne provient directement de Iattitude de cette jeune femme. Je
les supermarkets pour la satisfaire. D’autres metteurs en scéne voulais méme la tourner entiérement enfouie sous les draps, mais
auraient considéré cela comme un caprice: Rossen accepta ce Rossen me dit que cela semblerait exagéré : nous avons trouvé un
caprice de bonne humeur, du moment que cela pouvait amétiorer compromis, et gardé l’idée de la masturbation (clairement indi-
le jeu de Piper. Mais tout le monde ne raisonne pas comme cela. quée, bien qu'il soit impossible de faire aux Etats-Unis ce que fait
A vrai dire, le malheur de Rossen était d’étre pris entre deux feux, Bergman dans « Le Silence » !}.
entre te cinéma européen qu'il connaissait et qu'il admirait, et le Rossen a vraiment approché ce film d'un point de vue pur, ce qui,
cinéma californien de ses débuts. J’ai eu l'occasion par la suite de dans les conditions américaines est une chose immense. A la fin
voir la différence entre quelqu’un comme lui et un strict hallywoo- du tournage, il était dans un complet état d’épuisement, dans |'état
dien comme Mervyn LeRoy: c'est vraiment la nuit et le jour. J’ai de quelqu'un qui a donné tout ce qu'il pouvait. Et l'affrontement
pu juger de la différence entre l'anonymat d'une équipe de fonc- permanent qui l‘opposait a Warren n‘a pas arrangé les choses: il
tionnaires qui font leur travail et rien de plus, et une équipe presque voulait méme lui faire un procés, et autres enfantillages...
artisanale, comme celle de « Lilith », ou régnait la confiance, et une On lui avait souvent reproché d’étre lourd, d’étre I'éléphant dans 1a
sorte d’entente silencieuse ou chacun. du merveilleux vieux Schuf- boutique de porcelaines: « Lilith », au contraire, est un magnifique
tan au jeune caméraman Joe Coffey, du monteur Avakian yusqu’au cristal, si clair et si pur qu'il ne peut que se briser. La folie est sou-
maquilleur, avait conscience de travailler 4 quelque chose d inté- vent sordide : il a su, dans son dernier film, aller au dela des appa-
ressant et d’inhabituel, et y mettait toute sa force et son talent ! rences, vers quelque chose de trés beau, ou tous ses malheurs per-
Rossen était trés ouvert aux suggestions, aux apports personnels sonnels étaient enfouis.
de chacun, si cela était susceptible de servir le film. II n’hésitait pas « Lilith » était un défi, et ! échec quia sanctionné nos efforts fut une
a supprimer, par exemple, une phrase de dialogue, ou a la modifier, immense déception pour nous tous. Pour moi, cela demeure
si elle génait un acteur. Ainsi, lorsque dans I'avant derniére scéne comme quelque chose qu'il était nécessaire que je fasse, et que je
du film, je devais dire 4 Vincent (Warren Beatty) : « Vous savez ce sults heureuse d’avoir faite. Je viens de lire une critique américaine
qui ne va pas avec Lilith? Je veux posséder tous les hommes du ou l'on me reproche d’étre toujours la méme, de film en film: je
monde. » Nous nous rendimes compte, Warren et moi, que quel- n'accepte ce reproche qu’a la condition que celui qui le formule
que chose sonnait faux dans cette réplque. Nous I'avons répétée n’ait pas vu « Lilith ». Méme si cela parait prétentieux, je sais qu'il
plusieurs fois, et cela n’allait toujours pas. Alors Warren a eu l'idée y lA une source en laquelle je pourrai désormais puiser.
de me faire dire: « Vous savez ce qui ne va pas avec Lilith? Elle Je me souviens de l'incroyable camaraderie qui nous liait tous vers
veut posséder tous les hommes du monde » et cette maniére de le méme but, malgré les dissensions avec Warren: je me souviens
parler de moi @ Ia troisiéme personne, qui allait d’ailleurs dans le des repas pris en commun sous la tente, de cette vie de roulotte.
