KARIMAMA Et Les Conflicts Domaniaux

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BANOUTO

BANOUTO

COMMUNES
COMMUNESFRONTALIÈRES DUDU
FRONTALIÈRES BÉNIN : :
BÉNIN
LA VIE A RUDE
LA VIE EPREUVE
A RUDE EPREUVE
COMMUNES FRONTALIÈRES DU BÉNIN : LA VIE A RUDE EPREUVE

ENQUETES & REPORTAGES


ENQUETES & REPORTAGES

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COMMUNES FRONTALIÈRES
DU BÉNIN :
LA VIE A RUDE EPREUVE

ENQUETES & REPORTAGES

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Banouto

COMMUNES FRONTALIÈRES
DU BÉNIN :
LA VIE A RUDE EPREUVE

ENQUETES & REPORTAGES

www.banouto.info Editions Copef - Novembre 2020 3


© FES Bénin
Les Cocotiers
08 BP. 0620 Tri Postal
Cotonou-Bénin
Tél. : +229 67 67 04 65
E-mail : [email protected]
internet : www.fes-benin.org

Supervision
Expédit B. OLOGOU
Chargé de programmes FES BENIN

Auteurs
Léonce GAMAI
Olivier RIBOUIS
Yao Hervé KINGBEWE
Falilatou TITI
Ozias HOUNGUE
Bignon Judicaël KPEHOUN

Relecture
Djagbo Aboudou Walid AGRO
Casimir DJIDAGO
Emmanuel O. KOUKOUBOU
Eddy Camille KOTTO

Dépôt légal N° 12634 du 25/11/2020


Bibliothèque Nationale du Bénin,
4ème Trimestre

ISBN : 978-99982-55-47-0

Mise en page et impression


Imprimerie COPEF
01 BP 2507 - Cotonou/Bénin
+229 61 61 65 38 / 95 84 34 34
[email protected]

«Tout usage à but commercial des publications, brochures ou autres imprimés de


la Friedrich-Ebert-Stiftung est formellement interdit à moins d’une autorisation
écrite délivrée préalablement par la Friedrich-Ebert-Stiftung».

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REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient :

- Docteur Hans Joachim Preuss, Représentant résident


de Friedrich Ebert Stiftung au Bénin,

- Monsieur Expédit Ologou, politologue, Chargé de


programme à Friedrich Ebert Stiftung,

- Madame Nouratou Zato Koto-Yérima, Chargée de


programme à Friedrich Ebert Stiftung,

- Tout le personnel de Friedrich Ebert Stiftung,

- Djagbo Aboudou Walid Agro, Casimir Djidago,


Emmanuel O. Koukoubou et Eddy Camille Kotto pour
la relecture,

- Le club de presse Café Média Plus (CMP) pour les


causeries hebdomadaires sur les différents dossiers

- A tous les protagonistes, témoins et personnes


ressources des faits transcrits dans cet ouvrage

- Aux lecteurs de Banouto.info

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PRESENTATION DES AUTEURS
1-GAMAI Léonce est journaliste, consultant-formateur et co-auteur
de plusieurs ouvrages. En 2018, il est sorti major du programme
«Journalisme pour le Développement », mis en œuvre par la région
Afrique de la Banque Mondiale, ESJ Lille et CESTI Dakar. Il fut, en
2015, bénéficiaire du programme « Jeunes Leaders du Bénin » de la
Fondation Friedrich Ebert (FES).
2-HOUNGUE Ozias Non-Ami est titulaire d’une licence
professionnelle en journalisme et communication. Il est passionné
par les faits politiques et les thématiques relatives aux nouveaux
médias et les relations internationales.
3-KPEHOUN Bignon Judicaël est titulaire d’une licence
professionnelle en journalisme. Stagiaire à Banouto, il est passionné
des questions de société
4-KINGBEWE Yao Hervé est journaliste d’investigation. Lauréat,
en 2017, de la première édition du « Prix Jérôme Adjakou Badou
du Meilleur Journaliste d’Investigation» au Bénin, il a été finaliste
de l’édition 2018 du prix WAMECA, qui récompense les meilleurs
journalistes en Afrique de l’Ouest.
5-RIBOUIS Olivier est un journaliste polyvalent, avec un intérêt
poussé pour les faits culturels. Il développe actuellement une
expertise en vérification des faits. ( Fact-checking )
6-TITI Falilatou est titulaire d’un Master professionnel en
journalisme. Elle a un intérêt particulier pour les faits politiques,
les questions de veille citoyenne et de gouvernance locale. Elle
a remporté, en juillet 2020, la deuxième édition du « Prix Jérôme
Adjakou Badou du Meilleur Journaliste d’Investigation» au Bénin.
NB : Tous les auteurs sont journalistes à Banouto

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SOMMAIRE

Préface …………………………………………………………….................. 09

Karimama : entre vulnérabilités et paradoxes, une


commune à découvrir………………………...................................... 13

Kétou : dans le voisinage du Nigeria, pour le meilleur et


pour le pire ……………....................................................................... 63

Les 5 visages de Tanguiéta ......................................................... 131

Table des matières ……………………………………………................ 175

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8 www.banouto.info
Préface

U n recueil d’articles d’investigation journalistique sur les


défis socio-économiques et sécuritaires des communes
frontalières du Bénin. Pourquoi et pour quoi faire ? Telles sont
les premières questions légitimes que peut se poser toute
personne qui découvre cet ouvrage. Les raisons qui justifient
l’opportunité et la pertinence de ce livre sont multiples.
Le Bénin, pour améliorer la gestion de ses frontières depuis
son accession à l’indépendance en 1960, s’est doté d’une
Politique Nationale de Développement des Espaces Frontaliers
(PNDEF). Le document définit les priorités d’investissements
adéquats que se fixe le pays afin de sécuriser ses frontières et
de promouvoir le développement économique et socioculturel
des espaces frontaliers. Ainsi, la vision à long terme de l’Etat
béninois serait de faire des zones frontalières, de véritables
espaces de développement durable et de bon voisinage avec
les pays limitrophes, espaces où les conditions de vie des
populations sont nettement améliorées. La mise en œuvre de
cette politique est assurée par l’Agence Béninoise de Gestion
Intégrée des Espaces Frontaliers.
Toutefois, relever les nombreux défis relatifs à la
viabilisation et au développement des espaces frontaliers
nécessite l’intervention d’autres acteurs institutionnels,
notamment au niveau décentralisé. A juste titre, le principe
8 de la politique nationale prône « l’engagement de chaque
mairie à contribuer à la mise en œuvre de la PNDEF en ciblant
les localités frontalières dans les plans d’aménagement et les
priorités d’investissement de la commune ».
A l’heure où la quatrième mandature des élus communaux
et municipaux, issue des élections communales du 17 mai
2020, s’installe pour une longue transition de six ans, il est
opportun de mettre en exergue les défis socio-économiques

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Dr Hans-Joachim Preuss

et sécuritaires des espaces frontaliers afin de susciter leur


mise à l’agenda au niveau local. La question revêt d’un enjeu
sécuritaire aussi bien pour l’intégrité du territoire que pour
celles des populations. En effet, l’observation des nouveaux
défis sécuritaires en Afrique de l’Ouest fait transparaitre la
tendance selon laquelle les vulnérabilités socio-économiques
et sécuritaires des zones frontalières constituent un terreau
fertile à l’expansion et à l’enracinement de l’extrémisme violent.
C’est pourquoi, la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) n’a pas
hésité à apporter son appui technique et financier au projet
d’articles d’enquête thématiques de Banouto (www.banouto.
info), média en ligne d’information et d’investigation le plus
lu au Bénin. L’objectif étant de ressortir les vulnérabilités
existantes afin de susciter, dans une approche préventive, les
interventions adéquates des pouvoirs publics.
Le dossier spécial de Banouto a porté sur trois communes
frontalières : Karimama (nord-ouest) situé dans la zone des
trois frontières entre le Bénin, le Niger et le Burkina Faso ; Kétou
(sud-est) à la frontière du Bénin avec le Nigeria et Tanguiéta
(nord-est) à la triple frontière du Bénin avec le Togo et le
Burkina Faso. La moisson est abondante. Elle est faite de récits
inédits, d’histoires émouvantes, inspirantes et mélancoliques.
Ces enquêtes et reportages vous font découvrir les
vulnérabilités et les paradoxes de Karimama. Dans cette
commune coincée entre le Parc W et le fleuve Niger, les terres
agricoles et de pâturage se raréfient. La situation engendre
des différends permanents entre agriculteurs d’une part,
et entre agriculteurs et éleveurs d’autre part. Et l’avenir des
enfants s’écrit en pointillés. Car, sur le plan éducatif, c’est la
commune des paradoxes. Les écoles primaires existent, mais
elles manquent d’élèves. Les parents préfèrent occuper leurs
enfants par les travaux agro-pastoraux. L’autre paradoxe
s’appelle Tilawa. C’est un village béninois quasiment pris

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Préface

en charge par le Niger. Karimama est aussi la commune de


l’ingéniosité où certains habitants ont fait des moulins à farine
une source alternative d’énergie.
A Kétou, sur la palette des défis socio-économiques et
sécuritaires, vous pourrez être amené à couler des larmes.
Vous lirez des récits épiques sur les drames de la transhumance
transfrontalière. Une commune qui, périodiquement, devient
le théâtre d’affrontements sanglants entre éleveurs locaux ou
étrangers et des paysans. A l’enjeu sécuritaire, s’ajoute celui
économique. Voisine du Nigéria, la ville béninoise de Kétou
est un haut lieu de commerce transfrontalier. Les multiples
échanges commerciaux, favorisés par la proximité avec le géant
de l’est, produisent de riches individus, mais l’administration
communale peine à mobiliser des ressources pour financer le
développement local. La culture et le tourisme sont également
au rendez-vous, mettant en exergue une ville dont les vestiges
s’écroulent.
Les enquêtes vous présentent les cinq visages de Tanguiéta
où l’accès à l’eau est si problématique que « se laver devient un
luxe ». Dans cette commune, l’activité touristique est au ralenti
depuis l’enlèvement de deux touristes français dans le Parc
National de la Pendjari et l’assassinat de leur guide béninois
le 1er mai 2019. La filière « néré » est également balbutiante,
malgré le commerce (exportation vers le Burkina Faso) autour
du produit vivrier depuis plusieurs années. Tanguiéta, c’est
aussi la commune de réparation des femmes ! Vous en saurez
davantage à travers les histoires de survie d’anciennes victimes
de fistule obstétricale, traitées et réinsérées dans la société
grâce à l’hôpital Saint Jean de Dieu et la Fondation Claudine
Talon.
Actualité oblige, les plumes peignent la situation de la
Covid-19 dans les communes frontalières sillonnées.

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Dr Hans-Joachim Preuss

A travers ce dossier, Banouto contribue au développement


inclusif et à l’avènement d’une société béninoise où règnent
l’égalité, l’équité et la justice sociale. Cette finalité cadre avec
la vision de la FES Bénin qui est de soutenir les transformations
sociales, politiques, inclusives et durables, avec un accent
particulier sur les jeunes et les femmes.
A la FES, nous sommes convaincus qu’il n’existe pas de
démocratie sans une presse libre et crédible. Notre appui
à Banouto, qui se distingue positivement dans le paysage
médiatique béninois, participe donc de notre engagement
à soutenir les initiatives qui contribuent au renforcement
d’une presse libre, crédible et pluraliste dans la construction
démocratique du Bénin.
Je vous souhaite bonne lecture !

Dr Hans-Joachim Preuss
Représentant Résident
Friedrich-Ebert-Stiftung Cotonou

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KARIMAMA :
ENTRE VULNÉRABILITÉS ET PARADOXES, UNE
COMMUNE À DÉCOUVRIR

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CONFLITS DOMANIAUX À KARIMAMA : MULTIPLES
FACETTES D’UNE BOMBE À RETARDEMENT

Située dans l’extrême nord du Bénin, à la frontière avec le


Burkina-Faso et le Niger, la commune de Karimama, est, du fait de
sa végétation et son relief, confronté à un problème de manque de
terres arables et de pâturage. La situation engendre régulièrement
des litiges entre familles d’agriculteurs d’une part et entre agriculteurs
et éleveurs peuhls d’autre part. Enquête dans une commune agricole
où la survie se joue sur fond de chasse à la terre.

Un cultivateur peuhl à Karimama

Par Léonce Gamaï

« L’agriculture est tout


pour nous. Nous ne
savons pas faire autre chose.
de terre». Azouma, la qua-
rantaine, s’assombrit lorsqu’il
évoque le chemin de croix
Je me demande ce qu’on qu’il fait la veille de chaque
deviendra avec ce problème saison agricole pour trouver

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Léonce Gamaï

un terrain cultivable. Polygame, cet habitant de Mamassy-Gour-


ma, un village agricole de la commune de Karimama, est chef
d’une maisonnée de 28 personnes dont certains se retrouvent
sans aucune occupation toute l’année, faute de terre. «Certains
membres de ma famille, qui se retrouvent parfois sans terrain
à cultiver, restent désœuvrés pratiquement toute l’année. Des
propriétaires terriens s’apitoient et nous prêtent des terrains
juste pour la saison», raconte-t-il.

« Le manque de terre est un sérieux problème dans le village.


D’ici 5 ans, trouver une terre cultivable deviendra presque
impossible », lâche Modi, un sexagénaire du village.

Chez les éleveurs peuhls, c’est les mêmes récriminations. «Il


n’existe plus d’aires suffisantes pour nourrir nos bêtes. Toutes
les terres sont occupées, même les collines sont aujourd’hui
exploitées pour l’agriculture. La vallée, qui servait d’aire de
pâturage est désormais occupée par les riziculteurs», se lamente
Boubé Djoffo, habitant de Mamassy-Peuhl et secrétaire de
l’APES, une association locale d’éleveurs.

La raréfaction de terres pour les activités agro-pastorales est


un grand défi dans la commune. Située à la pointe du Bénin,
à la frontière avec le Burkina-Faso et le Niger, à 702 km de
Porto-Novo, la capitale, la commune de Karimama s’étend sur
une superficie de 6041 km2 dont les 5/6 sont occupées par le
parc national W. Du fait de l’occupation de la quasi-totalité de
la superficie communale par le parc W, la population, estimée
à 67 000 selon le recensement général de la population de
2013, est concentrée sur une bande longitudinale.

Cette bande s’étend de la commune de Malanville à l’est


au confluent du fleuve Niger et de la rivière Mékrou, à la

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Conflits domaniaux à Karimama : multiples facettes d’une bombe à retardement

frontière nigérienne. La population pratique essentiellement


l’agriculture (plus de 95%), l’élevage et la pêche. «La zone
habitable ne représente qu’une infime partie de la superficie
de la commune. Elle est coincée entre le parc W, le fleuve Niger
et ses bas-fonds. La population augmente chaque jour alors
que la terre n’est pas extensible», explique le premier adjoint
au maire, Medawa Oumarou.

L’insuffisance des terres arables a fait développer aux


premières générations d’habitants de la commune, une forme
traditionnelle de transactions foncières. Une sorte de solidarité
intracommunautaire.

Une famille qui ne dispose pas de terres peut en emprunter


chez une autre. A la fin de la saison, une partie de la récolte
est offerte aux présumés propriétaires terriens, en guise de
reconnaissance. Seulement, lorsque les deux chefs de familles
ayant procédé à cette forme de bail traditionnel décèdent,
leurs descendants se disputent la paternité de la parcelle.
«Généralement, il n’existe aucun acte pour attester de la
transaction. Les populations n’ont pas d’actes de sécurisation
des domaines. Nous gérons ces situations au quotidien »,
témoigne le premier adjoint au maire.

Conflits à multiple visages…

Les conflits, qui découlent de la chasse aux terres cultivables,


se présentent sous plusieurs formes.

D’abord, les contestations de limites. Elles opposent les


présumés propriétaires terriens et/ou des locataires qui
partagent une même zone. Azouma, agriculteur à Mamassy-
Gourma, qui cultive cette année un terrain emprunté, donne

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Léonce Gamaï

son propre exemple. « Les limites entre les champs de mes


voisins et moi sont gondolées, décrit-il, en dessinant une
figure en forme de S sur le sol. On se bagarre tout le temps. Je
propose qu’on fasse une ligne droite pour la délimitation, mais
les autres refusent. La parcelle en question ne m’appartient
même pas»

Ensuite, les conflits interfamiliaux. «Par exemple, vous êtes


arrivés dans le village il y a vingt (20) ou trente (30) ans, je vous
ai prêté une portion de terre pour vos activités agricoles. Un
matin, mes petits enfants se lèvent et demandent aux vôtres
de déguerpir de la terre de leurs parents, car ils sont eux-aussi
dans le besoin », illustre Chahifi Assouma, coordonnateur de la
cellule de participation citoyenne (un creuset d’organisations
de la société civile), en observateur averti de la problématique
d’accès à la terre dans la commune.

Ce problème de terre engendre aussi des conflits


intrafamiliaux. Certaines familles nombreuses ne disposent
pas d’assez de lopins de terres pour tous les enfants garçons.
« On peut se retrouver face à une situation d’une famille de
cinq garçons, de même père et de mères différentes. Mariés et
pères de plusieurs enfants, ces fils pratiquent tous l’agriculture,
alors que la grande famille
« Le manque de terre
ne possède qu’une portion
est un sérieux problème
congrue de terre cultivable.
dans le village. D’ici 5 ans,
Cela devient insuffisant et de
trouver une terre culti-
telles situations conduisent
vable deviendra presque
à des disputes», explicite
impossible »
Domboro Seidou, chef du
village de Mamassy-Gourma.
La mésentente survient

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Conflits domaniaux à Karimama : multiples facettes d’une bombe à retardement

également entre cousins ou entre oncles et neveux. Des cousins


se bagarrent sur le partage de la part de la récolte qui revient
à la famille lorsqu’une parcelle familiale est mise en bail. Ces
cousins se chamaillent autour du partage des terres héritées
de leurs parents. De telles situations mettent aux prises les
enfants de l’oncle et de la tante.

Parfois, une parcelle peut opposer à la fois des membres


d’une même famille et deux différentes familles. Début juillet,
un tel cas a été soumis à la mairie qui n’a pas encore trouvé
le bon bout pour démêler le conflit opposant trois familles, de
deux différents groupes ethniques. Chacune d’elle, réclame la
propriété d’un terrain d’une superficie d’environ 1200 mètres
carrés. . Le petit terrain, qui vaut plus que de l’or dans la localité,
se trouve dans le village de Petchinga, vers la rivière Mékrou.

D’un côté, confie un résident au fait du dossier, les


membres d’une famille se disputent la parcelle de terre. D’un
autre côté, une aile de cette famille se dispute la même terre
avec les membres d’une autre famille. «Nous avons jugé utile
de dépêcher une équipe sur le terrain afin d’échanger avec
les parties. Nous avons aussi sollicité les sages de la localité.
Certainement qu’avec la contribution de tous, on parviendra
à trouver une solution à ce problème-là », assure le premier
adjoint au maire.

…sur fond de conflits entre agriculteurs et éleveurs

En plus de créer des différends entre familles et la mésentente


entre membres d’une même famille, l’indisponibilité des terres
est également à l’origine de conflits entre agriculteurs et
éleveurs. «Le champ et les bœufs ne peuvent pas vraiment
cohabiter ; c’est comme placer une balle de coton près du

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Léonce Gamaï

feu. Le risque d’incendie est fort », fait savoir Boubé Djoffo. Le


secrétaire de l’Apes compare la cohabitation entre éleveurs et
agriculteurs à celle de la langue et des dents dans la bouche :
« On se pince, on se relâche. On se pince, on se relâche.»

Dans la commune de Karimama, les différends entre


agriculteurs et éleveurs sont récurrents dans les mois de
novembre et décembre, en fin de saison agricole. De janvier
à mars, les éleveurs font paître leurs troupeaux sur l’Île aux
oiseaux. La mairie leur a réservé sur l’Île, un espace auquel
ils ont accès contre le paiement d’une somme forfaitaire
(entre 10.000 et 20.000 Fcfa). A partir d’avril, les bergers et
leurs troupeaux quittent l’Île pour se rendre sur d’autres aires
de pâturage, dont le parc W. Ils restent dans le parc et sa
périphérie jusqu’en octobre.

Le mois suivant, notamment en novembre, ils reprennent la


direction des espaces cultivés et des habitations. C’est là que
surviennent les télescopages entre agriculteurs et éleveurs. «
Les agriculteurs ont trois (03) mois pour récolter. Les peuhls
qui ne cultivent généralement que le mil finissent avant les
agriculteurs. Certains agriculteurs font plusieurs spéculations :
riz, mil, arachide, coton. Il leur est alors difficile de finir
les récoltes avant le retour du bétail. Dans la divagation et
le pâturage nocturne, les bœufs détruisent les cultures et
mangent les récoltes », regrette Boubé Djoffo.
La zone tampon en question
Dans leurs interventions, les acteurs impliqués dans la
question foncière à Karimama évoquent un lieu : la zone
tampon. La loi N° 2002-016 du 18 octobre 2004 portant régime
de la faune en République du Bénin définit, en son article

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Conflits domaniaux à Karimama : multiples facettes d’une bombe à retardement

11, la « zone tampon » « Les limites entre les


comme «la bande champs de mes voisins et moi
du domaine forestier sont gondolées, décrit-il, en
protégé qui ceinture les dessinant une figure en forme
aires protégées.» La zone de S sur le sol. On se bagarre
tampon du parc national tout le temps. Je propose
W du Bénin est une qu’on fasse une ligne droite
bande de 5 km de large, pour la délimitation, mais les
qui borde sa périphérie autres refusent. La parcelle
extérieure. Elle ceinture en question ne m’appartient
le parc de Karimama même pas»
à Kérou. La zone tampon est destinée aux activités agro-
économiques des populations riveraines du parc. Placée sous
l’autorité de la direction du parc, elle est censée être gérée
avec l’appui des associations villageoises.

La bande est subdivisée en trois sous-zones, à savoir


2 km pour les agriculteurs, 2 km pour les éleveurs et 1 km
pour les pisciculteurs et producteurs de plantes médicinales.
Ce zonage a vécu. Et les acteurs s’accusent réciproquement.
«Les gens ont respecté cette délimitation juste un temps. Les
agriculteurs ont fini leur portion et sont rentrés dans celles
réservées aux pisciculteurs et aux éleveurs. Maintenant, tout
est embrouillé », se désole Boubé Djoffo, qui fut témoin
oculaire de la délimitation.

De leur côté, certains agriculteurs accusent les éleveurs de


les empêcher d’avoir suffisamment de terres cultivables dans
la zone tampon. «Dans le cadre de la production de coton, les
agriculteurs ont tout occupé au détriment des autres », tranche
une autorité administrative du département de l’Alibori.

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Léonce Gamaï

N’ayant plus d’espace dans la zone tampon, agriculteurs et


éleveurs, qui se retrouvent dans le périmètre du parc, se font
fréquemment verbaliser par les forestiers en service au Centre
national de gestion des réserves de faune (CENAGREF). Tout
comme dans la zone libre, la difficile cohabitation agriculteurs-
éleveurs dans la zone tampon et à la lisière du parc débouche
souvent sur des conflits.

Selon des témoignages d’agents des forces de sécurité


et de plusieurs sages, ces dernières années, certains conflits
domaniaux dans la commune sont attisés par les dissensions
politiques. «Le problème de terre est de plus en plus politisée
par la division entre partisans de l’Union progressiste et
du Bloc républicain (deux partis politiques de la majorité
présidentielle, Ndlr). A la moindre incompréhension, la
question d’appartenance politique est évoquée », soulève un
chef de famille de Mamassy-Peuhl.

Entre conciliation et justice

Plusieurs instances interviennent dans la résolution des


différends domaniaux dans la commune de Karimama. Le
premier niveau est la médiation menée par les notables et
le chef du village. Lorsque la médiation échoue au niveau du
village, l’affaire est portée devant le tribunal de conciliation,
parfois par le biais de la mairie, fréquemment saisie par les
parties en conflit.

Au Bénin, les modalités de gestion des conflits domaniaux


sont définies par les articles 386 et suivants de la loi n° 2013-01
du 14 août 2013 portant code foncier et domanial. L’article 386
dispose que « les différends liés à l’accès aux terres rurales et
aux ressources naturelles y relatives sont réglés conformément

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Conflits domaniaux à Karimama : multiples facettes d’une bombe à retardement

aux dispositions de la loi portant organisation judiciaire en


République du Bénin.

Toutefois, la saisine des juridictions doit obligatoirement être


précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation
par le tribunal de conciliation compétent ou d’une tentative
de règlement amiable. Si les parties ne s’entendent pas sur le
choix du mode de règlement, la partie la plus diligente saisit
directement le juge du contentieux.»

Placé sous l’autorité du Tribunal de première instance de


Kandi, le tribunal de conciliation de Karimama est composé de
sept membres. «Notre mission est d’œuvrer pour un règlement
à l’amiable des conflits domaniaux. Lorsque nous échouons
après plusieurs tentatives, un procès-verbal est établi et
l’affaire est portée devant le tribunal de Kandi », explique Zibo
Babliba, le secrétaire du tribunal de conciliation. Souvent, après
l’échec au tribunal de conciliation, la mairie tente une dernière
médiation avant un ultime recours au tribunal de Kandi.

Partir ou rester…

Prises dans cette spirale, les familles ont recours à différentes


options de survie. Certaines parcourent les villages en début de
chaque saison agricole pour prêter des terres arables auprès
d’autres familles. Et ce, avec le risque de se retrouver dans un
conflit ou de ne pas avoir de terre cultivable la saison suivante.
D’autres décident d’en acquérir.

Mais l’existence de plusieurs propriétaires pour une même


parcelle hypothèque ces investissements domaniaux. Il y a
même des familles, qui font l’option d’émigrer vers d’autres
localités du Bénin.

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Léonce Gamaï

Les sages de Mamassy Gourma signalent le départ de


plusieurs des leurs vers d’autres départements. Dépité,
Azouma, qui se demande fréquemment « pourquoi Dieu a-t-
il fait naître ses parents à Karimama ? », envisage de plus en
plus cette solution. Pour la même raison, Anafi, jeune de Bello
Tounga est devenu un émigrant saisonnier.
De façon régulière, lorsqu’Anafi se retrouve sans terrain en
début de saison, il se rend au Nigeria où il passe une bonne
partie de l’année à faire de petits jobs.
Cet exode inquiète aussi à Mamassy-Peuhl. « Les Peuhls
sont nomades par nature, mais le manque d’aires de pâturage
a causé le départ de beaucoup de Peulhs d’ici pour d’autres
régions du Bénin ou d’autres pays de la sous-région», signale
Boubé Djoffo.
« Ils émigrent avec leurs familles. Leurs enfants reviennent encore
épouser les nôtres pour les y amener. Aujourd’hui, nos filles sont
plus disposées à épouser ceux qui vont vers le sud. Elles estiment
que la vie est plus belle là-bas qu’ici », poursuit-il dans un éclat
de rire.
Puis, le visage grave, il enchaine : «le risque de voir le village
se dépeupler complètement est de plus en plus grand. » «Ce
dépeuplement risque de se produire d’ici 50 ans», projette
Bouraïma, un leader du village.

…les populations lorgnent le parc W

Pour plusieurs acteurs, la solution au problème domanial


de Karimama se trouve dans la gestion rationnelle des terres
disponibles et la scolarisation des enfants afin de leur offrir
d’autres perspectives professionnelles que les activités agro-

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Conflits domaniaux à Karimama : multiples facettes d’une bombe à retardement

pastorales. «Les paysans qui veulent emblaver beaucoup plus


d’hectares que les autres doivent comprendre qu’ils ne sont
pas les seuls habitants de la commune.

Tout le monde a droit à un espace pour mener des


activités génératrices de revenus», préconise une autorité
administrative. «Les gens doivent aussi commencer à accepter
le fait qu’ils ne peuvent pas tous faire l’agriculture », ajoute-t-
elle. Kouarou, un sage de la localité, estime qu’«il faut envoyer
les enfants à l’école et leur faire apprendre d’autres métiers
[comme l’artisanat] ». «Certains jeunes étudient et reviennent
dans les villages diplômés sans emplois. Ils sont obligés de
recourir à l’agriculture pour s’en sortir », rétorque Zibo pour
mettre en évidence la complexité du problème.

Des leaders de villages d’agriculteurs et d’éleveurs estiment


que le recours à l’école ou aux professions alternatives sont
des solutions à moyen et long termes. Pour le court terme, ils
demandent une partie du parc national W. «La seule solution
que je préconise est qu’on nous donne une partie du parc que
nos populations peuvent cultiver », pense Domboro Seidou,
chef de Mamassy-Gourma.
« Les Peuhls sont nomades
Le parc national W par nature, mais le manque
du Bénin fait partie d’aires de pâturage a causé le
du complexe W-Ar- départ de beaucoup de Peulhs
ly-Pendjari, une réserve d’ici pour d’autres régions du
biosphère transnatio- Bénin ou d’autres pays de la
nale partagée entre le sous-région»
Bénin, le Burkina-Faso et le Niger. Le complexe est classé pa-
trimoine mondial de l’Unesco. Dans le cadre de sa politique
touristique, le gouvernement béninois s’est fixé comme ob-
jectif le «positionnement de la Pendjari et du Parc Régional W

www.banouto.info 25
Léonce Gamaï

comme le parc naturel animalier de référence de l’Afrique de


l’Ouest ». L’ambition, indiquée dans son programme d’action
(2016-2021) est de « faire du tourisme une filière de dévelop-
pement économique créatrice de richesses et d’emplois, une
filière économique majeure et le principal outil de rayonne-
ment du Bénin à l’international.»

A cet effet, après le parc national de la Pendjari en août


2017, le parc national W est passé sous gestion déléguée
de ‘’African Parks’’, une organisation non gouvernementale
de conservation de la nature, basée en Afrique du Sud.
«Jeudi 25 juin 2020, le gouvernement du Bénin s’est engagé
significativement et à long terme pour la sécurisation du Parc
National du W-Bénin en partenariat avec African Parks, afin
d’assurer la protection de la biodiversité et la durabilité des
écosystèmes au bénéfice des populations et de la faune du
pays », a annoncé début juillet African Parks.

Dans le cadre de la gestion de la Pendjari, ces mesures,


dont une restriction de l’accès aux ressources du parc aux
populations riveraines, avaient créé des grincements avant
une apparente acceptation de la situation. «On ne peut pas
réussir la gestion d’un parc sans l’adhésion des communautés
riveraines. [à Karimama] On va plutôt les impliquer dans la
gestion du parc W», assure Jean-Yves Koumpogue, directeur
par intérim du parc Pendjari.

Ses gages ne rassurent pas totalement les riverains du parc


national W. «On a appris que African Parks est encore plus
dur que les gens de CENAGREF. On attend de voir… », lance
le regard hagard, Boubé Djoffo, secrétaire de l’association
d’éleveurs à Mamassy-Peuhl.

26 www.banouto.info
EDUCATION AU BÉNIN : LE PARADOXE DES ÉCOLES SANS
ÉLÈVES À KARIMAMA

A Karimama, le taux de scolarisation et de maintien est


faible, malgré l’existence d’écoles primaires publiques dans
toute la commune. Les parents préfèrent occuper les garçons
avec les activités agro-pastorales. Les filles sont prises dans le
piège des tâches ménagères et du mariage précoce.
Par Léonce Gamaï

L e soleil, au
zénith,
ardent à Gourou-
est

beri, un village de
Karimama, ce 07
juillet à 13 h 20
minutes. Dégou-
linants de sueur Dine et ses frères plutôt au champ qu’à l’école

Dine, la quinzaine, et ses deux roue de coups. Plus rapides


jeunes frères labourent un et énergiques seront les deux
vaste terrain avec une char- bêtes, plus vite ira le travail. Le
rue. Ils se partagent les rôles. champ qu’ils labourent n’est
Devant, le plus jeune guide pas celui de leurs parents. Ils
à l’aide de deux cordes, les font une prestation. Les res-
deux bœufs qui tirent la char- sources leur permettront de
rue. Derrière les animaux, le contribuer aux charges de la
plus âgé tient les manches de famille.
la charrue. Le soc, maintenu
fermement contre le sol, trace Dine fait du labourage
les sillons lorsque les bêtes se à la carte depuis qu’il a été
mettent en mouvement. Le déscolarisé. Il y a de cela 4
cadet de l’équipe hurle et les ans. Le plus jeune de l’équipe

www.banouto.info 27
Léonce Gamaï

aurait voulu commencer l’école à la prochaine rentrée. Mais


ses frères ainés et lui restent pessimistes. Les 03 garçons sont
membres d’une fratrie de neuf (09) enfants dont deux (02)
filles. Aucun des garçons ne fréquente l’école. Les deux filles
sont pour le moment scolarisées.

