Rock & Folk - Juin 2023
Rock & Folk - Juin 2023
Rock & Folk - Juin 2023
SPARKS
ETIENNE DAHO
IAN HUNTER
DEL SHANNON
JIM H
JAPRrM UnStCe
ese
SQÜRL
•••
“ C’est ce que
RIVAL SONS
LES LULLIES
THE TALLEST mon père a fait,
MAN ON EARTH c’est ce que
”
GRAHAM NASH
BILL PRITCHARD le Clash a fait
juin 2023
GALEN AYERS &
PAUL SIMONON
N°670 / 6,90 €
MensuEL
L 19766 - 670 - F: 6,90 € - RD
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combat pop
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ILE MAURICE 7,80 €
Edito
La langue au Chat
Philippe Sollers a cassé son fume-cigarette. Le 5 mai.
Dans sa préface de “La Guerre Du Goût”, il cite Heidegger :
“Un nouveau soin du langage,
et non une invention de termes nouveaux…”
Nouveau soin du langage ?
A comprendre : comme une nouvelle façon d’écrire ?
L’intelligence artificielle ?
ChatGPT ? Ce logiciel dont le nom fait rire gras. En France.
La tentation — appelons ça de la curiosité — est grande.
On télécharge le truc et on soumet ceci au logiciel :
“La fille de Kevin Ayers, créateur du groupe Soft Machine, a monté
un duo et sort un disque avec Paul Simonon, bassiste du légendaire
groupe punk Clash. Ecris-moi un édito brillant sur le sujet”.
Et en trois secondes, toc ! voilà ce que balance la machine :
“Le monde de la musique est en effervescence avec la nouvelle
de la sortie prochaine de ‘Can We Do Tomorrow Another Day?’,
un nouvel album de Galen Ayers et Paul Simonon. Galen
Ayers, fille de Kevin Ayers, le créateur du légendaire groupe
psychédélique Soft Machine, s’est associée à Paul Simonon,
le bassiste de l’emblématique groupe punk The Clash, pour
créer une expérience musicale unique et passionnante.
L’album promet d’être une fusion de différents genres, avec
des éléments de punk, de rock psychédélique, et plus encore.
La collaboration entre Galen Ayers et Paul Simonon témoigne du
pouvoir de la musique de rassembler les gens, quels que soient
leurs antécédents ou leurs influences. C’est une célébration
de la riche histoire de la musique et des possibilités infinies
de ce qui peut être créé lorsque les artistes se réunissent.
Le fait que Galen Ayers, la fille d’un musicien légendaire,
suive les traces de son père et crée sa propre musique
témoigne de l’héritage durable de Kevin Ayers, et de l’impact
qu’il a eu sur le monde de la musique. C’est aussi un rappel
que la musique est un langage universel qui transcende
les générations et relie les gens de tous les horizons.
Alors que nous attendons avec impatience la sortie de ‘Can
We Do Tomorrow Another Day?’, nous ne pouvons qu’imaginer
la magie que Galen Ayers et Paul Simonon créeront ensemble.
Ce sera certainement un voyage musical qui nous mènera
à de nouveaux sommets et nous laissera en vouloir plus.”
Bon. C’est sans âme mais bien peigné, les ficelles un peu grosses
mais sans erreurs… Ça ne se mouille pas… mouais.
Pourtant ! La fille du Guru Banana et le sublime et pour toujours
bassiste des Clash réunis pour un disque ! L’info est sexy, non ?
Inspirante pour le moins. Comme si la fille d’Elvis Presley avait
épousé Michael Jackson, ce genre. Ha mince, oui, ça, c’est vrai…
Mais on s’enhardit et on tente un :
“Quel est l’avenir du rock ?”
Réponse de la machine :
“Il est difficile de prédire l’avenir du rock en 2023,
mais il y a des signes encourageants. Il semble que
le rock continue d’être un genre musical populaire et
qu’il y ait des raisons d’être optimiste quant à son avenir.”
Cool. Mais laissons tomber. L’intelligence artificielle n’est
pas encore l’avenir de l’intelligence… ni celle du langage.
Encore moins de l’émotion Ni du goût. Pas encore…
En parlant d’émotion, le spectacle a été grandiose. Non ?
Beau et gothique comme un concert de Ghost ou de Rammstein :
le couronnement du roi Charles III ! Avec des invités super. Nick
Cave par exemple. Et puis un concert ! Entre 1953, couronnement
de la Queen brocardée, et maintenant, le rock a régné à
ses côtés. La télé aussi. Les deux existent moins aujourd’hui.
Dans sa préface, Sollers cite aussi Voltaire : “Si c’est ici
le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ?”
Allô, ChatGPT ?
Vincent Tannières
Tête d’affiche
BILL PRITCHARD 14
LES LULLIES 16
Eric Delsart
GRAHAM NASH 18
Bertrand Bouard
20 Rival Sons
RIVAL SONS 20
Jonathan Witt
Story
Nicolas Ungemuth DEL Shannon 46
En couverture
Géant Vert Galen Ayers & Paul Simonon 52
www.rocknfolk.com La vie en rock
Patrick Eudeline LES COUPLES 58
couverture Photo : Tom Oldham-dr 52 Galen & Paul
RUBRIQUES edito 003 Courrier 006 Telegrammes 008 Disque Du Mois 063 Disques 064 Reeditions 072 REHAB’ 076 vinyles 078
DISCOGRAPHISME 080 HIGHWAY 666 REVISITED 082 Qualite France 083 Erudit Rock 084 Et justice pour tous 086 FILM DU MOIS 088
Cinema 089 SERIE du mois 091 IMAGES 092 Bande dessinee 094 LivRes 095 Live 096 PEU DE GENS LE SAVENT 098
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&[email protected]
Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Stéphanie Casasnovas
Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon
Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99)
Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99)
Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) A collaboré à ce numéro Manuella Fall
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Papier issu de forêts gérées durablement, origine du papier : Allemagne, taux de fibres recyclées : 63%, certification : PEFC/ EU ECO LABEL, Eutrophisation : 0,003 kg/ tonne.
Diffusion : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 2ème trimestre 2023. Printed in France/ Imprimé en France.
Commission paritaire n° 0525 K 86723 ISSN n° 07507852 Numéro de TVA Intracommunautaire : FR 96572 071 884 CCP 11 5915A Paris RCS Nanterre B 572 071 884
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Courrier des lecteurs
Samantha Fish en pantalon !
intéresser aux disques qui sortaient. Si sénior actuellement. J’apprécie entre autres,
Bon nombre d’entre nous se sont alors Après la lecture de votre dernier édito, les Limiñanas, Temples, Tame Impala ;
tournés vers John Coltrane, Miles Davis l’envie me prend de vous adresser un j’ai également été grand fan d’Oasis
et tous les autres. C’était bien, mais courrier, ce que je n’avais pas fait depuis dans les années 1990. Je ne vais
ça ne nous collait pas au râble. Et bien longtemps. Je fais maintenant partie plus beaucoup en concert désormais, je
puis, petit à petit, le rock est revenu, des vieux, mais il paraît qu’il ne faut plus n’aime pas les grands-messes dans les
un peu partout, enfin paraît-il, éternel employer ce terme ; il convient de dire stades où on voit les artistes sur écran
phénix, etc., digéré tout de même, seniors semble-t-il. Mais comme le dit si géant. Et puis j’ai vécu de si grands
échantillonné pour la publicité, argu- bien Gaspard Proust, “sénior” n’est que moments, à l’époque, puisque j’étais
ment revendicatif pour nouveaux has la contraction de “sénile qui s’ignore”, à Londres durant les étés, ce qui m’a
been, argument répulsif pour futurs ce qui ne me plaît guère ! Etant donc un permis d’assister aux concerts, à Hyde
has been. En réalité, il ne nous avait vieux, je n’étonnerai personne en disant Park, des Rolling Stones en 1969 et
jamais quittés. L’admettre nous a que je vous lis depuis le numéro 1 ; de Pink Floyd en 1970. Grand souvenir,
permis de remonter à la source, j’avais alors treize ans quand je vous ai même si je me trouvais loin de la scène !
pour explorer chaque ruisseau, découvert. Certes je connaissais déjà la Autre souvenir impérissable, Johnny
réécouter, comprendre, chercher presse rock puisque j’étais lecteur de Hallyday en 1966 que je voyais en vrai
ce qui pouvait relier les uns aux “Salut Les Copains” bien sûr, et surtout pour la première fois, avec Jimi Hendrix
autres, réhabiliter et redevenir de “Disco Revue”. J’en ai d’ailleurs en première partie ! Sur le coup, je
curieux. Issu de l’émotion originelle, conservé de nombreux numéros qu’il venais voir mon idole, Hendrix était
le plaisir viscéral qui nous attache m’arrive encore de feuilleter. Quelques un inconnu pour moi ; ce n’est que
Redevenir curieux à cette musique a survécu au temps. années plus tard, j’ai évidemment fait plus tard que j’ai compris la chance
Dans l’édito du numéro 669, Vincent Il est toujours là, intact, à fleur de peau. la connaissance de “Best” que j’ai que j’avais eue ce jour-là ! Tout ceci
Tannières nous rappelle l’inutilité de Laurent Sarrote lu du premier au dernier numéro. Et pour vous dire que l’on peut être très
la bataille entre les anciens et les puis, il y eut “Extra”, “Disc And Music attaché à une époque, sentimentalement
modernes. Si on sourit toujours de Echo”, “Melody Maker” et d’autres sans parlant, sans pour autant décréter que
l’erreur historique de Dick Rowe, elle Et puis doute dont j’ai oublié le nom. Il faut “c’était mieux avant” et que plus rien
donne néanmoins le coup d’envoi de quoi encore ! dire que ces années 60 et 70 étaient ne vaut la peine actuellement. Vous
la période où tout est allé trop vite. Samantha Fish en pantalon ! musicalement, pour ceux qui les ont faites un excellent travail depuis des
Patrick Eudeline a résumé l’affaire Ça devient vraiment n’importe quoi, vécues, d’une richesse absolue. Je ne décennies, soyez-en remerciés ! En ce
en écrivant qu’en six années, on ce canard ! citerai pas tous les albums fabuleux qui concerne vos couvertures, je suis
était passé de “Love Me Do” à “21St Phil (L’Autre) qui sont parus durant cette période, toujours heureux, bien entendu, d’y
Century Schizoid Man”. La résultante vous les connaissez aussi bien, sinon retrouver les vieux, nostalgie oblige.
fut nettement perceptible lors de la mieux que moi. Et puis il y avait le Continuez longtemps encore !
décennie suivante, celle où le rock L’effet Waouh transistor, élément indispensable Jean-Pierre Quentin
s’est distendu, distordu surtout, L’album de James “Wah Wah”, qui permettait de suivre en direct les
barré dans tous les sens, comme waouh ! Bravo ! Merci Benoît. nouveautés, d’écouter les hit-parades
vous voulez, pour le meilleur et pour PAscal Zwingelstein hebdomadaires. Je me revois courir Trucmuche
le pire. La décennie des énormes pour rentrer du collège rapidement et bidule
guitaristes : créateurs géniaux pour afin de ne pas louper une minute de Lucide, Daniel Auteuil. Il les a flairés
les uns, prétentieux pénibles pour les Sur de “Salut Les Copains”. Et puis le soir il les petits zozos qui veulent se fabriquer
autres. Dès son apparition, le rock a mauvais rails y avait Hubert et “Dans Le Vent”, puis une crédibilité à bon compte en répon-
ravivé le manichéisme moyenâgeux, “Born To Be Wild” pour accompagner “Campus” du très regretté Michel dant à la grande question, que les
et lui-même n’y a pas échappé. une pub SNCF... Ça ne serait Lancelot qui m’a fait découvrir William Rolling Stones sont “les vrais purs
Nés quelques mois après “Love Me pas du foutage de gueule ? Sheller et surtout Gérard Manset. Je et durs”, alors que les Beatles sont
Do”, trop jeunes pour être baby- Philippe Bouckenooghe veillais rarement jusqu’au “Pop-Club” “gentils et trop pop”. Rappelons que
boomers, trop vieux pour être X, nous de José Artur. J’essayais, sans grand Mick Jagger n’avait pas encore croisé
appartenons à cette intergénération succès, de capter Radio London ou les oreilles décollées de Keith Richards
bâtarde, dont Virginie Despentes a Antisocial Radio Caroline ; heureusement, pour que nos petits gars de Liverpool
dit qu’elle ne laissera rien derrière Suggestion de titre pour le me consoler, le Président Rosko est se coltinaient tous les tarés de la
elle. Fascinés par le rock dès la prime prochain album de Trust : “49.3”. arrivé sur RTL avec “Minimax” et la Reeperbahn à Hambourg. “I’m Down”,
adolescence, biberonnés aux Beatles Patrick Moalic BBC a créé “Radio One”, beaucoup plus “Birthday” et l’insurpassable “Helter
et aux années 1970, complètement facile à capter que les radios pirates ! Je Skelter”, plus explosifs, je ne vois
perdus à l’aube des années 1980. Voir suis resté très attaché à cette période que Bettie Page. Oui, les Stones ont
ces gens en costume à épaulettes et fabuleuse, sans doute également parce été grands, mais la discographie de
coupe mulet-brushing se dandiner que c’était ma jeunesse. J’ai eu mon ces cinquante dernières années a
derrière des DX7 nous a traumatisés. premier électrophone en 1962, avec plutôt mauvaise haleine. Sans parler
Nous avons immédiatement haï le Ecrivez à Rock&Folk, mes premiers 45 tours, et j’ai tout du roucoulant “Angie”, qui a la grâce
look, le son, les voix polarisées castrat/ 12 rue Mozart, conservé depuis. Etant très éclectique d’un hippopotame. Il sait tout ça,
outre-tombe. La télé et la radio nous 92587 Clichy cedex dans mes goûts, je possède beaucoup Daniel Auteuil, et son choix se porte
imposaient — pour notre bien — ces ou par courriel à rock&folk@ de choses dans les domaines pop, rock, naturellement sur le groupe qui a
nouveaux codes vestimentaires et editions-lariviere.com folk ou variété. Je fréquente de manière rendu légendaire un passage pour
musicaux. Elles étaient toutes aussi Chaque publié reçoit un CD assidue Gibert auprès de qui je peux piétons et inventé la couleur des sous-
potentiellement meurtrières qu’Internet encore aujourd’hui m’approvisionner marins (si, si). Alors, on peut toujours
aujourd’hui. R&F survivait, obligé en compilations garage sixties continuer de chercher si Trucmuche
de sacrifier son graphisme à l’air du régulièrement chroniquées par Nicolas est meilleur que bidule, mais, l’histoire,
temps, anguleux et bariolé, mais nous Ungemuth. Bien que nostalgique, je ne elle, a tranché depuis longtemps... !
étions trop fauchés pour vraiment nous suis pas réfractaire à ce qui se passe Ringa STorr
COME
“Near Life Experience”,
troisième opus paru en 1996
du quatuor américain originaire
de Boston et dissident du rock
alternatif, sera réédité en édition
limitée et remasterisé incluant
3 titres bonus, nouvelles notes de
pochette et photos… sur vinyle
rose et sera disponible dès le
2 juin. En amont, le groupe sera
à Paris le 29 mai à l’International.
PASCAL COMELADE
Vibrant hommage au Velvet
Underground, “Velvet Serenade”
est le fruit de la rencontre entre
l’ex-Sonic Youth Lee Ranaldo
et le Catalan Pascal Comelade,
lors d’un concert à l’Auditori de
l’Ateneu de Banyoles (Espagne)
le 28 avril 2002, avec l’aide du
batteur Ramon Prats. Il sera
à écouter le 23 juin prochain.
ALICE COOPER
Les albums “Killer” (1971)
et “School’s Out” (1972)
bénéficieront d’une édition
Deluxe contenant les albums
originaux remasterisés, renforcés
de bonus, démos, raretés et
concerts inédits. Au format
PJ HARVEY 2 CD et 3 LP, avec livret,
Après sept longues pochettes originales, et le
années, Polly Jean vinyle enveloppé dans une
Harvey reprend du petite culotte en dentelle
service avec un dixième ignifugée... Le tout sera
disque studio. Précédé dans les bacs le 9 juin prochain.
du simple “A Child’s
Question, August”, BOB DYLAN
“I Inside The Old Year Alors que Timothée Chalamet
Dying”, douze titres interprétera le rôle du barde
à nouveau produits (producteur exécutif) dans le
Photo Steve Gullick-DR
Photo DR
Gérard Pont
C’est l’histoire d’un libraire brestois de vingt ans qui crée en 1979,
avec deux agriculteurs, le premier gros festival de rock breton, Elixir,
dont celui des Vieilles Charrues est le descendant.
Recueilli par Olivier Cachin- photo william beaucardet
APRÈS LA FIN D’ÉLIXIR EN 1987, Gérard Pont devient on a dit à Jacques Maillot : “Vous n’allez pas vous faire du fric sur notre
directeur artistique des Francofolies. Une vie de musique avec dos, on va partager”. On était naïfs. Il y a eu des émeutes, le ministre
les galères et la magie qui vont avec. Tout ça résumé dans son de l’Intérieur nous a demandé de laisser entrer les gens gratuitement.
appartement parisien avec une discothèque vinyle mal classée On a été ruinés, on a payé pendant dix ans.
et des souvenirs à la pelle.
Un chantage
Grâce aux Gipsy Kings à dix mille livres
ROCK&FOLK : Votre première passion musicale ? R&F : Ça se passait comment avec les artistes ?
