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Anthropologie et Sociétés
Ethnologie en France, ethnologie de la France
Champs nouveaux, manières neuves
Ethnology in France, Ethnology of France. New Fields, New
Approaches
Etnología en Francia, etnología de Francia. Nuevos campos,
nuevas maneras
Guy Barbichon
Volume 33, numéro 2, 2009 Résumé de l'article
Les orientations des travaux de caractère ethnologique concernant le domaine
Citoyennetés français depuis la Seconde Guerre mondiale sont examinées. On relève qu’une
Citizenships grande attention est, dans les études, réservée à l’univers subjectif : aux
Ciudadanías représentations et à leur construction sociale, aux affects et spécialement aux
émotions, ainsi qu’à l’autoanalyse de l’ethnologue sur son terrain et à ses
interrogations sur l’exercice d’une anthropologie du proche. L’ethnologie de la
URI : https://id.erudit.org/iderudit/039306ar
France appréhende aujourd’hui des groupes, espaces, états, intermédiaires,
DOI : https://doi.org/10.7202/039306ar
au-delà des seules oppositions entre des catégories majeures. L’ethnologie a
pénétré l’espace urbain, les champs de la politique et du droit, et des
Aller au sommaire du numéro micro-formations sociales et culturelles très variées. Contrebalançant l’attrait
des représentations, un intérêt nouveau est accordé aux actions symboliques,
et spécialement aux actions rituelles. L’ethnologie appréhende les faits dans
Éditeur(s) leur historicité et dans le contexte des transformations contemporaines, en
connexion étroite avec le développement des travaux en histoire culturelle.
Département d'anthropologie de l'Université Laval L’interrogation sur l’organisation sociale et les caractères culturels globaux
spécifiques de la société française demeure minoritaire.
ISSN
0702-8997 (imprimé)
1703-7921 (numérique)
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Barbichon, G. (2009). Ethnologie en France, ethnologie de la France : champs
nouveaux, manières neuves. Anthropologie et Sociétés, 33(2), 237–254.
https://doi.org/10.7202/039306ar
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Ethnologie en France,
ethnologie de la France
Champs nouveaux, manières neuves
Guy Barbichon
Je propose ici quelques observations et remarques sur plusieurs inflexions
et orientations qui me paraissent marquer les travaux à caractère ethnologique
appliqués au champ français, au cours de la période postérieure à la Seconde
Guerre mondiale. Seule une analyse bibliographique exhaustive en deçà et au cours
de cette période permettrait de dater avec précision l’apparition et la progression
de formes nouvelles.
Il est ici fait référence à l’objet des travaux de portée ethnologique plutôt
qu’aux appartenances disciplinaires, académiques, de leurs auteurs – anthropologues
sociaux et culturels, sociologues, psychologues sociaux, sociolinguistes, historiens,
etc. – souvent réunis sous le terme « l’ethnologue ». Que ceux qui sont ainsi
extensivement qualifiés veuillent bien pardonner cet enrôlement partiel s’ils
l’estiment abusif. Ces lignes sont un hommage rendu non seulement aux auteurs
évoqués pour illustrer mon propos, mais également à ceux qui pour ne pas être
mentionnés ne sont pas pour autant mésestimés1.
L’objet de l’ethnologie est ici défini, d’une manière opératoire, comme
l’ensemble des états de culture, des institutions et des organisations propres à
un ensemble social singulier. En l’occurrence il s’agit de l’ensemble social et
culturel français, celui qui est enserré dans le territoire de la France et que par une
convention du travail d’hypothèse ou de synthèse l’anthropologue désigne comme
« société française ». On comprendra que les sociologues et les historiens occupent
une place considérable autour d’un tel objet, mobilisés qu’ils sont par l’examen
des états et formes de culture, ou par celui des institutions et des organisations
sociales.
La borne chronologique adoptée n’est sûrement pas la plus historiquement
pertinente. La seconde moitié des années trente serait probablement plus appropriée,
période qui a connu le développement de grandes enquêtes ethnographiques, la
naissance du Musée des arts et traditions populaires, et les premiers travaux de
Van Gennep sur le domaine français. Les historiens de l’ethnologie de la France
1. Seuls sont portés en références bibliographiques des textes de synthèse de caractère général
ou thématique. La bibliographie relative aux travaux évoqués peut être demandée à l’auteur
de l’article. Deux articles, essentiels, de Christian Bromberger (Bromberger 1987, 1997) ont
fait le point, à dix ans d’intervalle, sur les développements de l’ethnologie de la France.
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établissent les mouvements dans leur chronologie fine. Je tente modestement de
repérer quelques éléments remarquables dans une composition complexe.
Durant la période antérieure à celle du flux retenu ici, une anthropologie
française, fermement constituée, appliquée aux univers exotiques ignore
l’ethnologie de la France comme objet et comme terrain. Nombre de sociétés
africaines, a noté Jean Cuisenier (1971), étaient bien mieux connues que la
société française. Sur le terrain français le contraste est fort entre cet effacement
de l’ethnologie et son essor, concomitant à la création d’institutions qui suscitent
ou accompagnent des recherches : le Musée national d’ethnologie de la France
(Musée des arts et traditions populaires, dans sa forme achevée, 1970), la revue
Ethnologie française (1971), la Mission du patrimoine ethnologique (1980), ses
programmes de recherches et sa revue Terrain (1983), l’organisation de recherches
collectives par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
L’expansion de l’anthropologie appliquée à la France est contemporaine de
courants théoriques dont l’influence s’est diversement exercée, de manière souvent
discrète mais effective, courants auxquels je tenterai de lier certaines des tendances
que j’ai pu identifier.
La subjectivité : l’idéel, l’émotionnel, conscience de l’altérité
La pensée ethnologique appliquée au champ français me paraît réserver une
place éminente à l’approche du sujet individuel, appréhendé dans sa subjectivité.
L’installation, sinon le repli absolu au cœur de l’intimité individuelle, s’exprime
par l’attention accordée à l’idéel et à l’émotionnel par rapport aux actes et aux
œuvres. L’évocation actuelle de l’individualisme, comme fait social, s’accorde avec
cette tendance d’analyse.
L’idéel : représentations et productions expressives
La préférence pour l’idéel par rapport au réel extérieur au sujet se manifeste
particulièrement dans la place consacrée à ce qui est englobé sous la notion générale
de représentation et sous la notion plus resserrée d’image, qui est mentale – cette
dernière notion étant réservée à des représentations aptes à se projeter dans des
expressions collectives. Ainsi traite-t-on des représentations de la nature autour
d’objets tels que la montagne, la neige, les climats, la forêt (le « paysage ») ;
ainsi s’attache-t-on aux « images » du corps, du sang par exemple, de la femme,
du paysan, de la campagne, objets concrets traduisibles ou effectivement traduits
dans les formes matérialisées d’expression de la peinture ou du film. Le traitement
ethnologique réservé à la mémoire s’accorde avec celui de la représentation
(Ethnologie française 2007).
