Le Grand Desordre Hormonal

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« L’homme peut à peine reconnaître les maux qu’il a créés de


ses mains. »
Albert Schweitzer

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SOMMAIRE
Titre
1 - Quand deux petits poissons s'aimaient d'amour tendre…
2 - Quand rien ne va plus dans le monde hormonal
3 - Quand les polluants chimiques imitent les hormones

Partie 1 - Le désordre hormonal dans la nature


4 - Quand le printemps devient silencieux
5 - Quand les coquillages femelles se masculinisent : l'imposex
6 - Quand les huîtres ont bien failli disparaître du bassin d'Arcachon
7 - Quand les femelles à pénis ont des hormones perturbées
8 - Quand les poissons se féminisent
9 - Quand l'aigle à tête blanche perd sa fertilité
10 - Quand la « déclaration de Wingspread » alerte sur la notion de « perturbateurs
endocriniens »
11 - Quand la dose ne fait plus automatiquement le poison
12 - Quand les alligators ont un micropénis
13 - Quand les grenouilles deviennent hermaphrodites
14 - Quand les ibis blancs deviennent homosexuels
15 - Quand un médicament perturbe les humains : le scandale du Distilbène
16 - Quand un perturbateur hormonal se cache dans du plastique : le bisphénol A

Partie 2 - La reproduction en péril


17 - Quand les hormones fonctionnent sur trois étages

Quand les hommes sont en péril


18 - Quand les hommes perdent leurs spermatozoïdes et leur testostérone
19 - Quand les testicules ne descendent plus dans les bourses : la cryptorchidie

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20 - Quand le pénis est mal formé à la naissance : l'hypospadias
21 - Quand le pénis devient micro
22 - Quand le cancer du testicule triple en quarante ans
23 - Quand le cancer de la prostate triple en trente ans
24 - Quand les médicaments font pousser les seins des hommes

Quand les femmes sont en péril


25 - Quand les femmes se dérèglent : les pubertés précoces
26 - Quand les règles ne sont plus au rendez-vous
27 - Quand les ovaires deviennent polykystiques
28 - Quand les femmes se virilisent : l'hyperandrogénie
29 - Quand les bactéries du microbiote protègent les ovaires
30 - Quand une nouvelle maladie émerge chez les femmes : l'endométriose
31 - Quand le cancer du sein double en trente ans
32 - Quand un perturbateur endocrinien s'appelle « pilule contraceptive »
33 - Quand les couples deviennent infertiles

Partie 3 - Les autres maladies environnementales


34 - Quand les « polluants du quotidien » contaminent 100 % de la population
française
35 - Quand 100 % des femmes enceintes sont polluées
36 - Quand le fœtus confond les genres

Quand les humains sont en péril


37 - Quand les enfants autistes deviennent 100 fois plus nombreux en cinquante ans
38 - Quand l'asthme et les allergies deviennent épidémiques
39 - Quand les perturbateurs hormonaux provoquent diabète et obésité
40 - Quand la thyroïde flambe en silence
41 - Quand les toxiques hormonaux ouvrent la porte au coronavirus
42 - Quand il faut slalomer H24 entre les hormonotoxiques
43 - Quand la biodiversité succombe aux lobbies
44 - Quand l'heure est au leurre (épilogue)

Remerciements

Illustrations de Laurent Lalo

4
Copyright

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Quand deux petits poissons s’aimaient


d’amour tendre…

Imaginons deux poissons rouges dans un aquarium, un mâle et une


femelle. Tout va bien pour eux, indépendamment de l’univers clos dans
lequel ils évoluent. Il s’agit juste d’une image pour mieux illustrer un
propos. Ils sont en bonne santé. Ils nagent dans une belle eau claire. Ils
ont des petits bébés poissons rouges nombreux et bien formés qui
s’épanouissent autour d’eux.
Puis, un jour, quelqu’un croyant bien faire verse un peu d’herbicide
dans l’eau pour enlever une petite trace d’algue verte sur la paroi interne
du bocal. À partir de là, tout se dérègle. Certes l’algue disparaît, mais
l’eau se trouble et devient grise, les petits poissons tombent malades. Ils
attrapent des infections à répétition  ; la maman poisson rouge devient
moins fertile et met au monde des bébés mal formés. Le papa poisson
rouge perd sa libido et se désintéresse de la femelle. Ses spermatozoïdes
sont moins nombreux et moins vaillants.
Que faire  ? On appelle le médecin des poissons rouges, qui va
prescrire des vaccins et des médicaments contre les infections pour les
petits et une fécondation in vitro pour la maman (c’est une image, bien
sûr). Le traitement ne règle qu’à moitié le problème  : on se demande
d’où vient la mauvaise santé de la famille et on lui prescrit des
médicaments à vie. Les spécialistes parlent de « maladie multifactorielle

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sans cause exacte connue  ». Tout le monde trouve la situation
inextricable.
Arrive une grand-mère qui fait remarquer que l’eau de l’aquarium est
sale et malsaine et que cette situation est sans doute due à un
enchaînement de circonstances qui ont perturbé le lieu de vie des
poissons. Elle pose des questions pour savoir ce qu’il s’est passé. On ne
lui répond qu’à moitié, car tout le monde la trouve déprimante. De plus,
si on l’écoutait, il faudrait remettre en cause beaucoup de comportements
de la famille, ce qui semble hors de portée et trop fatigant.
Finalement, la grand-mère prend sur elle de changer l’eau de
l’aquarium. Elle replace les poissons dans une eau propre, bien
oxygénée. Et là, miracle, toute la famille poisson retrouve la santé.
Fin de l’histoire  ? Non, car si la famille se contente de savourer le
résultat sans comprendre quel a été le déclencheur initial du dérèglement,
quelqu’un reviendra la semaine suivante et remarquera une algue verte
sur la paroi de l’aquarium que l’on ferait bien d’éradiquer, et tout le
cycle infernal recommencera.
Cette entrée en matière a pour but de montrer où nous en sommes
dans la gestion de notre santé et comment il est possible d’aller vers un
mieux-être généralisé à condition de ne pas se voiler la face.

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Perturbation chimique du lieu de vie :
 
Les toxiques chimiques perturbent les hormones sans tuer les
poissons.
La restauration de l’équilibre passe par la détoxification du lieu de
vie.

Ce livre se situe précisément au moment charnière où la grand-mère


arrive. Notre démarche  : mener l’enquête sur les causes du grand
dérèglement. Nous nous proposons d’endosser le rôle ingrat qui consiste
d’abord à ne pas rester impuissant devant une situation sanitaire jugée
inextricable, mais surtout à accepter de voir que l’eau est sale pour
mieux ensuite comprendre comment elle a été salie et ainsi trouver des
solutions pour retrouver un état d’équilibre.
Nous allons donc raconter comment, depuis les années 1950, presque
tous les animaux de la planète ont subi les effets délétères des produits
chimiques qui ont perturbé leurs hormones (les pesticides, les
plastifiants, les solvants, les détergents, les médicaments,  etc.). Le
tableau ne sera certes pas des plus réjouissants étant donné l’étendue du
désastre. C’est, en effet, toute la biodiversité qui est menacée. Nous
montrerons comment toutes les conséquences de l’empoisonnement
chimique général ne sont encore ni mesurées ni comprises.
Les dérèglements souvent hormonaux qui touchent les animaux
n’épargnent pas les humains, qui sont des mammifères, certes un peu
différents, mais mammifères tout de même, avec à l’intérieur de leur
organisme les mêmes molécules biologiques que les autres êtres vivants.

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Ce travail de mise à niveau de la perception du problème peut avoir
un côté décourageant, mais l’objectif est de dépasser cette phase de
compréhension de l’étendue du phénomène d’empoisonnement chimique
pour aboutir au contraire à l’envie de l’action, l’empowerment, comme
diraient les Anglo-Saxons. Si on peut relier une maladie à un danger, on
peut aussi essayer d’identifier ce dernier, dans la vie de tous les jours,
pour mieux l’éviter et rester en bonne santé.
Si une femme enceinte sait que des cachets de paracétamol peuvent
avoir des effets hormonaux féminisants sur son fœtus, elle sera contente
d’éviter de les prendre. Si elle a appris que des lingettes nettoyantes pour
les fesses de son nourrisson peuvent aussi altérer le fonctionnement de sa
thyroïde, elle essaiera sans doute de ne plus en utiliser pour ne pas
réduire les potentialités futures de son enfant.
Si un adolescent en pleine puberté a des envies légitimes d’affirmer
sa virilité, ne sera-t-il pas curieux de savoir que les revêtements internes
des canettes de soda et des boîtes de conserve contiennent un plastifiant
féminisant ?
Si un jeune homme souhaite entrer dans la paternité, il sera peut-être
intéressé d’apprendre quelles sont les mousses à raser qui contiennent
des phtalates toxiques pour ses spermatozoïdes et sa testostérone.
Si une jeune femme a des désirs de grossesse, ne sera-t-elle pas
tentée de manger plus souvent de la nourriture bio si l’expérience montre
que ses chances d’enfanter s’en trouveront accrues ?
Si une jeune fille a remarqué que sa libido est en berne depuis qu’elle
prend la pilule, elle pourra éventuellement apprécier de comprendre
quels sont les mécanismes à l’œuvre et comment les déjouer.
Si une femme mûre apprend qu’elle peut sérieusement réduire son
risque d’avoir un cancer du sein si elle évite les traitements hormonaux,
sera-t-elle déprimée ou au contraire ravie de mettre toutes les chances de
son côté pour rester en bonne santé ?
Si un senior est informé qu’un médicament anticholestérol a le même
effet que des hormones femelles et lui fait pousser les seins et gonfler la
prostate, n’en tirera-t-il aucune conclusion ?

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Ce cheminement nous conduira à regarder avec un œil nouveau des
maladies qui a priori n’ont rien à voir avec les perturbateurs hormonaux,
qu’on appelle aussi « perturbateurs endocriniens ». Ce sont par exemple
le diabète, l’obésité, les maladies de la thyroïde, les leucémies, l’asthme,
les allergies ou les troubles comportementaux des enfants. D’autres
maladies sont plus directement « hormonodépendantes », ce qui signifie
que les hormones y jouent un rôle principal. Ce sont par exemple les
cancers du sein ou de la prostate, bien plus liés aux perturbateurs
endocriniens qu’on ne l’imagine. Ce sont aussi tous les
dysfonctionnements de la sphère sexuelle et de la reproduction, qui sont
méconnus.
Trop souvent, les chercheurs qui détiennent des informations parfois
très innovantes et salutaires restent cloisonnés dans leurs cercles
d’experts et dans leur discipline. Les liens qui relient certaines avancées
scientifiques ne sont pas toujours compris, tandis que le public, lui,
demeure dans l’ignorance de l’état de la science. Ce livre se propose de
dresser un pont entre la recherche scientifique et le grand public. L’idée
qui le sous-tend est que tout le monde est capable de comprendre à
condition qu’on réussisse à bien expliquer. Nous allons humblement
essayer de faire nôtre la formule de Nicolas Boileau : « Ce qui se conçoit
bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »
L’objectif est ambitieux, car il consiste à mettre à la disposition de
chacun les résultats des recherches les plus pointues.

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Quand rien ne va plus dans le monde


hormonal

Quand les poissons se féminisent,


Quand les escargots de mer voient apparaître des «  femelles à
pénis »,
Quand les alligators développent un micropénis,
Quand les mâles ne sont plus attirés par les femelles,
Quand les crapauds deviennent hermaphrodites,
Quand les ibis deviennent homosexuels,
Quand les garçons ont des testicules qui ne descendent plus,
Quand les hommes perdent la moitié de leurs spermatozoïdes en une
génération,
Quand leur taux de testostérone baisse significativement,
Quand les calvities précoces deviennent légion,
Quand les petites filles ont des pubertés précoces,
Quand les jeunes filles ont des règles plus douloureuses,
Quand les jeunes femmes découvrent l’endométriose et les ovaires
polykystiques,
Quand les cancers du sein et de la prostate explosent,
Quand les couples ont du mal à procréer,
Quand les obèses se multiplient,
Quand le nombre de diabétiques triple en vingt ans,

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Quand les enfants ont des cerveaux déficients et un QI en berne,
Quand le taux de déficients thyroïdiens a presque décuplé en quatre
générations…
… c’est qu’il y a un problème. Et ce problème porte un nom  : les
«  perturbateurs hormonaux  ». Dans ce livre, nous utilisons
principalement cette expression parce qu’elle est plus concrète et plus
intelligible que son équivalent médical officiel et un brin hermétique,
« perturbateurs endocriniens ».
Le mot «  endocrinien  », du grec endo (à l’intérieur) et krino
(sécréter), est certes plus académique, mais il noie la réalité qu’il décrit
d’une brume qui n’aide pas à prendre conscience de la globalité du
problème et n’est pas d’une compréhension immédiate.
Avant de nous intéresser à ce qui perturbe nos hormones, et donc nos
vies, commençons par un petit tour d’horizon : que sont les hormones, et
surtout, à quoi servent-elles ?
En premier lieu, pour comprendre l’importance des hormones et leur
spécificité pour tout le fonctionnement interne de l’organisme, autrement
dit pour le maintien de la vie, nous pouvons nous demander non pas
pourquoi nous sommes en vie –  nous laissons cette interrogation aux
philosophes –, mais comment nous sommes en vie.

De l’importance des hormones
et de l’homéostasie
Que font les hormones  ? Elles veillent à maintenir notre milieu
intérieur dans un équilibre constant et très délicat. Cette notion
fondamentale a trop souvent tendance à être oubliée ou sous-estimée.
Elle s’appelle « homéostasie », du grec homoios, qui veut dire « même,
égal », et stasis, qui signifie « état », soit un état constant ou stable.
Le concept a été inventé par l’un des plus grands savants de tous les
temps, le médecin et biologiste Claude Bernard, qui en donne la

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définition suivante : « Tous les mécanismes vitaux, quelque variés qu’ils
soient, n’ont toujours qu’un but, celui de maintenir l’unité des conditions
de la vie dans le milieu intérieur.  » Il s’agit d’un état d’équilibre
dynamique dans lequel les conditions internes peuvent varier, mais
toujours dans des limites étroites autour de valeurs cibles compatibles
avec la vie.
Cet état d’équilibre est maintenu principalement par les
hormones, qui vont surveiller en permanence que rien ne vienne
perturber cet ensemble de mécanismes fragiles. Alors que dans le
détail les ajustements sont d’une infinie complexité, on peut résumer le
principe ainsi : « Juste, c’est juste, trop, c’est trop, pas assez, ce n’est pas
assez. » Et la conséquence du non-respect de ce principe, son corollaire
en quelque sorte, c’est : « Si quelque chose ne va plus, rien ne va plus. »
L’homéostasie est une sorte de thermostat. Ce dernier doit maintenir
une température programmée, à charge pour lui de tenir compte des
éventuels changements extérieurs pour accomplir sa mission.

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L’homéostasie :
 
À gauche, l’homéostasie est à son juste équilibre physiologique.
À droite, l’équilibre est rompu soit vers le trop (hyper), soit vers le
trop peu (hypo).

Dans l’organisme vivant, chez les êtres humains par exemple, les
hormones sont les messagères au service du «  chef d’orchestre  » situé
dans le cerveau et qui a pour nom «  hypothalamus  ». Il donne ses
consignes à son « adjointe », l’hypophyse, ou glande pituitaire, qui va les
répercuter en direction de l’organisme.
Le couple hypothalamus-hypophyse va en permanence surveiller et
maintenir les principales constantes physiologiques. Pour cela, il a
besoin de beaucoup d’énergie sous forme de glucose  ; c’est un autre
organe, le pancréas, qui se charge de veiller à l’équilibre du taux de
sucre dans l’organisme et qui joue sa partition en solo.
Chez l’humain, voici quelques exemples des «  fourchettes
quantitatives » à l’intérieur desquelles se perpétuent les « conditions de
la vie  » chères à Claude Bernard. Le schéma est quasiment toujours le

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même : pour maintenir une constante, une hormone est sécrétée par une
glande.
 
– Le taux de sucre dans le sang
 
Il doit se situer à une valeur de 1,40  gramme par litre de sang. S’il
baisse trop, c’est l’hypoglycémie et, à terme, la mort. S’il monte trop,
c’est l’hyperglycémie, et à terme, la mort aussi.
Pour éviter l’issue fatale, la nature a prévu une parade : une hormone,
une surveillante qui s’appelle «  insuline  » et qui va immédiatement
réagir et rétablir l’équilibre. En réalité, l’insuline agit avec d’autres
hormones, comme le glucagon ou la somatostatine. Ces hormones sont
sécrétées par le pancréas et régulées par le foie.
 
– La température du corps
 
À 37,2 °C le matin, tout va bien. À partir de 38 °C, on commence à
avoir de la fièvre. À 44 °C, c’est la mort. En sens inverse, à 35 °C, c’est
l’hypothermie qui se produit, et à 32 °C, c’est la mort.
Quand le corps est mort, il est froid. La vie est partie avec la chaleur
ou la chaleur avec la vie. Qui va maintenir cette chaleur constante dans
l’organisme ? Qui va veiller à ce que les apports d’énergie compensent
les dépenses d’énergie  ? Ce métabolisme de base est assuré
principalement par une autre hormone : l’hormone thyroïdienne, produite
par la glande thyroïde.
 
– L’équilibre du phosphore et du calcium
 
Le calcium et le phosphore sont indispensables aux cellules. Leur
proportion et leur quantité sont fixes dans un fonctionnement optimal de
l’organisme, avec une petite marge de souplesse.
Le taux normal de calcium dans le sang se situe autour de
10,5  microgrammes par décilitre de sang. Si l’on manque de calcium
avec un taux inférieur à 8,5 microgrammes, ou au contraire si l’on en a

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trop au-dessus de 10,5  microgrammes, rien ne va plus. Le système
neuromusculaire dysfonctionne, le système nerveux central disjoncte, les
reins tombent en panne, les tissus mous (muscles, nerfs, graisse, etc.) se
calcifient et les os du squelette se déforment.
Que le phosphore vienne à manquer et c’est l’ensemble des cellules
du corps qui va en pâtir. Le phosphore est l’un des éléments les plus
cruciaux de l’organisme. Il est le constituant principal du carburant des
cellules sous forme d’ATP, ou adénosine triphosphate, une molécule qui
a trois atomes de phosphore. C’est l’ATP qui maintient la vie, car elle
sert de support à l’énergie. Le phosphore est aussi l’un des constituants
de l’ADN.
Et qui surveille le bon équilibre du phosphore et du calcium  ? Une
hormone, l’hormone parathyroïde. Elle est aidée par une autre hormone
qui paradoxalement porte un nom de vitamine : la vitamine D.
 
– La reproduction
 
La survie de la cellule, celle des tissus, des organes, conditionne celle
de l’individu, mais si l’individu ne se reproduit pas, c’est l’espèce qui
disparaît.
Le fonctionnement reproductif est commun à tous les mammifères,
humains et autres. Qui surveille la capacité de l’individu mâle ou femelle
à produire des « gamètes » – un mot qui vient du grec gamos, qui veut
dire «  semence  »  ? Un ensemble d’hormones qu’on appelle les
« hormones sexuelles » : la testostérone principalement pour les mâles et,
pour les femelles, les estrogènes (ou œstrogènes) et la progestérone (qui
assure le maintien de la grossesse).
Ce sont des hormones dites « stéroïdes » (stéro signifie « ferme » en
grec) parce qu’elles sont formées à partir de cristaux rigides de
cholestérol. Les hormones sexuelles sont sécrétées par les testicules chez
les mâles et par les ovaires chez les femelles.
 
– L’équilibre veille-sommeil

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Vous voulez dormir et vous réveiller en pleine forme  ? C’est une
hormone, la mélatonine, qui va veiller à l’équilibre veille-sommeil. Elle
est sécrétée par la glande pinéale ou épiphyse, encore surnommée «  le
troisième œil » car sa fonction ancestrale était de capter la lumière. Cette
glande minuscule située dans le cerveau au-dessus de l’hypothalamus
doit son nom de « pinéale » au fait qu’elle ressemble à un pignon de pin.
Le philosophe et mathématicien René Descartes la désignait comme le
siège de l’âme.
 
– La réparation des tissus endommagés
 
Vous voulez garder des tissus en bon état et donc maintenir en eux un
juste équilibre  ? Ce sont les hormones produites par les surrénales qui
vont le permettre grâce à l’adrénaline, la noradrénaline, le cortisol (que
l’on copie en médicament avec la cortisone) et l’aldostérone.
Ces hormones vont également maintenir un état d’alerte face au
stress et placer l’individu en capacité physique de fuir ou de se battre. On
les appelle les « hormones du stress », car elles permettent de réagir de
façon adéquate face au danger.
 
– La filtration des liquides
 
Vous désirez –  un détail  !  – que vos reins continuent à éliminer
normalement, ni trop ni trop peu ? L’érythropoïétine va y veiller. C’est la
fameuse EPO, utilisée par les coureurs cyclistes pour améliorer leurs
performances.
 
– La régulation alimentaire et la digestion
 
Vous souhaitez maintenir un équilibre entre la faim et la satiété ? Les
hormones de l’estomac (la gastrine, la ghréline, la somatostatine) et les
hormones de l’intestin (la sécrétine, la motiline) vont se charger de

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diffuser la consigne. Les cellules adipeuses feront de même avec la
lectine et l’adiponectine.
 
– La respiration et la pression sanguine
 
Vous voulez continuer à respirer  ? Quelle idée  ! C’est
l’angiotensine  II, sécrétée par les poumons, qui va y veiller. Elle va
accessoirement maintenir la pression sanguine à un niveau équilibré lui
aussi, afin d’éviter l’hypotension ou l’hypertension.
 
– La mise en place des organes
 
Enfin, c’est grâce aux hormones que l’embryon va se construire
d’une manière ordonnée et coordonnée dès les premiers jours après la
conception. Ce sont elles qui vont guider les cellules souches dans la
mise en place des organes. Elles auront un rôle fondamental dans la
différenciation sexuelle du fœtus. Un simple dérèglement dans certaines
fenêtres du développement et les conséquences se feront sentir pour toute
la vie de manière souvent irréversible.

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Principales glandes hormonales (endocrines) :
 
Chez le mâle et la femelle de toutes les espèces, les hormones
permettent le maintien de l’équilibre physiologique, ou homéostasie.
Elles sont sécrétées par des glandes endocrines, sont transportées
dans le sang et vont agir sur des cellules cibles en se fixant à des
récepteurs.

Des hormones d’une puissance inouïe

Toutes les hormones ont en commun plusieurs caractères. Elles sont


déversées dans la circulation sanguine par une source qui est
principalement une glande. Elles sont ensuite transportées par le sang
vers une cellule cible à laquelle elles vont se lier par l’intermédiaire d’un
récepteur pour délivrer un message que la cellule va exécuter (en grec,

20
hormon signifie «  j’actionne, j’excite, je mets en mouvement  »). Au
niveau central, l’hypothalamus reçoit en retour l’information selon
laquelle la consigne a été exécutée ; c’est un rétrocontrôle qui ferme la
boucle de la régulation.
Les hormones ont la capacité de favoriser la croissance des cellules
cibles pour faciliter l’exécution de la consigne. Si cette multiplication
cellulaire n’est pas, elle aussi, maintenue dans un strict équilibre, elle
peut provoquer une croissance anarchique et donc une tumeur
cancéreuse. C’est le risque avec tous les cancers dits
« hormonodépendants » (voir la partie 2).
Les hormones ont une particularité unique  : elles sont capables
d’avoir une action à des doses infinitésimales. C’est aussi cette
caractéristique unique qui va constituer leur talon d’Achille. Pourquoi ?
Parce que l’industrie chimique a déversé dans l’environnement plus de
150  000  substances chimiques chimères capables de les imiter et de
perturber dans l’organisme ce délicat et fragile équilibre qu’est
l’homéostasie. Le consensus international a dénommé ces substances
«  perturbateurs endocriniens  ». Nous pourrions aussi les appeler plus
concrètement des « toxiques hormonaux », des « hormonotoxiques » ou
encore des « perturbateurs ou polluants hormonaux ».

21
Les hormones, messagères de la boucle de régulation :
 
1 – Un paramètre est déréglé.
2 – Grâce au rétrocontrôle, l’hypothalamus intègre l’information.
3 –  L’hypothalamus corrige le dérèglement en envoyant une
hormone messagère par l’intermédiaire de l’hypophyse.
4 –  La cellule reçoit le message de l’hormone et l’applique, ce qui
efface la perturbation initiale. La boucle de régulation a fonctionné.

« Perturbateurs endocriniens » ou « toxiques


hormonaux », quelle définition ?

En déréglant l’homéostasie hormonale, les perturbateurs hormonaux


ne peuvent qu’exercer un effet délétère sur l’organisme. En donner une
définition exacte fait à soi seul l’objet d’une âpre bataille dans les
instances internationales entre les industriels, les associations de défense
des consommateurs et les régulateurs. En effet, de la définition découlera
la régulation applicable à l’industrie chimique.
La définition de l’ONU de 2002 est la suivante : « Les perturbateurs
endocriniens sont des substances chimiques d’origine naturelle ou

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artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le
fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets
délétères sur cet organisme ou sur ses descendants. »
Une précédente définition de l’OCDE avait été donnée en 1996  :
« Un perturbateur endocrinien est une substance étrangère à l’organisme
qui produit des effets délétères sur l’organisme ou sa descendance, à la
suite d’une modification de la fonction hormonale. »
À la différence d’une substance toxique qui agit directement sur la
cellule en y créant des lésions ou en la détruisant, le perturbateur
endocrinien agit par le jeu complexe du système hormonal. La cellule
n’est pas détruite, mais elle est rendue inopérante car elle ne reçoit plus
les messages qui la guident dans sa fonction. Le danger pour la santé
n’est pas toujours perceptible au moment de la perturbation. Ainsi, le
fœtus exposé couve dans le ventre de sa mère des maladies qui ne se
développeront qu’à l’âge adulte.
 
1
Les endocrinologues de la Société d’endocrinologie préfèrent une
définition plus simple qui ne prend en compte que l’interférence avec le
système hormonal, interférence mauvaise en soi puisqu’un équilibre
parfait est nécessaire  : «  Un perturbateur endocrinien est un produit
chimique, isolé ou en mélanges qui interfère avec n’importe quel aspect
de l’action d’une hormone 2.  » Dans ce livre, nous considérons donc
qu’un toxique hormonal est «  une substance chimique étrangère à
l’organisme qui dérègle l’homéostasie hormonale ».
Les perturbateurs endocriniens peuvent être d’origine naturelle
(hormones naturelles, comme les estrogènes), mais le plus souvent ils
sont d’origine synthétique (estrogènes de synthèse, antibiotiques, agents
plastifiants, produits phytosanitaires, médicaments, cosmétiques,
détergents, etc.).
Les six perturbateurs hormonaux que l’on va retrouver le plus
souvent dans les atteintes à l’intégrité physiologique des organismes,
nous les avons baptisés les «  6  P  » – «  P  » pour «  poisons  ». Ce sont
toujours les mêmes qui seront à la manœuvre dans les nombreux

23
dysfonctionnements et maladies qui seront décrits dans les chapitres qui
3
suivent .

Les six principales familles de perturbateurs hormonaux :


 
Ils sont tous issus de la pétrochimie.

Le dérèglement induit par les perturbateurs chimiques va toucher


tous les organes qui dépendent des hormones. C’est donc l’ensemble de
l’organisme qui va en pâtir. En effet, le système hormonal interagit avec
le système nerveux et le système immunitaire. On sait depuis peu que
tous ces systèmes sont également en étroite relation avec la flore
intestinale, que l’on appelle désormais « microbiote ». On va donc, par
effet domino, assister à une désorganisation systémique de presque
toutes, sinon toutes, les fonctions physiologiques du corps.
C’est ce « grand désordre hormonal » que nous allons décrire. Il va
affecter les fonctions capitales de la reproduction et de l’activité sexuelle
(infertilité, orientation et différenciation sexuelles), de la multiplication
et de la spécialisation des cellules (cancers), de l’équilibre énergétique et
glucidique (thyroïdites, diabète, obésité), du fonctionnement du système

24
nerveux (autisme), du système immunitaire (allergies, asthme,
susceptibilité aux infections), etc.
Ce livre va dans un premier temps décrire les effets de ce «  grand
désordre hormonal  » sur la faune sauvage en rappelant comment s’est
faite la prise de conscience et qui en ont été les lanceurs d’alerte. Il
expliquera ensuite les conséquences néfastes sur la virilité des hommes,
la fécondité des femmes et la fertilité des couples. Il exposera également
la perte de capacités intellectuelles des enfants, l’augmentation de
l’incidence des maladies allergiques et thyroïdiennes. Il proposera enfin
de repérer tous les poisons du quotidien qui menacent nos hormones puis
donnera des pistes pour les éviter.
Pour mieux comprendre les mécanismes physiologiques qui vont
entraîner le dérèglement général, voyons auparavant comment les
polluants chimiques vont jouer le rôle de grain de sable dans les rouages
du délicat fonctionnement des cellules.

1. R.  T. Zoeller et al., «  Endocrine-Disrupting Chemicals and Public Health


Protection: A  Statement of Principles From the Endocrine Society  »,
Endocrinology, 2012.
2. Ibid.
3. Les industriels sont désormais tenus d’informer le public sur les perturbateurs
endocriniens contenus dans leurs produits. Le décret paru au Journal officiel le
25 août 2021 (N° 0197) concerne tous les produits qui contiennent des substances
avérées, présumées ou suspectées. Seuls les médicaments sont exclus de cette
obligation de transparence.

25
3

Quand les polluants chimiques imitent


les hormones

La chimie du corps humain montre que les hormones sont actives à


des doses infimes : il suffit d’une différence de 2/10 000 grammes d’iode
pour qu’un humain passe de la santé à la maladie.
De même, les substances de synthèse qui imitent les hormones
agissent à des doses infinitésimales et causent des altérations
considérables. Prenons une dose d’une substance chimique, divisons-la
en 1 million de parties, sélectionnons seulement 3 parties sur ce million,
et cela est suffisant pour annuler l’action d’une enzyme essentielle pour
le muscle cardiaque. Cinq millionièmes de dose sont capables de
provoquer la mort des cellules hépatiques.
D’aucuns pourraient relativiser le danger en estimant qu’un
millionième, ce n’est pas si grave, mais le Dr  Pete Myers, l’un des
pionniers ayant forgé la notion de «  perturbateurs endocriniens  », nous
fait mieux visualiser l’étendue du problème  : «  Une part par million,
explique-t-il lors d’une conférence 1, c’est un seul pancake dans une pile
de pancakes qui ferait 6  000  kilomètres de haut. Imaginons maintenant
une goutte d’un polluant comme le bisphénol A, ajoute-t-il, combien de
molécules croyez-vous qu’elle contienne  ?  » La réponse est
impressionnante : 2,6 trillions, soit 2,6 millions de millions de millions
de molécules.

26
On peut donc comprendre qu’une faible dose théorique peut avoir
des effets très graves à l’échelle de la cellule.

Que sait-on des hormones ?
On sait que les hormones sont des molécules, des messagers
chimiques, qui sont fabriqués dans un tissu de l’organisme, une glande
principalement. Elles sont ensuite transportées via la circulation sanguine
pour atteindre des cellules cibles dans un autre tissu de l’organisme.
Pour délivrer leur message, les hormones se lient à des récepteurs
qui se trouvent soit à la surface de l’enveloppe de la cellule, soit à
l’intérieur de celle-ci, sur le noyau. Les récepteurs ont un rôle majeur
dans la transcription du message reçu.
Il existe principalement deux sortes d’hormones : les unes à base de
protéines et les autres à base de lipides. Les premières ne peuvent pas
traverser la membrane des cellules, elles se fixent donc sur les récepteurs
qui se trouvent à la surface de celles-ci. Les secondes sont au contraire
capables de traverser la membrane des cellules, car celle-ci est constituée
de lipides comme elles.

Quel est le mécanisme normal de la fixation


des hormones ?
Une cellule possède donc des récepteurs soit à la surface de la
membrane extérieure, soit à l’intérieur sur son noyau. Chaque récepteur
est spécifique d’une substance qu’il reconnaît par sa forme
principalement  ; ladite substance se lie au récepteur et déclenche la
réponse de la cellule selon le message qu’elle lui donne. L’image qui est
le plus souvent employée est celle du système clé-serrure  : chaque
serrure, le récepteur, possède sa clé attitrée, l’hormone.

27
Le corps abrite quelque 200 cellules différentes qui ont chacune une
fonction de prédilection (selon les tissus  : sang, neurones, muscles,
os, etc.). Mais les cellules possèdent plusieurs récepteurs différents à la
surface de leurs membranes et même à l’intérieur, sur leur noyau.
Certaines peuvent présenter jusqu’à 200 récepteurs différents.
Une hormone comme l’insuline est à base de protéine ; elle se fixe à
la surface de la cellule. Si un polluant occupe le récepteur, le message est
bloqué.
Les hormones sexuelles comme les estrogènes ou la testostérone
appartiennent à la seconde catégorie, celle des hormones lipidiques.
Leurs récepteurs se trouvent donc sur le noyau de la cellule. Comme ces
hormones sont des lipides, des graisses, elles traversent facilement la
membrane de la cellule, qui, elle aussi, est constituée des mêmes
graisses. Certains polluants qui sont aussi lipidiques ont la capacité de
traverser la membrane de la cellule pour aller occuper les récepteurs qui
se trouvent sur le noyau de celle-ci. Une fois installés, les toxiques
peuvent se contenter de bloquer l’entrée, mais ils peuvent aussi
imiter l’hormone et activer une réponse de la cellule.

28
Système récepteur-hormone des hormones protidiques :
 
À gauche, la fixation normale d’une hormone à son récepteur.
L’hormone  A se fixe au récepteur dont la forme lui correspond (un
rond).
L’hormone  B se fixe au récepteur dont la forme lui correspond (un
triangle).
À droite, les récepteurs sont occupés par des polluants  : les
hormones  A et  B ne peuvent plus se fixer à leurs récepteurs
respectifs pour délivrer leur message.
Les toxiques hormonaux peuvent imiter ou bloquer l’action des
hormones naturelles.

L’hormone sexuelle naturelle ne pourra plus s’arrimer à son récepteur


et délivrer son message.
Les chercheurs découvrent chaque jour de nouvelles particularités
chez ces récepteurs et même de nouveaux récepteurs tout court. Ils sont
loin d’en avoir percé tous les secrets. Pas moins de la moitié des
récepteurs qui se trouvent soit à la surface de la cellule, soit à la surface
du noyau à l’intérieur de la cellule sont des « récepteurs orphelins », ce
qui veut dire qu’on ne sait pas à l’heure actuelle quelle est la molécule

29
endogène (de l’intérieur) qu’ils sont supposés accueillir et avec laquelle
2
ils se lient .

Système récepteur-hormone des hormones lipidiques :


 
Les récepteurs des hormones stéroïdes se situent sur les noyaux des
cellules et non pas à la surface.
1 – L’hormone est transportée par le sang.
2 –  Elle traverse la membrane de la cellule car elle est lipidique
comme elle.
3 – Elle se fixe sur le récepteur du noyau ; le récepteur transmet le
message à l’ADN, qui exécute l’action demandée.
4 –  Un polluant chimique s’est fixé sur le récepteur. L’hormone ne
peut plus se fixer à son récepteur : le message n’est plus transmis.

Les polluants chimiques agissent comme


de la glu
Le Pr  Gilles-Éric Seralini, professeur de biologie moléculaire à
l’université de Caen, est l’un des meilleurs connaisseurs des mécanismes
3
de la perturbation cellulaire par les polluants chimiques . Certaines de
ses recherches qui ont mis à mal les intérêts de grands groupes
industriels lui ont valu quelques inimitiés mais aussi de nombreux
soutiens. Il tient à souligner que la communication entre les cellules
souffre de la pollution chimique 4. La première chose que l’on constate

30
en effet, c’est que les polluants chimiques qui imitent les hormones se
fixent sur les récepteurs qui sont normalement dédiés aux hormones.
«  Ils vont se comporter comme un sable collant, explique-t-il, une glu
tellement puissante qu’elle provoque comme une fusion entre la clé et la
serrure.  » Ces messagers gluants se fixent et campent là, de façon
persistante. Ils « squattent » les récepteurs et les rendent inopérants. Le
système de défense de la cellule qui normalement utilise et élimine les
hormones naturelles n’arrive plus à neutraliser ces polluants qui
s’installent à demeure. Cela brouille la communication chimique et
électrique entre les cellules, qui se retrouvent incapables de remplir leurs
fonctions.
« Ce qu’il faut bien comprendre, insiste le professeur, c’est que tous
ces polluants sont des résidus du pétrole, que ce soit les pesticides, les
plastifiants ou même certains médicaments. »

Le pétrole à la base de la pollution chimique


Le pétrole n’est rien d’autre que des plantes fossilisées et éclatées en
morceaux par la pétrochimie.
À la base, explique le professeur, il faut comprendre que les plantes
ne sont pas mobiles comme les animaux. Elles ont développé des
stratagèmes pour pouvoir se reproduire. Elles sécrètent, elles aussi, des
hormones sexuelles. Leur forme chimique est celle d’un assemblage de
six carbones que l’on appelle un «  cycle aromatique  » et qui dégage
souvent un fort parfum pour attirer les insectes qui les pollinisent. On
appelle aussi ces chaînes des « cycles benzène ». Ils sont plus lourds que
les autres composants des plantes.

31
Le cycle aromatique ou benzène :
 
Le cycle aromatique possède une forme d’hexagone avec ses six carbones
(hormones sexuelles des plantes).

Lorsque les plantes sont fossilisées depuis des milliards d’années,


elles deviennent du pétrole. L’industrie pétrolière chauffe ce dernier pour
le réduire en différents composants. Les fameux cycles aromatiques sont
cassés en mille morceaux.
Le problème, c’est que ces morceaux gardent une ressemblance
avec les hormones naturelles des plantes ou des animaux, et cet « air
de famille  » leur permet ensuite d’entrer dans les organismes
vivants, animaux et humains, en jouant sur cette similitude qui ne
sera qu’un immense leurre. Il est difficile de les éliminer.
Une cellule est d’abord un milieu aqueux (c’est-à-dire composé
d’eau) protégé de l’extérieur, le sang, également aqueux, par une
membrane grasse qui sépare les deux. Seules traversent la membrane
grasse les molécules grasses comme les hormones. Et comme les dérivés
du pétrole sont des morceaux d’hormones de plantes cassés gras ou
lipophiles, ils arrivent à passer également.
C’est aussi la raison pour laquelle les produits fabriqués à partir du
pétrole sont toxiques pour la cellule. Mais celle-ci a prévu des parades.

32
Le système détoxifiant, premier rempart
contre les poisons chimiques

L’organisme possède deux grands systèmes de défense. On connaît


bien le premier : c’est le système immunitaire. Il permet de lutter contre
les virus et les bactéries avec des cellules que l’on appelle les « globules
blancs » (macrophages et lymphocytes). Ils fabriquent des anticorps pour
reconnaître et détruire les éléments étrangers indésirables.
Pour que le système immunitaire puisse neutraliser toutes ces
substances étrangères à l’organisme que l’on appelle des
«  xénobiotiques  », il faut que ces derniers soient assez volumineux,
comme les virus et les bactéries. Mais s’ils sont 1  million de fois plus
petits, comme c’est le cas pour les polluants chimiques, le système
immunitaire est impuissant et c’est le second système de défense qui va
entrer en jeu : le « système détoxifiant ».
On connaît moins ce dispositif de défense qui se met en place à
l’intérieur de chaque cellule pour la nettoyer et évacuer les déchets
cellulaires qui s’y trouvent. Il est d’abord destiné à recycler toutes les
molécules de l’organisme après usage pour les dissoudre et ainsi leur
permettre de quitter le corps. Il s’occupe principalement des hormones
stéroïdiennes, des acides gras, de la vitamine D, des terpènes, etc. L’idée
est de permettre à des corps gras plutôt hydrophobes (incapables de se
mélanger à l’eau) d’être oxydés pour être ensuite éliminés dans les
urines.
Ce système détoxifiant traitera donc de la même façon tous les
polluants qui auront réussi à entrer dans la cellule. L’« éboueur » en chef
ne se demande pas si le polluant a été introduit dans l’organisme avec un
certain objectif ou avec une certaine étiquette : médicaments, pesticides,
mycotoxines, additifs alimentaires, dérivés des combustibles
domestiques et industriels, solvants, colorants et plastifiants, toutes ces
molécules étrangères sont traitées de la même manière.
«  Le corps n’a qu’une manière de s’en débarrasser, explique le
Pr Seralini. Il les oxyde d’abord pour les brûler, puis il les dilue en leur

33
ajoutant des molécules pour les dissoudre dans l’eau. » À l’intérieur de la
cellule, ces nettoyeurs-brûleurs ont pour nom « cytochromes P450 », un
nom pas très poétique qui rend compte des circonstances de sa
découverte mais pas de sa fonction. « Cytochrome » vient du grec cyto,
qui veut dire « cellule », et chroma, qui signifie « couleur ». Lorsqu’il a
été découvert, c’est sa couleur jaune qui a retenu l’attention. «  P  »
signifie «  pigment  » (de couleur), et «  450  » indique un niveau
d’absorption de la lumière.
 
 
Pour plus de clarté, on aurait pu les appeler « détoxifiants », car c’est
bien là leur principal mérite  : éliminer tous les déchets et tous les
toxiques qui empêchent la cellule d’exercer sa fonction. On aurait pu
aussi les appeler «  respirateurs  », car ils aident la cellule à respirer, ou
bien encore «  constructeurs de  cholestérol  », car ils participent à
l’élaboration du cholestérol dans le foie, où ils sont très nombreux. On
aurait pu aussi les baptiser «  éboueurs des cellules  », car ils les
débarrassent de leurs déchets tandis que les macrophages (globules
blancs) sont, eux, les éboueurs de l’organisme à l’extérieur des cellules.
On retrouve ces «  superdétoxifiants  » dans tous les organismes
vivants y compris les plantes, les champignons, les insectes, les animaux,
les virus et les bactéries à l’exception de quelques-unes, comme
Escherichia coli.

34
Les cytochromes P450, principaux détoxifiants des cellules :
 
On les retrouve chez toutes les espèces vivantes. Chez l’humain, ils
sont produits par le foie.

Si les polluants chimiques sont trop nombreux, ils débordent le


système détoxifiant et détruisent les communications chimiques et
électriques de la cellule. «  Or, explique le Pr  Seralini, c’est la
communication des cellules entre elles qui permet de garder la vitalité du
corps. Quand on est mort, dit-il, on a toujours les muscles et les os, mais
le corps ne tient plus debout parce que les cellules ne communiquent plus
entre elles, ni chimiquement, ni électriquement. » Ce qui est perturbé, ce
n’est donc pas seulement le système hormonal, mais également le
système nerveux 5.

35
Que sont les glandes endocrines
ou hormonales ?

Faisons un petit rappel des fonctions du système hormonal, car nous


allons les retrouver tout au long de ce livre.
Le système hormonal, que l’on appelle aussi «  endocrinien  »,
coordonne et programme tout un ensemble de fonctions de l’organisme.
Il est renseigné par un rétrocontrôle qui lui permet de piloter le tout.
Les glandes sont dites «  endocrines  » parce qu’elles sécrètent leur
substance à l’intérieur de l’organisme (du grec krino, «  je sécrète  », et
endo, « intérieur »). Sont considérées comme telles en partant du haut du
corps  : la glande pinéale ou épiphyse, l’hypothalamus, l’hypophyse, la
thyroïde, les surrénales, le foie, les reins, les gonades,  etc. (voir le
schéma au chap. 2).
Lorsqu’elles dialoguent entre elles, ces glandes forment des « axes ».
Les six plus importants sont :
– l’axe hypothalamus-hypophyse-thyroïde ;
– l’axe hypothalamus-hypophyse-gonades (ovaires ou testicules) ;
– l’axe hypothalamus-hypophyse-surrénales ;
– l’axe hypothalamus-hypophyse-reins ;
– l’axe hypothalamus-hypophyse-foie ;
– l’axe hypothalamus-hypophyse-glandes mammaires.
Ces six axes sont tous en interaction les uns avec les autres. On sait
depuis peu que leur bon fonctionnement dépend également de l’état du
microbiote à l’intérieur de l’intestin. Les polluants chimiques exercent
leurs effets délétères sur tous les récepteurs qui tapissent leurs cellules.
On découvre chaque jour l’étendue des dégâts, et pourtant cela fait déjà
soixante ans que la sonnette d’alarme a été tirée.
La première à avoir lancé l’alerte, parce qu’elle était à la fois
scientifique et amoureuse de la nature sauvage, est l’Américaine Rachel
Carson, qui restera la grande figure fondatrice de l’écologie moderne
6
avec son livre prémonitoire intitulé Printemps silencieux .

36
Les six axes principaux du système hormonal :
 
Ils partent de l’hypothalamus et de l’hypophyse pour agir sur des
glandes qui produisent des hormones.

RÉSUMÉ
Les hormones transmettent leur message en se fixant sur des
récepteurs spécifiques dans et sur les cellules. Les polluants chimiques
perturbent ou empêchent cette fixation en imitant la forme des hormones.
Les détoxifiants des cellules, appelés « cytochromes P450 », peuvent se
retrouver débordés.
Les six axes principaux qui organisent le système hormonal partent
de l’hypothalamus et de l’hypophyse pour agir sur des glandes qui
produisent des hormones.

37
1. «  Dr  Myers on Impact of Plastic Additives on Health of Future Generation  »,
Plastic Health Summit 2019, [en  ligne] https://www.youtube.com/watch?
v=OifnPOAolLw
2. R.  Germain et K.  N.  S.  Iyer, «  The Interaction of Internal and Downstream
Integration and Its Association With Performance », Journal of Business Logistics,
o
vol. 27, n  2, p. 29-52, 2006, DOI 10.1002/j.2158-1592.2006.tb00216.x
3. www.seralini.fr.
4. G.-É. Seralini, Génétiquement incorrect, Flammarion, 2003.
5. G.-É. Seralini, G. Jungers, “Endocrine disruptors also function as nervous
disruptors and can be renamed endocrine and nervous disruptors (ENDs)”,
Toxicology Reports, 2021, [en ligne]
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214750021001414?
via%3Dihub
6. R. Carson, Printemps silencieux, Wildproject, 2019.

38
PARTIE 1

LE DÉSORDRE HORMONAL
DANS LA NATURE

39
4

Quand le printemps devient silencieux

Les joncs ont flétri sur le lac,


Et nul oiseau ne chante.
 
C’est par ces vers du poète anglais Keats que commence le livre culte
de Rachel Carson Printemps silencieux. Cet ouvrage magistral fera
l’effet d’une bombe dans le ciel serein des États-Unis des années 1960 et
sera par la suite la pierre angulaire de la prise de conscience de la
fragilité du vivant face aux risques chimiques. Il est devenu un classique
que tous les petits Américains étudient à l’école.
Rachel Carson est une biologiste marine et une vulgarisatrice hors
pair. Cette pionnière de l’écologie choisit dans son livre de dresser un
inventaire minutieux des ravages que provoquent sur la vie sauvage les
épandages massifs d’insecticides. Plutôt que de s’exprimer d’un ton
scientifique et détaché, elle préfère raconter à la manière d’une grand-
mère bienveillante la destruction de la vie naturelle, avec toute la
tristesse qu’elle lui inspire. Là où le poison est passé, les oiseaux ont
disparu et un étrange silence règne dans l’air du printemps. « Ce fut un
printemps sans voix, raconte la biologiste. Le silence régnait sur les
champs, les bois et les marais. » Toute vie avait disparu mais on pouvait
déceler des traces de poudre blanche tombée comme de la neige sur les
toits, les prés, les forêts et les ruisseaux.

40
En 1960, tous les dégâts qu’elle décrit sont loin d’être connus du
public. C’est pourquoi, très pédagogue, elle explique que cette poudre
blanche tombée du ciel n’est autre qu’un insecticide appelé DDT
(dichlorodiphényltrichloroéthane), un poison mis au point dans l’entre-
deux-guerres. Schématiquement, ce sont deux cycles aromatiques (deux
noyaux benzène) sur lesquels ont été fixés chimiquement des atomes de
chlore. Ce poison est répandu par avion sur des milliers d’hectares dès
1945.

L’eau, la terre, les plantes, toute la chaîne


du vivant est contaminée
Dans l’Illinois et le Michigan, ce sera pour faire la guerre au scarabée
du Japon, un insecte dont personne ne se plaignait jusque-là. Chaque
hectare traité reçoit l’équivalent de 150 kilogrammes de DDT. Les larves
du scarabée empoisonnées contaminent à leur tour les oiseaux qui les
mangent. Environ 90  % des chats sont exterminés dans la bataille. Les
dégâts causés par l’insecticide anti-scarabée du Japon sont d’autant plus
terribles qu’ils sont inutiles  : il existait d’autres moyens biologiques de
lutter contre lui, explique la naturaliste.
Dans le sud des États-Unis, c’est contre un papillon baptisé «  zig-
zag » qu’une armada d’avions épand des tonnes de DDT mélangé à du
mazout. En 1955 puis en 1956, y compris dans le parc national de
Yellowstone, 320 000 hectares de forêt sont traités au DDT.
Les sols sont contaminés. Les pesticides empêchent les bactéries
fixatrices d’azote de fournir aux plantes l’azote dont elles ont besoin
pour leur croissance. Le délicat équilibre qu’entretiennent les plantes
avec les micro-organismes du sol est détruit. La rupture de cette
symbiose entraîne à son tour une baisse de la productivité même des
sols, le tout débouchant sur un appauvrissement général des terres et à
terme sur la désertification.

41
En un cercle vicieux infernal, les cours d’eau, les nappes phréatiques,
les rivières souterraines et même les réservoirs d’eau potable qui
alimentent les villes sont touchés. La première victime, c’est la faune
sauvage bien sûr. Rachel Carson accumule les exemples d’hécatombes
d’oiseaux, de saumons, de petits et gros mammifères. Elle explique en
détail comment les poisons chimiques sont concentrés dans les
organismes au fur et à mesure de leur progression dans la chaîne
alimentaire.

Concentration des polluants chimiques dans la chaîne alimentaire :


 
1 – L’avion épand des pesticides dans les eaux d’un lac pour éliminer
des moucherons qui importunent les pêcheurs.
2 – L’eau est polluée, le plancton concentre les particules chimiques
(ppm = 1 millionième).
3 –  Le poisson qui s’alimente à partir du plancton concentre à son
tour les polluants, les faisant passer de 0,2 ppm dans le plancton à
400 ppm.
4 – L’aigle pêcheur qui attrape le poisson augmente la concentration
à 1 600 ppm. Il en meurt ou devient stérile. (Rachel Carson)

42
L’aigle à tête blanche, symbole de la nation,
est à son tour contaminé

«  Les Américains risquent fort de devoir choisir un autre emblème


national  », explique Rachel Carson, statistiques à l’appui  : en Floride,
entre 1952 et 1957, 80 % des nids de l’aigle à tête blanche ont cessé de
produire.
Chez les rouges-gorges, le DDT est retrouvé dans les testicules des
mâles, les ovaires des femelles, les œufs et les oisillons morts après
l’éclosion. Beaucoup meurent avant l’éclosion, car le jaune d’œuf qui
nourrit l’embryon pendant l’incubation concentre le poison. « Ils sont de
moins en moins capables de se reproduire et d’assurer la pérennité de
leur race », alerte la biologiste.
Dès 1960, les oiseaux tombent par milliers lorsque les semences des
agriculteurs sont enrobées non plus seulement d’un fongicide mais aussi
d’un insecticide.

Déjà les perturbateurs chimiques rendent


les moustiques androgynes

Chez les mammifères de laboratoire, Rachel Carson constate déjà en


1960 des atrophies des glandes génitales et une moindre production de
spermatozoïdes. Dès cette époque, elle s’inquiète de l’altération des
gènes, qui se traduit par des mutations et une mise en danger des
générations suivantes.
Chez les insectes, les moustiques traités au DDT ont donné naissance
à d’étranges créatures, moitié mâles, moitié femelles, appelées pour cette
raison « gynandromorphes » (en grec gyné signifie « femelle  », andros
veut dire « mâle » et morpho, « forme »).
Par ailleurs, si des pesticides sont utilisés sur les pommes de terre
dans les silos pour empêcher la germination, c’est parce qu’ils

43
interrompent la division cellulaire. Or, cette division est indispensable à
la survie. Sur les plantes apparaissent des tumeurs. Les modifications des
gènes entraînent des aberrations, absence ou présence en surnombre de
certains gènes.

Des « chimères chimiques »
Il ne faut pas oublier, écrit Rachel Carson, que les produits auxquels
la vie doit désormais s’adapter sont sans équivalents naturels. Ce sont
des constructions entièrement synthétiques, des « chimères chimiques ».
Le vivant, qui a mis des millions d’années à évoluer avec son
environnement, est brutalement confronté à des centaines, des
milliers de molécules nouvelles en l’espace d’une génération.
Autre vérité de base qu’elle tient à souligner  : la différence
fondamentale entre ce qu’elle finit par appeler les «  braves insecticides
d’avant-guerre  » et les pesticides modernes. Les premiers sont des
métaux ou des métalloïdes, arsenic, cuivre ou plomb, alors que les
seconds ont emprunté aux êtres vivants l’atome qui constitue la base
fondamentale de leur vie, à savoir le carbone. Les pesticides d’avant-
guerre, très éloignés du vivant, étaient soit rejetés par le système
immunitaire de leurs hôtes, soit suffisamment puissants pour le détruire.
Après guerre, l’industrie chimique leur ajoute du carbone, dans une
stratégie du leurre : il s’agit de faire croire au vivant qu’il n’y a pas lieu
de se méfier, puisque le nouveau produit a « comme un air de famille ».
L’hôte survit donc, mais à l’état contaminé. Les pesticides modernes se
retrouvent donc dans un premier temps au sein de deux familles, les
organo-chlorés et les organo-phosphorés.
Après avoir exposé les dégâts des pesticides sur l’air, l’eau, le sol, la
végétation, les animaux sauvages et domestiques, Rachel Carson pose
une question  : par quel miracle les humains pourraient-ils échapper à
cette contamination généralisée ?

44
L’humain intoxiqué, forcément intoxiqué

La réponse se présente sous forme d’un constat dépité  : le miracle


n’aura pas lieu. Oui, les humains sont exposés aux mêmes toxiques et
aux mêmes conséquences pour la santé que le reste de l’environnement.
«  L’homme, ne lui en déplaise, appartient lui aussi à la nature.
Comment pourrait-il échapper à une pollution si complète du monde
entier  ?  » demande-t-elle. Et de souligner  : « Alors qu’avant guerre les
organismes humains étaient vierges de toute trace de DDT, en 1956 on
commence déjà à en trouver jusqu’à 7,4  parties par million dans les
fluides corporels. »
Par-delà les intoxications aiguës qui causent la mort immédiate, ce
qui préoccupe Rachel Carson, ce sont les absorptions répétées de petites
quantités de pesticides qui contaminent la population et produisent un
effet différé. Rachel Carson remarque que l’action de ces toxiques est du
même ordre que celle qu’exercent les radiations ionisantes.
Elle alerte également sur l’explosion des cancers humains, qui sont
responsables de 4 % des décès en 1900 et 15 % en 1958. En 2021, les
cancers sont responsables de près de 30 % des décès aux États-Unis 1. La
part des cancers dans la mortalité a donc été multipliée par plus de sept
en un siècle.
Rachel Carson décède en 1962, d’un cancer du sein, à l’âge de 57 ans
– amère coïncidence, quand on connaît avec le recul la responsabilité des
pesticides dans l’apparition des cancers. Parce qu’elle s’est heurtée à des
intérêts économiques majeurs, Rachel Carson s’est attiré beaucoup
d’ennemis. Ses adversaires l’ont traitée d’hystérique et de sentimentaliste
incompétente. Les médias à la botte de l’industrie chimique l’ont lynchée
sur la place publique. Qu’importe, elle a tenu bon, et son livre s’est
vendu par millions d’exemplaires.
Lire ou relire Printemps silencieux laisse perplexe. Tout est dit, tout
est expliqué, et pourtant tout va continuer comme si de rien n’était.
Certes, le DDT sera partiellement interdit en 1972, mais ce sera pour
laisser la place à d’autres pesticides encore plus toxiques.

45
Il faudra attendre près de trente années après la disparition de Rachel
Carson pour que les effets délétères des produits chimiques sur les
hormones qu’elle a observés soient baptisés «  perturbation
endocrinienne » lors de la « déclaration de Wingspread », en 1991.

RÉSUMÉ
En 1961, l’Américaine Rachel Carson lance l’alerte sur les ravages
des épandages aériens de pesticides. Dans son best-seller Silent Spring
(Printemps silencieux), elle décrit leurs effets, destructeurs ou
perturbateurs, sur la faune sauvage et s’inquiète des répercussions
possibles sur les humains.

1. H. Ritchie, « Does the News Reflect What We Die From ? », 2019, [en ligne]
https://ourworldindata.org/does-the-news-reflect-what-we-die-from

46
5

Quand les coquillages femelles


se masculinisent : l’imposex

Une étrange découverte se produit simultanément en 1970 des deux


côtés de l’Atlantique, d’une part dans la baie de Plymouth, en Grande-
Bretagne, et d’autre part sur la côte de la Nouvelle-Angleterre, aux États-
Unis. Côté anglais, le biologiste marin Stephen Blaber 1 observe la
raréfaction d’une espèce d’escargots de mer que l’on appelle «  pourpre
petite pierre » (du latin Nucella lapillus, signifiant « petite noix et petite
pierre  »). Ce coquillage servait dans l’Antiquité à obtenir la couleur
pourpre tant prisée des notables.
Ces petits mollusques sont normalement très nombreux sur les côtes
anglaises. Dans cette espèce, les femelles et les mâles s’accouplent au
printemps. La fécondation a lieu à l’intérieur de la femelle ; les œufs se
forment dans une poche interne puis sont expulsés par un conduit (un
oviducte) qui relie la poche à un orifice. Les œufs fécondés, enfermés
dans des petites capsules, viennent ensuite se fixer sur les rochers pour
achever leur développement.
En y regardant de plus près, Blaber et son équipe découvrent
stupéfaits que de nombreuses femelles ont développé un sexe masculin,
un pénis, en plus de leur organe reproducteur féminin. Le sexe masculin
vient boucher l’oviducte féminin, empêchant ainsi la fécondation et

47
l’expulsion des œufs. Les femelles développent une stérilité graduelle et
l’espèce commence à disparaître.
Les chercheurs s’interrogent. Cette espèce est pourtant bien
répertoriée comme étant gonochorique, ce qui signifie que les deux sexes
mâle et femelle sont bien séparés. Le mot est formé à partir du grec
ancien gonos, qui veut dire «  semence ou gonade  », et khorismos, qui
veut dire «  séparation  ». Doit-on revenir sur cette classification,
commencent à s’interroger les scientifiques anglais ?
Côté américain, on observe le même phénomène à la même époque.
2
Le biologiste Blakeman S.  Smith décide d’inventer un nouveau nom
pour cette malformation inédite. Il propose de la dénommer « imposex »,
parce que le sexe masculin vient se surajouter, se surimposer au sexe
féminin.
Tous les coquillages ne sont pas touchés au même degré, et trois
niveaux sont même identifiés selon l’état de développement du pénis  :
une phase initiale avec l’apparition d’un embryon de pénis, une phase
intermédiaire où le pénis pousse en direction de l’organe femelle, et une
phase tardive avec l’obstruction de l’oviducte et l’avortement de
capsules d’œufs. Au dernier stade, on observe chez la femelle le
développement important de la prostate et une réduction du vagin et de la
vulve ainsi que la présence de capsules contenant des œufs avortés. Il
3
s’agit d’un pseudo-hermaphrodisme .

48
Le phénomène de l’imposex :
 
À gauche, la femelle pourpre petite pierre possède une glande à
capsules fonctionnelle pour pondre des œufs.
À droite, la femelle pourpre avec un « imposex » possède deux sexes.
Un pénis s’est développé en plus de l’appareil reproducteur féminin
et vient obstruer l’orifice qui sert à pondre les œufs. L’oviducte est
bouché, certaines capsules sont avortées.

Quelle peut bien être la cause de cette «  nouvelle anatomie


dysfonctionnelle » ? Est-ce une bactérie ? Un parasite ou l’absence d’un
parasite ? Un réchauffement de l’eau ? Un changement dans l’acidité de
l’eau  ? Les hormones de ces mollusques sont-elles en cause  ? La
question est donc posée dès 1970 sans qu’on puisse y répondre.
Les biologistes anglais, en bons descendants de Sherlock Holmes, ne
vont pas tarder à mettre au jour un indice significatif. Ils observent en
effet que le nombre d’imposex chez les pourpres petite pierre augmente
lorsque l’on se rapproche du port de Plymouth. Cependant le mystère
demeure sur l’agent causal irréfutable du phénomène, et c’est cette fois
vers la côte atlantique française, dans la baie d’Arcachon, qu’il faut se
tourner pour comprendre le fin mot de l’histoire. Hercule Poirot
tiendrait-il là sa revanche sur Sherlock Holmes ?

RÉSUMÉ

49
En 1970, des biologistes marins découvrent sur les côtes britanniques
et américaines que les femelles de certains escargots de mer développent
un pénis en plus de leur appareil génital. Le phénomène est baptisé
« imposex ».

1. S. J. M. Blaber, « The Occurrence of a Penis-Like Outgrowth Behind the Right


Tentacle in Spent Females of Nucella Lapillus (L.) », Journal of Molluscan Studies,
o
vol.  39, n   2-3, décembre  1970, p.  231-233, [en ligne]
https://doi.org/10.1093/oxfordjournals.mollus.a065097
2. B.  S.  Smith, «  Sexuality in the American Mud Snail, Nassarius Obsoletus
o
Say », Journal of Molluscan Studies, vol. 39, n 5, 1971.
3. P.  Fioroni, J.  Oehlmann et E.  Stroben, «  The Pseudohermaphroditism of
Prosobranchs: Morphological Aspects », Zoologischer Anzeiger, 1991.

50
6

Quand les huîtres ont bien failli


disparaître du bassin d’Arcachon

Dans le bassin d’Arcachon, on se souvient bien que la décennie 1970


a été catastrophique pour les huîtres. La production est passée de
15 000 tonnes au début de la période à 3 000 tonnes à la fin. La moitié
des exploitations agricoles a disparu en dix ans 1.
Ce qu’on a oublié en revanche, c’est la raison de l’effondrement de la
production. L’histoire officielle se plaît à incriminer les conditions
météo. Pourtant, les chaleurs du mémorable été 1976 n’ont qu’une
responsabilité annexe dans l’hécatombe. De même, les bactéries
pathogènes ont été montrées du doigt, mais même si elles ont eu leur part
dans le désastre, elles n’en ont été qu’une conséquence et non pas la
cause initiale.
Pour connaître la véritable raison du problème, il faut plutôt se
tourner vers les rapports scientifiques, qui sont souvent restés confinés
dans un cercle confidentiel.

Le diagnostic : les huîtres mal formées


Si l’on reprend le fil de l’enquête tel qu’on l’a laissé côté anglais, on
s’aperçoit bien, côté français, que quelque chose ne va pas. Si les huîtres

51
ne se reproduisent plus, c’est qu’il y a une raison, et c’est la survie de
toute une filière économique qui est en jeu.
Les autorités nationales et régionales font donc appel aux experts de
l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), et
en particulier à l’un d’entre eux  : Claude Alzieu. Celui-ci commence
d’abord son enquête par un examen de la situation et un questionnaire
soumis aux acteurs locaux. Les ostréiculteurs ont observé que les huîtres
ne se reproduisent plus autant qu’avant et que leur coquille est fragile et
mal formée.
Ils ont aussi observé qu’un prédateur de l’huître a lui aussi disparu,
mais cela n’est pas fait pour leur déplaire, bien au contraire. Ce prédateur
est surnommé « bigorneau perceur » dans le bassin parce qu’il transperce
les huîtres pour les manger. Il s’agit en fait d’un cousin du pourpre petite
pierre, alias Nucella lapillus, celui-là même qui est devenu
hermaphrodite de l’autre côté de la Manche.
Ce que les ostréiculteurs n’ont pas compris, c’est que les deux
phénomènes ont la même cause. Encore faut-il la trouver.
Le biologiste marin Claude Alzieu va lui aussi concentrer son
attention sur les huîtres et essayer de comprendre pourquoi leurs
coquilles se calcifient mal. Elles sont « chambrées », c’est-à-dire qu’elles
ont développé des chambres vides qui se remplissent d’une substance
gélatineuse. Ce sont ces anomalies qui vont occuper le devant de la scène
et le discours public. Les problèmes de reproduction ne recevront aucune
publicité.

Malformation des huîtres d’Arcachon

52
Le biologiste marin ne tarde pas à remarquer que plus on se
2
rapproche des ports et plus la production d’huîtres diminue . Or, que se
passe-t-il dans les marinas ? On nettoie les coques des bateaux après les
avoir mis en cale sèche. Ensuite, on les repeint avec une peinture dite
« antisalissure » (ou antifouling), la « salissure » n’étant rien d’autre que
tous les coquillages et autres organismes vivants qui viennent se coller
sur la coque des bateaux.
Curieuse coïncidence, depuis la fin des années 1960, une nouvelle
peinture est apparue sur le marché et elle fait un tabac tant elle est
efficace. Plus rien ne lui résiste. Les propriétaires de bateaux, qu’ils
soient professionnels ou plaisanciers, sont ravis du résultat. Ce qui fait
l’efficacité de cette peinture, c’est qu’elle a été mélangée à un pesticide
destiné à tuer les mollusques et les algues. Il s’agit à la fois d’un
mollucide (contre les mollusques) et d’un algicide (contre les algues).
Il est fabriqué pour «  occire  » la vie et il se trouve qu’il y réussit
plutôt bien. Son nom est «  TBT  », pour «  tributylétain  ». C’est tout
simplement un dérivé de l’étain, un organostannique. Grosso modo, c’est
un assemblage forcé chimiquement d’un métal et de carbone issu du
pétrole, un pur produit de la chimie organométallique qui crée des
composés de synthèse inconnus dans la nature et auxquels celle-ci est
mise en demeure de s’adapter.

53
La molécule de tributylétain (TBT) :
 
Le TBT est constitué de trois chaînes de carbone liées chimiquement
à un atome d’étain (Sn, du latin stanum).

En dix ans, durant cette fameuse décennie 1970, la navigation a triplé


sur les 1 550 hectares du bassin d’Arcachon : elle est passée de 5 000 à
15 000 bateaux. L’utilisation de la peinture à l’étain pour « traiter » les
coques a suivi le mouvement. De plus, elle est également utilisée pour
nettoyer les appontements, les bouées et même les casiers.

Démonstration de la responsabilité
du polluant à l’étain

La teneur en étain de la chair de l’huître est alors analysée, et l’on


observe qu’elle augmente au fur et à mesure que l’on se rapproche des

54
sources d’organoétains que sont les ports. La concentration s’élève
également dans le temps lorsque la fréquentation du port par les bateaux
connaît un pic, pendant la saison estivale.
Il ne reste plus qu’à reproduire le phénomène en laboratoire pour
vérifier l’hypothèse. L’expérimentation se montre concluante  : les taux
de malformations mais aussi de mortalité approchent très vite les 100 %
dans les bacs où les huîtres sont exposées aux organoétains, alors qu’ils
sont infimes dans les groupes témoins qui bénéficient d’une eau propre.
Ce sont bien les dérivés de l’étain qui sèment la mort parmi les huîtres.
Alzieu est affirmatif : « Les dérivés organostanniques contenus dans les
peintures antisalissure, et plus précisément le fluorure de tributylétain
(TBTF), provoquent expérimentalement des anomalies identiques à
celles observées dans le milieu naturel.  » Les organostanniques
représentent donc selon lui «  un danger pour l’exploitation d’huîtres
creuses C.  gigas  ». Il identifie le TBT comme la cause directe des
malformations mortelles des coquilles d’huîtres.

Par quels mécanismes les organoétains tuent-


ils les huîtres ?
Une fois établie la responsabilité des organoétains, il reste encore à
élucider le mode opératoire des coupables.
Quels sont les mécanismes biochimiques qui peuvent expliquer ces
3
anomalies ? Alzieu en identifie bien un ou deux. Il observe en effet que
deux oligoéléments de l’huître sont sous-dosés : le cuivre et le zinc. Or,
le cuivre aide l’huître à respirer et le zinc participe aux processus de
4
calcification .
Ces données ne suffisent pas à expliquer l’ensemble du phénomène,
d’autant que si les huîtres adultes présentent des malformations de la
coquille, les larves sont encore plus sensibles à la pollution  : elles
n’arrivent plus à atteindre le stade adulte, une anomalie d’autant plus

55
critique que le bassin d’Arcachon est devenu la nurserie nationale et
internationale des huîtres. Elles y naissent puis sont expédiées sur toutes
les côtes pour y être élevées.

Les larves d’huîtres, plus fragiles


que les adultes
Durant la seconde moitié de la décennie 1970, tous les naissains (les
juvéniles) dépérissent. Deux chercheurs de l’Ifremer, Édouard His et
5
René Robert , mènent aussi l’enquête pour en connaître la raison. Ils
constatent d’abord que tout va bien du côté de la reproduction en 1970 :
«  L’activité sexuelle des Crassostrea gigas [nom de l’espèce] a été
particulièrement intense. »
Ils passent au crible le fameux TBT des peintures antisalissure et ils
s’aperçoivent que ce pesticide détruit le phytoplancton dont se
nourrissent les larves d’huîtres. Il y aurait alors un double effet néfaste
du produit chimique, l’un direct, sur l’huître, et l’autre indirect, sur sa
nourriture. Les chercheurs le constatent en analysant au microscope le
bol alimentaire des jeunes huîtres. En temps normal, il est vert foncé,
mais désormais il est presque transparent.
De fait, des études ultérieures montreront qu’à moins de
1  nanogramme par litre d’eau de mer 6, le TBT freine la division
cellulaire du phytoplancton (les microalgues) et perturbe la reproduction
7
du zooplancton (les microcrustacés) .

Trois coupables supplémentaires

De plus, soulignent les biologistes, même si les dérivés de l’étain


sont certainement coupables, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une
bande derrière le chef de bande, et ils en identifient au moins trois :

56
1)  Une usine de pâte à papier du bassin d’Arcachon aurait pu
déverser intentionnellement ou non des eaux usées chargées d’un
fongicide utilisé pour la conservation des stocks.
2)  Le massif forestier qui entoure le bassin a fait l’objet de
campagnes d’épandages de pesticides pour éliminer les chenilles
processionnaires du pin.
3)  La culture du maïs s’est développée récemment à proximité du
bassin et cette culture est très gourmande en pesticides, dont les
herbicides.
Enfin, les pratiques de certains ostréiculteurs portent également leur
part de responsabilité. Durant ces années, certains collecteurs (les
supports sur lesquels se fixent les larves d’huîtres) ont été remplacés par
des tubes en plastique, alors qu’ils étaient auparavant en tuiles. Or, le
plastique est lui-même composé de matières toxiques. Mais à l’époque
l’arrivée du plastique est saluée avec enthousiasme. On la considère
comme un progrès indéniable. Les historiens de l’ostréiculture, comme
Louis Marteil, décrivent méthodiquement ses avantages  : «  Comme on
l’a déjà indiqué, les progrès obtenus dans l’industrie des matières
plastiques ont conduit à les utiliser de plus en plus fréquemment en
ostréiculture… Fabriqués en polyéthylène, éventuellement en PVC, les
collecteurs en matière plastique sont plus légers que les tuiles
8
ordinaires .  » L’«  élevage en poche  » n’échappe pas non plus au
plastique.
Or, il se trouve que justement l’un des principaux composants du
9
PVC n’est autre que le… tributylétain, qui lui sert de stabilisateur . Le
TBT arriverait donc dans le bassin d’Arcachon par d’autres biais que la
peinture antisalissure. Cette autre source de TBT n’est mentionnée dans
aucune publication. Nous l’avons découverte au cours de nos recherches.
Son impact sur le milieu n’a pas été mesuré à notre connaissance.

La lutte chimique également responsable ?

57
Pour lutter contre les prédateurs de l’huître, certains ostréiculteurs
délaissent les méthodes traditionnelles pour, là encore, céder au progrès
chimique  : «  Dans l’espoir de disposer de procédés plus faciles à
appliquer et plus énergiques, explique Louis Marteil, on a fait appel, en
conchyliculture comme en agriculture, à des substances minérales ou à
10
des composés organiques . »
Si les sels de mercure et d’arsenic sont quand même déconseillés par
la profession, les composés chimiques comme le formol (aldéhyde
formique ou formaldéhyde) ainsi que les bitumes dérivés du pétrole sont
plus ou moins tolérés. Les ostréiculteurs n’ont pas toujours conscience
qu’un toxique chimique supposé protéger l’huître contre les nuisibles
peut aussi avoir un effet boomerang contre l’huître elle-même.
Pour exterminer les algues, certains pulvérisent du cuivre. Pourtant,
rappelle Louis Marteil, des méthodes traditionnelles de lutte biologique
sont intéressantes à plusieurs titres  : «  L’un des procédés les plus
anciennement utilisés fait appel à l’action des “brouteurs” que sont les
bigorneaux. On choisit Littorina littorea ou bigorneau noir, espèce
comestible, qui peut, après s’être nourri des algues, être commercialisé. »
Il suffit donc de les semer à la volée, ils broutent les algues et
augmentent le revenu de l’exploitant.
Quoi qu’il en soit, et même sans l’apport des autres pesticides, le
TBT est suffisamment puissant pour avoir permis, à lui tout seul, la
destruction de la production ostréicole. La démonstration des biologistes
marins a été jugée suffisamment alarmante pour entraîner des décisions
politiques énergiques.

Le TBT interdit dans les peintures


antisalissure

Compte tenu de l’enjeu économique pour tout le bassin d’Arcachon,


des mesures interdisant les peintures antisalissure sont prises dès 1982,

58
mais seulement sur les bateaux de moins de 25 mètres. Tous les grands
navires et en particulier les navires de guerre dans la rade de Brest
continueront à intoxiquer les mollusques jusqu’en 2008 voire jusqu’en
2015.
La France demeure néanmoins le premier pays à avoir interdit les
composés d’étain dans les peintures antisalissure. Elle sera suivie par le
reste des pays industrialisés, du moins officiellement (en 2015, il restait
beaucoup de navires de commerce et de guerre en circulation dont la
coque était couverte d’une peinture au TBT).
Dans le bassin d’Arcachon, l’interdiction porte ses fruits d’une
manière spectaculaire  : elle entraîne une diminution importante de la
contamination des zones conchylicoles par l’étain et une amélioration
sensible des conditions d’élevage des huîtres, même si le cuivre a fait
11
son grand retour dans le bassin alors qu’il était jugé toxique . Petit à
petit, les chiffres sur l’ampleur de la contamination passée finissent par
sortir. De 900  nanogrammes d’étain par litre en 1983, la concentration
baisse à 10 nanogrammes par litre en 1989. On n’ose imaginer leur taux
dans les années 1970.
L’amélioration est indéniable, mais dans le même temps la
progression de la connaissance sur les effets délétères des faibles doses a
montré que l’on commence à observer des dérèglements chez les
mollusques dès la concentration de 1  nanogramme d’organoétain par
litre d’eau de mer, soit 1 milliardième de gramme. C’est l’équivalent de
1 gramme de sel qui serait mis dans une piscine carrée de 100 mètres de
côté et de 100  mètres de profondeur. C’est si faible que c’est presque
indétectable, et pourtant l’effet est déjà dévastateur 12.
Pour les bivalves comme les huîtres ou les moules, il suffit de
20  nanogrammes par litre d’eau de mer pour perturber la reproduction.
Les poissons connaissent eux aussi des difficultés de reproduction à
partir de 1 millionième de gramme par litre.

