Frimousse 2015

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REGARDS CROISÉS SUR LE CHANGEMENT AGILE

Soufyane Frimousse, Jean-Marie Peretti

EMS Editions | « Question(s) de management »

2015/2 n° 10 | pages 107 à 123


ISSN 2262-7030
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Regards croisés
sur le changement agile
Soufyane FRIMOUSSE,
Rédacteur en chef adjoint
Jean-Marie PERETTI,
Rédacteur en chef de « Question(s) de management »

« Question(s) de Management » a proposé à des praticiens, experts et universitaires de répondre à ces


questions sur le thème du « management agile »:
« En quoi le mode agile constitue-t-il une innovation en management et en changement ? Pour-
quoi le mode agile prend-t-il tant d’importance aujourd’hui et comment s’inscrit-il comme un
facteur de performance durable ? »
David ALIS, Eric BACHELLEREAU, Céline BAREIL, Laila BENRAISS-NOAILLES, Pascal BERNARDON,
Mireille BLAESS, Maria-Giuseppina BRUNA, Roland BONNEPART, Adriana BURLEA-SCHIOPOIU, Lau-
rent CHOAIN, David DESTOC, Jean-Yves DUYCK, Corinne FORASACCO, Jean-Michel GARRIGUES,
Pascale GENTIL, Alexandre GUILLARD, Bernard GUILLON, Kevin J. JOHNSON, Michel JORAS, Hu-
bert LANDIER, Jean-Pierre LE CAM, Dhiba LHAJJI, Peggy LOUPPE, Nathalie MONTARGOT, Jean-
Michel MOUTOT, Yvon PESQUEUX, Vincent PINLOCHE, Pierre PIRE-LECHALARD, Patrick PLEIN,
Hervé SAINT-AUBERT, Xavier SAVIGNY, Anne-Marie de VAIVRE, Delphine VAN HOOREBEKE et Zahir
YANAT ont apporté des réponses d’une grande diversité.
La richesse des trente regards croisés d’universitaires et de praticiens rassemblés témoigne de l’intérêt
croissant pour le changement en mode agile au sein des organisations.
Selon David ALIS et Pascale GENTIL, l’agilité consiste à ne plus manager l’incertitude engendrée par
les changements mais à l’épouser, l’englober et s’organiser pour elle. Pour Eric BACHELLEREAU,
l’agilité réclame l’anticipation. Le mode agile est à l’opposé des schémas didactiques classiques. Céline
BAREIL insiste sur l’importance de la co-construction du changement. Laïla BENRAISS-NOAILLES
et Dhiba LHAJJI soulignent l’adaptation des méthodes « agiles » au monde du digital. Selon Mireille
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BLAESS, avec l’augmentation des normes, l’agilité de l’organisation devient essentielle. Roland
BONNEPART présente les conditions de réussite d’un processus de changement au sein de la SNCF.
Maria Giuseppina BRUNA invite à repenser la triangulation entre l’évolutivité contrainte des normes,
la flexibilité relative des procédures et les capacités prospectives et réactives de l’entreprise. Pour
Adriana BURLEA SCHIOPOIU et Pascal BERNARDON, l’agilité accélère l’entrée dans l’économie de
la relation et de la contribution. Selon Laurent CHOAIN, l’agilité permet de compenser le danger inhé-
rent à l’alignement stratégique.

David DESTOC insiste sur le mode agile comportemental. Jean-Yves DUYCK s’interroge sur la perti-
nence et l’efficacité de l’agilité. Corinne FORASACCO associe le développement de l’agilité au déve-
loppement de nouvelles approches de formation.
Jean-Michel GARRIGUES souligne les défis liés au big data. Alexandre GUILLARD présente les
composantes clefs de l’agilité chez COVEA. Bernard GUILLON met en relation veille agile et risque
concurrentiel. Pour Kevin JOHNSON, le mode collaboratif, l’apprentissage expérientiel et les tech-
nologies digitales s’allient dans une optique de développement de capacités à changer durables et
collectives. Michel JORAS propose le concept d’intelligence agile dans un cybermonde. Selon Hubert
LANDIER, les mutations constantes de l’environnement, amènent l’entreprise à favoriser les circuits
de décision courts et à valoriser la prise de risque à tous les niveaux. Jean-Pierre LE CAM présente les

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REGARDS CROISÉS

ateliers participatifs digitaux qui doivent faciliter un management participatif, agile et digital. Nathalie
MONTARGOT insiste sur les liens entre agilité et résistance au changement.
Selon Jean-Michel MOUTOT, l’hyper volatilité du business et la maîtrise de la compétence digitale
rendent incontournable l’agilité managériale. Yvon PESQUEUX s’interroge sur la mise à l’épreuve de
l’agilité en ouvrant la question de son fondement.
Vincent PINLOCHE revient sur les principes fondamentaux de l’agilité : anticipation, coopération et
innovation. Pierre PIRE-LECHALARD et Delphine VAN HOOREBEKE insistent sur l’état d’esprit
« agile » à adopter. Pour Patrick PLEIN, travailler en mode agile implique un mode de management
basé sur la maximisation des interrelations entre les membres d’une équipe. Peggy LOUPPE présente
le coaching d’organisation comme une réponse particulièrement cohérente à la gestion de projets en
mode agile. Hervé SAINT-AUBERT insiste sur le principe de décision itératif. Selon Xavier SAVIGNY,
les entreprises agiles ont une gouvernance visionnaire, une culture d’entreprise forte et favorisent l’em-
powerment. Anne-Marie de VAIVRE s’intéresse aux nouveaux défis de la GPEC face à l’agilité. Pour
Zahir YANAT, le mode agile est une circulation entre l’ordre et le désordre.
Quelques convictions se dégagent de l’ensemble de ces trente regards, au-delà de leur diversité. Les
entreprises attendent des talents une capacité décisionnelle et d’action élevée dans les situations nou-
velles et urgentes. Il s’agit d’agilité face à des évènements exogènes. Les comportements valorisés
par l’organisation dans un contexte dynamique sont le développement de nouvelles compétences, la
créativité, le savoir interagir avec autrui, l’adaptation à de nouveaux contextes. Ces comportements
agiles sont considérés comme cruciaux dans l’atteinte des objectifs organisationnels. Développer les
comportements agiles conditionne la compétitivité des entreprises. Il est donc essentiel de connaître
les facteurs qui les déterminent pour pouvoir les favoriser. Le comportement agile implique :
- une capacité à s’ajuster facilement et rapidement à de nouveaux événements et à prendre des déci-
sions malgré l’incertitude et l’ambiguïté inhérentes à ces situations ;
- une capacité de réaction pour éviter un danger, une situation de crise, ou traiter une urgence de façon
appropriée ;
- une capacité à trouver des solutions et à développer des approches créatives face à des situations
atypiques ou complexes ;
- une capacité proactive vis-à-vis de leur développement personnel ;
- une capacité d’ajustement des comportements interpersonnels et interculturels ;
- une capacité à travailler dans des environnements difficiles ;
- une capacité à avoir des comportements extra-rôle.
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108 / Question(s) de Management ? / N° 10 / Septembre 2015 © Éditions EMS


L’agilité au service de la performance soutenable
David ALIS, Professeur, Université de Rennes 1, IGR-IAE de Rennes, CREM CNRS
Pascale GENTIL, Directrice des ressources humaines, animatrice au sein du réseau GERME
Qu’est-ce que l’agilité ? Comme développer son agilité dans un monde en mouvement ? Pourquoi
l’agilité est-elle devenue si importante ? Définissons d’abord l’agilité. L’agilité modifie le paradigme de
l’adaptation au changement. En effet, les stratégies d’entreprise face au changement, ont consisté à
l’anticiper, le maîtriser et l’accompagner. L’agilité est différente : elle consiste «à faire différemment »,
c’est-à-dire, « à ne plus manager l’incertitude engendrée par les changements mais à l’épouser, l’englo-
ber et s’organiser pour elle. » selon Nijssen et Paauwe (2012). L’agilité est donc la traduction d’un
changement de paradigme où l’incertitude et le changement ne sont plus des contraintes exogènes
auxquelles l’organisme tente de réagir mais des opportunités issues de la synergie entre environne-
ment extérieur et capacités internes. Comment développer l’agilité d’une organisation ? Le modèle de
référence des capacités dynamiques de Teece (2007) pour développer l’innovation et la performance
dans un environnement incertain propose trois étapes clés :
1) être capable de lire le marché (« sensing »), c’est-à-dire coupler analyse et intuition, sentir le marché
en sollicitant la R&D, les fournisseurs, les besoins et innovations des clients.
2) être capable de saisir les opportunités (« seizing »), c’est-à-dire sélectionner les modèles d’affaires,
et favoriser l’engagement et la loyauté des parties prenantes.
3) être capable de reconfigurer en continu aussi bien les actifs tangibles et intangibles de l’entreprise
(mode de gouvernance, mécanismes de prise de décision, management des connaissances…) dans
le cadre de dynamique collaborative.
Pourquoi est-ce si important de développer les capacités dynamiques et l’agilité ? Au début des
années 90, les crises et ruptures économiques ont renforcé de besoin d’innovation, de créativité, et de
réactivité tout en favorisant une dégradation des conditions du travail liée à l’intensification. La notion
d’agilité vise à favoriser un modèle soutenable en contexte incertain : les pratiques agiles, fondées sur
l’interaction et l’échange social répondent à une double finalité de développement de la performance
et du bien-être au travail des collaborateurs. Le développement des capacités dynamiques favorise les
pratiques agiles basées sur les mécanismes de communication, de facilitation, de gestion collective et
de collaboration avec les clients. Ces valeurs de performance et de bien-être sont par exemple au cœur
du « manifeste pour l’agilité » développé dans le secteur informatique. Aujourd’hui, les organisations
publiques et privées ont intérêt à gagner en agilité dans un monde en mouvement et à développer ces
capacités dynamiques nécessaires. Leur survie et leur développement soutenable en dépend.
RÉFÉRENCES
Nijssen M., Paauwe J., « HRM In Turbulent Times : how to achieve organizationnal agility ? » in The International Journal of
Human Resource Management, Vol 23, n° 16, September 2012 : 3315-3335.
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Teece D.J. « Explicating dynamic capability: the nature and micro foundations of (sustainable) enterprise performance », Stra-
tegic Management. Journal., 28: 1319–1350 (2007).

