Discours Et Analyse Du Discours Riassunto
Discours Et Analyse Du Discours Riassunto
Discours Et Analyse Du Discours Riassunto
Le terme « analyse du discours » a été introduit par Z.S. Harris, un linguiste distributionnaliste,
dans un article intitulé « discours », où discours désignait une unité linguistique constituée de
phrases, un texte donc. Son projet était d’analyser la structure d’un texte en fondant sur la
récurrence de certains éléments, et de mettre en relation les régularités textuelles avec des
phénomènes d’ordre social (chaque discours est produit dans une situation précise). L’attitude de
Harris ressemblait à celle du structuralisme littéraire français des années 1960. Mais la référence
à Harris est loin d’avoir valeur fondatrice pour l’analyse du discours d’aujourd’hui. Les
problématiques qui aujourd’hui participent de l’analyse du discours sont apparues dans les années
1960, principalement aux États-Unis, en France et en Angleterre. C’est à partir des années 1980 que
s’est constitué un espace de recherche véritablement mondial.
Aux États-Unis, l’étude du discours a été alimentée par des courants très divers : l’ethnographie de
la communication (liée à l’anthropologie), l’ethnométhodologie (une théorie sociologique),
l’analyse conversationnelle (proposait une méthode d’analyse des interactions orales). Ces divers
courant ont partagé un même espace de recherche et celui-ci s’est enrichi des apports des théories
poststructuralistes du discours.
La réflexion sur le discours a bénéficié d’apports venus de la philosophie et de la linguistique. On a
parlé d’un « tournant linguistique » pour l’idée, défendue en particulier par Wittgenstein, que le
travail conceptuel de la philosophie suppose une analyse antérieure du langage ; dans les travaux de
Austin sur les « actes de langages », la linguistique a été de plus en plus imprégnée par les courants
pragmatiques, qui abordaient la parole comme une activité. Parallèlement, à partir des années 1960,
s’est développée une nouvelle discipline, la linguistique textuelle, qui fournissait aux analystes du
discours des instruments précieux pour appréhender la structuration des textes.
En France l’analyse du discours se posait sur le structuralisme (le 1966 est la grand année du
structuralisme). En 1969 la revue de linguistique « langages » consacre un numéro spécial (13) à
un domaine nouveau qu’elle appelle « L’analyse du discours », dont le responsable est le linguiste
Jean Dubois. Pour lui, développer l’analyse du discours est une manière d’élargir les travaux de
linguistique sur les relations entre langue et société, dans le but d’améliorer notre compréhension
des relations entre les textes et les situations sociohistoriques dans lesquelles ils sont produits.
Cette conception de l’analyse du discours va largement se diffuser en France. En fait, il y a deux
auteurs qui se sont détachés par l’analyse du discours.
Auteur d’une Analyse automatique du discours, Michel Pêcheux, philosophe marxiste, n’a
participé au numéro spécial parce que son projet était différent. Sa démarche est celle d’une
sorte de psychanalyste du discours qui est animé par un projet marxiste. En procédant à une
analyse des textes, on cherche à révéler l’idéologie qu’ils sont voués à dissimuler.
L’auteur de l’Archéologie du savoir, M. Foucault, refuse la linguistique. Ce qu’il nommait «
discours » n’avait pas de relation directe avec l’usage de la langue. La démarche de Foucault
contrastait avec celle de Pêcheux sur un autre point : il refusait les démarches qui cherchaient
à mettre au jour une sorte d’inconscient textuel.
Passée la période de fondation, l’analyse du discours française s’ouvre aux concepts issus des
courants pragmatiques, des théories de l’énonciation, de la linguistique textuelle.
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Pour les linguistes, le discours est communément défini comme « l’usage de la langue » . Plus
précisément, en linguistique, « discours » entre dans trois oppositions majeures :
Entre discours et phrase : Quand on oppose discours et phrase, le discours est considéré
comme une unité linguistique constituée d’un enchainement de phrases ;
Entre discours et langue : L’opposition entre discours et langue oppose la langue conçue
comme système et son usage en contexte ;
Entre discours et texte.
La notion de language in use, fréquente dans la littérature anglophone comme paraphrase de «
discours », associe deux oppositions : textuelle (discours vs phrase) et contextuelle (discours vs
langue).
Quand on parle de « discours » on active ainsi de manière diffuse un ensemble ouvert de leitmotivs,
d’idées-forces :
Le discours est une organisation au-delà de la phrase : tout discours mobilise des
structures d’un autre ordre que celles de la phrase. Un proverbe ou une interdiction comme «
ne pas fumer » sont des discours, ils forment une unité complète même s’ils ne sont
constitués que d’une phrase unique ;
Le discours est une forme d’action : parler est considéré comme une forme d’action sur
autrui, et pas seulement une représentation du monde ;
Le discours est interactif : toute énonciation, même produite sans la présence d’un
destinataire ou en présence d’un destinataire qui semble passif, est prise dans une
interactivité constitutive. C’est pour ça qu’il ne faut pas réduire l’interactivité fondamentale
du discours à la conversation;
Le discours est contextualisé : hors contexte, on ne peut assigner un sens à un énoncé ;
Le discours est pris en charge par un sujet : le discours est rapporté à un sujet, un JE (avec
ses sources des repérages personnels, spatiaux et temporels), qui indique quelle attitude il
adopte à l’égard de ce qu’il dit et de son destinataire ;
Le discours est régi par des normes : l’activité verbale est régie par des normes. Un acte
aussi simple en apparence come la question, par exemple, implique que le locuteur ignore la
réponse, que cette réponse a quelque intérêt pour lui, qu’il croit que l’individu questionné
peut la donner, etc. ;
Le discours est pris dans un inter-discours : pour interpréter l’énoncé il faut le mettre en
relation avec toutes sortes d’autres sur lesquels il s’appuie de multiples manières. Le seul fait
de ranger un texte dans un genre (la conférence, le journal télévisé…) implique qu’on le
mette en relation avec les autres textes du même genre ;
Le discours construit socialement le sens : interactions orales entre deux personnes.
Pour prendre la mesure de cette plasticité du terme « discours », il convient d’éviter deux attitudes
qu’on pourrait qualifier :
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Les analystes du discours se focalisent naturellement sur le terme « discours », ils emploient sans
cesse « texte », qui interfère avec « discours » d’une manière qui n’est pas toujours contrôlée. Si
l’on associe un seul discours à un ensemble des textes, « discours » peut correspondre à des
entités de natures très diverses : une discipline (le discours de la géographie) ; une thématique (le
discours sur la sécurité) etc. Si l’on associe un discours à chaque texte, le discours est présenté
comme ce qui sous-tend un texte et motive au premier chef sa production.
Les usages de « texte » peuvent être regroupés en trois axes majeures :
- Texte-structure : le texte est appréhendé comme un réseau de relations de phrase à phrase
ou de groupements de phrases (allitérations, connecteurs…)
- Texte-produit : le texte est appréhendé comme la trace d’une activité discursive – orale,
écrite ou visuelle – référée à des dispositifs de communication, des genres de discours : de
plus élémentaires (une étiquette) aux plus complexes (un roman).
- Texte-archive : le texte n’est pas associé à une activité de discours, mais considéré comme
quelque chose qui demeure, par la fixation sur un support matériel ou par la mémoire. La
notion de texte-archive recouvre deux phénomènes très différents : les textes matériels,
inscrit sur un support (tablette d’argile, parchemin, scanner…) et les textes considérés
indépendamment de tel ou tel support physique particulier (quand on dit « ce texte de
Stendhal).
