Antonio Punzi - Pour Une Philosophie Realiste Du Droit
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Antonio Punzi - Pour Une Philosophie Realiste Du Droit
2009/1 n° 71 | pages 69 à 92
ISSN 0769-3362
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ISBN 9782275028170
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Antonio Punzi
Universita’ degli Studi di Napoli Federico II, Corso Umberto I, I- 80138 Naples.
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Résumé Dans un contexte historique caractérisé par la crise des grands récits de la
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L’idéalisme est l’un des défauts caractéristiques de l’approche moderne du droit
– qu’elle soit descriptive et/ou fondamentale. Non pas l’idéalisme au sens spécula-
tif, évidemment, c’est-à-dire ce mouvement de l’esprit qui, chez Hegel et peut-être
aussi chez Fichte, entend s’élever à un système de pensée 1. Mais bien l’idéalisme
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1. De plus, déjà dans l’après-guerre, des interprètes autorisés de Fichte (Pareyson, mais aussi Philonenko
et Lauth) ont mis en lumière le fait que les principes de la Wissenschaftslehre fichtienne ne devraient pas
être interprétés sur un registre spéculatif, comme si la pensée allait coïncider intégralement avec son
contenu. Cf. cependant Johan Gottlieb FICHTE, Dottrina della scienza, Bari, Laterza, 1987, p. 75, et là-dessus
Reinhard LAUTH, La filosofia trascendentale di J.G. Fichte, Naples, Guida, 1986, p. 16 et suiv.
2. « Le monde est une représentation mienne », écrit Schopenhauer. « […] Aucune vérité n’est plus cer-
taine, plus absolue, plus éclatante que celle-là ; tout ce qui existe par la connaissance, autant dire le monde
entier, n’est pas autre chose que l’objet dans son rapport avec le sujet » (Arthur SCHOPENHAUER, Il mondo
come volontà e rappresentazione, Milan, Mursia, 1969, p. 39 [Le monde comme volonté et comme représenta-
tion, trad. A. Burdeau, éd. revue et corrigée par Richard Roos, Paris, PUF, 2004).
3. Sur la composante idéaliste, au sens large, de l’herméneutique radicale contemporaine, M. Ferraris
écrit : « Si on le prend à la lettre, le primat de l’interprétation sur les faits emporte la destruction de
l’ontologie ou la perte du monde. C’est [...] la proposition de Rorty, pour qui l’herméneutique serait une
version XXe siècle de l’immatérialisme de Berkeley [...]. Si ce dernier soutenait que les choses n’existent pas
en dehors des esprits, au cours de notre siècle se serait affirmée la doctrine selon laquelle les choses
n’existent pas en dehors du langage ou, plus exactement, [...] en dehors des textes » (Maurizio FERRARIS,
L’ermeneutica, Rome, Laterza 1998, p. 28-29. Cf. aussi ID., Il mondo esterno, Milan, Bompiani, 2001, par ex.
p. 163 et suiv. – Traduction par nos soins. Il en sera de même de l’ensemble des citations dont l’original est
en langue italienne. NDT).
4. « Je pense que nous autres, modernes, vivons dans l’ère de l’exaltation de l’esprit de l’homme dont
volontiers on ferait le créateur de toutes choses. On ne peut tout de même pas lui attribuer la création de la
matière ou du moins ce sera difficile. Mais on voit en lui la seule source de tout sens et de toute valeur. Et en
sophie du droit est donc doublement exposée, tant par la méthode que par l’objet,
au risque de contagion.
Une bataille permanente, déterminée, inlassable contre l’idéalisme a été me-
née, dans tout le développement de sa méditation de juriste et de philosophe –
interrompue prématurément voici vingt ans –, par Michel Villey.
Les nombreux essais, les cours, les manuels de cet important penseur consti-
tuent un lieu de référence inéluctable pour la pensée contemporaine qui, en pré-
sence d’un monde sujet à une transformation toujours plus rapide, est appelée à
retrouver une vigueur intellectuelle grâce à l’adoption d’une authentique méthode
réaliste. La société globalisée d’aujourd’hui, admise l’éclipse définitive de quelques
« grands récits » qui ont traversé la modernité, semble, en fait, rappeler la philoso-
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phie à son sens de la responsabilité, sa mission civile, pourrait-on dire sans faire de
rhétorique : laquelle est, non pas de cultiver les illusions – passe-temps oniriques
d’un sujet aliéné, hier dans les grands espaces de la planification concentration-
naire, aujourd’hui dans les petits théâtres privés de variétés médiatiques 5 – mais
bien de garder les yeux grand ouverts et d’aider à réduire la brume qui, de temps à
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tout cas on lui attribue le rôle de producteur du droit » (Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit,
dont un sur la crise universitaire, Paris, Dalloz, 1969, p. 42).
5. Selon un mouvement historique que, comme on s’en souviendra, le fin penseur allemand Adorno, non
sans un excès de pessimisme cosmique, déchiffrait en termes de continuité sinon comme réellement
accompli. Cf. par ex. Theodor W. ADORNO, Minima moralia, Turin, Einaudi, 1994, par ex. p. 191-193 (trad.
fr. : Paris, Payot, 1983).
6. « Nous nous défions de [...] toutes ces idoles contemporaines de la philosophie [...]. Parce que, encore
moins aujourd’hui qu’au XVIIIe siècle, les philosophes de la Sorbonne n’ont d’expérience en notre domaine.
[...]. Et l’intérêt véritable de ces philosophes ne va, pas plus que celui de Kant, à la justice des juristes, mais à
un rêve d’expansion et de liberté ou d’égalité universelle, ou de transformation politique future de
l’humanité. » Ces applications extrinsèques au droit de Weltanschauungen, transformées ailleurs et, pour
cela, donc, entièrement exotiques, « que peuvent-[elles] nous apporter, sinon du verbe inutile – et de
l’incohérence dans la tête de nos étudiants ? » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne (douze autres
essais), Paris, Dalloz, 1976, p. 225).
7. On trouvera une critique brillante et hautement incisive des profils sociaux du postmodernisme,
encore que formulée à partir d’un point de vue parfois excessivement idéologique, dans Terry EAGLETON, Le
illusioni del postmodernismo, Rome, Editori Riuniti, 1998, par ex. p. 32 et suiv. Des intuitions efficaces,
également, dans Luc FERRY et Alain RENAUT, Il 68 pensiero. Saggio sull’antiumanismo contemporaneo, Milan,
Rizzoli, 1987, p. 9 et suiv. et 23 et suiv. (La pensée 68. Essai sur l’anti-humanisme contemporain, Paris,
Gallimard, 1985). Pour la pensée plus spécifiquement jusphilosophique, avec une référence majeure à la
culture américaine, cf. la reconstruction présentée par Gary MINDA, Teorie postmoderne del diritto, Bologne,
Il Mulino, 2001.
lui-même, et jusqu’à Hegel – « n’ont pas d’expérience du droit. Le droit n’est pas au
cœur de leur pensée » 8. La réduction moderne du droit à un revêtement extérieur
de la volonté (politique ou économique) – et donc le travestissement de sa spécifici-
té phénoménologique 9 – constitue une inévitable conséquence de la triste pratique
de tant de maîtres à penser de la réalité vivante du phénomène juridique.
Retourner au droit, donc, en partant de sa traduction en acte. Et en laissant de
côté la prétention à immobiliser les formes du droit dans des définitions aprioristi-
ques déduites de la pure raison : « La Loi, la Propriété, ou le Contrat. Notions im-
muables, éternelles, puisque déduites de la Raison. Étant rationnelles, elles s’avè-
rent définitives, intouchables, et n’ont pas d’histoire 10. » Cette prétention, que l’on
trouve, par exemple, chez Kant, d’édifier le système du droit à partir de définitions
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abstraites, pour la plupart empruntées à la philosophie morale (devoir, obligation,
liberté, etc.), a, entre autres, cette grave conséquence de séparer le domaine de
compétence du juriste positiviste de celui du philosophe 11 : d’un côté, la médita-
tion philosophique sur le droit comme ensemble de formes vides, de l’autre,
l’utilisation technique-juridique de ces formes selon les nécessités prépondérantes
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de la pratique. Avec cette conséquence singulière que la théorie pure, qui navigue
au firmament des concepts, et la science du droit positif, qui sait comment fonc-
tionne le monde, se retrouvent parfaitement complémentaires dans une antago-
niste incommunicabilité.