Demain est déjà un autre monde …


Eric BACHELLEREAU, Directeur adjoint des Ressources Humaines Groupe, Veolia
Ce n’est pas que dans le processus ou la méthode que se situe le secret du mode agile, mais dans ce
qui l’entoure, et en particulier dans l’anticipation des besoins en prenant en compte les évolutions de
l’environnement et des utilisateurs finaux plutôt que les outils qui les soutiennent. Cette anticipation
nécessite une vision claire des attendus, une gouvernance adaptée pour faire évoluer les systèmes
et les organisations, une exemplarité du management dans la mise en œuvre de politiques Core-Flex,
des processus partagés et construits avec les personnes concernées, des ressources suffisantes pour
aboutir, et enfin des plans d’action itératifs et incrémentaux. Le mode agile est à l’opposé des schémas
didactiques classiques de type enseignant-enseigné, il fait exploser les statuts et les hiérarchies, et per-
met d’aborder tout type de projet dès lors qu’on est dans le respect de l’autre, la pédagogie et la trans-
parence. Il s’inscrit dans la société d’aujourd’hui, ou les systèmes sont ouverts au profit de concepts
souples, évolutifs, combinés. Les jeunes générations sont déjà multitâches, polyvalentes, protéiformes
et en attente de modes innovants et de projets agiles dans lesquels elles se sentiront impliquées.
Demain est déjà un autre monde, de large autonomie, d’implication et de missions partagées.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 / 109


REGARDS CROISÉS

Conduite du changement ou co-construction du changement en


mode agile ?
Céline BAREIL, Professeure titulaire, CETO, Pôle Santé, HEC Montréal
Le mode agile inspiré de la gestion de projets se transfère graduellement au management et à la
conduite du changement. Pourtant, ce courant nouveau est loin d’être isolé et sans conséquence. En
fait, j’ai souvent eu l’impression que les boites à outils en conduite/gestion/pilotage/accompagnement
du changement, qui sont principalement utilisées par les spécialistes pour ensuite être transférées
aux cadres, ont trop souvent pour but d’imposer le point de vue d’un promoteur ou de la direction
à un ensemble d’employés. Par toutes sortes de moyens, on tente de communiquer, convaincre et
faire adhérer le personnel aux nouveaux comportements prescrits. Le mode agile apporte une toute
autre philosophie : celle du « faire avec », de la co-construction du changement au fur et à mesure qu’il
se dessine. Autissier et Moutot (2015) parlent ainsi de cycles de pilotage et d’ateliers participatifs où
enfin (!) les destinataires/bénéficiaires et parties prenantes/communautés peuvent réellement collabo-
rer, expérimenter, tester, innover et inventer les comportements les plus appropriés pour répondre à
un objectif stratégique et aux bénéfices du changement. Le mode agile apparait au même moment où
l’approche plus dialogique du développement organisationnel (mettant l’emphase sur le dialogue plutôt
que sur l’approche plus traditionnelle de résolution de problèmes) avec des outils tels que la recherche
du futur (Future Search) pointe le nez et que la psychologie positive marque sa place en changement
comme par exemple avec l’enquête/démarche appréciative où le changement se construit « avec » les
membres de l’organisation. Le rôle de la direction en tant que stratège et le rôle de tous les acteurs en
tant que co-créateurs de l’organisation deviendront des incontournables pour créer des organisations
flexibles et performantes dans un environnement sans cesse turbulent.
Autissier, D., Moutot, J.-M. (2015). Le changement agile. Paris : Dunod.

Un regard « agile » pour réussir l’innovation


Laïla BENRAISS-NOAILLES et Dhiba LHAJJI, Maîtres de conférences, IAE, Université
de Bordeaux
Les entreprises évoluent dans un marché caractérisé par une diversité des offres technologiques,
une instabilité de la demande et une réduction des délais de mise sur le marché. Parallèlement,
le numérique est en train de transformer la façon d’échanger avec le client, la façon de travailler,
d’innover et même de manager. Les médias sociaux et collaboratifs ont transformé les pratiques
de management, avec des échanges plus intenses, plus fluides et une mobilisation de l’intelligence
collective pour partager les connaissances et être plus efficace pour… innover. Les entreprises s’ins-
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pirent ainsi, de plus en plus, des approches « agile » pour innover dans leurs pratiques managériales :
elles favorisent l’apprentissage collectif et la co-création. Ceci exige des organisations de se mettre
dans un état d’esprit d’apprentissage permanent. L’appropriation de cette nouvelle culture, passe par
la formation et l’adaptation permanente au contexte. Elle se nourrit de la créativité des personnes :
il s’agit là d’une innovation « agile ». Celle-ci se diffuse à toutes les strates de l’organisation, décloi-
sonnant, créant de la proximité et fédérant toutes les ressources de l’entreprise. Plus concrètement,
le management peut devenir innovant par la mise en place d’une méthode de type scrum (la mêlée,
au rugby), qui se définit comme une méthode d’organisation pour développer, notamment en infor-
matique, des produits complexes.
Les méthodes « agiles » sont particulièrement adaptées au monde du digital où la rapidité d’exécu-
tion, en temps réel, et l’adaptation au changement sont des facteurs compétitifs clés. Temps réel et
Web 2.0, riment avec dialogue continu avec les différents publics (clients, équipes virtuelles géogra-
phiquement éloignées…), intégration continue des feedbacks des utilisateurs, adaptation constante
des objectifs et des stratégies de l’organisation. L’agilité, qui place l’utilisateur au cœur de sa métho-
dologie, privilégie l’opérationnel sur la documentation, favorise l’échange et la collaboration avec
l’écosystème et prône la réactivité permanente plutôt que le suivi strict d’un plan, prend tout son
sens dans ce contexte. Plusieurs entreprises comme Amazon, Apple, Microsoft, Google, IBM et bien
d’autres remettent sans cesse en cause leurs modèles de fonctionnement de façon à proposer de
nouveaux produits, repousser leurs limites et offrir des services et produits innovants.

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Ces entreprises mobilisent des équipes agiles à haute performance en animant des communautés en
ligne pour co-créer en temps réel et toujours veiller à satisfaire le client. Dans cet environnement de
plus en plus digitalisé, les cycles d’innovation sont désormais ultrarapides, avec un extrême raccour-
cissement des délais de mise sur le marché (par exemple, l’iPad a été produit en plusieurs versions
depuis sa sortie). Contrairement à des cycles projet plus traditionnels, la prise de risques, l’incertitude
et les changements ne sont plus craints mais intégrés au processus, et envisagés comme de nou-
velles opportunités de progrès. En somme, les processus « agile » exploitent le changement pour
donner un avantage compétitif au client grâce à un mix « coûts maîtrisés-valeur créée ».

Le mode agile, une tendance lourde du management pour les


entreprises performantes?
Mireille BLAESS, DRH OCP
L’évolution des technologies et la connectivité immédiate à travers le monde ont profondément modi-
fié les modes de relations. Rapidité voire instantanéité des réponses, accès rapide à de l’information,
à de la connaissance accélèrent la vie au sein des entreprises. Dans le même temps, ces mêmes
entreprises deviennent plus mondiales, globales. Elles sont de fait soumises soit par leur actionnariat
ou d’autres parties prenantes à des processus iso, des règles SOX ou de compliance qui rythment
les modes opératoires dans l’organisation. Ceci crée des formes d’automatismes systématiques de
régulation des entreprises. Ces dernières sont sur des rails de fonctionnement pour délivrer une per-
formance optimale. Cette performance de l’entreprise nécessite de plus en plus la bonne exécution
à tous les niveaux de ces modes opératoires. Loin de l’agilité direz-vous ! Et pourtant c’est parce que
les fonctionnements sont de plus en plus normés que l’agilité de l’organisation devient essentielle.
C’est la différence, la capacité à réagir plus vite, qui deviennent clé. Les approches lean management
ont raccourci aussi la ligne hiérarchique. Plus courte, plus flexible plus agile. Alors que les processus
précédemment évoqués parcellisent et renvoient à un « Taylor des temps modernes ! », c’est dans
le même temps un mouvement inverse qui s’opère remettant l’humain au cœur du dispositif. Car
quand les automatismes sont à leur comble, c’est la différence opérée par les individus qui va faire la
différence. Un espoir pour le XXIe siècle ?

