UNE DE: Histoire

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UNE HISTOIRE

DE

SPIE
NAÎTRE ET RENAÎTRE

E
e
Jean MONVILLE avec la collaboration de Xavier BEZANÇON
N&R avant-livre x.indd 1 27/10/10 11:02
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UNE HISTOIRE
DE

SPIE
Direction éditoriale et recherches
Jean Monville - Xavier Bezançon - Pascal Omnès

Création graphique et mise en page


Lettre & image - Claudine Veillet-Devaux

Iconographie
Jérôme Da Cunha, direction de la communication SPIE

Coordination éditoriale
Pascal Omnès

Assistance
Lydia Cantèle

Documentaliste web
Véronique Vuillemin-Filippi

Tags et version virtuelle


Bee-Buzziness - Pierre-Nicodème Taslé

Photogravure
Guy Lorand

Imprimé par
Estimprim - Montbéliard

Ouvrage publié avec le soutien du groupe SPIE

Photo de couverture
Raoul Dufy, La Fée électricité (détail), Musée d’Art Moderne Paris, © RMN/ ADAGP
JEAN MONVILLE
avec la collaboration de
Xavier Bezançon

UNE HISTOIRE
DE

SPIE
NAÎTRE ET RENAÎTRE
UNE HISTOIRE DE

SOMMAIRE
SPIE
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Tags, mode d’emploi et version virtuelle de ce livre p. 2

Préface de Gauthier Louette p. 5

Avant-propos de Jean Monville p. 7

Les dates essentielles du Groupe SPIE p. 9

Chapitre 1
L’épopée de la vapeur et du métal
et l’émergence des dynasties industrielles, XIXe siècle p. 10

Chapitre 2
Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives p. 14

Chapitre 3
La Société de Construction des Batignolles découvre l’exportation, 1871-1885 p. 26

Chapitre 4
La crise économique de la fin du XIXe siècle et la première mondialisation p. 32

Chapitre 5
L’épopée de la grande exportation
de la Société de Construction des Batignolles,1885-1939 p. 38
Chapitre 6
Naissance de Schneider et Cie et du royaume industriel du Creusot, XIXe siècle
p. 62
Chapitre 7
La puissance industrielle de l’Angleterre au milieu du XIXe siècle p. 72

Chapitre 8
Schneider entrepreneur à la découverte du monde, 1880-1940 p. 76

Chapitre 9
Le groupe Empain, le Métro de Paris et la naissance de SPIE, 1900 p. 94

Chapitre 10
La SPIE et l’électrification des chemins de fer, des usines, des villes
et des campagnes…, 1900-1940 p. 102
Chapitre 11
Les années noires de la guerre et la chute de la SCB, 1940-1954 p. 112

Chapitre 12
Vers la fusion de la Société de Construction des Batignolles avec la SPIE, 1955-1968 p. 126

Chapitre 13
La SPIE : de l’électricité aux raffineries et aux pipelines du Sahara, 1948-1968 p. 132

Chapitre 14
Crise dynastique chez Schneider et entrée d’Empain : une nouvelle donne pour SPIE p. 144

Chapitre 15
La brève histoire de CITRA : une croissance non maîtrisée, 1949-1971 p. 150

Chapitre 16
Bâtir une entreprise pluridisciplinaire à vocation mondiale, les années 1968-1982 p. 166

Chapitre 17
La chute de la maison Empain… Grandeur et décadence au Creusot… p. 182

Chapitre 18
« Notre chantier : le monde », les années 1980 p. 190

Chapitre 19
La tempête, 1991 p. 212

Chapitre 20
Du côté de chez Schneider… p. 220

Chapitre 21
Exister, 1992-1995 p. 224

Chapitre 22
Vers de nouveaux horizons p. 244

Chapitre 23
To be or not to be « one AMEC » p. 260

Chapitre 24
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE p. 270

Chapitre 25
Épilogue p. 290

Annexes, remerciements, sources, bibliographie p. 296


NAÎTRE ET RENAÎTRE

TAGS,
MODE D’EMPLOI…
Introduction À l’instar d’un document électronique proposant des liens hypertextes, ce livre contient des codes
à la lecture imprimés appelés aussi tags. Les possesseurs de smartphones* pourront les scanner afin d’accé-
« augmentée »
der à des « hypercontenus» multimédias issus d’Internet, venant enrichir le texte écrit. Le mode
d’emploi est très simple :
1. Commencez par télécharger gratuitement l’application Mobiletag® sur votre mobile à partir du
site www.mobiletag.com ou de l’App Store.
2. Lancez l’application.
3. Positionnez votre Smartphone comme si vous preniez le tag en photo. L’application le scannera
et vous dirigera vers le site internet concerné.

Les pictogrammes associés aux tags


vous donneront la nature du document :

document écrit, texte…

photo, audio, vidéo…


Page Facebook
d’Une histoire
de SPIE

*-À la parution du livre, l’application


est disponible sur la plupart des
smartphones équipés d’un autofocus
et pouvant se connecter à Internet.
Tags, mode d’emploi et version virtuelle

…ET VERSION
VIRTUELLE
Une histoire de SPIE, naître et renaître est également disponible sur Internet en version virtuelle
interactive richmédia. Comme cela est illustré ci-dessous, cette version électronique propose de
nombreux contenus supplémentaires parmi lesquels des documents anciens numérisés pouvant
être à leur tour consultés. Ce format, qui s’adapte à la plupart des plateformes techniques, offre
des fonctionnalités évoluées telles que l’accessibilité numérique des contenus aux non-voyants ou
le partage sur les réseaux sociaux.

histoire.spie.
com

accès à la version virtuelle richmédia


de ce livre (e-livre) : http://histoire.spie.com
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NAÎTRE ET RENAÎTRE
Préface

PRÉFACE

J’ ai le grand plaisir de préfacer cette nouvelle édition de l’ouvrage de Jean Monville, Une his-
toire de SPIE, Naître et Renaître, revue et augmentée de quelques épisodes qui sont, comme les
précédents, contés avec finesse, allant et avec cette bonne humeur si nécessaire à la réussite des
entreprises humaines.
Avant d’en être le narrateur amusé, Jean Monville a été l’acteur engagé de nombre des scènes qu’il
nous fait revivre. Quelques-uns de ces événements dans la longue suite de rêves et d’actions, de
succès et de calamités, de choix subis ou voulus, qui ont forgé SPIE.

Prendre conscience à temps que le monde a changé, se séparer de métiers que l’on a tant aimés,
aborder de nouveaux rivages, ouvrir de nouveaux fronts, se remettre en cause sans se renier :
l’ardente quête du chemin idéal ! Ambition ou chimère, lucidité ou aveuglement, ténacité ou en-
têtement, audace ou témérité, prudence ou pusillanimité : qu’elle est étroite la voie à emprunter,
qu’il est difficile le métier d’entrepreneur, mais qu’il est beau aussi !

Je ne connais pas de plus précieux viatique pour ce parcours exigeant que le partage de valeurs
sincèrement vécues, sans angélisme ni cynisme.
Que vaut la pertinence d’une stratégie sans la qualité de sa mise en œuvre ? Sans les hommes qui
la font vivre et lui donnent du sens ? Le succès est dans la cohérence des milliers de décisions qui se
prennent tous les jours, à tous les niveaux de l’entreprise. Indulgence ou complaisance, humanité
ou faiblesse, volonté d’excellence ou raideur, lucidité ou froideur : le talent est dans la nuance.

Oui, pour ce long voyage, les seuls vrais compagnons restent celles et ceux qui ont porté, qui portent
et qui porteront ces valeurs : les femmes et les hommes de SPIE.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE

À toutes les époques, ils ont fait tous les métiers, sur tous les continents, dans toutes les langues.
Chez des milliers de clients, sur des milliers de chantiers, ils se sont passé les relais, transmis les savoirs,
confié les équipes. Ils ont appris des anciens, formé les jeunes. Ils ont été électriciens, charpentiers,
soudeurs, maçons, tuyauteurs, comptables, ingénieurs. Ils ont donné leur énergie et leurs talents.

En plus de 150 ans, le destin de l’entreprise a croisé celui de centaines de milliers d’entre eux. SPIE
a influencé leur vie et celle de leur famille. Les uns après les autres, petit à petit, ils ont fait la SPIE
d’aujourd’hui.

Leur souvenir demeure et leur œuvre reste visible dans le monde entier. Ils sont toujours là.
Gauthier
Louette C’est avec fierté, et surtout la conscience de ce que je leur dois, que j’ai pris le relais en tête de leur
longue colonne.

GAUTHIER LOUETTE
Président-directeur général de SPIE
Avant-propos

AVANT-PROPOS

L e temps a passé depuis la parution de Naître et Renaître, une histoire de SPIE. Des événements
importants se sont produits, qui ont remodelé le profil et le périmètre du Groupe. J’ai donc adhéré
avec enthousiasme à l’idée d’une nouvelle édition pour retracer les faits marquants qui ont ponctué
ces dernières années, et notamment ceux qui ont conduit notre entreprise à reprendre son destin
en main sous son nom historique SPIE.
L’approche est identique à la précédente. Elle consiste à traiter de façon plus « journalistique » et
moins « historique » la période en cours – en l’occurrence celle du LBO –, qui n’a pas encore été
soumise au filtre du temps. Le chapitre qui s’y réfère est de ce fait plus détaillé. Il se veut aussi plus
pédagogique car il est le reflet d’une réalité vivante, encore en devenir, sur laquelle les collaborateurs
de SPIE continuent à exercer leur influence et leur volonté.
Ce qui était hier le « présent » – la fin du RES et l’entrée dans le groupe AMEC – peut aujourd’hui
être relaté sous de nouveaux angles et avec davantage de recul. Pour le passé plus ancien, la
précédente édition n’a été que peu modifiée. Elle n’a fait l’objet que de quelques modifications
rédactionnelles, ainsi que d’un ajout sur « l’aventure » des chemins de fer en France au XIXe siècle,
domaine essentiel pour notre groupe à ses débuts.
En revanche, la forme et la présentation ont été profondément remaniées, – pour les moderniser,
mais aussi et surtout pour mieux mettre en évidence les interactions d’une entreprise qui a connu
trois siècles avec les vicissitudes de la « grande histoire » dans laquelle se sont inscrites sa vie et
son évolution. Le recours aux « tags » qui parsèment les pages de la nouvelle édition – et dont
les modalités d’utilisation sont exposées en page 2 – permet en effet d’élargir le point de vue du
lecteur en lui donnant un accès immédiat à des « hypercontenus » (texte, audio, vidéo, site web…)
en rapport avec les sujets abordés ou les personnages mentionnés dans le cours du texte. Une ver-
sion virtuelle richmédia, ou « e-livre » et également accessible en ligne. Elle propose de nombreux
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NAÎTRE ET RENAÎTRE

contenus augmentés supplémentaires, parmi lesquels des documents anciens de l’entreprise qui
ont été numérisés et peuvent ainsi être parcourus par « l’hyperlecteur ».
Je suis fier d’avoir participé à cette passionnante expérience de combinaison des nouvelles tech-
nologies à l’édition classique, avec comme stade ultime celui de l’hyperlivre ® et de l’e-livre. Une
histoire de SPIE, Naître et Renaître sera en la matière une des réalisations les plus abouties. Qu’il
me soit permis de remercier ici tous ceux qui, avec conviction et engagement, y ont apporté leur
contribution.
Je continue bien sûr à revendiquer l’opinion exprimée dans la préface de la première édition. En
substance, que toute histoire, grande ou petite, est nécessairement contée à travers le ressenti de
l’auteur. Et que le refus de tout jugement et de toute prise de position conduit inévitablement à un
récit « sec, ennuyeux et sans intérêt », comme le soulignait la citation à laquelle j’avais eu recours
pour me conforter ! Je réaffirme à nouveau que le but de ma démarche n’est pas « de découvrir
une vérité historique abstraite, et qui de toute manière n’existe pas ». Il est seulement de susciter
Jean Monville l’intérêt du lecteur et de l’inciter à former son propre jugement.

JEAN MONVILLE
Président d’honneur de SPIE

® - Hyperlivre : copyright Première édition de


Éditions Robert Laffont Naître et Renaître, une histoire de SPIE, 2004
Les dates essentielles du groupe SPIE

LES DATES ESSENTIELLESDU


GROUPE SPIE
REPÈRES

1836 : fondation de Schneider, groupe d’origine de l’entreprise CITRA.

1846 : fondation des Établissements Ernest Goüin et Cie, qui prendront ultérieurement le nom
de Société de Construction des Batignolles.

1900 : création de la Société Parisienne pour l’Industrie des Chemins de Fer et des Tramways
électriques, SPIE.

1968 : fusion de SPIE et Société de Construction des Batignolles pour former


Spie Batignolles.

1969 : le groupe Empain finalise sa prise de contrôle de Schneider. Spie Batignolles


devient une composante du nouveau groupe Empain-Schneider.

1972 : absorption de CITRA par Spie Batignolles.

1981 : début de la restructuration industrielle et financière du groupe Empain-Schneider.


Sortie de la famille Empain. Le groupe prend le nom de Schneider. Spie Batignolles reste l’une
des filiales.

1982 : acquisition de Trindel et création de la Division Électricité et Nucléaire.

1997 : vente par Schneider de Spie Batignolles au personnel du Groupe,


associé à l’anglais AMEC, minoritaire.

1998 : la société de tête du Groupe prend le nom de SPIE S.A.

2003 : AMEC prend le contrôle de SPIE S.A., qui devient AMEC SPIE

2006 : AMEC cède AMEC SPIE au fonds d’investissement PAI, l’entreprise reprenant le nom
de SPIE.

2007 : acquisition par SPIE de la division ingénierie électrique d’AMEC,


rebaptisée SPIE Matthew Hall.
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« MAIS L’AVENIR, C’EST AUSSI CE MONDE OÙ SOUDAIN TOUT EST NIÉ, LES DISTANCES,
LES OCÉANS, LA MANIÈRE DONT JUSQU’ICI ON SE DÉPLAÇAIT, ON TRAVAILLAIT, ON VIVAIT. LE
MOYEN DE CHANGER LA PLANÈTE ? LA VAPEUR. LES INSTRUMENTS ?
LA LOCOMOTIVE, LE PAQUEBOT, LE TÉLÉGRAPHE ÉLECTRIQUE, LA FONTE, L’ACIER. »

Elvire de Brissac, Ô dix-neuvième !

Monet, Paris, Gare Saint-Lazare, 1877, musée d’Orsay


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L’épopée de la vapeur et du métal et l’émergence des dynasties industrielles

VAPEUR
L’ÉPOPÉE DE LA
ET DU METAL
ET L’ÉMERGENCE
DES DYNASTIES
INDUSTRIELLES

L e XIXe siècle, temps des ruptures et des contrastes. Avec son cortège de vers sublimes et de
chants désespérés, le romantisme triomphe encore quand la révolution industrielle commence à
couvrir l’Angleterre de fumée et de suie. En France, Napoléon III ouvre les frontières et libère les
énergies pour bâtir une société industrielle sur les ruines encore chaudes de la IIe République qui, Révolution
elle, rêvait de libérer l’homme et avait aboli l’esclavage. L’avenir se construit sur des idées nouvelles industrielle
et généreuses qui visent à remodeler ou même à réinventer la politique et les rapports sociaux,
pour leur redonner un sens et promouvoir de nouvelles pratiques. Mais il repose aussi sur cette
révolution industrielle, cette nouvelle civilisation de la vapeur et du métal qui s’étend maintenant
à toute l’Europe de l’Ouest et au continent nord-américain.

Les entreprises utilisent l’énergie fossile à travers les innombrables inventions liées à la vapeur
fournie par le charbon. Les industries métallurgiques prospèrent et les travaux publics modifient la
physionomie des villes et des transports. Les idées libérales aboutissent à confier au secteur privé le
financement, la conception et la gestion de très nombreux services publics. À travers une multitude
de concessions, les pouvoirs publics chargent les entreprises du développement des villes, voire de
régions entières.
Les grandes sociétés métallurgiques se diversifient rapidement dans les travaux publics et constituent
des acteurs majeurs de la vie sociale : grâce à elles, la population se met à voyager, à s’éclairer, à
se loger, à se laver, bref, à vivre...
Ce foisonnement d’idées nouvelles favorise l’émergence d’hommes d’exception qui vont bâtir les
premiers empires industriels. En France, trois d’entre eux sont à l’origine de SPIE :
• Ernest Goüin, né en 1815, qui fonda en 1846 une société en commandite spécialisée dans
le matériel et les infrastructures ferroviaires et lui donna ultérieurement le nom de Société de
Construction des Batignolles.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 1

• Eugène Schneider qui, avec son frère Adolphe, créa en 1836


le groupe qui porte leur nom. Schneider se développa dans les
domaines de la sidérurgie, de la métallurgie, de la mécanique,
du ferroviaire, des industries de l’armement et, au XXe siècle, de
l’électricité. Dès la fin du XIXe siècle, des activités d’entreprise qui
prirent, en 1949, le nom de CITRA vinrent compléter les activités
industrielles.
• Le général baron Édouard Empain qui créa, en Belgique, à la fin
du XIXe siècle, un groupe industriel spécialisé au départ dans la
mécanique et les concessions de transport ferroviaire, puis au début
du XXe siècle, dans les métiers de l’électricité. Il fonda, en 1900, la
Société Parisienne pour l’Industrie des Chemins de fer et des Tram-
Ernest Goüin ways Électriques, pour la réalisation des travaux d’infrastructures
© Harlingue / Roger-Viollet électriques du Métro de Paris, dont il avait obtenu la concession.
Cette société devint la SPIE à la fin du second conflit mondial.

C’est l’aventure de ces créateurs d’entreprises et de leurs groupes


que le présent livre entend raconter. Tous trois fondèrent de vé-
ritables dynasties industrielles, leurs descendants conservant le
pouvoir – pendant quatre générations pour Eugène Schneider et
trois générations pour Édouard Empain et Ernest Goüin.

Cette longue histoire industrielle donna lieu à de multiples alliances


financières, à des croisements de capitaux français et étrangers,
à des rapprochements, des mariages et des divorces... En 1972,
les activités d’entreprise des trois branches d’origine se trouvèrent
finalement réunies sous la bannière Spie Batignolles, devenue
filiale du groupe Empain-Schneider, résultant de la fusion des
deux anciens adversaires à l’issue d’une longue confrontation qui
tourna à l’avantage du groupe belge.
Eugène Schneider
© photo Yves Chanoit. Mais ce dernier, incapable de s’adapter à la nouvelle donne des
marchés industriels, s’effondra au début des années 80. Schneider,
redevenu français, subit lui-même à la même époque une très
grave crise et dut abandonner des pans entiers de son empire.
Il se recentra sur de nouveaux métiers qui l’éloignèrent de ceux
de Spie Batignolles. Il décida donc de s’en séparer et la vendit
finalement au personnel de sa filiale en 1997, dans le cadre d’un
RES (Rachat de l’Entreprise par ses Salariés) qui fut le plus impor-
tant, en nombre de participants, de toutes les opérations de ce
type jamais réalisées en France. Pour la réalisation de ce RES, le
personnel s’associa au groupe britannique AMEC. En 1998, la
filiale construction prit la dénomination Spie Batignolles, le Groupe
reprenant le nom de SPIE.

SPIE fit ensuite un bref séjour dans le groupe anglais AMEC qui


avait racheté la participation majoritaire des salariés en 2003.

Édouard Empain En 2006, SPIE retrouva un actionnariat français quand elle fut
© photo Yves Chanoit. cédée par AMEC au fonds d’investissement PAI.
L’épopée de la vapeur et du métal et l’émergence des dynasties industrielles

François
Bonhommé

François Bonhommé,
Le Creusot, puits Saint-Pierre
et Saint-Paul, 1866
© G. Dagli Orti

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« LE TRAIN PASSA, DANS SON OURAGAN DE BRUIT, DE FUMÉE ET DE FLAMME. »

Émile Zola, La Bête humaine

Locomotive Paris-Orléans
archives SPIE
Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives

NAISSANCE DE
LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION DES
BATIGNOLLES
CONSTRUIRE DES LOCOMOTIVES
:

LE RÊVE ANGLAIS D’ERNEST GOÜIN Ernest Goüin, 1815-1885


© photo Yves Chanoit.

Ernest Goüin, né en 1815, créa à 31 ans une société qui devait porter le prestige de
Ernest
Goüin
l’entreprise française de BTP – y compris les concessions de chemins de fer – dans
le monde entier.

Édouard Goüin, son père 1 , travaillait dans l’industrie textile, à Nantes, ville ouverte sur
les grandes entreprises maritimes. Au contact des armateurs, Ernest Goüin apprend
que dans les opérations les plus aventureuses, la réussite et le gain s’obtiennent
en mariant risque et préparation. Dans ce milieu industriel où il vit, il suit l’intérêt
de son père pour la toute nouvelle énergie, la vapeur, venue au début du siècle
révolutionner l’industrie. Son père, qui effectue de fréquentes visites en Angleterre,
lui relate les réalisations et les progrès de la technique. Ernest Goüin apporte une
attention particulière aux chemins de fer, notamment au premier chemin de fer créé
dans le monde : celui reliant Liverpool à Manchester. Il s’intéresse au capital investi,
aux recettes brutes, aux dépenses, à la nature du trafic, avec une minutie qui étonne
en cette période où la France semble indifférente au progrès.

Il passe avec succès l’examen d’entrée à Polytechnique à 19 ans. Deux ans plus tard,
il est reçu premier à l’État-Major : une brillante carrière militaire s’offre à lui, mais
son goût pour l’industrie s’est affirmé au cours de ses études scientifiques.
Il se rend en Angleterre pour acquérir la formation technique qui lui permettra de réa-
liser ses ambitions : construire des machines. Il va étudier la construction mécanique. 1 - Voir annexes 1 et 2, généalogie
Elle seule l’attire : il a vu les locomotives anglaises, il a vu comment on les fabriquait, sa vocation simplifiée de la famille Goüin.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 2

s’est précisée. De retour en France, il entre dans l’une des toutes premières sociétés
de chemin de fer, celle qui construit la liaison Paris - Saint-Germain et que finance le
banquier Pereire, où il devient chef des ateliers de fabrication. Nous sommes en 1845.

L’obstination d’une élite éclairée – les Fould, les Pereire, les Rothschild – qui a déjà financé
les quelque 500 km de voies ferrées construites, a eu raison de l’incompréhension et
de l’hostilité de ceux qui, en 1832 et dans les années suivantes, tournaient en dérision
ces machines qu’ils estimaient surtout dangereuses. Thiers n’avait-il pas dit que cette
invention n’était promise à aucun avenir en France ?

La loi du 11 juin 1842, organisant le statut des chemins de fer et qui fut votée par 255
voix contre 83, témoigne de la fin de cette période d’incrédulité. Les lignes Paris-Rouen
et Paris-Orléans sont un succès. On comprend maintenant, dans tout le pays, la source
de richesses et de profits que représentent les chemins de fer ; chaque département
veut avoir son exploitation de voies ferrées. Les compagnies commandent du matériel :
Isaac et Jacob Émile Pereire, le temps n’est plus où construire des locomotives était une aventure.
hommes d’affaires français,
fondateurs de la Société de 18 FÉVRIER 1846 : CRÉATION
crédit mobilier (1852). DE LA SOCIÉTÉ ERNEST GOÜIN ET CIE
Gravure de Chapon
© Harlingue / Roger-Viollet
Ernest Goüin va pouvoir réaliser son rêve. On imagine que les commanditaires ne sont pas longs
à faire confiance à cet homme dynamique, dans la force de l’âge. Quand il leur soumet les projets
qui sont le fruit de ses études en Angleterre, sa conception d’une usine moderne, les modifica-
tions qu’il compte apporter à l’usinage des locomotives, ils souscrivent volontiers une ou plusieurs
Les frères parts de la société en commandite dont il sera le gérant. N’expose-t-il pas une bonne partie de sa
Pereire
fortune personnelle : six actions,
soit 150 000 F ?

Son beau-père, M. Rodriguès-


Henriquès, fait le même effort. Il
se réclame des 100 000 F qu’ont
souscrits MM. de Rothschild,
qui finançaient déjà les com-
pagnies d’exploitation, et des
50 000 F qu’ont apportés MM.
Hottinguer. Le Duc de Noailles
lui donne également son appui
et cela va lui assurer le succès.
Il trouve vite les capitaux né-
cessaires : 1 250 000 F 2 et, le
18 février 1846, la société est
constituée, avenue de Clichy,
aux Batignolles.

Paris s’arrêtait alors au nord-


ouest à la barrière de Clichy, qui se situait
à l’emplacement de l’actuelle place Clichy.

2 - Soit l’équivalent de 6 millions


d’€ 2010. Journal d’Ernest Goüin
SCB © photo Yves Chanoit.

Schneider SPIE
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Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives

Le petit village des Batignolles, aux aspects encore campagnards, était sa banlieue. Ernest Goüin y
avait logé, étudiant. Le long de cette route qui menait à Clichy, il acheta un terrain de 14 000 m2
enclos de murs pour 90 000 F.

Il y construira son usine selon un plan qu’il a exposé aux commanditaires, plan longuement médité
avec ses amis d’Angleterre et parfaitement adapté à la construction de locomotives.
En quelques mois, les bâtiments s’élèvent : remblai de 12 000 m3, murs de clôture, ateliers de forge
et de chaudronnerie, de tours d’ajustage et de montage, magasin, petite maison d’habitation et
bureaux. L’outillage vient pour une part de Paris, mais le plus important a été commandé en An-
gleterre et n’arrive que lentement.

CONSTRUIRE DES LOCOMOTIVES


Ernest Goüin a vu juste : le succès des premiers chemins de fer s’est rapidement confirmé.
Les nouveaux opérateurs, pour être sûrs d’obtenir du matériel, n’hésitent pas à payer de fortes
avances en même temps qu’ils passent des commandes : soixante-six machines pour les chemins de
fer du Nord, d’Orléans, de Lyon, de Bordeaux, vont être mises en chantier, commandes considérables
qui prouvent la confiance que les ingénieurs en chef des compagnies, anciens polytechniciens pour Cie du chemin
de fer Paris –
la plupart, accordent à leur jeune camarade, qui avait réussi à en obtenir plus de la moitié avant St-Germain
même que les ateliers ne fonctionnent. Du jour où la fabrication démarre, les différentes opéra-
tions qui conduisent du bureau d’études aux dernières mises au point, puis aux essais sur rails, se
déroulent avec une précision remarquable : il n’a pas fallu dix-huit mois, à dater de la constitution
de la Société, pour voir sortir la première locomotive, le 3 juin 1847.

À la fin de l’année 1846, l’importance des acomptes et le développement des fabrications selon


le plan prévu permettent à Ernest Goüin de verser un premier dividende. Celui-ci, égal à 5 % des
sommes investies, est distribué au titre de l’exercice mars-décembre 1846.

Dans le même temps, il consacre une part importante des bénéfices à créer une société de secours
mutuels. C’est la première des actions sociales, symbole de la solidarité au sein du personnel, qui
deviendront vite une tradition dans la Société. Dans l’esprit d’Ernest Goüin, il n’y a pas là une mani-
festation uniquement charitable, mais un acte de justice... Car pour ce saint-simonien, la puissance
n’est légitime que si elle s’exerce pour le bien de tous. C’était aussi une forme de courage car le
patronat social était mal perçu à cette époque. Son exemple et ses actes lui ont vite acquis l’estime
de ses ouvriers. II est pour eux un homme juste, un patron loyal. Ils savent qu’il est un technicien
hors pair, un animateur incomparable. Ils ont confiance en lui.

Dans les bureaux des Batignolles, les ingénieurs apportent inlassablement des perfectionnements à
leur technique. C’est ainsi qu’ils élaborent les premières locomotives Crampton pour les chemins de
fer du Nord et les premières locomotives à rail central qui permettront de franchir les montagnes.
Dès 1847, la société livre vingt machines : les compagnies du Nord, d’Orléans, de l’Ouest et de
l’État se disputent les dates de livraison. Mais la révolution de 1848 déstabilise les compagnies de
chemins de fer, qui doivent interrompre les travaux de construction du réseau et faire appel au
gouvernement pour les soutenir sous forme de garantie d’intérêt et de prolongation de concessions.

La société d’Ernest Goüin passe, quant à elle, sans trop de difficultés, ce cap délicat. Tandis que
l’on se bat dans les rues, les ouvriers des Batignolles restent à leur poste et les ateliers ne sont pas
fermés un seul jour. Il en résulte néanmoins un ralentissement de la fabrication des locomotives,
qui pousse Ernest Goüin à rechercher d’autres débouchés. Au demeurant, depuis la création de la
société, la construction de locomotives ne suffit plus à satisfaire son goût d’entreprendre.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 2

Dans l’immédiat, il es-


time qu’il doit pouvoir
participer, avec succès,
aux fournitures de ma-
chines à tisser et à filer
que réclame l’industrie
textile, alors en plein dé-
veloppement.
Ernest Goüin lance rapi-
dement cette nouvelle
fabrication qui n’aura
d’ailleurs qu’une durée
éphémère, car l’indus-
trie du coton allait subir
une crise violente. La
guerre de Sécession aux
États-Unis qui ravagea les Locomotives
Crampton
états du Sud, raréfia à un
tel point le coton sur les
Compagnie des Chemins de fer marchés que les manu-
de l’Ouest, locomotive factures périclitèrent.
compound à 3 essieux couplés
et à bogie, avec tiroirs Cependant, alors que l’atelier fabriquait toujours et à la bonne cadence des locomotives, les in-
cylindriques (roues de 1,94 m) génieurs et le bureau d’études constitué pour résoudre le problème des ponts métalliques étaient
archives SPIE
désormais prêts à se lancer. Mais il n’était pas aisé de développer ces nouvelles activités, car la
France manquait alors de houille, de fer, de fonte et d’acier, le protectionnisme maintenant le pays
fermé aux importations.

DES LOCOMOTIVES AUX PONTS MÉTALLIQUES…


En 1851, le Prince-Président, qui a passé des années d’exil en Angleterre, où il fut témoin du déve-
loppement industriel de ce pays, se propose de pousser la France dans la même voie en promulguant Les
une série de décrets qui abaissent les droits d’entrée sur un grand nombre de matières premières. locomotives
à vapeur
Cette mesure doit relancer l’industrie française et les constructeurs de machines voient s’ouvrir un
champ d’action considérable. Dès 1852, une véritable frénésie s’empare des investisseurs qui cher-
chent à promouvoir de nouveaux projets de chemins de fer, au point d’inquiéter les responsables du
nouveau pouvoir politique, pourtant tout acquis au développement de cette technologie d’avenir.
Un ministre déclarera à la Chambre : « Les créations de chemins de fer, quand elles ne sont pas
échelonnées avec mesure, encombrent la place de valeurs aléatoires; elles surexcitent la passion
du jeu et font dégénérer les combinaisons du crédit en aliment pour l’agiotage 3 ». Commentaire
parfaitement applicable à d’autres spéculations, même si le vocabulaire a un peu évolué et si l’on
ne dit plus les choses aussi joliment !

Le fer, meilleur marché, détrône le bois ; le procédé Bessemer, employé pour la fabrication de
l’acier, réduit de moitié le coût de celui-ci. Sa production décuple : il cesse d’être un métal de luxe.
On commence à chauffer les hauts fourneaux à la houille, et non au bois. La production de fonte
augmente dans des proportions considérables. Tout ce qui se construisait en bois, en pierre, avec
3 - D’après William H.C. Smith, du ciment, va désormais se construire en fer, en fonte, en acier, et s’assembler avec des vis et des
« Napoléon III » boulons. Cette technique naissante, c’est le bureau d’études de l’avenue de Clichy qui l’a élabo-
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Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives

rée : il est en avance sur ses concurrents, et la Société Ernest Goüin et Cie
réalise la construction du premier grand ouvrage d’art en métal, le pont
d’Asnières, qui mesure 160 m d’ouverture totale sur la Seine, résultat qui
n’aurait pas pu être obtenu avec de la pierre.
Dès lors, Ernest Goüin s’applique à perfectionner ses techniques de
construction, ce qui vaut à ses ouvrages d’art d’être primés à tous les
concours internationaux.

À l’origine, les âmes (ou parois verticales des poutres) étaient composées
de tôle simplement raidie, dans le courant et sur les appuis, par des renforts
uniquement verticaux et convenablement espacés. C’est sur ce principe Pont du chemin de fer
que fut construit le pont d’Asnières en 1852 puis, en 1853, le pont sur la Garonne, à Langon. Ce à Asnières
dernier, dont les portées atteignaient 80 m, se révéla si parfait sous les charges d’épreuve que sa © CAP / Roger-Viollet

méthode de fabrication devint célèbre.


Ensuite, à ces renforts verticaux dans le courant et sur les appuis, fu-
rent ajoutés des renforts obliques dans le voisinage des appuis, pour
résister aux efforts plus considérables qui se produisent dans certaines L’évolution de la conception
parties. Ce fut le cas pour le pont construit à Aiguillon et pour celui des poutres métalliques…
archives SPIE
de Moissac, en 1855. À ces parois pleines se substitua d’abord le
lattis formé simplement de barres inclinées en fer plat, dont la rigidité
était obtenue par des barres verticales, ou montants, placées à des
intervalles convenables, sur toute la longueur de la paroi. Ainsi furent
construits les ponts en Russie, sur le Narew, sur le Bug, à Grodno, et
en Italie, sur le Pô.

Puis vint le treillis, avec ou sans montants, composé de barres en fer


plat et de barres profilées, ces dernières destinées à résister aux efforts
de compression, tel le fameux pont sur le Scorff, à Lorient. Ce pont,
dont la longueur totale était de 228 m, comprenait
d’abord une arche de 10 m en maçonnerie, puis trois
grandes travées métalliques de 52 et 64 m de portée,
enfin un viaduc de neuf arches de 10 m d’ouverture.
Autre innovation : les deux piles du pont furent éta-
blies respectivement à 15 et à 21 m au-dessous du
niveau des hautes mers, au moyen de caissons à air
comprimé, dont la mise en place nécessita la traversée
de couches de vase de 14 m d’épaisseur.
Ces caissons se composaient eux-mêmes de trois
parties : une chambre de travail, dans laquelle on
pratiquait les déblais et qui pesait 27 000 kilos, puis le
caisson proprement dit, dans lequel on construisait les
maçonneries au fur et à mesure de l’enfoncement, qui
pesait 15 000 kilos, et enfin les chambres d’équilibre,
avec des écluses à air, placées tout à fait à la partie
supérieure et qui communiquaient avec la partie in-
férieure par des cheminées verticales. Ce pont sur
le Scorff fut un des premiers emplois de ce procédé
devenu désormais classique. La Société Ernest Goüin
et Cie employait alors plus de 2000 ouvriers. Il y avait
tout juste dix ans qu’elle avait été fondée.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 2

… ET À LA CONSTRUCTION NAVALE
Les travaux de tôlerie et de mécanique auxquels la société était habituée devaient donc trouver
facilement leur utilisation dans les constructions maritimes. Aussi, la Société Ernest Goüin et Cie
fit-elle l’acquisition d’un important chantier maritime situé à Nantes et combina la construction
des navires sur cales avec la fabrication des machines dans les ateliers de l’avenue de Clichy. C’est
à cette occasion que le capital social fut porté de 1 250 000 F à 2 875 000 F et que la durée de la
Société en commandite fut prorogée jusqu’au 1er janvier 1872. Les nouveaux chantiers débutèrent
avec un carnet de commandes où figuraient trente-cinq navires, partie en bois, partie en fer, et
Le transatlantique partie mixte. Bien qu’il s’agît d’une technique nouvelle et difficile, la réussite fut totale. Bientôt, la
Eugène Pereire marine impériale passait aux chantiers de Nantes d’importantes
entrant au port d’Alger commandes : avisos à vapeur, batteries blindées flottantes. Pour
© LL / Roger-Viollet
le gouvernement italien, ils construisirent une frégate blindée de
800 chevaux et le premier cuirassé de la marine italienne. L’Égypte
commanda des bateaux à vapeur, des coques de dragues, des Le transatlan-
chalands à vapeur, etc. tique Eugène
Pereire
Pour les particuliers, Ernest Goüin mit au point des voiliers en
tôle dont le prix n’était pas supérieur à celui des voiliers en bois
de même type. Enfin, c’est dans ce chantier que les aubes du
La Fayette, le premier bateau de la Compagnie Transatlantique,
furent supprimées et remplacées par des hélices. Malgré leur exis-
tence relativement éphémère, les chantiers de Nantes avaient
rendu le service en vue duquel ils avaient été créés : pallier l’irré-
gularité des commandes de chemin de fer.
Vue générale du port
de Nantes au XIXe siècle DES PONTS MÉTALLIQUES
© ND / Roger-Viollet
AUX TRAVAUX D’INFRASTRUCTURES
La bonne réputation que la Société s’était acquise dans la construction des tabliers métalliques
des ponts amenèrent les compagnies et les gouvernements intéressés à lui confier successivement
les maçonneries, les fondations et les travaux des abords des ponts sur des longueurs toujours
croissantes. Elle fut donc de plus en plus active dans le domaine des infrastructures ferroviaires.

Elle débuta dans cette voie en 1862, en entreprenant, à forfait, pour la compagnie du Nord de
l’Espagne, la reprise des travaux pour la traversée des Pyrénées, entre Olazagoitia et Beasain. Cette
section, longue de 25 km, ne comprenait
pas moins de vingt-six tunnels. Les travaux
furent livrés à la date convenue.
En 1867, la Société entreprit la traversée des
Apennins où les terrains étaient plus ma-
laisés encore qu’en Espagne et où la fièvre
et le choléra menaçaient à tout instant le
personnel. Cependant, une nouvelle fois,
les travaux furent menés à bonne fin.

Durant cette même année, la foule, à


Paris, se pressait sur le passage d’illustres
visiteurs : le Tsar, le roi de Prusse, le vice-
roi d’Égypte, comme le Sultan et la reine
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Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives

Victoria n’avaient pas hésité à entreprendre un long voyage pour venir admirer les merveilles de Expo
l’Exposition Universelle. Paris sortait alors des mains d’Haussmann, qui avait consacré seize ans universelle
de sa vie à l’embellir. Mais la Seine demeurait souillée par les eaux de la Bièvre que des tanneries, 1867
installées sur ses bords depuis le XVIIIe siècle, rendaient noires et fétides.

La Ville de Paris eut l’idée de s’adresser à la Société Ernest Goüin et Cie, qui n’hésita pas à sortir de
son domaine de prédilection du ferroviaire et sut proposer des solutions originales et innovantes.
Après de longues études, on s’arrêta sur un projet qui consistait à réunir les eaux de la Bièvre et
celles de tous les égouts de la rive gauche dans un grand collecteur passant sous la Seine pour
aller se déverser dans celui d’Asnières, en aval du barrage de Suresnes. La partie délicate de cette
opération, le passage sous la Seine, consistait à réaliser un siphon en amont du pont de l’Alma.
D’une longueur de 156 m, il permettait au grand égout de Paris rive gauche de gagner la rive droite
en direction du champ d’épandage de Gennevilliers. La grosse difficulté du nettoyage périodique
de ce siphon fut résolue par une invention très ingénieuse : une grosse boule, pesant 200 kilos,
et dont le diamètre est légèrement inférieur à celui du tube, est lancée le long de la génératrice
supérieure du siphon. En l’obturant partiellement, elle crée un violent courant dans le périmètre
inférieur qui nettoie le siphon. Il suffit de faire cette manœuvre une fois tous les deux jours pour
maintenir le siphon absolument propre.

CRÉATION DE LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION


DES BATIGNOLLES : SCB
La société en commandite doit atteindre le 1er janvier 1872 le terme prévu par ses statuts. Quand
Ernest Goüin va décider d’y substituer une société anonyme, il fera d’abord appel à ceux qui ont
couru les risques avec lui.

Au conseil d’administration réuni le 2 décembre 1871 à cette occasion, il déclare : « Il y aura vingt-
six ans, au début de l’année 1872, que vous m’avez confié vos capitaux. Je crois que vous pouvez
me rendre cette justice que tous mes efforts ont tendu à justifier cette confiance. Les résultats que
nous avons obtenus pendant notre association nous ont donné un intérêt moyen de 12 % l’an après
avoir affecté 2 millions à l’amortissement et près d’1 million à la réserve. De plus, nous sommes
arrivés à jouir, parmi les constructeurs d’Europe, d’une notoriété qui nous permet de rechercher
toutes les entreprises. »

Cependant, si la société reçoit une nouvelle forme juridique, elle ne va pas, pour autant, s’effacer
dans l’anonymat ; devenue Société de Construction des Batignolles, elle garde en sous-titre le
nom sous lequel elle a acquis son prestige :
Ernest Goüin et Compagnie.

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 2

La création des chemins de fer symbolise le La France s’engage lentement dans le processus
XIXe siècle : le tournant industriel du pays naît de construction des lignes. La loi du 7 juillet 1833
de leur apparition. sur l’expropriation pour cause d’utilité publique
prévoit que les chemins de fer ne pourront être
LE DÉBUT DU CHEMIN DE FER exécutés qu’en vertu d’une loi qui sera rendue
publique après une enquête administrative. De
Une période expérimentale ou pionnière dé- petites lignes (Alès–Beaucaire, Paris–Versailles,
marre par la première ligne concédée à Beau- Montpellier–Sète, Mulhouse–Thann, Bordeaux–
nier par ordonnance royale du 26 février 1823. La Teste) sont alors créées et concédées pour une
Il s’agit de la liaison Saint-Étienne–Andrézieux période déterminée.
avec une traction à chevaux. Les Frères Seguin
obtiennent ensuite deux nouvelles conces- Bientôt l’État commence à s’intéresser aux dé-
sions en 1826 et 1828, pour les lignes Saint- tails des conditions techniques de la construc-
Étienne–Lyon et Andrézieux–Roanne. En 1832, tion et de l’exploitation des lignes concédées.
la compagnie Saint-Étienne–Lyon inaugure le À cet égard, la célèbre concession aux frères
transport des voyageurs et l’emploi de la loco- Pereire de la ligne de chemin de fer Paris–Saint-
motive pour la traction des trains. Germain constitue une étape essentielle ; elle
Le chemin servira de modèle, avec les 48 articles de son
de fer Toutes ces concessions furent attribuées cahier des charges, annexé à la loi du 9 juillet
par ordonnance royale à perpétuité, sans re- 1835, aux actes analogues établis dans les
prise éventuelle par l’État, aux seuls frais années qui suivent. Constituée par MM. de
des concessionnaires et avec des cahiers des Rothschild, d’Eichtal, Davillier et Émile Pereire, * Ce qui
charges très sommaires. la société concessionnaire, au capital de 6 mil- correspondrait
à 25 / 30
lions de F *, est approuvée par ordonnance du millions d’€
4 novembre 1835. 2010

À gauche ;
wagon à galerie
de communication
archives X. Bezançon

À droite ;
intérieur
d’un wagon-lit
archives X. Bezançon

L’âge d’or
du chemin de fer
Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives

À partir de 1840, la France s’organise pour pro- tarifs et le cahier des charges en fonction des
mouvoir de façon active la création de lignes progrès réalisés.
de chemin de fer par voie de concession à des Cette loi, dite « charte des chemins de fer »,
compagnies privées. L’État adopte tout d’abord fixait, entre autres, les axes jugés stratégiques :
la loi du 3 mai 1841. Celle-ci constitue la grande – Lignes de Paris
loi sur l’expropriation pour cause d’utilité pu- • sur la frontière de Belgique, par Lille et
blique qui met les compagnies concession- Valenciennes ;
naires sur un pied d’égalité avec l’État et les • sur l’Angleterre, par un ou plusieurs
collectivités locales. points du littoral de la Manche, à détermi-
ner ultérieurement ;
LA CHARTE DES CHEMINS DE FER • sur la frontière d’Allemagne, par Nancy et
Strasbourg ;
En 1841, la France avait concédé 806 km de • sur la Méditerranée, par Lyon, Marseille
lignes de chemin de fer, dont 569 km étaient et Sète ;
en exploitation. À cette même date, les chiffres • sur la frontière d’Espagne, par Tours, Poi-
étaient respectivement pour l’Angleterre de tiers, Angoulême, Bordeaux et Bayonne ;
3 800 km et 1 000 km. Le véritable dévelop- • sur l’Océan, par Tours et Nantes ;
pement du réseau va s’opérer grâce à la loi • sur le centre de la France, par Bourges ;
du 11 juin 1842, aux termes de laquelle l’État – Lignes de la Méditerranée sur le Rhin par
se charge de toute l’infrastructure, notamment Lyon, Dijon et Mulhouse ;
des terrassements et des travaux d’art. La « su- – Lignes de l’Océan à la Méditerranée par Bor-
perstructure », les dépenses d’exploitation et deaux, Toulouse et Marseille.
le matériel roulant sont, quant à eux, confiés à
des compagnies fermières dont le bail doit être
assez court pour qu’on puisse en modifier les

À gauche ;
locomotive Decauville
pour voie étroite
archives X. Bezançon

À droite ;
machine perforatrice
de tunnel
archives X. Bezançon

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 2

Les compagnies se multiplient et dépassent • la compagnie de l’Ouest, fondée le 7 avril


bientôt la trentaine. La loi retient l’amende- 1855.
ment réaliste de M. Duvergier de Hauranne pré- • la compagnie du Midi, constituée par dé-
voyant la concession de la totalité des lignes cret du 24 août 1852.
à des compagnies privées. Au 1er janvier 1848,
la longueur concédée est de plus de 4 000 km, De 1852 à 1857, le réseau est porté à plus de
dont 1 824 déjà en exploitation. 16 000 km dont 15 000 pour les 6 grandes com-
pagnies et 1 000 pour les compagnies secon-
Les désordres politiques entraînèrent ensuite daires. Les dernières années de l’Empire voient
des secousses dans le monde du chemin de fer encore augmenter ces longueurs, le réseau at-
et plusieurs réseaux furent mis sous séquestre, teignant 23 000 km à la fin de 1870.
notamment le chemin de fer de Paris à Orléans
qui, ouvert depuis 1843, avait connu une pros- LES RÉSEAUX LOCAUX
périté réelle.
Le lancement des chemins de fer d’intérêt local
LES CHEMINS DE FER DE L’EMPIRE (loi du 12 juillet 1865) constitue une nouvelle
étape. Il apparaît en effet, à cette époque, né-
Histoire du Dès 1851, l’État reprend les choses en main et cessaire d’étendre les réseaux à des villes se-
chemin de fer soutient vigoureusement la création de nou- condaires, sous la responsabilité des départe-
velles lignes de chemin de fer par des com- ments ou des communes concernés, ou en les
pagnies privées. Il le fait par des avances en confiant à des concessionnaires aidés par ceux-
numéraire ou en travaux, ou bien par des garan- ci. La loi est rapidement mise à exécution : à la
ties d’intérêt, ou enfin directement par des sub- fin de l’année 1870, 1 770 km de chemin de fer
ventions. En 1852, le territoire est partagé en ont déjà été concédés, dans 27 départements.
un petit nombre de régions avec un regroupe- L’État et l’administration centrale modérèrent
ment des lignes par région, sous la responsabi-
lité de compagnies plus puissantes. Les durées
des concessions sont ramenées d’une façon
générale à 99 ans et un cahier des charges uni-
forme est imposé à toutes ces entreprises. Six
grandes compagnies sont formées à partir de
1852 ;
• la compagnie du Nord, dont la constitu-
tion remonte au décret du 19 février 1852.
• la compagnie d’Orléans, fondée le 27 mai
1852 (Centre et Sud-Ouest).
Gare de « tacots » • la compagnie de Paris à Lyon et à la Mé-
dans un village. diterranée.
carte postale, A. David
• la compagnie de l’Est.

L’âge d’or
du chemin de fer
Naissance de la Société de Construction des Batignolles : construire des locomotives

ensuite les nombreuses demandes présentées, 1908, il prend le contrôle de tout le réseau de
qui s’avéraient souvent un peu hasardeuses. l’Ouest. Il est alors créé une administration au-
D’ailleurs, la plupart de ces petites lignes ne tonome, dotée d’un budget annexe.
générèrent pas, dans les régions qu’elles des-
servaient, un trafic suffisant pour rémunérer les Le monde changeait et l’âge d’or du chemin de
capitaux engagés. Les entreprises concession- fer touchait à sa fin. La phase d’expansion et de
naires ne tardèrent donc pas à tomber dans une conquête dont il avait été l’un des fondements
situation très critique et à se voir dans l’impos- majeurs tout au long du XIXe siècle arrivait à
sibilité non seulement d’achever la construc- son terme. L’urbanisation était en marche. Mé-
tion des lignes qui leur avaient été concédées, tros et tramways allaient prendre le relais…
mais encore d’exploiter de façon rentable celles
qui avaient été livrées à la circulation.

LE TROISIÈME RÉSEAU Projet du métro


archives X. Bezançon

En 1878, le programme Freycinet relance ce-


pendant le développement d’un nouveau ré-
seau d’intérêt général. Ce «troisième réseau»
représentait 8 700 km environ de lignes.
De nouvelles conventions sont élaborées en
1883. Ce sont les Compagnies qui s’occuperont
désormais de l’exécution des lignes aux frais
de l’État qui supportera les 7/8e du coût de la
construction. En outre, le déficit d’exploitation
sur les nouvelles lignes construites sera à la
charge de l’État, par le système de la garantie
d’intérêt élargi à toutes les lignes concédées.
Mais si le monopole des Compagnies est confir-
mé, l’État leur impose désormais des charges
qui vont lourdement peser sur leurs bénéfices :
il contrôle les tarifs, multiplie les circulaires qui
imposent des procédés d’exploitation et des
prescriptions de sécurité. Le contrôle adminis-
tratif de l’État en sort considérablement renforcé
et pèsera désormais constamment sur la gestion
des compagnies ferroviaires.

Au cours de cette période, I’État doit racheter


de petites compagnies en déconfiture et, en

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« ON ESTIME LES GRANDS DESSEINS
LORSQU’ON SE SENT CAPABLE DES GRANDS SUCCÈS. »

Lautréamont, Les Chants de Maldoror

Pont de Budapest
archives SPIE
La Société de Construction des Batignolles découvre l’exportation

LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION
DES
DÉCOUVRE
BATIGNOLLES
L’EXPORTATION
1871-1885

À LA DÉCOUVERTE DE L’EUROPE DE L’EST

« Dans notre réunion d’aujourd’hui, je puis vous dire que mes espérances étaient bien fondées, que
nos entreprises de Belgique, d’Autriche et de Russie ont marché régulièrement malgré les troubles
que la guerre de 1870 avait apportés dans toutes nos relations et qu’elles se sont terminées dans
des conditions satisfaisantes. »

Au lendemain de la guerre de 1870, à mesure que l’industrie française se ressaisit, l’entreprise di-
rigée par Ernest Goüin va bénéficier de ses succès passés en France, en Espagne et en Italie. C’est
en Europe centrale – où les pays ressentent la nécessité croissante de se moderniser, de se doter de
chemins de fer, de ponts, de viaducs – que son activité internationale va se relancer. La France qui
éprouve le besoin d’alliances pour faire contrepoids à l’influence allemande dans les Balkans, est
disposée à consentir aux pays d’Europe centrale une aide financière considérable. La Roumanie et
la Hongrie seront les premières à en profiter.
Lorsque la Roumanie s’adresse à la France, en 1873, pour la construction de sa grande voie ferrée
centrale de Pitesci à Craiova, destinée aux grands express internationaux, Ernest Goüin ne manque
pas de saisir cette opportunité. Cette affaire lui semble, en effet, essentielle pour le développement
international de la SCB. Elle lui paraît, en outre, bien adaptée pour mettre à l’épreuve son fils Jules.
Ce dernier, qui a obtenu son diplôme d’ingénieur des Arts et Manufactures en 1869, a pris en
Guerre charge, dès 1871, des chantiers de construction de lignes de chemin de fer en France, dans les
de 1870 régions de Poitiers et de Saumur. Mais l’aventure roumaine risque d’être beaucoup plus difficile.

Dès son arrivée à Bucarest, de multiples intrigues se nouent. Les hommes d’affaires, les banquiers
du Reich tentent, par tous les moyens, de faire échouer la première grande entreprise française
d’après-guerre à l’étranger. Le chantier se développe sur 140 km de long. Il comporte des terrasse-
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 3

ments importants et de nombreux ouvrages d’art, parmi lesquels on doit citer les ponts de Slatina,
sur l’Olt (375 m), et de Balsu, sur l’Oltezza (120 m). L’absence presque complète de matériaux oblige
à transporter le ballast sur de grandes distances et à établir, partout où cela s’avère nécessaire,
des fours pour produire les briques utilisées dans la construction des ouvrages et bâtiments. Les
équipes de la SCB doivent vérifier les terrassements, la voie, les stations, les viaducs, les ponts en
construction. Il leur faut subir pendant des jours et des jours l’inexorable pluie qui démolit le travail
de la veille, tasse les remblais, fait descendre les voies et donne aux stations l’aspect de marécages.
Les délais sont cependant tenus et la ligne est mise en circulation fin janvier 1875.

Pont Marguerite à Pest


archives SPIE

Ordre de
François-
Joseph

De même, la Hongrie fait appel à la SCB lorsqu’elle décide de construire un pont monumental de
570 m de portée sur le Danube, entre les deux parties de sa capitale, Buda et Pest. Ce pont, baptisé
Pont Marguerite, est achevé en août 1875. Le jour de l’inauguration officielle, l’Empereur d’Au-
triche remet à Ernest Goüin la plaque de Commandeur de l’Ordre de François-Joseph, cependant
que différentes décorations récompensent les ingénieurs qui, pendant trois ans, ont collaboré à la
réalisation de cette véritable œuvre d’art.

De toutes parts, les félicitations affluent, rendant unanimement hommage à la technique française.
Grâce à ses entrepreneurs et à ses industriels, la France, quatre ans après la défaite, était à nouveau
présente en Europe centrale. Elle devait y demeurer soixante-cinq ans.

UN NOUVEL ESPACE :
L’EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS
Plus de quarante ans après la prise d’Alger, la présence française est désormais bien assurée en Al-
gérie, où la colonisation s’est intensifiée après la guerre de 1870. Par ailleurs, la IIIe République étend
progressivement ses possessions en Afrique Noire. La SCB va donc saisir les nouvelles opportunités
de développement qu’offre l’ouverture du continent africain. En l’absence d’administration très
structurée et de maîtres d’ouvrage disposant de compétence technique, la formule concessionnaire
s’imposait naturellement.

Forte de ses capacités industrielles et financières, comme de ses nombreuses références, la SCB va
présider, en investissant elle-même des capitaux importants, à la création de sociétés auxquelles
elle rétrocédera les concessions qui lui seront offertes. Elle ira même jusqu’à prendre à sa charge
les risques de l’exploitation des réseaux et apportera une aide totale pour combler les premiers et
inévitables déficits.
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La Société de Construction des Batignolles découvre l’exportation

Cie des Chemins de fer de Bône-Guelma, locomotive à voyageurs à 3 essieux couplés et à bogie
(voie d’1 m, roues d’1,50 m)
archives SPIE

LE CHEMIN DE FER DE BÔNE À GUELMA Le chemin


de fer Bône –
Guelma
En décembre 1874, le conseil général de la province de Constantine accorde à la Société la conces-
sion des premiers 90 km de voies.
En avril 1875, avec le soutien du Comptoir d’Escompte, est fondée la Société Anonyme du Chemin
de Fer de Bône à Guelma qui passera, en septembre, un marché à forfait de 11 millions de F 4. En
1877, la ligne est mise en service. D’autres concessions sont alors offertes à la Société de Construction
des Batignolles. Quelques années plus tard l’Algérie sera reliée à Tunis, par la vallée de la Medjerda,
au Sud algérien par Duvivier, Soukh-Ahras et Sidi-el-Hemessi ; Guelma amorcera sa liaison avec la
province d’Alger en poussant une ligne vers le Kroubs. Ces premières réalisations seront le berceau
d’un vaste réseau de plus de 2 000 km.
Ces lignes, bien qu’établies en voie d’un mètre, furent construites avec une grande solidité et do-
tées d’un matériel roulant assez puissant pour permettre un trafic très important. Qu’on en juge :
en 1913, soit près de quarante ans après leur établissement, 1 250 000 tonnes de phosphate et
675 000 tonnes de minerai de fer ont pu être transportées.

LES PREMIERS PAS EN AFRIQUE NOIRE


Tandis que ces travaux se poursuivaient en Algérie et en Tunisie, la Société allait apporter sa contri-
bution pacifique à la colonisation du Sénégal.
Le 7 octobre 1880, Ernest Goüin proposait à son conseil d’administration d’entrer résolument dans
la voie des grands travaux coloniaux en posant la candidature de la Société à l’exécution des travaux
du Dakar-Saint-Louis (265 km).
Semblable entreprise semblait une folie car c’était la première opération de ce type sur la côte
occidentale d’Afrique. Mais Ernest Goüin tint bon et la Société se vit confier la réalisation du projet.
La construction de la voie dura trois années au cours desquelles il fallut – tant le climat était insa-
lubre – rapatrier à chaque mauvaise saison tout le personnel pour le faire revenir à la saison sèche !
À ces difficultés climatiques s’ajoutèrent les problèmes de transports maritime et terrestre, non
seulement des rails, du matériel ferroviaire et de tout l’outillage, mais aussi et surtout des équipes 4 - Soit l’équivalent de 45 millions
d’ouvriers qui devaient traverser des zones infestées par la malaria. d'€ 2010.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 3

La En 1879, les deux centres principaux du Sé-


négal étaient Saint-Louis, au nord, et l’île
de Gorée, au sud, séparés l’un de l’autre

concession par un vaste territoire : le Cayor, dont le roi,


Lat Dior, signa un traité autorisant la France
à construire un chemin de fer reliant Saint-

française Louis à Dakar, minuscule village en face de


Gorée.
« Cette concession, stipulait l’article V du

Dakar traité, n’est faite qu’à la condition que les


Français arrangent le chemin de fer de ma-
nière à faciliter le transport rapide des pro-

Saint-Louis duits du sol et des voyageurs (sic) par de


grandes voitures traînées par des machines
à vapeur. »
Et l’article XIV concluait avec emphase :
ploitation, les recettes ne dépassèrent pas
2 700 F par kilomètre. La Compagnie ne put
surmonter ses difficultés financières que
grâce à l’appui constant de la Société de
« La présente convention est faite pour que Construction des Batignolles. Mais peu à
la paix et l’amitié qui existent entre le Gou- peu, ce chemin de fer, qui avait été construit
verneur du Sénégal et le Cayor deviennent dans une région économiquement morte,
perpétuelles et pour donner aux habitants apporta la richesse aux territoires du Séné-
du Cayor toutes les richesses que possè- gal. Il se fit un grand commerce d’arachides
dent les peuples qui ont des chemins de et les recettes de la ligne ne tardèrent pas à
fer dans leur pays et peuvent ainsi vendre doubler, puis à tripler, pour atteindre norma-
Royaume
de leurs produits tout près de l’endroit où ils lement le chiffre de 13 000 F et, dans les an-
Cayor les récoltent. » nées exceptionnelles, celui de 20 000 F par
La gestion de la concession ne posa pas kilomètre. Dakar devait devenir, grâce à ce
moins de problèmes que la réalisation trafic, le plus grand port de l’Afrique.
de l’ouvrage. Aux premiers temps de l’ex-

DES PROJETS PRESTIGIEUX EN FRANCE

Ses aventures africaines n’empêchent pas la SCB de s’intéresser aux grands projets de la métropole.
Peu après la guerre de 1870, le tunnel sous la Manche semble proche de se réaliser. Des études
sérieuses qui viennent d’être entreprises ont conclu qu’il est techniquement possible de relier par
ce moyen la France à l’Angleterre. Une concession de 99 ans est accordée en 1875 à la Channel
Perforatrice Beaumont
archives SPIE Tunnel Railway Company (CTRC) et les travaux
débutent par une galerie de 1 670 m sous
la mer en partant du puits de Sangatte. Ils
sont effectués par une perforatrice à air com-
primé, ancêtre des tunneliers modernes, que
les ateliers de l’avenue de Clichy construisent
en 1882. Il s’agit de la perforatrice Beaumont
inventée par le Colonel Frederick Beaumont
et mise au point avec l’aide de Thomas En-
glish. Elle peut percer une galerie de 2,135 m
de diamètre. Ce même matériel devait être
La Société de Construction des Batignolles découvre l’exportation

également employé du côté anglais. Un banquet organisé au fond du puits de forage et présidé
par le Prince de Galles salua l’événement. L’expérience, bien que concluante, fut arrêtée, les géné-
raux britanniques s’étant opposés au projet. On n’en parlera plus jusqu’en 1920, époque où il fut
demandé à la CTRC de reprendre ses études en vue de la réalisation définitive de l’ouvrage projeté,
études rapidement décommandées à nouveau, pour des raisons économiques et politiques.

En 1880, sous les auspices de la Banque de France – dont Ernest Goüin était depuis 1875 un des
régents –, la Compagnie du Canal de Pierrelatte était constituée pour tenter de réaliser un projet
datant de Louis XIV.
Le 13 juin 1695, le Roi-Soleil en avait, en effet, accordé la concession à son cousin le Prince de
Conti, avec autorisation d’établir dans le Rhône une prise d’eau destinée à irriguer les territoires
des communes de Pierrelatte jusqu’à Mondragon. Mais ni le Prince de Conti, ni ses héritiers ne se
passionnèrent pour cette entreprise au point de la faire aboutir et, après un début d’exécution, le
canal fut comblé sous la Révolution. Napoléon voulut relancer le projet mais ne réussit pas à faire
reprendre les travaux, et les diverses tentatives lancées de 1838 à 1870 se terminèrent toutes en
désastre financier pour les concessionnaires.

Quand la Société de Construction des Batignolles accepte de s’intéresser à l’af-


faire, Ernest Goüin démontre que le canal latéral de 17 km sur la rive gauche du
Rhône et les canaux secondaires d’une longueur totale de 62 km sont insuffisants.
Il propose de porter le premier à 85 km, les seconds et leurs prolongements à
plus de 200 km. Ainsi, avec l’accroissement des zones irriguées, les redevances
versées par les communes concernées seront suffisantes pour assurer l’équilibre
financier. Plus de 20 000 hectares pourront être mis en culture. La Société du Canal
de Pierrelatte, soutenue par la Société de Construction des Batignolles, devait
devenir en quelques années une affaire parfaitement rentable. Techniquement,
la réalisation de ces travaux posa des problèmes délicats tels que les passages
sous la rivière de la Barre, sous le chemin de fer du Paris-Lyon-Méditerranée, sous
le moulin de Pierrelatte et sous le torrent des Écharavelles.

Le canal terminé, la Société crée la Compagnie des Chemins de Fer départe-


Voies ferrées mentaux des Bouches-du-Rhône, dont elle avait reçu la concession. Ce réseau
d’intérêt local de 178 km s’intercalait entre les grandes lignes du Paris-Lyon-Méditerranée,
auxquelles il apportait les éléments d’un trafic important en primeurs et en mi-
nerai d’aluminium. Il fut racheté par le département en 1906. La création de
cette Compagnie en 1884 fut un des derniers actes de gestion d’Ernest Goüin.

Au début de l’année suivante, la mort l’enlevait aux siens et à cette Société de


Construction des Batignolles qu’il avait créée et servie jusqu’à son dernier jour. Canal d’Orgon,
Le 26 mars 1885, une foule émue l’accompagnait à sa dernière demeure. Un des principaux in- Bouches-du-Rhône,
génieurs déclara : dessin à l’encre brune, 1784
© Collection Roger-Viollet
« Monsieur Ernest Goüin était toujours préoccupé de l’avenir des ingénieurs et des ouvriers de
tous grades attachés à sa maison... Il s’intéressait à tous ceux qui l’entouraient, jusqu’aux rangs les
plus modestes ; toute réclamation, bien ou mal présentée, justifiée ou non, était examinée sans
retard, avec bienveillance, chacun obtenant toujours au-delà de ce qui lui était dû. Tout agent, tout
ouvrier attaché depuis un certain nombre d’années à sa maison avait des titres établis à ses yeux et
pouvait compter sur son appui en tout temps, sur sa générosité si le malheur frappait à sa porte. »

Il avait également présidé le conseil des Prud’hommes de Paris et la chambre de Commerce, et il


siégea, de 1860 à 1875, au conseil municipal de Paris.
30
31
« L’INDUSTRIE NE FAIT QU’AFFAIBLIR LA MORALITÉ NATIONALE.
IL FAUT QUE LA FRANCE SOIT AGRICOLE. »

Talleyrand - D’après Michelet, Journal du 9 août 1834

Un atelier au Creusot
Archives Schneider
La crise économique de la fin du XIXe siècle et la première mondialisation

CRISE
LA ÉCONOMIQUE DE LA
FIN DU XIX SIÈCLE ET LA PREMIÈRE e

MONDIALISATION

LA CRISE ÉCONOMIQUE
La conjoncture économique se dégrade progressivement dès 1870 en Europe et au début des
années 1880 en France. Un krach bancaire et financier se produisit en 1881-1882 – on parlerait
aujourd’hui de l’éclatement d’une bulle spéculative – à l’issue duquel la croissance économique
diminua de moitié au Royaume-Uni et en France, passant de 3 % l’an à 1,5 % l’an. Les marchés
nationaux européens devinrent nettement moins porteurs pendant environ 15 années, ce qui pro-
voqua d’importantes difficultés pour nombre d’entreprises et poussa les plus dynamiques d’entre
elles, telles la Société de Construction des Batignolles ou Schneider, à rechercher de nouveaux
débouchés à la grande exportation.

Cette crise toucha, à la fois, l’agriculture et l’industrie lourde. Les cours des denrées agricoles
Mérite
s’effondrèrent d’un quart par suite de la mondialisation de leur marché et de l’apparition d’une Agricole
concurrence en provenance des pays nouveaux d’Amérique. Jules Méline, ministre de l’Agriculture
de 1883 à 1885 – il fonda le Mérite Agricole – fut l’un des principaux instigateurs de la mise en place
d’une politique protectionniste destinée à soutenir l’économie nationale, tant dans sa composante
agricole que dans sa composante industrielle. « L’école protectionniste » parvint à ses fins en 1892
par l’instauration du « double tarif douanier ».

Dans le domaine industriel, l’origine de la nouvelle concurrence était double. En Amérique du Nord, on
assista à l’émergence de grandes régions industrielles, comme celle des grands lacs ou celle des Appa-
laches, avec la ville de Pittsburgh qui devint un grand centre de sidérurgie, métallurgie et mécanique.
En Europe, la France et le Royaume-Uni furent, en outre, soumis à la très forte poussée alle-
mande avec l’essor de la Ruhr, et à la percée de la Russie. Face à cette concurrence renforcée,

32
33
NAÎTRE ET RENAÎTRE 4

leurs parts de marché décrurent de façon substantielle à la fin du siècle, comme le montre


le tableau ci-après :

Production de fonte et d’acier des grandes puissances économiques (en millions de tonnes)
USA Royaume-Uni Allemagne France Russie Autriche- Japon Italie
Hongrie
1880 9,3 8,0 4,1 1,9 0,95 1,0 - -
1900 10,3 5,0 6,3 1,5 2,2 1,1 - 0,1
1910 26,5 6,5 13,6 3,4 3,5 2,1 0,15 0,7
1913 31,8 7,7 17,6 4,6 4,8 2,6 0,25 0,9
D’après « Rise and Fall of Powers » de Paul Kennedy

Cette confrontation économique provoqua à la fois une guerre des prix et une recherche intense de
gains de productivité pour retrouver la compétitivité. La première entreprise française de sidérurgie
fut balayée. Plusieurs zones où s’était développée la « première industrialisation », notamment dans
le pourtour du Massif central, furent soumises à une crise aiguë : leurs installations industrielles
La Grande traditionnelles disparurent et il leur fallut se reconvertir face à la concurrence étrangère et à celle
Dépression de nouvelles régions comme le Nord et la Lorraine, qui réalisèrent d’importants investissements en
fin XIXe siècle
hauts fourneaux plus modernes et de plus grande capacité. Certains sites métallurgiques dans le
Forez, le Gard ou au Creusot optèrent pour une évolution intégrée vers l’aval. Délaissant largement
les industries métallurgiques de base, ils évoluèrent en deux décennies vers la métallurgie différen-
ciée, la mécanique lourde, la chaudronnerie, la production de tubes et l’électromécanique alors à
ses débuts. D’autres sites, en Ardèche ou dans l’Allier, disparurent au contraire de façon définitive.

La grande dépression de la fin du XIXe siècle, conséquence de la mondialisation des marchés et


de l’émergence de nouveaux acteurs, entraîna d’importantes mutations de l’industrie française.
Confrontée à l’apparition de produits de base à bas prix, elle dut résister pour survivre dans ses sec-
teurs traditionnels, élargir son portefeuille vers des activités à plus haute valeur ajoutée et s’orienter
vers la grande exportation, ce que firent avec succès des entreprises comme SCB ou Schneider.
Jules Méline

La politique protectionniste, mise en place à l’instigation de Méline, apporta un certain confort à


l’industrie nationale qui put reconstituer ses marges. Le gouvernement, qu’il dirigea en tant que
Président du Conseil à partir de 1896, en tira les bénéfices et enregistra une reprise de l’activité
économique et financière. Mais l’industrie française fut ensuite loin d’égaler les performances de
sa rivale allemande, sans parler de celles de l’industrie américaine, pendant la période qui précéda
le premier conflit mondial. La frilosité mène rarement au succès.

LA PREMIÈRE MONDIALISATION
ET LE DILEMME FRANÇAIS DE L’ÉPARGNE
Dans ce contexte, les Français eurent, il y a un siècle, le même type de réactions que celles ren-
contrées aujourd’hui. Le bouleversement des équilibres mondiaux et la remise en cause des flux
économiques traditionnels générèrent des frustrations et des inquiétudes profondes quant à leurs
conséquences potentielles sur les modes d’organisation et les styles de vie de la société française.
Les termes « mondialisation » ou « globalisation » n’étaient pas alors utilisés, mais on retrouve
durant la période 1870-1914 beaucoup des ingrédients qui caractérisent les phénomènes actuels :
apparition de nouvelles technologies, développement des communications, diminution des coûts de
transport, migrations de populations vers les pays à hauts salaires, mouvements massifs de capitaux
La crise économique de la fin du XIXe siècle et la première mondialisation

vers les économies émergentes, délocalisations industrielles... La Chine fascinait déjà par la taille de
son marché et les opportunités qu’elle pouvait offrir, mais elle effrayait aussi car on percevait que,
forte de son réservoir d’hommes, elle pouvait devenir « l’atelier du monde » et engendrer des baisses
de salaires associées à une dégradation générale des conditions de travail et à un accroissement
du chômage. Un économiste reconnu et compétent, Edmond Théry, écrivit Le Péril jaune en 1901.

La nature des problèmes auxquels se trouvèrent confrontés les différents pays et les réponses
qu’ils y apportèrent varièrent très sensiblement. Les grands bénéficiaires furent d’abord les États-
Unis où affluèrent à la fois hommes et capitaux. L’Allemagne, dont l’industrialisation avait débuté
plus tardivement qu’en Angleterre ou en France, procéda à des investissements considérables, les
banques orientant l’épargne vers l’industrie nationale. C’est ainsi que se créèrent les fondements
du capitalisme rhénan, qui vit pendant plus d’un siècle les établissements financiers étroitement
associés au contrôle capitalistique des groupes industriels. Certains pays subirent, à l’inverse, de
Edmond
véritables traumatismes. L’Irlande et la Suède, par exemple, perdirent 10 % de leur population en
Théry
raison des départs massifs vers le Nouveau Monde. L’Angleterre et la France se trouvèrent, quant à
elles, confrontées à des problèmes de gestion d’épargne. L’Angleterre, qui perdit progressivement
son leadership industriel car elle investissait moins que ses concurrents américains et allemands en
forte croissance, géra néanmoins ses excédents financiers de manière avisée. Elle les orienta à 30 %
vers ses colonies dont certaines, comme l’Inde ou l’Australie, recelaient un potentiel économique
conséquent, et à 70 % vers les États-Unis. La France dut faire face, comme le Royaume-Uni, à un
vieillissement des usines de la première industrialisation et à la saturation de ses besoins en matière
d’infrastructures de transport ferroviaire. Elle eut, en outre, un handicap complémentaire majeur, la
stagnation de sa population, qui ne favorisa pas le développement de la consommation et diminua
de ce fait les besoins de capacités industrielles.

