The Nutty Professor
The Nutty Professor
The Nutty Professor
Blin
22204005
La Métamorphose - Dossier :
The Nutty professor (1996)
L’auteur Christine Bétis, dans son ouvrage Etude sur les Métamorphoses, s’exprime,
au sujet de la métamorphose, en ces termes : “Rien d’étonnant donc à ce que les systèmes de
pensée qui se fondent sur la permanence de l’être et du sujet excluent la métamorphose : le
christianisme médiéval a toujours été très réticent devant les pratiques de transformations
magiques et n’a admis la notion de miracle que très tardivement ;” Ainsi, la métamorphose
est tout d’abord une sortie du réel, de ce qui est admis ou logique. Il y a une profonde rupture
entre cette zone de la froide raison, et qui est de l’ordre du commun, et ce qui sort de cette
sphère, qui semble être directement relié au monde de la magie, de l’inhabituel ou au
domaine mystique. Pourtant, il est intéressant de voir que cette sortie du réel, par le biais de la
métamorphose, ne procure pas qu’un sentiment d’angoisse, comme dans les films d’horreur
avec des métamorphoses en monstres par exemple, mais aussi du rire. La métamorphose,
alors en totale rupture avec le réel, devient incongrue, comique, comme c’est par exemple le
cas avec les Toons. Leur aspect risible résidant dans le fait que la plasmaticité de leurs corps
les fait se tordre, s’étirer, se distordre sans problèmes.
Et bien que le film suivant sorti en 1996, The Nutty professor ne soit pas un cartoon
ou un dessin animé comme on le disait avant, mais une comédie de science-fiction, il semble
néanmoins en adopter quelques codes. The Nutty professor est tout d’abord un remake du
film castant Jerry Lewis dans le même rôle et du film du même nom. Il a été réalisé par Tom
Shadyac, un réalisateur employant dans la grande majorité de ses films Jim Carrey, et ayant
donc l’habitude d’utiliser au maximum la plastique de ses acteurs pour créer un effet de
métamorphose. Ici, il caste l’acteur Eddie Murphy dans l’ancien rôle de Jerry Lewis, mais il
embauche également Rick Baker, en tant que maquilleur et spécialiste en effets spéciaux au
cinéma. Ces deux individus représentent la clé de voûte des métamorphoses au sein du film
grâce à leur maîtrise de la plasmaticité, personnelle ou impersonnelle. The Nutty professor
raconte l’histoire du professeur Sherman Klump, complexé par son obésité et profondément
timide, qui tombe amoureux du personnage de Carla Purty et décide de mettre au point une
formule lui permettant de perdre du poids et ainsi la séduire. Devenant Buddy Love, il
métamorphose son apparence, mais aussi sa personnalité, la gentillesse ou l’ingénuité
disparaissant derrière le personnage de Buddy Love. L’extrait choisi est la dernière scène de
métamorphose du film. L’alter ego de Sherman cherche alors à prendre définitivement le
contrôle sur son corps et se débarrasser de lui. Un affrontement commence ensuite entre les
deux entités, avant que Sherman ne reprenne le contrôle. Tout cela sous le regard ébahi de
l’assemblée et des membres de la famille de Sherman, eux aussi incarnés par Eddie Murphy.
Ainsi, dans plusieurs sens possibles, cette scène aborde les thèmes de la métamorphose de
l’acteur de manière intradiégétique, avec les deux personnages de Buddy et Sherman, mais
aussi extradiégétique avec les quatre rôles qu’Eddie Murphy doit jouer à l’écran. Ainsi, face à
tous ces éléments, il est possible de se demander, comment est-ce que dans cette scène le rire
parvient à éclater grâce au jeu permanent avec la métamorphose ?
Pour cela, nous étudierons avec précision le physique de l’acteur à travers la question
de la plasmaticité physique du corps de Sherman et de Buddy, mais aussi la plasmaticité
physiologique, la soma de ce corps en perpétuel changement. Puis, nous nous pencherons
vers l’interchangeabilité des rôles d’Eddie Murphy, et donc les métamorphoses
intradiégétiques adoptées qui, elles aussi, abordent des facteurs tels que la soma et une
réflexion organique. Enfin, nous verrons le public présenté dans cet extrait. Il s’agira donc de
voir en quoi ce public représente les spectateurs par sa fixité face à la notion d’instabilité de
la métamorphose au sein de cette comédie métamorphique.