Gérard Pont : “Harvest” a été mon Gérard Pont : A l’époque, c’était très
premier choc, en 1971. A l’époque, il bordélique. Ramener les Clash depuis
y avait ceux qui lisaient “Pilote” et qui l’aéroport d’Athènes en prenant trois
écoutaient Neil Young, Jimi Hendrix et taxis, c’était une expérience…. Pour
Bob Dylan, et les autres. Un jour, j’ai Fela, ils sont arrivés à quarante dans
reçu un coup de fil de Larry Johnson, un bus, ils se sont jetés sur le catering
l’ingénieur du son de Neil Young, qui et ont tout emmené, soupe et fromage,
me dit : “Bonjour, vous connaissez Neil dans des sacs-poubelles. Fela voulait
Young et Jim Jarmusch ?” “Oui, bien une caravane à 40°, il a fallu qu’on aille
sûr.” “Jim veut réaliser un film en France, démonter des radiateurs électriques dans
voulez-vous le coproduire avec nous ? Parce qu’on a vu votre documentaire les villas à côté. Il ne jouait pas si on
sur les Gipsy Kings et on a adoré.” Voilà comment je me suis retrouvé ne sacrifiait pas un poulet, mais il en
coproducteur du film “Year Of The Horse”, grâce aux Gipsy Kings. voulait un noir, alors on a pris une poule
blanche qu’on a peinte avec une bombe
R&F : Comment êtes-vous devenu organisateur de spectacles ? et on a égorgé la poule noire. Le concert
Gérard Pont : J’ai toujours aimé ça. Gamin, j’avais monté une a duré jusqu’à 4 heures du matin. J’étais
salle de spectacles dans le grenier, je faisais des scènes avec mes allé chercher Country Joe Mc Donald, il
Lego. A vingt ans j’ai commencé à faire venir des artistes français, le était avec ses deux enfants de huit et dix
premier, c’était Stéphane Grappelli, je suis allé le chercher à la gare ans. Le festival avait lieu entre Brest et
de Brest en 4 L. Je suis passé à la chanson. Bernard Lavilliers, Dick Quimper, je n’avais pas vérifié le niveau
Annegarn, Yves Simon, Aristide Padygros. Je collais des affiches à d’essence de ma voiture et on s’est retrouvé en panne sur l’autoroute,
cinq heures du matin. Deux mecs de Landernau qui organisaient des j’ai fait du stop et je les ai mis dans une bagnole, lui, son trombone, sa
festivals celtiques m’ont dit qu’ils voulaient en faire un avec moi en guitare, sa valise et ses deux gosses ! Des anecdotes comme ça, j’en ai
1978. J’ai dit oui sans réfléchir, on s’est retrouvé à trois, eux deux plein. Les bagarres entre les roadies des Clash et de Depeche Mode
fils de paysans qui avaient les terres. La scène, c’était un hangar où aussi, parce que Clash ne supportait pas de jouer après Depeche Mode.
on avait mis un plancher. Leurs managers, Bernie Rhodes et Kosmo Vinyl, étaient fous furieux
et m’ont dit : “Si on n’a pas dix mille livres de plus, on ne joue pas”. Je
R&F : Et ça a évolué. leur ai répondu “Pas de problème, je vais monter sur scène et dire aux
Gérard Pont : En Bretagne, on était encore baba cool. En 1981 arrive vingt mille personnes que les Clash ne joueront pas parce qu’ils font un
la new wave et on la programme. Petit à petit le public a grossi, on s’est chantage à dix mille livres ”. Evidemment, cinq minutes plus tard ils
organisé et on a fini avec Clash, Depeche Mode, etc. Se retrouver à vingt étaient sur scène. Sinon, il y a toujours les artistes qui loupent leur
ans avec Joe Strummer, quelle chance j’ai eue. Quand Mitterrand a été train ou leur bateau…
élu président de la commission européenne, il a voulu aider son pote
Andreas Papandréou qui était premier ministre grec. Notre sponsor, R&F : Et ceux qui veulent des filles ou de la dope ?
Nouvelles Frontières, y a vu une opportunité, et ils nous ont appelés pour Gérard Pont : Moi, je n’ai pas eu ces demandes-là. Il y a un groupe à
faire un grand festival. Mais au lieu de dire : “Ça va vous coûter tant”, Athènes qui m’a demandé de la coke, et c’est le ministère de l’Intérieur
Bill Pritchard Tel un Léo Ferré pop moderne, l’Anglais, lui-même grand auteur
de textes de chansons, met sur son dernier album un poète en musique.
IL éTAIT L’UN DES PLUS BRILLANTS sorti peu après mon “Midland Lullabies”
ESPOIRS DE LA POP BRITANNIQUE, Pas pour (2019), de même que le disque solo de Fred et
aux côtés de Lloyd Cole, Prefab Sprout
et autres. Après les albums “Parce Que”
les majors que la réédition de “Three Months...”. Quatre
albums en un an !
Avant le grand retour de Bill sur Tapete
(1988, avec Daniel Darc), “Three en 2014, il y avait eu une première
Months, Three Weeks & Two Days” tentative de come-back français
(1989, produit par Etienne Daho)
avec l’album “By Paris, By Taxi,
By Accident”, chanté pour moitié
Des petites
et “Jolie” (1991) — tous récemment dans la langue de Françoise Hardy, cartes postales
réédités avec force bonus —, il signe sur chez Universal en 2006 : “Oui, avec R&F : A vos débuts, vous viviez de la
un grand parolier français (rires) !
Island, qui voit en lui un futur grand. Il y a eu une tournée, l’Olympia musique...
Mais une embrouille juridique bloque avec Daniel Darc et... plus rien. Bill Pritchard : J’ai tout arrêté et je suis
sa carrière. Peu attiré par la gloire, il Ma musique ne convient pas à une major. devenu enseignant. Je continuais à écrire,
Ce n’était ni la faute d’Universal ni
continue à écrire des chansons pour la mienne, nous étions incompatibles...” mais sans intention de publier. Puis mon
“an audience of one” (lui-même !), pote Tim Bradshaw est revenu d’Amérique,
devenant “a long lost treasure”, selon fait une version française et une anglaise. Là, et on a commencé à enregistrer. A nouveau
“Q Magazine”. Jusqu’à ce qu’un label Patrick me donnait des mots, des situations, sans objectif... Là, j’ai été invité dans un
allemand, Tapete, lui permette à des ambiances, et je les utilisais pour créer la festival, en France. Je n’avais pas joué depuis
nouveau de publier de beaux albums. musique. Il a adoré la première, “Private Bar”, douze ans ! Le bassiste avait tous mes albums.
Sur le tout dernier, il met en musique qui parle de Sarajevo. On a continué et on s’est Je lui ai joué mes nouveaux morceaux et il m’a
des textes du poète canadien Patrick retrouvé avec onze chansons. Ce n’est qu’alors dit : “Il faut les sortir”. Quelqu’un a suggéré
Woodcock. Une expérience inédite que j’ai réalisé que nous avions un album. Tapete, et voilà ! Bizarrement, au même
pour cet Anglais bourré d’humour et moment, des trucs à moi ont commencé à
de talent, et néanmoins francophile. R&F : Tout ceci à distance ? refaire surface sur internet. A une époque,
Bill Pritchard : Je ne l’ai jamais vu ! Il on pouvait disparaître. Aujourd’hui, c’est
a vécu dans dix pays différents pour écrire impossible !
De Sarajevo à Toronto ce livre, “Farhang: Book I”. Mais je serai à
ROCK&FOLK : Comment est né cet son lancement, à Toronto en septembre. Il R&F : Tapete ne vous demande pas d’en
album ? est de là-bas. C’est drôle : à l’université, il faire plus ?
Bill Pritchard : Patrick Woodcock m’a écoutait Lloyd Cole, The Monochrome Set Bill Pritchard : C’est un label génial, à
envoyé un mail : “Je suis fan de vous depuis et Bill Pritchard... qui sont maintenant tous l’ancienne, avec un catalogue qui a du sens. Et
longtemps, je suis poète et j’aimerais, si c’est sur Tapete ! une vision très réaliste de ses artistes. Si je me
possible, que vous écriviez une chanson d’après consacrais exclusivement à l’enseignement ou
un de mes poèmes, pour lancer mon nouveau R&F : Comment le label a-t-il été à la musique, je ne serais pas équilibré. Et je
livre.” Je me suis renseigné et je me suis rendu impliqué ? suis un meilleur auteur en ayant une vie plus
compte que c’était un poète reconnu, que Bill Pritchard : J’ai envoyé les titres riche. Sinon, on enregistre un album, on part
j’aimais sa façon d’utiliser les mots, de parler au patron, qui m’a répondu : “J’aime ça, en tournée, et on recommence.
de situations et de gens dont je ne savais rien allons-y !” C’était assez inattendu. Double
mais qui m’intéressaient. Je lui ai dit que ironie : je n’avais jamais enregistré de façon R&F : Et on écrit sur le fait d’être sur
je devrais pouvoir couper, coller, peut-être aussi locale, le chant et la guitare dans mon la route !
même changer quelques mots. Il a répondu : grenier, le reste dans le studio de mon ami et Bill Pritchard : C’est un cliché, mais c’est
“Bill, fais ce que tu veux, je te fais confiance.” voisin Scott Ralph, et cet album me ressemble absolument ça... Je préfère arriver avec mes
plus qu’aucun autre, alors que ses textes ont petites cartes postales : “Voilà ce que j’ai fait”,
Photo Luke Hodgkins-DR
R&F : Vous aviez déjà fait ça ? été écrits par un gars de Toronto ! ne pas m’inquiéter du résultat et me barrer. H
Bill Pritchard : Jamais ! Je n’avais jamais
fait d’album dont je n’aie pas écrit les textes. R&F : Entre le précédent et celui-ci, Recueilli par Stan Cuesta
L’expérience la plus proche a été “Parce vous avez collaboré avec Frédéric Lo. Album “Sings Poems By Patrick Woodcock”
Que”, avec Daniel Darc, mais nous avions Bill Pritchard : L’album Pritchard/ Lo est (Tapete)
Les
tournée. Le combo en avait même fait son
credo : “Monter dans le camion, faire des
bornes, faire du rock’n’roll”.
A mille à l’heure
Formé en 2016 par le bassiste Thibault Sonet
et le guitariste Roméo Lachasseigne dans le
Lullies
but de faire du rock’n’roll à l’ancienne, le
quatuor est complété par le batteur Manuel
Monnier (membre avec Roméo des formidables
Grys-Grys) et le guitariste François Bérard.
Cet attelage, nommé Lullies (un nom choisi à
l’origine pour chambrer un ami musicien nommé
Lully) n’a pas tardé à faire sensation avec son
mélange de punk anglais, de garage australien
et de powerpop américaine. “On voulait faire
un truc à la Real Kids, du rock’n’roll seventies,
l’école de Boston. A l’origine, on voulait faire un
Ils sont depuis plusieurs années le groupe garage truc bien powerpop. On essayait de reprendre des
morceaux des Plimsouls. On galérait à chanter.
punk français le plus excitant à voir sur scène.
Photo Angie Couple-DR
Graham Nash Cinq mois après la mort de son camarade David Crosby, le légendaire
songwriter anglais publie “Now”, un nouvel album très personnel,
sur lequel il tente de ne pas abdiquer son optimisme.
GRAHAM NASH EN CONVIENT AVEC UN son visage sur les réseaux sociaux, et à chaque
LARGE SOURIRE, IL N’AURAIT JAMAIS
PU PENSER, LORSQU’IL ENTAMA SA
Insta Graham fois, j’ai le même choix à faire, est-ce que je veux
me souvenir des bons ou des mauvais moments ?
La plus grande contribution de
CARRIÈRE VOILÀ QUELQUES DÉCEN- Graham Nash restera son association Et je choisis de me remémorer les premiers. Je
NIES, QU’IL PUBLIERAIT UN ALBUM avec Crosby, Stills et Young, mais préfère me les rappeler et réécouter la belle
le chanteur anglais a démarré sa
À QUATRE-VINGT-UN ANS. “Cela carrière au sein des Hollies, groupe musique que nous avons pu faire ensemble.
aurait été quelque chose d’inconcevable”, originaire de Manchester qui connut
admet-il. Parcouru d’interrogations très un certain succès dans les années 60
avec des titres tels que “Carrie
personnelles, de protest songs plutôt Anne” ou “Stop Stop Stop”. Grave erreur
subtiles (sur Trump, notamment), de Si Nash a quitté les Hollies en 1968 R&F : A-t-on justement une chance d’en-
pour rejoindre Los Angeles,
choses, également, qui renvoient à son le groupe a perduré et est toujours tendre un jour l’album de reprises que
illustre passé, “Now” est un album assez actif en 2023 (avec le guitariste CS&N avait commencé d’enregistrer avec
touchant, qui a la bonne idée de contenir Tony Hicks et le batteur Bobby Elliott). Rick Rubin il y a une dizaine d’années ?
des mélodies. Nash assume les utopies qui Graham Nash : Lors de cet enregistrement,
ont toujours été les siennes, et se livre, R&F : Parlez-nous de “I’ve Watched It Rick Rubin avait essayé de dire à David ce
sur “I’ve Watched It All Come Down”, All Come Down”. qu’il devait faire, une grave erreur. On voulait
la voix soutenue par une unique section Graham Nash : J’avais cette chanson depuis faire deux morceaux des Beatles, “Norwegian
de cordes, à une poignante évocation des années, et mon pianiste Todd Caldwell, qui Wood” et “In My Life”. Rick Rubin a dit : “Non,
de la saga CSN&Y, dans sa gloire et sa a coproduit l’album avec moi, m’a suggéré de il n’y aura qu’une seule chanson des Beatles sur
décadence. remplacer ma guitare par des arrangements de l’album”, et Crosby a dit : “Quoi ?” Rubin
cordes. Les paroles racontent ce qui s’est passé a répété qu’il n’y aurait qu’une chanson des
dans CSN&Y. En dépit de tout, j’aime ce son, Beatles, et c’était fini. David Crosby n’aimait pas
Un jour meilleur j’ai envie de l’entendre. Rick Rubin, ni le fait qu’il nous dise ce qui serait
ROCK&FOLK : Sur “Right Now”, vous sur notre album. Mais Rick m’a dit que l’un de
chantez “Now that I realize just who I am”. R&F : La mort de David Crosby l’a rendu ses collaborateurs lui avait rappelé à quel point
On peut donc toujours se découvrir à caduc à jamais… les enregistrements étaient bons. Il a écouté sept
quatre-vingt-un ans ? Graham Nash : Sa mort a été extrêmement chansons je crois, et a partagé cet avis. Je lui
Graham Nash : Oui, on découvre qui on est difficile pour moi. David a été mon meilleur ai demandé de m’envoyer ce qu’il avait. Il est
chaque jour, à travers la façon dont on traite les ami pendant plus de cinquante ans, puis on a eu donc possible qu’un jour vous entendiez ça…
autres notamment : suis-je ou non une bonne quelques années où on s’est hurlé dessus, mais à
personne ? Je ne regarde pas trop en arrière la fin on se reparlait. Il m’avait laissé un message R&F : Vous avez récemment participé à
en temps normal, car il n’y a rien que je puisse vocal pour m’informer qu’il voulait s’excuser un concert hommage à Joni Mitchell…
changer au passé. Je suis toujours préoccupé des choses qu’il avait dites à mon égard, ainsi Graham Nash : Un moment incroyablement
par la prochaine chanson, le prochain concert. que sur Neil Young. J’avais programmé une émouvant pour moi. Joni était présente, assise
Je reste toujours profondément passionné par réunion en ligne deux jours plus tard, pour qu’on au premier rang, j’ai chanté sa chanson “A Case
la musique. puisse se voir et discuter, j’ai attendu près de Of You”. A la fin du concert, je crois que Joni
mon ordinateur, attendu, attendu, et il n’a jamais a commencé à comprendre qu’elle était aimée
R&F : Comment avez-vous conservé appelé... et j’ai ensuite appris qu’il était décédé. par des millions de gens. Elle n’a jamais cru
intacte cette passion ? qu’elle l’était, mais elle commence à s’en rendre
Photo Laura Cavanaugh/ Film Magic/ Getty Images
Graham Nash : J’ai toujours eu l’espoir que R&F : Quel souvenir gardez-vous de lui ? compte. Et je pense que, dans le futur, quand les
demain serait un jour meilleur. Et encore Graham Nash : Je viens de faire une interview historiens se pencheront sur la période musicale
aujourd’hui, malgré tout. Ça remonte à loin. avec (le producteur, nda) Rick Rubin, et il m’a de la fin des sixties, ils se souviendront de Bob
Quand je suis venu au monde, la Seconde dit : “Avant tout, puis-je te faire écouter quelque Dylan, des Beatles, de Jimi Hendrix et de Joni.
Guerre mondiale avait encore trois ans devant chose ?” J’ai dit bien sûr, je n’avais aucune idée
elle, c’est pourquoi j’écris “I can’t remember de ce que ce serait. Et il a passé “Where Will R&F : Et pas de CSN ?
when my world wasn’t on fire” (sur “Stars And I Be?”, de David, avec moi aux harmonies… Graham Nash : Peut-être que si. Mais je ne
Stripes” ; nda). J’ai vu brûler le monde toute Je veux juste me souvenir des bons moments. serai plus là pour le voir (sourire). H
ma vie. Car la face obscure de David était atroce, il recueilli par Bertrand Bouard
pouvait être cruel, entêté. Je vois constamment Album “Now” (BMG)
Rival Sons
Quatre ans après le triomphe de “Feral Roots”, le quartette californien semble atteindre
sa plénitude artistique avec le premier volet d’un passionnant diptyque. Rencontre.