L’histoire de Dine et ses frères est celle de la majorité


des enfants de leur âge à Karimama, commune située dans
l’extrémité nord du Bénin, à la frontière avec le Niger et
le Burkina Faso. Malgré la sensibilisation menée par les
autorités communales et l’intervention d’organisations non
gouvernementales, les taux de scolarisation et de maintien des
enfants à l’école restent problématiques.

La réalité par les chiffres

A Karimama « l’essentiel des indicateurs de performance de


l’école signalent une situation alarmante. Elle est à la queue
de peloton des communes du Bénin pour ce qui concerne la
plupart des indicateurs », relève le plan de développement
communal 2017-2020. Ce document renseigne que Karimama
occupe les dernières places du classement des communes en
matière de scolarisation.

Le taux brut de scolarisation est de 61,25% contre une


moyenne départementale de 75,48% et une moyenne nationale
de 122,00%. Le taux net de scolarisation est de 48,27% dans la
commune alors que la moyenne départementale est 62,20%
et la moyenne nationale est de 98,48%. « Karimama est la
commune du Bénin ayant le plus fort taux d’enfants exclus du
système éducatif formel. Ainsi, pour les 15 077 enfants âgés
de 6-11 ans en 2016, seulement 7 580 sont inscrits dans les
écoles, soit un taux brut de scolarisation de 50,27%. Le taux

28 www.banouto.info
Education au Bénin : le paradoxe des écoles sans élèves à Karimama

d’accès à l’école pour les enfants de 6 à 17 ans n’est que de


30,4% contre une moyenne nationale de 85,9% et 37,6%12
pour l’Alibori », peut-on lire dans le plan de développement
communal.

Selon des données du ministère des Enseignements maternel


et primaire, présentées par Social Watch Benin et Unicef dans
leur note d’analyse du budget 2020 de Karimama, le taux brut
de scolarisation dans la commune pendant l’année 2018-
2019 était de 47,7% contre une moyenne nationale de 108%.
De 2017 à 2019, le taux de promotion est allé decrescendo,
passant de 56% à 51% tandis que le taux de redoublement
connait une hausse de 13 à 16%. Le taux d’abandon connait
aussi une légère hausse, de 30 à 31,56%. Sur la même période,
le taux d’achèvement du primaire s’est réduit de 5 points,
passant de 15 à 10%.
«Ces taux dénotent qu’il y a beaucoup plus d’enfants hors
du système éducatif à Karimama qu’à l’école», analysent les
auteurs de la note d’analyse de Social Watch Benin et Unicef.
Ces statistiques contrastent avec le taux de couverture en
infrastructures scolaires dans cette commune dont au moins
le tiers de la population a entre 0 et 14 ans.
www.banouto.info 29
Léonce Gamaï

Quand les salles attendent les élèves

En matière de gouvernance des enseignements maternel et


primaire au Bénin, les modalités de partage de compétences
entre l’Etat central et les collectivités territoriales sont définies
par la loi N°97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation
des communes en République du Bénin.

L’article 98 dispose que « La commune a la charge de


la construction, de l’équipement et des réparations des
établissements publics de l’enseignement primaire et maternel.
Elle assure en outre l’entretien de ces établissements. A cet effet,
l’État lui transfère les ressources nécessaires». « La commune
initie toutes les mesures de nature à favoriser et à promouvoir
l’éducation de la jeunesse. A cet effet, l’Etat lui transfère les
ressources nécessaires », dispose en outre le même article.

Avec l’appui de l’Etat central, Karimama a doté ses villages


en infrastructures scolaires. « Nous avons 41 écoles pour 37
villages administratifs car certains villages ont plus d’une
école. Il existe aussi des localités dotées d’une école sans avoir
le statut de village administratif. Ce qui est sûr, nous avons 40
localités qui ont chacune une école », informe Lamoure Sibo,
Point focal éducation à la mairie de Karimama. Pour défaut
d’effectifs, certaines salles de classes sont inutilisées.

Au primaire, renseigne le Pdc, «la commune de Karimama


d’après les statistiques semble être parmi les mieux lotis en
matière d’infrastructures scolaires (salles de classe) (…) Nous
avons 178 classes utilisées pour 194 classes disponibles, soit
4,62 soit plus d’un module de trois classes avec bureau dans
chacune des écoles. La majorité de ces modules de classe sont

30 www.banouto.info
Education au Bénin : le paradoxe des écoles sans élèves à Karimama

en bon état car 79,8 % sont en matériaux définitifs en 2014 et


96,2 % en 2016».

Parents d’élèves, responsables éducatifs et acteurs


du développement local expliquent le contraste entre la
disponibilité d’infrastructures scolaires et la déscolarisation
par plusieurs facteurs.

Substituer l’ainé par le plus jeune

A Karimama, en pleine année scolaire, certains parents


retirent les enfants des classes pour les travaux champêtres
et l’élevage. «Les principales sources de revenus des parents
dans la commune sont l’agriculture et l’élevage. Les parents
préfèrent donc exploiter leurs enfants pour leurs activités
génératrices de revenus que de les laisser aller pleinement
à l’école », se désole Lamoure Sibo. «Quand l’enfant sort de
l’école, une fois à la maison, il jette son sac et passe à autre
chose. Le papa l’attend impatiemment pour faire paitre les
animaux. Une fois de retour, il se fiche de son cahier de cours »,
renchérit Blanchard Ateko, directeur d’école en poste dans la
commune depuis plus de 20 ans.

Pour ce qui est de l’agriculture, en plus des activités des


saisons ordinaires, les parents sollicitent aussi les enfants
pour les cultures de contre saison. « Tôt le matin, l’enfant doit
d’abord aller irriguer le champ de son père avant de se rendre
à l’école dans l’après-midi et vice versa. Certains parents
autorisent les enfants à se rendre à l’école chaque deux
jours, alternant travaux agro-pastoraux et présence en classe
», détaille Sido Aminou, chargé de programme éducation à
Dedras, une organisation non gouvernementale très présente
dans la commune.

www.banouto.info 31
Léonce Gamaï

Amadou, père de huit enfants, réside à Bello Tounga, un


village de Karimama. Il admet avoir plusieurs fois retiré ses
enfants de l’école. « Quand les pluies commencent, j’amène
mes garçons avec moi au champ. Pour l’école, ils se rattrapent
en recopiant les cours chez leurs camarades de classe »,
témoigne le quinquagénaire.

Certains parents font dans le conformisme. L’essentiel pour


eux est d’avoir au moins un enfant à l’école. Ils procèdent
ainsi au remplacement des adolescents, qu’ils trouvent
« physiquement aptes » pour les travaux agro-pastoraux, par
les plus jeunes.

«Lorsque le garçon a 12 ou 13 ans, donc en classe de CM2, son


père trouve qu’il est déjà fort pour conduire ses bêtes et aller au
champ. Un matin, il envoie son autre fils de six ans vous disant
qu’il va substituer son grand frère à l’école», explicite Blanchard
Ateko.

Certains enfants sont contraints de quitter les bancs parce


qu’ils doivent prendre la relève de leurs parents vieillissants.
« J’ai quitté l’école car mon père vieillit. En tant qu’enfant ainé,
je devrais travailler pour prendre soin de lui et de mes frères
et sœurs », témoigne Ali. Père de famille, avec deux enfants,
à seulement 23 ans, il (avec deux enfants déjà) a été sorti de
l’école en classe de CM2.

Les hommes préfèrent terre et bœufs aux bancs

Les attitudes des parents d’élèves sont tributaires d’un fait.


«Karimama manque de modèles de réussite par l’école», pense
Assouma Chahifi, coordonnateur de la cellule de participation
citoyenne.

32 www.banouto.info
Education au Bénin : le paradoxe des écoles sans élèves à Karimama

Dans la majorité des cas, explique le leader local de la société


civile, à l’issue de deux ou trois années d’études universitaires
après le BAC, les jeunes étudiants de la commune retournent
au village sans emplois. Ils s’en remettent à l’agriculture dans
les mêmes conditions que leurs congénères sortis plus tôt de
l’école. Ces derniers, déjà mariés et chefs de famille, bénéficient
de plus de considération, dans un contexte socio-culturel où le
mariage et la paternité sont des baromètres de réussite et de
responsabilité. « Imaginez-vous un jeune de 14 ans, qui arrive
à faire un petit champ de contre saison, s’en sort à la fin avec
près d’un million de Fcfa. Lorsque vous lui faites des reproches
sur l’école, il vous répond qu’il n’en voit pas l’opportunité si
l’agriculture lui permet déjà de gagner de l’argent », regrette
Assouma Chahifi.

Le raisonnement est identique chez certains parents. «Quand


nous échangeons avec les parents sur la non scolarisation
des enfants, en majorité, ils nous répondent qu’en l’espace
de trois mois, le paysan qui fait par exemple le riz, peut avoir
500 000 Fcfa. Ils se demandent quand est-ce que l’enfant
qui a commencé le CI va grandir, aura le BEPC, la licence,
trouver un emploi et subvenir aux besoins de ses parents»,
renchérit Oumarou Medawa, président de l’association de
développement de la commune, devenu premier adjoint au
maire à l’issue des communales de mai-juin 2020. «On essaie
de leur expliquer que même dans le domaine de l’agriculture
l’enfant scolarisé, sera différent de celui qui n’a jamais mis les
pieds à l’école », poursuit-il.

Les filles entre ménages et mariages

Les deux sœurs de Dine, l’adolescent de Gourouberi,


figurent parmi les privilégiées de la commune qui ont accès

www.banouto.info 33
Léonce Gamaï

à l’éducation. Dans la commune, selon la note d’analyse de


Social Watch Benin et Unicef, le taux brut de scolarisation est
de 43% pour les filles contre 52,5% pour les garçons.

« Par exemple, dans un village, on peut avoir à la rentrée 20


filles inscrites, mais avant les premières évaluations, vous allez
constater qu’une dizaine ou une quinzaine a abandonné »,
appuie Sido Aminou de l’Ong Dedras. Selon les statistiques du
Ministère des Enseignements Maternel et Primaire, pendant
l’année scolaire 2018-2019, le taux d’abandon était de 28%
chez les garçons contre 38% chez les filles. La même année,
en matière d’achèvement scolaire, les garçons ont devancé les
filles de 4 points.

Sido Aminou pointe du doigt la perception du statut de


la jeune fille par les communautés. «Lors de nos visites dans
les familles, on constate que les filles sont les seules à aider
les mamans dans les tâches ménagères : le balayage matinal,
la vaisselle, chercher de l’eau. Epuisées par ces travaux, une
fois en classe, elles dorment beaucoup et n’arrivent pas à
suivre les cours. Avant même la classe de 6ème ou 5ème, elles
abandonnent », déplore le chargé de programme éducation
de Dedras Ong.
«Lorsque le garçon a 12 ou 13
Aux multiples tra- ans, donc en classe de CM2, son
vaux ménagers père trouve qu’il est déjà fort pour
s’ajoutent d’autres conduire ses bêtes et aller au champ.
pesanteurs sociolo- Un matin, il envoie son autre fils de
giques comme les six ans vous disant qu’il va substituer
mariages précoces son grand frère à l’école», explicite
ou forcés. « Dans la Blanchard Ateko.
commune, certaines communautés ont une croyance selon la-
quelle la jeune fille ne doit pas avoir ses premières menstrues

34 www.banouto.info
Education au Bénin : le paradoxe des écoles sans élèves à Karimama

sous le toit de ses parents. Si par accident cela apparaissait,


ça ne doit pas se répéter plus de deux fois. Du coup, les gens
marient les filles âgées de 12 et 14 ans qui rejoignent ensuite
la mère de leur fiancé», renseigne Blanchard Ateko.

La religion, un faux fuyant ?

Awaou, 15 ans en 2020, avait été contrainte d’arrêter


les études en classe de CE1 avant d’être mariée quelques
années plus tard. Suite à l’intervention d’une organisation
non gouvernementale, Anafitou, 16 ans, qui fut elle aussi
victime de mariage forcé et Awaou apprennent la couture
au centre de promotion sociale de la commune. Toutes les
filles, précocement mariées n’ont pas la chance de Awaou et
Anafitou.

Ginette, la vingtaine, raconte avec amertume l’histoire de


sa copine Ramath. « C’est une fille qui travaillait très bien à
l’école. Nous étions allés en congés de Pâques, au retour on
nous informe qu’on l’a mariée», se rappelle attristée la jeune
fille qui a elle-même abandonné l’école en classe de 1ère. « Elle
avait 16 ans et était la troisième femme de son mari», poursuit
Ginette. Aujourd’hui mère de deux enfants, rapporte-t-elle, son
ancienne camarade doit se démerder à travers le commerce
de fagot de bois, pour subvenir aux besoins de ses enfants.

Dans cette commune fortement islamisée (91% de la


population), les parents justifient leur conception du statut
familial de la femme et les mariages précoces par des croyances
religieuses. De quoi agacer enseignants et animateurs de
développement communautaire.

www.banouto.info 35
Léonce Gamaï

« A Porto-Novo, Cotonou et Parakou il y a aussi des


musulmans. C’est le même Coran universel que nous respectons,
pourtant eux scolarisent leurs filles. Ici, on vous dira que l’Islam
interdit qu’on envoie l’enfant à l’école de Blanc. On vous dira
que la fille est faite pour le foyer d’abord. C’est comme si on
faisait ici une autre interprétation du Coran, à l’antipode de
celle faite à Cotonou. Tout porte à croire qu’ici c’est encore une
autre religion islamique», s’offusque Blanchard Ateko. « Nous
nous cachons derrière la religion pour faire des choses qui ne
vont pas développer la commune », renchérit Sido Aminou de
Dedras Ong.

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KARIMAMA : EN ATTENDANT L’ETAT, TILAWA AFFRONTE
SES NOMBREUX DÉFIS DE VILLAGE FRONTALIER

Les habitants de Tilawa, village frontalier béninois, situé


au confluent de la rivière Mékrou et du fleuve Niger, dans
la périphérie du parc W, commercent, communiquent et se
soignent grâce au Niger, mais affirment leur fierté béninoise.
Entre frustration et patriotisme, leur quiétude est entamée
depuis l’annonce d’une présence djihadiste dans cette aire
protégée, partagée entre le Bénin, le Burkina-Faso et le Niger.

Une habitation entre la rivière Mékrou et fleuve Niger à Tilawa

Par Léonce Gamaï

L es femmes de la maison
Garba, à Mékrou-Tilawa,
village riverain du fleuve
mardis, où elles fabriquent de
la pâte d’akassa (faite à base
de maïs) qu’elles vendent au
Niger, dans le nord du Bénin, marché de Boumba, village
consacrent leurs journées aux nigérien situé sur la rive
travaux domestiques. Sauf les opposée du fleuve.

www.banouto.info 37
Léonce Gamaï

Elles commencent la journée au premier chant du coq par


la prière et la termine autour de 22 heures par le lit. Entre ces
deux moments, place aux tâches ménagères (balayage, cuisine,
vaisselle et lessive) ainsi qu’à des moments de causerie. Elles
sont rassemblées sous un arbuste qui ombrage en partie la
cour lorsque nous débarquons ce mercredi 08 juillet 2020
autour de 14 heures.

La maison Garba est en bordure de la rivière Mékrou et à


quelques pas du fleuve Niger. A l’image d’autres maisons du
village, les murs en terre battue sont couverts de tiges de mil et
de sachets plastiques usés. C’est l’une des dernières habitations
du territoire béninois dans cette partie de sa frontière avec le
Niger.

La doyenne de la concession, Aicha, a à ses côtés ses


deux brus et l’épouse de son beau-frère. Les quatre femmes
nettoient des légumes pour le diner. Certains enfants se
baignent dans la rivière Mékrou juste derrière elles. D’autres,
torses nus, gambadent à travers les ustensiles de cuisine, non
lavés, éparpillés sur une partie de la cour.

Tout en faisant les préparatifs pour la sauce du soir, les


quatre ménagères discutent. Pendant ces moments entre
femmes, la doyenne, la cinquantaine, conseille les plus jeunes
sur l’éducation des enfants et les secrets de la bonne épouse.
Elles échangent aussi sur l’une des préoccupations majeures
des femmes du village : l’accès à l’eau potable. « Nous faisons
la lessive dans la rivière Mékrou et utilisons l’eau du fleuve Niger
pour le ménage. Nous n’avons pas le choix. C’est difficile d’aller
chercher tout le temps de l’eau à la pompe dans un village
voisin. On préfère alors utiliser l’eau d’ici », se lamente Aicha.

38 www.banouto.info
Karimama : en attendant l’Etat, Tilawa affronte ses nombreux défis de village frontalier

Un puits d’environ deux mètres de profondeur, repéré dans


la zone, contient une eau ayant quasiment la même couleur
beige que celle du fleuve. Les femmes du village la traitent avec
de l’alun avant consommation et autres usages domestiques.

Déconnectés du Bénin, connectés au Niger

Mékrou-Tilawa est situé au confluent de la rivière Mékrou


et du fleuve Niger, dans l’extrême nord du Bénin, à la frontière
avec le Niger. A la pointe du Bénin, ce village des encablures du
parc W se trouve dans l’arrondissement de Monsey, commune
de Karimama.

L’arrondissement central de Karimama et celui de Monsey


sont reliés par une route secondaire non bitumée. Le trajet
du centre de Monsey à Tilawa village se fait sur des pistes
hasardeuses. Celle que nous empruntons longe des collines
rocheuses. Sinueuse et étroite, elle traverse des hameaux
d’agriculteurs et des campements d’éleveurs.Tantôt
caillouteuse, tantôt sablonneuse, elle est sans issue par
endroits. Les kabou-kabou (taxi-motos) qui nous transportent
se fraient le passage à travers un bas-fond asséché.

Parfois, nous descendons pour faciliter au conducteur le


zigzag. «Lorsqu’il y a une seule grande pluie, toute cette zone
devient boueuse. Il devient impossible d’emprunter ce tronçon
à moto. Il faut passer par l’autre piste qui est sur les collines.
Mais c’est plus long », fait savoir Mohamed le taxi-moto. A
moto, le trajet de Karimama centre à Mékrou-Tilawa, long
d’environ 75 km, dure près de deux heures trente minutes. Le
coût du transport tourne autour de 5000 fcfa.

www.banouto.info 39
Léonce Gamaï

Les habitants de Mé- «Pendant les inondations,


krou-Tilawa s’informent il devient difficile d’avoir des
de deux manières sur ce vivres, même lorsque vous vou-
qui se passe dans leur lez en acheter. Le village n’est
pays le Bénin et le reste plus accessible. Tout est blo-
du monde : les réseaux qué. Seules les pirogues mo-
sociaux et les radios ni- torisées acheminent quelques
gériennes. Les informa- vivres, mais cela ne suffit pas»
tions reçues par ces mé-
dias par les personnes « branchées » (les époux et les jeunes
mobinautes) sont ensuite relayées au reste de la communauté.
Il n’existe pas de radio de proximité à Karimama. La couverture
de la radio nationale du Bénin n’atteint pas certains coins re-
culés de la commune dont Tilawa.

Les habitants communiquent avec les numéros


de téléphone GSM nigériens. Dans le village, les contacts
téléphoniques commencent par le préfixe +227… Aucune
couverture réseau GSM du Bénin. Les téléphones des membres
de l’équipe de reportage étaient déjà passés en roaming
quelques minutes après notre sortie de Karimama centre.
Sanoussi, agriculteur à Tilawa, qui fait aussi dans la réparation
de téléphones portables, dit avoir le gros de ses clients à
Boumba.

En cas de maladie, en l’absence d’un centre de santé


dans leur village, certains habitants de Tilawa se rendent
du côté nigérien du fleuve pour se faire soigner. Petchinga,
village béninois situé à une vingtaine de kilomètres, dispose
d’un centre de santé. Mais, des habitants de Tilawa soulèvent
une question d’inaccessibilité. «Quitter Tilawa pour Petchinga
avec un malade est risqué. Il n’y a pas vraiment de voie, le

40 www.banouto.info
Karimama : en attendant l’Etat, Tilawa affronte ses nombreux défis de village frontalier

malade peut mourir. Ici, c’est plus facile. Il suffit de traverser le


fleuve seulement et on est là-bas », souligne Garba, pêcheur-
piroguier rencontré au bord du fleuve, frontière naturelle
entre le Bénin et le Niger. « Il y a quelques semaines, j’avais
des maux de tête et je sentais la fatigue, je suis allé à Boumba
au Niger pour me faire soulager», confie-t-il.

En notre présence, le piroguier embarque deux femmes


qui s’y rendent au chevet d’une parente malade. La traversée
dure moins de trente minutes, mais plus lorsque le temps
n’est pas clément. La navigation étant difficile lorsque le vent
souffle fort. Le tarif du transport commence à partir de 100
Fcfa et peut varier en fonction de l’habileté du client dans la
négociation.

Entre quiétude et désespoir

Aicha est une vétérane de cette vie partagée entre le Bénin


et le Niger. Elle a grandi, s’est mariée et a eu ses enfants dans
les hameaux bordant la rivière Mékrou et le fleuve Niger. Elle
a donné naissance à certains enfants de l’autre côté du fleuve.
L’une de ses filles s’est mariée au Niger. La deuxième femme
de son fils est nigérienne, originaire de Boumba. Les peuples
des deux côtés de la rive du fleuve sont les mêmes : Zarma et
Houassa, en majorité.

Aicha affirme s’y plaire. Même si sa vie là est tout aussi


ponctuée de périodes de désespoir. Elle connait ses moments
de désespoir pendant les inondations quasi-annuelles. «En
période d’inondation, on a envie de tout abandonner pour
partir d’ici. Mais dès que ça passe, la vie reprend son cours
normal », fait-elle savoir. «Pendant les inondations, il devient
difficile d’avoir des vivres, même lorsque vous voulez en

www.banouto.info 41
Léonce Gamaï

acheter. Le village n’est plus accessible. Tout est bloqué. Seules


les pirogues motorisées acheminent quelques vivres, mais cela
ne suffit pas», renchérit Sanoussi.
Depuis le début de l’année 2020, aux désespoirs des
habitants du village en période d’inondation, s’est ajoutée une
angoisse, provoquée par la présence djihadiste signalée dans
le parc W. Ce parc fait partie du complexe W-Arly-Pendjari.
Le WAP est une réserve transfrontalière vaste de près de 1, 5
millions d’hectares partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et
le Niger. Dans un article paru fin janvier, la Lettre du continent
annonçait que « l’aire burkinabè » du parc W « serait sous le
contrôle de djihadistes qui en auraient fait une base arrière ».
A l’époque, l’information avait été confirmée à Banouto par
des sources sécuritaires béninoises.

La peur s’installe

A Mékrou-Tilawa, la nouvelle de la présence djihadiste


dans le parc W est évoquée de bouche à oreille. La peur s’est
accentuée dans le village depuis que des jeunes du village,
alertés par leurs voisins nigériens, ont interpellé un «individu
étrange ». C’était au cours du premier trimestre 2020.

«Quand les rumeurs de présence de djihadistes deviennent


persistantes, les gens ont même peur d’aller au champ,
plus personne ne vient dans le village»

Sanoussi, témoin de la scène, raconte qu’ils ont reçu un appel


des habitants de Boumba, les informant avoir aperçu dans leur
village des suspects djihadistes. L’un d’eux, ont indiqué leurs
informateurs, aurait traversé le fleuve en direction du côté
béninois. Mobilisés, les jeunes de Tilawa ont réussi à rattraper

42 www.banouto.info
Karimama : en attendant l’Etat, Tilawa affronte ses nombreux défis de village frontalier

Le vieux Garba pensif entre sérénité et crainte

«l’étranger» sur le chemin menant à Monsey. «Il était mince,


de teint clair et enturbanné. Nous l’avons forcé à embarquer
et nous l’avons remis aux militaires de l’autre côté du fleuve »,
rapporte-t-il, précisant que les trois autres membres du groupe
de suspects, étaient déjà aux mains des militaires nigériens.

«Les gens parlent un peu trop dans les campagnes. La peur


les pousse souvent à s’imaginer des choses. Il leur suffit de voir
un étranger dont l’habillement leur semble bizarre, ils tirent
des conclusions », relève Sibo, un ancien leader politique de la
commune, rencontré plus tôt dans la journée à Monsey centre.
«Les on-dit se multipliaient, et c’est ça qui a fait amener ceux-
là », ajoute-t-il, pointant du doigt un détachement de l’unité
spéciale de surveillance des frontières, déployé dans la localité
courant mars-avril.

www.banouto.info 43
Léonce Gamaï

Les agents de cette unité, repérés au bord du fleuve Niger


à Tilawa, sont fermés à la conversation avec notre équipe
de reportage. Nous insistons. Ils refusent de répondre à nos
questions et nous réfèrent à leur hiérarchie, à Cotonou. Ce
que nous nous sommes gardés de faire. Nous voulions des
témoignages d’agents de terrain sur l’état d’esprit de cette
population rurale, qui vit dans la précarité, dans cette zone
frontalière coincée entre le parc W, la rivière Mékrou et le
fleuve Niger.
Une source sécuritaire qui maitrise la région relève que les
populations n’auraient pas été aussi peinardes si la présence
djihadiste était effectivement dans la zone. Il se réjouit du
fait que les habitants de la localité, en «alerte maximale »
«signalent le moindre fait bizarre aux autorités locales et aux
agents de police».
Depuis l’interpellation de «l’homme étrange», la sécurité fait
partie des sujets de discussion dans les ‘’Faada’’ de Mékrou-
Tilawa. Présents dans certaines localités du nord du Bénin, les
Faada sont des assemblées d’hommes, souvent fréquentées
par les jeunes filles célibataires. Les jeunes s’y retrouvent autour
de tasses de ‘’ataï’’ (du thé) pour discuter et socialiser. «On se
taquine. On parle des filles, de la richesse, comment gérer son
argent. On parle de tout et de rien », confie, tout souriant,
Sanoussi, chef d’un Faada de Tilawa. Les autres membres de
l’assemblée éclatent aussi de rire.
Une théière bleue noircie est posée sur un feu de charbon,
dans un petit fourneau. « On se conseille aussi sur comment
se comporter en présence d’étranger ; ce qu’il faut faire pour
alerter le reste du village si quelqu’un voit des étrangers, des
gens bizarres », ajoute-t-il. Son Faada est aussi fréquenté par
des jeunes provenant du côté nigérien du fleuve.

44 www.banouto.info
Karimama : en attendant l’Etat, Tilawa affronte ses nombreux défis de village frontalier

« On est fâché contre Talon »

Les jeunes de Mékrou-Tilawa sont majoritairement dans


l’agriculture, notamment la riziculture. Ils commercialisent une
partie de leur production et conservent le reste pour les besoins
alimentaires familiaux. « Des gens viennent du Nigeria pour
acheter le riz qu’on produit. Au temps de Boni Yayi (président
du Bénin de 2006 à 2016, ndlr), le gouvernement achetait nos
productions. Mais après le départ de Boni Yayi, la société qui
achetait est aussi partie. Le gouvernement ne paie plus », se
lamente Sanoussi.

Il fait allusion, commente notre guide, à la Sonapra (Société


nationale pour la promotion agricole), qui achetait les
productions des agriculteurs locaux, pour le compte de l’Onasa
(Office national d’appui à la sécurité alimentaire). Ces deux
structures béninoises de promotion agricole et de sécurité
alimentaire ont été dissoutes par le gouvernement Talon
dans le cadre des réformes des organes de gouvernance du
secteur agricole. «Le gouvernement nous donnait de l’argent
et les machines pour faire l’agriculture, mais cela a cessé. C’est
vraiment dur. L’Etat prenait soin de nous, mais depuis un
moment, il n’y a plus rien », se plaint Sanoussi.

Le crépuscule s’annonce à Mékrou-Tilawa. Les deux guides


de notre équipe de reportage nous pressent de repartir. L’air
devenant frais, ils craignent une pluie soudaine.

Sur le chemin du retour, à la hauteur de l’école primaire


publique du village, l’on aperçoit un groupe de jeunes qui
s’apprêtent pour une partie de foot. Le jeu va opposer les
membres de différents Faadas. Ils sont surexcités à l’idée de
savoir que des gens sont venus de Cotonou, en dehors d’une

www.banouto.info 45
Léonce Gamaï

période électorale, pour s’intéresser à leurs conditions de (sur)


vie. L’un d’eux, la vingtaine, qui s’exprime bien en français,
explicite davantage leur peur à l’évocation des djihadistes.
«On entend parler des djihadistes, quand ils arrivent quelque
part, ils tuent tout le monde, grands comme petits », affirme
Mohamed. « Je veux dire quelque chose », lance-t-il ensuite.
Les autres jeunes forment systématiquement un demi-cercle
autour de lui. Ils font silence. Puis, Mohamed lâche:

« Dans notre zone, il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de route, il n’y
a pas d’hôpital. On est fâché contre Talon. Il nous a eus. On a
voté pour lui mais il nous a oubliés.»

Ses compagnons acquiescent par des applaudissements


mêlés de cris et d’éclats de rire.

46 www.banouto.info
ACCÈS À L’ÉNERGIE AU BENIN : CES MOULINS QUI
DONNENT DU COURANT À KARIMAMA

A Karimama, pointe
septentrionale du
Bénin entre le fleuve
Niger et le Parc W,
en l’absence d’une
connexion au réseau
électrique national,
certains habitants
font recours au
moulin à farine pour
obtenir de l’énergie.
Ce moulin à farine sert aussi de source d’énergie
électrique à Karimama
Par Judicaël Kpehoun (Stag)

A uberge de Bello Tounga. C’est un espace de recréation


réputé à Karimama, situé à quelques cinq minutes de
conduite à moto du chef-lieu de la commune. Il est 19 h 30 ce
mardi 07 juillet 2020 dans cette commune de la frontière du
Benin avec le Niger, à près de 800 km au nord de Cotonou.
Yaou, l’un des gérants du centre de récréation, coupe le moteur
de sa moto.

Dans ses mains, un bidon gris de 5 litres. Il avance vers un hangar


de fortune dans un angle de l’auberge. Un bruit de machine retentit.
Tout de suite, les lampes installées çà et là, lancent leur éclat. La
musique met en branle des jeunes. Il vient de mettre en marche
le moulin qui alimente le centre en électricité. «C’est un dispositif
qui nous génère de l’énergie électrique. L’accès à l’électricité est
difficile ici », renseigne le jeune d’environ 1m 70 dans son pantalon
et manche longue bleu.

www.banouto.info 47
Judicaël Kpehoun

Ce dispositif est fait d’un moulin à farine, d’une bobine


et deux tonneaux installés l’un sur l’autre contenant de l’eau
servant de refroidisseur. La bobine, elle, génère de l’énergie
électrique sous la forte pression des tours massifs de la meule
du moulin à son démarrage.

Certains habitants de Karimama font recours à ce dispositif


du fait de l’absence de l’électricité dans quatre des cinq
arrondissements de la commune et des délestages récurrents.
«C’est une obligation. Nous voulons de l’énergie, nous n’avons
pas les moyens de cette énergie. La distance Karimama- chef-
lieu-; Bello Tounga ne nous permet d’avoir l’énergie », explique
Blanchard le promoteur de l’Auberge Bello Tounga.

