Histoire Du Concept Informationnel D Influx Nerveux
Histoire Du Concept Informationnel D Influx Nerveux
Histoire Du Concept Informationnel D Influx Nerveux
™ 8315923
'Tx-B
Julien Masanes
Sous la direction de
Michel Imbert
Directeur de recherche (CNRS)
2000
J •/ / '
TABLEDESMATIERES
Presentation
Hartley
Bonnet ;
Buffon
Adrian
Bibliographie
Methodologie
Bibliographie
3
PRESENTATION
nerveux des stimuli, de representation corticale d'objet, pour designer la maniere dont
Pappareil nerveux (nerfs + cerveau), traite Vinformation externe (ou interne) que 1'appareil
detaillant les decouvertes positives sur 1'influx nerveux, sa nature, son mode transmission
etc. mais sans que ces recherches soient replacees dans le contexte general d'une
laisse supposer au pire que les fondateurs de cette discipline ne se proposaient pas de
materialisation de la pensee.
Je me propose de montrer dans ce travail que cette lecture implicite de 1'histoire de la
neurophysiologie est biaisee car elle laisse de cote 1'apparition de la problematique de la
representation nerveuse, bien avant le XXemt" siecle. La demarche adoptee est tres
semble-t-il, a 1'epoque, qui a isole la fonction de transmission que nous lui connaissons, de
tous ce que VAntiquite lui avait attribue en plus et notamment de la force de faire mouvoir
les muscles. Ce sont des resultats experimentaux qui ont pousse les savants de cette epoque
a ces remaniements comme j'essaie de le montrer dans le second chapitre (La nature de
1'information par le systeme nerveux, notamment pour pouvoir expliquer la vision. II dut
meme, pour 1'occasion, remanier le concept classique d'influx (premier chapitre, non
presente ici) en lui adjoignant des 'filets nerveux' dont la presence et la nouveaute ne
semblent avoir ete questionnees par personne. Leur place dans 1'economie du systeme
nerveux tel que le congoit Descartes n'est pourtant selon moi, pas due au hasard mais tient
au fait que ce svsteme est structure par la problematique de la representation nerveuse.
Cela le conduit d'ailleurs a formuler des hypotheses hardies sur le codage de 1'information
reseaux nerveux d'association. Le premier chapitre presente etudie trois de ces tentatives,
deux tres speculatives et inspirees par la theorie associationniste des idees, une (celle de
Buffon) partant d'un resultat experimental qivelle tente d'expliquer par la configuration
des nerfs. Cette derniere fait meme appel aux mathematique pour justifier 1 hypothese
avancee. Certes ces tentatives sembleront assez rudimentaires et naives aux modelisateurs
modernes. II me semble cependant qifelle peuvent nous aider a reflechir sur ce qu'est cette
nerveuse plus realistes sur le plan physiologique. Cette partie du travail n'est pas encore
redigee.
5
Cest sur la base de ces resultats et de ceux que rend possibles le developpement de
forme elementaire a une conduction 'tout-ou-rien'. C'est une serie de tres belles
experiences electrophysiologiques, notamment d'Adrian, qui conduisent a etablir ce
solides concernant le fonctionnement de 1'arc reflexe (qui culminent avec les travaux de
champs d'activation). Cest dans ce contexte tres riche que les premiers rapprochements
entre le fonctionnement du neurone et la logique binaire vont etre tentes avant le texte
presente comme fondateur de la neurobiologie computationnelle, celui de Mc Culloch et
Nous avons vu dans les deux chapitres precedents comment le concept de representation
On peut trouver des antecedents a ces tentatives. En fait dans la conception galenique
des esprits animaux, les fluides jouent le meme rdle que le systeme mecanique des nerfs
dans les theories mecanistes. L'antique systeme des fluides est dans un certain sens un
modele du fonctionnement du cerveau. Mais les elements constitutifs de ce modele sont
trop grossiers pour qu'il puisse rendre compte de la richesse du comportement des
corps. La nature ideelle des esprits ammcnix est, dans le systeme pneumatique, 1'abtme
L' essor du paradigme mecaniste permet de commencer a combler cet abime. Les
elements du modeles, les nerfs avec leurs proprietes mecaniques, permettent de penser
concretement les modulations et les variations de 1'influx ainsi que les connexions,
ouvrant ainsi la voie a une modelisation plus riche que celle que permet la simple
circulation d'un fluide. On pourrait dire que la richesse des combinaisons qu offre le
1'ideel. Avec le paradigme mecaniste, la sphere ideelle se trouve circonscrite a une ame
abstraite, dont nous verrons qu'elle n'intervient que peu dans le fonctionnement de la
pensee. En cela 1'idealisme suit un trajet comparable a celui de la religion que
Hartley
Nous avons deja evoque 1'hypothese de Newton sur la nature ondulatoire de 1'influx
nerveux1 et 1'utilisation qu"en a faite Hartley dans son ouvrage pam en 1749,
Observation on Man, his frame, his duty and his expectations (44)2. Ce livre qui fut
largement diffuse, traduit et commente au long du XVIIfme siecle a inspire au siecle
suivant 1'ecole anglaise de psychologie, James Mill, Bain et Spencer (62)3. II constitue
1'une des deux tentatives majeures de penser le fonctionnement du cerveau dans le cadre
mecaniste a la suite de Descartes, 1'autre etant celle de Bonnet que nous etudierons plus
loin. La theorie de reference du modele est ici explicite : il s'agit de 1'associationnisme
de Locke qu'Hartley a connu au travers de l'un de ses adeptes : le reverend Gay4.
On sait que la theorie de Locke se base sur une combinatoire (22) d'elements, les idees
simples, pour expliquer la formation des pensees. Ces idees simples sont les experiences
incommunicables.
Pour Hartley, cette fondation 'phenomenologique' de la theorie associationniste est
insuffisante. Son ouvrage est une tentative de lui donner une base physiologique.
Les 'idees simples' de Locke sont remplacees par des vibrations des nerfs. Voici
1 Chapitre 2.
2 Nous utiliserons la traduction par l'abbe Jurain, parue a Reims en 1775 sous le titre Explication
physique des iddes et des mouvemerits tant volontaires qulnvolontaires. F. Lange note que cette
traduction reprend principalement la partie psychologique de l'ouvrage en laissant de cote sa partie
theologique contrairemerit a sa traduction allemande qui fait 1'inverse. Cf. (48), p. 501.
3 p. 288 sq.