La notion de représentation évoquée ici est moins ouverte que celle que me
paraissent souvent adopter les historiens français de « l’histoire culturelle »2. Pascal
Ory (2004), par exemple, qui propose d’assigner les représentations comme objet
à l’histoire culturelle, celles-ci embrassant un ensemble d’éléments – cognitifs,
2. Une irremplaçable inspection de la genèse et des développements de l’histoire culturelle a été
réalisée par Philippe Poirrier (Poirrier 2004).
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affectifs, comportementaux, etc., socialisés – qui suffiraient à une définition de la
culture au sens anthropologique commun.
L’observation de l’activité et des productions symboliques est une voie
privilégiée d’accès, par induction, à la représentation, au sens restreint, dans
la mesure où celle-ci s’établit à l’intérieur d’un espace retiré de la machinerie
subjective. L’active industrie du symbolique est appréhendée sous les formes aussi
variées que celles des contes, des constructions langagières des enfants et des
adolescents, des pratiques et productions musicales collectives, de la gestuelle,
en maints domaines, de la sémiologie du costume, de l’emblématique identitaire,
politique ou territoriale, etc. L’image du corps par exemple est explorée tant à
travers les manifestations individualisées du tatouage, des automutilations, de la
chirurgie plastique, qu’à travers les manifestations collectives des compétitions
sportives.
Au-delà de l’exploration des signes, l’ethnologie de la France est engagée
dans le mouvement anthropologique général de décryptage des productions
symboliques qui s’est affirmé depuis plusieurs décennies. L’accent répété sur « le
sens » et la « recherche du sens » traduit cette attention analytique portée sur
l’univers du sujet, dont je crois pouvoir relever l’importance.
Le primat d’investigation réservé à l’idéel a pour corrélat un travail de mise
en évidence du caractère d’artefact de nombre de représentations collectives. La
découverte de la réalité de cette fabrication s’est particulièrement illustrée, dans
la ligne d’analyse de Hobsbawm, par les travaux sur le thème de l’invention de
la tradition comprise en ses multiples aspects symboliques (mythes, emblèmes,
célébrations, rites festifs...) et sur celui de la description imaginative, voire factice,
sur un mode emphatique, d’entités culturelles territoriales – les nations, les régions,
telles la Provence et la Bretagne –, les patries de toutes dimensions, description à
laquelle s’associent les autoconstructions collectives de l’identité3, etc. L’étude du
contrôle collectif des expressions de la tradition et de ses transformations illustre
également cette approche de l’artifice.
L’analyse ethnologique, tout comme une certaine critique historique, vise
ici en quelque sorte les excès de pouvoir de l’idéel sur le réel. Les ethnologues
actuels, dans une atmosphère de pensée post-moderniste, ont participé à la critique
des systématisations idéologiques qui décrètent la réalité et ils sont naturellement
conduits d’une manière générale à enquêter sur le jeu social d’élaboration et de
fonctionnement de représentations et de productions expressives.
Tournée vers l’extérieur, l’ethnologie, comme dans les exemples qui viennent
d’être offerts, cerne des mécanismes d’emprise sur les représentations et les actions
sociales qu’elles alimentent. L’importance accordée au discours, et à l’analyse du
discours, s’inscrit dans ce mouvement de dévoilement, de déconstruction, lequel
a d’ailleurs diffusé dans la pensée commune. Tournée vers elle-même, vers ses
propres productions, l’ethnologie poursuit son procès de l’artificialité en mettant
3. Travaux respectifs de : C. Bertho-Lavenir sur la Bretagne ; E. Duret, S. Fournier,
M. F. Gueusquin, T. Pécout sur la Provence ; A. M. Thiesse sur les patries.
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particulièrement en garde contre le fait de conférer dans l’analyse une réalité
objective à des constructions idéelles des choses. D’où la recrudescence des
termes : essentialisme, substantialisme, réification, naturalisation, nominalisme,
« chosifier », dans une critique qui vise l’attribution d’une essence culturelle à une
région, à une population, ou encore l’assignation du statut d’entité indivisible à des
manifestations sociales telles que la violence urbaine, l’incivisme, la délinquance
juvénile. Dans cette perspective les affirmations et questionnements de l’identité
collective observées dans et autour des populations diverses qu’appréhende
l’ethnologie sont pour une part importante analysées comme des constructions
idéelles.
Dans le champ privilégié de l’investigation de la subjectivité, l’attention
s’étend du cognitif à l’affectif. La liste des travaux qui traitent des données
affectives et tout particulièrement des données émotionnelles4 s’allonge : travaux
de l’ethnographie du temps présent (Terrain 1994) et travaux d’histoire de la
culture – de l’histoire des sensibilités (Corbin 1992).
L’émotion et, plus largement, l’affectivité sont inévitablement décrites
à travers des manifestations, accordées avec des figures et des normes de la
culture, qui pour une part variable sont des actes expressifs. Sous cette forme sont
inventoriés les rapports au corps tels que les relations au sang, la pudeur, l’exercice
sportif, la violence physique, la transe d’aujourd’hui, les conduites du risque,
l’automutilation, etc. L’analyse culturelle des pleurs, sur un registre symbolique5
en perspective historique notamment, illustre bien cette conjonction de l’émotion
et de la communication.
La subjectivité : egocentration de l’ethnologue et conscience de l’altérité
L’ethnologie, dans le courant évoqué ici, vise en leur intériorité les individus,
objets immédiats de son enquête. Mais la passion du subjectif s’étend à l’ethnologue
lui-même, qui se perçoit comme partie intégrante de sa recherche. L’ethnologue,
variablement narcissique, analyse son implication intime dans la recherche, ses
relations avec les acteurs. En la matière, les écrits ethnologiques appliqués à la
France ne s’écartent pas, semble-t-il, d’une tendance qui intéresse l’anthropologie
dans son ensemble6 de même que les historiens adeptes de l’ego-histoire.
La scrutation du moi ethnologisant ne sert toutefois pas uniquement un
égotisme ordinaire. Elle autorise le questionnement par l’analyste de sa propre
subjectivité, dans le mouvement général de défiance relativiste vis-à-vis des
constructions de la pensée et des inventions du réel. L’importance accordée à
l’autoanalyse va de pair avec l’intérêt accordé au texte et à l’écriture ethnologiques
(Études rurales 1985 ; Communications 1994), lieu de croisement du sujet
ethnologisant et de l’objet ethnologique. Cet intérêt n’est probablement pas sans
4. L’« émotion » et, plus récemment, la « souffrance » sont devenus des lieux communs de la
conversation ordinaire.
5. Travaux d’Anne Vincent-Buffault.
6. Jeanne Favret-Saada a notablement marqué cette introduction de l’autoanalyse de
l’ethnologisant.
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lien avec la révérence particulière réservée à la belle écriture, dans la république
des sciences sociales, en France.
