Amelia Gates Cassie Love Verite

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AMELIA GATES

CASSIE LOVE
T A B LE DE S M A T IÈ RE S

1. Elly
2. Elly
3. Retour au camp de vacances, 1er jour.
4. Elly
5. Elly
6. Elly
7. Retour au camp de vacances, 2ème jour.
8. Rhett
9. Elly
10. Elly
11. Retour au camp de vacances, 10ème jour.
12. Rhett
13. Elly
14. Elly
15. Retour au camp de vacances, 12ème jour.
16. Elly
17. Rhett
18. Elly
19. Elly
20. Elly
21. Rhett
22. Rhett
23. Retour au camp de vacances, 20ème jour.
24. Elly
25. Rhett
26. Elly
27. Rhett
28. Rhett
29. Elly
30. Retour au camp de vacances, 62ème jour.
31. Elly
Du même auteur
ELLY

CE ce que je m’imaginais retrouver après le camp de vacances.


N’EST PAS
D’accord, il fait beau. Ça pourrait être bien pire. Dès que je descends du bus, je
m’arrête sur le trottoir simplement pour le regarder. Mon nouveau lycée. Qui diable
déracine sa fille juste avant sa terminale et la lâche dans un environnement nouveau et
potentiellement dangereux ? Une mère fraîchement divorcée, voilà qui.
Je lui en veux pour ça. Je ne suis pas sûre de lui pardonner un jour, ni à mon père
d’ailleurs. Je sais qu’ils ont des problèmes… Je ne suis pas aveugle. Mais ils auraient pu
tenir un an de plus. Pourquoi est-ce que c’est moi qui dois payer pour leurs erreurs ?
Ma mère a déménagé et m’a entraînée avec elle pour une « nouvelle aventure »,
comme elle aime l’appeler. Je suis maintenant à deux villes de tous mes amis et des
personnes qui m’importent vraiment.
Le lycée a l’air correct. Un établissement typique de banlieue, avec des murs propres
et des jeunes au look BCBG qui se déplacent en troupeau avant la première sonnerie. Ils
me lancent tous des regards méchants – le genre qui dit : « tu n’es pas censée être ici,
sale croûte. » Je peux sentir au plus profond de moi que ça ne va pas être une expérience
plaisante.
Je porte mon sac à dos sur une épaule, ma main serrant la sangle rembourrée un peu
plus fort que d’habitude. Je suis nerveuse. Comment ne pas l’être ? Je suis en territoire
étranger et clairement hostile. J’ai dix-huit ans et je ne suis pas suffisamment
indépendante financièrement pour vivre seule, même si c’est précisément ce que
j’aimerais en ce moment. Ma mère pense que ça ira. Mon père n’a pas appelé depuis qu’il
est venu me chercher à la fin du camp de vacances. Fait amusant : peu après m’avoir
ramené à la maison, lui et ma mère m’ont fait m’asseoir et m’ont dit qu’ils allaient
divorcer. Les sales égoïstes…
C’est parfois vraiment difficile de les aimer. Ce n’est pas parce que je ne le veux pas,
mais parce qu’ils rendent tout tellement compliqué. Mon estomac se serre et je combats
l’envie pressante d’y poser ma main pour le calmer. J’ai sauté le petit-déjeuner ce matin
et j’ai fait le plein de café à la place. Je ne suis pas vraiment rebelle. Je n’étais tout
simplement pas en assez bons termes avec ma mère pour pivoter sur le tabouret de bar
et prétendre que tout allait bien en croquant dans ma tartine. Je commence à regretter
de ne pas avoir petit déjeuné. Mon ventre gargouille à nouveau. Merde, je tuerais pour
une gaufre, là, tout de suite.
Les autres élèves continuent de me lancer des regards blasés. Peut-être qu’une
pancarte « Danger Étranger » est plaquée sur mon front ? Je passe mes doigts dans mes
cheveux, heureuse qu’ils soient assez longs et roux pour détourner l’attention des demi-
lunes noires sous mes yeux. La profondeur de ces cernes est la preuve que j’ai besoin
d’un meilleur correcteur anticernes. Je prends une profonde inspiration et incline ma tête
vers la foule devant moi.
« Mais qu’est-ce qu’ils fixent ? » je me marmonne à moi-même en baissant les yeux.
Je porte un short en jean, des Vans blanches, un débardeur jaune pâle et ma veste en
jean délavée. On a beau être déjà en septembre, il fait encore chaud comme en plein
mois d’août. D’après ce que je peux voir, je ne suis pas en contradiction avec les normes
vestimentaires de Trinity High. De nombreuses robes d’été légères et de fines bretelles
se baladent, des premières aux terminales. Qu’est-ce qui me rend si différente ?
Je suis la nouvelle. Je pense que c’est le problème avec ces spécimens de classe
moyenne. Comme les tigres, ils sentent le sang neuf. Si je ne fais pas attention, si je
baisse ma garde, ils bondiront. Je n’ai aucun doute là-dessus. Les adolescents peuvent
être mauvais, sans parler des terminales, qui, de nos jours, préfèrent s’appeler « jeunes
adultes ». Ça ne va pas plus loin niveau prétention, n’est-ce pas ?
Mon téléphone sonne et je vérifie brièvement l’heure. Quinze minutes avant le
premier cours. Brenda m’appelle. Elle me manque tellement…
« Ça va Dougie ? » je réponds en baissant la voix.
Elle m’imite à la perfection. « Qu’est-ce que tu fais, ma jolie ? »
Nous rions toutes les deux. J’aime entendre sa voix. C’est tout ce que je peux avoir
d’elle ces jours-ci. Nous sommes à quatre-vingts kilomètres l’une de l’autre, mais ces
quatre-vingts kilomètres semblent plutôt être cinq cents. Ses parents sont toujours
occupés et ma mère ne veut pas me laisser la Mini Cooper pour retourner dans ma ville
natale rendre visite à Brenda… Nous nous retrouvons donc avec Facetime et les appels
téléphoniques.
« Tu es déjà au lycée ? » demande-t-elle. J’entends des bruits de fond. Diable, je peux
presque voir Tracy et Uma marcher tranquillement vers elle, des lattés dans une main et
des viennoiseries dans l’autre. Notre routine matinale.
Je laisse un soupir s’échapper de ma poitrine. « Je m’apprête à entrer. Ce nouveau
lycée a une atmosphère à la Cruel Intention, j’te l’dis ! »
« Tu veux dire des mecs sexy et des allusions à des plans à trois toutes les quinze
minutes ? » Brenda glousse. Elle est gentille. Elle essaie de rendre plus lumineux ce qu’
elle comprend être une situation bien merdique.
Je lève les yeux et pousse un profond soupir. « Non, plutôt des reines de beauté
insolentes qui me poignardent du regard », dis-je. « Et elles regardent tout droit vers
moi. C’est flippant. Comme si elles prévoyaient de me tuer dès que je me retrouverai
seule. »
Brenda s’exclame. C’est l’une de ses exclamations fausses et bien trop dramatiques,
destinée à me faire rire. « Oh, mon dieu, ne t’approche pas des toilettes, tu m’entends ?!
Reste. À. l’écart. Des toilettes ! »
Je glousse légèrement, désolée de ne pas pouvoir lui offrir un rire plus franc. Mais il y
a trois nanas sublimes qui me dévisagent comme si je venais de leur voler leur salade de
quinoa. Je ne suis pas du genre agressif, mais je ne cède pas non plus. Mon physique a
beau ne pas paraître intimidant, je peux quand même donner un coup et frapper quelque
chose. Celle qui semble être la chef de meute me lance un sourire en coin en passant la
porte principale, suivie par ses acolytes. Leurs uniformes de pom-pom girl donnent à
quiconque en bas de l’escalier une vue parfaite sur leurs fesses rondes et parfaitement
musclées.
« Je voulais simplement voir comme tu allais », dit Brenda. J’ai presque oublié que
j’étais au téléphone avec elle, mes yeux s’égarant de l’entrée du bâtiment jusqu’au
parking attenant. « Comment tu te sens ? »
« Je fais de mon mieux », je réponds. « Plus qu’un an et je serai à la fac. »

« OH, TA MÈRE VA PLEURER… »


« Comme si j’en avais quelque chose à foutre. C’est vrai, elle n’a pas vraiment prêté
attention à mes larmes quand elle m’a amenée ici, au pays des cons. »
Je peux presque voir Brenda hocher lentement la tête. « Ouais, elle aurait pu te
laisser ici une autre année au moins. Mais c’est fait maintenant, Elly… Tu sais, tu ne peux
rien y faire. Tu peux seulement continuer d’avancer. Vers l’avant, toujours vers l’avant. »
« Arrête de citer Coach Lee et ramène ton cul au lycée! » je rigole.
« Je t’appelle plus tard, chérie. Rappelle-toi, si Trinity est trop miteux ou sordide,
garde toujours avec toi une boule de billard dans une chaussette », dit Brenda avant de
raccrocher.
Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Deux minutes à lui parler au téléphone et je
me sens déjà mieux. Mais elle a raison. Je ne peux pas changer ce qui s’est passé. Le
mariage de mes parents n’a pas marché. Ils n’ont pas pensé à moi lorsqu’ils ont pris leur
décision, donc… Me voilà, à recommencer à zéro dans une nouvelle ville où je ne connais
personne. Ça craint, mais j’ai le sentiment que la vie va ressembler à ça. Beaucoup de
coups durs se sont dirigés vers moi, e ne peux seulement pas encore les voir.
Des éclats de rire détournent mon attention de mes problèmes. Je trouve leur source,
des jambes dépassant de l’arrière de la Range Rover sur le parking. Cette voix me semble
familière. Elle provoque un pincement au cœur douloureux, comme un élastique qui
claquerait soudainement.
« Passe-moi la bouteille, Rhett ! » dit-il, toujours aussi autoritaire.
Oh, mon Dieu…
C’est eux. Les têtes brulées. Je les appelle ainsi parce qu’il n’y a vraiment pas de
meilleure expression pour les décrire. J’avais l’habitude de me moquer du fait qu’ils
étaient inséparables pendant le camp de vacances. Kellan et Rhett Flanagan, les frères
perturbateurs et Gage O’Donnell, leur meilleur ami. Nous étions au même endroit cet été
– un vaste complexe à environ quatre-vingts kilomètres au nord de Trinity et de ma ville
natale. De nombreux lycées y organisent des colonies chaque année. J’y ai rencontré les
têtes brulées, à la fin du mois de juin. Ils ne m’avaient pas dit qu’ils étaient inscrits à
Trinity High.
Cela dit, nous n’avions pas beaucoup parlé du lycée.
Mon cœur commence à battre plus vite. J’aperçois Rhett alors qu’il se tourne vers le
siège passager pour tendre une bouteille à Kellan. Ils sont en train de boire. Gage est
derrière le volant, le moteur éteint. Une cigarette pend librement entre ses lèvres. Je
pensais qu’il avait arrêté. Ça me fait bizarre, curieusement.
Les filles s’affairent autour de la Range Rover, rient et touchent Rhett par la vitre
baissée. Elles le veulent. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. C’est le bourreau
des cœurs au sein des têtes brûlées. Grand, mystérieux et beau. Ses cheveux sont foncés
et ébouriffés avec quelques boucles sur le front. Ses yeux sont d’un vert émeraude
tranchant qui coupent tout ce qu’ils regardent. Ses lèvres… eh bien, elles sont
l’incarnation de la douceur humide et exquise. Les filles l’aiment parce qu’il surpasse la
plupart des mecs de son âge. Ses larges épaules m’émoustillent.
« T’en as eu assez », dit Rhett à Kellan, sa main tendue, attendant la bouteille. Je
reconnais le liquide ambré qui danse à l’intérieur lorsqu’il atteint à nouveau Rhett.
Whisky. Probablement un single malt. Leurs bons goûts s’étendent apparemment au-delà
du camp de vacances.
Gage sourit et arrache la bouteille pour prendre une bonne gorgée avant que Rhett ne
l’attrape en jurant dans sa barbe.
« Techniquement, je ne conduis pas maintenant ! » répond Gage.
En les regardant à présent, je réalise à quel point ils sont différents les uns des
autres, et pourtant si semblables. Kellan est le frère corpulent, avec une masse
musculaire solide. Il n’est pas le genre au gros cou, mais il semble pouvoir être mis au
défi de soulever la Range Rover par l’arrière. Mais ce qui m’attire vraiment chez lui, c’est
sa personnalité. Il est tellement doux et fleur bleue à l’intérieur. Le souvenir de nous
deux dans les bois me vient à l’esprit, et je sais qu’en une seconde je serai complètement
mouillée. Il a été mon premier. À ce jour, c’est aussi mon seul, et je n’ai pas eu de ses
nouvelles depuis deux semaines entières.
Ça devrait me blesser. Mais en voyant Gage à nouveau, et son immense sourire
enfantin, j’oublie presque qu’aucun d’eux ne m’a parlée depuis que nous avons quitté le
camp de vacances. Ce n’est pas comme si nous n’étions pas amis. Ils m’ont promis que
nous resterions en contact. Je suis néanmoins soulagée de les voir ici. Ils sont une
surprise plaisante. Ils sont même un rayon de soleil.
Ces dernières semaines ont été difficiles. Le déménagement, le divorce… tout s’est
passé si vite. J’ai besoin de leur raconter tout ça. Il y a encore un peu de whisky au fond
de la bouteille. Je peux peut-être sécher mon premier cours et commencer sur les
chapeaux de roue.
Mon instinct me dit d’entrer à l’intérieur mais mes jambes n’écoutent pas. Mes genoux
sont faibles, mais le reste de mon corps fonctionne encore et m’amène au parking par la
pelouse tondue. L’odeur de l’herbe fraichement coupée emplit mes narines, mélangée
avec la fumée de cigarette et les vapeurs d’alcool. Ça me rappelle le camp de vacances
et combien nous étions proches tous les quatre. Il y avait une connexion entre nous – pas
seulement physique, nous le savions tous.
Ma mère avait l’habitude de me dire qu’il y a un nom pour les filles qui couchent avec
plusieurs mecs, mais je ne peux toujours pas accepter cette prémisse. C’était différent
avec Kellan, Rhett et Gage. Il m’a fallu un moment avant de trouver le bon mot pour ça…
la synergie. En marchant vers eux, je peux presque la sentir. J’ai des papillons dans le
creux de mon ventre. Mon souffle devient court. Je sens des fourmillements dans ma
peau. Ce que nous avions était unique.
Alors pourquoi ne m’ont-ils pas donné de nouvelles comme ils l’avaient dit? Je vais
peut-être le découvrir maintenant. Mon instinct est pratiquement en train de me hurler de
tourner à gauche et de me diriger à l’intérieur. Courir très loin. Mais je ne peux pas m’en
empêcher. Je suis attirée vers eux, d’une façon inexplicable. Comme un papillon de nuit
est attiré par une flamme. Il n’arrive jamais rien de bon aux papillons de nuit. Ça vaut
peut-être le coup de se rappeler de ça. Mais l’oublier est tellement facile, là, tout de
suite.
Les filles sont les premières à me repérer. Elles ressemblent à des secondes, leurs
visages couverts d’un peu trop de maquillage. Elles me considèrent instantanément
comme une sorte d’ennemie puisque leurs yeux se plissent et leurs sourires se
transforment en grimaces.
« C’est qui ? » demande la blonde, poussant ses longs cheveux décolorés par-dessus
son épaule.
Rhett suit son regard, doucement et attentivement avant de se figer en m’apercevant.
Son expression… s’assombrit et je me sens soudain saisie par une peur glaçante. Je sens
ses doigts glacés agripper ma gorge, ravis de m’étrangler. Mais je ne m’arrête pas pour
autant. Je continue à avancer jusqu’à atteindre la Range Rover. Entre temps, Kellan et
Gage me remarquent à leur tour.
Aucun d’eux ne semble content de me voir.
Que diable se passe-t-il ?
« Personne », répond Rhett avant d’avaler une gorgée de whisky. Il pousse la
bouteille dans les mains fines de la blonde et ouvre la portière de la voiture. La brune se
recule, presque excitée de ce qu’elle pense être la suite des évènements -je ne suis pas
sûre de quoi il s’agit mais, à en juger par son regard, ça ne peut être rien de bon.
« Ça fait un bail », je soupire, ma voix disparaît pour se cacher au loin. Quelque part
où je ne peux pas la trouver. Je continue à parler puisque Rhett se dirige vers moi. Il ne
ressemble pas au mec sur l’épaule de qui j’ai pleuré durant le camp de vacances. Il
semble plutôt être la raison pour laquelle j’aurais besoin d’une épaule sur laquelle pleurer
en premier lieu. « Je ne savais pas que vous étiez à Trinity aussi ! Je veux dire, je viens
juste d’être transférée ici. Mes parents m’ont annoncée leur divorce juste après mon
retour du camp et… »
Je perds également mes mots, puisqu’il s’arrête en face de moi, bien plus grand que
dans mes souvenirs. Gage est à présent sorti de la voiture et me regarde comme si j’étais
un insecte qu’il devait écraser avec le talon de sa botte. Kellan est le dernier à sortir de la
Range Rover. Il prend la bouteille de whisky des mains de la blonde et lève un sourcil
vers moi. Je me sens soudain petite et sans défense, incapable de bouger ou de parler.
Mais qu’est-ce qui se passe ?
« Qu’est-ce que tu fous là ? » grogne Rhett, sa voix est glacée et me transperce
comme une hache. Je ravale un nœud, mes paumes suintent et glissent de la lanière de
mon sac à dos.
« Je… J’ai été transférée. Qu’est-ce qui se passe avec le… »
Il attrape mon sac à dos et le tire pour l’ouvrir en grand, sans se soucier de la
fermeture éclair. Je suis ahurie. Un flot de questions sans réponses, seulement la peur qui
s’accumule en moi, mon instinct donnant des coups de pieds et de poing et pointant
désespérément vers la porte principale. Même maintenant, je ne peux pas bouger.
Les filles sourient. Oh, elles apprécient ce moment. Gage semble s’ennuyer et regarde
son téléphone. Kellan passe son bras autour de la blonde, pinçant ses lèvres comme pour
me donner un rictus dégoûté. Je ne le reconnais plus. Rhett commence à fouiller dans
mon sac.
« Qu’est-ce que tu… » ma voix s’éteint.
Je suis stupéfiée par ma propre incapacité à réagir. C’est comme si j’étais attachée
au-devant d’un train en fuite qui se dirigeait tout droit vers un mur en briques massif. J’ai
l’impression que je vais m’y écraser, et il n’y a personne pour me sauver.
Rhett trouve mes tampons au fond du sac et en sort un. Mon visage est brûlant. Si la
honte pouvait tuer, je me tordrais de douleur et baverais là, maintenant, en lâchant mon
dernier souffle. J’entends des rires. Les reines de beauté de tout à l’heure sont de retour
dehors, accompagnées par une douzaines d’autres terminales. C’est un beau moment de
« merde », et je ne peux même pas bouger un muscle pour stopper la scène.
« Rhett, arrête », je chuchote. « Qu’est-ce que tu fais ? »
Il donne une pichenette au tampon dans ma direction. Le tampon touche mon épaule
puis tombe sur le gravier, aussi silencieux et honteux que moi. Rhett glousse et en sort
un autre de la boite. La blonde et la brune étouffent leurs gloussements perçants. Gage
sourit. Kellan jette à œil sur le côté et remarque les reines de beauté, puis leur donne un
signe de tête. Ça les amuse. Mon humiliation est, semble-t-il, le fait marquant du jour et
je ne peux pas me résoudre à arrêter tout ça, putain.
« Ouvre en grand », dit Rhett, avant de jeter un nouveau tampon sur moi. Il me
frappe au visage. Ça ne fait pas mal. Le geste, en revanche, ouvre une plaie béante en
moi, et je suis pétrifiée. Est-ce réellement en train de se passer ? Dois-je me pincer pour
sortir de ce qui est de toute évidence un affreux cauchemar ?
« C’est quoi cette merde, Rhett ?! » je parviens finalement à lâcher, surprise par mon
propre ton. D’où est-ce qu’il sort ? J’en veux plus ! J’ai besoin d’un foutu lance-flammes
pour tous les réduire en cendres.
Il est impitoyable. Sans la moindre émotion sur ses traits perçants, il renverse mon
sac à dos. Les livres, stylos et cahiers tombent, mettant le désordre à mes pieds. Les
bruits qu’ils produisent lors de l’impact percent mon âme. Mais ce n’est pas suffisant. Non,
Rhett n’a pas encore fini. Il enfonce le sac vide dans ma poitrine avec une telle force que
je suis repoussée quelques pas en arrière.
Le reste de mes tampons s’étale à la vue de tous. Je suis sans voix. Blessée. Leurs
rires poignardent mes tympans, comme des fourchettes sur un tableau noir. Rhett se
déplace plus vite que son ombre. Je ne le remarque que lorsqu’il se tient si près, qu’il n’y
a à peine un souffle d’air entre nous.
« Cours, Elly. Cours vite et cours loin », dit-il, la colère brûlant dans ses yeux vert
émeraude.
Il s’éloigne, faisant signe à Kellan et Gage de le suivre. Les filles les poursuivent
comme des loulous de Poméranie surexcités – des reines de beauté rayonnantes devant
leurs gladiateurs, fraichement sortis de l’arène, victorieux au combat. Les autres rient
encore, s’échangent des murmures et des chuchotements à mon sujet. Certains sont
assez effrontés pour me montrer du doigt.
Je peux encore sentir le whisky de Rhett. Il subsistait sur ses lèvres et sa langue, les
mêmes lèvres et la même langue qui avaient l’habitude de me gronder. Les mêmes
lèvres et la même langue qui, il y a seulement un mois, me disaient que j’étais différente
de toutes les autres filles qu’il avait rencontrées.
Mon corps tremble, mes membres sont faibles et mous. Mais au moins, ils sont partis.
Je suis laissée seule sur le parking, devant la Range Rover, mes affaires éparpillées au
sol. Mes tampons me toisent. Ce n’est pas comme si je ne pouvais pas le supporter…
Pourquoi devrais-je avoir honte ? Pourquoi ai-je honte ?
Une chose est sûre, cependant. Alors qu’ils rentrent tous à l’intérieur et que la
première sonnerie retentie, je prends conscience de la réalité dure et désagréable. Les
gens sont incroyablement différents en fonction du milieu dans lequel ils se trouvent. J’ai
rencontré un Kellan fort et doux. Nous avons fait l’amour. Un Rhett grand et charmant.
Nous avons parlé pendant des heures. Un Gage réconfortant et drôle. Nous avons arrêté
de fumer ensemble et nous avons mis la pâtée aux autres lors de la course de canoës sur
le lac. Ces versions que je viens de retrouver ne sont pas les têtes brulées que je connais.
Non. Ce sont des connards. Des connards sans cœur qui ont pris leur pied à me tyranniser
sur le parking lors de mon tout premier jour au sein de ce lycée merdique.
J’aurais dû écouter mon instinct. J’aurais dû trouver la force de m’éloigner d’eux et non
de courir vers eux. Il ne reste qu’une question qui persiste, et ce n’est pas dans ma
nature de la laisser sans réponse. Qu’est-ce qui s’est passé depuis le camp de vacances ?
Pourquoi s’en sont-ils ainsi pris à moi ?
Que diable ai-je pu leur faire ?
Et quel goût aura ma vengeance ?
ELLY

« ÇA VA ? »
Quelqu’un pose la question mais je ne l’enregistre pas de suite. Je suis toujours
devant la Range Rover, à fixer mes affaires, essayant de comprendre ce qui a poussé
Rhett à se comporter de la sorte. Mon esprit ne peut tout simplement pas comprendre ce
qui l’a transformé en un tel monstre, et qui a également embarqué Kellan et Gage.
« Hé… ça va ? » me demande-t-il à nouveau.
Ça n’a pas le moindre sens. J’aurais aimé qu’au moins Kellan me défende, si Rhett
entretient une sorte d’animosité à mon égard. Mais il m’a à peine regardé. Et Gage… pff,
je suis scotchée. Je suis embarrassée. Ce n’est pas comme ça que j’espérais commencer
mon année de terminale, d’autant plus que le camp de vacances m’avait semblé, a
contrario, si encourageant.
« Excuse-moi ? »
Le mec ne cèdera pas ! Je trouve finalement la force de le regarder. Il est mignon.
D’origine afro-américaine, mais avec des yeux d’un vert que je n’avais jamais encore vu.
Sa coupe afro courte et son long visage le font paraître plus vieux qu’il ne l’est réellement
– je suppose qu’il est aussi en terminale. Il s’habille bien. Jean et chemise blanche,
montre onéreuse sur son poignet mince.
« Qui es-tu ? » je lui réponds, ma voix encore tremblante, mais pas assez pour lui
faire penser que je ne suis qu’une froussarde.
« Kyle Perry », dit-il. « Tu sembles avoir besoin d’aide. »
A ma gauche, les gens rient et se moquent encore de moi. Quelqu’un mentionne le
film Carrie. Je donnerais n’importe quoi pour avoir des capacités de télékinésie en ce
moment, pour pouvoir écraser tout le bâtiment sur eux. C’est un lieu immense, avec de la
maçonnerie solide couleur brique et des portes fenêtres. Ça ferait de sérieux dégâts.
Hélas, je n’ai pas cette option. Je dois me contenter de vivre cette humiliation.
Rhett, Kellan et Gage me jettent un dernier regard. Ils me méprisent. Je ne sais pas
pourquoi, mais ils me méprisent. Les reines de beauté et les pouffes de plus tôt les
entourent et me sourient comme si je venais de leur offrir un divertissement assez décent
pour un lundi matin. Ils finissent par tous rentrer à l’intérieur. Les cours ont déjà
commencé, et je suis en retard.
Je regarde Kyle. « Tu t’occupes de l’orientation des élèves ou quelque chose du
genre ? »
« Je peux, si tu le souhaites », dit-il en souriant. Il y a quelque chose en lui qui me
réchauffe à l’intérieur. Comme du chocolat chaud et des marshmallows. Sa simple
présence me réconforte et je suis reconnaissante pour chaque minute qu’il passe près de
moi.
« Je suis Eleanor Fox », je réponds, en lui tendant ma main. « Elly. Tu peux m’appeler
Elly. »
Il serre ma main fermement. « Ravi de te rencontrer, Elly. Je suis désolé que les
circonstances n’aient pas pu être meilleures. Alors, tu es nouvelle ici, hein ? »
« Oui, j’ai déménagé à Trinity il y a quelques semaines. Je dois reconnaître que j’ai
été prise au dépourvu par la décision de ma mère », dis-je. « Longue histoire. »
« Et qu’en est-il des petits mafieux ? » demande-t-il en me regardant attentivement.
Je jette à nouveau un œil vers l’entrée principale. « Tu veux dire Rhett et les
autres ? » Kyle me fait un signe de tête. « Les petits mafieux ? »
« Enfin, c’est comme ça qu’on les appelle par ici. Leurs parents essaient de leur
donner cette vie propre de banlieue, mais on dit qu’ils ne sont pas vraiment le genre de
personne avec qui tu veux faire un barbecue le dimanche », explique Kyle.
C’est une information nouvelle pour moi. À vrai dire, les garçons et moi n’avions pas
beaucoup parlé de nos familles – en tout cas pas dans un sens détaillé et professionnel.
Nous nous plaignions surtout d’une mère coincée ou d’un père égoïste… la routine. C’est
peut-être la raison pour laquelle ils ne m’ont pas parlé de leurs familles. Parce qu’elles
sont liées à la mafia. Ils avaient peut-être honte ? Est-ce la raison pour laquelle ils
viennent tout juste de me traiter comme une merde ? Est-ce que ma présence ici est une
surprise désagréable ?
Il n’empêche que ce n’était pas vraiment une réaction bonne, convenable ou humaine
à avoir, surtout compte tenu des moments que nous avons passés ensembles et les
façons particulières dans lesquelles nous les avons vécus.
« Tu semblais les connaître », ajoute Kyle en remarquant mon silence. Il ramasse
mon sac à dos et quelques livres pour m’aider à rassembler mes affaires. Mes réactions
sont lentes, mais je parviens à attraper les livres et à les fourrer dans le sac.
« Je suppose que tu as assisté à toute la scène ? »
Il acquiesce à nouveau. « Ils ont été de vrais cons », dit-il. « Alors, tu les connais ? »
« Nous étions en camp de vacances ensembles », je marmonne. « Mais ils n’étaient
pas comme ça, à l’époque… »
Kyle soupire et ramasse quelques cahiers et stylos par terre. Je pose le sac et
rapproche les tampons d’une seule main. Kyle s’accroupit et m’aide à tout mettre dans le
sac à dos. La fermeture éclair est cassée, mais je peux encore y transporter des choses,
au moins jusqu’à ce que je rentre à la maison.
« J’y ai échappé cet été », dit-il. « Néanmoins, je suis surpris qu’ils aient été gentils
avec toi. Ce n’est pas dans leur nature… »
Je le regarde. « Quelque chose me dit que tu les connais mieux que je ne les
connaîtrai jamais. Franchement, je n’ai fait qu’aller leur dire bonjour, et voilà ce que j’ai
eu en retour. »
« Qu’est-ce que je peux te dire, Elly ? Je suis désolé que tu aies eu affaire à eux de
cette façon. Pour être honnête, je suis aussi curieux de savoir comment vous quatre avez
pu vous entendre en premier lieu, mais je suppose que nous pouvons laisser cette
histoire pour une prochaine fois, hein ? »
Il sourit à nouveau et le monde semble un petit peu meilleur. Trinity High ne sera
peut-être pas l’enfer sur Terre. Je m’en sortirai peut-être, avant de décamper vers la fac
et de laisser tout ça derrière moi. En jetant un œil à mon téléphone, je réalise que j’ai dix
minutes de retard pour mon premier cours – même si ce n’est pas vraiment une surprise.
J’ai entendu la sonnerie.
« Tu penses que tu peux m’aider à trouver ma salle classe ? » je lui demande.
« On va t’amener au bon endroit, je te le promets », dit Kyle.
Je ramasse mon sac, les tampons tombent au fond et mon visage brûle encore de
honte. Il me montre la porte principale d’un signe de tête. Elle est désormais libérée des
yeux curieux et des ricanements. « Allons-y, Elly. Tout ira bien, tant que tu te tiens à
l’écart de Rhett, Kellan et Gage. Ce ne sont pas des gens bien, d’accord ? »
« Je suis encline à te croire, mais j’ai encore du mal à le réaliser… »
En le suivant à l’intérieur, je lance un dernier regard vers la Range Rover. Elle semble
lourde et fatiguée, remplie de secrets et de colère, tout comme ses propriétaires. Il me
manque un détail ici, c’est sûr. Je dois découvrir ce que c’est. Il s’avère que je n’ai jamais
été persécutée avant, et je n’ai certainement pas l’intention de commencer à l’être
aujourd’hui.
Si les têtes brulées veulent se battre avec moi, alors qu’il en soit ainsi. Je remonterai
mes manches et je me battrai jusqu’au bout s’il le faut. Mais je dois comprendre
pourquoi. Je mérite au moins ça.
« Qu’importe ce que tu penses savoir, oublie-le », dit Kyle. « C’est le lycée. Une jungle
de banlieue. Ce sont des prédateurs ici. Le haut de la chaîne alimentaire. Ils attirent les
filles comme le miel attire les abeilles . C’est un écosystème tout entier, et tu l’as piqué
en tant que nouvelle venue. »
« S’ils sont les prédateurs, quel est ton rôle ? » je lui demande.
Le couloir est pratiquement vide, hormis quelques premières qui rôdent, cherchant
encore leurs salles de classe. Nous passons les panneaux d’affichage et les posters du
lycée et nous nous arrêtons devant la vitrine des trophées. Elle est énorme et remplie de
nombreux prix brillants, médailles et récompenses pour des activités sportives. Trinity
High semble être un générateur de joueurs de baseball et d’athlètes de judo prolifiques.
Mais également quelques célébrités de l’athlétisme.
Je ne remarque même pas Kyle qui sourit fièrement, car mes yeux sont fixés sur une
photo de lui à côté d’un énorme trophée de judo, juste devant moi. Deux figurines en
cuivre s’affrontent au sommet du trophée. Une plaque élégante est montée sur le socle
avec le nom de Kyle, le nom du championnat régional de judo et l’année.
« Eh bien, quelqu’un a été bien occupé l’automne dernier », dis-je, sincèrement
impressionnée. Le trophée n’est pas le seul à porter le nom de Kyle. Il a également
ramené quelques médailles et certificats, dont quelques-uns de compétitions
européennes. Non pas que je sois experte en la matière, mais il ne faut pas longtemps
pour comprendre que Kyle est un très bon combattant de judo.
« En ce qui concerne ta question, Elly… Je suis l’un des sportifs », dit-il, essayant de
ne pas rire. « Pas un prédateur en soi, mais je me déplace sans trop de problème. »
Je ne peux pas m’empêcher de glousser. « J’imagine que les petits mafieux ne veulent
pas chercher à se battre contre toi, hein ? »
« Kellan fait partie de mon club de judo. Je lui mets la pâtée régulièrement, mais il
m’a aussi mis à terre plusieurs fois », dit Kyle. « On peut dire qu’il y a cette histoire de
respect mutuel entre nous… »
En expirant brusquement, je quitte le trophée des yeux. « Tu n’as donc pas à
t’inquiéter. Je ne suis pas intéressée par l’idée de déranger la chaine alimentaire locale.
Si tu pouvais simplement m’aider à obtenir ce dont j’ai besoin pour naviguer seule dans
cet endroit pitoyable, ce sera tout, tu n’auras plus jamais à te soucier de moi. »
Kyle semble franchement offensé. J’ai presque peur qu’il passe un bras autour de mon
cou et me plaque sur le sol froid et dur. « Qui a dit que tu m’embêtais ? »
« Je ne sais pas… Je suppose. » Mon haussement d’épaules n’est pas vraiment
convaincant.
« Arrête tes conneries, Elly. Trinity a beau ne pas être le meilleur lycée du coin, ça ne
veut pas dire que je vais laisser quelqu’un te faire du mal. »
Pendant un instant, je suis encline à le croire. Je n’ai jamais eu besoin de l’aide de
personne au lycée et mon année de terminale semble être une mauvaise période pour
commencer à dépendre de Kyle, un parfait mais gentil étranger. Mais, quelles sont mes
autres options ? Si je m’attire à nouveau des ennuis, j’aurais besoin de quelqu’un pour
m’en sortir avant de ne perdre la tête et de me prendre pour Xena la princesse guerrière.
Les universités réputées exigent des bons dossiers et j’ai, jusqu’ici, réussi à me tenir à
l’écart des problèmes. Même si le comportement de Rhett, Kellan et Gage m’ennuie, je ne
peux pas le laisser se mettre en travers de mon futur. Si je suis suffisamment intelligente
et résiliente, je pourrai peut-être même décrocher une place à l’Université de Berkeley.
En inspirant profondément, je sens l’odeur du parfum de Rhett. Il est assez fort pour
rester dans l’air. Combien de temps va-t-il falloir avant que je ne me le sorte lui, et les
deux autres, de ma tête et de mon cœur, pour que pas même une once de parfum
musqué ne vienne altérer mes sens à nouveau ?
Mon esprit me trahit et me ramène vers ce camp de vacances, cherchant
désespérément quelque chose qui m’aide à comprendre ce qui s’est passé ce matin. La
première fois que je les ai rencontrés, tout était différent. Ils n’étaient pas mon problème.
Ils étaient ma solution. Mes sauveurs, mes âmes sœurs, de plus d’une façon…
RETOUR A U C A MP DE VA C A NC ES, 1ER J OUR.

LE RANCH GREEN Meadow sur le lac Tahoe était promu comme l’une des meilleures
destinations estivales pour les jeunes âgés de 13 à 18 ans. Je suis à l’extrême limite de
ce spectre et j’ai peur d’être la seule. L’année dernière, c’était sympa car Brenda et les
autres filles étaient avec moi. Ce n’est pas rasoir en première d’aller en colonie de
vacances. En terminale par contre… eh bien, me voilà.
Cependant, je sais pourquoi je suis ici. Mes parents m’ont éloignée pendant six
semaines parce qu’ils ont des problèmes à régler. Des problèmes de couple. Le genre qui
pourrait se terminer avec le déménagement de l’un d’entre eux. J’espère qu’ils
parviendront à régler leur merde et qu’ils tiendront une autre année. Au moins jusqu’à ce
que je parte à l’université. Ensuite, ils pourront se séparer – mon père pourra emménager
dans le pavillon de West Hollywood de son assistante et ma mère pourra commencer à
sortir avec un type faisant du yoga. Je m’en fiche. Je ne souhaite simplement pas qu’ils
mettent le bazar dans mon écosystème.
C’est mon discours d’égoïste. Au moins j’en ai conscience. J’y adhère. L’égoïsme m’a
bien servi dans le passé et il a empêché plus d’une fois mon cœur d’être brisé. Le lycée
est un foutue jungle et je deviens trop vieille pour ça.
Toutefois, je le fais. Je me lève de mon siège, mes parents déjà debout à côté de la
voiture avec ma valise par terre, attendant que je la récupère. Ils sourient tous les deux
mais ils ont l’air d’avoir été modelés dans du plastique à chaud. Ils ne sont pas sincères,
et ça me brise le cœur. Je me souviens de comment ils étaient lorsque j’étais enfant. Ils
ne se lassaient jamais l’un de l’autre, me déposant souvent chez ma grand-mère Kate
pour pouvoir partir en escapade le weekend. Non pas que ça m’ennuyait – ma grand-
mère Kate préparait toujours des tartes aux pommes et du cidre. Et elle n’avait pas
besoin de voir ma carte d’identité.
« Prête ma puce ? » demande ma mère. Il m’est difficile de ne pas lever les yeux au
ciel, mais je résiste.
« Fin prête », lui dis-je. « Je vous retrouve dans… six semaines. »
Ma gorge se serre. Je m’inquiète pour eux. J’essaie de ne pas l’être, de jouer ma carte
« égoïste » autant que possible, mais je m’inquiète pour eux. Ils étaient si proches,
avant, et aujourd’hui, ils se regardent à peine. Mon père a déconné plus d’une fois –
tromper étant son arme de prédilection, mais ma mère n’a pas été facile à vivre non plus.
Il m’est difficile de désigner un coupable. Je sais seulement qu’ils doivent trouver une
façon de fonctionner ensembles.
Mon père est le premier à me prendre dans ses bras, et je savoure cette étreinte. Il y
met toujours de la force, même quand je ne réalise pas que j’en ai besoin . Ma mère me
tire vers elle et dépose un baiser sur mon front. Pendant un moment, je me sens à
nouveau comme une enfant. Seulement, je ne le suis pas. Je n’ai pas été une enfant
depuis longtemps. Mon corps peut en témoigner. Je suis en avance sur les autres filles
depuis que j’ai quatorze ans.
« Sois sage, d’accord ? Ne t’attire pas d’ennuis », me dit ma mère.
Je lui lance un regard noir. « Vraiment ? Pas du tout ? Même pas un pétard ? »
Mon père grogne. « Fais simplement en sorte que le responsable du camp ne nous
appelle pas, ok ? »
Il m’aime. Il ne sait simplement plus comment le montrer. Ses câlins ont plus de sens
que tous les mots qu’il pourrait un jour m’offrir. Il me fait un sourire léger. Il est évident
qu’il veut partir aussi vite que possible. Son assistante rouquine doit l’attendre à West
Hollywood. Je suis prête à parier cent dollars que ma mère va préparer le dîner et qu’il
s’apprête à inventer une excuse pour aller sauter son assistante personnelle.
« Je ferai profil bas, c’est promis », dis-je.
« Elly. C’est ton dernier camp de vacances. Fais-le durer. Fais-le compter », répond
sévèrement ma mère. « Et puis, pas d’alcool ni de drogue. Nous en avons déjà parlé ! »
Je hausse les épaules. « D’accord, maman. Bien évidemment. »
« Je suis sérieuse ! »
« Moi aussi. »
« Oh, Elly… ». Elle secoue la tête et s’installe sur le siège passager. Mon père fait le
tour et s’installe derrière le volant. « Sois prudente. Tu es une adulte à présent ! ».
Alors que la voiture redescend la route forestière qui conduit au ranch Green Meadow,
j’expire brutalement. « Tu dis ça comme si c’était une mauvaise chose. »
Je les regarde s’éloigner un moment jusqu’à ce que le SUV disparaisse dans les bois.
J’entends des rires et de la musique quelque part derrière moi. Les élèves de première
sont bel et bien présents, originaires d’au moins trois lycées de la région – y compris le
mien. Cette année je suis la seule à sortir du lot. Brenda fait un stage à temps partiel
pour une marque de mode. Shirley est avec sa mère dans les Hamptons. Chrissy fait du
bénévolat dans une auberge pour sans-abris.
De nous quatre, je suis la seule à manquer d’orientation et je suis coincée ici, au
camp de vacances. Il y aura deux possibilités – soit je rentre à la maison et mes parents
grincent des dents mais sont encore ensembles ou soit…. je rentre à la maison, mon père
me fait m’asseoir, le regard sévère, et me dit qu’il déménagera bientôt.
En me tournant, j’admire la vue. Le ranch est superbe et s’étend sur des kilomètres
carrés de pins épais tout en embrassant le lac Tahoe. Le ciel est d’un bleu parfait et
l’odeur du bois brulé lors du feu de camp de la veille persiste dans l’air. L’eau coule
doucement sur le rivage et je sais qu’il y a des bateaux qui y naviguent, si je le souhaite.
Les oiseaux chantent dans les arbres et me donnent l’impression que ça pourrait bien
marcher après tout, jusqu’à ce qu’une attaque de panique paralysante ne prenne le
dessus. Les jeunes sortent du chalet principal du ranch, suivis par six moniteurs qui ont
une trentaine ou quarantaine d’années. Je me rends compte que je ne rentre dans
aucune case. Les enfants ont quatorze ans, maximum quinze et ils gloussent et hurlent
comme des créatures quand l’un des moniteurs leur dit qu’ils feront de l’équitation plus
tard.
Je suis la plus âgée au sein du groupe de participants, mais je suis trop jeune pour
traîner avec les moniteurs. Une nana dans l’entre-deux pour ainsi dire, et pas le meilleur
genre. « Merde, six semaines de ça, donc », je me marmonne à moi-même.
C’est un endroit magnifique. Ça devrait me réconforter. J’ai un chalet une personne,
rien que pour moi – ma mère s’en est assurée. Il y aura de l’équitation. Des bateaux. Des
bois tout autour. Je peux nager dans le lac, si je le souhaite. Au diable leur panneau
« pas de baignade », tant que j’y suis. J’ai mon téléphone rempli d’abonnements
musicaux et vidéos. En parlant de ça, je le vérifie rapidement. Quatre barres.
« Ouais, on est bon. »
Je pense aux six semaines les plus ennuyeuses de ma vie et regrette de ne pas avoir
lutté plus fort contre à la décision de mes parents de me conduire ici. J’aurais dû accepter
l’offre de Chrissy de la rejoindre à la soupe populaire des sans-abris. Au moins, les gens
seraient plus intéressants. Ils auraient des histoires à raconter. De la sagesse à donner.
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir retenir de ces élèves de troisième de Mandy ?
Un moteur rugit derrière moi. Je sursaute et me retourne rapidement. Les phares
clignotent et je me sens comme un cerf pris au milieu de la route. « Oh, merde ! » je
grogne, alors qu’un monstre de métal s’approche de moi, grondant de colère. Je ferme les
yeux, attendant la force mortelle de l’impact, mais elle ne vient pas.
Tous les autres campeurs se taisent d’un seul coup. L’air n’est presque plus respirable,
une tension suinte de la Ranger Rover qui s’est littéralement arrêtée à quelques
centimètres de mon visage. Ma peur se transforme en colère. Personne ne met ma vie en
péril, même pour plaisanter, et s’en tire comme si de rien n’était ! Je n’ai pas de meute
pour me soutenir, mais je n’ai jamais fui le danger. Ce n’est pas aujourd’hui que cela va
commencer.
Des rires émergent de l’intérieur de la voiture. J’entends les campeurs chuchoter. En
jetant un œil à ma droite, je vois les élèves de seconde et de première se pâmer, battre
leurs cils et avoir le sourire qui leur monte au visage lorsque trois jeunes hommes sautent
nonchalamment du monstre qui a failli me renverser.
Les filles ont des étoiles pleins les yeux. Les garçons sont… durs, affamés et rebelles.
Je peux le voir dans leurs yeux. Je suis leurs regards avides, légèrement amusée par
leurs réactions. Mon cœur s’arrête de battre pendant une seconde. Merde alors, ils sont
canons. Je ne sais pas qui ils sont, mais c’est comme si les dieux s’étaient réunis un soir
et avaient décidé de concevoir trois de plus sublimes créatures qui n’aient jamais marché
sur Terre.
L’un d’eux me regarde. Ses yeux verts s’enfoncent dans mon âme, des boucles noires
effleurent son front. « Tu as perdu quelque chose ? » demande-t-il, le ton plat.
Ma bouche est grande ouverte. Je la referme puis secoue la tête.
« Alors qu’est-ce que tu fixes, putain ? » Oh, je n’aime pas son ton. Son visage, son
corps, par contre. Mon dieu, la température commence déjà à grimper et mes sens
refusent de m’écouter. Le mec qui se tient à côté de lui est un contraste intéressant, c’est
le moins que l’on puisse dire. Il arbore fièrement des cheveux coupés en brosse et des
yeux noisette inquisiteurs. Il est également plus fort que le bouclé. Le troisième est, sans
aucun doute, un athlète. Si on me demandait, je dirais de crosse. Lorsque qu’il se penche
à l’arrière de la voiture pour récupérer un sac en toile, je peux dire qu’il a les fesses
parfaites pour la crosse.
Elly, ton esprit grossier refait surface.
Ils sont sexy. Ils sont plus chauds qu’une journée d’été sur le lac Tahoe. Ma peau me
picote et mes reins sont très réactifs. Je n’ai jamais ressenti ça avant, mais je suis
réellement intimidée par ces mecs. Je devrais être heureuse de ne plus être la seule
terminale, mais comment vais-je pouvoir devenir amie avec eux ? Est-ce que je veux être
amie avec eux ? Est-ce que je veux plus ? Ou rien du tout ?
Prends une décision. Il t’a posée une question.
Ma voix intérieure est aussi tranchante qu’à son habitude et je l’apprécie. Le bouclé
m’a bien posée une question.
« Ce que je fixe ? » je demande, ma voix étonnamment calme, malgré le fait que mon
sang bouillonne en réalisant que je m’apprête à m’attaquer à ses copains et à lui. Je
préfèrerais les ignorer mais je ne peux pas laisser ces trois mecs me dominer d’une
quelconque façon. Si je le fais, je devrais passer six semaines dans l’enfer de Dante sous
stéroïdes, parce qu’ils semblent avoir besoin d’une poupée sur laquelle se défouler. Ce ne
sera pas moi. « Je peux vous demander vos noms avant de répondre ? »
Le bouclé hausse un sourcil, mais il est bel et bien intrigué. Le mec aux yeux noisette
s’apprête à sourire. Les fesses de crosse me… bouffe des yeux. Il a l’air affamé.
Réellement affamé. Et mes genoux se ramollissent, ce qui est la réaction contraire de
celle que j’aimerais produire à ce moment précis, merde !
« Je m’appelle Rhett », dit le bouclé, puis désigne les yeux noisette et les fesses de
crosse, respectivement. « Kellan. Gage. »
J’inspire. C’est le moment de m’affirmer. Si j’échoue, je deviendrai de la chair à canon.
« Elly », je réponds. « Et donc, qu’est-ce que je fous à vous regarder, tu
demandais ? » le bouclé hoche brièvement la tête. Je crois que ma grossièreté l’excite.
Son regard s’assombrit un peu et mes genoux se ramollissent davantage, ce qui
handicape ma position debout. « Je regarde trois connards qui ont failli me renverser,
voilà ce que je regarde ».
Le silence s’installe entre nous. S’ils deviennent agressifs, je me précipiterai tout droit
vers le bureau du responsable. J’ai déjà repéré les panneaux qui y mènent. Le bouclé se
moque. Les sourcils des yeux noisette sont complètement levés. Je l’ai choqué. Celui aux
fesses de crosse a un sourire diabolique. Je ne sais pas si je dois être effrayée ou excitée,
là, tout de suite. Non pas que je ne sache pas quoi faire de ce dernier. J’ai, jusque-là,
appris à connaître la plus grande partie de mon corps et de mes zones sensibles, même
s’il me reste encore beaucoup à découvrir avant d’accepter un homme dans mon lit.
Pourquoi est-ce que je pense à ça, maintenant ?!
C’est de leur faute. Ils respirent un certain je-ne-sais-quoi. Le regard dans leurs yeux
est digne des prédateurs, des chasseurs qui aiment jouer avec leur proie avant de la
dévorer, avant de la consommer jusqu’à ce qu’elle crie leur nom de pure extase.
« Tu es sûre que c’est comme ça que tu veux commencer, Elly ? » me demande Rhett,
plus calme que je ne l’aurais cru.
Je ne peux m’empêcher de sourire. Il m’aurait déjà frappée à cette heure-ci, si c’était
son intention.
« Tu peux peut-être d’abord apprendre à utiliser correctement tes freins, et nous
pourrons essayer une présentation plus convenable », dis-je. « Tu m’as fait sursauter.
C’était irrespectueux. »
« Convenable », répond Gage, plutôt impressionné. « Je vois que tu t’endors en lisant
le dictionnaire des synonymes? »
Les autres mecs rient. Pas Gage. Il se tient devant moi, bien trop fier de lui. Mais
également satisfait de moi, pour être vraiment honnête. Ou, au moins, intrigué.
« On m’a appris que la beauté s’estompait », lui dis-je, en pointant un doigt vers ma
tête. « C’est ce qu’on a à l’intérieur qui reste et prospère. »
« Merde, nous avons en face de nous une madame-je-sais-tout, les gars », glousse
Kellan. « Qu’est-ce qu’on va faire d’elle ? ». Quelque chose dans sa voix me frappe
profondément. Si profondément que ça coupe court à mon courage, qui s’envole par la
fenêtre.
Il y a quelque chose dans la façon dont Kellan me sourit. Il fait tomber mes défenses
et je ne sais pas quoi faire de moi. Des murmures s’échappent de la foule, et je réalise
qu’un groupe de pré-ados à une dizaine de mètres est derrière, les yeux fixés sur nous.
J’ai dû les attirer d’une manière ou d’une autre.
« Elle ne sait pas qui ils sont ? » j’entends dire l’un des garçons derrière moi.
« Non, elle n’est pas de notre lycée… » dit un autre.
J’imagine que Rhett, Kellan et Gage sont populaires dans la ville d’où ils viennent. La
plupart des lycées du coin sont très snobs, le mien y compris. Le terrain propice des
athlètes vedettes et des admissions à Harvard. Je me demande dans quelle catégorie ces
trois-là se situent.
« Nous allons essayer de ne pas l’écraser avec notre voiture », répond finalement
Rhett à la question de Kellan, puis il fait signe à Gage et lui de le suivre. Ils s’approchent
de moi, et je me rétrécis, je ne sais comment, n’étant plus qu’un simple brin d’être
humain.
Je prie toutes les étoiles pour qu’ils ne fassent rien de stupide. Ils avancent avec
confiance, leurs chemises un poil trop serrées pour leurs torses. C’est comme s’ils étaient
assortis pour exciter toutes les filles dans un rayon d’un kilomètre. Je suis prête à parier
que mêmes les monitrices du camp sont déjà mouillées et meurent d’envie d’avoir un
bout de Rhett. Ou de Kellan. Ou de Gage.
Rhett est le premier à passer devant moi, nos regards se croisent pendant une
fraction de seconde. Je sens l’univers se répandre et le temps perdre tout son sens. Avant
que je le réalise, il est déjà à l’intérieur, suivi de Kellan et Gage.
« Ravi de t’avoir rencontrée, Elly », j’entends dire Gage.
En jetant un œil derrière moi, je le vois me sourire par-dessus son épaule, avant
d’entrer dans le chalet principal du Ranch. La vie reprend son cours et la réalité me
revient dans un tourbillon froid et furieux. Les campeurs sont encore en train de
chuchoter et de ricaner – les filles, en particulier, m’agacent. Elles me fusillent du regard,
et je doute le mériter.
Je leur fais un doigt d’honneur, puis attrape ma valise et me dirige à mon tour vers le
chalet principal en me demandant déjà si je vais à nouveau croiser les têtes brûlées.
C’est ainsi que je vais les appeler à partir de maintenant. Les têtes brûlées.
Les bolides. Les tourmentes. Les dieux grecs. Non… définitivement les têtes brûlées.
Il s’avère que ce camp de vacances ne sera pas aussi ennuyeux que je l’imaginais.
ELLY

A PEİNE ARRİVÉE dans la classe et bien prête à m’excuser de mon retard, je comprends la
gravité de la situation dans laquelle je me trouve. Rhett, Kellan et Gage sont présents. Le
destin a dû se mettre en quatre pour me briser, hein ?
La prof, une dame d’âge moyen, bien en chair, avec des lunettes rondes et une
permanente rousse fatiguée, me donne un sourire plat. « Et vous êtes ? »
Il n’y a donc personne qui veut de moi ici ?
Je jette un œil à la salle. Kyle est bel et bien dans une autre classe, mais il m’a donné
son numéro de téléphone au cas où j’aurais besoin d’aide. C’est un peu bizarre pour moi
de l’appeler maintenant et le supplier de me sortir de cet endroit. Mon père, malgré ses
défauts, m’a appris à tenir bon. Comment pourrais-je survivre à la vie d’adulte si je laisse
ces gens me marcher dessus ?
Les reines de beauté m’observent avec un intérêt nouveau. Rhett semble avoir envie
de m’écraser contre le mur. Gage parvient parfaitement à m’ignorer. Kellan… eh bien, il
est trop occupé à sourire aux pouffes de plus tôt. Ses lèvres bougent. Je n’entends pas ce
qu’il dit mais ça doit être suffisamment vicieux pour faire glousser et rougir les deux filles.
La brune en mord même sa lèvre inférieure, et Kellan doit se repositionner sur sa chaise.
J’imagine qu’il a une sérieuse érection dans son jean qui rend difficile sa position assise.
J’ai la bouche sèche. Je sais qu’il est fort et emplit de feu. J’ai crié son nom plus d’une
fois lorsqu’il m’a pénétrée la première fois que nous avons couché ensembles. Mon visage
s’agite lorsque je souris à la prof. « Eleanor Fox, madame. Je suis désolée pour mon
retard. Je me suis perdue. Nouveau lycée et tout ça », lui dis-je.
Elle vérifie la liste des élèves. Son doigt passe plusieurs pages jusqu’à ce qu’elle
trouve mon nom gribouillé à l’encre bleue, contrairement aux autres noms qui sont eux
imprimés. Ils n’ont même pas eu le temps de mettre ce truc à jour et ont donc dû
m’ajouter au stylo.
« Très bien, Eleanor. Trouvez-vous une place. Nous venons juste de commencer »,
répond la professeure.
Je regarde à nouveau la classe et repère une chaise et une table vides au fond, dans
un coin près de la fenêtre. Les têtes brûlées sont sur mon chemin. Je serai placée à côté
des reines de beauté et juste derrière la brune excitée.
En souriant à la professeure, je me fraye un chemin entre les rangs, mon sac à dos
abimé sur l’épaule. Je passe les premiers rangs en mesurant mon souffle. Kellan est le
premier obstacle sur mon chemin vers, je l’espère, quarante minutes de soulagement.
« Vous pourriez vous dépêcher, Eleanor. Vous faites perdre un temps précieux à la
classe », dit la prof, me faisant grimacer en m’arrêtant brièvement à côté de Kellan.
Il lève les yeux vers moi, mais je ne le reconnais pas. Ses yeux noisette sont durs et
sans pitié, sans la moindre once de la douceur qui m’avait faite m’ouvrir à lui, en premier
lieu. Ses lèvres sont toujours aussi attirantes, mais il est hors d’atteinte à présent. Le
regard dans ses yeux en dit tout long.
« Dépêche-toi, la nouvelle », marmonne-t-il, ce qui fait glousser la brune en chaleur.
Quelle mouche les a piqués pour apprécier tant de cruauté.
Je lève les yeux au ciel et avance, juste à temps pour que mes yeux rencontrent ceux
de Gage. Il n’est pas content que je sois là et se moque en se penchant loin de moi et en
choisissant de regarder un point distant à l’extérieur, au-delà de la large fenêtre.
J’y suis presque. C’est Rhett qui m’effraie le plus. Je passe à côté de lui alors que ses
yeux sont fixés devant lui, le regard vide. Son expression est si froide et distraite que je
ne remarque pas son pied sortir de sous sa table. Il me fait un croche-pied et je tombe,
tel un arbre solitaire au milieu des bois. L’impact sur le sol provoque un choc. Les éclats
de rires qui s’en suivent ne me surprennent pas du tout, alors que toutes mes affaires
s’envolent de mon sac à dos ouvert et que mes tampons s’éparpillent sous ma table. Mes
livres atteignent les reines de beauté et je peux dire au revoir à mes stylos, qui ont déjà
roulé de l’autre côté de la salle. Je ne vais pas pouvoir les récupérer de sitôt.
« Ça va, Eleanor ? » demande la prof après avoir fait taire la classe.
« Tu pourrais regarder où tu vas », dit Rhett, absolument pas amusé en baissant ses
yeux sur moi. Je sais que mon short en jean lui donne une vue parfaite sur mes fesses car
son regard flâne et s’y arrête. C’est bien trop embarrassant, mais si je pars en pleurant,
ils gagneront. Si je commence à me battre, ils gagneront.
« Désolée », dis-je, me remettant d’un coup sur mes pieds et me retournant vers la
professeure. « C’est ma faute, madame. J’ai trébuché. »
« Allez. Dépêchez-vous, nous devons commencer le cours », répond la professeure,
clairement gênée par mon retard et ma chute. L’année ne commence pas de la meilleure
façon, ça s’est sûr. Heureusement c’est ma dernière. Plus que huit mois et nous en aurons
fini.
Je parviens à remettre la plupart de mes affaires dans mon sac, mes mains tremblant
à tout-va. Je prends enfin ma place et sors mon cahier, en jurant à voix basse, car je n’ai
rien pour écrire. Mon visage brûle et je transpire de tous mes pores.
Rhett, Kellan et Gage me tournent désormais le dos. Au moins, je n’ai pas à les
regarder dans les yeux pendant le reste de ce cours. La prof griffonne son nom à la craie
sur le tableau noir. Madame Humphrey. Je l’appellerai poil de carotte. J’ai plutôt du mal
en général avec les noms.
« Je suis heureux de vous revoir, ma classe ! », dit-elle, rayonnante comme un matin
de printemps. « J’espère que vous avez tous passé un bel été ! C’est votre dernière
année ! N’êtes-vous pas excités ? »
Les moutons de Panurge applaudissent et gloussent. Oh oui, ils sont bel et bien
excités. Grâce à moi, ils vont probablement passer une année de terminale très
divertissante.
« Pour ceux d’entre vous qui ne me connaissent pas, je m’appelle Laura Humphrey et
j’enseigne l’histoire de l’Amérique ici, à Trinity High. Nous avons quelques nouveaux
élèves cette année et comme le veut la tradition, j’aimerais inviter chacun d’eux à se
lever et à nous dire un petit quelque chose sur eux. »
« Oh merde », je murmure, me tassant déjà dans ma chaise.
Elle regarde autour et me repère en premier. Parce-que pourquoi pas, putain ?
« Eleanor Fox. Commencez, ma chère. Rattrapez-vous pour votre retard », dit-elle.
Je la déteste déjà avec le feu de milliers de soleils, mais l’histoire de l’Amérique est
bel et bien l’un de mes atouts clés. J’aurais un jour besoin qu’elle m’apprécie. Mais on
peut s’en occuper plus tard. Pour l’instant, je dois juste passer la journée, afin de pouvoir
me concentrer ce soir et trouver une stratégie pour survivre le reste de l’année.
Quelque chose me dit que les têtes brûlées ne vont pas me rendre la vie facile. Ils ne
me regardent pas, je trouve donc une once de courage pour me lever et je m’éclaircis la
voix. Le reste de la classe a les yeux rivés sur la nouvelle fille empotée qui s’est fait
rappeler à l’ordre sur le parking dans les dix premières minutes de son arrivée. Certains
d’eux semblent me détester sans même de savoir qui je suis. Kyle avait raison. Ce lieu
est une vraie jungle.
Avec une voix fatiguée, je parviens à me présenter. « Bonjour… Je suis Eleanor Fox.
Les gens m’appellent Elly… »
« Je suis sûre que les gens peuvent te surnommer de façons bien plus intéressantes »,
m’interrompt Gage, sans prendre la peine de me regarder. Des rires retentissent dans la
classe alors que poil de carotte le fusille du regard. « Désolée, Madame Humphrey »,
ajoute-t-il. Elle sourit, satisfaite de cette excuse. Et moi ? Je suis la seule qui vient d’être
insultée !
« Je viens de Barkston, à moins de cent cinquante kilomètres à l’ouest d’ici », je
continue, ne voulant pas qu’on m’interrompe. « J’ai déménagé à Trinity il y a quelques
semaines à cause de… changements familiaux. J’ai réussi haut la main les concours de
débats dans mon ancien lycée et j’espère avoir l’occasion enrichir davantage mon
éducation ici avant que je… »
« Des changements familiaux ? » m’interrompt la brune en chaleur. « Papa a sauté la
secrétaire ou quoi ? »
Des gloussements s’échappent, mais je ne suis clairement pas amusée. Je bouillonne.
Si elle pense qu’elle va s’en tirer avec le même genre de conneries que les têtes brûlées
viennent de sortir, elle va droit dans le mur. Je baisse mes yeux sur elle.
« Tu t’enfonces, chérie, et peut-être que Kellan te laissera tomber sur lui. Mais tu
n’auras pas de bons points pour avoir été une garce envers de parfaits étrangers, qui ne
t’ont absolument rien fait », dis-je, le ton sec.
« Oh, piquée ! » murmure quelqu’un, encourageant l’émergence de nouveaux « Oh »
et « Ah » excités depuis la foule pleine d’hormones. La brune adorerait rebondir mais elle
est déjà trop loin et poil de carotte s’exclame, outragée – davantage par ma réponse que
par la provocation de la pouffiasse.
« Eleanor ! Surveillez votre langage ! » s’exclame-t-elle.
« Vraiment ? Suis-je la seule à l’avoir entendu m’insulter ? » je riposte, refusant
d’abandonner cette fois. Les têtes brûlées ne me regardent même pas, mais j’aperçois
leurs sourires lorsqu’ils se regardent. Je suis ravie de constater qu’ils s’amusent.
« Ce n’est pas comme ça que vous voulez commencer votre année ici », insiste poil de
carotte avec un ton menaçant.
En expirant brusquement, je lui donne le plus faux des sourires que je puisse arborer.
« Mes excuses, Madame Humphrey. Je ferai attention à mon langage. »
La brune semble satisfaite. Je commence déjà à élaborer des plans de combat dans
ma tête, parce que je sais qu’elle est suffisamment stupide pour essayer quelque chose
plus tard, en dehors de la classe. Le problème avec les têtes brûlées, c’est qu’ils sont si
appétissants, si hypnotisants et si sexy, putain, que des filles stupides comme celle-ci ou
sa copine blonde feraient n’importe quoi pour entrer dans leurs bonnes grâces. Mais ça ne
doit pas être à mes dépens.
Je m’occuperai des têtes brûlées plus tard, de toute façon. Je ne veux tout
simplement pas que leurs débiles dévouées viennent me faire chier. Il y a encore
beaucoup de choses horribles que je peux supporter avant de devoir dire adieu à
l’université de Berkeley et commencer à faire tomber des corps.
Poil de carotte me fait signe de m’asseoir, puis passe au nouveau suivant – un maigre
Texan à lunettes. Son jean et sa chemise kaki font déjà l’objet de commentaires de mode
désobligeants de la part des élèves autour de lui, mais il ne semble pas y prêter
attention. Il s’appelle Brad Parsley, vient d’Houston, au Texas et ses parents ont
emménagé à Trinity cet été. Il a l’air d’être un fils de militaire et ce n’est donc pas son
premier déménagement.
En ce sens, il est beaucoup plus résilient que moi. Je suis encore confrontée à ma
situation, alors qu’il en est à sa cinquième nouvelle école. Il est déjà passé par là.
Nous commençons finalement le cours puisque poil de carotte commence à parler de
la constitution des États-Unis. Elle entre même dans les grands détails, à l’inverse des
autres cours que j’ai eu sur le sujet. Je me souviens que je n’ai rien pour écrire et, bien
qu’elle soit détestable, poil de carotte parle de choses très intéressantes que j’aimerais
revoir plus tard.
Les stylos gribouillent frénétiquement autour de moi, tandis que je suis coincée au
fond, les mains triturant mon cahier ouvert. Un stylo entre dans mon champ de vision,
tenu par une main délicate au vernis à ongles rose et qui porte une bague en sphère
dorée. Pour en trouver la source, je suis le long du bras élancé et trouve l’une des reines
de beauté qui m’offre ce qui pourrait bien être un geste de bonne volonté.
Elle est encore plus belle de près, avec de longs cheveux à la Jennifer Anniston et des
yeux bleus ensoleillés. Son teint est sublime et naturel, agréablement souligné par son
haut blanc et son jean vert pâle. Elle m’offre un sourire, mais il est difficile à lire. Est-ce le
sien ou est-ce un faux ?
« Jusqu’à ce que tu récupères les tiens par terre », murmure-t-elle.
Les deux autres filles de sa bande ont les yeux rivés sur moi, mais elles semblent être
une sorte de logiciel malicieux qui s’introduit et détruit tout si on s’ouvre à lui. Quelque
chose me dit que Jenny ici est du même type, mais j’apprécie le stylo. J’en ai besoin.
« Merci », je murmure, en lui donnant un faible signe de tête, alors que j’attrape le
stylo et commence à prendre des notes. Poil de carotte ne cesse de parler et de noter
des dates au tableau. Au moins, j’obtiens un semblant d’éducation au milieu de tout ce
merdier.
« Ne les laisse pas t’atteindre », dit Jenny. « Les mecs peuvent être vraiment
méchants sans raison, particulièrement avec les nouveaux élèves. »
Je fais un nouveau signe de tête en lui jetant un bref regard. J’aimerais la croire, mais
je connais Rhett, Kellan et Gage. Peut-être autant, sinon plus qu’elle. Ils n’étaient pas
comme ça cet été. Plus j’y pense, plus je suis convaincue que quelque chose leur est
arrivé – quelque chose qui les fait se comporter de la sorte envers moi.
Kellan a recommencé à flirter avec la brune, qui ne cesse de me fusiller du regard à
chaque fois que nos regards se croisent. Je ne l’aime pas. Non pas parce qu’elle a son
attention – je gère déjà le fait que tout ce qui s’est passé avec Kellan est clairement
terminé, brûlé et enterré, et disparu à jamais. Non, je ne l’aime pas parce qu’elle est
prête à aller bien bas pour s’attirer ses faveurs.
Franchement, je suis étonnée que Kellan soit même excité par un tel spécimen. S’il y
a bien une chose qui, je sais, attire son intérêt, ce sont les femmes sûres d’elles.
Exactement comme son frère et son ami.
Mon téléphone vibre. C’est Kyle, qui me demande comment je m’en sors. Par où
commencer ?
ELLY

JE jusqu’à la pause déjeuner sans autres incidents.


