L'écriture Du Silence Dans Hizya de Maissa BEY

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Centre universitaire BELHADJ Bouchaib

Ain Témouchent

Institut des lettres et des langues


Département des lettres et langue françaises

Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de master


Option : Littérature contemporaine

Sujet de recherche :

L’écriture du silence dans Hizya de Maissa BEY

Présenté par : Encadré par :


Mlle. MOUSSAOUI Halima Mme. AIT YALA Dya Kamilia

Devant le jury :

Présidente : Mme MAKRI Soraya, Maitre assistant (B), CUAT.

Rapporteur : Mme. AIT YALA Dya Kamilia, Maitre assistant (A), CUAT.

Examinateur : M. YOUSFI Chakib Khalil, Maitre assistant (A) CUAT.

Année universitaire : 2015/2016


Centre universitaire BELHADJ Bouchaib
Ain Témouchent

Institut des lettres et des langues


Département des lettres et langue françaises

Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de master


Option : Littérature contemporaine

Sujet de recherche :

L’écriture du silence dans Hizya de Maissa BEY

Présenté par : Encadré par :


Mlle. MOUSSAOUI Halima Mme. AIT YALA Dya Kamilia

Devant le jury :

Présidente : Mme MAKRI Soraya, Maitre assistant (B), CUAT.

Rapporteur : Mme. AIT YALA Dya Kamilia, Maitre assistant (A), CUAT.

Examinateur : M. YOUSFI Chakib Khalil, Maitre assistant (A) CUAT.

Année universitaire : 2015/2016


Remerciements

Je ne remercierai jamais assez Dieu, le Tout Puissant, de m’avoir donné le


courage d’élaborer ce mémoire

Au terme de ce modeste travail, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance, ma


gratitude et mes remerciements à mes chers parents qui m’ont imbibée d’amour et
d’affection, pour leurs encouragements constants, leur patience et leur confiance
en moi, jamais je n’aurais réussi sans eux, souhaitant être à la hauteur de leur
espérance.

Tous les remerciements ne peuvent combler ma reconnaissance à ma Formatrice,


Mme. Ait-Yala pour son aide, sa compréhension, ses encouragements, sa
gentillesse, ses conseils, sa disponibilité, sa patience, et pour tout l’intérêt qu’elle
m’a accordée

Je remercie également M. Brahim Tayeb qui m’a fait découvrir à travers ses
cours, les merveilles de la littérature. Et je ne remercierai jamais assez M. Yousfi,
M. Taleb et M.Benbrahim pour leur patience, l’encouragement et le suivi
continuel qui m’ont entourés tout au long de ce cursus.

2
Dédicace

Je dédie ce modeste travail à mes Chers Parents, à ma sœur


Nabila, à mes frères Nadir et Amine, et à ma Grand-mère.

Je dédie également ce mémoire à Amine le délégué le plus


dévoué qu’on puisse connaitre, à Ikram, à Rahma, et à
Khadidja,

À tous ceux qui ont contribués de prés ou de loin dans la


réalisation de ce travail Je pense en particulier à M. Mohamed
Lecheleche.

3
Introduction générale

4
« C’est ainsi.
J’écris aujourd’hui comme je lisais en ce temps là.
Loin de tout, mais en même temps avec eux, combler
le silence avec leurs voix avec leurs vies »
Maissa Bey, Mes Pairs

Le silence pour certain est paisible, pour d’autre, il est nuisible. Il est présent partout, on
peut le retrouver même au milieu d’une foule de supporters enthousiastes. C’est un état d’esprit.
De grands penseurs ont eu pour vocation le silence. Il trahit rarement lors des échanges avec
autrui et épargne les querelles, il est la clé de la prudence et le chemin vers la sagesse. Il peut se
révéler communicatif. La froideur, l’indifférence ou la négligence sont aussi produits par le
silence, le refus, la rébellion…. Tous sont communiqués par le silence. De là vient sa
complexité, c’est aussi une vertu que rare sont ceux qui arrivent à s’en accommoder.
En littérature, il est présent et insaisissable, ou du moins difficile à cerner. Il est à méditer, il
existe dans les poèmes, le théâtre, la nouvelle etc. Dans le roman, par exemple, il fut très présent
chez les écrivains du XIXe siècle spécialement chez Honoré de Balzac. Les moments de pause et
de description minutieuse furent interprétés comme des instants de silence. Dans le Dictionnaire
de la Mort, Philippe Di Folco dit que « le silence n’appartient qu’aux morts [et que] tel est bien
[sa] seule certitude »1. Effectivement, ce silence de mort, ce silence de la mort est celui
qu’impose l’absence ou la disparition. Dans la nature,
le son utilisant l’air pour circuler et se propager, il faudrait [pour qu’il y ait silence] des
espaces totalement privés d’air ; or par définition un espace privé d’air serait irrespirable.
Le silence est donc toujours un bruit, il n’est jamais vide de son. Ce que nous entendons
pas les sonomètres le capte, à l’instar de certains animaux. Il ne serait être absence de son,
mais plus prosaïquement absence de sa perception-le silence à des paradigmes
paradoxaux 2
Il existe, donc partout, et n’est jamais vide notamment dans le roman, certain le trouve dans les
pauses descriptives, d’autres, dans les personnages. Il est détectable même dans un discours.
Inconsciemment, un locuteur peu dire sans dire. C’est ce constat que tente d’exprimer Henri-
Jacques STIKER qui affirme qu’ «Hormis les faux silences, qui ne sont que bavardages avec
soi-même –le silence s'expérimente, mais ne se dit pas.»3Ainsi tous les silences ne font pas le
même bruit. Le silence peut jaillir sous toutes ses formes mais ce qui compte c’est de déceler ce
qui se murmure à travers les mots.

Ce thème si peu traité dans les écrits romanesques a suscité notre intérêt surtout par son
abondance dans les romans algériens et ce depuis la période coloniale. Malek Haddad, dans Je

1
Philippe Di Folco, Dictionnaire de la mort, édition Larousse, 2010, France, p963
2
Ibid., p 964
3
Henri-Jacques STIKER, encyclopédia Universalis, version numérique © EncyclopædiaUniversalis France
5
t’offrirai une gazelle, construit son texte autour du silence, celui des êtres, celui des espaces
désertiques, celui des temps suspendus. Et c’est à travers ces non-dits qu’il laisse entendre les
réelles intentions de son roman. Le silence est présent aussi chez Mohamed DIB qui lui donne
dans la Grande Maison une valeur sémantique à travers la profondeur de ses personnages.
Héritière de cette littérature, Maissa Bey convoque cette même écriture dans Hizya où
l’inaudible est sculpté par des mots et des voix muettes.
Maissa Bey écrivaine contemporaine, par ses écrits essaye de briser le silence, mais comment
Briser l’indécelable, c’est là que vient nous fasciner la magie de la plume beyenne. D’un point
de vue plus subjectif, les romans de cette romancière engagent toujours le lecteur et l’entrainent
dans sa trame narrative on ne se sent jamais seul avec ces romans car il nous parle, tout au long
de notre aventure livresque, des non-dits, des dissimilations, des silences à s’enivrer. Tous nous
sont livrés dans une intime relation qui se soude par la lecture. Les figures du silence sont
abstraites et sous-jacentes dans Hizya. Elles communiquent sans relâche, et laissent, au
destinataire, la tâche du dévoilement. C’est ces figures qu’il nous semble intéressants à travailler
afin de saisir les spécificités de cette écriture qui permet à la romancière de donner voix à
l’indicible et de dégager les finalités de cette écriture du non-dit. Comment se combine le
silence dans Hizya ? Selon quelles stratégies et modalités se manifeste-t-il dans le texte?

Le personnage ou le personnel fictif, c’est-à-dire le réseau des personnages présents dans le


texte, peut refléter la présence du silence dans ses échanges. En effet, un personnage peut avoir
plusieurs fonctions. Il peut assurer la narration, représenter un fait social, défendre une cause,….
Le personnage, à force de refouler ses pensées, peut se dévoiler à travers l’inconscient de
l’auteure. On peut également déduire que les projections du silence ont pour objectif de créer un
effet du réel dans le récit qui comporte d’innombrables images de la vie et de l’Histoire de
l’Algérie. L’écriture, quant à elle, a une force inépuisable de représenter l’abstrait, elle est le lieu
par excellence de la mise à jour du non-dit.
Notre étude s’appuiera sur deux disciplines, la poétique car elle se donne pour but
d’identifier les chemins qu’a pris un auteur pour exprimer ses idées ou pour organsiner les
péripéties de sa diègése, elle s’intéresse aussi au thème et aux sous-thèmes qui peuvent exister
dans un même texte, et la rhétorique qui étudie les discours qui sont très fréquents dans le
texte. Pour ce fait, nous nous sommes proposés de faire d’étudier les personnages, en effet le
personnel fictionnel s’avère pertinents surtout que le récit est conté à la première personne du
singulier, à relever que les multiples voix que comprend le texte ne peuvent être décelées sans
l’étude des personnages. Dans un second temps, l’écriture sera observée comme phénomène
d’éclatement des genres, un entrelacement de la prose, du vers et de scène théâtrale,

6
Chapitre I :
Un personnage ordinaire et hors pair

7
Avec l’arrivée du nouveau roman français, la critique littéraire a annoncé la disparition du
personnage. Cette mise à mort du sujet, ne semble pas avoir touché le roman maghrébin qui
aussi vaste que soit son évolution et aussi nombreux que soit ses thèmes fonctionne au gré des
personnages. Le lecteur peut tout ignorer d’eux leur identité, leur âge ou même leur prénom.
Mais cela ne diminue pas l’importance du personnage dans la diégèse car il s’impose par sa
présence, par ses pensées ou par ses actions. C’est un être de papier qui prend chair dans
l’histoire (la fiction).En littérature maghrébine, le personnage est et reste toujours un élément
primordial à l’œuvre littéraire.
Dans Hizya, l’héroïne est celle qui guide la narration car l’histoire est contée à la première
personne du singulier. En effet, le personnage existe plus par ses réflexions ou le personnage est
présent plus par ses réflexions, c’est ce qui sculpte le silence. On note, tout d’abord, que le
silence, dans son sens obvie, est l’absence de bruit. Dans le texte littéraire, il s’entend à travers
des graphies, il se ressent dans les discours des personnages. C’est lorsque les personnages
cachent ce qu’ils pensent qu’il prend forme en creux. Le silence est actif et présent dans le
récit.« Le silence est donc un espace ouvert dans lequel s'inscrit un acte énonciatif. Le silence
est un langage non-verbal sous-jacent au langage verbal »4. Le langage, en ses deux formes, est
décelable dans les réactions des personnages, leurs pensées, et leur réticence.L’aphonie présente
dans le texte est-elle identique chez l’ensemble des personnages ? En d’autres termes quels
messages porte le silence des personnages ? L’aphonie présente dans le texte est-elle identique
chez l’ensemble des personnages ? En d’autres termes quels messages véhicule le silence des
personnages en présence dans le roman ?

