Memoire Masso Kinesitherapie 2020 TANGUY Paul

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Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie

22, Avenue Camille Desmoulins


29238 Brest CEDEX 3

Intérêt d’un modèle d’évaluation de


l’alliance thérapeutique dans la prise en
charge des patients souffrant de
lombalgie chronique : une étude
qualitative réalisée auprès de MKDE
libéraux

TANGUY Paul
En vue de l’obtention du Diplôme d’Etat de Masseur Kinésithérapeute
Promotion 2016-2020
Session « Juin 2020 »
Remerciements

Pour commencer, je souhaite remercier ma Directrice de mémoire Jeanne-Marie Jourdren


pour son aide, ses conseils et son accompagnement dans la réalisation de ce travail.

Je tiens également à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé dans ma réflexion et
qui m’ont permis de mener ce projet à bien, Laurence Alexandre, Magalie Turban,
Emmanuelle Briand, Dr Yohann Alix et Pr Jean-Yves Lereste.

Je remercie l’IFMK de Brest et toute l’équipe pédagogique.

Je remercie l’ensemble des masseurs-kinésithérapeutes qui ont accepté d’être interrogés


durant cette étude. Ces entretiens m’ont permis d’enrichir mes connaissances et d’élargir
ma vision de la relation soignant-soigné pour ma pratique future.

Je remercie mes amis et tous les membres de ma famille pour leur soutien et pour leur
aide à la correction de ce mémoire.

Je remercie tous les membres de ma promotion, et plus particulièrement les « ravageurs »,


qui ont fait de ces quatre années de formation des moments inoubliables.

Je dédie ce mémoire à mon grand-père qui me répétait « J’espère être toujours là quand
tu seras diplômé. ».
Liste des abréviations

IFMK : Institut de formation en masso-kinésithérapie.

MK : Masseur-kinésithérapeute.

MKDE : Masseur-kinésithérapeute diplômé d’état.

BDK : Bilan diagnostique kinésithérapique.

AT : Alliance thérapeutique.

ETP : Education thérapeutique du patient.

EBP : Evidence based practice.

WAI : Working Alliance Inventory.

DGS: Direction générale de la santé.

MPR : Médecine physique et réadaptation.

RFR : Réadaptation fonctionnel du rachis.

Légende des citations :

« …Citation… » : Citation issue d’un article, d’un livre ou d’une autre source
bibliographique.

« …Citation… » : Citation issue des entretiens réalisés dans le cadre de cette étude.
Table des matières
1. Introduction .......................................................................................................................... 1
1.1 Situation d’ancrage .......................................................................................................... 1
1.2 Emergence du questionnement ........................................................................................ 2
2 Cadre conceptuel.................................................................................................................... 3
2.1 La Relation...................................................................................................................... 3
2.2 La relation dans le soin .................................................................................................... 3
2.3 Alliance thérapeutique ..................................................................................................... 4
2.4 Évaluation ....................................................................................................................... 6
2.5 Échelle de l'alliance thérapeutique ................................................................................... 8
2.6 La lombalgie chronique ................................................................................................... 9
3. Problématique et hypothèses ............................................................................................... 12
4. Méthode de recherche ......................................................................................................... 14
4.1 Le recueil des données ................................................................................................... 14
4.2 La procédure d’analyse.................................................................................................. 22
4.3 Les limites de la méthode .............................................................................................. 24
5. Résultats ............................................................................................................................. 25
5.1 Evolution de la pratique professionnelle ........................................................................ 25
5.2 La méthode d’approche des patients .............................................................................. 26
5.3 La représentation de l’alliance thérapeutique ................................................................. 27
5.4 L’évaluation de l’alliance thérapeutique......................................................................... 28
6. Analyse des résultats : ......................................................................................................... 30
6.1 La formation continue au service de la relation avec le patient ....................................... 30
6.2 Les clés de la construction de l’alliance thérapeutique.................................................... 31
6.3 L’alliance thérapeutique, une plus-value à la prise en charge.......................................... 36
6.4 L’alliance thérapeutique, une notion maîtrisée par les MKDE ........................................ 41
6.5 La lombalgie chronique, les particularités de la relation ................................................. 41
6.6 L’évaluation de l’alliance thérapeutique, la variété des méthodes utilisées ..................... 46
6.7 Un modèle d’évaluation fiable de l’alliance thérapeutique, des avis encourageants ......... 49
7. Synthèse des résultats et retour sur les hypothèses ............................................................... 55
7.1 Retour sur les hypothèses de recherche .......................................................................... 55
7.2 Limites et intérêts de l’étude .......................................................................................... 60
7.3 Professionnalisation et axes d’amélioration .................................................................... 62
8. Conclusion .......................................................................................................................... 65
9. Bibliographie ...................................................................................................................... 66
Annexes
Sommaire des tableaux et figures
Tableau 1 : Groupe 1, Masseurs-kinésithérapeutes non formés à l’ETP ...................... 21

Tableau 2 : Groupe 2, Masseurs-kinésithérapeutes formés à l’ETP ............................. 21

Figure 1 : Grille d’analyse d’entretien par méthode verticale (Source : Paul Tanguy,
grille conçue le 02/03/2020) ........................................................................................ 22

Figure 2 : Grille d’analyse par méthode transversale (source : Paul Tanguy, grille
conçue le 02/03/2020) ................................................................................................. 23

Tableau 3 : Résultats des entretiens ; thème 1 : « Evolution de la pratique


professionnelle » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020) ...................... 25

Tableau 4 : Résultats des entretiens ; thème 2 : « La méthode d’approche des patients »


(Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020) ................................................. 26

Tableau 5 : Résultats des entretiens ; thème 3 : « La représentation de l’alliance


thérapeutique » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020) ......................... 27

Tableau 6 : Résultats des entretiens ; thème 4 : « L’évaluation de l’alliance


thérapeutique » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020) ......................... 28

Tableau 7 : Résultats des entretiens ; thème 4 : « L’évaluation de l’alliance


thérapeutique » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020) ......................... 29

Figure 3 : Cadre théorique du continuum de l’engagement des patients inspiré de


Carman et al. ............................................................................................................... 34
1. Introduction
1.1 Situation d’ancrage
Durant ma 2ème année d’étude à l’Institut de Formation en Masso-Minésithérapie
(IFMK) de Brest, il nous a été demandé de participer à une « revue de presse ». L’objectif
de cet atelier était de nous inciter à nous intéresser aux publications et aux articles
francophones traitant de la kinésithérapie. Nous devions choisir un article issu des revues
Kinésithérapie scientifique ou Kinésithérapie la revue, le lire et le présenter à un groupe
constitué d’étudiants et de formateurs. Mon choix s’est porté sur un article intitulé l’effet
placebo en physiothérapie, rédigé par Jean-Philippe Bassin et publié dans kinésithérapie
scientifique en 2017 (1).

Cet article m’avait beaucoup intéressé et m’avait donné envie d’approfondir mes
connaissances sur le sujet de l’effet placebo et des effets contextuels dans la
kinésithérapie. Quand on nous a demandé de choisir un thème de mémoire en fin de
deuxième année, j’ai instinctivement opté pour celui-là.

C’est durant ma troisième année qu’a véritablement émergé mon questionnement. Après
avoir défini mon thème de recherche, je suis passé par une longue période de recherche
documentaire. Au fur et à mesure de mes recherches, j’affinais les limites de mon thème.
En effet « l’effet placebo » qui était mon point de départ a progressivement évolué pour
enfin devenir « l’impact de l’alliance thérapeutique dans la prise en charge en masso-
kinésithérapie ». En poursuivant ma recherche documentaire, j’ai pu constater la
multitude d’études réalisées sur ce thème. Aujourd’hui, c’est une certitude que l’alliance
thérapeutique (AT) a un impact sur l’efficacité des traitements proposés (2). C’est en
lisant des études qui cherchaient à l’objectiver que j’ai constaté l’existence d’échelles
d’évaluation de l’alliance thérapeutique. Ces échelles sont fréquemment utilisées dans les
études et cherchent à mesurer la force de l’alliance qui peut exister entre un thérapeute et
son patient.

Je n’avais jamais entendu parler de ces échelles que ce soit en cours ou durant mes stages.
J’ai donc décidé d’y consacrer du temps pour connaître leur intérêt dans la prise en charge,
leur modalité d’utilisation et leur fiabilité. A la suite de ces recherches je me suis rendu
compte que la plupart de ces échelles étaient des améliorations d’une échelle existante, la
Working alliance Inventory (WAI). Cette échelle existe en forme courte, validée en
français et validée dans le domaine de la kinésithérapie.

1
1.2 Emergence du questionnement
A partir de ces recherches je me suis interrogé sur l’intérêt d’utiliser ces échelles dans
les prises en charge de douleurs chroniques. Nous savons qu’une forte alliance
thérapeutique associée à un traitement augmente ses chances de résultats. Cela m’a fait
réfléchir sur la place importante qu’occupent la relation et la communication dans le
domaine médical. Elles sont aussi importantes que l’expertise et la technique manuelle.
Sachant cela, ne serait-il pas intéressant pour les masseurs-kinésithérapeutes d’évaluer
l’alliance thérapeutique qu’ils construisent avec leurs patients souffrant de douleurs
chroniques ? Cette évaluation leur permettrait-elle de toujours assurer un haut niveau
d’alliance avec leurs patients et donc d’augmenter l’efficacité de leur prise en charge ?
L’utilisation de cette échelle est-elle nécessaire ?

2
2 Cadre conceptuel
2.1 La Relation
Le terme « relation » est défini par le Larousse comme "un lien existant entre des
choses ou des personnes".

La relation humaine est un concept complexe mettant en présence au moins deux


personnes. Elle ne se limite pas à un échange verbal, elle correspond au rapprochement
de deux caractères, deux psychologies et deux histoires différentes. Dès que deux
personnes sont en présence l'une de l'autre, elles créent une relation que ce soit par leurs
gestes ou leurs attitudes. « C'est avec son corps, sa parole et son affectivité que l'on entre
en relation » (3).

La relation aux autres est essentielle à l’existence humaine. Elle est impliquée dans le
développement de la personnalité, mais elle permet aussi la prise de conscience de soi et
celle d’autrui. C’est en prenant conscience de l’existence de l’autre comme un être
extérieur que l’on peut se sentir exister intérieurement (4). Cette vision est issue des textes
de Martin Buber (5) qui considère la relation avec autrui comme indispensable à
l’existence de l’homme, ce qui fait écho aux deux grandes conceptions philosophiques de
l’Homme (6) : le point de vue substantiel qui considère l’homme comme un être
individuel, libre qui apprend de ses propres expériences et le point de vue transcendant
qui considère l’homme comme un être conditionné par sa relation au monde et aux autres
(6). Ces deux conceptions sont recevables, l’homme est, d’une part, un être singulier mais,
d’autre part, il se trouve dès sa naissance lié aux autres.

2.2 La relation dans le soin


Dans le cadre de leur travail, les professionnels de santé sont, pour la plupart, amenés
à établir une relation avec leur patient. Cette relation de soin est particulière car c'est une
relation intime et potentiellement prolongée qui va mettre en présence deux individus en
positions asymétriques et inégales (7). D'un côté le patient "souffrant" qui est demandeur
de soin et qui se questionne sur son état, et de l'autre le professionnel de santé détenant le
savoir et le savoir-faire pour répondre à la demande du patient (7). Qu’ils en soient
conscients ou non, chacun des protagonistes de cette relation est en attente de l’autre. Le
patient attend du soignant qu’il soit capable d’identifier le dérèglement qui est à l’origine
de sa souffrance. Mais il attend également de lui qu’il soit un confident, une personne

3
discrète en qui il peut avoir confiance et qui puisse lui donner de bons conseils. De son
côté, le professionnel de santé présente également certaines attentes vis-à-vis de cette
relation : il peut présenter un désir de soulager, de prendre soin d’autrui, un désir
d’affirmer son pouvoir sur les autres, de se faire respecter (8).

Depuis plusieurs décennies maintenant on peut constater un changement de paradigme


dans la relation de soin. Elle tend à passer d'un modèle "paternaliste" dans lequel le
professionnel de santé est en position "haute", c'est lui qui détient le savoir, vers un
modèle privilégiant l'autonomie du patient (9). La concrétisation de ce gain d’autonomie
s’est faite par l’intermédiaire de la loi Kouchner de 2002 (10). A la suite de cette loi, les
professionnels de santé ont l’obligation d’informer les patients sur leur état de santé et de
rechercher leur consentement avant tout acte. A partir de ce moment, le patient devient
une personne qui doit être informée et qui cherche à s’informer. La démocratisation
d’internet, apportant avec elle un accès facile à l’information, a redistribué équitablement
l’accès au savoir entre les professionnels de santé et les patients. Les professionnels de
santé cherchent à remettre la communication et la relation avec le patient au premier plan
(9). Premièrement, dans le but d'intégrer pleinement le patient dans les prises en charge
et de le rendre acteur de sa santé. Deuxièmement, dans le but de favoriser la prise en
charge globale du patient et ne pas le réduire à un organe malade. Le patient n'est plus
l'objet du soin mais devient un partenaire de soin que l’on informe, avec qui on échange
et avec qui on prend des décisions communes.

2.3 Alliance thérapeutique


2.3.1 Origine et définition de l'alliance thérapeutique
A l'origine, l'alliance thérapeutique est un concept issu de la psychothérapie et de la
psychanalyse, mentionné pour la première fois par Freud en 1913 : « Compréhension
sympathique, affection et amitié sont les véhicules de la psychanalyse » (11). A présent
ce concept s'est largement étendu aux autres professions médicales et paramédicales. Il
peut être défini comme un partenariat entre le soignant et le soigné, basé sur une relation
de confiance leur permettant de travailler ensemble et d'atteindre les objectifs fixés. La
force de ce partenariat est un sujet d'étude récurrent ; il a été montré qu'il faisait varier les
résultats obtenus à la suite d'une prise en charge thérapeutique. Luborsky fut l'un des

4
premiers à démontrer cela dans le champ des thérapies cognitives et comportementales
en 1975 (12).

2.3.2 Les composants de l'alliance thérapeutique


A la suite des écrits de Freud, plusieurs auteurs ont cherché à caractériser cette alliance
thérapeutique et à étudier les mécanismes sous-jacents : Greenson, Alford et Beck, mais
aujourd'hui il semblerait que ce soit la définition de Bordin qui soit acceptée comme la
référence en termes de caractérisation de l'alliance thérapeutique. Selon lui, elle est un
prérequis nécessaire à tout changement mais elle n'est pas en elle-même curative (13,14).
Il conceptualisa alors l'alliance thérapeutique comme une variable composée de trois
facteurs interdépendants (14) :

 Le lien, représentant la relation existant entre le patient et le thérapeute

 L'accord sur les objectifs visés

 L'accord sur les tâches à effectuer

Ces trois facteurs s'influencent mutuellement, la qualité de la relation va ainsi faciliter


l'échange et l'accord des deux individus sur les objectifs et les tâches à réaliser ; et enfin
la réalisation de ces derniers va venir impacter la qualité de la relation.

2.3.3 La relation soignant-soigné


Facteur central de l'alliance thérapeutique, la relation soignant-soigné est une aide
précieuse à la thérapie. Cette relation thérapeutique peut être associée à la « relation
d’aide » décrite par Carl Rogers dans sa méthode d’approche centrée sur la personne (15).
Cette relation comprend 2 dimensions complémentaires : une dimension affective et une
dimension professionnelle. Selon Carl Roger la dimension affective correspond à une
relation qui se veut empathique, authentique et chaleureuse. Tandis que la dimension
professionnelle fait référence au statut du soignant et à ses compétences. Si le patient
consulte un professionnel de santé c'est qu'il estime qu'il a les capacités de lui venir en
aide. La réunion de ces deux dimensions est la condition sine qua non à la création d'une
relation soignant-soigné profitable.

5
2.3.4 L'alliance thérapeutique dans la kinésithérapie
L'alliance thérapeutique est solidement ancrée dans la kinésithérapie. Elle est
mentionnée à plusieurs reprises dans le paragraphe relatif à la compétence 5 de notre
décret de compétences (16) : « Établir et entretenir une relation et une communication
dans un contexte d'intervention en masso-kinésithérapie », dans lequel il est mentionné
que nous devons « développer une relation de partenariat avec la personne soignée » et
« rechercher et/ou maintenir les alliances thérapeutiques avec le patient tout au long de
l'intervention ».

A l'instar de ce qui s'est fait dans le domaine de la psychothérapie, des études cherchent
à objectiver les variations de résultats que l’alliance thérapeutique peut entraîner pour une
même prise en charge en masso-kinésithérapie. Une revue de la littérature, publiée
récemment, recense plusieurs de ces études et montre ainsi que l'alliance thérapeutique
est un concept tout autant applicable à la kinésithérapie qu'à la psychothérapie (17).

2.4 Évaluation
2.4.1 Définition de l'évaluation
L'évaluation est un concept vaste dont la définition varie en fonction du domaine dans
lequel elle est employée. Par exemple une évaluation de compétences sera différente
d'une évaluation en masso-kinésithérapie. Cependant il est possible de retrouver des
éléments similaires et de proposer une définition rassemblant les éléments communs des
différentes situations. Selon le comité d'aide au développement « L’évaluation est une
fonction qui consiste à porter une appréciation aussi systématique et objective que
possible, sur un projet en cours ou achevé... » (18).

Indépendamment du domaine dans lequel elle est employée, l'évaluation comprend trois
étapes (19) :

 La mesure, permettant d'objectiver et de prendre connaissance des informations


relatives à une situation donnée.

 L'interrogation sur ce qui aurait dû se passer ou l'état dans lequel la situation


devrait se trouver (au moyen de référentiels ou des normes validées).

 La comparaison des informations issues de ces deux premières étapes, permettant


ainsi de confronter l'état actuel de la situation à ce qu'elle aurait dû être.

6
2.4.2 Le rôle de l'évaluation
L'évaluation n'a de sens que si elle débouche sur des perspectives d'amélioration, de
rétablissement ou de maintien de l’état actuel dans le cadre de processus dégénératifs
(20). Elle doit être une aide à la prise de décision, nous permettant de faire des choix et
définir des objectifs en toute connaissance de cause. « Evaluer signifie aider à
fonctionner, guider, piloter, conseiller, diagnostiquer, faire un audit, faire un état des
lieux et préconiser des améliorations » (19). Face à tant de diversité, le mot « évaluation »
a tendance à perdre sa signification quand il est utilisé seul. C'est pourquoi, souvent, on
l'utilise suivi de l'adjectif du domaine dans lequel il est utilisé.

L’évaluation peut alors remplir plusieurs rôles. Le centre de ressources en évaluation en


identifie trois principaux (18). L’évaluation peut consister en :

 Un outil d’aide à la décision en recueillant des informations permettant de décider


la modification d’une démarche entreprise, ou dresser un bilan d’une situation afin
de déterminer les actions à mettre en œuvre.
 Un outil démocratique ou de transparence permettant de rendre compte de l’état
actuel d’un projet et permettant ainsi de solidifier la relation entre les personnes
impliquées.
 Un outil d’apprentissage afin d’analyser les actions mises en œuvre et d’en tirer
des apprentissages pour repérer les bonnes pratiques et les erreurs à ne pas
commettre une seconde fois.

2.4.3 L'évaluation médicale


Dans le domaine médical, l’évaluation est un élément crucial. Qu’il s’agisse d’un
diagnostic médical, de recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de
Santé (HAS) ou d’essais thérapeutiques, l’évaluation est à l’origine de chaque décision
dans le domaine de la santé. Elle remplit chacun des trois rôles décrits précédemment et
permet de faire évoluer nos pratiques.

Si on s’intéresse au domaine de la Médecine Physique et de Réadaptation (MPR)


l'évaluation occupe une place centrale. L’objectif principal de cette discipline est de
limiter le niveau d'incapacité et de handicap lorsque le patient retourne dans son
environnement (20). L'évaluation de l'impact de la rééducation sur le niveau d'incapacité
est donc indispensable et doit être réalisée à de multiples occasions. Il existe donc

7
plusieurs temps dans le concept d’évaluation. Une évaluation initiale permet de prendre
connaissance de l'état initial de la situation et de définir des objectifs. Mais les résultats
de l'évaluation s'apprécient également à court terme comme à moyen et long terme afin
de vérifier les gains et leur maintien tout au long de la rééducation ainsi que leurs
répercussions en termes de handicap.

2.4.4 L'évaluation en kinésithérapie


Tout comme pour le domaine de la MPR, l'évaluation occupe une place centrale dans
la masso-kinésithérapie. A la fois point de départ du traitement nous permettant de faire
le bilan de la situation et de définir des objectifs de rééducation, elle est également un
outil permettant de faire le point sur la progression du patient et de justifier l'intérêt et les
bénéfices apportés par notre prise en charge. Aujourd'hui l'évaluation du patient fait partie
de la masso-kinésithérapie, comme le montre la compétence 1 du décret de compétence
(16) : « Analyser et évaluer sur le plan kinésithérapique une personne, sa situation et
élaborer un diagnostic ».

2.5 Échelle de l'alliance thérapeutique


Les différents travaux de recherche, portant sur l'alliance thérapeutique, réalisés dans
les années 70 par Luborsky et Bordin (14), ont permis de faire prendre conscience de
l’influence de facteurs communs et de l’impact sur les résultats de la prise en charge. Ce
constat a poussé les chercheurs à développer des outils pour étudier l'alliance
thérapeutique. C'est ainsi que la première échelle d’évaluation de l'alliance thérapeutique
vit le jour en 1989 : la Working Alliance Inventory (21). Aujourd'hui encore, l'influence
de l'alliance thérapeutique dans la pratique médicale est fréquemment étudiée. Il a été
montré qu'elle avait un impact positif sur les résultats des prises en charge en stimulant
l'adhésion du patient au traitement, son observance et sa motivation.

Cette échelle (la WAI) a été développée par Horvath et Greenberg dans le but de
pouvoir évaluer la force d'une alliance thérapeutique (21). La structure de cette échelle se
base sur la définition de l'alliance thérapeutique proposée par Bordin (14), montrant
qu'elle était influencée par trois facteurs interdépendants. Une forme courte de cette
échelle fut proposée également en 1989. Puis une révision de cette dernière fut proposée

8
en 2005 et traduite en 2018 par un étudiant de Brest dans le cadre de sa thèse de médecine
générale (22).

Aujourd'hui, il existe plusieurs échelles validées évaluant l'alliance thérapeutique : la


« Working Alliance Inventory » ainsi que sa forme courte révisée, la « WAI SR », la
« WATOCI », la « Helping alliance questionnaire »... En 2016, l'étude TATA (23) (Tools
Assessment of Therapeutic Alliance) a permis de déterminer, à l'échelle de l’Europe,
l'outil le plus approprié pour évaluer l'alliance thérapeutique afin qu'il soit ensuite traduit
dans différentes langues européennes. Il en résulte que la forme courte révisée de la WAI
était l'outil le plus approprié.