sens du personnage, rendit la scéne bien meilleure. Une chose a cette merveilleuse vie de cirque... Je me souviens de la Paque juive
laquelle Rossen a fait trés attention, c'est au respect envers les passée dans la famille de Rossen, du diner israélite, des mille bou-
malades mentaux. II était littéralement ahuri par la fausseté et la gies qui brilaient dans la piéce, tandis que Rossen chantait avec
duperie des films pseudo-psychiatriques ou pseudo-psychanalyti- son fils les chansons rituelles, et j'ai l'impression qu'il y avait en
ques qu’on tourne en Amérique. Avant le film, nous avons donc été Rossen, et dans son film, quelque chose de trés précieux et de trés
plusieurs fois, Rossen, Warren et moi, dans un somptueux établis- secret que je ne retrouverai jamais plus.
sement pour malades riches, aux alentours de Washington, dans
un de ces établissements ot l'on trouve, ce qui est atroce a dire, (Propos recueillis par Jean-André Fieschi.)
Une lettre de
Luc Moullet
Peck, Une chose trés étrange. c'est que je n'ai jamais pensé au film
comme 4 un film réaliste dans h tradition des Sasurdayv Night and
Sunday Morning, qui ne m’intéressent guére du point de vue cinéma-
tographique. Ca, c’était quand j'ai fait le film, Quandje vois certains
de ces films maintenant et quand je parle avec des gens,je m'apercois
avec son mani. Jim rencontrait son maria un diner par exemple, mais qu'en un sens, l'influence du réalisme anglais est trés forte, et qu'elle
cela devenait trop du dialogue, ¢a n'était pas dans le style du reste du est dans le film. C'est évident qu'il fait partie de la tradition Ken
film. Parce que trop de choses doivent étre dites 4 ce sujet. Pour moi, Loach et autres. En voyant certains de ces films comme Saturday
la scéne de la promenade én voiture, que beaucoup de gens trouvent Nighi,il me semble que c’étaient de vraies tentatives de traiter de la
irés bien. dont ils disent que c’est la meilleure partie du film, pour moi vie ordinaire — qu’on ne traite plus maintenant. I] y a une grande
cette scéne ne fonctionne, pas. Parce qu’elle n’est pas sur le méme ter- absence aujourd’hui. D’un autre c6té je trouve aussi ces films trés
rain tranquille que le reste du film, parce qu'elle fait surgir trés deéli- mélodramatiques, ils ne s‘avouent pas vraiment mélodramatiques,
bérément un débat au lieu d'une conversation ordinaire entre ces deux c'est comme s‘ils luttaient contre le fait d'étre mélodramatiques. mais
personnes. quand on les regarde c'est évident qu’ils se servent des moyens du
mélodrame. En fait, je m‘intéresse surtout au cinéma américain
Peck. Je crois queje ne suis pas d’accord. Je pense que les autres dia- (Nicholas Ray, Minnelli, Sirk. Cukor). Avant, je pensais que Nigh-
logues du film ne sont pas des conversations ordinaires. ils sont aussi thawks venait plus du cinéma américain. La signification des films
construits pour faire surgir différentes positions sur Ics relations américains est beaucoup plus dans la structure. Jai toujours cherché
homosexuelles. Par exemple, a ta fin du film, homme de la BBC, 4 comprendre ce cinéma américain, ce qu'il faisait, ce qu'on peut inté-
nous voulions vraiment qu'il représente quelque chose 4 l"intéricur du grer ou non dans le cinéma anglais. If ya, c'est évident, dans le cinéma
film. Les scénes avec la femme telles qu’elles furent tournécs lui don- anglats une imitation du cinéma américain ou une réaction contre lui.