Hizya est le nom du personnage central, et aussi le titre du roman. Ce nom a, d’abord, une
fonction d’identification puisque, dans le texte, il permet de désigner l’héroïne et sa grand-mère.
Il a aussi une fonction référentielle puisqu’il inscrit le texte dans une identité culturelle précise,
celle de la « princesse des sables », la jeune fille pour laquelle fut composé puis chanté le
magnifique poème de Ben Guittoun
L’héroïne est hantée par le poème, elle découvre la légendaire Hyzia, d’abord, par le chant, puis,
ellecommence à faire des recherches sur toutes les versions existantes, à savoir, littéraire
(poème), cinématographique (film), et les diverses versions chantées par de nombreux artistes :

4
Véronique LABEILLE, « Le silence dans le roman : un élément de monstration »,inLoxias,04 septembre 2007, p.4
(URL http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=1883)
8
Je lis et relis le poème. J’écoute en boucle Hizya, la chanson interprétée par Abdelhamid
Ababsa. Puis par Kh’lifi Ahmed. Un chant proche du parler, qui se déroule comme une
mélopée. Avec une mélodie à la trame répétitive, envoûtante. J’aime surtout la voix du
chanteur, soutenue par la flûte qui épouse et précède les variations. Gasba et bendir.
D’autres versions existent. Plus récentes. Je n’y retrouve pas la même émotion. Sans
doute à cause d’un habillage orchestral trop moderne. Je visionne dans un cybercafé
quelques séquences d’une adaptation cinématographique de cette histoire d’amour
légendaire. Un film qui date des années 1970 (p33),

Je me demande pourquoi elle me hante, pourquoi le simple fait de découvrir ce poème,


d’écouter ce chant m’ont donné envie de me projeter au-delà des frontières qui me sont
assignées »(p.51)

L’admiration qu’éprouve le personnage pour son homonyme mythique est si grande qu’elle
finit par lui faire développer son gout pour les arts. La comparaison du chant à la mélopée lui
donne de la valeur avec une certaine exagération, étant donné, que la mélopée est le chant
antique qu’employer les poètes pour déclamer leurs poèmes. « Le personnage éponyme relève
cette absence de parole comme bruit discursif, mais écoute la musique qui produit cette
communication non verbale (..)La narratrice, impressionnée par cette présence aussi musicale
que silencieuse, poursuit par l’hyperbole en qualifiant cette musique de ‘’mélopée’’ »5Cette
assignation démontre l’intérêt que porte le texte au poème.
Le poème sert de leitmotiv qui alimente la volonté de la protagoniste à agir, à renaitre, notons
que des fragments du poème sont présents 15 fois tout au long du roman et à rythme régulier, et
que aussi, le poème dans sa totalité figure après la fin du récit en deux langues (la version arabe
et la version traduite par Louis Sonneck [1849-1904])

La protagoniste décide de vivre la même expérience amoureuse que l’héroïne légendaire,


notons que celle-ci, la Hizya du poème, était amoureuse de son cousin Sayed, cependant, malgré
le pouvoir de la tradition interdisant toute relation en dehors du mariage, ces amoureux
réussissent à braver les lois des coutumes et à se marier. Mais, malheureusement, la bien-aimée
de Sayed mourut trois jours après leur mariage, la douleur de l’absence de la défunte donne
naissance à un magnifique poème (qui sera écrit par l’amide Sayed : Mohamed Ben Guittoun) et
qui fera l’immortalité de cette aventure amoureuse. Aujourd’hui, cette histoire a pris les
caractéristiques de légende, la tombe de Hizya existe toujours et fait partie du patrimoine
national et surtout culturel car beaucoup de femmes qui n’arrivent pas à avoir des enfants après

5
Idem, p.4
9
le mariage et même les jeunes filles qui n’ont toujours pas de prétendant vont en pèlerinage
sur la tombe de la Princesse des Sables pour la bénédiction qui les aideraient à régler leurs
situations et à résoudre leurs problèmes, ainsi Hizya qui est un personnage fictif se réfère à
l’Histoire d’amour de personnes réelles, afin d’exister à travers l’aventure

« Les personnages (représentant) des personnes selon les modalités propres à la fiction »6, il
n’est pas étonnant de voir que l’héroïne tente de ressembler à la vedette du poème afin
d’échapper à la redondance du quotidien et vivre l’expérience qui lui permettra d’exister,le
personnage est présenté dans la fiction sur trois modes indissociable : l’aspect social, l’aspect
physique et l’aspect moral, nous avons réunit ces trois facettes sous le titre d’état civil et état
social des personnages, et nous avons privilégié le pluriel car le personnage central, avec toute
l’importance qu’il représente ne peut s’étudier isolément de son entourage

1. Etat civil et social des personnages :

Hizya est une jeune fille de 23 ans vivant dans la banlieue d’Alger, précisément à la Casbah
(le plus vieux quartier de la capitale) ayant une licence en traduction est un C.A.P de coiffure
(Certificat d’Aptitude Professionnelle en coiffure) qui lui permet de se faire embaucher comme
apprentie dans le salon de coiffure : « Belle, Belle, Belle », elle vit avec ses parents, ses deux
frères : Abdelkader et Boumediene, et sa petite sœur Kahina. Son père était cordonnier, il a
hérité ce métier de son père d’où toute la famille est connue sous le nom de sbabti même si le
père a changé de métier de cordonnier et a fini en brocanteur

« Et même si aujourd’hui mon père n’est plus cordonnier, c’est sous le nom de Sbabti que
notre famille est connue par les anciens habitants du quartier. Je sais que beaucoup de
voisins ignorent notre vrai nom de famille. « Tu es bien la fille du cordonnier ? » me
demandent quelques fois des commerçants du quartier chez qui je ne vais pas très
souvent faire des courses. En effet, je suis la fille du cordonnier. Un cordonnier qui est
brocanteur en réalité, et ce depuis près de vingt ans.7

Ces représentations figées par la société incarnent une certaine amertume ressentie dans les
propos de la narratrice, une image que ni la jeune fille ni sa famille ne peut changer, ça ne fait
certainement pas partie de leur état civil mais de leur état social, ce phénomène est présent en
notre société même après l’indépendance quelque noms renvoyant aux métiers hérités ou à un
caractère dont le grand-père fut réputé.

6
Vincent Jouve, l’effet du personnage dans le roman, Presses universitaires de France, coll PUF écriture, 2001,
Paris 10
7
Maissa Bey, Hizya, édition BARZAKH, 2015, Blida, p 153
10
L’environnement familial et social est décrit, dans le roman, avec une certaine déprime quand à
l’histoire de femmes algérienne, ne faisant pas d’elle une victime de l’homme mais responsable
de son statut et de son vécu, ce qui explique le détachement de Hizya des femmes de son
entourage, plus particulièrement de sa mère

Ils (ses frères) me servent de gardes du corps les soirs où je suis retenue un peu plus
longtemps au salon. Une condition posée par Ma mère, réticente, qui multiplie les
conseils et les recommandations d’usage. Ma mère, avec son flair de mère, qui sent
que sa fille pourrait échapper à tout contrôle. Si cela ne tenait qu’à elle… Ma mère
qui tient à me rappeler presque chaque jour, avec une obstination exaspérante, que je
ne suis qu’en liberté surveillée. (p 30)
(Ma mère et ses silences. Aussi vastes, aussi impénétrables qu’un secret de vierge
enfoui au cœur de la terre) ! Je ne sais rien d’elle, ou si peu. D’avoir longtemps vécu à
l’ombre de sa belle-mère l’a écrasée. Respect pudeur soumission silence obéissance
dévouement discrétion abnégation etc. Des mots béquilles dont elle a fait un chapelet
qu’elle égrène aujourd’hui sans relâche et presque mécaniquement à notre intention.
Les mots qui ont éteint toute lumière en elle. Ma mère. Une mère pour qui je ne peux
m’empêcher d’éprouver des sentiments contradictoires. « Jamais, non jamais je ne
serai comme elle », m’étais-je juré déjà toute petite. Ma mère et ses réactions
offusquées… Dressée à cacher ses émotions réelles, à rejeter toute incursion dans ce
qu’elle considère comme un domaine strictement privé : sa vie.(29p)
La question est : pourquoi à certains moments tu détestes ta mère, et pourquoi à
d’autres elle te fait… oui, elle te fait pitié ? Mais qu’est-ce que tu lui reproches au
juste ? (31p.)

La relation entre mère et fille est broyée par un manque de communication, une
incompréhension constante et permanente, l’hyperbole, « Ma mère et ses silences. Aussi vastes,
aussi impénétrables qu’un secret de vierge enfoui au cœur de la terre », décrit la grandeur du
silence dans lequel la mère renferme ses secrets inaccessibles. La protagoniste ne remet pas en
question l’amour de sa mère mais elle lui reproche surtout le statut de soldat discipliné et
studieux toujours aux services de la belle-mère, une suite de comportements exposés en
assonance« Respect pudeur soumission silence obéissance dévouement discrétion abnégation ».
Ce lexique appuie l’image de la belle-fille modèle, qui pour Hizia, jeune fille de l’ère moderne,
conviendrait plus à l’esclave modèle. L’ambigüité des relations est fréquente dans l’écriture
beyenne

11
La femme que l’on trouve au centre de l’œuvre des préoccupations de l’auteure – elle
affirme à différentes reprises qu’elle écrit « contre le silence », pour « donner une voix à
celle qu’on a toujours voulu détruire »-est aussi cette mère que nous montrent certains
textes. Là encore, le tableau n’est pas très orthodoxe : les mères que l’on « voit »
échouent d’une certaine façon à établir une relation avec leurs enfants. Il est intéressant
d’observer que la peinture faite des mères chez Maissa Bey est très différente de celle que
l’on trouve généralement chez les écrivains algériens pour lesquels elle est une des
figures idéalisées et quasi sacré. Dans Au commencement… , la mère de Nadia qui aime
ses enfants (cela n’est jamais remis en question dans ce roman) est incapable de
communiquer avec eux : on touche ici à cette incommunicabilité que l’on retrouvera dans
les rapport homme/femme, thème fondamental de l’œuvre à laquelle il donne sa
coloration un peu amère8
On trouve encore l’incommunicabilité entre mère et fille dans Surtout ne te retourne pas ,une
scène que raconte la narratrice Amina(personnage central) sur sa mère reflète parfaitement
l’écart qui existe dans cette relation sensée être plus fort et plus solide
(Dans la séquence suivante Amina imagine la réaction de sa mère après sa fugue)
là, maintenant, très nettement, je vois le visage de ma mère. Son délabrement
progressif….ses marmonnements. Ses imprécations. Ses malédictions « que Dieu
maudisse le jour où tu as été conçue….. » est une de ses préférées. Elle m’est
exclusivement réservée. Elle résonne si souvent à mes oreilles que je l’entends très
distinctement mêmequand elle se contente de me regarder en silence 9
Dans Hizya, la jeune fille se jure depuis sa tendre enfance de ne pas ressembler à sa mère.
L’image de cette dernière est pour elle un échec total, les mères et les filles par leur réactions les
unes envers les autres ne manifestent pas seulement le silence, elle le dépasse « il n’y a pas de
silence il y’a plutôt l’évocation des voix, des cris si caractéristiques des femmes
algérienne »10Cette figure, le produit de la société, est mise en mots dans cette fiction : les liens
familiaux sont tissés de maltraitance et maladresse. Ce fait s’explique par la situation des
familles algériennes, qui étaient avant et pendant le colonialisme, conservateur et soudées, le
lien familial était sacré
L‘univers familial est largement représenté dans le roman (maghrébin) avec son décor, la
maison-forteresse ou labyrinthe, lus vaste et plus peuplée, plus close aussique la maison
européenne, même à la compagne ou dans les quartiers pauvres des villes; avec ses
personnages nombreux grands-parents, oncles, tantes, cousins…, avec ses deux pôles
paternel et maternel, le premier tout de douceur et de protection, d’ignorance naïve et de

