Les Megalithes Du Senegal Et de La Gambi
Les Megalithes Du Senegal Et de La Gambi
Les Megalithes Du Senegal Et de La Gambi
13 | 2017
Varia
Éditeur
CNRS - UMR 7041 (Archéologie et
Sciences de l'Antiquité - ArScAn)
Édition électronique
URL : http://aaa.revues.org/1033 Édition imprimée
DOI : 10.4000/aaa.1033 Date de publication : 15 novembre 2017
ISSN : 2431-2045 Pagination : 93-119
ISSN : 1634-3123
Référence électronique
Luc Laporte, Hamady Bocoum, Adrien Delvoye, Kléna Sanogo, Jean Polet, Baba Ceesay, Jean-Paul
Cros, Adama Athié, Selim Djouad, Matar Ndiaye, Barbara Armbruster, Aziz Ballouche, Barbara Eichhorn
, Aline Garnier, Laurent Lespez, Vivien Mathé et Caroline Robion-Brunner, « Les mégalithes du Sénégal
et de la Gambie dans leur contexte régional », Afrique : Archéologie & Arts [En ligne], 13 | 2017, mis en
ligne le 05 novembre 2017, consulté le 16 novembre 2017. URL : http://aaa.revues.org/1033 ; DOI :
10.4000/aaa.1033
Résumé Abstract
Les architectures en pierre du mégalithisme Senegal and Gambia megaliths in their
sénégambien ont longtemps été considérées regional context
comme une entité autonome sur une partie du
continent africain qui, traditionnellement, privi- Stone architectures of the Senegambian mega-
légie plutôt les constructions en terre crue. Nos lithism have long been considered as an autono-
connaissances sur ces monuments furent profon- mous entity in a sector of the African continent
dément modifiées par dix ans de recherches where adobe constructions are traditionally
archéologiques sur la nécropole mégalithique de favoured. Our knowledge of these monuments has
Wanar (Sénégal), classée au titre du patrimoine been deeply modified by ten years of archaeological
mondial de l’humanité. Cet article a pour objet de research on the World Heritage site of Wanar
replacer ces découvertes dans leur contexte régio- (Senegal). This paper review these new elements in
nal, intégrant alors les données disponibles sur les their regional context, integrating available data
monuments funéraires d’époques protohistoriques about protohistoric funerary monuments in
au Sénégal comme au Mali, en Guinée, en Guinée- Senegal as well as in Mali, Guinea, Guinea-Bissau,
Bissau, au Libéria et en Sierra Leone, voire parfois Liberia, Sierra Leone and even sometimes more
plus largement encore. Les auteurs ont montré – widely. The authors have demonstrated – in a more
d’une manière plus systématique que dans les systematic way than in previous work – that sev-
travaux antérieurs – que plusieurs des caractéris- eral features of the Senegambian funerary customs
tiques des rites funéraires sénégambiens peuvent can find an echo in the West African ethnological
trouver écho dans l’ethnologie de l’Afrique de record.
l’Ouest. Keywords: West Africa, Senegal, Gambia,
Mots-clés : Afrique de l’Ouest, Sénégal, Megaliths, Sepulchral practices, Funerary monu-
Gambie, mégalithisme, pratiques funéraires, ment, tumulus, burial.
hypogée, monuments funéraires, tumulus,
sépulture
0,5 m de haut, difficilement perceptibles dans le indépendantes les unes des autres. La première
paysage. Quelques auteurs se sont par ailleurs de ces trois séquences a trait aux pratiques sépul-
étonnés de l’absence apparente de monuments crales proprement dites (Cros et al. 2013). La deu-
funéraires dans la vallée du fleuve Sénégal et de xième correspond à la monumentalisation de la
l’interprétation systématique dans ce sens de tombe : c’est elle qui suppose l’investissement col-
toute butte anthropique au centre du pays lectif le plus important (Laporte et al. sous presse).
