Especisme Bull4 2014 PDF
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L’espécisme :
identité humaine et statut de l’animal
Gabriel Gandolfo et Michèle Teboul
glais speciesism) la théorie de l’exception humaine selon une discrimination faite sur
On désigne par le mot espécisme (parfois écrit spécisme sous l’influence de l’an-
losophe australien Peter Singer dans son ouvrage Animal Liberation (traduit en fran-
tannique Richard D. Ryder, l’espécisme sera repris et popularisé en 1975 par le phi-
çais en 2012), dont l’objectif est de changer notre perception des animaux et de les
traiter comme tout être sensible, donc capable de souffrir, indépendamment de leur
intelligence. C’est ainsi que, dès les années 1970, va s’organiser l’antispécisme (ou
contrespécisme), un mouvement intellectuel d’après lequel l’espèce d’appartenance
n’est pas un critère moral pertinent pour décider de la façon dont on doit traiter les
autres espèces vivantes et des droits qu’on leur accorde… ou pas ! Ce mouvement,
aujourd’hui multiforme, parfois union inédite entre militantisme social et politique
(Lipietz, 2012), dénonce essentiellement la maltraitance, l’exploitation et la consom-
mation des animaux par les êtres humains. La démarcation par rapport aux animaux
Ü Mots clés : espécisme, Homme, animal, comportement, évolution, éthologie, écologie, éthique,
mythiques réels et possibles comme des productions mentales des sociétés à pensée
non domestiquée, à pensée humaine spontanée, naturelle plus que « sauvage » à pro-
prement parler. Et dans les récits mythiques, les animaux ne sont pas absents, sur-
tout dans les mythes sur la Création (Gibert, 1986 ; Anati, 1999). Prenons deux
exemples, éloignés dans le temps comme dans l’espace, pour en montrer l’univer-
sur des tablettes en bois gravées par les prêtres au XVIIIe siècle en rongorongo, une
salité. Les habitants de l’île de Pâques ont expliqué le mystère créateur de l’univers
ment chant ou litanie : il s'agit donc d'un chant cosmogonique de 2300 glyphes,
écriture déchiffrée par l'Américain Steven Fisher en 1996 et signifiant tout simple-
listes interprètent par « Tous les oiseaux ont copulé avec les poissons et de leur
oiseau, suivi d'un phallus, puis d'un poisson et enfin d'un soleil, ce que les spécia-
union est né le soleil ». Du côté des Dogons du Mali, c'est d'un boudin de glaise que
Dieu (Amma) forma la Terre, qui est une femme allongée du nord au sud; une four-
milière est son sexe. Amma s'unit à elle et elle accoucha du chacal (Yurugu, le
Renard Pâle), incarnation de la révolte et du désordre. Puis naquit le génie Nommo,
aux yeux rouges, au corps vert, aux membres souples. Il est double, à la fois mâle et
femelle, maître de l'eau, de la parole et de la vie. Un Nommo, voyant sa mère nue,
apporta, pour la vêtir, des fibres en torsades qui représentent l'eau. Le chacal cepen-
dant pénétra dans la fourmilière, commettant donc l'inceste et faisant apparaître le
sang. C'est le péché originel: la Terre est ainsi devenue impure. Amma créa alors
directement les êtres humains, tirés de l'argile. Ils ont chacun en eux les deux prin-
cipes, mâle et femelle, mais on leur apprend la circoncision et l'excision qui distin-
gueront les sexes. Dans ce dernier mythe, on trouve ainsi à la fois les origines cos-
mogonique et anthropogonique de notre monde et de nos ancêtres.
Rien d’étonnant alors à ce que les peuples premiers et les civilisations les plus
anciennes sacralisèrent certains animaux (De Lumley, 1995). L'animisme et le toté-
misme constituent ainsi des modes d'identification, c'est-à-dire des manières de
pas utilisés seulement parce qu'ils sont là mais parce qu'ils proposent à l'homme
une méthode de pensée. » Par exemple, chez les Indiens d'Amazonie, il n'y a pas de
distinction radicale entre les humains, les plantes, les animaux et les esprits : l'iden-
tité y est tout entière relationnelle. Ce hyper-relativisme perceptif donne aux cos-
mologies amazoniennes un caractère décidément non anthropocentrique, en ce que
le point de vue de l'humanité sur le monde n'est pas celui d'une espèce dominante
subordonnant toutes les autres à sa propre reproduction, mais plutôt celui qui serait
conscient de la totalité des interactions se déroulant en son sein. Il existe une cos-
mologie très semblable chez les Indiens de la région subarctique du Canada, alors
même qu'ils exploitent un environnement radicalement différent de la forêt tropica-
le sud-américaine. Tout comme en Amazonie, la plupart des animaux sont conçus
comme des personnes dotées d'une âme, ce qui leur confère des attributs tout à fait
tion. C'est de totem (ototeman, qui veut dire « il est de ma parenté »), mot formé à
signes, alors que dans les systèmes animiques, ils le sont comme le terme d'une rela-
