Carthage Punique D'après Les Textes Anciens
Carthage Punique D'après Les Textes Anciens
Carthage Punique D'après Les Textes Anciens
bilan critique
Michèle Coltelloni-Trannoy
Crédits photographiques :
AMVPPC : 40, 41, 46, 72, 74, 80, 81, 98, 107, 113, 169 (en bas), 171, 176, 178, 181, 195, 235, 236, 240, 281, 285, 279, 293, 304-305, 307,
318, 323, 324, 330, 331, 332, 335, 339, 343, 347, 348, 359, 372, 391, 403, 406, 409.
INP : 65, 74, 239, 261, 364 (photos bijoux)
Abid, Hosni : 167
Adili, Monia : 244
Arfaoui, Wided : 380
Ayari, Boutheina : 116
Baratte, François : 221, 227, 229, 252, 262, 265.
Bartoloni, Piero : 119, 134, 156
Béjaoui, Fathi : 387 (en haut), 342, 345, 377, 381, 382, 385.
Ben Hassine, Mohamed Ali : 84, 86, 87, 88, 89, 90, 145 (monnaies), 301
Ben Jemaa, Sonia : 220, 226, 271, 303, 315, 341, 364 (excepté bijoux), 370, 383, 387 (en bas).
Ben Romdhane, Khaled : 49, 154
Bonanno, Antony : 155
Brouquier-Reddé, Véronique : 256, 269
Chehidi, Mohamed Ali : 254
Chouk, Néjib : 169 (photos du haut)
Ghaki, Mansour : 216
Ibba, Antonio : 249, 263
Jabeur, Salah : 24, 25, 26, 43, 63, 73, 96, 99, 172, 177, 233, 234, 250, 259, 297, 349, 366, 370.
Mahfoudh Faouzi : 283, 392, 394, 395, 399.
Maraoui-Telmini, Boutheina : 66, 76
Maurin, Louis : 125, 127, 274
Mokni, Salem : 253
Redissi, Taoufik : 101
Selmi, Ridha : 20, 21, 27, 60, 69, 71, 75, 79, 83, 91, 97, 104, 106, 111, 112, 117, 131, 132, 179, 181 (photo en bas), 185, 189, 191, 193, 194,
258, 268, 270, 273, 291, 308, 309, 313, 316, 318, 320, 321, 351, 375, 386.
Sghaïer, Yamen : 45, 105, 147, 148, 344
Shutterstock : couverture, 4-5, 8-9, 10, 12, 14-15, 16-18, 56-57, 123, 215, 336-337, 372-373, 388-389, 404-405,
Teatini, Alessaudro : 272
Avec le soutien de :
Ministère des affaires culturelles
R TA G I N E
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RT H A G
CA
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H isto ire et M onu ments
Maîtresse de la méditerranée
capitale de l’afrique
(IX e siècle avant J.-C. — XIII e siècle)
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« Quelquefois ils [les Romains] abusaient de la
subtilité des termes de leur langue ; ils détrui-
sirent Carthage, disant qu’ils avaient promis de
conserver la cité, et non pas la ville.»
Montesquieu
Grandeur et décadence des Romains,
VI, p. 141
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LES AUTEURS
Comité de suivi
Wided Arfaoui, François Baratte, Sonia BEN JEMAA, Hajer GAMAOUN, Louis Maurin,
Nesrine NASR, Afef RIAHI, Daouda SOW.
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SOMMAIRE
14-15 Préface
Par Mohamed Zinelabidine
Ministre des affaires culturelles
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Livre premier
Carthage punique
25 I— Carthage phénico-punique d’après les textes anciens : bilan critique
Par Michèle Coltelloni-Trannoy
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Livre deuxième
Carthage romaine
217 XI — Carthage romaine dans les textes anciens : bilan critique
Par Michèle Coltelloni-Trannoy
309 XV— L’habitat privé : le quartier dit des « Villas romaines » à Carthage
Par Mongi Ennaïefer et Jean-Pierre Darmon
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PRÉFACE
Le tableau qu’en dressent les auteurs, spécialistes des vies passées de la cité,
offrira aux savants et aux lecteurs simplement curieux des choses de l’His-
toire un éclairage scientifique sous l’angle d’une succession d’instantanés.
Cette œuvre collective, rédigée avec soin par un panel de chercheurs che-
vronnés nous donne le privilège de (re)vivre l’enchantement dans la quête de
soi à travers la quête du spécifique et de l’universel.
14
Cette terre, au carrefour des cultures et des civilisations qui rayonnaient sur
le pourtour de cette « mare nostrum » qui a vu se succéder au sud de son bassin
et au fil des siècles Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes et qui
se sont mélangés aux autochtones, est le creuset d’un heureux syncrétisme
dans lequel les auteurs ont trempé leurs pinceaux pour restituer les « couleurs
chaudes » du pays et faire ressortir la fécondité du génie créateur tunisien
dans ses multiples déclinaisons.
Qu’il me soit permis, en guise de remerciement à tous ceux qui se sont investis
dans cette véritable parturition, de paraphraser un Carthaginois de l’Anti-
quité, le poète Terence (-190/-159) et de dire : « Je suis homme (carthaginois)
et rien de ce qui touche à l’humanité ne m’est étranger », de considérer leur apport
respectif comme un vibrant hommage à la Tunisie, à ses traditions millénaires,
fécondes, et une pressante invitation à la tolérance et à la lutte contre les obs-
curantismes.