SURVİS
Le réfectoire est énorme comparé à mon ancien lycée mais, là encore, la population
de Trinity High est deux fois plus importante – et trois fois plus horrible.
Au moins c’est suffisamment bondé pour que peu de gens me remarquent. En
soupirant de soulagement, je me dirige vers la cafétéria, où sont exposés quelques-uns
des aliments les plus malsains d’Amérique. Quelque chose me dit que la mairie de cette
ville devrait investir davantage dans la nourriture qu’ils donnent à leurs élèves, au lieu de
rafraîchir les fleurs devant la maison du Maire.
De la pizza rassie d’hier. Des frites qui semblent dures. Des œufs brouillés au
fromage. Des steak-hachés panés et des petits pains à 30 centimes. L’étalage me donne
envie de pleurer à l’intérieur, mais il y a au moins un peu de coleslaw pour faire plus
facilement passer le tout. Je charge un plateau d’une part de pizza, de frites et de
coleslaw, puis je remplis un verre d’eau froide. Je tuerais pour une viennoiserie, là, tout
de suite. Mon ancien lycée fait plus attention à ce qu’il met sur nos plateaux. Notre
principal est un fervent partisan des politiques alimentaires de Michelle Obama et
j’appréciais les verdures et les fruits frais qui étaient tous les jours ajoutés à notre
déjeuner.
En tenant fermement mon plateau des deux mains, je me retourne et cherche un coin
isolé où m’asseoir, aussi loin que possible de la foule déchaînée. Mon cœur bat la
chamade quand j’aperçois Kellan et Rhett entrer. Cependant, ils ne me remarquent pas,
puisqu’ils se dirigent vers ce que j’assume être leur table. Personne ne l’a approchée.
C’est probablement une « règle de la maison » ou quelque chose du genre. Ne touchez
pas la table des têtes brûlées ou ils enfonceront une fourche dans votre trou du cul.
Je m’éloigne de la cafétéria et me précipite le long du mur avant d’être repérée.
Quelqu’un me fait signe. C’est Kyle. « Merci aux foutues étoiles », je murmure en le
rejoignant rapidement. Il y a quelques secondes au bout de notre table, mais ils ne
semblent pas être perturbés par ma présence. Ils sont trop occupés à parler du bal
d’hiver.
« Comment se sont passés tes cours ? » me demande Kyle alors que j’essaie de
trouver le meilleur angle pour attaquer ma part de pizza, en jetant de temps en temps un
regard furtif dans le réfectoire, pour m’assurer que les têtes brûlées ne m’aient pas vue.
« Disons simplement que j’ai fait une entrée mémorable », je marmonne avant de lui
raconter le croche-pied de Rhett et les piques reçus durant ma présentation.
Kyle s’énerve, mais il arrive très bien à se contenir. « Je suis désolé de ce qui se
passe, Elly. Je te dirais bien d’en parler au moins au principal, mais ces mecs sont
protégés par plus de la moitié de la communauté. J’ai mis les choses au clair sur un tapis
de judo avec Kellan et, par extension, avec Rhett et Gage, mais tous les autres, lorsqu’ils
sont concernés, sont soit ignorés soit pris pour cible. »
« Oui, je l’ai compris lorsque j’ai vu que poil de carotte était plus énervée par le fait
que je riposte à la bimbo brune que par les insultes que celle-ci m’a d’abord lancée », dis-
je.
« Poil de carotte ? »
Il lève un sourcil vers moi, et je glousse, bien décidée à d’abord goûter aux frites.
Elles ont meilleur goût qu’elles ne paraissent. Peut-être que la pizza ne sera pas si
mauvaise non plus. « C’est la façon dont je surnomme Madame Humphrey. C’est plus
facile à retenir. »
« Logique. Et la bimbo brune s’appelle Kaylee. »
« Logique », je souffle. « Ce serait Kaylee, ou Harper, ou Jaycee, avec deux "e" » à la
fin… »
Ça fait rire Kyle. « Tu n’es pas trop branchée filles populaires, hein ? »
« A quoi bon ? La plupart d’entre nous ne nous reverrons pas après le lycée, de toute
façon, et j’ai de biens meilleurs centres d’intérêts que les filles soi-disant populaires. Ma
mère dit que j’ai une âme de vieille. »
« Je comprends pourquoi », dit Kyle en souriant. « Mais c’est une bonne chose. Tu
avances dans la vie avec un état d’esprit plus sain. Les gens de notre âge sont encore
coincés entre la gloire du lycée et les dernières tendances à la mode. Tu es au-dessus de
ça, Elly. Garde ça en tête dès que cet endroit te fera te sentir triste. »
Je lui fais un sourire. « Tu n’es pas loin derrière moi non plus, en y réfléchissant. Ta
sagesse est… anormale pour ton âge. »
« Eh bien, je suis bisexuel. J’ai en quelque sorte dû endurer cette merde plus tôt, en
première. Ça m’a ouvert les yeux. »
Sa franchise me surprend mais je l’apprécie. « Des harceleurs, hein ? Les têtes brûlées
y étaient pour quelque chose ? »
Kyle secoue la tête. « Non, s’il y a bien une chose que je dois leur reconnaître, c’est
ça. Ils ne s’en prennent jamais à toi à cause de tes attirances. Ils auront des problèmes
avec tes vêtements, ton tas de ferraille, ton statut social, mais pas ta sexualité. Et Rhett
a cassé la gueule du dernier à m’avoir harcelé en seconde, peu de temps avant que j’aie
une poussée de croissance et que je commence à cartonner aux entraînements de judo. »
Ce souvenir le fait sourire. Son récit sur les têtes brûlées se rapproche plus de ce que
je connais d’eux, même s’ils donnent tout de même l’impression d’être des connards et
des d’harceleurs, d’un genre légèrement différent. Je suis tellement perdue…
« Parle-moi du camp de vacances », dit-il. « Tu m’as dit que tu les avais rencontrés là-
bas et qu’ils étaient différents. »
Je hoche frénétiquement la tête. « Ils l’étaient. Je te le jure. Certes, nous n’avons pas
commencé de la meilleure des façons puisque Rhett a failli m’écraser avec sa voiture,
mais nous sommes rapidement devenus fervents les uns des autres. Nous n’avons jamais
parlé d’où nous venions… Ils disaient que les détails n’avaient pas d’importance. J’avais
l’impression qu’ils ne voulaient simplement pas que je le sache, et je pense qu’ils ont
également fait taire le reste du camp… »
« Alors, tu t’es renseignée autour quand ils ne voulaient rien te dire, hein ? » sourit
Kyle.
« Un peu. J’aurais dû savoir à l’époque que ce que nous avions ne durerait pas », dis-
je en soupirant. « Kyle, je te jure, ils n’étaient pas du tout les mêmes personnes que
celles que j’ai vues aujourd’hui. Bien évidemment, ils avaient leurs manières grossières et
autres choses du genre, mais ils ne m’ont montré rien d’autre que du respect et… »
Ma voix s’éteint lorsque je prends conscience que je ne veux pas lui donner trop de
détails. Kyle est gentil mais, étant donné la façon dont ce lycée m’a traitée jusqu’ici, je
devrais faire plus attention au type d’information que je dévoile, particulièrement si elles
concernent Rhett, Kellan et Gage. La dernière chose dont j’ai besoin c’est que des
rumeurs déferlent à leur sujet.
Kyle me regarde curieusement. « Et ? »
« C’est tout. On a trainé ensemble. Parlé de… choses. Bu du whisky cul sec et fumé
des pétards », je ris légèrement. « Je ne comprends simplement pas ce qui les a poussés
à se transformer en de tels persécuteurs. »
Kyle hoche doucement la tête. « Tu ne pourras rien tirer d’eux en public, Elly. Ils t’ont
clairement montré comment ils avaient l’intention de te traiter ici. Il vaut mieux que tu
essaies de les approcher en privé. »
« Ils n’ont pas répondu à mes messages depuis plus de deux semaines », dis-je.
« Non. En personne. Tu dois le faire en personne. Et si tu as peur qu’ils te fassent du
mal ou qu’ils fassent bien pire, dis-le-moi et je serai tout près, au cas où tu aurais besoin
de moi. »
Mon cœur se gonfle. Comment Kyle peut-il être un tel amour ? C’est une bouffée d’air
frais au milieu de ce cauchemar de banlieue. Sa gentillesse et sa présence d’esprit
m’encouragent à lui faire davantage confiance. Il est possible qu’après un certain temps,
je trouve le courage de m’ouvrir davantage et de lui donner les détails de mon camp de
vacances à batifoler avec les têtes brûlées.
Son sourire s’efface lorsqu’il remarque quelqu’un s’approcher de notre table derrière
moi. Avant que je puisse tourner ma tête pour voir qui c’est, j’entends Kyle crier « Non,
arrête ! ».
Un milkshake à la fraise se déverse sur ma tête. C’est froid et je ne sais pas pourquoi
je ne crie pas. C’est peut-être le choc, alors que des éclats de rires et des cris jaillissent
tout autour de moi. Je suis paralysée, le milkshake à la fraise dégoulinant de partout. J’ai
le souffle coupé et j’essaie de comprendre ce qui vient de se passer.
« Fils de… », Kyle saute de sa chaise, prêt à frapper quelqu’un, mais je reconnais la
voix qui le coupe. La voix de mon agresseur.
« N’y pense même pas, Perry », dit Gage. « Ou ta trêve avec Kellan n’aura plus
aucune valeur. »
L’avertissement arrête Kyle dans sa lancée. Ses mains sont serrées en poings, mais il
n’osera pas défier Gage. C’est alors que je réalise que je suis vraiment toute seule. Que
toutes les paroles rassurantes de Kyle ne valent rien. Il essaie simplement d’être gentil et
soutenant. Il ne donnera aucun coup pour me défendre.
L’école les protège. Les élèves qui ne sont pas la cible de leur colère les acceptent.
Certains les vénèrent même, comme Kaylee et le reste des abruties, avec leurs cheveux
longs détachés et leur vernis à ongles rose…
Je suis seule, recouverte de milkshake à la fraise, entourée de personnes qui me
détestent sans la moindre raison. En levant lentement ma tête, je trouve Gage debout à
côté de moi, tenant un verre vide. Il sourit en haussant les épaules avec nonchalance.
« Désolé, c’est parti tout seul. J’ai glissé », dit-il, suscitant une nouvelle série de
gloussements écœurants autour de notre table.
Je suis sans voix. Des larmes me piquent les yeux. Comment vais-je pouvoir passer
cette putain de journée, alors que je suis couverte de ce putain de milkshake à la fraise ?
Ce n’était pas un accident. Je le sais, Gage aussi. Le milkshake à la fraise est mon
plaisir absolu, et les têtes brûlées avaient l’habitude pendant le camp de m’en apporter
un presque tous les jours depuis la ville la plus proche.
Derrière lui, Rhett et Kellan arborent de larges sourires, satisfaits de ce résultat. Ce
sont des connards. De vrais connards. Tout ce qui s’est passé cet été n’était clairement
qu’un tas de mensonges et de conneries soigneusement enveloppées. Rien de plus, rien
de moins. Je me sens à présent violée. Je me suis donnée à Kellan, en pensant qu’il était
sincère quant aux sentiments qu’il disait avoir pour moi…
J’ai ouvert mon cœur à Rhett, lui ai fait part de mes craintes concernant la relation
entre mes parents… mon rêve de poursuivre un jour une carrière politique. Toutes les
petites choses qui me faisaient sourire ou les choses, plus subtiles, qui m’excitaient.
J’ai aussi laissé Gage entrer dans mon âme. Il m’a traitée comme une princesse, m’a
pourrie gâtée…
Tout ça n’était qu’un jeu. Une illusion éphémère qui s’est éteinte en même temps que
les derniers journées caniculaires d’août. Elle s’est éteinte au moment où je suis montée
dans la voiture de mes parents, quand ils m’ont récupérée et ramenée à la maison. Et
maintenant, je ne suis qu’une idiote.
La blague.
Je me relève au milieu de la marée d’élèves qui rient encore. « Je ne vois pas ce qui
est si drôle », dis-je à Kyle, ignorant complètement Gage et les autres. « Ce n’est pas le
premier milkshake qui trempe quelqu’un. »
« Elly, je… », dit Kyle pour essayer de me répondre, mais il n’a rien de bon à me
donner. Pas après l’interjection de Gage. Et je ne veux pas non plus lui causer d’ennuis.
Non. Les têtes brûlées viennent juste de me déclarer la guerre. Et j’ai bien l’intention
de me défendre. À partir de demain. Aujourd’hui… j’ai perdu la bataille. Je dois aller me
nettoyer et voir si je peux emprunter un tee-shirt au coach Albert, puisqu’il a quelques
vêtements en trop de l’équipe féminine de softball.
Je survivrai au reste des cours. Je garderai la tête baissée.
J’apprendrai bien assez-tôt à ces fils de putes que je suis la dernière personne qu’ils
veulent emmerder.
ELLY

LES TOİLETTES SONT ASSEZ BONDÉES, à mon grand désarroi. Les têtes craquent lorsqu’elles se
tournent pour me regarder. Des filles de toutes couches sociales sont en train de
partager, à la vue de tous, mon bref moment de détresse. Les trois reines de beauté sont
également de la partie. Merde.
Je suis recouverte de milkshake à la fraise, mes joues frémissent presque et je n’ai
rien d’amusant ni de désobligeant à dire. Tout ce que je peux faire, c’est me tenir à la
porte et espérer qu’aucune ne dise un mot. Des murmures font écho dans la pièce aux
murs blancs et propres, à l’inverse de ma présence imbibée de lait.
L’une des filles gothiques s’écarte du lavabo. C’est un signe pour que je puisse
l’utiliser.
« Merci », je marmonne en passant devant les reines de beauté et en m’arrêtant
devant le miroir. Je ressemble à la fin d’une stupide farce de lycée – ce qui est exact de
toute façon. Ils pourraient mettre une photo de moi dans le dictionnaire pour ce moment
précis.
J’ouvre le robinet d’eau froide et commence par enlever le lait de mon visage et de
mes cheveux. J’ai les larmes aux yeux mais l’eau froide les neutralise rapidement, alors
que je continue à essayer de retrouver un état décent. Autour de moi, des pas se traînent
sur le sol en marbre. Certaines filles partent. D’autres entrent. Mais une présence
persiste. Je les sens me fixer. Les yeux sur le derrière de ma tête. J’essaie de ne pas y
prêter attention, mais je ne peux pas m’en empêcher. C’est trop. Je n’ai jamais rien voulu
de tout ça. Je n’ai fait que dire bonjour à trois personnes que je pensais être mes amis.
Ils auraient au moins pu m’envoyer un message. Kellan aurait pu me dire que c’était fini,
pour m’épargner toute cette humiliation. Peu importe la façon dont je vois les choses, je
ne trouve aucun sens à leurs actions ou à leurs paroles blessantes.
Des larmes coulent sur mes joues. Petites choses butées. Je nettoie mon visage,
encore et encore, mon corps tremblant et luttant pour garder mon sang-froid. Mais
j’échoue. À vue d’œil. Et les reines de beauté sont toujours là à me regarder, pour une
raison quelconque.
En inspirant profondément, je redresse mon dos et me regarde à nouveau dans le
miroir. Mes cheveux sont trempés mais la plupart du milkshake est parti. Ma chemise et
ma veste sont cependant compromises. Il n’y a pas assez d’eau dans ce robinet pour fixer
le problème. J’aurais besoin de parler au coach Albert, qui voudra probablement savoir
comment je me suis retrouvée recouverte de milkshake.
Je regarde les reines de beauté. Deux d’entre elles sourient et tapotent sur leurs
téléphones, appuyées contre le radiateur. La troisième, qui m’a donné un stylo en cours,
met du gloss rose sur ses lèvres parfaites. Je comprends pourquoi les mecs les aiment.
Elles sont sexy et elles portent sans complexe des vêtements qui mettent en valeur leurs
plus beaux atouts. Pendant une fraction de seconde, je me demande si Rhett, Kellan ou
Gage ont été avec l’une d’entre elles ou même toutes. Ça ne me surprendrait pas s’ils
l’avaient été.
« Au fait, je m’appelle Presley », dit la reine au gloss, sans quitter son reflet des yeux.
« Nous n’avons pas eu l’occasion de nous présenter correctement. La princesse en
turquoise, c’est Sarah », ajoute-t-elle, en désignant la première reine de beauté, qui
porte une robe d’été turquoise avec une large ceinture marron attachée autour de sa
taille de guêpe et des sandales de style grec. « La rockeuse là-bas c’est Tandy. »
Tandy me donne un sourire sec, l’eyeliner noir accentuant ses yeux de chat. Elle porte
un bandana rouge qui maintient ses cheveux attachés dans une queue de cheval serrée,
ses seins luttant contre une chemise à carreaux attachée au-dessus sa taille. Le jean
qu’elle porte donne l’impression qu’il va se fendre s’il elle se penche un peu trop en avant.
Elles ont un style différent et pourtant, elles parviennent à s’accorder parfaitement
ensemble, comme une collection de Barbie en édition limitée.
Prestley a une beauté naturelle typique américaine, à la Jennifer Anniston.
Sarah est légèrement bohème mais elle a un air suffisamment hautain pour qu’il soit
impossible de l’atteindre. Elle est probablement mannequin. Elle a les jambes
interminables qu’il faut.
Tandy… Tandy est une mauvaise fille. Je parie qu’elle aime fumer et boire du whisky.
Elle est probablement excitée par les grosses cylindrées et les motos. Mais je comprends
pourquoi elles sont toutes les trois les reines de beauté de Trinity High.
Elles se complètent. Pendant ce temps, le milkshake à la fraise dégouline de ma
chemise sur le bord du lavabo. Je leur donne un sourire modeste. « J’imagine que vous
savez déjà qui je suis », dis-je en soupirant.
Presley glousse, remet son gloss dans sa pochette en daim en se tournant vers moi.
« Elly, c’est un monde de "chacun pour soi" », dit-elle d’une façon détachée. « Tu t’es
retrouvé la cible de harcèlement mais ça ne veut pas dire que tu le seras pour le reste de
ta vie. C’est seulement le lycée, après tout. »
Je retire d’abord ma veste, en faisant de mon mieux pour nettoyer autant que
possible le lait gluant, sous la pression de l’eau. « Oui, je sais. De toute façon, c’est ma
dernière année. Ce sera fini avant même que je m’en rende compte. N’est-ce pas ? ». Je
prononce les mots mais sans conviction. Ce qui se passe en ce moment semble avoir plus
d’importance plus que le reste de ma vie, même si c’est complètement illogique.
« Ou ils pourraient faire en sorte que ça ressemble à une vie entière », répond Tandy,
le ton sec. Elle n’a pas tort, malheureusement.
« L’important, c’est que tu ne les laisses pas t’atteindre », ajoute Prestley.
Je lui lance un bref coup d’œil. « Je pensais que vous étiez amis avec Rhett et
compagnie. »
« Nous le sommes », dit-elle en haussant les épaules. « Ça ne veut pas dire que je
n’ai pas le droit de donner de sages conseils à ceux qu’ils choisissent de tourmenter. »
« En parlant de ça, pourquoi ils ont une dent contre toi, exactement ? » demande
Sarah.
Mon visage est brûlant. J’ai l’impression qu’il pourrait tomber, je l’asperge donc d’eau
froide pour garder mon esprit clair.
« Je n’en ai aucune idée », dis-je. C’est aussi la vérité, pure et simple. Elles n’ont pas
besoin de savoir que j’ai passé mon été avec les têtes brûlées. À moins que l’un d’eux ne
leur ai raconté. Non ça n’a pas de sens. Tu aurais certainement entendu des gens parler
de ton aventure d’été. De tes aventures.
« C’est bizarre. Rhett ne cherche généralement pas à provoquer une bagarre avec
quelqu’un sans raison valable », réfléchit Prestley.
« Je doute que tu puisses appeler ça une bagarre. Il faudrait que je riposte pour le
qualifier ainsi », je lui réponds, me demandant si je devrais attendre qu’elles partent ou
simplement retirer ma chemise maintenant. Je porte une brassière, de toute façon.
Les filles rient. Même leur rire est joli. Moi, je ris comme un petit cochon. Et j’ai choisi
le mauvais moment pour me comparer à elles. Ça ne fait que piétiner un peu plus mon
estime de moi et empirer les choses. Je suis à nouveau sur le point de pleurer. Merde.
Prestley me fixe, son regard bleuâtre est suffisamment froid pour me donner des
frissons dans le dos. « Sarah, peux-tu vérifier auprès du coach Albert ? Je suis sûre qu’il a
quelques tee-shirts de rechange dans le casier du gymnase », dit-elle sans me quitter des
yeux.
Sarah lève les yeux au ciel mais sort néanmoins des toilettes. Prestley est la chef de
bande. Logique. Elle a l’attitude qu’il faut pour ça.
« Merci », je murmure.
« Non, chérie. Un peu d’humanité ne fait de mal à personne », répond Prestley. « Mais
tu devrais retirer ta chemise. Il n’y a que des filles ici. »
Je hoche lentement la tête et quitte le tissu de ma peau, me sentant toute gluante. Je
dépose ma chemise dans le lavabo et laisse l’eau faire le plus gros du travail pour moi,
avant de me mettre à nettoyer ce qui reste sur mon cou et ma poitrine. C’est bien trop
embarrassant mais Prestley a raison. Je ne peux pas être indéfiniment la cible de cette
merde.
« J’espère que tu n’as pas l’intention de rentrer chez toi maintenant », dit-elle, comme
si elle lisait dans mes pensées.
En secouant la tête, je récupère des serviettes en papier du distributeur et commence
à me sécher. « Ça voudrait dire qu’ils ont gagné. Donc, non. »
Un sourire s’étire sur ses lèvres. « Tu es futée. »
Sarah revient avec un tee-shirt blanc. Contre toute attente, il est à ma taille, avec le
logo de l’équipe de softball dessiné sur le devant – une rose dans un cercle,
accompagnée du nom de l’équipe. Les Épines de Trinity. Logique…
« Pourquoi est-ce que vous m’aidez ? », je demande puis remercie Sarah d’un signe de
tête en lui prenant le tee-shirt des mains et en l’enfilant. « Je veux dire, ça ne va pas
énerver Rhett et compagnie ? »
Prestley prend une profonde inspiration en pinçant ses lèvres devant le miroir,
visiblement ravie de leur effet avec cette nuance rose brillante. « Ça ne nous rend pas
amies, Elly. Je suis simplement en train de faire la paix et te donner une chance de te
battre », dit-elle. « Ils se sont bien amusés et je doute qu’ils aient d’autres idées pour le
reste de la journée. Demain, ça pourrait être pire. Mais d’ici là, je préfère quand même
être un être humain décent avant de changer d’état d’esprit. »
C’est un avertissement. Je ne peux pas m’approcher d’elle. Je dois me sortir cette
pensée de l’esprit le plus vite possible. Les reines de beauté ne sont pas mes alliées. Et
merde, si je ne fais pas assez attention, elles pourraient même devenir mes ennemies en
un clin d’œil. Je dois déjà lutter contre les têtes brûlées, donc les ajouter à ma peur n’est
pas dans mon meilleur intérêt. Depuis quand la vie lycéenne était-elle devenue si
compliquée et si… violente ?
Barkston était différent. Mais là encore, je n’étais pas seule à Barkston. Je n’étais pas
face à moi-même, de la chair à canon pour les persécuteurs.
RETOUR A U C A MP DE VA C A NC ES, 2 ÈME J OUR.

IL FAİT DÉLİCİEUSEMENT CHAUD İCİ, au bord du lac Tahoe. Je porte mon short en jean court et un
bustier vert, puisque ma peau ne peut pas vraiment tolérer grand-chose d’autre sous ces
températures. Mais j’adore ce temps. J’adore la chaleur et la brise fraîche qui m’effleure
de temps en temps. L’ombre est parfaite et j’ai trouvé l’arbre parfait sur lequel m’asseoir
avec mon exemplaire de M. Mercedes et mon téléphone en silencieux.
Nous sommes censés avoir des activités de camp aujourd’hui, mais j’ai choisi de ne
pas participer à toute cette merde. Il est hors de question que je passe ma matinée avec
un groupe de jeunes de quinze ans qui n’arrive pas à faire correctement un nœud marin.
Non. Pas la moindre chance. J’ai un livre à lire et une âme à purifier, et il n’y a rien de
mieux pour cela que de se détendre sur un arbre.
Seulement… Je ne suis pas seule.
« Merde », je marmonne à moi-même, en entendant des voix d’hommes qui
s’approchent de mon coin.
J’ai été prudente en le choisissant. On ne peut même pas voir le chalet principal d’ici.
Les bois sont si grands et épais de ce côté, c’est un plaisir absolu. J’ai l’impression d’être
aussi loin que possible de la civilisation, y compris des moutons du camp. Donc qui a bien
pu arriver jusqu’ici et perturber mes bonnes ondes ?
« Donne-moi la flasque Kellan, ne sois pas con », dit-il. Oh, merde. C’est Rhett. Kellan
et Gage sont avec lui. Ils marchent dans les bois et s’approchent dangereusement de
mon lieu secret.
« Mais qu’est-ce qu’ils foutent ici ? », je me murmure à moi-même en me tordant le
cou pour mieux voir. C’est tout un exploit de ne pas tomber de cette branche, et me
ridiculiser devant ces dieux grecs est bien la dernière chose dont j’ai besoin.
Ils se partagent une flasque en marchant, buvant des culs secs et riant, tandis qu’ils
s’éloignent du chalet mais se rapprochent de mon arbre. Je me sens soudain vulnérable.
Complètement nue, même. Enfin, techniquement parlant, je n’ai pas beaucoup de
vêtements sur moi, mais le temps est le meilleur argument à cet effet. Pourquoi est-ce
que je réfléchis trop ?
« Combien de temps va-t-il falloir aux responsables pour remarquer notre absence ? »
demande Kellan.
Ils ne sont plus qu’à quelques mètres de mon arbre. Je m’apprête à retenir mon
souffle. Les types comme eux sentiraient probablement la peur sur ma langue, sans que
je n’ouvre la bouche.
« Je ne sais pas. Franchement, je m’en fous complètement », répond Rhett. « Nous
sommes des terminales, mec. Personne ne se préoccupe de ce que nous faisons. »
« Ils sont trop occupés à compter les premières, Kellan », glousse Gage.
« Pendant que tu es occupé à les collectionner », dit Kellan, souriant comme s’il était
le diable incarné. « Combien de numéros as-tu récupéré jusqu’ici ? »
« Six ou sept, je crois. J’ai dû désactiver mes notifications WhatsApp. »
Rhett rit. « Chien de chasse. »
« C’est l’été ! C’est ce que tu fais en été ! Tu baises, tu bois, tu te fais un ami ou
deux ! » répond Gage. Je dois dire que j’aime sa façon de penser. C’est la plus saine sur
laquelle je suis tombée. J’aime aussi la façon dont il se promène tranquillement dans les
bois, avec rien d’autre sur lui qu’un jean déchiré. Son torse est nu, et je peux voir chaque
muscle, chaque ligne et chaque crête de ce torse sculpté. Même si je doute qu’il aille
souvent à la salle de sport. Il semble plutôt être quelqu’un qui a cette tonicité et ce corps
au moyen de travaux physiques.
Je pourrais dire la même chose de Rhett, qui arbore un bermuda et maillot de corps
moulant blanc. Il est plus grand que Gage mais il reste tout aussi mince et musclé. Ses
bras sont musclés et je me lèche les lèvres en suivant les lignes de ses biceps bombés.
Ils se fondent avec ses épaules, et mon corps entier se contracte en imaginant y enfoncer
mes ongles tandis qu’il me prend. Elly ! Arrête ça !
Mais je ne peux pas. Kellan est encore plus appétissant. Il porte un jean et un tee-
shirt de baseball, mais il ne semble pas à l’aise. Quelques instants après, comme si les
dieux avaient exaucé mes prières, il retire son t-shirt, révélant son buste d’athlète. Le
tee-shirt fini rembourré dans sa poche arrière et je dois faire de gros efforts simplement
pour respirer. Sa peau a le teint caramel et il a l’air assez fort pour écraser le crâne de
n’importe qui avec ses mains nues, sans pour autant enfler comme un bodybuilder. Non, il
a tout simplement la corpulence parfaite.
« Alors, tu as l’intention de toutes les baiser ou tu vas faire une sélection ? » demande
Rhett, alors qu’ils atteignent mon arbre.
Je m’appuie contre une écorne dure et rêche, incapable de respirer. Ils sont tellement
proches, mon espace personnel est pratiquement inexistant. À ce stade, si je me montre,
je n’aurais peut-être plus l’intimité que je désirais. Ces trois ont l’air d’être des fauteurs
de troubles – le genre qui me plaisent, en réalité. Mais si je reste silencieuse et qu’ils
continuent d’avancer, je pourrais passer la journée sans accumuler des choses à ne pas
raconter à ma mère.
« Je ne sais pas. Les jumelles étaient friandes d’un plan à trois, donc je pourrais en
réduire deux de la liste d’un seul coup », dit Gage, légèrement amusé.
Quel que soit l’effet qu’ils provoquent en moi, il est fort et déconcertant et il m’est
impossible de l’ignorer. Je suis tellement subjuguée que mon esprit s’éloigne des bois qui
entourent le lac Tahoe et se volatilise à l’intérieur d’une chambre, me demandant à quoi
ressemblerait un plan à trois avec Gage. Voudrais-je le partager avec une autre fille ? Ou
voudrait-il peut-être me partager avec un autre mec ? J’ai vu assez de porno pour avoir
une idée de ce à quoi ça ressemblerait. L’air devient plus chaud alors que je déglutis en
me demandant si Kellan ou Rhett seraient intéressés par quelque chose du genre. Ou les
trois ? Qu’est-ce que ça donnerait ?
Nom de Dieu, Elly, c’est audacieux pour une vierge !
Ok. Je devrais d’abord essayer avec un mec avant de chercher à en avoir deux ou trois
en même temps. Incapable de m’en empêcher, je jette un coup d’œil pour mieux voir
lorsqu’ils passent sous mon arbre. La tension s’accumule entre mes jambes et je sais que
je mouille. Ce n’est pas difficile, étant donné la vision que ces trois-là projettent sur ce
qui est de toute évidence un petit esprit obscène. En mordant ma lèvre inférieure, je me
laisse imaginer une seconde Rhett me prendre, pendant que mes mains errent sur les
torses nus de Kellan et/ou de Gage.

L’İDÉE EST TELLEMENT İNFİME, et déjà si dangereuse, que je me perds presque dans un fantasme
complet, si bien que mon livre me glisse des mains et atterrit sur le sol, faisant sursauter
les trois dieux. « Oh merde » je marmonne, figée sur place.
Rhett, Kellan et Gage s’arrêtent dans leur lancée. Rhett jette un œil en arrière et
remarque le livre au pied de l’arbre. Il ne lui faut que quelques secondes pour faire le
rapprochement et lever les yeux. Je suis baisée. Excitée et baisée, et pas dans le bon
sens du terme. Je ne peux pas bouger.
Ses yeux me trouvent, verts et remplis de questions auxquelles je redoute déjà de
répondre. Mais son regard ne laisse pas paraître la moindre pensée. « Elly ? »
« Salut… » dis-je d’une voix rauque, avant de m’éclaircir la gorge et d’essayer à
nouveau – plus fort cette fois. « Salut. »
« Qu’est-ce que tu fais là-haut, pyromane ? » demande Kellan, visiblement amusé.
Pyromane ? Est-ce un surnom affectueux ? Ou est-ce quelque chose qu’il aimerait
piéger à l’intérieur d’un bocal ?
Je ne leur ai pas à reparlé depuis que nous nous sommes rencontrés hier, dans des
circonstances plutôt vigoureuses, je n’ai donc aucune idée de la manière de les aborder.
De me comporter. De la manière dont je veux paraître. Je suis un petit agneau perdu qui
vient tout simplement de passer les dernières minutes à imaginer leur faire l’amour,
individuellement et ensemble. Je ne peux désormais même plus formuler une phrase
cohérente.
« Je… Euh, lis. Je lisais… l’intimité, vous connaissez ? »
Rhett sourcille alors que Gage essaie de ne pas rire. « Intimité ? » demande Rhett.
« Intimité pour faire quoi, exactement ? »
Je rougis. Je sens le sang me monter aux joues, comme des roses qui s’ouvrent, alors
que j’essaie de détourner mon regard mais n’y parviens pas. Cependant, je parviens à
pointer mon livre du doigt. « Pour lire, sans blague ?! »
« Sans blague… » glousse Gage. « Tu as donc dû nous entendre parler à l’instant,
non ? »
Je hoche lentement la tête. « Ce n’était pas mon intention. Je me mêle de mes
affaires depuis là-haut, comme vous pouvez le voir. »
Rhett revient vers l’arbre et attrape mon livre. Il le regarde puis lève les yeux vers
moi. « La suite est pas mal aussi », dit-il. Il se pourrait que j’aie léger un coup de cœur
pour lui. Ce n’est pas tous les jours que je trouve un pair qui aime Stephen King. Ses
livres sont destinés à un public plus… plus mature, pour ne pas dire plus.
« Tu l’aimes bien ? » je demande, ma voix presque inaudible.
Il sourit puis commence à grimper dans l’arbre. Je m’apprête à paniquer et à crier –
bien que je ne comprenne pas pourquoi. Ce n’est pas comme si c’était un grizzli qui
s’approchait pour me dévorer ! Je me fige et je n’ose pas bouger un muscle lorsqu’il
m’atteint, presque sans effort. Il a déjà grimpé un ou cinquante arbres dans le passé.
C’était bien trop facile pour lui.
Il attrape ma branche d’en dessous de ses deux mains et se hisse vers le haut, puis
l’enjambe, mon livre coincé entre ses dents. Mon regard tombe sur ses lèvres alors qu’il
en sort le livre et me le tend. « Tu as fait tomber quelque chose ? »
C’était rhétorique. Je devrais au moins sourire. Bien évidemment j’ai un rictus. Pas un
sourire. Un rictus, comme le maudit chat Cheshire, incapable de me contrôler en
récupérant mon livre d’une main tremblante. Il me dévisage curieusement, et je n’arrive
pas savoir ce qu’il pense. Mon cœur fait tout d’un coup un bruit sourd nerveux, trop gros
pour ma cage thoracique. Rhett a un effet troublant sur moi et je ne sais pas comment
l’interpréter. Je n’ai jamais ressenti ça auparavant. Les mecs populaires de mon lycée
sont bien trop prudents. Qui aurait pensé que ça allait être ce type de perturbateur qui
serait capable d’allumer ce genre de feu en moi ?
« Alors quoi, on grimpe des arbres maintenant, Tarzan ?! », Gage l’appelle d’en bas,
en riant.
« Attends », répond Rhett puis me regarde et sourit. « Vas-tu sérieusement rester ici
toute la journée ? »
Je hausse des épaules. « Qu’est-ce que je suis censée faire d’autre ? Ce n’est pas
comme si j’étais branchée par l’idée de faire du canoë avec des secondes. »
« On allait se baigner. Kellan a amené un peu d’alcool. Autant faire en sorte que la
journée compte », dit Rhett, une lueur de malice brûlant dans ses yeux verts.
Je dois rassembler toutes mes forces pour ne pas me re-lécher mes lèvres. Je ravale
cette pensée et hoche à nouveau la tête. « Franchement, si vous m’acceptez, ça ne me
dérangera pas », je marmonne.
« Oh, nous t’accepterons pour sûr, Elly », répond Rhett, et je ne peux m’empêcher d’y
déceler un message caché.
C’est peut-être simplement mon cerveau qui dévie, court-circuité d’une manière ou
d’une autre. La chaleur est peut-être bien plus forte que je ne le pensais et elle me
brouille le cerveau. Ou bien, c’est Rhett qui m’invite simplement à les rejoindre, lui,
Kellan et Gage à boire des coups près du lac, loin de la foule déchaînée.
Je sais que je ne peux me résoudre à refuser une telle proposition. Je serais idiote.
Une complète idiote. Je ne le fais donc pas.
« D’accord », je souffle, alors qu’il redescend de l’arbre et m’attends à côté de son
tronc. En me déplaçant prudemment, je descends de la branche et je me rends sur celle
du dessous. Je vais bien m’amuser. Je le sens.
Cet été ne sera peut-pas si barbant au final.

NOUS SOMMES au bord du lac, aucun campeur en vue. Quelques canoës naviguent à distance,
sur l’autre rive. Des rires bourdonnent, mais ça ne me fait pas pour autant regretter ma
décision. J’ai passé l’âge des gloussements et de la pagaie, à présent je préfère me
détendre et prendre le soleil, et c’est exactement ce que les têtes brûlées et moi faisons.
Enfin, ça et descendre une flasque de single malt qui brûle la gorge.
Je ne dis pas grand-chose, mais j’apprécie les voir interagir. Ils sont marrants. Ils
aiment rire. Leurs blagues sont au-delà de l’obscène, mais c’est agréable de se détendre
ainsi. Toutes les autres personnes que je connais sont tellement coincées du cul ou
puritaines que ça me donne parfois envie de vomir.
Rhett, Kellan et Gage sont merveilleux et rafraîchissants dans leur dépravation. Ils
imitent des bruits sexuels bien mieux que ce que j’ai entendu en classe. De plus, ce n’est
pas leur seul sujet de conversation, ce qui est remarquable. J’ai passé les dernières
années à penser que c’était le sujet de conversation principal de la plupart des mecs.
« Au rythme où nous avançons, le rêve de captage de carbone pourrait bien en rester
un », dit Rhett. Ils parlent de l’environnement. La plupart des écolos avec qui je traîne
vantent les mérites des pailles en papier et des emballages en algues. Ces mecs sont
d’un tout autre niveau. Je me sens déjà un petit peu plus intelligente en les ayant
écoutés jusque-là. « C’est une bonne idée, mais s’ils ne trouvent rien d’ici dix ans, les
effets du changement climatique seront irréversibles. »
« Tu ne penses pas que tu en fais un peu trop ? », je demande.
Rhett me regarde et, avoir toute son attention est similaire à un orgasme. Le type qui
s’auto-inflige. Je n’ai pas encore essayé l’autre type. « Est-ce que tu as lu ce qui s’est
passé au Groenland en juin dernier ? Toute la glace qu’ils ont perdue ? »
J’acquiesce. « Personne ne l’a vu venir, hein ? »
« Exactement. Inattendu, en plus de tout ce à quoi nous avons déjà à faire », répond
Rhett. « Et le problème ce n’est pas nous, les gens normaux, et notre consommation de
viande ou toutes ces conneries. Non, ce sont les sociétés le problème. Les usines. Le
niveau élevé des émissions de carbones. Tu penses que ce sont les rots des vaches qui
ont fait fondre les glaciers du Groenland ? »
Je secoue ma tête, absorbant chaque once de sa sagesse légèrement profane. « Ce
sont les entreprises », je murmure pour lui faire écho. Une partie de moi aimerait offrir
davantage d’éloquence, mais Rhett a enlevé son tee-shirt et je me retrouve maintenant
face à trois dieux grecs à moitié nus qui semblent, pour je-ne-sais-quelles-raisons,
apprécier ma compagnie.
« Le plus drôle, c’est la façon dont ces mêmes personnes, qui prétendent faire
attention à l’environnement, réagissent lorsqu’elles se rendent compte que pour stopper
cette catastrophe, il est nécessaire qu’elles se servent moins de leurs voitures, à cause…
de la taxe carbone », glousse Kellan. « Ils détruiront le pays entier avant qu’on puisse
leur faire payer une dizaine de centimes de plus au litre. Ces putains d’égoïstes… »
« J’essaie d’être aussi responsable que possible en ce qui concerne l’environnement.
Ma mère a essayé qu’on devienne tous végétariens à un moment », dis-je. « Mais ça n’a
pas marché. »
J’ai de nouveau l’attention de Gage. « Pourquoi ? »
« J’aime trop le bacon », je marmonne. Ça les fait rire.
« Écoute Elly, ce n’est pas ton bacon le problème. Ou celui de n’importe qui d’ailleurs.
Le méthane des cochons et des vaches n’est qu’un infime pourcentage d’un problème
bien plus important », dit Rhett. Je le vois bien se présenter à une élection un jour. Il a
du charisme, un vocabulaire riche. Et merde, il est canon en bermuda. Qui arrive à être
canon en bermuda ?
Je travaillerais volontiers pour lui, c’est certain. Il pourrait devenir mon vice-président
un jour. « Par curiosité, et hors-sujet, avez-vous déjà regardé les universités? », je
demande, espérant qu’il mentionne une école de sciences politiques sur la côte Est, que
je regarde depuis quelques semaines. Un jour au camp de vacances et je les veux déjà
dans mon avenir, d’une manière ou d’une autre. Peu importe comment. C’est incroyable,
et c’est également un peu effrayant, mais je reste dans ma lancée. Ça me paraît si bien
que je ne peux pas m’empêcher de fantasmer sur nos vies s’entremêlant.
Rhett sourit en contemplant le lac. L’eau cristalline, fraiche et paisible, coule sur le
rivage. Les saules sont penchés en avant, leurs branches se balançant dans la douce
brise. Je ne me lasse pas de cet endroit. Le camp est agréable et douillet, mais étouffant
avec tous ces enfants. Ici, en revanche, c’est le paradis. C’est le paradis avec les têtes
brûlées. « J’ai pensé à Sciences Politiques », dit Rhett, et je me surprends pour ne pas
crier de mon excitation soudaine.
« Oh, vraiment ? », je réponds, en gardant un ton décontracté. « Pour te présenter à
des élections un jour, alors ? Sénateur ? Membre du Congrès ? Président ? »
Je remue mes sourcils, et ça le fait rire.
Kellan lui donne une tape dans le dos. « Ouais, il va changer le monde, un jour. »
« Il a ce qu’il faut pour ça, le côté beau parleur », dit Gage
Rhett feint l’indifférence, mais une pointe de rose teinte ses joues. « Nous verrons ce
qui se passera », marmonne-t-il, en regardant brièvement dans ma direction. « Toutes
sortes de choses inattendues et imprévues surgissent lorsque tu penses avoir ta voie
toute tracée devant toi. Je préfèrerais ne pas encore vendre la peau de l’ours. »
« Mais nous devons commencer à faire des demandes d’inscriptions dans les
universités cette année », je réponds. « Mes parents commencent déjà à me faire des
réflexions à ce sujet. »
Gage s’assied à côté de moi sur un tronc d’arbre effondré et me tend la flasque.
J’apprécie la flamme qui coule dans ma gorge en prenant une longue gorgée et en
laissant le whisky s’infiltrer dans mes propres os. Je ris bien plus à présent qu’il y a vingt
minutes. C’est le signe que je devrais m’arrêter avant que mes jambes ne se
transforment en spaghettis. Ma tolérance à l’alcool est ridiculement faible.
« Et toi, Elly ? Qu’est-ce que tu veux faire de ta vie ? » demande Gage.
La question à un million de dollars. L’information même dont je n’ai pas encore parlé à
mes parents, même s’ils me l’ont demandée plus d’une fois. Pour une raison quelconque,
je me sens en confiance pour en parler aux têtes brûlées. Je ne sais pas pourquoi, mais
j’ai l’impression qu’ils ne vont pas se moquer de moi pour ça.
En prenant une profonde inspiration, je me prépare à leurs réactions. Le pire scénario
serait qu’ils se moquent de moi. Je me rends compte que c’est en réalité quelque chose
d’assez horrible à vivre, mais il est trop tard. Ils attendent ma réponse.
« En fait, je voudrais faire une carrière politique », dis-je. « Peut-être commencer en
tant que Maire d’un trou perdu puis me frayer un chemin jusqu’au Sénat… pour arriver au
grand siège, un jour. »
Personne ne rigole. C’est bizarre.
« Qu’est-ce qui t’a fait choisir cette voie ? », demande Rhett, ses yeux verts perçant
des trous dans mon âme.
Je hausse les épaules. « J’ai toujours voulu faire quelque chose de significatif.
Franchement, au vu de l’état de la politique en ce moment, il y aurait bien besoin d’un
peu de sang neuf. Et puis, je suis apparemment très douée pour les débats. J’ai
également gagné plusieurs discussions chez moi. »
L’ombre d’un sourire flotte sur son visage. « Je savais que tu étais spéciale », dit
Rhett, et je le prends comme le plus beau compliment qu’on m’ait jamais fait.
« Dieu merci tu es cool. Autrement tu aurais gâché du bon whisky », ajoute Kellan, et
je suis presque paralysée par l’intensité de son regard noisette.
« Tu es trop gentil », je lui réponds.
Gage rigole. « Nous sommes tous sauf gentils, Elly. Nous sommes les pires personnes
avec lesquelles tu pourrais traîner. Ceci étant dit, nous sommes très marrants, donc ça
compense le premier. »
Je suis curieuse. Qu’est-ce qui, chez eux, justifie une telle étiquette ? « Vous ne
pensez pas que vous êtes un peu durs envers vous-mêmes ? » je demande. « Je veux
dire… les pires personnes ? Sérieusement ? ».
Ils se regardent les uns les autres pendant un bref instant. Rhett se lève et marche
vers moi, et mon pouls se déchaine. Il m’atteint et je lui donne la flasque, je réalise un
peu trop tard que c’est ce qu’il veut. Ses doigts touchent les miens, et le courant
électrique qui se répand soudain en moi est si puissant que je retiens ma respiration.
Il le remarque, ses yeux s’assombrissant comme l’ombre de la forêt derrière nous,
alors qu’il prend une gorgée du whisky, sans me quitter des yeux. Je déglutis alors que
ma gorge commence à se resserrer. L’air devient bien trop chaud pour mon propre
confort.
« Pourquoi penses-tu que nous sommes dans un camp de vacances avec des gamins
au lieu d’être aux Maldives ou n’importe où ailleurs ? », me dit Rhett. « Si nous étions des
citoyens modèles, nous passerions notre été sur une île. Et pas au bord du lac Tahoe à
boire du whisky dans une putain de flasque. »
Il y a une brutalité dans son ton que je n’avais pas remarquée auparavant. Ça ne
m’effraie pas, même si ça le devrait peut-être. Il essaie de m’intimider, mais je ne suis
pas facile à repousser. Je lui prends la flasque des mains, bois une autre gorgée et
frissonne lorsque le whisky perce mon œsophage – les liqueurs ne sont pas mon truc,
mais il n’y a rien d’autre à boire dans le coin, de toute façon, à part l’eau du lac et du
Kool-Aid à la fraise.
« Alors, qui veut se baigner ? », je demande, voulant me refroidir avant de perdre
tous les sens dans le bas de mon corps. Rhett baisse ses yeux sur moi.
« Tu es une petite chose intrépide, n’est-ce pas ? »
« Eh bien, je ne sais pas pour le "petite" », dis-je. « Pourquoi penses-tu que je suis ici
au camp de vacances au lieu de faire de la bronzette aux Maldives ? »
Kellan sourit. « Oh, elle est douée. »
« Je suis encore là, les gars. Utiliser la troisième personne, c’est un peu kitsch », je
réponds.
« Tu es douée », dit Kellan en croisant ses bras, ce qui fait ressortir ses muscles, et je
suis coincée à me demander comment ce serait s’il me tenait, me serrait contre son torse
et… Eleanor Fox ! Arrête. Ça. Maintenant !
C’est comme si je cherchais à m’attirer des ennuis. Mais quand les ennuis sont si bons
et délicieux et qu’ils ont le torse nu, qu’est-ce qu’une fille est censée faire ? Ils sont
intelligents. Ils sont drôles. Ils sont aussi chauds que la mi-juillet à Vegas. J’ai toutes les
raisons de vouloir être auprès d’eux.
Rhett retire son bermuda et je suis à deux doigts de crier. Il est à poil, sans sous-
vêtement. En me regardant, il me sourit à nouveau. Mais cette fois, le sourire paraît
différent. Joueur. Coquin. Rempli de toutes sortes de pensées « et si » que je dois
démêler. « J’espère que tu n’es pas prude, Elly », marmonne-t-il avant de se précipiter
dans l’eau.
Sans se préoccuper de ma présence, Kellan et Gage se déshabillent également et
sautent en riant et en éclaboussant vivement les alentours. Ce sont des ouragans, et je
suis une petite chose sans défense sur le point d’être emportée par quelque chose qui me
dépasse largement. Je ne peux pas détourner les yeux, particulièrement après avoir jeté
un œil à leur entrejambe. Mon dieu, ils sont… fiou !
Je ne sais pas comment décrire ce moment, mais je sais qu’il restera à jamais gravé
dans ma mémoire. Mes lèvres sont sèches et une chaleur humide s’accumule entre mes
jambes. Mes seins se redressent, mes tétons passant à travers le tissu de mon bustier.
C’est censé être comme ça, je pense. C’est censé être à la fois érotique, amusant et
coquin.
C’est bon. Je ne voudrais pas parler de ce moment à mes parents ni à personne
d’autre, mais c’est bon.
Les têtes brûlées profitent de toute évidence de l’eau. Les cheveux de Rhett sont
désormais plus foncés et plus bouclés, mais aussi dégoulinants et souples comme l’enfer,
et je flanche enfin et mords ma lèvre inférieure, simplement pour relâcher la pression qui
raidit mes membres. Ils sont tellement sexy…
« Qu’est-ce que tu attends ? » me demande Gage.
« Oh, merde », je marmonne.
« Tu peux garder tes vêtements », me rassure Rhett.
Kellan sourit. « Tu es l’une des nôtres, maintenant Elly. Nous respectons les nôtres. »
Attends, ça ne va pas dans la bonne direction. « L’une des vôtres ? » je réponds,
soudain confuse. « Qu’est-ce que tu entends par l’une des vôtres ? »
« Nous avons partagé du single malt, nous avons parlé de toutes sortes de conneries,
nous nous cachons ensembles des responsables du camp de l’autre côté du lac »,
explique Rhett. « Nous nous sommes peut-être rencontrés hier, mais tu es définitivement
l’une des nôtres. Allez, maintenant, viens. L’eau est super bonne. »
Mon cœur bat la chamade, et je profite de chaque seconde. J’ai besoin d’en savoir
plus sur eux. J’ai besoin d’être à leurs côtés. D’être avec eux. D’être l’une d’entre eux.
« Et puis merde », je marmonne et retire mon short.
Je n’ai pas le courage d’y aller seins nus ou sans culotte, mais c’est néanmoins un
signe que je leur fais confiance, puisque je suis maintenant réduite à l’essentiel au niveau
vestimentaire. Je recule de quelques pas pour me préparer à un plongeon à l’ancienne.
Le lac semble assez profond.
En gesticulant nerveusement, je me lance. Les têtes brûlées sont silencieux, les yeux
écarquillés par anticipation. Je cours aussi vite que mes pieds me le permettent. À
quelques centimètres de l’eau, je saute, me sentant légère en leur présence. Mes mains
pénètrent en premier dans l’eau, suivies par ma tête.
Elle est fraiche. Délicieusement fraiche. J’entends les têtes brûlées m’applaudir, leurs
voix sont étouffées par l’eau. Ouais, nous commençons merveilleusement ce qui aurait pu
être la pire expérience de camp de vacances, s’ils n’étaient jamais venus. Au fond de moi,
je sais que je ne serai plus jamais la même.
RHETT

ALORS QUE JE m’assieds avec Kellan et Gage à notre table habituelle, les rires des filles nous
parviennent. Elles sont comme des satellites que personne n’a sollicités, gravitant
constamment autour de nous, ne s’éloignant jamais et faisant pourtant déjà partie
intégrante de notre monde, de l’image que nous essayons de projeter pour chacun. Je me
sens comme une merde pour tout ce que nous faisons depuis que nous avons vu qu’Elly
était inscrite dans notre lycée. Mais je ne peux pas le montrer.
La faiblesse n’est pas bien vue. Pas auprès de nos camarades, et certainement pas
dans notre famille. Cette dernière a des bases peu solides dernièrement et nous n’avons
pas le droit de faire quoi que ce soit qui pourrait perturber l’équilibre déjà fragile auquel
nous nous raccrochons tous désespérément.
Elly est désormais partie, probablement aux toilettes, pour nettoyer le milkshake à la
fraise de ses cheveux, son tee-shirt et sa veste. Elle est peut-être déjà rentrée chez elle,
suppliant ses parents de la transférer dans un autre lycée. Elle rendrait service à tout le
monde, surtout à elle-même. Kyle est tout seul, il rumine sur son déjeuner. Je ne l’aime
pas, mais j’apprécie qu’il essaie d’être gentil avec elle. Il m’a toujours semblé être un
modèle de vertu, et c’est le genre de personnes qui m’énervent vraiment, parce que sous
cette perfection et cette vertu apparentes, il n’y a rien d’autre que de la crasse et de
sombres secrets.
Il est trop jeune pour avoir tout cela, mais il est possible que ça s’aggrave plus tard.
« Bon, c’est fait. On enchaîne sur quoi, putain ? », demande Kellan en trempant une
frite dans un petit gobelet en plastique rempli de ketchup. Son appétit est presque
inexistant, comme le mien et celui de Gage. Les filles, dont je ne peux jamais me
souvenir des prénoms, sont de l’autre côté de la table encore en train de glousser et de
se souvenir du moment glorieux où le milkshake de Kellan a fini sur Elly. Elles prennent
un grand plaisir à la faire souffrir, simplement parce que nous avons dit que nous ne
l’aimions pas. Des petites pouffiasses sadiques.
Mon grand-père avait raison. Ce genre de filles finit soit mariée, trois enfants et une
réserve de Percocet et de Chardonnay toujours disponible, ou bien à faire du strip-tease
pour quelques billets dans des bars glauques, tout en faisant circuler une pléthore de
MST. J’essaie de m’imaginer comment chacune finira. Je parie que la brune sucera des
queues dans des parcs à caravanes avant d’atteindre la vingtaine. Il n’y a pas beaucoup
plus à l’intérieur de sa jolie tête, et mon frère n’a aucune intention d’avoir quelque chose
de sérieux avec elle.
Il ne peut pas. Son cœur est encore plein d’Elly, tout comme le mien. Et celui de Gage.
Nous sommes vraiment foutus. Royalement foutus, étant donné ce à quoi nous faisons
face.
« Elle ne cèdera pas », marmonne Gage, trop affamé pour se préoccuper de quand
date réellement la part de pizza. On pourrait penser qu’un lycée comme celui-ci mettrait
de meilleures choses dans nos assiettes. Encore un an, et nous en aurons fini avec ces
déjeuners de merde au lycée, ces connards superficiels et ces façades pomponnées. Pour
être franchement honnête, j’en ai déjà fini avec cette merde, mais je dois tenir un peu
plus longtemps. Nous ne sommes pas encore sortis d’affaire. Nous avons à peine franchi
le seuil et il y a déjà une tonne de loups affamés dehors, qui ont envie de nous réduire en
bouillie. « Vous pensez que c’était suffisant pour la faire changer de lycée ? Vous êtes
naïfs. »
« Qu’est-ce qu’on fait, alors? », répond Kellan en me regardant. « Nous ne pouvons
pas l’avoir ici. »
« Si nous avions su qu’elle serait transférée à Trinity, nous aurions pu prévoir un
meilleur plan que le pitoyable que nous venons de sortir », dit Gage, en secouant sa tête
avec dégout. « Nous sommes devenus exactement ce que nous détestons, vous vous en
rendez compte, n’est-ce pas ? ».
« Quoi, des harceleurs ? Rien à foutre. Tout ce qu’il faudra, Gage, tu te souviens ?
Tout ce qui faudra. C’est la promesse qu’on s’est faite juste avant la mort de grand-père.
Tout ce qu’il faudra, putain », je riposte.
Même si c’est plus facile à dire qu’à faire. Elly n’a aucune idée de qui nous sommes
vraiment et de la famille à laquelle nous appartenons… ni de ce que nous ferons dans la
vie une fois diplômés. Je le sais, et mon frère aussi. Gage est également au courant.
Nous avons eu le temps de nous préparer. Nous avons grandi dans cette situation et nous
pouvons débrouiller seuls. Elly ? Pas tant que ça. C’est une petite fleur si précieuse,
malgré ses épines.
Aucun de nous ne souhaite qu’elle soit impliquée. À chaque fois qu’on se rapproche de
quelqu’un, ça se termine toujours en larmes et en sang. Ça ne fera qu’empirer à partir de
maintenant, puisque grand-père n’est plus là pour régner auprès des tarés avec lesquels
nous partageons un peu de notre ADN. La meute est dans le chaos, car le dominant est
mort. Un nouveau dominant doit s’élever, et Kellan et moi savons que les chances pour
que ce soit notre père sont minimes.
Quinn Flanagan était un tour de force. Il a cadré nos familles et les affaires en cours,
du moment où il a pris la relève de son père, notre arrière-grand-père. Les fils de Quinn,
en revanche, sont tout autre chose. Mon père, Harry, a pris en charge les comptes depuis
qu’il a appris à compter, additionner et soustraire. Il a tenu les comptes de grand-père
depuis ses quinze ans et il n’est en aucun cas un combattant ou un tueur. Il est
également le plus âgé et le premier de la lignée de succession, ce qui pose un sérieux
problème avec son frère, notre oncle, qui veut le siège du pouvoir pour lui tout seul.
« Si Kevin apprend l’existence d’Elly, il l’utilisera contre nous », dit Kellan, ressentant
le besoin de me rappeler l’indéniable et douloureuse vérité.
« Il ne le fera pas. Nous avons littéralement passé la journée à s’assurer qu’il la
considère aussi peu importante que les autres. C’est ce que nous faisons avec les petites
bêtes ici, Kellan. Nous les écrasons pour que personne ne puisse les voir », je marmonne,
une boule montant dans ma gorge. Je choure quelques frites à mon frère, ce qui l’énerve
en silence, et les fourre dans ma bouche, mâchant à peine avant d’avaler, dans l’espoir
que cette sensation de brûlure arrête de se propager.
Kevin Flanagan, notre oncle, est un vrai cas. Un putain de psychopathe qui prend un
grand plaisir à faire souffrir les gens. Grand-père pensait qu’il arriverait à le faire travailler
avec notre père dans un semblant d’harmonie pour qu’ils puissent un jour partager la
place d’honneur. Kevin, avec ses coups et ses foutus complots sanglants, et notre père,
avec son bon sens et son raisonnement calculé. Ils ressemblaient à une sorte de Ying et
de Yang, un duo construit au paradis des mafieux, pour ainsi dire.
Mais grand-père a négligé un aspect clé, et ça aurait très bien pu lui causer sa fin.
Kevin ne s’associe pas. Il n’a pas d’amis. Il a des employés et des gens qu’il fait chanter
pour arriver à ses fins. Quand l’argent et les photos compromettantes ne fonctionnent
pas, il met une balle -ou cinquante- dans différentes têtes, jusqu’à ce qu’il trouve
quelqu’un qui fera l’affaire. Il compte déjà des flics et la moitié du cartel dominicain parmi
ses effectifs. Contrairement au reste de la famille, notre oncle se fout de la couleur de
peau de ses associés. L’obéissance et la loyauté sont les seules choses qui lui importent.
Kellan et moi savons qu’il se fout également des liens du sang, c’est la raison pour
laquelle nous sommes dans cette situation.
« Il faudrait faire quelque chose de vraiment horrible », dit Gage après un moment.
C’est celui qui a le plus mal vécu l’apparition d’Elly. Il est encore sous le choc. « Quelque
chose qui la fasse partir pour de bon. Je vous ai dit, nous ne lui avons pas encore fait
assez peur. Nous ne l’avons pas repoussée. Il faudra beaucoup plus pour rompre les liens
que nous avons tissés pendant ce camp de vacances… »
« Laisse-moi m’en charger », je souffle, en ayant de nouveau mal au cœur. Je déteste
vraiment cette merde, plus que personne ne peut l’imaginer, mais je connais aussi
l’alternative. « Je trouverai quelque chose. Dans le même temps, nous devons garder un
œil sur elle. Elle n’a aucune idée… »
« Et qu’en est-il de Kevin ? » demande Kellan. « Nous savons qu’il a un espion ici. Est-
ce qu’on creuse plus profondément pour essayer de trouver lequel de ces moutons
moucharde ? ». Il nous montre la pièce du doigt, sans faire de distinction. Pour lui, même
la pouffiasse brune fait partie des suspects. Mais ça ne l’empêchera pas de la sauter. Il a
bien trop de feu en lui qu’il doit éteindre, et c’est la faute d’Elly.
Je remue sur ma chaise, une érection se glisse dans mon jean. Putain de merde. À
chaque fois que je pense à Elly dans cette robe d’été blanche aux coquelicots rouges, je
suis excité au point que je doive prendre congé pour aller me masturber et la sortir
temporairement de ma tête.
« Restons tranquille pour l’instant », dis-je. « Attendons de voir qui prend la suite de
grand-père avant de commencer à élaborer quelque chose contre Kevin. »
Gage pince l’arrête de son nez. « Mon père est loyal envers les Flanagan, et ça inclut
également Kevin. En revanche, si Kevin tente quelque chose contre votre père… Je ne
sais pas comment ça finira. Nous devons envisager toutes les foutues possibilités. »
« Nous ne pouvons pas compter sur ton père », répond Kellan. « Et le nôtre est trop
faible pour diriger tout seul. Il y a de fortes chances que Kevin passe à l’action, et que ce
soit bientôt. »
« Tu nous oublies », dis-je à mon frère. « Nous sommes prêts à le soutenir, non ? »
« Vous m’avez moi aussi », nous rappelle Gage, prêt à se séparer de son père si les
choses tournaient mal. Je ne veux pas qu’il le fasse, mais je sais qu’il finira par mourir s’il
suit Kevin. Nous sommes plus forts ensembles, même si cela implique de rompre
quelques liens familiaux.
La dernière chose dont nous avons besoin, c’est le chaos au sein du manoir Flanagan.
Ça se répercuterait également sur les affaires. Les associés le sentiraient et, bien assez
tôt, les hyènes arriveraient, cherchant à dévorer les carcasses des Flanagan. Quoi qu’il
arrive, nous devons rester ensembles tous les trois. Mais nous devons nous assurer
qu’Elly ne soit pas impliquée dans cette merde abominable. Ce sera un gros défi, du
moins jusqu’à ce Kevin soit hors-jeu.
Au moins nous l’avons agressée dès son arrivée au lycée. Aussi terrible que ça puisse
paraître, c’est pour son bien. Je n’aurais jamais dû la laisser entrer dans ma vie. Kellan et
Gage n’auraient pas dû non plus. Nous avons fait une erreur en pensant que notre grand-
père vivrait assez longtemps pour nous permettre de gagner nos propres sièges au sein
de la table familiale – suffisamment pour vaincre Kevin. Il est mort trop tôt, putain.
L’oncle psychopathe a trop d’«employés » Flanagan dans sa poche.
Nous sommes baisés comme des lionceaux, notre Mufasa étant mort. Les autres lions
ébouriffent leurs crinières et nous montrent les crocs. Nous n’aurons aucune chance si
nous ne jouons pas intelligemment.
Putain, Elly, tu es un handicap…
Kyle quitte le réfectoire, la tête haute face à sa défaite. Je le regarde prudemment
alors qu’il zigzague dans la foule d’élèves se tenant près de la porte. Je me demande s’il
ira voir comment va Elly, plus tard. Il a peut-être déjà son numéro de téléphone. J’ai
encore des messages d’elle que je n’ai pas lus – non pas que je ne le veuille pas. Au
contraire, ça me démange de ne pas pouvoir boire les mots qu’elle m’a envoyés. Mais je
sais qu’elle est blessée et confuse. Nous avons disparu de sa vie sans laisser de traces,
du moment où notre grand-père est tombé malade. Elle ne comprend pas, et si nous lui
expliquons, elle sera alors tout aussi foutue que nous.
À quoi bon mettre sa vie en danger ?
Nous avons tous beaucoup trop d’affection pour Elly pour laisser quoi que ce soit lui
arriver. Donc, si nous devons la faire nous détester pour la tenir à l’écart de ce merdier,
alors qu’il en soit ainsi. Je serai son pire cauchemar s’il le faut…
Je serai son pire cauchemar si c’est ce qu’il faut pour la protéger.
Il vaut mieux que tu sois brisée que morte, Elly. J’aimerais que tu le comprennes. Je
secoue ma tête pour un rien et m’apprête à enfiler un autre sourire pour duper le monde.
ELLY