Mode agile et amélioration continue progressent ensemble


et se nourrissent mutuellement
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Roland BONNEPART, Directeur SNCF des TER HN et BN de 2008 à fin 2014
SNCF développe apprenance et excellence opérationnelle dans plusieurs business units. Lean et
learn avancent de pair. Depuis 2009, la BU TER Hte Normandie (CA : 100 ME) a initialisé des réseaux
apprenants inter-métiers, centrés sur la satisfaction client et l’efficacité. Confiance, droit à l’erreur,
lâcher prise, autonomie, responsabilité, construction collectivité, se concrétisent dans des dizaines
de groupes, qui vivent et se renouvellent. La hiérarchie se positionne en appui. Le comité de direction
de la BU prend une posture de sponsor, ouvert et facilitant : il fait confiance et aide. Les résultats de
l’intelligence collective sont au rendez-vous et dans la durée : 1er TER de France en ponctualité des
trains et en satisfaction clients en 2011 et 2012, et toujours dans le trio de tête depuis 2010, cette BU
a, dans la durée, un résultat économique net supérieur à l’objectif. La satisfaction des 1 000 collabo-
rateurs est en progrès continu dans le baromètre annuel. Ils prennent des initiatives, co-construisent,
se réalisent et sont plus heureux au travail. Les ruptures les plus fortes : la CONFIANCE. Le mana-
ger qui passe de la position d’autorité à celui de faciliteur et même de coach. Le CODIR qui devient
ressource et sponsor. Une triple exigence : accepter de se donner du temps (on ne fait pas pousser
l’herbe en tirant dessus), avoir une gouvernance adaptée et des hiérarchiques sponsors, et ne pas
donner de contre signes ou revenir en arrière : la confiance est à ce prix : elle ne se construit que pas
à pas.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 / 111


REGARDS CROISÉS

Manœuvrer dans le labyrinthe de la complexité, une contribution


ariostesque au changement agile ?
Maria Giuseppina BRUNA, ISTEC Paris, Chaire « Management & Diversité » de l’Université
Paris-Dauphine
Face à un environnement macro-économique et géopolitique de plus en plus instable, le modèle de
l’agilité se configure comme une posture stratégique reflétant une vision renouvelée de l’entreprise,
de sa vocation et de son rôle dans l’écosystème. Ainsi inspire-t-il et alimente-t-il des modes d’orga-
nisation originaux, cherchant à alléger la lourdeur des structures et la rigidité des routines (reliquats
d’une pensée taylorienne ou d’une conception bureaucratique du monde) au profit de la légèreté et
de la porosité des réseaux, à dépasser le formalisme du contrôle a priori au profit d’un modèle d’auto-
nomie et de responsabilisation des salariés, à rejeter une pratique autocratique, aristocratique ou
oligopolistique du pouvoir au profit d’une praxis managériale plus démocratique, partenariale et par-
ticipative. Visant à libérer les acteurs au travail, le modèle de l’agilité propose de dépasser le fixisme
des modèles descendants au profil de solutions plus souples, contextualisées, ajustées aux réalités
de terrain et aux faits de conjoncture. Prônant une mise en réseaux des salariés sur des bases plu-
rielles, parallèles et souvent éphémères (fonctionnelles, thématiques, sectorielles, géographiques,
affinitaires…), il plaide en faveur d’une horizontalité vivante comme mode privilégié de coordination
au travail. Stimulus à la co-opération (dynamique d’échange d’informations, d’appuis techniques et
de soutien collaboratif) et au partage des savoirs (processus consultatifs), la gouvernance réticulaire
(organisation en réseau) favorise une socialisation professionnelle élargie, à même de conjuguer
« moment communautaire » et « logique complémentaire », « solidarité organique » et « solidarité
mécanique ».
Laboratoire d’un nouveau modèle de management, antichambre d’une révolution organisationnelle
en cours, le développement des employees’ networks accouche de nouveaux mécanismes d’inte-
raction, de dotation de sens et de création de valeur (économique et sociale) et se fait prélude
d’une fluidification des interactions au travail. A l’encontre de routines lithiques et d’une efferves-
cence permanente (tendant paradoxalement à provoquer une « routine des modes »), le modèle
de l’agilité pousse les collaborateurs à se déployer en réseau, à se faire « intrapreneurs créatifs »,
ambassadeurs du changement et gestionnaires avisés de leur propre carrière. En découle un mou-
vement transformationnel au tracé non-linéaire : souvent haché, il est itératif et récursif. Ce qui est
rendu nécessaire par un environnement de plus en plus turbulent, de plus en plus multidimensionnel,
connecté et interdépendant. A la manière d’un roseau dont la souplesse permet de mieux résister
aux vents et donc de durer, une organisation doit ériger l’agilité à propriété stratégique. Inassimilable
à l’agitation et irréductible aux ajustements tacticiens et opérationnels, la notion d’agilité invite à
repenser la triangulation entre l’évolutivité contrainte des normes, la flexibilité relative des process
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et les capacités prospectives (anticipation et proactivité) et réactives de l’entreprise. Contre le ballet
carnavalesque des éphémères, la pantomime du superficiel, la ronde des nouveautés et la baccha-
nale des modes managériales, le modèle du changement agile se doit de contempler les limites de
l’agilité. Autrement dit, analyser les tensions entre « l’adaptabilité » (valeur de l’homme moderne et
a fortiori post-moderne) et les risques de « la trahison » (de soi, des autres, des valeurs, du sens...)
inhérents à un changement incessant. Nous retrouvons là la sagesse de l’Arioste qui, dans une autre
ère de chamboulements (géopolitiques, socio-économiques et culturels), incitait ses contemporains
à accepter le soir de l’univers chevaleresque et à accueillir avec lucidité l’aube d’un monde nouveau,
aux promesses multiples.

Leçon d’humanisme qui, pour mieux émanciper l’homme des doctrines d’autorité, des totems d’ordre
et du carcan des statuts, appelait à faire preuve de souplesse, d’esprit et de ruse, à manœuvrer entre
les contraintes, à naviguer entre les contradictions, à se défaire de certains usages et de certaines
convenances, sans pour autant perdre le cap. Et, en poursuivant sa voie, par des chemins gondolés,
hachés et incertains, à s’accommoder du labyrinthe de la complexité.

112 / Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 © Éditions EMS


Le mode agile : un défi ou une conséquence de l’évolution technologique ?
Adriana BURLEA SCHIOPOIU, Professeur, Université de Craiova, Roumanie
Pascal BERNARDON, Expert en organisation collaborative et gestion des savoirs
Le mode agile apporte une souplesse dans la réalisation d’une œuvre collective. Il favorise les
comportements collaboratifs et modifie les relations entre les parties prenantes quel que soit le niveau
hiérarchique. Le mode agile constitue une innovation en management et en changement à deux niveaux :
- Au niveau des employées qui connaissent l’objectif à atteindre parce qu’il est clairement défini et
partagé par toute l’équipe. En conséquence, les étapes du processus sont généralement courtes et se
terminent par une réalisation immédiatement opérationnelle et les contributions des employées sont
clairement identifiables et mesurables, ce qui favorise la performance.
- Au niveau du management, parce que le manager doit agir en coach plus qu’en responsable
hiérarchique. La démarche agile implique une organisation et une évaluation des tâches et des acteurs
différentes. Elle impacte également les unités d’œuvre et les livrables de la réalisation.
Les changements ne s’improvisent pas, l’agilité se construit par la prise en compte du contexte et de la
culture de la communauté concernée.
Les méthodes agiles connues apportent un cadre et l’accompagnent au changement des postures
des acteurs qui favorise l’appropriation de cette nouvelle façon d’appréhender et de réaliser une
œuvre collective. Nous sommes rentrés dans l’économie de la relation et de la contribution. Ces deux
évolutions majeures sont favorisées par l’apport des technologies. Le connectivisme, la serendipidite
et la synchronicité amplifient les comportements stigmergiques. Les nouveaux usages (UBER, AIRB’N
B, BLABLACAR, etc.) mis en œuvre par des nouveaux acteurs du marché modifient en profondeur les
processus métiers. Les méthodes traditionnelles ne sont plus adaptées dans cette révolution en marche,
l’agilité n’est pas un effet de mode, c’est un changement de modèle inéluctable, durable pour les années
à venir. L’agilité nous fait prendre conscience d’une voie différente, pragmatique et adaptée aux besoins
exprimés par les clients. Elle replace le client au centre du processus et engage les fournisseurs de
services dans une démarche de conception itérative répondant aux évolutions des besoins en quasi
temps réel.