8
BOUDA Mohamed Taleb, l’écriture du silence chez Maissa Bey, éditions du Tell, 2007 Blida, p41
9
BEY Maissa surtout ne te retourne pas , édition barzakh , 2005 ,Blida, p48-49.
10
Eva Martonyi, Silence et absence dans le récit d’enfance de la littérature maghrébine, revue d’étude littéraire
N°14, p158,2009, (http://cief.elte.hu/sites/default/files/article_martonyi_eva.pdf)
12
sagesse empirique, c’est le côté du passé et de la tradition légendaire ;le second,tout
autorité parfois despotique c’est le côté de la loi religieuse et de la norme sociale, de la
vie professionnelle de la politique et de l’histoire11.
Après plus d’un siècle de colonisation française, certains influencés par la civilité et la laïcité du
colonisateur ont définitivement renié leurs origines et accepté leur « naturalisation» dans la
société française, d’autres, soucieux ou de peur de se perdre dans le monde de l’autre, ont choisi
de conserver avec force leurs mœurs même contre la volonté de l’état français, cette
catégorisation a créé une dislocation au sein de la famille algérienne « la cohabitation des deux
cultures, l’entrée dans les familles musulmanes de l’instruction laïque à la française, l’influence
combien tardive mais combien puissante de la télévision occidentale ont contribués à saper le
soubassement de l’ordre ancien. Ce qui est vrai pour la société tout entière vaut particulièrement
pour la famille : la cellule familiale est en crise »12, la narratrice tente de donner une définition
au mot « famille », après avoir exposé deux définitions qui ne semblaient pas adéquates à sa
famille la troisième parait convenir « Famille : ensemble d’individus dont chacun ne donne à
voir que la partie éclairée de lui-même. Quand il n’est pas totalement enfermé dans sa bulle. »
(p75).
L’adverbe totalement révèle qu’en majeur partie du temps les proches ne sont que
PARTIELLEMENT ouverts aux autres membres de la famille, réuni sous le même toit ne
signifie pas forcément des relations familiales solides.
« La littérature maghrébine porte témoignage(….) les œuvres exposent avec force l’image de
moins complaisante, plus déchirée, plus vraie aussi dans sa violence et sa complexité »13dans les
romans de Bey, ces représentations de familles disloquées sont fréquentes. Ces relations ne
concernent pas seulement la paire mère/fille, mais aussi père/fille, homme/femme, frère/sœurs,
c’est de cette incommunicabilité que les non-dits surgissent, : que le silence fait du bruit pour se
faire entendre.

2. Des personnages intermittents :


La narration à la première personne du singulier entraine le lecteur dans la fiction. Par son
savoir-faire, l’auteure accorde à la narratrice la possibilité de faire du lecteur un confident
auquel elle dévoile ses rêves, ses pensées et ses opinions même sur les membres de sa famille.
Chaque individu est présenté dans son univers particulier. Le père brocanteur, fils de cordonnier,
chante toujours la gloire à la guerre d’indépendance, au point de se dissocier du présent :

11
NOIRAY Jacques littérature francophone 1. Le Maghreb, édition BELIN, coll SUP lettres, 2008, Paris p46-47
12
Idem NOIRAY Jacques, littérature francophone 1. Le Maghreb, p46
13
Idem, NOIRAY Jacques, littérature francophone 1. Le Maghreb, , p47
13
Mon père. Un homme de son temps. Avec toutes les caractéristiques viriles des hommes
de son temps. Moustache sévère et regard tranchant sous des sourcils très fournis. Bourru
austère. Incapable de transiger sur son rôle et sa position et de chef de famille. Sur le
principe. Dispose d’un droit de regard sur tout ce qui concerne sa famille. En principe. Le
plus difficile pour nous, dans la maisonnée, est de continuer à lui donner l’illusion que
toutes les décisions émanent de lui. Bien sûr, nous sursautons tous quand il tape du poing
sur la table pour imposer le silence. Nous baissons la tête et esquissons prudemment un
mouvement de recul quand il crie. Certains de ses éclats sont encore spectaculaires.
(…)Mon père. Vétéran, comme bien d’autres, d’une guerre qu’il n’a pas faite, et pour
cause ! Il est né le jour même du déclenchement de la guerre de Libération, le 1er
Novembre 1954.(p52-53)

« Un homme de son temps » répété au pluriel est une figure d’amplification construite sur le
redoublement du même lexique pour mettre en relief le caractère des hommes des générations
précédentes. Les traits correspondants à cette catégorie d’homme sont dépeints de manière
sublime Moustache /sévère relier entre le concret et l’abstrait (la moustache _ trait physique,
sévère _ trait moral) nous dresse le tableau où la moustache était signe de maturité masculine,
de dévouement aux difficultés de la vie. La gravité, la sévérité et responsabilité, tous les atouts
nécessaires à gérer une famille, même s’il figure comme un malheureux baron nationaliste de
la guerre de libération, il ne perd pas tout à fait le contrôle sur son foyer quelque éclatements
suffisent pour remettre l’ordre ou le silence14tel qu’il est dit dans le texte. Le Père est l’image
permanente du passé, un passé bien déterminé dans le temps dès le déclenchement de la guerre
de libération et quelque années après l’indépendance. « Mon père, compteur arrêté aux
premières années de l’Indépendance.» (p.39)

Cet attachement excessif au passé forge encore plus la dislocation au sein de la famille, ainsi cet
éloignement cède à l’absence, et au détachement.« Le père ne le voit pas. Le verrait-il qu’il ne
le comprendrait pas. Enfermé dans l’évocation et la glorification du passé, il a de plus en plus de
mal à reprendre pied dans le présent. » (p.77)
Le passé en lequel s‘est enfermé le père fait fuir ses enfants, en raison de l’écart des deux
périodes et les changements de la nature des relations. Le pays qui autrefois fut colonisateur
n’est, de nos jours, pas plus qu’un pays européen avec lequel notre pays entretien beaucoup
d’échange commerciaux, en plus la dictature familiale paternelle offre rarement des chances de
discussion, ou l’entamassions de débats libre en génération les enfants écoutent, appliquent


Silence dans ce passage ne renvoie pas à notre objectif de recherche renvoyant à l’incommunication, c’est une
connotation signifiant le rétablissement de l’ordre ou la discipline au sien de la famille
14
subissent sans aucune forme de dialogue,« Il faut que je fasse un détour pour ne pas passer
devant le magasin de mon père… » (p.52)

La jeune fille préfère prendre le long chemin pour éviter les longs discours de son père. Son
frère Abdelkader, quand à lui, est très discret :
Abdelkader, lui, est bien moins présent que son aîné. Mentions à porter sur la fiche : surnommé
par les parents « le courant d’air » ; spécialiste des réponses monosyllabiques
(oui/non) ; participe très peu à la vie familiale ; se contente le plus souvent d’être
présent aux repas du soir. Une présence silencieuse, mais attentive.(…)et je sens bien
que son détachement n’est qu’apparent. C’est un peu le souffre-douleur de mon père,
qui ne cesse de l’apostropher dès qu’il en a l’occasion et qui, les jours de colère,
déverse sur lui toute sa rancœur. Ces jours-là, Abdelkader se contente de l’écouter, les
yeux baissés(…) Trop de silences. Trop de dissimulations. Il y a tant de choses qu’on
ne dit pas. Qu’on ne peut pas dire. Qu’on ne peut pas se dire. Abdelkader n’est pas
heureux. Cela crève les yeux. Mais on ne parle pas de ces choses-là en famille. Chez
lui, la part d’ombre a presque tout envahi. Elle brouille et recouvre l’image que nous
avons de lui. Ne subsiste que celle d’un jeune homme qui peine à trouver sa place
dans la famille. Mais aussi à trouver une place dans un monde qui rejette tous ceux
qui, comme lui, n’ont pas d’outils pour creuser une brèche et s’y introduire . P 76-77

Même le jeune homme subit en silence, probablement parce qu’il est sans emploi, mais cette
présence abstraite du frère au sein de la famille ne représente pas une négligence mais une
forme de respect, un silence qui sert de pacte qui met des limites entre les membres de la
famille. Ce silence peut être pesant, ce personnage joue presque le rôle du fils/frère négligent,
l’air de se soucier de rien, mais en réalité il écoute, voit, et pense en silence, l’environnement
familial est censé être le lieu le plus sûr, le plus confortable où l’individu puit se confier,
réagir, agir sans avoir à penser aux jugements des autres, devient une institution d’apparence
zen et au fond des normes les plus rudes et les plus absurdes.
Cette discrétion n’existe pas seulement dans l’environnement familial, elle devient un
phénomène social. Riyad, par exemple, un jeune homme que Hizya rencontra dans un
magasin où elle s’était décidée d’acheter un téléphone portable, avec qui la relation devient de
plus solide chaque fois qu’ils sortent ensemble. Les non-dits sont toujours maître de la
situation « Riyad ne m’a encore fait aucune déclaration. Nous nous voyons de temps à autre. Il
se sent bien avec moi. Je n’en sais pas plus sur ses sentiments. »(p175)

