CdC06 LeDieuMort Episode3
CdC06 LeDieuMort Episode3
CdC06 LeDieuMort Episode3
Après avoir survolé le Salthar dans sa plus courte diagonale (en évitant les
patrouilles de gargouilles) les nouvelles rapportées par les Bolldurs ne sont guères
bonnes : Port Ebène a été dévasté, des milliers de zombis parcourent le Salthar en
toute liberté (sans aucun contrôle !), l’Archi-Troll Gobraz aurait repris la tête des
légions humanoïdes et sèmerait le trouble au-delà même des frontières du Salthar.
Tandis que Kwalish prend note de ces nouvelles peu réjouissantes pour en informer
ultérieurement Drogon (resté quant à lui dans la Citadelle du Matin) les blessures
sont soignées et les aventuriers reprennent du poil de la bête. En effet, Azroliark n’a-
t-il pas été terrassé alors que Kabaal n’est plus aux mains de l’ennemi et que le
conseil du Salthar semble être désireux de veiller enfin au confort de ses héros en
reconnaissant en eux de nobles guerriers (même si certains passent encore pour de
simples mercenaires aux yeux des plus sceptiques – comme les nains des
montagnes noires). Selon les dires d’Ermold – travaillant d’arrache-pied dans son
incroyable laboratoire perché au sommet du pic – les Dieux d’Ysgaard guident son
œuvre à travers ses rêves l’aidant à avancer à un rythme effréné (même si Ordom
pense que le grimoire qu’il a ramené de la lointaine bibliothèque de Cansterborgh y
est pour beaucoup).
Voici d’ailleurs un court extrait de celui-ci.
« Autour de la lune »
CHAPITRE PREMIER
De dix heures vingt à dix heures quarante-sept minutes du soir
Quand dix heures sonnèrent, Ka-Rel de Phoerus, Farak et Niroll firent leurs adieux aux nombreux amis qu’ils
laissaient sur terre. Les deux chiens, destinés à acclimater la race canine sur les continents lunaires, étaient déjà
emprisonnés dans le projectile. Les trois voyageurs s’approchèrent de l’orifice de l’énorme tube de fonte, et une grue
volante les descendit jusqu’au chapeau conique du boulet.
Là, une ouverture ménagée à cet effet leur donna accès dans le wagon d’aluminium. Les palans de la grue
étaient halés à l’extérieur, la gueule de la bombarde fut instantanément dégagée de ses derniers échafaudages.
Niroll, une fois introduit avec ses compagnons dans le projectile, s’occupa d’en fermer l’ouverture au moyen
d’une forte plaque maintenue intérieurement par de puissantes vis de pression. D’autres plaques, solidement
adaptées, recouvraient les verres lenticulaires des hublots. Les voyageurs, hermétiquement clos dans leur prison de
métal, étaient plongés au milieu d’une obscurité profonde.
« Et maintenant, mes chers compagnons, dit Ka-Rel de Phoerus, faisons comme chez nous. Je suis homme
d’intérieur, moi, et très fort sur l’article ménage. Il s’agit de tirer le meilleur parti possible de notre nouveau logement
et d’y trouver nos aises. Et d’abord, tâchons d’y voir un peu plus clair. Que diable ! Le gaz n’a pas été inventé pour
les taupes ! (Sauf à considérer que l’on veuille les empoisonner) »
Ce disant, l’insouciant garçon fit jaillir l’étincelle d’un silex qu’il frotta contre un autre ; puis, réitéra cette
manœuvre à proximité du bec fixé au récipient, dans lequel l’hydrogène hydrocarboné, emmagasiné à une haute
pression, pouvait suffire à l’éclairage et au chauffage du boulet pendant cent quarante-quatre heures, soit six jours et
six nuits.
Le gaz s’alluma. Le projectile, ainsi éclairé, apparut comme une chambre confortable, capitonnée à ses
parois, meublée de divans circulaires, et dont la voûte s’arrondissait en forme de dôme.
Les objets qu’elle renfermait, armes, instruments, ustensiles, solidement saisis et maintenus contre les
rondeurs du capiton, devaient supporter impunément le choc du départ. Toutes les précautions humainement
possibles avaient été prises pour mener à bonne fin une si téméraire tentative.
