Du Collectif Frontal

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Du collectif frontal à l’autonomisation dans les grands groupes d’apprenants

Yves Loiseau - 2009


Maitre de conférences, UCO, Angers, France
_______
Résumé
Quand un enseignant de langue-culture étrangère intervient devant un grand groupe (plus de
50 apprenants), il ne peut apporter une aide individuelle aux apprenants et il lui faut faire
exploser le groupe-classe, favoriser l’apprentissage en sous-groupes et laisser l’apprenant
apprendre de façon plus autonome en adoptant quelques principes méthodologiques essentiels :
- la pédagogie de la découverte : chacun possède un système cognitif qui lui est propre et
chacun construit la langue qu’il apprend de façon individuelle. Il faut donc favoriser cette
construction individuelle et inviter l’apprenant à découvrir lui-même la langue-culture cible.
- les travaux de groupes : à défaut d’obtenir des réponses d’un enseignant, chaque apprenant
peut apprendre de ses pairs et apporter à ses pairs des savoirs et des savoir-faire qu’il possède.
- la correction et l’évaluation des acquis : si l’apprenant découvre seul (ou avec un groupe de
pairs) la langue-culture cible, il faut qu’il soit en mesure de corriger seul ses productions et
d’évaluer seul son apprentissage.
- la réflexion métacognitive : l’autoévaluation permet à l’apprenant de connaître son évolution
dans l’apprentissage des savoirs et savoir-faire. La réflexion métacognitive lui permet de
comprendre ses stratégies d’apprentissage et d’améliorer ses capacités d’apprentissage.

Mots clés
apprentissage, langue étrangère, autonomisation, pédagogie de la découverte, groupes,
évaluation, métacognition

Introduction
Mes activités de recherche et de formation m’ont amené à intervenir auprès d’enseignants de
langue étrangère qui, face à de grands groupes d’apprenants (de 50 à 120 apprenants), ne savaient
comment faire face à un taux de réussite dramatiquement bas ou comment redynamiser leurs
enseignements. Puisque, en grands groupes, l’enseignant n’est pas à même d’apporter,
matériellement et constamment, une aide individuelle aux apprenants, la solution est souvent de
laisser l’apprenant apprendre de façon plus autonome et de favoriser l’apprentissage en sous-
groupes. Cette autonomisation de l’apprentissage oblige l’enseignant à repenser sa méthodologie
d’enseignement et à oublier l’enseignement collectif frontal.
En présence de grands groupes, si l’enseignant souhaite que chacun des apprenants ait la
possibilité d’apprendre, il lui faut nécessairement faire exploser le groupe-classe et adopter
l’autonomisation comme principe de base. Cette autonomisation peut être développée notamment
par la mise en œuvre de :
- la pédagogie de la découverte ;
- les travaux de groupes (au sens large) ;
- une correction et une évaluation adaptée ;
- une réflexion métacognitive.