15
L’adverbe encore marque un laps de temps indéterminé mais une action probable, même si le
jeune homme n’exprime toujours pas ses sentiments à Hizya, celle-ci garde espoir, et pense que
ceci arrivera un jour.
Une collègue au salon, Leila, divorcée avec deux enfants, est aussi une figure de discrétion.
Après des années de travail au salon de coiffure, ses collègues ne savent toujours rien sur
les raisons de son divorce
Elle ne nous a jamais vraiment raconté son histoire. p138
Les raisons de son divorce nous restent inconnues. P139
Garder les détails de sa vie privée est un droit dans la société, mais dans la fiction il nourrit la
curiosité du lecteur, ainsi le lecteur participe à l’action et se met à déduire ces secrets, leurs
donnant de la valeur : dans un salon de coiffure où les femmes discutent de leurs vies, de celle
des autres, les professionnelles (coiffeuses) animent et alimentent ses discussions même si
elles ne s’y intéressent pas vraiment car les clientes se trouvent plus alaises, et aussi soulagées
de pouvoir discutées de tout sans tabous ni préjugés
Cet espace, le salon de coiffure figure dans un second roman de Bey Surtout ne te retourne pas.
Après le séisme, une jeune coiffeuse avec toute son équipe, occupent une tente dans les camps
des sinistrés et offrent des services gratuits à toutes les femmes victimes du tremblement de
terre, Khadidja
c’est elle qui, la première, sans qu’aucun des psychologues et autres docteurs de l’âme
présents sur les lieux ne le lui suggère, a eu l’idée qui a transformé toute l’ambiance au
camps(...)des séances de coiffure et d’esthétique à l’intention de celles, jeunes et vielles, qui
en exprimeraient le désir (p121)
On vient même des camps voisins certaines femmes peuvent même attendre des heures
assises tout autour de la tente. Beaucoup amènent avec elles thé, café, petits gâteaux, en ces
moments partagés, certaines se surprennent à rire, à se laisser emporter par une contagieuse
envie de bonheur 15 (p124)
Après le drame du séisme, beaucoup de gens ont perdu le gout à la vie. Ces femmes eurent
le privilège de s’en remettre plus aisément, car les salons de coiffure dans les récits beyens
sont considérés comme lieux de confession, lieux où l’on peut se défouler de toutes ses peines,
ses pensées et ses désirs ; tel est aussi le cas dans Hizya. Entourée de beaucoup de discrétion,
le lieu de son travail lui donne l’opportunité d’observer des femmes s’exprimaient sans
complexe. Rappelons que la protagoniste s’appuie aussi sur le poème qui lui sert
d’échappatoire.

15
Bey Maissa, Surtout ne te retourne pas, édition Barzakh , 2005, Alger p 121/124
16
3. Portrait d’une Hizya à travers l’Autre :
Portrait physique et moral du personnage central :
Aussi singulier qu’il soit, le portrait d’un personnage ne peut en aucun cas dépendre de
l’être en question, c’est un tissage de plusieurs éléments : le regarde du Moi sur lui-même, le
regarde de l’autre sur le Moi, la toile que peint l’auteur pour son personnage les actions et
réactions du Moi face aux divers situations données 16Hizya (PC) était grande de taille, si grande
qu’on n’oubliait pas de lui faire remarquer ce trait. « Trop grande, dit-on autour de moi sur un
ton désolé, qui voudra de toi ? »17
La grandeur de sa taille, selon son entourage, minimiser ses chances d’avoir un mari, car pour
dans la société, dès qu’une jeune fille atteint la vingtaine, on commence à s’interroger sur sa
situation et l’on cherche même ce qui a pu causer cette ajournement, mais Hizya (PC) ne
réagissait pas à ces réflexions qu’on faisait sur sa taille car ceci coïncide avec la grandeur de la
taille de Hizya (Poé), ainsi les commentaires des autres renforçaient l’envie de la protagoniste
de vivre cette idylle. S’ajoute à sa taille ses yeux noirs, son nez fin, ses pommettes bien pleines,
et son teint brun

On ne dit jamais de moi : « Elle est belle. » On dit : « Elle a de beaux yeux.»[…] Les
yeux, peut-être. Très sombres sous des cils très fournis. Étroits et légèrement bridés. Rien
à voir avec les grands yeux en amande des belles Orientales. Un nez fin et des pommettes
saillantes complètent le tableau. Détails sans importance. « Quand tu souris, tes
pommettes hautes te font ressembler à une Japonaise qui fait la grimace », m’a dit un jour
une de mes tantes que j’aimais bien jusque-là.

[ …]Celle-ci s’était exclamée en me voyant : « Une fille ! Et brune de surcroît ! » Ma


mère, de carnation claire, mariée à un homme au teint clair lui aussi, venait de donner
naissance à une petite fille brune, très brune.(p 69)

Le personnage-narrateur ne fait pas un autoportrait mais se base sur le discours direct rapporté
des autres personnages, tout en exposant sa réaction face à certains commentaires le
protagoniste ainsi construit révèle sa vision sur lui-même, les mécontentements signifient que
les remarques faites ne répondaient pas aux attentes de Hizya. Cette stratégie du portrait raconté
par un « je » rapportant le discours des « ils » est extraordinaire et hors du commun «… le cas le
plus flagrant est celui des narrations à la première personne (les récits autodiégétiques, selon la
terminologie de G.Genette) où le héros-narrateur est rarement amené à faire son autoportrait. Le
« je » est le personnage littéraire le moins déterminé qui soit. Pour cette raison il est le support

16
Le Moi : le personnage principal Hizia
17
Idem P14
17
privilégie de l’identification »18 La romancière par son savoir-faire a su instaurer l’image de
personnage-narrateur par les divers moyens : tantôt par les discours direct-rapportés, tantôt par
les pensées de l’héroïne face aux commentaires de l’entourage. Hizya est à la recherche d’un
soi vigoureux, elle pouvait s’inspirer de sa grand-mère, mais cette Mamie a juste bien rempli ses
tâches et ainsi elle eut le statut de femme de foyer, obéissante, toujours au service de sa famille
et de sa belle-famille, mais aussi : une belle-mère très vigilante. Elle n’a jamais bravé les
interdits et jamais fait d’Histoire, chose présente dans le poème de Ben Guittoun.
Le portrait d’un personnage est très important pour le lecteur : il peut appréhender les traits
moraux à travers les traits physiques. L’héroïne Hizya cherche à s’identifier à son héroïne Hizya
(Poème), autrement dit, le personnage central cherche tous les points convergents entre lui et
son idole, notons encore que les deux sujets sont enracinés dans la même tradition et dans la
même religion dans deux ères différentes. Ce rapprochement sur le plan physique permettra à la
protagoniste de se lancer dans l’aventure, une aventure basait sur une histoire du passé devenue
légende avec le temps. C’est l’impact que manifestent les deux portraits (Hizya personnage
central, et Hizya légende) qui produit un effet miroir. Le tableau ci-dessous met ce processus au
clair

Hizya héroïne du roman Hizya Héroïne du Poème

Les yeux, […]. Très Sombres P67 La belle aux yeux noirs, P151
Yeux

Points communs
Trop grande p 14Je suis grande. La fille d’Ahmed Ben el Bey
p70, Je mesure presque dix éclipsait toutes ses compagnes,
centimètres de plus que mon père.[…] semblable à un palmier
Mes frères m’ont d’abord surnommée
Taille

qui, seul dans le jardin,


« Sloughi». Puis « Girafe ». Et enfin « se tient debout, grand et droit. p14
Jument ». Un terme souvent employé
pour qualifier les femmes qui ont du
caractère. P71
Hizya. C’est aussi mon prénom. L’âge auquel, selon le poète et les
Age et prénom

Ce prénom est celui d’une femme qui témoins qui ont rapporté son histoire,
fut follement, éperdument aimée p10 Hizya, la princesse des sables, l’antilope
Je m’appelle Hizya. J’aurai bientôt du désert, s’est éteinte dans les bras de son
vingt-trois ans. P11 aimé, il y a de cela près d’un siècle et
demi. P11

18
Vincent Jouve, L’effet du personnage dans le roman, Presse Universitaires de France, coll PUF écriture, 2001,
Paros, P52
18
Je suis grande. Mince. Brune. P70 Hizya, la reine des belles !

Point divergent
Ma mère, de carnation claire, mariée Admire ce cou plus blanc que le cœur du
à un homme au teint clair lui aussi, palmier.
Le teint venait de donner naissance à une Ton corps a la blancheur et le poli du
petite fille brune, très brune. P69 papier, du coton
ou de la fine toile de lin
ou encore de la neige tombant par une nuit
obscure.P68

Le lien génétique des deux prénoms identiques et l’âge de Hizya 23 ans, tout comme celui
de « la princesse des sables » est l’élément moteur premier par lequel s’enchaine la narration de
manière à lancer l’objectif à atteindre dès l’incipit, s’ajoute aux deux éléments déjà cités les
yeux et la taille c’est par ces éléments convergents que Hizya décide de s’engager dans
l’aventure pour vivre l’amour immortel. Chaque trait physique commun avec son modèle est
élément qui nourrit sa passion pour le poème, même si le teint fait défaut
Le portrait de Hizya est dressé sur: la vision que lui porte les autres, généralement des réflexions
négatives, et les traits communs entre le portrait fait dans le poème et son apparence physique,
qui dans ce cas-là, sont des atouts de charme et de beauté. Ainsi la jeune fille se pencha plus sur
le poème dans sa quête identitaire19, l’évocation de la grandeur de la taille des deux Hizya révèle
un caractère moral représenté par une figure zoomorphique : une jument par sa grandeur
symbolise la détermination et la ténacité d’une femme, dans le poème: la grandeur et la droiture
du palmier reflètent le caractère de l’antilope du désert, ce décor saharien démontre que les
femmes du sud étaient dotées de bonté. Les traits moraux de la princesse des sables sont
inexistants dans le poème, Hizya se réfère alors à l’adaptation filmique de l’épopée, mais la
représentation ne répondait pas à ses attentes
L’actrice qui campe le personnage de Hizya est belle. Elle pourrait ressembler à Hizya la
légendaire. Du moins à l’idée qu’on peut se faire de la beauté des femmes du Sud. Je la
vois tout autre cependant. Moins larmoyante. Plus forte. Plus résolue. Même si l’auteur du
poème n’évoque à aucun moment son caractère. Sans doute ne doit-on retenir d’une femme
que sa beauté. (p.34)
Les réflexions de la protagoniste sont parfaitement logique : une jeune fille du sud, du début du
XIXe siècle, faisant face à sa famille pour défendre son amour doit être forte est battante, chose
qui ne figure pas dans les séquences jouer par l’actrice

Comme déjà cité auparavant le narrateur autogiègétique ne fait pas son portrait lui-même sa
description se fait hors de sa volonté, Hizya était peu bavarde et très distante dans la famille,

19
Cette quête identitaire est primaire, la protagoniste s’efface puis se reconstruit pour exister
19
cette image date de son enfance. Tout comme son idole, la protagoniste est un être d’exception
car son caractère est étrange et son comportement dans son environnement familial est bizarre

Il est très probable que mon père et ma mère ont eu peur. Ma mère surtout. Peur de ce
qu’ils pressentaient en moi. Il paraît que toute petite je pouvais bouder pendant des jours
entiers si je me jugeais injustement punie. Je ne pleurais jamais. Pas même lorsque
j’étais frappée. Ce qui avait le don d’énerver un peu plus mon père. J’étais donc une
fillette qui ne réagissait pas comme les petites filles de son âge et de sa condition. Qui
ne voulait pas rentrer dans le rang, même quand on l’y poussait à grands coups de pied.
(217p)

Cette froideur inquiétait les parents et annonçait, dès son jeune âge, la rébellion. La jeune fille ne cédait
pas au fouet de son père, il parait même que si l’enfant était discrète, ses parents n’avaient aucun
pouvoir sur elle, le silence s’exploite même comme une arme d’autodéfense.
La neutralité des réactions peut révéler un détachement de l’être, c’est ainsi que chez un personnage se
développe les valeurs dominantes dans la société, dans la fiction, le sujet chargé de s’interroger sur les
clichés ou les stéréotypes sociaux est généralement le personnage principal.

