NRP - LYCEE - SEPT - 2021 Voix de Femmes

Lettres
Lycée
SEPT. 2021
N°96 / 11,25€
Nouvelle
Revue nrp-lycee.nathan.fr
Pédagogique
ISSN 1636-3574
La revue & sa banque de ressources
Voix
de femmes
œuvres
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2022
BAC
La collection dédiée aux œuvres intégrales

et à leurs parcours associés.
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recommandées au programme annoté et explicité ! + LE DOSSIER
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notamment sur les sites web contributifs, les blogs, sont
N°96
strictement interdites et passibles de sanctions pénales et civiles.
Nouvelle Revue Pédagogique

Lycée / SEPTEMBRE 2021
Édito
Un peu étouffé depuis la fin des années 1970, parfois méprisé, voire
raillé, le combat féministe a repris des couleurs, à la faveur, certes, de l’émergence
de la question du genre, mais plus encore de la vague #Me Too. Une page semble
enfin se tourner, et il est essentiel avec des lycéennes et des lycéens d’accompagner
ce mouvement. Ainsi, la séquence 2de chemine parmi des textes de natures diverses,
de l’Antiquité à nos jours, tous lus à travers le prisme du féminisme. Et l’étude du
texte d’Olympe de Gouges au programme en 1re est l’occasion de rappeler la force
d’un engagement qui a conduit son autrice à la guillotine.
Sommaire
ACTUALITÉ
Éditeur : Nathan, 92, avenue de France
75013 Paris
Directrice de la publication : Catherine Lucet
Brèves ........................................................................ 4
Directrice déléguée : Delphine Dourlet
Directrice éditoriale : Catherine Gaschignard
Livres. . ........................................................................ 6
Rédactrice en chef :
Claire Beilin-Bourgeois
Lire au CDI................................................................... 8
Édition : Claire Beilin-Bourgeois
Édition Web : Alexandra Guidal
Expositions .................................................................. 9
Fabrication : Isabelle Guerrier
Iconographie : Laure Penchenat DOSSIER L’écriture au féminin ...................................... 10
Marketing/Diffusion : A. Errafi, G. Guerrier
Impression : Imprimerie de Champagne,
52200 Langres
Création de la couverture : Élise Launay
SÉQUENCES PÉDAGOGIQUES
Création des pages intérieures : Élise Launay
Réalisation de la mise en page : Séquence 2de Les femmes dans la société et la littérature, un si long combat. . .. 16
Thomas Winock
Publicité et partenariats : Comdhabitude Séquence 1re Olympe de Gouges, une oratrice combative..................... 26
publicité, directrice de la publicité : Clotilde
Poitevin, 7 rue Émile Lacoste 19 100 Brive Lecture cursive et commentaire Chavirer dans la lecture cursive........ 34
Tél. : 05 55 24 14 03
Code article : 116776
N° d’édition : 10276976 FICHES PÉDAGOGIQUES
Dépôt légal : SEPTEMBRE 2021
Commission paritaire : 0625T83012
Étude de la langue
Abonnement 1 an – 4 numéros papier + La négation dans les textes d’Olympe de Gouges................................. 39
version numérique des 4 numéros : France
45 €, DOM/TOM : 57 € , Etranger : 61 €
Latin 2de
– 4 numéros papier + toutes les archives Psyché aux Enfers............................................................... 42
numériques depuis 2012 : France 69 €,
DOM/TOM : 81 € , Etranger : 85 €
Abonnement 100% numérique 1 an à partir
de 25 € sur nathan.aboshop.fr
Téléphone Abonnement : 01 44 70 14 76 Une nouvelle banque de ressources
Abonnement pour la Suisse : EDIGROUP SA, pour les profs de lettres
[email protected]
Codes Retrouvez les séquences et les articles
Abonnement pour la Belgique : Edigroup Flashez les QR
Sprl, email : [email protected] pour accéder s. de ce numéro, et de nombreuses autres
ISSN 1636-3574 aux ressource ressources téléchargeables dans la banque nrp-lycee.nathan.fr
Prix au n° : 11,25 € de ressources nrp-lycee.nathan.fr
SEPTEMBRE 2021 NRP LYCÉE 1

Grâce au partenariat
des éditions Nathan
et de L’avant-scène théâtre, maison d’édition
dédiée au théâtre contemporain,
La Machine de Turing de Benoit Solès
enrichit depuis janvier 2021
la collection Carrés Classiques.
De nombreux cadeaux
pour les 3 classes gagnantes
et leurs élèves !
1er PRIX
Pour la classe
• Une rencontre avec Benoit Solès, auteur et interprète du rôle principal,
avec Tristan Petitgirard, metteur en scène,
et avec Amaury de Crayencour, comédien.
• 8 exemplaires de Mon carnet de Grammaire et d’Orthographe Comment participer ?
• Inscrivez votre classe via le formulaire disponible à l’adresse
Pour les élèves suivante https://bit.ly/3f93Vb6 à partir du 27 août 2021
• Un Carré Classique offert • Téléchargez gratuitement les pages contextes biographiques,
(titre du catalogue au choix de l’enseignant) sociaux, culturels et historiques issues du Carré Classique sur le site
• Le Français en 100 œuvres-clés offert compagnon carres-classiques-lycee-theatre.nathan.fr
• Lisez et étudiez la pièce en classe
2 PRIX
e • Avec vos élèves, écrivez un nouvel épilogue qui décidera
d’une autre fin de la pièce
Pour la classe • Renvoyez votre texte avec toutes vos coordonnées :
• 30 exemplaires de Apprendre, c’est facile 3e ou 2de classe, nombre d’élèves, nom de l’enseignant, nom et adresse de
l’établissement, téléphone, email, ainsi que le tampon de l’établissement
• 8 exemplaires de Mon carnet de Grammaire et d’Orthographe
par email à l’adresse [email protected]
Pour les élèves ou par courrier à Nathan Carrés classiques/Concours Turing,
92 avenue de France - bureau 3AF46- 75013 Paris.
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Consultez le cahier des charges du concours et son règlement
sur carresclassiques.nathan.fr
3e PRIX
Un seul envoi par classe sera accepté.
Pour la classe
8 exemplaires de Mon carnet de Grammaire et d’Orthographe Les critères d’évaluation :
Pour les élèves • Respect du contexte de la pièce : Angleterre de l’Après-guerre
Le Français en 50 auteurs-clés offert • Cohérence avec le reste du texte
• Qualité de la rédaction et maîtrise de la langue
2 NRP LYCÉE SEPTEMBRE 2021
Vos rendez-vous dans la
nrp-lycee.nathan.fr banque de ressources NRP
Comment la littérature se fait-elle l’écho du statut des
femmes et de leurs combats ? De nombreux articles
de la NRP abordent cette question, qui a sa place dans
tous les objets d’étude en cours de français.
Les articles avec

la séquence
Olympe de Gouges
Sur Olympe de Gouges,

lire le roman graphique
de Catel et Bocquet
Au moment de la parution d’Olympe
de Gouges de Catel et Bocquet,
la NRP a proposé une série
d’articles pour travailler, avec le
professeur documentaliste, à partir
de ce roman graphique qui mêle
Gisèle Halimi au procès de Bobigny le 22 novembre 1972.
Une séquence sur des avec élégance fiction et rigueur
discours de femmes historique.
Paroles de femmes en politique
A travers la lecture de discours d’Olympe de Gouges, George Sand, de Louise
Michel et de Gisèle Halimi, cette séquence permet de rencontrer des militantes au
destin exceptionnel, et de traverser l’histoire des revendications des femmes.
Girl de Lukas Dhont :

questionner le genre Une séquence sur
Le film Girl de Lukas Dhont, les femmes poètes
de la Renaissance
récompensé à Cannes en 2018,
relate la transition d’une jeune fille
passionnée de danse née dans Femmes et poètes
le corps d’un garçon. L’analyse du au xvie siècle
film accompagne une étude de Si les noms de Louise Labé et
Gabriel, de George Sand, qui pose Pernette du Guillet sont connus,
la question de l’identité sexuelle on découvrira certainement
et celle du statut des femmes dans la poésie de Catherine des Roches
la société du xixe siècle. ou de Marie de Romieu. En 2de,
en écoutant ces textes écrits par
des femmes dans le cadre de l’objet
Une étude de Gabriel d’étude sur la poésie, on perçoit
de George Sand, et du les mutations sociales à l’œuvre
film Girl, de Lukas Dhont à la Renaissance.
Couverture : Stephen Voss-Redux/Rea

3 ht g : Keystone-France/Gamma Rapho ; 3 ht d : The Holbarn Archive/Leemage/Bridgeman Images ; 3 bas g : © Menuet Producties/Frakas Productions/Collection Christophe L ;
3 m d : BIS / Ph. © Archives Nathan ; 10 : BIS / Ph. Jean Mascolo © Unifrance ; 13 : Bridgeman Images ; 15 : Bridgeman Images ; 16 : © The Granger Collection, New York/The Granger
Collection/Collection Christophe L ; 18 : Bridgeman Images ; 22 : BIS / Ph. J.L. Charmet © Archives Larbor ; 23 : BIS / Ph. Jeanbor © Archives Larbor ; 24 : Janine Niepce/Roger-Viollet ;
25 : PA Photos/ABC/Andia ; 27 : CASTERMAN Editions S.A. ; 29 : Akg-Images ; 33 : © Audley Films / BBC Films / BMS Finance / HanWay Films / Lipsync Productions / Number 9 Films
/ UK Film Council/Collection Christophe L ; 34 : The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, Owned jointly with the Norton Simon Art Foundation, Pasadena ; 43 : National Gallery of
Victoria, Melbourne, presented by Gustave Curcier/Bridgeman Images.

ACTU
En bref
Brèves
Pass Culture
Accessible à tous les jeunes âgés de 18 ans, le Pass Culture
permet de recevoir un crédit de 300€ à utiliser dans les 2 ans à Bicentenaire de la naissance
partir de l’activation de l’application. Il donne accès à des biens de Flaubert (1821-1880)
physiques (livres, BD, vinyles, DVD, instruments de musique,
Pour célébrer le bicentenaire de Flaubert, la Nor-
œuvres d’art…), des places de concert, cinéma, théâtre, opéra,
mandie propose depuis avril dernier et jusqu’en juin
des cours de pratiques artistiques (musique, danse, théâtre,
2022, plus de 200 rendez-vous : spectacles, confé-
chant, dessin), des offres numériques (musique en streaming,
rences, animations pédagogiques, visites guidées,
vidéo, presse en ligne, jeux video si éligibles, ce dans une limite
promenades théâtrales. L’exposition « La Fabrique
de 100€).
de l’œuvre » organisée par la ville de Rouen et la
Il est question d’élargir le Pass Culture aux plus jeunes. À partir
bibliothèque patrimoniale Villon présente les manus-
de 13 ans, un collégien pourrait bénéficier de 25€, puis de 50€ par
crits de Madame Bovary et Bouvard et Pécuchet du
an pendant ses années lycée jusqu’à ses 18 ans. Au total, chaque
1er octobre au 2 janvier 2022. Par ailleurs, l’Office du
jeune recevrait ainsi 500€.
tourisme de Caux propose « L’Arbalète et le Bosme-
www.service-public.fr ou préinscription sur le site Démarches
let, une escapade sonore de 12km » sur le GR20 de
Simplifiées
Vassonville à Tôtes, permettant une immersion dans
la vie de Mme Bovary (tél : 02 35 34 13 26). Et ne pas
oublier, bien sûr, le musée Flaubert et Histoire de la
Médecine, installé dans la maison natale de l’auteur
à Rouen.
Vers une réforme de la réforme du Bac Certains restaurants de Seine Maritime mettent
au menu des plats en lien avec Flaubert et son œuvre
Annoncés par M. Blanquer en juin, soumis à des instances consultatives
sous l’étiquette « Flaubert à table ». Chaque table
début juillet, des ajustements à la réforme du Bac pourraient se concrétiser
ayant dégusté un ou plusieurs mets « Flaubert »
pour l’épreuve de 2022. Il s’agit essentiellement de supprimer les épreuves
obtient un « Pass’à table », soit une entrée gratuite
communes EC (anciennement E3C) que la crise sanitaire avait mises à
pour une entrée payante dans les sites et musées
mal, ainsi que la spécialité en 1re, et de revoir les coefficients des épreuves.
départementaux.
Les épreuves terminales – français, philosophie, spécialités, grand oral –
Flaubert21.fr
resteraient inchangées. Le Bac 2022 pourrait voir une valorisation des
options. Les objectifs : une meilleure répartition des coefficients tout en
gardant l’équilibre contrôle continu (40 des 100 coefficients) / épreuves
terminales (60 des 100 coefficients), la consolidation du contrôle continu,
une valorisation des enseignements optionnels.
Flaubert encore
En 1840 à Marseille, Flaubert nota dans ses
carnets « J’aime bien la Méditerranée, elle a quelque
Résultats définitifs du Bac 2021 chose de grave et de tendre qui fait penser à la Grèce,
quelque chose d’immense qui fait penser à l’Orient ». Le
(avant session de septembre) musée de Beaux-Arts de Rouen en association avec
93,8% des 732 800 candidats ont été reçus, soit 687 000 nouveaux le Mucem de Marseille et l’Institut national du patri-
bacheliers : Bac général 97,6% ; Bac technologique, 94% ; Bac pro, 86,7%. moine de Tunisie organise une exposition intitulée
On note une baisse de 1,9 point par rapport à l’an dernier, c’est à dire « Salammbô : Fureur ! Passion ! Éléphants » présentant
26 700 bacheliers de moins. La cuvée 2020 avait battu des records avec des approches littéraires, archéologiques, iconogra-
95,7% (95% au 1er tour contre 90,5% cette année) avec un Bac évalué sur phiques de l’œuvre de Flaubert. À Rouen jusqu’au
le contrôle continu des deux premiers trimestres en raison du confine- 19 septembre, l’exposition s’exportera ensuite au
ment. 2021, deuxième année Covid, reste un peu particulière : avec pour Mucem à Marseille puis au musée du Bardo à Tunis
le Bac général et le Bac technologique seulement deux épreuves finales, au printemps/été 2022. À noter : on trouve sur France-
le grand oral et la philo – dont la note retenue aura été la meilleure entre Culture des podcasts sur Flaubert, sa vie, son œuvre,
celle du contrôle continu et celle de l’épreuve finale. Le contrôle continu sa correspondance, ainsi qu’une lecture de Bouvard
aura compté pour 82% au moins de la note finale. et Pécuchet diffusée en juillet dernier.
J Odile Collet

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ACTU
à propos de Poe, à formuler son ambition artistique, liée à
Livres
l’idée de « correspondances » : « C’est cet admirable, cet im-
mortel instinct du Beau qui nous fait considérer la terre et ses
spectacles comme un aperçu, comme une correspondance
du Ciel […] C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie,
par et à travers la musique que l’âme entrevoit les splendeurs
situées derrière le tombeau. »
Poésie
Le scandale créé par le fameux procès des Fleurs du
Charles Baudelaire, mal a donné jusqu’à nos jours une aura sulfureuse à l’ins-
La passion des images, piration baudelairienne. Poète de l’érotisme ? Il l’est tout
Œuvres choisies, autant de la Beauté et de l’Idéal. La tension entre « Spleen
éd. Henri Scepi, et idéal » se retrouve en réalité dans la plupart des pièces.
Gallimard, Quarto, La véritable audace de Baudelaire est de puiser au plus
1824 pages, 33 € noir de l’expérience humaine l’entrevision du salut et
de l’Idéal. Ce renversement complet, sans nuances ni
moyen terme, fait tout le programme de « Réversibilité »,
« Glorifier le culte épître amoureuse dont chaque premier vers de strophe
reconduit ce mouvement de bascule : « Ange plein de
des images » gaieté, connaissez-vous l’angoisse, […] Ange plein de san-
té, connaissez-vous les Fièvres, […] Ange plein de beauté,
C’est la gageure de cet ouvrage que de proposer tout
connaissez-vous les rides […] ».
(ou presque) Baudelaire en un seul volume. Baudelaire
n’est pas ici limité aux seules Fleurs du mal, ni aux Petits Baudelaire a expérimenté la valeur salvatrice de
poèmes en prose. On découvre une création littéraire pro- l’art dès sa plus tendre enfance, avec un père qui était
lifique et variée, qui groupe poèmes de jeunesse, articles lui-même peintre et collectionneur. Le poète le confie-
de presse, textes à moitié allégoriques comme « La Fanfar- ra dans Mon cœur mis à nu : « Glorifier le culte des images
lo », mais aussi les réflexions sur les « Paradis artificiels », (ma grande, mon unique, ma primitive passion) ». D’où sa
les écrits intimes comme Fusées ou Mon cœur mis à nu…, pratique de la critique d’art, qu’on peut lire ici en totalité.
et jusqu’aux « Écrits sur la Belgique » qui anticipent la fin L’art du peintre n’est pas pour Baudelaire enjolivement ni
prochaine du poète. reproduction. Bien loin du réalisme dont il a horreur, le
grand peintre est celui qui atteint au « surnaturalisme »
On suit ainsi la façon dont Baudelaire s’est progres- grâce cette faculté « divine » qu’est l’imagination. C’est
sivement construit et imposé. Même si nous avons sur- pourquoi il est impitoyable avec les mauvais peintres,
tout en tête le poète, c’est comme critique d’art que dont le talent s’épuise dans le joli ou l’anecdotique. Ainsi
Baudelaire se fait d’abord connaître, dans les Salons où d’Horace Vernet, peintre de batailles : « Monsieur Horace
s’élabore sa pensée esthétique dans des chapitres essen- Vernet est un militaire qui fait de la peinture. […] Qui sait
tiels : « Qu’est-ce que le romantisme ? », « De la couleur », mieux que lui combien il y a de boutons dans chaque uni-
« De l’idéal et du modèle », « Du chic et du poncif » … forme, quelle tournure prend une guêtre ou une chaussure
Le recueil des Fleurs du mal n’intervient dans cette œuvre avachie par des étapes nombreuses […] ? » Baudelaire
qu’après les textes de critique picturale et de critique lit- consacre en revanche un long chapitre à Eugène De-
téraire. Le Spleen de Paris sera publié de façon posthume lacroix, qui sera toujours pour lui le grand peintre de sa
– tout comme les écrits intimes qui occupent la fin du génération, dont il partage la sensibilité : « cette mélanco-
volume : Mon cœur mis à nu et La Belgique déshabillée. lie singulière et opiniâtre qui s’exhale de toutes ses œuvres »
Né en plein cœur de l’effervescence romantique, Bau- fait par exemple de Femmes d’Alger « un petit poème d’in-
delaire en a reconduit les orientations – le goût de l’infini, térieur […] qui nous guide assez vite vers les limbes insondés
la recherche de l’ « ailleurs », la conviction d’un salut par de la tristesse. »
l’amour et par l’art. Mais il n’a cessé de les dépasser dans Cela n’empêche pas Baudelaire, en 1863, de faire pa-
les prémisses de la « modernité » poétique. Si les audaces raître « Le Peintre de la vie moderne », qui fonde la moder-
poétiques de Hugo sont étonnantes, sa poésie participe nité esthétique en assignant à l’artiste la tâche de glorifier
amplement de l’univers du « discours » – social, politique, le moment présent, l’actualité de la vie sociale, la mode
religieux… –, dont elle n’est qu’une modalité. Avec Bau- même, le maquillage, les voitures. Le Beau apparaît alors
delaire en revanche, la poésie se définit dans l’horizon à Baudelaire comme composé tout à la fois d’éternel et
d’une langue renouvelée, dans la recherche d’un « lan- de transitoire, à partir de ce qui dans le moment présent
gage dans le langage » comme le dira Paul Valéry. est destiné à ne pas durer. Cette esthétique de la fugacité
On peut lire avec profit dans cette édition les textes confère à la trivialité quotidienne ses lettres de noblesse
sur Edgar Poe qui sont parmi les plus révélateurs de l’am- artistiques. Ainsi naît un lyrisme de la ville et de la foule,
bition poétique de Baudelaire. Il dénonce, comme Poe, face à « l’éternelle beauté et l’étonnante harmonie de la vie
« en matière de poésie, l’hérésie de la longueur ou de la di- dans les capitales, harmonie si providentiellement mainte-
mension », qui explique son goût du sonnet et des formes nue dans le tumulte de la liberté humaine. »
réglées. Baudelaire en vient d’ailleurs tout naturellement, Daniel Bergez

ACTU
où les éclats de la passion mènent aux confins de la folie.
Livres
On peut lire avec émotion, reproduites en fac-similé, les
lettres et dessins de Breton et Nadja, jusqu’à la dernière
lettre – de rupture – où Nadja écrit, comme un dernier
Catalogue aveu : « André, malgré tout je suis une partie de toi. »
d’exposition Daniel Bergez
L’Invention du surréalisme.
aussi
Des Champs magnétiques
à Nadja, dir. Isabelle Diu, À lire
Bérénice Stoll et Olivier
Wagner BNF éditions Essai
192 pages, 29 € Céline Pina, Ces biens essentiels,
éd. Bouquins, 184 pages, 18 €
Qu’en est-il de notre civilisation,
« C’est la vie qu’il faut en un temps où certains rêvent
d’un « transhumanisme » ? Toute la
changer » réflexion de Cécile Pina questionne
notre vivre ensemble, et notre horizon d’existence à
Le succès d’un courant esthétique se solde souvent par
partir du révélateur qu’a représenté la crise sanitaire :
la dilution de la notion dans le langage commun. Ainsi en
elle « nous a rappelé notre condition humaine dans ce
va-t-il du romantisme, et le surréalisme ne fait pas excep-
qu’elle a de plus brutal. » Elle a montré comment pour
tion. On peut revenir à la juste acception du terme avec le
la plupart d’entre nous le monde est – a toujours
catalogue de l’exposition organisée par la BNF (du 17 no-
été – « incertain et dangereux », alors que les élites
vembre 2020 au 7 février 2021) à l’occasion du centenaire
françaises demeurent « protégées et inconscientes ».
de la publication des Champs magnétiques, premier texte
Le propos est polémique et argumenté, fondé sur
authentiquement surréaliste publié par Breton et Soupault. nombre d’analyses appuyées sur des références
Bénéficiant d’une collaboration exceptionnelle entre d’autorité. La fermeture des librairies au moment
les très riches fonds de la BNF et de la Bibliothèque du confinement explique le titre de l’ouvrage : les
Jacques Doucet, et donnant à voir des documents parfois « biens essentiels », ce sont ces « lieux qui permettent
jamais montrés, le catalogue permet de revenir à l’effer- de penser le monde, de comprendre l’altérité, de favo-
vescence initiale et fondatrice de ceux qui se voulaient riser l’intelligence collective ». Éloge de l’échange, du
« absolument sauvages ». Formant la génération perdue débat, de la réflexion, ce livre est porté par la reven-
de la Première Guerre mondiale, et animés d’une violence dication d’un humanisme à retrouver au sein d’un
nihiliste qui les poussait à faire table rase d’un monde monde fracturé et dont les plus pauvres sont spoliés.
bourgeois qui avait fait faillite, ils révolutionnèrent les
conditions et l’idée même de littérature en convoquant Poésie
l’imaginaire, le hasard, l’irrationnel et même la folie. Le Sommet de la route et l’ombre
Tout commence avec l’invention de l’« Esprit nouveau » de la croix. Six poètes chrétiens du
célébré par Apollinaire autant que par le ballet Parade, où xxe siècle, présentation et choix de
l’on sent une aspiration à un art renouvelé. A Zurich, Tristan Jean-Pierre Lemaire, Gallimard,
Tzara fonde Dada, qui trouvera un écho immédiat à Paris coll. Poésie, 128 pages, 6,50 €
chez de très jeunes gens qui viennent de fonder Littérature, C’est au poète d’inspiration chré-
au titre ironique : Breton, Soupault, Aragon, puis Éluard. Très tienne Jean-Pierre Lemaire, à qui l’on
vite s’impose la grande invention surréaliste : l’écriture auto- doit de très beaux recueils parus chez Gallimard, que
matique, pratiquée de façon variable (Desnos y excella alors cet éditeur a confié le soin de réaliser cette belle antho-
qu’Éluard y était réticent). Tout en contestant frontalement logie des plus grands poètes chrétiens du xxe siècle.
la notion d’auteur, elle ouvrait la voie à toutes les créations Péguy, Claudel, Jammes, Marie Noël, Patrice de La Tour
de l’inconscient. Dans ce sillage de l’irrationalité, fleurirent du Pin et Jean Grosjean sont ici donnés à lire dans un
le récit de rêves et la pratique des sommeils hypnotiques. véritable bréviaire poétique. Si l’inspiration religieuse
est commune, les registres sont variés : de la voix
Dans l’espace public le surréalisme s’imposa par la imposante de Claudel à la chanson de Marie Noël, de
diffusion de tracts, et des manifestations qui firent par- l’amplitude oratoire de Charles Péguy à la simple et
fois scandale, avant l’officialisation du mouvement par si émouvante prière de Francis Jammes, et jusqu’au
la publication en 1924 du Manifeste du surréalisme rédi- psaume que réinvente Patrice de La Tour du Pin. On
gé par Breton. À la déraison triomphante de la société trouvera dans ces textes peu d’affirmations péremp-
bourgeoise répondait dès lors la « folie » conquérante du toires arrimées à une certitude théologique ; plutôt
surréalisme. C’est le même Breton qui publiera en 1928 une quête et un espoir, celui d’un au-delà que laisse
Nadja, l’un des textes les plus émouvants et énigma- entrevoir la vibration de la parole poétique.
tiques de cette période, Nadja dit une expérience-limite

