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Introduction
Depuis plusieurs décennies, d’importants enjeux se dessinent autour de la réduction des émissions
de gaz à
effet de serre (GES), de la production des déchets, de l’exploitation effrénée des ressources
naturelles ou encore
de la perte de la biodiversité. En effet, jusqu’à la fin du vingtième siècle, les sociétés industrielles ne
se sont
guère attelées à modifier leurs trajectoires de développement qui s’illustraient par des modes de
production et
ainsi accentué les pressions sur l’environnement et les territoires. À cet effet, le développement de
l’humanité,
construit autour d’un modèle d’économie linéaire (extraire-fabriquer-jeter), fait l’objet de critiques
croissantes,
La remise en cause des trajectoires de développement ayant prévalues des siècles durant, a
progressivement
l’impact environnemental des activités humaines. Ainsi, des chercheurs, des ingénieurs, des
entrepreneurs et
des acteurs publics, suggèrent depuis quatre décennies au moins, un paradigme économique et
industriel
intégrant de manière « tangible » des réponses durables aux enjeux contemporains de gestion
intégrée des
Dans ce contexte, l’écologie industrielle fait son apparition dans les années 1980, en se déclinant
comme une
(Beaurain & Varlet, 2014). Propulsée par les travaux de Frosh & Gallopogoulos (1989), elle trouve ses
fondements dans une analogie avec le fonctionnement de l’écosystème naturel (Allenby, 1992), en
mettant en
symbiose sur un territoire, différents acteurs notamment industriels pour limiter l’impact écologique
de leurs
activités productives (Cooper & Gutowski, 2017; Allenby, 2006 ; Ehrenfeld, 2004 ; Erkman, 1997).
Elle propose ainsi une rupture avec la conception linéaire du fonctionnement de la société
industrielle, par un
(Brullot et al., 2014 ; Erkman, 2004), et capable d’accompagner un développement territorial (Santos
& Magrini,
2018 ; Beaurain & Brullot, 2011 ; Deutz& Gibbs, 2008). Longtemps réduite à quelques sphères
d’activités et à
certains pays occidentaux, l’écologie industrielle a cependant connu, durant les deux dernières
décennies, une
émergence à l’échelle planétaire avec des démarches multiples construites par une pluralité
d’acteurs comme
des leviers de transition (Boons et al., 2015; Deutz et al., 2015; Graedel & Lifset, 2016).
Ces démarches s’appuient sur une mise en synergie des acteurs industriels pour la construction de
réseaux
éco-industriels dans une zone géographique donnée (Chertow, 2004; Côté & Hall, 1995; Gibbs &
Deutz, 2007),
ou plus largement sur la considération d’un ensemble des flux territoriaux autour d’un important
réseau d’acteurs 2
économiques ( Cerceau et al., 2018 ; Barles, 2014; Korhonen & Snakin, 2001; Mirata & Emtairah,
2005), sans
pour autant entraver les logiques de marché en termes de compétitivité économique et de gain
environnemental
(Hoffman et al., 2014; Jensen, Basson, & Leach, 2011 ; ElMasseh, 2018; Vallés, 2016).
L’industrie – prise dans le sens dans la production des biens d’équipements et la transformation de
matières
premières – reste objectivement le principal secteur d’application de l’écologie industrielle même s’il
existe des
démarches dans des secteurs d’activités tels que les services, l’agriculture et la sylviculture. Mais quoi
qu’il en
soit, l’écologie industrielle s’appuie sur la connaissance des flux disponibles et/ou circulant sur le
territoire à
travers un métabolisme industriel et/ou territorial (Wassenaar, 2015; Bahers et al., 2019). Il s’agit de
« l’analyse
des flux de matières et d’énergies sous-jacents aux activités économiques » (Barles, 2014) et la
capacité des
acteurs territoriaux à mettre en avant l’importance des interactions (Fischer‐Kowalski & Steinberger,
2011;
Parcerisas & Dupras, 2018), pour un fonctionnement circulaire de l’économie (Erkman, 2004;
Blomsma &
niveau des collectivités territoriales, à l’échelle des zones d’activités, notamment depuis l’adoption
de la loi sur
financiers par l’État. Il faut également souligner des expérimentations d’écologie industrielle
réalisées dans
différents secteurs d’activités et/ou zones industrielles depuis les années 1990, et au milieu des
années 2000
avec les agendas 21 locaux. Ces projets d’écologie industrielle mobilisent des acteurs territoriaux en
fonction
de raisons spécifiques, de diverses contraintes pour accéder à de nouvelles ressources, : réaliser des
économies de coûts, développer un apprentissage inter-organisationnel, etc. (Varlet, 2012; Fan et al.,
2017).
