Evaluation Pédagg2017

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Revue française de pédagogie

Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les


apprentissages des élèves : problématiques et méthodes en
didactique des mathématiques et des sciences
M. Alain Mercier, Christian Buty

Résumé
Les études des effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves conduites en didactique des sciences sont
présentées selon trois types: les études a priori qui décrivent ce qui est réellement enseigné et peut donc être appris, les
études relatives à la manière d’enseigner un savoir déterminé, et les études qui cherchent à décrire les manières
d’enseigner pour en déduire ce qu’il est possible d’apprendre dans les conditions créées par un enseignement donné. Des
exemples sont donnés, afin de montrer les méthodes et les raisonnements dans chacun des cas.

Abstract
Alain Mercier, Christian Buty. Assessing and understanding the effects of teaching on student learning: problematics and
methods in the pedagogy of mathematics and of sciences The studies on the effects of teaching on student learning that
have been carried out in the teaching of sciences fall into 3 categories: the a priori studies which describe what has
already been taught and consequently what can be learned, then the studies which deal with the way to teach a specific
field; the studies which propose to describe the ways of teaching in order to deduct what can possibly be learned in the
conditions created by a method of teaching. Some examples are given, in order to show the methods and the reasoning in
each case.

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Mercier Alain, Buty Christian. Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves :
problématiques et méthodes en didactique des mathématiques et des sciences. In: Revue française de pédagogie,
volume 148, 2004. pp. 47-59;

doi : 10.3406/rfp.2004.3249

http://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2004_num_148_1_3249

Document généré le 07/06/2016


Évaluer et comprendre les effets
de l’enseignement
sur les apprentissages des élèves :
problématiques et méthodes
en didactique des mathématiques
et des sciences
Alain Mercier, Christian Buty

Les études des effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves conduites en didactique des
sciences sont présentées selon trois types : les études a priori qui décrivent ce qui est réellement enseigné et
peut donc être appris, les études relatives à la manière d’enseigner un savoir déterminé, et les études qui
cherchent à décrire les manières d’enseigner pour en déduire ce qu’il est possible d’apprendre dans les
conditions créées par un enseignement donné. Des exemples sont donnés, afin de montrer les méthodes et
les raisonnements dans chacun des cas.

Mots-clés : didactique des mathématiques, didactique des sciences de la nature, enjeux de savoir, manières de
l’étude, pratiques du professeur.

E n didacticiens nous parlerons de pratiques d’en-


seignement, qui sont supposées produire les
apprentissages des élèves : nous en rendons compte
dans les diverses évaluations (3) (et l’on n’évalue
peut-être pas les savoirs appris par les élèves).

relativement à leur enjeu qui est la transmission d’un Beaucoup des publications anglo-saxonnes qui
corps de savoir, que ce soit une manière de penser traitent des « effets des pratiques pédagogiques sur
les problèmes d’un domaine de réalité, une manière les apprentissages » évaluent des propositions
de faire pour en produire une solution ou une manière d’innovation. Mais pour répondre à la question :
de juger de la pertinence de la solution proposée. On « Comment telle manière d’enseigner permet-elle que
peut donc évaluer des séquences d’enseignement, des élèves apprennent, et à quelles conditions per-
relativement aux apprentissages des corps de savoir sonnelles des élèves peuvent-ils apprendre ? » il faut
qu’elles rendent possibles en principe (1), à ceux que pouvoir décrire en général les manières d’enseigner
l’on peut observer en situation (2) (certains peuvent effectivement observables. C’est un tout autre enjeu
être longtemps silencieux) ou à ceux qui sont attestés et comme la plupart des chercheurs, Huber (2001)

