2012 192 Bernaud
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quence mesurable d’un phénomène sur un autre. L’étude des effets est une procé-
dure courante dans le champ des sciences sociales (et bien au-delà), qui nécessite
d’avoir recours à une méthodologie comparative (d’une part entre groupes,
d’autre part avant ou après un « traitement »). Constater un effet, c’est observer
un changement portant sur un état, un statut, une représentation, l’acquisition
d’une compétence, un résultat externe ou une conduite effective. La fréquence des
sourires, le gain économique ou le rythme cardiaque peuvent en être des illustra-
tions, même si, dans le cas présent, leur pertinence n’est pas de mise. De surcroît,
le changement est susceptible d’opérer à différents niveaux d’observation : celui
des personnes, le plus courant, peut être confronté à celui des équi-pes de travail,
d’une organisation, voire d’une société tout entière. La méthodologie d’étude du
changement se donne les moyens de distinguer ce qui relève de l’intervention, ce
qui provient de l’accompagnement psychosocial ou du temps passé, et enfin ce
qui est lié à des erreurs de mesures inhérentes à tout recueil de données. D’où le
recours à des modèles statistiques d’évaluation des effets, parfois sophistiqués,
pour objectiver les mesures du changement et différencier les facteurs systéma-
tiques des facteurs aléatoires.
56 L’examen de l’efficacité se situe à un autre niveau : l’efficacité est ce qui
produit l’effet attendu. De ce point de vue, un bilan de compétences est efficace
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s’il atteint ses objectifs. Il reste donc à caractériser ces derniers. Le cadre juridique
les précise : construire un projet professionnel réaliste, associé ou non à un projet
de formation. Cependant, une majorité des observateurs partagent ce point de vue,
le bilan de compétences ne peut être réduit à un changement de carrière effectif.
C’est au moins autant l’occasion d’une pause dans la vie professionnelle pour se
situer, donner du sens à son activité, se remotiver, rééquilibrer la vie au travail et
hors travail, valoriser ses savoir-faire, etc. Autrement dit, il convient de regarder
l’efficacité du bilan sous des angles variés et à travers l’idée autant d’un généra-
teur de sens que d’une modification de statut. Malgré tout, des conflits persistent
dans l’explicitation de l’efficacité d’un bilan de compétences. Le mieux-être
professionnel et l’instauration d’un équilibre entre différentes sphères de vie sont
potentiellement mesurables, mais ils sont parfois regardés comme des effets colla-
téraux, et non pas centraux. Ce qui est impliqué ici relève de la conception de
l’homme au travail et de la place que l’on accorde à certaines valeurs ; il s’y joue
alors une opposition entre une culture du résultat et une conception centrée sur
l’épanouissement de l’homme au travail. De plus, des conflits de critères – ou des
paradoxes – peuvent apparaître, émanant de différentes informations provenant
de l’environnement : entre l’injonction d’être moins indécis tout en étant plus
flexible ; entre l’objectif de mieux valoriser ses compétences sans pouvoir toutes
les exploiter ou les monnayer ; entre le fait de mieux comprendre le monde du
travail et devoir accepter ses incohérences, etc. Les dynamiques de changement
des individus sont complexes, leurs logiques ne sont pas forcément linéaires, et
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l’efficacité ne peut être examinée sans faire référence à plusieurs strates parfois
antinomiques.
d’être considérés dans un protocole de recherche ou d’être suivis par le biais d’un
dispositif d’intervention. Il a été estimé à une taille de l’effet de + 0.19 chez
Lipsey et Wilson (1993). Les effets d’attente (ou effet Pygmalion) sont liés pour
leur part aux croyances et aux préjugés des intervenants à propos de l’efficacité
des interventions éducatives qu’ils emploient. Ils ont des conséquences potentiel-
lement observables : Huteau et Loarer (1992) citent notamment « un meilleur
soutien affectif, des feed-back plus clairs, de meilleures opportunités d’apprendre
et des interactions plus fréquentes et plus longues ». Bien qu’il n’y ait pas de
recherches sur le rôle de l’effet Pygmalion dans le domaine du bilan de compé-
tences, on sait que dans certains contextes, il peut être considérable, notamment,
selon McNatt (2000) dans le domaine managérial.
1. Le sujet n° 1 dit : « Je ne peux plus faire mon métier parce que j’aime bien mon métier. Maintenant, je ne peux
plus le faire, on ne peut plus le faire dans l’amour du travail. Parce que c’est de la rentabilité. Moi, cela ne m’in-
téresse plus de travailler dans des conditions pareilles. C’est pour cela que j’essaie de me remettre dans une
passion à moi qui est le sport. »
Le sujet n° 9 dit : « Donc, en fait, comme je ne m’entendais pas avec mon chef et que je ne savais pas non plus
si mon couple allait durer : avec ma femme, il y avait des hauts et des bas, je ne savais pas trop ce que j’allais
faire, donc j’ai engagé ce bilan et je voulais absolument me retrouver dans la musique. »
2. La crédibilité renvoie à la rigueur dans le processus de recherche. Elle s’étudie à partir d’observations prolon-
gées dans le domaine ou de co-analyses de la recherche, qui proviennent des sujets ou des chercheurs. La trans-
férabilité concerne la généralisabilité des données à d’autres échantillons. La constance interne concerne la
consistance des résultats quels que soient le moment, la méthode d’analyse et le chercheur impliqué. Enfin, la
fiabilité porte sur l’analyse des biais inhérents à la recherche employée.