ACTU
Lire au CDI
L’art d’argumenter au féminin
Par Aurélie Laurière, professeure documentaliste dans l’académie de Limoges, membre de l’A.P.D.E.N.
En classe de 1re, un travail d’enquête sur la condition féminine à l’époque des

Lumières accompagne la lecture de La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne, une des œuvres imposées en littérature d’idées. On constituera un
corpus intitulé « Les femmes au xviiie siècle, de la soumission à la révolte ».
Autour de la lecture
des « Culottées » : portraits Quelques femmes « culottées »
de femmes du xviiie siècle du xviiie siècles
Jeanne Barret (aventurière), Catherine Bernard
On propose aux élèves la lecture cursive du premier (poétesse), Anne Bonny (pirate), Jane Colden (première
tome de la bande dessinée Culottées : des femmes qui ne botaniste américaine), Angélique du Coudray (sage-
femme), Caroline Herschel (astronome), Suzanne Necker
font que ce qu’elles veulent de Pénélope Bagieu. L’autrice
(salonnière, créatrice d’un hôpital), Nanny (reine des
met en scène quinze portraits de femmes, combattantes marrons, héroïne jamaïcaine), Marie-Anne Pierrette Paulze
hors normes, qui ont bravé la pression sociale de leur (scientifique, peintre et illustratrice), Toypirina (femme
époque pour mener la vie de leur choix. médecin, révoltée amérindienne), Élisabeth Vigée Le Brun
Avec le professeur documentaliste, les élèves font (peintre), Mary Wollstonecraft (féministe)…
une recherche guidée sur une femme audacieuse du xviiie
siècle et créent une exposition pour présenter leur tra-
vail, à la manière des « Culottées ». Pour faciliter le travail
de recherche des élèves, les enseignants constituent une NOTION INFO-DOCUMENTAIRE :
liste de femmes du xviiie siècle de nationalités diverses qui LA PRODUCTION DOCUMENTAIRE
ont combattu les préjugés et stéréotypes de leur époque La production documentaire fait suite à une analyse docu-
mentaire et à une évaluation de l’information. Elle concerne la
pour réaliser un parcours professionnel, artistique ou
mise en forme d’un ensemble de données informationnelles
politique en faveur de l’égalité entre les hommes et les sur un support. Elle suppose le suivi d’un processus de pro-
femmes. Les élèves répartis par groupes de deux ou trois duction, avec une réflexion sur l’organisation de l’information
doivent choisir une personnalité féminine. sur le support.
On insiste sur la description du cadre spatio-temporel ; Définition complète à consulter sur :
on privilégie les éléments du parcours de la femme choisie http://wikinotions.apden.org/index.php?title=Production_
pour son émancipation et sa quête de liberté et/ou de lutte documentaire
contre les inégalités ; on conclut en mettant en avant ce
que cette héroïne a pu apporter à la postérité.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
De la bande dessinée
à l’exposition Corpus de textes
• Aristophane. Lysistrata. Pocket, 2020
Les élèves présentent leurs recherches sous forme de
• Pénélope Bagieu, Culottées : des femmes qui ne font que ce
panneaux d’exposition, à la manière de Pénélope Bagieu. qu’elles veulent Livre 1 - Partie 1. Folio, 2018
Pour réaliser ce travail, on analyse le découpage de la bande • Pénélope Bagieu, Culottées : des femmes qui ne font que ce
dessinée et la composition d’une planche. Sont soulignés qu’elles veulent Livre 1 - Partie 2. Folio, 2018
également l’échelle des plans et l’usage du langage humo- • Olympe De Gouges,. Déclaration des droits de la femme et de la
ristique par Pénélope Bagieu. citoyenne, coll. Carrés classiques, Nathan, 2021
Les élèves devront sélectionner des images libres de • Choderlos de Laclos, De l’éducation des femmes. Ed. Jérôme
droit et/ou créer leurs propres dessins humoristiques. Ils Millon
reprennent les codes de la bande dessinée (présence de • Virginia Woolf,. Une chambre à soi, 10-18, 2001
cases, de cartouches, de phylactères, d’onomatopées, d’idé- Sites web
ogrammes), et de même que dans Culottées, utilisent uni- • L’histoire par les femmes https://histoireparlesfemmes.com/
quement trois couleurs en lien avec l’époque ou le parcours • L’histoire par l’image. Réunion des musées nationaux et du
Grand Palais des Champs-Elysées (2021) https://histoire-image.org/
de la femme choisie.
• Futura . Futura-sciences société (2001) https://www.futu-
ra-sciences.com/sciences/personnalites/

ACTU
Expositions
Les expositions de la rentrée
Par Roger Courault
C’est encore le temps du ciel bleu, des fleurs et des jardins. Courez voir
ces expositions qui ont un goût d’été.
L’Heure bleue de Peder Krøyer Albert André, La Femme aux paons.
Paris, Musée Marmottan Monet, jusqu’au Longtemps perçu comme le mécène

26 septembre 2021 avisé des impressionnistes, Gustave
L’heure bleue, entre chien et loup, avec Caillebotte est désormais admiré comme
son ciel bleu sombre très lumineux carac- leur égal. Son amour des fleurs et des
téristique des étés en Europe du Nord, est jardins justifie sa présence à l’exposi-
le sujet de nombreux tableaux de Peder tion que propose le Musée des impres-
Severin Krøyer (1851-1909). Célèbre dans sionnismes à Giverny. Cette exposition
son pays natal, le Danemark, il est peu qui « ne se prend pas la tête », selon son
connu en France alors qu’il y étudia et commissaire, est un enchantement, une
exposa avec succès. L’exposition que lui balade dans les jardins en compagnie
consacre le Musée Marmottan Monet est comme Le vieux port, tableau de 1917 où l’on de leurs occupants. Des jeunes femmes
l’occasion de découvrir remarque parmi la foule de nombreux mili- et des enfants peints par Henri Martin,
sa peinture influencée taires coloniaux. Édouard Vuillard ou Albert Bartholomé
par l’école de Barbizon. L’exposition qui se tient dans la pro- sont saisis sur le vif au milieu de la végé-
De nombreux tableaux, priété que possédait la famille Caillebotte tation ou au repos sur des bancs. On
comme ces deux entre 1860 et 1879 permet de se promener admire un Bain en plein air de Maurice
femmes marchant au Denis et la célèbre Partie de croquet de
agréablement dans le jardin et le potager
bord de l’eau en toute Pierre Bonnard. Quatre tableaux, des
qui furent des lieux d’inspiration privilégiés
quiétude, célèbrent la parterres de marguerites de Caillebotte,
pour Gustave Caillebotte (1848-1894).
nature, les soirées d’été sont groupés pour former un panneau
sur les plages de Ska- décoratif d’un seul tenant.
gen, petite ville du nord Côté jardin. De Monet à Bonnard
du Danemark, devenue
colonie d’artistes à la fin Damien Hirst, Cerisiers en fleurs
du xixe siècle. Paris, Fondation Cartier, jusqu’au
2 janvier 2022
L’Anglais Damien Hirst, né en 1965,
Paul Durand-Ruel expose une multitude de Cerisiers en
et le post-impressionnisme fleurs à la Fondation Cartier. Enfant
Yerres (Essonne), Propriété Caillebotte, terrible de l’art, il devient rapidement
jusqu’au 24 octobre 2021 célèbre grâce à quelques œuvres mar-
Le marchand d’art Paul Durand-Ruel quantes, comme ses animaux coupés en
acheta, dit-on, plus de 1000 Monet. Mais deux et conservés dans le formol. Riche et
il ne fut pas seulement le marchand des adulé, il produit beaucoup, s’entoure de
impressionnistes, et l’exposition qui lui nombreux assistants. Son œuvre, progres-
est consacrée s’intéresse à 5 peintres dits sivement très critiquée, l’incite à effectuer
post-impressionnistes avec lesquels il un retour aux sources, à revenir au bon
signa des contrats d’exclusivité : Albert vieux pinceau et à l’imagerie classique de
André, Georges d’Espagnat, Gustave Loi- l’artiste seul devant sa toile. Ses cerisiers
seau, Maxime Maufra, Henri Moret. Ces en fleurs sont une explosion de couleurs,
artistes affichent une forte individualité. une répétition jusqu’à saturation de
Albert André par exemple, dont le musée branches et de fleurs se détachant sur un
de Bagnols-sur-Cèze porte le nom, est très ciel d’azur. La peinture de Damien Hirst
apprécié pour ses vues de Paris (Montmartre, Giverny (Eure), Musée des impressionnismes, n’est pas si loin du panneau décoratif de
vue du boulevard de Clichy) et de Marseille, jusqu’au 1er novembre 2021 Caillebotte.

Dossier
Marguerite Duras
L’écriture au féminin
sur un tournage.
Par Cécile Ladjali, professeur, écrivain
C’est dans les années 1940 que des chercheurs

s’intéressent à la notion d’écriture féminine
Sommaire Ainsi, Catherine Clément et Hélène
Cixous, (1975) dégagent trois grands
critères qui seraient constitutifs de l’écriture
Une écriture féminine ? 11 féminine : la voix, l’omniprésence du corps,
Des préjugés largement répandus, la dépersonnalisation. Si la voix désigne cette
même par des femmes écrivains capacité à l’oralisation du langage, taxe-t-on
Presque un oxymore de féminines les fictions de Faulkner, Lobo
L’androgynie ontologique Antunes, Joyce, où règne en maître le flux de
de l’artiste 12 conscience ? Si l’omniprésence du corps est
une manie de l’écriture féminine, que penser
La chambre de Virginia Woolf
des pièces de Tennessee Williams ou de Jean
L’écriture ou l’expérience de l’altérité
Genet dont le corps féminin reste le sujet ?
L’Esprit souffle où il veut
Si la dépersonnalisation, cette capacité à se
Être femme écrivain 14 mettre à la place de l’autre, n’est que l’apanage
Sortir de l’espace qui vous est assigné des femmes qui souffriraient d’un manque
Bien mieux que l’écriture inclusive, de personnalité, comment considérer l’aveu
un hermaphrodisme salvateur de Flaubert devenu Madame Bovary ? Que
« Frères féminins » penser de Laurent Mauvigner qui dans,
Au-delà du genre Continuer, pleure, vibre et rêve comme la mère
du jeune héros ?
Dossier
emprunt ni effet, sous peine de compromettre le style

Une écriture féminine ? par une préciosité ridicule. Le naturel des lettres de
Madame de Sévigné n’est rien d’autre que celui de
Des préjugés largement répandus, « l’art de la conversation » et s’il y a oralité, cet oral-là
même par des femmes écrivains est aussi celui de La Fontaine, La Bruyère, Guez de
Balzac – hommes au demeurant – dont on n’esca-
Toute géniale qu’elle était, Beauvoir a eu des pro- mote pas le talent par des procès d’intention sans
pos très contestables au sujet des femmes, lesquelles fondement, sinon par celui que dicte la coutume.
auraient écrit moins bien que les hommes. Les argu-
ments qui parcourent Le Deuxième Sexe sont d’une fai- Ce préjugé autour des genres qui seraient plus
blesse édifiante : « Il est connu que la femme est bavarde féminins que d’autres est tenace même chez les plus
et écrivassière ; elle s’épanche en conversations, en lettres, grandes. Pour l’écriture de son unique roman, La
en journaux intimes. Il suffit qu’elle ait un peu d’ambition, Cloche de verre, la poétesse Sylvia Plath veut inven-
la voilà rédigeant ses mémoires, transposant sa biographie ter « un monde nouveau, sans nom, où l’on renait et pas
en roman, exhalant ses sentiments dans des poèmes ». Plus d’une femme. » Or la mutation générique n’est qu’un
loin, Beauvoir s’entête : « Encore toutes émerveillées défi supplémentaire que Sylvia Plath s’est lancé à elle-
d’avoir reçu la permission d’explorer ce monde, elles en même, arguant déjà au sujet de sa poésie : « Il faut que
font l’inventaire sans chercher à en découvrir le sens. [...] ce soit tendu, intense, et surtout, surtout, pas sentimental. »
Un des domaines qu’elles ont explorés avec le plus d’amour, La prose n’aura fait que confirmer son génie.
c’est la Nature ». Ainsi, les femmes seraient incapables
de proposer une version universelle du monde, res- Presque un oxymore
tant trop centrées sur elles-mêmes en raison d’une
ontologie qui les inscrirait du coté de la nature. Jetant Penchons-nous un instant sur l’expression « écri-
leur dévolu sur les genres de l’intime, elles seraient ture féminine ». On y devine un oxymore, car si le
inaptes à inventer un univers à la hauteur du roman substantif renvoie à l’universel, l’adjectif, quant à lui,
métaphysique de Melville (Moby Dick) ou de la folie désigne l’essentiel et je pense que l’essentialisation
visionnaire de Cervantes (Don Quichotte). Elles se bor- d’un principe est toujours délétère. La caractérisa-
neraient au domestique, que traduiraient des formes tion suggère une forme de rallonge, un addendum à
pré-esthétiques à leur mesure. Leurs livres exalteraient une activité qui, par nature, ne regarderait que les
un microcosme mesquin, une economia souffrant de hommes. Et, en effet, combien de fois me suis-je
myopie, une mimesis étique œuvrant à la restitution fourvoyée dans des débats, où le modérateur me
d’une simple ambiance. L’Homme, lui, scruterait le demandait avec condescendance comment il était
macrocosme et serait seul à pouvoir en imposer la possible que je parvienne à publier des romans, alors
vision magistrale. L’essai de Beauvoir charrie à l’envi que j’avais des enfants à élever et une maison à ran-
une kyrielle de stéréotypes encore vivaces. Le plus ger. On n’a, en l’occurrence, pas posé la question à
fâcheux est qu’ils sont le fait d’une femme, plus miso- mes confrères invités à la table ronde, qui avaient eux
gyne encore que certains de ses contemporains. aussi une progéniture nombreuse et devaient vivre
ailleurs que sous un pont. Comme le signifie Duras
dans Écrire, « Les hommes ne le supportent pas : une
rneraient
Les femmes se bo des femme qui écrit. C’est cruel pour l’homme. »
do m es ti qu e, que traduiraient
au esure.
étiques à leur m Si on n’invite jamais un homme à s’exprimer
formes pré-esth ac ro cosme au sujet de « l’écriture masculine », c’est parce que,
ruterait le m
L’Homme, lui, sc r dans la conscience collective, l’écriture est sui gene-
uvoir en impose
et serait seul à po ris mâle. La raison est historique. Dans nos socié-
ale.
la vision magistr tés, la femme est assignée au rôle de procréatrice.
Devant cet immense pouvoir, si intimidant, il reste à
On a dit ainsi que les genres supposés féminins, l’homme celui de la création. Et s’il prend à la femme
donc naturels, s’approchaient de l’oral, à l’instar l’idée baroque de créer à son tour, elle devient un
de l’écriture des lettres de la marquise de Sévigné. monstre contre nature. Pour revenir à cette notion
Celles-ci obéissent, en effet, à l’esthétique du « natu- de nature, on pourrait citer la très dandy Nathalie
rel » recherché durant la période classique. Mais Clifford Barney : « Le seul antéchrist : la nature ». Puis
commettre l’amalgame entre le sexe de l’épistolière convoquer Baudelaire qui, dans Mon cœur mis à nu,
et son style naturel, c’est oublier ce que signifie cette grogne : « La femme a faim et elle veut manger. Soif, et
conception du langage et du monde représenté elle veut boire. Elle est en rut et elle veut être foutue […]
à travers lui au Grand Siècle. À cette époque, la la femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. Aussi est-
bienséance se conjugue à la raison, ainsi qu’à une elle toujours vulgaire, c’est à dire le contraire du dandy. »
forme de beauté qui doit s’énoncer clairement, sans Les poèmes misogynes de Baudelaire imposent l’idée

Dossier
que la femme est un ventre, un corps tentateur, alors pas. L’écriture doit faire l’expérience de l’altérité,
que le poète est le génie masculin créateur, souvent et l’androgynie nous oblige à dépasser les principes
empêché par le succube. Cette dialectique féroce – biologiques du corps maternel ou du corps érectile.
surexploitée dans les œuvres de la fin du xixe siècle Car si ces réalités biologiques sont le terreau tout
– fait toute la beauté des Fleurs du Mal. J’y succombe organique sur lequel poussent les fleurs mentales des
la première, en même temps qu’elle me fait sourire. livres, les choses deviennent fascinantes quand ces
réalités se confondent. Leur fusion produit ce qu’il
La femme pour Baudelaire devient enfin sup-
y a de plus abouti en littérature. Ainsi, à la première
portable quand elle n’en n’est plus tout à fait une.
page de La Recherche, Proust fait le récit d’un rêve
« Idole, elle doit se dorer pour être adorée », et le poète
érotique, au sein duquel il sent une femme jaillir de
la somme d’être artificielle et silencieuse : « Dors ou
son flanc : « Quelquefois, comme Ève naquit d’une côte
fume à ton gré ; sois muette, sois sombre ». Devenue
d’Adam, une femme naissait dans mon sommeil d’une
œuvre d’art, déifiée par la parure ou le maquil-
fausse position de ma cuisse. » Le masculin mêlé au
lage, elle se meut en allégorie, « Rêve de pierre »,
féminin, l’androgyne adamique, hante cet incipit
« Masque », « Géante ». Elle arbore enfin cette puis-
ainsi que toute la rêverie impressionniste qui s’y
sance du masculin et du féminin conjugués entre
déploie. Les proses tendues de Mishima ou de Genet
eux et peut se situer au départ de la création. Mais
convoquent en elles le féminin. Dans Confessions d’un
elle se cantonne encore au rôle de muse. Les femmes
masque, la contemplation d’un saint Sébastien aux
n’ont pas besoin d’écrire des poèmes, elles sont des « hanches légèrement torses » et à « la poitrine tendue »,
poèmes. Insupportable... féminisé par les affres du martyre, provoque chez le
jeune Mishima une éjaculation, « la première », pré-
cise-t-il. Le funambule de Genet fascine l’auteur
L’androgynie car, en apesanteur, il est ce corps mâle dans lequel
est tombé un je ne sais quoi de féminin. Ainsi, qu’il
ontologique de l’artiste s’agisse du couple Adam et Ève, du saint aimé par
César, ou de cet Icare entre ciel et terre, dans tous les
La chambre de Virginia Woolf cas, c’est la phallophanie qui reste la matière sémi-
nale du texte, sa pulsion de départ, mais le principe
Intuitivement, je dirais que l’écriture féminine – féminin en parachève la prégnance littéraire. C’est ce
ou masculine – n’existe pas. Il n’y a que deux genres juste dosage, cet accord parfait, qui produit l’éblouis-
d’écrits : les bons et les mauvais, la qualité littéraire sement érotique aux antipodes de la prose pornogra-
des livres n’étant en rien liée à la notion de genre. phique des Sade, Guyotat, Jelinek, Violette Leduc.
Il faut attendre la publication d’Une chambre à
soi (1929) pour que Virginia Woolf convoque la ire l’expérience
notion d’androgyne afin de définir le génie : « un grand L’écriture doit fa oblige
ndrogynie nous
esprit est androgyne. C’est quand cette fusion a lieu que de l’altérité, et l’a s
incipes biologique
l’esprit est pleinement fertilisé et peut faire usage de toutes à dépasser les pr tile.
ses facultés. Peut-être un esprit purement masculin est-il
co rp s m aterne l ou du corps érec
incapable de création, de même qu’un esprit purement
du
féminin ». Cette profession de foi est toute la matière La surexpression du corps – critère d’identifica-
du roman de Woolf, Orlando. Le héros éponyme évo- tion de l’écriture féminine d’après certains – serait la
lue d’un siècle puis d’un sexe à l’autre et devient le conséquence d’une souffrance de ce corps en mal
double rêvé de son auteur. La poétesse Renée Vivien, de langage. La faillite linguistique génèrerait alors
avec son poème, « Twilight », commet un véritable l’hystérie et celles qu’on a appelées les sorcières en
manifeste où est dite l’urgence d’oublier le corps seraient les parfaites représentantes. À ce point de
pour une entrée radicale en poésie : « L’ambigu de ton vue spécieux, on pourrait opposer l’exemple du mer-
corps s’alambique et s’affine/ Dans ton ardeur stérile et veilleux livre de Volodine, Frères Sorcières, et aussi
sa grâce androgyne. ». celui de Lear, père de la parousie, parlant aux élé-
ments, provoquant tempêtes et précipitations. Les
L’écriture ou l’expérience de l’altérité hommes – auteurs ou personnages – peuvent eux
aussi être sorciers et hystériques. Le président Schre-
Le corps demeure une réalité intéressante quand ber, auteur des Mémoires d’un névropathe, dont le cas
on essaie de saisir ce qui se passe dans l’acte de a été étudié par Freud, est hystérique à l’évidence.
création. On fait toujours l’expérience de son corps D’ailleurs Schreber le revendique : il est devenu une
quand on écrit. Romain Gary ne nous dit pas autre femme et pas n’importe laquelle : celle de Dieu. Il a
chose dans son bouleversant roman sur l’impuis- été transformé à la clinique par son médecin, le pro-
sance, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus fesseur Fleschig, et son « éviration » a été accompa-
valable. Ce corps tragique (parce qu’enfermant), on gnée d’abus sexuels commis par le clinicien et Dieu
tente d’y échapper en allant vers celui qu’on n’est lui-même.

Dossier
L’Esprit souffle où il veut la forme d’un jet et cheminent jusqu’à l’oreille de
Marie. Celle-ci affiche un air renfrogné, fort mécon-
C’est parce qu’elles ont été historiquement tente en apparence de la nouvelle qu’on lui annonce.
associées au corps que les femmes rencontreraient Je vois le Verbe de l’ange. Je vois le corps drapé de
des difficultés à s’imposer du côté du symbolique. Marie. Je vois la dialectique entre langage et corps
Heureusement que Julia Kristeva nous rassure un matriciel. Les deux principes restent à distance, s’ef-
peu : on peut être femme mais avoir un « cerveau fleurent presque, se sondent, restent suspendus sur
masculin » ! La psychanalyste récuse l’idée d’écriture fond d’or. L’écriture, la beauté, la grâce, c’est cela :
féminine qui induit une sémiotique maternelle par un principe double que le peintre a placé sous les
opposition au symbolique paternel, lequel serait le
auspices d’un ange dont le langage caresse la femme
lieu d’un surmoi et la condition des chefs-d’œuvres.
qu’il va pénétrer, mais par des voies autres que celles
Ajoutons que la seule idée d’une écriture féminine
qui la ravale au vulgaire. Il s’agit de la Création des
intrinsèquement maternelle aurait fait bondir les
vierges folles et stériles qu’étaient Woolf, Wittig, créations ici. Celle d’un Dieu et cela s’énonce à la
Yourcenar ou Dickinson, auteurs patentés et sans faveur d’une rêverie androgyne. Je pense à l’œuvre de
enfants. Observons le tableau de Simone Martini, Cristina Campo qui, d’après les mots de Cécile Guil-
L’Annonciation. J’y devine une merveilleuse représen- bert, n’écrit ni comme un homme, ni comme une
tation des questions dont nous débattons ici. L’ange femme, mais « comme les anges ». La Madone gnos-
annonce à Marie qu’elle va tomber enceinte. Mais la tique recherche le Un, tels Plotin et Ficin avant elle,
fornication se fait par le Verbe. La parole de l’ange et elle sait qu’au commencement de l’art, se tient
est incrustée sur le bois doré. Les lettres prennent Celui dont tout procède.
Simone Martini, L’Annonciation, avec deux saints et quatre prophètes, 1333,

peinture sur bois, galerie des Offices, Florence.