La philosophie du droit, donc, ce n’est ni déduction des concepts purs, ni fon-
dation des principes supérieurs (mais étrangers) à l’expérience pratique. Et elle ne
peut trouver une raison d’être – et une occasion profitable de dialogue avec la
science du droit positif – que si, une fois éliminée la prétention ingénue à clarifier
l’essence de tout ce que, à bien voir, elle ne connaît pas, elle est disposée, avec cette
patience qui est la véritable source de toute connaissance, à observer son objet, à
étudier comment naît et comment vit une règle, de quelle manière lui est attribué
un signifié parmi tous les possibles, et sur l’ensemble de quels arguments elle
8. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 71. « L’ignorance de la littérature spécifi-
quement juridique est-elle devenue radicale chez ces fondateurs au sens propre de la philosophie du droit,
Kant, Fichte ou Hegel ? » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 221). Un indice de la
validité partielle de telle critique peut être tiré de la troisième section (§ 8 et suiv.), sur le signifié légicentri-
que non ambigu, du Naturrecht fichtien. Cf. Johan Gottlieb FICHTE, Diritto naturale, Bari, Laterza, 1994,
p. 83-98, surtout p. 93 et suiv. Pour une critique de la philosophie fichtéenne de la loi, cf. Bruno ROMANO,
Ortonomia della relazione giuridica, Rome, Bulzoni, 1997, p. 252-297, notamment p. 289 et suiv.
9. La critique de la réduction du droit à un épiphénomène est l’objet d’une attention particulière de la
part de l’École romaine de philosophie du droit. Cf. Sergio COTTA, Il diritto nell’esistenza, Milan, Giuffrè,
1985, p. 165 et suiv. (puis 2e éd. Milan, Giuffrè, 1991), et ID., Il diritto come sistema di valori, San Paolo,
Cinisello Balsamo, 2004, p. 37 et suiv. ; cf. aussi Bruno ROMANO, Il diritto tra causare e istituire, Turin, Giap-
pichelli, 2000, p. 139 et suiv.
10. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 8.
11. « Donc, Kant séparait parfaitement les tâches des deux corporations : aux juristes, purs techniciens,
voués aux besognes d’exécution, et qui désormais pourront s’installer dans la paresse philosophique,
l’utilisation ; et aux philosophes, le contrôle de la machine » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne,
op. cit., p. 144). Paradoxalement, une certaine théorie du droit, non dénuée d’animosité antiphilosophique,
présuppose l’idée kantienne d’un système juridique construit sur un ensemble de définitions abstraites.
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une crise du langage juridique actuel, ce fut l’effet d’une philosophie déficiente 15. »
Cependant, ce retournement de la philosophie vers la réalité ne se traduit certes
pas par une légitimation résignée des forces historiquement prédominantes, avec,
comme conséquence, le renoncement à la fonction contrefactuelle du droit 16. Le
droit se laisse penser seulement dans sa proximité dialectique avec la justice : mais
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une justice qui n’est pas celle des modernes, une qualité de la conduite individuelle
ajustée à un précepte, quand bien même ce dernier serait juste mesure de la rela-
tion interindividuelle. Ce qui fait la spécificité du droit, en réalité, c’est que, tout
incapable qu’il soit de réduire l’impureté du phénomène exposé aux intérêts en
conflit, il est toujours traversé par l’effort – des citoyens comme des autorités, des
parties comme des arbitres – vers la détermination concrète, adéquate, motivée du
juste.
Il y a quelque chose (et peut-être davantage) que le droit peut enseigner au phi-
losophe. Ex iurisprudentia philosophia, donc.
12. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 11. P. Piovani a saisi cela avec une lucidité
particulière : Pietro PIOVANI, La filosofia del diritto come scienza filosofica, Milan, Giuffrè, 1963, p. 264-265.
D’un autre point de vue, la question est également signalée par Letizia GIANFORMAGGIO, « La funzione do-
cente del filosofo del diritto », in Bruno MONTANARI (a cura di), Filosofia del diritto : identità scientifica e
didattica, oggi, Milan, Giuffrè, 1994, p. 114 et suiv.
13. « La philosophie elle-même part d’une vision, d’une théorie : rendons ce mot à son sens étymologique,
qui implique regard, observation, de la chose dont on parle » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne,
op. cit., p. 231).
14. « Une condition indispensable à ce que renaisse et fleurisse une philosophie du droit serait qu’on
veuille bien reconnaître la spécificité des fins et moyens de l’art juridique, au lieu de réduire le droit à
d’autres sphères d’expérience, à la morale de la vertu et de la conduite individuelle, à la politique, à la
science, alors que le droit constitue un royaume distinct » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne,
op. cit., p. 231). Sur la phénoménologie et l’esthétique du droit, d’intelligentes considérations dans Da-
niele M. CANANZI, Prolegomeni di una estetica del diritto, Rome, Nuova Cultura, 2008, p. 87 et suiv.
15. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 230.
16. Sur la fonction contrefactuelle du droit, cf. Bruno ROMANO, Il diritto tra causare e istituire. Numeri del
mercato e parole del diritto, Turin, Giappichelli, 2001, p. 233 et suiv.
[On a maintenu le terme « contrefactuel » à la demande de l’auteur. On le rencontre, en effet, dans la littéra-
ture philosophique contemporaine. Cf., par ex., Mark HUNYADI, « Je est un clone. Ce que le clonage fait à
l’autonomie », Laval théologique et philosophique, 60 (1), 2004, p. 115-128 : « J’appelle contexte moral objec-
tif cet ensemble de ressources morales, positives et négatives, factuelles et contrefactuelles, qui constitue
l’arrière-plan à partir duquel nous appréhendons les problèmes moraux », et plus loin : « On ne peut non plus
ignorer la force normative contrefactuelle du contexte moral objectif ». Article accessible à l’adresse
http://www.erudit.org/revue/ltp/2004/v60/n1/009477ar.html – NDT].
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Thomas que défend Villey n’est pas une image stylisée tirée du bréviaire, mais,
paradoxalement, ce philosophe de la nature, fin observateur de l’immanence, ar-
chitecte d’un système dans lequel règne l’harmonie et où toute existence se re-
trouve dans sa réalité spécifique 19. Du Docteur angélique, Villey apprécie la pas-
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17. Pour une reconstruction complexe de la pensée jusphilosophique de Villey, cf., en dernière analyse,
Stéphane BAUZON, Il mestiere del giurista. Il diritto politico nella prospettiva di Michel Villey, Milan, Giuffrè,
2001.
18. Sur le dualisme chrétien, s’imposent encore aujourd’hui les précieuses considérations de Guido FASSÒ,
La legge della ragione, Bologne, Il Mulino, 1964, p. 10 et suiv. et 24 et suiv.
19. « Saint Thomas est mal connu, parce que les prêtres accèdent à son œuvre au travers des caricatures
qu’en imposèrent les facultés catholiques et les séminaires » (Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme,
Paris, PUF, 1983, p. 109). Cf. aussi Michel VILLEY, La formazione del pensiero giuridico moderno, Milan, Jaca
Book, 1986, p. 112 et suiv. – La formation de la pensée juridique moderne, Paris, Montchrétien, 1975.
20. P. Grossi écrit à ce propos : « À la fin du XIIIe siècle, reprenant quasiment à son compte le sens d’une
réflexion pluriséculaire, Thomas d’Aquin insiste sur l’autonomie et le primat du cosmos, sur le primat de
l’ordre universel ; un primat qui s’impose en vertu de la perfection du tout face à l’imperfection de
l’individualité singulière » (Paolo GROSSI, L’ordine giuridico medievale, Rome, Laterza, 2000, p. 78).
21. « Des rapports entre le christianisme et le droit au sens propre, je ne sache pas que les Pères de l’Église
se soient inquiétés. Leur intérêt allait ailleurs : au royaume des cieux, au dogme trinitaire, à la vie chrétienne
selon l’Évangile » (Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., p. 107).
22. Le même Villey écrit que « le terme de droit naturel, qui n’a cessé de changer de sens à travers
l’histoire, se prête à recouvrir les conceptions les plus disparates » (Michel VILLEY, Philosophie du droit. II.
Les moyens du droit, op. cit., p. 98).
Thomas, mais aussi d’Aristote 23. Sans parler, pourrait-on ajouter, de Vico et Mon-
tesquieu 24. Il ne l’est pas, certes, au sens de Suarez, ni de tant de ceux qui ont expo-
sé les théories de la Seconde Scolastique, auteurs, selon le philosophe français,
d’une véritable trahison envers l’esprit authentique du thomisme 25. La philosophie
juridique de la réforme catholique, juge-t-il, a perdu la clef de la doctrine thomiste
du droit naturel, en arrivant à substituer « à un droit naturel vivant et constamment
alimenté par l’observation de la nature, une série de lois naturelles squelettiques
construites sur la fiction de principes pseudo-rationnels et figées dans l’immobi-
lisme » 26.