naient beaucoup plus d‘importance qu'elle n‘en a maintenant. Je On pourrait par exemple comparer Family Life et Splendor in the
pense que c’est trés réussi tel que c’est dans le fitm. j'ai impression Grass qui ont a peu pres le méme terrain, mais je trouve Splendor in
quc le rdle est juste un petit peu plus important, plus central que les the Grass beaucoup plus intéressant. Cela dil. il ya trés peu de cinéma
autres réles. Personnellement,je pense que la promenade en voiture anglais aujourd’hui! Je crois que Paul est en contact avec le cinéma
est plus claire, simplement parce qu’elle est moins improvisée, plus indépendant qui, dune certaine fagon, est te seul cinéma intéressant
écrite. C'est une version claire des autres dialogues qui sont vraiment en Angleterre aujourd*hui. Il y a cette incroyable remise en question
exactement sur le méme plan. C’est dramatisé par la situation en voi- du cinéma narratif, du rapport au public (aliénation-implicatton-dis-
ture. c'est plus fort. lancialion?). C'est trés excitant. L’idée par exemple de faire de longues
prises pour permettire vraiment au public de rentrer dedans.
Hattam, Le film aurait pu aller dans plusieurs directions. I] aurait Quand nous travaillions sur Ie film, nous parlions d'autres films,
pu étre beaucoup plus mélodramatique ou beaucoup plus documen- nous allions voir des films ensemble. Mais je crois que quand nous
taire. En fail, nous avons opté pour ce niveau ordinaire et je pense tournions, nous travaillions sans référence, nous nous concentrions
qu'il y a encore des éléments des deux autres styles. sur Ic contenu, sur comment le mettre en situations.
Cahiers. Nowy avons vécu ce moment avec la femme comme wn olée- Hallam. Moi, je ne suits pas allé dans une école de cinéma. je n’ai
ment didactique. nous voyons le probleme de facon plus générale, jamais rien lu sur te cinéma, j‘ai vu des films...
70 PETIT JOURNAL
Cahiers. Economiquement, comment est-il possihle de faire des Le cinéma de 1’E.D.F.
films en Angleterre?
(Fessenheim)
Peck. Nous avons essayé toutes les sources habituelles de finance- Une quarantaine de critiques de cinéma étaient invités par !'E.D.F.
ment: sociétés de production, producteurs indépendants, subven- a Fessenheim le 6 septembre, a l'occasion de la sortie de The China
tions d’état, 1élévisions, partout nous avons essuyé des refus. Finale- Svndrome. Une telle initiative a de prime abord quelque chose d’un
ment, ce sont six homosexuels, individuellement, qui ont produit le peu scandaleux. si l’on pense qu'il s‘agit somme toute d'une opération
film et un producteur indépendant, Don Boyd quia fournt te matériel. de contre-propagande a Iintention et aux frais des contribuables,
C’était évidemment une contribution importante. A la fin nous basée sur un monnayage plus ou moins habile de l'information réper-
avions 45.000 livres et nous savions que nous ne pouvions pas termi- cutée par les critiques. Elle procéde surtout, a y regarder mieux, d’une
ner le film avec cette somme. Nous sommes alors allés voir ["].N.A. certaine naiveté : naiveté de croire que le film repose sur la remise en
qui nous a conduit 4 Z.D.F. ot nous avons découvert Sybil Wrong qui cause de la fiabilité technique du nucléaire (celle-ci n’étant la en fait
cherchait depuis longtemps un film sur la réalité ordinaire de (homo- que pour mettre 4 l'épreuve I'infaillibilité des media), remise en cause
sexualité. Et le mariage s’est fait, ils ont mis l’argent qui manquait. qu'il s‘agirait pour I"E.D.F, de désamorcer par un contre-discours