59
L’énigme d’Arcachon résolue ?

Dans le monde entier, la rapide prise de décision du gouvernement


français en 1982 sur les peintures aux organoétains fait figure de modèle
de lutte contre la pollution. Les agences officielles comme l’Ifremer se
rengorgent. Dans les colloques scientifiques, leur narratif est désormais
établi  : les huîtres ont été sauvées grâce à la célérité des autorités dans
l’interdiction des toxiques chimiques.
Pourtant, le mécanisme fondamental de l’effondrement de la
production d’huîtres n’est pas officiellement élucidé. Le défaut de
calcification des coquilles n’explique pas tout, loin de là.
La version présentée au grand public et celle présentée aux touristes
qui séjournent dans le bassin d’Arcachon ne sont pas exactement les
mêmes. En 2021 encore, la responsabilité de la pollution chimique dans
l’hécatombe des années 1970 demeure un sujet tabou. Sur la page
Wikipédia de l’ostréiculture arcachonnaise, on préfère évoquer
l’« origine virale » de la quasi-disparition des huîtres en 1970. Les sites
internet de la Région et de la profession ostréicole 13 restent également
14
très discrets sur la responsabilité du TBT dans cette hécatombe . Pour
tout dire, ils ne l’évoquent pas. On peut supposer que l’on ne souhaite
guère donner prise au moindre soupçon sur la qualité chimique de l’eau
dans le bassin.
Alzieu a bien rempli sa mission  : il a trouvé un coupable pour
l’huître, le TBT. Il n’est pas chargé de vérifier si le même coupable
n’aurait pas eu raison de la féminité du pourpre petite pierre, alias
Nucella lapillus. C’est donc de l’autre côté de l’Atlantique qu’il faut
retourner en 1981 pour comprendre que Smith a progressé dans sa
connaissance de l’imposex de l’escargot de mer.
Lui aussi incrimine les sels d’étain, et il prouve sa théorie en
comparant deux groupes de gastéropodes, l’un élevé dans une eau pure et
l’autre près d’une marina 15. Sa conclusion est claire  : «  Nos études ont
identifié un facteur causal des anomalies anatomiques observées dans un
environnement naturel près des marinas. Elles apportent un exemple rare

60
sinon unique d’un agent chimique causant l’apparition de formes
anatomiques superflues chez un animal.  » Concrètement, c’est la
première fois qu’un lien de causalité est établi entre le pesticide à base de
sels d’étain contenu dans les peintures et la surimposition d’un sexe mâle
sur un sexe femelle. Le mot « hormone » n’est toujours pas prononcé.
Mais à y regarder de plus près, on découvre presque par inadvertance
qu’à côté du « narratif officiel » certains chercheurs français ont depuis
longtemps apporté des réponses et résolu la fameuse énigme de
l’imposex. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’appareil étatique ne
les a pas vraiment aidés. Les Anglo-Saxons, eux, n’ont jamais lâché
l’affaire…

RÉSUMÉ
Dans les années 1970, la production d’huîtres du bassin d’Arcachon
est presque réduite à néant. Leurs coquilles sont mal formées et elles se
reproduisent peu. La cause est finalement identifiée  : il s’agit d’un
pesticide à l’étain, le TBT (tributylétain), contenu dans les peintures
antisalissure qui servent à protéger la coque des bateaux. En 1981, le
biologiste marin Blakeman Smith attribue aussi au TBT l’imposex des
femelles escargots de mer.

1. É. His et R. Robert, « Développement des véligères de Crassostrea gigas dans


le bassin d’Arcachon –  Études sur les mortalités larvaires  », Ifremer, 1983,
[en ligne] https://archimer.ifremer.fr/doc/1983/publication-1835.pdf
2. C. Alzieu, M.  Héral, Y. Thibaud, M.-J.  Dardignac et M.  Feuilleta, «  Influence
des peintures antisalissures à base d’organostanniques sur la calcification de la
coquille de l’huître Crassostrea gigas  », [en ligne]
https://archimer.ifremer.fr/doc/1981/publication-1898.pdf
3. C. Alzieu, Y. Thibaud, M.  Héral et B.  Boutier, «  Évaluation des risques dus à
l’emploi des peintures antisalissures dans les zones conchylicoles  », Revue des
o
travaux de l’Institut des pêches maritimes, vol. 44, n  4, 1980, p. 305-348.
4. Ibid.
o
5. É. His et R. Robert, op. cit., vol. 47, n  1-2, 1983, p. 63-88.

61
6. Un nanogramme est égal à un millionième de milligramme ou à un milliardième
de gramme.
7. C.  Alzieu, «  Impact of Tributyltin on Marine Invertebrates  », Ecotoxicology,
o
vol. 9, n  1, 2000.
8. L.  Marteil, «  L’ostréiculture et la mytiliculture  », mars  1979, [en ligne]
https://archimer.ifremer.fr/doc/1979/publication-1797.pdf
9. « Tributylétain  », Portail Substances chimiques, substances.ineris.fr, document
PDF du 10 mai 2005.
10. L. Marteil, « L’ostréiculture et la mytiliculture », art. cit.
11. C.  Alzieu et al., «  Évolution des teneurs en cuivre des huîtres du bassin
d’Arcachon : influence de la législation sur les peintures antisalissures », 1987, [en
ligne] https://archimer.ifremer.fr/doc/00155/26605/25506.pdf
12. «  TBT and Imposex  », Coastal Wiki, [en ligne]
http://www.coastalwiki.org/wiki/TBT_and_Imposex
13. Comité régional de la conchyliculture Arcachon Aquitaine.
14. Comité national de la conchyliculture (CNC), voir [en ligne] http://cnc-
france.circum.net/decouvrir.aspx
15. B.  S.  Smith, «  Male Characteristics on Female Mud Snails Caused by
Antifouling Bottom Paints », Journal of Applied Toxicology, vol. 1, p. 22-25, 1981,
[en ligne] https://doi.org/10.1002/jat.2550010106

62
7

Quand les femelles à pénis


ont des hormones perturbées

Si l’on résume les épisodes précédents, on sait donc que les années
1970 voient l’apparition d’un phénomène étrange sur les côtes anglaises
et américaines chez les escargots de mer  : l’imposex, dans lequel un
organe sexuel mâle apparaît chez les femelles en plus de leur propre
sexe.
On apprend dans le même temps qu’en France on a peut-être constaté
le même phénomène dans le bassin d’Arcachon, mais ce qui préoccupe
ici, c’est l’effondrement de la production d’huîtres attribué à une
décalcification des coquilles. Après enquête, il s’avère que la cause de
cet effondrement est les pesticides à base d’organoétains contenus dans
les peintures antisalissure pour bateaux. Ces composés chimiques sont
interdits à partir de 1982. L’effondrement de la production d’huîtres est
enrayé.
Fermez le ban ? Pas si vite.

L’enquête continue : la piste hormonale

Certes, au milieu des années 1980, on peut considérer que le secteur


ostréicole est en grande partie tiré d’affaire. Dès lors, rien n’est fait par

63
les instances officielles françaises pour établir un lien entre le problème
des huîtres et le phénomène de l’imposex chez les escargots de mer. Ils
seront toujours traités séparément, alors qu’ils ont la même cause  : la
pollution aux composés de l’étain.
Pourtant, des universitaires françaises que l’histoire nationale a
1
généreusement oubliées ont dès 1982 montré que le phénomène de
l’imposex était présent dans le bassin d’Arcachon. Elles l’ont même
baptisé «  femelles à pénis  ». Colette Féral et Solange Le  Gall, des
universités de Caen et Lille, décrivent pour la première fois le
mécanisme endocrinien à l’œuvre. Elles démontrent l’action
« perturbante » du TBT sur le système hormonal des escargots de mer.
Les femelles qu’elles ont étudiées sont les cousines de notre pourpre
petite pierre. C’est aussi une espèce où les sexes sont séparés. Leur étude
est exposée dans une note présentée à l’Académie des sciences par le
Pr Maurice Durchon, le ponte de l’endocrinologie des invertébrés.
Cet article n’est jamais cité par les instances académiques françaises.
Si on arrive encore à le trouver, ce n’est pas en entrant son titre sur
Google mais en plongeant dans les archives numérisées de la
Bibliothèque nationale via son portail Gallica 2.
Les chercheuses nous apprennent qu’à Arcachon, toutes les femelles
présentent un pénis depuis… 1976. Elles comparent expérimentalement
deux groupes : l’un élevé dans une eau de mer non polluée et l’autre dans
l’eau du bassin d’Arcachon. Chez les premières femelles, aucun pénis
n’apparaît, alors que le groupe imprégné de polluants chimiques est à
100 % masculinisé.
Colette Féral et Solange Le Gall observent donc que l’eau de mer où
toutes les femelles se voient dotées d’un pénis possède la propriété
d’activer la poussée d’un prépénis. Elles remarquent que cette action
s’exerce au départ par les ganglions du cerveau (système nerveux
central) qui libèrent un facteur qui, lui, agit ensuite sur les ganglions
« pédieux » (l’équivalent des gonades).
On comprend dès lors que si les mollusques marins sont perturbés et
disparaissent, ce n’est pas juste à cause d’un manque de calcification dû

64
à une carence en oligoéléments. Non, il est clairement énoncé qu’un
polluant externe provoque un dérèglement du système hormonal qui relie
le cerveau aux gonades, avec pour conséquence une masculinisation des
femelles.
«  Dans ces conditions, résument-elles, le TBT de la peinture
antisalissure peut être considéré comme un polluant qui exerce une
action directe sur le système nerveux central. » Celui-ci contrôle ensuite
les ganglions qui activent le bourgeon de pénis. Leur conclusion est on
ne peut plus claire : « Ces résultats mettent en évidence l’influence d’un
facteur externe sur la balance hormonale responsable de la
morphogenèse du pénis chez les gastéropodes prosobranches. »
Le déséquilibre hormonal provoqué par le polluant chimique sur
les « femelles à pénis » est donc établi dès 1982. Pourtant il n’en sera
jamais question dans les documents officiels français, y compris au
e
XXI  siècle.

Comment un pénis pousse chez une femelle


escargot de mer

Pour mieux comprendre comment le polluant chimique va


masculiniser les femelles gastéropodes au point de leur faire pousser un
pénis, un petit rappel anatomique s’impose.
Ce qui frappe avant toute chose, c’est que les humains ne sont pas si
éloignés que cela des coquillages que l’on ramasse sur les plages et les
rochers. L’escargot de mer possède comme nous un cerveau, une bouche,
un estomac, un cœur, un foie, un rein et non pas deux, et un anus. Le
mâle est doté d’un pénis et la femelle d’un utérus, d’un vagin et d’une
ouverture génitale.
Ce que l’on sait peut-être moins, c’est qu’il possède également un
système hormonal ou endocrinien qui ressemble beaucoup au nôtre 3.
Comme chez les humains, c’est le cerveau qui joue les chefs d’orchestre,

65
même s’il est vrai qu’il est un peu plus rudimentaire chez les
gastéropodes. Schématiquement, le cerveau sécrète des hormones qui
vont donner comme consigne aux organes sexuels, les gonades, de
produire des hormones sexuelles mâles ou femelles (testostérone ou
estrogènes) pour fabriquer les gamètes mâles ou femelles
(spermatozoïdes ou ovocytes-œufs).
Chez notre gastéropode femelle, Colette Féral et sa consœur
observent que le polluant TBT semble perturber les neurohormones dans
le cerveau au point que celles-ci entraînent la production d’une
testostérone surabondante, ce qui provoque un déséquilibre hormonal.
L’excès d’hormone mâle va à son tour générer l’apparition du pénis.
En 1988, le biologiste marin britannique P.  E.  Gibbs se réfère à
l’article des deux chercheuses françaises pour souligner que le
changement de sexe des gastéropodes marins est bien attribuable au
tributylétain des peintures antifouling. Il écrit même en toutes lettres  :
4
« Que le TBT affecte l’activité des gonades est maintenant évident . »

66
Similitude entre systèmes hormonaux :
 
Les systèmes hormonaux des escargots de mer et des humains se
ressemblent.
Le cerveau envoie des messages sous forme d’hormones aux gonades,
qui à leur tour fabriquent les gamètes et les hormones sexuelles
stéroïdes (lipidiques).

L’Anglais Gibbs découvrira par la suite que les femelles ne sont pas
les seules à être affectées : il observe à leur côté des « mâles sans pénis »
incapables de s’accoupler et donc stériles. D’autres ont une prostate
fendue et des testicules mal formés. Il a donné à l’ensemble de leurs
malformations le nom de « syndrome de Dumpton », du nom de la plage
5
où les mollusques ont été découverts, au nord de l’estuaire de la Tamise .
Le chercheur a pu aussi établir qu’une modification génétique était
intervenue dans l’espèce et qu’elle était transmissible à la descendance.
Il semblerait que par un mécanisme de défense contre le polluant TBT,
pour échapper à l’imposex stérilisant, les femelles aient bloqué la
production de la testostérone dans leur descendance aussi bien mâle que
femelle. Les femelles mutantes dépourvues de testostérone peuvent ainsi

67
s’accoupler avec les mâles non encore pollués et obtenir une
descendance. Les « mâles sans pénis » ne se reproduisent plus, mais par
ce biais l’espèce peut survivre.
Nucella lapillus s’est même trouvé une nouvelle vocation : sentinelle
de la qualité de l’eau.

Une espèce sentinelle pour toutes


les côtes du monde
Petit à petit, nos gastéropodes marins pseudo-hermaphrodites se
sont imposés comme le bio-indicateur officiel de la pollution au TBT.
Les pénis des gastéropodes femelles, nouvelles sentinelles de la
qualité de l’eau, sont donc surveillés régulièrement sur de nombreuses
côtes à travers le monde. Un «  outil imposex  » a même été mis au
point  : il consiste à mesurer la longueur du pénis de la femelle
6
masculinisée .
Cette surveillance est d’autant plus nécessaire que le phénomène
imposex apparaît même à des concentrations aussi infimes que
0,3  nanogramme par litre d’eau de mer (soit 0,3  milliardième de
gramme). Dans certaines zones, les populations de gastéropodes ont
totalement disparu à la suite de la stérilisation de l’ensemble des
femelles.

Imposex et intersex, un problème encore plus


vaste

Avec cette surveillance accrue, on s’est vite aperçu que le problème


de l’imposex était beaucoup plus répandu qu’on ne l’avait cru lors de sa
découverte : plus de 150 espèces de gastéropodes marins sont touchées
par le phénomène dans le monde. Le dérèglement hormonal peut aussi
revêtir différentes manifestations.

68
Ainsi, si dans l’imposex les « femelles à pénis » ne produisent pas de
spermatozoïdes, dans des espèces voisines l’ovogenèse est remplacée par
la spermatogenèse. Autrement dit, les femelles cessent de produire des
œufs et se mettent à fabriquer des spermatozoïdes. Ce phénomène a été
7
nommé «  intersex   ». En français, on pourrait, selon le modèle de
Colette Féral et Solange Le  Gall, baptiser ces individus «  femelles à
spermatozoïdes ».
Plus les biologistes avancent dans leurs recherches et plus il devient
évident pour eux que les mollusques sont loin d’être les seuls à subir les
conséquences de cette pollution à l’étain : toute la chaîne du vivant dans
l’écosystème marin est concernée. Les saumons d’élevage dont les cages
sont peintes avec de la peinture au TBT sont également imprégnés de
composés d’étain. On découvre que les phoques, les otaries, les thons,
les requins concentrent de grandes quantités d’étain dans leur foie. De
même, on remarque que les mystérieuses mortalités de groupe chez les
dauphins s’accompagnent d’une forte concentration d’étain dans leur
rostre. Les coraux, dont la survie est devenue l’emblème de la lutte
contre le réchauffement climatique, pourraient bien être, avant tout, les
victimes collatérales de la pollution de l’eau de mer par les produits
chimiques 8. En Australie, face à la Grande Barrière de corail, pas moins
de trente-cinq bassins-versants précipitent dans le récif des eaux polluées
par les pesticides issus des activités agricoles, maritimes et industrielles.
Toutes proportions gardées, les petits escargots de mer d’Arcachon et
les majestueux coraux de la Grande Barrière se retrouvent victimes d’une
même agression chimique. Les premiers ont rendu un service immense
qui pourrait à terme guider les seconds vers le chemin de la résilience.
Lequel  ? Les «  femelles à pénis  » ont servi de révélateurs et permis
d’établir un lien de cause à effet irréfutable entre un toxique, le composé
d’étain TBT, et un dérèglement hormonal, l’imposex. Ce tournant dans
l’histoire de la toxicologie a conduit le biologiste hollandais Joseph Vos
à enfoncer le clou en soulignant  : «  Il s’agit du plus bel exemple de
perturbation hormonale chez les invertébrés dont la cause est directement
9
liée à un polluant environnemental . »

69
Lorsque les interdictions sur les polluants à base d’étain sont
respectées, les résultats sont au rendez-vous. Sur les côtes françaises
comme dans certaines baies du Portugal, le nombre des femelles atteintes
d’imposex, à quelques exceptions près, a régulièrement baissé depuis
10
2003 . Pourtant le bilan pourrait se révéler bien meilleur. Soixante ans
après l’apparition des peintures toxiques à l’étain, la réponse
réglementaire internationale n’a pas été à la hauteur de la menace,
comme le souligne le rapport de l’Agence européenne de
l’environnement «  Signaux précoces, leçons tardives 11  », sur la
problématique des perturbateurs hormonaux à l’étain.
Certes, un accord international a banni les organoétains des peintures
antisalissure, mais il n’est pas toujours respecté. Ce pesticide reste
présent en tant qu’additif dans de nombreux produits de consommation
du quotidien et se retrouve tôt ou tard dans les sédiments marins.
Au bout de la chaîne, les organismes humains récupèrent les
polluants à l’étain qu’ils ont rejetés à la mer par l’intermédiaire des
pesticides contenus dans les peintures et dans les plastiques, par un
phénomène d’«  arroseur arrosé  ». La concentration est même parfois
jugée dangereuse pour leur santé, d’autant qu’elle s’additionne à toutes
12
les autres sources de pollution .
Le milieu marin aura été le premier à permettre l’identification des
effets délétères des toxiques hormonaux sur la physiologie des
organismes. L’eau douce des rivières et des lacs ne tardera pas à voir
apparaître en son sein l’étrange phénomène de la «  féminisation des
poissons ».

RÉSUMÉ
En 1982, des scientifiques françaises avaient identifié le phénomène
des imposex chez les escargots de mer, indépendamment des Anglo-
Saxons. Elles l’avaient baptisé «  femelle à pénis  ». De plus, et pour la
première fois, elles en ont décrit le mécanisme hormonal. Les mâles

70
escargots de mer sont aussi perturbés et deviennent parfois des « mâles
sans pénis ».
Ces gastéropodes deviennent une espèce sentinelle qui sert de bio-
indicateur sur la pollution de l’eau de mer au TBT. Le lien de cause à
effet entre une malformation physiologique d’un organisme vivant et un
polluant chimique est désormais établi.
Toute la chaîne marine est concernée par cette pollution  : des
phoques aux coraux en passant par les dauphins.
Le TBT est finalement banni des peintures antisalissure, mais les
produits qui le remplacent ne sont pas dépourvus de toxicité.

1. C.  Féral et S.  Le  Gall, «  The Influence of a Pollutant Factor (TBT) on the
Neurosecretory Mechanism Responsible for the Occurrence of a Penis in the
Females of Ocenebra Erinacea », in J. Lever et H. H. Boer (éd.), Molluscan Neuro-
Endocrinology, Amsterdam (Pays-Bas), North Holland Publishing, 1983, p.  173-
175.
2. Id., «  Induction expérimentale par un polluant marin (le tributylétain) de
l’activité neuroendocrine contrôlant la morphogenèse du pénis chez les femelles
d’Ocenebra erinacea (mollusque prosobranche gonochorique)  », compte rendu
hebdomadaire des séances de l’Académie des sciences, 295, 1982, [en ligne]
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5663202j.
3. L.  Meijer, Contrôle hormonal de la maturation des ovocytes chez deux
invertébrés, Arenicola marina (annélide, polychète) et Aplysia punctata
(mollusque, gastéropode), thèse, 1978.
4. P.  E.  Gibbs et al., «  The Use of the Dog-Whelk, Nucella Lapillus, as an
Indicator of Tributyltin (TBT) Contamination », Journal of the Marine Biological
Association of the United Kingdom, vol. 67, 1987, p. 507-523.
5. P.  E.  Gibbs, «  Male Genital Defect (Dumpton Syndrome) in the Dog-Whelk
Nucella Lapillus (Neogastropoda): Mendelian Inheritance Inferred, Based on
Laboratory Breeding Experiments », Journal of the Marine Biological Association
o
of the United Kingdom, vol.  85, n   1, 2005, p.  143-150, [en ligne] DOI
10.1017/s0025315405010969h
6. M. Huet, B. Averty et Y.-M. Paulet, « Imposex-TBT – Intensité de la pollution
par le tributylétain le long des côtes françaises, de la Manche et de l’Atlantique »,
[en ligne] https://archimer.ifremer.fr/doc/00315/42574/41943.pdf  ; «  Surveillance
du milieu marin – Travaux du Réseau national d’observation de la qualité du milieu
marin  », éd. 2004, [en ligne]
https://archimer.ifremer.fr/doc/00314/42569/41939.pdf
7. P.  Matthiessen et P.  E.  Gibbs, «  Critical Appraisal of the Evidence for
Tributyltin-Mediated Endocrine Disruption in Mollusks  », Environmental

71
o
Toxicology & Chemistry, vol. 17, n  1, janvier 1998, p. 37-43.
8. A. Monaco et P. Prouzet, Diversité et fonctions de systèmes écologiques marins,
ISTE Éditions, 2015.
9. J. G. Vos, E. Dybing, H. A. Greim, O. Ladefoged, C. Lambré, J. V. Tarazona et
A.  D.  Vethaak, «  Health Effects of Endocrine-Disrupting Chemicals on Wildlife,
with Special Reference to the European Situation », Critical Reviews in Toxicology,
o
vol. 30, n  1, 2000, p. 71-133.
10. « Suivi de l’imposex sur le littoral français de la Manche et de l’Atlantique en
2012 », rapport Toxem pour l’Ifremer.
11. D.  Gee et al., Late Lessons From Early Warnings: Science, Precaution,
Innovation, EEA, 2013.
12. A.  C.  Belfroid, A.  Van Der Horst, A.  D.  Vethaak, A.  J.  Schafer, G.  B.  Rijs,
J.  Wegener et W.  P.  Cofino, « Analysis and Occurrence of Estrogenic Hormones
and Their Glucuronides in Surface Water and Wastewater in the Netherlands  »,
o
Science of the Total Environment, vol. 225, n  1-2, 1999, p. 101-108.

72
8

Quand les poissons se féminisent

L’affaire de la « féminisation des poissons » commence en 1978 non


loin de Londres, sur un affluent de la Tamise, la rivière Lea. Cette année-
là, Tony Dearsley fait sa tournée de routine. Il est naturaliste, chargé de
la surveillance de la qualité des eaux. Mais que découvre-t-il  ? Sur un
échantillon de vingt-cinq gardons mâles (Rutilus rutilus) qu’il examine,
cinq portent des œufs dans leurs testicules. Ils sont hermaphrodites (voir
l’encadré).
Il n’avait jamais vu cela et alerte immédiatement les autorités. Très
vite des études sont lancées, et l’on s’aperçoit que plus les poissons sont
âgés et plus le nombre d’hermaphrodites augmente, jusqu’à atteindre
20  % dans certaines classes d’âge, ce qui suggère un effet
d’accumulation.
L’affaire est prise au sérieux, car l’on soupçonne une pollution de
l’eau par des contaminants chimiques. Or, cette eau alimente également,
après traitement, le réseau d’eau potable de la partie nord de Londres. Il
arrive qu’une deuxième station de traitement reprenne l’eau un peu plus
bas en aval pour la redistribuer. C’est pourquoi les Britanniques, qui ne
perdent jamais leur sens de l’humour, aiment à raconter que lorsque vous
buvez un verre d’eau à Londres, il n’est pas rare que celle-ci soit déjà
passée par plusieurs paires de reins 1.

73
Le mythe d’Hermaphrodite
Dans la mythologie grecque, Hermaphrodite est le fils d’Hermès et
d’Aphrodite. C’est un très beau garçon, mais un jour il subit un mauvais
sort après une rencontre malencontreuse avec une naïade nommée
Salmacis dont il a repoussé les avances. Pour se venger, la naïade a
réussi à convaincre les dieux de l’unir malgré tout et définitivement au
beau jeune homme. Son vœu est exaucé, et c’est ainsi que leurs deux
sexes (féminin et masculin) se retrouvent côte à côte en un seul corps.
Hermaphrodite fait lui aussi un vœu  : que chaque garçon qui se
baigne dans ce lac développe également un sexe féminin en plus de
son sexe masculin. Les dieux grecs auraient-ils découvert les
perturbateurs endocriniens avant l’heure que le résultat n’en eût guère
été différent  ! De nos jours, le terme «  intersexe  » désigne la même
réalité et, étrangement, les garçons y semblent plus souvent exposés
que les filles.

Les signes de féminisation chez les poissons :


la vitellogénine

Pour déterminer l’origine du changement de sexe chez les poissons et


cette tendance à l’intersexe, les chercheurs britanniques vont faire une
expérience avec des cages de poissons installées en amont et en aval des
stations d’épuration. Comme les poissons mettent un certain temps à
changer de sexe, il est décidé d’avoir recours à un autre marqueur de
féminisation que la présence d’œufs : c’est la production d’une protéine
que, normalement, seules les femelles fabriquent dans leur foie, la
vitellogénine.
Le vitellus (du mot latin qui signifie «  petit veau  »), c’est-à-dire le
jaune d’œuf, constitue les réserves nutritionnelles de l’œuf. La
vitellogénine, la protéine qui contient le vitellus, est lipidique. Comme ce
sont les femelles qui portent les œufs, ce sont elles et non les mâles qui la

74
produisent. Les hormones femelles, les estrogènes, déclenchent la
production de vitellogénine par le foie. Celle-ci permettra au futur
embryon d’utiliser ces réserves de nourriture pour se développer. Les
concentrations de vitellogénine chez les femelles sont si importantes
qu’elles peuvent être multipliées par 1 million durant le cycle reproductif
saisonnier de certains poissons, comme les saumons.
Les mâles ont donc normalement des niveaux très bas de
vitellogénine du fait de leurs bas niveaux d’estrogènes. Mais si on leur
apporte de manière artificielle des hormones femelles estrogènes ou des
toxiques chimiques qui leur ressemblent, ils vont eux aussi se mettre à
produire de la vitellogénine. Ils sont même beaucoup plus sensibles que
les femelles à l’apport d’estrogènes extérieurs, car ils n’y sont pas
habitués.

75
Féminisation des poissons mâles :
 
À gauche, une femelle et un mâle normaux. Seule la femelle produit
de la vitellogénine dans son foie. Celle-ci est envoyée vers les ovaires
pour servir de réserve nutritionnelle aux œufs.
À droite, un mâle féminisé par la contamination chimique :
1 – Un toxique chimique mimant les hormones femelles se retrouve
dans le sang du poisson.
2 –  Dans le cerveau du poisson mâle, l’hypothalamus perçoit la
présence de pseudo-hormones femelles et envoie un signal hormonal
aux testicules.
3 –  Le foie se met à produire de la vitellogénine en direction des
testicules.
4 –  Les testicules se transforment en ovaires et se mettent à
fabriquer des œufs.

Mesures de la « perturbation du genre » chez


2
le poisson

76
Après trois semaines d’exposition dans les cages en amont et en aval
des stations d’épuration, les résultats de l’étude expérimentale sont
3
significatifs . Les truites arc-en-ciel mâles ou carpes mâles exposées aux
effluents des stations ont vu leur taux de vitellogénine dans le plasma
multiplié par 500  et même 100  000. Le genre est bien perturbé. Des
tissus ovariens se développent dans les testicules, générant la production
d’œufs.
En outre, plus les mâles sont féminisés, moins ils sont fertiles. Dans
une population donnée, il s’agit bien de mâles féminisés et non pas de
femelles masculinisées, car c’est le nombre de mâles non féminisés qui a
baissé.
4
Quelles étaient les substances estrogéniques présentes en grande
quantité dans les effluents des stations d’épuration ? Principalement des
hormones sexuelles naturelles ou synthétiques (pilule contraceptive), des
résidus de pesticides et des détergents.

La pilule contraceptive, source d’hormones


dans l’eau de rivière
Après vérification sur les truites arc-en-ciel, il s’avère que
l’estrogène de synthèse de la pilule contraceptive éthinylestradiol peut
produire de la vitellogénine chez les poissons mâles, même à des
concentrations extrêmement faibles  : 0,1  nanogramme par litre, soit
0,1 milliardième de gramme par litre. L’estrogène de synthèse se révèle
5
même beaucoup plus puissant que l’estrogène naturel et moins
biodégradable.
Les poissons ont les mêmes récepteurs cellulaires aux estrogènes que
les humains, ce qui explique qu’ils soient sensibles aux mêmes
6
hormones . Cette similitude entre la faune sauvage et les humains est
une constante que l’on a déjà soulignée lors de la contamination des
gastéropodes marins.

77
Deux décennies après la première découverte des poissons féminisés
dans la banlieue de Londres, des chercheurs ont voulu vérifier les effets
des hormones synthétiques déversées dans l’environnement naturel. En
2001, dans un lac canadien, ils ont introduit des hormones synthétiques
de pilule contraceptive. Le résultat a été radical  : elles ont provoqué la
7
disparition complète d’une espèce de poissons .
Comme les «  femelles à pénis  » chez les escargots de mer, les
poissons mâles sont par la suite utilisés comme espèce sentinelle, dans la
vérification de la qualité des eaux de surface.
Les Britanniques, s’ils ont été les premiers à s’inquiéter, n’ont pas été
les seuls touchés  : de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, des
études confirment le phénomène de la « perturbation du genre » chez le
poisson.

25 % de poissons intersexués dans


les rivières françaises

En France en 2000, un rapport sur les rivières de Haute-Normandie


révèle que le taux de poissons intersexués « n’excède pas 25 % 8 ». Cette
étude est introuvable en français sur Internet  ; on peut néanmoins en
découvrir la teneur en consultant les annexes d’un rapport administratif
9
de Seine-Maritime .
On y apprend que des poissons intersexués ont été retrouvés dans la
Bresle, la Béthune, l’Epte et la Seine. De même, il est spécifié que cette
« féminisation » des individus mâles est vraisemblablement causée par la
présence dans l’eau de xénoestrogènes, c’est-à-dire de composés mimant
l’activité caractéristique d’hormones femelles. De plus, ce rapport
souligne la présence d’«  ovocytes à plusieurs noyaux  », une
malformation que l’on retrouvera dans les ovaires des femelles alligators
touchées par la pollution et qui ressemble fort aux ovaires polykystiques
chez les femmes (voir les chap. 12 et 27).

78
Sans équivoque, le rapport français conclut que l’ensemble des
peuplements piscicoles des rivières de Haute-Normandie est perturbé du
point de vue de la reproduction. C’est donc leur survie qui est en jeu. Le
constat est net et sans langue de bois, mais qu’en est-il pour les
humains ?

Les humains sont-ils concernés


par la féminisation des poissons ?
Dans quelle mesure ces substances se retrouvent-elles ensuite dans
l’eau du robinet  ? Dans quelle mesure la présence d’estrogènes dans
l’eau de boisson peut-elle être reliée aux différentes modifications
physiologiques apparues depuis les années 1960 chez les «  mâles
humains » ? La féminisation des poissons aurait-elle son équivalent chez
les hommes  ? Les chapitres de ce livre consacrés à la baisse historique
des spermatozoïdes chez l’homme et aux malformations génitales des
petits garçons (voir les chap. 18 et suivants) apportent quelques éléments
de réponse.
Mais avant d’en arriver à ce constat, une étape importante dans la
prise de conscience de la nocivité des perturbateurs chimiques sera
franchie en 1991 avec l’entrée dans la bataille d’une autre grande dame
de l’écologie, Theodora Colborn.

RÉSUMÉ
En 1978, dans la région de Londres, des biologistes découvrent que
des poissons mâles sont féminisés en aval des stations d’épuration de
l’eau. Une proportion importante de ces poissons mâles est devenue
hermaphrodite et porte des œufs.
Ce changement de sexe est causé par des substances chimiques
imitant les hormones femelles ou par des hormones de synthèse

79
provenant de la pilule contraceptive des femmes.
En France, d’autres études montrent que dans certaines rivières, un
quart des poissons mâles sont devenus hermaphrodites.

1. D. Gee et al., Late Lessons From Early Warnings…, op. cit., vol. 2, chap. 3.
2. C.  R. Tyler et S.  Jobling, «  Roach, Sex, and Gender-Bending Chemicals: The
o
Feminization of Wild Fish in English Rivers  », BioScience, vol.  58, n   11,
décembre 2008, p. 1051-1059.
3. C.  E.  Purdom, P.  A.  Hardiman, V.  V.  J.  Bye, N.  C.  Eno, C.  R.  Tyler et
J. P. Sumpter, « Estrogenic Effects of Effluents From Sewage Treatment Works »,
o
Chemistry and Ecology, vol. 8, n  4, 1994, p. 275-285.
4. Estrogénique  : qui a le même effet que l’estrogène, hormone femelle, sans en
être un.
5. S.  Jobling et al., «  Predicted Exposures to Steroid Estrogens in U.  K. Rivers
Correlate With Widespread Sexual Disruption in Wild Fish Populations  »,
Environmental Health Perspectives, vol. 114, 2006.
6. S.  Jobling et R.  Owen, «  Ethinyloestradiol: Bitter Pill for the Precautionary
Principle », in D. Gee et al., Late Lessons From Early Warnings…, op. cit.
7. K. A. Kidd et al., « Collapse of a Fish Population After Exposure to a Synthetic
o
Estrogen  », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol.  104, n   21,
mai 2007, p. 8897-8901.
8. C. Minier et al., « An Investigation of the Incidence of Intersex Fish in Seine-
o
Maritime and Sussex Region », Analusis, vol. 28, n  9, 2000.
9. «  Plan départemental pour la protection du milieu aquatique et la gestion des
ressources piscicoles de Seine-Maritime », septembre 2007.

80
9

Quand l’aigle à tête blanche perd


sa fertilité

Presque trente ans après Rachel Carson et son Printemps silencieux,


la biologiste Theodora Colborn décide de reprendre le flambeau.
Cette scientifique de formation avait pourtant abandonné sa carrière
et les grandes villes pour aller élever des moutons dans le Colorado.
Mais à 58  ans, en 1985, devant l’ampleur de la dégradation de la
biodiversité, elle se remet aux études universitaires et passe un doctorat
de zoologie avec pour objet principal la toxicologie dans les milieux
aquatiques. Son objectif : démontrer scientifiquement le lien de cause à
effet entre les polluants environnementaux chlorés (DDT et PCB) et la
baisse de la reproduction de l’aigle à tête blanche.
L’article qu’elle publie en 1991 sur le rapace emblématique des
États-Unis fait sensation, aussi bien dans les milieux scientifiques
qu’auprès du grand public. Elle l’intitule « L’épidémiologie de l’aigle à
tête blanche dans la région des Grands Lacs 1  » et y déroule un
argumentaire statistique sans concession qui ne laisse plus de place au
doute. La chercheuse y reprend la notion de « perturbation hormonale »
que Rachel Carson avait esquissée dans son best-seller.
L’aigle à tête blanche est présent dans la région des Grands Lacs
depuis un million d’années. Or, dans l’après-guerre, l’espèce est proche
de la disparition. Et pour cause, cette région est devenue après la

81
Seconde Guerre mondiale le centre de l’industrie chimique américaine.
Elle a bénéficié pour cela du savoir-faire de l’industrie chimique
allemande, vaincue mais prête à collaborer et à faire bénéficier les
vainqueurs des dernières découvertes en matière de chimie des colorants
et d’explosifs.
La région devient donc à la fois productrice et consommatrice
d’engrais chimiques, d’insecticides et d’herbicides. L’agriculture et la
sylviculture en sont les premiers débouchés. Plusieurs millions de tonnes
de DDT y ont été déversées, comme l’a détaillé Rachel Carson.

Les hormones en question
Theo Colborn démontre statistiquement et expérimentalement le lien
de cause à effet en une séquence logique : les populations d’aigles à tête
blanche ont développé des problèmes graves de reproduction en même
temps que leur nombre a diminué. Les rapaces présentaient des
concentrations de produits chimiques qu’on ne retrouvait pas chez les
oiseaux en bonne santé. Plus les concentrations de DDT étaient fortes
dans les œufs et plus les coquilles étaient fragiles et le taux de mort-nés
élevé.
La chaîne alimentaire s’est révélée être à l’origine de l’intoxication
au DDT  : les aigles à tête blanche se trouvant au sommet de cette
pyramide alimentaire, ils ont concentré les toxiques et présenté les plus
forts taux de contamination.
La zoologiste décrit trois mécanismes utilisés par les
2
« hormonotoxiques  » :
3
1) Ils modifient les enzymes .
4
2)  Ils empêchent la «  communication de jonction   » entre les
5
cellules, y compris les cellules germinales (reproductrices) .
3) Ils perturbent le « contrôle endocrinien », altérant ainsi le système
hormonal dans son ensemble.

82
Par leur structure même, les molécules des polluants chimiques
sont capables de produire un effet estrogénique similaire aux plus
puissantes hormones femelles que sont les estrogènes (en particulier
l’estradiol).

Quatorze autres espèces menacées


Pour couronner le tout, Theodora Colborn rassemble toutes les études
qui montrent que l’emblème des États-Unis n’est pas le seul animal
concerné  : quatorze autres grands prédateurs ont connu les mêmes
problèmes de fertilité et de déclin. Tous avaient des taux de pesticides et
d’organochlorés élevés et dépendaient des eaux du lac pour se nourrir.
Certains goélands mâles ont développé des tissus ovariens et leur
comportement s’en est trouvé modifié. Leur testostérone n’a plus été
métabolisée de la même façon dans le foie, et son taux a chuté. Autre
animal emblématique de la région, la baleine béluga a vu sa survie
compromise à la confluence du Saint-Laurent et du Saguenay, ce qui
n’est pas le cas dans d’autres régions. En cent ans, sa population a baissé
de 90 %.

83
Tableau des espèces contaminées par les polluants chimiques et
présentant des perturbations physiologiques.

Et les humains ?

Peut-on raisonnablement penser que les humains seront les seuls


épargnés par ces perturbateurs hormonaux ? demande la zoologiste.
Elle ne laisse pas longtemps la question sans réponse. Des analyses
effectuées chez les femmes de la région des Grands Lacs et sur leurs
nouveau-nés montrent en effet que les organochlorés s’accumulent dans
6
leurs tissus gras . De nombreux chercheurs ont fait les mêmes
constatations, mais les connaissances sont restées éparpillées et souvent
confidentielles. Cette fois, décide Theo Colborn, il faut rassembler tous
les morceaux du puzzle et alerter l’opinion.
Ce sera l’objectif de la « déclaration de Wingspread » que lanceront
les scientifiques réunis autour d’elle en juillet 1991.

84
RÉSUMÉ
En 1991, la biologiste américaine Theo Colborn mesure le déclin des
populations d’aigles à tête blanche dans la région des Grands Lacs, aux
États-Unis. Elle en démontre les mécanismes hormonaux et documente
le lien de cause à effet avec les polluants chimiques comme des PCB et
des pesticides, dont le DDT. Quatorze autres espèces de la faune sauvage
sont concernées, parmi lesquelles les goélands, les tortues aquatiques, les
saumons ou les baleines blanches bélugas.

1. T.  Colborn, «  Epidemiology of Great Lakes Bald Eagles  », Journal of


o
Toxicology and Environmental Health, vol. 33, n  4, 1991, p. 395-453.
2. Hormonotoxique  : néologisme de l’auteure signifiant «  toxiques pour les
hormones ».
3. Enzyme  : substance organique qui active une réaction biochimique dans
l’organisme.
4. Les cellules communiquent entre elles chimiquement et électriquement. La
jonction entre les cellules permet de maintenir la cohésion des tissus.
5. Les cellules germinales sont les futurs spermatozoïdes et ovocytes (œufs). Ce
sont les cellules de la reproduction.
6. E.  K.  Silbergeld, «  Maternally Mediated Exposure of the Fetus: In Utero
o
Exposure to Lead and Other Toxins », NeuroToxicology, vol. 7, n  2, 1986, p. 557-
568.

85
10

Quand la « déclaration
de Wingspread » alerte sur la notion
de « perturbateurs endocriniens »

Sous la houlette de Theo Colborn, vingt et un scientifiques se


réunissent pendant trois jours fin juillet  1991, dans le centre de
conférences de Wingspread, sur les bords du lac Michigan. Leur objectif,
annoncent-ils dans l’intitulé de leur colloque, est d’alerter sur «  les
altérations du développement sexuel et fonctionnel induites par les
produits chimiques  : la connexion entre la faune sauvage et les
humains ».
Pour la première fois et de façon solennelle, l’accent est mis sur les
produits chimiques capables de dérégler le système hormonal. Ces
scientifiques décident de leur donner le nom de «  perturbateurs
endocriniens  ». La matrice de leur analyse établit une notion
fondamentale pour eux : le sort de la faune sauvage et des humains est
intrinsèquement lié.
Les dérèglements qui sont observés chez les animaux sauvages
affecteront tôt ou tard le genre humain. Ce dernier, malgré sa singularité,
appartient à l’ordre des primates, lui-même englobé dans la classe des
mammifères, qui elle-même fait partie de la branche des vertébrés, sous-
ensemble du règne animal. Les mécanismes fondamentaux de la biologie
se retrouvent partout dans ce règne, et en particulier dans les hormones.

86
Toxiques hormonaux dans la chaîne du vivant :
 
La «  déclaration de Wingspread  » forge la notion de
«  perturbateurs endocriniens  » et alerte sur la contamination
hormonale de toute la chaîne du vivant, dont font partie les
humains.

Tous ces scientifiques ont déjà publié des études sur les dégâts
environnementaux causés par les polluants chimiques. Dix-sept
disciplines sont représentées, ce qui fait la richesse de cette rencontre.
Celle-ci débouche sur une déclaration en forme d’appel qui entend faire
date et exposer l’état de la science à un moment donné 1. La démarche,
expliquent les scientifiques, consiste à écrire noir sur blanc « ce que l’on
sait avec certitude en 1991, ce que l’on ne sait pas et l’urgence d’agir ».
 
– Ce que l’on sait avec certitude
 

87
Ce que l’on sait avec certitude à l’époque, c’est qu’un grand nombre
de produits chimiques de synthèse sont capables de dérégler le système
hormonal des animaux, y compris des humains. Il s’agit de pesticides
organochlorés principalement.
De nombreux animaux présentent des troubles de la reproduction et
de la différenciation sexuelle. Les effets se font sentir de la conception à
la reproduction, avec une intensité critique durant la vie embryonnaire.
Les études en laboratoire reproduisent des développements sexuels
anormaux avec des toxiques hormonaux certains.
Les humains sont exposés à des doses qui provoquent des effets chez
les animaux. Ils augmentent même la charge toxique avec des
médicaments comme le Distilbène (voir le chap. 15). Ils partagent donc
les mêmes risques. L’exposition répétée ou constante aux nombreux
produits chimiques est connue pour dérégler le système hormonal. On
commence à déchiffrer les mécanismes à l’œuvre.
 
– Les mécanismes d’action identifiés
 
Les scientifiques ont déjà identifié certains modes opératoires de ces
toxiques hormonaux.
Ils imitent les hormones naturelles en se liant à leurs récepteurs  ;
c’est l’effet mimétique, capable d’activer ou de bloquer une réponse de
la cellule. De plus, ils interagissent directement et indirectement avec les
hormones elles-mêmes, soit en perturbant leur synthèse, soit en
modifiant le nombre de récepteurs dans les organes.
Les scientifiques ont aussi montré que les hormones peuvent agir sur
le développement du cerveau et la différenciation des cellules. Ils ont
découvert qu’il suffit d’une faible quantité de perturbateurs hormonaux,
durant une fenêtre de temps cruciale pendant l’embryogenèse, pour
compromettre de façon irréversible les caractères liés au sexe et à
d’autres fonctions.
Ils savent que les mécanismes endocriniens sont voisins chez les
animaux et les humains. Les perturbations observées sur les animaux

88
devraient donc, selon eux, alerter les humains sur leur propre sort.
 
– Ce que l’on ne sait pas
 
Les scientifiques réunis à Wingspread alertent aussi sur les
incertitudes qui demeurent. Les études sont insuffisantes pour évaluer
l’ampleur de la pollution chimique ainsi que ses effets sur les embryons
et sur les différentes générations. L’aptitude des animaux à la
reproduction est mise en danger, annoncent-ils, et il semblerait que leurs
comportements sexuels et de survie s’en trouvent aussi modifiés.
Ce qui les inquiète particulièrement, c’est que de nombreux
composés chimiques ont des effets estrogéniques, c’est-à-dire
féminisants, car ils imitent les hormones femelles, les estrogènes. Il est
donc clair pour eux que les nouveaux produits chimiques doivent
être testés pour mettre en relief ces effets hormonaux et pas
seulement les effets cancérigènes ou les malformations congénitales.
La contamination ambiante prend un caractère si général qu’il va
devenir difficile, selon eux, de garder un état de référence d’une santé
optimale. Il est donc nécessaire, déclarent-ils, de dresser d’urgence un
cahier des charges détaillé du fonctionnement normal des organismes
vivants  : «  Nous devons connaître la quantité d’une hormone donnée
requise pour provoquer une réponse normale. Nous avons besoin de
marqueurs biologiques du développement normal pour chaque espèce,
chaque organe et chaque étape du développement. Avec ces
renseignements, nous pourrons déterminer les concentrations qui
provoquent des altérations pathologiques. »
Ils ajoutent, inquiets  : «  L’impact sur les animaux sauvages et les
animaux de laboratoire est si profond et si insidieux qu’il est nécessaire
de lancer un vaste programme de recherche sur l’humain.  » Toutes les
étapes de la vie sont concernées, que ce soit chez l’embryon, le fœtus, le
nouveau-né ou l’adulte. L’aptitude reproductrice de l’humain est-elle en
train de décliner ? C’est la question qui les hante.

89
La notion de «  perturbation endocrinienne  » est donc actée dès
juillet 1991 avec la « déclaration de Wingspread ». C’est sur cette pierre
angulaire que les scientifiques du monde entier vont bâtir un édifice
imposant de connaissances multiples et toujours plus précises.
Cette nouvelle façon d’aborder la compréhension des phénomènes
physiologiques va constituer une révolution, un véritable changement de
modèle de pensée. Quelles sont les différences entre un toxique qui
détruit une cellule brutalement et un autre qui l’endommage à petit feu et
l’empêche discrètement de fonctionner correctement  ? Ce sont les
fondements mêmes de la toxicologie qui vont se voir remis en question.

RÉSUMÉ
En juillet 1991, des scientifiques représentant dix-sept disciplines se
réunissent pendant trois jours à Wingspread, sur les bords du lac
Michigan. À l’issue du colloque, ils lancent un appel : la « déclaration de
Wingspread  ». Pour la première fois, les produits chimiques à effet
hormonal sont baptisés « perturbateurs endocriniens ». Les scientifiques
décrivent l’état de la science en la matière, insistent sur la contamination
générale et alertent sur les possibles dangers pour la reproduction des
humains.

1. Déclaration de Wingspread, «  Perturbateurs endocriniens, le temps de la


précaution », Sénat.fr, [en ligne] https://www.senat.fr/rap/r10-765/r10-76514.html,
https://www.hhorages.com/wingspread.pdf

90
11

Quand la dose ne fait plus


automatiquement le poison

Dans la foulée de la « déclaration de Wingspread », il apparaît avec


évidence que la toxicologie classique n’est plus adaptée aux nouvelles
connaissances et qu’elle doit opérer une révolution radicale. Depuis la
Renaissance, c’est la célèbre maxime du médecin Paracelse qui fait foi :
«  Tout est poison, rien n’est sans poison, c’est la dose qui fait le
poison. »
Cette formule va devoir affronter une triple correction : ce n’est pas
«  que  » la dose qui fait le poison. Ces trois révolutions ont pour nom
« courbe en U », « effet cocktail » et « origine fœtale des maladies, ou
DOHaD ».

Le paradoxe de la courbe en U

En toxicologie classique, plus on ajoute de poison et plus l’effet


toxique augmente, en proportion, en décrivant une courbe linéaire (fig. 1
du schéma page suivante). Depuis Wingspread, on a observé que le
poison peut avoir une toxicité forte alors que la dose est faible, puis
une toxicité faible alors que la dose a augmenté, et connaître de
nouveau une toxicité forte avec une dose plus élevée (fig.  2). Elle

91
dessine alors une courbe en forme de U. Avec la diversité des poisons,
les courbes peuvent aussi avoir une forme de U inversé (fig.  3). Elles
peuvent encore dessiner des courbes avec des bosses de chameau par
exemple.

Différentes formes de courbes en toxicologie :


 
1 – Courbe classique de toxicité (linéaire) : plus la dose est élevée, plus la
toxicité augmente.
2 – Courbe en U (non linéaire) : quand la dose est faible, la toxicité est élevée ;
quand la dose est moyenne, la toxicité est basse ; elle redevient forte à dose
élevée.
Avec les perturbateurs hormonaux, la dose n’entraîne plus un effet linéaire.
Une faible dose peut avoir plus d’effet qu’une plus forte dose.
3 – Courbe en U inversé (non linéaire) : quand la dose est très élevée, la
toxicité baisse.

92
Les courbes ne sont pas linéaires, elles sont dites « dose-réponse non
monotone  ». Il est difficile dans ces conditions de fixer un seuil de
1
toxicité . En effet, un polluant qui a été considéré comme sûr à dose
moyenne peut se révéler très délétère à des doses plus faibles. Les seuils
et les courbes linéaires sont désormais considérés par certains
toxicologues comme des «  erreurs de proportion historique 2  ». Par
exemple, le Distilbène testé sur des rats cause un gonflement de la
prostate à faible dose, mais à forte dose il provoque au contraire un
3
rétrécissement de celle-ci .
Le phénomène n’est pas encore bien compris, mais on observe que
certaines cellules se protègent en fermant leur porte d’entrée (les
récepteurs) à partir de certaines doses. Dans ce cas, une dose plus forte
ne pourra plus entrer dans la cellule parce que celle-ci sera bloquée pour
un certain temps. C’est d’ailleurs pour ne pas saturer les récepteurs des
cellules que certaines glandes hormonales ne fonctionnent que par
intermittence et sécrètent leurs hormones de façon pulsatile.

L’« effet cocktail »

Deuxième limite de la formule de Paracelse : ce n’est pas la dose, et


seulement la dose, qui fait le poison, mais ce sont aussi ses
« accompagnateurs ». Trois substances non toxiques séparément peuvent
devenir du poison si elles sont côte à côte. Autrement dit, l’addition des
toxiques est plus forte que la somme de chaque élément. On peut
donc avoir 0 + 0 + 0 = 10.
Pourquoi  ? Des chercheurs de Montpellier ont apporté un début de
réponse : il faut parfois trois éléments pour former la clé qui va ouvrir la
serrure d’un récepteur. Ces chercheurs ont même découvert comment
l’estrogène artificiel contenu dans la pilule contraceptive peut se
combiner avec un pesticide organochloré et forcer l’entrée de certains
4
récepteurs naturels des hormones .

93
On admet qu’à partir de trois produits, il est quasiment impossible de
calculer les interactions potentielles. Alors que dire lorsqu’on retrouve
jusqu’à 200 polluants chimiques dans le cordon ombilical d’un nouveau-
né (voir le chap. 35) ?

« Origine fœtale des maladies »


Troisième limite de la formule de Paracelse  : ce qui fait le poison,
c’est aussi le « moment » où on administre la dose. La période fœtale est
particulièrement à risque. L’embryon en pleine construction sera sensible
à une substance chimique en fonction de son stade de développement. La
«  fenêtre de temps  » de l’administration d’un toxique doit dès lors
devenir un critère de toxicité à part entière, car les effets peuvent
être définitifs et même ne se manifester que bien plus tard dans
l’existence. C’est le cas de certains cancers hormonodépendants ou de
maladies comme l’endométriose ou le diabète (voir les chap.  24, 30
et 39). En 1993, Theo Colborn et les biologistes Ana Soto et Frederick
vom Saal attirent l’attention sur la particulière fragilité de la période
5
fœtale .
Cette notion est si fondamentale qu’elle fait désormais partie du
paysage de la toxicologie sous le nom de «  DOHaD  » (Developmental
Origins of Health and Disease, « origines développementales de la santé
et des maladies 6  »). En français, l’expression «  origine fœtale des
7
maladies de l’adulte » (Ofma) semble plus « parlante » .
Toute la période périnatale (c’est-à-dire autour de la naissance)
représente une fenêtre de temps particulièrement vulnérable aux
perturbateurs hormonaux. Cette notion a été popularisée par la
terminologie des « mille jours » entre le début de la grossesse et les deux
ans de l’enfant.
La contamination de la mère commence même bien avant la
grossesse par le stockage des molécules chimiques dans sa graisse, où

94
elles peuvent rester des dizaines d’années. La dioxine par exemple met
cinquante ans à perdre la moitié de sa toxicité.
Le concept de DOHaD va plus loin encore et intègre l’idée que
l’environnement modifie le patrimoine génétique du parent par le
8
mécanisme de l’épigénétique . Ces modifications sont ensuite
transmises aux générations suivantes, qui peuvent ne développer les
maladies qu’à l’âge adulte 9. Lorsqu’un patient se présente dans le
cabinet d’un médecin, c’est donc un diagnostic transgénérationnel que
celui-ci doit désormais poser.
10
«  Idéalement, expliquent les spécialistes de la question , on devra
par exemple considérer la situation de santé d’un individu en tentant
d’articuler la grossesse dont il est issu en termes de santé maternelle et
anténatale, son développement métabolique et cognitif du stade néonatal
à l’âge adulte, en tentant d’intégrer l’état de santé, les comportements et
les choix des générations qui l’ont précédé, tout en envisageant la santé
de celles qui le suivront. »

Pourquoi la toxicologie classique est obsolète

À l’heure actuelle, la toxicologie en est restée à l’époque de


Paracelse  : une substance chimique est considérée comme toxique
lorsqu’on l’administre en une seule fois à un groupe d’animaux de
laboratoire et qu’elle cause le décès de la moitié du groupe. Moins il
faudra de matière pour tuer 50  % du groupe et plus la substance sera
considérée comme toxique. C’est ce qu’on appelle la « dose létale 50 »
ou « DL50 ».
Ce qui est mesuré, c’est la quantité d’une substance chimique requise
pour causer la mort. Faut-il pour autant ignorer la toxicité d’un
produit qui ne va pas entraîner la mort directe mais provoquer
l’altération des cellules à des doses non pas létales mais sublétales 11 ?

95
12
Il existe bien le classement «  CMR   » (pour «  substances
cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques  »), mais il ne prend pas en
compte la perturbation hormonale. Les cancérigènes peuvent provoquer
le cancer, les mutagènes des défauts génétiques héréditaires et les
reprotoxiques des effets nocifs sur la reproduction, soit pour la
progéniture, soit pour les capacités reproductives.
En résumé, la toxicologie classique n’est plus adaptée à la «  soupe
chimique » qui imprègne la planète depuis la Seconde Guerre mondiale :
les courbes dose-réponse non linéaires, les « effets cocktail » et l’origine
fœtale des maladies sont sous-estimés.
En 1996, Theo Colborn et ses collègues enfoncent le clou sur toutes
ces nouvelles notions avec un best-seller mondial, Our Stolen Future
(«  Notre avenir volé  »), qui a pour titre français L’Homme en voie de
disparition ?  13.
John Peterson Myers, un coauteur du livre et l’un des organisateurs
de la rencontre de Wingspread, continuait toujours en 2018 à prêcher la
bonne parole. « Encore à l’heure actuelle, dit-il dans une conférence, les
agences de régulation ne veulent rien entendre. Nous, chercheurs, voyons
des effets avec des faibles doses de perturbateurs hormonaux mais la
FDA (Food and Drug Administration) ne reconnaît pas la validité de nos
essais parce qu’elle n’observe pas les mêmes effets à hautes doses.  »
Selon lui, les normes de sécurité établies par les agences de régulation
sont beaucoup trop laxistes par rapport à la toxicité réelle des polluants.
Ces agences tolèrent parfois des concentrations chimiques dans l’air,
l’eau et les aliments qui sont 20  000  fois supérieures à la dose toxique
14
observée par les toxicologues .
Les décennies qui suivent la «  déclaration de Wingspread  » vont
montrer qu’il était difficile d’être plus clair et plus visionnaire. Les
alligators du lac Apopka, en Floride, et la perte de leurs attributs
masculins viendront l’illustrer bien malgré eux.

RÉSUMÉ

96
La notion de «  perturbateurs endocriniens  » forgée lors de la
conférence de Wingspread remet en cause la toxicologie classique. Le
dogme admis depuis la Renaissance selon lequel « c’est la dose qui fait
le poison » devient obsolète pour trois raisons principales :
1  –  En matière hormonale, la toxicité n’augmente pas toujours de
façon linéaire mais peut passer par différentes phases et former des
« courbes en U » ou des « courbes en U inversé ».
2 –  Lorsque plusieurs toxiques agissent en même temps, la toxicité
finale est plus forte que la somme de chaque toxique. Ce phénomène
s’appelle l’« effet cocktail ».
3 – La toxicité vient aussi de la « fenêtre d’exposition ». La période
fœtale est particulièrement à risque et peut engendrer des maladies à
l’âge adulte. Ce concept porte le nom de «  DOHaD  », pour «  origine
développementale de la santé et des maladies ».
En 1996, Theo Colborn popularise toutes ces notions dans un best-
seller intitulé Our Stolen Future, traduit en français sous le titre
L’Homme en voie de disparition ?.

1. L.  N.  Vandenberg, T.  Colborn, T.  B.  Hayes, J.  J.  Heindel, D.  R.  Jacobs, D.-
H. Lee… et J. P. Myers, « Hormones and Endocrine-Disrupting Chemicals: Low-
Dose Effects and Nonmonotonic Dose Responses  », Endocrine Reviews, vol.  33,
o
n  3, 2012, p. 378-455, [en ligne] DOI 10.1210/er.2011-1050.
2. E. Calabrese et L. Baldwin, « Toxicology Rethinks Its Central Belief », Nature,
421, 2003, p. 691-692, [en ligne] DOI 10.1038/421691a.
3. F. S. vom Saal, B. G. Timms, M. M. Montano… et W. V. Welshons, « Prostate
Enlargement in Mice Due to Fetal Exposure to Low Doses of Estradiol or
Diethylstilbestrol and Opposite Effects at High Doses  », Proceedings of the
o
National Academy of Sciences U.S.A., vol. 94, n  5, 1997, p. 2056-2061, [en ligne]
DOI 10.1073/pnas.94.5.2056 ; PMID 9050904 ; PMCID PMC20042.
4. W. Bourguet et P. Balaguer, « “L’effet cocktail” des perturbateurs endocriniens
mieux compris  », Inserm  ; Vanessa Delfosse, Patrick Balaguer et William
Bourguet, « Mechanistic Insights Into the Synergistic Activation of the RXR-PXR
Heterodimer by Endocrine Disruptor Mixtures  », Proceedings of the National
o
Academy of Sciences, vol. 118, n  1, 2021.
5. T.  Colborn, F.  S.  vom Saal et A.  M.  Soto, «  Developmental Effects of
Endocrine-Disrupting Chemicals in Wildlife and Humans », Environmental Health

97
o
Perspectives, vol.  101, n   5, 1993, p.  378-384, [en ligne] DOI
10.1289/ehp.93101378, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1519860
6. M.  Mandy et M.  Nyirenda, «  Developmental Origins of Health and Disease:
o
The Relevance to Developing Nations », International Health, vol. 10, n  2, 2018,
p. 66-70, [en ligne] DOI 10.1093/inthealth/ihy006.
7. Il s’agit d’une suggestion de l’auteure.
8. L’épigénétique concerne le changement de l’expression des gènes sans
modification du code génétique. Elle inclut l’influence de l’environnement sur
l’expression des gènes.
9. L.  Chiapperino, F.  Panese et U.  Simeoni, «  L’épigénétique et le concept
DOHaD : vers de nouvelles temporalités de la médecine “personnalisée” ? », Revue
o er
médicale suisse, vol. 13, n 548, 1  février 2017, p. 334-336.
10. Ibid.
11. Dose sublétale  : dose d’une substance toxique, la plus proche de celle qui
provoque la mort.
12. Anses  : substances cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction
(CMR).
13. T. Colborn, D. Dumanoski et J. P. Myers, L’Homme en voie de disparition ?,
Terre Vivante Éditions, 1998.
14. C.  Gustafson et J.  P.  Myers, «  MD: Epigenetics and Endocrine Disruption  »,
o
Integrative Medicine (Encinitas), vol. 17, n 6, décembre 2018, p. 26-29.

98
12

Quand les alligators ont un micropénis

Les alligators du lac Apopka, en Floride, ont acquis en 1991 une


célébrité mondiale qui ne fait pas honneur à leur virilité. Cette année-là,
le zoologiste Louis Guillette, de l’université de Floride, publie une étude
qui fait grand bruit  : «  Réduction de la taille du pénis et du taux de
testostérone chez les jeunes alligators vivant dans un environnement
contaminé 1 ».
Le chercheur voulait au départ comprendre le pourquoi de
l’effondrement des populations d’alligators du lac Apopka. Très vite, il
démontre le lien avec une usine de pesticides qui a pollué le lac avec un
insecticide contenant du DDT, le dicofol. Pour savoir si cette pollution a
altéré, dans l’œuf, le système reproducteur des reptiles, il les compare
avec un groupe témoin d’un lac voisin non pollué.
Les résultats le stupéfient. Il constate d’abord un excès de 41  % de
mortalité à la naissance pour les alligators du lac Apopka, contre 1  %
seulement pour ceux du lac témoin. Mais c’est dans les hormones que
surviennent les plus grandes différences.

Testostérone en baisse et micropénis

99
Les alligators mâles du lac Apopka ont un taux de testostérone quatre
fois plus bas (réduction de 76 %) que les mâles du groupe témoin. Ils ont
2
également moins d’estrogènes . Ils n’ont pas plus de testostérone que
leurs propres femelles, alors que les mâles du groupe témoin en ont
quatre fois plus que les femelles contaminées et trois fois plus que les
femelles de leur groupe.
Aussi bien le taux des hormones que leur ratio vont avoir des
répercussions sur les organes et les comportements sexuels. La plus
grosse surprise vient de la taille des pénis des alligators du lac pollué :
elle est inférieure de 24 % à celle des mâles du lac non pollué.
Chez les mâles du lac non pollué, plus il y a de concentration en
androgènes (hormones mâles) dans le sang et plus la taille du pénis est
grande. Chez les mâles pollués, cette corrélation disparaît  : il n’y a pas
de variation de la taille du pénis en fonction du taux d’androgènes. Non
seulement leurs hormones mâles sont en moindre quantité, mais en plus
leurs signaux sont moins bien captés par les cellules.
Le nombre des récepteurs est en cause, mais aussi leur disponibilité.
Lorsqu’un produit chimique imitant les hormones vient se coller aux
récepteurs des androgènes, il barre l’entrée aux hormones naturelles (voir
le chap.  3). La testostérone circulante ne peut plus pénétrer dans les
organes sexuels, qui restent sous-développés.
De plus, les testicules des mâles du lac Apopka sont également
désorganisés  : les tubules séminifères 3 dans lesquels mûrissent les
spermatozoïdes sont mal formés, contrairement à ceux des mâles du
groupe témoin.

100
Masculinisation perturbée chez les alligators :
 
À gauche, un alligator mâle sain ayant grandi dans un lac non
pollué.
À droite, un alligator mâle contaminé ayant grandi dans un lac
pollué. Il a 76 % de testostérone en moins et un micropénis dont la
taille est inférieure de 24  % par rapport à celui de l’alligator non
contaminé.

Des femelles hyperféminisées

Les femelles du lac Apopka ne sont pas épargnées, même si leurs


malformations ne sont pas aussi médiatisées que celles de leurs
congénères masculins.
En effet, elles présentent un taux d’hormones femelles, l’estrogène-
estradiol, bien plus élevé que les femelles du groupe témoin. Elles ont au
contraire moins de testostérone. Leur ratio estrogènes/testostérone est

101
donc lourdement déréglé  : elles ont trop d’estrogènes et pas assez de
testostérone.
Encore plus grave, leurs ovaires réservent aussi quelques surprises.
Normalement, chaque follicule (un mot qui vient du mot latin folliculus,
signifiant «  petit sac  ») contient un ovocyte (ovo =  «  œuf  » et cyte
= « cellule ») ou œuf qui lui-même ne contient qu’un noyau. Or, chez ces
femelles alligators, chaque follicule contient plusieurs ovocytes et
quelques ovocytes sont dotés de plusieurs noyaux, ce qui est source de
stérilité.
Ces malformations des ovaires et de leurs œufs chez les femelles
alligators sont d’autant plus troublantes qu’elles ressemblent fort aux
anomalies déjà signalées chez les poissons femelles de la Seine et des
rivières normandes (voir le chap.  8) et que l’on retrouvera chez les
femmes aux ovaires polykystiques (voir le chap. 27).

Féminisation perturbée chez les alligators :


 
À gauche, un follicule normal, chez les femelles des lacs non pollués.
À droite, un follicule mal formé, chez les femelles du lac pollué.

102
Tests au DDT en laboratoire

En Floride, la démasculinisation des mâles et la superféminisation


des femelles alligators sont corroborées par des expériences en
laboratoire. Lorsqu’on pollue des animaux avec l’agent causal chimique,
à savoir le pesticide contenant du DDT, les mêmes malformations sont
observées. De plus, les différentes expériences montrent que le polluant
chimique perturbe la différenciation sexuelle.
Pour Louis Guillette, il est clair que la contamination pendant
l’embryogenèse joue un rôle majeur. Cependant, l’ajout ponctuel de
4
pollution environnementale par la suite ne fait qu’aggraver les choses .
Avec cette étude, il confirme de façon assez spectaculaire comment les
toxiques hormonaux peuvent modifier la physiologie des animaux
jusqu’à porter atteinte aux parties les plus symboliques de leur
puissance sexuelle. L’image d’un micropénis potentiel susceptible
d’affecter l’espèce humaine ne laisse pas indifférent. La baisse du taux
de testostérone en fonction du degré de pollution est ainsi confirmée
chez les reptiles. Elle le sera bien plus tard chez les humains.
En Californie, d’autres scientifiques vont s’intéresser cette fois aux
batraciens : dans cet État, les crapauds et les grenouilles mâles se mettent
à pondre des œufs.

RÉSUMÉ
En 1996, le biologiste Louis Guillette, de l’université de Floride, veut
vérifier l’origine fœtale des problèmes de reproduction des alligators du
lac Apopka, un lac de Floride pollué par des pesticides.
En les comparant avec des alligators d’un lac voisin non pollué, il
démontre que les mâles adultes du lac pollué n’ont plus les mêmes
capacités de reproduction  : ils ont un micropénis et un taux de
testostérone fortement diminué. Les femelles alligators du lac pollué

103
développent des malformations des ovaires, avec des ovocytes anormaux
contenant plusieurs noyaux.

1. L.  Guillette Jr., D.  B.  Pickford, D. A.  Crain, A. A.  Rooney et H.  F.  Percival,
«  Reduction in Penis Size and Plasma Testosterone Concentrations in Juvenile
Alligators Living in a Contaminated Environment  », General and Comparative
Endocrinology, vol. 101, 1996, p. 32-42.
2. Même constatation chez les mammifères : les rats ont moins de testostérone en
présence de dioxine de DDT ou de Distilbène. Voir R. E. Peterson, H. M. Theobald
et G.  L.  Kimmel, «  Developmental and Reproductive Toxicology of Dioxins and
Related Compounds: Cross-Species Comparisons  », Critical Reviews in
Toxicology, vol. 23, 1993, p. 283-335.
3. Tubules séminifères  : petits tubes qui se trouvent dans les testicules et dans
lesquels les spermatozoïdes sont amenés à maturation.
4. L.  J.  Guillette Jr., T.  S.  Gross, G.  R.  Masson, J.  M.  Matter, H.  F.  Percival et
A. R. Woodward, « Developmental Abnormalities of the Gonad and Abnormal Sex
Hormone Concentrations in Juvenile Alligators From Contaminated and Control
o
Lakes in Florida », Environmental Health Perspectives, vol. 102, n 8, août 1994,
p. 680-688.

104
13

Quand les grenouilles deviennent


hermaphrodites

Dans les années 1990, les amphibiens disparaissent à une vitesse


vertigineuse. En Californie, plusieurs villes accusent la société Novartis,
devenue Syngenta, de polluer l’eau avec son herbicide atrazine, à
l’époque l’herbicide le plus vendu aux États-Unis après le Roundup de
Monsanto.
Pour innocenter son produit, la multinationale agrochimique met en
place un groupe d’experts dont fait partie le spécialiste de
l’endocrinologie des amphibiens, Tyrone Hayes 1. Mais lorsque ce
dernier découvre que l’herbicide est en fait très dangereux pour la
sexualité et la reproduction des grenouilles, c’est la rupture avec
Syngenta, qui ne cessera plus de le harceler pour le faire taire. Le
biologiste ne se laisse pas intimider et publie, malgré les menaces, le
résultat de ses recherches dans un article intitulé «  Grenouilles
hermaphrodites, démasculinisées après exposition à des faibles doses de
2
l’herbicide atrazine  ».
Dans cette étude, il compare un groupe de têtards mâles exposés à
une eau contenant une faible dose d’herbicide à un groupe contrôle non
pollué. Résultat, à l’âge adulte, les caractères sexuels des batraciens
exposés sont fortement altérés. Leur larynx est démasculinisé  : au lieu
d’être entouré de muscles puissants pour émettre des sons graves, il est

105
de taille réduite comme celui des femelles, et les sons émis tirent vers les
aigus.
Le larynx est tapissé de récepteurs hormonaux, y compris chez les
humains  : testostérone chez les mâles et estrogènes chez les femelles.
C’est pour cette raison que la voix mue sous l’influence des hormones,
lors de la puberté chez les humains ou au cours de la métamorphose chez
les batraciens.
L’expérience menée par Tyrone Hayes montre que l’atrazine ne se
contente pas d’affecter les caractères sexuels secondaires  : elle altère
aussi les caractères sexuels primaires.

Herbicide atrazine et malformations


génitales
L’atrazine a entraîné des malformations que les chercheurs n’avaient
jamais observées en six ans dans leur laboratoire  : 20  % au moins des
animaux sont mal formés.
Les mâles se retrouvent avec de nombreux testicules. Au lieu de
deux, il peut y en avoir jusqu’à six pour un seul animal. Certains
présentent en même temps des gonades mâles (testicules) et femelles
(ovaires). Ils peuvent avoir en même temps cinq ovaires et trois
testicules. Quelques mâles présentent un testicule à gauche et un ovaire à
droite. Ils sont donc hermaphrodites.

106
Masculinisation perturbée par un herbicide chez les grenouilles
mâles :
 
À gauche, un mâle normal avec deux testicules et un taux élevé de
testostérone.
À droite, un mâle contaminé devenu hermaphrodite, possédant en
même temps un testicule et un ovaire. Le taux de testostérone est
réduit de 90 % par rapport au mâle normal.

De plus, les mâles traités à l’atrazine ont dix fois moins de


testostérone que les mâles contrôles. Ils en ont même moins que les
femelles contrôles.
Le biologiste met au jour un double déséquilibre hormonal  : d’une
part, une démasculinisation due à une baisse des hormones mâles
(androgènes), et d’autre part une féminisation due à l’augmentation des
hormones femelles (transformation de la testostérone en estrogènes) 3.
Principal mécanisme en cause : la surexpression de l’enzyme aromatase,
dont la fonction est de transformer la testostérone en estrogène. Résultat,
le phénomène s’emballe.

107
Pour démontrer que l’herbicide agit en imitant les hormones
femelles, le biologiste a ensuite exposé les têtards à de vraies hormones
femelles et non plus à l’herbicide. Résultat, sur une longue durée les
têtards changent de sexe et deviennent femelles, et sur une durée plus
courte ils présentent les mêmes malformations qu’avec l’atrazine.
Il apparaît que les mâles sont plus vulnérables que les femelles, car
dans un groupe mixte 50 % des individus restent des femelles tandis que
l’autre moitié voit le nombre de mâles décroître au fur et à mesure
qu’augmente le nombre des intersexes, signe qu’ils sont le vivier
principal de la transformation. Les comportements homosexuels se
multiplient. Hayes considère donc que l’atrazine féminise plus les mâles
qu’elle ne masculinise les femelles. Le sex-ratio, la proportion entre les
mâles et les femelles, s’en trouve complètement déséquilibré, mettant
l’espèce en danger.

108
Action de l’herbicide atrazine sur les hormones :
 
La testostérone (hormone mâle) et l’estrogène-estradiol (hormone
femelle) sont très proches.
Ils dérivent tous deux du cholestérol.
L’enzyme aromatase transforme la testostérone en estrogène.
Un excès d’aromatase provoque un excès d’estrogène.

Les grenouilles doivent être considérées comme des bio-indicateurs,


estime le biologiste, car aux États-Unis même l’eau de pluie ainsi que les
sources et les nappes phréatiques peuvent contenir de l’atrazine à des
doses supérieures à celles qui ont servi à provoquer des malformations
en laboratoire.
Face à ces révélations, l’entreprise Syngenta a multiplié les
opérations de lobbying auprès de l’Agence de la protection de
l’environnement des États-Unis et réussi à empêcher l’interdiction de
l’atrazine. En revanche, Syngenta a dû débourser 105 millions de dollars
en 2012 pour mettre fin à la class action 4 lancée contre lui, pour
empoisonnement de l’eau de boisson. La compagnie a considéré qu’il
s’agissait d’une indemnisation pour aider les communes à installer des

109
filtres à eau, mais elle n’a pas plaidé coupable et continue, en 2021, de
vendre son herbicide aux États-Unis.

La Chine a racheté l’entreprise


suisse
L’entreprise suisse Syngenta a été rachetée en 2017 par
5
l’entreprise étatique chinoise ChemChina . Celle-ci a trouvé un accord
avec l’autre géant chinois du marché, Sinochem.
Ce conglomérat entend détrôner en 2021 le numéro  1 mondial de
l’agrochimie, l’allemand Bayer-Monsanto. En troisième position sur le
podium de l’agrochimie des pesticides, on trouve l’américain Corteva,
récemment né de la réunion des activités agrochimiques DuPont et
Dow.

En Europe, l’atrazine a été interdit en 2003. En France, malgré


l’interdiction il y a près de vingt ans, on retrouve toujours de l’atrazine
dans les nappes phréatiques et dans les rivières. De plus, et malgré les
protestations des associations de défense de l’environnement, la France
continuera jusqu’en 2022 à exporter de l’atrazine vers de nombreux pays
6
en développement, dont on importera ensuite les productions agricoles .
Cependant, elle est le seul pays d’Europe à avoir pris cette mesure
d’interdiction  : les producteurs de pesticides pourront continuer dans
n’importe quel pays d’Europe à fabriquer et à exporter des pesticides
dont l’usage est interdit dans l’Union européenne 7.

Le système immunitaire déréglé


par les perturbateurs hormonaux

110
La contamination chimique due à l’herbicide ne se contente pas
d’endommager le système hormonal, elle affaiblit aussi le système
immunitaire, et les grenouilles sont plus souvent sujettes à des maladies
infectieuses (virus, champignons) et à des parasitoses. Un rapport de
8
l’agence de l’ONU sur l’environnement, l’UNEP , a déjà tiré la sonnette
d’alarme sur les atteintes du système immunitaire causées par les
perturbateurs chimiques, et cela même à de faibles concentrations.
Les cétacés (baleines, dauphins), les phoques 9, les lions de mer, les
tortues de mer sont atteints par trente nouvelles maladies émergentes ou
réémergentes. Les humains pourraient-ils échapper à l’imprégnation
générale à l’atrazine ?

