Une Mine de Plomb Argentifere Dans Un Environnemen
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Référence électronique
Bruno Ancel, Vanessa Py, Eric Kammenthaler, Vincent Leleu et Christophe Marconnet, « Une mine de plomb
argentifère dans un environnement montagnard », ArchéoSciences [En ligne], 34 | 2010, mis en ligne le 11 avril
2013, consulté le 03 janvier 2014. URL : http://archeosciences.revues.org/2771
Résumé : La mine d’argent du Fournel a été en activité entre le xe et le xive siècle. Les textes conservés concernent la phase de maturité du
xiie siècle et la phase de ralentissement du milieu du xiiie siècle. Plusieurs panneaux filoniens ont été exploités à partir d’affleurements, depuis des
escarpements rocheux abrupts, jusqu’au fond d’une gorge. La grande dureté de la roche a obligé les mineurs à recourir à l’abattage par le feu. Le
relief a grandement facilité la prospection des filons, le démarrage de chantiers à ciel ouvert et l’organisation des exploitations souterraines. Les
chantiers s’étendent jusqu’à 150 m du jour et sont assistés par des niveaux de circulation par traînage, des conduits d’aérage perchés en hauteur
et des galeries de drainage ouvertes à la base. Ces ouvrages d’assistance reflètent une organisation opportuniste de la mine, facilitée par la topo-
graphie et la géologie du gisement. L’analyse sédimentologique et anthracologique des remblais, associée à des expérimentations sérielles, permet
de caractériser la chaîne opératoire technique de l’abattage par le feu et son impact sur les modalités de gestion de la forêt arborescente d’altitude,
comprimée entre les activités agropastorales et minières.
Abstract: The Fournel silver mine was in operation between the tenth and fourteenth century. The extant texts concern the twelfth century mature phase
and the mid-thirteenth century slowdown. Several vein panels were exploited from outcroppings, in steep rocky cliffs, to the bottom of a gorge. Because of
the extreme hardness of the rock, the miners used firesetting. The topography of the site greatly facilitated vein exploration, initiating opencast sites and
mine organisation. The stopes stretch up to 150 m from daylight, and were assisted by access levels by sledge, high perched ventilation ducts and drainage
adits open to base level. These works reflect an opportunist support organisation in the mine, facilitated by relief and deposit geology. Sedimentological
analysis of backfill and the use of anthracology associated with serial experiments, enable characterisation of the operative chain techniques of firesetting
and its impact on high altitude forest management up to tree level, between the higher pastures and the mines.
Mots clé : abattage par le feu, Alpes, gestion forestière, médiéval, mine, stratégie d’exploitation.
Key words: Alps, firesetting, forestry management, medieval, mining, working strategy.
rec. Oct. 2009 ; acc. May 2010 ArcheoSciences, revue d’archéométrie, 34, 2010, p. 203-220
204 Bruno Ancel et al.
L’activité minière du site du Fournel a cessé en 1908. minéraux métallifères accessoires : « cuivre gris » (tétraédrite,
L’établissement moderne a été ravagé par des crues, puis tennantite), pyrite et/ou chalcopyrite. Ces différents mine-
livré au pillage dans les années 1930. Tombée dans l’ou- rais de cuivre, zinc et fer ont des teneurs totalement inex-
bli, connue seulement par quelques géologues et spéléo- ploitables. La galène est mélangée à une gangue de quartz et
logues, la mine a refait surface en 1991 en faisant l’objet de barytine, et parfois, elle imprègne la roche encaissante.
d’un programme de recherche scientifique et de mise en La minéralisation avait une puissance de quelques cen-
valeur touristique, accompagné de la création d’un service timètres à plusieurs mètres (8 m dans le quartier Centre
du patrimoine au sein de la commune de L’Argentière-la- de la reprise moderne, d’après les archives). Dans les par-
Bessée (Ancel, Cowburn, 1998 ; Cowburn, 2008). ties exploitées au Moyen Âge la puissance était de 10 cm
Les vestiges de l’exploitation médiévale et des reprises du à 2 m. Schématiquement, le minerai se concentre souvent
xixe siècle (1785 à 1908) ont été prospectés, relevés, et en dans une bande massive où la galène représentait 15 à 25 %
partie fouillés, sous la direction scientifique de Bruno Ancel, de la masse, la barytine, 15 à 50 %, le quartz, 20 à 70 %
de 1992 à 2007 (Ancel et al., 1996 ; Ancel, 2006a). Cette et la blende, 0 à 7 %. Cette bande massive avait souvent
recherche s’est effectuée sur l’ensemble du secteur minier, une épaisseur de 20 à 30 cm, mais localement elle pouvait
mais surtout au fond des gorges du Fournel où le développe- atteindre 1,50 m. Dans la partie pauvre du filon, la galène
ment touristique a généré des moyens humains et financiers prenait la forme de minces veines ou de manière diffuse,
qui ont dynamisé les travaux archéologiques. et elle ne représentait que quelques pourcents de la masse.