La renaissance post-guerre du droit naturel, elle-même, ne semble pas susciter
l’enthousiasme du philosophe français. Qu’est-ce qui renaît ? Quel droit et pour-
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quoi naturel ? Le risque est que l’on tente toujours de déduire de la pure raison un
système juridique « ayant valeur permanente et universelle », destiné, par consé-
quent, à sacrifier l’historicité de l’expérience juridique. Ou encore, si l’on porte
attention aussi à la dimension historique, que l’on fasse des principes du droit na-
turel, des sources secondaires qui entrent en concurrence avec les règles positives :
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« Il en résulte une théorie dualiste des sources du droit : on laissera le juriste tantôt
suivre les règles de droit positif, tantôt en appeler au droit naturel ; d’où l’incer-
titude des solutions de droit, vice dénoncé par Kelsen 27. » L’emblème de ce dua-
lisme semble être la théorie du droit naturel à contenu variable, de Rudolf Stam-
mler 28.
Les efforts entrepris par une grande partie du jusnaturalisme, tant moderne que
contemporain, selon Villey, restent donc enfermés dans les contradictions de
l’idéalisme et dans l’oscillation schizophrénique entre le Sein et le Sollen 29. Si l’on
23. « Le « droit naturel » n’est pas né avec le christianisme ; il est né avec Aristote. Du christianisme est née
la philosophie moderne, sont nés le nominalisme, le positivisme juridique » (Michel VILLEY, La formazione
del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 227).
24. Une relecture de Montesquieu à la lumière de l’anti-idéalisme est proposée avec lucidité par Sergio
COTTA, I limiti della politica, Bologne, Il Mulino, 2002, p. 150 et suiv., 256 et suiv. et 419 et suiv.
25. « La scolastique espagnole [...] a modifié la leçon de Saint Thomas, déformé subrepticement la doctrine
catholique traditionnelle du droit naturel, ouvrant la voie à ce qu’on appelle le thomisme (qui, comme on le
sait, se distingue notablement de la pensée de Saint Thomas) » (Michel VILLEY, La formazione del pensiero
giuridico moderno, op. cit., p. 305-306).
26. Michel VILLEY, La formazione del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 337.
27. Michel VILLEY, Philosophie du droit. II. Les moyens du droit, op. cit., p. 98. La critique adressée par Villey
à un droit naturel conçu d’une manière dualiste, comme on l’a dit, repose sur l’autorité d’Aristote ; en se
référant à lui, il écrit : « Le droit naturel acquiert dans ce cas une sorte d’existence autonome, mais est
cependant destiné à rester très imparfait. La solution juridique d’un cas concret doit, normalement, être
obtenue à travers le recours conjoint à ces deux sources, considérées non point comme opposées, mais
complémentaires : d’une part l’étude de la nature, et, dans un second moment, la décision correcte du
législateur ou du juge. Il n’y a donc pas d’opposition entre le juste “naturel” et les lois écrites de l’État »
(Michel VILLEY, La formazione del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 42).
28. Sur le jusnaturalisme dualiste, par référence aussi à Stammler, cf. Sergio COTTA, Giustificazione e obbli-
gatorietà delle norme, Milan, Giuffrè, 1981, p. 77.
29. Parmi les divers modes possibles de critique de la « grande division », il convient de mentionner celui
pour lequel penche G. Carcaterra, qui, sans mettre en discussion la validité logique de la distinction entre
Sein et Sollen, en limite la portée, distinguant entre une version minimale de la loi de Hume – qui admet un
fondement des jugements de valeur en termes de rationalité – et une version maximale, qui considère au
contraire comme illégitime quelque inférence que ce soit du Sollen à partir du Sein. Cf. Gaetano CARCATER-
veut parler de renaissance du droit naturel, par contre, c’est dans un sens tout diffé-
rent, portant l’empreinte du réalisme et pénétré de l’observation attentive du la-
beur quotidien du juriste ; le droit naturel y est représenté non pas comme une
table de principes supérieurs à la pratique et applicables par la force à cette der-
nière, mais comme un point de départ, comme la « matière de […] recherche » de
ces principes 30. Droit naturel comme objet de recherche, donc : fin des énoncés
programmatiques des codes et constitutions, il réapparaît, bien que sous une forme
différente, dans les sentences des cours de justice et dans les argumentations des
juristes, les unes et les autres s’efforçant de déterminer raisonnablement le juste
dans chaque cas concret 31. Si le droit naturel renaît, c’est spécifiquement parce
que, contrairement à ce qu’affirme un certain nombre d’auteurs réputés qui sont
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ses opposants 32, il n’a rien d’idéal, ce n’est pas la reformulation imaginaire, en
termes de justice, d’un droit positif inévitablement souillé par la misère de la prati-
que. Le droit naturel, ou bien il est extrait du tissu de l’histoire, ou bien il n’est
pas 33.
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RA, « Il superamento della logica decisionistica nella bioetica contemporanea », in ID., Corso di filosofia del
diritto, Rome, Bulzoni, 1996, p. 239 et suiv. ; et encore Dal giurista al filosofo. Livelli e modelli della giustifi-
cazione, Turin, Giappichelli, 2007, p. 107 et suiv.
30. Michel VILLEY, Philosophie du droit. II. Les moyens du droit, op. cit., p. 165
31. Sur l’utilité d’ une analyse du raisonnement des tribunaux dans le but de dépasser les termes tradition-
nels sur le droit naturel, cf. Chaim PERELMAN, Logica giuridica. Nuova retorica, Milan, Giuffrè, 1979, p. 207 et
suiv. – Logique juridique. La nouvelle rhétorique, Paris, Dalloz, 1999.
32. Cf. Norberto BOBBIO, Giusnaturalismo e positivismo giuridico, Milan, Comunità, 1972, p. 163 et suiv.
L’opposition conceptuelle entre juspositivisme et jusnaturalisme a été renforcée récemment par Vittorio
VILLA, Storia della filosofia del diritto analitica, Bologne, Il Mulino, 2003, p. 23 et suiv.
33. Sur l’orientation modérément historiciste d’une bonne partie du jusnaturalisme post-guerre, Guido
FASSÒ, La legge della ragione, op. cit., p. 204 et suiv. En sens contraire, sur la radicalité de l’alternative entre
trans-historicité des valeurs au sens métaphysique et historicisme, cf. Natalino IRTI, Il salvagente della
forma, Rome, Laterza, 2007, p. 63 et ID., Il diritto nell’età della tecnica, Naples, Editoriale scientifica, 2007,
p. 58.
34. La lecture du droit naturel proposée par A. Kaufmann, par exemple, était appréciée par Villey : cf.
Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 88. De Arthur KAUFMANN, cf. par ex. « Giusnatu-
ralismo e positivismo giuridico », in ID., Filosofia del diritto ed ermeneutica (a cura di Giovanni Marino),
Milan, Giuffrè, 2004, p. 137 et suiv.
35. Du constructivisme, D. Antiseri donne la définition suivante : « Le constructivisme pense que toutes les
institutions – le langage, l’État, le droit, la monnaie, la religion, la cité, etc. – relèvent du plan intentionnel,
sont des réalisations de projets explicitement élaborés par des individus ou des groupes » (Giovanni REALE
et Dario ANTISERI, Quale ragione ?, Milan, Cortina, 2001, p. 141 et suiv. – trad. André-Jean Arnaud).
La modernité est malade d’idéalisme. Mais sur ce point, il faut bien s’entendre.
Au bout du compte, surtout dans une certaine philosophie anti-scientiste du XXe
siècle, on discute des limites épistémologiques de la révolution scientifique et de
son mode révolutionnaire d’observer la réalité, du savoir en vue du pouvoir (Bacon,
Hobbes). L’objet observé en vue du travail à effectuer dessus – on pense au lien
institué par Heidegger entre le cogito et la technique moderne 36 – ne se trouverait
réellement dans son univers que déformé par l’œil du sujet qui veut le produire.
Encore faut-il démontrer que telle issue serait imputable à l’épistémologie moderne
en tant que telle. La vue de l’expérimentateur moderne, en fait, est seulement tou-
jours portée à comprendre ce qu’est (comment est fait, comment fonctionne)
l’objet. Pour réductionniste que soit la méthode, l’objet demeure cependant le
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point de départ de son observation.