Dossier
neutralité du pronom « on ». Les débats autour de
Être femme écrivain la terminologie adéquate sont légions de nos jours.
Faut-il dire « auteure », « autrice », « écrivaine » ?
Sortir de l’espace qui vous est assigné Me concernant, je choisis le masculin : je dis « écri-
vain », « professeur », « chevalier », « docteur ». Et
Mais tout le monde n’est pas Marie. Dans quand je le dis, on voit bien que je suis femme, en
Le Vice-Consul, Duras campe une femme sourde, même temps qu’on entend autre chose. Je fais réson-
muette, handicapée, folle qui n’a trouvé que l’infir- ner une tension androgyne dans la grammaire. Ça
mité pour échapper aux stéréotypes dans lesquels me plaît. Et par la musique de cette tension, par le
on veut l’enfermer. C’est peut-être la seule solution regard qu’alors je dois avoir un brin provocateur, je
qui reste aux femmes : être moins puissantes pour me souviens d’un combat de haute lutte, mené par
ressembler aux hommes, pour jouer dans la même mes grandes sœurs de plume. Alors, pour leur rendre
cour qu’eux et qu’on leur fiche la paix. Le destin hommage, je continue de disputer avec l’interlocuteur
qu’imagine Woolf à Judith, la petite sœur fantasmée qui peut trouver ça étrange. C’est dans cette douce
de Shakespeare, est pareillement pathétique : « Quand violence que je commence à créer. Je pense que cette
je pense à l’histoire de la sœur de Shakespeare, telle que je posture, ce dandysme de plume est nécessaire. Il a
vous l’ai contée, c’est que n’importe quelle femme, née au à voir avec la sociologie, l’histoire des hommes, son
xvie siècle et magnifiquement douée, serait devenue folle, se
avancée, ses stagnations et ses tragiques reculades,
serait tuée ou aurait terminé ses jours dans quelque chau- dont les pathétiques percées de l’écriture inclusive
mière éloignée de tout village, m-sorcière, mi-magicienne, sont aujourd’hui l’illustration. Le « ·e » s’énonce
objet de crainte et de dérision. » Louise Labé était affu- comme un cache-sexe, un effort bien-pensant et
blée du sobriquet de « Sapho lyonnaise » car il y avait condescendant pour faire croire à une forme d’éga-
évidemment quelque chose de contre-nature à écrire lité qui devrait se situer exclusivement dans la clarté
des poèmes pour une femme au temps de la Pléiade, du discours, le souvenir d’une grammaire historique
les Marguerite de Navarre et Pernette du Guillet ne et le courage d’un engagement politique, plutôt que
se comptant pas sur les doigts d’une main. dans ce type de travestissements typographiques qui
Ces femmes au « cerveau d’homme » s’inscrivent flattent les passionarias du politiquement correct
toujours dans un destin incertain et travestissent par- (adeptes de la cancel culture) et font honte aux pre-
fois leur nom afin de demeurer en adéquation avec mières intéressées qui attendent autre chose que des
elles-mêmes. On pense aux deux George, la Fran- e muets postiches pour signifier leur condition.
çaise Sand et la Britannique Eliot, à Rachilde, qui fait
imprimer sur sa carte de visite le titre « homme de « Frères féminins »
Lettres ». Ainsi, la jeune Marguerite Eymery est esti-
mée par ses pairs, de Jean Lorrain à Catulle Mendès, L’écriture féminine, si on se force à considérer cette
alors chantres de la misogynie fin de siècle, qui à la expression, pourrait aussi renvoyer au féminin que
lecture des pages incandescence des Hors Nature ou les auteurs hommes inoculeraient à leur style. Là, la
de Monsieur Vénus, considèrent la jeune romancière chose devient intéressante, parce qu’elle invalide le
comme leur égale. Rachilde est aussi l’auteur d’un sous-entendu même de cet article et nous oblige à
roman aux odeurs de soufre : La Marquise de Sade. penser en dehors des taxinomies en matière de créa-
La violence sadienne est également le suc de l’œuvre tion littéraire. En effet, des hommes se féminisent et
romanesque de la très mâle Gabrielle Wittkop, embrassent parfois le féminin de façon magnanime,
comme on la savoure dans les pages de la comtesse au point que l’on pourrait penser que leur texte est
de Ségur, née Rostopchine. L’auteur des Malheurs sorti du cerveau... d’une femme ! Pour exemple,
de Sophie s’est d’ailleurs vue amputée par l’éditeur, Laclos, qui les défend dans son discours de 1778 :
Louis Hachette, de la seconde partie de sa signature. « Ô femmes ! […] Venez apprendre comment, nées com-
Avec son nom d’épouse sur la couverture, il était pagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave ; com-
question de la consigner dans une Bibliothèque Rose ment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à
destinée aux petite filles, alors qu’il aurait été plus vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel […]
juste de la confier à l’enfer d’une Bibliothèque Noire, Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse de sang-froid
Rostopchine descendant de Gengis Khan. […] retournez à vos occupations futiles. […] Mais si au
récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de
Bien mieux que l’écriture inclusive, honte et de colère […]. Apprenez qu’on ne sort de l’escla-
un hermaphrodisme salvateur vage que par une grande révolution. » D. H. Lawrence
semble être une lady lectrice de Jane Austen, tant ses
Il faut donc naître à soi-même par une sorte métaphores sont à même de signifier l’extraordinaire
« d’androgynie d’esprit » pour parler comme l’auteur complexité du plaisir féminin : « Elle était comme une
des Paradis Artificiels. L’acte d’hermaphrodisme forêt, comme le sombre réseau des chênes, murmurant
grammatical est salvateur, puisqu’on devient un tout silencieusement de leurs myriades de bourgeons verdis-
quand on crée. Monique Wittig le sait bien lorsque, sants. En même temps, les oiseaux du désir étaient endor-
sur le plan énonciatif de ses fictions, elle choisit la mis dans le vaste réseau de son corps. »

Dossier
Merci donc à tous ces frères féminins (pour
reprendre l’expression de Nathalie Clifford Barney,
« l’Amazone », comme la nommait son amie, Marina
Tsvetaïeva). Car les femmes ont trop souvent été
biffées, et ce, jusque sur le tableau de Courbet, où
l’on devine dans un coin le portrait effacé de Jeanne
Duval, la muse de Baudelaire, quand lui, texte à
la main, irradie au premier plan. Brecht et Cie est la
somme de John Fuegi qui démontre que la plupart
des pièces du dramaturge allemand ont été écrites
par ses maîtresses, dont la plus douée d’entre elles est
certainement Elisabeth Hauptmann qui écrivit plus
de 80 % de L’Opéra de quat’sous dans les années 1920.
Il y eut aussi l’ardente Margarete Steffin qui participa
à la création de Mère Courage et de La Bonne Âme de
Se-Tchouan. On sait l’influence de Camille Claudel
sur Rodin, de Berthe Morisot sur Manet.
Au-delà du genre
Il faudrait apprendre à changer les perspectives
comme le font les peintres nabis. Déplacer les points
de fuite, se décaler pour mieux voir, écrire, penser,
oublier son sexe afin d’épouser l’humaine condition.
C’est certainement ce qu’a fait Margueritte Yource-
nar en inventant Hadrien, Alexis, Zénon. « Renaître
n’a jamais été au-dessus de mes forces », écrit Colette,
qui, en affirmant cela, refuse une position de victime,
qu’elle peut reprocher (et je ferais comme elle) à cer-
taines féministes de son temps.
Il faut être un tout, comme le

x faire
revendique Sylvia Plath : “Je veu
és
partie des poètes […]. Livres, béb
et boeuf en ragoût.”
Romaine Brooks, Nathalie Clifford Barney, 1920,
Réconcilier le matériel et le spirituel, le corps musée Carnavalet, Paris.
et l’esprit, c’est cela l’écriture au féminin, si la chose
existe. Il faut être un tout, comme le revendique Sylvia
Plath : « Je veux faire partie des poètes […]. Livres, bébés RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
et bœuf en ragoût. » La Russe Marina Tsvetaïeva milite
en faveur de fabuleuses fusions : aimer et se brû- Sur la notion d’écriture féminine
ler. Vivre dans le feu. Créer et vivre. Tenir ensemble • Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, Gallimard, 1949
l’abstraction du verbe et la pesanteur du corps. • Catherine Clément et Hélène Cixous, La Jeune Née, U.G.E., 1975
• Marguerite Duras, Écrire, Gallimard, 1995
• Merete Stistrup Jensen, « La notion de nature dans les théories de l’“écriture
Se poser la question d’une écriture féminine féminine”», revue Clio, 2000
conduit à une impasse. Il y a les œuvres, seulement • Gaétan Picon, 1863, Naissance de la peinture moderne, 1974
elles. Et celles qui restent inoubliables, romans, • Sarraute Nathalie, Les Fruit d’or, 1963
poèmes, pièces de théâtre, sont celles que traverse • Jean-Paul Sartre, Les Mots, 1964
un être qui a la silhouette de Ganymède et les yeux
• Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830
de Rosalinde. Cet être, à la fin de Comme il vous
plaira, dit : « Il n’est pas coutume de voir la dame jouer Sur l’androgynie fondamentale de l’écrivain
l’épilogue. / Mais ce n’est pas plus incongru que de voir • Nathalie Clifford Barney, Nouvelles Pensées de l’Amazone, L’imaginaire Gallimard, 2021
l’homme faire le prologue. » De l’incipit à l’excipit, de • Marguerite Duras, Le Vice-Consul, Gallimard, 1966
l’exorde à la péroraison, l’écriture n’a pas de sexe. • Sylvia Plath, La Cloche de détresse, L’imaginaire Gallimard, 1988
La question n’est pas là. L’écriture est profondément • Rachilde, La Marquise de Sade, L’imaginaire Gallimard, 1996
humaine quand elle a du génie. Elle fait alors une • Marina Tsvetaïeva, Mon frère féminin : Lettre à l’Amazone, Mercure de France, 1979
place à l’autre, elle dialogue avec la différence, elle • Virginia Woolf, Une chambre à soi, Le Livre de poche, 2020
la capte et l’intègre. Ce miracle a lieu parfois. On ne • Virginia Woolf, Orlando, Folio, 2018
doit pas trop chercher à l’expliquer.

Séquences 2 de LYCÉE GÉNÉRAL ET TECHNOLOGIQUE
OBJET D’ÉTUDE ➜ La littérature d’idées et la presse du xixe au xxie siècle
Les femmes dans la société et

la littérature, un si long combat
Par Marie-Astrid Clair, professeure de Lettres, relue par Chloé Sibilli*
Support • La Genèse, L’Odyssée Présentation

• Molière, L’École des femmes, la tirade Proposée à des élèves de seconde générale et technologique,
d’Arnolphe cette séquence s’inscrit dans l’objet d’études « littérature d’idées »
• Molière, Les Femmes savantes, en élargissant un peu les bornes temporelles lors des premières
la tirade de Crysalde séances. Les connaissances en histoire littéraire des élèves de 2de
• Laclos, De l’éducation des femmes étant généralement fragiles, l’objectif est d’établir des liens entre
• George Sand, Histoire de ma vie différents jalons qui les mèneront de l’Antiquité au xxie siècle.
• Mona Chollet, Beauté fatale Voyage à travers le temps mais aussi à travers l’espace puisque
• Discours de Gisèle Halimi cette séquence transportera les élèves du bassin méditerranéen
et Simone Veil aux États-Unis en passant par l’Afrique et bien entendu la France.
Sans prétendre à l’exhaustivité, l’objectif de cette séquence
Sommaire ÉTAPE 1. Un rôle ténu dans l’Histoire est de montrer que cette question des droits et de la place des
Séance 1 : La place et rôle des femmes femmes est une question universelle, pouvant être posée à toutes
dans la Bible et dans l’Odyssée les époques et en tous lieux.
Séance 2 : La place des femmes dans Cette séquence propose de nombreux exercices et corrigés :
l’Histoire : Virginia Woolf, Une chambre des introductions pour trois explications linéaires, un exercice d’ap-
à soi propriation qui consistera à répondre à Choderlos de Laclos, une
ÉTAPE 2. Quand les hommes parlent contraction de texte, l’écriture d’un discours sur le modèle de ceux
des femmes de Gisèle Halimi et de Simone Veil. Un cercle de lecture permettra
Séance 3 : Ce qu’une femme doit aux élèves de partager de leur lecture cursive et ils pourront aussi
faire, L’École des femmes et Les Femmes se servir d’une carte mentale pour rendre compte de leur connais-
savantes sances initiales et des acquisitions de la séquence.
Séance 4 : Paroles masculines pour l’éman- En complément de cette séquence, un travail sur l’œuvre de
cipation des femmes, de Laclos à Hugo Cindy Sherman pourrait être proposé, puisqu’en se prenant en pho-
to grimée et déguisée, l’artiste américaine interroge sans cesse les
ÉTAPE 3. La construction des femmes
clichés liés au féminin et l’appartenance à un genre.
Séance 6 : L’éducation des jeunes filles
en question : autoportrait de George Sand * Chloé Sibilli a longtemps travaillé dans une maison de femmes,
Séance 7 : Beauté fatale de Mona auprès de prostituées et au planning familial de Saint-Denis.
Chollet, contraction de texte
ÉTAPE 4. Combats féminins du xxe et
xxie siècle
Séance 8 : Gagner des droits par la
parole
Séance 9 : Féministes et autrices
contemporaines – cercle de lecture
Durée de • 14 heures

la séquence
Séquences 2de
Les ressources !
L ’article de la revue
Une carte mentale animée extraite de la
chaîne YouTube Le français c’est clair, des
cartes mentales d'étudiants
Les images projetables
L’activiste américaine Angela Davis lors d’une manifestation contre
Les textes de la séquence
la peine de mort à Raleigh, Caroline du Nord, le 4 juillet 1974.

Séquences 2de
Avant la séquence
Un travail effectué à partir de cartes mentales D

ans la banque de ressources, deux cartes mentales dessinées
• Il peut être intéressant, au seuil de la séquence, de proposer par des étudiants montrent l’évolution entre le temps de
aux élèves de construire une carte mentale au sujet des femmes. réflexion initial et le bilan commun.
Cela leur permettra de rassembler et d’organiser les idées qui leur
viennent face à ce mot.
Une liste d’ouvrages pour des lectures cursives
• Une vidéo, conçue en parallèle de cette séquence, explique Pendant cette séquence, une liste d’autrices contemporaines
sur la chaîne YouTube Le français c’est clair ce qu’est une carte men-
est proposée, la lecture de ces ouvrages alimentera des cercles lit-
tale, comment et pourquoi cet outil peut être utilisé. Les élèves
téraires prévus en fin de séquence.
pourront la visionner en classe ou à la maison, en classe inversée,
et ils tâcheront alors de dessiner leur propre carte en inscrivant Le nombre d’étoiles correspond au degré de difficulté ou à la
le mot « femme » ou « femmes » au centre de leur feuille. Notons longueur de l’œuvre
que choisir d’écrire ce mot au singulier risque d’induire davantage Chimamanda Ngozi Adichie, Nous sommes tous des féministes,
d’idées stéréotypées mais il n’est pas forcément utile de le dire aux 2015 * (essai)
élèves à ce stade : il faut plutôt autoriser les élèves à écrire tout ce Djaïli Amadou Amal, Les Impatientes, 2020 ** (roman)
qu’ils pensent à ce sujet, même si certaines idées sont réductrices. Monat Chollet, Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliéna-
tion féminine, 2012 **** (essai)
• On veillera à ramasser ces cartes sans les commenter, elles Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes,
serviront à mesurer le niveau de connaissances et de préjugés s’at- 2018 **** (essai)
tachant au mot femme(s). En séance finale, pour faire le bilan de la Virginie Despentes, King Kong théorie, 2007 ***(essai autobiogra-
séquence, on pourra demander aux élèves de constituer un groupe phique)
de quatre pour construire une nouvelle carte riche de tout ce qui Ève Ensler, Les Monologues du vagin, 2005 *** pour la traduction
aura été découvert lors de la séquence : les échanges entre pairs et française (pièce de théâtre)
Malala Yousafzaï, Moi, Malala, je lutte pour l’éducation et je résiste
les lectures, les découvertes faites en classe permettront à ceux qui
aux talibans, ** (témoignage autobiographique)
avaient de nombreux préjugés ou une connaissance très parcellaire
Alice Zeniter, Je suis une fille sans histoire, 2020 **** (essai)
de progresser.
Étape 1 Un rôle ténu dans l’Histoire
Séance 1La place et rôle des femmes de ses mains. Le troisième chapitre raconte la chute et
le rôle de la femme dans ce texte, ainsi que son châ- extes à
T
dans la Bible et dans l’Odyssée timent, qui mérite d’être observé attentivement. Les télécharger
dans la
trois extraits sont distribués, à lire à voix haute ou en banque de
Supports : La Genèse, L’Odyssée silence par les élèves qui doivent surligner tout ce qui ressources
Objectif : Mettre en évidence la place des femmes dans deux concerne la femme.
textes fondateurs
Durée : 2 heures Questions
1. Comment et pourquoi la femme est-elle créée selon la Bible ?
Les textes 2. Quelle faute commet la femme dans le chapitre 3, comment est-
elle punie ?
Cette première séance propose de revenir sur deux grands
3. Quelles réactions ces textes provoquent-ils en vous ? Préparez
textes fondateurs, la Bible et l’Odyssée. Dans un premier temps,
votre intervention à l’écrit avant d’intervenir à l’oral et en groupe
on rappelle aux élèves que ces deux grands textes n’ont pas un
classe.
auteur unique, mais qu’il s’agit d’assemblages de textes écrits à des
4. Un autre grand texte fondateur, L’Odyssée, présente des visages
époques et des endroits différents.
de femmes puissantes. Rappelez quelques-uns de ces personnages
Pour cette raison, la Bible commence par deux récits de créa- qui méritent de ne pas rester dans l’ombre d’Ulysse.
tion, l’un de source yahviste (chapitre 2 et 3) et l’autre de source
sacerdotale (chapitre 1). Le plus récent – « il y eut un soir, il y eut Éléments de réponses
un matin » – a été placé en tête, comme un portique grandiose, 1. Dans le premier chapitre, la femme est créée en même temps
une création du monde aux accents poétiques et spectaculaires : la que l’homme, sans que l’on explique comment ils ont été faits :
création de l’homme et de la femme y est brièvement mentionnée. la parole divine a pu les faire surgir. La tâche qui est donnée à
Puis le second récit, plus populaire, plus concret, narre comment un l’homme comme à la femme est de remplir la terre et l’assujettir,
dieu artisan, proche des humains, fabrique l’homme puis la femme en dominant les animaux. Dans le second texte, la femme est une

« aide », une compagnie apportée à l’homme qui, lui, a été mode- l’épreuve en demandant à sa servante de déplacer leur lit – celui
lé par les mains de Dieu. Elle est faite d’une côte de l’homme et qu’Ulysse a construit de ses mains sur un tronc d’olivier.
l’homme la considère comme « os de mes os, chair de ma chair ».
D’autres femmes puissantes apparaissent aussi, comme
2. Dans le texte biblique, la femme goûte le fruit de la connaissance
Calypso ou Circé. Magicienne, régnant seule sur son île et trans-
du bien et du mal après un dialogue avec le serpent, « le plus rusé de
tous les animaux des champs ». Elle ne cède pas à la seule curiosité formant les hommes en cochons ou en fauves, Circé apparaît
mais se montre crédule face au serpent. Elle « vit que l’arbre était comme l’ancêtre des sorcières décrites par Mona Chollet dans
bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir son ouvrage Sorcières, La puissance invaincue des femmes. Loin
l’intelligence ». Plus tard, alors que l’homme la désigne comme res- d’être une jeune fille peureuse, Nausicaa fait elle aussi preuve de
ponsable, elle explique que le serpent l’a « séduite ». courage et ne rougit pas face à Ulysse. Quant à Athéna, c’est elle
Si le fait d’enfanter dans la douleur est généralement bien connu, qui plane tout au long de l’œuvre et protège Ulysse bien mieux
la seconde punition est souvent oubliée : « tes désirs se porteront que Zeus qui est quasiment absent. Déesse de la guerre et de
vers ton mari, mais il dominera sur toi. » Une telle mention légitime la sagesse, de l’intelligence et des inventions, il est intéressant
la soumission des femmes dans l’histoire. On rappellera que la Bible de souligner le rôle prépondérant d’Athéna dans la civilisation
a été composée par des hommes. grecque. Les femmes sont donc présentes dans les textes les plus
3. Le professeur permettra à tous de s’exprimer sur le texte, en anciens, mais leur présence semble avoir été oubliée au fil des
rappelant qu’il s’agit ici d’adopter une posture laïque, et de lire le siècles, au profit des héros masculins qui incarnent la bravoure :
texte comme on lirait l’Odyssée, avec des lunettes d’historien face face à eux, des Athéniennes disent non, font la grève du sexe
à un texte d’une importance culturelle incontestable sur les siècles dans Lysistrata d’Aristophane, pour protester face à une guerre
qui ont suivi. Sans heurter les uns ou les autres, on peut en tout décidée par les hommes.
cas observer que les religions monothéistes, où Dieu est toujours
présenté au masculin, ont diffusé un modèle de société de type
patriarcale.
4. On croise de nombreuses femmes dans l’Odyssée : Pénélope bien La place des femmes
Séance 2
sûr, qui résiste aux attaques masculines et ruse à deux reprises :
elle déjoue les ambitions des prétendants qui l’assaillent en faisant
dans l’Histoire : Virginia Woolf,
mine de tisser le linceul de Laërte, et elle se défie d’Ulysse lui- Une chambre à soi
même : par crainte d’être trompée par un inconnu, elle le met à
Support : Virginia Woolf, Une chambre à soi
Objectif : Initiation à la lecture linéaire : construire une introduction
Durée : 1 heure
Pour la séance 2, un saut dans le temps est propo- exte à

T
sé, avec ce texte de Virginia Woolf qui évoque la place télécharger
des femmes dans l’Histoire. dans la
banque de
1re étape ressources
Avant d’aborder le découpage du texte, on pose
une série de questions dont les réponses permettront de présen-
ter le texte en rappelant les éléments clés (titre, auteur, date de
publication, genre).
Questions
1. Quel est le genre du texte proposé ? Caractérisez-le le plus pré-
cisément possible.
2. Quelle est la question qui sous-tend ce texte ?
3. Quelles informations pensez-vous nécessaires dans une intro-
duction ?
4. Quelle entrée en matière originale mais très brève feriez-vous
avant de présenter ce texte ?
Éléments de réponses
1. Ce texte est écrit à la 1e personne et reflète les questionnements
intérieurs de la narratrice. Si le texte est rationnel, il rappelle tout
de même une technique chère à Virginia Woolf, celle du « stream
of consciousness » ou courant, flux de conscience qui traduisent les
mouvements de la pensée.
2. La question qui sous-tend le texte est : pourquoi les femmes
tiennent-elles si peu de place dans l’Histoire. Elle se double d’une
Vanessa Bell, Portrait de Virginia Woolf, vers 1912. autre interrogation : peut-on y remédier ?