démarches plus anciennes du début des années 2000, dans la région industrielle de Sorel-Tracy et du
Parc
effet, sous l’impulsion du Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI), puis avec
Et tant au Québec qu’en France, indépendamment de leur échelle spatiale, ces démarches s’appuient
sur un
réseau d’acteurs souhaitant répondre à des objectifs environnementaux voire sociaux, et de
compétitivité
économique des entreprises participantes. Il apparait alors important de lever les possibles obstacles
d’efficacité
delà de son approche techniciste, l’écologie industrielle s’appuie sur d’importants facteurs
organisationnels et 3
sociaux permettant d’établir un réseau d’acteurs, et d’instaurer une cohésion au sein de celui-ci
(Moreau et al.,
2017; Mortensen & Kørnøv, 2019). À tel point qu’a émergé depuis les années 2000, une littérature
scientifique
dont l’objectif principal a été d’appréhender l’écologie industrielle comme un espace d’action
collective
action collective ne sont pas totalement élucidées (Beaurain & Brullot, 2011, Beaurain, Maillefert &
Varlet, 2017).
Comment l’écologie industrielle devient-elle alors une catégorie émergente de l’action collective
territorialisée?
Quels sont les fondements de cette action collective? Et quels possibles enseignements? Quels sont
les facteurs
Eu égard à ces interrogations, cette thèse propose une analyse de deux démarches d’écologie
industrielle et
territoriale en France et au Québec, pour dégager des enseignements autour des mécanismes de leur
déploiement, mais aussi dans la construction locale d’un public autour des échanges de flux. Ce
travail de
recherche s’articule autour de quatre éléments de discussions : les territoires, les acteurs, les flux, les
bénéfices.
Il renvoie à une réalité territorialisée d’application des principes de l’écologie industrielle suivant de
multiples
objectifs d’efficacité sociale, technico-économique, environnementale, etc. Cette application
territorialisée peut
s’explorer au travers de trois entrées principales : le potentiel des aires géographiques, les
interactions au sein
des réseaux d’acteurs, et les bénéfices économiques, environnementaux, sociaux voire culturels. La
thèse
propose donc une exploration du développement de l’écologie industrielle sous le prisme des
interactions entre
les parties prenantes, des modalités de gouvernance, des potentiels et des échanges de flux, mais
aussi de la
création de valeur. Elle aborde les projets d’écologie industrielle comme espace d’action collective.
Cette logique
collective suppose un espace au sein duquel une pluralité d’acteurs définit des objectifs communs,
des normes
À cet effet, cette réflexion mobilise différents outils qui, peuvent être catégorisés en trois niveaux :
ceux
permettant d’analyser le potentiel de flux de matières, ceux offrant la possibilité d’une analyse
sociotechnique
et de politiques publiques, et ceux qui s’intègrent dans une analyse de gouvernance, ou plus
précisément de
coordination des démarches. Elle est donc construite autour de la confrontation de différents
champs
disciplinaires des sciences humaines et sociales, afin de révéler les jeux d’acteurs, indispensables
pour
comprendre le fonctionnement des écosystèmes industriels de nos terrains d’études. Ainsi, afin de
réussir ce
travail de recherche, la théorie des proximités est mobilisée, car celle-ci propose une grille de lecture
pour
comprendre et/ou analyser les écosystèmes d’acteurs, intervenant dans la valorisation des
ressources
territoriales.