En visite d’Etat en Italie, Béji Caïd Essebsi a conclu son discours devant
les deux commissions des Affaires Etrangères, du Sénat et de la Chambre
des Députés en disant : « Je voudrais rectifier cet appel lancé par Caton au Sénat
de Rome : « Delenda Carthago ». S’il était parmi nous, il partagerait avec moi
sans hésitation un appel du cœur (…) Aedificanda Carthago » : construisons
Carthage !
Mohamed ZINELABIDINE
Ministre des Affaires Culturelles
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AVANT PROPOS
Mais il y a plus, car la destinée de Carthage est sans parallèle pour les histo-
riens et les archéologues. Sa fondation par une femme, l’épisode de la peau de
bœuf, le suicide de ses enfants les plus illustres : sa fondatrice et son célèbre
héros, Hannibal ou encore Sophonisbe, l’apport de figures intellectuelles et
16
religieuses tels que Magon, Apulée, Tertullien, Saint Cyprien, Saint Augustin,
pour ne citer que ceux-ci, aussi sont uniques dans le monde méditerranéen.
Aujourd’hui, Il existe des synthèses sur Carthage punique. Mais la période
romaine reste peu connue et, pour l’évoquer, on dépend en grande partie
de l’œuvre monumentale d’Auguste Audollent publiée en 1904. On est par
ailleurs depuis fort longtemps dans l’attente de la publication raisonnée des
résultats des diverses missions internationales conduites sur le terrain car-
thaginois sous le patronage de l’UNESCO… Ce retard constitua une raison
supplémentaire au murissement de l’idée de réunir un panel de chercheurs
pour procéder à un état des lieux.
La lecture de cet ouvrage, rendue d’autant plus captivante que celui-ci est fort
agréablement présenté, vient, certes, consolider les vérités acquises relatives au
passé de Carthage qui s’est prolongé jusqu’en période médiévale. Elle en révèle
aussi d’autres qui étaient jusque-là traitées de manière réductrice, en ellipses ou
en zones d’ombre, et dont l’occultation ou la minoration étaient préjudiciables à
l’appréhension du phénomène carthaginois dans sa globalité et son originalité.
Ce travail marquera d’une pierre blanche le long cours de la recherche consa-
crée à la métropole africaine. Il est appelé à devenir un livre de chevet pour
tout « honnête homme » en quête d’éclairages sur le monde carthaginois.
Grâces en soient rendues à l’équipe qui, autour de Samir Aounallah, a rendu
possible la concrétisation d’un rêve longtemps caressé par le public aussi bien
que par le monde de la recherche.
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Carthage phénico-punique
d’après les textes anciens :
bilan critique
Par Michèle Coltelloni-Trannoy
25
Portrait de Columelle.
Originaire d’Espagne, contemporain de Tibère, Claude et Néron, Columelle est l’auteur d’un traité sur
l’Economie rurale dans lequel il présente les différentes activités liées à la terre et aux animaux de la
ferme. Son œuvre, composée de douze livres, s’inspire fortement de l’œuvre de Magon. Il évoque tout ou
presque : la viticulture, le gros et le petit bétail, la basse-cour, les abeilles, le jardinage… (SA).
corpus, établie à partir d’un manuscrit différent détenu par les rois numides,
fut assurée, cette fois en grec, par Cassius Dionysius d’Utique, qui la dédia
à P. Sextilius, proconsul d’Afrique en -89 ou -88 ; cette version remaniée
donna ensuite naissance à plusieurs abrégés en grec et en latin à la fin de
la République, encore connus au premier siècle de l’Empire (Varron, De
l’agriculture, 1.1.10-11).
Il ressort de ces traditions que les Carthaginois n’avaient jamais négligé l’agri-
culture : l’arboriculture fut très probablement interdite en Sardaigne dès le
VIe siècle avant J.-C. sans doute pour protéger la production locale. Les sym-
boles de cette arboriculture carthaginoise étaient les palmiers, la vigne, les
grenadiers, les figuiers… qui figuraient sur divers supports, tels les vases, les
monnaies et autres…
Ces lambeaux de littérature sauvés de justesse montrent que les
Carthaginois comptaient parmi eux des agronomes et des my-
thographes. Mais Carthage avait-elle donné naissance à une
littérature de type gréco-romain, obéissant aux classifications
de cette tradition (livres de philosophie, d’histoire, bio-
graphies, poésies, théâtre) ? Rappelons que les Romains
n’ont eux-mêmes adopté ce type de production que tar-
divement (pas avant le IIIe siècle) et que les écrits anciens
des Phéniciens suivaient des canons bien différents (chro-
niques, épopées mythiques, cosmogonies). Toutefois, déjà à
l’époque hellénistique, des auteurs phéniciens avaient rédigé
des œuvres qui s’inscrivaient dans la lignée de l’érudition
grecque. En revanche, nous ne connaissons aucun nom
Le « signe de Tanit » et le texte qui figure sur cette stèle sont d’inspiration phénicienne.