un rôle décisif dans la réflexion de l'Ecole sociologique française. Dans ses Formes
borée en 1899 par l'ethnologue français Marcel Mauss (1873-1950). Il a même joué
territoriale) possédait son totem ; puis, à l’époque tardive, on éleva et adora des ani-
maux près des sanctuaires : ibis et babouins près des temples de Toth, dieu lunaire à
tête d’ibis justement ; vaches près du temple d’Hathor, déesse-vache incarnation
d’Isis. Le panthéon égyptien fourmille donc de divinités animales comme le montre
l’ouvrage éponyme que J-F. Champollion (1790-1832) a écrit en 1823 : la déesse-
chatte Bastet ; Apis, le dieu solaire en forme de taureau ; la déesse-grenouille
Héqet ; le dieu-scarabée Khepri ; le dieu-faucon Montou ; la déesse-vautour
Nekhbet ; le dieu-chacal Ophoïs ; la déesse-serpent Ouadjet ; le dieu-crocodile
Sobek (ou Sebek) ; la déesse-lionne Sekhmet ; la déesse-scorpion Selkis, etc… Les
Égyptiens cultivèrent ainsi la zoolâtrie et le site de Touna el-Gebel se spécialisa dans
la momification animale: chiens, chats, faucons, ibis, serpents... Ils ont emprunté au
monde animal, qui fait office de messager entre le créateur et sa créature, la symbo-
lique des quatre éléments (le vautour pour l'air, la vache pour la terre, le poisson
pour l'eau et le faucon pour le soleil, donc le feu) dont le rôle est de traduire la
emblème du Dieu-Soleil, donc de l'Ame suprême, est sacré à plus d'un titre. Ses
larves sortant de boules piriformes emmagasinées dans une chambre souterraine en
ont fait l'image vivante d'un principe supérieur de la nature: celui de l'engendrement
son pour laquelle la divinité Khepra (« Celui qui produit lui-même sa genèse »), qui
spontané, de la transformation permettant le passage de la mort à la vie. C'est la rai-
symbolise cette transformation, donc l'apparition à la vie (Bosc, 1985), est repré-
sentée comme un scarabée ou un homme à tête de scarabée. L’image de l’insecte
poussant sa boule est associée au disque solaire qui évoque la possibilité de mourir
et renaître comme le fait chaque jour le soleil qui meurt le soir et se réveille le matin:
le soleil levant se dit d'ailleurs Khepri. Le scarabée symbolise donc le début de ce
qui sera et la vanité de la condition humaine. Et comme ses œufs sont la promesse
d'une nouvelle vie, il est aussi emblème de fertilité et de vie meilleure. C'est ce qui
justifie les nombreuses amulettes ou phylactères dont on parait la momie: le pecto-
Le vanneau (appelé bennou par les Egyptiens), tel le phénix qui renaît de ses
culte. L'épervier, l'oiseau d'Horus, avec une tête humaine, sert à écrire le mot âme.
qui avait été perdue. C’est ce qui est inscrit dans la Bhagavad-Gitâ, un dialogue
passer par les différentes formes de l’évolution pour retrouver la condition humaine
l’essence des Vedas : « Qui meurt sous la Passion renaît parmi les hommes qui se
attribué à Vyâsadeva, auteur mythique des Ecritures, et considéré comme contenant
vouent à l’action intéressée. Et qui meurt sous l’Ignorance renaît dans le monde des
bêtes » (chapitre XIV, verset 15). Et, pour se manifester dans le monde sensible des
humains, quelles formes le dieu hindouiste Vishnu a-t-il donc revêtues dans ses
incarnations successives (avatâra) ? Ce furent celles de Matsya le poisson, de
Kurma la tortue, de Vahara le sanglier ou encore de Narasimha l’homme-lion. Le
jaïnisme, un mouvement spirituel qui s’organisa dans la plaine indo-gangétique au
cours des VIe et Ve siècles avant J.-C., prône alors l’observance de 5 principes
éthiques dont le premier, qui est fondateur de l’ahimsâ (innocuité), est de ne pas nui-
re aux êtres vivants, quelle qu’en soit la catégorie. C’est ainsi qu’à Ahmedabad, la
ville sainte des Jaïnas, où aucun homme n’a jamais fait le moindre mal à un quel-
conque animal, on peut voir les fidèles marcher en balayant devant eux pour écarter
les insectes, avec un mouchoir sur la bouche pour ne pas en avaler par mégarde (et
s’il est malade, l’adepte ne prend aucune médication de peur de tuer les microbes !),
on peut frôler écureuil, sansonnet, perroquet, busard ou singe qui ont perdu toute
crainte et voir seul l’ascète s’enfermer dans une cage avec des barreaux de fer. Les
animaux furent donc sacrés et il sera fait interdiction à de multiples reprises de les
tuer et de les manger, depuis les édits de l’empereur Ashoka (v.304-v.232 avant J.-
C.), le premier souverain à réaliser l’unité de l’Inde, proscrivant les plats de viande
et ordonnant de ne plus tuer d'être vivant (c’est ainsi que le bœuf et la vache, qui
étaient les animaux des sacrifices rituels des Aryens, devinrent sacrés en Inde), jus-
qu’à la loi du roi jaïn Kumârapâla, qui régna de 1143 à 1172, en passant par celle
promulguée en 676 par Temmu, le quarantième empereur du Japon.