Les humains affectés comme les grenouilles ?


Tyrone Hayes et d’autres scientifiques ont bien sûr cherché à
répondre à cette question. Ils estiment avoir suffisamment de preuves
pour considérer que l’atrazine est une cause potentielle du cancer de la
10
prostate et du cancer du sein . Elle peut également avoir des effets sur
les gènes et sur les défenses immunitaires 11.
L’atrazine a aussi des effets sur le développement cérébral des
enfants. Une étude de l’Inserm réalisée sur 3  500  femmes enceintes en
Bretagne pendant quatre ans, de 2002 à 2006, a montré que 40  % des
femmes enceintes avaient des résidus d’atrazine dans les urines. Cette
contamination augmentait de 50 % leur risque d’avoir un enfant de faible
12
poids à la naissance . De plus, elles avaient 70  % de risques
supplémentaires de mettre au monde un enfant ayant une circonférence
crânienne réduite. La petitesse du crâne à la naissance est corrélée à un
moindre développement neurocognitif.
Cette constatation ne fait que renforcer le faisceau d’indices
concordants qui montrent la responsabilité des perturbateurs hormonaux

111
dans la diminution des capacités cérébrales des petits enfants du
e
XXI  siècle (voir le chap. 37).

RÉSUMÉ
Le biologiste californien Tyrone Hayes démontre en 2002 les effets
nocifs de l’herbicide atrazine de Syngenta sur l’appareil reproducteur des
grenouilles mâles, ce qui compromet la survie de l’espèce. L’herbicide
dérègle leur système hormonal, dans le sens d’une féminisation. Il
provoque l’apparition d’individus hermaphrodites. Il affaiblit leur
système immunitaire. L’usage de l’atrazine a été interdit en 2003 en
Europe, mais pas aux États-Unis. Syngenta a dû payer 105  millions de
dollars pour mettre fin au procès qui le visait mais a refusé de plaider
coupable.
En France, en Bretagne, une étude de l’Inserm a montré que 40  %
des femmes enceintes ont des résidus d’atrazine dans les urines, avec un
risque accru de donner naissance à un enfant de faible poids et doté
13
d’une petite tête .
En 2021, on trouve encore de l’atrazine dans les nappes phréatiques
en France. L’Europe continue de fabriquer de l’atrazine pour l’exporter
vers les pays en voie de développement alors qu’elle est interdite sur son
propre territoire.

1. The New Yorker, [en ligne]


https://www.newyorker.com/magazine/2014/02/10/a-valuable-reputation
2. T. B. Hayes et al., « Hermaphroditic, Demasculinized Frogs After Exposure to
the Herbicide Atrazine at Low Ecologically Relevant Doses », Proceedings of the
o
National Academy of Sciences, vol. 99, n 8, avril 2002, p. 5476-5480.
3. T.  B.  Hayes et al., «  Characterization of Atrazine-Induced Gonadal
Malformations in African Clawed Frogs (Xenopus Laevis) and Comparisons With
Effects of an Androgen Antagonist (Cyproterone Acetate) and Exogenous Estrogen
(17beta-Estradiol): Support for the Demasculinization/Feminization Hypothesis  »,
Environmental Health Perspectives, vol. 114, suppl. 1, 2006, p. 134-141.

112
4. Une class action, ou « action de groupe », permet aux États-Unis à des victimes
de se regrouper pour entamer des procès et demander réparation.
5. « Syngenta fait chuter Monsanto », L’Usine nouvelle, 26 janvier 2020, [en ligne]
https://www.usinenouvelle.com/articlesyngenta-fait-chuter-monsanto
6. J.  Graefe, «  Exportation de pesticides interdits. Vous avez dit droits de
l’homme  ?  », [en ligne] https://blogs.mediapart.fr/jerome-
graefe/blog/200120/exportation-de-pesticides-interdits-vous-avez-dit-droits-de-
lhomme
7. [En ligne] https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/revers-
menacant-pour-les-pesticides-made-in-france-1168467
8. WHO/UNEP, « State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals, 2012 –
 An Assessment of the State of the Science of Endocrine Disruptors Prepared by a
Group of Experts for the United Nations Environment Programme (UNEP) and
World Health Organization ».
9. R. L. de Swart, P. S. Ross, J. G. Vos et A. D. Osterhaus, « Impaired Immunity in
Harbour Seals (Phoca Vitulina) Exposed to Bioaccumulated Environmental
Contaminants: Review of a Long-Term Feeding Study  », Environmental Health
Perspectives, vol. 104, suppl. 4, 1996, p. 823-828.
10. W.  Fan, T.  Yanase, H.  Morinaga, S.  Gondo, T.  Okabe, M.  Nomura,
T. Komatsu, K. Morohashi, T. B. Hayes, R. Takayanagi et H. Nawata, « Atrazine-
Induced Aromatase Expression Is SF-1 Dependent: Implications for Endocrine
Disruption in Wildlife and Reproductive Cancers in Humans  », Environmental
o
Health Perspectives, vol. 115, n 5, mai 2007, p. 720-727.
11. A.  M.  Rowe, K.  M.  Brundage et J.  B.  Barnett, «  In Vitro Atrazine-Exposure
Inhibits Human Natural Killer Cell Lytic Granule Release  », Toxicology and
o er
Applied Pharmacology, vol. 221, n 2, 1  juin 2007, p. 179-188.
12. C.  Chevrier, G.  Limon, C.  Monfort et al., «  Urinary Biomarkers of Prenatal
Atrazine Exposure and Adverse Birth Outcomes in the Pelagie Birth Cohort  »,
o
Environmental Health Perspectives, vol. 119, n 7, 2011, p. 1034-1041.
13. Ibid.

113
14

Quand les ibis blancs deviennent


homosexuels

Si les toxiques hormonaux chimiques tels que les pesticides dérèglent


les organes reproducteurs des animaux, comme on l’a vu avec les
alligators, les grenouilles et les escargots de mer, qu’en est-il de leur
comportement sexuel  ? C’est ce qu’a voulu savoir Peter Frederick,
zoologiste à l’université de Floride. Son sujet de préoccupation était la
baisse catastrophique des populations d’ibis blancs du parc national des
Everglades, dans le sud de la Floride.
Dans une immense volière divisée en quatre compartiments étanches,
il a étudié, pendant trois ans, 160 ibis blancs répartis en quatre groupes
équivalents comprenant chacun 20  mâles et 20  femelles  : un groupe
témoin et trois autres groupes, consommant une nourriture contaminée
au mercure à des doses faibles, moyennes ou hautes, mais toujours
inférieures à celles que l’on peut trouver dans l’environnement.
Les résultats n’ont pas manqué de surprendre les chercheurs. Dans
les trois groupes exposés au mercure, les comportements homosexuels,
chez les mâles, ont augmenté par rapport au groupe contrôle. De plus, le
nombre de mâles homosexuels était proportionnel au degré de
contamination de leur nourriture : 30 % pour les doses basses, 40 % pour
les doses moyennes et 55  % pour les doses élevées. «  C’est un taux
énorme », nous indique Peter Frederick 1.

114
Dans le groupe contrôle lui-même la part d’individus homosexuels
atteint les 20  % , ce qui, selon le chercheur, ne se produit pas dans le
milieu sauvage.

Une parade nuptiale au rabais


Le zoologiste observe, chez les oiseaux exposés aux contaminants,
une diminution des comportements clés de la parade nuptiale  :
balancements de la tête, révérences et courbettes mutuelles. « Les mâles
des groupes contaminés au mercure ne savent plus se faire attirants pour
les femelles, nous explique-t-il. Ils ne savent plus faire une vraie parade,
une vraie démonstration de leurs atouts. Résultat, les femelles se
montrent moins intéressées et ne s’approchent pas d’eux. Elles vont voir
ailleurs si elles ne trouvent pas un mâle plus démonstratif. On ne peut
donc pas dire qu’ils sont devenus homosexuels par manque de femelles
2
disponibles . »
Par ailleurs, les mâles homosexuels des groupes exposés au mercure
se montrent moins agressifs que les mâles hétérosexuels des mêmes
groupes lorsque d’autres mâles les approchent.
«  Ces couples homosexuels faisaient entre mâles tout ce que les
couples hétérosexuels faisaient, ajoute Peter Frederick. Ils construisaient
leurs nids, copulaient ensemble, restaient au nid pendant la nidification
bien qu’il n’y ait eu aucun œuf à couver. »
Les couples de mâles homosexuels se forment tôt dans la saison des
amours. Ils commencent la construction des nids avant les couples
hétérosexuels et ils sont moins enclins que les mâles hétérosexuels à
changer de partenaire d’une année sur l’autre.

Les couples hétérosexuels deviennent moins


fertiles

115
Les couples hétérosexuels des groupes contaminés ont également
ressenti les conséquences de l’exposition au mercure : les femelles ont eu
35  % de petits en moins que les femelles du groupe contrôle, et le
nombre de nids totalement improductifs était plus élevé.
Environ 80 % de la perte de productivité des nids des groupes pollués
au mercure sont dus à la stérilité des couples homosexuels.

Mercure et hormones sexuelles


L’équipe de scientifiques de l’université de Floride a voulu aller plus
loin pour savoir si la différence de comportement et d’accouplement
s’accompagnait d’une différence dans le niveau et l’équilibre des
34
hormones sexuelles sur les jeunes ibis en développement .

116
Effets du mercure sur le comportement sexuel des ibis :
 
À gauche, les ibis non contaminés forment des couples hétérosexuels
avec les femelles. Pendant la parade nuptiale et la construction du
nid, leur taux de testostérone est maximal, puis il baisse pendant la
couvaison.
À droite, les mâles des groupes contaminés se mettent plus souvent
en couples homosexuels. Pendant la parade et la construction du nid,
leur taux de testostérone est inférieur à celui des mâles non
contaminés, mais pendant la couvaison leur taux de testostérone est
supérieur.

La réponse a été positive : pendant la période de parade amoureuse et


de construction du nid, les mâles hétérosexuels des groupes contrôles et
contaminés ont plus de testostérone que les mâles homosexuels. En
revanche, pendant la période de l’incubation des œufs, la testostérone
baisse chez les hétérosexuels mais pas chez les homosexuels, qui
connaissent au contraire une hausse de testostérone.

117
Chez les femelles, l’équilibre hormonal est également perturbé dans
les trois groupes exposés au mercure : les taux d’hormones sont soit plus
élevés soit moins élevés que dans les groupes contrôles, que ce soit lors
des périodes de parades amoureuses, de ponte, de couvaison et de
nourrissage des oisillons. Cependant, leur comportement reste
hétérosexuel.

Une étude pionnière
C’est la première fois dans la littérature scientifique qu’est décrite la
formation de couples homosexuels comme conséquence d’un
contaminant chimique. Jusque-là, les déficits de reproduction étaient
attribués à un comportement inapproprié des parents et à la mort des
embryons et non pas en amont à une exposition à un polluant modifiant
le comportement et la préférence sexuelle des adultes. Mais attention,
avertit Peter Frederick : « Ce n’est pas parce que les ibis sont en couple
homosexuel qu’ils sont gay. Ce n’est pas leur orientation sexuelle mais
seulement un comportement qui peut changer dans le temps. D’une
manière générale, ajoute le zoologiste, dans la nature les polluants
perturbent de nombreuses autres fonctions chez les ibis : ils deviennent
de mauvais chasseurs, ils trouvent moins facilement leur nourriture et
s’alimentent moins bien. Ils s’affaiblissent, leur stress augmente, leur
système immunitaire est moins robuste et offre un terrain favorable au
développement de toutes sortes de parasites. C’est ce que les chercheurs
5
appellent une “causalité multifactorielle ”. »
Les ibis blancs ne sont pas les seuls animaux à avoir vu leurs
comportements modifiés par les perturbateurs hormonaux 6.

Des comportements variables en fonction


du degré de pollution

118
D’autres contaminants ont déjà montré avec d’autres espèces leurs
effets sur le comportement sexuel, le sex-ratio, le développement de
caractères sexuels secondaires et un profil altéré des hormones sexuelles.
En Autriche, la zoologiste Sarah Zala, de l’Institut Konrad-Lorenz,
estime que l’observation des comportements des animaux est plus riche
d’informations que les analyses chimiques de leurs cellules. C’est même
l’observation de leurs habitudes qui a éveillé l’intérêt des naturalistes.
Plusieurs exemples sont cités dans la littérature scientifique. En voici
quelques-uns :
–  Les hirondelles bicolores vivant à proximité de sources
contaminées aux PCB construisent des nids plus petits et ont plus
souvent tendance à abandonner leurs œufs que les hirondelles non
7
contaminées .
–  Les goélands d’Audubon femelles de Californie forment des
couples homosexuels lorsqu’elles sont contaminées au DDT dans l’œuf 8.
Aux doses retrouvées dans les œufs qui les avaient portées, des
expériences ultérieures ont montré des développements sexuels
9
anormaux ainsi qu’une intersexualité chez les mâles .
–  Des rats mâles contaminés in  utero avec un pesticide
méthoxychlore voient leur comportement sexuel changer 10  : ils ne sont
plus attirés par des femelles pourtant réceptives. La proximité de
femelles en chaleur ne fait pas monter leur taux de testostérone,
contrairement à ce qu’on observe chez les autres rats mâles qui n’ont pas
été contaminés in  utero. La même constatation a été faite avec les
11
phtalates . En effet, dans une autre expérience, des rats mâles exposés
in utero aux phtalates et au DDT n’ont plus marqué leur territoire avec
leur odeur 12. La réponse au toxique chimique était dose-dépendante. Or,
les phtalates sont des perturbateurs endocriniens que l’on retrouve en
grande quantité dans l’environnement quotidien des humains.
–  Autre exemple cette fois avec un autre toxique hormonal, le
bisphénol A (BPA) (voir le chap. 16). Les rates voient leur comportement
sexuel changer lorsqu’elles reçoivent des doses de bisphénol A dans les
sept jours suivant la naissance. À l’âge adulte, elles n’offrent plus la

119
même réceptivité sexuelle que les femelles non contaminées. Leurs
descendants sont également touchés.
–  Dans une autre expérience, des salamandres des deux sexes
exposées à des pesticides, dont le DDT, ont vu leur comportement de
fuite devant le danger s’émousser. Elles sont devenues des proies plus
faciles, ce qui mettait en jeu leur survie.
–  Une autre étude sur le goéland à bec cerclé a montré que
l’homosexualité féminine intervient comme résultant de la pénurie de
13
mâles . Cette fois, le sex-ratio d’une colonie d’oiseaux a été
volontairement déséquilibré expérimentalement par la suppression de
quelques mâles durant la saison. Résultat, des couples de femelles se
sont formés chez cette espèce hétérosexuelle et monogame et ont pondu
leurs œufs dans le même nid. Cela permettait à l’une de protéger le nid
quand l’autre partait en quête de nourriture. Une mère célibataire ne peut
à la fois assurer les deux fonctions sans risquer de voir des prédateurs
s’emparer de ses œufs.

120
Le noyau préoptique
de l’hypothalamus, siège
de l’orientation sexuelle ?
Des expériences sur les rates ont montré qu’une zone de leur
cerveau est modifiée par les toxiques chimiques. Elle se situe dans
l’hypothalamus et s’appelle le «  noyau préoptique  ». En cas de
contamination, les récepteurs des hormones sexuelles y sont sous-
14
exprimés . Ces résultats indiquent que le bisphénol A, par exemple,
peut altérer de façon permanente le comportement sexuel chez la rate
adulte, et que cet effet pourrait s’expliquer par des perturbations au
niveau des structures de l’hypothalamus dépendantes des estrogènes.
La taille du noyau préoptique est plus réduite chez la femelle que chez
le mâle. Chez les mâles homosexuels, cette zone est également moins
développée que chez les mâles hétérosexuels.
Et les humains ? Comme dans beaucoup d’autres espèces, la taille
du noyau préoptique dans l’hypothalamus de la femme est plus réduite
que chez l’homme. Elle est aussi plus petite chez l’homme homosexuel
15
que chez l’hétérosexuel . Cette différence joue-t-elle un rôle dans
l’orientation sexuelle  ? Des chercheurs suédois spécialisés en
neurosciences ont montré que cette zone cérébrale s’active
différemment selon que l’individu est attiré par des odeurs hormonales
16
mâles ou femelles . En effet, lorsque l’on fait sentir des
17
phéromones masculines et féminines à un groupe de personnes, les
hommes hétérosexuels sont attirés par les phéromones féminines
tandis que les femmes hétérosexuelles et les hommes homosexuels
réagissent aux phéromones masculines.
Comme les chercheurs suédois, le zoologiste et
neuroendocrinologue belge Jacques Balthazart considère qu’en dehors
des gènes, ce qui détermine en priorité l’orientation sexuelle, qu’elle
soit « hétéro » ou « homo », ce sont les facteurs biologiques durant la
18
vie prénatale . À l’appui de cette conviction, il cite le fait que des
études expérimentales chez les animaux ont montré que des
traitements hormonaux périnataux changent la préférence sexuelle. De
même chez les humains, des troubles hormonaux durant la vie
embryonnaire peuvent modifier l’orientation sexuelle à l’âge adulte. De
plus, l’imprégnation du fœtus en testostérone entraîne des

121
modifications cérébrales auxquelles correspondent des caractères
19
physiologiques et comportementaux .
20
Jacques Balthazart estime en 2010 dans le journal Le  Monde 
que la théorie biologique de l’homosexualité devrait favoriser son
acceptation.

Les éleveurs aux premiers postes


d’observation

Les éleveurs et les vétérinaires ont appris à reconnaître les phases


biologiques qui correspondent aux comportements sexuels de leurs
animaux et qu’ils appellent «  comportements appétitifs  ». Ils sont
synchronisés avec le moment de l’ovulation. La femelle n’est réceptive
aux avances du mâle qu’autour de cette période. Des signaux sexuels
sont envoyés afin d’attirer un partenaire. Ils prennent la forme de
vocalisations, d’une coloration de certaines parties du corps, d’émissions
d’odeurs, etc.
Martine Migaud, de l’Institut national de la recherche agronomique
(Inra), en fait une description précise 21 : « Une fois les deux partenaires
réunis, le mâle réalise généralement une parade sexuelle à laquelle la
femelle répond en adoptant une posture spécifique, un comportement
actif d’acceptation du mâle par la femelle, permettant à ce dernier
d’exprimer une séquence assez stéréotypée comprenant montes,
intromissions et menant à l’éjaculation. »
Depuis les années 1930, les vétérinaires comme les médecins
cherchent à intervenir dans l’équilibre hormonal des animaux d’élevage
et des femmes  : les premiers pour améliorer les rendements et les
seconds pour promouvoir la contraception. Des biologistes trouveront
dès cette époque le moyen de fabriquer des hormones de façon
synthétique. Leur découverte va conduire à la mise au point de molécules

122
qui serviront aussi bien dans l’élevage que pour les femmes. L’un d’eux,
le Distilbène, va devenir un énorme scandale de santé publique.

RÉSUMÉ
En 2011, le zoologiste Peter Frederick de l’université de Floride
montre que des ibis blancs mâles deviennent homosexuels lorsque leur
nourriture est contaminée avec du mercure à des doses
environnementales. Les perturbateurs endocriniens sont donc capables
d’altérer non seulement la physiologie des animaux, avec des
malformations génitales, mais aussi leur comportement sexuel.
Ces modifications du comportement sexuel sont retrouvées dans
d’autres espèces animales.
L’orientation sexuelle s’élabore durant la vie fœtale en fonction des
gènes mais aussi des hormones.

1. Entretien avec l’auteure, 20 septembre 2020.


2. Ibid.
3. N. Jayasena, P. C. Frederick et I. L. V. Larkin, « Endocrine Disruption in White
Ibises (Eudocimus Albus) Caused by Exposure to Environmentally Relevant Levels
o
of Methylmercury », Aquatic Toxicology, vol. 105, n  3-4, 2011, p. 321-327.
4. E. M. Adams et al., « Sublethal Effects of Methylmercury on Fecal Metabolites
of Testosterone, Estradiol, and Corticosterone in Captive Juvenile White Ibises
o
(Eudocimus Albus)  », Environmental Toxicology and Chemistry, vol. 28, n 5,
2009, p. 982-989.
5. En anglais web of causation.
6. S.  Zala et D.  Penn, «  Abnormal Behaviours Induced by Chemical Pollution:
o
A Review of the Evidence and New Challenges », Animal Behaviour, vol. 68, n  4,
2004, p. 649-664, [en ligne] DOI 10.1016/j.anbehav.2004.01.005.
7. J.  P.  McCarty et A.  L.  Secord, «  Possible Effects of PCB Contamination on
Female Plumage Color and Reproductive Success in Hudson River Tree
o er
Swallows », The Auk, vol. 117, n  4, 1  octobre 2000, p. 987-995.
8. G. L. Hunt Jr. et M. W. Hunt, « Female-Female Pairing in Western Gulls (Larus
o
Occidentalis) in Southern California  », Science, vol.  196, n   4297, 24  juin 1977,
p. 1466-1467.

123
9. D.  M.  Fry et C.  K.  Toone, «  DDT-Induced Feminization of Gull Embryos  »,
o
Science, vol. 213, n 4510, 21 août 1981.
10. V.  P.  Eroschenko, S.  Y.  Amstislavsky, H.  Schwabel et R.  L.  Ingermann,
« Altered Behaviors in Male Mice, Male Quail, and Salamander Larvae Following
Early Exposures to the Estrogenic Pesticide Methoxychlor », Neurotoxicology and
o
Teratology, vol. 24, n 1, 2002, p. 29-36.
11. R. W. Moore, T. A. Rudy, T.-M. Lin, K. Ko et R. E. Peterson, « Abnormalities
of Sexual Development in Male Rats With In  Utero and Lactational Exposure to
the Antiandrogenic Plasticizer Di(2-Ethylhexyl) Phthalate », Environmental Health
o
Perspectives, vol. 109, n 3, 2001, p.  229-237, [en ligne] DOI
10.1289/ehp.01109229.
12. F. S. vom Saal et al., « Estrogenic Pesticides: Binding Relative to Estradiol in
MCF-7 Cells and Effects of Exposure During Fetal Life on Subsequent Territorial
o
Behavior in Male Mice », Toxicology Letters, vol. 77, n  1-3, 1995, p. 343-350.
13. M. R. Conover et G. L. Hunt, « Experimental Evidence That Female-Female
o
Pairs in Gulls Result From a Shortage of Breeding Males », Condor, vol. 86, n  4,
1984, p. 472-476, [en ligne] DOI 10.2307/1366828.
14. L. Monje, J. Varayoud, E. H. Luque et J. G. Ramos, « Neonatal Exposure to
Bisphenol  A Modifies the Abundance of Estrogen Receptor Transcripts With
Alternative 5’-Untranslated Regions in the Female Rat Preoptic Area », Journal of
o
Endocrinology, vol. 194, n  1, 2007, p. 201-212.
15. S.  LeVay, «  A  Difference in Hypothalamic Structure Between Heterosexual
o
and Homosexual Men », Science, vol. 253, n 5023, 1991, p. 1034-1037.
16. I.  Savic, H.  Berglund et P.  Lindstrom, «  Brain Response to Putative
Pheromones in Homosexual Men  », Proceedings of the National Academy of
o
Sciences, vol. 102, n  20, 2005, p. 7356-7361.
17. Phéromone  : substance chimique comparable aux hormones, émise par la
plupart des animaux et certains végétaux, et qui agit comme un message entre les
individus d’une même espèce.
18. J.  Balthazart et L.  Court, «  Human Sexual Orientation: The Importance of
o
Evidentiary Convergence », Archives of Sexual Behavior, vol. 46, n 6, août 2017,
p. 1595-1600.
19. J. Balthazart, Biologie de l’homosexualité. On naît homosexuel, on ne choisit
pas de l’être, Mardaga, 2010.
20. «  Homosexualité innée ou acquise  ? Un chercheur relance le débat  »,
LeMonde.fr, 4 février 2010.
21. M.  Migaud, H.  Dardente, M.  Keller, M.  Batailler, M.  Meurisse et D.  Pillon,
«  Contrôle neuroendocrinien de la reproduction chez les mammifères  », Inrae
o
Productions animales, vol. 29, n 4, 2016, p. 255-266.

124
15

Quand un médicament perturbe


les humains : le scandale du Distilbène

Les perturbateurs hormonaux sont introduits dans les produits


chimiques pour éliminer des animaux ou des plantes jugés indésirables.
Ils peuvent aussi se cacher dans des médicaments à destination des
humains. Leurs effets restent tout aussi délétères : 10 millions de femmes
en ont fait l’expérience avec le Distilbène à partir des années 1950, et les
conséquences sur leur descendance se font encore sentir plus de
soixante-dix ans après.
Pourtant, dès 1953, une étude montre que contrairement aux
allégations publicitaires du laboratoire fabricant, le Distilbène, qui
contient une hormone artificielle, ne réduit pas le risque de fausses
couches ou de prématurité 1. Il ne fait pas non plus baisser la mortalité
périnatale. Bref, ce médicament ne sert à rien, mais il est prescrit
massivement aux femmes enceintes et pas seulement à celles-ci. Il est
préconisé pour tous les âges : à la puberté contre les règles douloureuses,
les vaginites, l’« infantilisme génital », l’acné ; à l’âge adulte, contre la
frigidité, la stérilité, et pour arrêter la lactation ; à la ménopause contre
les bouffées de chaleur, les cancers du sein métastasés et les
« rhumatismes séniles ».
Pour l’autoriser à la vente, l’Agence américaine de sécurité des
aliments et des médicaments, la FDA, a décidé de ne pas tenir compte

125
des données publiées, qui montraient déjà que ce médicament hormonal
pouvait provoquer l’atrophie des organes génitaux du mâle, une
inactivation de la thyroïde chez la rate, l’atrophie du thymus, la
féminisation des embryons mâles et la castration chimique des
2
coquelets .
Les conséquences catastrophiques de ce médicament sont
découvertes par hasard en 1971 par un gynécologue de Boston, en
Nouvelle-Angleterre. Ce printemps-là, le Dr  Arthur Herbst voit
apparaître un drôle de phénomène dans son cabinet. Une maman lui a
amené sa fille de 18 ans. La jeune fille est atteinte d’un cancer du vagin.
Le Dr  Herbst s’étonne, car il n’a jamais vu une personne aussi jeune
développer ce type de cancer, qui ne touche que les femmes de plus de
70 ans et dont on ne connaît pas la cause. C’est un cancer très rare, un
adénocarcinome à cellules claires.
À la fin de la consultation, la mère signale que pendant sa grossesse
on lui a prescrit un médicament anti-fausses couches du nom de
«  Distilbène  ». «  Peut-il y avoir un lien, docteur  ?  » demande-t-elle.
«  Certainement pas », répond celui-ci, catégorique. Mais dans les jours
qui suivent, le médecin découvre ce même cancer chez d’autres jeunes
filles. Ses confrères lui signalent aussi plusieurs cas. Une enquête est
aussitôt menée, et le lien de causalité avec le Distilbène est établi 3. Cette
étude est rapidement publiée et fait l’effet d’une bombe, car des millions
de femmes prennent ce médicament.
C’est la première fois que l’on met en évidence une
programmation fœtale d’une maladie qui se développe de façon
décalée à l’âge adulte. La toxicité du médicament s’explique par la
nature de son principe actif : la molécule chimique du Distilbène est le
diéthylstilbestrol (DES), qui appartient aux stilbènes. Comme beaucoup
de membres de cette famille, il est cancérigène et génotoxique (toxique
pour le génome) tant chez les animaux que chez l’homme.

126
Le stilbestrol, première hormone estrogène
de synthèse

Le stilbestrol est la première hormone estrogène de synthèse. Elle a


été synthétisée en 1938 et imite plus ou moins l’hormone naturelle
estrogène, l’estradiol.

Similitude entre estrogène et Distilbène :


 
En haut, l’hormone naturelle femelle, l’estrogène-estradiol. C’est un
lipide.
En bas, l’hormone chimique du Distilbène, le diéthylstilbestrol (DES).
Sa structure avec deux hexagones et ses deux extrémités lui
permettent de s’attacher au récepteur de l’hormone naturelle, ce qui
perturbe l’équilibre hormonal dans son ensemble.

Les hormones sexuelles sont des hormones dites «  stéroïdes  » car


elles sont produites à partir du cholestérol, qui leur sert de précurseur. Ce
sont des hormones lipidiques, des corps gras. La molécule chimique du
Distilbène est aussi un corps gras lipophile ; elle n’est pas naturelle, car
elle est issue de la pétrochimie.
Les hormones fonctionnant en s’attachant chacune à son récepteur, si
celui-ci est occupé par une molécule chimique, l’hormone ne peut plus

127
être fonctionnelle. Les conséquences sont multiples et se transmettent de
génération en génération. On n’en découvre l’ampleur qu’avec le temps.
Déjà trois générations sont atteintes  ; ce sont les «  générations DES  »
comme Di-Ethyl-Stilbestrol.

Les conséquences pour les mères DES :


première génération
On a longtemps cru que la prise de Distilbène n’avait pas eu d’effet
sur les mères mais seulement sur leurs filles. On sait maintenant que le
risque de cancer du sein chez ces femmes est multiplié par plus de trois.
Les femmes qui ont pris du Distilbène après la ménopause ont vu, quant
à elles, augmenter leur risque de développer un cancer de l’utérus.
En France, 200 000 femmes ont pris ce « médicament miracle » qui
n’a été « déconseillé » aux femmes enceintes qu’en 1977.

Les conséquences pour les filles


DES et les fils DES : deuxième génération
La deuxième génération est la plus touchée ; c’est celle des enfants
qui se trouvaient dans le ventre de leur mère au moment où celle-ci a pris
le médicament. Les perturbations sont de deux ordres : les anomalies dès
la naissance et les anomalies décalées dans le temps.
 
– Les anomalies dès la naissance
 
On note d’abord chez les filles des malformations du tractus génital
(utérus en forme de T) et chez les garçons des hypospadias (mauvais
positionnement du méat urinaire sur la verge), des cryptorchidies (non-
descente d’un ou deux testicules), des micropénis. Ces malformations

128
sont en forte augmentation depuis quarante ans et sont détaillées dans les
chapitres 19 et suivants.
Chez les deux sexes, on retrouve une anomalie de la différenciation
sexuelle (ambiguïté sexuelle, pseudohermaphrodisme, dérèglements de
4
la sécrétion de la testostérone, hypersécrétion d’androgènes …), et cela
même si l’on ne trouve pas de détérioration des gènes ou des
chromosomes. C’est ce qu’on appelle l’«  épigénétique  »  :
l’environnement du gène empêche son expression sans modifier son
code.
 
– Les anomalies décalées dans le temps
 
Cette notion d’expression à distance des maladies a été énoncée pour
la première fois en 1980 (voir le chap.  11) avec la notion d’«  origine
fœtale des maladies de l’adulte » ou DOHaD en anglais : Developmental
Origins of Health and Disease.
Les troubles constatés sont : puberté précoce, syndrome prémenstruel
exacerbé, endométriose, kystes ovariens, troubles psychiatriques, effets
thromboemboliques, cardiovasculaires, risque accru d’une fertilité
altérée, cancer vaginal dans l’enfance, cancer du sein à l’âge adulte,
cancer des testicules, diabète, hypercholestérolémie, hypertension,
ostéoporose et obésité.

Les conséquences pour les petites-filles


et les petits-fils DES : troisième génération

On retrouve à la troisième génération des malformations congénitales


chez les filles et les garçons (hypospadias et micropénis) ainsi que des
problèmes cardiaques.
En 2020, à Montpellier, l’équipe de Charles Sultan et Laura Gaspari
publie dans la revue Human Reproduction 5 le cas d’une fillette de 8 ans
atteinte d’un cancer vaginal à cellules claires. C’est la grand-mère de la

129
fillette qui avait pris du Distilbène. Un frère de la petite-fille a développé
un micropénis.

Courbes des ventes de Distilbène aux États-Unis et en France :


 
On savait dès 1953 aux États-Unis que le Distilbène n’avait aucune utilité, ce
qui a entraîné une baisse des ventes.
Les autorités sanitaires françaises ne prendront des mesures (limitées) de
6
restriction que près de vingt-cinq ans plus tard .

La quatrième génération… et après ?

130
Les effets sur la quatrième génération sont encore incertains. Les
filles et les fils DES se battent seuls, quatre générations après la mise sur
le marché d’un «  médicament  » qui sert aujourd’hui de «  modèle
expérimental » pour toutes les maladies provoquées par les perturbateurs
hormonaux. Le Pr  Patrick Fénichel, endocrinologue au CHU de Nice,
estime que «  l’exposition au Distilbène a servi d’expérimentation
7
humaine involontaire   ». Autrement dit, les humains ont fait office
d’animaux de laboratoire pour tester les effets des perturbateurs
endocriniens.
Les «  cobayes humains  » n’ont jamais été consultés, et
l’expérimentation grandeur nature n’est pas terminée. Les associations
de défense des victimes sont encore obligées de lutter pour faire
reconnaître l’immensité du préjudice qu’elles ont subi 8.
9
En 2021, le Distilbène est toujours en vente en France   : il est
prescrit contre le cancer de la prostate avec une simple mise en garde sur
la notice : « Ce médicament est contre-indiqué chez la femme enceinte
car il peut entraîner dans la descendance des anomalies de l’appareil
génital chez le garçon et la fille. »

Veaux et poulets aux hormones

Dans la foulée du scandale, les consommateurs s’aperçoivent que les


animaux d’élevage sont également traités avec des hormones de la
famille du Distilbène.
Pourtant, dès 1950, un article de Frederick Othman intitulé
« Hormonized Chickens » (« Poulets aux hormones ») dénonce les effets
secondaires de l’administration de diéthylstilbestrol aux poulets  : leur
consommation entraîne la croissance des seins chez les humains 10.
Pour les chapons, des éleveurs ont aussi eu recours à la castration
chimique au DES, moins chère que la castration chirurgicale.

131
Chez les bovins, l’objectif est d’obtenir plus de viande en moins de
temps et ainsi de gagner en coût de production en réduisant
l’alimentation. L’usage du Distilbène est prohibé aux États-Unis pour les
bovins depuis 1979, mais il est remplacé par d’autres hormones.
Le « scandale du veau aux hormones » éclate à son tour en France en
1980 lorsque l’association de consommateurs Que choisir révèle ces
pratiques.
Le toxicologue et chimiste André Picot plaide pour sa part pour un
abandon total des hormones dans les élevages et alerte déjà sur les autres
sources d’hormones artificielles. Dans un article intitulé «  Le veau aux
11
hormones est-il toxique  ? », il rappelle une vérité qui fera réfléchir plus
d’une femme sous pilule contraceptive à cette époque : « N’oublions pas
que la pilule contraceptive apporte 100  fois plus d’hormones que la
viande de veau implantée à l’œstradiol. »
Après la découverte du scandale, entre janvier et août  1980,
2,5  millions de veaux sont abattus 12. Dix ans après, en 1989, l’Union
européenne bannit l’utilisation d’hormones dans les élevages et prohibe
l’importation de viande hormonée. La question du bœuf aux hormones
reste en 2021 une pierre d’achoppement dans les traités de libre-
échange comme le Ceta, signé entre l’Union européenne et le
Canada.
Outre-Atlantique, les hormones sont toujours autorisées  : 80  % des
élevages reçoivent en toute légalité des injections d’anabolisants. Dans
13
l’indifférence générale, en plein milieu de l’été 2020 , alors que tous les
yeux sont opportunément tournés vers les aléas de la mauvaise gestion
de la Covid, un rapport européen de vingt-sept pages 14 explique qu’il
n’est pas possible de garantir la non-présence d’hormones dans la viande
importée du Canada.
Rappelons qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, la ratification du
Ceta a été votée par l’Assemblée nationale à la demande du président de
la République, Emmanuel Macron, et se trouve en attente devant le
Sénat. Mais le traité est déjà appliqué…

132
Vaccins aux hormones pour castrer les porcs

Les traitements hormonaux s’insinuent discrètement dans les


élevages d’autres animaux, par exemple pour la castration des porcelets.
À partir de 2022, la castration chirurgicale doit se faire obligatoirement
sous anesthésie en Europe. Cependant, certains éleveurs préfèrent opérer
une castration chimique des porcelets. Concrètement, ce sont toutes les
hormones sexuelles qui sont neutralisées avec un « vaccin » injecté dans
l’hypothalamus, situé dans le cerveau.

133
Castration chimique des porcs avec un vaccin hormonal :
 
À gauche, fonctionnement normal de l’axe hormonal à trois étages
(identique à celui des humains).
1 –  Dans le cerveau, l’hypothalamus envoie une hormone (GnRH)
vers l’hypophyse.
2 –  L’hypophyse traduit le signal et envoie des hormones (LH et
FSH) vers les gonades mâles, les testicules.
3 –  Les testicules produisent alors des hormones sexuelles
(testostérone) et fabriquent les cellules germinales (spermatozoïdes).
4 –  Par rétrocontrôle, l’hypothalamus surveille le niveau de
testostérone pour maintenir l’équilibre hormonal.
Si l’hypothalamus est neutralisé, c’est toute la cascade en aval qui
s’arrête.
 
À droite, cochon castré avec un vaccin hormonal.
1 –  Le vaccin injecte dans l’organisme du cochon une copie de
l’hormone de l’hypothalamus dédiée à la reproduction, la GnRH.
Celle-ci est couplée à une toxine pour provoquer la contre-attaque
du système immunitaire contre la GnRH naturelle de l’animal.
2 – L’hypothalamus n’envoie plus d’hormone GnRH à l’hypophyse.
3 – L’hypophyse n’envoie plus d’hormones (LH/FSH) en direction des
testicules.
4 –  Les testicules ne produisent plus de testostérone. Le
rétrocontrôle en direction de l’hypothalamus est neutralisé. La boucle
de régulation hormonale est rompue.

134
Le vaccin hormonal et stérilisant
de Pfizer
Avec la castration chimique sous forme de piqûre, c’est une copie
de la neurohormone GnRH de l’hypothalamus qui est injectée dans
l’organisme. Cette copie est couplée à une toxine diphtérique. Le
système immunitaire est donc dressé à autodétruire ses propres
hormones en croyant détruire la toxine diphtérique. Il s’agit de la
création ex nihilo d’une maladie auto-immune contre les hormones de
15
l’organisme. Les agences de régulation comme l’EFSA acceptent la
notion d’«  immunocastration  ». L’EFSA note que la technologie est
désormais détenue par l’américain Pfizer, qui a racheté un laboratoire
australien en 2004. Celui-ci traitait déjà un quart des porcs australiens
avec son procédé Improvac.
L’Agence a de plus conscience que le consommateur risque de ne
pas apprécier ce produit, car, écrit-elle, il s’agit de «  vaccins
hormonaux » (qui posent un problème de résidus). Elle note qu’ils sont
dirigés contre les hormones produites par l’animal et peuvent donc
générer des lésions des cellules à distance du lieu d’injection et dans
les testicules. Il a d’ailleurs été prouvé qu’ils provoquent des lésions de
16
l’hypothalamus . Quand les porcelets n’ont pas été castrés à la
naissance, les adultes sont chimiquement castrés en deux fois onze
semaines et quatre semaines avant l’abattoir. Quels résidus possibles
le produit laisse-t-il dans les graisses ? Quelles sont les conséquences
pour le consommateur ? Mystère.
Ce « vaccin hormonal » peut de plus servir de modèle de « vaccin
contraceptif  » ou de vaccin stérilisant. Des essais sur des chiens en
Équateur ont montré qu’il pouvait très bien être utilisé pour stériliser
une population choisie.

Les perturbateurs hormonaux se cachent partout. Dans ce livre, on les


a croisés dans les pesticides puis dans les médicaments. Ils sont aussi
dans les plastiques, comme va le montrer l’affaire du bisphénol A.

135
RÉSUMÉ
Les perturbateurs hormonaux qui dérèglent la faune sauvage à travers
les pesticides peuvent aussi affecter les humains lorsqu’ils sont introduits
dans des médicaments. Le Distilbène (DES), qui contenait une copie
synthétique d’une hormone estrogénique féminine, a provoqué de graves
effets secondaires dans la descendance des 10  millions de femmes
auxquelles il a été prescrit pendant la seconde moitié du XXe siècle. Pour
la première fois est mise en évidence chez l’humain la programmation
fœtale d’une maladie qui se développe à l’âge adulte.
Trois générations de «  victimes DES  » souffrent de cancers et de
malformations génitales. Elles ont servi de cobayes pour une molécule
devenue le « modèle expérimental » des perturbateurs endocriniens chez
les humains.
Certains animaux d’élevage sont eux aussi traités aux hormones, ce
qui constitue un risque d’une ampleur inconnue pour les consommateurs.

1. W. J. Dieckmann, M. E. Davis, L. M. Rynkiewicz et R. E. Pottinger, « Does the


Administration of Diethylstilbestrol During Pregnancy Have Therapeutic Value ? »,
o
American Journal of Obstetrics &  Gynecology, vol.  66, n   5, novembre  1953,
p. 1062-1081.
2. «  Chronologie  », Des-is-it.org, [en ligne] https://www.des-is-
it.org/fr/chronologie-du-DES  ; A.  Lacassagne 1938  ; Kreitmair, Sieckmann et
Ueber 1939  ; Kreitmair, Sieckmann et Ueber 1939  ; P.  Grumbrecht et P.  Loeser
1939 ; K. Ehrhardt, H. Kramann et H. Schaefer 1939 ; A. Raynaud 1942.
3. A. L. Herbst, H. Ulfelder et D. C. Poskanzer, « Adenocarcinoma of the Vagina,
Association of Maternal Stilbestrol Therapy With Tumor Appearance in Young
Women », NEJM, 1971.
4. Voir le site bien documenté de l’association française Des-is-it, fondée en
novembre  2019 par Salomé et Déborah Maitrejean, deux petites-filles DES
(exposées au Distilbène), [en ligne] https://www.des-is-it.org/fr/qu-est-ce-que-le-
des
5. L. Gaspari, F. Paris, N. Cassel-Knipping, J. Villeret, A. Verschuur, M. O. Soyer-
Gobillard, X.  Carcopino-Tusoli, S.  Hamamah, N.  Kalfa et C.  Sultan,
«  Diethylstilbestrol Exposure During Pregnancy With Primary Clear Cell
Carcinoma of the Cervix in an VIII-Year-Old Granddaughter: A Multigenerational
o er
Effect of Endocrine Disruptors? », Human Reproduction, vol. 36, n  1, 1  janvier
2021, p. 82-86, [en ligne] DOI 10.1093/humrep/deaa267 ; PMID 33147330.

136
6. L. Hilakivi-Clarke, S. de Assis et A. Warri, « Exposures to Synthetic Estrogens
at Different Times During the Life, and Their Effect on Breast Cancer Risk  »,
o
Journal of Mammary Gland Biology and Neoplasia, vol. 18, n 1, mars  2013,
p. 25-42, [en ligne] DOI 10.1007/s10911-013-9274-8  ; Epub 2013 Feb 8  ; PMID
23392570 ; PMCID PMC3635108 ; https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23392570
7. [en ligne] http://www.des-france.org/association-reseau-
DES/documents.php#18  ; P.  Fénichel, F.  Brucker-Davis et N.  Chevalier, «  The
History of Distilbène® (Diethylstilbestrol) Told to Grandchildren –  The
o
Transgenerational Effect », Annales d’endocrinologie, vol. 76, n 3, 2015, p. 253-
259, [en ligne] DOI 10.1016/j.ando.2015.03.008.
8. Association Réseau DES France.
9. [en ligne] http://agence-prd.ansm.sante.fr/php/ecodex/extrait.php?
specid=68600838
10. [En ligne] https://www.des-is-it.org/fr/chronologie-du-DES
11. A.  Picot, «  Le veau aux hormones est-il toxique  ?  », 1980, [en ligne]
https://core.ac.uk/download/pdf/199287471.pdf
12. « Contrôles alimentaires en Europe : vingt ans de défaillance », L’Humanité,
mercredi 9 juin 1999, [en ligne] https://www.humanite.fr/node/208902
13. «  Ceta et bœuf aux hormones  : des “défaillances” dans le contrôle des
importations en Europe », Le Monde, 18 septembre 2020.
14. [En ligne] https://ec.europa.eu/food/audits-analysis/audit_reports/details.cfm?
rep_id=4287
15. L’EFSA a rédigé un rapport en 2004, intitulé « La castration des porcelets du
point de vue du bien-être animal  », [en ligne]
https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/animals/docs/aw_prac_farm_pigs_cast-
alt_research_rapport-piglets_2007.pdf  ; «  Opinion of the Scientific Panel on
Animal Health and Welfare (AHAW) on a Request From the Commission Related
to Welfare Aspects of the Castration of Piglets », European Food Safety Authority
(EFSA), [en ligne]
https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/animals/docs/aw_prac_farm_pigs_cast-
alt_sci_efsa_opinion_welfare-aspects.pdf
16. P. C. Molenaar, D. I. Boomsma, C. V. Dolan, «  A Third Source of
o
Developmental Differences », Behavior Genetics, vol. 23, n 6, 1993, p. 519-524.

137
16

Quand un perturbateur hormonal


se cache dans du plastique :
le bisphénol A

Avec les perturbateurs hormonaux, lorsqu’on tire un fil, c’est toute la


pelote qui vient. La biologiste Ana Soto en sait quelque chose : elle a fait
partie du groupe de scientifiques qui, avec Theodora Colborn, ont lancé
l’alerte avec la « déclaration de Wingspread » en 1991.
En 1987, cette biologiste et son collègue Carlos Sonnenschein
travaillent sur le cancer et cherchent à élucider les liens qui peuvent
exister avec les perturbateurs hormonaux. On sait déjà à l’époque que les
estrogènes ont pour principale fonction de multiplier les cellules ; il
est donc primordial que leur quantité dans l’organisme reste à un
bon équilibre et ne soit pas augmentée artificiellement. On suppose
également durant cette période que les substances chimiques qui imitent
les estrogènes sont capables, elles aussi, de multiplier les cellules. Ana
Soto cherche à vérifier cette hypothèse.
Dans son laboratoire, la biologiste compare donc deux groupes de
cellules dans des tubes à essai : un groupe arrosé d’un estrogène naturel
pour favoriser le cancer et un autre groupe sans estrogène comme groupe
témoin. Jusque-là, tout va bien. Mais à un moment donné les cellules du
groupe témoin se mettent elles aussi à se multiplier alors qu’elles n’ont
pas reçu d’estrogène. La chercheuse s’interroge, examine

138
méthodiquement toutes les hypothèses et découvre que l’activité
hormonale vient des nouveaux tubes à essai. L’industriel qui fabrique les
tubes refuse d’en dire plus. Ana Soto finit par trouver que ces tubes à
essai en plastique contiennent du nonylphénol, un produit de synthèse
issu de la pétrochimie et cousin du bisphénol A.

Les phénols, une famille de perturbateurs


hormonaux
Les phénols composent une vaste famille dont chaque membre porte
un cycle en forme d’hexagone (le phénol) auquel s’attache une chaîne
avec un certain nombre de carbones. Le nonylphénol que découvre Ana
Soto dans le plastique de ses tubes à essai est un phénol doté d’une
chaîne de neuf carbones attachés, d’où son nom (nonyl signifie « neuf »).

Ana Soto découvre par hasard le nonylphénol et son activité hormonale dans le
plastique de ses tubes à essai.

Ce cycle, nous l’avons déjà croisé au chapitre  3, lorsque le


Pr  Seralini nous a expliqué qu’il constituait la base des hormones
sexuelles des plantes. On l’appelle indifféremment « cycle aromatique »,
«  benzène  » ou «  phényle  ». Il possède une structure plane en forme
d’hexagone. Chacun des six sommets est composé d’un atome de
carbone.

139
Le cycle en forme d’hexagone comprenant six côtés s’appelle indifféremment
« noyau benzène » ou « phényle ».

Lorsqu’un alcool se forme par ajout d’un groupe OH au phényle, on


l’appelle « phénol ».

Le benzène ou phényle devient phénol avec un groupe OH (oxygène


+ hydrogène).

Il faut à ce stade comprendre que la plupart des perturbateurs


hormonaux ont le benzène comme parent commun. Tout part du
benzène et tout y ramène en permanence. Le benzène est issu du
1
pétrole via la pétrochimie. Il est très toxique, et André Picot nous
explique que l’organisme vivant fera tout pour s’en débarrasser – et pas
toujours avec succès.
On va le retrouver comme point de départ de presque tous les
polluants persistants du quotidien, quelquefois sous forme simple, mais

140
aussi associé à différentes combinaisons de métaux. C’est un précurseur
pour la synthèse de différents produits : plastiques, solvants, plastifiants,
détergents, parfums chimiques, colorants, additifs alimentaires,
conservateurs, médicaments, pesticides, cosmétiques, explosifs,  etc. On
le retrouve également dans l’essence comme additif antidétonant.
Le benzène est très toxique, pour la peau, le cerveau, les organes,
l’ADN, les chromosomes et bien sûr les hormones. Il suffit d’exposer
une personne à une concentration de benzène à 2  % pour provoquer la
mort en cinq à quinze minutes. Il est classé cancérigène certain et
génotoxique. Une exposition chronique au benzène est reconnue comme
maladie professionnelle. Chez l’enfant qui habite à proximité d’une
station-service, il augmente le risque de leucémie.
Les autres membres de la famille du benzène exposent globalement
aux mêmes effets chroniques. Ce sont les toluènes, styrènes ou xylènes,
que l’on retrouve dans une multitude de produits industriels.
C’est pour se débarrasser du benzène, substance lipophile et donc
plutôt huileuse, que l’organisme va, dans le foie, lui accrocher un groupe
OH (oxygène et hydrogène) pour essayer de le solubiliser dans les
urines, qui elles sont aqueuses. Ce qui en résulte, le métabolite, n’est
autre que le phénol, qui est aussi toxique que le benzène sinon plus.
Le phénol peut provoquer des brûlures graves même lorsqu’on le
dilue dans l’eau à seulement 1  %. Il sert d’agent pour les mutilations
génitales lors de l’ablation du clitoris dans certaines cultures. Pendant la
Seconde Guerre mondiale, à Auschwitz, les médecins allemands
torturaient les prisonniers avec des piqûres de phénol, ce qui provoquait
leur mort.
Le phénol est synthétisé à grande échelle par l’industrie chimique,
car on le retrouve dans la composition de nombreux produits  : les
plastiques (deux tiers de la production de phénol), les médicaments, les
parfums synthétiques (thymol, estragol, eugénol, vanilline), les
conservateurs, les antibactériens, etc.
On le retrouve également dans les vêtements. Dans son étude
baptisée « Linge sale » en 2011, l’organisation Greenpeace a montré que

141
les deux tiers des habits testés contenaient des composés du
2
nonylphénol . Ces produits renfermaient également d’autres toxiques
hormonoperturbants 3, comme les phtalates et les colorants azotés. Toutes
les grandes marques étaient concernées. Certaines ont depuis fait des
4
efforts pour éliminer les composés du phénol .
Une autre organisation, la Coordination contre les méfaits de Bayer, a
pour sa part retrouvé du nonylphénol dans les produits alimentaires  :
pommes, tomates, chocolat et la charcuterie 5.

L’activité hormonale des nonylphénols


et consorts
Les nonylphénols et consorts sont désormais connus comme ayant
une activité estrogénique, ce qui signifie qu’ils ont la capacité d’imiter
6
les hormones sexuelles féminines naturelles que sont les estrogènes . Ils
entraînent donc une féminisation des organismes des animaux.
Chez l’homme, ils altèrent les spermatozoïdes ainsi que l’ADN qu’ils
7
contiennent .

142
À gauche, la molécule de nonylphénol, et à droite celle de l’estrogène
(estradiol), principale hormone sexuelle chez la femme. On comprend
que les récepteurs hormonaux puissent confondre les deux
substances, ce qui explique la perturbation hormonale causée par le
nonylphénol.

Après avoir démasqué l’activité hormonale cachée des composés du


phénol, Ana Soto a continué sur sa lancée à surveiller tous les membres
de la famille. Tous ont plus ou moins la même tendance à faire
concurrence aux hormones naturelles, mais leur champion devenu très
célèbre n’est autre que le bisphénol A (BPA), composé de deux phénols,
comme son nom l’indique.

Le bisphénol A, la célébrité de la famille


phénol

Le bisphénol A est une molécule obtenue par synthèse chimique. Elle


a d’abord été synthétisée en 1891 en Russie. Puis, dans les années 1930,
alors que s’intensifient les recherches sur les hormones de synthèse, on la
relance et on la classe donc en tant qu’hormone.
À l’époque, les industriels de la chimie ont d’abord dans l’idée d’en
faire une pilule contraceptive en raison de son action mimétique des

143
hormones féminines estrogéniques. Cette option n’est pas retenue, car on
découvre une autre molécule qui semble encore plus efficace sur les
hormones : c’est le fameux diéthylstilbestrol, commercialisé sous le nom
de « Distilbène » (voir le chap. 15).
Dans les années 1950, on découvre une autre vertu au bisphénol A :
celle de durcir les plastiques sans en altérer la belle transparence. Le
bisphénol  A deviendra l’un des deux composants principaux des
polycarbonates, l’autre étant le phosgène.

Chaîne polycarbonate (plastique) :


 
Le bisphénol  A est avec le phosgène l’un des deux composants des
plastiques polycarbonates.
Sous l’effet de la chaleur, il peut quitter la chaîne et migrer dans les
aliments.

On trouve aujourd’hui ce plastique un peu partout, des verres de


lunettes aux verres de contact en passant par les casques de moto et les
boucliers des CRS, ou encore dans l’encre des tickets de caisse. On
retrouve également le bisphénol A dans les résines époxy qui recouvrent
l’intérieur des boîtes de conserve et d’autres contenants alimentaires.
Une fois transformé en plastique, le bisphénol A n’en perd pas pour
autant ses effets hormonaux féminisants. La structure en hexagone qui
rappelle celle des estrogènes reste capable de tromper les récepteurs
naturels aux estrogènes par un effet hormonomimétique.
Il aura fallu la perspicacité et la persévérance de chercheurs comme
Ana Soto pour déchiffrer le mécanisme de l’intoxication au
bisphénol  A.  Après cette découverte, elle a bien entendu repris ses

144
expériences de laboratoire avec des tubes «  non actifs  », mais dans le
commerce le bisphénol A a continué à être intégré dans les plastiques
pour les rendre plus durs et plus transparents. Et c’est ainsi que pendant
quelque quarante ans les bébés se sont vu abreuver d’hormones
féminines par leur biberon du matin, du midi et du soir à un âge où
l’action hormonale a des conséquences sur toute la vie.
Circonstance aggravante, avec la chaleur, et particulièrement avec le
micro-ondes, le plastique a tendance à se dépolymériser et à relâcher les
8
molécules de bisphénol A, qui vont alors se mélanger au lait .

À gauche, la molécule de bisphénol A synthétique, et à droite celle de


la famille naturelle des estrogènes. Le récepteur des estrogènes peut
être « trompé » par la molécule de synthèse.

Le bisphénol A, un cousin germain


du Distilbène
Si l’on refait maintenant un tout petit tour au chapitre précédent et
que l’on compare le Distilbène au bisphénol A, que peut-on observer  ?
N’y aurait-il pas un certain air de famille ?

145
Bien sûr, les deux molécules se ressemblent : elles comportent toutes
les deux deux phénols reliés entre eux. Le Distilbène aurait pu tout aussi
bien s’appeler « bisphénol X, Y ou Z ». Or, lorsqu’on connaît les effets
catastrophiques du Distilbène sur la santé, on ne saurait que s’inquiéter
de la présence de son cousin germain le bisphénol A dans de nombreux
produits de la vie quotidienne.
De fait, on retrouve ses effets sur le cerveau, le système
cardiovasculaire, la thyroïde, le système immunitaire, l’intestin, la
prostate, le sein, mais aussi et surtout sur les systèmes reproducteurs
mâle et femelle.
Son action va en particulier dérégler l’axe hormonal qui va de
l’hypothalamus aux gonades.

Le Distilbène et le bisphénol A sont tous les deux des doubles phénols.

146
RÉSUMÉ
En 1987, les chercheurs Ana Soto et Carlos Sonnenschein découvrent
par hasard que leurs tubes à essai contiennent une substance hormonale
estrogénique, le nonylphénol. Elle appartient à la famille des phénols,
comme le bisphénol A, qui a d’abord été classé comme hormone avant
de devenir l’un des deux composés des plastiques en polycarbonates.
Le bisphénol A présent dans un plastique de contenant alimentaire
comme le biberon peut migrer dans la nourriture sous l’effet de la
chaleur. Le bisphénol A est un cousin germain du Distilbène, dont les
conséquences sur la santé sont catastrophiques.

1. Entretien avec l’auteure, mai 2021.


2. [En ligne] https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2017/02/Les-dessous-toxiques-
de-la-mode_2012.pdf
3. Néologisme inventé par l’auteure.
4. [En ligne] https://www.greenpeace.fr/espace-presse/lindustrie-vetement-
progresse-reduction-produits-chimiques-dangereux
5. Coordination contre les méfaits de Bayer. https://www.cbgnetwork.org/21.html
6. A.  Becue et R.  Nguyen, «  Étude de l’analyse des alkylphénols  », Ineris,
février 2005.
7. U.  A.  Harreus, B.  C.  Wallner, E.  R.  Kastenbauer et N.  H.  Kleinsasser,
« Genotoxicity and Cytotoxicity of 4-Nonylphenol Ethoxylate on Lymphocytes as
Assessed by COMET Assay », International Journal of Environmental Analytical
Chemistry, vol. 82, 2002, p. 395-401.
8. C. Brede, P. Fjeldal, I. Skjevrak et H. Herikstad, « Increased Migration Levels
of Bisphenol  A From Polycarbonate Baby Bottles After Dish: Washing, Boiling
and Brushing », Food Additives & Contaminants, vol. 20, 2003, p. 684-689.

147
PARTIE 2

LA REPRODUCTION EN PÉRIL

148
17

Quand les hormones fonctionnent


sur trois étages

Pour mieux comprendre comment les humains sont, comme la faune


sauvage, perturbés par les polluants chimiques hormonaux, rappelons
d’abord le fonctionnement normal du système hormonal lorsque celui-ci
n’est pas altéré. Il s’étage schématiquement en trois niveaux  :
l’hypothalamus, l’hypophyse et les gonades. Cet axe est l’un des six axes
majeurs évoqués dans le chapitre  3 de ce livre. Ils fonctionnent tous
selon le même principe : l’hypothalamus envoie un message hormonal à
l’hypophyse, qui envoie à son tour un autre message hormonal aux
différentes glandes, qui produisent alors les hormones concernées.

Le cerveau dialogue en permanence avec


les ovaires et les testicules

Dans les deux sexes, c’est l’hypothalamus qui joue le rôle de chef
d’orchestre. En permanence, il prend connaissance de l’état
d’imprégnation hormonal de l’ensemble de l’organisme avant de « régler
la machine ». Encore une fois, c’est avant tout l’état d’équilibre naturel
qui est recherché, autrement dit l’«  homéostasie hormonale  ». Celle-ci
n’est pas constante, elle varie selon l’âge, le sexe, le cycle menstruel.

149
L’hypothalamus tiendra compte de tous ces paramètres avant de donner
ses consignes.

L’axe hypothalamus-hypophyse-gonades :
 
1 –  L’hypothalamus jauge le niveau des hormones et ordonne à
l’hypophyse de corriger les niveaux avec l’hormone GnRH.
2 – L’hypophyse a reçu l’information et demande, avec les hormones
LH et FSH, aux gonades mâles (testicules) et femelles (ovaires) de
produire les hormones sexuelles.
3 – Les gonades reçoivent l’information et produisent la testostérone
pour les mâles, les estrogènes et la progestérone pour les femmes.
L’hypothalamus et l’hypophyse sont informés du résultat par
rétrocontrôle.

150
Premier niveau : l’hypothalamus produit
l’hormone GnRH

Dans les deux sexes, l’hypothalamus envoie ses messages au moyen


de la même hormone : l’« hormone en direction des gonades », que l’on
appelle la «  gonadotrophine  » ou «  GnRH  » (Gonadotropin-Releasing
Hormone). L’hypothalamus ne donne ses consignes qu’à l’hypophyse.
À ce niveau de commande, ce sont donc des releasing hormones, des
« hormones de libération », qui sont sécrétées. Elles sont protidiques et
non pas lipidiques et possèdent pas moins de dix acides aminés reliés les
uns aux autres comme les perles d’un collier. (Rien à voir donc avec les
hormones produites par les gonades, qui elles sont des hormones qui
appartiennent à la famille des lipides.) La GnRH est sécrétée de manière
pulsatile toutes les quatre-vingt-dix minutes. Cette intermittence est
cruciale  : si on la supprime en administrant une GnRH de synthèse en
continu, on provoque une castration chimique. (C’est ainsi qu’agissent
les médicaments donnés aux pédophiles.)
Cette hormone, qui n’a été mise en évidence qu’en 1977, a valu un
prix Nobel à ses découvreurs, Roger Guillemin et Andrew Schally.
La GnRH est envoyée à l’hypophyse, une petite glande située dans le
cerveau juste en dessous de l’hypothalamus. Celle-ci est en quelque sorte
l’exécutante générale de l’hypothalamus.

Deuxième niveau : l’hypophyse produit


les hormones FSH et LH

L’hypophyse va donc, sur instruction de l’hypothalamus, fabriquer et


envoyer deux autres hormones (FSH et LH) en direction des gonades
mâles (testicules) et femelles (ovaires). Ces deux hormones qui sont les
mêmes pour les deux sexes vont avoir pour fonction de donner comme
message aux gonades qu’elles peuvent se mettre à produire des gamètes,

151
autrement dit des semences qui permettront la reproduction de l’espèce.
Les gonades ne pourront le faire qu’en produisant à leur tour des
hormones, les hormones sexuelles.
Mais voyons d’abord comment les hormones de l’hypophyse vont
agir sur les gonades.
Ces deux hormones, FSH et LH, sont comme deux sœurs. Là encore,
ce sont des hormones de la famille des protides, très complexes. FSH
signifie Follicle-Stimulating Hormone, car elle va activer les follicules,
c’est-à-dire les poches dans lesquelles se trouvent les gamètes mâles ou
femelles. LH signifie Luteinizing Hormone, car c’est elle qui va activer
le corps jaune des follicules des ovaires. Lutein en grec signifie
« jaune ».

Troisième niveau : les gonades produisent


les hormones estrogènes et progestérone ainsi
que la testostérone
Chez les deux sexes, à partir de ce niveau, les gonades ont pour
principale fonction de mener à maturation une semence, qu’elle soit mâle
(le spermatozoïde) ou femelle (l’ovocyte). Pour ce faire, les gonades
fabriquent des hormones dites « sexuelles ». Ces hormones à ce stade se
différencient selon le sexe, bien qu’elles soient assez voisines, en fin de
compte, du point de vue de la structure.
 
Chez la femme
 
La FSH est à l’œuvre surtout pendant la première moitié du cycle
ovarien. Elle stimule les follicules. Ce sont eux qui vont produire des
hormones stéroïdes, les estrogènes.
Ces hormones vont imprégner tout l’organisme en étant transportées
dans le sang. Elles augmentent sous l’influence de la FSH, et ce détail est

152
très important pour comprendre un point fondamental du fonctionnement
de la pilule contraceptive expliqué plus loin (voir le chap. 32).
Les estrogènes imprègnent alors l’organisme de façon massive. Par
rétrocontrôle, l’hypothalamus surveille le niveau de la jauge et fait savoir
à l’hypophyse que le terrain est désormais prêt pour accueillir la
production de l’œuf. Celle-ci traduit le message en baissant
complètement la production de FSH puis en augmentant de façon
énergique la production de LH. C’est ce qu’on appelle le « pic de LH » ;
c’est lui qui donne le signal de la ponte. Il est également accompagné par
un petit pic de FSH (voir le schéma au chap. 26, sur les règles).
 
Chez l’homme
 
La FSH stimule les tubes séminifères des testicules  : ils produisent
alors des spermatozoïdes. La LH stimule les cellules de Leydig des
testicules : elles produisent alors l’hormone testostérone qui servira à la
spermatogenèse.
 
En résumé, les gonades des deux sexes, sous l’influence des mêmes
hormones LH et FSH, produisent les hormones sexuelles et les gamètes.

Les hormones sexuelles dérivent


du cholestérol
Ces hormones sexuelles n’ont plus rien à voir du point de vue de la
structure et de la composition avec les hormones de la famille
précédente, sécrétées par les neurones de l’hypothalamus et l’hypophyse.
Cette différence de structure est fondamentale pour comprendre
comment tout le circuit peut ensuite être perturbé, pour ne pas dire
bloqué, par un toxique.

153
Le cholestérol, précurseur des hormones sexuelles :
 
Les hormones sexuelles mâles et femelles sont fabriquées à partir du
cholestérol.
Les différences de structure sont minimes, mais les conséquences sont
importantes.
L’enzyme aromatase transforme la testostérone en estrogènes.

En effet, les gonades des deux sexes fabriquent des hormones non
pas à partir des protéines mais à partir des lipides, et en l’occurrence un
lipide fondamental pour la survie de l’organisme entier : le cholestérol.
Le cholestérol a été diabolisé pour des raisons commerciales depuis
les années 1970. Il s’agit pourtant d’un cristal gras qui permet de
soutenir la membrane des cellules. C’est à partir de ce lipide que
l’organisme élabore les hormones sexuelles ainsi que les hormones
produites par les surrénales. Comme cet acide gras est dur, on a donné à
ces hormones le nom de «  stéroïdes  », du grec stéréos, qui veut dire
«  solide  ». Le message qu’elles délivrent est avant tout celui de la
multiplication des cellules.

154
Hormones sexuelles mâles : testostérone
et dihydrotestostérone

Dans les testicules, les cellules de Leydig, dès qu’elles reçoivent le


message du niveau supérieur, à savoir la LH ou Luteinizing Hormone, se
mettent à fabriquer de la testostérone à partir du cholestérol. C’est
ensuite la testostérone qui va aider les cellules de Sertoli, toujours dans
le testicule, à prendre soin des petits spermatozoïdes pour les faire
grandir et les mener à maturation. Ce sont en quelque sorte les
puéricultrices de la nurserie.
La testostérone va contrôler l’ensemble des caractères sexuels
secondaires chez l’homme.

Caractères sexuels masculins dus à la testostérone :


 
Augmentation du cholestérol LDL et baisse du cholestérol HDL.

155
La production moyenne de testostérone pour un homme adulte est de
5  milligrammes (mg) par jour, dont seulement une infime partie,
50/100  microgrammes (Mg) par jour, sera transformée en une forme
encore plus active, la dihydrotestostérone. Ces deux formes de la
testostérone sont appelées les «  hormones androgènes  », andros
signifiant « mâle » en grec.
Ces hormones agiront sur la taille, la pilosité, le timbre de la voix, les
glandes sébacées, la répartition masculine des muscles et de la graisse, le
développement des muscles squelettiques, le comportement sexuel y
compris la libido, l’agressivité.
Une baisse de production de la testostérone engendrera une
diminution de tous ces caractères sexuels et donc une féminisation. Les
polluants chimiques hormonaux, en baissant la production de
testostérone chez les hommes, réduisent les caractères sexuels masculins.
La testostérone aura également des effets sur le métabolisme de
base  : augmentation du cholestérol LDL et baisse du cholestérol HDL,
augmentation de la graisse abdominale, des globules rouges dans le sang,
de la croissance des os et des cellules musculaires.
Un homme produira également une infime partie d’hormones
féminines, 10 à 15 microgrammes par jour.

Hormones sexuelles féminines : estrogènes


et progestérone
Dans les ovaires, les cellules de la granulosa (situées autour de
l’ovocyte et du follicule qui l’abrite) vont quant à elles fabriquer,
toujours à partir du cholestérol, plusieurs formes d’estrogènes. Ces
estrogènes sont les hormones féminines par excellence, car produites en
masse dans les gonades femelles. Elles ont un effet très particulier sur les
cellules – toutes les cellules –, celui de favoriser leur croissance et leur
multiplication. On peut comprendre pourquoi, dans la mesure où, à partir

156
d’une seule cellule, un ovule fécondé, elles devront aider à la
construction d’un organisme entier qui dès la naissance sera composé de
milliards de cellules.
La production des estrogènes est gérée par l’organisme avec une
mesure et une complexité extrêmes qui doivent permettre une juste
multiplication des cellules aussi bien en quantité qu’en destination. Si le
message n’est pas modulé et contrôlé, les cellules vont croître et se
multiplier d’une façon anarchique et produire des tumeurs
possiblement malignes, autrement dit des cancers. Dans les
laboratoires de recherche, les scientifiques qui reproduisent les
phénomènes cancéreux arrosent leurs cellules d’estrogènes, les hormones
femelles.
Les estrogènes président à l’ensemble des caractères sexuels
secondaires féminins  : la formation des seins, l’arrondissement de la
silhouette, la pousse des poils pubiens et des aisselles, le timbre de la
voix, la répartition des muscles, le maintien de la densité osseuse, la
régulation du cycle menstruel, l’activation de la libido et la lubrification
du vagin.

157
Caractères sexuels féminins dus aux estrogènes

Un déséquilibre dans la production d’estrogènes pourra entraîner une


masculinisation des caractères sexuels féminins.
Les substances chimiques de synthèse présentant une structure qui
ressemble à celle des estrogènes peuvent se coller aux récepteurs naturels
de ces derniers situés sur les membranes des cellules cibles et ainsi les
« leurrer ».
Les perturbateurs hormonaux déversés en trop grande quantité dans
l’environnement entraînent un dérèglement de la différenciation sexuelle,
ce qui compromet la reproduction et met en danger la survie de chaque
espèce. Hommes en péril ? Femmes en péril ? Les troubles et maladies
d’origine hormonale ont déjà émergé dans la société depuis plusieurs
décennies.

RÉSUMÉ

158
Les perturbateurs hormonaux altèrent le système hormonal aux trois
étages de son organisation. Chaque niveau de l’axe hypothalamus-
hypophyse-gonades peut être déréglé.
Les hormones produites par l’hypothalamus et l’hypophyse sont les
mêmes dans les deux sexes. Dans les gonades, les hormones sexuelles
sont différentes selon le sexe – testostérone pour l’homme et estrogènes
et progestérone pour la femme –, mais elles sont toutes produites à partir
du cholestérol.
Les polluants chimiques pourront diminuer les caractères sexuels de
chaque sexe en féminisant les hommes et en masculinisant les femmes.

159
QUAND LES HOMMES SONT
EN PÉRIL

160
Les différents symptômes de dérèglements de la sphère testiculaire
ont été rassemblés dans le «  syndrome de dysgénésie testiculaire  »,
appellation proposée par le Danois Niels Skakkebaek. Les quatre
volets de ce syndrome sont  : la baisse de la qualité du sperme, les
malformations des testicules (cryptorchidie), les malformations du
pénis (hypospadias) et les cancers des testicules. D’autres
manifestations de la sphère masculine pourraient bien s’y
apparenter : les micropénis, la réduction de la distance ano-génitale
et les cancers de la prostate.

161
18

Quand les hommes perdent leurs


spermatozoïdes et leur testostérone

On a vu les mâles de la faune sauvage se féminiser, mais qu’en est-il


des êtres humains  ? Dès 1992, les scientifiques danois démontrent que
les perturbateurs hormonaux n’ont pas épargné les humains et en
particulier les hommes. Leur chef de file, Niels Skakkebaek, observe une
démasculinisation des hommes depuis 1945.
Il remarque que cette détérioration s’accompagne de plusieurs autres
signes qui peuvent, si on les regroupe, faire penser aux différentes
manifestations d’une même cause  : la pollution chimique
environnementale. Il forge donc le concept de « syndrome de dysgénésie
testiculaire » (SDT). Celui-ci rassemble les quatre symptômes suivants :
baisse de la qualité du sperme et de la testostérone, malformations des
testicules (cryptorchidie), malformations du pénis (hypospadias), cancer
du testicule.

Quand les hommes perdent 70 % de leurs


spermatozoïdes

Dans leur publication, restée célèbre, Niels Skakkebaek et Elisabeth


Carlsen ont analysé soixante et une études scientifiques du monde entier

162
1
portant sur la qualité du sperme . C’est ce qu’on appelle une «  méta-
analyse ».

Densité moyenne du sperme :


 
La densité moyenne du sperme dans le monde et en France était d’environ
113 millions de spermatozoïdes par millilitre en 1938. Elle était d’environ
66 millions en 1990. Elle est passée à 40-50 millions par millilitre en 2005.

Ils y constatent qu’entre 1940 et 1990 la concentration moyenne de


spermatozoïdes chez l’homme a été divisée par deux. Ils observent aussi
une réduction de 20 % du volume séminal, ce qui indique un déclin total
du nombre de spermatozoïdes encore plus marqué.
L’étude danoise ne manque pas de faire du bruit dans le landerneau
scientifique. Les spécialistes français de la reproduction, plutôt dubitatifs
au début, se plongent dans leurs fichiers pour voir si les conclusions
alarmistes des Danois se vérifient en France. Les résultats les stupéfient
au point qu’ils commencent à s’intéresser eux aussi au phénomène.
Après trois ans d’enquête, Jacques Auger, responsable du Cecos 2 de
l’hôpital Cochin, annonce à son tour en 1995 que les hommes français

163
ont aussi connu une chute vertigineuse du nombre de leurs
3
spermatozoïdes . De fait, la concentration moyenne de spermatozoïdes a
décru de 2,1  % par an de 1973 à 1992 soit 40  % en vingt ans. Non
seulement la quantité de sperme a baissé, mais sa qualité également, le
pourcentage de spermatozoïdes normaux et mobiles ayant diminué de
12  %. La morphologie et la mobilité des spermatozoïdes sont deux
indicateurs fondamentaux de leur capacité fonctionnelle  : le
spermatozoïde doit être bien formé et se mouvoir correctement pour
atteindre l’ovule. Le constat est donc sans appel : un Français né en 1962
a deux fois moins de spermatozoïdes que son père né avant 1945.
Depuis 1995, la tendance s’est confirmée. Une étude de l’Institut de
veille sanitaire (InVS) publiée en 2018 4, la plus récente à ce jour, fait
état d’une nouvelle baisse de 32  % entre 1989 et 2005. «  Nous avons
d’abord été étonnés. Nous ne nous attendions pas à une baisse aussi
importante, explique l’auteure Joëlle Le Moal, épidémiologiste à l’InVS.
5
Il faut se pencher au plus vite sur les causes de cette dégradation . »
Qu’en est-il en 2021  ? Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire
(BEH) 6 nous dit que la perte moyenne de spermatozoïdes par an est de
1,4  million par millilitre en 2005. Un rapide calcul nous indique donc
que, si la tendance a continué, nous devrions nous situer en 2021 à
environ 28  millions de spermatozoïdes par millilitre. Rappelons que
l’étude Auger indique qu’un homme né en 1945 était à 102 millions de
spermatozoïdes par millilitre en moyenne.
En définitive, on peut estimer que l’homme français a perdu
70  % de ses spermatozoïdes depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale.
L’ONU considère qu’en dessous de 40  millions par millilitre
7
l’homme est « subfertile », même si la conception est toujours possible .
Selon ce critère, les Français seraient donc en moyenne sous le seuil de
fertilité. Ils ne sont pas les plus mal lotis, mais presque  : ils sont
distancés par les Danois, les Allemands ou les Espagnols 8, parmi
lesquels 20  % des jeunes hommes sont descendus en dessous du seuil
9
considéré comme critique par l’OMS de 20  millions par millilitre .