J’Aİ PASSÉ le reste de la journée avec un tee-shirt de rechange que j’ai récupéré de
l’entraineur de softball, afin que les têtes brûlées n’aient pas déjà la satisfaction de me
voir déjà partie. Ils ne peuvent pas gagner, je ne les laisserai pas. Rhett, Kellan et Gage
semblaient surpris de me voir de retour en classe après le coup du milkshake à la fraise.
Je les ai complètement ignorés, et ça me donne une once de soulagement, à laquelle je
me raccroche plus tard dans la soirée.
Ils m’ont laissée seule en pensant probablement que je finirais par aller me plaindre
au principal. Il y a de fortes chances qu’ils prévoient davantage pour demain, et après-
demain… et ainsi de suite. Ce niveau de méchanceté ne pouvait pas se finir aujourd’hui.
Ce n’est pas leur genre. Ils sont tenaces, et pas toujours dans le bon sens. Mais je suis
résiliente. Je sais que je peux les battre, d’une façon ou d’autre autre.
La maison est silencieuse. Ma mère n’est pas encore rentrée et je n’ai aucune idée
d’où elle se trouve. Elle finit son travail à la bijouterie à dix-huit heures. Il est maintenant
vingt heures, et la maison est vide. C’est un bel endroit, malgré tout. Je dois reconnaître
qu’elle a choisi la maison la plus chère sur le marché pour s’assurer que je ne prenne pas
trop mal ce déménagement soudain. Ma chambre est orientée à l’ouest, et le ciel est
coloré de nuances lumineuses orange et rouge, qui s’assombrissent tandis que le soleil a
déjà disparu sous l’horizon.
Je profite du coucher de soleil restant. Avant que je ne m’en rende compte, la lune
sera dans le ciel dès dix-sept heures et ma mère sortira les décorations de Noël,
dépoussiérant chaque pièce pour nous préparer aux premières fêtes de fin d’année sans
mon père. Puisque j’ai dix-huit ans, il n’y a pas de bataille pour ma garde – je suis la
seule à décider avec qui je veux passer Noël. Pour le meilleur ou pour le pire, je reste
avec ma mère. Au moins, elle essaie…
Mon téléphone vibre au moment où que je m’apprête à enfiler mon pyjama et
regarder un film sur Netflix. Je suis d’humeur pour quelque chose de sombre et
d’européen. Peut-être quelque chose de français, avec seulement les sous-titres anglais
pour mieux apprendre l’accent. Si je veux devenir sénateur, j’aurai besoin d’un bel
ensemble de compétences linguistiques. Un voyage en France ne me ferait pas de mal
non plus. La dernière fois que nous y sommes allés, je n’avais que douze ans et je ne
comprenais pas grand-chose. J’imagine que j’apprécierais davantage Paris aujourd’hui.
C’est un message de Kyle. « Tu vas bien ? », demande-t-il. « Je voulais simplement
m’assurer que tu étais bien rentrée chez toi. »
Je ne peux pas m’empêcher de sourire. C’est un type bien. Je ne veux pas qu’il soit
impliqué dans ce que je m’apprête à faire avec les têtes brûlées. « C’est Trinity, pas le
centre-sud de Los Angeles », je lui réponds. « Tout va bien, je me détends avec un film. »
« Quel film ? », me répond-il.
Un long soupir s’échappe de ma poitrine alors que je m’appuie sur le rebord de la
fenêtre. Le soleil passe à travers le rideau blanc pâle à moitié transparent, projetant une
lueur orange dans ma chambre. Les ombres du cerisier dehors jouent sur les murs,
comme des formes immatérielles dansant dans le vent. Oui, c’est un bel endroit. Je l’aime
bien. Il y a quelques semaines, je détestais tout – de la cage d’escalier au jardin, de la
cuisine ouverte à l’immense salon. Merde, j’étais prête à brûler ma chambre entière si ça
pouvait me ramener à Barkston. Mais ce n’est pas possible. Je l’ai vite compris. Les
conseils de Brenda m’ont également aidée. Tiens bon. Va à l’université. Construis ta
propre vie. Ça semble toujours être un bon projet, mais je dois découvrir ce qui se passe
avec les têtes brûlées. Je n’ai jamais été en conflit avec personne, encore moins avec
trois des personnes les plus importantes dans ma vie…
« Je n’ai pas encore décidé », écris-je à Kyle. « Probablement un thriller européen ou
quelque chose pour me détendre après la journée d’aujourd’hui. Des meurtres non
résolus et des trucs du genre. »
« Tu penses tuer quelqu’un ? », demande-t-il, ajoutant plusieurs émoticônes qui rient.
Un sourire me monte au visage en fixant l’écran, mes doigts se déplaçant rapidement
sur le clavier. « Absolument. Je suis en recherche d’inspiration. »
Ça me fait rire. Je ne pourrais même pas tuer une mouche. L’année dernière j’ai
rescapé un moineau et j’ai insisté pour le ramener à la vie. La pauvre petite chose a fini
par mourir et ça m’a brisée en mille morceaux parce que j’avais tout essayé pour le
sauver. Donc oui, tuer ne fait pas partie de mon étoffe. Y penser, en revanche, et
planifier le meurtre jusqu’au dernier détail, eh bien… c’est simplement cathartique. Mais
je doute que Kyle comprenne, j’ajoute donc une déferlante d’émoticônes rieurs pour
m’assurer qu’il pense que je plaisante.
Dehors, les maisons se ressemblent toutes. Des résidences à deux étages, aux
façades blanches et aux toits gris, de petits jardins verts à l’avant et de grands carrés à
l’arrière, avec des piscines, des jacuzzis, des kiosques ou tout ce dont les banlieues de
Trinity aiment abuser pendant les chaudes journées d’été. Je repense au camp, et je me
déteste immédiatement pour ça.
Si quelque chose doit être clair comme de l’eau de roche à présent, c’est bien le fait
que ce j’ai vécu avec Kellan, Rhett et Gage au Lac Tahoe est fini. Ça n’a probablement
d’ailleurs jamais existé. Ils auraient pu jouer un rôle et prétendre ne pas être les parfaits
connards qu’ils ont prouvé être aujourd’hui. Est-ce que cette pensée me fait me sentir
mieux, d’une quelconque manière ? Non. C’est toujours horrible et je reste humiliée. Mais
au moins, je suis venue à bout de l’odeur de milkshake à la fraise sur mes cheveux avec
un bain chaud et une tonne d’après-shampoing. Les connards…
Je jette un coup d’œil à la rue. Certains voisins sont dehors, la plupart sont des
parents avec des tout-petits. D’après ce que je vois, il y a de fortes chances que je sois la
plus âgée du quartier. Il y a une voiture dehors, garée en face de chez moi. Une berline
noire. Un bras pend au-dessus de la portière du conducteur, la vitre baissée. Même
depuis cette hauteur et cette distance, je peux reconnaître le mince tatouage sur l’avant-
bras.
« Putain de m… » je m’arrête avant de dire une grossièreté que j’ai juré d’utiliser aussi
rarement que possible. La journée fut déjà bien assez remplie d’idioties verbales en
toutes sortes.
En m’accroupissant doucement pour mieux voir, je me rends compte que Gage est la
personne derrière le volant. Qu’est-ce qu’il fout devant chez moi ? Une cigarette brûle
entre ses doigts. « Bien, tu fumes à nouveau », je marmonne.
Mon cœur bat la chamade et je ne comprends pas ce qui se passe. Les têtes brûlées
ont été clair. Nous ne sommes pas faits pour être ensembles. Je suis, au mieux, une
poupée de chiffon avec laquelle ils peuvent jouer si je leur en donne l’opportunité. Ils
sont mes ennemis, et non mes amis. Alors qu’est-ce que Gage fout là, putain ?
J’ouvre les rideaux pour mieux voir. Il me surprend, figé, comme un cerf pris sous les
phares. Il pensait peut-être que je ne le remarquerais pas ? C’est un peu difficile, étant
donné que tout le monde dans la rue a l’air de posséder une Prius argent ou bleu ciel. Il
sort du lot avec sa berline d’occasion.
« Et voilà », je soupire puis je sors en trombe de la pièce, mon corps ne me répondant
plus et mon esprit luttant pour se contenir. Je dois le confronter maintenant qu’il est seul.
Il n’y a personne du lycée autour, nous pouvons donc parler librement. Je suis sûre d’une
chose, c’est qu’il est là pour une raison.
Je me précipite en bas, déjà en sueur, la poitrine serrée, soudain trop petite pour mon
cœur agité. Mais je ne peux pas reculer maintenant. Je suis presque à la porte. Il va me
dire ce que j’ai besoin d’entendre. Rhett et Kellan cachent peut-être bien leur jeu, mais
Gage est d’une autre espèce. Il parlera. Je le ferai parler. Il a toujours été plus doux en
ma présence l’été dernier. Même plus tôt aujourd’hui, au lycée, je pouvais voir qu’il avait
du mal à gérer la situation que Rhett et Kellan avaient construite autour de moi. Il n’avait
pas l’air à l’aise. Je n’imaginais pas ça.
Un moteur vrombit à l’extérieur. « Non, non, non ! » je crie en ouvrant la porte en
grand.
La berline crisse depuis son emplacement, évitant de justesse la Prius blanche d’un
voisin. J’aperçois Gage derrière le volant. Il me jette un regard furtif avant de poser à
nouveau ses yeux sur la route, une cigarette coincée fermement entre ses dents. De la
sueur luit sur sa tempe alors qu’il s’éloigne, la voiture gronde nerveusement et ses échos
tonitruants font tourner les têtes dans la rue.
« Gage ! », je lui crie après en arrivant au milieu de la route.
Mais il est trop tard. Il est déjà parti, ses feux arrière rouges me fixent et diminuent
avec la distance. Il prend un virage serré à gauche et disparaît. Je fixe la rue, haletante
et complètement confuse, j’essaie de comprendre pourquoi Gage était là en premier lieu.
Après toute la merde qu’ils m’ont mise dessus aujourd’hui…
Cherchait-il un moyen de s’excuser ? Aurais-je dû le laisser seul, jusqu’à ce qu’il trouve
le courage de venir à ma porte ? Non, il a mon numéro de téléphone. Il aurait pu
m’appeler. Il aurait pu m’envoyer un message. Ça aurait été plus simple qu’un face à
face, du moins pour lui. Il peut être adorablement timide parfois.
Je me souviens vite de la façon dont lui et les deux autres étalons m’ont traitée
aujourd’hui. Je me reproche de m’être adoucie si vite et me décide à m’en tenir à mon
plan. Quoi qu’il arrive ensuite, j’y ferai face, le menton haut. Il est hors de question qu’ils
me brisent. Et je découvrirai également ce que Gage faisait ici. Merde. Plus de gentille
Elly.
ELLY

LE RESTE de la semaine se déroule sans encombre. Je passe chaque seconde de chaque


jour sur les nerfs, prête à recevoir un nouveau milkshake à la fraise sur la tête, un autre
croche-pied ou quoi que ce soit destiné à m’humilier davantage et éventuellement me
détruire.
Mais rien de tout cela n’arrive.
Bien évidemment, je récolte les regards bizarres, j’entends les papotages, les surnoms
et tout l’acharnement, puisque les têtes brûlées se sont assurés que je les entende, haut
et fort. Mais je fais de mon mieux pour les ignorer. Je garde la tête baissée et parviens à
passer la semaine haut la main et apprécier le weekend. Mais la blessure n’est pas
encore cicatrisée. Ma gorge me brûle encore, parce que mon cerveau ne peut toujours
pas faire le lien entre les Rhett, Kellan et Gage avec lesquels j’ai traîné l’été dernier, et
les connards qui ont fait de mes premiers jours à Trinity High un véritable enfer. Ça n’a
aucun de sens.
Cependant, je ne peux pas m’empêcher de me détendre un peu à l’approche du lundi.
La tempête est peut-être passée. Ils ont peut-être trouvé quelqu’un d’autre à torturer et
dont se moquer. Tant que je garde mes distances, il est probable que je reste indemne.
Ma mère me dépose lundi matin. Le tas de ferraille de Mini Cooper s’approche de l’école
et elle baisse la radio. Nous attirons bien trop l’attention des élèves qui arrivent. Je
n’aime pas ça.
Nous n’avons pas beaucoup parlé depuis le divorce. J’ai fait part de mes sentiments
concernant le déménagement à Trinity dès le début, et je n’ai pas mâché mes mots au
passage. J’ai dit des choses blessantes et, même si je sais qu’elle fait tout son possible
pour me rendre la vie aussi agréable que possible avant que je parte à l’université, je n’ai
pas changé d’avis. Elle m’a éloignée de tout ce que je connaissais et aimais, et elle m’a
jetée dans une piscine de piranhas parce qu’elle ne pouvait pas supporter d’être proche
de mon père une année de plus. Je suis peut-être égoïste, mais les péripéties avec les
têtes brûlées n’ont, jusque-là, rien fait d’autre que prouver amèrement mon point de vue.
« Je t’ai préparé ton déjeuner aujourd’hui », dit ma mère. Elle se penche sur le siège
arrière et me tend un sac en papier. Elle a préparé des sandwichs, soigneusement
emballés dans du papier aluminium et elle y a ajouté une pomme et une banane – les
fruits de base du foyer Fox, d’aussi loin que je me souvienne.
« Merci », je murmure, sincèrement soulagée. Cela signifie que je peux manger
dehors et aussi loin que possible de la foule. Une partie de moi craint encore d’être à
nouveau attaquée. Tu parles d’un traumatisme, hein ?
« Je fais de mon mieux, Elly », souffle-t-elle, les mains agrippées au volant. « Je suis
désolée que tu aies dû partir de Barkston, mais ton père et moi avons passé un accord
avec pour objectif ton meilleur intérêt. »
Je glousse. « Ne revenons pas dessus maman, s’il te plaît. Tu ne veux pas commencer
la semaine comme ça. » Ma main trouve la portière du passager, mes doigts triturant
maladroitement la poignée.
« Je sais… Mais j’ai l’impression de ne pas te comprendre du tout. Tu ne me parles
pas depuis plus d’un mois, Elly. Ça doit s’arrêter. J’ai besoin d’une pause avec tout ça… Le
travail n’est pas facile non plus. »
« Le lycée n’est pas meilleur, si ça peut te réconforter », je grommèle.
« Écoute, on peut s’asseoir et en parler ce soir, d’accord ? Je ferai des pâtes. Tu
pourras boire un peu de mon Chardonnay… Et nous pourrons parler de tout ça. Qu’est-ce
que tu en penses ? »
Je crois qu’elle essaie de faire la paix, et ce n’est pas dans ma nature de rejeter une
telle offre. Mon père a appelé une fois la semaine dernière, seulement cinq minutes. À
côté de ça, il m’a envoyé des mèmes débiles sur Messenger, pensant probablement que
ça équivalait à des moments père-fille de qualité, de nos jours et à mon âge.
Je ne veux pas passer l’année de terminale en ayant mes deux parents comme
ennemis. C’est déjà assez dur de devoir voir les têtes brûlées tous les jours et de me
demander ce qui les a fait passer de mecs sympas à des connards pendant les semaines
entre le camp de vacances et les premiers jours de lycée. J’étais tellement occupée à
m’apitoyer sur mon sort que j’ai complètement négligé la tension entre ma mère et moi.
Il est temps d’y remédier.
Je lui donne un gentil signe de tête et un sourire léger. « Tu sais quoi ? Ça me paraît
très bien ! Faisons ça. »
Dès que je sors de la voiture, la puanteur du danger me frappe. Bizarrement, il n’y a
aucun signe de Rhett, Kellan ou Gage. Et pourtant, mon sixième sens est hors-norme, ma
peau me chatouillant de partout. Ma mère s’éloigne et je fourre le déjeuner dans mon
nouveau sac à dos. Les troupeaux se dirigent vers l’entrée principale, puisque les cours
vont bientôt commencer.
Je repère Kyle dans la foule, mais mon premier réflexe n’est pas de le rejoindre. Non,
je vérifie d’abord le parking et un poids de plomb s’installe dans mon estomac en voyant
la Range Rover. « Ils sont là. Merde », me dis-je en marmonnant. À quoi est-ce que je
m’attendais ? Ils sont dans ce lycée. Des harceleurs respectables auraient déjà séché les
cours depuis, mais Rhett, Kellan et Gage ne l’ont pas encore fait. C’est un peu… suspect,
même si je ne comprends pas vraiment pourquoi.
S’ils étaient les méchants mafieux que Kyle a décrits, ils se foutraient sûrement des
cours et seraient davantage du genre à picoler et se taper les pom-pom girls.
Je m’autorise un semblant de sentiment de sécurité en me donnant l’air radieux et en
entrant à l’intérieur, en espérant que cette semaine commence d’une meilleure façon que
la précédente. Prestley, Sarah et Tandy sont déjà devant leurs casiers. Le mien n’est pas
loin des leurs. Je leur fais un signe de tête amical mais n’attends pas de réaction, me
rappelant les mots de Prestley après la péripétie du milkshake. En ouvrant mon casier, je
me trouve soudain inondée de sueurs froides.
Quelqu’un l’a ouvert. Quelqu’un a peint « Pute » et « Torchon » en rouge sur tout
l’intérieur de mon casier. Il est rempli de préservatifs, tous sortis de leur emballage
d’origine. Certains semblent avoir été utilisés. J’essaie de ne pas trop chercher à savoir
s’ils le sont vraiment parce que je suis déjà prête à vomir. Je fixe la « direction
artistique » un moment, puis mes yeux trouvent ce que je pense être un préservatif
usagé. Est-ce que Rhett, Kellan et Gage s’abaisseraient à une tactique de merde si bas de
gamme ? Ou peut-être l’une de leurs fans ? Qui est-ce ? Haylee, Kaylee ou je ne sais qui ?
Ma tête se tourne lentement, et je vois Prestley me fixer, légèrement amusée. La
colère me remplit à ras bord. « C’est toi qui as fait ça ? » je lui demande.
Son expression se transforme soudain. Elle semble être la créature la plus innocente
de cette terre. « Fait quoi ? » répond-elle, puis elle avance tranquillement et éclate de
rire à la vue de mon casier. « Oh, merde alors ! Tandy ! Sarah ! Regardez-moi ça ! »
Appelées, les deux autres reines de beauté se précipitent et rejoignent Prestley dans
un gloussement grinçant, tandis que je me tiens debout, complètement décontenancée et
dégoutée. Très vite, d’autres se rassemblent derrière moi et partagent leurs propres
pensées.
« La chasse est ouverte pour Eleanor Fox, les gars ! » crie l’un des sportifs décérébrés.
« Oh, regardez ça ! Apparemment tu étais bien occupée ! », me dit une fille que je
n’ai jamais vu auparavant, alors que je réfléchis à des façons violentes d’effacer le sourire
de son visage.
« Pute ? C’est ton deuxième prénom ? », me demande Kellan. Mon sang se gèle.
Sous le choc, je tourne sur mes talons pour lui faire face. Il me domine, entouré de
Gage et Rhett. Le temps s’arrête faiblement, alors que j’essaie de comprendre ce que je
suis censée foutre de tout ça. Je ne peux pas me défendre dans cette situation –
évidemment les préservatifs ne sont pas à moi, mais qui m’écouterait ? Ils sont trop
occupés à rire à mes dépends. Ils se foutent de mon intégrité.
« C’est toi qui as fait ça ! », je murmure, mes yeux piquent en regardant Kellan.
« Quoi ? Le potpourri de tes choses préférées dans ton casier? » répond-il, un sourire
fendant son visage.
Je secoue lentement la tête. « C’est quoi ton putain de problème, Kellan ? Qu’est-ce
que je t’ai fait pour mériter ce… »
Il me pousse si fort, je m’écrase sur mon casier avec un bruit éclatant. L’air s’échappe
de mes poumons alors que je siffle désespéramment pour respirer rapidement. J’entends
des « Oh » et « Ah » chuchotés depuis la foule grossissante autour de nous. Kellan est
inflexible, son regard sombre, froid et dur alors que me fixe.
« C’est ton rappel hebdomadaire pour que tu gardes tes distances, Elly. Pur et simple.
Tu es dans un nouveau lycée à présent. Des règles s’appliquent », dit-il.
Rhett ne peut même pas me regarder. Gage partage un gloussement avec l’un des
sportifs, mais il ne peut pas non plus me faire face. Ils sont à côté de Kellan, mais ne
participent pas activement. D’une certaine façon, je trouve ça d’autant plus insultant.
« Hey Rhett, Gage », je sors, en attirant leur attention. « Au moins, ayez les couilles de
faire un peu de merde vous-mêmes. C’est la deuxième fois que Kellan doit tout faire tout
seul. »
Je claque la porte du casier et me glisse dans la foule, laissant derrière moi les rires et
les surnoms méchants. Nous sommes apparemment de retour en guerre. Il y a de fortes
chances qu’ils essaient de faire plus aujourd’hui, mais je ne les laisserai pas. Je ne les
laisserai pas me briser !
Le bruit ne me quitte pas. Je me précipite en classe, où seulement quelques élèves
sont assis. Tous les autres sont encore dans le couloir, à rire de mon casier rempli de
préservatifs et tagué d’insultes. Je m’écroule sur mon petit bureau, puis expire âprement.
Ils rient encore. Je les entends, depuis la classe, et je veux simplement que le sol s’ouvre
et m’aspire tout entière – je me rends compte que ce besoin urgent est en réalité devenu
un schéma. La honte est tellement intense…
Ma vision est trouble, des larmes montent. Je sors un cahier et un stylo de mon sac,
qui est dorénavant bien rangé sous mon bureau, et commence à prendre quelques notes.
Tout ce qui me vient à l’esprit. Des façons de tuer les têtes brûlées. Des listes de courses.
Des noms d’universités auxquelles candidater. Tout ce qui peut sortir les rires de mon
esprit. Tout ce qui peut me sortir de tout ce merdier avant qu’il ne prenne le dessus…
avant qu’il ne me détruise.
« Elly. Elly… » la voix de Kyle transparait alors que je gribouille nerveusement sur la
page.
Je lève les yeux, une larme coule sur ma joue. En l’essuyant rapidement, je pouffe :
« quoi ? ».
« Je ne pouvais pas venir vers toi plus tôt, je suis désolé. Du moment où ils ont senti
l’odeur du sang, ils se sont tous rassemblés là comme des requins affamés », me dit-il.
« C’est bon », je réponds, fixant mon écriture à peine lisible. « Ça n’a pas
d’importance. Je savais qu’ils ne me lâcheraient pas aussi facilement… ».
« Pour ce que ça vaut, ils sèchent la première heure. Je les ai vus quitter l’école. »
Sa phrase attire mon attention. « Sacrée première ou je me trompe ? »
« Non, tu ne te trompes pas », dit Kyle en secouant la tête. « Malgré leur milieu et…
leurs activités extrascolaires, ils ont plutôt des bons dossiers au lycée. Ce qui rend
d’autant plus difficile de les dénoncer quand ils font des merdes comme ça. »
« Activités extrascolaires ? Ne me dis pas qu’ils passent leurs soirées à éclater des
rotules aux balances ou… dans ce style. »
La bile monte. Je devrais être habituée à cette sensation, mais je n’y arrive pas. Mon
esprit ne cesse de bifurquer vers le camp de vacances, me demandant « pourquoi »
encore et encore, et je n’ai aucune bonne réponse à donner pour faire la paix avec mon
propre raisonnement. »
Kyle sourit. « Je ne sais pas. Peut-être. Ce ne sont que des rumeurs de toute façon. »
Le silence s’installe entre nous, alors que le reste de la classe, moins les têtes brûlées,
entre. Ils sont encore en train de glousser et de lancer des vannes, alors que je songe
déjà à l’après-midi. Une fois que tout le monde sera parti, je prendrai une heure ou deux
pour nettoyer mon casier et mettre un nouveau cadenas. J’écrirai également une
réclamation auprès du principal. Je ne mentionnerai aucun nom ou quoi que ce soit, mais
il est bon d’avoir quelques éléments de preuve, au cas où. On ne sait jamais, et je me
déteste de penser ça.
Prestley et les autres me jettent des regards furtifs mais ne disent rien. Bien. Je pense
que le message de Kellan a été transmis, haut et fort. Ils essayent de me faire passer
pour la pute du lycée. Eh bien, youpi, parce que à cette heure-ci l’année prochaine, je
serai à l’université, j’étudierai les sciences politiques et je planifierai ma carrière
professionnelle. D’ici dix ans, l’un d’eux ira chercher mon café, alors que les autres me
regarderont à la télévision lors des campagnes électorales. Je leur monterai. Je leur
montrerai à tous.
« Elly… » murmure Kyle, assis devant moi. La prof n’est pas encore là. Si poil de
carotte ne commence pas le cours d’ici quinze minutes, nous aurons probablement un
remplaçant, ce qui signifie avoir une première heure plus cool. Mais je préfèrerais être
occupée par le cours, pour ne pas avoir l’opportunité de penser aux têtes brûlées et à leur
dernier « chef d’œuvre ».
« Hum ? »
« Tu veux m’en dire plus sur ce camp de vacances ? », me demande-t-il. « Tu prends
tout ça bien au sérieux. Je veux dire, tu as clairement des sentiments pour ces mecs. Je
ne dirai rien à personne, je promets… Je… Je veux juste comprendre pourquoi ils te font
autant de mal. Si ça a un sens. »
Je laisse un profond soupir s’échapper, posant ma tête sur ma main. « Ça en a. C’est
juste que c’est assez difficile d’expliquer tout ça », dis-je. « Peut-être que si je me
concentre sur les faits principaux, tu comprendras. »
En me préparant à l’histoire, je creuse plus profondément dans mes souvenirs de l’été
dernier. Mon cœur bat un peu plus vite alors que je flâne le long de cette ruelle
ensoleillée, où rien n’était merdique et où tout allait être parfait. Où Rhett, Gage et
Kellan n’étaient pas mon pire cauchemar mais les belles incarnations de mes plus beaux
rêves.
Kyle avait raison. Il a besoin de comprendre comment étaient les têtes brûlées que
j’ai rencontrés. Il sera peut-être, lui aussi, choqué de tout ce qu’ils ont fait depuis que j’ai
mis les pieds à Trinity High. Il se posera peut-être, lui aussi, les mêmes questions que
celles qui m’ont hantée.
RETOUR A U C A MP DE VA C A NC ES, 10ÈME J OUR.

NOUS SOMMES à nouveau au bord du lac, échappant aux activités du jour. Les responsables
du camp se sont désormais habitués à ce que nous ne soyons pas là, sauf lors des repas
et de l’appel, mais ils ne s’embêtent plus à nous traîner le cul en arrière. Rhett a
clairement fait comprendre que nous étions simplement « trop vieux pour cette merde »
et ils ont accepté ce raisonnement, à reculons.
Mais aujourd’hui, c’est différent, et je n’aime pas trop ça.
Ce n’est plus seulement les têtes brûlées et moi. Cinq terminales nous ont rejoints –
les arrivées tardives au camp de vacances, que des filles et pas le genre avec qui je
pourrais avoir une conversation. Fraîchement sorties d’une gueule de bois pour leur dix-
huitième anniversaire, elles sont encore trop sensibles à la lumière du soleil et se cachent
sous de grosses lunettes de soleil. Je ne me souviens pas de leurs prénoms, et je n’ai
aucunement l’intention de les mémoriser, puisque je doute les revoir après cet été.
Mais, à l’aide de quelques éléments qui se distinguent, je leur ai attribué des surnoms
faciles. Breloques a une affinité pour les énormes boucles d’oreilles, qui tintent dès qu’elle
bouge la tête. Elle craque pour Gage. Frisottis revient d’une permanente terrible et a du
mal à maintenir en place sa chevelure en bout de balais et avec de nombreux nœuds.
Orbite a une obsession pour les chewing-gums à la menthe et elle m’insupporte – mais
Gage ne la déteste pas, puisqu’elle a également un faible pour les shorts ridiculement
courts.
Belladone est une nana gothique qui s’est retrouvée, je-ne-sais-comment, à traîner
avec les « filles cools », d’un blanc nacré et peut-être un petit peu trop tactile avec Rhett,
qui ne lui porte pas la moindre attention. Il y a quelque chose d’un peu trop pervers chez
elle qui, sans surprise, attire l’attention de Gage. Chaussettes Montantes est la pire. Le
genre pom-pom girl. Elle porte des chaussettes hautes avec des jupes courtes,
provoquant des rêves de masturbation chez au moins la moitié des mecs de secondes et
de premières du camp. Mais elle se croit trop sexy pour n’importe qui, y compris pour les
têtes brûlées. De ce que je comprends, elle est également la chef de meute.
Gage essaie d’être gentil et partage sa flasque avec les filles. Chaussettes Montantes
doit être à chaque fois la première à prendre une gorgée.
« Pourquoi est-ce que tu continues de te l’accaparer ? » proteste Belladone.
« Parce que je dois m’assurer qu’ils ne nous droguent pas ! », répond Chaussettes
Montantes, avant de lancer un regard meurtrier et froid aux mecs.
Ça fait rire Kellan. « Nous n’avons pas besoin de recourir à de telles tactiques
merdiques, détends-toi, Mandy. »
Mandy. Bien évidemment. Non, je m’en tiendrai à Chaussettes Montantes. C’est plus…
précis. Je suis assise sur mon tronc habituel et j’envoie des SMS à Brenda. Elle me
manque tellement. C’est dommage qu’elle n’ait pas pu venir cet été. Elle aurait eu une
belle surprise. En ricanant toute seule, je ne remarque pas que Rhett ne me lâche pas
des yeux, jusqu’à ce que je lève les yeux.
« Quoi ? », je lui demande.
Orbite récupère une enceinte Bluetooth, la connecte à son téléphone et met de la
musique. Je suppose que c’est une mini fête dans les bois. Dieu merci, tous les campeurs
sont de l’autre côté du lac, à surveiller cinquante moutons de lycée qui luttent encore
contre leurs propres hormones.
Rhett hausse les épaules. « Rien. Tu n’es pas très sociale aujourd’hui, Elly. »
Je regarde les filles, espérant qu’il comprenne pourquoi. Gage s’assoit dans l’herbe,
entre Chaussettes Montantes et Belladone, alors que Frisottis est en extase devant
Kellan. Orbite et Breloques sont encore indécises entre Gage et Rhett, à en juger par les
regards avides de bites qu’elles lancent. C’est à la limite du gênant et ce n’est pas comme
ça que j’avais imaginé ma journée.
« Ce n’est pas mon type de groupe », dis-je à Rhett, arborant un demi-sourire.
« Je dis juste que je pourrais facilement vous faire toutes les cinq crier mon prénom,
de la meilleure façon possible », j’entends dire Gage, entraînant un soupir d’indignation
de la part de Chaussettes Montantes. Je peux presque entendre l’enregistrement grincer
alors que tous les autres bruits et voix cessent. Nous ne pouvons même plus entendre la
musique, bien qu’elle soit encore diffusée depuis la petite enceinte.
« Excuse-moi ?! », grogne Chaussettes Montantes. « Comment oses-tu ? »
« Quoi ? Vous êtes toutes là. Je vois la façon dont tu me regardes, Mandy. Tu te
demandes comment ce serait. Pourquoi ne pas essayer et le découvrir ? », répond Gage,
aussi brillant qu’un pissenlit.
« Est-il en train de suggérer une partouze ? », je demande à Rhett, la voix basse.
Il hoche lentement la tête. « Plutôt un plan à six. Il veut battre son record
personnel », murmure-t-il.
« Quel est le record ? », je murmure.
Rhett pose ses yeux sur moi, son regard sombre mais pas dénué de touches
d’amusements. « A trois. »
« Oui, il est du genre ambitieux », dit Kellan, quittant les avides de bites et s’installant
à côté de mon tronc d’arbre. Il a également rapporté une de ses flasques et la partage
avec moi. Ce n’est pas la première fois non plus. Kellan a été le plus adorable et le plus
gentil jusqu’à présent. Il est mon gentil géant, d’une certaine façon.
Gage est drôle. Il me fait beaucoup rire. C’est ce que j’aime chez lui. Rien ne l’abat.
Rien. Pas même la fin du monde demain, si ça devait arriver.
Rhett est un mystère que je dois encore percer. Je sais qu’il aime ma compagnie et
nous avons déjà eu quelques conversations assez profondes… il est sexy. Je pense à lui la
nuit. Mais il n’a jamais suggéré quoi que ce soit de romantique. Il me regarde d’une
certaine façon parfois, et je n’arrive pas à comprendre ce qu’il recherche…
Kellan, de l’autre côté, a été communicatif et galant, à toujours partager son scotch
avec moi. Son déjeuner. Les goûters qu’il pique du distributeur du chalet chaque matin. Il
m’aime bien. Il l’a dit plus d’une fois. C’est peut-être pour ça que Rhett ne veut rien faire.
Il veut peut-être laisser une chance à son frère. C’est étrange pour moi, parce que… je les
aime tous les deux, d’une façon légèrement différente. Merde, j’ai également un faible
pour Gage. Ce sont mes têtes brûlées.
Et je n’apprécie pas les partager avec ces cinq nouvelles venues. Je prends une
gorgée de la flasque de Kellan et la lui rends, laissant le whisky brûler en moi de sa
délicieuse façon. « Merci », je murmure. Il me fait un clin d’œil et un feu taquin danse
dans ses yeux noisette. Je suis intriguée.
« Tu veux coucher avec nous cinq ? », glousse Belladone, ne croyant pas vraiment à la
proposition de Gage. À sa grande surprise, il le pense réellement.
« En même temps, idéalement », répond Gage, allongé sur le côté, tandis que
Belladone et Chaussettes Montantes s’assoient, les yeux grands ouverts et rougissantes.
« Nous sommes tous adultes ici. Je ne vois pas quel est le problème. »
« Le problème c’est que nous ne sommes pas intéressées par cette merde
dégueulasse. » Breloques émet un rire de cochon, puis pointe Frisottis du doigt. « En
plus, celle-ci est vierge. Elle veut des bougies romantiques, un couvre-lit en satin. Tu sais,
la totale. »
« Riri ! » Frisottis la réprimande, couverte de honte. Mais Breloques s’en fiche. Le mal
est déjà fait. Trop tard pour le retirer. Mon visage brûle lorsque je réalise que je
ressemble un peu à Frisottis – et donc une vierge avec des idéaux romantiques…
seulement je suis prête à laisser ces idéaux. Je ne me souviens pas avoir déjà dit non à
de nouvelles choses, dans presque tous les aspects de ma vie.
J’imagine à présent un plan à six avec Gage. Est-ce que je m’y joindrais ? Je secoue
lentement la tête. Je ne voudrais pas le partager avec ces spécimens odieux, lunatiques,
pourris gâtés, qui se croient tout permis.
« Il n’y a rien de dégueulasse à partager l’amour », dit Gage, incapable de s’arrêter de
sourire tel le beau diable qu’il est. « Je veux dire, réfléchis-y », ajoute-t-il en regardant
Chaussettes Montantes. « Tu peux me chevaucher jusqu’à l’El Dorado, bébé, avec Riri
assise sur mon visage. Je peux vous doigter toutes les deux en même temps et vous faire
crier. Nous pouvons nous relayer, vous les filles, vous pouvez vous satisfaire pendant que
je baise la lumière du jour à celle qui sera au bout de tout ça. » Il attrape son entrejambe
pour un effet plus dramatique.
Belladone est silencieuse et fixe la bosse. Breloques semble réfléchir aux possibilités.
Frisottis monte en flèche, attrape son téléphone et l’enceinte Bluetooth dans le même
temps, à peine capable de respirer.
« Je… j’ai oublié, j’ai quelque chose de prévu cet après-midi », marmonne-t-elle.
« Vous… Amusez-vous bien! »
Elle s’éloigne comme si ses talons prenaient feu. Il est très difficile de ne pas rire à ce
stade, d’autant plus que ça pourrait détruire les chances de Gage de battre son record. Il
ne faut pas être un génie pour voir qu’au moins trois des filles restantes considèrent sa
proposition. Orbite semble indécise, son regard errant autour du groupe. Elle porte son
attention sur Rhett et sourit.
« Et toi ? », demande-t-elle. « Qu’est-ce que tu penses de tout ça ? » demande-elle.
Rhett ricane et se lève, brossant un peu de la saleté sèche sur son jean déchiré. « Je
ne suis pas d’humeur aujourd’hui, mais nous pourrons en reparler demain », dit-il en
regardant sa montre. Il nous regarde, Kellan et moi, et remarque à quel point nous
sommes proches physiquement l’un de l’autre. Je peux sentir le parfum de Kellan, et il me
monte à la tête. « Je retourne au chalet. À plus tard les gars. »
Et, d’un coup, Rhett n’est plus de la partie et retourne au chalet. Je le regarde
fixement pendant un moment. Il jette de temps en temps un coup d’œil par-dessus son
épaule, son regard croisant le mien, mais il ne laisse rien échapper. Je ne peux pas dire
ce qu’il pense. Tout ce que je sais, c’est que quelque chose en moi le désire fortement,
d’une manière que je n’aurais jamais crue possible.
« Tu sais quoi ? Reste sur tes fantasmes porno », rétorque Chaussettes Montantes
après avoir réfléchi. « Nous sommes ici pour nous détendre et nous amuser. Nous ne
sommes pas tes garages à bite. »
« Oh, cassé », rit Belladone.
Gage, cependant, n’est pas affecté. Il sourit, se lève et récupère sa flasque auprès de
Breloques, qui le regarde comme une délicieuse tranche de steak de Kobe à point. « Peu
importe mesdames. Si vous changez d’avis, je serai en bas, près du ruisseau là-bas », dit-
il, en pointant un endroit au-delà des arbres, légèrement à l’ouest du lac. « L’eau est
incroyable. Elle emporte tout. »
J’étouffe un rire, sachant bien ce qu’il veut dire par là. Gage me lance un sourire
débonnaire en laissant les filles derrière lui. Kellan et moi ne bougeons pas et nous les
regardons attentivement échanger des regards nerveux. Elles nous regardent de temps
en temps, cherchant tout signe implicite d’opinion ou d’approbation, mais je ne leur
donne rien. Kellan prend ma main dans la sienne et un million de vrilles électriques
explosent dans mon bras alors que je me lève, presque par réflexe.
« Tu veux aller faire un tour ? », demande-t-il et je hoche docilement la tête. Gage est
parti vers le ruisseau, attendant probablement qu’une ou plusieurs des filles viennent
finalement le rejoindre. Rhett est parti broyer du noir dans le chalet, mais je ne
comprends pas pourquoi. Et j’aurais tort de laisser Belladone et ses compères gâcher ce
qui reste d’une parfaite journée ensoleillée.
Alors que nous nous éloignons des filles, je jette un coup d’œil en arrière. Breloques
est la première à se lever et à suivre Gage dans les bois. Remarquant mon sourire, Kellan
suit mon regard et nous observons tous les deux Belladone se lever et faire de même.
« Hum… il n’aura pas fallu longtemps », dit Kellan, ce qui me fait éclater de rire.
Il m’écarte du sentier et nous cache tous les deux derrière un pin géant. « Quoi ? », je
demande.
« Attends. Regarde », murmure-t-il, les yeux sur notre ancien lieu de détente. Orbite
est sur son téléphone, assise sur un rocher au bord de l’eau, dos à Chaussettes
Montantes, et la regarde attentivement se lever et s’éclipser en douce rejoindre Gage et
les autres.
« Oh, ouah », je bafouille, sentant un sourire s’étirer sur mon visage.
« Et voilà, Elly, c’est comme ça que tu bats un record », glousse Kellan.
Je le regarde, complètement amusée. « Il ne misait pas sur les cinq ? ».
« Nan », dit-il en secouant la tête. « Mais trois c’est déjà un très bon début. » Il
observe les bois, où le ruisseau est censé être, à environ deux cents mètres de là. « Tu
veux voir ce qu’ils font ? ».
Mes mains s’accrochent à mes hanches. « Es-tu un voyeur, Kellan ? ».
« Je suis curieux. Pas toi ? ».
Il est si franc, c’est déroutant. Je ne devrais donc pas lui mentir. En hochant lentement
la tête, je soupire. « Un peu. Je l’ai seulement vu dans des pornos… ».
Des flammes brûlent encore plus fort dans ses yeux, mais il garde son calme alors que
l’air devient plus épais entre nous. Quelque chose est différent. Notre dynamique évolue
rapidement, juste devant nous, et j’espère pouvoir suivre, parce que je ne veux rien
manquer. Quoi qu’il se passe ensuite, je l’accueillerai. Chaque moment que j’ai passé
avec Kellan, Gage et Rhett ont été merveilleux et bien plus encore. Je ne voudrais pas
que le camp de vacances s’arrête maintenant, si seulement il pouvait me permettre de
rester proche d’eux.
« Alors, viens », chuchote-t-il en prenant à nouveau ma main.
Sa peau contre la mienne fait bouillonner mon sang, qui monte frénétiquement à ma
tête. Mon cœur bat plus fort et plus vite, alors que je le suis à travers les bois. Les arbres
s’élèvent autour de nous – de grands géants avec de lourdes couronnes vert foncé qui
couvrent la plupart du ciel clair au-dessus. Le brise du lac souffle, envoyant une fraicheur
délicate le long de mon dos.
Le bruit de l’eau qui s’écoule rapidement émerge alors que nous enjambons
prudemment des petites branches et des feuilles sèches, pour que personne ne nous
entende. Le secret ici, c’est d’être complètement invisible, car nous sommes sur le point
d’assister à quelque chose de spécial. Je m’efforce de ne pas sourire mais il devient de
plus en plus difficile de me contenir, alors que nous atteignons le ruisseau et que nous
nous cachons derrière un rocher massif et pointu qui dépasse du sol.
Gage est nu, sur ses genoux dans une eau fraiche abondante. Derrière lui, une petite
cascade divise le ruisseau en deux petits cours d’eau, d’une blancheur écumante et qui se
dirigent vers la forêt et vers le lac Tahoe. Je peux le voir dans toute sa gloire de dieu
grec, chaque muscle tonifié à la perfection alors qu’il regarde Breloques, Belladone et
Chaussettes Montantes se déshabiller. Sa confiance en lui est titanesque et assez
spectaculaire à regarder.
Avec seulement quelques suggestions et une attitude je-m’en-foutiste, il est parvenu
à enrôler trois filles jusqu’au ruisseau. Je me rends compte qu’un tel exploit exige de
sérieuses habiletés de mentaliste. Kellan et moi observons, mâchoires au sol, alors que
Breloques fait les premiers pas vers Gage, qui l’accueille les bras grands ouverts et avec
une érection palpitante. Elle est immense, et mon intérieur se contracte en me
demandant ce que ce serait de…
Belladone enlève sa culotte, en se touchant doucement. Mais elle ne bouge pas du
bord de l’eau. Gage embrasse d’abord Breloques, agrippant ses fesses pour la rapprocher,
afin qu’elle puisse sentir sa queue. Une main bouge entre les deux, puisqu’il parvient à
trouver son point sensible entre ses jambes et commence à la caresser. En quelques
secondes, Breloques gémit, ses hanches se balançant contre sa main.
Chaussettes Montantes est toujours en sous-vêtements, tout en dentelle rose et
rubans de satin. Elle est la moins expérimentée des trois. Je peux voir une légère ombre
de peur dans ses yeux bleus, alors qu’elle regarde Gage doigter Breloques, pendant que
Belladone se touche. Mais elle est curieuse. Elle meurt d’envie de savoir ce qui peut se
passer, et comment elle peut en faire partie. Je mords ma lèvre inférieure, une chaleur
étrangère s’accumule au creux de mon estomac et se propage plus bas.
Gage repère Chaussettes Montantes immobile et qui observe. Il demande à Breloques
de l’attendre ici. Sans surprise, elle obéit, reprenant là où il s’est arrêté, ses doigts
glissants entre ses plis luisants, ses lèvres s’ouvrant de plaisir. Gage fait signe à
Belladone de rejoindre Breloques. « Elle aurait besoin de ton aide. Tu ne crois pas ? » dit-
il, le regard sombre et rempli du danger le plus doux.
Belladone n’hésite pas. Elle rejoint Breloques et les deux commencent à se caresser et
se doigter. Les mains serrant leurs seins fermes, leurs langues flottant sur leurs durs
tétons, peau contre peau alors qu’elles s’excitent toutes les deux, cherchant à atteindre
les plus hauts sommets. Elles sont tellement motivées, ce n’est presque pas croyable.
Dans le même temps, Gage s’arrête devant Chaussettes Montantes, qui est toujours
incertaine de ce qui va se passer. Je jette un bref coup d’œil à Kellan et je réalise qu’il me
regarde depuis un moment maintenant… La noisette dans ses yeux est presque de la
même couleur que les couronnes des pins au-dessus de nous. Il fixe désespérément mes
lèvres depuis un long moment. Mon cœur est titubant, mais je ne peux rien y faire. Tout
ce que je peux faire c’est continuer de surfer la vague et voir où elle me mène. J’ai dix-
huit ans, maintenant. J’ai le droit de choisir mes propres expériences, n’est-ce pas ?
Je lui donne un sourire léger, puis je me lèche mes lèvres et déplace à nouveau mon
attention vers Gage et Chaussettes Montantes. Je veux voir où cela mène. Une chaleur
liquide s’accumule dans ma culotte alors que je me penche vers Kellan, mes genoux étant
bien plus que faibles. Si je ne fais pas attention, je risque de tomber et de nous faire
remarquer. Même si je ne suis pas sûre que ma présence les arrêterait. Une partie de moi
en doute.
Mes tétons me chatouillent, très légèrement, pointant nerveusement contre mon
soutien-gorge. Gage enlève les sous-vêtements en dentelle noire de Chaussettes
Montantes. D’abord son soutien-gorge, prenant chaque partie de sa petite poitrine
coquine dans sa bouche, suçant et léchant avec une faim grandissante.
La main de Kellan glisse autour de ma taille, alors qu’il se rapproche de moi. Nous
sommes tous les deux debout derrière le rocher découpé, avec une vue parfaite sur Gage
prenant bien soin de la chatte de Chaussettes Montantes. Elle est désormais dans un état
second, frémissant et gémissant alors que la main de Gage la travaille au corps. De
l’autre côté, Belladone jouit d’extase, atteignant ses premiers orgasmes avec les doigts
clairement habiles de Breloques.
« Tu aimes ce que tu vois ? » murmure Kellan dans mon oreille.
Je perds la tête. Mes sens se déforment et se déploient, et j’ai perdu tout contrôle sur
mes actions. La vague de chaleur est si puissante, si enivrante, que je n’ai pas d’autre
choix que de la laisser m’emporter. Ce n’est pas la première fois que je suis excitée en
compagnie de Kellan, Gage ou Rhett, d’ailleurs, mais c’est la première fois que cela va
au-delà des mots. Quelque chose est en train de se passer, et je veux le voir jusqu’à la
toute fin, puisque ça pourrait être ma seule chance d’expérimenter tout ce à quoi j’ai rêvé
depuis que je les ai rencontrés.
« Mmh… » je gémis légèrement. Ses mains ont pris possession de mes hanches et il
me pousse gentiment contre le rocher. Je le sens, dur comme la roche, se bomber entre
mes fesses. Il tâte à présent le sol, pour s’assurer que je sois à l’aise. Pour s’assurer que
je veuille et ne regrette rien, quoi qu’il se passe. Il ne fait rien d’autre pendant un
moment, alors que nous continuons tous les deux à regarder.
Gage fait jouir Chaussettes Montantes si fort qu’elle s’effondre presque dans ses bras.
Il la soulève et la porte jusqu’à une pierre plate près de la cascade. Il l’installe dessus et
fais signe à Belladone et Breloques de les rejoindre.
« Je vous ai promis des étoiles et des feux d’artifices, n’est-ce pas ? » dit-il, en
respirant lourdement.
Comme un directeur expert en baise d’un niveau supérieur, il donne quelques ordres,
et les filles obéissent, impatientes de satisfaire et d’être satisfaites, elles aussi. Le souffle
de Kellan est chaud et chatouille le côté de ma nuque. Ses lèvres effleurent mon oreille
et j’expire vivement.
« Retourne toi », dit Gage à Chaussettes Montantes. Il l’aide à se retourner et la tire
par les chevilles avec des mains fortes. Elle crie, puis rit de plaisir lorsqu’elle comprend ce
qui va se passer. Ses pieds sont dans l’eau et elle est penchée sur la pierre, ses seins
pressés contre la surface dure – un peu comme les miens là, tout de suite. Gage regarde
Belladone. « Monte dessus. Elle va te lécher comme un sundae vanille. » L‘image qui me
traverse l’esprit humidifie encore plus rapidement ma chatte, la chaleur au creux de mon
estomac bouillonnant encore plus fort.
Chaussettes Montantes lui lance un regard choqué, mais c’est trop tard, puisque
Belladone grimpe déjà devant elle et écarte ses jambes. Ses lèvres s’ouvrent à la vue de
la chatte rose et mouillée. Je ravale, alors que les mains de Kellan remontent lentement
mais sûrement sur mon buste et atteignent ma poitrine. Son parfum envahit mes narines
et je pousse instinctivement mes fesses contre lui, demandant silencieusement plus.
Beaucoup plus.
« Toi… Je te veux ici », dit Gage à Breloques, en prenant sa main et la glissant entre
les jambes de Chaussettes Montantes. Il place ses doigts à la bonne position, alors que
Chaussettes Montantes utilise les siens pour explorer l’humidité rose que Belladone a à
offrir.
Je n’aimais pas les filles avant, mais maintenant je ne peux pas non plus détourner
mon regard. Gage contrôle tout, ses muscles palpitent, sa queue grossit un peu plus à
chaque seconde qui passe. Sans rien dire, il glisse ses doigts dans la chatte de Breloques,
alors que Chaussettes Montantes s’apprête à lécher celle de Belladone. Utilisant sa main
libre pour attraper les fesses de Chaussettes Montantes, il l’empale de toute la largeur de
son érection engorgée. Elle s’écrie de plaisir pur, et plonge dans les lèvres chaudes et
pulpeuses de Belladone.
Je ne peux pas détourner mon regard des fesses bien fermes de Gage alors qu’il
pénètre Chaussettes Montantes comme s’il n’y avait pas de lendemain. Breloques entre
dans un état de frénésie puisque Gage la doigte et l’emmène dangereusement vers un
orgasme abrutissant. Belladone s’envole, ses hanches ondulent alors que Chaussettes
Montantes la dévore. C’est une rencontre de corps, un amalgame de chairs et de désir qui
se déploie merveilleusement devant mes yeux. Je suis sans voix, et j’ai dépassé depuis
longtemps le stade de l’excitation.
Kellan sent mon excitation, trouve mes seins et les presse contre le soutien-gorge.
« C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ? » me demande-t-il, sa voix rauque dans mon oreille.
Il mordille mon lobe d’oreille entre ses dents, et je gémis doucement, sachant que le peu
de contrôle que j’ai encore sur moi-même va très, très vite disparaître. « Chut… » dit
Kellan, « ils ne doivent pas nous entendre. »
Je hoche la tête, malgré le fait qu’il me soit impossible de rester silencieuse. En me
tenant prête pour ce qui va se passer entre nous, je prends une inspiration profonde et
tremblante.
Doucement et prudemment, Kellan déboutonne ma chemise sans manche et tire le
doux coton de mon soutien-gorge, libérant ainsi mes seins. Je retiens mon souffle alors
qu’il presse mes tétons avec son index et son pouce et que son érection grandissante
appuie contre mes fesses, rassemblant davantage de chaleur entre mes jambes. Mon
dieu. Rien n’est censé être aussi bon.
« Oh, mon Dieu… » je murmure, m’efforçant de ne pas lever les yeux au ciel de pur
plaisir alors qu’il tire sur mes tétons, la tension étant si puissante dans mes reins que je
peux à peine tenir debout.
« Tu veux qu’on fasse ça ici, Elly ? », me murmure-t-il à l’oreille, et je hoche vivement
la tête. C’est la seule chose que je puisse faire alors que je regarde Gage baiser les
lumières du jour de Chaussettes Montantes. Elle atteint le sommet et crie son nom avant
de sucer le clitoris de Belladone si fort que cela fait jouir la pauvre fille, son corps entier
se contractant de plaisir.
« S’il te plait… », je parviens à dire.
Il mord doucement ma nuque, puis déboutonne mon short et le retire, ainsi que ma
culotte, d’un seul mouvement. Si je ne le connaissais pas mieux, je dirais que Kellan est
aussi excité par moi que je ne le suis par lui. En inclinant ma tête en arrière, je lui
permets de sucer mes lèvres pendant un court instant. Même cela semble trop érotique
pour être vrai, et une fois qu’il s’ouvre, je suis encore plus essoufflée qu’avant.
Pendant ce temps, Gage commence à prendre Breloques par derrière. Dedans.
Dehors. Dedans. Dehors. Le son de leurs peaux claquant l’une contre l’autre est si
puissant qu’il résonne dans les bois et dans l’air. Une main sur son dos, il la pousse en
avant et la pénètre encore plus fort. On peut encore entendre les vestiges de l’extase de
Belladone et de Chaussettes Montantes dans leurs souffles lourds et accélérés. Je ne
peux qu’imaginer à quel point leurs orgasmes étaient renversants.
« S’il te plait quoi ? », murmure Kellan, son souffle chaud contre mon oreille.
« Je suis à toi », je chuchote, « Prends-moi, Kellan. S’il te plait… ». Je me tourne pour
le regarder, et nous nous faisons face pendant un long moment, nous perdant l’un dans
l’autre. Il va être mon premier, il le sait, et je meurs d’envie de savoir comment il est.
« Tu es sûre ? », me demande-il, soudain sérieux. Je hoche à nouveau la tête, lui
donnant un léger sourire. En me penchant plus près, je l’embrasse, et il prend le contrôle
de ma bouche, sa langue s’emmêlant avec la mienne. Il y a une douceur en lui dont je ne
peux pas me passer. C’est dans la façon dont il me regarde, dont il parle… la façon dont il
me touche en ce moment. Je lui fais confiance. Je le veux. J’ai besoin de lui.
Une main reste sur mes seins, jouant avec chaque téton, alors que l’autre descend sur
mon ventre et se glisse entre mes lèvres frémissantes et mouillées. Je retiens ma
respiration, en inclinant ma tête en arrière alors qu’il commence à me travailler au corps.
D’où je me tiens, tremblante, je peux voir Gage prendre le contrôle de Belladone, alors
que Breloques lèche Chaussettes Montantes entre ses jambes, la doigtant et tétant ce
petit bourgeon jusqu’à ce qu’elle gémisse à nouveau, atteignant un autre orgasme
éclatant. Elle n’est plus debout, mais à genoux dans l’eau, lorsque Gage revient et la
prend à nouveau par derrière. Son énergie est incroyable. La façon dont il les baise
semble tellement… naturelle. Le sourire sur son visage, décontracté. Comme s’il était fait
pour ça. Quelque chose me dit qu’il se soucie de leur plaisir autant que du sien.
Je sens un frisson derrière moi, jusqu’à ce que je réalise que Kellan est à genoux et
écarte mes fesses pour tremper sa langue dans ma chatte. « Oh, putain », je souffle, les
oreilles bourdonnantes.
Il enfonce d’abord ses doigts plus profondément, puis s’arrête un instant. « Elly… »
« Oui, s’il te plaît », je réponds, presque machinalement. « Tu n’as pas intérêt à
t’arrêter. »
Il ne s’arrête pas. Il me lèche et me pénètre avec son index et son majeur, me
goûtant, explorant la chaleur humide en moi qui supplie d’être libérée. Je continue de
fixer Gage alors qu’il pénètre Chaussettes Montantes comme un athlète professionnel. De
la sueur dégouline de son torse nu et musclé. Son regard rencontre le mien, d’une
manière quelconque, et je suis stupéfaite. Je ne peux pas bouger. Mais je n’abandonne
pas non plus ce moment.
Gage peut me voir mais ça ne m’importe plus, parce que j’entends le bruit d’un
préservatif qui s’ouvre et Kellan se tient derrière moi, déposant des baisers chauds sur
mon cou et mon épaule. Gage continue de travailler au corps Chaussettes Montantes et
de nous regarder, alors que la queue dure de Kellan me remplit à ras bord.
La douleur est brève et tranchante, avant qu’il ne commence à bouger lentement en
moi. Gage baise Chaussettes Montantes encore plus fort, incapable me quitter des yeux.
Elle crie d’agonie et de plaisir, mais il n’arrête pas. Il lui donne tout ce qu’il a, alors que
Belladone et Breloques se satisfont entre elles.
Et je ne peux pas non plus arrêter de regarder Gage, alors que Kellan me prend,
réclame mon corps et mon âme, et qu’il commence à pousser de plus en plus fort. Je me
contracte autour de sa queue, et il grogne de plaisir, intensifiant ses mouvements. Il me
tient fermement, un bras enroulé autour de ma taille alors que son autre main trouve
mon clitoris et… et je craque.
Je frémis dans les affres du bonheur pur alors que j’explose dans ses bras, incapable
de respirer tandis qu’il me tient et continue de me prendre, plus vite… plus
profondément…
Gage ferme ses yeux, son souffle épuisé alors qu’il s’apprête à se décharger en
Chaussettes Montantes. Je ferme les miens, puisque Kellan m’emmène dans un autre
monde, alors que bougeons tous les deux, silencieusement, nos corps dans une union
parfaite, nos âmes en pure synergie. Il me remplit. Il me propage. Il me défait, morceau
par morceau, et je ne peux pas me passer de sa taille généreuse et dur comme la pierre.
Nous atteignons ensemble le sommet de l’orgasme, tandis qu’il presse et frictionne
mon point sensible ardent jusqu’à ce que je jouisse à nouveau, cette fois-ci sur des
vagues furieuses et palpitantes. Mes muscles se resserrent alors que je presse sa queue
sèche et le trais de tout ce qu’il a. Il tremble contre moi, me poussant vers le rocher
lorsqu’il trouve la lumière au bout du tunnel.
Nous ne sommes pas prêts à descendre du paradis que nous venons de construire,
cachés au bord d’une falaise. Je ne suis pas prête à ouvrir les yeux et revenir à la réalité.
Non, c’est bien là, avec le bruit de l’eau qui coule à flot et le troisième orgasme de
Belladone, alors que Kellan continue de bouger en moi, incapable de me laisser. Je
l’apprécie. Je le veux déjà de nouveau.
Mes yeux s’ouvrent. Je vois le soleil passer à travers les couronnes vert foncé des
vieux pins sombres. Ma chatte est à vif et meurt d’envie d’en avoir plus. Kellan me serre
dans ses bras, prenant de longues respirations et reniflant mes cheveux. « Je pense que
nous serons ici toute la journée », sa voix me parvient enfin.
« Ça me convient parfaitement », je lui réponds, levant une main molle pour caresser
son visage. « Je veux plus de toi, Kellan. »
« Je veux tout de toi, Elly. »
Et je le lui donne, puisqu’il me nourrit de tout ce que mon cœur désire. Il coule
profondément, comme une rivière après un orage. Son toucher est doux, mais sa queue
est de nouveau dure, et prête à m’emmener vers un tour de magie. Rien ni personne
d’autre n’a d’importance, maintenant.
Je suis prête, moi aussi.
RHETT

AUJOURD’HUİ N’EST PAS une bonne journée.