si on s’en réfère à Cicéron (106-43 avant J.-C.), auteur du traité De Republica, dans
vent frapper aussi bien les auteurs d’homicides que les tueurs d’animaux, en tout cas
(De l’âme ; Du sens et des sensibles ; Histoire des animaux…), il s’ensuit la dis-
Tout va changer avec Aristote (v.385-322 avant J.-C.). De ses nombreux traités
tinction de trois sortes d'âmes selon un schéma ascendant où l'on voit les fonctions
supérieures de l'âme se dégager peu à peu de leur conditionnement sensible. Cette
gradation apparaît dans la hiérarchie-même des êtres vivants qui ont tous une âme,
reproduire que parce qu'elle est douée d'une âme végétative, qui est donc limitée à
mais définie par différentes fonctions : la plante n'est capable de se nourrir et de se
sensitive, d'où ressortent en prime l'appétit et la locomotion; seul l'être humain pos-
la propagation et à l'assimilation; l'animal doit sa faculté de sentir grâce à son âme
sède une âme intellective ou rationnelle, que caractérise l'esprit. Ces trois âmes
emboîtées sont les termes d'une série ascendante, dont chacun en dehors du premier
suppose le précédent, mais se distingue de lui par l'émergence d'un nouvel ordre. Un
homme est plus riche de ce point de vue qu'un animal et un animal qu'une plante,
mais ces âmes n'ont pas pour autant d'existence propre et ne sont donc pas rajoutées
au corps. En déconsidérant la matérialité du vivant, Aristote proposa ainsi une bio-
logie vitaliste : le vivant est un corps mû par une âme, quelle qu’en soit la catégorie.
plus un être est protozoaire, plus il est visqueux et flasque, parce que la matérialité
bilité du supérieur à l'inférieur, va placer dans la « scala naturae » les animaux sous
a encore trop de prise sur lui. Cette conception hiérarchique, qui assure l'irréducti-
l’Homme en raison de leur irrationalité. Ce point de vue, bien qu’assoupli par son
l’animal peut sentir, ressentir et raisonner, sera accentué par la suite au point d’être
érigé en dogme, notamment par le christianisme médiéval (Gandolfo et Deschaux,
2010a : p.168).
C’est effectivement avec l’Église que la ligne de démarcation entre hommes et
commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes, à toute la terre,
et à tous les reptiles qui se remuent sur la terre » (chapitre I, verset 26). Saint Paul
(v.5 après J.-C.- 67) justifiera ce rapport de domination par le fait que seule l’âme de
et par ses facultés spirituelles et surtout par la justice et la sainteté (Epitre aux
l’Homme est l’image de Dieu par l’intelligence, la volonté, la liberté, l’immortalité
Ephésiens, chapitre IV, verset 24 ; Epitre aux Colossiens, chapitre III, verset 10).
Aucune attention biblique particulière ne semble être accordée aux animaux, com-
me le soulignera St Augustin (354-430) en s’appuyant sur l’épisode où Jésus n’hé-
selon saint Matthieu, chapitre VIII, versets 28 à 34). Ainsi, d’emblée, l’Homme n’a-
sita pas à laisser se noyer les porcs de Gadarène au pays des Géraséniens (Èvangile
t-il aucun devoir de prendre soin des animaux, même si, sous l’influence de l’aris-
totélisme scolastique, notamment celle déterminante de Hieronymus Rorarius
(1485-1556), le nonce du pape Clément VII à la cour du roi Ferdinand de Hongrie,
l’Eglise finira par leur attribuer une âme (bien avant d’ailleurs de l’accorder aux
tice jusqu’au XVIIe siècle : « Des truies, des taureaux furent condamnés pour homi-
de ce principe animé, des animaux seront traduits, tout comme les hommes, en jus-
cides et exécutés par la main du bourreau (on lui payait tout exprès une paire de
gants) et des rats, cités devant les tribunaux et faisant défaut, furent condamnés à
abandonner les lieux qu’ils occupaient indûment, mais le bras séculier, dans ce cas,
se trouvait assez désarmé, on le comprend facilement » (Galikoff, 1992). Et jus-
qu’au XVIIIe siècle, on brûla un tas de chats ou de chiens dans lesquels on croyait
reconnaître un démon caché venant d’être chassé de l’enfer, une âme errante (autre-
ment dit un revenant), voire une sorcière ayant emprunté leur forme : n’oublions pas
que quantité d’animaux ont tenu une place considérable dans les pratiques de sor-
cellerie (outre le chat et le chien, citons le cheval, le loup, le bouc, la poule noire, le
coq, le serpent, la huppe, la chauve-souris et le crapaud). Le détachement apparent
du christianisme envers la condition animale vit cependant une exception notoire en
gent animale, dont Les Fioretti (littéralement les petites fleurs), un ouvrage de la lit-
la personne de saint François d’Assise (v.1181-1226) et son rapport bien connu à la
si « comment St François (…) prêcha aux oiseaux et fit tenir en paix les hiron-
térature populaire du XIVe siècle, relatent des exemples édifiants. On y apprend ain-
delles » (chapitre XII) ; le « très saint miracle que fit St François quand il convertit
le loup très féroce de Gubbio » (chapitre XVI) ; ou encore « comment St François
apprivoisa les tourterelles sauvages » (chapitre XVII). Il n’en demeure pas moins
une séparation nette entre Homme et animal, au nom du rapport à Dieu, au point
que, pendant des siècles, étudier le comportement animal afin de comprendre celui
Montaigne (1533-1592), qui, dans ses Essais (1580-88), après avoir longuement
des hommes sera d’une parfaite futilité. Une exception notable toutefois avec
discouru sur Les Industries des animaux de Plutarque, conclura ainsi (en respectant
la graphie d’origine) : « Mais quand ie rencontre, parmy les opinions plus mode-
rees, les discours qui essayent à montrer la prochaine ressemblance de nous aux
animaulx, et combien de vraysemblance on nous les apparie, certes, i’en rabats
beaucoup de nostre presumption, et me demets volontiers de cette royauté imagi-
naire qu’on nous donne sur les aultres creatures. Quand tout cela en seroit à dire,
si y a il un certain respect qui nous attache, et un general debvoir d’humanité, non
aux bestes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mesmes et aux
plantes. Nous debvons la iustice aux hommes, et la grace et la benignité aux aultres
creatures qui en peuvent estre capables : il y a quelque commerce entre elles et
nous, et quelque obligation mutuelle » (Livre II, chapitre XI). Montaigne perpétua
ainsi l’écologisme de St François.
