RFG 205 0013
RFG 205 0013
RFG 205 0013
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
L’entreprise
et son projet
Les médiations du pouvoir managérial
L
a réflexion qu’engage ce papier conception et de la production de la valeur
porte sur la question de l’élaboration que celle de sa répartition3. Notre sentiment
des projets de l’entreprise par ses est que cet élargissement conduit à poser la
dirigeants que l’on peut comprendre aussi question englobante de la formation des
comme celle de sa gouvernance. Le projets de l’entreprise, ce qui ne manque
contexte est celui d’une entreprise patrimo- pas de rendre très délicate toute lecture
niale cotée, entreprise phare dans son sec- alors très extensive ou intégrée du système
teur de la charcuterie et des plats cuisinés. de gouvernance en lien avec le comporte-
Le fait que la propriété ne soit pas séparée ment des dirigeants, tant on peut multiplier
du pouvoir décisionnel fait a priori grande- les variables explicatives et les relations
ment tomber l’intérêt des approches disci- qu’elles entretiennent (Charreaux, 2008).
plinaires traditionnelles, l’autodiscipline Notre article va clairement s’extraire « des
allant de pair, pour ces dernières, avec le sentiers battus de la gouvernance financière »
fait que les dirigeants-propriétaires suppor- et « conter une histoire différente » comme
tent les conséquences de leurs erreurs1. nous invite à le faire, en ces termes,
Mais évoquer l’acteur « les dirigeants » Charreaux (2008, p. 1862). Il vise à illustrer
pose aussi plusieurs problèmes : celui de et explorer, dans le contexte singulier d’une
l’identification de cet acteur – personne ou entreprise patrimoniale cotée, l’action du
équipe – sans oublier les dispositifs qui per- pouvoir managérial, façonnée et instrumen-
mettent son action ; celui de la prise en tée par les choix et les dispositifs de gouver-
compte de ses diverses activités liées ; celui nance qu’il a lui-même promus. Ce qui res-
concluons par une discussion des éléments chement est bien le paradigme artificialiste
d’une gouvernance intelligente, respon- (la ou les sciences de la conception) qu’ap-
sable et efficace autour de l’affirmation du pelait H. Simon de ses vœux dès la fin des
projet d’entreprise. années 1960. L’entreprise est un construit
singulier, original, expression d’un agir
créatif et projectif, nullement réductible à
I – UN CADRE THÉORIQUE
sa facette instrumentale et allocative.
POUR ABORDER LES MÉDIATIONS
3) Le projet collectif se comprend aussi
DU POUVOIR MANAGÉRIAL
comme régulation, à la fois comme
Nous allons préciser le cadre artificialiste et ensemble de règles à inventer mais aussi
régulationniste d’ensemble dans lequel comme ensemble de règles à faire vivre à
s’inscrit notre propos puis nous posons, travers l’activité de régulation que repré-
dans ce cadre, le rôle du pouvoir managé- sente le fait social dirait J.-D. Reynaud
rial, acteur privilégié des médiations qu’ap- (Bréchet, 2008).
pellent inéluctablement la gestion des ten-
4. Cf. Bréchet (1994), Bréchet et Desreumaux (2006, 2008) ; Desreumaux et Bréchet (1998, 2009).
16 Revue française de gestion – N° 205/2010
question de la répartition de la valeur créée cier et le monde réel des projets productifs
dès lors qu’est posé un cadre juridique qui (Bréchet et Tougeron, 2008). Aussi bien
donne du pouvoir à certaines parties pre- avec la théorie de la régulation sociale
nantes, la seconde celle de sa conception et (TRS) de J.-D. Renaud (1997)8 qu’avec
de sa création. Sans bien sûr que ces deux l’analyse stratégique des organisations
facettes ne présentent des chevauchements : (ASO) de M. Crozier et E. Friedberg
la défense de l’institution financière ne peut (1977), on sait alors ce qui se joue autour
ignorer la conservation de l’entreprise en des incertitudes que comportent ces régula-
tant que capacité de concevoir et créer de la tions et rencontres de régulations : des
5. Voir A.-C. Martinet qui, dès 1984, posait les fondements de cette distinction indispensable pour penser l’entre-
prise et la gouvernance ; voir aussi sur ce point Hatchuel et Segrestin (2007).
6. De ce point de vue, le droit anglo-saxon considère l’entreprise comme un nœud de contrats quand le droit conti-
nental (Allemagne, France notamment) privilégie la poursuite d’un bien commun, l’affectio societatis (cf. Martinet,
2007).