Le nombre des inscriptions puniques trouvées à Carthage se compte par milliers, mais la
majorité des textes ressemble à ce document et ne permet aucunement de combler les lacunes
de la tradition littéraire. Les seuls apports significatifs concernent les noms, les métiers et,
mais c’est chose rare, les dieux auxquels sont adressés les vœux (SA).
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Représentation d’un bateau sur une stèle du tophet de Carthage
Peuple de la mer, les Carthaginois avaient développé une flotte de commerce très efficace et très mobile.
Comme leurs ancêtres de Tyr, ils furent sans cesse à la recherche des métaux. Leur eldorado fut le sud
de l’Espagne, dans la basse vallée de Guadalquivir. Cette stèle à fronton triangulaire
encadré d’acrotères est formée de trois registres : au sommet, le signe dit de Tanit, au
milieu, proue d’un navire de guerre ornée d’un œil prophylactique armée d’un éperon en
trident et surmontée d’un caducée, en bas, quatre lignes d’une inscription incomplète
(SH).
27
puisqu’il en a existé plusieurs versions dans la littérature grecque et latine,
consultées notamment par Cornelius Nepos et Juba II. Hannon était un diri-
geant de la cité, mais aussi un navigateur qui avait reçu pour mission d’explo-
rer, à la fin du VIe s. avant J.-C., les parages sud-atlantiques de l’Afrique et
de tenter de recoloniser les côtes atlantiques de Maurétanie occidentale. La
version grecque du texte, transmise par Éphore de Cyme (-405/-330), a susci-
té dès l’Antiquité une controverse sur l’historicité de ce voyage et, à l’époque
moderne, le débat donna lieu à une bibliographie considérable sur laquelle
portent des bilans utiles. L’authenticité du récit n’est plus en cause, mais le
texte reste obscur. Ajoutons un autre témoignage d’un document punique,
le serment prêté par Hannibal pour valider l’alliance avec Philippe de Macé-
doine en -215, dont Polybe (7.9) fournit la traduction grecque, ce qui entraîne
la problématique de la désignation grecque des divinités mentionnées.
Stèle à fronton triangulaire composée de trois registres : de haut en bas, signe de Tanit, une
inscription néo-punique et un éléphant de race africaine aux larges oreilles pendantes et portant
sur sa tête un caducée. L’éléphant servit souvent de fer de lance aux armées carthaginoises ;
il fut, après le cheval, l’animal le plus représenté sur les stèles et les monnaies, symbole de la
puissance militaire de Carthage, pour les Romains qui, sous l’empire, l’ont introduit dans la
représentation de la province romaine d’Afrique (SA).
28
titude. En outre le corpus de textes littéraires relatifs à Carthage se caracté-
rise par son hétérogénéité et par l’extrême déséquilibre des informations : sur
certains aspects, la documentation est très maigre, sur d’autres (les guerres
puniques par exemple), elle est abondante et diversifiée.
29
sant dans cette chronologie, c’est que Timée conférait à Rome et Déméter et Korè, Korba
à Carthage la même année de fondation, -814 : à son époque, la (Curubis)
symétrie entre les deux grandes cités occidentales, alors alliées Musée national du Bardo.
et dont l’une était maîtresse des cités grecques d’Italie tandis
Le culte de Cérès en Afrique
que l’autre cherchait à s’imposer sur celles de Sicile, était un fait
a été introduit à Carthage
évident, qui incitait à tracer des parallèles. Pour autant, la sy-
au début du IVe siècle
métrie n’était pas parfaite. Si Rome était apparentée au monde
avant J.-C., lorsque l’armée
grec, descendante de Troie, Carthage était jugée comme irrémé-
carthaginoise détruisit, en
diablement barbare : sa cruauté et sa mauvaise foi étaient déjà
-397/-396, le sanctuaire de
des thèmes courants dans la littérature grecque, bien avant que
Déméter et Coré de Syracuse
les Romains ne s’emparent du topos de la perfidie punique.
et que par la suite la maladie
décima l’armée carthaginoise.
La vie politique et religieuse Convaincus que ce fléau
était consécutif à la colère
Pour les Grecs de cette époque, Carthage est cependant une cité
des déesses, les Carthaginois
parmi les autres puisque ses institutions (politeia) sont jugées
décidèrent de leur rendre
conformes au modèle de la cité grecque. Les Grecs ont donc
hommage à Carthage ; selon
appliqué à la cité punique la grille d’analyse qui avait été conçue
Diodore de Sicile, ils firent
pour examiner les cités grecques. Ainsi Aristote (-384/-322)
des citoyens les plus distingués
donne-t-il un rang privilégié à Carthage dans la hiérarchie des
les prêtres de ces déesses, leur
cités en raison de sa politeia (constitution politique) mixte, un
élevèrent des statues en grande
mélange de monarchie, d’oligarchie et de démocratie (Politique,
pompe et leur offrirent des sa-
2.11). C’est aussi pour cette raison qu’au siècle suivant Éra-
crifices suivant le rite grec. Ils
tosthène place Rome et Carthage sur le même niveau, considé-
choisirent encore, parmi les Grecs
rant que l’une et l’autre étaient « merveilleusement gouvernées »
résidant chez eux, les plus consi-
suivant Strabon (1.4-7). Plus tard, Polybe (6.51.5-7) s’inscrit
dérés et les attachèrent également
dans cette tradition, à une différence près : il considère que Car-
au culte des déesses (SA).
thage, à l’aube de la deuxième guerre punique, connaît déjà un
déclin que prouve le poids excessif du peuple au détriment de l’oligarchie : le
bel équilibre qui avait fait la renommée de Carthage au IVe siècle av. J.-C.
n’était plus, tandis que Rome connaissait un apogée institutionnel qui devait
se traduire par sa domination militaire.
