La Arka Du Jninar: Un Épisode de La Grande Guerre Dans Le Sud-Ouest Marocain (Mars-Mai 1917)
La Arka Du Jninar: Un Épisode de La Grande Guerre Dans Le Sud-Ouest Marocain (Mars-Mai 1917)
La ḥarka du Jninar:
Un épisode de la Grande Guerre dans le Sud-ouest marocain
(mars-mai 1917)
Rachid Agrour
IRCAM, Rabat
1. “Après deux ans de guerre d’un Protectorat construit à marche forcée, Lyautey doit répondre au
tocsin de la République qui lui demande l’essentiel de ses effectifs. Par un télégramme daté du 27 juillet
1914, le gouvernement explique au résident général qu’il va lui falloir se résoudre à une évacuation
de l’intérieur du royaume: “Le sort du Maroc se réglera en Lorraine. L’occupation du Maroc devra
se réduire à celle des principaux ports de la côte, si possible à la ligne des communications Kenitra-
Meknès-Fez-Oujda. Tous postes et marchés avancés devront être momentanément abandonnés. Votre
premier soin devra être de ramener aux ports de la côte étrangers et Français de l’intérieur pour assurer
leur sécurité.” Telles sont les fermes instructions des Affaires étrangères,” dans: Vincent Courcelle-
Labrousse et Nicolas Marmié, La guerre du Rif. Maroc (1921-1926) (Paris: Tallandier, 2009), 36.
2. Yves de Boisboissel, Dans l’ombre de Lyautey (Paris: André Bonne, 1954), 70.
3. Les troupes territoriales se composent alors de l’ensemble des troupes mobilisables des classes les
plus anciennes. Il s’agit pour l’essentiel de quadragénaires à l’aspect peu guerrier.
4. Léopold Justinard, “Notre action dans le Sous,” Afrique française (1926): 546.
5. Léopold Justinard, Un grand chef berbère. Le Caïd Goundafi (Casablanca: Atlantides, 1951), 129.
6. Agellid (pl. igeldan), le sultan, le roi en berbère. Kerdous est un petit village de l’Anti-Atlas central
où Moulay Ḥmed el Hiba est réfugié depuis février 1915. C’est là qu’il sera enterré plus tard, victime
d’une épidémie de grippe qui frappa la région en 1919. Agellid n Kerdus, (en tachelhit: “le sultan de
Kerdous”), c’est la formule par laquelle lui et ensuite son frère qui lui succède sont alors désignés par
les habitants de la région.
7. Moulay Ḥmed el Hiba, de son nom complet, fut un de ces nombreux sultans du Jihad qui s’élevèrent
ici et là au Maroc pour s’opposer à l’avancée des troupes militaires françaises au lendemain de la
signature du traité de Fès établissant la mainmise française sur l’Empire fortuné. Ce personnage réussit
la prouesse de soulever tout le Sud marocain pour se faire proclamer sultan à Tiznit avant de prendre
Marrakech. Mais, après quelques semaines à peine d’occupation, il fut chassé de Marrakech et rejeté
au-delà des montagnes du Haut-Atlas par les troupes françaises.
8. Les frères Otto et Robert Mannesmann étaient à la tête d’une puissante société commerciale,
industrielle et minière allemande, liée aux grands intérêts politiques et économiques de leur pays et
établie dans différentes régions du Maroc. Ils s’intéressèrent à la région de Taroudant dès 1911 où
ils firent de nombreuses prospections minières, s’accaparant dans ce but nombre de lots de terrain et
établirent dans la cité un comptoir où ils s’occupaient d’importation et d’exportation de produits de
consommation courante (bougies, sucre, thé, amandes, etc.).
