L'Etoile Des Fidji (PDFDrive)
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Anne Mather
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
CHARLOTTES HURRICANE
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Elle ne sut pas combien de temps elle était restée là, blot-
tie près de la porte. Soudain, le tumulte d'une pluie battante
couvrit les autres bruits autour d'elle. Du toit à claire-voie se
mirent à tomber sur elle des fragments d'argile et de bois, mê-
lés à d'énormes gouttes d'eau qui ruisselaient sur ses joues et le
long de son cou. Elle dut chercher un endroit plus sec et fris-
sonna au contact des toiles d'araignées qui frôlaient son visage.
Combien de temps allait se prolonger l'ouragan ? Combien de
temps la bâtisse chancelante pourrait-elle résister à ce déchaî-
nement ? L'obscurité la rendait claustrophobe. Elle avait dû
éteindre la torche, pour conserver un peu d'énergie en cas
d'urgence. Elle s'attendait à entendre d'un instant à l'autre les
eaux tumultueuses de l'océan venir lécher les fondations de
son fragile abri et tout emporter sur son passage.
Pour la première fois, elle se demanda si Yvonne et son
père s'étaient éveillés et ainsi aperçus de la disparition de la
voiture. Dans ce cas, leur premier soin serait d'aller dans la
chambre de Charlotte. Et alors... Alors, quoi ? Ils n'allaient pas
s'aventurer à sa recherche dans cette tourmente. Tôt ou tard, la
tempête s'apaiserait, elle pourrait regagner la voiture et retour-
ner à la maison des Dupré. Peu importait l'épreuve qui l'atten-
dait. Elle avait au moins la satisfaction de savoir qu'elle avait
fait tout son possible.
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Le vent se faisait de plus en plus violent. Un horrible hur-
lement s'éleva tout près de la maison, et le sang de la jeune
fille se glaça dans ses veines. Le cri avait eu quelque chose
d'irréel. Certainement, aucun être humain n'aurait pu émettre
un tel son. Charlotte se leva et se pressa tout contre la porte,
comme pour empêcher une effrayante présence de pénétrer
dans la bâtisse.
Elle tremblait de peur, incapable de toute pensée cohé-
rente ou de distinguer un bruit d'un autre. Seul, le vent sem-
blait lui siffler aux oreilles, et elle les boucha de ses deux
mains.
Pourtant, elle discerna brusquement autre chose : la porte
avait vibré, et il y avait eu un bruit sourd, comme si quelqu'un
ou quelque chose avait tenté d'atteindre le seuil mais était
tombé entre les planches brisées de la véranda. La respiration
de Charlotte faillit s'arrêter. Personne ne pouvait être dehors
par ce temps.
Elle écouta, sans rien entendre d'autre qu'une sorte de
souffle haletant qui pouvait être un effet du vent. Mais le lo-
quet s'agita, et la voix de Patrick cria :
— Charlotte, êtes-vous là ?
Elle crut s'effondrer de soulagement.
Elle balbutia, en claquant des dents :
— O-ou-oui !
Ses mains maladroites s'affairaient déjà à dégager la
planche.
— Oh, oui !
Le battant s'ouvrit enfin. Patrick bondit par-dessus l'es-
pace vide entre les planches et se retrouva près de la jeune fille
qu'il faillit déséquilibrer. Elle s'accrocha à lui, tout en bredouil-
lant des explications, comme une enfant prise en faute. Il la
prit par les épaules et la secoua violemment, avant de l'écarter
de lui pour assujettir de nouveau la porte. Encore incapable de
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croire à sa présence, après le cauchemar qu'elle venait de
vivre, Charlotte s'entourait étroitement de ses bras.
Patrick semblait absolument furieux, et non sans raison,
remarqua-t-elle tristement. Il ne montrerait aucune compré-
hension pour les raisons qui l’avaient amenée à Coralido. Elle
se remit à claquer des dents.
— Alors ? fit-il enfin. Vous êtes contente, je pense ?
Elle pressa ses mains l'une contre l'autre.
— Que… que voulez-vous dire ?
— Vous avez certainement choisi la meilleure méthode
pour faire perdre la tête à tout le monde ! Quelle était votre
intention ?