Ka-Rel de Phoerus examina tout et se déclara fort satisfait de son installation.
« C’est une prison, dit-il, mais une prison qui voyage, et avec le droit de mettre le nez à la fenêtre, je ferais
bien un bail de cent ans ! Tu souris Farak ! As-tu donc une arrière-pensée ? Te dis-tu que cette prison pourrait être
notre tombeau ? Tombeau, soit, mais je ne le changerais pas pour celui du D.M. qui flotte dans l’espace et ne
marche pas ! »
Pendant que Ka-Rel de Phoerus parlait ainsi, Farak et Niroll faisaient leurs derniers préparatifs.
La clepsydre de Niroll marquait dix heures vingt minutes du soir lorsque les trois voyageurs se furent
définitivement murés dans leur boulet. Cette clepsydre était réglée à un dixième de seconde près sur celle de
l’ingénieur gnome Murchison. Farak la consulta.
« Mes amis, dit-il, il est dix heures vingt. A dix heures quarante-sept, Murchison lancera l’étincelle magique
dans le conduit qui communique avec la charge de la bombarde. A ce moment précis, nous quitterons notre
sphéroïde. Nous avons donc encore vingt-sept minutes à rester sur la terre.
- Vingt-six minutes et treize secondes, répondit le méthodique Niroll.
- Eh bien ! s’écria Ka-Rel de Phoerus d’un ton de belle humeur, en vingt-six minutes, on fait bien des
choses ! On peut discuter les plus graves questions de morale ou de politique, et même les résoudre !
Vingt-six minutes bien employées valent mieux que vingt-six années où on ne fait rien ! Quelques
secondes d’un Pâskal ou d’un Nyouthonne sont plus précieuses que toute l’existence de l’indigeste
foules des imbéciles…
- Et tu en conclus, éternel parleur ? demanda le diplomate Farak.
- J’en conclus que nous avons vingt-six minutes, répondit Phoerus.
- Vingt-quatre seulement, dit Niroll.
- Vingt-quatre, si tu y tiens, mon brave capitaine, répondit Phoerus, vingt-quatre minutes pendant
lesquelles on pourrait approfondir…
- Ka-Rel, dit Farak, pendant notre traversée, nous aurons tout le temps nécessaire pour approfondir les
questions les plus ardues. Maintenant occupons-nous du départ.
- Ne sommes-nous pas prêt ?
- Sans doute. Mais il est encore quelques précautions à prendre pour atténuer autant que possible le
premier choc !
- N’avons-nous pas ces couches d’eau disposées entre les cloisons brisantes, et dont l’élasticité nous
protégera suffisamment ?
- Je l’espère, Ka-Rel, répondit doucement Farak, mais je n’en suis pas bien sûr !
- Ah ! le farceur ! s’écria Ka-Rel de Phoerus. Il espère !... Il n’est pas de sûr !… Et il attend le moment où
nous sommes encaqués pour faire ce déplorable aveu ! Mais je demande à m’en aller !
- Et le moyen ? répliqua Farak.
- En effet ! dit Ka-Rel de Phoerus, c’est difficile. Nous sommes dans le train et le sifflet du conducteur
retentira avant vingt-quatre minutes…
- Vingt, » fit Niroll.
Pendant quelques instants, les trois voyageurs se regardèrent. Puis ils examinèrent les objets emprisonnés
avec eux.
« Tout est à sa place, dit Farak. Il s’agit de décider maintenant comment nous nous placerons le plus
utilement pour supporter le choc du départ. La position à prendre ne saurait être indifférente, et autant que
possible, il faut empêcher que le sang ne nous afflue trop violemment à la tête.
- Juste, fit Niroll.
- Alors, répondit Ka-Rel de Phoerus, prêt à joindre l’exemple à la parole, mettons-nous la tête en bas et
les pieds en haut, comme les clowns du Grand Cirque (Tearg Sucric) !
