L'addiction Est Une Expérience

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L’addiction est une expérience

Alain Morel
Dans Pluriels de la psyché 2010, pages 201 à 208
Éditions EDP Sciences
ISBN 9782842541460
DOI 10.3917/edk.cupa.2010.01.0201
© EDP Sciences | Téléchargé le 26/06/2023 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81)

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Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/entre-corps-et-psyche-les-addictions--9782842541460-page-201.htm

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A. MOREL

L’addiction est une expérience

Pour une définition actualisée du soin en addictologie

Je ne vais pas développer ici les raisons pour lesquelles je pense que
l’expérience en tant que ce qui est vécu, observable, éprouvé, parlé par
le sujet et relié à son histoire, constitue la « porte d’entrée » la plus fon-
damentale dans la compréhension des addictions. Les cliniciens com-
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prennent vite et partagent souvent une telle position. Je vais plutôt me
centrer sur ce que l’on peut en tirer dans le domaine thérapeutique
puisque tel est le thème de cette fin de colloque. Préalablement, je vou-
drais souligner une chose qui me semble primordiale : les addictions
(avec ce que cette notion comporte d’imprécision) ne sont pas des phé-
nomènes qui trouvent leur sens et leur explication seulement dans l’in-
teraction psyché et soma, aussi utile soit-il de s’y intéresser, mais aussi et
surtout dans ce qu’imprime la société dite « hyper-moderne » au cœur
du rapport entre les individus qui y vivent et, pour beaucoup, qui es-
saient d’y survivre.
Ce n’est pas le lieu et je n’aurais pas le temps d’approfondir en quoi
la société dans laquelle nous vivons est addictogène. Pourtant elle l’est
bien. Du fait de ce qu’elle exige des individus, de ce qu’elle distord les
liens et les attachements inter-humains, du fait de ce qu’elle surstimule
et engage chacun dans une temporalité nouvelle où la vitesse et l’immé-
diateté influent sur nos désirs et nos rapports de consommation avec les
objets de satisfaction, du fait des grandes difficultés collectives que cette
société génère pour réguler certains comportements (les consomma-
tions de substances chimiques, mais aussi l’alimentation, l’agressivité,
l’argent, etc.). La spirale autodestructrice de l’addiction portée à son
paroxysme est la même que celle dans laquelle l’humanité risque sa sur-
vie aujourd’hui. Je n’ai pas non plus la possibilité de développer en quoi
cette même modernité nous donne néanmoins des clés et des ressources
pour trouver des alternatives à ce sombre destin. Mais ne laissons pas ce
champ de côté, il est consubstantiel à notre sujet, donc à la définition
même de nos actions.

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Pour tirer quelque chose de ces considérations sur notre monde, il
faut s’attacher à traduire comment ce monde détermine ou influe des
conduites individuelles, et comment cela peut être intégré dans le trai-
tement des addictions. Pour cela, il me semble important de revenir à
la notion d’expérience et d’en décortiquer les deux versants schéma-
tiquement distingués entre l’expérience psychocorporelle d’une part,
celle qui a fait l’objet de beaucoup de travaux en psychologie clinique,
celle où se joue l’histoire du sujet, et d’autre part l’expérience psy-
chosociale, celle où s’imprime précisément la culture et les influences
sociales.
L’expérience psychosociale des psychotropes est attachée en particu-
lier à un mode de vie, c’est-à-dire à un mode d’être et de penser de
la personne qui se définit dans un groupe, une communauté ou une
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autre forme de collectivité. Dans le quotidien de l’individu, le mode de
vie articule ses relations sociales, ses habitus, ses modes de consomma-
tion, avec ses valeurs et sa façon de voir le monde. Adopter un mode
de vie, quel qu’il soit, suppose l’adoption de comportements et d’at-
titudes, pour certains selon des choix conscients et pour d’autres pas.
La consommation de substance psychoactive, au cœur des interactions
entre individu et société, est l’une des composantes des attitudes et des
comportements qui définissent le mode de vie d’une personne. Ainsi,
par exemple, l’abstinence totale ou la polyconsommation de « défonce »
s’inscrivent l’un et l’autre dans des modes d’être au monde et dans des
style de vie très différents.
Si les progrès scientifiques permettent de mieux appréhender les per-
turbations biologiques suscitées par les drogues, l’expérience addictive
ne se réduit pas à ces seuls éléments. Cette expérience vécue est bien
plus qu’un effet biologique, qu’une perte de contrôle, bien autre chose
qu’une « maladie du cerveau ». Entre plaisir et souffrance, c’est une
expérience de vie qui comporte des facteurs d’apparition, des prémices,
des étapes, une évolution, des contraintes de répétition mais aussi une
ouverture sur des changements possibles. Lorsque cette expérience de-
vient souffrance, il arrive que le sujet, l’usager, ne parvienne pas à opérer
les changements qu’il souhaiterait. Dans ce cas l’intervention thérapeu-
tique est légitime et nécessaire. Et ce qui peut alors être thérapeutique
est un ensemble d’interventions permettant de créer puis de consolider
les conditions du changement de cette expérience. Cet ensemble d’in-
terventions soignantes repose sur des principes et la construction d’un
agencement de leurs différentes modalités, et, plus globalement, sur une
redéfinition des soins en terme d’accompagnement.
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Principes généraux et cadres de l’intervention thérapeutique