La construction de l’alliance thérapeutique étant un facteur central dans la réussite d’un


traitement, il peut être intéressant d’étudier l’impact qu’elle peut avoir dans les prises en
charge chronique. Dans le domaine de la kinésithérapie l’exemple le plus parlant de
pathologie chronique est la lombalgie chronique.

2.6 La lombalgie chronique


2.6.1 Définition et épidémiologie
La lombalgie chronique se définie comme un symptôme douloureux siégeant dans la
région lombaire et évoluant depuis au moins 3 mois. La lombalgie chronique n'est pas
considérée comme une pathologie à part entière, mais comme un symptôme pouvant
correspondre à divers mécanismes et étiologies. Dans 95% des cas, la lombalgie est dite
« commune » car son origine n’est pas liée à une anomalie identifiable (24). L’agence
nationale de l’accréditation et de l’évaluation en santé (ANAES) et l'Inserm, en 2000,
précisent, dans leur définition, que cette douleur est « non secondaire à une cause
organique particulière ou autres : infectieuse, tumorale, affection rhumatismale
inflammatoire ou une affection métabolique... ».

Pour ce mémoire, la définition de lombalgie chronique sera l’une de celles proposées


par la HAS en 2016 (25), à savoir une douleur de la région lombaire évoluant depuis plus
de 3 mois, dont l’origine peut être associée à une ou plusieurs causes suivantes :
« discogénique, facettaire ou mixte, ligamentaire, musculaire, liée à un trouble régional
ou global de la statique rachidienne. »(25).

9
Il existe très peu de sources récentes traitant les données épidémiologiques de la
lombalgie chronique, et celles existantes n’aboutissent pas à un consensus sur les chiffres
qu'elles communiquent. Un article relativement récent (26) recense plusieurs sources de
données épidémiologiques. Selon l'enquête démographique et de santé (EDS) (26),
réalisée en 1999, plus de la moitié de la population française comprise entre 30 et 64 ans
aurait présenté un épisode de lombalgie dans les 12 derniers mois. Pour avoir une idée de
l'importance de l'incidence des lombalgies chroniques, cet article affirme que 5 à 10% des
lombalgies deviennent chroniques. Ces chiffres sont confirmés par la Direction Générale
de la Santé (DGS) et l’Inserm (24). Mais selon le site internet lombalgie.fr (27) c'est 10 à
23% des lombalgies qui se deviennent chroniques.

2.6.2 Le modèle bio-psycho-social


Le modèle bio-psycho-social est un modèle théorique visant à représenter l'état de
santé d'un être humain comme une variable influencée par trois facteurs d'importance
égale : les facteurs biologiques, psychiques et sociaux (28). Il est un élargissement du
modèle biomédical. Les facteurs biologiques sont toujours pris en compte. Les facteurs
psychiques renvoient aux processus cognitifs, émotionnels et comportementaux. Et enfin
les facteurs sociaux renvoient à l’environnement social de l’individu. Contrairement au
modèle biomédical, le modèle bio-psycho-social n’intègre pas un système de causalité
simple et linéaire, mais des causalités multiples et circulaires.

Comme toute affection chronique, la lombalgie chronique comporte une dimension


bio-psycho-sociale. En effet, il est admis que les facteurs psychosociaux, fréquemment
rassemblés sous le terme de « yellow flags » (29,30), sont les principaux risques de
chronicisation des lombalgies (31). La prise en charge des lombalgies chroniques doit se
baser sur le modèle bio-psycho-social. Il en résulte donc que la connaissance biologique
de ce syndrome et sa prise en charge technique ne sont pas suffisantes pour assurer le
rétablissement du patient (30). Il est nécessaire d'intégrer à cette prise en charge les
contextes psychologiques et sociaux en se concentrant sur la relation et l'empathie envers
le patient.

10
2.6.3 Conséquences de la lombalgie chronique
La lombalgie chronique entraîne de lourdes conséquences sur les patients. En effet, le
risque de déconditionnements physique et psychologique est important et la probabilité
de reprise du travail diminue proportionnellement à la chronicisation du symptôme
douloureux (27). Ainsi seulement 40 à 50% des patients reprendront le travail après 6
mois d'arrêt, 15 à 25% après 1 an et presque aucun après 2 ans (24). La lombalgie
chronique a effectivement un impact social et économique important, selon une enquête
réalisée par la Direction Générale de la Santé (DGS) en collaboration avec l'Inserm, les
lombalgies chroniques représenteraient 70 à 80% des coûts liés aux rachialgies(24). Ce
coût serait évalué à 1,4 milliard d’euros et représenterait 1,6 % des dépenses de santé
(24).

2.6.4 Prise en charge actuelle et traitement


Les recommandations de la HAS relatives à la prise en charge des lombalgies
chroniques n'ont, à ce jour, pas été actualisées depuis l’année 2000 (32). Les prises en
charge multidisciplinaires, les séances d'éducation et de conseils, ainsi que les exercices
physiques associés à une prise en charge psychologique sont les traitements conservateurs
bénéficiant des plus hauts niveaux de preuve dans un objectif d'action antalgique, de
rééducation fonctionnelle et de retour au travail.

Il existe également des recommandations pour les traitements médicamenteux et les


traitements invasifs. Les traitements médicamenteux ne sont proposés que dans le but de
gérer et soulager la douleur. Selon les recommandations de la HAS (32), le traitement le
plus efficace correspond aux antalgiques de pallier 2 (recommandation de grade B), c’est-
à-dire les opioïdes faibles, pouvant être proposés après l’échec des antalgiques de pallier
1. L'efficacité de ces derniers, pour cette indication, n'a, en revanche, été attestée par
aucune étude.

11
3. Problématique et hypothèses
L’alliance thérapeutique est reconnue comme étant un facteur corrélé aux résultats
d’un traitement et à l’amélioration des symptômes. De ce fait, elle se doit d’occuper une
place centrale dans toute prise en charge médicale et paramédicale. Afin de s’assurer de
sa qualité, il est possible d’utiliser des échelles d’évaluation de l’alliance thérapeutique.
La kinésithérapie est une discipline qui diffère des autres de par la proximité entre le
thérapeute et le patient et de par la durée du traitement conduisant ses protagonistes à se
côtoyer régulièrement. La qualité du lien, ainsi créé, va d’autant plus impacter le
déroulement et le résultat de la prise en charge que celle-ci s’étendra dans le temps.
Aujourd’hui, dans le domaine des soins chroniques en kinésithérapie, la lombalgie est un
motif récurrent de prescription et de prise en charge (24). Afin d’assurer le meilleur
résultat possible avec des patients lombalgiques chroniques, les masseurs-
kinésithérapeutes diplômés d’état (MKDE) doivent construire une alliance thérapeutique
la plus forte possible. Au vu de ces faits permettant de prendre conscience de l’impact de
l’AT dans le traitement kinésithérapique des lombalgies chroniques, ce travail de
recherche s’intéresse à la question suivante :

Quel serait l’apport et l’usage d’une évaluation fiable de l’alliance thérapeutique


entre un kinésithérapeute et son patient dans la prise en charge des lombalgies
chroniques ?

Les objectifs de recherche sont : premièrement, faire un bilan de l’état actuel des
connaissances des MKDE libéraux sur l’alliance thérapeutique, sur les facteurs qui
l’influencent et sur leur mise en pratique. Deuxièmement, recueillir l’avis des MKDE sur
les bénéfices que pourrait apporter une évaluation fiable de l’AT à la prise en charge des
patients souffrant de lombalgies chroniques. Enfin, l’objectif de ce travail est de recueillir
les avis des MKDE sur la forme et les modalités de cette évaluation et de les comparer
aux échelles existantes.

Les hypothèses sont les suivantes :

 Hypothèse 1 : Le concept d’alliance thérapeutique n’est pas universel et n’est


pas maîtrisé par tous les MKDE.
 Hypothèse 2 : Les MKDE ont des approches très diversifiées avec leurs
patients et n’accordent pas tous la même importance à la construction d’une
alliance thérapeutique.

12
 Hypothèse 3 : L’évaluation de l’AT représenterait un intérêt car elle pourrait
les aider et les guider dans la construction de cette alliance avec les patients.
 Hypothèse 4 : Les kinésithérapeutes formés à l’Education Thérapeutique du
Patient (ETP) montreront plus d’intérêt pour l’évaluation fiable de l’AT.
 Hypothèse 5 : Les outils existants ne sont pas adaptés à une utilisation clinique.

13
4. Méthode de recherche
Dans ce chapitre je vais expliquer la méthode que j’ai employée pour collecter les
données me permettant de répondre à mes questions de recherche. Pour vous présenter
ma méthodologie de recherche, je suivrai le plan proposé par Pierre Mongeau, dans son
livre réaliser son mémoire ou sa thèse (33), qui divise cette partie en deux étapes
successives. Je commencerai par vous présenter la méthode que j’ai employée pour
recueillir les données, puis je vous décrirai la procédure d’analyse de ces données.

4.1 Le recueil des données


4.1.1 Choix de la méthode par entretien semi-dirigé
Comme précédemment évoqué, ma réflexion sur le thème de l’alliance thérapeutique
a commencé pendant ma troisième année de formation grâce à une recherche
bibliographique. Cette réflexion s’est étoffée au fur et à mesure notamment grâce à des
échanges avec des professionnels de santé durant mes stages et mes guidances
individuelles ou collectives. Ces échanges ont fait émerger chez moi de nombreuses
questions et incertitudes. Les kinésithérapeutes de façon générale connaissent-ils
suffisamment le concept d’alliance thérapeutique pour y voir un intérêt à sa mesure ?
Cette mesure impacterait-elle leur prise en charge ? Que feraient-ils après avoir mesuré
l’alliance thérapeutique avec leur patient ? Tiendraient-ils compte des résultats ?

Toutes ces interrogations sur ce thème ont alimenté ma réflexion et ma curiosité tout
en m’aidant à déterminer ma méthode de recherche. Mon interrogation première était de
savoir pourquoi ces échelles, validées scientifiquement, ne sont pas utilisées en
kinésithérapie ? Pour cela, il me fallait d’abord m’intéresser à ce que pourrait représenter,
pour les kinésithérapeutes, l’évaluation de l’alliance thérapeutique avec leurs patients. La
méthode de recherche qualitative semblait être la méthode la plus adéquate. Elle
constituait un outil de mesure intéressant car, contrairement à la méthode quantitative,
elle me permettait de comprendre les raisons, motivantes ou non, pour un kinésithérapeute
de pratiquer cette évaluation. Une étude similaire a déjà été réalisée en 2016 par des
internes en médecine générale de la faculté de Brest dans le cadre de leurs thèses de
doctorat (34,35). Il s’agissait d’études quantitatives. Leur objectif était d’évaluer
l’acceptabilité d’une échelle mesurant l’alliance thérapeutique auprès des internes en
médecine générale de Brest. Le second objectif était d’évaluer leur adhésion à l’utilisation

14
de cette échelle dans leur pratique courante. Les résultats de la première étude (34)
montraient que la population interrogée était en désaccord ; seulement 50 % des personnes
interrogées étaient favorables à l’utilisation de ces échelles avec leurs patients dans leur
pratique future. Au vu du résultat de cette étude, la recherche par méthode qualitative
était, selon moi, plus intéressante pour, tout d’abord, savoir si l’avis des MKDE était
similaire à celui des internes de médecine générale, et surtout pour avoir une
compréhension et une justification de ce phénomène et de ces résultats.

Afin de répondre à ma problématique, j’ai choisi de réaliser des entretiens semi-


directifs auprès de deux populations : une population constituée de MKDE formés à l’ETP
et une autre population non formée à l’ETP. Au départ je ne voulais enquêter qu’auprès
de MKDE formés à l’ETP car ils ont des connaissances plus poussées sur l’alliance
thérapeutique et son impact (36). J’étais donc assuré de recueillir l’avis de professionnels
experts dans ce domaine et qui maîtrisent le thème de mon mémoire. Cependant les
échelles évaluant l’alliance thérapeutique, point de départ de ma réflexion et de mon
questionnement, sont validées en français (37) et dans le champ de la kinésithérapie, et
sont donc sensées être utilisables par n’importe quel MKDE. Je trouvais donc intéressant
d’interroger aussi des MKDE non formés à l’ETP pour recueillir un avis plus représentatif
de la population des kinésithérapeutes.

Avec à ces entretiens, je ne cherche pas à mesurer le pourcentage de MKDE intéressés


ou non par l’utilisation de ces échelles, comme ont pu le faire les Dr Gicquel et Dr
Gaouyer auprès des internes en médecine générale (34,35). Je cherche à comprendre les
raisons pouvant motiver ou freiner un MKDE à mesurer la qualité de son alliance
thérapeutique avec son patient. Comme l’énonce Geneviève Imbert « la recherche
qualitative s’inscrit dans une logique compréhensive en privilégiant la description des
processus plutôt que l’explication des causes ; inductive, au sens où l’on acquiert la
compréhension du phénomène de manière progressive » (38). L’objectif est donc de
recueillir des témoignages de MKDE mettant en valeur leurs expériences, leurs croyances
et leurs représentations de la relation soignant-soigné.

15
4.1.2 Réalisation des entretiens
Différents facteurs ont impacté la réalisation des entretiens semi-directifs,
notamment le contexte et le cadre des entretiens.

4.1.2.1 Le cadre de réalisation des entretiens


A) Le lieu
Le lieu variait d’un entretien à l’autre. Il était déterminé en accord avec l’interrogé en
fonction de son organisation et de ce qui lui convenait au mieux. Pour des raisons
d’éloignement géographique, quatre des neuf entretiens se sont déroulés par téléphone ou
visioconférence. Les cinq autres ont été réalisés en présentiel soit dans le cabinet où le
kiné interrogé exerçait, soit au domicile de l’enquêteur. Le lieu choisi devait assurer une
zone d’intimité et de calme entre les deux acteurs de l’entretien. L’interviewé devait
pouvoir livrer son témoignage sans avoir l’impression d’être écouté et sans être
interrompu ou dérangé par des éléments extérieurs. Pour chacun des neuf entretiens
réalisés, le lieu dans lequel l’interrogé témoignait assurait un environnement calme,
favorisant l’écoute et l’échange entre les deux interlocuteurs.

B) Le moment

Tout comme pour le lieu, le cadre temporel de l’entretien était déterminé en accord
avec l’interrogé. Le créneau horaire devait être suffisamment long pour assurer le
déroulement complet de l’entretien et permettre à l’interrogé d’aborder tous les sujets
qu’il souhaitait sans empressement. Il était donc demandé aux interrogés de prévoir un
créneau de 45 minutes. Cette durée approximative fut déterminée à la suite d’un entretien
test réalisé le 14 décembre 2019 qui a duré trente-deux minutes. La date était
généralement choisie par l’interrogé, en fonction de son planning et de son organisation.
L’ensemble des entretiens s’est déroulé entre le 14 décembre 2019 et le 13 février 2020.

C) La mise en confiance

Comme le souligne Geneviève Imbert « La relation de confiance établie lors de cet


échange ou de cette interaction est d’importance fondamentale car elle conditionne la
richesse, la densité (qualité - authenticité, pertinence) du matériel collecté. » (38) Il était
donc primordial d’instaurer un environnement de confiance avec les différents
16
interlocuteurs. Pour cela, les participants furent approchés, une première fois sans
empressement (38), lors d’un appel téléphonique. Ce dernier avait pour objectif de
présenter le travail de recherche aux éventuels participants, de demander leur accord et
de déterminer le cadre spatio-temporel de l’entretien. Afin de maintenir ce climat de
confiance durant la réalisation de l’entretien, plusieurs étapes étaient planifiées et répétées
pour chacun d’entre eux. En premier lieu, comme l’entretien devait être enregistré, il était
nécessaire de solliciter l’accord des personnes interrogées en leur expliquant l’intérêt et
l’usage de cet enregistrement.

A la suite de ce premier échange, avant de commencer à interroger les participants,


une clarification et une explication du travail de recherche et de ses objectifs étaient
réalisées sous la forme d’une « lettre de présentation » (38) ou d’une « annonce » (39)
servant d’introduction à l’entretien. Celle-ci avait pour but de présenter l’enquêteur, le
thème de recherche, les questions et les objectifs de recherche. Ceci permettait de
redéfinir l’objectif de l’échange et de marquer le point de départ de l’entretien. Ainsi,
l’interviewé ne se retrouvait pas pris au dépourvu. Comme le dit Jean-Claude Combessie :
« Cette annonce initiale suffit parfois à amorcer l'entretien : la personne interrogée entre
dans le sujet, parle d'abondance et assure d'emblée la dynamique de l'entretien. » (39)

Afin de favoriser la qualité de l’échange et le sentiment d’écoute chez l’interrogé, une


prise de note systématique était effectuée en plus de l’enregistrement. Les questions de
relance, qu’elles soient improvisées ou non, étaient formulées de façon à répéter des
éléments apportés par le discours du participant. Ceci afin de manifester de l’intérêt pour
le discours de l’interrogé et de susciter des approfondissements ou des reformulations.

17
4.1.2.2 Le guide d’entretien
A) Construction du guide d’entretien

La conception et la validation d’un guide d’entretien était indispensables avant de


commencer à réaliser des entretiens auprès de professionnels. Après avoir réalisé une
première version de mon guide d’entretien, une présentation de celui-ci a été effectuée
auprès de ma directrice de mémoire et de ma formatrice référente. Grâce à elles, je me
suis rendu compte que mes questions ne laissaient pas suffisamment de liberté de réponse
aux personnes interrogées. Bien que j’utilisais des questions ouvertes, j’étais trop directif
et j’empêchais l’interviewé de développer sa réponse et donc de parler de son expérience
et de sa vision de la relation soignant-soigné.

Grâce à leurs conseils et à la lecture d’articles et de livres sur la recherche qualitative,


j’ai pu revoir mon guide d’entretien et proposer une nouvelle version (Annexe 1).
Plusieurs échanges et rendez-vous furent nécessaires pour corriger la syntaxe, garder ou
non certaines questions et assurer une cohérence dans le déroulement de l’entretien. En
effet, certaines questions ayant trop de similitudes, ont dû être retirées. J’ai donc prévu
des relances dans le guide d’entretien pour être sûr d’aborder tous les sujets utiles. Des
corrections furent également nécessaires pour éviter de commettre les mêmes erreurs que
dans la première version du guide, à savoir le manque de liberté de réponse dans les
questions proposées. Les questions étaient volontairement simples dans leur syntaxe et
suffisamment courtes pour ne pas orienter les acteurs de l’entretien et leur laisser une
liberté totale de réponse. Si des précisions étaient nécessaires, cela se faisait grâce aux
relances prévues dans le guide ou improvisées selon la situation.

B) Thèmes principaux du guide d’entretien

Durant les entretiens, quatre thèmes principaux étaient abordés avec les participants.
Chaque thème était traité par différentes questions directement posées à l’interrogé. Le
premier thème n’était pas destiné à être analysé, il permettait de lancer l’entretien en
invitant l’interrogé à parler de son parcours professionnel. Il permettait également
d’obtenir des éléments de contexte pour analyser les autres questions. Les thèmes abordés
sont les suivants :

18
 L’évolution de la pratique professionnelle : Ce thème s’intéresse au parcours
de formation et au parcours professionnel de l’interviewé, ainsi que la manière
dont sa pratique a pu évoluer, notamment en ce qui concerne l’aspect
relationnel avec le patient.
 La méthode d’approche des patients : Ce thème explore la manière dont le
kinésithérapeute tente de créer une relation soignant-soigné optimale avec le
patient et les stratégies qu’il utilise afin de favoriser l’alliance thérapeutique.
 La représentation de l’alliance thérapeutique : Ce thème a pour objectif de
comprendre la vision que le kinésithérapeute a de l’alliance thérapeutique et
l’importance qu’il y consacre.
 L’évaluation de l’alliance thérapeutique : Dans ce thème, il est question de
savoir si l’interrogé évalue l’alliance thérapeutique créée avec son patient et
l’intérêt que cela pourrait représenter dans sa pratique.

4.1.3 Recrutement de l’échantillon


A) Les critères d’inclusion

La population interrogée était exclusivement composée de masseur-kinésithérapeutes


diplômés d’état exerçant en libéral, ayant une expérience dans la prise en charge des
lombalgies chroniques et exerçant en Bretagne. Il existait cependant des diversités entre
les individus portant sur leur sexe, leur formation initiale, leur parcours de formation
continue ainsi que sur leur date d’obtention de leur diplôme.

Au sein de cette population, deux groupes ont pu être constitués.

 Le groupe 1, constitué de MKDE libéraux, prenant en charge des patients


atteints de lombalgies chroniques et étant formés à l’ETP.
 Le groupe 2, constitué de MKDE libéraux, prenant en charge des patients
atteints de lombalgies chroniques et n’étant pas formés à l’ETP.

Ces critères d’inclusion ont été déterminés pour différentes raisons. A l’origine, la
population interrogée ne devait être constituée que de MKDE ayant suivi la formation
ETP car cette formation met en avant « l’échange et la coopération avec le patient ». (36)
Il semblait donc plus simple de recueillir leur avis sur l’intérêt de l’évaluation de l’alliance
thérapeutique car c’est un domaine qu’ils maîtrisent. Mais à la suite d’un échange avec le

19
Docteur Lereste de la faculté de médecine de Brest, il m’a fait remarquer que l’échelle
qui m’a servi de point de départ pour mon questionnement (la WAI) est validée en
français (37) et est censée être utilisable par n’importe quel professionnel de santé.
Intégrer des MKDE non formés à l’ETP dans la population interrogée permettait, donc,
de définir de nouveaux objectifs, à savoir :

 Faire un état des lieux des connaissances des MKDE libéraux sur l’alliance
thérapeutique.
 Comparer les opinions des deux populations.

Le choix de l’exercice libéral comme critère d’inclusion provient d’une volonté de


recueillir l’avis de MKDE assurant le suivi de patients sur du long terme. En centre ou en
hôpital, les soins des patients lombalgiques chroniques peuvent être limités en termes de
durée, par exemple des séjours de trois semaines. En libéral, c’est le nombre de séances
qui peut être limité mais celles-ci s’étalent sur plusieurs semaines, à raison de deux ou
trois séances par semaine. C’était donc un choix personnel de ne pas inclure de MKDE
exerçant en structure car la relation avec les patients est différente du libéral. En structure,
le patient est en relation avec l’ensemble de l’équipe soignante, tandis qu’en libéral la
relation avec le kinésithérapeute est plus intime. Inclure des MKDE libéraux et salariés
aurait été une source de biais dans l’analyse des résultats.

B) Méthode de recrutement

Le recrutement des participants s’est déroulé en plusieurs étapes :

 La première étape fut de contacter les MKDE libéraux intervenant à l’IFMK


de Brest.
 La deuxième étape consistait à contacter les MKDE libéraux, connus dans
l’entourage de l’enquêteur, exerçant dans la région nord du Finistère.
 La troisième étape était centrée sur la recherche de MKDE libéraux formés à
l’ETP. Cette dernière fut possible grâce à l’aide de Magalie Turban, MKDE et
conseillère titulaire de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes des Côtes-
d’Armor.