Le pays, qui s’était remarquablement développé sous le Second Empire, bénéficiait de revenus ap-
préciables et donc d’une épargne disponible très abondante puisqu’il consommait et investissait peu.
Maintenir cette épargne en France aurait provoqué un effondrement des taux d’intérêt et déses-
péré les rentiers ! Il y eut bien des débats, souvent très vifs, à ce sujet, et il est intéressant de noter
que la frontière entre les groupes de pensée antagonistes ne suivait pas celle entre la droite et la
gauche. Certains cercles conservateurs se laissèrent aller à développer des opinions antisémites
pour justifier leur opposition à l’exportation de l’épargne, alors que d’autres la soutenaient parce
qu’ils craignaient l’arrivée du socialisme en France. À gauche ne régnait pas non plus l’unanimité.
Un homme comme Jean Jaurès était lui-même partagé. Il considérait que la France ne devait pas,
pour des raisons morales, soutenir le régime despotique du tsar, mais trouvait en revanche normal
que la France contribue au développement des pays émergents en y injectant une partie de son
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35
NAÎTRE ET RENAÎTRE 4

Henri épargne, à condition de faire preuve de mesure et de sagesse. Les industriels enfin étaient divisés.
Germain
Certains d’entre eux, et notamment les exportateurs de biens d’équipement tel Schneider, criti-
quaient fermement la politique financière de la France, qui facilitait parfois l’achat de produits de
leurs concurrents. On assista, à l’inverse, à des démarches actives de délocalisation, avec l’installation
d’usines et d’ateliers en Europe de l’Est.

Les tenants d’une politique de relance de l’investissement industriel en France n’eurent pas, en
définitive, gain de cause. Les gouvernements de la République optèrent pour la solution financière,
Titre russe de 1907
© Jean Vigne / Kharbine-Tapabor. le placement des excédents à l’étranger. Il y eut une
Illustration de Hilly tirée sorte de conjonction d’intérêts et de pulsions entre les
du Sourire du 9 février 1911 épargnants, les banques et les gouvernants. Attirés
© Collection Kharbine-Tapabor.
par un effet de mode, les petits épargnants se pré-
cipitèrent par millions sur les bons du Trésor de pays
exotiques, avec une certaine irrationalité, commune
en fait à toutes les spéculations, car le supplément
de rendement restait au demeurant assez faible. Les
grandes banques commerciales, qui engrangeaient
à l’occasion de la collecte des fonds de confortables
commissions, poussèrent évidemment dans le sens
de cette politique en la justifiant de façon un peu
spécieuse. Henri Germain, fondateur du Crédit Lyon-
nais, écrit ainsi dans le rapport d’activité de 1907 de
son établissement : « Les entreprises industrielles,
même les mieux conçues, même les plus sagement
administrées, comportent des risques que nous
considérons comme incompatibles avec les emplois
de fonds d’une banque de dépôts » 5. Cette stratégie visait sans aucun doute
à préserver les intérêts des actionnaires, mais le choix délibéré du courtage de
valeurs mobilières étrangères ne faisait guère de cas des risques encourus par
les clients ! Ceci étant, les gouvernements successifs de la IIIe République portent
une lourde responsabilité en la matière. Tout concentrés qu’ils étaient dans leur
volonté de revanche contre la Prusse, ils décidèrent d’utiliser la manne financière
dont ils disposaient pour s’attirer des amitiés à l’Est de l’Europe. Et même lorsqu’il
apparut que les finances publiques de notre allié russe étaient pour le moins chancelantes, les im-
pératifs diplomatiques s’imposèrent face au souci de transparence et de bonne gestion financière :
il fallait poursuivre dans les orientations antérieures et masquer la triste réalité ! Ceci se traduisit
Colonisation
française par des exportations continues de capitaux représentant 3,5 % du revenu national 6, pourcentage
au XIXe siècle supérieur au niveau actuel. Au début du XXe siècle, les avoirs français à l’étranger s’élevaient à 50
milliards de F 7. Seule la Grande-Bretagne nous dépassait en ce domaine, mais avec un portefeuille
d’actifs financiers beaucoup plus sain comme on l’a vu : 70 % aux USA. Les destinations prioritaires
des investissements financiers français étaient sensiblement plus risquées avec la Russie, le Proche-
Orient et l’Amérique latine. Les colonies ne donnèrent pas lieu à des investissements massifs avant le
5 - D’après Suzanne Berger, « Notre premier conflit mondial et ne prirent une importance significative que durant la période 1920-1940.
première mondialisation, Leçons
d’un échec oublié » La République
Il faut bien en convenir, l’approche géopolitique des dirigeants français conduisit notre pays à
des Idées, Le Seuil, 2003.
6 - « L’économie française au XIXe opter pour une stratégie d’investissements très audacieuse, les intérêts des épargnants passant
siècle » de Maurice Lévy-Leboyer manifestement au second plan : le résultat en fut désastreux au plan financier car, après la guerre,
et François Bourguignon, ils perdirent tous leurs avoirs. Les entreprises furent, quant à elles, confrontées pendant de longues
Paris Economica, 1985.
7 - Soit l’équivalent de 180 milliards années à un marché intérieur peu attrayant. L’exportation était, dans ce contexte, la seule voie de
d'€ 2010. secours pour les plus dynamiques d’entre elles.
La crise économique de la fin du XIXe siècle et la première mondialisation

La SCB ne resta pas, elle, à l’abri des frontières et partit à l’assaut du monde…
archives SPIE.

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37
« ... PENCHÉS À L’AVANT DES BLANCHES CARAVELLES
ILS REGARDAIENT MONTER EN UN CIEL IGNORÉ
DU FOND DE L’OCÉAN DES ÉTOILES NOUVELLES. »

José-Maria de Heredia - Les Conquérants

Portrait de Jules Goüin,


président de 1885 à 1908
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

L’ÉPOPÉE DE LA GRANDE
EXPORTATION
DE LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION DES
BATIGNOLLES
1885-1939

L e problème qui se pose, en 1885, est de trouver des débouchés pour la Société de Construc-
tion des Batignolles, devenue une entité industrielle aux activités multiples et à qui la France
n’offrait plus un champ d’expansion suffisant. Jules Goüin, confronté, en outre, à la récession
de la fin du siècle, consacrera ses efforts à faire de la SCB une entreprise susceptible d’opérer
dans le monde entier.

Si son accession à la direction de l’entreprise n’apporte aucune


modification importante à la conduite générale des affaires, Jules
Goüin marquera cependant de sa forte personnalité la politique de
la Société de Construction des Batignolles pendant les vingt-trois
années où il en assumera les responsabilités.

Il est, avant tout, un entrepreneur. Il a passé les premières années


de sa formation professionnelle sur les chantiers, en France et à
l’étranger, chantiers qu’il a souvent dirigés personnellement. Il
est ingénieur de travaux publics beaucoup plus que constructeur
de machines. Certes, il maintiendra à l’atelier de l’avenue de
Clichy sa réputation, en améliorera l’équipement, en accroîtra
la production et l’appellera à des fabrications nouvelles, mais
il gardera toujours au fond de lui-même la passion d’ouvrir
de grands chantiers dans des pays nouveaux, même les plus
lointains. Il sera parmi les premiers à s’installer en Chine et
en Amérique du Sud et enverra de nombreuses missions dans
38
39
NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

tous les pays du monde. L’atmosphère Télégraphe


générale est d’ailleurs particulièrement
favorable à ce genre d’entreprise.
Les capitaux s’enhardissent dans la
mise en valeur des pays neufs que
le chemin de fer et le télégraphe
ont rendus singulièrement
accessibles.

En 1885, le marché français


des infrastructures ferroviaires
était proche de la saturation,
la France ayant déjà réalisé la
majeure partie de ses grands
axes ferroviaires. Il ne restait
qu’à mailler le réseau, à le
compléter par des lignes
d’intérêt secondaire. La
SCB participa, bien sûr,
à ces nouveaux projets,
notamment dans le Puy-
de-Dôme et en Corrèze,
où elle créa des socié-
tés concessionnaires,
la Compagnie des
Chemins de Fer de
la Limagne et la So-
ciété d’Exploitation
des Chemins de
Fer de Corrèze.
Mais ces opéra-
tions, de taille réduite,
étaient insuffisantes pour les capa-
cités et les ambitions de la SCB. Il lui fallait
trouver de nouveaux espaces.

Plan parcellaire de la ligne


DES RIVES DE
de chemin de fer de Riom LA MÉDITERRANÉE À L’AMÉRIQUE DU SUD
à Volvic, janvier 1890
archives SPIE. Depuis 1876, époque où elle avait obtenu la concession de la ligne de la Medjerda, la SCB avait
acquis une célébrité incontestable en Afrique du Nord en construisant tronçon par tronçon, et au
prix de difficultés considérables, les lignes de chemins de fer déjà citées qui, permettant le transport
des voyageurs et des marchandises (phosphates, céréales, alfa, minerai de fer) avaient puissamment
contribué à l’essor commercial de la Tunisie et à son enrichissement.
Tout ce trafic commercial demandait un port. Tunis n’était pas accessible aux grands navires et il
fallait transporter la cargaison sur des barques jusqu’à la Goulette. Forte de son prestige dans le
pays, la SCB se vit confier la construction d’un nouveau port et d’un canal d’accès. Les travaux,
qui s’étendaient sur une distance de plus de 12 km, furent terminés avec 14 mois d’avance sur le
délai de 6 ans fixé au contrat.

SCB
Schneider SPIE
50

00

50

00
18

19

19

20
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

La Société tourne également ses regards vers la Mé-


diterranée orientale où, pendant un quart de siècle,
elle va participer aux travaux les plus importants. Elle
débute en Asie Mineure, en 1891, par le chemin de fer
de Moudania à Brousse (résidence des sultans avant
la prise de Constantinople) mis en service en 1892.

Cette même année, elle se voit confier la construction


de la ligne de Beyrouth, au Liban, à Damas, en Syrie.
Les tentatives de transport par route s’étaient avérées
peu convaincantes. Germa alors l’idée de construire un
chemin de fer d’une centaine de kilomètres qui, partant
de Damas, irait recueillir les céréales du Hauran, pays
qui en produisait environ 40 000 tonnes par an. Cette
ligne, ayant son origine au port de Beyrouth, franchit
successivement le Liban, à 1 467 m, la large vallée de
Maallaka, à 895 m, l’Anti-Liban, à 1 400 m, et aboutit à
Damas à 600 m. Pour surmonter de pareilles dénivella-
tions sur un parcours aussi réduit, il fallut adopter des rampes de 30 mm en voie courante. On dut, Port de Tunis,
de plus, recourir à deux rebroussements et à la crémaillère dans la traversée du Liban. Le rail central La Goulette, 1888-1893
denté se trouva ainsi employé sur 40 km de longueur, dans les sections où les déclivités varient de archives SPIE.

38 mm jusqu’à 70 mm par mètre. Les travaux comportaient de nombreux ouvrages et tunnels, et


ils furent gênés par les neiges. Malgré ces obstacles, la ligne fut terminée dans les délais prévus.

Après ces brillantes réalisations dans l’Est méditerranéen, la Société devient, en 1894, adjudicataire
pour la construction de deux lignes du réseau égyptien, celles de Menouf à Achmoun (25 km) et
de Belcas à Kafr-el-Cheik (45 km) en Basse-Égypte.

Mais la SCB n’entend pas limiter sa présence aux pays riverains de la Méditerranée et n’hésite pas
à aborder des contrées plus lointaines. Ainsi, en 1889, la Société obtient du gouvernement de la
République argentine la concession avec garantie d’intérêt de la ligne de Villa-Mercedes à La Rioja
(615 km de voies). Elle crée la Compagnie Française du Nord-Ouest argentin. Malheureusement
l’Argentine est déjà instable et la révolution, qui éclate peu de temps après, interrompt l’entreprise.
Le gouvernement rachète les 80 km construits entre Villa-Mercedes et la Toma pour les exploiter
La Goulette
lui-même.

Pont Troïtsky sur la Néva, construit en 1903 archives SPIE.

40
41
NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

Inauguration
à Saint-Pétersbourg
du pont Troïtsky
sur la Néva
par
p le Tsar Nicolas II
et la Tsarine,
le 19 mai 1903.
archives SPIE.
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

LES PROUESSES
DANS LES CONSTRUCTIONS DE PONTS

Contre l’Allemagne, qui essaie d’imposer partout son hégémonie, la France cherche des
alliances. Sa diplomatie s’oriente vers la Russie. En octobre 1896, Nicolas Il vient à Paris. En
août 1897, Félix Faure lui rend sa visite à Saint-Pétersbourg. La Société de Construction des
Batignolles récolte les fruits de ces contacts politiques et se voit chargée de la construction
d’un pont monumental sur la Néva, le pont Troïtsky. Le Président de la République française,
avec à ses côtés Jules Goüin, en pose la première pierre lors d’une somptueuse cérémonie.
Pour construire ce magnifique ouvrage, la Société dut créer sur les bords même du fleuve
un très important chantier, où furent assemblées et rivées les pièces préparées par un atelier
installé à Volynkino, faubourg de Saint-Pétersbourg.

Long de 580 m, large de 24 m, le pont comporte pour le passage des navires une travée mobile se
manœuvrant électriquement. L’inauguration, qui eut lieu le 19 mai 1903, en présence du Tsar et de
la Tsarine, constitua le clou des fêtes données à l’occasion du deuxième centenaire de la fondation
de Saint-Pétersbourg. Une flottille formée de petits bateaux datant de l’époque de Pierre le Grand
reçut les honneurs de navires de guerre géants, au milieu des hourras de la foule. Après l’achèvement
du pont, le gouvernement russe confia aux ateliers de Volinkyno l’exécution d’un grand nombre
de tabliers métalliques (environ 150), notamment pour le Transsibérien.

Ce pont Troïtsky ajoute encore à la renommée que les chemins de fer de Roumanie et le pont de
Budapest avaient déjà valu à la Société de Construction des Batignolles dans les Balkans. L’Europe
balkanique est à cette période aux mains de la SCB, grâce à son ingénieur-conseil Guérard. C’est
lui qui a étudié et dirigé les travaux des ports de Constanza (1891), de Bourgas et de Varna (1894-
1909), le premier exécuté en partie par Hallier, le second réalisé par la SCB.
Capitalisant sur ses références balkaniques, la
Société va obtenir, en Grèce, la concession de la
construction et de l’exploitation du chemin de fer du Viaduc de l’Assopos,
en Grèce
Pirée à Salonique. Une convention, signée en 1900
archives SPIE.
avec le gouvernement hellénique, régla toutes les
conditions de la création de cette ligne. Les deux
chaînes du Parnasse et des Monts Othrys furent
franchies grâce aux tours de force des ingénieurs :
on parvint, par une série de tunnels et de viaducs
d’une grande hardiesse, à établir une voie accrochée
au flanc de la montagne.
La deuxième partie de l’ouvrage, Larissa-Salonique,
ne put être commencée qu’en 1914, à la veille des
hostilités. Il fallut la continuer en pleine guerre, avec
des moyens de fortune et au prix de mille sacrifices.
Mais les services rendus par cette ligne pour le ravi-
taillement de l’armée d’Orient devaient récompenser tous ces efforts.

Quand la Société entreprend, en 1902, ces travaux en Grèce, elle peut fournir la caution d’une Le viaduc
réussite exceptionnelle dans son domaine d’excellence, les grands ouvrages d’art métalliques. de Viaur
Elle accumule les références à l’étranger, bien sûr, mais également en France où cette même
année sera lancé, sur la ligne de Carmaux à Rodez, le fameux viaduc du Viaur. Faire passer
un chemin de fer à 115 m de hauteur au-dessus d’une vallée large de 500 m avait posé un
problème technique que vingt ans d’études n’avaient pu résoudre avant que l’administration
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43
NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

s’en remit à la solution présentée par l’ingénieur Paul Bodin, de la Société de Construction
des Batignolles, au concours ouvert entre les constructeurs les plus réputés. Ce pont, qui
présente une travée centrale de 220 m d’ouverture, établit un record mondial en son temps.

Viaduc de Viaur archives SPIE.

Il est à noter que, cent ans plus tard, Spie Batignolles,


filiale travaux publics de SPIE, s’est vue confier la réalisa-
tion sur le même site d’un viaduc routier qui surplombe
la vallée à plus de 130 m de hauteur. Ce nouveau viaduc
du Viaur a battu le record de France des ponts en encor-
bellement avec une travée centrale de 190 m de long.

Mais c’est en Chine que la SCB se distingua plus parti-


culièrement. Après la guerre de Corée et à la suite des
défaites chinoises, la France y avait, en effet, obtenu
d’importants contrats.
Il y eut, tout d’abord, la ligne Pékin-Hankéou dont la
L’ingénieur Paul Bodin
SCB construisit les ponts métalliques. Parmi de nombreuses réalisations, la plus « sensationnelle »
fut celle du viaduc sur le Faux-Namti – qui réunit deux tunnels en franchissant
un torrent à parois presque verticales, à une hauteur de 120 m. Toutes les
pièces élémentaires durent être transportées sur de mauvaises pistes, à dos de
cheval, aucune ne pouvant peser plus de 40 kilos et mesurer plus de 2,50 m.
Il était, dans les conditions du chantier, impossible d’établir un échafaudage
pour construire le viaduc. Il fallut monter les demi-fermes presque verticalement
sur leurs appuis, puis les faire basculer dans leur position définitive. Quant au
tablier droit, après avoir été hissé par tronçons, il fut monté directement sur
l’ensemble des deux demi-fermes. Tout ce travail si délicat fut parfaitement
réussi. Et il eut ensuite l’incroyable aventure du Yunnan…

Paul Bodin

Viaduc de Faux-Namti
(Yunnan)
archives SPIE.
SCB
Schneider SPIE
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1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

Le Chemin
Che de fer du Le traité du 9 juin 1885 avec le gouvernement
Yunnan fut une réali- chinois, qui mit fin au conflit soulevé précisé-
sation « folle », issue ment par l’occupation française du Tonkin, pré-
d’une ppolitique colo- voyait dans son article 7 la création de voies de
nial
niale débordante, communication entre cette province et la Chine
et dont la réa- pour rendre plus fréquentes et plus sûres les
lis
lisation d’une relations commerciales.
in
incroyable dif-

ficulté revêt La région du Yunnan, ravagée par les guerres
le
les caractéris- civiles, habitée par une population clairsemée,
ttiques d’une ne paraissait pas offrir matière à une intense
vvéritable épo- activité économique, mais elle était l’anti-
pée qui se chambre de la riche province du Se-Tchouan.
retrouve sou- Dès 1887, un grand programme
vent contée de travaux publics, élaboré par
dans les une commission interministé-
histoires de rielle siégeant à Paris, inclut le
concessions. chemin de fer de la vallée du
Fleuve Rouge au Tonkin et son
Le Yunnan, prolongement vers le Yunnan.
province
chinoise si- En 1897, une mission d’études
tuée au nord était envoyée par le ministre
du Tonkin, des Affaires étrangères, sous
était presque la direction de M. Guillemoto,
inaccessible. Pour le relier par voie ferrée à ingénieur en chef des Ponts et
la Birmanie, le gouvernement anglais avait Chaussées, pour procéder à
tenté de construire une ligne, au départ de une reconnaissance préa-
Rangoon, sur le golfe du Bengale, mais elle fut lable du chemin de fer
abandonnée en 1903 en raison des difficultés et à une étude géolo-
techniques. gique et minière.

Le gouvernement français qui avait pris pos- Or, après le conflit


session de la péninsule indochinoise sou- sino-japonais et l’in-
haita, par conséquent, ouvrir une voie de tervention étrangère,
communication entre sa colonie et la Chine. la Chine accorda des
Celle-ci, avec ses 400 millions d’habitants privilèges à divers États
et ses immenses richesses naturelles, appa- étrangers. Le gouvernement
raissait comme un incomparable débouché de la République voulut donc se
pour l’industrie et le commerce européens. prévaloir de l’égalité de traitement et

Et il y eut l’incroyable
aventure du Yunnan… 44
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

demanda la concession définitive d’une ligne


de chemin de fer vers la ville de Yunnanfou.
La clause des accords du 10 avril 1898, relative
à cette concession, est ainsi conçue :
« Le gouvernement chinois accorde au gouver-
nement français, ou à la compagnie française
que celui-ci désignera, le droit de construire un
chemin de fer allant de la frontière du Tonkin
à Yunnanfou, le gouvernement chinois n’ayant
d’autre charge que de fournir le terrain pour la
voie et ses dépendances. »
Signalons la disposition finale aux termes de
laquelle :
« Le gouvernement chinois, au bout de 80 ans,
pourra entamer des négociations avec le gou-
vernement français pour reprendre la voie et « Article 3. -
toutes les propriétés s’y rattachant, moyen- Le gouvernement général de l’Indochine est
nant le remboursement intégral des frais de autorisé à accorder une garantie d’intérêt à
construction, de la main-d’œuvre industrielle, la Compagnie qui serait concessionnaire de
ainsi que des garanties d’intérêt payées et des la ligne de Lao Kay à Yunnansen et prolonge-
dépenses de toute nature imputables au che- ments, sans que le montant annuel puisse ex-
min de fer. » céder 3 000 000 F et leur (sic) durée 75 ans…
Le parlement français vota une loi (L. 25 dé- garanti par le gouvernement de la République
cembre 1898) autorisant la construction de française. »
chemins de fer en Indochine, parmi lesquels
figurait la ligne de Haïphong à Lao Kay, et La Banque de l’Indochine, le Comptoir Natio-
contenant, sur le chemin de fer du Yunnan, dont nal d’Escompte, la Société Générale, le Crédit
l’avant-projet établi par la mission d’études Lyonnais, le Crédit Industriel et Commercial,
avait été présenté aux la Banque de Paris et des Pays-Bas formèrent,
Chambres,
Chambre un article avec la Régie Générale de Chemins de Fer et
ainsi rédigé
ré : la SCB, un consortium qui envoya au Yunnan
une mission d’études, en mars 1899. La tâche
leur parut extrêmement difficile, aléatoire et
coûteuse : traversées de montagnes, terrains Le chemin de
fer du Yunnan
ébouleux, matériaux insuffisants, pays dé-
nué de ressources et de facilités de ravitaille-
ment, population clairsemée et hostile, dont
un soulèvement avait même mis en danger les
membres de la mission d’études, furent autant

Et il y eut l’incroyable
aventure du Yunnan…
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

de facteurs qui re- Cette convention de concession fut approuvée


froidirent l’enthou- par une loi du 5 juillet 1901, et la « Compagnie
siasme des établis- française des Chemins de fer de l’Indochine et
sements financiers. du Yunnan » fut constituée définitivement le 10
L’évaluation du coût août suivant.
d’exécution à 70 mil- La tâche la plus immédiate et la plus lourde de
lions de F, rappor- la Compagnie était la construction de la ligne
tée par la mission du Yunnan confiée aux deux sociétés, la Régie
Guillemoto, était Générale de Chemins de Fer et la Société de
d’ailleurs manifes- Construction des Batignolles, qui formèrent la
tement insuffisante. « Société de Construc-
Une convention fut tion de Chemins de Fer
néanmoins signée Indochinois », au capital
avec l’État en juin de 4 millions de F. Le 23
1901. M. Doumer septembre 1901, la Com-
– gouverneur général pagnie concessionnaire
de l’Indochine – déclara qu’il avait dû, pour dé- concluait avec cette So-
cider les membres du consortium, user de toute ciété une convention par
son influence. laquelle elle lui confiait
La section en territoire tonkinois, d’une lon- l’exécution des travaux,
gueur de 385 km, dont le coût d’exécution était moyennant un prix forfai-
évalué à 50 millions de F 8, devait être construite taire de 95 millions de F
par la colonie et remise au concessionnaire résultant des conclusions
dans des délais qui permettaient de l’utiliser de la mission technique.
pour la construction de la section de Lao Kay à Et, tout de suite, on se
Yunnanfou, laquelle devait être exécutée par le mit à l’œuvre.
concessionnaire lui-même. La Compagnie et la Société comprirent très vite
L’ensemble ferait l’objet d’une exploitation que ce tracé donnerait lieu à de grosses diffi-
unique. Le coût de construction de la section de cultés en raison de la mauvaise tenue des ter-
Lao Kay à Yunnanfou étant évalué à 95 millions, rains, notamment, dans la vallée du Sin-Chien,
et les frais de constitution de la Compagnie, et de la nature très accidentée du pays. Elles
les frais généraux pendant la construction et le proposèrent à l’autorité concédante, à la fin
fonds de roulement de l’exploitation exigeant 1902, un nouveau tracé qui leur apparaissait
un total de 6 millions de F, le capital nécessaire moins risqué à travers la vallée du Nam ti et qui
à la Compagnie avait ne nécessitait pas d’accroissement du nombre
été fixé à 101 mil- des ouvrages.
8 - Soit l’équivalent de 180 millions
lions de F 9. de € 2010.
En dépit de ce changement, des mécomptes de 9 - Soit l’équivalent de 360 millions
tout genre assaillirent l’entreprise tout au long d'€ 2010.

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

de ce chantier dont approuvée par la loi du 30 mars qui, d’une


la complexité dépas- part, garantissait les ressources financières
sa tout ce que ses nécessaires à la continuation des travaux, et,
promoteurs avaient d’autre part, déférait à un tribunal arbitral les
imaginé. Elle dut demandes formulées par la Compagnie, tant
affronter une foule pour la section chinoise que pour la section
de problèmes et de tonkinoise de la ligne de Haïphong à Yunnan-
difficultés dans tous fou. Le jugement fut rendu le 13 avril 1908.
les domaines : aug-
mentation énorme Aux termes de ce jugement, le montant
de la masse des travaux par rapport au devis total des sommes en litige était évalué à
initial, rareté, prix élevé et mauvaise qualité 158 millions de F 10, dont 25 millions incombant
de la main-d’œuvre, insalubrité meurtrière de à la Compagnie et 133 millions à la Colonie.
la vallée du Nam ti, désorganisation des chan- Mais la Société de Construction de Chemins
tiers par les troubles de 1903, insuffisance des de Fer Indochinois estima que les quantités
services de police et de justice pour assurer d’ouvrages et les prix unitaires alloués par les
la protection et la sécurité sur les chantiers, arbitres pour l’achèvement de la ligne étaient
pertes causées par les variations du cours de la inférieurs aux nécessités réelles et préféra se
La guerre
piastre – unité monétaire en Chine – auxquelles mettre en liquidation amiable le 14 mai 1908.
russo- les répercussions de la guerre russo-japonaise
japonaise donnèrent une amplitude inattendue et retard Un arrangement intervint avec la Compagnie
dans l’ouverture de la ligne du Tonkin. La So- concessionnaire qui, résolue à poursuivre
ciété demanda, par conséquent, à la Compa- jusqu’au bout sa tâche, procéda à l’achèvement
gnie, en 1906, la révision du prix forfaitaire de des travaux en utilisant l’organisation et les
95 millions. Mais, dès ce moment, la Compa- moyens d’action constitués par la Société de
gnie demanda la révision de la convention de Construction, en conservant ses équipes.
concession.

Une commission interministérielle fut nommée


pour examiner les griefs allégués
égués par la Com-
10 - Soit l’équivalent de 570 millions pagnie et éclairer le ministree des Colonies sur
d'€ 2002 la recevabilité de sa demande. Une
sous-commission fut ut envoyée au Yun-
nan pour faire un rapport sur la ges-
tion du projet et surr les conditions de
son achèvement.

En 1907, une convention


nvention entre le
Gouvernement et la Compagnie fut
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

LA SCB ET LE PREMIER CONFLIT MONDIAL

La disparition de Jules Goüin, le 10 septembre 1908, ne devait pas changer fondamentalement les
grandes orientations stratégiques de la SCB en matière de construction. Son fils Gaston lui succède
et il est, comme son père, attiré par les pays neufs. Il réalise à partir de 1905, en participation avec
un groupe financier, les travaux d’assainissement de la ville de Santiago, au Chili, où il installe un
vaste réseau de distribution d’eau potable comportant plusieurs centaines de kilomètres de cana-
lisations. Les travaux sont réceptionnés en 1911.

À la même époque, la SCB prend la direction des travaux d’amélioration du port de Pernambouc,
au Brésil, où elle construit 3 000 m de quais, un pont métallique et les équipements de levage.

Mais l’éclatement du premier conflit mondial va tarir l’activité de génie civil. Le dernier grand chantier
de la SCB, avant le déclenchement des hostilités, sera la liaison ferroviaire Rhin-Rhône, entre Brigue
et Dysentis, réalisée dans un site montagneux très complexe, pour le compte des Chemins de Fer
Helvétiques. Tous les contrats internationaux seront interrompus. Le seul qui reprendra, pour des
raisons stratégiques, sera le second tronçon du chemin de fer grec. En 1916, la jonction est établie
entre les deux sections des chemins de fer helléniques, à Papapouli. Dès lors, les
armées d’Orient peuvent recevoir avec régularité les armes et le ravitaillement,
Gaston Goüin qui ne leur parvenaient que très difficilement par la mer.

Lorsque la guerre de 1914 éclate, une grande partie de la main-d’œuvre est


mobilisée et, tandis que Gaston Goüin demande et obtient de partir pour le
front comme lieutenant, les ateliers de l’avenue de Clichy consacrent tout leur
potentiel industriel à la fabrication de matériel de guerre : ceintures de roues,
pare-balles pour canons Hotchkiss, trains blindés, affûts de canons, et d’énormes
quantités de bombes sortent à présent de l’entreprise qui conçoit et réalise un
nouveau type de mortier de tranchées, aussitôt adopté par l’armée française
et par les armées alliées, puis un canon qui lance des projectiles de 17,5 kg, et
un canon de 105 pour la défense aérienne.

Gaston Goüin, rappelé des armées à la demande de ses collègues de la Chambre


Syndicale des Fabricants et des Constructeurs de Matériel pour Chemins de
Fer, peut ainsi, dès son retour, donner l’impulsion nécessaire aux ateliers de
l’avenue de Clichy et consacrer toute son énergie à la création de canons de
tranchées et d’artillerie lourde.
Gaston Goüin se préoccupe, également, du rôle que l’industrie pourrait jouer
après la victoire : les compagnies de chemins de fer françaises et étrangères
devront reconstituer leurs parcs de matériels et la reconstruction de l’Europe sera
une nécessité. C’est pourquoi la SCB crée le 26 mai 1917 la Compagnie Générale de Construction de
Locomotives Batignolles-Châtillon (LBC) en association avec la Compagnie des Forges de Châtillon,
Commentry et Neuves-Maisons. En contrepartie de l’apport d’un ensemble de terrains construits
de 23 hectares dans le quartier Saint-Joseph à Nantes, la SCB détiendra une participation de 50 %
dans la nouvelle société. Gaston Goüin renforce ainsi, et de façon substantielle, la position de son
groupe dans le secteur ferroviaire.

Dès 1920, dans ses ateliers 11 dotés d’un outillage moderne et où sont mis en pratique les principes
du taylorisme étudiés en Amérique, sa filiale fabrique en effet près de 200 locomotives par an et en
répare 120 dans le même temps. Cette stratégie va s’avérer judicieuse pendant quelques années, 11 - Leur surface couverte s’étendait
permettant à la SCB de dégager de confortables excédents financiers. sur près de 5 hectares.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

Malheureusement, Gaston Goüin ne


devait pas voir la conclusion des efforts
qu’il avait entrepris pour permettre à
la Société de repartir de l’avant après
la guerre. Il n’avait pas 44 ans lorsque
la mort l’emporta. Il venait d’être fait
chevalier de la Légion d’honneur.
C’est alors à Édouard Goüin qu’in-
comba la charge de diriger cette So-
ciété. Mais sa présidence, interrom-
pue brutalement par son décès, dura
tout juste un an.

LA SORTIE DES ACTIVITÉS MÉCANIQUES


La disparition des deux dirigeants, à un an d’intervalle, eut des conséquences considérables sur le
destin de la SCB. Leurs successeurs ne surent pas, en effet, faire preuve de la même vision straté-
gique et du même leadership que leurs prédécesseurs.

Le retournement brutal du marché ferroviaire, en 1924, laissa la SCB sans réaction. Jean-Roland
Gosselin, neveu de la femme du fondateur, qui succéda à Édouard Goüin, n’avait pas anticipé cette
évolution. La trésorerie dégagée pendant la période florissante des activités mécaniques et militaires
ne fut pas réinvestie pour améliorer la productivité. De plus, aucune diversification majeure ne fut
engagée dans ce secteur. L’entreprise enregistra de lourdes pertes en 1925, ce qui contraignit Jean-
Roland Gosselin à la démission. La situation des activités mécaniques ne pouvait plus désormais
être redressée et les ateliers de l’avenue de Clichy furent fermés.

Sans base de marché solide en France métropolitaine, sans réel savoir-faire en bâtiment, la SCB
n’avait pu bénéficier de la reconstruction. En outre, ne s’étant pas orientée vers les infrastructures
de production et de transport d’électricité, elle n’avait pas accès à ce marché, l’un des rares offrant
un potentiel de croissance.

LES CHANTIERS GÉANTS DE CONSTRUCTION


Les dirigeants de la SCB se contentèrent donc de poursuivre la politique antérieure des grands pro-
jets export, en s’orientant principalement vers l’Europe de l’Est et vers les colonies. Deux chantiers
phares marquent cette période : le port de Gdynia, en Pologne, et le chemin de fer Congo-Océan.

Ernest Goüin, troisième fils de Jules, qui deviendra président en 1931, est chargé de faire évoluer
les activités du groupe pour, en particulier, lui faire acquérir un savoir-faire dans le bâtiment 12.
Mais en fait, il poursuivra, lui aussi, la politique des grands chantiers de ses prédécesseurs. À partir
de 1930, après la cession des activités de construction métallique, le chiffre d’affaires France est
pratiquement négligeable, l’activité se répartissant pour un tiers dans les colonies et pour deux tiers
à l’export, principalement en Europe de l’Est (voir annexes 4 et 5).
En France, le principal chantier dans les années 30 fut la reconstruction du barrage de Suresnes,
12 - Il est, en effet, architecte de réalisé dans les temps en dépit d’une crue exceptionnelle.
formation.
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C’est sous la présidence de Jean-Roland Gos- une série de bassins pris sur la mer et limités
selin que la SCB fut appelée à entamer la plus par des quais d’une longueur totale de plus de
importante de toutes les constructions entre- 7 km, ainsi que les dragages afférents se mon-
prises après la Première Guerre : la création du tant à 16 millions de m3. À cette occasion, les
Port de Gdynia. ingénieurs français inaugurent une méthode
La victoire des alliés avait donné une petite originale pour les quais. Les caissons en béton
côte en mer libre à la Pologne, mais le port de armé sont couchés sur le sol, leur base étant
Dantzig restait ville internationale. Les Polo- dressée verticalement et tournée vers le large.
nais voulurent avoir leur port à eux. En 1923, le Après prise complète du béton, le sol est dra-
gouvernement polonais fait procéder à l’étude gué devant et sous chaque caisson qui est re-
de divers emplacements et fixe son choix sur morqué au lieu de pose, puis immergé.
Gdynia, un petit port de pêche dont la minus-
cule jetée abrite trente barques. Le 31 décembre 1930, les travaux de la pre-
En six ans, grâce à l’activité et à l’énergie des mière tranche sont terminés et livrés à l’exploi-
entreprises, une cité de 30 000 habitants et un tation. La ville de Gdynia est déjà passée à 32
port moderne, doté de tous les perfectionne- 000 habitants. Elle s’étend sur 14 km2.
ments techniques, vont surgir de terre. En 1931, on procède à l’aménagement du port
La construction du port est confiée à un consor- en construisant 21 km de voies ferrées. En
tium formé par la Société de Construction des 1938, le trafic général annuel du port atteint
Batignolles, MM. Schneider, la Société Hersent 9 millions de tonnes. Gdynia arrive ainsi au
et quatre autres sociétés d’Anvers et de Copen- quatrième rang des ports du Nord de l’Europe.
hague.
Les travaux comprennent l’exécution, en deux
étapes, de 5 500 m de brise-lames protégeant

Le port Gdynia

de Gdynia 50
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

Dès 1882, Savorgnan de en pleine brousse le très important matériel


Brazza avait compris la nécessité par de gros terrassements, par le
nécessité de désencla- percement des tunnels, par les transports de
ver l’intérieur du Congo matériel le long des chantiers. Sur une seule
pour en exploiter les section, on construisit dix-huit grands viaducs
richesses. Bien que la d’une longueur totale de 2 km.
distance de Brazzaville à
Pointe-Noire ne soit pas Le seul tunnel du Bamba, dans le Mayombé,
très longue, 512 km, le avait 1 690 m de long et en dépit des moyens
transport de marchan- employés, son percement fut, ainsi qu’on
dises ne pouvait s’ef- l’avait prévu, extrêmement difficile, la roche
fectuer par les pistes très dure faisant brusquement place à des
existantes. Seule l’ou- roches schisteuses ou à de l’argile imprégnée
verture d’une voie ferrée d’eau.
pouvait apporter une so-
lution satisfaisante. En Concernant cette section de l’ouvrage, l’ins-
1910-1911, le Consortium pecteur des Colonies Huet a pu dire :
d’Études de Chemins de « Le Mayombé : montagne de 500 m, objecte-
Fer, dont faisait partie la ront les profanes. Il faut avoir vu, pour le croire,
Société de Construction le parti imprévu que la nature a su tirer de ces
des Batignolles, établit montagnes, ce qu’elles peuvent comporter de
un avant-projet approu- torrents et de ravins abrupts. Il faut avoir vu la
vé par le Conseil Supé- forêt primaire recouvrir ces pentes et y entrete-
rieur des Travaux Publics nir une obscurité constante et putride.
en 1913. Le 23 juillet Il faut, enfin, avoir reconnu la qualité, détes-
1922, une convention est tablement traîtresse, des terrains sous-jacents
passée avec la Société de Construction des Ba- où alternent les schistes décomposés et les
tignolles qui s’engage à construire le chemin marnes aux glissements imprévus ou, au
de fer sur 172 km à partir contraire, les filons des roches les plus dures
de Pointe-Noire. Les pre- pour lesquelles on est contraint d’user de la
miers transports devaient mine. Les constructeurs ont eu affaire là, pen-
donc se faire par portage, sons-nous, à un ensemble peu commun de dif-
sur des pistes peu sûres. ficultés. »
Il fallait construire 18 via-
ducs et percer 11 tunnels. Finalement, la forêt équatoriale et le massif
du Mayombé furent vaincus. La Société de
Dès janvier 1923, la So- Construction des Batignolles avait effectué
ciété ouvrait ses chantiers. une tâche gigantesque et, en 1934, le chemin
Après des mois d’efforts de fer Congo-Océan était devenu une réalité.
surhumains, on put voir Grâce à lui, les entreprises minières purent

Ombres et lumières
du Congo-Océan
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

désormais expédier le manganèse, le cuivre, Le rapport du ministère des Travaux publics,


le plomb, etc. Pointe-Noire allait devenir un tout en soulignant la parfaite exécution des
grand port... travaux du Congo-Océan, rend hommage aux
ingénieurs de la Société de Construction des
Ici, comme en Tunisie, en 1880, l’existence du Batignolles qui « ont fait preuve d’une compé-
rail était étroitement liée à celle d’un débou- tence inégalable et d’une remarquable com-
ché maritime : l’un ne se concevait pas sans préhension de l’intérêt public, et au personnel
l’autre. Tête de ligne du Congo-Océan, le port qui a constamment manifesté sa valeur profes-
de Pointe-Noire devait desservir le Moyen- sionnelle et son esprit de dévouement ».
Congo et l’Oubangui et être un port d’escale

et de cabotage. Le vaste projet comprenait la Ces appréciations élo-


construction d’une digue de 2 400 mètres et gieuses passent totale-
plus de 2 kilomètres de quais. Un concours fut ment sous silence la face
ouvert que gagna la Société de Construction cachée de cette gigan-
des Batignolles. tesque entreprise, face
Les travaux commencèrent le 12 juin 1934. Le beaucoup moins glorieuse,
projet qui avait fait l’objet du marché fut sou- beaucoup plus sombre...
mis, sous la pression des circonstances, à des Pour la réalisation des
modifications importantes. grands chantiers, l’admi-
On devait, en premier lieu, construire un wharf nistration des colonies
pour l’embarquement et le débarquement du fournissait des travailleurs
matériel destiné au Congo-Océan. On prévoyait locaux recrutés par ses
ensuite un vaste port en eau profonde outillé soins dont elle assurait
pour suffire à tous les besoins de l’Afrique le paiement des salaires,
Équatoriale française. Tous les travaux d’in- les entreprises prenant en
frastructure furent terminés en 1942. charge de leur côté l’hébergement et la nour-
riture. Ce recours à ce qu’il faut bien appeler
« travail forcé » était en principe avantageux,

Chemin de
Savorgnan Le chantier
fer Congo –
de Brazza sanglant
Océan

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

car il permettait aux entreprises de disposer de tances furent mal organisés et entraînèrent de
main-d’œuvre à très faible coût et d’éviter ainsi nombreux décès. Sur le site, l’hébergement
des investissements lourds en matériel. précaire, le ravitaillement irrégulier et insuffi-
sant, les conditions climatiques éprouvantes,
Il va toutefois sans dire que la pénibilité extrême des travaux, furent autant
les travailleurs, presque tou- de causes de maladies et d’accidents.
jours recrutés contre leur gré,
n’étaient ni désireux, ni en me- L’affaire tourna même au scandale, la presse de
sure, compte tenu des mauvais la métropole évoquant un drame qui se jouait
traitements qu’ils subissaient au Congo. Le grand reporter Albert Londres
fréquemment, de faire preuve avança le chiffre de 17 000 morts. Il n’était
de beaucoup de zèle dans sans doute pas loin de la réalité, les études
l’exécution de leurs tâches. réalisées ultérieurement confirmant cet ordre
Les entreprises utilisaient, en de grandeur. Dans la région du Mayombé, le
fait, des méthodes archaïques chantier s’avéra particulièrement meurtrier, le
avec des rendements déri- taux de décès s’élevant à plus de 20 % pour la
soires, les transports s’effec- main-d’œuvre originaire de la région côtière.
tuant à dos d’homme et les
terrassements à la main... Cette véritable hécatombe fut ensuite oubliée
ou passée sous silence... Le succès technique
Dans le cas du Congo-Océan, passa au premier plan, et la SCB bénéficia des
la SCB eut recours à cette for- retombées médiatiques de ses réalisations
mule, qui en l’espèce était to- à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931
talement inadaptée en raison organisée par le maréchal Lyautey. Pour ce
des effectifs considérables que qui est des habitants de l’Afrique équatoriale
nécessitait le chantier. Près française, ce fut une toute autre affaire. Les
de cent trente mille hommes déplacements de populations autochtones et
participèrent, en effet, à la l’indisponibilité des travailleurs mobilisés à la
construction de la ligne, soit réalisation d’un ouvrage dont l’ampleur dépas-
12 % environ de la population sait de très loin les possibilités locales, désor-
d’hommes adultes des zones ganisèrent les structures tribales et le fragile
soumises au recrutement. équilibre qui caractérisait l’économie de sub-
La région du Congo, très peu sistance de ces contrées. À l’issue de ce gigan-
peuplée, n’était évidemment tesque chantier, le Congo était exsangue...
pas capable de fournir les ef-
fectifs nécessaires. Il fallut faire
appel à des populations originaires du Moyen-
Congo, du Tchad et de l’Oubangui-Chari. Les
transports de personnel sur de longues dis-

Exposition L’Afrique
Albert coloniale
internationale équatoriale
Londres
(1931) française
1885-1939 : l’épopée de la grande exportation de la Société de Construction des Batignolles

En Europe de l’Est, la SCB poursuivit le chantier de Gdynia


jusqu’à la guerre et remporta, face à la concurrence alle-
mande, un très important contrat d’assainissement dans
la province du Pantchevo, en Yougoslavie. Par la suite,
la société put réaliser une voie ferrée dans la zone ainsi
asséchée.

En Afrique, la SCB réalisa, outre ses chantiers du Congo,


le port de Tamatave à Madagascar et celui de Djibouti
dans le golfe d’Aden. Elle commença également, avant le
second conflit mondial, un énorme barrage sur le fleuve
Niger, près du village de Sansanding.

Comme on le voit, elle concentrait, à cette période, l’essen-


tiel de ses activités sur un petit nombre de contrats géants.
Plan du port de Tamatave,
Madagascar, 1932
BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER DE LA SCB archives SPIE.

DE SA CRÉATION AU SECOND CONFLIT MONDIAL


1re PHASE : LA CRÉATION DES ÉTABLISSEMENTS
ERNEST GOÜIN ET LES DÉBUTS DE LA SCB
Ernest Goüin, entrepreneur charismatique et innovant, sut insuffler du année effectifs
dynamisme à ses équipes tout en maîtrisant les risques économiques et
(personnel ouvrier)
financiers, dans une période riche en opportunités mais qui, néanmoins,
ne fut pas exempte d’importantes crises politiques. Dix ans après sa 1849 350
création, l’entreprise employait plus de 2 000 ouvriers. 1852 500
1854 1200
La croissance du chiffre d’affaires et des résultats des Établissements
1856 2000
Ernest Goüin (cf. annexe 3-a) fut véritablement exceptionnelle
Source : Thien Rang-Ri Park, volume 1.
pendant l’âge d’or que constitua le Second Empire
pour les entreprises et pour l’économie française.
Exercices Capacité d’autofinan-
Les marges, encore réduites pendant les années de
cement/CA TTC
jeunesse de l’entreprise, s’envolèrent littéralement à
partir de 1860. À titre d’illustration, la capacité d’au- 1846-47 à 1855-56 2,6 %
tofinancement évolua comme suit : 1856-57 à 1859-60 3,9 %
1860-61 à 1864-65 13,9 %
D’abord constructeur de locomotives, Ernest Goüin éten- 1865-66 à 1870-71 38,0 %
dit son activité aux charpentes métalliques et décida de Cf. annexe 3-a
devenir entrepreneur de travaux publics, comprenant
l’énorme potentiel que recelait le marché des infrastructures ferroviaires. Dans la décennie 1860,
la part du génie civil dépassa 40% du chiffre d’affaires. Cette évolution s’avéra comme un choix
stratégique déterminant, qui marqua en profondeur la culture de l’entreprise.

Quand les lumières de l’Empire s’éteignirent, les agapes se firent plus frugales. La concurrence devint
plus rude dans un marché ferroviaire en forte régression, car la construction du réseau français de
voies ferrées marqua une pause jusqu’à la relance du plan Freycinet en 1878. Fort des références de
la SCB et de la qualité de ses équipes, Ernest Goüin entreprit alors de se développer hors de France
– principalement dans le domaine colonial des travaux publics – portant ses efforts sur l’empire
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55
NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

Exercices Capacité d’autofinan- colonial français en cours de formation et sur l’Europe (cf.
cement/CA TTC annexes 3-b et 3-c). La part des activités « mécaniques et
1872-73 à 1875-76 10,2 % métalliques », encore largement prédominante à la fin
1876-77 à 1880-81 13,7 % de l’Empire, ne représentait plus que 20 % de l’ensemble
1881-82 à 1884-85 13,3 % en 1885, à la disparition d’Ernest Goüin.
Source : Thien Rang-Ri Park, volume 1.
Grâce à cette stratégie « projets infrastructures ferro-
viaires export », l’entreprise réussit une brillante perfor-
mance. Bénéficiant en outre du « 3e réseau » en France, elle multiplia par plus de 3 son chiffre
d’affaires 13 de 1870 à 1885.
Fives-
Lille
Les marges fléchirent d’abord fortement – elles revinrent en fait à des niveaux plus normaux – avant
de progresser à nouveau.
L’importance croissante des activités de travaux publics conduisit à réduire de façon significative
les investissements dans les activités industrielles. De ce fait, les bénéfices, très largement réinvestis
durant la période 1855-1870 quand il fallut construire et équiper les ateliers de mécanique (cf. an-
nexe 3-a), donnèrent lieu, au contraire, à des distributions de dividendes 14 très significatives qui
firent la fortune des actionnaires de la SCB.

2e PHASE : LA GRANDE EXPORTATION


Ernest Goüin avait lancé la SCB hors de France mais en la canton-
Locomotives, parts de marché
nant principalement en Europe et dans les colonies. Jules Goüin
des fabricants français 1905-1913
l’entraîna, quant à lui, dans des aventures plus lointaines : empire
SACM 19 % ottoman, Vietnam, Chine, Amérique du Sud.
Fives-Lille 25 %
Cail 27 % Par goût et par formation, il ressentit manifestement plus d’atti-
rance pour les activités d’entreprise que pour celles de l’industrie,
Schneider 16 %
mais il serait erroné de prétendre qu’il négligea le domaine de la
SCB 13 % mécanique. La SCB resta, en effet, tout au long de sa présidence
Total 100% un important constructeur de locomotives (cf. tableau ci-contre),
Source : Thien Rang-Ri Park, volume 2 et elle se diversifia, ses spécialités s’étendant aux compresseurs,
chaudières et machines-outils. Elle aborda, en outre, le secteur militaire à la fin du siècle, avec des
pièces d’artillerie et différents types de munitions.

Quelques années après que Jules Goüin eut pris en main les chantiers de la SCB, les retombées du
plan Freycinet 15 s’amenuisèrent et le chiffre d’affaires de l’entre-
période CA TTC moyen prise chuta fortement. période 1908-1914
annuel entreprises CA TTC mensuel
(en millions de F) Touchée dans son ensemble par la récession, l’Europe ne pouvait moyen
1885-1890 35,5 apporter une source alternative de croissance. Mais en dépit (en millions de F)
de ce contexte très pénalisant, la SCB ne changea pas de cap,
1890-1900 14,4 GTM 53,6
son président continuant à miser très largement sur le secteur
1900-1914 25,2 ferroviaire. Il ne chercha à tirer profit ni des projets de trams et SGE 29,5
Source : Thien Rang-Ri Park, volume 2
de métros, ni des opportunités qu’ouvrait l’énergie électrique et SCB 26,8
13 - Le chiffre d’affaires était voisin de s’engagea sans doute trop timidement dans les marchés d’in- Fougerolle 22,3
34 millions de F en 1885, soit l’équiva-
frastructures portuaires. Elle se trouva de ce fait dépassée par
lent de 140 millions d'€ 2010. RGCCF 22,3
14 - Plus de 85 % des résultats nets des concurrents plus dynamiques et plus innovants, de création
Source : Thien Rang-Ri Park, volume 2
furent distribués pendant la période plus récente, GTM et SGE.
1872-1885.
15 - Cf. « L’âge d’or du chemin de
fer », p. 24-25. Ce plan lançait la L’évolution comparée de la SCB et de Schneider – dont la stratégie se tournait prioritairement
construction d’un 3e réseau. vers l’industrie – est également très éloquente. Contrairement au groupe du Creusot, qui réalisa
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un rigoureux effort pour se développer dans CA TTC moyen mensuel


le domaine des ports – très porteur en France en millions de F
dans les années précédant le premier conflit période SCB Schneider
mondial –, la SCB n’opéra pas le virage straté- 1885-91 34,4 32,9
gique nécessaire. Pour relancer la croissance de 1892-97 12,1 29,4
l’entreprise au début du XXe siècle, Jules Goüin
1898-1903 20,7 38,8
préféra suivre son penchant naturel pour les
grands contrats internationaux. 1904-08 25,5 48,4
1908-14 26,8 73,2
Pour comprendre ses motivations, il faut égale- Source : Thien Rang-Ri Park, volume 2
ment se replacer dans l’esprit du temps. Dans
cette fin de siècle, où les puissances européennes entreprirent de bâtir d’immenses empires coloniaux,
les hommes politiques sollicitèrent fortement leurs entreprises nationales pour les appuyer dans
la réalisation et, le cas échéant, dans le financement des travaux d’infrastructures. Des hommes,
comme Paul Doumer, n’hésitèrent pas à entraîner les pouvoirs publics et les sociétés de construc-
tion dans des projets qui, avec le recul, paraissent presque insensés et qui coûtèrent fort cher à la
République, sans réelles retombées économiques à long terme.

Coulés dans le moule de cette civilisation d’expansion et de conquête, les hommes qui firent la
réputation et l’histoire de la SCB partirent loin de leur terre natale pour devenir des bâtisseurs
« au-delà des mers et tout autour du monde », selon les termes mêmes du petit-fils du fondateur,
lors de son allocution de 1946, date du centenaire de la Société. Mais un glissement s’opéra alors
dans les valeurs de la SCB : l’initiative devint audace, l’innovation voyage, et l’entrepreneur se fit
aventurier, non sans panache…
L’épopée du Yunnan est l’illustration la plus évidente de ce glissement. Les conditions de réalisa-
tion du projet et les risques encourus par les équipes de chantier étaient, en effet, bien éloignés
des standards traditionnels de la SCB en matière de sécurité – 20 % des 60 000 coolies employés
trouvèrent la mort sur le chantier. La Société prit en outre, dans
cette affaire, un risque financier considérable : comme on l’a noté, exercice capacité
le tribunal arbitral valida une réclamation de 158 millions de F en d’autofinance-
1908 16 . Même si la SCB ne portait qu’une partie des risques 17, ses ment / CA TTC
engagements étaient très élevés au regard de ses fonds propres18.
1885-87 16,8 %
La stratégie export de la SCB paraît donc pour le moins avoir été
assez audacieuse. 1887-90 7,1 %
1890-1900 12,2 %
Cette remarque se reflète dans la volatilité des marges de l’entre- 1900-07 5,9 %
prise (cf. tableau ci-contre). Très élevée au début de la présidence
1908-14 8,6 %
de Jules Goüin, elle baisse fortement avec la disparition progressive
Cf. annexe 3-a
des bénéfices du plan Freycinet. Durant la difficile période de la fin
du siècle, la SCB privilégie leur maintien au détriment de la croissance de son chiffre d’affaires.

Au début du XXe siècle, le contrat du Yunnan pèse sur sa rentabilité19. La Société continue néanmoins
à verser des dividendes substantiels – elle distribue la quasi totalité de ses résultats durant les dix
dernières années de la présidence de Jules Goüin (cf. annexe 3-a). Les marges se redressent après 16 - Ce qui correspondrait à environ
570 millions d'€ 2010 !
la fin de l’aventure chinoise, quand son fils Gaston lui succède, en 1908. 17 - Compte tenu de son association
avec la Régie de construction des
La SCB réussit une performance financière honorable sur la période 1885-1914. Elle est encore un Chemins de Fer (RGCCF).
18 - Environ 6 millions de F en 1913.
des leaders reconnus et respectés de la profession. Mais face à des concurrents plus innovants et
19 - La marge capacité d’autofinance-
plus agressifs, elle a déjà amorcé son déclin à la veille de la Grande Guerre. ment / CA TTC tombe à moins de 2 %
en 1906-1907.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

3e PHASE : LE PREMIER CONFLIT MONDIAL ET SES SUITES :


STRATÉGIE ARMEMENT ET MÉCANIQUE, PÉRIODE 1914-1923

Le premier conflit mondial voit un très fort développe- (en millions de F 1913)
ment des activités d’armement et de mécanique alors
CA moyen total 17,8
que le chiffre d’affaires BTP décroît très sensiblement
et devient quasi nul en 1917 et 1918 (cf. annexe 4). CA moyen mécanique 11,2
Les chiffres d’affaires annuels moyens de la période CA moyen TP 6,6
1914-1923 ressortent comme il apparaît sur le tableau
ci-contre :

Tourelle à 2 canons de 305


L’activité est en retrait sensible par rapport
pour cuirassé d’escadre, 1905 1908-1914 1917-1918
archives SCB. à ses niveaux d’avant-guerre, le chiffre
d’affaires TTC de 1914 s’étant élevé à 28 Capacité d’autofinancement cf. annexes
8,6 % 35,5 %
en % du chiffre d’affaires 3, 4 et 6
millions de F dont 20,3 millions pour le BTP.
L’exportation – étranger et colonies –, qui Fonds propres
12,5 % 42,4 % cf. annexe 7
avait représenté plus de 80 % de l’activité en % du total du passif
de 1885 à 1914, ne fournit plus que 34 %
de l’activité. Cette diminution s’accom-
pagne, en revanche, d’un net accroissement des marges 20 ainsi que d’une amélioration très signi-
ficative du bilan de la SCB consécutive à cette progression de la rentabilité et à l’encaissement des
comptes clients, non renouvelés, dans les activités BTP.

4e PHASE : 1923-1940, RETOUR À LA STRATÉGIE


DES GRANDS PROJETS INTERNATIONAUX DE BTP
L’embellie de la mécanique ne dura point. Dès 1924, la SCB enregistra un retournement de ses
marchés. Les réparations de locomotives et les nouvelles commandes se tarirent dans un contexte
économique de forte inflation, où les opérateurs ferroviaires se virent interdire des hausses tari-
faires. Le début de l’année 1925 fut, en outre, marqué par une récession de près de 10 % de la
production industrielle. Le chiffre d’affaires « mécanique » de la SCB s’effondra. Est-ce à dire que
la Société n’avait aucune marge de manœuvre ? Non, car en fait la demande fut très forte dans ce
domaine durant l’entre-deux-guerres, les industriels cherchant à compenser l’inflation des coûts
20 - L’arrêt de l’activité BTP obligea la par une mécanisation plus poussée de leurs productions, ou s’équipant pour aborder de nouveaux
SCB à réintégrer les provisions latentes marchés en pleine croissance, tel celui de l’automobile.
qu’elle conservait au niveau des La SCB qui, après le décès de Gaston Goüin, n’avait pas rénové ses équipements utilisés à pleine
contrats à titre de sécurité. Cette opé-
ration était indispensable, en raison de capacité pendant plusieurs années ne sut pas, non plus, rechercher des diversifications. Elle resta can-
la création de l’impôt sur les sociétés. tonnée dans ses activités traditionnelles où le peu de marchés restant était enlevé à vil prix par des
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concurrents en sous-charge, avides de chiffre


L’échec
d’affaires pour assurer leur survie. Le résul-
de Roland
tat fut désastreux, la Société enregistrant de Gosselin
lourdes pertes dès 1925, qui provoquèrent le
départ du président Roland Gosselin, remercié
par les actionnaires. Face à cette situation, la
fermeture des ateliers de Paris devenait iné-
vitable. Les équipements réutilisables furent
transférés à la LBC (Locomotives Batignolles-
Châtillon) à Nantes, et les terrains cédés à
la ville, la plus grosse parcelle lui rapportant
l’équivalent de 2,7 millions de F 1913 21, le
centuple de la valeur d’acquisition au milieu
du XIXe siècle. Cette opération immobilière et LBC
l’arrêt des activités déficitaires permirent à la
SCB de rétablir sa situation financière grâce
à la trésorerie et aux importantes plus-values
qui en résultaient.

Dès 1923, la SCB reprit son effort de déve-


loppement dans les colonies et à l’export,
l’activité France restant négligeable. Son
chiffre d’affaires progresse rapidement pour atteindre l’équivalent de 30 millions de F 1913 au titre
de l’exercice 1930. Mais il régresse ensuite, dans le contexte de la crise économique mondiale. Notons

en millions de F courants résultat net dividende taux de distribution


1934-1935 3,28 3,25 99,1%
1935-1936 3,34 3,27 97,9%
1936-1937 4,38 4,35 99,3%
1937-1938 5,50 5,49 99,8%
1938-1939 10,36 7,95 76,7%
1939-1940 5,54 5,35 96,6%
Moyenne période 94,9%
Source : archives Schneider - compte-rendu des AGO

que la SCB distribue la quasi-totalité


de ses résultats durant la décennie résultat net
précédant le second conflit mondial, en millions en millions
ce qui obère sans doute sa capacité de F courants de F 1913
de développement. 1934-1935 3,28 0,60
On constate par ailleurs (cf. annexe 7),
1935-1936 3,34 0,57
que le bilan se dégrade à nouveau
en raison sans doute des paiements 1936-1937 4,38 0,49
difficiles sur certains chantiers tel que 1937-1938 5,50 0,55
Gdynia. Les fonds propres qui, en 1938-1939 10,36 1,00
1925, représentaient 54 % du passif
1939-1940 5,54 0,49 21 - Soit 8 millions d'€ 2010. Les prix
du bilan n’en représentent plus que au m2 étaient de 700 F environ, soit
13 % en 1940. Moyenne période n.s. 0,62 350 € 2010.
Source : archives Schneider - compte-rendus des AGO
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 5

La rentabilité s’est-elle aussi dégradée par rapport à la période précédant le premier conflit mondial, où
La Société de les dividendes annuels approchaient 2 millions de F 1913. Les études réalisées par le professeur Barjot 22
Construction
des
montrent, en outre, que la performance de la SCB est inférieure à celle de ses concurrents GTM et SGE
Batignolles sur la période 1919-1939.
Un autre élément essentiel est
évidemment la concentration des
Autofinancement brut moyen de 1929 à 1939
risques sur un petit nombre de
(en millions de F 1913)
grandes affaires. L’arrêt des activi-
SCB GTM SGE
tés mécaniques, en 1927, fut né-
faste à cet égard, puisqu’il faisait 0,35 0,85 1,14
disparaître une source de chiffre
d’affaires complémentaire, plus
régulière dans le temps. La SCB chercha à atténuer ce risque de « volatilité » des grands projets en
investissant une partie de ses fonds propres dans des participations générant un flux récurrent de divi-
dendes 23. Mais le remède était insuffisant face à des risques unitaires considérables, comme le chantier
du port de Gdynia.
Il apparaît, en définitive, que la SCB ne sut pas capitaliser sur les retombées financières, pourtant subs-
tantielles, de ses activités d’armement et de réparation ferroviaire pendant la Première Guerre mondiale

Livret de présentation de la
Société de Construction des
Batignolles édité en 1932
archives SPIE.

22 - D. Barjot, « La grande entreprise


française de travaux publics, 1883–
1974, contraintes et stratégies. »
23 - Participations anciennes majori-
taires dans des sociétés concession-
naires de chemins de fer créées au
XIXe siècle (Corrèze, Limagne, Tunisie),
sociétés mécaniques dont la LBC était
la plus importante, participations
minoritaires dans des sociétés de
transport, bons du Trésor français et
étrangers.
24 - La France, créditrice avant
1914, était devenue débitrice après et les quelques années qui suivirent. En fait, après la disparition de Gaston Goüin, elle ne fut jamais gérée
la guerre, ayant dû contracter une
par un véritable entrepreneur, capable d’imaginer et d’initier des ruptures stratégiques et d’imprimer
dette de 31,4 milliards de F (près de
100 milliards d'€ 2010) auprès des un nouvel élan.
États-Unis et de la Grande-Bretagne. Les ateliers de mécanique fermés, et sans base d’activité en France, elle se tourna à nouveau vers le
Les placements français à l’étranger
grand large et vers les projets géants de BTP. Elle le fit d’ailleurs dans un contexte difficile, avec des
ne représentaient plus que 7 % du
total mondial en 1939, contre 25 % clients souvent peu solvables, des banques françaises sans ressources qui ne constituaient plus un réel
en 1913. appui pour les exportateurs nationaux 24, et des banques américaines qui concrétisaient rarement leurs
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promesses. Elle sut, néanmoins, faire preuve d’agressivité commerciale et d’imagination financière. Elle
innova notamment en recourant largement aux fournitures allemandes dans le cadre de procédures La crise
de dommages de guerre. de 1929

Mais la crise des années 30 accentuera encore ces problèmes, les détenteurs de capitaux se montrant
de plus en plus réticents à l’égard des placements internationaux. Le montage du financement des
grandes infrastructures devint, de ce fait, de plus en plus délicat, comme l’illustrent les difficultés
permanentes rencontrées par la SCB en Pologne ou en Yougoslavie.

Confrontée à un environnement économique et politique défavorable, dépendant d’un petit nombre


de projets complexes et risqués, sans réelle possibilité de croissance dans le domaine restreint
d’activités où elle s’était elle-même cantonnée, renonçant à remettre en cause ses orientations
stratégiques antérieures et à saisir de nouvelles opportunités de développement, la SCB hypothéqua
son avenir. Ce furent, en fait, la fidélité à son passé et le manque de vision de ses dirigeants qui,
plus que la récession des marchés, précipitèrent son déclin.

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61
« MESSIEURS, JE VIENS D’ÉPROUVER LA PLUS GRANDE JOIE DE MA VIE.
MESSIEURS, LE CREUSOT VIENT DE VENDRE QUINZE LOCOMOTIVES À L’ANGLETERRE ! VOUS
AVEZ ENTENDU, MESSIEURS, À L’ANGLETERRE ! »

Eugène Schneider, 3 juin 1865, intervention à la tribune du Corps législatif


D’après Elvire de Brissac, Ô dix-neuvième !

Marteau-pilon dans une usine sidérurgique du Creusot


© Collection Roger-Viollet
Naissance de Schneider et Cie et du royaume industriel du Creusot

NAISSANCE DE IE
SCHNEIDER ET C
ET DU ROYAUME INDUSTRIEL
DU CREUSOT
XIXe SIÈCLE

A ucune société française ne s’illustre autant que Schneider au XIXe siècle dans le développement
de la trilogie énergie-vapeur, industrie du métal, ferroviaire... Mais son fondateur ne tarde pas à
chercher des débouchés complémentaires à la production de ses ateliers du Creusot. Les travaux
publics constituent une diversification immédiate : les ponts et les charpentes métalliques sont
nécessaires à la construction des lignes de chemin de fer.

L’ÈRE DE L’ACIER Adolphe


h SSchneider,
h id
gérant de 1836 à 1845
archives Schneider.
chneider.
C’est le 25 août 1836 que les deux frères Schneider 25 rachètent les établissements métallurgiques
du Creusot. Créés en 1762, ces établissements, les premiers en France à faire fonctionner des hauts
fourneaux au coke, produisirent des canons à partir de 1789, puis sous le Ier Empire. Achetés sous la
Restauration par Manby et Wilson, et réorganisés en forge anglaise dès l’année suivante en 1827,
ils tombèrent en faillite en1833. L’affaire est alors reprise par un groupe d’investisseurs, Adolphe et
Eugène Schneider n’intervenant qu’en tant que gérants pour le compte de deux commanditaires,
le banquier Seillière et M. Boigues. Le fonds social est fixé à 4 millions de F, divisés en 80 actions de
50 000 F chacune, dont 60 sont détenues par MM. Seillière et Boigues, qui forment le conseil de
surveillance, et 8 actions aux mains des frères Schneider, 12 actions étant mises en réserve.

Royaume
Adolphe, l’aîné, prend en charge la direction commerciale à Paris, tandis qu’Eugène est responsable
industriel
du Creusot de la direction technique. Lorsqu’Adolphe meurt accidentellement en 1845, Eugène reste seul
gérant et la société prend la raison sociale « Schneider & Cie », qu’elle conservera jusqu’en 1949. Eugène
ne Schneider,
Schneider
gérant de 1836 à 1875
archives Schneider.
Né en 1805, Eugène a suivi, à partir de 1822, les cours du soir de l’École centrale à Paris. Comme 25 - Cf. annexe 9, généalogie
il est courant à l’époque, c’est un admirateur de l’Angleterre où il se rend à deux reprises, en 1840 simplifiée de la famille Schneider.
62
63
NAÎTRE ET RENAÎTRE 6

et en 1844. À l’instar des Goüin, il acquiert la conviction que la France doit égaler la Grande-
Bretagne et qu’elle en a la capacité.

Pour lui, le temps n’est plus à la fabrication des armes des guerres napoléoniennes à l’heure
où les nouvelles technologies sont la navigation à vapeur et les chemins de fer. Adolphe
Schneider
En 1839, il achète des terrains à Chalon-sur-Saône et y installe des chantiers destinés à la
Première locomotive construite
en France, 1838 construction de bateaux à vapeur et en 1840, il reçoit la commande de 4 machines de 450 CV
archives Schneider. destinées aux paquebots transatlantiques prévus par la loi de 1840. Puis les Chantiers de Chalon
livrent, en 1843, le premier remorqueur pour la Saône et les premiers vapeurs pour la navigation
sur le Rhône, qui constitue le problème de transport le plus important à résoudre à cette époque.

Jusqu’en 1854, les chantiers réalisent tous les nouveaux moyens de transport du Rhône,
les « toueurs » – bateaux-grappins qui se hissaient sur des chaînes placées au fond Eugène
Schneider
du fleuve pour franchir les rapides encore nombreux sur le Rhône – des bateaux pour
voyageurs et des bateaux de plaisance.

La création des premières machines à vapeur pour les chemins de fer, dans les années
1820, avait placé les Britanniques en position de leaders pour la fabrication de rails et
de machines. Mais cela ne décourage pas Eugène Schneider. Les usines du Creusot vont
Locomotive « Great Eastern
Railway », 1865 fabriquer la première locomotive française en 1838, quelques années avant Ernest Goüin dans son
archives Schneider. atelier des Batignolles. Très vite, le développement du chemin de fer se transforme en révolution
ferroviaire, après la loi tant attendue de 1842. Les usines du Creusot accroissent sensiblement leur
secteur « locomotives » qui devient, en 1846, l’activité principale de Schneider.

Les ingénieurs de la société conçoivent un procédé essentiel, les bandages sans soudure pour roues
de locomotives et de wagons. Ce sont 700 locomotives qui sont livrées entre 1855 et 1865, dont
40 % pour l’exportation. La fourniture à la compagnie britannique « Great Eastern Railway »,
d’une quinzaine de machines marque l’apogée du succès. Comme les compagnies de chemins
de fer le paient pour partie en actions, Eugène Schneider devient membre de plusieurs conseils
d’administration où sont décidées les commandes. Outre les lignes Paris-Sceaux, Montereau-Troyes
et le chemin de fer du Centre, il entre au conseil d’administration de la Compagnie du PLM (Paris-
Lyon-Méditerranée).

PONTS ET CHARPENTES
Les chemins de fer réveillent l’ensemble de l’économie et provoquent d’autres innovations dans
le bâtiment et le génie civil. Les constructions des gares et des ponts sont révolutionnées par les
nouvelles techniques sidérurgiques.

Les Chantiers de Chalon réalisent, en 1853, leur premier pont en « fil de fer », celui de Lyon-Vaise,
au moment où se développent à une échelle nationale les constructions de ponts en concession.
Dans la décennie suivante, ils vont livrer plus de 450 ponts pour la France et l’étranger. C’est le
tournant décisif de l’introduction du métal dans la construction des ouvrages d’art et celui de
l’entrée des sidérurgistes dans les travaux publics : les Goüin et les Schneider suivent une même
logique économique et commerciale. La France va donner ses lettres de noblesse à la construction
des ponts métalliques.

Dès 1857, les Chantiers de Chalon construisent leur première charpente pour les entrepôts de
Bercy. Comme pour les ponts, la maîtrise de la charpente métallique les amène à répondre à des
demandes étrangères qui les transforment en exportateurs de grande réputation. Ils effectuent sous
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Naissance de Schneider et Cie et du royaume industriel du Creusot

Le Creusot, écomusée
de la communauté,
Jean Rixens (1846-1924) :
Les Fondeurs, 1887,
huile sur toile
© G. Dagli Orti.

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 6

le Second Empire un grand nombre d’ouvrages, telles la deuxième gare


d’Orléans, en 1867, et les gares de Civita-Vecchia et d’Alicante en 1859, PLM
mais surtout la gare d’Austerlitz à Paris en 1868, dont les caractéristiques
de portée étaient exceptionnelles. La ferme centrale franchit, en effet,
plus de 51 mètres entre appuis.

La construction de la Galerie des Machines de 39 000 m2, lors de l’Expo-


sition universelle de 1878 à Paris, ainsi que les coupoles de l’Observatoire
de Bordeaux, en 1883, représentèrent une autre performance.

Saint-Simonien de la première heure, Eugène Schneider est un membre


influent de l’entourage de Napoléon III et il effectue une brillante carrière
politique durant le Second Empire. Les commandes publiques et le jeu
des relations au sommet créent des débouchés et élèvent l’activité de la
société au plus haut niveau.
À l’instar des Pereire, il figure dans tout ce qui prend naissance au plan
économique, que ce soit dans les domaines industriel ou bancaire. Il
devient régent de la Banque de France en 1854, premier président du
Comité des Forges en 1864 et cofondateur la même année de la Société
Générale, ainsi que vice-président du PLM.
Le pont transbordeur, Rouen
© ND / Roger-Viollet.
Mais il ne doit pas sa réussite à la seule bienveillance de Napoléon III : Eugène Schneider conçoit,
avec perspicacité et talent, la technologie et l’approvisionnement de ses usines. Sa politique d’in-
vestissement repose sur une accumulation constante des capitaux sans cesse réinvestis.