En effet, les travaux sur les agrégats de la géographie économique ayant permis d’étudier le
comportement des
acteurs (Boschma, 2004 ; Gilly & Torre, 2000 ; Pecquer & Zimmerman, 2004), mettent en avant
différentes
formes de proximités (Fillipi et al., 2018), pouvant être mobilisées pour analyser les modalités de
construction
et de gouvernance des démarches territoriales d’écologie industrielle (Kasmi, 2020; Velenturf &
Jensen, 2016;
Beaurain et al., 2017). Il s’agit d’une proximité géographique qui renvoie à une notion de distance
entre les
acteurs ; et de diverses formes de proximité non géographique qui s’intéressent, aux mécanismes
institutionnels,
géographique donné (Pecqueur & Zimmerman, 2004) ou non (Gallaud, 2018; 2020). Ces proximités
non
La mobilisation de la théorie des proximités se justifie à notre sens, par le fait que la mise en œuvre
de l’écologie
industrielle, ne se réduit pas à une proximité de nature géographique. Elle implique également une
proximité de
nature relationnelle, support des diverses interactions qui caractérisent l’action collective. L’analyse
des
interactions amène à considérer à la fois les relations inter-entreprises mais également celles entre
les
entreprises et les acteurs institutionnels représentatifs des espaces territoriaux. De plus, la théorie
des
institutionnelle, industrielle, géographique (et/ou régionale). Elle établit ainsi le lien entre différentes
disciplines
Par ailleurs, une analyse documentaire combinée à des entretiens auprès de répondants-clés de nos
terrains
de recherche, nous servent d’appuis pour réfléchir à une perception de l’écologie industrielle comme
phénomène social, qui émerge et/ou crée un espace d’action collective. Dans un premier temps,
cette réflexion
retrace des éléments clefs d’une analyse de contenu de documents de politiques publiques (lois,
arrêtés
ministériels, etc.), d’articles de presse et autres rapports d’activités relatifs à des démarches d’ÉIT en
France et
au Québec. Puis dans un second temps, des entretiens semi-dirigés auprès des porteurs de projet et
de parties
prenantes des démarches d’ÉIT dans la Municipalité régionale du Comté (MRC) de Kamouraska
(Québec), et
au Port Atlantique La Rochelle (France), aident à mettre en perspective les facteurs organisationnels,
sociaux
et techniques qui influencent les processus de mise en œuvre des projets. En troisième lieu, cette
étude s’appuie
aussi sur des données d’enquêtes par questionnaires, d’observations non participantes à des
réunions et des
groupes de travail.
Le choix de ces deux terrains de recherche se justifient en grande partie par la récence des deux
projets, qui
déploiement des projets d’écologie industrielle. Puis, les spécificités territoriales de ces deux terrains
(chapitres 5
4 et 5), répondent au postulat de départ de la thèse qui suppose que l’écologie industrielle se déploie
dans un
espace d’action collective, indépendamment des contextes. Par ailleurs, ces deux projets offrent des
perspectives intéressantes, permettant de penser cette thèse comme un outil d’aide à la décision au
cœur d’une
Pour analyser ces différentes informations recueillies, quelques indicateurs de logique collective des
projets
territoriaux définis par la grille des proximités ont été exploités. Ces indicateurs mettent en évidence
les acteurs,
les stratégies, les ressources et les interactions formelles et informelles dans le déploiement des
projets étudiés.