« L’énergie solaire n’était pas en vogue au moment où on a


ouvert le centre. La seule alternative c’était d’avoir un moulin
à farine associé à une dynamo pour avoir le courant », ajoute-
t-il. . Le quinquagénaire apprend qu’il faudra débourser au
moins 800 000 f cfa pour acquérir le dispositif. « Le moulin
a coûté 500 000f, la dynamo quant à lui 210 000 F CFA. Les
accessoires, la courroie, les tonneaux, l’implantation et la main
d’œuvre nous a coûté. J’y ai mis un (1) million de F CFA quand
même», détaille-t-il.

A l’auberge, où se vendent aussi nourriture et boisson,


le dispositif à moulin permet d’alimenter une trentaine de
lampes électriques, 02 réfrigérateurs, une télévision et des
équipements de sonorisation. Le moulin consomme en
moyenne deux litres de gasoil pour rester en marche entre 19
h et 23h.

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Accès à l’énergie au Benin : ces moulins qui donnent du courant à Karimama

Utilisé dans les maisons et ateliers

Si Blanchard utilise ce dispositif pour alimenter son centre


récréatif, d’autres habitants de la commune y font recours
pour éclairer leur ménage.

Depuis plus d’une vingtaine d’année, Houmarou fait


l’expérience du dispositif de moulin qu’il allume de 19h
jusqu’au petit matin. Avec son installation d’une bobine de 7
ampères, il alimente 3 frigos, 8 ampoules et 2 ventilateurs
dans la maison dont la gestion lui a été confiée. Mais il y a
quelques mois, son patron a équipé la maison des panneaux
solaires.

Comparativement au coût du dispositif de moulin, informe-


t-il, le panneau solaire coûte moins cher mais fournit moins
d’énergie. «Ce dispositif de moulin est meilleur que le panneau
en terme de capacité énergétique mais le panneau solaire est
moins coûteux», avoue Houmarou.

Le chef-lieu de la commune, seule zone électrifiée de


Karimama connait des délestages qui durent parfois plus de
48 voire 72 heures. Afin de pallier d’éventuelles répercussions
négatives sur leur travail, des soudeurs aussi installent le
dispositif de moulin. Il sert donc de relais en cas de coupure
d’électricité. « Depuis qu’on a commencé à l’utiliser, on n’a
plus le problème d’énergie. On travaille quand on veut. C’est
bien », témoigne Ali, un apprenti. Pour éviter la surtension lors
de l’usage du dispositif, le patron de l’atelier a ajouté à son
dispositif un régulateur.

Après son installation, le dispositif n’a souvent pas de panne.


Selon les dires des propriétaires, seule la bobine reçoit le plus

www.banouto.info 49
Judicaël Kpehoun

souvent des coups. Et il faut la changer de temps à autre. Une


fois installé, le dispositif peut être mis en marche 24H/24.

A Mamacy-Gourma, un autre village de la commune de


Karimama, un habitant le possède également à domicile.
Selon le témoignage de ses proches, il est devenu grâce à
ce matériel, l’un des plus envié de la communauté. «On a
beaucoup d’admiration pour lui. Beaucoup de voisins comme
moi vont charger leur téléphone chez lui. Il est connu de tout
le monde», partage un voisin du village.

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COVID-19 AU BENIN : KARIMAMA INFORMÉ MAIS
PAS CONFORMÉ

A Karimama, commune du nord du Benin, à la frontière avec


le Niger et le Burkina Faso, une grande partie de la population
continue de douter de l’existence de la Covid-19, malgré la
sensibilisation.

Covid-19 ? A Karimama, une partie de la population n’y croit pas trop

Par Judicael Kpehoun (Stag)

M arché de Monsey. Il est


17h. Ce mercredi est le
jour de l’animation du marché
vient s’observent. Sous les
paillotes, les commerçants,
sans masques de protection,
dans cet arrondissement de installés derrière leurs
Karimama, à la frontière du marchandises semblent vivre
Benin avec le Burkina Faso. sous des cieux épargnés de la
Sur les lieux, c’est l’affluence pandémie du coronavirus.
des grands jours. Les va-et-

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Judicaël Kpehoun

Un coup de klaxon dans l’allée principale, un conducteur de


taxi moto communément appelé Kabou-Kabou à Karimama,
vient d’arrêter le moteur de son engin. Derrière la trentaine
révolue, deux dames en tenue traditionnelle ‘’Bohunba’’ et
’’Idjabou’’ (voile, ndlr) aux visages. Elles ne portent pas de
masque de protection. D’ailleurs, aucun des membres d’un
groupe de jeunes et d’adolescents amassés dans un coin du
marché autour d’une table de jeu n’en porte.

A Karimama, d’un marché à un autre, d’un arrondissement


à un autre, le constat est presque le même. Le port du cache-
nez et la distanciation de sécurité sanitaire, d’un (1) mètre,
deux mesures phares recommandées par le gouvernement
béninois dans la lutte contre la covid-19, ne sont quasiment
pas respectées. A l’exception d’usagers de la route, croisés sur
la voie principale de la commune qui avaient pratiquement
tous leur cache nez au visage.

Au marché central de Karimama ce vendredi 10 juillet 2020,


les usagers continuent de se donner des poignées de mains. Des
masques de protection quelques fois sales aperçus au visage
de certains conducteurs de taxi moto, leur servent de ‘’cache
menton’’. Les acheteurs se cognent dans les allées étroites
du marché. Faridath a son étalage de bouillie à quelques
mètres du parc des conducteurs de taxi moto. Pour nettoyer
ses récipients de service, elle n’a pas besoin de détergent. La
jeune femme dispose d’une bassine à eau dans laquelle elle
les plonge d’un geste rapide et sert le prochain client venu.

A Karimama, les Faadaa constituent les grands lieux de


regroupement des jeunes. Ils s’y retrouvent pour discuter de
tout et de rien. Dans ces assemblées sillonnées, les jeunes
sont souvent assis dans une promiscuité indescriptible sur des

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Covid-19 au Benin : Karimama informé mais pas conformé

nattes étalées au sol ou sur des troncs d’arbres secs. Pas de


masques de protection ni de dispositifs de lavage de mains. Le
seul verre est utilisé pour servir le ‘’Atai’’ (du the) aux membres
de l’assemblée.

Informés mais pas conformés

A Karimama, commune de l’extrême nord du Benin, la


population est pourtant informée de l’existence du coronavirus.
Mais très peu y croient. «Vous avez déjà vu un malade du
coronavirus? La maladie n’existe pas au Bénin », lâche tout
de go Assane, un jeune à moto, stationné sur une artère du
centre-ville. « C’est la maladie des blancs. Les Africains ne
peuvent pas souffrir du coronavirus», martèle-t-il. « Il fait très
chaud à Karimama. On a appris que le coronavirus n’aime pas
la chaleur donc ça ne peut pas contaminer quelqu’un ici »,
renchérit le collègue de Assane, Affikou. Il souligne qu’«un
bon africain qui va au champ, qui prend bien l’alcool ne peut
être infecté par le coronavirus ».

Début de prise de conscience

La prise de conscience d’une partie de la population est


le fruit de nombreuses actions de sensibilisation, indique le
premier adjoint au maire de la commune, Medewa Oumarou.
« Au début de la pandémie, la population n’y avait pas du tout
cru. Il a fallu qu’on accentue les campagnes de sensibilisation
et que les statistiques augmentent chaque jour », fait-il
constater. « On ne peut pas dire que toute la population est
convaincue mais aujourd’hui il y a un grand nombre qui prend
conscience», estime Medewa Oumarou.

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Judicaël Kpehoun

En plus des actions de la mairie, les organisations non


gouvernementales sensibilisent également la population sur
le coronavirus. A l’avènement de la covid-19, DEDRAS Ong,
Présente dans la commune depuis de longues années, a
dépêché des équipes dans les différents villages et hameaux
de la commune. «On a réalisé des éléments sonores de
sensibilisation qu’on a copié sur carte mémoire. Nous avons
joué ces messages dans les Faadaa tout en les partageant par
Bluetooth», expose Sido Amidou, agent de DEDRAS Ong.

Aux écoliers de CM1 et CM2, poursuit-il, l’organisation leur


a appris la conception du dispositif de lavage des mains « Tic-
tac ». «On a fait la formation d’abord sur la place publique
et après dans les écoles. Des sensibilisations ont été faites
dans les maisons, au niveau des hôpitaux pour montrer que la
maladie existe », conclut-il.

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COMMUNES FRONTALIÈRES DU BÉNIN :
«LA PRÉOCCUPATION MAJEURE DE KARIMAMA, C’EST LA VOIE»
Oumarou Medewa est le frontière avec le Niger et le
premier adjoint au maire de Burkina Faso. De l’électricité
la commune de Karimama. à l’eau potable en passant
Dans cette interview, réalisée par l’éducation, les projets de
début juillet 2020, soit un construction d’infrastructures
peu plus d’un mois après et la mobilisation de
l’installation du nouveau ressources financières,
conseil communal, l’ancien Oumarou Medewa, assure
président de l’association que « tout est prioritaire
de développement se » à Karimama. Surtout, le
prononce sur les défis bitumage de la voie Guéné-
socio-économiques de cette Karimama.
commune béninoise de la

Comment se porte Karimama aujourd’hui ?


Karimama se porte disons à merveille. Les difficultés ne
manquent pas. Chaque localité à ses problèmes mais quelques
mois après notre arrivée, nous sommes en train de faire bouger
les lignes.

Comment ?
Nous avons, par exemple, constaté que l’administration
ne reflétait pas le développement auquel nous aspirons. Au
niveau du personnel, les gens ne venaient pas régulièrement
au service. Les agents qui le faisaient arrivaient généralement
en retard. Nous avons tenu une séance d’échanges avec le
personnel communal sur les disfonctionnements. Les bonnes
habitudes ont été maintenues et on a essayé de corriger les
imperfections.

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Léonce Gamaï et Judicaël Kpehoun

Oumarou Medewa , le premier adjoint au maire de Karimama

Aujourd’hui, au niveau du personnel, il y a un cahier de


présence. Il est fermé à 08 h 00. A 15h aussi c’est la même
chose. Nous avons aussi institué un cahier de mouvements.

A tout moment, le maire peut avoir besoin d’un agent. Sur


la base du cahier de mouvements, on peut savoir la position
des agents qui vont sur le terrain. Ça, c’est au niveau de
l’administration communale. Des choses sont également en
cours dans les arrondissements.

L’une des principales préoccupations des populations


est l’état de la route Guéné-Karimama. Qu’envisagez-vous
face au problème d’inaccessibilité à la commune ?

Cette route a fait l’objet de nombreuses promesses. Les différents


gouvernements qui se sont succédé nous ont fait plusieurs
promesses. Malheureusement, cela n’a jamais abouti. C’est un
véritable casse-tête pour la population surtout en saison pluvieuse.

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Communes frontalières du Bénin : «la préoccupation majeure de Karimama, c’est la voie »

Certaines missions, même des missions gouvernementales,


n’arrivent pas à avoir accès à la commune en saison pluvieuse.
Si vous avez pu vous rendre facilement à Karimama, c’est parce
que les fortes pluies n’ont pas encore commencé.

Mais quand vous venez à partir de fin juillet et dans les


mois d’août, septembre, vous aurez envie à un moment donné
de vous retourner. C’est un grand problème qui limite les
échanges entre notre commune et celle de Malanville qui est
une grande commune où s’effectue généralement la plupart
de nos échanges.

En saison pluvieuse, la question de la route soulève des


problèmes liés à la santé. La saison pluvieuse vient de s’installer
avec toutes les péripéties, les moustiques, le paludisme,
l’anémie qui sévit généralement dans les mois de juillet et août
où les enfants tombent régulièrement malade.

Le centre qui est habileté à recevoir les cas les plus graves est
à plus de 60 kilomètres à Malanville, avec une voie que tout le
monde connait (dont l’état est impraticable, ndlr). Nous avons
une ambulance qui ne fonctionne pas en saison pluvieuse.
C’est seulement pendant la saison sèche que l’ambulance
peut travailler.L’état de la route Guéné-Karimama est une grande
préoccupation des populations. Nous souhaitons que l’Etat central
puisse nous aider afin que ce calvaire soit un mauvais souvenir.

www.banouto.info 57
Léonce Gamaï et Judicaël Kpehoun

Vos administrés se plaignent également concernant


l’accès à l’eau et à l’électricité.

Il faut reconnaitre que plusieurs de nos populations n’ont


pas accès à l’eau potable. Des gens continuent d’aller au fleuve
ou bien dans les marigots pour prendre de l’eau à boire et
pour les autres besoins domestiques. L’une de nos missions,
c’est l’approvisionnement des populations en eau potable. Le
conseil qui nous a précédés a fait un effort en la matière. Le
conseil qui vient de s’installer est également en train de lutter.

Toutefois, depuis 2017, le gouvernement a créé une


agence nationale d’approvisionnement en eau potable en
milieu rural. Avec la création de cette agence, les communes
n’ont plus cette compétence de réalisation d’infrastructures
d’approvisionnement en eau. Le budget 2020 que nous
exécutons n’a pas pris en compte la réalisation de nouvelles
infrastructures d’approvisionnement en eau potable.

Des ressources sont plutôt prévues pour la réhabilitation de


celles existantes. Il y a des ouvrages d’eau qui existent déjà,
il faut quand même les réhabiliter pour que les populations
puissent vraiment avoir accès à l’eau potable.

Qu’en est-il de l’électricité ? La commune n’est que


partiellement connectée au réseau national.

Sur les cinq arrondissements que compte la commune de


Karimama, c’est seulement l’arrondissement central qui est
couvert en électricité. Il y a également l’arrondissement de
Birni-Lafia mais ce n’est pas encore fonctionnel. Et les poteaux
sont en nombre insuffisant. On a constaté qu’il y a seulement
deux poteaux à l’intérieur du village.

58 www.banouto.info
Communes frontalières du Bénin : «la préoccupation majeure de Karimama, c’est la voie »

Au niveau des autres arrondissements, c’est des panneaux.


Ces panneaux solaires sont implantés depuis plusieurs années
mais ils ne fonctionnent pas. A ce niveau, nous allons lancer un
appel aux structures compétentes pour que les gens puissent
nous aider afin que les populations aient la lumière.

De Cotonou, il était difficile pour nous de communiquer


avec des personnes sur place ici. Le réseau est constamment
instable. Sur le plan de la communication, votre commune
est apparemment déconnectée du Bénin ?

En matière de communication, Karimama rencontre assez


de problèmes. D’abord, au niveau des GSM, sur les cinq
arrondissements que comptent la commune, il n’y a que deux
qui sont couverts par les GSM : Karimama et Kompa. Béni-Lafia
n’est pas entièrement couvert parce qu’on trouve le réseau à
des endroits donnés. Les populations, en majorité, utilisent un
réseau GSM du Niger.
L’autre problème, c’est l’absence d’une radio communautaire.
Avant d’être premier adjoint au maire, j’ai été président de
l’association de développement communal donc à ce niveau
nous avons élaboré un plan de travail annuel qui prévoit la
création d’une radio communautaire à Karimama. Je crois que
nous n’allons pas baisser les bras. Des dispositions sont en
train d’être prises.

Visiblement, tout est problème à Karimama. Route, eau,


électricité, santé, éducation. Avez-vous l’impression que
votre commune est délaissée ?

Ce qui fait qu’on n’est pas totalement fier pour le moment,


c’est l’état de notre voie. On dit que la route du développement
passe par le développement de la route. La préoccupation

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Léonce Gamaï et Judicaël Kpehoun

majeure de la population de Karimama, c’est la voie. Si on


arrive à trouver une solution, cela va faciliter les échanges. Les
gens n’auront plus peur de venir à Karimama.
A des moments, lorsqu’on vous parle de Karimama, c’est
comme si c’était l’enfer. Plus on va essayer de désenclaver la
commune, plus les activités économiques vont prendre de
l’envol. Le commerce va se développer. Les gens auront de quoi
survivre. C’est là en réalité le problème. Et la population est
toujours impatiente. Elle veut voir ce grand projet se réaliser.

Quel est l’état d’âme général de la population ?

La population se porte vraiment bien. Nous venons de sortir


des élections municipales au cours desquelles elle a fait un
choix de dirigeants. Cette population a placé tout son espoir
sur les nouveaux dirigeants. Elle attend que nous puissions
régler ses problèmes. Et ce n’est rien d’autre que l’amélioration
des conditions de vie.

Face à la multiplicité des problèmes, quelles sont les


priorités du conseil communal ?

Tout est prioritaire. Mais il y a d’abord la mobilisation des


ressources propres. Puisque ces ressources nous permettront
de régler beaucoup de problèmes des populations dont les
solutions relèvent des compétences de la commune. Nous
avons déjà engagé quelques réformes dans le but d’accroitre
les ressources propres de la commune.

Nous pensons aussi à l’assainissement du centre-ville.


L’état actuel du centre-ville ne correspond pas à sa qualité du
chef-lieu de notre commune. La question de l’hygiène et de
l’assainissement. Cela fait partie également de nos priorités

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Communes frontalières du Bénin : «la préoccupation majeure de Karimama, c’est la voie »

parce que la ville au moins doit être propre. Un projet de


pavage financé par l’Etat béninois et des PTF est pratiquement
à terme.

Il y a aussi l’éducation. On ne peut jamais aller au


développement sans l’éducation. Il faudrait que chaque parent
comprenne l’importance d’envoyer son enfant à l’école. Nous
sommes également en train de travailler sur cela pour qu’à
partir de la rentrée 2020, tous les enfants en âge scolarisable
puissent vraiment aller à l’école et qu’on y assure leur maintien.

La réforme de la cantine du gouvernement est déjà une


mesure pour assurer le maintien de ces enfants à l’école. A
l’éducation s’ajoutent les problèmes d’accès à l’eau potable et
d’électrification.

Réalisation : Judicaël Kpehoun (Stag) et Léonce Gamaï

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62 www.banouto.info
KETOU :
DANS LE VOISINAGE DU NIGERIA, POUR LE MEILLEUR
ET POUR LE PIRE

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64 www.banouto.info
KÉTOU : LE NIGÉRIA, SI PRÈS SI LOIN DES
CAISSES DE LA MAIRIE

Minée par la contrebande, l’informel et l’incivisme fiscal,


la ville frontalière de Kétou fait face à de gros soucis de
mobilisation de ressources financières internes. Ceci, alors
qu’elle constitue un terrain privilégié d’échanges commerciaux
nationaux et internationaux en raison de sa proximité avec
le Nigéria. Banouto vous amène à la recherche des fonds
perdus d’une commune frontalière du Bénin à l’ère de la
décentralisation.

La Mairie de Kétou ne profite pas encore du statut frontalier de la commune

Par Olivier Ribouis

C laire, élancée, à 25 ans mercredi 22 juillet 2020. Déjà


révolus, Floriane Tchak- plusieurs heures qu’elle est
pan est une belle demoiselle. à Assèna, le marché interna-
Elle vit du commerce du gari, tional qui s’anime tous les
la farine faite à base du ma- cinq jours à Kétou. Et comme
nioc. Elle n’a pas la mine des c’est le cas depuis 5 mois, sa
grands jours, ce matin du clientèle préférée n’est pas

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Olivier Ribouis

au rendez-vous. « On est là. Mais, actuellement, les choses


ne marchent pas bien à cause du confinement. Ça bloque les
clients nigérians qui viennent ici pour prendre nos produits »,
explique la jeune femme à propos de ce qui se passe avec son
activité.

Du fait du coronavirus, Floriane voit ses chiffres d’affaires


baissés et son produit qui peine à s’écouler. Comme elle,
plusieurs autres vendeurs de produits vivriers souffrent de ne
pas voir débarquer les Nigérians sous leurs hangars. Visiteur
indésirable, la pandémie du COVID-19 qui frappe de plein
fouet tous les pays et met en difficulté les secteurs vitaux
de l’économie mondiale permet cependant d’apprécier ce
que représente le Nigéria dans la vie de Kétou. « La plupart
de nos gros clients viennent du Nigéria. Avant la pandémie
du coronavirus, ils venaient régulièrement et nos produits
s’écoulaient bien. Actuellement, ils ne viennent plus du tout.
Les garis sont-là et ne se vendent pas », poursuit Floriane dans
sa rengaine contre le virus venu de Wuhan en Chine.

A quelques mètres du site de vente de la farine issue de


la transformation du manioc, se trouvent les parcs de vente
des céréales comme le maïs, le soja, le sorgho. Le premier
à deux pas appartient au groupement Oba-l’okélé. Moussa
Ganiou, un sexagénaire est vice-président de ce point de
vente de céréales. « Sans le Nigéria, nous menons une vie
très difficile ici. On profite beaucoup du Nigéria parce que
la commercialisation des produits vivriers tels que le maïs, le
soja prospère grâce aux Nigérians », fait-il savoir. A l’instar des
vendeurs de gari, ses clients privilégiés ne sont pas présents.
En dehors du coronavirus, l’absence des acheteurs nigérians,
justifie-t-il, est due au fait que les premiers maïs qui sortent
des champs en ce moment ne sont pas ceux qu’ils préfèrent.

66 www.banouto.info
Kétou : le Nigéria, si près si loin des caisses de la mairie

« Actuellement les Nigérians n’achètent pas parce que le maïs


n’est pas encore bien sec pour être conservé ». A côté de ce
parc modeste s’étendant sur une superficie de 300m2, se trouve
le plus grand parc de vente de céréales qui fait doublement
sa taille. Il appartient au groupement Abanitché. Riliwanou
Mouftaou, délégué par le président du groupement très
occupé pour se prêter à nos questions, témoigne également
de l’indispensabilité des clients nigérians dans l’écoulement
des produits agricoles à Kétou.

« N’eussent été les Nigérians, nous n’aurions pu écouler nos


marchandises. Ce que les Béninois achètent est insignifiant
comparativement à ce que les Nigérians nous prennent. Il n’y
a même pas de comparaison possible entre la consommation
locale de maïs et nos exportations sur le Nigéria ».
De retour de Ibadan au Nigéria où il a fait ses études
jusqu’à l’obtention de son doctorat, Dr Ibrahim Adékambi est
professeur à l’Université nationale d’Agriculture (UNA) basée à
Kétou. L’enseignant chercheur explique comment la proximité
avec le Nigéria profite à l’agriculture dans sa ville natale.

« En matière de produits agricoles, la commune de Kétou


est le premier fournisseur du Nigéria parce que le grand géant
de l’Est a de grandes usines de transformation de maïs, de soja.
Le pays transforme ces produits agricoles pour fabriquer des
provendes pour nourrir les animaux. Après la transformation,
ce n’est pas uniquement le Nigéria qui utilise ces produits. C’est
en effet fabriqué pour toute l’Afrique de l’ouest notamment
le Mali, la Côte d’Ivoire. Les Nigérians viennent également
acheter du Lafou (un dérivé du manioc) à Kétou pour leur
propre consommation ».

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Olivier Ribouis

Dans l’alimentation, les céréales de Kétou font tourner la


brasserie au Nigéria. Et c’est tout naturellement qu’on constate
dans les barres de cette ville béninoise, une forte présence
de bières nigérianes qui sont prisées des populations. En plus
d’être un marché d’écoulement des produits agricoles pour
Kétou, le Nigéria contribue à la mécanisation de l’agriculture
kétoise qui est pluviale, extensive avec des pratiques ances-
trales et des outils rudimentaires. « Si ce n’est pas le Nigé-
ria qui nous aide dans la « N’eussent été les Nigérians,
mécanisation de l’agri- nous n’aurions pu écouler nos
culture, nous sommes marchandises. Ce que les Bé-
toujours presqu’ à la ninois achètent est insignifiant
main. Mais les gens du comparativement à ce que les
Nigéria viennent nous Nigérians nous prennent. Il n’y a
offrir des prestations même pas de comparaison pos-
avec leurs machines, des sible entre la consommation lo-
tracteurs et ça nous sou- cale de maïs et nos exportations
lage un peu », témoigne sur le Nigéria ».
le Président de l’Union communale des producteurs de Kétou
(UCP-Kétou), Folahan Ogoudaré qui souhaite une implication
des autorités locales dans la mécanisation agricole.

Non seulement l’agriculture prospère du fait de ce voisinage


providentiel, il y a le commerce en général qui se développe
dans cette commune frontalière. Cela, en termes d’échanges
internationaux mais aussi de transit de produits entre les autres
communes de l’intérieur du Bénin et le Nigéria. « Le commerce
représente la principale activité non agricole à laquelle
s’adonnent les habitants de Kétou. Il est surtout favorisé par
la proximité de la commune avec le Nigeria et sa position de
carrefour avec les départements du Zou et des Collines », a
indiqué le cabinet « Alpha & Omega Consultants » dans un

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Kétou : le Nigéria, si près si loin des caisses de la mairie

rapport de diagnostic du Plan de développement communal


(PDC) de Kétou réalisé avec la coopération allemande, GIZ.

Des chiffres et des estimations

Le gros impact du Nigéria sur les activités économiques


à Kétou se traduit dans les chiffres sur l’évolution de la
production agricole et les estimations des commerçants.
Bien qu’ils n’aient pas un service classique de comptabilité,
les commerçants dans les marchés de Kétou ont une idée
de ce qu’ils écoulent quand ils reçoivent les clients nigérians.
Floriane Tchakpan, la jeune vendeuse de gari rencontrée sur
son site de vente au milieu de gros sacs de farine, apprend que
par jour d’animation du plus grand des 18 marchés de la ville,
à Assèna, ses chiffres d’affaires ont baissé de moitié au moins
parce que les Nigérians ne viennent pas. « A chaque jour de
marché, lorsque les Nigérians viennent je fais entre 300 000 F
CFA et 400 000 F CFA de vente. Maintenant (juillet 2020) c’est
150 000 F CFA ou 200 000 F CFA au plus » dit-elle.

Mieux que la jeune femme, Émile Odjougbélé est un


grand producteur et commerçant du manioc et ses dérivés.
Secrétaire de la coopérative «Oloroun Djoba» de Kétou qui
compte 34 membres producteurs dont 01 décédé récemment,
c’est sur son lieu de transformation de manioc à Obafèmi qu’il
nous reçoit pour une visite riche en explications. Forte d’une
trentaine de personnes, son équipe de production est en grande
partie composée de femmes. Qui pour éplucher les maniocs,
qui pour le broyage et autres dans des machines surplace, qui
encore, pour préparer la farine devant des fourneaux en série,
c’est un véritable travail à la chaîne pour passer du tubercule
au produit fini.

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Olivier Ribouis

De juin à décembre 2020, lit-on sur la fiche des prévisions


de production de sa coopérative, ils comptent transformer
1086 tonnes de manioc en gari. En temps normal, confie cet
ancien flic devenu producteur et transformateur de manioc,
les clients nigérians pouvaient consommer la quasi-totalité de
leur production. En période d’abondance dit-il, « le Nigéria est
en mesure de consommer plus de 70% de notre production ».
En dehors du Nigéria, ils vendent leurs produits à des clients
nigériens. Plus précisément, un demi titan de gari soit 20
tonnes de farine est convoyé sur le marché nigérian par jour
de marché par les membres de son groupement, renseigne le
producteur qui regrette le manque de matière première qui ne
permet pas parfois de répondre à la demande.

Du côté des commerçants de maïs, les estimations obtenues


des acteurs parlent d’elles-mêmes. « C’est à partir de fin août
et septembre que les Nigérians viennent ici », commence
le vice-président du groupement de commerçants, Oba-
l’okélé, Moussa Ganiou. Et quand ils sont là, poursuit-il, « c’est
beaucoup. 1000 à 2000 tonnes de maïs vont vers le Nigéria
par mois ». Sur le grand parc Abanitché, Riliwanou Mouftaou
pense même que la quantité de maïs déversée sur le Nigéria
est inestimable. « C’est trop ! On ne peut pas compter. Ça
dépasse 1000 tonnes par mois », lâche, bouche bée, le vieil
homme qui, à plus de 30 ans dans le commerce de céréales,
continue son activité malgré un accident de travail qui a
réduit sa motricité. Autour de lui, ses camarades acquiescent
spontanément.

Un circuit d’exportation en perfectionnement

Les échanges commerciaux entre Kétou, la ville frontalière


d’un pays francophone comme le Bénin et le Nigéria anglophone

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Kétou : le Nigéria, si près si loin des caisses de la mairie

promettent d’être encore plus affinés d’année en année. Pour


cause, un acteur majeur s’est proposé de renforcer la capacité
des acteurs des Pôles d’entreprises agricoles (PEA). Il s’agit du
programme « Approche Communale pour le Marché Agricole
au Bénin » - ACMA financé par l’Ambassade des Pays-Bas pour
un budget global de près de dix millions d’euros. Il est mis en
œuvre sur une durée de 50 mois (novembre 2013 - 31 décembre
2017) par un consortium composé de cinq institutions. 22
communes dont Kétou, dans trois départements frontaliers du
Bénin ont été couvertes. L’huile de palme, le maïs, le gari, le
piment, le poisson, l’arachide et le soja sont les chaines de
valeurs prises en compte dans le cadre de ce programme qui
a permis aux acteurs du commerce transfrontalier de mieux
échanger.

Entre autres, ACMA a eu pour objectifs « le renforcement


du pouvoir des acteurs directs économiques locaux dans les
échanges commerciaux », « l’accroissement des échanges
commerciaux sur les marchés locaux et avec le Nigéria » et
« un accroissement quantitatif et qualitatif de l’offre locale
et l’écoulement des produits concernés ». A Kétou, ACMA a
contribué au réaménagement du grand parc à maïs Abanitché
d’une capacité de 1000 tonnes et construit dans le marché
Assèna, un magasin de stockage d’une capacité de 1000
tonnes également.

Lucie Sessinou, la mairesse de Kétou, témoigne de la


contribution de ACMA dans la facilitation des échanges
transfrontaliers entre ses administrés et le géant voisin de
l’est. « Aujourd’hui, les populations n’ont plus à se plaindre
parce qu’elles ont leurs produits sous le bras. Elles peuvent
déjà aller vers les boutiques d’ACMA pour se faire payer leurs
produits ou les déposer en échange des fonds dont elles ont

www.banouto.info 71
Olivier Ribouis

besoin et dès que les prix sont bons, elles peuvent les livrer et
rentrer. Ça règle plusieurs problèmes parce qu’au niveau des
marchés, la pauvreté dans des communautés – qui sont à 80%
des agriculteurs ou des paysans – fait qu’elles peuvent brader
leurs vivres en prenant de l’argent chez les commerçants pour
cultiver leurs champs », a souligné la première autorité de la
ville.

Selon un rapport d’évaluation de l’institut de recherches et


d’applications des méthodes de développement (IRAM) publié
en septembre 2017, « grâce au programme ACMA, des ventes
groupées vers le Nigéria ont été réalisées pour une valeur de
7.12 millions d’euros et des crédits agricoles ont été accordés
pour 1.34 millions d’euros » dans l’ensemble des localités
d’intervention.

En dehors de ACMA, l’Agence béninoise pour la gestion


intégrée des espaces frontaliers (ABEGIEF) s’est aussi illustrée
dans l’accompagnement des Kétois pour l’accroissement de
leur capacité de production et d’écoulement de produits agro-
alimentaires. Dans le village frontalier de Iwoyé, l’agence a
formé, équipé et doté de site de production, un groupement
de femmes dans la production du gari vendu aux Nigérians.