Je l’ai su dès que j’ai posé ma tête sur l’oreiller hier soir. Elly a de nouveau envahi
mes pensées, et elle ne me lâchera pas de sitôt après toutes les choses que nous lui
avons faites. Kellan, Gage et moi sommes plutôt créatifs lorsqu’il s’agit de tourmenter
quelqu’un, mais ça devient particulièrement vil et difficile lorsque nous le faisons à
quelqu’un qui nous est cher et que nous souhaitons protéger. Ça me rend malade, mais il
n’y a vraiment pas d’autres moyens.
Le sommeil a refusé de s’emparer de moi. Je me suis tourné et retourné des centaines
de fois, cherchant anxieusement un autre moyen de me sortir de ce merdier. Il n’y en a
pas. Quinn Flanagan, notre grand-père, a laissé derrière lui un empire. Il y a beaucoup
d’argent et de pouvoir en jeu, et nous ne pouvons pas le laisser à oncle Kevin.
Techniquement parlant, mon père, Harry, est censé hériter de tout, mais nous savons
qu’il y a eu des modifications apportées au testament de grand-père avant sa mort. Je
suis inquiet. Merde, je suis terrifié, parce que je sais que l’influence de Kevin va loin dans
la famille et auprès de nos associés.
Kellan et moi sommes trop jeunes pour reprendre la main. Personne ne nous prend au
sérieux, même si nous avons plus d’une fois fait nos preuves. Gage a été au même
niveau, lui aussi. Le résultat est le même. Nous continuons d’être envoyés au coin des
enfants.
« Tu es prêt ? », Kellan arrive dans ma chambre, tout habillé.
Ce n’est pas souvent que nous devons nous habiller, mais l’avocat de la famille attend
en bas dans la bibliothèque, prêt à desceller le testament de grand-père et à faire une
lecture officielle. Nos parents sont déjà présents, tout comme Kevin et sa femme, notre
professeure de français, Brigitte Marchand. Une dizaine d’autres oncles et cousins nous
ont également rejoint, mais ils n’ont aucun droit sur l’héritage. Ils sont seulement là pour
voir qui obtient quoi.
Les rumeurs vont bon train depuis que grand-père est tombé malade. Ils savent tous
qu’un grand changement s’annonce, et je ne sais pas encore où se situe leur loyauté. Je
redresse ma veste et arrange ma cravate en soie bleu marine, puis je m’éloigne du
miroir. J’ai passé les vingt dernières minutes à fixer mon propre reflet. C’est comme si
j’essayais lire mes propres pensées. Comme si j’étais réduit à des pièces d’un puzzle que
je ne savais plus assembler.
« Prêt pour quoi, exactement ? », je demande.
« Le début de la fin », répond Kellan. « Allez, Rhett. Tommy est en bas avec son père.
Tout le monde est prêt pour la lecture. »
Ça me fend le cœur que nous en soyions arrivés là. Grand-père était un homme dur
mais bon. Son père a construit cette affaire familiale, et nous avons fait un excellent
travail en gardant les drogues en dehors de notre portefeuille depuis des décennies. La
plupart de notre fortune vient de la prohibition. Personne ne faisait de la contrebande de
whisky comme les Flanagan. C’est pratiquement un art pour nous.
Kellan, Gage et moi avions l’habitude de passer des semaines durant l’été à l’atelier
avec notre grand père. Il nous a appris à souffler du verre, à manipuler la substance
fondue jusqu’à créer des répliques identiques de certaines des bouteilles les plus chères
au monde. Grand-père l’a appris de son père, et il nous l’a transmis. Ses fils étaient
davantage dans les affaires et leur exécution. Tous les trois, nous nous sommes mis à
l’art de confectionner des copies parfaites de whisky.
Le nez et la langue de Gage devraient être assurés pour des millions de dollars. Le
mec peut concocter un putain de single malt de quarante ans d’âge. Le travail du verre
de Kellan est phénoménal. Ils m’impressionnent. Ma voie est encore floue mais, quoi qu’il
arrive, je devrais protéger ma famille et amis, je choisis donc de me concentrer sur ça.
« Comment est Kevin ? », je marmonne en fixant mes boutons de manchette. Grand-
père me les a offerts au dernier Noël – des croix en argent avec une écriture en vieil
irlandais. Sois le renard. C’est comme ça que grand-père avait l’habitude de m’appeler –
le renard. C’est tellement dur sans lui. Il est celui qui m’a appris à… être qui je suis.
Audacieux, agile, prédateur. Il disait que c’était la seule façon de survivre dans cette
famille. J’ai l’intention d’être à la hauteur de ce nom.
« Odieusement confiant », dit Kellan. « Il sait peut-être quelque chose que nous ne
savons pas. »
« J’en doute. Grand-père a gardé le testament scellé dans son coffre. »
« Et qui nous dit que Phelps ne lui a pas donné un aperçu ? »
Je regarde mon frère. « C’est l’avocat familial, et à l’inverse de la plupart de nos
associés récents, il n’a fait que tenir sa parole et être fidèle à grand-père. J’en doute
fortement. »
« Alors pourquoi Kevin est-il si satisfait ? »
En expirant brusquement, je le rejoins alors qu’il ouvre la porte. « Allons le
découvrir. »
La bibliothèque est plus remplie qu’à l’accoutumée. C’en est presque étouffant. Mon
grand-père avait l’habitude d’y passer une grande partie de son temps, seul. Parfois, mon
père y descendait et ma mère lui tenait compagnie. J’y ai également passé la plupart de
mes nuits. J’ai lu presque tous les livres de ce lieu. Grand-père disait que je devais garder
l’esprit ouvert et vif.
Phelps est assis derrière le bureau, et c’est une image étrange pour moi. C’est le siège
de grand-père. C’est sacré.
Kevin et Brigitte ont la causeuse en cuir sur le côté. Kellan avait raison. Notre oncle
semble un peu trop suffisant. De plus, sa femme a une nouvelle paire de seins qu’elle
étale à moitié, grâce à sa chemise en soie noire déboutonnée.
Mon père est assis dans l’un des fauteuils en face du bureau, et ma mère occupe
l’autre. Tous les autres, y compris Gage et son père, Connor O’Donnell, se tiennent à
quelques centimètres derrière, les étagères en acajou s’élevant derrière eux avec
solennité. Mon estomac est agité et je ne peux m’empêcher de jeter des coups d’œil à
Kevin. Il y a quelque chose en lui qui me gêne. Je le connais trop bien, c’est pour ça.
« Merci à tous d’être venus ce matin », dit Phelps, tenant dans sa main une enveloppe
à papier kraft avec une cire à cacheter. « C’est l’heure d’ouvrir le dernier testament rédigé
par Quinn Flanagan. Sous vos yeux attentifs, je vais procéder au descellement. »
Ses doigts tremblent alors qu’il déchire le petit morceau de cire et sort un document
de trois pages de l’enveloppe. Je retiens mon souffle, conscient que c’est maintenant que
notre destin va changer. Mais je ne sais pas encore si c’est pour le meilleur ou pour le
pire… J’ai foi en grand-père, mais Kevin est un peu trop rapace et mon père est trop
doux. De telles forces opposées sont faites pour faire des ravages au sein de la famille et
des affaires.
« Mes chers amis et associés, si Phelps vous lit ce document aujourd’hui, cela signifie
que je suis mort et enterré, sans aucun moyen de revenir », lit l’avocat, un sourire
s’étirant au coin de sa bouche. Des rires traversent la pièce, alors que j’étouffe moi-
même un sourire. « Ce fut un plaisir, et je suis désolé de ne pas avoir pu rester plus
longtemps. La vie a été un étrange mélange de moments merveilleux et de difficultés
déchirantes, mais j’ai vécu jusqu’ici. Pour ça, je vous en suis reconnaissant. Pour le reste,
pour la famille que j’ai construite, les affaires que j’ai montées à partir de rien, pour les
alliés que je me suis faits et les ennemis que j’ai détruits, j’assume l’entière
responsabilité. Je suis fier de tout, et je ne changerais rien. »
Kellan et moi nous tenons à côté de Gage et son père. Les larmes montent aux yeux
de ceux qui nous entourent. Je ne peux pas me permettre de montrer un quelconque
signe de faiblesse, particulièrement pas devant Kevin, qui n’a toujours pas effacé ce rictus
prétentieux qui le définit si bien. Mon père renifle, toujours aussi doucement, alors que
Phelps continue de lire le testament de grand-père.
« À mon fils, Harry Flanagan, je lègue ma place de dirigeant sur l’ensemble des
affaires familiales. Tu auras tous les privilèges administratifs sur chaque aspect, comme
décrit dans le document annexé, que Phelps te partagera. Je fais confiance à ton
jugement et ton esprit mathématique pour porter notre nom vers l’avant. Tu recevras
également la propriété du manoir Flanagan et la maison d’été de Napa Valley, ainsi
qu’une liste de biens et de véhicules qui figurent également dans l’annexe
susmentionné. »
Kevin pouffe, son sourire est enfin parti. Je me rends compte qu’il n’a rien vu venir.
Mon frère et moi avions spéculé sur la personne qui pourrait prendre la relève, mais la
réalité est clairement à des kilomètres de nos suppositions. Il s’avère que notre grand
père savait ce qu’il laissait derrière lui, et à qui il le laissait. Bien évidemment, je pense.
Qui connaît ses fils mieux qu’un père ?
« A mon fils, Kevin Flanagan, je lègue la maison d’hiver d’Aspen et le ranch du
Montana. Tu seconderas également Harry aux commandes, si tu acceptes cette position.
Ton frère est un meilleur dirigeant, mais ta force et ta cruauté sont de grandes valeurs.
J’espère que vous deux arriverez à travailler ensemble à l’avenir et en vue de la
prospérité du nom Flanagan. »
Nous y voilà. La plus grande erreur jamais commise par grand-père. Il semble qu’il ait
finalement fait confiance au mauvais fils. Kevin ne devrait pas être autorisé à s’approcher
des postes de direction. Il est trop cruel, trop violent, trop avide, trop cupide, bien trop
mauvais. Il a poussé les Flanagan à faire du trafic de drogues, et c’est précisément ce
que grand-père a évité pendant des décennies. Je crains pour la suite.
Mon père semble un peu confus. Il ne pensait pas qu’il serait désigné comme héritier
principal. Ma mère semble fière, mais elle jette également des regards furtifs apeurés
vers Kevin. Elle n’est pas la seule. Connor est tout aussi préoccupé par ce changement de
pouvoir. Brigitte est… absente, pensant probablement à la façon dont elle va décorer la
maison d’hiver d’Aspen. Je doute qu’elle mette un jour les pieds dans le Montana. Elle est
plutôt du genre poupée Barbie californienne et une prof de français intérimaire –
certainement pas de l’exploitation agricole. Elle n’est pas vraiment idiote, mais ce n’est
pas non plus une lumière.
« A mes petits-fils, Rhett et Kellan. Vous reprendrez tous les deux le commerce du
whisky. Je sais que vous ferez venir Gage, puisqu’il n’y pas de meilleur artisan fabricant
de single malt en Californie pour vous aider », Phelps continue de lire et mon cœur gonfle
de fierté. Je ne m’attendais pas à ça. Le secteur de whisky représente un petit
pourcentage du portefeuille des Flanagan, mais nous y avons fait notre nom. Il n’en est
pas moins important. Je pensais qu’il serait inclus dans l’annexe que Phelps va remettre à
mon père.
« Merde alors », murmure Kellan, aussi choqué que moi.
Phelps nous lance un gentil sourire. « Je vous ai tous les trois appris tout ce que je
sais, tout ce que j’ai appris de mon père. Je sais que vous me rendrez fier. Un jour,
j’attends de vous que vous preniez la suite de votre père. Le nom Flanagan a été
construit pour rester, et je ne me suis pas cassé le dos à travailler pour que vous filiez à
Hollywood pour des rôles secondaires dans des drames criminels. Phelps continuera
d’assurer la paperasse nécessaire pour ce qui est de la production et de la distribution du
whisky. N’oubliez pas, il y a deux côtés à cette histoire. Assurez-vous de gérer les deux. »
Nous rions tous à présent. Grand-père s’en va avec style, et je l’aime encore plus pour
ça. Mes yeux me piquent. Ce vieux rigolo va me manquer. Je regrette déjà nos
dimanches après-midi au fond du porche – juste lui et moi, et une bouteille de
contrebande Dalmore 62 de Gage. La dernière fois que nous nous sommes réunis comme
ça, c’était avant le camp de vacances. Avant que je rencontre Elly. Avant qu’il tombe
malade. Avant que tout change.
Mais le commerce du whisky est un très bon début, et c’est bien plus que ce que je
pouvais espérer. Cela signifie que Kellan, Gage et moi allons nous occuper de la
production officielle, de la distribution et de la vente des malts Flanagan mais que nous
aurons également à charge le côté de la contrebande. Grand-père nous a réunis pour la
vie, parce que les profits seront les nôtres, et j’ai pour objectif de diversifier tout le
projet. Plus nous ferons de chiffres d’affaires, plus nous aurons d’argent pour combattre
Kevin. Il n’est pas le genre de personne que l’on bat. Il est le genre de personne qui vous
fait davantage dépenser.
« À Connor O’Donnell », lit Phelps, “tu as été un ami de la famille, tout comme ton
père avant toi. Un allié de confiance, et quelqu’un qui, je l’espère, sera toujours fidèle aux
Flanagan, parce qu’ils auront besoin de ta protection à l’avenir. Je te lègue trois de mes
voitures de collection. Choisis tes préférées et elles seront à toi. Si tu l’acceptes, il y a un
poste de Chef de Sécurité laissé vacant par Kevin, qui aidera désormais son frère à faire
avancer l’entreprise. »
Le reste du testament est tout aussi amer et doux, puisque grand-père continue à
offrir certaines de ses voitures mais aussi bijoux et collections de vin les plus précieux aux
différents membres de la famille. Même Gage reçoit la bouteille de collection Lalique de
grand-père, qu’il pourra remplir avec ses propres mélanges de whisky. Plus j’écoute, plus
je suis terrifié de ce qui va suivre.
Kevin ne se contentera pas de la deuxième place. Il ne laissera pas mon père
reprendre les affaires, comme le souhaitait grand-père. Ma mère semble le savoir aussi,
puisqu’elle ne cesse de me lancer des regards, cherchant à déceler sur mon visage tout
indice de mon état émotionnel. J’aimerais pouvoir la serrer dans mes bras, là,
maintenant, mais je ne peux pas. Kevin observe. Il cherche nos points faibles depuis cet
été, et il ne fera qu’intensifier sa recherche à l’avenir.
Alors que la lecture du testament touche à sa fin, grand-père a encore quelques mots
de la sagesse Flanagan pour nous tous. « Ne vous battez pas entre vous. Ne vous blessez
pas les uns les autres. Restez proches et restez soudés, parce que, dès lors que je serai
parti, les fédéraux vous attendront au tournant. Je nous ai tenus à l’écart du long bras de
la loi, et je ne peux qu’espérer que mes fils feront également un bon travail. Toutefois,
n’oubliez pas que agents vous surveillent. »
Les cousins et les oncles discutent désormais entre eux, alors que Phelps sort l’annexe
signé pour que mon père et Kevin puissent le lire. Je repère la signature de grand-père
en bas. C’est aussi légal et engageant que possible, mais ce n’est pas encore assez pour
empêcher Kevin de faire quelque chose d’horrible, et bientôt. Kevin n’est pas content de
son nouveau poste, mais il reste calme.
« Regarde ça, grand frère. Tu as eu plus que tu n’aurais pensé », dit-il à mon père.
« Je t’ai dit que le vieux croyait beaucoup en toi. Il n’a pas déçu. »
« J’espère que nous pourrons tous les deux travailler ensemble », répond mon père en
lui offrant un doux sourire. « Nous avons eu nos différends, Kev, mais papa a raison. Nous
devons continuer d’avancer à présent. »
« Nous trouverons un moyen, Harry », marmonne Kevin, son regard rivé sur l’annexe.
Un muscle se contracte dans sa mâchoire. « Ne t’inquiète pas pour ça. »
Oh, mais je m’inquiète. Je m’inquiète pour tous ceux qui sont impliqués, parce que
Kevin planifie déjà quelque chose. Je tire discrètement ma mère sur le côté. Kellan reste
avec nous, alors que Gage parle à son père – il l’avertit déjà de faire attention à Kevin.
Mon père mène à présent, et c’est un poste dangereux avec notre oncle dans les parages.
« Maman, j’ai besoin que papa et toi soyez extrêmement prudents à l’avenir », je
chuchote.
Elle me lance un regard effrayé, ses yeux verdâtres vitreux de larmes. « Tu as peur de
Kevin », marmonne-t-elle.
« Pas toi ? » répond Kellan.
Elle hoche doucement la tête.
« Alors, fais ce que je dis. Garde des agents de sécurité autour de vous à tout
moment. Ne laisse pas Kevin vous donner quoi que ce soit à manger ou à boire. Ou ne
mangez ou ne buvez rien de ce qu’il vous donne… peu importe, tu vois ce que je veux
dire », lui dis-je. « Si tu peux convaincre papa de porter un gilet pare-balles sous sa
chemise, c’est encore mieux. »
« Chéri… c’est un peu extrême », souffle maman. « J’ai peur que Kevin expulse Harry
des affaires, pas qu’il le tue. Bon sang ! »
« Maman, tu sais jusqu’où il peut aller pour la place au sommet », dis-je, ma voix
basse et égale, même s’il est dur de parler avec mon sang qui frémit. Je sens les yeux
bleu saphir de Brigitte sur moi, et je me souviens notre brève liaison dans le hangar à
bateaux au printemps dernier, peu de temps après son mariage avec Kevin. Elle est
encore avide. Avide de queue. Mais je n’ai plus rien à donner, et elle le sait. Elle ne peut
pas non plus en parler à Kevin, à moins qu’elle ne veuille finir dans plusieurs housses
mortuaires. Mais je la garde à l’esprit. Elle pourrait être utile plus tard, précisément parce
qu’elle était ravie de me sucer lors de ce barbecue pendant le weekend de
commémoration. « Reste simplement prudente, d’accord ? Et ne copine pas trop avec
Brigitte. Elle est tout aussi dangereuse. »
Une main me tape dans le dos, d’une manière assez amicale. Kellan sursaute. Kevin
nous touche tous les deux, serrant nos nuques comme si nous étions encore des enfants.
Je lui lance un regard glacial mais il n’est pas du tout intimidé. Il frime de pouvoir,
maintenant, et mon frère et moi sommes son audience principale. Gage regarde de loin,
tout en écoutant son père.
« Qu’est-ce que vous manigancez petites croûtes, hein ? », demande Kevin, souriant
comme un putain de démon. « Nous devons fêter ça ce soir, vous ne croyez pas ? Papa a
fait le nécessaire pour chacun de nous. »
« Hum, il l’a certainement fait », répond ma mère avec un sourire plat.
Il glousse. « Allez Rosie… la maison d’été de Napa Valley ? C’est un sacré cadeau ! Tu
veux l’échanger contre le ranch du Montana ? Il n’y a pas moyen que j’emmène Brigitte
là-bas. Elle n’est pas du genre cowgirl. »
Elle m’a chevauché comme une cowgirl pourtant. Cette pensée me donne une
immense satisfaction alors que je me tiens là, incapable de me libérer de son emprise. Si
seulement je pouvais le lui dire en face…
« Pour que tu puisses avoir la maison d’hiver et celle d’été ? Je ne crois pas, non », dit
ma mère en secouant sa tête. « Mais tu peux vendre le ranch du Montana. Achète-toi
quelque chose dans le comté d’Orange, Kev. »
Il hausse les épaules. « Peut-être. On verra. Je n’en suis pas encore à compter mes
poules ou mes propriétés. On ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer.
Subitement. »
Le visage de Kellan s’assombrit et Kevin le remarque. Ça le fait rire.
« On va boire des verres ce soir, hein ? », je l’interromps, ayant peur que Kellan ne
soit plus capable de se contenir. Il doit être désamorcé avant que ça ne commence à
tourner et à s’envenimer jusqu’au point de non-retour. « Nous apporterons le whisky. »
Kevin rigole. « Fais donc ça, fiston. »
Je jette un bref coup d’œil à Phelps. Il ne semble pas très content, et ne cesse de
regarder Kevin nerveusement. La tension est palpable et elle restera ainsi jusqu’à ce que
Kevin quitte cette planète et nous laisse tous. Mais cela n’arrivera pas, ainsi, Kellan, Gage
et moi devrons trouver une solution.
Kevin sait que nous nous battrons contre tout ce qu’il possède s’il prend la relève, s’il
arrive quoi que ce soit à notre père. Il a une façon de penser dix pas en avance et c’est
ce qui le rend si dangereux. Kellan se retire poliment de son emprise et attrape mon
bras.
« Allons voir ces tonneaux de whisky », dit Kellan. « Nous devons choisir un bon lot
pour ce soir. »
« Bonne idée », je réponds, sachant que ce n’est qu’une excuse pour nous faire sortir
de la pièce.
Je sens les yeux de mes parents sur nous alors que nous sortons. Gage se met à jour
avec nous au fond du porche. Il allume une cigarette. Elly l’a fait arrêter, mais il a repris
dès que grand-père est tombé malade. Mes nerfs sont tellement tendus qu’il n’y a pas
suffisamment de nicotine ou d’alcool pour que je me sente mieux.
« Nous sommes dans la merde la plus profonde », dit Gage. « Papa est loyal envers
tous les Flanagan, et il est plutôt catégorique sur le fait que ça ne changera pas. »
« Donc si Kevin reprend la main… » la voix de Kellan se perd. « Merde. »
« Je pense que tout dépend de la façon dont il reprend la main », répond Gage,
quelque peu optimiste. « Le problème, c’est que si nous essayons d’évincer
complètement Kevin, papa ne soutiendra pas le mouvement. Ce que le vieux Quinn a dit
dans son testament est une loi établie. »
Je soupire profondément. « Nous allons devoir être extrêmement vigilants à l’avenir.
Kevin n’accepte pas le testament aussi bien qu’il le laisse entendre. Au fond, il est énervé
et planifie déjà la reprise du contrôle. »
« Et qu’en est-il d’Elly ? » demande Kellan, ses sourcils se fronçant et s’assombrissant.
Ma poitrine me fait légèrement mal. « Maintenant, plus que jamais, il faut qu’on la
tienne à l’écart. Il faut qu’on lui mette la pression. Si elle déménage de Trinity, c’est
encore mieux. » Nous ne pouvons pas vraiment gagner cette guerre si nous devons
surveiller ses arrières en plus des nôtres.
« Il y a toujours la question de l’espion au lycée », dit Gage. « Qu’est qu’on va faire à
ce sujet? »
« Nous devons découvrir qui c’est, évidemment », je réponds. « Commençons par
regarder parmi notre propre famille et nos alliés. Et les potes de Kevin, aussi. L’un ou
plusieurs d’entre eux ont des enfants scolarisés à Trinity High. Ils pourraient tous être
espions et ne même pas le savoir. »
« A qui parle Elly ? » marmonne Kellan.
« Kyle Perry », dis-je. « Sans défense. Sans relation. J’ai déjà vérifié. »
« Si Elly se fait des amis ici, elle serait davantage encline à rester », répond Gage. « Si
elle est isolée et éloignée de tous… ça la repoussera davantage. »
Nous manigançons tout simplement un plan pour détruire la vie d’Elly et sa réputation,
afin de la protéger de Kevin et de ses hommes de main. C’est tellement dégueulasse et
tordu… je comprends pourquoi j’ai du mal à dormir la nuit. Contrairement à la croyance
populaire, j’ai une conscience, et elle est sauvagement malmenée depuis que grand-père
est tombé malade.
« Je pense savoir quoi faire », dis-je. « Mais vous n’allez pas m’aimer pour ça. Elly non
plus. »
C’est une mesure drastique, mais elle doit être prise. Je ne pourrai plus jamais me
regarder en face, mais au moins, elle aura la chance de vivre une vie meilleure et plus
remplie, peu importe combien les choses lui font mal aujourd’hui. Nous n’aurions jamais
dû nous rapprocher autant d’elle. Nous aurions dû garder nos distances l’été dernier. Avec
le recul, c’est évident.
ELLY

DEPUİS L’İNCİDENT DU CASİER, je garde la tête baissée – même si je doute que je puisse la baisser
davantage sans m’enfoncer entièrement dans le sol. Je me tiens à distance des têtes
brûlées, même si tout ce que je souhaite c’est marcher vers eux et leur demander ce qui
ne va pas chez eux.
Je griffonne dans mon cahier, attendant que poil de carotte arrive et commence le
cours. Prestley et ses acolytes sont en train de discuter et de glousser. J’entends mon
nom plusieurs fois, simplement lancé pour rire, mais je refuse de m’impliquer. Une fois
que l’année de terminale sera terminée, je ne les reverrai plus jamais. Demain, je
commencerai à travailler sur mes candidatures pour l’université.
Kyle entre précipitamment et prend le bureau devant le mien, comme d’habitude. Il
ne peut pas faire grand-chose pour me protéger des têtes brûlées, mais j’apprécie son
soutien émotionnel. Il me fait un grand sourire. « Je sais pourquoi ils sont d’une telle
humeur massacrante », chuchote-t-il, et je semble confuse, à juste titre. « Rhett, Kellan
et Gage. Je crois savoir pourquoi ils ont été des connards absolus. Bien que,
honnêtement, ce ne soit pas une raison valable. Mais ça pourrait au moins expliquer
pourquoi ils sont si… méchants. »
« Ok… »
« Ils ont dépassé certaines de leurs propres limites, Elly. L’histoire du casier ?
Complètement dégoûtant et pas du tout leur style. Ils n’ont pas pour habitude de cibler
quelqu’un – dans ce cas, toi, si intensément… si obstinément », dit Kyle. « Je pense qu’ils
pètent les plombs. »
« Qu’est-ce que tu essaies de dire ? ».
« Leur grand père est décédé il y a environ un mois », dit Kyle à voix basse afin que
personne ne puisse l’entendre. « On dit qu’il était le chef de la famille et d’autres trucs
dans le genre. Le meneur. Le grand Kahuna. Maintenant qu’il est mort, il y a eu des
problèmes, et des rumeurs circulent à propos des Flanagan. Je pense que les mecs ont
été entraînés dedans, et maintenant… »
« Ils se déchainent », je le coupe, répétant ses propres mots. « Parfait. Grand-père
meurt, notre syndicat du crime familial a des soucis, alors on s’en prend à Elly et on rend
sa vie misérable pour pouvoir se faire mieux voir ? Désolée, je n’y crois pas. »
Au fond, je me sens mal pour eux, et ça me met tellement en colère de découvrir que
j’ai encore de l’empathie pour ces connards. Je ne me rends vraiment pas service en me
faisant autant de soucis. Et Kyle a raison. Ce n’est pas une raison valable pour me traiter
comme une merde.
Non, je ne l’accepte pas.
« Désolé, j’essayais de trouver une bonne explication », dit Kyle.
« Je sais, j’apprécie, mais… tu sais, soyons réalistes », je lui dis. Depuis que je lui ai
raconté pour Kellan et moi au camp de vacances, l’attitude de Kyle a changé. Il est un
peu plus chaleureux, d’une certaine façon. Peut-être plus compatissant. Il comprend
mieux ma détresse face aux têtes brûlées.
Sans lui, j’aurais probablement déjà abandonné le lycée Trinity, et c’est précisément
ce que je me suis promis de ne jamais faire. Je n’abandonne pas, et je ne laisse
certainement personne me faire abandonner le lycée en me harcelant.
« Il devient de plus en plus évident qu’ils se foutaient de moi cet été, Kyle. Ce… ça…
c’est ce qu’ils sont réellement », j’ajoute, en pointant la porte, où Rhett, Kellan et Gage
se tiennent et discutent. Ils ne peuvent pas me voir depuis cet angle, mais je les ai déjà
remarqués.
« Je ne sais pas… après tout ce que tu m’as dit, je suis aussi perplexe que toi sur la
façon dont ils te traitent. Si tout allait bien cet été… pour qu’ils s’en prennent à toi
comme ça… », soupire Kyle. « Je veux dire, ça n’a pas de sens. Vous étiez tous si
proches, et ce n’est vraiment pas dans leur mode de fonctionnement d’être si méchants
gratuitement ou de cibler quelqu’un comme ils l’ont fait avec toi. »
« Oh, super, je suis donc spéciale », je glousse amèrement.
Il sourit, mais ses yeux montrent de la tristesse. « Peut-être. Mais pas de la façon
dont tu aurais aimé l’être ? »
Rhett et Kellan partent sans venir en cours. Gage se tient dans l’embrasure de la
porte, sourcils froncés, mais n’entre pas non plus. Si je veux découvrir ce qui se passe, ça
pourrait vraisemblablement être ma meilleure chance, je serre donc la main de Kyle.
« Je reviens vite », dis-je, et je déguerpis de ma chaise avant qu’il ne puisse me
ramener à la raison.
J’atteins Gage à l’extérieur. Le couloir est pratiquement vide, avec seulement
quelques élèves errants qui cherchent leurs salles de classe et vérifient fréquemment leur
emploi du temps. Ils sont perdus dans l’agitation de la vie lycéenne. Gage ne semble pas
si confus. Il a l’air d’être un homme qui sait tout avant que ça n’arrive. Ses yeux se
déplacent pour rencontrer les miens et il lève un sourcil vers moi.
« Qu’est-ce que tu fais ici ? » demande-t-il.
Je ferme la porte de la classe derrière moi, ne craignant plus que poil de carotte ne
fasse une crise en me surprenant dehors. Elle est en retard de toute façon. C’est mon
moment. « Je ne suis pas du genre à être facilement effrayée », dis-je en le fusillant du
regard. « C’est quoi ton putain de problème, hein ? Tu penses que tu peux me harceler
sans que je te pique en retour ? »
« Je pense surtout que tu devrais te mêler de tes affaires », répond Gage, regardant
tranquillement son téléphone, comme si je l’ennuyais. Ça ne fait que faire davantage
bouillir mon sang. Sans même réfléchir, je claque sa main et son smartphone s’envole
dans le couloir, s’écrasant contre l’un des casiers. Je doute qu’il soit capable de l’utiliser à
nouveau. Bien !
« Vous êtes mes affaires », je lui lance, en lui rentrant dedans. « Vous êtes devenus
mes affaires au moment où Kellan, Rhett et toi avez décidé de me tourmenter. Alors, vas-
tu me dire ce que signifie tout ce merdier, ou dois-je aller dire autour de moi à quel point
nous avons été proches pendant le camp de vacances ? Je suis sûre que tout le monde
sera ravi d’apprendre que la fille que vous prétendez ne pas vouloir approcher à moins de
trois mètres était précisément celle dont vous vouliez vous approchez d’une toute autre
manière »
C’est la chose que je m’étais jurée de ne jamais évoquer. Notre secret le plus
précieux, le plus beau. Notre plus beau souvenir du camp de vacances, et maintenant, je
l’utilise à mon avantage. Ce n’est pas juste, mais je profite du regard stupéfait sur son
visage. Il ne s’attendait pas à ça. Parfait.
« Tu as perdu ta langue, Gage ? » j’insiste, baissant légèrement mes yeux, pour
mesurer sa réaction.
« J’ai fait de mon mieux pour rester à l’écart. J’ai compris dès le premier jour que vous
n’étiez que des cons détestables et auto-proclamés. C’est le rôle que vous avez assumé
en mettant les pieds ici, et je ne fais pas partie de vos vies. J’ai compris ça. Je n’ai pas
vraiment aimé, mais je l’ai compris. Alors pourquoi diable vous continuez à me pousser et
à m’enfoncer, hein ? Des préservatifs usagés dans mon casier ? Sérieusement ? »
Il me fixe, les yeux écarquillés de choc. Je suis peut-être un peu trop agressive, mais
peu m’importe. Ça a bel et bien un effet, puisque son regard s’adoucit doucement. Ses
lèvres tentent un sourire. Pendant un moment, je suis transportée vers le camp de
vacances et je me maudis intérieurement aussitôt, parce que ma vision est troublée. Je
me souviens de ses lèvres. Leur effet. Son goût. Merde, Elly. Ressaisis-toi !
« Allez, Gage. J’attends. Qu’est-ce que vous voulez de moi ? », je demande.
« Tu n’as pas ta place ici, Elly », dit-il enfin, son ton glacé malgré la chaleur de ses
yeux bleus enjoués. « Plus vite tu le réaliseras, mieux ce sera. »
« C’est une réponse à chier », je réponds. « C’est la meilleure que tu aies ? J’ai le
souvenir de toi étant plus vif, plus gentil et meilleur que ça. »
Il sort sa main à toute vitesse et m’attrape par la gorge. Je suis repoussée contre le
mur, et mon cœur saute, mon estomac se serre et une chaleur liquide se répand dans
mes veines. Il est agressif et sûr de lui. Je l’ai sous-estimé. Cependant, je ne peux pas lui
laisser voir ma peur. Il l’utiliserait contre moi.
« Je suis meilleur que tu ne le seras jamais », murmure-t-il, son visage bien trop
proche du mien. Je le respire, et ma peur se transforme alors en autre chose, brûlant au
creux de mon estomac et ravageant tout sur son passage… descendant vers le bas, et je
me contracte, très légèrement. Comment est-ce que ça peut m’exciter, putain ?!
« Gage, s’il te plaît », je parviens à dire, ma voix perdue. « Arrête de me faire du
mal. »
« Tu n’as pas ta place ici, Elly. Pars et nous arrêterons. C’est aussi simple que ça. »
« Va te faire foutre. Non. Tu n’as pas le droit de me harceler pour me faire quitter le
lycée. Qui penses-tu que tu… »
Il resserre sa prise sur ma gorge et sa cuisse glisse entre mes jambes. Ses muscles
durs appuient contre ma chatte. Je sens le tissu rugueux de son jean à travers ma
culotte, regrettant instantanément de porter une jupe au lycée. Un grognement
s’échappe de sa gorge alors qu’il utilise tout le poids de son corps pour me maintenir
contre le mur.
« Elly, je n’ai peut-être pas été assez clair. Je me souviens de toi étant un peu plus
obéissante. Quitte ce lycée et ne reviens jamais en arrière », dit-il, l’obscurité s’installant
sous ses sourcils. L’air est tellement chaud autour de nous… Des crépitements
d’électricité. Ma peau frissonne alors qu’il me lâche et recule, lissant sa chemise bleu
pâle. « Tu n’auras pas la paix tant que tu resteras ici. »
Ma lèvre inférieure tremble. Je suis confuse et profondément blessée. Plus j’essaie de
comprendre ce qui se passe, plus je fais du surplace. « Pourquoi est-ce que vous faites
ça ? », je murmure, ravalant des larmes. « Nous étions si proches… ».
« Nous n’avons jamais été proches. Les mecs et moi voulions juste voir si nous
pouvions te baiser tous les trois en même temps, c’est tout », dit Gage, ses paroles ont
l’effet d’un poignard dans mon cœur. Mes genoux sont fébriles, mais je refuse de le
laisser voir qu’il m’atteint. Je garde le menton haut.
« C’était votre objectif final, hein ? »
« Nous y sommes presque arrivés, non ? », ricane Gage. « Si seulement ils avaient
rallongé le camp de quelques jours. Entre nous, je sais que nous aurions pu te
chevaucher pendant des kilomètres. Tu nous suppliais presque. Tu te souviens ? ».
Ma main s’échappe si rapidement qu’il ne la voit même pas arriver. Je lui donne une
forte gifle, jetant sa tête sur le côté. Il s’immobilise, sa joue devient rouge, presque
instantanément.
« Tu un homme petit et pitoyable », lui dis-je. « Et tu as choisi la mauvaise fille à
énerver. » Je retourne en classe, consciente de tous les yeux rivés sur moi. Gage ne me
suit pas. J’entends ses pas alors qu’il s’éloigne. Je tremble comme une feuille et tout ce
que je peux faire, c’est prendre de profondes inspirations, déchirée entre une envie de
pleurer et une envie de rire. Ses paroles piquent. Ses paroles me brisent. Mais je ne lui
montrerai pas.
Non, je lui ai simplement donné un fragment de ce qu’il mérite.
Ils auront plus bien assez tôt. Bien assez pour les occuper à vie, pour leur apprendre
qu’on n’intimide pas Eleanor Fox. Je ne suis pas leur putain de punching-ball.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? », demande Kyle, alors que je m’assieds et reprends à
griffonner sur mon cahier. Son regard bascule vers mon cou. Je sens que ma peau est
encore rouge de la prise de Gage. « J’ai entendu une forte gifle. Est-ce que Gage t’a fait
du mal ? ».
Je le regarde, froide comme la pierre et plus déterminée que jamais. « Non. Je viens
simplement de déclarer la guerre aux têtes brûlées… »
Mon seul espoir est de sortir victorieuse de ce qui est sur le point d’arriver. Je sais que
Gage va raconter à Rhett et Kellan ce qui vient se passer. Il y aura des conséquences. Ça
va. Je l’ai compris. Je ne suis pas la seule qui vais ressentir les conséquences de mes
actes. Ils ne s’en tireront pas si facilement.
Si les têtes brûlées pensaient pouvoir m’entraîner dans une sorte de ménage pervers,
puis me jeter comme un de ces préservatifs qu’ils ont balancés dans mon casier, ils vont
devoir attendre. J’ai beau ne pas pouvoir compter sur le système scolaire pour me
protéger, je ne les laisserai pas s’en tirer comme ça.
Il est temps que les têtes brûlées payent leur dû.
ELLY

JE PASSE le reste de la journée à écouter seulement d’une oreille ce que disent les profs.
Mon cahier est rempli de gribouillages et d’un plan d’action très détaillé concernant les
têtes brûlées. Heureusement, mon père m’a appris à me défendre dans de telles
situations. Il a beau être un peu bon à rien aujourd’hui, j’apprécie tout de même les
enseignements qu’il m’a laissés.
Si je dois faire payer les têtes brûlées pour ce qu’ils m’ont fait, et si je dois les
empêcher d’aller plus loin, je dois être sans pitié mais aussi couvrir mes arrières. La
dernière chose dont j’ai besoin c’est d’une tâche sur mon dossier scolaire. Kyle me jette
de temps en temps des regards furtifs, se demandant probablement ce que je suis en
train de faire.
À la fin de la dernière heure de cours, il est carrément curieux. « Qu’est-ce que tu
manigances ? »
« Si je te le dis, je devrais te tuer. »
Il s’immobilise un moment, puis éclate de rire. « Non, allez, sérieusement
maintenant… qu’est-ce que tu trafiques ? C’est à propos de la guerre dont tu parlais plus
tôt ? ».
J’arbore un sourire narquois. « Tu présentes ça comme une chose si… banale. C’en est
presque adorable. »
« Allez, Elly, balance. Je peux peut-être aider », répond-il.
Les autres se lèvent et sortent de la classe. Dès que nous obtenons un semblant
d’intimité, je décide de partager mes plans avec Kyle. Il a raison. Il peut peut-être
m’aider, après tout. « Je veux qu’ils subissent l’humiliation. Le genre qui dit que ça vient
de moi mais qu’ils ne peuvent pas prouver. S’ils essaient de se venger, j’irai directement
voir le principal. Au moins, à ce moment-là, j’aurais fait tout ce qui est en mon pouvoir
pour me défendre de leurs attaques. Je veux dire, je suis très bonne pour jouer la carte
de victime quand il le faut. »
« Elly, tu es déjà la victime », dit Kyle.
« Oui mais… le principal n’y fera rien, n’est-ce pas ? ».
Kyle soupire et secoue sa tête. « Nous y voilà. Donc les choses doivent dégénérer au
point que les têtes brûlées soient tellement énervés, tellement incontrôlables, qu’ils
n’aient tout simplement pas d’autre choix. »
« Et que se passe-t-il si tu es blessée au passage ? » demande Kyle.
Je réponds en haussant les épaules. « J’apprends très vite et j’ai déjà mémorisé
toutes les sorties et les routes d’accès du lycée. Qu’est-ce que tu crois que j’ai fait
pendant toute la journée ? » je riposte et lui montre la fenêtre du navigateur de mon
smartphone, ouvert sur Google Maps et focalisé sur l’immeuble de l’école. Le simple fait
de penser à la vengeance a eu une sorte d’effet cathartique. Je me sens mieux, le stress
s’éloignant de moi à mesure que ma détermination se renforce un peu plus à chaque
minute qui passe. Kyle y pense un moment puis hoche la tête doucement.
« D’accord. Comment puis-je t’aider ? » me demande-t-il, m’amenant à arborer un
grand sourire narquois de conspirateur.
« Tu m’as fait part de rumeurs. Leurs liens avec la mafia et tout le reste. Est-ce que tu
peux fouiller un peu plus de ce côté-là et découvrir qui ils sont exactement ? Je ferai des
recherches de mon côté, mais j’aurais bien besoin d’une paire d’yeux supplémentaire pour
ça », dis-je. « Je dois savoir précisément à qui j’ai affaire. »
Kyle lève un sourcil. « Quoi, tu penses que tu peux t’en prendre à la putain de mafia
irlandaise ? ».
« Bien évidemment que non. Mais je saurai jusqu’où je peux aller. Je doute qu’une
famille de mafieux soit d’accord pour que leurs héritiers soient interrogés par la police sur
la question du harcèlement. »
Lorsqu’il réalise mon angle d’attaque, l’expression de Kyle change, et il passe de l’ami
innocent et aidant à Méphistophélès lui-même, prêt à invoquer toutes les hordes de
l’enfer, si c’est ce qu’il faut pour que je puisse me venger.
« Je vais passer quelques coups de fil. Je me renseignerai auprès de quelques amis.
Je te ferai savoir dès que j’aurai des informations valables », dit-il enfin.
« Merci, Kyle » », je lui réponds, en battant mes cils. « Je t’offrirai un grand milkshake
à la fraise quand tout sera terminé. »
C’est suffisant pour nous entraîner tous les deux dans un gros fou-rire.

LE LENDEMAİN, nous sommes de retour en cours. L’air est suffisamment épais pour que je le
coupe avec un couteau et que j’émousse la lame au passage. Rhett, Kellan et Gage sont
présents, bien qu’aucun d’eux ne semblent me prêter attention. Je suis, à juste titre,
soulagée, mais je crois aussi fermement au calme avant la tempête, je me prépare donc
mentalement à une éventuelle tornade après le lycée – ou pire, à la pause déjeuner.
Heureusement, ma mère m’a de nouveau préparé un sandwich, j’évite donc la cafétéria
aujourd’hui.
Kellan est occupé à flirter avec Prestley. Elle regarde parfois dans ma direction, même
si je ne pense pas qu’ils parlent de moi. Elle sait peut-être ce qui s’est passé au camp de
vacances. Elle est plus proche des têtes brûlées que les autres. Ils lui ont peut-être
partagé leur projet de me partager … Argh, la paranoïa commence à pointer le bout de
son nez, tandis que je prends de profondes inspirations et détourne mon regard. De toute
façon, je ne supporte pas voir Kellan avec une autre femme. Cette simple pensée me fait
frémir.
Je pleure à l’intérieur. Je brûle d’envie de revenir aux journées chaudes de juillet, à
ses mains sur mon corps, ses doigts me travaillant, ses dents mordillant mes lobes
d’oreilles. Je secoue ces souvenirs en dehors de ma tête et me concentre sur Gage. Il
écrit à quelqu’un. Il sourit. Ce doit être une bonne conversation. C’est peut-être l’une des
filles qu’il a baisé cet été. Breloques, peut-être ? Ou Belladone. Elle semblait être du
genre à vouloir rester en contact après cette partouze épique.
Kyle se retourne alors que le professeur est occupé à écrire des choses sur la guerre
d’indépendance contre les Britanniques. Des dates et des noms, principalement, et
certainement pas ce dont je me souviendrai de ce cours.
« J’ai creusé un peu », chuchote Kyle, jetant des coups d’œil autour pour s’assurer que
personne ne regarde. Bien évidemment, quelqu’un finira forcément par nous remarquer,
je lui fais donc signe d’utiliser son téléphone à la place.
Il hoche la tête et commence à m’écrire frénétiquement des messages.
« Les Flanagan ont des entreprises légales qui valent des millions, mais on dit qu’elles
ne sont qu’une couverture. » me dit-il. « Par exemple, ils vendent leur propre marque de
whisky, mais les rumeurs disent qu’ils sont aussi experts en contrebande. Ils vendent des
contrefaçons de bouteilles qui valent des centaines de milliers de dollars l’unité. Depuis
que Quinn Flanagan est décédé, le commerce du whisky est revenu à Rhett et à Kellan. »
J’observe les têtes brûlées. Kellan est encore en train de faire la cour à Prestley et elle
en apprécie chaque seconde. Gage tape toujours sur l’écran de son nouveau
smartphone… Et Rhett… Rhett me regarde, son regard noisette sombre et plein de
danger. Mon cœur se met à battre. J’inspire, puis j’expire, lentement, dans l’espoir de me
calmer.
Il a cet effet sur moi, encore aujourd’hui, et je me déteste d’être si faible. La chemise
noire moule son torse et ses bras, aux parfaits endroits, et mon esprit vagabonde et
repense à lui sans chemise dans les bois autour du Lac Tahoe. Les conversations
profondes que nous avions l’habitude d’avoir, jusqu’à tard le soir. Comment un tel homme
a pu devenir une créature aussi vile et détestable ? J’ai renoncé à essayer de le
comprendre.
« Et donc, dans quel genre d’affaires illégales sont-ils impliqués, outre l’alcool ? », je
demande à Kyle par texto, puis jette à nouveau un regard vers Rhett. Il ne lâchera pas. Il
continue de me fixer, surveillant chacun de mes mouvements. Je pense que Gage lui a dit
pour hier, et Rhett manigance à présent quelque chose contre moi. Peu importe ce qui va
suivre, je dois y être préparée.
Dieu merci, j’ai mis des baskets aujourd’hui. Si je dois fuir, je sortirai lycée à la Usain
Bolt avant qu’une des têtes brûlées ne m’atteigne.
« Fais attention, ce sont majoritairement des rumeurs. Personne n’a eu les couilles de
me le dire en face. Mais du trafic d’armes, recel de bijoux, contrefaçon d’argent et des
obligations avec… des trucs de cols blancs, principalement. Mais c’est une grosse
organisation, et apparemment, ils ne déconnent pas. Ils ont aussi des hommes de main.
Des gros costauds irlandais », dit Kyle. « Oh, et ils prêtent également de l’argent. Ils ont
la police dans leurs poches. Tu sais, les classiques. »
« Et qu’en est-il de la drogue ? », je lui demande.
Kyle me regarde et secoue sa tête, puis continue de m’écrire. « Le mec que je
connais… Son père travaille pour Connor O’Donnell, le père de Gage… Il dit que les
Flanagan n’autorisent aucune drogue ni prostitution au sein des affaires familiales. C’est
une sorte d’honneur dans la famille. »
J’acquiesce doucement. Va comprendre. Les mafieux ont leur code éthique. Prends-
moi pour une conne. En levant les yeux, je trouve les yeux de Rhett, toujours rivés sur
moi. Ils brûlent et ravagent ma peau et ma chair, cherchant à atteindre mon âme même.
Le problème, c’est que je ne comprends pas ce qu’il cherche. Qu’est-ce qu’il essaye de me
dire avec ce regard perpétuel ?
En levant mes yeux au ciel, je vérifie à nouveau mon téléphone. « Rhett ne cesse de
t’observer avec des yeux de lynx », dit Kyle dans son message.
« Je sais. Son visage peut fondre, ça m’est égal », je lui réponds. Mon message fait
glousser légèrement Kyle, ce qui attire l’attention de Rhett. Il nous observe désormais
tous les deux, et je lui sourcille, en retour.
Je suis bel et bien en train de le chercher, mais le plan doit aller de l’avant. Je
déclencherai un feu et impliquerai la police, s’il le faut, jusqu’à ce que les têtes brûlées
comprennent que je ne suis pas leur joujou.
Rhett détourne enfin son regard, déplaçant son attention vers le professeur. Je
donnerai n’importe quoi pour pouvoir lire dans ses pensées, pour comprendre comment il
arrive à tolérer tout ça.
Parmi les têtes brûlées, Rhett m’a toujours semblé être le plus tempéré. Le genre de
mec qui tourne sa langue deux fois dans sa bouche avant de parler. Le genre qui
arracherait la tête à toute personne qui manquerait de respect ou agresserait une
femme. Rhett déteste les harceleurs plus que tout – ou du moins c’est ce qu’il m’a dit
pendant le camp de vacances. Quelle version de lui est la vraie ?
Ironiquement, je garde toujours espoir que cette variante de Trinity High soit la
fausse. Que j’ai rencontré le véritable Rhett, le véritable Kellan et le véritable Gage au lac
Tahoe. Mais, là encore, s’ils font partis de cette énorme famille mafieuse, pourquoi n’ai-je
rien su avant d’arriver d’ici ? »
Nous avons parlé de tellement de choses, là-bas. Pourquoi m’auraient-ils caché ça ? Et
pourquoi s’embêtent-ils avec une demi-portion comme moi, s’ils sont si puissants, si
connectés et du mauvais côté de la loi ? Quelle sorte de problème suis-je pour qu’ils
ressentent le besoin de me punir, de me persécuter de cette façon ? Je veux dire, il n’y a
aucune chance que ma famille soit impliquée dans le même genre de merde que la leur.
Ma mère travaille dans une bijouterie, bon sang ! Ils ne piétinent donc pas la concurrence
en s’en prenant à moi.
Tout cela ne fait que me prouver que je dois m’en tenir à mon plan, jusqu’à ce qu’ils
cèdent et me disent la vérité, ou qu’ils arrêtent. Il y a une pièce manquante à ce puzzle,
et j’ai le sentiment que je ne la trouverai pas tant que je ne me serai pas vengée pour ce
qu’ils m’ont fait.
J’écris à Kyle. « D’accord, cool. Merci pour les infos. Passons à la deuxième phase du
plan. »
« Qu’est-ce que c’est ? »
« La vraie planification… », j’ajoute avec un smiley ayant un sourire narquois.
Il étouffe un rire, ce qui amène le prof à se retourner. D’un seul coup, nos téléphones
sont posés et nous prétendons tous les deux prendre des notes. S’il y a une interro
surprise, je suis plutôt foutue. En regardant à ma droite, je vois Rhett me fixer à
nouveau. Seulement, il n’est plus le seul à présent à avoir ses yeux sur moi. Kellan et
Gage m’observent également.
Leurs regards me terrifient. Ils n’augurent rien de bon – le genre qui pourrait
nécessiter une hospitalisation. J’exagère peut-être. Après tout, ils ne m’ont pas frappée
ou blessée, physiquement parlant. Ma petite altercation avec Gage était en réalité et de
façon troublante, plutôt excitante, et je suis sûre que je ne suis pas la seule à l’avoir
pensé. Un milkshake, quelques tampons et préservatifs ne constituent pas une agression
grave. Mais aggraveraient-ils les choses ? Est-ce que Rhett utiliserait la violence, à
proprement parler, pour me donner une bonne leçon ? Me ferait-il saigner ?
Et s’il le faisait, comment répondrais-je ? Qu’est-ce que je suis prête à recevoir de
leurs parts ? Pas beaucoup, de toute évidence, puisque je suis déjà en train de préparer
leur chute sociale – mais une partie de moi ne veux pas me battre, et j’ai passé les
derniers jours à complètement l’ignorer. Elle est désormais de retour, une voix forte à
l’arrière de ma tête, qui me dit que je devrais peut-être plutôt essayer de les raisonner.
C’est elle qui me ramène au camp de vacances, au moment où Rhett et moi avons
partagé… un moment que je n’oublierai jamais… un moment qu’il ne pourra jamais
détruire, peu importe à quel point il essaie. Cette voix dans ma tête me rappelle que je
peux toujours parler à Rhett, même lorsqu’il est de mauvaise humeur. Je devrais peut-
être donner une dernière chance à la civilité avant de sortir l’artillerie lourde? Et si j’avais
de meilleurs résultats avec Rhett que j’en ai eu avec Gage, et que j’évitais que tout cela
explose aux yeux de tous ?
RETOUR A U C A MP DE VA C A NC ES, 12 ÈME J OUR.

KELLAN et moi sommes en couple, et je ne l’ai pas vu venir. Je suis toute frivole, j’ai un
sourire éclatant et mon cœur est rempli de papillons, mais en même temps, je suis
déconcertée par la façon dont tout cela est arrivé. Pour couronner le tout, mes yeux
errent toujours vers Rhett, même si je suis avec Kellan. Sans parler de Gage, dont les
exhibitions sexuelles ne m’ont pas quittée depuis l’épisode du ruisseau.
« Tu es superbe en jaune », me dit Kellan en m’accueillant en dehors du chalet. Je
porte une robe d’été courte avec des bretelles fines et une marguerite blanche
démesurée cousue sur la poche. Il ne peut pas détourner ses yeux brillants de moi. Il est
tellement doux et gentil. Nous n’avons pas assez l’un de l’autre. La nuit dernière, il s’est
faufilé dans ma chambre et a couvert mon visage avec un oreiller pour que je puisse crier
son nom sans réveiller tout le camp… Et par-dessous tout, Il adore me faire des
cunnilingus.
« Oh, merci, cher monsieur », je réponds, battant mes cils et abusant d’un accent du
sud. « C’est une belle journée pour une belle fille, tu ne crois pas ? »
Il glousse, me tire dans ses bras et m’embrasse. J’apprécie son goût sur mes lèvres,
sa langue qui rentre, possessive et curieuse, comme toujours. Je pourrais m’y habituer. Il
me serre fort, et une chaleur se répand rapidement en moi, alors que sa bouche se
déplace pour capturer mon lobe d’oreille pour une nouvelle succion. Ça m’excite toujours.
Je gémis doucement contre lui, en me repoussant. « A ce rythme, je vais avoir besoin
d’un seau d’eau glacée, Kellan. » Je glousse, je me reconnais à peine. Il a cette façon de
faire ressortir des parties de moi dont je ne savais même pas qu’elles existaient.
Notre relation n’est, bien évidemment, qu’à ses débuts, et je ne sais pas où elle nous
mènera, mais je sais que j’ai des sentiments pour lui. Nous sommes bien ensembles et,
malgré mon ingéniosité en matière de sexe, je meurs d’envie d’apprendre… Et Kellan est
un putain de bon prof. J’adore le satisfaire. C’est le moins que je puisse faire avec tous
les orgasmes époustouflants qu’il m’a donnés jusque-là.
Je me raidis rapidement lorsque Rhett arrive, en mettant une paire de lunettes de
soleil. Il sourit, mais il ne semble pas très sincère, et je ne sais pas comment le prendre.
Il sait que nous sommes ensembles, puisque Kellan n’a absolument aucune gêne en
public en ce qui nous concerne.
« Bonjour les tourtereaux », dit Rhett, le ton désinvolte.
Alors pourquoi ai-je l’impression d’être du mauvais côté de l’histoire, ici ? C’est peut-
être parce que je le désire depuis notre rencontre, et que j’ai également un faible pour
son frère. Je ne peux définitivement rien partager de tout ça avec ma mère. Il y a un nom
pour les filles qui se mettent avec deux mecs en même temps. Puis il y a Gage. Merde, ça
fait trois mecs. Putain, Elly….
« Où est Gage ? » demande Kellan.
« Au bord du ruisseau. Je crois que deux des filles sont revenues pour un second
round hier soir », glousse-t-il. J’ai des flashbacks de Gage pénétrant les fesses rondes et
luisantes de Belladone, et j’envisage déjà la perspective de rejeter tout ce que Kellan a
prévu pour aujourd’hui, pour que nous puissions nous enfermer dans ma chambre et
atteindre de nouveaux sommets de plaisir. Ces mecs ont un effet surprenant sur moi, et
tout ce que je peux faire, c’est en profiter avant que ce ne soit fini…
« Il est toujours avec elles ? », répond Kellan.
Rhett secoue sa tête. « Nan. Il est déjà allé en ville et nous a ramené des bières
fraiches. Il nous attend. »
Kellan prend ma main alors que nous nous dirigeons dans les bois. « Parfait. Allons-
y. »
« Où est-ce que vous pensez aller, tous les trois ? » L’une des responsables du camp
émerge du chalet, les mains sur ses hanches et de la crème solaire blanche sur son nez
fin. Je ne me souviens pas de son prénom, mais je sais qu’elle aime être une peau de
vache.
Rhett lui jette un regard en coin. « Je doute que ça te regarde. »
« Puisque vous faites partis du camp de vacances, si, ça me concerne bel et bien »,
rétorque-t-elle, les joues déjà rouges de colère.
« Nous allons seulement nous promener dans les bois », lui dis-je, pour essayer de
l’apaiser. « C’est tout. »
« Nous avons des activités au camp ! », insiste-t-elle, et je comprends que c’est un
cas désespéré, puis donne un Rhett un léger signe de tête d’approbation. C’est comme
une sorte de feu vert pour lui. Ma permission pour qu’il la provoque et l’éloigne de notre
chemin. Je ne sais pas quand c’est devenu comme ça entre nous, mais je trouve le
concept valorisant.
Je sais que les têtes brûlées ne reculeraient devant rien pour me protéger. C’est un
sentiment agréable à avoir.
« Et nous avons de meilleures choses à faire », répond Rhett. « Si ça ne te convient
pas, règle ça avec nos parents. Je suis sûr qu’ils seront ravis que tu leur fasses perdre
leur temps comme tu nous fais perdre le nôtre. »
« Tu ferais mieux d’aller surveiller les enfants », ajoute Kellan avec un sourire
suffisant. « Nous sommes trop vieux pour que tu nous gardes, de toute façon. Prends-le
comme un répit, pas comme un problème. »
La responsable du camp essaie de dire autre chose, mais Rhett l’arrête. « Ah, ah, ah !
Appelle nos parents. Vois ce qu’ils disent. Au revoir. »
UNE DEMİ-HEURE PLUS TARD, nous sommes à l’embouchure du ruisseau, à l’endroit où il se déverse
dans le lac. Kellan a apporté quelques couvertures. Rhett a une enceinte Bluetooth – elle
me semble familière. Je pense qu’il l’a piquée à Frisottis. Gage a mis les bières dans la
glacière. C’est une superbe journée, avec juste la bonne quantité de chaleur. J’ai un
maillot de bain en dessous, sachant que nous irons certainement nous baigner à
l’approche du déjeuner, quand le soleil donne et qu’il est très chaud.
J’ai la tête de Kellan sur mes genoux, alors que je suis assise contre un rocher round.
Nous ne parlons pas beaucoup puisque nous écoutons de la musique. Je suis très fière de
leur avoir fait apprécier davantage les musiques de film. Nous écoutons à présent James
Newton Howard qui, jusqu’ici, semble être un des préférés. Gage écrit des SMS et sourit,
mais il bouge sa tête à l’écoute de la musique. Ça lui plait.
Rhett me regarde, mais il détourne le regard quand Kellan jette un œil dans sa
direction. Je commence à penser qu’il y a bel et bien quelque chose entre nous, mais je
suis désormais avec son frère, et je ne sais pas trop quoi faire de toute cette dynamique.
Je me trompe peut-être. En balayant cette pensée de mon esprit, je me décide à faire la
conversation – tout ce qui peut me changer les idées. M’éloigner de ce qu’il aurait pu
être.
« Alors vous avez déjà pensés aux universités ? », je demande.
Kellan sourit. « Pas encore. Qu’est-ce que tu veux faire ? »
« Oh, je ne sais pas encore, non plus », je réponds en haussant les épaules. « Peut-
être Sciences Politiques. Mon père dit que je ferai une sacrée femme politique. Du bon
genre. »
Rhett fronce les sourcils vers moi. Je suis confuse. Kellan, à l’inverse, est très amusé.
« Rhett veut également se lancer dans les Sciences Politiques. Vous allez peut-être finir
dans la même fac. Raison de plus pour venir rendre visite dès que j’en aurai l’occasion ! »
Mon cœur bat un peu plus vite. Apparemment, Kellan nous voit ensembles une fois
que le camp sera fini. J’aime cette idée. C’est définitivement quelqu’un que je
souhaiterais avoir dans ma vie. Rhett, aussi. Aller à la même université rendrait ce projet
beaucoup plus facile. »
« Et toi, le McFingers textotant ? », dis-je en regardant Gage.
Il me lance un sourire brillant. « Je m’intéresse à la chimie, Elly. Les mélanges et les
potions. Liqueurs et parfums. Le vrai genre de magie. »
« Donc du coup Poudlard », marmonne Rhett, nous faisant tous rire.
« De toute façon, la fac est encore bien loin », dit Kellan, une fois les rires calmés. « Il
n’y a pas le feu. L’année de terminale arrive, et j’ai hâte de voir ce qu’elle nous réserve. »
« Je pense que tu ferais une bonne sénatrice », souffle Rhett en me regardant. « Tes
compétences en matière de débat sont impressionnantes, et je n’ai jamais vu quelqu’un
d’aussi douée pour vérifier les faits merdiques sur Google. Tu as donc cette voie qui
t’attend. »
« Je dois te remercier, j’imagine ? »
« En plus, tu n’es pas désagréable à regarder », intervient Gage avec un sourire
charmeur. « Et il y a un côté coquin chez toi que peu connaissent. Il te sera utile dans le
futur, fais-moi confiance. »
Je rougis, en réalisant qu’il parle de ma première fois avec Kellan. C’est difficile de ne
pas arborer un sourire satisfait à un tel compliment. Je l’accepte, parce que Gage est
sincère en le donnant. Le téléphone de Kellan sonne. Il grogne, son regard
s’assombrissant à la vue du nom. En se levant il répond. « Ouais ? »
Il s’éloigne de notre emplacement, et je l’entends demander plus de détails alors qu’il
s’enfonce dans les bois. Il ne veut pas que quelqu’un entende cette partie de la
conversation, et je ne peux pas m’empêcher d’être un peu inquiète. Kellan ne répond
jamais au téléphone lorsqu’il est avec nous. Quelque chose a pu se passer. Cependant,
en regardant Gage et Rhett, je me détends un peu puis qu’ils ne semblent pas s’en
inquiéter.
Gage écrit à nouveau des messages. Rhett se lève et vient s’asseoir à côté de moi sur
la couverture. « Sciences Politiques, alors ? », me demande-t-il, à voix basse. Mon cœur
bat déjà la chamade, mon pouls est dans tous ses états alors que j’essaie de me ressaisir
des émotions qui me prennent d’assaut dès qu’il s’approche.
Je hoche doucement la tête. « Oui, c’est sans aucun doute mon premier choix. Mais je
n’ai pas encore décidé à quelles facs je veux candidater. »
« C’est uniquement basé sur ce que pense ton père ? » demande Rhett.
Le téléphone de Gage sonne. Il répond à l’appel et s’éloigne également. Quelque
chose ne tourne pas rond, mais Rhett ne semble pas le remarquer. Il est trop occupé à se
pencher plus près en attendant ma réponse, et je retiens mon souffle en réalisant que
nous sommes désormais seuls.
En secouant ma tête, je lui donne un léger sourire. « Non. J’y pense depuis déjà
plusieurs années. J’aime la politique, je m’y intéresse beaucoup. La plupart des livres de
ma chambre parlent d’histoire, de politique et de sciences sociales. J’ai lu le discours
Gettysburg une cinquantaine de fois, au moins… »
« Comment définirais-tu ton penchant politique ? » répond Rhett, la noisette dans ses
yeux, dévoré par les ombres.
« Je… Je ne sais pas. Je dirais Démocrate, mais j’apprécie également certaines
politiques Républicaine récentes », je marmonne. Il est bien trop proche de moi pour que
je puisse me concentrer. Je ne peux même pas penser à la suite de ma phrase, même si
j’aimerais pouvoir clarifier davantage ma position sur le spectre politique.
« Qu’est-ce que tu cherches avec Kellan ? »
La question arrive comme une balle glissante. Je la loupe presque. « Attends, quoi ? »
« Qu’est-ce que tu cherches avec mon frère ? »
« J’ai entendu la question. Qu’est-ce que tu veux savoir, précisément ? Je ne suis pas
sûre de suivre ton point de vue, là », dis-je, l’experte en débat en moi se réveillant en
rugissant.
L’excitation luit dans ses yeux. Il y a à peine un filet d’air entre nous, à présent, mais
nous n’osons pas bouger. Quoi que ce soit, ça nous mène quelque part, et je veux le
découvrir. Je lutte contre mon corps, mes paumes en sueur. Mon souffle est épuisé, alors
que mon regard tombe sur ses lèvres, pendant un instant. Je me demande ce que serait
que de l’embrasser. Est-ce que Kellan me le pardonnerait ? Oh, je suis une personne
horrible, je dois l’admettre.
« Je pensais avoir été clair », dit Rhett.
« J’aime bien Kellan », je réponds. « Beaucoup. Je pensais que c’était évident. »
« C’est le seul que tu aimes ? »
Mon cœur s’arrête. « Hum… Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? »
Et voilà, je me retrouve à nouveau dos au mur et je sais que je vais avoir du mal à me
sortir de cette situation. Rhett sourit, mais c’est différent cette fois. Il y a quelque chose
de profondément sensuel lorsque ses lèvres s’étendent au-dessus de ses dents
parfaitement blanches. Des flammes dansent dans ses iris, et je ne sais pas quelle serait
la meilleure réponse, étant donné les signaux mitigés que je reçois de lui.
« Parce-que je ne suis pas aveugle. Et tu n’es pas très douée pour cacher tes
sentiments », dit Rhett, sa voix basse et brute, envoyant des pulsations électriques dans
le bas de mon corps. Mes genoux sont collés alors que j’essaie de rester décontractée. Ça
devient assez difficile puisque son odeur trouve mes sens. Je prends une profonde
inspiration et m’enivre de son parfum musqué.
« Je ne comprends toujours pas ce que tu essaie de me dire », je bafouille.
« Je vois la façon dont tu regardes Kellan », répond-il. « Mais je vois aussi la manière
dont tes yeux me trouvent, presque qu’inexplicablement. La manière dont Gage te fait
rire avec ses blagues idiotes. Où se situe ton cœur dans tout ça, Elly ? Qu’est-ce que tu
essaies de garder pour toi toute seule ? ».
J’expire fortement. « Stop. Lève le pied, Rhett. »
Il s’approche davantage et ma gorge se resserre. Son nez se heurte presque au mien,
et je suis dangereusement proche la syncope. Rhett est bien trop sexy pour son propre
corps, et je suis vraiment dans la merde, puisque je ne pense pas pouvoir en supporter
davantage avant de trahir Kellan.
Je suis un être humain horrible. Une petite amie terrible.
« C’est important que tu sois honnête avec toi-même, Elly », murmure-t-il. « Tu verras
que la vérité est bien plus libératrice que tout autre chose. »
« Je te l’ai dit. J’aime beaucoup Kellan… ».
« Au cas où tu ne l’aurais pas déjà remarqué, mon frère, Gage et moi, nous parlons de
tout. Nous n’avons aucun secret. Aucun désir caché. Pas de demi-vérités avouées dans le
seul but de sauver les apparences. Donc laisse-moi reformuler ma question, pour que tu
comprennes précisément où je veux en venir… Que veux-tu de nous ? ».
Mon esprit est un enchevêtrement de fils bâclés et de signaux erronés, parce que sa
reformulation n’a pas beaucoup de sens. Mais j’essaie néanmoins d’être honnête avec
moi-même, puisque c’est la meilleure chose à faire. J’aime beaucoup Kellan, oui. Je n’ai
pas menti à ce sujet. Mais j’aime aussi Rhett. Beaucoup. Et Gage me fait mouiller à
chaque fois qu’il me regarde avec son sourire espiègle qui me rappelle le ruisseau. Je
pense que je l’aime bel et bien lui aussi. Je devrais peut-être être différente. Je devrais
peut-être avoir des sentiments différents, mais… comment changer ? Pourquoi le ferais-
je ?
Ils ont tous les trois marqué mon âme, et c’est si bon de tomber un peu plus
amoureuse d’eux. Il y a quelque chose de si beau dans notre dynamique… Je suis en
réalité effrayée qu’elle retombe à la fin de l’été.
Par conséquent, qui suis-je à essayer de me changer pour rentrer dans certaines cases
sociales ? Je me débats avec moi-même à présent, et c’est assez hilarant… Mais je dois
donner un sens à mes sentiments, si je veux donner une réponse honnête à Rhett. Il
attache plus que tout de l’importance à l’honnêteté.
« Je veux que vous soyez vous-mêmes », dis-je finalement. « J’aime chacun d’entre
vous précisément pour ce que vous êtes, et je voudrais que cet été ne se termine
jamais. »
Rhett hoche la tête. Il lève sa main, ses doigts touchant légèrement mes joues. « Et si
je te disais que nous t’aimons aussi, et que nous ne voulons pas non plus que l’été se
termine… Qu’en dirais-tu, Elly ? »
Est-ce que je comprends bien ce qu’il me dit ? Sommes-nous réellement en train de
parler sérieusement ? Ou suis-je complètement à côté de la plaque ?
Je ne parviens pas à formuler une réponse – non pas parce que je n’en ai pas. Si je
dois répondre à la question exactement comme je la comprends, alors j’aurais
certainement une réponse bien plus sincère. Mais Kellan revient, et il semble blême.
Rhett ne bouge pas pour autant. Il reste collé à moi en regardant Kellan, aucunement
affecté par sa réapparition soudaine. « Qu’est-ce qui se passe Kellan ? »
« C’est grand-père. Il est tombé malade aujourd’hui. »
« Merde », souffle Rhett. J’essaie encore de prendre mes marques, je ne réalise donc
pas immédiatement ce qui se passe. Mon corps est détaché de mon cerveau, et il faudra
un moment pour les reconnecter tous les deux.
« C’est grave ? »
« Il est maintenant de retour à la maison, mais maman dit qu’il y retournera pour faire
des tests la semaine prochaine », explique Kellan.
« Il va s’en sortir ? », je demande.
Kellan se réinstalle sur la couverture, sa tête sur mes genoux. À ma grande surprise,
Rhett ne bouge toujours pas. En outre, il glisse un bras autour de mes épaules et me
tient. Gage revient de son appel, ses deux sourcils levés en nous trouvant tous les trois
étrangement proches.
« J’aime cette vue », marmonne-t-il. « Harmonie et tout ça. »
« Qui c’était ? », répond Rhett en regardant le téléphone de Gage.
« Mon père », dit-il. « J’imagine que vous avez également eu vent des nouvelles? »
« A propos de grand-père ? Oui », souffle Kellan. « Mais je ne sais pas s’il va s’en
sortir », ajoute-t-il en levant les yeux vers moi tandis que je caresse son visage, sa barbe
frottant contre mes doigts. « J’ai demandé à ma mère les mêmes choses que toi, mais
elle a seulement mentionné des tests la semaine prochaine. Je pense qu’ils ont peur que
ce soit plus sérieux cette fois. »
« J’espère vraiment que non », dit Gage en s’asseyant sur notre couverture et croisant
ses jambes. Il me fixe en souriant légèrement. « Les gens honnêtes méritent une vie
longue et belle… ».
« Ça ira », répond Rhett. « Il a su rebondir par le passé. Il le fera à nouveau. »
« Et s’il ne le faisait pas ? », demande Kellan. J’ai l’impression de manquer des parties
de la conversation, mais je peux voir qu’ils sont tous les trois inquiets. Ils semblent ne
pas l’avoir vu venir, et ils essaient de trouver une solution à quelque chose qui pourrait
bien ne pas être de leur ressort.
« On trouvera une solution », riposte Rhett.
« Quand ma grand-mère est tombée malade, ma mère voulait qu’on aille la voir plus
souvent », dis-je, creusant un peu plus dans ma propre histoire familiale pour essayer au
mieux de leur faire part de mes considérations. Rhett, Kellan et Gage me regardent avec
des gros yeux émerveillés. « Elle disait que chaque moment qu’on passait auprès d’elle
était précieux. Pas seulement pour nous, mais également pour notre grand-mère. Nous
avons fait tout ce que nous avons pu pour nous assurer qu’elle ait toutes les raisons de
sourire jusqu’à son dernier souffle… et elle l’a fait… elle est morte en souriant. »
« Elly », murmure Kellan, son sourcil froncé.
La main de Rhett rencontre à nouveau mon visage, mais cette fois, c’est uniquement
dans le but d’essuyer la larme solitaire que je n’avais pas vu couler sur ma joue.
« Je suis désolée », je soupire, ricanant pour ne pas montrer l’afflux soudain de
chagrin. « La perte de ma grand-mère est encore vive, j’imagine. Tout ça pour dire… Si
vous pensez que votre grand-père arrive au bout du chemin, vous voudrez peut-être être
présents pour lui. Être avec sa famille, c’est probablement la meilleure façon de… vous
savez, de partir… ».
« Nous n’en sommes pas encore là », dit fermement Rhett.
Kellan secoue la tête. « Nous n’en sommes définitivement pas à ce point. Je veux dire,
c’est la figure la plus importante dans nos vies et le pilier de notre famille depuis
toujours. Le vieux ne partira pas si facilement. »
« Le vieux Quinn mourra en se balançant et taclant lui-même la Faucheuse, s’il le
doit », rit Gage, entraînant Rhett et Kellan dans un grand éclat de rire.
Il y a de l’inquiétude dans leurs yeux. Je la vois, qui obscurcit leurs humeurs
habituellement brillantes. Même s’ils essaient de rire, je sais qu’ils s’inquiètent pour leur
grand-père. Je suis tout aussi inquiète pour eux. C’est un peu bizarre, comme si je
partageais leur chagrin. Leurs peurs.
Quelqu’un a déconnecté et reconnecté les câbles dans ce groupe, et nos cœurs sont,
d’une certaine façon, liés à présent, parce que tout ce qui les fait rire, me fait rire aussi.
Tout ce qui leur fait mal est comme un coup de poignard dans mon âme. Si je reviens à
la question de Rhett maintenant, je suppose que je veux que nous ne soyons jamais
séparés.
Nos chemins se sont croisés, et j’espère qu’ils ne s’éloigneront plus jamais les uns des
autres. Ce serait une blague cosmique cruel que le monde se mette entre nous et nous
tiennent à l’écart. J’appartiens à Kellan. J’appartiens à Rhett. J’appartiens à Gage. Et je
ne voudrais pas qu’il en soit autrement.
ELLY