1. La pédagogie de la découverte
Nous ne savons pas réellement comment l’apprenant apprend une langue ni comment il
organise mentalement les informations relatives à la langue. Nous avons en effet chacun un
fonctionnement cognitif individuel qui fait que chacun traite à sa manière les informations qu’il
reçoit. À ces différences individuelles, s’ajoutent des différences ethniques de traitement de
l’information : du fait de leur langue maternelle et de leur environnement socio-culturel, les
Coréens, par exemple, ont des procédés cognitifs qui diffèrent de ceux des Canadiens dans
l’acquisition et la structuration de la langue française. Il en ressort que la langue française dans un
cerveau coréen risque fort de ne pas ressembler à la langue française dans un cerveau canadien,
même si, au final, le cerveau coréen et le cerveau canadien pourront produire des énoncés tout à
fait identiques dans une situation de communication donnée.
En outre, parce que, j’ai, moi enseignant, vécu plusieurs dizaines d’années dans un
environnement francophone et que j’ai fait de la langue française ma spécialité, la somme des
connaissances que je possède sur la langue française et sur ledit environnement francophone est
vraisemblablement fort supérieure à la somme des connaissances que possède, sur les mêmes
points, l’apprenant de français langue étrangère. Or, le discours que je pourrais avoir envie de
tenir pour présenter la langue-culture française a été construit en fonction de l’ensemble de mes
connaissances sur le français et l’environnement francophone. Le manque de référence autour de
la langue-culture chez l’apprenant risque donc fort de rendre mon discours insaisissable.
Ainsi, parce que l’apprenant a un fonctionnement cognitif qui diffère du mien, plutôt que de lui
imposer ma langue française (c’est-à-dire la langue telle que je l’organise et la comprends), je
choisis de le laisser découvrir et construire lui-même sa langue française selon ses compétences
linguistiques et socio-culturelles individuelles. C’est quand il parvient à auto-construire le
système de la langue cible que l’apprenant peut espérer être en mesure d’utiliser de façon efficace
ladite langue cible.
Ce principe d’apprentissage, assez souvent désigné sous le nom de « pédagogie de la
découverte », n’est pas tout à fait nouveau. Socrate la mettait déjà en pratique dans sa dialectique
et Michel de Montaigne la réclamait quand il demandait qu’un précepteur « commence par mettre
l’enfant face à ce qu’il peut voir, qu’il lui fasse goûter les choses, les choisir et les discerner lui-
même : quelquefois en lui ouvrant la voie, quelquefois en le laissant prendre les devants.1 »
[Montaigne, 1580 : 195]. La référence pour la « pédagogie de la découverte » reste néanmoins,
pour les recherches contemporaines, Jerome Bruner : « Instruire quelqu’un… ne se résume pas à
lui faire apprendre des résultats. Il s’agit plutôt de lui enseigner à participer au processus qui
rend possible la création de connaissances. […] Connaître n’est pas un produit mais un
processus.2 » [1966 : 72]
La démarche heuristique est, d’une façon générale, relativement simple : l’enseignant
n’enseigne plus mais l’apprenant apprend. L’enseignant n’explique plus le fonctionnement de la
langue-culture étrangère : l’apprenant essaie de découvrir lui-même, dans une approche déductive,
avec des contextes de situation précis et à partir des éléments présentés, comment est organisée la
langue-culture étrangère, aidé, bien sûr, en cela par l’enseignant, qui sert de médiateur entre la
langue et l’apprenant, et aidé, surtout, par les interactions que l’apprenant doit avoir avec les
autres apprenants.
La démarche heuristique relève de la pratique méthodologique en classe et de la définition du
rôle de l’enseignant. Toutefois, certains manuels d’enseignement adoptent cette démarche et
proposent des activités de découvertes de la langue-culture ; je présente ici un exemple que je
puise dans le manuel Connexions 2 (Loiseau Y., Mérieux R., 2005).
Dans l’activité 3, l’apprenant doit faire appel à ses compétences logiques et repérer la relation
qui existe, dans chaque phrase, entre les deux informations données pour déterminer quel élément
est une justification. La relation est d’ordre logique mais elle est aussi marquée par des éléments
linguistiques (construction de phrase ou articulateur logique) qui, bien que cela ne soit pas indiqué
explicitement, sont l’objet de l’activité 4. L’apprenant est donc amené à découvrir les réalisations

1
Ma version de : « Ie voudrois qu’il […] commençaft a la mettrefur le trottoer, luy faifant goufter les chofes, les
choifir, & difcerner d’elle mefme. Quelquefois luy monftrāt chemin, quelquefois lui laiffant prēdre le deuāt. »
2
Ma traduction de : « To instruct someone... is not a matter of getting him to commit results to mind. Rather, it is
to teach him to participate in the process that makes possible the establishment of knowledge. […] Knowing is a
process not a product. »
linguistiques d’un acte de parole et à implicitement comprendre les éléments lexicaux qui les
constituent et les éléments syntaxiques qui les organisent.
Ces activités de découverte ont un double avantage : d’abord l’apprenant construit sa langue
selon son style d’apprentissage et selon ses capacités cognitives, selon un mode qui lui convient et
qu’il comprend, ensuite, et c’est peut-être plus important encore, il est actif, participe pleinement
au cours, réalise pendant le cours la part la plus importante de l’apprentissage et éprouve, en
conséquence, un sentiment de satisfaction, satisfaction d’avoir fait, d’avoir réussi et d’avoir
appris.
Dans l’organisation du cours, ces activités permettent également une meilleure répartition des
temps de paroles. S’il n’y a plus d’explication systématique de la part de l’enseignant, celui-ci ne
monopolise pas la parole et donne largement du temps aux apprenants.
Enfin, et en conséquence, un nouvel ordre hiérarchique s’établit dans la classe. L’enseignant
n’est plus le maître qui détient tout le savoir que l’apprenant doit apprendre nécessairement à
travers ledit maître. L’enseignant reconnaît à l’apprenant des capacités d’apprentissage, il lui
redonne la responsabilité de son apprentissage et l’apprenant s’en trouve ainsi valorisé.
L’apprenant peut commettre des erreurs d’interprétation ou de compréhension. Ces erreurs font
partie du jeu de la découverte. L’enseignant doit, bien évidemment, aussi peu intervenir pour
relever ces erreurs qu’il intervient pour aider l’apprenant dans la construction de la langue, et si
des corrections doivent être apportées dans ladite construction, elles doivent être formulées par
l’apprenant et ses pairs essentiellement. L’enseignant doit susciter la construction de la langue et
guider l’apprenant mais il n’a pas à apporter les réponses ou les solutions de façon systématique.
Si les activités de découverte peuvent dérouter les apprenants quand elles sont introduites dans
la classe la première fois, les apprenants parviennent rapidement à s’engager dans ces activités et
à en comprendre les objectifs.