4 Cf. Hartley, op. cit., introduction.
5 Hartley op. cit.,t. I, p. 105.
8
Nous avons deja note qu'il s'agit de vibrations qui se produisent au niveau de 1'ether et
non a celui des « grosses particules sur lesquelles la Chymie exerce ses operations »7,
ceci pour repondre par avance aux experimentateurs (dont Haller et Fontana ) qui
Plus loin Hartley ecrit que «Les vibrations (...) sont confinees a la substance
medullaire » car il existe entre les tissus nerveux et les autres, trop « durs » une
« heterogeneite » telle qu'on peut concevoir entre eux une « discontinuite d'aether » qui
et la direction.
Cette precision dans 1'enumeration des caracteristiques des vibrations nerveuses evoque
le detail avec lequel Descartes decrivait plus d'un siecle avant les modulations de ses
« filets nerveux». Une telle precision ne doit cependant pas laisser penser que ces
systematique.
Ainsi les differentes couleurs excitent dans la retine des vibrations de frequences
differentes12. L'intensite de ses vibrations est, elle, fonction de Vintensite des vibrations
de 1'ether. II y a donc une continuite entre les ondes de la lumiere et les vibrations
nerveuses. Cette continuite est possible car les deux ont pour support 1 ether.
Des vibrations artificielles peuvent etre produites en frottant ou en tapant 1 oeil ce qui
probleme de la sensation. L'onde sonore provoque dans le nerf auditif une onde
nerveuse similaire. Cela explique que les grands bruits soient desagreables. En effet.
corps est etendue a toutes les modalites sensorielles (toucher odorat, gout). Cest
Vavantage du concept d'ether qui permet de concevoir tout contact comme une
Pour expliquer le gout des aliments par exemple, la force et la frequence des
'vibrations' des aliments sont convoques. Ainsi pour expliquer notre gout pour la viande
Pas besoin de capteurs sensoriels dans une telle theorie : chaque portion de nerf, gonfle
d'ether, capte naturellement les vibrations des objets a son contact qirelles soient
lumineuses, sonores ou 'structurelles', c'est-a-dire propre aux particules de chaque
corps.
On voit que le probleme du codage comme celui de la sensation proprement dite est
secondaire aux yeux de Hartley. II les evoque plus qu'il ne les pose.
II developpe beaucoup plus longuement et de maniere detaillee le probleme de
de Fobjet, elle se modifie en A. Si elle n'est pas soumise a cette vibration trop
longtemps, elle retrouve son etat vibratoire naturel N. Si par contre elle est soumise a la
repetition du stimulus, elle se stabilise apres la stimulation en un etat a, qui correspond a
l'etatv4 diminue15.
Ce nouvel etat vibratoire a de la fibre est appele par Hartley une 'mignature', il est le
Cela suppose que la matiere nerveuse possede des proprietes plastiques remarquables,
nerveuse et association.
regions du cetveau ont une contexture qui les disposent aux vibrations specifiques qui doivent leur
etre imprimees pendant le cours de la vie; & ceci facilitera & accelerera la transition de I etat N, a celui
a, puisque nous supposons, pour ainsi dire, une predisposition a l'etat A ou a .» Op. cit., 11, pp. 108-
109.
17 Op.cit.t. I, p. 110.
18 Op. cit., 11, p 115.
19 Op. cit.,t. I, p 124.
12
Un probleme se pose20 pourtant auquel Hartley tente de repondre par une analogie.
Comment toutes ses vibrations peuvent-elles coexister dans le cerveau sans se brouiller
Hartley donne comme exemple un concert de musique durant lequel on peut entendre
distinctement les differents instraments ainsi que la voix de son voisin. II conclut :
de Locke en partant des proprietes supposees de Vappareil nerveux. A partir de la, tout
le systeme de Locke peut etre redevelopper sur une base physiologique. Nous n'allons
20 On trouve cet argument notamment dans le Trafe des nerfs et de leurs maladies de Tissot:
«l'ame ne saurait a quelle partie du nerf rapporter la sensation, & que tous les nerfs touches par le
nerf vibrant, entrant en oscillation eux-memes, II en resulterait une multitude de sensations
simultanees, par la meme une tres grande confusion dans les unes & les autres; ne serait-il pas
meme impossible, dans ce systeme que la sensation & le mouvement fussent separes ? »
21 Op. cit., 1.1 p. 433-434.
(ENSSIB)
pas exposer en detail tout le modele. Nous nous contenterons d'en relever quelques
aspects.
Remarquons d'abord que cc qui est valable pour la sensation Pest pour le mouvement
du corps.
Ensuite, il faut noter que tous ces processus d'association ne sont pas uniformes mais
susceptibles de modulation. Le plaisir et la peine, qui viennent d'une difference dans le
«degre de vibration »23 cimentent mieux l'association car la violence des vibrations
i i 24
marque plus le cerveau .
La difference d'intensite est meme a 1'origine de la difference entre les idees et «les
Ici Hartlcy s'engage un peu plus loin que nombre de ses predecesseurs dans la voie
congu comme un organc actif, 1'ame immaterielle seule insufflait la volonte. Pour
22II s'agit des combiriaisons d'idees complexes, elles memes combinaisons dldees simples. Cf. p.
137, tl.
23 Op. cit., 1.1 p. 59.
24 Op. cit.,t. I p. 140.
25 Op. cit., 1.1 p. 143-144.
14
Hartley au contraire, les idees volontaires ne sont qu'une variante des vibrations
nerveuses, simplement plus vives.
Cela ne signifie pas que Hartley nie 1'existence de 1'ame. II s'en defend au contraire,
situant son siege dans le cerveau. II precise que 1'ame 'preside aux mouvements
volontaires' (t.I, p. 195). Mais le rdle qu'il lui assigne est en fait tres limite. Cette ame
ressemble bien plus a un president d'apparat, qu'a un reel executif. Tout le systeme
d'Hartley 1'ignore en fait, la posant simplement comme principe de depart pour
expliquer 1'experience subjective de la pensee.
II sufflt
Lorsqu'il revient encore sur cette question a la fin de son ouvrage, c'est comme
26 Op.cit.,p. 144.
27Op. cit., p. 197.
15
materialistes comme son compatriote Toland remettent deja en question a cette epoque,
n'en est qu'une des premieres marches. Le travail intellectuel ne se reduit pas a la
combinaison. De ce point de vue les modeles mecanistes du XVIIIeme siecle ne sont ni
plus ni moins limites que les theories psychologiques et epistemologiques de Vepoque.
