Nouveaux Modles Conomiques de La Mode Pages

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NOUVEAUX

Les

MODÈLES
ÉCONOMIQUES
MODE
de la

© Institut Français de la Mode - Allyssa Heuze

Une étude commandée par les organisations professionnelles de la mode et de l’habillement

Réalisée par
3

Éditorial
La mode se renouvelle, sans cesse, c’est dans sa nature. Elle cette incroyable diversité, quelques fondamentaux sont
se transforme de manière accélérée et profonde depuis communs à toutes les entreprises du secteur comme la
quelques mois en particulier sous l’effet de l’émergence de clarté de la cible clients, le contenu immatériel de la marque
nouveaux acteurs et surtout de la profonde évolution des au-delà du produit, la capacité à exploiter la data, la stratégie
modes de consommation. Ce mouvement concerne l’en- RSE ou l’hybridation des modes de distribution.
semble de notre secteur. C’est pourquoi, collectivement, en
qualité d’acteurs transversaux au service de cette filière, Ces recherches révèlent également le rôle central des diri-
nous avons mené un exercice de réflexion stratégique sur les geants pour réaliser ces transformations, en fonction de leur
nouveaux modèles économiques qui dessinent et vont des- positionnement sur le marché, leur culture et les situations
siner l’écosystème de la mode. particulières de leurs entreprises.

Plus précisément, nous avons souhaité identifier les partis Cette étude est inédite, par son ampleur, par sa hauteur de
pris et les dynamiques qui sous-tendent les métamorphoses vue et par les clés opérationnelles qu’elle propose à ses lec-
de notre secteur. Nous avons mobilisé nos réseaux, les diri- teurs. Elle représente aussi un guide pratique ayant vocation
geants d’entreprises et les experts les plus performants de à accompagner pas à pas les acteurs économiques dans leur
notre industrie pour qu’ils partagent avec nous les clés de transformation.
leurs réussites. Nous les en remercions sincèrement. Nous sommes convaincus qu’elle vous sera utile pour guider
Il ressort de ce travail collectif, qu’il n’y pas un seul modèle vos pas dans les années qui viennent.
gagnant, mais des options nombreuses. Pour autant, malgré

Guillaume de Seynes, Lucien Deveaux,


Président, CSF Mode et Luxe Président - DEFI La mode de France

Christian Pimont,
Président, Alliance du Commerce
Pierre-François Le Louët,
Président, Fédération Française
du Prêt à Porter Féminin
Marc Pradal,
Président, Union Française des
Industries Mode et Habillement
Claude Tétard,
Président, Fédération Française
des Industries du Vêtement Masculin
Alain de Rodellec,
Président, Promincor –
Lingerie Française
Pascal Morand,
Président Exécutif, Fédération
de la Haute Couture et de la Mode
4 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

CSF MODE ET LUXE Le Comité Stratégique de Filière Mode et Luxe (CSF) est un des 18 CSF labellisés au sein du
conseil National de l’Industrie. L’objectif du CSF est d’instaurer un dialogue concret, performant
et régulier entre l’Etat, les entreprises et les représentants des salariés sur tous les sujets-clés
qui favorisent le dynamisme et la compétitivité de la filière. Présidé par Guillaume de Seynes,
les objectifs stratégiques sont partagés dans le contrat de filière signé en janvier 2019.

Contact : [email protected]

DEFI – LA MODE Financeur de l’étude sur les nouveaux modèles économiques de la mode, le DEFI est une plate-
forme originale créée en 1984 au service de l’accélération et de la transformation des 4 500
DE FRANCE entreprises de la mode et de l’habillement françaises. Le DEFI finance, anime et encourage des
actions concrètes dédiées à la croissance des entreprises et de la filière, à l’émergence d’une
mode responsable, à la stimulation de l’innovation numérique et technologique, à la promotion
de la fabrication et des savoir-faire français et au développement de l’image de la France dans
ce secteur. En lien avec l’ensemble des fédérations professionnelles, le DEFI permet une soli-
darité unique entre petites et grandes entreprises et offre un lieu de débat stratégique sur les
sujets transversaux essentiels au secteur en France comme dans le monde.

Contact : [email protected]

ALLIANCE DU Organisation professionnelle leader dans l’équipement de la personne, l’Alliance du Commerce


réunit les grands magasins, les magasins populaires et les enseignes de l’habillement et de la
COMMERCE chaussure, soit 450 enseignes, 180 000 salariés et 27 000 points de vente implantés aussi
bien au cœur qu’en périphérie des villes. Face à l’émergence de nouveaux acteurs en ligne et
à la profonde évolution des habitudes des consommateurs, l’Alliance du Commerce a déve-
loppé divers outils, dont un guide pratique sur la mode responsable et des formations spéci-
fiques, pour aider les acteurs de la mode à réaliser leur transformation écologique et numé-
rique. Facilitateur d’échanges et de concertation, l’Alliance du Commerce accompagne ses
adhérents dans leur transition vers un modèle économique plus durable et pérenne, en ré-
ponse aux nouvelles attentes des consommateurs.

Pour en savoir plus : www.alliancecommerce.org


Contact presse : Hélène Baratte, Responsable Communication
de l’Alliance du Commerce – 01.40.15.00.77

FÉDÉRATION La Fédération Française du Prêt à Porter Féminin a pour mission de rassembler et de repré-
senter les entreprises de mode, mais aussi de les accompagner pour faire face aux défis
FRANÇAISE DU qu’elles affrontent. Elle accélère leur développement en déployant des actions innovantes en
France et à l’international. Forte de la diversité de ses adhérents, marques et fabricants,
PRÊT À PORTER grandes et petites entreprises, qui traduit la diversité des modèles économiques et des terri-

FÉMININ toires, la Fédération propose aux dirigeants des entreprises de mode un accompagnement
opérationnel sur les principaux enjeux du secteur que sont notamment la transformation di-
gitale, le wholesale, le financement des marques, le développement durable, l’export et la
formation. Elle les conseille également dans leurs stratégies. En s’appuyant sur la puissance
de ses marques et de l’industrie, la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin fait rayonner
l’écosystème de la mode française dans l’économie mondiale par ses opérations collectives,
notamment à l’international, et porte sa voix auprès des instances gouvernementales. Le
réseau de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin est constitué de dirigeants de
l’industrie de la mode qui jouent un rôle de supervision, de soutien et de conseil conjoint sur
les problèmes clés auxquels est confrontée l'industrie créative française. Présidée par
Pierre-François Le Louët, la Fédération regroupe huit syndicats régionaux représentant l’en-
semble du territoire français.

Contact : [email protected]
5

FÉDÉRATION La Fédération Française des Industries du Vêtement masculin (F.F.I.V.M.) rassemble les acteurs
industriels du prêt-à-porter masculin, de la mode enfantine et du vêtement d’image et de
FRANÇAISE DES fonction. Elle accompagne les entreprises dans leur développement commercial tant en
France qu’à l’exportation. Dans ce cadre, la Fédération assure un rôle d’information et d’anti-
INDUSTRIES DU cipation face aux mutations que connait le secteur de l’Habillement. Si le lien entre les entre-

VÊTEMENT prises créatrices, le secteur de la distribution et les consommateurs est à réinventer, il ne peut
l’être qu’en respectant l’ADN de chacun des acteurs ce qui est le propre de toute activité de
MASCULIN création. Les échanges au sein de la Fédération ont facilité la diffusion de ‘’bonnes pratiques’’
tant dans le domaine de la RSE que dans celui de la gestion des fabrications et donc de la
gestion au plus près des besoins des collections. Les entreprises doivent maintenant aller plus
loin et passer un cap pour répondre aux défis et aux attentes du marché. Les analyses et les
pistes prospectives de cette étude vont les aider à proposer leurs propres réponses.

Contact : [email protected]

PROMINCOR – Promincor - Lingerie Française, Association loi 1901 créée en 1960, rassemble, autour de valeurs
communes, les marques françaises de Lingerie-Corseterie. Elle met en exergue l’excellence du
LINGERIE métier de corsetier, de ses conceptions originales et de ses gestes si précis, qui ont donné, à la
France, sa réputation de leader depuis le premier modèle de soutien-gorge, breveté à Paris en
FRANÇAISE 1889. Au travers d’événements, conférences de presse, défilés, expositions, salons…, son objectif
est de permettre aux marques françaises de s’exprimer d’une seule et même voix sur la scène
mondiale. L’ambition de Promincor - Lingerie Française est de promouvoir cette profession en
exposant ses multiples facettes à tous les professionnels du secteur, comme auprès du grand
public. Au-delà de son rôle de promotion et de rayonnement de la filière de la Lingerie-Corse-
terie, elle réalise également une veille permanente des marchés, des tendances et des inno-
vations en France et à l'international. Ainsi, par ses actions de formations, ses missions de
prospection, ses études de marchés, ses conseils personnalisés…, Promincor - Lingerie Fran-
çaise aide les marques à se développer sur les marchés en forte croissance tels que l’Amérique
du Nord, l’Asie Centrale et l’Europe de l’Est et sur les marchés émergents, à proposer des
produits innovants et une offre plus équilibrée, et à mieux cerner les nouvelles attentes des
consommateurs pour plus d’agilité, d’éthique, de transparence et de responsabilité dans la
filière de la Mode.

Contact : Karine Sfar, Déléguée Générale, [email protected]

FÉDÉRATION DE LA La Fédération de la Haute Couture et de la Mode rassemble les marques de mode privilégiant
la création et le développement international. Elle vise à promouvoir la culture française de
HAUTE COUTURE ET mode, où la Haute Couture et la création tiennent le premier rôle en combinant en toutes cir-
constances savoir-faire traditionnels et technologies contemporaines. Elle est aussi sélective
DE LA MODE qu’elle est internationale et compte cent dix membres, parmi lesquels figurent les marques les
plus emblématiques de la scène mondiale et dont la moitié sont des marques françaises. Elle
comprend trois Chambres Syndicales (Haute Couture, Mode Féminine, Mode Masculine). Elle
coordonne la Paris Fashion Week et la semaine de la Haute Couture, ainsi que leurs versions
online, assurant à Paris le leadership mondial. Outre les services de différentes natures qu’elle
apporte à ses membres, elle est très engagée dans le soutien à la jeune création ainsi que dans
la formation. Elle participe activement au développement du nouvel Institut Français de la
Mode, auquel elle a fait l’apport de l’École de la Chambre syndicale de la couture en 2019. Elle
représente ses membres dans les instances publiques et professionnelles nationales et inter-
nationales et joue un rôle de think tank en lien étroit avec eux, notamment pour tout ce qui
concerne la création, la propriété intellectuelle, l’innovation et le développement durable.

Contact : [email protected]
6 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

Éditorial03 Partie 1 17
Les nouveaux paramètres
Les auteurs de l’étude 08 des modèles économiques
de la mode
Remerciements09 Culture et dynamique de transformation ______ 20
L’entreprise alerte, une espèce qui s’impose______________  22
La culture d’entreprise au service de la transformation______  25
Introduction11
La mutation des chaînes de valeur _____________ 31
Dépasser la sidération et intégrer _____________ 11
La réinvention du calendrier de l’offre ___________________  36
les changements de paradigmes
Plus de flexibilité et de réactivité _______________________  42

Une nécessaire réinvention, ___________________ 11 L’optimisation des soldes et des promotions______________  45

individuelle et collective
L’approche par la valeur client _________________ 47
Des thèmes amplifiés par le changement ______ 12
Le client, nouvel actif des marques _____________________  48
de paradigmes
La data pour accroître la valeur client ___________________  48
Un nouveau cockpit de pilotage de l’activité ______________  52
Contexte et objectifs de l’étude ________________ 14
et des investissements
La mise en œuvre de sa stratégie data __________________  53
Méthode _______________________________________ 14 au service de la valeur client

La RSE, au cœur des modèles économiques ___ 56


de la mode

Table
La RSE, de l’engagement à l’opérationnalisation ___________  58
Le « Made In » et la préservation de savoir-faire __________  65
La seconde main___________________________________  68
La location ______________________________________  71

des Innovation et technologies, ____________________ 74


boosters de demain
Les innovations spécifiques du secteur __________________  76

matières Les technologies transversales qui bouleversent le secteur __  79


Innovations organisationnelles et nouveaux ______________  82
partenariats industriels
7

Partie 2 87
Les caractéristiques
des modèles gagnants
Les marques de création ______________________ 90 Le segment milieu de gamme _________________ 122
Caractéristiques communes __________________________  90 Caractéristiques communes _________________________  122
Zoom n° 1 : Enjeux clés des marques de création ___________  93 Zoom n° 1 : les acteurs milieu de gamme ________________  125
au chiffre d’affaires compris entre 2 M€ et 5 M€
Zoom n° 2 : les DNVB et plateformes avec _______________  128
Zoom n° 2 : Enjeux clés des marques de création __________  96 un chiffre d’affaires inférieur à 50 M€
au chiffre d’affaires compris entre 5 M€ et 20 M€
Zoom n° 3 : Enjeux clés des marques de création __________  98
au chiffre d’affaires compris entre 20 M€ et 50 M€ Le segment d’entrée de gamme_______________ 130
Caractéristiques communes _________________________  130

Le segment premium et luxe abordable _______ 106 Zoom n° 1 : Les acteurs référents de l’entrée de gamme ____  133
Zoom n° 2 : Les « nouveaux acteurs » de l’entrée de gamme __  135
Caractéristiques communes _________________________  106
Zoom n° 1 : Enjeux clés des blockbusters internationaux ____  109
Zoom n° 2 : Enjeux clés des marques créatives ____________ 112 Mise en perspective des modèles ___________  138
Zoom n° 3 : Enjeux clés des nouvelles générations _________ 117
gagnants post-crise
de marques créatives

Conclusion139
8 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

Les auteurs de l’étude


Kea&Partners est un cabinet de conseil en stratégie et L’Institut Français de la Mode réunit depuis janvier 2019
management. À l’international, Kea&Partners forme un l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne,
groupe, The Transformation Alliance, fort de 500 consul- reconnue pour l’excellence de ses formations techniques, et
tants – dont 200 en France – et de 15 bureaux sur 5 l’IFM, pionnier de la formation au management de la mode.
continents :
Établissement d’enseignement supérieur, centre de for-
Casablanca - Düsseldorf - Hong Kong - Londres - Lyon mation d’apprentis et de formation continue et centre
- Milan - Munich - New York - Paris - Rome - Sao Paulo d’expertise pour les industries du textile, de la mode et du
- Stockholm - Sydney - Vienne – Zurich luxe, l’Institut Français de la Mode propose des forma-
tions allant du CAP au doctorat, en décloisonnant la créa-
En France, la moitié de son chiffre d'affaires est réalisé tion, le management et les savoir-faire.
dans le secteur des biens de consommation et la distribu-
tion. Depuis plus de 20 ans, Kea&Partners accompagne Il propose désormais :
les dirigeants des filières Mode, Luxe et Retail pour rele-
ver leurs défis stratégiques. • Des programmes de formation initiale et supérieure
en création de mode, en management de la mode et
Ses équipes spécialisées– stratégie, innovation, digital, en savoir-faire technique
data, excellence des opérations, management, RSE… –
• Un centre de formations d’apprentis
sont à vos côtés pour répondre aux questions qui déter-
minent l’avenir de votre entreprise et mener l’action. • Des programmes de formation continue courts, certi-
fiants ou sur mesure pour les entreprises et maisons
En mars 2020, Kea & Partners a adopté le statut de Socié-
té à mission, au sens de la loi Pacte, se posant ainsi en • Des cours d’été
précurseur dans le secteur du conseil en stratégie.
• Une activité de recherche académique produisant des
Plus qu’un amendement juridique, il s’agit d’une inflexion publications dans le domaine de l'économie mais
stratégique majeure pour le cabinet afin d’accélérer sa aussi des sciences sociales et humaines appliquées à
transformation en responsabilité ainsi que celle de ses la mode et au design
clients, en réponse à la nécessaire réinvention des mo-
• Un Observatoire Économique proposant des outils de
dèles économiques.
pilotage pour les professionnels du secteur et une
"Entreprendre les transformations pour une économie analyse au quotidien de la consommation et de la dis-
souhaitable'' telle est sa raison d'être. tribution de mode

• Une des bibliothèques spécialisées les plus com-


plètes en France

L’Institut Français de la Mode est membre d'HESAM Univer-


sité, de la Conférence des grandes écoles et de l’International
Foundation of Fashion Technology Institutes (IFFTI). Il béné-
ficie du soutien du Ministère de l’Économie et des Finances et
est reconnu par le Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Céline Choain, Senior Partner Xavier Romatet, Directeur général de l'IFM


[email protected] [email protected]
Igor Chaine, Directeur de l'étude Franck Delpal, Directeur de l'étude
[email protected] [email protected]

Clarisse Madeline, Consultante Sylvie Coumau, Consultante


Rémi Philippe, Consultant Grégoire Orfanos, Consultant
9

Remerciements
Les auteurs remercient tous les dirigeants,
entrepreneurs, managers et experts qui ont accepté
d’échanger sur leur vision de la dynamique du secteur et
ont permis d'apporter un éclairage riche et précis sur les
enjeux des entreprises de la filière aujourd'hui.

Jérôme Helffer Institut pour le financement du Les auteurs remercient également


cinéma et des industries culturelles les experts issus des équipes de
1083, Sébastien Rochier
(IFCIC), Nicolas Trichet Kea&Partners et de l'IFM : pour Kea,
ACNE Studios, Edouard Schneider Julie El Ghouzzi et Adrien Senez ;
Isabel Marant, Sophie Duruflé
pour l'IFM, Andrée-Anne Lemieux,
AMI Paris, Nicolas Santi-Weil
Kiabi, Elisabeth Cunin Benjamin Simmenauer et Laurent
ANDAM, Nathalie Dufour Raoul.
L Catterton, Eduardo Velasco
Ba&sh, Pierre-Arnaud Grenade
LVMH, Sydney Toledano
Balenciaga, Cédric Charbit Merci à Camille Palandjian pour
La Redoute, Nathalie Balla
le graphisme et la mise en page
Bonne Gueule, Benoît Wojtenka,
Lemaire, Catherine Jacquet de ce document.
Geoffrey Bruyère
Maison Kitsuné, Gildas Loaëc
BIP Investment Partners,
Estelle Fornallaz Marine Serre, Pepijn Van Eeden
Bpifrance, Delphine Le Mintier-Jonglez NEO Investment Partners, FHCM,
Ralph Toledano
Chanel, Bruno Pavlovsky
Officine Générale, Pierre Mahéo
Chics Types, Antoine Régis
Paco Rabanne, Bastien Daguzan
Chloé, Riccardo Bellini
Printemps, Aymeric de Beco
Daco, Paul Mouginot
Promod, Nadine Caux
De Rigueur, Adrien Deslous-Paoli
Roseanna, Barbara Quaranta
Experienced Capital Partners,
Frédéric Biousse Suncoo, Carole Deleuse-Gojon
Farfetch, Pascale Colony Tekyn, Donatien Mourmant,
Agnès Vernier
Fusalp, Alexandre Fauvet
The Other Store, Yann Rivoallan
Galeries Lafayette, Olivier Josso,
Sybille Darricarrère Lunel Tomorrow, Stefano Martinetto
Ganni, Andrea Baldo Uptrade, Charlotte Billot,
Eléonore Rothley
Groupe Beaumanoir, Jérôme Drianno
XLc, Laurent Raoul
Groupe Etam, Laurent Milchior
Y/Project, Gilles Elalouf
Hermès, CSF Mode et Luxe,
Guillaume de Seynes
10
LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

© Institut Français de la Mode - Jean Picon / Say Who


11

Introduction
DÉPASSER LA SIDÉRATION ET UNE NÉCESSAIRE
INTÉGRER LES CHANGEMENTS RÉINVENTION, INDIVIDUELLE
DE PARADIGMES ET COLLECTIVE
Pour la seconde fois depuis le début du millénaire, l’éco- Le secteur de la mode est, peut-être plus que d’autres, ca-
nomie mondiale fait face à une crise, cette fois-ci d’une pable de prendre à bras le corps cette nécessaire réinven-
gravité inédite comparée à celle de 2008-2009. L’impact tion. Nourrie par de nombreuses initiatives collectives visant
du Covid-19, encore difficile à circonscrire à ce stade, à mettre en lumière de bonnes pratiques tant sur l’amont
sidère déjà par son ampleur. Il peut sembler vain de cher- que sur l’aval (Forums de la Mode, Comité Stratégique de
cher des références historiques dans les précédentes Filière) ou à définir un avenir souhaitable (opérations Scé-
crises économiques ou sanitaires : la nature du choc est narii 2020 puis 2030 portées par le R3iLab), la mode avait
différente en ce qu’elle combine à un degré aigu des pro- déjà engagé une réflexion importante sur la manière d’assu-
blématiques jusqu’ici séparées dont les effets néfastes rer sa pérennité en conciliant des objectifs aussi variés que
se renforcent mutuellement. le soutien à la création, le maintien d’une base industrielle
ou les exigences liées au développement durable.
L’ampleur de cette crise peut amener plusieurs réflexions
en ce qui concerne la filière mode : La crise actuelle est une opportunité pour impulser des
changements désormais inéluctables. La mode, constam-
• Aucun acteur ne sera épargné par ses conséquences ment appelée à renouveler ses manières de faire, ne sau-
profondes, quel que soit son modèle économique
rait faire l’économie d’une mutation profonde. Elle y est
(chaîne, marque) ou son positionnement prix. Au-de-
préparée car la quête de sens, qui conduisait un nombre de
là des chutes vertigineuses de chiffre d’affaires ob-
plus en plus grand d’observateurs à appeler à une remise à
servées, il semble évident que de nouveaux para-
plat du système de la mode, est déjà bien ancrée dans les
digmes, tant du côté des consommateurs que du côté
esprits, particulièrement au sein des jeunes générations.
des marques, émergent. Certains amplifieront des
comportements déjà émergents, d’autres constitue- Pour autant, cette réinvention doit porter plusieurs exigences,
ront des ruptures dans les pratiques observées qui témoignent de l’ambition du secteur concernant son
jusqu’à présent. avenir. Cette industrie qui, rappelons-le, pèse en France plus
• Aucun acteur n’était préparé à une telle crise. Ce qui de 154 milliards de chiffre d’affaires de l’amont à l’aval, pâtit à
signifie que cette crise pourrait accentuer des dispa- la fois d’une méconnaissance de son impact économique réel
rités de performances entre catégories d’acteurs, et d’un a priori négatif quant à son impact environnemental.
avec un risque de dégradation pour tous. Les plus Elle doit donc s’affirmer comme un secteur œuvrant à une
fragiles entrent dans une zone dangereuse, les plus croissance soucieuse des hommes et de la planète. Cette
puissants dans une zone de vigilance accrue mais crise n’est-elle pas une formidable opportunité pour transfor-
également d’opportunités nouvelles. mer la prise de conscience en actions concrètes ?

Après la gestion de l’urgence visant à assurer la pérennité L’attitude des entreprises du secteur depuis le début de la
et le maintien des fonctions vitales des entreprises du crise, quelle que soit leur taille ou leur position dans la chaîne
secteur, doit venir le temps de la stratégie et de l’antici- de valeur, témoigne de cette volonté d’exemplarité : produc-
pation des mutations en cours. C’est le sens du travail tion de masques, de gels, ventes de charité et soutien aux
présenté dans ce document, qui propose à la fois un acteurs publics engagés dans la lutte contre le virus… Sous
éclairage sur les composantes des modèles économiques de nombreuses formes, la mode a saisi cette opportunité de
à succès du secteur et un outil d’anticipation sur les dé- se mettre au service du bien commun, à l’instar de la plate-
cisions-clés à prendre dans une optique de développe- forme Savoir Faire Ensemble, lancée par Yves Dubief et Guil-
ment ou de redéploiement. laume Gibault, regroupant des entreprises textiles françaises
produisant des masques et surblouses à destination des
professionnels et du grand public.
12 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

Cet esprit de filière a également des traductions tangibles L’incertitude forte qui pèse sur la consommation rend
dans les relations intra-sectorielles et notamment entre vitale des modèles ultra flexibles et hybridés, qui per-
l’amont et l’aval de la filière. Contrairement à la séquence mettent une variabilisation des coûts (vs des modèles de
2008-2009, une certaine solidarité a prévalu entre don- coûts fixes actuels).
neurs d’ordres et sous-traitants. Cette prise en compte
des intérêts collectifs peut amener les acteurs de la filière Le troisième thème concerne la création de valeur par le
à des pratiques nouvelles, fondées sur la coopération et client. La mise en place d’une approche par la valeur
le renforcement d’un véritable écosystème. client est inspirée par la réussite d’acteurs qui se reven-
diquent comme « client centric » (acteurs digital native
Les stratégies propres à chacun ne doivent cependant en particulier). Plus que jamais la richesse du lien
pas être perdues de vue et sont précisément l’objet de ce consommateur à chaque point de contact (y compris pré
rapport. Celui-ci s’articule en deux parties : et post-achat) constitue un facteur de succès essentiel.
La manière de communiquer et d’interagir avec le client,
La première partie détaille cinq thèmes de nature à bâtir le fait qu’il se sente partie prenante d’une véritable com-
ou à renforcer la singularité des modèles économiques munauté de valeurs sont quelques pistes qui seront dé-
existants dans le secteur. Ces thèmes sont transversaux taillées par la suite. Les scénarios d’évolution vers un
et concernent l’ensemble des entreprises, quelle que soit modèle de distribution directe au consommateur (D2C,
leur taille, leur niveau de gamme ou leur modèle écono- direct to consumer) pour des marques traditionnellement
mique actuel. wholesale, ne sera pertinent que si elles intègrent en pa-
La seconde partie est dédiée à la caractérisation de « mo- rallèle les compétences essentielles pour exceller sur les
dèles économiques gagnants » d’aujourd’hui et de demain. plans relationnel et transactionnel (ex : gestion des com-
Une vingtaine de modèles économiques ont été identifiés, munautés, approche par la data client).
illustrés en intégrant les spécificités de chaque segment de Le quatrième thème est celui de la RSE (responsabilité
marché et ses étapes de développement. sociétale des entreprises), qui prend dans le secteur de
la mode une expression protéiforme. De nombreux chan-
DES THÈMES AMPLIFIÉS tiers sont déjà avancés, en particulier sur la dimension
environnementale (sourcing, écoconception). Les dimen-
PAR LE CHANGEMENT sions sociales et sociétales (sauvegarde de l'emploi et
DE PARADIGMES préservation de la filière) vont devenir de plus en plus
critiques au regard de l’actualité immédiate.
Les nouveaux paramètres des modèles économiques ont
été investigués et consolidés en 5 thèmes. Chacun prend Enfin le dernier thème est celui de l’innovation, qu’elle soit
aujourd’hui une coloration nouvelle pour tous : amplifica- technologique ou organisationnelle. Les principaux
tion, absolue nécessité ou nouvelle piste de réflexion enjeux sont la traçabilité, la fiabilité et l’efficacité des
opérations mais également la possibilité de répondre à de
Le premier thème est celui de la culture d’entreprise et de la nouveaux usages et de nourrir la création. Des éléments
capacité à transformer les organisations, les pratiques et le de réponse sont prometteurs dans le tour d’horizon pro-
management pour rendre les entreprises alertes et agiles. posé dans ce document, qui ne prétend pas à l’exhausti-
L’implication croissante des collaborateurs, leur responsabi- vité. Les briques technologiques qui sont aujourd’hui à la
lisation sont des accélérateurs majeurs de la transformation disposition des entreprises constituent probablement
dans de nombreuses sphères de l’entreprise. l’axe de différenciation le plus radical même s’il n’en est
encore qu’à ses balbutiements. Une nouvelle fois, une
Le deuxième thème est consacré à la chaîne de valeur
véritable réflexion sur la manière d’opérationnaliser cette
des marques, les modèles commerciaux et modèles mar-
dimension est une condition de réussite incontournable.
chandises. De nouvelles approches, qui vont de la désai-
sonnalisation au drop, en passant par la précommande, En fonction de son profil et de son degré de maturité sur
ont démontré leur intérêt marché et économiques : dési- ces différents sujets, chaque acteur peut s’auto-évaluer
rabilité, réduction du besoin en fonds de roulement et de et imaginer quel sera pour lui la façon la plus pertinente
la démarque. Elles impliquent de nouvelles approches en de se réinventer.
matière de sourcing. L’hybridation accélérée et non subie
des modèles de vente face à une concurrence accrue
et un trafic en berne sont également incontournables.
13

EN UN CLIN D’ŒIL

Enseignements de l'étude
CINQ THÈMES
À EXPLORER
- Culture et dynamique de transformation
DES PRÉREQUIS - Refonte du modèle marchandise
POUR TOUS - Approche par la valeur client

- Singularité de la proposition de valeur - RSE au cœur du modèle économique

- Clarté de la cible clients - Innovation et technologies


dans la chaîne de valeur
- Brand content, au-delà du produit
- Activation d’une stratégie RSE
- Capacité à s’ouvrir sur l’international
- Excellence opérationnelle
et KPI de suivi
- Animation de la relation
client

DES FACTEURS
DE RÉSILIENCE
POUR RÉUSSIR LES CARACTÉRISTIQUES
POST COVID TRANSVERSES DES
- Cohérence du modèle opérationnel MODÈLES GAGNANTS
avec la proposition de valeur
- Frugalité des dépenses marketing
- Gestion du cash vs gestion de l’EBITDA
- Capacité à exploiter la data (clients, produits)
- Capacité à variabiliser les coûts
- Modèles commerciaux hybridés
- Accès à des sources de financement
- Appréhension des nouvelles dynamiques internationales
- Structure capitalistique avec (glocal vs mega cities)
un horizon long terme
- Raison d’être portée par les équipes et claire pour les clients
- Maturité digitale et e-commerce
- Culture de l’innovation (produits, expérience clients,
- Personnalité du dirigeant communications)
14 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

CONTEXTE ET OBJECTIFS MÉTHODE


DE L’ÉTUDE Le travail a été structuré en deux étapes clés :
L’ensemble des fédérations de la mode, avec le soutien du • Étape 1
DEFI, a lancé l’étude Nouveaux modèles économiques identification et investigation des thèmes clés
dans la mode en janvier 2020. Elle s’inscrit dans une série
d’initiatives des organisations professionnelles visant • Étape 2
d’une part à fournir un éclairage renouvelé sur les problé- analyse et modélisation des modèles
matiques actuelles du secteur, et d’autre part à proposer économiques gagnants
des pistes de réflexion et de transformation pour l’en- Pour mener à bien ces deux étapes, trois types de travaux
semble des acteurs de la filière. ont été entrepris :
Initiée avant la crise, cette étude voit son utilité renforcée • Réalisation d’une quarantaine d’entretiens avec des
pour nourrir l’intense travail de réflexion sur les voies et parties prenantes du secteur (dirigeants, investis-
moyens de réinvention d’une filière déjà marquée par des seurs, acteurs institutionnels, experts) pour recueillir
mutations profondes. leur vision de la filière, de leur segment de marché et
des facteurs de succès des modèles gagnants
Cette étude a pour but d’éclairer aussi bien les entrepre-
neurs de la mode que les dirigeants dans leurs réflexions • Analyse d'informations financières publiques, pour
stratégiques sur la création et la transformation des mo- identifier les modèles gagnants (croissance continue
dèles gagnants. du chiffre d’affaires au cours des trois dernières
années, taille critique, rentabilité du modèle)
Les fédérations professionnelles souhaitent accompa-
gner le développement des acteurs de la mode, quelle • Recherches ad hoc (bases de données spécialisées,
que soit leur nature, leur segment de marché ou leur études IFM, Revue Kea & Partners, presse)
niveau de maturité. L'étude s’adresse à tous ceux qui
souhaitent comprendre les clés de succès, les phases de Des zooms spécifiques sont présents dans les chapitres
développement et les défis associés à chacun de ces mo- de ce rapport :
dèles économiques. À la fois pédagogique et pratique, « À retenir »
elle propose une grille de lecture simple et des leviers synthèse des idées abordées
clairs à activer. Pour les dirigeants, elle fournit des outils dans chaque chapitre
pour évaluer la maturité de leurs marques sur les diffé-
rents sujets et pour identifier des pistes d’action à mettre
« Pépite »
en œuvre.
illustration d’une marque inspirante
Nous avons structuré notre étude autour de deux parties :
« Fiche pratique »
1. Une analyse des nouveaux paramètres des modèles guide pour faciliter la mise en œuvre
économiques

2. Une étude détaillée des caractéristiques des modèles « En un clin d’œil »
gagnants actuels schéma de synthèse

Chaque partie de cette étude peut constituer une clé d’en- « Les premiers pas »
trée et être explorée indépendamment. guide pratique destiné à de jeunes acteurs
©hello-i-m-nik, Unsplash

15
16 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

© Institut Français de la Mode - Allyssa Heuze


CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 17
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

PARTIE 1

Les nouveaux
paramètres
des modèles
économiques
de la mode

20 Culture et dynamique
de transformation

31 La mutation des chaînes de valeur

47 L’approche par la valeur client

56 La RSE, au cœur des modèles


économiques de la mode

74 Innovation et technologies,
boosters de demain
18 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

SYNTHÈSE DES NIVEAUX D’IMPORTANCE


ET DE LA MATURITÉ DES THÈMES ÉTUDIÉS
SELON LES ACTEURS INTERROGÉS1

Réponse à la question « Ce thème est-il un sujet


stratégique selon vous ? »

Refonte du modèle
marchandise

Réponse à laDéfinition
questiond’une
« Cestratégie
thème est-il Innovation
data un sujet stratégique selon vous ? »et technologies
pour accroître la valeur client dans la chaîne de valeur
Culture et dynamique
RSE de transformation Made in Seconde main Précommande Location Abonnement

10 %
16 % 18 %
28 % 26 %
36 %
41 %
24 % 40 %
64 %

100 % 100 %
84 % 64 % 31 % 31 %
49 %
72 %
44 %

36 % 24 %
27 %
12 %
10 % 6 % 4 % 3 %

Oui, crucial Oui, imporant Non, mineur Non, pas du tout

La RSE et la définition d’une stratégie data sont deux


enjeux cruciaux, suivis par la refonte du modèle mar-
chandise et le thème de la culture et de la dynamique de
transformation. Les enjeux d’innovations sont également
partagés par l’ensemble des sondés, mais à un niveau
moins critique.

Les questions du « Made In » sont considérées comme


cruciales ou importantes par près de trois quarts des
sondés. La seconde main et la précommande divisent
l’échantillon sondé, tandis que la location et l’abonne-
ment ne sont pas considérés comme importants pour la
plus grande partie des personnes interrogées.

1. Sondage IFM-Kea&Partners réalisé auprès de 42 dirigeants


de marques, d’enseignes de distribution, investisseurs,
acteurs institutionnels et experts
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 19
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Réponse à la question « Avez-vous amorcé


des changements sur ce thème ? »2

Refonte du modèle
marchandise

Réponse à la question « Avez-vous mis en place une stratégie dans ce champ


Innovation ?»
et technologies
Définition d’une stratégie data
pour accroître la valeur client dans la chaîne de valeur
Culture et dynamique
RSE de transformation Made in Seconde main Précommande Location Abonnement

12 %
18 %
34 %
44 %

58 % 64 %
78 %
82 % 88 % 92 %
26 %
80 %
82 %
38 %
18 %
20 %
40 %
24 % 22 % 12 %
18 % 4 %
12 % 16 %
6 % 8 % 8 %

Oui, nous sommes très avancés Oui, nous démarrons Non

La RSE a déjà fortement mobilisé la totalité de l’échantil-


lon sondé, au même titre que la définition d’une stratégie
data, mais à un niveau de maturité inférieur.

La refonte du modèle marchandise est amorcée chez une


majorité d’acteurs mais avec un faible niveau de maturité.

Les enjeux de culture et de transformation sont étudiés


par plus de 40 % des sondés, avec un niveau de maturité
élevé pour plus de la moitié de ces derniers.

Le thème de l’innovation est en revanche le moins mature


des cinq grands thèmes abordés dans l’étude.

Dans le sillage de la RSE, les problématiques de « Made In »


sont déjà étudiées et activées chez deux tiers des sondés.

Enfin, les questions de seconde main, location, précom-


mande et abonnement ne sont activées que par une mi-
2. Sondage IFM-Kea&Partners réalisé auprès de 42 dirigeants
de marques, d’enseignes de distribution, investisseurs, norité d’acteurs, avec un faible niveau de maturité, ex-
acteurs institutionnels et experts cepté pour la seconde main.
20 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Culture et dynamique
de transformation
La crise que nous traversons en 2020 met Le monde est VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity,
Ambiguity). Le monde est volatile, car mobile et fluctuant.
en exergue cinq forces qui composent,
Le monde est également incertain, comme l’illustrent les
décomposent et recomposent le terrain événements des trois dernières années en France : mou-
de jeu de notre société, de notre écono- vements sociaux (gilets jaunes, grèves) ; tensions géopo-
mie et de la filière mode : la volatilité, litiques et mesures protectionnistes ; crise sanitaire à
l’incertitude, la complexité l’ambiguïté et l’échelle mondiale. Le monde devient également de plus en
plus complexe. Le paysage concurrentiel est un exemple
l’accélération. Comment jouer avec ces
parlant : une marque fait face aujourd’hui à une multiplicité
champs de forces aujourd’hui ? Quel est de concurrents protéiformes, du e-tailer (Farfetch,
le modèle qui permet d’anticiper et de Matchesfashion) aux pop-up stores spécialisés, des ac-
s’adapter en permanence dans un monde teurs spécialisés dans la seconde main (Vestiaire Collec-
qui évolue toujours plus vite et de ma- tive, Vinted) aux DNVB mono-produit. Le monde est enfin
ambigu ; il est de plus en plus difficile de distinguer au sein
nière imprévisible ? d’un phénomène les causes des effets. La volatilité, l’incer-
titude, la complexité et l’ambiguïté ne sont pas des phéno-
mènes nouveaux. Ce qui change, c’est leur accélération.
Les changements bouleversent les modèles économiques
de plus en plus vite. Cette accélération, implique une révo-
lution des cultures et des organisations actuelles que ce
soit sur le marché de la création ou celui de la distribution.

À RETENIR EN UN CLIN D’ŒIL

L’entreprise alerte, un modèle pour composer avec


un monde de plus en plus VUCA (volatile, incertain,
Exemples d’inflexion
complexe, ambigu) qui met au cœur l’autonomie des
équipes pour développer l’anticipation et l’agilité. à mener pour être
Devenir une entreprise alerte implique de définir un
cap, une vision stratégique en se basant sur son performant dans
histoire, ses racines, ses actifs ; ce qui impose d’in-
fléchir ET de transformer la culture de l’entreprise en
travaillant sur les systèmes (outils, processus), les
un monde VUCA
comportements et les modes de fonctionnement.  
Agiliser les modes de fonctionnement
Pour initier leur transformation culturelle, les mar­ et les organisations
ques doivent identifier les inflexions à mener (ex :
 
Définir le cap stratégique et les business
orientation client, focalisation, rapidité d’exécution,
plans avec moins de déterminisme
etc.) et faire des managers les porteurs de cette
transformation (ex : comportements exemplaires,  
Démoyenniser les approches
sens donné aux équipes…)
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 21
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE

VUCA et illustrations
pour le secteur de la mode
Illustrations Impacts & difficultés Leviers potentiels
pour la mode rencontrées à activer

Économique : taux de change, cours Des difficultés à piloter les niveaux F lexibiliser les coûts fixes
des matières premières, taxes de stock dans l’année avec un risque au maximum et activer
douanières de surstocks en cas d’imprévus une logique de prévisions
Des difficultés à réaliser des prévisions glissantes (rolling forecast)
Climatique : étroite corrélation entre
Volatile ventes des pièces de pleine saison de vente multivariée (géographies,
et climat canaux,…)

Sociale et politique : mouvement Des arbitrages financiers difficiles à faire :


besoin de couverture en dollars, achats
des gilets jaunes, grèves, attentats
de matières premières…

Concurrence : politique De multiples perturbations externes  giliser les modes


A
promotionnelle agressive d’un qui viennent impacter un fonctionnement de fonctionnement et
concurrent direct opérationnel souvent peu agile les organisations
Interne : absentéisme des équipes Un processus de prises de décision
Incertain magasin un jour de fort trafic qui peut sombrer dans l’immobilisme
ou au contraire des décisions prises
Externe : évolution dans les dates à l’aveugle
et les durées des soldes

Mutations sociologiques : intégrer Un besoin de réaliser des transformations  éfinir le cap stratégique
D
les nouveaux comportements des à 360°, sur l’ensemble de la chaîne et les business plan avec
clients de valeur, impactant toutes les directions moins de déterminisme
Mutations technologiques : 3 transformations majeures à mener
Complexe des champs à développer avec de front : digitale, RSE, et modèle
la révolution digitale marchandise
Mutations environnementales et
sanitaires : des impacts opérationnels
sur l'ensemble de la chaîne

Performance produits : pilotage Des difficultés à dissocier objectivement R enforcer les compétences
en dissociant les effets de l’offre les effets des causes pour expliquer analytiques et data
(politique assortiments) et un certain nombre de résultats clés
de la demande  ccélérer et outiller les
A
Le besoin de dé-moyenniser pour prises de décision
Ambigu Besoin de renouvellement : estimer sortir de l'ambiguïté et de travailler sur
le besoin réel de renouvellement une granularité fine de données
des collections souhaité par
les clients

Accélération des transformations : Une nécessité d’aller vite dans  évelopper l’autonomie et la
D
besoin d’accélérer la transformation la transformation avec des moyens responsabilisation des
pour de nombreux acteurs financiers contraints (outils, équipes) équipes
tout en veillant à embarquer les équipes
Montée en puissance : faire monter dans les changements opérés
Accélération en puissance rapidement
les managers pour conduire
la transformation
22 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

L’ENTREPRISE ALERTE,
UNE ESPÈCE QUI S’IMPOSE
Dans ce monde VUCA, des modèles vont devoir se réin- Malgré les évolutions et les mutations autour, l’entreprise
venter pour survivre, d’autres au contraire vont se renfor- ne doit pas oublier qui elle est, d’où elle vient, et doit donc
cer et s’étendre. Le modèle d’entreprise alerte permet de rester authentique.
se redéployer ou de se développer dans ce contexte.
L’axe horizontal symbolise la capacité de changer. Pour
L’entreprise alerte est un modèle d’entreprise adaptive, s’adapter aux évolutions, l’entreprise doit être agile mais
ouverte sur son environnement et sur son écosystème. encore faut-il détecter le besoin de bouger. L’entreprise
Ce modèle permet d’anticiper, de faire bouger les lignes, doit donc être également anticipatrice et décrypter les
d’augmenter la capacité d’adaptation, d’autonomie et tendances plutôt que les subir.
d’engagement des équipes, tout en assurant une zone de
permanence qui ancre et rassure. À l’intersection des deux axes, la pierre angulaire du
modèle d’entreprise alerte est l’autonomie. Les équipes
L’axe vertical indique la consistance ou l’ADN de l’entre- doivent avoir la capacité de réagir à court terme en agis-
prise, ce qui résiste aux changements et lui apporte de la sant en responsabilité, c’est-à dire en étant conscientes
cohérence. L’entreprise doit garder le cap final, quelles du cap fixé et du dessein de l’entreprise. La dynamique de
que soient les routes empruntées, avec du sens et de l’entreprise résultera de cette autonomie accordée aux
l’aspiration pour tous, les clients comme les équipes. équipes.