2. Apprentissage coopératif et travaux de groupes


À défaut d’obtenir des réponses d’un enseignant, chaque apprenant peut apprendre de ses pairs
et apporter à ses pairs des savoirs et des savoir-faire qu’il possède. Le travail de groupe et
l’apprentissage coopératif ont, en outre, l’avantage de rendre l’apprenant actif et impliqué tout à la
fois dans l’enseignement et l’apprentissage.
Vers le milieu du XXe siècle, ce sont les apports de pédagogues tels qu’Ovide Decroly en
Belgique ou John Dewey aux États-Unis d’Amérique, puis plus tard de Célestin Freinet en
France, qui ont permis le développement de l’apprentissage coopératif. Au début du XXe siècle
également, deux psychologues, le Français Jean Piaget et le Russe Lev Vygotski, affirment que,
d’une part, les connaissances d’un individu ne sont pas une simple copie de la réalité mais une
(re)construction, par l’individu, de cette réalité, et que, d’autre part, la médiation d'autrui est
nécessaire à un individu pour construire ses connaissances et progresser.
Si l’interaction avec d’autres permet à chaque individu d’apprendre et de progresser, cette
interaction est un facteur particulièrement important dans un contexte d’enseignement en grands
groupes. Mais, puisque cent étudiants ne peuvent interagir simultanément avec un seul enseignant,
la division du grand groupe en sous-groupes de travail s’impose logiquement. L'apprentissage
coopératif, misant sur la qualité des relations interpersonnelles lors des activités proposées, met
justement l'accent sur le travail en groupes restreints où des apprenants qui possèdent des savoirs
et des savoir-faire différents s'efforcent d’accomplir une tâche commune. L’objectif alors est
d'amener tous les apprenants à participer activement aux activités d'apprentissage, grâce à des
activités didactiques appropriées. Les interactions que permettent le travail en sous-groupes et
l'apprentissage coopératif incitent les apprenant à s’exprimer, à confronter leurs idées, à s’aider, à
se corriger (voir plus loin) et à comparer leurs façons d'apprendre (voir plus loin encore).
Deux principes de base permettent à l’apprentissage coopératif de fonctionner,
l'interdépendance positive et la responsabilisation individuelle, principes auxquels les apprenants
doivent nécessairement adhérer avant la mise en place des activités, et que définit Diane Arcand
de l’Université Laval :
« L'interdépendance positive est présente au sein d'une équipe lorsque tous les élèves ont
le même objectif, participent également et activement à l'exécution de la tâche, partagent
leurs connaissances, leur expertise et leurs ressources en se respectant et en s'entraidant
ainsi que lorsque la tâche qui leur est proposée est structurée par […] l'enseignant de
façon qu'aucun […] membre de l'équipe ne puisse l'exécuter individuellement.
La responsabilisation individuelle est tangible au sein d'une équipe lorsque les élèves se
sentent responsables et de leur apprentissage et de la réussite de l'équipe. Les élèves sont
conscients que leur propre engagement et leurs efforts en vue de soutenir leurs
coéquipiers […] sont essentiels à l'atteinte des objectifs de l'équipe. […] L'enseignant
doit favoriser la responsabilisation individuelle des élèves en assignant des rôles précis à
chaque élève, au sein des équipes, lors de l'accomplissement d'activités coopératives. »
L’apprentissage coopératif va plus loin que l’habituel travail en groupes. Il est plus structuré,
les groupes connaissent une plus grande indépendance et se voient confier une plus grande
responsabilité de leur travail. Des fonctions sont attribuées aux membres du groupe : un animateur
et un secrétaire sont toujours nécessaires, d’autres fonctions peuvent être données en fonction des
besoins du travail à accomplir. Ces fonctions permutent et sont, pour chaque nouvelle tâche,
attribuées à des apprenants différents pour améliorer les compétences de tous.
Bien évidemment, lorsque le groupe-classe a été divisé en vingt sous-groupes de cinq
apprenants, le rendu des travaux pose difficulté. Mettre en commun tous les travaux peut être
source de lassitude, surtout si cette mise en commun prend la forme d’exposés oraux. Il faut alors
renoncer aux mises en commun ou proposer des modalités de mise en commun variées (et
brèves !).