Puis, comme nous avons toumé en 16, il a fallu trouver de quoi gon- technique. Cette illusion technicienne, ou technocratique, s‘est mani-
fler le film en 35 et la c'est le distributeur quia investi. [la en quelque festée tout au long de la journée: aprés la projection d’un court
sorte lancé le film, c’était également tres important. On peut dire que métrage d’animation (fort bien réalisé, avec une musique de Martial
Nighthawks a coaté a peu prés 80.000 livres avec la publicité. [Il aurait Solal) destiné 4 compenser |"influence nélaste de la fiction en fournis-
probablement coté 250.000 livres si tout le monde avait été payé, si sant en guise d'antidote des explications techniques, un directeur aussi
on avail toumé dans des conditions normales, mais je crois qu’en affable que compétent a répondu aux questions aussi perfides que bien
Angleterre c'est 4 peu prés impossible, méme pour un film qui marche documentées des critiques. Or si la partie proprement technique du
trés bien, de rapporter plus de 400.000 livres. La plupart des films. débat, axé sur les risques de catastrophe, n’était qu'un jeu bien rédé
comme ceux de Ken Loach, codtent 400.000 livres. Done il faut cher- de questions-réponses ob les premiéres ne semblaient étre posées que
cher une distribution 4 l'étranger. Nous ne saurons pas avant au pour tester, comme aux échecs, l'efficacité des secondes (si je lui dis
moins un an si Nighthawks a pu s'équilibrer avec la distribution a Ga, qu'est-ce qu’il va me répondre?), les choses n’ont commencé 4
lPétranger. s‘animer que lorsqu‘ont été abordés les themes para-techniques — en
amont, la politique de consommation de I'énergie, et en aval. les ris-
Cahiers. Le filmi est surti en Angleterre? ques posés par les déchets nucléaires ou le détournement de matiéres
radio-actives : la, les réponses étaient nettement plus flottantes, le débat
Peck. Oui. en mars. D'abord il a attiré plutét un public d'homo- devenait possible. De méme lorsqu’a été mise sur le tapis la ques-
sexuels, maintenant c'est plus mélé. Le film. passant a Cannes, suscite tion de l'information : chaos acoustique du cété des critiques, K.O.
un intérét nouveau en Angleterre. Il a commencé dans un cinéma de technique du cdté de I'E.D.F. Mais c’était "heure du déjeuner, d’ail-
Londres, maintenant il passe dans d’autres villes, i] semble que ca leurs on avait déja débordé lhoraire, le débat avait tellement duré (la
marche trés bien. premieére fois qu’on a des questions aussi intéressantes, nous a confié
l'attachée de presse) qu'il a fallu remettre la visite de fa centrale a
Hallam, Nous avions fait une projection il y a trois ans et a l'époque l'heure de la sieste. Moment d’autant plus mal choisi que cette visite
il était difficile de convaincre les gens que le film avait un public. commentée de l’usine et de la salle de commandes n‘avait rien de trés
Quand nous demandions de l’argent nous disions que le film sortirait excitant: il ne s‘agissait somme toute que de vérifier qu'au dela des
probablement d’abord dans le cinéma homosexuel de Londres puis images du court métrage, au dela des discours et des personnes. i! y
progressivement passerait dans d'autres villes puis dans d'autres pays avait vraiment du référent. Eh bien oui: Fessenheim existe. Mais
mais personne ne nous croyait... Or, it a été vendu aux USA (il sort jaurais quand méme préféré visiter, comme a l’école, les usines Nes-
bient6t 4 New York. San Francisco, Los Angeles...)‘en Espagne. en ué: le chocolat au moins, on peut goiter.
Australie... et en France vous voyez un public pour le film?
Je me demande pourtant s'il n’y avait pas dans l’idée de cette visite.