Si les données littéraires sur les institutions politiques sont assez maigres,
celles qui portent sur la religion punique le sont plus encore. Le dossier le
30
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plus sensible, dans l’Antiquité comme de nos jours, est celui des sacrifices
humains, en particulier celui des sacrifices d’enfants offerts au dieu Baal
Hammon (ci-dessous). Toutefois, en dehors de quelques faits spectaculaires,
les réalités de la religion punique n›ont guère intéressé les auteurs anciens,
sans doute parce qu›elles ne se distinguaient pas ou peu des usages médi-
terranéens en matière cultuelle. Par exemple, Diodore de Sicile informe sur
l’introduction officielle du culte de Déméter et de Korè (14.77.5) à la suite de
plusieurs défaites subies contre Denys de Syracuse en -396, que les Carthagi-
nois attribuèrent à la destruction du sanctuaire syracusain des deux déesses :
il témoigne ainsi que la pratique consistant à attirer la bienveillance des dieux
étrangers existait à Carthage comme à Rome.
32
33
A gauche : Hannibal
vainqueur des Romains,
Louvre, Paris.
A droite : Bataille de
Zama
34
doute à l’époque de Mithridate et, au-delà, à celle d’Hannibal, mais aussi à
l’époque de Pyrrhus. L’épopée de Pyrrhus en Italie et en Sicile (-281-275),
qui avait manqué de peu battre Rome sur son propre terrain, avait en effet
attiré l’attention des Grecs sur les affaires de Méditerranée occidentale et en
particulier sur les deux grandes puissances du moment, Rome et Carthage.
C’est donc d’abord par l’entremise de Pyrrhus, semble-t-il, que les Grecs
prirent vraiment connaissance des enjeux qui se nouaient en Occident à la fin
du IIIe siècle avant J.-C. et furent amenés à se documenter à la fois sur Rome
et sur Carthage plus que ne l’avaient fait leurs prédécesseurs. La tendance an-
ti-romaine s’amplifia à l’occasion de la guerre d’Hannibal puisque le général
carthaginois qui avait été l’allié de Philippe V de Macédoine en -215 trouva
refuge, à partir de -195, auprès d’Antiochos de Syrie.
Dans cette historiographie non romano-centrée, se détache un auteur plus
tardif que ceux que nous venons de mentionner et dont l’œuvre est en partie
conservée (20 livres sur 40) : Diodore de Sicile ; il s’engage délibérément dans
une Histoire universelle monumentale, où Rome, contrairement à la mode de
son temps, n’apparaît qu’à partir de la première guerre punique et ne tient
qu’un rôle secondaire, derrière les autres peuples. Les Carthaginois y figurent
en bonne place dans les livres relatifs à l’histoire de la Sicile et de l’Italie,
donc dans des passages dispersés tout au long de l’œuvre, qui portaient sur
les conflits entre Carthage et Denys de Syracuse et entre Carthage et Rome
(livres 13, 19, 21 à 28, 32). Son point de vue est celui d’un Sicilien dont la
patrie a souffert aussi bien des Carthaginois que des Romains, mais il souligne
particulièrement l’arrogance des Romains, par exemple celle de Regulus, res-
35
ponsable d’une longue guerre en raison de son refus de la paix proposée par
Carthage (livre 23, fragments 12-16). D’autres Romains ont également droit
à un jugement sévère, tel P. Claudius Pulcher (livre 24, fragment 4), et, de
manière générale, son récit met en lumière la violence de la conquête romaine.
Polybe
Les deux historiens principaux, Polybe et Appien, sont unis par une même pa-
renté intellectuelle qui confère une place importante à l’analyse institutionnelle
de Rome, ce qui n’exclut pas de fortes spécificités, visibles notamment dans
la structure des œuvres et dans le regard porté sur la conquête romaine. Le
récit conservé de Polybe est de loin la source littéraire la plus importante sur
l’histoire des deux premières guerres puniques, le récit de la troisième guerre
nous étant parvenu sous une forme très fragmentaire : il est le modèle auquel
sont comparés les autres auteurs (grecs et latins), en raison de la précision et
de l’exactitude de ses informations. On a désormais abandonné l’accusation
qui a longtemps pesé sur Polybe, celle d’être un «collaborateur» au service de
Rome : s’il considère, à juste titre d’ailleurs, que la puissance de Rome a orga-
nisé le monde méditerranéen à partir de -220 (début de la deuxième guerre pu-
nique), et s’il admire sans réserve ses institutions, les jugements qu’il porte sur
la conquête romaine sont bien plus pondérés qu’on ne l’a pensé jadis. Mais sur-
tout il ne fait pas œuvre de compilation : son utilisation des sources est constam-
ment associée à un regard critique et il porte sur les auteurs comme sur les faits
un jugement indépendant. En outre, l’éventail de la documentation sur laquelle
il s’appuie pour relater les guerres puniques est particulièrement large et diver-
sifié. Outre les écrits de ses devanciers grecs, qu’il exploite pour la première
guerre punique et qui n’étaient pas favorables à Rome (Timée déjà mentionné
bien qu’il le critique sévèrement, les Mémoires d’Aratus, qui était un homme po-
litique achéen, ou bien l’historien de Sparte, Phylarque), deux autres sources,
rédigées également en grec, ont occupé une grande place dans sa documenta-
tion, même si Polybe dénonce leur partialité : toutes deux étaient pour lui des
sources primaires puisque leurs auteurs avaient été contemporains des faits, le
Romain Fabius Pictor, très favorable à Rome évidemment, et le Grec Philinos
d’Agrigente qui avait épousé la cause carthaginoise (Roussel 1970, p. 143-144).