UNE PARTİE de moi refuse d’abandonner l’idée qu’il existe encore un moyen de raisonner les
têtes brûlées. Au déjeuner, je quitte le cours la première mais reste dans le coin pour voir
qui sort et qui reste. Comme si le destin s’était aligné en ma faveur, Gage et Kellan se
dirigent vers la cafétéria, accompagné par le reste de la foule, les reines de beauté
comprises. Kyle part dans une autre direction mais il ne me repère pas. Le couloir est
trop bondé.
Je fais un calcul mental de base et me dirige vers la classe, sachant qu’il ne reste
qu’une personne à l’intérieur.
Rhett et moi rentrons l’un dans l’autre dans le couloir. Je bouge rapidement en le
repoussant.
En fermant la porte derrière nous, je me tourne pour lui faire face.
Il semble stupéfait. Apparemment je peux encore te surprendre, hein, Rhett ?
« Il est temps que nous discutions », dis-je fermement, incertaine de l’origine de tout
ce courage. Ils n’ont fait qu’abaisser mes défenses, m’humilier et me tourmenter.
Toutefois, je profite de cet instant, comme toujours. J’utiliserai tout ce qu’il me reste pour
me battre.
Mais Rhett ne parle pas. À la place, il s’appuie contre le bureau du professeur, croisant
ses bras et arborant un air blasé.
« Qu’est-ce qu’il se passe, Rhett ? Rien de tout ça n’a de sens, et j’ai besoin que tu
sois honnête envers moi. Je pensais que c’est ce que tu voulais de la plupart des gens,
non ? De l’honnêteté ? ».
Il me fusille du regard, et je tremble pratiquement dans mes sandales, mais je garde
le menton haut.
« Nous étions amis. Nous étions si proches… Si rien n’était réel, si vous vouliez en
finir… il suffisait de me le dire », je continue. Ma voix tremble mais je dois le sortir de ma
poitrine. C’est sa dernière chance d’être honnête. Après, je commencerai à faire des
coups bas et je lui prouverai qu’il a choisi la mauvaise fille à faire chier. « J’aurais gardé
mes distances. Je me serais éloignée. »
« Tu te serais quand même éloignée ? », demande-t-il, son regard de braise suffisant
à faire fondre ma peau. En raclant ma gorge, je lui fais un signe de tête.
« Si tu me l’avais dit, oui. Je ne pense pas t’avoir déjà donné l’impression d’être une
pouffiasse pot de colle et instable émotionnellement, Rhett. »
Il réfléchit un moment puis secoue sa tête en regardant sur le côté. « Il y a beaucoup
de choses que je ne t’ai pas dite, Elly. Beaucoup qu’il vaut mieux que tu ne saches pas. »
C’est assez rafraichissant. À l’inverse de Gage et Kellan, Rhett me donne réellement
une piste à suivre. Aussi énigmatique que ses mots puissent sonner, je peux y trouver un
sens. Pas énorme, mais assez pour confirmer ma théorie de butée qu’il y a plus derrière
ce conflit que simplement les têtes brûlées étant de vrais cons. Il y a quelque chose qui
m’a échappé sous cette apparente méchanceté.
« Qu’est-ce que le dénouement ici, Rhett ? Me virer du lycée ? Me virer de la ville ?
Pourquoi ? J’en ai assez de toutes ces conneries. Tu sais très bien que je mérite mieux
que ça ! J’ai besoin de connaître la vérité. Maintenant. »
Je me reconnais à peine. Ma vraie nature. J’ai passé les dernières semaines à me
sentir horrible, incomprise et confuse – des émotions qui ne m’avaient jamais abaissées
auparavant. Les blessures que les têtes brûlées m’ont infligées mettront du temps à
cicatriser, mais si Rhett me dit la vérité maintenant, je leur pardonnerai peut-être. Je
dirai peut-être simplement au revoir à ce que nous avons vécu et je passerai à autre
chose. Mais je dois comprendre pourquoi ils veulent à tout prix me repousser.
Rhett me donne un regard peiné et, pour la première fois depuis que nous nous
sommes retrouvés dans la même ville, j’ai l’impression qu’il est enfin honnête avec moi.
« Nous sommes dangereux, Elly. Nous ne sommes pas le genre de personne que tu
souhaites avoir près de toi à présent », dit-il. « Personne n’est en sécurité avec nous.
Tiens-en toi à ça et trouve un autre lycée où finir le reste de ton année. Tu te rendras
service si tu m’écoutes. »
« Va te faire foutre, Rhett », je réponds, la colère coulant dans mes veines. « Je ne
suis pas venue ici de mon plein gré. Ma mère nous a fait déménager ici après qu’elle et
mon père aient signé les papiers du divorce. Figure-toi que ça s’est passé peu de temps
après le camp de vacances, ce n’est donc pas comme si j’avais eu le temps de planifier
quoi que ce soit. Tu saurais tout ça si tu avais lu mes messages. »
« J’ai des problèmes plus importants à régler que le divorce de tes parents, Elly. Le
monde ne tourne pas seulement autour de toi. »
« Il ne tourne pas non plus autour de toi, mais je n’ai jamais montré autre chose que
du respect et du sens moral envers vous trois. J’attends de toi la même chose », dis-je,
pointant furieusement un doigt sur lui. J’arrive à peine à m’empêcher de lui donner un
coup sur son torse. « Allez, Rhett. Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? ».
Son expression change, et je n’arrive pas à la comprendre. Ses épaules tombent alors
qu’il se redresse debout. Il fait quelques pas en avant, sa grande carrure cherchant à
intimider. Je refuse de bouger. Il ne me fera pas fuir cette fois.
« Pourquoi es-tu si tenace ? » demande-t-il, l’ombre d’un sourire se hâtant sur son
visage. « C’est parce que nous avons… des choses inachevées? ».
« Quelles choses inachevées ? ».
Je sais exactement de quoi il parle, mais je ne vais pas satisfaire sa curiosité
perverse. S’il veut à tout prix une réplique insolente, il va devoir tirer et ne pas se rater.
« La cabane de chasse, Elly. »
La façon dont il prononce mon nom affaiblit complètement mes genoux. « Tu as tout
achevé au moment où tu m’as jeté ces tampons au visage », dis-je, essayant de contrôler
ma respiration irrégulière. Des flashbacks reviennent me tourmenter, mais je ne peux pas
perdre ainsi. Je ne peux pas le laisser me vaincre à cause de la simple allusion au
moment qui aurait pu changer nos vies pour toujours. « Il n’y a rien d’inachevé, Rhett.
Seulement la question de savoir pourquoi vous trois me harcelez, littéralement. »
Il se rapproche, et je ne peux plus me concentrer. Il a encore cet effet sur moi, et je
ne sais pas qui je déteste le plus – lui, pour m’inspirer de tels sentiments ou moi, pour
ma faiblesse en acceptant tout ça. Ses doigts remontent doucement vers mon bras nu.
De l’électricité s’infiltre à travers ma peau et se propage sur tout mon corps avant de se
blottir entre mes jambes. Peu importe ce à quoi il joue, je ne suis pas suffisamment
bonne et manifestement pas assez forte pour l’arrêter.
« Tu veux me dire que tu n’y as pas pensé depuis l’été dernier ? », demande-t-il, le
ton excessivement innocent.
« À quoi bon, si c’est ainsi que vous avez choisi de me traiter ? Tu penses vraiment
que je serais trop gentille et fleur bleue après que vous ayez rempli mon casier de
préservatifs usagés et après m’avoir traitée de pute ? Reprends-toi, Rhett. »
Belle répartie ! En espérant que je m’y tienne. Plus il me regarde, et plus je me sens
douce et fleur bleue. Je viens juste de mentir, mais c’est pour la bonne cause. Je ne peux
pas laisser Rhett mener la danse. S’il vient de la mafia comme le dit Kyle, je ne le
vaincrai pas en étant soumise. Je le battrai à son propre jeu. La force avant tout.
« Tu as changé », marmonne-t-il, semblant quelque peu surpris. « Dans le bon sens
du terme. »
« Et tu t’égares. La vérité. Maintenant. »
« Tu ne comprendrais pas, Elly », dit-il. C’est insultant.
« Je ne suis pas idiote. Tu peux essayer de m’expliquer. »
« En réalité, tu es une idiote, parce que tu ne peux toujours pas te sortir ça de la tête.
Pars de ce lycée, Elly. Va-t’en. »
Ma main jaillit, prête à lui donner une énorme gifle. Il attrape mon poignet et l’agrippe
fermement. J’oublie toujours que ce n’est pas Gage. Les réflexes de Rhett sont comme
ceux d’un chat. J’ai fait le mauvais geste, parce que maintenant il me touche, et je suis à
la fois terrifiée et excitée par ce qui pourrait se passer ensuite.
Il me fixe pendant un petit moment. Mon cœur bat la chamade.
« Lâche-moi », je chuchote.
Il tire d’un coup sec sur mon bras et je perds l’équilibre. Il m’enlace en me serrant,
pressant mes seins contre son torse tonifié et musclé. Seulement deux fines couches de
tissus nous séparent, et je n’ai plus le contrôle de mon propre corps. L’effet de Rhett est
bien trop puissant, encore aujourd’hui… mais je ne peux pas accepter ma défaite.
J’ai presque envie de pleurer, et j’essaie de me tirer en arrière, mais ses bras sont
enroulés si fermement autour de ma taille que je ne peux pas bouger. Je peux seulement
sentir son corps – chaque muscle, chaque ligne… la bosse dure dans son jean, en parfaite
adéquation avec mon bas-ventre, où la chaleur continue de s’accumuler, menaçant
d’exploser.
Je lève les yeux. Son expression est gravée dans le marbre. Des ombres et des
flammes dansent dans ses yeux alors qu’il écarte ses lèvres pour, peut-être, dire quelque
chose. « Lâche-moi », j’essaie à nouveau, mais je ne suis même plus convaincue que ce
soit ce que je souhaite.
Sans prévenir, il baisse sa tête et attrape ma bouche dans un baiser affamé. Comme
si le disjoncteur sautait, je me perds. J’oublie pourquoi je suis ici. J’oublie quel jour nous
sommes. Rien n’a plus d’importance. Rien, excepté le goût de Rhett. Nous ne nous
sommes jamais embrassés avant, et mon cœur est à deux doigts de lâcher, ses lèvres
douces et sa langue se précipitant et explorant tout sur leur passage. Il grogne alors que
sa main commence à se déplacer le long de mon corps.
Nous avons attendu ça pendant si longtemps… le verre est maintenant plein et il
déborde. Nous avons passé le point de non-retour, et tout ce que je peux faire, c’est
céder. Le monde disparaît autour de nous, remplacé par des tâches de crème diluées, des
tableaux verts, le bureau marron du prof, et peut-être une ou deux bandes de ciel bleu,
alors que nous nous abandonnons dans le feu qui nous consume depuis le premier jour.
Laissé sans surveillance, c’est devenu un incendie, un feu de forêt dévastateur
qu’aucun de nous deux ne peut contrôler. Nous ne sommes plus Elly et Rhett. Nous
sommes quelque chose de complètement différent.
Il intensifie son baiser alors que je me pousse contre lui, voulant qu’il sente mes seins
pendant je me délecte désespérément sous le tissu de ma robe qui frotte sur mes tétons
endurcis. Il est aussi dur que la pierre, et je bouge mes hanches, déclenchant une
délicieuse réaction de Rhett, puisqu’il enfonce une main dans mes cheveux et tire ma tête
en arrière.
J’halète, alors que son autre main descend et attrape mes fesses, les agrippant
fermement, ses doigts s’enfonçant dans ma poitrine. Un gémissement s’échappe de mes
lèvres et il dépose des baiser le long de mon cou, en mordant et léchant au passage. Ses
mains glissent comme des serpents, trouvant le bouton de ma robe.
Nous nous embrassons à nouveau, cette fois avec une faim comme je n’en ai jamais
vécue auparavant. J’ai voulu ça pendant si longtemps, je suis à présent complètement
aveuglée, carrément euphorique, excitée au-delà de tout semblant de maîtrise de soi.
Je suis mouillée et brûlante, alors que je commence à travailler sa boucle de ceinture.
Quoi qu’il se passe entre nous, ça brûle si vite que nous devons continuer. Ses yeux sont
si sombres, ils sont presque noirs. Il déboutonne ma robe et découvre mon soutien-gorge
transparent en dentelle.
« Putain, Elly… Au diable tout ça », marmonne-t-il et retire les deux bonnets, laissant
mes tétons libres. Ils se redressent au contact de l’air, et Rhett commence à les travailler,
les suçant, léchant et me faisant l’amour avec sa bouche, tandis que je lutte pour
respirer, en défaisant sa ceinture.
Il masse mes seins, les pétrie comme de la pâte. Avec sa bouche, il continue à sucer
et mordiller, m’envoyant dans une spirale de ce qui est indéniablement la plus
merveilleuse des folies. « Oh, mon Dieu… » je chuchote, penchant ma tête pour qu’il
puisse me mordre un peu plus fort.
La tension monte en moi, et je ne suis pas sûre de pouvoir en supporter beaucoup
plus.
Il garde sa bouche sur mes tétons, et sa main avance pour finir de déboutonner le
devant de ma robe en coton. Il découvre ma culotte, et je découvre sa queue dure dans
son caleçon. Sa peau est si chaude, qu’elle me brûle presque le bout de mes doigts. Je
dois utiliser mes deux mains pour pouvoir sentir son gabarit.
Je suis à deux doigts de perdre la tête. C’est ce qui me manquait. C’est ce que j’ai
voulu depuis le moment où j’ai posé mes yeux sur lui. Et je sais que c’est ce qu’il
attendait… Je le sens dans mon cœur. Il gémit brutalement et attrape mes hanches, nous
retournant rapidement. Je finis assise sur le bord du bureau du prof, ma culotte déjà au
sol.
Son jean se baisse et la longueur de sa queue me séduit à jamais. Il est grand, il est
dur et il est tout à moi, en ce moment… Plus rien ne compte. Rhett saisit ma taille et
incline le bout de sa queue, le pressant contre mes plis mouillés. Je frissonne alors qu’il
exerce davantage de pression contre ma petite bosse enflée.
« Laisse-toi aller, Elly », murmure-t-il, ses lèvres remuant contre les miennes, ses
yeux perçant des trous dans mon âme. « Laisse-toi aller, bébé… »
Le bout de sa queue s’agite contre mon clitoris jusqu’à ce que je crie et explose dans
un milliard de nouveaux univers, la réalité se propageant autour de moi dans un
ensemble de couleurs psychédéliques. Le plaisir ondule en moi comme un tsunami, mon
orgasme détruisant tout, chacune de mes dernières défenses alors que j’agrippe ses
épaules et le supplie. « Je suis à toi, sale con… je suis à toi… »
Rhett s’enfonce en moi, je m’écarte et accueille tout de lui. Des légers éclairs de
douleurs me chatouillent à l’intérieur. Sa queue est tellement énorme. Il m’étire à chacun
de ses mouvements, en pénétrant plus profondément et plus durement à chaque
poussée.
Je n’ai plus de souffle et je suis sur le point de me désintégrer, alors qu’il me fait
l’amour comme si c’était la première et dernière fois. La pensée d’une telle brièveté est si
légère, si perfide, qu’elle se volatilise presque aussi vite qu’elle est apparue.
Rhett s’enfonce à nouveau en moi et je referme mes jambes autour de lui. Il glisse sa
main entre mes jambes, trouvant ma bosse tendre et encore gonflée, et la frictionne avec
un sourire vindicatif sur son visage. Je serre mes cuisses autour de sa taille, le poussant à
bouger plus fort.
Plus vite. Pour me donner tout ce qu’il a.
Rhett ne me déçoit pas. Mes yeux roulent en arrière à cause d’un orgasme éclatant,
alors qu’il me pénètre encore et encore, avec une sauvagerie que je ne pourrai peut-être
jamais oublier. Mes hanches se balancent et mon corps semble plus puissant et plus
faible qu’il n’a jamais été alors que je jouis à nouveau. Rapidement, il se lâche et claque
mes fesses de sa main nue.
Je gémis de ce plaisir brut. Je suis maintenant sur le dos et il me baise encore plus
fort. Je peux presque le sentir dans mon ventre, et c’est si bon que ça ne devrait jamais
s’arrêter. Les choses ne doivent jamais revenir à ce qu’elles étaient.
Rhett est à deux doigts de jouir, lui aussi, ses muscles se gonflant alors qu’il me
pénètre plus fort et plus vite, sa respiration est irrégulière. Il me donne une nouvelle
fessée, et la douleur éphémère m’amène à me contracter davantage autour de sa queue.
L’effet est si puissant, qu’un troisième orgasme pointe le bout de son nez. « Fais-le
encore », je parviens à dire, en tenant et serrant mes seins, voulant à tout prix donner à
mes tétons ce dont ils ont besoin.
Rhett appuie une de ses mains sur mon bas ventre, envoyant ainsi un délicieux plaisir
à travers ma chatte, tandis qu’il me donne une autre fessée, en m’enfonçant
sauvagement. Voilà. Je le sens. Il jouit enfin, se répand en moi, me remplissant à ras
bord de sa semence chaude. Je crie, me défaisant d’une troisième vague. Lorsqu’il me
pénètre à nouveau, je me contracte et presse les dernières gouttes de son sperme. Mes
jambes reposent sur ses épaules, et doucement, il ralentit, même s’il ne veut pas encore
arrêter de me baiser.
Mon corps est faible. Mon cœur est en pagaille. Comme si je me réveillais d’un affreux
cauchemar. Je prends donc un moment pour savourer la façon dont il me complète, dont
il me touche… dont il lit mes pensées et sait exactement ce qui me fait vibrer. Il a ce côté
agressif, que je n’avais jamais vu auparavant, mais qui est carrément excitant. Je ne
pensais pas aimer autant les fessées. Trois orgasmes, et je ne sais même plus comment
je m’appelle. Trois orgasmes, et j’ai oublié le monstre qu’il était et je ne suis plus qu’une
fille stupide qui n’a pas retenu la leçon lorsqu’elle s’est brûlée la première fois.
Je fixe le plafond, essayant de reprendre mon souffle alors qu’il s’éloigne de moi,
silencieux et de nouveau impossible à lire. Il me faudra du temps pour me remettre de ce
paradis étrange dans lequel j’ai, d’une certaine façon, trébuché mais…
Merde. La pause déjeuner. Le lycée. Merde !
Mon esprit revient finalement à la réalité. Le bruit des pas, qui se rapprochent et
s’éloignent, résonne dans le couloir. Mais mon corps est encore mou et se délecte de tout
ce que Rhett lui a fait subir. Le temps que je m’assoie et que j’essaie de remettre mes
bonnets de soutien-gorge sur mes seins et boutonne ma robe, alors qu’il se tient juste
devant moi, ses lèvres ouvertes, la porte de la classe s’ouvre derrière lui.
Tout s’arrête brutalement. Kellan, Gage et les reines de beauté sont les premiers à
entrer, accompagnés de quelques autres élèves. Ma robe est encore déboutonnée, mes
tétons encore sortis et je ne vois nulle part ma culotte.
Oh.
Mon.
Dieu.
Kellan me lance un regard noir. Gage ne peut même pas nous regarder. Prestley et les
autres nous fixent, leurs mâchoires déchaussées et à quelques centimètres du sol.
Personne n’ose rien dire. Qu’est-ce qu’ils pourraient dire, de toute façon ? Je viens juste
de me faire prendre en train de coucher avec cet enfoiré de Rhett Flanagan sur le bureau
du professeur. Oh. Mon. Dieu. Oh. Mon. Dieu. Oh. Mon. Dieu.
L’expression de Rhett se transforme en un sourire sournois alors qu’il regarde Prestley.
« Voilà. Tu as dit que je ne serais pas capable de le faire. Paye-moi », dit-il, alors que
mon cerveau essaie de se mettre à la page.
Des rires grondent derrière les reines de beauté. Un flash m’aveugle
momentanément. Quelqu’un vient de prendre une photo. Je tire ma robe pour couvrir ce
que je peux, mon excitation disparue depuis longtemps et rapidement remplacée par une
horreur paralysante lorsque je comprends enfin ce qui se passe ici.
Prestley sourit en récupérant un billet de cinquante dollars de son portefeuille et le
tend à Rhett, qui le fourre dans sa poche arrière, reboutonnant son jean de façon
décontractée et attachant sa ceinture en me regardant.
« C’était bien plus facile que je ne l’imaginais », dit Prestley en me souriant. Mais il n’y
a aucune émotion dans son sourire. Simplement sa vraie nature, vicieuse. « Je n’arrive
pas à croire que tu aies écarté tes jambes pour un de tes persécuteurs, Elly. Je veux dire,
comment peux-tu être aussi facile ? Et dire que j’avais parié que tu n’étais pas une
pute. » Elle prononce ces mots comme une mère le ferait pour gronder son enfant. Mais
je sais pertinemment qu’il n’y a rien de plus qu’une goutte d’amusement en elle.
J’aperçois Kyle au fond, qui me regarde fixement, froid comme la pierre. Mon pire
cauchemar se réalise et il n’y a aucune chance que je puisse m’en sortir en gardant ne
serait-ce qu’un semblant d’estime. Rhett avait tout prévu et je suis complètement tombée
dans le panneau.
Je descends du bureau en état de choc et passe devant Rhett, désespérée de sortir
d’ici puisque tout le monde commence à rire, applaudir, siffler et me donner toutes sortes
de surnoms. « Prostituée ! », « Salope ! », « Pute ! », «Facile Elly !» « Totale Elly » !
« Elly aime se faire prendre ! ». Rhett attrape mon bras, cherchant à avoir le dernier mot,
par-dessus tout le reste. « Elly, je t’avais dit de… »
Mon genou est rapide. Il ne le voit pas arriver. Je touche son aine, et il se plie en deux
de la douleur lancinante et soudaine que je viens de lui envoyer. La foule s’exclame de
surprise. Certains rient. Je suppose qu’ils ne sont pas tous fans de Rhett.
Je laisse tout derrière moi. Mon téléphone, mon sac à dos, ma dignité…
Kyle apparaît dans mon champ de vision, mais des larmes le rendent tout flou. Je ne
peux plus regarder personne. Je garde simplement mes bras serrés autour de ma robe
ouverte et sprinte pour sortir de la classe, en courant aussi vite que possible jusqu’à
atteindre un trou où me cacher pour toujours.
Je fonds en larme en trouvant les toilettes, incapable de gérer les regards de toutes
les personnes que j’ai croisées sur mon chemin. Mon cœur est complètement retourné et
la bile perce ma gorge. Tout le monde m’a vu. Un mec a pris une photo, c’est sûr. Rhett a
parié avec Prestley qu’il me baiserait, et il l’a très clairement fait. J’en ai d’ailleurs
apprécié chaque seconde, jusqu’à ce que les gens arrivent. Le lycée entier m’appellera
Elly la Pute ou quelque chose du genre. Je ne pourrai jamais effacer cet incident.
Ma carrière politique est peut-être terminée avant même que j’ai eu la chance de la
commencer. Je m’enferme dans un des cabinets. J’ai des hauts le cœur, je tousse et
pleure en même temps. C’est trop. Beaucoup trop. J’ai essayé de donner à Rhett une
chance de s’expliquer, et il… il a activement cherché à me détruire.
Il faudra une éternité pour que je puisse m’en remettre. Pour l’instant, je me contente
de m’agenouiller sur le sol froid, régurgitant le peu que j’ai mangé au petit déjeuner, et
pleurant. Plus tard, je penserai à quelque chose pour guérir de la douleur qu’ils m’ont
infligée.
Plus tard, je trouverai un moyen de remonter la pente…
RHETT

J’Aİ VOULU pendant si longtemps sentir Elly dans mes bras. L’embrasser. Lui faire l’amour. Ce
que j’ai fait en était l’exact opposé, et je ne me le pardonnerai jamais. J’ai pris Elly,
chaque centimètre de son corps délicieux, j’ai tout senti… nous étions dévorés par notre
passion, mais je n’ai jamais perdu de vue le dénouement.
Je suis volontairement resté à l’écart ce jour-là, sachant qu’elle ne résisterait pas à la
tentation de venir me voir et me demander une explication. Étant donné la situation
délicate dans laquelle nous nous trouvons, je me suis dit que je n’allais plus jamais la
revoir. Qu’elle partirait, finalement assez humiliée pour changer de lycée. Je voulais
savoir comment elle était. Kellan est amoureux d’elle depuis le camp de vacances. Gage
aussi. Je ne peux plus m’exclure de cette équation. Elle est incroyable. La quantité
parfaite de douceur et de sex-appeal qui me fait bander à chaque fois qu’elle entre en
cours.
J’ai fait l’impensable. L’abominable. L’impardonnable. J’ai fait tomber ses défenses.
J’ai pris tout ce que je pouvais lui prendre, puis je l’ai jetée devant tout le monde. Il y a
une place spéciale en enfer pour les gens comme moi, et la raison pour laquelle j’ai agi
de la sorte n’importera pas. Nous voulions la protéger en la repoussant mais… à quel
point est-elle en sécurité à présent, si c’est la façon dont nous le traitons ? Quelle
différence y-a-t ’il entre ce que nos ennemis lui feraient et tout ce que nous lui avons
fait ?
Gage et Kellan sont tout aussi moroses à ce sujet, alors que nous nous sommes assis
dans la Range Rover, manquant de courage pour aller au lycée. Ça fait maintenant deux
jours et Elly n’est pas encore revenue. Nous avons peut-être finalement trouvé le point
critique. Mais ça me met mal à l’aise… l’idée de ne plus jamais la revoir. Nous avons
tellement été occupés à la tenir à l’écart pour qu’oncle Kevin ne la remarque pas, que
nous avons complètement négligé ce que seraient nos vies sans Elly.
« Troisième jour », marmonne Kellan depuis le siège passager, fixant les marches qui
mènent à l’entrée principale.
« Elle a peut-être enfin quitté le lycée », dit Gage à l’arrière.
Je peux encore sentir sa peau contre la mienne. Son goût subsiste sur mes lèvres. La
tension douce et chaude autour de ma queue m’empêche de bien me concentrer. Notre
moment ne me quittera jamais, aussi court qu’il ait pu être. Nous avons eu peu de temps
tous les deux, mais nous avons néanmoins atteints les plus hauts sommets de notre
existence, avant que je détruise tout.
« Espérons-le », je réponds, une main posée sur le volant. « Parce-que je ne sais
vraiment pas ce qu’on pourrait faire d’autre pour l’éloigner… ».
Kellan serre mon épaule dans l’espoir de me conforter. « Je suis désolé, Rhett… ça n’a
pas dû être facile pour toi. »
« Être avec Elly était facile », je souffle. « Me reculer et tout gâcher fut la partie la
plus difficile, parce qu’elle ne mérite rien de tout ça. »
Gage pouffe. « Tu es amoureux, Rhett. »
« Parce que tu ne l’es pas ? Monsieur je-me-porte-volontaire-pour-la-suivre ? » je
réponds sèchement.
Il baisse la tête de honte. « C’est ironique, n’est-ce pas ? »
« Qu’est-ce que tu trouves d’ironique, exactement ? », demande Kellan en regardant
Gage par-dessus son épaule.
« Nous sommes tous raides dingues de cette fille, et pourtant nous nous rivalisons
pour savoir qui la rendra la plus misérable », marmonne Gage.
Nous avons rarement partagé des femmes entre nous, mais Elly a été spéciale dès le
début. Elle a cette façon qui la rend inoubliable. Elle est déterminée et aux idées
arrêtées, vive comme l’éclair et ridiculement sûre d’elle. Elle ne se préoccupe pas des
dernières modes et pourtant, chaque pièce de tissu qu’elle porte met en avant ses
courbes magnifiques.
Kellan, Gage et moi avons déjà accepté l’idée qu’elle s’était en quelque sorte faufilée
dans nos cœurs et qu’elle avait refusé d’en partir depuis. Au début, j’étais tenté de m’en
énerver, jusqu’à ce que je comprenne que chacun de nous avait de bonnes raisons de
ressentir ce que nous ressentons pour elle. Kellan veut une fille intelligente, le contraire
de toutes les bimbos avec qui il est sorti tout au long du lycée, et Elly le stimule comme
personne.
Gage, malgré son affinité pour les ménages, donnerait toutes les femmes qu’il a baisé
jusque-là pour être avec elle. La preuve en est qu’elle a réussi à lui faire arrêter de
fumer, ce qui n’était pas une mince affaire – il a d’ailleurs repris cette habitude après….
Eh bien, Elly ne peut être blâmée. La mort de grand-père nous a très fortement frappés.
Quant à moi, j’ai un faible pour elle depuis notre rencontre, devant le chalet. Il y a ce
mélange attirant de bizarrerie et de droiture dans sa tête qui m’excite comme rien
d’autre. Elly va devenir une putain de femme politique un jour. Elle aura une belle vie.
Elle changera le monde. Et elle ne fera pas partie du nôtre. Je pense que c’est le plus
difficile.
« Au moins maman et papa ont mis en place une sécurité extrême, comme on leur a
dit », dit Kellan après un moment.
« Tu sais que Kevin s’apprête à reprendre la main maintenant. »
« A-t-il déjà parlé à votre père ? » je demande à Gage.
En secouant la tête, il expire brutalement. « Nan. Mais je ne pense pas que Kevin ira
le voir pour ça. Il sortira les armes et donnera aux O’Donnell la chance de le servir en
tant que nouveau chef de la famille… ou de partir. »
« Et Kevin n’aime pas laisser des témoins derrière lui », dis-je. « Vous vous souvenez
de Los Cabos ? », Kellan pince l’arrête de son nez. « Ce simple fait aurait dû le disqualifier
dans les yeux de grand-père. Je ne comprends pas… ».
« Le sang est plus fort que l’eau », je réponds. « Grand-père espérait que Kevin
changerait une fois qu’il aurait plus de responsabilités au sein de la famille. Il n’est plus
parmi nous pour voir à quel point il avait tort. »
« Il fourre son nez partout, vous savez », nous dit Kellan en fronçant les sourcils. Gage
et moi le fixons, attendant plus de détails. Il lui faut un moment pour s’en apercevoir.
« Je l’ai surpris dans ma chambre hier matin. Il m’a dit qu’il cherchait un chargeur parce
qu’il avait perdu le sien. Évidemment, je ne l’ai pas cru. Il cherchait autre chose. »
Mon sang se gèle. « Est-ce qu’il manquait quelque chose ? »
« Pas à première vue, non », répond Kellan, jetant un coup d’œil à Gage. « Tout ce
que nous avons de précieux est dans ton coffre. C’est la chose la plus intelligente que
nous ayons faites de tout l’été. »
« Nous devons quand même être prudents. S’il fouine autour, c’est qu’il a l’intention
de nous battre avec tout ce qu’il a. Lorsqu’il reprendra la main, nous serons également
dans sa ligne de mire », dis-je. Ma voix se brise quand je vois une tête familière monter
les marches. « Non, c’est une putain de blague… ».
« Non… », souffle Kellan.
Elly est de retour. Elle porte un jean et un tee-shirt noir, des baskets et aucun
maquillage. Quelque chose a changé depuis la dernière fois que nous l’avons vue. Elle
porte son sac à dos et tient son téléphone dans sa main. J’imagine que Kyle les a
récupérés sur le bureau d’Elly et s’est assuré de lui redonner après notre… entrevue dans
la classe.
« Elle est folle ? », grogne Gage, ses yeux gonflants. « Sérieusement Rhett, comment
on va pouvoir la sortir de là avant qu’il ne soit trop tard ? ».
Ma poitrine me fait mal, tout comme mon aine. Un simple regard vers elle et je meurs
d’envie d’en avoir plus. Rien qu’elle et moi sous les draps, pour que je puisse goûter et
sentir chaque centimètre d’elle, jusqu’à ce qu’elle me rende tellement accro que je
dépérisse sans elle.
Le retour d’Elly soulève un gros problème auquel je ne suis pas préparé. Si elle ne
part pas, que pouvons-nous faire pour assurer sa sécurité ? Elle compte tellement pour
nous, et si Kevin le découvre, elle sera la première personne à qui il s’en prendra. L’odeur
du danger me pique les narines à chaque fois que j’entre dans notre maison, à chaque
fois que j’entends le nom de Kevin. L’air s’épaissit à chaque fois que je le vois, chaque
fois qu’il sourit et qu’il me serre la main.
Il ne nous laissera pas reprendre l’affaire de whisky, je le sais. C’est pour ça qu’il
fourre son nez partout, il cherche nos points faibles. Il veut prendre tout ce qu’il y a de
bon dans nos vies – il prendra aussi Elly s’il se rend compte de ce qu’elle représente pour
nous.
Nous la regardons se diriger directement à l’intérieur le lycée. Aucun de nous n’arrive
à croire la résilience de cette femme. C’en est presque effrayant. Je commence à penser
que c’est Kevin qui pourrait avoir des ennuis s’il s’en prend à elle, pas Elly.
« Elle est comme un cafard. Je vous parie qu’elle survivrait à une apocalypse ou
deux », dit Kellan.
J’envoie immédiatement un message à Prestley pour lui dire de passer à la deuxième
partie de notre plan. Elle me répond avec un émoji faisant un clin d’œil. Si Elly pensait
qu’elle balayerait ça d’un revers de la main, elle peut s’attendre à autre chose. Je déteste
la faire souffrir ainsi, mais plus elle insiste, plus je devrai être vicieux, aussi regrettable
que ce soit.
« Je vais être honnête, c’est ce qu’il me reste contre elle », dis-je en regardant mon
téléphone. « C’est notre dernier essai. Si elle ne part pas après ça, alors… je ne sais pas.
Nous devrons penser à une stratégie différente. »
Kellan et Gage sont conscients de qui est sur le point de se passer, ils sortent donc de
la voiture. Même si je le déteste, je dois également être là-bas avec eux. Elly doit nous
voir tous les trois. Pour comprendre qu’elle n’aura pas la paix en restant ici. Trinity High
n’a pas de limites, tant que Kevin est en vie, qu’il respire et complote pour détruire notre
famille.
ELLY

JE N’Aİ aucune idée de ce que je fais ici, mais l’excuse de la migraine ne m’a permis de
rester chez moi que pendant deux jours. Si j’avais passé une autre journée au lit avec
une « migraine paralysante », ma mère m’aurait emmenée à l’hôpital pour passer une
IRM. Mais ça va. J’ai eu le temps de réfléchir. De comprendre exactement où me
positionner face à Rhett, Kellan et Gage.
Ce qu’ils ont fait est impardonnable, mais je ne les laisserai pas gagner – j’ai été
claire sur ce point bien avant l’incident de la salle de classe. Mes reins me font encore
souffrir à cause de ce fils de pute, mais je ne lui donnerai aucune satisfaction. Si
quelqu’un au lycée veut se moquer de moi, il peut y aller et se défouler. L’année
prochaine, je serai inscrite à l’université et très loin de cette ville de merde.
Je me suis donnée à Rhett, je me suis ouverte à lui de tellement de façons… Quelque
chose en moi s’est brisé lorsque j’ai pris conscience de ce qu’il avait fait. Je suis paralysée
de l’intérieure, et ça va peut-être être ma façon de survivre à cette jungle de banlieue
impitoyable.
Leur Range Rover est garée à côté de l’école. Je peux apercevoir leurs visages
choqués à travers le pare-brise. Ouais, ils ne s’attendaient pas à ça. Parfait. Je garde la
tête haute en entrant dans le lycée, me préparant à toutes sortes de réactions violentes.
Dès que je pose un pied à l’intérieur, les gens commencent à me remarquer. Je suis
en avance, la foule doit encore arriver et se bousculer, mais il y a suffisamment d’élèves
autour de moi pour que je me sente mal à l’aise. Je suis barbouillée à cause de leurs
regards – un mélange d’intrigue et de dégoût. Cette attitude moralisatrice est écœurante,
c’est le moins que l’on puisse dire, spécialement parce que plus de la moitié des filles qui
me regardent et me jugent en ce moment ont probablement perdu leur virginité derrière
des gradins.
Néanmoins, je continue d’avancer, concentrée pour atteindre mon casier. Après le
coup de la salle de classe, je doute que les têtes brûlées aient prévu autre chose. Ils
espéraient m’atteindre enfin. Eh bien, qu’ils aillent tous les trois se faire foutre, parce que
je suis encore là.
J’entends des rires à ma droite. Je tourne ma tête en suivant la source. Les reines de
beauté se tiennent devant le tableau d’affichage et gloussent. D’autres se rassemblent
autour d’elles, tendant leurs cous pour mieux voir, avant de rire à leur tour. Mon instinct
me dit très vite que je voudrais peut-être voir ce qu’ils trouvent si amusant.
Comme si elle sentait mon approche, Prestley jette un œil par-dessus son épaule.
« Tu es une sacrée star Eleanor. Mais j’aurais pensé que tu étais du style à porter des
culottes de grand-mère », dit-elle.
Elle recule pour que j’ai une vue d’ensemble sur la source de leur amusement – le
tableau d’affichage.
Une culotte y est épinglée, au-dessus de diverses annonces du lycée et listes de
softball. C’est la mienne. Rhett l’a récupérée quand il m’a faite monter au ciel puis qu’il
m’a dégagée.
Mes jambes sont faibles. Rappelle-toi, Elly. Tiens le coup.
Je ne peux montrer aucune émotion. Rien du tout. Il n’y a pas de professeurs en vue,
donc tout le monde se sent assez à l’aise pour se moquer de moi. J’ignore complètement
Prestley et me rapproche du tableau d’affichage. Un post-it jaune est accolé à ma culotte.
« Appartient à Eleanor Fox », dit la note.
En un instant, toute ma détermination s’effondre. Brique par brique, mes défenses
volent en éclat, alors que le feu m’emporte, me brûlant de l’intérieur et détruisant à
nouveau mon cœur. Toute la maîtrise de moi-même que j’ai pratiquée jusque-là, tous les
exercices de respiration, les pensées positives… tout cela s’est envolé dans un nuage de
fumée noire, et j’étouffe.
Mes yeux piquent. Je n’arrive pas à croire qu’ils aient réussi à aller si loin. Ça ne
semblait pas possible.
« Elle est à toi, Eleanor ? », l’un des footballeurs ricane en prenant ma culotte du
tableau d’affichage. Ils rient tous lorsqu’il la lance. « Je me demande où est-ce que tu en
as laissé d’autres. »
« Nous pouvons organiser une chasse aux œufs de Pâques », dit Prestley, les bras
croisés. « Seulement, nous chercherions les sous-vêtements d’Eleanor. Le gagnant gagne
une pipe par notre pute star, ici présente. »
Je me fige, mes muscles sont raides et paralysés. Rhett se tient à quelques mètres
derrière elle. Kellan et Gage sont plus loin sur le côté, ils gardent leur distance. Ils ne
semblent pas contents du tout, ce qui est plutôt intriguant, puisque ce sont eux qui ont
planifié tout ça. Ils s’attendaient peut-être à ce que plus de personnes se pointent avant
que j’atteigne le tableau d’affichage. Ils voulaient peut-être un plus gros spectacle.
Alors que la rage me saisit à la gorge, je craque. Je leur donne le spectacle de leurs
vies. Je me fiche des conséquences, je me fiche de tout et je concentre d’abord mon
attention sur Prestley. Ce sourire narquois doit disparaître. Je pivote mon poing gauche et
lui donne un coup dans la mâchoire. Elle crie de douleur en tombant sur le côté.
Les autres s’exclament, choqués, tandis que Sarah et Tandy essaient d’aider Prestley
à se relever. Mais je n’ai pas encore fini. Je donne au sportif un coup de pied dans les
couilles et lui prend la culotte des mains. Il s’écroule au sol en position fœtal, respirant
fortement de ce que j’assume être une douleur abrutissante. Je ne leur donne maintenant
qu’un simple morceau de ce que je ressens.
Quelqu’un me tire les cheveux et je grogne car ma tête est tirée d’un coup sec en
arrière. Je me retourne rapidement et je donne des coups de poings à gauche, à droite
jusqu’à ce que je me libère à nouveau. Sarah tombe, son nez saigne. Ça tourne vite en
bagarre, puisque Tandy et quelques autres essaient de me faire tomber. Mais je ne les
laisserai pas. Je donne des coups de pieds et de poings, et je crie comme un animal en
faisant tout sortir. Toute la colère, toute la douleur et toute la misère qu’ils m’ont causée.
Je me suis tellement efforcée de les réprimer, alors que libérer le mal en moi aurait été
beaucoup plus satisfaisant. Plus sain, même.
Quelqu’un me donne un coup sur le côté. J’attrape une queue de cheval et la tire de
toutes mes forces. Tandy crie alors que j’enfonce mon coude dans ses côtes. Une autre
fille me griffe le visage, et les égratignures me brûlent puisqu’elles déchirent ma peau. Un
sifflement retentit dans le couloir.
« Dégageons d’ici ! », crie Sarah.
Des bruits de pas grondent autour de moi et je ne peux voir que du blanc alors que je
commence à hyper ventiler. J’ai dépassé les bornes et je ne sais pas comment revenir en
arrière. L’agitation monte et je ne peux plus différencier les gens. Je tiens ma culotte et
continue à donner des coups de poings autour sans direction particulière, jusqu’à ce que
quelqu’un m’attrape et m’éloigne.
« Lâchez-moi », je grogne.
« Arrêtez ! », aboie un des agents de sécurité de l’autre côté du couloir. Finalement, le
personnel du lycée répond à la putain de bagarre que je viens de déclencher.
« Lâchez-moi ! », dis-je, mais des bras fermes sont bloqués autour de ma taille, et je
ne peux plus sentir le sol sous mes pieds. Je suis transportée à l’écart et emmenée
dehors par l’une des sorties d’urgence.
La porte claque derrière nous. « Putain, lâchez-moi ! ».
« C’est bon ! », la voix de Rhett me choque.
Je deviens molle sous son emprise, mon cœur logé quelque part entre ma poitrine et
ma gorge. Il me lâche, mais je ne peux pas tenir correctement debout. Ma joue pique,
mes côtes me font mal et mes jambes sont des ficelles. J’ai le souffle coupé. Mon âme est
brûlée. J’ai laissé sortir toute ma colère, et il ne me reste plus rien pour fonctionner.
« Qu’est-ce… », je peux à peine m’entendre, alors que j’essaie de donner un sens à ce
qui vient de se passer.
« Je suis désolé », dit Rhett. « Je suis vraiment désolé, Elly… Je suis désolé. »
Je cligne plusieurs fois des yeux, essayant de discerner sa silhouette. Il se tient juste
devant moi, mais tout est flou. Il sort un petit paquet de mouchoir. Son sac en
bandoulière tombe sur le sol en béton. Les oiseaux chantent dans un arbre à côté, et la
tranquillité est d’autant plus déroutante.
« Je suis vraiment désolé », dit-il à nouveau, d’un ton tremblant et cassé. J’entends le
bouchon d’une bouteille d’eau se dévisser et le crépitement de son corps en plastique. Le
béton à mes pieds s’assombrit à mesure que l’eau s’y renverse. Rhett presse doucement
un mouchoir humide contre mon visage, et j’apprécie la sensation de fraîcheur contre les
griffures chaudes.
« Oh… ça fait du bien », je murmure et attrape la bouteille de sa main, versant le
reste de son contenu sur mon visage. Ma peau crépite, et je peux à nouveau voir
clairement.
Je n’hallucinais pas. Rhett est bien ici, avec moi, son sourcil froncé, tandis qu’il
continue de s’excuser. « Je suis désolé Elly. Je… je suis désolé. »
Pendant un moment, je songe à la signification de tout ça. Il m’a sortie de
l’accrochage dont il est, en pratique, responsable. Il a exposé ma culotte pour que tout le
monde la voit après m’avoir humiliée devant toute la classe – et tout le lycée, d’ailleurs.
Aussi amoureuse que je sois de lui, je ne peux pas… Je ne peux pas le laisser
m’amadouer. Ça pourrait être une nouvelle combine. Et même, par-dessus tout, il ne
mérite pas mon pardon.
Je lui jette ma culotte au visage. Il l’attrape, son regard prit entre la dentelle douce et
mon regard. Je lui jette également la bouteille en plastique vide. Elle rebondit sur son
torse large.
« Va te faire foutre », dis-je sans ménagement. « Va crever en enfer. Ve te faire
foutre avec Kellan et Gage, tant que nous y sommes. Allez vous faire foutre tous les
trois. »
En m’éloignant de lui, je prie les dieux pour que je puisse retourner à l’intérieur toute
seule. Je dois de récupérer mon sac à dos de l’entrée où il est tombé, et je dois trouver
une bonne excuse pour ce qui vient se passer. Même s’il n’y a pas de meilleure excuse
que la vérité. Le harcèlement est mal vu ces derniers temps, et ils m’ont tous poussée
bien au-delà de mes limites. Il est temps d’impliquer les autorités et de voir à quel point
les garçons Flanagan aiment la publicité.
« Elly, attends », Rhett essaie de me rattraper mais je donne un autre coup de poing,
ratant de peu sa mâchoire. « S’il te plait ! ».
« Quelle partie de "va te faire foutre" n’est pas entrée dans ta grosse tête ? » je
grogne. « Ne me touche pas ! Laisse-moi tranquille ! ».
« Je ne peux pas » dit-il, une fois qu’il a bloqué ses bras autour de mon buste. Je suis
presque écrasée contre lui, mon souffle coupé. J’essaie de me libérer en me tortillant,
mais je ne peux pas. Il me serre trop, et je suis bien trop fatiguée pour me battre. « Je
suis désolé… ».
« On dirait un disque rayé. »
Je ne peux pas le regarder. Je suis effrayée. Si mes yeux trouvent les siens, je suis
foutue. Je ne pourrai plus me contrôler, et mon mépris de moi atteint déjà des niveaux
astronomiques en ce moment. Il m’a rendu si faible. Si pitoyable. Et maintenant, il ne me
laisse pas partir. Rhett est l’incarnation du sadisme.
« C’est parce que je n’ai rien de de mieux à offrir », répond Rhett en comprimant toute
sa force d’un seul bras, afin d’utiliser sa main libre pour caresser doucement mon visage.
« Je suis désolé, Elly. J’ai été horrible. Nous avons été horribles, et tu ne mérites rien de
toute cette merde, je t’ai poussée trop loin… Je ne peux plus le supporter… Je suis
désolé. »
Quelque chose de chaud coule sur ma joue, son visage est si proche du mien alors
qu’il me tient fermement. C’est une larme, mais pas la mienne. Ses yeux sont fermés. Il
pleure. Il me serre dans ses bras et pleure, et je ne sais plus quoi penser. Je suis
tellement confuse, putain…
« Qu’est-ce qui se passe ? », je parviens à dire, non plus debout mais penchée sur lui.
Une partie de moi a tout abandonné, et me corps s’éteint. Je suis molle et dépend
uniquement de la prise de Rhett. Mon instinct me dit de rester sur mes gardes, mais… ma
chair ne m’écoute pas.
Il passe une main dans mes cheveux. Il est si doux, si délicat quand il me touche. En
ouvrant ses yeux, Rhett dépose un doux baiser sur ma joue bleutée. « Je suis désolé,
Elly. »
Je fonds. À nouveau. « Je ne comprends pas… ».
« Je sais, et j’aimerais pouvoir tout expliquer, mais c’est trop dangereux. Aussi
étrange que ça puisse paraître, tout ce que j’ai fait, c’était dans le but de te protéger »,
dit Rhett.
Il a raison. Ça paraît étrange, et la douceur de son étreinte est suffisamment traître
pour réanimer une partie de moi que je croyais avoir laissée dans le couloir plus tôt. Je
retrouve la force dans mes jambes et m’écarte doucement.
« De quoi tu parles ? », je demande, ma voix basse et glacée.
« Tout ça », répond Rhett, montrant autour de nous. « C’est… C’est un acte stupide
parce que nous ne pouvions pas trouver un moyen de te protéger. Je… J’aurais dû faire
preuve de plus de discernement. Tu es trop butée, trop courageuse, putain, pour ton
propre bien. Et tout ce que j’ai fait, c’est te faire souffrir. »
Je n’arrive pas à comprendre le sens de tout ça, mais je suis encore capable de
percevoir une information clé.
« Tu m’as harcelée, tu m’as humiliée irrémédiablement parce que tu cherchais à me
protéger ? », je marmonne, en essayant de me faire à l’idée. Il hoche doucement la tête.
Pendant une fraction de seconde, je suis à nouveau séduite par ses cheveux espiègles
et ses yeux noisette. Je me souviens de la sensation de lui à l’intérieur de moi, et ça me
picote la peau. Puis je repère ma culotte par terre et toutes les belles choses s’envolent
comme une rêverie fragile.
« Tu es bidon, Rhett. »
Il secoue sa tête. « Je te dis la vérité. »
« Alors dis-là en entier cette putain de vérité ! », je crie.
Ses épaules tombent, un regard peiné s’installe dans ses yeux. « Je ne peux pas. Nous
devons te protéger. »
« Nous ? Comme toi, Kellan et Gage ? ».
« Oui. »
« Alors, de nouveau, allez vous faire foutre tous les trois ! », je réponds. « Je ne crois
absolument pas à ces conneries. Tu… Je me suis donnée à toi dans cette putain de salle
de classe. Rhett, je t’ai donné mon cœur sur un plateau… Je t’ai donné tout ce que j’avais
en moi, depuis le début de ce camp de vacances. Ma confiance, mon amitié, ma loyauté…
Mon amour… et tu as tout piétiné. »
« Elly, s’il te plait », dit-il, s’approchant pour me toucher à nouveau.
Je repousse sa main. « Ne t’approche pas de moi. Je ne te crois pas. C’est encore un
de tes jeux dégueulasses. Je parie que quelqu’un est en train de nous filmer, prêt à
mettre ma tête sur Pornhub. Va te faire foutre… »
J’essaie de m’éloigner à nouveau, mais il attrape mon poignet. Tout se passe si vite
que je n’ai même pas le temps de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Il prend ma tête
dans le creux de ses mains et m’approche pour m’embrasser, une lumière explosant dans
mon cerveau. Ses lèvres sont si douces…. Et tremblantes, tandis qu’il glisse sa langue à
l’intérieur. Son goût est exquis. Rhett est dangereusement addictif. C’est peut-être que
ressentent les accros au crack lorsqu’ils prennent leur dose.
« Je suis désolé », murmure-t-il, ses lèvres bougeant contre les miennes.
Mon esprit s’élargit un moment, alors que je sens la force revenir brusquement et le
gifle. Je l’ai enfin. Avec Gage, ça fait deux. Il ne reste qu’un plus qu’un enfoiré briseur de
cœur. Rhett est choqué. Je l’ai surpris.
« Ne. T’approche. Pas. De. Moi », dis-je à nouveau, espérant qu’il l’enregistre cette
fois-ci. Je le laisse dehors et me glisse à l’intérieur, prudente en me dirigeant vers
l’entrée. La sonnerie a dû retentir parce qu’il n’y a personne ici. Mon sac est juste sous
mon casier. En regardant autour, je m’assure que la voie est libre avant de me précipiter
et l’attraper, remarquant quelques gouttes de sang froid sur le sol, ainsi qu’un des faux-
cils de Prestley.
À la surprise générale, j’entre en cours. Le prof, un Monsieur Wilkes trapu et doux, me
jette un regard noir depuis son bureau – le fameux bureau où Rhett m’a prise. Merde, je
ne pourrai plus jamais regarder ce meuble particulier sans me souvenir de ce moment
chaud alléchant. Et sa fin brûlante.
« Mademoiselle Fox. Vous êtes en retard », dit Monsieur Wilkes.
Je hoche doucement la tête, et constate que Prestley, Sarah et Tandy ne sont pas
présentes. Kellan et Gage me regardent bouche-bée, comme s’ils venaient de voir un
fantôme. Les autres sont tout aussi surpris de me voir ici… mais pas Kyle. Non, Kyle
m’attendait, d’une certaine façon, souriant gentiment en me faisant signe de venir
m’asseoir derrière lui.
« Je suis désolée, Monsieur Wilkes », je réponds. « J’ai eu un petit incident en venant
jusqu’ici. »
« Cela aurait-il un rapport avec la bagarre de tout à l’heure ? » demande Monsieur
Wilkes. Je secoue ma tête.
« Non, Monsieur. J’ai glissé, c’est tout. »
Il fronce les sourcils, m’observant à travers ses lunettes demi-lunes. « Vous vous
sentez bien ? »
« Oui, Monsieur. Seulement quelques égratignures. »
Et une côte cassée, c’est certain. Ça me fait un mal de chien… « Puis-je simplement
m’asseoir? » je lui demande.
« Allez-y », marmonne-t-il, puis il reprend le cours.
D’après ce que je peux entendre en rejoignant ma place, nous étudions les principes
de la macroéconomie aujourd’hui, ce qui est le sujet parfait pour me permettre de
m’asseoir et me laisser distraire par ce qui vient de se passer avec Rhett derrière le lycée.
Parce que rien de tout ça n’a de sens.
Je suis encore plus perdue maintenant que je ne l’étais ce matin, ou peu après avoir
fui le lycée sans ma culotte, embarrassée au-delà de l’imaginable. Rien n’a de sens, et les
excuses incessantes de Rhett n’ont rien arrangé non plus.
« Ça va ? » me murmure Kyle alors que je me glisse dans ma chaise. Gage et Kellan
me regardent avec des yeux de lynx, mais quelque chose est différent. Je le vois dans
leurs yeux. La rudesse a disparu. Elle est remplacée par une autre forme d’obscurité, que
je n’arrive pas à comprendre. Ils doivent savoir ce que Rhett a fait plus tôt.
L’avaient-ils planifié ?
« Ouais », je chuchote en regardant Kyle. « Merci. »
« Tu es sûre ? ».
Je souris. « Positif. »
Quoi qu’il se passe ici, je ne me laisserai plus entraîner dans tous ces types de merde.
Si Prestley veut à nouveau m’attaquer, je la frapperai jusqu’au sang et j’enverrai tout le
monde chez le principal. J’impliquerai la police. Je ferai tout ce qu’il faut pour leur
montrer qu’ils ne peuvent pas se moquer de moi et s’en tirer si facilement.
Mais qu’est-ce voulait dire Rhett par ses propos ? Qu’est-ce que je suis censée faire de
ses excuses, après tout ce qui s’est passé, s’il ne me dit pas toute la vérité ? Comment
m’assurer qu’il n’est pas encore en train de me manipuler ?
Les plaies de mon âme sont encore à vif et saignent. Je ne peux pas revivre ce qui
s’est passé ce matin devant le tableau d’affichage. Je ne peux pas. Je suis fatiguée…
Plus rien n’a de sens.
ELLY

POUR LA PREMİÈRE fois depuis des semaines, j’ai un sentiment étrange de paix qui me
maintient hors de l’eau.
Kyle et moi sommes en train de nous empiffrer d’un yaourt glacé chez Mary Sue, un
petit café chic tout près de Trinity High. C’est habituellement bondé après le lycée, mais
c’est mon jour de chance, si on oublie que j’ai dû récupérer ma culotte sur le tableau
d’affichage. Il n’y a pratiquement personne autour, Kyle et moi avons donc le temps de
nous attarder sur les saveurs que nous allons prendre, tandis que Mary Sue, la
propriétaire et serveuse experte en yaourt glacé de ce petit établissement de bon goût,
reste à côté de la caisse, occupée avec les prix de certains menus. Les évènements de ce
matin sont encore surréalistes, mais je pense comprendre un peu mieux les choses.
« Elly, tu ne peux pas sérieusement penser à pardonner à ces connards pour ce qu’ils
t’ont dit et ce qu’ils t’ont fait », me réprimande Kyle, qui a, d’ailleurs, toutes les raisons
d’être irrité à ce sujet.
« Je n’ai pas dit ça. Je dis juste… que ça a davantage de sens à présent que ça n’en
avait il y a quelques semaines. Ou qu’il y a deux jours, d’ailleurs. »
« Franchement, je suis encore choqué que tu aies laissé Rhett s’approcher autant de
toi », soupire-t-il, en fixant un pot de fraise et de crème dans la vitrine frigorifiée. Mary
Sue propose environ trente saveurs à vendre, et étant donné que c’est ma première fois
ici, j’ai des difficultés à choisir les plus parfaites pour une telle occasion. Je sur-analyse
les parfums de yaourts glacés. C’est dire à quel point j’ai sombré.
« Tu sais mieux que quiconque ici pourquoi je l’ai fait. Pourquoi… nous l’avons fait »,
je murmure. J’ai raconté à Kyle à peu près tout du camp de vacances, même si j’ai laissé
quelques événements ultérieurs dans l’ombre, n’étant pas sûre qu’il comprendrait. Kyle
dit qu’il est très ouvert d’esprit, mais je sais qu’il a ses limites. Tant que je ne les connais
pas, je garderai pour moi les évènements suivants. « Je pensais que Rhett était
différent… ».
« Il ne l’est manifestement pas. »
« Et ils veulent que je quitte la ville, ce que je ne comprends vraiment pas. Ça doit
avoir quelque chose à voir avec l’excuse énigmatique qu’il m’a donnée ce matin, mais il
ne voulait pas m’en dire plus, donc je ne peux que spéculer. »
Kyle m’observe. « Comment tu te sens vis-à-vis d’eux, maintenant ? Honnêtement,
Elly. »
« Je… Je ne sais pas », je souffle profondément, pointant la saveur du melon. « Je
vais commencer par une boule de melon, puis que je monterai dans l’échelle des
saveurs… »
Comme si elle y avait été invitée, Mary Sue se glisse derrière la vitrine frigorifiée et
prend une partie du tourbillon vert et jaune pâle, la déposant dans un petit pot mignon
avec des personnages de dessin-animé imprimés sur le côté. « Je vais prendre l’ananas,
s’il vous plaît », dit Kyle, puis me regarde en fronçant les sourcils. « Qu’est-ce que tu veux
dire quand tu dis que tu ne sais pas ? ».
« Je veux dire que je ne sais pas », je riposte. « C’est difficile de les haïr, même après
ce qu’ils m’ont fait. Je pense que l’excuse de Rhett m’a vraiment touchée. Il semblait
sincère… ».
« Ne semblait-il pas sincère lorsqu’il t’a pris sur le bureau du prof dans notre salle de
cours ? ».
Ça fait mal. C’était un coup bas, et Kyle le sait. Je n’ai pas besoin de dire quoi que ce
soit pour qu’il baisse sa tête de honte en se dirigeant vers la caisse. Il paye puis récupère
les pots et les apporte.
Nous nous installons devant l’une des fenêtres, alors que le soleil se couche au-delà
du quartier aux couleurs pastel des maisons à deux étages de la classe moyenne
supérieure et des boutiques bien tenues.
« Je suis désolé », murmure Kyle. « Je n’aurais pas dû… ».
« Tu aurais pu choisir de meilleurs mots pour cette vérité particulière », je l’admets,
en goûtant mon choix de parfum de yaourt glacé. C’est délicieux et rafraichissant, un
remède pour presque tout. Ce lieu va bel et bien devenir ma zone de confort, à l’avenir.
Je ne partirai pas de Trinity sans avoir goûté tous les parfums que propose Mary Sue.
« Mais tu as raison. Je lui ai fait confiance à ce moment-là. Je n’ai donc aucune raison de
lui faire confiance maintenant. Seulement… ».
« Un pressentiment, hein ? ».
Je lui jette un coup d’œil. Il sourit, mais je n’ai jamais vu ce sourire avant. Il est
chargé d’une tristesse qui en dit long, comme s’il comprenait précisément pourquoi je suis
excessivement confuse.
« Ouais », je réponds. « Je te jure. Quelque chose me dit qu’il ne me mentait pas.
Qu’il y a bien plus derrière tout ce harcèlement illogique que ce que nous avons vu
jusque-là…. Je veux dire, et si tout ça avait été élaboré pour m’éloigner et me protéger,
d’une manière ou d’une autre? »
« Te protéger de qui ? » demande Kyle, légèrement confus.
« Tu ne me disais pas qu’ils étaient de la mafia ou du genre ? Un gros clan d’irlandais
et toutes ces conneries ? ».
Il s’immobilise, son front se tend soudainement comme s’il quelque chose venait de
faire sens et que la vue d’ensemble était enfin claire. « D’accord. Oui. C’est possible »,
dit-il. « Mais tu devrais définitivement essayer de leur en parler, Elly. Ne lâche rien
jusqu’à ce qu’ils te disent la vérité. »
Je ne peux pas m’empêcher de glousser, la violence de ma voix se faufile sans que je
m’en rende compte. « Regarde toi… jusqu’à il y a encore une heure, tu me disais de
changer de lycée et de m’éloigner de ces monstres… Maintenant tu veux que je fasse
précisément ce que tu as insisté pour que j’arrête de faire. Tu es une contradiction
ambulante, Kyle Perry. »
Il hoche légèrement la tête. « Les circonstances changent. Les gens changent. Tu l’as
dit toi-même. Si tu es convaincue que ce que tu as vécu avec ces mecs l’été dernier était
sincère, et que tu es sûre que Rhett te disait la vérité ce matin, alors tu devrais à coup
sûr avoir l’entière explication. Ensuite, tu pourras peut-être aller de l’avant… Je ne sais
pas. »
La clochette retentit quand la porte s’ouvre. Mon estomac se serre lorsque je vois
Rhett, Kellan et Gage entrer. Ils me voient mais ne disent pas un mot et se dirigent
directement vers Mary Sue et sa vitrine de yaourts glacés.
« Salut, Mary Sue. Tu es toujours aussi belle », dit Rhett, dégainant un sourire fringant
et débonnaire.
Mary Sue a la quarantaine, mais elle rougit et glousse encore comme une minette de
collège lorsqu’on la complimente de la bonne manière. « Quel charmeur tu fais… ».
« Ce n’est pas notre faute si vous êtes superbe », intervient Gage, passant un bras
autour des épaules de Rhett. Ils ont l’air si décontractés et insouciants. Je commence à
croire qu’ils ont une sorte de trouble de dédoublement de la personnalité, parce qu’ils
passent de la gentillesse et la douceur à de vraies bêtes en une seconde, et c’est assez
difficile à suivre.
Ils commandent leurs pots et s’installent à une fenêtre opposée à la nôtre. Je sais
qu’ils peuvent encore nous entendre. L’acoustique de ce lieu est assez mauvaise. Gage
est le premier à regarder dans ma direction, tandis que Kellan et Rhett vérifient leurs
téléphones.
Je l’ignore et me concentre sur mon pot à la place.
« Ce n’est pas normal », dit Kyle. « Tu penses qu’ils t’ont suivi jusqu’ici ? Je devrais
peut-être partir pour que tu puisses leur parler ? ».
En levant un sourcil vers lui, je me moque. « Tu plaisantes, n’est-ce pas ? ».
« Non… Tu viens de dire que tu voudrais connaître la vérité. Peut-être que… ».
« Kyle, ne t’avise surtout pas de me laisser seule ici », je siffle, me penchant en avant.
« Je profite d’un yaourt glacé au melon avec mon ami. Si les trois compères veulent me
parler, ils ont mon numéro. Ils ont aussi des jambes qu’ils peuvent utiliser pour venir
jusqu’ici. Comme tu peux le voir, ils sont bien mieux à ruminer dans leur coin. Qu’ils
aillent se faire foutre. »
Kyle ne sait plus où se mettre, car j’ai parlé un peu trop fort. Ça me fait glousser.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as peur qu’ils nous entendent ? », je demande en
élevant ma voix. Mary Sue jette un œil dans ma direction, mais elle se retourne
rapidement et disparaît au fond avec quelques pots vides en inox à remplir.
« Elly, ne… ».
« Qu’est-ce qu’il y a, Kyle ? », dis-je, très fort cette fois, afin que chaque âme dans le
café puisse m’entendre, y compris les têtes brûlées. « Tu crois que je me soucie de ce
qu’ils pensent ? Nan. Je pense que Rhett, Kellan et Gage peuvent aller se faire foutre. J’ai
également été très claire à ce sujet ce matin. Qu’ils aillent se faire foutre. En ce qui me
concerne, je les emmerde jusqu’à Trinity et jusqu’à la planète Terre. »
Je m’attire des regards noirs de la part des têtes brûlées, mais la poussée
d’adrénaline est tellement agréable, que c’est comme si j’étais possédée et je ne pouvais
plus me contrôler. À l’inverse, Kyle est livide et ne souhaiterait rien de d’autre que le sol
s’ouvre en dessous et nous aspire tous les deux.
Mais l’univers est un chaos et d’une violence abrutissante, et je m’apprête à surfer
l’une de ses vagues les plus turbulentes, mon esprit s’emballe dans un engrenage que
j’avais oublié.
« C’est bon, Kyle ne t’inquiète pas », j’ajoute, en m’assurant d’être encore entendue.
« Au lycée, ils sont sur leur territoire. Ils peuvent harceler et être des sacs à merde
jusqu’à ne plus respirer. Mais ici, nous sommes dans un lieu public. Dans un
établissement adorable. Je sais qu’ils n’oseraient rien faire de stupide car – et corrige-moi
si j’ai tort, mais étant donné leurs liens avec la mafia, ils ne pourraient pas se permettre
d’attirer l’attention de la police, n’est-ce pas ? ».
« Oh, mon Dieu, Elly », halète Kyle, couvrant sa bouche alors qu’il me regarde bouche
bée, n’en croyant pas ses yeux. À la table des têtes brûlées, je fais face à trois statues,
toutes aussi belles les unes que les autres, toutes confuses par la merde que je suis en
train de déglutir verbalement. Mais j’ai raison. À l’heure actuelle, l’un d’eux m’aurait déjà
cassée la figure. À la place, ils sont assis ici, à la fois furax et ahuris, alors que je suis là,
à bien leur faire comprendre que j’en ai fini avec leurs conneries.
« La vérité n’est pas agréable à entendre, je sais », je réponds, avec un sourire
narquois dirigé vers les têtes brûlées. « Mais c’est bien plus libérateur que les
mensonges, les secrets et les non-dits. Vous devriez essayer, un jour. »
Kyle prend ma main dans la sienne et la serre fermement. « S’il te plait, arrête… ».
« Tu as peur ? » je lui demande, mon ton soudain bas et glacé. J’apprécie réellement
ce côté imprévisible chez moi. C’est la preuve que je devrais le laisser s’exprimer plus
souvent. C’est grâce à lui que je gagne chaque débat auquel je participe. En parlant de
ça, je devrais rejoindre l’équipe de débat du Trinity High et terminer par un score
exemplaire avant de candidater à l’université. Rien n’a changé. Je me dirige encore vers
le ciel et personne ne me fait tomber.
« Je m’inquiète pour toi », dit Kyle.
« Tu ne devrais pas. La seule raison pour laquelle je les ai laissés aller si loin avec
leurs magouilles, c’est parce que je ne comprenais pas leur motivation. À présent, je m’en
fiche. » Je mens. Je ne suis pas indifférente. Mais je veux que personne ne le sache.
Montrer ma force m’emmènera plus loin que tout le reste. J’ai déjà bien fait
comprendre aux reines de beauté que je ne serai pas leur punching-ball. Il est temps que
les têtes brûlées le comprennent aussi.
« Kyle, tu me fais confiance ? », je murmure, une pensée diabolique se glissant dans
mon esprit effiloché mais remarquablement résistant. Il ne me fait pas confiance, mais
me donne quand même un bref signe de tête, espérant probablement que je ne le ferai
pas tuer. « Je veux que tu ries. Je veux que tu montres à toutes les personnes ici que tu
vis le meilleur moment de ta vie. Après l’épisode du tableau d’affichage, personne ne
mérite de voir ne serait-ce qu’un froncement de sourcil sur mon visage, et j’aurais besoin
de ton aide pour m’aider à appuyer ce récit en public. »
Il soupire. « Oh, tu seras bel et bien une putain de femme politique. »
« Tu es avec moi ou pas ? ».
Il sourit. « Jusqu’au bout, Elly. Pourquoi ne pas nous tenir la main et glousser comme
des colombes qui s’apprêtent à s’aimer en sortant ? Ça induira forcément les gens dans la
mauvaise direction, tu ne penses pas ? ».
Je suis impressionnée par son raisonnement rapide et sa capacité à s’adapter à
presque toutes les situations nouvelles. Je ne pense pas que Kyle prendrait un jour une
balle pour moi, mais je peux assurément utiliser ce tempérament flexible tant que nous
naviguons dans les eaux périlleuses de Trinity High.
Il prend ma main dans la sienne et nous quittons la table, saluant Mary Sue en
partant.
« Merci, Mary Sue », dis-je, rayonnante. « C’était le parfait endroit pour un premier
rencard merveilleux. »
Elle sourit avec toute la chaleur dont peut faire preuve un être humain, nous
regardant sortir. « Revenez bientôt, alors ! », crie-t-elle.
« Comptez sur nous ! », répond Kyle.
Et nous rions et échangeons des petites blagues, alors que les yeux de Rhett, Gage et
Kellan percent des trous dans ma nuque. Je les sens me regarder. L’air change de
composition lorsque nous arrivons dehors, ma colonne me picotant et ma peau me
titillant alors que je regarde rapidement par-dessus mon épaule.
Ils ne bougent pas. L’ombre traverse leurs visages. Oh, ils ne sont bel et bien pas
satisfaits de tout ça. Parfait…
Mon cœur blessé se sent seulement un tout petit mieux, alors que Kyle et moi nous
tenons la main en marchant dans la rue et en savourant le coup subtil que nous venons
juste de porter.
« J’espère vraiment que ça ne va pas t’attirer des ennuis avec eux. Merde, j’espère
que ça ne m’attirera pas d’ennuis avec eux », dit Kyle.
« Ils n’oseront pas te toucher », je réponds. « Ils ont compris mon message tout à
l’heure. C’est pourquoi ils sont aussi énervés. Ils savent que j’ai raison. Donc, à l’avenir,
s’ils osent venir vers moi, tout ce que j’aurais à faire c’est appeler le 911. J’apporterai tout
le drame possible à Trinity, s’il le faut. »
Nous nous arrêtons au croisement, prêts à se séparer. Kyle prend ma main dans la
sienne, prend une profonde inspiration en me regardant. « Quoi qu’il arrive, je veux que
tu fasses attention, Elly. Ils sont dangereux. Plus je me renseigne sur leurs affaires, plus
les histoires que j’entends sont mauvaises. J’espère que tu sais ce que tu fais. »
« Merci, Kyle », je réponds. « Tout ira bien. »
Je mens à nouveau. Je ne suis pas sûre que quoi que ce soit se passe bien, mais
j’aurais tort de laisser les têtes brûlées continuer à me faire du mal. Ils ont trouvé mes
limites, mais ils ne s’attendaient sûrement pas à en voir les conséquences.
Ce que je n’ai pas dans la force brute et les relations mafieuses, je le compense par
l’esprit et l’intelligence. Même si ça me fait mal, je suis prête à admettre que malgré mes
sentiments pour Rhett, pour Kellan… et même pour Gage, ils ne m’auront pas.
Je ne les laisserai pas faire.
ELLY