3. Pédagogie de projet
La pédagogie de projet est fortement liée à l’apprentissage coopératif et nous retrouvons
comme initiateurs de cette pédagogie John Dewey aux Etats-Unis d’Amérique (son principe clé
était « learning by doing », apprendre en faisant), Ovide Decroly en Belgique (qui utilisait les
intérêts de l’enfants pour donner sens à l’enseignement), et Célestin Freinet en France. Jean Piaget
a également contribué à la pédagogie de projet en soulignant que l’important dans l’apprentissage
c’est l’activité du sujet.
Inventer des projets en langue est peut-être moins simple qu’en biologie ou en physique. En
biologie, par exemple la constitution d’un herbier permet tout à la fois une récolte sur le terrain,
récolte qui devra subir d’abord une analyse scientifique permettant un classement, puis subir un
traitement assurant sa conservation. Lors de l’apprentissage d’une langue étrangère, les
apprenants sont bien souvent loin du terrain, loin des lieux où est utilisée la langue. En outre, les
manipulations que requiert l’étude de la langue sont assez peu manuelles et concrètes, et sont
plutôt mentales et abstraites, ce qui ne facilite pas les échanges. Ce qui ne signifie pas que l’on ne
puisse pas mener de projets en langue.
La pédagogie de projet a été développée dans les établissements scolaires français, ces
dernières années, par les parcours diversifiés, les travaux croisés, les travaux personnels encadrés
(TPE), le projet pluridisciplinaire à caractère professionnel (PPCP) et, plus récemment, les
itinéraires de découvertes (IDD). Le site réticulaire Eduscol (voir en bibliographie) invite les
enseignants à une découverte interactive de la pédagogie de projet et si les informations qu’on
trouve sur ce site concernent toutes les disciplines, elles peuvent inspirer les enseignants de
français.
Le projet permet de mettre les apprenants dans une situation d’utilisation concrète, de
communication concrète. Il est une source de motivation suscitée par l’aboutissement d’une
réalisation et des objectifs concrets. Il implique un certain nombre de tâches que doivent réaliser
les apprenants de façon active.
Il est essentiel que le projet suscite un intérêt chez les apprenants. L’objet du projet peut être
suggéré par l’enseignant mais doit recueillir l’approbation des apprenants. Il repose sur des
savoirs et savoir-faire déjà acquis et doit permettre l’acquisition de savoirs et de savoir-faire
nouveaux.
Pour obtenir l’adhésion des apprenants au projet, il est important que celui-ci leur soit bien
présenté, que les apprenants en comprennent clairement les objectifs et qu’ils sachent de quels
moyens ils peuvent disposer. Le site réticulaire de Franc-parler propose des grilles de référence
qui présentent les différentes phases de la mise en place d’un projet. J’en reproduis une ici.