En même temps qu’elle évolue entre plaisir et souffrance, la


conduite addictive s’insère dans un ensemble de comportements qui
participent de l’établissement d’un rapport au monde. Elle s’enracine
ainsi aussi profondément dans un mode de vie que dans la biologie du
cerveau. C’est pourquoi, s’en dégager peut représenter une véritable
transformation identitaire, parfois extrêmement difficile à réaliser. Ce
changement va exiger du sujet une véritable déconstruction de son
expérience antérieure et sa relecture, en termes de rapport coûts/avan-
tages et en termes de sens. Le changement peut passer par le sevrage
et l’abstinence ou se limiter à la recherche d’autocontrôles pour une
meilleure « gestion » de la consommation. L’une ou l’autre voie consti-
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tue peu ou prou une redéfinition du mode de vie et du projet de vie.

Quelles sont les conditions nécessaires à un tel changement ?

Un tel processus n’a rien de linéaire et se structure sur une série


d’étapes. Le psychosociologue suisse Marc-Henry Soulet en formule
trois :
1) celle de la problématisation : le sujet doit être en possibilité d’in-
terroger son mode de vie, de le remettre en question. Pour cela, il faut
qu’il ait perdu la satisfaction qu’il lui apportait, sa dimension « solu-
tion ». Cela ne se fait pas en un jour et rend compte de l’importance des
espaces proposées tout au long du parcours de vie tels que les permet-
tent les dispositifs d’intervention précoce, de réduction des risques et,
en situation de traitement, les dispositifs cliniques.
2) celle de l’accessibilité à une nouvelle identité. Le sujet qui aban-
donne une part de lui-même en se désengageant d’un mode de vie ad-
dictif, s’expose et se fragilise. Il sera d’autant plus en quête d’une nou-
velle unité personnelle et d’un nouvel équilibre satisfaisant entre lui et
le monde. L’issue d’un changement de style de vie ne peut être qu’une
nouvelle « reliance sociale » parfois difficile à établir.
3) celle de la confirmation sociale de cette nouvelle identité. Rien n’est
pire en effet que de traverser les épreuves d’un tel changement pour ar-
river au bout du compte plus seul et isolé qu’auparavant. Cela souligne
l’intérêt de réaliser ce changement à partir d’une « base sociale » – un
espace d’accueil et de soins par exemple – pouvant servir de laboratoire
et où trouver une « mise en jeu de soi » et une valorisation, une confir-
mation externe, sociale, de cette valeur.
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Pour mener à bien ce processus et franchir ces étapes, il est essentiel
que la personne se perçoive à la fois suffisamment libre et responsable. Si
elle ne se pense responsable ni de son présent ni de son devenir, il y a
peu de chance qu’elle entame le moindre changement, même sous in-
jonction. Soit elle entrera dans le jeu du déni, soit elle attendra tout des
autres. Ses ressources sociales, matérielles et symboliques constituent
un capital expérientiel dont le sujet aura besoin dans le processus de
changement. En reconnaissant le patient comme premier expert de ses
propres problèmes et libre de ses choix, le processus de changement
se démarque d’une vision stigmatisante. Il cherche à faire émerger des
choix et des compétences, à aider la personne à les appliquer de façon
optimum et à les compléter par des apprentissages. Se soigner en addic-
tologie est aussi apprendre quelque chose de soi et sur soi pour gagner
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en liberté et en autonomie.
Ce travail du soin ne peut se déployer que sur l’ensemble des com-
posantes de la personne. Il est donc par essence transdisciplinaire.
Corporel quand il s’agit de « desserrer » l’étau des contraintes phy-
siques et biologiques, par des médicaments ou par un travail de re-
laxation par exemple. Cognitif quand il s’agit de comprendre ce qu’il
en est de sa satisfaction et de l’expérience globale. Symbolique pour