L’Histoire de Polybe est une source précieuse pour la connaissance des guerres
puniques, en particulier la première et la seconde ; par souci d’objectivité, il n’a
pas hésité à évoquer les raisons qui l’ont incité à raconter le début des hostilités
36
romano-carthaginoises : « Une autre raison m’a encore poussé à insister sur
cette guerre (la Première guerre punique) : c’est que les écrivains qui passent
pour en avoir parlé avec le plus de compétence, Philinos et Fabius, n’en ont pas
fait, à mon avis, une relation suffisamment véridique. Je ne pense pas qu’ils
aient menti sciemment : leur vie, leur caractère font écarter cette supposition
; mais leur jugement s’est trouvé faussé, je crois, tout comme celui des amou-
reux. L’inclination, la vive sympathie de Philinos pour les Carthaginois lui font
trouver toutes leurs actions judicieuses, admirables, héroïques, et celles des Ro-
mains absolument opposées ; pour Fabius, c’est l’inverse. En toute autre cir-
constance, on pourrait admettre cette partialité : c’est un devoir pour un homme
de bien aimer sa patrie et ses amis, de haïr leurs ennemis, de chérir ceux qui
les aiment ; mais ces dispositions sont incompatibles avec l’esprit historique :
l’historien a souvent à faire le plus vif éloge de ses ennemis, quand leur conduite
le mérite, et non moins souvent à critiquer sans ménagement ses amis les plus
chers, quand leurs fautes le comportent (Polybe, 1.14).»
Pour ce qui est de la deuxième guerre punique, si Polybe est un peu moins
tributaire des sources écrites, il a tout de même recours, de manière toujours
critique, à Fabius Pictor comme aux historiens d’Hannibal, Chaereas, Sosy-
los de Lacédémone et Silenos de Kalé Acté. S’il a sans doute aussi consulté
d’autres relations de sénateurs romains écrites en grec, il n’est pas sûr qu’il
ait lu les Origines de Caton, rédigées en latin. Mais plus encore, la situation
qui fut la sienne durant 20 ans lui permit d’accumuler une somme d’informa-
tions précieuses et diversifiées : faisant partie des otages que la ligue achéenne
avait envoyés à Rome dans le cadre des dispositions consécutives à la victoire
romaine de Pydna en -168, il eut la chance d’être accueilli par la famille des
Scipions et d’accompagner Scipion Emilien dans ses déplacements, jusque
37
Buste de Caton l’Ancien
Pour les auteurs anciens, comme pour les historiens modernes, Rome est incontes-
tablement responsable de la dernière guerre punique. Le point de vue de Caton a
triomphé. M. Porcius Cato (-234/-149), surnommé l’Ancien, fit ses premières armes
dès l’âge de 17 ans contre Hannibal ; il remplit plusieurs hautes fonctions politiques
dont le consulat qu’il géra en -195 ; il est l’auteur d’un traité agricole. Caton est
surtout connu pour son acharnement contre Carthage et par son fameux Carthago
delenda est (il faut détruire Carthage), par lequel il clôturait, dit-on, tous ses dis-
cours au Sénat quel qu’en soit le sujet (SA).
sous les murs de Carthage en -146. Cette position exceptionnelle fit de lui
un témoin majeur : elle lui permit d’assister personnellement à certains évé-
nements, de connaître plusieurs des grands acteurs du moment (Romains,
Carthaginois, Numides), de fréquenter le milieu sénatorial, d’avoir accès aux
archives privées, aux annales des pontifes et aux récits des ambassades reçues
ou envoyées par le sénat. Le récit des faits dont il fut le témoin direct (de -196
à -146) est malheureusement perdu en grande partie (livre 40), mais on en
retrouve la matière dans les relations de ses successeurs.
