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Dunod Lemit 2012 01 0037

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CHAPITRE 4.

TRAUMA ET RÉSILIENCE : QUELS ESPACES DE


THÉORISATION ?

Loïck Villerbu, Pascal Pignol, Anne Winter


in Roland Coutanceau et al., Trauma et résilience

Dunod | « Psychothérapies »

2012 | pages 37 à 47
ISBN 9782100576548
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/trauma-et-resilience---page-37.htm
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Chapitre 4

Trauma et résilience : quels


espaces de théorisation ?

Loïck Villerbu, Pascal Pignol, Anne Winter


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LA NOTION DE RÉSILIENCE
N

Des complexités notionnelles

La résilience demeure sous une allure paisible un redoutable complexe


de sens. Définie comme la capacité à rebondir après une série d’événements
ou d’un événement à haute intensité dramatique et susceptible de provoquer
une rupture des cadres de vie psychique, elle en vient à dire deux choses
apparemment contradictoires, sinon paradoxales ; elle n’est pas sans rappeler
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la fable du chêne et du roseau si l’on y excepte le champ de son emprunt : la


physique et la mécanique, la résistance des métaux.
La notion renvoie à une capacité de rebond mais ne dit pas si cette
capacité est une indifférence partielle aux événements subis (scotomisation et
déni, autotomie ou aveuglement) ou si c’est une opération autrement active
de réélaboration psychique. Participe-t-elle d’un travail de reconstruction
mené dans la recomposition des normes de la psyché, résultat du fait d’une
résistance à la confrontation directe, ou se situe-t-elle dans l’aveuglement à la
catastrophe ?
Peut-on avancer, jusqu’à un certain point, que le résultat compterait plus que
le processus de son élaboration ? Les normes par lesquelles elle est identifiable
deviendraient-elles les ressorts de son action et des interventions possibles ?
La notion dit une capacité de rebond mais indique que cette capacité doit
emprunter les normes conventionnelles d’une vie réussie. La difficulté tient ici
38 T HÉORIE ET REPÉRAGE DE LA LOI

à ce qu’il est difficile de définir les critères d’une vie réussie ; en particulier se
trouve mise de côté la révélation après coup d’une norme comportementale aux
marges de la maladie mentale active ou de la délinquance affirmée. Affirmer la
résilience, c’est écarter, eu égard aux normes d’une vie socialement réussie, les
compensations qui empruntent les attaques aux biens, aux personnes ; quand
bien mêmes ces attaques sont une régulation d’une instance maintenant en vie.
Il est clair de fait que dire d’un tel, il est résilient, signifie qu’il a adopté pour
lui-même et les autres un mode de vie qui s’inscrit dans les marges autorisées.
L’on sait seulement une chose et elle est d’importance : la résilience ne veut
pas dire absence de souffrance et elle indique du même coup, a contrario une
éventuelle perte ou déficit défensif d’empathie qui ne s’exerce pas à l’encontre
d’autrui. Ce que Freud, (Freud, 1927) soulignait bien, et avec d’autres mots,
dans son article « Notre rapport à la mort » et l’atteinte éventuelle au sentiment
d’immortalité.
N

Une mutation en cours

Des concepts mis à disposition dans ces trente dernières années, celui-
ci participe à la composition d’un champ disciplinaire, celui de la santé
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mentale versus l’espace habituel (classique) de raisonnement de la pathologie
psychique ou psychiatrique du champ médico-pathologique. C’était du reste
le vœu qu’avait émis D. Anzieu (Anzieu, 1961) à l’adresse du psychologue
projectiviste quand il lui demandait pourquoi, et au titre de quel parti pris, il
préférait se centrer plus sur les échecs que sur les aménagements psychiques
dits d’aménagement ou de réaménagements (Lagache, 1949). Cet espace en
cours est un pari et un parti pris : celui de tracer une voie parallèle à l’étude
des failles psychiques, pour subordonner celles-ci à l’étude des recompositions
mentales. En prenant sens dans ce cadre, la notion de résilience en vient à
affirmer le saut qui va d’une psychologie statique (ou dynamique) des déficits
et défaillances à celui d’une psychologie positive1 assurant sa maîtrise sur le