7. En retenant que les lectures contractuelles de la gouvernance reconnaissent à certaines parties prenantes le statut
de créancier résiduel conformément à la théorie des contrats incomplets.
8. Voir Bréchet (2008) pour une synthèse.
L’entreprise et son projet 17
À partir d’une schématisation proposée par A.-C. Martinet, on retient trois configurations
d’entreprise selon les relations institution financière (IF), entreprise réelle (ER) et le jeu du pouvoir
managérial (PM) :
but lucratif dont la finalité financière trouve tion financière ET créateurs de l’entreprise
sa concrétisation dans la rentabilité des réelle10. Le « ET » souligne, s’il en était
capitaux investis. Elle est « reconnue » par besoin, le dualisme inhérent à cette fonction
la législation qui lui attache des droits de sur deux composantes organiquement liées
propriété, un patrimoine, une dénomination mais inéluctablement en tension.
sociale, des obligations.
L’entreprise réelle (ER) est à la fois une
II – LES MÉDIATIONS
organisation techno-économique et socio-
DU POUVOIR MANAGÉRIAL
politique. Son existence en tant qu’ER est
DANS UNE ENTREPRISE
liée à des choix sur ces diverses facettes. Le
PATRIMONIALE COTÉE
corps social d’ER recouvre la réunion des
ressources humaines plus ou moins liées Le cadre théorique d’ensemble étant posé,
selon la nature de leur contrat de travail à nous voulons maintenant mobiliser notre
9. Auquel nous empruntons directement nombre des propos de ce paragraphe, en les modifiant parfois à la marge.
10. Il peut s’enrichir en s’agrégeant des individus puisés dans l’organisation (cadres, etc.) ou à l’extérieur (experts,
conseils, alliés, etc.) (Martinet, 1984, p. 38).
L’entreprise et son projet 19
terrain pour aborder les conditions d’exer- juin 2008 avec Yves Gonnord, le dirigeant
cice du pouvoir managérial. historique bien connu de l’entreprise ven-
Nous avons eu recours aux documents offi- déenne qu’est Fleury Michon (FM). Y. Gon-
ciels émis par l’entreprise lorsque cela était nord est alors à la présidence du conseil de
nécessaire. Il s’agit essentiellement des surveillance qu’il a laissée à son fils au
documents que cette société publie dans la début de l’année 2009 (avec transformation
mesure où elle est cotée : les rapports en SA avec conseil d’administration). Dans
annuels 2007, les documents de présentation la perspective principalement exploratoire
des modalités de gouvernance, les docu- qui était la nôtre, l’entretien a porté sur le
ments relatifs à l’introduction en Bourse. thème « Les marchés financiers font-ils la
Nous exploitons aussi un entretien semi- stratégie de l’entreprise ? », à travers une
directif d’environ deux heures mené en dizaine de questions prétexte à échange. Il a
Fleury Michon (FM) est créée en 1925 par deux beaux-frères d’origine vendéenne. L’entreprise
spécialisée à l’origine dans l’abattage, la découpe et le négoce de viande de porc, développe à
partir de 1974 la préparation de plats cuisinés frais en libre service.
L’histoire de l’entreprise est ensuite marquée par l’arrivée dans la famille propriétaire et dans
l’entreprise en 1964 d’Yves Gonnord qui est nommé P-DG en 1978. L’entreprise connaît sur
une dizaine d’années une croissance importante fondée sur le déploiement de la marque FM.
fait l’objet d’une retranscription écrite et qui la font et qui doivent expliquer et justi-
d’une validation de ses principales conclu- fier leurs choix. »
sions auprès du chef d’entreprise lui-même « Les dirigeants ont certes à se préoccuper
lors d’un nouveau rendez-vous en juin 2009. des actionnaires mais aussi et surtout de
Ce qui revient à plusieurs reprises dans l’en- l’entreprise bien réelle, de sa stratégie et de
tretien c’est le rôle de ce que le dirigeant ses hommes et femmes. » (verbatim extraits
« historique » appelle « les dirigeants » : de l’entretien).
« Ce n’est pas le modèle de l’entreprise Mais de quel(s) dirigeant(s) parle-t-on et
patrimoniale en lui-même qui explique la comment comprendre leurs modalités
politique générale et la stratégie de l’entre- d’action ? Ce qui apparaît immédiatement,
prise mais l’action des dirigeants. » c’est la nécessité de considérer le pouvoir
« Les marchés financiers ne font pas la stra- managérial comme une figure d’acteur
tégie de l’entreprise, ce sont les dirigeants instrumenté.