Dans le contexte considéré ici la centration sur le moi de l’ethnologue est
indissociable de la centration sur l’autre, sujet-objet d’enquête, avers et revers
d’une même attention au sujet. Le thème de l’altérité, activé à son origine par le
courant phénoménologique, a naturellement pénétré la pensée ethnologique (et,
aujourd’hui la pensée commune), encouragé par l’individualisme ambiant. Les
ethnologues qui travaillent, en France, sur leur propre territoire, dans leur propre
société, ont été amenés à distinguer deux modalités d’une ethnologie de l’objet
rapproché, d’une ethnologie en miroir au sens large (Chiva et Jeggle 1987 ;
Segalen 1989).
La première, l’ethnologie du « proche différent », a retrouvé les conditions
d’une appréhension de l’autre qui sont du même ordre, quoique différentes, que
celles qu’affronte l’ethnologue en terrain exotique : il s’agit de comprendre un
étranger voisin, en surmontant les risques de la projection de soi sur l’autre que
peut renforcer la proximité matérielle. De cette catégorie relèvent les études sur
les groupes « marginaux », les cultures de banlieue, les cultures d’immigrés. La
seconde modalité est celle d’une ethnologie du soi, du semblable, une « ethnologie
en miroir » stricto sensu, qui s’applique intimement à la culture de l’observateur
lui-même. Ses difficultés sont celles de l’autoanalyse. Cependant cette ethnologie
endotique s’efforce d’échapper à l’enfermement introspectif en opérant par une
voie comparative où la figure de l’autre éloigné – exotique – donne sens à la
figure de soi lorsque, par exemple, l’ethnologue appréhende et analyse dans son
propre milieu un rite de passage nouveau – d’obsèques ou de mariage – ou une
nouvelle norme de sociabilité, en les confrontant aux rites ou normes d’ailleurs ou
du passé.
Si le péril des ethnologies de l’objet rapproché, prises dans la dialectique
du soi et du semblable, peut se révéler paralysant dans le cas d’une ethnologie
pratiquée en France par des Français, une autre voie s’est entrouverte qui consiste
à associer et confronter les analyses d’ethnologues du dehors et d’ethnologues
du dedans. Ce mode de confrontation est courant chez les historiens du domaine
français7.
La société en totalité : continuité, complexité, globalité, historicité
L’insistance sur l’emprise du sujet et du subjectif, de l’idéel et de
l’émotionnel, de l’autoanalyse de l’ethnologue, dans les investigations couvrant
le domaine français, ne doit pas laisser méconnaître l’importance des recherches
qui, sans nier les réalités de la subjectivité et le bénéfice de la réflexivité chez
l’analyste, s’appliquent à une société comprise dans tous ses aspects. Ces
investigations connaissent des changements, dans le sens de l’approfondissement
et de l’extension.
7. Travaux de C. Karnoouh, H. Lamarche, S. C. Rogers sur le pouvoir dans un village lorrain ;
de S. Hoffman, J. R. Pitts sur la société française ; recherches et réflexions d’anthropologues
américains sur la France (Ethnologie française 1991).
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Je relève en premier lieu une tendance à une appréhension en continu des
réalités anthropologiques. L’analyse est passée, me semble-t-il, d’une propension
à traiter de dichotomies radicales à la considération de réalités formant continuum,
ce qui implique un examen particulier de ce qui se situe à l’intersection des classes
de faits pensées comme cardinales. L’appréhension en continu est perceptible (par
exemple) dans la réduction d’oppositions tranchées entre le domaine des croyances
et pratiques religieuses attachées aux principales religions instituées et les croyances
et pratiques qui souvent ont été rejetées dans un champ du « magicoreligieux »
assemblant les faits rapportés à l’ordre de la religiosité dite populaire, au monde
des sectes, à l’univers « parareligieux »8, etc.
Dans une même conception gradualiste, qui évoque des développements
symétriques de l’anthropologie générale et de l’éthologie, sont abordées les
relations entre l’homme et l’animal. Les ethnologues ont analysé les rapports
de l’homme à l’animal dans le monde de l’élevage et de la chasse (le berger, le
chasseur et le chien, l’homme et le cheval...) et dans les relations de compagnie
(relations quotidiennes, traitement funéraire).
L’intérêt porté sur les formes de transition apparaît directement dans les
approches diverses de l’organisation humaine dans l’espace et de l’espace :
espaces de frontières, espaces interstitiels, espaces du seuil... Les études autour des
territoires physiques d’entre-deux, le littoral et le marais notamment, connaissent
un essor notable. Les recherches consacrées aux aires d’intersection culturelle et
aux territoires politiques frontaliers ont des antécédents classiques ; nouvelle en
revanche est la place occupée par l’étude des représentations de ces espaces, et
leurs corrélats identitaires. En des espaces restreints le regard sur les formes de
transition se porte sur les relations proxémiques (domestiques, publics, de travail,
etc.).
Autre objet, d’intérêt apparenté : les acteurs et actions de médiation. La
sociologie, qui s’intéresse aux rapports sociaux, a depuis longtemps décrit des
instances intermédiaires, de médiation (de pouvoir, d’influence, de diffusion
de l’information, etc.), et des agents médiateurs (le discours commun intègre
les notions d’interface et de passeur). L’ethnologie, qui s’intéresse aux rôles, a
développé plus récemment une attention aux médiateurs quotidiens : le « grand
frère » comme transmetteur de règles vis-à-vis des plus jeunes, le « portier »9,
comme régulateur des relations de voisinage.
L’évolution des mœurs familiales oblige à introduire des catégories
nouvelles, intermédiaires, dans le nuancier des statuts « maritaux », des rapports
de conjugalité et de germanité, qui intéressent des combinaisons des familles dites
« recomposées » qui déjouent les descriptions de la famille nucléaire10 ordinaire.
La diffusion dans le discours commun de certains concepts, tel celui de métissage,
n’est probablement pas sans participer du mouvement théorique d’atténuation des
dualités.
8. Travaux de J. Maitre, F. Isambert, F. Lautman, V. Campion-Vincent, entre autres.
9. Coordination de publications par P. Bonnin.
��. Analyses et observations de M. Godelier, A. Martial.
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En second lieu je note que s’est affirmée une approche pluriangulaire des
données de culture. Celle-ci n’était bien sûr pas absente dans le concert des sciences
sociales diverses (on pense à l’entreprise des Annales). Un changement sensible
me paraît être le développement d’approches différentes convergeant autour d’un
même objet singulier, spontanées ou organiquement fédérées. Le foisonnement des
colloques et publications collectives est, indépendamment de stratégies d’affichage
des institutions académiques, une manifestation de cette union des regards. Pour
illustration peuvent être évoquées la pluralité et la complémentarité des approches
du thème du corps, déjà mentionné, sous ses différents aspects – représentations,
discours et pratiques, relations, rites, relations et institutions, etc. – qui font leur
place à des objets aussi différents que les dictons et les manifestations sportives
de masse. Autre illustration : l’approche multiple des manifestations de violence
en espace rural, visant les comportements individuels, les relations concrètes
d’hostilité, les modes institutionnalisés de vengeance et d’arbitrage11.