Le vrai problème commence à se poser quand la modernité oublie de se poser
face à l’objet, à l’observer pour ce qu’il est. Esse est percipi : principe qui, dans
l’univers juridique, a de sérieuses implications : « Qu’est-ce qui distingue, selon
nous, cette philosophie dite moderne des sources du droit ? L’idée que le droit est
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pour l’essentiel un produit non de la nature mais de l’esprit 37. » L’homme est ainsi
placé à l’origine exclusive du droit, et se trouve relativisé le fait qu’une telle source
se présente comme spécifiée dans la raison – « les axiomes a priori prétendus de la
raison pratique » – ou dans la volonté, que ce soit celle du souverain ou de la foule
des citoyens réunis par le contrat : autant dans le jusrationalisme que dans le juspo-
sitivisme, en fait, le droit se trouve réduit à un ensemble de règles produites par
l’esprit humain. « La logique du positivisme, comme aussi du rationalisme, conduit
le juriste à fermer les yeux sur les choses, à vivre dans le monde clos des nor-
mes 38. »
C’est ainsi que la modernité entre dans l’ère du constructivisme 39 et pose les
prémisses par lesquelles une série de transitions et un certain saut logique provo-
queront le tournant vers l’idéologie planificatrice qu’a connue le XXe siècle. Il n’y a
aucun droit dans une nature composée de la seule res extensa. La chose, privée en
soi de toute valeur et de tout signifié, a besoin d’un nom ou d’une qualification
pour être reconnue et utilisée dans le cadre des relations humaines. De la même
manière que l’être de la chose réside dans le nom qui lui est assigné, de même l’être
de la conduite réside dans la qualification que le législateur lui attribue.
Ainsi le constructivisme moderne assume-t-il, dans le droit, les traits du norma-
tivisme, avec son hypothèse de départ dogmatique : la scission entre fait et va-
leur 40. L’expérience se fragmente en un ensemble désordonné de faits bruts, juri-
36. Cf. Martin HEIDEGGER, Scienza e meditazione [1953], in ID., Saggi e discorsi (a cura di Gianni Vattimo),
Milan, Mursia, 1976, p. 28 et suiv.
37. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 41.
38. Ibid., p. 42.
39. Sur le constructivisme comme connotation méthodologique de la modernité, cf. par ex. Hans G. GADA-
MER, Che cos’è la prassi ? Le condizioni di una ragione sociale, in ID., La ragione nell’età della scienza, Ge-
nève, Il Melangolo, 1986, p. 52 et suiv.
40. « Comme si rien ne pouvait être pensé que dans le cadre du Sollen ou celui du Sein, la pensée juridique
moderne se scinde en représentations également fausses, contradictoires, selon qu’elles définissent le
diquement privés de signification, voire de pertinence : ex facto ius non oritur. Dans
une pareille perspective, le sujet ne peut s’exprimer que dans des termes préceptifs,
fournissant du même coup au fait une connotation juridique complètement ex-
terne. Le droit n’existe pas, sinon comme construit artificiel, comme invention
privée de quelque contact que ce soit avec la réalité sensible. De là, la paradoxale,
mais somme toute conséquente, identification du droit à la magie, opérée par les
auteurs du réalisme scandinave : le droit existe si et jusqu’à ce que quelqu’un s’ima-
gine qu’il existe ou conforme sa conduite à ses préceptes.
Bientôt, cependant, les deux postulats du normativisme (la grande division
Sein/Sollen et la lecture de l’ordonnancement comme ensemble de normes précep-
tives) en révèlent la fragilité. S’agissant du premier : fait et valeur, précisément en
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raison de leur opposition rigide, finissent par se confondre. Les courants sociologi-
ques, comme on le sait, revendiquent l’irréductibilité du caractère factuel du droit.
« Que peut valoir une norme qui ne serait fondée que sur un fait ? À quel titre nous
lierait-elle 41 ? » En dernier ressort, l’action sociale ne se laisse pas réduire au fait
brut, s’il est vrai que son intelligibilité n’est possible que dans sa relation à la
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droit : 1) ou bien comme norme emprisonnée dans la sphère du devoir-être. Doctrines appelées “idéalistes”
[...], 2) et à l’encontre sont apparues les doctrines dites “réalistes”, situant le droit dans le fait » (Michel
VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 86-87). Et encore : « Évidemment, ni l’un ni l’autre de
ces deux mondes n’a de réalité. Ni le Sein, ni le Sollen. Pourquoi faudrait-il tout penser à travers ces verres
filtrants ? N’est-il pas d’autres points de vue pour saisir la réalité ? » (Michel VILLEY, Seize essais de philoso-
phie du droit, op. cit., p. 86). L’ontologie qui sous-tend le normativisme juridique est efficacement recons-
truite dans Gaetano CARCATERRA, Corso di filosofia del diritto, op. cit., p. 69 et suiv.
41. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 87.
42. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, eod. loc.
43. Sur cela, cf. Gaetano CARCATERRA, Corso di filosofia del diritto, op. cit., p. 137 et suiv., ainsi que Norberto
BOBBIO, « Due variazioni sull’imperativismo », Rivista internazionale di filosofia del diritto, 1-2, 1960, p. 71-
81, et le mot « Norma », dans Enciclopedia Einaudi, vol. 9, Turin, Einaudi, 1980, p. 876-897.
44. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 222.
L’erreur d’un tel « moralisme juridique » 45 réside avant tout dans la confusion
entre droit et loi. « Le droit reste fait d’“impératifs”, de “commandements”, de
“propositions déontiques”. Confondant le droit et les lois, ces philosophes ont cru
pouvoir enfermer la doctrine du droit dans le système des lois qui commandent
notre comportement pratique… 46. » Que si les lois sont une condition nécessaire
du droit, elles ne sont certainement pas une condition suffisante, n’en constituant
au plus qu’un aspect qui, cependant, ne restitue pas l’idée de l’ensemble 47. Et puis,
se demande Villey, est-il si vrai que le droit commande ? « Il ne semble point que la
fonction du juge ni du droit soit de prescrire des conduites. La proposition juridi-
que définit ce qui est à chacun ; quelle part de cette terre ou de ce bien revient à tel
ou tel plaideur 48. » Ni règle de conduite, ni ensemble de conditions pour appliquer
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des sanctions, donc : le droit est recherche de solutions susceptibles de donner à
chacun ce qui est à lui 49.
IV. En réalité
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45. « Si l’on remonte aux origines, qui sont médiévales, on a la clé du phénomène : la philosophie juridique
de l’Europe moderne est sortie de la théologie » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 20).
46. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 223.
47. Sur la thématique classique de l’irréductibilité du droit à la loi, cf., entre autres, Arthur KAUFMANN,
Filosofia del diritto ed ermeneutica, op. cit., p. 146 et suiv. La différence entre droit et loi est définie diffé-
rence nomologique par Bruno ROMANO, et discutée dans de nombreux écrits, au nombre desquels, par ex.,
Senso e differenza nomologica, Rome, Bulzoni, 1993, p. 116 et suiv. Avec une référence spéciale à Saint
Thomas, cf. par ex. Domenico CAMPANALE, « Diritto naturale, oggi », in Mario TEDESCHI (a cura di), Il proble-
ma del diritto naturale nell’esperienza giuridica della Chiesa, Soveria Mannelli, Rubbettino, 1993, p. 92 et
suiv.
48. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 223. Le fait que la loi soit parfois énoncée sous
une forme prescriptive n’exclut pas que le droit, par nature, s’exprime à l’indicatif. Ce qui, on l’a déjà souli-
gné, ne signifie certes pas que le droit emploie l’indicatif pour légitimer l’usage de la force qui parfois, il est
vrai, l’emporte. À l’opposé : tandis que l’énoncé de l’historien ou du sociologue se conjugue à l’indicatif
pour décrire un droit déjà accompli, dans le raisonnement du juge, le droit n’existe pas mais est objet de
recherche, le point d’arrivée d’une recherche orientée vers la solution d’un cas.
49. Ce n’est pas par hasard si l’on trouve une référence explicite à Villey dans Javier HERVADA, Introduzione
critica al diritto naturale, Milan, Giuffrè, 1990, cap. I e II, p. 1 et suiv. et 9 et suiv., lequel définit la justice
spécifiquement comme « juste répartition des choses « et l’art du droit comme « art de la juste répartition
« (ibid., p. 14).