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conclut ainsi son enquête : « It has not to be exa- des conceptions venues de l’expérience quotidienne
mined only which kind of processes should be intro- du monde : cet effet de l’enseignement sur l’appren-
duced in learning groups but it has also to be consi- tissage est alors objet d’évaluations plus systéma-
dered for which learning objectives and under which tiques.
organisational conditions these processes seem to be
suitable. There is no integrative model of conditions
that are beneficial ». Robert (2001), auteur des prin-
cipaux travaux francophones sur cette question, INTRODUCTION
conclut de même : « Nous présentons une probléma-
tique d’analyse des pratiques enseignantes imbri-
quant le point de vue des effets potentiels (nous sou- Dans la rationalisation de l’école qui s’est mise en
lignons) des pratiques sur les apprentissages des place ces trois derniers siècles, la matière d’ensei-
élèves, et le point de vue du travail spécifique de l’en- gnement s’est trouvée organisée en une progression
seignant […] Une hypothèse implicite est qu’il peut y qui n’est plus progrès dans la lecture commentée
avoir des effets diversifiés sur les apprentissages de d’un texte de référence faisant autorité, mais pro-
certains élèves en fonction du type d’enseignement grès dans un texte d’enseignement ad hoc (Cheval-
donné. » La bibliographie internationale relative à lard et Mercier, 1987). L’efficacité des systèmes
l’enseignement des mathématiques donne, sur deux d’enseignement modernes, qui en est la consé-
ans, dans la base MATHDI éditée par la European quence, les a rendus universels. Leur perfectionne-
Mathematical Society et la revue ZDM (4), quelques ment est l’effet d’un travail collectif qui a commencé
rares références explicites au problème qui nous lorsque les sciences ont permis de constituer des
intéresse. Cependant, la question y est abordée dans progressions d’enseignement fondées sur l’exposé
presque toutes les langues et communautés de rationnel des corps de savoirs. Ainsi l’enseignement
recherche en didactique des mathématiques selon moderne ne propose pas une entrée dans la rationa-
des voies semblables à ce que décrivent les auteurs lité, au sens que Bachelard (1949, 1986) donne à ce
cités ci-dessus, les diverses approches didactiques terme, mais plutôt une réorganisation rationalisée
étant fondées sur l’analyse a priori de l’enjeu de des savoirs.
savoir : leurs conclusions sont donc proches. Que
Nous considérons aujourd’hui que l’objet des tra-
les théories fondatrices de l’observation se réfèrent
vaux didactiques est « l’étude » (par les élèves, les
à l’interactionnisme (Brandt, 2001), aux sociologies
étudiants, les formés, etc.) et « l’organisation de
(Zevenbergen, 2001 ; Houssart, 2001), à l’anthropo-
l’étude » (par les professeurs, les formateurs, les ani-
logie (Mercier, Sensevy, Schubauer-Leoni, 2000), ou
mateurs, etc.) d’un « type de savoir » (défini par une
aux théories de la cognition collective (Cobb, Stephan,
communauté savante, par une profession, par un
McClain, Gravemeijer, 2001), les effets observés
groupe social, etc.). Nous formulons donc sous la
en classe sont considérés comme des potentialités
forme suivante le principe fondateur des travaux
d’apprentissage.
didactiques, qui est toujours un des principes les
plus productifs des recherches en didactique : Les
Dans le cadre de la didactique des sciences de la manières d’étudier et d’organisation de l’étude sont
nature, les « conceptions des apprenants », qui leur en rapport avec les types de savoir en jeu. Pour
viennent des expériences du monde matériel qu’ils autant, nous ne savons pas faire évoluer les systèmes
font dans leur vie quotidienne, jouent un rôle plus d’enseignement et les adapter rapidement à nos
important : chez la plupart des élèves les connais- choix épistémologiques. C’est ce que montrent, dans
sances mathématiques premières semblent ne pas les années 1970-78, les difficultés de mise en œuvre
résister longtemps à l’enseignement, sans doute de la modernisation des mathématiques enseignées.
parce qu’elles n’ont pas pour origine l’interprétation La compréhension des systèmes d’enseignement
que l’individu fait de ses sensations, quotidien- modernes suppose d’identifier les lois de l’organisa-
nement. En didactique des sciences de la nature, pro- tion de toute matière d’enseignement en progres-
duire un apprentissage c’est assurer l’évolution de sions (Chevallard, 1980, 1985, 1991), puis de décrire
ces conceptions premières et construire un sens pour cette organisation des contenus de savoir, qui sont
des conceptions évoluées, en même temps que l’on les descripteurs pertinents des relations ou inter-
transmet des éléments d’un corps de savoir. Les tra- actions didactiques. Cela détermine le point de vue
vaux d’ingénierie didactique visent donc, au fonde- des observations didactiques et l’objet de ces
ment de l’édifice, à produire l’évolution observable recherches, le didactique.

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LES DIMENSIONS D’UNE OBSERVATION Comment ce qui s’enseigne détermine-t-il ce qui
DIDACTIQUE peut être appris, et dans quelle mesure ?

Les didacticiens qui, ainsi que Passeron (1991) l’a Mais dès que l’on observe en classe ce qui est
écrit, ont identifié le didactique comme un domaine enseigné, on découvre un phénomène surprenant :
spécifique d’investigation dont la nécessité vient de Ce qui s’enseigne effectivement n’est pas ce qui est
sa position intermédiaire entre sociologie et psycho- décrit par le programme d’enseignement. Ainsi, l’uni-
logie, ont donc développé des théorisations auto- versité enseigne la philosophie en découpant les
nomes. Leur objet est abordé par son enjeu (du œuvres inscrites au plan d’études en une suite de
savoir) à propos duquel des sujets interagissent en concepts isolés (Verret, 1977). Cette organisation de
position dissymétrique (professeur, élève). Ils identi- l’enseignement permet le contrôle social des appren-
fient ainsi des objets d’observation possibles : tissages (elle permet d’en déclarer publiquement les
enjeux partiels et les états intermédiaires). Cela en
– Les enjeux de savoir que les professeurs portent fait le succès, mais découper ainsi les œuvres à étu-
pour la société et que les élèves vont imaginer. Leur dier les dénature (5). Le problème est semblable pour
identification et leur description engagent l’observa- toutes les disciplines enseignées : le constat de
tion des apprentissages possibles en principe. Verret tient à la forme générique des systèmes d’en-
seignement modernes (Chevallard, op. cit.)
– Les manières de l’étude des savoirs que les
élèves mettent en œuvre et que les professeurs pro-
posent sont spécifiées par les types de pratiques non Par ailleurs, l’observation des savoirs effectivement
scolaires que les savoirs permettent. Leur description en jeu dans les épreuves d’évaluation montre que
permet d’envisager les apprentissages réalisables « évaluer les effets d’un enseignement » ne signifie
dans un groupe social donné. pas la même chose selon les institutions qui se pro-
posent l’évaluation d’un élève, des élèves d’une
– Les stratégies du professeur gérant l’apprêt
classe, d’une cohorte d’élèves, des personnes d’un
didactique des savoirs et les manières d’étudier des
groupe social, des membres d’une classe d’âge. Les
élèves sont spécifiées par les objets que manipulent
questions que nous ouvrons ne trouveront donc pas
professeur et élèves. Leur analyse nous donne un
de réponse simple.
accès a priori aux apprentissages effectifs produits
par un enseignement donné.