Notre grille d’analyse repose sur trois formes de proximités : géographique, institutionnelle et
relationnelle. Et
en nous appuyant sur les trois dimensions du cadre d’analyse, nous évoquons l’écologie industrielle
et
subie ou recherchée d’autre part. Puis, nous resituons l’écologie industrielle et territoriale en
fonction du rapport
des parties prenantes à la programmation publique institutionnelle d’une part, et en fonction de leur
positionnement plus technique ou plus politique d’autre part. Enfin, nous soulignons les leviers de
mobilisation
des acteurs qui sont de nature organisationnelle et sociale, en les articulant à des échelles micro ou
méso des
révèle les motivations poursuivies par les acteurs, mais aussi la nature des interactions entre les
individus et les
types de liens qu’elles conditionnent. Elle nous permet de postuler que les alliances qui ont une plus
grande
portée, en termes de durabilité et d’intensité, s’appuient sur des liens informels autant que formels.
Elle confirme
par ailleurs que les liens entre acteurs dépendent aussi du cadre institutionnel dans lequel ils
évoluent, c’est-à-
dire des représentations et des règles collectives et individuelles qui agissent sur les comportements
collectifs.
transition écologique, bien qu’elles abordent très peu les enjeux de sobriété dans la consommation
des
ressources et de l’énergie par exemple. Elles dépendent néanmoins de la mobilisation d’un réseau
d’acteurs
locaux dans une dynamique relationnelle et collaborative. Nos deux projets illustrent l’importance
d’une
mobilisation collective voire d’une planification stratégique territoriale autour d’un enjeu non moins
négligeable,
renvoient à une logique collective lue au travers de l’appartenance des acteurs à un espace productif
et/ou
territorial commun, à des capacités collectives de coordination, d’autorégulation et d’activation
progressive d’une
action publique locale. Cependant, ces projets révèlent des souverainetés locales, voire des normes
d’assurer le bon fonctionnement des systèmes socioéconomiques. Ils illustrent une forme de
centralité dans la gouvernance qui, pour le moment, fait peu de place à une participation collective
au suivi et à une prise de
décision concertée sur la démarche. Ces observations rendent complexe la vision d’une transition
écologique
qui dépasse la logique du « top-down » et se construisant par le bas. En effet, elles démontrent à plus
d’un titre,
que les normes hiérarchiques et verticales ont quelque peu été déplacées des paliers de
gouvernements
supérieurs vers des paliers intermédiaires à des échelles plus locales. Ainsi, l’écologie industrielle ne
saurait
(mesures coercitives et incitatives), dont la mise en œuvre requiert une appropriation collective, une
participation
accrue d’acteurs locaux capables d’en faire un objet « public » et de création de valeur territoriale.
En définitive, dans une approche d’analyse croisée et de mise en récit des démarches d’écologie
industrielle au
(Québec), cette thèse se fonde principalement sur une posture sociale et politique de l’écologie
industrielle
(Ehrenfeld, 2004; Boons & Howard-Grenville, 2009; Vermeulen, 2006; Moreau et al., 2017). Cette
perspective
apparaît opportune pour comprendre le fonctionnement des filières, qui renvoie à des
préoccupations
apprentissages collectifs dans les changements de paradigme. Autrement dit, cette thèse réaffirme
l’essentialité
des processus collectifs et de la co-création dans la transformation écologique de nos sociétés.
historique et théorique
Dans le monde, le développement industriel est marqué par l’adoption de nouvelles techniques et de
nouveaux
procédés pour l’exploitation des ressources naturelles (Hubert & Ikonnikova, 2011; Zhang, 2007), afin
d’accélérer les cycles de croissance (Cochet & Henry, 1999 ; Verley, 1997 ; Schumpeter1
, 1926). Ce
développement industriel a engendré un système technique qui suppose une cohérence entre les
formes
d’énergies, les matériaux, les techniques de transports et les grands pôles de consommation (Gille,
1979).
Cependant, l’industrie s’est longtemps construite au détriment d’une réelle considération des enjeux
environnementaux. En effet, l’exploitation des ressources naturelles a longtemps occulté les enjeux
d’épuisement des réserves disponibles, les cycles de renouvellement éventuels, le rejet massif de
polluants
sans traitement dans l’atmosphère, etc. (Crafts, 1986 ; Rousseau & Zuindeau, 2007 ; Vivien, 1994).