- Non, dit Farak, mais étendons-nous sur le côté. Nous résisterons mieux ainsi au choc. Remarquez bien
qu’au moment où le boulet partira, que nous soyons dedans ou que nous soyons devant, c’est à peu
près la même chose.
- Si ce n’est qu’« à peu près » la même chose, je me rassure, répliqua Ka-Rel de Phoerus.
- Approuvez-vous mon idée, Niroll ? demanda Farak.
- Entièrement, répondit le capitaine. Encore treize minutes et demie.
- Ce n’est pas un homme que ce Niroll, s’écria Ka-Rel, c’est une clepsydre à secondes, à échappement,
avec huit trous… »
Mais ses compagnons ne l’écoutaient plus, et ils prenaient leurs dernières dispositions avec un sang-froid
inimaginable. Ils avaient l’air de deux voyageurs méthodiques, montés dans un wagon, et cherchant à se
caser aussi confortablement que possible. On se demande vraiment de quelle matière sont faits ces cœurs
de Tsovraniens auxquels l’approche du plus effroyable danger n’ajoute pas une pulsation !
Trois couchettes, épaisses et solidement conditionnées, avaient été placées dans le projectile. Niroll et
Farak les disposèrent au centre du disque qui formait le plancher mobile. Là, devaient s’étendre les trois
voyageurs, quelques moments avant le départ.
Pendant ce temps, Phoerus, ne pouvant rester immobile, tournait dans son étroite prison comme une bête
fauve en cage, causant avec ses amis, parlant à ses chiens, Diane et Satellite, auxquels, on le voit, il avait
donné ces noms significatifs.
« Hé ! Diane ! Hé ! Satellite ! S’écriait-il en les excitant. Vous allez donc montrer aux chiens sélénites les
bonnes façons des chiens de Paorn ! Voilà qui fera honneur à la race canine ! Pardieu ! Si nous revenons
jamais ici-bas, je veux rapporter un type croisé de « chiens-lune » qui fera fureur !
- S’il y a des chiens dans la Lune, dit Farak.
- Il y en a, affirma Ka-Rel de Phoerus, comme il y a des chevaux, des vaches, des ânes, des poules. Je
parie que nous y trouverons des poules.
- Cent pièces d’or que nous n’en trouverons pas, dit Niroll.
- Tenu, mon capitaine, répondit Phoerus en serrant la main de Niroll. Mais à propos, tu as déjà perdu trois
pari avec notre diplomate, puisque les fonds nécessaires à l’entreprise ont été faits, puisque l’opération
de la fonte a réussi, et enfin puisque la bombarde a été chargée sans accident, soit six mille pièces d’or.
- Oui, répondit Niroll. Dix heures trente-sept minutes et six secondes.
- C’est entendu, capitaine. Eh bien, avant un quart d’heure, tu auras encore à compter neuf mille pièces
d’or au diplomate, quatre mille parce que la bombarde n’éclatera pas, et cinq mille parce que le boulet
s’enlèvera à plus de six milles dans l’air.
- J’ai les pièces d’or, répondit Niroll en frappant sur la poche de son habit, je ne demande qu’à payer.
- Allons, Niroll, je vois que tu es un homme d’ordre, ce que je n’ai jamais pu être, mais en somme, tu as
fait là une série de paris peu avantageux pour toi, permets-moi de te le dire.
- Et pourquoi ? demanda Niroll.
- Parce que si tu gagnes le premier, c’est que la bombarde aura éclaté, et le boulet avec, et Farak ne sera
plus là pour te rembourser tes pièces d’or.
- Mon enjeu est déposé à la banque de Bouroutch, répondit simplement Farak, et à défaut de Niroll, il
retournera à ses héritiers !
- Ah ! hommes pratiques ! s’écria Ka-Rel de Phoerus, esprits positifs ! Je vous admire d’autant plus que je
ne vous comprends pas.
- Dix heures quarante deux ! répondit Niroll.
- Plus que cinq minutes ! répondit Farak.