Le premier point fait l’essentiel des travaux didac-


tiques jusqu’en 1995. Nous centrerons l’exposé sur
les deux suivants car le fait d’observer « le savoir et POUR INTRODUIRE À L’EXPOSÉ DES MÉTHODES
les manières dont professeurs et élèves s’y confron-
tent » rend proches les résultats des diverses didac-
tiques et semblables les dimensions du problème Parfois, les didacticiens s’appuient sur une théorie
qu’elles mettent en avant. Cependant les didacti- (ou un modèle) du monde didactique qui leur permet
ciens, en affirmant que les questions de l’enseigne- par exemple, de démontrer une déclaration en pro-
ment doivent être abordées par le moyen de l’obser- duisant un seul contre-exemple de la déclaration
vation de ce qui s’enseigne, ont produit presque contraire. Plus souvent, ils partent de l’usage rai-
aussitôt deux résultats. Le premier est un constat : sonné d’une théorie pour prouver un résultat démon-
Les enseignants ne suivent pas les prescriptions des tré, par le recours à une expérimentation contrôlée
théories psychologiques de la cognition ou de l’ap- (ce sont les travaux d’ingénierie didactique). Cepen-
prentissage. Et pourtant dans les écoles, des élèves dant ils se proposent aussi de produire expérimen-
en nombre relativement important apprennent des talement à l’appui d’une théorie, par un dispositif
savoirs tandis que, en l’absence d’école, les enfants d’intervention sur le domaine dont ils étudient les
n’apprennent pas. L’enseignement a donc un effet. réactions, des phénomènes que la théorie avait pu ou
Le second a fait l’objet de démonstrations succes- aurait dû anticiper (ce sont les travaux d’observation
sives qui permettent d’en donner le domaine de vali- clinique). Nous allons tenter de donner un aperçu des
dité : Ce qui s’enseigne détermine ce qui peut être différents types de travaux et des résultats qui sont
appris. La question didactique pour laquelle nous ainsi produits, en organisant ce texte selon trois
cherchons des éléments de réponse devient alors : dimensions.

Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves 49
Première dimension : cation par 0 que d’erreurs de multiplication de 0, un
Des travaux caractéristiques des méthodes bref questionnaire le démontre. Ainsi, la multiplication
didactiques dans l’abord des enjeux de savoir par 0 ne constitue pas un obstacle épistémologique,
mais c’est un problème exceptionnellement rencontré
On dispose ici d’une série de résultats que l’on peut avant la classe de Première et ce qui n’est ni enseigné
énoncer ainsi : Ce qui n’est pas enseigné ne peut être ni utilisé n’est ni appris (comme savoir explicite) ni
connu que par son usage régulier. connu (dans l’action pratique).
Un fait Une expérience
Les savoirs s’affaiblissent avec le temps. C’est ce Léonard et Sackur-Grisvard (1981) montrent, dans
que montrent Hart, Brow, Kucheman & Kerslake le cas des décimaux et par un questionnaire simple,
(1982) dans une enquête par questionnaire conduite que des élèves peuvent utiliser très longtemps des
en Angleterre sur un large échantillon de population connaissances archaïques fausses qui ne produisent
scolaire entre 11 et 15 ans, à propos de la maîtrise que rarement des erreurs. Cela se teste rapidement
des calculs de fractions et décimaux. C’est un par trois questions : « Combien font deux virgule un
constat étonnant pour des chercheurs qui travaillent plus trois virgule cinq ; combien font cinq virgule neuf
dans le cadre des théories du développement psy- plus trois virgule onze ; combien font neuf virgule
chologique, car le développement n’est pas supposé cent soixante-sept plus quatre virgule trente neuf ? »
régresser si tôt ! Une seule conclusion pratique pos- Ceux qui pensent les décimaux comme somme de
sible, après que l’on ait vérifié qu’en Angleterre, les deux entiers (et qui raisonnent juste en francs et cen-
décimaux n’ont ni usage scolaire ni usage social, times ou en mètres et millimètres) font au moins une
après 12 ans : ce qui n’est plus enseigné et qui n’est erreur. Cette observation signifie ceci : à l’école, les
pas utilisé est de moins en moins connu. La conclu- décimaux ne sont pas enseignés dans des configu-
sion théorique sera plus difficile à accepter : les rations où la pratique mathématique entrerait en
savoirs sur les décimaux ne sont pas des éléments contradiction avec la pratique sociale. Ce qui se véri-
du développement psychologique. Les chercheurs du fie aisément.
paradigme AMT (advanced mathematical thinking) en
ont tiré les conséquences pour la psychologie et ses On pourrait faire une remarque semblable phy-
usages didactiques (Dubinsky, 1991 ; Sfard et Lin- sique : les professeurs enseignent la formation des
chevski, 1994 ; Vinner, 1997). images sans placer leurs élèves devant l’expérience
d’un cache placé devant la lentille convergente qui
Une enquête forme l’image (Viennot, 1996), une expérience qui
Pascal (1980) observe que si n × 0 est explicitement démonte les prédictions fausses des élèves. Ces pro-
interprétable comme somme de n « 0 », dans les fesseurs n’enseignent pas une physique qui remet-
ouvrages d’enseignement, l’opération 0 × n est bien trait en cause l’expérience première des élèves, nous
plus rarement demandée. Cela est corrélé avec l’ob- y reviendrons plus loin.
servation d’une erreur récurrente : en Première, dans Le développement théorique permet d’interpréter
certains calculs de dérivées, de nombreux élèves un fait
écrivent 0 × n = n (6). Pascal l’interprète ainsi : le
résultat n semble plus « normal » que 0, parce qu’on y Certains élèves apprennent des savoirs et à l’évi-
retrouve quelque chose de la valeur multipliée, dence, ils le font à l’occasion de l’enseignement qu’ils
comme dans 2 × n ou 17 × n. L’existence et la per- reçoivent : certains élèves apprennent la multipli-
sistance de ce genre d’interprétation chez quelques cation par 0, en Première, ils le font à l’insu de leurs
élèves, dans chaque cohorte, sont rendues possibles professeurs qui n’ont pas le contrôle de ce que
par le fait qu’il n’y a pas, sur cette question, d’ensei- leur enseignement permet d’apprendre. Les élèves
gnement : l’enquête montre que cette erreur ne devient apprennent parce que l’enseignement leur a fait ren-
coûteuse qu’en onzième année d’enseignement ! contrer la nécessité de certains savoirs et qu’ils ont
interprété ce fait comme un effet intentionnel de l’en-
Pascal observe alors une classe de CE2 où le pro- seignement.
fesseur fait écrire très soigneusement les décomposi-
tions complètes des nombres : 304 = 3 × 100 + 0 × 10 Ce phénomène semble général (Mercier, 1997 ;
+ 4 x 1 et non pas 3 × 100 + 4. Les élèves y rencon- Schubauer-Leoni, Leutenegger et Mercier, 2000) et
trent fréquemment la forme 0 × n, et ces élèves-là ne relève sans doute de lois anthropologiques univer-
font pas significativement plus d’erreurs de multipli- selles. En effet, Douglas (1986) a montré qu’il n’est