Le fil à plomb et la mêlée


Laurent CHOAIN, DRH Groupe Mazars
Chaque époque économique est caractérisée par des concepts d’organisation qui à la fois reflètent assez
sincèrement sa dynamique mais servent aussi sa légende, comme celle de quelques entreprises ou
industries emblématiques. La grande industrie dominante de la fin du XXe siècle et du début du XXIe, c’est
l’industrie du software et des technologies de l’information. Son ère est passée mais nous vivons encore
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sur deux concepts dominants qui en sont issus – celui d’alignement et celui d’agilité, deux frères enne-
mis. L’alignement stratégique et l’agilité constituent ce que Hamel et Prahalad ou Takeuchi et Nonaka
popularisèrent au début des années 90 sous le nom de « capacités dynamiques » de l’entreprise, c’est-
à-dire en termes simples l’aptitude acquise d’une organisation à maximiser l’utilisation de ses ressources
et compétences clefs. Par exemple, Mazars a depuis 1995 développé une compétence unique dans son
industrie à intégrer de nouvelles practices de conseil ou d’audit dans un modèle coopératif mondial ne
reposant pas sur le paiement d’un « goodwill » aux associés de ces practices. Une boucle d’apprentis-
sage vertueuse s’est développée au fur et à mesure de ces intégrations, des associés – comptables de
formation – sont devenus spécialistes de la négociation et de l’intégration en environnement multiculturel,
un système mondial de rémunération équitable et d’évaluation approfondie et régulière des carrières des
partners s’est affiné. Pour reprendre une image chère à Gérard Garouste, l’alignement et l’agilité consti-
tuent le dialogue entre « le classique et l’indien » qui cohabitent dans toute organisation comme dans
tout individu. L’alignement – le « fil à plomb » – l’a d’abord emporté, mécanisant et processant trop des
organisations confrontées à des ruptures technologiques et commerciales nombreuses et éphémères.
L’agilité est le concept miroir qui permet de compenser le danger inhérent à l’alignement stratégique – à
savoir que l’organisation devienne sa propre finalité. L’une des méthodes les plus connues issues du
« Manifeste de l’Agilité » s’appelle SCRUM – la mêlée en rugby ; ce furieux désordre apparent répond
pourtant à quelques règles complexes connues de ses meilleurs acteurs, et c’est ce qui fait que l’agilité
est une capacité dynamique que doivent acquérir les organisations modernes.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 / 113


REGARDS CROISÉS

Le mode agile : effet de mode ou équation pérenne ?


David DESTOC, Président-fondateur d’Oasys Mobilisation
Pourquoi cette nouvelle thématique de l’agilité ? Dans un environnement où montent en puissance la
complexité, les interdépendances et l’incertitude, les entreprises cherchent des approches autres que
les méthodes traditionnelles d’accompagnement des transformations qui marquent leurs limites. Le
mode agile est donc en plein essor et particulièrement depuis le début des années 90. Quatre grandes
phases peuvent illustrer cette évolution et se superposer : • 1995 - L’agile manufacturing : « adapter
la production » ; • 1997 - L’organisation ou l’entreprise agile : « adapter son organisation » ; • 2001 -
Méthodes agiles : « développer juste » ; • 2007 - « L’agilité collective : « mieux agir ensemble ».
L’aboutissement de ces évolutions, nous amène à associer ensemble l’agilité stratégique, opération-
nelle, organisationnelle et comportementale. C’est cette dernière dimension du mode agile qui nous
intéresse particulièrement pour parler de mode agile en situation de management des changements
permanents. En effet, ce mode agile basé sur les postures et comportements managériaux peut se
définir par la capacité à bouger, à manœuvrer avec la bonne intensité, au bon moment, et de manière
coordonnées tant en interne qu’en externe. De façon générale ce mode agile « comportemental » met
en avant la culture intégrée du changement pour cesser de manager de façon mécaniste le change-
ment.
A partir des travaux de Jérôme Barrand, l’agilité comportementale est donc un équilibre bien dosé entre
nos capacités d’anticipation, de coopération et d’innovation au service de la prise d’initiatives adaptées
au contexte et aux changements. Cette « philosophie de l’agilité » repose sur l’activation de leviers à la
fois rationnels et mais aussi relationnels et intuitifs. Cette équation de l’agilité comportementale peut
se résumer de la façon suivante : Mode agile = Anticipation + Coopération + Innovation.
• Anticipation : prévoir + planifier + intégrer des scénarios alternatifs et considérer les conséquences
de ses décisions et actes,
• Coopération : travailler ensemble (interne et externe) avec fluidité pour une satisfaction réciproque et
une finalité commune,
• Innovation : Etre ouvert aux idées nouvelles et bouger à bon escient juste ce qu’il faut.
En résumé et conclusion, être en mode agile, au-delà des techniques et outils, c’est avant tout être en
situation de penser l’organisation et analyser les relations afin de les rendre fluides et efficaces en fonc-
tion du sens partagé. Avec ce partage du sens, les équipes et leurs managers peuvent ainsi se mobiliser
de manière efficace et coordonnée grâce à ces postures d’anticipation, de coopération et d’innovation.

L’entreprise agile : de la métaphore corporelle à la métaphore spiri-


tuelle
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Jean-Yves DUYCK, Professeur émérite, Université de la Rochelle
En ces temps d’environnement complexe, incertain et turbulent, l’entreprise se doit d’être agile (1).
Pourtant, seul le lapin était agile, les danseurs et les gymnastes aussi, certaines grenouilles sont agiles
(dites aussi pisseuses), les Gilles étaient bruxellois, mais pas forcément agiles vu les costumes qu’ils
portent. L’entreprise peut-elle être aussi agile ? Ou bien habile ? Ou encore les deux à la fois. L’entité
firme peut-elle se comporter comme un humain et la métaphore est-elle adaptée ? En tout cas, elle
est souvent adoptée. Intelligente, réactive, souple, amoureuse (pour le travail), agile aussi pour « coa-
cher » une équipe et pour les développements informatiques, elle n’est encore pas leste, mais on ne
l’envisage ni gauche, ni lente, ni lourde. La métaphore corporelle et/ou spirituelle est à l’évidence à la
mode. Cette courte réflexion montre avant tout que le terme fait l’objet d’un engouement qui ne signi-
fie pas forcément une innovation. La racine grecque elaphros associe agile avec rapide, et légèreté.
N’y aurait-il pas là un abus de langage ? Et l’agilité tient-elle autant ses promesses que cela ? Car à y
regarder de près, jamais le PIB par heure travaillée n’a été aussi élevé en France et même supérieur à
l’Allemagne, les coûts unitaires de main d’œuvre identiques à ceux de notre voisin (OCDE, 2015). Pour
autant le suicide apparait en France comme une des premières causes de mortalité au travail (INRS,
2015) parfois qualifiées avec cynisme de « mode » par ses dirigeants (Horn et Tarnero, Les Temps
Modernes, n°656, 2009) et près de 22 % des salariés se déclarent subir un comportement hostile
dans ce cadre (Dares, Analyses, juin 2014, n°44). Y-a-t-il alors autant de légèreté et d’agilité que cela ?

114 / Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 © Éditions EMS


L’usage régulier voire excessif de ce terme ne constitue-t-il pas une simple incantation, un credo idéo-
logique, un hymne à la légèreté qui reste à démontrer. Car au fond, c’est moins le mot lui-même
qui apparait important (agile, habile, leste, etc.) que sa sacralisation, qui, symboliquement permet une
renaissance (celle des valeurs de l’entreprise), et aussi d’installer l’organisation autour d’un nouveau
rituel, lui-même représentatif d’un acte de foi, ou, si l’on préfère d’une forme de cosmogonie (Eliade,
Le sacré et le profane, 1965, Folio).

1 Agile : qui manifeste de la promptitude et de l’aisance dans ses mouvements (Trésor de la langue française informa-
tisé, CNRS).