Cahiers. Oui parce que c'est tres différent des films sur Uhomo- par dela son volontarisme technologique, un réel effet de fiction qui
sexualité qu'on a pu voir en France. a la fois plus simple et plus précis. donnerait 4 croire que les organisateurs eux-mémes se sont pris au
plus vrai je crois C'est un tres beau film, Les scénes disco par exemple, piége d'un film dont lefficacité ne porte pas tant sur la réalité du
dont on n'a pas parlé, ca dépasse le cété club homosexuel. disco... nucléaire que sur la mise en scéne de l'information. Car si, dans Le
Svndrome chinois, la vérité n'est révélée et ta catastrophe évitée que
Peck. Oui, Ca a été trés intéressant de voir Saturday Night Fever grace a la présence des journalistes dans la centrale, notre présence a
apres avoir fait le film! Fessenheim ne répétait-elle pas un scénario identique? D‘ailleurs j'ai
cru comprendre que le systéme de réaction nucléaire ne serait, en
Cahiers. Mais vous avez filmé dans une discotheque? somme, qu’une métaphore de la circulation de l'information : une
cuve ou se produit la réaction atomique (I*échauffement des esprits
Peck. Non, c‘est tout en studio, saufla derniére. C’était trés intéres- provoqueé par le film), reliée 4 un générateur de vapeur ou échangeur,
sant de tourner en studio, ca nous a donné des idées pour un prochain chargé du refroidissement (le contre-discours d'E.D.F.), par l'intermé-
film, On contrélait beaucoup plus la situation. On n‘aurait de toutes diaire d'une pomipe (les critiques) — les supports journalistiques ali-
facons pas pu arriver dans une discotheque homosexuelle et commen- mentant le tout, comme l'eau du grand canal d’Alsace. J'ignore si un
cer 4 tourner, des gens auraient refusé d’étre filmés. La, ce sont tous tel systéme de réfrigération des media est utile (il faudrait pour cela
des copains. D‘ailleurs. plusieurs personnes qui ont joué dans le film, que le film produise réellement la réaction escomiptée), encore moins
Neil par exemple. essayent maintenant de devenir acteurs! s'il est efficace. Toujours est-i] que. méme s‘il arrive & produire de
(Propos recueillis par Serge Le Peron lélectricité, au moins ne provoquera-t-il pas d’explosion. Entin, c'est
Serge Toubiana, traduits de l'anglais ce que disent les spécialistes.
par Dominique Villain).
Nathalie Heinich
Coup de chapeau (Jean-Luc Godard), un film fait Cinéma et monde Renseignements a la Maison
pour la télévision qui n’était des Art et Loisirs de Thonon,
au Jantais passé sur les petits écrans.
rural a Aurillac avenue d‘Evian: tél. (50)
« Cinéma de Minuit » (On préférerait y voir enfin (15-20 novembre) 71.39.47,
France Tour Détour Deux
Enfants Espérons qu'il ne fau-
dra pas attendre tant d’anneées...).
Liinitiative — on en parlait Les cinémas devenant matheu- Un nouveau festival va naitre
depuis longtemps, elle était trés reuscment tes derniers endroits cette année... Un constat, unc Festival de
attendue - de Patrick Brion, le ou l’on cause, la télévision va-t- idée. Dans le Cantal, les gens ne S.F. a Paris
responsable de la programma- elle devenir le dernier endroit ou vont plus au cinéma, ils regar-
tion du « Cinéma de Minuit », a on voit les films? dent la télé. Pour les faire reve-
savoir passer des inédits rares de nir, les organisateurs ont sélec-
quelques grands cinéastes, tionné une trentaine de films sur
devient une réalité, et quelle réa- fe theme du monde rural: Le 9° Festival préscntera une
lité ! Jugez-en : Treize films iné- - films «grand public»: /900. vingtaine de longs métrages de
dits, et pas n‘importe lesquels : Aran, Farrebique, Manon des ces dernicrs mois, inédits en
Ga commence (ca aura com- Orléans... SOUFCOS,
France, el en provenance de 14
mencé quand ce n° paraitra) pas mort pays.
Dimanche 23 septembre par films « art ct essai » : La Frairie.