Des individus s’enrichissent, la mairie en souffrance

Bien qu’elle constitue un atout avéré pour les activités


économiques, la proximité avec le Nigéria est encore loin d’être
une véritable source de mobilisation de ressources propres
au niveau de la mairie de Kétou. Les quelques ressources que
l’administration locale tire de cette manne se limitent à la
perception pas très nette d’une Taxe de développement local
(TDL) sur les produits vendus. Pour ce qui est des activités

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Kétou : le Nigéria, si près si loin des caisses de la mairie

économiques de l’informel et de la contrebande, elles profitent


aux individus auprès de qui les agents percepteurs de la mairie
ont du mal à percevoir des taxes.

Assis sous un arbre au milieu de la cour de sa maison en


bordure de voie, Charles Akotangni, le secrétaire général
adjoint de la mairie de Kétou voit défiler chaque jour des
trafiquants de produits pétroliers dans des tonneaux et
autres contrebandiers roulant à vive allure à travers des
sentiers sinueux pour échapper aux postes de contrôles et de
perceptions.

« Les gens ne veulent pas payer ! Si vous restez ici 20 minutes


maintenant, au niveau de la voie qui passe devant-là, vous allez
voir des convoyeurs de tonneaux, ils passent dans la brousse puis
passent par ici, Ofia, Ogounou, Tongou et tombent à Abèokuta.
Ils prennent de l’essence et le convoient à toute vitesse ici. Le
bidon fait 200 Kilos, on leur demande de payer 5000 F et ils
refusent pour passer dans les brousses ce qui fait qu’ils tombent
parfois et des gens en sont morts », fait-il savoir.

« Voilà ce que je dis », montre du doigt, quelques


instants après, le fonctionnaire de la mairie au passage d’un
contrebandier sous les branchages d’acajous près de sa
maison. « Ils fuient la douane, ils fuient tout le monde. Les
gens trouvent toujours des détours, des lieux que les Anglais
appellent des «beats» pour pourvoir s’échapper. Il y a toujours
des échappatoires » ajoute, le SGA selon qui, l’incivisme fiscal
ne permet pas à Kétou de profiter de sa proximité avec le
Nigéria.

En dehors des marchandises sur lesquelles les acheteurs


payent les taxes et les patentes à percevoir dans les marchés,

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Olivier Ribouis

la mairie de Kétou a aussi institué un droit de stationnement


perçu chez les chauffeurs des véhicules qui arrivent ou partent
quotidiennement de la ville carrefour du Plateau. Aussi, la
ville abrite le plus grand marché à bétails du Bénin construit
avec le financement de l’UEMOA à Iwoyé. Dans ce marché
essentiellement occupé par des éleveurs peulhs de diverses
nationalités, la mairie a instituée une TDL sur les têtes de
bovins et de caprins.

Sur place, les renseignements obtenus auprès d’un jeune


agent percepteur, tickets en main, indiquent une taxe de 1000
F CFA par tête de bovin vendu et 100 F CFA par tête de caprins.
« Si les choses devraient bien fonctionner, le recouvrement de
la taxe de développement local doit occuper une bonne place
dans nos budgets parce que la performance d’une commune
s’observe à travers sa capacité de mobilisation des ressources
propres » admet la mairesse de Kétou qui regrette la grosse
part de l’informel dans les activités économiques et l’incivisme
fiscal dans sa commune.

Les écueils à la mobilisation de ressources financières

Ville de commerce transfrontalier et de transit, Kétou


est comparable à un pauvre qui dort sur une mine d’or et
s’apitoie sur son sort chaque jour, selon Alfred Olowolagba,
coordonnateur de la cellule de participation citoyenne. Avec
son équipe, ce collaborateur de l’ONG ALCRER réputé dans la
veille citoyenne, travaille à la mobilisation de la population à
participer aux sessions de la mairie. « Nous allons également sur
le terrain pour vérifier la qualité des infrastructures réalisées sur
le fonds FADEC. Nous animons des émissions interactives pour
sensibiliser et éduquer la population », décline cet activiste
connu un peu partout à Kétou. Selon lui, la mairie pèche dans

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Kétou : le Nigéria, si près si loin des caisses de la mairie

la mobilisation des ressources propres. « La mobilisation des


ressources souffre beaucoup à Kétou. Je dirai qu’il n’y a pas
encore une stratégie digne du nom pour la mobilisation des
ressources ».

Les données du service Affaires financières de la mairie


illustrent le déficit en mobilisation de ressources propres à
Kétou. Au cours de l’exercice 2017, « au total, sur une prévision
de 354.474.181 francs CFA, la mairie a mobilisé 148.617.985
francs CFA soit un taux de réalisation de 41,81% ».

De l’explication du service des affaires financières, il ressort


que « ce faible taux de recouvrement qui ne permet pas à la
commune de faire face à ses charges de fonctionnement est dû
d’une part à l’incivisme fiscal et d’autre part aux nombreuses
réformes engagées par le gouvernement actuel malgré les mul-
tiples stratégies développées par les services en charge de la
mobilisation des ressources propres ».

Victime de l’incivisme fiscal qu’elle dénonce, la mairie subit


une distraction des taxes qui profitent aux individus. « Avec tout
ce que nous voyons à la frontière d’Illara comme transactions,
ce sont des individus ou des privés qui en profitent. Lorsque
la mairie veut placer des tickets, elle n’arrive pas à avoir des
politiques pour sensibiliser ces commerçants à contribuer au
développement de la commune », signale Alfred Olowolagba,
l’œil de la société civile.

Tout le long du trajet menant à la frontière en partant de


Kétou centre pour Illara en passant par Okpometa, Idigny,
Illikimou, des barrières informelles se mélangent aux postes
de police et de douane. Sur le terrain, les acteurs du commerce
transfrontaliers dénoncent ces tracasseries routières.

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Olivier Ribouis

« Les gens ne veulent pas Commerçant du char-


payer ! Si vous restez ici 20 bon qui vient du mar-
minutes maintenant, au niveau ché noir en territoire
de la voie qui passe devant-là, nigérian, Augustin, un
vous allez voir des convoyeurs natif de Kétou raconte
de tonneaux, ils passent dans la une scène qu’il a vé-
brousse puis passent par ici, Ofia, cue avec un groupe
Ogounou, Tongou et tombent de jeunes qui s’est
à Abèokuta. Ils prennent de autorisé de perce-
l’essence et le convoient à toute voir des taxes pour le
vitesse ici. Le bidon fait 200 Kilos, compte de leur asso-
on leur demande de payer 5000 ciation non reconnue.
F et ils refusent pour passer dans « Ils me demandent
les brousses ce qui fait qu’ils combien de sacs de
tombent parfois et des gens en charbon j’ai chargé. Je
sont morts .»
réponds 18. Ils me disent qu’ils prennent 9 et je passe avec
9. Je leur lance que ce n’est pas possible. Ils vont prendre 9
charbons ? Ils déchargent 9 charbons ? En vertu de quoi ? On
me dit que c’est parce que je ne suis pas dans l’association et
que je suis de passage ». Pour se tirer d’affaires, il lui aura fallu
mettre en avant son titre de notable reconnu à la cour royale.

Influente à Kétou, la couronne a aussi des tickets parallèles


à ceux de la mairie, de la police et de la douane en circulation.
Même si on n’est pas d’accord avec les taxes royales, à la mairie
de Kétou, on estime que c’est justifié. « Tout à fait ! Ce sont des
choses anormales. Qu’est-ce qui amène tout ça ? Nous savons
qu’au Nigéria, les rois sont entretenus, les ministres du roi sont
entretenus. Au Bénin, les populations sont prêtes à introniser
les rois pour ne plus s’en occuper (ndlr). Le monsieur était
fonctionnaire de l’Etat, vous le faites asseoir avec sa famille

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Kétou : le Nigéria, si près si loin des caisses de la mairie

et vous ne vous en occupez plus. Il faut qu’il vive et gère sa


cour royale. C’est cela qui amène les gens à réfléchir pour
dire : Nous avons une portion de pouvoir et il faut que nous
trouvions aussi des ressources pour faire tourner notre palais.
C’est tout », justifie la mairesse Lucie Sessinou.

Dans le but de régler ce problème, la mairie s’active à trouver


un mécanisme de financement du fonctionnement du palais.
« Si la mairie arrive à trouver une politique pour pouvoir aider
beaucoup plus les autorités traditionnelles ou si les textes du
Bénin évoluent et amènent l’Etat à plus prendre en charge ces
autorités traditionnelles comme cela se fait au Nigéria, je pense
qu’on ne posera plus ces questions-là », pense-t-elle. Dans la
démarche qui se veut pédagogique, reprend la nouvelle autorité
de la ville, « nous continuons de leur expliquer que ce n’est pas
la meilleure manière parce que la loi et les textes n’autorisent
pas tout le monde à prélever des taxes. Le prélèvement des
taxes est régi par des textes et qui quiconque ne se conforme
pas à ces textes est poursuivi par la justice ».

Dans ses appuis aux acteurs des échanges transfrontaliers,


ACMA a dû faire recours à des autorités locales pour empêcher
la perception de faux frais sur les routes. « A Kétou, le maire
interpellé par son point focal a permis d’éviter les faux frais
de 25 000 FCFA par camion pour 4 camions de 40 tonnes de
maïs », lit-on dans le rapport d’ACMA.

Chargés de renflouer les caisses de l’hôtel de ville, les


agents collecteurs de taxes de la mairie sont accusés de se
servir. « Ces agents collecteurs de la mairie ne sont pas sérieux.
Ce sont des gens qui empochent l’argent. (…). Il n’est pas rare
de constater aujourd’hui que ces collecteurs (y compris les
illégaux, ndlr) sont des gens qui sont à l’aise, par contre, la

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Olivier Ribouis

mairie se plaint », dénonce une source anonyme. Un rapport


d’évaluation diagnostic du PDC parle de « fuite au niveau des
agents collecteurs ».

Dans les écueils à la mobilisation de ressources propres


à Kétou, il est aussi reproché à la mairie un défaut de
communication avec les populations qui ne connaissent pas
grand-chose des projets de la gestion de l’administration locale.
« Une enquête d’opinion réalisée auprès de 117 citoyens et
citoyennes de Kétou dans le cadre de l’évaluation du PDC initiée
par la commune avec l’appui de la Direction Départementale de
la Prospective et du Développement a permis de constater que
seulement 52,1% des enquêtés seraient informés de l’existence
du PDC et 9,4% des personnes enquêtées connaissent la vision
de développement définie ». Un responsable de la mairie
interrogé à ce propos reconnaît ce défaut et souhaite davantage
d’engagement. « Il faut d’abord travailler en amont. Sensibiliser
les gens à la base, et cette activité ne doit pas être : «on a déjà
sensibilisé les gens aujourd’hui, demain on ne le fera pas.» Non
! Ça doit être une activité pérenne. ».

Face aux difficultés qui minent la mobilisation de ressources


financières à Kétou, la nouvelle patronne de l’administration
décentralisée de cette ville frontalière du Bénin en appelle
à l’aide des partenaires techniques et de toutes les bonnes
volontés. « Nous tendons la main à tous ceux qui peuvent nous
apporter un petit plus dans le renforcement des capacités des
compétences que nous avons afin de nous permettre de mettre
en place des stratégies innovantes pour le développement
de la commune de Kétou », a lancé Lucie Sessinou dans un
entretien de dernières minutes à son bureau un samedi soir où
elle s’est privée d’un repos de jour de week-end.

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De l’autre côté de la frontière, la fluctuation du naïra et les
complexités administratives imposées par les agents nigérians
compliquent davantage les choses. « La proximité du Nigéria
constitue une réelle opportunité de débouchés commerciaux
avec de grands volumes mais les risques sont importants »,
soulignent les évaluateurs de ACMA qui ont évoqué le coût
élevé et la complexité des procédures administratives et le
protectionnisme nigérian.

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Olivier Ribouis

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

TRANSHUMANCE TRANSFRONTALIÈRE : LA SAISON DES


MORTS À KÉTOU

Tuées par balles, égorgées ou éventrées à coups de


machettes, plusieurs personnes sont atrocement assassinées
dans des conflits entre éleveurs et agriculteurs dans la
commune de Kétou à la frontière sud-est du Bénin avec le
Nigéria. Plongée au cœur d’une bataille saisonnière qui
empoisonne la vie des populations.

A Kétou, la cohabitation entre éleveurs et agriculteurs vire souvent au drame

Par Olivier Ribouis

P lus de deux mois sont déjà passés. Il est encore là,


sur place. Il n’a pas bougé d’un iota et ne parle pas.
D’ailleurs, il ne peut pas. A son pied, une douille rouillée de
balle d’enveloppe rouge est encore là en fin d’après-midi de
ce 22 juillet 2020. Tout près, son second a aussi vécu, inerte, la
scène. La douleur dans le ventre, ce neem garde au tréfonds
de lui le film de l’horreur. A deux pas de lui, sur les portes

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Olivier Ribouis

métalliques de l’unique bâtiment de trois salles de classe de


l’école primaire de Woroko, les impacts de balles donnent une
idée de la pluie de cartouches de fabrication artisanale qui a
troublé la nuit des villageois.

Rescapé, Abiala Oïtchangbohoun croît être sorti tout droit


d’un champ de guerre. « Vers 5 heures 30 minutes du matin le
1er mai 2020, des coups de feu ont commencé par retentir. Les
crépitements de fusils ressemblaient à des sons que donnent
des herbes brûlées » décrit-il, ébaubi malgré le temps qui
s’écoule. « J’ai été traumatisé pendant 5 jours par ces coups de
fusils. Même quand on parle tout près de moi, je n’arrivais pas
à entendre. Les coups de fusils m’ont rendu sourd », enchaîne
l’homme devant une dizaine de paysans, hommes, femmes et
enfants scotchés et attristés.

Les assaillants, une horde de peulhs reconnaissable aux


cris « Woroko djan walaï ! Woroko djan walaï ! Woroko sojà !
Woroko sojà ! » qu’ils lançaient au passage dans leur patois,
ont mis à feu et à sang tout un village en l’espace de 45
minutes. On croirait vivre une séquence du génocide rwandais.
Pris pendant l’attaque, Korolé Sanya, le chef du village a été
retrouvé égorgé comme une vache et gisant dans un lac de
sang.

Deux autres personnes, dont un étranger, ont été retrouvées


éventrées baignant elles aussi dans leur sang. Une vraie
boucherie sur des humains. L’étranger vivant à Woroko était
pour sa part, retranché dans sa maison en paille sur pilotis
quand ils sont venus lui ouvrir les viscères à la machette. Aucun
égard aux policiers positionnés sous les neems et assistés du
CV assassiné et son secrétaire Abiala.

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

Tenu en respect par l’impitoyable bande d’envahisseurs, un


des deux policiers est blessé par balles dans les échanges de
tirs. « Quand ils ont fini l’opération, ils ont incendié nos maisons.
Environ huit cases et des greniers ont été incendiés, des motos
ont été volées », narre le survivant de la nuit d’horreur. S’il est
encore vivant, le veinard doit être fier de ses aptitudes à défier
un lièvre. Mais, pour lui, Dieu veillait au grain. « C’est Dieu
qui m’a sauvé ce jour-là et ces peulhs ne m’ont pas vu. S’ils
m’avaient vu dans ma fuite, je ne serai pas en vie maintenant ».

Situé à 30 kilomètres du centre-ville de Kétou, Woroko est


un village de l’arrondissement de Kpankoun. Pour y arriver en
temps de pluie comme ce mois de juillet, il faut dévaler des
collines, surmonter des pentes, emprunter des pistes érodées
sur un sol par endroits ferralitique et argileux et se tenir prêt à
descendre du taxi-moto pour éviter qu’il ne s’enfonce quand
il n’a pas dévié dans une brousse, éconduit par une boue grise
glissante.
Tout le long du par- « Les paysans prennent
cours du combattant, de des fusils pour attaquer nos
temps à autre, on emplit animaux. Ils peuvent tuer une
les poumons de l’air pur vingtaine. Ils se regroupent
et léger de dame nature souvent pour un combat
et on contemple des contre nous. Il y a d’autres
hectares de cultures à qui attaquent même celui
perte de vue dans la lo- qui conduit le troupeau. Ils le
calité à majorité Holidjè, tuent et abattent des animaux
deuxième grande ethnie en même temps. C’est cela qui
amène souvent les conflits ».
de Kétou, réputée pour sa vaillance dans les travaux cham-
pêtres. L’attaque de la nuit du 1er mai est la dernière d’une
longue série d’affrontements entre agriculteurs et éleveurs
peulhs ces 20 dernières années.
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Olivier Ribouis

La première attaque de nuit dans ce village remonte à 2006.


A l’époque, un paysan du nom de Adjibo avait été tué et des
femmes violées. Depuis, ors, chaque année avec son lot de
dégâts.

Adakplamè, zone rouge

Parti de Woroko après ses atrocités, l’escadron de la mort


se heurte à une muraille de feu à Adakplamè, un autre village
situé à 15 kilomètres. Trois peulhs sont tués dans des échanges
de tirs par les éléments du commissariat alertés. Avec eux, on
retrouve la torche des policiers de Woroko, des motos volées
chez les paysans trois armes et des munitions. Le reste de la
troupe armée a disparu.

Les enquêtes, comme d’habitude, sont toujours en cours.


Ce n’est pas la première fois que des peulhs tombent à
Adakplamè, cet autre village tristement célèbre pour avoir été
le théâtre de la pire tuerie dans les annales des affrontements
sanglants entre éleveurs et agriculteurs à Kétou.

Vaste de 568 km2, c’est le plus grand arrondissement de


Kétou. Il compte une population estimée à 25 000 habitants
qui vivent à 99% de l’agriculture selon le tout nouveau chef
d’arrondissement, Valentin Houngnon. Lorsqu’on lui demande
les difficultés que connaissent ses administrés dans l’activité
qu’ils mènent, sa réponse est sans ambages :

« Les difficultés sont énormes. Nous avons la question de


la transhumance qui nous cause de sérieux problèmes. Quand
les paysans cultivent leurs champs, les bœufs dévastent et
quand tu parles ce sont les machettes ou les fusils ».

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

Même si certains ont repris l’aventure à leurs risques


et périls à cause des herbes et des points d’eau, la localité
est devenue une zone rouge pour les bouviers depuis que
plusieurs d’entre eux ont péri dans de violents affrontements
avec les populations en 2017. « Oui ! Il y a un peu plus de trois
ans, cela a tourné au vinaigre et une centaine de morts a été
enregistrée », se rappelle la première autorité d’Adakplamè.
« Les peulhs ont tué quatre de nos frères et la population s’est
révoltée. Tous les peulhs trouvés sur les lieux ont été éliminés.
On ne pouvait même pas compter le nombre de victimes. C’est
une guerre qui a duré plus d’un mois parce qu’ils s’en vont
se préparer et reviennent. Quand ils reviennent, c’est pour
attaquer, la guerre reprend de plus belle. C’était déplorable ! »,
conte-t-il, d’un ton affecté.

Les médias qui avaient fait écho de cet épisode tragique


ayant mobilisé des populations de villages voisins venus à la
rescousse de leurs frères, ont signalé une vingtaine de morts
puis le préfet et le maire d’alors s’étaient rendus sur place. Les
quatre paysans tués avaient été « égorgés comme le font les
Boko Haram », s’est offusqué le prédécesseur de Houngnon
devant la presse en présence de l’ancien maire Jean-Pierre
Babatoundé, le préfet du Plateau Valère Sèdonougbo et
l’ex-Chef du parlement béninois et ex-ministre des Affaires
Etrangères Idji Kolawolé, un natif de Kétou.

D’un village à un autre, la guerre aux transhumants tient


le haut du pavé des préoccupations majeures de cette ville
frontalière du Nigéria.

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Olivier Ribouis

Nul n’est méchant volontairement

Aperçus comme des barbares pour leurs exécutions


terrifiantes, les peulhs arguent qu’ils ne se lèvent pas avec
l’idée de tuer des paysans par plaisir. Dans leurs groupes de
nomades, ils sont organisés et il n’y a qu’un chef pour parler
au nom du groupe dans chaque milieu où ils vivent. C’est le
Sériki.

A Kpankoun, celui qui fait office de Sériki a nom Djodi


Mamadou. Grand de taille, c’est un homme noir, à la barbe
drue coiffée sous le menton que nous rencontrons derrière la
mosquée du quartier Obafèmi. Avec son bonnet brodé bleu-
blanc à la tête, l’homme tempéré porte à ses deux annulaires,
de grosses bagues métalliques recouvertes d’aluminium.
« C’est souvent quand les bœufs ont dévasté les champs et
le paysan ne fait pas preuve de patience que les conflits sont
enregistrés », commente-t-il à propos des affrontements entre
éleveurs et agriculteurs à Kétou. Selon lui, en dépit du fait que
tout part des ravages de leurs animaux, ce sont les paysans qui
mettent le feu aux poudres.

« Les paysans, accuse-t-il, prennent des fusils pour attaquer


nos animaux. Ils peuvent tuer une vingtaine. Ils se regroupent
souvent pour un combat contre nous. Il y a d’autres qui
attaquent même celui qui conduit le troupeau. Ils le tuent et
abattent des animaux en même temps. C’est cela qui amène
souvent les conflits ».
A Woroko où il est connu comme le peulh local qui paît
son troupeau dans la localité, Mamadou explique comment
l’attaque du 1er mai s’est produite. A l’en croire, c’est un acte de
vengeance des peulhs transhumants sur les paysans. Quelques

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

jours plus tôt, avant l’expédition meurtrière, apprend-il, ce sont


les paysans qui s’en étaient pris à des peulhs transhumants et
leurs troupeaux. « Ils ont attaqué nos animaux. Il y avait aussi
un groupe de transhumants peulhs qui a quitté Bonou que
les paysans ont attaqué. Ce jour-là, les paysans ont tué mes
bœufs, mais Dieu merci, mes enfants ont eu la vie sauve. C’est
ainsi que les peulhs sont repartis chez eux avec leurs animaux.
Les paysans ont déclaré avoir tué et dépiécé deux personnes.
J’ai alerté le commissariat. Les policiers sont descendus sur le
terrain et ils ont vu les paysans armés de fusils. Dans la nuit, les
peulhs sont retournés dans ce village pour aller chercher les
bœufs qu’ils n’ont pas retrouvés après l’attaque. Ils ont vu un
groupe de paysans en train de partager la viande d’un bœuf,
c’est ainsi qu’un peulh a tiré sur eux et brûlé la moto d’un
paysan qui voulait transporter le bœuf», narre dans un français
approximatif, celui qui répond au nom des éleveurs peulhs
à Kétou. Les choses ne sont pas restées là. « Une semaine
après, les peulhs toujours mécontents sont revenus attaquer
les populations (attaque de Woroko, ndlr).», finit-il à ce sujet
confirmant les morts de part et d’autre.

Au sujet du cas historique d’Adakplamè, Mamadou déclare


que tout est parti d’une arrestation de quatre paysans suite
à une attaque dirigée contre deux peulhs dont un tué et un
grièvement blessé. Au lendemain de l’interpellation policière,
« tous les habitants d’Adakplamè ont bloqué la voie qui mène
à Iwé et Kétou-Centre. Ils ont bloqué beaucoup de voies et
arrêté 13 peulhs. Ils les ont enfermés dans leur arrondissement
et ils ont exigé en retour la libération des 04 personnes
arrêtées. Ils ont également menacé de tuer les 13 peulhs. Ils
ont cassé les véhicules de la brigade ». Malgré la libération
des 04 habitants d’Adakplamè en échange des otages peulhs,

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Olivier Ribouis

la tension toujours vive a dégénéré en ce qui est devenu la


mémorable guerre entre éleveurs et agriculteurs déclenchée
le 23 mars 2017.

Des vies et des familles brisées

Affligé, à 35 ans, Marcelin Koukoyi, malgré sa jeunesse et


son physique imposant pour les travaux champêtres est un
invalide. Avec de gros points de suture dans le dos, à la main et
au bras, il porte depuis bientôt 7 ans, les séquelles indélébiles
des coups de machette d’un peulh.

A Augustin, son jeune frère à la rescousse de qui il est venu,


l’impitoyable bouvier a carrément coupé une main. Natifs
d’Adakplamè, les deux frères Koukoyi sont aujourd’hui des
victimes laissées sur le carreau des conflits de la transhumance
que la famille doit nourrir. Après cinq années d’aller-retour
dans des audiences reportées au pied levé au tribunal de Pobè,
les deux jeunes hommes tranchés dans leur propre champ
n’ont perçu aucun kopeck de dédommagement.

Korolé Sanya, le CV égorgé à Woroko a laissé derrière lui,


trois veuves et plusieurs orphelins. D’une case en terre battue
couverte de chaume, sortent un bambin d’environ 5 ans et une
dame frêle. C’est l’un des petits orphelins et une des veuves
du défunt appelés avec insistance des beaux parents à dire un
mot. Encore sous le poids de la douleur, elle n’a pu ouvrir la
bouche.

De l’autre côté de la concession perdue au milieu des


champs et de hautes herbes traversées par des sentiers, dans
une autre case se trouve une vieille octogénaire. C’est la
maman de Korolé Sanya. Assise sur un petit tabouret, le regard

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

dans le vide, elle rumine dans le silence, la perte de son fils qui,
selon les témoignages, était son principal soutien des vieux
jours. Pour le frère aîné du défunt, un cacochyme, lui aussi
usé par les travaux champêtres, voir des journalistes venus de
Cotonou s’enquérir des suites du tragique évènement qui a
enveloppé leur famille et tout le village d’un voile de deuil est
déjà un motif d’action de grâce.

A ces villageois qui ne savent plus à quel saint se vouer,


les soutiens sont inexistants. « Quand cela arrive comme
ça, c’est Dieu seul qui s’occupe des enfants de la victime »,
balance l’ex-collaborateur et homme de main du chef de
village passé de vie à trépas dans de circonstances affreuses.
« Non ! Aucun soutien. Ils sont laissés à eux-mêmes. Chacun
se gère », homologue le président de l’Union communale des
producteurs (UCP-Kétou), Folahan Ogoudaré qui confirme
l’inexistence d’un fonds de soutien aux victimes de la
transhumance transfrontalière à Kétou. A Adakplamè où il y a
plusieurs invalides, le CA Valentin se plaint également du cas
des bras valides abandonnés à leurs sorts sans compensation.

Du tragique dans la confusion

On aurait pu croire qu’à Kétou, les peulhs sont des


indésirables qui vivent retranchés loin des autres communautés
et viennent de temps à autre, semer l’émoi dans les cœurs
des paysans. Loin de là ! Difficile de ne pas tomber sur un
troupeau de bœufs et des bergers parfois mineurs même en
agglomération en quête permanente d’herbes fraîches pour le
bétail. Encore appelés ‘’Fulani’’, ils font partie intégrante des
habitants de la cité des Omo Oduduwa et épousent parfois
des filles d’agriculteurs.

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Olivier Ribouis

« Je n’ai plus rien. Je n’ai Djodi Mamadou,


appris aucun autre métier, la époux d’une femme du
seule chose que je savais faire Sud, le Sériki est né à
de ma vie était de labourer la Kétou en 1971. A l’instar
terre. Je ne peux plus apprendre d’autres peulhs rencon-
aucun métier. C’est mon père qui trés dans les contrées de
m’aidait à joindre les deux bouts, Kétou, il parle couram-
mais aujourd’hui, il n’a plus la ment le fongbé, langue
vigueur. Ce sont mes épouses qui parlée un peu partout au
entretiennent mes enfants.» Bénin.
« Il y a beaucoup de Peuhls qui épousent des femmes kétoises.
Nous épousons aussi les filles d’agriculteurs », dit-il, en
témoignage au brassage qu’on est loin d’imaginer.

La pomme de discorde, à l’origine des conflits, c’est


l’incompatibilité des activités d’éleveurs transhumants et
agriculteurs. « Ce sont des problèmes de dévastation de
champs par des bœufs que nous avons souvent. A part
cela, nous n’avons pas de problèmes», signifie l’homme qui
dit n’avoir que 150 têtes de bœufs. Pour les peulhs de sa
catégorie de transhumants locaux, la gestion des ravages de
bœufs dans les champs des producteurs n’est qu’une question
de négociation.

« Dans un village où des dévastations de champ sont


enregistrées, je vais faire le constat avec le paysan. Ensuite,
nous négocions pour nous entendre et nous fixons une date
pour le dédommager », assure le chef des peulhs autochtones
qui a déjà payé plusieurs dédommagements dont il détient les
reçus. Victime de dévastation de plantation, Folahan Ogoudaré,
celui qui chapeaute l’assemblée des agriculteurs témoigne
avoir eu un règlement à l’amiable avec un Peuhl local.

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

« J’ai été victime, mais l’éleveur est venu me supplier et on a


réglé cela à l’amiable. Il m’a payé un forfait. C’était les plants de
palmiers. J’ai fait un hectare et demi. Ils n’ont pas tout ravagé,
c’est par endroits. Après l’évaluation des dégâts, il devrait me
payer un peu moins de 500.000 FCFA. Il m’a payé finalement
250.000 F ».

A la différence des autochtones, ceux accusés de semer


la terreur à leur passage sont les Peuhls transhumants
transfrontaliers. Selon le responsable des peulhs locaux, ces
transhumants transfrontaliers qui viennent du Nigéria pour la
plupart entrent par les villages frontaliers de Kétou, traversent
la ville pour aller à Pobè, à Ouinhi, Bonou et même dans le
Zou.

Une carte de l’itinéraire de la transhumance transfrontalière


montre que le mouvement des transhumants suit des couloirs
et des itinéraires partant des zones d’attache situées dans les
pays sahéliens ou nord soudaniens (Niger, Burkina Faso, Mali,
Nord Nigéria, Sénégal) jusqu’aux zones d’accueil dans les pays
côtiers ou en savane guinéenne (Benin, Togo, Ghana, Nigeria).
Alors que la période critique de la transhumance commence
en novembre avec la sécheresse, les bouviers étrangers
entrent massivement par Kétou dès le mois de janvier et selon
Mamadou, restent au Bénin pendant au moins trois mois avant
de se retirer entre avril et « Il y a beaucoup de
mai. Dans le même temps, peuhls qui épousent des
les transhumants locaux femmes kétoises. Nous
se déplacent d’une ville à épousons aussi les filles
une autre à l’intérieur du d’agriculteurs ».
pays. Chez les paysans, ces
mouvements entremêlés

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Olivier Ribouis

de bouviers étrangers et locaux sèment la confusion dans les


esprits. « Tout se mélange ! Tout devient homogène ! Nous
ne savons pas les différencier » se désole le porte-parole des
agriculteurs de Woroko, village privilégié des peulhs à cause
d’un cours d’eau qui sert d’abreuvoir et de garde-manger aux
bêtes. « S’il y a problème, les Béninois disent souvent que tous
les peulhs sont les mêmes et ils ne font pas de différence entre
transhumants transfrontaliers et autochtones. Pour eux, peulh
c’est peulh », constate aussi le responsable des bouviers kétois.

La difficulté à distinguer le bouvier local du transhumant


transfrontalier est la principale cause des conflits selon
Houssou Augustin Mahountin, un natif de Kétou interrogé
dans une discussion sous l’arbre à palabre au quartier
Obafèmi avec d’autres personnes sur le problème des conflits
de la transhumance. Cet enseignant Mahi (ethnie fon) qui
est également éleveur des volailles et des ruminants côtoie
les peulhs dans une association qui regroupe aussi ces
transhumants locaux.

Selon lui, les transfrontaliers qui tuent des agriculteurs sont


des Bororos et viennent souvent, non seulement des régions
lointaines au nord du Nigéria voisin, mais aussi d’autres
pays. « Les paysans disent que c’est les peulhs qui créent les
conflits parce qu’ils n’arrivent pas à faire le distinguo. Ce sont
quelques rares qui arrivent à reconnaître un Bororo. Il y a des
soulèvements partout parce qu’ils n’arrivent plus à distinguer
le vrai d’avec le faux » dit-il avec insistance soutenant que ces
transfrontaliers créent des problèmes aux peulhs sédentaires,
partout ils où passent.