L’intégration de la notion de réseau, par opposition aux relations biunivoques,
l’appel aux figures de causalités croisées, participent de la vision de complexité
qui inspire l’approche anthropologique plurielle (la référence à la complexité ayant
elle-même envahi le discours commun).
Cette approche en continuité et en complexité tend à embrasser la totalité
des composantes de l’organisation sociale : les institutions juridiques, politiques,
économiques et les divisions et articulations sociales lisibles en rapports de
pouvoir, en hiérarchies, en relations d’interdépendance. Toutefois il faut admettre
que, s’agissant du terrain français, l’examen en vision large des sociétés qui est
celui d’une ethnologie totale a été généralement très retenu. Les ethnologues du
champ français, ont, je pense, longtemps laissé l’examen de l’organisation sociale
globale à l’expertise des analystes historiens, politologues, sociologues, lesquels
ont livré des tableaux ou pour le moins des esquisses intéressants de la « société
française » et de ses spécificités12. Des changements sont cependant perceptibles
aujourd’hui, qui vont dans la direction d’une appréhension ethnologique plus
globalisante de la société française. Une percée s’est opérée avec l’introduction
de la référence à l’État, dans la perspective d’une anthropologie politique. Une
première approche ethnologique des présences de l’État, et des présences à l’État,
a certes réservé une attention justifiée aux fonctionnements politiques locaux ou
aux rites qui sont associés aux institutions publiques en recourant à l’observation
ethnographique de terrain, directe, mais elle s’est étendue aussi à la nature même
des institutions étatiques (telles que le Parlement et le Conseil d’État) à l’intérieur
de la société politique en son ensemble13.
Il faut le souligner, l’appréhension globalisante de la société française par
les « historiens sociaux de la culture » a été conforme aux exigences originales
d’une perspective ethnologique (la connaissance des organisations sociales, des
institutions et des cultures) si l’on considère la double ouverture d’une approche
��. Travaux de F. Chauvaud, R. Verdier.
��. Dont des contributions, venant de l’extérieur, de S. Hoffman, J. Pitts, T. Zeldin.
��. Travaux de M. Abélès, B. Latour, entre autres.
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anthropologique du politique concentrée sur les symboles et les ritualisations14,
tels ceux du folklore républicain (Agulhon 1995) et d’une approche visant des
fonctionnements sociaux à une échelle globale, telles les formes sociales et
culturelles de la violence en France, observées sur des régions étendues15.
Si les historiens ont de plus en plus abordé la société, et les sociétés
françaises, dans une perspective anthropologique, les anthropologues ont en retour
été gagnés par une approche compréhensive de l’historicité. Les ethnologues du
domaine français ont longtemps pratiqué une anthropologie appliquée au passé
rapproché, dans la mesure où, à la suite des folkloristes, ils ont étudié la culture de
la société dite traditionnelle, dans ses formes rurales pour l’essentiel. Aujourd’hui
l’ethnologie appliquée à un passé rapproché s’est étendue à d’autres domaines de la
vie sociale et culturelle, par exemple celui des institutions consacrées à l’enfance.
Dans leur rapport au temps ces études rejoignent les travaux des historiens qui, sur
une période étroite et peu éloignée, analysent, en synchronie, un état ou un élément
de culture (une sensibilité, un mode de sociabilité, etc.), dans la cohérence d’un
passé présent.
La diachronie a été nécessairement prise en compte par les ethnologues
avec l’essor des études de la parenté, de la transmission du patrimoine et des
positions politiques. Mais il faut reconnaître qu’il s’agit fréquemment d’un temps
monotone, répétitif. La véritable rencontre avec l’historicité s’accomplit lorsque le
changement est pris en considération.
Par rapport au passé, l’ethnologue d’aujourd’hui met en évidence, selon
les inclinations et les situations étudiées, des constantes, des constantes sous les
transformations, des formes nouvelles. Parmi ces constantes : les rituels et pratiques
de chasse16 (Études rurales 1982), les modes de perpétuation d’une transmission
patrimoniale par primogéniture mâle17 ; constantes retravaillées : les courses de
charrettes en Provence arlésienne18 ; formes nouvelles inscrites sur le terrain de
formes anciennes : le marché de Carpentras étudié par M. de la Pradelle comme la
mise en scène du nouveau culte « écologique » ; émergence de nouvelles formes :
telles que la ritualisation du « passage » du permis de conduire, la célébration des
anniversaires19, l’associationnisme des victimes, les relations dans les familles
« pluricomposées ».
Dans l’analyse des constantes l’ethnologue, fidèle à l’une ses tâches
premières, l’investigation des structures et des régularités de fonctionnement
dans une formation sociale singulière – apporte un soin particulier à mettre en
évidence, en France, les jeux locaux qui consistent à introduire ou accepter des
transformations imposées par l’État, pour assurer la pérennité d’une organisation
sociale (notamment celle de l’oustal, méridional).
��. Approche encouragée par les travaux de M. Agulhon et les entreprises de P. Nora.
��. Travaux de F. Chauvaud, J. Nicolas, par exemple.
��. Travaux de B. Hell, J. Jamin, O. Vincent.
��. Travaux, entre autres, de G. Augustins, P. Lamaison.
��. Travaux d’É. Duret, M. F. Gueusquin.
��. Travaux de J. F. Gossiaux, R. Sirota.
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Ethnologie en france, ethnologie de la France.... 245
Confrontée à un présent nouveau, l’ethnologie en France voisine dans la
méthode avec la sociologie historique, elle-même explorant un passé nouveau
quand elle se donne pour objet des formes d’organisation des institutions, des
productions structurées et des formes intériorisées de la culture qui sont de courte
durée, des « cultures brèves » : celle d’une conjoncture historique, concernant
un groupe limité (la génération des baby-boomers étudiée par J. F. Sirinelli par
exemple) ; une configuration de culture liée à une guerre (une forme obligée,
passagère et intériorisée, de solidarité, de langage, de jeu, de vêture, etc.).
L’ethnologue, à l’invite de l’historien, réinscrit ces courts moments de la culture
en des ensembles et des suites plus étendus, et, à l’invite du sociologue, s’interroge
sur les déterminations conjoncturelles qui font naître et disparaître ces cultures
éphémères20.
Totalité : groupes et espaces sociaux
L’esprit d’investigation totalisante est perceptible dans la manière d’aborder
extensivement la société à travers la diversité de ses divisions et de ses espaces.
Exploration du champ social : strates et segments
Une double ouverture de l’angle de vision s’opère : dans le sens vertical où
se superposent des classes, des ordres, des strates, etc., et dans le sens horizontal
où se juxtaposent des segments, des communautés, des corps, des sociétés...