La prise de contact s’est faite par mail ou par appel téléphonique. Au total, quatorze
masseur-kinésithérapeutes ont été contactés, et parmi eux, neuf répondaient aux critères

20
d’inclusion et souhaitaient participer à cette étude. Les cinq autres MKDE contactés n’ont
pas été inclus soit parce qu’ils ne répondaient pas aux critères d’inclusion, soit parce qu’ils
ne souhaitaient pas être interviewés.

4.1.4 Tableau récapitulatif des entretiens réalisés


Pour ce travail de recherche, neuf entretiens ont été réalisés et enregistrés avec l’accord
des participants. Comme convenu avec ces derniers, leur anonymat fut préservé et
l’utilisation de cet enregistrement fut réservée à la simple retranscription et aucune
utilisation n’en a été faite en dehors de ce cadre. Afin de respecter l’anonymat des
participants leurs prénoms ont été modifiés.

Tableau 1 : Groupe 1, Masseurs-kinésithérapeutes non formés à l’ETP


Institut de formation
Nom de l’interviewé Date du diplôme d’état
initiale
Elliot 2005 Nancy
Nathalie 2014 Rennes
Valérie 2000 Rennes
Emilien 2004 Rennes
Gabriel 2009 Rennes

Tableau 2 : Groupe 2, Masseurs-kinésithérapeutes formés à l’ETP


Institut de formation
Nom de l’interviewé Date du diplôme d’état
initiale
Elise 2002 Amiens
Virginie 1995 Rennes
Eléonore 1995 Dijon
Jeanne 1996 Orléans

21
4.2 La procédure d’analyse

Figure 1 : Grille d’analyse d’entretien par méthode verticale


(Source : Paul Tanguy, grille conçue le 02/03/2020)

ENTRETIENS
ENTRETIENS
Entretien A Interprétation
THEMES
THEMES
L’évolution de la pratique
professionnelle
Parcours professionnel A1 : « …………. » Interprétation sous-thème 1
Parcours de formation continue A2 : « …………. » Interprétation sous-thème 2
La méthode d’approche des
patients
Evolution de l’approche des patients A3 : « …………. » Interprétation sous-thème 3
Place du patient dans le soin A4 : « …………. » Interprétation sous-thème 4
Construction de la relation de soin A5 : « …………. » Interprétation sous-thème 5
La représentation de
l’alliance thérapeutique
Impact de l’alliance thérapeutique A6 : « …………. » Interprétation sous-thème 6
Importance consacrée à l’alliance A7 : « …………. » Interprétation sous-thème 7
thérapeutique
Particularités de la lombalgie A8 : « …………. » Interprétation sous-thème 8
chronique
L’évaluation de l’alliance
thérapeutique
Méthode d’évaluation actuelle A9 : « …………. » Interprétation sous-thème 9
Apport de l’évaluation objective A10 : « …………. » Interprétation sous-thème 10
Avis sur son utilisation A11 : « …………. » Interprétation sous-thème 11
Modalités d’utilisation A12 : « …………. » Interprétation sous-thème 12
Limites de l’évaluation A13 : « …………. » Interprétation sous-thème 13

Chacun des neuf entretiens réalisés a été retranscrit intégralement et étudié


individuellement selon une méthode d’analyse verticale (ou intra-interview). Le contenu
de chaque entretien a été sélectionné et répertorié dans une grille (figure 1). Ce tableau a
permis de classer les idées et les témoignages des interrogés selon des thèmes principaux,
définis en fonction des objectifs de recherche et du contenu des entretiens. Chaque

22
entretien fut associé à une lettre en suivant l’ordre alphabétique (A I) et chaque phrase
qui en était issue fut numérotée. L’ensemble des idées et témoignages ainsi recueillis ont
ensuite été interprétés. L’interprétation se basait sur l’identification, pour chacun des
thèmes, de « pattern » et de modèles connus. L’ensemble de ces patterns était recensé
dans la troisième colonne du tableau.

Dans un second temps, une analyse transversale (ou extra-interview) de l’ensemble


des entretiens a été réalisée en croisant les données récoltées pour chaque entretien (figure
2). Ceci afin de comparer les éléments abordés et de quantifier la redondance des éléments
similaires apportés. Les patterns étaient alors comparés les uns aux autres afin d’identifier
des tendances et des avis communs. Cette analyse transversale a été réalisée au sein du
groupe 1, du groupe 2 et pour l’ensemble des entretiens.

23
Figure 2 : Grille d’analyse par méthode transversale (source : Paul Tanguy, grille conçue le 02/03/2020)

23
4.3 Les limites de la méthode
Comme le souligne Geneviève Imbert « L’entrevue implique une dynamique
conversationnelle au cours de laquelle le chercheur et le répondant sont en interaction
susceptible de générer trois biais : les biais liés au dispositif de l’enquête, les biais
associés à leur situation sociale respective et les biais qui sont rattachés au contexte de
l’enquête » (38). Ici, le principal biais serait rattaché au contexte de l’enquête. En effet
tous les entretiens ne se sont pas déroulés dans le même cadre puisque quatre d’entre eux
ont été réalisés par téléphone ou visio-conférence. Cela diminuait la proximité entre les
deux interlocuteurs et impactait la communication, puisque des éléments tels que la
gestuelle ou le langage para-verbal n’étaient pas perçus.

Un autre biais, cette fois lié à la situation sociale, peut-être identifié dans cette étude.
En effet, six des neuf entretiens ont été réalisés avec des MKDE intervenant à l’IFMK
et/ou connaissant l’intervieweur. Il en résulte qu’une relation de confiance pouvait déjà
exister entre l’intervieweur et certains interrogés, facilitant donc la communication entre
eux. Cette proximité se manifestait durant les entretiens par l’usage du tutoiement et
l’utilisation d’expressions et d’analogies plus familières que lors des entretiens avec des
inconnus.

Le dernier biais constaté dans cette étude est en lien avec le dispositif de l’enquête et
porte sur le nombre d’entretiens réalisés. Au total, l’étude comprend neuf entretiens, il
s’agit donc d’un échantillon de taille faible, non représentatif et dont les résultats ne sont
pas généralisables.

24
5. Résultats
5.1 Evolution de la pratique professionnelle
Tableau 3 : Résultats des entretiens ; thème 1 : « Evolution de la pratique professionnelle » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020)
A B C D E F G H I
Début de carrière par deux Début de carrière en salariat Activité exclusivement Activité exclusivement Activité exclusivement Parcours exclusivement Parcours exclusivement Parcours exclusivement Carrière exclusivement
années de remplacement en dans un centre de libérale jusqu'en janvier libérale depuis l'obtention du libérale, de 1995 à 2010 libéral avec au début des libéral, début de carrière par libéral avec un début de libérale.
libéral à Brest. Suite à cela, rééducation spécialisée en 2018. Début d'une activité diplôme d'état. Début de principalement des remplacements et des deux années de carrière en remplacement
un an en salariat en centre de neurologie. Puis installation mixte en janvier 2018 (à la carrière en remplacement, remplacements et des assistanats puis une remplacement puis puis des assistanats.
rééducation fonctionnelle. en libéral. fois libérale et salariée d'une puis assistanat et associée. assistanats et à partir de 2010 installation à son compte. installation à son compte. Actuellement c'est son
Parcours Professionnel En suite quatre années association prévention) installation à son compte. deuxième assistanat.
d'assistanat dans un autre
cabinet liébral puis
installation à son compte en
libéral depuis trois ans.

Formations suivies: Thérapie Formations suivies: Formations suivies: Diplôme Formations suivies: Formations suivies: Thérapie Formations suivies: formation Formations suivies: Formations suivies: Master 2 Formations suivies:
manuelle, thérapie manuelle Formations liées à la d'ostéopathe, Master 2 en Certification Mckenzie, manuelle, uro-gynéco, fascia-thérapie, diplôme Formation Sohier, recherche en STAPS, Certification Mckenzie,
du rachis, thérapie manuelle prévention en entreprise à science de l'éducation, diplôme universitaire en formation en kinésithérapie universitaire de rééducation périnéale et formation kinésithérapie du Master 2 en sciences
Parcours de formation orthopédique, formation kiné ouest prévention. diplôme universitaire réhabilitation respiratoire, respiratoire, Master 2 science kinésithérapeute du sport, formation au stretching sport, formation sur le humaines et sociales et
continue "parlons douleur". Formation CGE. Début de d'ergonomie et formation formation ETP. de l'éducation et formation diplômed'ostéopathe. postural. contrôle moteur et formation diplôme d'ostéopathe.
certification Mckenzie ETP. ETP. neurodynamique.

25
5.2 La méthode d’approche des patients
Tableau 4 : Résultats des entretiens ; thème 2 : « La méthode d’approche des patients » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020)
A B C D E F G H I
Evolution constatée grâce à Evolution constatée sur la Evolution constaté, modulée Evolution constatée grâce au Evolution constatée. Prise de Evolution constatée, surtout Evolution constatée. Evolution constatée, Evolution constatée,
l'expérience et à son pratique, gros impact des par son expérience et ses parcours de formations. conscience quel'aspect à ses débuts, le temps de L’expérience permet de notamment grâce aux principalement grâce au
parcours de formations formations sur sa prise en formations. Prise de Evolution vers une prise en technique ne suffisait pas, prendre ses marques. Ne faciliter l’approche et la formations qu’elle a pu parcours de formations
continues. Plus d'attention charge. Passage d'une prise conscience d'un manque charge active, favorisant il lui fallait autre chose pour considère pas que son relation avec les patients. faire. Prise de conscience de continues. Gros impact de la
portée aux objectifs des en charge passive vers un malgré les connaissances l'adhésion du patient et sa se sentir efficace. Parcours de parcours de formations a eu Evolution surtout sur la prise l’importance de prendre le formation McKenzie qui l'a
patients et à leurs traitement actif favorisant la techniques. Evolution vers participation active. formations centré sur le un grand impact sur ses en compte des attentes des temps, notamment lors du fait passer d'une prise en
représentations des participation et l'adhésion un traitement actif en Education du patient. relationnel. Nécessité compétences relationnelles. patients confrontés à leurs bilan, pour construire une charge passive à la
La formation continue
douleurs. du patient au traitement. favorisant la participation et Définition des objectifs du d'accompagnement et Il a toujours eu une certaine besoins (ce qu’elle estime alliance thérapeutique. Prise recherche de la
au service de la relation
Prise de conscience de l'adhésion du patient. patient. Recherche de ce que d'éducation des patients. facilité avec les patients. être nécessaire pour eux, de conscience de participation du patient.
avec le patient
l'apport de connaissances le patient attend, ce qu'il Evolution constatée dans la c’est elle qui imagine les l’importance des attentes du Prise de conscience de
au patient. veut. Prise en charge du recherche de la besoins des patients). patient. l'importance des
patient dans sa globalité. participation du patient et représentations du patient
dans le contrat d'objectifs et de ses craintes.
partagés.

Niveau d'engagement
Collaboration Partenariat Partenariat Partenariat Partenariat Partenariat Collaboration Collaboration Partenariat
privilégié

Importance du temps de Importance du temps de Questions ouvertes, Importance du bilan. Favoriser le discours du Cherche à impliquer le Elle se construit grâce à un Temps de bilan important Confiance +++ Feed-back
bilan et d’interrogatoire, bilan, ça permet de montrer favoriser le discours du Ecoute du patient. Pris en patient, écoute active, patient au maximum dans la temps de bilan. Nécessité pour construire cette du patient. Elle cherche
favoriser la libre expression au patient qu’on s’intéresse à patient avant tout. Définition compte dans sa globalité, expression de son état et de prise en charge, cherche d’intégrer les attentes du relation, laisser le patient l’adhésion du patient au
du patient, écoute active, ce qu’il a et c’est un temps d’objectif avec le patient, aspects sociaux, ses attentes, place importante l’adhésion et la participation patient mais ne pas faire que parler au maximum, montrer traitement. Elle cherche à
vision globale du patient où on l’autorise à parler de contrat d’objectif. pathologiques et du bilan mêlé à une du patient à un traitement. ça. Contrat entre ce que le au patient qu’on a entendu et connaître et comprendre au
(prendre en compte son ses douleurs. Favoriser psychologiques. Expliquer le communication riche. Place importante de patient attend et ce que le compris son discours maximum son patient en le
environnement, sa vie), l’échange et l’écoute du fonctionnement du Contrat d’objectifs avec le l’interrogatoire pour cerner thérapeute veut lui faire faire. (reformulation). Elle questionnant sur ses
impact non négligeable de patient. Recherche de thérapeute et expliquer les patient. le patient (son tempérament) Laisser le patient parler, le cherche à recueillir les représentations et en lui
Les clés de la l’environnement de soin l’adhésion du patient dès la raisons des actes et des afin de s’adapter à son laisser dire tout ce qu’il a attentes du patient et à apportant des
construction de favorisant le dialogue et la première séance. Le temps de bilans. Encouragement, fonctionnement et favoriser envie de nous dire.Ca passe formuler des objectifs en connaissances. Elle respecte
l'alliance thérapeutique relation, expliquer l’intérêt bilan est aussi un temps demander son ressenti au son adhésion. Notion aussi par la prise en compte fonction de ses attentes. les représentations du patient
et objectif des tâches d’éducation, on apporte patient et évaluer son d’éducation et d’apport du des objectifs du patient. Ecoute active du patient et s’intéresse à ce qu’il
demandées au patient quelque-chose au patient. implication dans le kiné, expliquer pourquoi on Une partie de la relation est (non mentionnée mais pense. Notion de
Recherche du feed-back du traitement. propose tel ou tel chose au créée déjà avant la première présente). Responsabiliser communication centrale,
patient pour construire ses patient et lui expliquer sa séance car dans la majorité progressivement le patient d’écoute, de compréhension
séances. pathologie toujours afin de le des cas le patient ne vient pas (montrer qu’elle lui fait et d’accompagnement.
rendre acteur de sa prise en au hasard dans ce cabinet. confiance ) tout en
charge. l’accompagnant
(partenariat ).

26
5.3 La représentation de l’alliance thérapeutique
Tableau 5 : Résultats des entretiens ; thème 3 : « La représentation de l’alliance thérapeutique » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020)
A B C D E F G H I
L'alliance thérapeutique L'alliance thérapeutique L'alliance thérapeutique L'alliance conditionne L’alliance thérapeutique L’alliance thérapeutique L’alliance thérapeutique L'alliance thérapeutique va L'alliance est une relation de
conditionne le succès de la conditionne le succès de la permet d’impliquer le patient l’efficacité du traitement, si influence le résultat de la facilite la prise en charge permet d’améliorer la impacter le résultat de la confiance qui permet de
prise en charge car elle prise en charge par dans sa prise en charge et de pas d’alliance alors prise en charge, contrat car confiance mutuelle entre qualité de la prise en prise en charge, sans alliance responsabiliser le patient et
influence sa satisfaction et l’observance et l’adhésion le rendre responsable. traitement inefficace. permettant de se mettre les deux protagonistes. Le charge des patients en alors les résultats espérés ne qui assure sa participation
son adhésion le patient est du patient au traitement. Amélioration donc de L’alliance permet de créer un d’accord sur les objectifs, kinésithérapeute connait son l’adaptant aux problèmes, seront pas atteints. Elle va et son adhésion au
directement impliqué dans sa l’adhésion du patient et de contrat entre les deux et sur les moyens. Prise en patient, il sait quoi lui aux attentes du patient. Cela impacter les résultats car elle traitement. C’est donc un
prise en charge car c’est lui son observance au protagonistes, chacun charge adaptée favorisant proposer et le patient adhère permet donc de personnaliser va favoriser la point capital qu’elle cherche
L'Alliance thérapeutique, qui décide ce qu’il préfère traitement. Impact donc sur s’implique dans le adhésion. plus facilment à ses la prise en charge pour la participation et l’adhésion à obtenir dès la première
une plus-value à la prise en faire. le résultat de la prise en traitement (adhésion + propositions. Cela facilite la rendre plus efficace. du patient au traitement. séance. Cette alliance va
charge charge. observance). prise en charge, de plus les donc participer au résultat
informations recueillies sur le final de la prise en charge en
patient permettent de favorisant l’implication du
personnaliser les soins. Donc patient dans son traitement.
ici on a encore une notion
d’amélioration du résultat
par une amélioration de la
qualité de la prise en charge.

Place centrale, aussi Place centrale, base de la Centrale, importance Place centrale dans la prise Très importante, presque Plus d’importance Place importante, nécessaire Place importante consacrée Aussi importante que
importante que la prise en prise en charge. consacrée presque aussi en charge plus importante que l’aspect consacrée à l’aspect à la réussite du traitement. l’aspect technique car elle
L'importance de l'alliance charge technique. importante qu’aspect technique. technique de la prise en va également participer à la
thérapeutique dans la technique charge, pas convaincu que réussite de la prise en charge.
hiérarchie des valeurs l’aspect relationnel soit
professionnelles indispensable dans la réussite
d’un traitement.
Facteurs psycho-sociaux à Prise en charge longue, Gros vécu thérapeutique, Gros vécu médical et grosse Patients avec des croyances Difficulté de rendre le Prises en charge plus longues Plusieurs particularités constatées, Patients qui ont besoin d’être
prendre en compte, risque de lassitude de la représentation et croyance expérience de soin. et des représentations patient acteur de son que pour d’autres patients, la la première c’est la kinésiophobie, rassurés et accompagnés. Ce
ce qui entraine une nécessité d’être sont des patients qui ont souvent
comprendre représentations prise en charge. Prise en forte chez ces patients, Facteurs psycho-sociaux spécifiques, il faut prendre traitement, souvent, à cause pathologie est influencée par
accompagnés et rassurés, plus un très long passé de
et savoir du patient, auto- compte des croyances et nécessité de prendre en importants, nécessité de les en compte ces croyances et des douleurs chroniques, il des facteurs autres que que d’autres patients. On retrouve consultations et de prises en
prise en charge difficile, représentations des patients compte ces croyances pour prendre en compte mais ils accompagner le patient en attend surtout un traitement mécaniques. Chaque patient également des représentations et charge médicales en tout genre. Il
motivation fluctuante. et nécessité de les les intégrer à la prise en peuvent nous déstabiliser. lui apportant également passif. La particularité c’est a un profil différent donc il y des croyances fausses d’où la y a aussi tout un aspect psycho-
déconstruire. Contexte charge. Gros impact social Patients qui ont besoin d’être d’autres informations. donc un décalage entre ce a une nécessité de nécessité d’apporter des social qu’il faut prendre en
psycho-social particulier aussi sur la qualité de vie. accompagnés, soutenus et Place délicate qu’attend le patient et ce que comprendre cette connaissances à ces patients sur compte, d’où l’aspect essentiel de
leur corps, sur leur pathologie. Ce connaître les inquiétudes de son
La lombalgie chronique, avec incompréhension encouragés. d’accompagnant sans tout le thérapeute veut lui faire singularité pour le prendre
sont souvent des patients qui patient. Elle estime qu’elle doit
les particularités de la sociale et manque de apporter au patient mais en faire car il est convaincu que en charge. pensent qu’il ne leur faut que du énormément guider ses patients,
relation reconnaissance. l’incitant à modifier ses c’est ce qui est bien pour lui. traitement passif, ça fait aussi parti elle fait des retours avec eux sur ce
représentations. Il y a donc une nécessité de de l’éducation. qui s’est passé entre chaque
déconstruction des La dernière particularité c’est que séance, elle les encourage et elle
attendus de base et une mise la lombalgie peut facilement être essaye de leur faire prendre
en accord sur les objectifs de multifactorielle, influencée par des conscience régulièrement des
facteurs psycho-sociaux. progrès qu’ils font.
la prise en charge.

27
5.4 L’évaluation de l’alliance thérapeutique
Tableau 6 : Résultats des entretiens ; thème 4 : « L’évaluation de l’alliance thérapeutique » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020)
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Pas d’indicateur utilisé, pas Pas d’outil utilisé, Pas d’indicateur objectif Pas d’évaluation objective Evaluation de façon Evolution de l’état du Evaluation subjective, le Evaluation subjective, pas Elle n’utilise pas d’échelle
de connaissance de évaluation subjective grâce utilisé. Evaluation subjective réalisée. Evaluation subjective, pas connaissance patient, si le patient atteint patient se livre plus d’outil utilisé, elle se base ou d’indicateur, elle se base
l’existence d’échelle au comportement du patient basée sur le ressenti du subjective de cette relation de l’échelle de l’alliance ses objectifs. L’implication facilement, il recommande à sur le retour oral des sur le retour des patients (ce
utilisable, évaluation et à ses propos. Si alliance patient, sur sa participation par l’évaluation de thérapeutique. Cette des patients, est-ce qu’ils d’autres personnes de venir patients, satisfaction ou non qu’elle disait avant comme
subjective, au feeling et grâce diminue alors le patient a (adhésion et observance) et l’implication du patient dans évaluation subjective porte adhèrent à ce que le kiné a voir ce kiné. Si les résultats et adhésion au programme quoi elle demandait au
à l’échange avec le patient. moins d’observance et il se sur la qualité des échanges. sa prise en charge son sur la capacité du patient à pu proposer ? Il y a sont au rendez-vous alors d’auto-rééducation. Cette patient comment ça se passait
Elément déterminant = livre moins adhésion et son avancée par s’exprimer sur son ressenti, également un intérêt porté au c’est bon signe. Plus de adhésion est évaluée en entre les séances) et tient un
ressenti du patient sur rapport aux objectifs. Feed- son partage, il échange avec retour du patient sur ce que facilité à repérer quand ça ne demandant au patient de « journal » dans lequel elle
Evaluation l'alliance
l'évolution de la prise en back ressenti du patient sur le kiné, sentiment qu’il est le kiné lui propose. Et va pas. A ce moment-là le remontrer les exercices mis relate ce qui se passe à
thérapeutique, la
charge, observance du la prise en charge. intéressé et qu’il s’implique également une notion de patient ne s’investit pas en place avec le kiné, s’il chaque séance, permettant de
variété des méthodes
patient et investissement dans dans la prise en charge. recommandation, si le patient suffisamment dans le n’est pas investi dans le se souvenir de l’évolution de
utilisées
le traitement. recommande à d’autres traitement et n’adhère pas à programme il ne se souvient la prise en charge. Une de ses
personnes de venir voir ce la rééducation. pas des exercices. manières de se rendre compte
kiné c’est que la relation est que l’alliance n’est pas
bonne. bonne c’est lorsque le
patient aura tendance à ne
plus venir à ses rendez-vous,
à en oublier.