Devenus des boucs-émissaires à certains égards, les peulhs


locaux assurent être aussi des victimes de la transhumance

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

transfrontalière. Djodi Mamadou, le Sériki des bouviers locaux


s’en plaint. « Ces transhumants transfrontaliers nous amènent
différentes sortes de maladies et contaminent tous les bœufs
appartenant à des peulhs autochtones. Pour les dégâts
causés par les transhumants, ce sont les peulhs autochtones
qui payent le prix fort. S’ils dévastent un champ et que tes
bœufs se retrouvent dans leur milieu, tu ne peux pas refuser
d’assumer les responsabilités. Tu dois dédommager les
paysans », informe-t-il. « Il n’y a rien ! Sauf les souffrances
qu’ils nous laissent en passant. S’il y a des problèmes lors de
leur passage, c’est nous qui sommes appelés à la rescousse. Ce
sont souvent les problèmes qui sont pour nous », se lamente,
l’éleveur natif de Kétou. En période de transhumance, fait-il
savoir, les transfrontaliers sont de loin plus nombreux que les
72 membres de son association connus des paysans.

Au niveau des paysans le seul indice de distinction, c’est


que les peulhs étrangers viennent au milieu de la nuit. « Les
transhumants qui viennent du Nigéria ont une technique,
ils commencent par passer au milieu de la nuit à partir de 2
heures jusqu’à 4 ou 5 heures du matin. Ce sont des milliers
de troupeaux qui viennent la nuit et passent dans tout ce qui
est culture. Vous êtes dans votre chambre, vous entendez
des beuglements de bœufs et les peulhs qui parlent. Vous ne
pouvez pas sortir », explique le porte-parole des agriculteurs
de Woroko. Une fois, après le passage des transhumants
transfrontaliers dans son champ où il avait un demi hectare de
maïs, apprend-il, à quelques jours de la récolte, « il n’y avait
plus aucun épi ».

Impossible de compter sur les locaux pour appréhender


ces transfrontaliers. Djodi Mamadou affirme que dénoncer

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Olivier Ribouis

ses homologues étrangers est un risque qu’il ne peut pas


prendre. « Tant que je suis dans la brousse avec eux, je ne
peux pas parler. C’est aux autorités de veiller à cela. Dénoncer
les transhumants transfrontaliers risquent de retourner contre
nous. C’est nous qui allons récolter les pots cassés. Ces peulhs
transhumants transfrontaliers peuvent nous faire du mal ». En
fin de saison de transhumance, font savoir plusieurs sources,
les transhumants ont pour habitude de rafler les bœufs des
locaux qu’ils vendent à vil prix sur leurs trajets.

Des régulations sans succès

Avec les effusions de sang et les dégâts colossaux que la


transhumance transfrontalière crée à Kétou et dans plusieurs
autres communes du Bénin, les autorités ne sont pas du reste.
Des tentatives de régulation ont été entreprises. De la partie
septentrionale jusqu’à la limite de certaines communes du
sud, le ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche
(MAEP) a situé un couloir de passage pour la transhumance
transfrontalière. En dépit de ce couloir objet de controverses,
les conflits entre éleveurs et agriculteurs ont continué de
prospérer.

Le gouvernement béninois a dû décider de l’interdiction


de la transhumance transfrontalière par un arrêté ministériel
« interministériel 2019/N°200/MISP/MAEP/MAEC/MCVDD/
MDGL/MDN/DC/SGM/DAIC/SA/113GG19 » en date du 26
décembre 2019. Mais, sur demande du Président nigérien qui
a dépêché son ministre d’Etat chargé de l’Agriculture et de
l’élevage, en février 2020, les autorités béninoises ont accordé
un moratoire de deux mois aux transhumants nigériens.

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

Considérées comme zones à risque à cause des


affrontements meurtriers, Kétou et plusieurs communes de la
partie méridionale ne sont pas concernées par le couloir de
transhumance. Sur instruction du ministère de l’agriculture, de
l’élevage et de la pêche, les autorités communales de Kétou
ont entrepris le recensement des éleveurs locaux afin de leur
établir un badge qui servirait de moyen d’identification au
cours de leurs déplacements. « Si on doit suivre la décision
du gouvernement jusqu’à la hauteur de Dassa-Zoumè, il ne
doit plus y avoir de transhumance (transfrontalière, ndlr). Les
peulhs locaux peuvent circuler mais avec des badges. Ce que
nous avons commencé par faire », déclare Théophile Dessa
l’ancien maire de Kétou qui a passé le témoin en juin 2020, soit
quelques semaines après les évènements de Woroko.

Les badges censés aider à régler le problème de la


confusion entre éleveurs locaux et étrangers ont aussi montré
leurs limites. « La difficulté qui apparait encore à ce niveau est
que les peulhs se passent les badges », fait savoir l’ex-autorité
locale selon qui « le problème de la transhumance est une
grosse épine dans les pieds de la commune de Kétou ».

Sur le terrain, les paysans soutiennent que les badges ont


accentué la confusion. « Tous ceux qui ont un badge te disent
qu’ils ne sont pas des étrangers, qu’ils sont aussi des natifs
de Kétou », dit à ce sujet, le porte-parole des agriculteurs
de Woroko. Sériki, le chef des peulhs locaux confirme
l’établissement des badges aux transhumants transfrontaliers.

« Les badges ont été délivrés par le ministre de l’agriculture


en 2018. Ils ont dit à l’époque que les transhumants étrangers
ne doivent pas venir, mais si vous voyez les transhumants du
Nigéria, ils avaient également obtenu ces badges ».

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Olivier Ribouis

Selon lui, la corruption a dicté sa loi par là. « Où se trouve


le kokoko là ? Si tu cherches l’argent et moi je cherche les
badges ! », répond-t-il laconiquement d’un ton amusé appuyé
d’un sourire à la question de savoir comment les peulhs
nigérians parviennent à obtenir les badges.

Outre la corruption dans l’attribution des badges, les


peulhs locaux sont aussi accusés d’être de mèche avec leurs
homologues transhumants transfrontaliers. A cela Djodi
Mamadou répond par un démenti. Il affirme que ce n’est que
quand les problèmes surviennent que les transfrontaliers le
contactent pour quérir son intervention : « Le transhumant
nigérian peut laisser son troupeau avec son apprenti qui
conduit les bœufs ici. Il a son contact et s’il y a un problème
ici, il appelle le patron et lui nous appelle ici en tant que
représentant ».

Pointant du doigt l’impunité dans les causes de la


récurrence des drames, des paysans et des sources locales se
plaignent aussi de bras longs qui protègent les peulhs. Ces
protecteurs de l’ombre seraient des personnalités politiques,
des chefs traditionnels, des riches propriétaires de bétails qui
confient des bœufs aux éleveurs transhumants. « C’est pour
nous salir ! » défend Sériki. Nonobstant, il admet l’existence de
propriétaires dans l’ombre. « Si tu as un bœuf, tu dois confier
ça à un peulh. S’il y a un problème, le peulh s’approche de
l’autorité pour l’informer de la mort de son bœuf. Si c’est cela,
il y en a », concède-t-il.

Pour ce qui est du parapluie que constituerait «l’autorité»


derrière le peulh, il n’existe pas selon l’éleveur. « Il n’y a pas
de faveur accordée aux peulhs. S’il y a un dégât, c’est le chef
même qui te dira d’aller régler ton problème et de ne même

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

« Les badges ont été délivrés pas citer son nom parce
par le ministre de l’agriculture qu’il ne voudrait pas de
en 2018. Ils ont dit à l’époque problèmes », confie fur-
que les transhumants étran- tif, Mamadou. Face aux
gers ne doivent pas venir, mais drames, l’administration
si vous voyez les transhumants communale a cru pou-
du Nigéria, ils avaient égale- voir trouver une solution
ment obtenu ces badges ». consensuelle à travers
des comités regroupant éleveurs et agriculteurs dans les vil-
lages. « La commune a installé un comité pour gérer les cas de
conflits. Il y a le représentant des éleveurs, le représentant des
agriculteurs, les chefs d’arrondissements. Ils ont tout fait aussi
pour installer les comités de gestion des conflits au niveau de
chaque village. Est-ce que c’est fonctionnel ? Est-ce que ça
règle le problème ? », s’interroge Folahan Ogoudaré, repré-
sentant des producteurs au niveau communal. « Malgré ça,
on enregistre toujours des conflits. Le comité n’est pas encore
fonctionnel », répond-il aussitôt.

Un des goulots d’étranglement de la régulation de la


transhumance que relèvent plusieurs sources à Kétou, c’est le
trafic et le port d’armes par les peulhs accusés par ailleurs de
consommation de stupéfiants.

La nouvelle mairesse de Kétou revenue à la tête de la mairie


après l’avoir dirigée aux premières heures de la décentralisation
au Bénin, Lucie Sessinou, s’en désole. « Les textes qui régissent
la transhumance dans l’Espace CEDEAO fixent les règles
qui ne sont pas respectées. Entre autres le port d’armes, la
transhumance nocturne, la conduite des bœufs par des
mineurs, la consommation de stupéfiants sont des pratiques
interdites que nous constatons ». Selon son prédécesseur, on

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Olivier Ribouis

trouve des peulhs avec « une arme plus sophistiquée que celle
que porte le policier ».

C’est une évidence que Djodi Mamadou, le chef des peulhs


autochtones de Kétou corrobore. « Ces peulhs transhumants
transfrontaliers qui viennent sont armés. Pourquoi sont-
ils armés ? C’est à eux de répondre » moucharde-t-il avant
d’ajouter : « des fois, nous leur demandons et ils nous répondent
que c’est à cause des voleurs ou des paysans qui les attaquent.
Si le paysan les voit armés, il ne peut pas s’approcher d’eux
jusqu’à ce qu’ils finissent leur pâture et qu’ils partent. C’est
souvent pour se protéger qu’ils gardent des armes ». L’éleveur
signale que les paysans aussi ont des armes qu’ils utilisent
pour attaquer les peulhs et tuer des bœufs.

Souvent appelés à la rescousse pour dissuader ou mettre


fin aux conflits, les forces béninoises de sécurité et de défense
font face à des échanges de tirs. Dans le village d’Iwoyé
à cheval sur le Nigéria et le Bénin, dans l’arrondissement
d’Idigny réputé être le QG des peulhs à Kétou en raison du
grand marché à bétail érigé là-bas avec le financement de la
CEDEAO, les éléments de l’Unité spéciale de surveillance des
frontières sont confrontés à cette dure réalité. « Les peulhs
charcutent et les chasseurs d’ici répondent également. Nous
avons été plusieurs fois confrontés à cela.

Les villageois sont obligés de déguerpir les lieux, nous sommes


pratiquement les seuls à rester ici et à jouer le rôle de médiateur »,
confie un officier de l’USSF. « Il y a eu une unité de l’USSF, qui
n’est pas trop loin d’ici et qui nous appuie. Très souvent au cours
de ces opérations, des gens nous prennent en adversité. Il y a
jusqu’à présent un collègue, qui est toujours en train de suivre les
soins ; il a été atteint d’une balle », témoigne l’officier. Dans les

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

commissariats de Kpankoun et d’Adakplamey, les policiers font


aussi état des attaques armées dans lesquelles ils sont blessés.

Ces attaques que subissent les forces de sécurité émanent


d’une crise de confiance des protagonistes. Les agriculteurs
accusent les policiers de céder à la tentation des pots de vin
des éleveurs tandis que ceux-ci accusent les flics de népotisme.

Menace d’une nouvelle saison des morts

En juillet, Kétou n’a pas l’apparence d’un champ de batailles


sanglantes entre éleveurs et agriculteurs. D’un village à un
autre, tout est calme. Woroko, le village meurtri est encore sous
le voile du deuil perceptible dans la physionomie assombrie
de plusieurs paysans qui ont du mal à évoquer les souvenirs
toujours frais dans leurs mémoires. Adakplamè est tout aussi
tranquille tandis que Idigny vit au rythme des mouvements de
la contrebande en continue, malgré la fermeture des frontières
nigérianes.

Ce calme olympien est celui d’avant la tempête. Il faut


attendre novembre à avril, la période saison de transhumance
synonyme de moment de troubles. La crainte d’une nouvelle
attaque pousse des paysans à abandonner leurs champs.

« Une grande menace plane. Beaucoup ont fui, ils ont


abandonné les champs que les bœufs ont détruits. Parce qu’ils
tiennent à leurs vies, ils se disent si on ne m’a pas tué et ce
n’est que mon bien qui est détruit, je peux encore installer
mon champ ailleurs », signifie Folahan Ogoudaré, le président
de l’Union communale des producteurs.

Pour endiguer les violences de la transhumance et éviter


que le sang humain ne se verse à nouveau à Kétou, beaucoup

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Olivier Ribouis

préconisent l’installation d’une base militaire comme seule


solution. « On sème actuellement du coton, le maïs pour la
petite saison est semé à mi-août, on n’aura pas encore fait
la récolte avant qu’ils n’arrivent. Or, s’ils reviennent, c’est sûr
qu’ils vont encore dévaster les cultures. Pour qu’il n’y ait pas
d’affrontements, la seule solution, c’est d’installer une base
militaire », suggère, Ola Ilé, un des agriculteurs de Woroko
revenus des champs. « S’il n’y a pas de destruction de cultures,
il n’y aura pas de problèmes », assure-t-il. Discuter autour d’une
même table avec les éleveurs pour trouver un terrain d’entente,
l’agriculteur meurtri par la mort de son chef de village n’en
veut point. « Je ne peux pas envisager une discussion avec
ceux qui ont tué et égorgé notre chef de village quand on
sait tout ce que cet homme a fait par le passé pour qu’on
évite les conflits ici. Mais, si l’Etat veut que les peulhs passent
encore dans notre village, il doit mettre en place toutes les
dispositions sécuritaires nécessaires ».
C’est aussi l’avis de « Une grande menace plane.
Abiodoun, un autre Beaucoup ont fui, ils ont
jeune cultivateur crispé abandonné les champs que les
à l’idée que les peulhs bœufs ont détruits. Parce qu’ils
reviennent paître tiennent à leurs vies, ils se disent
leurs bêtes dans leur si on ne m’a pas tué et ce n’est
entourage. « On entend que mon bien qui est détruit,
que bientôt les peulhs je peux encore installer mon
seront encore de retour. champ ailleurs », signifie Folahan
Pour moi, le mieux c’est Ogoudaré, le président de l’Union
que l’agriculteur reste communale des producteurs.
chez lui et que l’éleveur reste aussi chez lui pour limiter les
dégâts ».A Adakplamè, le chef d’arrondissement ne voit pas
comment on peut encore autoriser les bouviers à trainer dans
sa localité après les morts et les invalides dans les familles

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Transhumance transfrontalière : la saison des morts à Kétou

de paysans. « Ça a été une histoire triste. Nous souhaitons


que cela n’arrive plus jamais. C’est pour cela que nous disons
jusqu’aujourd’hui qu’on ne veut plus des peulhs à Adakplamè
ici. Ils n’ont qu’à aller ailleurs. Un point, c’est tout ! », tranche
fermement l’élu local selon qui, la cohabitation entre éleveurs
et agriculteurs est impossible.

Du côté des éleveurs, on invite l’Etat à prendre ses


responsabilités pour assurer la libre circulation des personnes
et des biens en toute sécurité. « C’est à l’Etat béninois de
prendre ses responsabilités. C’est l’Etat seul qui peut mettre
un terme à ce problème. Sans l’Etat, les peulhs autochtones ne
peuvent rien faire », appelle le Sériki de Kpankoun.

La volonté de l’Etat à mettre fin au problème est déjà


affichée à travers la décision d’interdiction de la transhumance
transfrontalière selon la mairesse Lucie Sessinou. Pour elle,
« Il reste à faire respecter cette décision car des indélicats
continuent à dévaster les cultures dans les zones frontalières
de notre commune ».

La mairesse veut aussi une base militaire pour lutter contre


les violences de la transhumance transfrontalière. « La question
appelle à la défense de notre territoire par la force publique.
Nous souhaitons l’érection d’un campement militaire dans
la zone qui constitue leur principale porte d’entrée sur notre
territoire. Nous sommes persuadés qu’avec cette présence
dissuasive des militaires, nous n’allons plus enregistrer des
morts et autres dégâts liés à la transhumance transfrontalière »,
croit la première autorité de Kétou.

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KÉTOU : À IWOYÉ, LE BÉNIN MARQUE DES POINTS DANS LA
SURVEILLANCE DES FRONTIÈRES

A Iwoyé, village frontalier de Kétou partagé entre le


Bénin et le Nigéria, une Unité spéciale de surveillance des
frontières (USSF) assure la sécurité des biens et des personnes.
Régulièrement sollicitée par les populations béninoises
comme nigérianes, cette unité composée d’agents de la police
républicaine fait gagner des points au Bénin dans une localité
longtemps restée sous domination nigériane.

Une vue de l’Unité spéciale de surveillance des frontières à Kétou

Par Ozias Hounguè

S ituée dans l’arrondisse-


ment de Idigny à Kétou,
la localité frontalière d’Iwoyé
Yéwa pour se rendre en tout
temps, dans ce village niché
sur un plateau peuplé en
se trouvait couper du Bénin majorité de Nago, de Peulhs
en saison pluvieuse. Depuis mais aussi de Fons à côté du
2015, un ponceau permet dé- Nigéria. L’infrastructure a été
sormais de traverser la rivière réalisée par le gouvernement

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Ozias Hounguè

béninois suite à de multiples plaidoyers de l’Agence béninoise


de gestion intégrée des espaces frontaliers (ABeGIEF). L’agri-
culture à 65,71 %, l’élevage à 14,28% et le commerce à 7,14%
sont, selon les données de l’ABeGIEF, les principales activités
économiques de la population. « Le village d’Iwoyé administré
par un roi nigérian est resté pendant plusieurs années sous la
domination du grand géant de l’Est. Il est désormais partagé
entre le Nigéria et son voisin, la République du Bénin ».

Même si sa maison est alimentée par l’électricité à faible


intensité intermittemment fournie par le Nigéria, Saliou
Wakilou est désormais fier de pouvoir répondre au titre de
conseiller local béninois. Ce qui rend fier cet allogène devenu
élu local, c’est la présence de plus en plus marquée de l’Etat
béninois dans la vie des populations qui, jadis, se sentaient
oubliées de leur pays.

En dehors d’une école primaire et d’un collège récemment


implantés qui permettent désormais aux parents de ne plus
envoyer, souvent malgré eux, leurs enfants dans des écoles
anglophones du Nigéria, c’est surtout la présence policière
du Bénin qui réjouit les populations et conforte le conseiller
Wakilou. « Ils assurent notre sécurité et interviennent jusqu’en
territoire nigérian. », signale-t-il fièrement à propos des agents
de l’Unité spéciale de surveillance des frontières (USSF) que la
police républicaine a installée avec le concours de l’ABeGIEF.
« La population d’Iwoyé du côté nigérian comme béninois
compte sur l’USSF pour être en sécurité », insiste l’homme qui
tient aussi un commerce de vente de pièces détachées.

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Kétou : à Iwoyé, le Bénin marque des points dans la surveillance des frontières

Lutte contre l’insécurité

Lorsque nous débarquions au sein de l’unité spéciale un


après-midi de fin juillet 2020, il n’y avait qu’un seul agent. Les
autres membres de l’effectif réduit sont en mission. Pas habilité
à nous parler, l’officier se prête à nos questions sous couvert. A
Iwoyé, les motifs récurrents d’intervention de l’USSF sont entre
autres les braquages, les affrontements entre agriculteurs et
éleveurs et les litiges domaniaux.

« Les Peuhls viennent et ils assiègent un village et décident de finir


avec tous ceux qui sont dans ce village. Nous sommes obligés de
nous rendre là-bas soit pour assurer leur sécurité ou les évacuer.
Cela est récurent », fait-il savoir.

Au cours de ces opérations où les armes crépitent, les éléments


de l’USSF ne s’en sortent pas toujours indemnes. Notre officier
anonyme apprend qu’un de ses collègues a eu moins de chance
lors d’une de leurs dernières interventions. « Très souvent au
cours de ces opérations, des gens nous prennent en adversité.
Il y a jusqu’à présent un collègue, qui est toujours en train de
suivre les soins, il a été atteint d’une balle ».

Au-delà des limites des frontières béninoises, l’USSF offre


ses compétences de sécurisation aux voisins nigérians. « Par
moment, nous sommes sollicités par les forces de l’ordre du côté
nigérian. Il y a une forte collaboration entre les deux forces, des
deux côtés de la frontière », informe-t-il. Sa majesté Ademonla
Alayé, le roi nigérian qui règne sur les peuples bénino-nigérians
de Iwoyé est reconnaissant du travail qu’abattent les policiers
béninois. « Je dois particulièrement remercier nos policiers qui
sont tout près de nous ici », salue le roi.

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Ozias Hounguè

Besoin de renforcer l’USSF

Source de débouchés pour les activités économiques à


Kétou, la proximité avec le Nigéria expose la partie béninoise
de Iwoyé au banditisme transfrontalier et à un risque
d’importation de troubles à la sécurité. Moins d’une semaine
avant notre arrivée, apprend le conseil local, un braqueur
transfrontalier qui opère dans plusieurs localités de Kétou a été
arrêté après des mois d’avis de recherche. « C’était un homme
qui résidait du côté du Nigéria, mais qui allait braquer dans les
localités d’Adakplamè, de Kétou et autres. Il était recherché
depuis mars 2019 ».

Pas encore enregistrés côté béninois, les cas d’enlèvement,


selon El-hadj Wakilou, sont récurrents de l’autre côté de la
frontière et il y a un risque de contagion. « Le problème de
kidnapping a commencé récemment du côté du Nigéria. Si
quelque chose n’est pas fait sur le plan sécuritaire, cela peut
rentrer également chez nous », alerte-t-il, même s’il compte
sur « la vigilance » des éléments de l’USSF pour mettre son
village à l’abri.

Au niveau de l’unité, on suit le phénomène de près. « Jusqu’à


présent, nous n’avons enregistré aucun cas d’enlèvement en
territoire béninois. Je ne sais pas si cela est lié à notre présence
ici. Très souvent, nous sortons nos patrouilles, ce qui n’est pas
le cas en territoire nigérian où les gens sont enlevés », confie
l’agent en poste à l’USSF.

Malgré sa présence active auprès des populations,


l’unité spéciale n’a pas pour autant les moyens suffisants à
l’accomplissement de sa mission. Les besoins se posent en
termes d’effectifs et de moyens roulants. L’élu local et le roi

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Kétou : à Iwoyé, le Bénin marque des points dans la surveillance des frontières

d’Iwoyé s’accordent pour appeler les autorités béninoises


à songer au renforcement de l’effectif et à doter l’unité de
moyens conséquents.

« Nos policiers ont besoin d’équipements, notamment de moyens


roulants. Les motos qui sont encore à leurs dispositions sont déjà
amorties. Elles doivent être remplacées », dit l’un. « L’effectif des
forces de sécurité déployées ici est très insuffisant », souligne
l’autre.

Montrant du doigt des motos de services hors d’usage,


l’élément de l’USSF confirme le problème de moyens roulants
qui risque de compliquer leurs interventions dans cette
localité frontalière. « Admettez avec moi que cela ne sera pas
intéressant, qu’une population en difficulté vous sollicite, et
que vous soyez incapable de vous rendre sur le terrain faute
de moyens de transport. Nous avons besoin de matériels
roulants », demande l’officier qui place en priorité ce besoin
dont la satisfaction ne fera que renforcer l’efficacité du Bénin
dans la surveillance de sa frontière à Iwoyé.

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TOURISME TRANSFRONTALIER : KÉTOU, LES VESTIGES
D’UNE TRADITION YOROUBA DU NIGÉRIA AU BÉNIN

Avec un riche patrimoine a en mémoire, tout le registre


aujourd’hui en souffrance, des attraits touristiques de la
Kétou a de quoi charmer tout cité des « Omon Oduduwa »
amateur d’Histoire et satisfaire (les enfants de Oduduwa).
tout touriste qui s’y rend. Dans une longue interview,
Président de la commission le balafré fier de ses origines
affaires sociales et touristique nous parle à cœur joie des
à la mairie, Ademonla potentialités de Kétou qui
Gualbert Lalèyè Fatshola est enrichissent le patrimoine
aussi un guide touristique qui touristique du Bénin.

Par Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

« ké tou kéé ? ké fo lou ? » (Qui peut redresser la bosse


? Qui peut détruire la ville ?). C’est dans cette allégorie
interrogative que se trouve tout le sens de la toponymie Kétou.
Située au sud-est du Bénin et frontalière du Nigéria, Kétou
est une ville forteresse dans l’âme. Plusieurs fois assaillie avant
de céder devant la redoutable armée du royaume d’Abomey
qui a perdu un roi de retour d’un combat sans merci, Kétou
s’est remise et continue d’exhiber fièrement sa grandeur de
citadelle imprenable. « De même que personne ne pourra
redresser sa bosse, de même personne ne pourra détruire
notre ville ». Ainsi disait un ancien à la création de cette ville
après les rituels à l’endroit où, selon la légende, un bossu a été
sacrifié.

Au-delà des récits sur ses épiques résistances à Abomey,


Kétou porte une grosse part d’histoire de la tradition yorouba
venue du Nigéria. L’insubmersible ville béninoise est même

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Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

Ademonla Gualbert Lalèyè Fatshola, président de la commission affaire sociale et touristique


à la mairie et guide touristique

reconnue capitale de cette tradition qui obligerait tout


ethnographe à se lancer dans une aventure de tourisme
transfrontalier entre le Bénin et le Nigéria.

Iwoyé, village kétois situé à la frontière, à cheval sur le


Nigéria et le Bénin est un symbole de cette imbrication d’une
tradition qui traverse les âges. En tenue décontractée, vêtu
d’un tee-shirt blanc et petit bonnet blanc à la tête, sa haute
majesté royale Joël Adémola Alayé, roi d’Iwoyé est assis sur
une chaise blanche. Entouré de deux conseillers, le monarque
nigérian profite de la fraîcheur de l’air naturel sur la terrasse
de son palais en matériaux définitifs. En novembre prochain,
il fêtera ses dix ans d’accession au trône et de règne sur des
peuples qui sont de part et d’autre du Bénin et du Nigéria.
« Nous sommes tous des frères. Que ce soient ceux qui sont à
Savè comme ceux qui sont à Kétou ou à Iwoyé, nous sommes
tous des descendants d’une même famille », déclare le roi.

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Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

« La mère de la mère de mon père est venue de Kilibo non loin


de Savè » décline le souverain. La quarantaine, le roi explique
les liens ancestraux qui lient Kétou à Oyo, le berceau de la
tradition yorouba au Nigéria. « De Igboja à Savè, nous sommes
les mêmes jusqu’à Iwoyé et jusqu’aux confins de l’Etat d’Oyo.
Nous sommes tous des descendants de Oduduwa. Même
les Yoroubas qui sont à Porto-Novo, la capitale du Bénin, ils
sont de Oduduwa. Ce sont les colons qui nous ont divisés et
une partie de la descendance est en territoire francophone et
l’autre en territoire anglophone ». Malgré son titre de « haute
majesté royale », le roi Adémola sait qu’il doit déférence au
trône de Kétou. « Alaketu, akobi Oduduwa ni » (le roi de Kétou
est l’aîné de Oduduwa) dit-il. Oduduwa, dans la généalogie
yorouba, est l’ancêtre et fondateur du royaume d’Oyo dont
le fils aîné poussé par une guerre de succession fratricide
est descendu vers le Plateau de l’actuel Bénin pour fonder le
royaume de Kétou.

Avec un riche patrimoine aujourd’hui en souffrance, Kétou


a de quoi charmer tout amateur d’Histoire et satisfaire tout
touriste qui s’y rend. Président de la commission affaire sociale
et touristique à la mairie, Ademonla Gualbert Lalèyè Fatshola
est aussi un guide touristique qui a en mémoire tout le registre
des attraits touristiques de la cité des « Omon Oduduwa » (les
enfants de Oduduwa). Dans une longue interview, le balafré
fier de ses origines nous parle à cœur joie des potentialités de
Kétou qui enrichissent le patrimoine touristique du Bénin.

Quels sont les sites touristiques visités par les étrangers


quand ils viennent à Kétou ?

Quand les gens viennent à Kétou, il y a trois principaux


sites qu’ils visitent. Il y a la Place centenaire de la renaissance

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Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

de Kétou, qui est encore appelée la place Oyingin. Pourquoi


la Place centenaire ? En 1894, quand les prisonniers ont été
libérés à Abomey par le colonel Alfred Dodds, les Kétois sont
revenus et c’est à cette place qu’ils se sont installés d’abord
avant que chacun ne retourne dans sa maison. En 1994 soit
100 ans après leur arrivée, en mémoire de tous nos parents
qui étaient revenus d’Abomey, cette place a été créée. Quand
ils sont revenus, le roi qu’ils ont choisi s’appelait : Oyingin. Il
a régné de 1894 à 1918. C’est sa statue qui est à cette place.

Broussailleuse en ce mois de juillet 2020, c’est une place


publique avec des bancs à l’image d’un espace vert en plein
cœur de la ville. La statue du roi trône majestueusement sur
le site et agite … comme s’il aspergeait continuellement des
bénédictions sur la ville et ses visiteurs.

De deux ?

« Après la place centenaire, c’est le palais royal de Kétou.


Il s’agit d’un palais sacré. Je peux même dire qu’après Ilé-Ifê,
c’est Kétou directement. A Ilé-Ifê, 401 divinités sont adorées. A
Kétou, ce sont 201 divinités que nous adorons. Au palais royal
de Kétou, on ne fait pas n’importe quoi. Le 05 janvier 1993, il
y avait une équipe de la gendarmerie qui était venue au palais
pour tirer sur le roi, on a tout dit et ils ont refusé. Il a tiré le
premier coup qui est allé directement sur le trône, le roi s’est
levé. Le second coup a été sur le bassin de son collègue qui en
est décédé sur le champ. Depuis ce temps, le roi joue toujours
un rôle dans la gestion administrative de Kétou. Quand les
douaniers sont attaqués, ils vont au palais. La police même va
au palais, même le maire va au palais quand il a une difficulté
à laquelle il faut trouver de solution. Le palais de Kétou est un
palais véritablement sacré.

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Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

Fierté des Kétois et symbole d’un Kétou toujours ancré


dans la tradition yorouba qui emprunte quelques couleurs à
la modernité, ce palais en impose par son bâti flamboyant et
tout le soin qui y est porté.

De l’entrée à l’intérieur, ce lieu d’où règne sa majesté Akanni


Adédunloyé Adéromola, 51ème roi de Kétou, allie tradition
et modernité. La cour pavée sur son large flanc gauche est
dégagée de l’autre côté où, dans le gazon sauvage on aperçoit
près d’un canari porté sur un bois à trois branches, une
sculpture géminée d’une femme debout sur une stèle posée
sur la tête d’un prince. Toujours à droite, sur une partie du mur
du bâtiment principal, une peinture attire l’attention de tout
visiteur. C’est le dessin de Oduduwa, l’ancêtre des Yoruba à Ilé-
Ifè, celui dont le fils aîné est devenu fondateur du royaume de
Kétou. Tenant un bâton de commandement, (son pouvoir) en
forme d’arc blanc sur le lequel est posé une colombe blanche,

Le palais royal de Kétou

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Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

c’est un homme tout de blanc vêtu, le visage partiellement


caché par un masque perlé de cauris sur sa couronne blanche.

Pour entrer à «Aafin» (palais en Yorouba), il y a des conditions


et un panonceau planté dans le sol rappelle formellement les
interdits. « Déchausse-toi, ferme ton parapluie, la queue du
cheval n’entre pas au palais royal, enlève ton voile ou foulard »,
ordonne l’écriteau. Ce n’est qu’après s’être mis en règle vis-à-
vis de ces consignes, que l’on accède à la tribune où le roi
siège majestueusement sur son trône. Mais, avant, un tableau
posé juste à l’entrée rappelle les cinq lignées royales « ARO,
MESA, MEFU, ALAPINI, MAGBO » et les 50 derniers rois qui ont
précédé l’actuel monarque.