EN UN CLIN D’ŒIL Le sens, le cap

Modèle entreprise
alerte Aspirationnelle
2 axes et 5 composantes à travailler concomitam-
ment pour répondre à la volatilité, à l’incertitude,
à la complexité, à l’ambiguïté et à l’accélération
du marché

Anticipatrice Autonome Agile

Authentique

Le comment

Source : Modèle développé par Kea&Partners


CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 23
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

A comme aspirationnelle prospectives sur de nouvelles tendances (seconde main,


abonnement, do it yourself). L’écosystème des entre-
Dans un monde VUCA, le danger est de changer en per- prises est également une source précieuse d’information
manence et de perdre le cap, entraînant confusion dans pour capter les signaux faibles : les fabricants et fournis-
les choix stratégiques opérés et désengagement de la seurs, les échanges avec les fédérations, les rencontres
part des équipes qui ont le sentiment de tourner en rond. de dirigeants.
Les dirigeants doivent fixer un cap porteur de sens : per-
tinent au regard du contexte marché, engageant car tra- L’enjeu pour les entreprises et d’accepter la multiplicité
çant le chemin qui reste à parcourir, et inspirant pour les des informations tout en travaillant en parallèle aux pro-
équipes en touchant leurs émotions et leurs valeurs. cessus de sélection et de synthèse pour faciliter l’assimi-
lation de l’information par le plus grand nombre.
Ce cap est le fruit d’inspirations internes (les actifs im-
matériels et la personnalité de l’entreprise) et externes C’est dans cette logique anticipatrice que Nike a mis en
(la prospective, les enjeux de la filière et les voix des par- place une stratégie mondiale d’adaptation aux tendances
ties prenantes externes). Ce cap est ensuite traduit en locales, dans une douzaine de villes où Nike projetait en
plan stratégique. Au regard des évolutions de marché, le 2017 de réaliser 80 % de son chiffre d’affaires (New York,
chemin pour atteindre ce cap peut être amené à changer Pékin, Paris, Milan…), en adaptant ses produits ou sa
(plus de digital, plus d’international, une rationalisation communication à ces villes.3
du parc) mais le cap reste le même.
A comme autonome
A comme authentique
Comment développer l’autonomie des équipes ? L’auto-
L’entreprise alerte doit parvenir à se transformer pour nomie conférée aux équipes s’accompagne d’une plus
épouser les évolutions et les mutations de marché tout en grande responsabilisation des parties prenantes et im-
restant cohérente avec sa personnalité. Les transforma- plique une forme de « lâcher prise » de la part de l’équipe
tions sont des champs d’opportunités pour renforcer les dirigeante. Ce vide contrôlé peut générer anxiété et stress
actifs immatériels de l’entreprise, source de différencia- de la part des dirigeants. Une forme de réassurance est
tion et de singularité de l’entreprise vis-à-vis de ses générée par la capacité de l’équipe dirigeante à garder la
concurrents (un savoir-faire technique, un réseau de fa- maîtrise du rythme dans la prise d’autonomie progressive
bricants fiables et partenaires, une culture client). Ainsi, de ses équipes.
Patagonia est reconnue pour son activisme RSE, Aigle
pour son savoir-faire de caoutchoutier... Pour commencer à développer l’autonomie des équipes,
les marques peuvent mener des expérimentations lo-
Le premier exercice est d’identifier ses propres actifs im- cales et connectées entre elles pour donner aux équipes
matériels en les classant en trois catégories : capital plus d’autonomie. Les équipes peuvent alors progressi-
humain, capital organisationnel et capital relationnel (que vement apprendre à élargir leur champ de responsabilité
ce soit sa communauté de clients, mais aussi tous les ré- et d’initiative. Comment cela se traduit-il concrètement ?
seaux dans lesquels l’entreprise s’insère). Une fois les Une initiative pourrait être de confier à une équipe sur une
actifs immatériels identifiés, l’équipe dirigeante peut ar- période donnée la responsabilité de sa performance
bitrer ses choix en cohérence avec la personnalité de (exemple : attendre +10 % de trafic sur le site e-com-
l’entreprise et capitaliser ainsi sur ce qui fait sa singula- merce) et doter cette équipe des moyens nécessaires
rité sur le marché. pour atteindre cette ambition (moyens financiers, outils,
temps). Ces expérimentations sont à mener au départ sur
A comme anticipatrice une période de huit à dix semaines pour percevoir les ré-
sultats de la démarche. En lançant plusieurs expérimen-
Le monde VUCA impose un état de veille permanent pour tations en parallèle, les différentes équipes constituées
détecter les signaux faibles, anticiper les nouvelles peuvent partager leur retour d’expérience et diffuser.
règles, les nouvelles normes, les nouveaux standards.

Les sources de données sont nombreuses et de plus en


plus accessibles : Instagram et les réseaux sociaux, les
synthèses des tendances de marché à l’international, les
rapports d’activité de nouveaux entrants, les études 3. Source : presse
24 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Donner de l’autonomie aux équipes implique de poser un normé, qui vise une émancipation contrôlée des équipes
nouveau référentiel managérial bâti autour de trois idées en suivant quatre étapes : état des lieux, refonte des pro-
clés : accepter l’imprévu, savoir faire avancer les déci- cessus, automatisation et émancipation des équipes.
sions, et n’user de son arbitrage que lorsque cela est né-
cessaire. C’est l’objectif final qui doit guider, et non la pure
application d’un processus.
« Ne devenons pas corporate
A comme agile trop rapidement »
Dans un secteur ou une collection chasse l’autre, l’agilité
reste pourtant à construire, les processus de création – Andrea Baldo, CEO de Ganni
développement sont le plus souvent complexes. Le mode
agile offre des opportunités nouvelles et suit un cadre

PÉPITE

Ganni : L’agilité
Un état d’esprit « tech » et une culture agile
La culture agile et entrepreneuriale est l’ADN de l’entre-

d’une culture prise. Dès le départ, le couple a eu la volonté d’expéri-


menter de nouveaux modèles économiques : la location,

d’entreprise issue
le développement durable et l’analyse de la data dans le
processus du design grâce à de l’intelligence écono-
mique. Les équipes de départ évoluent dans leur rôle et
de la tech sont accompagnées pour relever chaque jour de nou-
veaux défis.
En dix ans, Ganni est passée d’une marque créative scan- La maîtrise des savoir-faire ont permis des approches
dinave à une marque culte internationale. Ce succès pragmatiques, du temps dédié à la créativité, une dé-
s’appuie sur un couple, Ditte et Nicolaj Reffstrups, une marche test & learn, des prises de risque et des outils et
ancienne acheteuse et un entrepreneur de la tech, qui ont processus simples et évolutifs.
fondé la société en 2009. En 2019, son chiffre d’affaires,
en croissance de 30 %, dépasse les 70 M€ avec un mix La tribu des #GanniGirls
digital, wholesale, retail, singulier par rapport aux mo-
La marque a été une des premières à utiliser Instagram -
dèles de marques créatives européennes. Depuis 2017,
créé en 2010 - et les influenceuses qui, de Veronika Heil-
elle est adossée à L Catterton et dirigée par Andrea
brunner à Pernille Teisbaek, en passant par Blanca Miro,
Baldo ; les fondateurs restant membres du conseil
Diletta Bonaiuti, Camille Charrière et Erika Boldrin, portent
d’administration.
haut et fort les hits de la marque, qu’elles affichent toutes
sur leurs comptes suivis internationalement.
Une vision créative
Les collections dessinées par Ditte s’appuient sur un Un plan de développement par un modèle
design contemporain, signature d’un esprit scandinave économique hybride
influent (design, cuisine (Noma), art de vivre …) et d’une
Quatre collections principales, animées par sept drops par
volonté de jouer le mix & match (robes et sneakers). Elle
an, ainsi que des capsules spéciales pour des pièces exclu-
créée des pièces signatures, « easy » et accessibles en
sives et des collaborations, ont permis une croissance
prix, à fort potentiel viral. Des collections inspirées de la
maîtrisée avec un développement international soutenu
« fille de Copenhague », cool, subtilement fashion et ex-
par des présentations à New York, Londres et Paris, en plus
centrique, ouverte au monde, communautaire, tout en
des défilés dans la Fashion Week de Copenhague.
restant ancrée dans une certaine normalité.
Sources : Entretien IFM-Kea&Partners, presse
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 25
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LA CULTURE D’ENTREPRISE
AU SERVICE DE
LA TRANSFORMATION
Notre conviction : “Culture eats strategy for breakfast“.4 Comprendre la culture de l’entreprise
L’enjeu des marques est de réussir à faire dialoguer stra-
tégie et culture pour : La culture est la manière implicite et non exprimée, de se
comporter d’agir, de penser et de ressentir des émotions,
• capitaliser sur les fondamentaux culturels dans la dé- partagée par un groupe d’individus ou une organisation.
finition de la stratégie, C’est l’eau du poisson dans son bocal : la culture est vitale
mais nous avons du mal à la décrire, car elle est invisible.
• identifier les inflexions culturelles à mener pour
La culture est un objet vivant qui évolue sans cesse. Elle
mener à bien la stratégie poursuivie,
peut être décrite comme ce que les équipes font et sur-
• veiller à la cohérence entre stratégie et culture de tout la façon dont elles mènent leur métier. Comment la
l’entreprise. comprendre, la mesurer et la transformer ?

La culture est un champ d’inspiration pour puiser les fon-


dements d’une stratégie singulière. La qualité de l’exécu-
tion stratégique est intimement liée à la transformation
culturelle.

4. Citation de Peter Drucker rendue célèbre par Mark Fields,


ancien CEO de Ford

EN UN CLIN D’ŒIL

Les marqueurs Valeurs officielles


Site internet, affiches, présentations officielles...

culturels Comportements
Iceberg culturel Styles de leadership, modes de communication, manières d'interagir...

Systèmes
Leviers actionnables Processus (RH, prise de décision, communication...)
Structure et organisation, KPIs...

Symboles & rituels


Visible Mythes et histoires, routines, organisations des bureaux...
actionnable
conscient

Peu visible Croyance & valeurs


action uniquement Normes sociales et représentations mentales
indirecte
inconscient

Sources : Edward T. Hall, Beyond Culture


26 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Se transformer c’est aussi transformer sa culture Les managers sont comme pour toute transformation en
première ligne et doivent incarner ces inflexions cultu-
La majorité des marques qui ont défini un plan de déve- relles dans leur manière d’être et d’agir. Ils doivent être les
loppement ambitieux (accélération internationale et di- catalyseurs des comportements attendus et à déployer.
gitale, extension de gamme, nouveau concept de points En s’attachant à donner du sens à l’ensemble des équipes
de vente, acquisitions…) laissent de côté les évolutions et en rattachant les changements culturels au dessein
culturelles nécessaires. Les traits culturels d’une entre- global de l’entreprise, les managers sont un fer de lance
prise peuvent tout à la fois rendre possibles certaines pour guider la transformation culturelle.
ambitions stratégiques ou, au contraire, leur faire obsta-
cles. Les freins que peuvent représenter ces traits restent
souvent peu ou mal mesurés. Comment réussir l’interna-
tionalisation si la culture franco-française rend difficile « Culture eats strategy
l’intégration de profils internationaux ? Comment capita-
liser sur une culture du client pour activer de nouveaux
for breakfast »
services (conseils de style, accompagnement des clients Peter Drucker
aux moments de vie importants) ?

PÉPITE

Le Slip français : l’adaptation


de la culture d’entreprise
en temps de crise
La marque de sous-vêtements 100 % français, fondée en Des rituels adaptés à l’heure de la crise sanitaire
2011 par Guillaume Gibault, a partagé avec un groupe de
L’état d’urgence sanitaire décrété en mars 2020 a imposé
chefs d’entreprises les impacts de la crise sanitaire sur
aux équipes du Slip Français d’adapter leurs rituels d’en-
ses modes d’organisation et de fonctionnement.
treprise à de nouvelles contraintes : télétravail, recours
au chômage partiel pour certains collaborateurs, et le
Une culture d’entreprise qui se manifeste besoin de garder le lien avec l’ensemble des équipes.
au travers de rituels Ainsi, la réunion plénière du lundi matin s’est ouverte sys-
La culture de l’entreprise se manifeste au travers de cer- tématiquement à toutes les équipes, y compris retail, au
tains rituels hebdomadaires. Chez les équipes du Slip même titre que la réunion de partage du mercredi, à la-
Français, on comptait avant la crise quelques réunions quelle des membres du comité de direction ont été da-
systématiques : vantage impliqués. Enfin, un échange apéritif s’est orga-
nisé systématiquement le jeudi soir, en présence
• le « MasterSlip » le lundi matin, avec toute l’équipe d’invités : anciens collaborateurs, invités externes, afin
soit plus d’une centaine de personnes de renforcer la cohésion des équipes durant une période
• le comité de direction le mardi difficile. L’implication des équipes dans différents projets
a renforcé l’esprit d’équipe au sein de la société et créé
• la « Team Bonheur » le mercredi, organisée par une des réflexes qui ont vocation à perdurer.
équipe de volontaires, issus de fonctions transver-
Source : Fédération Française de Prêt à porter Féminin
sales, et qui a pour objectif de trouver de nouvelles
idées, de partager des informations et bonnes idées
sur des sujets non nécessairement liés à l’activité et
inviter des personnes externes à la société.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 27
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE

4 leviers
pour transformer
la culture

Incarnation du top
management
Donner l’impulsion,
avec exemplarité
et pugnacité, développer 1
les managers Agir en local
Inspirer par le sens et rythmer
par les rituels d’équipe

Actions emblématiques
Générer des changements
symboliques, visibles du plus 3
grand nombre et pilotables

 Dynamique d’engagement
avec des ambassadeurs
influenceurs et un pilotage
global

4
28 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

FICHE PRATIQUE

Comment activer Émancipation


Donner plus d'autonomie

un processus agile ? 
aux équipes pour réaliser
et optimiser les processus

L’objectif est de réduire fortement les différents temps qui


rythment une entreprise de mode. Aujourd’hui, les temps
Automatisation
sont souvent trop longs (l’ensemble du processus de Automatiser les tâches
création-vente, le temps entre la décision de lancer un répétitives et à faible
valeur ajoutée pour
modèle et sa fabrication effective, la durée des réassorts, gagner en productivité
etc.). Pour remporter cette bataille contre le temps, l’ac-
tivation d’un processus agile est clé.

État des lieux


Objectiver le niveau d'agilité Optimisation 4 étapes du processus agile
de l'entreprise par direction,
par filiale, par région... des processus  e mode agile suit un cadre
L
Revoir les processus clés
normé, qui vise une émancipation
pour les rendre plus agiles,
plus fluides et gagner contrôlée des équipes en suivant
en vitesse quatre étapes.

La première étape est l’analyse du niveau global d’agilité au les optimisations dans une logique de progrès continue.
sein de l’entreprise, via une enquête adressée à l’ensemble L’agilité doit avoir pour priorité la capacité des équipes à dé-
des équipes sur des points d’application précis : efficacité du cider le plus tard possible (limiter les taux d'engagement
processus de prise de décision, niveau d’automatisation des avant saison par exemple).
outils, culture du test & learn… Un outil comme l’Agiliscore
La troisième étape vise à automatiser les tâches les plus
permet d’identifier les zones de progrès et d’avoir une vision
répétitives pour gagner du temps et diminuer les activités à
par direction, par pays, et par niveau hiérarchique.
moindre valeur ajoutée. Les WBR (weekly business re-
La deuxième étape doit simplifier et alléger les processus views) d’Amazon durent quarante-cinq minutes en
clés existants. Pour mener à bien cet exercice, deux mé- moyenne car les tableaux de bord sont automatisés, normés
thodes sont couramment utilisées : une démarche « base et directement intégrés dans les supports de réunion. Les
zéro » ou une démarche de « lean management ». Dans la category managers optimisent le temps de recherche des
première méthode, l’exercice consiste à repenser les pro- informations et de structuration des supports de présenta-
cessus de l’entreprise en mode start-up. Dans la seconde tion pour se concentrer sur l’analyse et l’identification de
plan d’action.
méthode, les équipes sont invitées à cartographier les pro-
cessus actuels, à identifier les nœuds d’étranglement, à dé- La quatrième étape est le développement de l’autonomie et
finir les causes de dysfonctionnements et à tester des solu- de l’émancipation des équipes. Dans le mode agile, les ma-
tions rapidement. Dans les deux cas, les travaux peuvent nagers qui ont validé le lancement du projet interviennent
être menés par les équipes en mode agile avec une période seulement lors des « Sprint Reviews » où l’équipe en charge
de deux mois environ pour définir les processus cibles. La présente les résultats au bout d’un sprint. Pendant le sprint
répétition dans la durée des processus cibles va donner aux en question, les équipes sont autonomes, responsabilisées
équipes une plus grande maîtrise et la capacité à continuer et accompagnées par le product owner et le scrum.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 29
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Un outil pour objectiver le niveau d’agilité


de l’entreprise : l’Agiliscore
 ’Agiliscore est une enquête adressée à l’ensemble des
L
équipes de l’entreprise pour faire évoluer les métiers.

Votre perception sur la capacité de l’entreprise à… Market. Comm.


Packag. Qualité Achats DAF Digital Interna. RH
(focus par métier)

Prendre des décisions pertinentes plus rapidement que ses concurrents 30 % 36 % 40 % 41 % 52 % 69 % -

Se concentrer sur la création de valeur pour le client / utilisateur 60 % 57 % 66 % 57 % 69 % 44 % -

Privilégier le pragmatisme à la perfection 50 % 45 % 49 % 41 % 52 % 52 % 35 %

Passer rapidement de la décision à l’action 37 % 44 % 42 % 48 % 52 % 44 % 52 %

Dédier du temps à la créativité 37 % 45 % 46 % 64 % 44 % 77 % 52 %

Tester des choses (produits, manières de faire etc.) rapidement 42 % 46 % 38 % 53 % 52 % 60 % 19 %

Accepter l’échec et prendre des risques 39 % 40 % 56 % 35 % 35 % 52 % 19 %

Capitaliser sur ses expériences et tirer des leçons des erreurs 44 % 43 % 44 % 43 % 60 % 52 % 85 %

Créer des équipes transverses temporaires pour certains projets 64 % 70 % 65 % 54 % 52 % 85 % 85 %

Réaffecter les équipes d'un projet à un autre selon les priorités 44 % 36 % 25 % 38 % 44 % 69 % 35 %

Faire évoluer les projets en fonction des retours clients / utilisateurs 48 % 50 % 45 % 45 % 27 % 77 % 35 %

Avoir des outils et processus « simples » 24 % 30 % 22 % 45 % 44 % 44 % 35 %

Avoir des outils évolutifs qui facilitent l‘agilité 29 % 42 % 39 % 51 % 35 % 60 % 69 %

(*) Niveau d’agilité général du département 40 % 47 % 49 % 73 % 52 % 52 % 52 %

Potentiel d’agilité par métier (Score global = 43 %) 42 % 45 % 45 % 49 % 48 % 60 % 48 %

Exemples de processus à agiliser Enjeu Importance

Cadrage des collections Désaisonnaliser le cadrage des collections

Offre Développement des collections Travailler trois horizons de temps : court, moyen et long terme

Réassorts Être en capacité de développer des produits en 4 à 6 semaines

Politique d’assortiments magasin Utiliser l’IA pour un assortiment spécifique par magasin

Supply chain Approvisionnement des magasins Pouvoir livrer rapidement en fonction de l’évolution de la météo

Suivi de la performance produits Identifier des potentiels best-sellers à déployer plus largement

Envoi des informations aux magasins Concentrer l’envoi des informations pour gagner en efficacité

Réseau Mise en rayon des produits en magasin Optimiser le temps de manutention pour développer l’orientation client

Étiqueter les produits en promotions Optimiser le temps d’étiquetage pour permettre un réajustement constant

peu important importance moyenne très important Source : Kea&Partners


30 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

LES PREMIERS PAS

La méthode agile
Le défi
Dans un monde de plus en plus complexe et difficile
à appréhender, l’agilité des entreprises est primor-
diale. Faire de chaque mauvaise nouvelle une op-
portunité pour rebondir en faisant évoluer son
modèle permet de faire face aux crises qui se suc-
cèdent, avec en point d’orgue celle que nous
connaissons aujourd’hui.

La réponse
Plusieurs réponses sont possibles en fonction de
l’ADN et de la personnalité de chaque entreprise. À
titre d’exemple, Ludovic de Saint Sernin, marque de
prêt-à-porter masculin, face à l’annulation pure et
simple des commandes de certains wholesalers de
produits prêts à être livrés, a développé très rapide-
ment son site pour commercialiser ce stock avec
une très belle réussite.

L’enseignement
En transformant les conséquences de la dépen-
dance de son chiffre d’affaires aux ventes whole-
sale, Ludovic de Saint Sernin a fait évoluer son
modèle vers plus d’hybridation. Il développe depuis
son activité retail digitale et adapte son offre à cette
nouvelle donne. Sa marque pourra continuer à bé-
néficier du support et de la communication de
wholesalers choisis et partenaires tout en dévelop-
pant son retail via son site et ses réseaux sociaux.
Source : IFM

© Institut Français de la Mode - Allyssa Heuze


CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 31
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

La mutation des
chaînes de valeur
Le « modèle marchandise »5 traditionnel Les indicateurs clés virent au rouge, avec par exemple
atteint ses limites aujourd’hui. pour le segment du milieu de gamme :

• Une baisse des ventes moyennes hebdomadaires


Le modèle traditionnel, que nous qualifions sans doute de
(VMH souvent inférieure à 1)
manière un peu caricaturale comme un modèle « push »,
a été une clé de succès dans un contexte de forte de- • Une diminution du taux d’écoulement avant soldes
mande et de prévisibilité des ventes, de cadencement (souvent inférieur à 60 %)
des collections pour animer le point de vente et d’activa-
tion des soldes et opérations promotionnelles comme • Une augmentation du poids de la démarque dans le
moyens correctifs. chiffre d’affaires (entre 25 % et 30 %).

5. Le modèle marchandise est défini ici comme la manière dont


les marques et enseignes implantent les produits en magasin

À RETENIR

Les nouveaux modèles économiques au-delà de l’hybrida- Levier 2


tion des modèles commerciaux (e.g. la digitalisation)
Gagner en réactivité et en flexibilité avec l'implication des
doivent transformer leur offre dans toutes ses compo-
fournisseurs partenaires, la réservation des capacités de
santes. Si le point d’entrée reste la créativité, la singularité
production et des matières, le double sourcing (proche
des collections, le modèle marchandise est au cœur de
import et grand import), pour diminuer les taux d’engage-
cette refondation : stratégie et calendrier de l’offre, flexibi-
ment avant saison et être en capacité de réagir (réassort
lisation des achats et agilité de la supply chain, optimisa-
pour amplifier des best sellers, activation de nouvelles
tion des écoulements et de la démarque en cours de saison.
références manquantes)

Levier 1
Levier 3
Désaisonnaliser le calendrier de l’offre et l’orienter client
Optimiser les politiques promotionnelles dans un contexte
(vs une structuration traditionnelle printemps - été et
où les niveaux de stocks et le poids de la démarque sont au
automne - hiver) pour faire face à un écoulement des col-
plus haut (entre 20 et 30 %) : pilotage fin des écoulements
lections actuellement trop faible en dehors des périodes
et activations d’actions correctives avant soldes (trans-
promotionnelles. Capitaliser sur l'offre de produits per-
ferts, rabais roulants sur les références contre-perfor-
manents (présents tout au long de l'année et souvent non
mantes) et pour les périodes de soldes : allocation des taux
démarqués) pour équilibrer les ventes mensuelles, pen-
de démarque à la référence pour faire les bons arbitrages
dant les inter-saisons notamment.
de marge vs écoulement (modèle data d’optimisation).
32 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Quelles sont les limites des modèles marchandises #3 : une remise en cause des saisons
actuels ?
• Les mois d’inter-saison (février et mars par exemple)
#1 : la rigidité des structures de collection et des calen- mettent en évidence l’écart entre le calendrier de
driers de l’offre l’offre actuel et la demande clients. En effet, au sortir
des soldes, les clients ont une disponibilité relative-
• Un trafic en berne, des structures de collection rigides ment faible pour effectuer des nouveaux achats, une
et des achats (taux d’engagement avant saison flir- bonne partie d’entre eux ayant été réalisés en période
tant les 80 % sans capacité d’ajustement). de soldes. Les marques, de leur côté, sont en pleine
• Une complexification liée à l’internationalisation des période d’implantation de la nouvelle collection
marques qui accentue cette rigidité (demandes spé- (entrée de saison).
cifiques des acheteurs internationaux, adéquation • Les impacts de ce décalage sont le non-écoulement
des produits aux modes et météos locales, gestion de ces entrées de saison, engendrant une accumula-
des douanes et de la logistique). tion de stocks freinant la mise en valeur des nouvelles
implantations (milieu de saison et fin de saison) et
#2 : des pratiques d’achats contre-performantes
venant nourrir les volumes de stocks à solder en
• Certaines pratiques d’achats engendrent mécanique- ventes privées et en soldes de fin de saison.
ment des surstocks, comme l’utilisation du ratio taux
d’écoulement / OTB6. Avec une prévision de ventes de #4 : la pression de la marge brute impliquant plus de cir-
100 (OTS), et un taux d’écoulement avant soldes prévu cuits longs et moins de réactivité
de 70 %, les équipes achats vont acheter (OTB) 100/0,7, • Les enseignes ont d’autant plus de mal à réagir face à
soit 142 (vs 100 de prévisions au départ). Ce raisonne- des taux d’écoulement avant soldes erratiques que le
ment est une des explications des volumes de stocks lead time est long (9 à 12 mois en moyenne), les cir-
trop importants. cuits courts encore relativement faibles au regard des
volumes totaux (10 % environ) et les taux d’engage-
ment avant saison élevés (80 % des volumes engagés
avant saison).
6. OTB : open-to-buy, budget disponible pour acheter des stocks

EN UN CLIN D’ŒIL
5
Les limites L'achat de chiffre
d’affaires par la promotion
et par conséquent l’érosion
des modèles 4
de l’EBITDA

marchandises
actuels La pression de la marge
brute impliquant plus
de circuits longs et
moins de réactivité

La rigidité des 1 3
structures de collection
et des calendriers
de l’offre 2
Une remise en cause
des saisons
Des pratiques d’achats
contre-performantes
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 33
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

• Ces symptômes sont la conséquence d’une optimisa- #5 : l’achat de chiffre d’affaires par la promotion et par
tion des taux de marge brute entraînant un poids sou- conséquent l’érosion de l’EBITDA
vent prépondérant du grand import et des engage-
ments avant saison plus forts. Le résultat est le suivant : • L’achat de chiffre d’affaires via des opérations promo-
une politique achat trop souvent « à l’aveugle » avec peu tionnelles devient l’unique levier pour augmenter les
de capacité de réagir en cours de saison. résultats. Mais ce modèle ne permet plus de générer
une marge nette et entraîne une érosion progressive
de l’EBITDA.

EN UN CLIN D’ŒIL

L’impact des stocks et


des saisons sur le BFR
Cash flow mensuel net
Schéma simplifié pour les deux premières collection. Pour une marque
déjà lancée, le profil de cash aurait normalement deux nouveaux points
(deux saisons par an), par exemple février-mars et août-septembre.

Entrée de cash
Sortie de cash
Cash flow cumulé

Jan. Fev. Mar. Avr. Mai Juin Juil. Aôut Sep. Oct. Nov. Dec.
C1 C2 C2 C2 C3 C3
(A/W) (S/S) (S/S) (S/S) (A/W) (A/W)
Développement produit
Première Deuxième Troisième
collection collection collection

C1 C2
(A/W) (S/S)
Présentation et vente wholesale

C1 C2
Commande aux fabricants (A/W) (S/S)
(versement d’un acompte)

Réception des produits S1


(A/W)
et transports aux retailers
(paiement du solde aux fabricants)
S1
Paiement à 60 jours par (A/W)
les retailers après transport

S1 S1 S1 S1 S1
(A/W) (A/W) (A/W) (A/W) (A/W)
Saison de vente retail

S = saison C = collection Source : presse


34 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Les dirigeants font face à un triple enjeu : performance produits, outils d’assortiments magasin), les
processus et modes de fonctionnement (passage d’un
• augmenter le taux d’écoulement avant soldes et la mode de travail articulé sur les saisons Printemps / Été et
VMH de leurs produits,
Automne / Hiver à un calendrier désaisonnalisé et men-
• gagner en agilité pour réagir en cours de saison en sualisé où les équipes travaillent en flux tendu), et les
jouant notamment sur le taux d’engagement avant politiques achats (transition d’un engagement majoritai-
saison et sur le poids du court terme, rement long terme à du multi-engagement sur du court,
moyen et long terme).
• optimiser leur stratégie promotionnelle pour faire les
bons arbitrages entre marge et écoulement. Les leviers investigués sont-ils de nouvelles pierres pour
refondre le modèle marchandise ? En réalité, les pistes
Pour mener à bien cette transformation, les marques détaillées ci-dessous constituent davantage une appli-
doivent être prêtes à revoir de manière transversale leurs cation extensive des bonnes pratiques de gestion de pro-
manières de travailler : l’organisation des équipes (en duits, à généraliser et intensifier à court terme.
particulier offre, marketing et supply), les outils existants
(outil de cadrage des collections, outil de pilotage de la

EN UN CLIN D’ŒIL

Les indicateurs à optimiser


pour un modèle marchandise
performant
Exemple d’un acteur moyenne gamme Benchmark Cible

Taux d’engagement avant saison 75 % 60 %

Leadtime 10 4 à 10
mois mois

Ventes moyennes hebdomadaires (VMH) 0,7 1,0

Taux d’écoulement avant soldes 65 % 80 %

Taux de démarque 25 % 20 %

Source : Analyse Kea&Partners


CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 35
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE

Les champs à travailler


pour transformer Les politiques achats

le modèle marchandise Transition d’un engagement


majoritairement long terme
à du multi-engagement sur
du court, moyen et long
Les outils existants terme
Outil de cadrage des
L’organisation des équipes collections, outil de pilotage
Offre, marketing et supply de la performance produits,
en particulier outils d’assortiments magasin

Les processus et modes de fonctionnement


Passage d’un mode de travail articulé sur les
saisons Printemps / Été et Automne / Hiver
à un calendrier désaisonnalisé et mensualisé
où les équipes travaillent en flux tendu
©Ethan Bodnar, Unsplash
36 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Pour en minimiser l’impact, toutes les énergies doivent


LA RÉINVENTION DU être orientées vers un seul et même objectif : augmenter
CALENDRIER DE L’OFFRE les ventes moyennes hebdomadaires en dehors des pé-
riodes de soldes et promotions. L’évolution du calendrier
Tous les dirigeants interrogés considèrent la refonte du de l’offre entraîne donc une transformation profonde du
modèle marchandise comme une priorité, quel que soit modèle marchandise, du croquis à la vente en magasin.
leur modèle de vente (wholesale, retail, hybridé), leur Les équipes en charge de l’offre travaillent en flux tendu
taille et leur positionnement. Mais comment s’y prendre ? dans un calendrier désaisonnalisé, rythmé (en fonction
Un premier levier consiste à redéfinir le calendrier de des appellations) par des capsules, des fashion stories,
l’offre. Il convient d’analyser finement les datas de la des thèmes, des vestiaires, qui jalonnent l’année tous les
marque pour comprendre les besoins réels du client. Les deux ou trois mois environ. Le pilotage dynamique de la
constats sont généralement marquants : beaucoup de VMH est au cœur du dispositif pour définir des plans d’ac-
produits sont implantés en magasin à des périodes où la tion rapides en cours de saison.
demande est nulle ou très faible. Les ventes moyennes hebdomadaires deviennent par
En réorientant le calendrier de l’offre vers les besoins conséquent un indicateur de suivi majeur pour l’ensemble
réels des clients, les ventes moyennes hebdomadaires des équipes et son augmentation doit être un objectif
seront meilleures, le taux d’écoulement avant soldes aug- partagé avec des incitations collectives. Cet indicateur
mentera et les volumes de stocks à solder seront plus permet d’identifier dès le départ des potentiels bestseller
faibles. Cette refonte implique une rationalisation du à amplifier ou au contraire des « bad sellers » à écouler
nombre de produits implantés en magasin à un instant T, via une logique de transferts magasins (pour les envoyer
pouvant aller jusqu’à 20 % de modèles coloris en moins dans les magasins qui parviennent à écouler ces pro-
sur un mois donné. Quelle est la conséquence sur le duits) ou de rabais roulants en cours de saison. Une des
modèle économique des marques ? explications de la réussite du modèle Inditex (Zara, Mas-
simo Dutti...) provient de la capacité du groupe à suivre
Il serait illusoire de s’attendre à un report à 100 % des en temps réel les ventes moyennes hebdomadaires et à
achats sur des produits similaires aux produits suppri- activer des plans d’action à très court terme en fonction
més. L’impact négatif sur le chiffre d’affaires annuel peut des performances des produits. Le modèle de Ganni, as-
atteindre entre 5 et 10 % si les marques n’arrivent pas à sociant 4 collections, 7 drops plus des exclusivités et
compenser la diminution du nombre de produits implan- collaborations à une analyse fine de la demande client
tés en magasin par un écoulement plus important en est  une bonne illustration de ces nouveaux modèles
dehors des périodes de promotions. Les périodes de pro- marchandises.
motions seront caractérisées par des volumes à solder
plus faibles, mais une capacité à implanter davantage de
produits de la nouvelle collection pour compenser la
baisse de masse de marge générée historiquement sur
les produits soldés.

À RETENIR

L’implantation des produits au cours de l’année doit ré- Mieux comprendre pour mieux cibler permet de nombreux
pondre aux besoins réels des clients, qui diffèrent chaque avantages : s’engager plus tardivement, réduire le BFR et
mois, et impliquent de requestionner l’approche saison- les résiduels. Le financement des collections devient
nière (PE / AH) et son cadencement. ainsi moins lourd.

En repartant des besoins réels des clients, il existe un po-


tentiel de rationalisation des produits implantés à un ins-
tant T pouvant atteindre 15 à 20 %.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 37
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Mettre en place un « modèle marchandise vertueux » im- EN UN CLIN D’ŒIL


plique une logique de « Less is more » : une structure
d’offre plus resserrée, une durée de vie produits en ma- Enjeux du nouveau
calendrier de
gasin plus courte, une masse de marge générée en soldes
plus faible.

Pour les marques les plus créatives, la création doit rester


le point d’entrée de la structure de l’offre ; les besoins
clients sont secondaires. Ces marques sont néanmoins
l’offre
rythmées par des calendriers : défilés, salons, saisons, Priorités
périodes de commandes des distributeurs internatio-
naux. Ces marques sont donc soumises à une tension • Définir une offre singulière en cherchant
structurelle et croissante des calendriers internationaux la démoyennisation
et des spécificités des distributeurs qui impliquent une • Décliner la différenciation produits par produit
multiplication et une fragmentation croissante des et typologie
collections.
• Faire des besoins marché canal et types
Les pré-collections deviennent le cœur de l’offre et les de magasin un point d’entrée de la structure
main collections la partie la plus créative. L’enjeu de livrer de collection
les collections très tôt aux distributeurs internationaux
(collection Printemps en novembre et collection Automne Avantages
en juin) afin d’optimiser leur taux de revente, conduit cer-
taines marques à anticiper dès le plan de collection les • Plus de lisibilité
changements de météo auxquelles elles ne pourront pas • Plus d'écoulement avant soldes
réagir et à créer ainsi des collections polyvalentes et
adaptées à des zones géographiques très différentes. À • Moins de BFR
ces pré-collections s’ajoutent des capsules ou drops spé-
• Moins de démarque
cifiques à certains clients ou réservés au retail et au
e-shop, créant autant d’occasions de prises de parole
pour la marque. Risques
• Baisse de chiffre d’affaires liés à l’absence
Revoir le calendrier d’offre implique une transformation de report à 100 % (impact estimé de 5 à 10 %)
majeure des pratiques et des processus de collection :
• Volumes écoulés plus faibles pendant
• un besoin de coordonner les métiers et de dé-siloter la période des soldes et nécessité
les organisations : intégration en amont des besoins de compenser avec nouvelle collection
des marchés et des réseaux comme point d’entrée de
Source : Kea&Partners
la collection (exemple : approche dédiée pour des
megacities internationales), construction conjointe
du calendrier d’offre avec les équipes marketing et
merchandising, macro PAC et plan merchandising
défini en amont de la structure, parallélisation du dé-
veloppement des collections, détermination d’hypo-
thèses de VMH par catégories de produits, niveau de
VMH cible comme point d’entrée aux engagements,

• un besoin de responsabilisation fort des équipes pro-


duit jusqu’à l’optimisation de la contribution écono-
mique de leur catégorie (marge nette).
38 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Le modèle Supreme
Créée en 1994 par James Jebbia, la marque Supreme in- Il est intéressant de noter qu’à l’encontre de bien des en-
carne le modèle de Drop dans toute sa splendeur. L’enjeu seignes de mass market, Supreme s’est toujours refusé
au départ était de combler un manque sur un créneau du d’amplifier ses bestsellers en relançant des productions
skate jusque-là occupé partiellement par des marques dédiées. L’enjeu est de créer une excitation constante
comme Polo, Champion ou Levi’s. autour des nouveautés. La force de la marque a été d’ac-
cepter des longues plages de pénurie, avec parfois des
Avec une cible bien définie, les skateurs « branchés » de saisons PE quasiment écoulées dès le mois de mars.
18 à 24 ans, le succès du modèle s’est construit autour d’un
magasin à Lafayette Street, à New-York dans le downtown Depuis 2013, la marque se structure autour de deux collec-
Manhattan. Le magasin était à mi-chemin entre la galerie tions de manière assez classique mais en continuant à
d’art, la boutique de luxe et le skate-shop. Sa raison d’être susciter l’envie avec des drops supplémentaires tous les
première était de servir de point de ralliement aux bandes jeudis. « On n'a jamais été dans le truc de l'offre et de la
de skateurs du quartier. Les vendeurs étaient à l’opposé demande. Ce n'est pas comme si on se disait qu'on allait
des canons traditionnels, avec une nonchalance affichée à faire un truc qu'à six exemplaires, mais si je peux en vendre
l’égard des clients. 600, j'en ferai 400. On a toujours fait comme ça. », décla-
rait James Jebbia dans Interview magazine en 2009.
La première collection Supreme était composée de trois
Sources : presse
tee-shirts (un t-shirt Taxi Driver, un t-shirt « afro-skater »
et un t-shirt avec un box logo). La rareté est ainsi consti-
tutive du modèle dès le début. À l’époque, il était courant
de voir les étagères vides dès le vendredi matin, l’ensemble
des pièces ayant été achetées le jour de la sortie du drop,
le jeudi matin. Mais les jeunes skateurs continuaient d’af-
fluer le reste de la semaine, profitant du son, du look des
vendeurs et contribuant ainsi à la hype de la marque.