JE PENSAİS que ma vie était dure et étrange, étant donné tout ce qui se passait. Il s’avère
que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En arrivant chez moi, je me retrouve
dans un tableau surréaliste et mouvant. Ma mère est là, et elle n’est pas seule.
« Elly ! Chérie ! ». Elle descend de la chaise de la cuisine, se précipitant pour
m’enlacer. « Comment s’est passée ta journée ? ».
J’adorerais lui répondre, mais je ne peux pas détourner mon regard du mec qui est
reçu avec un thé glacé et une tarte aux noix de pécan. Il a la cinquantaine et il est
incroyablement séduisant. Il est grand et svelte, mais avec des épaules de nageur, qui lui
donnent un air plus amorti. Ses cheveux sont coupés courts et de la couleur du miel. Ses
yeux sont d’un bleu inquisiteur qui me semble familier.
« Remarquable », je marmonne, fixant l’homme qui, à son tour, me regarde avec un
demi-sourire.
« Oh, c’est Connor O’Donnell », me dit ma mère. « Il dirige l’entreprise de sécurité en
charge de notre bijouterie. Je l’ai invité à prendre un thé et tout ça. »
« Tout ça ? », je demande, le ton plat.
Je sais qui il est, et toute sortes de sentiments me traversent comme des couteaux
chauffés à blanc. Connor O’Donnell est le père de Gage et je ne comprends pas comment
il a atterri chez nous. Est-ce qu’il me connaît ? Est-ce qu’il sait ce que son fils et ses
copains m’ont fait ? Fait-il également parti de la mafia irlandaise ? Je veux dire, son nom
ne pourrait pas être plus irlandais.
Chef d’une entreprise de sécurité. Quelles sont les chances que ce soit des exécutants,
hein ? De la famille criminelle des Flanagan, dont j’ai déjà baisé deux des descendants ?
Mon Dieu, je suis dans le pétrin à bien des niveaux, et la présence de Connor chez moi
n’arrange rien. Bien au contraire.
« La tarte est incroyable », dit Connor en se levant et tendant une main.
Je la serre, fermement, ce qu’il semble réaliser puisqu’il arbore un signe de tête
admiratif. « Oui, les pâtisseries de ma vie frisent le légendaire. Et donc, comment vous
êtes-vous rencontrés exactement ? ».
« Je t’ai dit. Connor dirige l’entreprise de sécurité… ».
« En charge de la bijouterie, oui, j’ai compris ça », dis-je en interrompant ma mère,
ma nature défensive plus forte que jamais. Sa présence ici pourrait être innocente mais
elle ne l’est pas. Seulement, je ne suis pas la seule à être en danger. Ma mère l’est aussi.
Et si les têtes brûlées font ça pour m’atteindre, je commence à me dire que déménager
de Trinity ne serait peut-être pas le mauvais choix, finalement. Je peux m’opposer à eux
autant que je veux, mais ma mère… Elle est innocente dans tout ça. « Mais comment
vous êtes-vous rencontrés ? Genre, au boulot ? Vous êtes tombés l’un sur l’autre ? Connor
t’a sauvée d’un voleur ? »
Ils gloussent tous les deux, et je réalise que la seule tension que je sens ici vient de
moi. Connor se rassoit sur sa chaise, tout comme ma mère. Je me verse un verre de thé
glacé mais ne les rejoins pas. Garder de la distance me donne un semblant de sécurité.
« Chaque mois, je rends visite à tous les commerces dont s’occupe mon entreprise de
sécurité », dit Connor. « J’aime avoir un compte rendu de la performance de mes
employés, parler aux responsables, voir comment nous pouvons améliorer nos services.
Tu sais, des trucs de la relation clients. »
« Oh, ouah. Vous êtes très impliqué, alors » je réponds. « Et pas seulement assis
derrière un bureau à aboyer des ordres aux gens. »
« Elly ! », s’exclame ma mère. Elle a toujours eu des problèmes avec ma franchise.
Mais en ce moment, je m’en fous un peu. J’ai besoin de comprendre ce que Connor fait
ici.
« C’est bon », la rassure Connor en me regardant. Je peux voir de qui Gage tient son
regard intense. C’est de famille. « Ça ne me dérange pas de me salir les mains, Elly. C’est
pourquoi je suis très bon dans ce que je fais. »
« Oh, j’en suis sûre », je marmonne. « Eh bien, c’est un plaisir de vous rencontrer,
Connor. Si vous voulez bien m’excuser, je dois aller courir… ».
« Tu cours ? », répond Connor. De nouveau, je ne sais pas s’il me demande pour
savoir quand m’attraper et me torturer à l’arrière d’une camionnette noire… ou s’il
cherche juste à faire la conversation avec la fille de la femme avec qui il souhaite sortir.
Je veux dire que ce n’est pas difficile de voir qu’il est attiré par ma mère. Il la regarde de
la même façon que Gage regardait Belladone. Et Breloques. Et… comment c’est… la
princesse de bal pom-pom girl… J’oublie son nom.
« Oui, parfois. C’est bon pour se libérer du stress et remettre mes pensées d’aplomb.
Vous savez, la routine », dis-je.
Ma mère me regarde. « Ne va pas trop loin, chérie. Dîner à dix-neuf heures, et Connor
se joindra à nous. »
« Pas de problème, compte sur moi. »
Je les salue brièvement et file en haut. En fermant la porte de ma chambre, je prends
de profondes inspirations, me demandant si je devrais écrire à Gage et lui demander
quelles sont les intentions de son père. Mais si je me trompe dans ses suspicions, et que
Connor est simplement intéressé par ma mère, je risque de faire entrer les têtes brûlées
dans des parties de ma vie personnelle et ça ne ferait que remuer toutes sortes de
merde. Non, il vaut mieux que j’observe toute la dynamique entre ma mère et Connor,
pour l’instant.
Mais je vais devoir parler de Connor à Kyle. Il pourra se renseigner sur lui auprès de
ses amis – quels qu’ils soient. Je pourrais également en apprendre davantage sur les
O’Donnell. Connor est bien trop séduisant pour être célibataire, j’aimerais donc bien
savoir comment il est arrivé à ma table de dîner.
Après avoir retiré mes vêtements de lycée, j’enfile mon short de jogging, ma brassière
de sport et un débardeur en coton. Je relève mes cheveux en une queue de cheval serrée
puis me dirige vers la fenêtre. Les mèches derrière ma nuque me chatouillent, vraiment
légèrement. C’est comme si j’avais un sixième sens, puisque Kellan est dehors, derrière le
volant de la Range Rover, levant les yeux. Il me voit et remonte directement la vitrine
teintée, mais c’est trop tard.
Je sais pertinemment qu’il est là. Je me demande également s’il sait que Connor est
là.
Il vaut mieux ne pas tenter le diable. Garde-les à distance, Elly, pour le bien de tous.
Je mets mes baskets et descends en bas. « Maman, je ne prends pas mes clefs, ni
mon téléphone donc surveille la sonnette ! », je crie depuis l’entrée.
« D’accord, chérie ! Sois prudente ! », crie-t-elle depuis la cuisine.
« C’est une putain de banlieue, maman, pas le sud du centre. Détends-toi ! ».
La porte claque derrière moi. Dehors, la Range Rover se trouve encore entre les
voitures des voisins. Elle se fond un peu mieux que la berline noire que Gage conduisait
lorsqu’il m’a suivie. Mais j’ai de nouveau des frissons le long de ma colonne et une
douleur familière dans le bas-ventre.
Kellan est à ma portée, mais je ne peux plus le toucher. Il ne mérite même pas une
larme, et pourtant je lutte chaque jour contre le souvenir de nous, au camp de vacances.
Je n’arrive toujours pas à faire concorder les deux versions de Kellan que j’ai rencontrées.
En expirant vivement, je pars faire mon footing, laissant la maison et Kellan derrière.
Mes muscles brûlent après un moment, des gouttes de sueur tombant sur mon visage
et mon cou. Je me ménage, respire de façon uniforme et je garde une vitesse stable en
passant dans le quartier. Le coucher de soleil projette des teintes roses et rougeâtres
dans le ciel. Le vent souffle légèrement à travers les orangers et les magnolias qui
bordent les rues.
C’est une jolie ville. Ce qui est dommage, c’est qu’elle semble être le foyer de trois
des créatures les plus compliquées et déroutantes que j’aie rencontrées. Et j’ai des
sentiments pour chacune d’entre elles. C’est tout simplement de la malchance, vraiment.
En secouant ma tête, je m’arrête une minute, inspire et expire alors que mon pouls
s’emballe et que ma peau est littéralement en feu. Je ne cours pas souvent, donc je suis
toujours endolorie après une session. Mes cuisses et mes mollets sont déjà tendus. La
douleur va rapidement commencer, mais j’y remédie toujours avec une douche chaude.
Un moteur au ralenti faire vibrer mes oreilles. Un son familier. En tournant la tête, je
repère la Range Rover à une dizaine de mètres, garée derrière une Prius – la voiture de
choix du quartier. C’est Kellan. Je lui fais un doigt d’honneur et reprends mon footing.
La Range Rover se déplace en restant tout près, derrière moi. Heureusement pour lui,
il n’y a pas beaucoup de trafic à cette heure, autrement il n’aurait pas été capable de
faire ça. Mais ça m’énerve. Il me suit et je ne peux pas le permettre. La panique devrait
peut-être aussi me gagner. Qui sait, il a peut-être l’intention de me rouler dessus car,
comme je l’ai dit plus tôt, il n’y a pas beaucoup de trafic. Ajouté à cela, la famille dont il
vient et je suis sûre qu’il pourrait s’en sortir en me fauchant et m’enterrant dans son
jardin.
« Putain ! », c’est la brave idiote en moi qui parle. Celle qui, de toute évidence, ne se
rappelle pas ce que signifie la peur, la prudence ou toutes ces merdes. Et certainement
pas la partie de moi qui réalisait à quel point il serait facile pour Kellan de s’en sortir en
me tuant. Pour des raisons étrangement morbides, c’est cette partie de moi qui gagne.
Je me mets au milieu de la route, le forçant à écraser le frein. Ok, donc me tuer ne
faisait pas partie du plan. Au moins, j’ai déjà compris ça. La Range Rover s’arrête à
quelques centimètres de moi avec un grincement léger. Kellan sort de la voiture,
complètement livide. « T’es complètement folle putain ?! » aboie-t-il.
« Dit le pisteur », je rétorque.
« Je ne te suis pas. J’étais simplement dans le quartier », dit-il. « Maintenant, dégage
de la route. »
« Dégage de ma vie, d’abord », dis-je sèchement. « J’en ai assez de tes conneries,
Kellan. Dégage ! ».
Il souffle, son regard fixé sur moi. Il m’est difficile de lire son visage à présent, mais
un muscle qui palpite nerveusement dans sa mâchoire me fait comprendre qu’il est
frustré. « Je ne peux pas. Je suis désolé », marmonne-t-il.
« Oh, donc c’est le jeu maintenant ? Des connards en public, et des petits chiots tout
doux en privé ? Sérieusement ? ».
Il fronce les sourcils. « Tu ne comprends pas, Elly. On t’a dit de fuir. »
« Parfait. Parce que c’est ce que font les gens normaux. Vous leur dites de fuir la ville
et ils le font simplement, sans questionner une demande aussi stupide. Arrête, Kellan »,
je grogne en levant les yeux au ciel.
« C’est compliqué, et plus tu en sauras, plus ce sera dangereux pour toi », insiste
Kellan.
Je lui fais un nouveau doigt d’honneur et je repars courir. Cette fois, cependant, je
prends l’une des rues perpendiculaires qui mène derrière le terrain de foot. C’est ombragé
et il fait frais le long de cette longue rue étroite, c’est parfait pour m’éviter la surchauffe,
puisque je suis sur le point de rentrer chez moi.
La Range Rover se range au coin de la rue derrière moi. Je jette un coup d’œil en
arrière, puis commence à courir plus vite alors que Kellan sort à nouveau de sa voiture et
claque la porte derrière moi.
« Oh, putain », dis-je, le souffle coupé. Il me court après maintenant. « Putain de
merde ! ».
Je suis rapide, mais je doute être plus rapide que Monsieur Quaterback. En quelques
secondes, il me rattrape et je me retrouve aplatie entre lui et un mur dur.
« Elly, arrête ! », grogne-t-il, alors que j’essaie de me libérer en me tortillant et
donnant des coups de pieds, comme si ma vie en dépendait.
Il a désormais attrapé mes poignets et sa cuisse se glisse entre mes jambes. Je n’ai
plus de souffle, j’halète et je transpire en essayant de réfléchir à ma prochaine action. Je
suis en mode de survie, et je n’ai aucune idée de ses intentions. Mais je sais qu’il n’y a
que nous dans cette rue, ainsi une sale histoire entre nous, maintenant. La logique fait
effet, avec un soupçon de peur. Je ne suis pas sûre de l’aimer autant que mon courage.
« Je ne vais pas te faire du mal, arrête », dit-il, en serrant mes poignets avec une
force suffisante pour me faire haleter. Tu parles de ne pas vouloir me faire mal.
« Oh ! Ok ! Ok ! » je siffle. « C’est bon ! »
Je me raidie comme une planche mais son corps moule le mien contre le mur, et je
suis déjà étourdie et inutile. L’effet que Kellan a sur moi est indéniable et,
malheureusement, toujours présent, même après tout ce qu’il m’a fait avec Rhett et
Gage.
« Merci », souffle-t-il, mais il ne me lâche pas.
La colère me traverse, amplifiant les flammes qui ont déjà commencé à consumer
mes jambes. Je pourrais le gifler. En réalité, non, je ne pourrais pas, puisqu’il serre
encore mes poignets, mais j’adorerais le gifler.
« Et maintenant, alors ? » je demande, ma voix basse.
« Il faut qu’on discute. »
« Oh. Maintenant il faut qu’on discute. Vraiment ? ».
Ses sourcils se froncent. Bien que je déteste l’admettre, sa frustration est sincère. La
douleur scintille dans ses yeux noisette. « Je n’ai jamais voulu que rien de tout ça arrive.
Aucun de nous ne l’a voulu. »
« Tu n’as pas voulu m’humilier et m’harceler, à répétition ? ».
« Ce n’était pas censé se passer ainsi ! » dit-il, et je me déteste parce que je suis
encline à le croire. Toutes les pensées de vengeance que j’ai eu semblent fondre dans la
flaque de ce qu’était ma détermination. « Je te jure, Elly. Nous ne savions pas que tu
viendrais à Trinity. Nous avons été pris au dépourvu ! ».
Je m’esclaffe. « Kellan. La vérité. Toute la vérité, maintenant, parce que rien de tout
ça n’a de sens. Plus tu parles et plus je suis confuse… ».
« Je t’ai dit, ce n’est pas dans ton intérêt », répond-il, mais mon esprit ne cesse de
divaguer vers sa cuisse entre mes jambes, ses muscles durs contre la partie la plus intime
de mon corps. La chaleur s’y accumule, crépitant au moindre mouvement comme un
transformateur Tesla. « C’est trop dangereux. »
« En ce moment, vous trois êtes le seul danger que je connaisse. »
« Oh, Elly… Nous sommes le dernier de tes soucis. Il y a des gens à Trinity que rien
n’arrêterait pour nous faire souffrir mon frère et moi. Et ils iraient directement vers ceux
qui comptent le plus pour nous », dit Kellan d’une voix tremblante.
« Quoi ? ».
« Pars, Elly. Quitte la ville et ne reviens jamais. S’il te plait… nous t’avons fait des
choses horribles et j’en suis tellement désolé. Tu ne mérites rien de toute cette merde,
mais ta grosse tête va t’attirer des ennuis. » Il insiste. « Convainc ta mère de retourner à
Barkston ou autre part. Trouve un moyen de partir d’ici avant qu’il ne soit trop tard. »
C’est à mon tour de froncer les sourcils. « Tu ne me dis pas tout. Ce n’était pas le
deal. »
« Nous n’avons pas fait de deal », répond-il, l’ombre d’un sourire lui traversant les
lèvres. « Elly, un jour, je me rattraperai, je te le promets. »
J’essaie de me détacher, mais ça ne fait que renforcer la pression de sa cuisse contre
mon entrejambe, rendant mon cœur hors de contrôle. « C’est fini ! » je marmonne.
« C’est fini tout ça. Sois tu me dis toute la vérité, sois tu me laisses partir. »
Son regard s’assombrit, et tout se transforme autour de nous, comme si le monde
conspirait avec lui, disparaissant progressivement comme une peinture sous un flot
continu d’eau chaude.
« Je ne pourrai jamais te laisser partir », murmure-t-il. « Je ne peux pas non plus tout
te dire. Comprends simplement que… tout ce que nous avons fait, aussi horrible, et aussi
stupide que ça puisse paraître, c’était dans le seul but de te protéger. »
Je le fixe, incrédule. Chaque fibre de mon corps veut le croire, parce que ce serait trop
dur d’accepter l’autre version de la réalité. S’ils essaient de me protéger à leur manière
dégueulasse et tordue, je… je peux le comprendre. Je le comprendrais mieux que la
possibilité que le camp de vacances n’était qu’un joli mensonge, et qu’ils ne soient que
des monstres sans cœur qui aiment jouer avec les sentiments des gens.
Accepter la dernière option voudrait dire accepter tous ces mensonges durant des
semaines. Que je les ai laissés entrer dans ma vie, dans mon cœur et même dans mon
corps, sur la base de mensonges et d’inventions. Mes défenses sont faibles à présent et
je ne sais pas quoi faire. Quoi dire…
Qu’est-ce que je pourrais répondre à ça ?
« Kellan… tu aurais pu me parler », je murmure, m’adoucissant sans le vouloir contre
lui.
Je crois qu’il me sent me détendre, puisqu’il se rapproche, la bosse dure de son jean
pressant contre mon bas ventre. « Est-ce que tu aurais écouté ? », demande-t-il, la
distance entre nous se réduisant à chaque seconde qui passe.
« Peut-être… ».
Il glousse légèrement. « Tu sais très bien que tu ne l’aurais pas fait. De plus, et je sais
que je me répète, nous ne pouvons pas tout te dire, de toute façon. Il vaut mieux que… Il
vaut mieux que tu partes, et que nous prenions tous des chemins différents. »
« Vous auriez simplement pu dire au revoir », dis-je, ma vision se troublant puisque
des larmes menacent de sortir. « Vous auriez pu me dire que nous ne nous parlerions
plus jamais. Honnêtement, Kellan, ça aurait été mille fois mieux que ce que vous m’avez
fait. »
« Ça n’aurait pas suffi à te faire quitter Trinity, Elly. C’était tout l’objet de ce…
supplice. Te faire quitter la ville. »
« C’est ridicule. »
« Je sais. Et c’est compliqué, et dangereux… ».
Ses lèvres s’écartent doucement alors qu’il fixe les miennes. Je déteste la façon dont il
me regarde. Et plus encore, je déteste la sensation que ça provoque en moi.
« Je ne quitte pas la ville, Kellan », dis-je fermement. « Je ne te laisse pas, ni Rhett
ou Gage ou personne m’effrayer pour me faire fuir. Mais si je savais à quoi m’attendre, au
moins je serais mieux préparée. »
Je ne remarque même pas qu’il lâche mes poignets, jusqu’à ce que je sente ses bras
glisser autour de ma taille et me rapprocher. Son cœur fait un bruit sourd contre le mien,
mes seins mous contre son torse musclé. L’excitation s’installe rapidement, laissant mes
sens en flammes et trahissant tout en moi.
« Ça ne marche pas comme ça, bébé », murmure-t-il, ses lèvres effleurant à présent
les miennes. « Tu me manques… mais tu ne peux pas être ici. »
« Il n’y a rien d’autre que tu puisses faire pour me chasser », je réponds. « Je ne
changerai de toute évidence pas d’avis. Sors-toi ça de la tête. »
Il bouge ses hanches et je sens son érection presser mon ventre. Je suis déjà
mouillée, me maudissant et maudissant mon destin, mon incapacité à me tenir à l’écart
des têtes brûlées. La raison est vaincue et mon corps prend la relève, alors que je me
frotte contre sa cuisse avec des mouvements lents et délibérés.
« Je sais. Nous devons trouver une autre façon de te protéger, Elly. Merde… » il
grogne, se poussant plus fort en moi. Il est excité et meurt d’envie de m’avoir. Autant que
je meurs d’envie de l’avoir.
Il devient de plus en plus difficile pour nous de nous concentrer, et mon cerveau
d’animal passe à la vitesse supérieure. Ma langue donne un petit coup sur ses lèvres, ce
qui provoque un flot de réactions. Il m’embrasse, avec voracité... désespérément. Sa
langue envahit ma bouche, et nous heurtons, goûtons et dévorons l’un et l’autre entre
des respirations courtes et irrégulières.
Je mets mes mains sur son torse, pressant ses pectoraux et l’invitant à grogner
comme la bête que je sais qu’il est. Oh, les souvenirs de nos nuits ensembles grouillent
dans ma tête, tourbillonnant et gonflant alors que je m’abandonne à la sensation de ses
lèvres et de sa langue lorsqu’il mordille mon cou.
Sa main droite glisse entre nous, prend fermement mes seins et les presse. J’inspire,
poussant ma poitrine en avant, comme si j’en demandais plus. Il regarde brièvement
autour de lui, s’assurant qu’il n’y a personne dans les environs, puis retire le tissu
élastique et referme ses lèvres autour de mon téton, suçant avidement et me faisant
tomber dans une spirale de souvenirs délicieux et orgasmiques.
Je m’appuie contre le mur alors qu’il utilise sa main gauche pour trouver mes lèvres
mouillées sous mon short de jogging et ma culotte trempée. « Kellan… », je murmure,
penchant ma tête en arrière et priant tous les dieux pour que je puisse le sentir à
nouveau en moi.
C’était mon premier et il avait chaque centimètre de mon corps, chaque fil de mon
âme. Notre alchimie est indéniable et je meurs d’envie qu’il me remplisse à nouveau de
chaque centimètre de sa grande et grosse queue. Il me doigte, effronté dans ses exploits
en même temps qu’il se déplace pour révéler et travailler mon autre sein.
« Kellan… » je bafouille, même si je ne suis pas sûre de ce que je veux dire.
Les mots se précipitent hors de ma tête avant que je ne puisse les ordonner dans une
phrase cohérente. Je ne fais que me contracter davantage entre ses deux doigts,
l’invitant à me prendre entièrement à nouveau, comme nous le faisions durant le camp
de vacances.
Il s’écarte, ses lèvres légèrement enflées et brillantes dans la lumière du coucher de
soleil. « Pas ici. Allons dans ma voiture. Les vitres teintées et tout ça… »
Je hoche la tête, presque automatiquement, alors qu’il retire ma brassière de sport et
prend ma main. Ses doigts sont glissants de là où ils viennent et ça m’excite encore plus.
Quelques secondes plus tard, nous sommes enfermés dans sa voiture et installés sur le
siège arrière.
Il est assis et je suis à genoux à côté de lui, déterminée à faire quelque chose que je
n’ai pas fait depuis l’avant-dernier jour du camp de vacances. Kellan est sans voix, son
regard doux m’observe. Je déboutonne son jean et retire son caleçon, libérant son
érection majestueuse.
Je m’immobilise un moment, me rappelant sa taille généreuse et chaque veine
pulsant sur toute sa longueur. Une goutte nacrée se forme à son bout, et je la lèche,
goutant à son essence même. Il expire profondément, sa queue sautant dans ma main.
Je le prends dans ma bouche, bougeant lentement au début, comme il me l’a appris.
En utilisant ma langue, je le mets bien en appétit, laissant progressivement entrer
davantage de lui. Il jure dans sa barbe alors que je lève et baisse ma tête à un rythme
régulier, le suçant, le léchant et lui faisant l’amour avec ma bouche. Il est délicieux,
délicieusement dur et il gonfle encore plus alors que je sens enfin son bout dans ma
gorge.
« Putain, Elly… ».
Je vais jusqu’au bout. Une fois, deux fois… à la troisième fois, il me lève doucement et
me retourne. Je suis à genoux et sur mes mains, il retire mon short et ma culotte,
laissant mes fesses exposées. Il agrippe mes fesses fermement, les écarte avant de me
pénétrer avec sa langue.
Personne ne peut nous voir à travers les vitres teintées, mais je vois quelques parents
ramener leurs enfants à la maison. Des tricycles de couleurs et des chiens de famille se
précipitent dans la rue, alors que Kellan lèche ma chatte, me faisant gémir d’un plaisir
pur et parfait. Personne dehors ne sait ce qui se passe à l’intérieur de cette voiture. C’est
notre secret, notre secret torride et érotique.
Ses doigts trouvent mon clitoris, et le pincent. « Ah ! », je m’exclame alors qu’il me
lèche et me frictionne. Mon corps entier se contracte. J’ai besoin de lui maintenant, plus
que jamais. « Kellan… Je te veux en moi… Tout de toi. »
Il s’arrête, alors que je me retourne vers lui. Sans un autre mot, il se positionne
derrière moi, agrippe mes hanches et me baise et… oh ouah…
Je suis pleine. Je sens chaque centimètre de lui me pénétrer, me consumer. Je repose
ma tête sur son épaule et tiens mes seins alors qu’il commence à pousser. Au premier
coup, je vois des étoiles devant mes yeux. Au second, je suis si mouillée, si sensible et
délicate à l’intérieur, que je peux sentir sa queue dès qu’il bouge. Dedans et dehors,
dedans et dehors…
« Tu m’as tellement manqué, bébé », me chuchote-t-il à l’oreille avant d’en mordre
gentiment le lobe. Il sait ce que ça me fait. Je me contracte et me caresse, alors que sa
main se déplace devant et trouve à nouveau ma petite bosse sensible.
Il donne des petits coups et la frictionne avec vengeance alors qu’il bouge plus vite et
plus fort, me baisant comme… comme si nous n’avions pas été comme ça depuis des
semaines… depuis des années…
« Je t’ai manqué, Elly ? »
« Oui… Oh bébé, oui… »
Ma bouche bouge sans que je m’en rende compte, alors qu’il me commande, qu’il
pénètre tout entier en moi. Je l’accueille en me défaisant, ses doigts me travaillant et
pinçant mon clitoris. Des vagues d’extase ondulent en moi.
« Rhett t’a manqué ? », me demande-t-il.
Pendant un instant, j’ai peur. Il sent que je me raidis, mais continue de me frictionner
et de m’enfoncer, me forçant à oublier ma propre gêne alors qu’un second orgasme
pointe le bout de son nez. Il me tient serrée à une main et bouge d’un rythme presque
brutal, qui demande une autre libération.
« Il n’y a pas de mauvaise réponse, chérie », grogne Kellan. Ses mouvements
s’intensifient, et je sais qu’il va bientôt jouir à son tour.
« Oui ! » je crie, en perdant totalement mon esprit. « Tu m’as manqué… Rhett m’a
manqué… »
« Et Gage ? »
« Oui ! Oui bébé, Gage m’a également manqué ! »
Il m’enfonce et je perds tout contrôle, bougeant contre lui pour pouvoir profiter de
tout, pour qu’il puisse me fendre et me remplir à ras bord, alors que je profite de mon
orgasme et me contracte autour de sa queue.
« Je suis tombé amoureux de toi, Elly », il gémit et jouit fort, nos corps se fondant en
une masse extatique et frémissante.
Je le sens vibrer en moi et je balance mes hanches dans un mouvement circulaire,
l’incitant à pousser et me pénétrer encore un peu, jusqu’à ce que chaque atome de son
corps soit drainé et satisfait. Nous restons comme ça un moment, collés l’un à l’autre, nos
yeux brillants de bonheur.
Ça s’est passé si vite. Si soudainement…
Tout a changé, et j’aurai besoin de temps pour digérer ce qui vient se passer. Mon
cœur est en vrac parce que leurs motivations sont différentes de ce que je pensais. Tout
ce qui s’est passé est arrivé pour de bonnes raisons, malgré leur exécution horrible.
Ma conscience émerge, mais je ne peux cependant pas lâcher Kellan. Il m’a posée des
questions. Sur lui, sur Rhett, sur Gage… et j’ai été honnête, mais où est-ce que c’est
censé mener ? Où est-ce que ça nous laisse ? J’ai encore tellement de questions à
présent…
« Elly, je… », la voix de Kellan s’estompe alors que son téléphone sonne.
Je m’écarte et je me retourne, prenant sa tête entre mes mains et l’embrassant
profondément. « Oublie le téléphone… Il faut qu’on discute, Kellan… ».
Il hoche doucement la tête. « Je sais… Il le faut, mais… », il baisse la tête vers l’écran
de son téléphone. Il y a une notification de message, suivie d’un autre appel entrant.
D’une certaine façon, je suis laissée à regarder, incapable de bouger ou de dire quoi
que ce soit. Il fait glisser son doigt sur l’écran pour répondre à l’appel. « C’est le pire
moment possible pour… », il s’arrête, puisque que la personne à l’autre bout du fil lui dit
quelque chose.
Je comprends que c’est quelque chose d’horrible, puis qu’il devient soudainement
pale. Blême, même.
Ses yeux sont écarquillés, son regard errant sur mon visage sans vraiment me
remarquer.
Je suis figée, alors que l’air entre nous change. Il est dévasté. « Quand ? », demande-
t-il, la réponse ne semblant pas le faire se sentir mieux. « J’arrive. »
Il raccroche et me regarde enfin. Sans dire un mot, je remets ma culotte et mon short,
et je réarrange mon soutien-gorge sous mon débardeur. Je suis comme un robot, mes
sentiments mis de côté alors que j’essaie de trouver un moyen de me ressaisir.
« Je dois y aller », me dit-il. « Je suis désolé. »
« Peux-tu me dire ce qui s’est passé ? »
« Je dois y aller », se répète-t-il.
Il est désormais impossible de raisonner Kellan. Je me souviens de ce regard. Je l’ai
déjà vu avant, pendant le camp de vacances. Il avait également reçu un appel… à propos
de son grand-père. Mon cœur souffre pour lui, parce qu’il n’arrive pas à masquer ses
émotions. Il est en état de choc en ce moment, et je redoute le simple fait de découvrir
ce qui vient de se passer.
Je sors de la voiture, alors qu’il se dirige de l’autre côté et s’assoit sur le siège
conducteur.
Il me regarde, son expression à nouveau adoucie et chaleureuse, pendant un bref
instant. « Je t’appellerai. Je te le promets », me dit-il.
Dois-je le croire ? Est-ce que tout ça s’est vraiment passé ? Je n’en suis pas sûre, mais
je lui donne un léger signe de tête alors qu’il démarre la voiture et s’éloigne avec un
crissement trépidant, manquant de peu une voiture passant dans la rue. Mon cœur est
dans ma gorge et je me remets encore de toutes les choses merveilleuses que nous
venons de faire.
Mon corps chante. Mon âme se propage. Et mon cœur… cette pauvre chose, il bat
dans tous les sens, incertain de tout. Tout ce que je peux faire c’est courir chez moi, et
tout transpirer avant une douche chaude et un dîner avec ma mère et… le père de Gage.
Quand est-ce que ma vie est devenue si étrange et compliquée ?
Je ne sais pas. Mais les choses changent si vite que je ne peux pas suivre. Je dois
repenser ma stratégie et ma relation avec les têtes brûlées. Pour la première fois depuis
des semaines, j’attends avec impatience l’appel de Kellan, et cela me terrifie, parce que
je pourrais très bien glisser dans un cycle toxique et très dangereux.
S’ils commencent à faire machine arrière et à me traiter à nouveau comme une
merde… qu’est-ce que je ferai ?
Lorsque j’arrive chez moi, le facteur étrange est amplifié au maximum, puisque je vois
Connor sortir en trombe de la maison, sauter dans sa voiture et démarrer dans une
frénésie semblable à celle de Kellan. J’entre à l’intérieur et trouve ma mère dans la
cuisine où la table est déjà dressée. Elle ne semble pas très heureuse.
« Qu’est ce qui s’est passé ? », je lui demande.
« Quelqu’un est mort », me répond ma mère en me regardant avec un air inquiet.
« Quelqu’un proche de Connor, apparemment. Il vient de recevoir l’appel. »
Donc le dîner avec Connor O’Donnell est annulé. Est-ce que c’est la même chose qui
aurait pu les éloigner, Kellan et lui ? Je vais devoir m’armer de patience et attendre
jusqu’à demain. Quoi qu’il arrive ensuite, je dois y être préparée. Bon, mauvais, terrible…
Je dois me préparer. Je ne peux pas supporter un autre chagrin d’amour, putain.
RHETT

JE que tout le monde meurt à un moment, mais mon père ne méritait pas ça.
SAİS
Ma mère et lui étaient à un café, sur le chemin de retour à Trinity, lorsqu’il s’est
effondré. La crise ainsi que l’écume autour de sa bouche font penser à un acte criminel,
mais le médecin légiste n’aura pas de résultat avant le début de semaine prochaine.
J’essaie de me contenir, mais la rage en moi est prête à lâcher. Je plains les âmes qui se
trouvent dans les environs.
« Le connard…. Le putain de connard… », je m’entends jurer en traversant la ville
sans me soucier de la circulation ni des panneaux de signalisation. Je suis content de
n’avoir jamais vendu la Ford, sinon j’aurais dû attendre que Kellan passe me prendre avec
la Rover.
Je sais que c’est l’œuvre de Kevin. C’est forcément lui. Mon père était en bonne santé.
En meilleure santé que la plupart des gens de son âge. Nous avons fait une course le
weekend dernier et il m’a presque battu, putain ! Mon cœur est en lambeaux. Ma gorge
me brûle. Je ne peux même pas pleurer – tout s’est passé si vite, je dois rester assidu.
La police est en train d’enquêter, mais je ne sais pas vraiment ce que ça va donner.
Leur loyauté peut être remise en question, maintenant que mon grand-père et mon père
sont partis. Comment vais-je m’en sortir, putain ? Qu’est-ce qui va arriver à ma mère ?
Mon frère. Moi ?
Ma tête est dans le chaos. Je ne sais même pas comment je peux conduire mais…. j’ai
quelque chose à faire. Avant même de me rendre au bureau du médecin légiste, je dois
aller vérifier le coffre-fort. Kellan me retrouve chez Gage. Le sens commun voudrait que
je sois auprès de ma mère. Cependant, notre situation actuelle et soudainement
imprévue exige que je détourne d’abord mon attention vers le coffre.
J’ai reçu l’appel de Gage juste après celui de ma mère. Ça ne peut pas être une putain
de coïncidence.
« Cet enfoiré ne nous laissera même pas le temps de faire notre deuil », je soupire,
puis écrase les freins devant la maison de Gage. Je m’arrête à moins de quelques
centimètres de la Range Rover. Kellan est déjà là. Parfait. Nous devons réfléchir
ensemble, et vite.
Sans tenir compte de quoi ou qui que ce soit autour de moi, je monte les marches et
débarque dans la maison à deux étages de Gage. Je sais qu’il n’y a que lui et Kellan pour
le moment, puisque tous les autres se sont précipités au bureau du médecin légiste, où
ma mère refuse de quitter mon père. Elle est choquée. Elle pouvait à peine parler au
téléphone, mais… même elle savait. Elle savait ! Elle savait que Kevin était impliqué,
d’une certaine façon ou d’une autre.
Nous aurions dû le voir venir. C’est un putain de lâche et de psychopathe. Il ne se
salira pas les mains. Il paiera des gens pour le faire pour lui. C’est sa marque de
fabrique…
Je trouve Gage et Kellan dans le bureau de Gage, où il garde son coffre-fort. Je me
fige dans l’embrasure de la porte et je comprends que tout s’est passé de la façon dont il
l’a décrit. Quelqu’un s’est introduit. Rien d’autre dans la maison n’a été dérangé, mais son
bureau est en désordre. Des papiers sont jetés partout dans la pièce. Les étagères sont
vidées, des volumes coûteux, à reliure en cuir, sont éparpillés sur le sol. Les canapés sont
tous découpés en morceaux, leur contenu répandu. Tous les tiroirs sont sortis, quelques-
uns cassés et éclatés, des dossiers de papier kraft dispersés. Il est impossible de
comprendre quoi que ce soit.
Même les tableaux ont été retirés, les toiles déchiquetées. Mais le pire, c’est le coffre-
fort, que Gage avait installé derrière un faux panneau de l’élégant module de
bibliothèque en acajou qui recouvre tout le mur à l’est. Ils l’ont trouvé. Ils ont utilisé un
pied-de-biche pour forcer le panneau, puis ils ont réussi à ouvrir le coffre.
Il est grand ouvert et je peux immédiatement voir qu’il y manque des choses.
Kellan est en état de choc. Il me fixe, respirant fortement, incapable de dire quoi que
ce soit. Gage est tout aussi abasourdi. Ses articulations sont écorchées et en sang, et il y
a des tâches pourpres sur l’un des murs. J’imagine qu’il a donné des coups jusqu’à ne plus
pouvoir.
« Quand est-ce que tu es arrivé ? », je demande à Gage.
« Il y a quarante minutes », me répond-il à voix basse. « Je ne sais pas pourquoi, j’ai
ressenti le besoin de venir ici. Après que mon père m’ait appelé pour Harry, je… je savais
qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans tout ça. »
« C’est lui. C’est lui qui l’a fait putain ! », je grogne, répétant ce que je me dis tout bas
depuis une heure. « C’était Kevin. »
« Rhett… », bafouille Kellan, et c’est seulement à cet instant que je remarque ses
yeux injectés de sang. Il a pleuré. Quel frère de merde je suis, à ne pas prendre
conscience de la douleur qu’il doit ressentir. Je la ressens aussi, mais… je gère les choses
différemment. J’ai appris à vivre avec.
Je traverse la pièce du regard et le prends dans mes bras, le tenant serré alors qu’il
pleure à nouveau. Nous avons déjà souffert dans le passé, mais ça fait suite à la mort de
grand-père, et c’est trop, même pour Kellan. Je ne sais pas combien de temps je pourrai
encore tenir, mais je dois trouver un moyen. Mon frère a besoin de moi. Ma mère, aussi.
Gage. Nous sommes désormais vulnérables. Les règles de la succession familiale mettent
Kevin en tête de ligne, et il ne s’arrêtera pas jusqu’à ce qu’il nous ait tous chassés, d’une
manière ou d’une autre.
« Ça va aller », je murmure.
Kellan renifle et prend quelques profondes inspirations, alors que je me recule et
agrippe ses épaules, attendant qu’il dise quelque chose. « On est foutus, Rhett… ».
Ce n’est pas ce que je veux entendre. « Nous trouverons une solution », dis-je, en
regardant brièvement Gage. Il ne semble pas non plus convaincu, ce qui serre mon
estomac d’une manière nouvelle et douloureuse. « Grand-père ne nous a pas appris à
jeter l’éponge, Kellan. Nous sommes des putains de Flanagan. »
« Des Flanagan mais avec quelques pièces très importantes manquantes », intervient
Gage en se raclant sa gorge. Je le regarde, puis regarde Kellan, qui me donne un signe
de tête déçu.
« Qu’est-ce qui manque du coffre ? », je demande.
« Quelques clés USB que j’avais mises dedans. Compromettantes pour Kevin et
certains de ses associés », souffle Gage. « L’un des livres de comptes que nous avons pris
du bureau de Quinn avant la lecture du testament. Et la photo… »
Pendant un moment, je ne me remets pas immédiatement de quelle photo il parle.
« Hein ? »
« La photo, Rhett. Toi et Elly. Au feu camp sur la plage », marmonne Kellan en fixant
le coffre.
La peur me vient comme un blizzard enragé, gelant le sang dans mes veines,
raidissant mes articulations, et immobilisant mon cœur. Elly et moi avons utilisé l’un des
photomatons qu’ils avaient au camp pour se remémorer les moments que nous avions eu
ensembles. Kellan et Gage ont également pris des photos avec elle, mais ils ont eu la
jugeote de les brûler. J’ai gardé la mienne. C’était la dernière chose que j’avais d’elle… Je
ne pouvais pas me résoudre à m’en débarrasser.
Quel idiot je suis. Quel idiot je suis pour penser que quoi que ce soit nous appartenant
puisse être protégé de Kevin Flanagan, même ici, chez Gage…
« Il a pris la photo d’Elly », je marmonne, essayant de digérer tout ça. Mon père est
mort sur une dalle au bureau du médecin légiste, et Kevin a malgré tout réussi à empirer
les choses. Il a désormais un avantage. Il possède un moyen de m’atteindre, et c’est
précisément à travers la personne que nous nous sommes tous les trois efforcés de faire
fuir de Trinity. La personne sur laquelle nous sommes restés focalisés alors que nous
aurions dû faire attention à notre père. Non pas qu’il n’était pas protégé. Il avait son
équipe de sécurité. Notre mère lui avait fait mettre un putain de gilet pare-balles dès lors
qu’ils sortaient de façon prolongée. Il prenait toutes les putains de précaution possibles,
sans pour autant devenir un ermite et montrer à Kevin qu’il ne lui faisait aucunement
confiance. Et puis, le poison. Sérieusement !
« Il sait », dit Kellan. « Il sait qu’elle est importante. »
« Tout ce que nous gardons dans ce coffre est essentiel, et Kevin s’en est rendu
compte », répond Gage. « Personne ne garde une photo souvenir du camp de vacances à
moins que ce ne soit important. »
« Il sait pour Elly », dis-je à nouveau, cette fois avec plus de conviction.
Kevin utilisera Elly contre nous. Je ne sais pas comment, mais il l’atteindra, à moins
que nous ne trouvions une façon de l’arrêter – peu importe le prix. Il ne s’agit dorénavant
plus seulement de notre avenir ou de la famille Flanagan. Il s’agit de protéger Elly et de
trouver un moyen de le faire tout en faisant notre deuil. Ou mieux, essayer de retarder
notre deuil. Ça ne semble pas seulement dur. Ça semble presque impossible, putain.
« Il ne s’arrêtera pas jusqu’à ce qu’il la trouve », j’ajoute. « La faire déménager de
Trinity n’est plus une option. »
Mon cerveau bat à cent à l’heure. « Maman doit tripler la sécurité. »
« C’est déjà fait », dit Gage, une grosse tristesse dans sa voix. Pas maintenant. Même
si ça fait mal, nous ne pouvons pas être tristes maintenant. Nous devons penser et nous
devons le faire rapidement. Une partie de moi voudrait charger une arme et tirer des
balles vers ce connard jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de lui. C’est tellement difficile de
faire taire cette partie de moi, mais pour la grâce de quelque chose de mieux, j’y
parviens. Ma mère vient juste de perdre son mari – l’amour de sa vie. La dernière chose
dont elle a besoin c’est de perdre son fils pour la prison.
« Donc qu’est-ce qu’on fout ? », demande Gage, frottant sa nuque. Il fait toujours ça
lorsqu’il est tendu.
« Nous devons la protéger », dit Kellan en me regardant. « Elle doit savoir… ».
« Attends », je réponds. « Pas nécessairement. Nous pouvons penser à autre chose. »
Je ne peux pas supporter l’idée qu’Elly sache de quelle foutue famille nous venons.
Elle a entendu des rumeurs depuis, c’est sûr, mais elle ne comprend pas à quel point les
Flanagan sont mal famés. Elle ne connaît pas Kevin, ni ce qu’il est prêt à faire pour
obtenir ce qu’il veut.
Gage, Kellan et moi avons vu son travail plus d’une fois. Nous savons qu’il a aussi tué
grand-père, pas seulement notre père… Mon orgueil brouille peut-être mon jugement. Je
préfèrerais qu’Elly se souvienne de moi comme du mec qui envisageait une carrière
politique durant le camp de vacances. Pas comme le gâchis brûlant et perturbé que je
suis aujourd’hui. Une partie de moi pense qu’il est plus important de s’accrocher à la
partie de moi qui existait en dehors de cette ville.
Chaque os de mon corps me dit de sauter dans ma voiture et de la rejoindre. Tout lui
dire. Malheureusement, ma conscience le refuse. J’ai survécu jusque-là en étant un
connard froid et calculateur, au même titre que mon oncle. Je dois continuer à la jouer
comme ça. Je dois le vaincre en utilisant ses méthodes.
« Rhett, elle devrait savoir qui elle a en face, notamment si les hommes de Kevin se
rapprochent », dit Kellan.
Je secoue ma tête.
« J’ai besoin d’y réfléchir. Nous en avons déjà parlé. Nous ne faisons rien en ce qui
concerne Elly tant que nous ne sommes pas d’accord tous les trois. »
« Oui, mais c’est différent », répond Gage. « Sa mère est aussi en danger. Putain,
Kevin ira jusqu’à Barkston et mettra une balle dans la tête de son père, simplement pour
le plaisir ! ».
« Arrêtez ! », je crie. « S’il vous plait. J’ai besoin de réfléchir. Allons d’abord voir le
médecin légiste. Ma mère attend… ».
Gage souffle. « Kevin aussi. »
« Et mon père », ajoute Kellan, ses épaules tombantes.
Nous n’avons aucune idée de comment cela va se finir. Mais Kevin a déplacé quelques
pièces sur l’échiquier, et nous sommes désormais tous les trois vulnérables, alors qu’Elly
est prête à être cueillie. La seule chose que nous avons essayé d’éviter est arrivée, et la
pauvre fille n’a rien fait pour qu’il la repère.
Toute la misère que nous lui avons fait endurer… pour rien. Nous nous inquiétions
d’un espion dans l’école alors qu’il a trouvé des preuves de son existence dans notre
putain d’espace privé.
« Allons le voir », dit Kellan. «Allons voir papa. »
Je suis terrifié. Pour la première fois depuis très longtemps, je suis totalement et
sincèrement terrifié. J’ai souvent pensé que les choses pouvaient toujours empirer. Elles
l’ont et je suis perdu, parce que je ne sais pas comment protéger la femme dont je suis
tombé amoureux.
La femme dont nous sommes tous tombés amoureux…
RHETT

NOUS SOMMES À LA MORGUE, et l’ambiance est exactement comme je l’imaginais. Ma mère


s’efforce de ne pas s’effondrer, sachant que Kevin prendrait plaisir à voir tout étalage de
détresse. Il n’a jamais vraiment aimé mon père comme frère, et il a tendance à se réjouir
du malheur des autres. Ça devient particulièrement difficile à regarder, alors que mon
frère et moi essayons de soutenir notre mère.
Il y a un panneau vitré sur notre gauche, qui nous permet de voir notre père, allongé
sur une dalle en inox et recouvert d’un drap blanc. Connor est en état de choc, et il ne
peut pas détourner ses yeux. Je ne pense pas qu’il était impliqué, mais il se retrouvera
dans une position difficile lorsque Kevin passera enfin à l’action.
D’un moment à l’autre, maintenant…
Gage reste proche, tenant ma mère dans ses bras dès que mon frère et moi avons
besoin de faire une pause. Le médecin légiste sort de la salle où se trouve mon père,
griffonnant des notes de dernières minutes sur sa tablette. Il nous donne un regard
sérieux à travers ses lunettes carrées.
« Je vous présente mes condoléances », dit-il. « Avec un peu de chance, le rapport de
toxicologie vous éclairera un peu. J’ai simplement besoin de votre signature ici, Madame
Flanagan, attestant que c’est votre mari que je vais autopsier… ».
Ma mère peut à peine tenir le coup à ce point, et ça me déchire. Kevin s’approche de
nous, et il me faut toute la force qu’il me reste pour ne pas lui arracher la gorge. Je ne
peux pas tuer mon oncle sans avoir de preuve, et il n’y a aucun moyen pour que mon
frère et moi reprenions les affaires de famille si nous donnons l’impression d’être des
psychopathes en furie. Je dois manœuvrer prudemment, notamment maintenant qu’il a
Elly sa ligne de mire.
« Oui… Oui… », bafouille ma mère en gribouillant sa signature d’une main tremblante
sur le document. En s’appuyant à nouveau sur Gage, elle nous regarde Kellan et moi. « Je
ne peux pas rester ici plus longtemps... ».
« Je la ramène chez elle », dit Brigitte en se levant d’une des chaises de la salle
d’attente. Elle n’a pas eu le temps de glisser dans la position de « belle-sœur en deuil »,
puisqu’elle a été retirée de sa classe pour ça. Brigitte Marchand est connue comme étant
le fantasme érotique de tous les adolescents de Trinity High, principalement à cause de
ses jupes crayon moulantes et de son décolleté en dentelle – rien de trop cochon, mais
suffisant pour provoquer une érection dès qu’elle entre en classe ou en réunion de
parents d’élèves.
J’aimerais lui dire d’aller de faire foutre, mais ma mère a besoin de rentrer chez elle,
et aucun de nous ne peut partir sans avoir parlé à Kevin. Je ne m’inquiète pas de ma
mère partant avec Brigitte. Même si elle est faible émotionnellement à l’heure actuelle,
elle est physiquement plus forte que Brigitte et elle la jetterait dans la gueule du loup si
Kevin essayait de faire en sorte que ses hommes de main foutent la merde. De plus, la
sécurité les suivra tout du long.
À présent, je dois comprendre où se positionne Connor, et rapidement. Si nous avons
son soutien, nous serons plus forts que Kevin – au moins suffisamment longtemps pour
faire la différence et trouver un moyen qui le disqualifie de la succession. Ou jusqu’à ce
que nous trouvions quelqu’un de confiance pour le faire disparaître du décor, parce que
c’est encore une option que nous considérons avec mon frère.
« Merci, Brigitte », je réponds d’un ton sec.
Elle me fait un léger signe de tête et passe un bras autour des épaules de ma mère,
l’escortant doucement en dehors de la pièce. Elle ne se doute pas le moins du monde que
Kevin est derrière tout ça.
Le médecin légiste s’excuse et disparaît dans son bureau au bout du couloir. La salle
d’attente est soudain remplie d’une pression à se broyer le crâne, puisque Gage, Kellan,
Connor, Kevin et moi échangeons des regards.
« Est-ce que l’un de vous sait ce qui s’est passé ? », demande Kevin, choisissant
d’emblée de jouer l’oncle innocent. Raison de plus pour lui briser le cou à la première
occasion.
« Comment pourrions-nous en avoir une ? Nous n’étions pas là », dis-je.
Les narines de Kellan sont dilatées alors qu’il fusille Kevin du regard. « Les gardes du
corps étaient avec eux. Ils devraient pouvoir nous en dire plus. Où sont-ils ? ».
« Je ne sais pas », dit Kevin en haussant les épaules. « Quand je suis arrivé ici, je n’ai
vu que votre mère. »
Je regarde Gage. « S’ils sont portés disparus, nous devons les trouver. »
« Tu penses qu’ils sont impliqués ? » répond Gage en levant un sourcil.
« Quelqu’un a dû les payer », dis-je.
Kevin se racle la gorge. « Qui voudrait faire du mal à Harry, hein ? Et qui serait assez
stupide pour acheter les gardes du corps pour l’atteindre ? Ça n’a pas de sens. C’est peut-
être une cause naturelle, les garçons. »
« Selon toi ça a l’air d’être une cause naturelle ? », siffle Kellan en montrant notre
père du doigt. Ses lèvres sont rouges pourpres, enflées de façon non naturelle, et il y a
des croûtes d’écume séchée autour de sa bouche. « Il a été empoisonné, et le rapport de
toxicologie te le montrera. »
« Les employés du restaurant ont tous été placés en garde à vue », interrompt
Connor, sentant la pression monter entre les Flanagan. « Je vais aller au commissariat de
police et voir où en sont les interrogatoires. »
Kellan ricane, et je sais qu’il s’apprête à perdre le contrôle de sa bouche. « Ne perds
pas ton temps. Ils ne donneront aucune information utile. Nous savons tous de quoi ça a
l’air. »
« Oh ? » Kevin semble intrigué. Il ne m’aide pas à ne pas le frapper au visage, là, tout
de suite. Mon sang bouillonne, ma respiration est irrégulière alors que j’essaie de me
concentrer sur ce qui est vraiment important – la sécurité de notre famille. Et d’Elly…
J’agrippe le bras de Kellan, pour le faire reculer de quelques pas. « Pas de conclusions
hâtives pour le moment, frère. Tu sais qu’il y a de nombreuses variables en jeu en ce
moment. »
« Variables ? », demande Kevin, amenant Gage à glousser amèrement. « Est-ce que
j’ai dit quelque chose de drôle, O’Donnell ? »
« Rien de drôle non, monsieur. »
« Nous devons parler de la succession, donc si vous avez fini de pointer du doigt dans
la mauvaise direction, je suis prêt », répond Kevin, déplaçant son attention vers Kellan et
moi.
Le regard de Connor s’assombrit. Gage lui jette un coup d’œil, attendant tout signe
d’opposition. Au moins un peu de sagesse à la Connor pour ne pas précipiter les choses.
Mais Kevin a toutes les raisons de vouloir se précipiter maintenant, parce que mon père
n’avait pas rédigé de testament récemment. Tout ce que nous avons hérité de grand-
père est bon à prendre, en raison des lois de succession familiale. Je maudis le jour où
notre arrière-grand-père a élaboré cette merde préétablie. Elle rend les litiges juridiques
particulièrement difficiles et franchement dangereux.
« Il est un peu tôt pour parler de succession, tu ne crois pas ? » j’interroge Kevin,
puisque Connor ne dira pas un putain de mot. « Le corps de papa n’est pas encore
refroidi. »
Kevin me sourit avec mépris. « Rhett, la vérité, c’est que le corps de ton père est aussi
froid et raide qu’il ne sera avant que la pourriture ne s’installe. Selon les règles de
succession familiale, je suis censé tout reprendre, ce qui signifie… »
« Oh, tu mourais d’envie d’en arriver là, hein ? », dit Kellan, sèchement, une veine
palpitant dans sa tempe. Gage réagit presque d’instinct, se rapprochant vers nous pour le
tenir, au cas où il se déchaîne.
« Et c’est pour ça que tu es trop naïf pour pouvoir participer à de telles
conversations », répond sèchement Kevin. « Maintenant, où en étais-je ? Ah oui ! Selon
les règles de succession familiale, je suis censé tout reprendre jusqu’à ce que l’un de vous
ait 21 ans. La lignée paternelle est incontestable, mais il y a encore le facteur de l’âge.
Vous êtes tous les deux trop jeunes pour prendre les rênes, et je suis simplement la seule
autre option. Allons-nous nous mettre d’accord sur ça, ou allez-vous rendre les choses
difficiles ? Simplement pour que je sache comment vous manier. »
Tout est déjà décidé. Il se débarrassera de Kellan et moi avant que l’un de nous
n’atteigne la majorité. Foncièrement, si nous le laissons prendre la suite, nous signons
notre arrêt de mort. Si nous contestons les règles familiales, nous nous attirerons la
colère de toute l’association, Connor et ses hommes y compris – sans mentionner les
policiers payés par les Flanagan. Ils ne nous feront pour rien au monde confiance,
particulièrement si Kevin est toujours vivant pour remuer sa langue de baratineur.
Nous avons besoin d’un nouvel angle de vue.
« Tu ne t’en tireras pas avec cette merde », siffle Kellan en pointant un doigt vers
Kevin.
« Je ne sais pas de quoi tu parles, Kellan. Les règles sont les règles. Tu le sais mieux
que quiconque », riposte Kevin avant de se tourner vers Connor. « Ai-je tort ? ».
« Non, tu n’as pas tort », concède Connor, même si je sais qu’il n’apprécie rien de tout
ça. Il continue de regarder mon père. Il ne reviendra pas, Connor.
« Alors c’est décidé. Je vous verrai à la maison demain matin. Prenez du temps pour
faire votre deuil, pour gérer tout ça… Je sais que c’est dur. Je suis désolé que les choses
se soient passées ainsi », souffle Kevin, s’efforçant de feindre une sorte d’empathie.
J’attrape Kellan et le tire sans le moindre au revoir, mais Kellan n’en a pas encore fini.
Il s’arrache de mon emprise et se précipite sur Kevin, qui se dirige déjà vers la porte.
Avant que Connor ou Gage ne puissent réagir, il a attrapé Kevin par la chemise et l’écrase
contre le mur.
« Je sais que c’est toi qui as fait ça. Ce genre de merde ne file pas, Kevin ! ».
« Kellan, arrête », dis-je en les atteignant. Mais ma tentative de l’éloigner de Kevin
échoue. Kellan est un champion de judo et un putain de rocher quand il le veut. « S’il te
plait. »
« Non ! Il doit le savoir ! » grogne Kellan. « Il doit comprendre qu’il ne peut pas
simplement tuer des gens et voler des choses pour arriver à ses fins ! ».
Le visage de Kevin se transforme en un large sourire satisfait. « Oh, c’est donc de ça
qu’il s’agit ! ».
Pendant un moment, Kellan, Gage, Kevin et moi, sommes sur la même longueur
d’onde. Nous savons tous qu’il s’agit du coffre-fort et de ce qui y a disparu. Connor, en
revanche, fronce les sourcils de confusion.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? ».
« Mes neveux pensent que j’ai réellement tué mon frère pour l’héritage », dit Kevin,
s’éloignant du sujet sensible. Ce n’est pas comme si nous pouvions dire à Connor pour le
coffre. Premièrement, parce qu’il ne sait même pas qu’il était dans le bureau de Gage. De
plus, nous avions également des informations sur lui, au cas où nous en aurions eu
besoin. Gage, Kellan et moi avons fait le pacte de ne jamais parler à personne de notre
petit projet. Il est certain aujourd’hui que nous avons fait le bon choix, mais Kevin s’en
est malgré tout rendu compte, et ça nous amène un nouveau une série de questions
troublantes, qui s’ajoutent à celles que nous avions déjà.
Ce fils de pute a tué notre père et il est probablement également responsable du
décès de grand-père. Nous ne pouvons pas le laisser s’en tirer comme ça, mais nous ne
pouvons pas non plus lui donner l’opportunité de nous enterrer. Gage et moi parvenons à
écarter Kellan.
« Calme tes putains de réactions », je murmure. « Ce n’est pas la façon de procéder. »
Le souffle de Kellan est vif et irrégulier. Il s’efforce de se contenir, le pauvre. Ses yeux
sont brillants de larmes et je ressens son chagrin qui fait écho au mien. La douleur,
l’agonie, la détresse… tout est là, en chacun de nous. Mais Kevin l’utiliserait à son
avantage, nous ne pouvons donc rien lui montrer.
« Il l’a fait », marmonne Kellan en me fixant.
Je hoche doucement la tête. « Allez, Kellan… Sortons d’ici… »
Il lui faut un moment, mais Kellan se calme enfin. Gage et moi le sortons de la salle
d’attente, laissant Connor seul avec Kevin. Nous nous dirigeons en dehors du bâtiment, et
chaque muscle de mon corps commence à trembler. Il devient incroyablement difficile de
contrôler cette rage… elle ne s’arrêtera pas tant que Kevin sera vivant.
« Il a nos affaires », dit Gage alors que nous descendons les escaliers. Il est tard à
présent, une myriade d’étoiles inconscientes de notre détresse crépite dans le ciel. Les
gens de notre âge sont confrontés au stress des candidatures pour les universités et des
prêts étudiants. Kellan, Gage et moi avons été forcés de grandir bien plus tôt que nous le
pensions.
« Nous ne pouvons pas le battre comme ça », dis-je en levant les yeux vers la demi-
lune. « Nous devons le battre à son propre jeu. Nous ne pouvons désormais plus être vus
comme une menace pour lui, sinon il s’en prendra à Elly. »
« Vu comme une menace ? », demande Gage, sa curiosité piquée. Il sait que je choisis
prudemment mes mots, particulièrement quand il s’agit de Kevin.
« Allons faire un tour », je réponds. « Il y a beaucoup de choses dont nous devons
discuter. Demain nous devrons commencer à préparer les funérailles et rester proche de
maman. Ce soir pourrait bien être notre dernière chance avant que Kevin ne reprenne la
main, et nous sommes complètements foutus. »
C’est le problème quand on a des psychopathes dans la famille. Ils ne reculent devant
rien pour obtenir ce qu’ils veulent.
Peu importe le coût.
Peu importe le nombre de vies qu’ils ruinent.
Peu importe le nombre de vies qu’ils arrachent au passage.
La seule manière d’affronter quelqu’un comme Kevin, c’est de penser comme lui. Et
Kevin aime jouer aux échecs en trois dimensions.
Malheureusement pour lui, il n’est pas le seul.
RETOUR A U C A MP DE VA C A NC ES, 2 0ÈME J OUR.