164
Cependant, ce seuil étant de plus en plus souvent atteint et dépassé à la
baisse, certaines institutions le diminuent discrètement et le fixent à
15  millions par millilitre. Il faut savoir qu’en 1940 le seuil considéré
comme «  normal  » était de 60  millions de spermatozoïdes par
10
millilitre .
Niels Skakkebaek, reconnu comme l’expert mondial sur la question,
estime pour sa part que 10  à 15  % des hommes européens ont des
concentrations si basses qu’ils pourraient avoir besoin de traitements
médicaux pour pouvoir procréer 11 (voir le chap. 33).
Les différents lobbies agrochimiques ont tenté de discréditer l’étude
de Skakkebaek. Une nouvelle méta-analyse a donc été réalisée en 2017
par l’épidémiologiste américaine Shanna Swan. Cette dernière a
confirmé que l’effondrement spermatique est bien réel, suivant un
rythme de 1 % par an depuis 1982, mais quand s’arrêtera-t-il ? Peut-être
12
jamais, écrit-elle dans un livre d’alerte intitulé Count Down («  Le
compte à rebours  ») publié en 2021. Selon la chercheuse, la race
humaine pourrait tout simplement disparaître si rien n’est fait pour
enrayer la chute. La concentration des spermatozoïdes pourrait bien
tomber à zéro d’ici à 2045, avertit-elle.
 
Outre les conséquences en matière de fertilité, la qualité du
sperme est un indicateur global de santé publique. En effet,
aujourd’hui, de nombreuses études font le lien entre une mauvaise
qualité du sperme et une augmentation de la mortalité et de la morbidité
chez les hommes, toutes causes confondues. Les hommes seraient-ils en
danger, comme le suggère l’excellent documentaire de Sylvie Gilman et
Thierry de Lestrade Mâles en péril 13 ?
Circonstance aggravante, la chute de la qualité du sperme, chez les
plus jeunes générations, s’est accompagnée d’une baisse du taux de
testostérone.

165
La baisse séculaire de la testostérone ?

Deux études ont alerté sur la tendance à la baisse séculaire des taux
de testostérone chez les hommes. Une étude danoise a montré qu’elle est
indépendante de l’augmentation de l’embonpoint chez les hommes de
l’après-guerre 14. Une étude américaine 15 effectuée sur 1  300  hommes
pendant dix-sept ans, entre 1987 et 2004, a montré que le taux de
testostérone chez les hommes du Massachusetts baissait chaque année de
1  %, et cela indépendamment du vieillissement, de l’indice de masse
corporelle et des habitudes de vie, comme la consommation de tabac.
En Suède, cette tendance à la baisse a également été observée entre
16
1995 et 2008 . Mais curieusement, alors que les auteurs appelaient de
leurs vœux de nouvelles études sur cette baisse tendancielle des
hormones mâles, la littérature scientifique est restée, à notre
connaissance, plutôt discrète sur cette question depuis 2008.

166
La baisse du taux de testostérone :
 
La baisse du taux de testostérone dans le sang est constante d’après une
étude menée aux États-Unis.
Trois campagnes de tests sont effectuées entre 1987 et 2004.
(D’après Travison 2007)

Cette baisse de la testostérone pourrait, selon les spécialistes, avoir


un lien avec l’augmentation des problèmes de santé reproductive des
hommes en général  : les hommes moins fertiles ont moins de
testostérone dans le sang 17. À qui la faute ? Les études montrent que les
principales causes de cette dégradation du sperme et de la testostérone
ont pour nom « toxiques chimiques hormonaux », alias «  perturbateurs
endocriniens ».

167
Les « six poisons » à l’assaut
des spermatozoïdes et de la testostérone

Les six familles de poisons hormonaux que nous avons surnommés


«  les 6  P  » dans le chapitre  2 de ce livre sont les pesticides, les
plastifiants (phtalates et bisphénol  A), les produits pharmaceutiques
(médicaments et additifs alimentaires), les perfluorés, les parabènes et
les polybromés. Les plus directement en cause dans ce «  krach du
sperme 18  », comme l’ont baptisé certains auteurs, sont les pesticides et
les plastifiants.
Les pesticides en ligne de mire
Jacques Auger, en tant qu’andrologue (médecin spécialiste des
parties génitales masculines), rappelle que les pesticides sont des
composés chimiques très risqués, car certains possèdent des propriétés
non seulement démasculinisantes (ils agressent les hormones mâles, les
androgènes) mais aussi féminisantes (ils favorisent les hormones
féminines, les estrogènes). Le médecin raconte que certains agriculteurs,
notamment des céréaliers de la Beauce, ont des spermogrammes qui
fluctuent en fonction des périodes d’épandage, avec un décalage de deux
à trois mois correspondant à la durée de maturation des spermatozoïdes
19
dans les testicules .
L’étude officielle de 2018 du BEH (citée plus haut) montre que les
deux régions les plus touchées par la baisse de concentration des
spermatozoïdes sont les deux régions viticoles les plus consommatrices
de pesticides  : l’Aquitaine et Midi-Pyrénées (appelées depuis
« Nouvelle-Aquitaine » et « Occitanie »).
Un autre exemple célèbre de l’action des pesticides est un
nématocide (tueur de vers) utilisé dans les bananeraies et interdit depuis
1976. Les effets de ce dérivé du brome (le dibromochloropropane) sont
l’oligospermie (peu de spermatozoïdes) et l’azoospermie (absence de
spermatozoïdes), la diminution de la fertilité et un sex-ratio
significativement plus faible (plus de filles que de garçons) dans la
20
descendance des hommes exposés . Les autres toxiques hormonaux

168
dans le monde professionnel comprennent les carbaryls, le chlordécone,
les dioxines, les biphényles polychlorés, le cadmium, le plomb, le
mercure, le bore, l’acétone, le carbone disulfide, le méthylène chloride,
le trichloroéthylène, les éthers de glycol, le gaz anesthésiant, les
hydrocarbures aromatiques, le benzène, le toluène, le styrène, etc.
À côté des pesticides, c’est dans la grande famille des plastiques qu’il
faut aller chercher les autres responsables de l’hécatombe des
spermatozoïdes.
Les plastifiants dans le collimateur
Les deux principaux plastifiants également considérés comme portant
atteinte à la santé spermatique des hommes sont le bisphénol A (BPA) et
les phtalates. Tous les deux sont des composants majeurs des plastiques –
 le BPA dans les plastiques durs et les phtalates dans les plastiques mous.
 
Le bisphénol A (BPA) réduit la qualité spermatique
 
Dès 1998, Frederick vom Saal montre que le BPA, lorsqu’il est
donné durant la gestation à des rates pendant seulement sept jours,
détériore la production spermatique des petits rats mâles à l’âge adulte.
La production quotidienne de spermatozoïdes chute de 20 % par rapport
21
aux rats témoins qui n’ont pas été contaminés .
Frederick vom Saal attire l’attention sur le fait que de très faibles
doses de BPA pendant la grossesse des femmes peuvent détériorer la
santé future de leurs petits garçons. Il signale entre autres la présence de
BPA dans les résines utilisées par les dentistes pour soigner les caries. Il
déconseille donc ce genre de soins pendant la grossesse.
Plus récemment, une expertise collective de l’Inserm sur la
reproduction 22 cite deux études concluantes sur la toxicité hormonale du
bisphénol A en Chine et aux États-Unis. En Chine, ce sont les ouvriers
d’une usine de composés comportant du BPA qui ont développé des
troubles de la fonction sexuelle, et dans le Massachusetts des hommes
consultant pour infertilité dans une clinique spécialisée ont montré des
concentrations plus importantes de BPA que la population générale.

169
Le BPA imprègne l’organisme de 100 % de la population en France
(voir le chap. 34, sur l’imprégnation des populations).
 
Les phtalates détériorent les cellules spermatiques et la testostérone
 
Les phtalates, que l’on retrouve dans presque tous les plastiques
souples, font partie de la composition de nombreux produits du
quotidien, comme les shampoings, les crèmes, les sols en linoléum, etc.
Ils ont pourtant un effet délétère sur la qualité et la quantité des
spermatozoïdes.
Le groupe de Russ Hauser, de l’École de santé publique à Harvard,
Boston, a publié de nombreux articles sur les paramètres du sperme et les
phtalates. Plus le taux de phtalates est élevé chez les hommes et moins
les spermatozoïdes sont nombreux, mobiles et morphologiquement
normaux (sans ruptures de l’ADN).
Lorsqu’on analyse le liquide séminal des hommes, c’est-à-dire le
liquide qui contient les spermatozoïdes, on relève la présence de
phtalates dans plus de 90  % des échantillons, alors qu’ils sont à risque
pour l’intégrité de leur ADN.
Des études chez les rats ont montré une diminution de la taille des
testicules, une dégénérescence des tubes séminifères, dans lesquels sont
23
fabriqués les spermatozoïdes, et une baisse de la fertilité .
La testostérone est elle aussi victime des phtalates. Une étude
chinoise a comparé des ouvriers d’une usine de PVC exposés aux
phtalates avec un groupe non exposé, et les résultats ont montré une
moindre production de l’hormone mâle chez les ouvriers qui avaient un
taux élevé de phtalates.
Dans son livre, l’épidémiologiste Shanna Swan explique que les
hommes qui ont des taux de phtalates élevés dans leurs urines sont aussi
ceux qui ont des taux de testostérone bas et une libido en berne 24. Ils sont
deux fois et demie plus nombreux que les autres hommes à déclarer avoir
un manque d’intérêt pour l’activité sexuelle.

170
La scientifique reprend à son compte l’estimation selon laquelle le
taux de testostérone moyen chez les hommes des pays industrialisés a
baissé de 1 % par an depuis 1982.
 
Les autres toxiques : perfluorés, parabènes, tabac
 
Les composés perfluorés que l’on retrouve dans le téflon des poêles
antiadhésives ont été associés à une baisse de la testostérone et des
hormones androgènes des testicules dans de nombreuses études chez
l’animal. On en connaît également le mécanisme  : ils inhibent la
synthèse des enzymes qui servent à la fabrication des hormones
sexuelles.
Parmi les autres polluants chimiques, on retrouve des médicaments et
les parabènes, qui sont des antibactériens contenus dans 80  % des
cosmétiques. L’un d’entre eux, le butylparabène, est toxique pour les
spermatozoïdes, car il entraîne des fragmentations de l’ADN. Plus il est
présent et plus les dommages sur l’ADN sont importants.
Le tabac est associé à une moindre qualité du sperme. Fumer entraîne
une baisse de la quantité de spermatozoïdes mais aussi une moindre
mobilité et une augmentation des malformations des gamètes mâles.
Même le tabagisme passif a été associé à ces dérèglements. De plus,
fumer provoque une baisse des capacités d’érection.

Comment les polluants toxiques altèrent


la testostérone
Dans le testicule, les polluants chimiques perturbent les cellules de
Leydig, qui fabriquent la testostérone et qui dialoguent avec les cellules
de Sertoli, localisées elles dans les petits tubes qui abritent les
spermatozoïdes, les tubules.
Cependant, comme l’a montré Frederick vom Saal avec le BPA sur
les rats, c’est la période fœtale qui est le plus à risque face aux toxiques

171
hormonaux. Cette constatation est également valable pour les embryons
humains et leur vulnérabilité face aux phtalates.

Altération de la testostérone dans les testicules :


 
À gauche, un testicule sain. Les cellules de Leydig fabriquent la
testostérone et l’envoient d’une part dans le milieu interstitiel pour
irriguer l’organisme, et d’autre part dans les cellules de Sertoli, qui,
elles, se trouvent au contact des futurs spermatozoïdes dans de
petits tubes appelés « tubules ».
À droite, un testicule contaminé par un polluant. Les cellules de
Leydig sont altérées et n’arrivent plus à fournir suffisamment de
testostérone pour l’organisme et les tubes contenant les cellules de
Sertoli et les futurs spermatozoïdes.

La fragilité du fœtus humain mâle face


aux phtalates

C’est le Pr  René Habert du Commissariat à l’énergie atomique,


chercheur à l’Inserm et professeur à l’université Paris-Diderot, qui a
apporté la démonstration de la toxicité des phtalates sur le fœtus humain.
Avec son équipe, le Pr  Habert a mis au point une technique
expérimentale innovante qui permet d’observer les effets des molécules

172
chimiques in  vivo pendant une semaine sur des cellules vivantes de
testicules de fœtus humains issues d’un centre d’IVG (interruption
volontaire de grossesse). L’architecture des testicules et la
communication entre cellules sont ainsi préservées.
Plusieurs molécules chimiques ont été testées, comme les différents
bisphénols (A, S, F), mais les phtalates sont les principales substances
25
utilisées dans ces expériences . Il était impossible avant la mise au point
de cette technique d’observer presque en temps réel les effets des
perturbateurs chimiques sur des cellules humaines de testicule.
Le professeur et son équipe ont divisé les tissus de testicule en deux
groupes. Dans un premier groupe, les cellules ont été imprégnées de
phtalates à des doses que l’on peut retrouver dans l’organisme maternel.
Le second groupe a servi de témoin. Les cellules ont été incubées
pendant cinq jours à 37 °C.
Résultat  : les cellules germinales (les précurseurs des
spermatozoïdes) contenues dans les testicules qui ont été en contact avec
le phtalate ont vu leur nombre diminuer de 40  % en seulement trois
jours. Les cellules témoins sont restées vivantes à 100  %. Cette
dégradation est due au fait que les cellules germinales sont entrées
massivement en apoptose : elles se sont autodétruites.
«  Cette approche, nous a expliqué le Pr  Habert 26, nous a permis
d’apporter pour la première fois la démonstration expérimentale que les
phtalates détériorent les cellules germinales du fœtus humain et donc ses
futurs spermatozoïdes. »
L’expérience menée par l’équipe du Pr Habert a également permis de
constater que les phtalates ont réduit de 50 % une hormone fondamentale
du fœtus mâle, l’hormone antimüllérienne. Celle-ci a pour fonction de
neutraliser les hormones femelles et ainsi d’empêcher le mâle de se
féminiser. Moins elle est présente et moins la masculinisation est
possible. Son rôle essentiel dans la différenciation sexuelle est détaillé
dans le chapitre 36, « Quand le fœtus confond les genres ».

173
La spermatogenèse s’effectue sous le contrôle des hormones :
 
En haut, spermatogenèse normale.
1 –  À l’âge fœtal, les cellules primaires germinales deviennent des
gonocytes ; ce sont les précurseurs des spermatozoïdes.
2 –  À la naissance, les gonocytes se transforment en
spermatogonies, qui vont perdurer pendant toute l’enfance.
3 –  À la puberté, sous l’influence de la testostérone, les
spermatogonies se différencient en spermatocytes qui deviendront
spermatides puis spermatozoïdes.
En bas, spermatogenèse altérée (« alt »).
1alt –  À l’âge fœtal, les cellules primaires germinales devenues des
gonocytes sont perturbées.
2alt –  À la naissance, dans les gonocytes devenus spermatogonies,
les altérations générées par les produits chimiques et les gènes sont
déjà en place.
3alt –  À la puberté, certains spermatocytes altérés se
transformeront en spermatides et spermatozoïdes mal formés ou se
multiplieront de façon anarchique pour évoluer en cancer du
testicule.

174
La testostérone du fœtus, particulièrement
sensible aux polluants

Les polluants toxiques altèrent les trois vagues de production de


testostérone du mâle humain : la première durant la vie fœtale, à partir de
la huitième semaine de conception, la deuxième juste après la naissance,
avec ce qu’on appelle la «  minipuberté  », et la troisième à la puberté.
Chaque vague correspond à une prolifération des cellules de Leydig. La
vague la plus décisive est bien sûr la première, car elle préside à la
différenciation des organes génitaux internes et à la masculinisation des
organes génitaux externes. La deuxième vague a un impact important sur
la masculinisation du cerveau, car elle survient au moment où celui-ci
connaît une croissance accélérée.
La troisième vague, la vague pubertaire, se produit chez l’adolescent
et va permettre de mettre en route la fabrication des spermatozoïdes à
partir des cellules germinales jusque-là non activées.
Enfin, la quantité de testostérone après le deuxième mois de
grossesse est un facteur majeur qui va conditionner l’apparition de
certaines malformations à la naissance, comme les testicules non
descendus, les pénis mal formés ou les micropénis.

175
Les « trois vagues » de production de testostérone chez l’homme :
 
1 – Première vague de testostérone : le fœtus la produit à partir de
8 semaines avec la mise en place des testicules.
2 –  Deuxième vague de testostérone  : après la naissance, le
nourrisson produit un pic d’hormone mâle que l’on appelle
« minipuberté ».
3 – Troisième vague de testostérone : à la puberté, l’enfant devient
adolescent et connaît sa troisième grande production de
testostérone, qui parachève l’appareil de reproduction sexuel.
Lors des première et deuxième vagues, l’organisme est
particulièrement vulnérable s’il est pollué par des toxiques chimiques.

1. E.  Carlsen, A.  Giwercman, N.  Keiding et N.  E.  Skakkebaek, «  Evidence for
o
Decreasing Quality of Semen During Past 50  Years  », BMJ, vol.  305, n   6854,
1992, p.  609-613, [en ligne] DOI 10.1136/bmj.305.6854.609  ;
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1883354
2. Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains)  :
organisme qui s’occupe de recevoir le sperme des donneurs volontaires. Ce sont
des unités spécialisées dans l’infertilité implantées dans des CHU (centres
hospitaliers universitaires).
3. J.  Auger, J.  M.  Kunstmann, F.  Czyglik et P.  Jouannet, «  Decline in Semen
Quality Among Fertile Men in Paris During the Past 20 Years », The New England
o
Journal of Medicine, vol. 332, n  5, 2 février 1995, p. 281-285, ISSN 0028-4793 ;
[en ligne] PMID 7816062 ; DOI 10.1056/NEJM199502023320501 ; [archive].

176
4. « Santé reproductive et perturbateurs endocriniens », Bulletin épidémiologique
o
hebdomadaire, 3 juillet 2018, n  22-23.
5. M. Rolland, J. Le Moal, V. Wagner, D. Royère et J. De Mouzon, « Decline in
Semen Concentration and Morphology in a Sample of 26,609  Men Close to
General Population Between 1989 and 2005 in France  », Human Reproduction,
o
vol. 28, n 2, 2012, p.  462-470, [en ligne] DOI 10.1093/humrep/des415  ; Joëlle
Le  Moal (InVS)  : «  C’est une mise en garde sérieuse  », [en ligne]
https://www.cnews.fr/france/2012-12-06/joelle-le-moal-invs-cest-une-mise-en-
garde-serieuse-270996
6. Le BEH est l’organe officiel de Santé publique France.
7. « State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals 2012: An Assessment
of the State of the Science of Endocrine Disruptors Prepared by a Group of Experts
for the United Nations Environment Programme (UNEP) and WHO  », [en ligne]
https://www.who.int/ceh/publications/endocrine/en
8. A.  Fetters, «  Sperm Counts Continue to Fall  », octobre  2012,  [en ligne]
https://www.theatlantic.com/family/archive/2018/10/sperm-counts-continue-to-
fall/572794
9. Paasch et al., 2008, European Science Foundation, 2010, «  Semen quality in
sub-fertile range for a significant proportion of young men from the general
German population: a co-ordinated, controlled study of 791 men from Hamburg
and Leipzig », International Journal of Andrology, vol. 31, p. 93-102.
10. Ibid.
11. N.  E.  Skakkebaek, «  Male Reproductive Disorders and Fertility Trends:
Influences of Environment and Genetic Susceptibility  », Physiological Reviews,
2016.
12. S. H. Swan et S. Colino, Count Down: How Our Modern World Is Threatening
Sperm Counts, Altering Male and Female Reproductive Development, and
Imperiling the Future of the Human Race, Scribner, 2021.
13. S. Gilman et T. de Lestrade, Mâles en péril, Arte, 2008.
14. A.  M.  Andersson, T.  K.  Jensen, A.  Juul, J.  H.  Petersen, T.  Jørgensen et
N.  E.  Skakkebaek, «  Secular Decline in Male Testosterone and Sex Hormone
Binding Globulin Serum Levels in Danish Population Surveys  », The Journal of
o
Clinical Endocrinology and Metabolism, vol. 92, n 12, décembre 2007, p. 4696-
4705, [en ligne] DOI 10.1210/jc.2006-2633 ; Epub 2007 Sep 25 ; PMID 17895324.
15. T. G. Travison, A. B. Araujo, V. Kupelian, A. B. O’Donnell et J. B. McKinlay,
«  The Relative Contributions of Aging, Health, and Lifestyle Factors to Serum
Testosterone Decline in Men  », The Journal of Clinical Endocrinology and
Metabolism, vol. 92, 2007, p. 549-555.
16. P. Trimpou, A. Lindahl, G. Lindstedt, G. Olerod, L. Wilhelmsen et K. Landin-
Wilhelmsen, «  Secular Trends in Sex Hormones and Fractures in Men and
o
Women », European Journal of Endocrinology, vol. 166, n 5, 2012, p.  887-895,
[en ligne] DOI 10.1530/eje-11-0808.

177
17. A.  M.  Andersson, N.  Jørgensen, L.  F.  Larsen, E.  Rajpert-De  Meyts et
N. E. Skakkebaek, « Impaired Leydig Cell Function In Infertile Men: A Study of
357  Idiopathic Infertile Men And 318  Proven Fertile Controls  », The Journal of
Clinical Endocrinology and Metabolism, vol. 89, 2004, p. 3161-3167.
18. Pierre Dutertre et Gérald Messadié, Le  Krach du sperme et autres menaces.
Comment l’industrie chimique nous rend stériles, L’Archipel, 2010.
19. Entretien avec l’auteure, 2005.
20. S.  Tas, R.  Lauwerys et D.  Lison, «  Occupational Hazards for the Male
o
Reproductive System  », Critical Reviews in Toxicology, vol. 26, n 3, mai  1996,
p.  261-307, [en ligne] DOI 10.3109/10408449609012525  ; PMID 8726164  ;
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8726164
21. F.  S.  vom Saal, P.  S.  Cooke, D.  L.  Buchanan, P.  Palanza, K.  A.  Thayer,
S. C. Nagel, S. Parmigiani et W. V. Welshons, « A Physiologically Based Approach
to the Study of Bisphenol  A and Other Estrogenic Chemicals on the Size of
Reproductive Organs, Daily Sperm Production, and Behavior  », Toxicology and
o
Industrial Health, vol. 14, n 1-2, janvier-avril  1998, p.  239-260, [en ligne] DOI
10.1177/074823379801400115 ; PMID 9460178.
22. Coll., « Reproduction et environnement. Synthèse », Paris, Inserm, « Expertise
collective », 2011, XXI-64 p., [en ligne] http://hdl.handle.net/10608/223
23. S. Srivasta, G. B. Singh, S. P. Srivasta et P. K. Seth, « Testicular Effects of Di-
N-Butyl Phthalate (DBP) in Adult Rats: Effect on Marker Enzymes of
Spermatogenesis », Indian Journal of Experimental Biology, vol. 28, 1990, p. 67-
70.
24. S. H. Swan et S. Colino, Count Down…, op. cit.
25. R.  Lambrot, V.  Muczynski, C.  Lécureuil, G.  Angenard, H.  Coffigny,
C. Pairault… et V. Rouiller-Fabre, « Phthalates Impair Germ Cell Development in
The Human Fetal Testis In  Vitro Without Change in Testosterone Production  »,
o
Environmental Health Perspectives, vol. 117, n 1, 2009, p. 32-37, [en ligne] DOI
10.1289/ehp.11146.
26. Entretien avec l’auteure, juin 2021.

178
19

Quand les testicules ne descendent plus


dans les bourses : la cryptorchidie

Les médecins ont vu, depuis les années 1970, se multiplier le nombre
de nourrissons dont les testicules ne sont pas descendus dans les bourses
à la naissance. Ce phénomène se nomme la «  cryptorchidie  », du grec
cryptos, qui veut dire « caché », et orchidion, qui signifie « testicule » 1.
La testostérone et une autre hormone appelée INSL3 (insuline-like)
contrôlent cette migration des testicules au cinquième mois de grossesse
et leur fixation dans le scrotum.

Cryptorchidie :
 
À gauche, des testicules normaux descendus dans le scrotum.
À droite, un testicule n’a pas fait sa migration.

179
Les cryptorchidies ont quadruplé
en quarante ans

La France et la Grande-Bretagne étant comparables sur l’état de santé


de leur population mais pas sur la transparence, on se réfère aux données
anglaises pour évaluer la situation française. On estime ainsi qu’entre les
années 1960, où le taux de cryptorchidies était de 1  % (données
anglaises) et les années 2006, où il était de 4 %, il y a donc eu, au bas
mot, une multiplication par quatre des cryptorchidies, qui sont désormais
considérées comme la malformation la plus courante à la naissance chez
les petits garçons. Ce taux peut passer à 20  % pour les naissances
prématurées 2. Si la descente ne se produit toujours pas dans les deux
premières années de vie, une intervention chirurgicale est nécessaire.
3
Un article de Santé publique France en juillet  2018 consacré à la
santé reproductive confirme «  une altération globale de la santé
reproductive masculine en France, cohérente avec la littérature
internationale  ». Mais il reste évasif sur l’incidence réelle des
cryptorchidies, se contentant de répertorier celles qui sont opérées.

180
Incidence de la cryptorchidie :
 
La cryptorchidie a quadruplé au Danemark en quarante ans.
En France aussi vraisemblablement, mais la courbe officielle manque.

Quelles sont les causes de la cryptorchidie  ? La littérature


scientifique internationale désigne comme coupables les toxiques
hormonaux chimiques (les « 6 P ») déjà responsables de l’altération des
spermatozoïdes et de la testostérone (voir le chap. précédent) 4.
Certains médicaments antidouleur (analgésiques) sont également mis
en cause, en particulier le célèbre médicament au paracétamol plus
connu sous le nom de « Doliprane ».

Le paracétamol, ennemi des testicules

181
De nombreuses études arrivent aux mêmes conclusions  : les petits
garçons dont les mères ont consommé des comprimés de paracétamol
pendant la grossesse souffrent d’une perturbation hormonale qui se
traduit par plusieurs dysfonctionnements dans leur système de
reproduction, et en particulier la non-descente des testicules dans les
5
bourses .
Pourtant, de nombreuses femmes enceintes prennent régulièrement
ou ponctuellement des antidouleurs. En France, elles sont 76 % 6, et aux
Pays-Bas 30 à 40 %. Une étude réalisée dans ce pays a montré un risque
de cryptorchidie multiplié par deux avec la consommation de
paracétamol et autres antidouleurs «  doux  ». Ses auteurs concluent que
24  % des cryptorchidies peuvent être attribuées à l’exposition aux
antidouleurs des fœtus mâles, surtout au moment de la différenciation
7
sexuelle .
L’équipe de Bernard Jégou à Rennes a démontré cette capacité de
perturbation aussi bien avec le paracétamol qu’avec l’aspirine ou
8
d’autres antidouleurs . Les effets délétères de ces substances n’ont rien
de surprenant si on compare leur structure chimique à celle d’autres
perturbateurs hormonaux  : le paracétamol est lui aussi un dérivé du
benzène. Tout part du benzène et tout y revient, pourrait-on soupirer. En
effet, la molécule de paracétamol est construite sur un cycle benzénique.
9
D’autres substances chimiques, comme le DDT et les phtalates, sont
aussi associées à une augmentation du risque de cryptorchidie. Les
phtalates inhibent l’hormone qui joue un rôle important dans la descente
des testicules, l’INSL3 (insuline-like).
Le risque est également accru avec une activité professionnelle de la
mère en contact avec des pesticides, comme l’agriculture ou
l’horticulture. Il augmente aussi lorsque la famille habite près d’une
usine de fabrication de plastiques ou près d’une raffinerie de pétrole.

182
Dérivés du benzène et risque de cryptorchidie :
 
Ces molécules dérivées du benzène sont associées à un risque accru de
cryptorchidie.

1. A. Jardin, M. Caplanne, H. Bensadoun, M. Moukarzel et G. Benoit, « Increased


Incidence of Undescended Testis in the French Young Male Population », Journal
of Urology, vol. 147, 1992, p. 386A.
2. C. Philippat, C. Chevrier, L. Giorgis-Allemand, S. Cordier, M. A. Charles et al.,
«  Use of Analgesics During Pregnancy and Undescended Testis in the Offspring
Within Eden Mother-Child Cohort », Inserm, « Reproduction et Environnement »,
« Expertise collective », 2010.
3. J.  Le  Moal, «  Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de
dysgénésie testiculaire en France, dans le contexte de l’exposition aux
perturbateurs endocriniens  : cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et
qualité du sperme  », [en ligne] http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2018/22-
23/index.html
4. Ibid.
5. D.  Møbjerg Kristensen, U.  Hass et al., «  Intrauterine Exposure to Mild
Analgesics Is a Risk Factor for Development of Male Reproductive Disorders in
Human and Rat », Human Reproduction, 8 novembre 2010.

183
6. D. V.  Lind, «  Maternal Use of Mild Analgesics During Pregnancy Associated
With Reduced Anogenital Distance in Sons: A Cohort Study of 1,027 Mother-Child
o
Pairs », Human Reproduction, vol. 32, n 1, janvier  2017, p.  223-231, [en ligne]
DOI 10.1093/humrep/dew285 ; Epub 2016 Nov 16 ; PMID 27852690.
7. C.  A.  Snijder et A.  Kortenkamp, «  Intrauterine Exposure to Mild Analgesics
During Pregnancy and the Occurrence of Cryptorchidism and Hypospadia in the
o
Offspring: The Generation  R Study  », Human Reproduction, vol.  27, n   4,
avril 2012, p. 1191-1201, [en ligne] DOI 10.1093/humrep/der474 ; Epub 2012 Feb
2 ; PMID 22301570.
8. S.  Mazaud-Guittot… et B.  Jégou, «  Paracetamol, Aspirin, and Indomethacin
Induce Endocrine Disturbances in the Human Fetal Testis Capable of Interfering
With Testicular Descent », The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism,
o
vol. 98, n 11, novembre  2013, p.  E1757-1767, [en ligne] DOI 10.1210/jc.2013-
2531 ; Epub 2013 Sep 12 ; PMID 24030937.
9. J.  K.  Gurney… et D.  Sarfati, «  Risk Factors for Cryptorchidism  », Nature
o
Reviews Urology, vol. 14, n 9, 2017, p.  534-548, [en ligne] DOI
10.1038/nrurol.2017.90.

184
20

Quand le pénis est mal formé


à la naissance : l’hypospadias

L’hypospadias, parfois appelé «  hypospade  », est une malformation


congénitale située sur le pénis du garçon. Le méat urinaire n’est pas
placé au bout de la verge mais sur sa face ventrale. Le mot vient du grec
hypo, qui signifie «  dessous  », et spadias, qui veut dire «  ouverture  ».
Cette affection du pénis est désormais considérée comme fréquente.
L’hypospadias est dû à une masculinisation insuffisante du fœtus
durant les deuxième et troisième mois de grossesse, période cruciale
pour la mise en place de l’appareil génital. Un défaut de production
d’hormones mâles entraîne une moins bonne différenciation sexuelle, le
méat urinaire se rapprochant de la vessie comme chez les petites filles.

185
L’hypospadias :
 
Le méat urinaire peut se présenter à différents points le long de la
face inférieure de la verge, au lieu de se trouver au bout du pénis.

Le facteur environnemental semble jouer un rôle prépondérant dans


l’augmentation de cette malformation depuis sept décennies. Selon une
1
étude américaine, le taux aurait doublé entre 1970 et 1997 .
2
L’augmentation aurait continué entre 2000 et 2010 .

186
Prévalence de l’hypospadias :
 
Le taux d’hypospadias n’a cessé d’augmenter depuis des décennies aux États-
3
Unis et dans les autres pays industrialisés .

En France, dès 1998, les Prs Sultan et Kalfa du CHU de Montpellier


alertent sur la multiplication des malformations génitales chez les
nouveau-nés. Ils se heurtent à un déni des autorités sanitaires.
L’équipe de Montpellier ne se décourage pas et prend l’initiative
d’apporter la preuve que l’exposition aux produits chimiques a des
conséquences sur la santé des enfants. Elle mène donc une étude
collaborative comparative sur 300  enfants atteints d’hypospadias mais
4
n’ayant aucun défaut génétique .
L’étude est publiée en 2015. Il en ressort que l’exposition aux
perturbateurs hormonaux est plus fréquente chez les enfants avec
hypospadias, surtout pendant la fenêtre de différenciation génitale
cruciale, vers le deuxième mois de grossesse. Les produits chimiques
les plus souvent identifiés sont dans l’ordre : les peintures, les solvants et

187
les adhésifs (parabènes) (16  %), les pesticides (9  %), les cosmétiques
(5,6 %) et les composants chimiques industriels (4 %).
Les femmes exposées à des produits chimiques pendant leur
grossesse sont en particulier les femmes de ménage, les coiffeuses, les
esthéticiennes et les laborantines. La présence dans l’environnement de
zones industrielles et d’usines d’incinération joue également un rôle. Les
pères ayant des contacts avec des produits chimiques dans le cadre de
leur profession sont également plus à risque d’avoir un garçon
hypospade. Les professions les plus touchées sont les agriculteurs, les
techniciens de laboratoire, les techniciens de surface, les mécaniciens et
les peintres. Leur exposition aux solvants, détergents et pesticides se
rajoute à celle de la mère.
L’action toxique de ces produits chimiques ne fait guère de doute, car
ces malformations sont reproductibles lors d’expérimentations animales.
La catastrophe du Distilbène a par ailleurs montré que les descendants
des «  mères Distilbène  » sont plus à risque d’hypospadias, même à la
troisième génération.
D’autres médicaments augmentent le risque d’hypospadias. C’est le
5
cas pour l’exposition in  utero à deux antiépileptiques  : le valproate de
sodium et la carbamazépine. Les cosmétiques sont également concernés.
Les filtres anti-UV contenus dans les crèmes solaires ont été mis en
relation avec l’apparition d’hypospadias 6.
Tous les produits chimiques ayant un effet estrogénomimétique,
c’est-à-dire imitant les estrogènes, comportent un risque de perturbation.
C’est notamment le cas des «  6  P  », 6 familles de polluants citées au
chapitre 2.

Santé publique France ne voit


pas le problème en 2018

188
Du côté des autorités sanitaires, il faudra attendre 2018 pour qu’enfin
le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) daigne faire le point
sur les différents troubles évoqués dans le syndrome de dysgénésie
7
testiculaire dont fait partie l’hypospadias . Il y est reconnu avec vingt
ans de retard que trois départements ont des incidences élevées
d’hypospadias opérés : l’Hérault (Montpellier), la Loire et le Var.
Toutefois, explique le BEH, « il n’y a pas de tendance temporelle à
l’augmentation ou à la diminution  ». Or, une expertise collective de
l’Inserm de 2011 sur la reproduction et l’environnement dit exactement
le contraire et souligne que « les données disponibles en France montrent
une nette augmentation de l’incidence de l’hypospadias depuis la fin des
8
années 1970 jusqu’au début des années 2000  ».
Il est dommage que Santé publique France ait justement choisi de ne
retenir que la période 2002-2014 avec une cible restreinte aux seuls
hypospadias opérés, et une courbe opportunément très plate autour de
1  cas sur 1  000  d’hypospadias en 2002 alors que l’Inserm était déjà à
12 cas sur 1 000 un an plus tôt – mystère des statistiques !

189
Augmentation des hypospadias en France :
 
À gauche, la courbe de l’Inserm : l’institut de recherche reprend les données
9
des registres des malformations et de l’Institut européen des génomutations .
Elle montre un quadruplement des hypospadias en vingt ans et un taux de
12 ‰ en 2001.
À droite, la version « idéale et tronquée » vue par Santé publique France, qui
laisse entendre que l’incidence des hypospadias est 12 fois moindre et reste
10
muette sur la forte augmentation depuis les années 1970 .

Pour les autres volets du syndrome, les autorités sanitaires


reconnaissent tout de même dans ce bulletin de 2018 «  une altération
globale de la santé reproductive masculine  ». Cependant, elles
choisissent d’ignorer une autre manifestation de cette altération  : les
micropénis.

1. L. J. Paulozzi, J. D. Erickson et R. J. Jackson, « Hypospadias Trends in Two US


o
Surveillance Systems  », Pediatrics, vol. 100, n 5, 1997, p.  831-834, [en ligne]
DOI 10.1542/peds.100.5.831.
2. X. Yu… et A. J. Agopian, « Hypospadias Prevalence and Trends in International
o
Birth Defect Surveillance Systems, 1980-2010 », European Urology, vol. 76, n  4,
octobre  2019, p.  482-490, [en ligne] DOI 10.1016/j.eururo.2019.06.027  ; Epub
2019 Jul 9 ; PMID 31300237 ; PMCID PMC7265200.

190
3. Ibid.
4. N. Kalfa, F. Paris, P. Philibert, M. Orsini, S. Broussous, N. Fauconnet-Servant,
F.  Audran, L.  Gaspari, H.  Lehors, M.  Haddad, J.  M.  Guys, R.  Reynaud,
P.  Alessandrini, T.  Merrot, K.  Wagner, J.  Y.  Kurzenne, F.  Bastiani, J.  Bréaud,
J. S. Valla, G. M. Lacombe, E. Dobremez, A. Zahhaf, J. P. Daures et C. Sultan, « Is
Hypospadias Associated With Prenatal Exposure to Endocrine Disruptors?
A French Collaborative Controlled Study of a Cohort of 300 Consecutive Children
o
Without Genetic Defect  », European Urology, vol.  68, n   6, décembre  2015,
p. 1023-1030, [en ligne] DOI 10.1016/j.eururo.2015.05.008 ; Epub 2015 May 23 ;
PMID 26007639.
5. A.  Saim Sid et A.  Haffaf, «  Malformations génitales chez les nouveau-nés  »,
université de Tlemcen, 2013-2014.
6. M.  H.  Hsieh, E.  C.  Grantham, B.  Liu et al., «  In Utero Exposure to
Benzophenone-2 Causes Hypospadias Through an Estrogen Receptor Dependent
Mechanism », Journal of Urology, vol. 178 (4 Pt 2), 2007, p. 1637-1642.
7. « Santé reproductive et perturbateurs endocriniens », art. cit.
8. Coll., « Reproduction et environnement. Synthèse », op. cit.
9. Ibid.
10. « Santé reproductive et perturbateurs endocriniens, BEH 22-23, – 3 juillet 2018
Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire en
France, dans le contexte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens  :
cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et qualité du sperme ».

191
21

Quand le pénis devient micro

Plusieurs études ont montré que les mâles qui ont de faibles
concentrations de spermatozoïdes, des taux de testostérone bas, des
cryptorchidies et des hypospadias ont également une taille de pénis plus
réduite 1 et des distances ano-génitales plus courtes.
La taille du pénis est-elle en train de diminuer  ? Il est difficile de
trouver une étude convaincante sur la question concernant les hommes
adultes, mais ce que l’on sait en revanche, c’est que les cas de
micropénis chez les nouveau-nés sont de plus en plus nombreux et qu’ils
sont le plus souvent associés à une exposition à des toxiques
environnementaux.

Les micropénis en hausse
Dès la naissance, on parle de «  micropénis  » si le pénis d’un petit
garçon est d’une longueur inférieure à 1,9 centimètre (après étirement et
mesuré depuis l’os du pubis jusqu’au bout du gland) et si cette petite
taille n’est associée à aucune malformation du pénis.
Le micropénis peut persister à l’âge adulte, l’homme présentant alors
un pénis d’une longueur inférieure à  7  centimètres à l’état flaccide (au
repos). Même si sa taille est petite, le micropénis fonctionne

192
normalement sur le plan sexuel. À l’âge adulte, la taille «  moyenne  »
d’un pénis est comprise entre 7,5 et 12 centimètres au repos et entre 12 et
17 centimètres au cours d’une érection.
La plupart des cas de micropénis semblent dus à un déficit hormonal
lié à la testostérone fœtale au cours de la grossesse. Dans d’autres cas, la
testostérone est convenablement produite mais les tissus composant la
verge ne réagissent pas à la présence de cette hormone. On parle alors
2
d’« insensibilité des tissus aux hormones  ».
La petite taille du pénis s’accompagne le plus souvent d’une autre
particularité morphologique : une distance réduite entre l’anus et le sexe.

À gauche, un pénis normal, et à droite, un micropénis dont la taille


est inférieure à 1,9 centimètre à la naissance.

La distance ano-génitale en baisse chez


les garçons

193
La distance ano-génitale (DAG) se mesure entre l’anus et la base
antérieure du scrotum chez le garçon et la jonction postérieure des
grandes lèvres chez la fille. Sa mesure permet d’évaluer le degré de
masculinisation du nouveau-né. Cette distance est plus grande chez les
garçons que chez les filles.
Pendant la vie fœtale, l’activité des testicules impose l’allongement
de la DAG. Cet outil a d’abord été utilisé sur les rongeurs pour étudier
leur exposition aux hormones ainsi que leur perturbation. Lorsque les
animaux mâles sont exposés à des perturbateurs hormonaux, la distance
ano-génitale se réduit et se rapproche de celle des femelles.
Cette féminisation, dès le stade fœtal, a par la suite été observée chez
les humains.
Quant aux substances chimiques impliquées, elles sont de plus en
plus documentées.

Distance ano-génitale (DAG) :


 
La distance ano-génitale ou DAG est plus réduite chez les filles que
chez les garçons.
Elle est réduite aussi chez les garçons dont les mères ont été
contaminées avec des perturbateurs hormonaux.

194
Les perturbateurs chimiques, ennemis
de la virilité

La pédiatre et endocrinologue montpelliéraine Laura Gaspari a mené


une étude dans le nord du Brésil sur 2 710 nouveau-nés mâles. Elle a pu
ainsi mettre en évidence que l’apparition des malformations comme
les  micropénis, les cryptorchidies, les hypospadias et les distances ano-
génitales réduites était associée à une utilisation accrue d’insecticides au
cours de la grossesse 3.
Le Pr  Habert, du CEA (le Commissariat à l’énergie atomique), a
montré de son côté que le critère de la distance ano-génitale a permis
récemment de démontrer un lien entre l’exposition au bisphénol A et une
4
réduction de la masculinisation . Cette mesure est également jugée
pertinente par le rapport de l’ONU sur les perturbateurs endocriniens 5.
Plus les niveaux urinaires de la mère en perturbateurs
hormonaux comme les phtalates sont élevés et plus la distance ano-
6
génitale chez le garçon est raccourcie . Une étude mexicaine a montré
que la contamination des mères par les phtalates était aussi corrélée à une
taille du pénis et une distance ano-génitale réduites chez les petits
garçons 7. À l’âge adulte, une fertilité faible et une moins bonne qualité
8
du sperme sont aussi associées à une distance ano-génitale courte .
D’autres perturbateurs endocriniens, comme les PCB
(polychlorobiphényles), entraînent une DAG réduite 9.
Des chercheurs danois ont montré que des mères qui avaient pris des
analgésiques doux durant leur grossesse avaient donné naissance à des
garçons ayant une distance ano-génitale significativement réduite de
10
11 % . Les plus coupables : le paracétamol en association avec d’autres
anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
Dans cette étude danoise, 40  % de femmes ont indiqué avoir
consommé des antidouleurs pendant la grossesse. C’est une proportion
très élevée, mais néanmoins inférieure aux pratiques des Françaises et
des Américaines, pour lesquelles les taux montent respectivement à 76 et
90  % 11. Les études qui montrent que les antidouleurs féminisent les

195
fœtus mâles devraient peut-être inciter les futures mères à ne consommer
aucun médicament pendant la grossesse sauf nécessité absolue.
D’autres études ont montré que ces symptômes étaient corrélés à un
risque plus élevé de cancer du testicule à l’âge adulte.

1. A. Thankamony, N. Lek, D. Carroll, M. Williams, D. B. Dunger, C. L. Acerini,


K.  K.  Ong et I. A.  Hughes, « Anogenital Distance and Penile Length in Infants
With Hypospadias or Cryptorchidism: Comparison With Normative Data  »,
Environmental Health Perspectives, vol. 122, 2014, p. 207-211.
2. T.  B. Aslan, F.  Gurbuz, F.  Temiz, B. Yuksel et A.  K.  Topaloglu, «  Etiological
Evaluation of Patients Presenting With Isolated Micropenis to an Academic Health
Care Center », Indian Journal of Pediatrics, 5 septembre 2013.
3. L. Gaspari, D. R. Sampaio, F. Paris et al., « High Prevalence of Micropenis in
2,710  Male Newborns From an Intensive-Use Pesticide Area of Northeastern
Brazil », International Journal of Andrology, vol. 35, 2012, p. 253-264.
4. R. Habert, G. Livéra et V. Rouiller-Fabre, La Reproduction animale et humaine,
coord. M. Saint-Dizier et S. Chastant-Maillard, Quae, 2014.
5. « State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals 2012… », art. cit.
6. S.  H.  Swan et Team SFFR, «  Decrease in Anogenital Distance Among Male
Infants With Prenatal Phthalate Exposure  », Environmental Health Perspectives,
o
vol. 113, n  8, 2005, p. 1056-1061.
7. L.  P.  Bustamante-Montes, M. A.  Hernández-Valero, D.  Flores-Pimentel et al.,
«  Prenatal Exposure to Phthalates Is Associated With Decreased Anogenital
Distance and Penile Size in Male Newborns », Journal of Developmental Origins
o
of Health and Disease, vol. 4, n  4, 2013, p. 300-306.
8. Eisenberg et al., 2011 ; Mendiola et al., 2011.
9. R. Sheinberg, « Associations Between Intrauterine Exposure to Polychlorinated
Biphenyls on Neonatal Ano-Genital Distance  », Reproductive Toxicology, 8  juin
2020, vol.  96, p.  67-75, [en ligne] DOI 10.1016/j.reprotox.2020.06.005  ; Epub
ahead of print ; PMID 32526315.
10. D. V. Lind, « Maternal Use of Mild Analgesics During Pregnancy Associated
With Reduced Anogenital Distance in Sons… », art. cit.
11. Ibid.

196
22

Quand le cancer du testicule triple


en quarante ans

Les Danois encore une fois ont été les premiers à remarquer qu’en
Europe et aux États-Unis le nombre des cancers du testicule a été
multiplié par trois depuis 1980 et par quatre depuis les années 1950.
Selon Niels Skakkebaek, cette progression va de pair avec la faible
qualité du sperme et l’atteinte des testicules par des anomalies comme
les cryptorchidies et les hypospadias. Il en fait donc le quatrième volet
du syndrome de dysgénésie testiculaire, mais ce cancer occupe selon lui
la première place en matière de gravité de la dégradation de la santé
reproductive masculine.
Le cancer du testicule ne représente que 1  à 2  % des cancers
masculins tous âges confondus, mais 30  % chez les hommes jeunes de
15 à 35 ans, alors qu’en général les cancers touchent plutôt les hommes
âgés. En revanche, ce cancer se soigne bien, et le taux de mortalité des
personnes atteintes par ce cancer est en baisse.

En France, les cancers du testicule ont triplé


en quarante ans

197
Dans le monde, les pays les plus touchés sont les pays développés,
1
avec un taux d’incidence de 7,8  pour 100  000  personnes-année . Les
pays en voie de développement sont moins atteints, avec même pas 1 cas
pour 100 000 personnes. La France se situe dans le peloton de tête des
2
cancers du testicule avec un taux qui a presque triplé en quarante ans .
Encore une fois, les données françaises manquent de clarté. Rien
n’est fait pour que les évolutions puissent être perçues sur une longue
3
période . Cette augmentation ne peut s’expliquer, selon Santé publique
France, ni par l’amélioration des procédures de diagnostic ni par le
vieillissement de la population.
Les jeunes générations sont nettement plus à risque  : les cohortes
nées en 1980 ont cinq fois plus de risques de développer un cancer du
testicule à l’âge de 35-40 ans que celles qui sont nées en 1940 4.

Évolution du taux de cancer du testicule en France :


 
En France, depuis 1980, le taux de cancer du testicule, tous âges confondus, a
56
quasiment triplé .

198
Risque du cancer du testicule pour un homme de 40 ans :
 
En 2020, à l’âge de 35-40 ans, les générations nées en 1980 ont un risque de
7
cancer du testicule cinq fois plus élevé que celles qui sont nées en 1940 .
(Incidence registres anciens : taux par cohortes de naissance)

Les taux les plus importants se trouvent dans le Nord-Est de la


France (8,3  pour 100  000) et les plus bas dans le Sud-Ouest (3,2  pour
8
100 000), où le taux a néanmoins doublé entre 1980 et 2000 .
Par quels facteurs de risque expliquer ces disparités régionales  ?
Comme un serpent qui se mord la queue, les autorités sanitaires
françaises en identifient deux principaux  : des antécédents de
cryptorchidie et des antécédents personnels ou familiaux de cancer du
testicule. Une petite place est tout de même réservée aux perturbateurs
hormonaux.

199
Les produits chimiques, premiers facteurs
de risque

Une synthèse de 2012 a dressé la liste des facteurs de risque du


cancer du testicule 9. On y apprend que les deux contextes professionnels
les plus exposés sont «  la lutte contre les incendies (substances
carcinogènes, telles que le benzène et les hydrocarbures polycycliques
aromatiques) et la maintenance aéronautique (hydrocarbures
cancérigènes tels que le méthylcholanthrène ou les éthers de glycol)  ».
On pourrait y ajouter sans crainte de beaucoup se tromper de nombreux
produits « retardateurs de flamme » bromés ou perfluorés utilisés contre
le feu.
Les autres facteurs de risque sont les pesticides organochlorés (DDE
et chlordanes), le polychlorure de vinyle, les radiations non ionisantes et
les métaux lourds. Tous facteurs confondus, c’est l’usage généralisé des
10
pesticides qui est pour les épidémiologistes le plus critique .
Si l’augmentation de l’incidence du cancer du testicule est patente
depuis ces cinq dernières décennies, il semble que le point de départ se
e
situe à la fin du XIX  siècle en Angleterre et au pays de Galles.

Le « cancer du ramoneur », premier cancer


professionnel
Les premiers cancers du testicule, baptisés « cancer du ramoneur »,
touchaient les jeunes qui descendaient dans les cheminées sans
protection. La suie est identifiée comme le facteur causal en 1922. Il n’y
a rien d’étonnant à cela  : elle contient du goudron de houille, composé
de… benzène (tout part du benzène et tout y revient !). Ce fut le premier
cancer professionnel (donc environnemental) reconnu comme tel.
Aujourd’hui, les chercheurs alertent sur la criticité de la période
prénatale pour l’action de ces produits chimiques.

200
Origine fœtale du cancer du testicule

Nous l’avons dit, l’embryon programme son cancer dans le ventre de


sa mère. Niels Skakkebaek a documenté depuis longtemps cette origine
fœtale du cancer du testicule 11 (voir le schéma de l’altération de la
spermatogenèse au chap. 18). Les hormonotoxiques comme le Distilbène
12
entraînent également un risque accru de cancer du testicule .

Quel impact pour la société ?

Par-delà l’impact humain de ce syndrome de dysgénésie testiculaire,


les autorités sanitaires ont étudié son impact économique. Leurs experts
ont examiné l’intérêt global qu’il y aurait à interdire un phtalate pour le
remplacer par un produit potentiellement aussi dangereux. Ils en ont
conclu qu’il n’existe pas, pour l’instant, de solution de rechange
13
efficace .
La situation reste donc en l’état, et le bilan risque bien de s’alourdir
et de se diversifier avec le temps, car les quatre volets de ce que l’on
pourrait appeler le «  syndrome antimâle  » de Skakkebaek ne sont pas
limitatifs. Faudrait-il y ajouter un cancer hormonodépendant comme le
cancer de la prostate ?

1. R. M. Sharpe et D. S. Irvine, « How Strong Is the Evidence of a Link Between


Environmental Chemicals and Adverse Effects on Human Reproductive Health? »,
BMJ, 328 (7437), 2004, p. 447-451, [en ligne] DOI 10.1136/bmj.328.7437.447.
2. A. Belot… et M. Velten, « Incidence et mortalité des cancers en France durant
la période 1980-2005 », Revue d’épidémiologie et de santé publique, 2008, vol. 56,
o
n  3, p. 159-175.
3. [En ligne] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-
traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/rapport-synthese/estimations-
nationales-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-metropolitaine-
entre-1990-et-2018-volume-1-tumeurs-solides-etud
4. Ibid.

201
5. Ibid.
6. N.  E.  Skakkebaek, E.  Rajpert-De  Meyts, G.  M.  Buck Louis, J.  Toppari,
A.  M.  Andersson, M.  L.  Eisenberg, T.  K.  Jensen, N.  Jørgensen, S.  H.  Swan,
K. J. Sapra, S. Ziebe, L. Priskorn et A. Juul, « Male Reproductive Disorders and
Fertility Trends: Influences of Environment and Genetic Susceptibility  »,
o
Physiological Reviews, vol. 96, n  1, janvier 2016, p. 55-97.
7. Compléments, [en ligne] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-
traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/rapport-synthese/estimations-
nationales-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-metropolitaine-
entre-1990-et-2018-volume-1-tumeurs-solides-etud
8. M. Walschaerts et al., « Doubling of Testicular Cancer Incidence Rate Over the
Last 20  Years in Southern France  », Cancer Causes and Control, vol.  19, 2008,
p.  155-161, [en ligne]
http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/102/expcol_2008_cancerenvir
_37ch.pdf?sequence=51&isAllowed=y
9. K.  A.  McGlynn et B.  Trabert, «  Adolescent and Adult Risk Factors for
o
Testicular Cancer », Nature Reviews Urology, vol. 9, n  6, 2012, p. 339-349.
10. Ibid.
11. N.  E.  Skakkebaek, E.  Rajpert-De  Meyts, G.  M.  Buck Louis, J.  Toppari,
A.  M.  Andersson, M.  L.  Eisenberg, T.  K.  Jensen, N.  Jørgensen, S.  H.  Swan,
K. J. Sapra, S. Ziebe, L. Priskorn et A. Juul, « Male Reproductive Disorders and
Fertility Trends: Influences of Environment and Genetic Susceptibility  »,
o
Physiological Reviews, vol.  96, n   1, janvier  2016, p.  55-97, [en ligne] DOI
10.1152/physrev.00017.2015 ; PMID 26582516 ; PMCID PMC4698396.
12. W.  C.  Strohsnitter, K.  L.  Noller, R.  N.  Hoover, S.  J.  Robboy, J.  R.  Palmer,
L. Titus-Ernstoff, R. H. Kaufman, E. Adam, A. L. Herbst et E. E. Hatch, « Cancer
Risk in Men Exposed in Utero to Diethylstilbestrol  », Journal of the National
o
Cancer Institute, vol.  93, n   7, 4  avril 2001, p.  545-551, [en ligne] DOI
10.1093/jnci/93.7.545 ; PMID 11287449.
13. C. Rousselle, M. Bellanger, K. Fiore, T. Bayeux et C. Chevrier, « Évaluation
de l’impact sur la santé reproductive masculine et des coûts associés de deux
phtalates : le DEHP et le DINP », BEH, 2018.

202
23

Quand le cancer de la prostate triple


en trente ans

Le cancer de la prostate fait partie des cancers dits


« hormonodépendants », ce qui signifie que les hormones y jouent le rôle
principal.
Les progrès du dépistage et le vieillissement de la population ne
suffisent pas à eux seuls à expliquer l’explosion des cas. Certains
toxicologues, comme André Cicolella, n’hésitent pas à parler
d’« épidémie cachée » 1.
L’ONU qualifie cette augmentation de «  dramatique  » dans son
2
rapport sur les perturbateurs endocriniens de 2012 . Les pays
occidentaux sont les plus touchés : les taux y sont cinq fois plus élevés
que dans les pays en voie de développement. La France se situe dans le
peloton de tête des pays les plus à risque. L’incidence, c’est-à-dire le
nombre de nouveaux cas détectés chaque année, y a été multipliée par
trois en trente ans.

203
Incidence du cancer de la prostate :
 
Entre 1980 et 2005, le taux est multiplié par cinq.
3
Entre 1980 et 2015, le taux est multiplié par plus de trois .

Chaque année en France, ce sont 40  000  nouveaux cas qui sont
diagnostiqués. Le cancer de la prostate est désormais le premier cancer
chez l’homme en nombre de cas, mais pas en mortalité, car celle du
cancer du poumon est plus élevée.

204
Prostate : cancer le plus fréquent :
 
Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme, avec
40 000 nouveaux cas chaque année en France. Il est le deuxième en termes
4
de mortalité, avec 10 000 décès par an .

Voilà ce qu’écrit Santé publique France dans son rapport sur les
cancers en 2000 : « Un homme né en 1953 a près de douze fois plus de
risques d’être atteint de ce cancer qu’un homme né en 1913 5.  » Cette
comparaison ne sera plus reprise dans les rapports suivants  ; serait-elle
trop « inquiétante » ?

205
Risque de cancer de la prostate par générations :
 
Un homme né en 1928 a un risque relatif de 1, alors que pour un homme né en
1953 ce risque est de 12.
Le risque de décès dû à ce cancer n’a, en revanche, diminué que de 20 %
entre les deux cohortes.

Sont-ils tous de « vrais » cancers ? La question reste débattue, car les


tests de PSA (Prostate-Specific Antigen) mesurent une protéine qui n’est
qu’un critère intermédiaire, un critère parmi d’autres. Les tests ne sont
pas toujours justifiés, et certains pays, comme le Royaume-Uni, ne les
recommandent pas systématiquement. En effet, détecter un signal qui
n’aurait peut-être jamais évolué en cancer donne lieu à des prises en

206
charge intrusives pas forcément utiles. Un diagnostic positif entraîne
souvent un surtraitement.
6
La tendance actuelle est au contraire à la décrue . Beaucoup
considèrent désormais que presque tous les hommes développeront tôt
ou tard des microcancers de la prostate qui n’auront jamais le temps
d’atteindre leur dernier stade. Certains vont même jusqu’à affirmer que
les hommes meurent plus souvent «  avec  » un cancer de la prostate
qu’« à cause » du cancer de la prostate.

Polluants chimiques et prostate

L’ONU estimait en 2012 que le mécanisme des cancers


hormonodépendants restait un mystère 7. C’est de moins en moins le cas,
et les médecins sont obligés de changer leurs logiciels. On croyait
jusqu’à présent que seul un excès d’hormones mâles était en cause. On
sait maintenant que les estrogènes (hormones femelles) sont aussi
8
impliqués .
Des facteurs chimiques de l’environnement sont clairement identifiés
parmi les causes favorisant le cancer de la prostate  : les pesticides
organochlorés, bromés ou phosphorés, les PCB, la dioxine, l’arsenic, le
cadmium ou le bisphénol A. Leur action délétère tient au fait qu’ils vont
imiter les hormones et actionner les récepteurs des cellules de la prostate,
déséquilibrant ainsi l’homéostasie hormonale. Ce n’est pas un hasard si
beaucoup de ces polluants imitent les hormones féminines. Certains
métiers sont donc particulièrement à risque, comme ceux d’agriculteurs
ou d’ouvrier des usines de pesticides. Les populations rurales sont
également plus touchées.
L’exemple le plus frappant de l’action de ces polluants est la flambée
des cancers de la prostate aux Antilles avec l’utilisation du chlordécone,
un insecticide employé pour lutter contre le charançon du bananier. Le
drame qu’il a occasionné mérite que l’on s’y arrête un peu.

207
Les Antilles, record du monde des cancers
de la prostate

Avec le chlordécone aux Antilles, on peut parler de «  désastre de


santé publique ».
La Martinique, et la Guadeloupe derrière elle, détient le record du
monde des cancers de la prostate avec une incidence de 227,2 cas pour
9
100  000  habitants , soit presque trois fois plus que le taux français
global, six fois plus que la moyenne mondiale des pays développés et
10
vingt fois plus que la moyenne mondiale des pays sous-développés .
L’explication tient au fait que ces deux îles ont massivement utilisé le
pesticide organochloré chlordécone pendant seize ans, entre les
années 1977 et 1993. Les autorités sanitaires françaises ont autorisé cet
usage alors que toutes les alertes étaient au rouge :
– Dès 1976, le pesticide avait été interdit aux États-Unis, à cause de
ses effets sur le système nerveux et la prostate.
–  En 1977, un rapport de l’Inra (Institut national de la recherche
11
agronomique) avait déjà décrit les problèmes de pollution des eaux et
des sols par les pesticides organochlorés.
– En 1979, le Circ (Centre international de recherche sur le cancer)
avait classé le chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme et
avéré sur les rats.
–  En 2007, le Pr  Belpomme, cancérologue, avait dénoncé, dans un
12
rapport, la situation sanitaire catastrophique aux Antilles   : «  Les
risques sanitaires sont donc, écrit-il, devenus énormes pour la population
antillaise et toute aggravation de la pollution par la poursuite de
l’utilisation des pesticides ne pourra que rendre cette population de plus
en plus malade. » Le lanceur d’alerte avait été conspué et méprisé par les
experts des agences officielles.
– En 2010, enfin, une étude officielle 13 effectuée par Luc Multigner,
épidémiologiste à l’Inserm, donne a posteriori raison au Pr Belpomme et
à son institut, l’Artac. Oui, le risque de cancer de la prostate augmente
avec la concentration de chlordécone retrouvée dans le sang, oui,

208
l’exposition à ces «  estrogènes environnementaux  » favorise bien les
cancers de la prostate, oui, la relation causale est là. Les concentrations
du chlordécone dans le sang dépassent jusqu’à 100  fois le seuil de
sécurité ; 90 % de la population est contaminée.
L’étude Multigner apporte une autre information importante sur le
mode d’action du polluant  : elle montre que le mécanisme cancérigène
passe par les récepteurs des hormones femelles, les estrogènes qui se
trouvent sur les cellules de la prostate.

Le cancer de la prostate sensible


aux hormones féminisantes
Le pesticide exerce un double effet  : d’une part, il suractive le
récepteur hormonal qui multiplie les cellules cancéreuses, et, d’autre
part, il bloque le récepteur qui, lui, est supposé avoir une action
antiproliférative et anticancéreuse.
Jusque-là, le cancer de la prostate était réputé être provoqué par un
excès d’hormones mâles comme la testostérone. C’est d’ailleurs pour
cela que le traitement hormonal du cancer de la prostate consiste à
bloquer les hormones mâles. Ce sont des antiandrogènes. Cette
découverte est lourde de conséquences, car elle interroge sur le principe
de l’hormonothérapie dans le cancer de la prostate, d’autant plus que
certains anticancéreux sont à base d’estrogènes justement.
En clair, un cancer causé par des perturbateurs endocriniens est
soigné par des perturbateurs endocriniens médicamenteux sans
qu’on connaisse toutes les facettes des mécanismes en jeu. Est-ce une
surprise si les médecins avouent parfois leur étonnement lorsque les
médicaments provoquent l’effet inverse de celui qu’ils escomptaient ?
Ainsi, la Société canadienne du cancer explique sur son site le
fonctionnement des traitements hormonaux et remarque en passant : « Si
le cancer de la prostate ne réagit plus aux antiandrogènes et qu’il

209
commence à se développer de nouveau, on cesse le traitement
antiandrogénique. Il arrive que le cancer de la prostate arrête de se
développer quand on cesse l’administration d’antiandrogènes, mais les
médecins ne sont pas certains de comprendre pourquoi cela se produit.
14
Cet effet est appelé “réaction de sevrage antiandrogénique” .  » En
résumé, le cancer continue tant que l’on prescrit un traitement
antihormones mâles et s’arrête quand on y met fin.
Le désastre antillais n’a pas encore révélé toute son ampleur  : le
devenir des enfants exposés in utero au pesticide féminisant n’a pas été
pris en compte. Pourtant cette exposition est fondamentale, car on sait
maintenant qu’elle peut favoriser le développement d’un cancer de la
prostate à l’âge adulte 15. Encore plus inquiétant  : il y aurait un effet
transgénérationnel. Des expériences sur les souris ont montré que lorsque
des souris gestantes ont été exposées à des faibles doses de chlordécone
16
par voie orale , cette exposition ponctuelle entraîne à la troisième
génération, chez les souris mâles, une diminution du nombre de
spermatozoïdes.
Ce scandale antillais est emblématique de l’incurie des autorités
sanitaires françaises dans la protection des populations contre toutes les
substances chimiques perturbatrices des hormones, que ce soient des
pesticides, des plastifiants ou des médicaments.
On sait par exemple que de nombreux médicaments ont des effets
féminisants sur la glande mammaire des hommes. On ne voit pas par
quel miracle ils décideraient de façon concertée de s’arrêter à la frontière
de la prostate.

RÉSUMÉ
Dès 1992, le chercheur danois Niels Skakkebaek montre que les
mâles humains comme les mâles de la faune sauvage se dévirilisent.
La concentration moyenne de spermatozoïdes a baissé de 70  %
depuis l’après-guerre.

210
Les taux de testostérone moyens ont également chuté au rythme de
1  % par an depuis les années 1980. Les malformations génitales
féminisantes augmentent  : cryptorchidie (non-descente des testicules),
hypospadias (mauvais placement du méat urinaire), micropénis et
réduction de la distance ano-génitale (DAG).
En quarante ans, entre 1980 et 2020, l’incidence du cancer du
testicule a été multipliée par trois.
Plus la mère est exposée à des toxiques environnementaux pendant la
grossesse, plus les hormones sont perturbées et plus ces risques
augmentent. On retrouve les principaux des « six poisons hormonaux »
déjà cités, les pesticides, les plastifiants dérivés du benzène (phtalates,
bisphénols), les polybromés et les médicaments (Distilbène, paracétamol,
valproate, aspirine).
Les périodes fœtale et néonatale sont les plus vulnérables pour le
garçon, car elles conditionnent la mise en place des organes génitaux, la
masculinisation du cerveau et programment les maladies de l’adulte.
Tous ces troubles ont été rassemblés au sein du «  syndrome de
dysgénésie testiculaire » (SDT).
L’incidence du cancer de la prostate a triplé en trente ans. Il est le
premier cancer chez l’homme, et c’est un cancer hormonodépendant.
L’exposition des adultes à des toxiques estrogéniques (féminisants) peut
aussi générer ce genre de cancer, comme l’a montré le scandale du
chlordécone aux Antilles. Martinique et Guadeloupe détiennent le record
du monde absolu, avec un taux de cancer de la prostate six fois plus
important que la moyenne des pays développés.
Les médicaments ayant un effet estrogénique peuvent aussi être
dangereux pour la prostate.

1. A.  Cicolella, Les Perturbateurs endocriniens en accusation. Cancer de la


prostate et reproduction masculine, Les Petits Matins, 2018.
2. « State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals 2012… », art. cit.
3. L. Remontet et al., « Évolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en
France de 1978 à 2000  », Santé publique France, 2003, [en ligne]

211
https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-
colon-rectum/documents/rapport-synthese/evolution-de-l-incidence-et-de-la-
mortalite-par-cancer-en-france-de-1978-a-2000
4. L. Chérié-Challine, « Évolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en
France de 1978 à 2000 », InVS.
5. P. Grosclaude, ibid., p. 125.
6. R.  Blum et M.  Scholz, Touche pas à ma prostate, Thierry Souccar Éditions,
janvier 2012.
7. « State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals 2012… », art. cit.
8. H.  Bonkhoff, «  Estrogen Receptor Signaling in Prostate Cancer: Implications
o
for Carcinogenesis and Tumor Progression », Prostate, vol. 78, n  1, janvier 2018,
p. 2-10, [en ligne] DOI 10.1002/pros.23446 ; Epub 2017 Nov 2 ; PMID 29094395.
o
9. « Chlordécone et cancer de la prostate aux Antilles », question orale n  0587S
de M.  Dominique Théophile (Guadeloupe, LaREM) publiée dans le JO Sénat du
10 janvier 2019, p. 81.
10. Source : http://globocan.iarc.fr/factsheets/cancers/prostate.asp
11. Le rapport Snégaroff.
12. «  Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les
pesticides en Martinique. Conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires
et proposition d’un plan de sauvegarde en cinq points », 23 juin 2007.
13. L. Multigner, J. Rodrigue Ndong, A. Giusti et al., « Chlordecone Exposure and
Risk of Prostate Cancer  », Journal of Clinical Oncology, 2010, [en ligne] DOI
10.1200/JCO.2009.27.2153.
14. «  Hormonothérapie du cancer de la prostate  », [en ligne]
https://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-
type/prostate/treatment/hormonal-therapy/?region=qc
15. G.  S.  Prins, L.  Birch, W.  Y.  Tang et S.  M.  Ho, «  Developmental Estrogen
Exposures Predispose to Prostate Carcinogenesis With Aging  », Reproductive
o
Toxicology, vol. 23, n 3, 2007, p. 374-382.
16. A.  Gely-Pernot, C.  Hao, L.  Legoff et  al., «  Gestational Exposure to
Chlordecone Promotes Transgenerational Changes in the Murine Reproductive
o
System of Males », Scientific Reports, n  10274, 2018.

212
24

Quand les médicaments font pousser


les seins des hommes

Quand un homme commence à se voir pousser des seins comme les


femmes, cela n’est pas fait pour le réjouir. Mais dans la plupart des cas,
ce désagrément pourrait être évité à condition de comprendre les
mécanismes à l’œuvre dans l’apparition du phénomène. Le symptôme
porte le nom de « gynécomastie », composé à partir des racines grecques
gyneco, qui veut dire « femme », et mastos, qui signifie « mamelle » –
 des « mâles à mamelles » en quelque sorte.

L’hormone prolactine à la manœuvre

Le mécanisme physiologique qui entraîne la poussée des seins mais


également l’arrivée de lait, c’est l’augmentation d’une hormone, la
prolactine, qui est l’hormone de l’allaitement. La prolactine est fabriquée
par l’hypophyse sur commande de l’hypothalamus puis est envoyée vers
les seins pour favoriser la croissance des glandes mammaires et stimuler
la synthèse du lait.
Elle participe aussi pour les femmes à l’arrêt des règles pendant la
grossesse et à la sensation de plaisir pendant et après l’orgasme. Si elle

213
est en excès chez l’homme, elle provoque également des troubles de
l’érection et l’impuissance.
Elle est relâchée de manière pulsatile toutes les quatre-vingt-quinze
minutes, ce qui fait environ quatorze pics par jour. Elle est contrôlée à la
fois par les neurohormones de l’hypothalamus, les hormones de
l’hypophyse, les hormones estrogéniques féminines et les
neurotransmetteurs comme la dopamine, qui agit comme inhibiteur. Tout
produit qui modifiera la dopamine aura des répercussions sur la
prolactine. La prolactine est le plus souvent mesurée lors d’un bilan
thyroïdien, car des perturbations du fonctionnement de la glande thyroïde
entraînent des modifications de la prolactine.
Physiologiquement, ce sont les hormones femelles, les estrogènes,
qui président au développement des glandes mammaires pour permettre
aux femmes d’allaiter lorsqu’elles deviennent mères. Chez un homme, le
ratio entre hormones mâles et hormones femelles empêche le
développement des seins. La rupture de l’équilibre en faveur des
hormones féminines entraîne la poussée des seins.
Chez le garçon, on constate bien deux petites poussées juste après la
naissance et à l’adolescence, mais elles sont transitoires. À l’âge mûr, la
diminution de la testostérone peut également produire le même effet, car
les estrogènes restant constants, le ratio est modifié.
En dehors de ces situations physiologiques, une gynécomastie doit
alerter, car seule une maladie peut dérégler le ratio hormonal. Là encore,
nos «  6  P  », les six poisons hormonaux présentés au chapitre  2, sont
souvent en cause. Les phtalates ont certes montré leur responsabilité
dans la gynécomastie d’adolescents imprégnés au plastifiant, mais cette
fois c’est le P de «  produits pharmaceutiques  » qui tient le haut de
l’affiche.
La liste des médicaments qui provoquent des gynécomasties est
publique. On peut la trouver sur des sites médicaux comme le site suisse
1 2
Revmed ou dans des publications scientifiques .

214
Les médicaments responsables de 25 %
des cas

Dans 25  % des cas, les médicaments sont la cause de ce


3
dérèglement , et dans 25 % la cause n’a pas été identifiée et peut venir
de perturbateurs endocriniens exogènes cachés dans les objets en
plastique du quotidien, les cosmétiques, les pesticides, ainsi que dans
l’eau de boisson et la nourriture.
De nombreux médicaments dont on ne se méfie pas ont des effets
4
estrogéniques . Ils favorisent l’interaction avec les récepteurs des
estrogènes qui se trouvent sur certaines cellules. Ce phénomène opère
dès le premier comprimé. Il faut le savoir même si le dérèglement
hormonal n’ira pas toujours jusqu’à la gynécomastie.
Quels sont les effets de ces médicaments sur la prostate et les
testicules  ? La question est d’autant plus justifiée que pour certains
d’entre eux un lien causal a été identifié. De plus, les molécules mises en
cause dans le cancer de la prostate, comme le chlordécone, sont parfois
très proches de molécules utilisées dans certains médicaments. En règle
générale, tout produit qui agit sur les glandes mammaires peut être
soupçonné d’avoir également des effets sur tout l’équilibre
hormonal, que ce soient les hormones sexuelles, comme la testostérone
et les estrogènes, ou les autres hormones, comme l’insuline (diabète) ou
l’hormone thyroïdienne.
Nous allons ici faire la liste des médicaments qui déclenchent des
poussées mammaires chez les hommes, mais il ne faut pas perdre de vue
qu’ils auront aussi un effet perturbant possible sur leur prostate et
pourront également affecter le système hormonal des femmes.
Les classes de médicaments concernées sont aussi parmi les plus
consommées. Ce sont les diurétiques (médicaments cardiovasculaires
prescrits contre l’hypertension artérielle), les antirétroviraux utilisés
contre le VIH, les psychotropes (neuroleptiques, antidépresseurs,
anxiolytiques,  etc.), les antiulcéreux utilisés contre les ulcères de

215
l’estomac et les reflux gastro-œsophagiens, les anticholestérols, aussi
appelés « statines », les anticalvities et les antigoutteux.

Médicaments et gynécomasties :
 
Les classes pharmacologiques les plus fréquemment retrouvées dans les cas
de gynécomasties d’après le nombre de signalements à la pharmacovigilance.

Les médicaments contre l’hypertension :


les diurétiques

La consommation d’antihypertenseurs (spironolactone puis


amiodarone, captopril, digitoxine, diltiazem, énalapril, méthyldopa,
nifédipine, réserpine, vérapamil 5) a presque doublé dans les pays de
l’OCDE entre 2000 et 2015. Les diurétiques sont prescrits contre
l’hypertension artérielle parce qu’ils réduisent le volume sanguin en

216
augmentant l’élimination de l’eau et du sodium par les reins. En
schématisant, moins de liquide dans les tuyaux égale moins de pression,
comme dans un tuyau d’arrosage.
Le problème, c’est qu’ils ont aussi un double effet antimâle sur le
système hormonal : d’une part ils réduisent la testostérone, et d’autre part
ils augmentent les estrogènes (hormones féminines).

Les autres médicaments cardiovasculaires


féminisants
—  Les digitaliques  : ces toniques cardiaques ont un effet
estrogénique (digoxine, deslanoside, digitoxine).
—  Les inhibiteurs calciques  : ils abaissent la tension grâce à leur
structure proche du… benzène (pyridine, vérapamil, amlodipine,
diltiazem, nifédipine).
—  Les IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion)  : l’enzyme de
conversion permet à l’hormone angiotensine de contracter les vaisseaux
sanguins. Si on la bloque, ils se dilatent et la tension baisse. Le
problème, c’est que ces IEC agissent aussi sur les glandes surrénales, qui
sont des glandes hormonales également impliquées dans l’équilibre
hormonal mâle-femelle. De plus, ils provoquent les mêmes symptômes
que la Covid  : toux sèche chronique, disparition du goût (captopril,
énalapril). Il n’est pas étonnant que les vaccins anti-Covid qui visent
aussi les récepteurs de l’enzyme de conversion puissent avoir des effets
sur le muscle cardiaque.

Les médicaments antiulcéreux (reflux gastro-


œsophagiens et ulcères de l’estomac)

217
Les traitements de longue durée par les antiacides inhibiteurs de la
pompe à protons (IPP) sont en forte augmentation. Ils sont la troisième
famille de substances la plus prescrite aux États-Unis. En France, 60 %
de la prescription totale des IPP est faite hors autorisation de mise sur le
marché (AMM) selon la Commission de la transparence de la HAS, la
Haute Autorité de santé (« Réévaluation des IPP », 2009).
Les antiacides provoquent aussi des déficits en magnésium, vitamine
B12 et zinc.
Sur les hormones, ils agissent en bloquant la synthèse de testostérone
et en modifiant celle de l’estrogène (cimétidine, oméprazole).