Hitler's’ Madman, le premicr Une vie dans la saison d'Emma- Le Festival, ayant jusqu’a pré-
film américain de Douglas Sirk, nue, He pleut toujours ate c'est sent cu licu chaque année en
un film d°une surprenante dra- Un festival est mort... Janine mouillé, La Folle de Toujane, mars. proposera désormais en
maturgie (voir «Les noms de Bazin qui élait parvenue a créer - films «militants»: La Par- novembre, 4 son public, les tou-
Vauteur», J.-C. Biette. Cahiers un authentique festival cinéma- celle, les Inconnus de la terre. tes derniéres tendances du fan-
Ne 293). Au moment ou il est lographique, axé sur la présenta- Pierre le Berger, Des dettes pour laslique et de la science-fiction
quusiment impossible de voir tion de films rares et jugés impor- salaire. cinématographiques, lors de cha-
(ou revoir) les films de Sirk (alors tants par la critique. n'a pas été Deuxiéme axe des Rencon- que « rentrée ». Il se complétera.
que - via Vecchiali, Fassbinder teconduite duns ses fonctions tres: présenter des films récents celle année, par un Marché du
et quelques autres cinéustes pas- celic année. L*Association du qui n’auraient jamais été dillusés , film, situé dans un complexe des
sionnants — il est dune actualité festival estime que la sélection dans la région. organiser des Champs-Elysées, qui permetira
brulante), on mesurera foppor- qu'elle a effectuée pendant trois débats avec des réalisateurs. aux ctuvres nouvelles découver-
tunité de débuter une série de ans n'a pas regu I'aval du public. Tout cela devrait déboucher sur tes lors du Festival, une distribu- -
films rares par un film aussi sin- Tout le monde n’a pas lair quelques jours de réflexion sur le tion en France, et de nombreuses
gulier. 30 septembre: Rogepac daccord sur le jugement porte... theme: le spectateur en milicu rencontres inter-professionnel-
(Rossellini. Godard, Pasolini, Les chiffres de fréquentation tural. les.
Gregoretti), avec le fameur publiés dans « La Nouvelle De nombreux invités sont atten-
sketch de Pasolini (« la ricotta ») République» du 6 avril 1979 Pour tout renseignement, dus, dont Peter Cushing (acteur
ott Ton voit Orson Welles diriger viennent en effet laffirmer: s‘adresser a la Ville d’Aurillac. anglais, spécialisé dans le fantas-
une Passion a Cinecitla, sana 10.000 entrées au Carré Saint- tique), Juraj Herz, Piers Hag-
doute fun des plus beaux Paso- Vincent, 3000 au Martroi... On gard, Juan Piquer, Nigel Kneale,
lini. 7 octobre: The Private nous promet qu'un festival Kurt Maeztig.
Affairs of Bel-Ami (Albert renait... Cette année, il va s‘atta- Pour la premiére fois de nom-
Lewin), daprés Maupassant, cher a montrer que la querelle breuses productions des pays de
une ceuvre qui ne laissera pas cinéma-télévision doit étre TEst sont en compétition: La
indifférents les admirateurs de dépasséc, que, du point de vue de Film d'Art Belle et la Béte et Le Neuvieme
Pandora et Dorian Gray, films fart. il faut admettre a égalité les a Thonon ceur (Tchecoslovaquie).
d'un esthétisme rageur et raffing. ouvrages de la T.V. et ceux du Lthomme a@ détruire (Yougosla-
14 octobre: 7 Magliari (Fran- cinéma: et qu'un seul critere 6-12 octobre vie), Passager des étoiles (Polo-
ecesco Rosi). 21 octobre: Mouse convient, celui de la qualité. avec gne).