La ḥarka du Jninar: Un épisode de la Grande Guerre dans le Sud-ouest marocain 161
par el Hiba et leurs rapports avec lui. Il dit qu’il s’attend à [des] événements
graves et conseille une intervention aussi rapide que possible.”11
De Rabat, on se rendit compte qu’une réaction rapide devait être mise
en place car les tribus fraîchement soumises de la région pouvaient à tout
instant se révolter en reprenant le flambeau du jihād. Ainsi, le commandant
de la Région de Marrakech –dont dépendait tout le Sud marocain– donna
l’ordre au représentant (naïb) du Sultan dans la province du Sous, le Pacha de
Taroudant (Ḥaïda Ou Mouaïs), de former une importante ḥarka composée de
contingents regroupant les principales tribus makhzen du pays.12
Après avoir regroupé ses forces (près de trois mille hommes, disposant de
trois canons de montagne) à Tiznit, ce dernier obtint, dans un premier temps,
la soumission des Aït Sihel le 3 janvier 1917, avant de se diriger sur la tribu
voisine des Aït Brayim, où des rassemblements ennemis importants avaient
été signalés. C’était dans le ravin d’Igalfen, sur le territoire des montagnards
insoumis de cette tribu, que Ḥaïda Ou Mouaïs subit une défaite retentissante
(7 janvier 1917) dans laquelle il perdit la vie, sa tête fut portée en triomphe à
Kerdous et pendant longtemps on chanta au-dessus de la plaine:
Asif n Tiġanimin aġ ibbi lmenšar asatur.
Nġan igḍaḍ lbaz, ur sul kṣuden yat
“C’est dans [la vallée de] Tighanimin que la hache a coupé le tronc
Les moineaux n’ont plus peur de rien, ils ont mis à mort le faucon.”13
Ou encore:
A is n Ḥayda urrid an tawit aytmak
Agayyu n babak iziker aġ ukan llan
“Ô fils de Ḥaïda, revient chercher tes frères
La tête de ton père pend toujours au bout d’une corde.”14
Dans un premier temps, passé les premiers moments de panique, le
commandement de la Région de Marrakech donna l’ordre au capitaine
Justinard d’organiser la défense de Tiznit avec les restes de la ḥarka défaite
de Ḥaïda Ou Mouaïs. Le commandant de Mas Latrie du poste d’Agadir Ighir
le ravitailla en munitions et en argent. De son côté, Taroudant se vit renforcée
par l’envoi de contingents pris dans les commandements des caïds Taïeb
11. SHD, Capitaine Delhomme, Télégramme au Résident général, Agadir le 7 décembre 1916,
3H679.
12. Justinard, Un grand chef, 141.
13. Léopold Justinard, Les Aït Ba Amran (Paris: Honoré Champion, 1930), 96-7.
14. Entretien de l’auteur avec feue Fadna Hemoudda des Id Oubidar à Tlata Lakhsas, le 10 septembre
2002.
La ḥarka du Jninar: Un épisode de la Grande Guerre dans le Sud-ouest marocain 163
15. SHD, Anonyme, Résultats politiques obtenus dans le Souss et dans l’Anti-Atlas de 1918 à 1933,
Rabat, 8 décembre 1933, 3H449.
16. “Colonne française comprenait 4128 hommes, 110 officiers: 4238 - A la harka H.Thami (600),
Goundafi (480), Mtougga (500), Haha (300), Pacha Taroudant (2120): 3900 - A Taroudant 1250
(Glaoua et Goundafa)” dans SHD, Lettre du Général de brigade de Lamothe, commandant la Région
de Marrakech à Général de division Lyautey, commissaire résident général, Commandant en Chef,
Marrakech le 14 juin 1917, 3H589.
17. Entretien avec feu Hajj Salm, Id Boufous (Lakhsas), septembre 2002: “(…) iffuġd urumi-yan
netta, yiwid tiferġiwaḍu,” “(…) c’est alors que cet aroumi surgit, apportant avec lui la dévastation.”
18. SHD, Capitaine Justinard, Rapport du 20 janvier au 20 février 1917, Tiznit le 21 février 1917,
3H439.