— Je... je voulais voir Andrew Meredith, bredouilla-t-
elle en frissonnant.
— Et vous l'avez vu ?
— Oui.
— Alors, que faites-vous seule dans cette bicoque ?
Elle ne pouvait maîtriser son tremblement.
— Je… je… je repartais. J’ai perdu mon chemin.
— Vous avez perdu votre chemin ? Et l'esprit aussi, sans
doute ! Vous n'êtes pas dans la banlieue de Londres, Miss
Carliste, mais dans le Pacifique Sud. Et ce n'est pas un orage,
mais un cyclone ! Par bonheur, Manatoa en a seulement con-
nu le contrecoup.
Charlotte le considéra d'un air incrédule.
— Vous voulez dire...
— Que vous auriez pu être tuée, oui ! hurla-t-il. Même
ici, dans ce refuge de fortune, vous courez le risque d'être
écrasée, si un arbre s'abat sur le toit. Quelle protection auriez-
vous ? Bon sang, Charlotte, vous ne saurez jamais par quels
tourments vous m'avez fait passer !
Elle avala convulsivement sa salive pour retenir ses
larmes.
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— Ne… ne criez pas, Patrick, murmura-t-elle d'une voix
tremblante. D'accord, j'ai été stupide, une fois de plus. Mais...
mais je devais voir Andrew Meredith, je devais savoir...
— Et qu'avez-vous appris ? lança-t-il en serrant les
poings.
— Oh… Il m'a parlé de l'affaire… de la raison pour la-
quelle elle avait échoué. Personne n'a… n'a pris la peine de…
de me donner des explications.
Elle était soudain haletante.
— Nous en avez-vous donné l'occasion ? gronda-t-il.
Bon, bon, nous en reparlerons. Où est le cousin Andrew ?
Terré dans son écurie ? Il n’était pas seul, sans doute. Voilà
pourquoi il ne vous a pas invitée à rester avec lui ?
— Comment… comment le savez-vous ?
— Peu importe, Je devrais lui en être reconnaissant, je
suppose. Il ne vous est pas venu à l'idée qu'il était peu conve-
nable et même dangereux de rendre visite en pleine nuit à un
inconnu ?
— Je ne comprends pas. Je venais le voir pour affaires.
— Oh, vraiment ? Et si les méthodes d’Andrew n'avaient
rien eu de commun avec celles d'un homme d'affaires, qu'au-
riez-vous fait ? Si l'ouragan n'avait pas éclaté, on n'aurait pas
remarqué votre disparition avant demain matin. Charlotte, il
aurait pu vous arriver n'importe quoi !
Elle se détourna en frissonnant.
— Il ne m'est rien arrivé. Il n'y a pas de mal.
Il s'approche d'elle, et son souffle lui effleura la nuque.
— Croyez-vous ? Pas de mal, dites-vous ?
Il l’obligea à se tourner vers lui:
— Etes-vous assez égoïste pour ne vous soucier de per-
sonne d'autre que vous ?
Elle joignit les mains sous son menton.
— Non, bien sur. Je… je vous demande pardon, si je
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vous ai causé de l'inquiétude.
Il la saisit aux épaules, et ses yeux parurent la dévorer,
comme la mer, un peu plus tôt, avait dévoré la plage. Il mur-
mura farouchement :
— Parler d'inquiétude est une expression bien faible ! J'ai
eu tour à tour envie de vous punir et de vous embrasser !
Comprenez-vous, Charlotte ? Je me moque de l'ouragan, je
me moque de ce que peuvent penser les Dupré. Nous sommes
seuls ici, peut-être en danger, et je ne peux penser qu'à vous !
Ses mains se nouèrent sur la nuque de Charlotte, et, des
deux pouces, il lui releva le menton pour la forcer à le regar-
der. Elle tremblait.
— Combien... combien de temps va durer la tempête ?
chuchota-t-elle.
Il jura à mi-voix.
— Dieu seul le sait ! Pourquoi ?
— Et personne ne nous sait ici… seuls ?
— Non.
— Alors, pourquoi vous ferais-je confiance, plus qu'à
votre cousin ?