LA NAISSANCE D’UNE DYNASTIE INDUSTRIELLE


Schneider et Cie, qui ne devait durer à l’origine que douze ans à compter du 1er janvier 1837, voit
son capital porté à 5 millions de F en 1845 et jusqu’à 27 millions en 1873 26. En 1853, Eugène
Schneider fait modifier la structure du capital pour mieux répartir les actions et éviter de dépendre
exagérément des banques. Il fait aussi prolonger la durée de la société jusqu’en 1873. Dès 1855,
il possède la majorité des actions de sa société. En 1867, Eugène Schneider fait élire au poste de
gérant son fils Henri. Le niveau technique des ateliers du Creusot croît considérablement de 1838
à 1867, et il en avait bien besoin. En effet, le fer produit au Creusot avant 1836 était d’une qualité
très médiocre. Aussi, dans les années 1838 et 1839, est introduit un matériel beaucoup plus per-
formant et les innovations dans les ateliers sont vivement encouragées. À titre d’exemple, en 1841, François
un ingénieur, François Bourdon, met au point le premier marteau-pilon du monde. Fonctionnant à Bourdon

vapeur, celui-ci permet la fabrication de pièces de forge d’une taille considérable. Eugène Schneider
augmente le nombre de hauts fourneaux de 4 en 1844 à 10 en 1857. Cherchant à économiser la
main-d’œuvre, il investit sans cesse pour rationaliser son outil de production et en améliorer l’effi-
cacité. En 1867, il réalise la construction d’une forge de 16 hectares capable de produire 150 000
tonnes de fer à l’année.

Par ailleurs, il mène une politique d’intégration des activités de son groupe en amont, en effec-
tuant des travaux dans les bassins houillers pour relier les gisements et, pour s’assurer une sécurité
d’approvisionnement en charbon, en entrant dans la société anonyme des houillères de Brassac,
de Beaubrun et des mines de Montand.
À partir de 1860, la firme va se consacrer au développement de l’acier, nouvelle révolution
26 - Plus tournée vers les TP que
Schneider, la SCB avait un capital sidérurgique après la domination du coke pour la production de fer et de fonte. C’est, en effet,
largement inférieur à cette date. l’époque où les procédés nouveaux autorisent une production d’acier à un prix nettement réduit,
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Naissance de Schneider et Cie et du royaume industriel du Creusot

permettant une vaste substitution au fer. Eugène Schneider achète le


Le marteau
pilon brevet du convertisseur de Sir Henry Bessemer qui permet de fabriquer
directement de l’acier à partir de la fonte, procédé qui consiste à brûler
le carbone en insufflant de l’air au cours de la fusion. Cette invention
de 1859 est rapidement complétée par un autre procédé, celui d’Émile
Martin, qui utilise aussi la cuisson des ferrailles, ce que ne permettait pas le
procédé Bessemer. Une aciérie est construite au Creusot, en 1867, basée
sur le procédé Martin. Au début des années 1870, Eugène Schneider se
dote d’une aciérie Bessemer et agrandit la première aciérie Martin.

La guerre de 1870 offre à Schneider et Cie, qui produit déjà des compo-
sants d’artillerie (batteries, bouches à feu, affûts), l’occasion de créer un
matériel d’artillerie en compétition avec les canons Krupp en acier fondu.
La mise au point de ce nouvel acier amène les ingénieurs du Creusot,
MM. Osmond et Werth, à fonder la science métallographique contem-
poraine. Ils publient leurs travaux dans Théorie cellulaire des propriétés
de l’acier en 1885.

Alors que se développent de nouveaux aciers dans la décennie 1880, les


usines du Creusot acquièrent des séries de brevets tant dans le domaine
des ferrochromes que pour la réalisation des aciers au nickel, au man-
ganèse et au silicium. Ceux-ci permettent de construire des blindages, des armes de guerre et des Le marteau-pilon
munitions, offrant des débouchés très importants à la société : plus de vingt nations étrangères de 100 tonnes, en service
achètent le canon 75 de Schneider dans la décennie 1890. La reconstruction des ponts détruits par au Creusot de 1875 à 1930
archives Schneider.
les Allemands va également représenter un débouché à côté de la construction des charpentes,
des portes d’écluse et des rails.

Henri Schneider (1840-1898), bien que régent de la Banque de France, vice-président du Comité des
Forges, administrateur des chemins de fer du Paris-Orléans et du Midi, est moins « entrepreneur »

Presse à gabarier
de 3000 tonnes, Le Creusot
© Boyer / Roger-Viollet.

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 6

Dès l’origine, Schneider Les Schneider créent, dès 1837, une infirmerie y
va mener une politique associant rapidement une prestation médicale
sociale « éclairée », gratuite et un service gratuit de soins à domi-
fondée sur un triptyque cile, puis un véritable hôpital en 1879. Ils ou-
– la santé, le logement vrent un hôtel-Dieu à la fin des années 1880.
et l’enseignement – qui Alors que l’idée est quasiment révolutionnaire,
constitue une avan- ils fondent une caisse de prévoyance en 1838
cée remarquable pour offrant des prestations médicales et des alloca-
l’époque. En dehors de tions au personnel. Celle-ci distribue aussi des
quelques rares entrepre- pensions aux parents des ouvriers morts au tra-
L’infirmerie-hôpital en 1845 neurs « sociaux » (Koe- vail, soixante ans avant la loi qui rendra cette
archives Schneider.
chlin, Leclaire, Godin, couverture obligatoire.
Goüin) le XIXe siècle se Une caisse et une maison de retraite voient le
distingue par un égoïsme jour en 1877, également soixante ans en avance
caractérisé des classes sur les dispositions légales.
sociales dirigeantes à
l’égard des classes labo- Ils ouvrent aussi, dès 1836, une école primaire
rieuses. et une école supérieure technique pouvant
Même s’il s’agit aussi recevoir deux cents élèves et un cours de pré-
de s’attacher la main- paration aux grandes écoles françaises d’ingé-
d’œuvre et de favoriser nieurs. Mais, très rapidement, ils mettent aussi
la qualité du travail, l’ap- en place des écoles d’apprentissage par corps
proche n’en reste pas de métiers. Ils créent des bourses pour les su-
moins généreuse et in- jets doués qui veulent poursuivre leurs études
L’École Spéciale du Creusot
archives Schneider. telligente. d’ingénieur et ils participent à la fondation
Des cités ouvrières sor- d’écoles publiques.
tent du sol à la Ville-Dieu
et à Montchanin alors
qu’il n’existe dans ces
années 1860 que trois
Type de maison ouvrière
ou quatre exemples si- archives Schneider.

milaires, dont le célèbre


Familistère 27 de Godin,
et que les lois sur le lo-
gement social n’inter-
viendront qu’à la fin du
siècle.
Une salle de l’Hôtel-Dieu du Creusot
archives Schneider.
27 - Coopérative ouvrière s’inspirant des idées de Fourier,
le fondateur du Phalanstère.

Une politique Phalanstère

sociale « éclairée »
Naissance de Schneider et Cie et du royaume industriel du Creusot

que son père Eugène I. Il développera néanmoins son groupe durant la sévère récession
Henri de la fin du siècle, notamment grâce aux fournitures d’armement. Mais il laissera Henri de
Schneider Wendel, membre du conseil de surveillance de Schneider et Cie en 1877, réaliser en Lorraine
un complexe industriel de premier plan qu’il aurait pu construire lui-même et dont il va
dépendre. En 1888, il crée cependant de nouveaux ateliers au nord des usines du Creusot.

LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉLECTRICITÉ
Son fils Eugène II (1868-1942), plus dynamique, saisit les nouvelles opportunités qu’offre
Eugène II l’électricité – les premières réalisations en la matière datent de 1888 avec l’éclairage public
Schneider à Paris – et crée des ateliers d’électrochimie et d’électrométallurgie, l’électricité autorisant
Henri Schneider,
la fabrication d’aciers spéciaux grâce aux très hautes températures qu’elle permet d’at-
cogérant de 1867 à 1875,
teindre. À l’inverse de son père, il est doté d’ambitions parfois excessives.
gérant de 1875 à 1898
archives Schneider.
L’électrification des usines du Creusot en 1897 permet l’ouverture d’un atelier de construc-
tion de matériel électrique, qui fournit des locomotives électriques aux tramways de
Grenoble en 1900 et du matériel électrique pour le Métropolitain. Schneider est chargé
de l’éclairage de la rive gauche de Paris en 1903 à partir de l’usine d’Issy.
L’association avec la société Westinghouse permet à la société de se lancer dans la construc-
tion de matériel (des alternateurs, des transformateurs et des moteurs).

Les fortes commandes d’acier dues aux travaux du Métropolitain entraînent un sensible
accroissement des cadences qui se traduisent par des grèves en 1899, à la suite desquelles
sont nés les délégués ouvriers. Puis de 1902 à 1904, la firme traverse une crise de grande
ampleur en raison d’une surcapacité générale en Europe de l’Ouest.

LES ACTIVITÉS INTERNATIONALES Eugène II Schneider,


cogérant de 1896 à 1898,
Eugène II fait croître la part du chiffre d’affaires étranger dans le chiffre d’affaires total qui passe de gérant de 1898 à 1942
archives Schneider.
14 % à 31 % entre 1894 et 1912. La Russie constitue un débouché important depuis la conclusion
de l’alliance franco-russe de 1893 et Schneider va participer à un consortium avec De Wendel et la
Banque de Paris et des Pays-Bas pour fournir les usines métallurgiques russes... projet qui s’achève
par des pertes. Eugène II se détourne alors de la Russie, marché trop incertain.
Par ailleurs, déçu de l’attitude des banques dans l’affaire russe, il décide de créer sa propre banque.
En 1904, il s’associe avec De Wendel et plusieurs banquiers 28 pour fonder la Banque de l’Union Pari-
sienne (BUP) qui, en 1907, organisera la fusion de plusieurs sociétés concessionnaires de production
et distribution d’électricité, non rentables en raison de leur taille insuffisante, en une seule entité
dénommée Compagnie Parisienne d’Électricité (CPDE), dont Schneider détiendra 5 000 actions.
Eugène II Schneider profitera de la politique initiée à partir de 1903 selon laquelle le gouvernement
français n’autorisait l’admission à la Bourse de Paris d’emprunts étrangers qu’en échange de l’uti-
lisation d’une partie des fonds levés à des achats de produits industriels français.

LES CHANTIERS DE CHALON


ET L’ACTIVITÉ TRAVAUX PUBLICS DE SCHNEIDER
L’ouverture de la grande forge, en 1862-1867 au Creusot, permet un formidable développement
des constructions métalliques. La structure métallique de la forge est constituée d’éléments pré-
fabriqués autorisant une halle de 3 600 m2 sans murs de refend, laissant libre l’espace au sol. Le
succès de ce bâtiment est tel qu’il est construit à nouveau pour des usines, des grands ateliers et 28 - Dont Neuflize, Mallet, Hottinguer
surtout pour les gares de chemins de fer. et Vernes.
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UN FOISONNEMENT D’IDÉES ET DE RÉALISATIONS NOUVELLES

Les grands travaux sont, à cette époque, favorisés par les idées libérales diffusées par Becquey, le
directeur de l’École des Ponts et Chaussées, en matière de concessions. Schneider va être amené
à s’intéresser aux canaux, aux infrastructures de chemins de fer et aux ponts.
La construction du canal du Centre et du canal Saint-Louis qui desservent les
établissements du Creusot conduit la société à réaliser ses premières écluses
en métal. Les travaux du chemin de fer de 6 km des mines de fer d’Allevard
la poussent à s’intéresser directement aux travaux publics.

À partir de 1853, les ponts livrés par les Chantiers de Chalon qui bénéficient
des inventions de Seguin – ponts à fil de fer – vont figurer dans la liste des
ponts « historiques » : le pont Morand (1853), le pont tournant de Brest
construit en 1860 et le viaduc de Grandfrey, à Fribourg, en 1878. Ils demeurent
jusqu’à la fin du siècle une production essentielle dans le catalogue des ateliers.
Ils les assemblent ou les livrent en pièces détachées sans s’occuper des fonda-
tions et des maçonneries. Mais le rapprochement avec l’entreprise Hersent et
les nécessités liées à la réalisation des contrats propres à Schneider vont ame-
ner les chantiers de Chalon à se transformer en entreprise de travaux publics.
Brest (Finistère),
le pont tournant Le développement de caissons métalliques pour réaliser des fondations à l’air comprimé pousse
© Collection Roger-Viollet.
Eugène I et Schneider à créer, aux alentours de 1865, un département spécifique pour leur fabrica-
tion. Les techniques d’utilisation de l’air comprimé venaient de connaître d’importantes innovations
sur le chantier du percement du Mont-Cenis (1857-1871). L’ingénieur suisse Daniel Colladon avait,
dès 1852, lancé l’idée de se servir de l’air comprimé par des compresseurs pour procéder à l’exca-
vation et à l’aération du tunnel pendant les travaux. Il avait démontré que l’air comprimé, destiné
à actionner les machines perforatrices, peut se transporter, avec une perte mineure de puissance,
à de grandes distances. L’ingénieur anglais, M. Bartlet, exécuta, dès 1855, la première machine
perforatrice fonctionnant à l’air comprimé. C’est Germain Sommeiller qui modifia la perforatrice
Bartlet et dirigea le percement du tunnel.

À peu près à la même époque, Hildevert Hersent réalise le pont de Kehl en exécutant les fonda-
tions grâce à l’air comprimé. Schneider livre, à partir de 1865, les premiers caissons pour les ponts
d’Arles et de Saint-Gilles et, associé à l’entreprise Hersent, réalise plusieurs chantiers en Autriche,
notamment sur le pont de Linz.

TRAVERSÉE DE LA MANCHE, DÉJÀ LA CONCURRENCE


ENTRE TUNNEL ET PONT
C’est l’époque où le projet de tunnel sous la Manche excite les esprits des deux côtés de la Manche,
une concession ayant même été accordée en 1875 pour un tunnel, mais sans succès comme on l’a
vu. Aussi Hersent et Schneider étudient-ils le moyen d’édifier sur la Manche un pont géant reliant
la France à la Grande-Bretagne par une double voie ferrée, dont les piles seraient fondées à l’abri
d’un caisson métallique capable de descendre à 50 mètres de fond. Mais après la présentation
officielle de son projet, la Société d’études Chemin de fer et Pont sur la Manche, qui regroupait
les deux sociétés et des entreprises anglaises, dut renoncer en raison de la position des généraux
britanniques !

En revanche, les deux sociétés travaillent dans le domaine portuaire, tant au port militaire de Toulon
que pour la forme du bassin de radoub de Saigon, à Bordeaux ou à Lisbonne pour la construction de
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Naissance de Schneider et Cie et du royaume industriel du Creusot

kilomètres de quais le long de la Garonne ou du Tage. Le marché des caissons est toutefois limité ;
les commandes sont très cycliques, ce qui pose des problèmes de plan de charge.

UN NOUVEL OBJECTIF, LA QUALITÉ


Pour renforcer les ateliers de Chalon, qui sont à l’origine de l’activité travaux publics de son groupe,
Eugène Schneider recrute, en 1895, Maurice Michel-Schmidt chez Hersent, en remplacement du
directeur Pradel. Ce centralien avait dirigé la filiale des travaux pneumatiques et des fondations à
l’air comprimé des caissons du port de Lisbonne et avait participé aux études des fondations dans
le groupe d’études du pont sur la Manche. Les Chantiers de Chalon, qui appartiennent au Dépar-
tement de la Construction, sont fort bien situés du point de vue de la desserte des chemins de fer
et des canaux 29. Surnommés « Le Petit Creusot », ils jouissent d’une autonomie qui est celle d’un
centre de profit d’aujourd’hui, et dès 1880, sont dotés d’une comptabilité propre.

En revanche, les bons ouvriers ne sont pas sur les Chantiers de Chalon mais au Creusot, où les
conditions de rémunération, les niveaux de formation et les avantages sociaux sont bien supérieurs.
Les contremaîtres de Chalon ont, sous leurs ordres, un personnel ouvrier moins discipliné et souvent
négligent. Maurice Michel-Schmidt conserve, dans un premier temps, les méthodes de travail de son
prédécesseur Pradel, mais il doit réorganiser le fonctionnement de l’usine à la suite des graves défi-
ciences techniques de fabrication qui provoquèrent l’effondrement de plusieurs ponts livrés au Chili.

La réputation de Schneider et Cie est en jeu. Maurice Michel-Schmidt entend donc moderniser
Société Daydé
l’outillage vieillot et peu efficace, et améliorer le professionnalisme du personnel. Il organise alors un
et Pillé
véritable « espionnage industriel » en demandant à Berthet, son chef d’atelier de travaux publics,
de se faire embaucher dans les trois sociétés parisiennes de travaux publics (Daydé et Pillé, Baudet
et Donon, Moisant Laurent Savey), afin de connaître leurs méthodes de travail, les éventuelles nou-
veautés de leur outillage pour la fabrication des infrastructures en acier, et de tenter de débaucher
des ouvriers ou des contremaîtres de qualité.

La différence des salaires entre Chalon et Paris empêche l’aboutissement de ce projet ; les contre-
maîtres parisiens refusent de venir. Mais Maurice Michel-Schmidt réussira néanmoins à renouveler
et à faire croître ses effectifs qui passent de 350 ouvriers sous Pradel à 1 200 en avril 1900.

29 - Canal du Centre de Digoin à


Chalon et canal de Bourgogne qui
permettent l’accès des ports du Nord
et de la Méditerranée.
70
71
« LA PROSPÉRITÉ PORTE AVEC ELLE UNE IVRESSE À LAQUELLE LES HOMMES
INFÉRIEURS NE RÉSISTENT JAMAIS. »

Honoré de Balzac

Paysage industriel de l’Angleterre au XIXe siècle


©Bridgeman Art Library
La puissance industrielle de l’Angleterre au milieu du XIXe siècle

LA PUISSANCE INDUSTRIELLE
DE L’ ANGLETERRE
AU MILIEU DU XIX SIÈCLE e

L a plupart des industriels français du milieu du XIXe siècle vont chercher au Royaume-Uni les
modèles de développements économiques, les principes d’organisation des usines, les nouvelles
technologies. On peut réellement parler du rêve anglais des jeunes industriels. Mais il ne s’agit pas
que d’un rêve, car l’Angleterre est devenue une formidable puissance économique.
Si l’on considère le seul PNB, l’écart avec les autres puissances économiques reste encore raison-
nable au milieu du siècle, car des pays comme la France ou la Russie bénéficient d’importantes
productions agricoles.

PNB des grandes puissances européennes (1830-1890)


(aux prix du marché, en milliards de US $, année 1960)
Russie France Royaume-Uni Allemagne Autriche- Italie
Hongrie
1830 10,5 8,5 8,2 7,2 7,2 5,5
1840 11,2 10,3 10,4 8,3 8,3 5,9
1850 12,7 11,8 12,5 10,3 9,1 6,6
1860 14,4 13,3 16,0 12,7 9,9 7,4
D’après Rise and fall of powers de Paul Kennedy.

Mais si l’on se réfère aux seules activités industrielles, l’Angleterre a indubitablement pris une
position dominante.

72
73
NAÎTRE ET RENAÎTRE 7

Parts relatives de la production industrielle mondiale (en %)


Royaume- France Allemagne Russie Autriche- Italie autres USA Japon autres
Uni Hongrie pays pays
européens (Chine,
Inde,…)
1750 1,9 4,0 2,9 5,0 2,9 2,4 4,0 0,1 3,8 73,0
1800 4,3 4,2 3,5 5,6 3,2 2,5 4,7 0,8 3,5 67,7
1830 9,5 5,2 3,5 5,6 3,2 2,3 5,0 2,4 2,8 60,5
1860 19,9 7,9 4,9 7,0 4,2 2,5 6,8 7,2 2,6 37,0
D’après Rise and fall of powers de Paul Kennedy.

La France, pénalisée par la Révolution et les guerres napoléoniennes, est distancée de plus en plus
largement par l’Angleterre qui va générer, en 1860, près de 20 % de la production industrielle
mondiale. Ceci étant, la performance de la France est tout à fait respectable. Les premières années
du Second Empire, en particulier, sont marquées par une forte croissance. « Après le coup d’État,
se produisirent des phénomènes absolument contraires à ceux qui avaient suivi la révolution de
1848... Ce n’étaient plus des bandes d’insurgés qui parcouraient la ville, mais des escouades de
maçons, de charpentiers, d’ouvriers de toutes sortes allant à leur travail... Les maisons n’étaient
plus menacées par le canon ou l’incendie mais par l’indemnité féconde de l’expropriation. » Cette
effervescence que décrit L. Girard dans son ouvrage La Politique des travaux publics du Second
Empire entraîne une forte progression de l’activité économique. Le taux de croissance annuel de la
production industrielle est voisin de 7 % pendant les 10 premières années de l’empire, soit le double
de celui de l’industrie anglaise pendant la même période, et celui de la production agricole de près
de 6 % 30. Ayant dépassé la Russie, et précédant encore les États-Unis, la France est pour quelques
années encore la 2e puissance industrielle mondiale ! La plupart des autres pays européens sont
soit en état de quasi-stagnation ou de croissance faible pour des raisons politiques ou structurelles
(Autriche-Hongrie, Italie), soit seulement en voie de démarrage (Allemagne). En dehors de l’Europe,
le décollage des États-Unis est impressionnant tandis que toutes les autres puissances (Chine, Inde,
Japon) sont en décroissance.

Chaîne de montage de locomotives,


Gainsborough, Angleterre,
usines Marshall Sons and Co
© Boyer / Roger-Viollet.

30 - D’après l’ouvrage de
William H. C. Smith, « Napoléon III »
La puissance industrielle de l’Angleterre au milieu du XIXe siècle

Évolution des populations Un élément important commence


(en millions d’habitants) à apparaître, qui va être détermi-
Royaume-Uni France Russie nant pour la France de la fin du
1700 9,0 19,0 17,5 siècle : l’évolution démographique.
1750 10,5 21,5 20,0 On n’enregistre pas encore d’in-
flexion majeure dans la croissance
1800 16,0 28,0 37,0
de la population française. Le
1860 28,7 36,4 80,9 Royaume-Uni, sensiblement moins
D’après Rise and fall of powers de Paul Kennedy. peuplé que la France en 1860,
commence néanmoins à combler
son retard de façon significative. En fait, après la période d’euphorie du Second Empire qui vient
d’être mentionnée, la croissance de la population anglaise va contribuer à élargir l’écart de PNB
entre les deux pays. Le PNB de la France représente près de 85 % de celui du Royaume-Uni en
1860, mais le ratio tombera à environ 55 % en 1914.

Jubilé de la reine Victoria


d’Angleterre (1897),
le cortège à Londres,
Le Petit Journal
© Collection Roger-Viollet

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75
« CETTE TERRE NE PEUT AVOIR D’ÉGALE... C’EST EXACTEMENT COMME SI DIEU AVAIT VOULU
POURVOIR LÀ À TOUS LES BESOINS DE L’HOMME. »

Pedro de Valdivia, gouverneur de la Nouvelle Estremadura (Chili)


Lettre à Charles Quint du 15 février 1541

Exposition universelle de 1900, Paris, la coupole du Creusot.


© LL / Roger-Viollet
Schneider entrepreneur à la découverte du monde

SCHNEIDER
ENTREPRENEUR
À LA DÉCOUVERTE DU MONDE

1880-1940

L es chantiers de Chalon, qui prendront par la suite la dénomination « Direction des Travaux Pu-
blics » (DTP), participent sur tous les continents à de grands projets d’infrastructures qui apportent
des débouchés aux productions industrielles du Creusot – charpentes métalliques au XIXe siècle,
équipements portuaires au XXe siècle. La première grande aventure de Schneider entrepreneur à
l’exportation fut celle du Chili.

LA FIN DU XIXe SIÈCLE : HEURS ET MALHEURS


DES CONSTRUCTIONS DE PONTS
LE CHILI

La DTP Pourquoi la DTP réalisa-t-elle ses premiers grands chantiers internationaux dans un pays aussi éloigné
de ses bases ? Il est bien difficile de répondre aujourd’hui à cette question.
Avant l’arrivée de Maurice Michel-Schmidt en 1895, la DTP n’existait qu’à
l’état latent dans la section des Ponts et Charpentes et la documentation
spécifique est donc quasi inexistante. En outre, Henri Schneider, qui dirigea
le groupe de 1875 à 1898 et qui était connu pour son attentisme, avait par
ailleurs un goût prononcé pour le secret.
L’histoire retient seulement que Schneider prit pied en 1888 sur ce marché en
construisant le viaduc de Malleco. Suite à cette prestigieuse réalisation, qui
lui valut l’estime et la reconnaissance des autorités locales, le gouvernement
chilien attribua à la firme l’édification de tous les ponts en acier de toutes les
nouvelles lignes de chemins de fer en construction.
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Mais cette énorme commande tourne, quelques années plus tard, à la catastrophe : en 1897, les
ponts se fissurent, parfois même jusqu’à la rupture comme celui de Maipocho, à Talagante, qui tue
vingt personnes en 1898. L’économie trop grande de métal, recherchée par Pradel, en est la cause.
Le gouvernement chilien réclame une fabrication plus solide et oblige Schneider à s’associer avec
une entreprise chilienne de travaux publics : Lever-Murphy. Schneider se charge de la fourniture de
l’ossature en acier des piles et des travées tandis que l’entreprise chilienne assure le montage de
celle-ci. Cette collaboration se poursuit pendant vingt ans, Schneider étant parvenu à reconquérir
la confiance de son client, les Chemins de Fer Chiliens, dont il reste le fournisseur permanent face
à une concurrence allemande et anglaise.

Paul Doumer (1857-1932), LE VIETNAM


homme d’État français
© Collection Roger-Viollet.
À la suite de la conquête du Tonkin, Paul Doumer, désireux d’accélérer le développement du Vietnam,
établit, en 1898, un programme ambitieux prévoyant le creusement de canaux en Cochinchine,
l’extension du port de Saigon et la réalisation de deux grandes lignes de chemins de fer, l’une pour
relier le Yunnan et confiée, comme on l’a vu, à la SCB, et l’autre entre Hanoi, Saigon et Phnom-Penh.
Schneider remporte seul de nombreux ponts situés sur les lignes reliant Hanoi à Haïphong et à Viétri.

Vietnam,
chemin de fer de Hanoi
© Collection Roger-Viollet.

Les chantiers en pays équatorial sont cependant très difficiles et l’en-


treprise y est peu préparée. Malgré un important matériel, les crues de
fleuves puissants et aux fonds mobiles entraînent des retards. L’effon-
drement du pont sur le Lai-Vu en 1901 et d’autres accidents survenus
en 1902 en raison d’un typhon entraînent des effets catastrophiques
sur le phasage de la construction de la ligne. La fin de l’opération s’ac-
compagne d’un procès que Schneider gagne contre l’Administration.

À la même période, Schneider se lance dans une grande aventure


chinoise.
Pont Long Bien
ou pont Paul Doumer, LA CHINE
photographié en 1989
© Françoise De Mulder / Roger-Viollet.
La construction de la grande ligne de 1 200 km entre Pékin, Hankéou et Canton est décidée par
l’empereur en 1895 sous la forme d’un contrat de partenariat public-privé, qui était alors le modèle
dominant, sinon unique, en Europe et dans le monde. Il concède, en 1896, à la Compagnie Impériale
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des Chemins de Fer Chinois, la ligne de Pékin à Hankéou. Celle-ci intéresse les Français, qui sont prêts
Chemin de fer
du Yunnan à construire et à exploiter la ligne entière pour relier l’Indochine à la Russie d’Extrême-Orient par la
Chine, via le Yunnan et le Kouang-Si. Projet grandiose, mais non dénué de risques en tous genres.
Une société d’études de chemins de fer en Chine est créée, en 1897, par un groupement franco-
belge comprenant deux banques (la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Société Générale de
Belgique), cinq entreprises industrielles belges et quatre entreprises françaises (Fives-Lille, Schneider,
Cail et la Société de Construction des Batignolles).
La part de fourniture de chacun des entrepreneurs est vite décidée : les rails seront fournis par
les Belges et les ponts par les Français, l’ensemble étant géré par un « Comité d’Exécution et de
Direction ». Les entreprises françaises créent un catalogue de plans types de tabliers métalliques,
pour lequel les ingénieurs de la société d’études choisissent le modèle utile.
L’année suivante, le groupement signe avec la Compagnie des Chemins de Fer Chinois des contrats
pour la fourniture des équipements d’infrastructure et la construction de cette ligne, et organisent
un emprunt de 112,5 millions de F 31 à 5 %, d’une durée de 30 ans, garanti par le gouvernement
chinois.

Tunnel en Chine
archives SPIE.

Dès le début de 1899, le comité d’exécution de la société d’études lance la construction des trois
premiers ponts à double voie, dont un de 240 mètres. En dépit d’un plan de charge très tendu, en
raison notamment des travaux du Métropolitain de Paris, les chantiers de Chalon parviennent à
livrer dès l’année suivante les ponts prévus.

Le contrat de Pékin-Hankéou sera une bonne affaire pour Schneider. L’entreprise réussira à engranger
des bénéfices tout en risquant peu de capitaux, son rôle étant limité, à l’intérieur du consortium,
à celui d’un fournisseur de charpentes.

En dépit de ce succès, la société décide de ne pas demeurer dans la région, tirant la leçon des graves
déboires rencontrés au Tonkin.

CONSÉCRATION EN FRANCE
En France, l’entreprise reste très active. Au demeurant, le tarif douanier protectionniste créé par 31 - Soit près de 390 millions
Méline rend les ventes sur le marché national beaucoup plus attrayantes que celles réalisées à d'€ 2010
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Exposition universelle l’étranger. L’Exposition universelle, organisée


de 1900, Paris, en 1900 à Paris et dont le thème est celui
le pont Alexandre-III de la « Fée Électricité », va lui permettre de
© LL / Roger-Viollet.
s’illustrer par une réalisation prestigieuse.
Afin d’ouvrir la perspective des Invalides vus
Exposition des Champs-Élysées, il est décidé de démo-
universelle lir un bâtiment et de construire un pont, au
1900
tablier surbaissé, qui permette de voir sans
aucune gêne les Invalides depuis l’avenue
des Champs-Élysées. Ce sera le pont dédié
au Tsar Alexandre III (1845-1894). Le Tsar Ni-
colas II et la Tsarine posent la première pierre
en octobre 1896, en présence du président
Félix Faure. L’ouvrage est construit grâce à la
mise au point d’un pont roulant supérieur à
vérins portant un cintre mobile de plus de 100
mètres, préfigurant les techniques qui seront
utilisées au XXe siècle.
Pour réaliser l’arche en acier, Schneider s’est
associé à Fives-Lille 32. Le pont Alexandre-III
est inauguré en 1900.

Très en pointe dans le domaine des aciers


spéciaux, Schneider réalise des innovations
importantes qui sont immédiatement utilisées
dans les ponts et les charpentes. Les ponts en
acier de la ligne du Saint-Gothard figurent,
dans les années 1875, parmi les premiers
construits au monde.

De 1903 à 1905, Schneider fournit 81 ponts


pour la Compagnie du Paris-Lyon-Méditer-
ranée (PLM). La firme travaille aussi pour les
Ponts et Chaussées, en France, et dans les
colonies en mettant au point un pont mobile
adapté aux contraintes de déplacement des
fleuves.
Schneider produit également les ponts Mar-
32 - La société Fives-Lille est née, en
cille 33 , du nom du général commandant du
1865, par transformation en société génie auteur de sa conception : il s’agit d’un
anonyme des Ateliers de Fives, créés système démontable capable de former des
en 1861 par Parent et Schaken. Elle
tronçons de ponts entiers, qui peuvent se
fabrique du matériel de chemin de fer,
des constructions métalliques et des charger sur les trains de gabarits français ac-
ponts, recourant à la technique des compagnés d’un matériel de déchargement
fondations par caissons. rapide.
33 - Bien qu’ayant collaboré aux
études de détails de ces ponts, les Lors de l’Exposition universelle de 1900, les
chantiers de Chalon se virent attribuer chantiers de Chalon construisent et réalisent
la commande de réalisation par le également l’extension des usines Schneider,
ministre de la Guerre, ce que les règles
de la commande publique ne permet- dont l’aciérie du Creusot.
traient plus aujourd’hui !
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LE DÉBUT DU XXe SIÈCLE : L’ÈRE DES PORTS

Le début du XXe siècle est marqué par un profond bouleversement de la hiérarchie industrielle et
par la montée concomitante des nationalismes.

Parts relatives de la production industrielle mondiale (en %)


Royaume- USA Allemagne France Russie Autriche Italie
Uni Hongrie
1860 19,9 7,2 4,9 7,9 7,0 4,2 2,5
1880 22,9 14,7 8,5 7,8 7,6 4,4 2,5
1900 18,5 23,6 13,2 6,8 8,8 4,7 2,5
1913 13,6 32,0 14,8 6,1 8,2 4,4 2,5
D’après Rise and fall of powers de Paul Kennedy.

La France ne résiste pas à la percée de l’industrie des pays « neufs », l’Allemagne et les États-Unis.
Elle est, en outre, handicapée par l’évolution de sa démographie, problème qui va continuer à
l’affecter après-guerre.

Population totale des puissances économiques, 1890-1938 (en millions)


Russie USA Allemagne Autriche Japon France Royaume- Italie
Hongrie Uni
1890 116,8 62,6 49,2 42,6 39,9 38,3 37,4 30,0
1900 135,6 75,9 56,0 46,7 43,8 38,9 41,1 32,2
1910 159,3 91,9 64,5 50,8 49,1 39,5 44,9 34,4
1913 175,1 97,3 66,9 52,1 51,3 39,7 45,6 35,1
1920 126,6 105,7 42,8 - 55,9 39,0 44,4 37,7
1928 150,4 119,1 55,4 - 62,1 41,0 45,7 40,3
1938 180,6 138,3 68,5 - 72,2 41,9 47,6 43,8
D’après Rise and fall of powers de Paul Kennedy.

Le recul économique de la France est déjà effectif au début du siècle. Il deviendra encore plus évi-
dent et manifeste après le traumatisme du premier conflit mondial. Des groupes industriels comme
Schneider vont de ce fait régresser de 1900 à 1940 par rapport à leurs concurrents de pays plus
dynamiques et performants. Et pourtant, dans ce contexte peu favorable, le département « Entre-
prise » va remarquablement tirer son épingle du jeu tout au long de cette période. En effet, alors
que l’ère des ponts et charpentes touche à sa fin avec le ralentissement des investissements dans

Évolution du tonnage des marines de guerre des grandes puissances


Royaume-Uni France Russie USA Italie Allemagne
1880 650 000 271 000 200 000 169 000 100 000 88 000
1900 1 065 000 319 000 383 000 333 000 245 000 285 000
1914 2 714 00 900 000 679 000 985 000 498 000 1 305 000

SCB D’après « Rise and fall of powers » de Paul Kennedy.

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le domaine ferroviaire, la Direction des Travaux Publics, bénéficiant des synergies avec son groupe,
va saisir les opportunités nouvelles qui s’offrent à elle : infrastructures portuaires tout d’abord, puis
équipements hydroélectriques et investissements pétroliers et gaziers à partir de 1920.

D’UN PORT À L’AUTRE...


L’aube du XXe siècle voit, avec la poursuite de la constitution des empires coloniaux et le renforce-
ment des potentiels militaires des puissances européennes, un très fort développement des marines
de guerre et de commerce des principaux pays industrialisés. Ce sera pour la DTP l’ouverture de
l’ère des ports.
Prenant en compte le nouveau contexte économique, et bénéficiant des capacités d’équipementier
de Schneider, les chantiers de Chalon vont s’orienter résolument vers les travaux portuaires : le port Le port
du Havre
du Havre sera relayé par celui de Rosario, en 1902, et celui de Bordeaux en 1906.
Le Havre va constituer l’un des plus grands et des plus longs chantiers de Schneider. Une loi de
1895 lance des travaux d’agrandissement comprenant des digues, un quai d’escale et une écluse
à sas. En 1899, un groupement se forme entre Vigner, entreprise du Havre, et Schneider et Cie. Les
deux entreprises obtiennent les travaux des bajoyers du sas dans de bonnes conditions, puis du
quai d’escale. Les chantiers de Chalon fournissent des milliers de caissons qui sont posés dans des
conditions difficiles, mais avec succès.

Schneider se groupe en 1900 avec les frères Fougerolle et les tout jeunes « Grands Travaux de
Marseille » (GTM) pour répondre à l’adjudication du port de Montevideo. Mais l’affaire est attribuée
à un autre groupe français. En revanche, l’affaire de Rosario, réalisée cette fois-ci en groupement
avec Hersent, sera un succès.
À la suite de plusieurs échecs commerciaux, le groupe revoit son organisation. Maurice Michel-
Schmidt obtient que les études et la gestion des projets complexes de travaux publics soient cen-
tralisées à Chalon. À partir de 1904, Chalon se présente comme une entreprise générale, les
autres services du groupe devenant ses fournisseurs et partenaires qu’elle rémunère à hauteur
d’un pourcentage des bénéfices.

Le port de
Casablanca

Le port de Casablanca, Maroc,


au milieu des années 1920
archives SPIE.

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Le coût de l’investissement
s’élève à 51 millions de F de
l’époque 34 .

Hersent est chargé de la


partie travaux publics, soit
75 % du contrat, Schneider
assurant l’équipement inté-
gral du port : caissons pour
la construction des quais,
outillage, hangars métal-
liques, grues électriques,
locomotives, etc. La firme
du Creusot n’intervenait pas
dans le montage en Argen-
tine des éléments fabriqués
en France. La supervision des
travaux locaux, réalisée par
Hersent et ses sous-traitants,
s’avéra difficile.
Le port de Rosario en 1868 Comme déjà signalé, le modèle du partena-
Collection Roberto Ferrari, Wikipedia.
riat public-privé était très répandu en Europe L’affaire fut néanmoins un grand succès, le port
et dans le monde à la fin du XIXe siècle et au de Rosario représentant une bonne part des
début du XXe. Il fut appliqué aux infrastruc- bénéfices des Chantiers de Chalon au début
tures de chemins de fer, mais également aux du siècle, ce qui justifiait les capitaux investis
ports. Ce fut le cas pour celui de Rosario, où dans la société concessionnaire.
Schneider va rester présent pendant près de
40 ans.

LE PORT DE ROSARIO
Situé à 300 km de Buenos Aires, il nécessi-
tait des installations maritimes à la hauteur
du très fort développement de l’Argentine. En
1899, le Parlement lance un concours interna-
tional pour la concession du port de commerce
à Rosario, auquel Schneider et son associé
Hersent décident de participer. Déclarés ad-
Le port
34 - Soit l’équivalent judicataires en 1902, ils créent une société au
de Rosario
de 180 millions d'€ 2010. capital de 10 millions de F, chargée d’assurer
en 2007
la construction puis l’exploitation du port. Wikipedia.

La vitalité du procédé Rosario

concessionnaire
Schneider entrepreneur à la découverte du monde

Alors que la crise économique s’éloigne, Chalon traite moins d’affaires de ponts, mais de plus en
plus de ports et Maurice Michel-Schmidt, qui a gagné son autonomie de gestion, enregistre de
nombreux succès en 1906 et 1907, notamment à Bordeaux et au Maroc, à Casablanca et à Safi,
l’empire colonial devenant progressivement l’une des zones prioritaires pour Schneider.

1907-1914 : LA CRÉATION DE LA DIRECTION


DES TRAVAUX PUBLICS
Les tensions politiques en Europe entraînent une forte progression de tous les budgets militaires.
Face à la croissance impressionnante des commandes d’artillerie, Schneider doit repenser d’une
façon globale tout son processus de production.

Trois sections séparées sont donc créées à Chalon : la Marine, l’Artillerie et les Travaux Publics. La
Direction des Travaux Publics, ou DTP, dotée d’un atelier de 7 800 m2 de surface, est opérationnelle
au 1er janvier 1907, Maurice Michel-Schmidt devenant directeur des Travaux Publics des Établisse-
ments Schneider. Malgré la centralisation des principaux services de la firme à Paris, la direction de
la DTP reste, dans un premier temps, à Chalon, près de son personnel.
Mais en 1909, elle s’installe en définitive à Paris, où elle dispose de son propre service commercial.
Charles Laroche succède alors à Maurice Michel-Schmidt, qui part pour le Havre comme entrepre-
neur de travaux publics. Laroche est l’ancien maître d’ouvrage des chantiers du Havre. D’abord
ingénieur du service maritime de la Seine Inférieure, il a ensuite travaillé à la société d’études des
ports de l’Empire ottoman, consortium détenu à 25 % par Schneider 35.
Il s’occupe du brise-lames d’Alexandrie et resserre encore les liens avec Hersent pour les affaires
portuaires complètes, qui demeurent le but principal de la DTP.

La DTP reste présente en Amérique du Sud jusqu’en 1910, notamment à La Paloma (Uruguay),
mais n’est pas retenue à Pernambouc et à Buenos Aires.
Hersent et Schneider s’intéressent, en commun, à des ports au Mexique. Le groupement obtient, en
1912, le port de la Barra en Uruguay, mais il s’agit de la dernière affaire car la présence de Schneider
en Amérique latine, en dehors de Rosario, touche à sa fin.

LE RECENTRAGE GÉOGRAPHIQUE
DES ACTIVITÉS INTERNATIONALES DE DTP
En fait, tirant les leçons de ses aventures lointaines en Extrême-Orient et en Amérique latine,
parfois couronnées de succès mais parfois aussi sources de problèmes et de déboires, la DTP se
recentre progressivement sur les colonies d’Afrique et sur l’Est de l’Europe, encore mal équipé en
infrastructures, pour ses activités hors du territoire métropolitain.
Lyautey (1854-1934),
Le Maroc dans son appartement parisien
de la rue Bonaparte à Paris
© Harlingue / Roger-Viollet.
Suite à l’établissement du Protectorat français au Maroc en 1912, le
général Lyautey met en place une administration française et cherche
à relancer la vie économique du Maroc. Il décide en particulier la
construction d’un grand port moderne et choisit, à cet effet, le site
35 - Le Consortium des Ports ottomans
Lyautey de Casablanca. Schneider et son associé Hersent obtiennent, à l’issue a été formé par Schneider, Hersent,
d’un concours international, le contrat de réalisation des travaux. la Société de Construction des
Ces derniers s’élèvent à 46 millions de F 36, alors que le budget du Batignolles et la Régie Générale des
Chemins de fer.
Maroc ne dépasse pas 16 millions ! Un emprunt émis en France, 36 - Soit l’équivalent de 140 millions
en 1914, couvre largement cette somme. Le Maroc représente d'€ 2010.
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alors l’un des chantiers


les plus importants de
Schneider.

Schneider sut mettre en


œuvre, sur le chantier
de Casablanca, des in-
novations importantes.
L’entreprise recourut,
notamment, à l’uti-
L’évolution du port
de Casablanca
lisation d’une grue à
entre 1918 et 1931 vapeur de 110 tonnes
archives Schneider. permettant le mouillage
de blocs de 50 tonnes nécessaires au renforcement de la digue, déjà en partie détruite par les très
fortes tempêtes de l’Atlantique sur cette côte. La notoriété ainsi acquise favorisa l’implantation
continue de Schneider dans ce pays pendant plusieurs décennies.

L’Europe orientale
En Europe orientale, le principal projet de Schneider fut celui du port Empereur Pierre le Grand,
réalisé de 1913 à 1917 en association avec Hersent et Ackerman Van Haaren. Ce port, situé à Reval,
aujourd’hui en Estonie, était le 2e de la Baltique et devait être impérativement modernisé. Il abritait,
en outre, des chantiers navals dont Schneider devait assurer la gestion.

LE PREMIER CONFLIT MONDIAL Viaduc de


Caronte
En France, l’âge d’or de la construction métallique touche à sa fin. Certes, des ouvrages imposants
sont encore réalisés. Ainsi, la DTP acheva-t-elle en 1913 le tablier du viaduc de Caronte, sur la ligne
de chemin de fer de Marseille à Miramas : d’un poids de 10 000 tonnes d’acier et comprenant une
travée tournante, ce pont suscita pendant longtemps les appréciations les plus élogieuses.

Les
La collaboration avec les banques est loin concession attribuée au groupe Hersent-
d’être toujours fructueuse, les intérêts di- Schneider en 1902, les deux sociétés es-
vergeant souvent. Les industriels français saient de trouver le financement auprès des

relations
se « révoltent », dans les années 1900, banques, mais elles échouent et, in fine,
contre la politique des banques qui lèvent doivent s’entendre avec le gouvernement
des emprunts obligataires, offrant aux argentin pour aboutir.

avec
économies étrangères les moyens de les La fondation par Schneider en 1904 de la
concurrencer. Banque de l’Union Parisienne (BUP), notam-
La collaboration avec les banques aboutit ment pour répondre à des projets portuaires

les
parfois à des échecs (Paratoff en Russie en (Pernambouc et Buenos Aires), n’améliore
1897, en raison des erreurs de la Banque de pas la situation.
Paris et des Pays-Bas), parfois à des « ca- Il faudra attendre les années 1910 pour que

banques
fouillages » dans des montages d’opéra- les banques françaises, réprimandées par le
tions de ports (Rosario et Pernambouc). Quai d’Orsay, apportent un soutien plus actif
Dans le cas du port de Rosario, une fois la aux industriels français.
Schneider entrepreneur à la découverte du monde

Avec l’arrivée de la guerre de 1914-1918, la DTP réduit son chiffre d’affaires en France, mais dé-
veloppe son activité dans les colonies. Elle produit des ponts de campagne et effectue nombre de
travaux de renforcement de ports et de cantonnements, ainsi que des centrales électriques, dont
l’importance va devenir croissante.

L’ENTRE-DEUX-GUERRES
ET L’ENTRÉE DANS LE DOMAINE
DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU PÉTROLE
LES INFRASTRUCTURES HYDRO-ÉLECTRIQUES

L’usine électrique de Jonage


près de Lyon, vers 1900
archives Schneider.

L’entre-deux-guerres marque le développement des infrastructures élec-


triques en France, où l’on consent enfin à faire un véritable effort pour
équiper le pays. La loi sur l’hydroélectricité de 1919 a clarifié le statut des
travaux dans un secteur où les premières expériences sont déjà anciennes :
ainsi le canal de Jonage construit par Dubois pour la Société Lyonnaise
des Forces Motrices du Rhône près de Vienne, pour lequel Schneider a
fourni des équipements.
Les leaders dans ce domaine sont la SGE et GTM. La DTP les fournit en
matériel électrique, mais participe aussi aux travaux. Il est à noter que ces
investissements d’infrastructures hydroélectriques sont confiés au secteur
privé.

La volonté d’équiper le Rhône et de l’aménager sur tout son cours se


concrétise dans ces années d’après-guerre. Le barrage de Chancy-Pou-
gny en marque le démarrage. Une double concession suisse et française
est obtenue en 1918 autorisant Schneider à réaliser ce projet, qui devait
permettre l’électrification de ses usines bourguignonnes.
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LE PÉTROLE

Un texte de loi du 16 mars 1928 encourage l’industrie française à s’intéresser au raffinage du pétrole.
En six ans, le nombre des raffineries, situées pour l’essentiel dans les ports où Schneider est déjà
présente, va passer de 2 à 15 en France. La DTP se lance dans la réalisation d’usines clés en main
et la Compagnie Française de Raffinage, née en 1929, lui commande des réservoirs et des unités
de cracking qui assurent la transformation du pétrole en sous-produits. Elle construit également
l’usine de Gonfreville puis celle de Martigues.

LA POURSUITE DE L’ACTIVITÉ INTERNATIONALE


En Afrique Noire, où elle avait en fait peu investi avant la Première Guerre mondiale, la France
décide par le plan Sarraut de mettre en valeur les richesses naturelles grâce à des infrastructures
efficaces. Le groupe y participe au mieux de ses intérêts et obtient différents marchés, notamment
en Côte-d’Ivoire et au Dahomey avec le pont de Porto-Novo, qui nécessite des pieux en béton de
plus de 50 m, un record pour l’époque. La DTP construit, de 1935 à 1940, le port de Majunga à
Madagascar, qui ne nécessitera pas moins d’1 million de tonnes d’enrochements et de 300 000 m3
de remblais et de béton.

Mais Schneider est également très actif en Afrique du Nord, où sa présence permanente lui assure
des revenus récurrents. Elle réalise notamment des extensions, dans de bonnes conditions finan-
cières, aux ports de Casablanca et de Safi transformés en ports phosphatiers, ports où elle est déjà
intervenue. Le programme d’électrification du Maroc constitue, par ailleurs, à cette époque une
source importante d’activité, avec des constructions de centrales thermiques et hydrauliques, des
lignes de transport et de distribution d’électricité et des caténaires. Le groupe livre, à cette occasion,
de nombreux équipements tels que vannes, conduites, ponts roulants, dans le cadre de sa stratégie
traditionnelle associant activités d’entreprise et activités industrielles.

Le port
d’Alger

Port d’Alger, vue aérienne


© CAP / Roger-Viollet.
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Plus importants encore, les travaux de la digue du port d’Alger nécessitent une compétence acquise
dans les difficiles travaux de Casablanca. La Chambre de Commerce, concessionnaire des travaux,
doit réaliser une jetée d’1,5 km, par 15 m de fond, et lance à cet effet au début des années 20,
un concours international que remporte la DTP, qui s’associe à Hersent et Daydé pour exécuter les
travaux. Laroche et Bénézit, son adjoint, ont prévu d’utiliser des blocs de 450 tonnes autobloquants.
Il faut concevoir un portique supportant ce poids dont le modèle est déposé par la DTP. Elle en
déposera d’autres, à l’occasion de cette réalisation, d’un grand renom à son époque.

En Europe même, le groupe s’intéresse aux ports du Pirée, de Budapest et de Gdynia. Le port de
Budapest, en dépit de multiples difficultés liées à la situation politique, est livré en 1928. Silésie
L’entreprise participe aux côtés de la SCB aux travaux du port de Gdynia, où le consortium français
rencontrera souvent des problèmes pour obtenir ses règlements.
La DTP réalise, par ailleurs, un chantier majeur en Pologne, la ligne de chemin de fer Silésie–Baltique
(Herby-Nowe-Gdynia), tout en participant au capital de la Compagnie franco-polonaise de chemins
de fer chargée de l’exploiter. Elle exécutera jusqu’en 1939 environ 500 km de voies ferrées.

BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER DE L’ACTIVITÉ


« ENTREPRISE » DE SCHNEIDER JUSQU’EN 1940
Direction spécialisée qui accompagne et valorise les autres activités du groupe, mécanique et
armement notamment, la DTP a réussi à s’émanciper peu à peu et à gagner en autonomie et en
qualité. Progressivement, grâce aux efforts de Laroche et de Bénézit, la DTP va devenir dans les
années 20, et encore plus dans les années 30, une entreprise de construction à part entière, ce
qu’elle n’avait jamais été auparavant.
L’évolution de la DTP peut s’analyser en 3 phases bien distinctes, les orientations stratégiques de
Schneider déterminant celles de sa direction « entreprise ».

■ 1ère phase : fin du XIXe siècle


Stratégie « mondiale » axée sur les infrastructures ferroviaires.

■ 2e phase : début du XXe siècle


Stratégie France, colonies françaises, Europe de l’Est, fondée sur une synergie avec les activités
mécanique et défense de Schneider, axée sur les infrastructures portuaires.

■ 3e phase : entre-deux-guerres
Stratégie France, colonies, Europe de l’Est, avec développement dans le domaine de l’énergie
électrique (stratégie électromécanique de Schneider) et démarrage d’activités de diversification
(pétrole/gaz, entreprise générale industrielle) aux côtés des activités traditionnelles portuaires et
ferroviaires qui se poursuivent.

Durant la 1re phase, Schneider, l’un des acteurs majeurs du grand mouvement de mondialisation
ferroviaire, n’hésite pas à s’engager, de façon active, dans des opérations souvent considérables.
Celles-ci débouchent parfois sur des partenariats public-privé (PPP) qui nécessitent l’investissement
de capitaux importants dans des sociétés concessionnaires. Cette politique de PPP, qui sera poursuivie
par Schneider dans la phase ultérieure, celle des ports, est évidemment un atout considérable pour
la DTP. Celle-ci bénéficie de l’appui de son groupe et opère donc dans des conditions financières
favorables. Elle peut assumer seule certains contrats, mais s’associe souvent, notamment à l’export,
avec des entreprises de construction. Ceci étant, la DTP reste une entité de taille réduite, ses effectifs
ne dépassant pas 350 personnes lorsque Pradel en assure la direction. En outre, les chantiers de
Chalon apparaissent clairement, pendant plusieurs décennies, comme un auxiliaire qui ne reçoit pas
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la même attention que les usines. Les problèmes techniques


rencontrés au Chili sont pour le moins surprenants. L’aventure
indochinoise paraît également avoir été mal préparée, l’entre-
prise ayant été « envoyée au combat » pour faciliter la vente
des produits industriels et pour plaire aux pouvoirs politiques,
mais sans que ses dirigeants se soient véritablement interrogés
sur l’état de préparation de leurs « troupes » et sur leur capacité
à affronter un nouvel environnement, totalement inconnu pour
elles. Enfin, les dirigeants de la DTP se plaignirent longtemps
du manque de compétence du personnel de Chalon, moins
bien formé et moins bien payé que celui du Creusot.

Durant la 2e phase, la saturation progressive du marché fer-


Pionniers en Amérique du Sud roviaire conduisit Schneider à rechercher d’autres marchés
vers 1900 porteurs. Le secteur des infrastructures portuaires s’adaptait de façon évidente aux compétences
archives SPIE.
du groupe Schneider, qui chercha donc à s’y développer avec détermination. Cette stratégie était
également bien en ligne avec les choix politiques, et parfois même les demandes pressantes, des
gouvernements français successifs. Ceux-ci, de façon de plus en plus ouverte, préparaient l’affron-
tement avec l’Allemagne et poussaient les industriels à s’impliquer fortement dans les activités liées
à l’armement et aux projets d’infrastructures. On sait ce qu’il advint...

D’un point de vue géographique, Schneider comprit l’intérêt et le potentiel considérable que pou-
vaient représenter les colonies françaises. Ce nouvel espace économique, à fort potentiel puisque
démarrant de zéro, bénéficiait, évidemment, d’un environnement politique légal et financier beau-
coup moins incertain que celui de l’Amérique du Sud ou de l’Extrême-Orient. Durant cette période, la
DTP se présente comme une entreprise « hybride », dont l’une des priorités est d’écouler les produits
industriels de Schneider mais qui cherche, en parallèle, à développer ses propres compétences de
construction et d’entreprise générale. Bien que sa taille et ses effectifs soient en forte augmentation,
elle continue néanmoins à former des consortiums avec des sociétés de génie civil « amies », telle
que Hersent, dans le cadre des grands projets. Cette approche partenariale lui permet à la fois de
progresser en expertise et d’assurer une meilleure maîtrise de ses risques que par le passé. La DTP
établit ainsi les bases de son développement futur.

La DTP était déjà une entreprise importante en 1913 avec un chiffre d’affaires de 12 millions de F,
soit l’équivalent de 36 millions d'€ 2010.

Durant la 3e phase, de 1920 à 1940, Schneider ne modifie pas sa stratégie géographique, fondée
sur l’Europe et les colonies. En revanche, le groupe du Creusot prend le virage de l’électricité et
entre de plain-pied, comme l’un des grands acteurs, dans le marché de l’électromécanique.
La DTP bénéficie, là encore, du mouvement stratégique en l’accompagnant et en y apportant ses
compétences spécifiques, en s’associant d’abord, sur les nouveaux marchés comme les barrages,
avec de véritables spécialistes, GTM et SGE par exemple, puis en développant progressivement une
expertise propre dans le domaine du génie civil de ce type d’ouvrages.

Nous disposons d’éléments bilantiels à partir des années 20. L’activité de la DTP est enregistrée compta-
blement en trois parties distinctes : entreprises directes, participations gérées, participations non gérées.

Les « entreprises directes » correspondent à des contrats de taille petite ou moyenne, réalisés par le
groupe seul, dans des domaines variés : pétrole, hydrogénation de houille, poudreries, électricité, etc.
Les participations gérées et non gérées concernent des contrats de taille importante, en forte
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Schneider entrepreneur à la découverte du monde

Le Creusot,
atelier d’ajustage de blin-
dages et atelier de finissage
des blindages de navires
© Boyer / Roger-Viollet

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majorité dans le domaine portuaire et accessoirement dans les barrages et les projets ferroviaires.
Les participations gérées sont plus rémunératrices en raison des honoraires de gérance qu’elles
impliquent. Le chiffre d’affaires des participations non gérées, parfois qualifiées de « dormantes »,
n’est généralement pas comptabilisé. Ces affaires non gérées sont utilisées par la DTP comme un
moyen d’apprentissage et de formation dans des affaires où elle estime ne pas maîtriser suffisam-
ment les techniques à utiliser, le béton armé par exemple.

L’annexe 10 montre une nette tendance à l’augmentation du chiffre d’affaires,


qui passe d’une moyenne annuelle de 14,7 millions de F 1913 durant la pé-
riode 1925-1931, à une moyenne annuelle de 25,8 millions de F 1913 durant
la période 1931-1938. Par ailleurs, si l’on tient compte des participations non
gérées, le chiffre d’affaires est largement plus élevé. L’analyse des prises de
commandes montre en effet que les participations « dormantes » représentent
environ les deux tiers des participations gérées. Le chiffre d’affaires total est
donc sans doute supérieur à 20 millions de F 1913 pour la période 1925-1931,
et proche de 40 millions de F 1913 pour la période 1931-1937.

La DTP est donc indubitablement devenue une entreprise importante, d’une


taille au moins équivalente à celle de la SCB. Son chiffre d’affaires est, par ailleurs,
mieux réparti entre différents domaines d’activités et sa stratégie géographique
moins risquée à partir de 1900. L’analyse des prises de commandes montre,
en effet, qu’elles sont très largement concentrées sur la France et l’Afrique du
Nord, qui représentent près de 70 % de l’activité.

Au plan de la rentabilité (cf. annexe 10), la DTP réalise, en dépit de quelques


problèmes ponctuels, des performances de qualité.

Nous ne disposons pas des résultats de 1920 à 1925, mais différents docu-
ments mentionnent qu’ils ont été nettement bénéficiaires de 1920 à 1924, et
déficitaires en 1925 suite à des difficultés sur le contrat du barrage des Rhues
dans le Massif central.

Au-delà de 1926, les marges sont très fluctuantes d’une année à l’autre, va-
riant de 2 % à 12 %, mais les moyennes sont néanmoins remarquablement
élevées : 7,6 % pour la période 1926-1931, 7 % pour la période 1931-1936.
Même si l’on opère un correctif en ajoutant au chiffre d’affaires la quote-part
de la DTP dans les participations non gérées, le résultat s’élève néanmoins à
5 %, en moyenne, du chiffre d’affaires sur la période 1926-1936. La DTP, tout
en restant spécialisée dans les grands projets, avait réussi à bien équilibrer
son portefeuille et dégageait d’excellentes marges, certaines implantations
Vue partielle de l’atelier étant semble-t-il très rentables. Ainsi disait-on souvent avant la Seconde Guerre
de grosse chaudronnerie des mondiale que les agences ou filiales de Schneider en Afrique du Nord lui permettaient de payer la
chantiers de Chalon-sur-Saône totalité de ses dividendes.
archives Schneider.

En tout état de cause, Victor Bénézit, polytechnicien de la promotion 1900, qui succède à Charles
Laroche en 1922, aura réussi une très belle performance stratégique tout au long de la période où il
préside aux destinées de la DTP. Cette dernière deviendra une entreprise de construction de premier
plan et Victor Bénézit obtiendra de bien meilleurs résultats que bon nombre de ses concurrents
comme SCB, SGE ou GTM. Il surmontera remarquablement les effets de la crise économique du
début des années 30 et n’enregistrera des difficultés qu’à l’approche du second conflit mondial.
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LE GROUPE SCHNEIDER : VERS DES TEMPS DIFFICILES

Le groupe n’a jamais paru aussi puissant à l’aube des années 30. Après une décennie d’investisse-
ments, de développement de nouveaux produits et de mise en place de coopérations industrielles,
son chiffre d’affaires a atteint 580 millions de F en 1926-1927, puis 742 millions de F en 1929-1930.
Certes, la croissance réelle en francs constants est plus faible, mais elle demeure respectable : + 5 %
l’an. Vers 1930, le groupe emploie 130 000 personnes, dont 10 000 seulement au Creusot qui
n’est qu’un établissement, certes important, dans un groupe diversifié. Les activités traditionnelles
comprennent la métallurgie pour un peu plus de 20 % du total, les activités navales pour près d’un
tiers, l’armement pour près d’un quart et la construction, secteur de la DTP, dont le poids varie entre
5 % et 10 % du total, compte tenu de la cyclicité de son chiffre d’affaires. La grande nouveauté
est l’électricité avec, notamment, le développement continu de l’usine de Champagne-sur-Seine
qui produit tous types d’équipements et de matériels électriques, et qui apporte des synergies à
l’activité de la DTP. Sa part reste toutefois minoritaire à l’échelon de l’ensemble du groupe qui,
curieusement, ne cherche pas à y acquérir son autonomie.
Il procède d’abord à des achats de brevets à des « inven- Données financières du groupe Schneider
teurs » extérieurs, puis noue en 1929 une alliance straté- Chiffre d’affaires 1926 : 580 MF soit environ 340 M€ 2010
gique avec Westinghouse qui permet de donner à l’usine
1929 : 742 MF soit environ 400 M€ 2010
de Champagne une véritable dimension européenne.
activité BTP : 5% à 10 % du total (hors participations non gérées)
Après 1930, les années de crise vont s’avérer difficiles à Capital 1837 : 4 MF x 4,2 37 soit environ 19 M€ 2010
surmonter. Aucun domaine ne sera épargné, mais les ac- 1873 : 27 MF x 3,6 37 soit environ 108 M€ 2010
tivités nouvelles liées à l’électricité vont particulièrement 1924 : 100 MF x 0,74 38 soit environ 83 M€ 2010
souffrir. Sa filiale spécialisée, le Matériel Électrique SW, va
37 - Estimé par interpolation entre les
subir des pertes régulières pendant la décennie qui précède
années 1800 et 1900
le second conflit mondial. Sa concurrente Alsthom rencontrera d’ailleurs le même type de problèmes. 38 - Coefficient INSEE
En revanche, Jeumont, société sœur de SPIE dans le groupe Empain (cf. chapitre suivant), résistera
mieux car elle pourra bénéficier des marchés captifs apportés par ses sociétés sœurs : métro de
Paris, tramways, sociétés de production et distribution d’électricité, etc. La stratégie d’intégration
d’Empain s’avéra en fait plus adaptée à la conjoncture difficile de cette phase de crise économique.
En définitive, la société électrique du groupe Schneider ne sera sauvée que grâce à l’appui des Le comité des Forges
autres secteurs. de France : la commission
Il est intéressant de noter l’appauvrissement patrimonial dû à l’inflation galopante des années 1920. de direction en 1914. Premier
Le capital de Schneider a en fait diminué, à francs constants, entre 1873 et 1924. Le manque de rang, quatrième à partir de la
dynamisme de l’économie française avant 1914, et le gauche, Eugène Schneider
© Collection Roger-Viollet
séisme de la Première Guerre mondiale sont, sans nul
doute, à l’origine de cette destruction de valeur. Schnei-
der est sans conteste un géant de l’industrie française
durant l’entre-deux-guerres mais sa position, comme
celle de l’économie française, s’est en fait affaiblie à
l’échelon mondial au terme du demi-siècle qui vient
de s’écouler depuis l’instauration de la IIIe République.

Le comité des
Forges

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« JE HAIS CES CŒURS PUSILLANIMES QUI, POUR TROP PRÉVOIR LES SUITES
DES CHOSES, N’OSENT RIEN ENTREPRENDRE. »

Molière - Les Fourberies de Scapin

Gravure du Petit Journal, mai 1899,


creusement du métropolitain,
prolongement de la ligne d’Orléans le long des quais,
© G. Dagli Orti
Le groupe Empain, le métro de Paris et la naissance de SPIE

EMPAIN
LE GROUPE
LE METRODE PARIS
ET LA NAISSANCE DE SPIE

1900

ÉDOUARD EMPAIN :
UN ENTREPRENEUR HORS DU COMMUN
L’empire industriel Empain est né en Belgique au XIXe siècle de l’extraordinaire esprit d’entreprise
de son fondateur, Édouard Empain 39, qui fut anobli en 1907 avec le titre de baron en raison de
l’exceptionnelle réussite de son groupe. Son rôle déterminant dans l’organisation de la logistique
de l’armée belge durant le premier conflit mondial lui valut, par ailleurs, d’être nommé général en
1917. Il devint de ce fait le « général baron Édouard Empain ».

Rien ne le prédisposait pourtant à une telle carrière. Son père François-Julien, descendant
d’une famille de petits brasseurs de bière, était l’instituteur du village. Aîné d’une famille
nombreuse de sept enfants aux ressources limitées, Édouard ne put débuter ses études
Édouard
Empain secondaires qu’à l’âge de 15 ans mais, les temps étant difficiles, il dut quitter le collège
trois ans plus tard pour gagner sa vie. Il entra alors comme dessinateur à la Société Mé-
tallurgique à Bruxelles, entreprise spécialisée dans la production de matériel ferroviaire,
tout en suivant avec assiduité des cours du soir pour compléter sa formation. Il n’obtint
jamais de diplôme d’ingénieur mais, selon la rumeur publique, il aimait néanmoins qu’on
l’appelât « Monsieur l’Ingénieur » lorsqu’il atteignit l’apogée de sa carrière. Son poste de
dessinateur l’amena à collaborer à la mise au point d’une locomotive pour voies étroites, Le général baron
Édouard Empain
première mission qui fut déterminante dans l’orientation de sa carrière. Remarqué par un des archives SPIE.
administrateurs du groupe, Arthur du Roy de Blicquy, il gagne sa confiance et son soutien pour la
création de ses premières entreprises en Belgique.

Esprit curieux, il poursuivait pour son propre plaisir des études de géologie en parallèle avec sa 39 - Voir annexe 11, généalogie simpli-
carrière professionnelle dans le domaine de la mécanique. Consulté à titre d’expert par un banquier fiée de la famille Empain.
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français, Henri de Lamonta, dans une affaire de carrières en Belgique, il produisit une analyse et
Le Congo un rapport dont la rigueur et la qualité frappèrent le donneur d’ordre. Ce fut l’origine des relations
belge amicales et d’affaires avec ce banquier, qui permirent à Édouard Empain de s’introduire et de se
faire apprécier dans les milieux économiques et politiques français.

Fort de ses appuis dans les deux pays et, bien sûr, de ses qualités d’entrepreneur, il put y développer
de fortes positions industrielles, principalement dans le domaine des transports, tout en s’adaptant
aux évolutions du marché. Selon M. Fauvelais 40, les capitaux investis se répartirent comme suit :

Période 1883-1887 : 96 % dans les chemins de fer secondaires Il anticipa et accompagna les
évolutions technologiques et
Période 1887-1900 : 72 % dans les chemins de fer secondaires
comprit, en particulier, tout
21 % dans les tramways le potentiel que représentait
7 % dans le métro de Paris le développement de l’élec-
Période 1901-1913 : 13 % dans les chemins de fer secondaires tricité. Son groupe se pré-
sentait comme une galaxie
22 % dans les tramways
complexe de holdings et de
42 % dans le métro de Paris sociétés opérationnelles, fruit
23 % dans la production d’électricité de son imagination et de sa
Heliopolis
et les matériels électromécaniques force créatrice, mais il savait
y faire jouer les synergies
entre sociétés sœurs. Ses in-
vestissements dans le domaine des transports étaient, en fait, fondés sur le triptyque conception,
réalisation, exploitation, ce qui permettait de générer de nombreuses coopérations intragroupes.

Édouard Empain enregistra évidemment quelques échecs dans le foisonnement de ses projets, mais
il réussit à bâtir un groupe puissant et rentable, ce qui lui valut l’estime et le respect des communau-
tés financières et industrielles. Entrepreneur dans l’âme, il ne manqua pas d’élargir ses domaines
d’activités vers la métallurgie, la mécanique, l’immobilier, la construction, la banque. Il s’intéressa
à bien d’autres contrées que la Belgique et la France, saisissant en particulier les opportunités
qu’offrait la colonisation du Congo belge. Il réalisa, en outre, un projet grandiose en Égypte, la
construction d’une ville nouvelle de 30 000 habitants à Héliopolis, dans la banlieue du Caire. Il fut
inhumé en 1930 dans la crypte de la cathédrale qu’il y avait fait ériger, privilège autrefois réservé
aux rois et aux reines !

LE CONCOURS DE LA CRÉATION
DU MÉTRO DE PARIS
La Ville de Paris ne faisait plus face, à la fin du XIXe siècle, à l’explosion des besoins de transport et
malgré la création de multiples tramways, il apparaissait nécessaire de réaliser un métropolitain.

Elle reçut un nombre considérable de projets de construction de transports par voie ferrée, et souvent
à vapeur, au cours du XIXe siècle. L’installation d’un ensemble de transport en commun souterrain
était une gageure, et seule l’utilisation de l’électricité comme force motrice permettait de résoudre
les problèmes liés à l’aération d’une voie souterraine.

En 1890, un entrepreneur, J.B. Berlier, avait suggéré un système de tramways tubulaires souterrains
sous Paris. Il s’agissait de mettre en œuvre la méthode dite du « bouclier », un tunnelier aux carac-
40 - « Histoire des groupes Empain téristiques sommaires dont la poussée s’effectuait à l’aide de vérins, la protection des ouvriers étant
et Schneider », archives Empain. assurée par un avant-bec métallique. Les tunnels devaient être peu profonds et les rails devaient
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Le groupe Empain, le métro de Paris et la naissance de SPIE

distribuer l’électricité... Toutes solutions qui furent retenues. En effet,


la Ville choisit, quelques années plus tard, de construire un réseau de
65 km et comprenant 118 stations.

Les réflexions antérieures permirent aux membres de l’administration de


se former un jugement sur ce qui serait le plus facilement réalisable et
le moins coûteux. Les ingénieurs de la Ville, Huet et Bienvenüe, mirent
au point leur projet dès février 1897.

LE LANCEMENT DU CONCOURS
Ce projet prévoyait une voie étroite et l’emploi de trains légers à trac-
tion électrique. La construction des infrastructures de génie civil était
réalisée par la Ville de Paris, les installations électriques, la fourniture
du matériel roulant et l’exploitation étant, quant à elles, du ressort d’un
concessionnaire. Il fut adopté par délibération en date du 9 juillet 1897.
Il fut décidé qu’au terme de la concession, tous les réseaux reviendraient
à la Ville. La durée pratique de la concession ne devait pas excéder 40
ans, la Ville entrant gratuitement à son expiration en possession de la
superstructure et des immeubles nécessaires à l’exploitation : usines
d’électricité, ateliers, dépôts.
La municipalité assumait la totalité du risque des travaux d’infrastruc-
tures, tandis que le concessionnaire portait tous ceux relatifs au matériel
et à l’exploitation de la superstructure.
Premiers pro- L’appel d’offres ne prévoyait aucune subvention ni garantie d’intérêt. La
jets du métro Ville demandait, au contraire, une redevance de 10 centimes par billet Paris. Coupe des égouts de la
parisien rue Saint-Antoine. À gauche :
de première classe et de 5 centimes par billet de seconde classe pour couvrir le service de la dette
mise en place pour financer les infrastructures de génie civil. Les prévisions du nombre de voyageurs, l’ancien égout ; au centre : le
fondées sur les statistiques d’utilisation des omnibus et des tramways, étaient assez fiables et les métro ; à droite : l’égout col-
coûts de génie civil bien cernés par les services techniques de la municipalité, qui disposaient des lecteur. Aquarelle du musée
d’Hygiène de Paris, 1900,
références des travaux d’assainissement réalisés en sous-sol. Les niveaux de redevance demandés © Boyer / Roger-Viollet.
permettaient donc à la Ville d’envisager sereinement l’équilibre financier de son projet 41. Le prix
du billet de seconde classe était fixé de façon indicative à 20 centimes, incluant une redevance de
5 centimes.

Le préfet invita les candidats à la concession à se manifester entre le 5 mars et le 5 avril 1897 pour
produire leurs offres. Il était spécifié que chacun demeurait libre de faire les propositions que son
expérience lui suggérait, la Ville se réservant de traiter « avec celui qui apporterait les plus avan-
tageuses ». Six demandes en concession furent déposées et une commission fut constituée pour
examiner, en détail, les différents projets. Celle-ci proposa de ne retenir, au final, que deux d’entre
elles, celle de la Compagnie Générale de Traction, filiale du groupe Empain et mère de la future SPIE,
appuyée par M. Schneider & Compagnie, et celle de M. Lalance, directeur du secteur électrique de
Clichy, appuyé par la Banque de Paris et des Pays-Bas.