Les médicaments anticholestérol
6
Souvent prescrits à tort selon l’assurance maladie , les
anticholestérols ont vu leurs ventes quadrupler ces dernières années 7.
Les principaux médicaments destinés à faire baisser le cholestérol
sont les statines. Leur utilité est largement controversée. (Sur ce sujet
nous renvoyons aux ouvrages consacrés à la question, notamment ceux
8 9
de Michel de Lorgeril et Philippe Even .)
Les statines diminuent la concentration totale de testostérone en
inhibant sa synthèse par les testicules. En effet, le cholestérol est le
précurseur de la synthèse des hormones sexuelles stéroïdiennes ; or, les
statines inhibent la biosynthèse du cholestérol 10. Ces médicaments sont
aussi appelés « inhibiteurs de la HMG-CoA réductase » (l’enzyme clé de
la synthèse du cholestérol). Quelques types de statines  : atorvastatine,
simvastatine, rosuvastatine, fluvastatine…

218
Les médicaments psychotropes :
antidépresseurs, anxiolytiques,
antipsychotiques et apparentés

Ces médicaments n’existaient pas avant la Seconde Guerre mondiale.


Leur essor a été constant depuis les années 1950. La consommation
d’antidépresseurs a doublé dans les pays de l’OCDE entre 2000 et
2015 11. Elle a explosé avec les mesures de confinement prises contre la
Covid en 2020. Leurs effets secondaires sur l’équilibre hormonal sont
rarement soulignés, mais ils sont bien réels.
 
– Les antidépresseurs
 
Les ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) sont
parmi les plus consommés. En tant que classe, ils sont mis en cause dans
l’hypertrophie de la glande mammaire. Celle-ci disparaît lorsqu’on arrête
le traitement.
Les autres troubles sexuels des ISRS sont quant à eux beaucoup plus
12
connus   : baisse de la libido, impuissance, anorgasmie, troubles de
l’éjaculation,  etc. Les molécules les plus courantes sont la fluoxétine
(Prozac) la paroxétine (Deroxat, Divarius, Paxil), la sertraline (Zoloft), le
citalopram (Seropram, Celexa), l’oxalate d’escitalopram (Seroplex,
Cipralex), etc.
 
– Les anxiolytiques
 
Les benzodiazépines sont utilisées pour traiter l’anxiété et
l’insomnie. En tant que classe, elles ont des effets secondaires sur les
hormones, ce qui peut entraîner des gynécomasties et des troubles
sexuels chez les deux sexes, ainsi que des anomalies de la menstruation
et de l’ovulation chez la femme. Comme leur nom l’indique, les
benzodiazépines sont des dérivés du benzène. Leur structure chimique
proche des neurotransmetteurs perturbe le bon fonctionnement de

219
l’hypophyse, qui contrôle l’équilibre hormonal global avec
13
l’hypothalamus .
Parmi ces molécules : le lorazépam (Temesta), l’alprazolam (Xanax),
l’oxazépam (Séresta), le bromazépam (Lexomil), le diazépam (Valium),
le clorazépate (Tranxène), le clobazam (Urbanyl), le clonazépam
(Rivotril).
 
– Les antipsychotiques et neuroleptiques
 
Les antipsychotiques peuvent multiplier par dix voire plus le taux de
prolactine dans le sang.
Dans certains cas, le déséquilibre en prolactine peut aller jusqu’à
l’induction de tumeurs sur l’hypophyse 14. Le plus féminisant des
antipsychotiques est la rispéridone. Autres molécules  : l’amisulpride,
l’aripiprazole, la clozapine, l’olanzapine, la quétiapine, la ziprasidone et
la zotépine.
La famille des phénothiazines a également une action sur l’équilibre
hormonal. Ce sont des dérivés du… benzène (phényle = benzène). Ils ont
pour résultat possible une gynécomastie. Les molécules concernées sont :
la chlorpromazine (Largactil), la lévomépromazine (Nozinan), la
cyamépromazine, la propériciazine, la fluphénazine, la pipotiazine.
Ce qui donne une idée de leur toxicité, c’est que les molécules de
cette famille peuvent servir à la fois comme colorants, médicaments et
insecticides.
D’autres psychoactifs peuvent ne pas s’afficher comme tels, mais ils
auront les mêmes effets sur les hormones. Ce sont des antinauséeux ou
des antispasmodiques.
 
–  Les médicaments antitestostérone (anticalvitie, antihirsutisme,
antihypertrophie de la prostate)
 
Les hommes qui ont un problème de calvitie peuvent être tentés de
prendre du finastéride, qui n’est rien d’autre qu’un antitestostérone

220
puisqu’il empêche la transformation de la testostérone en une forme
encore plus active qu’est la dihydrotestostérone.
Ces hommes risquent de connaître une poussée mammaire, des
difficultés d’érection, une libido en berne et des atteintes psychiatriques.
L’Agence de sécurité du médicament indique également le risque accru
15
de cancer du sein, d’idées suicidaires et de dépressions .
Les hommes qui se voient prescrire cette molécule pour une
«  prostate gonflée  », l’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP),
risquent les mêmes désagréments. Le rapport bénéfice-risque doit être
sérieusement pesé. En effet, pour éviter un futur cancer de la prostate, on
prescrit un perturbateur endocrinien qui va favoriser un déséquilibre
entre hormones mâles et femelles en supprimant les hormones mâles ; or,
on sait depuis peu que les hormones mâles ne sont pas les seules en
cause dans les cancers de la prostate, mais que les estrogènes peuvent
avoir un effet favorisant pour ce même cancer (voir au chap.  23 le
passage sur le chlordécone). Il n’est pas inutile de se demander si le
remède ne risque pas d’être pire que le mal.
Le finastéride est classé par la revue Prescrire dans sa liste de
16
« médicaments autorisés plus dangereux qu’utiles  ».

Les médicaments antibiotiques
et antifongiques
On aurait tendance à ne plus se poser de questions à leur égard tant
on les prend « sans réfléchir », pourtant les antibiotiques ont aussi pour
beaucoup un effet délétère sur nos hormones. La preuve  : certains sont
connus pour augmenter la prolactine et donc la gynécomastie chez les
deux sexes (la minocycline, de la famille des tétracyclines, ainsi que les
antibiotiques contenant de la clarithromycine, de la télithromycine ou de
l’érythromycine).

221
Les antifongiques ne sont pas en reste. Utilisé contre les
champignons, le kétoconazole est une molécule qui bloque la synthèse
de la testostérone et altère le fonctionnement des glandes surrénales, qui
fabriquent aussi la testostérone et les neurotransmetteurs comme
l’adrénaline ainsi que les hormones comme le cortisol. Indépendamment
de son effet perturbateur endocrinien, ce médicament est un grand
toxique du foie, ce qui altère également le système endocrinien via
l’action du foie.
Le métronidazole agit de la même façon. Une gynécomastie peut
intervenir en deux semaines.

Les autres médicaments ou substances


ennemis de la testostérone
De nombreux autres médicaments ont un lien avec les
gynécomasties. La liste serait trop longue à dresser, mais on y trouve
notamment les anticancéreux (méthotrexate), les antidouleurs (aspirine,
17
codéine, dextropropoxyphène, naproxène, paracétamol ). Nous les
avons déjà croisés au sujet de la féminisation des fœtus mâles (voir les
chap. 21 et 22).
Au total, et avec ce seul prisme de la gynécomastie, on se demande
quel médicament n’entraîne pas de déséquilibre hormonal. Tous ceux
que nous venons de passer en revue peuvent donc être considérés comme
des «  perturbateurs endocriniens cachés  ». Faut-il s’en désoler ou au
contraire en prendre conscience pour mieux être acteur de sa santé et
éviter certains déboires ?

Quelles solutions contre la poussée des seins


chez les hommes ?

222
Lorsque le dysfonctionnement de la gynécomastie est installé, ce qui
est proposé est une chirurgie. Il est également bienvenu de réduire le
tissu adipeux, qui favorise la conversion des hormones mâles en
hormones femelles. Il est recommandé de soulager le foie pour qu’il
puisse se consacrer à la transformation correcte du cholestérol et des
hormones. Il s’agit aussi de rétablir un équilibre thyroïdien si celui-ci est
perturbé.
L’hormonothérapie est à prendre avec des pincettes. Elle consiste à
apporter des sources extérieures de testostérone, d’antiestrogène ou
d’inhibiteurs de l’aromatase. Or, si on apporte de la testostérone, elle est
transformée en estrogène, ce qui peut aggraver le problème.
Le plus sage reste encore de retirer de la consommation les
médicaments en cause, et tout rentre dans l’ordre si l’on n’a pas trop
attendu. Il faut bien sûr voir avec son médecin comment faire face à la
pathologie qui avait entraîné la prise du médicament féminisant et bien
peser les bénéfices et les risques, non pas dans une seule pathologie mais
dans toutes les autres. En effet, un cardiologue aura trop souvent
tendance à « se couvrir » en prescrivant des médicaments pour le cœur
en laissant à l’urologue le soin de régler un éventuel effet secondaire sur
la prostate. Ce dernier sera trop souvent enclin à prescrire une
hormonothérapie, laissant au cancérologue la mission de gérer la suite
des événements.

RÉSUMÉ
De nombreuses familles de médicaments peuvent entraîner une
poussée mammaire chez les hommes, comme les diurétiques, les
anticholestérols, les antiulcéreux, les psychotropes ou les antidouleurs.
Tout médicament qui déclenche une poussée mammaire chez les
hommes doit poser la question des effets sur la prostate. De même, ces
médicaments ont des conséquences sur l’équilibre hormonal des femmes.

223
Leurs effets sur la glande mammaire féminine n’ont pas été
suffisamment étudiés.

1. Revue médicale suisse, [en ligne] https://www.revmed.ch/RMS/2009/RMS-


198/Evaluation-et-prise-en-charge-d-une-gynecomastie
2. F. Deepinder et G. D. Braunstein, « Drug-Induced Gynecomastia: An Evidence-
o
Based Review », Expert Opinion on Drug Safety, vol. 11, n  5, 2012, p. 779-795.
3. Revue médicale suisse, art. cit.
4. F. Deepinder et G. D. Braunstein, « Drug-Induced Gynecomastia… », art. cit.
5. L. A. Tanner et L. A. Bosco, « Gynecomastia Associated With Calcium Channel
o
Blocker Therapy  », Archives of Internal Medicine, vol.  148, n   2, février  1988,
p. 379-380, [en ligne] PMID 3341839.
6. «  Pratiques d’instauration des traitements médicamenteux hypolipémiants en
France en 2002  », 2003, [en ligne]
https://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/traitements_medicamenteu
x_hypolipemiants.pdf
7. « Panorama de la santé », OCDE, 2017.
8. M.  de Lorgeril, Cholestérol. Mensonges et propagande, Thierry Souccar
Éditions, 2013.
9. P. Even, La Vérité sur le cholestérol, cherche midi, 2018.
10. B. Llopis, Les Gynécomasties médicamenteuses…, op. cit.
11. « Panorama de la santé », OCDE, 2017.
12. J.-M. Aubry, P. Berney et al., « Guide pour l’emploi des psychotropes d’usage
courant  », site des Hôpitaux universitaires de Genève, consulté le 26  septembre
2020, p. 43-46.
13. L. Grandison, « Actions of Benzodiazepines on the Neuroendocrine System »,
o
Neuropharmacology, vol. 22, n  12, 1983.
14. I. Marrag et K. Hajji, « Adénome à prolactine induit par les antipsychotiques
[Prolactin Adenoma Induced by Antipsychotic Medications]  », The Pan African
Medical Journal, vol. 22, 10 décembre 2015, p. 341.
15. [En ligne] https://ansm.sante.fr/informations-de-securite/finasteride-propecia-
chibroproscar-generiques-rappel-sur-les-risques-de-troubles-de-la-fonction-
sexuelleet-de-troubles-psychiatriques
16. « Médicaments à écarter pour mieux soigner – Bilan 2021 », Prescrire.org
17. S. Goeury, Les Gynécomasties médicamenteuses, thèse pour le diplôme d’État
de docteur en pharmacie, 2003.

224
QUAND LES FEMMES SONT
EN PÉRIL

225
Pour les femmes, le syndrome de dysgénésie ovarienne pourrait être
l’équivalent du syndrome de dysgénésie testiculaire des hommes,
mais il n’est pas aussi « établi » que sa version masculine. Pourtant,
plusieurs dérèglements ont été observés ces dernières décennies.
Ils constituent autant de volets qui pourraient composer un
syndrome féminin si on les rassemblait. Ce sont : la puberté précoce,
les règles irrégulières et très douloureuses, les ovaires polykystiques,
l’excès de testostérone et l’hirsutisme, l’endométriose et les cancers
(ovaires, utérus, seins).
Lorsqu’on les examine un à un, ils peuvent tous être reliés à des
perturbateurs chimiques environnementaux et associés à une origine
1
fœtale possible .

226
25

Quand les femmes se dérèglent :


les pubertés précoces

En un siècle, un abaissement important de l’âge des premières règles


a été observée dans la plupart des pays occidentaux. Il était de 15  ans
vers 1850 et de 13 ans en

Âge des premières règles en France :


 
1
L’âge des premières règles montre une tendance séculaire à la baisse .
L’évolution semble moins marquée depuis 1960, mais on ne trouve pas de
données depuis 2000 sur le site de l’Ined.

227
2
1950 . En France, il est en moyenne à 12,6 ans. Ce développement plus
précoce est attribué en grande partie à l’amélioration de l’alimentation.
Cependant, un deuxième phénomène plus récent de «  puberté très
précoce  » semble se surajouter à la baisse séculaire. Il se produit chez
une minorité de filles.
Une puberté très précoce est de nature à favoriser le cancer du sein,
de l’ovaire ou l’hypertension artérielle. En revanche, lorsqu’elle est
tardive (13-15 ans), elle diminue le risque de l’obésité et du diabète mais
affaiblirait la fertilité.
Les facteurs favorisant la baisse de l’âge de la puberté sont
l’alimentation, le stress, les gènes et les produits chimiques perturbateurs
endocriniens.

228
Facteurs de la puberté :
 
1 – Les facteurs génétiques déterminent l’âge de la puberté.
2 –  Les facteurs environnementaux (nutrition, perturbateurs
chimiques, stress) modifient l’âge de la puberté.
Ces facteurs communs peuvent expliquer les différents troubles du
syndrome de dysgénésie ovarienne.

La puberté est hormonodépendante

La puberté est, après la mise en place des organes et des cellules


pendant la période fœtale, le deuxième événement hormonal le plus
important dans la vie de l’individu.
C’est à ce moment que va s’activer pleinement l’axe hypothalamus-
hypophyse-gonades ainsi que l’axe hypothalamus-hypophyse-glandes
surrénales. Les deux axes vont jouer un rôle conjoint dans la mise en
place de la puberté, qui va aboutir au développement complet des

229
caractères sexuels, à l’acquisition de la taille définitive, de la fonction de
reproduction et de la fertilité.
Ce mécanisme délicat peut se dérégler si l’équilibre hormonal est
rompu par des produits chimiques.
De même, si un événement chimique a perturbé la mise en place des
organes sexuels pendant la vie fœtale, il peut y avoir puberté précoce et
des conséquences à retardement pendant la vie adulte. C’est ce qu’a
montré la catastrophe du Distilbène (voir le chap. 15). Cet effet peut se
répercuter de génération en génération.
En France, le phénomène des pubertés très précoces s’est accentué
dans les deux dernières décennies. Des médecins comme le Pr Sultan, du
service d’endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier, ont lancé
l’alerte dès les années 2000 lorsqu’ils ont vu leur nombre doubler en
quelques années et leur gravité s’accentuer, avec des règles apparaissant
même chez des bébés de 6 mois.

230
Activation de l’axe hypothalamus-hypophyse-gonades à la puberté :
 
1 – L’hypothalamus envoie une neurohormone (GnRH) à l’hypophyse.
2 –  L’hypophyse envoie deux hormones aux gonades
(gonadotrophines).
3 – Les gonades (ovaires pour les femmes) produisent les hormones
sexuelles estrogènes et progestérone et fabriquent les cellules ovocytes
(œufs).
L’hypothalamus surveille le taux d’hormones dans le sang et
maintient le bon dosage en activant ou pas l’hypophyse. C’est un
rétrocontrôle en boucle.

Les autorités sanitaires sont restées encore une fois dans le déni avant
de reconnaître, en 2018, que le phénomène est effectivement douze fois
3
plus marqué dans certains départements . Deux zones sont

231
particulièrement touchées : Midi-Pyrénées et Rhône-Alpes. Ce sont aussi
des régions très agricoles, avec un recours massif aux pesticides et aux
nitrates. En outre, la région Rhône-Alpes cumule deux titres  : ceux de
« verger de la France » et de « couloir de la chimie ». La Camargue a par
ailleurs été copieusement arrosée d’insecticides antimoustiques.
En moyenne, 1 200 nouveaux cas par an sont identifiés chez les filles
et 120  chez les garçons. Les pubertés précoces sont donc dix fois plus
fréquentes chez les filles que chez les garçons.
Avec vingt ans de retard, Santé publique France finit par reconnaître
l’évidence  : «  Le rôle d’une exposition environnementale à des
substances potentiellement perturbatrices endocriniennes et pouvant être
d’origine anthropique est à prendre en considération, sans exclure des
4
facteurs environnementaux non encore identifiés . »
Charles Sultan n’a quant à lui aucun doute sur l’implication des
polluants chimiques dans la puberté précoce chez les filles, car il a
observé son apparition en même temps que les malformations génitales
chez les petits garçons.
Plusieurs exemples reliant pubertés très précoces et toxiques
chimiques sont cités dans la littérature scientifique. En voici quelques-
uns :
–  En 2001, en Belgique, une étude a montré que le pesticide DDT
était présent en plus grande quantité chez les petites filles adoptées en
comparaison avec un groupe contrôle. En effet, le DDT n’a pas été
interdit dans certains pays en développement contrairement aux pays
industrialisés.
Leur risque de puberté précoce était 80  fois supérieur à celui des
enfants nés en Belgique 5. Le rapport de l’ONU sur les perturbateurs
endocriniens rappelle que les effets néfastes du DDT sur l’hypothalamus
ont été démontrés de façon expérimentale en laboratoire. Il n’est donc
6
pas surprenant qu’on retrouve sa trace dans les pubertés précoces .
–  Certains produits, comme les bisphénols, bromés ou pas, les
phtalates ou le mercure 7, ont été mis en cause dans des épidémies de
pubertés précoces.

232
–  Des expériences chez le rat exposé in  utero ont montré que le
8
bisphénol A avance la puberté .
– D’autres études encore établissent un lien entre les phtalates et une
production accrue de kisspeptine, une protéine qui elle-même joue un
rôle dans le déclenchement de la puberté en interagissant avec
l’hypothalamus 9.
–  En 1985, une importante étude réalisée à Porto Rico après une
épidémie de pubertés très précoces a montré qu’elle était due aux
hormones de synthèse qui avaient été données aux poulets et aux bœufs
10
d’élevage . Ces hormones n’étaient autres que le fameux Distilbène et
un apparenté, le Zeranol. Les fillettes portoricaines connaissaient parfois
des pubertés dès l’âge de 1 an, et leurs ovaires devenaient polykystiques
comme ceux des femelles alligators et des poissons contaminés aux
hormonotoxiques.
La moitié des fillettes portoricaines a dû, par la suite, subir des
opérations chirurgicales pour retirer les kystes qui s’étaient développés
sur leurs ovaires. C’est en effet le symptôme le plus courant que l’on
retrouve dans le dysfonctionnement de la sphère ovarienne chez de
nombreuses jeunes filles qui n’ont pas toujours conscience de l’origine
environnementale de leurs troubles (voir les prochains chapitres).
Cette lourde contamination pose bien sûr la question de la viande aux
hormones autorisée aux États-Unis et au Canada et qu’il est très difficile
de repérer lors des importations en Europe dans le cadre du nouveau
traité de libre-échange avec le Canada (Ceta).

1. D’après A.  Ducros et P.  Pasquet, «  Évolution de l’âge d’apparition des


premières règles (ménarche) en France », Biométrie humaine, vol. 13, 1978, p. 35-
43.
2. «  L’âge aux premières règles  », [en ligne] www.ined.fr/fr/tout-savoir-
population/memos-demo/focus/l-age-aux-premieres-regles
3. A. Rigou, J. Le Moal, A. Le Tertre, P. De Crouy-Chanel, J. Léger et J.-C. Carel,
«  L’incidence de la puberté précoce centrale idiopathique en France révèle une
o
hétérogénéité géographique importante », BEH, n  22-23, 2018.
4. Ibid.

233
5. A.-S.  Parent et al., «  The Timing of Normal Puberty and the Age Limits of
Sexual Precocity: Variations around the World, Secular Trends, and Changes after
o
Migrations », Endocrine Reviews, vol. 24, n 5, 2003.
6. G. Rasier et al., « Female Sexual Maturation and Reproduction after Prepubertal
Exposure to Estrogens and Endocrine Disrupting Chemicals: a Review of Rodent
and Human Data », Molecular and Cellular Endocrinology, vol. 254-255, 2006.
7. «  Prenatal exposure was assessed by maternal mercury concentration in red
blood cells (RBCs) collected at 1–3  days after delivery  »  : G.  Wang et al.,
«  Prenatal Exposure to Mercury and Precocious Puberty: A  Prospective Birth
Cohort Study  », Human Reproduction. L’exposition prénatale au mercure était
associée à un risque accru de puberté précoce.
8. Howdeshell et al., 1999  ; Howdeshell et vom Saal, 2000, «  Developmental
Exposure to Bisphenol A: Interaction with Endogenous Estradiol during Pregnancy
o
in Mice », American Zoologist, vol. 40, n  3, 2000, p. 429-437.
9. C.-Y.  Chen, Y.-Y.  Chou, Y.-M.  Wu, C.-C.  Lin, S.-J.  Lin et C.-C.  Lee,
«  Phthalates May Promote Female Puberty by Increasing Kisspeptin Activity  »,
o
Human Reproduction, vol. 28, n  10, octobre 2013, p. 2765-2773, [en ligne] DOI
10.1093/humrep/det325.
10. C.  A.  Sáenz de Rodriguez, A.  M.  Bongiovanni et L.  C.  de Borrego, «  An
Epidemic of Precocious Development in Puerto Rican Children », The Journal of
o
Pediatrics, vol.  107, n   3, 1986, p.  393-396, [en ligne] DOI 10.1016/s0022-
3476(85)80513-8.

234
26

Quand les règles ne sont plus


au rendez-vous

«  Je suis réglée comme du papier à musique  », cette expression est


celle que l’on devrait entendre de la bouche de chaque femme en âge de
procréer. Cependant, elle devient plus rare au XXIe  siècle. Peut-être
l’expression est-elle démodée, mais elle est surtout moins vraie, car la
tendance est plutôt au dérèglement des cycles menstruels chez les jeunes
générations.
Ici, les statistiques manquent pour établir la solidité du phénomène,
mais les témoignages des intéressées elles-mêmes et des gynécologues
tendent à soutenir la constatation.
« Rendez-vous, rendez-vous sûrement aux prochaines règles », dit la
chanson de Stromae, mais ce rendez-vous est de plus en plus irrégulier.
C’est même le premier signe qui alerte sur un possible
dysfonctionnement du système reproducteur. Certaines études montrent
qu’après les premières règles les cycles des femmes mettent plus
1
longtemps qu’avant guerre à se régulariser .
Avec les organes génitaux, le cycle menstruel constitue la différence
fondamentale entre l’homme et la femme en âge de procréer. Sa fonction
est de préparer une éventuelle fécondation d’un œuf par un
spermatozoïde dans le cadre de la perpétuation de l’espèce. Sa régularité
est un impératif contrôlé par les hormones sexuelles.

235
Un environnement chimique qui altère ce mécanisme en imitant les
hormones féminines compromet la survie de l’espèce. Or, la production
mondiale de ces molécules perturbatrices a explosé depuis un siècle.
L’action de nombreux perturbateurs endocriniens peut se produire à
chacun des niveaux de production des hormones mais aussi à chacune
des étapes de la vie. Leur effet a été démontré sur les niveaux aussi bien
central (hypothalamus-hypophyse) que périphérique (gonades).
Rappelons brièvement les bases du mécanisme hormonal reproductif
chez la femme.

Un cycle bien réglé


Dans un cycle normal, l’ovaire prépare, tous les vingt-huit jours,
environ six ovocytes destinés à l’ovulation. Seul l’ovocyte dominant,
celui qui est le plus performant, sera sélectionné, maturé et expulsé au
quatorzième jour du cycle. Les autres candidats sont éliminés par le
métabolisme interne. L’ovocyte devient ovule dans la trompe de Fallope,
et s’il n’est pas fécondé il sera expulsé en même temps que le sang
menstruel au premier jour des règles.
Chaque ovocyte est contenu dans une enveloppe, le follicule. Sur les
300 000 follicules présents dans l’ovaire au moment de la puberté, seuls
400  au maximum auront une évolution complète au cours de la vie
reproductive de la femme. Les ovocytes seront sélectionnés au sein de la
réserve ovarienne, une sorte de stock d’ovules dont chaque femme
dispose à sa naissance.
Les troubles du cycle peuvent être multiples  : absence d’ovulation,
absence de règles (aménorrhée), longueur des cycles de plus de trente-
cinq jours ou moins de huit menstruations par an (oligoménorrhée),
règles trop abondantes, avec des saignements excessifs (polyménorrhée).
Tous ces troubles de l’ovulation peuvent avoir des répercussions sur la
fertilité.

236
Lorsque les règles sont anormalement douloureuses, ce qui n’est pas
toujours facile à évaluer de l’extérieur, c’est la dysménorrhée. Il semble
que ces règles extrêmement douloureuses soient devenues plus
fréquentes ces dernières décennies, indépendamment même de
l’endométriose, que nous aborderons au chapitre 30.

Les hormones aux commandes
L’effet des hormones sur le cycle est déterminant. Encore une fois,
tout part de l’hypothalamus. Pendant les quatorze premiers jours du
cycle, il envoie à l’hypophyse une hormone (la GnRH, Gonadotropin-
Releasing Hormone) lui demandant d’envoyer à son tour deux hormones
en direction de l’ovaire. L’une va favoriser, pendant les quatorze
premiers jours, la croissance du follicule qui entoure l’ovocyte ; c’est la
FSH (Follicle-Stimulating Hormone). L’autre va favoriser durant les
quatorze jours suivants la production de progestérone par le follicule
devenu corps jaune après l’ovulation ; c’est la LH (Luteinizing Hormone,
luteus signifiant « jaune » en latin).

237
Cycle hormonal féminin :
De J1 à J14 (quatorze premiers jours du cycle), les hormones (L 
H et FSH) descendent du cerveau (hypothalamus et hypophyse) vers
les ovaires, qui se mettent à produire les estrogènes.
À J14, le pic d’hormones (LH et FSH) provoque l’ovulation.

238
À J14, le pic d’hormones (LH et FSH) provoque l’ovulation.
De J14 à J28, l’hormone progestérone prépare la nidation
éventuelle de l’ovule fécondé.
À J28, l’absence de fécondation provoque les règles.
Par rétrocontrôle, le cerveau entretient le dialogue avec les gonades.

Au milieu de ces deux phases de quatorze jours, c’est un pic de


production des deux hormones hypophysaires FSH et LH qui va
provoquer l’ovulation.

239
C’est sous l’influence des hormones qui leur viennent du cerveau que
les ovaires vont produire des hormones estrogènes durant tout le cycle et
de la progestérone sur la seconde moitié seulement.
Par rétrocontrôle toujours, l’hypothalamus jaugera s’il est nécessaire
d’augmenter ou non la production des neurohormones, les GnRH, en
direction de l’hypophyse.
La GnRH (gonadolibérine) est sécrétée de façon pulsatile, avec un
pic toutes les quatre-vingt-dix minutes. Les impulsions de GnRH
stimulent les cellules cibles de l’hypophyse, qui elles-mêmes
déclenchent les impulsions de FSH et LH.
Cette intermittence dans la sécrétion est fondamentale, car elle
permet aux récepteurs de ces hormones de leur rester sensibles  : ils
peuvent entre chaque vague « reprendre leur souffle », en quelque sorte.
Si la stimulation est constante, le récepteur perd sa sensibilité. C’est ce
qui se passe lorsque des molécules chimiques qui imitent la GnRH
circulent en trop grande quantité dans le sang. L’administration continue
de GnRH peut provoquer cette désensibilisation des récepteurs entraînant
une véritable castration chimique. C’est le cas notamment avec le
traitement du cancer de la prostate chez l’homme.
Si un perturbateur endocrinien vient, au niveau du cerveau,
interférer avec l’équilibre hormonal naturel, c’est toute la cascade en
aval qui s’en trouve bouleversée, aussi bien pour l’homme que pour
la femme.
Certains perturbateurs chimiques peuvent bloquer la GnRH au niveau
de l’hypothalamus, d’autres vont aussi bloquer la LH et la FSH au
niveau de l’hypophyse. D’autres encore vont descendre d’un étage pour
aller détraquer les estrogènes et la progestérone au niveau des ovaires.
Dans les ovaires, un mauvais dosage de la LH va également entraîner
un déséquilibre d’une autre hormone très importante pour la régularité
des cycles et de l’ovulation : l’hormone antimüllérienne (AMH). Il a été
2
récemment montré à Paris que cette hormone était surexprimée chez les
femmes aux ovulations et aux règles irrégulières.

240
En effet, les taux d’AMH dans le sang des femmes avec des cycles
irréguliers et d’autres troubles sont trois à quatre fois plus élevés que
chez les femmes présentant des cycles, des ovulations et des ovaires
3
normaux (8 ng/ml contre 2 ng/ml) . Plus le taux est haut, plus la maladie
est sévère 4 et moins l’ovulation se fait correctement, ce qui a par la suite
des répercussions sur la fertilité.
Que ce dérèglement du niveau de l’AMH ait un effet néfaste sur le
cycle féminin n’est guère surprenant, car elle joue un rôle fondamental
dans la différenciation sexuelle du fœtus. Il s’agit de l’hormone
« antifemelle » qu’utilise le fœtus mâle pour faire disparaître les canaux
de Müller, précurseurs des organes reproducteurs féminins (voir le
chap. 36).
Parmi les substances dont la responsabilité a été prouvée dans le
dérèglement du cycle, on retrouve nos «  6  P  », six poisons hormonaux
comme les pesticides, les plastifiants (phtalates et bisphénols), les
produits pharmaceutiques, etc.
Certains médicaments vont agir comme les polluants chimiques. Leur
effet peut être non voulu ou au contraire recherché. Dans le cas de la
pilule contraceptive, la perturbation du cycle est recherchée. L’action
bloquante s’opère au niveau de l’hypothalamus sur la GnRH (voir le
  chap. 25). Pourtant, lorsque la pilule a été mise au point, en 1956, ses
inventeurs ne connaissaient pas l’existence de la GnRH  : celle-ci a été
découverte en 1977. Ils bloquaient donc son action sans même le savoir.
Ils pensaient n’agir que sur l’hypophyse…
La réponse la plus courante que le monde médical va apporter à un
dérèglement des cycles menstruels sera de fournir artificiellement à
l’organisme des jeunes filles des hormones synthétiques sous forme de
pilule contraceptive. Or, celle-ci est classée «  cancérigène  » par les
organismes de santé internationaux, comme on le verra au chapitre 32.
L’irrégularité du cycle hormonal peut parfois s’accompagner d’un
autre trouble qui a pour nom « syndrome des ovaires polykystiques » ou
SOPK.

241
1. F. Clavel-Chapelon et l’E3N-EPIC Group, « Evolution of Age at Menarche and
at Onset of Regular Cycling in a Large Cohort of French Women  », Human
o
Reproduction, vol.  17, n   1, janvier  2002, p.  228-232, [en ligne]
https://doi.org/10.1093/humrep/17.1.228
2. A.  Pierre et  al., «  Loss of LH-Induced Down-Regulation of Anti-Müllerian
Hormone Receptor Expression May Contribute to Anovulation in Women With
Polycystic Ovary Syndrome », Human Reproduction, édition en ligne du 14 janvier
2013.
3. Ibid. ; M. E. Fallat et al., «  Müllerian-Inhibiting Substance in Follicular Fluid
and Serum: a Comparison of Patients with Tubal Factor Infertility, Polycystic
o
Ovary Syndrome, and Endometriosis », Fertility and Sterility, vol. 67, n  5, 1997.
4. A. Piouka et al., « Anti-Müllerian Hormone Levels Reflect Severity of PCOS
but are Negatively Influenced by Obesity: Relationship with Increased Luteinizing
Hormone Levels  », American Journal of Physiology, Endocrinology and
o
Metabolism, 2009, vol. 296, n  2.

242
27

Quand les ovaires deviennent


polykystiques

Les ovaires polykystiques ont donné leur nom au «  syndrome des


ovaires polykystiques » (SOPK) parce que ce phénomène en est le volet
principal, mais il n’est pas le seul  : on lui ajoute deux autres critères,
comme l’irrégularité des cycles menstruels et l’hyperandrogénie. Ce sont
les trois «  critères de Rotterdam 1  ». La définition même du syndrome
donne lieu à polémiques selon que l’on inclut ou pas certains autres
dysfonctionnements.
Entre 10  à 15  % des femmes entre 15  et 40  ans souffrent, à des
degrés divers, du SOPK (également appelé «  syndrome de Stein-
Leventhal »). C’est le syndrome le plus répandu chez les femmes en âge
de procréer. Il était pourtant quasiment inexistant il y a une cinquantaine
d’années. Les formes modérées permettent une ovulation, tandis que les
formes plus sévères empêchent le déroulement de cette étape nécessaire
à la fertilité.
Le nom de ce trouble est partiellement erroné. Il lui a été donné dans
les années 1930 sur la simple observation de ce que l’on pensait être des
kystes. En réalité, il s’agissait d’un développement anarchique des
follicules, les petits sacs qui contiennent les ovocytes (les cellules
sexuelles qui serviront à la reproduction).

243
À gauche, des ovaires normaux.
Le nombre de follicules par ovaire est en moyenne de six à douze.
Leur taille ne dépasse pas 5 millimètres.
Le volume de l’ovaire est petit, environ 6 centimètres cubes.
À droite, des ovaires polykystiques.
Le nombre de follicules par ovaire est supérieur à quinze. Leurs tailles
sont très différentes et parfois très importantes (9 millimètres).
L’ovaire est deux fois plus gros que la normale et mesure environ
13 centimètres cubes.

À partir de quel moment peut-on parler d’ovaires polykystiques  ?


2
Avec les progrès de l’échographie, les normes sont en évolution . Il est
actuellement considéré que les ovaires sont normaux avec six à douze
follicules préparés chaque mois et deviennent polykystiques à partir de
quinze à vingt-six.
Six à douze follicules seraient donc en moyenne préparés pour
devenir éventuellement le follicule dominant du mois, qui sera expulsé
dans la trompe lors de l’ovulation. Les candidats malheureux
disparaissent, recyclés par le métabolisme.
Dans l’ovaire polykystique, non seulement les follicules sont plus
nombreux (on peut en trouver plus de quarante) que dans un ovaire
normal, mais leur taille peut être deux fois plus importante, de même que
l’ovaire lui-même.

244
D’autres signes cliniques accompagnent l’excès de follicules et de
volume des ovaires : un poids plus élevé, une durée du cycle plus longue,
un hirsutisme plus appuyé, un taux de testostérone dans le sang plus
important et un taux d’androgènes libres (hormones mâles) plus
prononcé. Ces concentrations d’hormones mâles constituent l’un des
volets dysfonctionnels pris en compte par le SOPK. C’est
l’hyperandrogénisme (voir le chap. 28).
D’une manière générale, le SOPK est associé à un ensemble de
risques accrus par rapport à la population saine  : quatre fois plus
d’obésité, trois fois plus de diabète de type  2, quatre fois plus
d’hypertension.
Les causes du syndrome des ovaires polykystiques commencent à
être bien cernées. Certes, un certain patrimoine génétique peut être
considéré comme un facteur favorisant, mais ce que les scientifiques
savent désormais, c’est que les facteurs environnementaux chimiques ont
la capacité, à eux seuls, de provoquer de tels dysfonctionnements, surtout
lors d’une exposition fœtale ou postnatale.

Toxiques chimiques et malformations


des ovaires
Plusieurs exemples reliant ovaires polykystiques et toxiques
chimiques sont cités dans la littérature scientifique. En voici quelques-
uns :
– L’Américaine Patricia Hunt a montré que des singes rhésus dont les
mères avaient reçu de faibles doses de bisphénol A pendant la grossesse
présentaient des ovaires polykystiques. Le BPA perturbe la division des
cellules et des chromosomes et génère différentes malformations dans les
ovocytes des fœtus  : un nombre accru de follicules avec plusieurs
ovocytes (comme chez les femelles alligators du lac Apopka évoquées au
chapitre  12 et les fillettes portoricaines au chapitre  25) mais aussi de

245
nombreux ovocytes non protégés par un follicule, des « ovocytes nus »
non viables et arrêtés dans leur croissance. « Ces découvertes, explique
Patricia Hunt, soulèvent des inquiétudes pour la santé reproductive
3
humaine . »
– Le bisphénol A agit en endommageant l’ADN des précurseurs des
ovocytes dès l’âge fœtal 4. Cette augmentation de cellules germinales
dégénérées inquiète grandement les biologistes de l’université de
Barcelone qui ont réalisé cette étude  : «  Une diminution des ovocytes
chez le fœtus, expliquent-ils, peut causer une altération de la réserve
5
ovarienne et de la qualité des ovocytes chez la femelle adulte . »
Ces constatations semblent décrire un mécanisme comparable à celui
qu’a mis en évidence le chercheur danois Niels Skakkebaek chez le
fœtus mâle : les cellules germinales précurseurs des spermatozoïdes sont
perturbées par un polluant à l’âge fœtal, et la spermatogenèse à l’âge
adulte est altérée. Pour le fœtus féminin, il en va de même  : les
précurseurs des ovocytes sont endommagés et les ovaires deviennent
polykystiques à l’âge adulte.

246
Ovogenèse normale ou altérée :
 
1 – Durant la période fœtale, les cellules germinales se transforment
en gonocytes grâce aux hormones estrogéniques fournies par les
cellules de la granulosa.
2 –  Durant la période prépubère, les gonocytes deviennent des
ovogonies.
3 – Après la puberté, les ovogonies évoluent en ovocytes qui sont les
équivalents des spermatozoïdes.
1alt –  Lors de l’ovogenèse altérée par les conditions
environnementales et génétiques, les gonocytes sont perturbés.
2alt – Les ovogonies sont également détériorées.
3alt –  Les ovocytes altérés se développent de façon anarchique,
certains contenant plusieurs noyaux. Ils donnent naissance à des
follicules polykystiques.

— Une autre étude espagnole a montré que les ovaires polykystiques


et les pubertés précoces sont associés à un poids de naissance plus élevé
que la moyenne 6. Le mécanisme sous-jacent pourrait être le suivant : une
exposition in  utero à des hormones mâles ou à l’insuline augmente le

247
poids de naissance. La résistance à l’insuline initiée durant la période
fœtale serait à l’origine de dysfonctionnements ovariens à l’âge adulte.
La théorie sur l’origine fœtale des maladies, dite « théorie de Barker »,
semble s’affirmer avec toujours plus d’évidence.
Combien d’études faudra-t-il encore produire pour que l’on veuille
bien aborder l’origine fœtale des ovaires polykystiques des femmes et
leur cause chimique ?

1. M. Mavromati, J. Philippe, «  Syndrome des ovaires polykystiques  : quoi de


o
neuf ? », Rev. Med. Suisse, n 477, 2015.
2. M. E. Lujan, B. Y. Jarrett, E. D. Brooks, J. K. Reines, A. K. Peppin, N. Muhn,
E.  Haider, R.  A.  Pierson, D.  R.  Chizen, «  Updated Ultrasound Criteria for
Polycystic Ovary Syndrome: Reliable Thresholds for Elevated Follicle Population
o
and Ovarian Volume  », Human Reproduction, vol.  28, n   5, mai  2013, p.  1361-
1368, [en ligne] DOI 10.1093/humrep/det062  ; Epub 2013 Mar 15  ; PMID
23503943.
3. P.  A.  Hunt, C.  A.  VandeVoort, «  Bisphenol  A Alters Early Oogenesis and
Follicle Formation in the Fetal Ovary of the Rhesus Monkey », Proceedings of the
o
National Academy of Sciences USA, vol. 109, n  43, 2012, p. 17525-17530.
4. M. A. Brieño-Enríquez, P. Robles, N. Camats-Tarruella, R. García-Cruz, I. Roig,
L.  Cabero, F. Martínez, M. García-Caldés, «  Human Meiotic Progression and
Recombination Are Affected by Bisphenol  A Exposure During In  Vitro Human
o
Oocyte Development », Human Reproduction, vol. 26, n  10, 2011, p. 2807-2818,
[en ligne] DOI 10.1093/humrep/der249.
5. Ibid.
6. L. Ibáñez, A. Jaramillo, G. Enríquez, E. Miró, A. López-Bermejo, D. Dunger et
F. de Zegher, « Polycystic Ovaries After Precocious Pubarche: Relation to Prenatal
o
Growth », Human Reproduction, vol. 22, n 2, 2006.

248
28

Quand les femmes se virilisent :


l’hyperandrogénie

L’hyperandrogénie, c’est-à-dire la présence d’hormones mâles en


excès chez une femme, est le troisième critère du syndrome des ovaires
polykystiques (SOPK) avec les cycles menstruels irréguliers et les
ovaires polykystiques. Ce trouble a des causes génétiques et surtout
environnementales, les premières pouvant découler des secondes.

Les polluants chimiques augmentent


les hormones masculinisantes chez
les femmes

En Pologne, une étude a montré que les femmes avec un SOPK 1 sont
plus contaminées au bisphénol  A que les autres et qu’elles ont un
dérèglement de tout leur équilibre hormonal.

249
Groupe témoin en Groupe SOPK
bonne santé masculinisé

Testostérone 1,08 1,79

Androgènes libres 1,68 3,97

Androsténédione (précurseurs 7,1 11,2


des hormones sexuelles)

Index des androgènes libres 1,68 3,97

DHEA 194 297

LH (hormone lutéine) 6,6 8

Estrogènes (hormones 250 200


féminines)

Globulines rendant les 68,9 54


hormones inactives (SHBG)

Insuline (sérum) 7,8 8,6

Tour de taille 85,6 88,2

Tableau comparatif des hormones de femmes en bonne santé et de


femmes masculinisées :
 
Sur la colonne de gauche, l’équilibre hormonal est respecté.
Sur la colonne de droite, les femmes avec des ovaires polykystiques ont plus
de testostérone, d’androgènes, de DHEA, d’insuline et de tour de taille et moins
2
d’estrogènes et de globulines liant les hormones sexuelles .

Cette étude polonaise n’a pas mesuré l’hormone antimüllérienne


produite par les ovaires, mais celle-ci est souvent en excès chez les
femmes avec un SOPK, et elle joue un rôle important dans la
masculinisation des fœtus féminins en cas de grossesse.
Une étude de l’Inserm de Lille autour de Paolo Giacobini a montré
chez des souris qu’un excès de l’hormone antimüllérienne (AMH) dans
le sang de la mère pendant la grossesse déféminise les fœtus filles 3. Cela

250
semble logique dans la mesure où cette hormone est l’hormone que
sécrète le fœtus garçon pour se différencier des filles. Chez les
mammifères, c’est l’« hormone antifemelle » par excellence.

Des gènes déréglés à la source


du déséquilibre hormonal
L’équipe lilloise a montré que le fœtus femelle, imprégné en excès
d’AMH, développe à l’âge adulte des symptômes caractéristiques du
SOPK. L’hyperandrogénie pourrait donc comme le SOPK avoir une
origine durant la vie fœtale. Les chercheurs lillois n’en sont pas restés
là : ils ont ensuite réussi à rétablir l’ovulation normale des souris SOPK
adultes. Ce résultat a été obtenu en améliorant l’environnement de
certains gènes impliqués dans la production de l’hormone GnRH. Ces
gènes jouent un rôle dans la reproduction, l’inflammation et le
4
métabolisme . Leur ADN n’est pas détruit, mais il n’est pas
correctement exprimé à cause des toxiques chimiques 5. Cette découverte
est importante, car elle montre que les toxiques agiraient par d’autres
voies que le blocage des récepteurs des cellules. L’aspect réversible du
phénomène est plutôt encourageant.
Pour Paolo Giacobini et son équipe, la réaction en chaîne et en cercle
vicieux est la suivante  : l’hypothalamus sécrète trop de GnRH, ce qui
accroît la production de LH par l’hypophyse et provoque un excès de
production d’AMH par les ovaires, ce qui entraîne à nouveau une
sécrétion accrue de GnRH par l’hypothalamus (voir le schéma au
chap.  25). D’autres dysfonctionnements peuvent se surajouter à ce
mécanisme au niveau des cellules de l’ovaire.
L’Inserm affirme sur son site que la cause du SOPK «  reste encore
6
inconnue   ». Ce n’est pas tout à fait exact dans la mesure où il est
possible en laboratoire de provoquer le SOPK chez les souris avec des
polluants chimiques dérivés du… benzène. Voici comment.

251
Des souris masculinisées en laboratoire

Des biologistes et endocrinologues de l’université de Californie se


sont procuré des souris saines, puis ils leur ont inoculé une molécule
chimique, le létrozole. Après une semaine de traitement, les souris
développent d’abord une hyperinsulinémie, c’est-à-dire un taux
d’insuline trop élevé dans le sang. La testostérone est multipliée par cinq
et la LH par dix.
Après deux semaines, elles prennent du poids  ; donc ce n’est pas
l’excès de poids qui provoque l’hyperinsulinémie. Après cinq semaines
de traitement, la résistance à l’insuline s’installe. Le diabète n’est pas
loin. Le cholestérol est à son tour en excès dans le sang 7.
Cette molécule est un antiaromatase. L’aromatase est une enzyme qui
transforme la testostérone en estrogène. Neutralisez l’aromatase, et
mécaniquement le niveau de testostérone augmente dans le sang au
détriment de celui d’estrogène. Le ratio entre les deux hormones est alors
perturbé en faveur de la masculinisation : c’est l’hyperandrogénie.
Le létrozole est donc bien un perturbateur endocrinien masculinisant
pour les femelles.
A-t-on donné du létrozole aux femmes pour qu’elles deviennent
SOPK ? Oui et non. On trouve des molécules de la même famille sous un
autre nom (bisphénol  A,  etc.) dans les plastiques, les pesticides, les
cosmétiques ou les détergents. Ce sont nos toxiques chimiques, les
« 6 P ».

252
Séquence d’enchaînement des événements  : l’excès d’insuline arrive
avant l’excès de poids.

On les trouve aussi dans les médicaments dits « antiaromatases » qui


sont utilisés dans le traitement du cancer du sein, l’idée étant de faire
baisser les estrogènes. L’un d’eux est justement le létrozole.
On traite donc les effets des perturbateurs endocriniens du
quotidien par d’autres perturbateurs endocriniens en médicaments.
Ce «  médicament antitumeur  » n’est pas sans effets collatéraux,
puisque lorsqu’on l’utilise sur un individu (souris) sain, on arrive à
provoquer une hyperandrogénisation (masculinisation) suivie d’une
hyperinsulinémie, suivie d’un diabète. Les antiaromatases sont
également prescrits dans les SOPK pour induire des ovulations –  un
comble 8 !
La structure même de la molécule de létrozole contient l’explication
de son effet antiaromatase. La molécule est composée de deux anneaux
benzène liés et d’un autre anneau à cinq côtés et trois azotes. C’est une
structure que l’on retrouve habituellement dans de nombreux

253
antifongiques (fongicides) de la famille des imidazoles. Or, ces structures
imitent des substances naturelles de l’organisme, comme l’histamine.
L’histamine est elle-même en interaction avec l’estrogène, la
9
progestérone et le cortisol . À noter que certains antibiotiques
appartiennent à cette famille : ils inhibent l’ADN des bactéries.
Certains fongicides, comme la vinclozoline, sont connus pour leurs
effets perturbateurs sur les hormones. Durant la gestation, la vinclozoline
peut féminiser les mâles et viriliser les femelles 10.
Dans le cas des grenouilles hermaphrodites de Californie, l’herbicide
atrazine avait aussi pris pour cible l’aromatase mais l’avait au contraire
surexprimée, provoquant ainsi une féminisation et non pas une
masculinisation.
Ce que ces polluants chimiques provoquent assurément, c’est un
déséquilibre hormonal généralisé qui pourra prendre différentes
formes selon le patrimoine génétique de chacun.
 
D’une manière générale, l’hyperandrogénisme est fortement associé
aux dysfonctions métaboliques. Les femmes qui ont des dysfonctions
ovariennes sans hyperandrogénie sont moins à risque de troubles
métaboliques.
L’hyperandrogénie est également associée à une flore intestinale
déséquilibrée, ce qui a donné des idées de traitement à des chercheurs
californiens. Rétablir l’équilibre du microbiote soignerait-il le SOPK ?

254
Perturbation de l’enzyme aromatase :
 
La structure chimique appelée «  létrozole  » est un perturbateur
endocrinien assumé, puisqu’il déséquilibre les hormones mâles et
femelles en se collant à l’enzyme aromatase, ce qui limite son
activité.
Le létrozole est composé de deux cycles benzène reliés à un cycle à
cinq côtés et trois atomes d’azotes (triazole), comme de nombreux
11
fongicides .
L’herbicide Atrazine perturbe l’enzyme aromatase en augmentant
son activité chez la grenouille.
L’atrazine comporte un cycle benzène avec trois atomes d’azote.

1. A.  Konieczna, D.  Rachoń, K.  Owczarek, P.  Kubica, A.  Kowalewska,
B. Kudłak… et J. Namieśnik, « Serum Bisphenol A Concentrations Correlate With
Serum Testosterone Levels in Women With Polycystic Ovary Syndrome  »,
Reproductive Toxicology, 2018, [en ligne] DOI 10.1016/j.reprotox.2018.09.006.
2. Ibid.
3. B.  Tata, Paolo Giacobini et  al., «  Elevated Prenatal Anti-Müllerian Hormone
Reprograms the Fetus and Induces Polycystic Ovary Syndrome in Adulthood  »,
o
Nature Medicine, vol. 24, n  6, 2018, p. 834-846.

255
4. [en ligne] https://presse.inserm.fr/vers-une-comprehension-de-lorigine-du-plus-
frequent-des-troubles-de-linfertilite-feminine/31387
5. C’est un phénomène épigénétique.
6. «  Vers une compréhension de l’origine du plus fréquent des troubles de
l’infertilité féminine », Inserm, 17 mai 2018.
7. D.  V.  Skarra, A.  Hernández-Carretero, A.  J.  Rivera, A.  R.  Anvar et
V. G. Thackray, « Hyperandrogenemia Induced by Letrozole Treatment of Pubertal
Female Mice Results in Hyperinsulinemia Prior to Weight Gain and Insulin
o
Resistance », Endocrinology, vol. 158, n 9, 2017, p.  2988-3003, [en ligne] DOI
10.1210/en.2016-1898.
8. Maria Mavromati et Jacques Philippe, « Syndrome des ovaires polykystiques :
quoi de neuf ? », art. cit.
9. [En ligne] https://www.fxmedicine.com.au/blog-post/relationship-between-
histamine-oestrogen-progesterone-and-cortisol
10. J. Buckley, E. Willingham, K. Agras et L. S. Baskin, « Embryonic Exposure to
the Fungicide Vinclozolin Causes Virilization of Females and Alteration of
Progesterone Receptor Expression In  Vivo: An Experimental Study In Mice  »,
Environmental Health, 2006, [en ligne] DOI 10.1186/1476-069X-5-4.
11. J. T. Sanderson, J. Boerma, G. W. Lansbergen et M. van den Berg, « Induction
and Inhibition of Aromatase (CYP19) Activity by Various Classes of Pesticides in
H295R Human Adrenocortical CarciNoma Cells  », Toxicology and Applied
Pharmacology, vol. 182, 2002, p. 44-54.

256
29

Quand les bactéries du microbiote


protègent les ovaires

Les endocrinologues de l’université de Californie ont apporté en


2019 un éclairage à la fois nouveau et prometteur sur le syndrome des
ovaires polykystiques (SOPK) 1. Ils sont partis du fait que le microbiote
2
intestinal des femmes avec un SOPK est souvent altéré .
Les chercheurs ont provoqué un SOPK chez des souris en leur posant
un implant contenant du létrozole (voir le chapitre précédent). Puis ils
ont restauré le microbiote de la moitié d’entre elles. Résultat, le SOPK a
presque disparu.

257
Microbiote et perturbation hormonale :
 
À gauche, une souris contaminée avec un perturbateur hormonal
mais dont le microbiote a été restauré  ; les ovaires sont presque
normaux et ovulent.
À droite, une souris contaminée de la même façon, mais sans
restauration du microbiote  ; les ovaires sont polykystiques et non
fonctionnels.

Comment ce phénomène peut-il s’expliquer ?

En améliorant la digestibilité des lipides, une bonne flore intestinale


entraîne une baisse de poids. Or, on sait que des femmes avec SOPK qui
perdent du poids abaissent aussi leur taux d’androgènes et améliorent la
régularité de leur cycle et leur fertilité. Le rééquilibrage de la flore
intestinale restaurerait la qualité des enzymes attaquées par les polluants.
Les auteurs suggèrent que l’on pourrait supplémenter les femmes
atteintes de SOPK avec des prébiotiques et des probiotiques, notamment
la bactérie Coprobacillus.

Le microbiote a déjà fait ses preuves pour


guérir certaines maladies

258
Les bactéries de l’intestin ont déjà montré qu’elles étaient capables
de révolutionner l’approche académique de la médecine. Un
rétablissement de la biodiversité bactérienne est venu à bout de maladies
très invalidantes, comme la «  diarrhée nosocomiale  », due au
Clostridium difficile. Les souches pathogènes de cette bactérie ont été
«  sélectionnées  » dans les hôpitaux du fait de l’utilisation des
antibiotiques (quinolones et céphalosporines) et des antibactériens. Le
3
recours à un additif sucrant, le tréhalose , dans les aliments et les levures
de boulanger aurait également contribué à la vague mondiale et très
mortelle d’infections à Clostridium difficile. Les résultats obtenus en
utilisant des greffes fécales ont été spectaculaires et ont guéri les malades
avec un taux de réussite de plus de 90 %.
Chez les souris, un microbiote restauré a entraîné de bons résultats
dans des maladies comme le diabète de types 1 et 2, l’obésité, la maladie
de Crohn et même le cancer colorectal.
En résumé, si les bactéries de l’intestin peuvent protéger contre
certaines maladies, il est aussi vrai que les produits chimiques qui
auront tendance à détruire les bactéries de la flore intestinale
provoqueront par ricochet une suppression des défenses de
l’organisme. C’est le cas du triclosan, massivement utilisé comme
bactéricide et dérivé du… benzène. Il est impliqué dans les maladies
inflammatoires intestinales et dans la prolifération des cellules
4
cancéreuses menant au cancer du côlon .
Pour aller plus loin sur la révolution médicale que peut représenter le
microbiote, il est recommandé de visionner le très bon documentaire de
5
Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade sur la question .

1. P. J. Torres, B. S. Ho, P. Arroyo, L. Sau, A. Chen, S. T. Kelley et V. G. Thackray,


«  Exposure to a Healthy Gut Microbiome Protects Against Reproductive and
Metabolic Dysregulation in a PCOS Mouse Model  », Endocrinology, 160 (5),
2019, p. 1193-1204, [en ligne] DOI 10.1210/en.2019-00050.
2. L. Lindheim et al., « Alterations in Gut Microbiome Composition and Barrier
Function Are Associated With Reproductive and Metabolic Defects in Women
With Polycystic Ovary Syndrome (PCOS): A Pilot Study », PLOS One, 2017.

259
3. J. D. Ballard, « Pathogens Boosted by Food Additive: Epidemic Strains of the
Bacterium Clostridium Difficile Have Now Been Found to Grow on Unusually
Low Levels of the Food Additive Trehalose, Providing a Possible Explanation for
C. Difficile Outbreaks Since 2001 (Le tréhalose alimentaire accroît la virulence de
l’épidémie de Clostridium difficile) », Nature, « News and Views », 3 janvier 2018.
4. H.  Yang et al., «  A  Common Antimicrobial Additive Increases Colonic
Inflammation and Colitis-Associated Colon Tumorigenesis in Mice  », Science
o
Translational Medicine, vol. 10, n 443, 30 mai 2018.
5. S. Gilman et T. de Lestrade, Microbiote, les fabuleux pouvoirs du ventre, Yuzu
Productions, Arte France et Inra, 2019, 58 minutes.

260
30

Quand une nouvelle maladie émerge


chez les femmes : l’endométriose

Une maladie presque inconnue il y a à peine dix ans commence à


émerger dans le champ public  : c’est l’endométriose. Cette maladie
touche 10  % des femmes, et les douleurs qu’elle entraîne sont sans
commune mesure avec les douleurs usuelles des règles, déjà pénibles.
Les jeunes filles d’aujourd’hui ont appris à grandir avec ce « mot » et ces
maux que leurs mères découvrent à peine.

Des cellules qui métastasent

Cette maladie touche la matrice des femmes, l’utérus. L’endomètre


désigne la paroi intérieure de l’utérus. En grec, endo signifie «  à
l’intérieur  » et mêtra veut dire «  matrice  ». Cette muqueuse s’épaissit
chaque mois pour accueillir un éventuel embryon, et se désagrège et
saigne au cours des menstruations si aucun ovule n’a été fécondé.
Dans la maladie endométriose, les cellules de l’endomètre ont
métastasé en dehors de l’utérus et se retrouvent dans divers endroits du
corps où elles ne devraient pas être : les trompes, les ovaires, le muscle
de l’utérus (adénomyose), les ligaments entre l’utérus et le sacrum, mais
aussi entre l’utérus et le rectum (cul-de-sac vaginal postérieur ou cul-de-

261
sac de Douglas), le vagin, l’intestin, la vessie, voire exceptionnellement
le tube digestif et les poumons.
Les cellules métastasées forment des lésions éparses et foncées « en
taches de girafe ».
Parfois, des fibroses ligamenteuses, des adhérences, se développent
entre plusieurs organes et les engluent dans une gangue qui les soude les
uns aux autres, ce qui génère de fortes douleurs. Il faut alors intervenir
chirurgicalement pour séparer les organes et leur rendre leur liberté.
Les symptômes sont très divers, ce qui rend cette maladie déroutante.
Outre les douleurs pendant les règles, il faut ajouter les douleurs pendant
les rapports sexuels, lors de la défécation et de la miction, mais aussi des
douleurs chroniques à l’abdomen et dans la région lombaire, le long du
nerf sciatique ou crural. Elles peuvent se manifester indépendamment du
1
cycle menstruel .
L’endométriose n’est donc pas une maladie bénigne, même si elle
n’est pas maligne. On admet qu’elle aura des effets sur la fertilité dans
30  % des cas et que 20  à 50  % des patientes qui consultent pour une
infertilité ont une endométriose.

262
Endométriose :
 
À gauche, l’appareil génital sain ; les tissus de l’endomètre sont bien
séparés des autres tissus.
À droite, l’endométriose a fait métastaser les tissus de l’endomètre
sur d’autres organes et forme des lésions (en noir). Ces tissus peuvent
continuer à se gonfler de sang et à saigner en fonction du cycle
menstruel.

L’origine incertaine de l’endométriose :


vraiment ?

L’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale,


considère que les mécanismes qui conduisent à l’endométriose restent
mal connus 2. Selon lui, le sang menstruel remonterait vers l’intérieur du
corps (rétrograde) au lieu de s’écouler à l’extérieur. Cette hypothèse a du

263
mal à tenir la route dans la mesure où l’Inserm reconnaît lui-même que
90  % des femmes peuvent présenter ce genre de saignements inversés,
alors que seules 10  % développent des lésions d’endométriose. Les
causes, reconnaît l’institut, seraient pour moitié génétiques et pour moitié
environnementales.
Le volet génétique cible surtout l’épigénétique, c’est-à-dire non pas
les gènes eux-mêmes, mais la façon dont ils sont exprimés (« allumés »
ou «  éteints  »). Ainsi, certaines femmes ont des enzymes qui peuvent
multiplier par sept les risques d’avoir certaines formes d’endométriose.
L’autre volet explore la piste des perturbateurs hormonaux
chimiques.

La moitié des endométrioses
est due aux perturbateurs environnementaux
Plusieurs exemples reliant endométriose et toxiques chimiques sont
3
cités dans la littérature scientifique. En voici quelques-uns  :
– Les femmes qui ont été exposées in utero au Distilbène, ainsi que
leurs filles, ont un risque accru de 80 % d’endométriose par rapport aux
femmes non exposées 4.
–  Chez la souris, l’exposition prénatale au bisphénol  A pendant
seulement une semaine favorise à l’âge adulte une pathologie
5
équivalente à l’endométriose ainsi que des polypes précancéreux sur
l’utérus, des cancers du col de l’utérus et des cancers mammaires.
L’exposition postnatale au BPA entraîne aussi une sorte
d’endométriose 6.
–  Le taux de phtalates chez les femmes adultes est directement en
relation avec la sévérité de la maladie. Ils pourront à certaines doses
7
réduire les estrogènes ou au contraire les augmenter à d’autres doses .
–  Les pesticides jouent un rôle dans le déclenchement
d’endométrioses, en particulier certains fongicides et le lindane (un

264
8
insecticide) .
–  Le rôle des perfluorés, des PCB (polychlorobiphényles) et de
certains métaux a également été démontré dans l’augmentation des
risques d’endométriose.
– L’université de Floride a reproduit l’endométriose sur vingt-quatre
singes rhésus en utilisant des doses variables de dioxines 9. L’étude a
duré quinze ans, et les lésions développées ont été jugées
«  remarquablement similaires à celles des humains  ». On retrouvait
notamment les kystes, les adhérences sur les ovaires, le côlon, l’urètre et
la vessie.
– Les femmes exposées à la dioxine lors de la catastrophe industrielle
10
de Seveso, en 1976, ont vu leur risque d’endométriose doubler .
–  Une autre étude a pu mettre en évidence que les femmes qui
avaient un taux plus élevé de dioxine dans les graisses avaient un risque
d’endométriose multiplié par 2,5 11.

L’origine fœtale de l’endométriose consolidée


La piste de l’origine fœtale de l’endométriose s’est consolidée avec
les découvertes des Italiens Pietro Signorile et Alfonso Baldi, qui ont
consacré plus de vingt années de leur carrière de chirurgiens et de
biologistes à soigner les patientes atteintes d’endométriose, mais aussi à
rechercher les causes de la maladie pour mieux la soigner.
À la tête du Centre multidisciplinaire italien de l’endométriose, ils
ont pratiqué des centaines et des centaines de biopsies. Dans une étude
qui a fait date, ils ont analysé les organes reproducteurs et pelviens de
12
101  fœtus humains féminins n’ayant pas survécu à la gestation . Dans
9 % des cas, ils ont retrouvé des cellules de l’endomètre en dehors de la
cavité de l’utérus, ce qui n’est pas normal. C’est la même proportion que
dans l’endométriose des adultes. Les localisations étaient aussi les
mêmes.

265
Les cellules étaient le plus souvent situées à l’arrière de l’utérus, dans
l’espace entre l’utérus et le sacrum, la partie inférieure de la colonne
vertébrale. Ces cellules étaient également équipées du récepteur de
l’estrogène et d’autres marqueurs indiquant une forte ressemblance de
structure avec les cellules de l’endomètre.
C’est pourquoi les chercheurs pensent que l’endométriose est
causée par la migration anormale de cellules primitives de
l’endomètre en dehors de la cavité utérine pendant la formation des
organes de l’embryon. Ces tissus resteraient «  silencieux  » pendant
l’enfance et se réveilleraient avec l’imprégnation hormonale de la
puberté, entraînant le début de l’endométriose.
On a pu montrer que chez les embryons femelles, lors de la période
cruciale de la différenciation sexuelle, une imprégnation chimique peut
13
gêner l’application du programme génétique. Des chercheurs russes
confortent cette origine embryonnaire de l’endométriose. Selon eux, les
cellules germinales qui vont migrer vers les gonades pour les transformer
en ovaires seraient entravées dans leur communication. Au lieu de
converger pour accomplir la genèse de l’organe reproducteur, utérus et
vagin, certaines arrêtent leur migration en chemin, et ce seraient ces
cellules qui donneraient naissance aux tissus anarchiques de
l’endométriose 14.

266
Genèse des organes de l’embryon féminin :
 
Dans le rectangle, les cellules de l’endomètre ectopiques, c’est-à-dire
migrées hors de leurs tissus d’origine, l’endomètre de la cavité
utérine. Les mêmes localisations sont retrouvées à l’âge adulte chez
les femmes atteintes d’endométriose.

De même, l’étude Newbold sur les souris contaminées par du


bisphénol A à l’âge fœtal a montré que celles-ci avaient gardé à l’âge
adulte, dans la paroi utérine, des restes du canal de Wolff, le canal
masculin normalement éliminé lors de la différenciation sexuelle 15. Ces
restes étaient complètement absents dans le groupe contrôle (voir le
chap. 36).
16
Une piste complémentaire confirme en 2020 le rôle déterminant
des perturbateurs chimiques hormonaux (phtalates, bisphénols, pesticides
et autres). Elle note qu’une flore microbienne génitale perturbée

267
accompagne le développement et la progression de l’endométriose. La
distance ano-génitale est souvent réduite chez les femmes atteintes. Cette
réduction va dans le sens d’une altération de la différenciation sexuelle.

Quelles conséquences pour la prise en charge


de la maladie ?
Les implications de la découverte de Signorile et Baldi sont
importantes pour les patientes. Comme le soulignent les deux
spécialistes, « l’endométriose ne devrait pas être considérée comme une
maladie récidivante et une chirurgie complète des lésions peut être
curative. Un traitement hormonal postopératoire ne se justifie pas ».
Ce qui est préconisé, c’est donc une «  chirurgie chirurgicale  », qui
consiste à retirer les lésions une à une et en profondeur pour ne pas
oublier des cellules au fond de chaque lésion. Cette dentelle de chirurgie
exclut toute ablation globale des organes, aussi inutile qu’invalidante.
Les médecins italiens mettent en garde contre les traitements à base
d’hormones : « Les perturbateurs endocriniens comme les estrogènes de
synthèse (pilule) et les composés chimiques visant les récepteurs des
estrogènes pourraient peut-être réduire provisoirement les symptômes
17
tout en aggravant la croissance de l’endométriose . »
En 2017, les chercheurs dressent le bilan de leurs connaissances et
concluent que les perturbateurs hormonaux in utero sont la cause de
l’endométriose de l’âge adulte 18. Il est donc logique qu’ils considèrent
comme inapproprié le fait de vouloir ensuite proposer comme traitement
la prescription d’autres perturbateurs endocriniens, comme les
différentes pilules contraceptives qui contiennent des estrogènes
synthétiques.
Ils confirment en cela les découvertes de leur confrère américain, le
Dr David Redwine, qui a le premier proposé de porter un nouveau regard
sur l’endométriose dans son article célèbre « Redéfinir l’endométriose à

268
19
l’âge moderne  ». Selon lui, la chirurgie demeure le seul traitement pour
soigner l’endométriose, la seule cure.
Ces éclairages nouveaux apportent aussi des informations sur les
remèdes. Selon le taux d’estrogènes circulant, certaines bactéries se
développent et d’autres disparaissent. De même, les analyses de la flore
bactérienne ont montré que les traitements hormonaux à la
neurohormone (GnRH) de synthèse avaient des effets néfastes sur
l’équilibre bactérien.
Des analyses récentes ont montré que, comparées à des femmes non
traitées, les femmes sous neurohormones de synthèse avaient plus de
streptocoques, de staphylocoques et d’entérobactéries et moins de
bactéries bénéfiques comme les lactobacilles, ce qui aggravait la
progression de la maladie.
Les médicaments antidouleur (paracétamol) peuvent aussi avoir des
actions estrogéniques, ce qui est bien sûr contre-productif, car
l’estrogène aggrave la maladie.

Que préconisent les recommandations
officielles françaises ?

Avec la chirurgie ou quelquefois en ses lieu et place, le principal


traitement proposé par la Haute Autorité de santé (HAS) est, à l’heure
actuelle, hormonal et consiste à bloquer les règles et les estrogènes
naturels, ce qui n’est pas sans conséquence. Ces préconisations sont
contraires à celles qui sont recommandées par le Centre italien de
l’endométriose, qui déconseille les hormones synthétiques après
opération ou comme traitement chez la jeune fille.
Plusieurs associations se sont constituées pour défendre et informer
les victimes. Des centres spécialisés existent 20. Des livres 21 comportant
des témoignages émouvants ont été écrits sur la question. Des sites
informatiques critiques sont aussi disponibles, comme celui d’Elena

269
22
Pasca , Pharmacritique. De nombreuses célébrités, comme Énora
Malagré 23, Julie Gayet, Laëtitia Milot, Imany, alertent également sur
cette maladie méconnue. Les actrices de cinéma n’hésitent plus à briser
le tabou, contrairement à leurs aînées des années 1950. Ainsi, ce n’est
qu’après sa mort que le grand public a découvert que Marilyn Monroe
24
avait été opérée sept fois pour endométriose entre 1952 et 1962 .
Toute cette mobilisation pour faire sortir l’endométriose de la
clandestinité a permis aux jeunes générations, qui sont beaucoup plus
touchées que leurs mères et leurs grands-mères, de comprendre qu’elles
ne sont plus condamnées à une longue et inutile errance médicale. Un
diagnostic et une prise en charge rapides permettent une «  dentelle de
chirurgie » qui peut restaurer en grande partie les capacités reproductives
des femmes et donc autoriser les projets de grossesse pour celles qui le
souhaitent.

1. [En ligne] https://www.espacesanteleslucioles.com/localisations-et-symptomes-


de-l-endometriose
2. «  Endométriose  : une maladie gynécologique fréquente mais encore mal
connue  », [en ligne] https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-
information/endometriose
3. J. T.  Rumph, V.  R.  Stephens, A.  E. Archibong, K.  G.  Osteen et K.  L.  Bruner-
Tran, « Environmental Endocrine Disruptors and Endometriosis », in K. L. Sharpe-
Timms (éd.), Animal Models for Endometriosis. Advances in Anatomy, Embryology
and Cell Biology, 2020, vol. 232, Cham Springer, 2020.
4. S. A. Missmer, S. E. Hankinson, D. Spiegelman, R. L. Barbieri, K. B. Michels et
D. J. Hunter, « In Utero Exposures and the Incidence of Endometriosis », Fertility
o
and Sterility, vol. 82, n 6, décembre  2004, p.  1501-1508, [en ligne] DOI
10.1016/j.fertnstert.2004.04.065 ; PMID 15589850.
5. R.  R.  Newbold, W.  N.  Jefferson et E.  Padilla-Banks, «  Prenatal Exposure to
Bisphenol  A at Environmentally Relevant Doses Adversely Affects the Murine
Female Reproductive Tract Later in Life  », Environmental Health Perspectives,
o
vol. 117, n 6, 2009, p. 879-885, [en ligne] DOI 10.1289/ehp.0800045.
6. R.  R.  Newbold, W.  N.  Jefferson et E.  Padilla-Banks, «  Long-Term Adverse
Effects of Neonatal Exposure to Bisphenol A on the Murine Female Reproductive
o
Tract », Reproductive Toxicology, vol. 24, n 2, 2007, p. 253-258, [en ligne] DOI
10.1016/j.reprotox.2007.07.006.

270
7. G.  M.  Buck Louis, Z.  Chen, C.  M.  Peterson, M.  L.  Hediger, M.  S.  Croughan,
R.  Sundaram et  al., «  Persistent Liphophilic Environmental Chemicals and
Endometriosis: The LIFE Study  », Environmental Health Perspectives, vol.  120,
2012, p. 811-816.
8. M. A. Cooney, G. M. Buck Louis, M. L. Hediger, A. Vexler et P. J. Kostyniak,
«  Organo-Chlorine Pesticides and Endometriosis  », Reproductive Toxicology,
vol. 30, 2010, p. 365-369.
9. S.  Rier, «  Endometriosis in Rhesus Monkeys (Macaca Mulatta) Following
Chronic Exposure to 2,3,7,8-Tetrachlorodibenzo-P-Dioxin  », Fundamental and
o
Applied Toxicology, vol. 21, n 4, 1993, p. 433-441.
10. B.  Eskenazi et  al., «  Serum Dioxin Concentrations and Endometriosis: A
o
Cohort Study in Seveso, Italy », Environmental Health Perspectives, vol. 110, n  7,
juillet 2002, p. 629-634, [en ligne] DOI 10.1289/ehp.02110629.
11. Peter Simsa et  al., «  Increased Exposure to Dioxin-Like Compounds Is
Associated With Endometriosis in a Case-Control Study in Women », Reproductive
o
Biomedicine Online, vol. 20, n 5, 2010.
12. P.  G.  Signorile et al., «  Embryologic Origin of Endometriosis: Analysis of
o
101 Human Female Fetuses », Journal of Cellular Physiology, vol. 227, n  4, 2012,
p. 1653-1656, [en ligne] DOI 10.1002/jcp.22888.
13. Z.  Makiyan, «  Endometriosis Origin From Primordial Germ Cells  »,
o
Organogenesis, vol. 13, n 3, 3  juillet 2007, p.  95-102, [en ligne] DOI
10.1080/15476278.2017.1323162 ; Epub 2017 May 9 ; PMID 28486048 ; PMCID
PMC5654850.
14. P.  G.  Signorile, F.  Baldi, R.  Bussani, M.  D’Armiento, M.  De  Falco,
M.  Boccellino, L.  Quagliuolo, A.  Baldi, «  New Evidence of the Presence of
Endometriosis in the Human Fetus  », Reproductive Biomedicine Online, vol.  21,
o
n  1, juillet 2010, p. 142-147, [en ligne] DOI 10.1016/j.rbmo.2010.04.002 ; Epub
2010 Apr 4 ; PMID 20471320.
15. R.  R.  Newbold, W.  N.  Jefferson et E.  Padilla-Banks, «  Long-Term Adverse
Effects of Neonatal Exposure… », art. cit.
16. P.  García-Peñarrubia, A.  J.  Ruiz-Alcaraz, M.  Martínez-Esparza, P.  Marín et
F.  Machado-Linde, «  Hypothetical Roadmap Towards Endometriosis: Prenatal
Endocrine-Disrupting Chemical Pollutant Exposure, Anogenital Distance, Gut-
Genital Microbiota and Subclinical Infections  », Human Reproduction Update,
o
vol.  26, n   2, 28  février 2020, p.  214-246, [en ligne] DOI
10.1093/humupd/dmz044 ; PMID 32108227.
17. Pietro G.  Signorile et Alfonso Baldi, «  Endocrine Disruptors and
Endometriosis: The Role of BPA », 2017.
18. Ibid.
19. Traduction d’Elena Pasca, disponible sur le site Pharmacritique  : [en ligne]
https://pharmacritique.com/2011/07/29/face-au-business-et-a-la-psychologisation-
de-lendometriose-lurgence-de-redefinir-lendometriose-a-lage-moderne-et-son-
traitement-par-exerese-selon-le-dr-david-redwine-2

271
20. [En ligne] https://www.resendo.fr
21. M.-A. Mormina, La Maladie taboue, Fayard, 2015 ; Florence Kanban, Je serai
maman. Endométriose, PMA, adoption. Mon combat jusqu’à toi, Médiaspaul,
2020.
22. [En ligne] https://pharmacritique.com
23. E. Malagré, Un cri du ventre, J’ai lu, 2021.
24. M. Winckler, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les règles sans
jamais avoir osé le demander, Fleurus, 2008.