I- La plasmaticité
Le but de cette scène, tout comme le reste du film, est d’être comique, d’insister le
rire par le biais d’une rupture brutale avec la réalité. La scène s’ouvre directement sur un gros
plan centré sur le visage d'Eddie Murphy. De cette façon, on comprend directement que la
focalisation de la scène se centrera autour de la question conjointe de la métamorphose du
corps, mais aussi de l’identité, incluant de cette manière une métamorphose à la fois physique
et mentale.
Or, ce type de plasmaticité assez liquide, n’est pas sans rappeler les cartoons, les dessins
animés. Univers parfaitement réapproprié par Rick Baker, déjà créateur des prothèses et du
maquillage dans le film, The Mask.
De plus, il s’agit ici du début d’une métamorphose incomplète qui se fait par partie, et non
entièrement, de même qu’elle annonce déjà une métamorphose psychologique en ce qu’un
geste traduisant un acte de violence est ici rendu impossible. Or, la personnalité du docteur
Sherman était celle d’un docteur sympathique, timide et doux, incapable de violence. En
stoppant ce geste, une transition vers est aussi déjà initiée, alors même qu’il tente de frapper
Jackson à plusieurs reprises.
Comme le rappellent Réjane Hamus-Vallée et Caroline Renouard dans leur ouvrage Les effets
spéciaux au cinéma. 120 ans de créations en France et dans le monde, les années 90 sont
marquées par cette période de transition entre le numérique et le maquillage, “Après de
timides essais dans les années 1980, les images de synthèse déferlent littéralement sur le
cinéma dans les années 1990, accompagnant le passage aux outils numériques de différents
métiers de la production, de la postproduction et de l’exploitation (avec la diffusion en salle à
partir d’un DCP, majoritaire dans les années 2010).” Et plus particulièrement dans des films
similaires à The Nutty Professor, “Les dernières avancées en matière d’animatronique
favorisent la mise en production d’un certain nombre de remakes fantastiques, et la
science-fiction continue de surfer sur son essor (...) ce sont les comédies et les films de genre
qui profitent d’abord de ces effets (...)”
De plus, la métamorphose de l’acteur, qui doit incarner deux personnages, se voit aussi à
travers la dissociation permanente, l'interstice. De cette façon, les dialogues se posent
également en opposition les uns aux autres, “BULLY : Give it up, fat boy ! It’s over ! /
SHERMAN : It ain’t over to the fat professor Sherman !”. On a ici une opposition avec un
dialogue inscrit en système d’agression et de réponses. De même, la scène de dispute, en plan
plan rapproché et dynamisée par les répliques, souligne justement cette opposition avec un
jeu de métamorphose, démétamorphose.
Il y a donc ici, la représentation visuelle et littérale de l’idée de Sergueï Eisenstein avec l’idée
de « sortir de soi » et sortir du cadre rigide du corps. C’est par exemple parfaitement le cas
avec l’image utilisée plus haut qui met en parallèle un pied métamorphosé de Buddy et un
pied démétamorphosé de Scherman. De cette manière, il y a à la fois la présence de la
fragmentation de la métamorphose, mais aussi la création de la dissociation entre les deux
personnages, désormais opposés les uns aux autres.
ou encore
Pour conclure, The Nutty Professor est une œuvre cinématographique grand public
qui s’inscrit dans son temps à travers les techniques employées pour représenter la
métamorphose, entre numérique, maquillage et prothèse. Et c’est cette binarité qui permet
tout un panel élargi de métamorphoses, permettant à la plasmaticité naturelle d’Eddie
Murphy de s'exercer et de s’exprimer à travers ses divers rôles et transformations, mais aussi
ses propres expressions faciales. Et c’est nous, spectateurs, matérialisés dans le film à travers
les yeux de ce public qui venons marquer l’importance de cette métamorphose, grâce à une
inertie personnifiée.