LE PROJET EMPAIN : UNE POLITIQUE


TARIFAIRE AGRESSIVE ET INNOVANTE
Les équipes d’Édouard Empain firent un pari audacieux : non seulement elles acceptèrent toutes les 41 - Le coût de l’infrastructure génie
civil était évalué à 165 millions de F,
conditions techniques et contractuelles de la concession, mais elles proposèrent, en outre, d’abaisser soit un peu moins de 600 millions
le prix du billet de 20 centimes à 15 centimes, avec une redevance inchangée. d'€ 2010.
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Construction du métro de Paris


Entrée des ouvriers dans un sac à air,
© Boyer / Roger-Viollet.

Caisson sous la Seine


à la hauteur de la station
« Cité », débouchonnage
du masque,
© Collection Roger-Viollet.
Ligne 2 : Nord, accès
à la station de la place
d’Anvers, vers l’Étoile,
17 mars 1902.
© ND / Roger-Viollet.
Le groupe Empain, le métro de Paris et la naissance de SPIE

L’offre de la Compagnie Générale de Traction prévoyait, entre autres, des billets ouvriers. Au prix de
Fulgence 20 centimes aller-retour, ils étaient utilisables jusqu’à 9 h du matin, et le concessionnaire en étendit
Bienvenue la validité au dimanche matin. Il institua également un tarif de 5 centimes pour les enfants des
écoles communales accompagnés de leurs maîtres. La première classe fut négociée à 25 centimes,
dont 10 pour la Ville.

En fait, Édouard Empain proposa à la Ville une véritable politique tarifaire fondée sur une hypothèse
de forte élasticité de la demande, que les faits confirmèrent. Cette approche tarifaire créative, que
la Ville n’avait pas envisagée et que les autres concurrents rejetaient – ils se refusaient à baisser les
prix des billets – fut la clé de son succès. Soulignons, également, que la Compagnie Générale de
Traction prévoyait pour le personnel ouvrier un statut en avance sur son temps : durée de travail
de 10 heures et instauration de congés payés.

L’ingénieur en chef Bienvenüe fit un rapport à la commission d’examen des offres, le 14 avril 1897,
sur les projets retenus. Le caractère moderne et innovant du projet Empain lui valut de l’emporter.
Il fut désigné à l’unanimité et le rapport de cette commission, adopté sans réserve par le préfet
Julien de Sèlves, fut transmis le 8 mai 1897 à la Ville de Paris.

LE SUCCÈS DU MÉTRO DE PARIS


Le pari, technique et financier, n’était pas gagné d’avance et beaucoup d’observateurs ne croyaient
pas au succès de l’entreprise. Certains journaux spécialisés n’hésitèrent pas à écrire : « il est im-
possible que des capitaux sérieux s’engagent dans une affaire industrielle sans avenir » 42. En fait,
les actionnaires fondateurs eux-mêmes n’étaient guère rassurés. Lors de l’introduction en bourse
Edmond
Huet
de la Compagnie Générale de Traction, la plupart des promoteurs de départ prirent peur devant
l’ampleur et les risques de l’opération et revendirent l’essentiel de leur participation initiale. Édouard Paris (VIe), construction
Empain qui, lui, croyait à son projet, racheta les parts disponibles et, dès la première assemblée de du métropolitain, état
la société devint largement majoritaire. Il était ainsi seul maître à bord. des travaux place Saint-Michel
et rue Danton, en juillet 1906,
© Branger / Roger-Viollet

Paris (VIe), place Saint-Michel, construction du métropolitain,


les fermes du boulevard Saint-André (auj. rue Danton) avant le fonçage,
© ND / Roger-Viollet

42 - D’après « Les mémoires du Métro


Conformément au cahier des charges, il procéda, le 20 mai 1898, à la création de la Cie du Chemin de de RH Guerrard », La Table Ronde.
Fer Métropolitain de Paris – CMP –, société au capital de 25 millions de F 43 divisé en 100 000 actions 43 - Ce qui équivaudrait à 90 millions
de 250 F et dont le conseil d’administration devait être composé exclusivement d’administrateurs d'€ 2010.
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français. La constitution de la CMP fut approuvée


par décret du 19 avril 1899. La réputation d’Édouard
Empain était grande et, en dépit des craintes de certains
financiers et du recul de ses propres partenaires, les
investisseurs firent confiance au futur général baron.
Les actions, cotées aux Bourses de Bruxelles et de Paris,
montèrent rapidement à 500 F et dépassèrent ensuite
700 F. Après la mise en service de la 1re ligne en 1900,
la CMP n’eut donc aucune difficulté à augmenter son
capital, qui fut porté à 75 millions de F 44 en 1903.
Les actionnaires de la CMP n’eurent pas à le regretter
car le succès du métro fut éclatant dès le début. Dans
l’étude Électricité et Transports Urbains Londres, Paris,
Berlin 45, on peut lire « Dès 1901, 13 km de lignes
sont ouvertes et équipées et transportent 43 millions
de voyageurs. En 1905, plus de 150
millions de voyageurs. Le succès fut tellement considérable que le projet ne
coûta rien à la Ville ; les actionnaires de la CMP furent bien rétribués, des
milliers d’emplois furent créés avec des conditions bien supérieures à ce
qui existait alors ; la vitesse commerciale des trains est remarquable et bien
supérieure à celle de Berlin et de Londres. »

Le rôle d’Édouard Empain fut essentiel. Il créa, en 1900, la Société Parisienne


pour l’Industrie des Chemins de Fer et des Tramways Électriques, la future
SPIE, pour réaliser l’alimentation électrique du Métropolitain. Mais il ne s’in-
téressa pas qu’aux aspects financiers et techniques. Il fit mettre au concours
par la CMP le style des décorations des entrées du métro et choisit lui-même
les lauréats. La solution retenue s’inspirait des idées de l’architecte belge
Victor Horta qui s’illustra, en lançant à la fin du XIXe siècle, un mouvement
architectural connu sous le nom de « l’Art Nouveau ». La réalisation fut
confiée à Guimard, un des grands architectes français de l’époque. « Les
Station de métro balustrades extérieures étaient en fonte ouvragée, et des panneaux décorés
Porte Dauphine remplissaient le cadre de l’ossature en lave d’Auvergne émaillée et teintée dans
par Hector Guimard
différentes nuances de bleu 46 ».
(1867-1942), architecte
et décorateur français.
© Collection Roger-Viollet. Schneider, partenaire à l’appel d’offres, participa en tant que sous-traitant aux
travaux de lancement. Empain lui confia la centrale de production d’énergie d’ori-
gine, située quai de la Rapée à Bercy, qui comprenait six groupes électrogènes
de 1 500 kW et six groupes de transformation de 750 kW. Ce dispositif servira à
alimenter la première ligne Vincennes-Porte Maillot. La ligne fut ouverte en juillet
1900, après 18 mois de travaux seulement, ce qui constitue une prouesse pour
un ouvrage de 10 km environ. Elle fut mise en service à l’occasion de l’Exposition
universelle.
Le succès initial du métro ne se démentit pas. En 1914, à la veille de la guerre,
après 14 ans d’exploitation, l’excellente gestion de la Compagnie du Chemin de Fer
Métropolitain de Paris avait permis de distribuer à ses actionnaires des dividendes
44 - Ce qui équivaudrait à 270 millions
atteignant 8,25 % pour les actions nominatives et 7,65 % pour les titres au porteur.
d'€ 2010.
45 - Gaston Cadoux, Revue des Deux En 1921, un avenant changea la nature du contrat de concession. La CMP devenait
Mondes, avril 1906. exploitant pour le compte de la Ville et de l’État. En effet, dans le cadre d’une
46 - M. Fauvelais – Archives Empain. politique volontariste visant à favoriser les transports en commun, les pouvoirs
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Le groupe Empain, le métro de Paris et la naissance de SPIE

Tickets de
publics décidèrent de fixer le prix de vente du ticket à un niveau inférieur à son prix de revient. métro
L’écart était compensé par le versement d’une subvention. jusqu’à 1918
À la mort du général baron en 1929, la CMP avait un effectif de 10 000 personnes et transportait
400 millions de voyageurs par an sur un réseau de 130 km de voies. Au lendemain de la guerre et
à la veille de la nationalisation, la CMP transporta plus de 1 milliard de passagers.

Du lancement du métro, l’histoire ne retient souvent que le nom de Fulgence Bienvenüe, directeur
des services techniques de la Ville de Paris. Mais à une époque où tous doutaient, c’est bien Édouard
Empain qui sut mobiliser toutes les ressources humaines, financières et techniques nécessaires à sa
Paris (XVe et XVIe).
réalisation. Il eut foi en son projet gigantesque, aidé par une poignée d’hommes qui l’assistèrent
Le pont de Bir-Hakeim,
et jouèrent un rôle déterminant dans le succès de l’opération : les administrateurs et dirigeants
autrefois pont de Passy,
de la SPIE, Jean Benard, André Berthelot et Marcel Ulrich, Raymond Legouez, adjoint de Fulgence
construit de 1903 à 1906.
Bienvenüe, qui rejoignit la CMP, et Christian Devillers, polytechnicien, fils spirituel du général baron, © ND / Roger-Viollet.

entré à la CMP en 1922, et qui fut le premier à lancer le concept du RER, le réseau express régional.

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« C’EST LA NUIT QU’IL EST BEAU DE CROIRE À LA LUMIÈRE. »

Edmond Rostand, Chantecler

Exposition universelle 1889, la fontaine lumineuse,


© G. Dagli Orti
La SPIE et l’électrification des chemins de fer, des usines, des villes et des campagnes…

LASPIE ET
L’ELECTRIFICATION
DES CHEMINS DE FER, DES USINES,
DES VILLES ET DES CAMPAGNES…

L a Société Parisienne pour l’Industrie des Chemins de Fer et des Tramways Électriques, qui a
pour objet à l’origine, en 1900, l’étude, le financement et la réalisation de l’alimentation électrique
André
Berthelot
des réseaux ferrés, va se diversifier vers les industries de production et de distribution d’électricité.
Elle sera rapidement connue sous le sigle SPIE.

Son premier conseil d’administration se tient à Paris le 30 mai 1901. Il désigne André Berthelot, fils
du chimiste Marcellin Berthelot, comme président, poste qu’il occupera jusqu’en 1937. Le capital
de la société est fixé à 25 millions de F.

SPIE deviendra progressivement à la fois une société holding et une entreprise d’ingénierie et de
travaux, intervenant très largement pour ses sociétés filiales, concessionnaires de transports ferro-
viaires et urbains ou productrices et distributrices d’électricité.

Le portefeuille initial de la SPIE est très éclectique. Il comprend des participations dans les tramways
de Lille, dans divers tramways de la banlieue nord de Paris, dans les chemins de fer du Calvados, dans
divers chemins de fer d’intérêt local (à Rennes, dans la Haute-Saône, le Jura, la région de Reims) et
à l’étranger dans les tramways de Tachkent, en Ouzbékistan, sans compter une participation très
exotique dans les tramways d’Astrakhan, à traction animale !

SPIE participe, dès 1902, à la création de la Société d’Électricité de Paris (SEP), reprend en 1904 les
ateliers de Jeumont, par la suite dénommés FACEJ, et devient actionnaire du Métro de Paris. Elle
détiendra ultérieurement des participations dans les autres sociétés de production et de distribution

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d’électricité contrôlées par Empain en France : électricité et Gaz du Nord, électricité de la Seine,
Société Nantaise d’éclairage et de Force par l’électricité.

Les différentes sociétés françaises du groupe Empain constituent en fait un marché captif pour le
service Travaux de SPIE qui travaille en partenariat avec elles pour la conception et la réalisation des
ouvrages. Ce service Travaux bénéficiera donc de la puissance du groupe Empain, qui avait réussi
à mobiliser de très importants capitaux en début de siècle. Il sut se concentrer sur ses domaines
d’excellence et éviter les aventures grandioses trop risquées. En dehors de la France, il se tourna
presque exclusivement vers les colonies, en s’associant avec d’autres sociétés de son groupe pour
la réalisation, en entreprise générale, d’ensembles industriels dans le domaine de l’énergie et des
raffineries.

MÉTROS, VOIES FERRÉES ET CATÉNAIRES


Voies ferrées Point de départ du groupe Empain en France, le Métro de Paris constitua évidemment un domaine
d’intérêt d’activité essentiel pour SPIE 47 pendant cette période, l’entreprise étant prioritairement choisie pour
local mener à bien le ballastage, la pose des voies de roulement et du rail conducteur. Après 1908, elle
a poursuivi et exécuté les mêmes travaux sur les lignes suivantes :
• n° 3 ter : Porte des Lilas – Pré Saint-Gervais,
• n° 9 : Porte Saint-Cloud – Chaussée d’Antin,
• n° 10 : ceinture intérieure.
Elle bénéficiera, au cours de l’entre-deux-guerres, d’un flux régulier de travaux d’extension ou de
maintenance qu’il n’est pas possible de retracer en détail ici.

Au début du XXe siècle, les voies ferrées restent généralement le mode de transport le plus économique.
On continue donc à réaliser des tramways urbains, des chemins de fer métropolitains, ainsi que
des chemins de fer d’intérêt local
ou général, permettant de relier les
Dès la fin du XIXe siècle, usines, entrepôts et magasins, aux
des projets de tramways réseaux nationaux.
électriques ont émergé
comme ici à Tours, en 1899 SPIE exécute de nombreux projets
(d’après un dessin de Poyet). comprenant des relevés, tracés,
© Collection Roger-Viollet.
nivellements, devis, ainsi que des
travaux d’infrastructures. Elle a élargi
ses compétences au génie civil afin
de proposer une offre plus complète
à ses clients. Elle est ainsi en mesure
de prendre en charge terrassements,
maçonneries et ouvrages d’art en
complément des travaux purement
47 - Avant 1908, elle avait à son actif
ferroviaires (pose de voies et d’appareils de voies, ballastage, dépose de voies, etc.).
le ballastage et la pose des voies de
roulement et du troisième rail conduc- SPIE obtient de multiples adjudications des services « voies et bâtiments » et « lignes nouvelles »
teur des lignes suivantes :
des grandes compagnies de chemins de fer françaises dans les projets dits d’intérêt général, et
n° 3 et 3 bis : Porte des Lilas - Porte
Champerret, participe également à la construction des lignes d’intérêt local, notamment celles gérées par les
n° 4 : Porte de Clignancourt - Porte sociétés concessionnaires de son groupe, déjà citées.
d’Orléans,
n° 7 : Porte de la Villette - Pré Saint-
Gervais Cette activité « d’offre globale » concerne aussi les raccordements industriels, qui constituent l’une
n° 8 : Auteuil - Place de l’Opéra. de ses spécialités. Elle se charge non seulement d’établir des projets et de les défendre auprès des
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compagnies de chemins de fer intéressées, mais encore de rédiger les contrats d’embranchements
au mieux des intérêts de ses clients.

Montrant à nouveau son goût pour l’innovation, elle développe après le premier conflit mondial
une nouvelle activité : la création des lignes de contact pour traction électrique – caténaires – qui
exigent un personnel et des équipes bien entraînées car elles sont généralement exécutées dans
des conditions difficiles sur des voies ferrées en service. Les Chemins de Fer du Midi lui passent
commande de la caténaire Montrejeau-Luchon. Les Chemins de Fer Paris-Orléans lui confient
l’électrification de la voie quadruple Étampes-Brétigny, qui exige des prouesses techniques du fait
de l’intensité du trafic, du poids et de la vitesse des trains.

Locomotive électrique
du réseau Paris-Orléans
© Collection Roger-Viollet.

L’ÉLECTRIFICATION : TRAVAUX D’INSTALLATION


ET PROJETS « CLÉS EN MAIN »
DES « STATIONS CENTRALES THERMIQUES »…
En matière de production électrique, le Métro de Paris est à l’origine de la construction de la cen-
trale de Saint-Denis qui assurait l’alimentation électrique du Métropolitain. Ce fut l’une des toutes
premières centrales d’électricité au monde. Elle appartenait à la Société d’Électricité de Paris qui ne
tarda pas à construire une seconde centrale (Saint-Denis II) pour faire face à la demande d’énergie
sans cesse croissante en région parisienne. C’est à Saint-Denis que furent utilisées, pour la première
fois en France, des turbines à vapeur de grande puissance.

À partir de 1919, la production et la distribution de l’énergie électrique se sont développées d’une


façon remarquable. On construisit de nombreuses stations centrales thermiques dont l’énergie
était fournie par la combustion de charbon. Le champ des applications de l’électricité s’étendit en
conséquence dans l’industrie, dans les villes et dans les campagnes. L’établissement d’un réseau
national couvrant la totalité du territoire, sujet éminemment politique, provoqua des affrontements
continus entre les sociétés concessionnaires et les collectivités locales. Ce climat peu consensuel et
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Centrale de
Saint-Denis

Centrale de Saint-Denis les souvenirs amers qu’il laissa expliquent en partie, au-delà des problèmes purement politiques, la
© Médiathèque EDF.
décision de nationalisation prise après la Seconde Guerre mondiale.

Dans le domaine des stations centrales thermiques, la SPIE fut particulièrement active dans le Nord
de la France pour le compte d’une société de son groupe, la Société Électricité et Gaz du Nord, à
Jeumont, Maubeuge, Lomme, Valenciennes-Anzin et Aulnoye.
Elle s’impliqua également dans le développement de l’aménagement des chutes d’eau et la construc-
tion des stations centrales hydro-électriques. En parallèle, le groupe Empain prit, à travers la SEP,
des participations dans des sociétés productrices d’énergie électrique hydraulique dans le Sud de
la France.

… AUX LIGNES ET POSTES


S’agissant de postes de transformation ou de sous-stations, la SPIE eut de nombreuses études et
réalisations à son actif. Elle en construisit en Picardie et pour les Chemins de Fer du Midi.

Elle érigea une part significative des lignes électriques aériennes installées en France, après la guerre 48,
48 - Notamment Jeumont-Hirson et La
Carnaille-Fourmies, les lignes 15 000
et participa à la mise en place de nouveaux réseaux de distribution basse tension 49.
volts des Chemins de Fer du Midi à
Dax, Orthez, Pau, etc. Pour l’alimentation des grandes agglomérations à forte densité de population, les canalisations
49 - Jeumont, Reims, Valenciennes,
électriques souterraines étaient considérées comme préférables, en raison d’une meilleure sécurité
Sains du Nord, Orsinval, Solesmes, Le
Quesnoy, Salins en Amiénois, Bavay, d’exploitation. À la fin des années 1920, on atteignait 60 000 volts dans ces canalisations souter-
etc. raines. La SPIE sut se montrer innovante commercialement : son service Travaux s’occupait de la pose
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La SPIE et l’électrification des chemins de fer, des usines, des villes et des campagnes…

de câbles « clés en main ».


Il réalisait les études en
obtenant les autorisations
administratives se char-
geant des terrassements,
du percement des galeries,
de la pose de câbles haute
et basse tension, de la pose
des caniveaux en béton,
du montage des boîtes de
jonction, des disjoncteurs
– en un mot, de la réalisa-
tion complète des canalisations souterraines jusqu’aux dispositifs de sectionnement et de
coupure.
Le service Canalisations entreprenait, également, la pose et l’installation des câbles dans les
galeries et l’aménagement des chambres souterraines de sectionnement. Citons la pose,
pour la CMP, d’une canalisation de 10 000 volts reliant la sous-station de Paris à la station Électrification de lignes
centrale thermique de Saint-Denis, et pour le compte de la société Union d’Électricité, la pose des archives Spie.

canalisations 60 000 volts avec feeder entre la sous-station de Billancourt et le poste de transfor-
mation aérosouterrain de Villejuif.

PIPELINES ET RAFFINERIES
L’intérêt du groupe Empain pour l’énergie l’amènera naturellement à s’intéresser au gaz et au
pétrole. Pendant l’entre-deux-guerres, la France s’est efforcée de rattraper son retard dans le do-
maine des pipelines : canalisations de transport et réseaux de distribution des carburants liquides
et gazeux entre un centre de production et un centre d’utilisation. La SPIE commença ainsi à se
positionner sur ce créneau des pipelines. Elle développa ses compétences dans le domaine des
hydrocarbures – feeders de gaz, pose de gazoducs ou d’oléoducs – et les élargit à la construction
de raffineries de pétrole montées et livrées « clés en main ». En exploitant les procédés techniques
les plus modernes – tubes d’acier et soudure électrique –, la société acquit dans ce domaine une
situation prépondérante : l’étude et la réalisation à Vaux-en-Bugey du premier pipeline à haute
pression installé en France furent le point de départ de nombreuses autres installations : La Pallice,
Sète, Gennevilliers, Le Havre. Usine de liquéfaction de gaz
naturel à Skikda en Algérie
© photos Hugues - Tarbes.

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LES GRANDS TRAVAUX HORS DE FRANCE

En dehors de la centrale de Craiova, en Roumanie, l’essentiel des activités du service Travaux de


SPIE hors de France se situa dans les colonies. Citons les raffineries de Port-Gentil au Gabon, de
Tamatave à Madagascar, d’Alger, l’usine d’engrais de Gabès en Tunisie et l’usine de liquéfaction
de gaz de Skikda, anciennement Philippeville, dans le Constantinois en Algérie. Ces réalisations
montrent que le service Travaux eut très tôt une capacité à gérer des contrats d’entreprise générale
qu’il menait soit seul, soit en collaboration avec d’autres sociétés filiales de SPIE.

Comme la Société de Construction des Batignolles et la Direction Travaux Publics de Schneider, SPIE
participa à l’expansion économique des colonies françaises en créant des voies ferrées en Algérie,
au Sénégal, en Côte-d’Ivoire.

BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER


DE LA SPIE DE 1900 À 1940
DES DÉMARCHES INNOVANTES SUR DES MARCHÉS PORTEURS
Le développement des activités de travaux de SPIE est évidem-
ment indissociable de celui du groupe Empain en France et
de ses activités d’exploitant dans les domaines des transports
ferroviaires et de l’énergie. Le service Travaux sut capitaliser sur
cet acquis et fit preuve d’une forte capacité d’innovation aux
plans technique, commercial et contractuel. La forte croissance
des marchés sur lesquels il opérait permit une progression
rapide de son activité.

Le groupe Empain avait mis en œuvre, en France, une stratégie


claire et pertinente, jouant avec habileté des complémentarités
de ses filiales et favorisant les synergies internes. Il sut égale-
ment limiter les risques à l’export, où il se montra très sélectif
dans le choix des affaires.

Raffinerie de Tamatave,
Madagascar
LE SERVICE TRAVAUX : UNE APPROCHE GLOBALE
archives SPIE. EN ENTREPRISE GÉNÉRALE, CONFORTÉE PAR LES ACTIVITÉS
D’EXPLOITANT DE SON GROUPE
La SPIE vante dans une plaquette commerciale son « organisation puissante, à la fois financière et
technique, ayant pour principal objet le développement de toutes les industries se rattachant aussi
bien aux chemins de fer et tramways qu’à la production et à la distribution de l’énergie électrique ».
L’activité industrielle de SPIE, dans la terminologie de l’époque, se concentre « dans l’exécution
de nombreuses entreprises pour le compte de différents clients, sociétés, grandes compagnies et
administrations publiques. Étudier, entreprendre et mener à bonne fin toutes installations et tous
travaux concernant les chemins de fer, voies ferrées, embranchements et raccordements industriels,
stations centrales, canalisations électriques, etc. Telle est la raison d’être du service Travaux de la
Société Parisienne pour l’Industrie Électrique ».

La société comprend que la complexité des problèmes à résoudre dans l’industrie moderne rend
de plus en plus nécessaire la spécialisation des techniciens ; le rôle de l’ingénieur est primordial et
une affaire n’est saine que dans la mesure où les études préliminaires ont été assises sur des bases
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Affiches scientifiquement sérieuses. Aussi s’intéresse-t-elle à


du PLM
« l’établissement du projet » en premier lieu – nous
dirions à sa conception.

La SPIE se distingue par son approche en entreprise


générale. Elle met en exergue la valeur de ses ingénieurs,
l’organisation rationnelle des chantiers, la qualité du
matériel 50 et la pratique acquise de la gestion des
questions administratives : pour la création d’un « chemin
de fer, un embranchement de ligne électrique… la
connaissance approfondie de la législation et des
règlements est indispensable » ; « par cette organisation
et par son capital, la SPIE donne le maximum de garanties
pour une bonne et prompte exécution ».

Le rôle essentiel des partenariats public/privé apparaît


de façon éclatante. L’association permanente entre un
exploitant concessionnaire et un pôle de compétence Électrification du P.L.M.
« ingénierie-construction » permet des synergies, des échanges d’expériences dans la durée et (Paris-Lyon-Méditerranée) :
donc une amélioration de la qualité et de la compétitivité des services rendus aux clients finaux. locomotive Auvert-Ferraud
© Boyer / Roger-Viollet.

DES BASES SOLIDES POUR L’AVENIR


Les compétences techniques et les positions de marché acquises par la SPIE pendant cette période
se sont avérées déterminantes pour l’avenir du Groupe. En dépit du traumatisme provoqué par
les nationalisations consécutives au second conflit mondial, la SPIE sut remarquablement rebondir
dans les années 50 et 60 en s’imposant comme un partenaire indiscutable pour la reconstruction
et le développement des infrastructures d’énergie.

CHIFFRE D’AFFAIRES - FONDS PROPRES - RENTABILITÉ


Embranchements particuliers.
Répétition de signaux
sur les locomotives
archives SPIE.

Compte tenu de la structure juridique retenue pour la SPIE, il est impossible de disposer de chiffres
comptables pour le seul « service Travaux », département spécialisé rattaché à un holding qui
recevait des dividendes de ses sociétés concessionnaires filiales, mais n’établissait pas de véritables
comptes consolidés. 50 - « Réduire le plus possible la
main-d’œuvre par l’emploi d’engins et
On peut, néanmoins, mettre en évidence les grandes étapes de l’évolution du « service Travaux », d’outils appropriés est la préoccupa-
tion de tous les instants du personnel
notamment l’élargissement de son domaine d’activité, et relever certains éléments quantitatifs ou dirigeant des chantiers à la Société
qualitatifs dans les comptes-rendus des AGO de la SPIE. Parisienne Électrique. »
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• Du début du XXe siècle à la fin du premier conflit mondial : alimentation


électrique du Métro de Paris, construction de centrales thermiques, infras-
tructures ferroviaires.
• Année 1919 : création du département « lignes électriques aériennes ».
• Année 1922, AGO du 15 juin : il est précisé qu’un « grand développement
est donné au service Travaux ».
• Année 1923 : réalisation des premiers chantiers de caténaires.
• Année 1923 : ouverture du premier chantier de pipeline (Vaux-en-Bugey).
• Année 1928, AGO : il est souligné que le « service Travaux a des résultats
satisfaisants ». L’importance des activités « intragroupes » facilitait, sans aucun
doute, l’obtention d’une rentabilité correcte.
En ce qui concerne le chiffre d’affaires du « service Travaux », nous ne disposons
pas d’indications précises. On peut néanmoins noter qu’après les nationali-
sations de 1946, la SPIE en reprit les effectifs, soit plus de 2 000 personnes.
Ces effectifs restèrent à peu près constants jusqu’en 1949. Si l’on estime que
la SPIE avait retrouvé son rythme de croisière à cette date, son activité devait
être équivalente en francs constants à celle de 1939. Ceci conduit à un chiffre
d’affaires « travaux » de 100 millions de F en 1939, à comparer avec ceux de
la SCB et de la DTP de Schneider 51 qui s’élevaient à environ 250 millions de F
à cette même date.

En matière de fonds propres, les éléments dont nous disposons ne concernent que le holding SPIE
et seulement ses comptes sociaux. On peut noter que, société de tête du groupe Empain, SPIE
disposait en France de fonds propres largement supérieurs à ceux de la SCB à la veille du premier
Extrait de registre de conseil. conflit mondial : 6 millions de F 1913 pour SCB. On constate néanmoins un net « appauvrissement »
patrimonial en 1927 avec une très forte diminution du capital en francs constants.

Pour les résultats, les chiffres sont encore plus difficiles à interpréter en
Capital en millions Capital en millions l’absence de consolidation des comptes. Les comptes rendus d’AGO
de francs courants de francs constants 1913 donnent des résultats pour le « holding » de 4,1 millions de F en 1902, de
1901 25 28,8 4,1 millions de F en 1913 et de 5,1 millions de F en 1927. Ces résultats,
1902 40 46,0 qui correspondent aux bénéfices provenant du service Travaux et aux
remontées de dividendes des filiales, représentent entre 8 % et 10 %
1913 50 50,0
du capital. Ils sont sans doute inférieurs aux résultats consolidés, si l’on
1927 65 11,9 suppose qu’une partie seulement des profits remonte vers la société mère.
Mais là encore, l’évolution en francs constants n’est pas favorable dans
les années 20, le résultat 1927 ne représentant que 0,9 million de F 1913.

1939 Si la crise économique des années 30 accentua le déclin du groupe Empain, elle n’en fut cependant
en France pas la seule cause. La plus importante fut sans doute la disparition du général baron en mars 1929.
SPIE subit également une lourde perte en 1933 avec le décès accidentel de son directeur général,
M. Ulrich, qui jouait un rôle essentiel dans l’animation du groupe en France. Édouard Empain et
Marcel Ulrich disparus, SPIE, tout en restant financièrement saine, perdit semble-t-il de son dyna-
misme dans les années 30, vivant un peu sur ses acquis antérieurs.

La situation continua évidemment à se dégrader avec la guerre, les résultats 1943 s’élevant à
environ 0,7 million de F 1913 et les fonds propres au 31 décembre 1945 à 10,5 millions de F
1913 seulement. La nationalisation de 1946 s’avéra donc être une très mauvaise opération pour
51 - Hors participations non gérées le groupe Empain, les indemnisations ayant été déterminées alors que la situation patrimoniale et
pour DTP. la rentabilité étaient au plus bas.
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Pose de canalisations de gaz


archives SPIE.

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« LIFE IS A TALE TOLD BY AN IDIOT,
FULL OF SOUND AND FURY,
SIGNIFYING NOTHING. »

Shakespeare, Macbeth, acte V, scène V

Port de Djibouti,
archives SPIE.
Les années noires de la guerre et la chute de la SCB

LES ANNÉES NOIRES


DE LA GUERRE ET LA CHUTE
DE LA SCB
1940-1954

LES ANNÉES NOIRES DE LA GUERRE


Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, la Société de Construction des Batignolles figure
Édouard
encore parmi les grandes entreprises françaises de travaux publics mais la période 1939-1945 va Daladier
désorganiser et affaiblir la société en l’obligeant à se replier sur le marché métropolitain dont elle
est absente depuis de nombreuses années. En outre, à la veille de la guerre, sa situation financière
était déjà vacillante.

Le gouvernement d’Édouard Daladier fit voter la loi du 7 juillet 1938 portant sur la mobilisation
industrielle en temps de guerre, permettant de conclure des marchés de gré à gré. Les chantiers
effectués par la SCB, en métropole, durant l’année 1939-1940, portèrent sur les fortifications et la
construction d’usines d’armement et la construction de locomotives par sa filiale « la Compagnie
Générale de Construction de Locomotives Batignolles-Châtillon », qui connut alors un remarquable
essor. Les nombreuses commandes de locomotives l’obligèrent
à iinstaller de nouveaux ateliers à Nantes pour son propre
compte, mais également pour celui des ministères de la
co
Guerre et de la Marine. Elle sous-traita divers marchés de
construction d’ateliers à la SCB. Son développement fut
tel qu’elle se proposa, en avril 1940, d’augmenter son
capital social afin de le porter de 20 à 40 millions de F, ce
qu’elle ne fit pas en raison des circonstances.
La guerre impliqua donc le retour de la SCB en métro-
pole, tout d’abord avec des marchés de défense natio-
nale puis, sous Vichy, avec des chantiers en zone libre et
le maintien d’une activité réduite dans l’empire colonial.
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La guerre de 39-45 s’ouvre par la campagne de Pologne, qui voit l’expéri-


mentation victorieuse de la Blitzkrieg allemande et l’invasion du pays par
l’armée Rouge. Fin septembre, la Pologne, une nouvelle fois partagée, a
cessé d’exister et le plus important chantier de la SCB, Gdynia, est aussitôt
arrêté. Toute communication avec le personnel resté sur place devient
impossible. La SCB ne peut évidemment pas recouvrer ses créances im-
payées. En dépit du contexte politique, la direction poursuit son effort de
prospection à l’étranger et obtient même, en Turquie, la signature de deux
marchés d’études, qui resteront évidemment sans suite.
Lors de la mobilisation générale, le 2 septembre 1939, le personnel de la
Le port de Gdynia, Pologne, société est invité à rejoindre l’armée : nombre d’ouvriers et de techniciens
en 1939 vinrent s’ajouter aux cinq membres de la direction, Pierre David-Weill, Hervé Michel, le marquis de
archives SCB
Solages, Henry Goüin et Gaston Haelling. Hervé Michel, neveu par alliance du président Goüin, fut
fait prisonnier puis libéré le 30 janvier 1942 grâce aux négociations menées par Ernest Goüin auprès
de l’occupant. Déporté dans les mêmes conditions, Henry Goüin, lui aussi neveu du président, ne
revint qu’en décembre 1943.

Ci-contre : meeting du PPF Pierre David-Weill 52 s’exila aux États-Unis à la fin de l’an-


au Magic City pour la saisie née 1940. Il représentait, au sein du conseil d’adminis-
des biens juifs. tration, les intérêts de la banque Lazard, actionnaire de
Paris, décembre 1941
© LAPI / Roger-Viollet la société.
La volonté des nazis, sous couvert « d’aryaniser » les en-
treprises, de faire main basse sur les biens juifs, entraîne de
multiples spoliations. Ainsi la banque Lazard perd l’usage
de ses bureaux à Paris pendant l’été 1940, obligeant la SCB
à confier ses intérêts financiers à de nouvelles banques.

Le rapport d’un conseil d’administration de 1942 note


que : « La société s’est heurtée à des difficultés de jour en
jour plus graves (...). Elle a été durement éprouvée par la
guerre, tant du point de vue économique que par la perte
d’une partie du personnel (…), mais a su faire preuve de
Régime patience et d’habileté pour surmonter l’épreuve. »
de Vichy
La « Révolution Nationale » s’inscrivait sous le signe « du
dirigisme, du corporatisme et de la rationalisation indus-
trielle » dans la logorrhée de Vichy, et s’accompagnait de
lourdes entraves à la liberté d’entreprendre qui boulever-
saient l’action de la société.

Le 10 août 1940 étaient créés les 200 comités d’organisation pour diriger toute l’activité du pays.
Le 10 septembre, la création de l’Office Central de Répartition des Produits Industriels donnait au
gouvernement le droit exclusif de procéder au partage des matières premières rationnées. La SCB
fut représentée par Gaston Haelling au Comité d’Organisation du Bâtiment et des Travaux Publics,
qui comprenait quatre membres et était assisté de deux commissions consultatives, bâtiment et
52 - Pierre David-Weill était le fils travaux publics.
de David David-Weill, descendant
d’Alexandre Weill qui fut l’associé des Ceci n’empêcha pas les ponctions de l’occupant sur les entreprises françaises en général et sur celles
maisons « Lazard Frères et Cie » à San
Francisco de 1857 à 1880 et à Paris de du BTP en particulier. En effet, les versements de l’État français représentèrent 20 % du revenu
1884 à 1906. national en 1941 et 1942, puis 37 % en 1943 et 27 % en 1944.
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Ernest Goüin prit des dispositions pour permettre à la SCB de rétablir les relations avec ses différents
chantiers de l’extérieur et rechercher des contrats en zone libre, mais les travaux d’aménagement
du territoire, voulus par Vichy, en Camargue et en Sologne, et les marchés privés tel celui des Salins-
de-Giraud pour le compte de Pechiney, restèrent très limités et n’empêchèrent pas un effondrement
de l’activité. Le chiffre d’affaires France ne dépassait pas 15 % du total en 1940-1942 et il était
insuffisant pour compenser l’arrêt d’un grand nombre de contrats internationaux.

Le Reich avait besoin d’une main-d’œuvre active pour remplacer les travailleurs allemands mobilisés.
Fritz Sauckel fut chargé de faire venir, de gré ou de force, le plus grand nombre de travailleurs en
Allemagne et la SCB versa sa part du tribut exigé. Puis, par ordonnance, les autorités décrétèrent
l’interdiction d’ouvrir des grands chantiers civils dont le coût dépassait 0,1 million de F, dans le Nord
de la France, sans autorisation préalable des autorités d’occupation.
En outre, l’occupant procédait, dans le même temps, à d’importantes réquisitions de matériel, de
matériaux et d’hommes et l’on retrouve dans les rapports du conseil d’administration les « pertur- Fritz
bations et brimades que la société enregistre sur ses différents chantiers ». Sauckel

Pendant ce temps, l’activité export n’était guère brillante. La SCB avait dû fermer toute une série
de chantiers en Europe (Pologne, Yougoslavie, Portugal). En Afrique, il fut extrêmement difficile
de maintenir la réalisation des opérations en cours. En 1941, il ne restait plus que les travaux des
chemins de fer du Mozambique qui se poursuivaient, dans des conditions néanmoins si difficiles
que la SCB fut obligée de former une association pour les mener à terme.

L’érection du barrage de Sansanding 53 sur le


fleuve Niger, au Mali français, ne fut pas secon-
dée par Vichy qui fut incapable de fournir au
consortium (SCB, Société Nationale des Travaux
Publics, Établissement Meunier et Cie) les 65 000
colons africains prévus.

Barrage de
Sansanding

Géomètres et ingénieurs
à Djibouti
Archives SCB.

Les autres chantiers de la Société de Construction des Batignolles dans l’Empire souffraient du
poids de la guerre. Le siège social ne reçut aucune nouvelle de Pointe-Noire jusqu’en 1944, ce qui
n’empêcha pas les travaux de se poursuivre. Le port put même servir à accueillir des navires alliés.
Pareillement coupées de la métropole à compter de l’année 42, les agences de Djibouti et d’Abidjan
gardèrent une activité à un rythme ralenti.

La fin de la guerre fut une période très noire pour l’entreprise. Ses dirigeants, confrontés aux
difficultés presque insurmontables de la vie quotidienne et soumis aux législations en vigueur du
régime de Vichy et des autorités allemandes – la famille Goüin était apparentée à la communauté
53 - La construction du barrage
juive par des unions matrimoniales et par les actionnaires de la firme –, durent faire face à des de Sansanding avait débuté en 1934
dilemmes insolubles dans leurs relations avec l’occupant, qui n’hésitait pas à utiliser la menace de et se poursuivit jusqu’en 1947.
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Visite du Mur de l’Atlantique


par des journalistes, mai 1943
© LAPI / Roger-Viollet.

Propagande :
mur de
l’Atlantique

la déportation, moyen de pression usuel pour les nazis. Ernest Goüin accepta, en définitive, de
participer à la construction du mur de l’Atlantique, ce qui lui valut d’être incarcéré à la Libération.
Trois PDG se succédèrent alors à la tête de la firme, du 30 septembre 1944 au 25 octobre 1946.
Jules Aubrun assura l’intérim de la présidence jusqu’au 4 mai 1945. Henry Goüin lui succéda le
24 mai 1945, mais démissionna en 1946 en raison d’un désaccord avec son conseil. C. Candelier,
polytechnicien et membre du corps des Ponts et Chaussées, prit la présidence le 15 février 1946.

Fin 1945, le commissaire du gouvernement rendait une décision de classement dans l’instruction
ouverte contre Ernest Goüin, qui retrouva son poste de PDG le 25 octobre 1946.

LA CHUTE DE LA SOCIÉTÉ
DE CONSTRUCTION DES BATIGNOLLES
La France de l’après-guerre était exsangue. Le rationnement généralisé maintenait une économie
de temps de guerre et les difficultés matérielles étaient considérables pour les entreprises en raison
de la pénurie de matières premières et d’énergie. La fermeture des chantiers de la guerre s’opéra
promptement : les contrats publics et privés furent, en règle générale, résiliés faute de crédits, et
ce fut notamment le cas de celui du barrage de Luzech arrêté fin 1944.

Les destructions résultant des faits de guerre étaient importantes dans un pays qui avait, au de-
meurant, peu investi entre les deux guerres mondiales. Pourtant, les travaux s’avérèrent modestes
dans un premier temps, voire décevants, et le conseil d’administration souligne en 1945 que les
travaux de la reconstruction se sont bornés à « des travaux de première urgence » tandis que les
travaux publics « sont restés à l’état de projet pour des raisons d’ordre budgétaire ou de mise au
point des études ».
Toutefois, dès 1946, les pouvoirs publics commencent à lancer toute une série d’investissements
lourds dans les domaines du charbon, de l’électricité, de l’acier, du ciment et des transports. Toute
la profession des Travaux Publics doit se mobiliser pour faire face à ces marchés considérables. De
son côté, la SCB, qui vient de devenir centenaire, décide en 1946 de procéder à une augmentation
de capital de 240 millions de F, qui lui permet d’investir. Elle est maintenant en mesure d’acquérir
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Pelle Marion
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de beaux engins de chantier, telle cette


« pelle Marion » dont elle est si fière. Les
groupements d’entreprises en participation
se développent alors en raison de la taille
des chantiers, notamment ceux réalisés
pour l’État.

Claude Rabaud fut le responsable des


travaux durant cette période. Cet ancien
de l’École polytechnique avait travaillé à
Gdynia et avait œuvré à la réalisation du
Congo-Océan puis du barrage de San-
sanding. Nommé en 1945 directeur des
travaux par Jules Aubrun, il se vit offrir, par
Ernest Goüin, la direction de la France et
de l’Afrique du Nord en 1948.

L’action qu’il mena à ces différents postes


rapporta de nombreux chantiers à la SCB.
La reconstruction des quais sud du bassin Bellot, dans le port du Havre, constitua un chantier phare
pour la société qui utilisait là, à grande échelle, le béton précontraint avec la Société pour l’Utilisation
de la Précontrainte 54 (STUP, filiale de Campenon Bernard). Autre innovation, la SCB et la Société
Bénoto expérimentèrent un procédé de forage rapide permettant la construction de supports cylin-
driques de large diamètre, utilisés en grande profondeur, et les mortiers thixotropiques permettant
de couler du béton sous l’eau. La création de la Société de Travaux Batignolles Savoie SOTRABAS
par la SCB, en février 1947, répondait à la demande de construction de barrages. Cette nouvelle
filiale provenait de l’achat du département travaux publics de la Société d’Électro-Chimie d’Ugine.
Elle travailla à l’aménagement de la chute de l’Arly, au barrage de la Girotte et à l’entretien des
installations hydro-électriques de la vallée du Beaufortain et son activité se développa fortement.
Ses effectifs passèrent de 35 personnes en 1947
Centrale de à 700 en 1952.
l’Arly 54 - En 1935, E. Freyssinet utilisa cette
à Ugine-les- technique pour le renforcement des
La SCB dirigea ou participa à la construction fondations de la gare maritime.
Mollières
de plusieurs barrages : Pebernat sur l’Ariège, 55 - Dès la Libération, elle apportera
Archives SCB.
barrage de Poses, de Luzech, de Campan et de la sa contribution au relèvement des
Roucarié 55. Mais elle travailla surtout au sein du ouvrages d’art détruits tandis qu’elle
terminera le barrage de La Roucarié,
groupement que la Compagnie Nationale du Rhône sur le Tarn, et celui de Poses, sur la
(CNR) désigna pour l’aménagement du fleuve entre Basse-Seine, qu’elle avait entrepris
Donzère et Mondragon, qui commença en 1948 et pendant la guerre.
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s’étala sur cinq ans, exigeant notamment 1 000 000 m3 de terrassements. L’inauguration eut lieu
le 25 octobre 1952 en présence de Vincent Auriol qui ne manqua pas de souligner « le caractère Vincent
grandiose » de l’ouvrage. Avec une production de 2 milliards de kWh, la chute de Donzère- Auriol

Mondragon était, du point de vue hydro-électrique, la plus importante d’Europe occidentale.

Ci-contre, barrage
de Donzère-Mondragon :
barrage usinier
et barrage de navigation
Archives SCB.

Ci-dessous, barrage
de Foum-el-Gherza, 1948-1950
Archives SCB.

La SCB voulait également retrouver la place qu’elle s’était constituée dans les
colonies durant l’entre-deux-guerres. Répondant aux appels d’offres relatifs aux
investissements du Fonds d’Investissement pour le Développement Économique et
Social (F.I.D.E.S) et de la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer 56, elle retrouva
Barrage de
une forte position en Afrique Équatoriale Française, et se développa en Afrique du Foum-el-
Nord, particulièrement en Algérie (barrage de Foum-el-Gherza). Elle effectua aussi Gherza
des travaux au Maroc, à Djibouti, au Congo français, au Congo belge, au Cameroun,
en Oubangui-Chari et au port d’Abidjan, en Côte-d’Ivoire.
Mais l’empire colonial français ne suffisait pas aux ambitions des dirigeants de la
SCB. Oublieux des déboires liés à leur politique « tout-export » de l’avant-guerre,
pourtant si proches, ils répondirent de nouveau à l’appel du grand large… Atavisme
culturel, sans doute, volonté de poursuivre les idéaux d’antan et les rêves d’aventures de
leurs prédécesseurs...

La relance de missions de prospection sur les marchés étrangers – Amérique latine, Égypte,
Turquie, Arabie Saoudite et Inde – démarra dès 1946 et dura jusqu’en 1954. Le conseil
d’administration donnait les plus vastes pouvoirs à son délégué afin qu’il puisse conclure des
contrats de travaux. La société ne chercha pas à se réimplanter dans les pays d’Europe centrale,
qui appartenaient désormais au bloc de l’Est. Elle chercha simplement à solder les chantiers
de Gdynia 57 et de Yougoslavie.

Sous l’impulsion de sa filiale brési- Guayaquil,


lienne BOP (Brasilia Obras Publicas), en Équateur
Archives SCB.
elle obtint, en 1947, les travaux
56 - Loi du 30 avril 1946 « tendant
à l’établissement, au financement et d’études du port de Guayaquil, pre-
à l’exécution de plans d’équipement mier port de l’Équateur, et multiplia ensuite
et de développement des territoires les recherches d’implantations en Amérique
relevant du ministère de la France
d’Outre-Mer ». latine qui s’avéreront tantôt prometteuses et
57 - Gdynia trouva une solution, mais tantôt malheureuses. Les actions commer-
sur la base de conditions financières ciales en Afrique du Sud, complétées par la
peu favorables. Ce grand contrat, qui création d’une filiale locale, donnèrent de
constitua un grand succès technique,
se traduisit, en revanche, par un échec bons résultats.
financier.
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Travaux à Douala,
au Cameroun.
Photos prêtées par M. Émile Eugène.

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Cette stratégie de développement mondial, merveilleusement illustrée sur cette couverture du


journal de l’entreprise, va malheureusement conduire la SCB à sa perte.

Le destin l’attendait, en effet, en


Journal d’entreprise de la SCB,
n°3, 2e semestre 1949 Égypte. Dès 1947, elle conclut avec
Archives SCB. le gouvernement égyptien, avec
lequel elle avait travaillé à la fin du
siècle dernier, trois grands marchés :
les travaux d’excavation préparatoires
à la future usine hydro-électrique du
barrage d’Assouan, la construction du
bassin pétrolier du port d’Alexandrie
et enfin le barrage monumental d’Id-
fina (voir encadré ci-contre).

Mais Idfina ne fut pas le seul problème


de la SCB. Avec son organisation an-
cienne et peu renouvelée, la société
restait peu compétitive et présentait
même de graves déficiences de ges-
tion.
Parmi ses filiales, seule la LBC, fa-
bricant de matériel ferroviaire, était
bénéficiaire. La SCB devait soutenir
toutes les autres, dont la BOP, et pro-
visionner lourdement pour couvrir ses
engagements hasardeux dans ses dif-
férentes participations financières ou dans des groupements. Lorsque la LBC décida d’augmenter
son capital, la SCB put suivre dans un premier temps, mais se montra vite incapable de mobiliser
les ressources financières nécessaires au développement de sa filiale face à la concurrence inter-
nationale. Elle dut finalement se résoudre à en abandonner le contrôle au profit de Schneider, en
1954, et reçut des titres de la Société des Forges et Ateliers du Creusot – SFAC – en échange des
actions LBC qu’elle détenait.

La récession du marché français des infrastructures à partir de 1952 58 – qui entraîna une baisse de
30 % du chiffre d’affaires de la profession – aggrava encore la situation de la SCB, qui n’engagea
plus qu’un petit nombre de contrats tel le 3e tronçon du Grand Canal d’Alsace. La poursuite de
l’activité en Afrique était dans ce contexte très problématique, les banques exigeant des garanties
de plus en plus élevées en contrepartie de leurs engagements.
Par ailleurs, la société ne parvenait plus à faire face à ses échéances. Les créanciers de la firme
acceptèrent l’échelonnement des dettes de la SCB en mai 1952, solution qui ne constitua toutefois
qu’un sursis. De 1950 à 1954, la SCB avait constitué des provisions considérables et liquidé une
partie de ses titres en portefeuille.

Compte tenu de la situation financière chancelante de la société, le conseil d’administration dut se


résoudre à lancer une augmentation du capital par création de nouvelles actions lors de l’assemblée
58 - La SOTRABAS ramena ses générale de mai 1954. Certains actionnaires décidèrent de ne pas suivre l’opération et le groupe
effectifs, qui s’étaient élevés à 700 Empain, par l’intermédiaire de la SPIE, reprit ses droits pour acquérir 20 % du capital social de la
personnes, à 200 personnes seulement
au cours de l’année 1952, par suite de firme. Ceci fut le départ d’une politique d’achat des actions de la SCB auprès de certains membres
l’arrêt des grands chantiers EDF. de la famille Goüin.
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La construction du barrage d’Idfina fit bascu- transféré, dans des conditions obscures, à la
Guerre de
ler l’histoire de la Société de Construction des Société de Construction des Batignolles et à la
Palestine de
Batignolles. De 1948 à 1954, l’avenir de la SCB NMH à partir des études de la firme tchèque et 1948
fut largement lié au règlement de la question au niveau de prix de l’ouvrage fixé par celle-ci
d’Idfina. Ce chantier fut obtenu en groupement sans que la SCB en ait contrôlé le bien-fondé.
en mai 1948 avec la Société « Netherlandsche Or, non seulement le coût des travaux s’avéra
Maatschappi Voor Haenwerken » à 50 %, la beaucoup plus élevé, mais en outre le maître
SCB en assurant la gérance. De type barrage- d’œuvre refusa les variantes proposées par la
réservoir-irrigation, l’ouvrage était situé sur la société. Il fallut rattraper le retard des deux
branche Rosette du Nil, suffisamment près de premières campagnes de travaux par une troi-
la mer pour, en périodes de basses eaux, main- sième en 1950 tout en constatant la montée des
tenir un réservoir d’eau douce pour les besoins dépenses.
agricoles du delta du Nil. Long de 483 m, l’ou- Les événements politiques de l’année 1948 en
vrage se composait de 46 arches et nécessitait Palestine entraînèrent une dégradation des re-
250 000 m3 de terrassements et 200 000 m3 de lations diplomatiques entre la France et l’Égypte
béton. compliquant les pourparlers que la SCB enta-
Devant faire face à de nombreuses difficul- mait avec les autorités égyptiennes. Bien que
tés accroissant le coût des travaux, la SCB fut l’administrateur, Yves Bréart de Boisanger, ait
confrontée en permanence au refus du maître été reçu par le ministre des Travaux publics
d’ouvrage de signer un avenant au contrat ini- égyptiens au mois de février 1953 et qu’on ait
tial, ce qui engendra un endettement croissant constaté les défaillances du maître d’œuvre et
que la SCB ne put rapidement plus assumer. les répercussions de la guerre en Palestine qui
Malgré l’incontestable succès technique de avaient bouleversé le chantier, le ministre op-
l’ouvrage, salué par l’État égyptien, ce dernier posa une fin de non-recevoir et conseilla à la
refusa toutes les réclamations qui atteignaient SCB d’introduire une requête en Conseil d’état
presque 2 milliards de F en 1952 59. Bien évi- statuant au contentieux ! Lequel était réputé
demment, certains éléments imprévus avaient pour sa lenteur de procédure… que la Société
gonflé les coûts en cours de construction. Mais de Construction des Batignolles était incapable
la principale cause des déboires tenait à la lé- de supporter.
gèreté dont firent preuve les dirigeants. 59 - Soit l’équivalent
L’affaire avait été attribuée en premier lieu de 40 millions d'€ 2010.
à une firme tchèque et le marché fut ensuite

Le barrage
d’Idfina 120
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En juin 1954, les deux dirigeants


de SPIE, René Berthon et Hervé
Leclerc, étaient cooptés au conseil
d’administration de la Société de
Construction des Batignolles : une
nouvelle page de l’histoire de la
société commençait. Ernest Goüin
devait se retirer de la présidence,
mettant fin à plus d’un siècle de
direction familiale. Son neveu, Henry
Goüin, fils d’Édouard Goüin, joua un
rôle déterminant dans les tractations
qui aboutirent à son départ. Les deux
hommes s’étaient déjà opposés à la fin
de la guerre, mais Henry Goüin n’avait
Henry Goüin à Royaumont pu alors, comme on l’a vu, entraîner
Archives SCB.
la majorité du conseil à ses côtés.
Dirigeant, dès la fin des années 1930,
de LBC, principale filiale du Groupe,
il avait donc dû démissionner de son
poste d’administrateur de la SCB en
1946 et abandonner tout rôle social
ou opérationnel. Il réintégra le conseil
en juin 1954, en compagnie de Messieurs Berthon et Leclerc, et y siégea jusqu’en 1967, date de la Royaumont
fusion de la SCB avec la SPIE. Il fut le dernier des Goüin présent dans le conseil de la SCB. et les Goüin

Henry Goüin consacra une part importante de sa vie à la mise en valeur de l’abbaye de Royaumont
dont il était propriétaire. Il y installa, dès 1936, un centre culturel international et créa en 1963 la
« Fondation Royaumont (Goüin-Lang) pour le progrès des sciences de l’homme ».

BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER


DE LA SCB DE 1940 À 1954
LA PÉRIODE DE LA GUERRE
La SCB réalisait durant la fin des années 30 la moitié de son activité en Europe de l’Est, Pologne et
Yougoslavie pour l’essentiel. Il va sans dire que le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale
provoqua un effondrement de son chiffre d’affaires, d’autant que les autres chantiers internatio-
naux furent également affectés en raison des problèmes de logistique. Pourtant, la société réussit
à ajuster ses frais de structures et à limiter la baisse de ses résultats qui restèrent bénéficiaires,
quoiqu’en retrait par rapport à l’avant-guerre. Elle poursuivit également la distribution de divi-
dendes (voir annexe 12).
La participation à la construction du mur de l’Atlantique, qui valut des ennuis judiciaires à Ernest
Goüin, contribua en fin de période à soutenir les résultats de la SCB.

L’APRÈS-GUERRE
Il n’y eut de reprise sensible de l’activité qu’en 1948, lorsque les grands projets français de re-
construction passèrent du stade des études à celui des réalisations et que la société commença à
recueillir les fruits de son intense programme de prospection à l’exportation entamé en 1946. À cet
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égard, les rapports du conseil d’administration à l’AGO du 6 juin 1947 et à l’AGO du 25 juin 1948
sont explicites. Ils affirment avec force : « notre conseil a la volonté de voir la société retrouver à
l’étranger la place prépondérante qu’elle occupait avant 1940 » ; « nous avons, en effet, tourné
nos yeux et nos efforts vers l’étranger ».

L’activité subit ensuite le contrecoup des restrictions budgétaires après 1952, et la société ne pouvait,
par ailleurs, maintenir ses efforts à l’exportation en raison de la dégradation de sa situation finan-
cière. La SCB n’avait donc pu retrouver de façon stable, dix ans après la Seconde Guerre mondiale,
son chiffre d’affaires antérieur.

La rentabilité, quant à elle, évolua d’abord de façon positive mais fut rapidement affectée par
les problèmes égyptiens. L’entreprise réagit alors sur deux fronts. Au plan de la trésorerie, elle
réussit à mobiliser les concours nécessaires pour couvrir son découvert de chantier, le rapport des
commissaires aux comptes sur l’exercice 1949 précisant aux actionnaires que le poste « autres
créanciers » du bilan au 31 décembre 1949 incluait « le crédit pour le barrage égyptien », à hau-
teur de « 552 millions de F » 60, soit un montant supérieur au capital de la société. La situation de
la trésorerie resta toutefois très tendue, et lors de l’AGO relative aux comptes de l’exercice 1950,
venue très tardivement en 1951 – le 20 décembre –, le conseil demande aux actionnaires « de lui
laisser le soin de ne décider la mise en paiement du divi-
dende que lorsque son paiement sera compatible avec
les nécessités de trésorerie de la société » !
Au plan des résultats, la SCB chercha à étaler les pertes
dans le temps, bénéficiant de la bonne rentabilité des
opérations en France et dans les colonies 61. Le conseil, en
pleine contradiction avec lui-même, continue de prôner
un effort constant de prospection à l’export alors qu’il se
félicite de la qualité des contrats français et qu’il reconnaît
que « la réalité est autrement décevante pour certaines
entreprises à l’étranger ».
Il affirme en même temps, comme il est d’usage, sa
satisfaction quant à la performance technique de
l’entreprise, et sa certitude que les provisions passées
pour les contrats étrangers seront largement suffisantes.
Mais bien sûr, comme il est d’usage également, ce ne
fut pas le cas. Il fallut en fait que la SCB complète les
dotations ou provisions jusqu’en 1956, après l’entrée de Les grands maîtres
la SPIE à son capital. de la construction
Monographie des industries du bâtiment,
des travaux publics et des matériaux de construction.
L’annexe 12 montre que, sur la période 1949-1956, la SCB aura donc dû provisionner plus de 1,65
milliard de F, soit plus de trois fois son capital et près de deux fois ses fonds propres. Pour ne pas
désespérer ses actionnaires, elle parvint néanmoins à dégager un résultat positif chaque année et
à distribuer un dividende raisonnable. Mais l’âge d’or était bien révolu : les résultats, amputés par
les provisions, restèrent à des niveaux largement inférieurs à ceux des années 1935-1939, et à plus
forte raison à ceux du début du siècle.
60 - Soit 16 millions d’€ 2010.
Si la SCB put, malgré ses malheurs égyptiens, donner le change en matière de résultats, elle ne 61 - La provision pour impôts repré-
parvint jamais, en revanche, à rembourser intégralement les concours bancaires à court terme qu’elle sentait 90 millions de F au titre de
avait dû mettre en place pour financer le découvert d’Idfina. Les ventes de matériel permirent de l’exercice 1950.
62 - L’augmentation de capital de
le réduire, mais il subsista et la société se trouva à nouveau, en 1954, dans une situation financière 1954 qui permit l’entrée de la SPIE
délicate. Si elle avait stoppé la distribution de ses dividendes dès 1950, ce qui aurait été justifié, s’élevait à 120 millions de F, soit moins
elle aurait sans doute pu continuer à vivre seule 62. Mais cette mesure n’était pas « vendable » à de 4 années de dividendes.
122
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ses actionnaires qui, moins d’un an auparavant, l’avaient suivie une seconde fois dans une aug-
mentation de capital. Ceux-ci réalisèrent peu à peu que la SCB s’était mise dans une impasse. Elle
n’avait plus d’arguments pour convaincre les banques de la soutenir dans le lancement des grands
projets export, dont l’obtention est coûteuse et le plus souvent aléatoire, et qui nécessitent, lors de
leur mise en vigueur, des engagements financiers importants en trésorerie et en cautions. Elle se
condamnait donc à la stagnation et était devenue totalement vulnérable, à la merci de la prochaine
affaire difficile. Les actionnaires de la SCB en tirèrent les conclusions et se tournèrent vers le groupe
Empain et la SPIE…

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La plaquette du centenaire
de la Société de Construction
des Batignolles, éditée en 1946,
illustrée par le graveur Decaris.

L’œuvre
d’un siècle

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« IL VAUT MIEUX ENCORE ÊTRE MARIÉ QU’ÊTRE MORT. »

Molière, Les Fourberies de Scapin

Échangeur de la Porte de Bagnolet, Paris


archives SPIE.
Vers la fusion de la Société de Construction des Batignolles avec la SPIE

FUSION
VERS LA
DE LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION DES
BATIGNOLLES
AVEC LA SPIE
1955-1968

UNE NOUVELLE ÉQUIPE


POUR REDRESSER LA SITUATION
René Berthon mit en place un nouveau conseil d’administration et une nouvelle équipe de direction.
Il confia la présidence à Jean Aubert et la direction générale à Claude Rabaud et à Paul Royer, ce
dernier étant l’un de ses proches collaborateurs.

La nouvelle direction souhaitait en finir avec la politique hasardeuse et entêtée qui avait presque
mené la firme à la faillite. Appauvrie par les pertes du barrage d’Idfina, la Société de Construction
des Batignolles se trouvait dans une situation peu enviable, d’autant que bon nombre de ses chan-
tiers en cours risquaient de générer de nouveaux déficits.

Il importait, en premier lieu, de faire reconnaître le bien-fondé de ses réclamations. Mais alors que
Événements de
le contentieux d’Idfina était sur le point de trouver un règlement, les événements survenus à Suez Suez
en 1956, opposant la France et l’Égypte, reportèrent sine die le règlement de cette affaire. Il fallut 1956
également provisionner des chantiers en Turquie, en Irlande et au Congo belge. La société avait
entamé, à juste titre, des procédures judiciaires contre ces divers gouvernements mais leur lenteur
l’obligea à s’armer de patience et, dans l’attente de leur issue 63, ses finances restèrent chancelantes.
La société n’était pas en mesure de reprendre son développement et connut en conséquence une
longue phase de quasi-stagnation de 1955 à 1962. 63 - Le règlement des indemnités
d’Idfina n’intervint qu’en 1968, 19
En 1955, Paul Royer donna une forte impulsion pour positionner la SCB sur des adjudications de ans après la réalisation du chantier !
Quant au contrat du port d’Izmir, signé
chantiers modestes ou moyens. Moins liée au déroulement d’un ou de deux grands contrats, l’activité
en 1954 et dont les travaux furent
dépendait désormais d’une série d’affaires plus diversifiées. Il chercha également à redynamiser sa réceptionnés en 1959, il était encore
filiale régionale, la SOTRABAS. en phase contentieuse à cette date.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 12

Jean Aubert Paul Royer


Jean Aubert, inspecteur général des Ponts Paul Royer, ingénieur en chef du
et Chaussées en disponibilité, fut nommé génie maritime, était un ami in-
président-directeur général le 8 novembre time de René Berthon. Les deux
1956. Entré à l’École polytechnique en 1913, hommes étaient d’anciens ca-
Jean Aubert participa à la Première Guerre marades de promotion de l’École
mondiale où il reçut plusieurs citations, ses polytechnique.
services lui valant d’être fait Chevalier de la Directeur général adjoint de la
Légion d’honneur dès 1916. Sa carrière fut SGTE, société du Groupe qui
consacrée presque entièrement aux aména- avait repris les activités ingénie-
gements fluviaux et à l’hydro-électricité. Il mit rie de SPIE, Paul Royer travaillait
au point, lors de la construction du barrage de aux côtés de René Berthon de-
Vives-Eaux, en aval de Melun, le système de puis plusieurs années. Paul
hausses (hausses Aubert) qu’il avait conçu. Royer était devenu directeur général adjoint
Nommé directeur général de la Compagnie de la SCB, le 22 avril 1955. Au mois d’octobre
Nationale du Rhône en juillet 1933, il fut l’un 1964, René Berthon lui offrait la direction gé-
des acteurs de l’édification du barrage de Gé- nérale, devenue vacante après le départ en
nissiat, puis il fit établir le projet de Donzère- retraite de Claude Rabaud. Il devint, en 1968,
Mondragon. directeur général de Spie Batignolles, poste
qu’il conserva jusqu’au début des années 80.

À côté des chantiers de petite taille, la SCB continuait à s’intéresser à quelques grands projets en
Grand Canal
France. Elle obtint notamment en 1955, à la tête d’un puissant groupement 64, les travaux du canal d’Alsace
64 - La Société Ossude, la Société
Industrielle Foncière Routière, les En- de Vogelgrün dans le cadre de la réalisation du Grand Canal d’Alsace. Ce contrat faisait suite à celui
treprises Grands Travaux Hydrauliques obtenu en 1953 par la SCB, à la tête du même groupement. Celui-ci réalisa, en outre, les travaux de
et la Société Anonyme des Anciennes la chute de Fessenheim, le canal de Marckolsheim (1958), puis les travaux de la chute de Gerstheim
Entreprises Léon Chagnaud.
(1965), soit en tout cinq biefs sur les huit que comptait le Canal d’Alsace.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA CONSTRUCTION
ET DE L’IMMOBILIER : CRÉATION EN COMMUN
AVEC SPIE DE COTRABA
ET DE SOCIÉTÉS CIVILES IMMOBILIÈRES
Marché de la Villette à Paris Ce n’est qu’au début des années 1950 qu’un grand mouvement de construction est lancé avec
© studio Martin.
l’appui de textes législatifs telle que la loi du 9 août 1953 qui, s’inspirant d’une réalisation du patronat
du Nord de la France, impose aux employeurs une cotisation d’1 % sur
les salaires pour financer les logements des salariés. L’insuffisance du
parc de logements découle de la faiblesse des travaux d’avant-guerre,
du renouveau démographique et de l’exode rural. Le développement
de la SCB dans le bâtiment s’inscrivait très naturellement dans sa
politique de redéploiement sur le marché français. Toutefois, sa si-
tuation financière restant fragile, la création d’une filiale commune
avec la SPIE permettait de réduire les coûts de développement qui
lui incombaient. C’est dans ce contexte que s’inscrit la création, en
1961, de la société de Construction Travaux et Bâtiment, COTRABA.
Les 500 000 F de capital de la SARL sont répartis pour moitié entre
les deux sociétés fondatrices. Dès 1962, COTRABA a de nombreux
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Vers la fusion de la Société de Construction des Batignolles avec la SPIE

chantiers dans la région parisienne et dans la région de Saint-Quen-


tin. La croissance du capital dans les années qui suivent traduit celle,
considérable, que connaît le bâtiment au cours des années 1960. Les
activités de COTRABA ne se cantonnent pas au seul logement et elle
obtient des contrats de bâtiments publics : le marché d’intérêt national
de Rungis, celui de la Villette, des bâtiments scolaires, des résidences
universitaires et divers hôpitaux font partie de ses réalisations. Elle
participe à la réalisation d’Habitations à Loyer Modéré (HLM) aux
grands ensembles des banlieues dont la seule vertu est de répondre
à l’urgence des besoins. COTRABA cherche des solutions pour une
production standardisée dans le recours aux techniques industrialisées
de construction, qui permettent des gains significatifs de productivité.
Marché de Rungis, bâtiment
Dans le domaine de l’immobilier, les nombreuses SCI constituées en association avec la SPIE sont le fruits et légumes
© Studio Martin.
reflet de l’activité de promoteur de la SCB. Ces sociétés civiles, qui réalisent tous types d’ensembles
immobiliers, nécessitent des capitaux propres importants. Là encore, l’appui de la SPIE s’avérait
déterminant, compte tenu de la fragilité financière de la SCB. Marché
de
LES GRANDS CHANTIERS EN FRANCE Rungis
ET LA RELANCE DE L’EXPORT
Durant sa période de « convalescence » de 1955 à 1962, où la SCB poursuivit ses efforts pour récu-
pérer ses créances impayées tout en développant son réseau d’implantations nationales, le marché
français, tant dans le domaine du génie civil que dans celui du bâtiment, resta très concurrentiel.
De 1963 à 1967, les conditions ne s’améliorèrent guère, ce qui condamnait toutes les entreprises
du secteur à des marges faibles.

La stratégie France fut, de ce fait, quelque peu fluctuante, avec certains revirements par rapport
aux orientations initiales. En 1962, date d’entrée du baron Édouard-Jean Empain au conseil d’ad-
ministration de la Société de Construction des Batignolles, la volonté de développement dans le
bâtiment fut confirmée. Les dirigeants firent le choix de la croissance externe pour répondre à la
forte demande de travaux de bâtiment et de promotion immobilière.

En revanche, la société décida de ne répondre désormais qu’à des appels d’offres de grands chantiers
de génie civil. Elle enregistra quelques succès significatifs : un barrage sur la Garonne, les aména-
gements des chutes de Saint-Julien, une raffinerie pour la Compagnie Française de Raffinage, la
construction de la gare Paris-Austerlitz, en 1965, et de l’échangeur de la Porte de Bagnolet 65 en
1966. Mais cette stratégie de grands chantiers France fut difficile à mettre en œuvre et n’apporta
pas les résultats souhaités. Les maîtres d’ouvrages publics découpaient les ouvrages en lots moyens
pour accroître une concurrence déjà vive entre les entreprises françaises.
En fait, la SCB faisait face à un dilemme. Sa volonté de retour sur le marché national se heurtait à
l’impossibilité d’y obtenir un volume suffisant de grands projets. En outre, elle restait trop chargée
en frais de structure, conséquence de sa vocation antérieure « grands projets », et sa culture restait
très marquée par l’attirance pour l’export. La SCB ne pouvait échapper à son destin : elle repartit
pour l’international !
65 - Outre l’échangeur entre le
Ce faisant, ses dirigeants durent affronter une difficulté supplémentaire : la disparition de l’Empire boulevard périphérique et l’autoroute,
français. Tirant les conclusions de la fin de l’ère coloniale, la SCB y ferma ses filiales et mit fin à ses il fallait réaliser un parking d’intérêt
régional de 2 000 places, une gare
implantations. Elle parvint néanmoins à prendre d’importants contrats à Madagascar. La République routière d’autobus et une station de
malgache, aidée par la coopération de l’État français, lui confia en effet, en 1962, la construction métro.
128
129
NAÎTRE ET RENAÎTRE 12

de la digue d’Ikopa, de plusieurs ports dans la région


de Diégo-Suarez, la construction de l’université de Ta-
nanarive, la construction d’ouvrages d’art sur les routes
du Nord, et avec la SNTP et la SGE, un gros contrat de
construction de trois grandes routes.
Mais Madagascar fut une exception. La SCB dut orien-
ter ses efforts commerciaux vers de nouvelles zones
géographiques : Moyen-Orient, Extrême-Orient,
Afrique du Sud et Amérique du Sud. Ainsi, en 1960, le
groupement 66 auquel participait la SCB se vit attribuer
la construction de l’aérodrome de Waru, sur l’île de
Java. Ce chantier, dont elle assurait la gérance, s’acheva
en octobre 1964. Mais la SCB concentra principalement
ses efforts sur l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud
où elle chercha à la fois à développer ses filiales et à
réaliser de grands projets.
Elle soumissionna pour la construction du port d’Arica
au Chili et elle emporta nombre d’appels d’offres au
Brésil associée à sa filiale, la BOP, ce qui lui valut un
Gare souterraine fort développement au début des années 1960 tant en bâtiments qu’en construction de routes,
de Paris-Austerlitz de silos, de ponts et de barrages, dont le Born Retiro, exécuté de 1959 à 1964.
© H. Baranger et Cie.

La SCB faillit rééditer avec le chantier de Callao, au Pérou, ses ennuis d’Idfina : elle prit, en effet,
les travaux d’extension du port de Callao, sans que le contrat n’indique clairement les obligations
du maître d’ouvrage et de son assistant. De 1961 à 1968, l’administration et le groupement de la
SCB 67 furent en conflit permanent mais les litiges furent en définitive tous solutionnés.
66 - Groupement créé en 1953 et qui
comprenait, également, CITRA et la
Le grand chantier de l’Afrique australe fut l’aménagement de l’Orange River obtenu en 1967, la
Compagnie Française d’Entreprises
(CFE). SCB travaillant en groupement pour ce contrat de 130 millions de F 68.
67 - Groupe Palacios, l’Entreprise
Combot, la SAM et l’entreprise Ces actions de développement vigoureuses à l’export, couplées avec la poursuite de son renforce-
SEROCI.
68 - Soit l’équivalent de 145 millions ment sur le marché national, permirent à la SCB d’enregistrer une remarquable croissance entre
d’€ 2010. 1962 et 1965, dépassant 14 % l’an.

LA FUSION AVEC LA SPIE


Cette forte expansion, qui se poursuivit jusqu’en 1967, se révéla toutefois insuffisante
pour améliorer de façon significative la rentabilité de la SCB.

Au début de l’année 1965, les dirigeants conclurent définitivement qu’avec un chiffre


d’affaires annuel de 165 millions de F, la Société de Construction des Batignolles ne
pouvait produire une rentabilité suffisante au regard des risques qu’elle était amenée à
prendre à l’exportation. Ses charges de structures, de préparation d’offres et de bureaux
d’études étant difficilement compressibles, il fallait aller plus loin et envisager une fusion
entre SPIE et SCB qui permettrait de regrouper les services fonctionnels, les ressources
d’ingénierie, et de mieux partager les frais de prospection.