Cela est encore plus marque chez Bonnet qui developpe plus le versant philosophique
Bonnet
Apres s'etre illustre dans 1'etude des insectes (17) et celles des plantes (16), le
naturaliste suisse Charles Bonnet publia anonymement en 1754 un Essai de
psychologie (14) bientdt suivi, en 1759, d'un Lssai analytique sur les facultes de l ame
(12), publie .en son nom cette fois. Dans ces ouvrages, il propose un modele mecamste
ouvrage jette les bases de ses conceptions psychologiques que le second ne fait
qu'exposer et developper plus amplement32. II a pour cela Pidee de decrire Panimation
graduelle d'une statue qu'il dote progressivement d'un appareil sensoriel et nerveux.
L'analyse33 des facultes intellectuelles que permet cette image fait evidemment penser
au Traite des sensations de Condillac34, dont Bonnet dit qu'il 1'a lu apres avoir
a s'en defendre. Nous verrons qu'il laisse une place dans son systeme pour une ame
31 «Cest sur ces principes si simples, si feconds, si lumineux, que j'essaierai deelever rimportante
Theorie de l'Association des idees.» (13).
32 Voir la courte biographie de Bonnet in R. Savioz (64).
33A la fin de I'Essai analytique, Bonnet ecrit: « Je serai satisfait si j'ai indique la route qui conduit au
vraissemblable. J'ai toujours ete fortement persuade que cette route etait Canalyse ». Par cette
phrase, il reaffirme que sa demarche analytique a ete independante de celle de Condillac. Op. Cit., p.
407.
34Condillac, TraM des sensations, 1754. Bonnet mettra cinq annees (1754-1759) pour ecrire son
Essai et c'est lors de ce travail qu'il decouvre le livre de Condillac.
35Ch. Bonnet, Essaianaiytique..., op. cit., p. 407.
36 Bonnet parle egalement d'une 'physique de 1'imagination' (Essai analytique... p.113) et d'une
'physique de la Reminiscence et de la Memoire' in Analyse abr6g§e de l'Essai Analytique, ou l'on
trouve quelques principes de psychologie de l auteur. (10) p. 14.
37 Le duc de Caraman, biographe de Bonnet et lui-meme croyant, regrette que cette accusation ait
pu laisser des traces. « Bonnet a cause de ses fibres et de son analyse de la sensation est reste
(dans l'opinion) un des philosophes dont les ecrits tendirent au materialisme». De Caraman, (32).
17
immaterielle, place dont nous analyserons les ambiguites. Mais avant cela, examinons
son systeme.
Bonnet part des connaissances de son epoque sur le cerveau et les nerfs pour batir son
modele. Mais ces connaissances sont assez floues, assez de questions restent en
suspend, pour qu'il ait la possibilite de choisir ce qui 1'arrange dans cet ensemble encore
tres peu structure. Ces choix, il ne les cache pas et cherche meme a les justifier en
correlant chaque fois qu'il le peut les caracteristiques concretes de la pensee avec sa
base materielle. Ce n'est pas nouveau, nous avons deja rencontre dans la controverse sur
la nature de 1'influx nerveux des arguments faisant par exemple appel a la rapidite de la
nerveux, chacun jouant un rdle specifique. Des fibres nerveuses, il releve la mollesse qui
exclue qu'elles puissent contribuer a une transmission rapide du mouvement induit par
la sensation. Cest 1'hypothese de la transmission par vibration qu'il rejette, suivant en
cela son maitre en physiologie, Haller.
38Ch. Bonnet (15) p. 391. Ce developpement est repris dans des termes tres similaires in Ch.
Cest pourquoi, bien que les 'meilleurs microscope' ne puisse en apporter une certitude
Bonnet pense que les nerfs sont 'creux, & destines a la transmissions d'un fluide
extremement subtil & actif, qui a regu le nom de fluide nerveux'39. Bonnet n'en reste
pas la. Contrairement a Descartes, il rejette Phypothese d'un transport du fluide qui
expliquerait la transmission. Plus d'un siecle s'est ecoule et Padjectif 'subtiP, s'il est
repris par Bonnet, ne saurait servir d'explication a la rapidite de la transmission.
Rejetant egalement Pidee d'une ondulation du fluide nerveux, Bonnet propose une
Bonnet ne congoit pas les fibres nerveuses comme purement passives pour autant. Si
elles convoient les esprils, elles ne le font pas de maniere indifferente. Marquees par les
impressions precedentes, elles en gardent une trace que ne saurait conserver un fluide.
Le cours actuel du fluide nerveux est donc marque par les impressions passees. Les
nerfs ne sont pas de simples conduites informes, ils sont structures par Pexperience.
39 Contemplation..., op. cit., p. 229. Cf. egalement: « Puis donc que la partie solide du Nerf ne
paralt pas propre a transmettre Pirmpression de 1'objet, & qu'il est pourtant bien prouve qu'elle ne se
transmet que par Pintervention du Nerf, II faut qu'il y ait dans le Nerf quelqu'autre chose qui opere
cette transmission. Cette chose ne peut etre qu'un Fluide tres subtil etc. » M6ditations... op. cit., p
391.
40M6ditations... op. cit., p 392.
41Ch. Bonnet, Analyse abr6g6e..., op. cit., t. 7, p. 19.
19
Cette propriete des fibres peut sembler en contradiction avec ce que Bonnet affirmait
sur la mollesse des nerfs et leur incapacite a transmettre la sensation. Bonnet ne fuit pas
mecanique.
Nous touchons a la limite de ce que le XVIlIeme siecle peut concevoir sur le vivant sans
faire intervenir une quelconque force vitale. La conception du vivant, de son incessant
mecanisme sans que rien puisse encore le remplacer. II n'est pas etonnant que le
cerveau, dont la plasticite remarquable ne peut etre ignoree46, apparaisse comme l'un
des point de fixite du tableau mecaniste du vivant.
*
45lbid.
46Si bien sur on ne projette pas dans une ame immaterielle 1'origine des capacite de memorisation,
ce qui n'est pas le cas de Bonnet qui rejette expliciternent 1'hypothese d'une memoire spirituelle, cf.
L'Analyse abr6g6e..., op. cit., p. 26.