Le dirigeant et ses
Renforcement
La famille et le poids des dispositifs Plats cuisinés,
des actionnaires de gouvernance, surimi
1980-2000
extérieurs qui se élargissement du CA, Adaptation accrue aux
renforce professionnalisation des évolutions des GMS
pratiques
Désengagement
Introduction en Bourse Adoption de la structure des activités
en 2000 directoire et CS, concurrencées
2000 à nos
La famille et les le dirigeant historique essentiellement
jours
actionnaires des marchés devient président par les coûts
financiers du CS Recherche de relais
de croissance
L’entreprise et son projet 21
par des VRP, mais devenue l’une des princi- d’exigences concernant le recrutement des
pales entreprises de la filière, les années cadres et s’affirme alors une politique
1960 l’amènent à aborder la grande distri- d’ouverture à des membres extérieurs à la
bution naissante et le libre-service. famille. Parallèlement, le dirigeant, membre
La deuxième période est une période de tran- de la famille par alliance, se préoccupe
sition qui l’engage dans les évolutions d’organiser l’actionnariat familial et les
qu’elle connaîtra dans les années de la contributions-rétributions de ses différentes
décennie suivante : introduction des chaînes composantes. Cela se traduit par des démem-
de production, développement commercial brements de propriété (usufruit/nue-pro-
vers les grandes surfaces, ouverture à des priété) et par la création de sociétés holding
actionnaires extérieurs. En 1978, elle lance afin de dissocier, pour certains membres de
en France les premiers plats cuisinés réfrigé- la famille, la composante financière (le droit
rés, destinés à la restauration commerciale; aux dividendes) de la composante politique
11. Les projets en ce qu’ils recouvrent la politique générale et la stratégie, mais nous ne chercherons pas à opérer
de distinctions.
22 Revue française de gestion – N° 205/2010
(droit de vote). C’est aussi sur cette période matière stratégique, notamment P. Tharaud,
que le développement du Groupe nécessite D. Pineau-Valencienne, etc. Ces différents
le recours à des financements auprès d’éta- dirigeants exercent des mandats dans plu-
blissements financiers du monde bancaire sieurs autres groupes industriels ce qui est
(BNP, Groupe Crédit Agricole, CIO) qui également le cas d’Y. Gonnord, administra-
exigent de devenir actionnaires du Groupe teur de Bénéteau, VM Matériaux, Salmon
FM ou mettent en place des financements Arc en Ciel, Findis, etc. On constate à ce
(obligations convertibles, obligations rem- stade que le dirigeant confronté à différents
boursables en actions) qui les amènent à profils d’actionnaires a développé une expé-
entrer au capital. Au fil des années, Y. Gon- rience qui va lui être extrêmement utile dans
nord élargit la composition du CA. Outre le futur. Du point de vue des dispositifs de
son épouse (G. Gonnord, actionnaire majo- gouvernance, l’entreprise améliore ses pra-
ritaire), son beau-frère (F. Chartier), siègent tiques autour des exigences du fonctionne-
au conseil d’administration : le directeur ment que décrit formellement la figure 2
général, R. Colin ; des industriels choisis ci-dessous. Les représentants du personnel
pour leurs apports et leurs réflexions en sont systématiquement associés.
12. Le CS est un organe collégial. On soulignera toutefois l’importance de la mission de son président. Ce dernier est compé-
tent pour convoquer le CS et diriger les débats. Représentant l’actionnaire majoritaire, le président du CS joue un rôle essen-
tiel au sein du dispositif. Dans le cas de FM, on a assisté à un glissement des fonctions d’Y. Gonnord de président du CA vers
celui de président du CS, ce qui explique probablement la permanence d’une facette opérationnelle dans l’exercice de sa mis-
sion. On relèvera le fait que les réunions de présentation aux analystes financiers sont conjointement animées par le président
du CS et les membres du directoire, renforçant ainsi la fonction de médiation d’Y. Gonnord telle que nous l’avons soulignée.