Pourquoi cette recherche de la rareté dès le départ ? En


tout premier lieu, les capacités de production étaient extrê-
mement limitées car celle-ci était réalisée dans l’atelier
juste à côté du magasin. Par ailleurs, en responsable de
magasin averti, le fondateur a souhaité limiter le nombre
d’invendus. Ce n’est donc pas la recherche du buzz qui a
conduit au modèle de drop, mais bien une approche mini-
male, presque « fainéante » du métier.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 39
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

PÉPITE

Le modèle
Moncler Genius
Moncler a décidé en 2018 de désaisonnaliser une partie Il est intéressant de noter que Tod’s (avec Alber Elbaz) et
de ses collections avec des séries en édition limitées, Calvin Klein ont tenté des approches similaires sans ren-
dessinées par des créateurs à tour de rôle, faisant l’objet contrer le même succès. D’autres marques comme
de drops mensuels : « The Genius Project ». Chaque drop Rimowa ont su au contraire développer une stratégie de
est accompagné d’une communication digitale dédiée et collaboration payante. Les traits communs semblent être
d’évènements dans les magasins. les suivants : s’appuyer sur un produit star (la doudoune
Maya pour Moncler), et savoir attirer une clientèle jeune
Les enjeux étaient les suivants : augmenter la visibilité de avide de nouveautés et fortement liée aux réseaux so-
la marque sur le plan mondial, avoir une prise de parole ciaux (Instagram en particulier). Les collaborations de
plus fréquente, notamment via les réseaux sociaux, re- Moncler ont eu davantage de résonnance quand elles
cruter de nouveaux clients (en particulier la génération Z visaient un persona jeune avec une collaboration
et les millenials), et fidéliser sa base clients existante streetwear que lorsqu’elles visaient une clientèle fémi-
avec une présence forte sur les réseaux sociaux. nine, plus âgée et professionnelle.
Les résultats se sont avérés très positifs, même si le Source : presse
niveau de chiffre d’affaires généré par les collaborations
reste limité (10 % des ventes environ en 2018) :

• La marque a gagné en visibilité sur le plan internatio-


nal (l’Italie ne représente que 12 % du chiffre d’affaires
de Moncler en 2019 vs 23 % en 2013)

• Les collaborations ont généré du trafic on-line et off-line


(50 % des clients «  Genius  » sont des clients
nouveaux)

• Moncler a su rajeunir sa base de clients à travers ses


collaborations, la génération Z et les millenials repré-
sentant aujourd’hui 40 % des clients Moncler.

Comment analyser le succès du projet Moncler Genius ?

• Des investissements marketing consentis avec un


contenu media renforcé : 100 millions € de dépenses
marketing en 2018 vs 79 millions € en 2017

• Le choix de designers avec une identité forte mais en


mesure d’incarner l’ADN de la marque (Pierpaolo Pic-
cioli, Simone Rocha, Craig Green…)

• Une cible clients précise pour chaque collaboration ré-


alisée répondant à une logique de persona visées par
la marque (ex : Palm Angels et le « streetwear fan »)

• Un processus et un réseau de fabricants spécifiques :


un lead time de 9 mois et des fabricants de plus petite
taille avec un savoir-faire artisanal spécifique
40 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

FICHE PRATIQUE

Le drop ou
proche en offrant une accessibilité trop forte. Les standards
du marché s’établissent autour d’une quinzaine de réfé-
rences, à construire en dehors de la structure de collection
l’extrémisation cœur. Les équipes sont dédiées car elles ont la nécessité
d’incarner une différenciation vs le cœur de collection de la

du nouveau modèle marque.

Enfin, une telle stratégie suppose une préoccupation tout au


marchandise long du cycle de vie du produit : en amont pour créer le buzz,
pendant pour maximiser le chiffre d’affaires et après pour
renforcer le sentiment de fierté et d’appartenance des
La stratégie de la rareté exploite l’idée de manquer quelque
acheteurs ou prospects éventuels. Cela implique par
chose (FOMO : fear of missing out). Ce levier est aujourd’hui
conséquent l’ensemble des directions métiers : offre, supply
exploité par certaines marques. En communiquant en
chain, marketing, qui doivent travailler main dans la main
amont sur la rupture attendue, une marque comme Supre-
pour définir les bons arbitrages collectivement.
me génère ce sentiment d’urgence et des achats d’impul-
sion. Amazon a bien perçu tous les bénéfices potentiels du Dans les sociétés les plus créatives, ces drops s’apparen-
modèle et a lancé en 2019 « The Drop », des collections tent plus à des capsules et permettent notamment de pro-
Street Style en édition limitée, conçues par des influenceurs poser aux revendeurs stratégiques (physiques et on-line)
internationaux, disponibles pendant 30 heures après leur des exclusivités. Ces exclusivités font l’objet d’une commu-
« drop » sur le site. Le distributeur va plus loin en 2020 en nication de la part des wholesalers dont profitent les
activant « The Drop by You », une édition limitée conçue par marques.
la communauté Amazon avec six pièces allant de 27,90€ à
47,90€. Durant la crise sanitaire due au Covid-19, ce modèle Les capsules et licences sont davantage un levier d’activa-
a été utilisé avec succès par certains acteurs comme tion marketing qu’une refonte intégrale du modèle mar-
Mytheresa, The Hundreds, Sporty & Rich, Brother Vellies, ou chandise. Elles visent à introduire de la nouveauté et du
encore Adidas, dont une nouvelle version de la Yeezy 700 renouvellement en magasin, autant de raisons pour inciter
se retrouve désormais en vente sur la marketplace à 400$, les clients à revenir. Ainsi, outre une collection cœur désai-
soit le double de son prix de vente. sonnalisée, la désirabilité des marques doit se construire
autour de ces collections capsules spécifiques, avec un
Le modèle de drop combine dimension inclusive, avec l’ap- enjeu de créer rupture, buzz et trafic en magasin.
partenance à une communauté, et exclusive car seules
quelques personnes feront partie de cette communauté Notons enfin que les distributeurs demandent de plus en
d’élus. L’appartenance à la communauté se doit d’être vi- plus de capsules et de produits exclusifs, a fortiori les e-tai-
sible et les produits ciblés identitaires et marqués pour per- lers, mais ces demandes s’ancrent toujours dans le cadre
mettre une reconnaissance rapide des membres entre eux. de budgets saisonniers.

Les avantages sont aisément identifiables : développer le Il existe deux modes opératoires : un modèle de pure drop à
sentiment d’appartenance, un critère prix qui devient se- la Supreme et un modèle plus accessible qui consiste à
condaire, des nouveaux indicateurs de réussite : le nombre rythmer son calendrier d’offre.
d’inscrits, le nombre de mètres ou la durée d’attente phy-
Ce modèle intermédiaire est incarné par Maison Kitsune qui
sique ou digital le jour j.
renforce la part des collaborations dans ses collections et
Pour faire d’une telle stratégie un succès il convient d’adop- propose tous les deux mois environ une nouvelle collabo-
ter une approche à 360° en amont de l’implantation pour ration en plus de sa collection cœur. Les collaborations de
créer le désir auprès de la base clients, définir le bon Kitsune couvrent différentes catégories de produits pour
nombre de références pour conserver une désirabilité forte générer désir et renouvellement aux yeux du client (sacs,
et maximiser le chiffre d’affaires en parallèle. L’arbitrage est make-up, prêt-à-porter, …).
complexe car si les volumes sont trop réduits, le projet s’ap-
parente à une pure opération de communication. Si les vo-
lumes sont trop larges, le risque est de normaliser l’ap- Sources : presse, entretien IFM-Kea&Partners
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 41
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE

La personnalisation
des produits, une proposition
de valeur encore limitée
La personnalisation des produits répond à un besoin d’in- L’équation économique pour rentabiliser la personnalisa-
dividualisation des consommateurs. La sensation de tion est la suivante : le client doit être prêt à payer entre
porter une pièce unique est le pendant de la satisfaction 20 et 50 % supplémentaires pour avoir accès à un produit
d’avoir mis la main sur un drop écoulé en quelques personnalisé et unique, faute de quoi les surcoûts de pro-
secondes. duction ne seront pas rentabilisés. Un exemple résume
bien le modèle économique proposé : la marque Son of a
Si les tentatives de la plupart des marques d’offrir un ser- Taylor, qui à travers un algorithme (âge, poids, taille et
vice de personnalisation des produits sont de plus en plus pointure) propose des t-shirt personnalisés et adaptés à
nombreuses, une question se pose : est-ce un effet de la morphologie de chacun à un prix de vente public autour
mode ou au contraire la démonstration d’un changement de 55 €.
plus profond de la part des consommateurs ?

Le secteur du luxe s’est construit sur cette promesse de


personnalisation poussée : un vêtement ou des chaus-
sures sur-mesure, construit pour épouser des formes
uniques et spécifiques. Ces codes du luxe sont repris au-
jourd’hui par les marques mass-market ou mid-market,
à l’instar de Nike qui permet à ses clients de designer leur
sneaker en jouant sur le colorama et les matières.

À l’heure actuelle, la personnalisation apparaît davan-


tage comme un service complémentaire à une USP
(Unique Selling Proposition) qui va bien au-delà. Les
marques qui intègrent la personnalisation comme valeur
fondamentale de leur USP gardent une taille limitée (par
exemple Atelier NA pour les costumes accessibles
sur-mesure ou Maison Labiche pour la broderie de mes-
sages personnalisés).
42 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PLUS DE FLEXIBILITÉ au développement de bibliothèques de carcasses et de


bibliothèque matières qui permettent notamment de
ET DE RÉACTIVITÉ renforcer les produits signatures.

Généralement, la première étape pour développer la flexi- • Double sourcing : capacité à prévoir pour des produits
bilité est de mettre en place une cellule « actua » dédiée considérés comme potentiels best-sellers un cycle
à une offre complémentaire en circuit court (1 à 4 mois) long et un cycle court, en proche import. Jouer du
pour répondre à des manques dans la collection ou à des double sourcing suppose d’avoir, dès la production en
opportunités de réassort. Cette cellule permet d’ap- cycle long, identifié un fabricant en cycle court en ca-
prendre ou de réapprendre, mais ne peut à elle seule per- pacité de produire la référence en question avec la
mettre d’atteindre les niveaux de flexibilité attendus même qualité et la même coupe (quotation et typage
aujourd’hui. au même moment).

Cette culture de l’actua était historiquement bien implan- • Partenariats fournisseurs : faire de ses fabricants des
partenaires est un accélérateur pour gagner en réac-
tée au sein des enseignes : des logiques de tests étaient
tivité. En effet, forts de la confiance bâtie, les proces-
mises en place avec une capacité de pouvoir développer
sus sont plus fluides, les allers-retours moins nom-
en circuit court un potentiel bestseller et le déployer ra-
breux. De plus en plus de fabricants partenaires sont
pidement dans les magasins. Cette culture s’est peu à
aujourd’hui en capacité d’être force de proposition
peu perdue sous la pression des marges d’entrée impo-
(innovation matières). Travailler la flexibilité et la ré-
sant les circuits longs et des niveaux d’engagement avant activité implique d’identifier les fabricants parte-
saison de l’ordre de 80 % pour les marques accessibles. naires actuels et les nouveaux partenariats pour
Nous estimons un potentiel de 30 % à 50 % des collec- demain.
tions pouvant être développées en circuit court (vs 10 % Quels sont les impacts sur la marge brute d’une augmen-
à 20 % constatés généralement aujourd’hui). Le circuit tation du circuit court, d’un développement du double
court peut tout aussi bien être activé en proche, en sourcing, d’une diminution des taux d’engagement avant
moyen et en grand import (aérien). saison et de l’activation des réservations matières et de
Quelles sont les bonnes pratiques pour gagner en réacti- capacité de production ? D’après nos estimations, les
vité au-delà de l’accompagnement des équipes pour coûts afférents à ces leviers vont représenter entre 1 et 3
flexibiliser : points de marge brute (sur une base 100)7, l’hypothèse
retenue étant le passage de 10 % à 30 % des volumes
• Réservation matière et réservation des capacités de produits en circuits courts.
production : la matière, hors transport, représente deux
tiers du lead time. Certains acteurs pilotent un OTB
(open-to-buy) matière en complément d’un OTB pro-
duits finis (Inditex). Cette approche est souvent associée
7. Source : Analyse Kea & Partners

À RETENIR

Dans un monde où l’incertitude est de plus en plus forte, Les investissements consentis sur la marge brute im-
la flexibilisation des achats est stratégique : optimisation pliquent une nouvelle péréquation de marge et un pilo-
du BFR, meilleure connaissance des besoins, meilleure tage par la marge nette (meilleur écoulement avant soldes
identification des bests. et baisse de la démarque).

L’enjeu pour les marques comme pour les enseignes


consiste à flexibiliser à hauteur de 30 % et implique d’équi-
librer les achats court, moyen et long terme. Cette dé-
marche dépasse largement les pratiques actua actuelles.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 43
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Pour les marques orientées wholesale le champ des d’avoir au plus tôt une certaine visibilité sur les pièces les
contraintes est plus fort. Confrontées à la concurrence plus vendues en wholesale et donc sur les volumes de
sur les chaînes de production et la nécessité de comman- vente à anticiper. Cela permet de réduire les invendus,
der au plus vite pour être produites en priorité par les d’identifier éventuellement les pièces à annuler et d’ajus-
fabricants, elles doivent trouver des solutions inno- ter au mieux les OTB (open-to-buy) matières. Les bud-
vantes : à titre d’exemple, les showrooms virtuels, les gets de vente et donc d’achat peuvent ainsi être affinés
applications de validation d’ordre par les acheteurs inter- au mieux avant le lancement des ordres de production.
nationaux (Joor, Le New Black, Ordre) leur permettent

PÉPITE

Tekyn
sont les suivants : une augmentation des ventes, des
stocks réduits et une démarque en baisse, et par consé-
quence une amélioration de la marge nette et du BFR.
Fondée en 2017 par Pierre de Chanville et Donatien Mour- Les équipes de Tekyn mettent également en avant le fait
mant, Tekyn offre aux marques un service de fractionne- que cette solution d’ « écoproduction » est le pendant
ment des approvisionnements, afin de calibrer précisé- naturel de l’ « écoconception » dans la sphère créative.
ment la production aux ventes réelles. Mais là où l’impact recherché se mesure en termes qua-
En limitant leurs engagements d’avant-saison, les marques litatifs dans la création, il se mesure en termes quantita-
peuvent régulièrement réajuster leur niveau de produc- tifs dans la production.
tion en fonction de la demande. La start-up propose à la
fois une technologie de facilitation de confection (kits), La crise actuelle va-t-elle accélérer
destinée aux ateliers, et un outil de gestion des stocks, le recours à ce modèle ?
matières premières, commandes et réassorts. La solution La crise liée à l’épidémie de Covid-19 a un effet de cataly-
repose sur une double technologie : (1) Le Tech Center : seur sur les problématiques de niveaux de sur-stocks ainsi
Industrie 4.0 & Lean Manufacturing appliqué au textile, et que la gestion de trésorerie et de besoin en fonds de rou-
(2) une plateforme dashboard collaborative, pour tous les lement. Le passage à un modèle de production on-demand,
acteurs de la chaîne de valeur. peut, en ce sens, devenir un levier de gestion de risque
particulièrement efficace pour ces deux questions : un
L’impact positif la production à la demande sur l’activité niveau de production sans engagement en amont, donc
La solution Tekyn vise à apporter une réduction du cycle sain en termes de gestion des disponibilités, et une pro-
achat-vente et une fiabilisation de l’offre. Les avantages duction liée à une demande réelle, et non prévisionnelle.

Ce cycle permet une production variée


de vêtements en quantités industrielles

Marque 1
Passage de commande
Tekyn tech center
Préparation 2 Préparation des kits
à la demande de montage

Atelier de confection
Confection et envoi
3
des produits finis

Source : Entretien IFM-Kea&Partners, site Internet Tekyn


44 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

FICHE PRATIQUE

La pré-commande :
Les vertus du modèle sont claires : peu de stocks, peu
d’invendus, pas de soldes par conséquent. En faisant des
clients des acteurs du projet (à la manière d’un investis-
une révolution seur sur une plateforme de crowdfunding), Asphalte se
créée une communauté fidèle et porteuse de la marque.

à intégrer dans Ce modèle est également une excellente opportunité pour


tester le potentiel d’une marque et de son USP (Unique

le modèle Selling Proposition) avec une prise de risques limitée. Un


blog comme Bonnegueule.fr a pu ainsi capitaliser sur sa

marchandise
renommée digitale, et tester la capacité de sa commu-
nauté à acheter des produits élaborés et distribués par le
blog.
de demain ? Le modèle de pré-commande comporte cependant cer-
taines limites. Le délai de 2 à 3 mois minimum entre
Pour ajuster les volumes de production à la demande l’achat et la livraison peut être un frein majeur dans une
réelle, de multiples initiatives sont conduites autour du société où l’achat d’impulsion est roi et où les DNVB lea-
modèle de pré-commande. Asphalte, dans le prêt-à-por- ders poussent le « tout, tout le temps, tout de suite » à
ter masculin, incarne cette ambition en envoyant à sa son paroxysme. Les tailles des marques s’inscrivant plei-
base clients un questionnaire pour comprendre les at- nement dans ce registre restent relativement limitées et
tentes et les irritants des consommateurs face au produit posent la question de la capacité à franchir des seuils de
proposé. Fort des résultats, la marque lance une série de chiffre d’affaires au-delà de 20 millions d’euros.
tests pour créer le prototype répondant aux critères
donnés. Vient ensuite la phase de pré-commande, avec
un achat avant même le lancement de la production. Une 50 % des dirigeants
fois les minimas atteints, la production peut démarrer
avec un surplus de 5% de volumes pour assurer les estiment que la
échanges suite aux livraisons. En moyenne, 3.400 pièces précommande est un levier
sont précommandées pour chaque produit proposé.
stratégique intéressant
Ce modèle se retrouve également chez les acteurs du
luxe, par la pratique des « trunk shows ». Ils proposent
en avant-première aux clients/clientes sélectionnés la
possibilité de commander des modèles spéciaux : pièces
de défilé, fourrures, sacs en peaux précieuses, etc. Cela
devient un service exclusif mais aussi une façon de limi-
ter les risques de stock sur des pièces de grande valeur.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 45
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

L’OPTIMISATION DES SOLDES


À RETENIR

ET DES PROMOTIONS L’optimisation des politiques promotionnelles en


travaillant l’allocation des taux de démarque à la
Bonne nouvelle ! De nouvelles marques se développent référence peut générer des gains de +5 % à +10 %
avec des modèles économiques libérés de la démarque de masse de marge pendant ces périodes, à écoule-
avec dès le départ une promesse de prix justes et une ment des produits constant.
politique promotionnelle nulle voire très limitée. Asket,
Asphalte, Hast, Bonne Gueule, 1083, Octobre Editions, La fixation des taux promotionnels est réalisée au-
Atelier Particulier, Frenchaholic, Suitsupply, Maison jourd’hui avec peu d’outils et une part d'arbitraire :
Standards… ont adopté cette approche. analyses des écoulements passés et des niveaux de
stock, projections sur le stock à écouler pendant les
D’autant plus que gérer des promotions dans un calen- soldes, estimation des effets d’accélération des
drier international devient un vrai casse-tête. taux.

Le premier levier est la construction d’un modèle d’opti- La data science permet de créer un modèle d’arbi-
misation global pour allouer les meilleurs taux de dé- trage qui définit pour chaque référence (en fonction
marque par produit ou catégorie de produits en combi- des priorités retenues) le taux idéal qui favorisera
nant préservation de la marge et écoulement des stocks. l’écoulement tout en préservant la marge.
Les équipes en s’appuyant sur ce type de modèle adossé
à la data arbitrent sur le taux optimal, placent le curseur
«  marge vs écoulement » et l’impact en termes de

25 à 30 %
chiffres d’affaires, de marge et sur les stocks à écouler.

Le deuxième levier est l’objectivation des écoulements


futurs entre le moment où les équipes fixent le taux pro- Poids des promotions
motionnel à la référence et le démarrage de la période de dans le chiffre d’affaires
promotion ou de soldes. Les modèles utilisés permettent enjeu de diminuer le poids
d’approcher la réalité des écoulements avec 5 % d’écart. aux alentours de 20 % du chiffre
d’affaires
La mise en place d’outils d’optimisation est relativement
simple, avec un retour sur investissement immédiat pour
les marques, de l'ordre de +5 à +10 % de masse de marge.

Pour les marques orientées wholesale et leurs distribu-


teurs (department stores en particulier), cette optimisa-
+5 à +10 %
Gains potentiels en travaillant
tion implique d’aller encore plus loin dans le partage de
l’allocation des taux promotionnels
l’information (taux de revente, anticipation des opéra-
à la référence
tions commerciales) et dans la construction d’une poli- (entre +5 et +10 % de masse
tique commune grâce à la définition d’outils conjoints qui de marge pendant les périodes
devient une absolue nécessité. de promotion à écoulement
constant)

Sources : Analyses Kea&Partners


46 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

© Institut Français de la Mode - Allyssa Heuze


LES PREMIERS PAS

La mutation des
du financement et des stocks en fonctionnant principa-
lement par un système de pré-commandes et des ventes
sur son site et son Instagram. Seuls quelques modèles
chaînes de valeur permanents sont disponibles tout au long de l’année, le
reste de l’offre est présentée sous la forme de capsules
en pré-commande.
Le défi
Comment construire le calendrier de l’offre avec les L’enseignement
contraintes que sont le financement de la production et La rareté des financements disponibles au démarrage de
les stocks éventuels qui représentent une immobilisation l’activité conduit les jeunes marques à imaginer des sys-
lourde pour une jeune entreprise ? tèmes créant un modèle vertueux qui diminue fortement
le BFR et évite le financement de stocks importants, que
La réponse ce soit grâce à la précommande ou des drops réservés au
La définition de l’offre et de sa commercialisation peut retail.
découler directement de ces contraintes. Mister K, jeune Source : IFM

marque digital native, a résolu les deux problématiques


CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 47
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

L’approche par
la valeur client
L’approche par la valeur client va au-delà Les dirigeants interrogés
des questions d’orientation client de l’en- considèrent tous que l’exploitation
treprise (organisation de l’entreprise à
des données clients est un enjeu clé
tous niveaux pour répondre au mieux aux
attentes des clients). de leur développement, néanmoins
seuls 12 % d’entre eux estiment
Elle consiste en un développement des produits et services
de l’entreprise qui soit le plus en phase avec les attentes mettre en œuvre suffisamment de
d’un client individuel ou d’un groupe de consommateurs moyens dans ce domaine.
(communautés, cohortes, segments…). Le but est de maxi-
miser la valeur financière à long terme apportée par les
clients. La valeur client complète la valeur d’une marque. Elle Cette approche est issue à l’origine des acteurs direct to
devient un des principaux indicateurs des investisseurs consumer (D2C), et plus précisément du modèle d’abon-
pour évaluer une marque de mode « gagnante » car elle dé- nement, dans lequel le client est associé à un revenu
montre sa capacité à recruter, fidéliser et piloter finement le mensuel récurrent (monthly recurring revenue – MRR).
retour sur investissement. Pour un dirigeant et son équipe,
c’est l’opportunité également d’adapter son modèle et d’en- Cette approche implique en tout état de cause une ex-
richir son « cockpit » stratégique. Comment mettre le client ploitation complète de la data client pour nourrir les ré-
au centre ? Comment le recruter, l'animer, le fidéliser ? Avec flexions marketing, commerciales et produit. Les nou-
quels moyens moteurs associés ? veaux KPI (indicateurs clés de performance) à piloter
transforment les métiers de la relation client et les im-
briquent encore plus fortement avec les équipes collec-
tion, communication et réseau.

À RETENIR

L’approche par la valeur client a plusieurs vocations : recru- l’accroissement de la valeur client à travers des commu-
ter des clients, les fidéliser, maximiser leur contribution nications ciblées et personnalisées, une meilleure com-
économique et rentabiliser les dépenses en marketing. préhension des attentes et réactions des clients et des
investissements marketing optimisés.
Elle devient un paramètre de valorisation des actifs de
l’entreprise quel que soit le secteur et en particulier des Accessible à tous les acteurs, la mise en place d’une stra-
acteurs de la mode aujourd’hui challengés. tégie data demande de structurer et analyser ses données
clients avant de mettre en œuvre des actions concrètes
La valeur client est amplifiée par la data. L'exploitation de issues de ces analyses.
la data et le pilotage de nouveaux indicateurs permettent
48 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

LE CLIENT, NOUVEL ACTIF L’analyse approfondie de toutes ces données et leur in-
terprétation permet notamment d’anticiper les ten-
DES MARQUES dances, prévoir certains achats, diminuer l’attrition,
booster la fréquence ou le panier moyen, développer de
Les marques sont depuis toujours riches d’informations nouveaux produits, etc.
sur les clients, alors quoi de neuf ? Les parcours client
sont multiples, les données internes s’enrichissent et se
combinent avec les données externes dans un cadre lé- LA DATA POUR ACCROÎTRE
gislatif structurant (RGPD), les DNVB, les plateformes ont
une longueur d’avance et semblent difficilement imi-
LA VALEUR CLIENT
tables…et pourtant les marques sont largement pourvues Fédérer une communication autour de la marque
en data et les usages sont multiples !
Les marques tirent de l’analyse des datas clients une vision
Chaque marque dispose de nombreuses informations sur globale de leur communauté clients, de leurs caractéris-
ses consommateurs : préférences, fréquence d’achat, lo- tiques, de leurs attentes et de leurs réactions. Cette ana-
calisation géographique, intérêts, classe d’âge, ainsi que lyse permet de développer du contenu de marque qui entre
tout leur parcours au travers des pages online qu’ils ont naturellement en résonnance avec leur communauté et
visitées, et qui leur donnent des informations sur les cou- développe leur affinité.
leurs, formes, tailles, types d’articles qu’ils aiment et
achètent, ou encore ceux qu’ils ajoutent à leur panier Dès lors, les marques peuvent mettre en avant leurs va-
pour finalement ne pas les acheter. leurs dans leurs prises de parole, et ainsi favoriser l’émer-
gence d’une communication autour d’un « storytelling » ou
Les modèles D2C (direct to consumer) ont créé de nou- d’un moment de vie (voyage, culture) plutôt qu’une com-
velles normes en termes de tunnel de vente (poids de munication centrée uniquement sur le produit. On observe
l’avant-vente, Instagram comme canal de vente). Ils bé- très clairement cette tendance sur Instagram aujourd’hui,
néficient de nombreuses étapes de collectes de data, que où les publications mettent en avant les collections, les
ce soit au travers de la communication sur les réseaux photos de presse et de défilés, mais aussi des moments
sociaux, du retargeting, ou de la navigation sur leur e-shop, d’inspiration. Ainsi, Officine Générale nous invite sur son fil
pour amplifier l’engagement client, sa fidélisation et donc Instagram à découvrir aussi bien un aperçu des collections
sa rentabilité.

EN UN CLIN D’ŒIL

La valeur client 4. Prendre les bonnes


décisions d’investissement

amplifiée 2. Comprendre

par la data
les attentes client

3. Personnaliser
1. Fédérer une communication la communication
autour de la marque pour recruter et
fidéliser les clients
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 49
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

qu’une escapade en bord de mer pour surfer sur la côte À titre d’exemple, l’enseigne américaine Frank & Eileen
basque en plein hiver, un fauteuil de la fin des années 1930, estime que 80 % de ses clients reviendront effectuer un
Vincent Cassel et Ryan Reynolds, de la peinture et de la achat8. Pour ce faire, leurs efforts marketing sont focali-
sculpture. Impulsée par les marques créatives, cette pra- sés sur l’exploitation des datas pour personnaliser leurs
tique a vocation à être à la portée de tous. communications plutôt que sur des budgets marketing
traditionnels articulés en campagne marketing ou rela-
Comprendre les attentes des clients tion presse. Les clients de l'enseigne reçoivent alors un
e-mail de suivi en lien avec ce qu'ils ont acheté.
Le deuxième atout majeur que la data apporte aux
marques est une meilleure compréhension des attentes D’autres marques utilisent la data pour définir précisé-
des clients : taille, formes, goûts, prix, etc. La data permet ment les e-mails qu’ils vont envoyer en fonction d’un taux
ainsi d’anticiper les tendances et les attentes des clients. de conversion recherché. Combien de mails envoyer par
semaine ? Quel jour et à quelle heure ? Combien de mes-
En la matière, Zara fait aujourd’hui figure d’expert de la col- sages et illustrations envoyer ? Faut-il préférer un fond
lecte de data à grande échelle, de sources internes et ex- coloré ou un fond blanc ? Sur la base des précédentes
ternes : points de vente, mobiles, RFID, ventes (réseau et communications envoyées et du test de tous ces para-
e-shop), réseaux sociaux, navigation web, etc. Les ana- mètres, en grande quantité, l’exploitation des données
lystes étudient ensuite la data pour cibler ce que les clients permet d’optimiser les campagnes de communication
veulent vraiment et transmettent les résultats aux designers auprès de la base client. Les techniques d’A-B testing
qui créent des produits « pour les gens, par les gens ». sont ici d’une grande utilité.
Cette approche d’implication de la communauté client et Attention toutefois à l’hyperpersonnalisation qui pose évi-
d’utilisation de la data dans le design des collections s’ob- demment des questions de respect des normes de protec-
serve également chez les DNVB. La marque Asphalte im- tion des données personnelles et de la vie privée, mais
plique ses clients en leur envoyant un questionnaire pour également des questions de qualité de la relation client : on
cerner leurs goûts : la marque propose au client les pièces observe aujourd'hui que certains clients s'éloignent de
qui sont à l’étude (dessin de la forme et coloris envisagés), marques dont les communications sont perçues comme
les sonde sur le prix afin de définir leur sensibilité prix (ou trop personnalisées.
leur consentement à payer), ainsi que sur les défauts qu’ils
observent généralement sur tel ou tel type de pièce. À Prendre les bonnes décisions d’investissement
partir de l’analyse des résultats, la marque propose ensuite
les modèles retenus et finalisés selon les attentes des Si la fidélisation est un enjeu majeur pour les marques au-
clients (le « pull parfait » en est le premier exemple, ou jourd’hui, une stratégie d’acquisition de nouveaux clients
encore le « jean ultime », les « sneakers solides », etc.). reste néanmoins nécessaire.

Les stratégies commerciales se concentrent désormais sur


Personnaliser la communication pour recruter
et fidéliser les clients la customer lifetime value de la base client, c’est-à-dire la
contribution d’un client aux revenus de l’entreprise au cours
Les programmes CRM (gestion de relation client) étaient de la durée pendant laquelle il est client, pour maximiser le
auparavant fondés sur une approche dite RFM (récence, retour sur investissement des dépenses marketing.
fréquence, montant), se focalisant sur la fréquence
d’achat, le moment du dernier achat et la valeur d’achat.
Aujourd’hui, la data permet de mettre en place une com-
munication plus ciblée et personnalisée, destinée à fidé-
liser les clients et à les activer au bon moment. Au travers
de la personnalisation des communications, c’est la per-
sonnalisation de la relation client qui est permise.

Dans un contexte d’augmentation des coûts d’acquisition


de nouveaux clients, ce ciblage devient crucial. L’enjeu
est vital pour certaines marques dont plus de 75 % du
chiffre d’affaires est réalisé auprès de clients connus. 8. Source : presse
50 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

FICHE PRATIQUE

Autres cas d’application


de la data
Affiner la connaissance des canaux Appréhender les influenceurs comme
de distribution préférés par les clients des canaux de distribution particuliers
Une première difficulté pour les acteurs présents sur de Des solutions existent pour mesurer la performance de
multiples plateformes est de préserver leur image de faire appel à certains influenceurs pour une campagne
marque. À cela s'ajoute la perte d'information sur le par- marketing en traitant un influenceur comme un canal de
cours d'un client ayant cliqué sur le lien d'une publicité et vente particulier, à l’instar de MikMak citée précédemment.
redirigé vers une plateforme hors e-shop. Les marques
deviennent donc dépendantes des data collectées et four- Précisons que la rémunération des influenceurs est de plus
nies par les plateformes, ce qui pose des questions de fia- en plus la norme, et que les relations entre marques et in-
bilité, mais aussi de compatibilité, de facilité d’exploitation fluenceurs se structurent davantage. Ainsi en 2020, la ré-
et d’exhaustivité des données. munération moyenne d’un influenceur a progressé de 71 %.

Ceci rend plus complexe la connaissance fine de sa base Optimiser l’offre proposée en magasin
clients, là où les acteurs D2C (direct to consumer) ont un
Comment savoir si les consommateurs qui achètent en
avantage net, qui est de collecter leurs propres data, à
magasin ont été poussés à l’achat par leur parcours
toutes les étapes de la chaîne.
online (research online, purchase offline) ? Le défi est
Cependant, des solutions existent pour les marques. On plus complexe ici, mais l’utilisation de la data permet là
peut par exemple citer la solution américaine MikMak, qui encore d’y répondre. En effet, l’exploitation des données
permet de laisser le choix aux clients quant au mode de géographiques des consommateurs permet de savoir
distribution du produit qu’ils désirent acheter. Concrète- quels sont les produits qui intéressent une zone de cha-
ment, un consommateur qui visionne une publicité pour landise donnée, et permettent donc d’anticiper le niveau
un article sur Instagram par exemple, se verra proposer de stock à prévoir dans son réseau. Si le retour sur inves-
de choisir la plateforme de distribution sur laquelle il veut tissement peut paraître plus faible ici, l’opération permet
aller voir le produit : e-shop de la marque, site de vente à tout le moins de se prémunir contre des effets déceptifs
en ligne généraliste ou spécialisé, etc. Cette solution pour les consommateurs que sont la pénurie, le manque
permet d’assurer la continuité dans la collecte d’informa- de stock temporaire, ou encore l’incapacité à proposer en
tions sur ce client. magasin une offre pertinente pourtant accessible en
ligne.
Cela permet de résoudre le calcul du retour sur investis-
Source : Étude Reech, Les influenceurs et les marques 2020 ; presse
sement marketing (ou ROMI) et de guider les investisse-
ments vers les plateformes les plus pertinentes.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 51
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Les coûts d’acquisition de nouveaux clients sont en forte La hausse des coûts d'acquisition client rend plus difficile
augmentation, notamment en raison d’une hausse de le retour sur investissement des dépenses marketing.
tarifs d’acteurs comme Facebook (doublement des coûts Cela implique pour les marques à la fois un ciblage des
chaque année depuis trois ans), Google, mais aussi en recrutements, le pilotage fin des cohortes et le suivi de la
raison d’une plus grande saturation du marché. Les ana- lifetime value.
lystes notent que dans les secteurs très compétitifs, les
coûts d’acquisition de nouveaux clients augmentent de L'augmentation des coûts d'acquisition et
20 % par an depuis 20179 et sur l’ensemble des secteurs,
d'activation client dégrade le retour sur
les coûts moyens de publicité en ligne ont augmenté de
investissement d'une campagne marketing
12 % de 2017 à 2019.10

À titre d’exemple, d’après Adobe Digital Insight, sur un


Coûts d’acquisition Coûts d’activation Retour sur
panel de marques donné, les dépenses en media paid ont investissement
augmenté de 42 % au cours des deux dernières années.
Pour autant, le clic through11 n’a lui augmenté que de 11 %.
Autrement dit, le coût d’acquisition client marginal de-
vient trop élevé pour être rentable12.

Toutefois, malgré un contexte de taux d’engagement13 en


baisse (-18 % en 2019 sur Instagram), les acteurs du
marché notent que les réseaux sociaux demeurent au-
jourd’hui le meilleur moyen de recruter de nouveaux
clients, a fortiori pour de jeunes marques cherchant à
créer leur communauté14. Google et Facebook sont au- Conversion Transformation

jourd’hui les principaux bénéficiaires des dépenses media Ciblage sur les bases
clients en fonction
en ligne (plus de 50 %)15, mais les marques se tournent de la CLV (customer
également vers de nouvelles plateformes, comme TikTok, lifetime value)

créée en 2016, et ciblant particulièrement les millenials


les plus jeunes et la Génération Z (naissance à la fin des
années 1990).

L’exploitation fine de la data client permet d’optimiser le


retour sur investissement (cf. l’encart portant sur la cus-
tomer lifetime value p. 53).

9. Mary Meeker, Internet Trends 2019


10. Adobe Digital Insight
11. Taux de clic, et il ne s’agit ici que de visites sur les sites, pas d’actes
d’achats.
12. Dans le cas d’acteurs D2C, les experts estiment qu’au-delà de
20 à 50 M$ de revenus en direct, les marques atteignent un plateau
qui les pousse à aller vers d’autres modes de distribution,
car les coûts d’acquisition de nouveaux clients sont trop élevés.
13. Ratio entre le nombre d’internautes ayant réagi à une publication
(commentaire, partage, like…) et le nombre d’internautes ayant vu
cette publication.
14. Source : presse
15. Source : presse
52 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

UN NOUVEAU COCKPIT
DE PILOTAGE DE L’ACTIVITÉ
ET DES INVESTISSEMENTS
L'approche par la valeur client induit de nouveaux indica-
teurs pour piloter l’activité, à côté d’indicateurs tradition-
nels qui restent pertinents et dont les principaux sont pré-
sentés ci-dessous.

Ces indicateurs constituent des aides à la prise de déci-


sion : favoriser des dépenses marketing sur une cohorte
de clients pour laquelle le ROMI (Return on Marketing In-
vestment) sera plus important.

Indicateur - Notion Définition Enjeux et leviers

Customer Lifetime Value La somme des profits annualisés générés Enjeu


(CLV) par un client au cours de sa « vie » avec Rallonger la durée de la relation
la marque. des clients à la marque.

La CLV est la somme des contributions Levier


d’un client au profit, nettes de tous les coûts Fidéliser les clients grâce
liés : acquisition, activation, rétention, etc. à un programme CRM plus
personnalisé.

Return on Marketing Le retour sur investissement des dépenses Enjeu


Investment (ROMI) de marketing associées à un revenu généré, Élargir la base clients
exprimé plus facilement en multiple. en acquérant efficacement
de nouveaux clients.
À la différence d’un ROI (retour sur
investissement) classique calculé dans Leviers
le cadre d’une opération d’investissement, Développer des stratégies
le ROMI se calcule sur des OPEX. différentes selon les zones
géographiques, cibler des profils
digital friendly.

Average Revenue per Revenu moyen généré par un client. Enjeu


Unit (ARPU) Accroître les dépenses moyennes
des clients.

Levier
Augmenter le cross selling (proposer,
au moment de l'acte de vente
ou plus tard, la vente d'un produit
complémentaire à celui acheté).

Cohortes de clients Segmentation des clients en groupes aux Enjeu


caractéristiques communes : âge, lieu, sexe, Segmenter de la manière la plus
pouvoir d’achat/CSP, fréquence d’achat, détaillée possible la base clients.
panier moyen, produits recherchés, etc.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 53
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE
LA MISE EN ŒUVRE DE SA
L’utilisation STRATÉGIE DATA AU SERVICE
de la customer DE LA VALEUR CLIENT

lifetime value
Précisons une conviction et un parti pris méthodolo-
gique : d’une part, nous estimons que tous les acteurs
peuvent définir une stratégie data, indépendamment de
pour optimiser leur taille, et d’autre part, si les points d’application de la
data pour les marques vont bien au-delà de la seule aug-

le retour sur mentation de la valeur client, nous nous focalisons ici sur
cette finalité majeure.

investissement Dans cette optique-là, il est important de souligner qu’une


stratégie data visant à accroître la valeur client ne peut

des campagnes s’opérer qu’avec l’implication forte – voire sous la respon-


sabilité – des équipes CRM.

marketing Il est nécessaire d’investir dans de nouvelles compé-


tences avec trois types de profil :
 et exemple permet de comprendre l’utilité
C
de la customer lifetime value dans le choix • les data engineers, chargés de faciliter l’accès à la
des décisions d’investissements marketing. data (organisation des infrastructures, architecture,
visualisation…),
Une marque segmente sa base client en deux co-
hortes, A et B. • les data scientists, responsables de l’analyse de la
data,
Le directeur marketing doit trancher entre le lance-
ment de deux opérations d’acquisition clients qui • les business translators, qui, eux, ont pour mission
rejoindraient les cohortes A ou B, coûtant chacune d’interpréter les enseignements, les traduire en ac-
25 000 €, ciblant deux populations de taille identique tions opérationnelles et les démultiplier au sein de
avec un taux de succès de recrutement similaire. l’enseigne. De tels profils peuvent obtenir des salaires
entre 35k et 40k€ brut/an en début de carrière et plus
La durée de rétention moyenne d’un client de la co- de 60k€ brut/an pour les plus expérimentés.
horte A est de 5 ans, contre 7 ans pour la cohorte B. Le
profit moyen annuel probabilisé par client de la cohorte
A est de 80 €, contre 55 € pour la cohorte B. Pour les
deux cohortes, la fréquence annuelle d’achat est de 1.

La CLV de la cohorte A est donc de 400 € (5 x 80 €)


contre 385 € pour la cohorte B.

L’opération à privilégier est donc celle pour recruter


des clients de la cohorte A.

Cet exemple se complexifie évidemment en fonc-


tion du nombre de paramètres exploitables (famille
de produits, âges, probabilité de réponse du client).
La contribution client s’apprécie « nette » de tous
les coûts engagés.
NB1 : La valeur de la CLV dépend directement de la probabilité
de réponse du client, qui elle-même est fonction du budget marketing
alloué au client.

NB2 : La marge n’est collectée que sur les clients qui restent après
rétention, alors que les coûts initiaux sont engagés pour tous les clients
et prospects ciblés.
54 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Entre les DNVB, dont le modèle est fondé autour de la « pris en main » de façon sommaire la data dont dis-
data et de l’approche par la valeur client, et les grands pose la marque. Ainsi, les premières analyses de don-
groupes qui disposent de moyens financiers importants nées clients sont tout à fait réalisables en utilisant
pour mettre en œuvre leur stratégie data, il existe une Excel. Facebook, Instagram, LinkedIn et Google offrent
voie médiane ouverte à tous les acteurs. également des outils d’analyse très accessibles.