réinterpréter le sens de l’expérience dans une histoire personnelle et
ses conflits internes. Social, par le travail de détachement d’un uni-
vers relationnel pour reconstruire d’autres relations. C’est pourquoi,
dans les institutions médico-sociales spécialisées, les modalités de soin
sont individuelles et groupales et combinent des thérapies à domi-
nante psycho-sociales, des thérapies psycho-éducatives, des thérapies
psycho-dynamiques et des traitements médicaux. Elles sont portées
par des acteurs de formations et de compétences diverses, bien au-delà
du médical ou du psychothérapeutique auxquels il serait erroné de les
limiter.

Établir une alliance avec l’usager

La notion d’alliance thérapeutique est particulièrement centrale


dans les soins en addictologie. Elle établit la relation usager-soignant sur
une appréhension pragmatique de l’expérience addictive, intégrant la
reconnaissance des besoins, des compétences et des ressources de l’usa-
ger, mais aussi ses difficultés spécifiques pour changer. Elle permet de
s’attaquer au stigmate, à cette image de l’alcoolique, du toxicomane, du
dépendant, véhiculée par nos sociétés, intériorisée par bien des usagers
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– et trop souvent par les soignants –, et qui est l’un des obstacles ma-
jeurs à l’objectif de soin.

Changer la représentation du sujet dépendant

Le stéréotype de l’usager dépendant est, un peu partout, celui d’un


« drogué », d’un « séducteur mensonger », d’un « faible », d’un « ma-
nipulateur ». Ce stéréotype installe chez le sujet une définition de soi
comme « fatalement dépendant » et « impuissant » qui complique et
contrarie l’engagement vers un changement dès lors perçu comme une
épreuve au-dessus de ses capacités. Une telle représentation résulte du
regard porté sur lui, et d’échecs lors de précédentes tentatives d’arrêt.
Progressivement, l’usager « s’engage dans un processus répétitif qui
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consiste à ne voir que les aspects négatifs de lui-même, les aspects posi-
tifs n’étant pas perçus ni symbolisés même s’ils sont là, ou encore défor-
més pour mieux cadrer dans le sens d’identité » (Cormier).
Les interactions sociales vont renforcer ce mécanisme. L’addict se
voit à la fois reproché d’être « faible » et ordonné d’être « volontaire »
donc « motivé ». Cette vision morale et manichéenne qui range d’un
côté « les bons, les forts », de l’autre « les faibles, les incapables », est
aussi fausse que stérile : l’addiction, et son changement, n’est pas une
question de volonté ou de faiblesse. La perte de contrôle des consom-
mations, par exemple, peut être autant recherchée que subie. La per-
sonne se « laisse aller » à son addiction parce qu’elle s’y trouve mieux
que dans la confrontation à des situations qu’elle ne maîtrise pas et qui
peuvent déclencher les plus grandes angoisses. Il s’agit d’une stratégie
d’adaptation, de fuite ou d’évitement, largement répandue dans les es-
pèces vivantes. La connoter comme de la faiblesse vient souvent, à l’in-
verse de l’effet recherché, dévaloriser un peu plus celui dont on attend
pourtant un sursaut d’implication.
En recherchant l’alliance autour d’objectifs pragmatiques comme
la réduction des risques et de la valorisation des ressources de l’usa-
ger, le soignant contribue à lever l’auto-dévalorisation dans lequel il
est enfermé et qu’il masque parfois derrière des postures de prestance
et de toute-puissance. Il ouvre ainsi un champ d’interactions positives
qui alimenteront l’action thérapeutique, solliciteront les intentions de
changement et la part de l’image de soi qui restitue un pouvoir sur soi.
Nous avons en tout cas à contribuer, en tout lieu, à la reconnaissance
des usagers de substances psychoactives et des « addicts », quels qu’ils
soient, en tant que nos égaux, en tant que personnes citoyennes.
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abandonner le « savoir sur l’autre »