JE DOUTEque je revivrais un jour un été aussi étrange et aussi beau que celui-ci.
Kellan est tout le temps adorable et excité – et ça ne me dérange pas. Il s’avère que
j’ai moi-même une très bonne libido, et il sait appuyer sur les bons boutons dès que nous
sommes seuls. Parfois je culpabilise, parce que je pense à Rhett un peu plus souvent que
je ne le devrais. Il a également été au centre de plusieurs rêves érotiques. Gage n’est pas
loin non plus dans mon esprit. Je le revois encore satisfaire trois femmes d’un coup, et je
fantasme sur ce que ça pourrait être pour moi d’être satisfaite par trois hommes en
même temps.
Il n’y a, de toute façon, que trois personnes avec lesquelles je ferais de telles choses,
et elles sont toutes très proches les unes des autres, ce qui fait de tout cela un vœu
pieux. Mais ils sont incroyables et j’adore passer du temps avec eux. Ce soir, il y a une
fête derrière le chalet principal, au bord du lac. Les responsables du camp ont amené un
bar mobile et un photomaton portable.
Des ampoules colorées sont accrochées aux arbres et de la musique passe dans
plusieurs enceintes. C’est l’une des seules fois où nous sommes tous les quatre en public
avec le reste du camp. Rhett et Kellan sont près du bar et nous prennent des cocktails
aux fruits sans alcool, qu’ils termineront avec un peu de vodka, planquée à l’arrière de la
Range Rover.
Je dois admettre que la vue est magnifique. L’obscurité s’est installée au bord du lac
Tahoe, des milliers de lumières scintillant au-delà des villes et des hôtels aux alentours.
Les responsables du camp ne s’imposent pas et la musique n’est pas mal non plus. Mais
par-dessus tout, je m’amuse. Gage est aussi drôle qu’à son habitude, prenant
pratiquement tout à la légère, ses immenses chagrins compris.
« Je suis sérieux. Je lui ai écrit des lettres. Écrites à la main, Elly, je ne déconne pas »,
dit-il, alors que nous avançons dans la foule. Les secondes dansent, les premières
bougent la tête et se plaignent de l’absence d’alcool au bar – je ne sais pas comment ils
ont pu être assez stupides pour penser que le camp en fournirait, étant donné que
personne ici n’a 21 ans. Merde, nous ne sommes que huit ou neuf au total à avoir 18 ans.
« Bien écrites ? ou des pattes de mouche ? », je glousse.
« Je te ferai savoir que j’ai pris des cours de calligraphie il y a quelques années »,
répond-il fièrement. « J’ai écrit quelques pages superbes, Elly. J’y ai mis toute mon
âme. »
« Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? », je demande. « Est-ce qu’elle a répondu ? ».
Il souffle en baissant les yeux, déçu. « Elle m’a envoyé un texto. Couchons ensemble.
C’est tout ce que ça disait. »
Je me plie en deux, riant de tout mon cœur. « Oh, mec… ça dû être décevant… ».
« Ouais. Un vrai tue-érection », dit-il avec un demi-sourire. « Je veux dire, elle était si
belle, élégante et la plus intelligente de sa classe et tout le baratin... Je m’attendais au
moins à un mot écrit ? Même un mail aurait été mieux. »
« Et alors, qu’est-ce que tu as fait ? ».
Il hausse les épaules. « Rien. J’ai laissé Rhett l’avoir. Prestley n’a pas dit non, puisque
je ne m’y intéressais plus. Elle avait juste hâte d’être avec l’un de nous. Peu importe qui
c’était. »
« Mmh… désespérée ? »
« D’être avec nous ? Oui. J’essaie d’être modeste, mais… à notre lycée, nous sommes
les prunelles de nombreux jolis yeux. »
Je ris à nouveau, mais je suis également fascinée par sa liberté d’esprit. Il se fiche de
qui fait quoi ou pourquoi, tant que ça ne l’offusque pas ou ne blesse pas, et tant que ça
ne cible pas les plus vulnérables. Je sais que les têtes brûlées sont catégoriques sur ça.
Ils peuvent être des brutes s’ils le veulent, puisqu’ils sont assez intimidants, mais ils ne
frappent que les ours dont ils savent qu’ils se défendront. Pas les oursons innocents. Gage
a proposé cette analogie.
« D’ailleurs, fait amusant, environ un an après, Prestley nous a taillé une pipe à Rhett
et à moi », ajoute-t-il, ce qui m’arrête.
« Ouah. Je ne la connais pas, mais ouah… ».
« Nous partageons », répond Gage, en me donnant un regard amusé. « Kellan, Rhett
et moi. Prestley n’était pas la première. Mais nous ne le faisons pas avec n’importe qui. »
« Qu’est-ce tu veux dire quand tu dis que vous partagez ? ».
« Sérieusement, Elly, après ce que tu as vu au bord du ruisseau, tu ressens vraiment
le besoin de demander? », me demande-t-il en pinçant ses lèvres.
Je perds Rhett et Kellan de vue alors que nous quittons le lieu bondé et nous faufilons
vers la Range Rover pour récupérer la bouteille de vodka pour les cocktails. Il y a
tellement de corps qui ont frotté contre moi sur notre chemin que je n’ai même pas senti
ma robe remonter sur mes hanches. Une brise fraiche frappe mes fesses, et j’halète
lorsque je sens les doigts de Gage sur ma peau, qui tirent ma robe vers le bas.
Mes joues sont brûlantes, mon esprit se remémore le ruisseau. Les yeux bleus de
Gage rencontrent mon visage. Pendant un moment, il n’y a que nous deux et mes propres
souvenirs de lui baisant Belladone, Chaussettes Montantes et Breloques, ce qui fait couler
mon sang dans tous les sens.
« Je ne pouvais pas te laisser marcher à moitié nue dans les environs », marmonne-t-
il, sa voix basse, rauque et bien trop sexy.
« Merci », je chuchote. « Donc, vous partagez, hein ? »
C’est ma tentative pour changer le ton de la conversation avant que je fonde dans une
flaque devant lui, mais quelque chose me dit que j’ai choisi de m’en tenir au mauvais
sujet, alors que nous arrivons enfin à la Rover. Il marche vers l’arrière de la voiture.
« Oui. Il n’y a pas beaucoup de secrets entre Rhett, Kellan et moi, Elly. Nous nous
disons tout, et c’est ce qui fait que nous sommes si proches et si forts ensembles », dit-il.
« Je sais tout d’eux et de ce qui se passe dans leurs vies, et ils savent tout de moi ».
Il semble que mon côté espiègle ne veuille pas se calmer. « As-tu déjà voulu l’une des
filles avec qui était Rhett ou Kellan ? ».
Il me regarde, mais c’est différent cette fois. Il y a quelque chose dans son regard, et
je pense savoir de quoi il s’agit, mais je n’ai pas le courage d’être plus curieuse.
« Parfois », me répond-il.
« Et qu’est-ce qu’ils en disent ? »
« Si la fille est d’accord, alors il n’y a pas de problème. Comme je l’ai dit Elly… Nous
partageons tout. »
Je ne sais pas pourquoi, mais la simple pensée m’excite sévèrement. C’est
probablement parce que je me suis demandé plus d’une fois ce que ça serait d’être avec
les trois en même temps. Il y a quelque chose dans cette synergie entre eux qui a
automatiquement invité de tels fantasmes à s’installer dans ma tête. Si quelqu’un d’autre
me disait de telles choses, je lui rirais au nez. Mais avec Gage, Rhett et Kellan… oui, je
les crois.
Le regard de Gage s’éteint lorsque des voix étrangères percent le silence du parking.
Elles sont bien plus proches que la musique qui résonne derrière le chalet. Il les voit
avant moi.
« Merde ! »,siffle-t-il, puis attrape mes poignets et me tire avec lui derrière la Rover.
« Ne dis pas un mot ! ».
Il est tellement autoritaire ! Et ça ne me dérange absolument pas. Je réalise très vite
qu’il veut que nous nous cachions. Belladone et Chaussettes Montantes arrivent juste de
la fête, et elles cherchent quelqu’un – lui…
« Je te jure que je l’ai vu venir ici », marmonne Chaussettes Montantes, en mordant
sa lèvre inférieure.
Elles portent toutes les deux des robes courtes semi-transparentes, et je peux voir
leurs maillots de bain sous les tissus miroitants bleus et verts. Elles cherchent
probablement à avoir un bain de minuit plus tard, et elles veulent que Gage se joigne à
elles.
« Tu crois qu’il sera partant ? », lui demande Belladone en continuant la conversation
que ni Gage, ni moi n’avons eu la chance d’écouter.
« Je doute qu’il dise non. Je veux dire, seulement nous deux avec lui ? Putain, oui ! ».
Il est difficile pour Gage de ne pas rire, je couvre donc sa bouche de mes deux mains,
le poussant silencieusement à se taire. Si nous voulons l’aider à éviter un plan à trois
avec Belladone et Chaussettes Montantes – ce qui est clairement ce qu’il veut, alors il
doit rester silencieux le temps qu’elles le cherchent.
Il s’immobilise, ses lèvres douces et chaudes contre ma peau. Il me regarde, se
fichant des filles qui se déplacent le long du parking et loin de nous. Quelque chose
change entre nous – un changement subtil que je peux à peine remarquer, jusqu’à ce que
ses mains atteignent mes hanches et qu’il me tire vers lui.
J’avale ma salive, soudain indifférente et sans défense, comme une biche prise sous
les phares.
Les voix des filles s’éloignent, et il n’y a, de nouveau, que nous deux. Ses doigts
s’enfoncent dans ma chair, alors que je pose mes mains sur ses épaules – un mouvement
dont je ne pense pas qu’il était délibéré. Pourtant, c’est arrivé. Je réagis. Une pointe de
menthe me monte aux narines.
« Tu as fumé ? » je demande, essayant de gagner du temps jusqu’à ce que je
comprenne ce que signifie tout ça…
Il secoue la tête. « Je t’ai promis que j’arrêterais. Je l’ai fait. J’en suis à mon troisième
jour et j’ai fait le plein de pastilles de nicotine. »
« Bien, bien. C’est mieux. Plus sain. Tu le sais. »
« Qu’est-ce que tu essaies de retarder, Elly ? » demande-t-il, soudain sérieux.
« Qu’… Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« Tu vois ce qui se passe entre nous, n’est-ce pas ? »
Oh, je le vois bien. Je ne sais simplement pas quoi en faire. Son érection gonfle,
pressant mon bas-ventre, sa prise se resserre sur mes hanches. Je sens l’excitation
germer entre mes jambes, mon souffle s’arrêtant lorsqu’une de ses mains se déplace vers
mes fesses et les presse fermement.
« Dis-moi, Elly. Tu le vois… »
Je hoche une fois la tête, alors qu’il me rapproche plus près. Son torse est ferme et
mes mains glissent vers le bas, mes doigts ayant hâte de sentir ses muscles sous sa
chemise en coton.
« Qu’est-ce qu’on va en faire ? », demande-t-il en baissant sa tête.
Mes lèvres s’écartent, son souffle chatouillant mon visage. Son parfum est enivrant,
alors que l’océan lui-même attend mon baiser. « Je suis avec Kellan », je chuchote.
« Je t’ai dit… nous partageons, Elly. Dis-lui. Ça ne le dérangera pas. »
Le concept me frappe comme une brique. C’est une réalité possible, mais ai-je le
courage de la réaliser ? La main de Gage glisse entre nous et sous ma robe. En quelques
secondes, il trouve ma culotte, puis mes lèvres glissantes en prenant une inspiration
profonde et satisfaite.
« Regarde-toi, Elly, toute mouillée et languie de moi », dit-il. « Je serais un monstre si
je ne prenais pas ce que tu veux clairement me donner… ».
Il me travaille au corps avec ses doigts, et mes hanches se balancent dans des
mouvements circulaires, mon corps répondant à son toucher. Oh, il sait exactement ce
qu’il fait. Je suis une mouche prise dans sa toile d’araignée, et je veux qu’il me dévore.
« Est-ce que ça te paraît mal ? », demande-t-il en déposant de doux baisers le long de
ma clavicule.
Il me pénètre avec un doigt, puis deux… puis trois, et je ne peux pas m’empêcher
d’écarter mes jambes et d’enrouler mes bras autour de son cou. Il lève sa tête pour me
regarder, et je me perds dans les piscines bleues de ses yeux.
« Non… C’est bon… Si bon… » je croasse.
Il capture ma bouche dans un baiser – c’est délicat et curieux au début, mais ça vire
rapidement à la folie, sa langue envahissant et attaquant la mienne. Je me retrouve
poussée contre l’arrière de la Rover, sa main tourmentant encore ma chatte, taquinant
ma bosse palpitante et me baisant sauvagement avec ses doigts.
Chaque fois qu’il enfonce sa main, je suis prête à me défaire. Nous nous consommons
l’un et l’autre avec des baisers passionnés, jusqu’à ce qu’il arrête si soudainement que je
m’apprête à crier. « Non… » je murmure, sans souffle.
Un sourire diabolique lui fend le visage d’une oreille à l’autre. « Hum… Ouvre ta
bouche », me dit-il, et j’obéis. Il y met un doigt, que je suce, en me goûtant sur sa peau.
Mon esprit se déforme, la chaleur en moi se propageant au-delà de limites inconnues. Il
met ensuite son doigt dans sa bouche et ferme les yeux en profitant de chaque instant.
Sans prévenir, il descend vers ma culotte et commence à me savourer à nouveau. Je
ne peux pas m’arrêter alors qu’il utilise son autre main pour prendre un de mes seins,
suçant le téton à travers le tissu, l’humidité se diffusant, mes jambes s’affaiblissant un
peu plus à chaque seconde qui passe.
Je suis prête à exploser, et c’est ce qu’il veut. Il lève ses yeux vers moi, mon sein dans
sa bouche, ses doigts s’enfonçant en moi plus vite et plus fort, impatient de voir mon
visage lorsqu’il aura tiré le dernier fil, et je me défais.
Nous avons laissé Rhett et Kellan quelque part près du bar. Gage dit qu’ils partagent…
parfois. Oh, ma conscience est submergée par un mélange de culpabilité délicieuse et
d’excitation brûlante, alors que je bouge contre sa main et contracte ma chatte autour de
ses doigts, à quelques secondes du néant.
« Où est-ce qu’il est allé, putain ? », j’entends Belladone s’approcher à nouveau.
Gage redresse son dos et couvre ma bouche avec la sienne, m’épinglant davantage
contre la Rover et me baisant plus profondément avec ses doigts. Je dois rester
silencieuse. Nous entendons des bruits de pas puisqu’elles traversent à nouveau le
parking. Si elles nous surprennent, ça deviendra un sacré cirque au camp de vacances. La
simple pensée et le danger de tout ça finissent de me pousser à bout.
L’orgasme détruit mes sens alors que je gémis contre ses lèvres. Sa main est tenace,
rapide et brutale, et j’accueille la délicieuse douleur et l’âpreté glissante alors qu’il
continue de me faire surfer cette vague jusqu’à ce que je ne puisse plus tenir debout,
jusqu’à ce que les vagues pulsatives se dissipent et que mon cœur batte si
frénétiquement que je suis prête à m’effondrer.
Le silence s’installe entre nous, pour nos cœurs tonitruants si proches. Belladone et
Chaussettes Montantes ne sont plus là, et Gage vient juste de me donner l’une des
expériences les plus époustouflantes de ma vie. Je voulais tellement faire ça et bien plus
encore, depuis que je l’avais vu au ruisseau – ce n’est simplement pas facile à admettre.
On m’a enseignée la monogamie et la fidélité mais c’est tellement différent avec les
têtes brûlées. J’ai le sentiment que rien de ce que je connais n’est valable pour eux.
« Tu es incroyable », me chuchote Gage à l’oreille. « La façon dont tu jouis. La façon
dont ta chatte s’abandonne à moi. Elly… si c’est comme ça que tu es lorsque je te doigte,
j’ai vraiment hâte de voir ce qui se va se passer lorsque je mettrai ma queue en toi… ».
Je lève les yeux en m’évanouissant presque à la seule idée d’une telle expérience. Je
m’accroche à lui de toutes mes forces, attendant de reprendre le contrôle de mes jambes.
Nous nous tenons comme ça pour ce qui semble être une éternité, attendant que mon
cœur reprenne un rythme un peu plus calme. La culpabilité refait surface et Gage le sent.
Il attrape mon menton entre son pouce et son index, levant ma tête alors que ses
yeux cherchent mon visage. « Il n’y a pas de quoi avoir honte, Elly. Rien de tout ça n’est
mal. Tu l’as dit toi-même, c’est bon », dit-il en souriant doucement.
Oui c’est tellement bon, putain… Et c’est précisément le problème.
C’est ce que ça va être avec eux ? Un orgasme après l’autre entre des heures de rires
et de conversations profondes ? Passer de Gage à Kellan à… Rhett et recommencer ? Où
irons-nous à partir de là ?
Ça ne semble pas faux.
Ça semble si réel.
Si doux.
Si étrange et si érotique, putain.
Mais est-ce seulement pour le moment ? Quelle sorte d’éternité je vise avec eux ?
Parce que je tombe amoureuse. Si fortement que je ne sais pas si je serai capable de me
relever si je m’écrase.
Est-ce qu’ils me rattraperont avant que je ne plonge vers la mort ?
ELLY

APRÈS AVOİR ENTENDU les informations à propos de Harry Flanagan, j’ai été tentée d’écrire à
Rhett et Kellan, mais, même si ce fut très dur, j’ai résisté et essayé de continuer ma
journée. Je leur ai jeté des coups d’œil tout au long de la journée, me demandant
pourquoi ils étaient au lycée, étant donné la tragédie qui s’était abattue sur leur famille.
Kellan et Rhett restent à côté de Gage, chuchotant dans les coins et regardant
occasionnellement autour d’eux, s’assurant que personne ne les écoute.
Je n’ai pas grand-chose à dire, mais au vu de tout ce qui s’est passé, y compris de ma
rencontre enflammée avec Kellan, je comprends que quelque chose de bien plus sombre
et de réellement dangereux se cache sous la surface, en ce qui concerne les Flanagan.
« Tu vas bien ? », me demande Kyle alors que nous nous approchons de nos casiers. Il
a fait jouer ses relations avec l’administrateur de l’école pour avoir son casier à côté du
mien, au cas où quelqu’un ait l’idée d’y mettre à nouveau des préservatifs. Son besoin de
me protéger est mignon, mais je sais qu’il est limité. J’ai le sentiment que ça ne
découragera pas Rhett, Kellan et Gage.
« Oui, je me demande juste comment vont Rhett et Kellan », dis-je, en récupérant
mon sac à dos et des livres scolaires. Il m’a fallu un moment, mais je suis parvenue à
faire partir la majorité du tag « pute » à l’intérieur de mon casier. « Tu sais que leur père
est mort. »
« Mmh… ce n’est pas un peu karmique ? », me répond-il, regardant prudemment les
têtes brûlées sortir de la classe et s’arrêter de l’autre côté du couloir, où se trouvent leurs
propres casiers. Ils sont encore en train de parler. Kellan est clairement bouleversé, ses
yeux sont rouges et bouffis. Je pense que c’est lui qui le vit le plus mal.
« Mec. C’est un peu extrême », dis-je à Kyle. « Leur père est mort. »
« L’univers n’est pas toujours injuste, Elly. Tu fais du mal, ça te revient deux fois plus
fort. C’est le parfait exemple », répond Kyle, n’éprouvant définitivement aucun remord. Je
suis sincèrement surprise. Son antipathie pour les têtes brûlées semble être plus vive que
je ne le pensais.
« Je refuse d’en profiter une seule seconde, peu importe ce qu’ils m’ont fait », je
marmonne. Rhett jette un œil vers moi, et je peux sentir sa douleur dans mon cœur
avant qu’il ne détourne son regard. « De plus, ils se sont excusés. À leur manière propre
et brute, mais… ils se sont excusés. »
Kyle me fixe, incrédule. « Quoi ? Quand est-ce que ça s’est passé ? ».
« Hier. Je comprends maintenant pourquoi Kellan a dû partir si vite », je souffle, me
rappelant le regard sur son visage. Celui du choc d’avoir appris que son père venait de
mourir. Mes problèmes semblent soudain minimes, plus insurmontables ou même
vaguement cauchemardesques, en comparaison à ce que vivent les têtes brûlées.
« On dit que l’oncle va désormais reprendre les affaires de famille », dit Kyle pour
changer de sujet. « Ce sont des rumeurs, bien évidemment… ».
« Quelles rumeurs ? ».
« Qu’il a été tué. Que l’oncle voulait vraiment tout recevoir du vieux Quinn Flanagan »,
répond Kyle à voix basse puis hausse les épaules. « Mais encore une fois, ce ne sont que
des rumeurs. On ne peut pas croire tout ce qui se dit dans les rues. »
Mais c’est logique. Pour moi en tout cas. Si l’oncle est le grand méchant loup dans
cette histoire, c’est peut-être de lui dont Rhett, Gage et Kellan sont effrayés. Il est peut-
être la raison pour laquelle ils ont si durement essayé de m’éloigner et me faire partir –
mais si c’est le cas, alors tout ce qui s’est passé entre nous, à commencer par le camp de
vacances, est définitivement bien plus gros et plus important que je ne le pensais.
Suis-je leur faiblesse ? Ils ont eu un tas de filles autour d’eux. Pourquoi est-ce que leur
oncle n’irait pas vers elles ? Pourquoi moi ? Je dois être différente. Spéciale ? La seule
pensée fait normalement chanter mon cœur, mais la réalité terrifiante m’ancre
fermement au sol. Je suis peut-être en danger. Ça doit être la raison pour laquelle ils
voulaient à tout prix que je quitte Trinity. Ils l’ont probablement vu arriver.
Oh, merde…
Kyle remarque mon changement d’expression, alors que mon esprit fait tous les bons
calculs et me conduit à la conclusion la plus probable de tout ça. Tout ce qu’ont fait les
têtes brûlées, en dépit de la cruauté et grossièreté, c’était pour me protéger. J’aimerais
encore les frapper un peu pour toutes les larmes et l’agonie qu’ils m’ont causées, mais…
Jésus Christ !
« Elly ? », Kyle cherche à attirer mon attention. J’ai entendu sa voix en fond, mais je
n’ai pas enregistré un seul de ses mots. J’étais trop ravagée par les têtes brûlées, et par
ce que signifie tout ça.
« Oui… Désolée, je me suis seulement déconnecté une seconde. »
« Est-ce que tu restes pour la réunion des parents d’élèves. Ça va bientôt
commencer », me dit-il.
En regardant autour, je réalise qu’il ne reste seulement qu’une poignée d’élèves. La
plupart ont passé les portes pour le weekend. Il y a une réunion de parents d’élèves que
j’ai presque oubliée, et ma mère vient bel et bien. Je me demande qui sera là du côté
Flanagan, étant donné ce qui s’est passé.
« Je ne suis pas sûre. Je ne serai pas contre l’idée que ma mère me ramène, mais ça
dépend du temps que cela prendra », je réponds.
J’aperçois Rhett faire un signe de tête à Gage et Kellan. Il s’éloigne d’eux et se dirige
vers moi. En moins d’une seconde, je passe de neutre à hypertendue lorsqu’il m’atteint,
son regard froid, ses yeux perçant mon être.
« Tu ne devrais vraiment pas être là », me dit -il.
Kyle se moque. « Ce que fait Elly ne te regarde pas… ».
« Tu la baises ? » l’interrompt Rhett.
« Je te demande pardon ?! », je lâche, la rage prenant d’assaut ma poitrine.
Kyle est ébahi. « Quoi ?! Non ! Mais c’est quoi ce bordel, Rhett… ».
« Alors ferme ta gueule et dégage », répond Rhett. Il me regarde à nouveau. « Tu
dois partir. Maintenant. »
« Mec, tu dépasses les bornes », le menace Kyle.
Rhett le repousse, et Kyle glisse presque et chute. « Je t’ai dit de dégager, Perry. »
« Va te faire foutre, Flanagan ! Ce n’est pas parce que ton père a clamsé que tu as le
droit de menacer tout le monde comme de la merde ! », grogne Kyle, et Rhett lui donne
un coup si fort, qu’il atterrit sur son dos, le sang giclant de son nez. Kyle pourrait riposter,
il a le niveau pour que ce combat soit serré. Mais, pour l’instant, il se contente de serrer
son nez.
« Rhett, arrête ! » je crie. « Stop ! ».
Il est incontrôlable. Je vois des flammes vertes brûler dans ses yeux, alors qu’il
m’attrape par le col. « Pars, Elly. Putain, pars. Tu ne veux pas être là quand il… ».
« Rhett ! » une voix d’homme émerge de l’entrée, ce qui provoque un arrêt soudain.
Tout se passe si vite, aucun de nous ne remarque l’arrivée des parents. Ma mère est à la
porte, les yeux écarquillés de choc. Connor se trouve à quelques centimètres à sa
gauche, et plus loin à la gauche de Connor se tient l’homme dont la voix a empêché ce
moment de dégénérer en quelque chose de bien pire, parce que Kyle est déjà de retour
sur ses pieds, tenus par Gage et Kellan.
« Merde », marmonne Rhett, laissant mon tee-shirt.
« Je ne pensais pas qu’Harry élèverait une brute », dit l’homme. Ses yeux verts futés
me trouvent, et je sais, d’une manière ou d’une autre, qui il est. Je vois des traits
communs aux Flanagan – la lame de son nez, ses épaules larges, ses yeux sauvages et
ses cheveux noirs et bouclés.
Rhett s’éloigne de moi en me lançant un regard noir. « Fais attention à ce que tu dis,
Fox. Pas d’insolence. Je t’ai prévenu. »
« Excusez-moi, pour qui vous vous prenez ?! », ma mère l’interrompt, visiblement
énervée en se précipitant vers moi.
« Maman, laisse tomber », lui dis-je. « C’est bon. »
« Non, ce n’est pas bon ! Êtes-vous en train d’agresser ma fille ?! », demande-t-elle en
fixant Rhett. Je peux voir qu’il ne sait pas comment gérer ça.
« Je m’excuse pour lui », l’homme aux yeux verts nous interrompt poliment, offrant un
sourire charmeur. « Il est vraiment bouleversé puisque son père, mon frère, est mort
hier. »
Je savais que c’était l’oncle. Celui dont on dit qu’il a…
Ma mère cligne plusieurs fois des yeux, essayant de tout traiter. « Qui êtes-vous ? »,
murmure-t-elle, en regardant brièvement Connor qui reste à l’écart, raide et sombre, les
mains bien ancrées dans ses poches.
« Kevin Flanagan. Et vous ? ».
« Ruby Fox-Keenan. La mère d’Eleanor », dit-elle avant de me jeter un coup d’œil en
coin. « Est-ce la première fois qu’il t’agresse ? ».
Elle parle de Rhett. Oh, non. Non, non, non !
« M’agresse ?! Non maman, attends ! C’est seulement un malentendu, personne n’a
agressé personne ici ! ».
« Pourquoi ne lui dis-tu pas la vérité, Elly ? », ricane Kyle, secouant sa tête de dégoût.
« Dis-lui ! Dis-lui à quel point ils étaient adorables avec toi au camp de vacances et à
quel point ils t’ont tourmentée depuis que tu es arrivée dans ce lycée. »
« Kyle… », je grogne, mourant soudain d’envie de le frapper moi-même.
Si mes soupçons sur Kevin Flanagan sont corrects, alors je ne veux absolument pas
qu’il pense que ses neveux et moi avons déjà été proches. Je n’ai jamais eu affaire à la
mafia irlandaise dans le passé, et je ne veux certainement pas commencer aujourd’hui.
Ma mère, cette pauvre âme, n’a aucune idée de ce que j’essaie désespérément
d’éviter ici. Kellan est aussi blanc qu’une feuille de papier, alors que Gage lance un regard
noir à Kyle, qui semble maintenir sa déclaration. Je sais qu’il veut bien faire, mais bon
sang !
« C’est vrai ? As-tu été harcelée ici, Elly ? Par ces garçons ? », demande ma mère, en
montrant du doigt Rhett, Kellan et Gage, qui semblent aussi coupables qu’ils le sont.
« Madame Fox, je… », Rhett essaie de parler, son oncle le coupe.
« Toi et moi, nous parlerons de ça tout à l’heure. Je suggère que ton frère et toi
rentriez chez vous. Votre mère a besoin de vous », dit-il, puis donne à ma mère un
sourire désolé. « Je suis tellement désolé pour ça. Je vous promets que nous allons y
remédier, et Eleanor n’aura plus rien à craindre. »
« Il n’y a aucun problème ! », je réponds, sincèrement exaspérée. « Nous avons
simplement eu des désaccords, et c’est tout ! Nous ne sommes pas amis, nous ne
sommes pas ennemis, nous ne sommes rien. Il n’y a rien qui a besoin d’être réparé ici, et
Kyle aime simplement parfois raconter des conneries », j’ajoute en le fusillant du regard.
Ça m’apprendra à lui avoir faire confiance en premier lieu.
« Je vois… eh bien, merci de clarifier les choses, Eleanor », dit Kevin. « Eleanor… », il
laisse mon nom s’attarder sur sa langue pendant un court instant. « C’est un prénom
magnifique. »
« Merci », je marmonne, me sentant comme une fourmi sur une loupe, le soleil sur le
point de m’anéantir à travers sa lentille.
« Vous étiez au camp de vacances ensembles, alors ? », me demande ma mère, son
regard vacillant entre Rhett et moi. Je ne lui ai jamais dit. Elle n’était même pas censée
le savoir. Merde, Kyle.
Je hausse les épaules, en essayant de paraître aussi détachée que possible, même si
je sens mes joues brûler. « Nous n’avons pas traîné ensemble ou quoi que ce soit », dis-
je. « Nous étions juste dans le même camp. C’est tout. Maintenant, tu n’as pas une
réunion parents-élèves à laquelle tu dois assister? ».
Les autres parents arrivent et nous regardent curieusement en passant. Ils se dirigent
vers la salle de classe au bout du couloir, où poil de carotte attend déjà avec des
rafraîchissements et des gâteaux de la boulangerie d’en face. Heureusement qu’elle n’a
rien vu de tout ça. La dernière chose dont nous avons besoin, c’est d’attirer l’attention du
lycée, en plus de celle de l’oncle potentiellement meurtrier.
Ma mère se radoucit, expirant vivement. « Nous aurons toi et moi une sérieuse
discussion à ce propos à la maison », dit-elle, et je hoche brièvement la tête.
« D’accord, maintenant, vas-y », je réponds.
« Je vous retrouve à l’intérieur », dit Kevin, souriant un peu trop largement à ma
mère. Connor se déplace à côté de lui, mais il ne semble pas être très content que Kevin
lui parle. La jalousie est un vilain défaut. Connor est également impliqué avec les
Flanagan – ça, je le sais maintenant, mais… où est-ce que se situe son cœur dans tout
ça, notamment si la rumeur concernant Kevin est vraie ?
Ils marchent tous les deux devant, et je vois l’échange de regards tendus entre les
têtes brûlées et Kevin. Je comprends qu’il y a définitivement de quoi m’inquiéter à
présent. Ma mère s’apprête également à se diriger vers la classe mais j’attrape son
coude, la retenant quelques secondes.
« Reste à l’écart de Kevin Flanagan », lui dis-je en chuchotant. « Reste à l’écart de
Connor, aussi. Au moins jusqu’à ce que je comprenne ce qui se passe. S’il te plait,
maman. »
Elle me donne un regard stupéfait. « Quoi ? Elly, de quoi est-ce que tu parles ? ».
« Je te retrouve à la maison. Simplement, ne leur parle pas, d’accord ? Si Kevin et
Connor veulent te parler, prétends que je suis malade ou autre. Éloigne-toi, s’il te plait. »
Ouah, je parle vraiment comme Rhett, Kellan et Gage à présent. L’univers n’est-il pas
un vrai salaud, ou quoi ? Je laisse ma mère à la réunion de parents d’élèves car d’autres
parents entrent, et me précipite en dehors du lycée.
Dès que j’arrive dans la rue, j’expire. Je n’ai même pas réalisé que je retenais ainsi
ma respiration. C’est agréable, d’inspirer et d’expirer lentement. Le coucher de soleil est
comme à son habitude, des nuances étranges de rose et rouge, créant un faux air de
tranquillité sur Trinity. C’est une belle ville, c’est certain. Un rêve de banlieue, même.
Mais il y a un poison sous cette jolie surface, et je pense qu’il cherche à m’empoisonner.
« Elly ! », la voix de Kyle me fait sursauter.
Il me court après, mais je ne suis pas d’humeur à m’occuper de lui en ce moment. Il
nous a pratiquement attiré des problèmes que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi.
Je descends les rues aussi vite que possible, pour m’éloigner de lui.
« Elly, attends ! ».
« Va te faire foutre, Kyle ! », je crie, mais je continue d’avancer. « Je t’ai dit ces
choses de façon confidentielle, et tu les as lâchées devant ma mère, pour l’amour du
ciel ! C’est un véritable abus de confiance ! C’est presque aussi grave que ce qu’ont fait
les têtes brûlées ! ».
« Ne me compare pas à ces connards, s’il te plait ! », répond Kyle, me rattrapant et se
précipitant à mes côtés, du sang séchant sous son nez. Il a utilisé un mouchoir pour le
tamponner toutes les deux minutes.
« Tu ne sais pas ce que tu as fait ! Tu aurais dû fermer ta gueule, putain », je
marmonne, me demandant s’il mérite toute cette rage. Après tout, il ne comprend pas le
danger dans lequel il m’a entraîné. Il espérait probablement éclairer le harcèlement et
voir les têtes brûlées punis pour ce qu’ils ont fait.
Seulement, ils m’ont protégée. Et ça semble tellement injuste…
« Pourquoi tu ne me l’as pas dit alors, Elly ? ».
Je m’arrête et le fixe. « Tu n’aurais pas compris. Lâche l’affaire, Kyle. Et arrête de
raconter aux gens le camp de vacances. Tu me fais regretter de t’avoir un jour fait
confiance. »
Il semble offusqué, ce qui est plutôt gonflé, étant donné la conversation que je vais
devoir avoir avec ma mère plus tard. S’il avait fermé sa gueule, ça ne serait resté qu’un
petit problème de harcèlement qui m’aurait tenu à l’écart du radar de Kevin. Le dégât
qu’il vient de causer pourrait bien être irréparable.
« Laisse-moi tranquille », j’ajoute et m’éloigne.
Kyle ne me suit pas cette fois. Pourtant, alors que les minutes passent et que je me
rapproche de chez moi, je me sens observée. Je regarde par-dessus mon épaule, plus
d’une fois, les cheveux dans ma nuque remuent, mais je ne vois rien ni personne de
suspicieux. Seulement des parents ramenant les enfants chez eux. De nouvelles mamans
avec des poussettes. Des joggeurs occasionnels. C’est Trinity telle qu’elle devrait être.
Pas telle qu’elle est vraiment.
RHETT

TROİS JOURS se sont écoulés depuis les funérailles de mon père, et nous sommes encore en
train de nous relever du choc de tout cela. Ma mère est sous antidépresseurs et elle dort
la plupart du temps. C’est la seule façon pour elle de faire face à la situation, et c’est la
meilleure que Kellan et moi puissions espérer.
C’était un événement bondé, c’est le moins que l’on puisse dire. Des centaines de
personnes présentes, tous amis de la famille. Et la même question demeurait sur toutes
les lèvres, dans leurs voix étouffées et leurs murmures errants– que va-t-il arriver à
l’empire Flanagan maintenant que Kevin en a les rênes ?
Je suis sur le point de le découvrir. Il a convoqué une réunion dans le bureau de
grand-père. Dans notre maison. J’aurais trouvé ça offensant si je ne connaissais pas
Kevin. Il le fait intentionnellement, il vient dans notre territoire pour y foutre le bordel, tel
le dominant qu’il veut être.
Kellan et moi sommes déjà présents, accompagné de Gage. Connor nous rejoint, il se
dirige directement vers la bouteille de whisky et les verres Baccarat sur la charrette de
service dans le coin. Mon sang coule à flot, et je ne suis pas encore habitué à ce qui a
plongé ma vie dans le chaos le plus total. Mais une chose est sûre, et mon frère, Gage et
moi en avons déjà parlé. Nous allons peut-être devoir prendre des mesures drastiques
pour nous protéger, protéger notre famille et nos affaires.
« Comment tenez-vous le coup tous les deux ? », demande Connor, arrivant avec un
verre. C’est le deuxième. Il a descendu le premier d’un coup aussitôt après l’avoir servi. Il
a subi beaucoup de pression – un fait non seulement confirmé par Gage, mais aussi par
les cernes autour de ses yeux. Connor ne dort pas bien.
« Nous nous en sortirons », dis-je. « Où est Kevin ? ».
« Il arrive. Il est dans les embouteillages à Trinity », répond Connor.
Je me demande d’où vient Kevin. Il a fait le tour des alliés des Flanagan, jusqu’à Los
Angeles. Il prépare le terrain, s’assurant qu’il a tous les gros poissons de son côté, au cas
où Kellan et moi essaierions de s’opposer à lui concernant la règle de succession.
Mon téléphone vibre. C’est un message de Kellan, qui est assis juste à côté de moi. Il
ne peut pas le dire fort. « J’ai payé le médecin légiste le double de ce que K a payé », dit
le message. « Ça valait le coup. J’ai eu le véritable rapport de toxicologie. » Il y a un
fichier PDF joint, et je l’ouvre. En balayant rapidement des yeux les colonnes et les lignes,
je vérifie les analyses sanguines et… la voilà. Une faible dose de cyanure. Ingérée. On
estime qu’il a fallu jusqu’à une heure pour qu’elle fasse effet, au lieu de quelques
secondes comme c’est généralement le cas à plus forte dose.
La chronologie des évènements étant encore fraiche mais incomplète dans ma tête, je
lève les yeux vers Connor. « Tu te souviens depuis combien de temps mes parents
étaient au café? ».
« Environ vingt minutes, je pense. Ils s’étaient arrêtés pour un café et des gaufres »,
me dit-il, entre deux gorgées de whisky. J’analyse attentivement son expression, et je
peux presque voir quelque chose changer, prenant une nouvelle forme dans son esprit.
Connor O’Donnell est l’une des personnes les plus loyales que j’ai jamais rencontrées. Il
n’aurait jamais fait de mal à mon père. Gage aussi insiste sur le fait qu’il n’est pas
impliqué – ce qui le rend péniblement ignorant à ce point, et nous devons y remédier.
« Qui est-ce qu’ils ont vu avant ça ? Ou ne faisaient-ils que conduire ? », répond
Kellan, essayant de garder sa voix calme et constante. Nous en avons déjà parlé. Nous
ne pouvons désormais plus montrer aucune émotion. Nous ferons tout ce qu’il faudra pour
éliminer la menace et protéger notre mère et Elly.
Connor secoue sa tête. « Ils ont eu une brève réunion avec Valenti chez lui à Valley
Springs. Ça avait quelque chose à voir avec la recherche de nouvelles routes de
transports pour les cargaisons d’armes. Le FBI rôde autour de notre stand de
ravitaillement de Sacramento. »
Je hoche lentement la tête. Gage me regarde. Il sait exactement ce que nous allons
faire ensuite, après la réunion avec Kevin. Nous devons d’abord y assister. Une chose
après l’autre.
« Pourquoi est-ce que tu me demandes ? », continue Connor en me regardant
curieusement.
Kevin arrive. Brigitte est avec lui, je me demande pourquoi il l’a emmenée. Je suis
encore abasourdi par son audace à se présenter à la réunion des parents d’élèves –
même si nous savons que c’était davantage pour étudier le terrain. Il n’a pas reparlé
d’Elly après, lorsqu’il s’est arrêté à la maison voir comment notre mère allait. Il prépare
quelque chose, et je n’arrive pas à prévoir son angle d’attaque.
« Désolé pour le retard. La circulation était horrible », dit Kevin, faisant signe à
Brigitte de s’asseoir sur le canapé des invités. Elle obéit, déverrouillant et pianotant sur
son téléphone sans vraiment dire bonjour. C’est comme si elle n’avait plus besoin de
jouer le rôle de la tante en deuil. Mon père est mort. Ma mère est clairement sous
tranquillisants. Le temps de scène de Brigitte est terminé.
« Qu’est-ce qu’on fait là ? », je demande à Kevin, qui s’assoit derrière le bureau de
grand-père et commence à tripoter avec les boutons de réglages du fauteuil de bureau,
pour se mettre plus à l’aise.
« Oh, je pensais que nous devrions nous occuper de toutes les choses désagréables
maintenant que les funérailles sont passées », répond Kevin en me donnant un sourire
sec. « Donc, premièrement, je superviserai le commerce du whisky jusqu’à ce que vous
ayez 21 ans. » Il récupère un dossier de sa fine mallette et me le remet.
Mon sang se glace. « Quoi ? »
« J’ai effectué quelques modifications au testament de mon père, et Phelps a tout
approuvé », dit Kevin, aussi serein qu’une journée de mars ensoleillée. « Vous êtes trop
jeunes pour gérer toute affaire du portefeuille des Flanagan, même celle du whisky. Je
vous donnerai des contrats de travail et vous paierai un salaire mensuel, bien
évidemment, mais tous les profits me reviendront. J’ai pris la liberté de vous créer un
fonds fiduciaire, auquel vous aurez accès lorsque vous aurez atteint l’âge légal. À partir
de maintenant, tous les profits du commerce de whisky y seront versés. »
« D’où est-ce que ça vient, putain ? », lance Kellan. « Tu n’avais pas le droit de faire
ça. »
« J’ai la procuration ainsi que les comptes rendus écrits de vos camarades de classe
concernant votre comportement », répond Kevin. « C’est suffisant pour convaincre
n’importe quel juge et n’importe quel associé des Flanagan qu’ils ne peuvent pas vous
faire confiance avec le commerce du whisky avant que vous ne grandissiez un peu plus. »
Je ne peux pas m’empêcher de glousser amèrement. « Donc, c’est pour ça que tu es
venu à la réunion des parents d’élèves. C’est logique, maintenant… bien joué. »
Mon amusement l’intrigue, mais néanmoins, il sourit. « Nous savons tous qu’il faut un
vrai homme pour diriger la famille, Rhett. Et aucun de vous n’est suffisamment intelligent
pour m’affronter, c’est donc pourquoi je suis celui qui mène la barque, au moins jusqu’à
ce que vous ayez 21 ans. »
« C’est pour le mieux », ajoute Connor, en baissant les yeux sur moi. « Ça donne à
chacun le temps de digérer réellement tout ce qui s’est passé cette année. »
« Et tu es d’accord avec ça ? », souffle Gage, complètement choqué.
« Les O’Donnell et les Flanagan sont amis », répond Kevin. « Donc bien évidemment
qu’il est d’accord avec ça. C’est une question de bon sens! ».
« Tu ne peux pas nous prendre l’affaire du whisky », dis-je. « Ce n’est pas juste.
Qu’est-ce que tu veux en faire ? Elle ne rapporte pratiquement aucun profit notable… ».
« Quelle partie de "vous n’êtes pas assez matures pour le diriger" n’as-tu pas
compris ? », riposte Kevin. Il regarde Connor en sortant quelques documents de sa
mallette. « Peux-tu monter en haut et voir comment va Rosie ? Elle doit signer ces
documents pour moi. »
Connor acquiesce et récupère les documents, ainsi qu’un stylo plume, puis quitte le
bureau. Quelque chose me dit que le spectacle ne fait que commencer. Ce n’est pas
anodin que Kevin veuille Connor en dehors de la pièce – et c’est en réalité un signe
encourageant pour moi. Cela signifie qu’il va agir dans son dos, quel que soit le sujet qu’il
s’apprête à discuter avec nous.
Le regard de Kevin se refroidit et j’ai tout d’un coup l’impression d’être assis sur une
glacière. Mais je ne peux pas le laisser nous prendre l’affaire de whisky si facilement. Il se
douterait que j’ai une autre idée derrière la tête. « Je ne sais pas ce que tu as entendu au
lycée, mais ce ne sont que des mensonges. »
« Oh, donc tu n’as pas baisé Eleanor Fox dans l’une des salles de classe ? ».
La question me frappe si fort, de manière si inattendue, que mon estomac tombe,
soudain rempli de plomb. En me raclant la gorge, j’essaie de trouver les bons mots tout
en regardant Brigitte par-dessus mon épaule. Son sourire satisfait alors qu’elle prétend
être occupée sur son téléphone me prouve tout ce que j’ai besoin de savoir. C’est elle qui
lui a dit.
« Ce ne sont pas tes affaires », dis-je enfin, alors que Kellan me fixe, sincèrement
horrifié. Gage est un peu trop pâle. Ils sont ridiculement transparents à l’heure actuelle,
et n’aident en rien.
Mon cœur se tort lui-même de douleur alors que j’essaie de trouver un moyen de me
sortir de ça. Mais la cible de Kevin est déjà posée.
« Voilà le truc, Rhett. Je sais que vous avez tous les trois une sacrée histoire avec
mademoiselle Fox. Je sais que vous deux l’avez déjà baisée, et je sais que vous êtes fous
d’elles, c’est donc la raison pour laquelle vous vous êtes acharnés à la repousser », nous
dit-il d’un seul souffle. « Je sais aussi que pour vous forcer à m’obéir, je n’aurais qu’à
commencer à lui couper les doigts. Alors, qu’est-ce que ce sera, Rhett ? Allez-vous
continuer à m’affronter sur ce sujet ou allez-vous me laisser diriger cette famille, comme
je suis censé le faire ? ».
Le silence s’installe dans la pièce. J’observe Kellan, et je sais qu’il lui faut une quantité
titanesque de contrôle pour ne pas sauter sur le bureau et planter un stylo dans l’œil de
Kevin.
« Bien évidemment, Connor n’est pas au courant de tout ça. Si vous ne faites que lui
insinuer la situation délicate dans laquelle pourrait se trouver Eleanor, vous recevrez sa
tête dans un colis. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? », ajoute Kevin et je ne
n’arrive pas vraiment à voir où il veut en venir.
Je me lève doucement de ma chaise, travaillant ma propre respiration alors que la
peur gèle mes os. Mes mouvements sont mous et mon cœur est à deux doigts de
s’arrêter. C’est la chose précise que j’ai essayé d’éviter avec tant d’acharnement.
« Tu ne t’en sortiras pas comme ça », dit Gage.
« Comme vous pouvez le voir, je suis assis ici. Et vous ne l’êtes pas », répond Kevin
en pointant le fauteuil de grand-père. « Donc fermez vos gueules, gardez la tête baissée
et attendez que ce soit votre tour de reprendre les affaires. »
Nous savons tous que ni Kellan, ni moi ne vivrons jusqu’à 21 ans dans ces
circonstances. Ce monstre a tué notre père, et nous en avons la preuve. Il menace la vie
d’Elly simplement pour nous tenir en laisse. Je ne peux pas aller à la police avec ça – il y
a trop de policiers corrompus avec les Flanagan. Et Brigitte n’est pas le seul oiseau qui
chante dans ce putain de lycée.
L’espion que nous avons essayé de trouver a finalement fourni à Kevin toutes les
munitions dont il avait besoin pour nous attaquer. Maintenant, je dois découvrir à qui Elly
a parlé de cet été.
« Passe une bonne journée, tonton », dis-je et m’attire des regards confus de Kellan
et Gage. Je leur indique la porte. Nous devons partir.
« Oh, je passe déjà une journée fantastique », répond Kevin. « De plus les enfants,
vous devez évacuer la maison d’ici quinze jours. Brigitte et moi attendons un enfant. Nous
aurons besoin de plus d’espace pour notre petit en route. »
« Tu te fous de moi », je souffle.
« Non, il ne se fout pas de toi. Je suis enceinte », dit Brigitte, souriant en touchant son
ventre. Elle ne le montre pas encore, mais pourtant, le fils de Kevin aura un droit valide si
Kellan et moi crevons. C’est ça. C’est ce qu’il cherchait toutes ces années. Démanteler
progressivement la famille, se débarrasser de nous et de tous ceux qui se s’opposeraient
à lui, sans perdre les associés Flanagan – Connor y compris.
Je ne prends même plus la peine de répondre. Je sais seulement que nous avons deux
semaines pour remettre les choses en ordre. Pour ce faire, Kellan, Gage et moi devons en
premier lieu sortir de cette pièce. Alors que nous nous dirigeons vers la Range Rover, je
peux presque entendre Kevin et Brigitte rire et se réjouir du jour où ils nous enterreront
aussi.
En m’installant derrière le volant, tout commence à avoir à nouveau du sens. Kellan et
Gage attendent silencieusement que je dise quelque chose, alors que je cherche ma
détermination. Tout ce que nous avons essayé d’éviter se produit finalement, et nous ne
pouvons pas abandonner. Tout ce que nous pouvons faire, c’est nous adapter et devenir
les prédateurs. Kevin sera bien assez tôt à l’aise, pensant qu’il nous a maîtrisé assez
longtemps pour pouvoir orchestrer nos morts, malheureuses et tragiques.
Ce qu’il ne sait pas, c’est que nous avons le vrai rapport du médecin légiste.
ELLY

MA MÈRE et moi dinons ensembles pour la première fois depuis des semaines. Ça fait déjà
cinq jours que je lui ai parlé de mon amitié avec Rhett, Gage et Kellan, même si j’ai omis
tous les détails brûlants et croustillants. Elle sait à quel point nous nous entendons bien
et à quel point la dynamique a rapidement et abruptement changé après mon inscription
à Trinity High.
Elle a également entendu parler des rumeurs à propos des Flanagan, tout comme
celles à propos des O’Donnell mais jure que Connor a toujours été gentil et courtois
envers elle. Dans tous les cas, elle comprend à présent mon casse-tête, puisque je lui ai
également fait part de certains de mes soupçons concernant les têtes brûlées et leur
oncle. De manière compréhensible, elle a depuis insisté pour me conduire au lycée et
venir me chercher.
« Nous pourrions peut-être revenir à Barkston », me dit-elle, sans crier gare, en
posant une tranche de viande grillée dans son assiette. Elle est comme ça depuis
maintenant cinq jours, suggérant, au hasard, des façons de s’éloigner aussi loin que
possible d’ici. Jusqu’à présent, elle a suggéré Los Angeles deux fois, un voyage en Europe
et déménager à New York. Barkston est nouveau, même si je ne peux pas lui en vouloir
d’être aussi inquiète.
« Maman, il ne va rien m’arriver. Souviens-toi, nous avons encore la police dans cette
ville. »
Elle me donne un sourire chaleureux. « Comme c’est adorable de ta part de ne pas
réaliser qu’ils sont probablement dans les poches de la mafia… ».
« Tu flippes pour rien. »
Je me mens à moi-même, je le sais… mais si j’admets que nous avons un problème,
je devrais alors vraiment considérer l’éventualité de partir d’ici. Ça signifierait que je ne
reverrai plus jamais les têtes brûlées, et je ne peux tout simplement pas l’accepter. Je ne
peux même pas envisager une telle perspective. Comment est que nous avons pu nous
mettre dans ce pétrin ? Je pensais que leur harcèlement était la pire chose qui pouvait
m’arriver.
Il s’avère que je ne faisais qu’effleurer la surface. Pourquoi est-ce que je n’aurais pas
pu tomber amoureuse de quelqu’un comme Kyle par exemple ? Un être humain décent et
bien intentionné. Intelligent, avec de belles ambitions pour son avenir… Comment ai-je
pu laisser mon cœur être volé par ces trois héritiers de la mafia irlandaise ? Pas un. Pas
deux. Mais trois. Trois !
Plus je m’énerve contre moi-même à ce sujet, plus je perds du temps à penser à la
mauvaise chose. Je ne peux pas revenir en arrière. C’est arrivé et je suis amoureuse
d’eux… Donc, comment les garder sans que ma mère ou moi ne soyons blessées ? Ou
pire, tuées ?
« Ce n’est pas rien », me dit-elle. « Elly tu n’as jamais côtoyé ce genre de personne
auparavant. Ils sont dangereux. Le simple fait d’être amis avec eux peut te faire atterrir
en prison ou dans un bloc de ciment au fond de l’océan. »
« Tu n’as jamais côtoyé ces gens auparavant non plus », je réponds, en souriant.
« Comment est-ce tu peux savoir ça ? ».
« Je pourrais te faire le discours sur l’âge et l’expérience, mais je sais que ça entrera
dans une oreille et sortira par l’autre », souffle maman, se servant un autre verre de
Chablis. « Ce que j’essaie de dire Elly, c’est qu’il n’est pas trop tard pour revenir à
Barkston. Il y a de belles maisons sur le marché là-bas, et… ».
« Oh mon dieu, tu as vraiment regardé, n’est-ce pas ? ».
Elle hoche la tête. « Ton père ne serait pas non plus contre le fait que tu sois plus
proche. »
« Oui, parce que c’est ce qui l’a empêché de venir me voir. Les quatre-vingts
kilomètres qui nous séparent », je me moque en levant les yeux au ciel.
« Réfléchis-y, d’accord ? ». Elle me donne un regard inquiet, que je comprends
complètement. Mais si nous laissons quelqu’un comme Kevin Flanagan nous chasser de la
ville, alors qu’est-ce que ça dit de nous ? De moi, en particulier ? Comment pourrai-je un
jour servir une ville, une région, ou même un état entier, si je ne peux pas tenir bon
quand quelqu’un essaie de m’intimider ?
De plus, sans davantage de clarifications de Rhett, Gage ou Kellan, tout ce sur quoi
nous pouvons nous baser ici ne sont que des rumeurs et quelques bouts d’information
que j’ai mis ensembles uniquement au moyen de mes rares interactions avec eux. Je leur
ai envoyé des SMS. Je les ai appelés aussi. Ils n’ont pas répondu. Il n’y a donc peut-être
pas de quoi s’inquiéter. Ce n’est peut-être qu’une tempête dans un verre d’eau.
Mon téléphone vibre. C’est un message d’un numéro inconnu. « Rendez-vous à
l’arrière dans cinq minutes ? bisous, Rhett. » C’est bizarre. Il ne signe jamais ses
messages par « bisous ». Mais là encore, il a tellement de choses à se faire pardonner…
ça pourrait être sa façon d’essayer que j’accepte de lui parler. Il doit utiliser un autre
numéro. Un portable prépayé. Comme dans les films. Pourquoi est-ce que je trouve ça
étrangement excitant ?
« J’ai fini de manger », dis-je en récupérant mon assiette et la portant jusqu’à l’évier.
Je vérifie la poubelle et souris. « Je vais sortir la poubelle. »
Ma mère me regarde, ses yeux réduits à deux petites fentes suspicieuses. « Elly ? ».
Je tire le sac et le soulève pour lui montrer. « Quoi ?! ».
« Rien », glousse-t-elle doucement. « C’est bon. Merci. J’allais la sortir plus tard. »
« Il s’avère que je suis une fille modèle après tout », je riposte avec un sourire
narquois, me dirigeant en dehors de la cuisine.
« Je ne pourrais pas être plus chanceuse », crie-t-elle derrière moi, et nous rions
toutes les deux.
Une fois à l’extérieur, je fais le tour de la maison et dépose le sac dans le grand bac
de recyclage, puis me précipite à l’arrière. Notre petit jardin fait face à un cul-de-sac, où
les voisins garent habituellement leur voiture du dimanche – les modèles coupés très
chers qu’ils ne gardent que pour frimer les weekends.
Il fait sombre et les magnolias réussissent à tout assombrir davantage. J’ai attendu ce
moment pendant des jours… une explication à tout ça. Quelque chose qui m’aide à
comprendre ce qui se passe et comment empêcher que la situation n’empire. J’ai le
sentiment que c’est bien au-delà de mes moyens, mais j’ai mis trop de mon cœur et de
mon âme dans tout ça avec les têtes brûlées. Je ne peux simplement pas laisser tout ça
derrière moi et prétendre que ce n’est pas arrivé.
Je ne peux pas ignorer mes propres sentiments. Mon cœur bat si vite dans l’attente de
revoir Rhett. Notre dernière entrevue a été tendue et compliquée, c’est le moins que l’on
puisse dire. Une grande figure émerge de la rue perpendiculaire. Je ne peux pas très bien
le voir, mais ses épaules larges me font savoir que c’est lui.
« Salut, ça va ? », je demande. « Tu vas bien ? ».
« Je m’inquièterais plus pour toi, Elly », dit l’homme, ce qui me fige immédiatement.
Ce n’est pas Rhett. C’est Kyle.
« Qu’est-ce que tu fais là ? », ma voix sonne faux. Mon instinct s’enclenche. Ça ne va
pas.
« Tu aurais dû partir quand ils te l’ont dit, Elly. »
Le danger est imminent, et je sais que Kyle n’est pas là pour s’excuser d’avoir raconté
à ma mère le camp de vacances. Je déguerpis à travers le jardin, mais quelque chose me
pique dans le dos. J’ai le souffle coupé par la douleur et par le flux soudain d’électricité
qui me traverse. Ma poitrine se comprime, mes veines brûlent, mes muscles ne cessent
de convulser, tandis que je perds le contrôle de mon corps.
Ça me fait si mal. Pourquoi ferait-il ça, putain ?!
Tout devient noir et ma conscience m’échappe.
RHETT

NOUS SOMMES à Valley Springs et nous nous faufilons à l’arrière du manoir de Valenti. Nous
sommes déjà venus ici avec nos parents et grand-père, pour des barbecues et des repas
du dimanche. Je connais déjà toutes les sorties, les fenêtres qu’ils laissent ouvertes,
pensant d’ailleurs que personne dans cette ville ou dans cet état n’oserait les attaquer
puisqu’ils sont sous la coupe des Flanagan.
Kellan et Gage continuent de surveiller alors que je travaille la porte de la cuisine à
l’arrière. Il est vingt-deux heures, et Luis Valenti est probablement dans son salon, en
train de siroter du cognac, de fumer un cigare… Et peut-être de se demander s’il a bien
fait d’empoisonner mon père.
Je suis à l’intérieur. Nous portons des gants. Aucune de nos empreintes ne sera
laissée. Valenti demande à ses employés de tout nettoyer à fond chaque semaine, juste
au cas où.
« Vous êtes prêts ? », je murmure à Gage et Kellan de me rejoindre à l’intérieur et
referme doucement la porte. Le système d’alarme a déjà été désactivé, grâce à notre ami
qui travaille pour l’entreprise de sécurité en charge de cette maison, et que nous avons
payé.
Gage soulève un sac plastique rempli de photos et de papiers pliés, en souriant.
« Absolument ».
Je me tourne vers Kellan. « Et toi ? »
« Oh, oui », me répond-il, en mettant le silencieux sur son arme.
C’est un côté de nous que j’espérais ne jamais avoir à utiliser, mais grand-père s’est
assuré que nous soyons préparés pour tout ce qui pourrait s’abattre sur la famille. D’une
certaine manière, il nous a formé pour ce moment précis. Je sais que ça lui briserait le
cœur de voir ce que nous nous apprêtons à faire, mais il comprendrait, sans aucun doute.
Les Flanagan seront détruits si nous laissons Kevin reprendre la main. Ses liens avec
le milieu de la drogue sont trop dangereux. Nous nous en sommes sortis sans problème
parce que nous sommes restés à l’écart des cartels. Ils sont trop chaotiques. Des cibles
faciles pour les fédéraux. Kevin ne voit rien d’autre que des liasses de billets lorsqu’il
distribue de la cocaïne et de l’héroïne aux colombiens. Aussi intelligent qu’il puisse être, il
n’a pas encore compris pourquoi grand-père a toujours été catégorique sur le fait de les
tenir à l’écart.
Nous retrouvons Valenti dans son salon, exactement comme je l’imaginais. Sa femme
est avec lui. Elle saute de sa chaise, prête à crier, lorsque Kellan l’atteint et l’assomme.
Valenti est stupéfait, les yeux grands ouverts et remplis d’horreur, incapable de se lever.
Son verre tombe sur le sol, le liquide ambré s’infiltrant dans ce qui semble être une
moquette très chère.
Kellan dirige le pistolet vers lui. « Je n’aime vraiment pas frapper les femmes, Luis.
C’est ta faute. »
« De quoi… De quoi est-ce que tu parles ? Qu’est-ce que vous faites ici ?! », il croasse,
luttant pour trouver sa colère. La culpabilité est tellement flagrante, je me demande ce
que grand-père a vu en lui au début, pour lui confier nos routes au nord.
« Allez, Luis. Tu sais pourquoi nous sommes là », dis-je, remarquablement calme.
« Tu nous dois quelques explications. »
« Je n’ai rien… ».
Kellan charge à nouveau son arme. C’est suffisant pour le faire taire.
« Papa est venu ici avant de s’arrêter au café où il s’est effondré et où il a eu des
convulsions. Il lui a fallu environ trente minutes de convulsions et d’écume au bord de la
bouche pour réellement mourir », dis-je. « Savais-tu que c’est l’effet que produit le
cyanure, lorsqu’une certaine dose est ingérée ? ».
Valenti réfléchit un moment. Il sait qu’il est foutu. Il sait que nous savons. Sinon nous
ne serions pas là, après tout. Je ne sais pas combien Kevin l’a payé, ou les promesses
qu’il a pu lui faire, mais je vais m’assurer que lui et toute sa famille regrettent leur
décision. Finalement, il secoue doucement sa tête.
« Je pense que tu sais. Je pense que tu as mélangé le café de mon père avant de le
renvoyer à Trinity », je continue en prenant une poignée de fioles en plastique de mon
sac à bandoulière. « Par exemple, une de celles-ci suffit pour bien faire le boulot, ainsi tu
es immédiatement considéré comme un suspect. »
« Tu es fou, Rhett. Je suis désolé pour ce qui est arrivé à votre père, mais je n’ai rien
à voir avec ça », répond Valenti. Des gouttes de sueur tombent sur son visage tout
rouge.
« J’en déduis que notre oncle t’a promis qu’il paierait suffisamment le médecin légiste
pour s’assurer que les rapports de toxicologie ne révèlent pas la vraie cause de décès »,
je souffle. « Je comprendrais pourquoi tu as décidé de faire ce que tu as fait, si tu avais
une telle assurance. Seulement, Luis… Tu ne fous pas la merde avec ma famille sans me
considérer comme ton plus grand ennemi en conséquence. Tu pensais vraiment que
j’achèterais cette merde de réaction allergique sévère combinée à une terrible
gastroentérite ? Parce que c’est ce que disait le rapport officiel. »
« Mais si tu payes le médecin légiste le double de ce que Kevin lui a donné, tu obtiens
de tout autres résultats, bien plus intéressants », ajoute Gage avec un demi-sourire.
Le visage de Valenti tombe. Nous y voilà. La vérité. « Rhett, tu dois comprendre. Je…
Je n’avais pas d’autres choix ! ».
« C’est tout ce que tu as trouvé? », marmonne Kellan.
« Ce n’est de toute façon pas une bonne excuse », je réponds en haussant les
épaules, puis je fais un signe de tête à Gage.
Valenti observe alors qu’il se dirige vers le tableau au-dessus de la cheminée.
« Qu’est… Qu’est-ce que tu… ».
« Fais ? », je le coupe. « Oh, nous nous assurons seulement que les fédéraux aient
assez à s’occuper lorsqu’ils trouveront ton corps ce soir. »
Gage retire la peinture et révèle le coffre. Nous avons fait nos devoirs avant de venir.
« Qu’est-ce que la combinaison, Luis ? », lui demande-t-il.
« Tu penses que je suis assez bête pour te la donner ?! ».
« Eh bien, tu peux nous donner la combinaison et être le seul ici à mourir ce soir, ou
tu peux ne pas nous la donner, et il y aura au moins deux corps exposés devant les
policiers », dis-je. « C’est ton choix, Luis. Dans tous les cas, nous obtenons ce pourquoi
nous sommes venus ici. »
Valenti fixe sa femme un moment. Sa tempe est bleutée et saigne. Elle a déjà reçu
une forte dose de Lorazépam dans son thé depuis ce matin. Les Valenti ont sévèrement
sous-estimé nos compétences. Ajouté à cela le coup à la tête, et voilà ! Madame Valenti
ne se rappellera rien, une simple migraine avec un trou noir de cette soirée. Nous
sommes préparés à tous les scénarios possibles, sachant que nous affrontons Kevin –
l’homme qui pense avec une longueur d’avance.
« Quatre, six, huit, huit. »
« Nous y voilà. La coopération, c’est la clé », glousse Gage en ouvrant le coffre. Il
décharge le contenu de son sac plastique à l’intérieur puis referme la porte.
« Combien de temps penses-tu qu’il leur faudra pour l’ouvrir ? », je lui demande.
« Avec cette marque et ce modèle ? Quelques heures peut-être, maximum », répond
Gage. « Ils ne prendront pas le risque d’utiliser un explosif, puisqu’il pourrait clairement
avoir du matériel sensible et important à l’intérieur. Des preuves et toute cette
merde… ».
Je hoche la tête, profondément satisfait. « Ok, donc, ça règle le problème. Quand les
fédéraux ouvriront ton coffre, Luis, ils trouveront tout ce dont ils ont besoin pour te relier
au cartel Madeira, ainsi que plusieurs cas de pornographie juvénile et des fraudes
fiscales, t’amenant toi et ta famille aussi loin des Flanagan qu’il est humainement
possible. Évidemment, une fois que la nouvelle de ta mort sera publique, notre famille
s’assurera qu’il n’y a plus rien qui puisse te relier à nous. Car c’est comme ça que nous
fonctionnons. »
« Vous n’avez pas à faire ça », murmure-t-il, en tremblant comme une feuille.
« Oh, mais si. Tu as tué la nouvelle tête de la famille Flanagan. Tu pensais vraiment
t’en tirer comme ça ? Luis… Tu me déçois », dis-je, traversant le salon pour le rejoindre.
Il s’apprête à se lever et essayer d’attraper l’arme qu’il garde sous sa table de salon,
mais Kellan me rejoint et appuie l’arme contre son front, ce qui force Valenti à se
rasseoir, gémissant et suant comme un fou.
« S’il te plait… Rhett, s’il te plait… Je ferai n’importe quoi. Je te dirai tout sur Kevin,
comment il m’a forcé à faire ça… J’irai en prison à vie, je ferai tout ce que tu voudras… ».
Je ne peux pas m’empêcher de sourire. « Tu penses que l’emprisonnement est
suffisant, Luis ? ».
Kellan met son arme dans la poche arrière de son jean, se précipite derrière Luis, et
l’étouffe. Valenti a du mal à respirer, tandis que Kellan resserre sa prise, le forçant à
ouvrir sa bouche. J’ouvre l’une des fioles de cyanure et la vide dans sa gorge.
Tout rentre à l’intérieur, et Kellan le lâche. Valenti tousse et essaie de mettre ses
doigts au fond de sa gorge, mais Kellan le tire par les cheveux et penche sa tête en
arrière. Je bloque ses mains contre les accoudoirs, souriant en le regardant prendre
conscience qu’il n’a aucun moyen de s’en sortir.
« Il est trop tard », dis-je. « Je t’ai donné une dose légèrement différente. »
En m’éloignant, je l’observe alors que les convulsions le prennent. Son rythme
cardiaque monte en flèche. Il perd son souffle. Sa peau se recouvre de tâches et devient
cramoisie alors que le cyanure commence à agir sur lui. Gage remet la peinture au mur
mais la laisse un peu de travers – un indice pour que la police se demande ce qu’il y a
derrière.
Valenti sera mort dans moins de cinq minutes. Je le laisse étouffer et convulser, il
tombe sur le sol, croassant et haletant pour respirer. Notre travail ici est terminé. Je viens
juste de tuer un homme, et je sais que je ne serai plus jamais capable de bien dormir….
Mais mon père méritait mieux que ce que Valenti lui a fait. La justice a été rendue. Du
moins, d’une certaine manière.
Mon téléphone sonne.
« Nous devons y aller », dit Kellan, le souffle irrégulier alors qu’il regarde Valenti aux
prises de l’agonie. Je ne peux même plus le regarder. L’entendre suffit à retourner mon
estomac.
« Attends », je réponds, en regardant mon téléphone. C’est un message d’Elly avec
une pièce jointe.
Je devrais l’ouvrir plus tard mais la curiosité prend le dessus et j’ouvre le message. La
nausée me vient, ma gorge se serre alors que les images arrivent sur l’écran. Le médecin
légiste est dans sa chaise, mort. Il a reçu une balle dans la tête. La seconde photo est
d’autant plus effrayante, parce qu’elle montre Elly, inconsciente – ou du moins, je
l’espère, et attachée à un poteau dans un sous-sol. Je le vois à l’éclairage et aux petites
fenêtres rectangulaires derrière elle.
« Putain », je bafouille, en montrant les deux photos à Gage et Kellan.
« Il a découvert pour le médecin légiste », chuchote Gage, ses yeux gonflés.
Et voilà. C’est notre dernière chance de faire les choses bien pour Elly et d’empêcher
que tout cela ne passe le point de non-retour.
Je donne un appel rapide pour m’assurer que la sécurité autour de ma mère est aussi
stricte que possible, promettant de payer le double de ce que Kevin pourrait
possiblement leur payer s’il leur offrait quoi que ce soit. Ces mecs sont connus pour être
loyaux. Mais même la loyauté est connue pour être fissurée sous la pression de quelques
liasses.
Mon esprit se tourne en imaginant Elly, attachée de cette façon. Il y a de l’espoir, je
crois. Tu ne retiens pas une fille morte. Une part de moi savait que nous devrions faire
face à ça, à un moment ou à un autre, mais j’espérais que nous atteindrions Kevin avant
qu’il ne s’en prenne à Elly.
Évidemment, j’avais tort. En regardant Kellan et Gage, je respire profondément,
glissant les fioles de cyanure dans mon sac.
« Allons-y, nous avons du boulot », dis-je.
Nous disparaissons dans la pénombre, comme des ombres de la vengeance. Notre
mission n’est pas encore finie. Je prie seulement pour trouver Elly avant qu’il ne soit trop
tard. La rage menace de prend le contrôle de mes sens, mais je dois tenir. Je ne peux
pas m’arrêter. S’il lui arrive quoi que ce soit, je… réduirai cette ville en cendres, avec tous
ses habitants, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien ni personne.
« Rhett, il a Elly », Kellan ressent le besoin de le dire à haute voix alors que nous
montons dans la Range Rover. « Il l’a… ».
« Ça va aller », je marmonne, échouant à le rassurer.
Je ne peux pas lui promettre ça. Mais je peux m’assurer que nous allons en finir ce
soir, d’une manière ou d’une autre.
« Nous nous en tenons au plan », dit Gage, fixant devant lui depuis le siège arrière.
« Nous nous y tenons. »
« Oui », je réponds, trouvant dans ses mots la pointe de force dont j’avais besoin,
tandis que je tourne la clé dans le contact et que le moteur prend vie.
Le plan est bon. Ça fait maintenant des jours que nous le concevons. C’est nous trois
contre Kevin. Si les chances ne sont pas encore en notre faveur, nous les ferons le
devenir.
RHETT

LA de soi est la clé de tout ce qui va se passer ensuite.