L’entreprise et son projet 25
d’exercice des médiations à venir, comme accès de tous les salariés aux actions de
un moment privilégié. l’entreprise. Le principe d’augmentation de
Que FM soit une entreprise cotée n’est nul- capital réservé aux salariés, représentant
lement une donnée de nature ni en tant que plus de 3 % du capital total (avec décote de
choix d’introduction ni dans les modalités 20 % – le maximum autorisé – sur le prix
d’introduction. Il nous faut insister sur ces proposé), a été voté par les actionnaires de
points. la société. Les modalités de cette opération
Avant d’évoquer les modalités de l’introduc- ont été présentées à l’ensemble des salariés
tion en Bourse et des arbitrages opérés, il (environ 3 400 personnes) au cours de
convient de prendre la mesure du choix lui- réunions d’information organisées sur le
même. Bien d’autres possibilités s’offraient temps de travail par petits groupes de per-
potentiellement aux dirigeants. Dans des sonnes (trente personnes environ, donc au
situations comparables sur bien des aspects, total environ cent réunions). Ces réunions
des actionnaires majoritaires d’entreprise ont été animées par un binôme composé
choisissent des formules de recours aux d’un cadre de l’entreprise FM et d’un cadre
banques, à des fonds d’investissement, ou de la banque introductrice. Y. Gonnord,
bien encore des opérations lucratives de conscient que la présence de l’encadrement
LBO qui souvent, dès lors qu’elles sont pouvait constituer une pression, a souhaité
dévoyées pour ces dernières, laissent l’en- aussi des échanges libres : à l’issue de ces
treprise réelle exsangue : endettement mas- réunions, les salariés pouvaient venir s’in-
sif et ponction sur la trésorerie. Et parfois les former ou faire état de leur situation per-
plus important du point de vue des média- nique était également ouverte afin de per-
tions entre l’institution financière et l’entre- mettre au personnel d’évoquer sa situation
prise réelle est la prise en compte du point ou de s’informer en dehors du contexte de
de vue des parties prenantes que sont les l’entreprise. Le dispositif a connu un tel
personnels. Celui-ci peut tout simplement succès (sursouscription de plus de vingt
être ignoré. Mais Y. Gonnord, souhaitant fois) qu’il a fallu mettre en place un proces-
développer l’actionnariat salarié, a demandé sus de fin d’allocation des titres. Les diri-
au responsable des opérations financières de geants ont privilégié un mécanisme d’allo-
la banque partenaire de venir présenter le cation permettant au plus grand nombre de
projet aux représentants des salariés (délé- salariés de participer. Les salariés détien-
gués du personnel, délégués syndicaux). nent ainsi collectivement 2,8 % du capital ;
Pour ce qui est des choix réalisés, l’en- ce pourcentage n’ayant cessé de s’accroître
semble du dispositif légal permettant d’as- pour atteindre 3,6 % en 2007.
socier les salariés à une telle opération a été Observons que cette volonté de réserver
utilisé : décote sur le prix d’introduction, une partie du capital aux salariés n’est pas
abondement, prêt au personnel ayant des toujours apprécié pas certains fonds qui
petits salaires. Ceci afin de permettre un voient dans ces pratiques des dispositifs
26 Revue française de gestion – N° 205/2010
« Non, pas vraiment. Quand il y a eu des Dans l’extrait ci-après le dirigeant revient
inquiétudes, les salariés les ont exprimées. sur l’importance du dialogue social, des
Ils nous ont toujours fait confiance. La engagements de l’entreprise vis-à-vis des
crainte c’est que l’entreprise ne soit tournée personnels sur le long terme et, de nou-
que vers le résultat annuel. Mais il n’y a pas veau, établit le lien avec projet d’entre-
chez FM de diktat de la Bourse. » prise et les aspects économiques et mana-
« La Bourse a pu nous freiner pour cer- gériaux.
taines croissances externes mais ça n’a pas « Le Groupe FM, depuis vingt ans, consacre
changé les objectifs à long terme de l’entre- au dialogue social et à la formation des
prise. On a beaucoup investi pour atteindre sommes plus importantes que ce que la
les objectifs à long terme : on a poursuivi réglementation exige. Il faut faire adhérer,
les investissements pour moderniser les par la persuasion, les salariés au projet de
sites ainsi que les investissements publici- l’entreprise. Il faut qu’ils aient connaissance
taires pour poursuivre le développement de du projet de l’entreprise (donc il faut les
la marque. » informer) ; il faut qu’ils aient des informa-
« On a la chance d’avoir des partenaires tions détaillées sur le devenir de l’entreprise
financiers qui s’inscrivent dans une relation dans toutes ses dimensions et qu’ils soient
de long terme basée sur la confiance. Les rassurés sur la pérennité de l’entreprise et
dérives financières actuelles (celles dues aux sur leur avenir personnel. C’est un point très
hedge funds notamment) proviennent d’une important : celui de l’engagement vis-à-vis
exigence excessive de rentabilité à court du contrat de travail. Il faut respecter le
du projet d’entreprise, mais ce qui ressort activités et les reconversions ont été facili-
aussi c’est le souci du long terme et de la tées par ce climat constructif et de
pérennité. confiance ; il n’y a eu aucun licenciement.
