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Caroline Goldblum
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Caroline GOLDBLUM
Université Toulouse – Jean-Jaurès
1
Gilles HEURÉ, « Gustave Hervé, cas pratique de biographie », Le Mouvement social. De
l’usage de la biographie, 186 (1999), p. 15.
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jeune autrice confortée dans sa vocation pour l’écriture. Elle publie au cours
de sa vie plus de cent livres dans une quarantaine de maisons d’édition
différentes et dans tous les domaines littéraires : essais, romans, théâtre,
jeunesse, policier, science-fiction, poésie, biographie, etc.
Autrice prolifique, militante opiniâtre et théoricienne féministe, elle
semble pourtant tombée dans l’oubli. Nous verrons comment son parcours
intellectuel l’a conduite à formuler une pensée éco-féministe aboutie, mais
néanmoins méconnue, voire incomprise.
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et donc du pouvoir. Elle analyse les mythes antiques, y cherche des
explications et lie le destin des révolutions à celui du féminisme : « Le sort
des révolutions est lié à celui des femmes. »9 Elle reproche aux mouvements
féministes antérieurs d’avoir mené des combats isolés, alors que ces combats
font partie d’un « tout ». Françoise d’Eaubonne tente de faire une synthèse
entre lutte de classe et lutte féministe. Elle s’est rapprochée du Parti
communiste dans l’immédiat après-guerre et, bien qu’elle ait été critique,
l’influence marxiste se fait ressentir dans Le Complexe de Diane. Françoise
d’Eaubonne enjoint les femmes à créer les crèches nécessaires à leur
émancipation ; mère d’une petite fille née en 1944, elle s’est séparée de son
mari avant la naissance de l’enfant, dont elle a confié le soin et l’éducation à
sa famille. Elle a conscience de la complexité pour une femme seule de
mener à bien vie de famille et carrière littéraire.
Les conclusions de son ouvrage mettent l’accent sur la bisexualité
originelle des individus (« on ne pourra que s’incliner devant l’authenticité
de la notion de bisexualité chez tout individu dit “normal”»10) et sur la
construction sociale des concepts de virilité et de féminité.
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à notre époque de libération sexuelle !... Oui à cette époque13.
Encore une fois, c’est d’autant plus accusé en ce qui concerne Sodome ; Lesbos
a droit à l’indulgence toujours un brin condescendante ou égrillarde des mêmes
vertueux moralistes. Car Sodome seule est transgression… 14
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Françoise d’Eaubonne fait partie des rares intellectuel∙le∙s à avoir
maintenu les revendications sexuelles depuis les années 1950, c’est donc tout
naturellement qu’elle s’investit dans le mouvement féministe lorsque celui-
ci prend son essor au tout début des années 1970. Elle a acquis une certaine
notoriété au sein de ce milieu pour avoir publié sur ces sujets ; elle est
d’ailleurs une des personnalités signataires du Manifeste des 34318. Pourtant,
Françoise d’Eaubonne est une figure un peu « hors norme » dans le
mouvement de Libération des femmes. C’est un électron libre qui participe
à certaines actions, à certaines revues sans pour autant revendiquer une
appartenance à un groupe plutôt qu’à un autre. Elle est marginale, ne
fréquente que des hommes, gays et beaucoup plus jeunes qu’elle. C’est dans
ce contexte qu’elle s’est rapprochée de l’association homophile Arcadie
fondée en 1954 par André Baudry19, association qu’elle quitte pour fonder
avec quelques ami∙e∙s le Front homosexuel d’action révolutionnaire
(FHAR), dont les actions spectaculaires du printemps 1971 vont marquer les
mémoires. C’est grâce à un de ses amis du FHAR qu’elle est sensibilisée au
problème écologique en cette année 1971 :
18 Ce texte paru dans le Nouvel Observateur le 5 avril 1971 (no 334). Il est également
appelé le « Manifeste des 343 salopes ».
19 André Baudry (1922), ancien séminariste et professeur de philosophie.
20 IMEC, ABN 12.1, « Mise au poing ou souvenirs de la vieille enragée », p. 169.
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Or, il s’agit d’un bien plus vaste sujet, cette fois, que de la « libération de la
femme », et de la « liberté sexuelle ». Il s’agit de l’avenir même de l’humanité.
Mieux : de sa chance d’avoir encore un avenir. Le prolongement de notre
espèce est menacé aujourd’hui grâce à l’aboutissement des cultures
patriarcales, par une folie et un crime. La folie : l’accroissement de la cadence
démographique. Le crime : la destruction de l’environnement21.