Le troisième grand site visité c’est ?

« Il y a le Monument Akaba-Idéna. Sous le règne du 14ème


roi, Oba Sâ, les gens ont consulté le Fâ pour dire que Kétou est
la capitale du royaume. Le royaume s’étend jusqu’à Abeokuta.
Il faut donc mettre une sécurité autour de la capitale… ».
Actuellement c’est un site abandonné à la ruine, difficile d’accès
qui s’inonde à chaque grande pluie, que l’Etat béninois s’active
de réhabiliter. Les travaux d’aménagement, d’assainissement
et de pavage de la voie d’accès ainsi que des cours intérieures
et extérieures du musée ont déjà été confiés à une entreprise
qui a un délai de 8 mois pour l’exécution.

Pour mieux comprendre l’histoire de ce monument


historique de Kétou, il faut avoir une idée de la fondation de
ce royaume nago.

Le guide ouvre une parenthèse et raconte : « C’est le Fâ qui


a guidé les ancêtres depuis Ilé-Ifê jusqu’ici. Ils ont fait plus de

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Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

100 ans en route jusqu’à ce qu’ils aient traversé le fleuve Oyo.


Quand ils consultent le Fâ, il leur dit s’ils doivent attendre ou
continuer la route. C’est comme ça, ils sont venus sur ce plateau.
Pour donner le nom au nouveau royaume qu’ils veulent créer,
c’est le Fâ qui a encore donné le nom. Le chapitre de l’oracle
qui a fondé le royaume de Kétou, c’est le «Iwoyé bo gbé».
Pour faire le sacrifice de ce chapitre-là qui est venu, il faut un
bossu. C’est un bossu vivant qui a été enterré à l’endroit où le
royaume de Kétou a été fondé. Le nom à l’origine est «ké tou
kéé ? ké fo lou ?». C’est-à-dire «qu’est ce qui peut arracher
la bosse aux bossus. Du moment où le bossu est vivant, c’est
collé à lui jusqu’à sa mort et tant qu’on ne peut pas arracher
la bosse au bossu, Kétou sera toujours débout. C’est cela
l’explication de la signification de Kétou. C’est cet endroit qui
est « Akaba Idéna » ou la porte magique. C’est là où ils ont fait
les sacrifices ».

D’autres détails entourent la sémantique du nom de


cette porte qui occupe une part de l’histoire de l’invasion
Aboméenne à Kétou. Saisie comme trophée de guerre par
la troupe amenée par le roi Glèlè qui a assiégé le royaume
de Kétou pendant plusieurs mois, cette porte serait revenue
d’elle-même. Ce qui renforce sa mythologie.

Qu’en est-il de l’histoire de la porte magique avec le


royaume rival d’Abomey ?

« Kétou a été fondé, mais n’a pas été créé. Du moment où


c’est fondé, pour détruire ce serait difficile. En 1886, la ville de
Kétou ne devrait plus exister. Ce sont des génies qui auraient
fait le travail à la place de la population. Le roi qui est venu
fonder le royaume est venu avec 120 familles. Ce sont des
génies qui ont creusé des trous de 10 mètres de large et 15

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Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

mètres de profondeur et 25 kilomètres de circonférence, c’est


précisé dans le livre de Parinder. Le titre du livre est : « Le souci
de l’histoire de Kétou ». C’est dans ce livre qu’il y a plus de
précisions sur l’histoire de ces génies puisque les vieux étaient
encore-là et ils l’ont bien racontée au chercheur.

Ce que nous avons entendu de bouches à oreilles, ce sont


des génies du nom de «Adjibodou» qui ont creusé les trous
pour encercler la capitale et la seule entrée et sortie se trouve à
l’endroit où le sacrifice du bossu a été fait. Pendant la dernière
attaque d’Abomey en 1886 sous le roi Glèlè, les Aboméens
sont rentrés à l’intérieur de la capitale et ils ont détruit des
choses. Il y a eu des guides qui ont aidé les Aboméens à détruire
toutes les forces de Kétou. Ils n’ont pas respecté les interdits
de ses fétiches pour pouvoir diminuer leurs forces. En partant,
les Aboméens ont pris la porte magique comme trophée
de guerre. A leur retour à Abomey, il y avait des épidémies
terribles qui ont frappé le royaume. Comme Abomey aime
conserver les trophées de guerre, il n’allait jamais laisser cette
porte partir. Ils ont consulté le Fâ et on leur a dit que c’était
la porte qu’ils ont ramenée de la ville de Kétou. «C’est cette
porte qui vous crée tous ces problèmes, il faut l’éjecter de la
ville d’Abomey». Ils ont sorti la porte pour l’amener loin dans
la brousse et c’est là les Kétois ont eu le temps de travailler sur
la porte et elle est devenue comme un pigeon et a volé pour
revenir à sa place. C’est pourquoi, nous parlons de la porte
magique ».

Quid de la reconnaissance mondiale de la porte Akaba-


Idéna ?

« C’est cette porte qui fait que Kétou est classée parmi les
plus grandes villes de haute sorcellerie en Afrique. A ce qu’il

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Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

parait, il y a un mystérieux homme, un géant qui sort la nuit et


qui continue de sortir la nuit jusqu’à présent. Quand l’UNESCO
a reconnu le monument Akaba-Idéna comme un patrimoine
mondial, elle a envoyé de l’argent pour reprendre les travaux
et on a mis un gardien à cet endroit. Curieux, le vieux vigile a
décidé de voir l’homme mystérieux qui sort de ce lieu toutes
les nuits. Un soir, il est allé là-bas. Il dépose sa lanterne, s’assied
contre le mur et regarde pour voir par où l’homme géant va
passer pour sortir. Mais à sa grande surprise, il s’en dort et
s’est réveillé en trouvant sa lanterne sur sa poitrine. Quand il
s’est levé, la lampe est tombée et s’est éteinte. Le géant est
sorti, mais il ne l’a pas vu. Le lendemain, il a démissionné. «A
partir d’aujourd’hui, cherchez un autre pour garder la maison,
je ne la garde plus».».

Le Patrimoine touristique de Kétou, ce n’est pas que ces


trois principaux sites. Une ville capitale d’un royaume qui
s’étend du Bénin au Nigéria a bien des choses qui méritent
d’être connues. Ademonla Gualbert Lalèyè Fatshola, le guide
et président de la commission affaire sociale et touristique
à la mairie nous parle de divers autres sites. Son seul regret,
c’est qu’ils sont dans un état de dégradation avancée qui laisse
pantois.

« Il y a les «Tas d’immondices du bonheur», Aïtan-Ola.


Quand le roi Edê, fondateur du royaume de Kétou est venu, il a
trouvé beaucoup de vieilles ici, on ne sait même pas d’où elles
sont venues. On est venu les trouver ici, mais elles parlaient
le Yoruba comme le roi fondateur. Parmi ces vieilles, il y a
Iya-Ola. Ces vielles n’ont jamais été enterrées, elles restent
debout et commencent par disparaitre jusqu’à ce que la tête
disparaisse également. Iya-Ola s’est enlisée et elle a demandé

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Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

de venir jeter des ordures sur elle. Et depuis la fondation du


royaume, c’est comme une montagne. C’est un endroit sacré
et tous les Kétois qui sont allés à la guerre d’Indochine et la
guerre d’Algérie ont vu Iya-Ola».

Véritable montagne d’ordures et de déchets de toutes


sortes, c’est un site qui, à première vue, repousse tout visiteur
soucieux de l’assainissement du cadre de vie. Pourtant, on ne
va pas à l’effrayant tas d’ordure sans autorisation de la cour
royale. Des jeunes aux aguets guettent tout passage suspect
pour quérir les autorisations d’accès.

Quand on parle de la tradition yorouba, le Guèlèdè, masque


inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO est omniprésent.
Kétou est un haut lieu du Guèlèdè. On en parle. « Il y a un
professeur de Philosophie à l’Université d’Ilé-Ifê, Bénédicte
Bitokou, qui a aussi fait l’Université de Sorbonne. C’est elle qui
a construit un musée de Guèlèdè à Kétou centre où on voit des
représentations imitant toutes les étapes de la danse Guèlèdè.
Le musée est fermé aujourd’hui parce qu’il n’y a pas quelqu’un
qui le gère. Hors de Kétou centre, il y a le quartier de Ofia.
C’est le berceau du Guèlèdè dans la commune et au Bénin.
Ce quartier se trouve à l’Est de Kétou vers le Nigéria. C’est à 6
kilomètres de Kétou ».

Déjà, est-ce qu’on peut avoir une idée de l’histoire du


Guèlèdè ?

« Le Guèlèdè est venu de Ilobi au Nigéria. C’est un royaume


au Nigéria, c’est surtout les Kétois qui sont là-bas. Est-ce que
c’est de Kétou, ils ont amené le Guèlèdè là-bas ou ce sont
eux qui ont créé le Guèlèdè ? L’histoire révèle que ce sont
des calebasses que les enfants utilisaient pour jouer et qu’ils

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Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

Les masques Guèlèdè dans un hôtel de Kétou

mettaient sur la tête. Ils utilisent des feuilles sèches de bananes


et ils percent les coquilles d’escargot qu’ils attachent aux pieds
pour danser. Quand ils dansent et crient, les vieilles femmes
les apprécient et voient que c’est amusant. Un jour, un homme
s’est levé pour dire : «Qu’est-ce que vous faites comme ça» ?
et il a détruit les calebasses et tout ce que les enfants avaient.

Quand il est rentré à la maison, il est tombé malade. Il va


consulter le Fâ et on lui révèle qu’il y a des enfants qui jouaient
à un jeu qu’il a détruit. La prescription a été qu’il pratique lui-
même le jeu pour être guéri. Il l’a fait et a dansé. Il a retrouvé sa
santé et c’est devenu la danse de nos mères. C’est une danse
que nos mères adorent particulièrement.

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Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

Le Guèlèdè n’est plus qu’un masque de réjouissance ?

En dehors de l’aspect culturel, il y a l’aspect cultuel. Parce


que dans chaque couvent de Guèlèdè, c’est un endroit où
nous adorons nos mères. Partout où il y a un air de Guèlèdè,
il y a des endroits réservés pour adorer nos mamans et nous
leur offrons à manger. Nous leur donnons de l’igname avec de
l’huile rouge et bien d’autres ingrédients.

Ailleurs les gens utilisent tout type de bois pour fabriquer le


Guèlèdè. Mais, il y a une seule espèce d’arbre que nous utilisons
à Kétou pour fabriquer les masques Guèlèdè. Erimado. C’est
le nom de l’arbre qu’on utilise pour fabriquer les masques
Guèlèdè. Quand cet arbre devient sec, le masque Guèlèdè
devient très léger. C’est pourquoi nos parents l’ont adopté.
Quelle que soit la taille qu’on donne aux masques Guèlèdè,
avec cet arbre quand ça devient sec, c’est très léger. Une fois
qu’un masque a été déjà porté et qu’on a déjà dansé avec,
cela devient une divinité. On peut l’adorer et lui poser des
questions avec des cauris et il répond. Quand quelqu’un est
malade, on lui porte ce masque, il danse et est guéri.

Quoi d’autres sur la liste des attraits touristiques de la


citée des Omo Oduduwa ?

« A part les masques Guèlèdè, à Ofia il y a les 201 puits.


Ce sont les villages souterrains d’antan. C’est pendant la
saison sèche qu’on peut se rapprocher de ces puits. En saison
pluvieuse, les arbres envahissent ces puits. Pour ne pas tomber
dans ces puits, il est conseillé de ne pas aller là-bas. Il y en a à
Ofia et à Odju, village situé entre 2 et 3 kilomètres de Kétou-
centre.

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Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

Il y a la rivière Iya-Mèkpèrè à Okpomèta. Quand le


roi fondateur venait à Kétou, il est arrivé dans le village
d’Okpomèta et ils ont entendu le coassement des crapauds, et
il s’est dit l’eau n’est pas loin d’ici. Il a envoyé le premier guide
pour aller chercher de l’eau et dès qu’il arrive-là, il n’a pas dit :
«Agooo» (Ndlr, cri pour demander le passage ou toquer à la
porte). Alors que la vieille qu’ils sont venus trouver ici était nue
en train de préparer une potion. La vieille lui a tendu la main
et il est tombé inerte. Il n’est pas revenu. Le roi attendait, mais
ne le voyait pas.
Une seconde personne est envoyée. Sans contrôle, elle
rentre sans frapper, elle subit le même sort que le premier.
C’est la troisième personne envoyée par le roi, qui, avant de
rentrer là, a dit «Agoooo, Agoooo, Agoooo» et a fait savoir
qu’il cherchait de l’eau à boire pour un roi qui veut aller fonder
son royaume. Elle l’a autorisé et a touché les deux autres qui se
sont levés. Ils ont donc pris de l’eau à quatre et ils sont venus
voir le roi et elle a prié pour le roi. Elle a également dit au roi
qu’elle viendra l’aider à fonder son royaume. L’endroit de Iya-
Mèkpèrè est toujours là aujourd’hui ».

Un détour au bord de cette rivière, et la désolation est


foudroyante. Abandonnée à l’instar d’autres sites, la rivière
sacrée est aujourd’hui ensablée et perdue au milieu des champs
de maïs et de tomates. Selon Pascal Elégbédé, un vieux chef
du village où se trouve cette rivière, elle a permis à beaucoup
de femmes de connaître les joies de la maternité.

Ensuite ?

« Il y a également Iya-Bokolo, une femme barbue. Elle aussi


s’est enlisée, mais ce sont des endroits qui ne sont pas trop

www.banouto.info 121
Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

aménagés. C’est pourquoi nous n’amenons pas les gens là-bas.


C’est dans une maison. Quand le roi s’est installé, il a demandé
à ses sujets d’aller l’arrêter parce qu’il ne concevait pas qu’une
femme puisse avoir des barbes. Ils ont dit à la vieille que le roi
l’appelait. Quand elle est venue, le roi l’interrogea : «D’où viens-
tu ? Nous n’avons jamais vu une femme avec des barbes».
Elle répondit au roi : « Si tu savais». Furieux, le roi relance :
«Tu as encore l’audace de me répondre en ces termes». Les
gardes du roi voulaient se lever pour l’arrêter quand elle a fait
descendre les plafonds sur eux. Seul face à elle, le roi a enlevé
sa couronne et s’est prosterné. Il a demandé pardon à la vieille.
Elle a alors prononcé des paroles incantatoires et tout est
reparti. Elle a dit au roi qu’elle n’était pas venue pour leur faire
du mal mais qu’elle était plutôt là pour les accueillir et qu’elle
savait qu’ils venaient. Elle s’est enlisée. Elle est restée débout
et elle a disparu progressivement. Elles sont nombreuses ces
genres de femme à Kétou, mais elles ne sont pas connues.
Elles sont environ sept vielles femmes mystérieuses que le roi
fondateur de Kétou est venu trouver à Kétou. Il ne sait même
pas d’où elles sont venues.

Après Okpomèta, il y a la forêt sacrée où le roi est initié avant


qu’il ne vienne à Kétou. Quand nous choisissons un nouveau
roi, il va commencer son périple au Nigéria. Il doit passer par
cette forêt avant de venir à Kétou. A côté de la forêt, il y a un
puits qui ne tarit jamais. Ce puits avait même un couvercle, il
parait que c’est lors des guerres que les Aboméens revenant
d’Abeokuta ont emporté le couvercle. Dans cette forêt, il y a
trois bulles de terre. C’est à cet endroit que nous faisons les
sacrifices et nous continuons encore de le faire. Il y a un grand
Iroko dans la forêt.

122 www.banouto.info
Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une tradition yorouba du Nigéria au Bénin

Nous avons aujourd’hui, les rivières Ëka (Homme), Ëfoun


(Femme) à Idigny. A l’origine de ces rivières, il y a un couple
qui est passé par Kétou pour demander la terre pour s’installer
et de la nourriture. Les Kétois ont dit qu’ils n’en ont pas. Ils
ont donc traversé Kétou pour aller à Idigny. Les gens d’Idigny
leur ont donné à manger et les ont installés. Le lendemain,
les habitants d’Idigny ont constaté qu’à l’endroit où l’homme
était installé, il y a désormais une source d’eau. Idem pour la
femme. C’est là où se trouvent les deux rivières aujourd’hui.

Il y a une autre rivière sacrée, Alaouhan. C’est une rivière qui


donne des enfants. Si quelqu’un a un problème de fertilité et
qu’il va là-bas, Alaouhan va lui donner l’enfant. Santé, argent…,
tous les problèmes sont réglés au niveau de cette rivière. Il
y a un homme qui est l’intermédiaire entre le fétiche et les
populations.

Dans l’arrondissement d’Adakplamè, il y a deux sites


importants qu’on peut visiter facilement. Le premier site, c’est
la forêt de Ido Fé, qui a une relation particulière avec la forêt
de Iwé, il y a un fétiche qui existe là, avant la fondation du
royaume de Kétou. Le roi de Kétou est passé par là. Le feu est
entré dans cette forêt, les gens ont détruit, mais la forêt est
toujours là. On voit des arbres qui dépassent 200 à 300 ans.
Le fétiche qui est là est «Icha Odoua» qui signifie» le fétiche
du seigneur» ou «la divinité du seigneur». C’est uniquement
parmi les membres d’une famille qu’on désigne quelqu’un
pour aller parler avec ce fétiche. C’est la famille « Ido Fé » qui
s’en occupe.

Le deuxième site, c’est la pierre qui rejette tout objet


extérieur. La pierre se trouve à Agonlin Kpahoun. N’importe
quel objet extérieur que vous envoyez sur la pierre, elle le

www.banouto.info 123
Olivier Ribouis & Ozias Hounguè

rejette automatiquement. Ce n’est que pendant la saison


sèche qu’on peut voir cette pierre puisqu’elle est au bord de
l’eau. Quand la saison pluvieuse arrive, l’eau couvre la pierre.
Malheureusement aussi, la voie qui mène là-bas n’est pas du
tout praticable ».

Kétou, c’est aussi de multiples danses, des divinités diverses


que l’on découvre lors des manifestations culturelles, des
festivals annuels. Ce patrimoine immense dont elle ne profite
pas encore, la ville, du moins selon ce que promettent les
autorités locales, s’apprête à le réhabiliter pour le révéler au
monde entier.

124 www.banouto.info
KÉTOU : LA VIE COMME SI LA PANDÉMIE DU COVID-19
N’EXISTAIT PAS

Comptant sur Dieu, le sodabi et le piment, les populations


à Kétou vivent sans se soucier de la pandémie du COVID-19.
Carnet d’un voyage auprès des sceptiques de la cité des «
Omo Oduduwa ».

Ici, au marché Asséna à Kétou, on va et on vient comme si le Covid-19 n’existait pas

Par Ozias Hounguè

D es vendeuses côte-à-côte, masques sous le menton.


Certaines se taquinent et se rejoignent par moment pour
discuter des prix du gari au marché Asséna, l’un des principaux
marchés de la commune de Kétou. Il sonnait environ 11
heures. C’est le jour du marché ce mercredi de la fin-juillet
2020. A l’entrée du lieu d’échanges commerciaux, pas possible
de se laver les mains comme recommandé par les autorités. Le
dispositif installé à cet effet n’est pas fonctionnel.

www.banouto.info 125
Ozias Hounguè

Dans le marché Asséna, le plus grand de Kétou, femmes


et hommes ; petits et grands vaquent à leurs activités sans
se soucier de la pandémie qui fait des ravages partout à
travers le monde. La majorité des usagers du marché n’a pas
mis de masques. La distance de sécurité d’un mètre n’est pas
respectée. « Nous sommes dans la main de Dieu ! », répond
Floriane, jeune vendeuse de gari à la question de savoir si
elle ne craint pas de contracter ainsi le COVID 19. Saka Noah,
président de l’association « Oba l’Okélé », un regroupement
de vendeurs de maïs, compte lui aussi sur la protection divine.
« La pandémie qui est arrivée, c’est Dieu qui l’a voulue et l’a
répandue sur la terre. Rien n’est impossible à Dieu. C’est lui
seul qui peut nous épargner de tout cela », déclare le vieil
homme.

« Laissez-nous en paix »

Parler de coronavirus à certains, c’est les importuner. Après


une longue nuit de festivité en l’honneur du fétiche « Oro »
dans certains villages de Kétou, le jour se lève peu à peu ce
samedi 25 juillet 2020 sur la Cité des Oduduwa. Aux environs
de 7 heures 30 minutes dans le centre-ville de Kétou, trois
hommes marchent côte-à-côte sur les pavés menant à la
mosquée centrale. Habillés en tenue locale, ils ne portent
pas de masques. « Nous ne sommes pas obligés de porter
des masques. Avez-vous déjà vu des corps de personnes
décédées de coronavirus ou de personnes touchées par cette
pandémie dans notre quartier ? », interroge Laurent, l’un
des trois hommes. La cinquantaine, ce paysan qui banalise
le coronavirus veut continuer à vivre comme si de rien
n’était. « Laissez-nous en paix avec votre supposée maladie
du coronavirus ! », rouspète l’agriculteur qui n’apprécie
visiblement pas notre intérêt à la question.

126 www.banouto.info
Kétou : la vie comme si la pandémie du Covid-19 n’existait pas

Comme Laurent et ses deux « Les labos n’ont ja-


acolytes, les sceptiques du mais confirmé qu’un
COVID-19 sont nombreux dans la virus peut vivre dans
ville. A quelques encablures des l’alcool »

locaux de l’arrondissement de Kétou, des hommes s’adonnent,


sous une paillotte, à leur passe-temps favori de la soirée : le
Awalé, jeu des semailles africaines encore appelé « Adji » en
Fongbé. La plupart de ces hommes ont porté leur masque
sous le menton et d’autres l’ont mis dans leurs poches. L’heure
n’est pas à l’évocation du mal qui trouble l’humanité, il faut
gagner ou laisser place à d’autres passionnés du jeu Awalé.
Heureux de venir à bout de leurs adversaires du jour, certains
férus n’hésitent pas à se serrer les mains en signe de victoire.
« En milieu rural, les gens ignorent que la maladie existe. Du
moment où ils n’ont pas encore des cas palpables ici, ils se
disent que le mal n’existe pas », témoigne Gentille Hounkpèvi,
une jeune femme rencontrée sur les lieux. « Ce sont ceux
qui viennent d’ailleurs qui les informent de l’existence de la
maladie et leur demandent de se laver les mains », ajoute
la jeune femme qui est venue rendre visite à son oncle, un
passionné du jeu des semailles africaines.

« Les histoires de distance d’un mètre ne sont pas respectées


partout. Cela, il faut vous le dire. Ils doivent s’approcher pour
voir comment ça se déroule et comment ça se fait. C’est
pourquoi l’histoire des 1 mètre n’est pas respectée », confie Jean
Odoun-Ifa, un sexagénaire qui attend son tour de jeu. « Je ne
comprends rien de cette pandémie, j’ai porté de masque parce
que j’ai vu des personnes en porter », lance maman Richo, une
vendeuse d’Atassi (riz et du haricot) au quartier Atchoubi. Elle
est analphabète et n’a pas grande connaissance de l’existence
du coronavirus. « Je ne connais pas le coronavirus et je ne veux

www.banouto.info 127
Ozias Hounguè

pas le connaitre », déclare-t-elle, catégorique. Autour d’elle,


cinq personnes, des hommes et des enfants sans masques qui
viennent acheter de la nourriture.

Maladie des «non-buveurs de Sodabi»

Narguer le covid-19, certains le font avec un remède bien


étrange, le sodabi, une liqueur à base de vin de palme. « Des
gens ont foi en leur ‘’Gogoro’’ ou Sodabi. Certains villageois
qui ont connaissance de cette maladie disent que le virus ne
survit pas dans l’alcool, il faut donc prendre du Sodabi, l’alcool
local », affirme un agent de la mairie de Kétou, qui décrit les
mesures anachroniques prises par certains villageois pour se
protéger contre le covid-19. Au quartier Obafèmi, Augustin,
un enseignant, bouteille de Sodabi en main, est en train de
prendre une décoction avec des amis.

« Les labos n’ont jamais confirmé qu’un virus peut vivre


dans l’alcool », lance cet enseignant sceptique servant à tour
de rôle un verre bambou à ses amis et à l’équipe de Banouto.
« C’est notre manière de nous protéger du coronavirus », dit-il
ricanant.

A Adakplamè, l’un des six arrondissements de la commune de


Kétou, la population est composée en majorité de cultivateurs.
Les habitants de ce village situé à environ 20 kilomètres du
centre-ville de Kétou pensent qu’ils sont invulnérables au
COVID-19 grâce à la prise régulière du Sodabi. « Jusqu’à la date
de ce jour, nos parents n’y croient pas encore. Ils disent que ce
sont ceux qui ne boivent pas de Sodabi qui sont victimes de
cela », témoigne Valentin Houngnon, chef de l’arrondissement
d’Adakplamè. La première autorité d’Adakplamè ajoute
également que les habitants de la localité estiment que ceux

128 www.banouto.info
Kétou : la vie comme si la pandémie du Covid-19 n’existait pas

qui sont touchés par la covid-19 à Cotonou le sont « parce


qu’ils ne prennent pas de piments ».

Des opérations de sensibilisation

A l’entrée des édifices publics notamment les


arrondissements et les commissariats de la commune Kétou, il
est imposé le lavage systématique des mains. Selon Gualbert
Lalèyè Fatshola Ademonla, élu local et président du Comité de
sensibilisation du coronavirus à Kétou, un arrêté communal a
été pris par la première autorité de la ville depuis l’apparition
de cette pandémie. « Chaque arrondissement va mettre sur
pied son comité de lutte. A toutes les occasions, la mairesse
prend la parole pour sensibiliser sur le covid-19, même lors
du lancement des travaux de reconstruction du Musée Akaba
Idéna », signale-t-il.

Pour l’actuelle maire de Kétou, Lucie Sèssinou, le coronavirus


sévit dans la ville, mais parce qu’« il n’y a pas eu encore de
décès, les gens continuent de vivre comme si de rien n’était ».
A la mi-juillet 2020, signale-t-elle, la commune de Kétou a
enregistré 20 cas confirmés de Coronavirus. « Nous avons
mis en place des comités et des gongonneurs à contribution
pour sensibiliser quartier par quartier, village par village, les
communautés pour les convaincre, les conscientiser que le mal
existe dans la ville », détaille la mairesse. « En ce qui concerne
la sensibilisation que les autorités sont en train de faire, nous
n’allons pas nous lasser », insiste-t-elle.

Difficile répression

Si à Cotonou, la police républicaine s’acharne à réprimander


les citoyens récalcitrants ne respectant pas les gestes barrières

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Ozias Hounguè

imposés par les autorités sanitaires, cela reste une équation


difficile en milieu rural.

Selon un policier de l’arrondissement d’Adakplamè,


la réprimande des villageois qui ne respectent pas les
mesures barrières contre le coronavirus constitue un point
d’achoppement entre habitants et forces de l’ordre. « La
nature humaine, c’est la difficulté à se conformer aux nouvelles
habitudes. Ils vont comprendre progressivement », fait-il
remarquer. « C’est plus difficile en milieu rural parce que les
gens sont analphabètes ou demi lettrés, le courant passe donc
difficilement. Nous nous attelons à faire respecter les mesures
sanitaires imposées par les autorités », renchérit-il.

Après les campagnes de sensibilisation, le chef


d’arrondissement d’Adakplamè renseigne que le conseil
communal a décidé de passer à la vitesse supérieure. « Une
opération de réprimande contre le non port de masque et le
non-respect des gestes barrières est prévue dans les prochains
jours », informe le chef d’arrondissement.

130 www.banouto.info
LES CINQ VISAGES DE TANGUIETA

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132 www.banouto.info
PARC PENDJARI AU BÉNIN : LE TOURISME TOUJOURS
GROGGY UN AN APRÈS L’ASSASSINAT DE FIACRE GBEDJI

L’assassinat, en mai 2019, du Béninois Fiacre Gbédji et


l’enlèvement des deux touristes français qu’il guidait dans le
parc de la Pendjari ont porté un coup dur au Bénin. Un an
après cet évènement dramatique, la sécurité à Tanguiéta a été
renforcée mais le tourisme dans la région est presqu’«à terre»,
menaçant dangereusement la survie de certains acteurs.
Enquête.

Baisse de visites de touristes au pacs national de la Pendjari à Tanguiéta

Par Yao Hervé Kingbêwé

T anguiéta, parc de la Pendjari. Mardi 7 juillet 2020.


Le temps est particulièrement beau en cette saison
pluvieuse où les pluies se font paradoxalement rares. L’après-
midi est ensoleillé. Un temps pour le safari. Mais ce n’est pas
la grande ambiance dans le parc national de la Pendjari. La

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Yao Hervé Kingbêwé

réserve de biosphère de près de 5000 km2 attire moins les


touristes depuis l’enlèvement d’un couple français et de leur
guide béninois, Fiacre Gbédji, le 1er mai 2019.

Les deux Français en voyage de noces ont été libérés lors


d’une opération de l’armée française au Burkina-Faso. Mais le
guide béninois a été retrouvé mort dans le parc. Son corps sans
vie, méconnaissable, a été identifié par les autorités béninoises
le 5 mai.

« Un peu de panique »

L’acte terroriste du 1er mai 2019 est une première au Bénin.


Avant ce jour, le Bénin n’avait jamais enregistré d’incursion
djihadiste sur son territoire. Le drame a créé une grande émotion
dans le parc national. « C’est un évènement très douloureux
pour nous parce que Fiacre était l’un de nos meilleurs guides
», confie Jean Yves Koumpogue, directeur par intérim du parc
de la Pendjari, la gorge un peu nouée. « C’est d’ailleurs parce
qu’il était très respectueux des règles qu’on s’en est très vite
aperçu », apprend le patron du parc de la Pendjari.

Dans le parc, le safari n’est pas autorisé après 19 heures. «


A 19 heures 15 minutes, on a constaté qu’il n’avait pas garé.
Aussitôt, on a lancé une alerte. Nous avions à l’époque deux
avions. Mais vu l’heure, nous ne pouvions plus voler. Nous
avons fait des recherches avec les équipes terrestres, les
rangers, mais cela n’avait rien donné. C’est le lendemain qu’on
a réussi à trouver le corps du guide. C’était très malheureux
pour nous », relate Jean Yves Koumpogue.

A Tanguiéta, ville d’entrée du parc au nord-ouest du Bénin,


à 2 heures de route de la réserve, l’attaque djihadiste a semé «

134 www.banouto.info
Parc Pendjari au Bénin : le tourisme toujours groggy un an après l’assassinat de Fiacre bedji

un peu de panique ». Même « Aujourd’hui, quand


si « cela n’a pas trop stressé on a un client, on se
les populations qui ont vécu pose des questions »
cela comme un film », comme l’a laissé entendre le maire de
Tanguiéta, il y a tout de même une certaine méfiance à l’égard
des inconnus. Les guides touristiques sont notamment très
méfiants.

« Aujourd’hui, quand on a un client, on se pose des


questions », confie Sanni Abdou Razack, guide dans le parc
de la Pendjari, visiblement encore sous le choc de la terrible
disparition de son « ami » et « frère ».

Un an après le drame, les guides touristiques craignent-


ils pour leur sécurité dans le parc de la Pendjari ? « On n’a
pas peur », répond Sanni Abdou Razack. « Moi, je n’ai pas
peur quand je vais dans le parc », affirme avec assurance Léon
Yombolény, un autre guide et accompagnateur.

Dispositif sécuritaire renforcé


S’ils assurent ne point craindre pour leur sécurité dans le
parc de la Pendjari, les deux guides expliquent que c’est en
raison du dispositif sécuritaire aujourd’hui dans la réserve
naturelle. Le dispositif de sécurité dans le parc avant le 1er
mai 2019 a été renforcé. Le parc est partiellement militarisé
désormais. Une bande de dix kilomètres, de la frontière du
Burkina-Faso vers le Sud, informe le directeur par intérim du
parc, a été délimitée et confiée à une force mixte composée
d’éléments de l’armée béninoise et de rangers qui patrouillent
24 heures sur 24.