Il faudra attendre le XVIIe siècle pour s’intéresser à nouveau au comportement
animal, mais toujours dans une volonté affirmée de démarquer l’Homme de l’ani-
mal. Ce sera la théorie des animaux-machines du philosophe français René
Descartes (1596-1650) : les animaux ne sont que des automates dont les mouve-
ments sont entièrement réductibles à des principes mécaniques régis selon les lois
de la physique ; ce qui est également valable pour les actions réflexes et incons-
cientes de l’Homme, sauf que son âme spirituelle l’a doué de raison. C’est le
Aristote, à nier l’âme des bêtes et à les traiter de pures machines. Dans sa Lettre au
l’obligeait à mettre une âme dans les bêtes. Descartes fut ainsi le premier, et contre
que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du
tout. Car on voit qu’il n’en faut que fort peu pour savoir parler ». En clair, les ani-
maux ne sont que des automates qui voient, entendent, touchent, éprouvent même
(1707-1788) qui fera une Histoire naturelle (le premier tome parut en 1749 et l’édi-
sociaux d’intérêt agronomique, notamment les abeilles. Mais ce sera surtout Buffon
miques. Buffon justifia ainsi sa démarche dans ce « style (qui) est l’homme même »
classification des espèces se faisait sur des critères essentiellement morpho-anato-
rejeta avec vigueur l’automatisme cartésien dans son Discours sur l’inégalité
des premières théories sur l’apprentissage. En revanche, J.-J. Rousseau (1712-1778)
(1754) : doués de sensibilité, « ils (les animaux) devraient participer au droit natu-
rel et (…) l’homme est sujet à certains devoirs envers eux ».
saut de l’animal vivant à l’homme parlant est aussi grand, sinon plus, que celui de
la pierre inanimée à l’être vivant ». Depuis le XVIIe siècle et les grandes décou-
zées, pygmées ou encore orangs-outans, d’un terme malais signifiant homme des
bois (ce sont en fait nos modernes anthropoïdes). En 1735, dans son Systema natu-
rae, le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778) classe l’Homme aux côtés du
singe et du paresseux et, dans les éditions ultérieures de son ouvrage, créa l’ordre
mun à l’homme et aux animaux (1784). Plus connu est le Mémoire sur les diffé-
rences de la situation du grand trou occipital dans l’homme et les animaux, présenté
à l’Académie des Sciences en 1764 par le naturaliste français Louis Jean-Marie
Daubenton (1716-1800), où il recherchait un critère sûr de la distinction entre
bipèdes et quadrupèdes mettant en évidence l’unicité de l’Homme au sein de la
nature. Le débat va se transformer en récit généalogique des origines de l’Homme
dès le début du siècle suivant avec l’évolutionnisme.
L’opposition instinct-intelligence
1915). Dans ses Souvenirs entomologiques, sous-titrés Etudes sur l’instinct et les
ger ainsi le courant instinctiviste, représenté par l’entomologiste J.-H. Fabre (1823-
mœurs des Insectes (1879-1908), il affirmait que : « pour l’instinct, rien n’est
impossible » et citait l’exemple de l’abeille capable de fabriquer des cellules parfai-
tement hexagonales sans aucune « intelligence algébrique ». Il dressa alors les prin-
ficité. Il proposa aussi que le comportement animal réponde à une « loi d’économie
cipales caractéristiques de l’instinct : l’innéité, la préformation, la fixité et la spéci-
peut produire aucun instinct complexe autrement que par l’accumulation lente et
graduelle de nombreuses variations légères et cependant avantageuses » a-t-il écrit
dans L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou La lutte pour
l’existence dans la nature (1859). Plus loin, il insista : « Comme on ne peut contes-
ter que les instincts de chaque animal ont pour lui une haute importance, il n’y a
aucune difficulté à ce que, sous l’influence de changements dans les conditions
d’existence, la sélection naturelle puisse accumuler à un degré quelconque de
légères modifications de l’instinct, pourvu qu’elles présentent quelque utilité ». Or,
c’est la sélection naturelle qui permet la survivance des mieux doués et a pour résul-
tat la formation d’espèces nouvelles et un progrès continu des adaptations, les
espèces les plus simples. Cette survie des mieux adaptés est le résultat de la « lutte
espèces les plus riches, les plus susceptibles d’évolution, descendant peu à peu des
L’opposition inné-acquis
Le concept d’hérédité venait ainsi de changer de sens : jusque-là force conser-
vatrice, gardienne de la fixité du type individuel ou spécifique dans la suite des
générations, l’hérédité, équivalente du temps accumulé, raconte désormais l’histoi-
re de la lignée ancestrale depuis les âges lointains et révèle la structure d’anciens
1829), qui dans son Discours de l’an VIII (1800) à l’Académie des sciences, faisait
progéniteurs moins modifiés. Et cela, grâce au naturaliste français Lamarck (1744-
déjà l’hypothèse de la généalogie unique du monde vivant : c’est donc lui qui a lan-