1. La psychologie positive est ici une psychologie qui ne traite pas d’un point de vue
épistémologique des sciences positivistes ou d’un système causaliste de type stimulus-réponse.
La psychologie positive se donne comme objectif de travailler au renforcement du moi par le
traitement de vecteurs comportementaux qui en assurent une réalité objective, concrète ; par
exemple le travail sur les compétences, l’affirmation de soi. Ici positif passe par un jugement de
valeur normatif : il est dit d’une chose qu’elle est positive par opposition à ce qui serait négatif.
L’optimiste est positif, le pessimiste est négatif, ce n’est plus une question d’objectivité mais
de point de vue et de force d’intensité de ces points de vue. D’un autre côté on soupçonnera
toujours un esprit positiviste (et non positif !) de croire en ce qu’il voit en oubliant que ce qu’il
aperçoit est une double construction de ses sens et de ses systèmes de pensée. Le droit est dit
positif au sens où il se fonde sur des normes établies. Un système est dit positiviste et stigmatisé
dans une critique idéaliste, néo-positiviste quand il est vérifiable par expérience ; ce qui élimine
tout ce qui est prescriptif et non descriptif mais également vient en concurrence avec l’opposé
Trauma et résilience : quels espaces de théorisation ? 39

sujet et sur l’environnement. De façon furtive un concept glisse sur un autre :


la référence « mental » prend la place la référence « psychique ».
Le champ est autre : c’est celui de la santé mentale et non plus de la
pathologie psychique, dit encore psychopathologie. Ce champ de la santé
mentale est nécessairement politique et communautaire, s’appuie sur des
consensus empruntés aux disciplines, aux productions scientifiques, aux
impératifs économiques, aux sensibilités sociétales et aux chercheurs (Villerbu,
1993). On en mesure encore peu les effets dans une France trop chargée d’une
tradition en psychopathologie. Et pourtant elle est au centre de la polémique
philosophique (dite éthique, de conviction ou de responsabilité) ou idéologique
actuelle qui divise en deux camps : les « humanistes »... et les autres. Ce faisant,
la négligence des premiers tient à leur absence de considération positive des
espaces communautaires au profit d’une idéalisation du sujet de l’inconscient
réduit à la dimension de la cure : là où ça ne compte pas !
D’autres opérativités prennent place dans cet espace de la santé mentale,
module de la santé publique qui elle-même ne se comprend que dans une
combinaison des politiques liées aux différents objets ministériels : justice,
solidarité, travail... éducation.
Les techniques qui lui donnent corps sont manifestement différentes de
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celles qui ont donné existence à la psyché. On peut les inventorier : l’épidémio-
logie, les échelles de comportements, les inventaires diagnostics, les CUMP,
les débriefings, les defusings, les coachings, les médiations, ou encore l’usage
contemporain des cyber-thérapies (immersion dans le virtuel) qui chez nombre
de chercheurs ou de praticiens, en France, sont toujours chargés d’une auréole
maléfique...
Des termes se sont créés pour dire cette autre réalité qui ne se laisse
pas figurer par les appareils conceptuels classiques et qu’une psychiatrie
ou psychologie morale, psycho- ou socio-juridique, ne cernait que dans
un rapport à la vérité (ou à la dissimulation, à l’allégation...) : la victimité
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(l’enkystement dans les réactivités nées des événements cataclysmiques),


les systèmes d’accommodations (le silence des victimes), les syndromes
(l’inclassable réactionnalité), les états limites (la subversion des catégories), les
troubles de la personnalité (qui ne se suffisent ni des troubles du caractère ni
des troubles du comportement puisqu’ils les supposent en les déplaçant de telle
manière que le jugement moral évacué ou refoulé, ré-émerge spontanément).
Des systèmes d’anticipation empirique de la diffusion des « maux » se sont
à la fois formalisés (les systèmes actuariels) et enseignés en inventant d’autres