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pas possible de séparer les connaissances d’un sujet qui portent sur des échantillons de plus de 400 clas-
du système d’objets, d’idées, de notions, de valeurs, ses (10 000 élèves). Une même question a été posée
par lequel les objets de ces connaissances lui ont été à plusieurs niveaux d’enseignement (APMEP, 1997 ;
donnés. Ce « prêt à penser » institutionnel se com- 1998 ; 1999 ; 2000) et l’observation du progrès statis-
prend, du point de vue du sujet, comme l’expression tique dans la résolution du même exercice permet de
des attentes de l’institution qui lui donne accès à ces valider ce dispositif par l’observation conjointe du
objets, parce qu’il détermine des actions « prêtes à corpus des exercices effectivement travaillés par les
faire » qui sont communes aux sujets de l’institution élèves. Ainsi, un exercice qui mobilise une connais-
et la caractérisent : des habitus de pensée. En retour sance utile mais peu enseignée est de mieux en
ces actions permettent au sujet d’être reconnu par mieux réussi mais le progrès est lent : c’est le cas des
l’institution, dans ses activités ou ses pratiques. Nous calculs de pourcentages, selon l’évaluation APMEP,
identifions les habitus scolaires d’une discipline sous pour une même cohorte suivie entre mai 1997 et mai
le concept de Contrat Didactique. De ce fait, la 2001.
plupart des élèves résiste aux perturbations et ne
Un exercice qui porte sur une connaissance ensei-
transforme que lentement ses comportements ou ses
gnée puis utile manifeste une augmentation rapide de
connaissances. Ainsi, lorsque leurs savoirs sont
la réussite : c’est le cas des exercices de « raisonne-
déterminés par le contrat didactique, les élèves diffè-
ment proportionnel », dont l’enseignement commence
rent fort peu des adultes : ils tentent d’utiliser ce qui
au CM1 et qui sont réussis à 30 %, puis 50 %, 75 %
leur est connu, plutôt que d’apprendre les savoirs
et, en Quatrième et Troisième par 90 % et 96 % des
nouveaux qui leur sont désignés par le professeur.
élèves. Tandis que la réussite stagne à 30 %, en
Ils ont (ou développent) des stratégies didactiques
Cinquième, dans les exercices posés à l’aide d’un
propres qui fonctionnent comme des connaissances
tableau de proportionnalité (introduits pourtant en
et peuvent faire obstacle à l’étude des savoirs visés
CM2 et réussis à 30 % dès cette classe) : on en
par l’enseignement actuel ou ultérieur. Les profes-
déduit qu’en début de Collège, les tableaux ne ser-
seurs relèvent d’analyses semblables. Les savoirs
vent pas aux « calculs de proportionnalité » qui y sont
qu’il leur est possible d’enseigner dépendent donc de
remplacés par le « raisonnement proportionnel ».
la culture préalable et des usages des sociétés, tout
autant que des usages scolaires qu’ils installent.
Deuxième dimension : des travaux relatifs aux
Une expérience invoquée manières de l’étude, le cas des mathématiques

Il est possible d’observer indirectement l’usage « Dans quelle mesure ce qui s’enseigne peut-il
d’une notion, car les pratiques associées sont tracées déterminer ce qui est appris ? » « Peut-on améliorer
par l’évolution du taux de réussite à ses exercices- les manières d’étudier ? » « Existe-t-il une manière
type : la progression de la réussite au cours de la sco- d’enseigner garantissant telle propriété du savoir
larité (Lleres, 2000) peut être observée par exemple à donné à apprendre ? » Pour répondre à de telles
partir des évaluations de l’Association des Profes- questions posées par Lichnerowitz à l’origine de la
seurs de Mathématiques de l’Enseignement Public réforme moderniste de l’enseignement des mathéma-