Appien
Il faut attendre quatre siècles pour trouver un autre historien grec de Rome,
Appien, qui s’intéresse de près à Carthage. Comme les Histoires de Polybe, son
œuvre a un caractère militaire et politique marqué, mais la perspective et la
structure en sont bien différentes : son Histoire romaine va en effet des origines
à l’époque contemporaine (le principat de Trajan) et surtout elle est organi-
sée par peuple et donc par terrain géographique au lieu d’épouser la linéarité
chronologique. Les entreprises de Rome en Gaule, en Espagne, en Syrie, en
Afrique etc., sont relatées dans des livres indépendants qui racontent l’histoire
du peuple concerné avant et après la conquête, par conséquent dans une pers-
pective moins romano-centrée que Polybe. Si Appien se montre souvent très
sévère à l’égard des atrocités de la conquête, il n’en considère pas moins que la
paix romaine est un bien dont bénéficie l’ensemble des peuples soumis à Rome.
Du fait de la structure de l’œuvre, le récit des guerres puniques est dispersé
sur plusieurs livres : le livre 5 (perdu) racontait les opérations de Rome en
Sicile contre les successeurs de Hiéron II, en particulier la prise de Syracuse ;
les Iberica (l. 6) mentionnaient la jeunesse d’Hannibal et le prélude de la deu-
xième guerre punique (avec la prise de Sagonte), tandis que les Hannibalica (l.
7) étaient consacrés aux opérations menées en Italie contre Hannibal. Quant
aux Libyca (l. 8), ils présentaient l’origine de la cité et une sorte de bilan des
trois guerres puniques puisque l’auteur y plaçait tous les événements qui eurent
lieu en Afrique lors des trois conflits. Il faut y ajouter le livre 9, consacré à la
38
Macédoine, qui mentionnait la conclusion d’un traité entre Han- L’incendie de
nibal et le roi Philippe V, et le Syriacè comportait l’exil d’Hannibal, Carthage en -146.
son séjour en Asie et les circonstances de sa mort (11.43-44). Les
La fin tragique de Carthage
sources auxquelles Appien eut recours sont difficiles à discerner :
est racontée par Florus
pour les deux premières guerres, il semble avoir surtout exploité
2.15 : Enfin, quand il n’y eut
Coelius Antipater, peut-être aussi Fabius Pictor, et Polybe pour
plus d’espoir, trente-six mille
la troisième guerre, associé à d’autres auteurs grecs et latins, tel le
hommes se rendirent, et, chose
roi Juba II. Dans l’ensemble, il s’inscrit dans une tradition assez
à peine croyable, Hasdrubal
conformiste, favorable à Scipion Emilien et qui attribue la respon-
était à leur tête. Combien plus
sabilité de la défaite finale de Carthage aux dissensions internes
grand fut le courage d’une
qui affaiblissaient la cité. Parmi les chefs puniques, seul émerge
femme, l’épouse du général !
Hannibal dont la personnalité demeure toutefois assez floue.
Prenant dans ses bras ses deux
enfants, elle se jeta du haut de
Plutarque sa maison au milieu de l’incen-
Les Vies parallèles de Plutarque (50/120), qui associent par paire die, à l’exemple de la reine qui
un chef grec et un chef romain, sont l’œuvre d’un moraliste, fonda Carthage. La durée de
comme le voulait le genre biographique dans l’Antiquité : elles ont l’incendie, à elle seule, permet
donc pour objectif principal de révéler les qualités et les défauts de juger de la grandeur de la
des héros, et les événements auxquels ils prirent part sont utilisés ville détruite. C’est à peine si
pour révéler leurs traits de caractère. C’est la deuxième guerre après dix-sept jours entiers on
punique qui est la mieux représentée, grâce aux Vies de Fabius put éteindre les flammes que les
Maximus et de Marcellus (celle de Scipion Emilien ayant disparu) ennemis avaient eux-mêmes
auxquelles s’ajoutent des compléments précieux puisés dans la Vie allumées dans leurs maisons et
de Caton l’Ancien, en particulier le récit de l’ambassade du censeur dans leurs temples. Puisqu’ils
à Carthage, mission qui fut à l’origine de la troisième guerre (Ca- ne pouvaient arracher leur ville
ton, 26-27) ; la Vie de Flamininus, 20, raconte la mort d’Hannibal. aux Romains, les Carthaginois
Plutarque puisa aussi dans un réservoir de sources très diversi- leur consumèrent leur triomphe.
fiées : ses deux grands devanciers, Polybe et Tite Live, mais éga-
lement des auteurs latins plus récents, Cornelius Nepos, Valère Maxime, ainsi
que d’autres dont on ignore les noms, mais auxquels il doit en certains cas des
informations originales.
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Les historiens latins
La seconde catégorie de sources romano-centrées est celle des historiens
latins, au premier chef Tite-Live, mais il ne faut pas oublier deux faits im-
portants : d’une part Tite-Live s’inscrit dans une tradition latine ancienne,
qui commence au second siècle avant J.-C. et eut une forte influence sur
la transmission du savoir et de la mémoire relatifs aux guerres puniques ;
d’autre part, lui-même, comme ses devanciers et ses successeurs, n’igno-
rait pas l’historiographie grecque à laquelle tous avaient recours, soit pour
s’en inspirer, soit pour s’en démarquer. Les deux historiens latins les plus
anciens, également témoins et acteurs de la deuxième guerre punique, sont
Fabius Pictor (préteur en -216) et L. Cincius Alimentus (vers -240/-190)
dont les récits sont perdus (hormis quelques fragments de l’Histoire de Rome
de Fabius Pictor). Tous deux ont choisi d’écrire en grec afin de donner
une plus grande portée à leur récit et de contrer la propagande punique
et grecque favorable à Carthage ; ce choix est également dû au fait que
la langue grecque était à cette époque la langue internationale et la seule
langue de culture admise.