Les 3 grandes étapes pour développer une approche data • Passer à l’action de façon itérative : ce dernier point
robuste, sont accessibles à toutes les marques : est majeur, car le passage à l’action permet de mesu-
rer les résultats et corriger les opérations en fonction.
• Structurer la data client : collecter et exposer les don- La data sert la prise de décision et l’approche itérative
nées. Il s’agit pour les marques de choisir les données permet de mener des tests puis d’ajuster. Il est donc
essentielles à exploiter et de structurer leurs outils primordial, sur la base des premières analyses, de
data en conséquence (outil CRM notamment). Des transformer les enseignements en opérations
outils comme SugarCRM sont facilement accessibles, concrètes, qui pourront être adaptées par la suite. Par
ou d’autres solutions en open source. exemple, pour l’exécution d’une campagne d’e-mai-
ling, des solutions comme Neolane, Mailchimp, Sen-
• Analyser les données et en tirer des conclusions : il
dInBlue, etc. sont accessibles à bas coût.
est nécessaire de commencer par réaliser des ana-
lyses statistiques simples de la data client, avant de Il convient de rappeler que cette approche doit s’inscrire
pouvoir affiner les analyses. En effet, il est inutile dans le respect des normes communautaires en matière
d’avoir recours à des outils au coût élevé, par exemple de protection des données (RGPD).
des solutions de machine learning, avant d’avoir

PÉPITE

Le regroupement
Les objectifs affichés par le directeur exécutif omnicanal
de Fashion3 sont notamment d’anticiper la demande
selon la zone de chalandise, détecter des tendances,
d’enseignes lancer une collection, et gérer les stocks en magasin.

de la plateforme En 2019, l’enseigne de prêt-à-porter masculin Jules a af-


fiché ses premiers résultats dus au recours à Fashion3 :

Fashion3
-4 % de pièces produites et +1 % de chiffre d’affaires, tout
en ayant moins recours à la démarque.

La galaxie Mulliez développe un projet de collaboration


Fashion3 est la plateforme de coopération data des en- data de plus grande envergure encore, Valiuz, au-delà
seignes textiles du Groupe Mulliez (Pimkie, Jules, Brice, des enseignes textiles du groupe.
Bizzbee, Orsay, Grain de Malice et Rouge Gorge), visant à
Source : presse
mettre en commun les données clients des enseignes.
© Sarah Dorweiler, Unsplash
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 55
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LES PREMIERS PAS

Comment
opérationnaliser
la data ?
Le défi L’enseignement
L’exploitation de la data peut sembler difficile sans les L’application de ces principes permet de faire de l’analyse
outils adéquats ou des moyens financiers conséquents. de la data un outil de prise de décision, et son exploitation
En réalité, les étapes présentées ci-dessous sont appli- permet de tester différentes solutions (un mix de distri-
cables à toutes les marques, et en particulier aux jeunes bution, une politique de pricing, etc.).
marques ou de taille moyenne disposant de moyens limi-
tés à allouer à leur stratégie data. Pour approfondir et mettre en pratique les thèmes déve-
loppés ici, le DEFI a réalisé deux webinaires traitant
La réponse
d’analyse de la data (https://youtu.be/HfFNpN9hyZ8) et
de growth hacking (https://youtu.be/s1Z5aW0vRnA).
• Construire la base de données dans son architecture Ces deux vidéos donnent des exemples d'analyses et
IT / ERP de la façon la plus exhaustive et rigoureuse d'outils possibles à utiliser pour tous les acteurs, notam-
possible. ment les plus jeunes.
• Construire, dès son lancement, son CRM. Excel peut Source : Entretiens IFM-Kea&Partners, DEFI – La Mode de France
être un bon outil de base qui vaudra mieux qu’un outil
CRM payant et sous-performant. Des outils en open
source peuvent être adaptés aux marques, à l’instar
de Yetiforce ou Vtiger CRM.

• Garantir l’unicité de la donnée de base et ne pas déve-


lopper des bases de données parallèles, qui conduiront
à des silos dans l’organisation.

• Recueillir dès le démarrage le plus de données pos-


sibles : âge, sexe, adresse, produit acheté (type, taille,
couleur, démarque, etc.), même si toutes ne sont pas
exploitées dès le démarrage.

• Exploiter les données pas à pas et toujours de façon


à pouvoir complexifier les analyses réalisées. Par
exemple, conduire d’abord une analyse croisant un
modèle et un couleur, en se laissant la possibilité
d’ajouter une variable supplémentaire (e.g. la taille)
sans avoir besoin de recommencer l’analyse à zéro.

• Utiliser les données pour répondre à des besoins parti-


culiers et définis en fonction de son développement : se
faire connaître au lancement de la marque, fidéliser ses
clients, anticiper des évolutions de tendances, etc.
56 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

La RSE, au cœur
des modèles économiques
de la mode
La RSE (Responsabilité Sociale des En- De nombreuses marques textiles revoient leur
modèle économique à l’aune de la responsabilité
treprises16) est une priorité stratégique
sociale et environnementale
pour tous ; avec trois évolutions récentes :
un engagement de plus en plus marqué Le « Fashion Pact » (août 2019) fut un des premiers témoi-
des marques (au-delà de celles native- gnages largement médiatisés. 66 géants de la mode et du
luxe représentant 150 marques se sont unis pour fixer des
ment engagées), des attentes croissantes objectifs environnementaux chiffrés. De nombreuses autres
des consommateurs et l’évolution du marques poursuivent leur propre agenda en termes de RSE.
cadre réglementaire. La RSE est plus que Certaines n’ont d’ailleurs pas attendu et des marques comme
jamais vecteur de sens pour les marques Kiabi, Id Kids, C&A ont avancé depuis de nombreuses années
et les équipes, générateur de valeur et pour permettre une intégration complète de la RSE dans leur
vision, leur modèle économique et le management des
source d'inspiration et d'innovation. équipes. D'autres comme Décathlon participent aux travaux
européens sur le calcul de performance environnementale
(PEF) et de l’affichage environnemental depuis 2013.

100 % des dirigeants interrogés


dans le cadre de cette étude posent
16. La RSE est « l'intégration volontaire par les entreprises
de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités la RSE comme une priorité
commerciales et leurs relations avec les parties prenantes »,
Livre vert de la Commission européenne, 2001. stratégique et comme un élément clé
de la pérennité de leur entreprise.

À RETENIR

La Responsabilité Sociale et Environnementale est au- Le « Made In », engagement complet ou activation par-
jourd’hui au cœur des modèles économiques de la mode, tielle des marques, structure le modèle de rentabilité. Les
poussée par les marques, les consommateurs et le cadre marques jouent alors sur leur niveau de marge pour pro-
législatif. poser des produits au prix du marché ou engagent leurs
consommateurs dans des achats plus coûteux mais
Elle s’inscrit nativement dans la stratégie des marques ou responsables.
fait l’objet d’une transformation plus récente de leur
modèle économique, en premier lieu sur le plan environ- Au sein de la mouvance RSE, le marché de la seconde
nemental (sourcing, écoconception) et de plus en plus sur main se pose en phénomène durable avec de belles pers-
le plan social et sociétal (sauvegarde de l'emploi et pré- pectives (notamment grâce à l’appui du digital) alors que
servation de la filière). L’actualité récente va tendre à le marché de la location, tendance de fond aux États-Unis
renforcer également les actions engagées en matière de est toujours limité en Europe.
responsabilité sociale et sociétale.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 57
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Les consommateurs expriment leurs attentes Enfin, à l’instar de la solution Yuka pour l’alimentaire et le
d’un engagement croissant du secteur de la mode soin, de nouveaux outils offrent aux consommateurs une
meilleure compréhension de l’impact environnemental des
Les consommateurs changent résolument de comporte- vêtements qu’ils souhaitent acheter. Des plateformes de
ment, une tendance au « consommer moins mais mieux »
notation telles que Good on You ou l'application consom-
s’installe. 78 % d’entre eux regardent la provenance / la
mateur Clear Fashion en sont quelques exemples. Cette
composition d’un article avant de l’acheter, et près de la
dernière a atteint 6 mois après son lancement en France
moitié des consommateurs européens déclarent avoir
(septembre 2019) plus de 100 000 téléchargements. Elle
acheté des produits de mode écoresponsables en 201917.
se définit comme l’outil qui permet de « choisir des vête-
Les consommateurs exigent des marques des preuves ments respectueux de l’humain et de l’environnement » et
concrètes : la place de la conscience environnementale analyse les engagements de plus de 70 marques.
et sociale grandit comme le montre l’étude BrandGage-
Entre marques et distributeurs, l’émergence de standards
ment© 2020 Tilt ideas by Kea & Partners / Epsy (voir
en termes de soutenabilité est également en cours.
encart ci-dessous). Les consommateurs sont de plus en
Citons l’initiative Go for Good portée par les Galeries La-
plus nombreux à estimer que les marques doivent contri-
fayette, qui définit une série de critères environnemen-
buer au bien commun (84 % des consommateurs, soit
taux pour entrer dans la sélection. Au niveau internatio-
+20 points par rapport à 2017) ; 68 % estiment que leur
fidélité ira davantage à des marques engagées dans le nal, le Higg Index, développé par la Sustainable Apparel
futur. Les consommateurs déclarent être prêts à valoriser Coalition, a pour vocation de noter l’impact environne-
cet engagement en payant plus cher les produits d’une mental des collections proposées par ses membres.
entreprise qui s’engage. Si dans les faits le report d’achat
n’est pas aussi évident18, il demeure que les mentalités Le cadre législatif amorce certaines actions pour
ont changé ou sont en train de le faire. définir les nouvelles lignes d’action responsable

Cette prise de conscience croissante des marques et des


consommateurs se double de premières mesures régle-
17. IFM, Enquête consommateurs 2019 mentaires en France. La nouvelle loi relative à la lutte
18. L’étude consommateurs 2019 de l’IFM montre ainsi
contre le gaspillage et à l’économie circulaire promulguée
que le prix reste le premier driver d’achat/conversion. le 10 février 2020 oblige les producteurs, importateurs et

EN UN CLIN D’ŒIL

Les clients sont prêts à valoriser


cet engagement 65 %
68 %

55 %
51 %
47 %
43 %
37 %

29 %

2017 2018 2019 2020 2017 2018 2019 2020

(n=1 000) Êtes-vous disposé(e) à payer plus cher un produit (n=1 000) Demain estimez-vous que votre fidélité ira davantage à
similaire d'une entreprise qui s'engage ? des marques engagées pour un futur meilleur plutôt qu'à d'autres ?

Extrait de l’Étude BrandGagement© 2020 Tilt ideas by Kea & Partnes / Epsy
58 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

distributeurs à « réemployer, réutiliser ou recycler leurs


invendus » et leur interdit désormais de les détruire. La
LA RSE, DE L’ENGAGEMENT
pression est aussi mise par des lobbies et ONG au travers À L’OPÉRATIONNALISATION
d’actions chocs comme le «  say no to new clothes
challenge » par Oxfam UK, visant à dire stop à la fast L’engagement qui s’incarne dans les actions RSE ne peut
fashion pendant 30 jours et privilégier les achats de se- plus être conçu en marge de la stratégie, il doit être au
conde main. cœur même du modèle. Cela implique trois effets :

• La concurrence se joue désormais aussi à travers la


Une transformation responsable accentuée vision RSE que porte chaque entreprise. Chaque acteur
par la crise du Covid-19 ? doit donc trouver sa singularité, la RSE devenant une
composante à part entière de son positionnement.
Gageons que la crise du Covid-19 va renforcer cette dy-
namique en faveur de modèles économiques à la Respon- • Dépasser les normes devient presque…la nouvelle
sabilité Sociale et Environnementale renforcée. Tout norme et il y a un fort enjeu à construire son propre
d’abord parce qu’elle a accentué certaines peurs mais référentiel, et ce d’autant que dans le maquis des
aussi parce qu’elle a rendu plus vivaces certains futurs normes ISO et labels, il n’existe pas de référentiel
désirables et mis en lumière les effets environnementaux commun à l’heure actuelle, et les initiatives interna-
positifs de l’arrêt de la production et du transport de tionales et européennes n’ont pas encore abouti.
marchandises.
• La RSE doit s’intégrer à tous les modèles écono-
En désorganisant brutalement les chaînes logistiques et en miques. Certaines entreprises en font le cœur de leur
montrant notamment la forte dépendance européenne aux proposition de valeur et de nouveaux modèles écono-
pays producteurs de textile à l’international, la crise a mis miques émergent : seconde main, « Made In », loca-
en évidence un manque de sécurité des approvisionne- tion, abonnement…
ments et démontré que les stratégies lean généralisées
peuvent s’avérer néfastes en temps de crise.

La crise a aussi permis un élan de solidarité sociale et les


entreprises de la mode n’ont pas été en reste, réalisant,
par exemple, de nombreux masques sur leurs lignes de
fabrication.

À RETENIR

La RSE s’incarne au cœur du modèle économique des L’opérationnalisation d’une telle stratégie est un défi
marques et devient une composante à part entière de majeur pour les marques de mode, nécessitant la mise en
l'offre. Elle ne peut pas se limiter à un axe stratégique à place d’objectifs spécifiques, mesurables et une modéli-
part. sation robuste des impacts économiques.

C’est toute la stratégie de sourcing qui est à repenser,


couvrant l’ensemble du cycle de vie du produit, de l’éco-
conception à l’upcycling, pour réduire l’impact Social et
Environnemental de la production.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 59
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

EN UN CLIN D’ŒIL Les Sustainable Native Brands qui ont su

RSE, facteur
démontrer leur singularité et leur succès
Patagonia, Veja, 1083,Faguo, Sessun, Marine Serre,
Gaelle Constantini,…

de création
ou de mutation
des modèles La transformation
économiques des modèles
économiques
Les modèles économiques existants revisitant tout existants
ou partie de leur chaine de valeur (éco-conception,
transport, upcycling,…)
Margiela, Stella McCartney, Reformation, Everlane, Kiabi, C&A….

Les modèles économiques émergents qui répondent


aux nouvelles tendances de consommation : seconde

Le cycle
main, abonnement, location
Vinted, Guerrisol, Freepstar, Kiloshop, Vide dressing,…

d’écoconception Conception
dans la mode - Technique d'éco-conception (Decathlon)
- Impacts sociaux et environnementaux des matières végétales (Pinatex)
- Protection animale et impacts environnementaux pour les matières animales
Illustration d’engagements et de leviers RSE activables
- Dépendance des ressources fossiles et des produits chimiques pour
les matières synthétiques et artificielles (Modern Meadow)

Fin de vie
- Déchets de pré-consommation
(chutes de tissus, produits défectueux...)(Cyrillus)
1
- Collecte et invendus
- Recyclabilité des déchets et éco-conception
Production
(Adidas)
6 2 - Connaissance et maîtrise du parc
de fournisseurs (Okaïdi)
- Impact environnemental
de la production (déchets...)
- Rémunération et conditions de travail
des employés dans l'industrie textile
(Everlane)

Utilisation
5 3
- L avage responsable (pollution des eaux)
(H&M Clevercare)
- Durée de vie et réparation
- Durée d'utilisation et modèles circulaires (1083) Transport et logistique
4 - Impact carbone du mode de transport choisi
(Gémo)
Commercialisation - Optimisation des transports (Staci)
- Maîtrise du rythme de la mode - Emballages : choix du matériau, réduction,
réutilisation et recyclage (Reformation)
- Empreinte carbone du modèle de vente (Kiabi)
- Impact et engagement du Siège (Everlane)
- Transparence, information et engagement du consommateur Source : Kea&Partners
60 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

La maîtrise du sourcing au sein de la chaine de dance en ressources non renouvelables, renforcer la
valeur est essentielle dans la transformation RSE réduction des déchets à la source, …
d’un modèle économique
L’impact de l’éco-conception peut être relativement
Sur le versant de la responsabilité sociale19, les acteurs de la limité financièrement, les différences de prix étant par-
mode sont désormais attentifs aux conditions de travail chez fois minimes, voire dans certains cas contre intuitives : le
leurs sous-traitants et à la certification de leurs partenaires polyester bio s’avère parfois moins cher que le polyester
industriels. Comme l’expliquait le guide Approvisionnements conventionnel. Le coût matière sur le produit global se
responsables pour des marques désirables (mars 2019)20, révèle plus ou moins significatif selon la taille de l’entre-
« l’achat de produits finis, via des agents, importateurs ou prise. Chez les plus gros acteurs (plus de 150 M€ de CA),
traders, limite la visibilité sur les sites de production et leurs le coût de la matière « responsable » correspond en
pratiques. Il en va de même avec le risque de sous-traitance moyenne à une augmentation de 4 % des coûts matières
en cascade. Un contrôle dédié est nécessaire pour réduire les (qui eux-mêmes ne représentent qu’un tiers du coût des
risques sociaux et environnementaux les plus critiques. » produits vendus).
Aujourd’hui de très nombreux acteurs cherchent à trans- Sur les dernières étapes du cycle de vie du produit, y
former leurs pratiques de sourcing, poussés notamment compris dans l’usage et l’utilisation du produit, des
par des marques qui mettent la transparence au cœur de marges de manœuvre peuvent être activées, en particu-
leur modèle comme Reformation, Veja, Underprotection, lier l’upcycling. S’inscrire dans un cercle vertueux qui
Sydney Brown, Patine, By far, Public Habit, Allbirds, Ever- réemploie des produits, des matériaux dans une optique
lane ou encore Woron. de création de valeur sur plusieurs cycles de vie est le défi
N°1 de demain, à intégrer dès la phase de conception.
Comment aller plus loin en termes de traçabilité pour
C&A, par exemple, a développé un T-shirt certifié Cradle
éviter « l’apparence de la transparence » ?
to Cradle « Gold », fabriqué uniquement à partir de ma-
De nouvelles solutions ont été créées pour parfaire les tières organiques et de colorants non toxiques. Le T-shirt
audits et évaluer les données RSE en continu. Par exemple, est entièrement en coton, y compris les coutures, de
depuis 2018, la plateforme Fair Makers, incubée à Station sorte qu’il peut être composté ou recyclé s’il n’est plus
F, donne un moyen direct de collecter et d’évaluer en temps porté. Pour y parvenir, C&A a travaillé en partenariat avec
réel les données RSE et sécurité sur plus de 194 pays, sans Dystar, lequel a produit une gamme de colorant égale-
passer par l’auditeur intermédiaire d’un fournisseur. Cer- ment certifiée Cradle to Cradle. Ce T-shirt est vendu entre
taines marques ont mis en place des incitations pour ren- 7 et 9 € TTC21.
forcer les bons comportements de leurs sous-traitants.
Puma s’est allié à BNP Paribas et à la plateforme GT Nexus Comment opérationnaliser un tel changement
pour proposer des financements à ses fournisseurs : le dans son modèle économique ?
taux du financement est majoré en fonction de la note du-
Au-delà des engagements formulés, opérationnaliser ces
rable et environnementale qu’il obtient auprès de Puma.
transformations RSE implique d’avoir des objectifs spéci-
Quels enjeux sur le plan environnemental ? fiques, mesurables et une modélisation robuste des im-
pacts économiques. Comment financer sa politique RSE
Côté environnemental, l’empreinte conséquente de l’in- et l’impact de l’éco-conception ? Comment garder une
dustrie textile nécessite de repenser les modèles de pro- flexibilité d’engagement pour limiter les résiduels ? Faut-
duction et le cycle de vie des produits : réduire la dépen- il répercuter sur les prix de vente les inflexions prises et
dans quelles proportions ?

19. Sur ce point, on peut noter que selon le rapport de synthèse sur Les priorités seront déterminées en fonction de la matu-
la mesure de l’impact social du Conseil supérieur de l’ESS (2011), rité et du profil RSE que souhaite la marque. Ainsi, chaque
« l’impact social consiste en l’ensemble des conséquences marque doit s’interroger sur les engagements RSE mimé-
(évolutions, inflexions, changements, ruptures) des activités d’une
organisation tant sur ses parties prenantes externes (bénéficiaires, tiques et singuliers qu’elle veut prendre pour contribuer à
usagers, clients) directes ou indirectes de son territoire et internes son positionnement. Un diagnostic initial permet d’éviter
(salariés, bénévoles, volontaires), que sur la société en général. »
de sous-estimer sa propre maturité.
20. Guide lancé par la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin en
collaboration avec La Fédération de la de la Maille, de la Lingerie et du
Balnéaire et la Fédération Française des Industries du Vêtement Masculin
avec le soutien du DEFI. Ce guide a été réalisé par le cabinet BlueQuest. 21. Prix observé en avril 2020 sur le site internet de la marque.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 61
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE

Grille d’analyse de maturité RSE


et d’ambition pour l’avenir
Maturité RSE à date Ambition pour l'avenir
Thème RSE Enjeux RSE
Min Best Market Mini Best Market
Inexistant Insuffisant
legal practice lead legal practice lead

Écoconception du produit

Produits Impact des produits au cours


de leur cycle de vie
À quel degré assurez-vous
la qualité et la durabilité
Qualité et durabilité du produit
des produits ?

Reprise et recyclage des produits

Traçabilité des matières premières

Usage de matières premières responsables


Sourcing (naturelles, synthétiques, animales)

Contribuez-vous à Impact environnemental de la production


développer des filières et des sous-traitants (carbone, consommation
durables et à promouvoir énergétique, eau, déchets, produits chimiques)
des pratiques responsables et protection des écosystèmes (biodiversité…)
tout au long de la chaîne
de valeur ? Droits humains, conditions de travail

Contractualisation (code de conduite


fournisseurs, charte)

Impact environnemental du transport


Logistique
Réduisez-vous l'empreinte Écoconception / impact environnemental
environnementale de vos des emballages
opérations ?
Gestion des déchets

Marketing responsable (transparence


de l'information, data privacy)
Clients
Faites-vous vivre Transparence du sourcing
l'expérience de la mode
durable ? Expérience responsable (consommation
responsable, engagement des clientes,
communication des engagements RSE)

Bien-être (conditions de travail, santé,


Collaborateurs sécurité…), développement et épanouissement
des collaborateurs (ascenseur social)
À quel degré assurez-vous
l'épanouissement des Diversité
collaborateurs et donnez
du sens à l'action de
chacun ? Engagement des salariés dans des pratiques
responsables

Pratiques business « fair » de l'entreprise


Gouvernance et (corruption, concurrence, transparence, droit)
pratiques business
Disposez-vous d'une Intégration de la responsabilité dans
la gouvernance de l'entreprise / tout au long
gouvernance responsable ?
de la chaîne de valeur

Société Croissance inclusive et développement des


communautés locales (partage de la valeur,
Contribuez-vous emploi, compétences, santé...)
positivement à la société,
êtes-vous une entreprise
actrice du changement ? Contributions de l'entreprise à la société

Source : Kea&Partners
62 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Cette première analyse doit ensuite permettre d’identifier FICHE PRATIQUE


les ambitions pour chacun des éléments de la chaîne de
valeur. De l’actionnariat aux équipes métiers, l’alignement Illustration
de coûts
nécessite de bien clarifier, prioriser et piloter l’action.

Ainsi, une fois l’ambition déterminée, démarre une phase


d’opérationnalisation qui s’intègre aux pratiques exis-
tantes et s’appuie sur une modélisation fine de l’impact et additionnels
des moyens associés.

Pour cela, il faut déterminer et maîtriser les inducteurs de


d’un sourcing
coûts associés et s’inscrire dans une stratégie du pas à
pas qui permettra un financement progressif des actions RSE
prioritaires. C’est aussi à travers des initiatives, des test
& learn que l’entreprise apprend progressivement à mo-
difier ses pratiques.
Coûts additionnels – matière première
La créatrice Anne Willi par exemple témoigne de sa prise
de conscience environnementale dans l’attention portée Coton certifié GOTS
aux conditions de fabrication de ses vêtements. D’autres Polyester recyclé
producteurs et créateurs initient des démarches de Slow
Fashion à l’image de la marque Loom ou encore de Jules
10 - 20
et Jenn. Enfin de grandes marques mondiales s’engagent, 0 - 10
comme Stella McCartney, pour le bien-être animal et la
protection des océans.

Notre conviction : « les modèles durables gagnants »


savent piloter le financement de leurs transformations
100 100
RSE.

Coton Polyester

Coût additionnel moyen Coût moyen pour un acteur


pour un acteur engagé traditionnel (base 100)

Coûts additionnels – Audit

+ 1 500 €
par usine pour réaliser les audits
sociaux BSCI / SA 8000
Audit réalisé par une association privée au regard d’un code
de conduite garantissant les droits des travailleurs
au niveau syndical, travail des enfants, temps de travail,
santé et sécurité au travail, ainsi qu’un salaire équitable.

Sources : Kea & Partners ; Guide Approvisionnements


responsables pour des marques désirables (mars 2019)
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 63
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

QUESTIONS À SE POSER

 
Comment aligner la stratégie RSE avec
l’ensemble de la stratégie de l’entreprise ?

 
Comment faire de la RSE un élément clé de
la singularité de l’entreprise et de l’attractivité
de l’offre ?

 
Comment sécuriser la RSE comme un pilier
de la plateforme de marque ?

 
Quel degré d’ambition se fixer ?

 
Comment formaliser l’ambition
et la décliner en étapes ?

 
Comment répondre à la demande
de matières bio ?
©Janko Ferlic, Unsplash
64 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

ICICLE : De la tradition
confucéenne à la scène parisienne,
une marque chinoise ancrée
dans le développement durable
Une marque pour la Chine nouvelle L’internationalisation parisienne
Créée en 1997 à Shangaï par un couple issu de l’ensei- En installant à Paris un centre de design (bureau de style
gnement, Shouzeng YE et Shawna TAO, la marque ICICLE et atelier) en 2012 pour prendre la direction artistique de
(en chinois Zhi He, « le grain ») se positionne dès l’origine la marque, ICICLE prend le parti de se positionner sur
sur le segment le plus haut de gamme du marché de la l’échiquier mondial de la mode. L’ouverture, avenue
mode, en proposant un vestiaire confortable, destiné à George V d’un flagship store, conçu par Bernard Dubois,
une clientèle de femmes qui travaillent, à la recherche de en septembre 2019, prouve l’ambition de la marque d’ac-
pièces statutaires et non ostentatoires. Qualité de la fa- quérir une légitimité internationale, en mariant réfé-
brication (l’une des usines fabriquait au préalable Max rences à la tradition chinoise et créativité occidentale,
Mara), coupes minimales et surtout choix de matières comme en témoigne également ICICLE Paris, la ligne la
naturelles (cachemire, laine, lin, soie, coton bio…) et de plus sophistiquée.
teinture et tannage naturels positionnent la marque, en Source : IFM
amont des tendances, sur l’harmonie entre l’homme et la
nature. « Made in Earth » est son slogan.

Un développement raisonné
Le scandale du lait contaminé de 2008 accélère la prise
de conscience chinoise des enjeux environnementaux et
le développement d’ICICLE. À la tête de 3 usines, 200 ma-
gasins et employant 2 000 personnes dès 2017, l’entre-
prise s’est rapidement développée, en restant fidèle à ses
principes fondateurs, proposant des lignes pour femme,
homme et enfant. Son souci du développement durable
se veut le prolongement de la philosophie confucéenne,
alliant ainsi préoccupations contemporaines et culture
traditionnelle, dans une promesse de marque particuliè-
rement originale.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 65
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LE « MADE IN » 80 % des dirigeants invités à se


ET LA PRÉSERVATION prononcer sur les problématiques de
« Made In » nous indiquent que le
DE SAVOIR-FAIRE
« Made In » Europe est clé pour eux.
Les enjeux du « Made In » et de la préservation
des savoir-faire s’inscrivent plus globalement dans
les stratégies de localisation des marques. Les modèles économiques « Made In » sont souvent
Si les audits et les nouveaux outils permettent de mieux fondés sur un engagement des dirigeants
vérifier les pratiques sociales et environnementales de Pour les marques centrées sur le « Made In » telles que
sous-traitants mondialisés, il n’en demeure pas moins 1083 ou le Slip Français (France), Lara Intimates
que pour le consommateur, fabriquer en Europe (et plus (Royaume-Uni), la volonté de préserver un tissu écono-
encore fabriquer en local), c’est la garantie d’un meilleur mique local et de reconstruire des savoir-faire se décline
respect des normes environnementales et sociales. 59 % de manière totalement cohérente (proposition de valeur,
des Français estiment que le pays de fabrication est un
concept marchand, approche marketing et modèle
critère d’achat important22 et 75 % pensent que les pro-
économique).
duits fabriqués en France sont de meilleure qualité23. Les
Français sont de plus en plus sensibles à la question de la On peut distinguer deux typologies d’entreprises ancrées
provenance des produits qui, lorsqu’elle est « made in dans le « Made In » : d’une part les entreprises dont la
France », est synonyme de sauvegarde des emplois, de proposition de valeur est construite autour de l’idée de
soutien à l’économie nationale et aux savoir-faire indus- « Made In » et de savoir-faire local et d’autre part les
triels attachés à des territoires, de recherche de qualité marques historiques attachées à un territoire qui ont
et de sécurité d’usage, de respect des normes sociales et conservé leur outil de fabrication ou rachètent des sa-
de minimisation de l’impact environnemental. voir-faire (J.M.Weston dans la chaussure, l’Atelier Tuffery
et Armor Lux dans le textile).
Pour les dirigeants que nous avons interrogés, c’est le
« Made In » Europe qui doit primer, plus que le « Made
In » France plus difficile à mettre en œuvre. Il permet de
répondre à cette double exigence de respect des normes
sociales et environnementales. « Nous faisons fabriquer nos pièces
en Europe, sauf si l’on a recours à
un savoir-faire particulier. »
Barbara Quaranta, CEO de Roseanna

22. Selon une étude 2018 réalisée par ProFrance, association qui porte
la certification "Origine France Garantie"
23. Source : Ifop, 2017

À RETENIR

Plébiscité par les consommateurs, le choix stratégique du repenser son modèle économique (modification de la
« Made In » amène les marques à repenser leurs straté- marge produit) ou d’engager le choix du consommateur
gies de localisation. par une communication ciblée.

Fonder son modèle économique sur une stratégie « Made La question du développement du modèle « Made In » à
In » signifie pour la marque non seulement de construire grande échelle (notamment international), se pose pour
et entretenir un réseau local de fabricants, mais aussi de les jeunes marques engagées.
66 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

L’opérationnalisation du « Made In » pose trois PÉPITE


questions essentielles.

Comment trouver les fabricants pour produire en « Made


1083
In » France ?
La revendication de la marque ? Vos vêtements ne
L’enjeu des marques choisissant le « Made In » est de feront pas plus de 1 083 kms depuis l’achat des ma-
valoriser les circuits courts grâce à des contacts directs tières premières jusqu’à votre placard, soit la dis-
avec les fournisseurs en anticipant le plus possible les tance qui séparent les 2 villes les plus éloignées de
commandes avec un système de précommande. l’hexagone. Lancée à travers une campagne parti-
cipative qui devait permettre de créer les 100 pre-
Comment rendre économiquement viable un choix de miers jeans, la marque en a vendu dix fois plus en
« Made In » France ? deux mois. En six ans, la marque a créé 150 emplois
et vendu plus de 200 000 jeans. 1083 est née de la
Pour rendre économiquement viable le «  Made In  »
conviction qu’il était possible de relocaliser en
France, certaines jeunes marques « niche » activent une
France une filière textile complète, en réinventant le
très forte communication qui permettra, si le storytelling
jean autour de valeurs fortes : la proximité, la trans-
plaît, de justifier des prix plus élevés que le reste du
parence et le respect de l’environnement.
marché. Il est fondamental dans ce modèle de créer une
relation forte avec ses clients et sa communauté. Pour le Son modèle est bâti sur les circuits courts avec une
Slip Français, l’engagement de la communauté est au production 100 % française associant directement
cœur de la stratégie marketing. ses consommateurs. 1083 maitrise la totalité de sa
chaîne de valeur et coupe au maximum les intermé-
Les marques « Made In » peuvent également faire le
diaires, permettant d’avoir un mark up de 3 sur un
choix de modifier leur péréquation de marge entre diffé-
jean. Sa distribution est à 80 % en propre, à travers
rents produits. 1083 communique ainsi sur sa démarche
le site de la marque et les boutiques Modetic créées
responsable : Le cout de fabrication d’un jean 1083 est à
en 2007 par le PDG de 1083. Seuls 20 % des pro-
30 € - 40 € (vs. 8 € – 15 € pour un jean importé) mais la
duits sont distribués par des tiers. Cette répartition
marque pratique un coefficient de vente de 2 ou 3 (com-
permet de maîtriser le taux de marge.
paré à ceux pratiqués habituellement entre 2 et 12 dans
le secteur). Ils proposent ainsi leur jeans à un prix médian De sa campagne participative initiale, 1083 a aussi
consommateur de 89 €24. retenu que la prévente permettait de limiter les stocks,
une logique que le client est aujourd’hui prêt à accepter
Comment croître, notamment à l’international, en gardant
quand il commande son jean sur internet.
une production locale ?
De la Filature (Tissage de France) à la teinture, en
Le modèle économique du « Made In » est rentable à re-
passant par le tissage (Les Tissages de Charlieu), la
lativement petite échelle, mais les marges de manœuvre
coupe et la confection, jusqu’à l’élevage (Romans-
pour un développement rapide (notamment à l’interna-
sur-Isère), la success story de 1083 démontre que
tional) sont relativement limitées, car la filière est encore
produire local peut être un modèle gagnant.
assez fragile. Pour Lara Intimates qui propose des
sous-vêtements éco-responsables, conçus à Londres Sources : Entretien IFM-Kea&Partners,
Thomas Huriez, Re-Made in France
avec des textiles inutilisés provenant de grandes usines
ou marques du monde entier, la difficulté réside dans la
sécurisation de l’approvisionnement. Il peut arriver
qu’une couleur soit indisponible en fonction de l’arrivage
de textile à recycler25.

24. Source : 1083 et Kea & Partners


25. Source : presse
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 67
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

59 %
des Français estiment
que le pays de fabrication est
un critère d’achat important

74 %
des français affirment être
prêts à payer plus cher
pour avoir des produits
de meilleure qualité
Sources : étude ProFrance publiée
en septembre 2018

QUESTIONS À SE POSER

 Cela fait-il sens pour ma marque de faire


du « Made In » ?

 Ai-je les fabricants nécessaires pour faire


du « Made In » sur une gamme de produits ?
©Mel Poole, Unsplash

 Quel sera l’impact des coûts de production


sur le produit « Made In » France ?
68 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

LA SECONDE MAIN
La seconde main se pose en phénomène durable Le modèle économique de la seconde main apparaît
donc promis à un bel avenir. Est-il pour autant
La seconde main est poussée par une double tendance : un modèle économique responsable en termes social
une consommation de vêtements toujours plus impor- et environnemental ?
tante mais une moindre utilisation. On consomme au-
jourd’hui quatre fois plus de vêtements qu’il y a 30 ans Pas forcément. Son objet premier est de répondre à un
mais en parallèle l’utilisation moyenne des vêtements a besoin du marché et à une opportunité née de trois fac-
diminué de 36 % en 15 ans à travers le monde. On estime teurs combinés : le volume croissant de vêtements inuti-
que la plupart des vêtements sont jetés après 7 à 10 uti- lisés, la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs et
lisations26. Le marché de l’occasion touche toutes les ca- la capacité du digital à faciliter la mise sur le marché.
tégories de produits comme le montre la multiplication
des marketplaces telles que The Real Real, Vinted ou Ves- Il n’en demeure pas moins que l’achat de seconde-main
tiaire Collective. Les millenials (25 – 37 ans) repré- est une des pratiques d’économie circulaire et a ainsi une
sentent, d’après une étude de ThredUp, 33 % des ache- part importante à jouer dans la fin de vie du cycle textile.
teurs de seconde main. Cela peut permettre à la fois de fidéliser certains clients,
en offrant des bons d’achat en magasin sur les nouvelles
Le marché des vêtements d’occasion, qui pesait déjà 21,2 collections (comme le font par exemple Cyrillus, Idkids ou
milliards d’euros en 2018 aux États-Unis devrait atteindre les Galeries Lafayette), et de prospecter une nouvelle
45 milliards d’euros en 2023 aux Etats-Unis27. En 2028, la clientèle qui accèderait à la marque par les anciennes
seconde main devrait même dépasser la fast fashion et collections moins chères. C’est notamment vrai pour les
peser 13 % des achats, quand la fast fashion en serait à marques premium qui trouvent là l’occasion de démontrer
9 %28. En leader bien averti, H&M a investi deux millions la qualité et la durabilité de leurs produits.
d’euros dans la société suédoise de seconde main Sellpy
et a récemment acquis 70 % de son capital.

En France, L’IFM estime que ce marché de l’occasion re- 36 % des marques interrogées
présente 1 milliard d’euros dont 56 % réalisés par l’appli-
cation Vinted seule29. Ce succès fulgurant la place désor-
ont amorcé une réflexion relative
mais dans le top 5 du e-commerce. Suivant la tendance, aux modalités opérationnelles
Zalando a récemment annoncé le lancement à l’automne d’une offre seconde main.
2020 d’une offre de vêtements d’occasion intégrée dans
son application.

26. Source : Euromonitor International Apparel & Footwear 2016


27. Source : Étude ThredUp 2019
28. Source : Étude ThredUp 2019
29. Source : IFM 2019

À RETENIR

La seconde main est pour les marques un levier de crois- clients, elle permet non seulement de se positionner sur
sance additionnelle plutôt qu'un modèle économique à des valeurs responsables, mais également d’éviter que la
part entière. Destinée à fidéliser et conquérir de nouveaux valeur engendrée ne soit captée par des tiers.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 69
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Comment capter cette nouvelle valeur site : un « smart button » pour permettre aux clientes de re-
et opérationnaliser la seconde-main ? vendre automatiquement sur toutes les plateformes de re-
vente et ce au niveau mondial, le produit qu’elles auront
En dehors des plateformes dédiées, la vente de se- acheté chez ba&sh. Pour mener à bien ce projet, la marque a
conde-main reste à ce jour un complément pour les utilisé la technologie circulaire de Reflaunt, une start-up
marques avec 3 modèles possibles. créée à Singapour par une équipe française. Ainsi, ba&sh est
Intégrer en propre l’activité connecté avec un réseau mondial de revente sur des plate-
formes tierces (Vide Dressing, Style Tribute, Luxury Closet,
En 2017, Patagonia, a pleinement intégré la notion d’éco- etc). La marque peut alors capter de nouvelles cibles (les
nomie circulaire dans son mode de fonctionnement, et a acheteurs de la seconde main) et engager la conversation
lancé sa plateforme de revente de vêtements d’occasion, avec chacune d’elle, même si elle reste anonymisée.
Worn Wear. En un peu plus de 2 ans, 120 000 articles ont
été vendus. Une preuve pour l’entreprise que le concept Intégrer en marque blanche et travailler
pouvait se déployer en boutique, ce que la marque a testé avec un spécialiste
fin 2019 avec des pop-up store aux Etats-Unis. Les grands groupes de Luxe se sont également intéressés
Les Galeries Lafayette ont créé le site Good Dressing qui au marché de l’occasion : LVMH a acquis une participation
permet de renforcer le drive-to-store, en permettant aux minoritaire dans Stadium Goods (rachetée depuis par
utilisateurs de procéder aux échanges des vêtements di- FarFetch), une marque streetwear d’articles neufs et de
rectement en magasin. Le vendeur obtient en outre un bon seconde main haut de gamme.
d’achat à dépenser dans le réseau des Galeries Lafayette. Également emblématique, Stella McCartney s’est associée à
Laisser libre en C2C30 à travers les plateformes existantes The RealReal dans une campagne publicitaire « The Future
et être « caution d’authenticité » of Fashion is Circular » pour prôner activement la revente
d’articles. The RealReal est une start-up américaine crée en
ba&sh a adopté une stratégie un peu différente. La marque a 2011 autour de magasins fonctionnant sur un modèle de
décidé de mettre en place une nouvelle fonctionnalité sur son consignation : les vendeurs y déposent les articles et The
RealReal les commercialise ensuite via son site.

30. C2C : customer to customer - désigne l'ensemble


des échanges de biens et de services entre plusieurs
consommateurs sans passer par un intermédiaire

PÉPITE

Vinted : le géant
munication. Les dépenses de marketing ont été doublées
entre 2016 et 2018, passant de 4,2 millions d’euros à 8,3
millions d’euros. Presque paradoxal pour une entreprise qui
de la seconde main peine à être rentable, cela s’explique par le besoin de recru-
ter rapidement un grand nombre d’utilisateurs.

Créée en 2008, Vinted est la marque lituanienne qui a réin-


Une très vaste gamme de produits disponibles
venté la vente d’occasion sur le marché de la mode grâce à
son application mobile. Elle réalise environ 1,4 milliard d’eu- Ergonomique et gratuite lors de l’inscription, l’application
ros de volume d’affaires dans neuf pays, soit une croissance séduit de plus en plus d’utilisateurs qui vendent et achètent
de 250 % en un an. Chaque jour plus de 23 000 nouveaux les produits. Vinted compte près de 100 millions de produits
comptes se créent. La France, avec ses 9 millions d’utilisa- disponibles sur l’ensemble des plateformes en Europe. En
teurs sur les 21 au total, est devenue son premier marché. France, c’est près de 400 000 articles ajoutés chaque jour.
Ils sont proposés à prix très réduits établis librement ou
d’après les suggestions de l’application : Entre 60 % et 80 %
De massifs investissements en marketing et publicité
du prix de vente pour un produit neuf, entre 40 % et 60 % du
Pour réussir en 2016 sa relance sur le marché français, prix de vente pour un produit en très bon état et entre 20 %
Vinted investit massivement dans les campagnes de com- et 40 % du prix de vente pour un produit en bon état.
Sources : presse
70 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

1 Md QUESTIONS À SE POSER

 Mes produits sont-ils actuellement présents


part du marché
sur le marché de la seconde main et selon quel
de la seconde main
volume ?
en France en 2018
 Quel choix faire entre les différentes formes
d’opérationnalisation de la seconde main ?