Un premier bilan sur l’exploitation médiévale a été dressé
lors du congrès de Civezzano-Fornace en 1995 : les diffé- L’encaissant
rents vestiges ont alors été décrits en détail (Ancel, 1998a). La minéralisation est encaissée dans une formation de
L’approche anthracologique démarrée en 2001 par Vanessa quartzites. Il s’agit d’anciens sables marins d’âge werfénien
Py a été l’occasion de relancer l’étude des ouvrages anciens, (base du Trias, ère secondaire, environ 250 millions d’an-
des remblais miniers et de la technique d’abattage par le nées), d’abord transformés en grès blanc, puis recristallisés
feu (Py, 2009). Cette recherche a été soutenue à partir de en quartzites sous l’effet d’un faible métamorphisme lors de
2006 par l’ACI « Histoire des savoirs » coordonnée par Aline la surrection alpine. Cette formation puissante de 300 m
Durand : Savoir brûler, Savoir gérer le combustible chez les repose sur des conglomérats à faciès Verrucano (Permo-
potiers et les mineurs méridionaux (xie-xvie siècles) (Durand, Trias). Elle est surmontée par environ 20 m de schistes gris
2007). ou noirs, puis par plusieurs centaines de mètres de calcaire
La présente synthèse a pour objectif de dresser un bilan massif (Trias moyen). Comme la gangue du filon est sou-
des connaissances actuelles sur l’exploitation médiévale du vent très quartzeuse, il n’est pas évident de la distinguer de
Fournel en relevant les incertitudes et les points d’ombre liés la roche encaissante au premier coup d’oeil. Par contre, le
à la représentativité différentielle des vestiges plus ou moins minerai étant gris noir, il est facilement repérable à l’affleu-
bien conservés et dont l’investigation archéologique a été rement, mais pas sur les parois salies des travaux souterrains.
plus ou moins approfondie.
Le gisement
La minéralisation remplit un filon dont l’étendue d’origine
1. La mine dans son environnement naturel devait avoisiner 0,5 x 1 km, avec des zones d’étranglement
et historique qui définissent plusieurs secteurs bien minéralisés. Ce filon
correspond à un plan de chevauchement associé au charriage
Le cadre géologique des nappes briançonnaises à la fin de l’Éocène (35 millions
d’années). Le mouvement de chevauchement n’est que de
La géologie de la mine est bien connue grâce à la docu- 50 m. Il affecte l’ensemble des formations sédimentaires qui
mentation xixe siècle du Service des Mines et aux études ont été redressées à la verticale par un plissement précédent
récentes menées par le BRGM sous la coordination de Jean (fig. 1). Ainsi, du côté Ouest, les quartzites et la minérali-
Feraud (BRGM, 1997 ; 2004). sation chevauchent les schistes noirs, alors que du côté Est,
c’est le Verrucano qui chevauche le filon et les quartzites.
Le minerai À la fin de l’Oligocène (25 millions d’années) une nouvelle
Le minerai exploité était de la galène argentifère, un sul- phase de compression voile l’ensemble de la structure. Au
fure de plomb (PbS) renfermant 2 à 3 ‰ d’argent. Cette Pliocène (4 millions d’années) le filon est découpé par un jeu
galène est localement accompagnée de blende (ZnS) et de de faille en panneaux métriques à décimétriques, décalés les
uns par rapport aux autres par des rejets de quelques mètres phases glaciaires qui ont profondément marqué le paysage.
à plusieurs dizaines de mètres (surtout au Gorgeat). Le gisement du Fournel a été mis au jour par l’érosion, à la
confluence du vallon du Fournel avec la vallée de la Durance.
Les conséquences minières Après le retrait des glaces, il y a 12 000 ans, le torrent du
Au xixe siècle, la quasi-totalité du gisement a été reconnue Fournel a entaillé les 250 m de dénivelé qui le séparaient du
grâce au percement de plusieurs kilomètres de galeries de lit de la Durance, en creusant une gorge escarpée dans les
recherche avec une progression moyenne de 50 m par an. quartzites et un canyon étroit dans les calcaires. De ce fait,
Grâce aux appareils de préparation mécanique du minerai les affleurements de minerais sont bien visibles depuis les
permettant l’enrichissement de la partie pauvre de la miné- hauteurs qui dominent L’Argentière (crête de Saint-Roch)
ralisation, sa totalité a été extraite (Ancel, 2006). jusqu’au fond des gorges (Gorgeat, Lauzebrune). Par contre,
Au Moyen Âge, l’exploitation s’est limitée aux panneaux à mi-hauteur, sur une banquette correspondant au fond de
qui affleuraient en surface. La dureté de la roche a interdit l’ancienne vallée glaciaire, une épaisse formation de moraines
les longs travaux de recherche (progression de 5 m par an). masque la roche encaissante et la minéralisation. Elle n’y sera
Quelques rejets de faille de faible ampleur ont pu être fran- découverte que vers 1870 à la suite du percement d’un long
chis. Seule la bande massive de minerai a été exploitée. Le cheminement souterrain sous le versant.