4. Effacement du je et reconstruction du Moi :

Le je de la narration disparait au fur et à mesure qu’il s’identifie au poème ou à d’autre pôle.


Hizya a grandi comme nous l’avons déjà cité dans un milieu familial où la dissimulation et le
silence règnent, ceci a sans aucun doute un impact sur sa vie. Sa vision du monde qui l’entourait
, tout semblait gris et noir. Elle était perçue par sa mère comme une fille mélancolique. Le je il
occupe une fonction déterminée dans le récit comme narrateur, ou personnage central, ou assure
les deux rôles à la fois. Le Moi est le sujet qui se construit en progression avec la narration. Le
Moi est un je qui évolue, s’efface et se reconstruit.

Elle est tellement différente de sa jeune sœur Kahina ! Pourtant, elles ont été portées par le
même ventre. (…)Mais Hizya est tellement différente! Même de ses cousines. Si obéissantes.
Si adaptées à leur milieu. Pas compliquées. Avec les pieds bien sur terre. Ma belle-mère, que
Dieu ait son âme, aurait dit qu’elle est comme un poisson qu’on aurait enduit de savon.
Insaisissable ! » (…) Une façon subtile de compléter mon portrait. (…)L’explication donnée
par ma mère était la suivante: d’après ses calculs, il lui semblait bien que la petite en
question, moi, avait été conçue, elle s’en souvenait encore, le jour de l’assassinat du
président Boudiaf, le 29 juin 1992 – j’ai vérifié depuis l’exactitude de la date. Ce soir-là, le

20
père est rentré à la maison fou de rage et de douleur. On venait d’exécuter l’un de ses
héros. » (p.219)
« Le résultat est là. Bien là. J’aurais donc été conçue un jour de deuil et de colère. »p221
La séquence ci-dessus fut narrée lors de la visite de l’une des amies de sa mère. Hizya entend
cette conversation par hasard, un vocabulaire aussi dévalorisant venant d’un être aussi cher ne
fait qu’alimenter le besoin de disparition chez l’héroïne, même la grand-mère ne manquait pas
de signaler l’anomalie de sa petite fille en la comparant à un poisson dans l’eau, cette figure
zoologique peut se lier à cette zeugme « Pigeon vole ! Hizya vole ! Quelque part, la mer. Je
l’entends respirer malgré les rumeurs de la ville. »(p15). Le vol est la figure la plus marquante
de l’effacement le je qui tentant de changer tout au long du récit devient évanescent.

Le jour où la fille fut conçue coïncide avec le décès du président Boudiaf et le poème aussi fut
déclamé un jour de deuil car il a été écrit en l’honneur de la défunte Hizya et les paroles du
poème furent le baume de la douleur de l’absence que ressentie Sayed, son bien aimé. La mort
comme moyen de revivre. « La croyance en la grandeur d’une mort volontaire, c’est qu’on
pense en s’y livrant être le maitre de sa fin alors qu’on refuse ce faisceau« d’atteindre le centre
ou nous nous retrouverions dans ce qui nous excède » »20. Comme l’on peut gérer la mort, il
serait aisé de gérer la vie aussi, chose que Hizya tente de faire : mourir pour renaitre, la
déconstruction est en elle-même un renouvellement de ce qui était déjà construit. La scène
suivant relate un instant où la jeune fille étendait le linge sur la terrasse
Déplier, secouer, accrocher. Déplier, secouer, accrocher.
(…)À moi maintenant. Je me déplie, je me secoue, je lève les bras, haut, très haut. Et si je
m’accrochais au ciel ? Pas folle, pas vraiment. (pp15-16)

La protagoniste s’applique les mêmes opérations qu’elle faisait en tendant le linge. Une figure
d’insistance en gradation montre que les actions se répètent de manière progressive. Cette image
représente, tout comme le linge, une façon de recommencer depuis le début. Une fois le je
déconstruit et réduit, que prévoit de faire la protagoniste ? et comment va-t-elle parvenir à ses
fins ?
Rappelons que Hizya éblouit par le poème souhaite vivre la même idylle, va-t-elle s’appuyer
uniquement sur la légende (ou le poème)

D’abord, notons que Hizya ne voudrait pas ressembler à sa mère, elle a peu de renseignements
sur la légendaire Hizia (le poème élégiaque révèle beaucoup de traits physiques et l’histoire

20
Europe, revue littérare mensuelle, « Blanchot par Antoine Volodine » , N° Aout-Septembre 2007 p 7
21
d’amour des deux jeunes gens, mais ne révèle rien sur le caractère moral). De ce fait, la
protagoniste ne peut s’appuyait sur le poème uniquement ceci est révélé en termes claires par la
narratrice :

Je sais, en mon for intérieur, je sais bien que la légende de Hizya n’est qu’un
prétexte.(…) je n’ai d’autre réponse que celle qui me force à voir l’étendue du vide qui
m’entoure. L’aridité de la vie qui m’attend. (p.51)

Le réel objectif de l’héroïne est d’échapper à la redondance du sort qui lui semble fatal,
semblable à celui de sa mère, de sa grand-mère, de ses amies, et de toutes les femmes qui ont
accepté toutes ces charges. Pour échapper à cette fin l’unique moyen est de renaitre. « J’attends
le point de rupture de l’équilibre. Le chavirement. L’enfin re-connaissance. »(p146)

Le besoin de se reconstruire est immanent. Exprimé par un pléonasme, suivi de néologisme afin
de donner plus de force à l’expression, le chavirement qui est reversement, complèterait la RE-
connaissance, le préfixe ajouté à connaissance exprime le retour au point de départ, ou la remise
des compteurs à zéro pour un nouveau départ. « L’auto-destruction par contradiction entre le
propos et son objet, décalage entre aventure et ce qu’on sait de la vie »21

La protagoniste sait qu’il ne suffit pas de renaitre, la situation à laquelle elle échappe par son
effacement ne s’effacera pas et ne changera pas sans que l’héroïne ait à affronter son entourage,
de la surgit la contradiction « L’aridité de la vie qui m’attend./ J’attends le point de rupture de
l’équilibre. Le chavirement. L’enfin re-connaissance. » D’un côté, la fatalité du sort qui lui est
réservé, de l’autre, le renouvellement, deux pôles antonymes sur l’axe de l’attente.

Cette déconstruction/reconstruction réfère aussi à une quête identitaire menait par la narratrice,
une quête exceptionnelle : elle ne consiste pas vraiment à répondre à la question « Qui suis-
je ? » mais plus à : puis-je vivre (comme bon me semble) ?, ou puis-je aimer ? Puis-je dire ce
que je pense quand je veux et à qui je veux ? Ce questionnement ne signifie pas une diminution
de la liberté d’expression, mais une inquiétude permanente de l’être sur son paraitre, la vision de
l’autre à un impact sur l’individu surtout que cette vision peut évoluer au pluriel et donc inclure
une société entière, pas uniquement une minorité « le collectif n’est jamais absent du destin

21
Louis Jean François, La nausée, roman du silence, in Littérature, N°75,1989. La voix le retrait, l’autre <<
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1989_num_75_3_1497
22
individuel »22. Ainsi, Hizya ne peut s’aventurer à réaliser ses fantasmes sans se soucier de la
réaction de son entourage.

Ce qu’il faut retenir c’est que chaque personnage use du silence en fonction de son statut au sein
de la famille : la mère s’en sert pour accomplir son rôle de mère, le père s’enferme dans le passé
pour échapper au présent, Hizya, quand à elle, fait du silence un refuge. Le poème comme
« prétexte » ne réduit pas son impacte dans la reconstruction, la protagoniste s’inspire des récits
des femmes au salon, et sa relation avec Riyad, ces éléments fonctionnent comme un leitmotiv
qui permet à l’héroïne de poursuivre sa quête, et reconstruire le Moi, notons que le Moi est
comparable -si l’on peut dire- à la quête du héros des contes classiques, ce héros (le « je ») a un
objectif (construire le « Moi »), pour l’atteindre il rencontre des péripéties, des problèmes. A la
fin il peut arriver à ses finalités comme il peut échouer.

22
Eva Maronyi, silence et absence dans le récit d’enfance de littérature maghrébine, revue d’étude française N°14
,2009, p 158.
23
Chapitre II :

L’écriture de l’éclatement

24
« La pensée est silencieuse car elle est rhétorique, c’est-à-dire métamorphose des figures
du langage, fiction. (..) Le penseur est graphiste, calligraphe, scribe, secrétaire»23 Maissa Bey
véhicule plusieurs pensées, en une seule fiction Hizya. La narratrice ne cesse de se confier dans
la narration, elle se confie avec des pensées de contradictions diffuses, de plus en variation
immanente d’interlocuteurs occupe de texte, un langage très varié, des genres multiples, un
passé toujours présent, ceci nous amène à nous interroger sur cette écriture qui use de toutes les
couleurs et de tous les styles, est-ce par excès de zèle que la romancière puise dans tout les
sens ? ou est-ce par épuisement du langage (tout les genre utilisés se suffisent plus) ne comble
pas le besoin de mettre en mots l’indicible ?