LES RIVAL SONS SONT DÉSORMAIS hôtel cossu d’une banlieue proche de offerte à l’ensemble de la planète, Rival Sons
BIEN INSTALLÉS DANS LE WAGON Paris. Le premier, toujours passionnant, va bientôt livrer deux opus, “Darkfighter”
DE TÊTE DU ROCK’N’ROLL arbore un costume trois-pièces bordeaux et “Lightbringer”, dont les sorties seront
MONDIAL. Depuis 2011 et la révélation laissant paraître un torse glabre et espacées de quelques mois. Bien qu’agacés
de “Pressure & Time” — dont ils ont tatoué, tandis que le second, moustaches par la “politisation du simple fait de porter
récemment célébré les dix ans sur recourbées et chapeau noir, cultive son un masque ou de se faire vacciner”, Jay et
scène —, ces classieux Californiens ont style de mousquetaire sympathique. Scott ont saisi l’occasion pour profiter de
partagé la scène avec tout le gratin : leurs proches, privilège qu’ils n’avaient pas
The Rolling Stones, Black Sabbath, connu depuis un moment, tout en collaborant
Deep Purple, AC/DC ou encore Guns Producteur fétiche à distance sur de nouveaux morceaux. Scott :
N’ Roses. C’est avec bonheur que l’on A l’instar de nombreux artistes — on pense “Cela nous a donné beaucoup de temps pour
retrouve Jay Buchanan et Scott Holiday, à Jack White — qui ont été très féconds travailler sur la structure des chansons, les
aussi élégants que loquaces, dans un durant la pause forcée qu’un certain virus a paroles. Mais le rock’n’roll ne doit pas être trop
The Tallest
Man On Earth En sortant de sa zone de confort, le Suédois expatrié à New York réussit
un disque folk d’une belle délicatesse, à la fois mélancolique et libérateur.
IL FAUT AVOIR UNE BONNE DOSE d’un album de laptop dont les plateformes Cook a improvisé cette espèce d’outro à la Mozart,
D’AUTODÉRISION POUR SE FAIRE dégueulent. Lui d’ordinaire si enclin à tout faire on s’est tous mis à pleurer en studio… Puis j’ai
APPELER “L’HOMME LE PLUS GRAND tout seul veut frotter ses nouvelles compositions chialé une deuxième fois quand j’ai compris que
DU MONDE” QUAND, À NOUS, IL à d’autres musiciens : “J’ai invité des gens que j’allais devoir reproduire cette partie en concert”,
ARRIVE TOUT JUSTE À L’ÉPAULE. j’admire à venir jouer mes chansons. Mais sans s’amuse le chanteur. Même mise en danger sur
Mais Kristian Matsson ne manque pas leur dicter ce qu’ils devaient jouer. Je voulais “Foothills”, le titre qui clôture l’album : “On a
d’humour. Ni de talent. Même si, à être surpris.” Pour exacerber le sentiment de foutu le piano de Phil au milieu de la pièce et je
l’entendre, le confinement a failli lui faire camaraderie, les chansons sont enregistrées en me suis mis au dobro à côté de lui. On a enregistré
perdre l’un comme l’autre. “On peut studio, mais dans des conditions live, sous l’œil la chanson en une seule prise. On en a fait une
parler de dépression, nous confie, avec bienveillant de Nick Sanborn, du duo Sylvan seconde pour le principe. Evidemment, elle était
un peu de recul, le songwriter. Juste avant Esso, qui produit l’affaire. “Je sais juste écrire des moins bonne.”
la pandémie, mon père est tombé malade. chansons. Pour ça, j’ai besoin des gens. Des amis. L’aventure collective n’est pas vraiment une
J’ai dû quitter New York où je vivais depuis Des inconnus. Des amours. Si vous m’enlevez ça, découverte pour Matsson. Plus jeune, dans sa
cinq ans et rentrer en Suède. Je pensais il ne reste plus rien.” Suède natale, le chanteur a officié au sein d’une
y rester quelques semaines. Ça a duré un Pour décrire The Tallest Man On Earth, formation garage, Montezumas. “On commençait
an et demi.” la presse musicale évoque quasi systéma- à pas mal tourner, et puis le groupe est tombé en
tiquement Bob Dylan. Mais au-delà d’une morceaux quand les uns ont commencé à partir
voix vinaigrée, la comparaison ne tient pas à la fac et les autres à bosser. Mais si pendant
Le punk du folk vraiment. A nous, il évoquerait plutôt un Nick longtemps j’ai joué la carte DIY, ce n’est pas parce
“Etre confronté ainsi à ma propre mortalité, Drake boréal (“Bless You”), un Paul Simon que je suis un maniaque du contrôle. C’est plutôt
ça m’a éteint. J’ai perdu ma capacité d’émer- qui n’aurait pas découvert la fretless (“In Your par manque de confiance dans mes capacités de
veillement. Tout ce que j’écrivais était sombre et Garden Still”), un Ryan Adams sans l’haleine musicien. Seul, je pouvais me prendre la tête avec
cynique.” Panne sèche. Le musicien ne sortira chargée (“Looking For Love”). “Dylan je l’ai mes chansons jusqu’à ce qu’il en sorte quelque
de cette ankylose qu’en apprenant qu’il peut écouté plus jeune mais sans vouloir l’émuler. Je chose de correct.”
enfin retourner aux Etats-Unis. “J’avais arrêté l’ai toujours vu comme le punk du mouvement En vieillissant, le musicien s’est débarrassé de
de composer. Je jardinais seulement. Et quand ils folk. Il y a pris cette musique et n’en a gardé que le ses complexes comme on enlève des couches de
ont annoncé qu’ils rouvraient les frontières, que feu. Comme Glenn Gould s’est emparé de Bach.” vêtements le printemps venu. A bientôt quarante
j’allais pouvoir retrouver mes amis, recommencer à ans, il est peut-être mélancolique mais serein.
sortir, draguer et jouer avec d’autres musiciens… Et qu’importe si de nos jours, le folk ne remplit
ça m’a débloqué. Je me suis assis à la table de Chemise de bûcheron plus les stades. “Quand j’ai commencé à jouer
ma cuisine en Suède et j’ai écrit le riff de ‘Every Le disque à la production épurée, quasi il y a dix-sept ans, le folk était un genre assez
Little Heart’.” Mélodie syncopée portée par un luthérienne, séduit par sa vulnérabilité. populaire. Tu ne pouvais pas mettre un pied
fingerpicking diabolique, le titre célèbre le “Henry St.”, le titre qui donne son nom et le dans un coffee-shop sans croiser un mec avec
goût de la vie retrouvée. Après la sécheresse, ton à ce bel ouvrage, est une supplique aux une chemise de bûcheron (rires). Ça a changé,
c’est le déluge. Ce nouvel album est presque genoux écorchés. Piano cru et chant collé au et alors ? Je me fous moi d’être joué sur TikTok.
craché. “J’avais vingt démos pour ce disque et plafond : “Ça parle du moment juste avant de Les gens viennent à mes concerts. Comment faire
Photo Stephan Vanfleteren-DR
on a enregistré quatorze chansons en onze jours. tout laisser tomber. Et ça résume très bien ce pour toucher les plus jeunes ? Est-ce que je ne rate
C’était comme une expiration après une longue disque qui parle de retrouver la lumière dans pas un segment ? Ça aussi je m’en fous. Peut-être
apnée. Je me suis dit : ‘Bordel, je ne suis pas un monde merdique.” On y entend le souffle que j’écris une musique pour les plus de trente ans.
mort à l’intérieur !’ ” court du chanteur, les pédales buter contre Et c’est très bien comme ça.” H
Matsson rêve d’un disque qui répondrait à les mousses. Puis la chanson se termine dans recueilli par Romain Burrel
des mois de carence affective. Le contraire une étonnante sonate. “Quand le pianiste Phil Album “Henry St.” (Anti-Records)
Sparks
Un film (“Annette” de Leos Carax) dont ils sont à l’origine et ont signé la musique,
un documentaire jouissif (“The Sparks Brothers”), une série d’albums splendides
depuis le début du nouveau siècle et des concerts formidables ont fini par imposer
les frères Mael là où ils auraient toujours dû évoluer : en haut du panier. Au
lieu de se reposer sur ces lauriers, Ron et Russell retournent au front avec
“The Girl Is Crying In Her Latte”, un vingt-cinquième album studio fort de café.
recueilli par Jerome Soligny
IL FALLAIT LES VOIR, SUR LA SCÈNE DES CÉSAR, POUR mondiale, mais ce qui s’est passé chez vous nous a comblés. Je pense
Y CROIRE. Recevoir leur prix pour la musique d’ “Annette”. qu’on a bénéficié d’une sorte de combinaison : la musique, l’image
Tellement drôles. Humbles. Facétieux. Oui, le film de Carax que nous donnons de nous-mêmes et notre longue histoire qui n’a
aurait mérité mieux, mais les César sont une lamentable farce pas été un fardeau, au contraire… La dernière tournée, devant un
et que le nom Sparks figure au palmarès de l’édition 2022 était public majoritairement jeune, nous a bien prouvé que quelque chose
déjà, pour les fans du duo, un petit miracle. Un an après, la se passait. Le documentaire et “Annette” ont amplement contribué
paire de trublions (l’intelligence provoque des émeutes…) est à ce que nous soyons redécouverts, mais aussi découverts tout court.
de retour avec un disque nerveux, espiègle, sans compromis.
De la pop, oui, mais avant-gardiste. Mélodique, mais du R&F : On s’aperçoit d’ailleurs que beaucoup de jeunes
genre qui titille. Rock un peu, electro pas mal. Comme si Ray mélomanes vous prennent pour ce que vous êtes aujourd’hui.
Davies, se prenant pour John Cage, avait travaillé avec Harold Ils picorent des choses dans votre passé, mais ont acheté des
Faltermeyer. Comme toujours, depuis les années Pacific billets pour vous voir en concert en 2023.
Palisades et “Halfnelson”, on baigne ici dans l’improbable. Ron Mael : C’est d’autant plus gratifiant que nous sommes restés
Total. Et c’est si bon d’être tiré vers le haut. Cette fois, les fidèles à nous-mêmes en développant de nouvelles choses sur le plan
Californiens à qui on a souvent tendu notre micro ont laissé la artistique, alors qu’à ce stade de leur carrière, beaucoup de groupes
conversation glisser vers l’art qui prime la manière. A moins de notre génération se contentent de livrer ce qu’on attend d’eux. Nous
que ce ne soit le contraire… ne nous sommes pas ramollis, nous ne versons pas dans la nostalgie.
Nous faisons d’abord et avant tout la musique que nous avons envie
d’entendre, et c’est très satisfaisant de constater qu’elle plaît à d’autres.
Cette fille qui pleure
dans son café au lait R&F : Le Covid a-t-il modifié votre façon de travailler ?
ROCK&FOLK : Or donc, en 2022, il apparaît que le talent Russell Mael : Pas vraiment. Dans un premier temps, lors de la phase
Photo Munachi Osegbu-DR
de Sparks a été unanimement reconnu. Il y a des artistes de d’écriture et d’élaboration des titres, nous sommes assez repliés sur
qualité à qui ça n’est jamais arrivé… nous-mêmes puis, lorsque c’est nécessaire, nous invitons certains
Ron Mael : Oui, nous en savons quelque chose (rires). de nos musiciens de scène à prendre part aux enregistrements. Mais
Russell Mael : Nous avons été d’autant plus touchés par ce succès qu’il nous concevons et jouons l’essentiel de la musique à deux dans notre
a beaucoup à voir avec la France. La reconnaissance est effectivement home-studio. Et au départ, nous n’avons jamais d’idée préconçue…
Etienne Daho
Le Rennais, adolescent éternel, sort un quinzième album marquant davantage
le tournant opéré depuis “Blitz”, son précédent de 2017.
Un magnifique chant d’amour, des préludes aux premiers vertiges,
de l’acmé enchanteresse à l’amère désillusion.
recueilli par Alexandre Breton
DE L’AMOUR, ON A TOUT DIT. Tout, c’est-à-dire à peu avec cette chanson fantastique, “Las Vegas Man”, et “Surrender”, qui
près rien, rien qui en produise le tout d’un savoir, moyennant me rappelle les ambiances lynchéennes. Je ne comprends d’ailleurs pas
quoi, décliné en mille variations, l’amour est toujours un retour pourquoi David Lynch n’a jamais utilisé des chansons comme celles-ci,
à du même et, en ceci, ne consiste jamais qu’en un éternel qui sont très sixties, étant donné sa fascination pour ces sixties qui nous
recommencement : pour le meilleur et pour le pire, sauve qui font rêver, qui correspondent à une sorte de fantasme absolu.
peut, je t’aime moi non plus. On sait combien les amants se
ressassent leur commencement et se racontent des fins qui ne R&F : Vos références rock, comme le Velvet Underground,
servent qu’à recommencer. S’il rend indéniablement aveugle, Suicide ou The Jesus And Mary Chain, ressortent souvent de
parfois réellement borgne, il est aussi, selon la Diotime de biais, en clair, incorporées à la pop.
Platon, une puissance d’engendrement : bavardages infinis, Etienne Daho : Le rock m’a fait très peur. J’étais tellement collé
théories, religions, accessoirement des enfants et, surtout, dessus que si je me mettais vraiment à écouter, j’aurais fait une copie
des œuvres d’art. du Velvet, une copie de Barrett, j’aurais singé tout ce qui m’avait
marqué, fait grandir, nourri. J’avais un autre côté qui puisait chez les
yéyés, surtout Françoise Hardy et Jacques Dutronc, Serge Gainsbourg
Fantasme absolu et Jane Birkin, ou Brigitte Fontaine. Tout ça, à équivalence de ma
ROCK&FOLK : Puisque votre disque ne parle que d’amour culture anglo-saxonne, qui brasse les Modern Lovers, Roxy Music,
et de désir, réglons immédiatement une question : la meilleure Wire, B-52’s, Blondie, Propaganda, Klaus Nomi… Mais je ne me
chanson pour faire l’amour ? labellise pas chanteur rock. Au début des années quatre-vingt, je disais
Etienne Daho : “Cheree”, de Suicide. Tu rentres dans un monde que je faisais de la pop pour me différencier, parce qu’à l’époque il y
magique, ouaté, qui te happe. Ça pourrait durer toute la journée ! avait une variété qui ne me plaisait pas du tout, et je ne me sentais
pas faire partie de ça. Et puis par snobisme idiot, parce que je venais
R&F : Suicide a beaucoup compté pour vous ? de Rennes, je m’étais dit : “Je fais de la pop, comme ça on ne va pas
Etienne Daho : Oui, bien sûr, ce fut l’une de mes constructions. me fatiguer...”. La pop me semblait un lieu où tous les coups étaient
Suicide a vraiment inventé un truc avec le premier album. Avec Alan permis. Elle permet de tout attraper, rock, ballades, et de faire quelque
Vega, on s’est vus pas mal de fois. Il voulait reprendre une de mes chose qui est soi. Donc, je me suis éloigné le plus possible du rock,
chansons, mais ça ne s’est pas fait. C’est terrible, on a l’impression que sauf quand il s’agit d’un album de reprises comme “Surf” (2020, nda),
les gens sont éternels, qu’on a toute la vie… En fait, il faut faire les qui est un hommage a tout ce qui m’a tellement marqué, depuis Hank
Photo Pierre Ange Carlotti-DR
choses quand elles se présentent. J’ai une anecdote sur Alan. C’était Williams. Tout ça s’additionne, forme tes oreilles, ta sensibilité. C’est
en 1988, à New York. Il était venu me retrouver et il était horrifié que passé par Marquis De Sade, qui m’a épaulé pour faire ma première
je sois au Chelsea Hotel. Il m’a emmené au Gramercy Park, en face. Il maquette. Il y avait des indications selon lesquelles c’était du rock, parce
vivait là-bas. Le Gramercy, c’était plus respectable ! J’étais très surpris ! que, à côté de Marquis De Sade, il y avait Jacno, une même famille.
Alan était un mec si gentil, si attentionné, si différent de son image trash. J’avais emprunté la voie de ce que Jacno avait fait avec Elli ou Lio.
J’adore le premier Suicide, le deuxième aussi, produit par Ric Ocasek, Du néo-yé yé en quelque sorte, dont la culture était, bien sûr, le rock.
“J’aime bien
que les gens
soient outrés”
R&F : Et le rock ne touche pas aux mêmes territoires psy-
chiques que la pop. La pop est presque un antidote contre la
destructivité à l’œuvre dans le rock, non ?
Etienne Daho : Oui, c’est compliqué. C’est comme pour le Romantisme :
c’est aussi Oscar Wilde, et là, c’est beaucoup plus dangereux, ce ne sont
pas des coups de violon ! La pop peut ramener des choses qui viennent
de l’underground, des choses parfois sophistiquées, vers la lumière,
vers une simplicité aussi. Ce qu’a fait Andy Warhol, et Salvador Dali
avant lui. La pop fait passer ça, en irrigue le monde, en nourrit les gens.
Toujours
les mêmes conneries
R&F : Ça donne ce côté éclectique, chez vous, où l’on passe
de Vanessa Paradis, dont le duo avec elle en ouverture est
splendide, à The Jesus And The Mary Chain. Les puristes sont
outrés !
Etienne Daho : Tant mieux, j’aime bien que les gens soient outrés.
Quand je parlais des Beach Boys, dont j’ai toujours été hyper fan, dans
les années 1976-1977, on pensait que c’était de la provocation ! Je
pouvais aimer Françoise Hardy et le Velvet Underground, ce n’était pas
acceptable. Mais j’ai toujours eu cet éclectisme parce que les disques
que j’écoutais au juke-box allaient des Who aux yé-yés. C’est resté, et
je n’ai jamais tenu compte de ce qu’il était bien d’écouter, mais de ce
qui provoquait de l’émotion chez moi. “Good Vibrations”, par exemple,
c’est une leçon pour tout le monde : avoir été n°1 en étant tronçonnée
en cinq morceaux différents sur trois minutes, c’est du pur génie !
un truc qui me reconnectait à mon enfance. La vie semblait s’être sont monogames ou polygames ! Mais, je ne peux écrire que comme
organisée autour de cette muse, et ça tombait bien, je n’en avais pas ça, avec quelque chose qui m’emporte. Sinon, je n’arrive pas à faire
d’autre. J’étais comme un reporter à la recherche de ses traces. Je voulais un disque. Là, c’est l’objet d’amour, ce qu’il provoque. Il n’y a rien de
louer la chambre de l’hôtel où il avait vécu les pires années de sa vie, plus fort que l’amour qui te fait aller le plus loin dans tes limites, va
le Chelsea Cloisters. Je l’imaginais, là, rasé, pesant plus de cent kilos, creuser au fond la personne que tu es.
en perdition. J’avais rencontré Duggie Fields, son ancien colocataire,
qui m’avait emmené chez lui, puis sa sœur, qui m’avait invité à un
hommage à Cambridge, et Joe Boyd, le producteur de “Arnold Layne”, Le symptôme
et même le manager qui l’avait décidé à faire ses premières démos. de la robe de chambre
C’était fou, je n’arrêtais pas de cogner sur Barrett. Je voulais l’avaler. R&F : Vous écrivez pour quoi : pour contenir, pour donner
“Blitz” est pétri de ça. forme à ce qui vous emporte ?