50. « Qu’est-ce que le droit naturel, dans le sens authentique du mot, conforme à l’étymologie, et adopté
pendant des siècles avant la Renaissance par des multitudes de juristes et resurgissant aujourd’hui ? Je le
rappelle, c’est la doctrine qui nous fait voir qu’effectivement nous tirons le droit de l’observation de la
nature » (Michel Villey, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 64). Le lien entre jusnaturalisme et
réalisme, avec une référence non fortuite tant à Saint Thomas qu’à Montesquieu, est lucidement traité aussi
par Sergio COTTA, par ex. dans Il diritto come sistema di valori, op. cit., p. 60 et suiv.
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le droit, en entrecroisant une analyse du droit vivant avec une phénoménologie qui
tende à en clarifier le sens et le fondement 52. Une recherche philosophique sur le
droit qui veuille se donner pour une authentique phénoménologie peut remplir sa
tâche culturelle et civile en se concentrant sur la spécificité du droit et son irréduc-
tibilité à des phénomènes apparentés 53.
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51. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 123.
52. Le lexique, évidemment, est carrément emprunté à la phénoménologie heideggérienne, quoique en
toute conscience du fait que la tentative du philosophe de Messkirch [ville du Bade-Wurtemberg, où est né
Heidegger – NDT] de « retourner aux choses elles-mêmes » se propose toujours comme objectif le dépas-
sement de la dichotomie elle-même entre réalisme et idéalisme. Cf. Martin HEIDEGGER, Essere e tempo
[1927], Milan, Longanesi, 1976, p. 46 et suiv. [Sein und Zeit, Halle an der Saale, Niemeyer, 1927 – L’Être et le
Temps, tr. fr. Rudolf Boehm et Alphonse de Waelhens, Paris, Gallimard, 1964 ; Être et Temps, tr. fr. François
Vezin, Paris, Gallimard, 1986 ; 7e éd. 1998 – NDT]. La pensée de Heidegger postérieure à la Kehre, au
contraire, tend vers un antiréalisme centré sur une sorte de pouvoir instituant du Langage.
53. « Une condition indispensable à ce que renaisse et fleurisse une philosophie du droit, serait qu’on
veuille bien reconnaître la spécificité des fins et moyens de l’art juridique, au lieu de réduire le droit à
d’autres sphères d’expérience, à la morale de la vertu et de la conduite individuelle, à la politique, à la
science, alors que le droit constitue un royaume distinct » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne,
op. cit., p. 231).
54. Cf. Hans KELSEN, La dottrina pura del diritto [1934], Turin, Einaudi, 1952, p. 74 et suiv.
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che d’une philosophie réaliste du droit au phénoménologue allemand Adolf Rei-
nach 56. « Cet élève de Husserl, mettant en œuvre la méthode phénoménologique,
crut découvrir a priori un ensemble de propositions juridiques à valeur immuable.
Reinach laisse aux juristes le soin de compléter ce noyau de vérités stables en fonc-
tion des besoins de chaque temps, pour constituer le “droit positif”. Comme Rei-
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pas règle, donc, mais rapport intersubjectif par l’intermédiaire d’un tiers qui oblige
les parties à traduire leurs propres prétentions dans l’ordre du dia-logos. Une lec-
ture du droit centrée sur la relation intersubjective, en fait, se retrouve aussi chez
des penseurs modernes, tel Fichte 62, lequel, et point par hasard, identifie le « juri-
dique » avec le rapport de reconnaissance entre deux consciences. Le droit politi-
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59. Alexandre KOJÈVE, Esquisse d’une phénoménologie du droit : exposé provisoire [1943], Paris, Gallimard,
1981. Sur le thème de l’intervention d’un tiers impartial et désintéressé en droit, avec aussi une référence à
Kojève, cf. Bruno ROMANO, Ragione giuridica e terzietà nella relazione, Rome, Bulzoni, 1998, p. 123 et suiv.
60. Michel VILLEY, Philosophie du droit. II. Les moyens du droit, Paris, Dalloz, 1979, p. 46.
61. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 232.
62. Cf. par ex. Johan Gottlieb FICHTE, Diritto naturale, op. cit., p. 37 et suiv. ; ID., Fondement du droit naturel
selon les principes de la doctrine de la science (1796-1797), trad. Alain Renaut, Paris, PUF, 1984.
63. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 61. Sur les diverses composantes de
l’humanisme, cf. ID., La formazione del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 353 et suiv.
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les hommes, mais vers le renforcement de l’idée selon laquelle « ils ne les ont pas
édifiées consciemment et volontairement, mais par la ruse de la nature, à elles
conduits par l’inclination de la nature » 66. Si le droit ne peut pas être ramené à une
invention artificielle, c’est parce que l’être de l’homme le porte à penser et à agir
selon le droit. Il ne s’agit donc pas de condamner l’humanisme, mais de redécou-
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vrir son vrai visage : l’homme fait le droit non parce qu’il le crée à partir de rien et
selon son bon plaisir, mais, au contraire, parce que le droit naît dans le processus
même de constitution et de transformation de l’existence humaine. Contre tout
idéalisme, le droit se retrouve dans son plus profond enracinement existentiel.
Derrière les grandes dichotomies de la pensée juridique moderne – notamment
celles du volontarisme et du rationalisme 67 – se cache, au contraire, un humanisme
inauthentique, malade d’idéalisme, incapable d’adopter la structure plurielle de
l’expérience juridique : le principe de l’homme comme unique législateur de soi-
même a comme corollaire la réduction du droit à la règle.
Le paradoxe est que ces conceptions prétendument modernes cachent derrière
elles une forte attitude moraliste. Prenons le rationalisme : les règles juridiques sont
dérivées des lois naturelles inscrites dans la conscience de tout être humain, et qui
lui dictent ses devoirs : « La pensée juridique moderne se présente ici comme une
suite de la morale chrétienne et continue la tradition de l’augustinisme 68. » Si l’on
veut trouver une connotation à cette philosophie jusnaturaliste, c’est celle de
64. « Réaliste et nullement idéaliste, Aristote pratique une méthode fondée sur l’observation : comme un
botaniste, il rassemble les expériences des empires et des cités de son temps. Il anticipe le droit comparé et
la sociologie du droit. Le droit naturel est une méthode expérimentale » (Michel VILLEY, La formazione del
pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 47).
65. « Que l’homme ne soit pas le tout, l’alpha et l’oméga de l’histoire, le seul à porter sens et valeur, n’est-
ce pas là précisément ce dont a mission de nous instruire un autre type d’humanisme ? – humanisme cette
fois entendu dans un autre sens plus acceptable – la vraie culture classique de l’homme – la vraie paideia,
héritée de la sagesse grecque et assumée par Saint Thomas – l’authentique esprit de mesure, de modestie et
de réciproque tolérance – préoccupé de ne pas enfreindre les limites de l’homme » (Michel VILLEY, Seize
essais de philosophie du droit, op. cit., p. 71-72).
66. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 64.
67. « Peu nous importe à cet égard que l’homme soit censé faire son droit avec sa raison ou sa volonté. Les
deux branches, rationaliste, ou empiriste-positiviste, entre lesquelles se partage la pensée juridique mo-
derne, procèdent du même tronc humaniste » (Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit.,
p. 62).
68. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 165.
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la version absolutiste-hobbesienne du volontarisme. « C’est la thèse du contrat
social : les hommes, séparés et sans droit dans l’état de nature, conviennent de
constituer le corps social et l’ordre juridique ; pour ce faire ils forgent l’État et le
législateur, investi de la fabrication des lois. Cette conception de la genèse du droit
[...] implique d’ailleurs chez la plupart des auteurs la reconnaissance d’une pre-
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mière loi rationnelle morale (que “chacun doit tenir ses promesses”) à quoi le reste
est suspendu. Elle aboutit à l’absolue souveraineté des lois positives, auxquelles le
droit est identifié, le juge n’ayant rien d’autre à faire qu’à les appliquer strictement 70. »
En dépit de son prétendu réalisme 71, le volontarisme partage avec les philoso-
phies d’empreinte rationaliste la tendance à l’aveuglement face aux choses. Le réel,
en fait, est assumé comme insusceptible de connaissance, réduit à un ensemble de
noms, fragmenté en un nombre infini d’entités singulières. Seul l’individu a de la
valeur. C’est lui qui, d’un côté, ouvre les portes à l’exaltation et à la revendication
des droits individuels comme naturels et inviolables, et, de l’autre, conduit à l’oubli
de la nature propre du droit : une science convaincue de pouvoir connaître seule-
ment les entités individuelles, comment peut-elle rassembler un phénomène onto-
logiquement relationnel 72 ? C’est comme si se perdait la raison même d’être de la
iuris-prudentia, en faveur d’une toujours plus redondante rhétorique des droits
individuels.