de l’acte vérificationnisme au sens où Popper dira d’une chose qu’elle est scientifique sur la base
de sa réfutabilité. Bien que ces confrontations soient généralement absentes de la discussion
sur l’usage du terme « résilience » ses propres implicites l’obligent à les mettre en acte. Ce
sera toute la difficulté avec le terme et son emploi : est-il ou non conduit à se construire sur un
principe de convergences a priori ?
40 T HÉORIE ET REPÉRAGE DE LA LOI

corps professionnels très souvent inclassables, et par-delà d’autres spécificités


comme l’insistance sur la prévention... précoce.
Des notions phares sont devenues des modes de résistance aux analyses
antérieures et des modes d’interventions renouvelées : la désistance, la post-
vention, la mise en réseau, le soin par les pairs, l’éducation à la santé... les
tuteurs de résilience, etc.
Villon écrivait « que sont devenus les amis d’antan... » : nous avions des
concepts « amis », rassurants, portés par des appareils théoriques apparemment
à l’abri de toute épreuve, des appareils forgés à l’occasion de catastrophes
psychiques individuelles. À la massivité des catastrophes psychiques, aussi
individuelles qu’elles le soient, les motions élaborées précédemment ont-elles
encore leur rationalité première ? La question de la résilience et le champ
conceptuel qui l’entoure ne peuvent qu’obliger à reposer la raison d’être, le
statut du trauma et de son efficacité symbolique. L’effectivité est acquise. La
victimologie contemporaine peut-elle se suffire de la notion alors qu’il s’agit
phénoménologiquement de prendre soin et de faire souci de l’être-jeté-là, en
pleine facticité, traversé de moments inélaborables et morcelants. Certes ce qui
fait effroi, stupeur, panique, égarement, sont bien les affects les plus évidents à
identifier, mais que devient celui qui, arraché à, jeté là dans une paradoxalité
familière, se tourne et se détourne d’un environnement qui désormais prend au
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sérieux ce qui lui échoit, atteste de la réalité de la traversée du désert imposé,
quand bien même lui, l’égaré errant dans les terres familières persiste dans sa
croyance à l’immortalité ou à l’irréalité de ce par quoi il souffre ? Quand, pris
au pied de la lettre dans la pluralité des récits qu’il tient sur lui, il entre dans les
dispositifs d’accueil qui contiennent nécessairement leur envers (leur capacité
iatrogénique) qui lui veulent du bien quand bien même il se sent honteux,
coupable, insuffisant, échangeant dans un mouvement perpétuel des places de
victimé et de victimant (Pignol et Villerbu, 2008).
Et le trauma dans tout cela ? Quelle est son aventure praxéologique et
hygiopoïétique1 , en quoi le concept est-il susceptible de rendre compte d’un
possible surmontement (au sens défini par L. Binswanger) de l’expérience
traumatique et des modalités de celui-ci, au lieu d’un dépassement (tel que
nous l’enseigne l’approche freudienne) ?

P LURALITÉD ’ USAGES ET D ’ ACCEPTIONS


DE LA NOTION DE TRAUMA

Le trauma a aujourd’hui des airs d’évidence tels que l’on oublie trop souvent
qu’il n’est pas un objet déjà-là en attente d’être théorisé, mais une construction
ayant donné lieu à autant de conceptions qu’il y a de disciplines à en avoir