cé l’idée d’évolution. Ainsi naquit le transformisme, qui mettait un terme au créa-
tionnisme biblique et à l’antique fixisme, incarné encore par Cuvier, et selon lequel
les êtres vivants ont été créés à la même époque (l’espèce humaine étant une créa-
tion indépendante des autres), seuls les grands cataclysmes anéantissant des assem-
blages fauniques et floristiques, immédiatement remplacés par d’autres, d’origine
incertaine (théorie du cataclysmisme). Au contraire, pour le transformisme, l’évolu-
tion (transformation) se réalise par des causes internes mais est guidée par l’envi-
ronnement auquel l’animal s’adapte en changeant son comportement, qui devient
ne. Ainsi naquit le « racisme scientifique » qui avait déjà pris prétexte avec The
justifiant ainsi la lutte entre races et l’eugénisme comme propres à la nature humai-
La fin du XIXe siècle a donc été marquée par la réfutation définitive du lamarc-
kisme au profit de la théorie de l’évolution par sélection naturelle, encore que le
zoologiste français A. Giard (1846-1908), s’il ne rejetait pas cette dernière, ne consi-
dérait pas moins que les facteurs de l’environnement soient les principales forces
évolutives à travers leur influence directe sur le comportement animal (un reste de
nomiste anglais J. Stuart Mill (1806-1873) désignait ainsi la « science des carac-
lamarckisme donc). Des précurseurs de l’éthologie - en 1843, le philosophe et éco-
chez l’animal pour décrire les mouvements d’orientation qu’il étudia seulement
chez les Invertébrés, ce qui excluait la conscience. Il assimila les tropismes à des
sommes de réflexes, actes innés, systématiques et rigides, permettant de rendre
compte du comportement de n’importe quelle forme vivante, ce qui revient à rédui-
re tout comportement à des mouvements forcés et automatiques. En revanche, il a
eu le mérite de préciser les notions de stimulus et de réponse, en montrant que cer-
taines réponses d’orientation résultent de stimulations plus ou moins intenses de dif-
férents récepteurs. H. S. Jennings (1868-1947) se contenta d’étudier les mécanismes
d’orientation sur les protozoaires.
nel au début, il n’est jamais fortuit. D’où la notion de « carte cognitive » : c’est la
réponses, le comportement répondant toujours à un but et même s’il paraît irration-
représentation mentale, par exemple, du trajet qu’un rat dans un labyrinthe construit
au cours de ses passages successifs. À l’inverse des behavioristes, les cognitivistes
ont admis ainsi l’existence de processus internes non observables, qui permettraient
l’intégration de l’information extraite de l’environnement : il ne s’agit donc pas sim-
plement de connexions entre stimulus et réponses et d’un automatisme animal inné.
s’était englué entre les vitalistes et les mécanistes, va donc être restreint aux « sché-
ment. L’instinct, dont le concept est enfin soustrait au débat stérile dans lequel il
Le système structural
Il considère le comportement comme un ensemble d’actes simples liés entre eux
par des relations d’implication, ce qui donnera une conception hiérarchique du com-
portement reflétant la hiérarchie des centres nerveux. Ce point de vue sera défendu
notamment par Baerends, un élève de Tinbergen, qui, pour apaiser la querelle
inné/acquis et mettre fin aux critiques des épigénètes (l’épigenèse est la transmission
héréditaire de caractères acquis en dehors de la voie chromosomique : Gandolfo et
Miquel, 2008 : p. 126-27), insistera sur la variabilité des comportements instinctifs
au sein d’une espèce donnée : au début de l’ontogenèse, il existe une « période sen-
sible », génétiquement délimitée, au cours de laquelle le comportement est malléable
avant de devenir rigide (comportement stéréotypé), autrement dit l’hérédité apporte
plusieurs types potentiels d’activités motrices (coordination de schémas innés), mais
ce sont les interactions entre individus et milieu environnant qui, par la maturation et
l’expérience, expliqueront le comportement définitif de l’adulte.
L’approche adaptationniste
Elle interprète le comportement à l’aune de sa signification adaptative, qui est
l’adéquation du comportement aux caractéristiques de l’environnement naturel, ce
qui l’associe étroitement au contexte écologique dans lequel il est produit, donc à
son évolution phylogénique. Elle donnera naissance :
– d’une part à la sociobiologie (fondée en 1975 par Edward Wilson), étude sys-
génome, outre son influence dans les désordres physiopathologiques (Wain et al.,
l’ADN humain et de chimpanzé était identique à 99 % ! La variation structurale du
« Celui qui connaît vraiment les animaux est par là même capable
Laissons donc la conclusion à Konrad Lorenz (1977) :
Bibliographie
ANATI E. - La religion des origines - Bayard (Paris), 1999
Atlas des religions (Le Grand) - Encyclopaedia Universalis (Paris), 1988
BAILLY J.-C. - Le parti pris des animaux - Christian Bourgois (Paris), 2013.