En dimension verticale, et en continu, l’ethnologie de la France ne se
cantonne plus dans l’observation des classes qui occupent les positions les moins
élevées des gradations sociales et culturelles. Au-delà des cultures qui ont été
dénommées « populaires », et des cultures dites « communes », ou « ordinaires »,
elle regarde vers le haut. Ainsi s’attache-t-elle aux cultures de la bourgeoisie, des
classes de pouvoir économique, des hautes corporations d’État, ou des milieux
de l’excellence du savoir et de l’art. Et elle se saisit des classes aristocratiques,
de leurs mœurs, de leurs règles et de leurs institutions21. Au pôle opposé sont
apparues les recherches sur les « pauvres », les « marginaux », les « exclus » de la
ville, mais aussi de la campagne22. L’application du programme ethnologique à la
culture ouvrière23 longtemps absente de ce programme au seul bénéfice du monde
« paysan » marque également une volonté de mener une investigation distinctive
des classes sociales. La prise en compte renouvelée de ces instances s’est imposée
en opposition avec une certaine analyse refusant toute capacité d’autonomie aux
catégories sociales subalternes, comprises dans le jeu de la dépendance24.
Les ethnologues de la France ont progressivement entrepris l’exploration
des classes d’âge, strates de la société négligées par les analystes habituellement
��. Travaux de G. Augustins, S. C. Rogers.
��. Travaux de P. Bourdieu, I. Bellier, B. Le Wita, M. Pinçon, M. Pinçon-Charlot, P. Sansot,
J. F. Sirinelli.
��. Travaux de C. Pétonnet, P. Gaboriau, P. et D. Térolle.
��. Travaux de, et autour de, M. Verret.
��. Analyse critique de l’alternative « populisme-misérabilisme » par C. Grignon et
J.-C. Passeron.
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246 GUY BARBICHON
concentrés sur l’ordre vertical des classes économiques comme dimension de
domination. Les cultures de l’enfance sont ainsi abordées sous leurs multiples
aspects. Les enquêtes anciennes sur le folklore enfantin n’ont pas été oubliées et
inspirent de nouvelles investigations. L’enfance est observée dans l’espace scolaire
et domestique, en ses jeux, ses rites, son imaginaire. Symétriquement, un intérêt
anthropologique est réservé aux transformations culturelles liées au « grand âge »25,
intérêt amplement stimulé par les travaux sociologiques sur les données nouvelles
du vieillissement, et de la coexistence des différentes générations âgées26.
Une appréhension des rapports entre genres sexuels dans une dimension
verticale de pouvoir unilatéral, d’inégalité, de domination, n’est pas absente,
synchrone avec le débat public. Toutefois il paraît important de noter l’existence
d’une tendance, active, à ne pas enclore l’étude culturelle des faits de classes
sexuelles dans celle des seules positions de dépendance féminine et de domination
virile, mais davantage dans celle des rapports complexes intra et inter genres
sexués. Vont dans ce sens les analyses – déjà évoquées – des fonctionnements des
familles de configuration plurinucléaire, de même que l’exploration des régimes
de relations homosexuelles27.
Dans la dimension sociale horizontale, l’ethnologie en miroir de l’ensemble
français s’attache à cerner l’organisation et les fonctionnements culturels propres
à des formations singulières.
Pour une part il s’agit de formations territoriales, une communauté pastorale
par exemple, où s’exerce une capacité d’autonomie partielle qui entretient leur
individualité et assure leur permanence, à travers leurs transformations. Pour
une autre part l’ethnographie des « groupes inclus » porte sur des congrégations
sociales non territoriales, de plus en plus variées, qui souvent avaient été ignorées.
La communauté des sourds, par exemple, a été pénétrée dans ses fonctionnements
originaux par Yves Delaporte, et la communauté tzigane par Patrick Williams.
Des groupes plus étroits, liés par une communauté d’intérêt, d’épreuve, d’action,
etc., (les joueurs d’échecs, les familles d’handicapés, par exemple) font l’objet
études, dont la multiplication est favorisée par l’accroissement de la compagnie
des ethnologues du chez soi dans le champ français. La connaissance des
diasporas a suscité de nombreux travaux, mobilisant notamment des ethnologues
initialement attachés à des terrains exotiques et des ethnologues originaires de
nations d’émigration28. Face aux situations migratoires d’infériorisation sociale
et de déstabilisation culturelle, anthropologie et sociologie unissent intimement
leurs approches. Les sociologues débordent l’examen des oppositions sociales
analysées autour de la seule notion de minorité, et les ethnologues ne transposent
pas, limitativement, à ces situations de changement la notion d’isolat.
��. Dans le courant des travaux de F. Cribier, C. Attias-Donfut, M. Segalen.
��. Travaux de C. Gaignebet, J. Delalande, P. Rayou, dans une succession innombrable.
��. Analyses critiques de C. Zaidman et I. Théry, travaux d’A. Rauch.
��. Au fil des lectures, travaux de : M. Catani, A. Miranda sur les Italiens ; M. E. Leandro sur les
Portugais ; M. Hovanessian sur les Arméniens ; J. Ponty sur les Polonais ; J. Barrou sur les
Algériens ; J. P. Hassoun sur les Hmongs ; A. Raulin sur les Chinois.
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Ethnologie en france, ethnologie de la France.... 247
Exploration des espaces sociaux : du rural à l’urbain
Le choix des espaces appréhendés comme objet ou comme terrain de
l’ethnologie en France s’est considérablement diversifié. Une ouverture décisive
s’est opérée avec l’entrée des ethnologues dans le domaine urbain29, rompant avec
un exercice ethnologique qui s’appliquait quasi exclusivement à l’univers rural et
plus spécialement au village30.
Le village n’avait pas été auparavant traité simplement comme « terrain »,
c’est-à-dire comme espace opératoire de la recherche ; il était facilement considéré
comme l’entité sociale à laquelle pouvait être réduite la réalité sociale et culturelle
rurale. Il est aujourd’hui entendu que le village peut être, distinctement, objet
ou instrument de recherche : objet étudié comme formation sociale et institution
territoriales, et instrument, servant de lieu ou de point de départ d’observation, de
terrain31, dans un contexte contrôlable en raison de son étendue limitée et du bien
nommé réseau d’interconnaissance qu’il offre (Maget 1955). Surtout, ce terrain
peut fournir un appui pour appréhender des ensembles de faits dans les espaces
plus larges dont il n’est qu’une fraction32.
La focalisation sur la « communauté villageoise » comme unité autosuffisante,
et élément multiplié pour former l’agrégat d’un monde paysan, a souvent détourné
le regard des perspectives comparatives appréhendant des espaces sociaux
contrastés. Cependant au cours des années 30 avaient déjà été entreprises de
grandes enquêtes sur des formes et aires culturelles (d’alimentation, d’architecture
vernaculaire, etc.) couvrant l’ensemble du territoire national (Barthélémy et
Weber 1989). Au cours de l’après-Seconde Guerre mondiale une préoccupation
comparative a inspiré des études opposant des communautés rurales inscrites dans
des milieux différents33 et des enquêtes pluridisciplinaires portant sur des territoires
étendus (l’Aubrac, le Châtillonnais, les Baronnies pyrénéennes). Cette forme
d’étude collective, embrassant une aire étendue, a été précédée par l’enquête à
Plozévet, forme intermédiaire, pluridisciplinaire et centrée sur une commune rurale
et ses réseaux extérieurs34.