En langue, le projet peut être l’objet d’une double communication. Les projets sont, d’une part,
souvent des objets de communication : les apprenants présentent, en langue cible, leur biographie
dans un diaporama, leurs idées dans un article, leurs sensibilités dans une chanson, ou leur
environnement dans un échange épistolaire. Les projets sont, d’autre part, des sources de
communication : pour mener à bien leurs projets, les apprenants doivent communiquer avec
d’autres, dans leur langue maternelle souvent, dans la langue cible parfois. Cette double
communication est bien évidemment la base d’apprentissages de savoirs et de savoir-faire.
Dans un article pour Le français dans le monde, Michel Boiron propose des idées d’activités
qui peuvent faire l’objet d’un projet :
« - Organiser des visites en français (cinéma, théâtre, musée, exposition, etc.), des
randonnées, des voyages d’études (ex. : suivre des itinéraires de découverte des lieux de
vie des écrivains ou retrouver des lieux décrits dans un roman ou dans le manuel), des
rencontres de personnalités francophones habitant la même ville (pâtissiers, boulangers,
restaurateurs, chauffeurs de taxi, etc.), des rencontres d’écrivains, de conteurs,
d’artistes...
- Proposer des échanges : échanges de classes, mais aussi communiquer en français via
Internet avec d’autres classes dans le monde, créer un jumelage avec une classe
francophone en Afrique ou au Canada...
- Organiser une fête en français, une rencontre gastronomique - crêpes, fromages, etc. -
cuisiner ensemble, créer un spectacle en français, etc.
- Élaborer de vrais documents : un site Internet, la version en français du catalogue d’un
musée de la ville, proposer à la mairie, à l’office de tourisme de diffuser le site de la ville
en français sur Internet, etc.
- Passer à une communication immédiate, authentique et non simulée en langue cible :
écrire et publier un journal, etc.
- Participer à des concours »
Le terme « projet » est très à la mode dans l’enseignement des langues étrangères depuis 2001,
depuis que le Cadre européen commun de référence (dont la première version date de 1996, il faut
le souligner) a mis en avant l’approche actionnelle : les manuels de FLE récemment publiés, de
Rond-Point à Alors, proposent tous des « projets », même si sous ce terme les auteurs présentent
des activités très variées et plus ou moins conforme à de véritables projets.
Certains manuels se placent sans problème dans l’approche actionnelle. Tout va bien 1, par
exemple, nous dit dans son Guide pédagogique que « tous – adultes et grands adolescents –
remplissent une fonction sociale déterminée et utilisent à cet effet la langue étrangère », ce qui
amène les auteurs à se situer « dans le courant d’une perspective de type actionnel » (Augé H.,
2004 : 4). Et Tout va bien 1 propose effectivement des tâches au sens où le CECR voudrait
l’entendre. Elles apparaissent dans la table des matières et quatre pages y sont, à chaque fois,
consacrées, comme par exemple, page 57, un « concours culinaire ».
Rond Point 1 est le manuel qui présente de la manière la plus visible (c’est écrit sur la page de
couverture) et de la manière la plus complète l’approche choisie. Il « adopte la perspective
d’apprentissage par les tâches recommandée par le Cadre européen commun de référence pour
les langues » (Denyer M., 2004 : 3). Chaque unité est donc organisée autour d’une tâche grâce à
laquelle les apprenants peuvent communiquer et donc, logiquement, acquérir la langue. Par
exemple, dans l’unité 5 (Labascoule J., 2005 : 47), les étudiants sont mis dans la situation d’une
sélection de candidats qu’ils doivent construire petit à petit.
Mais, dans les projets de ces manuels, se cachent des activités linguistiques et
métalinguistiques qui risquent parfois de faire perdre l’élan que veut habituellement donner la
pédagogie de projets et il faut noter qu’à côté de la communication authentique suscitée par les
tâches, il reste quand même, et nécessairement, dans la situation d’enseignement-apprentissage
une communication de fiction, une communication didactique, et une communication
métalinguistique qui sont apportées par le manuel et non par l’apprenant.