minerai abattu et trié ne pouvait guère dépasser une teneur L’ensemble du secteur minier est facilement accessible
de 35 % et n’offrait aucun intérêt en tant que colorant ou pour des populations montagnardes. Les escarpements
poudre de vernissage (alquifoux). rocheux sont peu végétalisés et l’érosion est toujours active.
Le minerai sombre était bien visible sur la roche claire et
Le cadre géographique devait être parfaitement connu des bergers. Pour les exploi-
tants du xixe siècle, l’escarpement du site fut par contre un
Après la surrection des Alpes, le relief s’est progressivement problème pour la construction d’un établissement et pour le
mis en place durant le Pléistocène, avec notamment quatre transport des matériaux (Ancel, 2000 ; 2008b).
Cependant, en pied de falaises, les accumulations d’éboulis ont des sites d’extraction. Le temps a fait son oeuvre, soit en
pu faire disparaître certaines entrées. Au fond des gorges, les érodant ces aires, soit en les recouvrant d’éboulis ou d’allu-
surcreusements et les engravements du lit du torrent font que vions torrentielles.
certains orifices se retrouvent aujourd’hui perchés en falaise et Potentiellement, le minerai devait subir un minimum
que d’autres sont totalement obturés par des alluvions. Tous de traitement manuel à sa sortie au jour, c’est-à-dire un
les lieux de travaux anciens mentionnés au xixe siècle ont été scheidage comprenant un cassage et un tri à la main, pour
retrouvés et des sites inédits ont également été découverts. On ne garder que du minerai “riche” à 20-35 % de galène. La
distingue ainsi sept quartiers de travaux anciens : au fond des fouille d’une entrée de galerie à Combe Blanche a livré une
gorges, le Gorgeat et Lauzebrune ; en rive droite, l’Albret ; et petite plateforme encastrée dans la pente rocheuse renfer-
sur les escarpements dominant L’Argentière, Combe Blanche, mant deux enclumes de cassage et quelques dépôts de gan-
Saint-Roch, la Rouille et la Pinée (fig. 2). gues triées et calibrées. D’autres enclumes en pierre dure
Il s’avère que tous les affleurements de la minéralisation, ont été retrouvées en réemploi dans les bâtiments xixe siècle
même stériles, ont été reconnus par les Anciens. Le moindre du Gorgeat. Dans les escarpements rocheux, il existe plu-
indice présente des traces de grattages. Les zones productives sieurs sites potentiels d’aire de traitement, mais leur fouille
ont été attaquées à ciel ouvert. Lorsque la minéralisation nécessiterait d’évacuer d’importants volumes d’éboulis et de
est sécante avec la surface, les chantiers ont pris la forme blocs sur une pente raide qui domine une route, un canal
de tranchées verticales ou obliques, rapidement obstruées d’irrigation et des habitations.
par des éboulements quand la roche encaissante est fractu- Il n’est pas impossible que les mineurs aient poursuivi l’en-
rée. Lorsque la minéralisation est parallèle à la surface – on richissement du minerai par un broyage et lavage à l’eau.
dit qu’elle affleure en surface structurale – il en résulte une Mais, il serait vraiment fortuit de retrouver des installations
exploitation à ciel ouvert semblable à une carrière qui peut de lavage au bord du torrent.
se prolonger sur les bords par un chantier souterrain. Ce
cas de figure assez exceptionnel se présente au Fournel sur La question de la métallurgie
trois quartiers où environ 2 400 m2 de minéralisation ont
pu être très facilement extraits. Cet atout gîtologique a très Le minerai devait ensuite subir des opérations de grillage,
certainement favorisé le démarrage de l’activité. puis de réduction, et enfin d’affinage pour séparer l’argent
Sur les affleurements stériles ou à proximité immédiate du plomb. Ces opérations métallurgiques produisaient des
des exploitations, on recense vingt-cinq entrées de galeries déchets, ou scories, assez abondants. La mine de L’Argentière
et quinze ouvertures de puits ou descenderie dont certaines a potentiellement pu produire plusieurs milliers de tonnes
sont actuellement masquées, mais sont localisées à partir des de scories, mais pas une seule n’a été retrouvée sur les ver-
données souterraines. Il demeure difficile d’évaluer l’exis- sants de la mine, dans la plaine alluviale ou autour du site
tence d’autres entrées situées à l’écart des filons dans des castral d’Urgon.