by the River, un Fritz Lang for- la double dimension que notre Un grand nombre également de
midable et trouble, un peu a la époque a introduite: celle de art films de science-fiction: Quater-
manieére de La Nuit du Chasseur. et celle de lessai. C'est done a Comme chaque annéc. des mass. Conclusion (film britanni-
28 octobre: -line Uno, un Ros- une confrontation des ouvrages films du «jeune » cinéma indé- que basé sur une populaire série
sellini de la période « didacti- du cinéma, de la T.V. et des co- pendant qui ont peu d'occasions télévisée anglaise. dont l’auteur,
que ». 4 novembre : La Croisade productions que le Festival de rencontrer leur public: N. Nigel Kneale, participera au Fes-
maudite (Wajda). || novembre : W’Orléauns va s‘employer. Kaplan, R. Ruiz, R. Rein, P. tival, ainsi que Jes interprétes
Smiling Through de Frank Bor- Une des quatre sections sera Kast, V. Pinel et C. Zarifian, S. principaux), L‘krvile du silence
zage. cinéaste passionnant ct mal composée d'un hommage 4 Ros- Stanojevic, A.-C. Poirier, T. (R.D.A.), Supersonic Man
connu. 18 novembre: La com- sellini dant les réflexions sur les Leber. E. de Antonio, P. Wat- (Espagne), ainsi que la comédie,
mare seced, le premier film de rapports du cinéma et de la T.V. kins. avec Kiss in Auack of the Phan-
Bertolucci (sur un scénario de sont a origine de ce Festival. Et cette année, dans la méme ton (U.S.A) Lupin if (Japon)
Pasolini) et un de ses meillcurs.. orientation, les organisateurs et The Cat and Canary
25 novembre (retenez la date): En outre, le Festival reprendra ouvrent une nouvelle sélection (U.S.A./G.B.}.
Stars in my Crown, le seu! film sous le titre de Colloque, le collo- de cinéma documentuaire: les La section rétrospective rendra
de Jacques Tourncur que ce der- que inauguré 4 Cannes
il ya deux films sur ‘art. Il s‘agit d’engager un hommage au cinéma francais
nier aime intégralement. (voir ans par Roberto Rossellini sur une réflexion sur la représenta- ct au cinéaste Georges Franju
« Contre la Nouvelle Cinéphi- tes problemes de l'art et de tion des arts plastiques au (co-fondateur de la Cinémathe-
lie», L. Skorecki. Cahiers Ne Vaudio-visuel. Ce colloque cinéma et 4 la télévision. Un pro- que Francaise), qui présentera au
293. 3 décembre: fr Till the Sun devrait devenir institutionnel. gramme en deux sections: rétros- Rex. en compagnie de son inter-
Shines Nellis (Henry King: ton- pective et compétition interna- prete féminine, Edith Scob:
gue carriére et trés beaux films, La vidéo ne sera pas oubliée dans tionale, des films du SERDDAV dudex (réalisé en 1963), remar-
ga et la). 9 décembre: The Sub- ces journées, et il est question d°y et de I'l.N.A.. des débats ouverts quable film poétique-fantasti-
terrancans (Ranald McDougall). organiser une expérience d’ani- entre professionnels et utilisa- que, inspiré du sérial célébre de
16 décembre: Le gai Savoir mation locale. teurs. Louis Feuillade.
A paraitre
CINEMA
Numéro Hors-Série
JEAN RENOIR
ENTRETIENS ET PROPOS
Ce volume, 4 paraitre fin octobre, réunira les entretiens de Jean Renoir
publiés dans cing numéros des Cahiers du Cinéma épuisés depuis longtemps,
et les déclarations du cinéaste au cours d’un certain nombre d’émissions télévisées, encore jamais publiées.
Sortie le 15 Octobre
S< cnvovcominae ~~
BULLETIN DE COMMANDE
Edité par les Editions de I'Etolle - S.A.R.L. au capital de 50.000 F — R.C. Seine 57 B 18373 - Dépét légal a la parution
Commission paritaire N° 57650 — Imprimé par Laboureur, 75011 Paris
Photocomposition, photogravure, PMF, 35, rue de I’Ermitage, 75020 Paris
Le directeur de la publication: Serge Daney - Printed in France.