(Garenne-Marot & Polet 1997). La troisième revêt un caractère commémoratif :
Nos travaux sur la nécropole de Wanar, au elle inclut des dépôts céramiques en façade orien-
Sénégal, ont amené à différencier trois séquences tale des monuments, et pourrait être associée à
distinctes, bien qu’elles ne soient pas totalement l’érection des frontales (Delvoye et al. 2016). Dans
un second temps, nous nous sommes aperçus que Monolithes frontaux et « autels
ces trois séquences, identifiées archéologiquement, des ancêtres »
étaient parfaitement cohérentes avec celles de
rites funéraires différés pratiqués par nombre de Les monolithes frontaux érigés à l’est des
populations contemporaines de cette partie de monuments funéraires du Sénégal et de la
l’Afrique de l’Ouest (Sidibe 1980 ; Laporte & Gambie présentent assez généralement une
Bocoum sous presse). L’enterrement du défunt forme cylindrique. Ils sont tous en latérite
précède alors dans le temps de grandes funérailles (fig. 5 A). Certains disposent d’une protubérance
publiques à l’issue desquelles seulement peut com- sommitale, appelée disque ou bouton (fig. 5 B) ;
mencer un processus d’« ancestralisation » : celui- leur répartition, à l’ouest, correspond à une zone
ci s’achève avec la mise en place d’une pierre ou comprise entre les fleuves Gambie et le Bao
d’un poteau au sein de l’autel des ancêtres (de Bolong (cf. notamment Martin & Becker 1977,
Lestrange 1955 ; Teixeira 2012 ; Insoll 2015). Une 1981). D’autres possèdent une dépression, ou
telle présentation des faits rejoint certaines des cupule, au même emplacement. Leur répartition
intuitions que R. Mauny (1961), par exemple, avait dans ce cas est plutôt concentrée dans la zone
seulement ébauchées à partir d’un état des orientale, à l’est du fleuve Nianija Bolong (ibid.).
connaissances sur les mégalithes du Sénégal et de Seule une cinquantaine de monolithes présente
la Gambie bien différent de ce qu’il est actuelle- deux branches montantes qui leur donnent une
ment (fig. 4). forme bifide n’ayant guère d’équivalent sur le
Le présent article sera principalement centré continent africain (fig. 5 C et D). Elles ont reçu
sur l’architecture du monument funéraire. Nous le nom de « pierres en lyre » lorsque ces deux
laisserons provisoirement de côté deux aspects qui branches montantes sont reliées par un tenon, à
feront l’objet de présentations ultérieures. Le pre- peu près aux deux tiers de leur hauteur. La répar-
mier est relatif à la présence, observée à Wanar, tition de ces pierres bifides se limite à la moitié
d’une construction quadrangulaire en terre crue occidentale de l’aire attribuée au mégalithisme
scellée sous la masse tumulaire de la plateforme sénégambien (Martin et Becker 1984). Une atten-
mégalithique, et qui ferme définitivement l’accès tion moindre avait été portée à la forme ogivale
à la chambre mortuaire. Le second traite des pra- – ou oblongue – de nombreux monolithes, notam-
tiques sépulcrales proprement dites, de ce qu’on ment associés aux tumulus pierriers de la zone
peut en déduire à partir des observations archéo- orientale (Laporte et al. 2015) ; la plupart d’entre
logiques, et de la façon dont elles trouvent parfois eux, surtout dans le Haut Sandougou et le
également quelques échos dans celles de popula- Niaoulé, comportent à leur sommet une petite
tions contemporaines en Afrique de l’Ouest. cupule (Martin & Becker 1977 : 50).
Pour M. Gessain (2004), ces fourches de bois pieu planté à l’est – plus rarement au nombre de
seraient d’abord des pièces d’architecture suppor- trois alignés – est doublé par un autre pieu planté
tant, par exemple, la porte de la maison ou le lit à l’ouest, ce qui n’est pas sans nous rappeler la
du défunt, auxquels on tenterait de fixer l’anon- présence d’une pierre occidentale récemment iden-
kwol, c’est-à-dire l’âme de la personne décédée. tifiée au sein de la nécropole mégalithique de
Cela fait l’objet d’une cérémonie (wakuey) qui se Wanar, par exemple (Laporte et al. 2015). De telles
déroule généralement une quinzaine de jours pratiques sont attestées dès la seconde moitié du
après l’enterrement. Cette même pièce de bois XVe siècle par les relations de navigateurs portu-
sera déplacée quelques mois plus tard au sein de gais qui, les premiers, abordèrent les côtes situées
l’autel des ancêtres, à l’occasion d’une nouvelle au sud du fleuve Gambie. « Les Banuns vénèrent
cérémonie (de Lestrange 1955). Il est vrai que la une pièce de bois qu’ils appellent hatichira et ils
présence d’un tenon entre les deux branches mon- consacrent le bois de cette manière : ils prennent
tantes des pierres en lyre n’est pas incompatible un bâton fourchu qui doit être coupé avec une nou-
avec l’image d’une pièce d’architecture en bois. Des velle hache, même la tête doit être neuve et ils
pierres dressées – aux dimensions toutefois bien creusent une tranchée dans la terre et là ils ont
plus modestes que celles des mégalithes – rem- une calebasse de vin de palme qui contient trois
placent parfois quelques-uns des poteaux en bois ou quatre canadas [ancienne unité de mesure] et
comme cela a été signalé par J. Girard (1992 : aussi d’huile dans à peu près la même quantité,
fig. 46) en pays bassari ou, plus récemment encore, et dans un panier environ un quart de riz à piler.