Un corpus peut être constitué d’un ensemble plus ou moins vaste de textes ou d’extraits de textes,
voire d’un seul texte. Les analystes du discours fournissent des corpus, ils rassemblent les matériaux
qu’ils jugent nécessaires pour répondre à tel ou tel questionnement explicite. Une distinction
s’impose entre les corpus qui groupent des textes existant au préalable et les corpus qui résultent
d’une transcription. Une carte postale, un journal imprimé, un livre sont des textes préalables ; une
conversation, un débat à la télévision n’existent comme textes dans un corpus parce qu’ils sont
transcrits selon certaines conventions.
La première manière de gérer la diversité de cet immense champ consiste à établir une liste ouverte
d’approches méthodologiques. On peut aussi exploiter la distinction entre :
Études de discours : l’ensemble des recherches se réclamant de problématiques du
discours ;
Analyse du discours : en conférant à cette dernière un sens plus restrictif.
La manière la plus simple de marquer cette spécificité est de souligner que l’analyse du discours
prête une attention particulière aux faits de langue. Mais une telle caractérisation de l’analyse du
discours est peu discriminante. Elle ne dit rien de la perspective adoptée par le chercheur, ni du type
d’objet étudié. La solution que le livre préfère consiste à considérer que l’analyse du discours est
une discipline à l’intérieur des études de discours. Dans cette perspective le discours n’est pas
considéré comme un donné : il ne peut devenir objet de la connaissance que s’il est pris en charge
par telle ou telle discipline qui se caractérise par un intérêt spécifique.
L’intérêt spécifique qui gouverne l’analyse du discours c’est de rapporter la structuration des textes
aux lieux sociaux qui les rendent possibles et qu’ils rendent possibles. Ici la notion de « lieu social »
peut s’agir d’un positionnement dans un champ discursif. Assumer cette conception de l’analyse du
discours, c’est donner un rôle central à diverses problématiques. En particulier, à celle du genre de
discours, qui opère l’articulation entre texte et situation de communication.
Le discours ne peut être véritablement étudié qu’à travers telle ou telle discipline fondée sur un
intérêt spécifique, mais les points de vue de diverses disciplines peuvent se compléter à l’intérieur
d’une recherche.
A partir des années 1990, s’est développé un vaste courant – essentiellement anglophone – qui se
désigne comme une « analyse critique du discours ». Dès l’antiquité grecque on a eu la critique des
pouvoirs néfastes du langage : Platon critique la sophistique, accusée de mettre le langage au service
des passions et des intérêts, et lui oppose un exercice du langage conforme au Bien, la dialectique.
L’analyse critique du discours contemporaine, elle, se porte sur des dysfonctionnements sociaux, le
plus souvent exprimés en termes de « pouvoir » ou d’ « inégalité sociale ».
Cette conception d'un discours qui serait gouverné par des puissances cachées rend nécessaire le
recours à des analyses qui relèvent de ce qu'on pourrait appeler une herméneutique « sombre ».
Cette dernière s'oppose point par point à une herméneutique qu'on peut dire « claire », qui nous est
beaucoup plus familière, celle qui étudie les énoncés (littéraires, philosophiques, religieux,
politiques...) qui font autorité dans une certaine collectivité. Cette herméneutique claire implique
divers presupposés :
Que le texte considéré est singulier, extraordinaire : par lui une Source transcendante nous
délivre un message;
Que ce message traite de questions essentielles pour nous qui le lisons ;
Que ce message est nécessairement caché ;
Qu'il faut une exégèse, une « lecture » non immédiate du texte pour le déchiffrer : le commun
des mortels n'y a pas directement accès.
En revanche, dans l'herméneutique « sombre », les textes ne sont pas commentés pour que leur
autorité en sorte renforcée, mais pour ruiner l'autorité qu'ils prétendent avoir, pour mettre en
évidence l'inavouable qu'ils masqueraient. Les textes qu'on étudie ainsi n'ont pas besoin d'être
extraordinaires ; l'analyse peut porter sur n'importe quel texte : de la conversation la plus banale aux
textes religieux, en passant par les journaux. Même quand le texte se veut extraordinaire, il est
ramené à l'ordinaire, et au lieu que l'analyse augmente la profondeur et la richesse du sens des
textes, elle l'appauvrit. À travers le texte étudié, ce n'est pas une Source transcendante qui s'exprime,
mais une ou des puissance(s) négative(s) (racisme, machisme, égoïsme...), qui servent à préserver
une domination.
Dans l’herméneutique claire (les jansénistes) et l’herméneutique sombre il faut une véritable
exégèse, une lecture qui va au-delà du sens superficiel du texte pour déchiffrer l’intérêt inavouable
qui y est dissimulé.
T. Van Dijk décrit l’analyse critique du discours comme une « analyse sociopolitique qui étudie les
différentes formes de pouvoir dans les relations entre les sexes, les races et les classes ». L’analyse
critique apparait comme un simple sous-ensemble des études de discours, un type de recherche
spécialisée dans la critique de dysfonctionnements sociaux. Plutôt que de faire de l’analyse critique
du discours une discipline autonome, il est plus réaliste de considérer que toute discipline du
discours peut prendre une orientation critique. Mais cela ne signifie pas que toute recherche doive se
donner pour objectif de remédier à un dysfonctionnement social.
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Les analystes du discours travaillent sur des types d’unités, des unités qui sont construites en
fonction des contraintes et des objectifs de la recherche sur le discours. Une distinction s’impose
entre deux types :
Les unités topiques (données, prédécoupées par les pratiques sociales) ;
Non topiques (construites par les chercheurs).
Les unités topiques s’articulent autour de la catégorie du genre du discours : le journal télévisé, la
consultation médicale, etc.
Les genres de discours prennent sens dans des unités de rang supérieur, des types de discours. On
emploie le terme « type de discours » pour désigner des pratiques discursives attachées à un même
secteur d’activité, des groupements de genres stabilisés par une même finalité sociale : types de
discours administratif, publicitaire, religieux. Types et genres de discours sont pris dans une relation
de réciprocité : tout type est un réseau de genre ; tout genre est rapporté à un type.
Un tract politique, par exemple, est un genre de discours qui lui-même doit être intégré dans l’unité
plus complexe constituée par le réseau des genres qui relèvent du même type de discours, en
l’occurrence politique, Certes, un tract relève du discours politique, mais il participe aussi d’une
autre unité : le positionnement du groupe qui en assume la responsabilité, positionnement qui
implique un champ discursif, c’est-à-dire un espace où s’affrontent les divers positionnements
politiques. On peut faire entrer un genre de discours dans trois modes de groupement :
• La sphère d’activité : Un même genre du discours peut en effet être rapporté à différentes
sphères d’activité. C’est ainsi que le même article de journal pourra être intégré à la sphère
médiatique, à la sphère de la presse régionale. Tel roman peut relever de la sphère littéraire,
mais aussi de celle de la littérature de jeunesse ;
• Le champ discursif : Parmi les sphères d’activité, certains seulement (le discours politique
ou religieux, par exemple) sont soumises à une logique de champ, où s’affrontent divers
positionnements. Ces champs discursifs ne sont pas des structures statiques puisqu’ils sont
constamment soumis à une logique de concurrence où chacun vise à modifier les rapports de
force à son profit ;
• Le lieu d’activité : La plupart des genres de discours sont produits et/ou consommés dans
des lieux institutionnels : un hôpital, une station de radio, une préfecture, etc.
Pour bien comprendre le rôle que joue un genre de discours dans une certaine configuration
historique, on doit prendre en compte sa valence, qui peut être envisagée selon deux perspectives :
interne et externe.