Séquences 2de
3 et 4. Proposition d’introduction avant l’analyse linéaire qui suivra C’est dire à quel point le texte de Virginia Woolf, A Room of One’s
ce plan : entrée en matière – présentation de l’œuvre, du texte et Own paru en 1929 et traduit par Clara Malraux sous le titre Une
de l’autrice – situation et mouvement du texte – lecture – projet chambre à soi, puis par Marie Darrieusecq avec cette fois le titre Un
de lecture lieu à soi, est aujourd’hui populaire auprès des féministes. Dans cet
essai, Virginia Woolf indique les deux conditions pour qu’une femme
2e étape : les mouvements du texte
puisse écrire, disposer d’argent et d’une chambre à soi.
1re partie : jusqu’à « grande dame » : l’histoire de la Grande-
Dans le texte que nous allons étudier, Virginia Woolf, avant
Bretagne telle qu’elle est enseignée par l’illustre professeur
d’inventer une sœur à Shakespeare, s’interroge sur l’absence
d’histoire sociale Pr Trevelyan.
des femmes dans l’histoire britannique. C’est ce qu’elle fait dans
2e partie : jusqu’à « un domestique » : l’absence des femmes un premier mouvement, où elle observe les têtes de chapitre
de classe moyenne dans l’histoire et les questions que se pose de l’histoire sociale du Professeur Treveylan, avant de conclure
l’écrivaine à leur sujet que les femmes de classe moyenne n’y sont pas. Elle s’interroge
3e partie : jusqu’à « sans inconvenance » : ajouter un supplément ensuite sur ces femmes que l’on dirait aujourd’hui « invisibilisées »
à l’histoire et suggère d’ajouter un supplément à l’Histoire qu’elle juge « irréelle
et de guingois ».
Proposition de corrigé (Annoncer que l’on va procéder à la lecture du texte).
Avez-vous accès à votre chambre à vous ? demande l’autrice du Nous verrons comment Virginia Woolf, dans ce texte à la pre-
podcast féministe Lauren Batide à tous ses invités. Autre clin d’œil, mière personne, fait émerger les femmes restées dans l’ombre,
le plus populaire des podcast féministes d’Arte radio s’intitule Un oubliées par l’Histoire qui s’est désintéressée également du privé
podcast à soi. et du quotidien.
Étape 2 Quand les hommes parlent des femmes
Molière et l’éducation
Séance 3 dans cette pièce question d’éducation, mais le modèle d’école que
propose le personnage principal, Arnolphe, est heureusement mis
des femmes à mal.
Dans L’École des femmes, comédie en cinq actes et en vers créée
Supports : Molière, L’École des femmes, Acte III, scène 2, en 1662, Molière met en scène un barbon, homme d’âge très mur,
et Les Femmes savantes, Acte II scène 7 qui a enfermé depuis ses 4 ans la jeune Agnès à l’abri du monde,
Objectifs : – Exposer le point de vue traditionnel des hommes dans un couvent, afin de la préserver de tous les dangers et qu’elle
sur l’éducation des femmes ne soit pas gâtée par la vie en société. Dans la pièce, Arnolphe tient
– Construire une introduction d’explication de texte seul ou en la figure du fou, du monomaniaque qui pense se prémunir de tous
binôme les dangers et se voit puni.
Durée : 2 heures
Dans la scène 2 de l’acte III, Arnolphe vient d’annoncer à Agnès
Dans cette séance, on proposera aux élèves qu’il allait l’épouser. Dans le texte proposé, extrait d’une longue
Textes à tirade, il lui rappelle ce que l’on attend d’une femme dans le
d’écrire en binôme l’introduction d’une explication télécharger
linéaire consacrée à l’une ou l’autre de ces tirades dans la
mariage, obéissance et soumission, avant de légitimer l’inégalité
de Molière. banque de des deux sexes. L’extrait se conclut avec une allusion aux « femmes
ressources d’aujourd’hui » qui prétendent agir autrement.
Après un bref résumé des deux pièces à l’oral, on
rappellera que les textes de Molière sont des comédies, et visent [lecture]
avant tout à faire rire. Nous verrons comment par cette tirade en vers Molière fait
entendre un discours masculin qui fait rire par ses outrances alors
Consigne qu’affleurent, en filigrane et par antiphrase, les revendications des
femmes du xviie siècle.
Ecrivez une introduction d’explication linéaire pour l’une ou
l’autre de ces tirades. Pour cela, lisez-la, repérez les mouvements et 2. La tirade de Chrysalde dans Les Femmes savantes, Acte II,
les phrases clés, puis utilisez tout ce qui est à votre disposition pour scène 7
écrire votre introduction. Le xviie siècle a été marqué par l’émergence, dans le milieu cultu-
rel et littéraire français et parisien, d’écrivaines telles que Mesdames
Proposition de corrigé de La Fayette, Sévigné ou Scudéry mais aussi de nombreuses autres
femmes qui, comme la comtesse de Rambouillet, réunissaient
1. La tirade d’Arnolphe dans L’École des femmes, Acte III, scène 2 dans leur chambre un cercle d’habitués pour causer littérature ou
Bien souvent les titres des pièces de Molière sont oxymoriques : sciences.
Le Bourgeois gentilhomme, L’Atrabilaire amoureux, Les Précieuses Dix ans après L’École des femmes, avec Les Femmes savantes,
ridicules, Les Femmes savantes... Ainsi, L’École des femmes a lui aussi comédie en cinq actes et en vers créée en 1672, Molière évoque
quelque chose d’incongru au xviie siècle puisqu’à l’exception des très clairement les revendications des femmes de son temps, qui
femmes les plus aisées qui accédaient aux connaissances, l’édu- ne veulent plus être cantonnées aux tâches traditionnelles mais
cation des filles et des femmes était loin d’être une priorité. Il est s’intéressent au contraire à l’astronomie ou à la grammaire.

Dans une maison gouvernée par trois femmes savantes, votre courage. Est-elle vraisemblable ? Je me tais sur cette question ;
Chrysalde se fâche car sa femme a chassé la servante Martine pour mais jusqu’à ce qu’elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront
ses fautes de français. Devant sa sœur, il regrette que les femmes votre sort, je serai autorisé à dire, et il me sera facile de prouver qu’il
« d’à présent » aient changé et se montre nostalgique d’un temps où n’est aucun moyen de perfectionner l’éducation des femmes.
les femmes ne se souciaient que d’activités d’intérieur, habits, cui- Choderlos de Laclos, De l’éducation des femmes, 1783
sine, travaux d’aiguille... Regrettant leur appétit pour les sciences,
le savoir, il déplore dans les derniers vers que la volonté d’émanci-
TEXTE 2
pation des femmes de sa maison se propage à ses domestiques, qui
ne se soucient plus de le servir mais d’étudier. Une lettre de Victor Hugo à Léon Richer, créateur de l’Association pour
Dans cette tirade, fait sourire en montrant un maître de maison le droit des femmes (1869), qui nommera Hugo président d’honneur de la
dépossédé de ses prérogatives, et gagnant sûrement l’assentiment Ligue française pour le droit des femmes fondée en 1882.
de certains de ses contemporains. Monsieur,
Je m’associe du fond du cœur à votre utile manifestation. Depuis
quarante ans, je plaide la grande cause sociale à laquelle vous vous
Paroles masculines pour
Séance 4 dévouez noblement.
l’émancipation des femmes Il est douloureux de le dire : dans la civilisation actuelle, il y a une
esclave. La loi a des euphémismes : ce que j’appelle une esclave, elle
l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon
« On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. la réalité, c’est la femme. L’homme a chargé inégalement les deux
C’est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme, plateaux du Code, dont l’équilibre importe à la conscience humaine
et il s’appelle prostitution. » Victor Hugo, 1862. ; l’homme a fait verser tous les droits de son côté et tous les devoirs
du côté de la femme. De là un trouble profond. De là,
la servitude de la femme. Dans notre législation telle Textes à
Supports : Laclos, extrait de De l’éducation des femmes, 1783, qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’est pas en
et Hugo, lettre à Léon Richer, 1869 télécharger
justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est dans la
Objectif : Révéler la maladresse, mais aussi l’audace d’un banque de
pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est
homme qui veut défendre les droits des femmes ressources
là un état violent : il faut qu’il cesse.
Durée : 2 heures
Questions
« Femmes, soyez soumises à vos maris » écrit saint Paul dans ses 1. À quel type de texte a-t-on affaire ici ? Justifiez votre réponse.
épitres : ces phrases sont reprises par Voltaire dans un texte célèbre. 2. Quelle même comparaison est faite dans les deux textes ?
Dans cette séance, nous donnons à lire deux textes d’hommes 3. À qui s’adressent ces deux auteurs, et quelle est leur thèse, c’est-
aux élèves, montrant que même si cela est souvent maladroit à à-dire l’idée défendue par ces textes ?
nos yeux de lecteurs du xxie siècle, les hommes portent parfois un
discours émancipateur vis-à-vis des femmes au xviiie comme au xixe Éléments de réponses
siècle. Outre leur intérêt du point de vue littéraire et argumentatif, 1. Il s’agit de textes de type argumentatif, l’un est un texte publié,
ces textes permettent aussi aux élèves de développer leur sens cri- et l’autre une lettre privée destiné à un homme militant pour les
tique, comme cela est recommandé dans les textes officiels, qu’ils droits de la femme.
exprimeront dans un exercice d’appropriation. 2. Dans les deux textes, la femme est décrite comme l’esclave
de l’homme.
TEXTE 1 3. Laclos enjoint les femmes à se révolter contre les hommes qui
les ont asservies.
Ô femmes ! Approchez et venez m’entendre. Que votre curiosité,
dirigée une fois sur des objets utiles, contemple les avantages que vous
Hugo dénonce l’infériorité juridique des femmes qui ne sont
avait donnés la nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre pas des citoyennes – inscrites comme mineures par le code civil de
comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son es- Napoléon en 1804, elles ont été longtemps privées de droits juri-
clave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à diques, soumises à l’autorité du père et du mari, et n’ont obtenu le
vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, droit de vote en France qu’en 1944. Dans la citation en exergue, Hugo
dégradées de plus en plus par une longue habitude de l’esclavage, vous se préoccupe aussi du sort des femmes contraintes à la prostitution.
en avez préféré les vices avilissants mais commodes aux vertus plus
pénibles d’un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé Exercice d’écriture
vous laisse de sang-froid, si vous pouvez le considérer sans émotion,
retournez à vos occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices Consigne
se sont changés en mœurs. Mais si au récit de vos malheurs et de vos Rédigez la réponse qu’une féministe du xxie siècle pourrait faire
pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d’indigna- à Laclos au sujet de son texte. Faites preuve de sens critique mais
tion s’échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressai- aussi de tact dans votre réponse : employez pour cela des moda-
sir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne nous lisateurs et souvenez-vous que presque 450 ans nous séparent de
laissez plus abuser par de trompeuses promesses, n’attendez point les cet auteur.
secours des hommes auteurs de vos maux : ils n’ont ni la volonté, ni
la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des
femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu’on
ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. Cette révolution
est-elle possible ? C’est à vous seules à le dire puisqu’elle dépend de

Séquences 2de
Proposition de corrigé
Cher Choderlos de Laclos,

Citoyenne du XXIe siècle, j’ai pris connaissance de votre discours sur l’éducation
des femmes. Je suis consciente que plusieurs siècles nous séparent et que mon
regard est anachronique, néanmoins je vous ai lu attentivement et voudrais vous faire
part des réflexions que votre texte suscite chez une féministe du XXIe siècle.
Il était très généreux de votre part de penser à l’autre moitié de l’humanité et je
vous en remercie, je sais qu’une telle parole était rare au XVIIIe siècle et l’école n’a
été obligatoire pour les filles qu’en 1881, presque 200 ans après votre texte.
Cependant, je ne peux vous lire sans penser que le ton que vous employez n’est
pas le plus adapté. « O femmes ! Approchez et venez m’entendre. » Vous semblez
prêcher et faire la leçon sur un sujet qui préoccupe au premier chef celles que
vous voulez instruire. Un mot existe aujourd’hui en anglais pour qualifier l’attitude
de surplomb que vous adoptez : le mansplaining. Certes, il est bon qu’un homme
prenne la parole pour évoquer l’éducation des filles, mais laisser les femmes tenir ce
discours, ne serait-ce pas encore mieux ? Votre contemporaine, Olympe de Gouges,
n’était certainement pas la seule à réclamer plus de droits pour les femmes, vous
auriez pu les mentionner.
Lorsque vous évoquez notre curiosité, permettez-moi de vous dire qu’il s’agit-là
d’un préjugé qui a la peau dure, depuis Ève et Pandore. Ensuite, c’est aux femmes
que vous paraissez reprocher la « longue habitude de l’esclavage » dans laquelle elles
se trouvent, et si certaines estiment qu’elle est leur « état naturel », elles méritent
de « retourn(er) à leurs occupations futiles ». Il est vrai que bien des femmes ont
intériorisé, depuis des siècles, la domination masculine, mais doit-on les blâmer pour
cela ?
Vous écrivez qu’il ne faut attendre des hommes, auteurs des maux des femmes,
aucun secours. L’émancipation doit venir de l’opprimé, car on ne peut attendre du
maître qu’il libère l’esclave. C’est vrai mais l’esclave peut-il se libérer tout seul ? Et
est-ce à un homme de nous le commander ?
Laissez-moi encore relever une dernière phrase maladroite : pour nous réveiller,
nous provoquer peut-être, vous nous lancez un défi, presqu’une menace : « tant que
les hommes règleront votre sort, (...) il me sera facile de prouver qu’il n’est aucun
moyen de perfectionner l’éducation des femmes » : curieuse façon de nous aider à
nous soulever, en concluant avec cette formule négative !
Pour conclure, ne croyez-vous pas, cher Choderlos de Laclos, et même si votre
texte a le mérite de nous considérer, qu’il serait plus efficace de vous adresser à
vos camarades hommes pour les convaincre de nous laisser la place qui doit être la
nôtre ?
On ne sort, dites-vous, « de l’esclavage que par une grande révolution ». A-t-
elle déjà eu lieu ou est-elle toujours en cours aujourd’hui ? Il semble que bien des
combats soient encore à mener, même en France...
Avec mes chaleureuses salutations par-delà les siècles.

Étape 3 La construction et l’éducation des femmes
Séance 5L’éducation des jeunes Bien d’autres textes de Sand auraient pu être étudiés dans cette
séquence, tirés d’Indiana, son premier roman qui décrit le mariage
filles en question : autoportrait comme une prison. Cependant, il nous a paru intéressant de choisir
de George Sand ce texte, en lien avec celui de Laclos puisqu’il est question de l’éduca-
tion des filles et fait écho à celui de Mona Chollet étudié en séance 7.
« Je crois les femmes aptes à toutes les sciences, à tous les arts Questions
et même à toutes les fonctions comme les hommes. » Discours de
1. Quel est le genre de ce texte ? Justifiez votre réponse.
George Sand « Aux membres du comité central » qui demande en
2. De quoi est-il question dans ce texte ?
1848 que le suffrage universel n’écarte pas les femmes.
3. Quel rôle jouent la mère et la grand-mère de l’écrivaine dans ce
texte ?
Support : Sur George Sand, un documentaire, https://youtu.be/ 4. Quelle critique fait-on à George Sand et qu’en pensez-vous ?
wSWR3nHEKg4, et un film animé, https://youtu.be/YM38KtathLI
5. Pourquoi George Sand considère-t-elle comme un avantage
Objectif : Rencontrer une artiste à la personnalité hors du
d’avoir été « ni belle ni laide » ? Qu’en pensez-vous ?
commun
Durée : 1 heure
Éléments de réponses
1. Les élèves reconnaîtront aisément le genre de l’autobiographie,
étudié en 3e.
2. Dans ce texte, George Sand évoque la question de sa beauté, de
son apparence qui a, d’après elle, déçue les attentes. Elle évoque
aussi de manière indirecte l’éducation des jeunes filles au début
du xixe siècle.
3. La mère et la grand-mère ne parviennent pas à imposer le
modèle dominant dans la bourgeoisie du xixe siècle, transmettant
une liste de recommandations que la jeune Aurore a sans cesse
bafouées : privilégier la beauté au travail, protéger sa peau, ses
chevilles, ses mains. Face à tout ce qu’on appellerait aujourd’hui
des injonctions, George Sand confie qu’elle n’a pu s’y soumettre :
« Quoique je ne fusse pas volontairement rebelle, la contrainte ne put
m’atteindre. »
4. On lui reproche un air bête, une critique qui paraît tout à fait
fausse, mais que George Sand semble avoir intériorisée.
Séance 6Beauté fatale de Mona

Chollet, contraction de texte
Support : Mona Chollet, extrait de Beauté fatale
Objectif : Montrer combien les filles, dès le plus jeune âge,
subissent encore de nombreuses injonctions ; s’entraîner à
la contraction de texte
Durée : 2 heures
Vers la contraction de texte

Cette séance prend appui sur un extrait du livre de Mona
Auguste Charpentier, Aurore Dupin, baronne Dudevant, Chollet, Beauté fatale. Elle y présente, en avant-propos, ce qui va
dite George Sand, musée Carnavalet, Paris. être développé dans les chapitres de son livre. Cet ouvrage, propo-
sé en lecture cursive, serait salutaire pour bien des jeunes filles ou
Pour cette séance, il serait intéressant de proposer à un élève ou jeunes gens piégés par les images que leur renvoient les réseaux
groupe d’élèves de faire un exposé au sujet de George Sand dont sociaux et la société en général. Ces images sont sources de com-
le nom provient d’un écrivain avec lequel elle a écrit ses premiers plexes, de souffrance, d’auto-dénigrement par des jeunes filles
livres, Jules Sandeau. Femme d’engagement, cultivée, généreuse et promptes à se proclamer coupables alors qu’elles sont victimes
libre, un film fait d’elle un beau portrait, plein d’images d’archives, d’un système plus global.
George Sand, la rebelle de Nohant. Plus enfantin mais assez com- Le texte proposé comptant trois paragraphes, on le divisera
plet, un film animé fait aussi le tour de la vie de George Sand en pour en attribuer une partie à chaque tiers de la classe. Le travail
6 minutes. pourra être effectué en binôme ou trinôme.

Séquences 2de
Le professeur lira dans un premier temps ce texte assez difficile,

afin qu’il ne rebute pas les élèves à cause d’un vocabulaire trop
complexe. Cet exercice reposant sur la bonne compréhension d’un
texte d’idées mais aussi sur la capacité à le reformuler, les élèves
manquant de vocabulaire vont se trouver pénalisés. On leur pro-
posera de se servir d’un dictionnaire de synonymes, et il sera bon
de leur montrer le fonctionnement du précieux site cnrtl, https://
www.cnrtl.fr/synonymie/.
L’objectif n’est pas ici de réduire le texte au quart car il est assez
dense mais de s’en approcher le plus possible. On pourra rappeler
aux élèves que l’exercice est donné lors du bac technologique mais
aussi aux concours de grandes écoles.
Un exemple de résumé
Dans une société de consommation sans idéologie, marquée
par l’attirance et la haine des corps féminins, les soins esthétiques
ne sont jamais aussi doux que le promettent les publicitaires.
Aveuglés par cette tyrannie de la beauté, nous ne voyons pas les
failles derrière la femme icône.
Insouciants, nous avons laissé la définition de la féminité se
rétrécir, réduite à des préjugés surannés : beauté et maternité. Le
cinéma ne montre que des « égéries », femmes sandwich exhibant
vêtements, accessoires et produits de beauté. Les blogueuses
règnent sur un monde gouverné par la beauté, la mode.
Ces images parfaites causent la souffrance des
texte de
Le
femmes, devant des corps jugés gros, modelés Mona Chollet
comme des objets ou blanchis pour répondre aux est disponible
canons de l’industrie cosmétique et des médias. dans la banque
de ressourses
Marilyn Monroe dans la revue Ciné-Monde du 30 juillet 1963.
Étape 4 Combats féminins des xxe et xxie siècles
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique Le xxe siècle a marqué une accélération dans l’accès des femmes
ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. aux différents droits dont elles étaient privées. Les femmes ont pro-
Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie gressivement gagné leur place de citoyennes et ne sont plus consi-
durant. » Simone de Beauvoir dérées comme mineures. Droit d’étudier, de voter, d’accéder à tous
les métiers, d’être indépendante financièrement, de pratiquer tous
les sports, elles ont acquis les droits réservés aux hommes mais se
Séance 7Gagner des droits par sont aussi battues pour acquérir des droits spécifiques liés au droit
la parole à disposer de leur corps.
Lecture
Supports : – Une vidéo sur l’histoire des femmes et de leur
émancipation https://youtu.be/NcRzOTyKw8w Un film documentaire intitulé Tu seras mère ma fille retraçait
– Discours de Gisèle Halimi et Simone Veil aussi en 2020 l’histoire intime et collective des femmes, consi-
Objectifs : – Montrer que les combats sont âpres et nombreux dérée comme ventre de la nation et leur difficile accès au droit à
– Écrire son propre discours au sujet des femmes aujourd’hui la contraception et à l’avortement. Deux discours en sont l’em-
Durée : 2 heures blème, la plaidoirie de Gisèle Halimi au procès de Bobigny en
1972 et le discours de Simone Veil devant l’Assemblée nationale
Un peu d’histoire en 1974.
La première partie de la séance est consacrée à l’histoire
de l’émancipation des femmes. Pour cela, on s’appuie sur une
Textes à télécharger dans la banque de ressources.
Une version est avec les éléments rhétoriques déjà surlignés
vidéo qui déroule cette histoire de manière très efficace et com- pour aider les élèves si nécessaire.
plète. https://youtu.be/NcRzOTyKw8w

xxe siècle ou plus récemment pour le congé paternité et l’égalité
salariale par exemple, mais également des courants philosophiques
variés.
• Figure majeure du féminisme au xxe siècle, Simone de
Beauvoir a montré en actes et en pensée la voie de l’émancipation
féminine. Elle affirme dans Le Deuxième sexe, « On ne naît pas femme,
on le devient » et rejette le mythe de « l’éternel féminin ».
• Si les féministes s’accordent toutes sur des objectifs communs,
tels que l’égalité femme/homme, l’accès à l’éducation, le combat
contre les violences faites aux femmes... il existe cependant plu-
sieurs courants au sein du féminisme : les universalistes comme
Elisabeth Badinter, les essentialistes comme Antoinette Fouque,
fondatrice du MLF, les radicales comme Gloria Stenem ou les maté-
rialistes comme Christine Delphy. Plus récemment, Judith Butler a
considéré le genre comme une construction culturelle.
• Illustrant certaines oppositions entre les différents courants,
on trouve la question de la prostitution et de la pornographie. Pour
les unes il s’agit d’une violence masculine à abolir, et pour les autres
cela peut être un outil d’émancipation au travers de ce qu’elles
Evelyne Sullérot, Gisèle Halimi et Simone Veil au Sénat, appellent le « travail du sexe ».
le 8 mars 2004, lors de la Journée internationale des femmes. D’un côté, il faut lire le puissant discours d’Andrea Dworkin
adressé aux hommes et leur demandant une trêve de 24 heures
Pour les élèves, l’objectif est évidemment de comprendre les sans viol. Aux hommes qui se disent les alliés des féministes, elle
enjeux de ce combat politique dont les acquis sont à préserver, leur demande de s’adresser plutôt à leurs pairs, aux hommes, et
mais aussi d’observer les points communs de ces discours du point de condamner la violence masculine et tout un système qui met
de vue rhétorique afin de pouvoir en écrire un sur leur modèle. la pornographie au cœur de la société contemporaine. https://
1. Lisez les discours (ou un seul si le travail est mutualisé en classe) tradfem.wordpress.com/2014/11/15/je-veux-une-treve-de-vingt-
et surlignez la ou les phrases qui vous semblent avoir le plus de force. quatre-heures-durant-laquelle-il-ny-aura-pas-de-viol-2/
Essayez de comprendre pourquoi ces phrases sont puissantes. De l’autre côté, Virginie Despentes avec King Kong théorie se
2. Soulignez tous les procédés qui permettent aux oratrices de place du côté des « prosexe », la prostitution choisie étant envisa-
capter l’attention des auditeurs. Vous observerez particulièrement gée comme une forme d’empowerment – mot difficile à traduire :
les anaphores, les questions rhétoriques et interpellations des audi- autonomisation, émancipation, voire prise de pouvoir ?
teurs, phrases brèves, connecteurs logiques mis en avant, chiffres • D’autres mouvements existent encore : le séparatisme les-
qui impressionnent... bien (Monique Wittig) qui refuse le contrat sexuel, soubassement
implicite du contrat social ou le black feminism (Angela Davis,
Consigne d’écriture Bell Hooks) pour qui le féminisme a été construit par des femmes
Choisissez un thème lié aux droits et à la place des femmes dans blanches : il faut donc donner la parole aux femmes noires. Plus
le monde et écrivez un plaidoyer pour que les choses changent. À récemment, une nouvelle façon d’appréhender les rapports de
vous de choisir les personnes auxquelles vous adressez ce discours. domination s’est affirmée avec le féminisme intersectionnel :
Vous pouvez utiliser dans votre discours des mots et expressions couleur de peau, genre, classe sociale, les discriminations se
repérés dans les discours de Gisèle Halimi ou Simone Veil. N’hésitez cumulent souvent, on parle alors d’« oppressions croisées ». Pour les
pas à utiliser des chiffres relevés sur sites de référence. écoféministes, l’aliénation des femmes et l’exploitation outrancière
de la nature sont liées.
Féministes et autrices
Séance 8 Quelques éléments sur les lectures cursives proposées
contemporaines • Dans le monde littéraire, les autrices se revendiquent rare-
ment d’un mouvement précis. Dans Nous sommes tous des fémi-
nistes, Chimamanda Ngozi Adichie se dit « en colère » contre « le
Support : La liste de lectures proposée au début de la séquence déterminisme de genre » après s’être définie comme « Féministe
Objectifs : – Relier faits historiques et textes littéraires
Africaine Heureuse qui ne déteste pas les hommes, qui aime mettre du
– Guider les élèves dans leurs lectures cursives
– Organiser un cercle de lecture brillant à lèvres et des talons hauts pour son plaisir, non pour séduire
Durée : 2 heures les hommes ».
Féministe, l’écrivaine peule, camerounaise et musulmane Djaïli
Amadou Amal dénonce les mariages précoces, la polygamie et les
Dans un premier temps, cette séance propose de présenter aux
violences sexuelles dans Les Impatientes, prix Goncourt des lycéens
élèves un condensé des combats et courants féministes du xxe et
en 2020. La tradition mais aussi les crises politiques, climatiques et
xxie siècles, puis d’organiser des cercles de lecture qui permettront
économiques que subissent certains pays africains ont des réper-
aux élèves de rendre compte de leur lecture cursive.
cussions directes sur la vie des jeunes filles pour lesquelles Djaïli
Combats et courants féministes contemporains Amadou Amal se bat : il faut promouvoir partout l’éducation des
Derrière le mot féminisme, existent à la fois des combats pour filles. Dénonçant des pratiques qui semblent d’un autre âge, on
des droits, comme celui mené par les suffragettes au début du prendra garde à ne pas considérer les pays d’Afrique avec condes-