- Oui ! cinq petites minutes ! répliqua Ka-Rel de Phoerus. Et nous sommes enfermés dans un boulet, au
fond d’un canon de neuf cents pieds ! Et sous ce boulet sont entassées quatre cent mille livres de fulmi-
coton (qui valent seize cent mille livres de poudre tonnerre) ! Et l’ami Murchison, l’œil fixé sur sa
clepsydre, le doigt posé sur les composants générateurs de l’étincelle, compte les secondes et va nous
lancer dans les espaces interplanétaires !...
- Assez, Ka-Rel, assez ! dit Farak d’une voix grave. Préparons-nous. Quelques instants seulement nous
séparent d’un moment suprême. Une poignée de mains, mes amis.
- Oui, » s’écria Ka-Rel de Phoerus, plus ému qu’il ne voulait le paraître. Ces trois hardis compagnons
s’unirent dans une dernière étreinte.
« Dieu nous garde ! » dit le religieux Farak.
Ka-Rel de Phoerus et Niroll s’étendirent sur les couchettes disposées au centre du disque.
« Dix heures quarante sept ! » murmura le capitaine.
Vingt secondes encore ! Farak éteignit rapidement le gaz et se coucha près de ses compagnons.
Le profond silence n’était interrompu que par les battements de la clepsydre frappant la seconde.
Soudain un choc épouvantable se produisit, et le projectile, sous la poussée de six milliards de litres de gaz
développés par la déflagration de pyroxile, s’enleva dans l’espace.
Mais revenons à nos moutons
« Il y a plusieurs années de cela, Freya, l’ensorceleuse déesse d’Ysgaard, apparût en
rêve pour révéler à Ermold le Noir la menace du Prédateur des Ombres. Elle lui conta
l’histoire de Kabaal et déclara que les seigneurs d’Ysgaard devaient s’opposer au
Dieu Mort. Décryptant les trames de l’avenir, elle lui ordonna de mettre toute sa
science à son service. Depuis, elle lui apparût chaque nuit pour lui montrer les plans
d’une mystérieuse machine. Il se mit donc à construire le Célestial avec, nous
devons le remarquer, une ferveur créatrice divinement inspirée. Ses besoins en main
d’œuvre et en matériaux étaient tels qu’il vint un jour jusqu’à Krönberg pour y
demander l’aide du roi Drogon, sans succès hélas. Il bâti ainsi cette machine par ses
propres moyens et grâce aux Bolldurs qui recueillirent des métaux précieux au cœur
des pics les plus inaccessible. L’aide de Valmyr lui fut aussi très précieuse, le pouvoir
de la poudre-tonnerre étant indispensable à la bonne marche des opérations.
Pourtant, il lui manquait encore la présence d’un esprit brillant afin de l’aider dans
les calculs de précession d’énergie magique. En effet, la force vive de la foudre,
canalisée par les prismes en cristal, devait alimenter le Célestial en vue d’une
augmentation de la capacité conservatrice d’E.M.. Cependant, la déperdition
excessive durant ce transfert ne pouvait trouver de solution que si le système dans
son ensemble répondait à un niveau minimum de cristallisation. Sans quoi, le
principe de Thaumaturgie Universelle Rayonnante Bi-osmophérique d’Olwello ne
pouvait être appliqué et par là même, bien évidemment, la perte d’attraction
Paornique restait impensable. Cet esprit brillant qui devait l’aider à amener son
projet à son terme, c’était Kwalish (épaulé modestement, remarquons le tout de
même, par Vallaki et Ordom).
Or, par un matin radieux, des cris retentirent soudain au sommet du pic. Accourant
pour voir ce qui se passait tous trouvèrent Kwalish et Ermold en train de danser la
gigue au pied du formidable tube en métal émergeant du laboratoire. Prenant une
pose avantageuse, Ermold désignant le tube déclara :
« Mes amis, nous avons réussi.
Je vous présente le Célestial : le
premier engin capable d’aller de
la terre à la lune ! Ce doigt
pointé vers les cieux est en fait
une bombarde géante. A
l’intérieur se trouve une sorte
de boulet, et à l’intérieur de ce
boulet… eh bien, suffisamment
de place pour quelques héros
résolus, qui s’envoleront vers la
lune afin d’y emporter Kabaal !