La confiance n’est pas immédiate ; elle se
2. Le projet et la question construit par la preuve. Tous les salariés
de la pérennité savent qu’on s’en sortira par l’innovation
La centralité du projet d’entreprise dans les dans tous les domaines. Nous avons chez
discours et dans les actes s’accompagne en FM une vraie culture du changement. Et en
permanence d’une perspective de long terme contrepartie, s’il accepte les mutations, le
et de pérennité. Un tel constat ne surprendra salarié doit avoir des assurances sur son
peut-être pas dans le contexte d’une entre- avenir. La confiance est très exigeante.
prise patrimoniale. Mais nous voudrions tou- L’appropriation des objectifs par les salariés
tefois mettre en évidence trois facettes que les rend ensuite très exigeants.
cette inscription dans le temps long du projet Dans le futur, au-delà de l’innovation et de
implique : le rapport aux personnes, le rap- l’implication, les transformations de l’en-
port au temps, le rapport à l’espace. treprise doivent être comprises et acceptées.
L’entreprise et son projet 31
Alors, dans un tel contexte, tout le monde À plusieurs reprises Y. Gonnord revient sur
tire dans le même sens et fait de la qualité. » l’importance de la proximité spatiale, de
(…) l’appartenance à un même lieu de vie ou au
« Nous avons depuis longtemps chez FM territoire. C’est aussi la question de la rura-
des cercles de qualité qui fonctionnent. lité qui se pose, dont il reste selon nous à
Mais ce système des cercles de qualité a mesurer la portée :
entraîné une lassitude au bout d’un certain « Vivre en milieu rural est une véritable
temps et donc, en complément, nous avons chance. C’est un point très important. Ici
cherché à donner de l’autonomie aux per- les dirigeants vivent au rythme des autres et
sonnes sur le poste de travail. Au bout du sont sensibilisés aux problèmes des sala-
compte, l’entreprise est gagnante ; les sala- riés. Cela a pu influer sur certaines déci-
riés ne sont pas des robots. Par exemple, sions : par exemple l’aménagement des
nous avons mis récemment en place une horaires de travail pour les femmes… Cet
nouvelle chaîne de découpe exclusivement aménagement a débouché notamment sur
réservée aux femmes (sur laquelle il n’y a l’amendement Fleury Michon voté par
toutefois pas de désossage) ; les adaptations l’Assemblée nationale et qui concernait le
du poste de travail (ergonomie, cadence, etc.) congé parental (…) » (verbatim extraits de
ont été réalisées à partir des suggestions et l’entretien).
des initiatives des intéressées elles-mêmes. Il nous faut aussi rappeler que l’entreprise a
Ce qui a permis de proposer des postes à de la même façon protégé ses cadres diri-
des femmes qui, par exemple, travaillaient geants en cas de changement de propriétaire
BIBLIOGRAPHIE
Avenier M.-J., “Shaping a Constructivist View of Organizational Design Science”,
Organization Studies, Spécial Issue “Organization Studies as Applied Science : The
Generation and Use of Academic Knowledge about Organizations”, 2010 à paraître.
Baudry B. et Dubrion B. (dir.), Analyses et transformations de la firme. Une approche
pluridisciplinaire, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2009.
Bourgeois L. et Eisenhardt K., “Strategic Processes in High Velocity Environments: Four
Cases in the Microcomputer Industry”, Management Science, vol. 34, n° 7, 1988, p. 816-835.
Bréchet J.-P., Desmarteau R. et Saives A.-L., « La gouvernance dans les industries fondées
sur la science. Le cas des biotechnologies du Québec », Communication, conférence AIMS
2009.
Bréchet J.-P. et Desreumaux A., « Le projet dans l’action collective », Encyclopédie des
Ressources Humaines, Paris, Vuibert, 2006, p. 1015-1024.
Bréchet J.-P. et Desreumaux A., « Quelle(s) théorie(s) de l’organisation pour les sciences du
management ? », Le management, fondements et renouvellements, Éditions Sciences
Humaines, 2008a, p. 303, 314.
Bréchet J.-P. et Desreumaux A., « Une Project-Based View pour le Strategic Choice », Revue
Sciences de Gestion, n° 64, 2008b, p. 383-405.
Bréchet J.-P. et Tougeron P.-Y., « Pour une approche régulationniste de la gouvernance »,
Économies et Sociétés, Cahiers de l’ISMEA, n° 10, série « Économie de l’Entreprise »,
n° 19, 2008, p. 1931, 1969.
Charreaux G., « Vers une théorie du gouvernement des entreprises », Le gouvernement des
entreprises : corporate gouvernance, théories et faits, Charreaux G. (éd.), Paris,
Economica, 1997, p. 57-88.
34 Revue française de gestion – N° 205/2010