47Bonnet emploie les deux expressions dans son Essai analytique. La premiere forme, fibre-
machine, dans un developpement sur la memoire :
« II faut donc considerer la fibre comme une tres petite machine destinee a produire un certain
mouvement. La capacite de cette machine a executer ce mouvement depend originairement de sa
construction; & cette construction la distingue de toutes les machines de meme genre. L'action de
l'objet reduit cette capacite en acte. Cest cette action qui monte la machine. Des qu'elle est montee,
ellejoue au moment que quelque impulsion survient. », p. 271.
La seconde occurrence du concept, cette fois sous la forme fibre-organe', se situe dans un
passage sur la sensation. « Chaque espece de fibre sensible est donc un petit organe, qui a ses
fonctions propres. Les elements sont les parties constituantes de cet organe. Leur arrangement
respectif determine sa construction. La somme de ses fonctions est la sensation qu'il excite. ». Ibid.
p. 326.
21
transmission de Vinformation se fait de maniere non neutre, selon un canevas que cette
transmission contribue, a son tour, a structurer.
J'emploie le terme de problematique pour indiquer que ce concept renvoi a la structure
s'appuyant sur Newton, considere les vibrations de Vether comme un aspect de la realite
n'explique rien, mais permet d'avancer. 11 est comme une boite noire qui contiendrait un
probleme non resolu (la structure materielle du vivant) mais que 1'on pourrait tout de
meme manipuler et utiliser. Les contours de cette bolte, Bonnet les defini ainsi:
Seule la premiere forme du concept, celle de Tibre-machine', est reprise dans Analyse abr6g6e de
l'Essai Arialytique, p. 16. Ce concept original est a distinguer de Tanalogie classique cerveau/machine
developpee dans les Mdditations surforigine des sensations pp.395 sq.
48£ssa/ analytique . , op. cit., p. 327-328.
22
Le sens de ce mot nait des connexions entre fibres qui font qu'il evoque d'autres
49« La succession de ces idees n'etant dans son origine que la succession des mots imprimes aux
fibres, des que la Machine est determinee a executer une de ces Mouvements, elle se trouve par
cela meme montee pour en executer la suite. »
50£ssa/ d'application..., op. cit., p. 81.
51 «Mais, si ce mot ne reveillait rien dans l'Esprit, il serait vide de sens, afin donc que j'ai l'idee que
1'institution lui a attache, il faut necessairement qull reveille chez moi 1'idee de bannissement.(...) Le
faisceau de fibres auquel est approprie le mot Ostracisme, ebranlera donc les faisceaux auxquels
sont appropries les mots bannissement de dix ans,», ibid. pp. 81-82.
52lbid. p. 83.
b3Essai d'application... op. cit., p.86. La conscience qu'a Bonnet de la complexite du cerveau
s'exprime notamment dans cette phrase de l'£ssa/ de psychologie : « Tout ce qu'il y a de grandeur &
de beaute dans le globe du soleil le cede, sans doute, je ne dis pas au Cerveau de 1'Homme, je dis
au cerveau d'une Mouche. » op. cit., p.32.
23
Et encore, Bonnet pense-t-il que cette supposition est tres en dessous de la realite : c'est
a un seul grain de matiere cervicale que devrait, selon lui, s'appliquer ce calcul et non a
2 livres.
La nature de ses connexions reste vague et tient aux proprietes elles-memes supposees
d'autant plus constant que la Memoire sera plus tenace.' La encore la prudence est de
mise :
54ll s'agit bien sur ici de la mesure de poids correspondant a 1/480 d'once soit 0.053 g.
55lbid. p. 87.
mEssai analytique..., op. cit., p. 272.
57Bonnet distingue les liaisons nerveuses a llnterieure du cerveau de celles du reste du corps
appeles ganglions ou plexus. Ces plexus, par la concentration du sentiments qu'ils operent, influent
sur les passions : « On sait que les plexus sont formes de l'entrelacement d'une multitude de nerfs. II
y a des plexus dans differentes regions du Corps. Et comme il y a plus de sentiment la ou il y a plus
de nerfs rassembles, le sentiment est tres vifdans ces plexus. » . Essaianalytique... op. cit., p. 181.
24
II detaillc encore la mecanique des 'fibres-machines' dans une note sur les fibres
vierges, celles n'ayant pas encore re?u Vimpression des objets via les sens. Partant de la
constatation que l'on n'a *d'idccs nouvelles qivautant que des objets nouveaux viennent
a affecter nos sens' il defend 1'idee que bien qu'en contact permanent avec les autres
fibres actives, les fibres vierges ne peuvent etre 'ebranlees que par 1'action immediate
des objets auxquels elles sont appropriees'. Un 'obstacle secret' empeche donc le
mouvement de se communiquer entre les fibres vierges et les autres. II propose alors
deux conjectures pour expliquer ce phenomene, que nous nous permettons de citer
malgre leur- longueur tant elles sont revelatrice de sa demarche et de son mode de
raisonnement.
La question de la plasticite cerebrale est abordee ici a partir d'un probleme tres concret,
avec une grande prudence mais aussi un luxe de details qui sont loin d etre ridicules au
5Blbid. p. 389. Cf. egalement Essai de psychologie, p.12 : « Ces rapports consistent principalement
dans une telle disposition des fibres ou des esprits, que la force motrice trouve plus de facilite a
s'exercer suivant un certain sens que suivant tout autre »,
59Essai analytique p. 266.
25
n'en est pas moins fondamentalement passive : elle ne produit pas de reponse a
1'environnement, elle transmet. Son role n'est que celui d'un intermediaire.
« (Les nerfs) sont, pour ainsi dire, 1'intermede qui unit l'Ame au
Corps, & par lequel elle agit sur differentes parties de sont Corps.»60
Nous touchons la aux limites de la theorie de Bonnet. La pensee releve en effet dans son
modele de l'ame et non de la matiere, meme si c'est dans la matiere que s'inscrivent ses
contours, sa forme, ses enchainements. Toute Vactivite intellectuelle, si elle necessite la
matiere, les fluides, les fibres, n'en depend pas moins in fine de 1'activite d'une entite
immaterielle. Bonnet reste sur ce point tres cartesien. 11 maintient une position dualiste
&JContemplation..., op. cit., p. 229. Cf. egalement dans YEssai analytique ce passage : « Les objets
n'ont d existence a notre egard que par 1'impression qu'ils font sur notre ame. Mais cette impression
les sens la lui transmettent. Les sens sont donc des milieux a travers lesquels Pame apergoit les
objets.»
mAnalyse abr6gde..., op. cit., p. 34. Cet argument de Punicite du Moi est developpe des I'Essai de
psychologie..., op. cit., p. 67 sq.