1. Du grec hygieiné : santé, et poïêsis : production, création.


Trauma et résilience : quels espaces de théorisation ? 41

proposé des modélisations à partir de leurs paradigmes et de leurs perspectives


propres (Pignol, 2011). C’est d’ailleurs à la première d’entre elles, la chirurgie,
qu’il doit son nom et une modalité persistante et encore par trop métaphorique
de le penser comme une effraction, analogon au plan psychique de la blessure
physique.
Quant à l’étude attentive des conditions historiques de sa naissance, elle en
révèle les soubassements anthropologiques, en l’occurrence la transformation
profonde du rapport de l’homme occidental au mal et au malheur : la notion
de traumatisme est ainsi contemporaine du passage de l’idée de mal moral à
celle de mal social De sanction d’une faute puis d’un irrespect des lois de la
nature, tout événement funeste en est devenu accident, c’est-à-dire fait social
justifiable dès lors de dispositifs collectifs de partage des dommages qu’il peut
engendrer.
C’est elle qui est à l’origine de la victimité contemporaine et participe
à faire du victimé, comme du « traumatisé », une figure centrale de notre
univers sociétal. La victimité apparaît comme une modalité collectivement
partagée de concevoir les aléas de nos histoires individuelles et collectives au
sens où elle représente une nouvelle dimension existentielle constitutive de la
personne et une modalité renouvelée de rendre compte à soi-même et à autrui
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d’un certain registre d’expérience, sur le mode du dommage : l’accident, la
catastrophe, le malheur... Dès lors, elle s’affirme dans de multiples registres
de l’expérience en apparence hétérogènes, mais tous en lien avec une forme
de violence inacceptable et insupportable.
Ainsi, les premières données cliniques sur lesquelles le traumatisme s’est
conçu et formulé au XIXe siècle est celui des troubles aussi atypiques qu’énig-
matiques observables chez certains survivants d’accidents de chemin de fer
puis de travail. Il s’est proposé comme réponse à des questions d’abord
essentiellement juridiques d’imputation de responsabilités et de la charge
des compensations que ses conséquences sur la santé exigeaient dès lors.
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C’est une perspective expertale sous-tendue par l’impératif de faire la part


des choses entre authentique pathologie et simulation frauduleuse (Laurent,
1866) qui est à l’origine de ses premières conceptions sur les modèles de
la commotion physique et du choc chirurgical, les seuls alors à disposition
susceptibles de rendre compte d’atteintes sans lésions externes apparentes.
D’où les notions de railway spine et de railway brain suivant l’hypothèse
générale qu’une concussion périphérique pouvait par une sorte d’effet de
diffusion, engendrer des microlésions dans d’autres parties de l’organisme.
Les connaissances anatomo-pathologiques naissantes de l’époque conduisirent
à localiser celles-ci au niveau de la moelle puis du cerveau.
Quand la chirurgie cédera la place à la neurologie, en naîtront deux grandes
constructions :
42 T HÉORIE ET REPÉRAGE DE LA LOI

 d’un côté la névrose traumatique d’Herman Oppenheim, selon un modèle


réflexologique de constitution d’un arc entre un choc périphérique et un
choc nerveux central, l’un et l’autre se renforçant mutuellement ;
 de l’autre côté l’hystéro-traumatisme de Jean-Martin Charcot accordant au
traumatisme local, quelles que soient sa nature et son intensité, tout au plus
le rôle d’un révélateur d’une diathèse héréditaire sous-jacente ayant elle
seule véritable valeur étiopathogénique.