zones gagnées par les éboulis. Il est possible toutefois d’émettre deux hypothèses qui ne
Les orifices principaux de l’exploitation souterraine sont sont pas incompatibles. Une métallurgie itinérante a pu se
le point de départ de vastes épandages de déblais, appelés pratiquer dans les massifs boisés d’altitude du mandement
haldes. Ils sont extrêmement développés sur le versant de la de L’Argentière. Des charbonnières datées des xie-xiie siècles
Durance (Rouille, Pinée) où leur couleur rougeâtre tranche par l’analyse radiocarbone ont été localisées dans le bois du
nettement sur la grisaille des éboulis naturels. Mais, leur Simon de l’Aigle à plus de 1 800 m d’altitude (Py, 2004).
étalement sur la pente abrupte ne permet plus aujourd’hui L’activité métallurgique a pu aussi être centralisée, d’une part
de distinguer clairement les replats qui auraient pu exister à près de l’atelier monétaire des archevêques d’Embrun dans le
l’origine. Dans les zones escarpées, ces épandages sont érodés territoire de Ceillac, et, d’autre part, près de l’atelier moné-
et lessivés. Ainsi, le ravin de Combe Blanche doit certaine- taire du dauphin à Césane en Piémont (Cesana Torinese).
ment son nom aux déblais miniers qui ont dû le tapisser Pour l’instant aucune découverte archéologique fiable ne
autrefois. Dans les gorges, les crues ont fait disparaître toute permet d’être catégorique à ce sujet.
trace d’activité minière en surface.
Figure 2 : (Voir planche couleur) Carte souterraine des travaux miniers du Fournel.
Figure 2: (See colour plate) Map of the Fournel underground workings.
mines de l’Occident médiéval, la mine du Fournel est relati- la montée en température de la roche. Aussi, une fractu-
vement bien conservée et ses vestiges sont assez représentatifs. ration légère de la roche peut rendre les parois plus irré-
gulières (Ancel & Py, 2008). Lorsqu’il existe une zone de
Les ouvrages faiblesse dans la roche – une zone broyée ou une abondance
de barytine dans le filon – elle est attaquée à la pointerolle
Les vides creusés par les mineurs de L’Argentière concer- sous la forme d’une entaille qui est ensuite élargie au moyen
nent à 99 %, l’abattage de la minéralisation : ce sont les du feu. Cette technique mixte explique la forme pincée des
chantiers d’exploitation. Leurs allures sont dictées par la fronts de taille de certains chantiers. Une sorte de fourche en
géométrie du filon (vertical, incliné, plat), la puissance de la fer découverte au Gorgeat pourrait correspondre à un outil
minéralisation (exigu, spacieux) et l’étendue des panneaux de purge des fronts de taille.
filoniens (quelques mètres à plus de 100 m). Ils sont géné- Si les ouvrages d’assistance sont généralement creusés
ralement fortement remblayés, donc difficiles à explorer, à sur des zones de faiblesse, il existe néanmoins des exemples
observer et à évaluer. Lorsque la fouille permet de les vider ouverts par le feu en roche très dure. À Lauzebrune, un tra-
de leurs remblais, on observe généralement des voûtes en vers-bancs d’exhaure long de 10 m présente une parfaite
coupoles résultant de l’abattage par le feu, des sols en gradins section ovoïde. À la Pinée, un puits de recherche s’enfonce
irréguliers induits par la géologie (failles, stratification des verticalement sur 8 m ; preuve qu’il est possible de creuser
quartzites) et des fronts de taille pincés ou arrondis selon la vers le bas au moyen du feu.
méthode de taille.
Les ouvrages d’assistance (Ancel, 1998b) sont limités en Le soutènement
extension et très proches des chantiers. Dans Saint-Roch, Dans les mines très anciennes, il est toujours délicat
plusieurs branches minéralisées sont exploitées par des chan- d’aborder ce sujet de manière frontale. En effet, les ouvrages
tiers inclinés parallèles. Ils sont reliés entre eux par des puits les plus instables sont effondrés. Hors de l’eau, les bois de
peu profonds, creusés sur des failles. Les affleurements sont mine disparaissent en quelques siècles. Le remblaiement des
souvent suivis par des puits redressés ou des descenderies en chantiers restreint la vision. Le Fournel n’échappe pas à ces
gradins. Ces ouvrages verticaux ne présentent pas de trace règles.