26
Cet argument de la simplicite du Moi, amene Bonnet, selon ses propres mots, a renoncer
Mais nous sommes en droit de nous demander si c'est bien de philosophie qu'il s'agit
et si ses options religieuses ne sont pas au moins aussi determinantes dans ce choix. En
Dans VEssai analytique ecrit quelques annees plus tard, il propose une piste tout en
en reconnaissant les limites. Considerant une force physique sous son aspect le plus
general, le plus abstrait, il constate qu'au-dela de ses effets particuliers, une force est
'essentiellement simple'65,
62M6ditations..., op. cit., p. 388. « Je suis donc dans 1'obligation philosophique de reconnattre que
mon Moi n'est pas Matiere. »
,,:'Essai de psychologie...p.73.
mlbid. p.74.
mEssai analytique..., op. cit., p. 109.
27
S'il en reste la dans YEsscti cinalyticpie, il developpe plus ce parallele dans les Medi-
tations sur 1'origine des sensations, devoilant par la-meme ce qu'il vise.
nous est mysterieuse. Quant a la connexion entre le simple et le complexe, si elle est
force simple, qui n'en anime pas moins la matiere dans sa diversite.
La philosophie de la matiere qui soutend ce raisonnement, que l'on pourrait plutot
appeler un tour de passe-passe, est d'inspiration cartesienne. La matiere, assimilee a
Cette conception nous ramene tres en de?a de ce que plusieurs philosophes defen-
dent a cette epoque dans la mouvance de 1'Encyclopedie. D'Holbach dans son Systeme
de la Nature et Diderot dans ses Principes sur la Matiere et le mouvement reprennent
en systematisant les positions des materialistes du debut du siecle, les 1'oland, les
comme nous 1'avons vu dans ses reflexions sur la 'fibre-machine'. Mais si le renouvel-
lement perpetuel du vivant, 1'activite structuree des fibres, leur plasticite inspire le na-
turaliste, 1'activite globale du cerveau reveille le profond sentiment religieux du croyant
qu'il reste malgre tout. Envisager cette activite globale d'un point de vue uniquement
naturaliste ? Mais qu'en est-il alors de la liberte humaine69, sans parler de la morale ?
II est frappant de voir la contradiction entre cette position de Bonnet et 1'ensemble
i71
de sa demarche, profondement naturaliste, cherchant 'dans les faits la raison des faits .
La voici condensee en un seul paragraphe developpant la profonde unite de la na-
67lbid. p.397.
68P. Naville, (58) pp.236 sq.
mEssaide Psychologie..., op. cit. p.58.
70"Qu'on approfondisse tant qu'on voudra les preuves psychologiques de I'immortaliti de l'Ame, je
me persuade qu'on en reviendra toujours a la preuve morale comme a la plus satisfaisante"
''Analyse abr&g6e, op. cit. p. 35.
29
Voici ce qu'il repond a 1'anatomiste Malacarne qui lui fait part de ses observations en
1779 :
Mais loin de renoncer, il cherche a contourner les observations en imaginant que les
nerfs se rejoignent apres avoir diverger, ' je vous avouerai que j'ai peine a renoncer a
toute espece de convergence', ecrit-il a son correspondant. Renoncer a 1'existence dun
siege de l'ame, a la maniere de Descartes, c'est affronter de nouveau le probleme de
1'unicite du moi pergu. Cest surtout rompre avec une tradition multiseculaire qui pro-
Mais au-dela des choix d'un auteur, il est interessant de constater que 1'etat des con-
naissances depasse deja ce stade. Quoiqu'en dise Bonnet, la matiere pense deja dans son
systeme. La 'mecanique' du cerveau est une representation du monde. II donne d'ailleurs
lui-meme une excellente definition de la representation nerveuse empreinte de sa
prudence habituelle :
Cette mecanique complexe batie a partir des 'fibres-machines' fait progresser un peu
plus dans la voie ouverte par Descartes. Les mouvements des fibres, qui ne sont plus des
'peintures'75' mais des sortes de 'signes naturels'76 des idees trouvent dans cette
mecanique un substrat plus solide et plus sophistique que les dans les filets et les fluides
de Descartes.
Le role de 1'ame s'en trouve amoindri, limite. L'ame dans le modele de Bonnet est
un livre".
77 P.371.
31
Cette supposition sur laquelle il fut amene a s'expliquer longuement, merite que l'on
s'y arrete. Elle signifie en effet que la difference entre un rustre et Montesquieu ne tient
Et il poursuit :
On peut se demander ce qu'il reste de 1'Ame dans une telle conception. A ceux qui
pensent que 1'oeuvre de Montesquieu est celle d'un pur esprit, Bonnet demande :
intellectuelles qu'il en vient a emettre une curieuse hypothese pour expliquer que nous
soyons conscients dans une 'autre vie' de nos actions dans celle d'ici-bas. Cest
1'hypothese d'une preexistence d'un petit cerveau dans le notre, qui enregistre les
impressions de cette vie pour en garder la trace apres la mort afin que 1'atne ne soit pas
79
une simple abstraction sans racmes.
et des insectes qu'etait Bonnet. Mais les connaissances sur la matiere nerveuse ne
permette pas encore de penser son activite. Plusieurs decouvertes importantes dont celle
un position dualiste. Cela signifie accepter une rupture dans la nature, un point aveugle
ce fait, le role qu'il assigne a 1'ame dans ce cadre en vient a refleter en creux les limites
79"Si la mort n'est pas le terme de la duree de notre Etre; si notre ame doit etre unie un jour a un
autre Corps pour n'en etre jamais separee; il y a quelques probabilite que ce Corps existe deja en
petit dans celui qu'elle habite actuellement,(..,) sur lequel (le cerveau) f?t des impression durables, &
qui fut destine a se developper dans une autre vie.", in Essai analytique, p. 352.
80Cf. Analyse abr6g6e , op. cit., p.34.
33
de nouveaute provient par exemple dans sa theorie de 1'etat de virginite des fibres et non
d'une comparaison active avec ce qui est deja memorise. Que cela suppose une fibre
specifique pour un certain type d'objet, que cela pose le probleme de la perception de ce
changement d'etat de la fibre ne retient pas Bonnet. II ne lui vient pas a 1'idee que cette
reconnaissance de la nouveaute d'une sensation puisse etre le fruit d'une activite
complexe et non d'un simple changement d'etat d'une fibre.