-36 %
diminution de l'utilisation
moyenne des vêtements
en 15 ans

33 %
des acheteurs de seconde
main sont des millenials
(25 – 37 ans)
Source : IFM 2019 et ThredUp 2019

©Julia Andreone
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 71
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LA LOCATION Le cœur de ce modèle réside en fait dans les


savoir-faire logistiques

L’abonnement et la location représentent La capacité à gérer les quantités nécessaires de stocks,


des alternatives ou des compléments du modèle à les financer et à générer leur turnover rapide, permet
économique de la seconde-main. l’augmentation de la marge. Le loueur doit avoir suffisam-
ment de stocks pour proposer une offre attractive, éviter
Venu des États-Unis, le phénomène de la location de vê- la rupture de stock lorsqu’une part importante des pro-
tements relève en France d’un usage plus confidentiel. duits sont déjà loués et corrélativement permettre le
Rent the Runway, site américain lancé en 2009 est au- retour le plus rapide possible des produits.
jourd’hui valorisé à 1 milliard de dollars et compte près de
11 millions d’utilisateurs. Ce succès s’explique par la prime Parallèlement la capacité à gérer le suivi des produits
à la nouveauté (le site a été élu comme l’une des dix en- (savoir en permanence où ils sont) mais aussi les envois/
treprises les plus disruptives au monde par CNBC en réceptions de ceux-ci sont clés.
2018), par la taille d’un marché américain ancré dans la
culture du bal de promo (le cœur de l’offre de Rent the La préservation de la qualité et de la propreté est un autre
Runway étant la robe de soirée) et par son offre étendue défi important pour les modèles économiques de la loca-
(modèles et tailles). tion. À ce titre, l’une des activités principales d’une plate-
forme de location est celui…d’une blanchisserie. Rent The
Pour autant, les barrières restent élevées en France Runway est ainsi la plus grande blanchisserie du monde.
pour faire de la location un modèle économique C’est un moyen fondamental de maintenir la qualité réelle
pérenne. – qui permettra de relouer et donc d’augmenter la marge
d’un vêtement – et la qualité perçue pour le consomma-
L’offre française est aujourd’hui protéiforme et touche teur. Il faut donc avoir un système de pressing et/ou de
essentiellement le mid market et le luxe. Le principe est reconditionnement compétitif pour opérationnaliser le
simple : le consommateur loue une pièce pour environ modèle de la location. Mais cela pose évidemment la
10 % de son prix d’achat ou emprunte plusieurs produits question de l’ancrage RSE du modèle, étant donné l’im-
via un abonnement. Au-delà du vêtement pour un événe- pact environnemental du nettoyage à sec.
ment particulier (The Closet, Ma bonne amie, Panoply,
The Ethiquette …), des offres se sont développées dans
la chaussure (Atelier Bocage), pour les enfants, les Seuls 28 % des dirigeants
femmes enceintes (Babyclo, Tale me), l’horlogerie (Luxo- interrogés pensent que
thèque), ou encore le sport (Fusalp). Autre modèle éco-
nomique en germe, celui de place de marché. Il a par la location est un levier clé
exemple été adopté par Les Cachotières, une plateforme
en ligne proposant la location entre particuliers de vête-
ments milieu de gamme et luxe abordable. Cependant, 85 % des dirigeants interrogés
plusieurs échecs (Instant Luxe, l’Habibliothèque) inter- estiment que les modèles
rogent sur la viabilité des modèles économiques de la d’abonnement ne font pas partie de
location.
leurs priorités stratégiques

À RETENIR

La location, concept qui émerge aux Etats-Unis, se déve- stocks, les allers-retours de vêtements ainsi que leur en-
loppe dans de nombreux secteurs et s’avère délicat à tretien et reconditionnement, condition de la valeur qui en
opérationnaliser. Il suppose une logistique sans faille au est dégagée.
cœur de la proposition de valeur de façon à gérer les
72 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Comme pour la seconde main, la location est à ce


jour un complément tactique pour la majorité des
acteurs

Le groupe Eram a lancé l’Atelier Bocage pour la marque


éponyme en 2018 : un mix entre un modèle fonctionnel où
le client n’est plus propriétaire mais a l’usage de ses
chaussures et un modèle circulaire où une fois rendues,
les chaussures sont reconditionnées (jusqu’à 4 fois). Ce
concept innovant a été permis par le dépôt de 2 brevets
pour le désassemblage de la semelle. Pour répondre à
l’érosion du marché de la chaussure, Bocage teste ainsi
un modèle alternatif pour générer de la croissance
additionnelle.

Les grands magasins investissent également le créneau :


en 2018 les Galeries Lafayette se sont associées à la
start-up Panoply, pour proposer un service de location de
vêtements au rayon luxe. Les clientes pouvaient alors au
même étage acheter des robes de luxe à 2 000 € ou les
louer pour un tarif de 60 € à 350 €31.

31. Source : presse

PÉPITE

Nike Adventure Club


Popularisé par le succès de Dollar Shave Club, le modèle pertinente puisque les parents doivent renouveler régu-
de l’abonnement s’est depuis étendu à la mode, à la lièrement la garde-robe de leurs enfants qui changent de
beauté, à l’alimentaire, au vin ou encore aux jouets pour taille.
enfants.
Les modèles de location/abonnement à court terme offrent
En août 2019, « Nike Adventure Club », un service desti- en effet une proposition de valeur intéressante pour les
né aux enfants, a été lancé par Nike. Il permet de recevoir segments où les utilisateurs ont des besoins à court terme.
régulièrement de nouvelles paires de baskets Nike ou Pour autant le modèle de l’abonnement pourrait-il trans-
Converse grâce à un abonnement mensuel, bimensuel ou former durablement les modèles économiques de la mode,
trimestriel au tarif très attractif (20 dollars pour une paire comme il l’a fait dans l’automobile ? Quintessence du pas-
tous les 3 mois). sage de la possession à l’usage, le modèle économique de
l’abonnement, connexe de celui de la location, pourrait être
Nike a également créé un service de recyclage qui permet une rupture extrêmement forte des modèles économiques
de réutiliser ou de donner à des associations caritatives de la mode. Il justifierait le renouveau permanent des col-
les baskets utilisées. lections, mais supposerait un pricing totalement renouvelé,
Avec cette large offre (une centaine de modèles sont pro- un travail très important sur la fidélisation et le coût d’ac-
posés), la marque espère fidéliser un jeune public et leurs quisition des clients et la gestion de la fin de vie des pro-
parents. Ce modèle de location/abonnement pour enfants duits (recyclage, revente).
s’avère être une opérationnalisation particulièrement Sources : presse
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 73
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LES PREMIERS PAS

La RSE au cœur
des modèles
économiques
de la mode
Le défi
Comment allier RSE et sourcing de matières pre-
mières de bonne qualité lorsque l’on fabrique des
collections de petites tailles et que l’on peut diffici-
lement se procurer les meilleurs tissus ?

La réponse
L’upcycling peut être une solution à envisager. La
start-up Uptrade est un bureau d’achat de matières
premières destinées à des créateurs produisant de
petites séries. Uptrade rachète des surstocks de
matières premières, à des fabricants, façonniers et
marques de mode, et les revend à des acteurs pra-
tiquant l’upcycling, ou encore à de jeunes créateurs
désireux de fabriquer de petites séries avec des
matières premières de bonne qualité auxquelles ils
n’auraient pas pu avoir accès autrement, en limitant
ainsi la production de matières premières.

L’enseignement
Les moyens financiers limités des jeunes acteurs
font émerger de nouveaux modèles de coopération,
permettant d’accéder à des matières premières à un
prix raisonnable et d’ancrer leur création dans une
démarche responsable.
QUESTIONS À SE POSER Source : Entretien IFM-Kea&Partners

 Ai-je les moyens logistiques de


proposer un service de location ?

 Un service de location/abonnement


peut-il m’apporter une clientèle
additionnelle ?

 Ai-je une gamme suffisamment


large pour proposer un service
attractif ?
©Sylvie Tittel, Unsplash

 Quel serait le bon pricing pour être


à la fois attractif et rentable ?
74 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Innovation et technologies,
boosters de demain
La dernière décennie a été marquée par un impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur dans
la mode, mais particulièrement dans l’aval de la filière
l’émergence de nombreuses «  briques
(chez les marques et distributeurs).
technologiques » qui sont venues boule-
verser un ou plusieurs maillons de la Le degré d’imprégnation de ces technologies varie forte-
chaîne de valeur des entreprises du sec- ment selon les entreprises du secteur, en particulier selon
leur taille et leur position dans la chaîne de valeur. Pour
teur de la mode. autant, ce sujet s’intègre pleinement dans une réflexion
Ces technologies peuvent être : sur les modèles économiques car il apporte des réponses
aux deux enjeux majeurs de la filière que sont son besoin
• Endogènes et spécifiques aux industries de la mode, de flexibilité accrue dans un contexte d’incertitude tou-
notamment en ce qui concerne l’amont de la filière jours plus forte, et sa nécessaire réinvention autour d’une
(nouveaux matériaux ou outils de conception des plus grande responsabilité sociale et environnementale.
produits) et répondent en général dans ce cas à une
recherche de réduction de l’impact environnemental Si l’on observe les composantes du succès d’un modèle
et à une optimisation des ressources engagées dans économique, à savoir une proposition de valeur forte
le processus créatif. (offre, service, ciblage…) et une chaîne de valeur efficace
(opérations et modèles de revenu), on peut constater que
• Exogènes et appliquées par le secteur au même titre les technologies adoptées par les acteurs de la mode
que d’autres filières. L’émergence de l’intelligence ar- renforcent à la fois leur singularité en amplifiant leur USP
tificielle, du Cloud, de la RFID, de la réalité virtuelle ou
(Unique Selling Proposition) et les aident à gagner en ef-
augmentée ou encore de la fabrication additive a eu
ficience. Pour autant la mesure de l’impact de ces inno-

À RETENIR

Le secteur de la mode peut à première vue sembler moins Sur l’aval, les principaux usages sont liés au digital et
enclin à s’approprier les différentes innovations techno- visent à l’optimisation de la performance. Le plus fort ROI
logiques apparues ces dernières années. (retour sur investissement) de l’acquisition de ces outils
et méthodes explique leur plus fort développement au
La situation est différenciée selon le type d’acteurs et les sein du secteur.
briques technologiques.
Mais l’innovation dans le secteur dépasse les seuls outils
Sur l’amont, les principaux enjeux concernent la réduction digitaux et doit amener les entreprises à passer d’une culture
de l’impact environnemental du secteur via l’utilisation de de la nouveauté, où elles testent les technologies sans véri-
nouvelles matières, de nouveaux processus productifs ou table stratégie, à une culture de l’innovation où les objectifs
créatifs. Sur ces questions, les investissements néces- recherchés et les moyens sont clairement identifiés.
saires et les compétences à acquérir expliquent que ce
sont principalement les grands leaders du luxe ou du Ce n’est qu’à cette condition que les entreprises du sec-
mass market qui affichent la plus forte maturité. teur pourront accélérer leur transformation sur des sujets
aussi majeurs que l’expérience client, les nouveaux ma-
tériaux ou les processus de fabrication.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 75
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

vations est encore incomplète et le risque existe de les Toutes ces mutations ne présentent pas le même potentiel
utiliser pour de mauvaises raisons (attirance pour les de transformation pour les entreprises et chacune doit les
« shiny objects », FOMO…) ou de façon insuffisante, de mettre en perspective avec ses propres objectifs en termes
sorte que le coût de leur mise en œuvre peut être supé- de business. À ce stade, la fashion tech qui a trouvé des
rieur aux gains possibles. Or, les gains en termes de per- cas d’usage dans le retail a connu une accélération plus
formance peuvent être substantiels si ces outils sont mis forte que les innovations issues de l’amont de filière, qui
en œuvre à bon escient. sont davantage dans une logique « push » que « pull ».

Ce thème de l’innovation présente un degré de maturité Qui plus est, les entreprises doivent trouver la bonne for-
moindre chez les acteurs interrogés qui peut s’expliquer mule pour sourcer, adopter et intégrer ces différentes
par une volonté des marques de prioriser leurs investis- technologies. Si les stratégies d’open innovation restent
sements sur les sujets plus urgents (digital et internatio- l’apanage des grands groupes, d’autres options moins
nal), une difficulté à identifier les bonnes solutions tech- coûteuses peuvent être trouvées au cas par cas. Une
nologiques susceptibles de générer valeur ajoutée et ROI forte volonté des dirigeants d’engager une véritable stra-
(retour sur investissement). tégie d’innovation est dans tous les cas un premier pré-
requis nécessaire, le second étant l’implication des
Ce champ de l’innovation devient néanmoins essentiel avec équipes à tous les niveaux décisionnels. Il est fondamen-
des solutions et des acteurs accessibles à tous pour créer tal que le middle management soit convaincu du
de nouveaux axes de différenciation et d’optimisation. Un bien-fondé de cette stratégie, qui est par essence trans-
premier travail de tri doit être mené pour distinguer les versale et change les habitudes acquises. L’existence de
technologies les plus pertinentes en fonction des objectifs silos et d’objectifs parfois contradictoires entre business
suivis. Nombreux sont en effet les chantiers qui peuvent units peut limiter l’impact de ces changements malgré les
potentiellement être ouverts sur des sujets aussi divers que impulsions données à la tête de l’entreprise.
l’expérience client, la supply chain ou l’assortiment.

Innovations et technologies : Développement durable REACH


un impact transversal
Création et ingénierie Prototypage Matériaux
sur la filière mode virtuel de substitution
Mode et luxe du futur Objets
connectés
Image et identité de la marque Économie
Nano- circulaire
technologie
Management de l’innovation et des compétences
Identification
de nouveaux
marchés
Spécificité Nouveaux
Conce de la marque matériaux
ptio
n
-R
ess

Nouvelles Batteries
formes souples
ource

d’organisation
Gestion
s

du dernier
kilomètre Propriété Sensorialité
a gin g

Branding
L ogis

sonore intellectuelle
et Digital
tiq u

a ck

Transfert des
-P

savoir-faire
e-

Dis n
a ti o
Optimisation tri b Robotisation
logistique u tio n Fabric Qualité
Nouveaux perçue
modèles Identification des
Magasins de ventes Nouveaux
compétences rares procédés
virtuels Optimisation
sur mesure énergétique
Lutte contre
la contrefaçon Mise en forme
des matériaux
Internet Fabrication
physique additive

Optimisation Traitement
des effluents Source: Carats Innovation
des procédés

Recyclage
76 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

la création d’un vêtement. La démarche « cradle-to-


LES INNOVATIONS cradle », incarnée dans sa version grand public par l’ap-
SPÉCIFIQUES DU SECTEUR plication My eP&L développée par Kering ou par l’applica-
tion Making mise en œuvre par Nike il y a déjà une dizaine
Le secteur de la mode a généré des innovations impor- d’années pour ses designers, va dans ce sens : il s’agit de
tantes tant dans le hardware (nouvelles fibres, tech- mettre à disposition des utilisateurs des outils dyna-
niques de découpe, d’ennoblissement, robotique…) que miques de mesure de l’impact environnemental en fonc-
dans le software (conception 3D, ateliers connectés…). tion des choix qu’ils opèrent en termes de design (choix
Sur l’amont, la création de fibres innovantes suit deux voies de matières, de couleurs…). La start-up britannique Worn
principales : l’apport de nouvelles fonctionnalités (perfor- Again a pour sa part développé un solvant permettant de
mance, connectivité, thermorégulation, micro-encapsula- décontaminer les vêtements usagés qu’ils soient en
tion…) ou la réduction de l’impact environnemental (utilisa- coton ou en polyester et de « boucler la boucle » en en
tion d’une base de fibres naturelles, biodégradabilité…). tirant une nouvelle matière première utilisable par les
entreprises.
En ce qui concerne les textiles innovants axés sur la per-
formance, l’univers du sport et du sportswear, en termes Les principaux développements dans l’univers de l’en-
d’acteurs et de produits, est en pointe. Ultime barrière noblissement textile (teinture et apprêts) tendent à réduire
entre la peau et son environnement, les tissus innovants les externalités négatives de cette activité (usage d’eau
de dernière génération permettent des bénéfices aussi important et utilisation d’apprêts chimiques) pourtant es-
variés que l’amélioration de la circulation sanguine, la re- sentielle dans la valeur perçue des vêtements (toucher,
laxation musculaire ou une meilleure respiration des brillance…). La conception des produits a, elle aussi, été
pores. Un effort de recherche important concerne égale- impactée par les deux mutations majeures que repré-
ment la valorisation de nouvelles fibres utilisant les dé- sentent la moindre saisonnalité de l’activité et la montée
chets de produits naturels (bananes, ananas, bois, pé- des préoccupations environnementales. Des outils de mo-
tales de rose…) qui pour l’heure nécessite encore certains délisation en 3D sont de plus en plus utilisés dans une op-
traitements chimiques ; d’autres entreprises s’inscrivent tique de « mass customization » pour proposer une offre
dans une démarche de biomimétisme et tentent au proche du sur-mesure pour chaque client et optimiser en
contraire de reproduire en laboratoire certains attributs parallèle les emplois matières et ressources engagées. De
de fibres naturelles. telles solutions sont proposées par Neatek ou Lectra.

L’innovation liée au recyclage devient un champ straté- Cette recherche d’une amélioration constante de la qua-
gique pour la filière et s’intègre dans une réflexion globale lité des produits et des processus de fabrication amène
sur l’économie circulaire dans la mode et sur la capacité également les fabricants à utiliser des machines connec-
en fin de cycle de vie de réutiliser les fibres utilisées dans tées, capables via plusieurs centaines de capteurs d’ana-
lyser leur environnement et leur état. Certaines machines

À RETENIR

À chaque étape de la chaîne de valeur (sourcing, fabrica- 3 champs d’innovation à investiguer : les fibres inno-
tion, distribution), le secteur de la mode a su développer vantes ou la réutilisation des fibres, l’ennoblissement et
des solutions innovantes qui répondent aux enjeux le processus de fabrication
contemporains à la fois économiques (incertitude des
marchés, optimisation des ressources) et environnemen-
taux (durabilité, circularité)

L’innovation constitue un élément de différenciation par-


fois sous exploité, alors qu’elle constitue un champ ouvert
quel que soit le niveau de gamme (du mass market au luxe)
ou la taille des acteurs (start-up ou grands groupes).
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 77
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

se règlent également automatiquement en fonction des est également touchée par un mouvement de digitalisation
préférences de l’opérateur qui les utilise. Le concept d’in- à travers l’émergence d’acteurs comme Le New Black, Joor
dustrie 4.0 pourrait à terme s’implanter dans le secteur ou Ordre, qui agissent comme des showrooms virtuels et
de la mode en ce qu’il résonne avec ses besoins d’effi- permettent de fluidifier les relations entre marques et re-
cience et de flexibilité qui sont les facteurs de réussite tailers pendant et en dehors des périodes de Fashion
des modèles à succès. Week. La crise du Covid-19 est de nature à renforcer
l’usage de ce type d’outils.
Les matières et la fabrication ne sont pas les seuls champs
dans lequel la mode engage une mutation vers plus d’effi-
cience : la distribution des produits, notamment en B-to-B,

FICHE PRATIQUE

Biotechnologies
Ces technologies entrent principalement dans le secteur
de la mode via les acteurs du luxe, du fait de la faiblesse
des quantités produites et du prix souvent élevés de ces
et nouveaux nouveaux matériaux, et ceux du sportswear, friands de
nouvelles fonctionnalités.

matériaux : Pour autant, les passerelles existantes entre les acteurs

un champ plein
de la technologie et ceux de la mode doivent être renfor-
cées. De nouveaux défis sont à relever :

de promesses • La mode doit devenir un potentiel de développement


pour les sociétés de biotechnologie à l’instar de la
santé ou de l’industrie cosmétique
Les biotechnologies constituent l’un des domaines les plus
• La filière s’approprie les technologies ayant déjà fait
prometteurs parmi les différents champs de l’innovation
leurs preuves dans d’autres domaines d’activité et
textile. Cette approche consiste à modifier génétiquement
peut devenir en pointe sur les sujets liés à la deep
des organismes (bactéries, déchets de produits) pour créer
tech
de nouveaux matériaux aux fonctionnalités intéressantes.
Face aux critiques croissantes que suscite l’usage des • Les acteurs de la filière doivent mobiliser des moyens
nanotechnologies (existence d’allergies, présence de per- pour se positionner sur de nouveaux segments et dé-
turbateurs endocriniens, perte d’effet avec la lavabilité), les passer les limites culturelles (mauvaise perception
biotechnologies peuvent apparaître comme une piste plus des OGM en France), accélérer la connaissance de ces
respectueuse de la santé et de l’environnement. nouvelles techniques et métiers, et trouver des
sources de financement.
Les solutions développées visent principalement à ré-
duire l’impact environnemental du secteur textile par la Plus que jamais, un facilitateur propre à la filière mode,
création de fibres alternatives au coton (très consomma- qui pourrait suivre le modèle des SATT, aurait toute sa
teur d’eau et d’intrants chimiques) ou aux fibres issues de pertinence pour promouvoir et développer cette nouvelle
la pétrochimie. La fibre Nullarbor développée par l’entre- grappe d’innovations dont nous ne sommes qu’aux
prise Nanollose est par exemple une nouvelle fibre cellu- prémices.
losique basée sur des déchets de noix de coco. SATT : Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies

La question de l’impact environnemental des teintures Sources : IFM

est également adressée soit par la création de nouveaux


types de teintures (telles que les teintures bactériennes)
soit par la mise au point de nouveaux procédés de fixa-
tion des teintures tels que le CO² super critique développé
par l’entreprise Dyecoo.
78 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Uniqlo : l’innovation textile


au cœur de la proposition
de valeur
Fondé en 1984, Uniqlo s’est donné comme mission d’ac- Que retenir de ce modèle et comment faire de l’innovation
compagner les consommateurs dans les usages contem- matière un élément de différenciation stratégique ?
porains du vêtement (confort, légèreté, versatilité). Sa
différenciation réside principalement dans les fonction- • La nécessité d’une vision claire sur les fonctionnalités
attendues de la matière, sur les usages associés et
nalités des produits, basées sur des innovations textiles,
les besoins identifiés. Les marques doivent savoir ce
qui expriment la philosophie de l’enseigne : le Lifewear.
qu’elles cherchent, les bénéfices produits attendus et
Uniqlo mène une veille permanente sur les nouvelles
avoir défini une stratégie d’innovation univoque. L’uti-
fonctionnalités que l’innovation sur les fibres et les ma-
lisation d’une matrice mettant en regard l’importance
tériaux peut apporter. Cette approche très spécifique au
plus ou moins forte des bénéfices produits attendus
sein du secteur a pu amener Tadashi Yanai, le CEO
avec l’accessibilité des technologies (en termes de
d’Uniqlo, à déclarer : « Uniqlo is not a fashion company ; coût et de maturité) peut permettre de définir un plan
it’s a technology company. » d’action.
Cette capacité du retailer japonais à démocratiser des in- • En termes de méthode, les marques doivent passer
novations matières avancées tient à plusieurs facteurs : d’une culture de la nouveauté (adopter les technolo-
• Une taille critique qui permet d’amortir les coûts in- gies dont on parle par un phénomène d’imitation ou
compressibles liés à la mise en marché de ce type de FOMO) à une culture de l’innovation qui permet
d’innovation. D’une façon générale, ce sont les grands d’identifier les leviers technologiques pertinents pour
acteurs du sportswear (Adidas, Nike), de l’athleisure eux. Ce changement culturel suppose une capacité à
(Lululemon, Under Armour), du luxe (LVMH, Kering), mener une veille sectorielle mais aussi adjacente sur
qui sont en mesure de se présenter comme des dé- d’autres secteurs d’activité parfois plus avancés sur
bouchés crédibles pour ces nouveaux matériaux. certains sujets (santé, beauté-cosmétique). Elle peut
également réclamer une approche partenariale, intra-
• Un écosystème spécifique au Japon, où de grands ac- groupe ou collective sur le périmètre de la filière car
teurs de la création de fibres et matériaux (Toray, elle est difficile à porter pour un acteur isolé.
Teijin, Kuraray, Unitika) développent des solutions Sources : presse
pertinentes pour l’industrie textile.

Le partenariat stratégique noué en 2006 entre Toray et


Uniqlo est à ce titre exemplaire. Cette communication in-
tense entre l’amont est l’aval est l’une des clés de réussite
du modèle économique d’Uniqlo. La remontée d’informa- « Uniqlo is not a fashion
tions vers l’amont notamment en termes d’usages permet company ; it’s a technology
à Toray d’explorer des pistes pertinentes et de travailler company. »
dans la direction souhaitée par Uniqlo.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 79
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LES TECHNOLOGIES
TRANSVERSALES QUI
BOULEVERSENT LE SECTEUR
En parallèle de ces innovations propres au secteur, les pourraient ne pas avoir la même force juridique que les
technologies clés telles que la blockchain, la RFID ou l’in- contrats traditionnels).
telligence artificielle modifient radicalement les manières
de travailler dans le secteur de la mode. La généralisation de l’usage des puces RFID, permise par
un coût unitaire est en très forte diminution, a permis des
En termes d’application pour l’industrie, la blockchain avancées majeures sur le niveau de granularité des ana-
constitue un outil pertinent pour au moins deux cas lyses sur la gestion des stocks et leur affectation opti-
d’usage : male, et sur la traçabilité des produits notamment. L’inté-
gration de cette technologie par les entreprises du
• La protection de la propriété intellectuelle et la lutte secteur de la mode a eu des effets significatifs sur leurs
contre la contrefaçon, car les outils existants ont en
performances (meilleure affectation des produits dans le
général une portée limitée en termes de zone géogra-
parc de magasins, gestion plus fine de la démarque…)
phique et ont un coût important. La blockchain peut
mais également sur leurs relations avec les clients en
être utilisée pour enregistrer les créations des entre-
permettant une plus forte transparence sur les processus
prises à l’échelle mondiale et à moindre coût.
et les chaînes d’approvisionnement dans un contexte de
• La traçabilité et la transparence sur les processus. globalisation du sourcing.
L’industrie de la mode est souvent critiquée pour le
manque d’informations qu’elle fournit sur ses proces-
sus, en particulier en ce qui concerne l’approvisionne-
ment en matières premières et les conditions de fa-
brication des produits. Certaines entreprises utilisent
désormais la blockchain pour certifier leurs politiques
de fabrication et partager avec leurs clients des infor-
mations infalsifiables.

Cependant, ce nouvel outil a plusieurs limites : technolo-


giques (il permet moins de transactions sur une période
donnée par rapport aux autres technologies), environne-
mentales (dans l’énergie requise pour générer un bloc) et
juridiques (les contrats qui utilisent cette technologie

À RETENIR

De nombreuses briques technologiques matures peuvent Pour autant, la mise en œuvre d’une stratégie d’innova-
permettre aux acteurs de la filière mode d’améliorer leurs tion au sein de l’entreprise nécessite une clarification
performances (via un meilleur contrôle des processus) ou quant aux objectifs et aux moyens mis en œuvre.
de booster leur proposition de valeur (renforcement de la
singularité du produit ou du storytelling, ciblages plus
pertinents de clientèles...)
80 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

L’intelligence artificielle redessine également en profon- L’utilisation de l’IA dans la vente est quant à elle à un stade
deur les pratiques pour chacun des maillons de la chaîne de développement avancé. Ciblage de plus en plus fin, pro-
de valeur, de la création à la distribution. duct shuffling, sont quelques exemples de possibilités of-
fertes par un usage poussé de la data client. Afin de gagner
En termes d’inspirations créatives, il est d’ores et déjà en pertinence, les retailers et les marques raisonnent de
possible d’analyser les produits d’une ou plusieurs moins en moins en termes de catégories (socio-démogra-
marques et d’en tirer des patterns qui peuvent compléter phie, typologies de clientèle type R-F-M – récence, fré-
l’inspiration humaine telle que proposée dans les cahiers quence, montant) pour privilégier des approches basées
de tendance par exemple. On peut imaginer qu’à l’instar sur le comportement en temps réel des prospects et des
d’autres industries créatives, des outils tels que les GAN acheteurs (parcours d’achat, mise en panier…) et adopter
(Generative Adversarial Networks) permettent un nou- les réponses les plus pertinentes en temps réel.
veau dialogue homme-machine en tirant le meilleur de
chacun. L’utilisation du machine learning représente donc pour les
acteurs de la mode une source unique de compréhension
Un usage également pratiqué aujourd’hui concerne l’ana- et d’évaluation en continu de leurs opérations. Pour
lyse des collections pour la construction d’un assortiment autant, cet outil nécessite de définir des objectifs et une
plus pertinent. À partir de données sur les produits, les stratégie clairs et adaptés.
prix, les stocks, plusieurs start-up (Daco, Retviews ou
encore Heuritech) proposent des éclairages complémen-
taires aux chefs de produits. À titre d’exemple, la start-up
Heuritech, accélérée par LVMH à Station F, a noué un par-
tenariat avec Dior pour aider la marque à tracker ses pro-
duits Instagram grâce à son outil de reconnaissance vi-
suelle, étant donné que les utilisateurs mentionnent
rarement la marque lorsqu’ils postent une photo d’un de
ses produits.

L’intelligence artificielle est pour le moment moins utili-


sée dans l’amont et la logistique mais certains acteurs se
positionnent sur le sujet afin d’anticiper au mieux les
éventuelles ruptures de chaînes logistiques ou goulots
d’étranglement. Plusieurs entreprises de la logistique aval
ont développé des solutions en ce sens qu’elles mettent
à disposition des marques et retailers, suivant en cela
l’exemple d’Amazon qui a fait de l’analyse de données sur
l’ensemble du processus achat-approvisionnement un de
ses facteurs de réussite.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 81
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

FICHE PRATIQUE

Comment mettre en œuvre
une stratégie d’IA pertinente :
la vision de Paul Mouginot
(daco.io)
Pour souhaitable qu’elle soit, l’utilisation de la data sup- La quantité de données
pose un certain nombre de prérequis qui conditionnent sa
Pour créer un modèle d’IA, vous devez l’alimenter avec
pertinence :
des données. Même dans les grandes entreprises, des
silos peuvent se former au fil du temps avec de nom-
La vision stratégique breuses sources de données représentant le même phé-
Vous pouvez avoir les meilleurs outils de données et d’IA, nomène - par exemple l’évolution des stocks. L’un des
si vous n’avez pas de stratégie, vous ne pourrez réaliser facteurs clés de succès ici est de pouvoir créer une
que des projets à faible valeur ajoutée. L’identification source unique de vérité. De plus, dans la vente au détail,
des principaux enjeux en termes commerciaux, la priori- toute base de données de vente au niveau SKU peut avoir
sation des projets et la mise en place de projets à « gains des milliards de lignes, donc lorsque vous exécutez le
rapides » apparaissent comme des étapes nécessaires calcul sur toutes les colonnes de ces bases de données,
afin de tester cette technologie. une infrastructure dédiée est souvent nécessaire. Il peut
s’agir d’une base de données ou d’un simple serveur. La clé
La gestion du changement est de pouvoir le faire évoluer facilement si nécessaire.
Les projets d’IA sont principalement des projets humains.
La qualité des données
Dès le départ, il est essentiel de trouver la bonne façon
d’attirer et de retenir les talents, de transformer les pro- Cela semble être une condition préalable évidente mais de
cessus et éventuellement les structures pour vraiment nombreux projets d’IA sont menacés par le manque de
inclure de nouvelles utilisations de l’IA. données exhaustives et bien étiquetées. Ainsi, le premier
sujet de tout projet de personnalisation devrait être les
stratégies de collecte de données (où puis-je trouver ou
acquérir des données ?), puis les stratégies de préparation
des données (comment puis-je transformer ces données
pour m’assurer d’avoir toutes les informations nécessaires)
et enfin la visualisation des données (analyse et partage
de l’information, création d’une équipe dédiée…).
Source : Entretien IFM-Kea&Partners
82 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Des acteurs comme Experienced Capital Partners (EXCP),


INNOVATIONS New Guards Group ou les investissements du groupe To-
ORGANISATIONNELLES morrow Ltd, illustrent des modèles de mutualisation de
ET NOUVEAUX PARTENARIATS ressources et de compétences.

INDUSTRIELS EXCP met à disposition des marques et concepts dans


lesquels il investit des ressources financières et hu-
L’innovation technologique n’est qu’un des aspects de la maines, principalement dans l’univers du luxe abordable.
manière dont les acteurs de la mode cherchent à se dif- L’expertise retail, merchandising et digitale permet aux
férencier et à repenser leur modèle économique. Nous entrepreneurs accompagnés d’accélérer leur dynamique
assistons en parallèle à l’émergence de nouvelles al- de développement.
liances entre certains acteurs du secteur pour repenser
les organisations traditionnelles en jouant en particulier New Guards Group, qui regroupe plusieurs marques
sur la répartition des marges dans la filière. parmi lesquelles Off-White, a développé pour sa part un
partenariat avec des fabricants qui rend possible de dé-
La concentration croissante du secteur de la mode rend velopper des produits de la conception à la mise en vente
nécessaire pour les nouveaux entrants l’invention de mo- en 3 semaines. Ce modèle de « luxury fast fashion » est
dèles économiques alternatifs. Face à des acteurs verti- rendu possible par trois éléments :
calement intégrés ou disposant d’un pouvoir de marché
important, il peut s’avérer nécessaire de bâtir de nou- • La notoriété préexistante des « curators » qui dirigent
veaux partenariats pour peser et ne pas risquer d’enre- les marques du groupe et leur capacité à mobiliser
leur communauté digitale ;
gistrer les performances dégradées propres aux modèles
qui ont peu de prise sur la chaîne de valeur. • L’offre centrée sur un produit à forte profitabilité et
facile à produire : le t-shirt.
Le modèle des DNVB a déjà été évoqué et incarne une
tentative d’intégration de la création à la distribution qui • Une solution de supply chain dédiée en Italie avec des
peut permettre de dégager les marges suffisantes à un usines qui travaillent 24/7 pour les marques du
développement pérenne. Dans la distribution mais aussi groupe.
les approvisionnements, le partenariat peut également
permettre de rivaliser avec les acteurs intégrés.

La mutualisation de ressources, sous l’ombrelle d’un


groupe ou d’une holding, constitue pour des structures
fragiles telles que les marques émergentes une manière
de concilier développement rapide et investissement
raisonné.

À RETENIR

Les acteurs ne bénéficiant pas d’un pouvoir de marché La capacité des acteurs à réconcilier les enjeux amont
important (marques émergentes, fabricants, presta- (rythme d’approvisionnement, qualité...) et aval (perti-
taires...) commencent à nouer des partenariats sur les- nence de l’offre et désirabilité) constitue une clé de réus-
quels ils peuvent bâtir un avantage concurrentiel, via la site majeure.
mutualisation des ressources, l’échange d’informations
ou la recherche d’agilité.
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 83
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

Ce type de nouveaux partenariats industriels, de même


que des initiatives prises en Belgique ou au Japon té-
moignent à quel point l’accès à l’amont (approvisionne-
ments et sourcing) et la recherche d’un alignement des
objectifs entre fabricants et marques constituent des
axes stratégiques majeurs projets. Spécifiquement dans
un contexte où la logistique amont doit s’adapter au
rythme effréné impulsé par les retailers et les réseaux
sociaux.

Les performances du groupe New Guards et la désirabi-


lité de ses marques, principalement de Off-White, lui ont
permis d’accroître son pouvoir de marché et d’obtenir des
conditions avantageuses de la part des retailers.

Sans avoir recours à l’intégration verticale (qui est la


stratégie mise en œuvre par les leaders du luxe et des
acteurs comme Inditex) et donc avec un engagement fi-
nancier plus limité, New Guards Group a réussi à bâtir un
avantage concurrentiel sur la base de ces partenariats
stratégiques.

FICHE PRATIQUE

Des partenariats pour


le développement de nouvelles
marques : l’exemple
de Tomorrow Ltd et Coperni
Le groupe Tomorrow Ltd, principalement connu pour ses qui regroupe des experts dédiés sur la plupart des sujets
activités de showrooms dans la plupart des capitales de (supply chain, sustainability…) qu’elles ne seraient pas en
la mode, a pris des participations dans trois marques mesure d’intégrer avec leurs faibles moyens.
créatives dont la marque française Coperni.
Des partenariats de ce type commencent à voir le jour,
Le groupe prend à sa charge le développement des col- principalement portés par des acteurs italiens (par
lections, leur distribution et peut aller jusqu’à la gestion exemple Staff et la marque française Koché). D’aucuns
de la vente au détail et la présence sur les plateformes pointent les difficultés intrinsèques de ce modèle qui res-
telles que JD ou Alibaba. treint l’autonomie des créateurs dans leurs décisions
stratégiques dans la mesure où la part qu’ils touchent sur
Ce modèle qui rappelle celui de la licence en diffère par les ventes réalisées est faible et ne leur permettrait pas
l’investissement du groupe dans les marques. Cette opé- d’assurer leur développement.
ration vise à aligner les visions et les intérêts parfois oppo-
Sources : Entretien IFM-Kea&Partners
sés qui peuvent exister entre marque et licencié. Le groupe
met également à disposition de ses marques sa plateforme
84 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2
CULTURE ET DYNAMIQUE LA MUTATION DES L’APPROCHE PAR LA RSE, AU CŒUR DES MODÈLES INNOVATION ET TECHNOLOGIES, 85
DE TRANSFORMATION CHAÎNES DE VALEUR LA VALEUR CLIENT ÉCONOMIQUES DE LA MODE BOOSTERS DE DEMAIN

LES PREMIERS PAS

La vision
de Yann Rivoallan
(The Other Store)
Le défi
Dans un environnement où l’innovation a permis en
quelques années de réaliser des sites très facilement
avec des moyens limités sans avoir en permanence
à ses côtés un « technicien », le défi reste la capacité
des marques à allier marketing et innovation.

La réponse
Des acteurs proposent d'intervenir auprès des so-
ciétés pour les accompagner dans leur stratégie
digitale et optimiser l’utilisation de ces nouvelles
plateformes comme Shopify ou Woocommerce. Cet
accompagnement va de la déclinaison de la straté-
gie de l’entreprise sur le digital à la création de nou-
veaux outils, comme la gestion des ventes privées
sur Shopify.

L’enseignement
Les jeunes marques aussi habiles soient-elles dans
l’utilisation des nouvelles technologies ont souvent
besoin d’identifier le bon partenaire pour s’assurer
de la bonne déclinaison de leur stratégie sur le digi-
tal, canal de plus en plus important dans leur déve-
loppement.
Source : Entretiens IFM-Kea&Partners
©Aaron Greenwood, Unsplash
86 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

© Institut Français de la Mode - Allyssa Heuze


LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 87
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

PARTIE 2

Les caractéristiques
des modèles
gagnants

90 Les marques de création

106 Le segment premium


et luxe abordable

122 Le segment milieu de gamme

130 Le segment d’entrée de gamme

138 Mise en perspective des modèles


gagnants post-crise
88 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Cette seconde partie est dédiée à la carac- Les critères de sélection ont été les suivants :
térisation de « modèles économiques ga- • Chiffre d’affaires supérieur à 2 millions d’euros
gnants ». Les thèmes étudiés en partie I
sont les paramètres clés de ces modèles • Croissance annuelle moyenne du chiffre d’affaires
positive au cours des derniers exercices (des comptes
gagnants, activés à des degrés distincts et déposés en 2015 aux comptes déposés en 201832)
déclinés spécifiquement selon les seg-
ments et les étapes de développement. • EBITDA positif a minima lors du dernier exercice clos

Quels sont les modèles gagnants d’aujourd’hui et de Étape 2 : Enrichissement et étude détaillée des « modèles
demain ? Quelles sont les clés de réussite des acteurs qui gagnants ».
s’inscrivent aujourd’hui dans une dynamique positive de Les paramètres économiques et opérationnels, les leviers
croissance de chiffre d’affaires et de rentabilité ? Quelles et étapes de développement, ont été caractérisés et mo-
sont les étapes clés de développement et les inflexions délisés (comptes publiés, entretiens, presse spécialisée,
associées ? analyses Kea&Partners et IFM).
Une vingtaine de modèles économiques ont été identifiés, Sur chaque segment de marché sont présents des ac-
caractérisés en intégrant les spécificités de chaque seg- teurs dynamiques et performants. Cela signifie que le
ment, taille ou étapes de développement des marques. champ des possibles est ouvert, quel que soit le segment
Cette caractérisation repose sur l’approche méthodolo- sur lequel un acteur se positionne, qu’il soit déjà installé
gique suivante : ou qu’il lance son activité.

Étape 1 : Cartographie de marques. Les « modèles gagnants » identifiés sont aussi bien des
marques indépendantes que des marques appartenant à
Cette cartographie a été réalisée sur la base de critères des groupes ou fond d’investissements.
financiers de comptes publiés d’un panel de marques.
Les DNVB et les marques engagées, confirment leur capa-
cité à se déployer efficacement et de manière rentable.