Bible de Tours (La Grande) - Jean de Bonnot (Paris), 1985 (2 volumes)
BOSC E. - Dictionnaire général de l’archéologie et des antiquités chez les divers
peuples (réédition de l’ouvrage de 1881) - Jean de Bonnot (Paris), 1985
BRION M. - Histoire de l’Egypte - Jules Tallandier (Paris), 1977 (2 volumes)
BUFFON G.-L. - Histoire naturelle de l’homme et des animaux (réédition des livres
de 1749) - Jean de Bonnot (Paris), 1989
Éveil des consciences morales en faveur d’un droit pour les animaux
Il est bien évident que dès que l’Homme a étudié le comportement des animaux,
le regard qu’il portait sur eux a commencé à changer. A vrai dire, le débat sur le droit
des animaux est relativement ancien (Chapouthier, 1990 ; Baratay, 2003), mais res-
tait restreint à quelques philosophes surtout. Par exemple, Arthur Schopenhauer
(1788-1860), selon lequel les animaux partagent la même essence que les hommes
malgré leur manque de faculté à raisonner, n’hésita pas à dénoncer la vivisection et
à critiquer Emmanuel Kant (1724-1804) qui les avait exclus de son système moral.
Ce dernier appartenait en effet à cette catégorie de grands maîtres à penser qui, com-
me St Thomas d’Aquin (1225-1274) ou John Locke (1632-1704), se contentèrent de
dire que les habitudes de cruauté dont les animaux étaient victimes ne devaient pas
s’insinuer dans le traitement envers les humains. Mais ce sera aussi un philosophe
qui, le premier, s’engagera plus nettement dans la défense des animaux : l’Anglais
Jeremy Bentham (1748-1832), fondateur de l’utilitarisme, une doctrine éthique
prescrivant d’agir ou pas, afin de maximiser le bien-être global de l’ensemble des
ment insupportable que celle des hommes, écrivait ainsi dans son Introduction to
êtres sensibles, et pour laquelle la souffrance des animaux est aussi réelle et morale-
the principles of morals and legislation (1789) que « le jour viendra où le reste de
la création animale acquerra ces droits qui n’auraient jamais dû être refusés si ce
n’est de la main de la tyrannie ». Car tout le problème était là : avant même les lois,
le droit juridique, c’est donc de considération morale qu’il s’agissait dans le statut
(1851-1939) qui dans son Animal’s Rights : considered in relation to social pro-
des animaux. Et c’est son compatriote, l’écrivain et naturaliste Henry Stephens Salt
gress (1892), voudra faire interdire la chasse comme sport, juste un an après avoir
formé… la Ligue Humanitaire ! C’est que du côté des scientifiques, le contexte de
l’époque n’était pas véritablement favorable à ce statut moral, encore moins juri-
dique. En effet, la conception behavioriste d’un animal dépourvu d’émotions,
n’étant qu’une machine organique régie par des lois fondamentales a justifié le
développement intensif de l’expérimentation animale. Et s’il est indéniable que les
recherches, par exemple, d’un Claude Bernard (Gandolfo et Deschaux, 2010 : p.
176-77) ou d’un Ivan Pavlov (Gandolfo et Deschaux, 2011 : p. 139-40) ont fait
avancer d’un pas de géant la connaissance scientifique, elles n’ont pas été exemptes,
loin s’en faut, de toute souffrance animale. Les animaux domestiques (chiens, chats)
étaient surtout utilisés alors et certains s’en sont émus. A commencer par la propre
épouse de C. Bernard qui, avec ses deux filles, va militer contre la vivisection pour-
tant prônée par son physiologiste de mari (le couple se séparera d’ailleurs en 1868).
Pour calmer le jeu, le neurologue américain Henry Herbert Donaldson (1857-1938)
cénacle étroit des savants) dans un style clair et sans jargon la Vie des animaux illus-
1884), un zoologue allemand qui écrivit à l’intention du public (et non pas du
trée (Illustriert Tierleben, 1864-69), qui sera rééditée ensuite sous le nom de
Brehms Tierleben (Vie des animaux selon Brehm) et dans laquelle il se demanda si
phocidés est l’ours blanc et encore ne l’est-il que pour les petites espèces. L’homme
se montre à leur égard encore plus cruel ; il leur fait une guerre de destruction aus-
si inintelligente que barbare. Peut-être ne devrais-je pas la qualifier de chasse ;
c’est un carnage, une boucherie, et non un noble exercice ».