Buffon
Contrairement a Hartley et a Bonnet il part d'une observation precise pour tenter d'en
inedite de 1'origine du strabisme. II part des travaux de Jurin qui a constate que 1'acuite
visuelle s'accroit d'un treizieme seulement lorsque 1'on regarde avec les deux yeux et
non un seul, au lieu de doubler comme on aurait pu s'y attendre. Reproduisant cette
8 Lorsqu'iI imagine pour expliquer ce qu'est une representation nerveuse, 1'image d'un doigt 'doue
du toucher le plus exquis, place a l'extremite de on Nerf optique', et sentant et 'demelant' les moindres
ebranlements du nerf, il place un ame dans le doigt pour 'sentir tout cela et en juger. Certes on ne
saurais 'attribuer au doigt le sentiment & le jugement' mais est-ce une raison pour lui attribuer une
ame ? L'image du doigt represente une machine qui pourrait exploiter la representation du nerf
optique. Pour Bonnet, une machine materielle ne saurait le faire, meme en supposition. II lui faut
imaginer un entite immaterielle.
mesure avec des yeux ayant au depart une acuite differente, Buffon constate que 1'acuite
« Mais lorsque les deux yeux sont de force inegale, j'ai trouve
qu'il en etait tout autrement; un petit degre de d inegalite fera que
1'objet vue de 1'oeil le plus fort, sera aussi distinctement apergu que s'il
est vu des deux yeux; un peu plus d'inegalite rendra 1'objet, quand il
sera vu des deux yeux, moins distinct que s'il etait vu du seul oeil le
plus fort; et enfin une plus grande inegalite rendra 1'objet vu des deux
yeux si confus que, pour 1'apercevoir distinctement, on sera oblige de
tourner l'ceil faible et de le mettre dans une situation ou il ne puisse
pas nuire. »82
Cest donc pour eviter une perte d'acuite visuelle lorsque les yeux sont de 'force
inegale' que 1'oeil faible diverge, provoquant le strabisme. Dans ce texte, Buffon ne
binoculaire. II ecrit cependant qu'il aura 'peut-etre 1'occasion d'expliquer ceci plus au
long'. Cest effectivement ce qu'il fait quelques annees plus tard dans son ouvrage De
l'Hommes\'
II revient dans le chapitre 'du sens de la vue' sur le resultat etabli pour la vision
d'augmentation' se demande-t-il.
Dans ce modele, 1'anatomie du nerf, et particulierement 1'angle que font les deux
branches du nerf optique avant de se rejoindre explique le phenomene. Le mouvement
sa caution au modele.
85 On sait depuis les travaux de H. Munk a la fin du XlXeme siecle, que dans le chiasma optique
c'est en realite une separation des hemi-champs gauche et droit de chaque ceil qui se produit, les
hemi-champs gauche des deux yeux se projetant dans le lobe ocdpital droit alors que les hemi-
champs droits se projettent dans le lobe occipital gauche, cf. M. Glickstein (40).
86 op. cit.
36
L'image visuelle est reduite dans ce modele a une intensite de mouvement. La structurc
de 1'influx est 'ecrasee' sur cette seule dimension, 1'intensite. La 'composition' des deux
images n'est donc congue que comme une addition, fut-elle vectorielle.
Mais cela permet a Buffon d'obtenir le premier resultat numerique a partir d'un modele
et de le correler avec une observation experimentale sur 1'acuite visuelle. II faudra
attendre longtemps avant de pouvoir aller plus loin dans la modelisation mathematique
numerique dans le cadre mecaniste. L'influx y est reduit a une force et les interactions
dans le cerveau ne peuvent donc etre congues autrement que selon les regles de la
composition des forces. Cela implique bien evidemment de ne considerer Vinflux que
comme le vecteur d'une seule information a la fois, information qui doit pouvoir etre
sensibilite dans une autre modalite sensorielle, 1'ouie, mais sans tenter cette fois de
donner des valeurs numeriques, Pour expliquer le fait que certaines personnes chantent
faux, il cherche a etablir si une de leur oreille est meilleure que 1'autre.
On voit ici que se produit un glissement de 1'acuite sonore des deux oreilles a la
structure du stimulus. Les sujets mentendcnt pas seulement moins bien, ils entendent
faux. Mais, bien que Buffon parle du 'resultat total de la sensation', il ne tente pas de
87op. Cit. On trouve en refaisant le calcul (non explicite dans le texte) une valeur angulaire de 114,
4 °, (13/12=2cos (x/2)). Un tel angle n'est pas une aberration anatomique.
88 op. cit., p.595
37
chiffrer la distorsion qifil impute a la difference d'acuite des deux oreilles. Pourtant si
une intensite est facilement numerisable, la structure d'un son peut 1'etre egalement89.
Ici c'est de la frequence du son qu'il s'agit. Buffon glisse de 1'intensite a la frequence
sans que cela semble etre un probleme. II reste dans une analogie vague avec le resultat
precedemment etabli pour la vision et ne donne cette fois aucune donnee numerique.
Buffon ne cherche pas, on le voit, a modeliser pour modeliser. II semble qu'il a propose
ce modele du chiasma optique moins par systeme que parce qu'il avait a sa disposition
les donnees numeriques fournies par Jurin. Au-dela des modalites du calcul, ce qui
compte est bien la maniere dont Buffon pense 1' influx nerveux, que l'on peut
anatomiques.
anatomique du nerf optique jouent, il me semble, un role similaire dans ces trois
modeles. Ils permettent de penser le fonctionnement intellectuel dans sa materialite
meme si cela n'est possible que sous la figure de 1'association, de la composition. Ces
trois modeles sont 1'aboutissement d'une serie de transformations dans la maniere
d'envisager 1'influx nerveux, desormais congu comme un vecteur dMnformation et une
89Ceci n'est valable que pour un son simple qui peut etre reduit a une amplitude et une frequence
de vibration. Le codage d'une image pose infiniment plus de problemes.
38
ADRIAN
Dans une serie de publications de 1926 (4), (5), (6), (7), Adrian livre les resultats des
premieres experiences permettant de determiner comment se fait le codage de
1'information par le systeme nerveux. I/anticipation de Descartes trouve ici, trois siecle
apres, une demonstration scientifique. Les experiences dont il rend compte portent sur la
transmission du message sensoriel dans divers nerfs cutanes et font apparaitre une
1'intensite des stimuli. Pour la premiere fois, 1'activite nerveuse est directement correlee
avec une variation precise et mesurable de 1'environnement du sujet.