Séquences 2de
cendance en évoquant ce livre car comme l’autrice le rappelle, le réussisse ce test, il doit y avoir au moins deux femmes que l’on peut
sort des femmes n’est pas toujours meilleur en Occident même si nommer, que l’on voit parler ensemble et qui parlent d’autre chose
certains droits ont été gagnés. que d’un homme. De nombreux films ratent ce test.
• C ‘est ce que fait remarquer Alice Zeniter, dans Je suis une • Malala Yousafzaï, prix Nobel de la Paix en 2014 raconte dans
fille sans histoire, qui pointe l’absence d’héroïnes en littérature et Moi, Malala l’attentat dont elle a été victime à 15 ans, après ses
évoque le test de Bechdel à propos du cinéma : pour qu’un film prises de position pour l’éducation des filles dans un Pakistan domi-
né par les talibans. Elle s’est exprimée au Forum de Davos en 2014 :
« Nous n’allons pas demander aux hommes de changer le monde, nous
allons le faire nous-mêmes » et « Le féminisme c’est juste un autre mot
pour l’égalité ».
• Le texte d’Eve Ensler, Monologues du vagin, est le plus ancien,
écrit en 1998 aux États-Unis. Dans cette pièce, le propos de la dra-
maturge est « de faire parler les femmes, de les faire parler de leur
vagin » : fondé sur plus de 200 interviews, cette pièce a connu
un succès retentissant, traduite en 46 langues et jouée dans
130 pays. Pour évoquer encore l’importance des mots choisis, on
pourra noter que, comme le savent désormais nos élèves, le mot
vagin n’est qu’une partie du sexe féminin, et considéré comme
réceptacle du sexe masculin, il est plus facile à tolérer que le mot
clitoris ou vulve.
L’organisation d’un cercle littéraire
Préparation
Les élèves sont incités à se poser les questions suivantes : Qu’ai-
je aimé dans ce livre ? Qu’ai-je moins aimé ? De quel personnage
me suis-je senti(e) le plus proche ? Lequel m’a déplu ? Qu’ai-je pen-
sé de l’écriture de ce livre ? Quel détail m’a marqué(e) ? À qui pour-
rais-je conseiller ce livre ?
Un temps d’échanges
On demande aux élèves qui ont lu un même livre de s’installer
en arc de cercle devant la classe, et chacun donne à tour de rôle
son point de vue sur le livre, puis le complète, débat et illustre sous
le regard de la classe qui commente ensuite la qualité du débat.
Il est préférable de ne pas dépasser le nombre de cinq partici-
pants au cercle car les élèves doivent tous prendre la parole sans la
mobiliser. Pour organiser la prise de parole, à eux de voir mais pas
de main levée, chacun peut intervenir en tâchant de ne pas couper
la parole de l’autre.
Malala Yousafsaï à la tribune lors des conférences Goalkeapers Ce travail peut être noté selon quatre critères : intérêt des
organisés par la fondation Bill et Melinda Gates, New York, remarques, précision de la lecture, qualité d’expression, place dans
20 septembre 2017. le débat.

Séquences 1 re LYCÉE GÉNÉRAL ET TECHNOLOGIQUE
OBJET D’ÉTUDE ➜ La littérature d’idées du xvie au xviiie siècle
Olympe de Gouges,
une oratrice combative
Par David Galand, professeur de lettres modernes au lycée Mireille-Grenet (Compiègne)
Support • O. de Gouges, Déclaration des droits Présentation

de la femme et de la citoyenne, La Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne (1791)
Nathan, coll. « Carrés classiques », d’Olympe de Gouges résonne aujourd’hui comme un appel d’une
2021 énergie incomparable en faveur du problème – toujours crucial
• les textes et documents donnés au fil dans notre actualité, malheureusement – de l’égalité entre les
de la séquence hommes et les femmes. Ignoré à sa parution, longtemps oublié
(volontairement ou non), ce texte est désormais célèbre et aisé-
Sommaire ÉTAPE 1. Entrer dans le texte ment accessible dans diverses éditions, que sa mise au programme
Séance 1. Portrait d’Olympe en 1re générale et technologique dans le cadre de l’objet d’étude
en oratrice « la littérature d’idées du xvie au xviiie siècle » contribue encore à mul-
Séance 2. Comprendre la structure tiplier. Personne ne doute du bénéfice que les élèves retireront
ÉTAPE 2. Questions de genre de cette lecture décapante, qui corrode les préjugés. La réflexion
Séance 3. Un écrit composite ? qu’elle oblige à mener sur l’égalité des sexes et la question du genre
Séance 4. Enjeux d’une réécriture (gender) est l’occasion d’offrir un nouveau regard sur la place des
au féminin hommes et des femmes dans notre société, tout en préservant la
ÉTAPE 3. Une écriture de combat possibilité d’une perspective diachronique et d’une mise à distance
Séance 5. « Homme, es-tu capable du débat toujours essentielles.
d’être juste ? » Mais cette œuvre, si l’on comprend bien en quoi elle relève de
Séance 6. La question de l’égalité la « littérature d’idées », ne correspond pourtant pas à la conception
économique que l’on se fait aujourd’hui de la « littérature » en tant que telle. Il
Séance 7. Évaluation nous semble que cette autrice, qui dictait ses textes à cause de son
manque d’instruction, et parfois maladroite dans son style comme
Durée de • 13 heures dans la fluidité de son argumentation, gagne à être abordée non
la séquence seulement dans le cadre rhétorique des « lettres » qui dominait
jusqu’à son époque précisément, avant l’émergence de la notion
moderne de « littérature » au temps du romantisme, mais en outre
dans la perspective d’une parole qui emporte l’adhésion par la force
de sa conviction, par son énergie, plutôt que par son éloquence,
discutable jusque dans la distorsion qu’elle fait subir aux modèles
Séquence 1re rhétoriques classiques.
Les ressources ! Nous proposons par conséquent de cerner les moyens si

particuliers grâce auxquels, par-delà certaines maladresses, la
L ’article de la séquence Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne atteint une indis-
Les images à projeter cutable efficacité. Pour cela, nous adopterons une démarche qui
Séance 2. Une étude de Pourquoi montre d’abord le statut composite et incertain de l’œuvre, avant
naître esclave ? de J.-B. Carpeaux de proposer des analyses détaillées de certains passages qui pour-
Séance 5. Le texte de la Déclaration ront être présentés à l’épreuve orale du baccalauréat.
des Droits de l’Homme et du Citoyen On demandera aux élèves de lire le texte une première fois
avant le début de la séquence.
Séance 6. Une étude de deux images
du combat pour l’égalité des sexes
Séance 7. Le texte pour l’exercice
de contraction et des pistes pour le
corrigé
Une série d’articles pour étudier le
roman graphique Olympe de Gouges
de Catel et Bocquet

Séquences 1re
Étape 1 Entrer dans le texte
Portrait d’Olympe
Séance 1 elle paraît décidée ; son autre bras, levé, avec la main à demi
ouverte et en supination, paraît appeler l’attention d’un destina-
en oratrice taire absent : la « Femme », dont la première bulle porte l’interpella-
tion. La seconde vignette juxtapose trois attitudes expressives : la
Support : Vignettes extraites de la B.D. Olympe de Gouges (2012) gestuelle suggère d’abord le souci d’expliquer une situation, dans
de Catel Muller et José-Louis Bocquet une attitude didactique ; puis, le visage de profil, sourcils froncés,
Objectif : Aborder la dimension rhétorique de l’œuvre
mains repliées sur la poitrine, O. de Gouges paraît à la fois émue
Durée : 1 heure
et en colère, au moment où elle accuse l’homme d’être injuste ;
enfin, la main gauche et l’index levé vers le ciel, elle semble mettre
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, comme en garde solennellement les femmes, dans un geste éloquent qui
l’ensemble des textes rassemblés sous le titre Les Droits de la femme correspond bien à l’emploi du vocatif « ô », très rhétorique. C’est
(l’adresse « À la Reine », la « Forme du contrat social de l’homme et de une femme déterminée et emportée par la conviction qui est ici
la femme »), doit être rattachée à la notion rhétorique des « Lettres » montrée : une oratrice énergique et persuasive.
qui a longtemps prévalu dans la tradition occidentale, avant que ne 2. La première vignette inscrit O. de Gouges dans un décor fami-
s’impose la notion de « littérature » telle que nous la connaissons lier : une pergola aux poutres couvertes de treillages, ouverte sur
aujourd’hui. Dans le droit fil des Lumières, elles-mêmes héritières un jardin ; le seuil d’une porte par où passe une servante et auprès
de l’Humanisme, l’œuvre, pleinement rhétorique, ne sépare guère duquel sont posés une cruche et un panier… Mais le décor et les
l’écriture de sa visée morale (et politique). personnages secondaires (la servante et le secrétaire) s’effacent
dans la seconde vignette : O. de Gouges se détache sur un fond
Document : une planche de bande dessinée
Olympe de Gouges, qui n’a reçu qu’une
instruction rudimentaire, dicte le texte de la
Déclaration à son secrétaire…
Questions
1. Observez la gestuelle et les attitudes que
la dessinatrice, Catel, a prêtées à Olympe de
Gouges dictant son texte : que mettent-elles
en valeur ?
2. Comment la dessinatrice a-t-elle réussi
à concentrer l’attention du lecteur sur les
paroles d’O. de Gouges ? Pourquoi a-t-elle fait
ce choix, selon vous ?
3. Dans votre édition du texte, retrouvez dans
le « Postambule » les différentes citations choi-
sies par le scénariste Jean-Louis Bocquet dans
ces deux vignettes : comment le texte a-t-il
été coupé dans la bande dessinée ? Comment
peut-on expliquer les choix de Jean-Louis
Bocquet ?
Éléments de réponse
1. Dans la première vignette, O. de Gouges est
montrée dans une attitude assez théâtrale :
debout dans la cour de sa demeure, pen-
dant qu’une servante apporte des boissons,
elle dicte son texte d’une voix sans doute
forte (comme le laisse supposer la transcrip-
tion en lettres capitales). Le corps droit, la
jambe gauche avancée pour donner plus
d’assurance, le bras droit posé sur la hanche,
Catel Muller et J.-L. Bocquet, Olympe de

Gouges, Casterman, coll. « Écritures », 2012,
vignettes extraites des pages 328-329.

blanc neutre, en plan rapproché taille, occupant tout l’espace sous – solliciter l’aide de l’autorité royale dans la promulgation des droits
les phylactères, mis en évidence par leur position en surplomb. des femmes ;
Le jeu du noir et blanc permet de dépouiller la vignette pour ne – inciter les femmes à lutter pour faire reconnaître leurs droits ;
mettre en valeur que les éléments expressifs : gestuelle, mimiques – justifier la nécessité d’une Déclaration des droits de la femme et de
et paroles. Ainsi le récit biographique se met-il en retrait momen- la citoyenne ;
tanément pour que le lecteur ne puisse plus se concentrer que sur – ancrer la brochure dans l’actualité la plus immédiate (accepta-
le discours d’O. de Gouges, et donc sur la pensée de celle-ci (et non tion de la Constitution par le roi ; discours de Talleyrand sur l’édu-
plus sur les éléments anecdotiques de sa vie). cation nationale…).
3. La bande dessinée ne cite que certains éléments du début du
2. Gros plan sur le mots « préambule » et « postambule »
« Postambule », coupant les phrases du texte originel pour n’en rete-
Cherchez la définition et l’étymologie du mot « préambule » ; dédui-
nir que les éléments frappants : les formules renvoyant à l’homme
sez-en le sens de « postambule ». Expliquez en quoi ces deux textes
et à la femme ainsi que les traits rhétoriques les plus efficaces
sont nécessaires à l’encadrement de la Déclaration proprement dite.
(apostrophe « Ô, Femmes ! », question rhétorique). Sont coupées les
parties, plus complexes, qui recourent aux figures de l’allégorie (« le 3. L’argumentation dans « Forme du contrat social de l’homme et
tocsin de la raison », « le flambeau de la vérité », « tous les nuages de de la femme »
la sottise et de l’usurpation ») et de l’accumulation (« de préjugés, de Relisez le texte « Forme du contrat social de l’homme et de la
fanatisme, de superstition et de mensonges »). Le thème de l’égalité femme », puis établissez un plan de la progression du propos
des sexes en devient plus hégémonique dans les paroles d’O. de de l’autrice dans cette partie, en vous fondant sur le découpage
Gouges et le propos en sort simplifié pour le lecteur d’aujourd’hui. des paragraphes. Quelle logique peut-on reconstituer derrière
l’apparent désordre de ce texte ?
À la maison Éléments de réponse

On demande aux élèves de lire les pages consacrées à la bio- 1. Cet exercice permet de souligner la composition de l’ensemble.
graphie d’O. de Gouges de l’édition Carrés classiques Nathan.
Ils relèvent les éléments qui montrent que celle-ci fut une Partie de l’œuvre Fonction principale
femme de conviction, engagée dans les débats de son temps : Épître dédicatoire « À la Solliciter l’aide de l’autorité
on peut attendre qu’ils remarquent ses audaces théâtrales, son Reine » royale dans la promulgation
engagement contre l’esclavage et son action politique lors de des droits des femmes
la Révolution, jusqu’à sa condamnation à la guillotine.
Texte liminaire « Homme, es-tu Inciter les hommes à prendre
capable d’être juste ? » conscience de l’absence de
fondement naturel de la
domination masculine dans la
Séance 2 Comprendre la structure société
« Préambule » Justifier la nécessité d’une
Supports : Le texte entier, et le tableau des pages 44 - 45 pour Déclaration des droits de la
aider les élèves en difficulté
femme et de la citoyenne
Objectifs :
– Parcourir l’ensemble du texte pour trouver des repères 17 articles de la Déclaration Élargir le texte de la
– Étudier la fonction des différentes parties de l’œuvre Déclaration des Droits de
Durée : 2 heures l’Homme et du Citoyen aux
femmes
L’œuvre ne va pas sans poser problème dans sa structure : « Postambule » Inciter les femmes à lutter
constituée de différents textes regroupés dans une même bro- pour faire reconnaître leurs
chure, elle présente en outre une argumentation qui, sans être droits
écrite « à sauts et à gambades » à la façon d’un essai de Montaigne, « Forme du contrat social de Réfléchir à l’institution du
semble s’autoriser des digressions (tout au moins apparentes) qui l’homme et de la femme » mariage et proposer un
peuvent faire perdre le fil du propos. Il paraît donc utile de consa- contrat d’union qui pourrait se
crer une séance à élaborer avec les élèves des repères de lecture. substituer à celle-ci
Activités Post-scriptum Ancrer la brochure dans
l’actualité la plus immédiate
1. La cohérence du discours
(acceptation de la Constitution
À l’aide de votre édition, reliez chaque partie du texte de la bro-
par le roi ; discours de
chure Les Droits de la femme à chacune des fonctions globales sui-
Talleyrand sur l’éducation
vantes :
nationale…)
– réfléchir à l’institution du mariage et proposer un contrat d’union
qui pourrait se substituer à celle-ci ; 2. Un préambule est, selon Le Nouveau Petit Robert (1993) « ce dont
– inciter les hommes à prendre conscience de l’absence de fonde- on fait précéder un texte de loi pour en exposer les motifs, les buts »,
ment naturel de la domination masculine dans la société ; puis, par extension, un « exposé d’intentions préalable à un discours,
– élargir le texte de la Déclaration des Droits de l’Homme et du à un écrit ». Le terme, emprunté au latin médiéval praeambulum
Citoyen aux femmes ; qui a le même sens juridique, dérive du latin classique ambulare,

Séquences 1re
« marcher », et de prae, à l’origine du préfixe pré-, « devant ». Il appa- hommes et des femmes gangrène la société). L’esclavage se révèle
raît en français dès le xive siècle selon le Dictionnaire historique de la être un argument a fortiori en faveur de l’égalité entre les êtres,
langue française d’Alain Rey. Sur le même modèle est formé le mot et l’anecdote personnelle une preuve de l’inégalité des sexes.
« postambule », a priori non attesté avant O. de Gouges, à l’aide de L’argumentation est donc plus unifiée qu’on peut d’abord le penser.
post-, élément issu du latin et signifiant « après » ou « derrière ». On
voit le parallèle avec les mots préface et postface. Le « Préambule » et Pour aller plus loin
le « Postambule » d’O. de Gouges forment un encadrement néces-
Afin d’illustrer le lien entre l’esclavage et la condition féminine,
saire à la Déclaration : le préambule en justifie la nécessité juridique
on étudie une oeuvre du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux.
et politique (et souligne qu’elle est attendue et réclamée par les
femmes), tandis que le postambule incite les femmes à en prendre
acte et à utiliser leurs droits désormais officiellement déclarés,
donc reconnus. Mais on sait que le « Postambule » répond aussi
en écho au texte liminaire « Homme, es-tu capable d’être juste ? »
puisque ces deux textes s’adressent respectivement aux femmes
et aux hommes.
3. La « Forme du contrat social de l’homme et de la femme » suit un
parcours argumentatif d’apparence assez désordonnée. Le 1er para-
graphe est une sorte d’ « acte conjugal » laïc que l’autrice propose
comme texte juridique pour remplacer l’institution du mariage, et
que le 2e paragraphe justifie en en faisant un texte garant d’une
certaine protection pour les deux individus du couple et les enfants.
Le 3e paragraphe envisage plusieurs lois complémentaires proté-
geant les femmes vulnérables comme les veuves ou les prostituées ;
le 4e renvoie ces projets et certains aménagements sociaux (tel le
mariage des prêtres) à leur fondement : la nature. Le 5e paragraphe
constitue une apparente digression sur l’esclavage des « hommes
de couleur », mais c’est pour souligner ensuite, par un parallèle entre
la situation de ces esclaves et celle des femmes, que l’égalité entre
les êtres implique le droit à la liberté. Les paragraphes 6 et 7 font
une transition vers le long paragraphe final (si l’on excepte le P.-S.)
qui est entièrement narratif : la querelle entre l’autrice, un cocher
et un « commissaire de paix » passablement misogynes permet de
mettre en scène, dans une anecdote plaisante, le traitement injuste
des femmes, à tous les niveaux de la société. Derrière l’apparent
désordre et les fausses digressions, on sent que le texte progresse
en fait dans l’argumentation d’une thèse unique : il faut que la loi
Image à projeter
se rapproche du droit naturel, qui doit s’appliquer universellement,
que ce soit dans les colonies (où l’esclavage n’est plus justifiable) es éléments
D
J.-B. Carpeaux, Pourquoi naître esclave ? pour une étude
ou sur le territoire métropolitain (où l’inégalité de traitement des 1868, coll. part. de l’œuvre
Étape 2 Questions de genre
Séance 3 Un écrit composite ? tinataires explicites, la diversité même des intentions auxquelles
elle répond, tout contribue à une identité générique flottante. On
pourra donc aborder cette question du genre littéraire en axant la
Support : L’édition de l’œuvre réflexion sur quatre pistes différentes : le texte juridique, la diatribe,
Objectif : Identifier les différents genres littéraires convoqués l’essai et le discours oratoire.
par l’autrice dans son œuvre
Durée : 2 heures Questions
1. Relevez, dans le « Préambule », dans les dix-sept articles de la
L’œuvre présente une incertitude quant à son statut générique : « Déclaration » et dans le 1er paragraphe de la « Forme du contrat
l’hétérogénéité des textes qu’elle rassemble, ses caractéristiques social de l’homme et de la femme », les thèmes, le lexique et
stylistiques qui (au moins en apparence) ressortissent à une spon- les procédés d’écriture qui caractérisent, selon vous, un texte
tanéité qui la rapproche parfois de l’oralité. La multiplicité des des- juridique.