164 Rachid Agrour
Remarquons que pour le monde tribal, qui était la norme à cette époque
pour une écrasante majorité des populations du Maroc, l’état de conflits
armés plus ou moins larvés entre les différents groupements tribaux était
une situation normale dirons-nous, y compris durant toute la période dite
de pacification (1912-34). Ainsi, entre deux escarmouches avec les troupes
coloniales, les tribus réglaient entre elles leurs querelles.19
L’expédition militaire du général de Lamothe (février 1917-avril
1917)
Quittant Marrakech le 14 février 1917, la colonne du Sous, quant à elle,
franchit le Haut-Atlas par le Tizi Oumachou, col contrôlé par les Intougga
(Mtougga), pour arriver à Tiznit le 16 mars 1917.20
L’objectif était clair, montrer la “force française” sans trop s’engager à
l’intérieur du territoire contrôlé par les “dissidents.” Des portiers de l’Atlas,
seuls Thami Aglaou et Tayeb Outgountaft participaient à cette expédition,
Abdelmalek Atigui y était représenté par son khalifa (Bouslam), une prophétie
l’ayant mis en garde contre toute action dans le Sous.21
Le premier accrochage important eut lieu le 24 mars 1917, au pied de
la montagne, à Ouijjan.22 Sa position,23 réputée inexpugnable –ayant tenu
en échec maintes tentatives de la part du pouvoir central (notamment avec
Aguiloul en 1899 et Ḥaïda Ou Mouaïs septembre 1915)– contrôlait les
débouchés des montagnes et les routes qui menaient au cœur de l’Anti-Atlas
central. Ouijjan était aussi le refuge d’un des frères de l’agellid de Kerdous,
Cheikh Naama. Elle était occupée par les Ida Oubaaqil qui furent renforcés
par des contingents fournis par la tribu voisine des Imjjad. Ces derniers,
positionnés à l’origine dans un groupement villageois du massif voisin
d’Ighir Melloulen (Tiguemmi Oufella), accoururent au secours d’Ouijjan dès
que tonnèrent les premiers coups de l’artillerie ennemie.
Un détail à souligner ici est le fait que la majorité des troupes françaises
de cette “expédition punitive” était constituée de troupes revenant du théâtre
européen où se déroulaient encore les dernières phases macabres de la Grande
Guerre. Ayant de plus, pour la plupart d’entre eux, participé aux toutes
premières années de la “pacification” du Maroc, beaucoup parmi eux furent
très surpris de trouver dans l’action au combat des défenseurs ainsi que dans
l’organisation des ouvrages de protection d’Ouijjan une matière si rigoureuse,
si pensée, si européenne:
“J’entendais autour de moi des officiers, vétérans au Maroc, qui
rentraient de France et avaient vu Lorette ou tels autres endroit terribles
du front français, s’étonner de ces progrès accomplis par les dissidents:
“Ce n’est plus la guerre du Maroc comme autrefois, disait un vieux
bledard dont c’était le trentième combat en Afrique; sauf le matériel,
cela ressemble pas mal aux choses que font les Boches.”24
Ouijjan était entouré d’un mur en pisé (élevé de 1m50 à 3 m. selon le
lieu) parsemé de meurtrières étagées, surmonté de créneaux ou de buissons
de jujubiers épineux (ifergan, sing. ifrig) et qui s’étendait en un demi-arc de
cercle sur près de six kilomètres jusqu’au pied de la montagne qui dominait
la place où, s’ajoutant à ce dispositif, s’étageait toute une série de tranchées
fortifiées (aderras ou ashbbar). Mais c’est surtout dans le mouvement des
guerriers d’Ouijjan que la stupeur apparaît dans le regard des observateurs
français. À leurs yeux, leur étonnante “discipline de feu,” leur “repli calculé”
ou leur retraite “en bon ordre et par lignes successives,” bref toute cette
discipline et cette stratégie ne pouvaient être que le résultat de la présence en
leur sein de conseillers militaires allemands!