Réussite

80 %

60 % 60 %

40 % 40 %

20 % 20 %
10 %
50 %

fin CM2 fin 6e fin 5e fin 4e fin 3e

Figure 1. – Les techniques efficaces pour les calculs de pourcentages


ne sont jamais vraiment enseignées : la réussite progresse très lentement

Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves 51
tiques, le travail de Brousseau (1986) et de ses étu- fert d’innombrables métaphores pratiques », selon
diants correspond à la mise en œuvre d’un principe l’expression de Bourdieu (1980) à propos du sens
d’économie : diminuer le coût d’une connaissance pratique. L’évaluation scolaire traditionnelle est
améliore l’efficacité de son enseignement. Ainsi, on insensible au phénomène : un professeur n’y voit que
peut diminuer le coût de la multiplication en propo- du bleu. Les questions commentées ci-dessous ont
sant une technique d’usage moins coûteux (elle sera été posées par le chercheur à des élèves de Troi-
plus souvent utile) et plus commode (elle sera plus sième à qui, d’ordinaire, leur professeur demande de
aisément apprise), car les calculatrices ont rendue résoudre des équations :
obsolète la technique traditionnelle. Les travaux sur
les noms des nombres ou les opérations montrera F2. Pour résoudre : x2 – 4x = 0 on a fait : x2 = 4x
que des améliorations importantes pourraient être puis : x = √4x. Est-ce juste ? Peux-tu le justifier si
apportées, qui permettraient de gagner six mois sur c’est juste ? Peux-tu dire pourquoi si c’est faux ?
l’enseignement de la numération et d’enseigner à La réponse proposée s’appuie sur les automa-
tous les élèves de l’École Élémentaire, pour les quatre tismes de « passage de membre », une technique
opérations, des algorithmes de calcul efficaces (7). explicitement enseignée par certains professeurs (les
élèves disent et pensent « on passe 4x en changeant
Dans le « jeu intentionnel de l’enseignement » par
son signe »).
lequel les professeurs organisent l’étude que les
élèves réalisent, on ne peut pas produire des savoirs RT1. On a l’équation : 4x + 5 = 7x, d’où l’on a
en cherchant par « tâtonnements ». Brousseau (1997) obtenu : 5 = 3x. Que s’est-il passé entre la première et
démontre qu’il y faut des « gestes d’enseignement ». la deuxième ? Est-ce juste ?
Or, pour enseigner des savoirs autrement qu’en les
nommant et en laissant aux élèves la charge de On attend : « On a passé 4x », présent surtout si « le
les étudier, deux nouveaux types d’organisation de passage de membre » est enseigné.
l’étude sont nécessaires ; ils s’appuient sur l’expé- L1. Peux-tu le justifier si c’est juste ? Peux-tu dire
rience première que donne l’action mais dépassent pourquoi si c’est faux ?
cette connaissance par la production de savoirs par-
tagés dont l’efficacité est collectivement garantie. La vérification demande la soustraction aux deux
Ces types d’étude sont nommés la formulation et la membres. En principe, le « passage de membre » en
validation. Les manières d’enseigner qui permettent sens inverse ne peut pas légitimer un résultat : ce
d’apprendre au-delà de l’action, dans des mouve- n’est qu’une règle d’action.
ments de formulation et de validation, rendent les
savoirs appris plus cohérents, ce qui bénéficie à la La réussite à ces questions ne différencie pas les
fois à l’action technique et à l’étude de savoirs nou- classes observées, mais l’analyse factorielle de cor-
veaux. On montre ainsi que l’on ne peut pas ensei- respondances met en évidence une double disparité.
gner efficacement une technique (par exemple, une D’abord entre les savoirs formés par les élèves des
manière de factoriser des polynômes ou de résoudre classes où l’on enseigne l’usage direct d’une règle :
les équations du second degré) sous la forme d’une « Dans une égalité entre expressions algébriques, on
règle qu’il suffirait de « suivre ». Nous disposons, en peut passer un terme dans l’autre membre en chan-
didactique des mathématiques, d’études empiriques geant son signe » et ceux des élèves de la classe où
montrant, pour tous les savoirs de l’enseignement l’on propose l’usage raisonné de la propriété sui-
obligatoire, de la maternelle à la Troisième, les condi- vante : « Une égalité est conservée lorsque l’on réa-
tions de leur enseignement effectif. lise la même opération sur chacun de ses deux
membres » qui est alors un théorème. Ensuite entre
Une étude des effets d’un choix dans la manière les élèves de cette dernière classe, selon qu’ils met-
d’étudier tent en œuvre une stratégie personnelle favorisant
la réussite des cas additifs (du type x+2=3 devient
L’étude de Broin-Woillez (1993) repose sur l’idée x=3-2 en retranchant 2 à chaque membre) ou qu’ils
que toute action humaine, même si elle suit une règle, sont centrés sur les manipulations spécifiques aux
suppose la mobilisation de connaissances qu’un cas multiplicatifs (du type 2x=3 devient x=3/2 en
enseignement de la règle ignore, ce qui laisse advenir divisant chaque membre). L’enseignement de cette
une multitude de connaissances non pertinentes qui classe conduit donc à une très grande dispersion des
permettent d’interpréter la règle : « des tours, trucs, élèves, qui signe leur incertitude sur la conduite à
coups et astuces engendrant par la vertu d’un trans- tenir dans certains cas ; mais, grâce au théorème