2. Relisez le passage de la « Forme du contrat social de l’homme et Convoquant finalement l’anecdote autobiographique, l’autrice fait
de la femme » consacré à l’esclavage (de « il était bien nécessaire » à de la dernière partie de sa brochure une sorte d’essai, dont elle sou-
« toutes les calamités vers l’Amérique ») : quel registre littéraire est mis ligne d’ailleurs l’incomplétude : « que je dise quelques mots sur les
en œuvre ? Justifiez votre réponse. troubles […] dans nos îles ».
Éléments de réponse Activité en vue d’un bilan

1. Les élèves pourront remarquer le recours à des notions morales, On conclut la séance en montrant que la véritable uni-
sociales ou politiques : la vérité, la raison, l’égalité, le « corps social », té générique de l’œuvre se trouve dans le genre rhétorique
la nation, la loi, les peines, le « bien commun », etc. Le lexique juri- du discours. Vous rappellerez la structure classique du dis-
dique est largement présent : « les droits naturels, inaliénables », cours : exorde (en partie voué à la captatio benevolentiae),
« leurs droits et leurs devoirs », « imprescriptibles », « loi établie et pro- narration, confirmation et péroraison. Sans aller jusqu’à faire
mulguée antérieurement au délit », « juste et préalable indemnité », d’O. de Gouges une logographe au sens antique, on soulignera
« souscrire à la loi », parmi d’autres exemples. Mais on remarquera le fait que son œuvre suit cette dispositio globale : le texte limi-
surtout : naire « Homme, es-tu capable d’être juste ? » joue le rôle d’exorde
– les tournures généralisantes, marquées par l’emploi des déter- (pourtant paradoxal puisque, loin de capter la bienveillance de
minants indéfinis « tout » et « nul » : « Toute femme » (article 9), l’auditoire masculin, il l’attaque avec véhémence) ; la narratio
« Toute société » (article 16), « nul corps, nul individu » (article 3), est constituée par la « Déclaration des droits de la femme et de la
« Nulle femme » (article 7), ou de leurs équivalents pronominaux : citoyenne » elle-même ; la confirmatio, argumentative, est dans
« tout ce qui n’est pas défendu » (article 5), « Nul ne doit être inquiété » le « Postambule » et dans une grande partie de la « Forme du
(article 10) ; contrat social », l’anecdote finale jouant le rôle d’une péroraison
– l’emploi omniprésent des noms abstraits, des articles définis à (en faisant appel aux émotions de l’auditoire : amusement et
valeur générique, et du présent à valeur de vérité générale, à l’ins- indignation à la fois).
tar de la formule suivante : « La liberté et la justice consistent à rendre
tout ce qui appartient à autrui » (article 4) ;
– l’emploi récurrent des auxiliaires modaux devoir et pouvoir : « La Une fiche pour un devoir maison
loi doit être l’expression de la volonté générale » (article 6), « Toute On demande aux élèves de lire le texte de la
citoyenne peut donc dire librement » (article 11) ; Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789)
– les formules solennelles, avec verbes performatifs : « reconnaît et et de le confronter au préambule et aux dix-sept
déclare » (« Préambule »), « nous nous obligeons » (« Contrat social ») ; articles de la Déclaration des droits de la femme et de
– les formules juridiques consacrées : « Considérant que… » la citoyenne, en soulignant scrupuleusement tous
(« Préambule »), « Nous N et N […] nous unissons » (« Contrat social » ; les termes et formules qu’O. de Gouges reprend à
l’emploi du pronom « Nous » incluant les deux conjoints qui s’en- son hypotexte.
gagent).
2. Dans le passage sur l’esclavage, O. de Gouges met en œuvre le
registre polémique. En effet, elle accuse explicitement certaines
personnes d’attiser l’agitation des colonies (« Il n’est pas difficile de
deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires : il y en a dans
le sein même de l’Assemblée nationale ») ou de cruauté envers les Enjeux d’une réécriture
Séance 4
esclaves (« despotes », « colons inhumains »). Ces attaques ad homi-
nem s’appuient sur un blâme moral qu’expriment les termes péjo-
au féminin
ratifs tels que « âmes endurcies », « notre cupidité », « notre aveugle
Supports :
ambition ». Le lexique du crime s’impose : « embraser », « étouffe »,
– Le texte d’Olympe de Gouges
« violence ». L’insistance accusatrice est manifeste dans les – La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789)
répétitions lexicales (dérivation « méconnaissant » / « méconnaît ») Objectifs :
et la triple anaphore en « C’est là où… ». La volonté de dénoncer – Étudier les modalités de la réécriture
avec vigueur amène des hyperboles, comme « la nature frémit – Rappeler certaines idées des Lumières
d’horreur » ou « acheminer toutes les calamités vers l’Amérique ». Le – Mémoriser et oraliser certains passages de l’œuvre
registre polémique, qui apparaît également dans d’autres passages Durée : 2 heures
de l’œuvre, apparente celle-ci à une véritable diatribe.
3. La « Forme du contrat social de l’homme et de la femme » dérive
clairement vers le genre de l’essai, glissant d’un thème à l’autre, Il semble incontournable de voir comment, en réécrivant la
sous un apparent désordre digne des « sauts » et des « gambades » Déclaration de 1789 au féminin, O. de Gouges met en place une
de Montaigne (voir séance 2). L’autrice restreint en même temps tactique politique efficace qui consiste à combattre les députés
progressivement le champ de son argumentation : du texte juri- de l’Assemblée, dont une majorité s’opposait à la participation
dique proposé comme universel, elle passe à des considérations des femmes à la vie politique, avec leurs propres armes, puisque
générales sur la situation des femmes et sur l’esclavage, puis sou- la Déclaration de 1789 était leur œuvre. Celle-ci en effet résulte
met au lecteur une anecdote personnelle. On pourrait schématiser de leurs réflexions, compilées par cinq rédacteurs, dont Mirabeau
cette progression : (1749-1791). La séance se déroulera au C.D.I. ou en salle informa-
tique, afin d’avoir accès à toute documentation utile sur le siècle
Tous ➞ un grand nombre ➞ moi des Lumières. Vous proposerez un travail par petits groupes de
deux à quatre élèves.

Séquences 1re
Questions pourtant que la provocation ne s’arrête pas là et affirme ensuite la

1. Commentez le titre commun aux deux textes : « Déclaration ». supériorité du sexe féminin « en beauté comme en courage dans les
Que sous-entend ce terme par rapport aux droits qui vont être souffrances maternelles ».
énoncés ? 3. On pourra retenir les idées récurrentes de liberté et d’égalité,
2. O. de Gouges a-t-elle la même légitimité politique que les dépu- de liberté de pensée et d’expression, d’équilibre des peines et des
tés de l’Assemblée pour établir une telle « déclaration » ? Comment délits, les valeurs de la nature et du droit, etc., et plus précisément
le préambule contourne-t-il cette difficulté ? les quelques sources suivantes :
3. Quelles valeurs (morales, philosophiques) des Lumières retrouve- – la notion de citoyenneté renvoie à la pensée de J.-J. Rousseau,
t-on dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ? Faites et repose sur la loi, seule force capable de transformer les droits
des recherches documentaires si besoin. naturels de l’être humain en faits établis (Du contrat social, 1762) ;
4. En vous fondant sur la comparaison des deux textes, commentez – les articles VIII à XI, portant sur la justice et sur la liberté de religion
la réécriture de la Déclaration de 1789 par O. de Gouges dans le et d’opinion, renvoient à la pensée de Voltaire (Traité sur la tolérance,
préambule et dans les articles 2, 3, et 10 : comment l’autrice pro- 1763) ;
cède-t-elle ? – l’article XVI, qui instaure la séparation des pouvoirs, a sa source
chez Montesquieu (De l’esprit des lois, 1748).
Éléments de réponse 4. La réécriture est, dans une large mesure, fidèle à son hypotexte
1. Le sens du mot déclaration est ici l’affirmation écrite de révéler de 1789, mais on peut identifier avec les élèves certains procédés.
et de proclamer l’existence d’une situation de fait ou de droit. Cela a. L’explicitation à finalité universaliste (par ajout)
implique que les droits qui vont être énoncés ne sont ni fondés ni – « La conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme »
établis par le texte, mais simplement désignés et mis au jour par ➞ « de l’homme et de la femme » (article 2)
lui. Les droits dont il va être question sont donc présentés comme – « Dans la nation » ➞ « dans la nation, qui n’est que la réunion de la
préexistant à leur formulation. Ils découlent du droit naturel, qui femme et de l’homme » (article 3).
vient de la nature même de l’être humain : « Les hommes naissent et b. Le soulignement polémique (par ajout)
demeurent libres et égaux en droits » (article 1, 1789) / « […] l’exercice – « La sûreté et la résistance à l’oppression » ➞ « la sûreté, et surtout la
des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpé- résistance à l’oppression » (article 2).
tuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par c. Le déplacement thématique (par substitution et ajout), dans
les lois de la nature et de la raison » (Olympe de Gouges, article 4). l’ensemble de l’article 10
La nature et la raison fondent les droits de l’humanité avant même – « Opinions religieuses » ➞ « opinions même fondamentales »
que celle-ci en prenne conscience et les formule. – Ajout du droit de monter à la tribune
2. O. de Gouges n’est pas une élue : en « déclarant » les droits de la
femme et de la citoyenne, elle s’arroge une fonction législative qui Activité orale : un peu de théâtre
n’appartient qu’à des hommes (les députés). Ce coup de force est Afin que les élèves mémorisent bien le texte des articles d’O. de
étayé dans le préambule par l’attribution aux femmes du statut de Gouges et entendent la différence avec son hypotexte de 1789, orga-
citoyennes : à l’énumération des statuts privés des femmes (« Les nisez une restitution orale des dix-sept articles de chacun des deux
mères, les filles, les sœurs ») succède en effet l’apposition « représen- textes par binômes : l’un des élèves met en voix un article de 1789,
tantes de la nation » qui les subsume dans un statut civique. L’autrice le second l’article correspondant d’Olympe de Gouges. Les élèves
atténue cependant la force provocatrice de cette autopromotion ajoutent un travail sur la diction et organisent une mise en scène. On
par ce qui suit : « demandent d’être constituées en Assemblée natio- peut imaginer par exemples que les binômes se lèvent quand vient
nale », ajoutant une notion de requête plus modeste. On sait leur tour, se regardent et échangent leur texte comme un dialogue.
Étape 3 Une écriture de combat
Séance 5« Homme, es-tu capable rité masculine. La division en paragraphes est ici suffisamment
signifiante pour que les élèves n’hésitent guère sur les mouve-
d’être juste ? » ments du texte.
Support : Le texte « Homme, es-tu capable d’être juste ? » (P. 17) Questions

Objectif : Mener le commentaire linéaire d’un passage polémique 1. Du début à « cet empire tyrannique » : comment l’autrice oblige-t-
Durée : 2 heures elle l’homme à répondre de ses injustices envers la femme ?
2. De « Remonte aux animaux » à « chef-d’œuvre immortel » : quelle
On pourra procéder à l’étude linéaire du texte « Homme, es-tu fonction cette comparaison avec les êtres de la nature peut-elle
capable d’être juste ? », seuil de la Déclaration, qui peut réactiver avoir ?
les acquis de la séance 3 sur le registre polémique. Dans cette 3. De « L’homme seul » à la fin : comment l’autrice met-elle en valeur
adresse vigoureuse à l’homme, l’autrice fait entendre une impla- l’aberration que constitue à ses yeux la prétendue supériorité
cable accusation et montre l’illégitimité de la prétendue supério- masculine dans la société ?

Éléments de réponse l’autrice met une dernière fois l’homme face à ses contradictions
1. L’apostrophe initiale « Homme », à valeur générale, est une et rappelle sa tyrannie. Malgré son ignorance hyperbolique (« la plus
ouverture abrupte, qui prend à partie l’adversaire, d’autant plus crasse »), il veut régner en « despote » sur « un sexe qui a reçu toutes
agressivement que le tutoiement (qui par ailleurs marque l’égalité les facultés intellectuelles » (cette hyperbole répond à la précédente).
des deux adversaires) relève de la familiarité. L’adjectif « capable » La dernière phrase indique donc le projet de ce « sexe » qui vient
sous-entend d’emblée que la justice de l’homme n’est au mieux d’être nommé (en une probable rupture de la chaîne anaphorique,
qu’une possibilité (valeur du suffixe -able) et non un fait. Par la ques- puisque le pronom « il » renverrait plus logiquement au même
tion rhétorique, l’homme est sommé de répondre de ses actes. Face référent que le « il » précédent : l’homme) : réclamer ses droits à la
à cet « Homme » collectif, l’énonciatrice se désigne comme « une faveur de la Révolution, et peut-être même affirmer sa supériorité,
femme » : seule (l’article indéfini a ici valeur singulière), elle se dresse comme le sous-entend « pour ne rien dire de plus ».
contre l’être masculin en général, elle fait donc preuve de courage ;
en outre, sa féminité la désigne comme une adversaire.
En formulant une question, l’autrice prouve en acte (la question La question de l’égalité
Séance 6
est un acte de langage) que son droit à la parole ne peut lui être
dénié. C’est pourquoi elle enchaîne quatre autres questions ora-
économique
toires (parfois elliptiques) qui, par leur nombre même, leur insis-
Support : Le texte du « Postambule », de « L’esclave commande
tance, mais aussi leur valeur injonctive (« Dis-moi ? ») et ironique
au maître » à « quand elle en aurait toute la capacité. » (Édition de
(« Ta force ? Tes talents ? »), reprise distanciée d’éléments dont se l’œuvre p. 29-30)
prévalent les hommes), sont des accusations. La question « Qui t’a Objectif : Analyser la tactique argumentative en vue d’un com-
donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? » sous-tend une mentaire linéaire
polémique en répondant à la question initiale, puisque l’homme, Durée : 2 heures
en « opprim[ant] » l’autre sexe ne saurait en effet paraître capable
d’équité. La valeur hyperbolique de « souverain empire » renvoie Ce passage souvent tenu pour secondaire au sein de l’œuvre,
à l’idée du despotisme, si combattue par les Lumières, comme le placé à la fin du « Postambule », aborde la question cruciale
montre sa reprise finale en « empire tyrannique ». Entre deux, une de l’égalité économique, ou tout au moins de la protection
série de trois verbes à l’impératif incite l’homme à se remettre en financière des femmes. Vous pourrez axer le commentaire sur le
cause en observant la nature, point de référence ultime de toute circuit argumentatif mis en place par l’autrice pour convaincre et
morale (qui plus est rapportée au Créateur – Dieu ou Être suprême). persuader le lecteur, le passage ayant recours à des arguments
Accusé d’orgueil par sa volonté de vouloir se « rapprocher » variés, relevant à la fois des émotions et du raisonnement logique.
du divin, appelé à consulter sa conscience par la subordonnée
accusatrice « si tu l’oses », l’homme semble ne pas pouvoir atteindre Questions
les vertus de « sagesse » et de « grandeur » qui le justifieraient. 1. Du début à « pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? » : comment
2. Le paragraphe s’ouvre sur une phrase qui, en un style coupé l’autrice montre-t-elle la fragilité du pouvoir des femmes sur les
qui lui donne sa vivacité, accumule les verbes à l’impératif pour hommes ?
enjoindre à l’homme d’observer la nature : « consulte », « étudie », 2. De « D’autres exemples » à « perd ses droits » : analysez comment
« jette », « cherche, fouille et distingue ». Il s’agit de l’obliger à se l’autrice donne toute sa force à l’exemple d’infortune qu’elle donne.
rendre à l’évidence des faits, par un constat opéré à partir de 3. De « Quelles lois » à la fin du passage : étudiez les propositions
l’intégralité de la nature, dont tous les constituants sont énumérés concrètes de l’autrice pour améliorer la condition sociale des
(« animaux », « éléments », « végétaux », « matière organisée »). La femmes.
phrase suivante martèle, grâce à l’anaphore de l’adverbe antéposé
« partout » et au lexique de l’union (« confondus », « coopèrent », Éléments de réponse
« harmonieux »), l’idée que l’égalité entre les sexes est créatrice de la 1. Le passage se situe après qu’O. de Gouges a comparé la situation
beauté de la nature, hyperboliquement désignée comme un « chef- des femmes à celle des esclaves : comme un esclave, la femme peut
d’œuvre immortel ». La comparaison entre l’humanité et le reste de être achetée par un homme, dans un marchandage qui va de la
la nature doit donc faire comprendre que la supériorité masculine prostitution à la maîtresse entretenue. Or O. de Gouges concède
n’est pas naturelle, mais artificiellement revendiquée et instaurée d’emblée une différence, formulée sous la forme d’un paradoxe :
par l’homme. « L’esclave commande au maître ». Cette inversion du rapport
3. Le dernier paragraphe souligne l’aberration de cette prétendue de force vient de l’emprise que la femme, par ses charmes, peut
supériorité masculine. Changeant d’énonciation, l’autrice passe avoir sur l’homme. Cependant la suite de la phrase, relancée par
du tutoiement à la troisième personne : « L’homme », dans une « mais », propose un raisonnement hypothétique qui vient nuancer
mise à distance qui ramène l’homme à son rang d’espèce parmi la portée du paradoxe, pour aboutir à un nouveau paradoxe :
les autres. Elle souligne l’aberration du comportement humain l’affranchissement peut être une déchéance, et non une délivrance.
par les mots « seul » et « exception », mais aussi par l’emploi du Présenté sous la forme d’une question rhétorique, ce raisonnement
verbe « s’est fagoté », péjoratif et connotant l’artifice inabouti. en appelle à la pitié du lecteur. Le lexique de la privation (« sans
L’accumulation d’adjectifs dévalorisants voire insultants attaque récompense », « a perdu ») et la formule pathétique « cette infortu-
avec véhémence l’homme, et le met cette fois en porte-à-faux non née » renforcent cet effet. La question rhétorique reçoit une réponse
plus avec la nature, mais avec les progrès de la société. Jouant sur d’une brièveté douloureuse : « Le jouet du mépris », périphrase
des antithèses (« aveugle » vs « lumières », « dégénéré » vs « sagaci- émouvante qui réifie l’ancienne exclave et montre ainsi que sa
té », « sciences » vs « ignorance ») et d’une chaîne sonore frappante situation a empiré. Elle ne reçoit même plus l’aide charitable des
(allitérations en /b/ et en /s/, assonances en /é/, /è/ et en /a/), autres : la métaphore hyperbolique des « portes mêmes de la bienfai-

Séquences 1re
sance […] fermées » exprime à la fois l’absence de recours financier

et l’exclusion sociale. Cette exclusion est en outre soulignée par une
sorte de discours rapporté (au discours direct libre) qui explicite le
mépris général pour une femme « pauvre et vieille » qui n’a pas su
profiter de ses atouts.
2. S’appuyant sur des arguments empiriques, l’autrice annonce
des « exemples encore plus touchants », programmant l’effet
pathétique du récit illustratif qui suit. Or ce récit prend un cas
presque opposé au précédent : la « jeune personne sans expérience »
s’oppose par antithèse à la « pauvre et vieille » femme abandonnée.
Le récit rappelle une situation romanesque tout à fait convenue
des narrations du xviiie siècle, de Richardson à Laclos : l’ingénue
séduite puis délaissée. L’emploi du futur de conjecture (« abandon-
nera », « laissera », « sera ») permet de présenter le récit comme
probable, par inférence avec des situations fréquentes. Du registre
pathétique on glisse vers le registre polémique, grâce à des termes
qui accusent de cruauté l’homme séducteur : « ingrat », « incons-
tance », « inhumaine ». La corrélation « plus…, plus… » met en valeur
l’ingratitude par l’inversion du lien causal entre fidélité et reconnais- We want sex equality, réal. Nigel Cole, 2011, avec Sally Hawkins,
sance. Par l’accumulation de quatre systèmes hypothétiques paral- Miranda Richardson et Rosamond Pike.
lèles (« si » introduisant une subordonnée au présent + principale
au futur), l’autrice montre que la victime n’a aucune échappatoire :
quelle que soit la situation familiale ou financière de l’homme, elle
sera perdante. On notera la force des mots dénonçant l’attitude
Séance 7 Évaluation
masculine (« abandonnera », « violera ») ainsi que l’illogisme du
rapport entre les « engagement[s] » moraux qui devraient protéger Supports :
la victime et les « lois » qui protègent le criminel. – Sujet de dissertation (séries générales)
3. Après les exemples vient une question qui relance la réflexion vers – Sujet de contraction de texte (G. Sand, lettre « Aux membres du
sa conclusion : « Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice Comité central », 1848) et d’essai
Objectifs :
jusqu’à la racine ? ». Le connecteur « donc » marque le raisonnement
– Se préparer à la dissertation
déductif : des constats doivent découler des mesures concrètes, – S’entraîner à la contraction de texte et à l’essai
les « lois » destinées à déraciner le « vice » (la métaphore végétale Durée : 2 heures
souligne la profondeur du mal, son implantation presque naturelle
dans la société). Ces propositions de lois sont au nombre de deux :
le « partage des fortunes » entre les sexes mais aussi le partage de ➥ Sujet de dissertation
« l’administration publique », second partage mis en valeur par son
détachement en hyperbate après la virgule et la conjonction « et ». La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)
Il s’agit de pourvoir aux ressources financières des femmes, comme d’O. de Gouges n’est-elle qu’un écrit de circonstance ?
le souligne le champ lexical de l’argent, très développé : « fortunes »,
« riche », « gagne », « égalité des partages », « pauvre », « pauvreté ». Or ➥ Sujet de contraction de texte et d’essai
l’autrice précise ensuite l’importance des deux lois envisagées : si au
sein d’une famille « riche » le partage des fortunes suffit, au sein d’une Contraction : résumez le texte de G. Sand en

Dans la banque
famille pauvre la femme doit pouvoir accéder à une charge publique 190 mots (tolérance : +/- 10%). Vous indiquerez à la de ressources,
pour gagner sa vie, sinon elle risque « [l]a pauvreté et l’opprobre », à fin de votre contraction le nombre de mots utilisés. le texte proposé
Essai : l’écrivain et l’artiste doivent-ils, selon en contraction
moins de pouvoir faire reconnaître des talents artistiques. Ainsi voit- et des pistes de
on que l’autrice, s’appuyant à la fois sur des arguments émotionnels vous, prendre position dans les débats de société ? corrigés.
(le pathétique) et rationnels (des exemples et un examen des liens de
causalité), parvient à montrer le bien-fondé des réformes législatives
qu’elle soumet aux députés de l’Assemblée.
Étude d’images
Vous pouvez comparer deux images représentant la
revendication d’indépendance financière des femmes :
un tableau de Marie-Nicole Vestier, L’Auteur à ses occu-
pations (1793), qui dit, déjà, la difficulté d’être mère et
artiste, et un photogramme du film de Nigel Cole We
want sex equality, qui raconte de la grève des ouvrières
des usines Ford de Dagenham dans la banlieue de
Londres.

Lecture cursive et commentaire 1re
LYCÉE GÉNÉRAL ET TECHNOLOGIQUE
OBJET D’ÉTUDE a littérature d’idées

➜L
du xvie siècle au xviiie siècle
PARCOURS ➜ écrire et combattre pour l’égalité
TEXTE DU COMMENTAIRE ➜ Lola Lafon, Chavirer
Chavirer dans la lecture cursive

« Il faut raconter ce qui hante »
Par Véronique Delfau, professeure de Lettres modernes
Présentation
Incontournable dans le paysage éditorial, Chavirer, de Lola
Support • Lola Lafon, Chavirer, 2020, Actes Sud Lafon, s’impose comme une lecture cursive qui touchera les élèves.
• Degas, L’Attente, 1879 Fragiles, vulnérables car très exposés sur les réseaux, les adoles-
cents ont besoin de contre-pouvoirs pour se prémunir des multi-
Sommaire ÉTAPE 1. Eh bien dansez maintenant !
ples malveillances qu’ils occasionnent. La littérature en est un, et il
ÉTAPE 2. Cathy ou le mentor ne faut pas craindre de nous emparer de sujets longtemps tabous si
maléfique nous voulons former des esprits avertis et abolir les pièges dressés
ÉTAPE 3. La question devant les Cécile Volanges d’aujourd’hui. Les personnages de ce
du consentement roman, identités adolescentes, sont épluchés sous le fard et les pail-
ÉTAPE 4. Vers le commentaire lettes de la reconnaissance spécieuse d’adultes malintentionnés. Ce
➔ Le commentaire rédigé faisant, Lola Lafon fait entendre sur la portée du roman d’appren-
tissage le chant de ces sirènes contemporaines.
Commentaire BAC
Les ressources !
L ’article de la revue
Le tableau de Degas,
image projetable
Étape1, partie 3.
La description des
personnages secondaires
au fil du récit
Le texte du commentaire
Degas, L’Attente, vers 1882, Fondation Paul Getty.

