Risques de Glissement Et Aménagements
Risques de Glissement Et Aménagements
Risques de Glissement Et Aménagements
: l'exemple du
glissement d'un remblai autoroutier à l'ouest de Bouira
(Grande Kabylie, Algérie)
Ahmed Slimi et Jean-Pierre Larue
p. 87-106
https://doi.org/10.4000/physio-geo.1147
Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Illustrations | Citation | Cité par | Auteurs
RÉSUMÉS
FRANÇAISENGLISH
En Algérie du Nord, les mouvements de terrain jouent un rôle prépondérant dans l'évolution des
versants. Les études géologiques et géotechniques du terrain sont le plus souvent motivées par la
recherche de solutions à apporter à un mouvement déclaré. Ainsi l'objectif de ce manuscrit est
d'étudier la stabilité du remblai de la section d'autoroute de contournement de Bouira. Les calculs
de stabilité ont permis de conclure à une rupture de type circulaire et à une rupture de type plan
dont la surface se situerait à environ 7 à 8 mètres de profondeur sous la base du remblai. Le
mouvement de terrain a été favorisé par quatre principales raisons : 1) l'action de l'eau dans le
remblai et dans le substrat altéré a engendré des pressions interstitielles supérieures à la
résistance au cisaillement, permettant le développement des forces motrices nécessaires au
déplacement, 2) les matériaux argileux du versant présentent des caractéristiques physiques
favorables aux mouvements de terrain, 3) le versant avait déjà subi des déformations, et 4) les
aménagements, les travaux de déblaiement et le poids du remblai ont dérangé l'équilibre précaire
du versant. Les mesures inclinométriques et piézométriques effectuées pour confirmer la nature et
la délimitation de la zone de glissement, ont révélé des déformations du matériau support de
l'ordre de 2 à 4 cm par mois. Les solutions techniques envisagées pour assurer la stabilité du site
sont des aménagements de confortement, comme le changement de géométrie pour réduire la
hauteur du remblai immédiatement à l'est du glissement, la mise en place d'un système de
drainage et la stabilisation par un rideau de pieux.
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ENTRÉES D’INDEX
Index de mots-clés :
Algérie, aménagement, analyse géotechnique, déformation, fissures, mouvement de
terrain, remblai, rupture
Index by keywords:
Algeria, cracks, deformation, fill, geotechnical analysis, infrastructure, landslide, rupture
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PLAN
I - Introduction
II - Description du site
1 ) Cadre topographique
2 ) Cadre géologique et géomorphologique
3 ) Cadre climatique
III - Méthodes d'analyses
IV - Résultats
1 ) L'évolution avant la rupture
a. Les indices d'instabilité.
b. Les enseignements des analyses géotechniques
2 ) La rupture et le glissement de terrain
3 ) Évolution après le glissement
V - Discussion : le glissement est dû à une interaction de facteurs
1) Les facteurs permanents
2) Les facteurs déclencheurs
VI - Prévention, aménagements préconisés et conclusions
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TEXTE INTÉGRAL
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I - Introduction
1Souvent associés aux ravinements, les mouvements de terrain sont des aléas très fréquents au
Maghreb. En effet, les montagnes et les collines du Tell et du Rif offrent une multitude de sites
favorables, du fait de la prédominance de fortes pentes développées dans des roches marneuses
ou argileuses (G. MAURER, 1968 ; A. BENAISSA, 1984 ; A. MARRE, 1987-a ; H. AMIRÈCHE, 2001 ;
A. SLIMI, 2008).Ces mouvements de terrain sont toujours le résultat de deux ensembles de
facteurs : d'une part, des conditions naturelles qui contrôlent la stabilité des versants et, d'autre
part, des facteurs déclencheurs, d'origine climatique et/ou anthropique (R. DIKAU et al., 1996 ;
A. LANG et al., 1999 ; F.C. DAI et al., 2002 ; T. GLADE et M.J. CROZIER, 2005). Bien que
d'importants progrès aient été faits pour isoler les différents mécanismes, il n'est toujours pas
possible de déterminer la part exacte de chaque facteur engendrant le mouvement ou sa
réactivation (F. GUZZETI et al., 1999 ; T.W.J. VAN ASCH et al., 2007).