En tant qu’êtres humains, elles sont autant menacées que les hommes par
le péril nucléaire qu’ils ont instauré ; et en tant que procréatrices, elles sont
davantage qu’eux concernées par le sort des générations futures, alors que
seuls les plus conscients d’entre eux s’en préoccupent23.
21
Françoise D’EAUBONNE, Le Féminisme : Histoire et actualité, Paris, Alain Moreau,
1972, p. 352.
22 IMEC, ABN 26. 2, extrait du livre collectif de Michèle DAYRAS, Liberté, égalité et les
femmes ?, p. 177.
23 Ibid., p. 180.
Françoise d’Eaubonne,… 195
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colonialistes obligés de composer avec la marche de l’Histoire doit être
remplacée par la notion d’égalité dans la diversité. Un aspect de cette diversité
sera, par exemple, que sans léser en rien l’égalité des sexes, le contrôle
démographique doit revenir entièrement aux femmes ; il ne s’agit pas d’un retour
par la bande d’une supériorité quelconque, mais d’un simple équilibre destiné à
compenser le handicap de la grossesse et de la parturition, en même temps que
d’une nécessité absolue pour arrêter l’inflation de la natalité mondiale24.
Dans une lettre qu’elle a écrite en 2000, elle se justifie encore de son refus
de croire en des spécificités féminines puisqu’elle écrit :
Pour Françoise d’Eaubonne, toutes les luttes ne font qu’une et, à la fin
des années 1970, elle milite aussi auprès des groupes d’extrême gauche
(Fraction armée rouge, Action directe). Elle préconise la violence comme
moyen d’action notamment dans un essai : Contre-violence ou la Résistance
à l’État26. Françoise d’Eaubonne a donc un véritable projet de société
« écologique égalitaire, pacifique et autogestionnaire ». Son programme est
le suivant :
D’abord la nationalisation des sources de production :
24
Françoise D’EAUBONNE, Les Femmes avant le patriarcat, Paris, Payot, 1977, p. 226.
25 IMEC, ABN 27.43 : Lettre de Françoise d’Eaubonne à Bernard Henry-Lévy, 2000.
26 Françoise D’EAUBONNE, Contre-violence ou la résistance à l’État, Paris, Tierce, 1978.
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Ensuite, afin de faire disparaître le travail tel qu’il est conçu dans notre
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société, il convient de former les individus à une multitude de tâches :
La notion de travail (et donc de salariat) ne pourra disparaître, pour faire face
à celle de service, qu’avec la nécessité d’un éventail immense de spécialistes.
Seul un très petit nombre de personnes pourra correspondre aux spécialisations
indispensables […]28.
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fonctionnement futur. [...] Au premier chantier visité de nuit, nous trouvâmes
des détonateurs ; au vingtième seulement, sur la route de Vaucouleurs (le
symbole me plut) les briquettes de dynamite. Entre temps, G. avait volé chez
Gibert Jeune, au rayon Sciences physiques, le manuel expliquant la nature et
le maniement des explosifs. L’attentat de Fessenheim était réalisable 32.
En Europe aussi ces théories trouvent des échos : en juin 2000, le journal
Femmes en Suisse, réalise un dossier sur l’écoféminisme dans ses colonnes.
La journaliste Andrée-Marie Dussault analyse les différents courants se
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réclamant de l’écoféminisme. Elle rejette en particulier la tendance
essentialiste du mouvement et met en avant les thèses défendues par
Vandana Shiva et Maria Mies :
34 Bibliothèque Marguerite-Durand (Paris), O74 GAZ Bul : La Gazette des femmes, 23, 1
(2001), p. 24.
35 Bibliothèque Marguerite-Durand (Paris), 396 FEM Bul : Femmes en Suisse, 1443 (juin
2000), p. 10.
36 Irene DIAMOND and Gloria Feman ORENSTEIN, Reweawing the World. The Emergence
of Ecofeminism, San Francisco, Sierra Club books, 1990.
Judith PLANT, Healing the Wounds. The Promise of Ecofeminism, Philadelphia – Santa
Cruz, New Society Publishers, 1989.
37 Françoise D’EAUBONNE, « Feminism or death », in Elaine Marks & Isabelle de
Courtivron (eds), New French Feminisms. An Anthology, Amherst, Amherst University
Press, 1980. (Éd. française : Le Féminisme ou la mort, Paris, Éd. P. Horay, 1974).