Et pourtant, les organisations défensives (tranchées protégées de
murets, créneaux et meurtrières) faisaient parti du dispositif habituel de
protection dans les groupements sédentaires du Maroc, de même que les
stratégies employées pour l’assaut ou le repli étaient coutumières de ces
sociétés tribales où l’état de vendetta, entrecoupé par les travaux agricoles,
était presque constant.
La raison de ce véritable déni des réalités du terrain venait peut-être des
pertes subies devant la résistance opiniâtre que ces “Chleuh” offrirent face à
24. Henry Dugard, La colonne du Sous (janvier-juin 1917) (Paris: Perrin et Cie Libraires-Éditeurs,
1918), 123.
166 Rachid Agrour
des troupes aguerries dans les combats de France qui n’hésitèrent pas à faire
usage de l’artillerie moderne contre ces villageois.25
Surpris par la ténacité des défenseurs d’Ouijjan, sans doute aussi marqués
par la similitude des mouvements de ces rudes guerriers avec ceux observés
des “Boches” dans les combats de tranchées de France, les observateurs
hexagonaux ne pouvaient se résoudre à accepter que des hommes appartenant
à une société “primitive” puissent concevoir et exécuter des dispositifs
militaires similaires aux grandes puissances européennes du moment. On
en arrive ainsi à lire dans les rapports militaires des déclarations étonnantes,
entachées de flagrantes contradictions, de ce genre:
“La façon dont le terrain avait été utilisé et dont les flanquements
étaient réalisés, semblent sortir des façons habituelles d’opérer au Maroc
et bien que le travail ait été manifestement fait par les gens du pays et
par leurs méthodes, il paraît probable que des indications ont été données
pour ce tracé par un européen.”26
Quoi qu’il en soit, au terme d’une journée de combat, la colonne ne put
investir la place et se replia à quelques kilomètres de là, au village d’Idegh,
pour permettre aux soldats de panser leurs blessures et de se reposer avant de
reprendre le combat prévu pour le lendemain. Dans ce dispositif de retraite,
le général de Lamothe confia au caïd Outgountaft de rester en observation
défensive devant Ouijjan, dans le village voisin de Taddart. Durant cette nuit,
le caïd apprit, de la bouche d’un notable du village (Ali Ou Abella n Ḥerbaz)
que les défenseurs d’Ouijjan, qui subirent de considérables pertes, évacuaient
en masse la place, et que des dissensions étaient apparues dans leur sein dont
il fallait profiter sans plus attendre. Et au petit matin du 25 mars, le caïd
occupa tranquillement la place. De cette prise d’Ouijjan, nous est parvenu cet
extrait amer d’un poète du pays:
Nserġa i tbuqqalt azal ar tiwutš.
Ur nsamḥ i Ḥerbaz, iffit fellanġ
25. Voici comment un célèbre érudit de la région nous rapporte l’un des épisodes de ce raid contre
Ouijjan: “Un des participants à cette bataille, mon frère Sidi Mohamed, me conta ainsi son arrivée à
Ouijjan aux côtés des Imjjad: “À notre arrivée, j’aperçus un village situé au pied d’une colline réduit
en ruines par le feu des canons. Moi et mes compagnons, nous postant à l’abri de rochers, nous nous
mîmes à tirer sur les serveurs des canons car, nous ayant aperçu, ils les dirigeaient vers nous dans le but
de nous réduire à néant. Toute la journée la bataille fit rage. Ce jour-là, les Imjjad perdirent énormément
d’hommes. D’après certains, les pertes des Imjjad s’élevèrent à près de quatre-vingt hommes; de même,
les contingents des autres tribus y compris les Ida Oubaaqil perdirent énormément d’hommes ce jour-
là,” dans El Mekhtar Soussi, Le caïd Najem. Traduction, présentation et annotations de Rachid Agrour
et Mbark Wanaïm (Rabat: Publications de l’IRCAM, 2013), 184-85.