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dont ils disposent, ces élèves peuvent contrôler, portée par la lumière. Cette conception s’oppose tout
après coup, leur action. La règle produit au contraire à fait à la compréhension de ce qu’est une image
des classes au comportement cohérent (tous les optique, un phénomène lumineux ne pouvant être
élèves font les mêmes erreurs), mais à moyen terme observé qu’en un seul lieu où tous les rayons lumi-
ce choix représente une fausse économie car la règle neux issus d’un même point de l’objet viennent se
n’est pas utilisable comme un théorème. rencontrer pour y créer « l’image de ce point ».
C’est ainsi que l’on arrive au cinquième principe Comme nous l’avons dit pour les mathématiques,
du paradigme didactique : Pour enseigner certaines notre hypothèse (Tiberghien, 1994) est que l’élève en
formes épistémologiques qui sont « les divers objets classe de physique fonctionne comme un physicien,
et les différents enjeux » du travail scientifique, il faut c’est-à-dire dans ce cas qu’il se livre à des activités de
des pratiques pédagogiques qui recréent en milieu modélisation. Cependant, il fonctionne à partir d’une
scolaire les conditions anthropologiques d’apparition « quasi-théorie » qui n’est pas celle de la physique
de ces formes. Pour les didacticiens, des pratiques (Carey, 1985 ; Vosniadou, 1994) mais une théorie
d’enseignement ne peuvent donc pas être décrites « naïve » dont les conceptions sont une part impor-
sans une description des conditions anthropolo- tante. Pour nous, les difficultés essentielles de l’ap-
giques d’apparition des savoirs enseignés, conditions prentissage de la physique se situent donc dans la
que l’enseignement est supposé reproduire. Ils consi- mise en relation de ces deux niveaux de savoir, des
dèrent alors que l’analyse et la description de ces théories naïves qui se rapportent à l’action quoti-
pratiques relève d’un travail didactique rendant dienne dans le monde et une expérimentation qui est
compte de l’écologie et de l’économie des savoirs sous le contrôle des théories physiques. Le modèle
devant être enseignés. C’est ainsi que le travail matérialisé sur ordinateur fait lien entre le monde de la
en didactique de la physique qui sera présenté ci- théorie et celui des connaissances relatives aux objets
dessous montre que, sans doute, un nouveau type et événements (Buty, 2000 ; Buty, 2003). Cet objet
d’étude est nécessaire pour l’enseignement de produit des phénomènes visibles sur l’écran, on peut
conceptions compatibles avec les connaissances agir sur lui par l’intermédiaire de la souris ou du cla-
scientifiques. vier, il renvoie à l’élève une réponse à ses actions : il
joue le rôle d’un milieu didactique (Brousseau, 1986).
Au cours de toute la séquence observée ici, les expé-
Deuxième dimension : la relation entre séquence riences que les élèves doivent réaliser sont modé-
d’enseignement et apprentissage réalisé : lisées par une figure interactive sur l’écran de l’ordi-
un cas en physique nateur. Le dispositif d’intervention expérimentale est
Le contexte de la recherche décrit en grisé dans la figure ci-dessous, il doit
démontrer la possibilité de transformer la théorie naïve
Une intervention en Terminale Scientifique dans des élèves en la mettant en défaut dans des condi-
l’enseignement de spécialité Sciences Physiques tions qui lui permettent d’évoluer.
mettait à l’épreuve les propriétés didactiques d’une
interface informatique d’expérimentation. La sé- Nous comparons donc l’effet de l’expérience maté-
quence d’enseignement est ici un produit d’ingénierie rielle (dispositif optique) avec celui d’une expérience
didactique (Artigue, 1992). Le chercheur part ici de virtuelle produite par un logiciel qui obéit aux lois de
l’usage raisonné d’une théorie pour en éprouver un
résultat par le recours à une expérimentation contrô-
lée. Le premier aspect du cadre théorique mis en
œuvre consiste à dire qu’on peut analyser l’activité et THÉORIES ET MODÈLES RÈGLES DU MODÈLE
les réponses de l’élève en lui prêtant un certain IMPLÉMENTÉES
nombre d’idées préconçues qui ont une efficacité
MODÈLE MATÉRIALISÉ
pratique : elles se conservent parce qu’elles sont
économiques dans le quotidien. Or, ces idées orien-
tent et limitent les apprentissages que l’élève réalise. OBJETS ET ÉVÉNEMENTS INTERFACE
Dans le domaine choisi, celui de la formation des
images, en optique, une conception fréquemment
observée (Goldberg et McDermott, 1987), est celle de
« l’image voyageuse » : le sujet réfléchit comme si un Figure 2. – Les deux « mondes » à relier
objet lumineux émettait son image, qui serait trans- et le modèle matérialisé permettant une interface

Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves 53
l’optique géométrique, soit déjà connues des élèves, Notre technique d’analyse conduit à une chronique
soit à acquérir ; nous avons pour conjecture que que nous analysons en trois niveaux : le grain grossier
l’efficacité du logiciel vient de ce qu’il « représente » de la progression relève de l’enseignant ; le grain fin
la théorie physique du phénomène. Les construc- des activités relève de l’élève. La chronique de la
tions, conformes à la loi de la réfraction, sous- séquence complète est donc organisée en situations
jacentes à la figure interactive, peuvent être rendues (définies par le contenu d’enseignement en jeu) ; les
visibles par les élèves : c’est un élément essentiel de épisodes correspondent chacun à une activité qui réa-
la crédibilité du dispositif. lise un but précis dans la progression ; les étapes tra-
duisent les activités des élèves : à l’intérieur d’une
Nous observons l’apprentissage dans les traces de étape, leur activité est assez homogène, avec un but
l’activité. À cet effet nous observons un garçon (Em), unique sous leur responsabilité. La succession des
qui semble porteur de la conception de l’image voya- situations et des épisodes reflète la façon dont l’en-
geuse (test préalable) et travaille avec une fille (Ade) seignant planifie la progression de son enseignement
qui n’est pas porteuse de la conception. L’enregistre- et la gère hic et nunc ; la succession des étapes
ment vidéo de l’activité de cet élève et de ses inter- reconstruit la façon dont tel élève essaie de répondre
actions avec (Ade), pendant toute la séquence, forme à ce qu’il pense qu’on lui demande de faire. Les énon-
l’essentiel des données exploitées. Le niveau de cés de l’élève sont classés en trois catégories : les
savoir où l’élève se situe est repéré par ce qu’il dit. connaissances du monde des objets ; celles du
Ses productions verbales sont rapportées aux res- monde des concepts de la physique ; celles qui assu-
sources qu’il mobilise, selon une méthode d’analyse rent une liaison entre les deux. On constate alors que
catégorielle (Niedderer, von Aufschneiter et al., 2003). la pratique de l’élève qui manipule dans une séance
Toutes les trente secondes (8), nous enregistrons de Travaux pratiques ordinaire est silencieuse (Lunetta,
dans un tableau, d’une part, quelle ressource cogni- 1997) : le plus souvent, (Em) nomme ou décrit seule-
tive l’élève observé utilise, d’autre part, à quel niveau ment les objets sur lesquels il agit.
de savoir se situe sa verbalisation ou quel type de lien
il établit entre niveaux différents. On met ainsi en évi-
dence les effets du modèle matérialisé sur l’activité La figure 4 représente les verbalisations de (Em) au
langagière, on en infère son activité cognitive. Cepen- cours des phases où il utilise le modèle matérialisé.
dant, comme le discours des élèves en classe de Elles sont classées en trois catégories analogues aux
physique est souvent déictique, l’enregistrement des précédentes, mutatis mutandis. Les liens que l’élève
mimiques, des gestes, des attitudes, apporte un établit alors se situent principalement entre ce qui se
éclairage indispensable. voit sur l’écran et les concepts de la physique.

Qu'exprime (Em) quand il manipule ?