Selon nos calculs, basés sur le
dosage de la poudre tonnerre,
la puissance de la foudre et
l’influence de la planète
Yaakoub, vous devriez être les
premiers aventuriers sur la lune
d’ici demain soir. N’est-ce pas là
une merveilleuse quête ? »
Ainsi qu’ils le laissaient entendre, les deux magiciens avaient su interpréter les rêves
envoyés par la déesse Freya. Comme l’observation rapportée par nos héros lors de
leur passage dans le nervus opticum l’avait montré, Azroliark n’était que l’émissaire
terrestre d’une puissance bien plus grande. Pour écarter la menace représentée par
Kabaal et en apprendre plus sur le Dieu mort, il fallait à présent se rendre sur la
lune ! Toutefois, les données sur l’astre étaient bien maigres :
« L’air est sensé y être respirable, et l’on suppose que certaines formes de vie s’y
sont développées » répétait inlassablement Ermold. L’expédition était une première
si l’on considérait, comme semblait le croire Ermold, que le tome traduit par Ordom
n’était qu’une fable. Aussi, les membres du haut conseil de guerre nommèrent les
héros « hauts ambassadeurs des royaumes terrestres » et leur fournirent des
Torques de langage, ainsi que tout l’équipement nécessaires à ce voyage.
Le moment venu, devant le peuple des Hommes Oiseaux rassemblés, les mages
invitèrent solennellement les héros à prendre place dans le Célestial. A l’intérieur, le
boulet creux était gravé d’une multitude de runes cabalistiques et équipés de trônes
capitonnés munis de sangles. D’un air grave, Kwalish remit la hache aux héros, puis
Ermold scella la porte derrière eux. Les mages lancèrent un sort spécial sur la
poudre-tonnerre et, dans un grondement terrifiant, le Célestial fut propulsé vers le
ciel…
Amorti par la coque, un terrible choc vint tous les réveiller lorsque le Célestial
percuta le sol de la lune…
Va-Nokar chargea un jeune nomade, Soo-Kah, de guider nos héros jusqu’à Assalia
via le désert de l’Océan chromatique. Timide et attachant, Soo-Kah souffrait d’un
terrible bégaiement, mais il se révéla être un guide hors-pair (en tout cas pour des
Poarniens). Les voyageurs firent cependant face à de graves dangers, la première
semaine de désert leur fit croiser la route des inquiquisisiteurs de Tatatsokakaï
comme les appelait Soo-Kah. Ces individus montaient des bêtes tout à fait
somptueuses pour peu que l’on fut fin anthropologue (en effet, rien comme ces
immondes montures ressemblant à des raies de mer à la forme circulaire révélant en
s’envolant un ventre s’ouvrant sur deux rangées de dents acérées, mais ne laissant
apparaître que leur dos à l’aspect spongieux lorsqu’elles évoluent au sol). Se
défaisant avec les plus grandes difficultés de ces monstres coriaces – et de leur
répugnants jockeys ressemblant étrangement aux sélénites et que Soo-Kah nomme
dédévividédéviant – nos lunaires explorateurs découvrirent une seconde partie du
voyage plutôt agréable (si ce n’est la pluie de météorites qui écrasa joyeusement un
des membres de la petite troupe). Quand aux colonies de petits serpents sauteurs,
elles furent assez faciles à repousser mais Dieu que cette petite planète était hostile.
Au-dessus de celle-ci, en
runes gigantesques, était
gravée l’inscription suivante :
Tatsokai
Le tombeau de Tatsokaï
Après de longs débats que l’incessante tempête ne manqua pas de provoquer, tous
convinrent que cette sculpture ressemblait à s’y méprendre à une arche marquant
l’entrée du mausolée en ruine. Après avoir franchi sans encombre le seuil symbolisé
par les deux canines de la gueule, les héros empruntèrent un escalier d’une
cinquantaine de marches qui s’enfonçaient abruptement dans le sol. Au pied des
marches, dont la dernière comportait un trait empoisonné qui prit toute son
importance ultérieurement, tous pénètrent dans une salle où huit bas reliefs
représentant des guerriers grimaçants étaient répartis de chaque côté tandis qu’au
fond, la statue d’un homme à l’air peu commode siégeait sur un trône d’onyx. A côté
de la porte d’entrée, une inscription était gravée dans le mur : Ici repose le grand Tatsokaï.