Par valence générique interne, on entende l’ensemble des modes d’existence
communicationnelle d’un texte, qui sont historiquement variables. Par exemple, dans la
France des XVII et XVIII siècles, le sermon catholique est une activité qui dure plus d’une
heure, distincte de l’homélie, qui constitue un épisode de la messe. Considérons à présent un
genre de prédication catholique contemporain : l’homélie de l’émission catholique
dominicale « le jour du Seigneur ». C’est à la fois un texte écrit ò l’aide d’un traitement de
texte et sorti sur une imprimante, pour les fidèles présents est une performance orale à
l’intérieur d’un genre de discours plus vaste mais c’est aussi une vidéo qui reste à la
disposition des internautes quelques jours sur le site Web de l’émission. Alors que pour le
sermon de l’époque classique, c’est la stabilité du texte, sa lettre qui est problématique (il
varie selon qu’il s’agit du manuscrit original, de la performance, d’une copie, d’une
publication), dans le sermon télévisé contemporain, la lettre reste stable, mais non la mise en
scène de l’énonciation.
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Il faut faire une distinction entre le noyau et ses avatars, qui sont de divers types. Dans le sermon,
c’est la performance orale qui constitue le noyau de la valence générique interne : les copies qui
circulent en sont des avatars. Il faut en outre distinguer : les avatars prescrits (la publication
obligatoire dans tel ou tel journal de certaines décisions de justice), les avatars prévisibles (un article
scientifique qui est photocopié et distribué aux étudiants pendant un cours) ; les avatars non désirés
(un enregistrement fait à l’insu du locuteur et mis sur un site de partage de vidéos).
Par valence externe, nous entendons le réseau de genres de discorus dont fait partie un genre
dans une même sphère ou lieu d’activité. Dans cette valence il y a une séquentialité qui n’est
pas une simple juxtaposition : les divers genres interagissent : par exemple, le chef de l’état et
ceux qui l’aident à rédiger son allocution savent que celle-ci fera l’objet de dépêches
d’agence destinées aux médias, et ceux qui écrivent les dépêches savent que leurs textes
serviront à la rédaction d’articles, de journaux télévisés, d’annonces sur les sites
d’information. Une manière différente d’aborder la séquentialité est de considérer le
processus d’irradiation d’un genre de discours, ou le pouvoir qu’a un genre de faire parler de
lui dans d’autres genres. Par exemple, dans la France du début du XXI siècle, le sermon n’est
plus un genre irradiant, il n’est plus commenté dans la presse et les conversations.
Alors qu’un genre de discours est une activité communicationnelle autonome, un genre textuel est
une composante d’un genre de discours. Il peut s’agir d’un genre qui auparavant a été autonome (le
rapport de soutenance de thèse), ou d’un genre qui est par nature un genre textuel : c’est le cas des
divers genres de la presse (éditorial, prévisions météo…).
On peut aussi grouper les énoncés en fonction de la nature de la source qui les produit.
Les locuteurs individuels : L’analyse du discours ne s’intéresse pas aux individus pour eux-
mêmes, mais plutôt aux statuts qu’ils occupent dans un domaine d’activité. Quand l’analyste du
discours prend pour objet d’étude les genres de discours associés à un individu, c’est en rapportant
ce dernier à des lieux : ce sera par exemple l’ensemble de genre de discours auxquels participe un
directeur d’entreprise, un homme politique occupant telle fonction, etc.
Les locuteurs collectifs : nous sommes environnés d’énoncés attribués à des sources qui ne sont pas
à proprement parler des locuteurs individuels en chair et en os. Il suffit de songer aux institutions,
tels que les ministères, les conseils d’administration, les directions d’entreprises, les services, les
partis politiques etc., mais aussi les locuteurs qui forment un groupe conjoncturel (une foule de
manifestants qui scande des slogans ou le public d’un stade de football).
Les auteurs : à la différence du locuteur ordinaire, l’auteur est le produit d’une construction
collective qui fait intervenir de multiples institutions. C’est particulièrement évident quand l’auteur
est essentiellement connu pour ses prestations orales, qui sont converties par des tiers et diffusées
sous forme de textes écrits ou audiovisuels. On peut songer ici au cas de Martin Luther King, dont
on vend des recueils de ses prédications sous forme de livre et de DVD. Produit d’un travail
collectif, les ouvres sont constamment soumis à des réinterprétations, des transformations, des
réemplois. L’étude ne saurait se limiter aux romans ou aux traités philosophiques, mais elle doit
intégrer les textes d’accompagnement (entretiens, préfaces…) où l’auteur cherche à donner un
certain sens à sa production et ceux où il se met en scène dans la société (journaux intimes, récits
autobiographiques…).
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Les unités non topiques sont construites par le chercheur à partir d’unités topiques. L’unité non
topique qui s’impose au premier chef est celle de « formation discursive », élaborée par Foucault et
Pêcheux. La formation discursive est conçue comme un système de contraintes invisibles,
transversal aux unités topiques. Elle a souvent été employée sans référence précise à Foucault et
Pêcheux, pour désigner n’importe quel groupement de textes qui ne correspond pas à une
catégorisation reconnue. Il en résulte que la formation discursive ne recouvre pas une réalité
homogène ; en fonction du critère en vertu duquel on rassemble les textes qu’on y intègre, on peut
en distinguer divers types :
Formations discursives d’identité : des unités telles « le discours raciste », « le discours
postcolonial », « le discours libéral » sont abondamment invoquées dans certains courants d’analyse
du discours, mais aussi dans les médias.
Formations discursives thématiques : une manière différente de construire une formation
discursive, c’est de l’organiser non à partir d’une instance productrice mais à partir d’un thème (de
quoi est-il parlé ?) qui prend habituellement la forme d’une expression nominale à article défini : «
la drogue », « l’euthanasie », « la guerre en Afghanistan ». Ces thèmes peuvent être de natures très
diverses et parmi les catégories les plus couramment utilisées en analyse du discours, on peut
évoquer ce que l’on peut appeler les entités, les scénarios, les propriétés, les événements et les
nœuds.
- Les entités : une formation discursive qui est construite à partir d’une entité est centrée sur
des humains ou des êtres doués de propriétés anthropomorphes (l’armée), sur un moment (la
Belle époque), ou sur un lieu (une ville, un monument) ;
- Les événements : en français, des expressions nominales comme « l’affaire de X », « les
événements de Y » structurent les informations données par les médias. Certaines portent
sur un acteur central (l’affaire Dreyfus), d’autres sur une action collective (la prise de la
Bastille).
- Les scénarios : on peut appeler « scénarios » des thèmes tels que « le complot francmaçon »,
« la menace islamiste ».
- Les nœuds : un nœud est un thème qui constitue un sujet de débat récurrent dans une
communauté déterminée. La plupart de ces nœuds se rangent dans deux catégories : les
questions et les problèmes. Les questions prennent la forme d’alternative qui s’articulent
facilement en titres de dossiers de presse : « Faut-il dépénaliser le cannabis ? » ; les
problèmes en revanche ne peuvent pas se réduire à des alternatives : « la crise de l’autorité
».
On peut se demander ce qui distingue un scénario et un nœud. Dans le cas de la « menace islamiste
», on se focalise sur les actants (les islamistes) et leur action, alors que pour le « la crise de l’autorité
» l’approche se fait davantage en termes de situation où sont impliqués des acteurs et des facteurs
très divers.