d’aménagements (encoche de boisage, aire de treuillage). Deux exemples montrent que des étais en bois ont pu
La plupart des galeries sont creusées sur des zones de failles être installés pour soutenir le toit des chantiers, à moins
et sont étroites. Leur section influencée par la géologie est qu’ils participaient à former des barrages pour contenir des
souvent quadrangulaire et non pas ovoïde comme le sont remblais. On peut aussi observer des piliers en roche ou
généralement les galeries médiévales du massif vosgien des restes de piliers qui ont été dépilés, soit par les Anciens,
(Grandemange, 1990 ; Fluck, 2000). Leur véritable hauteur soit par les mineurs modernes. En règle générale, le sou-
est masquée par des remblaiements tardifs. Contrairement tènement actuel des chantiers instables est assuré par leur
aux premières impressions, leur fouille montre que celles remblaiement.
qui ont pu servir à la circulation sont assez régulières et suf-
fisamment hautes. Les remblais
Ils sont omniprésents et masquent la majeure partie des
Les techniques ouvrages souterrains. Leur nature reflète la prédominance
de l’abattage par le feu caractérisé par un mélange de sables,
L’abattage de graviers, de blocs, et souvent par un litage fruste et len-
La technique d’abattage employée dépend de la dureté ticulaire, avec des charbons de bois dispersés ou concentrés
de la roche. Dans une zone de faille où la roche est broyée (Marconnet, 2002, 2004 ; Py, 2009). Au Gorgeat, des infil-
sur plusieurs décimètres d’épaisseur, des traces de pointe- trations de boue rendent les coupes stratigraphiques diffi-
rolles sont parfaitement conservées. Lorsque la roche est très ciles à lire. À Saint-Roch, une grande coupe longitudinale de
fracturée, comme au contact des schistes noirs, l’abattage a 10 m a pu être mise en relation avec l’avancement du front
sans doute été manuel, mais les traces d’outils n’y sont pas du chantier. Les déblais abandonnés dans la mine résultent
conservées. d’un premier tri sur place. Certains lits de graviers peuvent
En roche dure, l’abattage par le feu prédomine. Les parois néanmoins contenir une proportion notable de galène.
des ouvrages montrent souvent des surfaces lisses et arron- L’importance de la partie stérile ou pauvre dans le volume
dies, mais il ne faut pas oublier qu’une phase de purge de matériaux abattu et son foisonnement expliquent que le
manuelle succède toujours à la phase d’étonnement due à remblaiement des vides a été poussé à son maximum. Dans
L’exhaure
L’escarpement des lieux, la fracturation du massif et sa
décompression post-glaciaire ont favorisé le drainage natu-
rel de la mine. Aucun ouvrage médiéval ne s’enfonce sous
le niveau du torrent. L’exploitation du Gorgeat s’arrête au
niveau du Fournel parce que le filon y disparaît. Un rapport
de la fin du xviiie siècle signale à Saint-Roch des travaux
presque entièrement inondés (Ancel, 2006b). L’examen
actuel des lieux contredit cette assertion. Aujourd’hui tous
les travaux anciens connus sont à sec. Ils sont drainés par des
ouvrages anciens attestés ou supposés.
Au Gorgeat, une galerie de base se développe sur 45 m et
draine les chantiers s’enfonçant depuis l’affleurement. Son
creusement s’est effectué en plusieurs phases et des niveaux
de drainage plus anciens montrant des pentes plus fortes – le
niveau ultime présente une pente optimale de 0,5 % – ont Figure 4 : (Voir planche couleur) Plan des galeries d’exhaure et des
chantiers inférieurs du Gorgeat.
été mis en évidence (fig. 4). Ce complexe de proto-Erbstollen
Figure 4: (See colour plate) Map of drainage adits and lower stopes in
paraît avoir été improvisé à quelques mètres à peine sous la Gorgeat sector.
base d’une exploitation descendante.
Le niveau de base du réseau Saint-Roch et Combe Blanche
n’a pas encore été retrouvé. Il existe pourtant car les chan- Certains panneaux décalés par un rejet de faille de quelques
tiers profonds ne sont pas noyés. De plus, une galerie d’accès mètres ont été retrouvés par les Anciens. Des indices géologiques
à ces chantiers présente une reprise de sa sole qui renvoie les favorables – faille broyée facile à creuser, crochonnement des
eaux d’infiltration dans la mine, comme si on avait cherché veines, entraînement du minerai dans le miroir de faille – ont
à collecter un maximum d’eau avec cette galerie d’exhaure peut-être encouragé les mineurs à tenter l’aventure. Cependant,
présumée. Son entrée serait située en contrebas de la crête de au Gorgeat, les exploitants modernes ont pu retrouver un grand
Saint-Roch sur un versant recouvert d’éboulis et de végéta- panneau vierge à moins d’un mètre des anciens travaux.