XXXXXXX Lecture cursive et commentaire 1re
Étape 1 Eh bien dansez maintenant !
upports :
S • Un rêve souvent brisé
– Lola Lafon, Chavirer, 2020 Fantasme de mères mues par « le désir féroce » de « posséder des
– Degas, L’Attente, 1879 filles limpides, immatérielles, sylphides au corps vidé de leur mauvais
Modalité : Enquête et exposés d’élèves sur l’entrée de leur choix, sang », la danse classique s’enseigne en cours privé qui « regorgeait
analyse picturale, écritures d’invention et d’appropriation d’élèves du collège privé ». Elle exige des moyens. La discrimination
Objectif : Faire découvrir par des propositions variées un roman classique opère aussi dans l’univers de la publicité. « Son agence
d’apprentissage actuel dans l’univers de la danse l’envoyait aux castings pour Tahiti douche, une marque de couscous ou
de rhum », son teint n’évoquant pas « la limpidité d’une eau minérale,
l’odeur de frais d’un déodorant. »
1 Danser : un lac de signes • Un métier « sans gloire » au statut piétiné
à décrypter Lorsque le rêve classique s’est dissipé, le modern jazz offre des
carrières professionnelles. Observant l’émission Champs-Élysées, « des
La représentation de 2 mondes qui s’opposent danseurs ondulant comme des rivières rapides » Cléo trouve sa voie :
Le cours de danse de Madame Nicolle est le creuset de deux « voilà ce qu’elle voulait faire » et s’inscrit au cours de Stan à la MJC.
mondes antagonistes. S’y pressent les élèves du collège privé Cette fois, à vingt-sept ans, le rêve devient réalité et Lara, sa
de la Providence aux prénoms, chargés de promesses, « Eugénie, colocataire la découvre à l’écran en fond de plateau, « un samedi soir
Béatrice » ; s’y fait entendre leur mode de vie « week-end en de décembre à 20 h 30 . » La variété exhibe un corps sexualisé, « une
Normandie, des vacances aux Baléares, un séjour linguistique aux paire de fesses célèbres ». Cependant, une fois les créatures visuelles
Etats-Unis », le personnel de maison, les hauts lieux culturels réassemblées et démaquillées, à « la sortie du théâtre, les spectateurs
fréquentés « Comédie-Française » et « théâtre des Champs-Élysées ». les croisaient sans les reconnaître, des jeunes filles pâlottes et fatiguées
À l’opposé, Cléo tait « prudemment son adresse » ainsi que « la Ford aux cheveux ternis de laque. » En dépit d’un entraînement forcené,
Escort de ses parents tout comme le métier de sa mère, vendeuse « semblables à des formules 1 » les danseurs de variété ne sont pas
dans une boutique de vêtements pour femmes fortes », marqueurs élevés au rang d’artistes et leur condition – bas salaires, heures sup-
sociaux si peu ostentatoires. Pour acquérir leurs codes, « Cléo s’était plémentaires non rémunérées – n’est guère enviable.
appliquée à parler le langage de la danse classique comme on s’es-
saie à « prendre l’accent » d’une langue étrangère sans jamais l’avoir Écriture d’invention
en bouche. » Vaine tentative, du bout des lèvres Madame Nicolle Consigne. À partir de votre perception du tableau, imaginez un
réoriente l’intruse qui « s’en était retournée à la morosité des samedis bref récit dont l’instant fixé par Degas serait l’épilogue. Les peintres
devant la télé. » Avec des rêves plein la tête, comment vivre avec des « ont le privilège de se faire les romanciers du corps » écrivait Camus
« parents affalés dans le canapé, le dos rompu de s’être fait à tout ; elle dans Noces, appuyez-vous sur les éléments corporels du person-
était terrible, leur lenteur à vivre, cette boucle de l’amertume dans nage de la danseuse qui renvoient à ce qui a été étudié dans le
laquelle ils étaient comme dans un labyrinthe » roman pour construire votre interprétation.
Alors, quand soudain son univers se colore, Cléo l’ado frappe
à la porte de lendemains qui dansent pour quitter cette existence Ecriture d’appropriation
aux coins racornis. » Consigne. En observant le tableau de Degas intitulé L’attente,
La peinture de l’univers de la danse sans tenir compte des costumes d’époques, expliquez qui pour-
rait être le personnage féminin à côté de la danseuse et à quel(s)
• Un apprentissage exigeant et une souffrance
extrait(s) du roman il peut renvoyer.
La danse requiert passion et travail, aussi est-elle l’élément cen-
tral de la vie de l’héroïne. « La danse ferait patienter sa vie, il n’y aurait
rien d’autre, avait écrit Cléo dans son journal ». Le cours de Stan devient 3 Renaître en identités diffractées
le lieu où elle existe pleinement : « là elle pouvait s’inventer ». Pour inté-
grer une compagnie comme celle de Malko, un travail acharné s’im- Modalités : Analyse d’une architecture romanesque
pose jusqu’à atteindre la perfection au son d’une ritournelle continue Objectif : Relier le jeu des points de vue à l’évolution
du personnage
« Refais refais refais », malgré l’épuisement des corps. « Tous avaient la
nausée en sortant des cours. Tous racontaient ce moment où, à force,
ils ne savaient plus ce que leur corps exécutait et où ils « refaisaient ». Le La narration emprunte les regards de personnages rencontrés.
chorégraphe « la réécrivait. » Pourtant, en dépit d’un travail acharné, L’identité du personnage central est perçue à travers ces angles
toujours renouvelés On peut donc lancer les élèves sur la piste des
de nombreux postulants « ne danseraient jamais les rôles pour lesquels
personnages secondaires pour voir comment et pourquoi la roman-
ils s’étaient entraînés si longtemps ».
cière les introduit dans le récit, à divers âges de Cléo. Ils pourront
Incessante, la souffrance habite chaque recoin de la journée, lors
choisir pour ensuite les présenter oralement.
des cours où il convient de garder le « sourire en dépit d’une douleur
Repérer les divers personnages au fil de
persistante, sourire en dépit de la nausée, un effet secondaire des anti-in-
l’évolution de l’héroïne ? En quoi chacun Les éléments de
flammatoires ». Les corps confiés au soigneur « bon à coller des rustines réponse sont
délivre-t-il une nouvelle facette de Cléo ?
sur des mécaniques épuisées », ne sont qu’un assemblage de « pieds disponibles
déformés, dos musculeux et chevilles gonflées de liquide synovial, cernes dans la banque
noirs et lèvres palies à force de privations alimentaires. » de ressources.

Étape 2 Cathy ou le mentor maléfique
y apprendre que l’amitié que les personnes de mauvaises mœurs pa-
Supports : – Lola Lafon, Chavirer, 2020
raissent leur accorder si facilement, n’est jamais qu’un piège dange-
– Un extrait de la préface des Liaisons dangereuses de Laclos
reux, et aussi fatal à leur bonheur qu’à leur vertu.
Modalité : Enquête sur un personnage, écriture dans le carnet
de lecteur Laclos, préface des Liaisons dangereuses.
Objectifs : Etudier la toxicité d’un personnage magnifiquement
vénéneux Ecriture d’invention
Consigne. En vous inspirant de cette préface et en vous fondant
1 Deux « petites musiques » sur les arguments empruntés à Laclos et contextualisés, rédigez un
texte invitant les élèves de votre lycée à lire Chavirer.
instructives
Choderlos de Laclos justifie la nécessité de lire son roman Les Liaisons 2 Cathy, héritière de la marquise
dangereuses, pour tenter de garantir des rapports humains conformes de Merteuil
aux bonnes mœurs, en révélant la manipulation et ses mécanismes.
Question
TEXTE
Comment Cathy procède-t-elle pour approcher et recruter les ado-
Il me semble au moins que c’est rendre un service aux mœurs, lescentes ? En cas d’échec, que propose Galatée?
que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mau-
vaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces Éléments de réponse
lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la
preuve et l’exemple de deux vérités importantes qu’on pourrait croire Femme aussi perfide qu’avisée, à l’image de la Marquise Merteuil,
méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées : l’une, que Cathy piège sans difficulté les filles de treize ans déployant un scé-
toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans nario parfaitement réglé, déroulé point par point. Pour signaler la
mœurs, finit par en devenir la victime ; l’autre, que toute mère est au perversité et la toxicité de la relation qui s’instaure on pourra en
moins imprudente, qui souffre qu’une autre qu’elle ait la confiance de dérouler les étapes qui vont du repérage à l’attachement indéfec-
sa fille. Les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, pourraient encore tible, en passant par l’appât et une forme de corruption.
Étape 3 La question du consentement

1 Une mascarade de consentement candidates, elle offre, telle Janus, un second visage, prise dans
la spirale de la culpabilité : « face, victime, pile, coupable ». Ayant
Bénéficiaire d’une stratégie rodée, Jean-Christophe, le juré, acquis au collège « un pouvoir plus magnétique encore », entourée
entrouvre pour Cléo « un monde à part », induit son approbation de suppliantes, Cléo expose les avantages qu’offre la fondation
« loin des conventions, des jugements liés à l’âge » par une série avec un bémol, elle « en donnait une version policée, sans men-
d’interrogations : « personne ne lui avait jamais demandé l’autorisa- tion de Jean-Christophe ni de doigts » confirmant la dualité de son
tion de quoi que ce soit, cette douceur, ce respect étourdissant de J-C, statut.
Cléo adorait ça, ses mots dilués jusqu’au chuchotement. » Comment Comment évaluer la responsabilité d’une enfant de 13 ans ?
dire non, piégée dans cette approche inattendue et spécieuse « Je Betty devenue adulte, consciente des ravages générés par cette
peux ? Ferme les yeux Cléo. » Que signifie faire preuve de maturité ? mission, l’exempte de responsabilité.
La « petite fiancée » n’en a aucune idée, « Cléo treize ans, cinq mois et
combien de jours avait acquiescé. Dire non c’était être frigide. » Au baiser
subi du crapaud baveux, succèdent « les doigts comme des insectes 3 Les stigmates du traumatisme
agacés exaspérés de ne pas réussir à aller là où ils s’acharnaient à aller
quand même. » Prise de nausées, l’enfant violemment décontenancée Le soir-même du déjeuner, se manifestent déjà les premiers
se dérobe avec la souillure indélébile, « elle appartenait au secret d’un symptômes « La tête lui tournait comme si on l’avait balancée d’un
appartement » et « ne pourrait se plaindre à personne. » avion, solitude cosmique. Au milieu de la nuit, des nausées vides
l’avaient saisie, des spasmes et de la bile. » Le malaise s’installe, et
Il faut attendre des années pour accéder au « tiroir maintenant Cléo, est conduite de médecin en spécialiste pour soigner ses
grand ouvert à Lara, rempli de mots hachés, de mots salis, d’angoisses vomissements, urticaire ou asthme nocturne. Aucun n’apaise
nocturnes et de honte » car dans l’intervalle elle se débat seule et le corps en souffrance. Autre signe de l’effondrement psycho-
démunie. Sans cesse et sans excuse, elle se cogne au même constat logique, ses notes chutent. Des années durant, elle demeure
« N’avoir rien fait, rien dit mais avoir tout laissé s’accomplir ». enfermée dans le « manège grinçant d’une ferraille de mots sans
personne pour y mettre fin. » Ossip, le soigneur de Betty, signe
2 Martyre et bourreau un dossier attestant de son état dépressif à l’origine de ses bles-
sures. Murée dans un silence sans fin, Cléo est la caisse de réson-
Manipulée par Cathy, souillée par un membre du jury, Cléo nance d’un monologue intérieur récurrent, car le « passé était
est une victime, mais lorsqu’elle accepte de recruter de futures irréversible ».

Lecture cursive et commentaire 1re
4 Enfourcher l’actualité : #Me Too confidence. À l’orée de la seconde partie, Cléo se confie à Yonasz,
puis les documentaristes posent le cadre juridique avec l’Office
central de la répression de la traite des êtres humains et relaient
Pour élargir la question du consentement et l’inscrire dans un les témoignages de la cavalière soutenus par la main courante de
cadre actuel, Lola Lafon s’adosse à un mouvement récent #Me Too, la mère, puis celui de F. moins farouche qui obtint « une lettre de
introduit par le personnage d’Anton, neveu de Betty. Lors de son recommandation à Lagerfeld ». Le documentaire démontrera que
anniversaire, il relate deux affaires d’abus sexuel sur une joueuse de « ces gamines n’avaient pas décidé d’échanger du sexe contre un stage
tennis et une actrice relayées par la presse, qui éveillent la curiosi- ou une lettre de recommandation. » Les élèves prendront conscience
té de sa tante. Dès lors, plus question d’effacer l’« histoire compli- que « cette affaire n’est pas « exceptionnelle », elle les concerne, elle
quée » et l’appel à témoins publié dans Libération décapsule la concerne tout le monde, n’importe qui. »
Étape 4 Le texte et son commentaire

marquable, d’avoir un « destin ». Ils auraient confirmé ce dont j’étais
Objectif : Apprendre à rédiger un commentaire convaincue, déjà : mes parents ne me connaissaient pas.
Modalités : Interprétation textuelle, rédaction du commentaire J’aurai prétendu connaître les règles du jeu, j’aurai cherché à être
Support: Extrait de Chavirer de Lola Lafon, p. 330 à la hauteur de cette « maturité » louée par les pseudo-jurés. L’argent
aurait renforcé la sensation d’avoir un pied dans le futur : un salaire,
TEXTE rien qu’à moi. J’aurais fermé les yeux et n’y aurais vu que du cinéma,
de ces films dont je raffolais, dans lequel la soumission à un homme
« …J’attendais. Mon journal intime renfermait des pages entières avait les atours de l’audace et le visage de Kim Basinger dans Neuf
de serment, dont celui de tout faire pour vivre une vie exceptionnelle, semaines et demie.
sans aucune idée de ce qu’elle serait, sinon autre chose. Peut-être aurais-je hésité à « assister » Cathy. Mais peut-être son
Cathy était une invitation à quitter la torpeur. J’aurai sans doute affection formidablement bien calculée aurait-elle eu raison de ma
passionnément aimé Cathy, être son élue. réticence. Peut-être ma peur d’être relâchée dans ma vie d’avant Cathy
Je me serais rendue aux déjeuners comme à une compétition pour aurait-elle eu raison de mon hésitation. »
être l’élue la plus élue. Pour honorer la foi de Cathy en mon avenir.
Lola Lafon, Chavirer, Actes Sud, 2020.
Mon appréhension aurait été diluée par les attentions de ces hommes,
leurs questions. Ils auraient confirmé ma certitude naïve d’être re-
➔ Proposition de commentaire rédigé
Parcours de lecture
I. La pesanteur adolescente « L’écriture est ce compromis entre une liberté, une histoire et un souvenir. » Signée
Roland Barthes, cette sentence définit le projet de Lola Lafon, romancière mais aussi
1. L’attente d’autre chose
danseuse et chanteuse. Liberté de rompre avec une linéarité narrative, de ne pas proposer
2. Devenir l’élue
un portrait ; histoire d’une héroïne âgée de treize ans ayant postulé à une offre de bourse
II. L’apesanteur inespérée par une fondation, racontée à travers ses rencontres à divers âges ; et enfin souvenir brûlant
1. Promesses et sortilèges d’une lèpre dévorante qui achemine le lecteur dans une constellation de personnages jusqu’à
de la fée Cathy l’image finale. Dans la seconde partie du roman, très brève, l’écheveau de la prédation se
2. Dans la peau de Cléo dénoue par des mains bien documentées. L’extrait proposé est constitué d’une page du
journal d’Enid, permettant au lecteur de se demander ce qu’il aurait fait dans la peau des ces
adolescentes immobilisées à l’ancre d’une morne pesanteur, rêvant d’envol et d’apesanteur.
Sous le joug d’une immédiateté qui en chasse une autre, un adolescent d’aujourd’hui
ne songe qu’à secouer la monotonie journalière dans l’attente d’un improbable événement
extérieur. « J’attendais » écrit Enid usant de l’imparfait à valeur durative, pour signifier
le lac sans vague et sans borne de son quotidien. C’est pourquoi lorsque se présente
l’inattendu qui fissure l’immobilisme, il irradie chargé de promesses. L’apparition de Cathy
vaut ainsi comme « une invitation à quitter la torpeur », à s’ébrouer dans une action qui la
mobilise pleinement. A l’instar de Cléo, incomprise, étrangère à sa propre famille, Enid en
est convaincue, « mes parents ne me connaissaient pas. » Le danger sommeille en chaque
jeune fille en déséquilibre sur le fil de l’enfance, animée du désir d’être reconnue, distinguée.
Comment résister à cette fée qui confirme par son surgissement impromptu « ma certitude
naïve d’être remarquable, d’avoir un « destin ». » Avoir été repérée donne la conviction
intérieure d’être enfin en marche vers un avenir radieux, que la narratrice prend soin de
nuancer en opposant les adjectifs « naïve » et « remarquable ».
➔

Aussi lorsque brusquement, dans le ciel terne de l’adolescence, clignote l’étincelle d’une destinée
révélée, alors qu’on se sent « remarquable », être distinguée corrobore cette intuition. Enid n’a pas
échappé à ce sentiment puisqu’elle s’exprime au futur antérieur et non au conditionnel pour l’avouer,
« J’aurai sans doute passionnément aimé Cathy, être son élue. » Le modalisateur du doute collé à
l’adverbe ne freine en rien le sifflement aigu (s) de l’adulation. L’adverbe antéposé devant le participe
passé « aimé » décuple la charge affective, l’élan éperdu, le don total et sans retenue une fois les
vannes d’une vie ardente entrouvertes. Le superlatif corrobore cette ferveur d’une ambition sans
frein, « Je me serais rendue aux déjeuners comme à une compétition pour être l’élue la plus élue. »
Car la comparaison « comme à une compétition » défend l’idée d’une rivalité sportive, taisant celle de
prédation qui se joue dans l’ombre. En nous donnant accès au journal de la documentariste, à cette
attente gangrénée d’ennui non seulement de Cléo, mais comme le prouve cet écrit intime, d’Enid ou
de n’importe quelle adolescente, la romancière montre à quel point il est aisé pour des prédateurs de
manipuler ces jeunes filles pétries de rêves et d’espoir.
Une fois secoué l’immobilisme paralysant, les voilà en apesanteur sous la baguette magique de la
fée Cathy, épicentre de la fondation Galatée. Dès lors qu’elle paraît dans leur vie, l’horizon se tapisse
de promesses. Immanquable, à cinq reprises son prénom résonne. Bien que « passionnément » aimée,
elle n’offre en retour qu’une « affection formidablement bien calculée ». Pour masquer le caractère
mensonger de ce faux attachement, il faut bien deux adverbes mélioratifs avant l’introduction de
l’adjectif final hérissé par l’allitération en « c ». Mieux que leur propre mère, elle incarne un modèle
d’élégance et de culture ; complice et miraculeusement accessible, elle tient par le cœur ces jeunes
filles qui placent en elle toute leur confiance à l’instar d’Enid prête à suivre la voie tracée « pour honorer
la foi de Cathy en mon avenir. » Quoi de plus puissant que le lexique religieux pour éclairer le sacrifice
à venir, le don de soi formulé tel un vœu de fidélité par une novice ? Alors « peut-être » cette croyance
aveugle en la sincérité de l’amour de Cathy « aurait-elle eu raison de ma réticence ». Car parallèlement
aux paillettes de l’amour, Cathy fait miroiter celles de l’argent. Sans doute faut-il la force d’un sortilège
pour troquer son innocence contre quelques billets, Enid comme Cléo reconnaît le degré de persuasion
de cette monnaie « L’argent aurait renforcé la sensation d’avoir un pied dans le futur : un salaire, rien
qu’à moi. » Pailletée, la féérie s’avère d’une redoutable efficacité, aussi Lola Lafon entrouvre-t-elle des
« pages entières de serment » du journal d’Enid pour en témoigner.
Pourquoi introduire à ce stade du roman une écriture biographique ? Enid n’y relate ni ce qui occupe
ses journées ni ses états d’âme, elle y consigne une projection fictive de sa vie d’adolescente enferrée
dans l’ennui et l’attente. Futur antérieur, conditionnel et modalisateurs de l’incertitude _ « sans doutes,
peut-être » _ soulignent cette éventualité. Cependant, en endossant l’identité d’une de ces jeunes filles
de treize ans, elle se met dans la peau de Cléo, comme elle « convaincue, déjà : mes parents ne me
connaissaient pas », contrairement à Cathy qui la comprenait si bien et parlait son langage. Comme
elle, avec l’ambition d’une compétitrice « Je me serais rendue aux déjeuners » et forte d’avoir été
repérée, « Mon appréhension aurait été diluée par les attentions de ces hommes, leurs questions. » Se
retrouver soudain sous les yeux d’un jury pourrait effrayer une enfant, « peut-être aurais-je hésité à
« assister » Cathy », mais encouragée par ses conseils, « J’aurai prétendu connaître les règles du jeu,
j’aurai cherché à être à la hauteur de cette « maturité » louée par les pseudo-jurés » car avait sonné
l’heure de « tout faire » pour s’affirmer « exceptionnelle », de démontrer une assurance inébranlable.
Plus mûre que Cléo, Enid confesse une stratégie réfléchie, « J’aurais fermé les yeux et n’y aurais vu
que du cinéma » ; il n’est pas question de se dérober, l’opportunité est trop inespérée, alors il suffit
de se mettre dans la peau d’une héroïne irrésistible ayant « les atours de l’audace et le visage de
Kim Basinger dans Neuf semaines et demie » et d’occulter qu’il s’agit en fait de « soumission à un
homme ». Kim, autre actrice modèle dans le sillage de Brooke Shield ou de Valéry Kaprisky dont Cléo
est supposée s’inspirer selon Cathy pour leur grande « maturité ».
En laissant croire qu’elle cède la plume à Enid, la narratrice nous transporte dans l’univers
mental d’une ado de douze ans qui n’est ni Cléo, ni Betty mais qui aurait cédé aux mêmes sirènes
« galatéennes ». Il semble que le scénario « face, victime, pile, coupable », se répète identique, en
faveur d’une innocence piétinée. La page du journal d’Enid brosse le portrait de n’importe quelle
adolescente et nous invite à réfléchir à ce que nous aurions fait à notre tour. Murée dans le silence,
Cléo espérait un jugement conforme à la faute commise, indélébile. « Il faut raconter ce qui hante. Et
les sujets des docus comme ceux des romans sont des paravents qui masquent des questions non
résolues ». En démultipliant les points de vue sur Cléo, sans la juger, Lola Lafon nous invite à déchiffrer
ces « questions non résolues » peut-être les nôtres.

Étude de PRÉPARER LA QUESTION DE GRAMMAIRE DU BAC
la langue
La négation
FICHE
ÉLÈVE
dans les textes
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d’Olympe de Gouges
Par Martine Rodde et Édith Wolf, professeures de Lettres
Les citations sans référence sont extraites de la Déclaration, les

Exercice 2
autres, d’œuvres dramatiques d’Olympe de Gouges.
a. Transposez les éléments négatifs à la forme affirmative (il
y a parfois plusieurs solutions) en faisant les modifications
Les outils grammaticaux de la négation
nécessaires.
b. Dites si les négations de ces phrases sont partielles ou totales.
Leçon
1. La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne prévoyait
• Les locutions adverbiales ne… pas, et ne… point expriment une rien concernant le rôle public des femmes.
négation totale : elle porte sur l’ensemble de la proposition. 2. Les femmes n’avaient jamais été considérées comme devant par-
Ex. « Peu faite au langage que l’on tient aux rois,- je n’emploierai ticiper à la vie politique.
point l’adulation des courtisans pour vous faire hommage de cette 3. Après la Révolution, au début du xixe siècle, elles ne pourront
singulière production. » (À la Reine) plus s’exprimer publiquement.
– La négation totale peut être exprimée par le terme « ne » seul 4. Olympe de Gouges n’était pas le véritable nom de l’auteure de la
après les verbes oser, cesser, savoir, pouvoir, vouloir. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Ex. « Je ne puis m’empêcher d’arrêter la presse. » 5. Fille naturelle d’un notable, elle n’avait reçu aucune instruction.
• La négation partielle porte sur un des éléments de la proposition. 6. Elle n’hésitera pas cependant à prendre la parole.
Le terme « ne » est complété par un adverbe (jamais, plus, encore, 7. Elle n’accepte l’injustice nulle part : ni en France ni dans les
nulle part), un pronom indéfini (personne, rien), ou un adjectif colonies.
indéfini (aucun, nul).
Ex. « Nulle femme n’en est exceptée. » La négation porte sur le Exercice 3
sujet.
Mettez les éléments soulignés à la forme négative (double néga-
• Pour coordonner deux éléments négatifs, on emploie des néga-
tion). Faites les modifications nécessaires.
tions doubles : ne…ni… ni, ou ne pas… ni.
Ex. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas 1. Dans une pièce d’Olympe de Gouges, Zamore et Mirza sont les
personnages principaux.
assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de
2. Zamore, esclave, met en question les arguments des maîtres qui
Constitution. »
disent : « nous avons sur nos esclaves une supériorité morale et un droit
La locution ne… que n'est pas négative mais uniquement
de propriétaire ».
restrictive. 3. Valère, un personnage de maître, a perdu sa femme et son enfant.
4. Zamore, qui devait être exécuté sera, à la fin, considéré comme
Exercice 1 coupable et comme fugitif.
5. Sophie, qui est à leur recherche, pense qu’elle retrouvera un jour
a. Repérez les deux éléments des locutions négatives.
sa fille et son père.
b. Dites si les négations sont totales ou partielles.
c. Précisez la nature des éléments des négations partielles.
1. Je n’ai pas attendu, pour m’exprimer ainsi, l’époque de la liberté. Exercice 4
(À la Reine) Remplacez la locution ne… que par un adverbe de même sens.
2. Je n’ai jamais pu me persuader qu’une princesse, élevée au sein 1. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
des grandeurs, eût tous les vices de la bassesse. (À la Reine) nécessaires.
3. Croyez-moi, Madame, notre vie est bien peu de chose, surtout 2. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité
pour une reine, quand cette vie n’est pas embellie par l’amour des commune.
peuples. (À la Reine) 3. […] l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que
4. Mon opinion serait de raccommoder le pouvoir exécutif avec le la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose.
pouvoir législatif car il me semble que l’un est tout et que l’autre n’est
rien.
5. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de fana- Exercice 5 SYNTHÈSE POUR LE BAC
tisme, de préjugés et de mensonges. Tout ce qui n’est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut
6. Le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion. être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’or-
7. Elle ne peut être admise à aucune fonction publique. donnent pas.