4. Correction et évaluation des acquis


Si l’apprenant découvre seul (ou avec un groupe de pairs) la langue-culture cible, il faut qu’il
soit en mesure de d’évaluer seul (ou avec ses pairs) son apprentissage. Cette évaluation recouvre
la validation de la production et sa correction éventuelle d’une part, et l’évaluation proprement
dite qu’il est possible de mener sous différentes formes.
4.1 La correction.
Dans une pratique traditionnelle d’enseignement magistral et frontal, l’enseignant pourra avoir
tendance, de la même manière qu’il transmet son savoir à ses élèves-récepteurs, à fournir les
réponses à ses questions, à donner la forme correcte exigée dans les activités proposées. La
correction en classe d’une activité est bien souvent prise par les enseignants comme une nouvelle
occasion de faire preuve de leurs compétences et de transmettre leurs savoirs.
La correction en classe par l’enseignant comporte quatre défauts majeurs :
- elle prend du temps ;
- elle est source d’ennui pour les apprenants qui ont réussi l’activité ;
- elle renforce la position de l’enseignant dans le groupe au détriment de celle de l’apprenant ;
- elle ne favorise pas l’autonomisation de l’apprentissage.
La correction systématique des activités en classe n’est pas nécessaire et il faut lui préférer,
pour certaines activités, une auto-correction. Un grand nombre d’activités proposées en classe de
langue pour le réemploi ou le renforcement des acquis sont des activités avec des réponses
uniques : textes à trous, exercices de transformation, questionnaires à choix multiples… Pour
toutes ces activités, il est bien plus rentable, en matière de temps, que l’apprenant vérifie lui-
même s’il a su fournir une réponse qui convient. Les cahiers d’exercices proposés par les manuels
sont habituellement accompagnés des corrigés desdits exercices. Il est, dès lors, fort inutile que
l’enseignant perde du temps à lire en classe ces corrigés.
Lorsque les cahiers d’exercices présents sur le marché ne comportent pas de corrigés, ou
lorsque l’enseignant produit lui-même les exercices, il est profitable que l’enseignant compose et
distribue les corrigés.
Dans mes cours de français langue étrangère, je fournis aux étudiants, au début de chaque
cours, une courte activité sur ce qui a été vu dans le cours précédent. Cette courte activité, qui
assure le démarrage de la séquence d’enseignement, est systématiquement assortie du corrigé et je
ne la commente que si un apprenant m’en fait la demande. Si aucune demande n’est formulée, je
passe directement à la suite de mon programme.
Laisser les apprenants corriger eux-mêmes certaines activités les amène à réfléchir sur leur
production, à réfléchir sur leurs erreurs, à comprendre leurs erreurs et, éventuellement, à
compléter leur apprentissage, d’une manière plus productive que peut le faire une correction
magistrale reçue de façon passive.
À côté de l’autocorrection, la correction par un autre apprenant, ou co-correction, apporte
d’autres avantages :
- lorsqu’une personne lit ses propres productions, ses yeux ne relèvent pas systématiquement,
de façon fort naturelle, les erreurs commises ; en demandant à un tiers de lire, il y a moins de
risques de manquer certaines erreurs ;
- le lecteur peut réfléchir avec l’apprenant-producteur aux erreurs commises et apporter un
complément d’information ;
- chaque apprenant est responsable de l’apprentissage d’un autre et sa place est valorisée dans
le groupe.
Toutes les activités ne se prêtent pas à l’autocorrection, en particulier quand la tâche
d’apprentissage est complexe ou qu’elle requiert des compétences multiples, dans le cas par
exemple de la production écrite d’un texte ou d’une production orale lors d’un exposé. Beaucoup
d’activités peuvent faire l’objet de la co-correction et il est profitable à l’apprentissage de tous
d’interroger le plus possible le groupe d’apprenants dans une phrase de correction avant que
l’enseignant apporte lui-même la correction finale. Lorsqu’un apprenant-correcteur propose une
correction à un apprenant-producteur, il est fréquent que cette correction soit mieux perçue, d’une
part parce qu’elle vient d’une personne de même niveau hiérarchique, d’autre part parce qu’elle
est formulée selon un schéma cognitif qui est proche de celui de l’apprenant-producteur.
4.2 L’évaluation formative
Afin de privilégier l’apprentissage, je veux mettre en place une évaluation qui soit d’abord utile
à l’apprenant, même si le directeur de mon établissement veut m’imposer une évaluation des
apprenants qui soit utile à lui, directeur d’établissement.
Puisque j’ai laissé l’apprenant découvrir la langue-culture, je lui fournis les moyens de vérifier
son apprentissage et sa progression. Mon évaluation est formative si j’apporte à l’apprenant une
rétroaction qui lui permet de vérifier les étapes qu'il a franchies et de relever les difficultés. Mon
évaluation est formative si l’apprenant comprend les erreurs qu’il a commises, s’il parvient à
modifier sa construction cognitive de la langue, et si je fournis à l’apprenant une nouvelle activité
qui lui permette à nouveau de vérifier ses savoirs ou savoir-faire.
L’évaluation formative est un moyen pour l’apprenant de corriger ses erreurs de construction
de la langue et d’atteindre les objectifs spécifiques d’apprentissage qui étaient fixés. Si chaque
objectif d’apprentissage fait l’objet d’une évaluation formative et que des remédiations sont
apportées en cas d’échec d’apprentissage, les objectifs sont nécessairement atteints en fin de
session d’enseignement. Ce qui signifie que la quasi-totalité des apprenants atteint les objectifs
visés, si ces objectifs ont été correctement déterminés.
Bien évidemment, comme le souligne le CECR :
« L’information rétroactive n’a d’effet que si celui qui la reçoit est en position [...] de
s’approprier l’information, c’est-à-dire d’avoir le temps, l’orientation et les ressources
appropriées pour y réfléchir, l’intégrer et mémoriser ainsi l’élément nouveau. Cela suppose une
certaine autonomie, qui présuppose formation à l’autonomie, au contrôle de son propre
apprentissage, au développement des moyens de jouer sur le feed-back. » (CECR, p.138)
Ce qui, en gros, signifie que l’évaluation ne sera réellement perçue comme formative que si
l’enseignant adopte dans sa classe des démarches visant à l’autonomisation de l’apprenant et si
l’apprenant comprend et accepte les démarches méthodologiques mises en place.
4.3 L’autoévaluation
Dans le mot « autoévaluation », il y a « auto ». Ce qui veut dire que c’est l’apprenant qui
réalise l’évaluation et que l’enseignant n’a pas nécessairement besoin d’aller voir ce que fait
l’apprenant. Là encore, le CECR encourage l’utilisation de l’autoévaluation :
« L’auto-évaluation est le jugement que l’on porte sur sa propre compétence […] Le plus
grand intérêt de l’auto-évaluation réside dans ce qu’elle est un facteur de motivation et de prise
de conscience : elle aide les apprenants à connaître leurs points forts et reconnaître leurs points
faibles et à mieux gérer ainsi leur apprentissage. » (CECR, p.144)
Le Conseil de l’Europe a fortement aidé à la mise en place de formidables outils d’auto-
évaluation que sont les Portfolios européens des langues, que tout le monde connaît, bien
évidemment. Ils comportent une partie « compétences langagières » où l’apprenant doit
déterminer ce qu’il sait faire. Ainsi, au niveau A1, dans le PEL pour le collège français,
l’apprenant doit indiquer pour chaque langue, si, pour la compétence « écrire », il peut « copier
des mots, des expresssions… », « remplir un formulaire… » ou encore « écrire des phrases
simples (carte postale), pour donner de mes nouvelles… ».
Les manuels récents reprennent de plus en plus souvent les PEL du Conseil de l’Europe ou en
produisent de nouveaux. Il est donc possible d’espérer que la pratique de l’autoévaluation
connaisse une évolution importante dans les prochaines années.
Les PEL ont été utilisés en classe et il existe d’excellents comptes rendus d’expérience. Je
voudrais en particulier citer l’ouvrage de Daniel Cassany « Memoria de experimentación del PEL
secundaria » dans lequel les apprenants disent, à propos dudit PEL, par exemple :
« C’est utile pour prendre conscience de certains aspects de l’apprentissage des langues. »
« C’est utile pour s’interroger sur le niveau des langues. »
« L’attitude change quant à la partie technique : l’élève a plus d’outils pour apprendre. »
Il est aussi possible de produire des autoévaluations par lesquelles les apprenants peuvent
réellement vérifier, par des activités, ce qu’ils savent faire. Ainsi, pour vérifier la compétence « Je
peux réconforter quelqu’un », l’apprenant est, dans le manuel Connexions 2, invité à réaliser une
courte activité, puis à s’auto-corriger et enfin à chercher lui-même une remédiation à ses
faiblesses (le tout relevant de la seule responsabilité de l’apprenant et l’enseignant n’ayant en
aucun cas à intervenir).
Là encore, la pratique de l’auto-évaluation réclame d’abord, pour sa mise en place, une
redéfinition, chez l’apprenant et chez l’enseignant, du rôle de chacun dans l’enseignement-
apprentissage et d’une prise de conscience de ce qu’est l’apprentissage d’une langue.