L’entreprise apprenante comme mode de « développement agile »


Corinne FORASACCO, Fondatrice d’Alma Alter Consulting, Coach et Enseignant Chercheur
Sont associés à la transformation des organisations, des enjeux forts de renforcement à la fois de la
compétence et de l’engagement des collaborateurs. Seule une action de transformation continue des per-
sonnes peut apporter une réelle capacité d’adaptation et de changement agile. L’entreprise se positionne
ainsi comme le creuset d’un nouveau mode de « développement agile ». Une impérative évolution des
objectifs des structures de développement du talent : Nourris des théories des organisations apprenantes,
se développent les « Learning & Development ». Se distinguant de lieux de formation traditionnels, ils
se donnent le challenge plus ambitieux de mobiliser savoir, savoir-faire et savoir être des collaborateurs
voire de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise pour non seulement produire de l’excellence
opérationnelle mais aussi donner du sens et mettre en mouvement permanent ces mêmes organisa-
tions. Leur action vise à couvrir le plus grand nombre et à produire un effet de levier s’adressant aux per-
sonnes comme aux structures. Une traduction en termes de modalités pédagogiques : Une nécessaire
réactivité trouve une première réponse dans l’intégration de la formation multimodale. Celle-ci est une
tendance lourde cheminant selon des formes et rythmes variés au sein des entreprises. Se dessine aussi
d’ores et déjà au sein de grands groupes internationaux le « 70/20/10 »: 70 % de l’apprentissage issus
de challenges professionnels, 20 % de « social Learning » c’est-à-dire produit des d’interactions avec son
manager et ses pairs, au sein de communautés, et 10 % d’apprentissages formels. Pour plus d’agilité, la
formation n’est plus une succession d’évènements mais un process continu de découvertes, échanges,
entraînement, expérimentations dans le cadre opérationnel associé à une réflexion sur les changements
comportementaux. Emergent ainsi des « learningscapes » écosystèmes dans lequel les acteurs de l’en-
treprise se rencontrent, partagent, résolvent des problèmes, conceptualisent et formalisent des bonnes
pratiques, apprennent, enseignent, servent leurs clients, innovant et formant des communautés d’inté-
rêts au-delà même de l’organisation. Au cœur de ces nouvelles approches, l’apport du digital s’affirme
comme facilitateur d’organisations plus intelligentes et agiles.
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L’ondulation salvatrice
Jean-Michel GARRIGUES, DRH, BLB associés
Un ouragan arrache du sol l’entreprise – chêne, imputrescible, puissante, structurée, quand l’entreprise –
roseau plie, joue, souffre, mais ne rompt point. Métaphore parfaite d’une contrainte nouvelle : ou tu
t’adaptes, ou tu meurs. L’entreprise pérenne ne peut être un dinosaure ou un toltèque, dont les espèces
ou les civilisations ont disparu faute d’adaptation à de nouveaux contextes. Voici peu, encore, seuls des
prospectivistes fantasques auraient imaginé des systèmes d’information ouverts, des réseaux sociaux
internes, des modes d’organisation de travail distants, ou décalés, des structures de projets spontanées,
autonomes, en coopération compétitive, et pointe déjà l’exercice partagé, alternatif et simultané du lea-
dership dans une même équipe. Pourtant, non seulement le mouvement est immuable, mais il est aussi
irréversible. Aucune entreprise n’aura le choix, les grands groupes s’en trouvent déjà impactés, et leur
environnement économique suit le mouvement, y compris les PME sous-traitantes ou partenaires de pro-
jets. Ainsi, l’urgence du moment est de tenter d’appréhender les enjeux du big data pour les ressources
humaines : on recrute des visibilités (réseaux sociaux, conférences, publications), on se forme tout le
temps et partout, on mouline des données pour optimiser cet intarissable flux d’informations, on crée des
reportings en temps réel, des prévisions constamment réajustées. Et que prévoir pour demain, puisque
90 % des données mondiales n’existaient pas voici deux ans seulement ?…

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REGARDS CROISÉS

L’agilité des organisations et des systèmes d’information : une


affaire de personnes !
Alexandre GUILLARD, Direction du développement de l’intelligence collective COVEA
Pour faire face aux mutations des marchés, le mode command and control ne fonctionne plus. Le secteur
de l’assurance n’échappe pas à cette tendance avec l’irruption du digital et le renforcement des exigences
du client. Une partie de la bataille se joue actuellement sur le terrain des systèmes d’information. Techno-
logies et usages sont désormais largement intriqués, si bien que la capacité à combiner les deux pour dé-
velopper rapidement de nouveaux services et parvenir au fameux « enchantement » du client devient cri-
tique. Pour les Directions des Systèmes d’Information (DSI), cela représente un sérieux défi pour être au
rendez-vous des exigences des utilisateurs et de la vitesse d’innovation et d’exécution que cela requiert.
A l’instar de l’organisation pyramidale, la gestion de projet classique montre ses limites. C’est une des
raisons qui a conduit en 2001 à l’émergence aux méthodes dite agiles qui se sont constituées en réaction
pour aborder différemment le développement de logiciels. Elles ont connu ensuite un vif engouement et
ont été adoptées par la plupart des DSI des grands groupes notamment ceux des services financiers. Mal-
gré leur succès, ces méthodes n’ont pas véritablement remplacé les méthodes classiques et ne consti-
tue pas encore un paradigme alternatif. Expérimentées par de nombreuses grandes organisations, ces
applications ont encore une portée limitée et les résultats obtenus ne se sont pas montrés suffisamment
convaincants pour que leur usage se généralise. Pourquoi cette situation au moment où le thème de
l’agilité est devenu omniprésent dans les stratégies des DSI ? Une des hypothèses que nous proposons
est la même qui expliquerait pourquoi l’adoption de démarche Lean reste souvent limitées : une applica-
tion mécanique, court-termiste et financière ne voyant pas que la véritable transformation n’est pas dans
les méthodes, les outils, les processus mais avant tout dans les personnes et l’état d’esprit. A l’instar du
fameux Toyota Production System (et de son inspirateur l’ingénieur Taichi Ohno), il est essentiel de revenir
aux intentions des fondateurs du « Manifeste pour le développement Agile de logiciels » qui affirmaient :
« Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils, des logiciels opérationnels plus
qu’une documentation exhaustive, la collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle,
L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan ». Chez Covea, nous partageons une même
conviction en mettant la qualité relationnelle et l’engagement des personnes, des équipes, y compris
avec nos clients sociétaires, comme une des composantes clefs de l’agilité. Notre hypothèse, c’est que
l’innovation ne doit pas être seulement technologique mais également managériale, même si elle est plus
complexe à mettre en œuvre. Il nous a été permis d’investir depuis plusieurs années dans des démarches
comme le codéveloppement, l’amélioration continue apprenante, les démarches collaborative,... qui pour-
suivent une visée commune qui est de contribuer à développer la capacité à apprendre à apprendre au
service de l’agilité et l’ouverture. En clair, nous estimons que la principale ressource est la personne, avec
sa souplesse, sa capacité d’apprentissage et de remise en cause. Songeons à une équipe de football :
son agilité, c’est sa capacité à faire face en permanence aux situations du match et à renouveler en
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permanence son style de jeu individuel et collectif. L’agilité se travaille et se développe individuellement
chez chaque joueur. Mais, de cette réunion d’individualités émerge une propriété collective qui dès lors
échappe à chacun d’eux. Aussi, pour développer l’agilité collective, est-il nécessaire que chacune de ses
composantes admette d’apprendre en acceptant de lâcher la pleine maîtrise sur le tout. L’agilité est avant
tout une histoire de transformation identitaire.

Risque et agilité
Bernard GUILLON, Université de Pau et des pays de l’Adour, cofondateur et administrateur
du colloque francophone sur le risque ORIANE
Comme l’avait déjà montré Chalus-Sauvannet (2007) lorsqu’elle avait plaidé pour l’intégration des prin-
cipes de vigilance en vue de contenir le risque, la notion d’agilité a été récemment reprise, notamment
par Duizabo (2014) en vue de définir le rapport entre la veille agile et le risque concurrentiel. Rien d’éton-
nant à ce qu’on la retrouve dans le domaine de l’entrepreneuriat (toujours en 2014) à la suite de travaux
intéressants sur le comportement organisationnel (2011). Plus généralement l’étude du risque a permis
de mettre en valeur la réactivité liée au concept d’agilité et ses conséquences sur le comportement orga-
nisationnel : à l’exemple du travail de Raytcheva et de Tournois (2008) portant sur les anticipations et les
scénarios envisageables dans le secteur bancaire, de Hetet et de Moutot (2012) à propos des réactions

116 / Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 © Éditions EMS


mais aussi des anticipations des consommateurs lorsque se produit ou peut être envisagé une innova-
tion (innovation produit ou innovation de services), de Baret (2011) sur les objectifs choisis en matière
de modération des risques environnementaux et donc d’anticipation des problèmes écologiques, sans
oublier Belet et Schäfer (2014) concernant les manières de favoriser la compréhension pour ne pas dire
la pédagogie des risques en se fondant sur les interrelations avec la RSE au sein d’objectifs spécifiques
à la formation.
Baret P. (2011), « Implémenter une stratégie de gestion des risques environnementaux », Revue français de gestion industrielle,
vol. 30, n° 2, p. 17-30.
Belet D. & Schäfer P. (2014), « Favoriser la démarche de RSE dans les PME par une pédagogie des risques et des opportunités »,
Cognitiques, n° 14, p. 23-42.
Chalus-Sauvanet M.C. (2007), « Amélioration de la gestion des risques par l?intégration de la vigilance dans le système déci-
sionnel », dans Guillon B. (dir.), Risque : formalisations et applications pour les organisations, Paris, L’Harmattan, coll. Recherche
en gestion.
Duizabo M. (2014), « Contenir le risque concurrentiel avec une veille agile », Documentaliste-Sciences de l’Information, vol. 51,
n° 3, p. 57.
Hetet B. & Moutot J.P. (2012), « Le risque de l’implicite sur l’acceptation d’une innovation et sur l’attitude envers la marque : une
recherche exploratoire », Management et avenir, n° 57, novembre, p. 177-194.
Raytcheva S. & Tournois N. (2008), « L’impact des attitudes individuelles à l’égard du risque sur le comportement des banquiers
français et bulgares », Management et sciences sociales, n° 5.