Etienne Daho : Pour célébrer tout ça ! Et aussi dans l’idée de rendre
R&F : Et pour “Tirer La Nuit Sur Les Etoiles” ? la chose éternelle. En faisant une chanson, tu encapsules un truc qui
Etienne Daho : Là, c’est un coup de foudre dans la vraie vie ! Il va rester éternel. Quand j’écoute une chanson ancienne, qui s’adresse
y a toujours une muse pour chaque album. Pour “Les Chansons vraiment à un objet d’amour — je dis “objet d’amour” volontairement —,
R&F : On trouve aussi sur cet album un titre que vous avez
sorti en 2018, “Virus X”, une bombe pour dance-floors !
Etienne Daho : Oui, c’est lié à ma collaboration avec Italoconnection, un
duo d’italo disco que j’ai rencontré au concert de reformation de Marquis
De Sade, à Rennes. On se voit en loges et ils me proposent de m’envoyer un
backing track sur lequel, au début, je n’arrivais pas à trouver de mélodie.
Je me demandais ce que j’allais faire avec ça, jusqu’à ce que la pandémie
arrive. Là, j’ai eu l’idée d’une superposition entre la toxicité personnelle
et la toxicité du virus, avec tout le lexique de la contamination. Ça devait
être un truc pour se marrer, mais je trouvais que c’était assez “tubien”,
quand même ! On l’a rejoué avec une batterie et une basse, et là… (rires)
je suis saisi par cette fantasmagorie de la rencontre, qui ne peut être R&F : Le titre de l’album était-il déjà fixé ?
que passionnelle, et donc destructrice. C’est toujours dangereux… Etienne Daho : Oui, il m’est venu d’un documentaire sur Ava Gardner,
où il était raconté que, lorsqu’elle a rencontré Frank Sinatra, ils sont
R&F : Croyez-vous qu’on apprenne de nos histoires d’amour ? tous les deux partis bourrés dans le désert et ont tiré sur les étoiles !
Etienne Daho : Pas moi, en tout cas ! Enfin, tu es un peu plus dans
l’empathie, tu te dis : “Ok, je suis déjà passé par là”, mais en même R&F : Comme les Communards de 1871 qui tirèrent sur les
temps, je recherche toujours la même chose, l’intensité. Du coup, dès horloges…
que je vois une pantoufle, je pars en courant ! Le moindre symptôme Etienne Daho : Oui, c’est ça, un geste fou !
de robe de chambre, c’est la panique !
R&F : Si on tire sur les étoiles, on risque de les voir disparaître,
R&F : C’est donc voué à ne pas durer, alors ? Vous parlez de or, le désir, n’est-ce pas constater, la nuit, la disparition
l’amour ou du désir ? d’une étoile ?
Etienne Daho : Les deux sont indissociables pour moi, si tu entends Etienne Daho : Oui, c’est aussi faire des choses folles, futiles, pour plaire
par désir le désir charnel. Ce désir-là me taraude beaucoup, et il est à l’autre. Tu veux briller, dans un geste de panache. L’amour pousse à
très présent dans l’amour, même s’il y a plein de façons différentes l’impossible, non ? C’est de la résistance, aussi. Et c’est beau de résister. H
d’aimer, de formes autres que la relation formatée à deux. J’ai essayé Album “Tirer La Nuit Sur Les Etoiles” (Warner)
Ian Hunter
“Defiance Part 1” , le nouvel album de Ian Hunter tire parti de la présence
du gotha du rock grand teint. Tuant le temps du Covid, ses contributeurs
ont tenu à célébrer l’ex-leader de Mott The Hoople qu’ils considèrent tous,
à juste titre, comme un des singers-songwriters essentiels de sa génération.
Recueilli par Jerome Soligny
ILS NE SONT PAS VENUS ET POURTANT, ILS SONT On a eu un peu de succès avec Mott The Hoople, mais je suis resté
PRESQUE TOUS LÀ. Le manque de place nous oblige à en en marge, je n’ai jamais été très fan de la première division (rires).
oublier, mais Jeff Beck, Taylor Hawkins, Mike Campbell, Joe Pour la bonne et simple raison qu’il m’aurait fallu travailler tout le
Elliott, Billy Gibbons, Todd Rundgren, Slash, Brad Whitford, temps. Enregistrer un album, tourner pour le vendre, en enregistrer
Jeff Tweedy et Johnny Depp comptent parmi les illustres qui un autre… Ça n’a jamais été mon rythme.
ont envoyé à Ian Hunter de quoi garnir ses nouvelles chansons.
Le contact physique étant proscrit durant l’élaboration de ce R&F : Aujourd’hui, pas mal d’artistes ou qui se prétendent
projet, c’est au téléphone et via Internet que ce beau monde comme tels utilisent les logiciels d’aide à la composition…
a échangé. Le résultat (en deux parties) témoigne d’un peps Ian Hunter : Oui, toutes ces machines, c’est assez effrayant. Une partie
intact et d’une franche camaraderie. de la musique produite aujourd’hui est complètement déshumanisée.
En revanche, aux USA, on assiste à un retour spectaculaire du vinyle,
ce qui est tout de même dingue. Des jeunes ont tendance à comprendre
Que ça tape un peu que l’aspect visuel d’un album est important. J’ai toujours estimé que
ROCK&FOLK : Quel casting ! Comment avez-vous réuni la limitation était une bonne chose car elle obligeait à faire des choix.
tous ces gens ? On mettait combien de chansons sur un 33 tours ? Dix, maximum. Le
Ian Hunter : Eh bien, en 2019, à l’occasion de mes quatre-vingts disque n’excédant pas quarante minutes, il ne fallait pas se tromper
ans, j’ai joué au Winery, à New York, et j’ai rencontré cette personne au moment de la sélection. Et puis, ça faisait moins de nouveaux titres
qui voulait me manager. Tout s’annonçait bien, puis le Covid est à écrire à chaque fois (rires).
arrivé, ce qui a coupé notre élan, à moi et à mon groupe. On était
tous bloqués à la maison et, n’ayant pas de home-studio, il m’était R&F : “Defiance Part 1” est nerveux, c’est un disque réso-
impossible de faire quoi que ce soit. Mon manager, lui, connaissait lument rock. Etait-ce délibéré ou a-t-il pris cette tournure
des gens qui avaient des studios ! Et donc Slash a été le premier à naturellement ?
m’envoyer quelque chose, Billy Gibbons a suivi, et ça a fait boule de Ian Hunter : Non, je voulais effectivement que ça tape un peu. On
neige. Tous ces musiciens ont voulu en être et le fait qu’ils travaillent était en plein Covid, tout le monde se sentait misérable, alors il fallait
avec moi sur de nouvelles chansons m’a incité à en écrire davantage. écrire des chansons en réaction à cette situation. En tout cas, j’ai mis
En un rien de temps, à cause ou grâce au Covid, je me suis retrouvé les plus enjouées dans ce premier volume. Le second sera différent.
avec une vingtaine de titres. D’ailleurs, il y aura d’autres musiciens invités.
Photo Ross Halfin-DR
R&F : Il y a des musiciens de votre génération sur ce disque, R&F : Comment se retrouve-t-on sur Sun Records ?
mais êtes-vous étonné que des plus jeunes connaissent votre Ian Hunter : Primary Wave, une grosse compagnie indépendante
musique et s’enthousiasment à l’idée de travailler avec vous ? qui représente un grand nombre d’artistes de la musique (d’hier et
Ian Hunter : Oui car je n’ai pas le sentiment d’être si célèbre que ça (rires). d’aujourd’hui, de Bob Marley à Prince en passant par Burt Bacharach ;
“Y U I Orta” (1989)
Attribué à Ian Hunter et Mick Ronson, cet album
est le dernier sur lequel les deux amis se sont exprimés
ensemble. La tournée qui suivra passera par l’Elysée
Montmartre (à Paris) et sera également leur ultime en
commun. Du premier (“American Music”) au dernier
titre, “Y U I Orta” coche toutes les cases du rock high
class de l’époque (produit par Bernard Edwards), et
dans l’instrumental “Sweet Dreamer”, justement, Ronson rivalisait fièrement
avec son maître, Jeff Beck. Quatre ans plus tard, un cancer finalement plus
tenace que Mick allait mettre un terme à sa générosité et à sa sensibilité.
“Rant” (2001)
Autrefois associé au glam, Ian Hunter démarrait
le nouveau siècle en faisant du Dylan mieux que Bob
(“Wash Us Away”), en râclant ses propres fonds de tiroir
(“American Spy”) et en tirant à vue sur tous ceux qui,
malgré leurs efforts, n’ont jamais mieux bougé que lui
(“Morons”). “Rant”, en partie drivé par Andy York,
multi-instrumentiste et producteur croisé grâce au
batteur Steve Holley (ex-Wings), allait rallumer les projecteurs sur la carrière
de Ian, intrépide notoire que beaucoup de mieux lotis que lui vont finir, contre
toute attente, par envier. Ça n’est donc pas un hasard si la slide guitar de
“No One” fait tant penser à celle de George Harrison sur “Free As A Bird”.
“Shrunken Heads” (2007)
Les mots, parce qu’il les a toujours manipulés mieux
que la plupart de ses rivaux, ont enchanté les fans de
Ian Hunter dès la première écoute de ce “Words (Big
Mouth)” qui, non sans une certaine ironie, ouvrait son
onzième album. Evidemment, ceux-ci n’ont pas non
plus été indifférents à la country et cynique “I Am What
I Hated When I Was Young” ni à “Read ’Em ‘N’ Weep”
qui les ont, comme prévu, laissés exsangues. Dans le genre, avec une voix
au rasoir et un piano droit comme un i, on n’a pas fait beaucoup mieux.
Primary Wave fait prospérer son catalogue, nda), a récemment acheté J’ai rarement vu un musicien aussi enthousiaste. Il me faisait penser
Sun Records et acquis les droits des enregistrements historiques de à Joe Elliott de Def Leppard. Comme Joe, Taylor connaissait toutes
certains pionniers du rock tels que Jerry Lee Lewis. Mais en plus, cette mes chansons, une véritable encyclopédie ! Quand je vais chez Joe,
compagnie a voulu relancer le label et j’ai été signé. Je suis même allé s’il commence à faire le DJ à deux heures de l’après-midi, on est sûr
à Memphis, dans le studio où a été enregistré “Whole Lotta Shakin’ d’y être encore à deux du mat’. Et il ne passe que des bons disques !
Goin’ On”, et je peux vous dire que c’est une expérience très bizarre. Vous savez, s’il n’y avait que des musiciens dans le monde, on aurait
J’avais l’impression d’être entouré de fantômes (rires). moins de problèmes. J’en ai connu des centaines et ils sont tous super.
Un peu arrogants quand ils sont jeunes, mais dans l’ensemble, des
chouettes gars qui s’en fichent de la couleur de votre peau. C’est une
Un seul casque bonne communauté.
R&F : C’était un peu votre héros quand vous avez grandi…
Ian Hunter : Totalement, il a changé ma vie. Il avait un côté branleur R&F : A ce sujet, le 29 avril dernier, ça a fait trente ans que
mais sa musique était tellement excitante. Après la Seconde Guerre Mick Ronson est parti…
mondiale, on avait besoin de gens comme ça : Fats Domino, Little Ian Hunter : Oh, mais je l’aime. Il est resté avec moi. On a traîné
Richard, Howlin’ Wolf… On n’avait pas d’argent, il ne se passait pas ensemble pendant deux décennies, nos enfants ont grandi ensemble…
grand-chose, mais le rock’n’roll nous a sauvés de l’ennui. Toujours Vous avez raison, son départ a été difficile à encaisser, sur le plan
est-il que ça fait un drôle d’effet de se retrouver sur un label pareil. musical, évidemment, mais aussi personnel.
R&F : Et ces jeunes gens qui se sont précipités au cinéma R&F : Et Ringo Starr alors ? Vous avez les meilleurs batteurs
pour voir le “Elvis” de Baz Luhrmann et ont créé le buzz du monde sur ce disque ou quoi ?
sur les réseaux sociaux avec “Pistol”, la série sur le plus Ian Hunter : On travaillait sur “Bed Of Roses” avec Andy au sous-
connu des groupes punk, vous sol, et à un moment, je lui fais :
en pensez quoi ? “Celle-là est pour Ringo, non ?”
Ian Hunter : C’était de vraies gens.
Qui montaient sur scène avec de “Johnny Depp, Ayant participé à une de ses tournées
avec le All-Star Band (en 2001, nda),
pas au sérieux
dynamite. Au départ, elle a été conçue Nickel, exactement ce qu’il fallait.
pour exploser des blocs de charbon
et, au final, des types s’en sont servi R&F : Vous êtes bel et bien passé
pour faire des bombes. Twitter, c’est
la même chose. Aujourd’hui, tout le à cause de qui par le Star-Club, à Hambourg,
auquel la chanson fait allusion…
un vrai musicien”
là. Perso, je fonctionne encore avec ont enregistré pour Sun Records y
de la bande magnétique, je ne suis ont joué.
sur aucun réseau.
R&F : Jeff Beck fait une de ses
R&F : Mais chez vous, il y a tout de même un piano, non ? dernières apparitions sur un disque dans “No Hard Feelings”.
Ian Hunter : Oui et deux ou trois guitares au sous-sol, et un micro ! Ian Hunter : Oui, il était avec Johnny Depp, et c’est d’ailleurs lui
J’avais un studio avant, mais je n’arrivais pas à y écrire quoi que ce qui a proposé que Jeff fasse quelque chose. En fait, il a joué sur deux
soit. Et puis au début des années 2000, j’ai rencontré Andy York avec titres dont un qui sera sur le prochain disque. Sur “No Hard Feelings”,
qui je travaille toujours. Il vient chez moi avec un ordinateur portable je pensais qu’il ne ferait qu’un solo, mais on l’entend sur tout l’ad
et on enregistre comme ça. Pour ce nouvel album, j’ai chanté les voix lib. Et Johnny est super également. Pas mal de gens ne le prennent
en pensant qu’elles ne serviraient que de guide, mais finalement, les pas au sérieux à cause de qui il est, mais c’est un vrai musicien qui
musiciens ont joué dessus et on les a conservées. Au début, je n’avais sait rester à sa place sur scène. Il ne tire jamais la couverture à lui,
qu’un seul casque et c’est moi qui le mettais sur mes oreilles, Andy il aime jouer en équipe.
n’entendait que ma voix : Ian Hunter a cappella ! Aujourd’hui, on en
a un deuxième. On est devenus pros ! R&F : Bon, on vous voit quant au New Morning ?
Ian Hunter : Pas pour l’instant car on travaille sur le volume 2, mais
pourquoi pas après. Aussi, je vais être franc, ça sera probablement
Quelle planète dans un contexte acoustique. Je ne rajeunis pas et je n’ai plus trop
R&F : Taylor Hawkins s’est beaucoup investi sur le titre envie de sauter comme un fou sur scène. Je me souviens la première
“Angel”. fois où on est venus en France avec Mott The Hoople (le groupe
Ian Hunter : Il était comme ça. On l’a contacté pour une partie de s’était produit à la Taverne De L’Olympia en 1971, nda). J’ai eu le
batterie et il a renvoyé le morceau avec presque tous les instruments. sentiment que les gens se demandaient de quelle planète on venait.
Photo Ross Halfin-DR
Il a même demandé qui allait jouer le solo de guitare, avant d’en Curieusement, on a toujours eu la cote en Scandinavie. A croire qu’il
envoyer un… Il a aussi fait ça sur d’autres titres. Si on l’avait écouté, ne fait pas assez froid chez vous (rires). H
il serait sur tout l’album. Lorsque le Covid s’est calmé, Foo Fighters
est reparti sur la route et Taylor a eu moins de temps pour nous. Album “Defiance Part 1” (Sun Records)
Don Letts Sans ses platines au Roxy Club, foin de Bob Marley
et de son “Punky Reggae Party”. Figure incontournable d’une époque
de mixité sociale et musicale que beaucoup souhaiteraient voir
révolue, le natif de Brixton revient au-devant de la scène avec un
disque de dub bricolé, dont la sortie est prévue pour la rentrée,
dans le plus pur esprit du do it yourself dont il se revendique.
Recueilli par Geant Vert
DURANT CES ANNÉES PASSÉES À ARPENTER LES travailler davantage. De mon côté, je ne savais pas si j’avais vraiment
TROTTOIRS DE KING’S ROAD, DON LETTS NE S’EST envie de le faire. Et c’est là que je me retrouve enfermé chez moi à
PAS CONTENTÉ DE CROISER LES GRANDS GROUPES cause de la pandémie. Résultat, comme il fallait bien s’occuper, j’ai
DE L’ÉPOQUE : il les a filmés, accompagnés, et a réalisé bossé la chose plutôt que de rester assis à ne rien faire. En tout, j’ai dû
quelques-unes des plus belles séquences animées consacrées passer neuf mois sur les bandes, à raison de trois jours par semaine.
aux Sex Pistols, aux Clash ou aux Slits. En compagnie de A aucun moment je n’ai pensé à l’aspect commercial de l’exercice.