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Yao Hervé Kingbêwé

« Ce n’est pas possible aujourd’hui pour quelqu’un


d’entrer dans le parc et de finir 10 kilomètres. C’est quasiment
impossible », commente Jean Yves Koumpogue. Le directeur
par intérim du parc fait savoir qu’African Parks, en plus des
deux avions dont il disposait, a acquis un hélicoptère pour «
des interventions ponctuelles et rapides ».

African Parks a également acquis du matériel, des GPS pour


suivre les touristes et leur guide, et des radios pour communiquer
avec eux. « En cas de situation, on peut immédiatement alerter
», se réjouit le guide Léon Yombolény. Très amer, le guide
Sanni Abdou Razack pense que le dispositif de GPS aurait pu
être installé avant l’assassinat de Fiacre Gbédji. « Nos autorités
vont visiter les parcs ailleurs. Elles voient comment cela se
passe. On pouvait mettre ce dispositif-là avant », critique-t-il. «
Aujourd’hui, la sécurité est totalement garantie dans le parc »,
assure Jean Yves Koumpogue. Un peu comme pour dire mieux
vaut tard que jamais.

Tanguiéta, un refuge pour les djihadistes ?

Depuis le 1er mai 2019, aucune autre attaque n’a été


enregistrée au Bénin. Est-ce à dire que l’enlèvement des
touristes est un incident passager ? « Peut-être, peut-être pas
», répond Emmanuel Odilon Koukoubou, expert en sécurité
internationale et défense. Assistant de recherche au Civic
academy for Africa’s future (CIAAF), l’expert pense qu’il faut
faire très attention. Car, explique-t-il, « le Bénin présente
suffisamment de fragilités, de vulnérabilités qui l’exposent à
l’insécurité, à des menaces terroristes ». Aussi, ajoute-t-il, « le
Bénin aussi peut subir le revers de la lutte contre le terrorisme
au Sahel ».

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Parc Pendjari au Bénin : le tourisme toujours groggy un an après l’assassinat de Fiacre bedji

Dans un article qu’il a cosigné avec Dr Expedit Ologou fin


juin 2020, Emmanuel Odilon Kouboubou alerte sur le fait que
le parc W et son prolongement du parc de la Pendjari pour-
raientt être « le prochain hub du terrorisme sahélien ». Cela,
analysent les deux experts, pourrait s’inscrire dans le cadre
d’une stratégie d’adaptation des terroristes en période de co-
ronavirus. « Cette hypothèse reste valable même en dehors
du temps covidien. Elle peut être le revers de la lutte antiter-
roriste », écrivent Emmanuel Odilon Kouboubou et Dr Expédit
Ologou.

Les deux chercheurs font savoir que cette zone présente les
fragilités dont se nourrit le terrorisme. « En plus d’être de vraies
cachettes, les parcs présentent même un avantage de survie
économique. Ils peuvent servir de terrain de braconnage à des
fins alimentaires et de trafic transfrontalier », détaillent-ils.

Il n’y a pas que les experts qui craignent que les villes
frontalières entre le Bénin, le Burkina-Faso et le Niger
deviennent une arrière-cour pour les djihadistes. Une autorité
communale de Tanguiéta a confié à Banouto que des incursions
de personnes suspectes sont souvent enregistrées dans la ville.

« Tanguiéta n’est pas une ville si exposée »

Selon les informations de Banouto, des hommes armés ont


été abattus dans la réserve à la mi-juin 2020. Début juillet, sept
personnes ont été tuées dans le parc, côté burkinabé. Outre
ces cas, les forces de défense et de sécurité ont procédé à
des arrestations dans le parc. « On ne sait pas si ce sont des
tentatives de djihadistes mais toujours est-il qu’on a pris des
gens qui ont tenté d’infiltrer la bande des 10 kilomètres », a
expliqué le directeur du parc.

www.banouto.info 137
Yao Hervé Kingbêwé

Interrogés sur la situation sécuritaire de la ville, les


responsables de la sécurité n’ont pas souhaité faire des
commentaires. Ni les commissaires de la ville, ni les responsables
du camp militaire ne se sont prononcés. Mais une source
sécuritaire a assuré à Banouto qu’il n’y a pas d’inquiétude à
se faire quant à la sécurité dans la commune de Tanguiéta et
dans le parc de la Pendjari. « Si c’est pour la sécurité, elle est
garantie », a-t-elle déclaré. Selon elle, « Tanguiéta n’est pas
une ville si exposée ».

Parlant de la sécurité dans le parc, notre source fait savoir


que la frontière béninoise est sécurisée à l’intérieur du parc. «
Le problème, indique la source sécuritaire, c’est que de l’autre
côté du Burkina-Faso, il n’y a pas d’éléments ». L’autre difficulté
dans la zone, apprend notre informateur, c’est que la bande
de Koualou-Koulou disputée entre le Bénin et le Burkina-Faso
n’est contrôlée par aucune unité.

Pour protéger les personnes et les biens dans la commune


de Tanguiéta, des réflexions se mènent, notamment au niveau
du conseil communal. Selon le maire, des réflexions sont en
cours pour la dynamisation des comités locaux de sécurité.
L’autorité communale projette également de faire tenir au
niveau de chaque arrondissement un « registre des nouveaux
résidents ». Ceci, explique le maire, pour « enregistrer les
personnes qui ne sont pas de passage et qui veulent résider
pour un certain temps, à partir de quinze jours, un mois ».

Tourisme groggy

L’attaque dans le parc de la Pendjari n’a pas fait que


montrer que le Bénin n’est pas à l’abri des actes terroristes.
L’enlèvement des deux touristes et l’assassinat de leur guide

138 www.banouto.info
Parc Pendjari au Bénin : le tourisme toujours groggy un an après l’assassinat de Fiacre bedji

a porté un gros coup à l’activité touristique dans la région. Le


parc a été classé, les minutes qui ont suivies l’attaque, zone
rouge par la France et déconseillé aux touristes. « Beaucoup
de touristes ont aussitôt annulé », informe le directeur du parc.
Les Français étant les visiteurs les plus nombreux. L’activité
touristique qui connaissait de beaux jours, notamment après
la prise en main de la gestion du parc de la Pendjari par African
Parks (APN), a connu une chute vertigineuse.

Les visites dans le parc sont quasiment rares, à l’exception


de quelques visiteurs venant d’outre-mer, des expatriés sur
le territoire et des Béninois, les plus nombreux aujourd’hui
selon le directeur du parc. Toute chose qui a affecté plusieurs
secteurs et corps de métier dont les guides touristiques.
Nombreux sont les guides qui ont vu leurs chiffres d’affaires
réduits à néant.

« Avant, ça marchait un peu. On ne manquait pas pour


nous. Par semaine, je pouvais aller au moins trois fois dans le
parc avec des clients. Maintenant, rien, zéro », se lamente Léon
Yombolény.

« Notre activité est totalement par terre », confie Sanni


Abdou Razack dont la dernière visite dans le parc remonte à
juillet 2019.

Les restaurateurs et hébergeurs ne sont pas épargnés par


les impacts de l’attaque. « Depuis le triste évènement, on n’a
pas retrouvé l’équilibre jusqu’à maintenant », révèle Charles
Estève, promoteur d’un hôtel très connu et d’un supermarché
à Tanguiéta. L’homme d’affaires apprend que le triste
évènement l’a mis dans un « gouffre », et la crise sanitaire
née de la pandémie du coronavirus a empiré la situation. «

www.banouto.info 139
Yao Hervé Kingbêwé

On est presqu’à genoux. Deux évènements malheureux coup


sur coup », dévoile-t-il avouant que ses chambres sont restées
vides des mois sans un seul client.

A la mairie, on se plaint également de recettes en baisse.


« Vous savez, le parc national de la Pendjari, c’est une
importante source de revenus que ce soit pour les hébergeurs,
les marchands de boissons ou encore les transporteurs. C’est
vraiment un secteur important pour nos populations et pour
les recettes que nous (la mairie ndlr) mobilisons, et même pour
l’Etat », fait savoir le maire.

Les conséquences de ce triste évènement au plan


économique sont énormes. Notamment sur le tourisme dans
la région qui, un an après, semble toujours groggy. Et avec lui,
ses acteurs dont certains sont dangereusement menacés.

Mais cette période marquée par une baisse des activités


touristiques a tout de même permis à APN de procéder à
des aménagements pour permettre aux animaux d’être un
peu partout. Et « aujourd’hui, assure le directeur du parc, on
voit facilement les animaux et en grand nombre. Vous voyez
des buffles avec des effectifs de 300-400, vous voyez des
éléphants avec des effectifs de 30, vous pouvez voir plusieurs
familles d’éléphants. Les lions, c’est assez facile de les voir. Le
léopard, le guépard...Quand le Covid-19 sera passé et le rouge
sera levé, les touristes seront très joyeux de découvrir le parc
national de la Pendjari.»

140 www.banouto.info
ACCÈS À L’EAU AU BÉNIN: QUAND SE LAVER DEVIENT UN
LUXE À TANGUIÉTA

Commune du département de l’Atacora considéré comme


le château d’eau du Bénin, Tanguiéta manque cruellement de
la source de vie. Dans cette localité frontalière du Togo et à
quelques kilomètres du Burkina-Faso, la nappe phréatique
s’assèche régulièrement. Se procurer le liquide précieux,
notamment en saison sèche, est depuis des décennies pour
de nombreux habitants, un véritable chemin de croix.

Avoir de l’eau à Sangou...


Par Yao Hervé Kingbêwé

S angou, arrondissement de Tanongou à Tanguiéta. Il est


12 heures ce mardi 7 juillet 2020. A l’entrée du bourg
entouré par l’Atacora, chaîne de montagnes boisée, à quelques
mètres de l’école primaire, sept enfants s’affairent à la pompe
à motricité humaine. L’un d’eux, une fillette d’à peine dix ans,

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Yao Hervé Kingbêwé

robe bleue marine délavée par l’usure, actionne, à l’aide de


son pied droit, la pédale de la pompe, pour faire couler l’eau
dans sa bassine. Les autres, quatre fillettes et un garçon d’âges
voisins patientent en attendant leur tour pour remplir leurs
récipients.

Près de ce groupe, un bambin de moins de cinq ans, tube


orange en main, joue le corps mouillé d’eau. De l’autre côté
du village, en allant vers le parc de la Pendjari, à proximité des
cases, trois petites filles s’approvisionnent en eau au niveau
de la deuxième pompe à motricité humaine. Non loin de là,
à quelques mètres de l’arbre à palabre du village, une fillette
prend de l’eau dans un puits à grand diamètre d’une trentaine
de mètres de profondeur.

Ces scènes ordinaires sont bien rares à Sangou. Le village


connaît d’énormes problèmes d’accès à l’eau. « Il n’y a pas
l’eau. Si ce n’est pas le temps de la pluie maintenant, il n’y a
pas d’eau », se lamente Lamatou, mariée et mère de famille. «
Quand vous rendez visite à quelqu’un, c’est l’eau qu’on vous
sert en premier. Est-ce qu’on vous en a servie quand vous
êtes venus ? On n’a pas d’eau ici », a répondu Issa Nonyanou,
chef du village quand on lui a demandé de nous parler des
difficultés d’accès à l’eau.

Chemin de croix

Le village compte cinq puits. « En saison sèche, explique le


chef du village, les puits s’assèchent ». Seul un puits, selon les
habitants, contient de l’eau toute l’année. Mais pas en quantité
suffisante. « Quand on puise un peu, il faut attendre des heures
avant de pouvoir y trouver encore de l’eau », expliquent un
groupe de femmes. Des deux pompes à motricité humaine

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Accès à l’eau au Bénin: quand se laver devient un luxe à Tanguiéta

inaugurées en 1991 et 2006, la plus récente s’assèche


régulièrement. Conséquence : se procurer l’eau est pour les
femmes un véritable combat.

« Chaque matin, les femmes finissent par des coups de


poing » à la recherche d’eau pour les besoins de leurs familles,
fait savoir le chef du village.

Pour une bonne répartition de cette importante ressource


très rare dans le village, les femmes ont été organisées. « A la
queue leu leu, à tour de rôle, et par petits groupes, explique le
chef du village, les femmes vont chercher chacune une bassine
». Selon Issa Nonyanou, il est interdit à une femme de puiser
deux bassines à la fois en saison sèche. Pour avoir une quantité
d’eau suffisante pour leurs familles, les femmes font plusieurs
tours et passent plusieurs heures.

De nombreuses familles sont obligées d’aller chercher l’eau


à Tanongou, à plusieurs kilomètres. « Des gens vont chercher
l’eau à moto et reviennent vendre le bidon de 25 litres à 150
francs CFA », confie le chef du village. Un véritable calvaire pour
Lamatou. La jeune mère de famille, en raison des difficultés
d’accès à l’eau, a songé quitter son foyer et partir dans un
village où la ressource est disponible. Les hommes du village
se plaignent de l’indisponibilité de leurs épouses à satisfaire
leur libido. « Souvent tu te réveilles la nuit et ta femme n’est
pas là, à cause de l’eau. Est-ce que vous avez vu des femmes
enceintes à votre arrivée ? Pendant la saison sèche, elles sont
tout le temps dehors pour chercher de l’eau », se plaint l’un
d’eux, notre interprète circonstanciel.

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Yao Hervé Kingbêwé

Eau « pourrie »

Outre la question de disponibilité, la qualité de l’eau est


également un souci pour les populations. Si pendant la saison
pluvieuse, les habitants peuvent consommer une eau plus
ou moins limpide comme constaté, ce n’est pas le cas l’autre
saison. « Quand vous voyez l’eau que les gens puisent en
décembre, même un cochon ne peut pas se laver dedans »,
indique Fousseni Barè, un retraité dont l’épouse est originaire
de Sangou. L’ex-agent de l’Etat assure que c’est une eau
« rouge », « pourrie ». « Quand tu vois l’eau, tu comprends
que c’est la maladie », appuie notre interprète ajoutant que
la population sans solution se résigne à la consommer ainsi. «
Qu’est-ce qu’on peut faire ? ».

La qualité de l’eau consommée est souvent à l’origine des


problèmes de santé. « Il y a souvent des diarrhées, un peu
partout », apprend le jeune paysan dans le rôle d’interprète.
Les maladies de la peau, en raison de l’indisponibilité de l’eau,
ne sont pas loin. Notamment chez les enfants. Car, explique le
chef du village, seuls les enfants chanceux peuvent faire leur
toilette en saison sèche. Et cette triste situation, apprend Issa
Nonyanou, dure depuis la création du village où il a vu le jour
il y a plus de cinq décennies. Elle s’est aggravée au fil des ans
avec l’augmentation de la population et le tarissement de la
première source d’approvisionnement en eau située au pied
de la montagne.

« Sangou est encore mieux »

Le problème d’accès à l’eau n’est pas propre qu’au village


de Sangou. « C’est tout Tanguiéta qui a un problème d’eau.
Honnêtement, on souffre », révèle Fousseni Barè. Selon la

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Accès à l’eau au Bénin: quand se laver devient un luxe à Tanguiéta

première autorité de la « Souvent tu te réveilles la


commune, le problème nuit et ta femme n’est pas là,
d’accès à l’eau est plus criard à cause de l’eau. Est-ce que
dans d’autres contrées de vous avez vu des femmes
la commune. « Sangou se enceintes à votre arrivée ?
plaint, mais Sangou est Pendant la saison sèche, elles
encore mieux », assure sont tout le temps dehors
le maire de Tanguiéta, El pour chercher de l’eau »
Hadj Boukari Zakari. L’autorité communale explique que dans
l’arrondissement de Cotiakou, il n’y a pas de points d’eau.
L’eau que consomment les populations, apprend le maire, est
drainée depuis une source située à des dizaines de kilomètres.
Et quand le système a un petit problème, l’arrondissement est
sans eau.

Dans l’arrondissement central, la question de la disponibilité


de l’eau se pose également. « Les gens se lèvent à une heure
(1h) du matin, ils ne trouvent pas l’eau », informe le retraité
Barè Boukari. « Même l’eau de la SONEB (Société nationale des
eaux du Bénin ndlr) n’est pas facile à obtenir », fait savoir le
maire. « Du robinet (de la SONEB ndlr), commente un habitant,
c’est souvent du vent qu’on paie ».
Les forages réalisés par le conseil communal pour réduire un
tant soit peu la souffrance des populations, sont loin de satisfaire.
« Des fois, il n’y a pas d’eau, dans les forages que la mairie a
essayés d’installer un peu partout », reconnait El Hadj Boukari
Zakari qui explique que ce sont des particuliers, propriétaires de
forage qui aident les habitants en commercialisant l’eau. Chez
ces particuliers, selon les habitants, deux bidons d’eau de 25 litres
sont commercialisés à 25 francs CFA. « La commercialisation de
l’eau est, en principe interdite. Mais l’Etat ne peut rien parce que
le besoin est là », se résigne le maire.

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Yao Hervé Kingbêwé

« Gros problème »

Traversée par un climat soudano-sahélien, Tanguiéta est


arrosée pendant une moitié de l’année et frappée par la
sécheresse le reste du temps. La commune reçoit en moyenne
entre 800 et 1100 mm3 d’eau par an. Avec cette quantité et les
cours d’eau en plus des chutes de Tanongou et de Tanguiéta,
la commune qui comptait près de 75 000 âmes selon le dernier
recensement de la population en 2013 devrait souffrir moins
pour les questions d’eau.

« Mais le gros problème, c’est l’assèchement de la nappe


phréatique », croit savoir le maire qui souligne que même le
forage de la SONEB manque quelques fois d’eau en pleine
saison des pluies. « Avec les pluies, les gens peuvent avoir un
peu d’eau à l’intérieur des puits. Mais je vous dis, à partir de
novembre-décembre, tous ces puits-là tarissent, presque. Et
avec le changement climatique, c’est compliqué », explique la
première autorité de la commune.

L’autre problème identifié par l’autorité communale, c’est la


gestion de la ressource eau. « Nous gérons mal cette ressource.
Vous voyez, le Burkina-Faso a moins d’eau que nous. Mais ils
savent comment retenir l’eau pour qu’elle soit bien gérée sur
toute l’année. Il faut que l’Etat pense à cela. Qu’on ne laisse
« Quand vous voyez l’eau pas le peu d’eau qui tombe
que les gens puisent en ici, au nord aller au Sud »,
décembre, même un cochon détaille le maire qui trouve
ne peut pas se laver dedans » ironique que le département
de l’Atacora, au nord-ouest du Bénin soit considéré comme le
château d’eau du pays alors que les communes de cette partie
du territoire souffrent le plus du manque d’eau.

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Parc Pendjari au Bénin : le tourisme toujours groggy un an après l’assassinat de Fiacre bedji

L’autorité accuse également les hommes politiques d’accentuer


le problème et d’amplifier la souffrance des populations.

« Car, soutient le maire, nous avons mis la politique dedans.


On attend toujours quand il y a élection pour commencer par
réparer les pompes, par faire les forages ». L’ensablement de
certains cours suite à l’installation de champs et de maisons
dans les bassins n’est pas sans conséquence sur la disponibilité
de l’eau, pense également le maire.

« C’est un rôle que l’Etat doit jouer »

Au niveau du conseil communal, assure El Hadj Boukari Zakari


qui a pris les commandes de Tanguiéta début juin 2020, des
réflexions sont en cours pour tenter d’apporter des réponses
à la question. Mais l’autorité communale est convaincue que
la problématique de l’accès des populations à l’eau est une
préoccupation nationale qui dépasse les compétences des
communes.

La disponibilité d’eau potable en tout temps et en tout lieu, «


c’est un rôle que l’Etat doit jouer », estime le maire de Tanguiéta
qui pense que l’Etat béninois a conscience du problème et des
enjeux. « Ce n’est pas pour rien que les autorités actuelles ont
créé l’agence nationale d’approvisionnement en eau potable
en milieu rural », croit savoir le maire.

Le gouvernement béninois ambitionne d’offrir l’eau potable


à l’ensemble de la population à l’horizon 2021. L’agence
nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu
rural a été créée en 2019 en vue de la mise en œuvre de
cette politique. L’agence a pour mission d’assurer, en plus
de la maîtrise d’ouvrage, la gestion durable du patrimoine

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Yao Hervé Kingbêwé

hydraulique relevant de sa mission. Ceci, à travers un partenariat


public-privé.

Selon le maire, contact est pris avec l’agence pour lui faire
part des difficultés en matière d’accès à l’eau dans la commune
de Tanguiéta. Reste donc à la population à croiser les doigts
pour que l’agence fasse diligence dans le traitement de ces
difficultés et que les solutions appropriées soient apportées.
Cela, afin que les populations de Tanguiéta vivent. Ne dit-on
pas que l’eau, c’est la vie ?

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TANGUIÉTA : LE NÉRÉ BÉNINOIS, UNE FILIÈRE BALBUTIANTE
Située au nord-ouest arrondissements. Parmi
du Bénin et entourée des les produits vivriers qu’on
montagnes de la chaîne de y trouve, les plus prisés,
l’Atacora, la commune de notamment par les Burkinabè
Tanguiéta est frontalière sont les graines de néré.
avec le Togo et le Burkina Malgré le business interne
Faso. Outre son marché autour de ce produit, il est
central qui s’anime tous les encore difficile de parler de
lundis, elle dispose de petits « filière néré » à Tanguiéta.
marchés dans ses autres

Le néré attend de devenir une véritable filière


Par Falilatou Titi

G raines de néré, maïs, riz, haricot, arachide, autres produits


vivriers, friperies, pagnes. Ce sont des produits qu’on
trouve au marché central de Tanguiéta, dans le département
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Falilatou Titi

de l’Atacora, au nord-ouest du Bénin. Comme tous les lundis,


chaque commerçant (des femmes en majorité) étale sa
marchandise et attend ses clients. Dans ce marché, la plupart
des vendeuses de produits vivriers restent soit au soleil, soit à
l’ombre d’un arbre. Selon elles, dans les boutiques ou sous les
hangars, peu de personnes verraient leurs marchandises. En
dehors des autochtones, les usagers de ce marché viennent
du Burkina Faso, du Togo ainsi que d’autres communes de
l’Atacora : Cobly, Matéri, Boukoumbé, Toucountouna et
Natitingou.

Parmi les céréales vendues dans le marché, les plus prisées,


notamment par des clients venus du Burkina Faso, sont les
graines de néré. Samira est l’une des revendeuses de ce produit
qui sert à fabriquer de la moutarde africaine. Le lundi 6 juillet
2020, déjà à 11 heures, le soleil était au zénith et le marché,
bien animé.

A quelques dix (10) mètres de la route principale de la


ville, bébé au dos, Samira, assise à côté de ses marchandises
étalées au soleil, attendait ses gros clients pour revendre
ses graines de néré. « Ce sont des Burkinabè et des sudistes
qui viennent acheter. Ils viennent régulièrement. Quand ils
trouvent beaucoup ils s’en vont, sinon ils attendent et font le
tour des villages pour en acheter davantage », renseigne la
mère de famille qui revend les graines de néré depuis 3 ans.
Samira se rend dans les villages environnants tels que Dantéga,
Dassari, Ndahonta pour acheter ces graines prisées et d’autres
produits vivriers. A défaut, elle achète chez les villageois qui
viennent en grand nombre au marché de Tanguiéta avec des
produits vivriers en tricycles tous les lundis. Acheté à 1000
FCFA en brousse ou à 1 100 FCFA dans le marché, le « Pom »
(bol de près de 3 kg utilisé pour mesurer les produits vivriers

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Tanguiéta : le néré béninois, une filière balbutiante

dans certains marchés du nord Bénin) de graines de néré est


revendu par Samira et ses paires à 1 200 FCFA.

Après plus de 10 minutes de marche, à l’intérieur du


marché, se trouve Alimatou. Bol en main, elle est assise sur un
tabouret, guettant l’arrivée des tricycles. Il est déjà midi et la
commerçante n’a pas encore rempli son sac de 50 kg qu’elle
doit céder deux heures plus tard à son client favori. Après avoir
fait le tour des petits marchés des villages, elle avait pu acheter
une bonne quantité de graines de néré et voulait compléter
avant de revendre à son client burkinabé.

Américain, le Burkinabé

Burkinabé d’origine, Américain est installé depuis 15 ans à


Tanguiéta. L’homme de la soixantaine fait dans le commerce
de graines de néré. Pom, corde et sacs de 50 kg en mains, il
sillonne les coins de vente de graines de néré dans le marché
central. Debout à côté des sacs déjà remplis, Américain règle
la facture de son dernier achat avant notre arrivée. Le grossiste
dit acheter les graines de néré à 55 000 FCFA le sac, soit 1 100
FCFA le bol qu’il revend plus tard au « bon prix de 2000 ». Il
justifie l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente par le coût
du transport (pousse-pousse) du marché pour son domicile et
l’achat des sacs et d’autres accessoires. Ses clients, apprend-il,
viennent de Cotonou et du Burkina Faso.

Pour Américain, comme les graines de néré servent


seulement à fabriquer de la moutarde, si elles ne sont pas
exportées, les Béninois ne pourront pas tout consommer. « Au
Burkina Faso, les gens consomment beaucoup la moutarde »,
renseigne-t-il. L’homme pense que les échanges commerciaux
entre son pays et le Bénin, notamment au niveau de cette

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Falilatou Titi

commune frontalière, sont d’une grande importance. « S’il y a


manque de maïs ou de haricot dans ce marché, les Burkinabè
vont en apporter. De même, lorsque les Burkinabè manquent
de quelque chose, ils viennent au Bénin. C’est l’avantage de
la frontière », lance Américain. Il ajoute tout souriant que
travailler à Tanguiéta « n’est pas mal ».

Mais, regrette-t-il, la fermeture des frontières en raison de


la Covid-19, est devenue un obstacle pour ces échanges. « Le
lundi passé (29 juin, Ndlr), celui qui doit venir acheter ici, n’a
pas pu parce que la frontière est fermée. Comme on ne peut
pas traverser, il y a encore 200 sacs stockés ici », se lamente
Américain. De ses 15 ans de vie à Tanguiéta, il apprend que
l’activité la plus exercée par les populations est le commerce.
« Du coup, quand la frontière est fermée, les gens souffrent
», se désole le commerçant. A l’en croire, les revendeuses de
graines de néré qui ont fait des prêts « étaient en larmes » à
cause de la fermeture de la frontière entre le Bénin et le Burkina
Faso. « La quantité de graines de néré qui va vers le Burkina
Faso est plus grande que celle qui va au sud du Bénin », fait
savoir Fousséni Issa, Chef division de la régie des recettes et
des affaires marchandes à la mairie de Tanguiéta.

La mairie « se contente de collecter les taxes »

Tous les jours de marché, des agents de la mairie de Tanguiéta,


collectent 100 FCFA auprès des commerçants comme droit de
place. Pour ce qui est de l’exportation des produits tels que
les graines de néré, l’igname, le karité, le charbon ou encore le
bois, la mairie perçoit la Taxe de développement locale (TDL).
Selon Fousséni Issa, la TDL est perçue en collaboration avec
les services des impôts. Cette taxe indique-t-il, est la même
sur les produits d’exportation, quelle que soit la destination.

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Tanguiéta : le néré béninois, une filière balbutiante

« Quand vous laissez « Les ressources générées


le camion s’échapper, ne sont pas à la hauteur des
la commune voisine, attentes des populations alors
collecte la TDL », précise- que beaucoup de charges
t-il. C’est pourquoi, sont imputées aux ressources
confie le responsable, au propres de la commune »,
niveau de la commune, déclare le maire, se prononçant
des personnes sont sur les recettes réalisées grâces
commises pour alerter à aux marchés de la commune.
tout moment, lorsqu’elles voient un camion stationner pour
charger.

La commercialisation des graines de néré semble être


l’activité phare des femmes de Tanguiéta. Mais jusque-là, il est
encore difficile de parler de filière. « On se contente de collecter
les taxes », déclare le Chef division de la régie des recettes et
des affaires marchandes de la commune. « Chaque pays a ses
lois et sa réalité. Si on dit que le néré ne doit pas aller au Burkina
Faso, on est en train d’enfreindre les textes communautaires
», souligne El-Hadj Boukari Zakari, Maire de Tanguiéta, parlant
des directives de l’Union économique et monétaire ouest
africaine (UEMOA). Selon lui, la commercialisation du néré est
une vieille activité qui n’est pas encore maîtrisée. Les produits
vivriers destinés à l’exportation, regrette le maire, viennent
rarement sur le marché local. « Ils (les commerçants étrangers,
Ndlr) vont directement dans les villages. Leurs représentants
savent où trouver les produits et proposent de meilleurs prix
aux paysans », renseigne l’autorité.

Pour le maire, il est difficile de développer le secteur parce


que la production de la moutarde est une activité reléguée
au dernier plan. « Aucun projet de microfinance ne finance la
transformation de graines de néré », fait-il remarquer. El-Hadj

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Falilatou Titi

Boukari Zakari aurait voulu que la production de la moutarde


soit une activité industrielle.

Pas négligeables mais insuffisantes

Au Burkina Faso, apprend le maire, les gens consomment la


moutarde plus qu’au Bénin. « Ils ont une sauce qu’on appelle
‘’soumbala’’, faite à base de moutarde », précise l’autorité.
Selon ses dires, ce n’est qu’à travers les taxes que la mairie
essaye de faire quelques recettes sur cette activité.

« Les ressources générées ne sont pas à la hauteur des


attentes des populations alors que beaucoup de charges sont
imputées aux ressources propres de la commune », déclare
le maire, se prononçant sur les recettes réalisées grâces aux
marchés de la commune.

Selon lui, dans toutes les communes du Bénin, « la


mobilisation des ressources propres est un problème sérieux
» parce que les recettes sont parfois « insignifiantes », surtout
dans les communes reculées. A Tanguiéta, fait-il savoir, il y
a deux grands marchés. « Ce que nous mobilisons comme
ressources n’est pas négligeable. Mais elles ne suffisent pas
pour couvrir les charges », soutient le maire.

L’autorité, relève aussi les difficultés liées à la mobilisation


de ces ressources. Le maire évoque entre autres la réticence
des populations qui n’est rien d’autre qu’une résultante du
comportement des élus. Aujourd’hui, le défi selon lui, est de
rassurer les populations que les impôts prélevés serviront à
l’amélioration de leurs conditions de vie. « Il faudra sensibiliser
pour en arriver à un taux de mobilisation acceptable parce
qu’on est encore à 25 ou 30% », préconise-t-il.

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FISTULE OBSTÉTRICALE AU BÉNIN : SUR LES TRACES D’UNE
HISTOIRE DE RÉPARATION DES FEMMES À TANGUIÉTA

Considérée comme la maladie de la honte dans plusieurs


pays africains, la fistule obstétricale affecte plusieurs femmes
dans les pays en voie de développement. Au Bénin, après des
années de détresse, certaines d’entre elles ont retrouvé le
sourire grâce à une réparation mais d’autres souffrent encore
en silence.

Frère Florent Priuli se dédie à la réparation des femmes atteintes de fistule obstétricale dépuis plus de 30 ans

Par Falilatou Titi ans.La fistule obstétricale est

K outéla a 33 ans. Origi-


naire de Niamtougou,
région située au nord du
une maladie qui survient à la
suite d’une grossesse compli-
quée. Perforation entre le va-
Togo, elle porte une fistule gin et la vessie ou le rectum,
obstétricale depuis quatre due à un arrêt prolongé du

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Falilatou Titi

travail en l’absence de soins obstétricaux, elle provoque une


fuite d’urine et/ou de matières fécales par le vagin et entraîne
à long terme des problèmes de sante chroniques.