5. La réflexion métacognitive
L’auto-évaluation permet à l’apprenant de connaître son évolution dans l’apprentissage des
savoirs et savoir-faire de la langue-culture cible. La réflexion métacognitive, quant à elle, lui
permet de comprendre ses stratégies d’apprentissage (et les stratégies de ses pairs). Il peut ainsi
améliorer ses capacités d’apprentissage et il est plus encore impliqué dans l’enseignement et
l’apprentissage.
C’est une fois encore le CECR qui me guide dans mes choix :
« 6.4.6.5 En ce qui concerne la capacité à apprendre, on attendra/exigera des
apprenants qu’ils développent leurs capacités à apprendre et leurs aptitudes à la
découverte lorsqu’ils acceptent la responsabilité de leur propre apprentissage […]
b. en transférant progressivement la responsabilité de l’apprentissage de l’enseignant
aux élèves et étudiants et en les encourageant à réfléchir à leur apprentissage et à
partager leur expérience avec d’autres apprenants
c. en élevant systématiquement le degré de conscience qu’a l’apprenant du processus
d’enseignement/apprentissage dans lequel il est engagé
d. en invitant les apprenants à participer à l’expérimentation de démarches
méthodologiques différentes
e. en obtenant des apprenants qu’ils identifient leur propre style cognitif et développent
leurs propres stratégies d’apprentissage en conséquence. » (CECR, p.114)
Réfléchir à son apprentissage, partager son expérience d’apprentissage avec d’autres, prendre
conscience du processus d’enseignement/apprentissage, identifier son style cognitif, développer
ses propres stratégies d’apprentissage, tout cela constitue la réflexion métacognitive. Cela signifie
que l’enseignant et l’apprenant doivent mener des activités complémentaires à côté du strict
enseignement-apprentissage de la langue étrangère, qu’ils doivent prendre du temps pour
expliquer les objectifs et les démarches de travail, pour analyser leurs stratégies, les confronter à
d’autres stratégies et expérimenter d’autres pratiques. Prendre du temps pour faire autre chose
qu’apprendre la langue-culture.
Des outils métacognitifs existent déjà. Dans les PEL, on interroge déjà les apprenants sur leurs
stratégies d’apprentissage. Dans l’exemple qui suit, l’apprenant est invité à se souvenir de son
apprentissage antérieur d’autres langues pour voir s’il peut appliquer les même stratégies à la
langue dont l’apprentissage est en cours.