272
31

Quand le cancer du sein double


en trente ans

Le cancer du sein est un cancer hormonodépendant, ce qui signifie


qu’au moins 10  % des cellules qui composent la tumeur cancéreuse
portent à leur surface le récepteur aux estrogènes et/ou à la progestérone.
L’incidence de ce cancer a très fortement augmenté dans les pays
occidentaux depuis plusieurs décennies, et cette explosion ne peut pas
être expliquée par la seule amélioration du diagnostic ou par le
vieillissement de la population. Des études sur des jumelles ont souligné
que les facteurs génétiques ne pouvaient expliquer cette croissance, mais
qu’en revanche les facteurs environnementaux chimiques étaient
déterminants 1.

Premier cancer chez la femme en France


En France, le cancer du sein est le premier cancer chez la femme,
avec près de 60 000 nouveaux cas estimés en 2018. Il est également la
première cause de décès par cancer, avec 12 000 décès par an.

273
Incidence et mortalité du cancer du sein :
 
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent, avec plus de 40 000 nouveaux
cas par an, et le plus mortel chez la femme, avec 12 000 décès par an. (Santé
2
publique France 2019 )

Dans les trente dernières années, le nombre annuel de nouveaux cas


de cancers du sein a presque doublé. Le risque de cancer du sein d’une
femme née en 1953 est 2,6  fois supérieur à celui d’une femme née en
1913 3.

Comment cette hausse séculaire du cancer


du sein s’explique-t-elle ?

274
Selon Santé publique France, cette hausse est attribuable pour moitié
à la croissance et au vieillissement de la population, et pour l’autre
4
moitié à l’augmentation du risque . En revanche, la mortalité reste à peu
près stable 5. Les autorités sanitaires peinent à s’expliquer cette courbe
ascendante. Le doute et l’incertitude sont de mise quant aux facteurs de
risque  ; on y trouve pêle-mêle l’obésité, le travail de nuit, l’alcool, les
perturbateurs hormonaux et certaines expositions professionnelles à des
6
produits chimiques comme les solvants .

Évolution du cancer du sein :


 
Le nombre de nouveaux cas de cancers du sein chaque année a doublé en
trente ans, entre 1985 et 2015. La baisse des cancers du sein après 2000 est
attribuable à la diminution des prescriptions des traitements hormonaux de la
7
ménopause .

275
Pour le Pr Belpomme, le cancérologue qui avait dénoncé le scandale
du chlordécone aux Antilles bien avant que les agences officielles le
reconnaissent, l’explication est beaucoup plus évidente, et elle a pour
8
nom « perturbateurs endocriniens » .
Qu’est-ce qui provoque un cancer en général ? Le professeur tient à
rappeler qu’un cancer commence toujours par une dégradation de l’ADN
dans un chromosome. Cette dégradation peut prendre la forme d’une
mutation lors de la division cellulaire ou encore d’une rupture de l’ADN
qui n’est pas ensuite corrigée par l’organisme. « Puisqu’il ne peut y avoir
de cancer sans mutation, explique-t-il, les véritables facteurs mutagènes
ne peuvent être que dans l’environnement. Il s’agit là d’un constat qui,
bien qu’il soit scientifiquement évident, a été totalement occulté jusqu’à
ce jour 9.  » Pour lui, il y a donc trois et seulement trois catégories de
facteurs capables de faire muter l’ADN dans les cellules : les virus, les
rayonnements ionisants et les produits chimiques.
Certains produits chimiques, nous l’avons vu, sont capables de
mimer les estrogènes, dont la fonction est justement de permettre la
multiplication des cellules lors de la gestation. Si une cellule est mal
recopiée, le fait de favoriser sa multiplication aggrave le risque de
tumeur en diminuant la capacité de réparation de l’ADN. L’estrogène
est donc un facteur d’augmentation des cancers, et les produits
10
chimiques estrogénomimétiques aussi .
Avec son association Artac, le Pr  Belpomme a passé en revue les
explications avancées officiellement à l’épidémie de cancers du sein 11.
Elles sont selon lui insuffisantes :
–  Le dépistage organisé  ? L’augmentation des cancers du sein a
commencé bien avant la mise en place du dépistage. De plus,
l’augmentation des cancers s’observe aussi dans les départements
dépourvus de moyens de dépistage.
–  Le vieillissement de la population  ? Il est vrai que le risque
s’accroît avec l’âge. Mais ne faudrait-il pas attribuer ce phénomène à une
accumulation des polluants persistant dans l’organisme de chaque
individu plus qu’à un vieillissement biologique ?

276
–  Les gènes  ? En une génération, la génétique ne peut pas évoluer
aussi rapidement, à moins qu’elle ne soit modifiée par des phénomènes
extérieurs chimiques, ce qui renforcerait la piste d’une pollution
chimique qui irait jusqu’à altérer les gènes eux-mêmes ou du moins leur
expression (hypothèse épigénétique).

La piste des produits chimiques


Pour trouver des explications plausibles, il vaut mieux, selon le
professeur, regarder du côté de l’exposition des fœtus aux polluants
chimiques depuis l’entre-deux-guerres, et encore plus depuis la seconde
e
moitié du XX   siècle. La chercheuse Ana Soto a montré pour sa part
comment l’exposition du fœtus au perturbateur endocrinien bisphénol A
augmente le risque de cancer du sein à l’âge adulte. « Le cancer du sein
commence-t-il dans le ventre de la mère  ?  » s’interroge même la
scientifique.
Là encore, la grande « expérimentation du Distilbène » peut servir de
modèle de laboratoire  : les filles exposées in  utero à cet estrogène de
12
synthèse ont un risque accru de cancer du sein . Même les mères qui ont
pris le Distilbène et que l’on croyait indemnes ont finalement développé
13
un surrisque de cancer du sein .
Il est par ailleurs possible de provoquer des cancers mammaires chez
des souris en les exposant in utero à des estrogènes de synthèse. Quant
aux syndromes de dysgénésie ovarienne et d’ovaires polykystiques, qui
sont liés aux perturbateurs hormonaux chimiques, ils sont également
associés à un surrisque de cancer du sein.
D’autres chercheurs ont expliqué comment les femmes qui ont été
exposées au DDT avant l’âge de 14 ans voient leur risque de développer
un cancer du sein multiplié par cinq. Le danger est d’autant plus
important que le début de l’exposition est plus précoce 14.

277
Les parabènes sont également retrouvés dans les cancers du sein. Ils
font partie des «  6  P  » définis au chapitre  2. Ils sont introduits comme
conservateurs dans 80  % des produits d’hygiène et de toilette
(shampoings, crèmes hydratantes, mousses à raser, gels nettoyants, etc.)
et dans certains médicaments (400 spécialités pharmaceutiques en
15
contiendraient ; la liste a été publiée par le journal Le Monde en 2011 ).
Les parabènes ont une activité hormonale, car ils peuvent se lier aux
récepteurs des estrogènes, les hormones féminines.
En 2004, l’alerte est venue d’une étude britannique 16. Celle-ci a
montré que des tumeurs de cancer du sein contenaient des parabènes, le
plus fréquemment retrouvé étant le méthylparabène. Depuis, leurs effets
sur la fertilité masculine ont été démontrés chez l’animal.

Présence des différents parabènes intacts dans des tumeurs de cancer


17
du sein .

278
D’autres toxiques comme l’aluminium ont été mis en cause dans les
cancers du sein. Une étude suisse en a montré le mécanisme carcinogène
18
sur des cellules mammaires vivantes .
Les générations d’après guerre ont été largement imprégnées de ces
polluants persistants. Le WWF avait réalisé en 2005 des prises de sang
sur trois générations composant des familles européennes. Ce sont les
grands-mères qui se sont révélées les plus contaminées, avec soixante-
trois produits retrouvés dans leur sang. Les mères en avaient quarante-
neuf et les petits-enfants cinquante-neuf, soit plus que leur mère. Le sang
des grands-mères contenait des produits comme le DDT et les PCB, qui
avaient pourtant été interdits trente à quarante ans auparavant 19.
Les perturbateurs hormonaux cancérigènes se cachent aussi dans les
médicaments.

Cancer du sein sur ordonnance


Les hormones de synthèse contenues dans la pilule contraceptive et
dans les traitements de la ménopause ont largement contribué à
l’augmentation du cancer du sein.
Faisons un petit retour en arrière. Les estrogènes de synthèse sont
découverts dans les années 1930, et les femmes arrivées à la ménopause
sont désignées comme cibles de choix. Le raisonnement est le suivant :
puisque les femmes ne produisent plus d’estrogènes à la ménopause, il
suffit de leur en fournir, et les bouffées de chaleur vont disparaître
comme par miracle.
Personne ne leur explique qu’elles vont peut-être s’exposer à des
20
problèmes plus graves, comme des cancers . Pendant des décennies, on
leur promet au contraire d’être «  féminines pour toujours  » et de
bénéficier de l’«  une des plus grandes révolutions biologiques dans
l’histoire de la civilisation 21  ». Dans les années 1970, quelques articles
mettent en évidence le lien entre cancer de l’endomètre et traitement

279
hormonal de la ménopause, en vain. Dans les années 2000, une étude
22
portant sur 16 000 femmes met en évidence un surrisque de 50  % de
cancer du sein. S’ajoutent à cela des accidents cardiaques, veineux et
cérébraux, dont la démence.
En 2003, c’est la fameuse étude « 1 million de femmes 23 » qui donne
le coup de grâce aux traitements hormonaux de la ménopause  : elle
montre que le risque de cancer du sein augmente de 66  % avec les
hormones synthétiques, que ce soit des estrogènes seuls ou des
estrogènes associés à la progestérone. Le surplus de cancers du sein en
Grande-Bretagne est estimé à 20  000  sur la décennie précédant la
publication de l’étude.
Une étude française confirmera le risque accru de cancer du sein,
mais cela n’empêche pas l’Agence nationale de sécurité du médicament
(ANSM) de continuer à promouvoir le traitement hormonal de la
24
ménopause (THM) . Quant aux sociétés savantes de gynécologie, dont
les congrès sont financés par l’industrie pharmaceutique, elles
recommandent chaudement les hormones synthétiques aux femmes
ménopausées. Cette fois, les femmes se détournent du traitement
hormonal. L’arrêt de sa « prescription massive » intervient en 2003. La
courbe des cancers du sein opère une baisse importante dans les années
qui suivent (voir le schéma ci-dessus).
Le plus étonnant est que les mêmes hormones de synthèse qui sont
dans la pilule contraceptive passent entre les mailles du filet. Elles sont
pourtant tout aussi cancérigènes et classées comme telles par le Circ
(Centre international de recherche sur le cancer) de l’OMS.
Qu’en est-il de tous les autres médicaments courants qui ont des
effets estrogéniques ?

Cancer du sein et médicaments


estrogéniques

280
La plupart des cancers commençant dans les cellules qui contiennent
le plus de récepteurs des estrogènes, il n’est pas incongru de se demander
si les médicaments qui ont pour effet d’augmenter l’estrogénisation et
donc de multiplier les récepteurs des estrogènes ne jouent pas un rôle
délétère dans la préparation du terrain à un futur cancer du sein. Tous ces
médicaments qui sont listés dans le chapitre sur les gynécomasties chez
l’homme vont des diurétiques aux antidépresseurs en passant par les
statines.
Il faudrait ajouter à cette liste de produits dangereux tous les autres
produits chimiques estrogénomimétiques que l’on trouve entre autres
25
dans les cosmétiques, comme les crèmes solaires aux benzophénones .
Ana Soto a passé au crible de nombreux produits chimiques et a trouvé
parmi eux plus de 200 substances estrogénomimétiques 26.

Cancer du sein et mammographie :


le paradoxe
Dans les trois facteurs capables d’induire des cancers du sein en
provoquant une mutation de l’ADN, il faut signaler maintenant les
rayons  X.  Le pouvoir cancérigène des rayons ionisants n’est plus une
27
nouveauté   : on sait désormais parfaitement qu’ils peuvent provoquer
un cancer en détériorant l’ADN des cellules. C’est pour cette raison que
les rayonnements ionisants sont classés cancérigènes par le Centre
international de recherche sur le cancer de l’OMS.
La très grande majorité des diagnostics à base de rayonnements
(radiographies, radioscopies, scanners) utilisent des rayons X ou gamma.
Ce sont donc des sources importantes d’irradiation des organes et ainsi
de cancers potentiels. Pour les femmes, les mammographies de routine
sont désormais très contestées, car le rapport entre le bénéfice qu’elles
apportent et le risque qu’elles représentent est devenu négatif.

281
Plusieurs études ont remis en question l’intérêt des mammographies
dans le dépistage du cancer du sein, qu’elles soient finlandaises, danoises
28
ou canadiennes . Le débat sur le dépistage généralisé par
mammographie est donc loin d’être clos.
Il en va de même sur les traitements donnés lorsque le cancer du sein
est diagnostiqué.

Les traitements du cancer du sein eux-


mêmes cancérigènes

Le traitement le plus courant du cancer du sein est un antiestrogène,


le tamoxifène. Le paradoxe, c’est que ce médicament est classé comme
« cancérigène certain » dans le groupe 1 des cancérigènes par le Circ de
l’OMS.
Pourquoi donne-t-on un produit cancérigène à des femmes qui ont
déjà un cancer du sein pour les « soigner » ? L’idée de ce traitement est
de saturer les récepteurs aux estrogènes avec une substance qui
ressemble aux estrogènes naturels pour les bloquer. On dit qu’il y a
«  inhibition compétitive  » avec la substance naturelle. Le rapport
bénéfice-risque est là aussi très contesté, les effets secondaires du
tamoxifène n’étant pas négligeables, puisqu’ils vont des thromboses aux
attaques cardiaques en passant par le cancer de l’endomètre.

1. P. Lichtenstein et al., « Environmental and Heritable Factors in the Causation of


Cancer – Analyses of Cohorts of Twins From Sweden, Denmark, and Finland  »,
o
New England Journal of Medicine, vol.  343, n   2 2000, p.  78-85  ; B.  Luke,
« Gender Mix in Twins and Fetal Growth, Length of Gestation and Adult Cancer
Risk », Paediatric and Perinatal Epidemiology, vol. 19, 2005, p. 41-47.
2. L. Chérié-Challine, « Évolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en
France de 1978 à 2000 », art. cit.
3. G.  Defossez, «  Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par
cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018, vol. 1 : Tumeurs solides. Étude
à partir des registres des cancers du réseau Francim », Santé publique France, 2019.

282
4. Ibid.
5. «  Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France
métropolitaine  », Lyon, International Agency for Research on Cancer, [en ligne]
http://gco.iarc.fr/resources/paf-france_fr.php
6. P. Guénel et S. Villeneuve, « Exposition professionnelle aux solvants organiques
et cancers du sein chez l’homme et la femme : de nouveaux résultats renforcent les
hypothèses sur des facteurs de risque environnementaux  », Institut de veille
sanitaire Saint-Maurice, 2014.
7. F.  Binder-Foucard, N.  Bossard, P.  Delafosse, A.  Belot, A.-S.  Woronoff et
L.  Remontet, «  Cancer Incidence and Mortality in France Over the 1980-2012
o
Period: Solid Tumors », Revue d’épidémiologie et de santé publique, vol. 62, n  2,
2014, p. 95-108, [en ligne] DOI 10.1016/j.respe.2013.11.073
8. [En ligne] https://www.artac.info/fr/prevention/prevention-environnementale/l-
origine-environnementale-des-cancers_000126.html
9. Ibid.
10. A. M. Soto et al., « The E-SCREEN Assay as a Tool to Identify Estrogens : An
Update on Estrogenic Environmental Pollutants  », Environmental Health
Perspectives, vol. 103, 1995.
11. [En ligne] https://www.artac.info/fr/prevention/prevention-environnementale/l-
origine-environnementale-des-cancers_000126.html
12. J.  R.  Palmer et  al., «  Risk of Breast Cancer in Women Exposed to
Diethylstilbestrol in Utero: Preliminary Results (United States)  », Cancer Causes
o
and Control, vol.  13, n   8, 2002, p.  753-758  ; J.  R.  Palmer, «  Prenatal
Diethylstilbestrol Exposure and Risk of Breast Cancer  », Cancer Epidemiology,
o
Biomarkers and Prevention, vol. 15, n  8, 2006, p. 1509-1514.
13. R.  M.  Giusti, K.  Iwamoto et E.  E.  Hatch, «  Diethylstilbestrol revisited: a
review of the long-term health effects  », Annals of Internal Medicine, vol.  122,
o
n  10, 1995.
14. J. Le Moal et F. Coignard, « Exposition au DDT durant l’enfance et cancer du
sein  », Afsset –  Bulletin de veille scientifique en sécurité sanitaire de
o
l’environnement et du travail, n   6, 2008, p.  38  ; B.  A.  Cohn, M.  S.  Wolff,
P. M. Cirillo et R. I. Sholtz, « DDT and Breast Cancer in Young Women: New Data
on the Significance of Age at Exposure  », Environmental Health Perspectives,
o
vol. 115, n  10, 2007, p. 1406-1414, [en ligne] DOI 10.1289/ehp.10260
15. Paul Benkimoun  : https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/05/23/des-
parabenes-presents-dans-400-medicaments_1525948_3244.html#ens_id=1525957
16. P. D. Darbre et al.,  (2004), «  Concentrations of Parabens in Human Breast
Tumours », Journal of Applied Toxicology : JAT. 24. 5-13. 10.1002/jat.958.
17. Ibid.
18. S.  J.  Mandriota, «  A Case-control Study Adds a New Piece to the
Aluminium/Breast Cancer Puzzle  », EBioMedicine, 2017. S. J. Mandriota et  al.,

283
« Aluminium Chloride Promotes Tumorigenesis and Metastasis in Normal Murine
Mammary Gland Epithelial Cells », International Journal of Cancer, 2016.
19. «  WWF teste le sang de familles européennes  », [en ligne]
https://www.nouvelobs.com/monde/20051006.OBS1321/wwf-teste-le-sang-de-
familles-europeennes.html  ; «  Des tests sanguins pratiqués par l’association
écologiste sur trois générations de 13 familles européennes ont permis de détecter
la présence de 73  produits chimiques  », [en ligne]
https://wwf.panda.org/fr/wwf_action_themes/politique_europeenne/?12622
20. Valentine Tomaszek, « Comment s’informent les femmes sur la ménopause et
quelles sont leurs attentes vis-à-vis de leur médecin traitant sur le sujet ? », 2016,
[en ligne] http://www.bichat-
larib.com/publications.documents/5114_Tomaszek_Valentine_These.pdf
21. In Robert Wilson, Feminine Forever, 1966.
22. Writing Group for the Women’s Health Initiative Investigators, «  Risks and
Benefits of Estrogen Plus Progestin in Healthy Postmenopausal Women: Principal
Results From the Women’s Health Initiative Randomized Controlled Trial  »,
o
Journal of the American Medical Association, vol. 288, n  3, 2002, p. 321-333, [en
ligne] DOI 10.1001/jama.288.3.321
23. E. Banks et Collaborators MWS, « Breast Cancer and Hormone-Replacement
o
Therapy in the Million Women Study  », The Lancet, vol.  362, n   9382, 2003,
p. 419-427.
24. [En ligne] https://archiveansm.integra.fr/Dossiers/Traitement-hormonal-
substitutif-de-la-menopause/Traitement-hormonal-de-la-menopause-
THM/(offset)/0
25. M.  H.  Hsieh, E.  C.  Grantham, B.  Liu et al., «  In Utero Exposure to
Benzophenone-2 Causes Hypospadias Through an Estrogen Receptor Dependent
Mechanism  », Journal of Urology, vol.  178 (4 Pt  2), 2007, p.  1637-1642  ;
C.  J.  Weisbrod, P.  Y.  Kunz, A.  K.  Zenker et  al., «  Effects of the UV Filter
Benzophenone-2 on Reproduction in Fish  », Toxicology and Applied
o
Pharmacology, vol. 225, n  3, 2007, p. 255-266.
26. A. M. Soto et al., « The E-SCREEN Assay… », art. cit.
27. [En ligne] https://www.cancer-environnement.fr/273-Radioactivite.ce.aspx
28. B.  Miller Anthony et  al., «  Twenty Five Year Follow-Up for Breast Cancer
Incidence and Mortality of the Canadian National Breast Screening Study:
Randomised Screening Trial  », BMJ, vol.  348, 2014, g366, [en ligne]
https://www.bmj.com/content/348/bmj.g366.

284
32

Quand un perturbateur endocrinien


s’appelle « pilule contraceptive »

Les perturbateurs endocriniens sont désormais considérés comme un


problème majeur de santé publique qui a occasionné ces dernières
décennies un nombre record d’articles scientifiques. Le consensus
international vise à réduire l’exposition des humains et de la faune
sauvage à leurs effets nocifs 1. Le champ médical n’échappe pas à cette
prise de conscience mondiale.
Un aspect préoccupant concerne la contraception aux hormones  :
36,5 % des femmes en âge de procréer poussent chaque année la porte de
leur gynécologue pour se faire prescrire un perturbateur hormonal qui a
2
pour nom « pilule contraceptive » .
Il ne s’agit pas ici de critiquer la contraception, bien au contraire  :
elle reste un outil précieux dans la conquête de la maîtrise de la fécondité
et donc de l’émancipation des femmes. Mais la contraception n’est pas
condamnée à mettre en danger la santé des femmes. Les effets
secondaires de la contraception hormonale sont nombreux et peuvent
être graves, à commencer par l’augmentation du risque de cancer, car la
pilule est officiellement classée «  cancérigène certain  » –  mais qui le
sait ?

285
La pilule classée « cancérigène certain »
dès 1998 par l’OMS

L’organisme international qui fait autorité en matière de substances


cancérigènes, c’est le Centre international de recherche sur le cancer
(Circ), qui dépend de l’OMS. Cet organisme est basé à Lyon, et sa
mission est de dresser la liste des produits cancérigènes après avoir passé
en revue toute la littérature scientifique concernant une substance
problématique.
En 1998, en toute discrétion, les contraceptifs oraux, dont fait partie
la pilule, sont classés comme « cancérigènes du groupe I ». Cela signifie
« cancérigènes certains ». Ce groupe rassemble les 120 « agents » pour
lesquels il est considéré qu’il n’y a plus de doute possible 3.
La pilule provoque des cancers du sein, du col de l’utérus et du foie.
Si l’on se rappelle que le classement du glyphosate, l’herbicide
contesté de Monsanto, a provoqué un tollé en 2015 alors qu’il n’était
«  que  », si l’on peut dire, classé dans le groupe  II («  cancérigènes
probables »), on mesure la différence d’appréciation du risque : la santé
des femmes serait-elle moins importante que la santé de la population en
général ?
Or, en 1998, c’est bien sans aucune publicité que la pilule est
officiellement classée cancérigène.

L’invention empirique de la pilule hormonale


Ce classement est l’aboutissement d’un raisonnement scientifique
e 4
amorcé au XIX  siècle .
Les médecins ont d’abord compris que les hormones féminines
estrogéniques naturelles favorisent le cancer lorsqu’elles ne sont pas
maintenues dans un strict équilibre. En 1896, en effet, le chirurgien
écossais George Beatson s’aperçoit que l’ablation des ovaires freine

286
5
notablement l’évolution du cancer du sein métastasé . Il en déduit que
c’est la suppression des estrogènes fabriqués par les ovaires qui empêche
la progression du cancer.
La réflexion scientifique se poursuit, dans la seconde moitié du
e
XX  siècle, avec une autre question : si les estrogènes naturels favorisent
le cancer, qu’en est-il des estrogènes artificiels qui constituent les
ingrédients actifs des pilules contraceptives ?
Ces estrogènes de synthèse ont été découverts à la fin des années
1930 par les chimistes allemands Hans Herloff Inhoffen et Walter
Hohlweg. Très vite, ces hormones artificielles se retrouvèrent en
compétition avec une autre hormone synthétique estrogénique, le fameux
Distilbène découvert par l’Anglais Charles Dodds. Le bisphénol A, lui
aussi, fut classé comme hormone estrogénique avant de devenir un
plastifiant.
En 1956, l’inventeur de la pilule, l’Américain Gregory Pincus,
transposa sur les femmes les expériences qui avaient montré que des
lapines qui recevaient des hormones de synthèse comme la progestérone
et les estrogènes n’avaient plus d’ovulations et donc ne pouvaient plus
concevoir. De façon assez empirique, il n’observa aucun effet secondaire
notoire et considéra que sa découverte allait rendre de grands services à
l’humanité, surtout en cas de « surpopulation planétaire ».
Il ne savait pas vraiment à quel niveau du système hormonal la pilule
exerçait son action. Il supposait que l’hypophyse était impliquée mais
ignorait que cette dernière agissait sur commande de l’hypothalamus par
l’intermédiaire de l’hormone GnRH. Et pour cause : cette hormone que
Pincus bloquait sans le savoir ne fut découverte qu’en 1977, dix ans
après sa mort.
Ce n’est qu’en 1987 que la revue Cancer apporta une réponse
positive à la question de la cancérogénicité des estrogènes artificiels, en
publiant un article qui montrait que les contraceptifs oraux augmentaient
in vitro la multiplication des cellules du sein, qu’elles soient normales ou
cancéreuses. Encore fallait-il apporter la preuve que le même phénomène
se produisait in vivo, autrement dit dans le corps des femmes.

287
38 % de cancers du sein supplémentaires
avec la contraception aux hormones

Ce sera chose faite en 2017 avec une étude danoise qui aura duré
onze ans et suivi 2 millions de femmes 6. Le résultat est sans appel : les
femmes qui prennent des contraceptifs hormonaux ont 38 % de risques
supplémentaires d’avoir un cancer du sein que celles qui n’en prennent
pas. Rapporté à la France, cela correspond à 2  500 cancers du sein
supplémentaires par an.
Les chercheurs danois ont néanmoins observé que les femmes qui ont
utilisé la contraception hormonale durant moins de cinq ans ont vu leur
risque de cancer du sein décroître rapidement à l’arrêt de la pilule.

La cible de la pilule contraceptive


est d’abord le cerveau
On présente la prise de la pilule aux jeunes filles comme un acte
banal et sans danger. Sans se poser de questions, les femmes s’habituent
à avaler chaque jour ce qui n’est rien d’autre qu’un médicament
contenant des hormones artificielles qui vont bloquer leurs hormones
naturelles. La plupart du temps, elles savent simplement que la pilule
empêche l’ovulation et pensent que cela se passe au niveau des ovaires.
Ce n’est pas tout à fait le cas.
La conception de ce contraceptif hormonal, comme presque tous les
produits chimiques artificiels, est le résultat d’une double
démarche  intellectuelle. D’abord, les chimistes et les biologistes
observent un phénomène biologique naturel ; ensuite, ils se débrouillent
pour le bloquer en lui mettant des bâtons dans les roues. Ces bâtons, ce
sont des copies artificielles de molécules naturelles. Ces copies, comme
des leurres, vont agir en «  mimant  » la substance naturelle pour lui
« voler sa place » dans le récepteur de la cellule cible, voire l’en déloger.

288
Elles vont alors rendre la substance naturelle inutile, et la glande qui
la produit va être mise à l’arrêt… par le cerveau. C’est le cas avec les
contraceptifs oraux. Ils contiennent deux hormones de synthèse dont la
structure n’existe pas dans la nature : ce sont les équivalents mais pas les
copies exactes de la progestérone et de l’estrogène-estradiol.
Lorsqu’elles se retrouvent en grande concentration dans le sang,
l’hypothalamus et l’hypophyse qui surveillent en permanence les
niveaux hormonaux vont logiquement interrompre la production
d’hormones naturelles par les ovaires.
L’hypothalamus est en quelque sorte « trompé » : il considère que le
corps est en état de grossesse. Concrètement, il interrompt son signal
hormonal à base de GnRH en direction de l’hypophyse, et celle-ci arrête
d’envoyer les hormones FSH et LH aux ovaires, qui cessent leur activité
et donc l’ovulation. C’est bien l’axe hypothalamo-hypophyso-ovarien
qui bloque l’ovulation, créant ainsi une castration chimique (voir le
schéma au chap. 25).

Des hormones artificielles « renforcées »


Les hormones artificielles sont en quelque sorte « renforcées » pour
pouvoir passer dans l’estomac sans encombre, puis traverser l’intestin
pour parvenir jusqu’au foie et continuer leur course dans le sang.
L’estrogène de synthèse qui s’appelle l’éthinylestradiol (EE) possède une
action 200  fois plus concentrée que l’estrogène naturel principal,
l’estradiol. Cette molécule est donc très différente de l’estrogène
naturel, qui lui se dégrade facilement.
Cette différence a plusieurs conséquences. Le foie doit fournir un
effort plus important pour la métaboliser, ce qui le fatigue et le mobilise
7
sur d’autres tâches que ses fonctions habituelles de détoxification . Ce
n’est pas un hasard si le cancer du foie est un effet secondaire de la
pilule.

289
En fin de compte seuls 40 % de la dose ingérée sera utilisée, le reste
est en principe éliminé dans les urines. Le résultat est qu’une grande
partie de l’hormone de synthèse éthinylestradiol se retrouve dans les
eaux usées, et comme la molécule est conçue pour ne pas être dégradée
dans l’estomac et dans l’eau, elle résiste assez bien aux stations
d’épuration, qui ont du mal à la neutraliser. C’est pourquoi de nombreux
poissons sont féminisés.
Les stations de traitement de l’eau qui puisent à nouveau l’eau
pour la distribuer n’arrivent pas non plus à l’éliminer complètement
de l’eau de boisson. Or, le dosage de cette hormone dans l’eau de
boisson n’est pas nécessaire pour obtenir le label « eau potable » et n’est
pas indiqué sur les factures d’eau. Des scientifiques s’inquiètent des
8
conséquences de cette légèreté sur la virilité des hommes .

Effets secondaires multiples des pilules


aux hormones

Les contraceptifs oraux entraînent une modification du taux de


cholestérol et doublent les autres lipides du sang 9 (ce qui cause AVC,
plaques d’athérome, infarctus). Ils augmentent la coagulation du sang et
10
dérèglent la production d’insuline .
La question des doses n’est pas négligeable. Selon le Pr Joyeux, qui a
ses détracteurs et ses partisans, les hormones de synthèse sont déversées
dans l’organisme à des taux dix à cinquante fois plus élevés que les
hormones naturelles 11.
12
Les effets secondaires de la pilule sont multiples . Tous les
contraceptifs oraux accroissent le risque de caillots – dans le cerveau, les
poumons, l’œil, le cœur et les jambes. La Haute Autorité de santé
rappelle que « tous les contraceptifs estroprogestatifs sont associés à une
augmentation du risque d’accident thrombo-embolique artériel ou
veineux ».

290
Par rapport aux femmes qui ne prennent pas de contraceptifs
hormonaux, les utilisatrices de contraceptifs oraux courent des risques
multipliés par deux pour celles qui prennent des combinés de première et
deuxième générations, et par quatre pour celles qui ont recours aux
13
troisième et quatrième générations . Les deux dernières sont
déconseillées par l’Agence de santé.
Le scandale des pilules contraceptives a éclaté en France fin 2012
lorsqu’une jeune fille a porté plainte contre le laboratoire Bayer,
14
fabricant d’une pilule de troisième génération . Marion Larat a été
victime d’un AVC avec un handicap de 65  % en 2006. Après un long
parcours judiciaire plein de rebondissements, elle s’est vu allouer par un
jugement du tribunal de Bordeaux une indemnité de 4,5 millions d’euros
payables par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux
(Oniam). Fin 2020, huit ans après le début de la procédure, elle a
finalement obtenu que son cas fasse l’objet d’un procès au pénal.
De nombreuses victimes regroupées au sein de l’Avep (Association
des victimes d’embolie pulmonaire et AVC) attendent qu’on leur rende
justice. Ces associations ont recensé un millier d’accidents et soixante-
dix décès.

291
Effets secondaires des pilules contraceptives :
 
Ils sont multiples et loin d’être négligeables.

Vingt fois plus de tumeurs au cerveau avec


la progestérone de synthèse

Une autre forme de pilule a également défrayé la chronique : elle est


majoritairement composée de progestérone de synthèse et prescrite en
cas de troubles menstruels, d’endométriose et de ménopause. Cette pilule
a triplé le nombre de tumeurs au cerveau appelées méningiomes chez les
utilisatrices 15. La tumeur, le plus souvent bénigne, est opérable, mais elle
peut aussi devenir maligne.
Le champion toutes catégories du méningiome est l’Androcur
(acétate de cyprotérone). Il multiplie par vingt le risque de développer

292
cette tumeur chez celles qui prennent le traitement depuis au moins cinq
16
ans . Cette pilule hormonale qui bloque à la fois l’ovulation et l’activité
des hormones mâles est prescrite pour soigner l’endométriose,
l’hirsutisme, le changement de sexe et les troubles de la prostate. Le
risque de tumeur au cerveau est aussi multiplié par 12,5  sous Lutényl
(acétate de nomégestrol et génériques) et par 7 sous Lutéran (acétate de
chlormadinone et génériques) 17.
Le nombre de scandales touchant les traitements aux hormones n’a
pas fini de s’allonger. D’autres «  affaires  » concernent des implants
contraceptifs qui migrent du bras vers les poumons avec des risques
d’embolie (une trentaine depuis 2001).
Par ailleurs, les jeunes mères qui se voient prescrire des hormones
«  antiallaitement  » comme la bromocriptine sont invitées à consulter la
liste de ses effets secondaires cardiovasculaires, neurologiques et
psychiatriques parfois graves. Elle est édifiante. La Haute Autorité de
santé déconseille d’utiliser dans cette indication cette molécule qui
bloque l’hormone prolactine. Aux États-Unis, ce médicament est interdit
dans cette indication depuis plus de vingt ans.

RÉSUMÉ
Comme les femelles de la faune sauvage, et comme les hommes, les
femmes souffrent de différents troubles de la sphère de la reproduction.
Ils forment le «  syndrome de dysgénésie ovarienne  » (SDO)  : pubertés
très précoces, cycles menstruels déréglés, ovaires polykystiques,
virilisation des hormones, endométriose.
Plus la mère est exposée à des toxiques environnementaux pendant la
grossesse, plus les hormones sont perturbées et plus ces risques
augmentent. On retrouve dans les substances incriminées les «  six
poisons hormonaux » déjà cités : les pesticides, les plastifiants dérivés du
benzène (phtalates, bisphénols), les polybromés, les parabènes et les
médicaments (Distilbène, paracétamol, valproate, aspirine). Les périodes

293
fœtale et néonatale sont les plus critiques pour la petite fille, car elles
conditionnent la mise en place des organes et programment les maladies
de l’adulte.
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent et le plus mortel chez
la femme. Sa fréquence a doublé en trente ans. C’est un cancer
hormonodépendant. Les causes sont à la fois génétiques et
environnementales, mais la responsabilité des produits chimiques est
prouvée. Parmi ces substances chimiques, on trouve les hormones
synthétiques de la pilule (classée cancérigène) et des traitements de la
ménopause. Tous les médicaments estrogénomimétiques sont à risque.

1. International Conference on Chemicals Management (ICCM), [en ligne]


http://www.saicm.org/Implementation/EmergingPolicyIssues/EndocrineDisrupting
Chemicals/tabid/5476/language/en-US/Default.aspx
2. Selon le dernier baromètre de Santé publique France, «  Les Françaises et la
contraception : premières données du Baromètre santé 2016 ».
3. [En ligne] https://www.cancer-environnement.fr/478-Classification-des-
substances-cancerogenes.ce.aspx  ; https://www.cancer-environnement.fr/214-Vol-
100A--Produits-pharmaceutiques.ce.aspx
4. H. Joyeux et D. Vialard, La Pilule contraceptive, Éditions du Rocher, 2013.
5. The Lancet, 1896 ; ii : p. 104-107.
6. L. S. Mørch et N. Engl, « Contemporary Hormonal Contraception and the Risk
of Breast Cancer », Journal of Medicine, vol. 377, 2017, p. 2228-2239, [en ligne]
DOI 10.1056/NEJMoa1700732
7. F.  Trémollières, «  Contraception orale estro-progestative  : quelle différence
entre éthinylestradiol et estradiol ? », Gynécologie Obstétrique & Fertilité, vol. 40,
o
n  2, 2012, p. 109-115, [en ligne] DOI 10.1016/j.gyobfe.2011.10.009
8. O. Jobling, « Ethinyl Oestradiol in the Aquatic Environment », in D. Gee et al.,
Late Lessons From Early Warnings…, op. cit.
9. [En ligne] https://www.glowm.com/section-view/heading/pharmacology-of-
contraceptive-steroids/item/385#
10. [En ligne] http://www.contraceptions.org/html/tab_pil.htm
11. H. Joyeux et D. Vialard, La Pilule contraceptive, op. cit.
12. C. W. Skovlund, L. S. Mørch, L. V. Kessing et Ø. Lidegaard, « Association of
o
Hormonal Contraception With Depression  », JAMA Psychiatry, vol.  73, n   11,
2016, p. 1154, [en ligne] DOI 10.1001/jamapsychiatry.2016.2387
13. Voir le rapport de l’ANSM du 26  mars 2013 «  Contraceptifs et risques
thromboemboliques : 20 morts prématurées par an ».

294
14. M. Larat, La pilule est amère, Stock, octobre 2013.
15. [En ligne] https://ansm.sante.fr/actualites/androcur-et-generiques-acetate-de-
cyproterone-50-mg-et-100-mg-et-risque-de-meningiome-lansm-publie-des-
recommandations-pour-la-prise-en-charge-des-patients
16. [En ligne] https://ansm.sante.fr/actualites/lutenyl-luteran-les-rapports-des-
etudes-epidemiologiques-sont-disponibles
17. Ibid.

295
33

Quand les couples deviennent infertiles

On connaît tous l’histoire de la petite graine que le papa met dans le


ventre de la maman. La fertilité, ce n’est pas plus compliqué que cela,
sauf que…
Côté papa, il faut quand même une petite graine, et qu’elle soit de
bonne qualité.
Cette première étape est déjà compromise par les différentes
altérations hormonales que l’on a décrites dans les chapitres précédents
consacrés aux hommes  : baisse des spermatozoïdes, baisse de la
testostérone, malformations de l’appareil génital, cancer du testicule,
cancer de la prostate. On a vu aussi les causes chimiques de ces
dysfonctionnements : les pesticides, les médicaments, les plastiques, les
conservateurs, les solvants, etc.
Côté maman, il faut non seulement que l’œuf qui va se mélanger
avec la graine du papa soit aussi de bonne qualité, mais également que le
ventre de la maman puisse lui apporter tout ce qu’il faut pour lui
permettre de grandir et de devenir un beau bébé.
Les chapitres précédents ont présenté les nouvelles difficultés
rencontrées par les femmes et qui ont toutes des répercussions sur la
fertilité  : les pubertés précoces, les cycles menstruels irréguliers, les
ovaires polykystiques, l’endométriose et les cancers. Les causes
chimiques de ces pathologies sont les mêmes que chez les hommes. On a
vu que parfois ces substances abîment la petite graine alors qu’elle est

296
encore dans le ventre de la maman. C’est ce qu’on a appelé l’« origine
fœtale » des maladies de l’adulte.
Enfin, pour que le papa mette la petite graine, il faut qu’il en ait le
désir, autrement dit qu’il soit attiré par la maman femelle, et
réciproquement. Or, ce sont les hormones qui créent l’attirance pour
l’autre sexe. On a constaté chez les animaux que certaines substances
chimiques (toujours les mêmes) changent non seulement les dosages des
hormones sexuelles, mais également les comportements qu’elles
induisent. Si le mâle n’est plus attiré par la femelle, il ne va plus la
féconder. Le risque est alors qu’il y ait trop de mamans pour pas assez de
papas. C’était le cas chez les goélands contaminés par les pesticides.
Il faut aussi que la femelle ait envie de recevoir la petite graine, et
cette question-là est beaucoup moins bien documentée sur le plan de la
littérature scientifique.
Pour le reste – les cas les plus fréquents où le mâle et la femelle ont
envie de procréer –, comment se fait-il alors que cela devienne de plus en
plus difficile ou du moins de plus en plus long à se produire  ? Cette
infertilité relative est mesurable  ; c’est ce qu’on appelle le «  délai à
concevoir ».

Un quart des couples français sont infertiles


L’OMS définit l’infertilité par l’absence de grossesse après plus de
douze mois de rapports sexuels réguliers sans contraception. La stérilité
est définie comme l’incapacité totale pour un couple de concevoir un
enfant.
En France, le pourcentage des couples dits «  infertiles  » est
actuellement de l’ordre de 25 %, ce qui constitue un problème de santé
12
publique non négligeable .
L’évolution depuis un siècle est plus difficile à cerner, car on dispose
de très peu de données directes. Ce que l’on sait, c’est que l’infertilité

297
ressentie augmente : les femmes déclarant une difficulté à concevoir sont
3
à 70 % plus nombreuses en 1994 qu’en 1978 .
Dans les pays développés, la situation semble plus détériorée que ne
veulent bien le reconnaître les autorités de santé nationales et
internationales. Face à l’augmentation importante du nombre de
spermogrammes considérés comme anormaux, l’Organisation mondiale
de la santé a abaissé les normes de qualité du sperme en 2010.
Aujourd’hui, un spermogramme présentant 15  % de spermatozoïdes
typiques est normal, alors qu’il y a quelques années il en fallait 60 %.

Courbe de l’infécondité involontaire :


 
Proportion de femmes sans grossesse en fonction du nombre de mois écoulés
depuis le début de la période sans contraception. 25 % des couples sont
toujours sans grossesse après douze mois. (Enquête nationale périnatale
4
2003 )

Les causes ?

298
Certes, l’âge moyen des mères au moment de la naissance d’un
enfant a augmenté depuis quarante ans : il est passé de 26,5 ans en 1977
5
à 30,6 ans en 2018 . Or, la fertilité est optimale entre 18 et 31 ans. Elle
baisse de moitié après 40 ans et devient presque nulle après 45 ans. C’est
l’« horloge biologique ». Pourtant, ce délai dans la maternité ne peut pas
à lui seul expliquer le recul de la fertilité.
Au Danemark, des épidémiologistes ont montré que les femmes des
jeunes générations ont un taux de fertilité moindre que leurs aînées à un
âge plus élevé 6. Pour ce faire, ils ont mesuré la diminution du taux de
fécondité des adolescentes à un âge où l’essentiel des grossesses est non
7
prévu .
De jeunes femmes sont touchées prématurément par une insuffisance
ovarienne. En général, à la puberté, le nombre d’œufs que la femme a en
réserve est d’environ 300 000. À 37 ans, elle n’est plus que de 25 000, et
il n’en reste que 1  000  à 51  ans, l’âge moyen de la ménopause. Un
nouveau symptôme appelé « diminution de la réserve ovarienne » (DRO)
a fait son apparition  ; il touche un quart des femmes qui ont recours à
une assistance médicale à la procréation. Aux États-Unis, ce taux a
augmenté de 37 % en seulement sept ans, de 2004 à 2011 8.
La reproduction étant contrôlée par le système hormonal, il n’est
guère surprenant que des perturbateurs hormonaux aient des
répercussions sur la reproduction. Le syndrome des ovaires
polykystiques, qui touche 10  à 15  % des femmes, est en France la
première cause d’infertilité. Une autre cause d’infertilité touche 10 % des
femmes : c’est l’endométriose. On la retrouve dans environ 40 % des cas
de consultations pour des problèmes de fertilité féminine. Mais elle ne
freine la grossesse que dans 30 % des cas.
Les polluants chimiques capables de détériorer la fertilité ont été
décrits dans les chapitres précédents. Ce sont les «  6  P  », pour
« poisons ». Ajoutons quelques exemples :
–  Les pesticides  : les études réalisées auprès de populations
d’hommes consultant pour infertilité montrent de manière assez
concordante que l’exposition professionnelle à des pesticides est associée

299
à des caractéristiques du sperme situées en dessous des seuils considérés
9
comme nécessaires à une capacité procréatrice adéquate . Deux
pesticides, la vinclozoline et le méthoxychlore, réduisent la fertilité et la
10
production de sperme du testicule adulte de rat . De plus, cette
détérioration se répercute sur au moins quatre générations sans
exposition additionnelle.
– Le bisphénol A : en 2010, deux études ont montré que les hommes
consultant pour infertilité ont aussi un taux plus élevé de bisphénol A
dans leurs urines. Ils ont également un déséquilibre des hormones de la
reproduction, à commencer par la testostérone. Chez les femmes, de
nombreuses études montrent la responsabilité du bisphénol  A dans les
dysfonctionnements de l’appareil reproducteur.
– Les phtalates : chez les femmes atteintes d’endométriose, les taux
11
de phtalates sont souvent plus élevés . Le Pr René Habert a montré les
effets délétères des phtalates sur les testicules de fœtus. Le Pr  Bernard
Jégou a prouvé leur toxicité sur les testicules des adultes, avec des
répercussions possibles sur la fertilité du fait de la baisse de production
12
de la testostérone . Shanna Swan a montré que les femmes qui ont un
taux élevé de phtalates ont deux fois et demie moins de libido.
–  Les composés polybromés ou retardateurs de flamme  : une étude
danoise a montré que les couples dont les analyses révélaient les taux les
plus élevés en perfluorés étaient également ceux qui mettaient le plus de
13
temps à concevoir .
–  Les parabènes  : une étude menée chez une centaine d’hommes
consultant pour infertilité a montré que la présence de parabène
(butylparabène) dans le sérum est significativement associée aux
altérations de l’ADN des spermatozoïdes. Plus la contamination est
importante, plus l’altération de l’ADN augmente.
Enfin le poids est également cité parmi les causes d’infertilité. Chez
la femme, le risque d’infertilité après un an de tentatives est augmenté de
27 % en cas de surpoids et de 78 % en cas d’obésité. Cependant, il s’agit
plus d’une association que d’une cause, car l’obésité et l’infertilité
peuvent avoir une origine environnementale commune.

300
Le recours à la PMA augmente
fortement
Les couples infertiles ont de plus en plus souvent recours à la
procréation médicalement assistée (PMA), qui représente près de 3 %
14
des naissances en France en 2012 . En 2018, les naissances par
PMA étaient de 3,4 %. La PMA, si elle ne permet pas de remédier aux
causes de cette infertilité, favorise l’obtention d’une grossesse par
manipulation in vitro des gamètes mâles et femelles.
Les naissances par FIV (fécondation in vitro) ont un taux de succès
de 20 %, contre 10 % pour une insémination artificielle. Là encore, les
femmes qui ont un taux élevé de phtalates dans l’organisme obtiennent
de moins bons résultats lors de la fécondation in vitro.
À noter que les médicaments prescrits pour stimuler l’ovulation,
comme le citrate de clomifène, sont eux-mêmes des perturbateurs
hormonaux qui prennent la place des estrogènes sur leurs récepteurs
dans l’hypothalamus. Celui-ci, croyant à une carence, augmente la
GnRH, qui augmente la FSH et la LH, qui augmentent les estrogènes
et la progestérone, qui augmentent l’ovulation (voir le schéma au
chap. 25). Ces traitements ne sont pas dénués d’effets secondaires.

Les solutions pour améliorer la fertilité


Les solutions pour améliorer la fertilité commencent par faire la
chasse à tous les polluants toxiques du quotidien. Nous proposons un
petit guide sur vingt-quatre heures de slalom anti-toxiques hormonaux au
chap. 42.

RÉSUMÉ
Un quart des couples français sont infertiles, ce qui signifie qu’ils
n’ont toujours pas obtenu de grossesse après douze mois sans

301
contraception. L’infertilité ressentie a augmenté depuis les années 1970.
Les jeunes générations sont moins fertiles que leurs aînées au même âge.
Les causes de cette infertilité non voulue sont multiples, mais l’on
sait que les polluants toxiques qui détériorent la fertilité ont très
fortement augmenté dans l’environnement. Ce sont les «  6  P  »,
pesticides, plastifiants, produits pharmaceutiques, perfluorés,
polybromés et parabènes.

1. R.  Slama, «  La fertilité des couples en France  », 2012, [en ligne]


https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-fertilite-des-couples-en-france
2. Id., « Estimation of the Frequency of Involuntary Infertility on a Nation-Wide
o
Basis », Human Reproduction, vol. 27, n  5, mai 2012, p. 1489-1498.
3. Repris par Leridon 2007.
4. Id., B.  Ducot, N.  Keiding, B.  Blondel et J.  Bouyer, Bulletin épidémiologique
o
hebdomadaire, n  7-8-9, 2012, p. 87-91.
5. [En ligne] https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-
information/infertilite
6. M.  Blomberg Jensen, L.  Priskorn, T.  K.  Jensen, A.  Juul et N.  E.  Skakkebaek,
«  Temporal Trends in Fertility Rates: A  Nationwide Registry Based Study From
o
1901 to 2014  », PLOS One, vol.  10, n   12, 2015, e0143722, [en ligne] DOI
10.1371/journal.pone.0143722
7. T.  K.  Jensen, T.  Sobotka, M.  A.  Hansen, A.  T.  Pedersen, W.  Lutz et
N. E. Skakkebæk, « Declining Trends in Conception Rates in Recent Birth Cohorts
of Native Danish Women: A  Possible Role of Deteriorating Male Reproductive
o
Health  », International Journal of Andrology, vol.  31, n   2, 2008, p.  81-92, [en
ligne] DOI 10.1111/j.1365-2605.2007.00827.x
8. S. Swan, Count Down…, op. cit.
9. P. L. Bigelow, J. Jarrell, M. R. Young, T. J. Keefe et E. J. Love, « Association of
Semen Quality and Occupational Factors: Comparison of Case-Control Analysis
o
and Analysis of Continuous Variables  », Fertility and Sterility, vol.  69, n   1,
janvier  1998, 11-8, [en ligne] DOI 10.1016/s0015-0282(97)00437-8  ; PMID
9457925  ; A.  Oliva, A.  Spira et L.  Multigner, «  Contribution of Environmental
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10. M.  D.  Anway, A.  S.  Cupp, M.  Uzumcu et M.  K.  Skinner, «  Epigenetic
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302
o
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p. 690) ; PMID 15933200.
11. L. Cobellis, G. Latini, C. De Felice, S. Razzi, I. Paris, F. Ruggieri, P. Mazzeo
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12. C.  Desdoits-Lethimonier, O.  Albert, B.  Le  Bizec, E.  Perdu, D.  Zalko,
F. Courant, L. Lesné, F. Guillé, N. Dejucq-Rainsford et B. Jégou, « Human Testis
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13. C.  Fei, J.  K.  Mclaughlin, L.  Lipworth et J.  Olsen, «  Maternal Levels of
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14. «  Combien d’enfants naissent grâce à une…  », Ined.fr, [en ligne]
https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/252/fichier.fiche.peda.pma.en.france.fr.pdf

303
1. G.  M.  Buck Louis, M. A.  Cooney, C.  M.  Peterson, « The Ovarian Dysgenesis
Syndrome  », Journal of Developmental Origins of Health and Disease, vol.  2,
2011, p. 25-35.

304
PARTIE 3

LES AUTRES MALADIES
ENVIRONNEMENTALES

305
34

Quand les « polluants du quotidien »


contaminent 100 % de la population
française

100 % de la population française est contaminée par les « polluants


du quotidien ». C’est ce que montrent pour la première fois les résultats
de l’étude 2020 sur l’imprégnation de la population par six toxiques
hormonaux chimiques 1  : 100  % des adultes et des enfants ont des
bisphénols (A, F, S) dans les urines ; 99 % des adultes et des enfants ont
des phtalates, et 100 % des adultes et des enfants ont au moins l’un des
huit éthers de glycol les plus dangereux ; 92 % ont du méthylparabène.
Dans le sang, on a retrouvé des perfluorés chez 100  % des individus,
toutes générations confondues.
Les enfants présentent en moyenne des taux trois à cinq fois plus
élevés que les adultes pour les plastifiants (bisphénols et phtalates), les
polybromés et les perfluorés. On les retrouve dans l’alimentation mais
aussi partout dans l’environnement quotidien  : cosmétiques, vernis,
peintures, solvants, textiles, revêtements adhésifs de poêle, jouets en
plastique. Les équipements électroniques, les meubles, les tissus
d’ameublement sont imprégnés de perfluorés et de retardateurs de
flamme bromés. Les taux concernant chaque produit chimique sont en
fait à additionner aux autres composés, car dans l’organisme ils se
stockent et interagissent. C’est ce que l’on nomme l’« effet cocktail ». Le

306
total de 1 033 microgrammes de produits chimiques par litre auquel nous
arrivons pour les enfants ne tient pas compte de la synergie entre les
toxiques.
Quelles sont les conséquences pour la santé ? Une étude sur les rats a
montré qu’une dose de 10  microgrammes par kilogramme de
bisphénol  A injectée pendant quatre jours commence à produire les
conditions d’un diabète : résistance à l’insuline et hyperglycémie dans le
sang. Qu’en est-il pour les humains ?
L’alimentation reste la source principale d’exposition aux bisphénols,
mais il faut lui ajouter l’ingestion ou l’inhalation de poussières
intérieures (bisphénol  F dans le matériel électronique) ou encore les
contacts cutanés avec des matériaux contenant des bisphénols dans le
logement.
Une expertise collective de l’Inserm de 2011 avait déjà sonné
2
l’alarme  : « Au total, très peu d’études ont été réalisées et on ne peut pas
considérer que le bisphénol  A, aux doses auxquelles la population
générale est exposée, soit sans danger pour le versant masculin de la
fonction de reproduction. »

307
Contamination des enfants aux polluants du quotidien :
 
En moyenne, 92 à 100 % des enfants français sont contaminés par
ces six poisons.
Pour chaque litre d’urine, un enfant expulse 1  033  microgrammes
de ces perturbateurs endocriniens. Combien en conserve-t-il dans
son corps ?
Ce total ne tient pas compte des pesticides et des métaux lourds.

L’agence d’État Santé publique France se contente, quant à elle, de


donner des tableaux d’imprégnation pour chaque toxique considéré. Elle
ne va pas jusqu’à calculer le total des toxiques et encore moins à
expliquer leur impact sur la santé. À chacun de se débrouiller avec les
tableaux. Elle concède néanmoins qu’étant donné la toxicité de ces
substances, il vaut mieux réduire l’exposition individuelle et
collective. Quant au danger pour la santé et aux valeurs à ne pas
dépasser, elle ne se prononce pas et indique simplement : « Ces résultats
d’imprégnation pourront être utilisés pour évaluer les risques sanitaires
sur la population lorsque des valeurs d’imprégnation critique auront été
établies. »

308
À noter que les métaux lourds et les pesticides n’ont pas été évalués
dans l’étude de Santé publique France sur les « polluants du quotidien ».
Il faut donc les ajouter. On peut tout de même se faire une idée de
3
l’étendue de la contamination grâce à une étude parue en 2017 .

Les pesticides omniprésents

– Les organochlorés : 100 % des Français contaminés


 
100 % de la population française est encore contaminée avec le DDT
et ses dérivés plus de cinquante ans après son interdiction. Il est classé
par l’OMS comme « possiblement cancérigène » pour l’espèce humaine.
Il a des effets neurotoxiques et hormonotoxiques. Les femmes sont
beaucoup plus contaminées que les hommes et les plus vieux que les plus
jeunes.
Il faut ajouter d’autres organochlorés, comme le lindane (HCH,
hexachlorocyclohexane), ainsi que des chlorophénols (proches du
bisphénol avec du chlore en plus), des produits présents en grande
quantité dans l’organisme des Français, bien qu’interdits depuis 2009. Ils
ont été utilisés comme désodorisants dans les toilettes, antimites,
antirongeurs, antiacariens, antiparasitaires et désinfectants. C’est,
semble-t-il, l’usage en tant qu’antimite qui expliquerait une
concentration très élevée de 10,56 microgrammes par litre.
 
– Les organophosphorés : 90 % des Français contaminés
 
90 % des Français sont contaminés avec des organophosphorés, qui
avaient remplacé les organochlorés jugés trop toxiques. Utilisés comme
insecticides et désinfectants, ils sont moins persistants mais plus toxiques
pour le système nerveux. La population générale y est exposée via
l’alimentation et les shampoings antipoux, alors que certains, comme le
parathion et le malathion, sont classés « probablement cancérigènes pour

309
4
l’homme » . Les enfants traités aux shampoings antipoux sont exposés à
des pesticides induisant des leucémies et des lymphomes. Selon l’étude
de Santé publique France, les personnes les plus imprégnées utilisent
beaucoup d’insecticides dans les logements, mangent beaucoup de
fraises (contaminées) et vivent dans des départements vinicoles.
 
– Les pyréthrinoïdes : 80 % des Français contaminés
 
C’est la troisième génération de pesticides après les organochlorés et
les organophosphorés. Ce sont les plus utilisés actuellement, mais pas les
moins toxiques. On les trouve dans les traitements antipuces et
insecticides, dans les potagers. La population française est trois fois plus
contaminée que celle des États-Unis.

Les PCB, présents à 100 % malgré


l’interdiction en 1987

100 % des Français ont encore des PCB, appelés « pyralènes », dans
le sang, malgré une interdiction vieille de plus de trente ans. Les
polychlorobiphényles (PCB –  en gros, deux noyaux benzène avec du
chlore) sont toxiques, écotoxiques, reprotoxiques et certains sont classés
cancérigènes. Comme ils résistent à la chaleur, ils ont été utilisés
principalement pour isoler les transformateurs électriques.
Pour les femmes en âge de procréer, la situation est encore plus
grave, car 13,3  % dépassent le seuil de sécurité proposé par l’Agence
5
française de sécurité sanitaire (Anses) . Il apparaît que la concentration
6
moyenne des PCB a été divisée par trois en vingt ans (1986 et 2006) .
Les femmes qui ont décidé d’être mères en 1986 n’en ont jamais rien su,
et lorsque les enfants nés vers cette période développent des maladies à
l’âge adulte, il est bien difficile d’établir un lien de causalité 7.

310
8
Le scandale des PCB n’est pas éteint à l’heure actuelle . En 1985, les
poissons du Rhône étaient contaminés et interdits à la consommation de
Lyon à la Camargue  ; tous les fleuves français étaient aussi pollués.
Depuis 2010, l’usine Aprochim de traitement du PCB, en Mayenne, ne
cesse de défrayer la chronique avec des incendies et des pollutions à
répétition. Cette usine classée Seveso (label signalant les usines
dangereuses) n’est toujours pas aux normes. L’indifférence médiatique à
son égard reste quasi totale.
Le problème du PCB rejoint ce que les sciences sociales ont
aujourd’hui coutume d’appeler la «  production d’ignorance 9  ». Cette
notion regroupe l’ignorance elle-même mais aussi les moyens mis en
œuvre pour la produire, la préserver et la propager. Les efforts de
l’industrie du tabac pour nier la nocivité de ses produits en est le plus
célèbre exemple.

Les métaux lourds imprègnent toujours


la population française
100  % des échantillons biologiques des Français contiennent des
métaux lourds, qui s’additionnent aux autres familles de polluants dans
les mêmes organismes. Les résultats de l’étude Esteban publiés en
juillet  2021 ont montré un excès préoccupant en cadmium, arsenic et
10
chrome .
Les sources de contamination sont principalement l’alimentation,
mais aussi, pour le plomb, la pollution de l’air et, pour le mercure, les
amalgames dentaires et le poisson. Une étude de 2005 de l’Observatoire
de la qualité de l’air intérieur a montré que les poussières de 100 % des
11
foyers français contenaient des phtalates , les retardateurs de flamme
bromés et les organoétains.

311
100 % des Français sont contaminés par ces onze métaux lourds.

En conclusion, on ne peut que constater une pollution générale des


organismes des Français, qu’ils soient enfants ou adultes, hommes ou
femmes. On pouvait le supposer, mais ce n’est qu’en 2020 que les taux
de contamination par les perturbateurs hormonaux ont été rendus publics.
Cette pollution n’épargne ni les femmes enceintes ni leurs bébés.

RÉSUMÉ
100 % de la population française est contaminée par les « polluants
du quotidien ».
C’est ce que montrent les résultats de l’étude 2020 sur l’imprégnation
de la population par six toxiques hormonaux chimiques. Les enfants
présentent en moyenne des taux trois à cinq fois plus élevés que les
adultes pour les plastifiants (bisphénols et phtalates), les polybromés et

312
les perfluorés. Outre ces six polluants du quotidien, les pesticides et les
métaux lourds sont très présents. Les médicaments et les  polluants de
l’industrie alimentaire, comme les colorants et les conservateurs, n’ont
pas été analysés.
Étant donné la toxicité de ces substances, Santé publique France
recommande de réduire l’exposition individuelle et collective.

1. C.  Fillol et al., «  Exposition aux polluants du quotidien de la population


française en 2014-2016 d’après l’étude Esteban  », Bulletin épidémiologique
o
hebdomadaire, n  18-19, 2020, p.  361-369, [en ligne]
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/18-19/2020_18-19_2.html
2. Coll., « Reproduction et environnement. Synthèse », op. cit.
3. N.  Fréry, C.  Fillol, R.  Garnier, G.  Falq, M.-L.  Bidondo, L.  Guldner et
A. Zeghnoun, « Exposition de la population française aux substances chimiques de
l’environnement –  Étude ENNS 2006-2007  », Toxicologie analytique et clinique,
o
vol. 29, n  4, 2017, p. 441-482, [en ligne] DOI 10.1016/j.toxac.2017.06.002
4. [En ligne] https://www.cancer-environnement.fr/426-Vol112--Cancerogenicite-
du-tetrachlorvinphos.ce.aspx
5. «  Avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à
l’interprétation sanitaire des niveaux d’imprégnation de la population française en
PCB », Maisons-Alfort, France, Afssa, 2010.
6. N.  Fréry, C.  Fillol, R.  Garnier, G.  Falq, M.-L.  Bidondo, L.  Guldner et
A. Zeghnoun, « Exposition de la population française aux substances chimiques de
l’environnement… », art. cit.
7. Aurélien Féron, « Persistance biochimique et récalcitrance politique. Quelques
éléments d’analyse sur les résurgences du problème de pollution par les PCB
o
(France, 1975-2015) », Pour mémoire, HS n  19, hiver 2017, p. 27-38.
8. E. Spears, Baptized in PCBs (« Baptisé dans les PCB »), 2014.
9. A. Féron, « Persistance biochimique et récalcitrance politique… », art. cit.
10. https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/exposition-aux-metaux-de-la-
population-francaise-resultats-de-l-etude-esteban
11. L.  Mosqueron et V.  Nedellec, «  Hiérarchisation sanitaire des paramètres
d’intérêt pour l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur  : application aux
phtalates, paraffines chlorées à chaîne courte, organo-étains, alkyl phénols et
retardateurs de flamme bromés », 2005.

313
35

Quand 100 % des femmes enceintes


sont polluées

La quasi-totalité des femmes enceintes est polluée par des produits


chimiques qui ont un effet délétère pour la mère et l’enfant. C’est ce qu’a
montré pour la première fois une étude de Santé publique France 1,
2
l’étude Elfe . On retrouve une exposition de presque 100 % des femmes
enceintes pour les pesticides, les phtalates, les bisphénols, les PCB, les
perfluorés et les polybromés. Un autre volet de l’étude a également
montré une pollution aux métaux lourds et aux métalloïdes. Ces
différents toxiques traversent la « barrière du placenta ».
Les «  polluants organiques  » sont des molécules-chimères, qui
n’existent pas dans la nature, et elles sont d’autant plus dangereuses
qu’elles sont fabriquées avec du carbone pour ressembler à une
substance naturelle, ce qui leur permet de «  mimer  » les molécules
produites par l’organisme et de bloquer la communication entre les
cellules.

314
Les résultats de l’étude Elfe montrent une contamination généralisée
des femmes enceintes.

À noter que les parabènes, qui sont des conservateurs utilisés dans
80 % des cosmétiques, n’ont pas été mesurés dans cette étude de cohorte
Elfe.
– Bisphénol A : les femmes enceintes sont moins imprégnées que la
population générale, mais ce n’est pas une bonne nouvelle, car si les
mesures sont exactes cela signifie que les toxiques de la mère ont
vraisemblablement été transférés au bébé. Une étude yougoslave avait
établi ce transfert en 1987 3.
–  Phtalates  : ils sont aussi présents dans le liquide amniotique,
comme l’ont mesuré des chercheurs allemands de Munster en prélevant
4
du liquide lors d’accouchements avec césarienne . Quand les mères
présentent un taux de phtalates élevé, le poids du nouveau-né est plus bas
et le risque de féminisation du garçon est accru.

315
–  Perfluorés  : ils sont associés à un faible poids de naissance du
5
nourrisson .
L’étude Elfe a également mesuré la présence de métaux et
métalloïdes dans l’organisme des femmes enceintes. La contamination
est générale. L’aluminium n’a pas été évalué. Il existe en France une
surimprégnation des femmes enceintes par l’arsenic total et le mercure
en comparaison à d’autres pays, comme les États-Unis.
Les organoétains sont présents dans les poussières des maisons, car
ils jouent le rôle d’intermédiaires dans la fabrication du PVC qui va
ensuite se retrouver dans les linoléums.
Le mercure est classé « cancérigène possible pour les humains » en
particulier pour le cancer du rein. On le trouve dans les poissons, les
amalgames dentaires et certains vaccins (risque de narcolepsies).
Aux États-Unis, les études d’imprégnation des femmes enceintes
obtiennent des résultats identiques pour le mercure 6.

316
Les différentes pollutions à éviter
pour les femmes enceintes
—  Les pesticides dans l’alimentation  : 80  à 90  % des fruits et
légumes contiennent des résidus de pesticides. Il est recommandé de
« manger bio ».
— L’eau étant source de contamination, il est déconseillé de boire
l’eau d’une bouteille plastique. Il est préférable de filtrer l’eau du robinet
avec des filtres à charbon vendus dans le commerce (Doulton).
—  Certains médicaments, dont le paracétamol et l’aspirine,
féminisent le fœtus mâle. La femme enceinte ne doit prendre aucun
médicament durant la grossesse, et surtout pas d’antinauséeux (voir le
chap.  15 au sujet des ravages du Distilbène). Celles qui ne peuvent
faire autrement en raison d’une maladie chronique doivent limiter les
prises au minimum, en accord avec leur médecin.
—  Le vapotage est à proscrire en raison notamment des parfums
synthétiques contenus dans les liquides utilisés, qui sont des muscs
aromatiques chimiques hormonoperturbants. Il en va de même pour les
parfums, y compris de grandes marques.
— Le tabac, déjà déconseillé pour son action sur les poumons, est
aussi un perturbateur hormonal, en raison de certains composés qu’il
contient.
— Le bricolage est à proscrire pendant la grossesse en raison des
toxiques contenus dans les produits employés.
Pour plus d’information, consulter Le  Guide anti-toxique de la
7
grossesse, du Dr Laurent Chevallier .
On a longtemps pensé que le fœtus était protégé contre de
multiples toxiques par la «  barrière du placenta  ». Mais pour de
nombreuses molécules, dont les perturbateurs hormonaux, ce n’est
pas le cas, comme le montrent les analyses effectuées sur les
nouveau-nés.

Des bébés « prépollués »

317
Aujourd’hui, 100  % des bébés naissent prépollués. Le constat est
proprement effarant, et c’est un véritable cocktail chimique que l’on
retrouve dans le cordon ombilical. Les polluants chimiques qui ont
imprégné la mère pendant la grossesse ne sont pas arrêtés par le placenta,
comme on le pensait encore il n’y a pas si longtemps.
On retrouve 200  polluants chimiques dans le cordon ombilical des
bébés. Ce sont les résultats d’une étude réalisée en 2004 par une ONG
8
américaine sur dix bébés californiens . En tout, les tests ont révélé la
présence de 287  polluants appartenant à neuf familles chimiques
différentes. Et encore, tous les produits chimiques n’ont pas été
recherchés.
Parmi les toxiques retrouvés, huit perfluorés (PFC) utilisés comme
antitaches et antigras dans l’emballage des fast-foods, des vêtements et
des textiles (y compris de marque Téflon, Scotchgard ou Stainmaster) et
du PFOA, classifié cancérigène probable pour l’homme, présents comme
imperméabilisants dans les tissus. Parmi ces produits, 217 sont toxiques
pour le cerveau et le système nerveux, et 208 causent des cancers chez
les humains et les animaux. Les dangers de ces cocktails toxiques n’ont
jamais été étudiés.

318
Polluants dans le cordon ombilical :
 
À la naissance, on retrouve en moyenne 200  polluants chimiques
dans le cordon des bébés. (The Environmental Working Group 2004)

L’exposition à la dioxine in  utero est associée à l’augmentation des


cancers hormonodépendants à l’âge adulte ainsi qu’à d’autres troubles,
comme le diabète, la baisse de la testostérone, l’altération du système
immunitaire, le dérèglement de la thyroïde et les troubles du cerveau.
L’exposition au mercure in  utero altère les fonctions cérébrales de
l’enfant et provoque des attaques cardiaques.
L’exposition au PCB in  utero endommage le cerveau et empêche le
développement normal du QI. Elle est également associée à une
perturbation des cycles menstruels.
L’exposition aux pesticides chlorés in  utero est associée à une
atteinte des systèmes hormonaux, immunitaires, métaboliques, dont
diabète et obésité.
Par ailleurs, une étude italienne a montré que des phtalates ont été
détectés dans le sang de 100  % des cordons ombilicaux prélevés à la
naissance dans une maternité de Brindisi 9. Ils provoqueraient une
inflammation de l’utérus, qui est un facteur de risque connu de
prématurité.

319
Recommandations
antihormonotoxiques
Privilégier  : l’alimentation bio, les biberons en verre, les ustensiles
de cuisine autres qu’en plastique (pas de cuit-tout spécial bébé en
plastique), pas de micro-ondes, des cosmétiques simples et naturels,
pas de lingettes, une literie non traitée, des vêtements non traités, des
meubles en bois massif et non traités (pas d’agglomérés), des sols
autres qu’en plastique, etc.
Éviter autant que possible  : les ustensiles de cuisine en plastique
(pas de cuit-tout spécial bébé en plastique), le micro-ondes, les
médicaments hormonoperturbants comme le paracétamol et certains
antibiotiques (voir la liste au chap.  24 sur les médicaments
féminisants), les lingettes. Parmi les médicaments, on retrouve les
vaccins qui ne sont pas dénués de conservateurs chimiques, de
solvants, de métaux lourds, dont le mercure et l’aluminium. Les
nourrissons sont protégés par les anticorps de leur mère pendant de
longs mois, et la fièvre est un moyen de défense naturel du système
immunitaire. Il faut donc la maintenir à un niveau adéquat en accord
avec son médecin.
Cette pollution chimique n’est pas sans conséquence sur la santé
future de l’enfant, alors que les maladies chroniques qui le touchent
connaissent elles aussi une croissance inquiétante.

RÉSUMÉ
La quasi-totalité des femmes enceintes est polluée par des produits
chimiques qui ont un effet délétère pour la mère et l’enfant. C’est ce qu’a
montré pour la première fois une étude de Santé publique France en
2020. Ces différents toxiques traversent la « barrière du placenta ». Les
bébés naissent prépollués. Une étude californienne a retrouvé en
moyenne 200 polluants dans le cordon ombilical des nouveau-nés.

320
1. C.  Dereumeaux et L.  Guldner, Imprégnation des femmes enceintes par les
polluants de l’environnement en France en 2011. Volet périnatal du programme
national de biosurveillance, t.  1  : Polluants organiques, Saint-Maurice, Santé
publique France, 2017, 261 p., [en ligne] www.santepubliquefrance.fr
2. La cohorte Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance), coordonnée
par une unité mixte Ined-Inserm-EFS (UM Elfe), a pour objectif de suivre plus de
18  000  enfants de leur naissance à leurs 20  ans. Pour en savoir plus  : [en ligne]
http://www.elfe-france.fr/index.php/fr
3. N.  Roncevic, S.  Pavkov, R.  Galetin-Smith et al., «  Serum Concentrations of
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321
36

Quand le fœtus confond les genres

On a vu que les polluants chimiques ont généré l’apparition


d’individus intersexes chez les animaux. L’imprégnation chimique
n’épargne pas les humains, entraînant une augmentation du nombre
d’enfants intersexes. La différenciation sexuelle se trouve compromise
lors des étapes clés du développement de l’embryon. Quelles sont-elles ?

Que dit la biologie ? Comment XX rencontre


XY

Les humains sont des mammifères dont la physiologie est


programmée par le patrimoine génétique. Les gènes sont abrités à
l’intérieur de vingt-trois paires de chromosomes qui se trouvent dans le
noyau des cellules. La vingt-troisième paire est constituée des
chromosomes sexuels porteurs du programme génétique correspondant
au caractère « sexe de l’individu ».
La moitié des individus possède des chromosomes sexuels XX, ce
sont les femmes  ; l’autre moitié est pourvue de chromosomes XY, ce
sont les hommes.
Il existe donc deux sexes, comme chez tous les mammifères  : la
« femelle » et le « mâle ». Ces termes n’ont rien de péjoratif ou du moins

322
n’ont aucune raison de l’être lorsqu’ils sont appliqués aux humains. Il ne
peut y avoir de reproduction que lorsqu’une femelle XX rencontre un
mâle XY. La survie de l’espèce passe par cette condition.
Les cellules reproductrices sont les gamètes. Le gamète mâle, appelé
«  spermatozoïde  », est porteur d’un chromosome sexuel X ou Y.  Il va
rencontrer un gamète femelle appelé «  ovule  » qui, lui, est
automatiquement porteur d’un chromosome X.  C’est donc le
spermatozoïde qui va déterminer le sexe du futur embryon.
Au total, ce sont bien les gènes portés par les chromosomes qui vont
déterminer le sexe.

Des fenêtres de temps cruciales pendant


la grossesse
Pendant deux mois, l’embryon est d’abord neutre. Il a une structure
génitale que l’on pourrait qualifier d’«  indifférenciée  », une ébauche
d’appareil génital à double potentialité, possédant un canal de Müller et
un canal de Wolff. Une fois tous les organes formés (mais non encore
différenciés), après huit à dix semaines, l’embryon prend le nom de
« fœtus ».
Les gènes ne restent pas inertes pendant la formation de l’embryon.
L’un d’eux en particulier joue un rôle crucial pour le mâle : c’est un gène
porté sur une partie du chromosome Y, le gène SRY (Sex-Determining
Region of Y  Chromosome, la «  région de détermination du sexe du
chromosome Y »). Dès la huitième semaine après la conception, ce gène
SRY va activer les cellules de Sertoli qui se trouvent dans les testicules
du fœtus pour qu’elles sécrètent une hormone, l’hormone
antimüllérienne (AMH), une sorte d’« hormone antifemelle » qui va faire
disparaître le canal de Müller.

323
Différenciation du fœtus :
 
En haut, le fœtus possède une double potentialité, avec des gonades
indifférenciées, un canal de Wolff et un canal de Müller.
En bas à gauche, le fœtus masculin ne garde que le canal de Wolff.
Les gonades se transforment en testicules.
En bas à droite, le fœtus féminin ne garde que le canal de Müller. Les
gonades deviennent des ovaires.

Une autre hormone masculinisante ou androgène, la testostérone, va


être sécrétée par d’autres cellules des testicules, les cellules de Leydig.
Elle va permettre le développement du canal de Wolff, qui sera donc
qualifié de « canal masculin ».
Chez l’embryon féminin, le canal de Müller va devenir oviducte,
utérus et vagin.