HORS-CHAMP DIFFUSION
PRESENTE EN 1979-80 culture
etcommunt
Genése d’un repas (L. Moullet)
Sortie: Janvier 1980 -Cation
L’Exécution du traitre a la patrie Ernest S. apical “O{NEMA’’
et Des Suisses dans la guerre d’Espagne
({R. Dindo). Sortie: 26 septembre 1979
numéro spécial de septembre :
Aniki-Bobo et Benilde ou la Vierge-Mére “LE CINEMA PAR CEUX QUI LE FONT":
(M. de Oliveira). Sortie: janvier 1980
“Culture et Communication ’’
A L‘ACTION-REPUBLIQUE point de rencontre mensuel
entre le ministére de la culture
@ a partir du 24 octobre et de la communication
TROIS FILMS DE H.-J. SYBERBERG et tous ceux pour qui la culture
—- Winifred Wagner (inédit) est une réalité vivante
— Ludwig (copie neuve) le numéro 12 F
— Karl May vente en kiosque et en librairie
@ fin novembre
AURELIA STEINER BULLETIN D’ABONNEMENT
Trois court-métrages de Marguerite Duras au tarif préférentiel de 100 F (1 an 10 numéros)
retourner a:
LA DOCUMENTATION FRANGAISE
Pour tous renseignements: 124 rue Henri Barbusse
HORS-CHAMP, 18, rue du Faubourg du Temple ‘|g 93308 AUBERVILLIERS CEDEX
76011 - 805.51.33.
AUX SOMMAIRES DES TROIS DERNIERS
NUMEROS DES CAHIERS
HOLOCAUSTE
Hubert Damisch : Ltorlgine de la perspective
FRANCE TOUR DETOUR DEUX ENFANTS Jacques Bouveresse Le concept d'image chez Wittgenstein
Rosalind E. Krauss Notes sur Vindex (l'art des années 1970)
CINEMA ET LABYRINTHE (Pascal Bonitzer)
Joseph Rykwert » Gottfried Semper et la théorle du style :
WIM WENDERS EN CALIFORNIE pour une nouvelle histolre de art
Jean-Jacques Marty-Lherme ; Les anatomies inédites de Lequeu
QUELQUES ASPECTS DE L'‘ART RECENT
Entretlens sur I’asenir supposé de la pelnture
(Yve-Alain Bois, Christian Bonnetoi. Jean Clay. Jean-Luc Vilmouth,
Ne 302 - juillet/aodt 1979 ete)
DOSSIER PONTORMO
Le Journal frouvelle bdition dalienne et version francaise
ENTRETIEN AVEC FRANCIS COPPOLA par Jean-Claude Lebensztejn}
(APOCALYPSE NOW) Mirolr note ferude critique du Journal par Jean-Claude Lebensztem}
MARGUERITE DURAS
CINEMA INDEPENDANT AMERICAIN :
FRED WISEMAN
A retourner
9, Passage de la Boule Blanche
75012 Paris Pour relire les
Cahiers
reliez-les |
NOM...........0-.
ccc cence PRENOM ..... 0... eee eee
ADRESSE .... 1... cece tet cence eter net ee tenn eee
Désire recevoir:
Le N° 300 (25 F)O
Le N° 301 (15F)O Pour commander les reliures
Le N° 302 (18 F) 0
Les N¢é......... spéciales Cahiers du Cinéma
verse la somme de> ........ F voir notre encart au milieu
Mandat-Lettre O Mandat-postal O
du numéro
Chéque bancatre (1 Versement CCP (7890-76)
CAHIERS
DU
CINEMA304
15 F.
MAURICE PIALAT ;
Entretien avec Maurice Pialat, par Daniéle Dubroux, Serge Le Péron et Louis Skorecki p.7
FESTIVALS
Deauville, petite vitrine pour grand écran américain, par Louis Skorecki p. 35
CRITIQUES
Apocalypse Now (F. Coppola), par Serge Daney et Pascal Bonitzer Aena/do et Clara (B. Dylan). par Louis Skorecki p. 45
Ceddo {O. Sembene), par Serge Daney Les Demoiselies de Wilko (A. Wajda), par Jean-Louis Bachellier p.51
Nighthawks (R. Peck et P. Hallam), par Nathalie Heinich Les Petites fugues (Y. Yersin), par Serge Toubiana p.55
Prova d‘orchestra (F. Fellini), par Bernard Boland = Afien (R. Scott) par Pascal Bonitzer p. 60
PETIT JOURNAL