D’autres facteurs furent pris en compte : l’existence de filiales communes en France et


de projets communs à l’international. Ainsi, dès 1962, la SCB fit entrer la SPIE et la SGTE
dans l’association chargée de la construction de deux lignes de métro à Montréal. Ce fut
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également le cas en décembre 1964 quand la SCB signa en son nom et aux noms de la SPIE, de la
Écluse
CGE et de SONECOTRA, le contrat pour la réalisation de l’aéroport de Damas en entreprise générale. de Chatou

Dès 1966, la direction d’Empain avait procédé à une étude préalable de cette opération. Début
novembre 1967, la SCB annonça qu’elle avait engagé des pourparlers avec la SPIE en vue du re-
groupement des activités des deux sociétés « qui étaient complémentaires », l’une apportant ses
compétences en génie civil, l’autre ses compétences électriques et électromécaniques.
Les conseils d’administration s’accordèrent sur le principe de la fusion à la mi-novembre de l’année
1967. Le premier conseil d’administration de la nouvelle société, qui prit le nom de Spie Batignolles,
ne se réunit que le 18 septembre 1968, mais l’activité commune avait démarré dès le 1er janvier.

Un nouvel administrateur fut coopté en la personne de Raymond Brissaud. Cet ingénieur des Mines,
licencié en droit, était administrateur directeur général du groupe Empain-Electrorail depuis 1957
et ami personnel d’Édouard-Jean Empain. René Berthon et Paul Royer prenaient les fonctions de
PDG et de DG, les structures centrales étant entièrement réorganisées.

BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER Parking à Bordeaux.


DE LA SCB DE 1954 À 1967 Écluse de Chatou.
Tunnel pour voie ferrée
Le bilan stratégique, analysé sous l’angle de l’acquéreur SPIE, sera effectué à l’issue du prochain à Belval-Differdange
archives SPIE.
chapitre qui lui est consacré.
Vu du côté de la SCB, le principal problème stratégique de Paul Royer fut de définir un
nouveau modèle d’entreprise satisfaisant. Il fallait, bien sûr, abandonner la politique aven-
tureuse et risquée du « tout export » et du « tout grands projets », mais il apparut vite que
le marché français était peu attrayant pour les grandes entreprises de BTP.
Toutefois, le développement de SOTRABAS et de COTRABA permit de construire une base
solide pour l’expansion ultérieure du Groupe sur le marché national. Mais la concurrence fut
très vive à certaines périodes, les marges étant faibles dans la quasi-totalité des secteurs du
BTP. Aussi COTRABA ne devint-elle bénéficiaire qu’en 1965, avec un résultat net légèrement
supérieur à 600 000 F pour 56 millions de F de chiffre d’affaires.

Comme on l’a vu, l’entreprise se lança à nouveau, après la phase de stagnation 1955-1962,
vers l’exportation, son portefeuille étant situé pour les deux-tiers hors de France en 1965
après trois années d’expansion. La SCB se résolut à reprendre des risques et ce dans des
conditions devenues plus difficiles, puisque la décolonisation avait fermé le marché protégé
des entreprises françaises en Afrique francophone.
Elle réussit, néanmoins, à les maîtriser au cours de la période, mais ne dégagea pas de ré-
sultats élevés, en dépit de sa croissance rapide de 1962 à 1965.

CA HT en millions L’annexe 13 montre que les résultats ne « décollent pas ». Les


de francs courants marges restent faibles (0,5 % en 1967) et la situation de la SCB
1961 110 (estimé) soumise aux aléas des grands chantiers de génie civil export,
demeure fragile… La fusion avec SPIE était la voie la plus évidente
1962 125 (estimé)
pour conforter sa rentabilité et pour assurer son avenir.
1963 140 (estimé)
1964 165,9
1965 189,3
1966 181,1
1967 191,2

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« CE QUI EMBELLIT LE DÉSERT, DIT LE PETIT PRINCE,
C’EST QU’IL CACHE UN PUITS QUELQUE PART. »

Saint-Exupéry

Usine de liquéfaction de gaz naturel, Skikda, Algérie,


archives SPIE.
La SPIE : de l’électricité aux raffineries et aux pipelines du Sahara

LASPIE : DE L’ÉLECTRICITÉ
AUX RAFFINERIES ET
AUX PIPELINES DU SAHARA

1948-1968

D ans les années 1920 et 1930, la SPIE s’était focalisée sur ses domaines d’excellence, la
construction et l’exploitation des infrastructures d’énergie et de transport ferroviaire. En dépit des
nationalisations qui la privèrent de l’appui des sociétés concessionnaires de son Groupe, la SPIE sut,
après le second conflit mondial, capitaliser sur son acquis technique. Elle bénéficia des marchés
porteurs de l’après-guerre et réalisa une croissance exponentielle, son chiffre d’affaires passant de
16,9 millions de F en 1947 à 484,2 millions de F en 1967. Les activités pétrolières et gazières, en
Gouverne-
France et en Afrique du Nord, constituèrent un relais de croissance essentiel.
ment
provisoire
LA NATIONALISATION
ET LA RENAISSANCE DE LA SPIE
LA NATIONALISATION
Avec la fin de la Seconde Guerre, les idées do-
minantes sont celles du Conseil National de la
Résistance, et le Gouvernement Provisoire sou-
haite effectuer une nationalisation pour faire
retour à la Nation de la propriété des grands
moyens de production. Sont particulièrement Journal Résistance
des 2 et 3 décembre 1945,
visés les industriels du secteur électrique qui,
article sur le projet
bien qu’ayant développé un remarquable outil
de nationalisation de cer-
de production et de distribution d’électricité taines banques d’affaires
entre les deux guerres sur la base de concessions © Collection Roger-Viollet.

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 13

locales, n’ont pas toujours su bien gérer leur relationnel politique. Malgré l’action défensive qu’ils
conduisent auprès du gouvernement, Marcel Paul, le ministre communiste à la production indus-
trielle, met en place cette nationalisation sous forme d’un compromis, le secteur privé conservant
les activités de construction.
La loi, votée le 8 avril 1946 à la quasi-unanimité, procède à la nationalisation de la production, du
transport, de la distribution, de l’importation et de l’exportation de l’électricité et du gaz. Électri-
cité de France (EDF), établissement public créé à cet effet, est chargé de la gestion des entreprises
nationalisées.
Tramways de
Lille À cette date, la SPIE, holding du groupe Empain en France, possède un portefeuille d’actions aux
activités étendues, réparties au sein de plusieurs domaines d’activités : production et distribution
d’électricité (SEP, Électricité et Gaz du Nord), transports urbains et interurbains (Métropolitain,
Tramways de Lille, Chemins de fer économiques du Nord, Chemins de fer vicinaux, Chemins de fer
du Calvados), construction électrique (Forges et Ateliers de Construction Électrique de Jeumont).
Elle possède également divers intérêts en Égypte et en Russie.
La SPIE doit abandonner ses principales filiales françaises titulaires de concessions. L’indemnisation
s’effectue par remise d’obligations de la Caisse Nationale d’Équipement de l’Électricité et du Gaz,
transformée en novembre 1948 en Caisse Nationale de l’Énergie. Normalement fondée sur la
base du cours des actions, elle est, en réalité, très faible pour les sociétés d’électricité, d’autant
que les versements s’étendent de 1947 à 1952. À cette date, SPIE obtient la restitution du do-
maine privé de la Société d’Électricité de Paris, qui détient un important portefeuille de valeurs.
Une autre société va réintégrer le groupe Empain, la SGTE. Issue de la partie non nationalisée
de la Cie du Métro, elle hérite, notamment, de références et de moyens d’ingénierie dans les
domaines du ferroviaire et de l’énergie. Société sœur de SPIE, elle accompagnera celle-ci dans
toute une série de projets concernant ces deux secteurs et, en particulier, dans les grands projets
« clés en main de métros ».

LA RENAISSANCE
Ce grave revers de fortune patrimonial ne décourage toutefois pas les dirigeants d’Empain et de
SPIE, qui vont repartir de l’avant. S’appuyant sur le savoir-faire de leurs équipes, ils bénéficieront de
l’important programme de reconstruction de l’après-guerre en se concentrant sur trois domaines
d’activité : l’électricité, les voies et la traction électrique, les canalisations.

LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION D’ÉLECTRICITÉ


En 1947, l’électricité représente près de la moitié de l’activité. Malgré les efforts d’équipement
effectués au cours des années d’avant-guerre par les sociétés privées, il fallait poursuivre et achever
la construction de réseaux. La nationalisation avait découlé en partie d’un contentieux récurrent
entre les sociétés concessionnaires et les élus locaux qui jugeaient les progrès trop lents en matière
de distribution sur les lieux de consommation. La SPIE reçut d’EDF d’importantes commandes de
travaux d’installation d’infrastructures électriques, lignes haute et très haute tension. Ces travaux
étaient essentiellement situés en région parisienne, autour de Paris, et à un degré moindre dans
le Sud-Ouest.

La SPIE construisit également de très nombreux réseaux d’électrification rurale pour les départements
et les communes (souvent groupées en syndicats), système qui autorise des économies d’échelles
en raison d’aires d’interventions plus vastes.

EDF jouait un rôle majeur en tant que client et spécificateur sur ce marché concurrentiel où se re-
trouvaient des entreprises aussi puissantes que la Société Générale d’Entreprise ou la Compagnie
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La SPIE : de l’électricité aux raffineries et aux pipelines du Sahara

René Berthon
René Berthon, né en 1914, ancien élève de sident-directeur général en 1966
l’École polytechnique, ingénieur du génie ma- de la Société de Construction des
ritime, consacre toute sa carrière à la direction Batignolles, puis PDG de Spie Ba-
d’entreprises de travaux publics. Son entrée tignolles en 1968.
dans le groupe Empain, fruit des hasards de Il entre en 1970 au Conseil d’ad-
CND-
Castille
la guerre, date de juin 1943, lorsqu’il accepte ministration de la CITRA comme
le poste de directeur adjoint de sa filiale élec- administrateur, et en devient le
tricité de Paris, ce qui lui permet de quitter président un an plus tard. Il a oc-
discrètement la ville de Brest, car le réseau cupé durant sa carrière les plus
de résistance, CND-Castille du Colonel Rémy hautes fonctions de direction des
auquel il appartient, vient d’être démantelé. Il trois composantes originelles de
devient ensuite successivement directeur gé- Spie Batignolles : SPIE, SCB, CI-
néral adjoint en 1948, puis directeur général TRA. Il a réalisé la fusion des deux premières
en 1957 de la Société Parisienne pour l’Indus- en 1968 avant d’absorber la troisième en 1972.
trie électrique ; administrateur en 1954, puis
vice-président-directeur général en 1964, pré-

Générale d’Entreprise Électrique, mais également des entreprises moyennes. L’offre était donc assez
morcelée, les parts de marché restant faibles 69.

LE FERROVIAIRE
La traction électrique est, au début de la période, le second secteur en importance, avec un peu
moins d’un tiers de l’activité.

Locomotive électrique
2D2-9101 de la SNCF, 1952
© Boyer / Roger-Viollet

69 - SPIE représente environ 5 % du


marché national pour les lignes THT
et à peine plus de 6 % pour les autres
types de lignes en 1965/1966.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 13

Les destructions dues à la guerre sont de très grande ampleur : la bataille du rail ajoutée aux bom-
bardements de la Libération ont anéanti plus de 50 % du réseau ferré national.

Outre les travaux commandés par la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF), des
clients privés demandent à la SPIE d’effectuer des raccordements particuliers de leurs usines au
La bataille réseau ferré, notamment les sociétés sidérurgiques qui dépendent totalement du rail.
du rail La SNCF confie dès 1947 à la SPIE une part du programme d’électrification en courant continu
entre Mâcon et Lyon, travaux qui ne finiront qu’en 1952 en raison des ralentissements des crédits
budgétaires. Confiante dans les capacités de l’entreprise, la SNCF choisit la SPIE en 1949 pour
réaliser l’électrification de la ligne d’essais de traction en courant monophasé 20 000 V entre Aix-
les-Bains et La Roche-sur-Foron.

SPIE électrifie selon le vieux standard d’avant-guerre, en courant continu 1 500 V, la ligne Lyon/
Saint-Étienne, mais les installations électriques réalisées sont désormais en courant monophasé
25 000 V, tension qui permet une amélioration des caténaires. Elle réalise également les traverses
nouvelles en béton précontraint.

70 - Restaient deux exceptions no- Mais bientôt la plupart des axes sont électrifiés 70 et la SNCF n’est plus le fer de lance du dévelop-
tables, la rive droite du Rhône et la val- pement de la SPIE. Malgré le programme Louis Armand 71, la proportion des activités ferroviaires
lée de la Garonne, ce qui constitua un
enjeu important pour les entreprises
va fortement décroître durant les années 50.
du secteur durant les années 1970.
71 - Louis Armand fut président de la TOUJOURS LE MÉTRO...
SNCF de 1955 à 1958, puis d’Euratom
de 1958 à 1959.
SPIE, fidèle à ses origines, entreprend des recherches pour accroître la qualité des transports mé- Louis
Armand
tropolitains. En 1951, elle prend une participation dans une SARL dénommée « Les Véhicules
Guidés sur Pneumatiques » dont l’objet principal est l’étude, la construction, la fourniture et la
mise en marche de tous véhicules guidés circulant sur plates-formes indépendantes et montés sur
pneumatiques, et qui est à l’origine des métros sur pneus.

LE PÉTROLE ET LE GAZ
Pipeline de Hassi-Messaoud,
La baisse des commandes dans le domaine ferroviaire rend nécessaire la recherche de nouveaux
Sahara algérien Le métro
archives SPIE. moteurs de croissance. La société donne, à cet effet, priorité au secteur du gaz et du pétrole dès le
sur pneus
début des années 50. Cette stratégie va lui permettre
de compenser les pertes de chiffres d’affaires des
activités en déclin.

Capitalisant sur ses compétences antérieures, la


SPIE devient un acteur majeur du programme de
construction de dépôts pétroliers, raffineries et usines
pétrochimiques en France. Présente au Havre et à
Marseille dès 1957, elle travaille sans interruption
pour les raffineries de Normandie et de Provence. Elle
achève les travaux de construction de la raffinerie de
Gonfreville-L’Orcher en 1965. Elle participe à la réali-
sation de l’unité cracking d’éthylène de Lavera et aux
travaux du complexe pétrolier sur l’étang de Berre.

En matière de transport des hydrocarbures, son acti-


vité de pose d’oléoducs est le prolongement naturel
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La SPIE : de l’électricité aux raffineries et aux pipelines du Sahara

de celle d’installation de centres


de transformation. SPIE construit
donc une part notable du réseau
français d’oléoducs au départ des
grands terminaux du Havre et de
Marseille. Elle réalise une section
du pipeline sud-européen qui relie
Lavera à Karlsruhe en passant par
Strasbourg. Elle construit les oléo-
ducs reliant Le Havre à la région
parisienne.

Au cours des années 1950,


le secteur pétrolier devient
progressivement le principal pôle
d’activité de la SPIE. Les Forges,
Chaudronnerie et Tuyauterie
de Ferrière-la-Grande, sa filiale,
fournissent les canalisations
industrielles pour les installations
pétrolières.
Avec 42 % du chiffre d’affaires en
1965, le secteur des canalisations
tient désormais la place prédominante qu’avait l’électricité dans l’immédiat après-guerre. Canalisations industrielles
archives SPIE.

Ce virage vers le pétrole/gaz permit à la SPIE d’amortir les nombreux soubresauts économiques
qui marquèrent la conjoncture française durant cette période, les clients publics 72 réduisant
fortement leurs programmes d’investissement durant les phases de récession, qu’elle surmonta
de ce fait sans enregistrer d’inflexion dans sa croissance 73. Les marchés du pétrole/gaz furent,
par ailleurs, la principale source de son activité internationale, et ceci même après la décoloni-
sation en Algérie.

LE PIPELINE ET L’AVENTURE SAHARIENNE


L’exploitation du gisement de gaz naturel de Lacq à partir de 1952 marque pour la SPIE le démarrage
Gisement
d’une nouvelle activité, qui se développera d’abord en France : la construction de gazoducs. Au
de Lacq
départ des Pyrénées-Atlantiques, elle réalise pour le compte de Gaz de France le réseau de desserte
de gaz à travers le pays. Sa part du marché, pour l’ensemble des pipelines, va représenter environ
30 % dans les années 50.

Forte de l’expérience acquise en France, SPIE va étendre son activité de pose de gazoducs et d’oléo-
ducs à l’international. En Europe, elle prend position sur l’important marché hollandais à travers
une société locale, AIGB, dans laquelle elle détient 35 %.

Mais c’est bien évidemment la découverte du pétrole en Afrique du Nord qui ouvre les perspectives
les plus larges. La politique active de développement des champs pétrolifères (Hassi-Messaoud) et
gaziers entraîne le lancement de vastes programmes de construction d’infrastructures de transport 72 - Leur proportion était de 80 %
et de stockage. La SPIE s’est associée avec Entrepose, son principal concurrent français, pour former du CA en 1958-59 et s’est abaissée
à 40 % en 1962-63.
le GREP (Groupement des sociétés Entrepose et Parisienne pour l’Industrie), qui sera le support de 73 - Taux de croissance moyen annuel
leur activité pipeline au Sahara. de + 22 % l’an après 1957.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 13

Les travaux qui sont confiés au GREP visent à


acheminer par des pipelines de gros diamètres
le pétrole brut des champs pétrolifères en ex-
ploitation d’Edjelé et Hassi-Messaoud jusqu’à
la Méditerranée. Pendant quatre années, les
projets de ce type vont se développer au Sahara.
En 1959, le GREP achève la pose du lot sud du
pipeline Hassi-Messaoud-Bougie.
Puis l’activité se ralentit à partir de 1961. L’an-
née 1963 voit néanmoins le GREP relier Has-
si-Messaoud au terminal d’Hassid El Alamora.
La constitution de ALGREP (Société Algérienne
de Groupement des Sociétés Entrepose et SPIE),
société de droit algérien, est effectuée en 1964.
En 1966, la SPIE en contrôle 40 % tout en main-
Puits de pétrole tenant sa participation à 50 % dans le GREP.
à Hassi-Messaoud,
Sahara algérien, 1957 À travers la Société Algérienne de Développement et d’Expansion (SOCALDEX), elle est chargée
© Boyer / Roger-Viollet.
en 1960 de l’entreprise générale de la raffinerie d’Alger, puis de l’usine de liquéfaction d’Arzew.
Dans le même temps, elle réalise en Tunisie un gros pipeline entre le centre de production d’Edjelé
et le golfe de Gabès.

La SPIE est également active dans les domaines pétroliers et pétrochimiques en Afrique noire. Elle
termine, en 1966, la raffinerie de Tamatave à Madagascar et entame, la même année, la construc-
tion d’une usine d’engrais chimiques à Dakar.

Les activités africaines de pétrole/gaz étaient donc devenues essentielles à l’équilibre de la société.
Nous ne disposons pas de statistiques comptables sur la période, mais une analyse des travaux en
cours réalisée sur les comptes de 1965 montrent que leur part y représentait 20 % du total.

La notoriété et l’expérience ainsi acquises lui permettent d’entrer en relation avec les ingénieries
américaines et en particulier avec Bechtel, avec laquelle elle va construire en partenariat des ouvrages
« clés en main » pour le raffinage du pétrole. Elle découvre, grâce à ces associations, de nouvelles
activités et reconnaît aussi « améliorer son organisation et ses méthodes ». Cette coopération avec
le groupe américain, qui contribuera à diffuser une culture de « management de projets » chez
SPIE, la confortera très sensiblement dans le domaine pétrochimique. Il n’est pas une des raffineries
françaises dans laquelle la société ne soit pas intervenue de façon significative.
Mais l’aventure saharienne permit aussi de jeter les bases d’une activité pipeline internationale. Spie-
Capag, créé dans les années 1970, s’appuya sur les expériences et les compétences ainsi acquises
pour participer sous toutes les latitudes et dans le monde entier aux grands projets d’oléoducs et
de gazoducs de la seconde moitié du XXe siècle.

L’ACTIVITÉ INTERNATIONALE
En Afrique, l’activité hors pétrole-gaz resta très mineure. La société réalisa néanmoins des travaux
électriques au Maroc – où elle détenait plusieurs filiales – et dans divers pays : Mauritanie, Came-
roun, Gabon, Centrafrique, Côte-d’Ivoire.

En Europe, son activité est plus variée. Outre sa présence dans le pipeline en Hollande, elle est
également active au Portugal et en Espagne.
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Au Portugal, elle participe à l’appel d’offres pour la réalisation des travaux


d’électrification de la Companhia dos Caminos de Ferro Portugueses dans
le groupement européen du 50 Hz, comprenant des entreprises françaises,
allemandes et suisses 74, qui sera déclaré adjudicataire en avril 1955. Puis une
fois effectuée l’électrification en courant monophasé des lignes Lisbonne-Sin-
tra et Lisbonne-Entrocamento, la SPIE prend part à d’autres travaux de pose
de voies ferrées et fournit du matériel ferroviaire pour le métro de Lisbonne
sans pour autant chercher à s’implanter dans ce pays.

En revanche, son implantation est permanente en Espagne – tant dans le


Pose de domaine électrique, à travers la société Suministros Prajectos y Instalaciones 75
caténaires Raffinerie d’Alger
pour la pose de caténaires, la construction de lignes et l’installation électrique archives SPIE.
industrielle – que dans celui de la mécanique et de la tuyauterie où elle
intervient à travers la société Nervion-Spie qu’elle détient à égalité avec un
partenaire espagnol, Montajes-Nervion. Nervion-Spie est active dans l’indus-
trie pétrolière, chimique et pétrochimique, et participe à la construction des
centrales atomiques de Santa Maria de Garona et de Vandellos.

La SPIE s’intéresse aussi à l’Europe de l’Est à la fin des années 1950. Elle


participe ainsi aux travaux d’électrification des chemins de fer de la banlieue
d’Istanbul en 1955 et à ceux des chemins de fer yougoslaves. En Roumanie,
elle dirige le groupement d’entreprises qui obtient le gros contrat de la cen-
trale thermique de Craiova.
En dehors de l’Europe, citons sa participation aux côtés de la CGEE dans les
lots électricité du grand contrat de l’aéroport de Damas piloté par la SCB. Pupitre et tableau
de commande automatique
LES DIVERSIFICATIONS archives SPIE.

En raison du ralentissement du marché français des installations ferroviaires et d’une concurrence


assez vive sur les réseaux de distribution qui empêchait tout accroissement significatif des parts de
marché, la SPIE chercha naturellement à élargir son portefeuille d’activités vers d’autres domaines
en croissance.

Dans la France de l’après-guerre, en pleine reconstruction, le marché de la construction (bâtiment


et génie civil) semblait, a priori, constituer une opportunité attrayante. Ceci explique pourquoi René
Berthon entra dans le capital de la SCB pour, finalement, en prendre le contrôle total en 1968.
Des sociétés communes telle Cotraba furent créées avec la SCB, les deux entreprises partageant
également le montage d’opérations immobilières. Financièrement, cette diversification ne semble
toutefois s’être avérée que modérément rentable durant la période 60-68.
La seconde diversification majeure fut celle amorcée dans le nucléaire grâce à l’appartenance de
SPIE au groupe Empain alors en voie de rapprochement avec Schneider, lui-même impliqué dans
le démarrage du programme nucléaire français.
Cette seconde diversification, mieux en ligne avec la culture SPIE (coopération industrielle verticale,
spécialités techniques permettant de se différencier) s’avéra remarquablement profitable pour la 74 - CGEE et SPIE pour la France, BBC
pour la Suisse et Siemens pour l’Alle-
société durant les décennies qui suivirent. magne. Ce groupement devait parti-
ciper à l’électrification des chemins de
Un projet de réacteur naît en 1952 et la possibilité de produire de l’énergie électrique à partir de fer iraniens et assurer l’électrification
des réseaux ferroviaires du Costa Rica,
la chaleur évacuée par le réacteur de production de plutonium est conçue sur le site de Marcoule.
avant de disparaître dans les années
On prévoit rapidement deux tranches supplémentaires de production nucléaire. La SPIE fait partie 1980.
du groupement d’entreprises qui réalise l’ouvrage. 75 - En 1966, elle en détient 25%.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 13

Le début En 1945, la France crée le Commissariat à


l’Énergie Atomique (CEA) pour effectuer des
recherches scientifiques et techniques en
d’électricité qui rend probable une utilisa-
tion civile de l’énergie nucléaire.
À la suite de cet événement, plusieurs per-

du vue de l’utilisation de l’énergie atomique


dans les divers domaines de la science, de
l’industrie et de la défense nationale.
sonnalités d’EDF sont admises dans les ins-
tances dirigeantes du CEA, afin de passer de
l’expérience à la production civile. En outre,

nucléaire Le CEA poursuit des recherches d’abord


militaires en raison des sérieux doutes
régnant à cette époque sur d’éventuelles
on découvre à cette époque d’importantes
réserves d’uranium, qui ouvrent à la France
la perspective d’une indépendance énergé-

en applications civiles. C’est la réussite aux


États-Unis, en 1951, de la première pile au
monde couplée à un réseau de production
tique considérée comme politiquement es-
sentielle jusqu’à la fin des années 80.

France
Le CEA et EDF envisagent, à partir de 1955, l’élaboration d’un pro-
gramme français de construction de centrales nucléaires. EDF, qui CEA
devient maître d’œuvre indépendant, opte pour la filière à uranium
naturel, du type Marcoule, pour construire une centrale à Chinon
en 1957.

La Grande-Bretagne choisit la filière graphite-gaz alors que des produc-


teurs américains, et notamment Westinghouse, développent la tech-
nique des réacteurs à uranium enrichi, dite filière « Pressurized Water
Reactor » (PWR). L’étude comparative du système graphite-gaz et de
celui à eau pressurisée montre que les deux filières sont aussi fiables
l’une que l’autre, mais qu’économiquement la filière Westinghouse
est plus rentable. La Communauté Européenne de l’Énergie Atomique
(EURATOM) qui vient de naître opte, quant à elle, pour la filière PWR.
Tours de refroidissement Mais la technique de l’enrichissement n’est pas encore maîtrisée, ce
de Vierfontain (centrale de qui implique une dépendance dans ce domaine par rapport aux États-Unis. Le CEA refuse, en
Kelvin), 1951-1955 conséquence, la filière américaine au nom de l’indépendance nationale !
archives SPIE.

Le gouvernement français accorde néanmoins l’au-


torisation de réaliser à partir de la filière américaine
une opération dans le cadre d’EURATOM confiée à
la SENA (Société franco-belge d’Énergie Nucléaire
des Ardennes), qui regroupe EDF et les Compagnies
d’Électricité belges.

La SENA lance, en mai 1956, un appel d’offres pour


la construction « clés en main », génie civil excepté,
d’une centrale nucléaire de 250 MW à Chooz dans
les Ardennes. Plusieurs groupements répondent
mais c’est celui comprenant les Ateliers de Charleroi
(AFW), Framatome et Westinghouse qui est retenu
en septembre 1961 pour la réalisation de l’ouvrage,
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les études de la partie conventionnelle étant assurées par la SGTE. À


noter que Framatome (Société franco-américaine de constructions ato-
miques) avait été créée le 1er décembre 1958. Les actionnaires étaient
SFAC (Société des Forges et Ateliers du Creusot) majoritaire, CITRA,
SW (le Matériel Électrique Schneider Westinghouse), CEEMTP (futur
Centrale CITREM), SPIE, FACEJ (Forges et Ateliers de Constructions Électriques
de Chooz de Jeumont) et Merlin Gerin. Westinghouse détenait à la création de
Framatome 10 % du capital à travers sa filiale SMI.
Mais le développement de l’activité nucléaire de la SPIE va aussi profiter
du rapprochement entre les groupes Empain et Schneider effectué en
deux temps. En 1964, la société des Forges et Ateliers de Construction
Électrique de Jeumont et la société Le Matériel Électrique Schneider-
Westinghouse regroupent leurs activités industrielles. Puis en sep-
tembre 1966, pour répondre au souhait d’EDF de fusionner en un seul
lot par tranche le contrôle commande des centrales thermiques et plus Centrale nucléaire de Chooz,
archives SPIE.
tard nucléaires, fut créée, face au groupement CGEE-Alsthom, la société Thermatome associant
SPIE, Merlin Gerin, Jeumont Schneider ainsi que CEEMTP et Cerci.

BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER


DE LA SPIE DE 1947-1968
Si un homme a joué un rôle essentiel dans l’élaboration de la stratégie de SPIE, c’est bien René
Berthon 76, qui la fit renaître après les nationalisations et la positionna sur les marchés porteurs.
Il participa à toutes les négociations importantes concernant le groupe Empain en France. Celui-
ci détenait moins de 50 % de SPIE, le complément nécessaire au contrôle étant apporté par le
groupe Lebon. On notera la tendance d’Empain à limiter son investissement financier direct dans
ses filiales (voir annexe 14).

UNE STRATÉGIE TOURNÉE VERS LA CROISSANCE


Bien positionnée sur ses marchés, bénéficiant de l’expérience acquise avant la Seconde Guerre
mondiale, SPIE réalise une remarquable performance de croissance de 1949 à 1967 avec + 16 %
l’an en moyenne 77, celle-ci s’étant même fortement accélérée (+ 22 % l’an) quand le pétrole/gaz
devint le moteur de l’expansion (cf. annexe 15). Les alliances avec Entrepose, dans le cadre du GREP,
et avec Bechtel pour les raffineries, s’avérèrent des choix judicieux permettant un meilleur contrôle
du marché pour l’une et un accès à de nouvelles compétences pour l’autre.

Dans l’analyse de la répartition du chiffre d’affaires, le poste « divers » comprend les activités in-
génierie, les activités bâtiment et immobilier, les quotes-parts de SPIE dans certains projets export.

La politique de René Berthon fut très orientée vers la croissance, Capacité


d’autofinancement
ce qui le conduisit à accepter une réduction des marges. Le ra- en % du CA
tio capacité d’autofinancement en % du CA, qui constitue un
1948-1952 6,1 %
bon indicateur de rentabilité en période de forte inflation, évolua
comme indiqué dans le tableau ci-contre. 1953-1957 8,1 % 76 - Il partagea pendant de nom-
breuses années la direction générale
(Analyse détaillée en annexe 16). 1958-1962 5,2 % avec Hervé Leclerc, la présidence étant
1963-1967 3,9 % assurée par Guy de la Rochette jusqu’à
L’analyse des bilans révèle, cependant, un endettement raison- l’arrivée du jeune baron Empain, au
milieu des années 60.
nable (dette long et moyen terme comprise entre 25 % et 50 % des fonds propres) et un fonds 77 - Taux de croissance en volume, à
de roulement positif en progression, ce qui traduit l’état d’une société dont la situation financière francs constants.
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reste équilibrée et dont la rentabilité, quoique en diminution, demeure suffisante pour financer la
croissance (taux de croissance moyen de 13 % l’an de la capacité d’autofinancement sur dix ans).

UNE PROGRESSION RÉGULIÈRE DE LA PRODUCTIVITÉ


SUR LA PÉRIODE
Les éléments concernant les effectifs, donnés dans l’annexe 17, ne permettent pas de tirer de
conclusions simples, car les chiffres fournis ne sont pas établis de façon homogène. En revanche,
les études plus fines réalisées dans l’étude de Stéphane Hole, de l’Université de Caen, montrent des
gains de productivité très substantiels tout au long de la période (6 % l’an en moyenne), obtenus très
largement par un recours sans cesse croissant à des équipements plus nombreux et plus performants.

LA FUSION AVEC LA SCB :


MOUVEMENT STRATÉGIQUE SPIE OU EMPAIN ?
Lorsque René Berthon décida d’entrer dans le capital de la SCB, la raison en était simple : il souhai-
tait diversifier les activités de SPIE. Le bâtiment et le génie civil pouvaient indubitablement fournir
des opportunités de croissance dans la France de l’après-guerre. Par ailleurs, dans un contexte de
forte cyclicité des investissements, il paraissait judicieux de rechercher un certain lissage grâce à
une présence élargie dans les métiers de la construction.

La fusion pure et simple était exclue pour des raisons évidentes. Il fallait, au préalable, redresser
la situation financière de la SCB en apurant les nombreux litiges et réclamations encore en cours.
Il fallait également prendre en considération les profondes différences culturelles entre une SPIE
très ancrée sur son marché français et ses spécialités techniques, et une SCB orientée depuis des
décennies vers le grand large. La solution choisie par René Berthon et Paul Royer fut celle du bon
sens : ne pas brûler les étapes en jouant la progressivité – redressement de la SCB, coordination du
développement de SPIE et SCB, réalisation en joint-venture ou en consortium de grands chantiers
en France ou à l’export, création de filiales communes comme Cotraba dans le bâtiment.

Si la méthode fut bonne, les résultats, eux, ne furent sans doute pas à la hauteur des attentes car,
comme on l’a vu, la période de convalescence de la SCB fut excessivement longue. L’entrée de SPIE
dans le capital de la SCB se fit sur la base d’une valorisation à 100 % de 600 millions de F 1954,
soit l’équivalent de 12 millions d’€ 2010. La SCB réussit à distribuer des dividendes chaque année,
mais le rendement financier fut en réalité faible compte tenu de la forte inflation (4,5 % l’an en
moyenne de 1954 à 1967) et des taux d’intérêt élevés.

Si l’on se place en 1968, à la date de la fusion, on peut estimer la valeur de la nouvelle société
Spie Batignolles à dix fois ses résultats, soit 46 millions de F, qui équivalent à 50 millions d’€ 2010.
Or, la part dans les apports revenant à la SCB s’élevait à 22,7 %, ce qui conduit à une valorisation
implicite de cette dernière de 12,5 millions d’€ 2010. On peut donc conclure qu’il n’y a pas eu de
création de valeur par la SCB de 1954 à 1968.

Les marges de la SCB restaient par ailleurs faibles au milieu des années 60 et celles de la SPIE s’étaient
réduites. Dans ces conditions, la fusion entre les deux entités s’imposa comme une nécessité : elle
permettait de réduire les frais de structures, améliorait la rentabilité, optimisait le potentiel com-
mercial et contribuait à créer un vaste ensemble disposant de toutes les compétences techniques
pour le pilotage des contrats d’entreprise générale. Ce dernier argument joua, semble-t-il, un rôle
décisif. Comme nous allons le voir, Empain avait lancé une offensive pour prendre le contrôle de

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Schneider qui battait alors son plein. Les dirigeants du groupe belge avaient l’ambition de créer une
entité qui assurerait la direction des grands contrats pluridisciplinaires. La fusion de SPIE et de la SCB
permettait d’atteindre cet objectif. La nouvelle société Spie Batignolles, de taille équivalente à celle
de sa concurrente du groupe Schneider, Citra, mais avec des compétences plus larges, s’imposerait
comme un leader naturel dans le cadre du futur groupe Empain-Schneider. SPIE, seule, aurait été
de taille inférieure à celle de Citra, alors en pleine croissance.
Le pari était ambitieux : il s’agissait de créer un nouveau concept d’entreprise intégrée, disposant
à la fois de compétences de « construction » et « d’ingénierie électrique et électromécanique ».
Le pari était également risqué : en raison des différences de culture entre SPIE et SCB, profession-
nalisme technique d’un côté, esprit d’aventure et capacité à maîtriser les grands projets de l’autre.

Les opportunités qui découlèrent de la fusion des groupes Empain et Schneider pour Spie Batignolles
dans les domaines de l’énergie nucléaire, du transport ferroviaire et de l’ingénierie de « process »
justifièrent cependant, durant les années 70, l’intérêt de cette stratégie.

© GRE

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« LE MARIAGE EST UNE CHOSE IMPOSSIBLE, ET POURTANT LA SEULE SOLUTION. »

Alain-Fournier, Correspondance

La famille Schneider au Creusot en 1951 : Antoinette Schneider,


veuve d’Eugène II, May de Brissac, Lilian Schneider, Catherine
Schneider, Eugène-François de Cossé Brissac, son frère Gilles
et sa sœur Elvire, Pierre de Brissac, Mlle Charles, Charles et
Dominique Schneider.
Archives Schneider.
Crise dynastique chez Schneider et entrée d’Empain : une nouvelle donne pour SPIE

CRISE DYNASTIQUE CHEZ


SCHNEIDERD’EMPAIN ET ENTRÉE
:
UNE NOUVELLE DONNE POUR SPIE

CRISE DYNASTIQUE CHEZ SCHNEIDER


La disparition soudaine de Charles Schneider, le 6 août 1960, va poser au groupe du Creusot
Famille
Schneider des problèmes « dynastiques » fort délicats. En effet, l’un des articles du code de commerce
stipule que « la société en commandite par actions est régie sous un nom social qui doit
être nécessairement celui d’un ou de plusieurs associés responsables et solidaires ». Or,
après quatre générations, la lignée masculine des Schneider est éteinte ! Charles Schneider
avait lui-même deux filles, mais celles-ci, trop jeunes, ne pouvaient jouer aucun rôle et il
avait donc exprimé par lettre son souhait que sa veuve, Lilian Schneider, lui succède comme
gérante à vie. Cette nomination est avalisée par une assemblée générale extraordinaire qui
se réunit en octobre.

Cette solution, qui assure la continuité dans la direction du groupe, va toutefois provoquer
un nouvel affrontement entre les deux clans familiaux qui s’étaient constitués avant-guerre.
Antoinette Schneider et May de Brissac, qui disposent de 18 % du capital, souhaitent en effet Charles Schneider
archives Schneider.
porter à la gérance ou à la cogérance l’époux de cette dernière, Pierre de Cossé, duc de Brissac et
président du Matériel Électrique S W. Tout sépare les protagonistes : leurs ambitions personnelles,
leur tempérament, leur milieu social. Lilian Schneider, ancienne actrice qui s’est beaucoup investie
dans les institutions sociales du groupe, n’est pas proche du cercle aristocratique fermé auquel
appartiennent les membres de l’autre partie de la famille.
L’opposition familiale devient une affaire d’État ! Le ministre des Finances de l’époque, Wielfried
Baumgartner, élabore finalement un compromis avec la veuve de Charles Schneider, qui accepte de
s’adjoindre un second cogérant à vie, Albert de Boissieu, directeur financier du groupe et président
de l’Union Européenne. Mais les deux cogérants ne s’entendent guère et veillent plus à protéger leurs
attributions réciproques qu’à préparer l’avenir du groupe. Lilian Schneider, entièrement tournée vers
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 14

le maintien de la tradition, s’oppose à toute restructuration en dépit des nuages qui commencent
à s’amonceler. Quant à Albert de Boissieu, financier très orthodoxe, sa propre vision de l’industrie
ne dépasse guère les liaisons financières entre sociétés et l’animation d’un club de dirigeants liés
par leur passé et leurs amitiés.

Le groupe Schneider
en France dans les années 60
archives Schneider.

Or Schneider ne va pas bien... Son endettement dépasse 60 % de son chiffre d’affaires et son
bénéfice tombe à 7 millions de F en 1961, l’exploitation devenant déficitaire à partir de 1962. La
Bourse sanctionne cette dégradation et le cours de l’action, qui s’élevait à 400 F à la mort de Charles
Schneider, baisse à 200 F en 1963.
Le groupe, malgré le lustre de son passé, apparaît désormais comme fragile et son avenir incertain.
La famille de Brissac en tire alors les conclusions : elle décide de vendre. Après quelques contacts
infructueux, une réponse positive est transmise par le groupe Empain. L’état-major du groupe belge
voit plusieurs avantages à l’opération. Empain et Schneider, tous deux licenciés de Westinghouse,
viennent d’entamer des négociations pour le rapprochement de Jeumont avec le Matériel Électrique
S-W. Dans de nombreux secteurs, ils sont soit complémentaires, soit concurrents. Des restructura-
tions industrielles génératrices de synergies peuvent donc être envisagées.

L’acquisition des actions d’Antoinette Schneider et de May de Brissac est effectuée à partir de juin
1963. Empain, qui s’est associé pour ce faire à la société de Banque et de Participation et à Michel
Bolloré, procède par ailleurs à des achats en Bourse qui portent sa participation à 30 %. Le groupe
belge est ainsi devenu le principal actionnaire de Schneider.
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Crise dynastique chez Schneider et entrée d’Empain : une nouvelle donne pour SPIE

FRANCE, TERRE
DU CAPITALISME ÉTATIQUE !

Cette offensive belge provoque un véritable séisme à l’intérieur de Schneider bien sûr mais égale-
ment dans certains milieux gouvernementaux où l’on considère comme intolérable que la firme du
Creusot soit « contrôlée par des étrangers » ! Le baron Édouard Empain et son directeur général
René Brissaud, soumis à de très fortes pressions, sont contraints de composer. Ils doivent accepter
notamment la réduction de leur participation de 30 % à 25 % et la nomination d’un troisième
gérant à vie – ce qui nécessitera la modification des statuts en décembre 1963 – en la personne de
Roger Gaspard, ancien directeur général et président d’EDF.
Le choix est judicieux : sa nomination rassure le personnel et les cadres du groupe, qui voient en lui un Georges
rempart contre Empain et un lien fort avec EDF, très important client du groupe. Paradoxalement, elle Pompidou
satisfait également Empain car elle contribue à faire retomber les tensions. Ce qui est plus étonnant,
c’est la forme prise par cette nomination. Roger Gaspard recevra en effet une « véritable lettre de
mission » du Premier ministre Georges Pompidou, que les tenants les plus convaincus de l’antilibé-
ralisme n’oseraient même plus, aujourd’hui, solliciter ou seulement imaginer ! Le Premier ministre
lui indique en substance
qu’il lui doit sa nomination
et qu’il importe qu’il veille au
respect de l’intérêt général,
sans se soucier apparem-
ment de la loi sur les socié-
tés commerciales et de l’exis-
tence d’actionnaires privés.
Cette solution, pour le moins Conférence de presse
« étrange » en matière de du président de Gaulle
gouvernement d’entreprise au palais de l’Élysée à Paris
le 17 mai 1967,
et de management, pleine
André Malraux, Louis Joxe,
d’ambiguïtés porteuses de
Georges Pompidou,
graves malentendus po-
Michel Debré
tentiels entre l’entreprise et © Collection Roger-Viollet.

l’État, va néanmoins vivre


quelques années.

Après une tentative d’alliance avortée avec la Banque de l’Indochine, qui devait lui servir d’allié
français pour prendre le contrôle de Schneider, le groupe belge se retrouve, en 1966, actionnaire à
23 % d’une société devenue une SA classique et dont Roger Gaspard est le président. Ce dernier a
engagé, dès 1963, un vigoureux effort de modernisation et de rationalisation. Le temps des maîtres
de forges et des commandites est désormais révolu…

La situation de compromis de 1966 s’avère cependant éminemment instable. Le jeune baron


Édouard-Jean évince en effet, en 1967, de la direction d’Empain le « vieux » baron Édouard, faisant
jouer entre eux un accord dit « convention de Neuilly ». Peu satisfait de sa position minoritaire,
il cherchera à promouvoir la mise en place d’un accord triangulaire Empain-Schneider-Westin-
ghouse. Mais les pouvoirs publics français, qui veulent faire d’Alsthom le champion de l’industrie
électromécanique en France, s’y opposent, craignant l’émergence d’un concurrent trop puissant.
Nullement découragé, le jeune baron va alors réussir à nouer une nouvelle alliance avec la veuve
de Charles Schneider. En 1969, Lilian Schneider rejoint en effet le groupe belge pour provoquer
l’éviction de Roger Gaspard et le remplacer par Jean Forgeot, l’un des cadres dirigeants du groupe.
Un véritable vaudeville industriel va alors se produire pendant plusieurs mois, Roger Gaspard refusant
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 14

d’abandonner son poste et cherchant à retrouver ses fonctions par voie judiciaire. Mais les temps
Charles changent : le général de Gaulle quitte le pouvoir et Georges Pompidou se rallie à des philosophies
de Gaulle plus libérales en matière industrielle. Les pouvoirs publics français donnent finalement leur béné-
diction à la montée en puissance d’Édouard-Jean Empain, qui viendra s’installer en 1971 dans les
bureaux de Schneider, rue d’Anjou. Une page est tournée et le mariage est consommé après de
longues et difficiles fiançailles !

SPIE DEVIENT SPIE BATIGNOLLES


SPIE, devenue l’une des composantes du groupe Empain-Schneider, va désormais s’appuyer sur
les compétences de cette imposante « galaxie » industrielle dans les domaines de l’énergie et des
transports ferroviaires.

Métro de Caracas, Venezuela


archives SPIE.

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Cet adossement à Empain-Schneider va lui ouvrir, dans les décennies qui suivent, les portes du
programme nucléaire français dans les domaines des tuyauteries, du contrôle commande et de Métro
l’électricité générale, et bien sûr, du génie civil après la constitution de Spie Batignolles. Dans le de Caracas

secteur ferroviaire, cette approche intégrée permettra à SPIE et Empain-Schneider d’assurer le pi-
lotage de très grandes opérations de métros « clés en main » comme celui de Caracas. Le groupe
fera alors jeu égal avec la CGE et Alsthom au plan industriel, bénéficiant en outre des compétences
génie civil de Spie Batignolles.
Le baron Édouard-Jean Empain était convaincu de la supériorité des approches intégrées pour
la conception et la réalisation des grands projets dans les domaines du transport, de l’énergie et
de l’industrie. Curieusement, il prônait même pour son groupe une forme « d’autosuffisance »,
c’est-à-dire la capacité à réaliser seul, sans aucun apport externe, l’ensemble d’un projet. Cette
vision traduisait, sans aucun doute, une volonté de puissance comme une attirance vers les grands
contrats. La SPIE avait fondé sa prospérité et sa croissance sur ses métiers de spécialités. Elle était
entrée de façon sélective dans l’entreprise générale. Le « jeune baron » et son état-major avaient,
semble-t-il, des ambitions plus larges. Ils voulaient faire de la pluridisciplinarité le cœur du métier
de l’entité qu’ils entendaient constituer, Spie Batignolles, pour intervenir dans le monde entier.
La création de la nouvelle entreprise fut, comme on l’a vu, décidée en novembre 1967 et concrétisée
l’année suivante. Celle-ci employait 10 000 personnes et se situait au tout premier rang des sociétés
françaises du secteur avec un chiffre d’affaires total hors taxes de 702 millions de F 78, l’activité
construction issue de la SCB pesant à elle seule 191 millions de F.

78 - Soit près de 800 millions


d’€ 2010.
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« … THE CAUSES OF DESTRUCTION MULTIPLIED WITH THE EXTENT OF CONQUEST. »

E. Gibbon, Rise and fall of the Roman Empire

Le port de Sydney en Australie


archives SPIE.
La brève histoire de CITRA : une croissance non maîtrisée

LA BRÈVE HISTOIRE
DE CITRA
UNE CROISSANCE NON MAÎTRISÉE

1949-1971

L a Compagnie Industrielle de Travaux (Citra) n’existe, en tant qu’entité juridique, qu’à partir
du 20 décembre 1949, date à laquelle une assemblée générale vote l’augmentation de capital de
Schneider et Cie et la scission de ses actifs. Trois sociétés anonymes distinctes furent alors créées.
La SFAC La SFAC, Société des Forges et Ateliers du Creusot, se voit attribuer un capital de 7 milliards de F
et les actifs industriels du Creusot, du Breuil, de Chalon-sur-Saône, d’Anzin, de Saint-Étienne, etc.
La Citra, dotée d’un capital de 750 millions de F 79, reprend l’ensemble du fonds de commerce du
groupe dans le domaine des travaux publics, c’est-à-dire l’ancienne DTP. Enfin, la Société Générale
Française des Mines se voit attribuer la concession et les actifs de mines de fer.

Charles Schneider assure personnellement la présidence de la SFAC et de la Citra avec l’appui, pour
cette dernière, de Maurice Nicolas et Gérard Le Bel.

LA GUERRE Maurice Nicolas,


président de Citra
Charles Schneider donne des consignes strictes interdisant tout travail pour le compte de l’Occupant.
Il n’est donc pas question de reconstruire les infrastructures publiques détruites au début de la guerre.
Victor Bénézit, directeur de la Direction Travaux Publics des Établissements MM. Schneider & Cie,
ferme progressivement l’activité des chantiers de génie civil en France. La société transfère ses
effectifs sur le centre lyonnais puis toute activité cesse quand la zone sud est envahie en novembre
1942. Elle doit abandonner ses chantiers les plus lointains comme le port de Rosario en Argentine, 79 - Soit l’équivalent de 21 mil-
implantation ancienne et véritable symbole de l’activité travaux publics de Schneider à l’étranger. lions d’€ 2010, ce qui était élevé à
l’époque. Le capital de la SCB était à
Le Creusot voit les troupes allemandes pénétrer et occuper les usines de l’empire industriel des la même date légèrement inférieur à
Schneider et s’installer à La Verrerie, la propriété familiale. 500 millions de F.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 15

Pendant la guerre, la société maintint quelques chantiers dans les


colonies grâce à ses implantations permanentes. Le statut politique
de l’Afrique du Nord resta confus de 1940 à 1944. Schneider y tra-
vailla sous les ordres de Vichy puis sous l’autorité de la France Libre
du général de Gaulle.

LE TEMPS DE LA RECONSTRUCTION
De 1945 à 1954, Citra doit, à l’instar de ses consœurs, reconstruire
son propre outil... et la France.

Au lendemain de la guerre, ce n’est pas tant le matériel et l’outillage


que les hommes qui manquent à la firme. Elle n’en participe pas
moins aux travaux d’infrastructures tout en se modernisant. La DTP
prend sa part de réparations et de reconstructions dans ses domaines
de savoir-faire : les ponts et le génie maritime. Son chantier le plus
emblématique sera la reconstruction du port du Havre.
En 1945, le Havre est détruit Reconstruire
à plus de 80 % et son port en le port
du Havre
ruine est encombré de carcasses
de navires qui bloquent l’accès
de ses quais à la suite des bom-
bardements de la Libération. Il
demeure, pourtant, la principale
voie de communication entre la
France et les États-Unis d’Amé-
rique, l’avion entre les deux
continents n’étant encore qu’un
luxe réservé à quelques rares
privilégiés. La France devant im-
porter des denrées alimentaires
et du matériel pour redémarrer,
Le Havre et l’estuaire de la Seine
nécessitent des travaux prioritaires. En 1945, la DTP se voit confier la
gérance d’une association en participation où l’on retrouve Hersent

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et l’Entreprise Vigner & Michel-Schmidt, vieux partenaires qui ont travaillé ensemble cinquante ans Ci-contre : Le Havre, la grande
sur le chantier du port ! forme de radoub et pont de
Vienne sur le Rhône
Les travaux de reconstruction exécutés entre 1945 et 1952 par la DTP et son groupement s’élèvent (illustrations de Vecou)
archives Schneider.
en cumul à 3 200 millions de F. Il fallut reconstruire ou réparer les formes de radoub 5 et 6 et la
grande forme 7 construite entre 1920 et 1928 par la DTP. Ce caisson métallique de 60 m de largeur
sur 345 m de long, fabriqué au Creusot, pouvait accueillir des navires de 315 m de long et 38 m
de large. En 1950, la Compagnie obtint en outre, également dans le cadre d’un groupement, le
marché de reconstruction de la Gare Maritime, d’un montant, considérable pour l’époque, de
1,2 milliard de F 80. Travaux de
reconstruction

Mais la Citra ne se limita pas au domaine portuaire. Elle reconstruisit de nombreux ponts, dont celui
sur le Rhône à Vienne, doté d’un cintre central de 500 tonnes sans appuis intermédiaires, l’arche
franchissant la passe navigable ayant une portée de 108 m. La Citra fit un intense effort d’inves-
tissement dans les années d’après-guerre et celui-ci porta ses fruits : comme le signalait Charles
Schneider dans son rapport lors de l’assemblée générale ordinaire de Schneider & Cie du 27 juin 1952.
« Les résultats du Département des Travaux Publics se sont soldés constamment en perte pendant
l’Occupation, du fait que durant cette période nous n’avons accepté aucun travail pour l’ennemi.
Nous sommes heureux de vous informer que ce département contribue au contraire, cette année,
pour une part notable aux résultats que nous vous présentons. »

LE DÉVELOPPEMENT DES EXPORTATIONS


Dès 1949, les rapports de gérance signalent des reports ou des annulations de commandes décidés
par les administrations. À partir de 1951, le plan Pinay réduit très fortement les commandes passées
par les pouvoirs publics. Aussi, Citra oriente-t-elle résolument son activité vers les marchés étrangers.
Il s’agit d’un choix stratégique au niveau de la direction de Schneider. L’opinion de Charles Schneider
est claire : « Nous pensons qu’un effort devrait être entrepris pour assurer la continuité des courants
commerciaux et permettre ainsi à l’industrie française d’organiser normalement ses exportations.
Les résultats que nous avons néanmoins obtenus dans ce domaine prouvent que notre groupe ne
craint pas de prendre ses responsabilités et ses
risques sur les marchés internationaux. »
La démarche de Charles Schneider, qui dirigea Port de Belawan, Sumatra,
de fait Citra de 1949 à 1960, est originale. Alors Indonésie
archives SPIE.
que la société détenait en Afrique, et plus parti-
culièrement au Maroc et en Algérie, des positions
dominantes avant-guerre, il prend acte des consé-
quences de la décolonisation et décide de s’orien-
ter vers le monde anglo-saxon, l’Amérique du Sud
et l’Extrême-Orient. Il crée des représentations à
Londres, Montréal et Sydney et lance des missions
commerciales dans de nombreuses régions du
monde. Cette politique fut couronnée de succès
avec, notamment, l’obtention – sous l’impulsion
de Gérard Le Bel et d’André Auprince – de cinq
contrats de port en Indonésie.
Mais les deux actions les plus notables et origi-
nales furent la création d’une implantation austra-
lienne et celle de la Compagnie des Constructions 80 - Soit l’équivalent de 310 millions
Internationales (CCI). d’€ 2010.
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LA POLITIQUE AUSTRALIENNE

La mission effectuée en 1949 par le directeur général de Citra, Gérard Le Bel, fit apparaître qu’il
n’existait en Australie aucune entreprise de génie civil de taille significative, car les travaux pu-
blics étaient généralement exécutés en régie directe par les administrations. La Tasmanie signa,
la première, un contrat pour la construction d’un tunnel d’adduction d’eau d’un montant de
629 millions de F. Cette première implantation en Tasmanie ouvrit à Citra une très longue phase
de travaux en Océanie et dans la zone australe du Pacifique. Le très gros chantier des Snowy
Mountains, consistant à construire la plus grande centrale électrique souterraine australienne,
s’étala de 1954 à 1959. En 1963, la Compagnie se lança dans la promotion immobilière en
Gérard Le Bel, à droite, remet la clé
créant Anjou Developments Pty Ltd, qui effectua sa première opération : l’ensemble immobilier de
du port de Tandjunk Priok, Indonésie,
l’American Club à Sydney.
à Monsieur Abdulmutalib
archives SPIE.
De 1966 à 1972, la principale filiale à l’étranger,
tant en activité qu’en rentabilité, était la filiale aus-
tralienne : réalisant des travaux portuaires à White
Bay dans le port de Sydney en 1969, elle achevait
la même année des barrages en Nouvelle-Galles
du Sud, dont le principal, Pindari. Elle entamait,
derechef, d’autres barrages à Lidell, Carcoar et
Toonumbar et des travaux routiers importants
– échangeur routier à Perth, autoroute à Mel-
bourne. À travers un contrat signé avec les mines
d’étain de Stanhorpe en 1971, la Citra devint le
Centrale de Trewallyn, Tasmanie,
tunnel d’amenée d’eau
premier terrassier d’Australie et probablement l’un
archives SPIE. des plus grands du monde 81.

Barrage de Toonumbar,
1969-1971, Australie.
Échangeur de Perth, Australie LES GRANDS PROJETS À L’EXPORTATION : LA CCI
archives SPIE.

La Compagnie des Constructions Internationales (CCI) avait pour but de s’intéresser aux grands
marchés étrangers. Elle avait été formée par cinq entreprises : la Citra, la Société Générale d’Entre-
81 - À 9 km de Stanhorpe, en Nou- prises (SGE), la Société Française d’Entreprise de Dragage et de Travaux Publics (SFEDTP), la Société
velle-Galles du Sud, la Citra-Construc- Campenon-Bernard et la Société des Grands Travaux de Marseille (GTM). Ces sociétés entretenaient
tion passa un contrat avec la Shaw
River Alluvials pour procéder au lavage entre elles des liens de longue date : leurs dirigeants et leurs équipes se connaissaient, ayant travaillé
de 100 000 cubic yards de minerais. ensemble sur les mêmes chantiers. L’idée d’une association permanente était née en 1963 afin
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Barrage de
Serre-Ponçon

Ci-dessus : barrage de Keban


sur l’Euphrate, en Turquie
© Europimages.

Ci-contre : barrage
de Serre-Ponçon
archives SPIE.

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de servir de support commercial et juridique pour l’obtention et l’exécution de grands marchés à


l’étranger qu’aucun des cinq partenaires n’aurait pu obtenir seul. Elle offrait aux prospects un très
grand éventail de réalisations et de références et elle apportait des capacités de financement à
l’exportation. Une fois l’offre adjugée à la CCI, les entreprises devaient passer entre elles des accords
de participation pour l’exécution du contrat. Pour les sociétés, les risques étaient partagés et, par
conséquent, mieux répartis entre un plus grand nombre de projets.

La CCI était dotée d’une présidence tournante : son premier président fut, en 1965 et 1966,
M. Donnadieu de Vabres, président de Campenon-Bernard ; en 1967 et 1968, ce fut Gérard Le Bel
alors vice-président-directeur général de la Citra ; en 1969, le poste fut occupé par le président de
la SGE, Jean Matheron.

Dès 1965, les membres de la CCI, en association avec des entreprises italiennes, furent déclarés
adjudicataires des travaux du barrage du Keban, en Turquie, la première des très grandes réalisations
de la CCI. La Citra fut mandatée par la CCI pour diriger le consortium de cet énorme barrage qui
apporta à ses membres un résultat légèrement bénéficiaire.

Les succès s’accumulèrent ensuite : barrage de Tarbela (600 millions de dollars), canal de liaison de
Chasma Jhelum, au Pakistan, barrage de Shah Abbas Kebir, en Iran, centrale nucléaire de Vandellos,
en Espagne, aménagements hydroélectriques à Cabora Bassa sur le Zambèze, au Mozambique,
barrage de l’Orange Fish en Afrique du Sud, port de Damiette en Égypte… Fin 1969, le carnet de
commandes de la CCI représentait 1,5 milliard de F pour ses membres.

Usine-barrage de Seyssel
L’ACTIVITÉ FRANCE
archives Schneider.

En dépit de leurs intenses efforts à l’international, les dirigeants de Schneider


souhaitaient maintenir une forte implantation française pour éviter que l’export
ne devienne une activité dominante. Ils considéraient que l’activité France était
essentielle, « ne serait-ce que pour l’entraînement et le recrutement du personnel
d’encadrement et des spécialistes ». Cette politique raisonnable ne fut cependant
pas, comme on le verra, respectée avec suffisamment de rigueur.

BARRAGES, TUNNELS, PONTS...


82 - La Compa-
La reprise de l’activité économique observée en France dans le cou-
gnie prit l’affaire
rant de l’année 1954 met fin à deux années d’inquiétude et marque avec Fougerolle
le retour à la croissance, la Citra obtenant même plusieurs affaires qui avait déjà
d’envergure. Ainsi le barrage de Seyssel sur le Rhône, compris dans participé à la
construction
un vaste programme d’aménagement de ce fleuve comportant la de grands
construction de 13 usines et de 9 centrales. barrages, avec
Dragage Déroc-
tage Transport
Mais sa réussite la plus emblématique fut la réalisation du barrage de (DDT) qui avait
Serre-Ponçon sur la Durance. La construction d’une partie du barrage travaillé sur le
en terre nécessitait de faire appel au concours de sociétés américaines, site de Donzère-
Mondragon,
alors seules capables de bien maîtriser cette technique. Aussi Citra
avec la société
s’était-elle attachée dès le départ l’appui d’une entreprise originaire Ossude spécia-
des États-Unis. Forte de cette alliance et de son savoir-faire reconnu lisée en travaux
dans les ouvrages hydro-électriques, elle obtint l’adjudication 82 de ce de terrasse-
Port de Marseille, ments et l’UTAH
contrat en 1955. Ce chantier, qui fut un succès technique complet, contribua fortement à renforcer construction de
tunnel sous le Vieux Port
archives SPIE l’image et la réputation de la Citra. San Francisco.
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En matière de tunnels, la compagnie entre, en 1959, dans le groupement d’entreprises


qui œuvre pour la partie routière sur le site de percement du tunnel sous le Mont-
Blanc et réalise une part de la construction du tunnel sous le Vieux Port de Marseille
de 1964 à 1967. Elle réalise, également, une section souterraine du RER à Paris.
Mais la Citra fut également très active dans le domaine des ponts. Elle travailla
notamment de 1956 à 1958 à la réalisation du massif d’ancrage du pont de Tancar-
Pont de ville, qui devait supporter les efforts exercés par les câbles entre les piles distantes
Tancarville de 608 mètres de long. De taille exceptionnelle, il nécessita le coulage d’un bloc de
36 000 m3 de béton.
Une des spécificités de l’entreprise fut sa maîtrise précoce des calculs scientifiques
tridimensionnels. Pour la réalisation de ponts, domaine dans lequel la société était très
sollicitée, elle développa la technique du « pont poussé ». Construit sur les berges, le
tablier du pont est mis en place par poussées successives. La technique de précontrainte
favorisait le jaillissement d’ouvrages spectaculaires, élancés et de grande portée.

L’ASSISE RÉGIONALE
Le développement prévisible du marché français nécessitait de s’implanter durablement
Viaduc de l’Olifant’s River.
dans les départements, ce que la société mit en œuvre avec pragmatisme, comme en Al-
Chemin de fer Sishen
sace. Elle avait travaillé assez longuement dans cette région dans le cadre des Saldanha, Afrique du Sud :
grands travaux du canal d’Alsace. Elle avait ainsi créé un mises en place par poussage
noyau stable d’activité dans l’Est de la France, qui archives SPIE.

s’orienta progressivement vers des travaux lo-


caux. Cette approche fut généralisée dans
de nombreuses régions. Petit à petit,
Citra devint spécialiste des travaux
d’assainissement et d’adduction d’eau
pour les collectivités locales, permet-
tant une implantation et une activité
durable en France qu’elle filialisa sous
le nom de Citra France en 1968.

Au cours des années 60, sa filiale spé- Usine de stérilisation


cialisée en bâtiment, la SGCI, engagea des eaux de La Valette
à Toulon
une politique commerciale très active. Les © illustrations Vecou.
réalisations de celle-ci ne tardèrent pas à de-
venir considérables sur tout le territoire français :
logements, bureaux, constructions scolaires, collèges
d’enseignement technique et secondaire… La société se lan-
ça également dans la promotion immobilière, activité à laquelle la SGCI se trouvait associée pour la
réalisation des programmes. Cette croissance brutale de la filiale bâtiment inquiéta les dirigeants
de la Compagnie, qui optèrent pour son ralentissement.

LES DIVERSIFICATIONS : TRAVAUX NUCLÉAIRES,


ÉLECTRICITÉ ET ENTREPRISE GÉNÉRALE
Entreprise très classique de génie civil, avant-guerre et dans l’immédiat après-guerre, très orientée
vers les infrastructures portuaires et les barrages, Citra sut remarquablement élargir ses activités et
développer de nouvelles spécialités.

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LES TRAVAUX NUCLÉAIRES

La Citra figurait parmi les entreprises les mieux placées pour participer aux travaux de génie civil de
ce secteur en raison de son appartenance au groupe Schneider, impliqué dans le développement
de la filière nucléaire.

La construction de Marcoule, dans le Gard, fut

Framatome
le point de départ de la Compagnie dans ce
domaine. Alors que la SFAC était l’architecte
industriel, Citra exécuta de 1954 à 1959, pour
le compte du CEA, un vaste programme de
travaux : centre de production de plutonium,
étude et exécution du génie civil du réac-
teur G1, de la centrale thermique de 5 000 kW
Schneider avait noué des relations d’af- et de la cheminée d’évacuation de l’air faisant
faires avec l’américain Westinghouse dès fonction de réfrigérant. La construction de ce
1907 et ce dernier était devenu l’un des lea- type de cheminée, d’une hauteur de 100 m et
ders américains du nucléaire civil. Schnei- d’un diamètre de 10 m qui devait se généraliser
der s’était lancé dans le nucléaire au début par la suite, fut réalisée en béton précontraint
des années 1950 83. Grâce à la création, en avec l’aide de l’inventeur français, M. Freyssinet.
1958, avec Westinghouse de la Société fran- Citra fut ensuite chargée des travaux de génie
co-américaine de construction atomique civil des réacteurs G2 et G3, en association avec
(Framatome), le groupe se positionnait la SGE. Les études de réalisation des caissons
dans la technique américaine de la filière à cylindriques en béton précontraint de 20 m
eau pressurisée (le procédé PWR) alors que de diamètre extérieur, destinés à recevoir les
la France développait également la filière réacteurs, furent confiées à MM. A. Coyne et
graphite gaz à laquelle la SFAC participait J. Bellier. Les bétons soutenaient une pression
par ailleurs. Framatome donnait à Citra de 300 kg/cm2. Entre 1954 et 1959, le montant
l’appui technologique américain. des travaux réalisés s’éleva à 10 milliards de F.

La société effectua d’autres ouvrages presti-


Ci-contre : autoroute A8, gieux dans les années ultérieures : le génie civil de la pile du Centre de Saclay en 1957 puis, en
section La Paillon-La Turbiet 1963, celui de la pile « Rhapsodie » au centre d’étude de Cadarache. Elle participa aux travaux de
archives SPIE.
l’usine de retraitement de combustible nucléaire à la Hague avec GTM. Dans le domaine militaire,
Citra réalisa les silos du plateau d’Albion et contribua à l’édification de la base de sous-marins
lanceurs d’engins de l’Île longue, dans la rade de Brest.
En 1961, la Compagnie passait un accord avec Framatome et plusieurs sociétés du groupe Schneider
(la SFAC, Merlin & Gerin) ainsi qu’avec des sociétés étrangères au groupe (telles que la SPIE ou les
Forges et Ateliers de Construction Électriques de Jeumont) pour la construction de l’îlot nucléaire Essais
de la centrale de Chooz dans les Ardennes. nucléaires
français

Par ailleurs, comme la société était présente dans la zone Pacifique et jouissait d’une bonne réputa-
tion auprès des autorités du CEA, la Citra travailla à l’aménagement des centres d’essais nucléaires
du Pacifique en Polynésie française.

L’ÉLECTRICITÉ ET L’ENTREPRISE GÉNÉRALE


83 - Fourniture au Commissariat à Citra disposait d’une filiale spécialiste des travaux électriques, la CEEM – qui prit ultérieurement le
l’Énergie Atomique (CEA) d’un électro-
aimant du laboratoire de physique nom de Citrem –, dont les domaines d’activité étaient très variés, allant des bâtiments privés aux
nucléaire d’Orsay. usines, aux installations du CEA, aux lignes à haute et basse tension et à la pose des caténaires
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de la SNCF. Elle réalisait 20 % environ de son chiffre d’affaires à l’étranger


et notamment en Iran, où elle posa des centaines de kilomètres de lignes
électriques 84.
La Citra développa une activité de construction d’usines et d’ensembles in-
dustriels clés en main pour des clients français ou étrangers, en association
avec une autre filiale de Schneider, ENSA.

Le « Service Usines » géra, jusqu’en 1957, la construction des raffineries de


pétrole de Calabao et de Mataripe au Brésil. En 1958, il réalisa une unité
pour la production des détersifs à la raffinerie de Berre de la Société Shell et
une partie de la raffinerie ESSO à Ambès. Les relations orageuses entre Citra
et sa société sœur ENSA dans le cadre des contrats de raffinerie de Ploiesti
(en Roumanie) et de Chittagong (au Bangladesh) conduisirent l’entreprise à
abandonner cette activité. Elle l’apporta à une société spécialisée, Montalev,
dont elle détenait un quart du capital, à égalité avec la SGE. La coordination
stratégique au sein de Schneider semblait donc pour le moins réduite ! Le
Shell, raffinerie de Berre nouveau schéma, testé sur des usines d’engrais au Pakistan et en Iran, n’apporta pas non plus les
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résultats escomptés et Citra laissa ensuite Montalev opérer seule.

LA FIN DE L’AVENTURE DE CITRA


La Compagnie semblait avoir réussi une performance exceptionnelle : forte croissance, répartition de
l’activité entre France et export, nombreuses diversifications. Et pourtant, l’entreprise va s’effondrer
brusquement en 1970 et être absorbée, moins de 2 ans plus tard, par Spie Batignolles chargée,
par le groupe Empain-Schneider, de redresser
la situation.
Barrage à Porto Rico
Cet effondrement s’explique en premier lieu par
sur le Rio de la Plata
archives SPIE. les contrats export. Déjà, au cours des années
50, la Compagnie avait rencontré de graves
problèmes sur le contrat d’extension du port
de Calauba, au Sri Lanka. Cette affaire, qui mit
plus de 10 ans à se résoudre, généra de lourdes
pertes et rendit nécessaire l’appui financier de
Schneider. À l’inverse, il convient de noter que
la rentabilité de certaines activités, et notam-
ment celles liées au domaine nucléaire, était
très élevée.

À la fin des années 60, une série d’affaires diffi-


ciles précipitèrent la chute de la Compagnie. Le Rivière
barrage de Keban entraînait des difficultés de Awash
trésorerie. Les contrats de la station de Porto Rico et du barrage de San Juan furent très déficitaires
84 - Elle intervint également en Libye, et la société enregistra de très lourdes pertes sur le chantier du barrage d’Awash en Éthiopie. La
en Corée du Sud, en Arabie Saoudite construction de deux aménagements hydroélectriques sur la rivière Awash, sous contrat FIDIC, fut
et en Mauritanie.
en effet affectée par la défaillance de l’ingénieur-conseil allemand et par celle d’un sous-traitant
85 - La culture de Citra était celle
d’une grande maison qui ne cherchait italien auquel la Compagnie avait confié les compléments de génie civil. Citra ne put surmonter
pas à optimiser la gestion contractuelle cette difficulté majeure, qui s’ajoutait aux autres problèmes de réclamations à l’export 85. Par ailleurs,
de ses projets. Dans un marché de la rentabilité des opérations françaises, dans un marché très concurrentiel, n’était pas suffisante
plus en plus concurrentiel, avec des
marges faibles, cette culture s’avéra pour compenser ces pertes, d’autant que les événements de 1968, mal maîtrisés par Citra, avaient
très pénalisante. contribué à dégrader encore la situation de l’entreprise sur le marché national.
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On s’aperçut alors que le colosse qui s’était constitué en 20 ans avait des pieds d’argile !

Le groupe Empain-Schneider, nouvellement constitué n’avait pas le choix : il devait assurer le re-
dressement de Citra. Il fit donc procéder à son absorption par Spie Batignolles en septembre 1972.
En 1970, deux nouveaux administrateurs issus d’Empain étaient entrés au conseil de Citra, René Engen
et René Berthon. Dès la fin de 1971, une mise en commun des services fonctionnels et techniques
de Citra et de Spie Batignolles dans le domaine du génie civil et du bâtiment est organisée sur le site
du nouveau siège social de la Compagnie à Vélizy. Maurice Nicolas démissionne de ses fonctions à la
présidence de Citra en 1971 au profit de René Berthon. Ce dernier déclare alors : « J’ai pris la prési-
dence de Citra à un moment critique de son histoire puisque l’exercice 1970 de Citra et de ses filiales
SGCI et Citrem a été très défi-
citaire et que 1971, malgré les
dispositions déjà prises, sera
encore mauvais (…). Est-ce à
dire que nous devons déses-
pérer ? Je n’aurais pas accepté
la présidence si je n’avais pas
pensé que la situation pouvait
être redressée… Nous avons
de bonnes équipes ; notre
réputation est intacte ; nous
entretenons d’excellentes
relations avec de nombreux Séminaire des délégués
maîtres d’ouvrages... Nous commerciaux à l’étranger
devons, tout d’abord, réduire en 1970. En position 1, 2, 3
notre chiffre d’affaires, qui a et 4 : MM. Collantoni, Nicolas,
crû trop rapidement, pour le Le Bel et Auprince
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1 2 3 4 mettre en harmonie avec nos
ressources financières. »

BILAN STRATÉGIQUE DE CITRA :


UNE CROISSANCE NON MAÎTRISÉE
UNE CROISSANCE TROP RAPIDE
L’absence de données comptables consolidées, alors que la société opérait pour une large part à
travers d’importantes filiales, rend difficile l’appréciation de sa croissance. Les éléments dont nous
disposons permettent, néanmoins, de préciser les grandes lignes de son évolution.
En 1951, l’augmentation du chiffre d’affaires de la Citra fut de 50 % par rapport à l’année précé-
dente, de 36 % en 1952 et de 10 % en 1953. De 1955 à 1958, trois années de croissance forte
suivies de 1959 à 1961 par une récession ; de 1962 à 1964, une croissance retrouvée du chiffre
d’affaires corrélative à celle du développement du marché français. De 1963 à 1965, la Compagnie
a multiplié par 1,62 son chiffre d’affaires, qui passe de 220 à 337 millions de F.