Françoise d’Eaubonne,… 199
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pour son livre Féminin et philosophie39, bien qu’elle ait posé tous les
principes de l’écoféminisme. La ressemblance de leurs thèses avec celles
développées depuis la fin des années 1970 par Françoise d’Eaubonne est
pourtant très forte. En France, on ne parle presque pas d’écoféminisme.
De fait, en matière d’écologie, selon Cyril Di Meo40, c’est le mouvement
de la Décroissance qui reprend à son compte les thèses de Françoise
d’Eaubonne. Pour ce mouvement, l’écoféminisme est né en France dans les
années 1970-1980 et il est issu : « des études de théorie politique, de l’intérêt
pour les religions des déesses antiques et de la défense de la nature »41.
Cyril Di Meo explique que Françoise d’Eaubonne est à l’origine de
l’écoféminisme, qu’elle a présenté toutes les « fondations théoriques » :
38
Maria MIES & Vandana SHIVA, Écoféminisme, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 26.
39 Françoise D’EAUBONNE, Féminin et philosophie : une allergie historique, Paris,
L’Harmattan, 1997.
40 Cyril DI MEO, La Face cachée de la décroissance. La décroissance : une réelle solution
face à la crise écologique ?, Paris, L’Harmattan, 2006.
41 Carol J. ADAMS, « Ecofeminism and the eating of animals », Hypatia, 6 (1991).
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essais. Et effectivement, dès 1978, elle émettait des critiques sur le fait même
de croissance : « Tout essai théorique d’économie devrait commencer par
une critique de la notion et du fait de croissance[...]. »43
Cyril Di Meo critique les fondations théoriques du Mouvement de la
Décroissance :
Conclusion
Françoise d’Eaubonne fait partie de cette « génération d’intellectuelles dans
le sillage de Simone de Beauvoir. »45 Cependant, Françoise d’Eaubonne
reste une inconnue et rien n’explique qu’elle ne figure ni dans les
dictionnaires des intellectuels, ni dans les anthologies littéraires et ce, malgré
la centaine de livres qu’elle a publiés.
Inventrice du mot « Écoféminisme », elle est à l’origine des théories
écoféministes et ses thèses ont eu un certain écho à l’étranger depuis une
vingtaine d’années. On peut être frappé en revanche du peu de références
42
Cyril DI MEO, op.cit., p. 142-143.
43 Françoise D’EAUBONNE, Écologie/Féminisme. Révolution ou mutation ?, Paris, ATP,
1978, p. 70.
44 Cyril DI MEO, op.cit., p. 183.
45 Sylvie CHAPERON, « Une génération d’intellectuelles dans le sillage de Simone de
Beauvoir », in « Intellectuelles », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 13 (2001), p. 99-116.
[En ligne], consulté le 02/06/2017. Adresse URL : http://clio.revues.org/index135.html.
Françoise d’Eaubonne,… 201
que l’on trouve à son sujet même dans les rares ouvrages sur l’écoféminisme.
De plus, lorsque certaines de ces théories sont reprises, elles sont en général
peu ou mal interprétées car, en France, le rapprochement entre écologie et
féminisme est sujet à controverse. Pour de nombreuses féministes françaises,
évoquer la nature et/ou l’écologie comporte un risque de retour à une vision
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de la femme confinée dans son rôle reproducteur. Ces théories et leurs
théoriciennes ont été rejetées en bloc, parce qu’elles sont considérées comme
rétrogrades pour la condition des femmes. Or, Françoise d’Eaubonne, loin
de considérer les femmes comme des reproductrices potentielles, les enjoint
bien à refuser la maternité (même si son propre rapport à la maternité est
ambivalent, puisqu’elle a eu des enfants dont l’éducation et le soin ont été
confiés à des tiers).
Plusieurs autres raisons expliquent l’ostracisme dont Françoise
d’Eaubonne est victime : sa vision extrêmement radicale, sa forte
personnalité, le fait qu’elle préconise des moyens violents pour parvenir à
une société plus égalitaire, son activisme politique et la défense des groupes
qui ont terrorisé les démocraties dans les années 1980, l’ont isolée du débat
politique traditionnel et démocratique. Françoise d’Eaubonne s’est investie
dans de nombreuses luttes tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, il
reste difficile de l’associer à un combat particulier. Néanmoins, son combat
féministe tout au long du XXe siècle et la théorisation du concept
d’écoféminisme sont des apports majeurs au féminisme contemporain.
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