Il reviendra ensuite à la physiologie des émotions, à partir de modèles


toxicologiques, de penser le trauma comme choc émotionnel auto-intoxicant,
lointain précurseur du stress comme réaction adaptative de l’organisme face à
une situation à laquelle il n’était pas préparé et « dépassé » par l’excès même
de sa réponse ; conception à l’examen bien proche de l’idée freudienne de
débordement du pare-excitation par un afflux inintégrable d’excitation venant
de l’extérieur. Se substituant à l’hystérie, la confusion mentale en représentera
la forme clinique canonique.
Lorsque les sciences proprement humaines du psychisme, avec notamment
la psychanalyse, se saisiront du traumatisme, celui-ci se verra absorbé par la
psychopathologie et ses premières constructions dont l’hystérie représentera le
paradigme initial. Dès lors, le traumatisme ne sera plus qu’un fait de structure
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dont l’événement vient révéler la Spaltung constitutive du sujet psychique ;
à une exception remarquable près, cependant, celle des travaux de Ferenczi
accordant un rôle central aux agressions externes subies dans l’enfance dans la
constitution de certaines névroses.
Parallèlement, l’invention des psychothérapies avec notamment les « médi-
cations psychologiques » de Ph. Janet, fourniront les premières bases d’un
traitement des traumatismes devenus désormais psychiques.
À partir des années 1960, la situation se complexifie singulièrement.
D’un côté, ce sont la victimologie clinique et la psychotraumatologie
incarnée par L. Crocq notamment (Pignol et Villerbu, 2008) ainsi qu’une
psychanalyse sortie de son cabinet de consultation pour aller à la rencontre
des nouvelles souffrances psychiques (Douville, 2008) qui ont réhabilité
l’événement de réalité, ses impacts et ses effets délétères, et inventé de
multiples formes d’interventions sur de tout autres bases que la psychothérapie
traditionnelle.
De l’autre, s’observe un rabattement actuel par certains courants de pensée
sur sa seule théorisation psychanalytique à partir de l’ontogenèse du sujet
psychique. C’est peut-on penser la méconnaissance partielle de cette histoire
savante du traumatisme d’une part et de ses soubassements anthropologiques
d’autre part, qui en est responsable. On notera que ce rabattement conduit
à dichotomiser l’expérience victimale en un être-traumatisé d’un côté et un
être-victimé de l’autre, suivant un découpage disciplinaire qui fait du premier
Trauma et résilience : quels espaces de théorisation ? 43

le seul apanage de la psychanalyse et du second celui du droit1 . En ce sens


cette conception représente une politique de soin qui se méconnaît comme
telle, conçue sur les bases d’une réification et du maintien à tout prix des
champs d’exercice et de savoir psychologique et juridique, à l’un revenant la
psychothérapie du sujet traumatisé, à l’autre la réhabilitation socio-juridique
de la victime, comme si l’une n’avait rien à voir avec l’autre. Elle occulte
ce faisant les tentatives, conçues sur de tout autres bases, de la victimologie
clinique et de la psychotraumatologie ayant mis comme impératifs premiers la
prise en compte active de la victimité en une multiplicité et diversité d’offres
allant de la prise en charge de la détresse initiale aux formes chronicisées
d’existence organisées autour et à partir d’un événement destructeur, L’on
s’étonnera qu’un si long détour ait été consacré à la névrose traumatique pour
finalement n’en faire guère plus que ce qu’en fit Freud, à savoir une variante
étiologique de l’hystérie, et sa thérapeutique privilégiée, une psychanalyse ou
apparentée : qu’elle en soit revenue sur son terrain le plus familier sans s’être
(presque) rien laissé enseigner de la rencontre avec le sujet victimé dessaisi
de lui-même et de ses appartenances, et de n’y voir finalement qu’un névrosé
comme un autre2 .
Au reste, sa définition générique comme « rencontre du réel de la mort »,
ne tient qu’à l’usage ambigu et polysémique de la notion de mort : le sujet
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se voit mourir, agonisant, et non pas mort car la mort n’est pas de l’ordre du
réel mais du rien, puisqu’elle est conscience abolie. Le moment traumatique
est rencontre avec la finitude et non la mort, au sens strict du terme. Et il
est résistance à celle-ci, à l’image de l’effroi comme suspension du temps à
l’instant de l’agonie : se penser mourir est déjà une forme de rébellion.
L’être traumatisé ne se réduit pas à son trauma et c’est ce pourquoi, à
cette définition il a bien fallu adjoindre tout un ensemble de qualificatifs pour
appréhender les modes d’égarement et de raccrochage que le seul concept
de trauma ne saurait appréhender, dont celle de traumatisme second, notion
hybride réintroduisant l’ensemble de ses possibles retombées sur le sujet et ses
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appartenances communautaires.