Redoute-le et baise ses pieds si tu ne veux pas mourir. Pense toujours à respecter l’ordre des choses que
tous traduisirent aisément par les mots suivants « Ici repose le grand Tatsokaï.
Redoute-le et baise ses pieds si tu ne veux pas mourir. Pense toujours à respecter
l’ordre des choses ! »
Le socle du trône était décoré de représentations de la lune dans ses différentes
phases, réparties un peu au hasard. Borgenhord, avec son regard aiguisé de
navigateur lui permettant de constater qu’elles pouvaient être actionnées en
effectuant une poussée sur chacune d’entre elles (n’est pas navigateur qui veut),
remarqua que si l’on appuyait sur ces glyphes selon l’ordre des phases lunaires le
bloc d’onyx se déplaçait pour révéler un escalier secret (comment était-il arrivé à
faire cela, tout simplement en se glissant jusqu’au trône tout restant sous le niveau
des bas reliefs qui avaient la fâcheuse tendance de s’envoyer l’un à l’autre des
chaînes d’éclair démesurées). Cet escalier débouchait dans une pièce pentagonale
qui contenait 4 portails en bronze décorés de sculptures représentant : un guerrier
agressif, une femme à l’attitude provocante, un enfant au visage démoniaque et un
vieillard songeur. Toutes ces portes donnaient sur des couloirs mais seule celle de
l’enfant ouvrait sur un passage secret qui menait au temple de l’ultime silence. Là
encore, Borgenhord fit montre de son implacable bon sens en interprétant (l’exemple
de Gwendal Galadonel dans le temple sous-la-montagne l’ayant peut-être inspiré)
l’enfant au visage démoniaque comme étant le début de la vie en respectant le cours
du temps. Borgenhord devenait de plus en plus malin.
« Ces deux gardes, membres de la garde pourpre, seront à votre disposition pendant
toute la durée de votre séjour, précisa-t-il.
- Mais qu’en est-il de votre décision sur…
Ka-Rel les coupa calmement « Nous reprendrons cette conversation plus tard ».
Telle aurait pu être la complainte rédigée par une pauvre âme esseulée dans ce froid
lunaire car nos héros ne distinguaient pas encore le guêpier dans lequel ils venaient
encore de se fourrer. L’aristocratie lunaire était divisée en trois factions
complètement opposées. La première de celles-ci, représentée par le Baron d’Ostah,
était nommée « progressiste » car ses membres étaient tous favorables à
l’élimination définitive du Dieu mort (quels qu’en étaient les risques). La deuxième,
la plus conservatrice, et de surcroît majoritaire à la cour, ne souhaitait aucun
changement et s’opposait à toute « entreprise hasardeuse ». Les adversaires
naturels des progressistes composaient la dernière faction ; les déviationnistes
(comme on peut les nommer) affectaient d’être des conservateurs bon teint mais
soutenaient secrètement les Déviants et espéraient un jour libérer Celui-qui-dort-
derrière-la-porte.
Lors des entrevues avec Ka-Rel XI, les conservateurs se montrèrent les plus
virulents, n’hésiatnt pas à conspuer le héros en les taxant d’être des « aventuriers
étrangers dont personne ne sait rien ». Les progressistes, quant à eux, verront les
seuls êtres capables de sauver leur peuple de l’apathie dans laquelle il se complaît.
Quoique plus discrets, les déviationnistes ne vont pas tarder à passer à l’action et
organisèrent quelques petits attentats visant à se débarrasser des gêneurs. Des
assassins les attaquèrent pendant leur sommeil, empoisonnèrent des plats qui leur
fut servis mais qu’aucun ne mangèrent puiqu’il s’agissait toujours de plats à base
d’une partie du mouton de Thoria. Le drame le plus terrible de toutes ces dernières
années survint alors, le dernier membre de la plus pure des compagnies de Nains du
Normur s’éteint. Kabbal avait fait une nouvelle victime, la proximité du Dieu mort fut
invoquée comme raison de sa puissante incursion dans l’esprit du Nain Portnawark.