Cest d'abord la mise au point de techniques efficaces d'enregistrement et
d'amplification de 1'activite electrique du nerf qui a permis d'arriver a ces resultats.
Keith Lucas, sous la direction de qui Adrian debuta, avait utilise pour ces
Currcrit
Resu.ll.anl
"Atllori Cttrrewl
f\ (DtphaslcJ
Cela impose une premiere serie de contraintes sur le message nerveux : 1'activation du
nerf se fait en effet sous forme d'impulsions discretes immediatement suivies par des
periodes durant lesquelles 1'activation est impossible (periode refractaire absolue) ou
par seconde.
Mais il existe une contrainte encore plus forte pesant sur le message nerveux : 1'onde de
Cest 1'experience ingenieuse de Keith Lucas de 190992 qui est generalement consideree
comme la premiere demonstration concluante de ce phenomcne. II utilise dans cette
experience un muscle (Cutaneus Dorsi chez la grenouille) qui a la particularite de n'etre
innerve que par neuf ou dix fibres nerveuses (chaque fibre nerveuse est connectee a une
vingtaine de fibres musculaires). Le protocole consiste a enregistrer la contraction du
progressive le nerf.
(D).
I.'experience a montre que les vingt fibres musculaires se conduisaient comme une
seule unite : soit toutes se contractaient, soit aucune. La conduction des fibres nerveuses
n'est donc pas gradee, elle se fait selon le principe du 'tout-ou-rien'. Adrian conclut:
maximale de decharge sont des proprietes propres du nerf et ne varient donc pas avec le
93 «there is an 'all-or-nothing' relation between the stimulus and the activity which it produces.
The existence ofthe 'all-or-nothing' relation in the nerve fibre means that as far as each impulse is
concerned there is no possibility of gradation by changing the strength of the stimulus, but it does not
mean that the total activity of the fibre cannot be graded, for it is obviously possible to control the total
number of impulses which are set up and the frequency with which they recur (up to the limit imposed
by the refractory period).», op.cit. 1928, p. 29.
42
decharge.
94 « It was therefore obvious that the responses were not all produced by the same nerve fibre, and
we attempted to diminish the number of end-organs or nerve fibres in action by cutting narrow parallel
strips away from the muscle on the mesial side ». Op. cit. p. 153.
Figure III
iLl t
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8 t £ M . . i i *.»..>• i < > f f ?
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Freqwrac »j pw S<<t:9Tssj
Figure IV
II y a cependant un autre facteur influant sur la frequence de decharge que l'on doit
prendre en consideration si l'on veut delimiter precisement ce qui est codage du
stimulus et ce qui est propre a 1'appareillage nerveux lui-meme (ici organes terminaux +
temps de stimulation (limite dans les experiences precedentes a lOs), les auteurs ont
La vitesse de recupcration du nerf lui-meme etant tres superieure a celle des organes
terminaux, la baisse de frequence de la decharge ne saurait etre due qu'aux organes
terminaux.
Quelle est la raison de cette adaptation de ia decharge ? Adrian envisage deux causes
possibles : soit elle est due a une baisse d'excitabilite des organes terminaux, soit elle
resulte d'une augmentation de leur periode refractaire, les deux causes pouvant agirent
ensemble.
Adrian montre qifune variation de 1'excitabilite du nerf est au moins en partie
responsable de 1'adaptation de la reponse grace a un protocole experimental ingenieux.
En appliquant durant 17 secondes un poids de 1 gramme puis en 1 enlevant
la charge, suivi d'une chute lorsque cette derniere cesse. Rien d'etonnant pour 1'instant.
Ce qui est remarquable, c'est 1'arret complet de la decharge durant environ une seconde
apres le retrait du poids. Comment expliquer un tel arret ? La frequence chutant,
Vintervalle de temps separant deux decharges successives augmente brusquement,
depassant largement une eventuelle limite imposee par la periode refractaire. Cet arret
Par contre la baisse d'excitabilite des organes terminaux permet de comprendre que
46
lorsque le stimulus diminue brusquement, un temps soit necessaire avant que le seuil
d'excitabilite ne soit a nouveau atteint et qu'ainsi la decharge ne reprenne. I/adaptation
variable selon la fonction du nerf etudie. En effet pour les recepteurs sensibles au
toucher, 1'adaptation est tres rapide ce qui permet une meilleure reaction aux
changements de 1'environnement. Au contraire, pour les recepteurs musculaires
« posturaux », 1'environnement restant relativement constant, la vitesse d'adaptation est
plus lente96. Adrian resume ces observations dans le tableau suivant.
P rBssure
Tavch
HRi,rs
Hervi- fihre
Sllwtttlu:» p "*
iBceonda
pcu.ona -g j ;
d'obtenir deux messages nerveux impossibles a distinguer : l'un dans une fibre
sensorielle codant le toucher et stimulee periodiquement, Vautre dans une fibre reliee a
un recepteur de la pression stimule de maniere continue. La structure du message peut
On pourrait voir la une anticipation de la notion de codage distribue. Un peu plus loin,
En realite il s'agit en fait ici d'un codage de 1'intensite par agregation de recepteurs.
I/information (1'intensite) n'est pas distribuee dans chaque fibre nerveuse, elle est
seulement contenue dans le nombre de fibres recrutees lors de la stimulation. Certes, au
niveau central, il est necessaire que soit prise en compte une population de cellules pour
connaitre 1'intensite de la stimulation mais chaque fibre ne participe a ce codage de
98 « Unless the receptors are very far apart an intense stimulus will excite more of them than a
weak stimulus, and the complete message which reaches the central nervous system may therefore
vary with the intensity of the stimulus, even though the message from a single receptor shows no
gradation at all. », Adrian 1928, op. cit., p.97
99 « We ought, therefore, to think in terms of areas containing many receptors and not in terms of
the single receptor when we are trying to estimate what sort of information reaches the central
nervous system. », id., p.98.