De 1966 à 1971, la Citra connut une très vive croissance à l’étranger et en France. Pourtant, les
dirigeants dénonçaient le niveau aberrant des prix ainsi que le découpage excessif des chantiers
en lots trop restreints pratiqué sur le marché national. La multiplication de petites adjudications
résultait d’une politique délibérée de l’administration qui ne servait personne. Elle empêchait les
entreprises innovatrices de mettre en jeu leurs solutions originales : toutes subissaient les consé-
quences des prix bas.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 15

Quelque peu affolé par l’accélération de la croissance de la Compagnie, le nouveau président de


Roger
Gaspard
Schneider, Roger Gaspard, déclara : « Le maintien d’un tel rythme d’expansion dans le contexte d’une
conjoncture marquée par la dépression du niveau des prix sous l’effet d’une concurrence très vive
risquant de poser à brefs délais des problèmes de financement, les consignes données pour 1966
tendent moins à la recherche d’un nouvel accroissement du volume d’activité qu’à l’amélioration
de la productivité par une meilleure gestion des chantiers. »
La croissance de l’activité France et de l’export à partir de la France fut en conséquence quelque
peu freinée. En revanche, le chiffre d’affaires des filiales et implantations d’Outre-mer augmenta
vivement. Le chiffre d’affaires total de Citra croissait donc toujours très rapidement puisqu’il était
de 540 millions en 1965 et atteignait 901 millions en 1969, puis 1 milliard environ à la veille de la
fusion avec SPIE, fin 1971.
De 1963 à 1971, le chiffre d’affaires fut donc multiplié par 8, ce qui correspond à un taux annuel
moyen de croissance proche de 30 % l’an.

UNE ACTIVITÉ « TOUS AZIMUTS »


La Compagnie Industrielle de Travaux effectua en 1963, 1964 et 1965 la moitié de son chiffre d’affaires
hors de France, la zone franc représentant entre 25 et 40 % de l’international. La part très significa-
tive des affaires de la Citra à l’étranger hors zone franc démontrait la capacité, rare à l’époque, de
l’entreprise à trouver ses marques sur des marchés peu accueillants pour les entreprises françaises.

Mais ceci impliquait en même temps une prise de risques significative. Lorsque la progression de
l’activité France fut freinée à partir de 1966, la croissance des filiales étrangères, comme on l’a vu,
prit le relais. De ce fait, la Citra accrut la proportion de son chiffre d’affaires dans les secteurs à
risques, éloignés du siège et donc plus difficiles à contrôler. La sélectivité dans le choix des zones
d’action commerciale et des affaires suivies fut manifestement insuffisante.

UNE STRUCTURE FINANCIÈRE INADAPTÉE


D’une manière générale, le groupe Schneider était sous-capitalisé. Affaibli et appauvri par la guerre,
le groupe, qui avait tenu à garder son caractère familial, ne sut ni redresser ses marges, ni attirer
des capitaux pour financer son expansion.
La branche Travaux n’échappait pas à ce manque de fonds propres. Le capital était resté constant
sur la période 1954-1964, en dépit de la croissance. En 1964, il fut porté à 21 millions de F, ce qui
était encore raisonnable puisque représentant 7 à 8 % du chiffre d’affaires. En 1970, pour soutenir
l’effort de sa filiale à l’exportation, l’actionnaire porta le capital à 32 millions de F, montant qui,
compte tenu du niveau d’activité, paraît notoirement insuffisant – 3 % à 4 % du chiffre d’affaires.
Cette constatation est corroborée par le niveau très élevé de l’endettement, qui représentait 3 fois
les fonds propres en 1970.

DES MARGES INSUFFISANTES ET DES RISQUES CROISSANTS


SE TRADUISANT PAR UNE PERFORMANCE FINANCIÈRE
DÉSASTREUSE
Là encore, l’absence de données comptables consolidées rend délicate l’appréciation de la rentabilité
86 - On notera à titre anecdotique de Citra. Les éléments connus concernent les comptes sociaux de la société.
que le compte rendu de l’AGO relatif Celle-ci réalisa de très bonnes performances financières au début des années 50, mais très vite la
à l’exercice 1956 ne précise pas le situation se dégrada, et pendant sept exercices : de 1952 à 1958, elle ne distribua aucun dividende,
montant de la perte ! Ceci étant, on
constate que le report reste à nouveau les résultats étant très médiocres. Le résultat élevé de 1957 ne doit pas faire illusion, car il faisait
négatif à l’issue de l’exercice suivant. suite à une perte encore plus importante réalisée durant l’exercice précédent 86.
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La brève histoire de CITRA : une croissance non maîtrisée

Résultat net 87 1952 1953 1954 1955 1956 1957


En millions de F 0,8 11,7 2,3 1,3 déficit 177,3
courants
En millions d'€ 2010 – 0,2 – – déficit 3,3

Citra est donc bien loin d’égaler les performances de la Direction des Travaux Publics de Victor
Bénézit avant la guerre.
À partir de 1959, la situation semble s’améliorer et la société va distribuer des dividendes pendant Porto Rico
10 années, mais compte tenu de la croissance extrêmement rapide, et donc insuffisamment sé-
lective, les marges sont réduites : le résultat net ne représentait que 0,4 % du chiffre d’affaires en
1968. La prise en compte des pertes subies sur les affaires de Porto Rico et d’Awash provoquèrent
ensuite une descente aux enfers.

L’annexe 18 résume le bilan financier de l’aventure Citra, en comparant en euros 2002 les capitaux
investis et les dividendes perçus. Il apparaît comme désastreux pour Schneider, même en l’absence
de toute actualisation : 45,6 millions d’€ 2002 investis, 19,9 millions de dividendes distribués. En
outre, la valeur finale de la société étant négative – les pertes enregistrées en 1970 et 1971 étaient
supérieures aux fonds propres –, le bilan financier est encore aggravé puisque Spie Batignolles dut
prendre en charge les déficits.

UN MANQUE DE RIGUEUR DANS LA GESTION DU GROUPE


Au plan commercial, le groupe Schneider apporta sans doute beaucoup à Citra qui, sans l’appui
de sa société mère, n’aurait pu réaliser une croissance aussi rapide. Sa percée dans le génie civil des
projets nucléaires est évidemment liée aux positions de Schneider dans ce secteur et, en particulier,
à son alliance avec Westinghouse.
La Compagnie assurait le génie civil associé au montage des grosses pièces d’ensembles mécaniques
ou hydro-électriques construits par la SFAC, sa société sœur, ce qui contribua à élargir son activité
internationale. Elle était également régulièrement associée à l’ENSA, société d’ingénierie du groupe
Schneider, dans le montage des ensembles industriels.

Citra avait apparemment réussi, en 20 ans, une remarquable mutation. Société précédemment
spécialisée dans le génie civil des grandes infrastructures, elle s’était diversifiée dans les travaux
routiers, l’électricité, le montage mécanique, l’entreprise générale et avait développé, en France, un
réseau régional de bâtiment et de petit génie civil. Elle était également présente dans le domaine
des concessions : la société de Financement, de Construction et d’Exploitation de Parcs de Station-
nement, 53 % aux mains de Citra, avait pour objet de monter des opérations de parkings dans la
capitale. À l’international, Citra avait mené une politique originale qui lui avait permis de prendre
des positions fortes en Australie et en Extrême-Orient.
87 - Source : comptes rendus d’AGO,
archives Schneider.
Elle apparaissait donc logiquement comme une entreprise puissante et performante aux yeux de 88 - Elles se répartissaient en trois
ses concurrents et à ceux des équipes d’Empain, qui cherchaient alors à prendre le contrôle de branches dans le domaine industriel :
mécanique et électricité, BTP, sidé-
Schneider. Mais derrière ces apparences se cachaient des faiblesses ou des insuffisances rédhibi- rurgie et usines. Par ailleurs, dans le
toires, insuffisances qu’on pouvait également déceler au niveau de la société mère. Les activités de domaine financier, Schneider possédait
Schneider étaient de fait très hétérogènes et relevaient d’une multitude de sociétés 88. L’organisation la banque de l’Union Européenne,
qui était devenue l’une des premières
mise en place en 1949 devait en principe assurer la cohérence du groupe. Selon les déclarations
banques d’affaires de la place finan-
de ses dirigeants : « Cette organisation, tout en maintenant à l’ensemble l’efficacité d’action et cière de Paris sous l’impulsion d’Albert
la souplesse de fonctionnement nécessaires » permet à Schneider et Cie « de se consacrer plus de Boissieu et de Jean Terray.
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librement aux tâches de coordination et de promotion des activités des sociétés du groupe sur les
CITRA
plans financier, industriel et commercial. »

En réalité, la direction centrale du groupe se révéla extrêmement légère et ténue, les dirigeants des
filiales constituant plus un club d’amis qu’un véritable comité exécutif attaché à définir et à mettre
en place des stratégies cohérentes pour l’ensemble des secteurs du groupe. Le siège de Schneider
manquait sans doute de ressources en hommes et en capitaux, mais peut-être plus encore de
volonté de définir un grand dessein et d’en maîtriser l’exécution. En fait, le manque de directives
fermes du siège et l’absence de procédures fiables de contrôle des engagements et des réalisations
autorisèrent des dérives stratégiques et financières majeures.
La stratégie d’expansion se mua en fait en aventurisme débridé et la Citra n’y survécut pas. En
quelques années, un demi-siècle de progrès et de patients efforts furent anéantis... Il revint à Spie
Batignolles d’en recueillir l’héritage.

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« DEMAIN NE SERA PAS COMME HIER. IL SERA NOUVEAU ET IL DÉPENDRA DE NOUS.
IL EST MOINS À DÉCOUVRIR QU’À INVENTER. »

Gaston Berger

Caténaires du TGV Atlantique


© studio Pons.
Bâtir une entreprise pluridisciplinaire à vocation mondiale

BÂTIR UNE
PLURIDISCIPLINAIRE À VOCATION
ENTREPRISE
MONDIALE
LES ANNÉES 1968-1982

I nventer un nouveau modèle d’entreprise intégrant des compétences de


construction, d’électricité, d’ingénierie pour aborder de grands contrats
pluridisciplinaires n’était pas un mince défi. Spie Batignolles bénéficia, à la
fin de la décennie, d’une conjoncture favorable à son projet mais dut au
préalable régler les problèmes stratégiques et financiers de Citra.

UN LEADER EUROPÉEN
La fusion SPIE-SCB avait donné naissance à Spie Batignolles, l’un des leaders
français du BTP. L’absorption de Citra, en 1972, va propulser Spie Batignolles
au rang des leaders européens. Elle va aussi amputer sa croissance durant
trois années, le temps nécessaire pour assainir les comptes.

Le Groupe réalisait un chiffre d’affaires de 2 milliards de F en 1972 et réu-


nissait plus de 16 000 personnes. Spie Batignolles constituait un élément
essentiel du groupe Empain-Schneider et ses dirigeants s’autorisaient à
déclarer : « Spie Batignolles est gérée avec des objectifs industriels en tant
qu’élément d’une intégration verticale au sein du groupe Empain-Schnei-
der. » Les réalisations en entreprise générale pouvaient s’opérer depuis
la conception du projet jusqu’à la livraison clés en main de l’ouvrage au
client. René Berthon ajoutait : « Le Groupe Spie Batignolles peut main-
tenant accéder, par sa taille, aux plus grands contrats mondiaux faisant
appel aux techniques les plus avancées dans ses spécialités. La diversité de
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La place de Spie Batignolles dans le classe- ses implantations et la taille de ses contrats, en France, en particulier, lui assurent une
ment des premières entreprises européennes stabilité plus grande que jamais. »
de travaux publics
(par leur chiffre d’affaires TTC, après absorption de Citra ; Dans sa définition du profil de Spie Batignolles, René Berthon fixe un triple objectif :
chiffres exprimés en millions de francs en 1972 89)
avoir une solide base française d’activités, bénéficier d’implantations géographiques qui
Holzmann 2 800 garantissent un lissage du chiffre d’affaires et avoir accès aux grands contrats interna-
Hochtief 2 500 tionaux en mettant en œuvre des techniques sophistiquées.
Spie Batignolles 2 100
Strabag 1 700 L’INTÉGRATION DE CITRA
John Laing 1 400
L’apport de Citra était loin d’être négligeable : en France, l’intégration des activités régio-
Costain 1 300 nales de génie civil de Citra France dans celles de Spie Batignolles renforça les positions
Bovis Holding 1 200 du Groupe. La fusion des filiales bâtiment SGCI et COTRABA fut plus problématique
Taylor Woodrow 1 200 et plus longue à se matérialiser du fait de leur concurrence exacerbée. Elles furent, en
définitive, absorbées par Citra France. Citrem apporta dans le domaine électrique ses
positions dans l’industriel et en particulier dans la métallurgie, ainsi que quelques parts
de marchés complémentaires dans les domaines des caténaires et des lignes THT. Enfin, les activités
de concession – autoroutes AREA et parkings – furent regroupées avec celles de Spie Batignolles
et formèrent ainsi un ensemble important.

À l’international, Citra disposait d’une multiplicité d’agences et d’implantations réparties sur la


planète 90, qui allaient être un support efficace pour le développement de Spie Batignolles dans
nombre de pays. L’apport majeur de la Compagnie Industrielle de Travaux était cependant situé
en Océanie, notamment avec les filiales australiennes. Du point de vue géographique, la fusion se
traduisait par une complémentarité étonnante des implantations.

Dans le domaine des grands projets, Citra apportait ses compétences de bureau d’études, ses
capacités de management et de réalisation de très grandes opérations, sa participation à la CCI,
ses liens avec les activités industrielles de Schneider et avec sa filiale ingénierie ENSA, qui deviendra
Océanie Creusot Loire Entreprises (CLE).

L’apport de Citra posait, en revanche, des problèmes non négligeables : il fallait la redresser et
« réduire la voilure », comme le soulignait René Berthon dans une interview au journal d’entreprise
Rencontres peu après l’opération. Par ailleurs, la fusion apparaissait comme délicate en raison des
différences culturelles fortes entre les deux entités. La césure entre les équipes ex-Citra et les équipes
89 - In P. Danon et M. Karako - ex-Société de Construction des Batignolles dans le domaine du génie civil international dura de
Croissance et concentration dans le longues années avant de disparaître au début des années 80.
bâtiment en 1970, t. 2, ministère de
l’Environnement et du cadre de vie,
1978, p. 75. Il s’agit, pour Spie Bati- UNE VOLONTÉ DE RÉÉQUILIBRER
gnolles, du chiffre d’affaires consolidé. LE PORTEFEUILLE D’ACTIVITÉS
90 - Notamment au Maroc (depuis
1907), en Algérie (depuis 1927), en
Autriche (depuis 1950), en Uruguay L’absorption de Citra faisait de Spie Batignolles une société à dominante génie civil et bâtiment,
avec la Saceem (depuis 1951), en alors que ses succès antérieurs et sa rentabilité provenaient d’abord des activités électricité, pétrole/
Indonésie (depuis 1956), en Polynésie gaz et entreprise générale. Les dirigeants du Groupe, conscients de cette évolution, cherchèrent
et dans les Caraïbes (depuis 1964), en
Thaïlande (depuis 1965), en Turquie
à rétablir un équilibre entre le génie civil et les autres activités, soit par croissance interne, soit par
(depuis 1966), enfin en Nouvelle-Calé- croissance externe.
donie (depuis 1968).
91 - Rattachées respectivement à Cette volonté de rééquilibrage stratégique conduisait donc assez naturellement à une organisation
Paul Royer, Henri Lacoste, Georges de
Buffévent, Claude Coppin et Jacques par métier – génie civil et bâtiment, entreprise générale, pipeline, électricité générale, électricité
Hébrard. régionale 91 – qui facilitait la recherche et la mise en œuvre des opérations de renforcement des
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secteurs prioritaires. La dissémination des sièges des différentes activités en région parisienne – Pa-
ris puis Puteaux, Levallois, Vélizy, Clichy, Orly et Marolles principalement – rendait toutefois plus
complexe la coordination du nouvel ensemble.

LE RENFORCEMENT
DES ACTIVITÉS ÉLECTRIQUES
La volonté de rééquilibrage passait d’abord par le renforcement du Département Électricité Gé-
nérale (DEG) 92, placé sous l’autorité de Claude Coppin. Rassemblant tous les moyens d’études et
de réalisation, il devint le pôle de compétence du Groupe en ce domaine et fut systématiquement
associé aux activités pluridisciplinaires des autres filiales ou secteurs d’activité : entreprise générale
92 - Il comprenait PEI (Postes, Électri-
bien évidemment, génie civil pour les barrages ou les aéroports, projets de pipelines… Cette par- cité Industrielle, Instrumentation), les
ticipation à des grands projets fut bénéfique en terme d’image, de références et de savoir-faire, et activités lignes THT et caténaires et la
permit ainsi au Département Électricité Générale d’accéder aux grands projets de pétrole, pétro- filiale CITREM venant de Citra.
93 - En Iran, avec des contrats de
chimie et activités à process, soit seul, soit en association ou en sous-traitance des grandes sociétés lignes THT développées par Citrem,
d’ingénierie telles CLE, Technip, Heurtey, Foster Wheeler, Litwin, Bechtel. de postes et stations de pompage, au
Maroc avec la naissance de la filiale
Élecam, en Côte-d’Ivoire, au Came-
À l’étranger, dans le cadre de la politique de développement menée par l’entreprise – qui amènera roun, au Venezuela et en Uruguay.
Spie Batignolles à obtenir en 1977 l’Oscar de l’Exportation –, le Département Électricité Générale 94 - SPIE réalisait au centre d’essais
renforça ses positions dans de nombreux pays 93 et créa des départements électriques à côté des EDF des Renardières, en coopération
avec Merlin Gerin, les montages des-
implantations des autres divisions (Australie, avec l’électrification des chemins de fer du Queens- tinés aux tests de très haute tension
land, Afrique du Sud, Abu Dhabi, Indonésie, etc.). Cette période vit également les premiers succès (1 000 KV).
européens en Espagne, en Belgique et en Russie, par exemple. 95 - Dans le cadre du groupement
France Technique qui rassemblait, pour
En France, les équipes du DEG purent bénéficier de marchés porteurs : investissements d’EDF 94,
la réalisation des sous-ensembles élec-
grandes infrastructures de transport ou de l’industrie. Trois secteurs, par essence pluridisciplinaires, tromécaniques, SPIE et CGEE. Il s’avéra
méritent une mention particulière : les aéroports, le ferroviaire et le nucléaire. très rentable pour les électriciens.

Aéroport de Bagdad, Irak


LES AÉROPORTS archives SPIE.

Le Département Électricité Gé-


nérale (DEG) intervint, bien sûr,
à Orly et Roissy, mais également
à l’international. Les électriciens
participèrent au contrat de l’aé-
roport de Damas, dirigé par la
SCB, et qui se termina au début
des années 1970 95. Il y eut, éga-
lement, l’aéroport de Goma au
URSS Zaïre, réalisé par une association
Spie Batignolles-Dumez. En URSS,
les équipes du Département Élec-
tricité Générale surent développer
des techniques innovantes en ma-
tière « d’hydrant systems », ins-
tallations d’approvisionnement en
kérosène des avions par des ré-
seaux de canalisations raccordés à
un terminal de stockage, qu’elles
avaient testées en France, à Orly
puis à Roissy. Elles exécutèrent,
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de ce fait, une série de projets à Moscou-Cheremetchevo, Tachkent,


Novossibirsk, etc.
À Abu Dhabi, le DEG réalisa, associé à CGEE-Alsthom et Aéroport de Pa-
ris, le « power-complex » de l’aéroport. Il intervint ultérieurement dans les
domaines électricité et génie climatique sur l’aéroport de Bagdad, projet
piloté par les équipes de génie civil du Groupe associé à Fougerolle ainsi
que sur l’aéroport du Caire : installation électrique et hydrant system.

LES MÉTROS
Ce domaine était fondamental pour Spie Batignolles car il per-
mettait de faire jouer sa pluridisciplinarité et ses synergies avec
Schneider.

En France, le Département Électricité Générale, historiquement


lié au Métro de Paris, eut en permanence une activité importante
auprès de la RATP.
Les lancements quasi simultanés des appels d’offres pour les
métros de Lyon et de Marseille apportèrent des opportunités
majeures mais attirèrent des rivalités internes ! Les activités élec-
Métro de Lyon
triques étaient en effet confrontées au traditionnel problème
d’interface entre activités de spécialités et activités régionales. Il
fallut trancher. À Lyon, l’opération fut confiée à l’organisation
régionale. En revanche, à Marseille, où la société ne disposait
pas d’implantations fortes, le DEG fédéra un certain nombre
d’entreprises locales qui rejoignirent Spie Batignolles et Jeumont
Métro de Marseille Schneider dans un groupement dont SGTE assurait le pilotage et qui fut déclaré adjudicataire. Le
© studio Pons.
projet fut réalisé à la satisfaction du client, la SOMICA, puisque après le tronçon initial de la ligne 1,
il chargea Spie Batignolles des extensions et de l’autre ligne.

Claude Coppin
Ce polytechnicien, ingénieur du Trindel qui montera progressivement en puis-
Génie Maritime, entré en 1971 sance.
au moment de l’absorption Claude Coppin a fortement contribué à l’essor
de Citrem (travaux électriques de ces activités, transformant ainsi progressi-
et mécaniques), prend tout vement Spie Batignolles en un groupe à domi-
d’abord en charge l’électricité nante électrique.
et le nucléaire du Groupe, qu’il Son aptitude à la gestion, à la négociation de
développe dans deux axes : contrats et ses capacités stratégiques font
• axe spécialités, avec le Dépar- qu’après son départ en retraite en 1991, il est
tement Électricité Générale, puis rappelé par Didier Pineau-Valencienne pour
avec les activités de projets de la DEN (Division prendre la présidence en février 1992, au mo-
Électricité et Nucléaire) ment où le Groupe traverse les pires difficul-
• axe régional avec les activités régionales tés. Il accepte, non sans courage, et reste pré-
électriques de Spie Batignolles, puis avec Spie sident de Spie Batignolles jusqu’en 1995.

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La région PACA offrit ainsi à Spie Batignolles l’opportunité de poursuivre la tradition des grands
projets de métros initiée au début du siècle.
À l’étranger, le DEG fut partie prenante – seul ou en association – dans la réalisation des métros de
Santiago au Chili, de Rio et de Belo Horizonte au Brésil.
Le groupe Empain-Schneider pouvait traiter dans le domaine ferroviaire d’égal à égal avec son
grand rival, la Compagnie Générale d’Électricité. Comme la CGE, il était producteur de matériel
roulant et disposait de capacités d’ingénierie et d’installations d’infrastructures caténaires et voies.
Mais Spie Batignolles bénéficiait en plus de ses moyens propres pour la réalisation du génie civil
qui, dans certaines affaires clés en main, fut intégré dans les projets. Pour maximiser les chances de
réussite de l’industrie nationale et bénéficier du plein appui des autorités françaises en matière de Métro de Belo Horizonte, Brésil
archives SPIE.
soutien politique et de mise à disposition de financements, les deux groupes décidèrent de s’allier.
Les années 1970 virent donc la constitution de deux groupements français d’installations de métros
à l’exportation, Frameca (voir encadré ci-dessous) et Interinfra, dans lesquels Spie Batignolles jouera
un rôle essentiel, soit en direct, soit à travers sa filiale d’ingénierie SGTE.

Frameca
Spie Batignolles et sa filiale ingénierie La participation de Spie Batignolles incluait
SGTE ont organisé, en 1976, le groupement le pilotage du groupement français à travers
FRAMECA 96 qui devait remporter deux an- SGTE, ainsi qu’une partie des travaux de

et
nées plus tard l’appel d’offres international voie ferrée et d’électrification.
relatif à la réalisation clés en main du Métro Au fil des années, FRAMECA a obtenu six
de Caracas. La première tranche fut mise en contrats relatifs à des extensions qui ont été

le Métro
service en 1983. lancées entre 1985 et 1994, le chiffre d’af-
faires cumulé de FRAMECA repré-
sentant 15,5 milliards de F, dont

de
environ un tiers pour le groupe
SPIE. D’autres extensions sont en
négociation ou à l’étude.
En dehors du premier contrat,
toutes les études d’avant-projet
ont été réalisées par la SGTE.
Le Métro de Caracas a d’emblée
Caracas
connu un très grand succès et les
Caraqueños se le sont approprié,
en faisant un modèle d’ordre, de
sécurité et de gestion. La rela-
tion entre l’exploitant CAMC et
le concepteur-constructeur FRA-
MECA s’est toujours inscrite dans
la continuité au plan humain, ce
qui a beaucoup contribué à l’ex-
cellence de la relation commer-
ciale constatée pendant plus de
30 ans.

96 - France Métro Caracas.

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Métro du Caire
Philippe Guignard, © Xipe Totec, archives SPIE.

Le groupement Interinfra, créé dans un second temps, sera adjudi-


cataire de deux grands marchés de métros clés en main avec une
forte composante génie civil, au Caire et à Athènes, qui débuteront
dans les années 1980.

Dans ces projets de métro, un homme a joué un rôle essentiel,


Maurice Cancelloni.

Maurice Cancelloni
Polytechnicien, ingénieur des du Métro de Caracas, le contrat de la ligne 1 du
Ponts et Chaussées, Maurice métro. Il sut, à cette occasion, fédérer toutes
Cancelloni entre chez Spie Ba- les compétences du Groupe et convaincre son
tignolles en 1970. Directement client de traiter globalement l’ensemble de
rattaché au président René l’opération.
Berthon, il prend la direction Nommé président de Spie Batignolles Bâti-
générale ou la présidence de ments et Travaux Publics en 1980, il fut directe-
plusieurs sociétés du Groupe ment impliqué dans la réalisation de très gros
telles que CERCI, de 1973 à projets comme l’aéroport de Bagdad en Irak,
1975. Il assure en outre le pilo- le barrage de la Vueltosa au Venezuela ou la
tage complet de grandes opéra- raffinerie de Port Harcourt au Nigeria.
tions en France et à l’internatio- Maurice Cancelloni prit également la prési-
97 - Framatome, Framateg, Alsthom, nal et mène d’importantes négociations, telle dence de Sogeparc (1982-1985) et celle d’In-
SPIE. celle de la concession des autoroutes alpines terinfra (1985-1990). À la fin des années 80,
98 - (en p. 173) On rappelle que (AREA). il participa de façon active à l’élaboration
Thermatome était une filiale commune
de l’accord relatif au litige des centrales nu-
à Spie Batignolles, Merlin Gerin et
Jeumont Schneider. Elle connaissait, à Il est directeur général de la SGTE lorsque FRA- cléaires d’Iran pour le compte du groupement
côté de sa spécialité dans le nucléaire, MECA, qu’elle pilote, signe avec la Compagnie français 97, ce qui permit à Spie Batignolles de
une forte activité dans le domaine des libérer d’importantes provisions.
centrales thermiques : Bouchain, La
Maxe, Porcheville et les deux centrales
de 600 MW Cordemais et Aramon.
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LE PROGRAMME NUCLÉAIRE Le parc nucléaire


français d’EDF
© médiathèque EDF.
Les investissements français dans le domaine nucléaire
permettront, eux aussi, de faire jouer des synergies
entre Empain-Schneider et Spie Batignolles, tout en
mettant en évidence le caractère pluridisciplinaire de
cette dernière qui interviendra dans de nombreux
secteurs :
• en génie civil sur certaines centrales,
• sur la totalité des tuyauteries primaires et sur la
moitié, environ, des tuyauteries secondaires,
• sur la totalité des contrôles commandes des îlots
nucléaires et sur la moitié des installations électriques
générales des îlots conventionnels, via Thermatome 98
Programme et le groupement qu’elle pilotait,
électro-
nucléaire
• sur une partie des installations électriques diverses
français (éclairage, bâtiments annexes).

EDF sut mettre en place une véritable politique de partenariat avec tous les acteurs engagés dans
le programme nucléaire, ce qui permit de le mener à bien dans les délais prévus.

LE DÉVELOPPEMENT DANS LES DOMAINES


DU PÉTROLE / GAZ ET DE L’INGÉNIERIE
Spie Batignolles avait bénéficié dans les années 60 des grands projets d’exploitations gazières et
pétrolières au Sahara et des investissements considérables réalisés dans le domaine des raffine-
ries et de l’industrie pétrochimique. Cependant, en raison de l’évolution politique de l’Algérie et
du ralentissement inévitable des grands programmes d’investissements en France, le secteur du
pétrole/gaz et l’ingénierie ne pouvaient plus jouer le rôle de moteur de la croissance qui avait été Pose de pipeline en Colombie
archives SPIE.
le sien durant la décennie précédente. Dans ces conditions, pour conforter
leurs positions dans ces secteurs, les dirigeants de Spie Batignolles n’eurent
d’autre choix que de procéder à des acquisitions stratégiques afin d’accélérer
le rééquilibrage du portefeuille d’activités vers l’électromécanique et l’entre-
prise générale. Dans ce cadre, les deux principales opérations furent l’achat
de Capag et de Speichim.

L’Entreprise Moderne de Canalisations Pétrolifères, Aquifères et Gazières,


qui devint Capag, était née en 1938 de l’initiative d’un homme, Louis Du-
catel, ingénieur animé d’un très grand dynamisme. D’abord vouée à la pose
de canalisations pour sociétés de distribution d’eau, de gaz et de pétrole
en France, Capag, de plus en plus active sur les chantiers internationaux
et dans les grands projets, fut amenée à rechercher l’appui d’un groupe
important. C’est ainsi qu’en 1977, Spie Capag, réunissant les compétences
de ses deux sociétés d’origine, devenait l’un des leaders mondiaux dans la
pose des pipelines.
En 1978, la Société pour l’Équipement des Industries Chimiques, Speichim,
ingénieriste de process industriels, principalement présent dans la chimie et
l’agrochimie, est acquise par Spie Batignolles à 50,5 %. Le chiffre d’affaires
de Speichim s’élève alors à 422 MF. L’activité de la société est en quasi-to-
talité consacrée à l’exportation : usines d’encre, d’engrais, d’alcools indus-
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Le « choc pétrolier » de 1973 incite le gou- Les acteurs du monde secret du nucléaire fran-
Le premier vernement à équiper la France d’un parc de çais, sans doute férus d’histoire, choisirent la
choc pétrolier
centrales nucléaires et EDF lance en consé- date symbole du 4 août pour régler leurs diffé-
quence la même année un programme dit CP1 rends… et se répartir les privilèges.
de 12 tranches rigoureusement identiques
de 900 MW selon la filière PWR dont Empain- Dans « Schneider, l’histoire en force », Tristan
Schneider détient la licence, sur les sites de de la Broise et Felix Torres rapportent comment
Tricastin, Gravelines et Dampierre. Jacques Dollois, directeur industriel du groupe
Ce programme devait être suivi d’un autre pro- Empain-Schneider, découvre au hasard d’une
gramme dit CP2, selon la filière eau bouillante visite impromptue, le 2 août 1975, une agitation
(BWR), que développait la Compagnie Générale fébrile dans les couloirs du siège du groupe, à
d’Électricité (CGE) et dont les deux premières une période où habituellement le silence et le
tranches devaient être installées à Chinon. calme sont de rigueur.
Mais au printemps 1975, Alsthom, filiale de la
CGE, qui avait reçu à ce titre commande de huit Sa surprise est plus grande encore lorsqu’il
tranches, réalise son incapacité à tenir ses en- constate qu’elle est provoquée par les allées
gagements. La situation est d’autant plus déli- et venues des dirigeants de la CGE et de ses
cate pour la CGE que le CEA signe, le 10 juillet, filiales tenant un véritable conclave avec leurs
un mémorandum d’accord avec Creusot-Loire homologues de Creusot-Loire, Jeumont Schnei-
et Framatome prévoyant son entrée dans le ca- der et Framatome. Jacques Dollois parviendra à
pital de cette dernière, et devient de ce fait un joindre les dirigeants du groupe non encore pré-
allié pour le groupe Empain-Schneider. venus, et notamment ceux de Spie Batignolles,
pour les associer aux discussions en cours.
Mais c’est compter
sans Ambroise Roux,
Centrale nucléaire de Chooz
© EDF. président de la CGE,
qui maîtrise mieux que
quiconque les arcanes
du pouvoir politico-in-
dustriel. Ce qui était
un échec se transforme
en retrait stratégique,
avec la bénédiction des
pouvoirs publics tout
acquis à la défense du
champion désigné de la
construction électrique
et électromécanique en
France.

Le programme nucléaire fran


et la nuit du 4 août 1975
Bâtir une entreprise pluridisciplinaire à vocation mondiale

Au terme de deux jours et deux nuits d’intenses Empain-Schneider et, il faut le souligner, excep-
discussions, un accord sera signé le 4 août 1975 tionnellement bénéfiques pour Thermatome :
et avalisé par un comité interministériel le 6 elle eut la charge, seule, de réaliser la totalité
août. René Engen, directeur général d’Empain- de tous les contrôles commandes des îlots
Schneider, n’était pas présent, Jacques Dollois nucléaires des programmes successifs d’EDF
déclarant ignorer si cette absence était délibé- (900 MW, 1 300 MW) et des centrales réalisées
rée ou non ! à l’exportation avec Framatome – Koeberg en
Cet accord sera complété en 1976 par des Afrique du Sud, Daya Bay et Lingao en Chine,
conventions additionnelles dites « accords du Uljine en Corée du Sud – malgré les multiples
11 novembre » – lorsqu’on est dans l’histoire, tentatives du groupement concurrent (CGEE
il est important d’y rester. L’ensemble de ces Alsthom) de remettre en cause cet acquis. Ther-
accords, conclus avec la bénédiction de l’État, matome put ainsi se placer par la suite sur l’im-
conduisait à une rationalisation des ressources portant programme de maintenance qui suivit
d’Empain-Schneider et de la CGE et au partage la réalisation.
du rôle et des compétences des deux groupes Les accords complémentaires dans l’hydraulique
en ce domaine, dans le respect de leurs inté- de novembre 1976 permirent à Thermatome
rêts respectifs, sans oublier, bien sûr, l’intérêt de développer derrière Creusot-Loire Neyrpric
national, si cher aux fonctionnaires et hommes et sa filiale brésilienne Mecanica Pesada une
politiques arbitres de ces grandes manœuvres forte activité grâce à l’important programme de
très caractéristiques de la culture économique centrales hydrauliques dans ce pays (Tucurui,
française ! Balbina…), et au département Électricité
Les conséquences de ces accords furent globa- Générale de SPIE de participer à la réalisation
lement positives pour les sociétés du groupe des contrôles commandes au sein d’une société
commune avec CGEE :
Hydroexport.
Centrale nucléaire
de Daya Bay, Chine
© G. Liesse.

nçais
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triels, etc. Elle vient sensiblement renforcer les capacités du Groupe dans les activités « process ».
Spie Batignolles, entreprise générale, et Speichim vont pouvoir réaliser des ensembles intégrés.
Speichim étendra par la suite ses activités au traitement et l’élimination des effluents industriels.
Au travers de cette nouvelle filiale, Spie Batignolles a affirmé sa présence en Chine et en URSS,
où elle a accumulé des succès commerciaux pendant plus d’une décennie.

Usine d’alcools gras


supérieurs à Oufa, URSS
archives SPIE.

LA GRANDE TRADITION DU GÉNIE CIVIL EXPORT


La volonté de rééquilibrage vers l’électricité, l’électromécanique et l’ingénierie ne conduit cependant
pas les dirigeants du Groupe à négliger le secteur essentiel de la construction.

Devenue avec l’absorption de Citra une puissante société de génie civil, Spie Batignolles poursuit
donc sa politique de grande exportation, appuyée sur un réseau de filiales et d’implantations locales
qu’elle continue à développer.

DES IMPLANTATIONS SANS CESSE PLUS NOMBREUSES


Entre 1974 et 1977, Spie Batignolles crée deux filiales au Maroc : Citram, spécialisée dans le génie
Gresik
civil, et Elecam, spécialisée dans les travaux d’électricité et d’adduction d’eau. En 1974 également,
le Groupe, qui avait déjà réalisé des ponts en Malaisie, crée BINA Citra. Spie Batignolles s’était
implantée un an auparavant en Indonésie : là aussi, les travaux exécutés relevaient, bien sûr, du
génie civil – pas moins de six ports et des barrages furent réalisés – mais également des activités
d’entreprise générale industrielle, avec l’usine d’engrais de Gresik.

En 1976, la filiale brésilienne de Spie Batignolles, fondée en 1934, absorbe la Guaiba Obras Publicas,
donnant naissance à la BGOP dont les activités s’étendent au génie civil, à la route, aux bâtiments
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Aqaba
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industriels et à l’électricité (lignes et caténaires). Le Groupe crée également DIT Spie au


Venezuela, filiale spécialisée dans le montage électromécanique. Et bien évidemment, comme
à toutes les périodes de son histoire, Spie Batignolles va participer, au cours des années 1970,
Usine d’engrais d’Aqaba, à un grand chantier de génie civil emblématique : le Transgabonais (voir encadré ci-contre).
Jordanie, inaugurée en 1982
par le roi Hussein (à gauche) BILAN ÉCONOMIQUE ET FINANCIER 1968-1982
en présence de Georges
de Buffévent (à droite) UN MARCHÉ TRÈS PORTEUR À PARTIR DE 1976
archives SPIE.

L’inflation élevée de la période donne l’illusion d’une très forte croissance. En fait, celle-ci reste
faible de 1968 à 1976, la progression de l’activité provenant essentiellement de l’absorption de
Citra en 1972 (voir annexe 19).

La croissance devient vigoureuse à partir de 1976, après la crise pétrolière qui a généré une abon-
dance de pétrodollars. Même si l’on déduit du chiffre d’affaires total celui des principales acquisi-
tions 99, la progression reste très significative : près de 10 % l’an en volume de 1976 à 1982, ce qui
confirme le caractère très porteur des marchés de Spie Batignolles durant cette période, principa- Pétrodollar
lement à l’exportation, comme le met en évidence l’annexe 20. Le pourcentage d’activité export,
voisin de 40 % en 1968, croît jusqu’en 1981 – il atteint alors 64,7 % avec le développement des
grands contrats. À cette date, l’international représente près des deux tiers du chiffre d’affaires,
les grands chantiers pluridisciplinaires contribuant pour plus d’un quart à l’activité totale au début
des années 1980.

L’annexe 20 montre, en outre, que le rééquilibrage recherché en faveur de l’électricité s’est effecti-
vement matérialisé. La part de ce secteur passe en effet de 30 % au début des années 70 à 44 %
au début des années 80.

L’ensemble des activités électromécaniques (électricité, entreprise générale, pétrole-gaz) représente


en fin de période près des deux tiers de l’activité.

DES MARGES EN PROGRÈS, MAIS QUI RESTENT MODESTES

99 - Incluant Speichim, Capag et Trin- Les marges vont d’abord décroître, conséquence de l’intégration de Citra et des difficultés ren-
del acquise durant l’année charnière contrées sur un contrat en Algérie avec la Sonatrach qui nécessite la constitution de provisions
1982, celle où René Berthon cède la importantes en 1971 et 1972. La rentabilité s’améliore ensuite de façon sensible, portée par la
présidence à Georges de Buffévent.
L’acquisition de Trindel est analysée au croissance et la conjoncture favorable à l’exportation (cf. annexe 19).
chapitre 18.
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En présence de monsieur Jacques Chirac, Pre- Le chantier fut complètement


mier ministre de la République française, le arrêté lors du choc pétrolier de
président de la République gabonaise, son 1974 et dut par la suite réduire
Excellence Omar Bongo, a procédé, le 30 sep- plusieurs fois sa cadence. Mal-
tembre 1986, à l’inauguration du deuxième gré ces vicissitudes, le Trans-
tronçon du Transgabonais et de l’ensemble de gabonais fut terminé à la date
la voie ferrée qui, sur une distance de 648 km, prévue.
relie Libreville, la capitale, à Franceville. L’ampleur de ces travaux avait
L’aventure du chemin de fer transgabonais a justifié la création d’un grou-
débuté en octobre 1974 et s’est déroulée en pement d’entreprises, Euro-
deux étapes : 1974-1983 liaison ferroviaire Li- trag, constitué de 19 sociétés
breville-Booué, 1983-1986 liaison ferroviaire européennes, piloté par Spie
Booué-Franceville. Batignolles qui assurait aussi
L’œuvre à entreprendre était gigantesque : il la direction des travaux tandis
s’agissait d’implanter en plein cœur du Gabon que la société Dragages pre-
(280 000 km2, 1 million d’habitants) un chemin nait en charge la direction ad-
de fer à voie normale, capable de supporter ministrative et financière.
des trains minéraliers. Compte tenu du Malgré les difficultés d’adap-
contexte géographique, relief particulièrement tation au climat, aux condi-
accidenté et forêt équatoriale dense, les tions de vie, à l’isolement
moyens à mobiliser, tant humains et matériels géographique, des milliers de
que financiers, étaient énormes, et la logistique personnes de nationalités dif-
mise en place, du fait de l’étendue et de la férentes (Gabonais, Français,
mobilité de ce chantier linéaire, était tout à fait Italiens, Hollandais, Belges,
exceptionnelle. Allemands, Anglais) ont contri-
Il s’agissait d’abord bué, dans un esprit d’équipe
et avant tout d’un remarquable, au plein succès
terrassement géant de cette réalisation.
qui rassemblait la plus
forte concentration
d’engins de chantier
au monde conduits par
4 000 ouvriers. Il fallait
approvisionner 40 000
personnes par jour sur
les bases vie, compte
tenu de la présence
des familles ! Le Transgabonais
archives SPIE.

Le chemin de fer Le Trans-


gabonais

transgabonais 178
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La progression des marges est surtout significative en fin de période, quand Spie Batignolles com-
mence à engranger les profits de ses grands contrats bénéficiaires et, en particulier, ceux de Koe-
berg et Sasol en Afrique du Sud. Mais celles-ci, en dépit de leur amélioration, restent modestes et
représentent 1,2 % du chiffre d’affaires en 1981. En outre, la rentabilité s’avère insuffisante pour
assurer le financement de la croissance. Spie Batignolles dut en effet réaliser quatre augmentations
de capital, en 1971, 1975, 1979 et 1982.

UNE STRATÉGIE BIEN MENÉE, MAIS QUI ENGENDRE


UNE CERTAINE FRAGILITÉ FINANCIÈRE
René Berthon et son équipe ont réalisé de 1968 à 1982 l’essentiel des objectifs stratégiques qu’ils
s’étaient fixés et, en particulier, le rééquilibrage vers l’électromécanique et le développement d’une
activité de grands projets pluridisciplinaires. La valeur de la société progressera d’ailleurs de façon
spectaculaire durant cette période.
Mais en privilégiant la croissance au détriment des marges, et en axant sa stratégie sur les grands
contrats par essence non récurrents, Spie Batignolles s’est rendue quelque peu vulnérable.

PARMI LES RECORDS DE SPIE (cf. annexe 22)


Citra : tunnel du Mont-Blanc (1965)
> le plus long tunnel routier sans puits de ventilation (11,6 km).

Spie Batignolles : route du littoral, île de la Réunion (1975)


> le plus long mur de soutènement en terre armée (11 km)
> la plus importante surface de mur de soutènement en terre armée (75 000 m2).

Spie Batignolles : voie ferrée Sishen-Saldanha, Afrique du Sud (1976)


> la plus importante longueur de voie ferrée posée en un jour (6 458 m).

Spie Batignolles : aménagement hydraulique Arc-Isère (1978)


> la plus grande galerie de chute d’eau (19 000 m en 5,80 m de diamètre) pour une aussi forte section.

Spie Batignolles : ligne 500 kV de Salto Grande en Uruguay (1983)


> déroulage sous tension mécanique

Spie Capag : Riyad, Arabie Saoudite (1982)


> la plus puissante installation de pompage pour une canalisation d’eau potable (430 MW et 830 000 m3/jour).

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Le 6 octobre 1973, jour de la fête juive du Kip- absorbés aisément par les pays industrialisés.
pour et en plein mois de ramadan, le président Ils provoquèrent un net ralentissement de leurs
égyptien Anouar Al Sadate déclenche une of- économies – avec une régression de la produc-
fensive armée contre Israël. Ses blindés tra- tion industrielle en 1974 – ainsi qu’une forte
versent le Canal de Suez, percent les lignes augmentation du chômage et de l’inflation.
israéliennes et ses troupes pénètrent profon- Les pays industrialisés réagirent en mettant sur
dément dans le Sinaï, tandis qu’au nord les pied des politiques visant à réduire la consom-
Syriens avancent de plusieurs kilomètres sur le mation de pétrole, tout en recherchant des
plateau du Golan. Mais les généraux israéliens sources alternatives d’énergie – c’est dans ce
vont bientôt réagir et lancer une contre-attaque contexte que fut lancé le programme français
victorieuse. de construction de centrales nucléaires. Ils
Depuis plusieurs années déjà, les pays s’engagèrent par ailleurs dans un vigoureux
exportateurs de pétrole regroupés au sein effort d’exportation d’équipements et de ser-
de l’OPEP cherchaient à imposer une hausse vices vers les pays producteurs de pétrole. Les
du prix du baril aux grandes compagnies banques recyclèrent une part non négligeable
internationales. Le succès militaire israélien va des excédents financiers disponibles vers les
jouer un rôle de catalyseur sur la politique de pays en voie de développement.
l’OPEP. Elle décide, sous la pression des pays Spie Batignolles, si elle souffrit de la conjonc-
arabes, d’utiliser l’arme du pétrole pour frapper ture économique morose sur son marché inté-
les économies occidentales et récupérer une rieur, bénéficia en revanche de la position du
part beaucoup plus importante de la manne groupe Schneider dans le domaine nucléaire,
pétrolière. et sut se développer avec détermination sur les
Dès le 18 octobre 1973 elle double les prix et nouveaux marchés de l’exportation.
réduit de 5 % la production. Le prix du « Saudi Mais le second choc pétrolier du début des an-
Arab light » va passer de 2,6 US $ en septembre nées 80 finit par créer une situation de crise
1973 à 11,7 US $ en mars 1974. Il se stabilise à généralisée dans l’économie mondiale. Celle-ci
ce niveau pendant 5 ans, puis s’envole à nou- se doubla d’une crise financière, des capitaux
veau du fait de la révolution iranienne et de considérables ayant été investis à mauvais es-
la guerre Irak/Iran qui provoquent une forte cient dans des projets non rentables. Les pays
réduction des exportations de ces deux pays. emprunteurs se trouvèrent ainsi placés dans
Le prix du baril dépassera 35 US $ en 1981 et une situation de banqueroute financière.
restera proche de 30 US $ pendant 5 ans. Dans ce contexte les prix du baril s’effondrè-
On peut mesurer l’importance des consé- rent en 1987 et les grands marchés internatio- Crise
quences financières de cette crise pétrolière. naux accessibles aux entreprises européennes pétrolière
Par rapport au début de la décennie 1970, c’est de construction se tarirent. en 1973
un flux supplémentaire de 200 milliards de dol-
lars par an qui vient alimenter les caisses des
pays de l’OPEP au début des années 80. De tels
transferts ne pouvaient évidemment pas être

La crise pétrolière
de 1973 180
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« BUT THE DECLINE OF ROME WAS THE NATURAL AND INEVITABLE EFFECT
OF IMMODERATE GREATNESS. »

E. Gibbon, The Decline and Fall of the Roman Empire

Schéma simplifié du contrôle du groupe Empain-Schneider


source : Schneider, l’histoire en force.
La chute de la maison Empain… Grandeur et décadence au Creusot…

LA CHUTE DE LA MAISON
EMPAIN…
GRANDEUR
ET DÉCADENCE AU CREUSOT…

LA CHUTE DE LA MAISON EMPAIN


Le baron Jean, fils du général baron Édouard, fondateur du groupe, n’eut pas la tâche facile lorsqu’il
prit le pouvoir en 1929. Confronté à la crise, puis à la guerre, il parvint néanmoins à maintenir l’unité
du groupe en le réorganisant et en le restructurant autour du holding Électrorail.

Mais l’empire des barons belges, constitué au hasard des initiatives souvent géniales de son fondateur,
était à vrai dire quelque peu hétéroclite dans ses implantations et dans ses activités. De Charleroi
à Léopoldville en passant par Paris et Héliopolis en Égypte, de la mécanique à l’électricité et aux
mines en passant par la production d’énergie, les concessions de transport urbain et l’immobilier,
il manquait d’unité et de principes directeurs dans son architecture. Lorsque le baron Jean disparaît Nasser
prématurément en 1946, son fils Édouard-Jean, successeur désigné, n’a que 9 ans. C’est donc au
baron Édouard, neveu du fondateur, qu’un conseil de gérance confie la présidence du groupe. Il
confortera son pouvoir en épousant la veuve du baron Jean 100.

Dès sa prise de pouvoir, le baron Édouard est confronté à de graves problèmes. La guerre a fortement
affecté la rentabilité du groupe et, dès 1946, les activités de production d’électricité en France et
Indépendance
le métro de Paris sont nationalisés. L’un des atouts majeurs du groupe disparaît donc, car l’intégra- du Congo
tion verticale (fabrication d’équipements, ingénierie, installation, exploitation) constituait un point belge
fort pour Empain et lui avait permis de mieux résister à la crise des années 30. En 1956, Nasser
séquestre, après l’affaire de Suez, les avoirs belges en Égypte. En 1960, le Congo belge accède à
l’indépendance. Des pans entiers du groupe sont perdus et, avec eux, les bénéfices récurrents qu’ils
dégageaient. Le groupe Empain se recentre alors sur la France, avec notamment ses fleurons SPIE
et Jeumont. Mais il ne parviendra pas à reconstituer son potentiel bénéficiaire. Les activités belges, 100 - Voir annexe 11, généalogie
et notamment les Ateliers de Constructions Électriques de Charleroi (ACEC), s’épuisent dans des simplifiée de la famille Empain.
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projets de développement très coûteux et risqués qui dépassent leurs capacités réelles. Des pertes
apparaissent et la rentabilité baisse. Les membres de la famille continuent, néanmoins, à gérer leurs
rapports selon des procédures royales en élaborant des « conventions » qui portent les noms de
leur lieu de signature !

Ainsi, le « jeune » baron Édouard-Jean évince le « vieux » baron Édouard en 1967 en application
d’une de ces conventions, celle dite « de Neuilly ». Les dirigeants belges du groupe qui s’inquiétaient,
en effet, de l’immobilisme grandissant du président, poussèrent alors le jeune héritier à prendre le
pouvoir. Ses initiatives et son affrontement avec Schneider et les autorités françaises provoquèrent
des mouvements salutaires organisationnels et stratégiques. Il sut faire preuve de patience, atten-
dant son heure, pour faire basculer les alliances au sein du conseil d’administration de Schneider.
Mais cette habile manœuvre, qui lui permit de prendre le pouvoir et donna au monde extérieur
l’illusion que la puissance des Empain était intacte, fut, en fait, le dernier mouvement offensif du
groupe. Le jeune baron ne sut ou ne put ultérieurement exercer le pouvoir. La maison Empain,
financièrement affaiblie, s’avérait en effet incapable de mobiliser les fonds nécessaires à la conduite
d’affaires industrielles d’envergure.
Son organigramme juridico-financier, d’une incroyable complexité, permettait à ses actionnaires
ultimes, en l’occurrence les barons Édouard-Jean et Édouard, de maintenir leur pouvoir en engageant
un minimum de capitaux. Schneider et Spie Batignolles y figuraient comme des filiales de énième
rang, noyées au milieu d’une kyrielle de sociétés. Mais l’opacité du dispositif de contrôle actionnarial
constituait évidemment un obstacle rédhibitoire à la recherche de capitaux frais.

L’extrême variété des activités du groupe – illustrée par le diagramme de la page 185 – lui donnait le
caractère d’un conglomérat aux orientations stratégiques confuses. La fragilité qui en résultait était
encore accentuée par l’existence d’arrangements peu satisfaisants auxquels ses dirigeants avaient
dû se résoudre au fil du temps. Ainsi, en 1969, Édouard-Jean Empain avait accepté un contrôle
50/50 du nouvel ensemble sidérurgique issu du rapprochement, sur l’initiative des pouvoirs publics,
de la SFAC (groupe Schneider) et de CAFL (contrôlé par le holding Marine-Firminy appartenant
aux de Wendel). Ce partage du pouvoir avec une direction générale bicéphale était à l’évidence
inefficace. Empain-Schneider tenta de rompre l’équilibre en lançant une offensive boursière en
1973-74. Mais celle-ci échoua.

La fin est proche… Plus intéressés par les jeux financiers, ventes et achats de participations, que
par la gestion quotidienne des actifs industriels, les « maires du palais » laissent « l’empire » se
féodaliser. Tout n’est pas négatif au demeurant. Spie Batignolles réalise des performances hono-
rables. Merlin Gerin est à la veille d’une étonnante aventure industrielle. La réussite de Framatome
est unanimement saluée et reconnue. Mais dans les secteurs de la sidérurgie, de la métallurgie et
de la mécanique, les pertes structurelles se creusent...

Édouard-Jean Empain s’adonne désormais à d’autres formes de jeu, qui le conduiront à quitter
la rubrique financière des journaux pour entrer dans celle des faits divers 101. Dérive d’un homme,
dérive d’un groupe... La valeur boursière s’effondre. En 1981, un groupe d’investisseurs composé
L’enlèvement principalement de Paribas et d’AXA rachète à Édouard-Jean Empain sa participation dans le groupe
d’É-J Empain
pour quelques dizaines de millions de francs et l’évince de la direction. Il charge Didier Pineau-
Valencienne d’une mission écrasante : redresser le groupe et le relancer. Vaste programme, qui
donnera lieu à un remarquable mouvement stratégique aboutissant à la création d’un groupe
leader mondial dans le domaine du matériel électrique basse tension. Mais avant d’en arriver là,
Didier Pineau-Valencienne devra d’abord s’intéresser à « l’homme malade » du groupe Schneider,
101 - Édouard-Jean Empain fut enlevé
et séquestré suite à des dettes de jeu Creusot-Loire.
non honorées.
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DU JOUET

CHIMIE
PUBLICITÉ
NAUTISME-TOURISME
LOISIRS

Principaux intérêts du groupe Empain-Schneider :


• au centre : sociétés gérées ou co-gérées
• à l’extérieur : sociétés dans lesquelles le groupe partage une influence importante
• ou filiales gérées par une participation co-gérée
• en italique : participation importante
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 17

GRANDEUR ET DÉCADENCE AU CREUSOT

Quand Didier Pineau-Valencienne ouvrit le dossier Creusot-Loire, il s’attendait à une situation grave...
Il la trouva désespérée. Le plus surprenant sans doute était la myopie collective, pour ne pas dire
l’aveuglement de l’équipe dirigeante qui, plutôt que de remettre en cause ses dogmes, ses habitudes
et ses privilèges, marchait sereinement vers le désastre, indifférente aux évolutions économiques
et à la dure réalité des chiffres. Elle avait trouvé un moyen très efficace pour y échapper : ne pas
les connaître, et un autre tout aussi simple : les nier, quand il lui fallait néanmoins y faire face.
Didier Pineau-Valencienne, dans ses souvenirs, cite une anecdote édifiante à cet égard. Lorsque
Creusot-Loire dégagea en 1981 un résultat positif de 41 millions de F après 4 années de déficit,
Philippe Boulin, son directeur général, fit paraître un article dans Valeurs Actuelles dont le titre était
« Creusot-Loire redressé ». Mais il oublia de souligner deux points essentiels : le résultat positif
provenait en fait d’un profit exceptionnel sur un apport d’actif pour 334 millions de F et de la prise
en compte des premiers bénéfices significatifs de Framatome (374 millions de F en 1981 contre 16
millions de F en 1980). Or, Schneider, compte tenu de la structure du capital de Framatome, n’avait
pas le contrôle de l’emploi des bénéfices de cette société.

En réalité, la crise était profonde et irréversible dans les secteurs en déclin, avec des volumes en
baisse et des marges qui s’effondraient... Les diagnostics se multiplient et confirment, hélas, les
impressions premières : la situation est dramatique ; les restructurations industrielles à engager
et les besoins de financement qu’elles nécessitent sont considérables. Dans un contexte où la
quasi-totalité des dirigeants de Creusot-Loire s’étaient voilé la face devant l’ampleur du désastre
imminent, la révélation des problèmes dans toute leur étendue ne pouvait qu’engendrer conflits
et malentendus. Philippe Boulin doit démissionner, « l’establishment » industriel proteste puis
cherche à investir la place, les pouvoirs publics ne savent plus qui croire ni à quel saint se vouer.
La négociation qui sera menée pendant plus d’un an peut paraître quelque peu surprenante avec
le recul du temps et les motivations des décideurs politiques bien incertaines et difficiles à appré-
hender. Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’histoire de Creusot-Loire se termina tristement
L’affaire
par une liquidation de biens. Creusot-Loire
à la Une
CHRONOLOGIE DE L’AFFAIRE CREUSOT-LOIRE
> 1981 avril Remise du premier audit Arthur Andersen.
Premières craintes sur la santé de Creusot-Loire.
> 1982 avril Forte dégradation des comptes de Creusot-Loire, annonce du sinistre
de Phoenix Steel aux États-Unis.
14 juin Philippe Boulin est nommé président de Creusot-Loire.
septembre Olivier Bès de Berc est nommé administrateur directeur général
de Creusot-Loire.
novembre Remise du second audit Arthur Andersen.
décembre Philippe Boulin abandonne la présidence de Creusot-Loire.
> 1983 1er janvier Le nouveau président de Creusot-Loire, Didier Pineau-Valencienne,
entame l’inventaire économique approfondi de l’entreprise.
6 janvier Remise du rapport de Bossard Consultants.
janvier/février « Mise à plat » de Creusot-Loire, qui fait apparaître
une forte détérioration des comptes de l’entreprise mettant en cause
son équilibre structurel de financement.
22 mars Première des notes et des courriers alertant les pouvoirs publics
sur les problèmes de fond de Creusot-Loire, qui l’amènent au bord
du dépôt de bilan.
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La chute de la maison Empain… Grandeur et décadence au Creusot…

3 juin Engagement du Premier ministre, Pierre Mauroy, suivi le 8 juin


par une lettre de Laurent Fabius, ministre de l’Industrie : les discussions
et réunions de travail pour sauver Creusot-Loire débutent.
7 et 23 août Schneider avance un plan de financement de Creusot-Loire,
estimé à près de 7 milliards de F, fournis pour moitié par le groupe,
pour moitié par les banques et les pouvoirs publics.
septembre Les banques rejettent, à l’instigation de la direction du Trésor
et du ministère de l’Industrie, le plan de financement élaboré
par Schneider.
30 septembre Lettre de Pierre Mauroy fixant un nouveau cadre de discussions
du point de vue des pouvoirs publics.
9/10 novembre Discussions avec les pouvoirs publics prévoyant le transfert des activités
sidérurgiques, quelques cessions d’actifs de Creusot-Loire et une série
de prêts bancaires jugés insatisfaisants par Schneider.
fin novembre Schneider confie à Roger Schulz mission d’établir un plan de sauvetage
réaliste de Creusot-Loire.
> 1984 22 mars Remise du rapport Schulz, dit « plan de restructuration industrielle »
(dont Louis Schweitzer, directeur de cabinet de Laurent Fabius, a reçu
les conclusions dès le 15 février).
25 avril Demande de suspension provisoire des poursuites (SPP) auprès
du Tribunal de commerce de Paris.
14 mai Acceptation de la SPP et désignation de deux conseillers, MM. Gonon
et Charpentier, chargés d’aider Creusot-Loire à élaborer un plan
de redressement.
22 mai Les deux conseillers formulent des propositions, acceptées par
Creusot-Loire le lendemain, mais rejetées par les pouvoirs publics.
31 mai/1 juin Rencontres entre Jean Peyrelevade, Gérard Worms et Jean Deflassieux ;
er

le premier propose, au nom du groupe Suez, une prise de contrôle


à 51 % du groupe Empain-Schneider.
8 juin Réunion des grandes banques de la Place afin d’étudier les modalités
d’une prise de contrôle de Jeumont-Industrie.
13 juin Demande de conversion de la SPP en règlement judiciaire.
24 juin Les pouvoirs publics, représentés par Louis Schweitzer, avancent
un nouveau protocole d’accord, en 12 points, incluant la prise
de contrôle de Creusot-Loire et de Schneider par des banques
nationalisées et des prises de participation dans Jeumont-Schneider,
Merlin Gerin et Spie Batignolles, accepté par Didier Pineau-Valencienne.
27 juin Le Tribunal de commerce examine la proposition de prise de contrôle
du groupe Empain-Schneider faite le 24 juin.
28 juin 10 h - 13 h10 : mise au point définitive d’un accord dans les bureaux
du président du Tribunal de commerce, Jacques Bon, en présence
de René Berthon, Didier Pineau-Valencienne, Jacques Dechin
et Louis Schweitzer.
16 h : envoi comme prévu d’un projet de protocole par Didier Pineau-
Valencienne à Louis Schweitzer.
17 h : Louis Schweitzer demande, par téléphone, des modifications
de détail qui sont acceptées.
19 h 45 : Louis Schweitzer indique, au téléphone, qu’il n’y a pas eu
de rencontre ce jour-là.
20 h : intervention du ministre de l’Industrie, Laurent Fabius,
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 17

sur Antenne 2, qui annonce et justifie, ou tente de le faire, la fin


des négociations menées depuis plus d’un an. Arrêt de mort
pour Creusot-Loire. Il appartient, désormais, au Tribunal de commerce
d’en organiser la liquidation.
19 juillet Le conseil d’administration de Creusot-Loire donne sa démission ;
un administrateur provisoire, Maître Hubert Lafont, sera nommé
le 26 juillet.
12 décembre Le Tribunal de commerce prononce la liquidation des biens
de Creusot-Loire.
13 décembre Lancement d’une enquête préliminaire par le Tribunal de commerce
de Paris sur la qualité de « dirigeants de fait » des dirigeants
de Schneider et de la Compagnie financière de Creusot-Loire.
Un collège d’experts composé de Bernard Tricot, Félix Thorin
et Paul Didier est nommé.
> 1985 4 janvier Transaction entre Creusot-Loire et Framatome qui rachète sa créance
sur la première pour 805 millions de F.
> 1986 10 juin Remise du « rapport Tricot » composé de 361 pages et de 400 pages
d’annexes.
24 juillet Sur la base des conclusions, le Tribunal de commerce de Paris rejette
la demande en qualification de « dirigeants de fait » introduite fin
1984. « L’affaire Creusot-Loire » est close.

Crise de la sidérurgie,
manifestation des syndicats
© Corbis, tous droits réservés.

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La chute de la maison Empain… Grandeur et décadence au Creusot…

LA SOLITUDE DE SPIE BATIGNOLLES

La restructuration industrielle et financière d’Empain-Schneider entamée en 1981 par Didier Pineau-


Valenciennes va se poursuivre pendant plusieurs années. Le groupe, recapitalisé par ses nouveaux
actionnaires, prend le nom de Schneider. Spie Batignolles est une de ses filiales. Celle-ci, toujours
cotée en bourse, reste contrôlée majoritairement par Schneider.

La liquidation de Creusot-Loire se traduit pour Schneider par le départ immédiat de Framatome,


qui en était la filiale. Celle-ci recompose son actionnariat, dans lequel on retrouvera l’État et la
Compagnie Générale d’Électricité (CGE).
Peu après, il apparaît clairement que Jeumont-Schneider ne sera pas en mesure de survivre à la
disparition de sa société sœur, Creusot-Loire. Seule, elle n’a plus en effet la taille critique pour me-
ner une politique efficace à l’échelon mondial dans ses domaines traditionnels du ferroviaire et de
l’énergie. Ces activités seront vendues par « appartements », pour l’essentiel à Alsthom.

Pour Spie Batignolles, les conséquences de ces évolutions furent considérables. L’idée d’une stratégie
intégrée dans les domaines de l’énergie nucléaire et du transport ferroviaire perdait son sens et
Spie Batignolles se retrouvait très affaibli face à ses concurrents et partenaires du groupe Alsthom,
devenu hégémonique. Bien sûr, les dirigeants de Schneider continuaient à inclure, dans la définition
du profil du groupe, les activités d’entreprise et s’enorgueillissaient, le cas échéant, des réalisations
prestigieuses de leur filiale. Mais chacun, dans les équipes de Spie Batignolles, ressentait le carac-
tère artificiel de cette situation : le fossé culturel et l’écart entre les préoccupations opérationnelles
grandissaient de manière irréversible. La séparation à venir était écrite sur le « grand rouleau ». La
crise qui secoua Spie Batignolles au début de la décennie 1990 en hâta le déroulement.

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« BÂTIR DES CHÂTEAUX EN ESPAGNE NE COÛTE RIEN,
MAIS LEUR DESTRUCTION EST TRÈS COÛTEUSE. »

François Mauriac

Raffinerie de Port Harcourt, Nigeria


archives SPIE.
« Notre chantier : le monde »

« NOTRE CHANTIER :
LE MONDE »

LES ANNÉES 1980

L es années 80 furent marquées à la fois par de grands desseins et par de grandes désillusions.
Le slogan « Notre chantier : le monde », qui fut adopté à cette époque, illustre bien ce que fut alors
le projet d’entreprise de Spie Batignolles. Le pari était de se différencier des concurrents grâce à la
multiplicité des compétences apportées aux clients – pluridisciplinarité – et par la capacité à gérer
des grands projets dans toutes les régions du monde et dans des environnements parfois difficiles
voire hostiles.

Portée par une conjoncture favorable et forte de l’appui de Schneider, sa société mère, Spie Bati-
gnolles va, à la fin des années 70 et au début des années 80, décrocher de très gros contrats sur
tous les continents.

L’AVENTURE DES GRANDS CONTRATS


PLURIDISCIPLINAIRES
René Berthon et Paul Royer abandonnent la direction générale du Groupe en 1982, Georges de
Buffévent devenant président-directeur général de Spie Batignolles. Sans apporter de modification
fondamentale à l’organisation du Groupe, il la clarifie autour de quatre grands pôles : Direction du
génie civil, Direction électricité, Direction ingénierie et entreprises générales, Direction pétrole et
canalisations. Son évolution jusqu’en 1991 est retracée en annexe 21.

Georges de Buffévent poursuit la mise en œuvre de la stratégie imaginée par René Berthon et les
dirigeants d’Empain-Schneider qui fut, dans un premier temps, couronnée de succès et permit la
réalisation d’une série de très grands contrats pluridisciplinaires : centrales nucléaires, barrages,
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 18

Georges de Buffévent
Georges de Buffévent, poly- Le secteur électrique va répondre aux at-
technicien et ingénieur des tentes : en prospérant tout au long des années
Ponts et Chaussées, a 44 ans 1980, il contribuera à renforcer et à consolider
lorsqu’il prend la présidence le Groupe. L’entrée dans la promotion immo-
de Spie Batignolles en 1982, bilière et de loisirs, et certaines acquisitions
succédant à René Berthon. étrangères telle Comstock aux États-Unis, se
Précédemment directeur gé- révèleront en revanche être des initiatives
néral de Spie Capag (1977- malheureuses.
1982), il a ainsi acquis l’expé- La situation financière de Spie Batignolles, par
rience des grands chantiers ailleurs affaiblie sous le poids de quelques
internationaux. litiges importants sur de grands contrats, va
Sans remettre en cause l’or- donc se dégrader fortement à la fin de la dé-
ganisation, il accentue néan- cennie, ce qui entraînera son départ de la pré-
moins la décentralisation de sidence en 1992.
la gestion des unités opéra- C’est Georges de Buffévent qui a fait le choix
tionnelles afin de les rendre plus réactives. dans les années 80 de réunir sur le Parc Saint-
Mais ces mesures s’avèreront insuffisantes Christophe, à Cergy-Pontoise, toutes les
face à la mutation des marchés, affectés par équipes du holding et des sièges des filiales
l’insolvabilité croissante des pays en voie de Spie Batignolles. Ce site, dont le caractère
de développement et par l’apparition de prestigieux est unanimement reconnu, a indu-
nouveaux concurrents locaux sur tous les bitablement contribué à renforcer l’image du
continents. groupe.
Dans ce contexte peu favorable, l’activité
export va régresser, entraînant des pertes si-
gnificatives de chiffre d’affaires.
Pour les compenser, Georges de Buffévent
va poursuivre le développement des
activités électriques déjà entamé par son
prédécesseur et engager une politique active
de diversification.

métros et voies ferrées, aéroports, usines d’engrais, usines chimiques, lignes et postes, oléoducs
et gazoducs, ensembles tertiaires... L’éclectisme de Spie Batignolles est éclatant et la liste de ses
références impressionne par la taille et la complexité des projets, par leur caractère prestigieux,
par le nombre de pays concernés. Le Groupe avait su développer une culture originale, creuset de
disciplines et de compétences très variées, qu’il parvenait à concilier en dépit de leur diversité et
des conflits d’intérêt inévitables qu’engendrait leur cohabitation.

Les premières expériences remontaient aux années 60, fruits de la coopération de SPIE et Bechtel
dans les raffineries et ensembles pétrochimiques. Cette culture pluridisciplinaire s’était ensuite
renforcée et enrichie avec la constitution de Spie Batignolles, et les apports des sociétés sœurs du
groupe Empain-Schneider dans les domaines de l’énergie et des transports ferroviaires. Elle atteint
son apogée au début des années 80, portée par la vague d’investissements qu’avaient généré les
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« Notre chantier : le monde »

flots de pétrodollars après les hausses mas- Pose d’un pipeline


sives du prix du baril imposées par les pays dans la Seine, Paris
archives SPIE.
producteurs de pétrole, quelques années
plus tôt. Les commerçants et ingénieurs
de l’entreprise parcouraient le monde en-
tier pour détecter et négocier de grands
contrats. Les compétences techniques de
Spie Batignolles et sa capacité à manager
de grands projets étaient unanimement ap-
préciées et reconnues. Le Groupe put ainsi
bâtir une très forte image d’entreprise plu-
ridisciplinaire à rayonnement international.

LES GRANDS CONTRATS


(cf. annexe 22)

• Adduction d’eau de Bagdad (BWSA) en Irak


• Centrale nucléaire de Koeberg en Afrique
• du Sud
• Raffinerie de Port Harcourt au Nigeria
• Barrage de la Vueltosa au Venezuela
• Barrage du Guavio en Colombie
• Usines d’engrais de l’OCP au Maroc
• Usine de liquéfaction de charbon Sasol
• en Afrique du Sud
• Gazoduc HBJ en Inde
• Métro de Caracas au Venezuela
• Barrage de Turkwel au Kenya
• Chemin de fer Transgabonais Centrale
nucléaire de
• Le programme nucléaire civil français Koeberg
• Les caténaires du TGV
• Usine Pechiney à Dunkerque
• Alimentation en eau de Riyad (RWTS) en Arabie Saoudite
• Métro du Caire en Égypte
• Usine d’engrais de Gresik en Indonésie
• Aéroport de Bagdad en Irak
• Port phosphatier Jorf-Lasfar au Maroc
• Tunnel sous la Manche (voir encadré p. 196 à 199)
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Des grands contrats

Le barrage
de Guavio

Barrage du Guavio, Colombie


archives SPIE.

Alimentation en eau de Riyad,


Arabie Saoudite
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TGV Atlantique
SNCF.

Usine d’engrais de Grésik,


Indonésie
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« Notre chantier : le monde »

Barrage de Turkwel, Kenya


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Le barrage
de Turkwel

Centrale nucléaire de Koeberg,


Afrique du Sud
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Le chantier le plus emblématique de la période est, sans nul doute, le tunnel


sous la Manche (1984-1994), pour lequel Spie Batignolles joua un rôle éminent
Descente du tunnelier dans
le puits de Sangatte, France en tant que promoteur, concepteur et constructeur.
archives SPIE.