Pour répondre à cette insoutenabilité du système économique (Vivien, 2005), il est apparu opportun
d’identifier
différentes pistes de solutions capables d’établir une cohérence entre les préoccupations
économiques, et les
enjeux environnementaux et sociaux des sociétés modernes (Scarwell et al., 2015). Ainsi, dans le
dernier quart
du 20ème siècle, émerge la préoccupation de proposer une rupture et/ou un passage d’une
économie de
prédation à une économie de préservation et/ou de partage. Les objectifs, ici, sont d’optimiser
l’utilisation des
ressources nécessaires aux économies modernes, tout en limitant les pollutions, la perte de la
biodiversité, le
réchauffement climatique, etc. (Zelem, 2015). Au nombre des démarches capables de concilier ce
pratiques industrielles.
d’en saisir les enjeux conceptuels et de mise en œuvre. La première section retrace l’évolution
historique de
l’écologie industrielle et les défis de son institutionnalisation progressive dans le monde (I). La
deuxième section
souligne les enjeux théoriques et conceptuels qui émergent avec elle (II). La troisième section
propose une
les rapports entre firmes et territoires dans le déploiement de l’écologie industrielle (IV). Enfin, la
cinquième
section renvoie aux premières réflexions sur la capacité de l’écologie industrielle à générer de la
valeur (V).
1 Dans ses travaux sur la théorie de l’évolution économique, Schumpeter a insisté sur la nécessaire
transformation des facteurs naturels,
d’institutionnalisation
Apparue vers la fin des années 1980, sous l’impulsion d’ingénieurs américains pour faire écho aux
relations
envisagée comme une stratégie de rupture et/ou de dépassement des trajectoires linéaires des
systèmes de
production et de consommation. Elle se développe autour d’une mise en circularité des flux entre
firmes, des
rapports firmes-territoires, etc. Depuis, de nombreux projets ont émergé à l’échelle planétaire, avec
un certain
d’une circularité des flux, l’écologie industrielle apparait comme une pratique relativement ancienne
dont les
L’écologie industrielle est une pratique récente du management environnemental se fondant sur une
approche
systémique inspirée des écosystèmes naturels pour optimiser la gestion des flux de matières et
d’énergies, et
limiter des rejets de polluants dans l’atmosphère. Si elle a pris de l’ampleur vers la fin des années
1980 avec
les travaux de Frosh et Gallopogoulos, le concept n’est pas nouveau. Les origines conceptuelles de
l’écologie
industrielle sont nombreuses. Elles remontent aux travaux de certains écologues comme Eugène
Odum2 au
début des années 1950 sur l’écologie des écosystèmes (Erkman, 1997 ; Figuière & Chebbi, 2016). Par
ailleurs,
acteurs économiques existent depuis le 18e siècle (Chopra & Khanna, 2014 ; Desrochers & Leppälä,
2010 ;
Erkman, 2001).
Ces échanges s’inscrivaient pleinement dans une volonté de bouclage de flux de matières, de
restructuration
de l’activité économique, notamment agricole (Desrochers & Leppälä, 2010). Plus spécifiquement, les
premières
synthèse a offert de nombreuses opportunités pour la valorisation des résidus de matières tels que le
caoutchouc, le bois, et les tissus (Donate, 2014; Stoskpof & Lamard, 2010). De plus, les dynamiques
de co-
localisation de certaines entreprises sidérurgiques, dans les années 1700 et 1800, notamment en
Grande-
Bretagne et aux États-Unis, ont donné lieu à des pratiques industrielles basées sur les échanges de
flux de
matières, la mise en place de réseaux de chaleur, etc. (Appleton, 1929 ; Frey, 1929 ; Zierer, 1941). La
vitalité
2 Né en 1913, Eugene P. Odum fut un écologue américain, pionner de l’étude écologique des
écosystèmes. Il est considéré comme le
père de l’écologie moderne par ses travaux sur l’étude de la nature en termes d’écosystèmes, qui ont
fortement influencé le
de ces filières industrielles semblait étroitement liée à leur capacité à valoriser des résidus de
matières
disponibles à bon prix, sans occulter l’usage des matières premières neuves. Les avantages
économiques issus
de ces pratiques d’échanges de flux ont participé, plus précisément au milieu des années 1800, à la
Ainsi, au début des années 1900, de nombreuses économies d’agglomérations américaines, se sont
appuyées
sur des connexions locales entre industries de différents secteurs, mutuellement dépendantes, en
recourant à
l’utilisation des sous-produits des uns et des autres comme matières premières (Desrochers &
Leppälä, 2010).