1. Ainsi C. Damiani (2111, p. 279) écrit-elle : « Dans le champ de la psychologie et de la


psychanalyse, l’objet est non pas la victime, mais le sujet traumatisé. » Ou encore (p. 282) :
« Plus on prend en charge la personne en tant que victime et moins elle a intérêt à changer
de statut. Chaque victime est singulière et doit être pensée en termes psychopathologiques. »
Comme si le fait d’avoir été victime, du point de vue de la psychologie, ne pouvait avoir d’autres
effets psychiques que traumatiques.
2. À l’exemple de F. Lebigot lorsqu’il écrit (2111, p. 168) : « Ainsi l’image traumatique se
comporte-t-elle comme un objet de complétude, remède à la castration, au manque, à ce que
Lacan nomme la “division du sujet”. On comprend alors que plus la dimension névrotique du
sujet est prononcée, plus celui-ci est en difficulté avec la castration, plus l’image traumatique se
présente comme une aubaine, une sorte de récupération de l’objet perdu. »
44 T HÉORIE ET REPÉRAGE DE LA LOI

LE TRAVAIL PSYCHIQUE DE VICTIME

L’on pourrait alors dire que, jusqu’à un certain point, le trauma fait
littéralement écran à la saisie phénoménologique de l’expérience victimale ou
encore de l’expérience que constitue l’après-trauma, notamment des tentatives
spontanées de perlaboration développées par les sujets, dont en premier lieu le
syndrome de répétition (Crocq, 2004) ; l’on en dira de même, dans un autre
registre, de la honte et de la culpabilité (Ciccone et Ferrand, 2009 ; Scotto di
Vettimo, 2006).
On rejoint là la question de la résilience si ce n’est que la notion, pour
l’essentiel, n’a jusqu’à présent donné lieu qu’à un recensement empirique
des modes de résilience développés par les sujets ou encore des dispositifs
pédagogiques et thérapeutiques pouvant y contribuer (Ionescu, 2011), recense-
ments qui ne disent rien encore de son objet ou de ses enjeux spécifiques, des
modalités effectives de dépassement de l’expérience traumatique ou victimale
pas plus que des raisons de ses échecs possibles.
C’est là qu’il faut penser la résilience, enjeu de l’après-trauma, comme un
travail psychique et un processus auquel la victimité donne sa matière et son
contenu.
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Une analyse de contenu des propos spontanés de sujets victimés et psycho-
traumatisés dans le cadre d’une consultation spécialisée en fait apparaître les
lignes essentielles sous la forme de questions de culpabilité et de responsabilité
tentant de constituer une représentation et de l’événement et de la présence du
sujet à celui-ci.
L’on peut au mieux formaliser ce travail à partir de quatre dilemmes.
Ces dilemmes vont s’exprimer et se jouer à travers deux grands systèmes
de référence : les normes et valeurs socio-juridiques (d’où l’hyperesthésie de
nombreux sujets victimés aux aléas du parcours judiciaire quand ils y sont
engagés), les normes et les valeurs personnelles.
Ils sont susceptibles d’initier quatre modalités distinctes de crise selon le
dilemme qui fait centralement problème car ce sont dans les tensions entre
les deux polarités propres à chacun de ceux-ci que s’inventent des modes
de dégagement de l’événement critique (des modes de résilience) ou, qu’au
contraire, se forment des positions réifiées, victimales, quand le sujet reste fixé
sans issue à l’une d’elles.
Dans le second cas l’accompagnement psychologique, ou plus justement
la guidance psycho-victimologique (Pignol, 2011 ; Villerbu, Pignol, 2006),
prendra alors sens d’accompagner le sujet dans ses questionnements afin de
l’aider à élaborer des réponses lui permettant en retour de dépasser la double
impossibilité à laquelle il est resté bloqué.
Trauma et résilience : quels espaces de théorisation ? 45