observé par A. Delvoye (fig. 5 : 4) en pays bedik. Ils apportent là un chien vivant et alors ils versent
Chez les Sereer, de tels dispositifs sont plus le vin, l’huile et le riz dans un trou et, avec la
systématiquement associés aux sépultures, ici hache neuve, ils tuent le chien ; ils coupent la tête
regroupées en nécropoles : « Ces pieux repré- et laissent tout le sang couler dans le trou sur le
sentent souvent les pieds du lit qui appartenait vin, l’huile et le riz. Finalement, ils jettent dedans
au mort et sont en général d’une essence dure et la hache et mettent le bâton fourchu au-dessus de
résistante » (Becker & Martin 1982 : 280). Autour tout cela, le couvrant avec la terre et, à la fourche
de Kaolack, il est des nécropoles tumulaires où le du bâton qui sort du trou, ils pendent des herbes
On ignore si les dispositifs de pierres dressées pierre à tête arrondie portant une figure humaine
décrits à Lahelun (Roll 1967) ou à Kpovanga sculptée » (Mauny 1961 : 178) que O. Davies (1967 :
(Mauny 1961), également situés dans l’est de la 317) pense pouvoir rapprocher plutôt des sta-
Sierra Leone, pourraient appartenir à de tels dis- tuettes du pays kissi2.
positifs. Au Libéria, des masses de pierre circu-
laires parfois entourées de dalles dressées Du Togo aux monts Mandara
pourraient correspondre aux tombes de person-
nages importants, comme dans les villages de Près d’un millier de kilomètres encore sépare
Mehnkolo (Gabel et al. 1972/74) et de Kpelle près les monuments de Guinée forestière de l’enceinte
de la côte, ou de Gipo plus à l’intérieur des terres cérémonielle des Kabre, à Farende, dans le nord du
(Atherton 1970 : 108). D’autres structures simi- Togo. H. Haselberger (1960 : 112) nous rapporte
laires existeraient dans tout le Libéria, sans que : « Dans cette enceinte sacrée j’ai vu en 1956
qu’aucun inventaire n’ait été produit à notre des cases cylindriques à toit de chaume, dont les
connaissance. Aucune n’est datée, et aucune n’a murs sont composés chose extraordinaire au Togo,
bien évidemment été fouillée. sans mortier, de rangs de grandes pierres plates
Un peu différente, en revanche, est la pierre […] Auprès des huttes se trouvaient des sièges, for-
dressée découverte à Kissidougou (Guinée) ; elle més d’un rocher à plat et d’une pierre dressée, uti-
pourrait également avoir été associée à une sépul- lisée comme dossier ». A. Robert3 propose de faire
ture (Huysecom 1987). À Oualto (Guinée), une le lien avec des dispositifs démantelés semblables
pierre décorée de cupules a été rapprochée, selon à ceux de Yalamba, en Guinée. De « proche » en
les dires de R. Schnell (1955), des pierres tombales « proche », nous pourrions aller ainsi jusque dans
du pays kissi, alors qu’à Boundali, dans l’ouest de
la Côte d’Ivoire, aurait été trouvé « un cylindre de
2, 3. Cf. note 1
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Luc Laporte [email protected] – UMR 6566-Creaah Université Rennes 1, Campus de Beaulieu, bât. 24,
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