69. « Certainement aussi Saint Thomas reconnaissait comme inhérents à la raison humaine certains
principes plus généraux, dont celui qui pour lui était le principe de la raison pratique : “il faut faire le bien et
éviter le mal”. Mais le problème est que ces principes premiers n’avaient pour lui rien de juridique. “Il faut
faire le bien et éviter le mal” est seulement un précepte “moral” et non un précepte juridique » (Michel
VILLEY, La formazione del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 332).
70. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 166. Cf. Michel VILLEY, La formazione del pen-
siero giuridico moderno, op. cit., p. 161 et suiv., 178 et suiv. et 194. Proche de la critique de Villey semble être
celle tant du rationalisme scolastique que de l’individualisme juridique formulée par Javier HERVADA dans
son Introduzione critica al diritto naturale, op. cit., p. 31 et suiv.
71. « La configuration “moderne” de l’individu et de l’état de nature est d’un simplisme presque par trop
évident, et son prétendu réalisme [...] est pur mensonge de la part des sciences humaines descriptives
contemporaines » (Sergio COTTA, Dalla guerra alla pace, Milan, Rusconi, 1989, p. 33).
72. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 232. Cf. Paolo GROSSI, L’ordine giuridico medie-
vale, op. cit., p. 84-85 et 196-197.
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à une mode reste, en fait, écrit sur le papier ou, pire, dans les cœurs, incapable de
s’incarner dans l’histoire des ordonnancements, de circuler dans les prétoires,
d’être traduit en conciliations d’intérêts et en clauses contractuelles. Un droit natu-
rel ainsi compris, en outre, précisément parce qu’il refuse de « se salir les mains »
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avec l’histoire, ne peut que finir victime de l’histoire : « Vous avez fait de la justice
un code de règles imaginaires, et sans prise sur la vie réelle ; après quoi, vous aper-
cevant des insuffisances de ce code, vous avez recours à l’expédient de corriger
votre fausse justice par l’“utilité”. Dangereuse fiction ! Car entre une justice deve-
nue vide et une utilité aveugle, c’est l’utilité, l’“efficience” qui fatalement l’empor-
tera 76. » L’opposition entre juste et utile – sourde à la très fine leçon de l’illumi-
nisme de Giambattista Vico 77 – est discutable au plan théorique, et dangereuse
dans sa mise en œuvre : une justice qui n’est pas faite pour arbitrer ce qui est utile
devient mascarade d’elle-même, se réduisant à la somme des valeurs abstraites
destinées à être la risée des lois cyniques de la pratique 78.
73. « L’art juridique, répètent constamment les classiques, n’est point seulement office de science (usage
des règles générales du juste naturel) ; mais aussi de cette autre vertu, tournée sans fin vers la connaissance
de l’individuel, du juste concret, qu’ils nomment prudence » (Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du
droit, op. cit., p. 27).
74. Cf. Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., p. 43-45.
75. Ce n’est pas un hasard si l’immuabilité est un prédicat attribué à la loi naturelle par Hobbes. Cf. par ex.
Thomas HOBBES, De cive, Rome, Editori Riuniti, 1987, p. 111 et suiv. Sur la question, cf. Paolo PASQUALUCCI,
Commento al Leviathan. La filosofia del diritto e dello Stato di Thomas Hobbes, Pérouse, Margiacchi
editrice, 1994, p. 230 et suiv.
76. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 30.
77. « L’équité naturelle de la raison humaine toute expliquée est une pratique de la sagesse en matière
d’utilité, puisque la “sagesse” dans son amplitude, ce n’est pas autre chose que savoir faire usage des cho-
ses selon ce qu’elles sont dans la nature » (Giambattista VICO, La scienza nuova, Milan, BUR, 1998, p. 229.
Sur le jusnaturalisme de Vico, N. Badaloni écrit : « Ce n’est pas de jusnaturalisme qu’on traite et pas même
de ce jusnaturalisme qui théorise les termes du consentement à partir du contrat. Il s’agit au contraire de
l’avertissement concernant un processus qui part des comportements qui semblent s’identifier avec des
déterminations naturelles (necessitas, utilitas, ferinitas), et conduit, au contraire, à travers la communitas
des langages, des religions, des lois, à un mode de référence sociale aux valeurs, qui renvoie à développer une
rationalité commune « [les italiques sont de nous] (Nicola BADALONI, « Sul vichiano diritto naturale delle
genti », in Giambattista VICO, Opere giuridiche : il diritto universale, Florence, Sansoni, 1974, p. XL-XLI).
78. « Je ne conçois pas la justice comme une créature éthérée qui rêverait dans sa tour d’ivoire à je ne sais
quoi d’incorporel ; je vois une femme bien en chair, qui a les pieds sur terre et les yeux constamment fixés
Le juste se trouve donc ramené dans le vif de l’histoire, dans le travail quotidien
de l’expérience juridique. Ce retour assuré à l’historicité marque la distance par
rapport tant au positivisme juridique, avec sa « folle ambition de déduire le droit
dans son intégralité de lois, de formules rigides et non plus de la nature chan-
geante », qu’à un certain jusnaturalisme : « Quiconque se lie à des formules manque
du sens de l’historicité 79. » Et, en plus, il permet de faire la lumière directement sur
le débat entre ceux qui soutiennent et ceux qui critiquent le formalisme : le défaut
d’historicité, au contraire, connote aussi bien le normativisme de marque kelsé-
nienne, qui construit les normes comme de pures formes privées d’effectivité, que
son contrepoint, le sociologisme, qui finit par dissoudre le mouvement de l’histoire
dans le domaine du fait, dans un présent toujours renouvelé 80.
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Jusqu’ici, pars destruens. Mais qu’en est-il, positivement, de l’historicité du
droit ? Est-il vraiment possible d’enraciner le droit dans l’histoire, sans que se dé-
sintègrent les valeurs et la mission civilisatrice qui est de sa spécificité ? Existe-t-il
une issue philosophique à la (fausse) alternative entre négation de la dynamique
historique et mythification du mouvement ? Et encore : s’il est vrai que « le droit
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naturel se situait entre ces deux extrêmes, le fixisme et l’historicisme » 81, est-ce
qu’on peut encore parler de droit naturel, une fois ce dernier réconcilié avec le
Temps ?
Un premier pas, pour donner corps et sang à la justice, consiste dans l’abandon
de l’idée du droit comme règle. Dans cette perspective, en fait, la règle est privée de
profondeur ; elle n’a ni commencement (la manifestation souveraine de volonté) ni
fin (le pur fait de l’obéissance/désobéissance, sujet à un contrôle statistique). Et,
surtout, elle n’a pas d’histoire : elle reste liée à la personne et à l’intention de son
auteur ; elle n’entre pas dans le cercle de l’interprétation ; elle n’acquiert pas une
densité de signification dans sa dialectique avec le cas concret. Une fois fixé le rap-
port juridique sur l’axe commandement-conduite-sanction, l’effectivité vivante du
droit se retrouve réduite à la conduite de fait du destinataire du précepte.
Il n’est pas question, évidemment, de nier que l’idée du droit comme règle ait
développé une fonction essentielle sur le chemin de la civilité juridique, en répon-
dant à l’exigence de fixer d’une manière certaine et sans équivoque la valeur ou
l’intérêt retenus dans l’organisation louable des mesures de protection. On songe à
l’idéal illuministe de certitude du droit et d’une application de la loi égale pour
sur l’utilité, parce que sa tâche est justement d’arbitrer des utilités » (Michel VILLEY, Seize essais de philoso-
phie du droit, op. cit., p. 31).
79. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 78.
80. Sur l’orientation sociologique, spécialement en ce qui concerne le problème de l’historicité, assez
sévère est le jugement de Villey : « Ce sociologisme juridique est le frère jumeau de l’historicisme, ou plutôt
son aboutissement, sa pointe extrême : car si tout était emporté dans le fleuve de l’évolution, nous
n’aurions plus aucune raison de nous occuper d’histoire ancienne, tout le passé étant révolu, dépourvu
d’intérêt pratique ; l’historicisme tue l’histoire. Seul nous intéresse le présent, et notre seule loi sera
d’adapter nos solutions juridiques aux mutations contemporaines » (Michel VILLEY, Seize essais de philoso-
phie du droit, op. cit., p. 82).
81. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 84.
tous, sur tous les territoires, devant tous les tribunaux 82 : la défense des droits du
citoyen se trouvait garantie par la fermeté et l’impossibilité de modification de la loi
qui en punissait la violation.
Reste cependant un doute : un droit détaché, au moins sur le papier, de la juris-
prudence, de la doctrine, de la tradition romaniste, et abandonné à l’arbitraire du
législateur politique constitue-t-il vraiment une garantie pour le citoyen 83 ? Et,
surtout, correspond-t-il aux formes que prend effectivement le phénomène juridi-
que dans l’expérience ? Ce qui est en jeu, ici, ce n’est pas, comme dans le débat
traditionnel sur le formalisme interprétatif, la plus ou moins grande fidélité à la
règle. Le problème, par contre, est de restituer à la règle son souffle, la richesse de
son signifié, sa capacité d’évolution, sa souplesse d’adaptation à l’histoire, et, donc,
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d’y voir un stade, jamais accompli, du chemin vers la détermination concrète du
juste : « Si je suis juge et poursuis la solution juste, sans être absolument l’esclave
des lois de mon pays, j’ai deux raisons d’en tenir compte : d’abord parce qu’elles
sont le résultat, l’aboutissement des longs efforts de la doctrine pour trouver les
règles du juste. Nos lois résument l’état présent de la science du juste. À ce titre
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elles me servent de guide 84. » Il ne s’agit donc pas de passer par-dessus la règle au
nom d’un Richterrecht pas moins décisionniste que le légicentrisme moderne, mais
de redéfinir la posture de l’interprète vis-à-vis de la règle, pour y voir non plus une
norme finie et prête à être appliquée au cas, mais plutôt un standard d’évaluation
in progress, impliqué dans un processus où elle est re-pensée et interprétée en
permanence, un ensemble de raisons et d’arguments tendant à la meilleure régula-
tion possible de l’action, et nécessitant une mise en œuvre en fonction du cas
d’espèce 85.
82. L’idée illuministe de l’égalité face à la loi, souligne Villey, ne se confond pas avec la notion antique, par
exemple aristotélicienne, d’isonomie : « On objectera que les citoyens sont égaux devant la justice, proposi-
tion d’ailleurs contenue dans le texte de l’Éthique, et que le juge doit tenir compte de cette égalité ; que pour
Aristote le droit est une espèce d’égalité (to ison). Mais [...] le mot ison est mieux traduit par le latin aequum,
aequitas, mesure adéquate, juste proportion » (Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., p. 50).
83. Cf., s’agissant du contexte anglo-saxon, Raoul C. VAN CAENEGEM, I signori del diritto : giudici, legislatori
e professori nella storia europea, Milan, Giuffrè, 1991, p. 111 et suiv.
84. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 32.
85. Ce n’est pas un hasard si, dans un essai au titre significatif « La “ipsa res iusta” » (dans Filosofia del
diritto ed ermeneutica, op. cit.), Arthur KAUFMANN écrit : « Il convient, avant tout, d’affirmer et assurer que la
loi, contrairement au dogme du positivisme orthodoxe, n’est pas quelque chose de fini, qu’elle ne repré-
sente pas la réalité du droit, mais seulement sa possibilité. [...] L’incomplétude des lois n’est nullement une
imperfection, elle repose tout au contraire sur l’essence même de la loi, nécessaire et aprioristique » (Ibid.,
p. 109). C’est dans des termes semblables que s’exprime Josef ESSER, dans la section de son célèbre Precom-
prensione e scelta del metodo nel processo di individuazione del diritto (Naples, Edizioni scientifiche italiane,
1983) dédiée au thème des lacunes (Ibid., p. 173 et suiv.). En réalité, Aristote, déjà, dans un passage célèbre,
écrivait : « […] le convenable, par nature, c’est de corriger la loi là où elle est insuffisante du fait qu’elle
s’exprime en termes généraux » (ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V, 1137b [trad. depuis l’édition italienne,
Etica Nicomachea, Rome, Laterza, 1990, p. 135 ; on peut trouver le texte intégral traduit en français en accès
direct sur http://fr.wikisource.org, mais cette traduction ne correspond pas strictement à la citation rappor-
tée en italien par l’auteur de ce texte – NDT]). Sur ce point, et avec une référence spécifique au lien entre
jugement en équité et recherche de la vérité, on trouvera d’utiles précisions dans Enrico OPOCHER, Analisi
dell’idea di giustizia, Milan, Giuffrè, 1977, p. 100 et suiv.
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par le péché, mais ni aveugle, ni impuissante et mieux encore capable de retrouver
l’ordre juste de l’expérience – qu’à la volonté, tournée, en dépit de tout, vers le bien.
Le thomisme, donc, en tant que « leçon de dynamisme et de liberté » 88. Mais, sur-
tout, comme revalorisation de l’art du droit, du raisonnement juridique, contre le
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86. « La pensée moderne a sans doute inventé le mot d’historicité, mais je ne suis pas convaincu
qu’Aristote ni Saint Thomas ignoraient tellement la chose » (Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du
droit, op. cit., p. 75).
87. Cf. Michel VILLEY, La formazione del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 80 et suiv.
88. Michel Villey, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 96-97. « L’œuvre de Saint Thomas reflète la
curiosité d’esprit insatiable et l’art raffiné de la controverse qui firent la beauté de l’Université de Paris,
alors parvenue à son apogée. Après avoir fait la lecture des meilleurs auteurs, commenté leurs textes, venait
l’exercice de la quaestio. Méthode dialectique : on y avait coutume de confronter, sur un même sujet, des
opinions contradictoires, s’enrichissant de points de vue divers, au lieu de se raidir dans un dogme » (Mi-
chel Villey, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., p. 109). Sur la même ligne me semble se trouver égale-
ment l’interprétation de Saint Thomas proposée par Paolo Grossi, un chercheur qui a eu d’intenses rap-
ports scientifiques avec Michel Villey : « La Summa de Thomas [d’Aquin] se révèle, de par son articulation
structurelle, appartenir pleinement à un savoir médiéval imprégné d’humilité, qui vise à la vérité, sans
doute, mais en sachant qu’elle sera le fruit d’une conquête, qu’on ne peut l’approcher que par degrés,
seulement en franchissant une position de doutes et de problèmes, seulement après avoir comparé et pesé
les diverses solutions possibles. C’est un savoir extrêmement dialectique, qui trouve dans la quaestio, c’est-
à-dire dans l’approche sous forme de problème, son processus naturel de perfectionnement » (Paolo GROS-
SI, L’ordine giuridico medievale, op. cit., p. 139-140).
89. « Pour le droit, Saint Thomas restaure et transplante dans l’Europe chrétienne la notion aristotéli-
cienne de droit naturel : il y a un ordre dans la nature, accessible à l’intelligence naturelle même des païens.
En considérant la nature [...] il n’est pas absurde de tendre à y découvrir des rapports sociaux harmonieux,
c’est-à-dire du juste, du droit » (Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 98).
90. Ibid., eod. loc.
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Ce n’est pas par hasard, relève Villey, que Saint Thomas, d’un côté, aurait
contribué à la revalorisation médiévale du droit romain 94, considéré non pas
comme droit en vigueur, mais comme source remarquable de sagesse juridique,
comme stratification des principes et arguments de justice matérielle ; et, d’un
autre côté, aurait aidé à conjuguer dans le droit, universel et particulier, la perma-
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91. « Le travail législatif est un prolongement de l’étude du juste naturel et toute loi humaine dérive de la loi
naturelle, que ce soit par voie de “conclusion” (application à une conjoncture historique donnée d’un
précepte déduit de la nature) ou par voie de “détermination” (une addition à des données génériques de la
science du droit naturel, mais toujours dans le cadre du droit naturel, pour mieux rester fidèle aux fins
fixées par la nature) » (Michel VILLEY, La formazione del pensiero giuridico moderno, op. cit., p. 120).
92. A. Giuliani écrit : « Dans la pensée du Stagirite, d’un côté l’éthique trouve ses fondements épistémolo-
giques dans la rhétorique (alliée à la dialectique), et de l’autre la rhétorique trouve ses fondements éthiques
dans les valeurs sociales, politiques, juridiques de la morale, de la vertu. Dans cette dernière, le discours sur
la “juste” règle de conduite présuppose la reconnaissance de la fonction axiologique de la raison : mieux, la
foi dans la capacité de l’homme à identifier les principes du vrai et du juste « (Alessandro GIULIANI, Giustizia
ed ordine economico, Milan, Giuffrè, 1997, p. 76).