1. Les jeux du « je » :

Hizya est un personnage présenté, dans la fiction, comme tout personnage fictif ordinaire :
aucun pouvoir surnaturel, aucune action inhabituelle ou exagérée. Dans le récit autodégiétique,
Hizya est le moteur de la diégèse car elle guide la narration, les voix sont multiples et le je du
narrateur ne se contente plus de raconter l’histoire, il incite l’interlocuteur inconnu à participer
dans le récit et à réagir.
Pittoresque ? Vous avez dit pittoresque ? Il y a, traqués par les appareils photos des
touristes.(p.36)
Vous avez dit humanité ? « Ce n’est pas à nous de le faire », disent les uns. (p.39)
Pourquoi pas ? Je voudrais simplement savoir. Savoir ce qu’est précisément cette forme de
folie. Celle qui jaillit d’on ne sait où, qui déferle, qui vous emporte et qui fait que vous vous
laissez emporter sans la moindre résistance. Une lame de fond qui vous submerge avant de
vous rejeter sur un territoire inconnu : l’autre. (p.50/p51)
Il suffit que l’on s’aperçoive que quelque chose ou quelqu’un pourrait vous échapper pour
qu’aussitôt cette éventualité devienne insupportable. (p.176)

Ces passages sont la preuve que la narratrice s’adresse au lecteur car le pronom employé est la
deuxième personne du pluriel «vous». Il peut renvoyer à une marque de respect, mais dans cette
situation il désigne le pluriel et sous-entend un discours abstrait. « Vous avez dit », le passé
composé démontre que le vous aurait déjà émis son propos et le je le commente, « Le narrateur

23
Yves Ouallet, Le silence, l’écrit. Vie secrète, les silences de Pascal Quignard ", in,Loxias N°18, Pmis en ligne le
28 février 2011.( http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6577)

25
incarnerait la voix du lecteur réel, ‘’cet éternel Aphasique ‘’Il détient un rôle de premier plan
(dans le texte et, métaphoriquement dans le hors-texte).»24Cette appellation convient
parfaitement à ce lecteur présent mais éternellement muet « cet éternel aphasique ». Dans le
troisième passage, et dans la même perspective, le narrataire demande l’avis ou tente de
convaincre son interlocuteur d’approuver l’expérience qu’il tient à vivre, « Pourquoi pas ? Je
voudrais simplement savoir(..)de folie (..)et qui fait que vous vous laissez emporter (…) » Le
verbe de volonté au subjonctif exprime le souhait. Quant au dernier passage, le narrateur y incite
son interlocuteur à partager ses émotions et ses pensées. Cette présence insaisissable de voix
crée une communication sous-jacente du texte avec le hors texte
Une autre instance narrative est présente dans le texte, différente de la première, et plus
fréquente aussi, celle-ci se manifeste par une voix anonyme, elle emploie le discours direct pour
s’adresser au je de la narration par un Tu, ce qui retient l’attention, c’est que les deux voix (je
/tu25) progresse en parallèle et en contre sens. Tous ces passages (de la voix) sont en italique et
figurent en séquence régulière ; ce qui démonte leur impact sur la narration, par exemple, quand
Hizya décide de vivre l’aventure, le Tu (ou la voix qui s’adresse au protagoniste) critique
sévèrement, parfois même avec ironie, les projets de la jeune fille:

L’énonciation du je Le discours du tu
Je m’appelle Hizya. J’aurai bientôt vingt-trois Ainsi donc, tu as décidé de tout mettre en œuvre
ans. L’âge auquel, selon le poète et les pour vivre… vivre quoi ? Répète un peu ! Tu es
témoins qui ont rapporté son histoire, Hizya, la sérieuse ? Une histoire d’amour ! Rien que ça.
princesse des sables, l’antilope du désert, s’est C’est à hurler de rire. Heureusement que personne
éteinte dans les bras de son aimé, il y a de cela près ne t’a entendue. Une histoire d’amour, dis-tu ? Et
d’un siècle et demi. Depuis que j’ai entendu ce pas n’importe
chant, repris dans maintes versions musicales, laquelle : belle et tragique, n’est-ce pas ? Tant
depuis que j’ai découvert qu’à faire ! Attends, attends, on va sortir les
qu’il avait été écrit en hommage à l’amour violons et les mouchoirs. Tu ne serais pas restée
que portait un homme, bien réel, à une femme, trop longtemps tête nue au soleil ?(…=
bien réelle elle aussi, j’ai décidé de tout mettre en Tu te repais de ces grands mots, trop grands pour
œuvre pour vivre une histoire d’amour. Moi aussi. toi, p18
p12
Dans les deux passages le thème traiter est le même, quoique la narratrice évoque le poème avec
éblouissement et admiration, jusqu’à même en faire un modèle à suivre alors que la voix, usant du
registre de la satire : ridiculise avec violence les propos de la protagoniste, elle réduit les réflexions du
jeau maximum, ce qui est aussi remarquable : ce sont les signes de ponctuation récurrents et propres au

24
Aline Mura-Brunel, Silence du roman, Balzac et le roman contemporain, édition Rodopi, 2004, New York.p25
25
Le pronom «tu »seras attribué à La voix de l’inconscient vu l’ambiguïté de sa détermination
26
discours oralisé, en effet les points de suspension, des amplifications ( la répétition du verbes attendre et
du verbe vivre), et les interrogations. Sont des mécanismes exploiter lorsque l’auteur tente de rapporter le
discours des personnages tel qu’il est produit à l’oral afin de donner plus d’effet, ce n’est pas le cas ici,
car il s’agit d’une voix inconnue, et les marques de l’oralisassions ne font que renforcer l’énigme de cette
présence
Après mon premier jour de travail, dès que je suis Alors Hizya-Liza, ça fait mal, hein ? Ça fait
rentrée chez moi, j’ai placé dans une grande boîte à quand même un peu mal. Tout ça, toutes ces
chaussures mon diplôme de traduction et tous mes années d’études et d’illusions pour… pour échouer
cours. Dans une autre boîte, j’ai mis mes livres et dans un salon de coiffure. Apprentie coiffeuse ! Tu
mes dictionnaires. P24/25 dois définitivement effacer, enterrer l’image de la
« Comment tu t’appelles ? — Hizya. — Ah ! jeune interprète affairée et sûre d’elle, en tailleur
On dirait pas ! — Ah bon ? Pourquoi ? noir, chemisier blanc et petits talons, qui s’agite
— C’est un prénom de vieille, je trouve. » dans les couloirs et les salles des congrès
Puis-je dire à cette femme qui me jauge d’un oeil internationaux ou des ambassades. Tu croyais
acéré, puis-je lui dire tout aussi brutalement, en la pouvoir faire exception à la règle ? Tu le savais,
regardant droit dans les yeux, que j’aime mon quand même, que des jeunes filles chômeuses
prénom diplômées, il y en a autant que de jeunes hommes.
-« Tu pourrais changer… changer de prénom… je Sauf qu’elles ne sont pas toute la journée dehors à
veux dire ici, au salon. Comme les autres filles. tenir les murs. Moins visibles donc. Moins
Sabrina, Soraya… ce serait plus… plus moderne. remuantes aussi. Et, contrairement aux hommes, à
Ce fut finalement Liza. Avec un Z, comme dans la maison, elles, elles ne chôment pas. Tu en sais
Hizya. quelque chose!

Le prénom de la jeune fille est Hizya, mais une fois embauchée au salon de coiffure, la patronne
lui trouve très vite un pseudonyme Liza. Malgré son mécontentement, l’héroïne garde le silence,
elle ne dit rien, et c’est par ce pseudonyme qu’on l’interpelle au boulot. La voix rappelle au je
qu’il ne fera jamais exception à la règle, l’emploi d’adverbe définitivement démonte la fatalité et
l’agressivité de cet inconscient qui ne cesse de critiquer tout ce que la protagoniste fait, ou tente
de faire ou pense

Ce déboulement se manifeste comme une autocensure, l’hypothèse suivante peut s’y


mettre : cette voix semble être le discours d’une schizophrénie développer chez le personnage
central, en effet Hizya comporte un amalgame de contradiction paradoxal : elle s’inspire du
passé et n’aime les récits de la guerre de libération de son père, elle cherche à imiter mais jamais
sa mére, elle voulais trouver un homme qui, comme elle aime la poésie, dés qu’elle le croise,
elle refuse d’entamer une relation avec lui

27
Je n’ai pas mis beaucoup de temps à m’habituer à ma nouvelle identité. Et puis, plus le
temps passe, plus j’ai l’impression étrange, mais loin d’être désagréable, de me
dédoubler au moment où je franchis le seuil du salon. Liza, c’est l’autre, celle qui
répond à chaque appel de la patronne(p22).

Encore un dédoublement en la vie personnelle et professionnelle de Hizya : L’attribution d’un


pseudonyme semblait lui déplaire. Mais, par la suite, s’est le déboulement qui l’arrange,
toujours en changement perpétuel de points de vue et de position

2. Récit factuel, récit fictionnel :

Le récit imaginaire ou le récit fictionnel ne se dissocie pas du réel, Gérard Genette met en
place des deux acceptions (récit factuel et récit fictionnel) dans son ouvrage Fiction et diction où
il dit
je voulais à titre provisoire et d’une manière plutôt théorique ou du moins plus
apriorique les raisons que pourrait avoir le récit factuel et le récit fictionnel de se
comporter différemment à l’égard de l’histoire et dans un cas (sensé
être) ‘' véritable »et dans l’autre ‘’fictif ‘26
Même si le roman réaliste vise à restituer la réalité le plus fidèlement que possible, le réel surgit
même dans les romans de science-fiction, où l’imaginaire est l’élément le plus présent, le réel y
est incarné, il peut être visible dans le discours des personnages, les valeurs dominantes dans le
récit, etc. Dans Hizya, la représentation du réel est si forte qu’un lecteur non averti, classera le
texte dans la catégorie des autobiographies
Je m’appelle Hizya. J’aurai bientôt vingt trois ans. L’âge auquel, selon le poète et les
témoins qui ont rapporté son histoire, Hizya, la princesse des sables, l’antilope du
désert, s’est éteinte dans les bras de son aimé, il y a de cela près d’un siècle et demi.
Depuis que j’ai entendu ce chant, repris dans maintes versions musicales, depuis que
j’ai découvert qu’il avait été écrit en hommage à l’amour que portait un homme, bien
réel, à une femme, bien réelle elle aussi, j’ai décidé de tout mettre en œuvre pour vivre
une histoire d’amour. Moi aussi.
Ce serait une histoire qui pourrait me donner l’illusion d’exister, ne serait-ce qu’aux
yeux d’un seul homme. Loin de moi l’idée d’entrer dans la légende. Peut-être juste en
faire un film. Ou un livre. (p. 12)

26
Gérard Genette, Fiction et diction, édition le Seuil, 1990, Paris, p143.
28
Dans ce passage, le personnage fictif de Hizya tente de vivre la même aventure que l’héroïne
du poème pour lui donner l’illusion de vivre, comme si que le personnage fictif avait conscient
de son être de papier et essaye d’exister réellement.