100

80

60

40

20

0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
situations
monde des objets concept de la physique liens objets/concepts

Figure 3. – Les verbalisations de l’élève (Em) dans les phases de manipulation

54 Revue Française de Pédagogie, n° 148, juillet-août-septembre 2004


Qu’exprime (Em) quand il utilise le modèle ?

100

80

60

40

20

0
1 3 5 7 9 11 13 15
description des objets sur l’écran suite des situations

liens objets sur l’écran/concepts de la physique liens objets sur l’écran/objets de l’expérience

Figure 4. – Les verbalisations de l’élève (Em) quand il utilise le modèle matérialisé.

On remarque que la part de la description décroît plusieurs équipes de didacticiens de toutes disci-
rapidement et que dans son interaction avec ce milieu plines qui sont aujourd’hui regroupés autour de l’idée
particulier, (Em) construit des liens entre objets et qu’ils doivent conduire leurs observations dans un
concepts : l’ordinateur favorise ici une mise en jeu paradigme comparatiste. Ils rejoignent ainsi les cher-
discursive des concepts de la physique. Le modèle cheurs européens qui travaillent sur l’interaction
matérialisé oppose aux conjectures de l’élève la (Brandt, 2001) et ceux qui travaillent dans le cadre
rigueur de lois physiques dont l’analyse et l’effet sont de théories ergonomiques (Robert, 2000 ; Perret et
visibles : l’élève ne peut plus maintenir dans son dis- Perret-Clermont, 2001 ; Rogalski, 2004). Il s’agit de
cours sa théorie naïve, non fonctionnelle. comprendre, dans les pratiques didactiques des
élèves comme des professeurs, ce qui tient aux spé-
Cependant, tout comme le travail des professeurs
cificités de l’objet d’étude et ce qui tient à la culture
ordinaires, le travail des professeurs capables de réa-
de l’étude de ce type d’objet que les élèves et leur
liser les enseignements produits par ingénierie didac-
professeur arrivent à partager. Ce dernier point
tique ne se déduit pas des effets que ces enseigne-
nous donne à penser que cette coopération (que
ments produisent. Si personne ne sait enseigner en
nous identifions comme « un contrat didactique » qui
réalisant les conditions nécessaires à l’étude efficace,
détermine « un milieu » c’est-à-dire les moyens parta-
le travail didactique présenté ne répond pas de
gés de gérer les objets de l’étude) peut produire des
manière satisfaisante à la question car il ne parle pas
effets différentiels non seulement d’une zone scolaire
de ce qui se passe au quotidien dans les classes de
à l’autre ou d’une école à une autre mais, dans une
sciences ou de mathématiques. Cela nous conduit à
même classe, d’un élève à l’autre. Les travaux de
présenter la troisième dimension des questionne-
Schubauer-Leoni (1986) et de ses étudiants (Leute-
ments didactiques sur notre sujet.
negger, 2000) ont ouvert cette voie, avec un type
de recherches que Leutenegger et Schubauer-Leoni
Troisième dimension : Les méthodes actuelles ont nommé, en référence à la pratique hospitalière
en didactique des mathématiques et comparée fondatrice de la médecine moderne, une observation
permettent de commencer à répondre à la clinique.
question des stratégies du professeur et des élèves
Nous renvoyons, pour des développements expli-
Dans cette voie, certains chercheurs ont produit cites sur cette question, au travail de Sensevy (2001),
des systèmes d’observables pour la description du mais aussi à Venturini, Amade-Escot, Terrisse (2002)
travail du professeur. Dans le monde francophone et à Mercier, Sensevy, Schubauer-Leoni (2002), dans
c’est l’objet de recherche, ces dernières années, de cette même revue : nous pouvons même aujourd’hui,

Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves 55
par cette observation clinique, faire des conjectures gie socialement partagée des objets d’enseignement,
sur l’efficacité d’un système didactique rapporté à qui fait la culture d’une société : elles sont détermi-
ses enjeux (Schubauer-Leoni et Chiesa-Millar, 2002). nées par les manières de penser les objets d’ensei-
La définition précise, auprès des élèves, de l’enjeu de gnement et le travail de leur étude sur lesquelles pro-
l’enseignement qui vient de leur être donné est notre fesseur et élèves arrivent à un accord :
première conjecture d’efficacité ; mais la gestion
explicite, par le professeur, des contradictions entre On ne peut enseigner et être enseigné qu’à la
les conceptions émergentes qu’il peut observer est mesure de sa culture en général, et à la mesure de sa
un moyen pour le professeur d’engager à l’explora- culture de l’étude des savoirs en particulier.
tion d’un « champ conceptuel » (Fluckiger, 2000) ou Les manières d’étudier et d’enseigner sont inscrites
d’une « classe de problèmes » (Sensevy, 1998) et dans les objets qui aident à l’étude et comme toutes
de donner ainsi « un sens » aux apprentissages des les autres manières de faire et les techniques, elles
élèves dont il organise l’étude (Ratsimba-Rajohn, sont données aux professeurs et aux élèves par le
1992 ; Fluckiger et Mercier, 2002 ; Buty, 2003) ; enfin monde technique, social, psychologique, dans lequel
notre troisième conjecture d’efficacité tient à l’usage ils vivent. On ne sait pas bien enseigner des gestes
professoral pertinent de l’ostension (Berthelot et d’enseignement comprenant des phases de formu-
Salin, 1992 ; Matheron et Salin, 2002) dans les lation et de validation sans former les professeurs à
phases d’introduction et de conclusion, lorsqu’il l’observation du régime épistémologique des pra-
s’agit de désigner l’enjeu de l’étude comme lorsqu’il tiques de connaissance, ce qui est fort coûteux et
s’agit de montrer comment cet enjeu est atteint. Il que l’on ne sait faire, aujourd’hui, que par frayage
devient alors possible d’observer la manière dont tel avec la recherche. On ne sait pas former les profes-
ou tel élève d’une classe est enseigné (puisque le seurs à produire par eux-mêmes les moyens d’ensei-
contrat n’est pas le même pour tous, comme l’a gnement nécessaires à la construction, par un collec-
montré Schubauer-Leoni, 1986) et quels sont les tif d’élèves, d’une culture de l’étude efficace : il s’agit
enjeux de cet enseignement. Parfois même, nous d’une question qui les dépasse comme corps d’ac-
observons la manière dont un élève apprend. teurs individuels et qui concerne probablement le
corps social dans son entier.