32. Au moment de l’analyse financière, peu de comptes pour l’exercice


clos en 2019 par les marques étudiées étaient disponibles
sur les bases de données consultés. Nous avons donc circonscrit
le périmètre des données afin d’étudier des bases comparables.

EN UN CLIN D'ŒIL

Synthèse des métriques des


modèles gagnants par segment
Marques de création Premium et luxe abordable Milieu de gamme Entrée de gamme
Nouvelles
Marques Milieu de Acteurs Nouveaux
2-5 M€ 5-20 M€ 20-50 M€ Blockbusters marques DNVB
créatives gamme référents acteurs
créatives

CAGR CA 20 - 50 % 25 - 60 % 5 - 35 % 10 - 20 % 10 - 20 % 10 - 45 % 1 - 10 % 10 - 20 % 4 - 5 % 20 - 25 %

EBITDA -20 - 15 % 0 - 20 % 10 - 25 % 16 - 18 % 15 - 22 % 5 - 10 % 5 - 20 % 7 - 20 % 6 - 12 % 8 - 10 %

Poids du digital 5 - 20 % 15 - 20 % 10 - 35 % 5 - 20 %

Poids de l’international 60 % et + 40 % et + 30 % et + 20 - 30 %


LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 89
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

ÉTUDE DÉTAILLÉE DES CA international


Part du chiffre d’affaire réalisé hors de France
« MODÈLES GAGNANTS » : CA CAGR
CARACTÉRISTIQUES ET Taux de croissance annuel moyen du chiffre d’affaire
LEVIERS STRATÉGIQUES Nombre de points de vente
Les « modèles gagnants » ont été analysés et classés par Nombre de points de vente exclusivement dédiés à la
segment de marché. La définition de chaque segment marque (détenus en propre ou en franchise)
s’appuie sur une définition générique et multicritères : COGS
cible client, proposition de valeur, positionnement prix, Cost of goods sold : coût d’achat des produits vendus
pénétration internationale, etc. Le positionnement prix
est illustré par un produit pivot. Ci-dessous les points de Masse salariale réseau
repère pour la robe (prix de vente TTC, hors promotion) Somme des rémunérations brutes chargées versée par
l’entreprise à ses équipes réseaux (boutiques en propres
• « Marques de création » (prix moyen supérieur à 500 €) et corners en concession)
• « Premium et luxe abordable » (prix moyen entre Loyers et charges locatives
100 € et 500 €)
Sommes des loyers et charges locatives (réseau)
• « Milieu de gamme » (prix moyen entre 30 € et 100 €)
Frais marketing et digital
• « Entrée de gamme » (prix moyen inférieur à 30 €) Somme des coûts marketing online et offline (communi-
cation, publicité, media, promotion...)
Pour chaque modèle, nous avons étudié le mix de chiffre
d’affaires et la structure des coûts d’exploitation par seuil Logistique / Transport
de chiffre d'affaires, ainsi qu’un certain nombre d’indica- Somme des dépenses liées aux flux des marchandises
teurs clés opérationnels. (transports, stocks,…)

Frais de siège
Glossaire des postes étudiés sur les comptes
Somme des dépenses nécessaires au fonctionnement de
de résultats des « modèles gagnants »
la structure
CA wholesale
Coefficient d'entrée
Part de chiffre d’affaires réalisé sur le canal wholesale
Ou coefficient multiplicateur, ou mark-up : ratio entre le
(auprès de distributeurs), incluant le wholesale effectué
prix de vente retail TTC et le prix de revient industriel
on-line
L’ensemble de ces indicateurs est exprimé en pourcen-
CA retail
tage du chiffre d’affaires HT.
Part de chiffre d’affaires réalisé sur le canal retail (dans
les boutiques de la marque détenues en propre ou Les comptes de résultat suivants présentent simultané-
franchisées) ment le minimum et le maximum des ratios observés pour
les « modèles gagnants » identifiés.
CA online (e-shop propre)
Part de chiffre d’affaires réalisé sur l’e-shop propre de la
marque (incluant les ventes sur mobile)

LFL
Croissance de chiffre d’affaires succursales like for like
(à périmètre constant)
90 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Les marques de création


CARACTÉRISTIQUES COMMUNES
Caractéristiques communes des marques de création Les modèles proposés créent une forte désirabilité pour
une cible client spécifique (clientèle internationale, mo-
L’appellation «  marque de création » regroupe des deuse, CSP + /++). À l’origine de nouvelles esthétiques, ils
marques qui ont, « un geste créatif unique ». Cette iden- s’inscrivent dans le segment de prix le plus élevé du
tité créative, incarnée par le designer, s'accompagne d’un marché (supérieur à 500 €), en cohérence avec le pouvoir
travail important sur l’image de la marque ou du designer d’achat de la cible client (un seuil maximum de 2 500 €,
lui-même, dès la fondation de la maison. Les marques de sauf produits d’exception).
création proposent de nouveaux univers ou visions de
notre époque, déclinés dans les collections, l’expérience
client on line / off line ou les réseaux sociaux.
« Il est nécessaire d’ancrer
un geste créatif dans une réalité
économique »,
Delphine Le Mintier-Jonglez, Directrice
d’investissements Mode et Luxe, bpifrance
Comptes de résultat génériques
de « modèles gagnants » marques de création
selon leur chiffre d’affaires
À noter, les comptes de résultat suivants présentent simultanément le minimum
et le maximum des ratios observés pour les « modèles gagnants » identifiés

Mix distribution 2 M€ - 5 M€ de CA 5 M€ - 20 M€ de CA 20 M€ - 50 M€ de CA


CA wholesale 80 % 100 % 60 % 90 % 35 % 90 %
CA retail 0 % 0 % 20 % 5 % 45 % 5 %
CA online (e-shop propre) 20 % 0 % 20 % 5 % 20 % 5 %
Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Min Max Min Max Min Max


CA international 60 % 90 % 30 % 90 % 25 % 95 %
LFL - - - - - -
CAGR CA Total 20 % 50 % 25 % 60 % 5 % 35 %
Nombre de points de vente 0 1 1 5 5 25
Chiffre d'affaires HT 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
COGS -60 % -45 % -50 % -40 % -40 % -30 %
Marge brute 40 % 55 % 50 % 60 % 60 % 70 %
Masse salariale réseau -35 % -12 % -20 % -10 % -15 % -12 %
Loyers et charges locatives -10 % -5 % -10 % -5 % -15 % -8 %
Frais marketing et digital -15 % -5 % -10 % -5 % -10 % -5 %
Logistique / Transport -15 % -5 % -12 % -5 % -12 % -5 %
Frais de siège -12 % -8 % -20 % -10 % -15 % -8 %
EBITDA -20 % 15 % 0 % 20 % 10 % 25 %
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 91
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

EN UN CLIN D'ŒIL

Les marques de création


Définition retenue
À noter : le fait que la marque défile ou non n’a pas été retenu comme critère de définition.
Un prix moyen
>500 €
Une forte présence internationale

Une identité stylistique forte et


une force de proposition esthétique
(Création et Innovation)

En général, une dissociation entre les


fonctions de Directeur Artistique
et Directeur Général
L’unicité des modèles créés
chaque saison

Typologies de modèles gagnants

CA
> 50 M€
CA 3 modèles gagnants marques de création étudiés, catégorisés
20 – 50 M€ selon leur chiffre d’affaires en 2018.
CA
5 – 20 M€
CA Dans le cadre de cette étude, le segment > 50 M€ de chiffre d’affaires ne fait pas
2 – 5 M€ l’objet d’un zoom particulier

Chiffres clés

Jusqu’à Jusqu’à

95 % 100 % 20 %


-20 % 25 %

EBITDA en % du chiffre d’affaires


CA réalisé à l’inter. CA réalisé en whsl. CA sur l'e-shop
Un EBITDA souvent négatif les premières Un modèle très Un modèle commercial De nouveaux modèles
années suivant la création de la marque, international, tourné basé sur le wholesale qui privilégient le digital
et atteignant les 25 % du chiffre d’affaires notamment vers
au bout de 10 – 15 ans les marchés asiatiques

Illustration de marques

Acne Studios  —  Alexandre Vauthier  —  Alyx  —  Ambush  —  AMI  —  Bode  —  Coperni  —  Etudes studio  —  Fenty  — 
Golden Goose  —  Graig Green  —  Isabel Marant  —  Jacquemus  —  Kaithe  —  Kiko Kostadinov  —  Koche  —  Lemaire  — 
Marine Serre  —  Moncler  —  Officine générale  —  Off-White  —  Paco Rabanne  —  Patou  —  Rick Owens  —  Roseanna  — 
Stella McCartney — The Row — Undercover — Y/Project — ...
92 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Les « modèles gagnants » misent sur une forte internatio- Au fil de leur développement commercial, les marques de
nalisation dès la première saison (jusqu’à 95 % du chiffre création réussissent à mieux maîtriser leur marge (le
d’affaires peut être réalisé à l’international), pour accroître mark-up33 passe de 4 ou 5 pour les jeunes marques de
la cible de consommateurs, augmenter la visibilité et la création à 7 au maximum pour les marques de création
désirabilité de leurs produits. Ils adoptent une stratégie de plus installées) ainsi que leur taux de surstock (un maxi-
wholesale international ultra sélective afin de se position- mum de 30 % réduit à 15 % pour les plus gros acteurs du
ner dans un premier temps chez les distributeurs « A’ » du segment). L’amélioration de la marge provient souvent
monde entier, c’est-à-dire les plus emblématiques dans d’un double effet lié à de plus grandes quantités en com-
leur rôle de « sélectionneur et éditeur de marques de créa- mande chez les fabricants, donc des prix de production
tion » (Isetan à Tokyo, les Grands Magasins parisiens, unitaires moins chers, ainsi qu’à une meilleure conception
Bergdorf Goodman à New York …). Les marques gagnent de ceux-ci en amont (utilisation de matières premières
ainsi un temps précieux en termes de notoriété, capitali- sur plusieurs références, reconduits, etc. …).
sant sur la notoriété, l’attractivité et la visibilité de ces
points de vente. Cette stratégie permet une approche fru- Les « modèles gagnants » connais­sent en moyenne
gale des dépenses marketing, limitant les coûts et le une croissance exponentielle de leur chiffre d’affaires
rythme de campagnes de communication, néanmoins par- (pouvant atteindre 60 % par an selon leur stade de déve-
faitement ciblées et réalisées. L’accent peut alors être mis loppement).
sur l’organisation d’un défilé pendant la Paris Fashion Ils peuvent atteindre 6 M€ de chiffre d’affaires en environ
Week, dont le coût atteint parfois 200 k€. Ces marques de 5 ans et franchir le palier des 40 M€ pour les plus perfor-
création communiquent sur deux temporalités. Le défilé mants d’entre eux après 15 ans d’activité.
représente une prise de parole sur un temps long tandis
que les réseaux sociaux permettent une communication
sur un temps court.

Cette stratégie d’internationalisation s’accompagne sou-


vent de l’ouverture rapide d’un point de vente physique
(souvent sous la forme de « pop-up ») dans la ville de 33. Le mark-up s’entend ici comme le multiple entre le prix de vente retail
TTC et le prix de revient industriel HT moyen du produit. Exemple pour
création de la marque pour ancrer celle-ci dans l’esprit des un mark-up de 5 : un produit qui coûte 100 € HT sorti d’usine sera
clients et tester l’appétence des clients pour les produits. vendu 500 € TTC en boutique.

Autres indicateurs des « modèles gagnants »


marques de création selon leur chiffre d’affaires

Autres indicateurs 2 M€ - 5 M€ de CA 5 M€ - 20 M€ de CA 20 M€ - 50 M€ de CA


Coefficient d'entrée 3 3 4,5 7 5 7
Taux de résiduel (écoulement après soldes) 15 % 30 % 12 % 20 % 12 % 15 %
ETP Siège - - - - 26 40
ETP Boutique - - - - 3 125
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 93
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

Observation de la dynamique des acteurs


Sur la base de chiffres moyennisés correspondant à la performance observée chez Chiffre d’affaires (M€) EBITDA (M€)
plusieurs acteurs du marché. Les pourcentages expriment la croissance annuelle
moyenne (CAGR) du chiffre d’affaires et de l’EBITDA.

CA : +50 - 100 % CA : +30 - 40 % CA : +10 - 12 %


EBITDA : +0 % EBITDA : +10 % EBITDA : +17 % 40,0
37,2
34,7
32,3
30,1
28,0

20,6

15,1

11,1
8,2
6,0 6,3 6,8
5,5 5,9
4,8 5,1
3,0 3,5
0,8 1,5 0,8 1,1 1,5
0,2 0,4 0,6

N N+1 N+2 N+3 N+4 N+5 N+6 N+7 N+8 N+9 N+10 N+11 N+12 N+13 N+14 N+15

2 M€ - 5 M€ 5 M€ - 20 M€ 20 M€ - 50 M€

ZOOM N° 1 faires de certaines marques de création). L’expansion par


ENJEUX CLÉS DES MARQUES le wholesale implique certes de « sous-traiter » l’accom-
pagnement et la connaissance fine du client final, mais
DE CRÉATION AU CHIFFRE elle a pour avantage majeur une maitrise des coûts per-
D’AFFAIRES COMPRIS ENTRE mettant aux marques de création dès les premières
années d’accéder au marché international et à la base de
2 M€ ET 5 M€ clientèle la plus large. Cette première étape a aussi une
Pour illustration, cela correspond au niveau de dévelop- importance vitale pour le positionnement et l’image de la
pement aujourd’hui de Craig Green, Koché, ou encore marque. Les marques de création, vont alors mener une
Études Studio. stratégie de théâtralisation des points de vente pour af-
firmer leur singularité sur le marché. À l’échelle mondiale,
• La stratégie commerciale on compte aujourd’hui entre 200 et 300 points de vente
ultra sélectifs, capables d’être les vitrines à part entière
• Le développement du digital comme vecteur marketing des marques de création. Sur ces points de vente, les ac-
• Des sources de financement spécifiques et un ciblage teurs online comme Farfetch, Matchesfashion.com, Net-
des investissements à-Porter,… ont désormais un poids très important sur la
scène internationale.
À noter : à ce stade de développement, un EBITDA négatif
est souvent la norme, au moins jusqu’à la fin de la 2 e En raison du niveau de prix, le nombre d’acheteurs natio-
année naux est limité (une cinquantaine à l’échelle de la France)
et il est même fréquent de n’avoir aucun point de vente en
La stratégie commerciale France au départ. Le marché national s’avère rapidement
limité pour les jeunes marques de création qui doivent
Pour lancer leur développement, le canal privilégié par les s’étendre à l’international pour toucher de nouveaux
« modèles gagnants » étudiés est le wholesale offline consommateurs potentiels. Les dernières années ont
(Grands Magasins ou multimarques ou « select shops » montré le rôle prépondérant des e-tailers et de l’Asie
référents nationalement ou internationalement) ou online comme vecteurs initiaux de développement commercial.
(canal qui représente entre 80 % et 100 % du chiffre d’af- L’importance de l’Asie repose sur la taille du marché, la
94 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

qualité des distributeurs locaux et l’appétence de ce conti- Le digital comme outil marketing
nent pour les acteurs français. Le marché américain, his-
toriquement deuxième marché de développement, est Préalablement au développement de leurs ventes et avant
depuis plusieurs années en difficulté, et ce même avant la même le lancement de la marque, ces acteurs travaillent à
crise du Covid-19 (faillite de Barneys, fermeture des bou- la création d’une communauté digitale de followers la plus
tiques Opening Ceremony, difficultés actuelles de Bergdorf importante possible. Par la création rapide du site Internet
Goodman…). Les « modèles gagnants » étudiés réalisent de la marque et surtout de leurs profils sur les réseaux so-
entre 60 % et 90 % de leur chiffre d’affaire à l’international ciaux (Instagram, Facebook, Pinterest) les marques de
dans les premières années. Pour illustration, la quasi-tota- création diffusent leur univers d’inspiration, leur singularité
lité du chiffre d’affaires de Marine Serre (première collec- et développent une proximité immédiate avec leur commu-
tion lancée en 2017) est réalisée à l’international. nauté et futurs clients. À ce stade, ce ne sont pas encore
exclusivement des produits mais plutôt des mood boards,
Entre 80 % et 100 % du chiffre d’affaire réalisé des états d’esprit, qui sont partagés et constituent le début
en wholesale de la construction de l’univers et de l’image de la marque.
Entre 0 et 1 point de vente direct (retail) Cette communauté est nourrie régulièrement par des
contenus de qualité (images, newsletters, mails) qui
Jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires réalisé sur l’e-shop
créent de l’attente pour le lancement effectif de la marque
et constituent une base pertinente pour les premières
ventes directes. Celles-ci seront ensuite captées par l’e-
shop de la marque ou chez les wholesalers. Dans un deu-
xième temps, des relais commerciaux digitaux plus di-
rects peuvent être activés pour renforcer l’attractivité de
la marque : campagne ciblée via des influenceurs (Ins-
tagramers, bloggueurs) ou par une stratégie de place-
ment produits qui consiste à offrir des pièces à des per-
sonnalités qui, adhérant volontairement à la marque, sont
prêtes à les porter en public, entraînant immédiatement
l’adhésion de leurs propres communautés.

Sources de financement spécifiques et ciblage


des investissements

Chez ces jeunes acteurs, la marge brute oscille de 40 % à


55 % dans le meilleur des cas. Si cette marge brute peut
paraître faible au regard des standards du luxe, elle s’ex-
plique par la jeunesse de ces acteurs et l’absence de taille
critique suffisante pour mieux négocier les coûts matière
et les coûts de production. Les minima de production ne
sont souvent pas atteints et un surcoût unitaire important
peut s’appliquer sur certaines pièces « image », parfois
vendues quasiment sans marge.

La masse salariale réseau, quant à elle, représente un coût,


qui peut osciller entre 12 % et 35 % du chiffre d’affaires. En
réalité, il faut garder à l’esprit qu’à ce stade du développe-
ment, les salaires bruts sont relativement faibles au regard
du travail fourni par les équipes, chez lesquelles on trouve
un esprit entrepreneurial. Les « modèles gagnants » s’ap-
puient sur des équipes jeunes, polyvalentes. Les fonda-
teurs, plus âgés, capitalisent sur leurs réseaux et leur ex-
périence. Ils sont, pour la plupart, capables d’attirer de la
« valeur gratuite » auprès de profils plus expérimentés.
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 95
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

L’autre investissement clé de ces premières années d’ac- Coût des ventes entre 60 % et 45 % du chiffre
tivité est le marketing. La frugalité étant de mise, les d’affaires
« modèles gagnants » de marques de création préfèrent
Une marge brute entre 40 % et 55 % du chiffre
investir sur peu d’actions marketing, mais de façon per-
d’affaires
tinente plutôt que de multiplier les contacts. En moyenne,
ils dépensent dans les premières années entre 5 % et Une masse salariale réseau entre 12 % et 35 %
15 % du chiffre d’affaires en marketing, en ciblant au du chiffre d’affaires
mieux leurs efforts, par exemple sur la création de conte-
nus de qualité (shooting des pièces, photos Instagram) et Un coût marketing entre 5 % et 15 % du chiffre
une agence de RP ou d’outplacement. La négociation des d’affaires
tarifs est indispensable avec comme argument principal
une collaboration de long terme. Certaines marques de
création peuvent en fonction de leur budget et de leur
nécessité de positionnement décider de s’inscrire dans le
calendrier de la Fashion Week de Paris et faire défiler leur
marque. Ces défilés ont cependant un coût important
(jusqu’à 200 k euros).

Le financement des marques de création dans cette pre-


mière phase est donc crucial. Au-delà du love money qui
doit aider à la création des premiers produits, puis des
business angels, premiers pourvoyeurs de fonds une fois
la « proof of concept » réalisée, les marques se tournent
bien souvent vers des financements alternatifs, au pre-
mier rang desquels se trouvent les concours et autres
prix. Si les premiers peuvent apporter des subventions
conséquentes comme le prix LVMH ou l’ANDAM (300 000 €
pour le grand prix), la victoire de prix prestigieux (comme
le Festival de Hyères) est souvent un fort accélérateur de
croissance et un signal positif pour les marques de créa-
tion : financement lié, accompagnement dédié par des
professionnels de renom et promotion « gratuite » de la
marque et de son designer sont des éléments rassurants
pour des futurs acheteurs et investisseurs. Si ceci ne
constitue pas une condition sine qua none de la réussite
de la marque, il est bien souvent un marqueur fort pour le
développement de celle-ci. Rushemy Botter et Lisi Herre-
brugh, du label Botter, ont été recrutés comme directeurs
artistiques de la marque Nina Ricci juste après leur vic-
toire au Festival de Hyères.
96 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

ZOOM N° 2 En proportion du chiffre d’affaires, on observe une diminu-


ENJEUX CLÉS DES MARQUES tion du poids du wholesale, au profit de l’e-shop et du retail.

DE CRÉATION AU CHIFFRE Entre 60 % et 90 % du chiffre d’affaires réalisé


en wholesale
D’AFFAIRES COMPRIS ENTRE
5 M€ ET 20 M€ L’ouverture des premières boutiques

Pour illustration, cela correspond au niveau de dévelop- Dans cette phase de développement, le défi majeur réside
pement aujourd’hui de Marine Serre, Lemaire, Officine dans l’ouverture de boutiques en propre pour décliner son
Générale, Alexandre Vauthier ou encore Giambattista image et son univers dans un lieu, mais aussi de construire
Valli. une relation directe avec ses clients. Cela se traduit par
l’ouverture d’un nombre restreint de boutiques. La première
Les enjeux de cette phase de développement : d’entre elle est en général ouverte dans le pays d’origine de
• L’accélération des ventes sur l’e-shop la marque, dans un esprit « Made In » et la seconde dans la
métropole internationale au plus fort potentiel commercial.
• La poursuite du développement des canaux whole- L’investissement dans ces boutiques se fait dans une lo-
sale et e-shop gique d’allocation optimale du Capex disponible. Il est cru-
cial alors pour ces marques d’être rentables car les banques
• L’ouverture des premières boutiques (retail)
ne financent pas le pas de porte à l’étranger.
• La stabilisation du mark-up
Entre 5 % et 10 % du chiffre d’affaire réalisé en retail
• La possibilité d’activer des collaborations stratégiques
Entre 1 et 5 points de vente (en propre ou franchise)
À noter : à partir de cette étape de développement, l'EBIT-
DA doit être positif La stabilisation du mark-up

À ce stade, les marques de création commencent à trouver


L’accélération des ventes sur e-shop
une stabilité (fournisseurs, matières premières, …). Ainsi
Les marques de création à ce stade de développement l’équilibre entre coûts de production et prix de vente se
s’attachent particulièrement à structurer et fluidifier leur rapproche des ratios normatifs du segment (mark-up /
parcours client sur leur e-shop et mobile. En effet, il s’agit coefficient multiplicateur)
en général de leur premier canal de distribution géré par la Entre 50 % et 40 % de COGS (Cost of goods sold)
marque.
Un Coefficient d'entrée / Mark-up / Coefficient
Entre 5 % et 20 % du chiffre d’affaires réalisé sur multiplicateur situé entre 5 et 7
l’e-shop
La possibilité d’activer des collaborations
La poursuite du développement wholesale stratégiques
La dynamique d’expansion de la marque initiée dans la pre- Pour cibler de nouvelles communautés et proposer des pro-
mière phase se poursuit sur les canaux wholesale mondiaux. duits uniques, les marques de création s’associent à des
L’objectif de ces « modèles gagnants » est de maximiser la influenceurs, artistes etc… En mêlant leur univers et sa-
couverture des hot spots mondiaux, ces lieux ou points de voir-faire, ils créent des collaborations et jouent sur une
ventes clés dans le monde en termes d’image, de fréquenta- offre restreinte et inattendue de produits iconiques. Les
tion et de vente. Ces hot spots sont à la fois des distributeurs collaborations sont aujourd’hui presque incontournables
physiques (Isetan à Tokyo, Le Bon Marché à Paris, Bergdorf pour une marque de création voulant accroitre sa désirabi-
Goodman à New York …) et digitaux (Net-à-porter, Matches- lité et s’étendre vers de nouveaux territoires ou clients. Elles
fashion, Farfetch, Mytheresa…). L’objectif, en plus du nombre sont notamment très appréciées de la clientèle Millennials
de « doors » est aussi d’augmenter les quantités moyennes et chinoise. Virgil Abloh a été l’un des précurseurs dans ce
commandées par chacun. domaine, comptant près de trente collaborations avec des
marques variées (Nike, Jimmy Choo, Ikea, Levi’s), des lieux
(Le Bon Marché) et des artistes (les chanteurs Kanye West
et Jay Z, le plasticien Takashi Murakami).
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 97
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME
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98 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

ZOOM N° 3 Les marques de création doivent entretenir le sentiment


ENJEUX CLÉS DES MARQUES d’appartenance et de rareté, une communauté internatio-
nale restreinte de clients ayant accès à la marque et se
DE CRÉATION AU CHIFFRE reconnaissant dans ses codes. C’est pourquoi à ce stade
D’AFFAIRES COMPRIS ENTRE de développement les marques de création de « modèles
gagnants » font généralement le choix d’une communi-
20 ET 50 M€ cation unique et mondiale, permettant à chacun de ses
Pour illustration, cela correspond au niveau de dévelop- happy few, de se reconnaitre dans la marque quel que
pement aujourd’hui de Jacquemus, Ann Demeulemeester, soit le pays et le canal.
Vêtements ou encore Jonathan Anderson. Entre 35 % et 90 % du chiffre d’affaire réalisé
en wholesale
• La fragmentation des schémas de distribution
Entre 5 % et 20 % du chiffre d’affaire réalisé
• La structuration des équipes
sur l’e-shop
• La stabilisation de la marge brute
Entre 5 % et 45 % du chiffre d’affaires réalisé
• La diversification des produits en boutique (en propre ou par franchise)

Entre 5 et 25 points de vente (détenus en propre


La fragmentation des schémas de distribution
ou en franchise)
Forts des développements des étapes précédentes, les
« modèles gagnants » des marques de création, ont stabi-
lisé leur mix.de chiffre d’affaires pour combiner image, ac-
cessibilité et rapdité. Le wholesale permet d’accéder rapi-
dement à certains marchés et métropoles internationales,
le retail permet d’incarner la marque, l’expérience client, et
l’e-shop la diffusion.

Couverture des hotspots mondiaux par la marque Maison Kitsuné


Emplacement et nombre de points de vente Maison Kitsuné (Boutiques et Corners)
2020 – d’après le site de la marque

Corée du Sud (Séoul,...)

Paris

❾ Japon (Tokyo,
❷ Kyoto, Osaka,...)
❶ ❻ ❼

New York ❷

Shanghai

Hong Kong
Los Angeles
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 99
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

La structuration des équipes La diversification des produits

On observe plutôt une tendance à recourir à des équipes Une fois cette taille critique atteinte, les marques de
réduites et polyvalentes dans une logique de frugalité. création stabilisent leur structure capitalistique. Elles
Lorsque le chiffre d’affaires atteint les 20 M€, la marque sont alors capables de financer un élargissement de leur
commence à se structurer et ses équipes à se spécialiser. gamme de produits. Initialement créées sur la base d’une
On voit apparaître une distinction entre des équipes seule ligne de produits (vêtements uniquement pour
siège, en charge de la stratégie et la gestion globale de la femmes, ou pour hommes, enfant), elles peuvent désor-
marque, des équipes artistiques en charge du développe- mais lancer la création d’une ligne d’accessoires, qui vient
ment des produits et des équipes terrain. Le coût de la compléter un vestiaire et augmenter le panier moyen
masse salariale reste maîtrisé. Il y a un renouvellement d’achats, d’une seconde ligne ou bien encore et surtout la
des équipes pour recruter des profils plus expérimentés, création d’une nouvelle ligne pour hommes ou pour
plus expertes dans chacun des métiers. femmes.

Une masse salariale réseau représentant entre Par exemple, huit ans après sa création, la marque AMI,
15 % et 12 % du chiffre d'affaires réalisé initialement dédiée aux hommes, lance sa collection
femmes. La marque bénéficie d’un vaste réseau de distri-
Entre 26 et 40 ETP au siège
bution wholesale international et possède désormais 8
Entre 3 et 125 ETP en boutique boutiques.
(en moyenne 3 ETP par points de vente)
D’après une étude de l’IFM pour la FHCM, le poids du prêt-
à-porter dans le chiffre d’affaires de ses membres est de
La stabilisation de la marge brute
90 % pour les marques de 1 à 20 millions de CA, 81 % pour
À ce niveau de chiffre d’affaires, les marques de création les marques ayant un chiffre d’affaires de 20 à 100 mil-
identifiées comme « modèles gagnants » ont acquis une lions. Au-delà de ce seuil, les accessoires prennent le pas
taille suffisante pour amortir leurs différents coûts de sur le prêt-à-porter dans l’activité des marques.
production. La marge brute affiche des taux similaires à
ceux de l’industrie du Luxe.

Entre 30 % et 40 % de COGS (Cost of goods sold)

Entre 60 % et 70 % de marge brute

L ES MARQUES DÉPASSANT LE SEUIL


DE CHIFFRE D’AFFAIRES DE 50 M€
Les marques de création qui franchissent le seuil de 50 mil-
lions de chiffre d’affaires continuent leur développement à
un rythme soutenu, comme Off-White (161 M€ de chiffre
d’affaires en 2018, +286 % par rapport à l’exercice clos en
2017) Isabel Marant, dont les ventes dépassaient en 2018
les 150 M€, ou encore Dries Van Noten ou Margiela.
100 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Regards croisés
de grands acteurs
du Luxe
Ralph Toledano Guillaume de Seynes
Président, Fédération de la Haute Couture et de la Mode Directeur général Pôle Amont et Participations,
Associé, NEO Investment Partners Hermès International
Président, CSF Mode et Luxe
Aujourd’hui des phénomènes sont à l’œuvre et en parti-
culier l’attachement des consommateurs aux marques « Une marque pour perdurer doit être fidèle
selon les valeurs qu’elles défendent et qui imposent à sa promesse » : COHÉRENCE & CONSTANCE
d’avoir des comportements vertueux.
La démarche de création, unique ou partagée, nourrit
Plus que jamais la création reste la pièce maîtresse. Que chaque jour cette promesse avec cohérence et constance.
les designers œuvrent pour de petites ou de grandes La qualité, la matière, le savoir-faire, le style sont autant
maisons, leur talent créatif permet de réaliser des collec- d’attributs inaliénables de notre identité. La qualité du
tions identitaires, portables et durables. C’est donc une binôme Créateur / dirigeant reste aujourd’hui absolument
priorité pour nous de se recentrer sur elle : fondamentale pour sublimer cette cohérence.
• Faire que notre création reste résolument libre et « Observer le monde qui change et l’accompagner » :
ancrée dans son univers « artisanal ». Les logiques L’AGILITÉ
marketing et financière ont parfois été trop fortes
avec pour effet de générer « une création discipli- Depuis l’origine, Hermès a toujours su être agile. C’est le
née », frustrante pour les créateurs remplacement du cheval par l’automobile qui a poussé
notre arrière-grand-père à s’adosser à son savoir-faire
• Faire des managers les premiers supporters de cette de sellier pour créer une ligne de bagagerie avec une
création intégrant plus fortement une dimension émo- symbolique forte du monde équestre toujours présente
tionnelle et humaine. Leurs missions se sont focalisées aujourd’hui. Dans les années 1970, Hermès fut la pre-
sur les priorités stratégiques et opérationnelles en ou-
mière maison à vendre de la soie dans les aéroports,
bliant le besoin de symbiose avec les équipes créatives.
notre premier site marchand date de 2002. Aujourd’hui
Les défis sont par ailleurs multiples : l’enjeu est de continuer à développer des fonctionnalités
sur les applications mobiles mais surtout d’imaginer
• Faire émerger des petites marques et libérer les éner- comment être au mieux dans « le parcours de vie du
gies créatives de nos jeunes talents, soutenir leur client » avec une exemplarité dans l’exécution.
développement, leur profusion

• Amplifier notre capacité d’innovation notamment en


matière de technologie

• Accélérer sur la responsabilité. Il y a encore beaucoup


à faire pour dépasser les « apparences de transparence »

• Faire de l’approche par la valeur client un must have !


Même si au fond la logique de tribu, de précommande
existe depuis toujours.

• Intégrer dans nos organisations de nouveaux profils :


des entrepreneurs, des créatifs disruptifs et des ma-
nagers avec une capacité à partager le sens et déve-
lopper véritablement l’actif humain.
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 101
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

Bruno Pavlovsky Sidney Toledano


Président Mode, Chanel Président-directeur général, LVMH Fashion Group
Les recettes du modèle gagnants restent finalement les Il semble difficile de savoir comment les marchés et les
mêmes pour tous « bien créer, bien fabriquer, bien vendre ». comportements de consommation vont évoluer. Les clients
Quelle que soit la taille des maisons, nous devons rester sont scrutés à la loupe et la génération Z en particulier.
maîtres de notre destin.
La seule certitude, nous devons tous être très agiles tout
« Créer des moments clés au service de la création » en réfléchissant au moyen terme avec des questions cru-
ciales sur les dynamiques de diffusion de nos créations
Les talents de nos créateurs de toutes les maisons doivent pour valoriser nos marques et continuer à faire rêver nos
être préservés et valorisés. Les défilés parisiens en parti- clients. Défilés, modes de distribution, singularité des ex-
culier sont des moments incontournables de cette valori- périences clients.
sation et fait de Paris la première capitale au monde de la
Mode et de la Création, tribune d’expression pour tous. Les grandes maisons maîtrisent aujourd’hui leur calen-
drier et leur distribution mais pour les petites marques de
Des moments particuliers peuvent également être créés en création, la priorité aujourd’hui est de définir « l’équation
boutique, au travers de communautés ou pour certains Création / Commerce / Client pour la rendre singulière et
marchés. Les défilés des maisons / métiers d’art Chanel, authentique ».
par exemple sont devenus des moments spécifiques pour
Chanel et créent une relation intime avec nos clients. Des choix sont donc à faire pour garder la maîtrise de sa
marque, de son rythme de collection, de sa distribution,
« Bien créer, bien fabriquer » des prix et de sa marge. L’impatience consommateurs, la
L’attention portée au produit reste primordiale. C’est dans pression des distributeurs avec des demandes de livrai-
ce sens que nous devons absolument préserver le temps sons le plus tôt possible poussent les marques à l’embal-
de bien faire, nos filières et nos savoir-faire. Actuelle- lement et une exposition croissante au discount. La pro-
ment, il est crucial de faire repartir le plus vite possible les fusion, l’immédiateté risquent d’éteindre le niveau de
petits ateliers français et italiens. désirabilité des marques de luxe et de création. L’exclusi-
vité, le temps long nécessaire à la fabrication de produits
« Bien vendre et penser client » qualitatifs, la frustration sont les ingrédients du rêve.

Depuis toujours, nous transformons nos façons de


vendre. Aujourd’hui pour toutes les marques l’hybridation
est totale, les points de contacts clients multiples. Ainsi
pour Orlebar Brown (marque de maillots de bain acquise
en 2018 qui réalise 40% de ses ventes en ligne) de plus
en plus de clients réservent leurs produits en ligne,
viennent l’essayer en boutique en demandant une livrai-
son à domicile.

Pour les petites marques, le problème numéro 1 au-


jourd’hui est leur exposition aux démarques systéma-
tiques des distributeurs internationaux physiques ou di-
gitaux. « C’est une fuite en avant au détriment de la
marque et de la marge ». La digitalisation dès le départ
peut permettre de réduire cette exposition.
102 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Regards croisés
Cédric Charbit
Président-directeur général, Balenciaga

de grands acteurs La crise a été un catalyseur de beaucoup de tendances


déjà prégnantes. Elle a également souligné à quel point le
design et la créativité doivent être au cœur de nos marques
du Luxe et de nos organisations.

« Balenciaga est aujourd’hui résolument tourné


Riccardo Bellini vers la création et l’innovation »
CEO, Chloe
Design driven : Pour Balenciaga, le leadersphip est créatif
La crise est une occasion unique de corriger les erreurs et l’organisation est agile. Elle accompagne le design,
du passé et de faire naître une « nouvelle mode » s’adapte en permanence. La crise a accentué le « travail-
ler ensemble » avec une approche collaborative à tous
La crise a été une combinaison de plusieurs changements
les niveaux et pour toutes les fonctions. Nous tendons
qui se sont produits en même temps : sanitaire, social,
aujourd’hui vers une organisation qui devient une « plate-
économique. Pour la première fois, les individus, les so-
forme » avec la création au centre dans une logique col-
ciétés et les entreprises sont apparus extrêmement vul-
laborative avec tous les métiers, partie prenante sur
nérables. C'est pour nous tous un changement de toutes les dimensions de la marque. Notre enjeu est de
contexte fascinant et complexe garder cet actif et d’aller plus loin dans notre capacité à
Le monde a d’ores et déjà changé pour nous : les choix intégrer des profils nouveaux, créer des expériences qui
des consommateurs sont de plus en plus influencés, et se croisent et s’enrichissent, développer la diversité
les entreprises sont non seulement adoptées mais jugées émotionnelle et culturelle de nos équipes.
sur leur offre mais aussi sur leur rôle dans la société, leurs Mon rôle est d’enrichir et de faire évoluer notre organisa-
valeurs et leur capacité à réduire leurs externalités. tion dans cette logique de plateforme de plus en plus ou-
L'occasion est unique pour nous de passer d'un pur verte sur le monde et ses enjeux.
modèle capitaliste à un « modèle commercial axé sur la Tourné vers l’innovation : La proposition de la marque est
raison d’être combinant profit et sens ». C'est une nou- des plus différenciantes, c’est notre priorité donnée à l’in-
velle approche de la valeur à partager avec l'ensemble novation qui nous renforce aussi bien auprès de nos colla-
des parties prenantes, avec de nouvelles métriques inté- borateurs que de nos clients. Nous avons ainsi pu accom-
grant les valeurs sociales et environnementales. pagner Les changements profonds de la et clientèle avant
Nous devons maintenant aborder des questions fonda- et pendant la crise et nous adapter à travers des solutions
mentales : « Pourquoi existons-nous ? », « ma stratégie de innovantes pour répondre aux nouveaux enjeux. Plus de
marque, mon offre, ma communication, mon organisation, 75 % de nos clients ont moins de 35 ans et la moitié d’entre
mon équipe sont-elles cohérentes avec ma mission ? » eux moins de 25 ans. La « conversation » entre Balenciaga
et ses clients s’est inscrite naturellement avec les bons
Pour Chloé, nous commençons cette transformation par outils et supports digitaux, contenus et fréquence en par-
des premières étapes : « Small is the new Big » avec une ticulier pendant cette période. C’est l’innovation qui génère
réduction et une refonte de l'offre (nombre et taille des col- l’engagement de ces clients partout dans le monde. Nous
lections), évolution de la supply chain, activation d’impacts devons aller plus loin dans le dialogue entre notre marque
sociaux positifs via la production locale, upcycling, … « globale » et ses clients « locaux » avec quelques défis
pour une prise de parole crédible localement. Nos interro-
Pour la mode, certains fondamentaux ont été dilués et gations sont les suivantes :
redeviennent des priorités : la valeur de la créativité, le
temps nécessaire pour assurer la qualité, la revalorisation • Comment développer une nouvelle segmentation
de l'artisanat, la maîtrise du destin de la marque. axée sur une clientèle locale ?