Mick Jones, il fait aussi partie de l’aventure de Big Audio Pour moi, c’était juste une occupation créative.
Dynamite. Né pour s’éclater dans la création, Don Letts nous
explique pourquoi les artistes ne partent jamais à la retraite. R&F : Mais qui finit tout de même chez une maison de disques.
Don Letts : (Rires) Oui. Mais Cooking Vinyl a vu les choses
différemment après avoir écouté les titres. Alors que j’étais tout content
Quatre lignes de basse d’avoir un disque de plus à poser sur ma platine, le label m’a rappelé
ROCK&FOLK : Avec toutes les cordes que vous avez à votre que le travail n’était pas tout à fait terminé. Je me retrouve donc ici pour
arc, pourquoi avoir choisi d’enregistrer un disque ? faire la promotion demandée en répondant à vos questions ! D’abord,
Don Letts : C’est une question de circonstances. Juste avant la crise je tiens à préciser que le titre de l’album est le meilleur résumé pour
du Covid, j’avais réalisé une version dub de “E=MC2”, un titre de Big tout comprendre de son contenu. “Outta Sync” est une initiative à mon
Audio Dynamite, en compagnie du producteur Gaudi — lui et moi image ; c’est-à-dire en complet décalage avec l’époque. Pour commencer,
avons grandi dans la bass culture, le sound system et la musique pop, s’il n’y avait pas eu cette histoire de Covid, je ne pense pas qu’il aurait
ce qui fait que nous n’avons pas trop de problèmes pour mélanger nos vu le jour. Voilà, c’est dit. Sinon, le résultat mérite d’être défendu
idées. L’initiative a plutôt bien fonctionné auprès du public mais, pour face aux médias. Maintenant que le disque est une réalité, je me dois
moi, ce n’était qu’un titre pour un album de covers reggae. Ça n’a pas de respecter tous les investissements apportés par les personnes qui
été l’avis de mon grand pote Youth, le bassiste de Killing Joke. Lui et sont venues me donner un coup de main pour la réalisation.
moi, c’est une histoire d’amitié de plus de quarante ans. Il me relance
régulièrement pour que je remette le couvert et que je donne une suite
à mon premier disque solo “Hometown Hi-Fi”, un album que j’ai fait La fille
en compagnie de Leo et Greg, le bassiste et le batteur de Big Audio du batteur des Sex Pistols
Dynamite. On se faisait appeler Screaming Target, mais c’était plus R&F : Comment se sont passées les différentes collaborations
un projet solo qu’un vrai groupe. Peut-être à cause de leur présence, avec les invités ? Par internet ?
les gens se sont imaginé le contraire. De mon côté, je me trouvais Don Letts : L’album a été entièrement enregistré dans un vrai studio
beaucoup trop vieux pour tenter le coup. Je suis incapable de jouer car, pour moi, le contact physique avec les gens était important, après
du moindre instrument. La seule chose dont je suis capable est de ces longues périodes de confinement. La seule exception a été Wayne
jouer avec mes idées. Coyne, des Flaming Lips. Lui, il était bloqué aux Etats-Unis. Je ne suis
pas un chanteur professionnel. Je suis conscient que j’ai besoin d’être
Photo John Behets-DR
R&F : Et comment est-il arrivé à vous convaincre ? aidé, entouré, dans ce genre d’initiative. Même si j’aime faire les choses
Don Letts : En m’envoyant quatre lignes de basse pour booster mon à ma façon, un enregistrement est quelque chose de sérieux. Pour cela,
inspiration. J’ai bricolé dessus et le résultat a plu à mon entourage, j’ai besoin d’avoir mes partenaires plus musiciens autour de moi. Dans
qui a trouvé que l’ensemble ressemblait à un album, à condition de le le studio, je peux ainsi les regarder les yeux dans les yeux pour savoir si
ma relation avec les femmes. Par contre, je n’ai toujours pas mis les
pieds dans un stade de foot en Angleterre. En groupe, le mâle anglais
est un gigantesque connard qui fait peur.
SQÜRL
De réalisateur mythique, Jim Jarmusch est en passe de devenir un musicien culte.
Photo Sara Driver-DR
conceptuel. Après avoir collaboré avec John Lurie, Tom Waits, Neil pour sa couleur. “Hey men, où est-ce que tu as trouvé cette teinture ?”
Young et RZA, il décide également pour la première fois de composer Dans son ADN. Ses cheveux, comme la fibre artistique, il les doit à sa
et jouer la musique de son prochain film. Pour l’occasion, il fonde Bad mère, ancienne critique de cinéma. Mais à Akron, dans ces temps-là,
Rabbit avec Carter Logan et Shane Stoneback. “The Limit Of Control” personne ne rêve de grand écran. La ville ouvrière, spécialisée dans
“Peu de temps avant de mourir, Lou Reed m’a donné ce très bel
enregistrement. C’était une musique qu’il utilisait pour faire son taï-
chi et, comme il savait que je faisais du Qi-Gong et du taï-chi, il me l’a
donnée. Même si lui utilisait des instruments électroniques plutôt que
des larsens, il créait un genre de drone, ce son qui aide à glisser dans
un autre monde, à un autre endroit.”
Génération no wave
Paris, 2023 : la lumière tourne et tourne et tourne sur l’écran, pendant
que Carter Logan et Jim Jarmusch, assis en dessous dans l’obscurité de
cette salle de cinéma, font tourner leurs notes et renforcent l’impression
des images de Man Ray. Nous sommes au Centre Pompidou, six étages
au-dessus de nos têtes brillent dans la salle vide à cette heure-ci la
toile “Autour D’Un Point” de Frantisek Kupka. Et ces trois œuvres —
le film, la musique, la toile — entrent en résonance désormais. C’est un
point d’harmonie entre quatre êtres qui ont vécu à un siècle d’intervalle
et pourtant, comme une constante dans notre espèce, il met en relief
nos intuitions. Depuis longtemps, l’humain sent, et c’est désormais
vérifié, que le temps et l’espace sont relatifs, que la matière n’est
pas comme nous la percevons, que la conscience humaine crée ses
propres illusions. Et il n’y a qu’avec cela, dans le film sur l’écran ou la
musique jouée, dans la peinture sur toile, que nous pouvons l’exprimer.
La physique, la biologie, les mathématiques nous l’expliquent ; l’art
nous en donne l’expérience. Et désormais, après avoir détruit, après
avoir chassé, après avoir ironisé, la génération no wave travaille à faire
ressentir l’harmonie du monde par sa musique. Que ce soit Thurston
rend immortels ceux qui ont été aimés. Bien des films de Jim Jarmusch Moore, Stephen Malkmus ou Sqürl, toute une génération, tournée
Photo Sara Driver-DR
faisaient partie de la vie de gens, mais plus comme un gimmick, quelque mystique, nous montre que l’addition des hauteurs, des différentes
chose que l’on sort de sa poche et qui donne une certaine manière de notes et des ondes ne crée jamais la cacophonie et le chaos annoncés.
marcher. “Only Lover Left Alive” allait plus loin : il dressait un abri pour “On ne voit pas les larsens comme du bruit et de la distorsion. C’est
se protéger des problèmes qui pointaient, un refuge dans l’amour dont ma pratique, je peux leur faire prendre certaines tonalités et hauteurs
le cœur palpitant était la musique même de Sqürl. Sublime, macabre de sons, et quand ils s’additionnent, qu’ils se chevauchent, ils sont si
mais touchante, menaçante et désirable, Sqürl inventa avec cette BO. magnificents. C’est de la musique liquide.” Sqürl et sa musique liquide
le rock d’après la fin des temps. Une musique liquide faite de larsens, sont le rock d’après la fin des temps car déjà, dans ce paysage désolé,
un son que l’on ne peut écrire sur une portée ; au tempo si lent qu’il ils reconstruisent le monde qui vient. H
fait entendre le silence ; une suite d’harmonies que, parfois, viennent
creuser les arpèges de luth de Jozef Van Wissem. Album “Silver Haze” (Sacred Bones/ Modulor)
Del
Shannon Le grand oublié
Un coffret merveilleux permet de réaliser
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
remet la légende à sa juste place : parmi les plus grands. surtout lorsqu’il les admire. C’est le cas de Shannon, d’ailleurs, les mods
des Small Faces avaient sorti une version hyper soul de “Runaway”
(avant Immediate). Oldham rencontre l’Américain et lui propose
Couinements de falsettos d’enregistrer à Londres la réponse à “Pet Sounds”, en toute simplicité.
Il était né Charles Westover, en 1934, dans le Michigan. Les débuts Sur zone, Shannon, loin d’être un plouc réactionnaire, découvre avec
sont classiques, comme souvent à l’époque. Un rôle sans importance émerveillement l’ébullition artistique du moment. Il accepte l’œuvre
— guitariste rythmique — dans un groupe inconnu (les Moonlight d’ALO, lequel lui déroule le tapis rouge début 1967 : le petit génie propose
Ramblers), après avoir écouté beaucoup de country. La suite est plus les compositions du jeune prodige Billy Nicholls, et d’Andrew Rose
Nicholls pour Immediate, c’est l’un des grands mystères des sixties pressenti par les Traveling Wilburys de George Harrison, Bob Dylan,
anglaises. Heureusement pour lui, Shannon a pu poursuivre dans la Tom Petty et Jeff Lynne pour le remplacer. C’est à ce moment de sa vie
voix qui lui chantait, avec l’extraordinaire “Further Adventures Of où tout semblait repartir que Del Shannon a choisi de se tirer une balle
Charles Westover”, c’est-à-dire lui. Encore de la pop baroque très dans la tête le 8 février 1990. “Rock On!” est sorti à titre posthume
ouvragée, mais légèrement, très légèrement, plus psychédélique. C’est en 1991, et n’a pas fait grand bruit. La parenthèse était refermée.
évidemment moins parfait que ce que Oldham lui a organisé, mais Le coffret permet de se plonger dans des dizaines de merveilles
cela reste l’un des meilleurs albums de sa carrière. Evidemment, incroyables. Il y en a pour une vie à faire le tour de toutes ces beautés.
le disque, sorti en 1968, a été un four. La concurrence était rude Et quelle voix… H
et, comme personne n’avait, de fait, pu entendre “Home & Away”, Coffret 12 CD “Stranger In Town - A Del Shannon Compendium”
le chanteur restait l’interprète de “Runaway”, datant de 1961. (Edsel, import Gibert Joseph)
Galen Ayers&
Paul Simonon
Quand la fille du créateur de Soft Machine rencontre le bassiste le plus
glamour des années punk, le résultat donne une poignée de chansons rétro
où l’inspiration est tour à tour puisée avec nonchalance, humour et élégance
Photo Sony Legacy-DR
R&F : Toutes les compos sont postérieures à la Covid ? R&F : Quels sont vos points communs dans l’écriture ?
Simenon et Napoléon
R&F : Il y a beaucoup de lieux cités. Est-ce une façon de montrer
que vous avez été sevrés de voyages pendant deux ans ?
Galen Ayers : (Rires) Pas seulement. On peut voir les chansons
comme autant de voyages dans différentes parties du monde ou
différentes villes. Cette sensation est causée par toutes les influences
musicales et littéraires utilisées. C’est assez à l’international.
Paul Simonon : Je dirais d’abord européennes, puis internationales.
A partir du côté latin du disque, vous pensez d’abord à l’Espagne avant
de trouver une connexion vers le Mexique. C’est la même chose avec
nos chansons qui parlent de Londres et de la Grande-Bretagne. A
mes toy terriers anglais. Ce sont des chasseurs de rats qui partagent ma l’intérieur, vous trouverez un billet aussi bien pour la Jamaïque que
vie. Je suis leur esclave. Pour en revenir à la pochette, elle reflète des pour les Antilles. A tout cela, on peut ajouter l’influence de la chanson
centres d’intérêt que je partage avec Galen, comme les films noirs, les française et italienne. Oui, pour moi, c’est d’abord un disque européen.
séries B et les romans de gare. J’y ajoute une esthétique vestimentaire Galen Ayers : Oui. De la pop européenne.
qui n’a plus cours maintenant. L’ensemble peut paraître désuet, mais Paul Simonon : Nous avons écrit un album de chansons que nous
le fond est aussi solide qu’intemporel. C’est un univers dans lequel aimons écouter. Sinon, j’ai aussi des origines françaises. Ma mère
je me retrouve depuis pas mal de temps déjà. est née à Nice alors que son père est né à Whitby, dans le Yorkshire.
Du côté de mon vieux, la famille est originaire de Liège, la partie
R&F : Pourquoi chanter en espagnol et en anglais ? francophone de la Belgique. Ils ont dû quitter la ville quand les
Galen Ayers : Eh bien, j’ai grandi à Majorque où l’école se fait en Allemands ont violé la neutralité du pays en 1914. Devant l’avance
espagnol. Je parle aussi le mallorquín, le dialecte catalan de l’île. ennemie, la famille s’est réfugiée à Londres dans le quartier de
Chanter en espagnol a été pour nous une sorte de voyage exploratoire Camberwell. Il y a une anecdote assez marrante au sujet du nom de
pour savoir si nous étions capables de le faire. Le chant en espagnol famille. Le grand-père a voulu savoir si nous avions à voir avec l’auteur
est complètement différent de l’anglais. Pour se faire une idée, essayez de romans policiers Georges Simenon. Alors il lui a envoyé une lettre
avec les voyelles et vous allez comprendre. à laquelle Simenon a répondu en disant : “Oui, nous sommes liés”.
Paul Simonon : Et c’est sans parler des arrangements des chansons. De mon côté, je me dis que c’est peut-être vrai, il s’est passé tellement
Même s’ils vous paraissent simples, ce n’est pas du tout le cas. Ils sont de choses, de batailles, de guerres dans cette région. Alors, pourquoi
loin d’être basiques alors on a dû bosser sévère pour arriver à donner pas ? Mais, pour le moment, personne ne sait qui a orthographié notre
cette sensation de facilité dans l’interprétation. C’est une chose que nom avec un O au lieu d’un E. Grand-père a aussi précisé qu’il y avait
j’ai apprise de Joe Strummer. Il me disait sans cesse : “Si tu as une de fortes chances que nos ancêtres aient combattu pour Napoléon.
guitare et une idée de chanson, tu dois la chanter en t’accompagnant.
A force de la chanter, là, tu auras une chanson, et non plus une vague R&F : “Esmeralda” sonne très Françoise Hardy !
idée que tu espères terminer un jour en studio. Généralement, ce jour-là, Paul Simonon : Merci du compliment ! A la maison, quand j’étais gamin,
tu ne concrétises rien car ce n’était qu’une vague idée. Mais quand tu mon père devait avoir tous les disques de Françoise Hardy. Lui et ses
“C’est ce que
mon père a fait,
c’est ce que
le Clash a fait”
même chose en ce moment. Malheureusement, elles sont meilleures
politiciennes que musiciennes.
Galen Ayers : J’apprends beaucoup des autres : que ce soit des
fans de mon père ou de ceux des différents groupes de Paul. En leur
parlant, j’ai appris à avoir ma propre identité, à avoir le courage de
mes opinions, à ne pas me mentir, à être une activiste et à comprendre
pourquoi certaines choses devaient changer. J’ai appris qu’il fallait
jongler avec l’air du temps. Un artiste doit savoir à quel moment il
doit intervenir avec son art. C’est ce que mon père a fait, c’est ce que
le Clash a fait. C’est l’essence de la culture d’intervenir dans le débat
dès qu’il est possible de le faire
Paul Simonon : Mais tous les artistes ne reflètent pas forcément
leur époque.
LES
COUPLES
Amour et rock’n’roll font-ils bon ménage ?
Si la réponse paraît de premier abord évidente,
la question s’avère plus complexe quand
les sentiments et la passion viennent se
mêler au cadre artistique. Ils sont quelques-
uns à avoir cédé à la tentation, parfois au
prix de leur art, ou inversement. Bilan.
par Patrick Eudeline
Quand le sage pointe son doigt mutant, les deux timbres jumelés hautes. Parfois ils inversent, en application de la vieille formule
vers la lune, l’idiot regarde le doigt. par un artifice de mix laissant mais le second garde la guitare Everlys : guitare/voix + guitare/
Les Milk Carton Kids, eux, ne apparaître les sutures, comme un qui se promène en contrepoint, voix = sublime. Ils se permettent
voient que la lune. Sagesse ? puzzle parfait mais qui craquellerait avec une virtuosité qui rappelle quelques traces d’orgue ici et
Plutôt une forme de fatalisme de partout, à deux doigts de se Dave Rawlings en duo avec Gillian là, des cordes presque Michel
résigné, qu’on appelle aussi désagréger. La chanson est un Welch, sans doute la comparaison Legrand sur le morceau titre. Ils
parfois la plénitude. Le monde manifeste existentiel. On a encore la plus pertinente. On se demande disent que “ces chansons vivent
est là, la lune est dans le ciel, du temps devant nous, du temps juste combien de doigts Dave dans l’intervalle entre la nostalgie
l’homme la regarde parce qu’il à tuer, tout le temps du monde Rawlings et Gillian Welch seraient et les regrets, là où l’on pourrait
n’a pas grand-chose de mieux — tout le temps qu’il lui reste. prêts à se couper pour faire un croire qu’il s’agit d’une seule et
à faire. De là découle la beauté “Star Sign” suit, évocation d’un disque aussi beau que ça. Ces même chose.” “North Country
presque irréelle de ce disque. amour passé avec des étoiles dans deux types sont maintenant là Ride” est plus belle que la tristesse
Joey Ryan et Kenneth Pattengale les yeux, avant que le soleil ne se depuis une douzaine d’années même, avec ses chœurs mirages
ne nous montrent pas la lune, ils lève et que le rêve ne s’évanouisse. et sept albums, ils étaient déjà qui ressemblent à des chants
la contemplent par en dessous et Une sensation. La troisième là avant, deux (belles) carrières de baleine, de sirènes ou d’au-
nous invitent à le faire avec eux. chanson s’appelle “When You’re solos qui ne les menaient nulle delà. “Will You Remember Me”,
Ils ont un site web appelé “Sad Gone”, une mélodie au banjo part, en tout cas pas jusqu’à nous, demande la dernière chanson,
songs comedy hour”. La comédie qui traînait sans doute dans la et dont il ne reste pas le moindre comme s’il y avait une chance
des chansons tristes débute ici à brume du soir depuis l’origine du petit bout de disque encore édité. qu’on réponde par la négative.
des hauteurs qu’on s’explique à monde. Une métaphysique de la Ensemble, ils sont devenus un Sont-ils folk, country, pop,
peine. “All The Time In The World chansonnette. “Wheels And Levers” “act”, une proposition esthétique, tradi, quelque chose ?