On sait que leur entreprise, marquée du sceau d’un fort patriotisme, ampli-
fiait les victoires romaines en minimisant celles de Carthage ; ils sont aussi à
l’origine du portrait noir d’Hannibal, auquel ils attribuent toute la responsa-
bilité du déclenchement de la deuxième guerre punique, sans avoir obtenu Cuirasse dite
l’autorisation du sénat carthaginois. Ces deux grandes figures furent suivies d’Hannibal
de nombreux successeurs écrivant en latin ou en grec, mais dont la trace est Bronze doré
très pauvre. Ce qui est commun à ces premiers historiens latins des guerres Ksour-Essef
puniques, ainsi qu’aux poètes qui leur sont contemporains, c’est la très nette Musée national du
différence de traitement entre Hannibal et Carthage : les défauts de cruauté Bardo
et de perfidie sont attribués à Hannibal et non pas à Carthage, et le Bar- IIIe-IIe siècle avant
cide n’est pas même considéré comme un Carthaginois par Tite-Live, mais J.-C.
comme un étranger venu de l’autre côté
des colonnes d’Hercule (23.5-11). L’his-
torien se fait l’écho de cette tradition,
sans doute parce que la famille d’Han-
nibal appartenait à une faction minori-
taire à Carthage et à laquelle la majorité
des sénateurs romains était hostile ; ces
derniers se sentaient bien plus d’affini-
tés avec le sénat carthaginois plus tra-
ditionaliste et plus aristocratique et qui,
comme eux-mêmes, était hostile à la
guerre.
L’image de Carthage se modifie du tout
au tout à partir du IIe siècle, au cours
de la phase finale de l’intervention ro-
maine, à l’époque où Caton l’Ancien
se déchaîne contre le peuple carthagi-
nois. Ses Origines, que l’on connaît par
de rares fragments, avaient pour objet
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de collationner les récits de fondation des cités italiennes et les A droite : Œnochoé anthropoïde
grands événements qui avaient forgé leur histoire : il y abordait figurant une dame se pressant
la première guerre punique au livre IV et la deuxième au livre V le sein, peut-être une personni-
en exaltant la supériorité de Rome et en se montrant très défa- fication de la « Déesse-mère ».
vorable à Scipion Emilien. Parmi les annalistes vivant à la fin de (SA)
la République et qui, de ce fait, ne sont pas des témoins directs Henchir Béni Nafaa (Bizerte)
de l’époque de Carthage, il faut citer Valerius Antias (connu Musée national du Bardo
par Tite Live), contemporain de Sylla ou de César, et que Tite IIIe siècle avant J.-C.
Live prit souvent pour source en dépit de sa tendance à l’exa-
gération ; Cornelius Nepos (-100-vers -29/-25) est l’auteur Des
hommes illustres qui proposait en séries parallèles l’histoire des hommes qui
s’étaient distingués à Rome et ailleurs dans la vie politique, militaire, littéraire
et philosophique ; seul le traité sur les grands généraux étrangers est conser-
vé, et il l’est dans son intégralité : on y trouve une Vie d’Hamilcar et une Vie
d’Hannibal où les héros brillent par leurs vertus exceptionnelles.
Tite-Live
Il s’affirmait de son vivant même comme le pendant de Poly-
be pour ce qui est de la réception des guerres puniques. Notre
connaissance de cette époque ne serait pas ce qu’elle est sans
les livres 21-30, qui fournissent un récit continu et complet de
la guerre contre Hannibal, sans les periochai des livres 26-29
pour la première guerre punique, et, dans une moindre mesure,
les periochai des livres 49-51 pour la troisième guerre, auxquels
s’ajoutent les passages de l’œuvre de Florus qui leur sont aussi
consacrés (1.18 et 31). Le traité de Florus n’est pas uniquement
un abrégé de Tite-Live, mais il s’en inspire très étroitement, ce
qui permet de connaître l’intention de son modèle. Portrait de Tite-live
Le grand ténor de l’historio-
Dès le récit du premier conflit, la perfidie punique s’affirme graphie latine est bien entendu
comme une ligne de fond de la réflexion livienne, tout comme la Tite-Live (-59/+17) dont
loyauté et le sens du sacrifice des Romains ; c’est à l’historien pa- l’œuvre, Histoire de Rome
douan que l’on doit un récit détaillé de la bravoure de Regulus, depuis sa fondation, connut
qui, à partir de là, devient un exemple type de la valeur romaine un immense succès dès sa publi-
dans la littérature impériale. Les livres consacrés à la deuxième cation sous Auguste au point de
guerre punique attribuent les remarquables succès remportés susciter immédiatement la ré-
par Hannibal entre -218 (Trasimène) et -216 (Cannes) moins à daction d’abrégés (periochai)
ses qualités de stratège qu’à la discorde qui avait affaibli la cité et d’être considérée dans l’Anti-
romaine ; les livres suivants mettent en lumière les qualités qui quité comme un modèle.
amenèrent Rome de manière inexorable jusqu’à la victoire fi-
nale et qui sont autant de miroirs des vertus que la restauration
augustéenne proposait à l’époque de Tite Live. Pour autant, la
chute de Carthage est bien une catastrophe selon l’auteur qui adhère à une
idée déjà relayée par Salluste : la disparition de la grande rivale signe le déclin
de Rome qui s’enfonce dans le luxe, l’arrogance et la discorde dont les guerres
civiles sont l’expression ultime (Florus 1.47).