Rien n’interdit à l’analyste du discours de délimiter une formation discursive en groupant des
énoncés autour d’un thème qu’il institue souverainement. Ainsi, au lieu de suivre les découpages
préexistants, il en dessine d’autres, invisibles jusque-là. Ces thèmes peuvent être de types variés. On
peut décider de rassembler dans une même formation discursive des genres de discours très
différents (CV, lettres de motivation). On pourrait parler dans ce cas de « thème clé », qui donne
accès à un phénomène important en allant au-delà des apparences, en dévoilant une réalité peu ou
pas visible.
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Les divers cas que nous avons considérés jusqu’à présent correspondent à ce que l’on pourrait
appeler des formations discursives « unifocales », c’est-à-dire organisées autour d’un « foyer »
unique, qu’il s’agisse d’une identité productrice ou d’un thème. Mais le chercher est en droit de
construire des formations discursives « plurifocales », c’est-à-dire avec plus d’un « foyer ».
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Les formations discursives ont pour fonction d’intégrer des textes de divers genres dans des
ensembles plus vastes, rassemblés autour d’un foyer, parfois plusieurs. Les unités non topiques ne
sont pas toutes soumises à cette contrainte. C’est le cas des parcours : qui rassemblent des matériaux
hétérogènes autour d’un signifiant de taille variable (unités lexicales, groupes de mots, phrases), non
pour constituer un ensemble unifié par une thématique mais pour analyser une circulation. Les
parcours peuvent porter sur des signifiants de dimensions variées, de l’unité lexicale au texte, mais
il existe des unités linguistiques qui sont plus propices que d’autres à ce type de traitement : les
formules et les petites phrases.
Formule : ensemble de formulations qui cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces
expressions contribuent dans le même temps à construire. A un certain moment, dans le débat public
en France, des expressions nominales telles que « la rigueur », la défense de l’environnement » ont
pu fonctionner comme de telles formules, qui ont cristallisé et fixé des enjeux, défini des lignes de
démarcation entre différents positionnements.
Petites phrases : ils constituent également un support privilégié pour les parcours, dans la mesure
où, précisément, ces énoncés existent à travers leur circulation. Le véritable contexte d’une petite
phrase n’est donc le texte source, mais l’espace ouvert de sa circulation, la multitude de lieux où elle
est reprise et commentée : sites d’information, conversations, débats télévisés, forums, etc. étudier
le parcours d’une petite phrase d’un homme politique contemporain – comme d’un énoncé célèbre
de César ou de Napoléon c’est observer un incessant travail de recontextualisation, en fonction des
intérêts de ceux qui les convoquent dans leur discours.
Les analystes du discours utilisent constamment des catégories que l’on pourrait considérer comme
non topiques et pour lesquelles la terminologie est incertaine. Quand on parle par exemple de «
discours écrit », on manie de catégories qui traversent une multitude de genres de discours. On
conviendra de désigner par le terme « registre » ce type de catégories. Ces registres mêlent dans
des proportions variables des critères linguistiques et des critères communicationnels. Les traits
linguistiques qui permettent de caractériser un registre peuvent être d’ordre très divers (lexical,
syntaxique, énonciatif, textuel). Les discursivistes privilégient ceux qui sont d’ordre textuel.
L’analyste du discours n’a pas vocation à définir et à caractériser ces registres fondés sur des traits
linguistiques ; c’est l’affaire du linguiste. Mais il doit constamment s’appuyer sur eux quand il
étudie des textes. Ils constituent en effet un outil privilégié pour articuler le système linguistique et
la diversité des situations de communication.
À la différence des registres linguistiques, les registres d’ordre communicationnel sont liés aux
pratiques sociales, à la diversité de situations de communication. Sur ce point, les paramètres que
l’on peut prendre en compte sont très hétérogènes : « comique », « didactique » etc.
La distinction que nous avons établie entre unités topiques et non topiques en croise une autre, qui
concerne les méthodes elles-mêmes, la façons dont elles permettent d’appréhender le discours : la
distinction entre démarches intégratives et analytique.
Distinction entre démarches intégrative et analytique : la démarche intégrative a une affinité
naturelle avec les unités topiques. Elle est inévitablement dominante. Elle consiste à penser en
termes d’articulations à l’intérieur d’une totalité. La démarche analytique ne vise pas à déployer un
réseau d’articulations mais à repérer dans les textes des points d’inconsistance, des failles, des
contradictions, des brouillages, des lacunes que le discours s’efforce de masquer.
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Le terme « scène » en français présente en outre l’intérêt de pouvoir référer à la fois à un cadre et à
un processus : c’est à la fois l’espace bien délimité sur lequel sont représentées les pièces et les
séquences d’actions, verbales et non verbales, qui investissent cet espace. De fait, le discours
présuppose un certain cadre, défini par les contraintes du genre, mais doit aussi gérer ce cadre à
travers la mise en scène de son énonciation. Mais la relation entre le cadre préalable et la mise en
scène de la parole qu’implique l’énonciation n’est pas la même dans tous les genres de discours. En
parlant de scène d’énonciation, on recourt à une métaphore empruntée au monde du théâtre. Il existe
depuis l’Antiquité une longue tradition de moralistes qui voient dans la société un immense théâtre
où les hommes jouent des rôles. La métaphore théâtrale trouve néanmoins vite ses limites : notre
personnalité est tissée des multiples rôles auxquels nous sommes assignés. La scène d’énonciation
d’un genre de discours n’est pas un bloc compact. Elle fait interagir trois scènes : la scène
englobante, la scène générique, la scénographie.
La scène englobante : correspond à la definition la plus usuelle du « type du discours » (par
exemple : politique, littéraire etc.). Les producteurs de discours qui relèvent d’une scène englobante
déterminée doivent à travers leur énonciation se montrer conformes aux valeurs attachées au
locuteur pertinent pour le type d’activité verbale concerné : un politicien doit ainsi être un homme
de conviction, un homme dévoué au service public, etc. La « scène englobante » désigne le type
général de discours au sein duquel un locuteur prend la parole, à savoir la « formation discursive »
(au sens des travaux de Michel Foucault et de Michel Pêcheux) impliquée : discours religieux,
politique, économique, littéraire, etc. En effet, l’interdiscours (ou ensemble des discours déjà
présents avant l’événement singulier de tel ou tel discours) préexiste à tout nouveau discours et le
précontraint. Un discours prend donc place sur une scène englobante préexistante, dont il s’agit de
connaître les règles de production discursive, les topoï argumentatifs et la conjoncture spécifique.
Par exemple, étudier les pamphlets de Louis-Ferdinand Céline au sein du discours politique de
1937-1941 suppose une véritable connaissance des motifs et modèles que Céline emprunte (par
citation, pastiche, parodie, etc.) à l’interdiscours spécifique de cette scène englobante.
La scène générique : les scènes génériques fonctionnent comme des normes qui suscitent des
attentes. A chaque genre sont associés :
- Une ou des finalités
- Des rôles pour les partenaires (enseignant, président, commerçant…)
- Un lieu approprié à sa réussite
- Un support
- Une composition : certains genres comme la dissertation littéraire, le journal télévisé suivent
un « plan de texte » rigide, c’est-à-dire qu’ils se décomposent en un certain nombre de parties
bien différenciées qui doivent se succéder dans un ordre déterminé.
- Un usage spécifique des ressources linguistiques : les genres administratifs ou les manuels
scolaires excluent le niveau de langue familier, les genres relevant des sciences dures
recourent massivement à l’anglais, etc.