To Kill”. Des gratouillis de guitares déchire l’âme, mince, ils ont une certaine idée de la beauté, Franchement, on s’en tape,
indistincts, les deux voix qui beau rigoler avec l’idée d’être les des chansonniers troubadours on est comme eux, on ne voit
fusionnent : les fans des Jayhawks spécialistes de la chanson triste, ils adoubés par les grands de ce que la lune. Pleine, brillante,
Mark Olson et Gary Louris en ont ne plaisantent pas avec la tristesse. monde-là (Joe Henry, Alison on la toucherait presque du doigt.
rêvé, les Milk Carton Kids le font, En général, Joey prend la voix Krauss, Emmylou, T Bone, toute ✪✪✪✪J
la voix unique, une sorte d’hybride basse et Kenneth les harmonies la bande post-“Oh Brother!”), Léonard haddad
piste aux étoiles JJJJJ incontournable JJJJ excellent JJJ convaincant JJ possible J dans tes rêves
Depuis Londres, c’est l’un des secrets le On adore ce groupe, mais on ne sait
mieux gardé de la scène musicale 2.0. plus trop quoi en dire. Comment éviter
Informations chiches, photos rares, les clichés ? Le blues du désert. Les
interviews absentes. A l’heure où la nomades. Les Touaregs. Les caravanes
moindre rumeur vous concernant se de chameaux. Un thé au Sahara.
répand avant même que vous ne soyez La Mauritanie. Le Mali. Le groove
au courant, Bar Italia entretient avec un hypnotique. Les guitares serpentines.
brio certain l’art du mystère, et après World music. Robert Plant. “Amatssou”
tout, ce n’est pas plus mal. Derrière un est leur neuvième album. Il est superbe.
nom dont on peut très bien penser qu’il Mais sa musique est-elle différente de
a été piqué à une des chansons de Pulp celle du précédent, “Amadjar”, qu’on
présente sur le chef-d’œuvre “Different avait déjà beaucoup aimé ? Oui et non.
Class”, se dissimule en tout cas un trio Ce dernier était mixé par Joshua Vance
masculin-féminin — deux garçons, une Smith, ingénieur du son de Jack White.
fille, beaucoup de possibilités, et option Cette fois-ci, White voulait enregistrer
forcément new wave donc. Après deux Tinariwen dans son studio, à Nashville,
albums sortis en catimini — “Quarrel” avec des musiciens country locaux.
(2020) et “Bedhead” (2021) — sur le Et l’incontournable Daniel Lanois. Le
label World Music de l’artiste pluriel but était d’essayer de mélanger les
Dean Blunt, l’Italienne de naissance traditions. La leur et celle de la musique
du sud des Etats-Unis — banjos, violons,
pedal steel et tutti quanti. Finalement,
pandémie oblige, ils ont fait autrement.
Ils ont enregistré à Djanet, une oasis
du désert au sud de l’Algérie, dans
un studio de fortune sous une tente,
Lanois à Los Angeles, et les autres
à Nashville. Vive la technologie.
A l’écoute du résultat, ça n’est
pas plus mal. Ce groupe possède
une personnalité tellement forte,
une musique tellement originale,
qu’il phagocyte tous ceux qui jouent
avec lui. A part ça, le titre de l’album
entendre ici, et inspire “I Watched It All et les chœurs. Ayant connu une vie
Come Down”. Les textes sont directs, chaotique entre violences, dépressions
sans métaphores, pour exprimer des et addictions, Kaz y puise à la fois des
sentiments universels comme l’amour thèmes pour ses compositions, une
(“It Feels Like Home”) ou bien des force créatrice et une vitalité rare,
commentaires sociétaux (“Stars “Until We Meet Again”. Pour l’essentiel,
And Stripes”, “Maga”, anti-Trump, les enregistrements de l’album ont été
“A Better Life”, écolo), avec une certaine réalisés à la Boîte A Meuh, le studio
naïveté (“We Can Change The World”)... de Fred Mateu dans la Sarthe, avec la
Le chanteur coproduit avec son formation bien rodée qui l’accompagne
claviériste, Todd Caldwell propriétaire sur scène, Cédric Le Goff, claviers, Stef
d’un studio à Brooklyn, en compagnie Paglia, guitares, Julien Boisseau, basse,
d’autres fidèles, Joe Vitale (batterie), et Amaury Blanchard, batterie, auxquels
Shane Fontayne (guitare) qui a joué se joignent trompette, Benoît Gaudiche,
derrière Bruce Springsteen, Johnny du vénérable Michael Hurley. Dans saxophones, Guillaume Sené, et quatuor que sont “To Lay Me Down” (interprété
Hallyday, etc. Musicalement, la ligne ces moments, les guitares s’autorisent à cordes, “Standing Tall” et “I Gotta par le chanteur country Jamey
reste claire, exécutée par des humains quelques dérapages, flirtent avec Be Me”, deux ballades soul. Quant à Johnson) ou “If I Had The World
sur de vrais instruments, avec quelques un psychédélisme qui ne déplairait Kaz, elle joue également de la guitare To Give”. Signalons enfin la présence
effets bien vus, guitare à l’envers, pas à Jorma Kaukonen, mais rien acoustique et du bodhràn, un tambour au chant sur “Scarlet Begonias” d’Oteil
guitare baryton, quatuor à cordes pour de très exubérant non plus. Car outre irlandais, l’émouvant “Lonely Boy” et Burbridge, ex-Allman Brothers et actuel
“In A Dream”, instrumental d’Alan Price la consistance de l’écriture, c’est la le blues “Don’t Make Mamma Cry”, Dead & Company, qui vient de son côté
(1973) fraîchement nanti de paroles... façon qu’a Kassi Valazza de susciter qui, comme “The River That Sings”, d’enregistrer un album de ballades
Graham Nash double souvent sa propre l’émotion sans rien forcer qui sidère : est déjà présent sur “My Life And signées Robert Hunter/ Jerry Garcia.
voix et le résultat est irrésistible. Il nulle acrobatie vocale, nulle rage I” dans une version différente Le répertoire du Mort, disait-on, poursuit
atteint des sommets de délicatesse clamée à la face du monde. ajoutant des cuivres qui lui donnent son voyage, décidément long et étrange.
pour “Love Of Mine” ou “Follow Your Tout est contenu, délicat, une couleur funky. Un beau disque ✪✪J1/2
Heart” qu’il interprète quasiment seul. et pourtant bouleversant. empli d’émotions et de soul. Bertrand Bouard
✪✪✪1/2 ✪✪✪J ✪✪✪1/2
Jean-William THOURY Bertrand Bouard Philippe Thieyre
John Holt
l’obsession pour Haïlé Sélassié). Il y chanteur d’exception. Né en 1947, il avait fait
avait bien le grand Toots et ses Maytals partie des Parangons, le plus grand groupe
qui proposaient un genre plus soul et funky, vocal, avec les Pioneers et les premiers
“essential artist collection” sans considérations philosophiques enfumées Wailers, qu’aie connu la Jamaïque dans
Trojan (Import Gibert Joseph) mais, en gros, Bob Marley et ses acolytes les sixties. Lui aussi est passé par le ska et
tenaient le haut du pavé. D’autres pionniers le rock steady. Au début des années soixante-
comme Jimmy Cliff, Ken Boothe ou John dix, Holt était l’une des plus grandes stars du
Dans la musique jamaïcaine, ce ne sont pas Holt poursuivaient à leur manière l’esprit reggae. Trojan lui a fait enregistrer un album
les belles voix qui manquent, chez les hommes du rock steady (sur un rythme plus lent) crossover devenu légendaire, “One Thousand
comme chez les femmes. Chacun sait à quel et proposaient un reggae plus commercial, Volts Of Holt” en 1973, qui a été un carton.
point, dès le rock steady, la soul américaine qui a également touché le grand public. C’est On y trouve, entre autres, une reprise
s’est mise à marquer les musiciens de l’île,
mais il ne suffit pas d’avoir les influences,
il s’agit de savoir chanter, et d’avoir l’organe
qui va avec. Et pour ça, Ken Boothe et John
Un pan du reggae
Holt se posent là. Le premier, né en 1948,
a débuté chez Studio One en faisant du ska
et du rock steady de toute beauté, puis s’est
qu’on a tendance à avoir oublié
mis à faire du reggae mainstream, qui fait le cas, par exemple, du merveilleux de “Help Me Make It Throught The Night”,
l’objet de cette double compilation. Saluons “Everything I Own”, que Boothe a sorti qui ouvre cette compilation. C’est dire
l’arrivée de cette nouvelle collection du label sur Trojan en 1974 et qui s’est retrouvé s’il savait faire le grand écart. Le volume
Trojan : le son est excellent, les pochettes illico propulsé à la première place des propose des titres s’étalant entre 1969
impeccables et chaque CD est gavé de plus charts en Angleterre (Joe Strummer, qui et 1976. Tout est bon là-dedans, et sa
de 70 minutes de musique. Pinaillons un peu : le cite sur “(White Man) In Hammersmith voix, comme celle de Boothe — sans
pour la chronologie, c’est un peu le foutoir. On Palais”, parle sans mépris de “UK Pop doute un peu moins suave — ne cesse
passe d’un titre enregistré en 1975 à un autre Reggae”). Il faut dire que Ken Boothe, de faire des miracles. En cinquante titres,
enregistré cinq ans avant. Mais en gros, il s’agit sorte de Marvin Gaye jamaïcain, chantait c’est le meilleur moyen de le découvrir,
bien de la première moitié des années soixante- comme un dieu. Dans ces années-là, il a mais il faut tout de même s’acheter
dix qui est cernée ici (c’est la même chose pour enregistré des titres inoubliables, comme une bonne compilation des Parangons.
le double volume consacré à John Holt). C’est “Freedom Street”, “Is It Because I’m Black?”, Quant à cette nouvelle collection, on
un pan du reggae qu’on a tendance à avoir “Walk Away From Love”, et même une reprise va la surveiller de près (il y aurait
oublié, mais qui vaut largement le détour. de “Let’s Get It On” de Marvin, justement. aussi un Toots & The Maytals).
A l’époque, il y avait le dub et le roots reggae. Mais il lui arrivait aussi de se rapprocher Nicolas Ungemuth
James Brown
“TAKE A LOOK AT THOSE CAKES”
Polydor
FIEVRE DU SAMEDI SOIR, QUOLIBETS DU DIMANCHE MATIN ? A la James recrute un producteur spécialisé, Brad Shapiro. “Contrairement à
fin des années soixante-dix, pour matcher avec l’air du temps, ils montent moi, il a le son dont nous avons besoin aujourd’hui. Brad est mon bras droit,
tous dans le train disco, même les artistes aussi connectés à cette musique il peut produire James Brown mieux que James Brown ne peut le faire lui-
que Brian Eno l’est aux problèmes de brushing. Le ridicule ne tue pas, même.” Pourquoi tant de louanges ? Parce que le Godfather, qui enchaînait
pourquoi ne pas tenter le coup ? Il faut avoir écouté une fois dans sa vie les bides, retrouve les charts avec le single “It’s Too Funky In Here”,
“Easy Way Out” de Roy Orbison, ou “Above And Beyond” du blues-rocker l’album se vendant à 175 000 exemplaires — minable par rapport à son âge d’or,
Edgar Winter. Quelle fascinante mais son meilleur score depuis des
incongruité ! Plus l’appropriation lustres. “The Original Disco Man” contient
est déplacée, plus elle produit des des bons morceaux, surtout “Star
morceaux alléchants. Kiss, Grateful Generation”, mais les fans de James,
Dead, Dolly Parton, Frank Zappa, de funk et soul, crient à la trahison.
Lou Reed, Can, Rolling Stones, Brown va vite faire de même et tout
Frank Sinatra, Paul McCartney, Serge renier : “Passer au disco en faisant
Gainsbourg, Rod Stewart, Sparks, tous appel à un producteur extérieur, j’étais
s’y sont essayés le temps d’une saison. contre dès le début. Je me suis battu,
Pour des résultats, malgré les cris mais j’ai fini par céder. Le disco n’a pas
d’orfraie des réacs, et, à défaut d’être de groove, pas de sophistication, il n’a
obligatoirement réussis, souvent rien. En plus, à ce moment-là, la mode
passionnants. était passée. En détruisant mon son,
En 1978, ils se font alors rares ceux Polydor m’a fait perdre mon public.” Il
qui résistent aux sirènes du jeunisme va jusqu’à accuser le gouvernement,
disco, aux pressions des maisons de “Il me harcèle par le biais du FBI”,
disques. James Brown ? Le Godfather et après un autre album avec Shapiro,
n’a pas besoin d’une formule méca- Brown se sépare de Polydor. Fin de la
nique, rythme binaire à 120 bpm, parenthèse disco, un vieux souvenir
synthé en avant, contretemps soulignés désagréable, que James refoule sous le
par la caisse claire, pour donner la tapis. Il tente de rayer de sa discographie
fièvre aux pistes de danse. Le disco ? “The Original Disco Man”, mais aussi
Non. Pas toi James. Impossible. “Take A Look At Those Cakes”, l’album
Sauf que si. Alors que Chic touche génial enregistré juste avant. Par-
le jackpot avec “Le Freak”, Brown delà les scansions funk bouillon-
pédale dans la semoule. Fred Wesley nantes et sa voix démentielle, Monsieur
et Maceo Parker se sont tirés pour Sex Machine s’essaie ici, déjà, à
rallier la bande à Clinton, il doit 1,5 million de dollars à Polydor, qui des effets sonores synthétisés, mettant en avant la grosse caisse et ses
menace de saisir son jet privé. Réponse de son avocat : “Si vous touchez choristes. Sur “Spring” et “As Long As I Love You”, ça fonctionne du feu
à son avion, Monsieur Brown fera tout ce qui est en son pouvoir pour vous de dieu. Encore plus avec les onze minutes disco-rap de “For Goodness
rendre la vie misérable.” James propose un nouveau contrat, de dix ans, Sakes, Look At Those Cakes”. Pas la peine d’être expert en argot pour
pour effacer l’ardoise. Refus. Il vend sa station de radio de Knoxville. Celle piger que “Cakes”, c’est les fesses. Voilà un concept-album sur le popotin.
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
de Baltimore l’assigne pour défaut de paiement. Zappant la comparution, Macho-fiérot-disco. Pour en rajouter dans l’obscénité, dans ses paroles,
il est arrêté en plein concert à l’Apollo Theater, et traîné à Baltimore pour Brown prend à témoin Ray Charles et Stevie Wonder : “Pour l’amour de
répondre aux accusations. En même temps, il lui faut gérer son divorce Dieu, vous les matez, ces pétards ?!” Ray et Stevie profitent alors du défilé
avec sa femme Deidre. Pris à la gorge, il doit se résoudre à l’impensable : des arrière-trains, interpellant à leur tour leur pote, admiratifs, “Did you
promettre à Polydor un disque à succès — un album disco. see those cakes ?!” James conclut : “It’s a man’s man’s man’s world/ For
Comment justifier l’injustifiable ? Voilà Brown clamer qu’il connaît goodness sakes, everybody want those cakes/ Give’em, give’em to me.”
personnellement le créateur du disco : c’est lui-même. “Sex Machine”, la L’album doublement incorrect, disco et phallo, d’un excité ? Surtout,
version de 1975, voilà le morceau fondateur. Son nouvel album s’intitulera musicalement, un disque très excitant. H
donc tout simplement “The Original Disco Man”. Mais comment fait-on du
disco ? Sur recommandation de son ami Henry Stone, boss de TK Records, Première parution : décembre 1978
Art
sort en décembre 1967, sous une
magnifique pochette signée Nigel
Weymouth et Michael English, plus
connus sous le nom de Hapshash And
The Coloured Coat — ils ont peint des
L’ANNÉE 1967 A ÉTÉ RICHE Sa popularité grimpe, et il devient posters pour The UFO Club, ainsi que
EN DISQUES MÉMORABLES. un habitué du légendaire Star Club pour les principaux activistes de la scène
Entre les premiers opus des Doors, de Hambourg. Nos gonzes décochent psychédélique britannique (Pink Floyd,
de Jimi Hendrix, de Pink Floyd ou en 1966 le superbe single “Wintertime” Tomorrow, Arthur Brown…). Peu après
du Velvet Underground, celui d’Art chez CBS (avec sa mélodie en mode la captation du long-format d’Art, Stevens
— qui deviendra bien vite Spooky mineur), ainsi qu’une tranchante reprise a l’idée d’un disque concept totalement
Tooth — est rarement cité. Véritable de “Mercy, Mercy” (Don Convay) chez hippie où les deux artistes, ainsi que leurs
démonstration de heavy psych Philips, produite par Derek Lawrence. amis (dont Brian Jones), improviseraient
furieux, anticipant même parfois Chris Blackwell prend alors sous son des chœurs tribaux avec toutes sortes
le séisme hard rock imminent, aile le gang, fort convaincant dans son d’instruments exotiques ou non (flûtes,
“Supernatural Fairy Tales” mérite registre R&B viril. Il produit l’excellente harmonica, gong chinois…), épaulés
cependant d’être redécouvert. simple “I Wanna Be Free” (Joe Tex), sur par Art à la rythmique. Cette étrange
lequel le timbre soul de Mike Harrison collaboration donne naissance au foutra-
La destinée d’Art est intimement fait merveille. Il mandate ensuite Jimmy que “Hapshash And The Coloured Coat
liée à celle du label Island, fondé par Miller pour capturer “Straight Down To Featuring Human Host And The Heavy
Chris Blackwell. Alors que les Beatles The Bottom”, qui déboule sur les ondes Metal Kids”, suite d’improvisations en
ont changé la face de la musique à en janvier 1967. C’est le moment où Mike forme de transes proto-kraut — à peu près
jamais, notre homme se met en quête de Kellie (ex-Locomotive avec Chris Wood) inaudibles — qui sort presque au même
formations capables de rivaliser. En 1966, remplace Johnstone, lessivé par la vie moment que “Supernatural Fairy Tales”,
par l’intermédiaire de son associé Guy sur la route. Au fil des mois, et à force lequel est un échec commercial. Peu après,
Stevens, il se penche sur le cas des V.I.P’s. d’enchaîner tournées et résidences Art évolue : Blackwell, conscient qu’il
Ce combo s’est formé à Carlisle sous le — au Star Club, il faut jouer toute faut un vrai compositeur au groupe, joue
nom de The Ramrods, trois ans auparavant. la nuit, et donc ingérer beaucoup de les entremetteurs entre les quatre rockers
Il est composé de Mike Harrison (chant), speed —, les V.I.P’s se taillent une et le claviériste américain Gary Wright,
Jim Henshaw (claviers), Frank Kenyon réputation scénique flatteuse, mais en ce qui conduit à la formation de Spooky
(guitare), Walter Johnstone (batterie), paient le prix : Henshaw et Kenyon, sur les Tooth. Un amusant post-scriptum aura lieu
bientôt rejoints par Greg Ridley à la basse. rotules, s’en vont. Luther Grosvenor, ancien en 1999, puisque le quartette d’origine
Le quintette écume le circuit britannique guitariste du groupe de Jim Capaldi (Deep se réunira — sous le nom plus lucratif
avant de publier un premier simple chez Feeling), les remplace. L’organiste Keith de Spooky Tooth — pour l’anecdotique
RCA, “Don’t Keep Shouting At Me”, Emerson rejoint également la troupe début et très classic rock FM “Cross Purpose”. o
emmené par un harmonica guilleret. 1967, pour quelques mois seulement.
