Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 1
son CEPE)
Mes vêtements étaient toujours propres. Pourtant mes amis et moi jouions dans
la cours en nous roulant dans la poussière. Au coucher du soleil, ma grand-mère
me lavait, m’enduisait d’une huile obtenue en pressant des noix de palmiste
séchées. Mon crane nu et ma figure scintillaient. Elle me servait ensuite un bol
de nourriture préparé avec grand soin. Pendant que je me gavais, elle nettoyait
les habits que j’avais retirés.
Je ne savais pas que c’était ma mère. Elle m’appelait petit frère et en retour je
l’appelais grand-sœur. Je la considérais comme telle. Parfois, c’est elle qui
venait chez nous. Quand c’était le cas, elle nous apportait toujours des
provisions. Elle prévoyait toujours du tabac pour mon grand-père, un homme
robuste et craint.
A cette époque, on venait chercher les enfants de force chez leur parent pour les
mettre à l’école. La vie sociale n’était pas un long fleuve tranquille. D’un côté il
y avait les colons qui nous incitaient à l’instruction, de l’autre il y avait le
maquis, formé de résistants à l’occupation de l’envahisseur étranger. C’était des
membres de l’UPC en clandestinité du fait de l’interdiction de leur parti
politique par l’administration coloniale. Leur mode d’action consistait entre
autre à saboter toutes les initiatives du gouvernement colonial. Ainsi était-il de
l’enrôlement des enfants dans les écoles. Les parents choisissaient le moindre
mal, garder leurs rejetons à la maison plutôt que d’essuyer les foudres
éventuelles du maquis.
Cependant, les enfants étaient enlevés à leur parent pour être instruits soit par le
clergé soit au compte de l’administration coloniale. Aucun maître n’osait me
faire aller dans ces lieux d’éducation par crainte de représailles de mon grand-
père, ex ministre du roi. Quelques maîtres s’y étaient essayés et mon grand-père
m’avait repris de force. Je n’avais donc d’éducation et d’instruction que ce que
ma grand-mère m’avait appris.
Un jour, j’avais déjà environ 7 ans, grand-mère et moi nous rendîmes comme si
souvent chez ma mère. Je pouvais déjà parcourir à pieds la distance qui séparait
notre case de la grande maison où vivait ma mère. Cette visite fut spéciale. Ma
« grande sœur » ne m’appela pas « petit frère » comme de coutume.
En effet, les deux femmes qui étaient dans la combine avaient décidé de me dire
la vérité. Elles avaient préparé leur coup et avaient pris quelques précautions.
« Allez visiter le kolatier…le premier qui me rapporte une kola aura un grand
cadeau » ; c’est par cette promesse fallacieuse que la curiosité des autres enfants
avait été détournée. Ils partirent comme des moutons de panurge. J’avais atteint
l’âge de la raison. Ma mère me fit asseoir tout près d’elle et me chuchota à
l’oreille : « je ne suis pas ta grande sœur, mais plutôt ta maman ». Curieusement,
cette révélation ne me bouleversa pas. Mais elle changea radicalement le cours
de mon enfance. Je vins quelques jours plus tard vivre dans la maison de mes
parents, avec mes frères et mes sœurs. C’est à ce moment que je découvris qui
était mon père.
Très tôt j’avais appris avec mes frères à faire beaucoup de choses utiles. Nous
allions au champ les jours permis par le calendrier coutumier. Nos traditions
imposent des jours où on ne peut utiliser ni houe ni daba de peur de courroucer
les ancêtres. La semaine ayant huit jours dans la nomenclature villageoise, on
avait 4 jours de travaux champêtres. Nos activités étaient ordonnées en fonction
des saisons. Pendant la grande saison sèche, nous défrichions et cultivions les
bions. Dès qu’advenaient les premières pluies, nous ensemencions les bions de
graines de maïs, de haricots et d’arachides. Les prochaines étapes consistaient au
sarclages des mauvaises herbes et plus tard la récolte.
On ne se croisait pas les doigts au village. Les autres jours de la semaine, on
pratiquait des activités artisanales et commerciales. En particulier, je m’occupais
de la machines à écraser de mon père. Il avait été le premier à en avoir une à
Penka Michel. Les petits larcins aux quels se livraient mes frères avaient amené
mon père à me confier la gestion de la machine. J’étais loyal et bon gestionnaire.
Le phénomène se propagea partout et mon village n’en fut pas du reste. Les gens
se montraient plus audacieux et téméraires que naguère. L’espoir national avait
touché les cœurs de mes parents aussi. C’est au cours de cette année qu’ils
décidèrent, finalement, de m’inscrire à l’école.
Mon village avait deux écoles. L’école protestante et l’école publique. Les
missionnaires ne transmettaient pas seulement l’évangile. Ils instruisaient les
peuples. Même si certains parents peut-être à raison pensaient que leurs
enseignements visaient juste à nous déraciner pour nous amener
irrémédiablement vers leurs civilisations occidentales, rares sont ceux qui
résistaient à la mode d’avoir un enfant fonctionnaire dans l’administration. Par
ailleurs, ces missionnaires blancs faisaient preuve de polyvalence, ce qui
achevait de flatter l’ego des nôtres. En fait, non seulement ils prêchaient
l’évangile du salut, mais ils nous soignaient dans leurs centres de santé ad
lucem, nous enseignaient l’agriculture, l’élevage, les saisons…la séduction était
trop forte.