La « scène générique » désigne le genre de discours mobilisé parmi le répertoire existant des genres
discursifs (prière, lettre pastorale, discours d’inauguration, etc.) ou plus spécifiquement littéraires
(vaudeville, tragédie, roman, nouvelle, ode, etc.). En analyse du discours, la généricité constitue
l’un des schèmes formels de structuration du langage, elle fournit des patrons et des formes
historiques, dont les locuteurs ont une connaissance expérimentale ou réflexive. La généricité
distribue des rôles discursifs, des topoï, etc.
La scénographie : énoncer, ce n’est pas seulement activer les normes d’une institution de parole
préalable, c’est construire sur cette base une mise en scène singulière de l’énonciation : une
scénographie. La « scénographie » ou « scène de parole » désigne l’institution d’un discours
singulier, qui gère singulièrement son appartenance à une scène englobante et à une scène
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La relation entre scène générique et scénographie varie en fonction des genres de discours
concernés. Les recours à une scénographie exogène est fortement contraint par le genre concerné.
Sur cette base on peut distinguer divers modes de généricité. En analyse du discours, la
catégorie du genre est communément définie à partir de critères situationnels ; elle désigne en effet
des dispositifs de communication socio-historiquement définis, et qui sont habituellement pensés à
l’aide des métaphores du « contrat », du « rituel » ou du « jeu ». On parle ainsi de « genres de
discours » pour un journal quotidien, une conversation, une émission télévisée, une dissertation, etc.
Ils sont communément caractérisés par des paramètres tels que les rôles des participants, leurs
finalités, leur médium, leur cadre spatiotemporel, le type d’organisation textuelle qu’ils impliquent,
etc. Par nature, les genres évoluent sans cesse avec les sociétés dont ils sont partie prenante : la
Révolution française, par exemple, peut être analysée comme une vaste opération de transformation
des modes d’exercice de la parole publique et l’irruption d’Internet se manifeste par le
développement de nouveaux genres de discours et l’affaiblissement d’autres genres. Mais cela ne
signifie pas que le genre fonctionne de manière homogène pour toute activité de parole. On peut
déjà distinguer deux grands régimes de généricité, comme le font d’ailleurs beaucoup de spécialistes
du discours :
Le régime des genres conversationnels : Ce ne sont pas des genres étroitement liés à des
lieux institutionnels, à des rôles, à des scripts relativement stables. Leur composition et leur
thématique sont le plus souvent très instables et leur cadre se transforme sans cesse.
D’ailleurs, nombre de chercheurs se demandent si la catégorie du genre y est réellement
pertinente. Tandis que dans les genres routiniers ce sont les contraintes globales (portant sur
l’ensemble de l’activité verbale dont le texte est la trace) et verticales (c’est-à-dire imposées
d’en haut par la situation de communication) qui dominent, dans les genres conversationnels
ce sont les contraintes locales et horizontales (c’est-à-dire les stratégies d’ajustement et de
négociation entre les interlocuteurs) qui l’emportent. Dans ces conditions, on comprend que
les interactions conversationnelles soient difficilement divisibles en genres bien distincts ; se
demander si une conversation entre collègues dans leur lieu de travail relève du même
« genre » que la conversation des mêmes individus s’ils échangent leurs propos dans un
autobus, c’est bien autre chose que se demander si une consultation médicale et un débat
politique télévisé sont deux genres distincts.
Le régime de ce que j’appelle les genres institués : on pourrait dire qu’ils regroupent les
« genres auctoriaux », familiers aux littéraires, et les « genres routiniers », familiers aux
analystes du discours. Les genres « auctoriaux » sont le fait de l’auteur lui-même,
éventuellement d’un éditeur. En général, leur caractère auctorial se manifeste par une
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C’est sur la base de cette analyse de la scène d’énonciation que nous distinguons quatre modes de
généricité instituée :
Genres institués de mode (1) : ce sont des genres qui ne sont pas ou peu sujets à variation. Les
participants se conforment strictement à leurs contraintes : énoncés rituels, courrier commercial,
annuaire téléphonique, fiches administratives, actes notariés, échanges entre avions et tour de
contrôle… Ils sont caractérisés par des formules et des schèmes compositionnels préétablis sur
lesquels s’exerce un fort contrôle, pour lesquels les participants sont pratiquement
interchangeables. Il est impossible de parler d’ « auteur » pour de telles pratiques discursives,
même si leur énonciation mobilise des partenaires dotés d’un statut bien déterminé.
Genres institués de mode (2) : les locuteurs qui s’inscrivent dans ces genres produisent des
textes singuliers, mais soumis à des cahiers des charges qui définissent l’ensemble des
paramètres de l’acte communicationnel (rôles des partenaires, durée, lieu, support…) : journal
télévisé, fait divers, guides de voyage, etc. Ils se conforment en général à une scénographie
préférentielle, plus ou moins imposée par la scène générique, mais ils tolèrent des écarts, c’est-
à-dire qu’ils peuvent recourir à des scénographies plus originales : un guide de voyage, par
exemple, peut s’écarter des routines du genre et se présenter à travers une scénographie
originale (une conversation entre amis, un récit d’aventures, etc.). Un exemple canonique nous
est fourni par le programme de F. Mitterrand à l’élection présidentielle de 1988. Au lieu de
rédiger ce texte selon les voies usuelles du genre dont il relève, une Lettre à tous les Français a
été publiée dans les journaux et envoyée par courrier à un certain nombre d’électeurs. Certes,
un tel texte se présente à travers une « scénographie » originale, mais il ne met pas en cause la
scène générique du programme électoral (qui prescrit la thématique, l’organisation textuelle, les
rôles des participants, etc.) et il s’inscrit pleinement dans cet ensemble d’activités que forme la
campagne présidentielle : il est entendu que cela doit rester un programme électoral.
Genres institués de mode (3) : pour ces genres (publicités, chansons, émissions de variétés à la
télévision…) il n’existe pas de scénographie préférentielle. Le fait de savoir que tel texte est
une chanson ne permet pas de prévoir à travers quelle scénographie il va apparaitre. Certes,
bien souvent des habitudes se prennent, des stéréotypes se mettent en place (cela contribue à
définir des positionnements, des « styles », etc.), mais il est de la nature de ces genres d’inciter
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à l’innovation. Ce nécessaire renouvellement est lié au fait qu’ils doivent capter un public qui,
précisément, n’est pas captif, en lui assignant dans la scène de parole une identité en harmonie
avec celle prêtée à l’instance auctoriale, qu’il s’agisse d’un artiste ou d’une marque
commerciale. Mais l’innovation néanmoins n’a pas ici pour fonction de contester la scène
générique ni la scène englobante : sauf exceptions, un chanteur de variétés ne met pas en cause
le genre « chanson de variété ».
Genres institués de mode (4) : ce sont les genres proprement auctoriaux, ceux pour lesquels la
notion même de « genre » pose problème. Genres de mode (4) et de mode (3) sont proches par
bien des aspects : ils ne se contentent pas de suivre un modèle attendu, mais entendent capter
leur public en instaurant une scène d’énonciation originale qui donne sens à leur propre activité
verbale, ainsi mise en harmonie avec le contenu même du discours. Mais avec les genres de
mode (4) il s’agit de genres que l’on pourrait dire par nature « non saturés », de genres dont la
scène générique et la scène englobante sont affectées d’une incomplétude constitutive. Dans le
cas de ces genres de mode (4), c’est à un auteur pleinement individué (associé à une biographie,
une expérience singulière du monde) qu’il revient d’autocatégoriser sa production verbale : il
ne se contente pas de s’inscrire dans un cadre totalement préétabli. Des dénominations comme
« méditation », « utopie », « palimpseste » etc., contribuent de manière décisive à définir de
quelle façon et à quel titre le texte correspondant doit être reçu. Dans ce cas, le nom donné ne
peut être remplacé par un autre (une « rêverie » n’est pas une « fantaisie » ou un « songe »…),
ce n’est pas une simple étiquette permettant d’identifier une pratique verbale, comme pour les
genres routiniers, mais la conséquence d’une décision singulière qui participe d’un acte
de positionnement à l’intérieur d’un certain champ et qui est associé à une mémoire
intertextuelle. C’est par rapport à cette mémoire que les actes de catégorisation générique
prennent sens et c’est cette mémoire qui conserve la trace du geste des auteurs : quand
Rousseau écrit ses Confessions, il ne peut pas ne pas faire écho au texte homonyme de saint
Augustin.