2Le glissement étudié s'est produit le 22 novembre 2002 à 110 km à l'est d'Alger et 6 km à l'ouest
de Bouira (Fig. 1). Il a endommagé le remblai de l'autoroute de contournement de la ville de
Bouira, au point d'obliger à une modification du tracé autoroutier jusqu'en 2009.
3Le site a fait l'objet de plusieurs études et expertises géotechniques qui ont permis de reconnaître
la nature des terrains et de mesurer les déformations subies par le remblai et par le substrat
(LCTP, 1999, 2001, 2003). La géologie propice aux mouvements de terrain et les travaux
autoroutiers (déblai et remblai) n'ont provoqué que des déplacements limités jusqu'au
déclenchement de la catastrophe, lors de conditions météorologiques exceptionnelles. L'étude
géomorphologique du site et l'exploitation des mesures réalisées permettent de préciser les causes
conduisant de l'instabilité à la rupture et de suggérer des mesures de prévention.
II - Description du site
6Le site étudié comprend trois ensembles lithologiques (Fig. 2). Les limons graveleux et les argiles
à galets, qui forment la partie supérieure de la zone de glissement, appartiennent à la formation
quaternaire d'origine colluviale et torrentielle qui a en partie colmaté les talwegs entaillant le
versant. Le matériau, très rouge d'aspect, présente une bonne qualité géotechnique, ce qui
explique son utilisation dans la réalisation du remblai autoroutier. Dessous, les argiles et marnes
miocènes présentent un pendage de 30 à 45° conforme à la pente du versant. Plastiques et assez
bien consolidées en profondeur, elles sont toujours très altérées en surface, sur des épaisseurs
variant entre 3 et 8 m. Cette couche altérée présente une faible perméabilité et renferme souvent
des nappes d'eau pelliculaires temporaires. L'évolution géomorphologique du site est schématisée
sur la figure 3. Les talwegs creusés dans les marnes ont été colmatés en partie par des colluvions
fines (limons à graviers) et par des apports torrentiels plus grossiers (argiles à galets) qui
présentent un fort potentiel aquifère.
9Nous avons cherché à reconstituer les topographies successives (avant tout aménagement, lors
des travaux de terrassement et après le glissement) et à expliquer le glissement, en montrant
principalement les relations entre l'évolution des déformations et les conditions météorologiques.
IV - Résultats
11Des fissures, dont l'ouverture a pu atteindre 10 cm de largeur, sont apparues sur la plateforme
du remblai et, en amont, sur le talus du versant naturel. Elles ont contribué à augmenter la
perméabilité des terrains et l'infiltration des eaux. Selon leur localisation et leur forme, trois
systèmes de fissures peuvent être distingués. Le premier est formé de fissures de traction (les
deux lèvres restent à la même hauteur) disposées en arcs de cercle et correspondant à des corps
de glissement circulaires (Photo 1). Le second, produit par le cisaillement, montre des fissures
longitudinales perpendiculaires au talus et au tracé de l'autoroute. Le troisième présente des
fissures en forme de polygones qui se développent en surface dans les argiles desséchées
(Photo 2). Les argiles gonflantes sont très sensibles aux variations d'humidité (V. ROBITAILLE et
D. REMBLAY, 1997), leur rétraction causée par la dessiccation engendre une desquamation en
copeaux incurvés et une polygonisation par un réseau de fentes. Les maisons situées à plus de
150 m du sommet du remblai ont subi des lézardes provoquées par la compression (Photos 3 et 4).
C'est sur le versant sud-est, entre 40 et 100 m de la crête du talus, que les dommages ont été les
plus importants.
Photo 2 - Desquamation et polygones de dessiccation dans les argiles du talweg, à 200 m
environ du front de glissement.
Photo 3 - Fissures dans un mur de maison, le plus proche de la crête du talus, à 400 m du
front de glissement (septembre 2005).
Agrandir Original (jpeg, 188k)
Photo 4 - Fissures dans un mur de jardin parallèle à la pente, à 350 m du front de glissement
(septembre 2005).
12Les 5 puits de la zone d'étude, profonds d'une dizaine de mètres, se sont asséchés en octobre
2001, suite au rabattement de la nappe piézométrique provoqué par les travaux de terrassement.