D’autre part, furent créées de nombreuses associations ou ligues, qui, aujour-
d’hui encore, forment la colonne vertébrale du support moral de la lutte engagée
pour un droit des animaux. C’est en 1824 que fut ainsi fondée en Angleterre la
SPCA (Society for the Prevention of Cruelty to Animals) qui va essaimer aux Etats-
Unis (1866), puis au Canada (1869) et à l’ensemble de l’Occident. Elle inspirera la
création en 1845 en France par Etienne Pariset (1770-1847), un médecin hospitalier
de La Salpêtrière, de la SPA ou Société Protectrice des Animaux (Fleury, 1995). Si
ces ligues ancestrales ont fort bravement milité (et le font toujours), d’autres asso-
ciations, plus récentes, n’ont pas toujours hésité devant des actions plus ou moins
spectaculaires, quitte à s’affranchir parfois des lois en vigueur. On doit ainsi le pre-
mier usage connu d’un incendie à Ronnie Lee, un étudiant en droit qui, avec des
amis, mit le feu en 1973 à un laboratoire de vivisection de la société Hoechst
Pharmaceutical à Milton Keynes dans le Buckinghamshire (Angleterre). En 1976,
Lee fonda avec Cliff Goodman l’ALF (Animal Liberation Front), procédant par
actes de sabotage ou incendies, rapidement considérés comme des actions terro-
ristes. S’y apparente, toujours au Royaume-Uni, l’ARM (Animal Rights Militia),
fondé en 1982 dans le but d’abolir toute forme d’exploitation animale et dont le
mode opératoire consiste également en des incendies, des menaces, des canulars,
comme le disait Confucius (551-479 avant J.-C.) : « dépasser le but, ce n’est pas
etc. De telles méthodes contestables ont parfois pu desservir la cause animale, car,
mali (1926) où il n’a eu de cesse de démontrer que les animaux ont intelligence et
conscience qui, si elles diffèrent de celles de l’Homme, ne peuvent pas néanmoins
déclarait dans L’animale quale soggetto di diritto (1928) à propos des animaux de
être réduites à un simple mécanisme physiologique. Cesare Goretti (1886-1952)
compagnie : « Il est absurde de penser que l’animal qui rend service à son maître
agit seulement selon son instinct. (…) Le chien sent, de façon obscure et significati-
ve, ce rapport pour les services rendus et échangés. Bien sûr, l’animal ne peut com-
prendre le concept de ce qui est la propriété, l’obligation ». Citons, sans encore être
exhaustif, les philosophes Peter Singer et Paola Cavalieri qui, dans leur Projet
grands singes de 1993, ont souhaité étendre aux chimpanzés, gorilles et orangs-
outans les droits à la vie, à la liberté individuelle et à l’intégrité corporelle. Outre-
Atlantique, l’avocat Alan Morton Dershowitz (2005) milite lui aussi pour les droits
des animaux : dans la mesure où leurs intérêts, comme le fait d’éviter la souffrance,
sont les mêmes que ceux des humains, les animaux doivent donc être considérés
comme des personnes légales à part entière. Le philosophe Tom Regan (2013) est
convaincu que certains animaux ont une vie mentale suffisamment complexe pour
avoir une expérience propre de leur bien-être, autrement dit pour que ce qui leur
arrive leur importe ; à cet égard, l’animal est donc détenteur de droits, même si, bien
évidemment, il ne le sait pas, ce qui rend ainsi injustifiables aux yeux de l’auteur des
pratiques comme la chasse, la pêche, l’alimentation carnée, les cirques, les zoos,
l’élevage intensif, mais aussi l’expérimentation animale dans une perspective…
droit à l’université Rutgers (Newark, New Jersey) va même plus loin encore : « nous
médicale ou biologique ! Gary Lawrence Francione (2010), qui est professeur de
devons abolir – et non pas simplement réglementer – les pratiques établies d’ex-
ploitation animale, parce qu’elles supposent que les animaux sont la propriété des
humains ».
ter qu’en France aussi bien qu’en Espagne, jusqu’au XIXe siècle, les opposants aux
courses de toros n’envisageaient de les interdire que pour protéger des vies
humaines dangereusement exposées ». Il faudra néanmoins attendre 1884 pour que
Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904), alors ministre de l’Intérieur, donnât des ins-
tructions pour interdire les corridas en France. Une bataille acharnée entre partisans
de l’interdiction et opposants s’ensuivit qui culminera en 1890 quand Gaston
devant l’Eternel, vitupéra en plein Parlement : « On comprend que les hommes aient
Doumergue (1863-1937), futur Président de la République mais grand aficionado
si peu d’amis quand les animaux en ont tant ! » Un arrêt de la Cour de Cassation du
16 février 1895 jugea le taureau de combat comme animal domestique, ce qui le fai-
sait entrer dans le champ d’application de la loi Grammont. Cette dernière avait été
promulguée le 2 juillet 1850 par le général et député Jacques Philippe Delmas de
Grammont (1796-1862), lequel avait fondé la même année la LFPC (Ligue
Française de Protection du Cheval), qui existe toujours d’ailleurs. Cette loi portait
sur les mauvais traitements envers les animaux domestiques (ce qui écartait donc
initialement les taureaux de combat) et prévoyait amendes et peines d’emprisonne-
ment contre quiconque ayant commis, publiquement ou non, un acte de cruauté à
leur encontre. Elle fut complétée par la loi du 24 avril 1951 qui élargit son champ
quée » (article 453 du Code pénal). Une disposition identique d’exception, pour des
raisons similaires, concernera aussi les combats de coqs. Pour « enfoncer le clou »,
la tauromachie a été inscrite le 22 avril 2011 au patrimoine culturel immatériel de la
France par le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Mais le 24 septembre
2013, sous l’impulsion de Laurence Abeille, députée du Val-de-Marne, une propo-
sition de loi est déposée pour faire enfin appliquer à la corrida l’interdiction pénale
de sévices sur les animaux.
fiques ou expérimentales sur les animaux sans se conformer aux prescriptions qui
seront fixées par un décret en Conseil d’Etat », lequel ne sera signé que le 9 février
1968 et qui soumettra les personnes pratiquant expériences et recherche à une auto-
risation délivrée par une Commission spéciale (CNEA : Commission Nationale de
l’Expérimentation Animale) regroupant des représentants de l’Etat, de la société
civile (philosophes, sociologues, juristes), d’associations de protection animale et
des professionnels de l’expérimentation animale privée et publique : les expérimen-
tateurs devront tenir un registre spécial indiquant la provenance des animaux utili-
sés et des services d’inspection devront s’assurer des soins nécessaires ou propres à
éviter aux animaux d’expérience toutes souffrances inutiles et que leur nourriture et
ne aux animaux, en tant qu’ « êtres vivants et sensibles », un statut juridique diffé-
maux. Enfin, par la loi du 14 juillet 2010, l’article L214 du Code rural français don-
rent de celui sur les propriétés et marchandises – ils n’avaient que le statut de « biens
meubles » dans l’article 528 du Code civil napoléonien – sans toutefois remettre en
cause leur exploitation. Quant à l’animal dit de compagnie, ses droits se perdent
dans le maquis législatif, balloté entre Code pénal, Code rural, Code civil, Code de
la santé publique, Code général des collectivités territoriales et même… Code de la
route ! Aussi, le député et ancien ministre Frédéric Lefebvre a-t-il déposé le 6
novembre 2013 une proposition de loi visant à instaurer un statut juridique clair
pour cette catégorie d’animaux : changer le statut, donc les droits, aura ainsi plus de
portée pratique que de se contenter de modifier la terminologie des articles de lois !