Nous allons au Salon du livre, aux Pins Maritimes. J’écoute un auteur en conférence. Il dit que
la littérature est forcément le reflet de la société dans laquelle elle émerge. Il dit aussi qu’elle
se fait l’écho, parfois malgré elle, des rêves, des frustrations, des cris des hommes et des
femmes de cette société. Ailleurs, un autre écrivain dit que les graffitis sur les murs sont des
messages, des cris d’amour ou de désespoir. (p 237)
Les récits contés à la première personne du singulier ne sont pas toujours ses récits
autofictionnels, cependant on ne peut nier qu’il existe quelques fragments autobiographiques et
aussi réels « la littérature est forcément le reflet de la société » dans un récit fictionnel émane à
la fois de la vérité générale et de l’autobiographie car l’auteure occupe jusqu’à nos jour la chair
universitaire de la faculté des langues et science humaines et sociales à l’université de Sidi-Bel
Abbés. La littérature comme reflet du réel est un fait argumenté et prouvé en littérature, La
chanson du poème interpréter par Abdelhamid Abebsa existe, l’auteure s’inspire encore du
poème et renforce l’impact du factuel,
Une « autobiographie au pluriel » est tissée dans le texte par les récits de femmes au salon, et
ceux de la mère et de la grand-mère se rassemblent et produisent un écho qui raisonne « le
statut de la femme dans la société »
L’inspiration d’un événement du passé n’est pas une expérience nouvelle chez Maissa Bey, dans
Surtout ne te retourne pas, la fiction est construite sur le séisme qui a frappé Boumerdés en 2003

3. Occurrence du passé :
Le texte est riche des noms de personnages historiques : D’autre noms de personnages
référent aussi au passé, les prénoms « Boumediene » et « Abdelkader », attribués aux frères de
Hizya, sont des noms de personnages historiques algériens et symboles nationaux. En effet, le
nationalisme prime dans l’atmosphère familiale, surtout dans le discours du père adepte de
« notre passé révolutionnaire ». L’attribution de ces noms fut à la mémoire de l’Histoire du
pays, car l’ancien président Houari Boumediene était un homme d’Etat fort et tenace, toujours
en défense de la cause arabo-musulmane, Emir Abdelkader, parmi les premiers à avoir résisté à
la colonisation française, était un poète, philosophe soufi, et politicien, toutes ces fonctions lui
donnent un trait de sagesse en plus de sa révolte contre la conquête de l’Algérie. « Boumediene
et Abdelkader (ainsi nommés en hommage au président défunt et à l’Émir, cela va de soi »
(p.54)

29
Boumediene a –dans le roman- le statut du bon fils aimable et sociable et moins silencieux que
Abdelkader , mais à l’égard de toute attente Abdelkader s’est avérait plus ouvert d’esprit.
Lorsqu’il croise sa sœur Hizya avec Riyad au Jardin d’Essai à El Hama, il ne réagit pas alors
qu’un jeune algérien condamnera cette situation, la moindre des choses étaient de le dire aux
parents. Abdelkader par contre était choqué de voir l’expression du visage de sa sœur (on aurait
dit qu’elle a vu un montre), celui-ci ne dit rien, au contraire c’est le seul personnage qui rompe
pour une fois le silence au sein de la famille et décide de se confier à sa sœur :

-Écoute ! Je tiens à te dire d’abord que quand je t’ai vue, j’ai… enfin… j’ai… Je ne parle
pas de ce que tu faisais là-bas, ni avec qui, ni pourquoi. C’est ta vie
- Tu comprends, la responsabilité du grand frère, la confiance des parents, la réputation de
la famille… tout ce qu’on te met dans la tête depuis que tu es tout petit…- Et puis… pour
tout te dire, depuis quelque temps, j’ai une copine, moi aussi, et il nous arrive de sortir
ensemble. Et cette copine a des frères qui… »
Jamais, non jamais je n’aurais pensé entendre de tels propos de la part de ce frère si
distant, si secret, si peu habitué aux épanchements (p 270)
La surprise de Hizya fut immense, et on dirait qu’un personnage aussi silencieux et absent au
sein de la famille peut se révéler le plus raisonnable parmi tous. Briser le silence ne fut pas
aussi simple que cela, le recours aux suspensions récurrentes est un précédé rhétorique qui
consiste à laisser entendre des sous-entendus. Il faut noter que sur le plan social cette discussion
(ou cette confession du frère à la sœur) est très rare, voire inexistante entre les frères et les
sœurs. Il serait exagéré de faire référence aux deux personnages historiques

Répugnassions du modernisme, ou du moins lorsqu’il nuit au traditionnel ou au classique :


J’aime surtout la voix du chanteur, soutenue par la flûte qui épouse et précède les
variations. Gasbaet bendir. D’autres versions existent. Plus récentes. Je n’y
retrouve pas la même émotion. Sans doute à cause d’un habillage orchestral trop
moderne. (p.33)
Le rapport au passé dans le texte est obsessionnel. Tantôt la protagoniste y exprime une
répugnassions quant aux récits de la révolution contés par son père, tantôt, elle y cherche la
noblesse, ou une histoire d’amour semblable à celle qu’elle voudrait vivre, donc elle puise dans
le passé lointain et choisit les récits de femmes qui ont su vivre et affronter pour exister. La
recherche, dans l’Histoire, des renseignements sur son idole retiennent l’intention surtout
qu’il est rare de trouver des ressources bibliographiques sur la légendaire Hizya
Hizya, née dans l’oasis de Sidi Khaled près de Biskra, en 1855 selon les calculs
des historiens, et morte à vingt-trois ans, était une Bédouine Issue d’une tribu

30
nomade, elle n’a jamais connu.la contrainte des espaces clos. On dit qu’elle fut
convoitée (p86).

Ces détails sont secondaires à sa quête, mais cette soif insatiable de tout savoir sur l’autre
l’amène à chercher même dans ce qui ne l’aiderait pas dans son parcours
Le père de Hizya ou le gardien du passé était brocanteur, donc entouré des mystères du passé,
des objets, des images, des histoires, revoyant tous à la guerre de libération nationale, son
obsession était si puissante que sa fille pensa que l’image de deux martyrs était celle de l’un de
ses proches. L’image est fixée par une date relatant un événement historique marquant, la
Casbah fut encerclée par l’armée française en cette année
J’ai d’ailleurs longtemps cru – puisque les photos de deux de mes grands oncles
morts pendant le siège de la Casbah en 1957 figurent dans ce panthéon paternel –
qu’ils faisaient partie de notre famille (p54).

Le quartier « El Casbah » est un référent spatial à relever c’est l’un des quartiers les plus
anciens de la capitale, antérieur même à la période Ottoman, la narratrice la décrit
minutieusement, et utilise l’expression suivante « C’est aussi l’usure. L’usure du temps. »(p35)
Encore un rapport obsessionnel avec le passé, elle le voit ainsi surement parce qu’il est tellement
ancien qu’il risque de s’effondre à n’importe quel moment. «L’éloignement temporel qui sépare
le lecteur des écrivains de jadis n’est pas un frein à la communication; le taciturne ne parle que
comme à regret : ‘’il met en terre la possibilité des voix’’ ».27
Mais elle n’oublie pas de citer les chansons Chaabi (genre de musique traditionnel)et le
chardonneret ou l’oiseau connu sous le nom de Maknine.

4. Ecriture fragmentaire :

Entrelacs de discours, cette écriture rassemble plusieurs genres et ne ressemble à aucun


Françoise Susini-Anastopoulos, dans son ouvrage l’écriture fragmentaire, explique ce
phénomène
le recourt à la forme fragmentaire s’inscrit dans le sillage d’une triple crise ⦋…⦌et à
laquelle on peut identifier la modernité: crise de l’œuvre par caducité des notions
d’achèvement et de complétude, crise de la totalité, perçue comme impossible ⦋…⦌qui a
permis au fragment de se présenter ⦋…⦌comme alternative plausible et stimulante à la

27
Alexandre Eyries, " Pascal Quignard : la voix du silence ", Loxias 14, p 4 mis en ligne le 13 septembre 2006.
((http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=1220)
31
désaffection des genres traditionnels jusqu’à s’imposer comme la matrice même du
Genre28
Cette écriture émerge de divers genre est immanente dans le roman car le texte est comprend les
fragments de poème, une séquence théâtrale,

4.1. Théâtre :
L’écriture de Bey revêt différents aspects d’écriture, le fait qu’elle ne se limite pas à un
genre, le roman par exemple, mais qu’elle privilège aussi la nouvelle, et ne néglige pas la
poésie montre l’exploitation de tous moyens pour l’exprimer les réflexions du personnage,
l’écriture dans un roman peut se faire théâtral29les séquences relatives au cinéma et au théâtre
laisse penser que la romancière exerce un excès de zèle :
Hizya et Sayed. Scène 1 Attention, on tourne.(p89)
Ravages de la jalousie, premier épisode. (p 176)
Épisode deux : Quelques jours après la réception du dernier message, (p178)
Troisième épisode : Mon téléphone sonne. (p178)
Ma mère : « Le fils de Saléha la voisine a trente ans. C’est sa sœur Karima qui me l’a dit
l’autre jour au marché. C’est le bon âge pour…»

Boumediene : « Kamel, le fils de Saléha notre voisine, vient d’acheter une voiture. Une
Mégane blanche, toutes options. Et neuve ! Hier soir, je l’ai vu la garer dans le hangar de
Nouri, le mécanicien, (p79)
Cette écriture est propre au théâtre : les deux points précédés du nom du locuteur sans verbes
introducteur ces caractéristiques sont propres à l’écriture théâtrale. Celle-ci s’étale dans le roman
sur cinq pages sans intervalle (de la page 79 à la page 84) ces passages racontent la venue d’une
voisine qui voulait demander la main de Hizya. Tout l’entourage de Hizya parlait du fils de cette
voisine avant même qu’elle ait l’intention de venir vers eux.

4.2. Poésie :
Le vers est présent presque dans tout le texte, 15 fragments y sont intégrés, sans compter les
deux versions du poème de Guittoun (arabe et française) présent dans le para-texteà la fin du
roman.
Hizya, la reine des belles !
Admire ce cou plus blanc que le cœur du palmier.
Ton corps a la blancheur et le poli du papier,

28
Françoise Susini-Anastopoulos, Ecriture fragmentaire, Presses Universitaires de France - PUF, 1997, France, p2
29
Bouda MohammediTabti, l’écriture du silence, Maissa Bey, éditions du Tell, 2007, Algérie , p63
32
du coton
ou de la fine toile de lin
ou encore de la neige tombant par une nuit obscure. (p68).
Ces passages qui surgissent souvent dans le roman servent de pause qui apaise la pensée
permanente, tel qu’un retourne au source lorsque la protagoniste perd le nord « le poème est un
mouvement de langue qui retient son souffle, engendrant des silences».30

Les effets de juxtaposition, de rupture ou de glissement que permet cette structure éclatée fait
alterner les récits à la première et à la troisième personne multipliant (les voix) les narrateurs (et
les interlocuteurs)introduit dans le récit des fragments de poème, et fait de son personnage un
objet insaisissable et perdue, gravitent les désirs, les rêves, les souvenirs, les changements
continuels de voix et les variations de points de vue traduisent.