Gros intérêt dans la remise Remise en question, détecter Intérêt personnel. Intérêt Permettrait l’évaluation Intéressant car permettrait de Permettrait de se remettre en Elle n’y voit pas un grand Evaluation personnelle, Intérêt dans la remise en
en question, objectiver une le moment ou l’alliance n’est énorme pour éviter de perdre objective d’une donnée qui se remettre en question, question, de s’assurer que la intérêt, elle pense se remettre permettrait une remise en question ou la confirmation
donnée qui, jusque-là, était pas bonne et ou on risque de un patient, repérer quand la jusque-là restait subjective. savoir si on ne se trompe pas. relation est bonne. Objectiver en question suffisamment et question et de donner des de la création de l’alliance :
évaluée à l’instinct. Utiliser perdre en efficacité. relation se dégrade et agir en Connaître l’état de notre Permettrait d’évaluer sa une valeur subjective et fait confiance à son instinct. pistes si l’alliance ne se crée savoir si on est sur la bonne
comme bilan. Si résultat conséquence, donc ça relation avec le patient, et pratique et de corriger sa adapter la prise en charge en pas avec un patient. A la fois voie ou s’il faut qu’on
négatif, correction de ce qui permettrait de corriger ça. savoir comment s’améliorer relation avec le patient. fonction. savoir avec quel patient il change d’approche avec un
n’a pas été. (mentionné un peu plus tard Objectiver une donnée qui faudrait revoir l’approche et patient.Cela permettrait de
Evaluation objective de dans les limites) jusque-là n’était que recrée une alliance et rassurer le thérapeute et de
l'AT, l'apport à la prise subjective ou ressenti. comment faire (sur quel ne pas avoir de mauvaise
en charge points insister). Ça lui surprise. Dans le cas où la
permettrait aussi d’avoir plus relation n’est pas optimale ça
de facilité avec certains permettrait au thérapeute de
profils de patients, avec qui, comprendre pourquoi il
d’habitude, ça ne passe pas. n’arrive pas à avoir de
Lui donner de nouvelles résultat et de trouver des
armes. façons de s’améliorer.

Avis favorable à son Avis favorable à son Avis favorable Avis favorable Avis favorable à son Intéressant, mais tâche Ne l’utiliserait pas. Elle dit que l’outil pourrait Avis positif
Evaluation objective de utilisation utilisation. utilisation. laborieuse à faire représenter un intérêt à la
l'AT, l'avis des régulièrement. Trouve le prise en charge mais elle ne
professionnels principe intéressant mais ne dit pas clairement qu’elle
se voit pas l’utiliser. l’utiliserait.

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Tableau 7 : Résultats des entretiens ; thème 4 : « L’évaluation de l’alliance thérapeutique » (Source : Paul Tanguy ; tableau conçu le 18/03/2020)

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Utilisation régulière, Intégrer cette évaluation au Utilisation à des moments Thème non abordé durant Utilisation similaire à un Thème non abordée car Thème non abordé et non Thème non abordée durant Utilisation similaire à un
couplée à un bilan, associée bilan, utiliser au bout d’une clés tout comme un bilan, l’entretien bilan, utilisée à intervalle avis mitigé sur intérêt de abordable car l’interrogée cet entretien. bilan, permettant de
à une évaluation subjective à dizaine de séance après le quand il y a un sentiment de réguliers, comme une l’utilisation ne voit pas l’intérêt comprendre ce qui n’a pas
Evaluation objective de chaque séance. début de la prise en charge. changement dans la situation. évaluation de sa pratique. d’utilisation de l’échelle. été et de réaxer la prise en
l'AT, les modalités Nécessité d’expliquer Objectiver un ressenti, charge et la relation entre les
d'utilisation l’intérêt de son utilisation au objectiver une évaluation deux.
patient. subjective.

Evaluation biaisée par le fait Chronophage, demanderait Thème non abordé durant Il faut que ce questionnaire Tâche fastidieuse, surtout si Tâche fastidieuse. Intérêt que Non abordée car la raison Si on constate des difficultés Thème non abordé
que le kiné soit aussi beaucoup de rigueur chez le l’entretien permette de définir des elle est ajoutée à une si l’outil permet d’aider à de la non-utilisation est un dans la création de la
l’évaluateur, le patient kiné et le patient donc gros objectifs d’amélioration. multitude de bilans. s’améliorer, savoir comment ressenti personnel, elle ne relation, il faudrait que
risquerait de ne pas être risque de ne pas s’en servir Sinon intérêt limité rattraper la situation. Ce ne pense pas en avoir besoin. l’outil donne les solutions
100% honnête. sera pas un outil miracle, pour s’améliorer.
avec certains patients tu as
Evaluation objective de beau faire tout ce que tu
l'AT, les difficultés de veux, prendre en compte
mise en place
leurs objectifs et les intégrer
dans la prise en charge ça ne
passera pas donc que faire
dans ces situations ?.

29
6. Analyse des résultats :
6.1 La formation continue au service de la relation avec le patient
Les participants à l’enquête ont tout d’abord été questionnés sur leur évolution en ce
qui concerne l’approche des patients et la construction d’une relation avec eux. L’objectif
était de mettre en évidence l’impact de l’expérience professionnelle sur leur capacité à
créer un lien avec leur patient.

Sur les neuf MKDE interrogés, tous ont constaté une évolution dans leur façon d’aborder
les patients et dans leurs démarches durant les premières séances avec eux. Une majorité
associe cette évolution à une modification de leur attitude et de leur discours envers les
patients.

Hormis la formation ETP, des formations communes ont pu être identifiées chez les
kinésithérapeutes participant à l’étude. Sur les neuf interrogés, quatre d’entre eux ont
suivi la certification Mckenzie, et trois ont obtenu un diplôme d’ostéopathe.

Il est intéressant de constater, chez une majorité des interrogés, une idée commune : il
semblerait que leur parcours de formation continue ait eu un impact non négligeable sur
leur pratique professionnelle et sur leur approche des patients. «Probablement que
pendant une bonne dizaine d’années j’étais dans le soin où c’est moi qui allais vraiment
tout apporter au patient et j’étais assez peu dans le partage. Et ce sentiment de ne pas y
arriver de ce point de vue-là, m’a poussé à m’intéresser à l’éducatif et à la prévention.
Donc c’est pour ça que petit à petit j’évolue, moi on m’aurait parlé de l’alliance
thérapeutique il y quatre ou cinq ans, je ne savais même pas ce que ça voulait dire. ». Le
témoignage de Virginie apporte deux nouveaux éléments. Tout d’abord il s’avère que le
terme « alliance thérapeutique » ne soit pas universellement connu chez les MKDE. Et
dans un second temps, il apparaît que sa maîtrise du sujet lui vienne de ses formations
complémentaires et non de sa formation initiale. Il semblerait que cette opinion soit
partagée par d’autres MKDE. Car on retrouve un discours similaire chez Eléonore
« Alors, mon approche des patients a beaucoup évolué du fait qu’à mon époque la
formation initiale n’était pas très orientée sur toutes ces notions d’éducation, d’auto-
traitement, de motivation du patient, etc. Donc c’est vraiment grâce à mes formations que
ma prise en charge a évolué. ». Ces deux témoignages ne sont pas des cas isolés, plusieurs
autres participants de l’étude ont affirmé que l’évolution de leur approche était
principalement liée à leur parcours de formation continue. Il peut donc être intéressant

30
d’étudier leur contenu de formation initiale. Tous les kinésithérapeutes interrogés ont
obtenu leur diplôme d’état entre 1995 et 2014. Cela signifie que leur programme de
formation initiale dépendait, pour tous, de la réforme de 1989. En comparant les
programmes de formation issus de la réforme de 1989 (40) et de celle de 2015 (41), on
ne peut pas objectivement tirer de conclusion sur une différence de volume horaire
consacré à la psycho-sociologie entre les deux programmes. En effet le programme de
1989 consacre 40 heures à ce module d’enseignement, en deuxième et troisième année,
auxquelles s’ajoute un volume horaire indéterminé issu du module 3 (pathologies et
psychologies) de première année. Le programme de 2015 consacre 60 heures à la SSH
(sciences humaines et sociales) durant les deux premières années. Cependant, l’IFMK de
Brest inclut quarante heures de formation à l’ETP durant la quatrième année. On peut
donc constater, depuis la réforme de 2015, une volonté d’approfondir les connaissances
et les compétences relationnelles chez les étudiants MK.

6.2 Les clés de la construction de l’alliance thérapeutique


Dans un deuxième temps, les personnes interrogées ont été invitées à réfléchir sur les
techniques d’approche qu’elles mettaient en place afin de construire une alliance
thérapeutique avec leur patient. Comme le terme « alliance thérapeutique » n’était pas
forcément compris de tous, il a été décidé, lors de la construction du guide d’entretien, de
remplacer ce dernier par les termes « relation et cadre de soin optimal ». Cette deuxième
question ressemble quelque peu à la première, ici l’objectif étant de connaître les éléments
que le MKDE privilégiait dans la création d’une relation soignant-soigné. Il était fréquent
que cette deuxième question force les interviewés à répéter des idées évoquées dans la
première.

Chaque MKDE apportait les éléments qui lui semblaient essentiels pour créer une
alliance thérapeutique avec son patient. Sur les neuf entretiens réalisés, deux idées étaient
récurrentes et revenaient fréquemment dans le discours des interrogés : La place
importante qu’occupe le bilan MK et le fait de favoriser le discours du patient. « En fait,
pour la première séance, c’est ce que je disais sur la partie bilan, c’est là où je vais avoir
un bilan structuré. Je vais les laisser parler au maximum, reformuler pour leur montrer
que j’ai compris ce qu’ils pouvaient me dire et puis essayer de faire formuler leurs
attentes par rapport aux soins, parce que des fois ça peut être assez flou. Et après, tout
au long de ma prise en charge, je dirais que je le fais surtout en les responsabilisant vis-
31
à-vis de leur traitement. ». Ici, Nathalie met l’accent sur la réalisation de son bilan et sur
le discours du patient. Elle incite le patient à parler au maximum et elle cherche à lui
montrer qu’elle écoute ses propos en reformulant ses réponses. Tous ces éléments
favorisent la compréhension de la demande du patient et inévitablement le développement
d’une empathie chez le thérapeute. Cette vision est défendue par Michel Gedda dans son
article Diagnostic masso-kinésithérapique : mystifications ou vérités (42). Le
kinésithérapeute établit une relation privilégiée avec le patient ce qui entraîne une prise
en compte de sa personnalité et de son intimité. Ce qui permet de clarifier l’attente du
patient afin de définir des objectifs cohérents pour chaque patient. Tous ces éléments font
écho à la vision de Gaston (43) en 1990 qui définissait l’alliance thérapeutique comme
une notion multidimensionnelle influencée par quatre facteurs complémentaires et
compatibles. En plus du lien affectif, de l’accord sur les tâches et l’accord sur les objectifs,
déjà décrits par Bordin en 1979 (14), il rajoute un nouvel élément, à savoir, l’implication
et la compréhension empathique du thérapeute. Plusieurs des interrogés mentionnaient,
eux aussi, la technique de « l’écoute active », par exemple : « j’essaye de me taire, je me
fais violence car je suis une bavarde, c’est moi que j’essaye de corriger, déjà pour mettre
en place ce que j’ai appris à nommer « l’écoute active » dans la relation de soin ». Avec
ce témoignage, Virginie partage la même vision que Nathalie, à savoir favoriser le
discours du patient afin de comprendre l’ensemble de son problème et de le prendre en
charge dans sa globalité.

Une autre notion très fréquemment abordée par les interrogés est celle des attentes du
patient et des objectifs de prise en charge. « Je pense que maintenant je prends beaucoup
plus en compte les objectifs du patient. Ce que je ne faisais pas forcément au départ, je
considérais que leurs objectifs c’était juste de ne plus avoir mal et c’est tout. ». Ici,
Gabriel témoigne qu’au fil de son expérience, il porte de plus en plus attention aux
attentes de son patient et qu’il sollicite davantage son avis et ses choix dans la
planification du traitement. Cette démarche permet de favoriser l’intégration du patient
dans la prise en charge. Il n’est plus simplement consommateur de soin, il construit le
plan de soin au même titre que le kinésithérapeute. On retrouve alors un partage de la
décision permettant d’ajuster la prise en charge à la singularité du patient. Cette démarche
peut, elle aussi, être mise en relation avec la description de l’alliance thérapeutique faite
par Bordin en 1979 (14). Ce dernier définit trois dimensions essentielles dans la
construction de l’alliance thérapeutique, à savoir : l’accord sur les objectifs, l’accord sur

32
les tâches et le lien affectif entre le patient et le praticien. Cette description est toujours
d’actualité. On retrouve la place centrale de la négociation des objectifs dans des articles
plus récents, par exemple dans l’article Pas de kinésithérapie sans éducation
thérapeutique (44). Dans cet article, Michel Gedda soutient l’importance que représente
la décision partagée des objectifs pour une prise en charge adaptée et individualisée. Elle
contraint le patient à sortir d’un rôle passif et de le faire participer à son amélioration.

Certains MKDE interrogés attachent de l’importance à enrichir les connaissances du


patient pendant leur approche. C’est le cas d’Emilien : « Mais il y a aussi quelque chose
de très important, pour moi dans le Bilan Diagnostic Kinésithérapique (BDK) : je mets
aussi le côté « apprendre au patient ce qu’il a », « Pourquoi vous avez mal ? ». Parce
qu’il faut être réaliste, les médecins prennent peu le temps d’expliquer pourquoi. Ils
donnent le diagnostic, ils donnent le traitement, mais souvent ça ne va pas plus loin. Il
manque quelque chose. Quand les gens ont mal depuis longtemps ils cherchent des
réponses, et c’est normal. ». On retrouve ici cette notion d’éducation du patient visant à
lui donner les clés pour comprendre son mal et favoriser son engagement dans le
traitement. Cette idée est, elle aussi, soutenue par les propos de Michel Gedda dans son
article Pas de kinésithérapie sans éducation thérapeutique (44). L’échange entre le
kinésithérapeute et le patient permet au premier d’avoir accès aux connaissances et aux
représentations du second. Son bilan contient, alors, un « diagnostic éducatif », lui
permettant de repérer les connaissances qu’il devra apporter au patient pour favoriser son
autonomie et son engagement dans le traitement.

Il existe plusieurs niveaux d’engagement dans une prise en charge. Le « modèle de


Montréal » (45) propose un continuum de l’engagement des patients allant de la simple
relation d’information à la relation de partenariat. Cette dernière étant caractérisée, pour
le domaine des soins directs, par un accompagnement visant à donner aux patients les
capacités nécessaires pour gérer lui-même sa santé.

33
Figure 3 : Cadre théorique du continuum de l’engagement des patients inspiré de Carman et al.
(46) ; image issue de l’article Le « Montreal Model » enjeux du partenariat relationnel entre patient et
professionnel de santé (45) disponible sur Cairn.info

Il est intéressant ici de comprendre le lien entre alliance thérapeutique et engagement.


Selon Antoine Bioy, l’alliance thérapeutique correspond à une « collaboration mutuelle,
un partenariat entre le thérapeute et le patient dans le but d’accomplir les objectifs fixés »
(13). Cette alliance serait variable dans le temps. Il la qualifie d’un « processus
constamment en mouvement et qui se constitue de moments de ruptures et de réparations
de l’alliance ». L’engagement, quant à lui, dépend du lien affectif entre le soignant et le
soigné : l’une des trois dimensions de l’alliance thérapeutique selon Bordin (14). Cet
engagement serait déterminé durant les premières séances, il serait crucial et constituerait
la base solide de l’alliance thérapeutique. La notion d’éducation du patient intervient dans
le processus d’engagement et occupe donc une place clé et tout à fait légitime dans la
construction de l’alliance thérapeutique. Cette notion est également partagée par Elliot
« Donc, c’est important pour avoir la confiance de quelqu’un et pour créer une relation
dans le soin que la personne comprenne bien sa pathologie. A partir de là, si le patient
comprend bien sa pathologie, ça facilite les échanges, la réalisation des exercices et

34
l’observance des patients. ». Globalement, au vu de leurs discours, l’ensemble des
interrogés favorisait un engagement fort chez leurs patients, allant de la collaboration au
partenariat (45).

En plus de ces idées, d’autres éléments ponctuels étaient apportés par d’autres MKDE.
« Je pense que créer une relation de confiance avec un patient, ça passe aussi par
l’environnement... Le fait que la pièce soit agréable, le fait qu’on soit assis face à face
avec le patient, je pense qu’on se met dans de bonnes conditions pour le dialogue. ».
Durant son entretien, Gabriel soulignait l’importance de l’environnement lors des
échanges avec le patient, disant qu’un cadre serein et agréable favorise le dialogue entre
les deux individus. Il fut le seul, durant les entretiens, à évoquer cette idée. Cependant
elle est également retrouvée dans un article de Maximilien Bachelart et Antoine Bioy
(47), dans lequel ils affirment que la construction et le devenir de l’alliance thérapeutique
vont être impactés par trois facteurs : le patient, le praticien et l’environnement.

Jusque-là, les éléments rapportés par les MKDE concernaient surtout leur méthode
d’approche durant la première séance. Quand il leur était demandé ce qu’ils mettaient en
place tout au long de la prise en charge, d’autres éléments apparaissaient. « Moi,
j’explique énormément ce que je fais, quand je travaille, pour que les patients
comprennent pourquoi on fait ces choses, pour que les gens comprennent, au niveau
anatomique, ce qu’il se passe dans leur corps. ». Ici Elliot introduit une notion
intéressante, à savoir : la justification de ses actes et surtout la justification des tâches
qu’il demande à ses patients. Encore une fois, cette notion peut être mise en relation avec
la définition de l’alliance thérapeutique faite par Bordin en 1979 (14), plus précisément
avec la dimension de l’accord sur les tâches. Le fait d’expliquer l’intérêt de chaque tâche
permet au patient de s’approprier ce qui lui est demandé de faire et donc de l’intégrer au
maximum dans sa prise en charge. Cet accord sur les tâches à effectuer se retrouvait
également dans le discours d’autres MKDE : « Et puis après, je n’ai jamais de plan fait
à l’avance, je le fais à la séance, c’est le retour de la séance suivante qui va me dire ce
que je vais faire. ». On retrouve, ici, dans le discours d’Emilien la notion de recherche de
feed-back du patient, permettant d’ajuster le déroulement du traitement et de se mettre
d’accord avec le patient sur ce qu’il peut réaliser ou non.

Au vu de l’ensemble des éléments apportés par les interrogés, la comparaison de ces


résultats avec ceux d’un article rédigé par Maxi Miciak (48) semble inévitable. Cet article
traite d’une étude qualitative dont l’objectif était d’identifier les différents moyens utilisés
35
par les kinésithérapeutes pour créer un lien avec leurs patients. Durant cette étude, onze
kinésithérapeutes et sept patients furent interrogés à propos de leur ressenti dans la
relation thérapeutique. On retrouve un nombre important d’idées similaires comme par
exemple : l’accord sur les objectifs, l’écoute du patient, la singularité de l’approche
thérapeutique (centrée sur les attentes du patient), l’éducation du patient et l’implication
du patient dans le traitement.

6.3 L’alliance thérapeutique, une plus-value à la prise en charge


Les MKDE ont été interrogés sur la place qu’occupait la relation avec le patient dans
leur prise en charge et ce qu’elle pouvait leur apporter. L’objectif de cette question était
de recueillir leur représentation de l’alliance thérapeutique et de comprendre l’importance
qu’ils y consacraient. Tous ont répondu que la relation créée avec leur patient avait un
impact sur leur prise en charge et qu’elle influençait positivement les résultats du
traitement. Cette plus-value de l’alliance thérapeutique dans l’efficacité des soins est
décrite par certains auteurs comme un effet placebo (1) : sous entendant qu’une part de
l’efficacité de la prise en charge serait indépendante du traitement mis en place et
indépendante de l’évolution naturelle de la maladie (49).

« Pour moi, la relation influence, je pense, le vécu ou la satisfaction du patient. Ce sont


des notions dont j’ai entendu parler. Et cette satisfaction-là peut influencer les résultats
thérapeutiques. C’est-à-dire que n’importe quelle technique que l’on met en place va
avoir plus d’efficacité si elle est rattachée à la satisfaction du patient. En fait, ce sont les
effets contextuels qui ont quasiment autant de place que l’effet propre des techniques.
Donc pour moi, c’est ça dont il faut prendre extrêmement soin : créer une bonne relation
de soin sinon les meilleures techniques du monde n’auront pas leur effet optimal. ». Dans
son témoignage, Gabriel estime que la relation qu’il crée avec son patient améliore
l’efficacité de sa prise en charge. Selon lui, la technique en elle-même ne peut pas, à elle-
seule, expliquer les résultats obtenus. Ces résultats sont impactés par d’autres éléments
dont l’alliance thérapeutique ferait partie. Cette vision de l’effet de l’alliance
thérapeutique fait écho à plusieurs études intégrées dans une revue systématique de
littérature (17). Dans cette revue, sur les sept études analysées, trois avaient pour objectif
de montrer l’impact de l’alliance thérapeutique sur les résultats de séances de
kinésithérapie à visée antalgique. Les conclusions de cette revue montrent que pour des
prises en charge individuelles en kinésithérapie, une forte alliance thérapeutique améliore
36
les résultats sur la douleur. Il est également intéressant de souligner le terme « effets
contextuels » mentionné par Gabriel. Ces derniers font référence aux éléments régissant
les effets placebo et nocebo. L’effet nocebo est l’exact opposé de l’effet placebo, c’est
une modulation négative des résultats d’une prise en charge par les effets contextuels. En
réalité, on désigne sous le nom d’effets contextuels l’ensemble des éléments pouvant
influencer le résultat de la prise en charge (49) ; la qualité de l’alliance thérapeutique en
fait partie.

Comme dit précédemment, l’ensemble des interrogés partageaient le même avis quant
à l’impact de l’alliance thérapeutique sur leur prise en charge. Il est cependant intéressant
de constater que l’explication sous-jacente à ce phénomène puisse varier d’un MKDE à
l’autre. Après analyse de chaque entretien, il apparait que l’ensemble des explications des
interrogés sur ce phénomène puisse être classé en trois groupes : l’adhésion du patient, la
singularité du patient et l’effet nocebo.