Qualité France par H.M.
Le trio Rimel (de Thionville) donne un Déjà repéré dans cette rubrique, Avec son troisième album, le duo Le quatuor Bilbao Kung-Fu
nouveau souffle à des musiciens aguerris Automatic City continue de mulhousien Mouse DTC compte brasse sans complexes ses influences
issus de la scène noise de la fin des croiser ses influences et d’explorer sur ses propres forces créatives : après allant des années soixante aux années
années quatre-vingt, qui revendiquent ses musiques de prédilection. Après avoir fait appel à Miossec et Fred Poulet quatre-vingt-dix. Son second EP en
des influences sortant de l’ordinaire avoir, depuis 2015, sorti deux albums sur ses deux précédents essais en une trois ans d’existence impressionne
(The Jesus And Mary Chain, Unsane, placés sous le signe du blues, puis quinzaine d’années, la chanteuse et par l’énergie qui s’en dégage, et par la
The Young Gods). Leur premier album est du rock’n’roll originel, il s’ébroue le batteur signent les compositions pugnacité d’un melting-pot qui convoque
indispensable pour tous les amateurs de avec ce nouvel essai du côté des placées sous le signe d’une chanson aussi bien les soubresauts punk (“Oh !”)
sensations fortes : rythmes hypnotiques, années soixante-dix psychédéliques, electro pop qui renoue avec la fraîcheur que les références rock’n’roll sixties
déferlements de fuzz, chaos parfaitement en croisant guitares électriques et des années quatre-vingt et revendique (“Ton Visage”), évoquant l’impact des
maîtrisé jouant sur l’effet de contraste synthés, percussions et boîte à rythmes, une écriture brute de décoffrage (“Je refrains de Téléphone quand l’un des
avec un chant plutôt limpide qui défend compositions personnelles affûtées ne suis pas un sparadrap”). Enregistrés deux chanteurs retrouve les accents
des textes francophones obsédants. et reprises bienvenues. Il ose une avec le concours d’autres musiciens, d’un Jean-Louis Aubert adolescent
Leur rock bruitiste et imprécateur incursion funky, et même emprunter un les dix morceaux sont dynamisés par (“Respecte”), alors que l’autre arbore
assène huit brûlots percutants, dont morceau à Chuck Berry en remplaçant la voix pétulante et des rythmes dansants, un curieux ton puéril et androgyne
le titre “Pas De Répit” illustre bien la guitare par l’orgue Farfisa (“Hum conjuguant insolence et joies du dance- qui échappe à tout rapprochement
le propos offensif (“Transparent”, Drum”, Wita Records, facebook.com/ floor (“Attrapez-Nous”, Médiapop (“Déséquilibre”, Kaa Production,
Slow Death, facebook.com/rimelfuzz). automaticcity, distribution Baco). Records, facebook.com/MouseDTC). facebook.com/bilbaokungfu).
Depuis ses débuts il y a dix ans, Dans les années quatre-vingt, La Tourangelle Nehl Aëlin est La formation Denis Agenet &
Dirty Deep s’est progressivement Dalton (groupe parisien) était une femme orchestre, qui, sur son Nolapsters (de Nantes) regroupe
étoffé, passant de la formule solo au précédé d’un article et évoluait au troisième album en plus de vingt ans des passionnés de blues qui ont déjà de
duo, puis au trio (chanteur-guitariste- sein de la scène alternative. De cette d’activité, joue de tous les instruments sérieux états de service : d’un côté Denis
harmoniciste, batteur-claviériste époque, il ne reste que le chanteur, pour défendre ses compositions éthérées Agenet, batteur, chanteur et auteur-
et bassiste). Après une parenthèse et le virage qu’il a effectué avec ses et envoûtantes. Influencée par Björk, elle compositeur qui a longtemps œuvré
acoustique, ce sixième album deux nouveaux acolytes est radical : évolue dans une electro pop anglophone au sein de Bad Mules et bourlingué
renoue avec ce blues rock impulsif ce second album se situe au croisement qui cultive les atmosphères et met en avec pas mal d’artistes américains et
qui constitue son ADN. Et il ouvre de la pop, du post-punk et du rock arty. valeur sa voix nuancée, capable aussi de l’autre une dizaine de musiciens
largement les portes, que ce soit Les guitares y côtoient les synthés et bien de susurrer que de s’énerver. aguerris qui lui permettent de donner
vers une pop sauce Beatles (“Don’t les influences se mélangent au service Assurant personnellement le mixage corps à son répertoire anglophone.
Be Cruel”) ou vers le punk (“Hold On de chansons chaloupées où le chanté- de ce disque “dédié à la lutte contre Avec ce premier album (après un EP
Me”), sans délaisser ni ce heavy blues parlé égrène des textes pimentés les violences faites aux femmes”, elle inaugural paru en 2018), on s’immerge
qui a assuré sa notoriété ni ses racines d’un humour à froid et d’une bonne ne s’enferme pas pour autant dans sa tour dans un bain de rhythm’n’blues qui rend
immergées dans le Delta (“Trompe dose d’absurde. Un charme étrange d’ivoire : elle fait appel à une violoncelliste hommage à la scène de la Nouvelle-
L’Oeil”, Junk Food Records/ Little Sister se dégage de cet Ovni addictif (“Soleil sur deux titres, et termine par une reprise Orléans, cuivres et groove à l’appui,
Music, facebook.com/dirtydeep.official). Orange”, La Fugitive/ LVP Records, intimiste de “Bang Bang” (“Erase My mais préserve aussi la fibre blues et
facebook.com/legroupedalton). Memory”, Nehlaelin, facebook.com/ soul (“Piece Of Land”, Twinstudio 44/
NehlAelinMusic, distribution InOuïes). Rock & Hall, denisagenet.com). o
En noir et or
Apparaissant à peu près à Elles seront exhumées en 1993. quatre mois, le temps de frapper “A Beard Of Stars” (1970), Bolan a
la même période, tous deux En août 1965, il signe un contrat sur sa guitare à coups de chaîne et repris sa guitare électrique, “First
à l’origine majoritairement avec Decca et adopte le nom de d’écrire, notamment, “Desdemona”, Heart Mighty Dawn Dart”, et Mickey
britannique, le pub rock Marc Bolan pour enregistrer trois bannie de la BBC et “Midsummer Finn a remplacé Steve Peregrin Took.
et le glam sont pourtant 45 tours de pop psychédélique, dont Night’s Scene”. En juillet, il forme Le changement s’avère plus radical
des genres musicaux très “The Wizard” (1965) avec Jimmy Tyrannosaurus Rex avec le percus- encore avec la parution, sous le nom
différents, presque opposés Page à la guitare, qui n’ont aucun sionniste Steve Peregrin Took. de T. Rex en octobre 1970, du single
dans leurs conceptions, leur écho. En mars 1967, Bolan rejoint Délaissant les instruments “Ride A White Swan”, qui marque
image et leurs expressions. la formation mod, psychédélique électriques, le duo s’affirme la naissance du glam rock, même
Le GLAM ROCK naît au et freakbeat John’s Children en comme un des éléments moteurs si le look est encore un intermédiaire
début des années 1970 tant que guitariste et compositeur, de l’acid folk britannique le temps entre l’acid folk moyenâgeux
et connaît son apogée le chanteur étant Andy Ellison, futur de quatre albums produits par et le glam, voir la pochette
entre 1972 et 1976. Jet et Radio Stars. Il ne reste que Tony Visconti. Pour le dernier, de “T. Rex” en décembre 1970.
Premiere partie
Affaire numéro 40
La famille Gaye contre liams
ell Wil
Robin Thicke et Pharr
Renfield
De Chris McKay
Cage, qu’il en fasse des tonnes ou pas, a toujours joué ses rôles, même les pires,
de façon totalement impliquée. Histoire que le spectateur puisse toujours rester
rivé à son jeu, même quand le film n’en vaut pas la peine. Qui d’autre que lui,
finalement, aurait pu interpréter son propre rôle “Un Talent En Or Massif ” sorti
en salles au printemps dernier ? N’empêche qu’il n’a jamais abandonné l’idée
de trouver des rôles intéressants. Et si possible qui sortent de l’ordinaire. Genre
Dracula par exemple. Nicolas Cage en prince des ténèbres ? Et pourquoi pas !
Il a relevé le défi dans le foutraque mais plaisant (et aussi agaçant qu’amusant)
Grande star des années quatre-vingt-dix, Nicolas Cage, neveu “Renfield” de Chris McKay, réputé, lui, pour avoir mis en boîte la série d’animation
de Francis Ford Coppola, a tourné avec les plus grands (“Volte/ moqueuse et irrévérencieuse “Robot Chicken”. Le film n’est donc pas centré
Face” de John Woo, “A Tombeau Ouvert” de Martin Scorsese, “Snake Eyes” de sur le personnage de Dracula mais sur celui de son serviteur Renfield, naguère
Brian De Palma), avant de disparaître du box-office vers la fin des années 2000. interprété par le dessinateur et poète Roland Topor dans “Nosferatu, Fantôme
Devant des sommes folles aux impôts, dépensant des fortunes pour collectionner De La Nuit” de Werner Herzog, puis par Tom Waits dans le “Dracula” version
de vieux comic books originaux de Superman et des crânes de dinosaures venus Francis Coppola. Et ici incarné par Nicolas Hoult, alias Hank McCoy dit “Le
de Mongolie, l’acteur a été obligé de se refaire une santé financière en enchaînant Fauve” dans la franchise “X-Men”. L’action, modernisée (rappelons que le roman
des tonnes de (moyennes) séries Z et (mauvaises) séries B destinées au marché “Dracula” de Bram Stoker et les trois quarts des films adaptés se déroulent à
de la VOD. Pour la plupart des films d’action emballés sans génie et aux titres l’époque victorienne), montre la dépendance de Renfield envers son maître.
passe-partout (“Suspect”, “Primal”, “La Sentinelle”, “Vengeance”, “Obsession”). Dépendance dont il essaie de s’affranchir comme s’il était sous l’emprise d’une
Avec, de temps à autre, des rôles honorables dans de petits films indépendants relation toxique depuis des siècles et des siècles. Traité sur le ton de la farce et
d’auteurs particulièrement inspirés. Comme “Joe” de David Gordon Green, où de la comédie outrancière, “Renfield” n’est pas non plus une parodie gentillette
il joue un bucheron-ex taulard en quête de rédemption, ou l’original “Pig” de comme pouvait l’être “Dracula Mort Et Heureux De L’Etre” de Mel Brooks. Si les
Michael Sarnoski, dans lequel il incarne un chasseur de truffes dépressif toujours séquences sanglantes (dont un final outrageusement gore au sens bien rouge du
accompagné de son cochon renifleur. Quand il le veut, Cage montre qu’il est terme) sont à la fois fun et hilarantes, elles peuvent aussi être un brin effrayantes.
toujours un excellent acteur. Et quand il le veut aussi, il peut faire preuve de A l’image de Nicolas Cage qui transcende le film chaque fois qu’il rentre dans le
cabotinage extrême en hurlant ses dialogues avec les yeux révulsés. Il existe champ de la caméra. Il est à la fois ultra cabot et terrifiant. Il hurle, rit, grimace,
d’ailleurs sur YouTube plusieurs best of totalement délirants de tous ses pétages s’indigne, sort ses canines à tout va et part dans des accès de fureur sanglante.
de plombs à l’écran. Mais ce qui le rend sympathique, c’est qu’il n’a jamais — au Des moments qui, filmés sans couvert d’humour, pourraient être très premier
contraire d’un Bruce Willis (lui aussi abonné aux nanars, mais très très nuls pour degré. Pas loin finalement de Christopher Lee dans un vieux film de vampire
le coup) — tourné ses excentricités de manière lymphatique ou dédaigneuse. de la Hammer à qui Cage rend un hommage évident (en salles le 31 mai). o
Sick Of Myself
Sick Of Myself Ces paroles, tirées de la chanson tout de même) à travers la campagne touchant, c’est grâce au génial
Thomas travaille dans le milieu rêveuse de Charlélie Couture “Jacobi anglaise après avoir reçu une lettre Jim Broadbent, mythique acteur
de l’art contemporain. Signe (c’est son Marchait”, auraient pu être plaquées qui l’a traumatisé. Un véritable road anglais de 73 ans (aperçu dans
prénom) bosse comme serveuse dans sur le générique final de “L’Improbable trip purificateur pour ce vieil homme “Brazil” de Terry Gilliam et “Gangs
un restaurant. Mais le jour où Thomas Voyage D’Harold Fry” de Hettie qui, tout au long du chemin et des Of New York” de Martin Scorsese),
commence à se faire un nom dans MacDonald. Ou le parcours d’un (trop) rencontres qui vont avec, fait un point dont le jeu émouvant, entre
son milieu branchouille, Signe devient paisible retraité qui laisse sa maison sur sa vie et ses traumas passés. Si ce gaucherie et innocence, projette le
jalouse à en mourir. Au point qu’elle et sa femme de côté pour improviser bol d’air frais mâtiné d’exploit physique spectateur dans toutes les gammes
décide de se faire remarquer en se une très longue marche (800 bornes et d’envolée mystique est extrêmement d’émotions (en salles le 31 mai).
rendant très malade, ingurgitant pour
cela des médicaments qui vont ravager
sa peau et son visage... Comédie
tragicomique, “Sick Of Myself ”, du
Norvégien Kristoffer Borgli, pratique
un humour à froid, glauque et (très)
posé pour une métaphore intrigante
sur le besoin de reconnaissance. Qui
ne passe donc pas par Facebook ou
Instagram mais par la destruction
du corps. Si l’actrice Kristine Kujath
Thorp est formidable dans le rôle
d’une trentenaire foldingue bien
décidée à se faire remarquer, le film a
tendance à faire du surplace dans les
redites de séquences d’égocentrisme
masochiste. On aurait aimé que “Sick
Of Myself” soit au niveau du film
un peu dans le même genre “Dans
Ma Peau” de Marina De Van (2002),
nettement plus macabre, sensoriel
et poétique (en salles le 31 mai).
L’Improbable
Voyage D’Harold Fry
“Pourtant Jacobi est parti/
Marcher de midi à minuit/ L’Improbable Voyage D’Harold Fry
Marche à tout jamais/ Marcher...”