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Buste attribué à Ennius
Quintus Ennius (-239/-169) est considéré par
certains spécialistes comme le père de la poésie
latine. Il fit d’abord carrière dans l’armée ro-
maine ; il partit en Sardaigne où il s’était fait
remarquer par Caton l’Ancien. Il partit ensuite
à Rome où il enseigna les lettres grecques et la-
tines. Dans l’une de ses œuvres, il consacra un
long récit sur la seconde guerre punique (SA).
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ainsi une sorte d’histoire continue de Carthage qui insère des informations pré-
cieuses, depuis sa fondation jusqu’à la mort d’Himilcon, puis les affaires de Si-
cile et enfin, la mention de l’alliance d’Hannibal avec Philippe V de Macédoine.
L’ histoire exemplaire
Valère Maxime, qui écrit sous Tibère un traité intitulé les Faits et dits mémo-
rables, illustre bien une tendance marquée de la production littéraire latine
depuis déjà l’époque républicaine : le recours à des personnages exemplaires
tirés majoritairement de l’histoire grecque et de l’histoire romaine, mais qui
laissent aussi la place à des figures édifiantes du monde barbare. Dans ce
courant littéraire, il s’agit moins de fournir une réflexion historique que de
proposer des figures types et des anecdotes qui construisent une
mémoire et répondent à un consensus : plusieurs chapitres théma-
Scène de cuisson,
tiques accueillent ainsi des anecdotes ayant trait à Hannibal et Ha-
Carthage
milcar, aux Hasdrubal, à Carthage et aux Puniques.
Représentation d’une femme
Cette forme d’Histoire, qualifiée d’« histoire exemplaire », connut plaçant la galette de pain
une longue postérité puisqu’elle est largement représentée sous de contre la paroi intérieure
multiples formes à l’époque chrétienne, par des poèmes, des ser- d’un four. Ce type de four est
mons, des traités. Carthage et les guerres puniques encore utilisé en Tunisie et
y occupent une place très restreinte où subsistent est connu sous le nom de
quelques grands noms, quelques grands événe- tabouna. Un enfant suit
ments, sous une forme stéréotypée. L’objectif est assidument l’opération,
désormais de mettre en évidence les qualités hé- Musée national du Bardo
roïques des anciens Romains (ceux de la Répu- IVe siècle avant J.-C.
blique surtout) dont les martyrs chrétiens sont les (SA).
héritiers mais qu’ils surpassent néanmoins par
leur courage et leur piété.
L’Histoire de
Carthage dans
la littérature
chrétienne
Même les auteurs afri-
cains n’échappent pas à
cet appauvrissement de
la mémoire : Ter-
tullien ne livre
que de rares
exemples rela-
tifs à Carthage,
tels la mort de Regu-
lus, Hannibal écrasant
les Romains à Cannes,
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Scipion, qui est le plus juste et le plus vaillant des hommes (Apologie, 50.6 ;
40.8 ; 11.16). Les autres auteurs chrétiens des ive et ve siècles, Lactance, Mi-
nucius Felix, Augustin évoquent également ces noms, outre Flaminius battu à
Trasimène, Paul Emile écrasé à Cannes ; quant à Jérôme (vers 347/420), qui
traduit en latin la Chronique d’Eusèbe de Césarée en la complétant, il y ajoute
de rares mentions relatives aux guerres puniques, puisées dans ce vieux fond
culturel.
On observe donc, dans la littérature chrétienne, à la fois un désintérêt flagrant
pour l’Histoire de Rome et plus encore pour celle de Carthage (car ce sont
des histoires de païens) et une sélection très rigoureuse des faits et des per-
sonnages historiques : l’histoire est réécrite à partir de Tite Live et de Salluste
et subordonnée à la finalité théologique ; Carthage en est finalement presque
entièrement absente et son image y est dégradée. On retrouve à la fin du IVe
s. un représentant de la « grande Histoire » avec Eutrope, un auteur sans
doute païen, à qui l’on doit un Abrégé de l’Histoire romaine, tandis qu’un chrétien
espagnol, Orose, écrivit, à la demande d’Augustin, un traité intitulé Histoire
contre les païens (en 415) : il voulait montrer que les chrétiens ne pouvaient
être responsables du sac de Rome en 410 puisque l’histoire de Rome avait été
jalonnée de maux depuis sa fondation. Ces deux fresques historiques sont en
grande partie fondées sur le récit livien et ménagent quelques paragraphes
aux guerres puniques.
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Annexe
Liste alphabétique des auteurs anciens cités. En gras : auteurs importants (œuvres conservées, ou frag-
ments). En retrait : auteurs secondaires pour l’Histoire de Carthage, ou ceux dont l’œuvre est perdue et qui
ne sont connus que par des auteurs postérieurs (LM).
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