6.3.1 L’impact de l’alliance thérapeutique sur l’adhésion du patient


La première explication veut qu’une forte alliance thérapeutique favorise l’adhésion et
la participation du patient à son traitement. « Et qu’est-ce que la relation apporte à la
prise en charge ? Ben, tout simplement, une meilleure intégration de la part du patient,
de son souci, et il va mieux répondre et mieux comprendre l’intérêt des exercices aussi
derrière. Donc, il y aura un meilleur suivi de son auto-rééducation. ». Nathalie semble
convaincue qu’avoir une bonne relation avec son patient va lui permettre de se mettre
d’accord avec lui sur les tâches à réaliser et donc va ainsi favoriser son adhésion et son
observance au traitement. Cette explication fait directement référence aux facteurs
comportementaux non spécifiques présentés dans un article nommé « l’effet placebo en
kinésithérapie » (49). Il s’agit d’une revue systématique ayant pour objectif de présenter
les différentes manifestations de l’effet placebo dans le domaine médical. Dans le cas des
facteurs comportementaux non spécifiques : il s’agirait de modifications du
comportement des patients les poussant à s’impliquer davantage dans leur traitement leur
donnant ainsi « les moyens de lutter contre leur maladie, et de réduire leur anxiété en les
rendant maîtres de leur santé. ». Cette idée a également été mise en évidence dans de
récentes études qualitatives : comme celle menée par Moore et al (50) et celle menée par
Meade et al (51). Dans ces deux études l’objectif était d’identifier les barrières et les
facteurs favorisant l’adhésion à un programme d’exercices. La première étude
37
s’intéressait à des patients souffrant de douleurs de genoux et la seconde à des patients
ayant des douleurs musculo-squelettiques chroniques. Les deux études arrivent à des
conclusions similaires : la force de l’alliance thérapeutique est un facteur favorisant
l’adhésion des patients au traitement proposé. Cette conclusion était déjà présente dans
deux études réalisées par Fuentes et al dans les années 2000 (52,53). Elle peut être mise
en relation avec un autre article, rédigé par Holman en 2000 qui affirme que l’efficacité
d’une prise en charge est améliorée lorsque le patient et le thérapeute collaborent dans la
mise en place du traitement (54). La confrontation de ces articles est intéressante à mettre
en relation avec les témoignages des interrogés. On retrouve des idées similaires à propos
de l’impact de l’alliance thérapeutique sur l’adhésion du patient qui, elle, a un effet sur
l’efficacité de la prise en charge.

6.3.2 L’impact de l’alliance thérapeutique sur la singularité du patient


La deuxième explication véhiculée par les MKDE interrogés concernait les attentes du
patient. « C’est une relation de confiance. Je dois comprendre dès la première séance
que le patient me fait confiance dans ce que je lui dis, dans ce que je lui apporte comme
savoir et connaissance, et dans ce que je lui demande de faire tout seul à domicile… La
relation, j’insisterai et je me répète encore une fois, c’est une relation de confiance avant
tout : “confiance en ce que vous me dites de faire“ quand je me place à la place du
patient ». Dans le discours de Jeanne, on trouve une explication qui est, cette fois, plus
focalisée sur le point de vue du patient. Selon elle, l’alliance qu’elle va construire avec
son patient est basée sur une confiance mutuelle. Ainsi, son patient aura confiance en ce
qu’elle lui propose et il aura donc des attentes positives vis-à-vis de son traitement. Cette
notion est également défendue par Jean-Marc Randin dans son article soignant-soigné,
un équilibre si délicat (55) en reprenant les propos de Carl Rogers (15). Cette notion
d’attente positive est une autre manifestation de l’effet placebo dans le domaine de la
santé. Lorsque le patient fait confiance à son thérapeute, et qu’il estime que ce qu’il lui
propose va avoir un effet bénéfique sur son problème de santé, l’efficacité de la prise en
charge va être influencée positivement. (49) Cette explication est reprise dans un article
nommé Psychological factors in the context of perioperative knee and joint pain: the role
of treatment expectations in pain evolvement (56), dans lequel les auteurs présentent
l’impact des facteurs psychologiques d’attente positive sur les douleurs chroniques de
genou. Cet article présente les résultats d’une étude, dans laquelle, deux groupes étaient

38
constitués. Un groupe recevait un traitement chirurgical vrai et l’autre seulement un
traitement chirurgical placebo (seulement l’arthroscopie était réalisée). Les résultats de
l’étude montrent que les deux groupes constataient une diminution des douleurs.

6.3.3 L’effet nocebo


La dernière explication était une référence à l’effet nocebo. « Si la relation ne s’établit
pas, le traitement va à l’échec assez rapidement, enfin assez naturellement. Il y a vraiment
ce besoin de créer une relation avec le patient, qu’il ait entendu que je l’écoute mais
qu’en même temps, moi aussi, j’attends des choses de lui. ». Selon Eléonore, l’absence
d’alliance thérapeutique ou une alliance de mauvaise qualité pourrait impacter
négativement les résultats du traitement. Cette réflexion, partagée par d’autres interrogés,
est intéressante car elle sous-entend que l’alliance ne serait pas qu’un simple bonus à la
prise en charge. Elle aurait aussi un rôle de modulateur de l’efficacité du traitement. Une
mauvaise alliance thérapeutique diminuerait l’efficacité d’un traitement tandis qu’une
forte alliance thérapeutique l’augmenterait. On parle alors d’effet nocebo lorsque les
effets contextuels modulent négativement les effets du traitement (49). Cette idée est
également partagée par Emilien : « La grande majorité des échecs thérapeutiques que
l’on a c’est parce qu’il n’y pas d’alliance justement. C’est ça le problème. D’ailleurs,
soit ce sont des gens qui vont rentrer dans la chronicité, soit ce sont des gens que l’on va
perdre. Quand je dis perdre c’est-à-dire que l’on n’a plus la confiance, donc ils stoppent
les séances alors qu’ils ne sont pas du tout guéris. Mais il y a un fatalisme : « Pour moi
vous ne me comprenez pas. ». ». Si on reprend l’idée de confiance et d’attente du
traitement que nous avons vu précédemment, on se rend compte que la situation inverse
peut exister. Le manque de confiance du patient envers son thérapeute entraînera
inévitablement une absence d’attente ou des attentes négatives vis-à-vis de son traitement.
Ces deux états d’esprit sont des mécanismes sous-jacents de l’effet nocebo (49).

Les témoignages des interrogés peuvent être mis en relation avec l’étude de Fuentes et al
(57). C’est une étude contrôlée randomisée dont l’objectif est de comparer les effets d’une
forte alliance thérapeutique et d’une faible alliance thérapeutique sur la diminution de la
douleur chez des patients souffrant de lombalgie chronique. Cette étude conclut que la
force de l’alliance thérapeutique influence l’évolution de la douleur. Les groupes ayant
reçu une forte alliance thérapeutique ont vu leur douleur diminuer de façon plus
importante que ceux ayant reçu une faible alliance thérapeutique.
39
6.3.4 La place de l’alliance thérapeutique dans la hiérarchie des valeurs
professionnelles
Comme mentionnée précédemment, la question posée aux interrogés comprenait deux
éléments. Le premier avait pour objectif de recueillir l’avis du MKDE sur ce que l’alliance
thérapeutique apportait à sa prise en charge. Le second avait pour but de connaître
l’importance que l’interrogé accordait à la création de cette alliance dans sa pratique.

« Elle est centrale, et elle est devenue vraiment centrale au fur et à mesure des formations
complémentaires que j’ai pu faire et validée par mon expérience de terrain.». Les
formations ont un impact considérable sur l’évolution de la pratique professionnelle.
C’est le cas d’Elise qui témoigne accorder une place centrale à la création de l’alliance
thérapeutique. L’importance qu’elle y consacre semble avoir été influencée par les
formations qu’elle a pu faire, à savoir la formation ETP. Elle avait déjà fait référence à
l’impact de son parcours de formations sur son approche des patients. « Ce qui explique
aussi mon parcours de formation. De la technique, je suis allée chercher un diplôme
d’ostéopathe qui s’est révélé intéressant mais non suffisant. Ce qui m’a amenée à
chercher des formations qui approfondissent la relation humaine et, justement, la quête
de l’alliance thérapeutique. ». On retrouve cette idée de place centrale qu’occupe
l’alliance dans sa pratique et qui était l’élément, semble-t-il, manquant pour compléter
ses compétences techniques. Même si cette vision est partagée par la majorité des MKDE
interrogés, tous ne partagent pas cet avis. « Je ne sais pas si la relation va avoir une
énorme influence sur le côté technique ou pas. Après, il y a des patients avec qui tu
n’arrives pas trop à communiquer, parce qu’ils sont timides ou parce qu’ils ne parlent
pas beaucoup. Cela n’empêche pas de réussir quand-même à faire ce que tu veux alors
que la communication n’est pas forcément optimum.». Ici Elliot semble avoir un avis plus
mitigé sur la place qu’occupe l’alliance thérapeutique dans son exercice professionnel.
Même s’il partage l’avis des autres interrogés sur l’impact bénéfique qu’elle peut avoir
sur les résultats, il semble considérer qu’elle n’est pas indispensable à la réussite d’un
traitement. Il prend notamment l’exemple d’un patient non-communicant avec qui
l’échange est plus compliqué, pourtant la mise en place et la réussite d’un traitement est
tout à fait possible. Cette philosophie peut, elle aussi, être mise en relation avec la vision

40
de Bordin (14) considérant l’alliance thérapeutique comme un moyen d’améliorer
l’adhésion du patient plutôt qu’un moyen curatif en lui-même.

6.4 L’alliance thérapeutique, une notion maîtrisée par les MKDE


Les trois questions précédemment analysées répondaient à un objectif de recherche
commun : réaliser un bilan de l’état actuel des connaissances des MKDE libéraux à
propos de l’alliance thérapeutique. Cette recherche portait sur différents éléments, à
savoir, la connaissance des facteurs influençant l’alliance thérapeutique, l’impact de cette
alliance sur leur pratique et enfin l’importance qu’ils y consacraient. Afin d’analyser les
témoignages des interrogés, leurs réponses ont été comparées à la littérature scientifique.
Au regard de l’analyse effectuée, nous pouvons constater que les participants aux
entretiens ont connaissance et comprennent les mécanismes qui régissent le
développement de l’alliance thérapeutique ainsi que les répercussions qu’elle peut avoir
sur la prise en charge. Nous pouvons également constater que, bien que le terme « alliance
thérapeutique » ne soit pas universellement compris, les MKDE savent mettre en place
des stratégies de soin et de communication pour favoriser sa construction et qu’ils la
considèrent comme un élément central de leur prise en charge.

6.5 La lombalgie chronique, les particularités de la relation


Ensuite, il a été demandé aux MKDE de réfléchir sur les particularités de la création
d’une alliance thérapeutique avec des patients souffrant de lombalgie chronique. Cette
question avait pour objectif de contextualiser les éléments de réponse déjà apportés dans
les questions précédentes en les focalisant à présent sur la prise en charge de patients
lombalgiques chroniques.

A la suite de l’analyse de l’ensemble des entretiens, trois idées principales semblent


être partagées par la majorité des MKDE interrogés : la place importante des
représentations des patients dans la prise en charge, le rôle d’accompagnateur que doit
jouer le masseur-kinésithérapeute et enfin la présence de facteurs psycho-sociaux
influençant la pathologie et sa prise en charge.

41
6.5.1 Les représentations du patient
« Les particularités, c’est que c’est difficile parce que les gens arrivent des fois avec
des représentations qui sont très ancrées. Et quand c’est chronique, ça s’est d’autant plus
ancré. Et des représentations sociales aussi, liées forcément à leur métier. Donc c’est la
difficulté je dirais, pour moi en tous cas. Mais c’est aussi ça le challenge. Et la spécificité
c’est qu’il y a aussi besoin, quelque part, d’apporter des connaissances, et ça c’est délicat
parce que l’on veut laisser le patient, à la fois, libre mais à la fois il y a des connaissances
à lui apporter sans essayer de passer pour un maître d’école. ». Les propos de Virginie
illustrent parfaitement une notion fréquemment évoquée par les MKDE durant les
entretiens, à savoir les croyances et représentations des patients souffrant de lombalgie
chronique. Il semblerait que ces patients ont des représentations de leur pathologie, de
leur corps ou de leur métier qui sont très ancrées dans leur esprit. Ces représentations
peuvent être parfois très éloignées de la réalité. Ce qui oblige les MKDE à les comprendre
et à accompagner leurs patients dans leur déconstruction tout en leur apportant un
nouveau savoir. Cette idée est également soutenue par André Grimaldi dans son article
La relation médecin/malade au cours de la maladie chronique (58). Selon lui, la prise en
charge de patients avec des pathologies chroniques nécessite des compétences
pédagogiques : « Le patient doit apprendre à connaître sa maladie et à gérer son
traitement ». On retrouve donc le lien avec les deux éléments privilégiés par les MKDE
pour créer une relation avec leur patient : favoriser le discours du patient afin de
comprendre ses croyances et l’informer en vue de l’accompagner dans la déconstruction
de ses représentations afin d’instaurer la construction d’un nouveau savoir. Ces
informations peuvent être croisées avec celles issues d’une autre étude qualitative réalisée
en 2019 par Calner et al (59). L’objectif de cette étude était de recueillir les expériences
et les perceptions de personnes, souffrant de douleurs musculo-squelettiques chroniques,
à propos de leur traitement kinésithérapique. Il est intéressant de constater que sur les
quatre thèmes principaux abordés par les patients, on retrouve la construction de l’alliance
thérapeutique et l’acquisition de nouvelles connaissances. On retrouve donc des valeurs
communes entre les patients et les kinésithérapeutes. Il semblerait que chaque patient
attribue une place très importante à la relation qu’il crée avec son thérapeute. Les patients
attendent que leur kinésithérapeute les considère comme unique et que leur prise en
charge soit individualisée en fonction de cela. « “A very sensitive physiotherapist who …
I felt immediately that she saw all of me and that she really tried to understand how I was
feeling and why I felt the way I did. And she examined me very thoroughly. Well, it was

42
fantastic. I experienced that I was really seen.” » (témoignage de patient extrait de l’étude
: Physiotherapy treatment experiences of persons with persistent musculoskeletal pain: A
qualitative study. (59)).

Comme précédemment décrit, la compréhension des représentations des patients est,


selon les interrogés, associée à l’apport de nouvelles connaissances afin que le patient
comprenne les mécanismes sous-jacents à ses douleurs. Cette idée est reprise par
Emilien : « Il y a beaucoup à déconstruire. Et puis il faut aussi apprendre aux gens ce
que c’est que leur maladie. Pourquoi ils ont mal ? Sur un squelette, par exemple, tu leur
expliques comment ça fonctionne. ». Selon lui, chez ces patients, il y aurait beaucoup de
croyances erronées, et ce serait du rôle du kinésithérapeute de les accompagner vers un
savoir accessible et plus proche de la réalité. Cette idée est également présente dans
l’étude de Calner et al (59), dans laquelle les patients témoignent avoir acquis de
nouvelles connaissances théoriques et pratiques sur leurs douleurs et sur leur corps.

Il est également intéressant de noter que d’autres témoignages, moins fréquents,


peuvent être mis en relation avec cette idée de croyances et de représentations des
patients. « Dans la lombalgie chronique, ce qui est un peu plus compliqué c’est de faire
intégrer au patient qu’il va devoir être acteur du traitement. Dans une lombalgie
chronique, si on n’a pas l’adhésion du patient, on ne va pas réussir à s’en sortir. ».
Plusieurs interrogés partageaient l’idée présentée par Elliot. Le long parcours de soin et
la chronicité des douleurs semblent engendrer des inquiétudes et des représentations chez
les patients : la kinésiophobie et la préférence pour les traitements passifs en font partie.
Tout comme pour les autres représentations, les MKDE devraient entendre ces croyances
et apporter aux patients des connaissances suffisantes afin que ces derniers comprennent
les bienfaits du mouvement et la nécessité d’être acteur de leur traitement. C’est
également un thème fréquemment rapporté par les patients interrogés dans l’étude de
Calner et al (59). L’enquête révèle à quel point les patients se sentaient impliqués dans
leur prise en charge. Certains prenaient de plus en plus de responsabilité vis-à-vis de leur
santé et de leur mode de vie au quotidien.

6.5.2 L’accompagnement dans le soin


La deuxième idée fréquemment émise par les interrogés est la nécessité pour le
kinésithérapeute d’accompagner et d’encourager son patient. Accompagner à la fois dans
le sens de l’éducation ou de la pédagogie, comme on a pu le voir, mais aussi dans le sens
de guider et d’encourager le patient. « Ce sont des patients qui se découragent très vite.
43
Donc évaluer leur motivation c’est important. Au fil des traitements, il faut toujours
essayer de les motiver, les rassurer et les encourager ». Ici, Gabriel semble évoquer un
autre rôle du kinésithérapeute ; il ne serait pas seulement un fournisseur de soin mais
également une personne de soutien, un guide, une ressource externe qui veillerait au bon
déroulement du traitement et qui donnerait à son patient les ressources nécessaires pour
atteindre son objectif. On peut retrouver cette notion dans l’étude de Meade et al. (51).
Chez des patients souffrant de douleurs musculo-squelettiques chroniques, cette étude
montre que pour favoriser l’adhésion du patient au traitement, le thérapeute doit
développer les capacités d’autogestion de celui-ci face à des obstacles personnels, sociaux
ou environnementaux. Il y a donc une notion d’accompagnement qui est centrale. Elle est
d’autant plus importante que la durée de prise en charge est souvent longue pour les
patients souffrant de lombalgie chronique. « Les lombalgiques chroniques, on va les avoir
sur du long terme, là j’en ai deux que je vois une à deux fois par semaine, alors que les
autres patients on va les voir une dizaine ou une quinzaine de séances et normalement ils
ne reviennent pas parce que ça va bien… Donc il y a des moments où ça va mieux, des
moments où ça va moins bien. Du coup, par rapport à d’autres pathologies c’est le temps
de la prise en charge je dirais. ». Selon les propos de Valérie, compte tenu de la durée de
la prise en charge, la motivation du patient serait fluctuante en fonction de l’évolution des
symptômes. Cette vision est également partagée par Emilien : « Après il faut être réaliste
aussi. Avec les patients en traitement chroniques, il y a une lassitude dans les deux sens.».
Le rôle du kinésithérapeute prendrait alors un tout autre sens : face à la durée de la prise
en charge, il devrait accompagner le patient sur du long terme. Cet accompagnement
comprendrait donc des encouragements et de la motivation pour poursuivre les
traitements proposés. Il comprendrait aussi des épisodes où le kiné se doit de rassurer son
patient sur ses inquiétudes et ses sensations. C’est une conception de la kinésithérapie que
l’on retrouve dans l’article de Judith Semmons (60) qui identifie trois grands rôles de la
kinésithérapie dans la prise en charge des lombalgies chroniques : L’éducation, la
valorisation et la prescription d’exercices. La notion d’accompagnement est présente dans
la partie « valorisation » dans laquelle elle affirme que la guidance et la motivation du
patient sont des éléments essentiels pour la gestion de la douleur.

44
6.5.3 Les facteurs psycho-sociaux
Les facteurs psycho-sociaux constituaient la dernière particularité proposée par les
interrogés à propos de la prise en charge des patients souffrant de lombalgie chronique.
« Les particularités de cette relation peuvent être liées au fait que ce sont des patients qui
peuvent avoir des facteurs psycho-sociaux assez importants. Donc pour nous, kinés, ce
n’est pas toujours évident d’avoir des leviers sur ces facteurs-là. On les entend, on en
tient compte mais on est parfois démuni par rapport à ça.». Le témoignage d’Eléonore
permet de mettre en lumière la dernière idée partagée par la majorité des interrogés, à
savoir l’influence des facteurs psycho-sociaux sur la prise en charge. Souvent désignés
sous le terme de « yellow flags », ces facteurs constitueraient une particularité dans la
prise en charge des patients souffrant de lombalgie chronique. Ils impacteraient la prise
en charge des MKDE, qui pourraient se retrouver en difficulté face à leur présence. Ils
rassemblent les croyances, les réponses émotionnelles et les comportements vis-à-vis de
la douleur (30). Combinés aux facteurs biologiques, ils ont une influence négative sur
l’évolution des douleurs, favorisant la chronicisation. Malgré le fait que les
kinésithérapeutes semblent avoir peu de ressources pour y faire face, il est important de
les prendre en compte lors du traitement. En effet, les conclusions d’un article rédigé par
Michael Nicholas (30) montre que, selon les connaissances actuelles, prendre en compte
la présence de ces facteurs, surtout quand ils atteignent un niveau élevé, permet d’obtenir
de meilleurs résultats que lorsqu’on les ignore.

« Et puis tu vas avoir la personne lombalgique chronique qui, à côté de ça, va avoir des
drapeaux jaunes, verts ou bleus, et là où tu vas te retrouver avec tout un contexte social
plus difficile ; ce sont ces gens-là qu’on va traiter un petit peu différemment où le côté
prise en charge pluri-disciplinaire aurait plus sa place.». Cette idée véhiculée par
Nathalie est intéressante et peut-être mise en relation avec une récente étude de Ibrahim
Maha (61) sur l’efficacité de la prise en charge multidisciplinaire de la lombalgie
chronique. Comme nous avons pu le constater, la présence de facteurs psycho-sociaux
chez certains patients lombalgiques est une réalité constatée par les kinésithérapeutes.
D’après des propos recueillis durant les entretiens, certains interrogés se sentent désarmés
face à ces situations, jugeant que d’autres professionnels auraient davantage de
compétence pour venir en aide au patient. L’étude en question avait pour objectif
d’évaluer l’efficacité à long terme d’une prise en charge multidisciplinaire chez des
patients souffrant de lombalgies chroniques en ce qui concerne la reprise du travail. Cette

45
étude conclut qu’il y a eu une augmentation significative de la reprise du travail chez les
participants de l’étude. La prise en charge multidisciplinaire pourrait donc constituer un
levier d’action sur les facteurs psycho-sociaux.

6.6 L’évaluation de l’alliance thérapeutique, la variété des méthodes utilisées


La construction de l’alliance thérapeutique est un élément central de la prise en charge
pour les MKDE interrogés. Il est donc intéressant de comprendre les moyens qu’ils
utilisent pour s’assurer de sa bonne construction. La réponse est unanime : aucun des
participants n’utilise d’indicateur objectif ou de méthode de mesure précise pour juger de
la qualité de l’alliance qu’il construit avec son patient. Pourtant, après plusieurs
explications, on se rend compte qu’il y a des techniques subjectives communes leur
permettant de l’évaluer.