La cerise sur le gâteau vint enfin le jour où la nouvelle tomba. Retentissante. Le
baron d’Ostah s’était suicidé. Alors qu’il venait de donner un rendez-vous des plus
secrets aux aventuriers.
A partir de ce jour, Ka-Rel devint de plus en plus
conscient de la faiblesse de son peuple et décida
une belle nuit, lors d’un ultime conseil des plus
inutiles qui réunissait toujours les membres des
diverses factions dans des luttes verbales sans fin
sur le OUI ou le NON de la destruction du Dieu
mort, que l’attitude progressiste était le seule
latitude que les sélénites devaient suivre.
Il fut préparé cette nuit-là une expédition qui
devait décider de la survivance de la race de
sélénites.
Or, Or, Or, Or,
Or, Or, Or, Or,
Or, Or, Or, Or,
Or, Or, Or, OR.
Cette fois, c’est à bord du somptueux char à vapeur du roi qu’ils traversèrent le
désert gris. Autour d’eux, trois cents gardes royaux équipés de chausses de voyage
exécutaient des bonds spectaculaires tout en en scrutant anxieusement l’horizon.
Insensible aux cahots et au vacarme que produisaient les chaudières, Corela ouvrait
de grands yeux et regardait tout autour d’elle. Comme le monde était différent de ce
qu’elle imaginait ! Au bout de trois heures, ils arrivèrent enfin en vue du gouffre des
Anciens, un immense cratère aux abords déchiquetés. Un éclaireur poussa alors un
cri d’alarme. Réunis par les chamans du Dieu mort, un millier de Déviants les
attendaient de pied ferme !
On peut ici croire que l’historien avisé que je suis resta soigneusement à l’intérieur
du char capitonné du roi afin de mener une bataille dont l’esprit (et non de vulgaires
muscles) devait l’emporter face à un Dieu qui manipulait des dizaines de chamans
investis de sa puissance. Il faut cependant convenir aussi qu’emmener Corela au
cœur même de cette bataille débridée fut une preuve supplémentaire de la
puissance que pouvait développer les héraut terrestres (le conseil de guerre
Paornien se portait toujours aussi bien – notamment celui du Salthar). Lorsqu’ils
eurent passé le dernier front de guerriers Déviants, au moment le plus fort de la
bataille qui vit se mettre en route la plus destructrice puissance sélénite, j’ai
nommé : la bombade royale (décidément, sur toutes planètes de toutes les galaxies,
ça bombarde grave… et c’est d’ailleurs en ailleurs toujours les mêmes qui raquent !)
Aussi, je n’hésite pas ici à vous faire parvenir ce que les deux gardes de chrome me
rapportèrent lorsqu’il virent m’informer de ce qu’ils avaient vu lorsque la poussière
soulevée suite à la déflagration était retombée. Et voici ce qu’ils m’apprirent :
« Bientôt nous nous aperçûmes que le cratère s’ouvrait devant nous sur un espace
vide et brumeux. Un moment encore, et nous émergions devant une sorte de sentier
en pente à flanc d’un vaste espace circulaire, un immense puits cylindrique qui se
dirigeait verticalement en haut et en bas. Autour de ce puits, des galeries
innombrables semblaient naître à tous les niveaux. La pente du sentier courait sans
parapet ni protection d’aucune sorte pendant un tour et demi et, ensuite, beaucoup
plus bas, elle s’enfonçait dans le roc, me rappelant une de ces spirales que décrit
l’ancienne voie ferrée de Skhâtraz. Tout cela était de dimensions effroyables. Je
n’ose espérer donner une idée des proportions titanesques de l’endroit et de l’effet
qu’il produisait. Nos yeux suivaient la vaste déclivité de la paroi du puits, et, très loin
au-dessous de nos têtes, nous apercevions une ouverture ronde, sertie de vagues
étoiles, et la moitié de son contour reflétait d’une façon aveuglante la blanche clarté
du soleil c’était Paorn et son sourire semi circulaire parfaitement tracé par le début
d’une éclipse partielle de soleil.