MAÎTRİSE
Je suis à l’extérieur de la maison de Kevin, sur le point de frapper à sa porte. Il
m’attend probablement, étant donné le message qu’il a envoyé du portable d’Elly. Je fixe
à nouveau la photo, mon cœur est si lourd quand je la vois, nouée, bâillonnée et sans
défense. Elle ne mérite rien de tout ça.
Elly est la chose la plus pure et la plus douce dans ma vie. Dans nos vies, en
l’occurrence.
Nous lui avons fait tant de mal. Nous avons abusé d’elle. Nous lui avons mentie… et
pour quoi ? Elle s’est malgré tout retrouvée dans les griffes de Kevin. Nous l’avons sous-
estimé après la mort de grand-père. J’aurais dû savoir qu’il ne s’arrêterait pas là. J’aurais
dû anticiper davantage. Mon père serait peut-être encore en vie. Elly serait peut-être en
sécurité, si seulement j’avais eu le courage d’éliminer Kevin avant qu’il ne puisse passer à
l’action.
Ma mère avait raison. Je ne suis pas un tueur. Autrement, ça aurait été plus facile.
Je frappe à la porte. « Kevin ! Ouvre, fils de pute ! », je crie, en respirant vite pour
faire monter l’adrénaline. La vraie colère mitonne sous la surface. C’est purement ma plus
belle heure en tant que tragédien. Ces intellos du club de théâtre m’adoreraient en ce
moment.
La porte en acajou massif s’ouvre, et Kevin apparaît, décontracté dans son peignoir
rouge foncé, avec un cigare entre ses doigts. Son sourire me donne envie de vomir. « Je
vois que tu as eu mon message ? ».
« Nous devons discuter », dis-je.
« Ah bon ? ».
Il sait que je ne vais pas répondre à ça. En gloussant, il s’écarte pour me laisser
entrer. C’est, jusque-là, sa plus grosse erreur. Penser qu’il me tient par les couilles.
« Allons dans la cuisine. Ma femme a une de ces fringales nocturnes », dit Kevin, et je
le suis le long du couloir.
Je passe devant l’un des garçons O’Donnell qu’il a dans son service de sécurité. L’un
des cousins au second degré de Gage. Encore une erreur. L’impudence de Kevin est
ahurissante, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais je ne peux pas m’emballer trop vite.
Il détient Elly. Sa vie est en jeu, et d’une certaine façon, la mienne aussi.
Brigitte est à la table de dîner, en train de décoller le couvercle d’un pot de glace, la
cuillère prête à côté. Elle me voit et me sourit, comme si je n’étais qu’une merveilleuse
surprise inattendue.
« Salut, mon sucre d’orge ! » dit-elle. « Qu’est-ce qui t’amènes ici ce soir ? »
« Oh, je me demandais si tu allais me sucer à nouveau comme tu l’as fait lors du
weekend de commémoration. Dans le hangar à bateaux. Tu te souviens ? » je réponds,
mon ton aussi sec qu’un putain de désert.
Elle s’immobilise et Kevin tourbillonne pour me regarder, incrédule.
« Qu’est-ce que tu viens juste de dire, putain ? » il me siffle, de la rage clignotant ses
yeux verts.
C’était un coup de poker, mais l’expression sur son visage valait le coup. C’est peut-
être le dernier soupçon de joie que je vis, si jamais j’échoue ce soir. « Elle ne t’a pas
dit ? », je demande, en jouant l’ingénu. « Ce furent les vingt meilleures minutes de ma
vie. Je veux dire, je comprends pourquoi tu l’as épousée. Avec une bouche comme ça…
pff… ».
« Tu veux retrouver Elly en mille morceaux ? », me répond-il, puis lance un regard noir
à Brigitte. « Tu remontes ton cul en haut. Nous parlerons un peu de la journée de
commémoration. »
Elle est terrifiée. J’espère que ça va tenir car je n’ai pas encore fini.
« Non, elle devrait rester. Je t’ai dit, j’ai besoin de discuter », dis-je, le menton haut,
un soupçon de sourire s’installant sur mes lèvres.
Kevin n’est pas bête. Il sait que je joue avec son ego à présent. C’est le point le plus
faible des psychopathes et il en est conscient. Il a seulement besoin d’une minute pour
reprendre le contrôle de lui-même, avant qu’il fasse quelque chose qu’il regrettera. J’ai
attisé sa curiosité, et il ne peut pas résister à ma volonté de discuter de toute cette
situation.
J’entends des pas dans l’entrée. Gage est passé à l’action. Kellan est également
occupé. Si c’est silencieux, alors nous sommes sur la bonne voie.
« De quoi est-ce que tu souhaites parler, mon cher neveu », dit finalement Kevin,
ayant retrouvé son sang-froid. Il s’appuie dos à l’un des comptoirs de la cuisine et tire une
longue bouffée sur son cigare.
Brigitte se bouche le nez, dégoutée par l’odeur, mais elle ne peut pas dire un mot. Elle
est foutue, sous tous les angles. Tout ce qu’elle peut faire, c’est s’asseoir et regarder sa
vie s’effondrer, morceau par morceau.
« De la façon dont tout va se finir pour toi », je réponds, désignant la bouteille de
Brandy posée sur la table de la cuisine, ainsi que quelques verres en cristal. « Ça te
dérange si je me sers ? ».
« Tu peux d’abord enlever tes gants », dit Kevin.
« Ah, oui, désolé pour ça », je glousse, retirant les gants et les fourrant dans ma
poche arrière. Je me sers un verre, me rappelant exactement chacune des surfaces que
j’ai touchées, et l’avale d’un trait, savourant la sensation de brûlure que le caramel
liquide laisse.
« Et donc ? ».
« Et donc quoi, Kevin ? ».
« Vas-tu arrêter tes conneries ? », répond-il en souriant d’un air suffisant.
« En réalité, non », dis-je en lui servant également un verre.
Une ombre se précipite par la fenêtre de la cuisine. Un bruit sourd fait sursauter
Brigitte. Kevin fronce les sourcils et sort, s’arrêtant dans le couloir, dos à moi. Ma main
est dans le sac. En regardant par-dessus mon épaule, je vois Kevin tourner à droite. Il dit
au garçon O’Donnell de vérifier dehors d’où vient le bruit.
Le visage de Kellan apparaît brièvement à la fenêtre. Je dévisse le bouchon de la fiole
de cyanure, ma main toujours dans le sac. Je n’ai que quelques secondes pour réussir
mon coup. Il disparaît, et une tape sur la vitre effraie suffisamment Brigitte pour la faire
se lever de sa chaise. Elle vérifie la fenêtre, et je fais ce pour quoi je suis venu ici.
Lorsque Kevin revient, j’ai fini de lui servir son verre, et Brigitte tremble devant la
fenêtre. « Il y a quelqu’un dehors », dit-elle.
« Assieds-toi, putain », grogne Kevin. « Les garçons sont partis vérifier. »
En levant mes sourcils, je feins ma préoccupation. « Quelque chose ne va pas ? ».
« Est-ce que tu prépares quelque chose, Rhett ? », me demande Kevin en me fusillant
du regard. « Je doute que tu serais aussi stupide. »
« Tu me sous-estimes », dis-je en arborant un sourire narquois.
« Où est ton frère ? Et Gage ? Vous trois êtes habituellement collés les uns aux
autres », marmonne-t-il alors que je lui offre le verre.
« Je ne voulais pas que Kellan vienne, parce que, comme tu as déjà pu le remarquer,
il manque de maîtrise de soi. Quant à Gage, je ne sais pas. Il doit probablement baiser
une ou plusieurs des pom-poms girls. Buvons », dis-je. « Pour la fin de tout ça. »
« Tu me déconcertes », répond Kevin en prenant une longue gorgée.
« Et tu me rends malade, donc… je suppose qu’on est quitte ? ».
« À quelle sorte de jeu es-tu en train de jouer, petit merdeux ?! », lance Kevin, posant
son verre sur le comptoir.
Je me déplace lentement autour de la table, jusqu’à ce que je sois à côté de Brigitte.
Il m’observe avec ses yeux de lynx. « Tu t’es toujours considéré comme la personne la
plus intelligente de la pièce », dis-je. « Mais le fait est, Kevin… Tu n’es pas le seul à avoir
écouté grand-père lorsqu’il parlait de faire face à ses ennemis. J’ai également prêté
attention. Je vais donc te faire une offre unique. Dis-moi où est Elly, et je ne tuerai pas
Brigitte ici et maintenant. »
L’expression d’irritation de Kevin disparaît. « Tu plaisantes, n’est-ce pas ? ».
Je sors l’arme, le silencieux toujours activé, et je la pointe sur la tête de Brigitte. Elle
hurle d’horreur. Kevin redresse son dos. « Michael ! », crie-t-il. « Michael, ramène tes
fesses ici tout de suite ! »
Mais le garçon O’Donnell ne peut pas l’entendre. « Il est dehors, en train de fumer
avec Gage », dis-je calmement. « Écoute, Kevin, je ne vais le dire qu’une fois. C’est ta
dernière chance de laisser quelque chose de toi derrière. Pendant que nous parlons, les
O’Donnell ont été informés de Valenti et de la façon dont tu as tué mon père. J’ai laissé
assez de choses compromettantes dans le coffre de Valenti pour que les fédéraux s’en
donnent à cœur joie avec lui et sa famille. Si je ne récupère pas Elly, ta femme et ton fils,
qui n’est pas encore né, mourront. Et ne crois pas que je ne le ferai pas. Tu m’as pris
quelque chose d’important. J’aimerais en quelque sorte te rendre la monnaie de ta
pièce. »
« Tu n’oserais pas », grogne Kevin, clignant rapidement des yeux.
« Eh bien, mec, donne-moi Elly et je disparaitrai de ta vue pour de bon », dis-je en
haussant les épaules. « Tu peux avoir les affaires, la maison, les voitures, tout ce que tu
veux, putain. Donne-moi simplement Elly. Ou… », j’incline à nouveau l’arme contre la
tempe de Brigitte. « Tu vois où je veux en venir, maintenant, non ? ».
« Chéri, s’il te plait », chuchote Brigitte, les larmes coulant sur ses joues en le
regardant. « S’il te plait… dis-lui, fais-le sortir d’ici… ».
« Écoute ta femme, Kevin. »
Je n’ai pas beaucoup de temps. Il doit faire le nécessaire rapidement, je presse donc
le pistolet plus fort contre la tête de Brigitte. « Chéri, s’il te plait… ».
« Tu ne t’en sortiras pas comme ça », grogne Kevin. Il est énervé. Il ne s’attendait pas
à ce que je lui en mette une comme ça. C’est le problème lorsqu’on sous-estime un
garçon de dix-huit ans comme moi. Je n’ai aucune putain de limite.
« Probablement pas, mais je pourrai au moins faire sortir Elly d’ici », je soupire. « Je
pense que c’est un marché équitable. Tu as trois secondes, Kevin et, au risque de me
répéter, après ce que tu as fait à ma famille, tu peux être assuré que je me mettrai une
balle dans la tête de ta femme si tu ne me donnes pas ce que je veux. »
« Fils de pute… ».
« Ok, tu as cinq secondes », dis-je, appuyant mes doigts fermement sur la gâchette.
« Cinq, quatre… ».
« Chéri ! » crie Brigitte, en tremblant sur son siège.
« Trois… ».
Kevin continue de penser que je ne ferai pas de mal à sa femme. Je dois devenir
sérieux avant qu’il ne soit trop tard, je dirige donc l’arme vers le bas et tire. La balle
écorche sa cuisse, et elle crie de la douleur brûlante. Kevin est abasourdi.
« Il n’y aura que des points de suture, Kevin, à moins que tu me laisses arriver à
zéro », je continue, mes narines se dilatant d’un plaisir sauvage. Le sang goutte sur le
sol, s’infiltrant à travers son legging de yoga.
« Enfoiré », souffle Kevin.
« Chéri ! », Brigitte est à deux doigts de s’écrouler, à moins qu’il n’arrête tout ça.
« Deux… un… ».
« Attends ! » aboie Kevin, mettant ses mains dans une posture défensive. S’il y a une
chose qu’un psychopathe comme lui aime plus que soi-même, c’est la perspective d’un
héritier, quelqu’un qu’il pourrait élever et modeler à son image. J’ai bien joué mon coup.
« 44ème et Lennox », me dit-il.
« Tu es sûr ? », je demande, légèrement amusé.
« Évidemment que je suis sûr, putain, petit merdeux ! Maintenant dégage avant que
je ne te dégomme ! ».
Je souris et range l’arme. « Bon d’accord, mais pas tout de suite », dis-je, en sortant
la fiole vide de mon sac. Je la donne à Brigitte. Elle est si ahurie qu’elle ne réalise même
pas ce qui vient de se passer.
« Qu’est-ce… Qu’est-ce que c’est ? » marmonne-t-elle.
« La preuve », je réponds.
« C’est bon, j’en ai fini avec cette… » la voix de Kevin s’éteint, alors que sa peau
commence à changer de couleur. Elle fait enfin son effet. Il me fixe, réalisant ce qui vient
de passer.
Je sors mon téléphone et appelle Kellan. « Oui. C’est fait. Entrez. »
Quelques secondes plus tard, Kellan et Gage me rejoignent dans la cuisine, alors les
symptômes de l’empoisonnement comment à se manifester. Le souffle de Kevin est plus
lourd, irrégulier et de plus en plus entrecoupé. Brigitte est neutralisée par son propre
choc et sa peur paralysante. Elle ne comprend pas ce qui se passe et sa lèvre inférieure
tremble.
« Qu’est… Qu’est-ce que tu as fait ? », murmure-t-elle, en me regardant, puis en fixant
Kevin, qui tombe sur ses genoux, agrippant sa gorge de ses deux mains, sa langue
violacée dépassant.
« Suis-je assez précis si je dis que je lui ai rendu la monnaie de sa pièce ? », je
m’interroge tout haut en croisant mes bras et en regardant Kevin se tordre et se tortiller
sur le beau sol de marbre fin.
De l’écume coule autour de sa bouche. Il s’étouffe. Il meurt. Il vit ses dernières
minutes dans ce monde dans une agonie absolue – la même que celle qu’il a fait subir à
mon père. Brigitte s’accroupit pour le tenir, les mains tremblantes puisqu’elle ne sait pas
quoi faire. Elle perd ses sens, pleurant désespérément lorsqu’elle comprend.
« Tu… Tu es une ordure ! », me crie-t-elle.
Kevin est sur son dos, les yeux à l’intérieur de sa tête. Aucune mort ne me procure du
plaisir, mais je sais que c’était notre seule chance de vivre un semblant de vie décente.
C’est fini. Le dernier souffle de Kevin s’échappe de son corps. Brigitte est désormais une
veuve enceinte et légèrement blessée.
« Pour ta gouverne, Brigitte, les hommes de main que payait ton petit mari sont
partis », dis-je. « Kellan s’est occupé d’eux. Les O’Donnell ne sont désormais plus avec
toi, particulièrement maintenant que Kevin est mort. En réalité, je pense qu’ils
chercheront une sorte de représailles pour ce qui est arrivé à notre père. Tu voudras
peut-être te faire discrète. »
« Tu ne t’en sortiras pas comme ça ! », me dit-elle, les yeux emplis de venin alors
qu’elle pose ses mains sur le torse de Kevin.
J’enfile mes gants et essuie les verres et la bouteille de Brandy. « En réalité, si, je vais
m’en sortir. Tous ceux qui pourraient potentiellement témoigner contre moi sont soit
morts, ou bien ne souhaitent pas nous dénoncer », je réponds, puis pointe la fiole qu’elle
a laissée sur la table. « De plus, tes empreintes sont partout sur cette chose… »
Elle s’immobilise, reliant quelques fils dans sa tête. « Tu m’as piégée… Non, ça ne
marchera pas. Je suis innocente ! ».
« Pas d’après Michael, ici présent », je souffle, alors que le type O’Donnell arrive du
couloir. « Il peut et sera ravi de témoigner contre toi devant les tribunaux. Kevin et toi
vous êtes beaucoup disputés ces derniers temps. Tu lui as contracté une assurance-vie ce
matin. Franchement, tu aurais au moins pu attendre un petit peu plus longtemps avant
de tuer mon pauvre oncle. »
« Qu… Quoi ? ».
Je sors le document et le dépose sur la table. « C’est ta copie. La société d’assurance
le fournira à la police le moment venu. »
Elle trouve la force de se relever et effleure le document, tournant les pages avec des
doigts tremblants. « Tu… Comment est-ce que tu as pu faire ça, putain ? Tu as imité ma
signature. Ça ne marchera jamais. »
« Vraiment, Brigitte ? Tu es sûre que tu veux remettre en question la portée d’un
Flanagan ? », lui rappelle Kellan.
« Tu voudras sûrement être maligne à ce propos, tatie », dis-je. « Plaide coupable et
obtiens la prison à perpétuité. Ton enfant pourra vivre ici, et je m’assurerai qu’il ou elle
soit bien pris en charge. Nous ne pouvons pas punir un enfant pour les péchés de son
père. »
Brigitte est sans voix. Elle n’est peut-être pas encore totalement convaincue.
Gage donne le coup de grâce. « Ou bien bats-toi contre nous, et tu donneras malgré
tout naissance en prison, et ton fils grandira dans le système. Nous ferons en sorte qu’il
ne voit jamais un centime de l’argent des Flanagan. Tout ce pour quoi tu as travaillé, tout
la merde que tu as probablement dû supporter à cause de Kevin… tout ça n’aura servi à
rien. »
Il ne faut pas longtemps à Brigitte pour comprendre quelles sont véritablement ses
chances dans tout ça. Aussi aveugle qu’elle puisse être, elle est encore capable d’intégrer
les bases. Je peux presque entendre les roues tourner dans sa tête.
« Michael », dis-je. « Reste avec elle et travaille ta version de l’histoire. Puis appelle le
911. »
Le gars O’Donnell me donne un signe de tête ferme. « Oncle Connor est déjà en
route. »
« Parfait. Allons-y », je réponds, en jetant un œil vers Kellan et Gage. « Je sais où est
Elly. »
C’est tout ce qu’ils ont besoin de savoir. L’espoir est une chose volage et traître,
particulièrement si la personne qui détient Elly est armée. Mais je lui dois bien ça. Elle a
besoin de nous maintenant, plus que jamais.
ELLY

MA BOUCHE EST comme du coton. Ma gorge me brûle. Chaque muscle de mon corps me fait
souffrir, comme si j’avais été… électrocutée. Fils de pute !
Je me souviens avoir vu Kyle derrière ma maison. Puis les épingles d’un taser.
Ce fils de pute !
Mes épaules me font mal. Ma peau est à vif sur mes poignets et mes chevilles. Je suis
attachée. Je ne peux pas bouger. Il a lié mes mains derrière un poteau. Et mon dos me
tue...
Pourquoi ? Pourquoi ferait-il ça ? Pourquoi Kyle ferait-il ça ?
Je ne comprends pas. Ma vision est trouble, mais tout commence à devenir clair. C’est
sombre ici. Ça sent le vieux et l’humidité. L’eau goutte constamment, quelque part dans
le coin. Je gémis et je tousse. J’ai tellement soif…
Un mouvement attire mon attention, et je le vois enfin, assis sur une chaise à
quelques centimètres de moi, sous une faible ampoule suspendue au plafond nu. Kyle. Il
a une arme dans sa main, et il ne cesse de regarder son téléphone, tapant nerveusement
du pied.
« Qu’est-ce cette merde, Kyle ? », je lâche, ma voix brusque et faible.
Il me regarde et laisse échapper un profond soupir de son torse. « C’est ce qui arrive
quand on est une pute, Elly »
Il ne faut pas longtemps pour que la panique et l’horreur s’installent. Depuis combien
de temps suis-je ici ? Comment vais-je en sortir ? Pourrais-je sortir vivante ou est-ce que
je vais mourir ici ? La pensée suffit à faire trembler mes genoux. Ma vie vacille au fond de
ma tête - toutes les choses que j’ai faites, toutes les décisions qui m’ont amenée
jusqu’ici.
Je suis censée finir le lycée et faire des études de droit. Je suis censée travailler pour
les tribunaux pendant un certain temps avant de commencer à faire campagne. Je suis
censée vivre aussi longtemps que je le peux naturellement. Je suis censée expérimenter
tellement de choses que je n’ai même pas encore envisagées. Ce que je ne suis pas
censée faire, c’est mourir ici ce soir.
« Je ne comprends pas », dis-je. Je peux peut-être essayer de gagner du temps. Je
dois découvrir quelles sont ses intentions. « Pourquoi est-ce que tu ferais quelque chose
comme ça ? Tu vas être condamné pour enlèvement, Kyle. Et tu seras jugé comme un
adulte. »
Il sourit. « Tu penses que la prison me fait peur ? Non, Elly, je suis plus effrayé par ce
que ferait Kevin Flanagan si je te laissais partir. »
« Qu’est-ce qui te relie à lui ? » je lui demande, essayant de comprendre s’il a toujours
travaillé pour lui ou si Kevin lui a retourné le cerveau plus récemment. Kyle a toujours été
gentil et soutenant, une bonne épaule sur laquelle pleurer. Ça n’a aucun sens.
Je pensais que ce qu’ont fait les têtes brûlées était la pire des trahisons.
Apparemment ça peut toujours être pire…
« Crois-moi, Elly, moins tu en sais, mieux c’est », répond-il en baissant sa tête pour
vérifier à nouveau son téléphone.
L’horrible réalité s’installe. « J’ai vu ton visage, Kyle. Je sais qui tu es… ». Un frisson
me traverse, l’emprise de la peur me serre la gorge. « Je ne m’en sortirai pas vivante,
n’est-ce pas ? ».
Il secoue sa tête. « Probablement pas. »
Mon instinct de survie s’éveille rapidement, grâce aux putains d’étoiles. Je dois gagner
du temps, tout en essayant de trouver un moyen de me sauver. Je doute que quelqu’un
sache que je suis ici. « Alors, dis-moi. Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Je te faisais
confiance… ».
« Grosse erreur », répond-il sèchement.
« Pour une fois dans ta vie, grandis et dis-moi ! », je crie, n’ayant rien à perdre. Il
attend une sorte de signal, sinon il m’aurait déjà tuée. Chaque seconde est précieuse. Je
bouge d’abord mes mains de leur contrainte. C’est une corde fine, et elle s’enfonce dans
ma peau. Plus j’essaierai de me libérer, plus les fibres rêches se couperont profondément.
Ça fait mal…
Kyle me fixe, les yeux grands ouverts. « Tu as une sacrée paire de couilles, Elly. Je te
l’accorde. » Je le fusille du regard. « Bon d’accord… si tu dois vraiment savoir. Mon père a
une dette envers Kevin Flanagan. Une grande. Assez pour m’impliquer. »
« Et quoi ? Il a menacé de te tuer ? »
« Pire. C’était soit ça, soit passer mes nuits avec certains de ses amis. Et laisse-moi de
te dire, Elly… Ses amis ont des goûts étranges et dangereux », dit-il. « Je parle
d’esclavage, de torture et toutes sortes de merde dégueulasses. Devenir ton ami était en
réalité mon initiative, et je ne le regrette absolument pas. »
« Pour toutes les discussions amusantes que nous avons eues ? », je rétorque, mon
sarcasme bien vivant.
« Parce que comprendre ce que tu représentes pour Rhett, Kellan et Gage était bien
mieux que me faire enculer avec un bâton, petite pute ! », grogne-t-il en pointant son
arme vers moi. Mon cœur me saute à la gorge.
« Donc, tu as voulu être ami avec moi parce qu’ils m’ont harcelée? Comment cette
logique a-t-elle fonctionnée ? ».
« Ils ne harcèlent pas les gens, Elly. Il ne faut pas être un génie pour comprendre
qu’ils avaient une motivation cachée en te traitant de la façon dont ils l’ont fait », dit-il.
« Je veux dire, Je les ai vu foutre une rouste par-ci par-là, mais ce qu’ils t’ont fait…c’était
personnel putain. »
« Je pensais que tu étais une bonne personne », je souffle, sentant mon cœur se
briser un peu plus à chaque mot.
« Et je pensais que tu n’irais pas baiser les connards mêmes qui t’ont fait du mal. Je
veux dire, tu es un petit chiot malade, Elly. Une masochiste comme je n’en ai jamais vue
auparavant. Kevin voulait que je comprenne ton problème dès que je lui ai raconté la
scène du tampon. Il pensait la même chose, que Rhett et les autres essayaient
simplement de détourner l’attention de toi », répond-il. « Plus tu me parlais du camp de
vacances, plus les pièces s’assemblaient. Tu vois, Kevin connaissait leur penchant à
partager les filles. Il savait qu’un jour, ils tomberaient tous amoureux de la même fille. Il
disait que ça allait forcément arriver, parce que, je cite, "leurs cœurs sont innocents et
leurs queues facilement influençables". »
« Beurk… »
Il sourit satisfait. « Quoi ? Je pensais que tu aimais leurs bites ? ».
« Va te faire foutre, Kyle. Je comprends que ton père t’ait impliqué dans ce bazar,
mais tu aurais pu venir vers moi. Tu aurais pu… Je ne sais pas… ».
« Nous aurions pu en parler ? Elly, même maintenant, je ne pense pas que tu réalises
à quel point les Flanagan sont dangereux. Soit tu es avec eux, soit tu es mort », dit Kyle
en vérifiant l’heure sur son téléphone, puis pointant à nouveau son arme vers moi.
« J’aurais simplement pu te tirer dessus. Je veux dire, il m’a déjà payé. Je peux quitter la
ville, et ne plus jamais entendre parler des Flanagan. Kevin ne me poursuivra pas … ».
« Eh bien, tu as raison sur ce point », la voix de Rhett traverse la pénombre. Kyle
saute de sa chaise et se retourne mais il ne voit pas grand-chose derrière le mur large qui
ouvre sur son sous-sol. « Kevin ne te poursuivra certainement pas, parce qu’il est mort. »
« Comment… Comment nous as-tu trouvé ? », marmonne Kyle. Sa main tremble. Il
peut à peine tenir son arme. Je louche dans l’espoir de trouver Rhett dans cette
pénombre, mon cœur palpitant, à nouveau déchiré entre l’espoir et la peur. Il est là
maintenant. Je m’en sortirai peut-être, après tout.
Mais Kyle reprend vite son sang-froid. Sa main s’arrête de trembler en me visant. Je
suis paralysée, comptant les secondes pour essayer de contrôler ma propre respiration et
ne pas m’évanouir. Mais la chaleur se répand dans mes tempes… Je crains de ne pas
rester éveillée très longtemps.
L’adrénaline est trop forte, et je commence à hyper-ventiler.
Kyle se rapproche. « Si tu t’approches davantage, je lui tire dessus ! ».
« Tu ne veux pas faire ça, Kyle », dit Rhett. « Je comprends. Mon oncle t’a forcé à le
faire. Mais il est parti maintenant. Il n’a plus aucun pouvoir sur toi. »
« Comment… Comment savoir que tu dis la vérité ? », répond Kyle.
« Parce que je l’ai tué de mes propres mains », dit Rhett. Je comprends au ton de sa
voix qu’il dit la vérité, et je ne sais pas trop quoi en penser. Kevin était de toute évidence
dangereux. Je veux dire, à me voir en ce moment… Rhett n’avait peut-être pas d’autres
choix.
Je m’interroge sur Kellan et Gage. Sont-ils dans les environs ? Est-ce qu’ils vont bien ?
J’ai raté beaucoup de choses, et tout ce que je souhaite c’est me défaire de cette corde
et vivre. Ma tête s’éclaire. C’est trop. Personne ne m’a préparé à ça.
Que fera ma mère s’il m’arrive quelque chose ? Ça la détruirait…
Oh, mon dieu…
« Je ne te crois pas », dit Kyle. Tu veux juste récupérer ta pute ! ».
Une ombre bouge derrière lui. C’est Kellan. Il frappe l’arrière de la tête de Kyle, qui
s’effondre sur son visage. « Personne n’appelle Elly comme ça », marmonne Kellan.
Des larmes émergent de mes yeux lorsque je réalise que c’est fini.
Je suis en sécurité.
Rhett passe devant lui et atterrit sur ses genoux devant moi. Kellan se précipite
autour du poteau et coupe la corde, tandis que Gage arrive de la même pénombre par
laquelle sont apparus les frères Flanagan et met une paire menottes à Kyle, qui est
inconscient et aussi mou qu’un chiffon.
Un mélange de sentiments me traverse comme une tornade des plus déroutantes. Je
suis énervée, je suis soulagée, je suis terrifiée et pleine d’espoir… Et tout l’amour que j’ai
essayé de refouler revient en se vengeant, remplissant mon cœur et faisant gonfler mon
âme, puisque je suis enfin libre.
Rhett me prend dans ses bras, et je l’enlace du peu de forces qu’il me reste, pleurant
toutes les larmes de mon corps alors que je respire à nouveau un peu trop vite. « Chut,
tout va bien », me chuchote-t-il dans l’oreille. « Tu vas bien… Tu vas bien, Elly… ».
« Merci », je bafouille, sentant la main de Kellan me caresser le dos. « Merci
beaucoup… ».
« Non, non, Elly, s’il te plait… C’est notre faute », dit Rhett en me regardant, ses
mains tenant mon visage. « Je suis désolé. Je suis désolé que tout cela te soit arrivé. »
Mes muscles se détendent enfin. Toute la tension a disparu, et je ressens enfin la
véritable fatigue. « Arrête de dire que tu es… désolé », je murmure, ma tête se berçant
en avant et en arrière.
L’obscurité s’empare à nouveau de moi, mais cette fois, elle a une douce vibration,
puisque je me retrouve dans les bras des têtes brûlées. Je sens l’étreinte de Rhett. Les
mains de Kellan. Les lèvres de Gage sur le dessus de ma tête.
« Tout va bien se passer, Elly », j’entends dire l’un d’eux.
« Elle perd connaissance », répond un autre.
Je ne vois plus rien. Le sommeil m’enveloppe de ses couches d’or et de miel, et je
peux enfin me reposer. Je peux enfin me reposer car Rhett est là. Kellan est là. Gage est
là. Nous sommes à nouveau tous les quatre et je peux continuer à vivre.
Alors que je suis emportée, je pense au camp de vacances. Combien nous étions
proches.
Combien nous pouvons l’être à nouveau…
Nous sommes tous libres.
RETOUR A U C A MP DE VA C A NC ES, 62 ÈME J OUR.

NOUS RENTRONS CHEZ NOUS DEMAİN, et je réfléchis actuellement à une façon de rester ici un peu
plus longtemps. La réalité me rappelle à Barkston, mais c’était si bon au bord du lac
Tahoe, avec Rhett, Kellan et Gage. J’ai davantage muri au cours de ces six semaines que
pendant les six dernières années. Les choses dont nous parlons… ouah, je ne pensais pas
que mon esprit pouvait se plier de la façon dont il le fait avec les têtes brûlées.
Gage est constant dans sa décision d’arrêter de fumer. Bien évidemment, il vit
essentiellement de chewing-gum à la nicotine à présent, mais au moins il ne se tue pas à
petit feu avec des cigarettes. Rhett est de plus en plus déterminé à se lancer dans la
politique. Nous avons pensé à des idées de campagne si nous nous présentons un jour
sous la même étiquette. Il est prêt à être mon vice-président, et je serais plus
qu’heureuse d’être la sienne, si c’est dans l’autre sens. Kellan pense déjà à nos vacances
d’hiver, si son grand-père se remet vite. Je sais qu’ils y ont pensé, même s’ils ont essayé
de ne pas trop en parler.
L’idée de quitter cet endroit m’attriste.
Nous sommes au bord du ruisseau, allongés sur une couverture, ma tête posée sur les
genoux de Kellan alors que Gage me masse les pieds. Nous buvons, mais nous ne disons
plus rien. Beaucoup de choses ont changé dans notre dynamique, et je n’ai jamais pensé
que je serais si proche d’eux, que nos cœurs seraient autant inexplicablement attachés
par un fil invisible – et s’il se rompait une fois la distance installée entre nous ? Que se
passera-t-il alors ?
« Elly… », la voix de Rhett me ramène à la réalité. Il est assis à côté de moi,
remplissant un gobelet rouge de vodka et jus d’orange. Gage a ramené la glacière, qui
est un cadeau du ciel avec cette chaleur de fin août. « Voilà. »
Je prends le gobelet et je m’assois, remerciant Gage d’un sourire pour le massage des
pieds. Chaque nerf qui se termine dans mes orteils chante de plaisir. Il a un toucher en or
et il a trouvé tous les bons points, parce que je suis à présent détendue et peut-être un
peu trop molle.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? », demande Rhett alors ses yeux cherchent mon visage.
« Je ne veux pas que ça s’arrête », je murmure, puis bois une gorgée de mon gobelet.
Mon intérieur bouillonnant doucement.
« Ça n’a pas à s’arrêter », répond Kellan en souriant doucement.
« Ça s’arrêtera en quelque sorte demain », dis-je.
Gage se rapproche. « Qu’est-ce qui t’effraie, Elly ? »
« Ne plus jamais vous revoir. »
Nous avons atteint ce point où je peux être honnête avec eux sur mes sentiments. Ils
ne me jugeront jamais. Ils veulent en réalité savoir ce que je souhaite, ce que je pense…
C’est presque irréel. Il y a deux mois, je me demandais si j’allais un jour trouver un petit
ami qui m’accepterait telle que je suis, qui ferait battre mon cœur. Aujourd’hui c’est
comme si j’en avais trouvé trois. Je veux dire, Kellan et moi sommes liées. Puis il y a cet
épisode avec Gage, que je n’ai pas eu l’occasion de répéter, puisque je ne l’ai pas raconté
à Kellan. Et puis il y a Rhett, dont les yeux verts ne cessent de me hanter la nuit, puisque
je me demande… et si… ?
Peut-être qu’il est temps pour moi de tout mettre à plat. Je fais confiance à Gage
lorsqu’il me dit que je devrais simplement leur demander ce qu’il en est de nous. C’est
vrai, où est le mal ? Nous ne sommes pas des étrangers. Nous ferions n’importe quoi les
uns pour les autres. Nous avons passé nos journées et mêmes nos nuits ensembles. Je
suis pratiquement sûre que Gage et Rhett ont tous les deux entendu mes gémissements
lorsque Kellan se glissait dans mon lit, les nuits où nous partagions tous la même
chambre…
« Qui dit que tu ne nous reverrais pas à nouveau ? », demande Kellan, son sourcil
froncé tandis qu’il glisse une mèche derrière mon oreille. Son toucher me fait frissonner.
« Je ne sais pas même pas où vous vivez », dis-je. « Ça fait deux mois les gars… ».
« Mais nous savons où tu vis », répond Rhett en souriant. « Nous viendrons te voir.
Nous traînerons ensembles. De plus, si tout va bien, nous aurons un chalet rien qu’à nous
à Aspen. »
« Ça semble super », je soupire. « J’essaie simplement d’être réaliste. J’ai le
sentiment que vous ne serez plus là. Genre, plus du tout. »
Rhett secoue sa tête, son regard s’assombrit. « Il y a beaucoup de choses que tu ne
sais pas sur nous, Elly. Et il vaut mieux que ça reste comme ça pendant un moment. »
« Tu es spéciale pour nous, c’est pourquoi nous voulons… en quelque sorte te garder
pour nous », dit Gage. Encore une fois, je le crois, même si ça n’a pas beaucoup de sens.
L’alcool me fait peut-être un peu trop perdre la tête. Je comprendrai peut-être mieux
demain matin. »
« Je te le promets, Elly », déclare Kellan en se penchant, ses lèvres sont assez
proches pour que je puisse sentir son souffle sur mon visage. « Nous ferons toujours
partie de ta vie. Aussi longtemps que tu le souhaiteras. »
« Je vous veux dans ma vie », dis-je, presque suppliante. Ce n’est pas moi, mais je
pense chaque mot qui sort de ma bouche. Je suis honnête, sans me soucier des risques
émotionnels que cela implique. Parce que, même si je veux croire que tout cela va
marcher, je dois encore envisager la possibilité que demain nous nous disions au revoir
pour toujours. Et cette pensée me fait mal au cœur.
Kellan me tient par la nuque et m’attire pour m’embrasser. Je sens ses émotions me
traverser, ses lèvres douces, sa langue m’explorant avec passion et me disant des choses
qu’il ne serait jamais capable de me dire avec des mots. Je l’accueille en fermant mes
yeux, permettant au plaisir de se répandre en moi comme le plus doux des feux.
Je sens la main de Gage prendre la mienne, ses lèvres effleurant mes articulations.
Mon souffle se coupe lorsque sa langue dessine une ligne sur mon poignet. En le
regardant, j’essaie de reprendre mon souffle lorsque j’entends Kellan glousser.
« Tu n’as pas à avoir peur, Elly », dit-il en embrassant ma joue. « C’est nous. Nous
sommes ensembles. Nous partageons, si tu partages… ».
« Oh, merde, donc… tu sais », je bafouille, me souvenant de la main de Gage
travaillant ma chatte par cette chaude nuit de juillet.
Kellan hoche doucement la tête. Rhett observe de près, son expression presque
impossible à lire. Qu’est-ce qu’il pense ? Suis-je moins importante à ses yeux maintenant
que tout est révélé au grand jour ? Non, on ne dirait pas. Un sourire s’étend sur ses lèvres
et une vague de soulagement me submerge. Ils sont sérieux. Ils sont vraiment sérieux
avec toutes ces conneries de partage.
Et ça me donne envie de sauter de pur bonheur.
« Vous êtes sérieux », j’ajoute, vérifiant auprès de chacun d’eux que je ne fais pas
qu’imaginer tout cela. Que c’est bien réel.
« Je t’ai dit, Elly », dit Rhett. « Tu es spéciale pour nous. »
« Donc, vous… vous savez que vous le feriez ? », je chuchote, incapable de formuler
une phrase cohérente.
« Je ne suis pas sûre que tu comprennes à quel point tu es belle, putain, et
merveilleuse », répond Rhett, se levant sur ses genoux et refermant la distance entre
nous. Kellan masse mes épaules, et je ne suis pas sûre de l’avoir vu se déplacer derrière
moi, tandis que Gage s’avance, ma main toujours dans la sienne.
« Tu… Tu ne m’as jamais rien dit », je souffle, lorsque les lèvres de Kellan trouvent le
côté de mon cou, et des milliards de frissons parcourent ma colonne vertébrale.
« J’ai dit beaucoup de choses. Tu ne prêtais tout simplement pas attention », dit
Rhett, en levant lentement sa main. Son doigt s’installe dans le petit creux de mon cou,
où se rejoignent les clavicules. Son simple toucher est électrique. « De plus, quelle est
l’urgence ? Je ne veux pas que tu penses que tout ce que nous voulions c’était une petite
baise d’été, Elly. Nous avons le temps, bien après que nous quittions le lac Tahoe… »
Le bout de son doigt descend, découvrant le creux étroit entre mes seins. Ma
respiration est irrégulière, mon cœur tambourinant de façon incontrôlable alors que
Kellan dépose des baisers le long de mon épaule, enfonçant ses dents dans ma peau.
Je gémis doucement, tandis que Gage commence à embrasser et lécher mon bras
gauche.
Tout se transforme à nouveau, d’une manière que je ne pensais pas possible, et tout
ce que je peux faire, c’est m’abandonner dans ce flot et voir où il me mène. La vodka a
bien réussi à faire voler mes inhibitions en éclat, ce qui est une bonne chose, puisque
tout ce qui se passe maintenant est un pur bonheur.
Les doigts de Rhett travaillent la dentelle épaisse qui maintient ma robe d’été,
attachée sur le devant. Doucement mais sûrement, le tissu glisse sur les côtés, révélant
ainsi mes seins. Il ne bouge pas de sa place, sa main découvrant chaque centimètre de
ma peau mise à nue devant lui. Il attrape mon téton entre son index et son pouce, et le
presse gentiment.
Je gémis, en voûtant mon dos, alors que Kellan prend mon poignet droit et met mon
bras derrière sa nuque, alors que ses mains descendent, cherchant l’ourlet de ma longue
robe.
« Oh, ouah… », je croasse alors que je sens la queue de Kellan appuyer contre mes
fesses.
« Nous sommes à toi, Elly », dit Gage alors qu’il prend mon sein gauche dans sa
bouche.
« Et vous êtes à moi », je réponds, mon regard fixé sur Rhett.
Son torse bouge à chacune de ses respirations, alors qu’il se penche en avant et glisse
sa main sous ma robe, qui est désormais détachée. Il retire ma culotte, sans jamais me
quitter des yeux, alors que ses doigts glissent entre mes lèvres humides.
Au même moment, la queue de Kellan trouve ma chatte et pénètre en moi, tout du
long, entraînant un nouveau gémissement de ma gorge. Gage suce mes tétons, prenant
son temps alors que Kellan commence à bouger en moi.
Mes lèvres se séparent. Rhett et moi restons bloqués l’un dans l’autre alors que ses
doigts travaillent mon clitoris. Kellan pousse plus profondément, grognant en m’agrippant
par la nuque. Mes bras sont mous et une tension bien trop forte s’installe entre mes
jambes.
Gage s’approche et m’embrasse, envahissant avidement ma bouche avec sa langue.
Je ne peux plus voir Rhett. Des fils d’extase commencent à se tisser autour de ma
conscience et se resserrent comme une boule de feu. Il continue de frotter ma bosse
hypersensible alors que Kellan me fait l’amour plus vite et plus fort.
C’est incroyable. Je suis stupéfaite et je sais qu’il n’y a plus de retour en arrière
possible.
Appréciant chaque instant, je tiens la tête de Gage de mes deux mains, l’invitant à
rester exactement comme il est, m’embrassant, sa langue battant contre la mienne.
Rhett m’approche du sommet, et Kellan injecte tout ce qu’il a en moi.
Je crie, me défaisant alors que des lumières explosent autour de moi. Serrée autour
de la queue de Kellan, le faisant jouir en moi, je savoure chaque sensation de pulsation
émanant de mon corps. La main de Rhett reste sur ma chatte, me réclamant, alors que je
me remets d’un orgasme époustouflant. Gage embrasse mes seins, les caresse
malicieusement tandis que je me penche à nouveau vers Kellan – sa carrure large me
tenant en l’air.
Mes jambes de dissolvent.
Des étincelles volent autour de moi.
À quel point tout cela est-il réel ?
« Putain de merde », une voix familière me fige. En tournant doucement la tête, je
vois Belladone et Breloques debout de l’autre côté du ruisseau, les yeux écarquillés et les
mâchoires au sol.
Je sens Kellan se retirer, mais il ne s’éloigne pas. Qu’est-ce qu’on est censé faire
maintenant, putain ?! Elles viennent juste de nous surprendre en plein milieu d’un plan à
quatre… et je suis pratiquement sûre que nous n’allions pas nous arrêter là !
Gage se racle la gorge et se lève. « Je m’en occupe », chuchote-t-il, en me faisant un
clin d’œil taquin. Rhett remet ma robe, couvre mes seins et remet soigneusement en
place les lacets, des flammes scintillant dans ses yeux verts. Je sens la force de Kellan
qui me soutient, et je sais que je ne suis pas seule dans tout ça.
Ils sont là, avec moi, jusqu’au bout.
« Je pense que nous devrons continuer ça un autre jour », dit doucement Rhett.
« Mesdames ! Qu’est-ce qui vous amène ici ? », crie Gage à Breloques et Belladone,
qui sont encore en train de nous regarder, bouche bée.
« Nous… Nous t’avons cherché partout », dit Belladone, embarrassée. « Qu’est-ce que
vous foutez là-bas ? Et avec elle ? Sérieusement ? Beurk. »
Gage glousse. « Je sais que vous me cherchez partout. Je vous évitais. Vous n’avez
clairement pas compris. »
C’est vrai. Elles le poursuivent partout depuis qu’il les a baisées elles et Chaussettes
Montantes, juste ici, dans ce ruisseau. Bien que, franchement, je comprends pourquoi
elles sont autant obsédées par lui. Gage a une manière de se mettre entre les jambes
d’une fille. Je pense que Casanova aurait appris une chose ou deux de lui.
« Tu es taré », répond Breloques. « Nous pensions… ».
« Vous pensiez que vous étiez uniques ? Les seules que je baiserais ? Sérieusement ?
Vous ne pouvez pas être aussi stupides », la coupe Gage. « Maintenant, retournez au
camp et trouvez-vous une autre queue sur laquelle vous jeter. J’ai entendu dire que les
secondes se débrouillaient plutôt bien. »
Elles le maudissent et se précipitent à travers les bois, le visage probablement en feu.
Il est très difficile de ne pas rire, malgré la lueur qui s’installe dans mon bas-ventre, alors
que Kellan me tient dans ses bras.
« Tu étais un peu méchant », dis-je en gloussant.
Rhett rigole. « Elles l’ont mérité. Si tu savais à quel point elles peuvent être vicieuses
et méchantes. »
« Crois-moi, pour toute la merde qu’elles ont dite sur toi lorsque tu n’étais pas là, elles
s’en sortent plutôt bien », répond Kellan. Je devrais me sentir offensée, mais je
comprends pourquoi ces filles m’en veulent depuis le début. J’ai les têtes brûlées rien qu’à
moi, alors qu’elles se battent encore pour obtenir une deuxième portion de Gage.
Je suis donc spéciale. Je me sens aimée et protégée.
Cette chose étrange entre nous survivra peut-être après l’été, après tout.
Nous finirons peut-être ce que nous avons commencé ici.
Une fille ne peut qu’espérer en se prélassant au soleil qui brille à travers les riches
couronnes de chênes.
ELLY

MA à mes côtés lorsque je me suis réveillée à l’hôpital.


MÈRE ÉTAİT
Elle m’a raconté la version officielle, qui, je le sais, ne fait qu’effleurer la surface de
tout ce qui s’est vraiment passé. Kyle Perry m’a kidnappée parce qu’il voulait me forcer à
le faire – c’est ce qu’il a apparemment avoué, et il est désormais en prison, sur le point
d’être inculpé. C’est un nom de plus à ajouter à la liste des délinquants sexuels, mais je
pense qu’il s’en est bien tiré. Rhett, Gage et Kellan ont dû lui donner des options très
limitées, et il a simplement choisi celle qui ne le tuerait pas.
J’ai été gardée sous observation pendant quelques jours, pendant lesquels seule ma
mère est venue me voir. Mais en rentrant chez moi, j’ai trouvé un énorme bouquet de
fleurs qui m’attendait devant la porte, avec une enveloppe qui m’était adressée. Ma mère
a compris qui l’avait envoyée. Elle a essayé de m’éloigner des têtes brûlées, mais elle a
vite abandonné en comprenant que je ne l’écoutais plus, déjà perdue dans la lettre.
Dans cette lettre, Rhett m’a expliqué tout ce qui s’était passé, me pressant de brûler
chaque page après les avoir lues. Il m’a parlé de leurs soupçons concernant la mort de
Quinn Flanagan, la présence de cyanure dans le rapport de toxicologie d’Harry Flanagan,
la photo de nous deux qu’il avait gardée du camp de vacances – la photo qui a confirmé à
Kevin ses soupçons à mon égard. Il m’a raconté comment il avait menacé de me tuer s’ils
ne retiraient pas des affaires… comment lui, Kellan et Gage ont vengé ces meurtres
cruels… comment tout s’est fini.
Il a terminé la lettre avec une invitation. Même si je l’ai brûlée, les mots restent
gravés dans mon esprit alors que je monte les marches du manoir Flanagan.
« Si tu veux encore de nous, nous t’attendrons, tous les jours », m’a-t-il dit. « Chacun
de nous est prêt à faire tout ce qu’il faut pour gagner ton pardon, pour te récupérer dans
nos vies. Chacun de nous est prêt à t’aimer et à te donner tout ce que ton cœur désire,
parce que tout ce que nous souhaitons, c’est te voir heureuse et épanouie, Elly. Aucun de
nous ne t’a menti l’été dernier. Tu es spéciale. Tu es à nous et nous sommes à toi. Nous
parviendrons peut-être cette fois à finir ce que nous avons commencé, et nous
continuerons peut-être ensuite. Tu as les rênes, Elly. »
Il m’a fallu plusieurs jours pour tout intégrer. Je me réveille encore en sursaut, comme
si j’étais encore attachée au poteau dans le sous-sol, avec Kyle pointant une arme vers
moi. J’imagine qu’il me faudra un certain temps pour retirer ça des recoins de mon esprit.
Mais je suis prête maintenant. Malgré le chagrin, malgré les dangers, malgré tout ce
qui s’est passé… c’est ici que j’appartiens. Je le vois maintenant, alors que je m’arrête
devant les doubles portes massives. Les gardes du corps sont en costume et assez grands
pour me faire incliner la tête pour que je puisse les regarder.
« Bonjour. Eleanor Fox. Je suis ici pour voir Rhett et… »
« Ils vous attendent », répond l’un d’eux. « Bienvenue mademoiselle Fox. »
L’autre m’ouvre la porte, et je prends un instant pour rassembler le courage dont j’ai
besoin. C’est un grand pas en avant. Je veux en savourer chaque seconde, parce que ma
vie est sur le point de changer à nouveau.
« Premier étage, deuxième porte à droite », dit le deuxième garde du corps.
Je lui donne un léger signe de tête et j’entre, traversant l’immense entrée. Tout ce
que je souhaiterais apprendre sur les Flanagan se trouve ici – dans les peintures sur les
murs, l’éclairage extravagant mais de bon goût, les objets décoratifs et les porches
voûtés qui révèlent un salon bien plus grand et une cuisine et salle-à-manger tout aussi
impressionnantes.
Ma mère est rentrée à la maison, profitant enfin d’un vrai rencard avec Connor. Si ces
deux se mettent ensembles, ça va rendre les choses étranges entre Gage et moi – demi-
frère et demi-sœur et tout ça… Nous verrons à ce moment-là, Elly.
Il semble que l’harmonie se soit finalement installée à Trinity. Je sais que Rhett et
Kellan ont désormais le contrôle total des affaires, et qu’ils ont récupéré leurs alliés et
associés. Je ne sais pas comment ils s’en sortiront, mais j’ai confiance en leur capacité à
s’imposer dans ce monde que je ne connais pas.
Mon cœur se gonfle alors que je monte les escaliers, mes talons claquant sur le
marbre.
Je porte de la dentelle noire sous ma robe cocktail, et mes boucles d’oreilles tintent
dès que je bouge. J’ai vaporisé un peu de parfum derrière mes oreilles et je me demande
s’ils le remarqueront. Je ne me suis jamais habillée comme ça pour un mec avant – et
encore moins pour trois. Je suis nerveuse. Mais je sais que je suis au bon endroit, au bon
moment.
Je trouve à la deuxième porte à ma droite et frappe deux fois.
« Entre », j’entends la voix de Kellan.
Nous y voilà. Je me prépare en prenant une profonde inspiration et j’entre. C’est un
salon massif avec des canapés et une télévision au mur. Il y a un lit à baldaquin de
l’autre côté, des voiles en organdi pendent librement de la structure supérieure.
Rhett, Kellan et Gage sont assis sur deux des trois canapés, rassemblés autour d’une
petite pile de documents posée sur une table basse en marbre et bois, qui se trouve
entre eux. Ils lèvent leurs yeux, qui sont brillants et pleins d’espoir en me voyant. Aucun
ne dit un mot pendant une bonne minute, alors que tout ce que j’ai ravalé revient à la
surface, accélérant mon pouls… mais je ne sais pas où.
« Salut », dis-je en arborant un doux sourire.
« Salut », répond Kellan.
Ils ne bougent pas, et je ne sais pas quoi faire de plus pour leur dire que oui, je suis à
eux et qu’ils sont à moi. Je ferme donc la porte derrière moi et tourne la clé dans son
trou. En expirant vivement, Rhett se lève, marche vers moi, et me prend dans ses bras. Il
m’embrasse si profondément, et j’apprécie le goût qu’il a sur mes lèvres.
Une fois encore, la dynamique entre nous est en train de changer. L’intensité est
irréelle, s’accumulant dans ma poitrine alors qu’il incline sa tête en arrière pour me
regarder. De l’amour… C’est de l’amour que je vois dans ses yeux, et il est tout pour moi.
Je prends toute la force qu’il me reste pour ne pas pleurer là, tout de suite.
« Bienvenue chez toi, Elly », chuchote-t-il, puis il m’embrasse à nouveau.
Avant que je ne le réalise, il me prend par la main et me conduit vers Kellan et Gage.
Ils se relaient pour m’enlacer et m’embrasser sur les lèvres, alors que je retrouve leurs
goûts individuels et inoubliables.
Celui de Rhett est un mélange de tabac et de liqueur sucrée. La simple pensée de lui
est enivrante. Kellan a le goût de fruits d’été et de miel, fort et acidulé. Gage… Gage est
une menthe légère et une faible pointe d’agrumes. Je sais que c’est étrange que je les
goûte comme ça, mais c’est la façon que je choisis pour me souvenir d’eux. C’est la façon
que mon corps choisit pour imprimer leur existence.
« Nous attendons depuis des jours », souffle Kellan en caressant mon visage. « Je
commençais à penser que tu ne viendrais jamais. »
« J’avais besoin de temps pour réfléchir », dis-je en effleurant mes doigts sur la barbe
mal rasée de Rhett. Je l’aime. J’aime chacun d’eux. Et ils m’aiment. C’est désormais un
fait incontestable et je suis reconnaissance d’être tombée dans cette vie particulière.
Avec tout ce qui s’est passé, je reste la fille la plus chanceuse du monde. Je le vois
clairement, alors que la main de Gage glisse le long de mon dos. Nous ne parlons pas
beaucoup pour l’instant. Nous sommes trop occupés à rattraper le temps perdu.
Dès lors que ma robe tombe au sol, et qu’ils regardent bien la fine couche de dentelle
noire qui recouvre mes seins et ma chatte déjà mouillée, je sais que je suis partie pour le
voyage du siècle. Rhett me guide vers le lit en m’embrassant, tandis que Gage et Kellan
retirent leurs vêtements. Il y a une harmonie, un certain sens de l’ordre entre nous, alors
que je me lèche les lèvres et déboutonne le pantalon de Rhett.
Mes seins meurent de désir. Le souffle de Rhett est accéléré et irrégulier, ses lèvres
brillent alors qu’il retire mon soutien-gorge et prend un de mes tétons dans sa bouche.
Toute l’expérience est hallucinante alors que je finis sur le dos, avec Kellan et Gage
agenouillés sur le lit, m’entourant.
Rhett descend sur moi, ravissant mes sens alors que sa langue erre entre mon clitoris
et un trou très fluide et palpitant. Je relève ma tête et regarde Kellan. Comme s’il lisait
dans mes pensées, il se rapproche, tout comme Gage, afin que je puisse prendre leurs
queues dans mes mains avant de les mettre dans ma bouche.
Je me perds, mes lèvres entourant le bout luisant de la queue de Gage, alors que
Rhett suce mon clitoris… Je jouis si fort et gémis, pendant que Gage pénètre plus
profondément dans ma bouche, en même temps que mon autre main presse l’érection
enflée de Kellan.
Rhett me transperce de toute sa longueur, et je crie, puisque ce n’est clairement que
le début.
Alors que nous surfons sur les ailes de l’amour et de l’extase, que nous nous poussons
vers de nouvelles limites, que nous nous donnons les uns aux autres, je sais… je sais que
je ne serai jamais aussi heureuse et que les têtes brûlées feront tout leur possible pour
que ce moment dure pour toujours.
Et tandis que je me défais autour de la queue palpitante de Gage, sous les doigts de
maître de Kellan et que Rhett me donne la fessée, tremblante et criant leurs noms, priant
pour qu’ils soient mon éternité… je comprends tout ce que j’ai fait, tout ce que je n’ai pas
fait, tout ce sur quoi je n’avais aucun contrôle…
C’est ce qui m’a conduite jusqu’ici.
Il n’y a pas d’autre endroit où j’aimerais être qu’ici, avec Rhett… avec Kellan… avec
Gage. C’est notre éternité, peu importe combien de temps elle dure. C’est nous.

FIN
D U MÊME A UTEUR

Vous n'en pouvez plus d'attendre un livre qui vous tient en haleine ? Voilà un extrait exclusif de mon nouveau roman,
L’amour caché !

Je n’avais jamais eu autant envie de sentir l’odeur de merde de porc de toute ma vie. En enfonçant ma pelle dans la terre,
je creusai encore plus profondément. La bonne fille de la campagne que j’étais savait que la limite était bel et bien franchie.
« Un pont trop loin », aurait dit mon père.
« Désolée papa, on ne peut pas tous être des saints », marmonnai-je tandis que je déversai un autre tas de terre à côté
de la tombe de fortune.
Je regardai le corps une nouvelle fois, ce que j’avais pourtant essayé d’éviter de faire depuis que je l’avais découvert, plus
tôt dans l’après-midi. Malgré la décoloration et le gonflement de son visage, on reconnaissait clairement de qui il s’agissait.
Kyle Severson. La menace des menaces dans ces régions. Ce ne serait une surprise pour personne d’apprendre qu’il
s’était frotté à quelqu’un prêt à le poignarder et à le laisser se vider de son sang dans le bois comme… Eh bien, comme un
porc dans un abattoir.
À vrai dire, personne ne devrait jamais traiter Kyle de porc. Les porcs sont trop bons pour ce fils de pute. Ils ne devraient
pas être comparés à un rat d’égouts comme ce salaud. Je regardai son corps sans vie. Ses yeux qui avaient toujours été
plein de malice étaient désormais vides et ternes.
Ce n’était pas facile d’estimer depuis combien de temps il était ici, mais si les corps humains se décomposent à peu près
comme les carcasses de porcs, cela devait faire plus de vingt-quatre heures. L’exposition aux éléments avait peut-être
accéléré le processus. Il était évident, vu la quantité de sang séché sur le sol, qu’il était vivant quand il avait été déposé.
Ce coin de ma propriété était assez isolé. Même mon portable ne fonctionnait pas correctement ici. Il aurait pu être là
pendant des heures à appeler à l’aide sans que personne ne l’entende. En fait, je n’aurais pas découvert le corps non plus
si je n’avais pas décidé de parcourir le périmètre de ma propriété pour vérifier qu’il n’y avait pas de trous dans les clôtures.
« Aïe, fils de pute ! » criai-je alors que le manche de ma pelle s’enfonçait dans la chair de ma main. J’aurais pu simplement
appeler les flics et les laisser régler cette merde. Et m’épargner les ampoules dans la foulée.
Mais je ne l’avais pas fait. D’une part, une enquête signifiait que ma ferme et ma vie allaient être chamboulées le temps
que la police tente de retrouver le responsable. Et, sans surprise, mon nom aurait été en tête de la liste des suspects.
Trop risqué pour moi qui n’étais qu’à une saison médiocre de tout perdre. Trois années de travail acharné m’avaient
permis de sauver cette ferme qui était au bord de la faillite totale, et je commençais seulement à entrevoir la lumière au
bout d’un tunnel atrocement sombre. Si tout se passait bien pour moi cette année, la ferme sortirait du rouge pour la
première fois en presque dix ans.
Mais, surtout, j’étais absolument sûre de savoir qui l’avait fait et pourquoi. Et, bien que je désapprouve généralement le
meurtre, personne ne devrait être condamné à aller en prison pour avoir tué ce connard.
« Allez ma fille, on y est presque. Pas de corps, pas de crime » me dis-je, en ajustant mes gants de travail et en plantant
une nouvelle fois ma pelle dans la terre meuble.
Dire que si j’avais eu le tractopelle, j’aurais fini depuis bien longtemps. Non pas que ça soit une option. La dimension
secrète de la démarche était bien plus importante que sa rapidité d’exécution, il fallait donc que je reste la plus discrète
possible. Il suffisait qu’un des pensionnaires me vît conduire l’énorme machine à travers la propriété en pleine nuit pour que
les langues se délient. C’était le meilleur moyen. J’essayais du moins de m’en convaincre pour supporter mon dos de plus
en plus douloureux. Trent avait fait le gros du travail, pour ainsi dire. C’était le moins que je pouvais faire.
Je finis ce projet macabre deux heures avant le lever du jour. Je me faufilai ensuite dans la ferme, jetant les bottes, les
gants et les vêtements dans un baril de débris pour les brûler un peu plus tard dans la matinée. Je passais l’heure suivante
à essayer d’enlever l’odeur de chair humaine en décomposition de ma peau et de mes cheveux.
Je me coupai les ongles, pris un bain d’eau de javel et de vinaigre et frottai ma peau jusqu’à ce qu’elle soit rose et presque
à vif. Je récupérai ensuite des sels de bain au fond d’une armoire. C’était un cadeau. L’un des rares que j’aie reçus de
mon père. Comme tout ce qu’il m’avait toujours donné, il y avait pile assez pour ce que je devais faire avec. Ni plus, ni
moins. Ça et une généreuse dose d’après-shampoing que j’avais achetée en vrac, mais que je n’avais que rarement le
temps et l’envie d’utiliser, furent les touches finales.
Je sortis de la baignoire après m’être rincée une dernière fois, me sentant enfin à nouveau humaine. Alors que je me
tenais face au miroir derrière la porte de la salle de bain, je ne pus m’empêcher de remarquer qu’un nouveau sentiment
s’était emparé de moi. Peut-être pas nouveau, mais certainement inattendu.
Depuis combien de temps n’avais-je pas eu entre les cuisses quelque chose qui ne fonctionnait pas sur piles ? Des mois ?
Des années ?
Il faut avouer que je n’avais pas vraiment été d’humeur depuis longtemps, mais même un traumatisme ne peut pas
éradiquer complètement certains besoins. Bien sûr, c’était très probablement le moment le plus étrange pour avoir de tels
désirs. Mais, étrange ou pas, c’est exactement ce qui consumait mon esprit à cet instant.
Dans le miroir, j’observai mon corps, sculpté et athlétique grâce à une vie entière de travail agricole. Je n’étais pas
vraiment une bombe. Je n’étais pas pulpeuse. Mes seins et mes hanches étaient modestes, au mieux, même selon mes
propres critères. Avec une autre coupe de cheveux et une garde-robe adaptée, je pouvais facilement passer pour un
garçon. Mes cheveux courts et ma manière de parler abrupte avaient d’ailleurs souvent fait croire aux gens que j’étais
lesbienne, à plus d’une occasion. Ce n’était pas le cas, mais ce n’était pas non plus un problème pour ma vie amoureuse.
Il s’avère que la plupart des hommes fantasment sur le fait d’être avec des femmes qui, par définition, n’ont pas le
moindre intérêt à être avec eux.
Je passai ma main calleuse sur mon corps et je frissonnai. Les images du visage de Trent, tordu par la colère, les muscles
de son cou et de ses épaules tendues par réflexe tournaient en boucle dans mon esprit. Il y avait longtemps que j’avais
arrêté d’entretenir des fantasmes sur des hommes dangereux et sexy. Mais quelque chose à propos de Trent semblait
me pousser à enfreindre toutes les règles que je m’étais fixées. Et l’idée qu’il ait mis fin aux jours de Kyle ne faisait que me
donner encore plus envie de lui.
« Tu deviens folle, ma fille. Les cadavres et les suspects de meurtre ne sont pas censés autant t’exciter » dis-je à mon
reflet. En parlant, je savais déjà ce que j’allais faire.
Une fois de plus, j’allais à l’encontre de mon bon sens en mettant mon plus bel ensemble de lingerie, celui que j’avais
commandé en ligne il y a quelques mois. J’enfilai par-dessus une simple robe d’été couleur crème. La matière, douce et
presque transparente, laissait entrevoir ce qu’il y avait en-dessous, sans pour autant tout dévoiler. L’ourlet tombait juste au
milieu de ma cuisse, trop court pour se rendre à l’église, mais bien trop long pour performer sur une barre de pôle dance.
Je repêchai une très vieille trousse de maquillage au fin fond d’un tiroir à bordel dans ma chambre, et je commençai à
examiner les tubes et les poudres qui s’y trouvaient. Je n’avais jamais été très maquillage. La plupart de ces objets étaient
des vestiges des meilleures tentatives de mes amies pour me relooker quand elles me rendaient visite. Ces looks étaient
toujours magnifiques, mais peu pratiques. Se maquiller tous les matins demandait trop de temps et d’efforts, et l’idée
d’une « morning routine beauté » semblait en totale contradiction avec mon mode de vie. Le travail à la ferme était
intense, et il n’y avait aucune chance pour que, passée la mi-journée, mon eye-liner ne soit pas complètement étalé de
mes paupières à mon menton.
C’était pourtant ce même poison que j’étais absolument décidée à m’appliquer sur le visage maintenant. La pointe était-elle
censée être à ce point pelucheuse ?
Je décidai de me jeter à l’eau, en appliquant les produits avec parcimonie pour ne pas avoir l’air d’un clown. Ce que je
m’apprêtais à faire était déjà assez risqué comme ça, pas besoin d’ajouter l’humiliation potentielle du rouge à lèvres sur
mes dents et du smokey eye effet « œil au beurre noir ».
Une fois absolument certaine de ne pas ressembler ni sentir comme une femme qui venait de finir d’enterrer un cadavre
en décomposition dans son jardin, j’enfilai les seules chaussures capables de résister à un sprint de la maison à la voiture,
des bottes de cow-boy. Cliché, mais pratique.
Ne vous méprenez pas, j’avais regardé avec nostalgie les talons aiguilles dans le coin de mon placard. Il y avait eu trop
peu de nuits dans ma vie où une paire de chaussures comme celle-là aurait été utile. Mais peut-être, juste peut-être, cela
allait-il changer.
Je descendis les escaliers en courant et me précipitai sur ma pelouse à l’avant, au moment même où le ciel devenait gris.
La vie à la ferme commençait tôt, et aujourd’hui ne ferait pas exception. Si je voulais avoir le moindre espoir de pouvoir
descendre la route sans être détectée, il fallait que j’agisse rapidement.
Le moteur du vieux camion se mit à rugir, et sans ses toux et crachats habituels, ce que je pris comme un bon présage
avant de descendre la route à toute allure. La maison de Trent n’était pas à plus de quelques minutes de la mienne. À la
vitesse à laquelle je roulais, je serais à sa porte en moins de temps qu’une pause publicitaire.
En voyant le portail fermé, je garai le camion et sautai au-dessus de la clôture, me précipitant vers la porte d’entrée à une
vitesse folle.
Je frappai à la porte, ne m’attendant pas à ce qu’il fusse réveillé. À ma grande surprise, il répondit après le troisième coup,
l’air éveillé, alerte, et complètement confus.
« Mel, c’est quoi ce bordel ? »
J’hésitai un moment, ne sachant pas trop quoi lui dire. « Hé, merci d’avoir buté ce connard pour moi. On baise ? » me
parut un peu grossier, même pour moi. J’optai pour une communication non-verbale.
Je me jetai sur lui, enroulant mes bras autour de son cou et pressant mes lèvres contre les siennes. Tout son corps se
raidit, mais ça ne me découragea pas. Je cambrai mon dos, appuyai ma poitrine contre la sienne tandis que j’écartai ses
lèvres avec ma langue. Les bras tremblants de Trent s’enroulèrent autour de moi, soulageant la pression sur son cou et
attrapant mon corps pour le mettre en contact intime avec le sien.
Ce n’est que lorsqu’il m’embrassa finalement en retour, en entrant dans la maison et en donnant des coups de pied pour
fermer la porte dernière nous, que je réalisai qu’il ne portait rien d’autre que des bottes de combat et ses sous-vêtements.
Bien sûr qu’il en portait. À quoi d’autre pouvais-je m’attendre à cette heure-ci ? Mes doigts s’étalèrent contre ses épaules
larges et fermes et je traçai du bout de mes phalanges le bord d’une cicatrice que je n’avais aperçue qu’une ou deux fois.
Trent n’était pas en ville depuis longtemps, et il n’aimait pas travailler torse-nu comme certains hommes plus jeunes, mais
j’en avais vu assez pour savoir que d’autres cicatrices allaient suivre. Et des tatouages. Pas du genre à la mode, comme
ceux que les jeunes se font encrer pour faire peur à leurs parents ou pour prouver leur virilité mais du genre qui signifie
quelque chose de réel. Le genre qu’on a quand on devient un homme un vrai, quand on rentre de guerre, le genre qui
honore les morts et célèbre les vivants. Eux aussi étaient sexy. En fait, tout chez cet homme était sexy, peut-être même
encore plus parce qu’il disait si peu de choses à propos de lui. Un mystère. Un mystère sexy, fort, peut-être homicide,
avec des tablettes de chocolat et des bras comme ceux de Paul Bunyan.
« Mel, chérie, qu’est-ce qu’on fait là ? » me demanda-t-il à bout de souffle alors que j’enroulais mes jambes autour de sa
taille.
Pour être honnête, je n’étais pas sûre non plus. J’en avais juste marre de me retenir et d’avoir peur. Même si c’était une
erreur, j’en avais envie.
« S’il te plaît », c’est tout ce que je réussis à prononcer. Juste ces mots.
Trent me regarda avec des yeux agonisants. Ça avait beau n’être pas grand-chose, il me semblait que c’était tout ce dont
j’avais besoin pour faire fondre mes dernières défenses.
« Oh, bébé », gémit-il doucement, me coinçant entre son corps et la paroi froide. Ses doigts se posèrent ensuite
immédiatement sur ma culotte douce, pétrissant la chair qui se trouvait en dessous. Il appuya ses hanches contre l’objet
de son désir, chaud et humide, me laissant sentir sa longueur. C’était un homme d’action, et son corps était prêt à réaliser
tous les fantasmes que j’avais pu avoir à son sujet.
« Ne t’arrête pas » dis-je en gémissant à son oreille. C’était la seule permission dont il avait besoin.

L’amour caché

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