6.6.1 L’observance et l’investissement


« Donc ça va être des choses comme le fait de ressentir s’il est content de venir à ses
séances, s’il y vient de façon régulière, si, d’une façon ou d’une autre, il s’est approprié
des éléments d’objectifs qu’on avait définis ensemble ». Elise évoque, sans doute, l’idée
la plus citée par les MKDE interrogés. Sa façon d’évaluer l’alliance thérapeutique semble
être indirecte car elle repose sur sa perception de l’investissement du patient dans son
traitement. On a pu voir précédemment que les MKDE considéraient que l’alliance
thérapeutique favorisait l’investissement du patient dans le traitement. Afin d’évaluer
cette alliance, ils choisissent d’évaluer l’un des éléments qu’elle influence. En effet, si on
suit cette logique, plus l’alliance thérapeutique est forte, plus l’investissement du patient
sera fort également. L’évaluation de l’investissement des patients semble reposer, selon
les témoignages des interrogés, sur des éléments distincts selon la pratique du MKDE.
Pour ceux qui privilégient des traitements actifs avec des exercices à réaliser chez soi
comme Nathalie, leur indicateur sera l’appropriation des exercices : « Souvent c’est parce
qu’il va y avoir une adhérence à la partie auto-rééducation. [...] Si je prends l’exemple
d’un programme d’exercices que je vais mettre en place, je vais revenir dès le début de
la séance suivante sur l’exercice qui a été fait. Je le reprends. S’il y a d’emblée des
questions du patient, ça montre qu’il a essayé de travailler dessus. Et autrement, je le
réévalue. Je lui dis : « montrez-moi ce qu’on a fait la dernière fois » et puis tu vois tout

46
de suite, au bout d’une semaine, si la personne n’a rien fait du tout, en général elle se
souvient à peine de ce que tu lui as montré. ». Pour d’autres, évaluer l’investissement de
son patient passe par sa présence et son comportement durant les séances. « On voit assez
vite si on perd un patient en adhésion, on le sent tout de suite. Les séances vont s’espacer,
il va oublier de venir aux séances. Et puis souvent, c’est dans la verbalisation, c’est une
personne qui va devenir négative. ». Ici, Emilien met l’accent sur le facteur présentiel qui
permet de mettre en lumière l’investissement d’un patient. Cette vision est également
partagée par Jeanne : « Il y a une chose sur laquelle je suis intransigeante : c’est le respect
des rendez-vous pour assurer la continuité des soins. ». Comme nous avons déjà pu le
voir, il est vrai que l’alliance thérapeutique a un impact sur l’investissement du patient
dans son traitement (50,51). Cependant, l’investissement du patient est-il le parfait reflet
de la qualité de l’alliance thérapeutique ? Comme abordé dans l’article de Meade et al
(51), l’adhésion, ou l’investissement, du patient dans son traitement est influencé par
différents facteurs, parmi lesquels on retrouve l’alliance thérapeutique mais également
des facteurs environnementaux ainsi que l’influence de la douleur et des émotions
négatives. Il semblerait donc qu’un faible investissement ne puisse pas être corrélé avec
une faible alliance thérapeutique.

6.6.2 Le feed-back du patient


La capacité à recueillir le ressenti de son patient sur le traitement mis en place est
inscrite dans le champ de compétence des kinésithérapeutes(16). Elle est associée à la
compétence 5 : « Etablir et entretenir une relation et une communication dans un contexte
d’intervention en masso-kinésithérapie ». Cette compétence comprend différents items
dont celui relatif à la construction de l’alliance thérapeutique. Afin d’évaluer cette
alliance, la recherche du feed-back du patient est une méthode employée par certains
interrogés : « Je leur pose régulièrement la question de comment, eux, vivent l’évolution
de leur problème… […] Tu peux leur demander si ça répond à leurs attentes, ce genre de
questions ça m’arrive de les poser. Des fois je leur demande : si pour eux la récupération
complète correspond à 100 %, d’après eux à combien de pourcents on est arrivé là ? ».
Grâce à ces questions, Gabriel essaie d’obtenir un retour du patient sur sa prise en charge.
Cela permet d’inviter le patient à exprimer sa satisfaction, ou non, à propos du traitement
proposé, et à exprimer son sentiment d’amélioration, ou non. En ouvrant ainsi le dialogue
sur ce sujet, Gabriel cherche à obtenir des éléments à mettre en relation avec son ressenti

47
personnel. Il n’est pas le seul à procéder ainsi, on trouve des idées similaires chez Virginie
« Peut-être parce que sa parole se libère plus, peut-être parce qu’il est capable de faire
des retours sur la séance précédente quand je le lui demande, il ne sèche pas, il a des
choses à dire ». En comparant les deux témoignages des interrogés, on se rend compte
que la recherche du feed-back du patient peut s’opérer de deux façons. La première est
celle expliquée par Gabriel, que l’on pourrait qualifier de directe car le MKDE demande
directement son avis au patient. Elle nécessite cependant une grande relation de confiance
entre le soignant et le soigné pour que celui-ci livre son ressenti. La deuxième façon est
celle proposée par Virginie, qui serait indirecte car elle s’intéresse plus à la qualité du
retour du patient plutôt qu’à son contenu. Elle confirmera cette idée lorsque l’on lui
demandera les éléments lui indiquant qu’aucune alliance ne se crée entre elle et le patient:
« Eh bien, c’est quand, en face de moi, j’ai quelqu’un qui ne lâche rien en fait. J’ai
quelqu’un qui est le même de séance en séance, c’est-à-dire soit il ne parle pas, soit il ne
s’investit pas dans les exercices que l’on peut faire. ». Cette recherche du ressenti du
patient, tel que présentée par les interrogés, se retrouve dans le référentiel de compétence
de la profession MK, présentée comme « Négocier et construire les modalités de
l’intervention avec le patient et/ou son entourage en fonction des objectifs
thérapeutiques ». En s’intéressant ainsi au ressenti de leur patient, les MKDE réunissent
au sein, de leur prise en charge, deux piliers de l’Evidence Based Practice (EBP), à savoir,
l’expertise du clinicien et les attentes et valeurs du patient. L’EBP se définit comme une
démarche dans le domaine de la santé visant à concilier les preuves scientifiques
pertinentes à l’expérience clinique du praticien et aux croyances du patient (62). Cette
démarche cherche à proposer la meilleure solution à un problème de santé en prenant en
compte l’ensemble des facteurs et elle semble obtenir de meilleurs résultats que la
démarche empirique qui, elle, ne se base que sur des essais contrôlés randomisés (63).

6.6.3 la difficulté à dresser un bilan de l’alliance thérapeutique


Après analyse des entretiens, cette question (question 6 du guide d’entretien) était celle
qui mettait le plus en difficulté les interrogés, celle qui nécessitait un temps de réflexion
plus long que pour les autres car elle les forçait à mettre des mots sur un comportement
instinctif. La formulation de la question peut en être responsable, elle obligeait le MKDE
à chercher les éléments objectivant une situation sans déficit d’alliance thérapeutique. Les
interrogés avaient plus de facilité à décrire les indices leur indiquant l’absence d’alliance

48
thérapeutique entre eux et leurs patients. « Ça m’arrive dans un sens inverse, de ne pas
être satisfaite parce qu’en général ce n’est pas appliqué comme je veux, ce que j’ai
enseigné et ce que j’ai demandé ». Les indices restent les mêmes que ceux cités
précédemment, mais Valérie témoigne qu’il est plus simple de constater leur absence
plutôt que de s’assurer que tout va bien. On retrouve un témoignage similaire chez
Gabriel « Ca, justement, c’est un peu dur parce que j’ai l’impression que la relation de
soin c’est un peu un truc, pas de non-dits, mais ce n’est pas quelque chose qu’on dit
clairement quand on fait confiance à l’autre ou quoi que ce soit. ». L’objectif de cette
question était d’introduire le concept d’évaluation de l’alliance thérapeutique avec les
interrogés et de les inviter à réfléchir sur l’intérêt qu’elle représenterait dans leur pratique
et sur leur façon de faire. A la vue des réponses obtenues on peut se rendre compte que
l’évaluation de l’alliance thérapeutique est un comportement déjà instinctivement présent
chez les interrogés. Cela peut être mis en relation avec leurs réponses sur la place qu’ils
consacrent à la création de l’alliance thérapeutique. Cependant, il semblerait qu’aucun
n’utilise une méthode fiable et objective, se fiant à leur instinct pour la plupart mais
semblant ne pas être confiant sur la fiabilité de leur ressenti. « Ouais, ou au pifomètre…
[Rire] [En parlant de ses méthodes pour ressentir l’alliance thérapeutique] ». Compte
tenu de l’impact de l’alliance thérapeutique sur les résultats de la prise en charge de
lombalgies chroniques en kinésithérapie (17,60,64), ne serait-il pas intéressant d’évaluer
précisément la qualité de l’alliance thérapeutique avec son patient pour assurer les
meilleurs résultats possibles ?

6.7 Un modèle d’évaluation fiable de l’alliance thérapeutique, des avis


encourageants
La dernière question posée aux interrogés avait pour objectif de leur présenter
succinctement une échelle évaluant la force de l’alliance thérapeutique et d’échanger avec
eux sur son utilisation. Les thèmes abordés étaient les suivants : [1] l’intérêt que cet outil
pourrait représenter dans la prise en charge de patients lombalgiques chroniques, [2] leur
avis personnel sur son utilisation et [3] les limites de cet outil. Afin de contextualiser et
de préciser le cadre de la question, une échelle existante était utilisée comme référence
pour répondre aux éventuelles questions des MKDE sur le fond et la forme de cet outil.
L’échelle utilisée était la Working Alliance Inventory (WAI) car il s’agit d’une échelle

49
validée (21), traduite en français (37) et qui est la plus appropriée pour évaluer l’alliance
thérapeutique (en se basant sur sa fiabilité et sa reproductibilité) (23).

6.7.1 L’apport à la pratique


Les MKDE ont évoqué des idées similaires à propos de ce que pourrait apporter à leur
pratique un outil d’évaluation fiable de l’alliance thérapeutique. L’idée principale
véhiculée était la remise en question de leur ressenti. La question précédente semble leur
avoir fait prendre conscience que leur méthode d’évaluation n’était pas infaillible et qu’ils
ne pouvaient pas être certains que l’alliance thérapeutique qu’ils construisaient avec leur
patient était optimale. « Ca permettrait de me remettre en cause. Parce que, effectivement,
je pense qu’il peut m’arriver de perdre des patients parce que je ne sais pas me remettre
en cause sur ce sujet-là. » Emilien. Une évaluation fiable et reproductible de l’alliance
thérapeutique permettrait de ne plus laisser planer le doute et systématiserait la recherche
du ressenti du patient. Cette idée de remise en question peut être mise en relation avec
une méta-analyse de 2007 qui cherchait à évaluer la corrélation entre les cotations de l’AT
attribuées par les patients et les thérapeutes (65). Les résultats de cette étude ont montré
une faible corrélation entre les deux. Les patients attribuaient généralement une note plus
élevée que les thérapeutes. Ainsi, cette étude montre que le ressenti du professionnel de
santé peut être éloigné de la réalité de la situation.

L’évaluation de l’AT permettrait également de repérer les situations dans lesquelles


l’alliance ne se construit pas, ce qui permettrait au MKDE d’ajuster son approche avec
son patient et de repartir sur de meilleures bases. « Au moins, ça me permettrait de me
rendre compte, sans doute plus tôt, que ça déconne. C’est ce que je te disais tout à l’heure,
des fois on se repose sur nos lauriers et c’est justement pour éviter d’en arriver là.»
Emilien. Il semblerait qu’en objectivant ainsi une donnée qui était, jusque-là, subjective,
cela faciliterait l’individualisation de la relation soignant-soigné en plus de
l’individualisation du traitement. Cette idée, évoquée par Emilien, était présente dans les
témoignages d’autres MK :

 « Bien-sûr que ça représenterait un intérêt. Pourquoi ? Parce que ça me


permettrait aussi de comprendre si oui ou non le patient a confiance, parce que
depuis le début, c’est ce que je veux instaurer entre lui et moi mais parfois je n’y
arrive pas. Et j’aimerais bien comprendre pourquoi je n’y arrive pas. Et la

50
confiance aussi par rapport à ce que je lui propose… ». Jeanne, MKDE formée
ETP.
 « Peut-être plus pour moi, pour savoir s’il faut que j’aie une autre approche avec
le patient. Si je vois qu’il n’y a pas beaucoup d’alliance avec un patient, il y aurait
peut-être d’autres techniques que je pourrais utiliser pour en créer plus. ».
Nathalie, MKDE non formée ETP.
 « Ca nous donnerait un état des lieux, une vision d’où on en est. Ce serait
intéressant d’avoir le point de vue du patient finalement. Parce que ça,
finalement, on ne s’en rend pas toujours bien compte. Peut-être ce serait
intéressant d’avoir ce retour-là. Parce que les patients ne vont peut-être pas
s’exprimer naturellement sur la confiance qu’ils ont en leur thérapeute. ».
Eléonore, MKDE formée ETP.
 « Par exemple, « Je pense qu’il y a une alliance mais il faudrait peut-être que je
demande son avis au patient pour savoir si il est d’accord avec moi. » Et pourquoi
pas de temps en temps l’objectiver et puis se dire « Oh bah ça va je ne me goure
pas trop. ». Ça pourrait être une évaluation de sa pratique. ». Virginie, MKDE
formée ETP.

Une autre idée semble être associée à celle de la remise en question : c’est celle des pistes
d’amélioration que pourrait offrir l’outil. C’est pour cela qu’il était intéressant de choisir
un outil existant (ici la WAI) comme référence pour aider les MKDE à se projeter et à
imaginer la situation. En effet, sans cette explication, ils avaient du mal à réfléchir à
l’intérêt que pourrait leur apporter un outil similaire. L’outil ne fut pas présenté
physiquement aux interrogés mais décrit succinctement en se basant sur les versions
« patient » et « thérapeute » de la WAI (Annexe 3) sans rentrer dans les détails même s’il
semble que la version patient soit la plus indiquée à une utilisation clinique et la plus
corrélée à l’amélioration clinique (66). Lorsque les interrogés avaient des questions sur
la forme de l’outil, la réponse proposée était : « Celui qui existe et qui m’a servi de base
pour ma réflexion, c’est un questionnaire à remplir adressé au kiné ou au patient. A la
fin, ce questionnaire donne un score sur cette alliance thérapeutique et sur la vision de
la relation entre les deux. ». La WAI a été développée selon le modèle de l’alliance
thérapeutique proposé par Bordin (14,21). Elle comprend donc les trois dimensions de
l’AT (lien affectif, accord sur les tâches et accord sur les objectifs). Cette conception de
l’outil répondrait donc à l’attente des interrogés qui aimeraient y trouver des axes

51
d’amélioration pour renforcer leur alliance quand elle est faible. En effet l’évaluation de
l’AT proposée par cet outil repose sur l’évaluation des trois dimensions décrites par
Bordin. Elle attribue un score à chacune des dimensions, ce qui permettrait aux MKDE
de savoir laquelle est à revoir avec le patient.

Cependant, il faut noter que les avis n’étaient pas unanimes à propos de ce que pourrait
apporter une évaluation fiable de l’AT. Parmi l’ensemble des MKDE interrogés, une
participante ne voyait pas de plus-value à cette évaluation : « Ce n’était pas une question
que je m’étais posée. Je dirai que, sans vouloir te vexer, je ne vois pas trop l’intérêt
actuellement. Enfin actuellement je ne me pose pas trop cette question. Sans prétention,
je pense que je me remets en question assez facilement. Du coup je ne vois pas trop
l’intérêt… ». Valérie, MKDE non formée ETP.

6.7.2 Projection des MKDE et avis sur son utilisation


Telle qu’était posée la question dans le guide d’entretien, sa finalité était de recueillir
l’avis des interrogés sur l’intérêt potentiel que pourrait représenter une évaluation fiable
de l’AT dans leur pratique. Une relance systématique était faite pour connaître leur avis
sur son utilisation. S’imaginent-ils l’utiliser dans leurs prises en charge avec des patients
souffrant de lombalgie chronique ? Et comment l’utiliseraient-ils ? Les avis étaient plus
partagés pour cette question. Certains kinés se voyaient l’utiliser en pratique comme un
bilan, de façon régulière durant la prise en charge « Il faudrait qu’on le prenne tôt. Je
pense qu’il faudrait qu’on l’utilise (il parle de l’outil) tôt. Parce qu’avec un patient
comme ça (patient chronique) il faudrait l’utiliser au bout d’une dizaine de séances…
Après, cet outil-là peut être intéressant car, comme on disait tout à l’heure, le bilan c’est
le début de l’alliance thérapeutique, et quelque part, ton outil fait partie du bilan aussi. ».
Emilien, MKDE non formé ETP.

«Donc, effectivement, je serais très preneuse d’une évaluation de ce type… [Relance pour
savoir si elle imagine déjà comment l’utiliser]… Déjà, ce n’est pas évident, entre moi et
moi que je m’engage à faire quelque chose exactement toutes les semaines ou tous les
mois, je pense que dans la vraie vie, je n’y arriverai pas. Mais par contre, je pense qu’à
des moments clés, ça peut être intéressant. Par exemple des moments où on fait des bilans,
que ce soit des bilans physiques ou quand je lui fais remplir des auto-questionnaires avant
d’aller voir le médecin de rééducation.». Elise, MKDE formée ETP.

52
D’autres avaient des avis plus mitigés, c’est-à-dire qu’ils reconnaissaient l’intérêt que
cela pourrait apporter mais ils ne s’imaginaient pas encore l’utiliser. « Et c’est vrai que
pour évaluer après, ça peut être intéressant à faire. Par contre, le faire de façon régulière,
je ne pense pas que je m’appliquerai à ça. ». Elliot, MKDE non formé ETP.

Cette remarque met en lumière la limite de ce travail de recherche. Il est difficile de


conclure sur l’avis d’utilisation de cet outil par les MKDE. L’objectif de ce travail était
simplement de recueillir l’avis de MKDE libéraux sur l’intérêt que pourrait représenter
une évaluation fiable de l’AT dans leur pratique. Au vu de leurs réponses, on peut
conclure que la majorité y voit un intérêt.

6.7.3 Les limites évoquées


Bien que la WAI ne leur ait pas été présentée, volontairement, dans les détails, certains
kinésithérapeutes ont naturellement évoqué des limites possibles à cet outil et de façon
plus générale, des limites à l’évaluation de l’alliance thérapeutique. Ce thème ne fut pas
abordé avec tous les kinés car il n’était pas prévu dans le guide d’entretien, jugé trop
spécifique au regard de l’objectif de l’étude. Cependant il est intéressant de relever les
limites évoquées par les interrogés que ce soit sous forme de réflexion, d’interrogation ou
de critique.

La première limite partagée par plusieurs interrogés concernait les objectifs qui
découleraient de cette évaluation. «Mais il faudrait que derrière, j’aie des objectifs par
rapport à ça. Parce qu’avoir cet indicateur là pour avoir un indicateur, ça ne sert pas à
grand-chose. Il faudrait savoir ce que l’on peut améliorer derrière pour justement
améliorer la confiance et l’alliance thérapeutique. ». Ici, Eléonore explique qu’il faudrait
que cette évaluation, et par conséquent l’outil utilisé, puisse donner des pistes
d’amélioration afin que le soignant puisse modifier son approche du patient. L’évaluation
n’a de sens que si elle débouche sur des perspectives d’amélioration. A la vue des
chapitres précédents, les outils existants permettent cette adaptation en fonction des
résultats car ils permettent de savoir quelle dimension de l’AT serait plus faible que les
autres.

Certains MKDE ont également expliqué que cette évaluation sous forme de
questionnaire pouvait être une tâche fastidieuse et chronophage. Par conséquent, ils
risqueraient de ne pas prendre le temps de le faire régulièrement. « Après comme pour

53
tous les outils comme ça, il faut que ce soit rapide à mettre en place. Parce que c’est vrai
qu’en tant que kiné, on a déjà pas mal à faire, donc si tu rajoutes encore des
questionnaires, ça devient chronophage. Et pour les patients aussi vraisemblablement.»
Emilien, MKDE non formé ETP. Cette limite est recevable pour la forme originelle de la
WAI qui comprend 36 items dans son questionnaire. Cette version de la WAI date de
1989 (21). Aujourd’hui de nouvelles échelles de l’AT ont été développées et de nouvelles
versions de la WAI ont également été conçues, notamment une forme courte ne
comprenant que 12 items. Cette dernière a été traduite en français (22) et il semble qu’elle
soit, tout comme sa forme longue, tout aussi fiable et reproductible (23).

La dernière limite qui fut évoquée était en lien avec le biais potentiel de l’évaluation
et de l’évaluateur. Cette limite ne fut abordée que dans un seul entretien. « Mais c’est ça
dont j’ai peur, si le patient remplit un questionnaire en sachant que le kiné sera au
courant de ce qu’il a répondu, il va surement être tenté de répondre toujours des trucs
positifs. ». Gabriel fait remonter un biais qui pourrait exister dans cette évaluation du fait
que le kiné puisse avoir accès aux retours du patient et que ce dernier le sache. Cela
demanderait donc une honnêteté de la part du patient et une aptitude à se remettre en
question chez le thérapeute. Mais ce sont déjà des prérequis nécessaires. Quand un kiné
cherche à recueillir le feed-back de son patient à l’oral, il ne peut jamais être sûr que le
patient lui dise la vérité ou qu’il dise quelque chose afin de faire plaisir au thérapeute.

Cette question avait donc pour objectif de recueillir un avis général sur l’intérêt que
pourrait représenter, pour les MKDE libéraux, une évaluation fiable de l’AT dans la prise
en charge des lombalgies chroniques. La majorité des interrogés pense qu’il pourrait y
avoir un intérêt et que cette évaluation pourrait être réalisée au même moment que les
temps de bilans effectués avec cette population de patients. Cependant, certains doutes et
certaines limites persistent chez les interrogés à propos des modalités d’utilisation de cette
évaluation. Ces doutes sont, pour la plupart liés à la non-connaissance des outils existants
« En fait, le principal souci c’est que je ne connais pas le questionnaire. Le questionnaire
doit sûrement aborder des points précis. ». Comme dit plus tôt, le point que soulève Elliot
illustre ici la limite de cette question. Le sujet de la question était l’évaluation de l’AT de
façon générale, et n’était pas centré sur un outil précis. Il est donc difficile de recueillir
des avis sur une pratique si on ne peut pas en définir toutes les limites.

54
7. Synthèse des résultats et retour sur les hypothèses
Les objectifs de ce travail de recherche étaient : premièrement, de faire un état des
lieux des connaissances des MKDE libéraux sur l’alliance thérapeutique ; deuxièmement,
de recueillir leur avis sur l’intérêt de son évaluation dans la prise en charge de patients
souffrant de lombalgie chronique. Le dernier objectif était centré sur les formes et les
modalités d’évaluation possibles et de les confronter aux outils déjà existants.

Cette synthèse de résultats sera organisée en trois sous-parties. La première consistera


en un retour sur les hypothèses de recherche. La seconde traitera des limites de l’étude et
de la méthode de recherche Enfin, la troisième sera consacrée aux améliorations possibles
et aux projections professionnelles.

7.1 Retour sur les hypothèses de recherche


7.1.1 Hypothèse 1
La première hypothèse était directement liée au premier objectif de recherche, à savoir,
« réaliser un état des lieux des connaissances des MKDE libéraux à propos de l’alliance
thérapeutique ». Cette hypothèse était formulée ainsi : « Le concept d’alliance
thérapeutique n’est pas universel et n’est pas maîtrisé par tous les MKDE ». La
justification de cette hypothèse a été possible grâce aux trois premières questions du guide
d’entretien. Elles avaient pour objectif de questionner le MKDE à propos de ses
connaissances théoriques et pratiques sur la construction de l’alliance thérapeutique.
Quelle importance lui accorde-t-il dans ses prises en charge ? Comment fait-il pour
construire une alliance de travail avec un patient ? Cette hypothèse de recherche émane
de la lecture d’un article (1) dans lequel on pouvait lire « De nombreux thérapeutes ne
sont pas conscients de l’impact que peut avoir l’effet placebo dans une intervention
thérapeutique. Il est donc essentiel de prendre conscience qu’il peut agir en notre
faveur. », sans trouver de sources pour le justifier. L’effet placebo étant étroitement lié à
l’impact de l’alliance thérapeutique sur les résultats d’une prise en charge, ce travail de
recherche était l’occasion idéale pour vérifier cette hypothèse.