Les femmes qui en souffrent sont souvent condamnées à


la dépression, à l’isolement social et à une aggravation de la
pauvreté. Les yeux larmoyants, Koutéla partage son histoire qui
a commencé après l’accouchement de son quatrième enfant,
qui n’a d’ailleurs pas survécu comme les deux précédents.

«C’est à cause de la fistule qu’aujourd’hui je ne marche


pas bien (allusion à son handicap moteur, Ndlr) », confie-t-
elle. Lors d’une consultation prénatale pendant sa grossesse,
poursuit-elle, les médecins lui avaient prescrit des examens.
Mais cette exigence des spécialistes va rencontrer le refus de
son époux qui estime que sa première femme n’a jamais suivi
de soin avant un quelconque accouchement. « Il a dit qu’on va
faire des cérémonies pour que je n’ai pas de complications à
l’accouchement.»

La future mère ignorait que cette décision lui serait fatale.


Lorsque Koutéla est entrée en travail, elle a dû passer trois
jours à la maison avant d’être conduite à l’hôpital. Une fois
à l’hôpital, le personnel de santé réussit à la faire accoucher.
Mais d’un fœtus mort, laissant une lésion à la vessie de sa
mère qui, perdait l’urine jours et nuits. Elle sera abandonnée
quelques jours plus tard par son mari, qui a prétexté de l’achat
de nourriture pour disparaitre. «Il m’a laissé seule à l’hôpital. J’ai
dû appeler ma petite sœur », se souvient Koutéla, toute triste.
Elle ne savait à quel saint se vouer. Son mal ne lui permettait
pas de tenir son commerce de Tchoukoutou (boisson locale
fabriquée à base de sorgho, Ndlr) et de fromage de soja.

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Fistule obstétricale au Bénin : sur les traces d’une histoire de réparation des femmes à Tanguiéta

Malgré deux interventions chirurgicales dans son pays,


Koutéla n’a pas eu gain de cause. Entre rejet, angoisse, tristesse
et désespoir, elle porte sa croix jusqu’à entendre parler de
l’hôpital Saint-Jean de Dieu de Tanguiéta au nord-ouest du
Bénin.

Dans ce centre de référence dans le traitement de plusieurs


maladies, les Dr Charles-Henry Rochat, urologue international
d’origine Suisse et Dr Florent Priuli, opèrent près de 100
femmes par an, de la fistule obstétricale. Malheureusement lors
de la mission de mars 2020, après une troisième intervention,
les spécialistes n’ont pu réparer la vessie de Koutéla. Après
cette opération il faudra attendre six mois avant de tenter une
nouvelle intervention.

Selon le Frère Florent Priuli, Directeur de l’hôpital, la


prochaine mission est prévue pour 2021. « Mes parents sont
pauvres, mon père est vieux et aveugle, si je rentre, personne ne
peut prendre soin de moi », se lamente la patiente, désormais
sous-tutelle des Sœurs de l’annonciation de Bobo-Dioulasso
(SAB) à Tanguiéta. « Aujourd’hui, ce qui me préoccupe, c’est
l’évolution normale de mon fils aîné à l’école. S’il grandit, il
va me donner les enfants que j’ai perdus », souhaite-t-elle,
espérant apprendre la layette après sa guérison. Les femmes
victimes de cette maladie sont nombreuses et chacune d’elles
a son histoire.

Embarquée depuis ses 17 ans, Nèkima…

A 17 ans, Nèkima s’est retrouvée au Nigéria avec un mari


qu’elle n’a pas choisi. Son supposé voyage de Tanongou, un
arrondissement de Tanguiéta, pour Perma, un arrondissement
de Natitingou, s’est avéré être un mariage forcé. « Lorsque

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Falilatou Titi

j’étais ici, il m’a menti qu’il veut m’emmener chez mon oncle
à Perma », raconte la jeune femme qui a aujourd’hui 23 ans.
Analphabète et ne connaissant personne dans ce pays, elle
n’avait d’autres choix que de rester avec son mari devenu son
bourreau. « Tous les jours il me frappe parce que je refuse de
dormir avec lui », poursuit-elle.

Suite à la médiation des voisins, apprend Nèkima, son


mari a « un peu changé ». Installé plus tard dans la brousse
pour les travaux champêtres, le mari de la jeune fille remît ses
habits d’antan. Retour aux bastonnades et autres types de
maltraitance. Quelques mois plus tard, elle tombe enceinte.
« Le jour de l’accouchement, l’enfant a refusé de sortir. Mon
mari voulait que j’accouche à la maison.» Les douleurs avaient
commencé à 15 heures. Mais la jeune femme a dû attendre
jusqu’à la tombée de la nuit pour se retrouver dans un hôpital
béninois à Firou dans la commune de Kérou, département de
l’Atacora. « La tête du bébé est sorti mais les épaules ne sont
pas sorties. La sage-femme a tout fait en vain. Finalement le
bébé est venu rester au niveau de ma poitrine», se souvient-
elle encore.

Malgré des heures de marche suivies d’un vertige, le


bébé n’a fait aucun signe. « Je suis restée à genoux jusqu’au
lendemain matin mais rien. » Face à cette complication,
direction hôpital de Kérou centre. Les perfusions et tous les
efforts du personnel soignant n’ont servi à rien non plus. «
Aux environs de 10 heures, j’ai commencé à vomir du sang.
C’est ainsi qu’ils ont appelé une ambulance pour me conduire
à l’hôpital de Banikoara, où j’ai été opérée pour faire sortir
le bébé qui était déjà mort », raconte Nèkima, qui lutte pour
retenir ses larmes. Après l’opération, elle a fait 7 jours dans le

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Fistule obstétricale au Bénin : sur les traces d’une histoire de réparation des femmes à Tanguiéta

coma avant de se réveiller le 8e jour avec des pieds enflés et


des douleurs insupportables.

« Quand je suis sortie de l’hôpital, une fois à la maison, j’ai


constaté que je perdais l’urine à tout moment. Je sentais des
douleurs et je ne pouvais pas dormir.»

Quelques semaines plus tard, elle a été envoyée à l’hôpital


Saint-Jean de Dieu où elle a été diagnostiquée porteuse d’une
fistule obstétricale. Tout ceci se passait en 2014. Il faudra
attendre quatre ans ; l’avènement de la Fondation Claudine
Talon pour que la jeune femme retrouve le sourire.

…guérie et orientée, aspire à une vie meilleure

Enregistrée sur la liste des femmes en attente d’être opérées


de la fistule obstétricale, Nèkima a été contactée en 2018 par
la Fondation Claudine Talon. Elle et d’autres femmes dans le
même cas, après des examens à l’hôpital Saint-Jean de Dieu,
ont subi des interventions pour la réparation de leurs vessies
endommagées.
Malheureusement, cette opération fût un échec pour la
jeune femme. Après une deuxième intervention, elle guérit
et intègre le centre d’accueil de Biakou. Située à quatre
kilomètres de l’hôpital, ce centre a été érigé par la fondation
de la première dame du Benin et pilote depuis 2018 le « Projet
de réinsertion socio-économique des femmes guéries de la
fistule obstétricale ».

Dans ce centre, installé sur un espace du diocèse de


Tanguiéta où il y avait déjà des chambres pour les malades
à faibles moyens, apprend Florent Priuli, les femmes guéries
de la fistule suivent une formation de trois mois pour sortir

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Falilatou Titi

avec « un petit métier afin de s’auto-suffire » après cet épisode


infernal de leur vie. Membre de la première promotion, Nèkima
a appris la couture et la fabrication du savon. « Quand j’ai fini,
j’ai pris mon diplôme et on m’a donné des produits à vendre
pour mon autonomisation », témoigne-t-elle avec fierté.

Sortie du centre d’accueil en 2018, Nèkima se perfectionne


en couture chez sa patronne à Tanguiéta. Mais elle n’y arrive
pas encore à cause des intrigues de son désormais ex-mari. «
Après mon admission au centre, il était devenu bizarre avec
moi et ne venait plus me voir. Mais suite à ma sortie avec de
l’argent et des produits à vendre il est revenu vers moi. »

Mise en confiance, elle confie une partie de son commerce à


son mari et l’autre à sa mère afin de s’installer à Tanguiéta pour
continuer l’apprentissage. Le revenu généré par le commerce
des produits divers mis à sa disposition par la Fondation
Claudine Talon, devrait lui permettre de financer la suite de sa
formation en couture. Mais entre temps, elle perd sa mère et
sa vie de couple prend un coup (...)

Orpheline de mère depuis le 1er août 2019, la jeune femme


se retrouve sans son petit commerce, sans argent et deux
petites sœurs à sa charge. Son oncle propose de la donner
en mariage à un vieil homme. Autrement, elle devrait quitter

« Quand je suis sortie sa maison. Nèkima choisit


de l’hôpital, une fois à la l’option de partir et la
maison, j’ai constaté que Sœur Thérèse Kélindibo,
je perdais l’urine à tout coordonnatrice du centre
moment. Je sentais des de Biakou, accepte de la
douleurs et je ne pouvais garder.
pas dormir.»

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Fistule obstétricale au Bénin : sur les traces d’une histoire de réparation des femmes à Tanguiéta

Aujourd’hui, Nèkima dit n’avoir qu’un souci : finir sa


formation et ouvrir son atelier. Le sort de ses jeunes sœurs de
15 et 11 ans, restées à Tanongou avec son grand-père déjà
fatigué par le poids de l’âge, la préoccupe aussi beaucoup.

Tout a commencé il y a 35 ans

« Je me suis intéressé à ces femmes depuis plus de 35 ans.


A l’hôpital de Tanguiéta, c’était assez fréquent de recevoir
des femmes qui avaient des problèmes de santé. Elles
perdaient l’urine et parfois les selles jours et nuits », raconte
Dr Florent Priuli, directeur de l’hôpital Saint-Jean de Dieu de
Tanguiéta.C’est ainsi qu’il a commencé, à s’intéresser à la
fistule obstétricale.

A l’époque, apprend-t-il, c’était « exceptionnel » de voir


une femme porteuse de fistule, à la consultation. « Elles
étaient isolées, rejetées, avec aucune possibilité d’accès aux
lieux publics tels que les marchés, l’église, les rencontres du
village, à cause du fait qu’elles avaient tout le temps le pagne
mouillé », explique le Frère Florent.

Venue se faire consulter, poursuit-il, une femme a passé presque


toute la journée assise sur sa chaise parce qu’elle avait peur qu’on
voit son pagne trempé. Son histoire aura marqué le Dr à jamais.

« C’était sa grossesse. Elle n’avait pas pu accoucher. Elle


avait fait tout le travail d’accouchement dans la petite case où
résident les esprits des ancêtres pendant six jours, à genoux
avec une vieille. Elle avait poussé jusqu’à ce que l’enfant pourri
sorte mais en emportant une partie de sa vessie ».

Lors de sa rencontre avec le Dr Priuli, cela faisait deux ans


qu’elle perdait l’urine. Quelque mois plus tard, la fistule a

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Falilatou Titi

été réparée. Depuis lors, Florent Priuli opère une femme par
semaine. Plus d’une dizaine d’années après, le Dr Charles-Henri
Rochat, un des plus grands urologues au monde, ayant pris
connaissance de ce problème, a décidé d’en faire une priorité.

Selon Dr Priuli, c’est ce spécialiste qui a aidé à faire passer


à l’OMS (Organisation mondiale de la santé, Ndlr), la fistule
comme une maladie d’intérêt mondial. « Et depuis, il passe
son temps à mobiliser des ressources pour nous parce qu’à
ces femmes, on demandait 20 000 francs de forfait », explique
le directeur de l’hôpital.

Cet argent, fait-il savoir, permet de couvrir les charges des


interventions. L’urologue international, poursuit Frère Florent,
vient par moment former des médecins locaux pour opérer
les cas les plus difficiles. Quatre fois par an, apprend le Dr, des
vagues de 35 à 50 femmes sont opérées. Ainsi, précise-t-il, il y
a un traitement radical et efficace de près de 100 femmes par
an. Alors que certaines attendent d’être opérées, regrette-t-il,
plusieurs autres sont encore cachées. « Elles ne veulent pas se
montrer parce qu’elles ont honte. On a opéré des femmes qui
avaient la fistule depuis Venue se faire consulter,
plus de 25 ans. A certaines poursuit-il, une femme a passé
femmes, on a enlevé des presque toute la journée assise
caillots comme un œuf sur sa chaise parce qu’elle avait
d’autruche qui étaient peur qu’on voit son pagne
coincés entre le reste trempé. Son histoire aura
de la vessie et le vagin marqué le Dr à jamais.
», souligne Dr Priuli. Selon lui, la grande partie des patientes
vient du nord du Bénin (Atacora, Donga), du nord du Togo et
du sud du Burkina Faso.

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Fistule obstétricale au Bénin : sur les traces d’une histoire de réparation des femmes à Tanguiéta

Ces femmes, apprend Sœur Thérèse Kélindibo, également


infirmière au service de la chirurgie à l’hôpital Saint Jean de
Dieu de Tanguiéta, arrivent « moralement, physiquement,
voire spirituellement » affectées. « Elles viennent démoralisées,
désespérées et dévastées parce qu’elles se demandent
si vraiment elles seront guéries », confie la religieuse qui
encourage, assiste et soutient ces femmes en leur donnant
de l’affection au Centre d’accueil de Biakou. « Quand on les
rassemble, elles se rendent compte qu’elles ne sont pas les
seules. Parfois elles voient qu’il y a pire que leur situation. On
leur inculque aussi les valeurs de la vie en famille et la joie de
vivre malgré tout », ajoute-elle.

La touche de la Fondation Claudine Talon

Après tout le travail de réparation de la fistule, il faut assurer


la réinsertion socio-économique des femmes. Avant 2018, ce
volet n’était pas pris en compte. Mais grâce à la Fondation
Claudine Talon, chaque vague de femmes opérées bénéficie
d’un suivi sur une période donnée. « Elles intègrent le centre
et trois mois après elles sortent avec un petit métier en mains,
avec un peu d’argent », fait savoir le Frère Florent. Selon lui,
cette réinsertion leur évite d’être des « pariades » quand elles
retournent dans leurs sociétés. « Des gens qui, avant étaient
maudits, vont en famille, retrouvent leurs foyers et annoncent
la bonne nouvelle », se réjouit-il.

« Le côté réinsertion a commencé le 12 avril 2018 et nous


avons déjà libéré huit promotions. Dans chaque promotion il y a
au moins une vingtaine, voire 30 ou 35 femmes », apprend Sœur
Thérèse Kélindibo, coordonnatrice du centre.
Pendant ces trois mois, les femmes sont nourries dans le
centre aux frais de la Fondation de la première dame. Elles
www.banouto.info 163
Falilatou Titi

sont formées en couture, tissage de pagnes traditionnels,


tricotage pour la layette des bébés, fabrication des trousses,
sacs et colliers à base de perles et fabrication de savon.

La Fondation Claudine Talon apporte sa touche à la réparation des femmes atteintes de fistule obstétricale

Des témoignages rapportés par la religieuse, la réinsertion


socio-économique permet aux femmes de reprendre
normalement leur vie. « Je suis satisfaite parce qu’elles arrivent
vraiment à s’auto-suffire après la réparation », se réjouit la
sœur. Rejetées et sans soutien à cause de la maladie, une fois
guéries, ces femmes s’empressent de retourner en famille.
« Quand elles repartent, elles sont toutes rayonnantes. Elles sont
très contentes et retrouvent leur dignité. Et celles qui retournent
guéries, envoient à chaque mission de nouvelles femmes malades
», dit la sœur Thérèse avec fierté. Les pagnes tissés et autres articles
fabriqués par ces femmes, apprend-elle, sont vendus à un « prix
abordable » pour acheter à nouveau, la matière première.

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Fistule obstétricale au Bénin : sur les traces d’une histoire de réparation des femmes à Tanguiéta

Bon à savoir sur la fistule

Selon le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA),


la fistule est un problème mondial, mais elle est surtout commune
en Afrique. Cet organisme estime à plusieurs millions les cas de
fistules obstétricales à travers le monde, dont 50 000 à 100 000
chaque année en Afrique sub-saharienne. Même si les fistules
peuvent être également dues à d’autres causes traumatiques dont
les complications des mutilations génitales féminines, le jeune âge
de la parturiente (future-mère), etc., l’accouchement compliqué
en est la principale cause. Depuis 2013, le monde entier célèbre
chaque 23 mai, la Journée internationale pour l’élimination de la
fistule obstétricale. Elle a été instaurée par les Nations Unies pour
sensibiliser la société sur la problématique et mobiliser l’appui de la
communauté internationale.

Message du Frère Florent aux femmes encore dans l’ombre


« Je veux leur dire d’avoir confiance. Dieu a suscité des âmes, des
grands spécialistes, des personnes qui ont pitié de leur maladie et
qui ont le don de réussir dans les interventions et en plus on ne leur
demande rien. Grâce à Dieu, il y a des bienfaiteurs qui paient à leur
place. A elles de se rendre disponibles et de suivre les indications
qu’on donne parce que quand elles sont hospitalisées, il y a des
traitements à suivre et des conseils donnés pour réussir à faire de
sorte que la perte d’urine tarisse pour toujours. Du courage mes
chères sœurs qui êtes dans la souffrance. Dieu, par la main des
gens généreux peut vous guérir. Croyez-le et mettez toute votre
bonne volonté ». Le Dr invite également toutes les femmes à se faire
toujours suivre par un médecin pendant la grossesse pour éviter des
complications qui pourraient entraîner ce problème qu’est la fistule
obstétricale.

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166 www.banouto.info
COVID-19 AU BÉNIN : COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT À
TANGUIÉTA, APRÈS LA CAROTTE, LE BÂTON

Au Benin, malgré les ralentir. Située au nord-


multiples appels au respect ouest, Tanguiéta est l’une des
des gestes barrières, le localités où, les populations
nombre de cas positifs de continuent de vivre comme si
coronavirus a un temps connu cette maladie n’existe pas.
une hausse rapide avant de
Par Falilatou Titi

Il est environ 9 heures sur la route principale de l’arrondissement


central de Tanguiéta ce lundi 6 juillet 2020. Assis devant son
kiosque de vente de crédit d’appel téléphonique, non loin
du commissariat de la ville, Chabi n’avait pas son masque
de protection, par ces temps de Covid-19. « Le choléra virus
(coronavirus Ndlr), on a appris que ça existe. Il faut se protéger
la bouche et éviter de toucher les mains. Laver régulièrement
les mains à l’eau et au savon », dit-il. Malgré ce qu’il sait de
cette maladie, Chabi continue de serrer la main à certaines
personnes. Il évoque le respect du droit d’aînesse. « Si
quelqu’un me donne la main, je ne peux pas refuser. (…) un
grand, c’est un grand, il y a le respect », argumente-t-il. Mais,
semble-t-il nuancer, lorsqu’il s’agit d’un inconnu, point de
poignée de main. Pour se protéger contre la Covid-19, Chabi
a acheté un masque réutilisable à 100 FCFA qu’il n’avait pas ce
lundi matin. « C’est sale », se défend-t-il ajoutant qu’il ne peut
pas en acheter un deuxième.

Passer une journée au mépris des mesures barrières n’est


pas seulement propre à Chabi. « On entend parler mais on n’a
pas encore vu », confie Kouagou, un maçon. Même s’il connaît

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Falilatou Titi

Des passagers en tricycle sans le respect des mesures barrières contre le Covid-19

l’utilité du masque, l’artisan se justifie par son africanité. «


L’Africain est dur d’oreille c’est quand ça chauffe auprès de lui
qu’il prend des dispositions », dit-il avec sourire.

« On peut attraper ça à tout moment »

Agé de 23 ans, Eli est électricien et vit à Tanguiéta depuis


10 ans. « Je porte le cache-nez pour éviter d’être victime de
cette maladie », explique-t-il. Selon lui, il faut toujours se
protéger pour « s’assurer qu’on est à l’abri ». Pour Etienne,
élève en classe de CE2 (Cours élémentaire deuxième année), le
coronavirus est comme « un vent qui prend tout le monde »
et dont il faut se protéger. Muni de son masque, il vendait les
produits divers que lui a confiés sa mère.

168 www.banouto.info
Covid-19 au Bénin : comme si de rien n’était à Tanguiéta, après la carotte, le bâton

Grâce à internet et les médias, Sansouma en sait plus


qu’Etienne. Du haut de ses 22 ans et élève en classe de première,
il a une définition approximative de la Covid-19. « C’est un
agent pathogène qui se transmet par l’air. Il se manifeste par
la toux, l’éternuement et se transmet par le contact avec une
personne déjà infectée », dit l’élève. Assis sur son vélo, sans
masque, baskets sales aux pieds et mains couvertes d’argile
mouillée, il est passé dit bonjour à son ami Chabi. « Pendant
l’année scolaire, il fallait se protéger individuellement parce
que nous étions nombreux. Au champ, je ne peux pas porter le
masque au risque de m’étouffer ». Mais, Sansouma dit se laver
les mains au moins une fois par jour.

Malgré sa formation en pharmacie, Rose, jeune mère et


vendeuse de nourriture au bord de la route principale, était
aussi sans masque ce matin. A l’en croire, elle n’observe pas
cette mesure à cause de la précipitation tous les matins pour
venir tenir son commerce. Son dispositif de lavage des mains
qui aurait été emporté par le vent, n’est pas encore remplacé.
Paradoxalement, elle dit craindre les dégâts de cette maladie.
« On doit avoir peur parce que ce n’est pas une plaie ou une
maladie visible pour qu’on sache qui l’a. On peut attraper ça
à tout moment si on ne se protège pas normalement », craint
Rose, espérant que la fin de cette maladie n’est plus loin.

La Covid-19 comme le paludisme

Le marché central de Tanguiéta s’anime tous les lundis.


Pendant nos échanges avec certaines populations, des
tricycles remplis de personnes s’y rendaient. Ni le conducteur,
ni ses clients n’avaient leurs masques. Dans certains services
publics, même s’il y a un dispositif de lavage des mains, des
gens étaient sans masques.

www.banouto.info 169
Falilatou Titi

Fousséni, la soixantaine environ, rencontré dans un service,


pense que ce sont les blancs qui ont amené la Covid-19. Ce
6 juillet, le Bénin comptait plus de 1300 cas confirmés et plus
d’une vingtaine de décès.

« On nous parle de plusieurs cas sans preuve. Pour l’Europe


on a vu des cercueils. (…) Mais ici rien ne le prouve », lance
l’homme sans complexe. Pour lui, désormais on lie tous les
décès à la pandémie. « Aujourd’hui quand quelque chose
t’arrive, on dit que c’est corona. C’est comme lorsque le SIDA
était sorti », insiste-t-il.
Le vieil homme estime qu’il est nécessaire d’indiquer aux
populations la spécificité de la Covid-19 chez les Africains.
« Quels sont les impacts sur nous ? Comment savoir qu’un
Africain souffre du coronavirus ? », s’interroge-t-il. A l’en croire,
c’est ce manque de précisions qui « fait peur » car, soutient-il,
tous les symptômes évoqués jusqu’à ce jour étaient connus de
tous. « Le rhume et la toux existaient. Moi je doute et je le dis
sincèrement », dit-il sans ambages.
L’homme qui a son masque dans la poche, compare son
attitude à celle des usagers de la route. « On demande aux
gens de porter le casque mais ils le déposent sur la moto. On
n’est pas habitué », lance-t-il en riant. Toutefois, il estime que
le lavage des mains devrait être un réflexe pour tout le monde,
même après la Covid-19. « Chaque fois que je me lave les
mains, je vois trop de saletés. Le lavage des mains doit être
régulier », recommande-t-il.

« Les gens s’entêtent »

Dans l’agence de la Poste du Bénin à Tanguiéta, le dispositif de


lavage des mains ne semble intéresser personne. Posé dans un

170 www.banouto.info
Covid-19 au Bénin : comme si de rien n’était à Tanguiéta, après la carotte, le bâton

« On doit avoir peur coin derrière la porte, il n’est


parce que ce n’est pas une pas immédiatement visible.
plaie ou une maladie visible « Lorsqu’on est occupé, il est
pour qu’on sache qui l’a. difficile de savoir qui ne s’est
On peut attraper ça à tout pas lavé les mains. Mais nous
moment si on ne se protège exigeons le port du masque
pas normalement » », se défend le caissier. Ce
lundi matin, plus de quatre personnes étaient assises sur un
banc d’une longueur approximative de 2 mètres, au mépris de
la distanciation sociale d’un mètre. Seule une personne avait
son masque au cou. Sur la dizaine de personnes retrouvée dans
l’agence, seulement deux avaient mis leurs masques. « Les gens
s’entêtent. Eh monsieur là-bas, s’il vous plaît, on doit avoir au plus
deux personnes sur ce banc et vous restez à distance d’un mètre
», a intimé aux clients le caissier.

Le grand marché de la ville se trouve à quelques mètres de la


Poste. Voitures, tricycles, motos et piétons continuent d’arriver.
Assis devant leurs marchandises, certains commerçants ont
leurs masques soit au menton, soit au cou comme une chaîne
et d’autres ne l’ont pas du tout. Les clients, hommes comme
femmes sont aussi à l’image de ces commerçants. Dans ce
marché, il n’y pas de dispositif de lavage des mains autant à
l’entrée que devant les boutiques. « J’avais un dispositif que j’ai
dû enlever parce que les clients me demandaient ce qu’ils ont
mangé pour se laver les mains », confie une vendeuse de divers.

Après la carotte, le bâton

Malgré les multiples séances de sensibilisation, certains


habitants de la commune continuent de douter de l’existence
de la Covid-19. Selon le maire de la commune, El-Hadj Boukari

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Falilatou Titi

Zakari, une partie de la population continue de penser que le


coronavirus est un « bluff » ou une machination. « Ce n’est
qu’après la fermeture des mosquées, églises et écoles que les
gens ont commencé à comprendre le danger », apprend le
maire.

Depuis la réouverture des lieux de culte, se désole-t-il,


les gens ont « carrément abandonné », les gestes barrières.
Mais, après le décès d’un député natif du nord, souligne El-
Hadj Boukari Zakari, les gens ont commencé à « s’inquiéter
un peu ». Les cas confirmés de la Covid-19 enregistrés fin juin
2020 à Djougou et Natitingou, ajoute-t-il, « ont fait beaucoup
plus peur ». Mais, prévient le maire, « On a fini avec la carotte
maintenant, c’est au tour du bâton. Le marché passé (lundi 6
juillet, Ndlr), on a demandé à la police de réprimer ceux qui ne
portent pas le masque ».

L’autorité estime tout de même que ces mesures ne seront


efficaces qu’avec le soutien du gouvernement, notamment au
marché. « Quelles sont les dispositions prises pour que ceux
qui vont dans ces marchés puissent avoir au moins des gels
sanitaires pour s’essuyer les mains à l’entrée ou à la sortie ?»,
interroge El-Hadj Boukari Zakari. N’est-ce pas à la mairie de le
faire ? « Pour mettre en place ces dispositifs-là, il faut beaucoup
de ressources (…) la mairie n’a pas les moyens », répond-il. Lors
de l’examen du Certificat d’études primaires (CEP), se désole le
maire, 20 à 30% des candidats n’ont pas porté de masques, d’où
son inquiétude pour les vacances.

Le maire craint aussi une contamination dans les mosquées.


« C’est quand on a menacé de fermer des mosquées que
les gens ont changé un peu. Dans ces mosquées, les gens
continuent de coller les orteils pendant la prière. »

172 www.banouto.info
Covid-19 au Bénin : comme si de rien n’était à Tanguiéta, après la carotte, le bâton

Face à tous ces constats, conclut El-Hadj Boukari Zakari,


il faut amplifier la sensibilisation. « Même dans les pays
fortement islamisés, les gens respectent les mesures. Nous
n’avons qu’à le faire ici aussi pour que la maladie finisse. Dès
que ce moment passera, on va reprendre ce qu’a prescrit le
Coran », a conseillé le maire de Tanguiéta.

www.banouto.info 173
174 www.banouto.info
TABLES DES MATIERES

Préface ............................................................................. 09
Karimama : entre vulnérabilités et paradoxes, une
commune à découvrir ………………………… 13

Conflits domaniaux à Karimama : multiples facettes


d’une bombe à retardement………………............................... 15

Education au Bénin : le paradoxe des écoles sans


élèves à Karimama…………………............................................... 27
Karimama : en attendant l’Etat, Tilawa affronte ses
nombreux défis de village frontalier….................................. 37

Accès à l’énergie au Benin : ces moulins qui donnent


du courant à Karimama ……………........................................... 47

Covid-19 au Benin : Karimama informé mais


pas conformé ............................................................................. 51

Communes frontalières du Bénin: «la préoccupation


majeure de Karimama, c’est la voie »………………………..... 55

Kétou : dans le voisinage du Nigeria, pour le meilleur


et pour le pire ……………................................................. 63

Kétou : le Nigeria, si près si loin des caisses de la mairie .... 65

Transhumance transfrontalière : la saison des


morts à Kétou ............................................................................... 81

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TABLES DES MATIERES

Kétou : à Iwoyé, le Bénin marque des points dans la


surveillance des frontières ....................................................... 103

Tourisme transfrontalier : Kétou, les vestiges d’une


tradition yorouba du Nigéria au Bénin ............................... 109

Coronavirus à Kétou : la vie comme si la pandémie du


Covid-19 n’existait pas ............................................................... 125

Les 5 visages de Tanguiéta ............................................. 131

Parc Pendjari au Bénin : le tourisme toujours groggy


un an après l’assassinat de Fiacre Gbedji ………................. 133

Accès à l’eau au Bénin: quand se laver devient un


luxe à Tanguiéta……………………….............................................. 141

Tanguiéta : le néré béninois, une filière


balbutiante……………………………………...................................… 149

Fistule obstétricale au Bénin : sur les traces d’une


histoire de réparation des femmes à Tanguiéta .............. 155

Covid-19 au Bénin : comme si de rien n’était à


Tanguiéta, après la carotte, le bâton…………....................... 167

Table des matières .......................................................... 175

176 www.banouto.info
A propos de Banouto

Lancé en 2017 au Bénin, Banouto (www.banouto.info) est un site


d’actualités, d’investigation, de grands reportages, d’analyses
et de publicité. Sa mission est de trois ordres : (1) mettre fin à
la manipulation de masse en offrant aux citoyens béninois en
particulier et africains en général, les clés pour comprendre les
défis et les enjeux contemporains ; (2) contribuer à changer le
narratif sur l’Afrique en mettant la lumière sur les progrès et les
tendances positives sur le continent ; (3) procurer du bonheur aux
populations en impactant positivement leur vie et celle de leurs
communautés.

Alliant professionnalisme journalistique et adaptation aux normes


du Web, Banouto se distingue dans un univers médiatique
béninois marqué par une multiplicité de médias en ligne. En trois
ans d’existence, il est devenu le meilleur pure player d’informations
crédibles au Bénin ; avec à son actif sa sélection à plusieurs
programmes compétitifs de développement des médias et des
prix en journalisme d’investigation remportés par ses journalistes.

Banouto a l’expérience des grands dossiers thématiques. En


dehors de celui sur les communes frontalières du Bénin, il en
a déjà réalisé sur l’immigration, le secteur informel, la réforme
du système partisan, l’éducation, les réformes de la santé, les
personnes vivant avec handicap et la veille citoyenne décentralisée.

A propos de la FES

La Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) est une fondation allemande à


but non lucratif financée par le gouvernement de la République
fédérale d’Allemagne. Basée à Bonn et à Berlin, elle a été fondée
en 1925 et porte le nom du premier président allemand élu
démocratiquement, Friedrich Ebert.

La FES est résolue à faire progresser le développement socio-


politique et économique dans l’esprit de la démocratie sociale,
par le biais de l’éducation civique, de la recherche et de la
178
coopération internationale. La Friedrich-Ebert-Stiftung est la plus
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ancienne fondation politique en Allemagne.

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