Tableau 4.1. Les quatre dilemmes constitutifs du travail psychique


de victime (Pignol, 2011)
Rendre compte de sa présence Rendre compte de l’événement
(travail de mise en sens) (travail de mise en forme)
Imputation Qualification
Dilemme fondamental : il est tout Dilemme fondamental : il est tout
aussi problématique d’y avoir été aussi problématique de qualifier
pour quelque chose que de n’y l’événement que de ne pas le
avoir été pour rien (et qualifier (que ce soit quelque chose
symétriquement ; il est aussi et que ce ne soit rien)
impossible qu’il y soit pour quelque
chose que pour rien)
Axe de la Son dépassement : À CHACUN Son dépassement : À CHACUN
responsabilité SA PART, c’est-à-dire assumer de SES VUES, c’est-à-dire pouvoir
(mise en pouvoir être un objet de assumer l’impropriété de nos
normes) concupiscence ou de haine pour catégories à pouvoir tout
un autre appréhender
Et son reliquat : il y aura toujours Et son reliquat : il y aura toujours
une part d’injustifiable mais celle-ci une part d’inqualifiable qui se fait
devient un imprévisible : de informulable, indicible : on ne cesse
possibles effets de rencontre que de refaire le monde dans les
chacun a à assumer pour son représentations que nous nous en
propre compte. donnons.
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Indemnisation Condamnation
Dilemme fondamental : il est aussi Dilemme fondamental : Il est aussi
problématique d’y perdre que d’y problématique de faire payer que de
gagner ne pas faire payer, de condamner
que de pardonner

Axe de la Son dépassement : À CHACUN Son dépassement : À CHACUN SA


SON DU, c’est-à-dire assumer ses PEINE, c’est-à-dire remettre en jeu
culpabilité
engagements existentiels, ses valeurs, son pari sur celles-ci
(mise en l’économie impliquée par le pari
valeurs) qu’ils représentent
Et son reliquat : il y aura toujours Et son reliquat : il y aura toujours
une part d’irréparable qui se fait une part d’impardonnable qui se fait
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perte, chacun ayant à l’assumer peine.


pour son propre compte.

Q U ’ EST- CE QUE LA DÉSISTANCE ?


On conviendra de définir la désistance comme une résistance acquise
à la réitération criminelle (Villerbu et al., 2012). La traduction française,
« désistement », ne rend pas suffisamment compte de ce qu’un tel proces-
sus est loin d’être strictement intentionnel et voulu : elle insiste trop sur
la part volontaire d’un individu au lieu de considérer comme conditions
nécessaires la construction d’un dispositif sociétal actif et l’incorporation
du sujet dans d’autres valeurs instituant (phase instaurative) ainsi d’autres
normes. Remarquons au passage combien nous oscillons constamment entre
46 T HÉORIE ET REPÉRAGE DE LA LOI

nature et culture, à ce propos : l’on est aussi bien capable de dire qu’à partir
de 40/50 ans les délinquants (d’habitude) régressent dans leur comportement
criminel, que de dire que cela puisse constituer un choix rationnel (Mac Neil,
2008) : dans les deux cas, si l’un naturalise le sujet en individu, l’autre ne le
rend présent que comme acteur dans une économie libérale sauvage, rendant
alors indispensable à la fois des théories rationnelles de la délinquance (et
de son empêchement : la dissuasion) que les idéologies de renforcement
de la répression. Caractère qui, il est sans doute intéressant de le relever,
se retrouve dans l’histoire de la considération négative des victimes et des
simulateurs. À l’une comme à l’autre des positions manque une réflexion
critique sur les conditions sociétales existentielles et le travail (appelons-le
communautaire) qui crée les déplacements de valeurs pour peu qu’on en mette
le prix (organisations, dispositifs et acteurs de ces dispositifs). Le travail de
Bouisson, relatif au syndrome de vulnérabilité (Bouisson, 2008) en a démonté
une grande part de complexité.
Un tel processus pourrait être analogue à la redécouverte de l’empathie
(Hoffman, 2008) si l’on admet que cette dernière notion dit et inscrit un
individu comme sujet s’identifiant à la peine de celui qui subit et est donc
en capacité de supporter cette peine sans entrer dans un processus de désaveu
de lui-même et des autres.
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Trouver une issue à une situation victimante subie ne devrait pas se poser
dans d’autres conditions que trouver une issue à une situation de délinquance
agie et judiciarisée. Indissolublement liés se retrouvent le sujet et le droit, sur
les mêmes concepts opératoires, bivalents, de responsabilité et de culpabilité
(Stricker, 2009).
Notre sortie des approches de la criminalité par dégénérescence ou consti-
tution implique que toute entrée soit acquise et non plus innée, entrée conçue
comme issue de secours : c’est le recours à des pratiques infractionnelles1 dont
la finalité est de se garder intact en désavouant l’autre de toute prétention. On
ne dit pas autre chose lorsque l’on affirme que les processus qui paraissent
fonder la résilience relèvent :
 de la restauration narcissique (restauration de soi, de son sentiment d’exis-
tence, de l’estime de soi et de ses possibilités de transformer son environne-
ment) ;
 de la capacité à symboliser (sublimation) les expériences a priori déstabi-
lisantes et à les intégrer dans un devenir de soi-même (soi-même comme
dépassement). Et il y a fort à parier qu’être résilient se réalise au prix des
mêmes impasses qu’être désistant.