Au regard des résultats des entretiens, il s’est avéré que nous pouvions réfuter cette
hypothèse. En effet, les résultats ont permis d’objectiver que les MKDE avaient
conscience de l’impact que la dimension relationnelle avait sur leur prise en charge et
qu’ils connaissaient la majeure partie des facteurs contribuant à la construction d’une

55
alliance. Bien que le terme « alliance thérapeutique » et sa définition exacte ne soient pas
maîtrisés par tous les MKDE, ils ont connaissance des éléments qui l’influencent et savent
les mettre en pratique naturellement. Toutes les personnes interrogées affirmaient
consacrer une place importante à l’alliance thérapeutique dans leur prise en charge. Ces
affirmations étaient confirmées par des exemples concrets de leur pratique clinique et
centrées sur les stratégies qu’ils mettaient en place pour construire un cadre de soin
optimal avec leur patient. Ces stratégies comprenaient notamment l’importance du
discours du patient, de ses attentes, de ses objectifs mais également l’importance de son
éducation et de la justification des actes. On retrouvait une notion centrale de négociation
entre ce que le patient apporte et ce que le kinésithérapeute veut lui apporter dans la
majorité des témoignages. Les MKDE accordent une place centrale au patient afin de lui
proposer la prise en charge la plus adaptée à sa situation, s’éloignant ainsi du modèle
paternaliste et privilégiant une collaboration avec le patient. Tous ces éléments sont
présents dans la littérature scientifique et permettent donc d’affirmer que les MKDE
interrogés sont conscients de l’impact de l’alliance thérapeutique dans le soin.

A l’origine, dans la première version du guide d’entretien, il était prévu de poser la


question suivante directement aux interrogés : « Comment définissez-vous l’alliance
thérapeutique ? Et quels sont, selon vous, les facteurs qui l’influencent ? ». Cette question
s’est avérée être inappropriée car elle pouvait mettre en difficulté les MKDE ne maitrisant
pas ce terme. Il a donc été décidé de contourner ce problème en focalisant la question sur
la pratique du MKDE.

Durant cette étude, il y avait un paramètre important à prendre en compte : celui de


l’impact des formations sur la vision de l’alliance thérapeutique. Pour chaque objectif, il
y avait un sous-objectif qui était de savoir s’il y avait une différence d’opinion entre les
personnes formées à l’ETP et celles qui ne l’étaient pas. Pour cette première hypothèse,
on ne constate pas de différence entre les deux populations. Chacune apportait des
réponses similaires et validées par la littérature scientifique. Bien que la formation ETP
sensibilise les MKDE à favoriser le discours du patient et à définir un contrat d’objectifs,
ces notions semblent également être présentes dans d’autres formations telles que la
certification McKenzie ou les formations « thérapie manuelle », suivies par plusieurs des
interrogés. L’explication peut résider dans le fait que ces formations, elles aussi,
privilégient une prise en charge holistique visant à appréhender la plainte du patient dans
sa globalité et pas seulement d’un point de vue analytique.

56
7.1.2 Hypothèse 2
La deuxième hypothèse était également en lien avec le premier objectif de recherche.
Celle-ci suggérait que « Les MKDE ont des approches très diversifiées avec leurs patients
et n’accordent pas tous la même importance à la construction d’une alliance
thérapeutique.». Elle ressemble beaucoup à la précédente mais elle s’intéresse davantage
à la dimension pratique de l’alliance thérapeutique. Chaque MKDE possède un parcours
de formation et une expérience unique qui ont fait évoluer sa pratique et qui la rendent
totalement différente de celle d’un autre. Leur approche des patients peut donc varier, tout
comme leurs méthodes, pour favoriser leur adhésion au traitement. L’hypothèse formulée
est partiellement vraie car on peut constater différentes approches chez les interrogés
notamment dans le premier contact avec le patient. Certains disaient être très scolaires en
réalisant un bilan et en profitant de ce temps, notamment celui de l’interrogatoire, pour
comprendre les attentes du patient. D’autres vont privilégier un long temps d’échange et
surtout d’écoute avec le patient. Le terme « écoute active » est revenu dans plusieurs
entretiens, sous-entendant que le thérapeute intervient très peu et relance le patient avec
des questions ouvertes. Et enfin, d’autres témoignaient faire confiance à leur
« comportement naturel et à leur instinct ». A travers ces mots, on peut comprendre qu’il
s’agit de kinésithérapeutes qui ont, instinctivement, développé des compétences
d’empathie qu’ils mobilisent sans s’en rendre compte. Ils ne mettent pas en place de
stratégies particulières ou préparées à l’avance, ils essayent d’être le plus chaleureux et
empathiques possible pour créer une bonne relation avec leur patient. Cependant, au vu
des résultats des entretiens, tous accordent une place centrale, voire indispensable pour
certains, à l’alliance thérapeutique. Condition sine qua non à la réussite d’un traitement
pour la majorité d’entre eux, d’autant plus avec des patients souffrant de douleurs
chroniques.

Ici non plus, il n’y avait pas de différence remarquable entre les interrogés formés à l’ETP
et les autres. Tous accordaient une haute importance à l’alliance thérapeutique. L’idée
« d’écoute active » était la seule différence notable mentionnée par les MKDE formés à
l’ETP.

Une question supplémentaire était rattachée à cette hypothèse. Elle invitait l’interrogé à
réfléchir sur les particularités qu’il pouvait rencontrer dans la construction de l’alliance
avec des patients lombalgiques chroniques. L’objectif était de poursuivre cette réflexion
sur la pratique du MKDE en y ajoutant un contexte particulier. Aucune hypothèse précise

57
n’était formulée sur ce contexte mais cela permettait à l’interrogé de se plonger dans une
situation précise et d’introduire le contexte pour les futures questions. Pour cette question
non plus, aucune divergence d’opinion entre les deux populations n’a pu être constatée,
les particularités évoquées étaient similaires et principalement centrées sur les
représentations des patients, les facteurs-psycho-sociaux et le rôle particulier du
thérapeute dans cette relation.

7.1.3 Hypothèses 3 et 4
La troisième hypothèse était en lien avec le deuxième objectif de cette étude, à savoir,
recueillir l’avis des MKDE libéraux sur l’intérêt que pourrait représenter une évaluation
fiable de l’alliance thérapeutique dans la prise en charge des douleurs chroniques.
L’hypothèse en question stipulait que « L’évaluation de l’AT représenterait un intérêt car
elle pourrait aider et guider les MKDE dans la construction de cette alliance avec les
patients. ». Comme nous avons pu le voir tout au long de l’analyse des résultats, l’AT est
un élément central de la prise en charge et un facteur prédictif des résultats (2,57).
L’objectif de tout thérapeute est donc de construire avec son patient une alliance de travail
forte, tout au long de la prise en charge, afin d’assurer les meilleurs résultats possibles.
Dans le but d’atteindre cet objectif, il est intéressant pour le thérapeute d’avoir conscience
de la qualité de la relation qu’il entretient avec son patient, pour, ainsi, avoir un retour sur
ce qu’il met en place et pouvoir s’adapter si nécessaire. Actuellement ce retour se fait
principalement de façon subjective, à l’instinct ou au ressenti du thérapeute en se basant
soit sur l’investissement du patient ou sur son feed-back. Ces deux grandes tendances
étaient indépendantes des deux populations de MKDE. Durant leur réflexion, les
interrogés semblaient douter de la fiabilité de leur méthode d’évaluation. Il est donc
profitable de leur demander l’intérêt que pourrait représenter une évaluation fiable de
l’AT pour leur pratique. Les réponses apportées par les interrogés permettent de confirmer
cette hypothèse, la grande majorité y voit un intérêt, principalement dans la remise en
question de leur ressenti et dans l’objectivation d’un élément qui, jusque-là, restait
subjectif.

Il est également attrayant de constater que le groupe de MKDE non formé à l’ETP
montre autant d’intérêt pour cette évaluation que le groupe formé. Ce qui permet de
réfuter la quatrième hypothèse « Les kinésithérapeutes formés à l’ETP montreront plus
d’intérêt pour l’évaluation fiable de l’AT ». En effet, un seul des neuf interrogés affirmait
58
ne voir aucun intérêt dans cette évaluation car il estimait que son ressenti était
suffisamment fiable. Cette personne faisait partie du groupe des MKDE non-formés à
l’ETP mais cela ne permet pas d’affirmer que cette population montre moins d’intérêt
pour l’évaluation de l’AT. Cette hypothèse fut émise à la suite de la décision d’intégrer
dans cette recherche des MKDE non-formés à l’ETP. Comme deux populations distinctes
étaient constituées, il était possible de s’attendre à ce que celle formée à l’ETP soit
davantage encline à porter de l’intérêt à cette évaluation, car cette formation met en avant
l’échange et la coopération avec le patient. Au regard des résultats, nous pouvons réfuter
cette hypothèse, il semble que la notion d’alliance de travail et celle d’adhésion au
traitement soient également des éléments centraux d’autres formations. En effet, plusieurs
MKDE interrogés ayant suivi les certifications « Mckenzie » et « thérapie manuelle »
rapportent des idées similaires à celles évoquées par les MKDE formés à l’ETP.

Il est tout de même important de noter qu’une étude datant de 1993 s’oppose à la
troisième hypothèse de ce travail de recherche. En effet, les conclusions de l’étude Effects
of Training in Time-Limited Dynamic Psychotherapy: Changes in Therapist Behavior
(67) montrent que chercher à modifier le comportement d’un thérapeute afin de favoriser
l’alliance thérapeutique modifierait de façon inattendue d’autres variables et aurait un
résultat contre-productif. Ces conclusions sont également reprises par Antoine Bioy et
Maximilien Bachelart dans leur article L'alliance thérapeutique: historique, recherches
et perspectives cliniques (13). Une attention excessive sur l’alliance thérapeutique nuirait
à la construction de cette dernière. Cependant, ce modèle d’évaluation permettrait,
justement, au thérapeute d’identifier les moments de crises de l’alliance thérapeutique,
décrits par ces mêmes auteurs, et de revoir sa relation avec le patient sans pour autant y
consacrer une attention trop forte de façon constante. La mise en perspective de ces
différentes conclusions permet de prendre du recul par rapport aux résultats de cette étude.
Elle permet de prendre conscience de la nécessité d’études ultérieures afin de reconnaître
le potentiel intérêt d’un modèle d’évaluation fiable de l’AT dans la prise en charge de
lombalgies chroniques.

7.1.4 Hypothèse 5
Enfin, la dernière hypothèse dépasse, en quelque sorte, les objectifs fixés par ce travail
de recherche. A l’origine, ce travail de fin d’étude s’intéressait uniquement à l’intérêt que
pourrait représenter une évaluation fiable de l’AT. Il n’était pas prévu de parler
spécifiquement d’un outil ou d’explorer les modalités de mise en place de cette

59
évaluation. Cependant, durant le premier entretien, la Working Alliance Inventory fut
présentée succinctement à l’interrogé pour l’aider à visualiser le contexte de l’évaluation,
ce qui a naturellement entraîné des échanges portant sur sa mise en place et ses limites.
Cette hypothèse a donc été proposée car la situation s’est reproduite avec d’autres
interrogés mais malheureusement pas avec tous. L’hypothèse en question était la
suivante : « Les outils existants ne sont pas adaptés à une utilisation clinique ». Cette
hypothèse émane des résultats de l’étude menée par le docteur Margot Gicquel à Brest
(35). Cette étude montre que la moitié des étudiants interrogés n’étaient pas favorables à
l’utilisation de cette échelle durant leur formation et au cours de leur exercice
professionnel. L’une des hypothèses explicatives pouvait donc être que la forme de l’outil
proposé n’était pas adaptée à une utilisation clinique. Ce thème fut abordé avec six des
MKDE interrogés, les questions portaient principalement sur la façon dont ils imaginaient
utiliser cette évaluation et les limites qu’ils pourraient rencontrer. Ces éléments de
réponse étaient confrontés à une échelle existante, la Working alliance inventory, pour
voir si elle correspondait à leurs attentes. A la suite de l’analyse des résultats, cette
hypothèse peut être rejetée, il s’avère que la principale crainte des interrogés sur cet outil
était la fastidiosité de son utilisation : il ne fallait pas que cet outil soit trop long à utiliser,
que ce soit pour eux ou pour le patient. Et il fallait que cet outil puisse permettre au
thérapeute d’identifier les éléments déficitaires de son alliance thérapeutique avec le
patient, dans le cas où la situation se présenterait. La WAI répond à ces craintes car elle
existe sous forme courte, la WAI short form (68) et, comme nous l’avons déjà vu, elle
évalue séparément les trois dimensions de l’AT permettant d’identifier laquelle est en
déficit par rapport aux autres. Les entretiens ont également permis d’identifier que les
interrogés utiliseraient cette évaluation régulièrement au même titre qu’un bilan clinique,
ce qui est une application possible de la WAI.

Le retour sur les hypothèses permet de mettre en lumière l’aboutissement de ce travail


de recherche. Les objectifs de recherche, fixés au début de ce travail, sont atteints et
permettent de prendre conscience des représentations et de l’importance de l’AT dans le
domaine de la kinésithérapie libérale.

7.2 Limites et intérêts de l’étude


L’alliance thérapeutique est une notion centrale dans la prise en charge des patients.
Elle est énigmatique dans le sens où elle est cruciale pour assurer le meilleur résultat
60
possible mais sa qualité ne peut jamais être véritablement connue par le thérapeute.
Trouver un outil permettant de l’évaluer pourrait être un moyen de donner aux thérapeutes
des solutions pour lever cette zone de flou et assurer la meilleure prise en charge pour
leurs patients. Mais avant cela, il est nécessaire de connaître l’avis d’experts sur ce sujet.
L’intérêt principal de cette étude était d’apporter une explication à l’interrogation
suivante : « Il existe des échelles mesurant l’alliance thérapeutique, validée en français et
validée dans le champ de la kinésithérapie. Sont-elles utilisées ? Si ce n’est pas le cas,
pourquoi ? ». La méthode de recherche de ce mémoire est une méthode qualitative, basée
sur des entretiens semi-directifs, avec des MKDE libéraux, visant à recueillir leurs
représentations, leurs témoignages et leurs avis sur le thème de l’AT, de sa place dans la
prise en charge et de son évaluation. Cette méthode présente certaines limites dont la
principale est celle liée à l’interprétation et à la subjectivité. Bien que cette démarche se
soit voulue rigoureuse et systématique dans son application, comme le présente Jean
Poupart dans son article L’entretien de type qualitatif. Réflexions de Jean Poupart sur
cette méthode (69), elle présentera toujours plus de subjectivité qu’une méthode
quantitative. Son objectif est de comprendre le fonctionnement et le raisonnement des
interrogés. L’analyse des résultats dépend, elle aussi, de la compréhension de l’évaluateur
et de son interprétation, ce qui pourrait laisser planer le doute sur sa validité scientifique.
Cependant, la recherche qualitative a parfaitement sa place en santé, elle peut être à
l’origine d’une grande quantité de données exploitables au même titre que les études
quantitatives (70). Les deux méthodes sont complémentaires, s’intéressant chacune à des
questions de recherche différentes (71). Face à une telle question de recherche, cette étude
qualitative a permis de produire des résultats intéressants et exploitables.

Comme toute recherche qualitative, ce travail présente des limites, déjà présentées
dans le chapitre « méthodologie », relatives à la réalisation des entretiens et décrites par
Geneviève Imbert (9). Pour les reprendre, tous les entretiens ne se sont pas déroulés dans
le même contexte : en effet, en raison de la distance géographique, quatre d’entre eux ont
été réalisés par appel téléphonique ou visio-conférence. Une autre limite, relative à la
situation sociale des intervenants de l’étude, peut être constatée. Comme dit
précédemment, six des neuf interrogés connaissaient l’enquêteur avant de participer à
l’étude. Une différence de relation pouvait donc exister entre les participants, ce qui a pu
impacter leur discours et leur témoignage. Ce travail de recherche s’est voulu le plus
rigoureux et objectif possible, de la construction du guide d’entretien à l’analyse des

61
entrevues en passant par leur réalisation. Malheureusement, le faible nombre de
participants ne permet pas une généralisation à l’ensemble de la population de MKDE.
Ces limites sont compensées par le fait que cette étude a permis de recueillir les avis de
MKDE issus de parcours professionnels différents, et donc de collecter un ensemble de
témoignages variés qui permet d’imaginer de nouvelles perspectives de recherche.

Les résultats obtenus avec cet échantillon sont encourageants et ouvrent des portes sur
d’autres recherches sur le thème de l’évaluation de l’alliance thérapeutique. Grâce à cette
étude il a pu être mis en évidence que les MKDE interrogés trouvent un intérêt pour
l’évaluation de l’AT dans leur pratique. On peut à présent s’interroger sur la possibilité
de mise en place de la WAI dans la pratique des kinésithérapeutes et recueillir leur retour
sur son utilisation, afin d’en évaluer l’acceptabilité dans la prise en charge des lombalgies
chroniques. Cette piste de recherche permettrait de faire le lien avec les recherches
menées par les Dr Gaouyer et Dr Gicquel (35,72) et de savoir si la WAI est un outil
utilisable en kinésithérapie ou s’il serait plus intéressant de développer un nouvel outil
spécifique à la kinésithérapie.

7.3 Professionnalisation et axes d’amélioration


7.3.1 Apports personnels
La construction de l’alliance thérapeutique avec le patient est, selon un point de vue
personnel, une notion de plus en plus centrale dans la formation des professionnels de
santé. En comparant mon vécu et mon parcours de formation initiale avec les témoignages
des MKDE interrogés, je constate une volonté de la part de notre institut de formation de
nous faire prendre conscience de l’importance de l’aspect relationnel dans une prise en
charge. Cette volonté est en lien avec l’évolution de la pratique médicale depuis plusieurs
dizaines d’années (9) et avec le développement de la pratique EBP (63). Elle se concrétise
par la présence de formations sur la communication thérapeutique, sur les théories de
l’apprentissage ou encore la réalisation de la formation ETP durant la quatrième année du
cursus.

Ce travail de recherche est venu approfondir mes connaissances sur le sujet et conforter
mes idées sur l’importance de la compétence « Etablir et entretenir une relation et une
communication dans un contexte d’intervention en masso-kinésithérapie » (16). Les
conclusions et la diversité des témoignages issus de ce mémoire guideront ma future

62
pratique professionnelle, et me donnent envie de développer davantage mes compétences
en communication et en pédagogie. Les enseignements que j’ai pu tirer des échanges avec
les professionnels impacteront ma relation avec les patients, notamment durant les
premières séances. Je comprends à présent tous les enjeux de la posture et du rôle que le
kinésithérapeute doit jouer auprès de son patient. Il n’est pas qu’un simple technicien qui
dispense des soins, l’empathie et la prise en compte de la singularité du patient sont des
éléments primordiaux que l’on nous répète depuis le début de notre formation mais qui
ont pris un réel sens grâce à ce travail de recherche.

Cette initiation à la recherche m’a permis de comprendre toute la force de la


communication et de la relation avec le patient dans le soin. Elle me donne envie de
poursuivre mon apprentissage dans ce domaine grâce à diverses formations ou des
diplômes universitaires. Aujourd’hui, plusieurs de ces formations m’attirent afin de
développer mes compétences de communication avec le patient car je suis à présent
convaincu qu’elles feront de moi un meilleur thérapeute.

7.3.2 Amélioration des pratiques : Evaluer l’utilisation de la WAI chez les


kinésithérapeutes libéraux
Comme dit précédemment, les conclusions de cette étude permettent d’envisager de
nouvelles perspectives de recherche sur le thème de l’évaluation de l’AT dans la pratique.
Maintenant que l’on a constaté un intérêt des MKDE pour cette évaluation fiable de l’AT,
on pourrait imaginer une étude visant à tester la WAI lors de la prise en charge de patients
souffrant de lombalgie chronique. Il pourrait s’agir d’une étude qualitative dans laquelle
la WAI serait présentée à un groupe de MKDE. Il leur serait alors demandé d’essayer de
la mettre en œuvre durant le traitement de leurs patients lombalgiques chroniques sur une
période déterminée, par exemple trois mois. Au terme de cette période, des entretiens
semi-directifs seraient réalisés afin de recueillir les retours et les expériences des MKDE
sur l’utilisation de la WAI. Ceci permettrait de recueillir un ensemble d’avis basés sur des
expériences cliniques personnelles, et d’en conclure sur la possibilité d’utiliser cet outil
dans la pratique ou de trouver des pistes d’amélioration. Cette étude serait donc en lien
avec les thèses des Dr Gaouyer et Dr Gicquel (34,35), elle permettrait de voir si l’avis des
kinésithérapeutes est différent de celui des internes en médecine et de connaître les raisons
qui motiveraient les kinésithérapeutes à utiliser, ou non cet outil.

63
7.3.2 Amélioration des pratiques : Utilisation de la WAI durant la formation
Cet axe d’amélioration est également inspiré des thèses des Dr Gaouyer et Dr Gicquel
(34,35). Dans leurs thèses respectives elles évoquaient la possibilité d’utiliser cette
échelle dans le parcours de formation des internes en médecine générale. Cette possibilité
est également envisageable dans le parcours de formation des étudiants en masso-
kinésithérapie et pourrait constituer une question de recherche intéressante. Alors que
l’on constate une évolution de la formation vers l’approfondissement des compétences
relationnelles, notamment avec la mise en place de l’initiation à la formation ETP dans le
cursus initial à l’IFMK de Brest depuis 2019, il pourrait être intéressant de proposer cette
échelle afin de guider les étudiants à appréhender cette notion qu’est l’alliance
thérapeutique. Il pourrait également s’agir d’une étude qualitative dans laquelle il serait
proposé aux étudiants MK d’utiliser la WAI version thérapeute durant leur stage et, dans
un second temps, de les interroger sur ce que cela leur a apporté.

64
8. Conclusion
La finalité de ce travail de recherche était, d’une part, de faire un bilan des connaissances
des MKDE libéraux sur l’alliance thérapeutique. D’autre part, de recueillir leurs avis sur
l’intérêt que pourrait représenter une évaluation fiable de cette alliance dans la prise en
charge des patients souffrant de lombalgie chronique. Cette finalité fut problématisée
ainsi : « Quel serait l’apport et l’usage d’une évaluation fiable de l’alliance thérapeutique
entre un kinésithérapeute et son patient dans la prise en charge des lombalgies
chroniques ? ». Afin de répondre aux objectifs de recherche soulevés par cette
problématique, ce travail de recherche s’est organisé autour d’une méthode qualitative
par entretiens semi-directifs. La principale difficulté rencontrée était dans l’interprétation
et l’analyse des résultats. Afin de ne pas déformer les propos des interrogés, l’ensemble
des entretiens fut enregistré, retranscrit dans leur intégralité et analysé individuellement
de façon rigoureuse.