L’éthique de l’alliance thérapeutique repose sur une position de non-


jugement d’autant plus fondamentale qu’elle concerne des personnes
composant sans cesse avec la perte de confiance en eux et le rejet par
les autres. L’acte thérapeutique a souvent été fondé à partir d’un savoir
sur l’autre de données que l’autre ignorerait. Il donne pouvoir au théra-
peute de faire ce que le patient ne pourrait pas se faire lui-même. Cela
fonctionne bien pour le chirurgien qui enlève une appendicite, ou si
l’on conçoit l’addiction comme un pur symptôme d’un mal (une « ma-
ladie chronique du cerveau » par exemple) dont on va traiter la cause.
Si l’on considère que l’addiction concerne un sujet dans un contexte
donné, qu’elle s’inscrit dans un mode de vie et fait expérience significa-
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tive pour le sujet, alors le savoir primordial n’est pas celui du spécialiste
ou du thérapeute, c’est celui de l’individu qui vit et qui agit le compor-
tement en question.
C’est pourquoi la première tâche du thérapeute est d’écouter le
patient et d’entendre quel est son savoir propre sur son expérience. Cette
écoute ne va pas de soi. Elle suppose une capacité de se dégager de ses
propres projections et de l’opprobre social. Il ne s’agit pas seulement
d’entendre un récit, mais de manifester en quoi cette parole sur soi est
précieuse et singulière pour faire d’une relation initialement déséqui-
librée une relation d’égal à égal, sans pouvoir de l’un sur l’autre. Cela
s’appelle de l’empathie, mais si l’empathie est nécessaire, nous pensons
à l’instar de nombreux cliniciens qu’elle ne doit pas conduire à une re-
lation uniforme. La variété des attitudes relationnelles et des approches
thérapeutiques est en effet la réponse la plus adaptée à la diversité des
contextes et personnalités concernées. Certains sujets tireront plus de
bénéfice d’une attitude confrontante et directe, tandis que pour d’autres
un coaching pédagogique sera plus adapté à leurs difficultés.
La deuxième tâche du thérapeute est l’exploration de l’expérience ad-
dictive. Le savoir et la compétence du professionnel lui servent à rencon-
trer ceux du patient. Il pourra questionner le « refoulement chimique »
des conflits intra-psychiques et des tensions sociales, la recherche ex-
trême d’un plaisir et ses contre-effets. Les décisions d’interventions ou
la mise en œuvre de changements se prennent dans cet « espace inter-
médiaire et relationnel » ouvert entre le sujet et le thérapeute, mais elles
se prennent par le sujet. Là où celui-ci anticipe et redoute de se voir
renvoyé à sa faiblesse, de se voir sommé d’abandonner ce qu’il considère
encore comme « la seule solution », le rôle du thérapeute sera tourné
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vers la reformulation des éléments dynamiques de l’expérience, afin de
vérifier avec le sujet qu’ils correspondent à ses choix et pour soutenir
une autre perception possible de soi et des autres. Ce « processus au-
to-rééducatif accompagné », pour reprendre l’expression de Dollard
Cormier, privilégie la restitution à la personne de ses potentialités et
de sa capacité de choix afin qu’elle décide au mieux de sa conduite et
qu’elle puisse la mettre en œuvre. En partant de son expérience, il s’agit
de l’aider à identifier les indices issus de son corps, de ses pensées et
de ses interactions sociales pour choisir une conduite plus appropriée,
moins facteur de souffrances. Bref, dans ce processus, le sujet n’a pas
toujours raison, mais la raison lui revient, toujours.