324
Existe-t-il un sexe par défaut ?
Jusqu’à présent, il était considéré qu’en l’absence d’hormones
mâles produites par les testicules, le sexe féminin se développait « par
défaut  ». C’est l’absence du  gène  SRY  qui entraînerait le
développement des ovaires.
Cette vision androcentrée est actuellement battue en brèche : des
études australiennes ont montré qu’il existe en réalité un programme
génétique « robuste » spécifique à la femelle. Il se met en place chez
le fœtus dès la septième semaine, à une période beaucoup plus
précoce qu’on ne l’a supposé jusqu’à présent. Certains gènes en
particulier, comme le gène FOXL2, permettent le développement des
1
ovaires . Ce serait le gène qui neutraliserait le «  côté mâle  » de la
femelle, un peu comme lorsque le fœtus mâle produit l’hormone
antimüllérienne pour neutraliser son « côté femelle ».
Si ce gène est perturbé dans son expression par une substance
chimique pendant la période embryonnaire, c’est la réserve ovarienne
qui est compromise. C’est ce qui fait dire à Maëlle Pannetier de l’Inra :
2
«  FOXL2, un seul gène vous manque et tout est déféminisé …  » Il
reste à comprendre quand même si ce gène gouverne un « facteur Z »
qui serait une hormone.

Il reste encore beaucoup à découvrir, mais ce que l’on sait avec


certitude, c’est que si l’on imprègne l’organisme de substances
synthétiques, c’est l’ensemble de l’homéostasie, c’est-à-dire de
l’équilibre hormonal, qui est perturbé.

Les anomalies génétiques
et les perturbateurs chimiques

Certains perturbateurs chimiques peuvent provoquer des altérations


génétiques pendant la grossesse. Ils sont dits «  mutagènes  » et

325
3
« reprotoxiques », et classés comme tels .
Il est difficile d’éviter de parler de « normalité » et d’« anormalité ».
Il faut deux chromosomes sexuels XX ou XY pour faire une fille ou un
garçon  ; c’est la normalité. S’il manque un des deux chromosomes ou
s’il y en a un troisième, c’est l’anormalité. Il s’agit d’une malformation
qui peut être mortelle ou pas. Plusieurs anomalies chromosomiques ont
été répertoriées : les syndromes de Turner, de Klinefelter, de La Chapelle
dit « du mâle XX », etc.
Mais, indépendamment de toute anomalie chromosomique, des
perturbations hormonales peuvent intervenir pendant la gestation chez
des embryons au départ en bonne santé et ainsi compromettre
l’accomplissement de leur programmation génétique.

Mécanismes de perturbation
de la différenciation

Chez le mâle, les poisons chimiques peuvent dérégler les cellules de


Sertoli et de Leydig, qui produisent les hormones masculines (AMH,
testostérone, INSL3) dans les testicules. Toute substance qui réduit la
sécrétion de ces hormones empêche la masculinisation du fœtus mâle.
Les toxiques peuvent aussi agir en amont, en freinant l’expression de
certains gènes (mécanisme épigénétique) 4. Voici quelques exemples :

326
Développement de l’embryon mâle :
 
La courbe indique la concentration de la testostérone dans le sérum.

— Le Pr Habert et son équipe du Commissariat à l’énergie atomique


ont montré de manière claire que les phtalates ont pour effet de réduire
de 50  % l’hormone antimüllérienne (AMH) sur les testicules de
l’embryon. Les phtalates ont également réduit de 40  % les cellules
germinales qui donneront les futurs spermatozoïdes 5.
—  De nombreuses expériences in  vivo et in  vitro ont montré
comment les polluants chimiques (pesticides et autres) s’installent sur les
récepteurs attitrés de la testostérone et occupent la place, gênant la
masculinisation du fœtus. C’est le «  syndrome d’insensibilité complète
aux androgènes » (CAIS, Complete Androgen Insensitivity Syndrome).
6
—  Le Danois Niels Skakkebaek a montré de son côté que les
perturbateurs hormonaux comme le bisphénol A pouvaient dès la mise en
place des testicules empêcher le bon fonctionnement des cellules de
Leydig, qui produisent la testostérone, et donc réduire la production de
l’hormone mâle (voir le chap.  18). Cela compromet tout le
développement sexuel et peut conduire à une absence complète
d’organes génitaux externes et à la formation d’un micropénis 7.
—  Le chercheur danois a également montré l’effet délétère des
hormonotoxiques sur la production d’une autre hormone, l’insuline-

327
like 3 (INSL3), qui contrôle la descente des testicules (voir le chap. 19).
 
Pour ce qui est de l’expression des gènes :
– Si un gène code mal une enzyme indispensable pour transformer un
dérivé du cholestérol en testostérone, cela peut entraîner une inversion de
sexe à la naissance. Dans ce cas, le bébé XY (garçon) a l’apparence
d’une fille au départ, mais la virilisation peut se déclencher quand même
à la puberté.
–  Si un autre gène encode mal les récepteurs de l’hormone LH
(Luteinizing Hormone) sur les cellules des testicules, la synthèse de
testostérone par ces mêmes testicules devient déficiente.
–  Si le gène qui code une autre enzyme, l’alpha-réductase, est
défaillant, la testostérone ne peut pas se transformer en une forme plus
puissante, la dihydrotestostérone. Il en résulte des hypospadias et des
micropénis, soit une apparence plutôt féminine. Si ces enfants sont
élevés en filles, ils peuvent avoir de grosses surprises à la puberté : celle-
ci risque de déclencher les hormones virilisantes.
–  Si un gène qui code pour le récepteur de la testostérone dans le
noyau de la cellule est altéré, la testostérone ne trouve aucun récepteur
où se fixer pour délivrer son message. L’individu XY aura une apparence
de fille avec certains caractères masculins partiels. Les mutations du
gène peuvent se compter par centaines sous l’effet des perturbateurs
chimiques.
Cette modification de l’environnement génétique peut avoir une
portée transgénérationnelle. Le Distilbène a déjà exercé ses altérations
sur trois générations.
 
En début de grossesse, lorsque s’effectue la différenciation sexuelle
dans une fenêtre bien précise peu avant la huitième semaine, les
conséquences deviennent irréversibles.
La perturbation de la différenciation sexuelle peut aussi se faire via
les neurones du cerveau. Les phtalates sont capables de provoquer des
cassures dans l’ADN des neurones humains in  vitro. Ils affectent le

328
développement du système nerveux en modifiant les récepteurs aux
8
estrogènes. Le mécanisme a été démontré sur les poissons zèbres .
Les produits chimiques susceptibles de générer des individus dits
«  intersexes  » sont toujours les mêmes  : ce sont principalement les
dérivés du benzène auxquels les chimistes ont ajouté du chlore, du
brome, du fluor, des métaux ou tout à la fois. Ce sont nos « 6 P » comme
« poisons », décrits au chapitre 2. Ils n’existent pas dans la nature.
La mauvaise différenciation sexuelle chez le fœtus mâle est la plus
courante ; elle peut prendre de multiples formes et constituer un éventail
d’effets qui vont de l’altération des caractères sexuels secondaires et
primaires à la complète inversion du sexe.

Les nourrissons intersexes

Le terme «  intersexe  » s’applique aux personnes qui, selon la


définition de l’ONU, sont « nées avec des caractéristiques sexuelles qui
ne correspondent pas aux définitions typiques de “mâle” et “femelle” ».
Sous prétexte de leur différence, ces personnes sont souvent
discriminées, persécutées, ostracisées et victimes de violences. La
formulation officielle onusienne est que personne ne doit souffrir de
«  discrimination sur la base de son orientation sexuelle, de son identité
de genre ou de son statut d’intersexe  ». La définition de la Haute
Autorité de santé française est moins floue que celle de l’ONU  : sont
intersexes « les enfants porteurs de malformations ambiguës des organes
génitaux ».
Avant d’être un adulte, une personne intersexe est d’abord un enfant.
Les parents choisissent d’élever l’enfant en fille ou en garçon et font des
choix médicaux très difficiles pour l’avenir de l’enfant. À l’âge adulte, la
personne intersexe peut choisir sa façon de gérer la situation.
La personne intersexe n’est pas transsexuelle 9. La personne
transsexuelle est celle qui veut changer de sexe, c’est-à-dire passer de

329
femme à homme (FvH, femme vers homme, XX vers XY) ou d’homme
à femme (HvF, homme vers femme, XY vers XX). Le nombre
d’hommes qui veulent devenir femmes est trois fois plus élevé que
l’inverse. La personne intersexe est indifférenciée ou se situe entre
l’homme et la femme. Elle peut décider d’opter pour le sexe opposé à
son sexe génétique et devenir transsexuelle avec ou sans traitements
hormonaux.
L’ONU estime que parler d’«  ambiguïté sexuelle  » ou de
« malformation » serait déjà une stigmatisation, ce qui est contestable : il
peut exister une ambiguïté et une différence par rapport à la norme
bisexuée sans que cela autorise une stigmatisation quelconque.
Ce qui est encore plus contestable, c’est que l’Association américaine
de psychiatrie (APA) continue de faire autorité avec son Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V). Cette bible
très dépendante des laboratoires pharmaceutiques continue à considérer
comme un trouble mental le fait de souffrir de cette indifférenciation du
sexe, une souffrance dit-elle « associée à la non-conformité de genre ».
L’homosexualité est sortie de ce manuel de troubles mentaux en 1987.
On se demande pourquoi le transsexualisme, baptisé «  dysphorie du
genre », en fait toujours partie.
Des associations de transsexuels réclament la « dépsychiatrisation »
de leur statut. Beaucoup revendiquent le fait de souffrir, en fait, d’une
affection physique et non pas psychiatrique –  un syndrome baptisé du
nom de «  syndrome de Benjamin  », du nom de Harry Benjamin, qui
proposa cette vision du problème en 1966 dans son livre The Transsexual
10
Phenomenon (« Le phénomène transsexuel ») .
Si la personne intersexe ne doit pas être considérée comme
souffrant d’un trouble mental, faut-il pour autant renoncer à
chercher la ou les causes biologiques qui ont pu entraîner une non-
différenciation sexuelle durant la période fœtale  ? On a vu que les
polluants chimiques ont une responsabilité démontrée dans cette non-
différenciation. C’est aussi le cas pour certains médicaments.

330
Médicaments, nourrissons intersexes
et futurs transsexuels

Certains médicaments empêchent la masculinisation de l’appareil


génital du fœtus mâle. Ils produisent un ensemble d’effets
démasculinisants, comme l’hypospadias ou les micropénis, mais ils
peuvent aller jusqu’à une perturbation qui rend impossible la
différenciation physique des organes génitaux. Le bébé mâle qui naît a
beau avoir des chromosomes XY, il n’en a plus les attributs et devra
choisir dans sa vie vers quel sexe se diriger.
Les médicaments mis en cause dans les atteintes à la différenciation
sexuelle sont le Distilbène ainsi que de nombreux antiépileptiques. Un
rapport de l’Agence du médicament dresse la liste des malformations
provoquées chez l’enfant lorsque les mères ont pris ces médicaments
11
pendant la grossesse . En tête, on retrouve le fameux valproate
(Dépakine et génériques), qui multiplie par cinq le risque de
malformations (pas seulement sexuelles)  ; viennent ensuite les
phénobarbital et topiramate (risque multiplié par trois) et les phénytoïne
et carbamazépine (risque doublé).
Ce que ne dit pas le rapport de l’ANSM, parce qu’il ne l’a pas étudié,
c’est que ces médicaments entraînent aussi une augmentation du
transsexualisme. Une étude hollandaise a mis en évidence que les enfants
dont les mères avaient pris du phénobarbital et de la phénytoïne pendant
12
la grossesse avaient un taux de transsexualisme multiplié par… 200 .

Transgenres et « sexe ressenti »

Les personnes transgenres constituent une autre catégorie. Selon la


«  théorie du genre  », une personne de sexe mâle n’est pas
automatiquement de genre masculin, et une personne de sexe femelle
n’est pas automatiquement du genre féminin. Elle estime qu’il s’agit

331
d’une question de « ressenti ». L’ONU reprend le vocabulaire trompeur
de «  sexe assigné  » à la naissance comme si ce dernier constituait un
« sexe désigné » et non pas un sexe génétique.
Si le débat est entré sur la place publique, c’est aussi que les
ambiguïtés des organes génitaux à la naissance se sont multipliées. Les
statistiques sont manquantes, sauf pour les hypospadias et les
cryptorchidies, qui sont, comme nous l’avons vu, en nette augmentation.
Ces différences biologiques des organes génitaux s’accompagnent
également de modifications du comportement sexuel à l’âge adulte. Le
même phénomène avait déjà été observé lors d’expérimentations
animales (voir le chap. 14).

L’imprégnation chimique de l’embryon


conditionne la future orientation sexuelle
L’embryon met en place l’appareil génital, qui va permettre la
reproduction sexuée de l’espèce. Celui-ci est contrôlé par les différentes
hormones. L’équilibre du système conditionne les comportements
sexuels futurs. Une femelle XX déclenchera à la puberté un ensemble de
signaux hormonaux qui la porteront à attirer un mâle XY et à être attirée
par lui. Une perturbation chimique exercée par un polluant pourra
non seulement modifier l’embryogenèse des organes, sexuels et non
sexuels, mais aussi entraîner des changements de comportements
sexuels à l’âge adulte.
13
Plusieurs études ont montré que des embryons féminins exposés à
l’estrogène synthétique Distilbène (DES) ont développé à l’âge adulte
une augmentation des comportements bisexuels et homosexuels.
Cependant, 75  % des fœtus femelles exposés ont développé des
comportements hétérosexuels.
L’étude de l’Américain Lee Ellis en 2004 a montré que les mères de
filles homosexuelles sont plus nombreuses à avoir pris des médicaments

332
perturbateurs durant le premier trimestre de la grossesse : cinq fois plus
nombreuses pour les hormones de synthèse de la thyroïde, huit fois plus
nombreuses pour les coupe-faim amphétaminiques (style Mediator et
Isoméride des laboratoires Servier) et cinq fois plus nombreuses pour le
Distilbène.
Les garçons sont moins concernés par l’impact de ces médicaments
sur l’orientation sexuelle, mais les mères de garçons homosexuels sont,
néanmoins, trois fois plus nombreuses à avoir consommé des coupe-faim
amphétaminiques que les mères des garçons hétérosexuels  ; elles sont
deux fois plus nombreuses à avoir pris du Distilbène, des antiallergiques
ou des corticoïdes anti-inflammatoires (prednisone).
Lee Ellis en conclut que l’exposition prénatale à certaines substances
chimiques médicamenteuses «  affecte l’orientation sexuelle chez les
14
humains  ». Le mécanisme de cette modification pourrait passer, selon
lui, par la voie neurohormonale  : le polluant toxique modifierait la
sécrétion des hormones sexuelles, comme la testostérone, qui contrôlent
la différenciation sexuelle du cerveau. Les hormones thyroïdiennes de
synthèse qui imitent les hormones naturelles ont également une action
directe sur la construction du cerveau.
Ces constatations ne sont guère surprenantes si l’on jette un coup
d’œil à la structure chimique de ces substances : ce sont des dérivés du
benzène, présentant de fortes similitudes avec les hormones naturelles de
l’embryon puis du fœtus à l’œuvre dans la différenciation de l’appareil
génital et du cerveau.
Cette piste neurohormonale va dans le sens d’autres études qui
montrent qu’à la différenciation des organes durant le premier trimestre
succède dans la seconde moitié de la grossesse la différenciation sexuelle
15
du cerveau . Celle-ci est également dépendante des hormones. On
pourrait presque dire, comme en clin d’œil à Simone de Beauvoir, « On
devient femme ou homme avant même de naître », à condition que cette
potentialité ne soit pas altérée par des polluants chimiques.
Quelle que soit la différence biologique entre hommes et femmes,
celle-ci ne doit pas justifier une quelconque discrimination, mais elle ne

333
doit pas non plus être niée voire déniée.

RÉSUMÉ
Chez les humains, qui sont des mammifères, la reproduction est
sexuée. Les gènes définissent le sexe. Un individu XX est une femme et
un individu XY est un homme.
Durant les deux premiers mois de gestation, l’embryon est
bipotentiel, puis, sous l’effet de son programme génétique et des
hormones, il différencie son appareil génital en mâle ou femelle. On
l’appelle alors « fœtus ».
Chez le fœtus masculin, les testicules produisent la testostérone, qui
permet la croissance et la mise en place des organes génitaux. Chez le
fœtus féminin, les ovaires sécrètent les estrogènes, qui sont les hormones
femelles. Des molécules chimiques provenant de polluants extérieurs
imitent ces hormones et empêchent leur action. La construction et la
différenciation des organes ne se font plus correctement. Il peut en
résulter une ambiguïté sexuelle que l’on appelle «  intersexe  ». À l’âge
adulte, la personne intersexe peut choisir de devenir transsexuelle en
optant pour le sexe opposé à son sexe génétique.
Les perturbateurs hormonaux contaminant la mère pendant la
grossesse peuvent modifier les futurs comportements sexuels de son
fœtus et augmenter bisexualité et homosexualité. L’explication
biologique des comportements sexuels doit pouvoir faciliter
l’acceptation des différences et la lutte contre les discriminations.

1. D.  Wilhelm, S.  Palmer et P.  Koopman, «  Sex Determination and Gonadal
Development in Mammals  », Physiological Reviews, vol.  87, 2007, p.  1-28, [en
ligne] DOI 10.1152/physrev.00009.2006
2. M.  Pannetier et E.  Pailhoux, «  FOXL2, le gardien de l’identité ovarienne  »,
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Médecine/sciences, vol.  26, n   5, 2010, p.  470-473, [en ligne] DOI
10.1051/medsci/2010265470

334
3. «  Liste des substances chimiques classées CMR, Classification réglementaire
des cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (plus de
1 000 substances) », INRS.
4. I. A. Hughes, H. Martin et J. Jääskeläinen, « Genetic Mechanisms of Fetal Male
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6. N.  E.  Skakkebaek, «  Male Reproductive Disorders and Fertility Trends:
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7. A.  P.  N.  Themmen et I.  T.  Huhtaniemi, «  Mutations of Gonadotropins and
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[en ligne] DOI 10.1210/edrv.21.5.0409 ; PMID 11041448.
8. S. Xu, H. Zhang, P. C. Pao, A. Lee, J. Wang, Y. Suen Chan, F. A. M. Manno III,
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9. «  Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge médicale
du transsexualisme en France », rapport HAS, novembre 2009.
10. Julian Press, 1966.
11. « Antiépileptiques au cours de la grossesse : état actuel des connaissances sur
le risque de malformations et de troubles neuro-développementaux  », synthèse
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12. A.  B.  Dessens, P.  T.  Cohen-Kettenis, G.  J.  Mellenbergh, N.  V.  D.  Poll,
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13. A.  A.  Ehrhardt, H.  F.  L.  Meyer-Bahlburg, L.  R.  Rosen et al., «  Sexual
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Behavior, vol. 14, 1985, p. 57-77, [en ligne] DOI 10.1007/BF01541353
14. L.  Ellis et J.  Hellberg, «  Fetal Exposure to Prescription Drugs and Adult
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15. L.  Castellanos, A.  Bao et D.  Swaab, «  Sexual Identity and Sexual
Orientation », 2017, [en ligne] DOI 10.1016/B978-0-12-803592-4.00104-8

335
QUAND LES HUMAINS SONT
EN PÉRIL

336
37

Quand les enfants autistes deviennent


100 fois plus nombreux en cinquante
ans

Aux États-Unis, l’incidence de l’autisme a été multipliée par 100 en


cinquante ans, passant de 1 enfant touché sur 5 000 en 1975 à 1 sur 54 en
2020. Les garçons sont trois à quatre fois plus concernés que les filles.
On parle désormais de «  spectre autistique  » et les différentes formes
d’altérations n’excluent pas d’autres comorbidités comme l’hyperactivité
des enfants et le déficit d’attention (TDA/H, trouble du déficit de
l’attention avec ou sans hyperactivité) 1.
Le mot «  épidémie  », voire «  pandémie  », n’est pas excessif pour
décrire ce phénomène qui touche le monde entier. Les changements de
critères de diagnostic ne suffisent pas à expliquer cette augmentation.
Les facteurs environnementaux sont en cause.

337
2
Courbe de l’incidence de l’autisme (D’après Karen Weintraub )

Pendant de nombreuses années, cette «  démence précoce  » a été


considérée comme un trouble psychanalytique généré par des parents
«  abusifs  »  : des mères qualifiées de «  réfrigérateurs  » et des pères
«  centrés sur leur carrière  ». On sait maintenant qu’il s’agit d’une
maladie du développement cérébral qui a des sources biologiques et non
3
pas psychologiques. Démentant les croyances passées , l’autisme a bien
trouvé son ou ses marqueurs biologiques : des études ont montré que les
neurones des enfants retardés sont mal formés et communiquent moins
5
bien entre eux . Ces altérations peuvent affecter le cerveau pendant la
grossesse mais aussi après la naissance.

338
Neurones comparés :
 
À gauche, un neurone normal  : les petites excroissances sont
nombreuses et peuvent assurer la communication entre les neurones.
À droite, les excroissances sont fines et éparses. La fonction cérébrale
4
est altérée. (D’après Purpura 1974 et Demeneix 2014 )

La piste biologique de l’autisme


Chez l’humain comme chez la plupart des animaux, les hormones
thyroïdiennes de la mère sont primordiales pour la formation du cerveau
de l’embryon. Les trois premiers mois de grossesse sont particulièrement
cruciaux, ainsi que la période postnatale, pendant laquelle la croissance
du cerveau est très rapide. Une déficience en iode peut affecter de façon
définitive les capacités cérébrales du fœtus. De même, un excès d’iode
peut avoir des effets délétères. Des polluants environnementaux qui

339
perturberont l’équilibre en iode pourront aussi compromettre la
6
transcription et l’expression des gènes .
L’hormone maternelle thyroxine traverse le placenta et agit sur le
cerveau de l’enfant avant même l’entrée en fonction de la glande
thyroïde du fœtus ; elle poursuivra son action durant toute la grossesse.
Les PCB et les pesticides organochlorés, comme le fongicide
hexachlorobenzène, ont pour effet de diminuer la quantité d’hormones
thyroïdiennes circulantes et d’entraîner une hypothyroïdie 7. Il en va de
8 9
même avec les perchlorates , les composés bromés et le triclosan .
Au Muséum d’histoire naturelle de Paris, la biologiste spécialiste en
endocrinologie Barbara Demeneix a pu montrer grâce à des têtards
rendus fluorescents que des polluants chimiques courants dans le liquide
amniotique des femmes enceintes peuvent occuper la place de l’hormone
thyroïdienne dans la glande thyroïde et ainsi empêcher cette dernière de
présider au développement du cerveau du fœtus. Ces toxiques, le plus
souvent des pesticides, peuvent le faire parce que leur structure
ressemble beaucoup à l’hormone thyroïdienne naturelle  ; celle-ci est
exactement la même chez l’humain et chez le têtard.
Les têtards fluorescents exposés au même cocktail chimique que les
femmes enceintes ont vu le nombre de leurs neurones diminuer. La
signalisation des hormones en a été affectée, et le comportement des
têtards modifié. D’autres pesticides avaient déjà montré qu’ils
empêchaient la métamorphose du têtard en grenouille  : il devenait un
monstre, avec la taille d’une grenouille mais la forme d’un têtard.

340
Mimétisme des polluants hormonaux avec l’hormone thyroïdienne :
 
En haut, l’hormone thyroïdienne T4 avec ses deux cycles hexagonaux
et ses quatre atomes d’iode (I).
En dessous, un retardateur de flamme bromé avec ses deux cycles
hexagonaux et ses quatre atomes de brome (Br).
En bas, le bisphénol A avec ses deux cycles hexagonaux.
Le polluant chimique imite l’hormone naturelle thyroxine et leurre
son récepteur, bloquant l’action de l’hormone sur les neurones.

Les régions montagneuses dont les populations étaient carencées en


iode ont donné naissance à des enfants attardés, baptisés pour cette
raison «  crétins des Alpes  ». De fait, ces enfants avaient un recul de
quotient intellectuel important  : il tournait autour de 40, contre 100  en
moyenne normale.

341
Une étude sur les mères d’enfants autistes vivant près de zones
agricoles en Californie a montré la responsabilité des pesticides dans
10
l’apparition de ce trouble .

Des médicaments associés à l’autisme

Les perturbateurs hormonaux qui se cachent dans certains


médicaments ont aussi des conséquences sur l’autisme. Voici quelques
exemples :
–  La thalidomide, tristement célèbre pour avoir fait naître des
dizaines de milliers d’enfants sans bras et sans jambes, était prescrit aux
femmes enceintes dans les années 1950 et 1960 comme antinauséeux. Il
peut provoquer des hyperthyroïdies ou des hypothyroïdies.
–  Le valproate de sodium, un antiépileptique, a handicapé de
nombreux enfants dont les mères n’avaient pas été informées des
dangers 11. Le scandale qui en résulte est connu sous le nom de
« scandale de la Dépakine », du nom du médicament commercialisé par
Sanofi. Les parents demandent réparation devant la justice au sein de
l’association Apesac.
–  Le Distilbène a causé autre scandale dont les conséquences
12
s’étendent sur plusieurs générations (voir le chap. 15).
– La fluoxétine (Prozac et génériques) a montré un risque d’autisme
multiplié par deux chez les enfants nés de mères qui avaient consommé
ces médicaments pendant la grossesse. Ces inhibiteurs sélectifs de la
recapture de la sérotonine (ISRS) sont sous surveillance de l’Agence
européenne du médicament 13, qui a décidé de réexaminer aussi les
14
inhibiteurs sélectifs de la recapture de la noradrénaline (IRSNA) . Les
fœtus exposés courent également un risque de malformation des valves
cardiaques avec cette famille de médicaments au fluor. Le célèbre
Mediator, lui aussi au fluor, ciblait les mêmes récepteurs de la
sérotonine.

342
D’autres perturbateurs hormonaux associés
à l’autisme : les bisphénols

Une association a été retrouvée entre l’autisme et une exposition à


des polluants chimiques comme le bisphénol  A (BPA), certains
pesticides et des polluants toxiques de l’air 15. Les enfants autistes
affichent un taux de bisphénol A significativement supérieur à celui des
enfants en bonne santé, et parallèlement moins d’hormones sexuelles
16
dans le sang . Concernant les déficits de l’attention, un lien a été trouvé
avec l’exposition aux PCB, à certains pesticides, au BPA, aux composés
polybromés et aux phtalates.
Le mécanisme biologique à l’œuvre passe par l’altération de
l’hormone thyroïdienne et la perturbation des neurotransmetteurs comme
le Gaba (acide gamma aminobutyrique). Le Gaba joue le rôle de frein
dans l’excitation des neurones en y faisant entrer du chlore. Si des
polluants chimiques, notamment ceux qui contiennent du chlore,
viennent occuper sa place dans les récepteurs qui lui sont normalement
dédiés, les neurones n’ont plus de freins et manifestent une excitation
débridée. Selon la nature du polluant, l’effet peut être inverse et l’activité
trop freinée 17.

L’autisme accru par les phtalates des sols


en PVC
Les phtalates représentent un danger dans le développement du fœtus
18
en général et dans l’autisme en particulier . Une étude suédoise a
découvert par hasard que les parents dont le sol de la chambre à coucher
est recouvert de PVC (donc rempli de phtalates) courent un risque plus
élevé d’avoir des enfants autistes. Les classes sociales défavorisées sont
également plus à risque 19.

343
Le mercure, un polluant majeur

Le mercure est un neurotoxique que l’on retrouve partout dans


l’environnement  : 100  % des femmes enceintes sont contaminées aux
États-Unis et 91  % en France. Une étude new-yorkaise 20 a montré que
les taux de mercure des prélèvements effectués sur les cordons
ombilicaux sont deux fois plus importants que les taux maternels.
Les enfants ont été suivis pendant plusieurs années après la
naissance. Plus le niveau de mercure du cordon était élevé, plus le
développement psychomoteur de l’enfant était réduit à l’âge de 3 ans et à
l’âge de 4 ans : la performance verbale et le QI global étaient inférieurs à
ceux des enfants moins contaminés par le mercure. Chaque fois que le
taux de mercure double dans le cordon, le QI baisse de 2,5 points. Une
21
étude polonaise est arrivée aux mêmes résultats .
Les sources de contamination au mercure sont principalement
alimentaires (avec le poisson), mais aussi dentaires. En effet, les
amalgames dentaires que l’on appelle familièrement «  plombages  » ne
contiennent pas de plomb mais au contraire du mercure, jusqu’à 50 % de
la composition 22.
Aux États-Unis, le mercure a été utilisé comme antibactérien dans les
cosmétiques et les médicaments avant d’être progressivement interdit
23
dans les années 1980 en raison de sa toxicité . Il a en revanche continué
à être utilisé dans les vaccins pédiatriques sous le nom de
«  thiomersal 24  » jusqu’en 1999 avant d’être finalement interdit sous la
pression des parents d’enfants autistes. Il est encore utilisé dans certains
25
vaccins multidoses comme ceux du H1N1.
Une étude comparative européenne a estimé que 1,8 million de bébés
européens naissent chaque année avec des niveaux de mercure supérieurs
à la limite de sécurité recommandée de 0,58  microgramme par
gramme 26. Le coût économique de cette contamination est évalué à
9 milliards d’euros par an. Le mercure est, de fait, classé « possiblement
cancérigène pour l’homme ».

344
De l’aluminium dans le cerveau des enfants

Un autre métal va se retrouver lui aussi dans le cerveau des enfants et


contribuer à l’autisme  : c’est l’aluminium des vaccins. C’est le
Pr  Gherardi de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil qui lance l’alerte en
1993. Non seulement il découvre la présence d’aluminium dans les
vaccins, mais il constate que celui-ci ne s’élimine pas facilement et
génère des lésions dans les muscles 27.
Après enquête, il révèle que l’aluminium utilisé dans les vaccins n’a
28
jamais fait l’objet d’une évaluation de toxicité réelle . Il a juste été testé
sur… deux lapins pendant seulement vingt-huit jours 29 ; cette expérience
avait en outre montré que seuls 6 % de l’aluminium injecté avaient été
éliminés par les reins au cours des vingt-huit jours. Les 94  % restants
avaient été stockés dans l’organisme  : dans le rein, la rate, le foie, le
cœur, les ganglions intestinaux et le cerveau.
Pour expliquer l’intérêt de leur étude, les auteurs avouent eux-mêmes
que «  le devenir (dans l’organisme) des adjuvants contenant de
l’aluminium, après l’injection intramusculaire n’est pas connu
30
(compris)   ». Or, cette expérience bâclée a eu lieu en 1997, ce qui
signifie que la sécurité de l’aluminium n’a pas été évaluée avant cette
date. Pourtant, ce métal avait été introduit dans les vaccins justement
parce que c’était une «  substance irritante  » pour les tissus, ce qui
favoriserait l’immunité.
800 000 bébés sont vaccinés en routine chaque année en France avec
des vaccins contenant de l’aluminium. De plus, le nombre de vaccins
obligatoires du nourrisson a été multiplié par près de quatre en 2018,
passant de trois à onze. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a expliqué
dans les médias vouloir ainsi « rétablir la confiance par la contrainte ».
Les doses cumulées sur les dix-huit premiers mois de vie s’élèvent à
3,835 mg d’aluminium au total – un niveau énorme. Or, c’est la période
cruciale pour le développement du cerveau : son taux de croissance est
plus important dans la période postnatale que dans la période anténatale.

345
À la naissance, le cerveau du bébé atteint 25,6  % de la taille adulte, et
31 32
50 % dans les six premiers mois de sa vie .
Que l’aluminium se retrouve bien dans le cerveau, le chercheur
anglais Christopher Exley l’a mesuré lui-même –  une première
mondiale 33 publiée en 2017. Il a analysé les tissus de cerveaux
d’adolescents décédés avec un diagnostic d’autisme. Il y a trouvé des
quantités d’aluminium «  extraordinairement élevées  », à la fois à
l’intérieur des neurones mais aussi dans les cellules de la microglie,
chargées du «  nettoyage  » cérébral. Les concentrations y étaient
beaucoup plus importantes que dans les centaines de cerveaux
d’adolescents ou d’adultes non autistes que le chercheur avait analysés
jusque-là, y compris chez les dialysés.
Ces derniers ont contribué malgré eux à révéler la neurotoxicité de
l’aluminium. En effet, un grand nombre d’entre eux ont développé des
encéphalopathies baptisées «  démences des dialysés  » à cause de
l’aluminium contenu dans l’eau de dialyse. Une autre forme de démence
les guette, liée aux phtalates des poches en plastique souple qui servent
34
aux dialyses .
Après ses révélations sur la présence d’aluminium dans le cerveau
des autistes, le chercheur anglais s’est vu supprimer tous ses crédits par
son université. Un autre scientifique, espagnol cette fois, a lui aussi
connu des déboires avec l’aluminium : le Dr Lluís Luján, vétérinaire et
spécialiste des pathologies du mouton, a publié en 2019 une étude
montrant que des moutons ayant reçu des vaccins adjuvantés à
l’aluminium ont développé des comportements pseudo-autistiques. Ils
ont aussi pour beaucoup développé des nodules sous-cutanés remplis
d’aluminium à l’endroit de l’injection 35. Ces nodules ont aussi été
retrouvés sur les chats vaccinés. Ils se cancérisaient et devenaient des
sarcomes. L’aluminium a donc été retiré des vaccins pour chiens et chats.
Les bébés humains n’ont pas fait l’objet des mêmes égards.
Les granulomes sont désormais moins palpables chez les humains,
parce que dans les années 1990 il a été décidé de ne plus injecter les
vaccins sous la peau mais profondément dans le muscle. Résultat, les

346
granulomes sont toujours là, mais on les voit moins. Pour aller plus loin
sur cette question, lire l’excellent livre du pharmacien lanceur d’alerte
36
Serge Rader et voir le très complet didacticiel sur Internet «  Dangers
de l’aluminium des vaccins : l’alu total 37 ! ».

L’autisme également concerné


par le microbiote
Les médecins qui ont pris la peine d’écouter les parents d’enfants
autistes savent que les troubles du comportement s’accompagnent
souvent d’autres symptômes physiologiques, comme des infections
fréquentes aux oreilles et aux intestins.

Comorbidités associées à l’autisme

347
38
Des médecins du groupe Chronimed traitent les enfants avec des
antibiotiques, une approche originale mais contestée. Les symptômes
autistiques disparaissent avec les antibiotiques et reviennent après un
laps de temps pour disparaître à nouveau avec une autre prise
d’antibiotiques 39. Cependant, ces médicaments ayant aussi des effets
secondaires importants, ils ne constituent pas un traitement idéal et sont
très décriés. Ils montrent en tout cas le lien qui peut exister entre
l’intestin et le cerveau.
Le basculement dans l’autisme peut intervenir plusieurs mois voire
plusieurs années après la naissance  : de nombreux parents dont les
enfants étaient en pleine santé les ont vus sombrer dans l’autisme après
40
une vaccination infantile . Ces cas sont baptisés « autisme régressif  »,
car le changement est immédiat et fulgurant. Certains médecins, comme
le chirurgien Andrew Wakefield, ont suspecté un lien possible entre la
vaccination ROR (rougeole-oreillons-rubéole, virus vivants atténués) et
un dérangement du microbiote qui aurait accompagné l’autisme. Ils se
sont fait attaquer par l’institution médicale, mais les parents des enfants
autistes les ont au contraire défendus. L’« affaire Wakefield » a été très
médiatisée en Grande-Bretagne. La justice a finalement blanchi les
publications attaquées.
Ces médecins ont eu raison trop tôt. Ils ont fait l’objet d’un lynchage
mondial. De nombreux scientifiques les ont condamnés par ouï-dire sans
même avoir lu leur article, qui était très prudent et très mesuré.
Depuis, les publications se multiplient sur le lien entre autisme et
microbiote. Certaines vont même jusqu’à souligner l’intérêt des greffes
41
fécales pour traiter la maladie . La greffe fécale consiste en
l’importation d’un microbiote (excréments) d’une personne saine. Une
étude a montré l’amélioration d’enfants autistes après une greffe fécale,
42
avec des effets maintenus pendant une durée de deux ans . Une voie
thérapeutique très prometteuse.
L’administration de prébiotiques et de probiotiques est également
bénéfique, y compris pour la femme enceinte, qui devrait autant que
possible éviter les antibiotiques pendant la grossesse. Une étude néo-

348
zélandaise a montré que des enfants qui avaient reçu au moins un
traitement antibiotique durant la première année de vie avaient à l’âge de
11  ans des résultats cognitifs moins bons que ceux qui n’avaient rien
reçu. Ils avaient plus de risques d’hyperactivité et de déficit de
l’attention, ainsi qu’une moindre interactivité sociale. La conclusion des
auteurs était qu’il valait mieux éviter les antibiotiques la première année
43
de vie, surtout pour des troubles bénins .

Un glissement général vers le « crétinisme » ?

La biologiste Barbara Demeneix rappelle régulièrement le


diagramme de Weiss, qui illustre le glissement cognitif qui se produit
dans certaines régions polluées. Le neurotoxicologue américain Bernard
Weiss a calculé qu’une baisse de 5  % du quotient intellectuel des
individus pourrait avoir des conséquences encore plus graves à l’échelle
de la société.
Cette démonstration a pour but selon lui de responsabiliser les
agences de régulation lorsqu’elles ont tendance à accepter de «  petits
risques chimiques », des pesticides par-ci, des composés bromés par-là.
Il avertit que ces petits risques peuvent produire de grands effets.

349
Conséquences d’une baisse du quotient intellectuel :
 
En haut, la moyenne des QI est à 100. Une proportion égale est au-dessus de
130 et une autre en dessous de 70.
En bas, une baisse du QI moyen de 5 % entraîne un glissement vers la gauche
de toute la courbe, avec une moyenne générale à 95. Les QI supérieurs à 130
passent de 2,3 millions à 990 000 pour 100 millions de personnes. Tolérer de
petits risques chimiques peut conduire à de gros effets pour la société.
44
(D’après Weiss 1988 )

Pourquoi les garçons sont plus à risque


que les filles
Les garçons sont trois fois plus touchés par l’autisme que les filles.
Pourquoi  ? La question reste encore débattue, mais des chercheurs
spécialisés dans le développement du cerveau ont déjà quelques pistes.

350
45
Le Californien Allan Schore s’inquiète pour la santé cérébrale et
hormonale de « tous nos fils ».
La raison de cette vulnérabilité masculine est à aller chercher, selon
lui, dans le rythme de développement du cerveau. Chez le garçon,
pendant la période fœtale et même après la naissance, le rythme de
développement du cerveau du garçon est plus lent que celui des filles. Le
cerveau droit en particulier mûrit plus lentement, et les connexions
neuronales s’y établissent autrement que dans celui des filles.
L’imprégnation de la testostérone joue un rôle fondamental. Or, si son
taux est déréglé par un perturbateur chimique quelconque, c’est la
construction cérébrale qui est mise en danger pout toute la vie. La
capacité de résistance du cerveau au stress y compris chimique s’en
trouve amoindrie.
L’autisme n’est pas le seul trouble neurodéveloppemental à avoir
explosé  : les parents sont désormais nombreux à avoir des enfants
touchés par le déficit de l’attention (TDA/H), par l’hyperactivité, les tics
et les tocs. Le bataillon des enfants « dys » (dyslexiques, dysphasiques,
dyspraxiques,  etc.) a fortement grossi ces dernières décennies. Les
enseignants qui ont trente à quarante ans d’expérience ont vu la situation
se dégrader spectaculairement dans leurs classes.
46
« Demain, tous crétins  ? » C’est la question que se pose également
le documentaire de référence sur le sujet.

RÉSUMÉ
Aux États-Unis, les cas d’autisme ont été multipliés par 100  en
cinquante ans. Les médecins examinent la piste biologique de l’autisme
et de tous les désordres qui s’y rattachent. On parle de «  spectre
autistique  » et de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité des
enfants (TDA/H).
Des progrès dans le diagnostic ne suffisent pas à expliquer cette
épidémie. De nombreuses substances chimiques altèrent les capacités

351
cognitives de l’enfant. La période fœtale est particulièrement à risque,
notamment avec des polluants qui imitent l’hormone thyroïdienne, une
hormone cruciale lors de la formation du cerveau de l’embryon puis du
fœtus.
À l’échelle sociale, l’augmentation du spectre autistique entraîne une
baisse du quotient intellectuel moyen.

1. https://www.cps.ca/fr/documents/position/tdah-autisme-handicap-intellectuel-la-
prematurite. Le TDAH chez les enfants et les adolescents, partie 3 : l’évaluation et
le traitement en cas d’association au trouble du spectre de l’autisme, au handicap
intellectuel ou à la prématurité.
2. K. Weintraub, « The Prevalence Puzzle: Autism Counts », Nature, 479 (7371),
2 novembre 2011, p. 22-24, [en ligne] DOI 10.1038/479022a ; PMID 22051656.
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intelligence et notre santé mentale, Paris, Odile Jacob, « Sciences », 2016, 411 p.,
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5. D.  P.  Purpura, «  Dendritic Spine “Dysgenesis” and Mental Retardation  »,
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Science, vol.  186, n   4169, 1974, p.  1126-1128, [en ligne] DOI
10.1126/science.186.4169.1126
6. Ibid.
7. J.  Chevrier, B.  Eskenazi, N.  Holland, A.  Bradman et D.  B.  Barr, «  Effects of
Exposure to Polychlorinated Biphenyls and Organochlorine Pesticides on Thyroid
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Function During Pregnancy », American Journal of Epidemiology, vol. 168, n   3,
2008, p. 298-310.
8. S.  Couderq, M.  Leemans et J.-B.  Fini, «  Testing for Thyroid Hormone
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11. A.  L.  Christianson, «  Fetal Valproate Syndrome: Clinical and Neuro-
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13. [En ligne]
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acb064e802dd1199.pdf
14. Citalopram, escitalopram, fluoxétine, fluvoxamine, sertraline, duloxétine,
venlafaxine, mirtazapine.
15. M. De Cock, Y. G. H. Maas et M. van de Bor, « Does Perinatal Exposure to
Endocrine Disruptors Induce Autism Spectrum and Attention Deficit Hyperactivity
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o
Man », Brain, Behavior and Evolution, vol. 26, n  3-4, 1985, p. 167-175, [en ligne]
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33. M.  Mold, D.  Umar, A.  King et C.  Exley, «  Aluminium in Brain Tissue in
Autism », Journal of Trace Elements in Medicine and Biology, vol. 46, 2018, p. 76-
82, [en ligne] DOI 10.1016/j.jtemb.2017.11.012
34. J.-P.  Charmes, T.  Dantoine, L.  Bernard-Bourzeix, D.  Bénévent, M.  Rincé et
C.  Leroux-Robert, «  Démence, dialyse des personnes âgées et problèmes
éthiques », 2005.
35. J.  Asín… et L.  Luján, «  Cognition and Behavior in Sheep Repetitively
Inoculated With Aluminum Adjuvant-Containing Vaccines or Aluminum Adjuvant
Only  », Journal of Inorganic Biochemistry, 110934, 2019, [en ligne] DOI
10.1016/j.jinorgbio.2019.110934
36. S.  Rader, Vaccins. Oui ou non  ? Les Analyses et les photos au microscope
électronique de substances contenues dans les vaccins, Talma Studio, 2017.
37. Consulter le site de l’association Pour des vaccins sans aluminium.
38. Ces médecins sont attaqués par l’Agence du médicament, qui a saisi le
procureur de Paris pour «  prescriptions dangereuses  ». Rappelons que l’ANSM
elle-même a été condamnée à plusieurs reprises dans des scandales de santé
publique comme celui du Mediator. Elle est beaucoup moins regardante sur les

354
effets de la nouvelle formule du Levothyrox, qui a fait l’objet d’un autre scandale
de santé publique.
39. Interviews de l’auteure avec des parents ayant testé ce traitement.
40. Entretiens avec l’auteure.
41. M. Madra, R. Ringel et K. G. Margolis, « Gastrointestinal Issues and Autism
Spectrum Disorder », Child and Adolescent Psychiatric Clinics of North America,
2020, [en ligne] DOI 10.1016/j.chc.2020.02.005
42. D.  W.  Kang, J.  B.  Adams, D.  Coleman et al., «  Long-Term Benefit of
Microbiota Transfer Therapy on Autism Symptoms and Gut Microbiota  »,
Scientific Reports, vol. 9, 2019, 5821, [en ligne] DOI 10.1038/s41598-019-42183-0
43. R.  Slykerman, J.  Thompson, K.  Waldie, R.  Murphy, C.  Wall et E.  Mitchell,
« Antibiotics in the First Year of Life and Subsequent Neurocognitive Outcomes »,
Acta Paediatrica, 2016, [en ligne] DOI 106.10.1111/apa.136
44. B. Weiss, « Neurobehavioral Toxicity as a Basis for Risk Assessment », Trends
o
in Pharmacological Sciences, vol.  9, n   2, 1988, p.  59-62, [en ligne] DOI
10.1016/0165-6147(88)90118-6
45. A.  N.  Schore, «  All Our Sons: The Developmental Neurobiology and
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Neuroendocrinology of Boys at Risk », Infant Mental Health Journal, vol. 38, n  1,
janvier  2017, p.  15-52, [en ligne] DOI 10.1002/imhj.21616  ; Epub 2017 Jan  2  ;
PMID 28042663.
46. Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, Demain, tous crétins ?, Arte, 2017.

355
38

Quand l’asthme et les allergies


deviennent épidémiques

Contrairement aux dérèglements de la sphère de la reproduction, on


n’associe pas, de prime abord, les hormonotoxiques et les maladies
inflammatoires chroniques. Pourtant, après examen, il apparaît nettement
que certaines de ces maladies, comme l’asthme, les rhinites allergiques et
l’eczéma, leur sont directement liées.
Ces allergies respiratoires surviennent de plus en plus tôt sur des
terrains physiologiques détériorés, et elles s’exacerbent avec des
substances chimiques irritantes de plus en plus nombreuses. On retrouve
ici les polluants chimiques habituels (les « 6 P »), mais les mécanismes
d’action commencent à peine à être compris.
La progression de ces pathologies a été fulgurante ces dernières
décennies, mais paradoxalement cette évolution reste très peu
documentée et commentée. Le Royaume-Uni et les pays de langue
anglaise comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie sont les pays les plus
touchés au monde, sans que l’on sache pourquoi 1. La France se situe
aussi dans le peloton de tête mondial, juste après les Anglo-Saxons.

356
En Grande-Bretagne, l’asthme
a été multiplié par vingt en cinquante ans

En Grande-Bretagne, dans les années 1950, seulement 1  % de la


population avait de l’asthme et des allergies 2. En 2003, le taux passe à
3
21  % d’asthme chez les enfants de 7  ans . En cinquante ans, la
proportion d’enfants asthmatiques a été multipliée par vingt. On retrouve
également 10 % d’enfants touchés par les rhinites allergiques et 16 % par
l’eczéma.

En Europe, l’asthme a été multiplié par cinq


en cinquante ans

En France, trouver une courbe qui rendrait compte de l’augmentation


des cas d’asthme en soixante ans relève de la mission impossible. Les
données sont le plus souvent inexistantes ou obsolètes. Cependant, on
considère que 10 % des Français sont asthmatiques 4.
Les enfants sont plus touchés que les adultes  : 14  % des élèves de
5
CM2 et 16 % des élèves de troisième sont asthmatiques . Il s’agit de la
maladie chronique la plus fréquente chez les enfants. Les garçons sont
plus à risque que les filles, mais la différence disparaît avec l’âge.

357
Évolution de l’asthme en Europe :
 
Entre 1960 et 2010, la fréquence de l’asthme est passée de 1,4 % de la
population à 7 % pour les patients qui déclarent avoir eu une crise dans les
douze derniers mois. Il a donc au minimum quintuplé en cinquante ans.
L’actualisation des données par Santé publique France est médiocre.

En Europe, en moyenne 6, on peut estimer qu’en près de cinquante


ans, de 1960 à 2010, la fréquence de l’asthme a au minimum quintuplé.
Cette augmentation dramatique s’est surtout manifestée chez les plus
jeunes générations.
7
Une étude réalisée en 2000 par le Credes (Centre de recherche,
d’études et de documentation en économie de la santé) a comparé la
fréquence de l’asthme sur quatre générations. En voici le résultat  : les
personnes nées en 1984 ont sept fois plus de risques de développer cette
pathologie à l’âge de 14 ans que les personnes nées en 1919.
De plus, l’âge de la première crise d’asthme a fortement baissé chez
les nouvelles générations. Ce sont les moins de 5 ans qui se retrouvent le
plus souvent aux urgences lors des crises aiguës d’insuffisance

358
respiratoire. L’âge de la première crise ne cesse de se rapprocher de la
8
naissance . Une étude plus récente qui ne concerne que les enfants de
maternelle montre que la progression se poursuit, alors que l’on pensait
que la maladie connaissait une moindre progression voire une
stagnation 9.

Asthme comparé sur quatre générations :


 
L’asthme est plus fréquent chez les jeunes générations. À l’âge de 14 ans, la
génération des personnes nées en 1984 compte 100 asthmatiques (pour
1 000) ; les personnes nées en 1969 en comptent 70 ; les personnes nées en
1949 en comptent 50 et celles nées en 1919 n’en compte que 15.

Une fois sur trois, l’asthme se calme à la puberté mais peut


réapparaître à l’âge adulte. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ce
sont les plus âgés qui meurent le plus à cause de l’asthme. Plus l’âge est
élevé, plus l’asthme est grave.
Toutes les catégories socioprofessionnelles ne sont pas logées à la
même enseigne. Les foyers défavorisés souffrent davantage d’asthme.

359
Les personnes au chômage ou restant dans le foyer sont également plus
exposées. Les causes de cette maladie sont mal comprises, mais on sait
que l’asthme se développe sur un terrain allergique et s’accompagne
d’autres troubles du système immunitaire, comme les rhinites allergiques
ou rhumes des foins, les eczémas ou urticaires, les allergies alimentaires
10
et médicamenteuses . L’allergie est une forme exagérée de la réponse
immunitaire à une substance « étrangère » à l’organisme. C’est une perte
de la tolérance vis-à-vis de substances a priori inoffensives. L’organisme
réagit trop facilement (hypersensibilité) et/ou trop fortement
(hyperréactivité). Encore une fois, c’est l’homéostasie qui est perturbée.

Le rôle de l’allergie dans différents troubles :


 
L’allergie est une réaction inappropriée du système immunitaire aux
substances étrangères à l’organisme.

Asthme et rhinite allergique sont liés

360
Pour le Pr Jean Bousquet du CHU de Montpellier, qui est l’auteur de
l’article le plus cité de la littérature scientifique sur l’asthme et les
11
rhinites allergiques , ces deux maladies sont liées. Le professeur
souligne que 80  % des asthmatiques ont des rhinites allergiques
(caractérisées par les IgE). Et 10 à 40 % des patients qui ont des rhinites
ont aussi de l’asthme, ce qui illustre le principe «  Une seule voie
respiratoire, une seule maladie ».
Ce trouble qu’on appelle aussi «  rhume des foins  » ou «  allergie
saisonnière  » est une apparition relativement tardive dans l’histoire de
l’humanité 12. Il a été observé pour la première fois dans les années 1870
avec la révolution industrielle. C’est une inflammation des muqueuses du
nez, des sinus et des yeux. Elle est déclenchée par une réaction excessive
du système immunitaire en présence d’un allergène, comme le pollen ou
les acariens. Elle est désormais très courante, puisqu’elle touche un tiers
13
des Français .

Les causes ?

Certains facteurs chimiques, comme la pollution de l’air, ont leur part


de responsabilité dans l’épidémie, qu’ils soient produits par l’activité
industrielle, l’activité agricole ou par les trafics routier et aérien
(monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, dioxyde de soufre,
hydrocarbures aromatiques polycycliques – benzènes –, gaz carbonique,
particules fines, etc.).
Mais ils ne suffisent pas à en expliquer l’ampleur. En effet, dans
certains pays où la pollution de l’air a décru durant ces trente dernières
années, l’asthme et les allergies ont continué d’augmenter. De même, des
pays comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie, qui ont une faible
pollution atmosphérique, se classent malgré tout parmi les pays du
monde où l’asthme est le plus présent chez les enfants.

361
Le Collège royal des médecins de Grande-Bretagne, qui est la plus
ancienne des sociétés savantes, incrimine également une
surconsommation d’antibiotiques et d’autres médicaments, une sous-
consommation des fruits et légumes, une aseptisation de la prime
enfance et une altération de la flore bactérienne de l’intestin.
Le consensus scientifique international n’est pas loin d’être établi à
14
ce sujet . En effet, les allergènes classiques, comme les moisissures
(Penicillium), les levures, les acariens ou les insectes, sont désormais
sérieusement concurrencés par tous les allergènes chimiques qui se
cachent dans les objets et les produits du quotidien 15. Ce sont nos
« 6 P ». Non seulement, ils s’attaquent directement aux hormones, mais
16
ils interfèrent aussi dans leur relation avec le système immunitaire . On
retrouve les phtalates en première ligne.

Les phtalates interfèrent avec


les prostaglandines

Des scientifiques norvégiens ont commencé à élucider les


mécanismes biologiques utilisés par les phtalates (DEHP métabolisé en
MEHP) pour tromper le système hormono-immunitaire.
Ces polluants ressemblent aux molécules naturelles du corps que sont
les prostaglandines et qui sont considérées comme des «  hormones
locales », sécrétées non pas par des glandes mais par les cellules. Ce sont
elles qui modulent la réponse inflammatoire de l’organisme.
Cette similitude de structure entre phtalates et prostaglandines 17 va
permettre aux irritants chimiques de se fixer sur les récepteurs
normalement destinés aux prostaglandines. Ils activent ainsi la
constriction des bronches et génèrent une hyperréactivité des poumons,
avec une cascade d’inflammations entraînant spasmes et production de
mucus. Les enzymes qui normalement éliminent les prostaglandines

362
n’arrivent pas, de leur côté, à se débarrasser aussi facilement des
phtalates.
D’autres polluants ont aussi cette capacité à se fixer sur les récepteurs
très peu sélectifs des prostaglandines : ce sont les dérivés du benzène, les
18
phénols comme le bisphénol et les nonylphénols, les résines contenant
du formaldéhyde, les terpènes,  etc. Les parabènes sont aussi en cause  :
les enfants ont plus de risques de se retrouver aux urgences pour des
crises d’asthme si leurs urines sont fortement concentrées en
parabènes 19.
 
Plusieurs études ont mis en évidence le lien entre perturbateurs
endocriniens et asthme et allergies, dans les milieux familial et
professionnel. En voici quelques exemples :
— Une étude suédoise a montré que les enfants exposés aux phtalates
dans les logements ont un risque accru d’asthme et d’allergie. Plus les
taux de contamination des maisons sont élevés et plus les symptômes
20
sont sévères . Les poussières de phtalates proviennent principalement
des sols en PVC 21.
22
—  Les sept professions les plus touchées par l’asthme sont   :
boulanger, professionnels de la santé, coiffeur, peintre, travailleur du
bois, employé de nettoyage et agriculteur. Ces professionnels sont en
contact avec des substances chimiques qui altèrent leur système
respiratoire  : pesticides, alpha-amylase, cellulase 23, formaldéhydes,
fongicides, insecticides, bactéricides, ammoniums quaternaires, colorants
azotés des teintures capillaires, persulfates pour la décoloration,
24
isocyanates, résines époxy , conservateurs à l’isothiazolinone.
De nombreuses molécules médicamenteuses ont des structures
chimiques très proches de ces toxiques  ; elles provoquent les mêmes
inflammations pulmonaires. Dans son article de référence, le
Pr  Bousquet rappelle que les médicaments sont un facteur connu de
l’asthme et des allergies.
On retrouve d’abord parmi ces médicaments les antibiotiques et en
particulier les bêta-lactamines, puis les médicaments contre

363
l’hypertension (réserpine, guanéthidine, phentolamine, méthyldopa, les
inhibiteurs de l’ACE, les alpha-bloquants, les bêta-bloquants), les
antipsychotiques, et surtout les anti-inflammatoires non stéroïdiens
(AINS), comme l’aspirine ou apparentés (ibuprofène, diclofénac,
indométacine, kétoprofène, naproxène, etc.).
Tous ces anti-inflammatoires non stéroïdiens provoquent des rhinites
allergiques et de l’asthme, au point qu’on a qualifié ces derniers de
25
« troubles respiratoires exacerbés par l’aspirine  ». Parmi eux, on trouve
l’«  asthme induit par l’aspirine  ». Ce n’est guère surprenant  : les
prostaglandines ont besoin d’une enzyme pour mener à bien la réponse
inflammatoire  ; or l’aspirine inhibe cette enzyme, ce qui empêche
l’inflammation. C’est pour cette raison qu’on classe l’aspirine dans la
famille des anti-inflammatoires. Et l’on ajoute « non stéroïdiens » pour
les distinguer des anti-inflammatoires stéroïdiens, à base de cortisone
(structure stéroïde) et qui calment l’inflammation par un autre
mécanisme que l’aspirine. Ils sont au contraire utilisés comme traitement
de l’asthme.
On ne sera pas étonné de retrouver parmi les médicaments qui
26
provoquent l’asthme et les rhinites allergiques le paracétamol , mais
aussi… la pilule contraceptive.
Les hormones sexuelles font partie du tableau de l’asthme.

Asthme et hormones
En effet, les hormones jouent un rôle dans la sévérité de l’asthme. On
peut le constater à l’aide de certains marqueurs :
–  Une femme obèse ou proche de l’obésité qui a eu des règles
précoces est exposée à un risque accru d’asthme sévère.
–  Certaines femmes peuvent avoir un asthme prémenstruel. La
ménopause de même que la puberté sont aussi en relation avec l’asthme.

364
–  Des troubles endocriniens comme l’hypothyroïdie sont aussi
facteurs d’asthme.
–  La grossesse modifie elle aussi l’évolution de l’asthme, dont les
manifestations peuvent changer en fonction du taux d’estrogènes dans le
27
sang . Selon l’assurance maladie, chez un tiers des femmes enceintes,
l’asthme s’améliore, chez un autre tiers, il se stabilise, chez le dernier
tiers, il s’aggrave 28.
La période fœtale semble également jouer un rôle dans l’apparition
de l’asthme.

L’origine fœtale de l’asthme et de la rhinite


allergique
29
Une étude danoise menée sur 66 000 femmes enceintes a confirmé
qu’il existe une relation entre la prise de paracétamol pendant la
grossesse et le risque pour les enfants de souffrir de problèmes
respiratoires ou d’asthme dès l’âge de 18 mois et avant l’âge de 7 ans 30.
Une autre étude danoise a observé que si la mère prend des
antibiotiques pendant la grossesse pour quelque raison que ce soit, cela
augmente le risque d’avoir de l’asthme pour l’enfant durant les cinq
31
premières années de sa vie .
Le Collège royal des médecins de Grande-Bretagne attire l’attention
sur les risques provenant des antibiotiques et des vaccins dans la prime
enfance. La prise d’antibiotiques dans les deux premières années de la
vie multiplie par trois le risque d’asthme et par deux les risques de
rhinites et d’eczéma. De fait, les antibiotiques détériorent la flore
intestinale, alors que celle-ci joue un rôle crucial dans la mise en place de
l’immunité.
Une étude de 2020 qui se penche sur les «  épidémies d’allergie de
32
1870 à 2010   » signale que l’asthme pédiatrique n’a vraiment
commencé à atteindre des seuils épidémiques qu’à partir des années

365
1960. L’auteur identifie cinq changements susceptibles d’expliquer
l’épidémie :
1)  Nombre accru de vaccins dans la prime enfance, avec possibles
changements dans leur composition.
2) Augmentation de l’utilisation des antibiotiques à large spectre.
3) Utilisation accrue du paracétamol contre la fièvre pour remplacer
l’aspirine et ses effets secondaires.
4) Plus grande sédentarisation, avec le développement des écrans.
5) Exposition accrue aux allergènes des espaces intérieurs.
La chercheuse et mathématicienne allemande Angelica Kögel-
Schanz a confirmé cette constatation en analysant les données brutes
d’une grande étude (appelée «  KIGGS  ») sur la santé physique et
mentale de 17 641 enfants et adolescents, réalisée de 2003 à 2006 par la
33
plus haute instance de santé allemande, l’Institut Robert-Koch .
Elle constate que les enfants vaccinés contre la rougeole, les oreillons
et la rubéole ont été moins touchés par ces maladies infectieuses que les
enfants non vaccinés, mais qu’ils ont développé des affections
chroniques que n’ont pas connues les enfants non vaccinés.
Chez les enfants de la minorité religieuse amish aux États-Unis,
l’asthme et les allergies sont pratiquement inconnus, tout comme
l’autisme. De même, les enfants des écoles Steiner, connues pour leur
usage restreint des antibiotiques et des antipyrétiques, ont un risque
réduit d’allergies diverses 34. Les mêmes constatations sont faites dans
35
des études plus récentes aux États-Unis . Certaines suggèrent une
possible altération de la production de vitamine A par le foie 36.

366
Asthme et allergies chez les enfants non vaccinés et vaccinés :
 
En Allemagne et aux États-Unis, des comparaisons entre deux
groupes d’enfants montrent que les enfants vaccinés ont des taux
accrus d’asthme, de bronchite chronique, de rhinites allergiques et
d’eczéma.

Ce phénomène peut s’expliquer en partie par le fait que les vaccins


contiennent des substances allergisantes, comme le phénoxyéthanol, le
formaldéhyde, les antibiotiques, l’aluminium et les tensioactifs
(substances chimiques liposolubles dans les graisses et les solvants
également utilisées dans les lessives et les cosmétiques). Ils sont
administrés après huit semaines de vie, alors que le système immunitaire
du bébé est en pleine construction.
D’autres hormonotoxiques, comme le bisphénol  A, peuvent aussi
avoir un impact délétère sur la mise en place du système immunitaire du
nourrisson en employant d’autres mécanismes. En effet, le chercheur
toulousain de l’Inra Éric Houdeau a montré que le BPA peut modifier la
perméabilité de l’intestin, alors que celle-ci joue un rôle primordial dans
la future immunité en laissant passer ou non les substances qui serviront
ensuite à éduquer les cellules de l’immunité à l’intérieur du thymus 37.

367
Le thymus est une glande qui fabrique des hormones qui aident à la
production des globules blancs, les lymphocytes T. Il fait à la fois partie
du système endocrinien, du système lymphatique et du système
immunitaire. Il suffit que l’un de ces trois systèmes soit perturbé pour
que les répercussions se fassent sentir sur tous les autres.

RÉSUMÉ
10  % des Français souffrent d’asthme, un tiers ont des rhinites
allergiques ou de l’eczéma. Ces maladies sont apparues à une grande
e
échelle à la fin du XIX  siècle et dans les années 1960. Elles sont liées et
affectent à la fois les systèmes immunitaire et hormonal.
Elles seraient le résultat de l’altération par des produits chimiques
des récepteurs des «  hormones locales  » que sont les prostaglandines.
Les polluants toxiques se trouvent dans l’air tant extérieur qu’intérieur,
dans les médicaments, dont les vaccins, dans les matières plastiques. Ce
sont les « 6 P » déjà décrits.

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1998.
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4. A.  Afrite et Irdes, «  L’asthme en France en 2006  : prévalence, contrôle et
déterminants ».
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sante.gouv.fr/IMG/pdf/asthme.pdf

368
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de sévérité », Credes, février 2000.
8. Ibid.
9. M.-C.  Delmas, «  Augmentation de la prévalence de l’asthme chez le jeune
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15. L.  Mosqueron et V.  Nedellec, «  Hiérarchisation sanitaire des paramètres
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25. J. Bousquet, N. Khaltaev, A. A. Cruz, J. Denburg, W. J. Fokkens, A. Togias…
et C. Van Weel, « Allergic Rhinitis and Its Impact on Asthma… », art. cit.
26. Op. cit.
27. Ibid.
28. [En ligne] https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/asthme-vivre-
maladie/asthme-grossesse
29. S.  O.  Shaheen, « ALSPAC Study Team: Prenatal Paracetamol Exposure and
Risk of Asthma and Elevated Immunoglobulin  E in Childhood  », Clinical
& Experimental Allergy, 2005.
30. C. Rebordosa, « Pre-Natal Exposure to Paracetamol and Risk of Wheezing and
Asthma in Children: A  Birth Cohort Study  », International Journal of
Epidemiology, 2008.
31. L. G. Stensballe, « Use of Antibiotics During Pregnancy Increases the Risk of
Asthma in Early Childhood », The Journal of Pediatrics, 2013.
32. T.  A.  E.  Platts-Mills, «  The Allergy Epidemics: 1870-2010  », Journal of
o
Allergy and Clinical Immunology, vol. 136, n  1, p. 3-13.
33. efi-online.de KIGSS study. Article en français, Sylvie Simon, Nexus 77 ; 2011.
34. H.  Flöistrup et Parsifal Study Group, « Allergic Disease and Sensitization in
Steiner School Children », Journal of Allergy and Clinical Immunology, vol. 117,
o
n  1, janvier 2006, p. 59-66, [en ligne] DOI 10.1016/j.jaci.2005.09.039 ; Epub 2005
Nov 28 ; PMID 16387585.
35. B. S. Hooker et N. Z. Miller, « Analysis of Health Outcomes in Vaccinated and
Unvaccinated Children: Developmental Delays, Asthma, Ear Infections and
Gastrointestinal Disorders », SAGE Open Medicine, 2020.
36. A. R. Mawson et A. Croft, « Multiple Vaccinations and the Enigma of Vaccine
Injury », Vaccines, 2020.
37. V.  Braniste, A.  Jouault, E.  Gaultier, A.  Polizzi, C.  Buisson-Brenac,
M. Lévêque… et E. Houdeau, « Impact of Oral Bisphenol A at Reference Doses on
Intestinal Barrier Function and Sex Differences After Perinatal Exposure in Rats »,
o
Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 107, n  1, 2009, p. 448-453,
[en ligne] DOI 10.1073/pnas.0907697107

370
39

Quand les perturbateurs hormonaux


provoquent diabète et obésité

Le diabète et l’obésité sont-ils en passe de devenir les deux


épidémies mondiales les plus préoccupantes de ce début de XXIe siècle ?
Ces deux troubles sont souvent liés, au point qu’on les associe parfois au
sein du nouveau concept de « diabésité ».
En France, on estime à 5 % le nombre de diabétiques adultes traités
pour un diabète sucré, mais le tableau se rapproche plutôt des 10 % selon
1
l’OMS , pour laquelle l’obésité concerne, quant à elle, 25  % des
Français et le surpoids près de 65 % 2. Les données officielles françaises
3
sont en général légèrement inférieures .
Quels étaient les chiffres du diabète dans les années 1950  ? Son
incidence était de 1,5  % (c’est-à-dire près de 0) en 1992 4. Les cas de
diabète ont donc au minimum triplé en vingt ans, entre 1990 et 2010. Les
statistiques nationales d’une manière générale éparpillent les données,
les coupent en tranches et en rondelles, ce qui rend très difficile une
5
vision claire sur un siècle .
« Sur les dix dernières années, le nombre de personnes traitées pour
un diabète a augmenté en moyenne de 5 % par an », explique néanmoins
la Haute Autorité de santé en 2014 6. Nous parlerons ici de ce diabète
sucré de l’adulte, dit « de type 2 » par opposition au diabète juvénile, dit
« de type 1 » et qui n’a pas du tout le même mécanisme puisqu’il s’agit

371
d’une maladie auto-immune où le système immunitaire détruit le
pancréas. Son incidence a également triplé en vingt ans.
Les autorités sanitaires répètent à l’envi que les causes du diabète et
de l’obésité ne sont pas bien connues, à part une alimentation
déséquilibrée et la sédentarité. Certes, ces deux paramètres sont
fondamentaux, mais ils ne suffisent pas à expliquer l’explosion de la
« diabésité ». On parle désormais de maladies environnementales lorsque
7
l’on aborde le diabète et l’obésité .

372
Le diabète en France :
 
Le pourcentage de Français ayant un diabète est passé de 1,5 % en 1992 à
5 % en 2015.
Il a plus que triplé en vingt ans. Le Nord-Est du pays est le plus touché.
(D’après Fosse 2018)

En revanche, les chercheurs ont déjà élucidé de nombreux


mécanismes qui mettent en cause la responsabilité des polluants
chimiques hormonotoxiques dans l’épidémie. «  Leur participation dans
l’épidémie d’obésité et de diabète de type  2 ne semble plus faire de

373
doute  », expliquent les endocrinologues niçois Patrick Fénichel et
8
Nicolas Chevalier .
Le Réseau environnement santé a consacré tout un dossier au lien de
causalité entre perturbateurs chimiques et diabète dans le cadre du projet
Ecod’O (Environnement chimique Obésité Diabète) 9.
Mais d’abord, définissons le diabète et ses manifestations.

Qu’est-ce que le diabète et comment


le fabriquer ?
Les symptômes du diabète sont bien définis  : une soif et un appétit
accrus, une envie d’uriner fréquente, surtout la nuit, une fatigue
permanente. Ces symptômes résultent d’un excès de sucre dans le sang.
L’équilibre du taux de sucre (glucose) dans le sang, l’homéostasie, se
situe actuellement autour de 1,26  gramme par litre, mesuré après un
jeûne de huit heures. Jusqu’en 1999, le taux considéré comme normal
était aux alentours de 1,40  gramme par litre à jeun. Avec cette baisse
décidée par l’OMS, un grand nombre de personnes se sont retrouvées
mathématiquement «  malades  », ce qui a augmenté la clientèle des
laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers sont, par ailleurs, devenus les
premiers financeurs de l’OMS après le désengagement des États depuis
les années 1980. À noter que des baisses de seuils tout aussi fructueuses
pour l’industrie pharmaceutique se sont produites pour d’autres tests
diagnostiques, comme pour le cholestérol ou l’hypertension. Le travail
de lobbying a porté ses fruits.
L’excès de sucre dans le sang, l’hyperglycémie, peut avoir des
conséquences cardiovasculaires graves pour la santé  : infarctus du
myocarde, accident vasculaire cérébral, plaies du pied, amputation d’un
membre inférieur et insuffisance rénale chronique.

374
Pourquoi y a-t-il un excès de sucre dans
le sang à un moment donné ?

La source la plus évidente est d’abord un excès provenant de


l’alimentation, trop sucrée ou trop grasse. Dans ce cas, un rééquilibrage
alimentaire en vient à bout. Des expériences en laboratoire ont montré
qu’on peut rendre des rats diabétiques par l’alimentation et les guérir par
un régime alimentaire riche en fibres tel que le régime dit
« méditerranéen » 10.
La qualité de la flore intestinale joue également un rôle important.
Ainsi, des expériences en laboratoire à l’Inra de Jouy-en-Josas ont
montré que l’on pouvait rendre des rats diabétiques et obèses en leur
transférant le microbiote de rats obèses. Le contraire a aussi été vérifié :
des rats diabétiques sont redevenus normaux avec une greffe de
microbiote de rats sains.
On sait maintenant que les personnes obèses hébergent un microbiote
11
intestinal déséquilibré . L’équipe de Jouy-en-Josas a comparé un groupe
de personnes obèses et un groupe de personnes minces. Le groupe des
personnes obèses se caractérisait par une flore intestinale très pauvre en
variétés microbiennes contrairement à celui des personnes minces 12.
Parmi les bactéries qui semblent protectrices, on trouve Akkermansia
13
muciniphila, qui fait l’objet de nombreuses publications scientifiques .
Elle limiterait la réserve des graisses et également le risque de
développer un diabète 14.
Une fois éliminées les questions du régime alimentaire et de la
qualité de la flore intestinale, il reste désormais à voir comment, la
barrière intestinale passée, les deux organes qui gèrent le taux de sucre,
le foie et le pancréas, accomplissent leur mission. Leur action peut être
entravée par les polluants chimiques.
Dans un fonctionnement normal, le foie transforme le glucose qui
arrive en morceaux pour en faire des « colliers de sucres » attachés les
uns aux autres et prêts à être stockés  : le glycogène. Mais le foie n’a
aucun moyen de savoir quel est le taux de sucre dans le sang et s’il faut

375
qu’il le stocke au lieu de le verser dans la circulation. C’est là qu’il lui
faut un guide pour le renseigner et c’est une hormone : l’insuline.
Comme toutes les hormones, l’insuline est une messagère. C’est le
pancréas qui va l’envoyer prévenir le foie qu’il y a trop de sucre dans le
sang et qu’il doit arrêter d’en ajouter. Le pancréas joue le rôle du
thermostat. Il jauge le taux de sucre du sang grâce aux cellules situées
dans ses îlots de Langerhans. Celles-ci, quand le sang est trop concentré,
se mettent à sécréter l’insuline jusqu’à ce que le niveau de sucre
redescende au niveau d’équilibre
L’insuline va aussi voyager jusqu’au cerveau pour y jouer un rôle
dans la sensation de faim.
Il revient alors aux reins, à l’autre bout du circuit, d’augmenter la
cadence d’élimination du sucre surnuméraire. Et ils vont avoir besoin de
beaucoup d’eau pour le dissoudre et l’excréter. C’est ce qui explique que
les symptômes du diabète sont la production fréquente d’urine suivie
d’une soif intense pour compenser la perte d’eau.
Le risque à surveiller attentivement est alors celui de la
déshydratation avec son cortège d’effets en cascade si les sels minéraux
viennent à manquer.

376
L’équilibre du taux de sucre dans le sang :
 
1 – Le taux de sucre est trop élevé dans le sang, le pancréas sécrète
de l’insuline.
2 –  L’insuline prévient le foie, les cellules adipeuses et les muscles
qu’il faut stocker le sucre.
3 –  Le foie, les cellules adipeuses et les muscles appliquent la
consigne et arrêtent de déverser du sucre dans le sang.
4 – Le taux de sucre dans le sang baisse et retrouve son l’équilibre.

Pourquoi le mécanisme se dérègle-t-il ?

L’excès de sucre n’est pas problématique en soi, puisqu’il se produit


après chaque repas, ce qui entraîne une sécrétion d’insuline par le
pancréas pour freiner le déversement dudit sucre dans le sang par le foie,
les muscles et les cellules adipeuses.
Là où rien ne va plus, c’est lorsque des polluants chimiques
hormonomimétiques viennent casser ce cercle vertueux en se collant sur
les cellules du pancréas. Celles-ci se mettent à surproduire de l’insuline,
jusqu’à l’épuisement parfois. L’excès d’insuline sature les récepteurs
attitrés dans le foie  : le message de freinage ne passe plus. C’est

377
l’insulinorésistance. Le foie ne stocke plus le sucre et le déverse dans le
sang, provoquant un excès de sucre. C’est l’hyperglycémie, qui alimente
à son tour une sécrétion accrue d’insuline par les cellules du pancréas. Le
15
sujet se retrouve en hypersinsulinémie .
Voici quelques exemples d’études ayant démontré la responsabilité
des toxiques chimiques dans la survenue du diabète :
—  Une équipe espagnole autour de Paloma Alonso a montré
l’enchaînement de ces séquences avec du bisphénol A. Avec une dose
très faible de seulement 10  microgrammes par kilogramme et par jour,
des souris ont développé un excès d’insuline, puis une hyperglycémie en
seulement quatre jours 16.

378
Comment les perturbateurs chimiques provoquent le diabète :
 
À gauche, une cellule cible normale. L’insuline donne le message de
stocker le glucose.
À droite, le mécanisme est perturbé par un toxique hormonal :
1 –  Le polluant chimique présent dans le sang surexcite les cellules
du pancréas.
2 –  Celles-ci surproduisent de l’insuline. Résultat, l’insuline est en
excès dans le sang.
3 – L’excès d’insuline dans le sang bloque les récepteurs de l’insuline
sur les cellules cibles. Le message «  Faites entrer le glucose du sang
dans la cellule » n’est plus délivré. C’est l’insulinorésistance.
4 – Le glucose du sang ne peut plus entrer dans la cellule. Résultat :
trop de glucose dans le sang.
C’est l’hyperglycémie.