48
1'intensite que par sa seule activation et non par une modulation particuliere de son
Adrian evoque dans son ouvrage « The mechanism of nervous action » de 1932 un
probleme qui rejoint celui du codage de 1'intensite d'un stimulus tactile. II s'agit du
codage par le nerf auditif de Vintensite et surtout de la hauteur des sons. Wever et Brayf
74), (75) avaient enregistre deux annees avant un nerf auditif et ils avaient eu la surprise
electrique du nerf. Cela signifiait que 1'onde parcourant le nerf avait la forme et
1'intensite du son entendu, variant dans le temps avec celui-ci. Comment expliquer la
production d'une onde aussi complexe et pouvant avoir une si haute frequence a partir
d'impulsions a frequence limitee et de forme et d'intensite constante ? Adrian met
d'abord en doute les resultats de Wever et Bray (5), mais il retrouve lui-meme ces
de fibres pour coder le stimulus sonore parait etre la seule explication possible :
II s'agit bien ici d'un codage distribue, la forme de Vonde resultante ne s'expliquant que
par Pactivation modulee de nombreuses fibres. L'activite globale qui en resulte permet
de depasser les limites de chaque fibre prise separernent et de former une representation
codage et ce qui est code ce qui facilite la mise en relation des deux.
100 «Thus the high frequencies found in the composite potential waves are most probably due to
many fibres, each responding at a submultiple of the stimulus frequency and arranged so that each
wave ofthe stimulus finds some fibres ready to respond to it », Adrian 1932; op. cit., p.39.
49
Pourtant, 1'hypothese d'un codage distribue n'est pas ce qui retient 1'attention a
1'epoque. En fait cette hypothese permet surtout a Adrian de 'sauver' ce qui fait 1'apport
BIBLIOGRAPHIE
Methodologie
Cette recherche porte sur plus de trois siecles d'histoire de la neurobiologie. I/ampleur
de cette periode necessite de 'couvrir' une nombre de textes et d'auteurs important.
Etant donne la problematique particuliere adoptee, il est indispensable de se referer aux
textes originaux, ou, a defaut, a des traductions, aussi souvent que cela est possible. Ils
questionnement.
Pour les XVIIeme et XVIIfme siecle, les monographies dominent nettement. La
publication d'ouvrages d'histoire naturelle, de physiologie, de medecine prend son essor
particulierement au XVIIIeme siecle, ou certains ouvrages connaissent une diffusion
assez large et font Pobjet de reedition, comme les ouvrages de Buffon ou ceux de
Bonnet. Le latin decline au profit des langues nationales principalement Panglais et le
autre source importante pour cette periode est celle des lettres dont les auteurs se servent
pour communiquer leur decouvertes ou leurs theories a leurs pairs. Les academies qui
apparaissent dans le dernier tiers du xVIIemL siecle en Angleterre et en France
deviennent des centres de discussion des resultats et des hypotheses et leur compte
auteurs eux-memes. Rares sont ceux qui citent reellement et integralement les emprunts
qu'ils font a d'autres auteurs. Quand ils le font, les renseignements qu'ils donnent sont
rarement complets. Dans les correspondances parfois, on trouve le commentaire d une
lecture et Pon peut reperer une influence mais le cas est peu frequent. II existe par
contre une abondante litterature secondaire, rarement d'epoque, parfois du X\Xcmc siecle
(54), (59), (70) et surtout du XXeme siecle (20), (21), (33), (66). L'apparition de revues
(71).
51
pour se faire une idees des theories dominantes, faisant 1'objet d'un consensus chez les
specialistes. Les langues utilisees sont les langues nationales, avec pour le domaine qui
nous interesse, une importante proportion de publications en allemand, refletant
1'influence de 1'ecole de phvsiologie experimentale allemande. Quelques cours publies
revetent une importance particuliere liee a celle de leur auteur, notamment pour les
scientifiques qui continuent leur essor marque par une specialisation grandissante.
Certes des scientifiques ecrivent encore parfois des monographies mais elles servent la
plupart du temps a recapituler une serie de travaux (1), (3), (35), (67), (68). Ce n est
donc en general pas la que l'on trouve la science en train de se faire, meme si ces
monographies ont 1'interet de proposer une presentation coherente et unifiee de ces
travaux. D'autre part la langue anglaise devient la langue de publication principale de
ces revues, le fran^ais et 1'allemand entamant a cette epoque un declin qui aboutira a
riches et les plus precis car ils sont le fait des chercheurs eux-memes. Outre les manuels,
dont les plus solides (24), (39), constituent une bonne base de depart pour les
recherches, 1'habitude se prend de fournir avec les articles une bibliographie qui
comprend les articles (ou ouvrages) principaux a partir desquels le probleme etudie a ete
aborde (2), (4), (41), (42), (55), (56). I.e recoupement de ces bibliographies d'articles,
comportant parfois plus de cent references, permet de situer rapidement les etapes d une
recherehe, les filiations et les oppositions. Ce travail est encore facilite par cette autre
52
habitude qui se prend de faire efiectuer par un chercheur qualifie la 'revue' d'une
question particuliere (36), (47). Cela consiste en un tour d'horizon d'un probleme, des
differentes theories avec pour chaque, une discussion des resultats apportes par leur
promoteur. C'est en quelque sorte un travail d'histoire des sciences immediate, sur un
sujet precis et pour une periode de temps restreinte (souvent une dizaine d'annee). Cela
Vhistoire de leur discipline, centree sur ce qui est valide d'une part et ce qui est en
discussion a ce moment d'autre part. Le grand exclu de ces bibliographies et de ces
'revues', c'est bien entendu tout ce qui est invalide par le developpement de la
discipline a un moment donne, hypothese 'fausse', resultats partiels ou theorie
abandonnee. Ils ne peuvent pourtant etre ecartes du travail de 1'historien des sciences.
D'ou la necessite de se plonger dans les differentes strates que constituent ces
bibliographies en ne s"en tenant pas aux plus recentes pour remonter le temps jusqu'au
point ou ce qui va etre exclu est encore en discussion.
La forte expansion du volume de publications se double, on le voit, d'un effort
d organisation de 1'information scientifique centre autour des revues scientifiques. Les
articles d'histoire des sciences proprement dit sont par contre moins nombreux que pour
les periodes. precedentes, comme si les historiens des sciences avait accepte de laisser
quelques etudes, qui pour prendre une problematique differente n'en constituent pas
moins souvent une source precieuse d'information bibliographique (18), (25), (29),
(34), (37).
Cette situation de 1'histoire des sciences recentes pourrait faire 1'objet d'une discussion
sur les rapports entre science, histoire des sciences et philosophie des sciences qui n'a
pas sa place ici. Disons simplement que ce travail a au moins un pied dans cette histoire
recente puisqu il examine les hypotheses qui fondent la neurobiologie computationnelle
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