On peut souligner la réutilisation des chiffons pour la production de papiers, des sous-produits de la
boucherie
pour la colle ou le savon, de la boue des rues pour fertiliser les terres agricoles, etc. Cette propension
à utiliser
des sous- produits ou des déchets permettait d’approvisionner une industrialisation et une
urbanisation avides
de matières premières (Barles, 2007). Cependant, les expérimentations restent limitées et peu
vulgarisées. Le
Introduite dans le champ scientifique par des travaux d’ingénierie, l’écologie industrielle renvoie
principalement,
dans les années 1980, au suivi des flux et des stocks de matières, en particulier ceux dont les cycles
sont
fortement influencés par les activités industrielles (Duchin & Hertwich, 2003). Il s’agissait de réduire
l’impact des
processus de production sur l’environnement, par une remise en cause de l’approche traditionnelle
de la
dépollution (end of pipe), qui est restée toutefois relativement isolée et limitée seulement à
quelques grandes
entreprises (Keoleian & Menerey, 1994 ; Sullivan & Ehrenfeld, 1992), et par conséquent insuffisante
(Erkman,
1997). En effet, « le système industriel est très gaspilleur de matériaux, et recycle très peu » (Ayres,
2004 : 427).
L’écologie industrielle émerge comme une stratégie capable de refonder et/ou de révolutionner le
rapport de
3 Cette préoccupation de la mesure des bénéfices liés à la mise en œuvre de l’écologie industrielle
reste d’actualité. Des indicateurs de
performance des synergies industrielles sont loin d’être stabilisés malgré l’abondante littérature
scientifique autour de la question.
13
En fondant la participation du secteur public sur une certaine proximité entre les deux approches de
circularité
des flux, on peut retracer l’évolution de nombreux dispositifs institutionnels dans le monde. Des pays
comme
l’Allemagne (1995), la Chine (2005) et la France (2015) ont ainsi légiféré autour des cadres
institutionnels
(coercitifs et incitatifs) pour des systèmes industriels qui minimisent la consommation de ressources
et la
production des déchets. Ces interventions publiques ont conduit de nombreux territoires à définir,
de manière
À l’instar des acteurs publics, de nombreuses structures autonomes se mettent en place pour œuvrer
au
2008). Cette démarche, qui est devenue la référence mondiale de l’application des principes de
l’écologie
industrielle (Beaurain, 2015 ; Varlet, 2012), a joué un rôle prépondérant dans le développement des
synergies
industrielles dans le monde. Cependant, les débats et les controverses demeurent autour de
l’écologie
industrielle, tant dans sa conceptualisation et son déploiement, que dans sa capacité réelle à
répondre aux
Après avoir présenté un aperçu historique et théorique de l’écologie industrielle, il apparaît pertinent
de
s’intéresser aux défis posés par la conceptualisation de l’écologie industrielle, en soulignant les
contributions et
les controverses de différents courants de pensée. Nous proposons ainsi une lecture des
confrontations
idéologiques entre l’analogie aux écosystèmes naturels (Allenby, 1992 ; Graedel & Allenby, 2010) et
celle d’une
métaphore reposant principalement sur le changement d’un modèle social dominant (Ehrenfeld,
2004 ; Hess,
2009). Cette analyse intègre aussi les déterminants théoriques de l’importance d’une dimension
territoriale
(Barles, 2017 ; Brullot, Junqua, & Zuindeau, 2017; Buclet, 2011; Cerceau et al., 2014; Korhonen, 2002)
et de
son appropriation politique (Moreau et al., 2017; Desrochers, 2001; Jiao & Boons, 2014; Korhonen et
al., 2004;
Newell & Cousins, 2014).