« Recourir à l’écriture pour combler les vides, pallier les marges et les insuffisances, creuser,
creuser jusqu’à atteindre le lieu ou prend forme l’insu de soi. Ecrire dans l’oubli de soi,
prodigieuse contradiction ! »31 C’est la crise du genre romanesque désormais incapable
d’exprimer la pensée ou mettre en mots les vestiges des silences.

4.3. Ecriture de notation :

On entend par écriture de notation : des définitions et des énoncés ponctués par des tirés,
faisait allusions à des mises au point ou des explications nécessaires pour un terme comme
famille

Famille : ensemble de personnes vivant souvent mais pas toujours sous le même toit.
Liées par le sang et par une communauté d’intérêts. Définition commode. Suffisamment
vague pour qu’on s’y retrouve. (p75)
Connaissance :
1. action ou fait d’apprendre quelque chose par l’étude ou la pratique ;
2. action ou acte consistant à établir une relation avec quelqu’un. C’est ça. Nous faisons
connaissance. (p156)

La définition du mot famille, il existe encore dans le texte deux autres définitions différentes
de celle-ci qui essaye de trouver un sens à la famille où elle vit et où règne l’incommunicabilité

30
Alexandre Eyries, " Pascal Quignard : la voix du silence ",Loxias 14, mis en ligne le 13 septembre 2006.
31
Maissa Bey, l’Une et l’Autre, suivi de Mes Pairs, édition barzakh, 2010, Blida, p63
33
Pour le terme connaissance, cette notation suit la scène où elle rencontra Riyad et où elle eut
beaucoup de mal à commencer une conversation avec lui, après quelque sortie elle ne réussit
pas à définir leur relation mais elle était sure que cela ne s’est pas encore développer en
relation amoureuse, « dessinent juste un archipel de phrases, de suggestions, de possibilités
inépuisées sur un vaste fond de silence ». Ce dernier n’est pas paisible, mais résonne d’une
«polyphonie de souffles »32

Par épuisement des moyens d’expressions, la romancière exploite tout son savoir-faire pour
mettre en mot ce qui n’est pas audible, un tissage entre les genres se mêle à la narration sans
nuire à sa construction, le roman est un genre berceau qui réunit le mieux tous les genres, on
peut trouver la poésie, le théâtre, et mêmes des récits emboités en un roman, mais un seul
genre ne peut contenir le roman.

Maissa Bey transgresse toutes les normes afin de défouler tous les silences, un éclatement
extraordinaire se déverse une multitude de voix anonymes, un passé immortel et toujours
d’actualité, du réel dans la fiction, une exagération dans l’exploitation du langage rendent
évident, l’incapacité de tous les genres à remplir le vide et le silence.

32
BOGHDAN Veche, Sylvie Germain : l'écriture de l'attente, UNIVERSITÉ CLERMONT-FERRAND II,2011,
p28
34
Conclusion générale

35
Hizya, roman de pensées, est l’espace incontournable des non-dits, d’abord par
l’incommunicabilité au sein de la famille, une dislocation des relations des êtres vivants sous le
même toit, chaque membre se renferme dans sa bulle et chacun à une image de l’autre :un
frère distant, une mère silencieuse, un père vivant éternellement dans l’Histoire, ces
personnages sont silencieux à la maison, mais bavard ailleurs :le frère se livre plus à ses amis,
la mère aussi, quand à Hizya et son père, il reste tout les deux prisonnier de leur sphères, l’un
gardien du passé, l’Autre idole d’un poème, le seul au siège familial à avoir véritablement
briser le silence est Abdelkader. Des lieux de bavardages existe aussi, et sont réservés aux
femmes le salon de coiffure et la cour de la maisonnée ou la mère se confesse à ses amies. Le
personnage beyen est très représentatif, il parait ordinaire et se dévoile au fur et à mesure que
l’on avance dans la narration, l’exceptionnel de la protagoniste se mesure dans le faite qu’elle
trace son chemin par la recherche et les expériences des autres femmes.

Le roman de l’incipit jusqu’à la fin peut se lire de deux manière différentes : c’est un récit
circulaire du moment où la protagoniste fait du poème son être même « c’est peut-être en moi
que le poème danse »(p11) une incertitude exprimer par la locution (peut-être). Vers l’incipit
« je finirai bien par oublier le poème » (p279). Le début se prolonge à la fin, le poème est un
référent -le nord dans une boussole- Ce retour à la case départ, démontre la circularité. Une
autre lecture s’impose: la protagoniste en voulant vivre l’idylle qui fera son immortalité fait le
vœu de vivre une histoire qui ferait l’Histoire : « j’ai découvert qu’il avait été écrit en
hommage à l’amour que portait un homme,(..) j’ai décidé de tout mettre en œuvre pour vivre
une histoire d’amour. Moi aussi. Ce serait une histoire qui pourrait me donner l’illusion
d’exister, ne serait-ce qu’aux yeux d’un seul homme. Loin de moi l’idée d’entrer dans la
légende. Peut-être juste en faire un film. Ou un livre (p12) » il s’agirait d’une continuité qui
fonctionne du texte à l’hors texte, le vœu de la protagoniste est exaucé et le produit final est
entre nos mais c’est le roman qui ne raconte pas l’histoire amoureuse triste et tragique mais le
récit d’une fille qui meurt pour renaitre pour se reconstruire afin de se réconcilier avec son
présent.

L’éclatement de l’écriture manifeste un manque en matière, tous les genres ne suffisent


plus, à exprimer la charge émotionnelle refoulée, le je se multiplie, des voix surgissent de
partout « l’écriture de Maissa Bey porte une inquiétude continuelle, un soucis présent dans tout
ses romans : la construction de soi après une épreuve chaque héroïne porte en elle en sorte ’’
36
d’angoisse créatrice’’ dans le sens ou une fêlure venue du passé l’amène à vouloir se
(re)construire et fait d’elle une porteuse de voix »33

33
Safia Latifa Mezali,Ecriture de l’éphémère, écriture de soi et écriture de la perte dans l’oeurvres de Maissa Bey,
in SocleS N°2, janvier2013, Alger, p85
37
Bibliographie

38
1. Corpus :
 BEY Maissa, Hizya, édition barzakh, Blida, 2015
II. Autres œuvres de Maissa Bey :
Entretiens
 BEY Maissa, «A contre silence» Recueil d'entretiens et de textes inédits - Ed. Parole
d'Aube, Alger,1999.
Romans
 BEY Maissa, Au commencement était la mer, Ed. Marsa Alger, 1996 .
 BEY Maissa, Nouvelles d'Algérie Ed Grasset, Alger 1998
 BEY Maissa, Cette fille-là, Roman, Ed de l'Aube, 2001 - Prix Marguerite Audoux.
 Bey Maissa, «Entendez-vous dans les montagnes...» Récit, Ed. de l'Aube et Ed.
Barzakh, 2004
 BEY Maissa, surtout ne te retourne pas, édition Barzakh, Blida, 2005.
 Bey Maissa, Bleu Blanc Vert, édition Barzakh, Blida, 2006
Recueil de poème :
 BEY Maissa,«Sous le jasmin la nuit» Ed. Barzakh, Blida,2004.

Récit autobiographie et essai :


 BEY Maissa, L’UNE ET L’AUTRE suivi de Mes Pairs, édition barzakh, Blida, 2010.

II .Documents consultés cités et non-cités :


a. Articles :
 CHAABANI Nacima, une œuvre à double voix, in El Watan, N°7629, le mercredi 4
novembre 2015. P11.
 GROSSMAN Evelyne, MAURICE BLANCHOT,in EUROPE ,N° 940-941, Août-
Septembre 2007, p5-12.
 METAOUI Fayçal, entretien avec AMEZIANE Ferhani « Notre littérature n’est pas
suffisamment à l’écoute de la société »in El Watan week-end, vendredi 23 octobre 2015
p18.
 MEZALISafia Latifa, « Ecriture de l’éphémère, écriture de soi et écriture de la perte
dans l’œuvre de Maissa Bey » in SocleS, N° 2p82-96, Janvier 2013.

39
b. Articles numériques :
 EYREIS Alexandre, Pascal Quignard : la voix du silence,Loxias N° 14, mis en
ligne le 13 septembre 2006. Url http://revel.unice.fr/loxias/index. consulté le 29
mars 2016.
 LABEILLE Véronique, Le silence dans le roman : un élément de monstration,
Loxias N°18, mis en ligne le 04 septembre 2007, Url
<http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=1883> consulté le 4 février 2016.
 LOUETTE Jean François, la nausée roman du silence, in Littérature, N°75, mise en
ligne1989, p3-20
 MARTONYI Eva, Silence et absence dans le récit d’enfance de la littérature
maghrébine,in Revue d’Études Françaises N° 14 (2009)
Url<http://cief.elte.hu/sites/default/files/article_martonyi_eva.pdf> consulté le 20
décembre 2015.

III. Œuvres littéraires, Ouvrages théoriques et critiques :

 GENETTE Gérard, Fiction et diction, édition le Seuil, 1990, Paris


 JOUVE Vincent, l’effet du personnage dans le roman, Presses universitaires de France,
coll PUF écriture, 2010
 MURA-BRUNEL Aline, Silence du roman, Balzac et le roman contemporain, édition
Rodopi, 2004, New York.
 NOIRAY Jacques, littérature francophone 1. Le Maghreb, édition BELIN, coll SUP
lettres, 2008, Paris

IV. Thèse de doctorat :


 BOGHDAN Veche, Sylvie Germain : l'écriture de l'attente, UNIVERSITÉ
CLERMONT-FERRAND II,2011,
V. Usuels :

 DANTZIG Charles, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Ed Librairie générale


française, 2009, France
 DI FOLCO, Philippe Dictionnaire de la mort, édition Larousse, 2010, France,

40
Table des matières
Introduction générale ................................................................................................................................. 4
Chapitre I : ................................................................................................................................................. 7
Un personnage ordinaire et hors pair .......................................................................................................... 7
1. Etat civil et social des personnages : ........................................................................................... 10
2. Des personnages intermittents : .................................................................................................... 13
3. Portrait d’une Hizya à travers l’Autre : ....................................................................................... 17
4. Effacement du je et reconstruction du Moi : ................................................................................. 20
Chapitre II : .............................................................................................................................................. 24
L’écriture de l’éclatement ........................................................................................................................ 24
1. Les jeux du « je » : ....................................................................................................................... 25
2. Récit factuel, récit fictionnel : ...................................................................................................... 28
3. Occurrence du passé : ................................................................................................................... 29
4. Ecriture fragmentaire :.................................................................................................................. 31
4.1. Théâtre : ............................................................................................................................... 32
4.2. Poésie : ................................................................................................................................. 32
4.3. Ecriture de notation : ............................................................................................................ 33
Conclusion générale ................................................................................................................................. 35
.Bibliographie : ........................................................................................................................................ 39

41

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