Par sa dimension et sa com- tannique Costain Civil Engineering organisent


plexité, le projet du tunnel sous dans le cadre de l’European Channel Tunnel
la Manche est un chantier excep- Group (ECTG) un groupe de travail qui examine
tionnel qui accumule records et différentes hypothèses de tunnels ferroviaires
innovations : il est le plus long entièrement financés par des fonds privés. L’an-
tunnel sous-marin jamais percé née suivante, le Crédit Lyonnais et la National
– 50 km dont 38 sous la mer sans Westminster publient un rapport validant la
accès intermédiaire – avec 11 possibilité d’un tel mode de financement.
tunneliers mis en service en un
an environ, 150 km de tunnels L’idée progresse et les politiques s’en empa-
forés en trois ans et demi 102, et rent, le sommet franco-britannique de sep-
une précision de percement de tembre 1981, qui réunit François Mitterrand et
l’ordre du centimètre. Margaret Thatcher, relançant officiellement le
Maintes fois étudié et abandon- projet de réalisation d’un lien fixe transmanche.
né – la dernière tentative datant Quelque temps plus tard, le 30 novembre 1984,
de 1975 – le projet va renaître un nouveau sommet l’entérine de façon défini-
au début des années 1980. Dès tive sur la base d’un financement entièrement
1979, Spie Batignolles et le Bri- privé, le Premier ministre anglais, fidèle à ses
convictions, se montrant intraitable à ce sujet.
Un concours est ouvert et les offres des grou-
pements concurrents, déposées en octobre
1985, sont examinées par un comité d’évalua-
tion présidé pour la France par Raoul Rudeau,
ingénieur général des Ponts et Chaussées. Chez
Spie Batignolles, le dossier a été confié à la di-
rection des Études, avec un important budget
de recherches. Jean Renault, qui en assume la
responsabilité, va jouer un rôle de toute pre-
mière importance dans la conception du pro-
jet et dans l’animation du groupement auquel
participe Spie Batignolles. Celui-ci comprend,
du côté français, les trois promoteurs initiaux,
Spie Batignolles, Bouygues et Dumez qui dé-
tiendront 22 % chacun, et deux partenaires
Sous-station principale, France venus les rejoindre, la SAE et la SGE, qui se par-
archives SPIE.

Le tunnel sous la Manche,


« le chantier du siècle »
« Notre chantier : le monde »

tageront les 34 % restant. Il prendra le nom de 1er décembre 1990,


jonction du tunnel
France Manche Construction, sa direction étant
de service
confiée à Jean Renault et à Philippe Montagner,
directeur chez Bouygues. Forts des excellentes
relations que Spie Batignolles a su nouer outre-
Manche, les cinq Français se sont rapprochés
d’un groupement d’entreprises britanniques,
The Channel Tunnel Group, qui réunit Costain
Civil Engineering, Balfour Beatty Construction,
Tarmac Construction, Taylor Woodrow Construc-
tion et Wimpey Major Projects.

Spie Batignolles a convaincu ses partenaires


de choisir la solution d’un tunnel creusé et non François Mitterrand, réunis à l’Hôtel
pas immergé. Le groupement a, en outre, opté de Ville de Lille, adoptent le projet
pour un système ferroviaire constitué d’un tun- présenté par Eurotunnel. Quelques
nel central de desserte et de deux tunnels prin- semaines plus tard, le 12 février
cipaux, permettant la circulation de navettes 1986, le traité franco-britannique
transportant voitures et camions, de TGV et de régissant le projet est signé à Can-
trains classiques des réseaux britanniques, terbury. Viennent ensuite, en mars
français et belges. Cette solution présente 1986, la signature du contrat de
l’avantage, par rapport au tunnel routier, d’un concession entre les gouvernements
plus grand débit de véhicules. Elle s’impose concédants et la société concession-
également face à la solution éternellement ri- naire Eurotunnel, et en août 1986 la
vale d’un pont franchissant la Manche, qui, en signature du contrat de conception-
raison de l’intense circulation maritime, pose construction entre TML et Eurotunnel.
de délicats problèmes de sécurité et dont l’utili- Les entreprises du « Channel Tunnel
sation aurait été inévitablement soumise à des Group » réaliseront le génie civil de
aléas climatiques. la section anglaise, les membres de
« France Manche Construction » celui
Fin 1985, à la demande des banques, le grou- de la section française.
pement d’entreprises franco-anglais est scindé
en deux entités : le futur constructeur d’un côté, En 1988, le premier tunnelier français,
qui prend le nom de TML, et le futur concession- baptisé « Brigitte », arrive à Calais et
naire de l’autre, Eurotunnel. Jean Renault prend attaque le creusement du tunnel de
alors la direction générale d’Eurotunnel. Le dé- service. Il est conçu pour résister à
nouement approche. une pression d’eau de mer de 10 bars
– correspondant à une colonne d’eau
Le lundi 20 janvier 1986, Margaret Thatcher et de 100 mètres de haut, profondeur du

102 - L’objectif de 1 000 mètres forés Voies et caténaires,


par mois fut largement dépassé, avec terminal de Coquelles, France
une moyenne de 50 m/jour et un Le tunnel archives SPIE.
record de 75,5 m. sous la
Manche

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140 km/h. En décembre 1993, s’opère le trans-


fert du tunnel sous la Manche de TML à Eurotun-
nel. Le 6 mai 1994, son inauguration officielle a
lieu en présence de Sa Majesté la Reine Eliza-
beth d’Angleterre et du Président français Fran-
çois Mitterrand. En mai 1994 débute l’exploita-
tion commerciale des navettes « poids lourds »
et, en novembre 1994, l’exploitation commer-
ciale des TGV Eurostar.

Le rêve de la Société de Construction des Bati-


gnolles, au XIXe siècle, est donc accompli, mais
le cauchemar des actionnaires d’Eurotunnel
commence…
Le Shuttle : schéma de sortie point le plus bas du tunnel – et la tête de coupe
des véhicules est isolée du dispositif de transport des déblais Dans un premier temps, personne ne réalise
archives SPIE.
par un système d’étanchéité hautement perfec- l’ampleur des problèmes financiers à venir.
tionné. Les boues et les déblais sont acheminés Certes la route vers le financement n’a pas été
par un système d’évacuation à piston ou à vis un long fleuve tranquille, mais le prestige du
vers les convois de marinage. projet a fasciné grands et petits actionnaires :
300 000 particuliers ont participé à l’introduc-
Dès lors, les travaux vont rapidement progres- tion en bourse de novembre 1987.
ser : le 1er décembre 1990, à 12 h 13, Philippe
Cozette et Graham Fagg effectuent la première Dans l’euphorie générale, le prix de l’action
jonction France-Angleterre dans le tunnel de s’envole rapidement vers 15 euros, puis re-
service et en mai et juin 1991 les tunnels ferro- tombe brutalement à un niveau de 5 euros où
viaires nord et sud sont percés. il se stabilise pendant plusieurs années, avant
de s’effondrer de façon définitive lorsque les
La part électromécanique des infrastructures premières évaluations de trafic et de recettes
sera confiée en 1989 à une association Spie prennent corps, après les premiers mois d’ex-
Enertrans 103/Balfour Beatty, Spie Enertrans ploitation.
recevant, par ailleurs, en 1990, la commande En effet, si les navettes ont remporté un grand
de l’ensemble des tableaux basse tension du succès commercial avec près de la moitié du
Voyage
d’essai tunnel, marché considérable. Les caténaires du trafic transmanche des voitures et camions,
d’Eurostar système ferroviaire vont être mises sous ten- le trafic des voyageurs et les volumes de fret
sion en 1993, d’abord dans le terminal de Co- sont restés largement inférieurs aux prévi-
quelles en juin, puis sur l’ensemble du réseau sions. Eurostar devait transporter 14 millions
en septembre. C’est alors le premier passage de de passagers par an et 15 millions de tonnes
train en traction électrique de bout en bout, à de fret. Or les chiffres 2003 étaient respec-

Le tunnel sous la Manche,


« le chantier du siècle »
« Notre chantier : le monde »

tivement de 6,8 millions de voyageurs et de


1,5 million de tonnes.
Ce handicap lié à l’insuffisance des recettes vint
s’ajouter à celui provenant des surcoûts consi-
dérables enregistrés lors de la construction 104.
Ceux-ci trouvaient leur origine dans la suren-
chère des exigences des différentes parties pre-
nantes, en particulier la Commission de Sécurité,
que ne sut pas maîtriser le client Eurotunnel 105,
manquant de « références » et d’expérience face
à des administrations de tutelle tatillonnes et
sans responsabilité budgétaire.
Cette situation entraîna la mise en œuvre de
multiples plans de restructuration, la société
concessionnaire s’avérant incapable d’assurer le rêve de tout homme politique : transférer Galerie ferroviaire nord
le service d’une dette de plus de 9 milliards d’€. au secteur privé le financement d’une infras- en cours d’équipement
archives SPIE.
Eurotunnel ne put échapper à une procédure tructure publique non financièrement rentable.
de sauvegarde tant les intérêts des différents Mais à quel prix ! Celui d’un scandale qui a fait
acteurs – fournisseurs, créanciers bancaires ou perdre 5 milliards d’€ aux banques et 3 mil-
obligataires et actionnaires – étaient divergents. liards aux actionnaires…
Cours de
Mais le bon sens finit par l’emporter et le nou- On peut aisément comprendre l’amertume des bourse
veau président, Jacques Gounon, parvint en petits porteurs qui se sont sentis bernés ! Mais d’Eurotunnel
juin 2010 à faire avaliser par toutes les parties ceci ne saurait remettre en cause le caractère
la restructuration financière d’Eurotunnel. La véritablement exceptionnel et grandiose de
dette était réduite de moitié, ainsi que les inté- cette réalisation. Le tunnel sous la Manche mé-
rêts, ramenés à environ 220 millions d’€ par an, rite, sans conteste, le qualificatif de « chantier
niveau compatible avec la trésorerie que génère du siècle » qui lui avait été attribué pendant sa
l’entreprise, redevenue rentable – 1,5 million réalisation.
d’€ de bénéfice net pour 571 millions d’€ de
chiffre d’affaires en 2009. Notons que ce chiffre
Un parcours boursier chaotique
d’affaires a décru de près de moitié depuis 1999, Évolution du cours de l’action
Eurotunnel, en € jusqu’à 2000
année de fermeture du duty free.
Le financement est désormais porté par une 16 novembre 1987 6 mai 1994, inauguration officielle
du tunnel sous la Manche
Augmentation de capital
nouvelle entité « Groupe Eurotunnel », à la- ouverte au public et 1er juin 1994, le 1er train de marchandises
introduction en bourse emprunte le tunnel sous la Manche
quelle les actionnaires d’Eurotunnel ont pu ap-
14 novembre 1994 : mise en service
porter leurs titres au terme d’une OPE 106. commerciale d’Eurostar

1er décembre 1990 22 décembre 1994, mise en service


Première jonction dans commerciale des navettes passagers
S’il fallait conclure, on pourrait dire que les le tunnel de service 26 juin 1995, mise en service
gouvernements anglais et français ont réalisé des navettes autocars
10 juillet 1997, vote de la
restructuration financière
7 avril 1998, mise en
œuvre de la restruc-
turation financière
1990-1994
Nouvelles augmentations
103 - Filiale de Spie Batignolles résultant de la filialisation de la DEN, spécialiste des infras- de capital ouvertes au public
tructures ferroviaires et de l’énergie.
104 - Le coût de construction final représentait le double de l’estimation initiale, soit environ
13,5 milliards d’€ couverts à hauteur de 3 milliards par les fonds propres et 10,5 milliards
par la dette. Évolution du prix de l’action
105 - Notons que les représentants des entreprises avaient été écartés de la direction d’Eu-
Eurotunnel
rotunnel par les banques. Source : Le journal des finances, 25 octobre 2003.
106 - La part des anciens actionnaires dans « Groupe Eurotunnel » était en principe limitée
à 13 %, mais il leur était ouvert la possibilité d’augmenter leur participation grâce à un
mécanisme sophistiqué de souscription d’ORA et de bons de souscriptions d’actions.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 18
« Notre chantier : le monde »

© Dessin de Pierre-Yves Trémois


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NAÎTRE ET RENAÎTRE 18

LA MISE EN ŒUVRE
DE LA STRATÉGIE PLURIDISCIPLINAIRE

Deux impératifs majeurs s’imposaient aux dirigeants de Spie Batignolles pour mener à bien cette
stratégie : favoriser les synergies internes et disposer d’un réseau d’implantations internationales
indispensable pour l’obtention et la réalisation des grands contrats.
La formule mise en place pour gérer les synergies fut globalement une réussite. Chacune des grandes
directions de la société disposait des ressources et des compétences pour assurer le montage et la
réalisation de grands contrats pluridisciplinaires. Toutefois, afin d’assurer une totale maîtrise des
risques techniques, le Groupe imposait à la direction pilote de s’appuyer, chaque fois que nécessaire,
sur les compétences des autres directions. La solution retenue consista à créer des « joint-ventures »
internes, dotées d’une comptabilité et de comités de gérance spécifiques. Elle s’avéra généralement
bien adaptée et constitua un facteur clé de succès pour de nombreux contrats.

Usine de laminage à froid, Dans certains cas, comme ceux de l’aciérie de Cilegon en Indo- Adduction
CRMI, Cilegon (Indonésie) nésie, de l’adduction d’eau de Bagdad en Irak ou de l’unité de d’eau
et inauguration production d’oxygène de Sasol en Afrique du Sud, toutes les à Bagdad,
par le président Suharto composantes export de Spie Batignolles furent Irak
archives SPIE. archives SPIE.
partie prenante du projet.
Pour la réalisation des centrales nucléaires, l’in-
tégration verticale de Spie Batignolles dans le
groupe Empain apporta toute son efficacité : Spie
Batignolles Bâtiment et Travaux Publics (SBTP) et
la Division Électricité et Nucléaire (DEN) travaillè-
rent avec Jeumont Schneider et Merlin Gerin.

Le maintien du réseau international donna lieu,


en revanche, à des dérives. Le suivi de grands
projets dans le monde entier nécessitait un effort
commercial et un réseau d’implantations consi-
dérables. Spie Batignolles se développa donc, de
façon effrénée, sur tous les continents. La société était présente dans 30 pays en
1971, 59 pays en 1976, 70 en 1981 et 85 plus tard dans la décennie.

Le coût de ces implantations et les frais de remises d’offres continuèrent dans les
années 80 à enregistrer des hausses très importantes, alors que les marchés ten-
daient à se rétracter. Ce paradoxe tenait au fait que les frais commerciaux, gérés au
niveau des filiales, n’étaient pas maîtrisés au niveau central. Il fut l’une des causes
des problèmes financiers du Groupe à la fin de la décennie.

LES ACQUISITIONS STRATÉGIQUES


DE LA PÉRIODE 1982-1990
En cette période riche en aventures internationales, les acquisitions centrées sur la
France, par une sorte d’espièglerie du destin, se sont avérées essentielles pour l’avenir
du Groupe. Deux d’entre elles, Trindel dans le domaine de l’ingénierie électrique et
Drouard dans celui des infrastructures ferroviaires, méritent d’être mises en évidence,
car elles ont contribué de façon déterminante au succès de la nouvelle stratégie du
Groupe après la crise de 1991.

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« Notre chantier : le monde »

Comme déjà évoqué, Trindel réussira à concilier croissance et


le rachat de Trindel in- rentabilité tout au long de son existence,
tervint en 1982 – 1 712 assurant son autofinancement tout en dis-
millions de CA TTC tribuant des dividendes sans interruption, à
dont 16 % à l’exporta- l’exception de la période de guerre.
tion. Cette opération Filiale de la Lyonnaise des Eaux en 1982,
était d’autant plus elle était présente dans de nombreux do-
nécessaire que Spie maines : les postes et les lignes à haute
Batignolles n’avait pas et très haute tension, les équipements
réussi à conclure le ra- électriques industriels, les centrales ther-
chat de COMSIP dont miques, hydrauliques et nucléaires, les
le groupe Lebon cher- travaux d’instrumentation, la pose de ca-
chait à se séparer à la ténaires, la traction électrique, les équipe-
Centrale fin des années 1970. ments routiers, les fondations spéciales. Postes
archives SPIE
thermique Malgré les liens anciens de SPIE avec celui-ci, Elle bénéficiait, en outre, d’un réseau d’im-
Studio Pons.
ce fut en fait CGEE Alsthom, filiale de la Compa- plantations régionales assez dense et de
gnie Générale d’Electricité 107, qui prit en 1979 le compétences anciennes dans les automa-
contrôle de cette entreprise. tismes industriels, les systèmes électro-
Née en 1923, à Strasbourg, de la transforma- niques de traitement de l’information et
tion d’une agence locale de « Force et Lumière notamment les systèmes de transactions
Électrique » en société indépendante, la socié- automatiques pour parkings et autoroutes.
té adopte en 1932 le sigle de « Trindel ». Sous Son acquisition en 1982 amène naturelle-
l’impulsion de Louis Labbé qui va l’animer pen- ment un regroupement avec SPIE-Régions
dant 49 ans comme directeur puis président- en 1983, les deux ensembles présentant
directeur général, puis de Maurice Laurent son des similitudes par leur implantation en
successeur, Trindel va s’imposer comme un des France et leur activité de petits chantiers.
leaders français de l’installation électrique. Les unités spécialisées de la Division Élec-
Son chiffre d’affaires évoluera de façon spec- tricité et Nucléaire de Trindel furent re-
taculaire. groupées après cette fusion, les lignes THT Activités régionales
étant amenées à Linelec, issue de Trindel. archives SPIE.

En matière de caténaires, Spie Batignolles


Chiffre d’affaires TTC en millions faisait, en revanche, figure de leader. Grâce
de francs constants 1973 108 à la bonne entente des équipes et à l’action
Lignes 1923 3 conjuguée de Claude Coppin et de Maurice
haute tension
1973 500 Laurent, président de Trindel, cette opéra-
tion fut un réel succès.
1981 700

Ingénierie électrique : Intervention sur ligne haute tension


archives SPIE.

107 - Qui se scindera ultérieurement


en deux grands ensembles Alcatel et

acquisition de Trindel
Alsthom (dont le nom sera orthogra-
phié par la suite Alstom).
108 - Sources internes Trindel
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 18

Jean-Paul Jacamon
Diplômé de l’École polytechnique L’expérience qu’il a ainsi acquise, notamment
(1966), ingénieur du corps des sa maîtrise des activités électriques, conduit
Mines, Jean-Paul Jacamon rejoint Claude Coppin à le choisir comme directeur gé-
le groupe Empain-Schneider néral après la crise de 1992. Il contribuera du-
en 1981 après différentes rant la période 1992-1995 à réorienter la stra-
missions au service de l’État et tégie du Groupe et à négocier avec Schneider
notamment à la Datar. Il exerce les modalités de sa restructuration. Au terme
tout d’abord des missions de ce processus, Didier Pineau-Valencienne le
d’études au siège avant d’être rappelle auprès de lui en 1995.
détaché chez Spie Batignolles Il sera successivement directeur général Eu-
en 1983 en tant que directeur de rope, directeur général et vice-président-direc-
l’Établissement de tuyauteries teur général de 1999 à 2002, date à laquelle il
de centrales nucléaires de Ferrière-la-Grande. quitte Schneider. Il est depuis lors administra-
Il prend ensuite la direction générale de la teur de différentes sociétés. Il a été en particu-
Division ingénierie et entreprises générales lier membre du « board » d’AMEC plc jusqu’en
en 1985, puis celle de la Division électricité et 2006.
nucléaire en 1988.

INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES : L’ACQUISITION DE DROUARD


C’est le 29 juin 1989 que le groupe Drouard, présidé par André Pedrini, rejoint Spie Batignolles.
Dégarnisseuse mise au point Créée au XIXe siècle, la société Drouard s’est, dès le début, spécialisée dans les voies ferrées en
Le Métro
et fabriquée par Drouard recherchant en permanence la mécanisation des travaux correspondants, tant pour la SNCF que
archives SPIE. du Caire
pour la RATP pour lesquelles elle a développé un système très automatisé pour le renouvellement des
voies ballastées (RVB). Elle s’est diversifiée
dans les années 1930 autour de trois axes :
caténaires, lignes THT et activités régionales
d’entreprise électrique.

Drouard permettait de conforter les activités


de Spie Enertrans et de Spie Trindel, mais
elle apportait surtout une compétence de
premier plan en voies ferrées à un moment
où les investissements ferroviaires étaient
considérables (TGV, Tunnel sous la Manche,
métros, tramways), alors que les références
de Spie Batignolles dans ce domaine se li-
mitaient aux embranchements particuliers
en France et à de grands projets à l’interna-
tional : métros de Caracas et du Caire, voies
ferrées en Afrique du Sud ou Transgabonais.

Les autres acquisitions significatives (CEE,


SCGPM, Clecim, Tondella) sont détaillées
en annexe 23.
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« Notre chantier : le monde »

L’ÉCHEC NORD-AMÉRICAIN...

Fascinante et paradoxale Amérique qui draine des milliers de chercheurs de toutes nationalités et
qui développe des technologies de pointe, mais conserve pour ses activités de construction des
structures corporatistes d’un autre âge, presque médiévales, véritable carcan juridico-légal, inex-
tricable et insurmontable. Toute entreprise américaine doit opter soit pour un statut « union », et
les équipes de chantier lui sont fournies par les syndicats dans le cadre d’accords professionnels,
soit pour un statut « non union », et elle recrute alors au sein d’une population instable qu’il n’est
pas aisé de fidéliser. Chercher à créer une culture d’entreprise, en capitalisant le savoir-faire acquis
sur les affaires est, dans un tel contexte, une véritable gageure. Par ailleurs, les grandes ingénieries
s’appropriant l’essentiel de la partie amont des projets – études de faisabilité, conception, achats –,

Le Métro
de New York

Les compétences fortes


de Comstock dans la rénovation
du Métro de New York
étaient reconnues.
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la valeur ajoutée rémanente des entreprises de construction est réduite à la portion congrue. Dans
le domaine de l’ingénierie électrique, les marges brutes dégagées par les entreprises américaines
ne représentent en fait que la moitié de celles de leurs homologues européennes. Face à de tels
obstacles, la réussite est improbable et pour beaucoup d’entreprises européennes qui ont traversé
l’Atlantique, le rêve américain s’est vite transformé en cauchemar.
Spie Batignolles n’échappa pas à la règle ; son expansion nord-américaine lui amènera bien des
déboires. Elle se matérialisa en 1987 par l’acquisition de Comstock, n°2 de l’entreprise électrique et
de l’ingénierie métallurgique et sidérurgique aux États-Unis. Ressentie lors de sa réalisation comme
un mouvement stratégique majeur, l’opération se révéla malheureuse, la société recelant à côté
de centres de profits rentables de nombreux foyers de pertes récurrentes. Elle nécessita l’envoi
d’un nombre important de managers français, qui parvinrent à arrêter les hémorragies et à rétablir
l’équilibre des comptes. Mais la rentabilité resta marginale et la qualité des équipes américaines
insuffisante. Comstock présentait, en définitive, peu d’intérêt – en dehors de son activité ingénierie
sidérurgique qui sera apportée à Clecim – et elle sera revendue quelques années plus tard à un prix
largement inférieur à son coût d’acquisition…
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… ET CELUI DE LA STRATÉGIE INGÉNIERIE

Faisant suite à l’acquisition de Speichim en 1978, l’achat de Clecim (cf.


annexe 23) s’inscrivait dans la ligne du renforcement des capacités d’in-
génierie de Spie Batignolles. Bien redressée par Jean Coret, Clecim béné-
ficiait, à la fin de la décennie, d’une trésorerie abondante.
Mais Georges de Buffévent était conscient des insuffisances de son groupe
dans un secteur où, à l’évidence, il n’atteignait pas la taille critique face
à ses concurrents internationaux. Il imagina donc d’apporter Clecim à
l’ingénierie anglaise Davy en échange d’une participation minoritaire
importante.
L’opération tourna toutefois à la catastrophe car les dirigeants anglais
s’étaient engagés dans des contrats extrêmement risqués, qui entraînè-
rent la banqueroute de l’entreprise. Clecim fut donc perdue sans contre-
partie et Spie Batignolles gâcha ainsi sa dernière chance d’entrer dans le
club restreint des grandes ingénieries de process.
Clecim : installation d’une
ligne de galvanisation, LE DÉVELOPPEMENT DU BÂTIMENT
Corée du Sud
archives SPIE.
ET LA DIVERSIFICATION DANS L’IMMOBILIER
LE BÂTIMENT
La régression des activités de génie civil à l’export conduisit Spie Batignolles
à rechercher des substituts en France. En dépit de ses implantations ré-
gionales – sous la marque Citra France –, la part du Groupe en bâtiment
restait très marginale face à celles de concurrents tels que SAE, Bouygues,
GTM, Sogea, etc.
Il paraissait donc naturel d’y acquérir des positions plus conformes à la taille
du Groupe. Une politique très active de création d’agences fut menée sur
tout le territoire. L’ensemble des activités bâtiment, celles de Citra France et
celles des sociétés acquises (SCGPM et Tondella) furent regroupées au sein
d’une nouvelle filiale Spie Construction dont le chiffre d’affaires en 1989
devait dépasser 4 milliards de F, plaçant Spie Batignolles, selon les termes
de Georges de Buffévent, « comme l’un des leaders de la profession ».

Musée d’art
moderne,
Nice

L’imprimerie
du Figaro
et Roissy Théâtre
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« Notre chantier : le monde »

Cependant, la coexistence des deux réseaux régionaux, Citra France et Spie Construction, fut difficile
à vivre, entraînant de multiples problèmes vis-à-vis de la clientèle. Peut-être trop hâtivement créée,
Spie Construction fut absorbée par Spie Citra en 1991.

L’IMMOBILIER
L’immobilier apparut également comme un relais
de croissance qui pouvait, en outre, apporter des
synergies à l’activité bâtiment. Créée en 1986, la
Direction Générale du Développement (DGD) mit en
œuvre une stratégie qui s’articulait autour de trois
axes : promotion immobilière, aménagement urbain,
loisir. Dans le secteur de la promotion immobilière, la
DGD concentra son action sur la région parisienne.
Dans celui de l’aménagement urbain, elle intervenait
dans le montage, la maîtrise d’ouvrage et
l’exploitation de centres commerciaux 109, et gérait
la participation de Spie Batignolles dans Financière
Sogeparc, société spécialisée dans le financement
des parkings publics.

L’entrée dans le domaine des loisirs, presque totale-


ment inconnu du Groupe, constituait un pari risqué,
ce que les faits confirmèrent quelques années plus Le programme immobilier
tard. Spie Loisirs, à la fois promoteur, gestionnaire de Deauville
archives SPIE.
de lits et opérateur de remontées mécaniques, était
présent dès 1988 dans de nombreuses stations des
Alpes (Val-d’Isère, Tignes, Val Thorens, etc.) et dans quelques sites balnéaires (Cabourg, Deauville).

LA PRÉPONDÉRANCE DES ACTIVITÉS ÉLECTRIQUES


À LA FIN DE LA DÉCENNIE
Dans la continuité de la stratégie mise en œuvre par Claude Coppin durant les années 70 et ren-
forcée par les apports de Trindel et Drouard notamment, la Division Électricité et Nucléaire (DEN)
va poursuivre son développement tout au long de la période.
Véritable entrepreneur électrique, elle est en mesure d’intervenir à tous les stades des projets et de
fournir une très large palette de prestations à ses clients : conception, études, approvisionnements,
réalisation, maintenance…
La DEN exerce ses activités pour les grands clients nationaux et à l’export, dans les domaines de
l’énergie (lignes très haute tension, postes, centrales hydrauliques), des transports (chemins de fer,
métros, aéroports, tunnels autoroutiers…), de l’industrie et du tertiaire (fabrication de tableaux
électriques, instrumentation, automatismes, génie climatique…) et du nucléaire avec, à côté des
activités de Thermatome, les études et la préfabrication de tuyauteries spéciales assurées par l’éta-
blissement de Ferrière-la-Grande.
La DEN prend aussi en charge la partie électrique des grands complexes industriels réalisés par Spie
Batignolles. Elle assure, également, le pilotage de Jeumont-Schneider-Automation, filiale du groupe
Schneider spécialisée dans les automatismes pour la sidérurgie.
Portée par le programme nucléaire français, la construction des lignes de TGV et le tunnel sous la
Manche, la DEN vécut un véritable âge d’or. Elle fut l’un des acteurs majeurs de la construction 109 - À travers une structure filialisée,
des centrales nucléaires. le GEREC.
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Dans le domaine des TGV, la DEN réalisa pour le compte de la SNCF l’essentiel des caténaires durant
cette décennie. Par ailleurs, si la partie génie civil du contrat tunnel sous la Manche s’avéra peu
intéressante financièrement pour les entreprises du groupement TML concernées, le sous-ensemble
infrastructures électriques et électromécaniques, réalisé par une joint-venture 110 Spie Batignolles/
Balfour Beatty, fut en revanche un succès à la fois technique et financier.
En France, les activités électriques régionales issues de Spie Batignolles et de Trindel, regroupées
au sein de Spie Trindel 111 et enrichies d’autres apports tels CEE et Drouard Régions, poursuivent
leur montée en puissance. Leur rentabilité n’est pas à cette époque très élevée, mais elles bâtissent
progressivement leur base d’implantations locales qui leur permettra de réaliser dans les années
1990 un remarquable essor.
Claude Coppin fut dans ce contexte nommé directeur général du Groupe en 1987. L’ensemble des
activités électriques et électromécaniques – DEN, DIEG, et Spie Trindel – lui furent rattachées, ce
qui représentait la moitié du chiffre d’affaires du Groupe. Jean-Paul Jacamon prit alors la direction
de la DEN tout en assurant la présidence de Spie Trindel.

BILAN ÉCONOMIQUE
ET FINANCIER 1982-1990
UNE POLITIQUE ACTIVE DE CROISSANCE EXTERNE
POUR COMPENSER LA BAISSE DES GRANDS CONTRATS
INTERNATIONAUX
On constate (voir annexe 24) un net ralentissement de la croissance (+ 3 % l’an en volume de
1982 à 1990) qui met en évidence la récession du marché des grands contrats export. La réponse
de Spie Batignolles consista à réaliser, principalement de 1986 à 1990, les acquisitions déjà citées
et à développer très fortement les activités bâtiment et immobilier en France.

La répartition géographique de l’activité du Groupe évolue de façon cohérente avec la stratégie


retenue :
Si, en 1990, on déduit de l’activité étranger la part des sociétés nord-américaines (7 %) et celle des

Tableau électrique.
Installation de climatisation.
Contrôle/commande.
de centrale nucléaire.
Pose de caténaires.
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110 - Cette joint-venture était dirigée


par Claude Agard.
111 - Les directeurs généraux succes-
sifs de Spie Trindel au cours de la pé-
riode furent Claude Pradon, Bertrand
Geoffroy et Jacques Fautrel.
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% de l’activité % de l’activité sociétés européennes (4 %), on constate que les


réalisée en France réalisée hors France pays en voie de développement ne représentent
1982 39% 61% plus que 17 % du chiffre d’affaires.
1984 51% 49% L’activité « grand export » diminua donc de façon
1987 59% 41% substantielle avec une baisse supérieure à 50 % en
francs constants, alors que les frais commerciaux
1990 72% 28%
ne subirent pas le même ajustement et pesèrent
donc sur les marges. Les conséquences en furent
sévères, car ce problème vint s’ajouter aux autres difficultés du Groupe à la fin de la décennie.

UNE CROISSANCE ARTIFICIELLE DES RÉSULTATS


Spie Batignolles vit, en début de période, sur sa lancée antérieure avec un résultat progressant
légèrement en francs courants mais qui stagne en euros constants entre 1982 et 1986 (cf. annexe
24). Le résultat progresse paradoxalement de façon plus rapide après 1986, mais sa croissance
devient artificielle avec des risques non provisionnés et une augmentation corrélative des dettes
entre 1985 et 1990.

Les pertes de 1991 et des exercices suivants constituèrent, en fait, des correctifs des arrêts de ré-
sultats positifs trop optimistes sur la période 1986-1990.

Les mouvements stratégiques opérés à partir


disponibilités dettes dette de 1986 dégradent la situation de la société en
financières nette créant des risques supplémentaires (bâtiment, im-
1985 1 454 1 275 + 179 mobilier, Comstock). Par ailleurs, Spie Batignolles
1986 1 046 1 328 – 282 n’a pas fait preuve d’une sélectivité suffisante à
l’export, comme le mettra en évidence l’abon-
1989 2 689 3 978 – 1 289
dance des litiges non résolus en fin de décennie.
1990 2 193 3 448 – 1 255

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Atlantique

TGV
Atlantique

TGV Atlantique
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L’implantation de Spie Batignolles sur le Parc nouveau siège inauguré par le Premier ministre,
Saint-Christophe fut une initiative majeure de Michel Rocard, en 1988.
Georges de Buffévent durant sa présidence. A 35 km au nord-ouest de Paris, dans la ville
nouvelle de Cergy-Pontoise, très bien reliée à
Le 11 juin 1985 eut la capitale, à proximité immédiate de la gare de
lieu la cérémonie Cergy Saint-Christophe desservie par le RER,
de plantation du le Parc Saint-Christophe s’étend sur un terrain
premier arbre sur le d’une cinquantaine d’hectares dominant l’Oise.
site du Parc Saint-
Christophe à Cergy- Campus à l’américaine, le Parc Saint-Christophe
Pontoise. a été conçu avant tout comme un outil de travail,
reflet de la culture d’un grand groupe de dimen-
Trois ans plus tard, sion internationale, riche de la diversité des mé-
les 3 500 personnes tiers exercés et de leur synergie.
composant l’essen-
tiel des sièges, des La maîtrise d’œuvre de conception du Parc a été
équipes d’études, assurée par le cabinet d’architectes Saubot et
d’ingénierie et de direction de projets du Jullien et par Alain Provost, paysagiste. Sa réa-
Groupe Spie Batignolles seront réunies dans ce lisation a mobilisé plusieurs filiales du Groupe :

Le parc
Saint-Christophe
« Notre chantier : le monde »

SGTE, Citra, Spie Construction, SCGPM et Spie gressivement tranformé, à partir de 2000, en un
Trindel. campus « multi-entreprises » ouvert à des PME
et à des grandes sociétés françaises et étran-
L’évolution de la stratégie du groupe – qui l’a gères. Son site prestigieux continue à être una-
amené à se tourner vers les services d’ingénie- nimement apprécié par tous ses visiteurs.
rie électrique – a contribué à diminuer consi-
dérablement la présence de ses équipes sur le
Parc Saint-Christophe. Celui-ci s’est donc pro-

Google earth
parc
St-Christophe

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« LES RAMES SONT BRISÉES ALORS LA PROUE SE DÉTOURNE
ET EXPOSE AUX VAGUES LE FLANC DU BATEAU ;
AUSSITÔT, ABRUPTE, DE TOUTE SA MASSE, SURVIENT UNE MONTAGNE LIQUIDE. »

Virgile, Énéide, Livre 1

© Corbis, tous droits réservés.


La tempête

LA TEMPÊTE

1991

LE RETOURNEMENT DU MARCHÉ
La stratégie de grands projets pluridisciplinaires de Spie Batignolles s’adaptait remarquablement à
la situation économique mondiale du début des années 1980, période où l’entreprise enregistra,
comme on l’a vu, de nombreux succès commerciaux.
Mais cette conjoncture favorable ne dura pas. L’abondance des liquidités générées par les pays
producteurs de pétrole conduisit les banques à des excès. Insuffisamment sélectives dans le choix
des affaires qu’elles finançaient, elles se virent rapidement confrontées aux problèmes de solvabilité
de leurs emprunteurs. Un très grand nombre de pays en voie de développement se trouvèrent en
effet dotés d’investissements improductifs, mal adaptés à leurs besoins ou surdimensionnés et leur
situation financière dégradée leur interdisait tout nouvel engagement.
Il en résulta une forte contraction du marché, aggravée par l’apparition simultanée d’une concurrence
d’entreprises issues des pays émergents pratiquant des prix très compétitifs et par le tarissement
Concurrence
des ressources financières, consécutives à la chute des prix du pétrole à la fin de la décennie. des pays
La technicité et la compétence devinrent alors essentielles pour affronter ce retournement brutal du émergents
marché. Les capacités d’ingénierie du Groupe (Speichim, Clecim, Département « Entreprises Générales
Industrielles ») constituaient un atout à cet égard, mais il apparut qu’elles étaient trop concentrées sur
des niches étroites et des marchés à caractère trop cyclique. Par ailleurs, la tentative d’élargissement
de ce portefeuille par une prise de participation dans l’ingénierie anglaise Davy avait tourné court.
Le génie civil de Spie Batignolles, en dépit de ses références et de ses capacités reconnues de « pro-
ject management », ne pouvait pas apporter la nécessaire « différenciation » face aux entreprises
issues des pays émergents.

Dans ce contexte de concurrence accrue, ce ne fut donc pas tant la dérive de quelques grands
contrats – certains posèrent en effet de graves problèmes comme Bombay, HBJ, Guavio, Siape,
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 19

Aménagement hydro-
électrique du Guavio, Colombie MRAC, etc. – qui mit à mal la stratégie de Spie Batignolles, que le « dévoiement » de cette stratégie.
archives SPIE.
Les grands contrats pluridisciplinaires apportèrent, en effet, en dépit des pertes importantes enregis-
Usine d’engrais, SIAPE, Tunisie trées sur certains d’entre eux, une contribution largement positive aux résultats du Groupe durant la
archives SPIE.
décennie 1980. La rentabilité de certains d’entre eux fut, effectivement, véritablement exceptionnelle.
Il y eut « dévoiement » car les dirigeants du Groupe ne se résolurent que tardivement à tirer les
conclusions des évolutions du marché et à imposer aux équipes de terrain une adaptation aux
nouvelles réalités. L’entreprise cherchait, au contraire, à maintenir coûte que coûte ses niveaux
d’activité. Les ressources importantes, issues des bons contrats, finirent donc par être dilapidées
dans la gestion d’affaires non maîtrisables et face à des clients dont la mauvaise foi n’avait d’égale
que leur impécuniosité. Avec la contraction du marché, les frais commerciaux prirent des propor-
tions démesurées : excès de frais de délégations commerciales et de frais d’études pour suivre des
affaires mal ciblées par des équipes craignant la sous-charge ou, pire encore, pour prendre des
contrats sortant des domaines de compétence du Groupe.

Et par suite des difficultés à trouver de véritables projets pluridisciplinaires, certains opérationnels
cherchèrent à pérenniser des implantations issues d’un grand contrat en créant des centres de profits
régionaux permanents, spécialisés dans les petites affaires locales, qui s’avérèrent déficitaires dans
la quasi-totalité des cas (Nigeria, Afrique du Sud, Chili, etc.) et contribuèrent à accroître les frais
fixes des structures permanentes.
On était donc bien loin de la stratégie imaginée au début de la décennie 1970.
D’une façon peut-être plus insidieuse, l’augmentation des frais généraux pesa de façon substantielle
sur les comptes de Spie Batignolles. La formidable croissance du chiffre d’affaires, qui fut multiplié
par 20 en francs courants de 1970 à 1990, généra une croissance équivalente aux prélèvements
du siège, appelés « domiciliations ». Spie Batignolles aurait pu, grâce à elles, dégager des marges
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Scène de la construction
du pipeline HBJ, Inde
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complémentaires ou des provisions additionnelles. Mais il n’en fut rien. La société géra mal sa
décentralisation en maintenant des strates successives et redondantes de frais fonctionnels centraux
(commercial, DRH…) et continua à affecter des frais généraux non justifiés aux grands contrats qui
disposaient, par leur organisation même, de l’essentiel de leurs ressources de gestion.
En dépit de l’aboutissement positif de la réclamation sur le contrat de la centrale d’Iran, plus
d’1,5 milliard de F de créances impayées figuraient au bilan de Spie Batignolles en 1991, la plus
importante étant celle relative à HBJ.
Construction du pipeline HBJ, Inde
Ce dernier contrat constitue un cas particulier qui archives SPIE.
mérite d’être souligné. Il comportait une clause d’ar-
bitrage international ainsi qu’une clause prévoyant la
résolution amiable des litiges pendant la réalisation
du contrat, destinée, en principe, à protéger l’entre-
preneur. En fait, le client GAIL s’employa à empêcher
l’utilisation de cette dernière et justifia ensuite son
refus d’entrer en arbitrage international par le fait
qu’aucun litige n’avait été soulevé pendant la phase
de réalisation du contrat ! La France apportait de très
importants financements au projet, crédits export
François-
et crédits d’aide, et exerça une pression politique
Xavier
sur les autorités indiennes. Le litige fut finalement Ortoli
résolu grâce à la nomination d’une commission fran-
co-indienne, présidée côté français par le ministre
François-Xavier Ortoli, mais ses travaux n’aboutirent
qu’en 1996.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 19

DES MOUVEMENTS STRATÉGIQUES


MENÉS À CONTRETEMPS

Certaines des initiatives prises par la direction générale du Groupe pour compenser la baisse des
grands projets furent malheureusement menées à contretemps.

L’ÉCHEC DU BÂTIMENT EN FRANCE


Spie Batignolles voulut combler trop rapidement son retard dans ce secteur, où ses concurrents
avaient pris des positions inattaquables.
Si les choix de croissance externe – acquisitions de SCGPM et de Tondella – furent généralement
judicieux, la croissance interne, menée de façon débridée et sans rigueur, apporta, au contraire,
beaucoup de déboires. Il fallut par la suite procéder à un important effort de réorganisation et de
restructuration qui s’avéra fort coûteux.

LE DÉSASTRE DE L’IMMOBILIER
L’aventure immobilière de Spie Batignolles engendra des pertes colossales qui atteignirent près
de 3 milliards de F, soit l’équivalent de 600 millions d’€ 2010. La société cumula les erreurs en ce
domaine : opérations à « contre-cycle », choix des hommes, entrée dans le domaine du loisir tota-
lement inconnu du Groupe, investissements dans les centres commerciaux très consommateurs de
capitaux, manque de rigueur de gestion, absence de réel contrôle des engagements...

L’impact financier de la diversification immobilière, par son ampleur même, fut une des causes
majeures de la crise de 1991.

UNE ENTRÉE TROP TARDIVE


DANS L’OFFSHORE
Installation de la colonne
articulée de l’unité flottante
Le Groupe ne disposait ni des hommes, ni des compé-
de stockage de Vega,
tences nécessaires, ni de liens privilégiés avec les com-
canal de Sicile
archives SPIE. pagnies pétrolières. Il était difficile, dans ce contexte,
de justifier une entrée sur ce marché où les positions
étaient déjà prises 112.
La création de Spie Offshore au début des années 80
et sa gestion portent la marque d’un cruel manque de
professionnalisme. Sa liquidation fut décidée et confiée
à Spie Capag, qui absorba malheureusement dans cette
opération une part significative des bénéfices consé-
quents dégagés sur des contrats tels que BWSA et RWTS
– adduction d’eau de Bagdad et de Ryad. Le profession-
nalisme de la société EMH, dont SPIE prend le contrôle à
la même époque, était en revanche incontestable, mais
elle était positionnée sur une niche trop étroite et trop
cyclique – bouées et systèmes d’amarrage – pour être la
base d’un développement durable. Elle fut finalement
112 - René Berthon avait vendu la fermée après des tentatives de diversification spectacu-
participation de Spie Batignolles dans
laires, mais aux résultats économiques désastreux (Opéra
la barge géante Viking Piper en 1979, Superstructure d’un poste d’amarrage et de charge-
échappant ainsi à des pertes impor- Bastille, Eurodisney). ment de tanker destinée à TOTAL en Chine
tantes, car la barge restait inutilisée. archives SPIE.
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AREA, Autoroutes Rhône-Alpes


HEURS ET MALHEURS DES FILIALES archives SPIE.
Parking Bons-Enfants,
FILIALES ÉTRANGÈRES : UN BILAN TRÈS NÉGATIF Bourg-en-Bresse
archives SPIE.

La contribution des filiales étrangères fut également très négative durant la décennie, avec les pertes
des filiales africaines et brésiliennes, et surtout la disparition de la filiale australienne de Citra (CCL).
Cette filiale, devenue incontrôlable après le décès de son dirigeant, M. Collantoni, généra plus de
500 millions de F de pertes au milieu des années 1980, soit l’équivalent de trois années de résultat
consolidé du groupe à cette période !
Aux États-Unis, le holding Spie Group qui, rassemblait toutes les filiales opérationnelles, fut fortement
handicapé par les malheurs déjà mentionnés de la principale d’entre elles, Comstock.

FILIALES « CONCESSIONS » : UN BILAN MITIGÉ


La société AREA, concessionnaire des autoroutes alpines, rencontra quelques difficultés à trouver
son équilibre et le Groupe en subit les conséquences. Spie Batignolles préféra, pour limiter ses
engagements financiers, négocier sa sortie de la concession avec les pouvoirs publics au début des
années 80. AREA devient par la suite très bénéficiaire. La question du caractère judicieux de cette
sortie reste donc posée...

Dans le domaine des parkings, Spie Batignolles réalisa, en revanche, une belle performance. Sa
filiale, Sogeparc, était devenue l’un des leaders du marché, derrière GTM. Mais les difficultés
financières du Groupe conduisirent Georges de Buffévent à vendre sa participation dans Soge-
parc à la fin des années 80, pour dégager à la fois des plus-values comptables et des ressources
financières.

LE DILEMME DE LA PLURIDISCIPLINARITÉ
L’opéra
Bastille Cette liste des différentes origines des pertes de l’exercice 1991 peut paraître surprenante et
presque incohérente, tant les causes de l’effondrement à venir sont disparates et variées. Pourquoi
Spie Batignolles eut-elle à subir autant de coups du sort, de revers de fortune, en une période au
demeurant assez courte ? Lorsqu’on l’interrogeait sur ce sujet, Georges de Buffévent répondait
qu’il avait conscience d’avoir commis des erreurs dans le choix des hommes...
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 19

Ce fut probablement l’une des origines des problèmes du Groupe, notamment dans les secteurs de
diversification tels que l’immobilier et le loisir où la direction fut confiée à des hommes qui n’étaient
pas issus de Spie Batignolles et dont les capacités n’avaient pu être évaluées au préalable. Mais ce
ne fut pas la seule.
Les succès commerciaux du début des années 1980 conduisirent Spie Batignolles à valider sans
restrictions sa stratégie « Notre chantier : le monde ». Ce faisant, les dirigeants négligèrent quelques
facteurs sous-jacents essentiels, et en premier lieu le caractère non reproductible de certains contrats
majeurs. Ainsi, l’affaire de Koeberg en Afrique du Sud qui, à elle seule, apporta plusieurs années
de résultat, ou l’affaire de BWSA, en Irak, qui dégagea une très forte contribution, paraissent
indubitablement liées à la situation politique exceptionnelle qui régnait dans ces deux pays au
moment de leur réalisation. Les dirigeants sous-estimèrent en second lieu l’appui que leur avait
apporté l’adossement au groupe Empain-Schneider, dans sa configuration ancienne. Quand sa
société-mère, redevenue Schneider, se fut délestée de ses activités dans le domaine de
la production d’énergie et du ferroviaire, Spie Batignolles perdit à l’évidence des atouts
déterminants dans le domaine des contrats pluridisciplinaires.
Avec des compétences propres en matière d’ingénierie « process » insuffisantes pour
lui assurer des relais de croissance à l’international, et des positions France manquant
de solidité dans le domaine du BTP, l’entreprise était donc durablement affaiblie dans
les grands projets.
Les actions stratégiques engagées pour remédier à cet état de fait furent, comme on l’a
vu, menées de façon trop hâtive et trop désordonnée.
La résistance des activités de spécialités électriques justifie d’ailleurs, a contrario, cette
Centrale nucléaire de Civaux analyse. Peu concerné par les contrats pluridisciplinaires – en période de pointe, la partie
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« contrats pluridisciplinaires » de l’activité électrique de Spie Batignolles était voisine de
5 % –, le secteur électrique sut, au contraire, se développer de façon spectaculaire en
s’appuyant sur une forte base française, sous l’impulsion de Claude Coppin.
Mais ce dernier, en désaccord avec la stratégie de développement tous azimuts dans
l’immobilier et le loisir, abandonna la direction générale fin 1990. Georges de Buffévent
réorganisa, en conséquence, la direction autour d’un comité restreint comprenant trois
directeurs généraux : Jean-Louis Bitouzet, Jean Coret et Jean-Paul Jacamon.

LES PERTES DE 1991 ET LE DÉPART


DE GEORGES DE BUFFÉVENT
Cette réorganisation et les mesures de redressement qui furent immédiatement mises
Pechiney Dunkerque, hall d’électrolyse en œuvre ne purent, cependant, assurer la relance de Spie Batignolles.
aluminium En effet, la bonne rentabilité de la DEN, qui générait alors la totalité des résultats du
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Groupe, ne permit pas de couvrir les risques croissants qui se faisaient jour dans les
autres secteurs.
Dans ce contexte, Georges de Buffévent confia une mission d’audit au cabinet Arthur
Andersen à la fin de l’année 1991. Il apparut que nombre de risques avaient été insuffi-
samment provisionnés au cours des exercices précédents et le conseil d’administration de
Spie Batignolles en tira les conséquences. Il arrêta une perte de 952 millions de F au titre de
l’année 1991. Georges de Buffévent présenta sa démission à Didier Pineau-Valencienne.

TGV Rhône-Alpes, viaduc de la Costière


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Tout au long de son histoire, les chantiers inter- camps loin des zones habitées. Les phases de
nationaux ont profondément marqué et façonné crise politique furent, en outre, à l’origine de si-
la culture de Spie Batignolles. Dans son incons- tuations très tendues pour les équipes chargées
cient collectif, les souvenirs de certains grands de les gérer. La révolution iranienne en est l’un
chantiers se sont parfois parés des couleurs des exemples ; certains expatriés durent quitter
de véritables épopées, attachant rêve et aven- le pays de manière peu orthodoxe en traver-
ture aux missions lointaines des expatriés. Les sant, parfois à pied, les zones montagneuses
capacités techniques et les compétences indis- d’Asie Mineure. Quelques années plus tard,
pensables au succès des projets internationaux durant la guerre Iran/Irak, les hommes de Spie
ne constituent qu’une part des qualités néces- Batignolles et de Fougerolle qui terminaient la
saires à leur conduite dans les pays en voie construction de l’aéroport de Bagdad durent à
de développement. Souvent réalisés dans des maintes reprises se réfugier dans des abris lors
environnements hostiles du fait des conditions d’attaques aériennes. Au même moment, leurs
climatiques, de l’organisation juridique balbu- collègues de Spie Capag, basés à Basrah pour
tiante, des problèmes politiques ou de tout autre la construction d’un pipeline vers l’Arabie Saou-
facteur insoupçonné au moment de la signature dite, essuyaient de façon quotidienne les tirs
du contrat, les grands projets nécessitent de la d’obus à fragmentation iraniens.
part des managers rigueur et méthode, mais Les problèmes tournèrent même au cauchemar
aussi une forte capacité à assumer des situa- en Colombie où, en janvier 1991, une colonne de
tions de crise, à s’adapter à des circonstances guérilleros du FARC et de l’ELN attaqua le chan-
imprévues, à savoir résister ou composer selon tier de Spie Capag. Trois techniciens français fu-
les cas, sans autre guide que leur ressenti face rent pris en otage et durent parcourir la jungle
aux événements ou leurs expériences passées. colombienne pendant sept longs mois, sous le
À la longue, l’exceptionnel finit donc, le plus na- contrôle de leurs ravisseurs. L’ambassadeur de
turellement, par devenir normalité. En revanche, France, Monsieur Paul Dijoud, s’impliqua per-
le retour à des paysages plus traditionnels peut sonnellement dans cette affaire et joua un rôle
être ressenti comme une épreuve : lorsque déterminant dans son dénouement. Les trois
Claude Coppin décida de centrer les efforts com- otages furent libérés, sains et saufs, fin juillet
merciaux sur l’Europe, certains ingénieurs se 1991.
montrèrent réticents à partir pour l’Allemagne Mais les crises graves furent, en définitive, des
alors qu’à la même époque, ils partaient en exceptions, des événements très rares qui n’eu-
Chine, sans arrière-pensée, pour participer à la rent pas d’influence réelle sur la stratégie. C’est
construction d’un barrage sur le fleuve Jaune. en réalité le tarissement des marchés et la mon-
Ce n’est pas, en tout cas, la recherche de condi- tée des concurrents issus des pays émergents
tions de vie attrayantes qui explique ces atti- qui provoquèrent le retrait progressif de Spie Le fleuve
Jaune
tudes, car peu nombreux furent les sites recon- Batignolles du marché des grands projets d’in-
nus pour leur caractère idyllique ! frastructures hors d’Europe.
Ces conditions s’avéraient le plus souvent diffi-
ciles, et même fort rudes, lorsque les contraintes
opérationnelles imposaient l’établissement de

L’international : aventures au
soleil ou tristes tropiques ? 218
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« MAIS IL EST INFINIMENT RARE QU’ON SE QUITTE BIEN,
CAR SI ON ÉTAIT BIEN, ON NE SE QUITTERAIT PAS. »

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu - Albertine disparue

La corbeille, Bourse de Paris


archives SPIE.
Du côté de chez Schneider…

DU CÔTÉ
DE CHEZ SCHNEIDER

1968-1997
LE POINT DE VUE DE L’ACTIONNAIRE
Être une société mère n’est pas une tâche simple : il n’est pas aisé de brider sa fille alors qu’elle
semble promise à un bel avenir. Durant les années 70, le groupe Empain-Schneider exerçait un
contrôle assez lâche sur ses filiales qui pouvaient vivre assez librement, parfois même en véritable
autarcie. Rien ne fut refusé à Spie Batignolles, qui put lever des capitaux à sa guise et financer sa
croissance. Les fées de la conjoncture s’en mêlèrent aussi, apportant des flots de pétrodollars aux
clients du groupe.
Toute concentrée sur ses problèmes de développement, l’entreprise ne versa à ses actionnaires que
des dividendes raisonnables, dont le montant cumulé en euros constants était simplement équiva-
lent à celui des augmentations de capital.
cumul des cumul des solde
dividendes augmentations La création de valeur ne pouvait provenir,
en millions d'€ versés de capital dans ces conditions, que de la progression
période 1968-1982 63,3 – 85,3 – 22,0 du prix des actions puisque les dividendes
étaient réinvestis. De ce point de vue, la
période 1983-1990 96,6 – 61,2 + 35,4
société mère se devait d’octroyer un sa-
total 159,9 – 146,5 + 13,4 tisfecit à sa fille.
(cf. annexe 25) Au départ de René Berthon, en 1982 (voir
annexe 26), la création de valeur est en
effet impressionnante. Le coefficient de progression de la valeur de l’action depuis 1968 est proche
de 15 en francs courants et de 4 en euros constants. En outre, la société est faiblement valorisée
par la Bourse en 1982 (moins de 6 fois le résultat net consolidé). Le « prix stratégique » aurait pu
représenter le double ou le triple à cette date, comme le montreront les événements de 1986-1987.
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 20

L’OFFENSIVE DE BOUYGUES

Malheureusement, les marchés internationaux se réduisirent fortement et le temps de l’abondance


toucha à sa fin. Mais lorsqu’on a du caractère et qu’on a pris l’habitude de s’intéresser au monde
entier, il est bien difficile de redevenir humble. Spie Batignolles se laissa fasciner par le rêve nord-
américain et acheta Comstock. Empain-Schneider – redevenu Schneider – vit également sa filiale
se lancer à corps perdu dans le bâtiment en France et dans les délices de l’immobilier de bureau et
de loisir. Sans soupçonner les problèmes à venir et sans réagir.
Il faut dire que la mère était fière des succès passés de sa fille et qu’elle croyait en ses capacités.
Comme d’ailleurs un prétendant, fort sérieux, mais non sollicité, Bouygues, qui allait montrer en
1986 et 1987 tout le prix qu’il attachait à Spie Batignolles.
Ces deux exercices sont, en effet, marqués par l’offensive de Bouygues qui cherche à convaincre
Schneider de lui céder le contrôle de sa filiale et s’invite à son capital. Les valorisations moyennes
ressortent alors à environ 18 fois le résultat, soit environ 800 millions d’€ 2010 à 100 % ! Mais la
direction et les cadres dirigeants de Spie Batignolles, peu sensibles aux charmes du prétendant, étaient
totalement opposés à ce mariage. Quant à Schneider, alors en cours de redressement, ses comptes
consolidés nécessitaient l’apport des résultats de sa filiale. La tentative de Bouygues échoua donc.
Les marchés financiers en prirent acte et réajustèrent le prix de l’action Spie Batignolles à la baisse.
Mais ils restèrent influencés par la possibilité d’une cession stratégique, sans anticiper l’ampleur des
difficultés financières à venir et en particulier le poids des provisions à constituer pour rééquilibrer

Didier Pineau-Valencienne
Né en 1931, vendéen d’ori- Après la mise en place des contrôles de ges-
gine, diplômé de l’école tion de la direction Stratégie et Plan, il dirige
HEC, il prend, en 1958, après les divisions Polymères, Pétrochimie, et ac-
trois ans de service militaire cède, en 1979, au comité exécutif du groupe.
dans la Marine et un rapide Les plus hautes responsabilités lui sont alors
passage dans l’édition, la ouvertes.
responsabilité de la petite Lorsqu’il choisit de venir chez Empain-
banque du groupe Empain, Schneider, en décembre 1980, c’est en y
la PBI, présidée par Raymond apportant l’expérience qu’il s’est forgée.
Brissaud. Il devient ensuite le Il devint en 1981 président-directeur général
président-directeur général de Schneider, poste qu’il conservera jusqu’en
de la société Carbonisations 1999. Au cours de son mandat, il a transformé
et Charbons Actifs (CECA), Schneider, qui était précédemment un conglo-
filiale commune d’Empain et mérat aux multiples activités déficitaires, en
de Rhône-Poulenc, qu’il par- un groupe centré sur le matériel électrique
vient à redresser alors qu’elle est au bord de présent dans le monde entier et détenant des
la faillite. positions de leader sur ses marchés.
En 1974, la CECA est vendue et Didier Pineau- Après son départ de Schneider, il devient
Valencienne rejoint Rhône-Poulenc. La philo- président du fonds d’investissement Sagard,
sophie et les méthodes de management de senior advisor au Crédit Suisse First Boston
Renaud Gillet et de Jean Gandois le marquent et administrateur de plusieurs sociétés fran-
profondément. çaises et internationales.

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Du côté de chez Schneider…

les comptes : en 1990, la valeur de la société représente plus de 12 fois le résultat net. Notons
que la valeur ressortant de l’offensive Bouygues présente un caractère un peu théorique. En cas
d’accord avec Schneider, Bouygues eût sans doute exigé des garanties de passif substantielles…

ÉPILOGUE
En 1997, Schneider encaissera 350 millions de F nets à l’occasion de la vente de Spie Batignolles 113,
soit 60 millions d’€ 2010, après avoir supporté un coût de « deafeasance », déduction faite des
économies d’impôts, d’environ 1,2 milliard de F, soit 215 millions d’€ 2010.
Les conséquences de la stratégie de Spie Batignolles dans la seconde moitié des années 80 furent
donc très lourdes et les regrets de sa société mère à la hauteur des espoirs déçus. Mais la perte de
valeur qui en résulta était, à vrai dire, négligeable au regard de la valorisation atteinte par Schneider
après son redéploiement, brillamment réussi, vers la basse tension et les automatismes. La seule
sortie de Spie Batignolles du groupe Schneider, interprétée par les marchés financiers comme le
signe d’une évolution définitive et irréversible, effaça totalement les conséquences négatives des
déboires qu’elle avait subis. En fait, rien n’est immuable en matière de stratégie… Il est un temps
où l’on ne doit pas vendre, il est un temps où l’on doit vendre !

113 - La transaction s’est élevée au


total à 1 milliard de F, mais sachant
que Schneider avait décaissé
650 millions de F en 1993 pour
acquérir 50 % de Spie Trindel, le net
perçu est bien de 350 millions de F.
222
223
« WHETHER ‘TIS NOBLER IN THE MIND TO SUFFER
THE SLINGS AND ARROWS OF OUTRAGEOUS FORTUNE
OR, TO TAKE ARMS AGAINST A SEA OF TROUBLES
AND, BY OPPOSING, END THEM. »

Shakespeare, Hamlet, acte 3, scène 1

Archives SPIE
Exister

EXISTER

1992-1995

EXISTER
Claude Coppin fut rappelé à la présidence de Spie Batignolles en février par Didier Pineau-Valen-
cienne, dès l’annonce du départ de Georges de Buffévent. Quelques semaines après sa nomina-
tion, il organisa une réunion des cadres dirigeants qui était attendue avec impatience. Il y exposa
les grandes lignes de ses orientations stratégiques – la sortie des activités de promotion, dont
la situation était catastrophique, constituait un
élément essentiel – et fit part de sa confiance
dans les capacités de redressement de la société.
Mais lorsqu’il annonça que sa première priorité
était d’encaisser 1 milliard de francs de créances,
ce fut un choc pour l’assistance. Chacun comprit
que ces créances n’étaient pas provisionnées et
que la situation de l’entreprise était pire que pré-
vue. L’enjeu était donc l’existence même de Spie
Batignolles.
Il revenait à Claude Coppin, dans ce cadre, de
convaincre l’actionnaire de s’armer de patience,
car les opérations de redressement seraient né-
Claude Coppin cessairement délicates et complexes, alors que
rappelé à la
présidence Schneider, soucieux d’améliorer sans tarder son
image boursière, était au contraire demandeur
de solutions rapides. Il était clair que les activités
électriques allaient devenir le socle sur lequel se
construirait l’avenir du Groupe, complétées par
224
225
NAÎTRE ET RENAÎTRE 21

celles de la construction, encore fragiles, mais qui pouvaient être redressées. Le maintien des ac-
tivités d’ingénierie paraissait, du fait de leur taille insuffisante, très incertain, mais Claude Coppin
ne souhaitait pas prendre le risque de déstabiliser encore plus les équipes, déjà traumatisées par
les pertes de l’exercice 1991, et évita d’engager le débat à ce sujet pendant les premiers mois de
sa présidence.

LE RENOUVELLEMENT DE L’ÉQUIPE DIRIGEANTE


ET LES CHANGEMENTS D’ORGANISATION
La crise, vu son ampleur, avait inévitablement laissé des traces et des blessures, et creusé le fossé
qui séparait déjà Spie Batignolles et sa société mère. Dans ce contexte, des changements profonds
apparaissaient inévitables. Deux des trois directeurs généraux de l’équipe de Georges de Buffévent
quittèrent rapidement leur poste. Jean-Louis Bitouzet, à qui étaient rattachées
les activités de construction, partit en août 1992 en raison de son conflit larvé
avec Schneider. Le départ de Jean Coret fut provoqué, quant à lui, par la cession
en 1993 des activités d’ingénierie dont il avait la responsabilité.
Claude Coppin confia donc la direction générale des opérations à Jean-Paul
Jacamon, qui avait jusque-là la responsabilité des activités électriques. Il confirma
comme second directeur
général chargé des fi-
nances Jean-Claude Perrin,
que Schneider avait délé-
gué fin 1991 à ce poste.
Le comité de direction Le comité de direction fut renouvelé de 1992
générale (de gauche à droite) à 1995 dans sa quasi-totalité, l’organisation
1er rang : Y. Burin des Roziers, générale restant comme par le passé fondée
J-P. Jacamon, C. Coppin, sur les métiers (cf. annexe 27). L’organisation
J-C. Perrin, B. Lairre propre à la construction fut en revanche revue
2e rang : J. Renault, B. Cornet,
en profondeur, Claude Coppin adoptant un
J. Monville, A. Nicolaïdis,
modèle symétrique de celui du pôle électrique,
O. Dubois, F-X. Clédat
archives SPIE. avec une filiale regroupant toutes les activités
régionales France et un ensemble chargé des
grands projets de génie civil en France et à
l’étranger. Les mesures de réduction de coûts
déjà engagées par Georges de Buffévent
furent activement poursuivies au siège du
Groupe et dans tous les secteurs en difficulté.
Les activités de promotion immobilière furent,
quant à elles, soumises à un contrôle extrême-
Barrage de la Vueltosa,
ment rigoureux, ce qui était vital compte tenu
Venezuela
archives SPIE. de la crise qui sévissait alors.

LE MILLIARD DE CLAUDE COPPIN


Claude Coppin suivit étroitement les grands litiges : pipeline HBJ et émissaires de Bombay en Inde,
usine chimique SIAPE en Tunisie, barrage du Guavio en Colombie, tunnel de Hex River en Afrique
du Sud, barrage de la Vueltosa et lignes THT au Venezuela, usine d’engrais d’Aqaba en Jordanie,
usines chimiques de Speichim en URSS, etc. – liste non exhaustive, reflet du Spie Batignolles pluri-
disciplinaire des années 80 et de son credo « Notre chantier : le monde ». Les litiges furent gérés
soit par les opérationnels en charge du secteur, soit par une cellule spécialisée créée à cet effet.
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La lutte fut longue, ardue. Il y eut quelques échecs et quelques trahisons. Claude Coppin :
« Toute période difficile
GTM refusa d’honorer ses engagements de combler le découvert du
est opportunité. »
chantier du Guavio. Mais lorsque, quelques semaines plus tard, la archives SPIE.
réclamation fut réglée par le client, beaucoup plus rapidement que
prévu, GTM ne refusa pas, bien sûr, sa quote-part de l’encaisse-
ment... Il y eut des opérations exceptionnelles par leur nature :
la première guerre du golfe, qui avait interrompu les contrats de
Guerre
pipelines irakiens, permit de résoudre de façon élégante les récla- du golfe
mations en cours. Les tribunaux londoniens ordonnèrent, en effet,
le déblocage des fonds immobilisés sur des comptes séquestres dans
des banques de la City, qui assuraient la sécurité des règlements. Le solde
des sommes disponibles fut utilisé, en accord avec l’ONU, pour acheter des
céréales. Au terme d’une opération juridico-financière extrêmement délicate et dont la dimension
politique ajoutait encore à la complexité, Spie Capag eut la satisfaction de nourrir Bagdad pendant
plusieurs mois tout en ayant obtenu le règlement de ses factures.
Un travail considérable fut effectué. Les encaissements reçus dépassèrent 800 millions de F. La
transaction sur l’affaire HBJ (cf. p. 215) n’était toutefois pas suffisante pour solder les comptes
à la hauteur des attentes. Il fallut attendre la restructuration financière de 1996 pour dégager

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 21

d’importantes économies fiscales complémentaires sur ce contrat. In fine, Claude Coppin dépassa
donc, de fait, son objectif.
Par ailleurs, Spie Batignolles joua un rôle déterminant dans la résolution des litiges opposant le
concessionnaire du tunnel sous la Manche, Eurotunnel, au groupement constructeur TML. Ainsi
que l’expliquait Claude Coppin dans un article de l’AGEFI du 18 juin 1993, le problème ne consistait
pas uniquement à négocier la réclamation sur les coûts de construction, il fallait aussi modifier le
contrat pour assurer la mise en service de l’ouvrage par étapes et hâter ainsi le transfert de pro-
priété pour permettre à Eurotunnel de le mettre en exploitation aussi rapidement que possible.
Les propositions de Spie Batignolles furent retenues par ses partenaires de TML et par le client
Eurotunnel, puis mises en œuvre à la satisfaction des deux parties.

LES INÉVITABLES CESSIONS D’ACTIFS


Les recouvrements de créances s’étant étalés sur plusieurs années, Spie Batignolles ne put échapper Valle
à la nécessité de céder des actifs, compte tenu de l’ampleur de ses besoins de trésorerie. Nevado,
Les ventes d’actifs immobiliers, par essence non stratégiques, constituaient a priori une solution Chili
archives SPIE.
idéale, mais en raison de la crise qui sévissait, il ne fut pas possible d’envisager des cessions d’en-
vergure. Il fallut, au contraire, procéder par étapes et parfois
prendre des risques complémentaires, c’est-à-dire construire et
commercialiser au lieu de vendre les terrains nus.
La station de Valle Nevado au Chili donna lieu à un véritable
vaudeville financier. Cette opération avait débuté dans les an-
nées 80 comme un chantier de construction d’une route de
montagne, destinée à améliorer la liaison de Santiago avec une
petite station de ski. Le donneur d’ordre n’ayant pas payé, Spie
Batignolles en vint à construire un hôtel, puis deux, puis à com-
pléter l’équipement sportif... Au total, un peu plus de 60 millions
de US $ avaient été investis au début des années 90. Les repre-
HDI, forage horizontal dirigé
neurs potentiels cherchaient à prolonger l’exercice : ils affirmaient
archives SPIE. qu’il était nécessaire de réinvestir encore pour rentabiliser les
équipements existants et jus-
tifier ainsi un prix quasi nul. Mais la direction financière de Spie
Batignolles résista au chant des sirènes et l’opération se déboucla
presque miraculeusement en 1996, pour un montant inespéré Valle
Nevado
proche de 20 millions de US $. Mais là encore, les encaissements
n’intervinrent que tardivement et n’apportèrent pas la trésorerie
recherchée suffisamment tôt.

Spie Batignolles ne put donc échapper à l’obligation de céder


des actifs stratégiques. Ces cessions avaient d’ailleurs déjà com-
mencé dans le secteur du pétrole-gaz, avec les ventes des filiales
de revêtement de tubes, SIF et ISOPIPE, et des filiales de forage
horizontal dirigé, HDI et SHDI, opérations qui furent réalisées
dans de bonnes conditions. Elles dégagèrent des plus-values
comptables et permirent de libérer une centaine de millions de F
de trésorerie. En parallèle, face au risque de retournement du
marché canadien du pipeline, qui se matérialisa effectivement
quelques mois plus tard, Spie Capag décida d’interrompre les
activités de sa filiale d’Edmonton SCI qui, créée en 1987, avait
réalisé pendant 6 ans une remarquable performance. SCI procéda
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à la vente de ses équipements par mise aux SIF : revêtement de tubes


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enchères l’opération, réalisée avant la baisse
du marché, dégagent une dizaine de millions
de dollars de trésorerie nette.
Claude Coppin donna également son feu vert
pour négocier la cession de Spie Capag, suite
à des propositions de l’américain Wilbros.
Des discussions assez approfondies furent
menées mais échouèrent au dernier moment
en raison de problèmes de financement de
l’acquéreur.

La situation de Spie Batignolles restait préoccupante à la fois au plan des résultats, des fonds propres
et de la trésorerie. L’échec de la vente de Spie Capag renforça sans doute Schneider dans l’idée
que la vente du secteur Ingénierie et Entreprises Générales (DIEC) était inévitable. Claude Coppin
partageait cette analyse et se résolut alors à renoncer au « tripode » électricité, construction, en-
treprise générale, car le plan de charge de la DIEC était devenu très insuffisant.

Des discussions furent engagées avec le groupe américain Fluor. Mais en parallèle, Technip, qui
craignait l’implantation de son concurrent américain en France, fit le siège de Didier Pineau-Valen-
cienne chez Schneider et emporta l’affaire en juin 1993 114, après une négociation marathon qui
créa quelques tensions entre Spie Batignolles et son actionnaire. Cette cession avait un caractère
défensif : il s’agissait en fait d’éviter des frais de restructuration à venir. Elle ne dégagea aucune
plus-value comptable et se traduisit par une sortie de trésorerie compte tenu des caractéristiques
inhérentes aux activités d’entreprise générale.

Il fallut donc procéder, en raison des pertes subies par Spie Batignolles après 1991 (274 millions
de F en 1992 et 215 millions de F en 1993), à la réévaluation de certains actifs, et à la vente de 114 - Le choix de Technip, dont
50 % de Spie Trindel à Schneider, sur la base d’un prix à 100 % d’1,3 milliard de F. Cette cession, l’actionnaire de référence était alors le
groupe pétrolier Elf, n’était sans doute
réalisée durant l’exercice 93, présentait l’avantage de conserver l’intégralité de la filiale dans le
pas étranger à l’entrée de celui-ci
groupe Schneider, tout en permettant de réintégrer de la trésorerie et des résultats dans une filiale dans le capital d’un des holdings de
qui, autrement, risquait de devenir exsangue. Spie Batignolles gardait la gestion de Spie Trindel. contrôle de Schneider, la SPEP.

Centrale thermique
En 1993, le Groupe céda en outre à Framatome sa participation dans Jeumont Schneider Auto- de Tit Mellil, Maroc
mation (JSA), société spécialisée dans l’automatisation des laminoirs et des grands équipements © Studio Pons.

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de la métallurgie. JSA, dépendant de sa société sœur Jeumont Schneider Industrie (JSI) pour la
fourniture de moteurs et de variateurs de vitesse, ne pouvait en effet vivre de façon autonome Variateur
alors que Schneider avait décidé de céder JSI à Framatome. de vitesse

LE RECENTRAGE STRATÉGIQUE
DE SPIE BATIGNOLLES
Les activités de génie industriel cédées, Spie Batignolles se concentra donc sur ses deux métiers
historiques, l’électricité et la construction. Des actions rigoureuses menées dans les secteurs en crise
– immobilier et construction notamment, qui se restructura sous l’impulsion de François-Xavier
Clédat, responsable des activités régionales
de BTP en France – permirent de redresser
la situation. La société restait globalement
déficitaire mais ses résultats opérationnels
étaient à l’équilibre.