93. Le lien entre renaissance post-guerre du droit naturel et intérêt renouvelé pour la théorie de
l’argumentation juridique est signalé par Chaim PERELMAN, Logica giuridica. Nuova retorica, op. cit.,
p. 204 et suiv.
94. Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., p. 108 et suiv. De précieuses mises au point sur
la qualification à attribuer, à l’époque romanistique, au dit « droit jurisprudentiel » ont été formulées par
Emilio BETTI, « Interpretatio prudentium », in ID., Diritto metodo ermeneutica, Milan, Giuffrè, 1991, p. 368 et
suiv.
95. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 99. Une réserve sur ce point, de la part de
Guido FASSÒ (La legge della ragione, op. cit., par ex. p. 202-203).
96. « Le mot droit, dans l’usage classique, ne signifie pas un corps de lois mais seulement la solution juste
(dikaion-id quod iustum est) adaptée à chaque situation [...]. Rien n’empêche qu’il soit mouvant et relatif
aux circonstances » (Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 76). Et encore : « La logi-
que dialectique fournit l’instrument adapté à cette recherche, une recherche qui recommence inévitable-
ment par tout nouveau cas concret ; cette méthode, en fait, est casuistique ; les juristes romains, tout
comme les médiévaux, ont écrit surtout des œuvres de casuistique juridique ; de cette manière, ils restent
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sa source dans la raison géométrique, ni dans la volonté arbitraire – qui usent du
langage comme instrument d’information autour du contenu des prescriptions –,
mais se constitue dans le dià-logos, dans l’articulation à plusieurs voix d’un dis-
cours qui vise à caractériser, grâce à la pondération des raisons, id quod iustum est.
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en contact étroit avec les faits attenant au cas, et sont en mesure de déduire la solution de l’observation des
faits objectifs (ex facto oritur ius), d’extraire le droit de la nature » (Michel VILLEY, La formazione del pensiero
giuridico moderno, op. cit., p. 345).
97. « Chez Saint Thomas [...] loin que le droit soit confondu avec la règle de conduite [...] le ius est défini
comme une chose, res justa, id quod iustum est. [...] S’il s’agit de justice au sens propre, particulière, spécifi-
que, le jus est cette “proportion” juste qui, dans un bon partage, existe entre des objets extérieurs (res
exteriores) répartis entre des personnes. Le métier propre du juriste est de chercher à reconnaître la teneur
de cette proportion, de la déterminer, de la dire » (Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit.,
p. 42).
98. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 102.
99. « La nature, comme on l’a dit, ne fait rien sans but et l’homme, lui seul parmi les animaux, dispose de la
parole : la voix indique ce qui est douloureux et joyeux, et les autres animaux l’ont donc également [...],
mais la parole est faite pour exprimer ce qui est profitable et ce qui est nocif, et, en conséquence, le juste et
l’injuste » (ARISTOTE, La Politique, I, 1253a, – Politica, Rome, Laterza, 1989, p. 6).
tion, d’interrogation, de dialectique des opinions 100 : c’est la chose même qu’il faut
traduire en mots : « L’exercice de l’art dialectique présuppose l’existence d’une
chose, sur laquelle on interrogera 101. » Si un tel discours fait sens, en outre, ce n’est
pas parce qu’il présume qu’on peut atteindre une certitude absolue sur son objet,
mais déjà par le fait de se mettre en route à la recherche de la vérité. En se libérant
tant de l’illusion de conquérir la vérité de façon définitive, que de la désespérance
de pouvoir jamais la connaître, la communauté des sujets qui se demandent « ti
esti » trouve sa force dans la conscience de pouvoir s’approcher de la vérité : « Cette
réalité extérieure tenue pourtant pour structurée et intelligible est un mystère iné-
puisable. Il ne saurait être question de la saisir exhaustivement. Pour une philoso-
phie réaliste, la vérité ne peut jamais être qu’un objet de recherche, d’approche
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plus ou moins imparfaite 102. »
Pour que telle approximation soit possible, il faut que le discours ne se réduise
pas à un simple flux de mots – comme dans une métaphysique du Langage dans
laquelle le sujet est « parlé » 103 et gouverné par le logos –, mais qu’il s’articule cor-
rectement, qu’il se fasse juste procédure apte à rendre la meilleure possible la
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100. On peut, à ce propos, indiquer un passage, parmi tant d’autres, chez Aristote, où cette méthode est
pratiquée, avec une authentique attitude réaliste, pour la recherche scientifique : « Nous devons, comme
dans les autres matières, poser devant nous les faits tels qu’ils apparaissent, et après avoir d’abord exploré
les problèmes, arriver ainsi à prouver le mieux possible la vérité de toutes les opinions communes concer-
nant ces affections de l’âme, ou tout au moins des opinions qui sont les plus répandues et les plus impor-
tantes, car si les objections soulevées sont résolues pour ne laisser subsister que les opinions communes,
notre preuve aura suffisamment rempli son objet » (ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, op. cit., VII, 1145b [trad.
Pascale Nau o.p. , sur http://fr.wikisource.org/] – Etica Nicomachea, op. cit., p. 164). [Le « ti esti » (ce que
c’est) fait référence à la conception platonicienne selon laquelle la philosophie devient une interrogation
sur le esti ti ko koinanai : cf. par ex. Jean-Marie VAYSSE, « Les aventures idéalistes de l’idée », in Kim Sang
ONG-VAN-CUNG (coord.), Idées et idéalismes, Paris, Vrin, 2006, p. 51-86. NDT].
101. Michel VILLEY, Philosophie du droit. II. Les moyens du droit, op. cit., p. 150.
102. Michel VILLEY, Critique de la pensée moderne, op. cit., p. 88.
103. Martin HEIDEGGER, In cammino verso il linguaggio [1959], Milan, Mursia, 1990, p. 122 et suiv.
104. « La dialectique, écrit A. Giuliani, apparaît comme la méthode d’analyse particulière des problèmes de
la philosophie et du droit [...]. On attirera ici l’attention sur quelques aspects : (1) ses problèmes sont consti-
tutionnellement controverses au sens où une solution définitive n’est pas possible : ils sont le miroir
d’inévitables et incontournables apories ; (2) ses méthodes ne sont pas démonstratives, mais argumentati-
ves en ce qu’elles présupposent le dialogue, la collaboration des parties dans une situation de controverse,
comme dans le procès [...] ; (3) la dialectique nous offre une logique de la pertinence en termes négatifs, ou
mieux un catalogue de règles d’exclusion pour éliminer les erreurs dans l’argumentation (Alessandro GIU-
LIANI, La definizione aristotelica della giustizia, op. cit., p. 34). Pour la définition aristotélicienne de la dialec-
tique, cf. par ex. ARISTOTELES, « Topici », 104a, in ID., Organon, Milan, Adelphi, 2003, p. 418 et suiv. – ARIS-
TOTE, Topiques, texte établi et traduit par Jacques Brunschwig, Paris, Les Belles-Lettres, 2 vol., 1967 et 2007.
Sur l’antique dialectique grecque comme expression de la liberté de pensée et de parole, cf. Enrico BERTI,
Nuovi studi aristotelici. I. Epistemologia, logica e dialettica, Brescia, Morcelliana, 2004, p. 335 et suiv.
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L’auteur
Professeur de philosophie du droit à l’Universita’ degli Studi di Napoli Federico II. Di-
recteur de l’École doctorale des sciences du droit historiques et philosophiques.
L’objectif de ses recherches est de mettre en relation ses analyses philosophiques avec
l’expérience juridique. Sa double compétence en droit et en philosophie lui permet de
surmonter la dichotomie entre théorie et pratique dans le champ juridique. Il observe
notamment les aspects théoriques et éthiques des systèmes juridiques contemporains.
Parmi ses publications :
– L’ordine giuridico delle macchine. La Mettrie Helvétius D’Holbach. L’uomo macchina
verso l’intelligenza collettiva, Turin, Giappichelli, 2003 ;
– Il dominio della comunicazione e la comunità assente. Riflessioni filosofico-giuridiche
su Adorno e Fichte, Turin, Giappichelli, 1998 ;
– Discorso patto diritto. La comunità tra giustizia e consenso nel pensiero di K.-O. Apel,
Milan, Giuffrè, 1996 ;
–L’intersoggettività originaria. La fondazione filosofica del diritto nel primo Fichte, ,
Roma, Bulzoni, 1991 (reprint: Turin, Giappichelli, 2000).