L’étiquette ainsi conférée par l’auteur ne caractérise, rappelons-le, qu’une part de la réalité
communicative du texte. Si un écrivain catégorise son œuvre comme « vagabondage », ce terme
« vagabondage » ne révèle en fait presque rien ou peu du processus de communication effectif du
texte. Alors qu’une étiquette comme « newsmagazine » condense l’ensemble des paramètres
caractéristiques d’un certain genre de discours, une étiquette comme « vagabondage » affectée à une
œuvre littéraire ou philosophique ne permet pas, en effet, de déterminer de quel type de discours elle
relève, par quel canal elle passe, quel est son mode de production et de consommation, son
organisation textuelle, etc.
On notera que ces quatre modes de généricité instituée ne se laissent pas enfermer dans les
frontières des types de discours. Le type de discours littéraire, par exemple, abrite des genres qui
relèvent de modes distincts. La tragédie grecque ou le sonnet pétrarquisant étaient des routines, des
dispositifs de communication qui contraignaient l’ensemble des paramètres du genre, alors que la
généricité des Illuminations de Rimbaud relève d’une catégorisation singulière imposée par son
auteur. La notion d’auteur en est affectée. Au XVIIe siècle le dramaturge qui écrit une tragédie
régulière ou l’honnête homme qui écrit un sonnet galant pour une dame (deux genres routiniers)
n’ont pas le même statut que l’écrivain du XIXe siècle qui prétend catégoriser lui-même la
généricité de son œuvre. Nous ne développerons pas ici cette question, compliquée par le fait que le
même écrivain peut très bien passer d’un mode de généricité à un autre : Jean-Jacques Rousseau a
écrit un livret d’opéra (genre de mode 2) mais aussi les Rêveries d’un promeneur solitaire (genre de
mode 4).
Si l’on conçoit le genre de discours comme un dispositif de communication socio historiquement
défini, certaines catégories qu’on nomme souvent « genres » (dialogue, lettre, journal…) posent
problème. Mais il n’est pas besoin d’évoquer des catégories très anciennes comme le dialogue ou la
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lettre. Une pratique liée au développement des médias modernes, l’entretien, recouvre des genres de
discours très divers : les entretiens écrits où les partenaires ne sont pas physiquement en présence
l’un de l’autre sont soumis à de tout autres contraintes que les entretiens oraux. Il existe en outre des
entretiens qui sont des genres autonomes et d’autres qui ne sont que des parties d’un genre
autonome : ainsi dans un magazine un entretien intégré dans un dossier de quelques pages consacré
à un écrivain, un pays, une époque. Pour ce type de phénomènes, il est préférable de parler
d’hypergenre. Un hypergenre n’est pas un genre de discours mais un formatage aux contraintes
pauvres qui peut recouvrir des genres très divers.
Quel qu’en soit le mode de manifestation, le discours se réalise à travers des textes, des unités au-
delà de la phrase. Seules les phrases insérées dans un texte sont interprétables, mais les phrases qui
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n’appartiennent pas à un texte abondent (les phrases sans texte). On peut en distinguer deux grands
types. D’une part celles qui sont conçues pour être autonomes, hors de tout texte : slogans,
proverbes… ; d’autre part celles qui ont été détachées d’un texte : citations célèbres, titres entre
guillemets dans les journaux etc. L’énonciation peut ainsi fonctionner selon deux modalités : à
travers des textes où à travers des phrases sans texte. On distingue entre une énonciation
textualisante, celles des genres de discours ou des conversations, et une énonciation aphorisante,
celle des phrases sans texte, qui peut être primaire (détachée par nature) ou secondaire (détachée
d’un texte). Différences : tout genre de discours définit deux positions corrélatives de production et
de réception : enseignant/enseigné, candidat/électeurs. L’énonciation aphorisante, en revanche,
institue une scène de parole où il n’y a pas interaction entre des protagonistes placés sur un même
plan ; l’aphorisation a pour effet de centrer l’énonciation sur le locuteur. C’est l’individu lui-même
qui est censé s’exprimer ; l’aphoriseur n’est pas un simple énonciateur, mais ce qu’on pourrait
appeler un Subjectum : quelqu’un qui peut répondre de ce qu’il dit par-delà la diversité des
situations de communication et des moments.
La parole de l’aphoriseur doit être reprise pour pouvoir être pleinement dite.
A tout énoncé on doit pouvoir attribuer un auteur. Dans cette acception du mot « auteur »
s’associent intimement assignation d’origine (X est la cause de l’énoncé) et dimension juridique (X
en est responsable). Ce n’est pas cette acception du nom auteur qui nous intéresse ici, mais celle où
il désigne la source d’une œuvre (auctor). Inscrit dans une œuvre, un texte n’est plus lu comme
manifestation d’un genre de discours, mais avant tout comme l’expression du point de vue de
l’auctor. L’œuvre est ainsi une catégorie qui présente la particularité de reléguer au second plan
l’appartenance des textes à des genres de discours.
Énonciations détachées (source), elles se distinguent des innombrables énonciations qu’on peut
dire attachées (simple locuteur), soumises à la logique du texte et du genre de discours. Dans
l’énonciation détachée, l’énoncé est repris pour être porté sur une nouvelle scène : il n’y a
d’aphorisation que citée, il n’y a d’œuvre que si le texte, qui a déjà été dit, se voit représenté dans
une unité d’un autre ordre.
discursivistes préfèrent traiter du discours de manière très générale, ou élaborer des classifications
de genres de discours sur une zone délimitée : le discours médiatique, le discours scolaire, la
publicité… Or, on doit s’interroger sur le rapport qu’entretiennent les divers types de discours avec
l’espace. Pour prendre un exemple, on est en droit de se demander si les catégories « discours
publicitaire » et « discours politique » sont du même ordre. La problématique des « discours
constituants » se trouve engagée dans ce type de questionnement.
Notion de discours constituants : il y a dans toute société des types de paroles qui font autorité,
qui sont reconnues comme donnant sens aux actes de l’ensemble de la collectivité. Ainsi, quand on
propose un débat sur un problème de société, on va solliciter des locuteurs qui s’expriment au nom
de la religion, de la science, de la philosophie. Ces discours ultimes, que nous disons « constituants
», se caractérisent au premier chef par la singularité de leur position dans l’univers du discours. Ils
doivent se poser comme liés à une Source légitimante. Ils mobilisent ce qu’on pourrait appeler, en
invoquant un terme grec, l’archéion de la production verbale d’une société. Les discours
constituants s’inscrivent dans la société de manière paradoxale, dans une impossible appartenance
qu’on appelle paratopie. Cette « paratopie » se manifeste à deux niveaux complémentaires :
- Au niveau de chaque discours constituant : il serait contradictoire avec la nature
même du discours religieux, par exemple, de dire qu’il appartient au monde : une religion ne
peut se légitimer par sa seule fonction sociale, elle communique avec un au-delà.