Nous conclurons donc par une déclaration en forme


PERSPECTIVES ACTUELLES ET CONCLUSION d’appel à la prudence : notre travail de techniciens du
système peut aisément souffrir des maux que produi-
rait un usage technocratique de nos travaux. Car les
Nous avons développé une modélisation des
phénomènes que nous observons limitent très sérieu-
grandes fonctions de l’action didactique et une des-
sement la pertinence des demandes faites aux pro-
cription des gestes (langagiers, entre autres) par les-
fesseurs lorsqu’elles visent à « faire évoluer les pra-
quels un professeur réalise ces fonctions (Sensevy
tiques pédagogiques » sans que les rapports sociaux
et Quilio, 2002 ; Fluckiger et Mercier, 2002). Les
aux savoirs et à leur étude n’évoluent eux-mêmes. En
méthodes d’observation appartiennent au monde
particulier, l’enseignement universitaire des savoirs à
des approches « qualitatives », leur aptitude à fournir
enseigner doit changer profondément, comme ce fut
des systèmes d’observables quantifiables devra être
le cas à l’origine de la mise en place des systèmes
éprouvée dans des études à grande échelle. À ce pro-
d’enseignement modernes. L’évolution attendue de
jet coopèrent des didacticiens des Activités Phy-
l’enseignement suppose en effet que les savoirs étu-
siques et Sportives, du Français, des Sciences Éco-
diés par les futurs professeurs soient présentés en
nomiques et Sociales, des Sciences de la Vie et de la
situation, c’est-à-dire que soient prises en compte,
Terre, de la Physique, regroupés dans la construction
dans le cadre de l’étude universitaire des savoirs à
d’un paradigme comparatiste, en didactique. Dans
enseigner, leurs conditions anthropologiques d’exis-
ce cadre, les méthodes de l’observation didactique
tence.
pourront être pensées dans leur généralité, tout en
étant toujours utilisées dans le cas spécifié d’une dis- Alain Mercier
cipline qui fait l’enjeu de la relation didactique obser- UMR ADEF (9)
vée. Car si les manières d’enseigner déterminent ce
qu’il est possible d’enseigner, elles ne peuvent être Christian Buty
transformées sans un changement dans l’épistémolo- UMR ICAR (10)

56 Revue Française de Pédagogie, n° 148, juillet-août-septembre 2004


NOTES

(1) C’est l’enjeu de ce que les didacticiens appellent l’analyse a priori (1/3x2 + 5x)’ = [0?(3x2 + 5x) - 1x(6x + 5)] / (3x2 + 5x)2 = [3x2 + 5x -
d’un projet d’enseignement ou l’analyse de la transposition 6x – 5] / (3x2+5x)2 = etc., en conservant au numérateur le 3x2 +
didactique (Mercier et Salin, 1988 ; Mercier, 2002). 5x, au lieu d’écrire …=[ 0 - 6x – 5] / (3x2 + 5x)2 ce qui engage une
(2) Le dernier ouvrage publié par les IREM et l’INRP (Colomb et alii, connaissance sûre de 0xn = 0 comme résultat validé, nécessaire,
2003) correspond à ce type de questionnement, outillé en France mobilisable.
il est vrai des théorisations disponibles pour décrire ce qu’est « la
(7) Le cas qu’en feront les commissions de programmes montrera
compréhension » en mathématiques.
que la société n’en a que faire : par exemple, en 1999, la Commis-
(3) C’est l’objet de l’opération EVAPM, conduite depuis plus de dix sion Kahane refuse de transformer les algorithmes au pro-
ans par l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’En- gramme. Le temps des Lumières, quand la Révolution aboutissait
seignement Public et l’IREM de Dijon, sous l’impulsion d’Antoine aussi à l’introduction du système décimal (système de numéra-
Bodin. tion et organisation de tous les systèmes d’unités de mesure
(4) Les six livraisons annuelles présentent 6 000 références issues et de compte) comme moyen de simplifier radicalement « les
de 500 revues spécialisées. comptes qui se retrouvent dans les pratiques des humains », est
bien fini.
(5) Dans chaque discipline d’enseignement et dans tous les sys-
tèmes d’enseignement modernes, on commence par un « B-A, (8) Ce choix suppose que cette durée soit adaptée à suivre les varia-
BA » : l’organisation de la progression didactique ne permet plus tions du niveau de savoir où se situe l’élève.
de retrouver les problèmes qui ont motivé le savoir. Apprendre à
lire selon sa religion en ânonnant le bréviaire du curé, en pronon- (9) « Apprentissage, Didactique, Evaluation, Formation », Université
çant les mots de la Bible, en récitant « à la lettre » le texte du de Provence, Institut National de Recherche Pédagogique, Insti-
Coran, etc. a un tout autre sens… tut Universitaire de Formation des Maîtres de l’Académie d’Aix-
Marseille.
(6) Dans le calcul de la dérivée de 1/(3x2+5x) par la formule connue
pour un quotient (u/v)’ = (u’v-uv’) / v2, on observe que de très (10) « Interactions, Cognition, Apprentissages, Représentations »,
nombreux élèves de Première écrivent : Université Lyon 2, CNRS, ENS-SHS, ENS de Lyon, INRP.

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Évaluer et comprendre les effets de l’enseignement sur les apprentissages des élèves 59

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