1. « Pratiques infractionnelles » pour dire l’objet intégratif de la criminologie (agressolo-


gie/victimologie), subsumant la diversité des disciplines académiques.
Trauma et résilience : quels espaces de théorisation ? 47

L’approche empirique de la résilience a énuméré les conditions d’un bon


développement et par là d’une bonne résistance aux instabilités environne-
mentales et psychiques. Cette énumération ne fait cependant qu’inventaire
épidémiologique des conditions nécessaires, mais non suffisantes, pour qu’une
résilience ait lieu. Cela ne dit rien du ou des processus en cause, des effets de
surdéterminations par lesquels ce que l’on nomme ainsi travaille le rapport à
l’ambiance, à la Stimmung, à l’humeur du monde (la pré-chose). Et quand cela
ne fait pas inventaire et prescription éducative, cela prend la forme d’un encore
in-énonçable, sauf à considérer que les métaphores en soient une première
approche en faisant jouer au conte ce que Freud avait fait jouer au mythe
(Cyrulnik, 2002, 2004, 2009, 2010, etc.).
Aborder la résilience du côté de la délinquance agie (au lieu où la question
se posait du surmontement ou de l’aveuglement au trauma !) cela suppose
d’inverser dans le temps les observations et tirer partie de cette inversion
(Villerbu et Winter, 2012). Cela suppose de concevoir les modes de compor-
tements délinquantiels acquis comme des issues positives (!) à des positions
subies (de la part d’un tiers ou de soi-même comme acteur) dans un temps
immémorial, toujours reconstruit (d’où la conviction de la légitimité en
compensation des épreuves traversées, subies du fait d’un tiers, par exemple
les malveillances, l’hétéro-toxicité), ou subies du fait d’un soi-même s’étant
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trouvé dans l’impossibilité d’élaborer la découverte sur soi-même qui en avait
été issue (auto-toxicité) (Pignol et Villerbu, 2008).
Le passage par la sortie de la criminalité (désistance) est analogue au
passage par l’entrée de la résilience. Ces deux termes supposent que l’on puisse
mieux préciser les notions implicites à la manière dont l’étude anthropologique,
clinique et historique du trauma a été réalisée dans le travail de thèse cité
plus haut (Pignol, 2011). C’est dans cette perceptive que les références à la
justice, rétributive, distributive, restaurative, pourront trouver à interpeller une
masse inouïe et encore inaudible (infraclinique) (Lopez, 2010 ; Sansone, 2008 ;
Goldenson, 2007, etc.) de phénomènes intersubjectifs, intra-subjectifs que nos
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concepts trop utiles, masquent encore trop, dans la chronicité qu’ils installent
ou concourent à installer.
Du trauma à la résilience le chemin est trop court pour qu’un lien aussi
complexe puise se satisfaire des notions en usages et dont l’opérativité
demande à être revisitée.

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