- Au niveau de chaque producteur de texte relevant d’un discours constituant : pour être
à la mesure de son énonciation, le locuteur doit gérer une impossible identité à travers les
formes d’appartenance/non-appartenance à la société.
Un discours constituant n’est pas un simple vecteur d’idées, il articule, à travers ses dispositifs
énonciatifs, textualité et espace institutionnel. Il investit l’institution qui le rend possible.
Un discours constituant n’est pas une zone de production discursive homogène. Il est en effet
structuré comme un réseau hiérarchisé de genres de discours. Un certain nombre de textes produits
par des auctors d’un prestige considérable occupent la position la plus élevée, au plus près de
l’Absolu (Dieu, le Beau, la Nature…). On peut les appeler des archétextes : ainsi la République de
Platon ou l’Ethique de Spinoza pour la philosophie. Une hiérarchie s’instaure ainsi entre ces textes
« premiers » et ceux qui les commentent, les résument, les expliquent. Cette hiérarchie, cependant,
n’a rien de fixe. Certains textes « seconds » peuvent à leur tour devenir des archétextes : c’est le cas
d’un auteur chrétien comme saint Augustin. Dans le cas des sciences dites « dures », la hiérarchie
passe surtout par une distinction entre les textes relevant de genres « fermés » écrits par des savants
d’une discipline pour des savants de la même discipline et les genres de vulgarisation destinés à un
public non spécialiste.
On peut parler de discours atopiques pour une pratique comme celle de la pornographie, qui se
glissent dans les interstices de l’espace social. La pornographie partage cette atopie avec d’autres
pratiques discursives, qui varient selon les sociétés : gros mots, chansons paillardes, rites de
sorcellerie etc.
D’autres types de discours se caractérisent par un mode d’appartenance problématique à l’univers
du discours. On pourrait par exemple évoquer le cas du discours politique. Ses similitudes avec les
discours constituants sont assez évidentes : compétition entre positionnements pour détenir le
monopole de l’autorité énonciative, tension entre des communautés d’experts, de professionnels de
la politique et un public large qui est à la fois le destinataire et la caution de l’ensemble du discours.
A la différence, toutefois, des discours constituants, le discours politique ne peut pas se légitimer
lui-même : il doit s’appuyer sur les discours constituants pour asseoir son autorité. Certains
positionnements politiques recourent à l’autorité du discours scientifique, en général l’économie.
D’autres s’appuient massivement sur le discours religieux. À côté du discours politique, d’autres
types de discours présentent un mode d’appartenance problématique : les médias et Internet. Même
les discours constituants, qui se légitiment par une relation à un au-delà de tout discours, sont pris
dans leur filet : comment parler d’un écrivain ou d’un philosophe « reconnus » sans prendre en
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compte le processus de « reconnaissance », et donc le rôle des médias ? Internet pose aussi des
problèmes d’inscription dans l’espace du discours. D’un point de vue communicationnel, Internet
fonctionne comme un espace qui déjoue les cartographies traditionnelles. On a affaire à un monde «
virtuel » aux limites impensables, un monde inlocalisable mais accessible de partout.
Le discours nous est apparu comme traces d’énonciations qui ont déjà eu lieu et ont été conservées.
On peut considérer que toute reprise d’énonciations antérieures sous forme de citation est une trace
de ces énonciations.
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À tout moment l’univers du discours se présente comme l’interaction multiforme du dire et du déjà
dit. La notion de trace : on peut l’entendre comme correspondante aux archives écrites –
manuscrites ou imprimées – qui remplissent les bibliothèques. Mais même les sociétés sans écriture
disposent d’un stock de traces qui sont conservées par la mémoire : aphorisations sentencieuses
(proverbes) ou textes complets (mythes, chants, poèmes…). Dans une société qui dispose de
technique de conservation et de transmission autres que la seule mémoire, les traces relèvent de
deux ensembles distincts. Il y a d’une part les énoncés originellement écrits qui se trouvent avoir été
effectivement conservés ; d’autre part, il y a les traces qui résultent du passage d’un médium à un
autre. Pendant des millénaires, le paradigme en a été le passage de l’orale à l’écrit.
La mémorabilité, le fait qu’à un moment et en un lieu donnés un énoncé puisse devenir trace, n’est
pas un phénomène extérieur à l’énonciation. La conversation ordinaire peut être caractérisée comme
une activité discursive qui n’a pas prétention à être conservée. Mais ce principe général
s’accommode de bien des exceptions, dès lors que certains ont intérêt à enregistrer. Aujourd’hui,
toute parole, fut-ce une conversation d’ordre privé, est susceptible d’être enregistrée et de se
retrouver sur des sites de partage de vidéos.
Auparavant, quand le manuscrit, puis l’imprimé régnaient presque sans partage, les traces pouvaient
être renfermées dans l’espace de bibliothèques. Il suffit de penser aux productions du Web pour que
l’idée même d’une totalisation des traces dans une même enceinte perde tout sens : les sites se
transforment sans cesse. L’accroissement des capacités de stockage des ordinateurs et l’accès à
l’archivage d’activités sémiotiques, on voit s’étendre de manière pratiquement incontrôlable le
champ de l’archivable. En effet, aux traces « explicites » que sont les documents mis en ligne
s’ajoutent les traces « implicites » prélevées à l’insu des internautes. À leur niveau, les études de
discours contribuent elles aussi à créer des traces, par le seul fait qu’elles convertissent des
énonciations en corpus. Travailler sur le discours, c’est faire l’expérience des relations inextricables
entre trace, éthique et pouvoir.
Avec l’écriture, la parole peut s’adresser à des destinataires pour lesquels elle n’a pas été conçue : il
est de la nature de la trace d’échapper, de pouvoir être soumise à des interprétations et des
traitements que sa source ne peut maitriser. La maitrise des traces laissées par la parole est un
extraordinaire instrument de pouvoir.
L’analyse du discours a émergé et s’est diffusée à partir des années 1960, dans un monde encore
structuré par la dualité oral/écrit. Le développement, à la fin du XX siècle, des technologies
nouvelles de la communication a fait apparaitre de nouvelles pratiques.
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La première évidence qui s’impose est qu’une part toujours croissante de la communication est «
multimodale », c’est-à-dire qu’elle mobilise simultanément plusieurs canaux. Le discours oral
est multimodal par nature, puisque la communication active simultanément la production d’un flux
sonore et celle de mouvements corporels qui lui sont associés. La communication verbale est un tout
expressif qui associe gestes et signes linguistiques : la gestualité entretient des relations de
complémentarité avec la parole, en fonction du type d’activité verbale exercée (description,
explication, narration…) et de l’attitude du locuteur à l’égard de sa propre énonciation et de celle
d’autrui. On parle parfois d’iconotexte pour désigner les productions sémiotiques où l’image et la
parole sont indissociables. Sans évoquer le cas des sites Web, il suffit de songer à des phénomènes
aussi divers que les émoticônes dans les sms ou les courriels, la publicité, dans laquelle
s’interpénètrent profondément la composante visuelle et la composante verbale, ou encore les
présentations PowerPoint.