La crise révèle également le caractère inéluctable de la • Comment développer la dimension locale


technologie dans notre façon de communiquer et de de notre ligne éditoriale ?
vendre. Nous devons devenir une entreprise centrée
• Quelle expérience client / signature relationnelle
client et « data powered », capable d’intégrer cette di-
pour la marque déclinée localement ?
mension dans l’ensemble du modèle d'exécution.
Source : Entretiens IFM-Kea&Partners
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 103
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME
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104 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Jacquemus :
l’authenticité poussée
à l’extrême
La marque Jacquemus, créée en 2009 par Simon Porte considère comme « son cerveau, sans filtre ». Les ré-
Jacquemus à l’âge de 19 ans, n’est plus à présenter. En seaux sociaux sont plus généralement un moyen pour la
10  années d’existence, elle s’est hissée au rang des marque de véhiculer une image désirable fondée sur une
« grands » et compte 2,3 millions de followers sur Ins- image de communauté accessible et spontanée, un
tagram. Son chiffre d’affaires proche de 30 M€ en 2019 retour à la simplicité plébiscité par la femme moderne.
démontre la constance de son succès ; quels en sont les Les premiers défilés sont d’ailleurs l’occasion de mettre
marqueurs clés ? en valeur le cercle proche du créateur, des influenceuses
ou célébrités qui défilent comme mannequins et relaient
Elle se positionne sur un segment de prix légèrement in- les modèles sur les réseaux sociaux.
férieur aux standards des marques de création (prix
moyen autour de 500 €) et s’adresse à une cible de client
Une authenticité en rupture avec la vision
jeune et digitale (Génération Z). La marque a connu un inaccessible du luxe
décollage très progressif avec une accélération récente
grâce notamment à des soutiens historiques comme Jacquemus a su se construire une image d’authenticité en
Adrian Joffe (Comme des Garçons). rupture avec l’image du luxe, désirable mais parfois dis-
tante et sophistiquée. Au contraire, ce sont des évoca-
De l’image au produit tions du Sud natal du créateur et de ses souvenirs d’en-
fance qui prédominent dans les collections et sur le site
L’image « drive » le processus d’achat selon un modèle de la marque. Les vêtements sont inspirés de faits ano-
identique à celui de marques comme Gucci par Alessan- dins tels que manger une glace à la Grande Motte ou
dro Michele ou Fenty. Celle-ci s’exprime au travers des encore passer une après-midi de repos au bord de la
réseaux sociaux et particulièrement Instagram dont piscine.
Simon Porte Jacquemus a été un précurseur en s’appro-
priant l’outil et est devenu un maître dans son utilisation. Cette authenticité a fédéré autour de lui beaucoup de
Ses défilés sont de véritables évènements, parfois hors « valeur gratuite », ce qui lui a notamment permis d’être
du calendrier classique. Les collections, au service de profitable depuis le début et d’assurer un développement
l’image, sont courtes, faciles à comprendre, «  ins- serein à sa marque avec une structuration très progres-
tagramer » et industrialiser. Un sac à main miniature, le sive des équipes.
Chiquito, très aisément reconnaissable, est devenu en
quelques saisons un must have et une contribution Cette image de spontanéité est renforcée par certaines
conséquente à son chiffre d’affaires. actions commerciales comme la désormais célèbre
« braderie » organisée à Paris en 2019. En revendiquant
un accès démocratique à sa vente annoncée simplement
La proximité via les réseaux sociaux
sur Instagram et relayée par la presse, notamment Vogue,
En première ligne de sa marque éponyme, il y a Simon les 52 000 premières inscrites ont pu accéder à la vente
Porte Jacquemus. Le créateur joue à fond la carte du per- de plus de 10 ans de collections Jacquemus.
sonal branding, partageant des informations authen-
Source : Entretien IFM-Kea&Partners, presse
tiques ou très personnelles sur sa page Instagram qu’il
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 105
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

PÉPITE

Off-White :
La consécration du street
dans les rayons du luxe
La renommée de la marque italienne Off-White, crée en Une force logistique apportée
2013 par Virgil Abloh, est parlante : plus de 10 millions de par le groupe New Guards
followers sur Instagram (5,2 M sur le profil du créateur) Les vêtements produits par Off-White sont technique-
et le maintien à la première place du classement Lyst des ment relativement simples et s’appuient sur la force
marques les plus populaires au monde pour le troisième de  manufacturing et de distribution du groupe New
trimestre 2019, devançant Gucci et Balenciaga (résultats Guards (racheté en 2019 par Farfetch), réputé pour sa
basés sur les statistiques de recherche en ligne). Quels capacité à identifier les futurs talents du marché. Le
sont les ingrédients du succès de cette jeune marque à groupe, structuré comme une plateforme (à la différence
l’esthétique streetwear ? d’un conglomérat) réussit à livrer en moins d’un mois des
produits très demandés, du concept au magasin, une
Des produits à l’influence street, dynamisés réelle prouesse dans le secteur italien de la production.
par de nombreuses collaborations
Source : presse
Les collections de Off-White, jouant sur les codes très
clairs du streetwear (version luxe) et des logos forts, ont
vite séduit son jeune public de millenials. Lançant de
nombreuses collaborations avec des grands noms du
prêt-à-porter (Nike, Converse, Levi’s, …) la marque a bé-
néficié d’une visibilité importante qui a marqué l’ascen-
sion fulgurante du label.

Un engouement fort véhiculé par un réseau


de célébrités unique
Considéré comme le bras droit de Kanye West, le créateur
américain Virgil Abloh a su s’entourer dès ses débuts de
célébrités influentes portant les couleurs de Off-White :
Kim Kardashian, Naomi Campbell, Susan Sarandon,
Nicole Kidman, Kendall Jenner, Rihanna, Beyoncé... Porter
un produit Off-White, c’est faire partie de cette commu-
nauté et adhérer à ses valeurs.
106 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Le segment premium
et luxe abordable
CARACTÉRISTIQUES COMMUNES
Caractéristiques communes des acteurs du segment leur proposition de valeur : incarner un équilibre entre sophis-
Premium et luxe abordable tication et mode au quotidien, un modèle commercial retail et
des temps plus rapides de création et de fabrication (J. Crew,
Le segment Premium et luxe abordable apparait dans les Sandro, Maje, Claudie Pierlot, The Kooples, APC, ba&sh, IKKS,-
années 1970, entre le milieu de gamme et le luxe. Le prix Zadig et Voltaire, Comptoir des cotonniers, All Saints,
pivot d’une robe se situe en moyenne entre 100 et 500 €. Scalpers, Anthropology, Tara Jarmon, Gérard Darel …). Enfin
La proposition de valeur est une offre qualitative et sélec- depuis la fin des années 2000, une nouvelle génération de
tive pour une clientèle nationale ou internationale ciblée marques créatives voient le jour : une raison d’être des
en termes de revenus (CSP+) ayant un attachement à la marques plus affirmées qui résonnent avec la quête de sens
marque, au statut ou au style de vie qu’elle incarne. des consommateurs, des développements hybridés dès le
départ (Balibaris, Sœurs, Sessùn, Léon et Harper, Des Petits
Les blockbusters internationaux furent les pionniers (La- Hauts, Marie Sixtine, Mes Demoiselles, Yse, Livy) ou les
coste, Ralph Lauren, Tommy Hilfiger). Les marques créatives marques digitales (Rouje, Sézane, Musier, Le Slip Français,
apparues dans les années 1990 ont bousculé ce segment par Bonne Gueule, Asphalte, Balzac, Third Love et Reformation).

Comptes de résultat génériques de « modèles


gagnants » Premium et luxe abordable selon À noter, les comptes de résultat suivants présentent le minimum et le
leur chiffre d’affaires maximum des ratios observés pour les « modèles gagnants » identifiés

Blockbusters Marque Créative Marque Créative Nouvelle marque


internationaux Marque Créative 50 M€ - 100 M€ 100 M€ - 250 M€ Marque Créative Créative
Mix distribution > 1 Mds€ de CA < 50 M€ de CA de CA de CA > 250 M€ de CA < 50 M€ de CA
CA wholesale 15 % 20 % 15 % 40 % 0 % 5 % 0 % 20 % 15 % 20 % 30 % 5 %
CA retail 70 % 60 % 70 % 40 % 85 % 75 % 85 % 60 % 70 % 60 % 50 % 5 %
CA online (e-shop propre) 15 % 20 % 15 % 20 % 15 % 20 % 15 % 20 % 15 % 20 % 20 % 90 %
Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Min Max Min Max Min Max Min Max Min Max Min Max
CA international 30 % 70 % 10 % 20 % 10 % 20 % 30 % 40 % 30 % 70 % 0 % 20 %
LFL 3 % 4 % 5 % 15 % 5 % 15 % 7 % 15 % 3 % 4 % 10 % 10 %
CAGR CA Total 5 % 10 % 30 % 40 % 10 % 20 % 10 % 20 % 5 % 15 % 10 % 45 %
Nombre de points de vente 300 300 + 5 50 70 160 160 300 300 300 + 0 50
Chiffre d'affaires HT 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
COGS -30 % -22 % -30 % -22 % -30 % -22 % -30 % -22 % -30 % -22 % -30 % -22 %
Marge brute 70 % 78 % 70 % 78 % 70 % 78 % 70 % 78 % 70 % 78 % 70 % 78 %
Masse salariale réseau -18 % -14 % -25 % -20 % -20 % -15 % -16 % -12 % -16 % -12 % -35 % -20 %
Loyers et charges locatives -15 % -10 % -10 % -8 % -12 % -10 % -15 % -10 % -15 % -10 % -20 % -10 %
Frais marketing et digital -7 % -3 % -7 % -3 % -7 % -3 % -7 % -3 % -7 % -3 % -10 % -5 %
Logistique / Transport -3 % -2 % -4 % -2 % -3 % -2 % -5 % -3 % -5 % -3 % -4 % -2 %
Frais de siège -9 % -7 % -10 % -7 % -10 % -7 % -12 % -7 % -12 % -7 % -10 % -7 %
EBITDA 16 % 18 % 15 % 20 % 18 % 22 % 15 % 20 % 16 % 18 % 5 % 10 %
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 107
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

EN UN CLIN D'ŒIL

Premium et luxe abordable


Définition retenue

Un prix moyen entre


100 € - 500 €
Un mix de distribution
Retail / Wholesale/ Digital

Une offre qualitative et haut de


Des partis pris de tendance exprimant gamme à destination d’une clientèle
un statut ou un style de vie ciblée en termes de revenus (CSP+)

Typologies de modèles gagnants

3 typologies d’acteurs apparus successivement :

1970 : les blockbusters internationaux véhiculant un statut social

1990: Les marques créatives, entre sophistication et mode au quotidien


1970 1990 2010
Blockbusters Marques Nouvelles marques
internationaux créatives créatives
2010 : L es nouvelles marques créatives qui apportent une réponse
aux nouvelles attentes consommateurs

Chiffres clés

Min Max

22 %
20 % 20 % Jusqu’à

85 % 20 %
18 % 18 %
15 % 15 % 16 %

CA réalisé en retail CA sur l'e-shop


Des modèles fortement Accélération fondamentale
« retailisés » depuis sur le digital depuis 5 ans
<50 M€ 50-100 M€ 100-250 M€ >250 M€
20 ans

Un EBITDA qui se maintient au-delà de 15 %


à partir de 50 M€ de chiffre d’affaires

Illustration de marques

1083  —  A Cold Wall  —  Anine Bing  —  APC  —  Atelier Particulier  —  Asphalte  —  Ba&sh  —  Balibaris  —  Balzac Paris  — 
Bonne gueule  —  Chic types  —  De Bonne Facture  —  Ekyog  —  Fusalp  —  Gérard Darel  —  Ganni  —  Hartford  — 
Lacoste  —  La fée maraboutée  —  Leon & Harper  —  Le Pantalon  —  Le slip français  —  Les petits Hauts  —  Livy  — 
Lovers + Friends  —  Maison 123  —  Maison Labiche  —  Maison standards  —  Musier  —  Nanushka  —  Octobre editions  — 
Parisienne & alors  —  Paul Smith  —  Princesse Tam Tam  —  Ralph Lauren  —  Recc Paris  —  Reformation  —  Rouje  — 
Sessun  —  Sézane  —  Sheep Inc.  —  Sandro/Maje/Claudie Pierlot  —  Sœur  —  Suncoo  —  Swildens  —  Tara Jarmon  — 
The Kooples  —  We wore what  —  Zadig & Voltairet  —  ...
108 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Sur ce segment de marché, les « modèles gagnants » sont


extrêmement normés et ce, dès le démarrage de leur acti-
vité. Les COGS se situent autour de 22 % quel que soit le
chiffre d’affaires et les marques font preuve de beaucoup
de rigueur dans la gestion de leurs coûts (salaires, loyers)
pour atteindre leur seuil de rentabilité, dégager un EBITDA
positif et ainsi financer leur développement.

Les « modèles gagnants » de ce segment fortement re-


tailisés depuis près de 20 ans (jusqu’à 85 % du chiffre
d’affaires) s’hybrident aujourd’hui sur l’ensemble des
marchés avec une déclinaison de plus en plus précise de
la vocation de chaque « point de contact client » dans
leur parcours (concept, assortiment, services,..)

Quel que soit le niveau de développement et la taille des


acteurs, la priorité stratégique est depuis 5 ans donnée à
une accélération fondamentale sur le digital pour at-
teindre le plus rapidement possible les 15-20 % de ventes
sur l’e-shop.

EN UN CLIN D’ŒIL

Répartition moyenne
observée du chiffre
d'affaires par canal
de distribution E-shop Retail Wholesale

3 % 100 %
10 % 18 %
15 %
27 % 28 %

28 %

80 %
73 %
55 %
65 %
55 %

55 %

18 % 18 % 18 % 18 % 20 %

> 1Mds€ CA <50 M€ CA 50-100 M€ CA 100-250 M€ CA >250 M€ CA <50 M€ CA

Blockbusters internationaux Marques Créatives Nouvelles marques Créatives


LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 109
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

ZOOM N° 1

ENJEUX CLÉS
DES BLOCKBUSTERS
INTERNATIONAUX
Caractéristiques communes des grands blockbusters Les enjeux de développement et leviers de croissance
internationaux
• Le rayonnement international de la marque
Ces acteurs historiques du segment luxe abordable
(Ralph Lauren, Lacoste, Guess, Tommy Hilfiger, The North • L’innovation produit
Face) réalisent près de 50 % du chiffre d’affaires du • La sélectivité du réseau de distribution
segment.

La force de ces marques a été une rapide extension à l’in- Le rayonnement de la marque
ternational (près de 70 % de leur chiffre d’affaires) avec En transformant leurs modèles de vente au fil des ans, les
une adaptation de leur offre, de leur modèle de distribution blockbusters internationaux ont su élargir et renouveler
et de leur marketing aux spécificités locales ou régionales. leur base de clients. Le rayonnement de la marque reste
Dans un premier temps, ces marques se sont construites un enjeu permanent pour ces acteurs, en particulier pour
grâce à un fort réseau de détaillants partenaires (whole- capter les 15-25 ans. Pour y arriver, ces acteurs activent
sale). Dans les années 2000, elles ont développé leurs des moyens très importants : égéries, collaborations ou
réseaux en propre pour accroître la sélectivité du réseau, licences, évènements communautaires… Le contenu dif-
activer un lien direct avec les consommateurs et bénéficier fusé valorise et actualise le mythe fondateur de la
d’une double marge. Ces acteurs ont renforcé la diversité marque. À titre d’illustration, pendant la période de confi-
de leurs canaux de distribution en investissant massive- nement, Levi’s a organisé sur Instagram Live des 5:01 Live
ment sur le digital, qui tend à représenter aujourd’hui entre shows en capitalisant sur ses liens historiques avec la
15 % et 20 % de leur chiffre d’affaires. musique avec comme invités des artistes comme Snoop
Dogg ou Brett Young.

Entre 15 % et 20 % du chiffre d’affaire réalisé


sur l’e-shop

Des dépenses marketing représentant


entre 3 % et 7 % du chiffre d’affaires
110 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

L’innovation produit La sélectivité du réseau de distribution

La clé du succès des grands blockbusters internationaux La distribution de ces marques repose sur un réseau de
est de combiner la continuité avec un héritage reconnu distribution sélectif et équilibré. Elle combine les canaux
tout en ayant la capacité d’évoluer dans leur proposition retail et wholesale (notamment via une stratégie outlet
de valeur (ex : la conception de classiques nouveaux et marquée) ainsi qu’une forte amplification digitale sur l’e-
modernes pour une garde-robe contemporaine). L’inno- shop et les plateformes de vente en ligne. Les blockbus-
vation peut même dépasser les frontières du prêt-à-por- ters internationaux mènent depuis quelques années une
ter à l’image du Lacoste Lab qui cherche des solutions stratégie sélective pour préserver leur image de marque
innovantes pour accompagner leurs clients dans leur et rationaliser leur portefeuille de détaillants Wholesale.
univers de loisirs, de voyages, d’hôtels, de la maison. Les L’histoire va-t-elle se répéter sur les grandes plateformes
designers réfléchissent alors à de véritables concepts de d’e-commerce ? Car si l’on peut aujourd’hui retrouver les
vie qui incarnent le lifestyle Lacoste. produits iconiques de ces marques sur les grandes plate-
formes de mode comme Farfetch, elles sont également
présentes pour certaines sur des plateformes généra-
listes comme Amazon.
« Le développement du
produit est prioritaire sur les Entre 15 % et 20 % du chiffre d’affaire réalisé
sur le canal wholesale
investissements marketing. »
Entre 60 % et 70 % du chiffre d’affaire réalisé
Alexandre Fauvet, CEO de Fusalp
dans les boutiques (en propre ou franchisées)
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 111
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME
© Institut Français de la Mode - Jean Picon / Say Who
112 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

ZOOM N° 2

ENJEUX CLÉS DES MARQUES


CRÉATIVES
Caractéristiques communes des marques créatives Observation de la dynamique des acteurs

Dans les années 1990, les « marques créatives » sont Les « modèles gagnants » du segment Premium et luxe
nées comme The Kooples, ba&sh, IKKS, J. Crew, Sandro, abordable connaissent une croissance accélérée du
Maje, Claudie Pierlot, Zadig et Voltaire, Comptoir des co- chiffre d’affaire dans les premières années (40 % en
tonniers, All Saints, Scalpers, Anthropology… moyenne par an), avant de ralentir (15 % par an) une fois
atteint la taille critique de 50 M€ de chiffre d’affaires.
Ces marques ont apporté une nouvelle proposition de
valeur, plus ciblée en termes de positionnement, plus in- Il faut en moyenne 12 – 14 ans pour qu’un modèle ga-
carnée par le réseau de boutiques. Elles expriment une gnant Premium et luxe abordable atteigne un chiffre d’af-
identité stylistique ou un mode de vie, entre sophistication faire de 50 M€, un peu plus de 20-25 ans pour dépasser
et mode au quotidien. La dimension plus mode des produits le cap des 250 M€ de chiffre d’affaires.
est rendue possible par une capacité à traduire rapidement
les tendances des podiums et de la rue pour les saisons
suivantes et une faculté à les réadapter pour la vie de tous
les jours grâce à un storytelling pertinent.

Elles s’appuient sur un modèle retail quasi exclusif (entre


40 % et 85 % du chiffre d’affaires)en fonction du stade de
développement) avec un concept boutique facilement du-
plicable (ratios économiques cibles, emplacements,
concept magasin, assortiments).

Observation de la dynamique des acteurs


Sur la base de chiffres moyennisés correspondant à la performance observée chez plusieurs acteurs du marché.
Les pourcentages expriment la croissance annuelle moyenne (CAGR) du chiffre d’affaires et de l’EBITDA. Chiffre d’affaires (M€) EBITDA (M€)

CA : +40 % CA : +15 % CA : +15 % CA : +15 %


EBITDA : +17 % EBITDA : +26 % EBITDA : +17 % EBITDA : +17 % 583

40

441

333

252

190
144 99
109 7
75
56 43 57
28 28 37 32
1 2 4 1 7 1 14 2 5 9
1

N N+2 N+4 N+6 N+8 N+10 N+12 N+14 N+16 N+18 N+20 N+22 N+24 N+26 N+28 N+30

< 50 M€ 50 M€ - 100 M€ 100 M€ - 250 M€ > 250 M€


LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 113
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

Enjeux des marques créatives avec un chiffre La stratégie d’entrée sur le marché à construire
d’affaires inférieur à 50 M€
Les « modèles gagnants » construisent leur stratégie
• Le développement de l’image de la marque et l’attrac- d’entrée sur le marché. Afin de faire connaitre leurs pro-
tivité des produits duits, les marques testent avec l’appui du wholesale :
référencements auprès de grands magasins à l’affût de
• La stratégie d’entrée sur le marché
nouvelles marques, salons professionnels (physiques
mais de plus en plus aussi digitaux) ou ouvertures de
Le développement de l’image de la marque pop-up stores.
et l’attractivité des produits
L’enjeu clé de cette phase est la recherche du modèle
Les marques Premium et luxe abordable sont des
économique de boutiques sur lequel fonder le développe-
marques aspirationnelles. Elles capitalisent pour cela sur
ment de la marque. Les surfaces sont en général limitées
une image de marque forte et des produits iconiques re-
mais suffisantes pour exprimer l’univers (entre 50 et
connaissables (les robes ba&sh, la dentelle de Claudie
90 m²) et sont situées sur des emplacements n°1 bis pour
Pierlot, le manteau Maje, etc.). Leur communication
générer un CA/m² TTC supérieur à 8 000 €34. En jouant sur
repose sur un important storytelling de la marque pour
les surfaces et des loyers accessibles, ces modèles at-
mettre en valeur chaque produit. C’est une véritable pro-
teignent rapidement des résultats d’exploitation positifs.
messe d’incarnation d’un style de vie. The Kooples
construit son image autour de l’histoire d’un couple, réuni Le digital représente un levier commercial et marketing
dans un style cohérent avec un look jour/nuit singulier et essentiel (entre 15 et 20 % du chiffre d’affaires).
une expérience magasin en commun.
Au maximum 70 % du chiffre d’affaires réalisé dans le
Les coûts marketing représentent réseau retail
entre 3 % et 7 % du chiffre d’affaires
Entre 15 % et 40 % du chiffre d’affaires wholesale

Entre 5 et 50 boutiques (en propre ou franchise)

Les loyers et chargent locatives représentent entre


8 % et 10 % du chiffre d’affaires

Le chiffre d’affaires au m² oscille entre 10k et 15k€

34. Source : Kea & Partners


114 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Enjeux des marques créatives avec un chiffre d’affaires La courbe d’apprentissage sur les marchés
compris entre 50 M et 100 M€ internationaux

• Le maillage du territoire national Les marques créatives initient le développement interna-


tional. Elles ciblent un ou deux marchés à fort potentiel et
• La courbe d’apprentissage sur les marchés peu complexes à ouvrir avec une structure locale ou un
internationaux
partenaire (zone géographique restreinte ou métropoles
• La structuration de l’activité internationales). Ces premières étapes permettent de
mesurer l’attractivité de la marque à l’international, les
Le maillage du territoire national besoins d’adaptation du modèle opérationnel (concept,
offre, flux, IT..), les besoins de financement et le profil de
À cette étape de développement, l’accélération passe par rentabilité attendu.
la réplication du modèle « boutiques » pour assurer un
maillage sur les zones de chalandise à plus fort potentiel Entre 10 % et 20 % du chiffre d’affaires réalisé à
pour la marque (en France, généralement, les villes de l’international
plus de 300 Khabitants). Le nombre moyen de points de
vente peut dépasser les 150 boutiques. Le poids des La structuration de l’activité
loyers s’alourdit dans les comptes de résultats des Une fois la taille critique atteinte et le modèle retail sécu-
marques jusqu'à atteindre des niveaux autour de 12 % du risé, les « modèles gagnants » des marques Premium et
chiffre d’affaires. L’ouverture d’outlets accompagne cette luxe abordable entament une phase de structuration de
accélération pour permettre la gestion des résiduels. leur activité. Afin de se renforcer dans un objectif de
En parallèle, le poids du canal wholesale, nécessaire au croissance, elles vont investir dans leur organisation, les
lancement de la marque pour accroître sa notoriété, di- infrastructures logistiques et IT pour faciliter le cross-ca-
minue pour représenter généralement moins de 5 % du nal. En parallèle, elles rationalisent leurs dépenses exis-
chiffre d’affaires. tantes pour financer ces investissements sans augmen-
ter leurs frais de siège (représentant entre 7 % et 10 % de
Le poids du canal retail représente entre 75 % et 85 % leur chiffre d’affaires).
du chiffre d’affaires
Ces « modèles gagnant » vont rester dans la logique de
Le poids du canal wholesale représente au maximum frugalité qui les a guidés dans les premières phases de
5 % du chiffre d’affaires leur développement pour maintenir leur EBITDA au-delà
de 18 %. La masse salariales réseau et les frais logistiques
Entre 70 et 160 points de vente
sont optimisables de 1 à 3 points.
Les loyers et charges locatives représentent entre
10 % et 12 % du chiffre d’affaires Les frais de siège représentent entre 7 % et 10 %
du chiffre d’affaires

La masse salariale réseau représentent entre 15 %


et 20 % du chiffre d’affaires

Les coûts de transport et logistique représentent


entre 2 % et 3 % du chiffre d’affaires
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 115
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

Enjeux des marques créatives avec un chiffre d’affaires EN UN CLIN D’ŒIL


compris entre 100 M€ et 250 M€

• Le développement ciblé du réseau national

• L’expansion internationale Filiales en propre


> 10 M€ de CA international

• L’accélération digitale
Masterfranchise Régionale
1 - 10 M€ de CA international
• L’élargissement de l’offre

Le développement ciblé du réseau national


2 3

Potentiel marché
En France, au-delà de 150 points de vente sur ce segment
de marché, le risque de dilution de la performance est
important et les marques rentrent progressivement dans 1
une phase d’optimisation (transferts, fermetures des
zones à plus faible potentiel).
Partenaires locaux
Les « modèles gagnants » segmentent leur réseau de 1 M€ de CA international
boutiques et rationnalisent leurs ouvertures sur le terri-
toire national. Les coûts de la masse salariale du réseau
diminuent et représentent alors entre 12 % et 16 % du
chiffre d’affaires (vs. 15-20 % dans la phase de dévelop- Accessibilité
pement précédente). Le concept retail est revu régulière-
ment afin d’attirer et fidéliser les clients et le travail sur le Développement avec un tiers
merchandising est central.
1. Partenaires locaux
Entre 160 et 300 points de vente Une logique de développement opportuniste avec une
mise de fonds initial limitée. Une première étape pour
Les coûts de la masse salariale du réseau
vérifier la résonance de la marque sur le marché local.
représentent entre 12 % et 16 % du chiffre d’affaires
2. Masterfranchise Régionale
L’expansion internationale Démarche consistant à confier le recrutement
de franchisés locaux à des masterfranchisés organisés
Les « modèles gagnants » accélèrent leur expansion in- régionalement
ternationale en opérant une densification sur les pre-
miers marchés et une ouverture sur deux ou trois mar- - Option 1 : pas de possibilité de rétrocéder le droit
chés stratégiques complémentaires. Cette phase de de distribution à un tiers
développement peut être réalisée en direct (chiffre d’af- - Option 2 : possibilité de rétrocéder le droit
faires généralement supérieur à 10 M€) ou via un tiers de distribution à un tiers
(partenaire ou masterfranchisé régional chargé de recru-
ter des franchisés locaux). Les ventes à l’international Développement en direct
peuvent alors représenter jusqu’à 40 % du chiffre d’af-
faires et le principal levier de croissance. 3. Filiales en propre
La prise de participation majoritaire au sein
Entre 30 % et 40 % du chiffre d’affaires réalisé à d’une structure locale, ou joint venture.
l’international
La prise en charge du management opérationnel.

Source : Kea & Partners


116 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

L’accélération digitale Enjeux des marques créatives avec un chiffre d’affaires


supérieur à 250 M€
Celle-ci s’appuie à la fois sur les ventes directement réa-
lisées sur le site de la marque (e-shop) mais aussi sur • Des marchés internationaux rentables
celles effectuées sur les plateformes (placedesten-
• L’élargissement de la marque
dances.com, galerieslafayette.com…). Les modèles ga-
gnants ont opéré un véritable tournant sur le digital ces 5
dernières années avec pour objectif d’atteindre le plus Des marchés internationaux rentables
rapidement possible les 20 % de chiffre d'affaires. À ce stade de développement, la performance dépend de
Entre 15 % et 20 % de chiffre d’affaires sur l’e-shop. leur capacité à « internationaliser le concept » et donc
d’une certaine manière à le radicaliser et à adapter le
Expansion d’offre modèle opérationnel et commercial localement (selon le
potentiel pays, approche par capillarité ou focalisation sur
À ce stade de développement, les marques créatives les principales métropoles internationales). Les marchés
cherchent à étendre leur offre. Elles vont alors mener des internationaux sont rentables et représentent au minimum
stratégies d’extension naturellement sur les accessoires 30 % du chiffre d’affaires. Au-delà d’une culture internatio-
et le lifestyle (qui représenteront à terme entre 10 % et nale plus ou moins forte, les marques renforcent les struc-
20 % de leur chiffre d’affaires) et l’activation de licences. tures locales et professionnalisent l’articulation avec les
L’enjeu est de trouver les relais de croissance nécessaires structures et activités du siège. L’ensemble du modèle
à la croissance à périmètre comparable (like-for-like) et opérationnel est impacté (offre, marketing, supply…)
vecteur de recrutement de nouveaux clients.
Entre 30 % et 70 % du chiffre d’affaires
Entre 10 % et 20 % de chiffre d’affaires réalisés sur réalisé l’international
les accessoires
L’élargissement de la marque

Outre l’expansion internationale, l’élargissement de la


marque représente un levier de croissance additionnel.
Elle se tourne vers de nouveaux univers (cosmétiques,
décoration, bijoux …) et segments de marché (ligne
homme, femme, enfant…), traduisant le style de vie de la
marque.

Pour nourrir cette stratégie d’élargissement, les marques


ont un enjeu d’enrichir leur promesse pour créer une dési-
rabilité au-delà de la base de clients historiques. Comment
conserver un ADN de marque fort avec des aspérités qui
fédèrent une clientèle historique, tout en renforçant le sto-
rytelling de la marque pour s’ouvrir à un potentiel de clients
plus large ?

Les marques cherchent alors à affirmer leur singularité


avec des aspérités, et construire des communautés fidèles
et renouvelées. Pour continuer à croître, elles cherchent à
capter les tendances des clientes de demain (rapport à soi,
extension de l'usage des nouvelles technologies, nouvelles
raretés, attentes en matière d’engagement et d’éthique…)
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 117
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

ZOOM N° 3 Les enjeux de développement des nouvelles marques


ENJEUX CLÉS DES NOUVELLES créatives DNVB

GÉNÉRATIONS DE MARQUES Une partie de ces nouvelles marques créatives sont des
marques digitales (Sézane, Le Slip Français, Reformation,
CRÉATIVES Musier, Balzac, Third Love, …) et certaines sont créées
Caractéristiques communes des nouvelles marques directement par des influenceuses (Rouje, Parisienne &
créatives alors – Laury Thilleman, Recc Paris – Caroline Receveur).
Cette dernière tendance est très développée aux Etats-
Ce segment Premium et luxe abordable continue de se re- Unis et se caractérise par une incarnation forte de la part
nouveler avec de nouvelles générations de marques qui ont de célébrités comme Kim Kardashian avec Skims ou d’in-
une cible clients plus étroite, et apportent une réponse à de fluenceuses pour Good Americans. Elles utilisent les ré-
nouvelles attentes consommateurs autour de la recherche seaux sociaux à la fois comme vecteur marketing pour
de sens (promesse RSE, fédération des communautés via les véhiculer leur storytelling mais également pour capter les
réseaux sociaux, …). Elles adoptent un modèle Premium et nouvelles tendances et attentes consommateurs. Elles
luxe abordable revisité : des collections réduites, un modèle apportent également une nouvelle approche sur leur
marchandise visant à limiter la démarque et les invendus… chaine de valeur : une gestion stricte des volumes, des
Ces nouvelles marques créatives activent quasiment dès le pré-commandes, des collections capsules temporaires,
départ une hybridation de leur modèle commercial. des drops35, etc… s’inscrivant de plus en plus dans le
JOMO (Joy of missing out, par opposition au FOMO – Fear
Les enjeux de développement et leviers de croissance des of missing out - qui caractérise aujourd’hui la fast
nouvelles marques créatives fashion).

Les enjeux de développement des nouvelles marques Ces DNVB, nées sur internet vont tendre vers une cer-
créatives « héritières » taine retailisation, passé le palier de 50 M€ de chiffre
d’affaires (Sézane, Reformation, etc.). Une fois atteint une
On observe depuis les années 2010 (voire début des années taille critique en ligne, ces marques peuvent éprouver des
2000 pour les premières), le lancement de marques « hé- difficultés à se développer car le coût d’acquisition on-
ritières » des modèles créatifs précédents (Léon et Harper, line devient extrêmement élevé, voire prohibitif. Elles
Balibaris, Sœur, Sessùn, Des Petits Hauts, Marie Sixtine, peuvent ressentir le besoin de s’exprimer dans un lieu
Mes Demoiselles, …). Elles affichent des trajectoires de physique (Drapeau Noir, Hast). Ce sont alors des modèles
croissance plus modestes et des cibles de chiffre d’affaires hybrides s’appuyant sur le développement progressif de
structurellement plus faibles (conséquence d’une cible boutiques qui se veulent expérientielles mettant en
clients plus étroite, et parfois d’une volonté des dirigeants valeur l’ADN de la marque. Par nature, le modèle DNVB
de garder une croissance maîtrisée). affiche des marges plus faibles que les modèles tradi-
Elles adoptent une stratégie d’entrée sur le marché combi- tionnels, se basant sur un coefficient multiplicateur
née entre le retail (concepts boutiques innovants et recher- autour de 2-3 (vs 5 pour les modèles traditionnels).
chés) et wholesale sélectif. Ces marques sont aujourd’hui
attractives pour les grands magasins, qui n'hésitent pas à
« fragmenter leur floor de creative brands » à la recherche « Pour croître de manière
de marques plus niches dans un esprit d'édition.
globale, il faut devenir
La communication est dès le départ fortement digitale et « channel agnostic» »
riche en contenu pour alimenter le storytelling de la marque.
Andrea Baldo, CEO de Ganni

35. Drop : technique de vente qui consiste à commercialiser


sans avertissement préalable un produit en édition limitée ou une
collection en petites quantités dans des points de vente sélectionnés.
118 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Regards croisés de grands


acteurs du segment Premium
et luxe abordable
Frédéric Biousse Les facteurs clés de succès
Managing Partner, Experienced Capital
L’intégration des enjeux RSE est vitale aujourd’hui pour
Le bon mix retail physique et activité online les marques, avec un enjeu de cohérence de bout en bout
de la chaîne de valeur. Le poids des soldes dans les mo-
L’activité online dans la mode est de plus en plus coû-
dèles actuels montre ses limites. Les marques ont un
teuse et la capacité des marques à générer un résultat
enjeu à proposer un prix juste toute l’année et utiliser les
positif avec une activité 100% en ligne de plus en plus
opérations commerciales avec parcimonie. Le chiffre
limitée. Une activité 100% wholesale est certes attractive
d’affaires réalisé pendant les soldes va certes baisser
au départ avec des gains de notoriété rapides et peu coû-
mais sera compensé par une marge nette meilleure grâce
teux, mais elle ne permet pas un développement pérenne
aux écoulements réalisés en amont des soldes.
du chiffre d’affaire et le passage de paliers. Par consé-
quent les marques rentables sont obligées de mixer acti- Sessùn a réussi à fonder modèle en ce sens, en s’ap-
vité wholesale et online pour recruter de nouveaux puyant sur une vision singulière et authentique de la fon-
clients et retail physique rentable pour équilibrer le datrice. Elle a la capacité à transcender le produit pour
modèle économique global. partager une vision positive de la société et véhiculer un
message fort.
Les leviers pour gagner en notoriété
Enfin, la data clients offre un champ d’opportunités pour
Le développement de la notoriété basé uniquement sur
diminuer les coûts d’acquisition de clients online, animer
les réseaux sociaux reste assez exceptionnel. Les maga-
les cohortes clients, mieux comprendre les attentes de
sins restent des vecteurs de notoriété à l’image de ce
chaque client et personnaliser l’offre mise en avant.
qu’a pu faire Sandro précédemment. Une marque comme
Maje a su développer un marketing affinitaire avec des
initiatives innovantes et réussies. Enfin, si la publicité se
heurte à certaines limites, les campagnes d’affichage ont
toujours un rôle à jouer.

Savoir dire non et organiser la désorganisation

Un enjeu clé pour les marques aujourd’hui est de savoir


dire non au superflu : renoncer à l’ouverture d’un flagship
au loyer trop cher, refuser d’élargir les collections (en
nombre de modèles et en couverture de tailles), reculer
devant des dépenses marketing trop importantes…
Savoir dire non c’est également se mettre en capacité de
diminuer les risques (la couverture de stocks, les inven-
dus en fin de saison). Les organisations doivent être au-
jourd’hui en mesure de gagner en flexibilité et en réacti-
vité : par exemple, réserver les capacités de production
et valider le lancement plus tardivement, savoir pivoter
rapidement en fonction des aléas du marché.
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 119
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

Pierre-Arnaud Grenade Les modèles D2C, une source d’inspiration


CEO, ba&sh
Les marques D2C (direct to consumer) ont été depuis
La responsabilité, un incontournable 2017 inspirantes pour ba&sh notamment par leur capa-
dans la mode aujourd’hui cité à mettre en scène les produits : des collections limi-
tées avec une rupture recherchée, le recours aux drops,
Chez ba&sh depuis 2018 nous avons opté pour une straté-
des fashion stories inspirantes… Le modèle D2C nous a
gie d’insetting c’est à dire de modifier nos pratiques pour
poussé invite à repenser notre modèle retail et aller vers
limiter nos impacts sur les écosystèmes. Nous avons validé
plus d’hybridation plus de services digitaux tout en ren-
une roadmap ESG à 3/5 ans. Pour 2020 nous avons choisi
forçant la relation émotionnelle en point de vente. Nous
de nous concentrer dans un premier temps sur le sourcing
avons dès 2018 amendé notre modèle économique en
matières et notre parc de fournisseurs car cela représente
combinant le meilleur du retail (une supply chain réactive,
80% des impacts de la filière. Nous avons donc choisi nos
une capacité à manager des équipes nombreuses), avec
combats en cohérence avec notre ADN, en mettant notam-
le meilleur du luxe (l’exclusivité et la créativité) et le meil-
ment en avant deux sujets : notre engagement social pour
leur des D2C (des collections incarnées, événementiali-
les femmes et le travail sur nos matières. Nous pilotons
sées, un storytelling bien construit, un marketing et un
aujourd’hui nos engagements avec des indicateurs précis
CRM efficace). Nous avons recruté dès 2018 une équipe
et impliquants pour les équipes (ex : pourcentage de nos
marketing D2C dédiée à New York puis à Paris.
matières labellisées, modes de transport utilisés, pourcen-
tage de la production auditée…). Les facteurs clés de succès
La seconde main, une belle opportunité pour les marques L’accès au financement est important pour arriver à
mener à bien nos projets et atteindre nos ambitions (la
Le marché de la seconde main a plus de potentiel que la
globalisation, la transformation digitale, nos innovations
location. Cela dit nous avons aussi lancé un service de lo-
produits, le lancement de nouveaux services). L’incarna-
cation disponible sur notre site depuis mars. Actuellement
tion de la marque est également un axe majeur, avec pour
les robes ba&sh sont plébiscitées sur ce marché de la se-
ba&sh un point d’appui grâce à la personnalité des deux
conde main, preuve de la qualité des produits et de leur
fondatrices. Toutes les deux, continuent à être impliquées
désirabilité dans le temps. En septembre nous permettrons
et à insuffler leur vision de la vie, de la mode et à donner
à nos clientes via un smart button sur notre site d’uploader
de la cohérence à la marque.
leur produit sur plusieurs plateformes de revente en limi-
tant le nombre d’opérations grâce à la société Reflaunt. Enfin, la différence se fait aujourd’hui sur les modes de
Cela nous permet de rester sur notre cœur de métier tout fonctionnement des équipes : l’agilité et la rapidité pour
en jouant un rôle pour garantir l’authenticité des produits faire aboutir les projets, la qualité d’exécution pour ré-
proposés en délivrant un certificat d’identité numérique pondre aux exigences croissantes de nos clientes. Nous
issu de la blockchain pour l’acheteur. Tout en préservant poussons nos équipes à prendre des risques au quotidien
leur anonymat, nous pourrons entrer en contact avec les pour garder un temps d’avance, quitte à se tromper et à
acheteurs de seconde main que nous ne connaissons pas. apprendre en marchant. La culture de l’agilité et de la réac-
L’activation de nouveaux modèles économiques comme la tivité est pour nous un actif fort de la marque à conserver.
seconde main et de la location constituent une mine d’in-
formation pour connaître davantage les usages de nos
clientes, l’évolution de nos produits dans le temps et aussi
d’élargir la communauté ba&sh.
Sources : Entretiens IFM-Kea&Partners
120 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Reformation :
mental qui peuvent répondre au brief créatif initial. Ces
matières sont majoritairement sourcées auprès de fournis-
seurs américains qui représentent 60 % du sourcing de la
une “sustainable marque. Celle-ci utilise principalement des matières natu-
relles. L’upcycling de tissus couvre 15 % des besoins ma-

native vertical tières et l’upcycling de produits finis vintage environ 2 %.

brand” Le choix de l’intégration verticale


La marque dispose de ses propres ateliers à Los Angeles
Peu avant la parution de cette étude en juin 2020, Yael Aflalo a
où sont mises au point les collections. Cette unité sert
quitté ses fonctions de CEO, en réponse à des allégations de culture également à stocker les tissus pouvant être utilisés dans
raciste au sein de la marque portées par une ancienne employée. les collections. Cette organisation permet à la marque de
La nouvelle équipe de Direction devra démontrer sa capacité à dé- garantir des standards environnementaux poussés et de
ployer une culture plus inclusive et poursuivre la dynamique de conserver la maîtrise de sa marge sur l’ensemble de la
croissance de la marque. Reformation bénéficie d’actifs solides et chaîne de valeur, de la création au retail physique ou
singuliers, ces récents événements marquent l’importance de la online. Elle assure également à la marque une capacité de
cohérence entre responsabilité environnementale, sociale et
production rapide permettant de répondre aux évolutions
sociétale.
de la demande observées via ses canaux de distribution.
Lancée en 2009 en Californie par Yael Aflalo, et incarnant Enfin, via la suppression des intermédiaires, la marque
des valeurs de décontraction et d’attention aux aspects peut pratiquer des prix abordables
environnementaux, marqueurs d’un ancrage californien,
la marque Reformation a réalisé l’an dernier près de 150
millions de dollars de chiffre d’affaires, en croissance de
60 % par rapport 2018. Son modèle économique est très
spécifique, en ce qu’il emprunte des éléments à plusieurs
modèles décrits précédemment. Reformation parvient à
combiner avec succès des éléments qui peuvent sembler
irréconciliables au premier abord : partis pris esthétiques
et large diffusion, prix abordables et impact environne-
mental limité. Voici quelques-unes des spécificités orga-
nisationnelles de la marque

Une organisation boostée par le digital


Cette intégration de l’amont à l’aval, où le digital repré-
sente 80 % des ventes, a permis à la marque de mettre en
place un modèle économique solide avec deux facteurs
clés de succès : le développement de collections en édi-
tions limitées et l’utilisation de la data. Ce dernier élément
est utilisé en ligne dans les choix des produits réassortis
par exemple, mais également en magasins où Reforma-
tion tente d’innover dans le digital in store. Clients et ven-
deurs peuvent s’appuyer sur ces outils pour accéder à
davantage de produits et un check out simplifié, similaire
La créativité pilote la marque à celui des Apple stores est mis en œuvre.
Les équipes créatives et celles en charge de la sustainabi- Source et crédits photos : IFM
lity communiquent chaque semaine pour identifier quelles
sont les matières ayant le plus faible impact environne-
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 121
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

PÉPITE

Bonne Gueule :
Une marque digitale issue d’une communauté
Le succès du blog et des livres écrits par les deux asso-

Du blog au modèle ciés a permis de construire une communauté importante


avec laquelle ils partagent un contenu qualitatif et très

hybride digital-
détaillé. Les produits sont proposés dans une logique de
drops accompagnés par une explication très fournie des
produits. La communauté est sollicitée pour venir enrichir
retail le discours sur les produits. Le digital est omniprésent et
l’utilisation de la data s’appuie sur une excellence opéra-
tionnelle et une vision claire.
Passionné de mode masculine, Benoît Wojtenka, alors
étudiant, ouvre son blog Bonne Gueule en 2007, avec la
Une nécessaire hybridation du modèle
mission d’« aider les hommes à se sentir bien dans leurs
vêtements ». Le lancement du e-shop de la marque Bonne Gueule a été
rapidement suivi par l’ouverture de la première boutique,
Rejoint par son associé Geoffrey Bruyère, la société hé- puis de quatre autres, à Paris et en province à Lyon et
bergeant le media de mode masculine est créée en 2012. Bordeaux. Pour les fondateurs, les boutiques se doivent
Fervents défenseurs des vêtements de qualité, des sa- d’être expérientielles et ne peuvent se contenter de
voir-faire, de l’information objective, juste et indépen- « vendre » des vêtements. Ces ouvertures physiques
dante, les deux associés développent des collaborations viennent booster les ventes en lignes des régions concer-
avec des marques qui incarnent leurs valeurs, avant de nées démontrant ainsi la force du modèle omnicanal. Le
lancer leur propre marque de vêtements en 2014 sur le service, le conseil et l’expérience client sont au centre de
digital et d’ouvrir l’année suivante leur première boutique leurs préoccupations sur le net, comme dans les points
parisienne. de vente physiques. Après avoir proposé des MOOCs
pendant 3 ans à sa communauté, la marque diffuse
maintenant du contenu gratuitement, notamment via une
chaîne YouTube, pour enrichir sa culture sur le vêtement
masculin.
Source : Entretien IFM-Kea&Partners
122 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Le segment milieu
de gamme
CARACTÉRISTIQUES COMMUNES
Un segment de marché très concurrentiel Un marché sous pression depuis 2008

Le marché du milieu de gamme en France est très concur- Le marché de la mode est sous pression, et a perdu 15 %
rentiel. Il comprend aussi bien des marques et enseignes de sa valeur depuis 2008 (IFM). Ce sont les acteurs du
nationales (Camaïeu, Célio, Jules, Promod, Caroll, Armand milieu de gamme qui souffrent le plus avec une baisse
Thierry, Esprit, Etam, Cache Cache, Okaïdi, Sergent Major, moyenne de leurs ventes de -5 % par an en valeur depuis
Father & sons, Promod, etc.), internationales (Zara, H&M, 10 ans. Cette perte de vitesse du segment milieu de
Uniqlo et leurs sociétés sœurs), des marques diffusées gamme traditionnel en France (hors marché « niche » et
largement (Jott, Petit Bateau, Levi’s). Il intègre également DNVB) s'explique par l’érosion du trafic, la pression
des DNVB nationales (Octobre, La Boutique Officielle, etc) concurrentielle. Le double enjeu est donc de moderniser
ou internationales (Zalando, Asos, La Redoute, Amazon, la promesse et refonder en profondeur le modèle écono-
Nasty Gal, SKims,..).Enfin, il est également composé des mique (différenciation de l’offre et des réseaux, accéléra-
acteurs mondiaux du sport et sportswear (Levi’s, Nike, tion digitale, flexibilisation des achats).
Adidas, Puma, Timberland, Patagonia, etc.) et de leurs
distributeurs (Intersport, Décathlon, Sport Direct, JD
Sport, etc.).