La dose était pourtant 1  000  fois inférieure aux doses quotidiennes


autorisées pour la consommation alimentaire aux États-Unis. Elle est
aussi très inférieure aux doses retrouvées dans le sang des femmes
enceintes et des enfants français (voir les chap. 34 et 35).
—  À Toulouse, une étude récente a montré qu’un cocktail de six
pesticides contenus dans l’alimentation pouvait engendrer diabète et

379
maladies métaboliques chez des souris nourries avec ce cocktail pendant
un an. Il s’agissait pourtant de faibles doses, tolérées par la
17
réglementation . Les consommateurs sont exposés à ces doses au long
cours. Cette maladie émergente porte le nom de « maladie du foie gras
non alcoolique  ». Elle est selon plusieurs analyses en partie liée aux
perturbateurs hormonaux 18. Le risque de développer un cancer du foie
19
est par la suite plus élevé .
—  Une étude portant sur la population canadienne a identifié les
toxiques environnementaux (bisphénol  A, phtalates ou POP 20) comme
21
facteurs de risque pour le diabète . Dans cette population, les taux de
diabète sont trois à cinq fois plus élevés que dans la population générale.

Un cocktail de pesticides provoque le diabète :


 
À gauche, foie de souris normal, et à droite foie de souris exposé aux
pesticides présentant une accumulation de lipides, une situation
prédiabétique.

— Dans la région des Grands Lacs, aux États-Unis, une étude portant
sur une cohorte de personnes suivies durant dix années a montré que
l’exposition au pesticide DDT entraînait une hausse du diabète 22.
— Une étude chez les vétérans de l’US Air Force impliqués dans la
pulvérisation du tristement célèbre « agent orange » durant la guerre du

380
Vietnam a montré que leur taux de diabète était beaucoup plus élevé que
la moyenne générale.
— En Slovaquie, une importante étude faite sur des enfants dans une
région très polluée aux PCB a montré que l’expression de quatorze gènes
s’en trouvait modifiée, parmi lesquels le gène régulant l’insuline. Un
23
autre gène « altéré », le TSGA, était, lui, relié à l’obésité .
— Plusieurs études ont montré comment l’obésité peut se transmettre
de génération en génération 24. Il suffit que des parents soient exposés
aux bisphénols, aux phtalates ou à d’autres perturbateurs hormonaux
pour que les fils et les petits-fils qui n’ont pas été exposés aux toxiques
25
soient néanmoins touchés par leurs effets .
—  Une étude de l’Inserm rappelle que les récepteurs placés sur le
noyau des cellules ont également leur mot à dire et communiquent en
permanence avec les gènes 26. Elle montre que les recherches
scientifiques de ces trente dernières années ont apporté des preuves
suffisamment convaincantes quant à la nocivité des perturbateurs
endocriniens…
 
À ce stade, il est bon de rappeler que les autorités sanitaires ne
prennent toujours pas en compte les perturbateurs hormonaux
chimiques dans la survenue du diabète.
Ils se cachent aussi dans de nombreux médicaments. Voici les
principaux :
–  Le Distilbène sert là encore de modèle expérimental grandeur
27
nature  : la chercheuse américaine Retha Newbold a démontré que ce
produit provoque l’apparition d’un diabète et d’une obésité chez les
souris exposées in utero ou à la naissance.

381
Distilbène et diabète :
 
À gauche, une souris normale. À droite, une souris exposée à du
Distilbène in  utero. À 6  mois, la souris contaminée est obèse et
présente des signes précurseurs du diabète.

–  Les statines élèvent le risque de diabète de 15  % et le risque


augmente avec la dose de statine, la statine la plus diabétogène étant la
rosuvastatine, avec un surrisque de 25 % 28. Environ 100 cas de diabètes
apparaissent pour 10  000  patients prenant de l’atorvastatine
(40 milligrammes).
–  Les corticoïdes provoquent des diabètes cortico-induits. Lorsque
les doses quotidiennes sont de l’ordre de 25  mg, le risque est multiplié
29
par cinq .
–  Les édulcorants multiplient le risque de diabète par deux. De
nombreuses études ont montré que les boissons light font grossir 30 et
provoquent du diabète – un comble pour tous ceux qui croient bien faire
31
en consommant ces édulcorants  ! Ils perturberaient la flore intestinale,
32
favorisant les bactéries obésogènes . La raréfaction de certaines
bactéries s’accompagnerait d’une baisse de la libération de l’hormone de
satiété et par conséquent d’une hausse de l’appétit.
Ces médicaments et ces édulcorants, lorsqu’ils sont pris par une
femme enceinte, peuvent programmer le futur diabète de son enfant.

382
Le diabète programmé à l’âge fœtal
33
Le diabète de l’adulte peut avoir une origine fœtale . L’exemple le
plus célèbre est celui de la famine de l’hiver 1944-1945 aux Pays-Bas :
les enfants mal nourris pendant la période fœtale sont nés avec un
moindre poids mais se sont plus souvent retrouvés obèses et diabétiques
à l’âge adulte suite à la «  neutralisation  » de leur gène de gestion de
34
l’insuline, le Pedx1 . Cette théorie est connue sous le nom
35
d’« hypothèse de Barker  ».
L’alimentation en continu lors d’épisodes hospitaliers est également
diabétogène à partir d’une certaine durée. En effet, comme pour
beaucoup d’autres hormones, la libération de l’insuline se fait sur un
mode pulsatile, ce qui entraîne des concentrations oscillantes dans le
sang. Celle-ci évite de bloquer les récepteurs des cellules cibles en
permanence. Pour cette même raison, les jeûnes intermittents entre
chaque repas permettent de préserver l’insuline.

Pulsatilité de l’insuline :
 
L’insuline est sécrétée sur un mode pulsatile de 140 minutes tout au
36
long de la journée , avec des pointes de haute fréquence de 6-
10 minutes.

RÉSUMÉ
Le diabète a connu une forte augmentation ces dernières décennies.
En France, il a été multiplié par trois en vingt ans entre 1990 et 2015 et

383
touche désormais plus de 5 % de la population.
L’obésité a, elle aussi, connu une croissance rapide et concerne 17 %
de la population.
Cette double épidémie ne s’explique pas seulement par un régime
alimentaire déséquilibré et un manque d’activité physique. De nouvelles
données scientifiques mettent également en cause notre exposition à des
substances chimiques de synthèse.
Les mécanismes d’action des polluants chimiques sont désormais
connus  ; ils passent entre autres par la perturbation du pancréas et le
dérèglement de la production d’insuline, ce qui aboutit au déséquilibre
dangereux du taux de sucre dans le sang.
L’imprégnation du fœtus en polluants chimiques peut être à l’origine
des maladies de l’adulte (diabète et obésité).

1. [En ligne] https://www.who.int/diabetes/country-profiles/fra_fr.pdf?ua=1


2. Ibid.
3. C. Verdot, « Corpulence des enfants et des adultes en France métropolitaine en
2015. Résultats de l’étude Esteban et évolution depuis 2006  », Bulletin
épidémiologique hebdomadaire, vol. 13, 2017, p. 234-241.
4. D. Simon, « Données épidémiologiques sur le diabète de type 2 », hôpital de la
Pitié, service de diabétologie, Paris-Inserm U-258, Villejuif, 2002.
5. S. Fosse-Edorh, « Épidémiologie du diabète : que disent les dernières données
françaises ? », Santé publique France, 2018.
6. [En ligne] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2015-
02/7v_referentiel_2clics_diabete_060215.pdf
7. Reporterre.net : L’obésité, une maladie environnementale non reconnue de plus
en plus répandue. 9/7/2021.
8. N. Chevalier et P. Fénichel, « Perturbateurs endocriniens : responsabilités dans
l’obésité et le diabète de type  2  », Médecine des maladies métaboliques, vol.  11,
2017, p. 341-346, [en ligne] DOI10.1016/S1957-2557(17)30078-0.
9. A. Cicolella, G. Nalbone et S. Laot-Cabon, « Environnement chimique, obésité
et diabète. Projet Ecod », mars 2012.
10. S.  Ahmad et al., «  Association of the Mediterranean Diet With Onset of
o
Diabetes in the Women’s Health Study », JAMA Network Open, vol. 3, n  11, 2020,
e2025466, [en ligne] DOI10.1001/jamanetworkopen.2020.25466.
11. A.  Cotillard, ANR MicroObes Consortium, K.  Clément et S.  D.  Ehrlich,
« Dietary Intervention Impact on Gut Microbial Gene Richness », Nature, 2013.

384
12. E.  Le  Chatelier, «  Richness of Human Gut Microbiome Correlates With
Metabolic Markers », Nature, 2013.
13. J. Everard et al. 2013.
14. [En ligne] https://www.pileje.fr/revue-sante/microbiote-intestinal-obesite
15. R.  R.  Newbold, E.  Padilla-Banks et W.  N.  Jefferson, «  Environmental
Estrogens and Obesity », Molecular and Cellular Endocrinology, 2009.
16. P.  Alonso-Magdalena, «  The Estrogenic Effect of Bisphenol  A Disrupts
Pancreatic Beta-Cell Function In  Vivo and Induces Insulin Resistance  »,
Environmental Health Perspectives, 2006.
17. C.  Lukowicz, «  Metabolic Effects of a Chronic Dietary Exposure to a Low-
Dose Pesticide Cocktail in Mice: Sexual Dimorphism and Role of the Constitutive
Androstane Receptor », Environmental Health Perspectives, 2018.
18. S. A. Polyzos, J. Kountouras, G. Deretzi, C. Zavos et C. S. Mantzoros, « The
Emerging Role of Endocrine Disruptors in Pathogenesis of Insulin Resistance:
A Concept Implicating Nonalcoholic Fatty Liver Disease ».
19. Hannes Hagström, du Centre des maladies digestives de l’hôpital de
l’université Karolinska, à Stockholm.
20. Polluants organiques persistants.
21. Sharp 2009.
22. M. Turyk, H. Anderson, L. Knobeloch, P. Imm et V. Persky, « Organochlorine
Exposure and Incidence of Diabetes in a Cohort of Great Lakes Sport Fish
o
Consumers  », Environmental Health Perspectives, vol.  117, n   7, juillet  2019,
p.  1076-1082, [en ligne] DOI 10.1289/ehp.0800281  ; Epub 2009 Mar 6  ; PMID
19654916 ; PMCID PMC2717133.
23. Mitra et al. 2012.
24. E. Burgio, A. Lopomo et L. Migliore, « Obesity and Diabetes: From Genetics
to Epigenetics  », Molecular Biology Reports, vol.  42, p.  799-818, [en ligne]
https://doi.org/10.1007/s11033-014-3751-z.
25. M.  Manikkam, R.  Tracey, C.  Guerrero-Bosagna et M.  K.  Skinner, «  Plastics
Derived Endocrine Disruptors (BPA, DEHP and DBP) Induce Epigenetic
Transgenerational Inheritance of Obesity, Reproductive Disease and Sperm
Epimutations », PLOS One, 2013.
26. B.  Le  Magueresse-Battistoni, «  Perturbateurs endocriniens et perturbations
métaboliques  », université Claude-Bernard-Lyon  I, CarMeN Laboratory, Inserm
U1060, Inra U1397, Insa Lyon, Charles Mérieux Medical School, Oullins.
27. R.  R.  Newbold, «  Environmental Estrogens and Obesity  », Molecular and
Cellular Endocrinology, 2009.
28. N. C. Ward, « Statin Toxicity, Mechanistic Insights and Clinical Implications »,
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29. J.  Wu, «  Glucocorticoid Dose-Dependent Risk of Type  2 Diabetes in Six
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385
30. M. Luger, M. Lafontan, M. Bes-Rastrollo, E. Winzer, V. Yumuk et N. Farpour-
Lambert, « Sugar-Sweetened Beverages and Weight Gain in Children and Adults:
A  Systematic Review From 2013 to 2015 and a Comparison With Previous
Studies », Obesity Facts, 2017, [en ligne] DOI 10:674-693, 10.1159/000484566.
31. G.  Fagherazzi, «  Chronic Consumption of Artificial Sweetener in Packets or
Tablets and Type 2 Diabetes Risk: Evidence From the E3N-European Prospective
Investigation Into Cancer and Nutrition Study  », Annals of Nutrition and
Metabolism, 2017.
32. [En ligne] https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/27054-
Edulcorants-sait-faux-sucres-favorisent-diabete
33. Concept de DOHaD (Developmental Origins of Health and Disease), voir le
chap. 11.
34. D.  J.  P.  Barker, «  Maternal Nutrition, Fetal Nutrition, and Disease in Later
o
Life », Nutrition, vol. 13, n  9, 1997.
35. D. J. P. Barker, « Fetal Origins of Coronary Heart Disease », BMJ, 1995.
36. O.  Schmitz, B.  Brock, M.  Hollingdal, C.  B.  Juhl et N.  Pørksen, «  High-
Frequency Insulin Pulsatility and Type  2 Diabetes: From Physiology and
Pathophysiology to Clinical Pharmacology  », Diabetes &  Metabolism, vol.  28
(6 Suppl), décembre 2002.

386
40

Quand la thyroïde flambe en silence

S’il est une épidémie qui fait peu parler d’elle mais qui n’en est pas
moins extrêmement répandue, c’est bien celle qui touche à tous les
troubles de la thyroïde. On a vu, dans le chapitre 37 sur l’autisme, à quel
point les hormones thyroïdiennes sont fondamentales pour la
construction du cerveau du fœtus et comment elles peuvent être
perturbées par les polluants chimiques qui miment leur structure.
Par-delà la période fœtale, elles vont jouer, tout au long de la vie, un
rôle de premier ordre dans la construction de l’ossature, dans la
régulation de la température, dans la production de l’énergie, dans la
modulation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, mais aussi
dans l’équilibre de l’humeur et le bien-être.
La bonne santé de la glande en forme de papillon qui produit ces
hormones et qui se situe à la base du cou est fortement compromise
depuis plusieurs décennies. Le cancer de la thyroïde, qui touche trois fois
plus les femmes que les hommes, est en très forte augmentation. Les
registres anciens montrent que les cancers papillaires, qui représentent
80  % des cancers thyroïdiens, ont été multipliés par neuf entre 1980 et
2018 1.

387
Évolution du cancer de la thyroïde :
 
Chez les femmes, l’incidence du cancer papillaire, qui représente 80 % des
cancers de la thyroïde, a été multipliée par près de neuf entre les années 1980
2
et 2015. (Santé publique France 2019 )

Le cancer n’est pas la seule pathologie de la thyroïde  : d’autres


troubles, comme l’hypothyroïdie et l’hyperthyroïdie, sont également en
forte augmentation – un véritable phénomène de société.
Le Levothyrox, le médicament de référence des dysthyroïdies, qui
contient l’hormone lévothyroxine, est le médicament sur ordonnance le
plus vendu en France, avec 2 à 3 millions de malades traités en 2017 et
30  millions de boîtes vendues par an, soit six fois plus qu’il y a vingt-
cinq ans 3 ; 85 % des patients sont des patientes.
4
Le «  scandale du Levothyrox  », qui a éclaté en 2017 , a fait grand
bruit et a permis de prendre conscience de l’épidémie «  cachée  » des
troubles de la thyroïde. Ces troubles essentiellement féminins ont été

388
traités avec un grand mépris par les instances sanitaires et les ministres
de la Santé successifs.

Quelles sont les causes de cette


explosion de dysthyroïdies ?
Cette forte progression ne peut pas entièrement s’expliquer par un
meilleur dépistage ou même par un surdiagnostic suivi d’un
surtraitement. Le vieillissement de la population ne suffit pas non plus à
la justifier.
L’accident de Tchernobyl (1986) a provoqué des cancers de la
thyroïde en Biélorussie. En France, les retombées du nuage radioactif,
même si elles ont été outrageusement minimisées par le
gouvernement, ne suffisent pas à expliquer toutes les affections de la
thyroïde enregistrées dans le pays ; la montée en flèche des cas avait
commencé avant.
En Polynésie, les quarante et un essais nucléaires atmosphériques
réalisés par l’armée française ont entraîné un excès de cancers de la
thyroïde chez les enfants, mais ils ne suffisent pas non plus à rendre
5
compte de l’augmentation des troubles thyroïdiens .
La multiplication des examens radiologiques, notamment dentaires,
est une source de préoccupation ; cependant, elle non plus n’explique
pas tout.

Encore une fois, voyons comment les substances chimiques


industrielles ainsi que quelques prescriptions médicamenteuses ont
accompagné et en grande partie causé cette épidémie.
Certaines molécules sont hormonotoxiques  : elles n’épargnent pas
l’axe hypothalamus-hypophyse-thyroïde. On les retrouve parmi les  six
familles de polluants, les « 6 P » que nous avons décrits tout au long de
6
ce livre .
Le point commun de ces substances, à l’exception des perfluorés, est
la similitude de leur structure chimique avec l’hormone thyroïdienne.
Elles sont toutes composées de cycles benzène dérivés du pétrole

389
auxquels ont été fixés artificiellement des éléments comme le chlore, le
brome, le fluor ou même l’étain.

Risque comparé du cancer de la thyroïde sur quatre générations :


 
En 2010, une femme de 60 ans née en 1950 a neuf fois plus de risques d’avoir
7
un cancer de la thyroïde que sa mère née en 1920 .

Pour l’hormone thyroïdienne, l’iode est indispensable : trois atomes


d’iode sont fixés sur chaque molécule d’hormone thyroxine T3. En
prenant la place de l’iode, les composés comportant du brome et du fluor
8
vont provoquer une carence en iode et donc en hormone thyroïdienne .
Au Muséum d’histoire naturelle de Paris, Jean-Baptiste Fini et Barbara
Demeneix ont montré que c’est aussi le cas pour les composés chlorés,
les phtalates, les pesticides organochlorés, les perfluorés (PFOA) ou
9
encore le mercure .
Par ailleurs, le lien entre pesticides et cancer de la thyroïde chez le rat
est désormais reconnu pour vingt-quatre de ces polluants hormonaux par

390
10
l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, l’EPA . Ces
molécules entraînent une diminution de la sécrétion d’hormones
thyroïdiennes, suivie d’une augmentation du volume de la glande pour
essayer de maintenir le niveau de production. Pour ce qui concerne les
PCB et les dioxines, les études sur les animaux et chez les humains
montrent que ces substances altèrent les fonctions de la thyroïde 11.
Les retardateurs de flamme bromés sont pour leur part capables de
dérégler la glande thyroïde des rats et des humains. Une étude récente a
mis en lumière leur capacité à provoquer un excès de cancers thyroïdiens
chez les personnes exposées aux poussières contaminées dans les
logements. Or, 100  % des logements contiennent ce genre de
12
poussières .

Des médicaments toxiques pour la thyroïde

Les médicaments contenant des molécules proches de ces polluants


chimiques sont susceptibles d’avoir les mêmes effets perturbateurs sur la
thyroïde, mais ils sont loin d’être tous identifiés. On sait néanmoins que
ceux qui contiennent de l’iode peuvent dérégler l’équilibre thyroïdien.
C’est le cas de certains antiarythmiques prescrits pour le cœur, comme
13
l’amiodarone (Cardarone) .
Les produits de contraste iodés utilisés pour pratiquer les
radiographies peuvent aussi par apport excessif d’iode provoquer à
distance une hypothyroïdie. La glande étant saturée, elle s’arrête de
fonctionner. Mais ces produits de contraste ont d’autres effets
secondaires graves  : ils peuvent provoquer des réactions allergiques
pouvant aller jusqu’au décès. Ils constituent la première cause de chocs
fatals en hôpital. Ils représentent aussi la quatrième cause de réaction
cutanée due aux médicaments après les antibiotiques, les anti-
inflammatoires non stéroïdiens et les antalgiques.

391
Mais ce que nous apprennent les médecins, c’est qu’il n’existe pas
d’allergie à l’iode : l’allergie concerne le support sur lequel l’iode est
fixé. En l’occurrence, dans le cas des produits de contraste, le support
n’est autre que notre désormais familier… noyau benzénique, une
14
molécule pour le moins toxique .
D’autres médicaments perturbateurs de la thyroïde sont le lithium,
utilisé en psychiatrie, ainsi que l’interféron, qui sert à traiter notamment
la sclérose en plaques. La radiothérapie des traitements anticancéreux
peut aussi avoir des répercussions sur la thyroïde.
Ces hormonotoxiques capables de perturber les adultes ont aussi des
effets sur la thyroïde des fœtus des mères exposées 15. Des chercheurs
hollandais ont découvert que quand le sang des mères prélevé sur le
cordon ombilical et leur lait présentaient des taux élevés de dérivés du
DDT et de perfluorés, leurs filles souffraient d’un excès d’hormone
thyroïdienne T4. La thyroïde des garçons en revanche était indemne.

RÉSUMÉ
Les troubles de la thyroïde touchent en grande majorité les femmes.
L’épidémie flambe en silence depuis les années 1950. Le taux de cancers
a été multiplié par neuf en trente ans. Les progrès du dépistage ne
suffisent pas à l’expliquer. Ce sont les polluants chimiques qui viennent
se fixer sur la thyroïde qui causent cette explosion chez l’adulte mais
aussi chez le fœtus. Certains médicaments sont en cause.

1. G. Defossez et al., « Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par


cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018, vol.  1  : Tumeurs solides  »,
Compléments Saint-Maurice (Fra), Santé publique France, 2019.
2. Ibid.
3. «  Mission flash sur le Levothyrox, communication de M.  Jean-Pierre Door  »,
mardi 31 octobre 2017.
4. Consulter le site de l’Association française de la thyroïde (AFMT) et de sa
présidente, Chantal L’Hoir.

392
5. Expertise collective « Cancer et environnement », Inserm, 2008.
6. M.  Boas, «  Thyroid Effects of Endocrine Disrupting Chemicals  », Molecular
and Cellular Endocrinology, 2012.
7. G. Defossez et al., « Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par
cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018, vol. 1 : Tumeurs solides », art.
cit.
8. Expertise collective « Cancer et environnement », Inserm, 2008.
9. J.  B.  Fini… et B. A.  Demeneix, «  Human Amniotic Fluid Contaminants Alter
Thyroid Hormone Signalling and Early Brain Development in Xenopus
Embryos », Scientific Reports, 2017.
10. C.  Dolbois, Perturbateurs endocriniens et cancer de la thyroïde, thèse de
doctorat en pharmacie, Toulouse, 2017.
11. M. Boas, U. Feldt-Rasmussen et K. M. Main, « Thyroid Effects of Endocrine
Disrupting Chemicals », Molecular and Cellular Endocrinology, 2012.
12. L.  Mosqueron et V.  Nedellec, «  Hiérarchisation sanitaire des paramètres
d’intérêt… », art. cit.
13. Expertise collective « Cancer et environnement », Inserm, 2008.
14. Allergie aux produits de contraste iodés, Chu-besancon.fr  ; produits iodés,
Haute Autorité de santé.
15. M.  de Cock, «  Prenatal Exposure to Endocrine Disrupting Chemicals in
Relation to Thyroid Hormone Levels in Infants: A  Dutch Prospective Cohort
Study », Environmental Health, 2014.

393
41

Quand les toxiques hormonaux ouvrent


la porte au coronavirus

Le système hormonal et le système immunitaire sont intimement


liés  ; ce qui perturbe l’un perturbe l’autre. On sait que les maladies
infectieuses se développent plus facilement sur des enfants plus
fortement imprégnés de produits chimiques  : ces derniers fabriquent
moins d’anticorps pour se défendre contre les intrus.
Le même phénomène a été observé lorsqu’on injecte un vaccin à des
enfants très contaminés : ils ne développent que très peu d’anticorps. Les
enfants sont donc moins «  répondeurs  » aux produits vaccinaux
lorsqu’ils sont plus intoxiqués chimiquement 1.
C’est le cas aussi chez les adultes. Une étude récente réalisée au
Danemark durant la pandémie de coronavirus a eu des résultats
surprenants. Les chercheurs danois ont voulu voir si les personnes les
plus sévèrement touchées par la Covid n’étaient pas également celles qui
avaient le plus de contaminants perfluorés dans le sang, et la réponse a
été positive.

394
Interdépendance des systèmes hormonal et immunitaire :
 
Des toxiques chimiques fragilisent le «  terrain  » et facilitent les
infections.

Les perfluorés sont plus présents chez les hommes que chez les
femmes, chez les plus âgés que chez les plus jeunes. Ils sont aussi liés à
la survenue du diabète et de l’obésité. Les personnes qui avaient les
plus hautes concentrations en perfluorés étaient aussi celles qui
développaient les formes Covid les plus sévères.
Un perfluoré en particulier, le PFBA, semble le plus toxique. C’est
celui qui « en théorie » est le moins toxique, car le moins persistant dans
l’organisme, mais comme il a une chaîne courte, il se fixe aussi plus
facilement sur les poumons. «  Il y a bien un lien entre l’imprégnation
chimique de la population et la sévérité de la Covid », affirme Philippe
Grandjean, l’un des auteurs de l’étude, et cela indépendamment des
autres facteurs – âge, sexe ou comorbidités.
Cela expliquerait aussi pourquoi certaines régions présentant une
pollution atmosphérique très forte sont aussi celles qui sont les plus
touchées par le virus : la région de Wuhan, en Chine, la Lombardie, en
Italie, l’Alsace et l’Île-de-France, en France 2. Cela expliquerait aussi

395
pourquoi les personnes âgées, qui sont celles qui consomment le plus de
médicaments au quotidien, sont aussi les plus exposées à la Covid. En
effet, de nombreuses substances médicamenteuses ont une structure
chimique proche de certains perturbateurs hormonaux.
La consigne donnée par le gouvernement français au début de
l’épidémie de consommer du paracétamol en cas de symptômes
infectieux n’a sans doute pas été des plus heureuses. En effet, non
seulement le paracétamol fait baisser la fièvre, alors que celle-ci fait
monter la température pour empêcher la réplication des virus, mais en
plus, sa structure le rend particulièrement toxique : il est composé d’un
cycle benzène auquel on a ajouté un atome d’azote (chapitre 19).
Il s’agit donc bien d’un perturbateur hormonal, comme on l’a vu à
plusieurs occasions dans ce livre. En tant que produit chimique, il est
classé H302, c’est-à-dire «  nocif en cas d’ingestion  ». Du fait de la
toxicité du paracétamol, le foie doit déployer une forte activité pour
l’éliminer –  autant d’énergie qui n’est pas consacrée à la neutralisation
du virus. Le paracétamol est malgré tout le médicament sans ordonnance
le plus consommé par les Français…
La réponse médicale officielle au coronavirus a cumulé les
contresens. Nous n’en ferons pas la liste ici. Mais en nous concentrant
sur le seul aspect des perturbateurs hormonaux, il faut accorder une
mention spéciale aux gels hydroalcooliques  : ils détruisent la flore
bactérienne, qui nous protège des agents pathogènes et des produits
toxiques comme le bisphénol  A.  Il faut également mentionner les
masques jetables en plastique, qui sont constitués de polypropylène
a  priori non dangereux, sauf s’il contient des additifs comme les
retardateurs de flamme aux paraffines chlorées, qui ont un effet
3
estrogénique . Ces masques peuvent aussi comporter des nanoparticules
de graphène, une matière dangereuse pour la santé.
 
Un mot sur les vaccins à ARN synthétiques. Indépendamment du fait
qu’ils sont expérimentaux et donc impropres par définition à la
vaccination de masse, ils contiennent de l’ARN entièrement synthétique

396
dont on ne connaît rien des «  secrets de fabrication  ». Quels sont les
4
effets sur les hormones ? Mystère. Ce qu’on sait en revanche , c’est que
l’ARN est inséré dans des nanoparticules de lipide conçues pour
traverser la membrane des cellules. Cet ARN se retrouve dans plusieurs
organes, à distance du lieu d’injection. Selon les données du laboratoire
propriétaire, consultables sur le site de l’Agence européenne du
médicament, l’EMA, on peut lire qu’on retrouve de l’ARN de synthèse
dans le cerveau, le cœur, les poumons, les yeux et même les testicules et
les ovaires 5. Les nanoparticules sont potentiellement dangereuses pour le
6
système reproducteur .
Le vaccin contient par ailleurs de la trométhamine 7, une substance
capable d’inhiber des enzymes essentielles de l’organisme qui
comportent des ions métalliques comme le zinc ou le magnésium et qui
ont un effet protecteur contre l’inflammation, la cataracte, le cancer, le
VIH, les kystes, les déséquilibres des phospholipides et la leucémie. Ces
enzymes ont également un rôle clé dans le maintien de l’équilibre
hormonal.
Le vaccin contient du cholestérol. Or, on l’a vu, celui-ci sert de base
à la construction des hormones sexuelles et du cortisol, l’hormone du
stress. Quel est le risque de lier du cholestérol à une substance contre
laquelle le système immunitaire va apprendre à faire la guerre ?
Le vaccin contient du polyéthylène-glycol (PEG), une substance
connue pour être allergisante. De fait, de nombreux chocs
anaphylactiques après vaccination ont été signalés à la
pharmacovigilance. Ce produit est un assemblage (polymère) de
molécules d’éthylène-glycol, qui, lui, sert d’antigel dans les moteurs de
voiture. Il n’a jusqu’à présent jamais été utilisé dans des produits
8
injectables .
Le vaccin contient d’autres lipides, les phosphocholines (DSPC), qui
ressemblent aux phospholipides composant les membranes des cellules.
Ce sont des substances essentielles du système nerveux. Quels peuvent
être les effets secondaires d’un produit qui apprend au système
immunitaire à ne plus faire la différence entre ce qu’il doit éliminer

397
et ce qu’il doit tolérer  ? Un dérèglement des phospholipides est, par
ailleurs, une cause connue de fausses couches.
 
Le vaccin contient aussi des lipides mystères baptisés « lipides SM-
102 », dont on ne sait tout simplement rien en tant que consommateurs
puisque le laboratoire propriétaire les considère comme un secret
industriel.
Par ailleurs, des universitaires américaines ont lancé une étude sur les
effets du vaccin anti-Covid sur le cycle menstruel. Elles avaient observé
sur elles-mêmes un dérèglement de leur cycle, des douleurs accrues au
9
moment des règles et un flux menstruel plus abondant .
Compte tenu de toutes les incertitudes sur la durée de vie des
anticorps, y compris en cas d’infection naturelle par le coronavirus, il
apparaît difficile de faire confiance à des firmes pharmaceutiques qui ont
par le passé été condamnées en justice à des milliards de dollars
d’amende pour corruption, publicité mensongère et mise en danger de la
vie d’autrui.

RÉSUMÉ
Le système hormonal et le système immunitaire sont interdépendants.
Une étude a montré que les personnes qui sont imprégnées de perfluorés
ont un risque accru de développer une forme Covid plus sévère. Les
polluants chimiques fragilisent le système immunitaire et favorisent les
infections.
Les vaccins expérimentaux à ARN de synthèse contiennent des
polluants chimiques susceptibles d’induire des troubles hormonaux et
immunitaires.

1. [En ligne] https://www.bfr.bund.de/cm/349/new-study-shows-one-year-old-


children-demonstrate-lower-concentration-of-vaccine-antibodies-with-high-pfoa-
concentration-in-the-blood.pdf

398
2. P.  Grandjean et al., «  Severity of COVID-19 at Elevated Exposure to
Perfluorinated Alkylates », preprint MedRxiv, 2020.
3. [En ligne] https://www.inrs.fr/publications/bdd/plastiques/polymere.html?
refINRS=PLASTIQUES_polymere_19&section=caracteristiques
4. [En ligne] https://www.mesvaccins.net/web/vaccines/656-covid-19-vaccine-
moderna
5. AMM conditionnelle Pfizer, [en ligne]
https:/www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/comirnaty-epar-public-
assessment-report_en.pdf, p.  54 (AMM)  ; AMM conditionnelle Moderna, [en
ligne] https://www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/covid-19-
vaccine-moderna-epar-public-assessment-report_en.pdf, p. 47.
6. R. Wang et al., «  Potential Adverse Effects of Nanoparticles on the
Reproductive System », International Journal of Nanomedicine, 2018 ; [en ligne]
DOI 13:8487-8506. Published 2018 Dec 11.
7. W.  T.  Desmarais et al., «  The 1.20  A Resolution Crystal Structure of the
Aminopeptidase From Aeromonas Proteolytica Complexed With Tris: A  Tale of
Buffer Inhibition », 2002.
8. M.  C.  Castells et E.  J.  Phillips, «  Maintaining Safety With SARS-CoV-2
Vaccines », New England Journal of Medicine, 2021.
9. Kathryn Clancy, professeure associée d’anthropologie à l’université de l’Illinois,
Katharine Lee, chercheuse postdoctorante à l’université Washington, St. Louis.

399
42

Quand il faut slalomer H24 entre


les hormonotoxiques

Nous avons vu tout au long de ce livre que de nombreux troubles de


la santé peuvent être provoqués par des polluants chimiques qui
dérèglent nos hormones. Certes, nous sommes tous contaminés à des
degrés divers, mais nous pouvons par nos choix et nos actes réduire notre
charge en pollution.
Les hormonotoxiques se cachent partout, mais savoir les repérer peut
devenir une seconde nature – un peu comme lorsqu’on regarde à gauche
et à droite avant de traverser la rue. Il ne s’agit pas ici de donner des
leçons : chacun fait ce qu’il veut et ce qu’il peut. C’est pourquoi je vais
maintenant passer à la première personne pour décrire comment moi je
raisonne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sachant que les
contradictions peuvent aussi me guetter. Je me dis, lorsque cela
m’arrive : « Essayons, au moins, de varier les toxiques, si on n’a pas pu
les éliminer. »
Pour ceux qui veulent aller plus loin, je recommande le livre de
Roger Lenglet 24  h sous influences. Comment on nous tue jour après
jour 1.
À vos marques, prêts, partez !

400
7 heures dans la chambre

Voici quelques exemples des différentes caches des polluants


toxiques. Un clignotant rouge s’allume dès que je me trouve devant une
étiquette « Anti-quelque chose » ou encore « Traité contre X, Y ou Z ».
Ce qu’il faut retenir, c’est que si nous voulons faire la guerre aux
microbes, il vaut mieux nous assurer que les armes que nous utilisons ne
se retournent pas contre nous  : les microbes sont faits de la même
matière que nous.
 
Le matelas
 
Les traitements antiacariens se cachent sous la marque déposée
«  Sanitized  ». Ils impliquent un insecticide à large spectre comme la
perméthrine, un fongicide de la famille des organochlorés et
organosulfurés comme le folpet (cancérigène et reprotoxique), un autre
fongicide et bactéricide, la pyrithione de zinc 2 (reprotoxique), un
microbicide du nom d’«  isothiazolinone  » (MIT) (allergène sévère qui
3
sert de conservateur également dans les lingettes) , un métal bactéricide
antiodeur, l’argent, sous forme de nanoparticules (toxique pour le
cerveau et la reproduction) 4, un bactéricide « silan quat » et un mélange
d’ammonium quaternaire et de silane (silicium passé à l’acide
5
chlorhydrique), toxique et irritant .
Conclusion  : malgré toutes ces propriétés toxiques, les vendeurs de
matelas, sur leurs sites, affirment que « l’apprêt de protection des textiles
SANITIZED® est inoffensif pour l’homme et l’environnement  ».
D’autres marques déposées de traitements antiacariens utilisent
également ces pesticides ainsi que le géraniol, insecticide et répulsif
inscrit sur la liste européenne des substances dangereuses.
Solution pour mon matelas : le choix est assez restreint (matelas latex
100 % naturel bio).
 
La couette

401
 
Les traitements antiacariens, les mêmes que ceux qu’on inflige aux
matelas, peuvent se doubler d’un traitement antitache. Le plus connu de
ces traitements, qui désormais a été retiré de la vente, était le
6
« Scotchgard », de la marque 3M .
L’effet antitache est obtenu grâce à un composé au fluor qui
appartient à la famille des perfluorés, le PFAS. Ces produits ont été
classés par la convention de Stockholm dans les fameux POP, les
«  polluants organiques persistants  », car ils sont omniprésents,
bioaccumulables et toxiques. On les a surnommés «  les produits
chimiques éternels » (Forever Chemicals). Leurs fabricants ont dépensé
des centaines de millions de dollars pour échapper à une condamnation
en justice.
Les traitements antiacariens en spray sont à bannir  : ils provoquent
des allergies que l’on attribue parfois abusivement aux acariens. Nos
animaux domestiques y sont encore plus sensibles, et certaines
7
substances peuvent leur être fatales .
 
Le sol de la chambre à coucher et son PVC
 
Les linos en PVC contiennent des phtalates. Ces plastifiants forment
des poussières qui entrent dans le sang par la peau et la respiration.
Solution : un sol en bois massif non collé (éviter les moquettes).
 
Les tissus des rideaux, des fauteuils et des canapés
 
Les traitements « anti-quelque chose » se cachent en général derrière
la marque « Aquaclean  ». Les retardateurs de flamme bromés sont très
toxiques pour les hormones.
 
Mesures barrières pour éviter les acariens
 
Pour ceux qui souffrent d’allergie, les allergologues recommandent
d’avoir recours à des mesures mécaniques : aérer la pièce le plus souvent

402
possible, éviter la chaleur et l’humidité avec une température à 19 °C et
pas plus de 50  % d’humidité, laver les draps et les surmatelas très
régulièrement et à 60  °C pour éliminer les larves d’acariens, passer
l’aspirateur tous les jours pour ôter les poussières et les débris,
dépoussiérer les surfaces avec un chiffon humide pour que les particules
ne se retrouvent pas en suspension dans l’air.

Les hormonotoxiques dans la chambre

Le temps passe vite, il est 7 h 30 ! L’heure de filer à la salle de bains.

7 h 30 dans la salle de bains


Dans la salle de bains, je vais devoir affronter les trois principaux
ennemis de mes hormones  : les phtalates (présents dans 70  % des
produits d’hygiène et de beauté), les parabènes (conservateurs), les
antibactériens au triclosan.
Je lis d’abord les étiquettes. Plus il y a d’ingrédients, plus je me
méfie. Environ 40  % des produits d’hygiène-beauté contiennent au

403
moins un perturbateur hormonal. Dans l’ordre croissant de teneur en
toxiques  : les vernis à ongles, les fonds de teint, les produits de
maquillage pour les yeux, les démaquillants, les rouges à lèvres, les soins
du visage, les déodorants (aluminium), les dentifrices (dioxyde de
titane), les shampoings.
Les teintures pour les cheveux sont particulièrement toxiques : elles
contiennent des colorants qui imitent les hormones. De plus, elles
provoquent de l’eczéma, sans que les utilisatrices fassent toujours le lien
de cause à effet.

Les hormonotoxiques dans la salle de bains

Les phtalates
 
Les phtalates sont des antidurcissants. C’est pourquoi, pour la peau et
les cheveux, je choisis des savons durs style savon d’Alep artisanal et
saponifié à froid pour garder la glycérine. Les phtalates sont aussi
contenus dans les fragrances, c’est-à-dire les parfums. Donc tout ce qui
est parfumé est susceptible de porter atteinte au système hormonal en

404
général et au potentiel viril de l’homme en particulier. Il existe des
parfums naturels moins toxiques.
Les phtalates font grossir en déréglant les hormones ; on les appelle
des «  calories chimiques  ». Les pesticides et les phtalates que l’on
retrouve encore dans les protections périodiques et les tampons
participent à la charge hormonalo-toxique globale.
 
Les parabènes
 
On les retrouve dans 80  % des produits d’hygiène et de toilette
8
comme conservateurs… ainsi que dans les tumeurs des cancers du sein .
Leurs effets sur la testostérone ont été démontrés. Environ
400 spécialités pharmaceutiques en contiendraient – la liste a été publiée
par le journal Le Monde en 2011 9.
 
Les autres conservateurs toxiques et non interdits
 
Le butylhydroxytoluène (BHT) et le butylhydroxyanisole (BHA)
(classé cancérigène possible), l’éthylènediaminetétra-acétate (EDTA), le
phénoxyéthanol (toxique pour le foie, le sang, le système hormonal, la
fertilité masculine), la chlorhexidine, le méthylisothiazolinone (MIT et
MCIT).
 
Les « fragrances »
 
Le musc cétone parmi d’autres est mis en cause dans la perturbation
hormonale. Une étude a montré que ces muscs ont, comme les hormones
femelles, une activité estrogénique. Il a pu être prouvé in  vitro qu’ils
10
induisaient une multiplication des cellules cancéreuses du sein .
Avis aux messieurs : l’abus de parfum peut nuire à votre virilité.
 
Les filtres anti-UV
 

405
Ils se cachent dans de nombreux produits de soins, pas seulement
dans les crèmes solaires. On les trouve dans les parfums, les crèmes
antivieillissement, les crèmes/lotions, les après-rasage, les laques et les
gels pour cheveux, les sticks à lèvres, les après-shampoings et les gels
11
douche . Les filtres chimiques sont des perturbateurs hormonaux avérés.
Les stations d’épuration peinent à les éliminer ; dans l’environnement, ils
se dégradent très mal et sont toxiques pour les animaux aquatiques.
En bord de mer, en été, ils exercent un effet délétère sur la
biodiversité. Ils sont mis en cause dans le blanchissement du corail, mais
on a vu qu’ils partageaient cette responsabilité avec les pesticides (voir le
chap. 7, sur les «  femelles à pénis  »). Ils ont été interdits à Hawaï en
2021.
La mode est aux hommes «  métrosexuels  », ces hommes très
consommateurs de cosmétiques dans les grandes villes. S’ils savaient
que tous ces produits sont féminisants du fait même qu’ils imitent les
estrogènes, peut-être se méfieraient-ils ? Leur testostérone ne peut qu’en
souffrir.
 
Les autres ingrédients toxiques
 
Des livres entiers sont consacrés à la question, à commencer par celui
de Rita Stiens, La  Vérité sur les cosmétiques 12. De nombreux sites
13
s’attaquent aussi à ce sujet .
 
L’heure tourne, il est temps d’aller prendre le petit déjeuner dans la
cuisine, où un nouveau slalom anti-perturbateurs hormonaux m’attend.

8 heures à la table du petit déjeuner

La cuisine est le haut lieu de la contamination chimique des


hormones. J’ai éliminé tous les ustensiles de cuisson comportant des
«  antiadhésifs  », ainsi que les appareils électriques contenant des

406
plastifiants, phtalates ou bisphénol  A.  J’ai fait le ménage dans ma
batterie de cuisine, j’ai évacué tous les plastiques et n’ai gardé que les
ustensiles en matériau noble, verre, bois ou inox.
L’armoire à pharmacie a été sérieusement épurée. Elle ne contient
aucun des médicaments féminisants abordés au chapitre sur la question.
 
Boire de l’eau du robinet
 
Si tout va bien du point de vue bactérien, ce n’est pas le cas pour le
côté chimique. L’eau contient des résidus de pesticides, de nitrates mais
aussi de médicaments et surtout de pilule contraceptive, qui ne sont pas
14
totalement éliminés par les stations de traitement de l’eau . Pour creuser
la question, il existe des études dans le dossier d’experts sur les
perturbateurs endocriniens intitulé «  Alertes précoces, leçons
tardives 15 ».
Boire de l’eau en bouteilles plastique comporte aussi des risques de
migration du contenant au contenu, d’autant qu’à l’usine
d’embouteillage l’eau peut être injectée dans du plastique encore chaud.
Des études allemandes ont montré avec des mollusques sentinelles qu’on
pouvait retrouver dans l’eau des résidus de plastiques estrogéniques,
16
donc féminisants .

407
Les hormonotoxiques dans la cuisine

Solution pour l’eau potable  : ne boire que de l’eau en bouteilles de


verre, surtout si l’on est une femme enceinte, mais c’est très compliqué
et très onéreux. Pour un maximum de sécurité, il faut donc utiliser des
filtres supplémentaires.
J’ai choisi un système de filtres avec des cartouches en céramique
que l’on installe sous l’évier avec un petit robinet à part sur le plan de
travail 17.
 
La cafetière électrique
 
Elle contient des éléments en plastique qui peuvent migrer en
chauffant. Les plastiques durs sont en polycarbonates et comportent du
bisphénol A, très féminisant (les autres bisphénols le sont aussi).
L’intérieur des capsules en aluminium est tapissé d’un revêtement
plastifié à base de pétrole, ce qui entraîne une augmentation de ma
18
charge hormonotoxique . S’il s’agit de résine époxy, comme pour
l’intérieur des boîtes de conserve, il faut savoir que celle-ci contient du
bisphénol A ou un équivalent perturbant pour les hormones.

408
Les capsules, lorsqu’elles chauffent, produisent des furanes, un
toxique hormonoperturbant.
Solution pour le café : j’utilise une cafetière italienne en inox. À vrai
dire, j’ai remplacé le café par la chicorée, qui ne contient pas de caféine.
Le sommeil est bien meilleur.
 
Le micro-ondes
 
Je n’en veux pas dans ma cuisine et je vis très bien sans  ! Le pire
usage qu’on ait pu en faire était d’y chauffer les biberons des bébés
quand ils contenaient encore du bisphénol A.  C’est maintenant interdit.
Mais la mention «  sans bisphénol  A  » est trompeuse, car les autres
bisphénols qui l’ont remplacé ne sont pas plus sains. Le plus sûr reste le
biberon en verre incassable.
D’une manière générale, aucun récipient en plastique ne doit recevoir
de liquides ou d’aliments chauds. Donc jamais de plastique dans un
micro-ondes.
 
Les poêles antiadhésives
 
Elles contiennent des perfluorés, PFOS et PFAS, qui sont considérés
19
comme des polluants organiques persistants. Dans le film Dark Waters ,
on suit le long combat d’un avocat aux États-Unis pour défendre des
victimes d’un de ces produits.
 
Les produits d’entretien
 
Ils sont une source importante de perturbations hormonales. Tous
contiennent plus ou moins des dérivés du benzène ou des substances
hormonotoxiques. Pour les éviter, j’essaie de les remplacer par des
produits naturels et biodégradables. Je me réfère aux livres de Régine
Quéva 20, qui constituent une mine pour moi.
 
Il est maintenant temps de partir au travail.

409
9 heures au travail

Au bureau, il est peut-être difficile d’échapper aux meubles en


aggloméré remplis de colle et de formaldéhyde. J’emporte des tasses en
verre ou en céramique pour ne pas dépendre des gobelets, des boîtes et
des bouteilles en plastique. Tout au long de la journée, j’évite les canettes
de soda, dont le revêtement intérieur est en résine époxy à base de
bisphénol A.

13 heures au déjeuner

Si je déjeune au self ou à la cantine


Je fais attention aux produits cuisinés, car je risque de retrouver mes
« amis » les colorants, les conservateurs, les émulsifiants, etc.
Si je grignote dans la salle de pause
Certains collègues chauffent au micro-ondes un plat qu’ils ont
apporté dans une barquette en plastique ou en carton plastifié. Ils peuvent
être sûrs de faire grimper leur charge hormonotoxique : le micro-ondes
chauffe les molécules des aliments et permet aussi la migration des
plastiques et plastifiants dans la nourriture.
D’une manière générale, tous les plats à emporter ou livrés sont
emballés dans des matériaux non poreux, donc revêtus d’une matière qui
fait barrière au gras et à l’eau. Il n’y a pas de miracle : la matière peut
migrer sous l’effet de la chaleur. Tout est question de doses admises. La
législation en tolère une certaine quantité… jusqu’à ce qu’un éventuel
scandale éclate.
 
Solutions déjeuner : si j’apporte ma « gamelle » de la maison, je fais
en sorte qu’elle soit en inox ou en verre.
 
La journée de travail est terminée, mais pas l’attaque des
hormonotoxiques ! Vite, rentrons à la maison.

410
19 heures au salon

J’échappe au canapé traité « anti-tout » : l’explication du mécanisme


de protection, donnée par le fabricant sur son site, n’est pas très
rassurante. Le produit «  limite les capacités de reproduction  » des
bactéries, et chez les virus il «  agit sur leur barrière lipidique  » en
facilitant leur solubilité au contact de l’eau 21. En clair, le traitement
chimique s’attaque aux mécanismes fondamentaux des cellules
biologiques que nous partageons en grande partie, nous aussi humains,
avec les micro-organismes.
J’ai banni bougies parfumées et parfums d’ambiance (benzène et
muscs). Mon chat vient se faire caresser  ; heureusement il n’a aucun
traitement antipuces : il n’est ni contaminé ni contaminant.
La journée de slalom entre les hormonotoxiques est finie, la chambre
a été bien aérée (plus les logements sont aérés, plus les niveaux
d’imprégnation de la population en perfluorés et retardateurs de flamme
22
bromés sont bas ). Il est temps de retrouver mon matelas non traité.
Demain est un autre jour…

1. R. Lenglet, 24 h sous influences. Comment on nous tue jour après jour, François
Bourin Éditeur, 2013.
2. [En ligne] https://echa.europa.eu/substance-
information/-/substanceinfo/100.033.324
3. [En ligne] https://www.syndicatdermatos.org/dossier/les-allergies-aux-
conservateurs-mit-allergene
4. « Analyse bibliographique comparée de rapports d’expertise sur les risques liés
à l’exposition aux nanoparticules d’argent », rapport d’analyse bibliographique de
l’Anses.
5. «  Principaux usages et possibilités de réduction des risques pour certains
perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés », Ineris, « Rapports d’appui/guides
PDF », 25 juin 2012.
6. [En ligne] https://en.wikipedia.org/wiki/Scotchgard
7. « Ces insecticides qui tuent les chats », 60 Millions de Consommateurs, consulté
le 18 avril 2020.
8. P.  Darbre, A.  Aljarrah, W.  Miller, N.  Coldham, M.  Sauer et G.  Pope,
«  Concentrations of Parabens in Human Breast Tumours  », Journal of Applied

411
Toxicology, 2004.
9. Paul Benkimoun, [en ligne]
https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/05/23/des-parabenes-presents-dans-
400-medicaments_1525948_3244.html#ens_id=1525957
10. N.  Bitsch, C.  Dudas, W.  Körner, K.  Failing, S.  Biselli, G.  Rimkus et al.,
« Estrogenic Activity of Musk Fragrances Detected by the E-Screen Assay Using
Human MCF-7 Cells », Archives of Environmental Contamination and Toxicology,
vol. 43, 2002, p. 257-264.
11. C.  Plagellat, «  Origine et flux de biocides et filtres UV dans les stations
d’épuration des eaux usées », thèse, École polytechnique de Lausanne, 2004.
12. R. Stiens, La Vérité sur les cosmétiques, Leduc.S Éditions, 2005.
13. [En ligne]
https://www.biolineaires.com/les_tensioactifs__des_ingredients_indispensables_m
ais_souvent_critiques  ; https://biotenaturelle.fr/beaute/faire-son-savon-soi-meme-
saponification-a-froid  ; https://blog.fleurancenature.fr/qu-est-ce-qu-un-tensioactif  ;
https://davidsuzuki.org/our-work  ; http://www.lessentiel-santenaturelle.fr/quels-
ingredients-faut-il-eviter-dans-nos-cosmetiques
14. M.  Gust, «  Quel intérêt des gastéropodes en écotoxicologie d’eau douce  ?  »,
thèse, université Claude-Bernard de Lyon, 2014.
15. S.  Jobling et R.  Owen, «  Emerging Lessons From Ecosystems: Ethinyl
Oestradiol in the Aquatic Environment ».
16. M. Wagner et J. Oehlmann, « Endocrine Disruptors in Bottled Mineral Water:
Total Estrogenic Burden and Migration From Plastic Bottles  », Environmental
Science and Pollution Research, 2009.
17. Il doit exister plusieurs systèmes  ; les Anglais semblent plus performants –
 système Doulton distribué par Aqua-Techniques. À chacun de faire ses recherches.
18. Néologisme de l’auteure.
19. Dark Waters, réalisé par Todd Haynes, 2019.
20. R.  Quéva, Fabriquer sa lessive, son dentifrice, son shampoing, ses produits
d’entretien…, Larousse, 2021.
21. [En ligne] https://www.aquaclean.com/fr-fr/nos-technologies
22. C.  Fillol et al., «  Exposition aux polluants du quotidien de la population
française en 2014-2016 d’après l’étude Esteban  », Bulletin épidémiologique
hebdomadaire, 18-19, 2020, p.  361-369, [en ligne]
o
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/n  18-19/2020_18-19_2.html

412
43

Quand la biodiversité succombe


aux lobbies

Alors qu’au niveau individuel le slalom antitoxique devient un


réflexe de protection, c’est une autre bataille qui se mène à l’échelle de la
planète : celle de toutes les espèces animales qui luttent pour leur survie.
La sixième extinction massive qui menace la diversité animale et
végétale est en route. La disparition de nombreuses espèces passe
discrètement mais massivement par la voie hormonale.

De nouveaux insecticides 7 300 fois plus


toxiques que le DDT

Une étude allemande a révélé que 75 % de la biomasse des insectes


volants auraient disparu en vingt-sept ans dans les zones protégées
allemandes (vingt-trois espèces de papillons, dix de coléoptères, dix de
libellules et une de sauterelles).
Dans le monde, ce sont 40  % des espèces d’insectes qui sont en
déclin, parmi lesquelles les fourmis, les abeilles, les éphémères,  etc.
1
C’est une méta-analyse australienne qui arrive à cette conclusion après
avoir compilé plus de soixante-dix études publiées.

413
Le taux d’extinction des insectes est huit fois supérieur à celui des
autres espèces animales, mammifères, oiseaux et reptiles. Selon le
chercheur australien auteur de l’étude, on a assisté depuis un siècle à
trois vagues de destruction  : la première dans les années 1920, avec
l’apparition des premiers fertilisants chimiques, puis dans les années
1950, avec les pesticides de synthèse comme le DDT, et enfin la dernière
et la plus importante, celle qui a commencé dans les années 1990 avec la
mise en circulation de la nouvelle génération d’insecticides dits
« systémiques ».
Cette nouvelle génération de pesticides a fait son apparition en 1993
sur les cultures de tournesols ; ce sont les néonicotinoïdes. Ils imitent les
effets toxiques de la nicotine concentrée sur le système nerveux des
insectes. Autre nouveauté, ils peuvent servir d’enrobage pour les
semences. Le produit devient alors «  systémique  » et s’exprime dans
toutes les parties de la plante au fur et à mesure qu’elle pousse. On le
trouve dans les pollens mais aussi dans les nectars, ces gouttes d’eau qui
transpirent de la plante et qui servent d’abreuvoir aux insectes. Il est
2
7 300 fois plus toxique que le DDT .
Dans la foulée de l’apparition de ces nouveaux pesticides, les
3
colonies d’abeilles ont commencé à s’effondrer . Les apiculteurs ont
retrouvé des monceaux d’abeilles mortes au pied de leurs ruches. Des
chercheurs comme Jean-Marc Bonmatin du CNRS ont observé que les
abeilles ne meurent pas tout de suite  : elles sont chroniquement
contaminées et deviennent incapables de retrouver leur ruche et de se
reproduire normalement. L’insecticide détériore également le sperme des
mâles.

414
Le déclin dramatique des oiseaux, des papillons et des chauves-souris

Ce qui arrive aux abeilles domestiques touche aussi les insectes


sauvages, qui disparaissent sans laisser de trace. Les oiseaux qui n’ont
plus d’insectes à chasser ou qui ont picoré des semences empoisonnées
commencent eux aussi à décliner. Aux États-Unis, c’est en 2005 que
l’utilisation du nouveau pesticide s’est intensifiée ; ce fut aussi le début
de l’effondrement pour le papillon monarque, l’emblème des papillons
migrateurs américains. Certains chercheurs signalent un déclin de 88 %
entre 2005 et 2017 4.
En France, ceux qui ont plus de 40 ans peuvent se rendre compte du
désastre qui est en train de se produire sous leurs yeux en prenant leur
voiture pour un trajet d’une centaine de kilomètres. Ils s’aperçoivent
alors que leur pare-brise reste désespérément propre. C’est ce qu’on
appelle le « syndrome du pare-brise ».

415
Un quart des espèces en danger

Les insectes ne sont pas les seuls à connaître un déclin accéléré : plus
d’un quart des espèces évaluées risquent de disparaître du territoire
national, révèle la dernière édition des chiffres clés de la biodiversité 5.
L’évolution du risque est particulièrement préoccupante pour les
amphibiens, les oiseaux nicheurs, les mammifères et les reptiles. Ainsi,
38  % des chauves-souris ont disparu. Le risque s’est encore accentué
entre 2008 et 2015.
Les scientifiques ne sont pas restés muets depuis le début de la
catastrophe. Le journaliste Stéphane Foucart du Monde raconte dans un
livre récent comment lui et une poignée de ses collègues se sont battus
6
pour tenter de mettre fin au désastre, parfois au péril de leur carrière . Il
révèle aussi comment des organisations de défense de l’environnement
que ces chercheurs croyaient être leurs alliées, comme l’UICN (Union
internationale pour la conservation de la nature), se sont parfois
retournées contre eux, en acceptant des partenariats financiers avec les
principaux fabricants de pesticides comme Bayer-Monsanto, BASF ou
Dow-DuPont. Moyennant quoi, lorsque l’UICN communique sur la
disparition des insectes, elle préfère parler de changement climatique
comme facteur de risque plutôt que de pesticides « tueurs d’abeilles ».
Pourtant, l’habitat et la pollution chimique sont les deux
principaux facteurs de cette disparition. L’intensification de
7
l’agriculture est la racine du problème . La responsabilité des pesticides
et engrais chimiques dans le déclin des insectes est estimée à 50 %. Le
réchauffement climatique n’y participe qu’à hauteur de 5 %.
Les chercheurs inquiets ont continué à publier des études établissant
la perturbation hormonale dont souffrent les insectes. Ils ont réussi le
tour de force de réunir soixante-dix scientifiques pour former un
consortium, la TFSP, Task Force on Systemic Pesticides. La condition de
cette réussite, c’est qu’ils ont gardé secrète la liste de leurs membres
8
pour éviter les pressions et les menaces .

416
Une autre organisation, liée aux Nations unies, est supposée défendre
la nature et la biodiversité  ; elle s’appelle l’IPBES (Plateforme
intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les
services écosystémiques). Comme le Giec pour le climat, elle produit des
évaluations régulières sur la biodiversité. Formidable, si ce n’est que
9
certains de ses experts sont notoirement liés à l’industrie .
Cette dernière ne ménage ni ses efforts ni ses budgets pour faire
valoir ses intérêts dans les instances régulatrices internationales.

Et pendant ce temps-là, les lobbies


prospèrent à Bruxelles

À Bruxelles, les firmes qui fabriquent et vendent les produits


chimiques vont et viennent à longueur d’année entre les bureaux de la
Commission, ceux des commissaires, ceux des agences de la santé, de
l’environnement, de l’industrie et de l’alimentation, ceux des députés,
ceux des États et ceux des experts soudoyés ou non.
Ces firmes ne faiblissent pas  ; elles ont l’argent et le temps
nécessaires pour que leurs produits restent en rayons. Face à elles, les
consommateurs-citoyens sont bien démunis  : manque de moyens, bien
sûr, mais pas de bonne volonté. La bataille est acharnée ; c’est là que tout
se décide, à l’écart du public.
Quelques organisations tapent du poing sur la table comme elles le
peuvent. Endocrine Society a encore accusé, en février 2021, l’Autorité
européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, de minimiser certains
effets des perturbateurs endocriniens 10.
La proximité de l’EFSA avec les industriels de la chimie a été
dénoncée à de nombreuses reprises. Elle veut désormais remettre en
question presque toutes les connaissances accumulées par les
scientifiques sur les perturbateurs hormonaux. Comme à son habitude,
l’EFSA fait appel à des experts dont beaucoup ont travaillé de longues

417
années au service de l’industrie. Pour établir ses rapports sur les
perturbateurs endocriniens, elle n’a pas fait appel à des endocrinologues
qui connaissent le sujet mais à des épidémiologistes et des toxicologues
dont la carrière s’est surtout déroulée dans les bureaux des agences de
régulation et de l’industrie.
Petit à petit, les «  experts  » choisis par l’agence tentent de
déconstruire et surtout de nier toutes les connaissances scientifiques qui
se sont accumulées depuis soixante ans sur les hormonotoxiques.
L’objectif est de minimiser leur dangerosité et de permettre à l’industrie
de continuer à porter atteinte à la santé des Européens sans être
inquiétée.
En février 2021, c’est un outil de mesure de la toxicité hormonale qui
a commencé à être remis en question  : la fameuse courbe en U ou U
inversé que l’on appelle en jargon scientifique la « réponse non linéaire »
des produits perturbants (voir le chap. 11).
La bataille acharnée dure depuis des dizaines d’années. Tout y passe,
à commencer par la définition même des « perturbateurs endocriniens ».
Alors que les preuves de leur nocivité sont magistralement décrites dans
11
le rapport Kortemkamp , qui constitue une somme sur la question, les
industriels demandent toujours plus de preuves pour reconnaître un
danger. Ils n’ont pas les mêmes scrupules lorsqu’ils déversent des
produits toxiques dans le circuit commercial sans même en connaître le
mode d’action. Si on leur appliquait les critères qu’ils exigent de leurs
opposants, il y a fort à parier que jamais aucun de leurs produits n’aurait
été autorisé.
Pour découvrir toutes les péripéties de cette lutte sans merci, il faut
lire le livre extrêmement bien renseigné de Stéphane Horel,
Intoxication 12.
L’affrontement semble très asymétrique  : David défend les abeilles
contre Goliath qui produit des insecticides toujours plus toxiques.
e
L’histoire biblique se répétera-t-elle ou la Realpolitik du XXI  siècle aura-
t-elle le dessus à coups de milliards ?

418
RÉSUMÉ
Les humains ne sont pas les seuls à souffrir des effets nocifs des
produits chimiques sur leurs hormones : les scientifiques alertent sur une
possible sixième extinction des espèces.
Environ 40  % des insectes sont en déclin, de même que leurs
prédateurs. L’un des facteurs les plus récents de cette hécatombe est une
nouvelle famille d’insecticides appelée «  néonicotinoïdes  ». Cet
insecticide systémique pénètre dans toutes les parties de la plante. Il se
retrouve dans l’organisme des insectes, des oiseaux, des batraciens, des
mammifères, et perturbe non seulement leur système nerveux mais aussi
leur système hormonal.

1. F.  Sánchez-Bayo et K.  A.  G.  Wyckhuys, «  Worldwide Decline of the


Entomofauna: A Review of Its Drivers », Biological Conservation, vol. 232, 2019,
p. 8-27, [en ligne] DOI 10.1016/j.biocon.2019.01.020.
2. S. Foucart, Et le monde devint silencieux. Comment l’agrochimie a détruit les
insectes, Seuil, 2019.
3. B.  A.  Woodcock, «  Country-Specific Effects of Neonicotinoid Pesticides on
o
Honey Bees and Wild Bees », Science, vol.  356, n   6345, 30  juin 2017, p.  1393-
1395, [en ligne] DOI 10.1126/science.aaa1190 ; PMID 28663502.
4. L.  P.  Brower, E.  H.  Williams, K.  S.  Dunford, J.  C.  Dunford, A.  L.  Knight,
J.  Daniels… et S.  B.  Malcolm, «  A  Long-Term Survey of Spring Monarch
o
Butterflies in North-Central Florida », Journal of Natural History, vol. 52, n   31-
32, 2018, p. 2025-2046, [en ligne] DOI 10.1080/00222933.2018.1510057.
5. « Biodiversité : les chiffres clés », éd. 2018.
6. S. Foucart, Et le monde devint silencieux…, op. cit.
7. N.  Dudley et S.  Alexander, «  Agriculture and Biodiversity: A  Review  »,
Biodiversity, vol. 18, 2017, p. 45-49.
8. S. Foucart, Et le monde devint silencieux…, op. cit.
9. Ibid.
10. S.  Foucart et S.  Horel, «  L’Autorité européenne de sécurité des aliments
accusée de minimiser certains effets des perturbateurs endocriniens  »,
3 février 2021.
11. A. Kortenkamp, T. Backhaus et A. Faust, « State of the Art Report on Mixture
Toxicity », 22 décembre 2009.

419
12. S.  Horel, Intoxication. Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates  :
une bataille d’influence contre la santé, La Découverte, 2015.

420
44

Quand l’heure est au leurre (épilogue)

Reprenons notre poisson dans son aquarium, celui que nous avons
présenté au début de cet ouvrage. On se souvient que l’eau de son
écosystème avait été polluée par des pesticides et d’autres perturbateurs
hormonaux chimiques.
Il y a soixante ans, Rachel Carson faisait déjà le même constat. À la
croisée des chemins, il faut choisir la voie la plus saine et non pas la plus
facile, écrivait-elle. Elle n’a pas été écoutée, et la situation a empiré.
Certes, le DDT a disparu, mais pour laisser la place à des pesticides
encore plus destructeurs et à des plastifiants toujours plus intrusifs envers
le système hormonal. Le désastre qu’elle redoutait est en train de se
produire sous nos yeux.
Et que nous propose-t-on comme avenir radieux dans les instances
«  éclairées et progressistes  »  ? Un «  poisson augmenté  », tout
simplement. L’intelligence artificielle et les OGM sont supposés
permettre au poisson d’être beaucoup plus intelligent, plus fort et donc
plus à même de devenir un « superpoisson ». Est-ce une plaisanterie ?
Avant de prétendre « augmenter » le poisson ou l’humain, essayons
d’abord de tout faire pour arrêter de les diminuer. Les potentialités sont
là, mais elles ont été endommagées. L’homéostasie a été bousculée  : il
faut lui rendre son équilibre.
Dans notre allégorie du poisson rouge dans le prologue, c’est une
grand-mère qui arrive et change l’eau du bocal. Rachel Carson a joué ce

421
rôle en nous alertant dans son Printemps silencieux.
Ne nous laissons pas leurrer, comme les polluants chimiques leurrent
nos récepteurs hormonaux. La priorité des priorités, c’est de nettoyer le
bocal, pas d’« augmenter » le poisson. D’aucuns viendront alerter sur le
réchauffement climatique autour du bocal, certes, mais le poisson aura
disparu à cause des produits chimiques avant que la chaleur de l’eau ne
le force à changer ses habitudes.
D’autres se font peur avec un virus qui serait apparu dans le bocal,
alors que le poisson est déjà en train de mourir d’un cancer
hormonodépendant. Ils proposent de vacciner le poisson. Le virus ne
vient se développer que sur un terrain abîmé, dévitalisé. Il est le
symptôme plus que la cause. Une fois l’eau changée, le virus, qu’il
s’appelle « corona » ou autre, disparaîtra comme par enchantement, sauf
1
s’il a été intentionnellement militarisé .
Nos gouvernants prétendent se soucier de notre santé quand il s’agit
d’un virus qui permet de réduire nos libertés, mais « en même temps » ils
réautorisent des pesticides autrefois interdits parce que trop toxiques et
laissent allègrement prospérer des plastifiants « tueurs d’hormones ».
Vite  ! Allons chercher les grands-mères et les grands-pères, ne
laissons pas disparaître leur mémoire. Entourons-les des mères et des
pères, des filles et des fils, des sœurs et des frères.
Il y va de la survie de toutes les espèces.

1. D. Leglu, La Menace. Bioterrorisme : la guerre à venir, Robert Laffont, 2002.

422
423
Remerciements

Je remercie tous ceux qui m’ont aidée à fabriquer cet ouvrage  :


Philippe Héraclès, mon éditeur, qui a immédiatement compris
l’importance de l’alarme à lancer, Élisabeth Violleau, mon éditrice et
première lectrice qui m’a patiemment poussée à toujours rendre plus
clair ce qui pouvait l’être, Laurent Lalo, mon dessinateur et frère, qui a
donné corps à des mécanismes parfois complexes, Sylvie Beaudouin,
l’une de mes correctrices et mère naturaliste, le Pr René Habert du CEA
pour ses explications toujours limpides, le Pr Gilles-Éric Seralini pour la
constance et le courage de ses recherches, André Picot pour ses
éclaircissements toxicologiques, le Pr Barbara Demeneix du Muséum
pour la fulgurance de ses intuitions, Ana Soto pour sa perspicacité et sa
ténacité, Peter Frederick, le zoologiste ami des ibis, François Veillerette
et Nadine Lauvergeat pour leur engagement de longue date en faveur des
«  générations futures  », André Cicolella pour avoir œuvré à la
reconnaissance du lien environnement santé, Michèle Rivasi, la députée
européenne, pour son combat infatigable contre les toxiques qui
empoisonnent notre santé, Philippe Desbrosses, pionnier de l’agriculture
biologique, condition première de la santé hormonale.
 
Je remercie aussi Oriane et Timothée, mes enfants, qui m’ont donné
la force et l’envie de leur laisser un monde moins toxique.

424
Illustrations de Laurent Lalo

1. D’après Huet, Averty et Paulet, Ifremer 2004


2. D’après Tyler et Jobling 2008
3. D’après Colborn 1991
4. D’après Vandenberg 2012
5. D’après controverses.minesparis.psl.eu
«  Le BPA, c’est quoi  ?  », Controverses. Mines. Paris, [en ligne]
https://controverses.minesparis.psl.eu/public/promo12/promo12_G
13/www.controverses-minesparistech-13.fr/indexdca0.html?
q=node/21
6. D’après B. A. White, J. R. Harrison et L. Mehlmann, Endocrine
and Reproductive Physiology, Elsevier, 2019.
7. Graphique d’après les données des études Skakkebaek, Auger et
Le Moal
8. Dessin schématisé inspiré de Skakkebaek 2016 et Habert 2014
N.  E.  Skakkebaek, E.  Rajpert-De  Meyts, G.  M.  Buck Louis,
J.  Toppari, A.  M.  Andersson, M.  L.  Eisenberg, T.  K.  Jensen,
N.  Jørgensen, S.  H.  Swan, K.  J.  Sapra, S.  Ziebe, L.  Priskorn et
A.  Juul, «  Male Reproductive Disorders and Fertility Trends:
Influences of Environment and Genetic Susceptibility  »,
Physiological Reviews, vol.  96, no  1, janvier  2016, p.  55-97, [en
ligne] DOI 10.1152/physrev.00017.2015  ; PMID 26582516  ;
PMCID PMC4698396.

425
R. Habert, G. Livéra et V. Rouiller-Fabre, La reproduction animale
et humaine, coord. M.  Saint-Dizier et S.  Chastant-Maillard, Quae,
2014.
9. Schéma d’après Méduri 2010
G.  Méduri, C.  Courtillot, O.  Lahuna, F.  Kuttenn, P.  Touraine et
M. Misrahi, « Spermatogenèse normale chez un homme avec défaut
o
génétique de la LH  », Médecine/Sciences (Paris), vol.  26, n   8-9,
2010, p. 690-693.
10. Dessin inspiré de Sathyanarayana et al. 2010
S. Sathyanarayana, L. Beard, C. Zhou et R. Grady, « Measurement
and Correlates of Ano-Genital Distance in Healthy, Newborn
Infants », International Journal of Andrology, 2010.
11. D’après la thèse de Benoît Llopis
Benoît Llopis, Les Gynécomasties médicamenteuses  : étude
«  cas/non-cas  » dans la base nationale de pharmacovigilance,
thèse pour le diplôme d’État de docteur en pharmacie, 2017.
12. Dessin d’après Parent et al. 2003
A.-S. Parent, G. Teilmann, A. Juul, N. E. Skakkebaek, J. Toppari et
J.-P.  Bourguignon, «  The Timing of Normal Puberty and the Age
Limits of Sexual Precocity: Variations Around the World, Secular
Trends, and Changes After Migration  », Endocrine Reviews,
vol.  24, no  5, 2003, p.  668-693, [en ligne] DOI 10.1210/er.2002-
0019.
13. Dessin adapté de Signorile
P. G. Signorile, F. Baldi, R. Bussani, M. D’Armiento, M. De Falco,
M.  Boccellino, L.  Quagliuolo, A.  Baldi, «  New Evidence of the
Presence of Endometriosis in the Human Fetus  », Reproductive
o
BioMedecine Online, vol.  21, n   1, juillet  2010, p.  142-147, [en
ligne] DOI 10.1016/j.rbmo.2010.04.002 ; Epub 2010 Apr 4 ; PMID
20471320.
14. D’après Hugues 2006

426
I. A. Hughes, H. Martin et J. Jääskeläinen, « Genetic Mechanisms
of Fetal Male Undermasculinization: A Background to the Role of
o
Endocrine Disruptors  », Environmental Research, vol.  100, n   1,
janvier  2006, p.  44-49, [en ligne] DOI
10.1016/j.envres.2005.07.001  ; Epub 2005 Nov 4  ; PMID
16271714.
15. Dessin d’après Royal College 2003
Allergy: The Unmet Need. A  Blueprint for Better Patient Care.
A Report of the Royal College of Physicians Working Party on the
Provision of Allergy Services in the UK, Londres, Royal College of
Physicians, juin 2003.
16. Lukowicz 2018
17. Newbold 2009

427
Vous pouvez consulter notre catalogue général

et l’annonce de nos prochaines parutions sur notre site :

www.cherche-midi.com

© le cherche midi, 2021

Couverture : Mickaël Cunha 2021

92, avenue de France

75013 Paris

Illustrations : Laurent Lalo. Certaines illustrations sont adaptées de dessins

parus dans des articles (voir la liste en fin d’ouvrage).

ISBN 978-2-7491-6604-9

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atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou
pénales.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

428
Table des Matières
Titre 1
Sommaire 3
1 - Quand deux petits poissons s'aimaient d'amour
7
tendre…
2 - Quand rien ne va plus dans le monde hormonal 12
3 - Quand les polluants chimiques imitent les hormones 26
Partie 1 - Le désordre hormonal dans la nature 39
4 - Quand le printemps devient silencieux 40
5 - Quand les coquillages femelles se masculinisent : l'imposex 47
6 - Quand les huîtres ont bien failli disparaître du bassin
51
d'Arcachon
7 - Quand les femelles à pénis ont des hormones perturbées 63
8 - Quand les poissons se féminisent 73
9 - Quand l'aigle à tête blanche perd sa fertilité 81
10 - Quand la « déclaration de Wingspread » alerte sur la notion
86
de « perturbateurs endocriniens »
11 - Quand la dose ne fait plus automatiquement le poison 91
12 - Quand les alligators ont un micropénis 99
13 - Quand les grenouilles deviennent hermaphrodites 105
14 - Quand les ibis blancs deviennent homosexuels 114
15 - Quand un médicament perturbe les humains : le scandale du
125
Distilbène
16 - Quand un perturbateur hormonal se cache dans du plastique
138
: le bisphénol A
Partie 2 - La reproduction en péril 148
17 - Quand les hormones fonctionnent sur trois étages 149
Quand les hommes sont en péril 160
18 - Quand les hommes perdent leurs spermatozoïdes et leur
162
testostérone
19 - Quand les testicules ne descendent plus dans les bourses : la
179
cryptorchidie

429
20 - Quand le pénis est mal formé à la naissance : l'hypospadias 185
21 - Quand le pénis devient micro 192
22 - Quand le cancer du testicule triple en quarante ans 197
23 - Quand le cancer de la prostate triple en trente ans 203
24 - Quand les médicaments font pousser les seins des hommes 213
Quand les femmes sont en péril 225
25 - Quand les femmes se dérèglent : les pubertés précoces 227
26 - Quand les règles ne sont plus au rendez-vous 235
27 - Quand les ovaires deviennent polykystiques 243
28 - Quand les femmes se virilisent : l'hyperandrogénie 249
29 - Quand les bactéries du microbiote protègent les ovaires 257
30 - Quand une nouvelle maladie émerge chez les femmes :
261
l'endométriose
31 - Quand le cancer du sein double en trente ans 273
32 - Quand un perturbateur endocrinien s'appelle « pilule
285
contraceptive »
33 - Quand les couples deviennent infertiles 296
Partie 3 - Les autres maladies environnementales 305
34 - Quand les « polluants du quotidien » contaminent 100 % de
306
la population française
35 - Quand 100 % des femmes enceintes sont polluées 314
36 - Quand le fœtus confond les genres 322
Quand les humains sont en péril 336
37 - Quand les enfants autistes deviennent 100 fois plus
337
nombreux en cinquante ans
38 - Quand l'asthme et les allergies deviennent épidémiques 356
39 - Quand les perturbateurs hormonaux provoquent diabète et
371
obésité
40 - Quand la thyroïde flambe en silence 387
41 - Quand les toxiques hormonaux ouvrent la porte au
394
coronavirus
42 - Quand il faut slalomer H24 entre les hormonotoxiques 400
43 - Quand la biodiversité succombe aux lobbies 413
44 - Quand l'heure est au leurre (épilogue) 421

430
Remerciements 424
Illustrations de Laurent Lalo 425
Copyright 428

431

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