Tandis que la sociologie urbaine utilisait des instruments d’investigation
extensive appliqués à des populations étendues, l’entrée ethnographique dans
la ville s’est opérée principalement par le bidonville35 et par le grand ensemble
��. Travaux de C. Pétonnet, G. Althabe, M. Bozon, M. Selim.
��. Travaux de L. Bernot et R. Blancart, L. Wylie.
��. Travaux d’A. Burguière, Y. Verdier, M. C. Pingaud, F. Zonabend, T. Jolas.
��. Les recherches portant sur les dispositifs culturels de la parenté propres à des aires qui
débordent les localités villageoises illustrent cette position de méthode : recherches de
M. Isard, M. Segalen, P. Lamaison et E. Claverie.
��. Enquêtes de H. Mendras et M. Jollivet, G. Barbichon et G. Delbos.
��. La série de tomes sur l’Aubrac, publications du CNRS (1970 et sqq.) ; Les Baronnies des
Pyrénées, publication dirigée par I. Chiva et J. Goy (1981 et 1986) ; sur La Margeride,
publications de Ph. Bonnin, M. Perrot, M. de la Soudière (1983) ; sur les Bretons de Plozévet,
d’A. Burguière (1975).
��. Avec les travaux de Colette Pétonnet.
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248 GUY BARBICHON
résidentiel. Le quartier d’habitation citadin a été plus tard objet d’exploration36.
On verra dans cette transposition d’échelle la constance d’une inclination de
l’anthropologue à opérer sur un ensemble complet mais compact, tout en aspirant
à la compréhension d’un groupe social plus large.
La qualification d’« anthropologie urbaine », en France, appliquée à une
pratique très localisée de l’ethnographie a pu entretenir une certaine confusion
entre anthropologie dans la ville et anthropologie de la ville, anthropologie
urbaine37 stricto sensu, qui s’attache à repérer la spécificité du fait urbain et rejoint
ainsi dans sa visée les analyses des sociologues et historiens qui s’interrogent sur
le caractère original, la genèse et les métamorphoses des cités.
Corps sociaux compacts et fragments de culture
Si l’horizon social de l’ethnologue du domaine français s’est ouvert par le
biais d’une prise en compte plus variée d’étages et de segments de la société, et
avec l’entrée dans l’univers urbain, l’ethnologue demeure toutefois légitimement
attaché à l’appréhension d’ensembles humains, concrets et complets.
Dans l’espace urbain l’ethnologue ne peut retrouver l’équivalent des objets
ruraux qui s’offrent dans les formes du « petit-local-concret-complet » (et tendent
d’ailleurs à disparaître avec les transformations de l’espace rural). On comprend
alors que l’ethnologue ait porté ses regards sur de « petites sociétés » cohérentes et
cernables, plus ou moins closes et non nécessairement territoriales, ni citadines, par
nature : corps professionnels, étatiques, communautés de multiples ordres. Je citerai
au hasard : des sectes, des sociétés de jeu de boules, des fanfares, les pompiers,
les conscrits, les entomologistes et les amateurs d’art collectionneurs, les publics
des matches de football et de rugby38, pour ne pas évoquer de précieuses études
historiques qui procèdent des mêmes interrogations socioanthropologiques.
Dans une propension à approcher des groupes spatialement cernables,
l’ethnologie du domaine français est naturellement amenée à s’attacher à
l’étude des groupements et corps sociaux « enclos » dans un espace de vie
restreint – corps professionnels, étatiques, communautés et collectivités de
multiples ordres, formations de forte cohérence qui réunissent les caractères
de la « microterritorialité » sociale : les équipages de bateau, les membres
d’établissements hospitaliers, scolaires, pénitenciers, des ateliers et des chantiers,
des bureaux, celui des employés de la bourse, entre autres39.
��. Enquête de S. Chalvon-Demersay et autres recherches de l’Observatoire du changement social
(O.C.S.).
��. Analyses critiques de : G. Althabe, A. Morel, J. Gutwirth, A. Raulin.
��. R. Bonnain-Dulong, M. Bozon, C. Bromberger, S. Darbon, Y. Delaporte, J. N. Retière,
A. Saouter.
��. Seules des bibliographies thématiques peuvent rendre justice aux auteurs. Je citerai pour
illustration respective des travaux évoqués : S. Dufoulon, J. Saglio, M. P. Trompette, M. Duval
(sur la marine), A. M. Arborio (sur l’hôpital), L. Le Caisne, M. Bessin, M. H. Lechien (sur la
prison), P. Fournier (sur les centrales nucléaires), J. P. Hassoun (sur la bourse).
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Ethnologie en france, ethnologie de la France.... 249
Les organisations – au sens de la sociologie – et leurs espaces ont depuis
longtemps été investis au titre de celle-ci (ou d’une psychologie sociale apparentée).
Aujourd’hui, elles sont aussi explorées par des anthropologues en France, et il est
parfois malaisé de distinguer ce qui différencie les approches, sociologique et
anthropologique, en raison de la place accordée par les sociologues aux éléments
transmissibles de la culture et des formes institutionnelles (langage, normes,
hiérarchies, etc.).
Indépendamment de son intérêt pour les formations compactes, territoriales
ou non, l’ethnologie en terrain français accorde une place importante à l’examen de
formes particulières des mœurs et des institutions qui sont diffuses dans la société ;
elle assure en cela une fraction essentielle du programme anthropologique. Sont
étudiés par exemple, à partir d’un nombre réduit de spécimens, des comportements
d’entraide familiale, des modalités de gestion d’héritage, des formes d’obsèques,
des modes de sociabilité tels le harcèlement, la déférence, des mœurs judiciaires, des
pratiques jardinières, le labeur nocturne40. La démarche est celle d’une recherche,
description et classement d’espèces culturelles. Le soin d’établir la distribution
sociale de ces traits est laissé à la fraction des sociologues que ne rebutent pas les
visions statistiques globales. En dépit de l’invocation, parfois convenue, du « fait
social total » de Mauss, la sélection d’actions ou de relations particulières, à travers
les fonctions d’ensemble de la culture induit une individualisation de l’enquête
ethnologique : on cerne des sujets au plus près de leur univers concret, de leur
intimité existentielle. Sont mises en faveur les analyses qui se concentrent sur
un ou quelques acteurs exemplaires, réels, qui illustrent des statuts, des fonctions
sociales, des activités et des situations remarquables41, acteurs retenus comme
sujets projections du monde. L’ouvrage d’Yvonne Verdier (1979) qui analyse
trois rôles de femme au centre d’une société villageoise d’ancienne tradition
est légitimement devenu un classique de la méthode. La publication commentée
d’une autobiographie qui met en lumière un acteur ordinaire (une ouvrière, par
exemple...) prend une place de choix dans cette approche compréhensive du sujet
concret42. La promotion ethnographique du sujet individué – comme « point
nodal » de la culture – s’accorde bien avec le mouvement qui inspire les sociologies
de l’acteur, soucieuses d’inscrire, en dynamique, les sujets dans le système et ses
transformations, dont on connaît les épanouissements en France.