Mon cursus ne suivi son cours normal que pendant mes années de cours moyen
première et deuxième année. Au CM1, nous fréquentions l’école protestante où
nous payions 15 francs de frais de scolarité. Un jour du marché, le directeur de
l’école entreprit d’éconduire tous les élèves insolvables. Il mit hors de
l’établissement environ 80 enfants qui se retrouvaient dans cette situation. Le
choix du jour du marché n’était pas fortuit. Le directeur espérait que les parents
se serviraient immédiatement de leur recette pour payer les frais scolaires de
leurs enfants chassés de l’école protestante. Ce ne fut pas le cas.au contraire !
Nous décidâmes de partir squatter à l’école publique. Chacun alla dans la classe
correspondant à son niveau. Un grand brouhaha commença.
L’école publique n’avait pour seul personnel que le directeur. Il cumulait cette
fonction administrative avec celle de maître des six classes de l’école. Les
classes étaient éparses, bâties au temps de la colonisation en matériaux ultra
solides. Les bâtiments étaient construits en pierres solidement soudées entre
elles par le ciment. Leur épaisseur susurrait que ces bâtiments étaient faits pour
l’éternité. Une grosse couche de poussière maculait les murs à la merci des
intempéries. La principale préoccupation du directeur fait-tout n’avait sans doute
pas été de nettoyer ou de s’assurer que les élèves le fissent de temps en temps.
Les écoliers étaient parsemés en classe. Il y avait donc assez de place pour les
nouveaux qui venaient intégrer par effraction les différentes salles. Nos hôtes de
l’école publique voulurent nous interdire d’entrer dans leurs classes. Un grand
vacarme s’en suivi. Le directeur qui s’était absenté pour un moment, en arrivant
trouva son école dans une ambiance inhabituelle. Il s’enquit de la situation, fut
saisi de compassion mais également d’admiration pour nous. Nous ne voulions
que nous instruire, rien du plus. Il intima l’ordre aux anciens d’accueillir les
nouveaux arrivants. Ils s’exécutèrent, même à leur corps défendant.
Nous utilisions les feuilles de raphia pour tisser les nattes. A la main, on les
croisait d’une manière qu’elles devenaient quasi imperméables à l’eau. On s’en
servait pour faire les toits de chaume des maisons du village, et le reste nous les
vendions.
La rentrée suivante, j’entrai au CM2. J’étais l’un des gaillards de la classe ; mais
j’étais doué. Et pour cause ! Mes performances étaient impressionnantes en
mathématique, en dictée, et dans les autres matières. Pour le maître-directeur, la
tâche déjà ardue devenait herculéenne. Il donnait un exercice dans une salle,
commençait l’explication d’un cours dans une autre, sanctionnait quelques
élèves turbulents dans une troisième classe et revenait au CM2 tenir la leçon en
cours. Il lui fallait un don d’ubiquité. Mais hélas, il était humain. Une astuce lui
vint en tête. Quand il n’était pas en cours dans notre classe, le CM2, il
m’envoyait tantôt corriger un exercice de calcul dans une autre classe, tantôt lire
une dictée, tantôt surveiller une interrogation… j’avais acquis de fait une
casquette de maître assistant dans l’école où j’étais moi-même élève de CM2.
Vint alors la fin de l’année, période au cours de laquelle il fallait constituer les
dossiers à soumettre à l’examen du CEPE. C’était en 1967. Le maître nous avait
fait signer un engagement. Celui-ci stipulait qu’en cas d’échec au CEPE, nous
ne reviendrions plus dans son école. Nous signâmes le fameux engagement et
fument 175 candidats à composer l’examen de fin d’année. Le verdict fut sans
appel : trois admis, soit un taux de réussite de 1.71%. Je faisais partie des
heureux élus.
Mon brillant succès au CEPE avait ravi mes parents. Si j’étais resté avec ma
grand-mère, choyé comme je l’étais, rien ne garantit que je serai arrivé jusqu’à
ce niveau. La rigueur qui régnait chez mes parents était un atout pour réussir.
Mes deux autres camarades qui avaient été reçus avec moi s’en allèrent vers
d’autres horizons. Je restai à Bansoa où je devins maître communal dans la
même école publique. Je travaillai de manière acharnée pendant trois mois. Je
prenais en charge plusieurs classes simultanément. Le directeur en faisait autant.
A la fin du trimestre, je reçu un rappel de mes salaires. 9 000 francs ; soit 3 000
francs pour chaque mois. Quelle déception ! C’était le même salaire que j’avais
perçu chaque mois alors que j’étais encore élève et qu’en même temps je
secourais le directeur, débordé par ses charges.