Notre réflexion s’inscrit ainsi dans une double posture normative (Boons & Roome, 2000 ; Korhonen,
2004,
2005) et pragmatiste (Beaurain & Varlet, 2014), qui ne limite pas l’écologie industrielle à une seule
approche
d’échanges de flux. Il sera donc question de revenir sur quelques principes fondateurs de l’écologie
industrielle,
7 La référence est davantage portée vers l’économie circulaire que sur l’écologie industrielle.
14
Née au cœur des réflexions sur les limites écologiques de la planète, l’écologie industrielle tente de
concrétiser
Elle repose sur une considération des flux de matières et d’énergies afin de définir une approche
globale du
système industriel (Ayres, 1989 ; Ayres & Ayres, 2002 ; Graedel & Allenby, 2010; Massari et al., 2016)
et de le
rendre compatible avec les écosystèmes naturels (Allenby, 1992 ; Barles, 2014 ; Brullot, Maillefert, &
Joubert,
Décrite à ses débuts comme « a new perspective on the future of the industrial system » (Erkman,
2001),
mise en parallèle des définitions proposées par différents auteurs, comme nous en présentons dans
le Tableau
1, permet de constater la diversité des regards posés sur notre objet d’étude.
Frosh & Gallopoulos (1989 : 144) Recognition that the traditional model of industrial activity in which
are spent catalysts from [… serve as the raw material for another
process.
maintained.
technological evolution.
16
l’environnement. »
Réal : Auteur
Cette pluralité de définitions de l’écologie industrielle souligne les divergences dans le milieu
académique tant
sur son contenu, que sur ses limites théoriques et conceptuelles. Il reste donc encore difficile
d’établir à partir
de quel moment une démarche peut réellement être considérée comme de l’écologie industrielle
(Allenby, 2006).
Ainsi, au fil des années et des expérimentations, l’écologie industrielle se concentre davantage sur le
bouclage
des flux (Beaurain & Chembessi, 2017), au détriment de ses autres principes fondateurs (Erkman,
2004; Tibbs,
1993).
En établissant un lien de cause à effet entre les activités industrielles (et leur production de déchets),
et
l’appauvrissement des ressources naturelles, l’écologie industrielle – telle que suggérée dans les
années 1980
– est presque intimement liée à la gestion et au bouclage des flux de matières (Brullot, 2009; Maltais-
Guilbault,
2011; Metereau & Figuière, 2014). Cette restriction du champ de l’écologie industrielle est en partie
reliée à
l’importance prises dans les expressions et les pratiques des notions de « métabolisme industriel » et
de «
symbiose industrielle »8 pour distinguer les potentiels flux disponibles dans un écosystème industriel
et leur
optimisation (Chertow, 2000 ; Erkman, 2004). Ces flux interentreprises concernent alors la
substitution de
matières par des déchets et résidus, le partage d’utilités telles que les flux d’eau, d’énergie, d’eaux
usées, le
partage de services en commun comme la collecte des déchets, les transports et achats de
marchandises. Mais
rend difficile une définition unanime. Par ailleurs, depuis les actes fondateurs portés par les
ingénieurs, entre la
fin des années 1980 et 1990, le champ de l’écologie industrielle évoluent suivant trois grands
moments, que l’on
peut associer à trois types majeurs de contribution (Metereau & Figuière, 2014) : les pionniers, les
libéraux et
8 La symbiose industrielle concerne les échanges de flux entre plusieurs entreprises. Elle s’établit à
partir du moment où les flux
dépassent les limites du seul process d’une entreprise pour engager une multitude de firmes.
durabilité