Le mode Agile, ou le développement de capacités organisationnelles


à l’intersection du changement durable et des approches
expérientielles et collaboratives
Kevin J. JOHNSON, Professeur, HEC Montréal
Deux grandes tendances se sont bien installées à travers les différents domaines de la gestion et
du management. Le développement durable devient intrinsèque à la réflexion stratégique suite aux
constats quant à l’épuisement ou au non-renouvellement des ressources. L’effet de présence et l’ « ex-
périence optimale » (Csikszentmihalyi, 2004) s’insèrent au cœur des interventions tactiques d’appren-
tissage, d’innovation et de marketing par les approches expérientielles. Sommes-nous enfin mûrs pour
une perspective durable de la conduite des changements ? Où la conduite des projets place l’expé-
rience et le présent au sein de modalités managériales expérientielle et présentielles, où le changé
apprend et évolue dans un état d’agent quant à l’objet de changement ? Le mode agile s’impose non
seulement comme une nouvelle innovation managériale dans nos marchés, mais comme une réponse
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adaptative des systèmes qui doivent toujours devenir plus efficients dans un contexte d’épuisement
des ressources. Un saut important est perceptible dans l’actualisation tant attendue des modes de
conduite des changements. La promesse d’efficience demeure la même au fil des évolutions, mais
les moyens rassemblés sont plus complexes et systémiques afin de répondre à des environnements
qui le sont tout autant. La planification des changements devient moins théorique, mais co-construite.
L’intelligence collective est enfin identifiée comme une ressource majeure à la performance, et les
techniques nécessaires sont disponibles à son essor. Le mode collaboratif, l’apprentissage expérien-
tiel et les technologies digitales s’allient dans une optique de développement de capacités à changer
durables et collectives.

Sautez et faites sauter les murs des rigidités !


Michel JORAS, Enseignant-chercheur HDR, vice-Président de l’Académie de l’Ethique et de
l’IAS
Mon premier regard est celui d’un témoin vivant de l’inutilité prétentieuse de la ligne Maginot (j’avais
10 ans) du mur de l’Atlantique, du mur de Berlin et des murs Schengen, contournés ou détruits par l’agi-
lité de leurs opposants. Mon deuxième regard est celui d’un cadre dynamique des « trente glorieuses »

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 / 117


REGARDS CROISÉS

témoin de l’effondrement des systèmes barbares du XXe siècle (nazisme, soviétique, mao, colonia-
lisme..), de l’affadissement des institutions post-démocratiques (Etat, églises, syndicats, partis…) et
l’épuisement des vieilles industries (textiles, métallurgie..). Mon troisième regard est celui, depuis
1990 d’un enseignant universitaire qui constate avec étonnement que les injonctions d’une GRH
axée sur l’Etat providence, les exigences du développement durable, de la RSE, d’une éthique de
l’intégrité, butent sur les murs et plafonds du vieux monde… Le croisement de ces trois regards
m’amène à reconnaître qu’une nouvelle génération de WEB entrepreneurs( Google, Amazon, Micro-
soft, Uber…) et de jeunes greek/ start up, hors du champ de la vielle économie et fort de l’unité des
temps et espaces, construit les fondations d’un système cybermonde encore « volatile, incertain,
complexe , ambiguë » aux yeux des rigides conservateurs et intégristes, mais promesse espérée
d’une Croissance inclusive (OCDE 2014) et d’une écologie intégrale (François, juin 15), fruit de l’indis-
pensable INTELLIGENCE AGILE de la communauté humaine…

De l’entreprise pachydermique à l’entreprise agile


Hubert LANDIER, Ph. D. Professeur associé, PROPEDIA, Groupe IGS
Je ne sais pas ce que c’est qu’une « entreprise agile ». Je suppose qu’il s’agit d’une entreprise
capable de réagir rapidement et efficacement à l’évolution de son environnement économique, com-
mercial et technologique. L’idée d’agilité évoque la nécessité, pour certaines grandes entreprises,
de mettre fin à leurs lourdeurs bureaucratiques. Prenons un exemple. Un physicien connu conçoit
l’idée de mettre dans une même boîte (une « box », en anglais) un décodeur, un modem et plusieurs
autres ingrédients dont je ne me souviens plus afin de faciliter à l’utilisateur sa connexion Internet. Il
présente sa box à l’opérateur des télécoms leader sur le marché. On l’envoie balader. Aucun intérêt.
Il faudra que l’entreprise concurrente s’y mette pour qu’on s’intéresse enfin, et en urgence, à son
invention. Voilà ce que c’est que d’être dépourvu d’agilité. Pourquoi le petit mammifère agile l’a-t-il
emporté naguère sur le lourd diplodocus ? Parce que c’est un animal à sang chaud, capable d’agir
(vite) quand l’autre a tendance à s’engourdir. Parce que son métabolisme lui permet de se déplacer
le soir et la nuit. Et parce que la vision binoculaire lui permet alors de mieux voir dans la pénombre.
Dans un environnement incertain, imprévisible et en rapide changement, l’entreprise a besoin de
nyctalopes, de circuits de décision courts et d’une valorisation de la prise de risque à tous les niveaux.

Manager agile pour changer ensemble


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Jean-Pierre LE CAM, Directeur du centre de compétences management de projet et conduite
du changement
Le mode agile rompt avec les modes traditionnels d’animation des équipes ou des projets. La gestion
traditionnelle du cycle du changement par les méthodes dites prédictives, en « V », ou « instrumen-
tées », ont constitué des modalités éprouvées de déploiement du changement. Mais elle bénéficiait
d’un écosystème relativement « simple » et « rodé » en terme de changement : contexte concur-
rentiel balisé, stratégies produit/process/SI construites « en central », déploiement « local » au sein
d’organisations stables, culture « maison » forte et assez homogène. La « donne » a complètement
changé dans un monde devenu complexe, ouvert à de nouveaux concurrents, de nouveaux outils di-
gitaux disruptifs, et de nouvelles cultures générationnelles ou géographiques. Le mode agile permet
de faire travailler ensemble le local et le central, les différentes cultures, à la fois sur la mise en œuvre
du changement et sur l’objet du changement lui-même. Comme cela est fait à la Société Générale, la
démarche peut s’appuyer sur des ateliers participatifs digitaux (« eWorkshops ») afin de faire « vivre
le changement », de faciliter un management participatif, agile et digital. En mettant le management
dans une situation de co-construction avec les équipes, le mode agile répond à une aspiration très
forte des collaborateurs, ce qui explique son développement rapide. Il permet une adhésion forte, ce
qui en fait un levier performant de changement durable.

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Les voies de la confiance et de la reconnaissance pour réellement
favoriser l’agilité
Nathalie MONTARGOT, Professeur associé, Groupe Sup de Co La Rochelle (France), LR-ReM
Le mode agile, porté par un usage intensif des nouvelles technologies, est intervenu au début des
années 90 dans un contexte économique hétérogène et turbulent. Depuis, la recherche d’innovation
permanente, le travail en mode projet et une motivation rationnelle des Ressources Humaines s’éloi-
gnant à marche forcée du modèle taylorien. Il serait toutefois illusoire de croire que l’agilité se décrète,
vient d’en haut et s’inscrit sans heurt à la suite d’un modèle rationaliste vieillissant. Deux écueils me
semblent tout particulièrement à éviter. Tout d’abord si l’agilité permet de générer de la richesse et
d’utiliser au mieux les compétences individuelles et collectives, il faut tenir compte du phénomène clas-
sique résistance au changement. Comment des hiérarchies existantes fondées encore sur un modèle
top-down peuvent-elles favoriser l’agilité si elles-mêmes se sentent en danger ? De plus, le rapport à
l’espace et au temps s’étant radicalement modifié, les travailleurs s’ils sont hyper-connectés et infor-
més (ou surinformés) en temps réel dans leur vie privée se trouvent souvent confrontés à un cloison-
nement informationnel de la part des hiérarchies. Or, le partage d’information est une richesse qu’il
convient de faire émerger et développer. En conséquence, un encadrement, en position de « marginal-
sécant » doit pouvoir sans crainte jouer le jeu de l’agilité. De nouvelles pratiques de collaboration et de
communication, fondées sur la confiance et la reconnaissance, sont me semble-t-il encore à trouver.