13Des déformations du sous-sol, qui ont été révélées par les mesures inclinométriques, ont
provoqué à trois reprises la rupture d'une conduite d'eau. Selon le bureau d'études DORSCH
Consult (2001), les 5 cm de déplacement qui ont été enregistrés, résultent de deux mouvements
simultanés : un glissement plan affectant le substrat en amont du remblai et un glissement
rotationnel affectant le remblai et le substrat (Fig. 5).
15Les mesures piézométriques indiquent une montée du niveau de la nappe d'un peu plus de 2 m
entre le 24 septembre et le 20 novembre 2002. Cette montée s'est effectuée à une vitesse
moyenne de 3,48 cm/j. Elle dépend de l'infiltration de l'eau lors des pluies, et l'on a pu noter une
accélération lors des pluies abondantes de l'automne (4,7 cm/j en novembre) (Fig. 6).
En rouge : du 18 juin au 14 août 2003. En bleu : du 4 mai au 18 août 2003. A - longitudinalement à
l'axe du remblai ; B - transversalement à l'axe du remblai. La position des inclinomètres est indiquée sur
la figure 4.
Photo 5 - Rupture du versant avec constitution d'un bourrelet à l'aval (septembre 2005).
Figure 10 - Coupe montrant une rupture le long d'un glissement rotationnel affectant le
remblai et le substrat.
19Le phénomène, depuis son déclenchement, peut être résumé en mettant en avant deux
hypothèses complémentaires :1/ le mouvement dans son ensemble est représentatif d'un
développement gravitaire,
2/ le mouvement a atteint une stabilisation dans sa nouvelle configuration.
20En mai 2003, le LCTP a procédé à deux sondages carottés et à deux essais de pénétration
statique à l'emplacement du glissement, afin de définir approximativement la profondeur du plan
de rupture (LCTP, 2003). Les pénétromètres statiques permettent d'identifier une couche de
résistance pratiquement nulle à 9 m de profondeur, et une résistance de pointe très faible, à 13 m
de profondeur. À partir des résultats de ces sondages, le plan de glissement se situerait donc dans
la couche sous-jacente au remblai argilo-graveleux, à environ 7 m de profondeur.
21En juillet 2007, des travaux ont été entrepris. Ils avaient pour but de remodeler le remblai
existant qui avait été remanié par le glissement afin d'assurer sa stabilité dans le futur. En
attendant la stabilisation totale du site, l'axe de l'autoroute a été dévié au niveau du glissement
(Fig. 4). En mars 2009, l'autoroute a retrouvé son tracé initial.
Photo 7 - Déformation et petites ruptures isolées sur le talus raide de l'autoroute (septembre
2001).
Agrandir Original (jpeg, 216k)
Tableau II - Facteur de sécurité sur plusieurs plans de rupture (SAETI, 2001, 2002).
23De plus, la réactivation d'un glissement ancien apparaît très probable. En effet, le remblai a été
construit sur la rive gauche d'un talweg marqué par des boursouflures témoignant de mouvements
anciens affectant les marnes miocènes. De plus, les observations faites tant sur les affleurements
que sur les carottes de sondage révèlent que le substrat a été remanié et présente de nombreuses
surfaces lustrées et striées par les cisaillements à l'origine de glissements anciens.
25La saturation en eau des terrains ne se produit que si une grande partie de l'eau des pluies
s'infiltre au lieu de ruisseler. Les fentes de dessiccation provoquées par la sécheresse estivale et les
fissures liées aux déformations profondes favorisent l'infiltration de l'eau qui exerce alors une
pression hydrostatique qui peut faire atteindre aux matériaux argileux la limite de plasticité
nécessaire au fluage. Les températures élevées apparaissent propices à la fissuration : à Bouira,
elles dépassent 25°C de juin à septembre et le jour du glissement, la température a été estimée à
20°C à 14 h. Ces infiltrations élèvent aussi le niveau des nappes phréatiques, favorisant la
saturation du substrat. Or une augmentation de la teneur en eau réduit la cohésion des matériaux
argileux (G. AVENARD, 1962) et stimule le fonctionnement des mouvements de masse (R. NEBOIT,
1991 ; J.M. GRANDJEAN et al., 2006). Les travaux de terrassement, en ameublissant le matériel,
ont favorisé l'infiltration. Au moment du glissement, la nappe a probablement imbibé une partie du
remblai et modifié l'équilibre des forces par la poussée d'Archimède qu'elle a exercée de bas en
haut (M. DERRUAU, 1988). En effet, la vitesse des déplacements augmente quand les niveaux
piézométriques dépassent un certain seuil (P. POUGET et M. LIVET, 1994). Le déclenchement du
glissement résulte donc de la succession de sècheresses d'été et de fortes pluies automnales, qui
s'apparente à l'enchaînement climatique montré par A. MARRE (1987-b) pour le glissement
champenois de Rilly-la-Montagne.