tion. Une telle situation et sa longueur potentielle de plus de Le filon vertical de Combe Blanche n’affleure pas. Il se
50 m, feraient de cet ouvrage un véritable Erbstollen. connecte à 80 m du jour avec la base du filon incliné de
Saint-Roch. Il pourrait avoir été découvert par cette voie, car
Les stratégies d’exploitation les datations radiocarbones indiquent une exploitation tar-
dive (xiiie siècle). Mais l’analyse des ouvrages démontre une
La recherche des zones productives exploitation à partir de la zone proche du jour. Les mineurs
L’essentiel des panneaux minéralisés connus des Anciens ont suivi une faille de contact (quartzites/Verrucano) qui
affleurait en surface. Étant donnée la configuration des lieux, coupe le filon à 15 m de la surface. Cette faille a été son-
il fut donc aisé de les découvrir. Même lorsque la continuité dée par trois niveaux de galerie indiquant que les Anciens
des affleurements était interrompue par des placages d’ébou- avaient cherché quelque chose de précis dans ce secteur.
lis dans les escarpements rocheux, il était très facile de purger On connaît également des ouvrages s’enfonçant à l’écart
et de nettoyer la roche. des zones minéralisées connues : deux galeries engravées,
supérieures à 5 m ; une descenderie de 15 m ; une descende- d’exploitation, souvent exigus. Des ouvrages d’assistance ont
rie/puits de 8 m et une « galerie/descenderie/puits » de 15 m, été progressivement mis en place, généralement au plus près
c’est-à-dire un ouvrage qui commence horizontal, puis qui des chantiers d’abattage.
s’incline à 45°, et qui devient enfin vertical. Des circons- L’escarpement du relief favorise la circulation horizontale
tances particulières font que ces ouvrages sont restés visibles. par des galeries (Ancel, 2000). Malgré les conditions sévères
Il peut en exister bien d’autres actuellement masqués par les de remblaiements et de chamboulements tardifs, on observe
éboulis. Un indice de puits a été fouillé en 2004 en aval de les traces de niveaux de circulation sub-horizontaux qui tra-
la Pinée. Il s’est avéré à peine profond de 4 m et a livré une versent en galeries les zones stériles des filons, et en fausses
galerie latérale de recherche longue de 6 m. galeries les zones remblayées des chantiers. Le transport
des matériaux (minerais et bois de feu) y serait pratiqué au
Le démarrage des exploitations moyen de traîneaux. Il ne s’agit pas de niveaux tracés d’une
Les panneaux minéralisés qui affleuraient en surface traite du jour vers l’intérieur de la montagne, mais de por-
structurale ont été décapés comme dans une carrière à ciel tions de galeries et de fausses galeries aménagées en retrait
ouvert, sans doute vers les xe-xie siècles. Ce fait rare a certai- du front de l’exploitation.
nement contribué à dynamiser la mine de L’Argentière dès Les conduits d’aérage aménagés au faîte des exploitations
ses débuts, et ceci au vu et au su de tous. L’ébullition qui a sont également en retrait des fronts d’exploitation. De
régné sur les quartiers de la Pinée et de Saint-Roch était par- courtes portions de galeries exiguës sont creusées les unes
faitement perceptible depuis la plaine de la Durance, grande vers les autres à partir de points hauts des chantiers ou à
voie de circulation et de pèlerinage. partir de montages. Si nécessaire de nouveaux puits d’aé-
Les panneaux bien minéralisés à l’affleurement ont été rage sont creusés. On en compte trois successifs au faîte de
exploités par des tranchées s’enfonçant de biais, ou verticale- Saint-Roch, toujours plus profonds évidemment. À Combe
ment. Mais, aujourd’hui, tous ces endroits sont comblés ou Blanche, un étroit puits de 12 m, faisant la jonction entre
foudroyés. On peut observer des portions de tels chantiers une galerie de recherche et le chantier vertical, vient secourir
proches du jour au sommet de Saint-Roch et à Lauzebrune l’exploitation (fig. 6). Au Gorgeat, un puits ouvert à 25 m
où l’on constate une progression latérale et horizontale des des affleurements vient aérer le chantier incliné à 20°. De là,
fronts d’avancement ; ce qui est somme toute logique pour le réseau de galerie d’aérage s’étend sur 50 m communiquant
des chantiers ouverts à partir d’un affleurement escarpé. Les en six points avec le front de l’exploitation. À mi-parcours,
tranchées qui auraient pu progresser en descente sont mal- un montage aveugle semble préfigurer un orifice d’aérage
heureusement inaccessibles actuellement. Ce cas de figure qui aurait été avorté.