Conditions de possibilité de l’accompagnement expérientiel


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Au-delà de la multiplicité des facteurs en cause dans l’expérience et
ses risques, deux « instances » en assurent une synthèse plus ou moins
efficiente ou déficiente. La « gestion » de l’expérience subjective est le
fait du sujet, la gestion des pratiques sociales est le fait de la collectivité.
En effet, le triptyque classique, substance, individu, contexte, n’est pas
d’une grande utilité si nous n’ajoutons pas que l’élaboration de l’expé-
rience se fait par le sujet et dans la culture collective. En intervenant sur
les facteurs auxquels il a accès, le sujet peut modifier son expérience et
sa façon de vivre dans laquelle s’inscrit le comportement de consom-
mation. À partir de la question de la satisfaction et de celle du mode
de vie, peut s’engager un questionnement sur l’expérience du sujet, sa
gestion et ses propres choix. Mais nous savons que cela n’est possible
qu’à un certain nombre de conditions qui touchent à l’individu et à son
développement en tant que sujet, à l’étiage social et à son développe-
ment démocratique. D’abord il faut que le sujet ait conscience de son
« acte-pouvoir »1 c’est-à-dire de sa capacité d’agir sur sa condition et de
faire des choix. Cette conscience est directement liée à son expérience
passée, à son éducation et à sa connaissance de soi. À son autonomie et
à sa citoyenneté. C’est à cela que l’intervention thérapeutique doit aussi
contribuer.
Ensuite, il faut qu’il ait effectivement le choix, ce qui ne dépend pas
que de lui, mais également de ses conditions sociales. Conditions maté-
rielles (économiques et physiques) et conditions culturelles, au sens de

1. Le concept est de Gérard Mendel et tient une grande place dans l’approche sociopsy-
chanalytique qu’il a fondée.

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valeurs et de représentations qui lui donnent accès à des alternatives et
non à des impasses (ce à quoi conduisent les conflits de loyauté ou la
stigmatisation, par exemple). C’est en cela que les idéologies qui font
des usagers des êtres anti-sociaux et dangereux sont de véritables poi-
sons ! Enfin, il faut qu’il trouve les « espaces » et les interlocuteurs pour
mener cette réflexion à des moments clés de sa vie (notamment à l’ado-
lescence, mais pas seulement). Il serait cependant naïf de croire que, par
la seule magie d’une meilleure gestion de leur expérience par les indi-
vidus, naisse une société qui en créé les conditions. C’est à un niveau
collectif que se situe la gestion des pratiques sociales qui ne cessent de se
renouveler et de prendre des formes en résonance ou en résistance vis-à-
vis de la « modernité ». Gestion aussi des transformations de nos sociétés
et des risques qu’encoure la planète si nos modes de vie continuent de
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puiser sans limite dans nos ressources.
Il s’agit là de la question de la gestion politique des conduites de
recherches de satisfaction et de leurs risques collectifs en fonction d’un
ensemble de valeurs qui font culture et lien entre les individus, valeurs
comme le droit à la santé pour tous, mais aussi la liberté et la responsa-
bilité, la sécurité et l’égalité dans le droit au bien être. Nous en sommes
loin aujourd’hui, et de cela aussi, au-delà de nos pratiques cliniques,
nous avons à en témoigner. Nos discours ne sont pas que des discours
cliniques, ils ont une résonance sociale et politique, comme nos pra-
tiques ne sont pas seulement cliniques, ce sont aussi des pratiques so-
ciales qui ont un sens politique.

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