Le développement du Web a une incidence profonde non seulement sur les pratiques verbales mais
sur la conception même que nous pouvons avoir des genres de discours. On fait communément une
distinction parmi les genres en usage sur le Web entre ceux qui reprennent des genres d’autres
médias (par exemple l’imprimé ou la vidéo) et les véritables cybergenres, ceux qui sont spécifiques
du Web. Alors qui le régime que nous avons dit classique place la scène générique au centre, sur le
Web la scène générique est affaiblie. C’est désormais la scénographie, la mise en scène de
l’information, qui joue le rôle clé. On peut distinguer deux types de scénographie dans les sites : une
scénographie verbale - celle qu’implique l’énonciation : pour la Lettre à un provincial de Pascal,
par exemple, c’est la relation épistolaire du Parisien à un ami qui vit en province. Mais si l’on place
cette lettre sur un site Internet, elle sera intégrée dans une nouvelle configuration, une scénographie
numérique, qui enveloppe la scénographie proprement verbale (une image sur un écran). La
scénographie numérique peut ainsi s’analyser en trois composantes qui peuvent converger ou
diverger :
une composante iconotextuelle (le site montre des images et constitue un ensemble
d’images sur un écran) ;
une composante architecturale (le site est un réseau de pages agencé d’une certaine façon) ;
une composante procédurale (chaque site est un réseau d’instructions destinées à
l’internaute). Sur la plupart des sites, une page d’écran n’est pas un texte, mais une mosaïque
de modules qui sont hétérogènes d’un point de vue énonciatif et modal : signaux,
diagrammes, publicités, débuts d’articles, slogans, titres, vidéos…
Sur les sites Web, l’identité même d’un énoncé est problématique. Ce qui apparait sur l’écran ne
définit qu’un état transitoire. En fonction de contraintes qui varient selon le type de site concerné,
les contenus des modules peuvent à tout moment se renouveler, chacun selon son rythme, faisant
vaciller une des conditions implicites de ce qu’on appelle traditionnellement un texte : la stabilité.
S’il existe à l’évidence des « genres » sur le Web, de grandes catégories de sites (sites marchands,
blogs etc.), ce ne sont pas des genres classiques, ce sont des hypergenres.
Il y a trois types fondamentaux de communication (oral, imprimé, numérique) qui impliquent des
formes de textualité distinctes :
lecteur comme une image, c’est le cas en particulier dans la publicité ou dans la presse écrite
contemporaine ;
- dialogale, souvent associée à la présence d’un public, en particulier quand il s’agit de
radio ou de télévision. Les énonciations sont organisées à l’avance et gérées pendant
l’activité de parole ;
Textualité navigante, celle du Web, qui implique une transformation de la notion même de
lecture : c’est chaque internaute qui, par les choix qu’il effectue au cours de sa navigation,
fabrique l’hypertexte qu’il « lit ».
Plusieurs recherches ont eu pour effet de renforcer le présupposé que l’interaction orale est la forme
fondamentale et authentique de la parole. L’activité verbale est communément conçue comme un
flux sonore qui circule entre deux interlocuteurs qui se font face ; quand ils sont physiquement
séparés, les sujets parlants peuvent s’aider d’instruments, que ce soit un téléphone, une plume ou
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une machine à écrire, mais les locuteurs passent de plus en plus de temps à produire des énoncés qui
entrent difficilement dans ces cadres. Paveau parle ainsi de « technologie discursive » pour désigner
un dispositif au sein duquel la production langagière et discursive est liée à des outils
technologiques. Le terme « technologie discursive » s’inscrit dans le prolongement de la notion de «
technologie intellectuelle » diffusée par l’anthropologue Goody. Selon lui, l’écriture n’aurait pas
seulement permis de fixer la pensée : elle l’aurait transformée. Une technologie intellectuelle est en
effet un instrument ou dispositif qui permet aux humains d’augmenter leurs capacités cognitives.
La conversation prototypique passe par le canal oral et met en présence des locuteurs qui
assurent une gestion conjointe de l’alternance des tours de parole et s’influencent
mutuellement en mobilisant divers types de signes (verbaux, gestuels etc.).
La conversation électronique modifie cet état de choses. Tout d’abord, elle introduit un
éventail de formats d’échange à la fois spontanés et écrits (tchats, mails, textos), une sorte de
conversécriture qui subvertit la distinction traditionnelle entre échange immédiat
(conversation) et différé (écrit).
On voit proliférer des types d’énoncés dont il est difficile de dire qu’ils relèvent de l’échange verbal.
Il suffit de songer aux tweets, aux I like etc. Il peut aussi s’agir de messages non verbaux
accompagnés le plus souvent de paroles et que l’on peut partager sans être physiquement en contact.
On conviendra d’appeler postages ces diverses catégories d’énoncés.
Il ne s’agit pas, comme dans une conversation ordinaire, d’interventions de divers interlocuteurs qui
en se combinant vont former une totalité compositionnelle plus vaste. Ils peuvent se réduire à un
signe de ponctuation, un émoticône, un mot, un groupe de mots, une ou plusieurs phrases.
L’exercice contemporain de la parole apparait partagé entre trois mondes, qui correspondent à
différentes formes de textualité et de généricité, que nous avons appelées « immergée »,
« planifié », « navigante ». Or, dans leur vie quotidienne, les individus les mêlent constamment : on
peut s’entretenir au téléphone avec un ami (textualité immergée) tout en surfant sur Internet
(textualité navigante) et en rédigeant un rapport (textualité planifiée).
À cela s’ajoute éventuellement la nécessité de garder un œil sur des écrans en renouvellement
permanent : par exemple le serveur de restaurant qui prend les commandes à la table des clients les
inscrit immédiatement sur un petit écran à destination des écrans de ceux qui travaillent en cuisine.
Le modèle implicite qui gouverne notre représentation habituelle de la parole est celui où le locuteur
est un être unique et identifiable, à la fois l’agent de l’énonciation et son responsable. Pourtant, une
telle représentation ne suffit pas à rendre raison de la multitude d’énoncés aux auteurs
indéterminables : textes publicitaire, administratifs, politiques etc. sont la plupart du temps le
produit d’instances collectives.
À la différence du texte imprimé traditionnel, dans lequel les modifications ne peuvent être
introduites qu’à la faveur d’une nouvelle édition, à chaque minute le texte mis en ligne peut être
modifié dans son contenu, sa présentation ou dans sa position dans l’architecture du site, si bien
qu’il est impossible d’affirmer quelle est la « bonne » version. Quand l’auteur modifiait un texte
imprimé d’une édition à l’autre, il était facile de comparer les différentes versions et d’établir un
apparat critique. Rien de tel avec les textes sur le Web.
Les innovations technologiques permettent également d’attribuer des énoncés à des êtres qui ne sont
pas à proprement parler des sujets parlants, mais ce qu’on pourrait appeler des locuteurs
angéliques. Il est un être qui n’existe que comme le corrélat d’une énonciation. Alors qu’un
véritable sujet parlant a d’autres propriétés que celles d’être énonciateur et qu’il peut ou non prendre
la parole, l’existence de l’ange s’épuise dans son activité de parole : il apparait pour délivrer un
message et disparait. Il peut s’agir d’énoncés écrits qui surgissent sur un écran d’ordinateur ou les
panneaux lumineux des gares ou d’aéroports, annonces dans les bus ou les aéroports, consignes sur
une GPS pour guider le conducteur.
Il existe d’autres types de locuteurs angéliques, plus élaborés, qu’on pourrait appeler des locuciels
(mot valise qui associe « locuteur » avec « logiciel »). Ils sont attachés à la génération automatique
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de textes dans des genres bien circonscrits. C’est le cas en particulier des logiciels qui à partir de
données non linguistiques, par exemple météorologiques (température, pression etc.) industrielles
ou médicales, sont capables de rédiger certains genres de texte : bulletins, comptes rendus
d’inspection, lettres commerciales.