Le management agile, une obligation de survie


Jean-Michel MOUTOT, Professeur à Audencia, titulaire de la chaire ERDF
Le management agile est en passe de devenir une obligation de survie pour les entreprises. Il y a
encore quelques années, le débat entre management directif et participatif faisait rage ; ce débat est
largement révolu. Les organisations doivent modifier structurellement leurs modalités managériales
pour aller vers davantage de participatif et d’agilité, faute de quoi, elles sont condamnées pour au moins
2 raisons exogènes. La première menace qui place sur les entreprises et les oblige à modifier leurs
modes de management est celle de l’hyper volatilité du business. Jamais la capacité à prédire l’avenir
n’a été aussi faible pour les entreprises ; les défaillances de clients ou de fournisseurs sont omnipré-
sentes ; les ruptures d’habitude des clients sont toujours plus fréquentes. Chaque jour des pans entiers
de la déjà ancienne économie basculent sous la force de ce qu’on appelle aujourd’hui l’uberisation de
l’économie, c’est à dire un mélange de bascule de la propriété vers l’usage et de plateformes de ser-
vice permettant un partage et une capacité quasi-infinie, de manière quasi instantanée. Or, qui capte
le mieux ces nouvelles tendances ? C’est sans aucun doute au plus près du client, sur le terrain que
ces signaux faibles doivent être captés, là-même où l’on ne prend plus le temps d’aller questionner les
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gens… La seconde, largement liée, est celle de la maîtrise de la compétence digitale, qui loin d’être
centralisée, est particulièrement éparse dans l’entreprise et souvent au bas de l’échelle. Seul moyen
alors pour capter la valeur de ces compétences : les écouter… Le management participatif n’est plus un
choix, il est devenu une obligation pour libérer la parole à tous les niveaux de l’entreprise et permettre
l’agilité… L’adaptation organisationnelle et managériale suivra alors naturellement. L’agilité managériale
sera alors réalité.

Les métaphores de l’organisation agile


Yvon PESQUEUX, Professeur titulaire de la Chaire “ Développement des Systèmes
d’Organisation ” du CNAM
La question de l’organisation agile s’inscrit d’abord avant tout dans la série des métaphores sympa-
thiques. Comme métaphore, elle pose la question de son contenu : - En quoi une organisation pourrait-
elle être agile et donc en quoi cette métaphore se différencie-t-elle de ses « sœurs »: l’organisation
flexible, l’organisation réactive et, plus généralement, d’un modèle organisationnel du changement ?
Au regard de ces trois références, il est quand même difficile d’établir clairement une distinction
entre la métaphore de l’agilité et les éléments qui viennent d’être rappelés, un modèle du change-
ment organisationnel possédant d’ailleurs une solidité mise à l’épreuve depuis plusieurs décennies.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 / 119


REGARDS CROISÉS

L’agilité ne tiendrait alors que d’un point de vue rhétorique et surtout chronologique dans la mesure
où elle apparaît après les deux premières. - D’un point de vue chronologique, l’agilité peut-elle être
considérée comme le signe du développement d’une organisation digitale et, à ce titre, la métaphore
recouvrirait l’idée d’une intégration des possibilités ouvertes par l’usage contemporain des TIC comme
généralisation des différentes modalités du « e » (e-commerce, e-GRH, e-organisation, etc.), prélude
d’un mode d’organisation alors. - S’agit d’une reconfiguration du management de projet venant fusion-
ner management DE projet et management PAR projet à l’âge des TIC ? Et cette intégration des deux
versants du management de projet peut-il alors être considéré comme une innovation organisation-
nelle ? - L’agilité peut-elle enfin être considérée comme une métaphore de l’indéfinissable « perfor-
mance durable », justement parce que cette notion est indéfinissable. Il s’agirait alors d’une sorte de
glissement conceptuel dont la solidité dans le temps devra être mise à l’épreuve en ouvrant la question
de son fondement non pas comme UN mode organisationnel mais comme UNE mode organisation-
nelle (comme il y en a eu tant d’autres !).

Agilité : mode, tendance ou réalité ?


Vincent PINLOCHE, Manager Accompagnateur, ESSEC MA
Agilité, un mot qui fleure bon dans le monde des entreprises. En d’autres termes, comment rendre
souple un corps constitué qui répond à des normes, à une organisation existante ? Lorsque je suis
une start-up, la notion de « test & learn » est dans son ADN. Lorsque je suis une entreprise sortant
du monde de l’industrie (cycle long de production) et qui rentre de plain-pied dans l’univers du service,
dans l’excellence au service rendu, je me dois d’inventer une nouvelle manière de réfléchir, d’agir, de
vivre pour satisfaire le client tout en étant innovant, voire « immovant » comme le dirait Jérôme Barthe-
lemy. Mais ce mot « agilité », est-il si récent, Jack Welch, ex-président de G.E. ordonnait à l’ensemble
des collaborateurs l’impérieuse et absolue nécessité d’une réelle libre circulation des idées intra et
interentreprises. Cette libre circulation aura un effet extrêmement positif sur la performance de cette
entreprise. Ou l’agilité est-elle liée à un profil dit « Agile » créé par Jérôme Barrand qui lie trois principes
fondamentaux : anticipation, coopération et innovation. Qu’importe les tendances, les modes ou les
concepts, l’entreprise doit répondre aux besoins de ses clients, mettre en place une stratégie sociale
ad hoc pour que ses collaborateurs vivent dans un climat social serein afin de faire émerger une envie
individuelle et collective pour développer une qualité de la performance.

L’agilité, une question de principe


Pierre PIRE-LECHALARD, Enseignant-chercheur, ESC Clermont
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et Delphine VAN HOOREBEKE, MCF HDR, IAE de Toulon
La crise si elle a eu une qualité, c’est celle d’avoir révélé des organisations aux rouages grippés et en
total décalage avec leur marché. Face à la complexité et au mouvement perpétuel de l’environnement
qu’il soit économique ou naturel, face au paradoxe de l’avènement de l’individualisme libéral et d’un
besoin d’interdépendance toujours plus vivant, les organisations et leur membres, managers et colla-
borateurs, se trouvent dépourvus et imprégnés d’une incertitude pesante. Les structures organisation-
nelles héritées de la fin du XIXe siècle et des Trente glorieuses, milles fois revisitées, se fissurent de
toutes parts, se fracassent sur le mur d’une nouvelle réalité, d’un monde en constante instabilité. Aussi,
les organisations du XXIe siècle doivent se munire de nouveaux modèles tels que celui de l’ « Agilité »
avancé par Goldman, Preiss, Nagel et Dove dès 1991 auprès du congrès états-unien. Il s’agit d’un
modèle qui a pour objectif la reconfiguration permanente, l’innovation ordinaire constante et rapide, et
qui s’appuie sur l’intelligence de tous (du bas de la pyramide à la haute sphère managériale) et sur le
travail participatif et collaboratif pour y parvenir. C’est un modèle dominé par la flexibilité, la simplicité
et la réactivité (voir la proactivité) et qui permet l’épanouissement d’une structure organisationnelle
allégée. Mais n’allons pas croire qu’il existe un ideal-type Weberien, une configuration clé en main de
l’organisation ou du management agile ! Il y a avant tout un état d’esprit « agile » à adopter, éclairant
le manager en direction de la réinvention du travail et de l’entreprise. Si depuis plus de 20 ans, l’agilité
organisationnelle intéresse les chercheurs et praticiens en management et gestion, il n’en demeure pas
moins, que bien des questions restent en suspend et offrent un large éventail d’investigations.

120 / Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 © Éditions EMS


Quand le management devient Manag-il-ement !
Patrick PLEIN, Directeur digital working et Academy VINCI chez VINCI
Nous vivons une révolution : l’explosion des technologies et l’évolution de nos comportements bou-
leversent considérablement et durablement nos environnements professionnels, avec une rapidité
impressionnante, transformant par ailleurs en profondeur nos façons de travailler. Dans ce contexte, le
mode agile devient le facteur clé de succès. Orienté prioritairement autour de la satisfaction du besoin,
il se caractérise par la simplicité, la réactivité, l’adaptation permanente et l’amélioration continue, la
construction de la solution par itération successive. Conséquence : la révolution devient managériale.
Tous les fondamentaux traditionnels sont remis en cause. Travailler en mode agile implique en effet un
mode de management basé sur la maximisation des interrelations entre les membres d’une équipe afin
de développer la capacité collective de celle-ci. Créer les conditions de l’agilité des esprits, c’est-à-dire
impulser une culture du changement, pousser à l’autonomie, motiver, faciliter, faire confiance, voilà ce
qui va être désormais demandé au manager. Ainsi, il ne devient plus responsable de l’organisation et
de l’affectation des activités pour atteindre un objectif mais des conditions de création de l’efficacité
collective de son équipe. Le vrai manager de demain est celui qu’on ne verra pas, ce sont le niveau
de savoir-faire et de qualité relationnelle de son équipe qui sera la véritable mesure de sa performance
managériale.