26. SHD, Chef de Bataillon Puissant, Rapport sur la position d’Ouijjan, non daté, 3H589.
La ḥarka du Jninar: Un épisode de la Grande Guerre dans le Sud-ouest marocain 167
31. SHD, Télégramme du Résident Général [Lyautey] au commandant colonne Marrakech [Lamothe],
Rabat le 17 avril 1917, 3H589.
32. CADN, Général de Lamothe, Lettre au Résident général Lyautey, Marrakech le 14 juin 1917,
RDM 629.
33. Justinard, Un grand chef, 236.
34. “Le lendemain [17 avril], à l’aube, nous entendîmes les timatarin, deux coups de fusil qui nous
signalaient que l’armée venait de se mettre en marche. Nous bondîmes pour atteindre une colline
voisine afin d’observer les mouvements de l’ennemi. Nous aperçûmes de nombreuses lignes noires,
plusieurs rangées de soldats d’où partait une véritable pluie de plomb qui frappait les arbres tout autour
de nous. Peu en réchappèrent. Il y eut énormément de morts et de blessés dans notre camp. Parmi eux,
il y eut l’afqir Boujemaa Aksim qui fut gravement touché à l’œil. Tombé au milieu des morts, un soldat
ennemi s’approcha de lui, le prenant pour mort, il trancha sa ceinture et le dépouilla de tout ce qu’il
portait de valeur. L’afqir ne se leva qu’une fois les soldats partis. Il était de ceux qui s’étaient réfugiés
à la zaouïa de Dougadir Ilegh. Quand le jour se leva, nos cavaliers attaquèrent l’armée en mouvement
mais devant l’intense feu de l’ennemi, nous dument nous replier une première fois pour les réattaquer
de nouveau. Nous formâmes une seconde charge à partir d’une petite colline. C’est à ce moment que
les canons nous prirent pour cible. Je ralentis alors la course de mon cheval pour viser au mieux les
servants des pièces d’artillerie ennemie. (…). Tout autour de moi, les balles pleuvaient, à tel point que
je me demande comment j’ai pu m’en tirer indemne. Je me repliais alors prudemment derrière une
colline” dans Soussi, Le caïd Najem, 186-87.
170 Rachid Agrour
démarche mais demanda que la soumission fût confirmée par des délégués de
toutes les assemblées tribales du pays.
Le 25 avril, el Madani envoya une lettre au Général de Lamothe,
confirmant les déclarations de la délégation venue le jour précédent et
déclarant que lui et ses tribus étaient désormais makhzen.39 Le 28 avril, eut
lieu une nouvelle entrevue entre caïds hibistes et caïds makhzen qui régla
toutes les questions concernant la “pacification” de la région. Si Bouslam se
vit confier une lettre d’el Madani destinée au Général de Lamothe. El Madani
y confirma de nouveau la soumission définitive des tribus:
“Tous ceux qui viendront dans notre pays jusqu’à la Saguia El Hamra
seront sous la protection de Dieu. Nous sommes sous la protection de
Dieu et du Makhzen. Nous sommes aux ordres de la Daoula.”40
Le témoignage de Mawlāy Mḥamed Iraa, qui avait participé à ces
pourparlers, confirma la surprise des tribus qui, de guerre lasse, avaient
accepté finalement de se soumettre:
“La colonne quitta le pays le jour même où nous allions nous mettre
en route avec nos taureaux de Targuiba. Chacun reprit alors sa liberté et
on ne parla plus de soumission. A ce moment nous étions très découragés
et surtout nous manquions totalement de cartouches. Nous étions bien
décidés à nous soumettre définitivement.”41
Mission accomplie pour la colonne, elle avait permis de montrer la force
de la puissance coloniale sans pour autant s’engager dans une lutte longue et
coûteuse. La situation en Europe était en partie la cause de ce retrait, mais
en partie seulement, le manque d’information sur ces territoires montagneux
l’était tout autant. Ce reflux soudain surprit beaucoup les tribus, qui croyaient
que l’objectif de la colonne était la soumission définitive du pays, et il fut
interprété comme une victoire que les aèdes chantèrent longtemps:
“Il est cassé le Général, battu par les fusils à pierre, et, par Sidi Bou
Abdelli, il va camper à Bou Nâman. C’est alors qu’elles ont chanté, celle
des Aït Baamran: les canons ont déménagé. Notre salut est revenu. Par
les Aït Baamran, le général est battu.”42
Le retrait des troupes françaises était justifié de la façon suivante par
l’un des acteurs de l’époque, le capitaine Justinard: “La colonne du Sous
39. CADN, Lettre d’El Madani Akhsassi au Général de Lamothe, 24 avril 1917, RDM 629.
40. CADN, Lettre d’El Madani Akhsassi au Général de Lamothe, 28 avril 1917, RDM 629.
41. SHD, Déclaration de Moulay Ahmed Iraa au sujet de la colonne du Sous de 1917, 25 septembre
1922, 3H2155.
42. Justinard, Un grand chef, 236.
172 Rachid Agrour
colonne d’Isseg à Bou Naaman, on trouva notamment une lettre dans laquelle
el Hiba demandait aux tribus un suprême effort “pour sauver l’islam.”
Ses missives n’étaient pas restreintes au Sous mais atteignaient
jusqu’aux tribus du Moyen Atlas où elles étaient régulièrement colportées
dans les marchés hebdomadaires des tribus. Dans ces courriers, il demandait
habituellement la levée de tous les hommes en âge de combattre en promettant
l’envoi rapide, “aux vrais musulmans,” de munitions en quantité suffisante
“pour lutter pendant sept ans.”
Cependant, ce genre de propagande n’eut pas toujours les effets
escomptés. Ainsi les Ida Ou Tanan, tribu du Haut-Atlas située entre Agadir
et Marrakech, restèrent sourds à ces appels. L’agellid de Kerdous leur avait
écrit, pour desserrer l’étau de la colonne du Sous: “Attaquez les chrétiens qui
sont au Nord, moi je me charge de manger la mehalla.” Ils lui répondirent:
“Nous ne sommes que de pauvres gens et comme les débris de la mehalla
mangée par toi passeront forcément chez nous, nous nous contenterons de tes
restes.”48
Bibliographie
Archives
CADN, Anonyme. Télégramme chiffré du 23 avril 1917, RDM 629.
CADN, Anonyme. Télégramme chiffré du 22 avril 1917, RDM 629.
CADN, Général de Lamothe, Lettre au Résident général Lyautey, Marrakech le 14 juin 1917,
RDM 629.
CADN, Lettre d’El Madani Akhsassi au Général de Lamothe, 28 avril 1917, RDM 629.
CADN, Lettre d’El Madani Akhsassi au Général de Lamothe, 24 avril 1917, RDM 629.
CADN, Lettre de Mhamed Iraa à Sidi Ali Outzeroualt, 29 novembre 1916, RDM 622.
Entretien avec feu Hajj Salm, Id Boufous (Lakhsas), septembre 2002.
Entretien de l’auteur avec feue Fadna Hemoudda des Id Oubidar à Tlata Lakhsas, le 10
septembre 2002.
SHD, Anonyme, Résultats politiques obtenus dans le Souss et dans l’Anti-Atlas de 1918 à
1933, Rabat, 8 décembre 1933, 3H449.
SHD, Capitaine Delhomme, Télégramme au Résident général, Agadir le 7 décembre 1916,
3H679.
SHD, Capitaine Justinard, Rapport du 20 janvier au 20 février 1917, Tiznit le 21 février 1917,
3H439.