Réhabilitation de l’acte : le nouveau rite,
la pragmatique, les productions matérielles
Contrastant avec le mouvement qui accorde une place majeure aux
représentations et aux affects s’affirme un courant, essentiel, qui réserve une
��. A. Gotman, par exemple, a étudié les dilapidateurs, M. F. Irigoyen le harcèlement, C. Haroche
la déférence, F. Dubost le jardinage.
��. Ce mode d’approche a par exemple été illustré sur un mode approfondi par O. Schwartz pour
le chômeur et par M. F. Gueusquin pour les mainteneurs de tradition.
��. Présentation d’autobiographies par : M. Catani, F. Cribier, B. Mésini, J. N. Pelen,
J. Guilhaumou.
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250 GUY BARBICHON
attention renouvelée à l’acte, à l’action, et aux produits matériels de l’action,
lesquels ont pu être dévalués pendant une certaine période.
La restauration de la dignité théorique des rites me semble procéder de cette
tendance. Le rite, on le sait, a connu une certaine désaffection dans les cercles
anthropologiques cultivant un structuralisme restrictif. Cet exil discret a pris fin
chez les anthropologues du monde présent, en espace lointain de même que du
monde passé, de la Grèce antique par exemple. Touchant le domaine français, une
prise en compte nouvelle des rites a participé de ce retour de considération.
Le rite, compris comme une pratique qui établit des rapports entre un
monde naturel et un monde surnaturel, est, dans la continuité d’une tradition
ethnographique, étudié dans le champ des pratiques religieuses qui s’établissent
aux marges des canons des confessions instituées (tel est le cas des cultes
prophylactiques) et dans le domaine areligieux (tel le recours aux procédés de
désenvoûtement par exemple). Plus remarquablement le rite, le sacrement chrétien
par exemple, est appréhendé comme un objet anthropologique de plein droit dans
l’univers cultuel des religions instituées43, dont longtemps l’exploration était tenue
comme non pertinente, ou dérangeante.
Hors des cultes religieux et des pratiques liées à un champ transnaturel,
non divin, (« le magique ») l’ethnologie de la France, non oublieuse des enquêtes
classiques de ses pionniers – Van Gennep, notamment – a développé son attention
sur les rituels profanes, tels les rites d’enrôlement ou d’intronisation où un
changement d’état est déterminé, ou au moins achevé, ou confirmé, au moyen
d’opérations symboliques44. Le regard anthropologique se porte sur des formes
rituelles de cette nature qui perdurent ou se créent dans des groupes occultes
et des organisations fermées. Il se porte également à l’intérieur d’organisations
publiques (l’armée, la magistrature, les grands corps de l’État) sur des cérémonies
d’incorporation et, dans l’espace public, sur des actes cérémoniels de consécration
et d’intronisation des autorités et des corps constitués, toutes opérations dont
l’efficacité symbolique, pour partielle qu’elle soit est moins que négligeable,
où, en particulier, la prestation de serment demeure un élément d’implication du
sacré. L’interrogation, au présent, sur la nature de ces actes est indissociable du
développement de l’anthropologie historique sur les rituels de consécration de
pouvoir en particulier45.
Avec l’effacement des rites en tant que techniques opératives par voie
extranaturelle demeurent et se créent des actes collectifs aujourd’hui souvent
désignés extensivement par le terme « rituel », qui renvoie à la forme plutôt qu’à
l’action effective. Ces rituels empruntent aux rites – où l’action déterminante
des signes est totale – des formes d’exécution réglées sur des modèles établis, et
produisent des effets expressifs sur les registres de la gravité ou de la démonstration
impressionnante. L’ethnographie pluridisciplinaire de ces ritualisations expressives
s’est développée dans le champ de la vie publique civique et politique, locale,
��. À titre d’exemple : F. A. Isambert, M. Gruau, J. P. Albert.
��. Cas également des rituels de la chasse : C. Fabre-Vassas, B. Hell, O. Vincent.
��. Dans la ligne des travaux de J. Le Goff, J. C. Schmitt, N. Offenstadt, entre autres.
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Ethnologie en france, ethnologie de la France.... 251
nationale, internationale : liturgies des campagnes électorales et des célébrations de
fêtes civiques, des cérémonies de commémoration, d’inauguration, manifestations
collectives d’expression politique, folklore républicain, installation d’autorités et
de corps constitués46...
Parallèlement s’épanouit l’analyse de formes ritualisées (Cuisenier 1998) qui
perdurent ou s’instaurent dans la vie privée des individus et dans les groupes, dans
leurs assemblées, liées en particulier aux conditions nouvelles de vie qu’induisent
les changements sociaux47. Sont ainsi traités, parmi d’autres, les nouveaux
« rites » des anniversaires enfantins, du passage du permis de conduire chez les
adolescents, de la célébration de la Sainte-Catherine dans les ateliers de haute
couture, des départs à la retraite sur le lieu de travail et des cérémonies funéraires
dans des contextes particuliers (crémation, obsèques de victimes de violences ou
du sida)48.
Le retour d’intérêt porté sur l’agir, à travers l’étude des rites et des
ritualisations, réconcilie les regards sur le symbole, l’action et les relations. Ce
mouvement est en phase avec le développement des concepts et acquis de la
pragmatique. L’attention renouvelée à l’agir se retrouve dans le champ de ce qui
est par convention qualifié de « culture matérielle », vocable contracté qui induit
une confusion entre les produits matérialisés d’une culture (« le matériel dans la
culture ») et l’agencement, social et culturel, qui les engendre et les entretient. La
connaissance des outils, des techniques, des productions et des consommations de
la vie pratique est aujourd’hui enrichie par un effort de compréhension de l’univers,
social et culturel, dans lequel ils se créent et se transmettent, ainsi que des aspects
multiples, tant techniques que symboliques, de leur fonctionnement (Ethnologie
française 1996b). La culture technique, me semble-t-il, a offert un domaine où
des ethnologues d’inspiration marxiste ont trouvé un terrain d’élection et de
fécondité, à l’écart des tensions de la critique théorique. L’histoire du costume49,
de l’alimentation, de l’élevage, par exemple, est systématiquement abordée par les
historiens des cultures et les ethnographes en cette d’appréhension élargie tandis
que, fort heureusement, l’histoire des processus et procédés de production et des
objets produits, considérés sous leur aspect strictement matériel, est conduite par
des spécialistes des techniques de plus en plus nombreux et avertis, respectueux
et réceptifs à l’endroit des travaux d’inspiration anthropologique. La synthèse
ethnologique dans les musées et autres lieux scientifiques bénéficie de l’apport de
ces spécialistes. L’agriculture, les productions et les techniques musicales, l’habitat
sont, parmi d’autres, des domaines où se confirme cette ethnographie très concrète,
et ouverte, d’une région incontournable de la culture.