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tats sont néanmoins trop généraux pour conclure, car ils intègrent aussi bien des
programmes d’orientation pour adolescents que d’autres pour adultes, avec des
formats d’intervention très variés (comportant aussi bien de l’information, de la
guidance informatisée que de l’accompagnement par un professionnel). On est
donc, a priori, dans un schéma assez différent du bilan de compétences.
Bien que récente, la prestation de « bilan de compétences » a fait l’objet, en
France, d’un plus grand nombre de recherches évaluatives. Sans doute faut-il y
voir l’expression d’une recherche de légitimation agrémentée d’un attrait pour
une prestation originale que beaucoup, à l’étranger, nous envient. Analysant leurs
formats, Lemoine (2005a) est amené à distinguer les effets sur la formation, l’em-
ploi et la carrière, des effets psychologiques. Les premiers intéressent beaucoup
l’économiste et le gestionnaire, à une époque où tous les leviers sont bons pour
tenter de réduire les coûts et d’augmenter la fluidité du marché de l’emploi. Les
seconds se trouvent plus au cœur des questions sur l’évolution psychologique, en
particulier le changement vocationnel.
Les effets sur la formation, l’emploi et la carrière, sont observables à partir
de critères de statut ou de rapport à des dispositifs : taux d’abandon en formation,
réussite d’un parcours qualifiant, mobilité professionnelle, durée de recherche
d’emploi. Le bilan de compétences, de ce point de vue, complète la palette des
outils de gestion des ressources humaines et les dispositifs d’aide au retour à l’em-
ploi. Il est susceptible de constituer une plate-forme facilitatrice des processus de
transition, optimisant les décisions et évitant, autant que faire se peut, les parcours
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lution à trois étapes (avant le bilan, immédiatement après et six mois après la fin
du bilan). Les données montrent un effet notable du bilan à la fin de la prestation
puis une légère érosion de l’effet six mois après. Ainsi, le sentiment de disposer
d’un projet professionnel très précis passe de 10 % avant le bilan à 61 % juste
après, pour retomber à 51 % six mois après le bilan. L’auto-évaluation des capa-
cités de communications obéit à la même loi : croissance significative à l’issue de
la prestation, puis légère décrue. Seule l’estime de soi, malgré une différence
présentée comme significative, paraît moins marquée par l’impact de la prestation.
Kop et al. (1997) ont évalué quelques mois après un bilan de compétences
les projets et les opinions de bénéficiaires. très peu de personnes indiquent ne pas
avoir de projet à l’issue (17,4 %), résultat dans des proportions proches des obser-
vations de Ferrieux et Carayon (1998). Le bilan est perçu comme utile sur le plan
de l’orientation professionnelle mais les opinions sont plus tièdes pour ce qui
concerne son effet sur le développement de la carrière ou l’insertion profession-
nelle. D’une façon générale, les opinions à l’égard du bilan de compétences appa-
raissent assez positives sans être pour autant dithyrambiques. La satisfaction
générale paraît médiatisée notamment par l’âge des répondants et leurs attentes
64 initiales ; les plus jeunes, recherchant une meilleure connaissance de soi, appré-
ciant davantage le dispositif.
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Les publications de Bernaud et al. (2006) et Gaudron et al. (2001) ont l’ori-
ginalité d’avoir suivi de façon longitudinale un groupe de bénéficiaires de bilans
de compétences, tout en les comparant à un groupe contrôle d’adultes engagés
dans un dispositif de formation, et en ont évalué les effets modérateurs (Bernaud,
1998). La recherche s’est déroulée sur trois temps et a impliqué un ensemble de
variables centrées sur le statut, le projet et les effets psychologiques, traitées à
l’aide du modèle de l’analyse de la covariance. Les résultats montrent une taille
de l’effet assez élevée avec une valeur de + 0.62 sur l’ensemble des variables
mesurées après le bilan, et une légère érosion lors du retest à six mois (tE = + 0.44).
Les résultats sont très positifs pour les variables relatives au label « image de soi »
(tE = + 1.19). Les bénéficiaires d’un bilan ont enrichi leurs représentations d’eux-
mêmes, produisant un plus grand nombre de descripteurs, particulièrement ceux
qui sont en relation avec leurs intérêts professionnels et leurs caractéristiques de
personnalité. Néanmoins, les productions rencontrent une certaine décroissance
six mois après la fin du bilan. Les mesures d’autoconnaissance, appréciant diffé-
rentes caractéristiques liées à la réflexion sur soi, à la clarté de l’image de soi et
du projet professionnel, sont à la source d’un effet significatif, avec une taille
d’effet plus modérée (tE = + 0.65) ; néanmoins, celle-ci est plus exemplaire pour
la clarté du projet professionnel (tE = + 0.89). On remarquera que ces acquisitions
sont relativement stables six mois après la fin du bilan. La prestation semble avoir,
dans une moindre mesure, induit un changement de conduites dans le sens d’une
mobilisation active (tE = + 0.47). Enfin, les résultats sont plus mitigés en ce qui
jean-luc bernaud
Bibliographie
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