a. Relevez les locutions négatives et dites sur quelle partie de a. Relevez deux adjectifs comportant un préfixe négatif et expli-
chaque phrase porte la négation. Distinguez négation totale et quez leur sens.
négation partielle. b. Relevez un emploi de non et expliquez son fonctionnement dans
b. Relevez un emploi du mot « ne » seul comme négation et dites à la phrase.
quel verbe est lié cet emploi.
Exercice 6 SYNTHÈSE POUR LE BAC Valeurs de la négation

Une femme n’avait besoin que d’être belle ou aimable ; quand elle
Leçon
possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle
n’en profitait pas, elle avait un caractère bizarre ou une philosophie peu • La négation peut être employée uniquement pour énoncer une
commune, qui la portait au mépris des richesses ; alors elle n’était plus vérité négative. On parle alors de négation descriptive.
considérée que comme une mauvaise tête ; le commerce des femmes Ex. « Je ne l’aimais point » ( Zamore et Mirza).
était une espèce d’industrie reçue dans la première classe qui, désormais • Dans un dialogue ou discours, la négation a souvent une valeur
n’aura plus de crédit. polémique. Son locuteur combat un énoncé auquel il s’oppose.
Ex. « Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en
a. Relevez une négation totale et une négation partielle.
fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. »
b. Dans la proposition « elle n’était plus considérée que comme
• Les questions rhétoriques peuvent être à la forme négative.
une mauvaise tête » s’agit-il d’une négation ou d’une restriction ?
c. Repérez un emploi de la locution restrictive ne… que.
Exercice 9
Les phrases suivantes sont extraites d’une pièce d’Olympe de
Les outils lexicaux de la négation Gouges intitulée Les Vœux Forcés. Elle y combat la violence faite à
certaines jeunes filles qu’on obligeait à devenir religieuses contre
Leçon leur volonté.
• L’adverbe non Quelles négations sont descriptives, lesquelles sont polémiques ?
Seul, il est parfois appelé négation-phrase. Il peut aussi s’em- 1. Tu ne connais pas mon père. Violent, despote, la moindre résis-
ployer pour introduire le terme négatif d’une phrase. tance à ses volontés est une injure qu’il ne pardonne jamais.
Ex 1. « Cette garantie doit être instituée pour l’avantage et non pour 2. La Religion ne commande point d’être sourd à la voix de
l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée. » (DDFC) la nature.
• Des préfixes à sens négatif 3. Ni promesses, ni menaces ne me feront manquer à mon devoir.
De nombreux préfixes ont un sens négatif : in, dé, a … 4. Je ne demande point à sortir de ce Cloître, mais au moins qu’on
Ex. Ces colons inhumains disent… retarde la cérémonie dont la religion s’irriterait.
• La préposition sans et la conjonction de subordination 5. Nulle puissance ne peut me séparer de vous, je suis majeur, j’ai le
sans que droit de me choisir une compagne. Votre consentement seul déci-
Ex. Sans avoir égard à mes raisons, il me condamne impitoyable- dera de votre sort ; venez.
ment à payer au cocher ce qu’il demandait. 6. ARRÊTEZ ! Non, cet affreux sacrifice ne s’achèvera pas.
Exercice 7 Exercice 10 SYNTHÈSE POUR LE BAC

Employez sans que ou sans et modifiez les éléments soulignés : Étude de la négation dans un texte
ajoutez, modifiez et supprimez des mots. Modifiez les modes Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles
verbaux si nécessaire. Les phrases devront conserver le même sens. que cause, dit-on, le décret en faveur des hommes de couleur, dans
1. Aucune instance politique ne le lui a demandé, et pourtant nos îles. C’est là où la nature frémit d’horreur ; c’est là où la raison
Olympe de Gouges a compris la nécessité de défendre les droits et l’humanité n’ont pas encore touché les âmes endurcies ; c’est là
politiques des femmes. surtout où la division et la discorde agitent leurs habitants. Il n’est
2. Des maîtres avaient des enfants avec des esclaves noires et ne les pas difficile de deviner les instigateurs de ces fermentations incen-
diaires : il y en a dans le sein même de l’Assemblée nationale : ils
considéraient cependant pas comme leurs fils ou leurs filles.
allument en Europe le feu qui doit embraser l’Amérique. Les colons
3. Les femmes avaient un pouvoir moral et affectif sur les hommes
prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils sont les
mais ce pouvoir ne leur donnait aucun droit politique.
pères et les frères, et méconnaissant les droits de la nature ils en
4. Les femmes étaient jugées comme des êtres responsables par
poursuivent la source jusque dans la plus petite teinte de leur sang.
les tribunaux et ne pouvaient cependant prétendre à aucune res- Ces colons inhumains disent : notre sang circule dans leurs veines,
ponsabilité politique. mais nous le répandrons tout, s’il le faut, pour assouvir notre cupi-
dité, ou notre aveugle ambition.
Exercice 8 SYNTHÈSE POUR LE BAC a. Relevez une négation partielle. Pourquoi peut-on dire que son
J’offre un moyen invincible pour élever l’âme des femmes ; c’est emploi révèle une pensée politique optimiste ?
de les joindre à tous les exercices de l’homme : si l’homme s’obstine à b. Relevez une négation totale.
trouver ce moyen impraticable, qu’il partage sa fortune avec la femme, c. Relevez deux mots comportant un préfixe négatif. Montrez la
non à son caprice, mais par la sagesse des lois. valeur polémique de ces deux termes.

Étude de la langue CORRIGÉS DES EXERCICES
Exercice 1 7. Elle accepte l’injustice partout/dans a compris la nécessité de défendre

a. certains endoits. les droits politiques des femmes.
1. Je n’ai pas attendu, pour m’exprimer b. Phrases 1, 2, 3, 5, 7 : négations partielles. 2. Des maîtres avaient des enfants… sans
ainsi, l’époque de la liberté. (À la Reine) Phrases 4, 6 : négations totales. les considérer cependant comme leurs
2. Je n’ai jamais pu me persuader qu’une fils ou leurs filles.
Exercices 3
princesse, élevée au sein des grandeurs, 3. Les femmes avaient un pouvoir moral
1. Ni Zamore ni Mirza ne sont les person-
eût tous les vices de la bassesse. (À la Reine) et affectif sur les hommes sans que ce
nages principaux.
3. Croyez-moi, Madame, notre vie est bien pouvoir leur donne aucun droit politique.
2. Nous n’avons sur nos esclaves ni supé-
peu de chose, surtout pour une reine, 4. Les femmes étaient jugées comme des
riorité morale ni droit de propriétaire.
quand cette vie n’est pas embellie par êtres responsables par les tribunaux sans
3. Valère n’a perdu ni sa femme ni
l’amour des peuples. (À la Reine) pouvoir cependant prétendre à aucune
son enfant.
4. Mon opinion serait de raccommoder le responsabilité politique.
4. Zamore ne sera, à la fin, considéré ni
pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif Exercice 8 SYNTHÈSE POUR LE BAC
comme coupable ni comme fugitif.
car il me semble que l’un est tout et que a. invincible, impraticable ont un préfixe
5. Sophie pense qu’elle ne retrouvera
l’autre n’est rien. négatif.
jamais sa fille ni son père.
5. Le puissant empire de la nature n’est plus b. « Non par son caprice » s’oppose à « par
environné de fanatisme, de préjugés et de Exercice 4 la sagesse des lois ». Non introduit le pre-
mensonges. 1. La loi doit établir uniquement des mier terme de l’opposition.
6. Le cabinet n’avait point de secret pour peines strictement et évidemment néces-
leur indiscrétion. saires. Exercice 9
7. Elle ne peut être admise à aucune fonc- 2. Les distinctions sociales peuvent être 1. Deux négations descriptives.
tion publique. fondées seulement sur l’utilité commune. 2. Négation polémique, il s’agit d’une
3. […] l’exercice des droits naturels de la réponse à un argument sur l’autorité
b. et c.
femme a pour bornes seulement la tyran- absolue de la religion.
1. n’…pas : négation totale.
nie perpétuelle que l’homme lui oppose. 3. Négation polémique : il s’agit d’une
2. n’… jamais : négation partielle, jamais est
réponse à des ordres et des menaces.
un adverbe. Exercice 5 SYNTHÈSE POUR LE BAC 4. Négation descriptive.
3. n’…pas : négation totale. a. Locutions négatives : n’(est) pas, ne, 5. Négation polémique : il s’agit d’une
4 n’…rien : négation partielle, rien est un nul ne, n’(ordonnent) pas. La négation rébellion contre une tentative de forçage
pronom indéfini. partielle est nul ne, les autres sont des par l’autorité.
5. N’…plus : négation partielle, plus est un négations totales. 6. Négation polémique.
adverbe. b. Ne est employé seul avec le verbe
6. n’…point : négation totale. pouvoir. Exercice 10 SYNTHÈSE POUR LE BAC
7. ne… aucune : négation partielle, aucune a. « C’est là où la raison et l’humanité n’ont
est un adjectif indéfini. Exercice 6 SYNTHÈSE POUR LE BAC pas encore touché les âmes endurcies. »
a. Négation totale : si elle n’en profitait L’optimisme réside dans l’emploi de « pas
Exercice 2 pas. encore », qui révèle la foi de l’auteure
a. Négation partielle : qui désormais n’aura dans les lumières de la raison.
1. La Déclaration des droits de l’Homme plus de crédit. b. « Il n’est pas difficile de deviner les
et du Citoyen prévoyait quelque chose b. « Elle n’était plus considérée que instigateurs de ces fermentations
concernant le rôle des femmes. comme une mauvaise tête on peut rem- incendiaires. »
2. Les femmes avaient déjà été considé- placer ne que par seulement : Elle était c. Méconnaissant : les colons sont pré-
rées. désormais considérée seulement comme sentés comme des monstres, qui sont
3. Après la Révolution, au début du xixe une mauvaise tête. Il s’agit donc d’une capables de comportements contre
siècle, elles pourront encore s’exprimer restriction malgré la présence de l’ad- nature. Inhumains : les colons, par
publiquement. verbe plus. leur comportement, se sont bannis de
4. Olympe de Gouges était le véritable c. Ne que : une femme n’avait besoin que l’humanité.
nom de l’auteure de la Déclaration des d’être belle et aimable.
droits de la femme et de la citoyenne.
5. Elle avait reçu une certaine instruction. Exercice 7
6. Elle acceptera de prendre la parole. 1. Sans qu’aucune instance politique
le lui ait demandé, Olympe de Gouges

Latin 2de LANGUES ET CULTURES DE L’ANTIQUITÉ
FICHE
ÉLÈVE
Psyché aux Enfers
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Objet d’étude n°2 : amant. » Et, tout en parlant, elle ouvre la boîte. Mais dans la boîte,
l’homme et le divin : le voyage aux Enfers rien du tout ; de beauté, pas la moindre trace ; rien qu’un sommeil
infernal, un vrai sommeil de Styx, qui l’envahit sitôt libéré du cou-
Présentation vercle, répand sur tous ses membres une épaisse vapeur léthargique,
et l’étend captive sur le chemin, à la place même où elle posait le
Le conte d’Amour et Psyché couvre deux livres sur les onze des Méta- pied. La voilà gisante, immobile : bref, un cadavre endormi.
morphoses. Moins célèbre que celui d’Orphée1, le voyage aux Enfers
de Psyché est lui aussi lié à l’amour et ses épreuves. La confrontation Traduction de Paul Vallette, © Les Belles Lettres, C.U.F.
entre les textes d’Apulée et de Molière permet de percevoir la variété
des significations – propres et figurées – que recouvre pour le mortel
le monde infernal. Traduction et commentaire du texte d’Apulée
1. À l’aide du dictionnaire, proposez une traduction mot-à-mot de
1. Voir l’article « Variations picturales sur Orphée », NRP Collège, janvier la première phrase (du début jusqu’à « recurrit. »). Comparez-la avec
2021, p. 36-41. la traduction : quelles remarques syntaxiques pouvez-vous faire ?
2. Identifiez les deux êtres que Psyché rencontre et justifiez vos
Psyché dans Les Métamorphoses d’Apulée réponses. En songeant au double trajet de l’héroïne, expliquez les
adjectifs residua et sequentis.
3. Précédemment, un présage a mis en garde Psyché contre la ten-
Dans Les Métamorphoses, Apulée raconte les amours de Psyché, tation d’ouvrir la boîte. Quel sort connaît-elle après avoir enfreint
une belle mortelle, et de Cupidon, dieu de l’amour et fils de Vénus. cette interdiction ? En quoi est-ce ironique ?
Hostile à leur relation, cette dernière impose diverses épreuves à la
jeune fille. L’une d’elles consiste à rapporter des Enfers un coffret conte-
nant un peu de la beauté de Proserpine, l’épouse de Pluton. Dûment Le mythe de Psyché chez Molière
munie de conseils pour affronter le monde souterrain, Psyché est par- Le mythe de Psyché a été repris par Molière (avec l’aide de Corneille
venue jusqu’à la déesse des Enfers et lui a exposé sa requête. pour la versification) dans une tragédie-ballet en cinq actes. Voici le
Statimque secreto repletam conclusamque pyxidem suscipit et texte du 4e intermède et le début du monologue de Psyché qui suit cet
offulae sequentis fraude caninis latratibus obseratis residuaque intermède.
navitae reddita stipe longe vegetior ab inferis recurrit. Et re-
petita atque adorata candida ista luce, quanquam festinans La scène représente les Enfers. On y voit une mer toute de
obsequium terminare, mentem capitur temeraria curiositate feu, dont les flots sont dans une perpétuelle agitation. Cette mer
et : « Ecce, inquit, inepta ego divinae formonsitatis gerula, quae effroyable est bornée par des ruines enflammées ; et au milieu de
nec tantillum quidem indidem mihi delibo vel sic illi amatori ses flots agités, au travers d’une gueule affreuse, paraît le palais
meo formonso placitura », et cum dicto reserat pyxidem. Nec infernal de Pluton. Huit Furies en sortent, et forment une entrée
quicquam ibi rerum nec formonsitas ulla, sed infernus somnus de ballet, où elles se réjouissent de la rage qu’elles ont allumée
ac vere Stygius, qui statim coperculo relevatus invadit eam dans l’âme de la plus douce des Divinités1. Un Lutin mêle quanti-
crassaque soporis nebula cunctis ejus membris perfunditur et té de sauts périlleux à leurs danses, cependant que Psyché qui a
in ipso vestigio ipsaque semita conlapsam possidet. Et jacebat passé aux Enfers par le commandement de Vénus, repasse dans
immobilis et nihil aliud quam dormiens cadaver. la barque de Charon, avec la boîte qu’elle a reçue de Proserpine
pour cette déesse.
Apulée, Les Métamorphoses, VI, 20-21 PSYCHÉ
On remplit en secret, on ferme la cassette et Psyché la reçoit. À Effroyables replis des ondes infernales,
l’aide du second gâteau, elle donne le change au chien et muselle la Noirs palais où Mégère et ses sœurs font leur cour,
bête aboyante, remet en paiement au passeur la pièce de monnaie Éternels ennemis du jour,
qui lui reste et, d’un pas bien plus alerte, elle ressort des Enfers. Parmi vos Ixions, et parmi vos Tantales,
Mais, après qu’elle eut, en la retrouvant, adoré la blanche lumière Parmi tant de tourments qui n’ont point d’intervalles2, 5
de ce monde, et malgré la hâte qu’elle avait d’arriver au bout de sa Est-il dans votre affreux séjour
tâche, une curiosité téméraire s’empara de son esprit. « Eh quoi ! Quelques peines qui soient égales
dit-elle, suis-je assez sotte de porter la beauté divine sans en préle- Aux travaux3 où Vénus condamne mon amour ?
ver même une parcelle pour moi et plaire ainsi, qui sait ? à mon bel Elle n’en peut être assouvie,

Et depuis qu’à ses lois je me trouve asservie, 10 Commentaire du texte de Molière
Depuis qu’elle me livre à ses ressentiments4,
4. Par quels procédés le spectacle décrit par l’intermède restitue-t-il
Il m’a fallu dans ces cruels moments
Plus d’une âme, et plus d’une vie, le monde infernal ?
Pour remplir ses commandements. 5. Faites une recherche sur les noms propres évoqués par Psyché
dans les v. 2 et 4. À quel aspect du monde infernal se réfèrent-ils ?
Molière, Psyché, 1671.
6. À quoi sont comparées les épreuves infligées par Vénus ? En quoi
1. Il s’agit de Vénus. 3. Aux épreuves.
2. Qui sont continuels. 4. À sa rancune. cette comparaison rend-elle pitoyable le sort de Psyché ?
Une version iconographique : Psyché aux Enfers du peintre E.-E. Hillemacher (1818-1887)
Commentaire du tableau
de Hillemacher
7. D'après le texte d'Apulée, mais aussi
en vous fondant sur vos connaissances
mythologiques, identifiez les divers per-
sonnages de cette scène en justifiant
votre réponse. Observez ce que Psyché
tient à la main : à quelle étape de son
voyage aux Enfers en est-elle ?
8. Comment le peintre rend-il l’atmos-
phère du monde infernal ? Commentez
l’attitude de Psyché.
Eugène-Ernest Hillemacher, Psyché aux Enfers, 1865.

Latin 2de GUIDE DE L’ENSEIGNANT ET CORRIGÉS
Traduction et commentaire farine d’orge pétri avec du vin additionné de douleurs et de folie. Quant à Ixion et
de miel1 », à l’aller et au retour : c’est donc le Tantale, ce sont deux des grands suppliciés
du texte d’Apulée
second (sequentis) qu’elle lui offre ici. Juste des Enfers, condamnés pour leurs crimes à
1. Statimque = Et aussitôt après, Psyché rencontre Charon, le « pas- subir éternellement une sanction atroce :
suscipit = elle reçoit seur » qui sur sa barque fait traverser le Styx, le premier à tourner sans arrêt sur une roue
pyxidem = le coffret en échange d’une « pièce de monnaie » enflammée, le second à éprouver une faim
repletam = [que l’on a] rempli (stipe). Mais contrairement aux défunts qui et une soif toujours près de se satisfaire et
conclusamque = et fermé ne font aux Enfers qu’un aller sans retour, jamais assouvies. Ces trois figures mytholo-
secreto = en secret on a invité Psyché à se munir d’une seconde giques font référence (du point de vue des
et latratibus = et les aboiements pièce (qu’elle a gardée et qui donc est « de bourreaux pour la première, des condam-
caninis1 = du chien reste », residua) pour repasser le fleuve. nés pour les deux autres) aux châtiments
obseratis = ayant été verrouillés (après 3. Ayant enfreint l’interdiction d’ouvrir le infligés aux mortels par les dieux.
avoir paralysé les aboiements du chien) coffret, Psyché sombre instantanément 6. Psyché invoque les lieux infernaux (v. 1-3)
fraude = grâce à la ruse dans un sommeil qui ressemble à la mort, pour assimiler son sort aux grands suppli-
sequentis2 = du second comme le montre l’abondant champ lexi- ciés punis par les dieux (le pluriel généralise
offulae = bout de gâteau, cal du trépas : « un sommeil infernal, un vrai les deux exemples à l’ensemble des crimi-
stipe-que = et l’obole sommeil de Styx, qui […] l’étend captive nels du Tartare). La question rhétorique
residua = qui [lui] reste […] gisante, immobile ». Elle qui vient d’ac- des v. 6-8 et l’hyperbole du v. 13 indiquent
reddita = ayant été remise complir ce qui est permis seulement aux même que leur sort est moins lamentable
navitae = au nocher (et avoir remis au héros tels Hercule, Orphée ou Énée, à savoir que le sien à elle, qui voit se multiplier
nocher l’obole qui lui reste) défier la loi des Enfers, là voilà, en punition sans fin les « travaux ». Mais la dispropor-
recurrit= elle ressort en courant de son sacrilège, frappée d’une malédiction tion entre le châtiment et le motif (« mon
ab inferis = des Enfers, comme les grands réprouvés du Tartare, amour ») fait ressentir toute l’injustice dont
longe vegetior = bien plus vive prisonnière du monde infernal et réduite elle est victime : « Mégère et ses sœurs »
à l’état de « cadavre » (même si ce cadavre poursuivent d’authentiques criminels,
1. Ces « aboiements canins » ne sont le fait n’est qu’« endormi », ce qui laisse l’espoir
que d’un seul chien, le fameux Cerbère. Vénus ne fait qu’assouvir une vengeance
2. sequens (= suivant) a ici le sens de de rompre le sortilège : ce sera la tâche de personnelle, dans le plus complet arbitraire.
secundus. Cupidon dans la suite immédiate du récit).
Le tableau de Hillemacher
La disparité du nombre de verbes principaux Le texte de Molière 7. Hillemacher suit très fidèlement Apulée.
dans chaque texte est flagrante : deux chez 4. Pièce à machines ornée d’intermèdes Au fond à gauche, les trois femmes, dont
Apulée contre sept dans la traduction. Cela musicaux et chorégraphiques, Psyché se l’une tient un fuseau de laine, sont les
tient à la différence fondamentale entre voulait un spectacle grandiose, avec pas Parques qui filent et coupent le destin
les syntaxes des deux langues : la phrase moins de 327 personnages différents des mortels, les « sœurs tissandières »
latine tend à subordonner à l’action princi- et une foule de figurants, 13 chanteurs dont Psyché doit « dédaigne[r] les prières
pale toutes les actions secondaires, quand solistes, un grand chœur, 66 danseurs et insidieuses »2. Au centre, Psyché tient à
le français préfère la parataxe. Ainsi dans la 120 instrumentistes. Spectacle fait pour la main le coffret donné par Vénus pour
1re prop. d’Apulée, les part. passifs repletam impressionner, comme dans cet intermède recueillir un peu de la beauté de Proserpine
conclusamque apposés au COD de suscipit aux couleurs rougeoyantes (de la « mer et les gâteaux destinés à amadouer Cer-
expriment les actions antérieures, que le toute de feu » aux « ruines enflammées »), au bère : elle est donc en train de débarquer
traducteur rend par deux 2 verbes actifs (On décor terrifiant (« mer effroyable », « gueule aux Enfers. Charon, à droite, accoste sa
remplit, on ferme) coordonnés au 3e. Même affreuse »), et tout entier animé d’un mouve- barque, à laquelle s’accroche « un mort flot-
phénomène dans la 2de prop. latine, où ce ment fougueux : au milieu de la « perpétuelle tant à la surface du Styx », dont Psyché a eu
sont les deux abl. abs. caninis […] reddita agitation » des flots, « [h]uit Furies » dansent pour consigne de « négliger la requête »2.
qui sont rendus par deux verbes principaux, un « ballet » enfiévré par une joie mauvaise 8. Les couleurs – des bruns des parois
muselle et remet en paiement ; de plus, l’abl. (« elles se réjouissent de la rage qu’elles ont rocheuses au verdâtre de l’eau – créent
de moyen fraude a été tourné par un autre allumée » en Vénus) et « un Lutin mêle quan- une atmosphère sombre, mais vivement
verbe principal, elle donne le change. tité de sauts périlleux à leurs danses ». éclairée au fond par une grande fournaise
2. En sortant des Enfers, Psyché retrouve 5. Mégère est, avec « ses sœurs » Tisiphone inquiétante, dont la flamme semble incen-
Cerbère, le chien aux trois têtes, impi- et Alecto, l’une des trois Furies : d’un aspect dier l’eau du Styx. Sur ce fond lugubre, se
toyable gardien du royaume souterrain, hideux avec leur chevelure entortillée de détache Psyché, lumineuse et délicate, tout
et dont les formidables aboiements (latra- serpents et leurs yeux pleurant des larmes entière concentrée sur sa tâche.
tibus) peuvent dissuader les morts d’accé- de sang, ces divinités archaïques, équiva-
der au royaume de Pluton. Elle a été avertie lant aux Érinyes grecques, pourchassent 1. Apulée, Les Métamorphoses, VI, 18
de l’apaiser en lui donnant « un gâteau de sans relâche les criminels qu’elles frappent 2. Apulée, Les Métamorphoses, VI, 20.

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