Blockbusters internationaux Acteurs « Niche »


Zara / H&M / Uniqlo / Celio Father & Sons / Just Over The Top / Mise au Green

Les internationaux hybridés DNVB

Milieu
Levi's La boutique officielle / Octobre éditions

de gamme
Les grandes DNVB US Les plateformes en ligne
Nasty Gal / Skims Zalando / La redoute / Asos

Les géants mondiaux du sportswear Sportswear


Puma / Nike / adidas Intersport
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 123
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

EN UN CLIN D'ŒIL

Milieu de gamme
Définition retenue

Un prix moyen entre


30 € - 100 €
Un modèle historiquement construit
sur la proximité magasins

Des prix abordables

Mode et accessibilité

Typologies de modèles gagnants

Acteurs traditionnels DNVB


CA 50 - 500 M€ CA < 50 M€
Un marché hyperconcurrentiel occupé par des marques
nationales et internationales à la recherche d’une masse
critique : leaders mondiaux du sportswear & streetwear, DNVB
(Digital Native vertical Brands) et plateformes internationales.

Sur ce segment des modèles gagnants agiles existent


en physique comme en digital (CA <50 M€)

Chiffres clés

Retail Jusqu’à Jusqu’à

< 90 % 1 000 35 %


5 % 20 %

EBITDA en % du chiffre d’affaires


du CA points de vente CA sur l'e-shop
Un EBITDA sous pression pour les grands Une forte Un modèle de proximité, Depuis 5 ans,
acteurs traditionnels (moins de 10 % prédominance de avec une croissance une accélération sur
du chiffre d’affaires) mais pouvant la distribution retail exponentielle du nombre le digital, quelle que
atteindre 20 % du chiffre d’affaires pour de boutiques soit la taille du modèle
les marques « niche » ou DNVB

Illustration de marques

Asos  —  Balzac  —  Bleuforêt  —  Bosideng  —  Brandy Melville  —  Camaïeu  —  Chevignon  —  Célio  —  Colizey  — 
Cyrillus  —  Dolls Kill  —  Etam  —  Everlane  —  From Future  —  Go Sport  —  Good american  —  H&M  —  Intersport  — 
I-run — Jules — La Redoute — Loom — Lululemon — Monsieur T-Shirt — Nasty gal — Nike — Ochirly — 
Patagonia — Privatesportshop — Promod — Skims — Suitsupply — Swedish fall — Third Love — Un jour ailleurs — 
Undiz  —  Uniqlo  —  Weill  —  Zalando  —  Zara  —  ...
124 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Comptes de résultat génériques de « modèles


gagnants » milieu de gamme selon leur chiffre
d’affaires
À noter, les comptes de résultat suivants présentent le minimum et le maximum des
ratios observés pour les « modèles gagnants » identifiés

Milieu de gamme
50 M€ - 100 M€ de Milieu de gamme Milieu de gamme Milieu de gamme DNVB
Mix distribution CA 100 M€ - 500 M€ CA > 500 M€ CA < 50 M€ de CA
CA wholesale - 5 % - 5 % - 5 % - -
CA retail 90 % 70 % 90 % 70 % 90 % 60 % - -
CA online (e-shop propre) 10 % 25 % 10 % 25 % 10 % 35 % - 100 %
Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % - 100 %

Min Max Min Max Min Max Min Max


CA international 5 % 20 % 20 % 40 % 20 % 40 % 5 % 20 %
LFL 4 % 5 % 4 % 5 % 4 % 5 % - -
CAGR CA Total 7 % 12 % 5 % 10 % 1 % 6 % 10 % 20 %
Nombre de points de vente 50 130 150 400 600 1 000 - -
Chiffre d'affaires HT 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
COGS -55 % -45 % -50 % -40 % -50 % -40 % -55 % -45 %
Marge brute 45 % 55 % 50 % 60 % 50 % 60 % 45 % 55 %
Masse salariale réseau -15 % -10 % -15 % -10 % -15 % -10 % - -
Loyers et charges locatives -15 % -10 % -15 % -10 % -15 % -10 % -5 % -2 %
Frais marketing et digital -10 % -3 % -10 % -3 % -5 % -1 % -12 % -5 %
Logistique / Transport -4 % -2 % -4 % -2 % -4 % -2 % -8 % -4 %
Frais de siège -5 % -7 % -12 % -7 % -12 % -7 % -5 % -7 %
EBITDA 10 % 20 % 5 % 9 % 5 % 9 % 7 % 20 %

Les modèles gagnants milieu de gamme de plus de Avec un niveau de CA inférieur à 50 M€, des modèles
100 M€ de CA ont un EBITDA compris entre 5 % et 9 %, « pépites » » tirent leur épingle du jeu : hybridées ou di-
dans un modèle où le retail prédomine (jusqu’à 90 % du gitales, certaines marques parviennent à capter des mar-
chiffre d’affaires). Avec des croissances de CA à compa- chés peu ou pas couverts par les principaux acteurs (pe-
rable en baisse voire négative, les frais d’exploitation tites zones de chalandises, cible client, offre best seller...)
(masse salariale et loyers) pèsent de plus en plus sur les avec une proposition de valeur singulière, de l’agilité dans
comptes d’exploitation. De plus, les frais de structures et les modes de fonctionnement et les investissements tout
les frais marketing ont significativement cru ces der- en garantissant des niveaux de prix accessibles.
nières années compte tenu des enjeux d’accélération et
de transformation (digital, omnicanalité, IT, internatio-
nal…). L’ensemble de ces facteurs ont dégradé des EBITDA
historiquement plutôt à 2 chiffres
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 125
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

ZOOM N° 1

LES ACTEURS
MILIEU DE GAMME
Caractéristiques communes des acteurs
traditionnels du milieu de gamme

Les acteurs traditionnels du segment milieu de gamme Les « modèles gagnants » milieu de gamme de plus de
sont « en résistance » depuis près de 10 ans. Leur modèle 50 M€ de chiffre d’affaires connaissent en moyenne une
est fortement challengé : désirabilité des marques, sin- croissance relativement lente de leur chiffre d’affaires
gularité de l’expérience client, flexibilisation du modèle comparativement aux autres segments (1 à 12 % par an).
marchandise et activation de relais internationaux. Le
processus de transformation est en cours mais s'avère Ils atteignent en moyenne le palier de 100 M€ de chiffre
lent et coûteux compte tenu de la taille des actifs, du besoin d’affaires une dizaine d’années après avoir passé le cap
élevé de financement et de transformation culturelle. des 50 M€ et celui des 250 M€, 10 – 15 ans après celui de
100 M€.
Dans cet écosystème, des marques plus niches par-
viennent néanmoins à émerger. Il s’agit de marques qui
apportent une singularité et une alternative sur le marché
(ex : Jott) et des marques ou distributeurs axés sur le
streetwear (ex : La Boutique Officielle). La question stra-
tégique pour ces acteurs, reste celle de la masse critique
et la trajectoire de développement.

Observation de la dynamique des acteurs


Sur la base de chiffres moyennisés correspondant à la performance observée chez
plusieurs acteurs du marché. Les pourcentages expriment la croissance annuelle
moyenne (CAGR) du chiffre d’affaires et de l’EBITDA.

Note : Du fait de l’hétérogénéité des modèles, l’observation de la dynamique des


acteurs n’est observée qu’une fois le palier des 50 M€ de chiffre d’affaires atteint.
Chiffre d’affaires (M€) EBITDA (M€)

CA : +10 % CA : +7 % CA : +4 %


EBITDA : 15 % EBITDA : 7 % EBITDA : 7 % 765

629

475

339

241

172
123
81
50 44 54
24 833
8 12 89 12 17

... N N+5 N+10 N+15 N+20 N+25 N+30 N+35 N+40

50 M€ - 100 M€ 100 M€ - 500 M€ > 500 M€


126 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Enjeux clés des acteurs au chiffre d’affaires compris entre Enjeux clés des acteurs au chiffre d’affaires compris entre
50 et 100 M€ 100 et 500 M€

• Le maintien voire la radicalisation de la promesse client • La recherche de nouveaux relais de croissance

• La contribution forte du réseau pour financer les • La structuration de l’activité


investissements
La recherche de nouveaux relais de croissance
Le maintien voire la radicalisation
de la promesse client À ce stade de développement, les modèles gagnants doivent
trouver de nouveaux relais de croissance  : nouveaux
Les « modèles gagnants » du milieu de gamme ont at- concepts, développement des ventes omnicanales (e-shop,
teint un chiffre d’affaires de 50 M€ grâce à l’affirmation click & collect, …) et accélération internationale (cible de
d’une promesse client singulière sur le marché. Pour se 40 % du chiffre d’affaires réalisé à l’international).
développer et passer le cap des 100 M€ de chiffres d’af-
faires, il s’agit de maintenir cette promesse d’accessibilité Entre 20 % et 40 % du chiffre d’affaires réalisé
tout en développant une forte singularité : clarification/ à l’international
radicalisation d’un positionnement style ou client, valori-
sation de l’histoire de marque, amplification des produits La structuration de l’activité
iconiques. Le développement des marques sœurs d’H&M En parallèle de la recherche de nouveaux relais de crois-
(Cos, &Other stories), de Zara (Massima, Uterque), d’Etam sance, les « modèles gagnants » structurent leur activité.
(Undiz) de Calzedonia (Intimissimi) repose sur ce prin- Les frais de siège augmentent (de 5-7 % à 7-12 % du
cipe. Elles bénéficient du groupe mais ont su exprimer chiffre d’affaires) pour recruter de nouveaux talents né-
une singularité pour exister. cessaire à la mise en œuvre des priorités stratégiques
(RSE, Digital, International) et investir (Omnicanalité,
La contribution forte du réseau RFID, Ship from store, etc.).
pour financer les investissements
Les frais marketing restent élevés (entre 3 % et 10 % de
L’enjeu clé des « modèles gagnants » ayant atteint un chiffre d’affaires) pour recruter de nouveaux clients et
niveau de chiffre d’affaires de 50 M€ est de financer les développer la notoriété à l’international.
investissements pour maintenir leur dynamique de crois-
sance  : investissements marketing et digitaux, pro- Les frais de siège représentent entre 7 % et 12 %
grammes de relation et personnalisation client et plus du chiffre d’affaires
globalement des programmes d’innovation. Les frais marketing et digitaux représentent entre
La contribution du réseau, du fait de son poids dans le mix 3 % et 10 % du chiffre d’affaires
canal des « modèles gagnants » (entre 60 et 90 % du
chiffre d’affaires), est le levier majeur pour sécuriser le
financement des investissements. Les boutiques doivent
générer suffisamment de cashflow pour financer leur
développement

Entre 60 % et 90 % du chiffre d’affaires réalisé


sur le canal retail
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 127
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

Enjeux clés des acteurs au chiffre d’affaires supérieur à PÉPITE


500 M€

• La sécurisation de leur EBITDA


RESERVED,
• La refonte de leur modèle le champion
La refonte de leur modèle milieu de gamme
La priorité des acteurs au chiffre d’affaires supérieur à
500 M€ est de sécuriser leur EBITDA. des pays de l’Est
Leur modèle est fondé sur une demande forte et un Crée en 1999 par le groupe Polonais LPP (qui dis-
modèle push : un maillage intensif du territoire gage de pose d’un portefeuille de plusieurs enseignes (Re-
proximité (pénétration de des principales zones de cha- served, Cropp, House, Mohito et Sinsay), la marque
landises - à partir de 40 000 habitants), une massifica- RESERVED croit à un rythme soutenu dans un seg-
tion des achats pour optimiser la marge brute et une ment milieu de gamme pourtant fortement concur-
maîtrise des coûts d’exploitation. La baisse du trafic, l’in- rentiel. Elle a permis au groupe LPP d’être valorisé
tensité promotionnelle, l’augmentation des coûts d’ex- en 2018 à 3,99 milliards d’euros (une hausse du
ploitation et d’acquisition ont mis à mal le modèle entrai- chiffre d’affaires de près de 20 % par rapport à
nant une dégradation des niveaux d’EBITDA historiques 2017), avec plus de 1700 boutiques dans toute l’Eu-
rope et au Moyen-Orient. Arrivée en 2014 en Alle-
Les « modèles gagnants » historiques du milieu de gamme,
magne et en 2016 à Londres sur Oxford Street, la
doivent refonder leur modèle pour assurer leur pérennité et
marque a annoncé en 2018 sa volonté d’ouvrir de
se redéployer en France comme à l’International. Les le-
nouvelles boutiques à Paris et Milan sur plus de
viers sont multiples : l’amplification de l’engagement de la
1000m². Comment expliquer un tel succès ?
marque, l’accélération digitale, la singularité et l’innovation
de l’offre, la refonte du modèle marchandise36 et des ap-
proches différenciées par catégories de produits (selon Une application des recettes clés de la fast-fashion
leur potentiel, sourcing et lead time), la refonte du modèle La marque polonaise a construit son succès sur les
de vente (rationalisation du réseau, nouvelle approche de principes fondateurs de la fast-fashion : le suivi at-
clustering, …). Le groupe Inditex a annoncé début juin 2020 tentif des grandes tendances internationales, celles
la fermeture de 1 200 magasins dans le monde sur ses des défilés et l’étude des collections des marques
7 412 points de vente au total. Ces acteurs doivent initier concurrentes. Elle propose une offre à petits prix
une transformation profonde et rapide avec un alignement grâce à une production à 83 % délocalisée en Asie.
nécessaire Dirigeants/ Actionnaires/ Équipes. Les boutiques sont très soignées et proposent leurs
3 lignes hommes/femmes (une ligne citadine plutôt
Pour illustration, le groupe IDKids (Okaïdi-Obaïbi, Oxybul
chic, une plus « casual » et la dernière à destination
- 905 M€ de chiffre d’affaires en 2018) revisite son modèle
des adolescents). Elle lance également sa gamme
magasin en proposant un concept multi-enseignes et ac-
« Eco aware » pour marquer son engagement RSE,
célère sur les ventes digitales (représentant 50 % du chiffre
n’utilisant que des fibres certifiées et recyclées.
d’affaires annuel d’Oxybul)37. Le groupe lance en 2018
l’IDtroc pour permettre la vente en ligne d’occasion.
Une prise de risque dans sa stratégie de déploiement
RESERVED a su se faire en Europe de l’Est un nom
avant l’arrivée de Zara et H&M. L’enseigne a investi
massivement et récolte aujourd’hui les fruits de son
succès en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. En
Europe de l'Ouest cependant l'activité reste au-
jourd’hui en déficit. Elle mise sur des campagnes à
destination de ces marchés en mettant en scène
36. Le modèle marchandise est défini ici comme la manière dont les l’anglaise Kate Moss ou la française Jeanne Damas
marques et enseignes implantent les produits en magasin pour séduire sa future clientèle.
37. Source : presse
Source : presse
128 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

ZOOM N° 2 Enjeux clés des DNVB et plateformes au chiffre d’affaires


LES DNVB ET PLATEFORMES inférieur à 50 M€

AVEC UN CHIFFRE D’AFFAIRES • L’affirmation de leur singularité sur le marché

INFÉRIEUR À 50 M€ • La maîtrise des coûts

Caractéristiques communes des DNVB milieu de gamme • Le financement du développement

Des marques tirent leur épingle du jeu. Certaines ont dé- L’affirmation de leur singularité sur le marché
ployé un modèle « phygital » extrêmement novateur, agile
avec de bons profils de rentabilité. Leur promesse rejoint Les modèles gagnants DNVB ont réussi à créer et à capter
les nouvelles attentes consommateurs de consommation une cible client niche (ou moins exposée à la concur-
responsable, « moins mais mieux », de qualité/prix abor- rence) et à développer une proposition de valeur singu-
dable … qu’elles exploitent via l’animation de leurs commu- lière. Ils ont créé de la proximité via des approches com-
nautés. D’autres market place de sport (Colizey, I-run, Pri- munautaires puissantes et largement animées.
vatesportshop - fondé sur un modèle de vente privé), de
lingerie sont également très performantes sur ce segment Ces acteurs ont aussi la capacité de repérer les modes,
de marché. La start-up française Colizey a levé en mai de détecter les futurs succès et de renouveler leur offre.
2020, 2,5 M€ (notamment auprès du basketteur Tony Le temps de design-to-sales peut, grâce à l'intégration
Parker) pour accélérer son développement : elle propose verticale de la chaine de valeur, se situe entre 2 et 4 mois.
aujourd’hui 150 000 références de sport avec pour objectif Cette réactivité aux tendances est un atout clé face à une
de doubler ce chiffre au cours de l’année à venir38. clientèle, notamment celle des millennials, très volatile.

Un CAGR du chiffre d’affaires entre 10 % et 20 %

38. Source : presse


LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 129
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

La maîtrise des coûts Le financement du développement

Grâce à leur cible clients plus large que celle des DNVB La question qui se pose alors pour ces acteurs digitaux
Premium et luxe abordable, les DNVB milieu de gamme milieu de gamme est celle de leur taille critique : com-
ressentent moins le besoin de développer une expérience ment dépasser le cap des 50 millions d’euros de chiffre
client physique. Ainsi, la retailisation de ces marques est d’affaires sans inflation des coûts marketing (acquisition
beaucoup moins systématique que pour les DNVB Pre- de trafic, gestion des cohortes, recrutement, etc.) et
mium et luxe abordable. diluer significativement la marge ? Le développement
(infrastructures IT, structure et organisation, plateforme
Ces acteurs ont une organisation très lean et une ap- logistique) est lié à la question du financement.
proche marketing (même digitale) très frugale notam-
ment sur les coûts d’acquisition. Ils fondent leur stratégie Des pistes sont à étudier : approches partenariales avec
digitale sur des approches communautaires puissantes les marques blockbusters génératrices de trafic ou avec
via les réseaux sociaux (Instagram, Snapchat, Facebook), des acteurs physiques (concession), internalisation / ex-
en contact direct ou encore via les commentaires postés ternalisation d’activités (make or buy). AdoreMe, dans un
directement sous leurs produits. Leurs coûts marketing contexte de levées de fonds successives, a investi 10
se situent entre 5 % et 12 % de leur chiffre d’affaires, entre millions de dollars dans la construction d’un entrepôt
2 % et 5 % en moyenne pour les marques de lingerie dernier cri près de New York, afin d’optimiser sa gestion
comme Glamuse (10 millions d’euros de chiffre d’affaires des flux logistiques.
en 2018 et une croissance annuelle du chiffre d’affaire de
50 %), ou encore AdoreMe, la DNVB américaine de linge- L’EBITDA se situe autour entre 7 % et 20 % du chiffre
d’affaires
rie (qui a dépassé le seuil de 50 millions d’euros de chiffre
d’affaires, atteignant près de 84 millions de dollars de
chiffre d’affaires en 2016.)39

Les coûts marketing représentent entre 5 % et 12 %


du chiffre d’affaires

39. Source : presse


130 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Le segment d’entrée
de gamme
CARACTÉRISTIQUES COMMUNES
Caractéristiques communes des acteurs du segment Panorama des acteurs
d’entrée de gamme
La promesse de choix, d’accessibilité et la masse critique
Le segment d’entrée de gamme repose sur un modèle (acteurs avec des chiffres d'affaires supérieurs à
d’écoulement de masse : prix « entrée du marché » ou 250/500 M€) sont les dénominateurs communs. Le
EDLP (EDLP = every day low price), des taux de marge modèle « GSS »40 s’appuie sur un réseau de magasins en
brute faibles, une pression constante sur les coûts d’ex- périphérie (Gémo, La Halle, Kiabi) ou centre commerciaux
ploitation et une massification (réseau, volume d’achat, (Primark, Lefties). Des surfaces de 1 500 à plus de
…) pour être rentable. Les acteurs ont progressivement 10 000 m², des magasins à moins de 20 km de chaque
« industrialisé » leur chaîne de valeur et leur modèle. Des famille française, des collections de plusieurs milliers de
« dérèglements » sont apparus, vecteurs de risques pour références, à un prix moyen généralement inférieur à
certains ou d’opportunités de réinvention pour d’autres : 20 €.
baisse du trafic, perte d’attractivité de certaines zones
périphériques, pression promotionnelle croissante, nou- Leurs concurrents directs sont les grandes surfaces ali-
veaux concurrents, nouvelle génération de consomma- mentaires et les destockeurs/discounters qui ont accélé-
teurs avec une exigence croissante au-delà du prix ré significativement leur prise de part de marché ces 3
(style, engagement, services, ...). Comme pour les autres dernières années (Action, Stockomoni et le britannique
segments de marché, l’internationalisation et la digitali- B&M repreneur de Babou). Ils offrent une alternative avec
sation sont des voies stratégiques de croissance pour une implantation tactique dans des petites zones de cha-
compenser une croissance à périmètre comparable sta- landise, rentables compte tenu des surfaces réduites, une
gnante. Les degrés de maturité et de réussite sont offre multi-catégories avec une collection Mode / textile
hétérogènes. courte et premier prix.

Enfin, 2 grands modèles digitaux montent en puissance


avec un rayonnement international (Boohoo, Fashion
Nova) au-delà des géants mondiaux (Amazon, Alibaba).

40. GSS : Grande surface spécialisée


LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 131
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

EN UN CLIN D'ŒIL

Entrée de gamme
Définition retenue

Un prix moyen
< 30 €
Une massification du volume
d’achat et du réseau

Un promesse d’accessibilité :
Mode / Prix / Style

Faibles coûts d’exploitation

Taux de marge brute faible

Typologies de modèles gagnants

GSS GSA et destockeurs Acteurs Les modèles gagnants étudiés ont


Grande surface spécialisée Grande surface alimentaire digitaux tous atteint le seuil minimal de
250/500 M€ de chiffre d’affaires

Les GSS françaises traditionnelles


sont aujourd’hui concurrencées
par les GSA et destokeurs/
discounters ainsi que par les
modèles digitaux spécialisés ou
généralistes. Le marché de la
seconde main constitue une
nouvelle concurrence.
Chiffres clés

6 % 12 %
40 % 80-100 %
de CA max. international de CA retail
EBITDA en % du chiffre d’affaires
(GSS)
Une stratégie de distribution
un EBITDA compris en moyenne Un modèle GSS traditionnel en presque exclusivement focalisée
entre 6 % et 12 % du chiffre d’affaires France reste concentré sur le sur le canal retail.
marché national. Pas de distribution wholesale
et une faible part de digital,
bien que croissante (0-20 %).

Illustration de marques

Action  —  Alibaba  —  Amazon  —  B&M  —  Boohoo  —  Carrefour  —  Fashion Nova  —  Gémo  —  Jennyfer  —  Kiabi  — 
La Halle — Leclerc — Lefties — Pimkie — Primark — Stockomani — ...
132 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

Comptes de résultat génériques de « modèles


gagnants » entrée de gamme
À noter, les comptes de résultat suivants présentent les minimum et maximum
des ratios observés pour les « modèles gagnants » identifiés41

Acteurs GSS Destockeurs Acteurs digitaux


Mix distribution CA > 250 M€ CA > 250 M€ CA > 250 M€
CA wholesale - - - - - -
CA retail 80 % 95 % 95 % 100 % - -
CA online (e-shop propre) 20 % 5 % 5 % 0 % - 100 %
Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Min Max Min Max Min Max


CA international 5 % 40 % - 70 % - 70 %
LFL 3 % 5 % 3 % 5 % 3 % 5 %
CAGR CA Total 4 % 25 % 9 % 25 % 20 % 25 %
Nombre de points de vente 350 450 - 1 500 - -
Chiffre d'affaires HT 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
COGS -60 % -45 % -55 % -45 % -45 % -40 %
Marge brute 40 % 55 % 45 % 55 % 55 % 60 %
Masse salariale réseau -12 % -10 % -10 % -15 % - -
Loyers et charges locatives -10 % -7 % -12 % -10 % -8 % -6 %
Frais marketing et digital -3 % -2 % -2 % -1 % -3 % -2 %
Logistique / Transport -5 % -3 % -5 % -4 % -5 % -4 %
Frais de siège -5 % -3 % -5 % -4 % -5 % -4 %
EBITDA 6 % 12 % 8 % 10 % 8 % 10 %

Les enseignes spécialisées Entrée de gamme se concen­


trent sur leur cœur de marché national. Le poids de l’in-
ternational représente au maximum 40 % avec des ap-
proches différenciées selon les acteurs (filiales exclusi-
vement, mix de partenaires masterfranchise et filiales sur
les marchés stratégiques pour les autres). Primark et
Lefties (ex-outlet de Zara aujourd’hui autonome dans son
offre positionnée à moins de 20 €) accélèrent l’interna-
tionalisation de leur modèle (+ de 70 % du CA) en s’ap-
puyant sur « un concept marchand gagnant et adapté
aux malls internationaux », un ciblage de quelques mar-
chés, un marketing local puissant sans site marchand
(e-réservation).

41. Acteur Brick & mortar : acteur dont le modèle s’appuie sur un réseau
de magasins physiques
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 133
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

ZOOM N° 1 Enjeux clés des GSS


LES ACTEURS RÉFÉRENTS • Extension d’offre et de service
DE L’ENTRÉE DE GAMME • Excellence opérationnelle et gestion des invendus
Caractéristiques communes
Extension d’offre et de service
Pour résister à la baisse de trafic et à la pression concur-
rentielle et promotionnelle, les GSS ont identifié de nou- Les acteurs traditionnels cherchent de nouveaux relais de
veaux relais de croissance et transformé progressive- croissance dans l’extension d’offre et de services. Pour
ment leurs modèles. L’enjeu clé est de conserver une l’offre, les lignes « curve », accessoires, maison se sont
promesse forte d’accessibilité tout en développant une multipliées notamment sur le digital. De nouvelles pistes
proposition de valeur singulière et un engagement RSE autour du serviciel sont également en développement :
croissant. Kiabi lance dans ses magasins de nouveaux ateliers pour
réparer et personnaliser ses vêtements. Pendant la pé-
Idées clés riode de confinement d'avril - mai 2020, l’enseigne a éga-
lement testé le « click & drive » sur 15 magasins en com-
Montée en puissance de l’engagement RSE
plément des livraisons à domicile ou en point de retrait.
Accélération digitale
Excellence opérationnelle et gestion des invendus
Transformation du parc, ouverture de nouveaux
concepts Primark s’illustre aujourd’hui par la réactivité et la simpli-
cité de sa chaîne : six semaines pour approvisionner ses
L’activation d’une politique RSE est aujourd’hui tangible,
257 magasins européens des dernières nouveautés,
avec une priorité donnée à la transparence du sourcing et
réassort à J+1 pour minimiser les ruptures, adaptation des
à l’éco-conception. Gémo par exemple commercialise dé-
emballages pour réaliser la mise en rayon, …
sormais une partie de ses produits sous le label « Mieux »
et le programme Kiabi Human couvre tous les champs de Un enjeu stratégique est la diminution des invendus. Les
la RSE. Un objectif : 30 % de la collection écoconçue. reverse logistiques posent une question de rentabilité, la
réinjection des anciennes collections nuit à la mise en
Les efforts se concentrent également sur une accéléra-
avant des nouveautés en point de vente et le cadre légal
tion digitale afin d’atteindre un premier palier de chiffre
se tend (cf. la loi anti-gaspillage). Comme pour les autres
d’affaires pour lequel l’activité est rentable. Cela se tra-
modèles, la gestion différenciée des collections (perma-
duit par des investissements IT et Data significatifs pour
nents / saisonniers / capsules), la flexibilisation des en-
obtenir une vision omnicanale de ses clients.
gagements semble incontournable. La contrainte prix
De nouveaux concepts « hors des périphéries » sont et marge étant plus forte, les partenariats industriels
également à l’étude. Gémo a inauguré en aout 2018 à la semblent indispensables pour permettre les réservations
fois sa première boutique parisienne mais aussi sa pre- de capacités et de matière et retarder le plus possible les
mière boutique dédiée à un segment de clientèle (l’en- engagements.
fant). Grâce à l’omnicanal, la boutique est capable de pro-
poser ses 1 000 références à cette nouvelle clientèle sur
78m2 (vs. Les 1 400m² habituels des points de vente
Gémo) 42. Kiabi a également lancé des concepts de
centre-ville (Milan en 2019).

42. Source : presse


134 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

FICHE PRATIQUE

Comment
réinventer un
modèle de masse
rentable et
responsable ?
• « Choisir ses combats » pour accroître la singu-
larité de positionnement

• Poursuivre les engagements RSE, le partage de


sens et la transparence des actions

• Tenir les fondamentaux de l’excellence opéra-


tionnelle (magasin, siège, entrepôt)

• Être partie prenante de la vitalité des zones péri-


phériques et renforcer son rôle d’acteur « local »
(nouveaux services et intégrations de nouvelles
activités…) tout en assumant un recentrage du
parc

• Accélérer la digitalisation des parcours clients


et la personnalisation de la relation

• Variabiliser un modèle aujourd’hui fortement


structuré par les coûts fixes : flexibilisation des
engagements d’achats, approches différenciées
par magasin (surface, assortiment, parcours
clients, pricing et démarque)

• Simplifier les organisations, développer l'agilité


©Joe Pym, Unsplash

et l'autonomie des équipes aujourd’hui construites


sur des approches très verticales et pyramidales

• Amplifier l’usage de la data (client, produits,


concurrents)

• Réussir l’extension sur de nouveaux territoires


(pays, zones de vie, ...)

• Explorer des hypothèses de verticalisation sur


certaines familles de produits stratégiques
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 135
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME

ZOOM N° 2

LES « NOUVEAUX ACTEURS »


DE L’ENTRÉE DE GAMME
Caractéristiques communes Enjeux clés des « nouveaux acteurs »
de l’entrée de gamme
De nouveaux acteurs internationaux bousculent le pay-
sage (Boohoo, Fashion Nova, Lefties) et gagnent des • Poursuivre la dynamique de croissance en cultivant
parts de marché avec une promesse de mode et de re- les fondamentaux
nouvellement des collections plus marquée. Boohoo pro-
• Intégrer les changements de comportement et inté-
pose chaque semaine plus de 100 nouvelles références
grer les enjeux RSE
sur son site. Ils proposent aussi des prix ultra compétitifs ;
Lefties à l’origine chaîne de magasins outlet de Zara, est
Poursuivre la dynamique de croissance en cultivant
aujourd’hui une enseigne à part entière, à prix très réduits
les fondamentaux
(moins de 20 €). La formule low cost de ces acteurs est
fondée sur une recherche constante de volumes : les pro- Loin d’avoir atteint leur niveau de maturité, ces marques
duits proposés sont les mêmes dans tous les pays et af- poursuivent leur dynamique de croissance en cultivant
fichés au même prix. leurs fondamentaux : un prix plancher, le renouvellement
permanent, des séries courtes et des investissements
L’excellence achat/sourcing/logistique est au cœur du
marketing élevés.
modèle pour pouvoir réagir rapidement aux tendances et
aux comportements des consommateurs. Ils cultivent leur relation avec le consommateur (via les
data clients, les réseaux sociaux ou l’animation de com-
Le marketing est focalisé sur la communication digitale,
munautés client) et travaillent l’excellence de leur supply
l’animation des followers sur les réseaux sociaux (18 mil-
chain qui doit rester à la fois agile et lean. Agile, pour
lions de followers Instagram pour Fashion Nova43) et l’ac-
s’adapter le plus rapidement possible et lean, pour maî-
tivation d’influenceurs (Boohoo est la première boutique
triser les coûts logistiques et permettre des prix acces-
à choisir comme égéries des bloggeuses et YouTubeuses
sibles au plus grand nombre.
influentes).

Le développement de ces marques en France comme à Intégrer les changements de comportement ?


l’international est rapide (CAGR 20 à 25 %).
De nouvelles tendances en contradiction avec ce modèle
émergent : des achats responsables, une attention plus
grande aux sujets de RSE, un attrait pour la seconde main
etc… Quelle réponse crédible sur ce sujet apporter au
client demain ?

43. Instagram, mai 2020


136 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE PARTIE 1 PARTIE 2

PÉPITE

Fashion Nova, un
L’offre de produit est large et s’adapte aux différentes
morphologies. La collection « curve » est mise en valeur
par des mannequins grande taille et représente près de
succès à l’encontre 39 % du chiffre d’affaires de prêt-à-porter féminin de la
marque (vs. 12 % pour Forever 21).

des tendances Une communication digitale

modes actuelles et des collaborations célèbres


Fashion Nova alimente en permanence ses communau-
tés digitales. Le compte @Fashionnova sur Instagram
Crée en 2006, la DNVB américaine Fashion Nova a connu
publie toutes les 30min et des comptes séparés @
un succès fulgurant : un taux de croissance exponentiel
Fashionnovamen et @Fashionnovacurve permettent à la
des ventes (+600 % en 2017), 18 millions de followers sur
marque de s’adresser directement à un segment de clien-
Instagram et le statut en 2018 de marque de mode la plus
tèle en particulier.
googlisée au monde avec une promesse d’ultra fast-
fashion. Dès l’origine, Fashion Nova s’est créée grâce à des am-
bassadrices célèbres comme les Kardashian et lance
Une offre large, à petits prix et sans cesse renouvelée avec certaines des collaborations très rentables : la der-
S’appuyant sur près de 1 000 fournisseurs, l’enseigne est nière collection capsule Cardi B de Mai 2019 a rapporté à
capable de recevoir des prototypes en 24h, prototypes la marque environ 1M$ dès le premier jour.
qui dès leur validation sont photographiés pour être mis Fashion Nova n’est pas distribuée en France aujourd’hui
en ligne sur l’e-shop. Fashion Nova est capable de propo-
Sources : presse
ser chaque semaine plus de 600 nouvelles références
suivant les tendances du marché. 95 % d’entre elles sont
proposées à moins de 60$.

Indice de nouveauté
Sur la base du nombre de nouvelles pièces disponibles en ligne par semaine aux États-Unis Forever 21 Boohoo Fashion Nova

2 400

1 800

1 200

600

0
Jan. 19 Fév. 19 Mar. 19 Avr. 19 Mai 19
LES MARQUES LE SEGMENT PREMIUM LE SEGMENT MILIEU LE SEGMENT D’ENTRÉE 137
DE CRÉATION ET LUXE ABORDABLE DE GAMME DE GAMME
© Institut Français de la Mode - Jean Picon / Say Who
138 LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA MODE

Mise en perspective
des modèles gagnants
post-crise
Une redéfinition du paysage et des modèles est à prévoir Certains acteurs pourraient être fortement à risque dans
sur chaque segment de marché. Certains modèles appa- les mois à venir : les jeunes marques de création, au-
raissent relativement résilients pour traverser la crise et jourd’hui très dépendantes d’un canal wholesale en
se redéployer. D’autres sont plus exposés voire menacés. grande souffrance avec la crise, mais aussi des marques
Quel que soit le modèle, les changements de paradigmes de création très concentrées géographiquement, ne bé-
imposent de se requestionner sur les fondamentaux : néficiant pas de débouchés suffisamment internationali-
sés. La digitalisation (réseaux sociaux, site en propre,
• Raison d’être salons online, revendeurs, plateforme) devient une prio-
• Profil, rythme et financement de la croissance rité absolue.

• Agilité des organisations Sur les segments luxe abordable, milieu et entrée de
gamme, les modèles très retailisés avec une pénétration
• Variabilisation des coûts et culture du cash internationale faible sont également à risque. Comment
couvrir les frais d’exploitations avec un niveau de com-
Depuis les premiers jours de la crise, la gestion du cash
plexité accrue et des perspectives de reprise limitées ?
est déterminante pour permettre le plan de continuité et
Les plans de rationalisation du réseau et plus largement
le redéploiement.
d’économies semblent inéluctables. La réinvention s'im-
Les modèles les plus résilients ont des fondamentaux pose à court terme : redonner du sens à la marque, de la
solides : résultats d’exploitation positifs, gestion saine valeur au produit, assumer de réduire la voilure et reprio-
voire conservatrice de la trésorerie et structure capitalis- riser pour mieux se redéployer. Une transformation éco-
tique capable de provisionner des réserves suffisantes nomique mais également culturelle !
pour les prochains mois.

Les modèles en capacité de se redéployer rapidement


s’adossent à une maturité digitale (supérieure à 15 % du
chiffre d’affaires) et internationale (supérieure à 30 % du
chiffre d’affaires) pour équilibrer les risques liés à la chute
de la consommation dans certaines géographies (USA…)
ou certains canaux de vente (retail, wholesale).
139

Conclusion
Cette étude ouvre des perspectives de renouvellement
pour la filière.

Elle dessine des futurs possibles et des axes de progrès


activables sur de nombreux paramètres de la chaîne de
valeur, rejetant une vision univoque. Ce futur reste à
écrire, et ce document témoigne déjà des solutions pro-
metteuses, mais aussi des voies qui semblent moins per-
tinentes pour l’avenir.

La vision du développement et les voies possibles sont


multiples ; elles doivent se détacher d’une trajectoire trop
déterministe qui réduirait les degrés de liberté et de
marge de manœuvre des créateurs, entrepreneurs et
dirigeants.

L’humain, par nature sensible et imprévisible, est au cœur


de la filière mode. C’est dans la capacité des entreprises
à combiner le meilleur de cette richesse et les outils et
méthodes qui sont à leur disposition qu’elles pourront
construire leur avantage concurrentiel.

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