— Je ne vous l'ai pas demandé, répondit-il.
Il pencha la tête et trouva ses lèvres.
Son baiser fut cruel, passionné. C'était l'aboutissement de
la peur et de l'inquiétude qui l'avaient assailli quand il s'était
aperçu de la disparition de la jeune fille. Il ne s'agissait de rien
d'autre, et elle le savait, mais elle ne put s'empêcher d'y ré-
pondre avec toute la douloureuse ferveur d'une émotion trop
longtemps contenue. C'était cela qu'elle avait voulu fuir. Elle
l'avait su, le jour où il l'avait embrassée dans la jungle, sans
toutefois vouloir l'admettre.. Elle l'aimait.
Un sanglot s'étrangla dans sa gorge, et elle s'arracha à ses
bras.
— Ne me touchez pas ! fit-elle entre ses dents.
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Il émit un juron violent. Sans un mot, il se retourna, libé-
ra la planche de ses supports et ouvrit la porte à la volée. Au
même instant, le vent et la pluie s'engouffrèrent à l'intérieur et
projetèrent Charlotte contre le mur d'en face. En même temps
montait le hurlement aigu qui l'avait effrayée avant l'arrivée de
Patrick. Celui-ci bondit par-dessus la véranda, et, à la lueur de
sa torche, elle aperçut un cochon sauvage qui fouillait dans les
buissons. Charlotte chercha désespérément sa propre torche
Patrick parti, l'obscurité la terrifiait.
Elle la trouva enfin, mais elle ne fonctionnait plus. Le
vent avait dû la briser.
Des larmes brûlèrent les yeux de la jeune fille. Elle se
laissa tomber sur le sol. Peu lui importait le vent qui se déme-
nait maintenant dans la maison comme une bête sauvage.
Plongée dans sa détresse, elle ne remarqua pas tout d'abord ce
qui se passait. Mais elle entendit soudain des grincements et
des grondements inquiétants et leva les yeux sans comprendre.
Le ciel était un peu plus clair que le toit de la maison et, à
travers les crevasses, il paraissait se mouvoir étrangement. Elle
comprit tout à coup. La bâtisse se désagrégeait lentement.
D'une minute à l'autre, le toit allait lui tomber sur la tête.
Le souffle coupé, elle chercha la porte à tâtons et traversa
péniblement la véranda en s'écorchant profondément les
jambes dans sa hâte. Il y eut un horrible craquement, puis un
autre. Au moment précis où elle s'éloignait en rampant, la
maison s'effondra sur elle-même, dans un terrible fracas. Char-
lotte se redressa à genoux. Patrick était parti. Andrew et sa
petite amie aussi. Comment allait-elle faire pour retrouver la
voiture ? Elle fondit en larmes.
Alors, elle entendit Patrick crier son nom. Il était affolé,
elle le savait au ton de sa voix. Elle le vit arriver devant les
décombres de la maison et entreprendre d'écarter les poutres et
les débris de ses mains nues.
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— Oh, Charlotte, Charlotte... répétait-il.
Elle se releva, sur ses jambes chancelantes, et s'approcha
de lui d'une démarche trébuchante.
— Je... je suis là, Patrick, murmura-t-elle d'une voix
étouffée.
Il se retourna sans pouvoir y croire.
— Oh, Charlotte, gémit-il douloureusement.
Il la prit dans ses bras et enfouit son visage dans la cheve-
lure en désordre.
— Je vous croyais ensevelie, marmonna-t-il. Je vous ai
crue morte ! Oh, Charlotte, Charlotte chérie, pardonnez-moi
de vous avoir laissée seule. Mais je vous aime tant ! Je ne
supportais plus de vous voir devant moi, à me torturer, quand
j'avais seulement envie de…
Elle appuya ses mains contre la poitrine de son compa-
gnon et chercha à distinguer son visage dans la pénombre. Le
ciel s'éclaircissait par degrés. La pluie s'apaisait, le vent aussi.
— Vous m'aimez ! souffla-t-elle. Vous m'aimez !
Il lui prit le visage entre ses mains.
— Désespérément, Charlotte, Me croyez-vous ?
Et, miraculeusement, elle le croyait !
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