est cependant bien documenté sur le site-satellite de Faravel, Près des affleurements, tous les chantiers sont drainés par
où faute d’une extension du filon, l’exploitation n’a pas de courtes galeries en zone stérile. Au Gorgeat, l’approfon-
dépassé le stade de fosses peu profondes (Py et Ancel, 2007) dissement du chantier entraîne un réajustement du circuit
Le filon redressé du quartier Pinée Nord est par contre peu d’écoulement. Une galerie de 15 m, ouverte au plus près du
minéralisé à l’affleurement et l’on peut y observer différents torrent, préfigure déjà ce que sera le niveau final. Mais, pour
ouvrages d’attaque – des descenderies et des puits – qui don- parer au plus pressé, un drain est aménagé dans la roche
nent rapidement accès à une zone d’exploitation remblayée. schisteuse, sous le chantier descendant, à partir de plusieurs
De courtes galeries, en allongement ou en travers-bancs, petits puits distants à peine de 3 à 4 m. Puis, la galerie est
rejoignent la base de ces attaques, là où le filon est devenu prolongée sur 30 m et atteint le point extrême du chantier,
exploitable. L’analyse des ouvrages démontre que ces galeries mais sa pente est exagérée. Alors, dans un troisième temps,
sont venues assister l’exploitation naissante qui a été initiée la sole de la galerie est reprise. Ce surcreusement prend de
par les attaques sur l’affleurement (fig. 5). l’ampleur et devient une nouvelle galerie qui au final permet
de gagner 3,50 m de hauteur d’exhaure.
L’approfondissement des exploitations Ces ouvrages d’assistance organisent les exploitations sou-
et le développement des ouvrages d’assistance terraines (Ancel, 1998b) : niveaux de circulation au sein des
Les exploitations du Gorgeat, de Saint-Roch, Combe chantiers ; conduits d’aérage au-dessus des chantiers ; gale-
Blanche et peut-être aussi celles de la Rouille et de la Pinée, rie de drainage en dessous des chantiers. En zone stérile,
se sont développées jusqu’à plus de 100 m du jour, sur une des petits puits connectent ces ouvrages aux chantiers. On
durée de deux à trois siècles (xie-xiiie siècles). Dans un tel connaît mal l’organisation verticale au sein des chantiers à
contexte, l’espace souterrain utilisé pour la circulation, l’aé- cause de leur remblaiement, mais il semble qu’il existait des
rage et l’exhaure n’a pas dû se cantonner aux seuls chantiers coulisses pour passer d’un niveau à l’autre. L’organisation
de ces ouvrages préfigure d’une manière frustre le qua- fumage, d’engorgement ou d’ennoiement. Mais, tôt ou
drillage de l’espace souterrain caractéristique des mines de tard, les problèmes sont surmontés et l’exploitation ne sera
la Renaissance (Ancel, 1990a). Les ouvrages d’assistance véritablement stoppée que par l’épuisement des panneaux
ne sont pas encore anticipés longtemps à l’avance, ils sont filoniens.
opportunistes et restent proches des chantiers. Ils sont amé-
nagés au fur et à mesure des besoins, en utilisant au maxi-
mum des vides existants, en minimisant les trajets à percer, 4. Les incidences de l’abattage par le feu
en restant par conséquent au plus près de l’exploitation.
Ainsi, au fur et à mesure que les fronts des chantiers s’en- La mine du Fournel renferme de nombreux témoignages
foncent dans la montagne, l’exploitation s’organise tant bien de la technique d’abattage par le feu, aussi une recherche
que mal en retrait des fronts d’avancement, occasionnant approfondie a été menée sur cette problématique (Ancel et Py,
probablement des suspensions d’activité pour cause d’en- 2008 ; Ancel et al., 2009 ; Py, 2006 ; Py et Ancel, 2006, 2007).
scientifique contemporaine. Ces sources variées mettent bien textes stipulent la mise à disposition des mineurs de réserves
en évidence les avantages et les inconvénients de l’usage du de boisements parfaitement délimitées. Les textes conser-
feu en mine – sévèrement réglementé au Moyen Âge – qui a vés concernant les territoires où s’étendent les prétentions
perduré jusqu’au xixe siècle. Le recours à des aspersions d’eau delphinales suggèrent la mise à disposition pour la mine
fraîche est à présent clairement écarté de la pratique minière. des « bois noirs » dont le dauphin se réserve la propriété,
Les déblais accumulés sous terre et en surface sont les indépendamment de la propriété privée du terrain qui les
témoins précieux des milliers de bûchers embrasés durant recèle. Le terme nemora nigra est souvent interprété comme
plusieurs siècles. Un protocole d’étude de ces résidus a été désignant les résineux, mais ces derniers ne forment pas tous
mis en place pour caractériser la chaîne opératoire technique des massifs « noirs », c’est notamment le cas du Mélèze,
du feu, depuis le choix du combustible en forêt jusqu’au tri résineux endémique des Alpes intra-alpines.