Le mode agile est en fait pour une grande part la traduction du Lean
Management dans la gestion de projets
Peggy LOUPPE, Directrice Transformation Digitale Interne - Performance Métiers et
Expérience Collaborateur, SNCF
En ce sens, on pourrait penser qu’il ne constitue pas une innovation majeure. Mais il porte aussi un
message et un principe clef, à savoir de mettre au centre l’utilisateur, les relations, et plus globalement
l’humain. De ce point de vue, le mode agile est une innovation, surtout dans les grandes entreprises,
qui avaient pour la plupart mis le Lean management au goût des organisations hiérarchiques et pyrami-
dales, et oublié largement dans leur déploiement le sujet des postures managériales et de l’humain, se
centrant avant tout sur les outils. Le mode agile, enfin, privilégie la recherche de l’intelligence collective,
en rassemblant des populations de profils et de compétences différents sur un même objectif. Par
ailleurs, l’accompagnement du changement agile a trouvé également des traductions très innovantes
dans le monde de l’entreprise. Aujourd’hui, en effet, le coaching d’organisation est une réponse particu-
lièrement cohérente à la gestion de projets en mode agile. Combinant à plusieurs niveaux d’une même
entité du coaching collectif, du coaching d’équipe, du codéveloppement ou du coaching individuel, il
porte dans ses fondements les principes du mode agile : utilisateur au centre (ceux qui bénéficient
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du coaching, ceux qui font, sont ceux qui savent le mieux quelles solutions leur conviennent), logique
essai-erreur (le test et l’expérimentation par petits pas propres au coaching et démultipliés dans le
cadre d’un coaching d’organisation), etc. Tous ces éléments favorisent l’engagement des salariés, et
l’expérimentation de ces nouvelles méthodes montrent d’ailleurs de ce point de vue des résultats inté-
ressants. Nous rappelant simplement que lorsque l’on se donne les moyens d’aller chercher l’énergie
de 10 personnes, elle sera toujours plus impactante que celle, même très volontariste, d’une seule
personne manageant ces 10 autres mais se privant de leur envie et de leur créativité.

Le cercle vertueux du processus de décision agile


Hervé SAINT-AUBERT, Associé Coaching et Consulting international
Le mode agile en gestion des transformations se concrétise notamment par un processus de décision
itératif positionné au plus proche des problèmes et des acteurs concernés. Dans la complexité et les
incertitudes, la capacité à prendre des décisions rapidement, dont les conséquences en réalité éclairent
cette complexité, est une bonne pratique. La condition de réussite est de savoir adapter, modifier la
décision quand cela est nécessaire au regard des changements qu’elle provoque. C’est également
d’accepter le droit à l‘erreur comme faisant partie intégrante du processus. A titre d’exemple, dans une
transformation, une décision d’investissement sera structurée en plusieurs phases avec des étapes de

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 / 121


REGARDS CROISÉS

« stop or adapt » en fonction de l’évolution des marchés et du positionnement des concurrents. In


fine le montant de l’investissement pourra être plus élevé par rapport à l’approche classique mais la
capacité d’adaptation permettra un meilleur retour sur investissement. La gestion des risques sera en
effet mieux maîtrisée. Cette approche a d’ailleurs inspiré le lean start up dans la conception des offres.
L’imprévisibilité de l’environnement ne permet plus la prise de décision du type technocratique, c’est à
dire totalement analysée et top down. Le principe de décision itératif est un processus clé qui crée de la
performance. Ainsi le droit à l’erreur n’est plus seulement un principe humaniste mais une vraie source
de création de valeur. Les entreprises qui refusent ce principe créent de l’inertie et vont à l’encontre du
mode agile.

Au 21e siècle, l’entreprise sera agile ou ne sera plus


Xavier SAVIGNY, Executive Vice President - Group Human Resources, Bureau VERITAS
100 ans. Bien peu d’entreprises ont atteint cet âge vénérable. Toutes ont survécu aux mutations ma-
jeures du siècle dernier, qui a abouti à la société de consommation mondialisée que nous connaissons.
Sans prétendre à l’exhaustivité, gageons qu’au cours de cette période toutes ces entreprises ont chan-
gé, et à plusieurs reprises, de géographie, de marché, d’organisation et /ou d’activité…Qu’en sera-t-il
au 21e siècle ? Nous vivons une accélération technologique sans précédent associée à une réduction
drastique de la prédictibilité. D’ores et déjà, des grands noms de la fin du 20e siècle ont disparu et la liste
des victimes s’allonge rapidement. Dans ces conditions, l’agilité, « définie comme la capacité d’une
organisation à mettre en œuvre des ajustements rapides et efficaces dans un environnement dyna-
mique sans pour autant procéder à des changements intenses et déstabilisants » prend alors tout son
sens. Les plus que centenaires en sont la preuve. Comment changer sans changer ? Tel est l’apparent
paradoxe auquel l’entreprise est confrontée. Les entreprises agiles y répondent par une gouvernance
visionnaire, par une culture d’entreprise forte et par l’empowerment de leurs salariés. Elles sont tout à
la fois capables de donner le cap et le plan de vol précis comme le font les plans stratégiques les mieux
élaborés tout en ajustant ce plan de vol en permanence en fonction des conditions météorologiques.
L’essentiel n’est-il pas d’arriver ? Au regard des bouleversements climatiques à venir, vous en conclurez
comme moi qu’au 21e siècle, l’entreprise sera agile ou ne sera plus.

Dans un monde du travail agile, quelle peut être la place de la


gestion prévisionnelle des compétences ?
Anne-Marie de VAIVRE, associée TITANE ITC WS, Vice-Présidente de l’IAS, Fondatrice du
Cercle Entreprises et Santé
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Dans un monde du travail devenu par nécessité plus agile, voire labile, quelle peut être la place de
la gestion prévisionnelle des compétences ? Uberisation galopante de l’économie, mondialisation,
développement du numérique, accélération des fonctionnements par chantiers/projets/produits… : le
contrat de travail « classique » comme le management et la relation hiérarchique traditionnelle tendent
à s’affaiblir (au Royaume Uni, le statut de free-lance commence à devenir majoritaire), au profit de
CDD ou de contrats de prestations qui assurent plus de souplesse pour les employeurs, et appellent
plus d’agilité de la part des travailleurs. Dans un rythme de travail fait d’accélération des processus et
d’extension des chantiers et projets éphémères, quelle peut être la place et l’efficacité d’une gestion
prévisionnelle des compétences ? La question est d’autant plus sensible quand on regarde l’exemple
de l’Etat et de son Ministère de la Culture : aujourd’hui, le placard, obscur placard pourtant le plus
médiatisé de France, où se morfond l’ancienne présidente de l’INA, révoquée pour les motifs que
l’on connaît, est précisément étiqueté « gestion prévisionnelle des emplois et compétences ». On
peut s’interroger sur l’importance qu’accorde ce ministère à cet enjeu crucial pour la compétitivité de
demain et le développement des personnes. Surtout lorsque l’on sait que c’est précisément le Minis-
tère de la Culture qui a aussi en charge les quelques 110 000 intermittents du spectacle, un mode
de travail devenu préfigurant… A un moment où les prospectivistes, dont Jacques Attali, prévoient
pour demain un fonctionnement et un statut croissant d’« intermittents du travail », il y a urgence à
repenser profondément la gestion prévisionnelle des compétences, pour ne pas laisser les individus et
les organisations jouer leur avenir à la loterie, ou au seul flair !

122 / Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 © Éditions EMS


Le mode agile : entre ordre et désordre
Zahir YANAT, Professeur Senior HDR à KEDGE B S, Président d’honneur de l’IAS
L’interrogation sur « le mode agile » est constitutive de la sociologie du lien social, des rapports sociaux
et du management. Notre comportement au quotidien ne peut pas faire l’économie des contraintes de
l’environnement quand bien même ces contraintes pourraient être transformées en opportunités. En
sociologie Emile Durkheim posait déjà la question de savoir « comment se fait-il que tout en devenant
plus autonome, l’individu dépend plus étroitement de la société ? ». En management le concept de la
régulation et de l’ordre rend bien compte du rapport de dépendance dans lequel l’individu se situe. Ce
qui fut nommé l’organisation scientifique du travail avait pour objectif l’efficacité de l’entreprise définie
comme « la somme des performances individuelles ». Aujourd’hui, l’organisation adhocratique permet
à l’individu de satisfaire à un besoin de créativité et d’innovation. Dans ce contexte, une politique d’em-
ployabilité permettrait au salarié une mobilité géographique ou fonctionnelle susceptible de favoriser
des parcours professionnels adaptés. Cet exemple nous montre que le droit du travail, outil de l’ordre,
peut aussi être outil de gestion flexible lorsqu’il offre l’opportunité au salarié de construire son projet
personnel et à l’employeur d’atteindre ses objectifs de performance collectives durables. Cet exemple
nous permettrait aisément de définir le mode agile comme une circulation entre l’ordre et le désordre,
pour parler comme Edgar Morin et à proposer, sans avoir à les vérifier ici, deux hypothèses :
- Adopter et vivre d’un point de vue opérationnel une démarche humaniste dans le monde normatif de
la gestion du travail en entreprise, particulièrement en temps de crise.
- Concilier, d’un point de vue épistémologique, approche fonctionnaliste et approche compréhensive.
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