A cette vue nous poussâmes simultanément un cri.
« Ils ont réussi ! m’écriai-je.
- Mais… et là ! qu’est-ce! » fit Cavor en s’avançant très prudemment jusqu’au
bord de la galerie.
Je suivis son exemple et, tendant le cou, je regardai dans le puits ; mais j’étais
ébloui par le reflet de la lumière et mes yeux s’arrêtèrent seulement sur
d’insondables ténèbres dans lesquelles flottaient des taches spectrales d’écarlate
et de pourpre.
Cependant, si je ne voyais rien, je pouvais entendre. De ces ténèbres un bruit
montait, un bruit semblable au bourdonnement menaçant que l’on entend auprès
des ruches d’arbeye, une rumeur sortant de cet énorme trou, venant peut-être
d’une distance de six mille mètres sous nos pieds…
En fait, un rapide résumé s’impose pour cette partie de l’histoire que nous contons
aujourd’hui. La cité des gardiens fut construite par des fous dont la folie porte un
nom : la TECHNOMANCIE.
Les fileuses du temps
Devant vos yeux ébahis s’ouvre la prison de la lune : l’intérieur de la planète est une
immense sphère creuse, et de gigantesques toiles d’araignée en métal argenté
s’étendent à l’infini dans toutes les directions ! Provenant d’un point situé à l’horizon,
de fantastiques faisceaux de « lumière noire » irradie vos corps. Un intense malaise
s’empare de vous tandis que vos squelettes apparaissent à la manière de négatifs
photographiques. Soudain,…
Au même instant, sur Paorn, la
lumière iridescente de l’astre lunaire
berçait l’inspiration d’un bellâtre que
d’aucuns prenaient pour un barde mais
qui en vérité n’était qu’un piètre
ménestrel. Cependant, cette nuit là,
une des chansonnettes pour enfants la
plus accomplie de ce temps jadis fut
composée.
Mais tu n’es pas un Wytt Borgenhord, tu es le fils de la Zorena et de Brunadhort,
membres éminents du marquisat des deux forêts. Cette révélation leur fut faite par
la plus douce des voix, celle d’une chantelameuse du nom d’Edhélia. Et qui était
donc le pilote qui menait ce convoi avec tant d’allure. Le digne Sygurd en arpentait
aussi le pont. Venus tout droit de la très lointaine Luiren, quelle pouvait être la cause
de leur venue sur ce bout de satellite. Il s’agissait tout simplement d’un appel lancé
depuis les temps immémoriaux par les Sélénites eux-mêmes au grand royaume
Argenté d’Alphatia auquel –Ariakas– a voué sa vie. Ce lien acestral a conduit les
plus grands des mages de Glantri à achever une incantation débutée depuis l’an 186.
lorsque l’éblouissant reflet de la planète Yaakoub leur apparut dans sa plus grande
clarté du fait d’un phénomène jamais élucidé qui vit se voiler la planète blanche
toute entière (un épais nuage de fumée en fait, produit par une forte quantité de
fulmi-coton en feu). Il y a six mois de cela, des étranges nuages noirs sont venus à
nouveau strier l’aspect complètement blanc de Paorn (il s’agissait en fait d’une forte
quantité de poudre tonnerre mise sous pression (l’on comprend ainsi comment le
voyage de nos héros a débuté puisqu’en fait Kwalish maintenait le Célestial en
lévitation au sommet du canon lorsque Ermold lança une dissipation de la magie
laissant ainsi choir le Célestial sur une quantité surprenante de poudre tonnerre
acquise par Ermold durant ses dernières années d’intenses et folles transes.)
« A ce sujet, vous ai-je déjà montré la peinture extraordinaire que réalisa Ka-Rel de
Phoerus avant de réveiller Farak. Non et bien, sachez que lors d’un de mes fabuleux
voyages sur Majistra, j’y découvrais la petite bourgade de Lusili et qu’alors… »
Il radotait encore et toujours, c’était déjà la centième fois qu’il contait cette histoire…