��. Travaux de, et autour de, M. Abélès, M. Agulhon, M. Perrot, D. Tartakowsky, entre autres.
��. De nombreuses publications et réflexions synthétiques rendent compte de ce courant d’étude :
Terrains (1986), Ethnologie française (1996a), P. Centlivres et J. Hainard (1981), D. Fabre
(1987), C. Rivière (1996), J. Cuisenier (1998).
��. R. Sirota, J. Gossiaux, A. Monjaret, N. Gérome, et, en milieu scolaire, D. Cuche.
��. Avec D. Roche.
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252 GUY BARBICHON
Anthropologie en France ou ethnologie de la France?
Les développements ethnologiques, dans le sens d’une ouverture, dont je fais
état sont, en tous leurs aspects et chez la plupart de leurs artisans, pour l’essentiel
ceux d’une ethnologie en France, non ceux d’une ethnologie de la France. Les
comparaisons intérieures au champ français, entre aires, régions, périodes font
apparaître des traits différenciateurs d’espaces ou de groupes sociaux. Le caractère
de variété même de ces traits est souvent évoqué avec complaisance comme une
propriété qualifiante de la société française mais il est rarement rapporté avec
précision à d’autres ensembles nationaux, souvent censés plus uniformes. Quoi
qu’il en soit, indépendamment de ces différences internes les descriptions et les
analyses d’ensemble sur la France font ressortir des arrangements remarquables
de traits globaux – notamment ceux qui sont repérés dans le champ historique –
mais elles n’autorisent pas en l’état, dans la plupart des cas, à les identifier comme
caractères originaux, spécifiques, ou au contraire semblables, par référence aux
sociétés et civilisations extérieures au pré hexagonal. Pourtant, les compositions
d’éléments sociaux et culturels que révèlent de telles analyses sont susceptibles de
suggérer des comparaisons en des termes nouveaux, en étendant l’examen à ces
autres sociétés, et notamment, aux sociétés de l’espace européen. À l’évidence, une
ethnologie de la France ne peut se concevoir aujourd’hui qu’inscrite, en attente ou
en acte, dans une ethnologie comparée de sous-ensembles, et de l’ensemble, de
la planète, en toute attention aux interrogations fondamentales et ambitieuses de
l’anthropologie sociale et culturelle.
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l’histoire récente de l’ethnologie de la France » : 68-94, in I. Chiva et U. Jeggle (dir.),
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Chiva I. et U. Jeggle (dir.), 1987, Ethnologies en miroir. La France et les pays de langue
allemande. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.
Cnrs, 1970, L’Aubrac, tome 1. Paris, Éditions du CNRS.
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Ethnologie en france, ethnologie de la France.... 253
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Corbin A., 1992, « Esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire
moderne et contemporaine, 39 : 103-126.
Cuisenier J., 1971, « Construire son objet : l’ethnologie française et son domaine », Ethnologie
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—, 1998, « Cérémonial ou rituel? », Ethnologie française, 1 : 10-19.
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—, 1996b, Culture matérielle et modernité, n° spécial, 3.
—, 2007, Mémoires plurielles, mémoires en conflit, n° spécial, 3.
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—, 1985, Le texte ethnographique, n° spécial, 97-98.
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Bulletin de psychologie, 7 : 375-382, réédité in Cahiers d’économie et de sociologie
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Verdier Y., 1979, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière.
Paris, Gallimard.
RÉSUMÉ – Abstract – resumen
Ethnologie en France, ethnologie de la France. Champs nouveaux, manières neuves
Les orientations des travaux de caractère ethnologique concernant le domaine français
depuis la Seconde Guerre mondiale sont examinées. On relève qu’une grande attention est,
dans les études, réservée à l’univers subjectif : aux représentations et à leur construction
sociale, aux affects et spécialement aux émotions, ainsi qu’à l’autoanalyse de l’ethnologue sur
son terrain et à ses interrogations sur l’exercice d’une anthropologie du proche. L’ethnologie
de la France appréhende aujourd’hui des groupes, espaces, états, intermédiaires, au-delà des
seules oppositions entre des catégories majeures. L’ethnologie a pénétré l’espace urbain, les
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254 GUY BARBICHON
champs de la politique et du droit, et des micro-formations sociales et culturelles très variées.
Contrebalançant l’attrait des représentations, un intérêt nouveau est accordé aux actions
symboliques, et spécialement aux actions rituelles. L’ethnologie appréhende les faits dans leur
historicité et dans le contexte des transformations contemporaines, en connexion étroite avec
le développement des travaux en histoire culturelle. L’interrogation sur l’organisation sociale
et les caractères culturels globaux spécifiques de la société française demeure minoritaire.
Mots clés : Barbichon, France, ethnologie, tendances, champs d’étude
Ethnology in France, Ethnology of France. New Fields, New Approaches
This article reviews trends in the ethnological studies concerning French society
since the World War II. The author notes an emphasis on subjective elements : namely
social representations, emotions, while at the same time ethnologists analyse their role as
fieldworkers and question the uncertainty of conducting an anthropological research of
familiar grounds. Today the ethnology of France apprehends groups, areas, behaviours, of an
intermediate character, beyond oppositions between major categories of things. Ethnology has
penetrated the urban space, the political and juridical fields and varied types of micro-cultural
facts. Counterbalancing the appeal of studies of representations and affects a new interest
arises concerning symbolic, and especially ritual, actions. Facts are approached in a historical
perspective and in the context of contemporary changes, in relation to the development of
cultural history in France.
Keywords : Barbichon, France, Ethnology, Trends, Fields
Etnología en Francia, etnología de Francia. Nuevos campos, nuevas maneras
Examinamos las orientaciones de los trabajos de carácter etnológico sobre Francia
desde la Segunda Guerra mundial. Se observa que se otorga una gran atención a los estudios
sobre el universo subjetivo : las representaciones y su construcción social, lo afectivo y
especialmente a las emociones, así como al auto-análisis del etnólogo en su investigación
de campo y a sus interrogaciones sobre el ejercicio de una antropología de lo cercano.
La etnología de Francia comprende actualmente grupos, espacios, estados, intermediarios,
más allá de las oposiciones entre grandes categorías. La etnología ha penetrado el espacio
urbano, los campos de la política, del derecho y micro-formaciones sociales y culturales
muy diversas. Contrabalanceando la atracción por las representaciones, se ha otorgado
un interés renovado a las acciones simbólicas, especialmente a las acciones rituales. La
etnología aprehende los hechos en su historicidad y en el contexto de las transformaciones
contemporáneas, estrechamente conectadas con el desarrollo de los trabajos en historia
cultural. La interrogación sobre la organización social y los caracteres culturales globales
específicos de la sociedad francesa es aun marginal.
Palabras clave : Barbichon, Francia, etnología, tendencias, campos de estudio
Guy Barbichon
Centre d’ethnologie française - CNRS
Université Paris V – Descartes
45, rue des Saints-Pères
75006 Paris
France
[email protected]
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