26Les séismes sont des phénomènes fréquents en Algérie (plusieurs centaines par an). Si la
plupart ne sont pas ressentis par l'homme, une dizaine ont cependant causé des dommages en
Kabylie au cours des 20 dernières années, comme par exemple celui d'Alger (de magnitude 5,6) le
4 septembre1996 ou celui de Bouira (de magnitude 4) le 17 février 2006. Leur succession a fait
l'objet d'une étude détaillée aboutissant à l'élaboration d'une carte d'isoséistes (J. BETBEDER-
MATIBET, 2003). Les secousses sismiques produisent des forces horizontales qui s'ajoutent aux
pressions décrites précédemment, sans modifier la résistance au cisaillement des terrains
(P. HABIB, 1997). Aussi les séismes sont-ils souvent à l'origine du déclenchement de glissements
de terrain (Y. GUGLIELMI et al., 1995). La rupture du 22 novembre 2002 ne correspond toutefois
pas à un séisme important, mais les nombreuses secousses précédentes, liées à la néotectonique
active du secteur (A. BOUDIAF et al., 1999 ; A. YELLES-CHAOUCHE et al., 2006), ont pu fragiliser
le versant par la répétition des pressions exercées (P. DUFFAUT, 2003).
27En conclusion, le glissement de terrain a été favorisé par quatre principaux facteurs :
l'action de l'eau dans le remblai et dans le substrat altéré a engendré des pressions interstitielles supérieures à
la résistance au cisaillement, permettant le développement des forces motrices nécessaires au déplacement,
les matériaux argileux du versant présentent des caractéristiques physiques défavorables, car ils ont une faible
résistance, sont compressibles et sensibles au gonflement,
l'existence d'un glissement ancien,
et les aménagements : travaux de déblaiement et poids du remblai, ont dérangé l'équilibre précaire du
versant. Ce dernier facteur explique l'ampleur du mouvement de masse du 22 novembre 2002.
302/ La plantation de végétaux sur tout le talus du déblai contribuerait à assécher le versant par
l'évapotranspiration et à augmenter la résistance du sol au cisaillement. En effet, en retenant le sol
par ses racines et en régulant la température et l'humidité, la végétation réduit fortement le jeu
des dilatations et des contractions dans les couches superficielles (J.C. FLAGEOLLET, 1989).
L'association de graminées et d'acacias serait souhaitable, car les graminées ont un fort potentiel
d'évapotranspiration alors que les acacias résistent bien à la sécheresse et retiennent bien les
matériaux par leurs racines.
313/ Enfin, pour assurer la stabilité du remblai et du substrat altéré, l'installation d'un rideau de
pieux en béton armé ancrés jusqu'à 15 m de profondeur est préconisé. Les ancrages ont pour but
de reporter en profondeur les pressions qui ne pourraient être supportées en surface. Pour réduire
le poids des remblais, il est possible d'utiliser, là où le risque de glissement est grand, des
matériaux de faible masse volumique, comme le polystyrène expansé, la sciure de bois ou les
pneus déchiquetés. Le polystyrène expansé est utilisé avec succès en remblai routier en France
depuis 1983.
32Ainsi cette étude rappelle que la région est très sensible aux mouvements de terrain. L'exemple
étudié permet de distinguer les facteurs permanents (le contexte structural et le contexte
géomorphologique avec des glissements anciens) et les facteurs déclencheurs (les fortes pluies
automnales et les secousses sismiques liées à la néotectonique), mais les aménagements (travaux
de déblaiement et poids du remblai) jouent le rôle essentiel et expliquent l'ampleur du glissement.
Des travaux de correction sont possibles, mais ils apparaissent relativement coûteux.