À côté du PEL, il est aussi possible de demander aux apprenants de constituer un carnet de
bord ou journal d’apprentissage dans lequel ils notent, après chaque séquence, quelles activités ils
ont pratiquées, ce que ces activités leur ont apporté, comment ils ont appris, quelle a été leur
attitude, comment ils ont perçu ce que l’enseignant a voulu mettre en place, etc. Le carnet de bord
a donc pour vocation de servir d’aide-mémoire, d’enregistreur, de greffier des sentiments qui se
dégagent durant l’apprentissage, il sert de base à une analyse de l’apprentissage, permet une
verbalisation des processus métacognitifs qui restent habituellement privés et non dits. La mise en
commun des réflexions métacognitives, avec l’ensemble des apprenants et avec l’enseignant, en
cours d’apprentissage de la langue, permet d’améliorer l’apprentissage. Il permet de déconstruire
les représentations sur la langue-culture cible, les représentations sur la méthodologie
d’enseignement et les représentations sur le fonctionnement cognitif en situation d’apprentissage.
Nous avons, dans mon université, demandé à des étudiants français et à des étudiants étrangers
de constituer de tels carnets d’apprentissage. Certaines remarques permettent réellement de
travailler sur la méthodologie ; quatre exemples :
« J’ai compris la construction de la phrase “comment t’appelles-tu ?” grâce au mot
“nom” uniquement, mais sinon il a été assez difficile de concevoir qu’une telle structure
grammaticale puisse exister : toi - appeler - comment - nom. »
« À chaque nouvelle phrase, j’ai essayé de me formuler ma propre règle de grammaire
que je pouvais modifier au fur et à mesure que le cours avançait. Une fois le cours
terminé, je recopiais sur une feuille à part les règles que j’avais trouvées et qui avaient
été confirmées par le professeur au cours de son bilan. »
L’analyse de l’ensemble de ces réflexions doit nécessairement être menée de façon conjointe
par l’enseignant et les apprenants pour rassurer et encourager les apprenants, supprimer les
ambiguïtés et chercher de nouvelles stratégies. Le seul fait de réserver un temps pour débattre sur
l’apprentissage est ressentie de façon très positive par les étudiants : ils ont le sentiment d’être pris
en compte dans le processus d’enseignement-apprentissage et découvrent l’enseignant sous un
nouveau jour. Toutefois, cette réflexion sur l’apprentissage a une contrepartie : lorsque l’on
demande aux apprenant de réfléchir à la manière selon laquelle s’est déroulé l’apprentissage, l’on
en vient inévitablement à réfléchir à la manière selon laquelle s’est déroulé… l’enseignement.
L’enseignant doit donc être en mesure de remettre en question ses façons d’enseigner et en
mesure d’accepter la critique (positive ou négative, toujours constructive bien sûr) par ses
apprenants. Mais l’on peut supposer qu’un enseignant qui a déjà favorisé l’autonomisation de
l’apprenant, la pédagogie de la découverte, la pédagogie de projet et l’auto-évaluation est prêt à
recevoir les analyses que font les apprenants de sa manière d’enseigner…
Bien sûr, il faut considérer les activités métacognitives comme les autres activités de la classe.
Avant de proposer une activité métacognitive aux apprenants, il faut que l’enseignant se l’impose
à lui-même, de la même manière qu’il fait les exercices de grammaire avant de les donner aux
apprenants ou qu’il s’essaie à des activités d’expression corporelle avant de proposer des activités
théâtrales au groupe-classe. L’enseignant doit donc réfléchir à sa propre manière de penser et à
ses propres processus d'apprentissage. Il s'interroge donc, par exemple, sur son rapport à la lecture
et sur la manière dont il s'y est pris pour se l'approprier, s'interroge sur ses connaissances relatives
aux tâches et aux stratégies, et s’interroge sur les situations à mettre en place pour favoriser une
réflexion métacognitive de l'apprenant.
Toutefois, l’autonomisation des apprenants est nécessairement un acte volontaire de
l’enseignant qui est le seul, dans sa classe, à décider du degré de guidage et d’autonomie qu’il
veut accorder aux apprenants. Pour que les apprenants puissent véritablement apprendre de façon
autonomisante, il faut que l’enseignant parvienne à comprendre qu’il ne doit plus « enseigner ».
C’est un savoir-être professionnel qui est à acquérir et que l’on ne trouve, prêt à l’emploi, dans
aucun livre.
En présence de grands groupes, si l’enseignant souhaite que chacun des apprenants ait la
possibilité d’apprendre, il lui faut nécessairement faire exploser le groupe-classe et adopter pour
principe de base l’autonomisation.
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