de la roche abattue sur le front de taille. Les coupes stra- L’anthracologie révèle une exploitation presque exclusive
tigraphiques dressées dans les remblais (fig. 7) permettent des formations arborescentes caractéristiques des étages
d’observer des successions de couches différentes définies montagnard supérieur et subalpin inférieur avec la nette
par leur granulométrie, leur couleur et leur composition domination de Larix-Picea (Mélèze et/ou Épicéa) associé au
(minerai, encaissant, gangue, charbons de bois). Leur ana- Pin sylvestre et dans une moindre mesure au Sapin blanc
lyse minutieuse révèle la complexité du mode opératoire de avec un éventail peu ouvert de divers feuillus dont les fré-
l’abattage par le feu ponctué par des étapes de préparation quences absolues sont très faibles (Durand et Py, 2008 ; Py,
du combustible, d’extraction au feu, à l’outil, de purge, de 2009). Les analyses permettent néanmoins de percevoir
tri, de concassage et de déplacements des déblais judicieuse- en filigrane la végétation ligneuse des abords du site forte-
ment aménagés dans la mine de façon à faciliter la poursuite ment anthropisés et dominés par les cultures jusqu’à plus
du travail. de 1 500-1 600 m d’altitude. Ces boisements émiettés font
Des expérimentations menées dans la mine du Fournel l’objet de fagotages ponctuels pour le combustible d’allu-
visent à retrouver la gestuelle et les modalités de cette tech- mage dont la production est dominée par le calibrage de
nique, en caractérisant les paramètres qui entrent en jeu et bois de refend.
en confrontant les données expérimentales aux observations Les proportions des taxons identifiés et leurs variations,
archéologiques. Ces expériences sont réalisées dans une salle d’un secteur à l’autre et sur la longue durée, caractérisent
spacieuse, de façon sérielle, durant les hivers, période de l’état des boisements, l’évolution du territoire d’approvision-
l’année où le courant d’air est favorable à l’évacuation des nement en bois de feu des mineurs et les modalités d’une
fumées. L’objectif est de creuser une galerie dans les quart- gestion de la forêt pour la mine. Les mineurs ont massive-
zites stériles, dépourvues de toute fracture, sans intervenir ment exploité le mélézin subalpin d’ubac associé au Sapin
sur le feu après l’allumage. Après 200 feux, l’ouvrage mesure blanc dans sa limite inférieure dans les versants les plus frais
1,60 m de hauteur et 2,20 m de profondeur. Plus de 3 m3 et le mélézin de « descente » d’ubac. Le territoire d’appro-
de roche ont été abattus (9 566 kg) et 45 m3 de bois secs ont visionnement paraît ponctuellement orienté vers les massifs
été brûlés (9 556 kg). Près de 200 kg de charbon de bois d’adrets d’altitude où les pinèdes de Pins sylvestres enva-
ont été produits, une proportion beaucoup plus importante hissent le mélézin diminué sous l’effet de son exploitation
que celle des remblais archéologiques, ce qui indique que ce industrielle. Il se dégage du diagramme anthracologique de
sous-produit était récupéré pour d’autres usages. synthèse une gestion syncopée de ces boisements sur la lon-
L’évaluation des vides miniers nous permet d’avancer que gue durée probablement en relation avec l’évolution générale
le volume de minéralisation excavé au Moyen Âge est de du couvert forestier et les besoins des autres activités artisa-
l’ordre de 22 000 m3. Le Fournel aurait pu produire environ nales et industrielles (fig. 8). La faculté du Mélèze à coloniser
6 000 tonnes de plomb et 15 tonnes d’argent. Il aurait été les espaces ouverts abandonnés à la déprise agraire de façon
nécessaire de brûler de 100 000 à 200 000 stères de bois sec. cyclique a certainement été mise à profit pour la mine. Les
mineurs n’ont jamais manqué de bois et le faisaient venir
La gestion forestière des forêts dont la fourchette altitudinale peut se localiser
entre 1 600-1 700 m et 1 800-1 900 m d’altitude. Les pour-
Les sources écrites étudiées (Py, 2009), principalement les ritures microscopiques carbonisées identifiées dans les fibres
textes législatifs de l’Occident médiéval, stipulent le droit ligneuses attestent d’une phase de stockage pour le séchage
d’exploiter tout le bois nécessaire pour l’extraction minière du combustible calibré sur le carreau de la mine.
dans les forêts seigneuriales, privées ou communes, sous
réserve du paiement d’une taxe, ou en toute liberté. Certains
Figure 8 : Diagramme anthracologique de synthèse du quartier de Saint-Roch. Les lignes représentent les pourcentages de fragments par
taxon. Les points représentent les pourcentages de fragments inférieurs à 0,5 %.
Figure 8: Anthracological diagram from the St Roch sector. The lines represent fragment percentage for each taxum. The points represent fragment
percentage inferior to 0,5 %.
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