Les résultats issus de cette recherche permettent de conclure que l’alliance thérapeutique
est une notion maîtrisée par les MKDE interrogés. Ils consacrent, tous, un intérêt
particulier dans sa construction, en collaboration avec le patient, la jugeant comme un
facteur déterminant dans la réussite du traitement. Actuellement, ils ne sont pas en mesure
d’identifier de manière fiable la qualité de cette alliance à un moment t de la prise en
charge, chacun se fiant à son instinct ou usant d’indices extérieurs pour en avoir une idée.
Face à ce constat, la majorité des interrogés manifeste un intérêt pour l’utilisation d’un
outil d’évaluation fiable de l’alliance thérapeutique dans leur pratique.

Ces résultats sont surprenants quand on les confronte à l’hypothèse de départ, selon
laquelle, tous les MKDE n’accordent pas la même importance à l’alliance thérapeutique
dans le soin. Ils viennent confirmer l’intérêt que pourrait représenter l’évaluation de l’AT
pour la prise en charge des lombalgies chroniques. Ils permettent, à présent, d’offrir de
nouvelles perspectives de recherche notamment sur la mise en place des outils
d’évaluation existants auprès des MKDE ou des étudiants MK en formation.

L’alliance thérapeutique est le principal levier sur lequel on peut agir afin de tirer le
meilleur profit d’un programme de rééducation. S’assurer de sa bonne qualité est donc le
meilleur moyen, pour nous thérapeutes, d’assurer un haut niveau de prise en charge. Cela
étant, ce travail de recherche s’inscrit dans une problématique plus vaste. En effet on peut,
à présent, s’interroger sur les possibilités d’utilisation de la WAI dans la réalité pratique.

65
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thérapeutique entre médecins et patients, la WAI, auprès des étudiants du Diplôme de
Formation Approfondie en Sciences Médicales de Brest. In 2016.

70
Sommaires des annexes :

Annexe 1 : Guide d’entretien……………………………………………………… I


Annexe 2 : Entretien d’Elise, MKDE libérale formée ETP………………………III
Annexe 3 : Forme française de la WAI, traduite par Yohann Alix………………X
Annexe 1 : Guide d’entretien

Je suis étudiant en 4ème année de masso-kinésithérapie. Dans le cadre de ma formation je réalise un


mémoire d’initiation à la recherche sur le thème de l’alliance thérapeutique et les outils permettant
sa mesure. Je souhaite savoir si ces outils sont utilisables et s’ils apportent un bénéfice à la prise en
charge des lombalgies chroniques. Afin de répondre à cette question je souhaite réaliser des entretiens
semi-directifs avec des MKDE, dans le but de recueillir leurs témoignages et leur avis sur cette
question en se basant sur leur expérience et leur représentation de l’alliance thérapeutique.
Durant cet entretien je vais vous poser des questions ouvertes en lien avec votre expérience et votre
pratique professionnelle, une fois la question posée je vous laisserai formuler votre réponse en vous
interrompant le moins possible.
Afin de faciliter le travail de retranscription et d’analyse de l’entretien, je souhaite savoir si ce dernier
peut être enregistré. L’usage de cet enregistrement sera réservé à la simple retranscription et aucune
diffusion ne sera effectuée en dehors de ce cadre.
Pourriez-vous, pour commencer, me donner la date d’obtention de votre diplôme d’état ?

Question 1 :
Pouvez-vous me présenter votre parcours professionnel depuis l’obtention de votre
diplôme d’état ?

Question 2 :
Depuis l’obtention de votre diplôme, comment a évolué votre approche des patients afin
de les mettre en confiance et de créer une alliance avec eux ?

Question 3 :
Quelles stratégies ou techniques d’approche mettez-vous en place pour construire une
relation et un cadre de soin optimal avec un patient ? Que ce soit durant la première
séance, mais aussi dans la durée tout au long de la prise en charge ?

Question 4 :
Selon vous, qu’est-ce que cette relation avec le patient apporte à votre prise en charge ?
Et quelle place occupe-t-elle dans votre exercice professionnel ?

Question 5 :
Quelles sont, selon vous, les particularités de la construction de ce cadre avec des
patients lombalgiques chroniques ?

I
Question 6 :
Comment vous assurez-vous que votre cadre de soin/relation est optimal pour votre
prise en charge ? (utilisez-vous des indicateurs spécifiques ?)
Question 7 :
Si je vous disais qu’il existe un outil permettant d’évaluer la force du lien qu’il existe
entre un MKDE et son patient, quel intérêt pourrait-il représenter dans votre pratique ?

II
Annexe 2 : Entretien d’Elise, MKDE libérale formée à l’ETP

Paul : Avant de commencer, comme pour tous les entretiens que j’ai réalisés jusqu’à
présent, j’aimerais vous lire un encadré que j’ai préparé qui me permet de vous
réexpliquer le contenu de mon mémoire, ma réflexion et mon objectif de recherche. « Je
suis étudiant en 4ème année de masso-kinésithérapie. Dans le cadre de ma formation je
réalise un mémoire d’initiation à la recherche sur le thème de l’alliance thérapeutique et
les outils permettant sa mesure. Je souhaite savoir si ces outils sont utilisables et s’ils
apportent un bénéfice à la prise en charge des lombalgies chroniques. Afin de répondre
à cette question je souhaite réaliser des entretiens semi-directifs avec des MKDE, dans
le but de recueillir leurs témoignages et leur avis sur cette question en se basant sur leur
expérience et leur représentation de l’alliance thérapeutique.

Durant cet entretien je vais vous poser des questions ouvertes en lien avec votre
expérience et votre pratique professionnelle. Une fois la question posée, je vous laisserai
formuler votre réponse en vous interrompant le moins possible.

Afin de faciliter le travail de retranscription et d’analyse de l’entretien, je souhaite savoir


si ce dernier peut être enregistré. L’usage de cet enregistrement sera réservé à la simple
retranscription et aucune diffusion ne sera effectuée en dehors de ce cadre ».

Elise : D’accord.

Paul : Avant de commencer l’entretien, pourriez-vous me donner la date de votre diplôme


d’état s’il-vous-plait ?

Elise : 2002.

Paul : Ok. Pourriez-vous maintenant me présenter votre parcours professionnel et votre


parcours de formation depuis l’obtention de votre diplôme d’état ? Je vous propose de
séparer la réponse en deux parties, commencer par le parcours professionnel puis le
parcours de formation.

Elise : D’accord. Dans un premier temps, j’ai toujours exercé en libéral depuis l’obtention
de mon diplôme jusqu’en janvier 2018, où là j’ai entrepris une activité mixte, c’est-à-dire
que j’ai conservé mon activité libérale mais, à côté, je suis également salariée d’une
association qui fait de la prévention en kinésithérapie.

III
Paul : D’accord, et pour votre parcours de formation.

Elise : J’ai réalisé plusieurs formations, tous les ans depuis que je suis diplômée. Dans
les formations certifiantes et validantes je citerais mon diplôme d’ostéopathe, ensuite mon
master 2 en sciences de l’éducation et un DU d’ergonomie, et évidemment la formation
ETP, quarante heures validantes.

Paul : D’accord. Alors du coup si maintenant je vous demande, depuis l’obtention de


votre diplôme, comment a évolué votre approche des patients afin de les mettre en
confiance et de créer un cadre de soin avec eux ?

Elise : C’est vaste comme question. Si je me projette à mes débuts, très rapidement j’ai
dû passer d’une communication technique à une communication beaucoup plus humaine,
on peut dire ça comme ça. Ce qui explique aussi mon parcours de formation. De la
technique je suis allée chercher un diplôme d’ostéopathe qui s’est révélé intéressant mais
non suffisant. Ce qui m’a amené à chercher des formations qui approfondissent la relation
humaine et justement la quête de l’alliance thérapeutique. Donc, effectivement, tout au
long de ma carrière, je me suis éloignée, on va dire, de l’intérêt que je portais à la
technique pour à la fin, ces dernières années, me dire que le mouvement était devenu un
prétexte à la prise en soin que je réalisais chaque jour.

Paul : D’accord. Quand vous parlez de « communication technique » ça veut dire que
vous étiez plus focalisée sur le geste et les techniques kinés plutôt que sur la
communication et la relation avec le patient ?

Elise : Oui c’est ça.

Paul : Est-ce que vous pourriez détailler cet aspect de la « communication humaine » que
vous avez évoqué ? Qu’est-ce qui, concrètement, a changé dans votre prise en charge à
partir de ce moment-là ?

Elise : Je dirai l’écoute du patient, la capacité à poser des questions ouvertes et à


reformuler, chose que je ne faisais pas de prime abord, a fortiori parce qu’à l’époque ça
ne faisait pas partie de ma formation initiale. Donc c’est principalement dans les
modalités de mon discours que ça a beaucoup changé et dans ma posture de soignant, où
je suis passée d’une posture de coach à une posture beaucoup plus participative qui
favorisait l’adhésion et le changement du patient.

IV
Paul : Ok. Du coup je vais passer à la question suivante, qui risque peut-être de vous faire
répéter certaines choses. Quelles stratégies ou techniques d’approches vous mettez en
place pour construire une relation et un cadre de soin optimal avec le patient ? Que ce soit
durant la première séance mais aussi durant le reste de la prise en charge ?

Elise : La première séance est très importante, je pense, car elle permet de poser le cadre
et le décor, le cadre de nos échanges. C’est durant cette première séance que je vais poser
des questions majoritairement ouvertes pour en apprendre le plus possible sur le patient.
Je vais également, en fin de séance, définir le cadre et formuler des objectifs que je lui
demanderai de valider ou non. On peut parler d’un contrat d’objectifs. Donc je joue en
permanence, durant les premières séances, sur ces deux tableaux à la fois très ouverts et
très larges pour adapter toute la prise en soin au patient, pour qu’il puisse y prendre part,
mais en apportant un cadre d’objectifs.

Tout au long de la prise en soin, les questions resteront ouvertes et centrées sur le patient.

Paul : D’accord, là je pense que je ne pouvais pas attendre de réponse plus claire sur ce
thème. Je vous propose donc de passer à la question suivante. Selon vous, qu’est-ce que
la relation que vous créez avec le patient va apporter à votre prise en charge ? Et quelle
place elle occupe dans votre exercice professionnel ?

Elise : Elle est centrale, et elle est devenue vraiment centrale au fur et à mesure des
formations complémentaires que j’ai pu faire et valider par mon expérience de terrain.
Elle est vraiment centrale. Je pense que c’est une relation de confiance, une relation
responsable aussi, parce que le patient a une place d’acteur de son traitement et de sa prise
en soin, il devient responsable également. Donc, ça enlève une certaine passivité. Il est
actif. Et j’avais remarqué, par exemple, que j’avais très peu de « lapins » au fil des
séances. Il y a ça aussi qui se perçoit, que les patients venaient vraiment avec beaucoup
de régularité à ces séances. D’ailleurs je pourrais même les laisser choisir le tempo des
séances, il n’y a pas de soucis là-dessus. Et donc, j’avais quasiment aucun « lapin » dès
lors que j’avais changé ma façon de communiquer avec les patients. C’est donc une
relation de confiance et de responsabilité.

Paul : Du coup ce que vous me dîtes c’est que cette relation apporte une participation
plus active du patient ?

Elise : Ah oui, complètement !

V
Paul : D’accord, du coup maintenant si je vous demande de vous focaliser plus sur la
lombalgie chronique. Je ne sais pas si vous avez l’habitude d’en prendre en charge
régulièrement ou pas. Selon vous, quelles sont les particularités de la construction de ce
cadre avec des patients souffrant de lombalgies chroniques ?

Elise : Alors mon activité libérale tourne à 80 % autour de la prise en charge de


lombalgies chroniques car je suis en relation avec le service de rééducation de l’hôpital
de Saint-Brieuc. Donc, ils nous envoyaient les patients en pré-RFR, ce sont des patients
qui avaient consulté le médecin MPR de l’hôpital et qui devaient attendre une place pour
entrer dans le programme RFR de l’hôpital. Soit, ils devaient attendre une place soit, on
devait les préparer avant qu’ils ne puissent rentrer. Donc, j’ai une certaine expertise sur
le sujet. Pourquoi ça compte ? Parce que selon moi, mon expérience professionnelle m’a
montré que ces patients, porteurs de lombalgies chroniques, sont, la plupart du temps, en
errance thérapeutique. Donc, ils avaient un gros vécu expérientiel autour de leur
pathologie, ce qui pouvait occasionner des représentations assez fortes comme la peur,
comme le sentiment de « mon corps est cassé », des images nocebo qui sont d’ailleurs
parfois véhiculées par les nombreux examens qu’ils ont pu avoir. Donc déjà il y a
beaucoup de représentations à questionner. Et puis, questionner aussi les bénéfices
secondaires qui sont parfois présents, dans ces « yellow flags » il y avait quand-même
plusieurs choses à entrevoir, qui faisait que si ma posture avait été trop directive, ce qui
peut arriver quand on n’est pas sensibilisé à ça, je les aurais perdus dès le début.

Paul : Ok. Donc du coup c’est vraiment…

Elise : Le vécu expérientiel qu’ils ont. Ils ont un gros vécu par rapport à d’autres
personnes qui sont sur des lombalgies aigues. Là on questionne vraiment des années de
douleur chronique.

Paul : D’accord, et si je vous demande de préciser quelles adaptations vous mettez en


place par rapport à cette particularité-là ?

Elise : L’adaptation était déjà dans le bilan parce que je leur faisais passer des échelles
de qualité de vie et puis des questions sur la connaissance de leur pathologie, en tout cas
les représentations qu’ils en avaient. Donc ça me laissait un grand champ d’action. Et
puis, aussi, je les questionnais sur les prises en soin dont ils avaient bénéficiées
auparavant. C’est là-dessus qu’on construisait vraiment le parcours.

VI
Paul : En fonction de leur ressenti et de leurs attentes ?

Elise : Oui et de leur vécu.

Paul : Ok. Du coup maintenant si je vous demande, que ce soit avec des patients
lombalgiques chroniques ou d’autres patients, comment est-ce que vous vous assurez que
votre cadre de soin ou votre relation est optimale pour votre prise en charge ?

Elise : Je n’ai pas de moyen autres que subjectifs. Ma réponse va forcément être
subjective. Justement ça m’intéressera de lire votre mémoire après parce que mon ressenti
va être uniquement subjectif et qualitatif. Donc ça va être des choses comme le fait de
ressentir s’il est content de venir à ses séances, s’il y vient de façon régulière, si, d’une
façon ou d’une autre, il s’est approprié des éléments d’objectifs qu’on avait définis
ensemble. Qui ne sont pas forcément « faire tel ou tel exercice », ça peut aussi être des
modifications d’habitudes dans la vie quotidienne, en tout cas des choses qu’on aura
définies ensemble. Donc voir s’il y a des choses qui se mettent en place de son côté. Et
puis après c’est jongler avec cette qualité présentielle, et à un moment donné que je sente
s’il arrive à se détacher de moi justement en prenant son envol et en espaçant les séances.
Mais en même temps en gardant la qualité de nos échanges. Mais oui autrement c’est
totalement subjectif, je n’ai pas de notion de bilan quantitatif pour évaluer ça.

Paul : Ça passe aussi par l’échange avec le patient je suppose ?

Elise : Oui, complètement.

Paul : Et du coup, vous avez surtout insisté sur le côté présentiel, le fait que le patient
vienne aux séances ou non et qu’il y voit un intérêt. Mais pendant le déroulement de la
séance est-ce qu’il y aurait d’autres éléments qui vous permettent de savoir si votre
relation avec votre patient est optimale ?

Elise : Euh…. Je ne sais pas quoi répondre. En quoi je peux m’assurer en présentiel que
j’ai une bonne alliance avec mon patient ? [NDLR : question qu’elle se pose à elle-même]

Paul : Après je ne dis pas qu’il y a forcément une réponse à cette question, je voulais
juste vous orienter vers ce point.

Elise : Oui, je réfléchis… Ça va encore être des choses que j’imagine. J’imagine que je
vais m’attacher au fait qu’il me regarde dans les yeux ou pas, si notre relation elle est
sincère, ouais des choses comme ça.

VII
Paul : D’accord. Du coup j’arrive à la dernière question de mon guide d’entretien qui est
directement en lien avec ce dont on vient de parler. Si je vous disais maintenant qu’il
existait un outil permettant d’évaluer la force du lien qui existe entre un kiné et son
patient, quel intérêt pourrait représenter cette évaluation dans votre pratique et votre prise
en charge ?

Elise : Me concernant, cet outil représenterait un intérêt énorme. J’adorerais avoir un outil
me permettant d’évaluer ce dont on vient de parler. Et ce à deux niveaux, tout d’abord
dans la prise en soin que je peux faire au quotidien mais également, à titre personnel, car
ça me passionne. Donc, effectivement, je serai très preneuse d’une évaluation de ce type.

Paul : D’accord, au vu de ce que vous me dîtes je pense que vous y attacheriez beaucoup
d’importance. Est-ce que vous pouvez déjà imaginer les modalités d’utilisation de cette
évaluation ? En termes de durée, de temporalité ? Est-ce que vous vous imagineriez
l’utiliser à toutes les séances ou alors une utilisation régulière par exemple toutes les
semaines ?

Elise : Ce n’est pas évident de dire ça maintenant. Déjà, ce n’est pas évident, entre moi
et moi que je m’engage à faire quelque chose exactement toutes les semaines ou tous les
mois, je pense que dans la vraie vie je n’y arriverai pas. Mais par contre, je pense qu’à
des moments clés ça peut être intéressant. Par exemple, des moments où on fait des bilans,
que ce soit des bilans physiques ou quand je lui fais remplir des auto-questionnaires avant
d’aller voir le médecin de rééducation. Ça peut être à ce moment-là. Ça peut aussi être
utilisé à des moments où on peut sentir que la qualité de l’alliance diminue, ce sera un
ressenti subjectif et ça pourrait être intéressant de l’évaluer de façon plus concrète à ce
moment-là.

Paul : Du coup je rebondis directement sur l’idée que vous venez d’évoquer. Si jamais
vous sentiez que votre alliance avec un patient se dégradait et que vous objectiviez cette
dégradation avec cet outil, quel intérêt ça pourrait représenter pour votre prise en charge
à ce moment-là ?

Elise : Je pense que ça m’aiderait à repérer à quel endroit de la relation ça a pêché. Parce
que je suppose que cette évaluation de l’alliance thérapeutique, dans cette grille, tient
compte de plusieurs éléments. Ça me permettrait donc d’identifier l’élément ou les
éléments de la relation qui ont provoqué cette diminution de la force de l’alliance.

VIII
Paul : D’accord. Merci. Du coup je suis arrivé au bout de mes questions. Je pense avoir
abordé avec vous tous les éléments qui me semblaient importants sur ce thème. Avant de
mettre fin à cet entretien, je voulais savoir si vous aviez quelque chose à rajouter en plus,
un élément qui vous serait venu à l’esprit durant l’entretien et que vous n’auriez pas pu
dire ? Ou alors un sujet qui vous semblait important et que je n’aurais pas abordé avec
vous durant cet entretien ?

Elise : Je réfléchis… Non, non je pense qu’on a fait le tour.

Paul : D’accord, parfait. Du coup merci encore pour votre participation et votre aide dans
mon travail de recherche. Je vous propose de couper l’enregistrement et de s’arrêter là
pour cet entretien.

Elise : Oui, très bien.

IX
Annexe 3 : Forme française de la WAI, version thérapeute, traduite
par le Dr Yohann Alix (37)

X
XI
XII
XIII
XIV
TANGUY Paul
Intérêt d’un modèle d’évaluation de l’alliance thérapeutique dans la prise en charge des
patients souffrant de lombalgie chronique : une étude qualitative réalisée auprès de
MKDE libéraux
Introduction : L’alliance thérapeutique (AT) entre un patient et son thérapeute est un
élément central, prédictif de résultats, dans la prise en charge des pathologies
chroniques. L’objectif de ce mémoire est de comprendre les moyens employés par les
kinésithérapeutes pour évaluer la qualité de l’alliance thérapeutique. Et dans un second
temps, de se préoccuper de l’intérêt que pourrait représenter un modèle d’évaluation
fiable de l’AT dans la prise en charge des patients souffrant de lombalgies chroniques.
Méthode : Cette étude est une recherche qualitative par entretiens semi-directifs
réalisés auprès d’une population de neuf masseurs-kinésithérapeutes (MKDE) libéraux.
Ceci dans le but de recueillir leur retour d’expérience sur la construction de l’AT et
leurs avis sur l’intérêt que pourrait représenter un modèle d’évaluation fiable dans leur
pratique.
Résultats : Les moyens employés par les MKDE, afin d’évaluer l’AT, sont
principalement subjectifs, par analyse du comportement du patient ou par recherche de
feed-back. Il a été constaté un intérêt de la part de la population interrogée pour
l’utilisation d’un modèle fiable d’évaluation de l’AT.
Conclusion : Les résultats de cette étude permettent de mettre en lumière l’intérêt que
représenterait l’évaluation de l’AT dans la prise en charge des lombalgies chroniques
afin d’assurer un haut niveau de résultat. Cette recherche ouvre également des
perspectives sur de futures études visant à étudier les possibilités d’utilisation d’outil
d’évaluation de l’AT existant lors de la prise en charge de patients souffrant de
lombalgie chronique.

Background: Therapeutic alliance (TA) between a patient and his therapist is the key
of chronic diseases treatment. During the treatment, the challenge for the therapist is
making sure of this alliance and its quality. The purpose of this study is to understand
the ways used by physiotherapist to assess therapeutic alliance quality. Especially, this
study tries to figure out the interest of a TA assessment model in the chronic low back
pain treatments.
Design: This study was a qualitative research, based on semi-structured interviews with
9 freelance physiotherapists. It aimed at collecting their feedbacks regarding
therapeutic alliance, its building and its assessment.
Results: To assess TA, physiotherapist mainly used subjective methods by analysing
patient’s behaviour or by asking them for feed-backs. This study showed an interest
among physiotherapists interviewed about using an assessment model of therapeutic
alliance.
Conclusion: To conclude, this research highlights the interest of therapeutic alliance
assessment in chronic low back pain treatment. It also allows new prospects about
therapeutic alliance assessment research, for instance studying the possibility of using
existing therapeutic alliance scale during chronic low back pain treatment.

Keywords: Therapeutic alliance, assessment, relationship, chronic low back pain


Mots clés: Alliance thérapeutique, évaluation, relation, lombalgie chronique
Institut de formation Masseurs Kinésithérapeutes :
22 rue Camille Desmoulins, 29200 BREST
Travail écrit de fin d’études – 2016-2020

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