SHD, Capitaine Justinard, Renseignements de Tiznit n°38, Situation à la date du 15 juin,
Tiznit le 20 juin 1917, 3H2105.
SHD, Chef de Bataillon Puissant, Rapport sur la position d’Ouijjan, non daté, 3H589.
SHD, Commandant Delhomme, Renseignement du 25 avril 1917, 3H439.
SHD, Déclaration de Mawlāy Ahmed Iraa au sujet de la colonne du Sous de 1917, 25
septembre 1922, 3H2155.
)1917 ماي- حلقة من احلرب العظمى يف جنوب غرب املغرب (مارس: حرکة اجلنِنَّار:ملخص
حتاول هذه الدراسة الکشف عن أحداث تتعلق بفيلق عسکري فرنيس اختذ من تزنيت ‒يف أجواء
االقتتال القائم إبان احلرب العاملية األوىل يف أوروبا‒ قاعدة لشن سلسلة مزدوجة من الغارات عىل قبائل تنتمي
التفافها حول، 1912 “ وکانت هذه القبائل قد أعلنت منذ عام.إىل جبال األطلس والتي وصفت بـ”املتمردة
إىل إحدى القرى يف کردوس الواقعة يف قلب1915 موالي أمحد اهليبة الذي جلأ مع بداية عام،سلطان اجلهاد
ومن هنا جاءت تسميته املشهورة بسلطان کردوس باللسان األمازيغي (إگليد،األطلس الصغري األوسط
وسنحاول استعراض بعض التفاصيل املتعلقة بالظروف العامة املحيطة هبذه الواقعة التي وصفتها.)نکردوس
وباجلهود التي بذلتها قبائل األطلس الصغري لتنظيم مقاومتها هلذا،“األدبيات االستعامرية بـ ”احلملة عىل سوس
وللقيام يف،”العدوان“ الذي استفادت فيه القوات الفرنسية من مساندة ”القواد الکبار“ من األطلس الکبري هلا
.هناية األمر بتحليل النتائج والعواقب املرتتبة عىل هذه احلملة العسکرية جلميع األطراف املعنية هبا
. االحتالل الفرنيس، املقاومة، القواد الکبار، کردوس، قبائل سوس، أمحد اهليبة:الکلامت املفتاحية
Enfin, nous analyserons les résultats et les conséquences de cette expédition militaires en
soulignant en particulier si les objectifs établis par l’État-major français ont été atteint ou non
et comment, de leurs côtés, les groupements tribaux de la région ont vécu ces évènements.
Mots clés: Ahmed al-Hiba, les tribus de Sous, Kerdous, grands caïds, la résistance,
l'occupation française.
Abstract: The Ḥarka of the Jninar: An Episode of the Great War in the South-
West of Morocco (March-May 1917)
This event that we are going to present here is the unfolding of a French military column
which, using for base Tiznit, organized a double series of raids on the “rebel” tribes of the
Anti-Atlas. Indeed, the latter, since 1912, proclaimed then a sultan of jihād, Mawlāy Hmed
Hiba (son of a famous thaumaturge beydan, Ma el Aïnin) who, since the beginning of 1915,
is a refugee in the hamlet of Kerdous, the heart of the central Anti-Atlas massif, hence the
expression agellid n Kerdus by which it is now designated in these in these areas of tachelhit.
We will first look at the genesis of the particular situation of this region of the Sous and
the causes that motivated what colonial historiography celebrated under the name of “the
column of the Sous.” Then, we will focus on the organization of the defense of the tribes of
the Anti-Atlas face this “aggression” and the course of the raids organized by the colonial
power with the support of the “Great caïds” of the Haut-Atlas. Finally, we will analyze the
results and consequences of this military expedition, highlighting in particular whether the
objectives set by the French General Staff have been achieved or not and how, on their side,
the tribal groups in the region have experienced these events.
Keywords: Ahmed al-Hiba, Souss, Kerdous, Great Kaids, Resistance, French
occupation.