Sparta
Sparta Kill Bok-soon “Sans Pitié”, film de gangsters Et tout le reste du film (sélectionné
Certes, la filmographie de l’Autrichien Quand Netflix produit des blockbusters décomplexé à la sauce Quentin au Festival de Berlin cette année)
Ulrich Seidl n’est pas porteuse de d’action totalement désincarnés où Tarantino. Dans “Kill Bok-soon”, on est à l’avenant. Naviguant entre la
joie, de bonne humeur ni de grand gunfights et explosions en boucle suit le quotidien non pas d’un jeune complexité des personnages (dont
espoir utopique envers la vie. C’est finissent par atrophier le cerveau, tueur à gages bellâtre, mais d’une le rapport mi-amoureux mi-défiant
même tout le contraire en fait. Avec on lâche la rampe au bout de deux tueuse à gages d’une cinquantaine entre la tueuse et son boss) et une
un humour plus qu’à froid mêlé de minutes. En revanche, quand Netflix d’années. La meilleure de l’agence stylisation extrême de la mise en
drame sec, ses précédents travaux achète des films de genre hors norme spécialisée dans laquelle elle officie scène, avec d’impressionnantes
comme “Sous-Sol”, “Import/ Export” dont le style et le scénario font preuve depuis des décennies. Deuxième séquences de combat aux flingues
ou “Paradis : Amour” scrutent avec d’une originalité folle, on prend. C’est originalité : parallèlement à ses et à l’arme blanche, “Kill Bok-soon”
une distance d’entomologiste le mental le cas du formidable “Kill Bok-soon” du activités de killeuse glamour, elle a carrément un sacré arrière-goût
de personnages désespérés en quête réalisateur sud-coréen Sung-hyun Byun, doit gérer les états d’âme de sa fille jouissif de la franchise “John Wick”
d’un bonheur qu’ils n’atteindront jamais. dont on avait apprécié il y a six ans adolescente en plein trip rebelle. (disponible sur Netflix). o
Avec toujours un peu de provocation
(surtout sexuelle) au passage. Voir
“Sparta”, où un quadra expatrié en
Roumanie et malheureux en couple
(il n’arrive plus à faire l’amour à sa
femme) se découvre des pulsions
pédophiles. Pour satisfaire sa libido,
il part au hasard des routes de la
campagne roumaine pour s’improviser
professeur de judo pour préadolescents
dans un patelin paumé. Une façon
comme une autre de satisfaire ses
besoins envers les jeunes garçons.
Le pitch peut paraître malaisant (ce
le serait à moins), mais le résultat ne
joue pourtant pas la carte du voyeurisme.
Tout au contraire puisque le personnage
se lamine et pleure sans cesse sur
son sort, l’acteur Georg Friedrich (très
réputé en Allemagne) arrivant à faire
passer certaines émotions. Mais le film
est d’une telle langueur dans sa sobriété
très appuyée (même si on reconnaît la
patte de Seidl, qui privilégie toujours les
plans fixes à la caméra en mouvement)
qu’un certain ennui finit par pointer.
Mais heureusement, toujours rattrapé
in extremis par l’interprétation
ultra-réaliste et compassionnelle de Kill Bok-soon
Georg Friedrich (en salles le 31 mai).
The English
Une femme au pays du six-coups
Pendant un sacré bout du temps, les femmes obsessionnelle : retrouver le responsable de la mort vont finir par s’emmêler. Formellement, “The English”
dans les westerns étaient réduites à l’état de de son fils. Totalement décalée dans ses robes chics a le goût, le look et les senteurs d’un vieux John Ford.
prostituées gouailleuses ou de mères au foyer. au milieu des plaines rugueuses du pays de John Une série quasi contemplative, féministe et antiraciste
Et puis, chemin du cinéma faisant, elles ont fini par Wayne, elle copine avec un ancien soldat d’origine mâtinée d’éclairs de violence sèche. Histoire de
gagner une certaine autorité justifiée. L’une des plus indienne. Un taiseux aussi digne qu’imperturbable, rappeler que la vie à l’époque de Sitting Bull et
emblématiques à avoir osé la ramener est Barbara rappelant cet apache revanchard incarné par Charles Jesse James était loin d’être de tout repos. Quant à
Stanwyck dans “Quarante Tueurs” (1950) de Samuel Bronson dans le sèchement teigneux “Les Collines Emily Blunt, que ce soit dans ses rapports ambigus
Fuller, un classique du genre. Tout habillée de cuir De La Terreur” de Michael Winner. Tous deux vont avec l’Amérindien ou la manière subtile dont elle
noir, elle gérait avec une classe folle une bande de partager leur destinée dans un road-movie à cheval passe de femme prude et fragile à celle de
quarante garçons vachers, tous au garde-à-vous à travers le vieil Ouest. Elle, pour accomplir une guerrière, elle rejoint aisément la liste des
pour satisfaire ses ordres. Avec ce rôle, Miss Stanwyck éventuelle vengeance, lui pour récupérer un lopin actrices légendaires citées plus haut qui ont
est devenue une sorte d’icône pour d’autres grandes de terre que l’Etat lui avait promis. Une longue balade changé et boosté le genre à jamais. Pour le
figures féminines du western hollywoodien. évidemment semée d’embûches et de rencontres coup, on la verrait bien dans un remake de
Voir Marlène Dietrich dans “L’Ange Des Maudits” douteuses et où la poussière la sueur et la poudre “Quarante Tueurs” tiens (en diffusion sur Canal+) ! o
de Fritz Lang (1952), Joan Crawford dans “Johnny
Guitar”de Nicholas Ray (1954) ou Jane Russell qui,
dans “Les Implacables” de Raoul Walsh (1955),
ose balancer à ce grand séducteur de Clark Gable : Suburbia (The Ecstasy Of Films)
“Je n’aime pas qu’on me soupèse, qu’on me Huit ans avant de mettre en boîte la comédie régressive à succès
jauge, qu’on m’évalue”. Maintenant qu’il est acquis “Wayne’s World” en 1992, Penelope Spheeris avait réalisé un petit film
qu’une femme est l’égale d’un homme au pays culte méconnu des années quatre-vingt : “Suburbia”. Ou le quotidien
du six-coups, il fallait s’attaquer d’un peu plus d’une quinzaine de jeunes à la dérive qui, réunis dans une vieille maison
près aux nuances psychologiques d’une demoiselle laissée à l’abandon, sont constamment confrontés aux autorités et à la
balancée dans la dureté du vieil Ouest. Ce que réussit population locale. Loin de porter un regard moralisateur, la réalisatrice
admirablement à l’élégante et classieuse Emily Blunt, s’attendrit sur cette bande de punks dont on ressent à chaque seconde
habituée depuis quelques années aux personnages les envies d’un monde peut-être pas meilleur, mais au moins autre. Histoire d’être bien raccord
de femmes fortes prêtes à combattre trafiquants avec cette ambiance No Future remplie de chiens sauvages et de rats domestiques, la BO
de drogue mexicains (“Sicario” de Denis Villeneuve) du film est bardée d’artistes punk renommés tels D. I. ou The Vandals. Avec, en prime,
ou extraterrestres belliqueux (“Edge Of Tomorrow” une apparition sur scène et dans une salle à l’ambiance pogo, de Flea, bassiste des Red Hot
de Doug Liman). Sur les huit épisodes de Chili Peppers. Pour être sûr de vous procurer cette rareté (jamais sortie en salles au pays
“The English”, elle incarne une aristocrate anglaise de Charles Trenet), rendez-vous sur le site de l’éditeur cinéphage : https://the-ecstasy-of-films.com
débarquant dans le Kansas avec une seule idée,
Streaming/
DVD/
Blu-ray
Ce show est
une hallucination
“Roxy Music – Montreux 29 avril 1973”
YouTube
Au Royaume-Uni, la disparition de Linda Lewis a été annoncée par de
nombreux médias (papier, télé, digital) et le “Guardian”, dont les pages
culture sont un modèle du genre, n’a pas manqué d’évoquer la carrière de
cette chanteuse, choriste aussi, dont les aptitudes vocales (elle couvrait cinq
octaves…) lui ont souvent valu d’être comparée à Minnie Riperton. Lewis,
c’est plus anecdotique, est également cette jeune adolescente noire qu’on
aperçoit au milieu de fans, hurlant plus que de raison, dans certaines scènes
de “A Hard Day’s Night”, le film dans lequel les Beatles ont tourné en 1964.
Devenue grande, elle a enregistré sous son nom et a donc prêté voix forte, entre
autres, à Cat Stevens, Rod Stewart et, plus récemment, Jamiroquai ou Joss Stone.
Mais puisqu’on fête, en ce printemps, le cinquantenaire d’ “Aladdin Sane” ,
nos amis outre-Manche n’ont pas manqué de rappeler que Linda Lewis était
une des deux choristes féminines de cet album de David Bowie, grandement
représentatif du glam. Mais ce n’est pas tout. La même presse anglaise, par les
mots de certains journalistes qui ont d’abord relayé l’information via les réseaux
sociaux, s’emporte depuis le 1er mai 2023 — date à laquelle il a été uploadé (par
mrrubbish… on n’en sait pas plus) — à propos d’un concert de Roxy Music
également cinquantenaire ! On ignore par quel miracle cette prestation du
29 avril 1973 est arrivée sur YouTube (et cela ne nous regarde pas), mais
on ne peut qu’être renversé par sa qualité, sur les plans visuel et sonore. Et
si les journalistes anglais en font des caisses, c’est parce que “Aladdin Sane”
est loin d’être le seul monument glam (ou assimilé) à avoir été érigé il y a pile
un demi-siècle. Mott The Hoople, Sparks, New York Dolls, T. Rex, Queen ou
Wizzard y sont tous allés de leur opus en 1973 et, comme David Bowie (il a
également publié “Pin Ups” cette année-là), Alice Cooper et Roxy Music ont
carrément sorti deux albums. En 2023, les médias anglais n’ont pas célébré
“Billion Dollar Babies” (et encore moins “Muscle Of Love”), mais auraient
certainement adoré rappeler, à l’occasion d’une réédition en grande pompe,
que “For Your Pleasure”, premier des deux 33 tours de la formation alors
dirigée par une hydre à deux têtes (Bryan Ferry et Brian Eno), avait, lui aussi,
cinquante piges. Malheureusement, et à moins qu’il en soit question plus tard
cette année, “For Your Pleasure” n’a pour l’instant pas fait l’objet d’une attention
particulière de la part de la major qui en détient aujourd’hui les droits : Universal.
En 2018, le premier album de Roxy Music avait été luxueusement coffré,
D’abord une série sur Arte réalisée par Amandine Fredon, “Music Queens” (Bayard Graphic)
existe désormais en série papier chez tous les libraires de bon goût. En dix chapitres, la
dessinatrice Leslie Plée et le duo de journalistes-scénaristes Emilie Valentin et Rebecca
Manzoni ont sélectionné autant de figures féminines du rock et de la pop qu’elles ont
associées à une chanson emblématique de leur répertoire. Chaque titre est détaillé en
douze planches avec moult anecdotes qui replacent l’artiste
et sa chanson dans leur contexte original. Du “Ain’t Got
No I Got Life” de Nina Simone à Beyoncé et son “Run The
World” en passant par Patti Smith (“Gloria”), Janis Joplin
(“Piece Of My Heart”), Marianne Faithfull (“The Ballad
Of Lucy Jordan”) et bien d’autres, le trio d’auteures
propose un voyage musical qui survole les époques
d’une manière aussi effrontée que passionnante.
Dans le genre antinomique, le côté cool du reggae est en opposition massive avec le climat
de violence qui règne en Jamaïque à la fin des années soixante-dix. Afin d’atténuer les passions
politiques et la guerre des gangs, un grand concert pacifique est organisé le 22 avril 1978 au
stade de Kingston. Avec “Il Etait Une Fois En Jamaïque” (Futuropolis), le bassiste
et scénariste Loulou Dedola et le dessinateur Luca Ferrara ont mené une passionnante enquête
graphique qui les a amenés à rencontrer bon nombre d’acteurs ayant participé au One Love
Peace Concert, sujet de cet album. Le résultat est une BD prenante qui remonte le temps
jusqu’aux années cinquante, où le jeune Robert Nesta Marley est plus passionné par son
vélo que par la musique qui l’entoure. Très vite, le fil narratif arrive à l’indépendance de
1958 et au climat de tension qui va aller de mal en pis durant les deux décennies suivantes.
Mise en cases dans un style proche des comics US, “Il Etait Une Fois En Jamaïque” est une
reconstitution historique très réussie qui remet en lumière un événement musical magistral
peut-être plus important que Woodstock, Altamont, Monterey et Hyde Park réunis. o
Délicieusement sarcastique
Satisfucktion
Les Rolling Stones,
Une Leçon De Morale
François Salaun et Lulu La Nantaise
Les Presses De La Cité
On se doutait que ce moment arriverait, nulle raison
que l’histoire du rock ne soit pas, elle aussi, revue
et corrigée par de moins énamourés et donc plus
lucides critiques et que ses plus grandes figures,
ses héros même, échappent miraculeusement à
de plus contemporaines grilles de lectures. François
Salaun, déjà auteur, entre autres, d’un livre sur les
Rolling Stones avec le grand spécialiste stonien, feu
Dominique Lamblin — à qui ce livre est dédié —
revient ici en quelque sorte sur les lieux du crime et
rouvre le dossier avec son “Satisfucktion, Une Leçon
De Morale”. Pas d’affolement hein, les Stonards,
Salaun s’y prend subtilement, point d’anathèmes
dans ses lignes, aucune leçon de morale, zéro
sulfateuse. Mais le truc fatal, c’est qu’il n’en a même
pas besoin, le récit honnête et juste de la vie et de
l’immense carrière de ces mythes du genre suffit
à éclairer les innombrables casseroles — Macron
démission, oups, ça nous a échappé, sorry — de
l’ancien groupe préféré du journal. Car la batterie
est vaste et bien moins reluisante que les habits
de lumière qu’affectionne tant Mick Jagger. Alors,
oui, les temps ont changé, les mœurs aussi, et une
grosse partie de ce que nous trouvons choquant
aujourd’hui — mineures et drogues en gros —
non seulement ne l’était pas à l’époque mais devait
presque obligatoirement figurer sur chaque panoplie
de la réussite masculine — les filles — et des stars
branchées — les drogues. Mais les glauqueries de Very Good Bowie Trip
Brian Jones avec les femmes ou Bill Wyman avec Michka Assayas
ses pathétiques comptes de groupies passées dans GM Editions
son lit — 278 jusqu’en 1965 — et son mariage avec “Autant dire les choses franchement : David Bowie
une fille bien trop jeune nous dit tout de même m’a longtemps laissé sceptique. Je trouvais que
quelque chose sur eux de pas très joli joli. Tout son approche de la musique était calculée et
comme, dans un autre registre, l’éviction à leurs même de nature publicitaire.” Imaginez-vous
débuts de Ian Stewart pour “délit de sale gueule, un seul instant un article sur un livre commençant
constitue la compromission originelle sur le chemin ainsi ? C’est pourtant l’incipit du dernier livre de
de la gloire” et en dit long sur ceux qui acceptèrent Michka Assayas, sur le mercenaire méprisé, David
cette bassesse. La trouille, les mondanités et les Bowie. Dès lors, la messe est entendue, ce “Very
pleurnicheries de Jagger au tribunal détonnent Good Bowie Trip” ne s’adresse sûrement pas aux
aussi dans le tableau public soigneusement léché bons vieux gros fans de Bowie, mais pourquoi pas.
du mauvais garçon qui effraie les parents. Et aucune Le pourquoi, nous dit-il plus loin, c’est que France
explication, foireuse, forcément foireuse, ne peut Inter, sa radio, lui a demandé une série d’émissions
excuser des bras tendus et des photos en uniforme sur Bowie, un mec qu’il n’aimait alors donc pas
nazi ni, dans une moindre mesure, le sexisme crasse du tout, mais qu’il l’a réécouté et là, pif paf pouf,
qui était aussi leur marque de fabrique. Pour autant, Changes, Changes, Changes, cinquante ans après
ce n’est pas un portrait à charge mais tout simplement la bataille, révélation, épiphanie, toussa, et voilà, ça dommage, il ne nous explique justement ce qui
un récit plus conscient, bien plus juste et bien plus y est, maintenant il le comprend, l’aime et l’admire. a fait basculer son opinion, ce qui dans l’œuvre
drôle de ce gros gros morceau de notre histoire, et le Ok. Soit. Est-ce suffisant pour écrire une biographie l’a enfin fait passer du mépris à l’admiration et
ton délicieusement sarcastique de Salaun et son sens d’un des plus grands génies du rock dont l’immense comment, quel titre, quel texte, quelle vidéo, quel
de la formule rendent cette leçon de morale aussi carrière s’est étendue sur plus de cinquante ans, avec concert a ouvert les yeux et surtout les oreilles de
rafraîchissante que réjouissante. N’oublions surtout comme seule bibliographie quatre livres possibles ? ce fin amateur de musique jusque-là étonnamment
pas ici Lulu La Nantaise qui réussit des dessins à la Pour autant, Assayas est un bon journaliste et ses réticent à l’œuvre géniale de l’immense musicien.
fois vintage et complètement contemporains dont émissions retranscrites donc ici forment évidemment Reste une bonne biographie, bien ficelée, et une play-
les couleurs vives et la malice joyeuse illustrent un très honnête récit assez complet et bien écrit de la list évidemment étincelante, excellente introduction
parfaitement le fond et la forme de ce joli livre. vie de Bowie, mais sans que jamais, et c’est vraiment pour les absolute beginners en Bowiemania. o
sur scène. Pour l’occasion, Mark d’emblée une Cigale où se serrent la formation teutonne est renforcée invite les moins timides à danser sur
O Everett a multiplié les efforts. des supporters locaux ainsi que par un guitariste rythmique, mais scène, Eirik joue en guise de point
Vestimentaires d’abord : barbe des Irlandais et des Scandinaves elle se présente métamorphosée final les accords de “Singing Softly
longue (trois centimètres de plus qui ont tenu à faire le déplacement. physiquement (Tiger a le crâne To Me”, un titre qui résume toute la
et il peut monter un cover band de Chant magnifique, changements de rasé, Lupus s’est coupé les cheveux splendeur des ébats de cette nuit-là.
ZZ Top), tuxedo rose et pieds nus. présentations, trois duos, l’attention et la barbe...) et se fait désormais Christophe BAsterra
décrit, sans aucun des clichés et raccourcis milieu des barres d’immeubles. On dirait
habituels (j’ai vécu à Londres en 1978, et le celle de Peter Falk dans “Les Ailes Du Désir”.
punk était déjà une attraction touristique). Penser à ce film de Wim Wenders, ainsi
Les extraits musicaux sont d’une grande qu’à “Radio On”, de Chris Petit, et la vie
justesse. Dave Robinson, Daniel Miller, devient merveilleuse. “Compañero…” o