ainsi pour les seules réalisations françaises L’Ours de Jean-Jacques Annaud (1988),
taires animaliers qui ont même rencontré un certain succès de fréquentation. Citons
pectées (Cyrulnik et al., 2013). Il est certain que les nombreux scandales sanitaires
té morale qui aboutira à ce que les lois qui protègent les animaux soient mieux res-
de ces dernières années ne sont pas non plus pour rien dans cet éveil des
consciences: pensons à la nausée soulevée par les holocaustes de bovins effectués,
par principe de précaution, lors de la crise dite de la vache folle ou de volailles brû-
lées pour cause de grippe aviaire (des images d’une grande force symbolique !) ou
encore celle provoquée par les lasagnes de cheval, scandale à la suite duquel
remarque acide de Mme de Staël (1766-1817) : « Plus je connais les hommes, plus
te à celui d’animal de compagnie. De quoi en tout cas abonder dans le sens de la
j’aime les chiens. » Mais ne nous leurrons pas non plus, car les conséquences pra-
tiques d’une telle reconnaissance entraîneront nombre de bouleversements aussi
bien dans les habitudes culinaires que dans l’exploitation de la chair ou de la peau
des animaux, et, bien évidemment, engendreront de fortes résistances économiques
et politiques (élevage industriel, recherche cosmétique, etc.).
Des incidences sociétales sont néanmoins déjà visibles. Le végétarisme occi-
dental, né en Angleterre en 1795 sous l’impulsion du révérend William Cowherd
(1763-1816) préconisant les principes de frugalité de l’Eglise adventiste du septiè-
me jour, puis diffusé aux Etats-Unis par les frères John H. (1852-1943) et Will K.
(1860-1951) Kellog, des quakers épris de médecine et producteurs de flocons de
(*) : article écrit avant la parution du décret n°2013-118 du 1er février 2013 qui interdit, dans l’en-
seignement secondaire, la dissection de la souris, mais par contre autorise des dissections d’animaux
invertébrés et vertébrés, dont les mammifères, susceptibles de faire partie de l’alimentation.
force est de constater que si le but est de faire avancer la recherche, l’expérimenta-
tion animale reste cependant nécessaire dans un certain nombre de cas pour lesquels
aucune autre alternative n’est pour l’instant disponible (par exemple la compréhen-
sion des mécanismes de la douleur, pour mieux soulager ceux qui souffrent d’algies
résistantes aux traitements connus aujourd’hui). Renoncer totalement à l’expéri-
mentation animale reviendrait alors à condamner des malades humains à ne pas gué-
rir. Il faut donc peser les intérêts : à partir de quand une maladie humaine est-elle
jugée suffisamment grave pour justifier l’expérimentation sur les animaux ?
L’utilité pour l’Homme est-elle moindre que le dommage causé à l’animal ? A ce
conflit des intérêts sont souvent proposées des pseudo-solutions : on ne veut pas
renoncer aux progrès médicaux, mais aucun animal ne doit souffrir pour autant ! Or,
ces deux buts sont pour le moment incompatibles, même si la règle des 3R semble
bien être une étape nécessaire vers une pratique plus éthique. En revanche, il existe
des domaines dans lesquels on pourrait arrêter totalement l’exploitation des ani-
maux sans aucun préjudice en termes de santé pour l’Homme, mais au détriment des
intérêts économiques de certains lobbies. C’est le cas par exemple de l’agriculture :
les produits et sous-produits animaux ne sont nullement indispensables à l’alimen-
tation humaine, pas plus que la peau des animaux n’est aujourd’hui nécessaire pour
se vêtir !
« La vie est la vie, que ce soit un chat, un chien ou un homme. Il n’y a pas de dif-
férence entre un chat, un chien et un homme. L’idée de différence est une concep-
tion humaine pour mettre l’homme à son avantage.» Aurobindo Ghose (1872-1950)
Références bibliographiques
BARATAY E. - Et l’homme créa l’animal : histoire d’une condition - Odile Jacob,
Paris, 2003
BERARD R. (Sous la direction de) - Histoire et dictionnaire de la tauromachie -
Collection Bouquins, Robert Laffont, Paris, 2003
CHAPOUTHIER G. - Au bon vouloir de l’homme : l’animal - Denoël, Paris, 1990
CONFUCIUS - Les Quatre Livres : Ta Hio, Tchong Ioung, Liun yu et Meng-tzeu -
Jean de Bonnot, Paris, 1979
CYRULNIK B., DE FONTENAY E. et SINGER P. - Les animaux aussi ont des
droits (entretiens réalisés par K.L. Matigon et D. Rosane) - Le Seuil, Paris, 2013
DELUMEAU J. - La peur en Occident - Fayard (Paris), 1978