Claude Coppin put ainsi déclarer fin 1993 :


« Nous avons réussi notre recentrage sur
nos deux métiers de base, l’Entreprise Élec-
trique et la Construction. Toutes nos enti-
tés opérationnelles ont été bénéficiaires en
1993, à l’exception de la promotion, dont
nous poursuivons le désengagement…
Nous regardons l’avenir avec optimisme
car nous progresserons encore en 1994 si
les investissements industriels reprennent
en France. » Ce ne fut malheureusement
pas le cas et l’ensemble de la profession
enregistra une dépression de 1992 à 1995.
La France et l’Europe allaient désormais constituer le centre des préoccupations de l’entreprise,
l’activité internationale poursuivant son repli inévitable dans tous les secteurs trop concurrentiels.

Balisage de la piste n°1,


aéroport de Roissy
archives SPIE.

TGV Rhône-Alpes,
Bourreuse
archives SPIE.

Tunnel de la Chamoise
© J-P Mirabel.

L’ÉVOLUTION DE LA FRANCE
115 - Dans le domaine des transports
urbains, le contrat phare de la période La société n’a pas perdu, durant les années 90, son leadership dans la réalisation des infrastructures
sera la concession du tramway de de systèmes de transport 115 et dans ses autres activités de spécialités (nucléaire, lignes THT, pipelines,
Caen, obtenu en association avec le fondations spéciales, travaux souterrains). Toutefois, les grands projets nucléaires et ferroviaires
Canadien Bombardier et faisant appel
à un système innovant (véhicule sur touchent à leur fin et avec eux, l’âge d’or de la DEN, devenue Spie Enertrans. Ils dégagent encore
pneus, guidage par rail). une rentabilité significative mais il apparaît, d’ores et déjà, que le relais devra être pris par les acti-
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vités régionales de Spie Trindel. Yannic Burin des Roziers, son nouveau directeur général lance en
1993 son projet d’entreprise : « Spie Trindel, devenir l’entreprise de référence ». Ce sera le point
de départ d’une grande aventure de développement en France et en Europe.
Par ailleurs, la construction est en voie d’opérer un virage majeur. Les grands projets de génie civil
sont en déclin et François-Xavier Clédat réoriente progressivement les activités de construction vers
le bâtiment et le génie civil régional, en ciblant une clientèle fidélisée 116.

Yannic Burin des Roziers

Yannic Burin des Roziers est né en novembre pour ses clients, ses actionnaires et
École Bréguet 1940. Diplômé de l’école Bréguet, il entre chez ses collaborateurs.
CEEMTP, filiale de Citra, en 1967. Lancé officiellement en 1997, ce
Il rejoint le Groupe Spie Batignolles en 1970 projet contribua à renforcer la co-
pour prendre en charge la responsabilité des hésion interne dans la période du
activités de lignes et postes THT de l’agence RES 117 et fut pour l’entreprise tout
de Téhéran. En 1975, il poursuit sa carrière in- entière une véritable source de re-
ternationale en Afrique du Sud, où il participe nouveau et de progrès.
aux projets de Sasol puis de Koeberg dans Son action à la tête de Spie Trindel
le cadre de la filiale locale de Thermatome, s’avéra essentielle à la réussite du
dont il rejoint le siège en 1982 comme respon- Groupe, dont il devint directeur gé-
sable des activités internationales, avant d’en néral en novembre 1998. Confronté
prendre la direction de 1986 à 1988. à la faible progression du marché
Il part ensuite pour les États-Unis et devient français, il mena parallèlement et
président-directeur général de LK Comstock avec détermination le développement euro-
(filiale américaine de Spie Batignolles). péen des activités de services de proximité et
Dès qu’il prend les commandes de Spie Trin- une politique d’acquisitions de nouvelles com-
del en 1993, Yannic Burin des Roziers nourrit pétences – dans le génie climatique et la com-
de grandes ambitions pour ses équipes. Il les munication notamment. Une mutation pro-
entraîne progressivement dans un projet d’en- fonde de Spie Trindel s’ensuivit, l’entreprise 116 - Après une courte embellie, le
treprise mobilisateur et clairement formulé : laissant loin derrière elle l’image de simple BTP devait subir une nouvelle récession
« devenir l’entreprise de référence » à la fois installateur qui était la sienne auparavant. de 1997 à 2000.
117 - Rachat de l’Entreprise
par ses Salariés, réalisé en 1997
(voir chapitre 22).
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Tramway
de
Strasbourg
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Pipeline Setubal-Braga,
Portugal
© J. Burlo.

Tunnel
« Vue des Alpes », Métro de Lisbonne,
Suisse Portugal
archives SPIE. archives SPIE.

Ci-contre : tramway
de Strasbourg
archives SPIE.

François-Xavier Clédat
François-Xavier Clédat est né en juillet 1946. Xavier Clédat fut l’un des premiers à proposer
Ingénieur ESTP et diplômé d’un 3e cycle de la solution du RES à Didier Pineau-Valencienne.
gestion à l’Université de Paris-Dauphine, il Il appuya Jean Monville dans ses démarches et
entre chez Bouygues en 1970 en tant qu’ingé- sut motiver ses troupes, qui contribuèrent au
nieur structure puis ingénieur commercial. Il succès de l’opération en 1997.
devient ensuite responsable administration- Lorsque AMEC manifesta son intention de se
gestion-finances, puis directeur de filiale. désengager de Spie Batignolles – devenue en
Il rejoint en 1981 le groupe SGE, qu’il quitta 1998 la filiale BTP du Groupe –, il sut réagir en
en 1986 pour entrer chez Spie Batignolles en proposant une offre de reprise
tant que directeur général de SCGPM. Il prend de 51 % des actions de cette
la présidence de Spie Citra en décembre 1992 société sous forme de LMBO,
et devient directeur général de la branche y associant les 78 cadres diri-
Construction en juillet 1995. Il est nommé di- geants de l’entreprise et Bar-
recteur général du Groupe le 26 février 1997, clay’s Private Equity France.
fonction qu’il occupera jusqu’en 2003. L’opération se conclut avec
François-Xavier Clédat adhéra spontanément succès le 5 septembre 2003.
au projet de montage du RES qu’allait piloter François-Xavier Clédat est de-
Jean Monville en 1996 et 1997. Responsable puis lors président-directeur
des activités de bâtiment et de génie civil, général de Spie Batignolles.
qui posaient problème à Schneider, François-

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L’ORIENTATION EUROPÉENNE

Claude Coppin affirme très clairement que le Groupe doit trouver en Europe une source impor-
tante d’expansion. Spie Batignolles va prendre des positions intéressantes au Portugal (métro de
Lisbonne, pipeline de Setubal-Braga), en Suisse (tunnels ferroviaires) et en Allemagne (pipeline Mer
du Nord-Ludwigshafen, projets berlinois). Alors que les projets portugais, bénéficiant de la manne
financière bruxelloise, vont se dérouler sans crise majeure, les affaires allemandes, et en particulier
celles concernant Berlin, nécessiteront une forte implication de la direction du Groupe.

L’AVENTURE ALLEMANDE
À la suite des événements historiques intervenus de 1989 à 1991, de
RDA
vastes programmes d’investissements sont lancés durant cette période.
dates historiques Spie Batignolles décide en conséquence de s’y intéresser et cible d’em-
novembre 1989 chute du mur de Berlin blée trois créneaux : le ferroviaire dans les nouveaux Länder (ex-RDA),
octobre 1990 réunification RFA / RDA les tunnels et les fondations spéciales, l’énergie avec les pipelines et les
lignes THT.
juin 1991 Berlin capitale fédérale
février 1992 traité de Maastricht La Deutsche Bahn, bien au fait des références de Spie Batignolles et
décembre 1994 départ des Alliés confiante dans ses compétences, incita vivement l’entreprise française
septembre 1998 départ de H. Kohl, mandat de G. Schröder à s’intéresser à ses projets. Spie Batignolles bénéficia pour ce faire de
janvier 2003 traité de l’Élysée la situation du marché allemand : la concurrence était alors cartellisée,
les prix bien supérieurs aux prix français ou internationaux – plus de
50 % dans certains créneaux – et l’écart de coût de main-d’œuvre et
de management de l’ordre de 20 % entre la France et l’Allemagne. Tout militait pour l’entrée sur
Mittelstand ce nouveau marché : le volume de travaux neufs et de réhabilitations dans les nouveaux Länder,
les directives anticartel allemandes et européennes et les fonds structurels alloués par Bruxelles.
Le rachat à la Treuhandanstalt, l’organisme de privatisation mis en place après la réunification,
d’entreprises kombinats de l’ex-RDA fut un moment envisagé. Mais les risques sociaux et financiers
qu’impliquaient de tels projets parurent excessifs et Spie Batignolles préféra s’orienter vers des
partenariats locaux. Les « majors » allemands n’ayant pas réagi positivement, elle opta en défini-
tive pour une alliance avec le Mittelstand, ce réseau d’entreprises moyennes, socle de l’économie
allemande – alliance inattendue, mais
qui se révéla efficace et durable.
Ci-contre : axe nord-sud
de Berlin, le Spreebogen
archives SPIE. L’aventure allemande ne fut pas un long
Voie fixe sur béton, fleuve tranquille. Au début des années
Francfort/Cologne 90, le pays était encore économique-
archives SPIE. ment prospère et le financement des
contrats ne posait pas de problème
majeur. L’abondance des contrats limi-
tait l’acuité de la concurrence et, même
si les marges avaient déjà diminué,
l’époque de la cartellisation touchant
à sa fin, elles demeuraient encore fort
confortables. C’est ainsi que Spie Ba-
tignolles put enlever, face aux géants
allemands trop sûrs d’eux-mêmes, le
contrat du Stadtbahn, associée dans le
cadre d’un vaste consortium avec un
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Spie Fondations, groupe d’entreprises du Mittelstand. Même


gare de Lehrter, Berlin
archives SPIE.
s’il fallut réinventer le concept de la voie
fixe sur béton, chère à la Deutsch Bahn,
maîtriser tous les problèmes de mise au
point d’une technique en fait peu utilisée
et faire face à tous les problèmes d’un grand
chantier réalisé de surcroît en zone urbaine,
l’affaire s’avéra un remarquable succès
technique et financier. Le plus dur pour les
responsables du projet et pour le délégué
commercial à Berlin, Henri Berthier, fut en
définitive de devoir subir les
interminables réunions de
consortium, où la recherche
de consensus à l’allemande
entraîna souvent les parti-
cipants dans d’épuisantes
palabres.

Tous les contrats n’eurent


pas un déroulement et une
issue aussi plaisante que le PVZB
Stadtbahn. L’affaire PVZB,
en particulier, conclue à
une date où les finances al-
lemandes devenaient chan-
celantes, s’avéra très com-
plexe. Elle consistait à construire un vaste
réseau de tunnels dans un site grandiose et
historique, bordé à l’ouest par le Reichstag
reconstruit et traversant au nord la Spree.
Spie Batignolles, imposée par la Deutsche
Stadtbahn, liaison ferroviaire/ Bahn qui souhaitait poursuivre l’ouverture
métro, est/ouest, réhabilitée à la concurrence du marché allemand, ne
après la réunification fut évidemment pas accueillie avec bien-
allemande, Berlin veillance dans le microcosme berlinois : elle
archives SPIE.
était pilote du contrat PVZB alors qu’elle
n’était qu’un participant minoritaire dans
le Stadtbahn. Problèmes techniques, contractuels, difficultés de règlements, lois sociales, relations
avec les fournisseurs et sous-traitants locaux se conjuguèrent tout au long de l’affaire et générèrent
des risques non négligeables. Ceux-ci furent en définitive maîtrisés, mais il fallut aux négociateurs
beaucoup de patience et de ténacité pour parvenir, plus de trois ans après la fin des travaux, à une
solution acceptable aux plans contractuel et financier. Et pourtant, Spie Batignolles avait réalisé
une remarquable performance technique. En matière de génie civil, sa filiale SBTP, qui en assurait
la responsabilité, dut surmonter toutes les conséquences du manque de préparation du projet
par le maître d’ouvrage. Quant à Spie Fondations, qui accompagnait SBTP dans ce projet, elle dut
affronter un véritable défi, car les travaux qui lui étaient confiés étaient d’une ampleur inhabituelle,
avec 56 000 m2 de parois moulées et 28 000 m2 de béton immergé. Le travail consistait en fait à
réaliser, dans le cours de la Spree et dans le sous-sol gorgé d’eau de Berlin, d’immenses « boîtes
étanches » destinées à contenir les tunnels routiers et ferroviaires. Soumises, du fait de la pression,
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à des forces énormes, elles devaient être fixées par de puissants ancrages. Plus de 30 000 mètres
linéaires furent utilisés au total. Les imperfections pouvant provoquer la formation de véritables
geysers, les équipes de Spie Fondations plongèrent dans les eaux noires et glacées à maintes reprises
pour vérifier la qualité des bétons et des ancrages.
Le projet commença dans des conditions difficiles : le premier hiver fut en effet particulièrement
rude avec des températures inférieures à – 20°C, la Spree se couvrant d’une couche de glace d’une
épaisseur de plus de 60 centimètres. Il fut impossible dans ce contexte d’entamer les travaux de
déminage indispensables dans ce secteur qui avait été soumis à d’intenses bombardements et tirs
d’obus durant les derniers mois de la guerre. Le chantier n’hiverna pas pour autant et dès le dé-
gel, les plans furent approuvés et les équipes mobilisées. En dépit de la complexité du projet, Spie
Fondations surmonta les difficultés de toutes natures qui apparurent tout au long de la réalisation
de l’ouvrage. La performance exceptionnelle de l’entreprise fut saluée par le client.

REPLI PROGRESSIF À L’INTERNATIONAL


Au grand export, l’importance des équipes en place ne permettait pas de virage brutal. Mais en
matière de génie civil, la nécessité du repli, déjà entamé, allait se confirmer. La filiale spécialisée SBTP,
dont la direction générale était assurée par Christian Bénéteau, réussit à maintenir ses positions
traditionnelles dans certains pays d’Afrique comme le Nigeria et l’Égypte, avec le Métro du Caire,
mais ses opérations plus lointaines, en Asie notamment, s’avérèrent problématiques.

Le chantier le plus marquant de


la période est sans doute celui du Complexe pétrochimique
barrage de Xiaolangdi, en Chine d’Élémé, Nigeria
continentale. Cet ouvrage et son archives SPIE.

usine hydro-électrique, comprenant


six ensembles turbines/alternateurs
de 300 MW chacun, associés à un
réseau complexe de 16 tunnels de
grand diamètre avec leurs tours de
prise d’eau respectives, se situent
dans la dernière vallée avant les
grandes plaines du Nord-Est de la
Chine, au sud de Pékin. Après en-
viron 40 années d’études, ce projet
d’un montant total d’1,5 milliard
d’€, cofinancé par la Banque Mon-
diale et le gouvernement chinois,
constitue l’avancée la plus sophisti-
quée jamais entreprise pour contrô-
ler les crues dévastatrices, bien que
relativement rares, de ce fleuve dit
« jaune » en raison de la grande
quantité de sédiments qu’il charrie,
mais aussi dit « fleuve des regrets »
en mémoire des nombreuses vies
emportées et des destructions mas-
sives occasionnées lors de chacune
de ses grandes crues. De 1994 à
Barrage de Xiaolangdi, Chine
2000, Spie Batignolles T.P., associée archives SPIE.

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à des entreprises allemandes, italiennes et Métro


chinoises, a réalisé le lot d’un montant de du Caire
700 millions d’€ comprenant les tunnels et
les tours de prise d’eau. Grande aventure
humaine où un encadrement mixte, euro-
péen et chinois de 500 personnes, associé
à de nombreuses autres nationalités (plus
de 60 au total), a coordonné environ 8 000
ouvriers chinois pour aboutir à un projet
de qualité avec stricte tenue des objectifs.
La tentative de Spie Batignolles à Taïwan
tourna, en revanche, au désastre. La mal-
heureuse affaire des tunnels de Ping Lin,
où le client résilia le contrat au mépris de
tous les principes, eut en effet des consé-
quences non négligeables. Pour l’action-
naire Schneider, l’importance du risque
Métro du Caire, Égypte qu’il assumait en dernier ressort du fait de la mauvaise foi d’un client était devenue totalement
archives SPIE.
inacceptable dans le contexte de sa nouvelle stratégie industrielle. Elle renforça sans aucun doute
Didier Pineau-Valencienne dans sa volonté de cession de Spie Batignolles.

Il apparut clairement que le temps glorieux des grands chantiers de génie civil export touchait à sa
fin. Spie Batignolles, comme la plupart de ses confrères français et européens, fut donc amenée à
restreindre progressivement son activité dans ce domaine.
Métro de Caracas, Venezuela
archives SPIE.
Pour les autres activités internationales plus
ciblées – métros et pipelines –, le début des
années 90 allait en revanche constituer une
période favorable. En dépit de problèmes
de financement inévitables, les projets de
métros du Caire et de Caracas se dérou-
lèrent de façon satisfaisante. À Athènes,
le sous-sol – plus approprié à la recherche
archéologique qu’à l’ouverture de tun-
nels – réserva de désagréables surprises aux
génie-civilistes du consortium ! Les activités
électromécaniques, voies ferrées et électri-
cité n’y rencontrèrent, en revanche, pas de
problème majeur.

Spie Capag, dont Bernard Wagon assurait


la direction générale, bénéficia des marchés
porteurs du pipeline et entama une décen-
nie prospère avec une forte croissance de
sa rentabilité. L’un des contrats phare de la
période fut celui de la Papouasie-Nouvelle-
Guinée, conclu avec le pétrolier américain
Chevron. Ce chantier très complexe fut un
succès technique et financier.

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Pose d’un pipeline


en Papouasie-Nouvelle-Guinée
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Au siècle dernier, fin 1990, Spie Capag, associé de 75 ans, ancien policier au temps de l’admi-
à un partenaire australien, Mac Connel Dowell, nistration australienne de la Papouasie, avait
remporta un contrat de pose de pipeline en Pa- pris sa retraite en ce lieu qu’il aimait, entouré
pouasie-Nouvelle-Guinée, pays mystérieux qui de ses nombreuses épouses et d’une ving-
occupe la moitié Est d’une grande île située au taine d’enfants. Il était apparemment le seul
nord de l’Australie, dont l’autre moitié, territoire blanc à Kikori, mais avoua un jour, presque à
indonésien, s’appelle Iran Jaya. contrecœur, qu’un missionnaire suisse y vivait
également. Leurs relations étaient en effet
Le chantier se situait dans un environnement quelque peu distantes, car ce missionnaire, le
hostile, presque extrême. Dans la zone du pi- Père Antoine, le vilipendait sans ménagement
peline, il tombe, en effet, près de 12 mètres du fait de sa polygamie peu compatible avec les
d’eau par an, et cette partie de l’île est recou- enseignements de l’Église. Mais, roi débonnaire
verte d’une jungle impénétrable. Les problèmes et tolérant, il organisa néanmoins la rencontre.
logistiques furent donc considérables. En l’ab- Le Père Antoine arriva sous une pluie battante,
sence de toute route ou chemin, il fallut trouver protégé par un immense ciré jaune. C’était un
des péniches de débarquement pour atteindre petit homme, sans âge, sec comme un sarment,
et équiper le camp de base n° 2 en remontant perclus de rhumatismes qui lui tordaient les ge-
la rivière Kikori. La seule trace de civilisation noux. Cependant, en dépit des atteintes de la
était constituée par une piste d’atterrissage en vieillesse, ses magnifiques yeux bleus, surmon-
tôles d’acier, vestige de la bataille de la Mer de tés d’une belle crinière blanche, lui donnaient
corail, encore utilisée par le « roi » d’un village un regard bon et malicieux. Cela faisait trente
portant le même nom que la rivière, Kikori, qui ans qu’il évangélisait le pays, dans un état d’ex-
possédait un petit Cessna hors d’âge qu’il pilo- trême pauvreté bien conforme aux préceptes
tait lui-même. Ce roi, un vieux Néo-Zélandais des Saintes Écritures, et, dans sa paroisse, aus-
si vaste que l’Île-de-France, il devait faire face,
seul, aux besoins de ses ouailles.

Enfant, il avait été berger dans les Alpes suisses


jusqu’à ce que l’appel du Seigneur le conduise
au séminaire, puis en Afrique. La divine Provi-
dence l’avait ensuite orienté vers la Papouasie
où, pour survivre, il dut chasser les crocodiles
dont il vendait les peaux. La chasse ayant été
interdite, il lui fallut recourir à l’appui d’orga-
nisations charitables en Europe. Homme aux
multiples facettes, il était également radiesthé-
siste. Or, dans ce pays où il pleut tant, il n’est
pas aisé de trouver de l’eau potable, car celle
des fleuves est chargée de boue et de bacté-

La cloche
du Père Antoine
Exister

ries. Il cherchait donc des sources pour les par conviction religieuse, soit par incapacité à
villageois, leur apprenant à les capter et à les en percevoir la dimension spirituelle. Heureu-
canaliser avec des bambous. Gagnant ainsi leur sement, la langue anglaise apporta la solution,
confiance, il avait réussi à se faire accepter et car « bell » peut signifier enveloppe, protection
ensuite à les évangéliser. Tâche considérable et – carter en « franglais » – d’une pièce méca-
non dénuée de risques, car les hommes blancs nique. La cloche fut donc importée sous la ru-
remplissaient de stupeur et d’effroi les popula- brique « carter d’embrayage pour
tions autochtones… pompe d’épreuve », une magnifique
cloche Paccard, fabriquée en Savoie,
Entre les équipes de Spie Capag et le Père An- qui produisait la note sol, idéale
toine, le courant passa immédiatement. Le pour la transmission du son. Il resta
missionnaire leur transmit son savoir sur les à l’installer de manière à en tirer la
coutumes et valeurs locales, ce qui s’avéra très meilleure efficacité face à la concur-
précieux lorsque les Papous furent intégrés rence adventiste. Un jeune ingé-
dans les équipes de chantier. nieur stagiaire français, admirateur
Le directeur de projet, Jacques Pégaz, Savoyard de Gustave Eiffel, dessina une tour
comme le Père Antoine, déclara un jour : « il métallique de 15 mètres de haut, qui
faut l’aider ». Et les Français lui fournirent les fut réalisée par le chaudronnier néo-
moyens d’ériger un oratoire et une maison zélandais du projet, tout acquis à la
en dur, un peu moins spartiate que la cabane cause du Père Antoine.
où il vivait jusqu’alors. Pourtant un problème
continuait à le ronger. Il s’en ouvrit un soir à Depuis lors, le voyageur égaré, assez
ses hôtes, sans doute aidé par les effets d’une présomptueux pour avoir osé affron-
boisson écossaise très prisée par les pipeliners. ter l’enfer vert de la haute vallée du
Son obsession était la concurrence déloyale Kikori, peut entendre, le soir venu,
que lui livraient les « adventistes du septième le tintement rassurant d’une cloche
jour », petits missionnaires besogneux mais ef- savoyarde qui appelle à la prière
ficaces qui bénéficiaient d’une arme secrète le la communauté catholique gran-
« gong ». Une vieille bouteille de gaz sans fond, dissante. Selon des témoignages
sur laquelle ils frappaient pour attirer et guider dignes de foi, le Père Antoine s’est
les villageois, les jours d’office. L’assemblée en effet définitivement imposé face
réagit vite et de façon unanime : il fallait fournir aux adventistes. Cette histoire édi-
une cloche au Père Antoine ! fiante met en évidence, si besoin
était, le rôle évangélisateur du pipe-
Mais la mise en œuvre de ce projet n’était pas line, encore hélas trop méconnu !
si simple. Il n’était pas possible de mettre dans
la confidence les partenaires australiens, pro-
testants avérés ou buveurs de bière et parfois
les deux à la fois, qui s’y seraient opposés, soit

Cloche
Paccard

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 21

Jean-Claude Perrin
Après avoir occupé différents postes de direc- demande de Claude Coppin, comme directeur
tion financière chez Corning, Chapelle Darblay général administration et finances de Spie
et Matra Horlogerie, Jean-Claude Perrin, HEC Batignolles, alors en pleine crise. Il jouera
promotion 1968, intègre le siège du groupe un rôle déterminant dans la conception et la
Schneider en 1982 comme contrôleur de ges- mise en œuvre de la restructuration financière
tion et participe, à ce titre, aux négociations de entreprise par Schneider préalablement à la
cessions d’activités consécutives aux restruc- cession de sa filiale.
turations entreprises par son président Didier Jean-Claude Perrin est rappelé en 1995 par
Pineau-Valencienne. Didier Pineau-Valencienne comme directeur
En 1984, il rejoint Spie Batignolles, que général finances de Schneider, membre du
Schneider contrôlait majoritairement, comme comité exécutif. Il deviendra en 1999 directeur
directeur administratif et financier de la des filiales et participations.
branche Électricité et Nucléaire. Il est ensuite
envoyé à New York en 1988 et devient Senior
Executive Vice President de Comstock, filiale
américaine acquise depuis peu par Spie
Batignolles. Il s’engage activement dans
le programme de réorganisation de cette
société, qui posait de nombreux problèmes
opérationnels et financiers.
Il réintègre le siège de Schneider en 1989
à la direction du contrôle de gestion du
groupe, avant d’être détaché en 1992, à la

Météor, ligne 14 du Métro de Paris,


traversée sous-fluviale de la Seine
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Opéra Trade Center,


Paris
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Exister

VERS LE RES
RES
Claude Coppin avait réussi à gagner du temps, ce qui était essentiel. En effet, pendant toute cette
période, la nouvelle équipe de direction renforça sa cohésion et prit la mesure des enjeux straté-
giques et organisationnels ainsi que de l’évolution de l’environnement concurrentiel. Appuyé par
Jean-Paul Jacamon et Jean-Claude Perrin, Claude Coppin fit progressivement admettre à Schnei-
der qu’aucune solution immédiate n’était envisageable en raison des pertes complémentaires
enregistrées de 1992 à 1994 et de la complexité des problèmes de garantie dans les activités de
construction. L’échec des discussions avec des sociétés de premier plan, comme l’espagnol Dra-
gados, était bien là pour l’attester. La nécessité d’une restructuration financière complémentaire
se fit donc progressivement jour.
Le projet d’absorption de la société mère Schneider par sa filiale Spie Batignolles, fiscalement
très attractive, émergea alors et l’idée d’un RES prit corps progressivement. L’exemple d’Eiffage
confortait les dirigeants 118 à cet égard. Mais, au-delà d’une appréciation sur sa faisabilité technique,
cette idée de RES reposait sur leur volonté de lancer ensemble un grand projet et de proposer un
nouvel avenir à leurs équipes.

Aérogare 2F, aéroport


de Roissy-Charles de Gaulle
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118 - Cf. p. 226.


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243
« ET VOILÀ QUE BIENTÔT ILS ENTENDENT LES SOLDATS
QUI CRIAIENT : LA MER, LA MER.
LE MOT VOLAIT DE BOUCHE EN BOUCHE. »

Xénophon, Anabase - Livre IV

Archives SPIE
Vers de nouveaux horizons

VERS DE NOUVEAUX
HORIZONS

LE RES, ACTE FONDATEUR


DE LA « NOUVELLE SPIE »
Un RES – Rachat de l’Entreprise par ses Salariés – comporte évidemment une dimension financière.
Mais il est bien autre chose aussi. Porteur d’une symbolique puissante et signifiante, il marque la
volonté d’un groupe de femmes et d’hommes de prendre en main leur destin, de bâtir un avenir
solide et pérenne pour leur entreprise. Il scelle la cohésion de ce groupe autour d’un nouveau projet
qui, dans le cas de SPIE, consistait à relancer l’entreprise vers de nouvelles activités et de nouveaux
marchés plus sûrs et plus porteurs d’avenir.

Le RES fut à la fois l’aboutissement d’années d’efforts et de réflexions mettant un terme à une période
de doute et de régression, et l’acte fondateur d’une nouvelle SPIE. Mais la voie vers sa concrétisa-
tion fut parsemée d’embûches, et ponctuée d’épisodes sans suites, sources de désappointements
et d’espoirs déçus. Ces événements, parfois anecdotiques mais souvent riches d’enseignements,
sont relatés en annexe 28.

La démarche vers le RES faillit d’ailleurs ne jamais commencer, car au cours de l’été 1995, Eiffage et
Paribas, son actionnaire de référence, s’invitèrent de façon impromptue dans le débat sur l’avenir Eiffage

de Spie Batignolles. Ils lancèrent en effet une offre de rachat et d’absorption par Eiffage qui fut à
deux doigts d’aboutir. Mais Didier Pineau-Valencienne, le PDG de Schneider, la rejeta en définitive,
peu convaincu par un paiement en actions et dissuadé par l’étendue des garanties de passif solli-
citées par les acquéreurs.

Il s’ensuivit un nouveau tour d’Europe mais, l’un après l’autre, les prétendants potentiels décli-
naient. C’est ainsi que, progressivement, prit corps le projet de RES. Il apparut, en cette période
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NAÎTRE ET RENAÎTRE 22

très troublée pour les grandes entreprises de BTP – nombre d’entre elles enregistrèrent des pertes
considérables – que seul l’actionnariat salarié constituerait un argument décisif pour un investisseur,
qu’il soit industriel ou financier. Le personnel manifesterait ainsi sa confiance en l’avenir et faciliterait,
par sa présence à ses côtés, le redécollage de l’entreprise.

La nécessité d’un partenariat s’imposa d’évidence. La taille de Spie Batignolles et de certains de


ses contrats était telle qu’un actionnariat réduit aux seuls collaborateurs n’eût convaincu ni les
banquiers, ni les grands clients. Schneider ne pouvait négliger ce constat.

Peter Mason, qui venait de prendre le poste de CEO 119 d’AMEC, major anglais de la construction
et de l’ingénierie, vit immédiatement, contrairement à tous ses confrères, l’intérêt du projet et sut
saisir l’opportunité. Entre lui et Jean Monville, le courant était passé. Le projet des dirigeants de
SPIE lui parut clair et crédible. Il comprit qu’il ne risquait pas gros – son investissement minoritaire
n’était assorti d’aucune garantie additionnelle, financière ou autre – mais qu’en revanche, il pouvait
gagner beaucoup si le RES était couronné de succès.
Didier
Pineau-
Didier Pineau-Valencienne, persuadé de la viabilité du projet et satisfait
Valencienne
par le montant de la transaction – 1 milliard de F, soit environ 150 millions © J. Boissay.
d’€ – sut prendre une décision difficile : il passa outre l’avis négatif de son
Réunion du personnel
archives SPIE. banquier conseil et donna son feu vert à son lancement.

Débuta alors une période très riche et


très intense d’échanges et de débats
internes, dont l’enjeu était essentiel :
il s’agissait de convaincre un nombre
suffisant de collaborateurs d’apporter
des fonds de manière à atteindre le
minimum requis dans les accords avec
AMEC pour la souscription du person-
nel, soit 180 millions de F.

La COB – ancêtre de l’AMF – n’aida guère, exigeant que le


caractère risqué du RES soit souligné sur les bulletins individuels
de souscription.

Mais en dépit de tout, le pari fut gagné. Le 12 février 1997,


date de clôture de la souscription, le montant cumulé des
apports s’élevait à 280 millions de F, soit un montant largement supérieur aux 180 millions
susmentionnés.
La COB

UN MONTAGE FINANCIER
ET JURIDIQUE ORIGINAL
Le montage juridico-financier de l’opération constituait un dispositif essentiel car il devait garantir,
au-delà de la période de souscription, le fonctionnement harmonieux du RES jusqu’à son dénoue-
ment, c’est-à-dire la sortie du capital des salariés actionnaires. Sa conception et sa mise en place
furent évidemment le résultat d’un long et délicat travail d’équipe, mais l’architecte de ce système
complexe fut indubitablement Olivier Dubois. Fort de sa riche expérience des RES et des LBO acquise
119 - Chief Executive Officer. Ce poste
correspond à celui d’un directeur lors de son passage chez Paribas, il apporta une contribution majeure à la définition des orientations
général dans une S.A. française. et à l’élaboration des solutions retenues.
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Olivier Dubois
Lorsqu’Olivier Dubois entre chez Spie Bati- experts, sut proposer à Jean
gnolles en 1991 en tant que directeur de la Monville un montage financier
stratégie, le Groupe est en pleine tempête, innovant dont la complexité né-
mais il rêve de découvrir l’entreprise et se cessita plus de cinq mois de tra-
montre prêt à en affronter les réalités. An- vail acharné, mais qui se révéla
cien élève de l’Essec et de Sciences-Po Pa- efficace et parfaitement appro-
ris, il a alors 37 ans et vient de passer près prié au problème posé.
de onze ans à la Banque Paribas au sein du Durant la période 1997-2002, il
département des affaires industrielles où il joua un rôle éminent dans l’ani-
fut, entre autres, l’un des pionniers dans l’art mation du Groupe et sa contri-
du montage de LBO, et participa notamment bution au financement de SPIE
à la réalisation du RES Fougerolle en 1990. et aux opérations de croissance
Une riche expérience dont il sut faire profiter externe fut déterminante.
l’entreprise quelques années plus tard dans Après avoir participé de façon active durant
le cadre de ses fonctions de directeur général l’été 2002 aux négociations avec AMEC sur
adjoint Administration et Finances. Lorsqu’en les modalités de levée de l’option de rachat
1996 germa l’idée d’un RES pour faciliter la des actions des salariés et sur leur valorisa-
sortie de Spie Batignolles du groupe Schnei- tion, Olivier Dubois rejoignit Technip en tant
der, Olivier Dubois, s’appuyant sur quelques que directeur général Finances et Contrôle.

UN SCHÉMA FINANCIER SÉCURISANT POUR LE RES


Le prix d’acquisition d’1 milliard de F comprenait deux parties : 350 millions de F pour Spie Batignolles,
qui à cette date détenait 50 % de Spie Trindel et 100 % de ses autres filiales, et 650 millions de F
pour les 50 % de Spie Trindel propriété de Schneider.

Le financement de l’opération fut assuré de façon assez originale. Tirant les conclusions des diffi-
cultés de certains RES dans le domaine de la construction, l’équipe dirigeante décida de ne loger
aucun endettement externe au niveau du holding d’acquisition Financière Spie Batignolles (FSB).
L’endettement – consenti sous forme d’un prêt sans recours de la Société Générale – fut porté
exclusivement par un holding intermédiaire Financière Spie Trindel (FST) possédant Spie Trindel à
100 % (voir annexes 29 et 30). Le caractère récurrent et peu cyclique des activités de Spie Trindel
permit, de cette manière, la mise en place d’un financement stable et peu risqué.

UN LARGE ACTIONNARIAT SALARIÉ


Avec le montant de 280 millions de F qu’ils avaient réuni, les salariés obtinrent un pourcentage de
contrôle de 58,4 % dans Financière Spie Batignolles. Les fonds communs de placement qui gé-
raient les souscriptions des salariés avaient gardé 10 millions de F de disponibilités pour en assurer
la liquidité. AMEC détenait le solde de Financière Spie Batignolles, soit 42,6 %, ainsi qu’une option
d’achat des titres des salariés actionnaires exerçable fin 2002 (cf. annexe 30-3).

Le nombre total des souscripteurs s’éleva à 12 000, à rapporter à un effectif total France de 18 000.
Dans chaque catégorie de salariés, les pourcentages de souscription furent les suivants :
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Les taux de participation moyens s’élevèrent à 72 % chez % de participation à la souscription :


Spie Trindel et chez Spie Citra, mais la mobilisation fut Ouvriers 55 %
moins grande chez Spie Enertrans, qui traversait alors une Employés et techniciens 66 %
crise grave du fait de l’arrivée à leur terme des grands Cadres 83 %
programmes français d’investissement dans le nucléaire
Total 66 %
et le ferroviaire. Le montant moyen des souscriptions était
supérieur à 23 000 F par personne, chiffre très voisin de
celui obtenu par Eiffage dans des opérations similaires.

La participation des ouvriers et des ETAM avait été facilitée par la mise à disposition de prêts,
d’abord consentis par Spie Batignolles, et qui furent ensuite relayés par les banques. Les cadres
engagèrent 2 mois de salaire et les cadres dirigeants, qui participèrent à 99 %, près de 40 % de
AMEC SPIE Rail, leur rémunération annuelle.
Manchester South,
Royaume-Uni
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AMEC, PARTENAIRE ET ACTIONNAIRE
Du fait de sa taille et de ses compétences, AMEC était un
partenaire industriel de qualité. Spie Batignolles assura donc
immédiatement sa crédibilité vis-à-vis de ses clients et de ses
confrères, qui ne purent mettre en doute la viabilité de l’as-
sociation. Celle-ci n’était pénalisée par aucun recouvrement
géographique majeur. Elle offrait au contraire des possibilités
de développement significatives à Spie Batignolles dans le
domaine ferroviaire en Grande-Bretagne. Ce potentiel fut
exploité dès l’origine avec la création d’une société commune
50/50 AMEC SPIE Rail Systems qui, combinant les compé-
tences techniques des équipes françaises et la connaissance
de l’environnement contractuel et commercial du partenaire
anglais, prit un remarquable essor sur le marché des projets Système
ferroviaire
neufs et de réhabilitation du réseau anglais. AMEC SPIE Rail britannique
Systems répondit pleinement aux attentes des deux parte-
naires. Partant de zéro en 1997, son activité de travaux fer-
roviaires devint, en 2002, supérieure à celle réalisée par SPIE
en France dans le même secteur.

AMEC et en particulier, Peter Mason, son CEO, firent


confiance dès l’origine à l’équipe dirigeante de SPIE et la lui
conservèrent pendant toute la durée du RES. Il n’y eut pas de
conflit. Au contraire, AMEC favorisa les projets d’expansion
de SPIE en soutenant les opérations de croissance externe et
en acceptant de participer à une augmentation de capital en
début d’année 2000 120.

AMEC, société cotée à la Bourse de Londres, était à la date


de la transaction de taille un peu supérieure à celle de Spie
Batignolles et de ses filiales. Son siège social était alors situé
à Manchester. Elle avait réalisé, en 1995, un chiffre d’affaires
d’environ 2,45 milliards de livres, dont 71 % sur son marché
120 - AMEC porta, à cette occasion, sa intérieur. AMEC n’était pas présente en Europe continentale à l’exception de l’Allemagne, où elle
participation à 46 %. possédait une filiale, qu’elle mit progressivement en sommeil à partir de 1997.
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À la suite d’une importante acquisition en Amérique du Nord 121, AMEC crut rapidement et son
chiffre d’affaires dépassa 6,5 milliards d’€ dès 2003, le Royaume-Uni ne représentant plus qu’un
tiers environ du total.

UN REDRESSEMENT SPECTACULAIRE
D’IMPORTANTES MESURES DE RÉORGANISATION
Il apparut rapidement que la restructuration de Spie Enertrans 122, avec une activité trop hétéroclite
et une multiplicité de centres de profit, était impérative. Deux pôles distincts furent donc créés, l’un
consacré aux transports ferroviaires, l’autre à l’énergie, incluant Spie Capag. Pierre Fortuné assurait la
responsabilité du secteur ferroviaire et Bernard Wagon celui de l’énergie. L’organisation régionale de
Spie Automation, jusque-là distincte, s’intégra par ailleurs à celle de Spie Trindel. Enfin, les activités
nucléaires furent regroupées dans Thermatome, qui devint Spie Thermatome, filiale rattachée au
pôle énergie de Spie Enertrans. Au préalable, SPIE avait racheté à Schneider sa participation dans
cette filiale commune. Ce bouleversement organisationnel qui affectait les activités électriques,
provoqua le départ de plusieurs dirigeants du Groupe en 1997.

L’équipe de direction générale se cristallisa autour de quatre personnes : Jean Monville, président-
directeur général ; François-Xavier Clédat, directeur général en charge de la construction (auquel
fut également rattachée Spie Enertrans, quelques mois après sa réorganisation) ; Yannic Burin des

Sir Peter Mason, KBE

Peter Mason a consacré toute sa carrière aux après le dénouement de l’opéra-


métiers de la construction et des services tion en 2003.
associés. Il passera notamment 12 ans chez En l’espace de 6 ans, il a fait
Norwest Holst dont il devient directeur général d’AMEC un groupe international,
en 1985. leader dans le domaine de l’in-
Il rejoint ensuite le groupe BICC plc spécialisé génierie et des services, forte-
dans la fabrication de câbles. Administrateur ment implanté dans trois zones
de BICC, il est, au plan opérationnel, prési- géographiques (Royaume-Uni,
dent-directeur général de sa filiale construc- Europe de l’Ouest, Amérique
tion Balfour Beatty Ltd. du Nord) et dans 40 pays. En
En 1996, il est appelé à la direction générale 2003, le chiffre d’affaires d’AMEC dépassera
d’AMEC plc, qui traverse alors une période 5 milliards de livres pour un effectif de 45 000
difficile après la tentative avortée d’OPA du personnes.
Norvégien K’Vaerner. Il engage alors un pro- Peter Mason conduira en 2005 et 2006 la
gramme ambitieux de développement de l’en- « strategic review » des activités d’AMEC. Le
treprise, jusque-là essentiellement présent sur plan de restructuration qu’il fit alors adopter
le marché britannique. par son conseil fut celui que son successeur
Sa participation minoritaire dans le RES de reçut pour mission de mettre en œuvre.
Spie Batignolles, dont Peter Mason fut le pro- Peter Mason, né en 1946, a effectué ses études
moteur à l’intérieur de son groupe, permit à à l’université de Glasgow. Il est devenu Knight 121 - Le groupe canadien d’ingénierie
AMEC de s’implanter en Europe continentale of the British Empire (KBE) en 2002. AGRA.
122 - Qui rappelons-le était issu de
la filialisation de la DEN, la Division
Electricité et Nucléaire.
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Roziers, directeur général en charge de Spie Trindel et de ses filiales ; et Olivier Dubois, directeur
général adjoint chargé de la stratégie et des finances.

UNE ÉVOLUTION DE LA CULTURE DU GROUPE


Le RES contribua indéniablement à faire évoluer en profondeur et durablement la culture du Groupe.
La communication interne, qu’il fallut relancer avec vigueur, permit de sensibiliser l’ensemble du
personnel aux problèmes stratégiques et financiers. Les droits des actionnaires, ainsi que l’indis-
pensable maîtrise des risques, émergèrent comme des valeurs incontournables.

Au plan du management, la forte croissance des activités régionales conforta la culture de décen-
tralisation et d’initiative locale, indissociables d’une approche commerciale fondée sur la proximité
du client. Mais, au-delà des évolutions internes, les acquisitions, réalisées pour l’essentiel durant la
seconde phase du RES, injectèrent du sang neuf dans l’entreprise et contribuèrent très fortement
à la revivifier.

Jean Monville
Jean Monville est né le 7 novembre 1944. Di- d’activités et reprise de la croissance. En
plômé de l’École polytechnique et licencié moins de six ans, le Groupe, naguère orienté
ès Sciences économiques, il intègre Spie Ba- vers le BTP et les grands projets internatio-
tignolles en 1978 en tant que directeur du naux, réalise sous sa houlette une profonde
département Finances export du Groupe. De mutation en se tournant majoritairement vers
1984 à 1992, il est directeur général adjoint les services de proximité et entame un déve-
puis directeur général de Spie Capag. loppement européen.
Devenu en 1992 directeur du marketing Le succès industriel et financier du RES conduit
Groupe, il est ensuite nommé, en juin 1995, AMEC à lever son option d’achat de SPIE et à
administrateur-directeur général de Spie Ba- en prendre le contrôle total le 5
tignolles. mars 2003.
À cette date, l’entreprise, gravement secouée Jean Monville intègre alors AMEC
par les lourdes pertes de 1991 et la crise du plc en tant que « executive di-
BTP qui a touché l’ensemble de la profession, rector » et assure, à ce titre, la
se voit contrainte, de par la volonté de son direction générale de l’Europe
actionnaire Schneider, de se chercher un continentale et des activités
repreneur. Il doit assumer cette mission tout d’infrastructures ferroviaires de
en poursuivant le travail de réorganisation l’ensemble du nouveau groupe,
et de restructuration déjà entamé par son présidant ainsi la destinée des
prédécesseur, Claude Coppin. sociétés AMEC SPIE SA et AMEC
C’est dans ce contexte que sera lancé le RES, SPIE Rail SA.
réalisé avec le soutien du britannique AMEC, Lors de la cession de SPIE par AMEC, il jouera,
qui permettra au personnel de prendre le aux côtés de Peter Mason, un rôle déterminant
contrôle de l’entreprise le 26 février 1997. dans le choix du repreneur – le groupe de LBO
Jean Monville, désigné comme président-di- PAI partners –, devenant le président de SPIE à
recteur général, engage les collaborateurs compter de 2006, poste qu’il assura jusqu’au
de SPIE dans un projet ambitieux comportant 31 décembre 2009. Depuis le 1er janvier 2010,
trois volets principaux : poursuite du redres- Jean Monville est président d’honneur de SPIE.
sement déjà entamé, refonte du portefeuille

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LE RETOUR À LA CROISSANCE
ET L’APPORT DES ACQUISITIONS

Après la phase de redressement et de restructuration


de 1997 et 1998, le retour à la croissance était devenu
l’objectif majeur de la direction générale. En dehors du
secteur de la construction en France, qui subit de 1997
à 2000 une sévère récession et ne bénéficia de la phase
croissante du cycle qu’en fin de RES, la conjoncture se
montra favorable aux desseins de l’entreprise. Les grands
programmes de réhabilitations ferroviaires anglais, les
importants investissements réalisés dans les domaines
du pétrole et du gaz et le développement des nouvelles
technologies de l’information et de la communication
furent autant de facteurs positifs. Mais il s’avérait
indispensable d’élargir les compétences du Groupe et
d’accélérer sa progression dans les secteurs porteurs. La
croissance externe apparut donc comme indispensable.

Sa rentabilité s’étant redressée, SPIE avait pu lever un


emprunt euro-obligataire. Ceci lui permit, notamment,
de racheter par anticipation le solde des actions de Fi-
nancière Spie Trindel encore détenues par Schneider et
de dégager un complément de ressources pour lancer
un programme d’acquisitions. Trois d’entre elles méritent
d’être mises en évidence.

LAURENT BOUILLET :
UN COUP DE GÉNIE… CLIMATIQUE

SPIE rachète L’acquisition de Laurent Bouillet marqua les esprits car elle apparut, compte tenu de sa taille 123,
Laurent comme un mouvement stratégique majeur.
Bouillet

Lorsque SPIE s’y intéresse, en 1999, c’est dans le but de se renforcer dans le domaine prometteur du
génie climatique où ses positions commerciales sont géographiquement limitées – principalement
à la région parisienne. La société Laurent Bouillet jouit quant à elle d’une excellente réputation
dans ce secteur. Également présente en Île-de-France, elle apporte en complément d’excellentes
implantations dans d’autres régions, ainsi que sa filiale belge, Air et Chaleur. SPIE acquiert Laurent

Génie climatique
archives SPIE.

123 - Environ 1,5 milliard


de F de chiffre d’affaires
total en 1999, soit 250 mil-
lions d’€ 2010.
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Bouillet en novembre 1999 et double ainsi ses parts de marché de génie climatique en France,
totalisant un chiffre d’affaires de l’ordre du milliard de F en 2000 dans ce secteur.

MATRA NORTEL COMMUNICATIONS DISTRIBUTION :


INGÉNIERIE ET SERVICES TÉLÉCOM

SPIE Communications
archives SPIE.

C’est en s’appuyant sur ses métiers d’origine que SPIE avait choisi, à la fin des années 90,
d’élargir progressivement ses compétences vers le domaine des télécoms et des réseaux de
communication. C’est ainsi qu’était née, en 2000, la marque Spie Netcom, qui avait structuré
ses activités autour d’offres dédiées aussi bien aux opérateurs qu’aux entreprises industrielles et SPIE rachète
MNCD
tertiaires. Le marché était alors en pleine croissance et les dirigeants de SPIE songèrent à nouer
des alliances pour élargir leurs compétences et préparer les innovations technologiques futures.
Dans ce contexte, SPIE, qui avait déjà procédé à des acquisitions plus mineures en 1999, dé-
cida de passer à la vitesse supérieure en reprenant, dès octobre 2001, l’un des poids lourds du
secteur de la téléphonie d’entreprise – plus de 200 millions d’€ de chiffre d’affaires – : Matra
Nortel Communications Distribution (MNCD).

FORAID ET IPEDEX : SERVICES À L’INDUSTRIE PÉTROLIÈRE


Foraid
archives SPIE. Jusque-là spécialisée pour l’essentiel dans les projets de pipelines, SPIE décida d’élargir son offre à
destination de ses clients pé-
troliers et gaziers en abordant
le secteur des services. Prendre
ainsi position ne pouvait s’en-
visager que par le biais de la 124 - Ancienne-
ment filiale du
croissance externe. D’où l’im-
groupe Suez.
portance des acquisitions de 125 - Ancien-
Foraid 124 et d’Ipedex 125, qui nement filiale
permirent de constituer un de Technip et
de l’IFP (Institut
pôle de compétences spécia- Français du
lisé dans l’assistance aux opé- Pétrole).
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rateurs, et dans la maintenance de leurs installations. Acquise en 2002, Foraid (CA : 46 millions d’€
pour un effectif de 600 personnes) apportait une activité récurrente de maintenance et de services,
en particulier dans le domaine du forage sur les champs pétroliers, au travers de ses nombreuses
implantations sur la côte Ouest de l’Afrique : Gabon, Congo, Angola, Nigeria. Avec l’arrivée d’Ipedex
début 2003 (CA : 125 millions d’€ pour un effectif de 1 700 personnes), l’entreprise élargit encore
ses capacités techniques et sa présence géographique, notamment au Moyen-Orient et en Asie du
Sud-Est. La filiale Spie Enertech, spécialisée dans l’instrumentation, vint naturellement rejoindre le
pôle de services pétroliers.

L’AMBITION EUROPÉENNE
Dans le domaine des infrastructures ferroviaires, le succès d’AMEC SPIE Rail au Royaume-
Uni permit de constituer un leader européen. Dans celui de l’ingénierie électrique, Spie
Trindel était restée confinée jusqu’en 1995 au territoire français, les activités interna-
tionales, qu’elles soient de projet ou de proximité, étant confiées à sa société sœur
Spie Enertrans. La reprise de la gestion de la filiale belge Abay TS en 1996, à la
veille du RES, fut la première étape du déploiement européen de Spie Trindel.
Celle-ci vécut alors une véritable révolution culturelle pour assumer sa nouvelle
mission : développer au plan européen son
modèle d’entreprise, fondé sur le service
de proximité.

Dans le cadre de cette politique, le


Groupe procéda tout au long de
la période à des acquisitions des-
tinées à renforcer et à élargir son
réseau « ingénierie électrique » en
Europe de l’Ouest (voir annexes
Spie Trindel, 31 et 32). Il était, dès 2003, soli-
plus de 30 ans
dement implanté en Belgique, en
d’activité au
Hollande et au Portugal, disposait d’une filiale en Allemagne et
CERN, Genève
archives SPIE. était entré sur les marchés espagnol et suisse.

DES ACTIVITÉS DE PROJETS


CIBLÉS ET RENTABLES
À l’international, les grands projets concernèrent, à la fin du RES, presque uniquement le
secteur pétrole-gaz amont (exploration, production et transport d’hydrocarbures) et celui des

Spie Enertech, projet Odidi,


Nigeria
archives SPIE.

Soudeur sur pipeline


© Jacques Burlot.

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Channel
AMEC SPIE Rail, filiale commune de SPIE des travaux électromécaniques associés
et d’AMEC (50/50), s’est vu attribuer le sur un parcours de 70 km.
premier projet de ligne grande vitesse en Le CTRL constituait le plus grand projet de

Tunnel
Grande-Bretagne, le CTRL, destiné à relier chemin de fer réalisé en Grande-Bretagne
le tunnel sous la Manche à Swanley dans depuis plus d’un siècle.
le Kent, où il se raccorde au réseau exis- AMEC SPIE Rail était, en outre, chargée

Rail Link
tant. Signé le 24 janvier 2000, à Londres, de concevoir et de réaliser les essais
avec Union Railways South Ltd, ce contrat préalables au transfert de l’ouvrage au
« conception-construction » d’environ client. Bénéficiant de ses coopérations

(CTRL)
200 millions d’€ comprenait les études, la antérieures avec la SNCF et Eurostar, et de
fourniture des équipements, l’installation l’expérience acquise dans le tunnel sous
d’une plate-forme de travaux, la réalisa- la Manche et dans des grands projets de
tion de la voie ferrée, des caténaires et métros tels Caracas et Athènes, la société
mena à bien l’ensemble des opérations.
À cette occasion, elle battit à plusieurs
reprises le record anglais de vitesse sur
rail en le portant à 334,7 km/heure le
30 juillet 2003.
Mise en service durant le dernier trimestre
2003, la nouvelle ligne fut prolongée dans
un second temps par un tronçon complé-
mentaire permettant d’accéder à la gare
Arrivée du matériel
de chantier
londonienne de Saint-Pancras.
archives SPIE.

infrastructures ferroviaires. AMEC SPIE Rail bénéficia de l’important programme d’extension et


CTRL
de réhabilitation du réseau ferré anglais, participant à des projets majeurs tels que Manchester
South, CTRL (passage à grande vitesse de la liaison tunnel sous la Manche/Londres). L’activité
historique du génie civil export, qui avait fait la gloire du Groupe pendant plus d’un siècle, avait
été fortement freinée, hors de l’Europe de l’Ouest, à partir de 1995, puis fut définitivement
interrompue en 2002.

Le redressement financier des activités de projets s’accompagna de profondes mutations sur la


nature même des affaires avec l’émergence des contrats de type « alliance » et avec la prise en
compte de plus en plus fréquente d’objectifs de « développement durable » coexistant avec les
objectifs purement économiques du projet.

L’approche de l’« alliance », qui consiste à rassembler dans une équipe intégrée les représentants du
client et ceux du « contractor », fut imaginée en premier lieu par les compagnies pétrolières dans
les projets off-shore puis étendue par les maîtres d’ouvrage britanniques aux projets de construction
et de réhabilitation des infrastructures ferroviaires. AMEC SPIE Rail Systems testa cette formule avec
succès, notamment dans les contrats de West Anglia et de Manchester South.

LES GRANDS PROJETS ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE


Une excellente illustration des nouvelles exigences des maîtres d’ouvrage et des organismes de
financement est fournie par le projet de l’oléoduc Tchad-Cameroun. On mesurera, à la lecture des
quelques lignes qui suivent, le chemin parcouru depuis l’époque du Congo-Océan.
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Spie Capag, dans le cadre d’un consortium fran- projet. Plus de 102 organisations non gouverne-
co-américain 126, se vit confier, en septembre mentales veillèrent au respect des engagements
2000, la construction de l’oléoduc d’ExxonMo- pris par le maître d’ouvrage et les entreprises.
bil reliant le champ de Doba, au Tchad, au lit- Le consortium avait l’obligation de maximiser
toral camerounais. Long de 1 070 km, l’oléoduc le recours aux ressources locales de main-
traverse des étendues de savane au Tchad avant d’œuvre 127 et de sous-traitance.

d’aborder des zones de forêt tropicale vallon- Il dut, en conséquence, procéder, tout au long
nées, dans la région de Yaoundé. Dans la partie du contrat, à un vaste effort de recensement de
ouest du tracé, les pluies concernent six mois compétences et de formation. Les problèmes de
de l’année, avec des niveaux de précipitations sécurité reçurent une attention toute particu-
de l’ordre de 3 000 mm par an. lière avec près de 34 000 séances de rappel de
consignes de sécurité. La population nomade
Première des compagnies pétrolières améri- des Pygmées fit, quant à elle, l’objet d’un plan
caines, ExxonMobil impose des contraintes particulier afin de définir des postes de travail
extrêmement rigoureuses en matière de déve- adaptés. 126 - Le partenaire étant la société
Wilbros.
loppement durable dans ses projets. Celles-ci Ces démarches de prévention ne se limitèrent
127 - L’effectif moyen total s’est élevé
furent encore renforcées du fait de la présence pas au personnel employé par le chantier. Elles à 5 000 personnes pendant la durée
de la Banque Mondiale dans le financement du visèrent aussi les habitants des zones du tracé : du chantier.

Le projet
Tchad-Cameroun 254
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Vers de nouveaux horizons

des réunions d’infor-


mation furent organi-
sées dans 198 villages,
généralement dans les
églises ou les écoles,
afin que le plus grand
nombre connaisse les
risques liés aux dépla-
cements des engins
et à l’ouverture de la
piste. Une signalétique
prenant en compte les
niveaux d’éducation et
les particularités cultu-
relles fut mise en place
dans toutes les zones
concernées par le pas- de l’Environnement et des Forêts du Cameroun.
sage des travaux. Face à ce niveau d’exigence, la qualité de la pré-
paration du chantier est primordiale, afin que
L’ENTREPRENEUR : DU COW-BOY toutes les procédures soient en place et com-
AU PÉPINIÉRISTE ! prises par tous, bien avant le début des travaux.
Pour la première fois sur un chantier de pipeline
Au plan de l’environnement, des procédures de Spie Capag, l’effectif dédié aux activités de
très strictes furent élaborées. Le niveau élevé préparation et de contrôle du projet dans les
des précipitations provoque, en effet, une forte domaines socio-économiques, de la sécurité et
érosion dans les zones défrichées et il convient de l’environnement, a été supérieur à celui du
donc de les reboiser dès la fin des travaux. Les personnel de construction.
méthodes de reforestation furent définies en
collaboration avec l’université de Yaoundé. Les Le métier du pipeline, comme celui du génie ci-
547 espèces collectées et identifiées au défri- vil, a en fait profondément évolué : les clients
chage furent cultivées dans 8 pépinières spé- considèrent comme « normale » la capacité
cialement créées le long du tracé et qui ont em- des entreprises à résoudre les problèmes
ployé 1 300 personnes. techniques les plus complexes et les jugent
L’opération conduisit à replanter un million de désormais sur leur aptitude à adhérer sincère-
sujets, représentant un tiers des espèces les ment à leurs initiatives en matière de sécurité,
plus propices, dont 100 000 arbres fruitiers pour d’éthique ou de respect de l’environnement
les villageois. Cette démarche donna lieu à la et à les relayer efficacement dans la mise en
publication d’un ouvrage réalisé en commun œuvre de ces nouvelles approches.
avec l’Université, sous le patronage du ministère

Le projet
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BILAN STRATÉGIQUE
ET FINANCIER 1997-2002

UNE PROFONDE MUTATION DE L’ACTIVITÉ…


SPIE BATIGNOLLES REDEVIENT SPIE
Recentré sur ses nouvelles priorités, le Groupe abandonna en 1998 le terme « Batignolles »,
désormais réservé à la construction, pour s’appeler SPIE. Cette nouvelle dénomination traduisait
une volonté de fidélité au passé, mais soulignait en même temps un changement et un nouveau
départ.

Les données de l’annexe 33 illustrent cette mutation. Le Groupe est en rupture claire avec son
ancien slogan « Notre chantier : le monde ». En 2002, le chiffre d’affaires « reste du monde » ne
représente plus que 8 % du total, alors qu’il avait dépassé 60 % au début des années 80. SPIE est
devenue une société européenne : la part purement française reste prédominante, mais les activi-
tés dans les autres pays, poussées par les acquisitions de Spie Trindel et les contrats ferroviaires en
Grande-Bretagne, ont dépassé 20 % du total, soit cinq fois le niveau de 1990.

Le rôle prioritaire du pôle électrique et électromécanique, déjà perceptible à la fin des années 80, a
continué à s’affirmer, favorisé par l’expansion européenne de Spie Trindel et par la diversification vers
de nouvelles activités : génie climatique, systèmes de transmission de données, services pétroliers.
Le poids de la construction a notablement diminué : 28 % du total, contre 72 % pour l’ensemble
Spie Trindel, Spie Communications, Spie Energie Services, Spie Rail 128.

L’activité est devenue beaucoup plus récurrente, moins sensible aux effets de cycles dans le domaine
des investissements d’infrastructures et avec des montants de contrats beaucoup plus faibles. Le
profil de risque s’est donc considérablement amélioré.

UNE FORTE PROGRESSION DE LA RENTABILITÉ


Le déploiement stratégique précédemment décrit permit d’augmenter la rentabilité de façon ré-
gulière et significative. Nulle fin 1966, au lancement du RES, la marge EBIT/CA (voir annexe 34)
atteint près de 3 % à fin 2002.

Les meilleures performances sont celles des filiales françaises de Spie Trindel et de Spie Énergie
Services. Les filiales européennes et Spie Communications dégagent des marges plus réduites.
SPIE - Analyse de la crois-
sance de l’activité 1998-2002
UNE POLITIQUE
Taux de croissance annuel DE CROISSANCE
total organique AMBITIEUSE
Activités régionales européennes (Spie Trindel, Spie Communications) 17,3 % 4,6 %
Le tableau ci-contre résume
Énergie : projets et services (Spie Énergie Services) 13,6 % 21,1 %
les principaux traits de la crois- 128 - SPIE
Sous-total énergie, génie électrique et communications 16,5 % 8,2 % sance de SPIE à partir de 1998, Enertrans a
apporté, en
Spie Rail 9,6 % 9,6 % et en particulier le poids relatif 2002, ses actifs
Spie Batignolles (activités régionales) 8,4 % 6,9 % de la croissance organique et « Énergie » et
de la croissance externe. « Rail » à deux
SBTPI (activités internationales de génie civil) non significatif sociétés : Spie
Énergie Services
Total SPIE 11,0 % 7,4 %
et Spie Rail.
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Une forte croissance organique

La période 1996-2002 met en évidence la stabilité et la performance du modèle d’entreprise de Spie


Trindel. Bénéficiant d’une large diversification de son portefeuille entre industrie, tertiaire et réseaux
d’une part, public et privé d’autre part, l’entreprise voit son activité fortement corrélée au PIB des
territoires où elle opère. Mais grâce à certaines évolutions structurelles – telle l’externalisation de
la maintenance – et au dynamisme de certains marchés – génie climatique, « intelligence » dans
les immeubles –, elle parvient dans la durée à maintenir une croissance supérieure d’1 % environ
à celle du PIB 129.

La forte croissance organique des filiales rail est liée au développement des activités anglaises. Celle
de Spie Enertrans n’est pas en revanche significative, l’augmentation de son chiffre d’affaires étant
imputable à l’impact du contrat Tchad-Cameroun de Spie Capag.

En ce qui concerne Spie Batignolles, il convient de noter que la filiale construction du Groupe a
bénéficié d’un rebond du marché après la récession de 1997-2000.

Une croissance autofinancée

La liste des acquisitions (cf. annexes 31 et 32) reflète fidèlement les choix stratégiques : bâtir une
offre régionale multitechnique – électrique et mécanique – et développer des services spécialisés
dans les télécoms, l’énergie et le pétrole-gaz en particulier.
Principalement concentrées sur les activités de services, ces acquisitions ont été en totalité auto-
financées grâce à l’amélioration de la rentabilité. L’annexe 35 montre que l’exploitation a généré
un excédent de trésorerie au terme de la période du RES en dépit de l’importance de la croissance
externe. Celle-ci ne déséquilibre pas la situation financière de la société et peut donc, de façon
durable, faire partie intégrante du modèle d’entreprise.

L‘ÉVOLUTION DU PARC SAINT-CHRISTOPHE


À CERGY-PONTOISE
Parc
Le Parc Saint-Christophe, conçu à la fin des années 1980 comme le siège emblématique d’une Saint-
société exportatrice, spécialiste de grands projets, a subi le contrecoup des évolutions stratégiques. Christophe

Autrefois exclusivement réservé aux équipes du Groupe, il s’est progressivement transformé en


site multi-entreprises, où SPIE a progressivement réduit les surfaces qu’elle y occupe (un tiers du
total en 2009).

129 - Sur la période 1996-2003, le PIB


français en valeur a progressé de 3,6 %
l’an en moyenne, en € courants.
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« LA MULTITUDE QUI NE SE RÉDUIT PAS À L’UNITÉ EST CONFUSION.
L’UNITÉ QUI NE DÉPEND PAS DE LA MULTITUDE EST TYRANNIE. »

Blaise Pascal, Pensées.

Archives SPIE
To be or not to be « one AMEC »

TO BE OR NOT TO BE
« ONE AMEC »

LE RACHAT DE SPIE PAR AMEC


L’année 2002 s’acheva sur la confirmation attendue de l’intention d’AMEC d’exercer son option
AMEC
d’achat sur les 54 % de SPIE restant à acquérir. D’innombrables vérifications, audits, « due dili-
gences » furent menés pour garantir aux actionnaires le bien-fondé stratégique et financier de
l’opération. Au grand bonheur des banquiers, des conseils et autres consultants. Une assemblée
générale des actionnaires d’AMEC ratifia, le 5 février 2003, la décision d’exercice de l’option. La
transaction, qui s’effectua la 6 mars 2003 fut bien sûr accueillie avec une grande satisfaction par
les salariés actionnaires, qui reçurent plus de cinq fois leur mise initiale de 1997. Mais elle généra
en outre chez les collaborateurs un sentiment de fierté, fierté d’avoir contribué à la mutation de
leur entreprise au terme de la très belle aventure du RES.

L’entrée dans un grand groupe peut entraîner une évolution irréversible et marquer la fin d’une
histoire. Mais ce ne fut pas le cas pour l’intégration de SPIE dans AMEC. Celle-ci donna lieu, comme
on le verra, à des ajustements stratégiques majeurs, mais ne constitua en définitive qu’une étape
supplémentaire dans la longue vie du Groupe.

NAISSANCE D’AMEC SPIE


Dans le nouveau cadre AMEC, les activités issues de SPIE – hors construction – s’intègrent dans un
ensemble Europe continentale, dont le chiffre d’affaires avoisine 3 milliards d’€ et qui rassemble
plus de 25 000 collaborateurs. Elles sont portées par deux sociétés filiales d’AMEC, AMEC SPIE
SA et AMEC SPIE Rail SA. Jean Monville en assure la responsabilité en tant que Chairman & CEO
AMEC Continental Europe.

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AMEC SPIE SA est le nouveau nom du holding Illuminations


de la tour
qui gère les filiales exerçant leurs activités dans
Eiffel
les domaines énergie et communication, pré- © SNTE.
cédemment identifiées sous les noms de Spie
Trindel, Spie Communications et Spie Énergie
Services. Cet ensemble, dont la direction géné-
rale est confiée à Gauthier Louette et Bernard
Le Bourgeois, s’appuie sur un réseau européen
de services de proximité constitué de 300 im-
plantations régionales dans le domaine de
l’énergie et des télécoms. Il comporte, en outre,
1 un secteur international, celui du pétrole-gaz.

Véritable révolution dans une entité opération-


nelle jusque-là assez centralisée, la filialisation
des activités régionales – dont le projet avait
Illuminations
été préparé par Yannic Burin des Roziers avant de la tour
son départ, fin 2002 – fut mis en œuvre dans le Eiffel
nouveau cadre juridico-légal du Groupe.

On trouvera en annexe 36 la liste des dix filiales


de premier rang d’AMEC SPIE SA, six d’entre
elles étant des filiales régionales et quatre des
filiales de spécialité.
2
1. Foraid, projet au Gabon
2. Intervention
sur une tour hertzienne
3. Gestion dynamique de la
signalisation sur l’autoroute de
Liège, Belgique
4.Verrerie de Reims
archives SPIE. 3 4

AMEC SPIE Rail, dirigée par Pierre Fortuné, regroupe quant à elle l’ensemble des filiales d’AMEC
spécialisées dans les infrastructures ferroviaires.

TGV Méditerranée TVR de Caen


archives SPIE. archives SPIE.
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La fraction anglaise des activités rail – qui comprenait des activités de service, d’entretien et main-
tenance, ainsi que des projets –, enregistra une croissance vigoureuse et devint un moment pré-
pondérante. Les dirigeants d’AMEC et ceux des grands clients anglais, ne virent toutefois aucune
objection à ce que la responsabilité de l’activité ferroviaire fût très largement confiée à des équipes
françaises. Ce point mérite d’être souligné.

La création, courant 2003, de la marque AMEC SPIE commune aux deux sociétés souligne à la fois la
mutation réalisée, le nouveau lien avec AMEC et les spécificités des activités d’Europe continentale.

UNITÉ ET DIVERSITÉ
Faire partie d’un groupe coté et diversifié n’est pas une sinécure, tant la nécessité
de discours politiquement corrects impose des approximations de langage, préju-
diciables à la clarté et à la pertinence des messages délivrés à chacune des entités
opérationnelles. SPIE, qui en fit l’expérience dans le cadre du groupe Schneider, le
ressentit à nouveau après son intégration dans AMEC plc, société cotée au Stock
Exchange.

Il ne fait en effet aucun doute que la signature d’un grand contrat avec un major
pétrolier est beaucoup plus lisible et « productive », en termes de communication,
que le renouvellement de quelques dizaines de contrats d’éclairage public dans des
bourgades françaises totalement inconnues des analystes financiers londoniens. Ces
derniers, personnages puissants et mystérieux, montraient d’ailleurs de la réticence
à admettre les lois pourtant éprouvées de la statistique. Qu’une multi-
tude de petits contrats très courts puisse conduire à plus de stabilité
que des activités à long carnet de commande semblait dépasser
leur entendement. Il est vrai que, de 2003 à 2006, les financiers et
conjoncturistes croyaient en une croissance illimitée dans le temps
de l’activité mondiale. Alan Greenspan, leur sorcier bien-aimé, avait,
pensaient-ils, définitivement tordu le cou aux cycles dévastateurs…
Dans ce contexte, la communication financière était axée sur les
grands projets du secteur de l’énergie, alors en plein essor. Les ac-
tivités régionales de SPIE éveillaient à l’évidence moins d’échos et
paraissaient souffrir d’un handicap irrémédiable : leur corrélation
avec le PIB des pays de l’Europe de l’Ouest.

Il s’ensuivit un décalage entre le profil du groupe AMEC, ressortant


de la communication corporate, et la réalité quotidienne des acti-
vités de proximité de SPIE. L’iconographie ci-contre, utilisée aussi
dans le rapport annuel 2003 d’AMEC, en fournit un excellent
exemple. Ce document, qui ne comporte aucun portrait de col-
laborateurs, démontre implicitement que la valeur de l’entreprise
n’est pas tant dépendante des hommes eux-mêmes que du know-
how, des méthodes de gestion, et des systèmes de management
que l’entreprise a développés. L’AMEC idéalisée qui ressort de cette
« imagerie » est ainsi à l’abri des caprices des hommes et de leurs faiblesses. Sa force réside
dans la rationalité et dans l’élégance des solutions techniques qu’elle propose à ses clients. Elle
devient une entreprise désincarnée dont les hommes, interchangeables, n’ont plus de racines.
Le rapport annuel 2004 d’AMEC ne donne d’ailleurs plus aucune indication sur la répartition
géographique du chiffre d’affaires.
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On est évidemment bien loin du technicien d’AMEC SPIE dont le professionnalisme pragmatique,
l’accent du terroir et la silhouette familière, constituent pour le client la preuve tangible de l’ancrage
local de SPIE et de son engagement à l’assister dans la durée.

ONE AMEC…
La volonté de créer une unité d’image se traduisit par une stratégie de communication baptisée
« One AMEC », peu cohérente avec la réalité opérationnelle du groupe en constitution. AMEC SPIE,
comme nombre d’entités opérationnelles anglaises ou nord-américaines, dut se soumettre à bien
des contorsions. Il fallut éclater l’activité entre des segments stratégiques soigneusement définis,
sans aucune latitude d’ajustement.
L’objectif affiché était de supprimer toute référence aux marques commerciales existantes et aux
origines géographiques des filiales opérationnelles.
Cette segmentation était la suivante :
ETS (Engineering and Technical Services)
• Multitechnical (Multi-technique)
• Environmental Services (Services à l’environnement)
• Design and Engineering Services (Ingénierie)

Oil and Gas


• Upstream (Amont)
• Downstream (Aval) Livret de
AMEC plc • Pipeline présentation
strategic
de la stratégie
direction
Projects solutions AMEC
archives SPIE
• Construction services (Construction)
• Project Equity investments (Immobilier et Partenariat Public
bl Privé))

Au-delà du caractère un peu opaque de certaines dénominations, l’hétérogénéité des différents


segments ne manqua pas de surprendre. Ainsi, dans le cas d’AMEC SPIE, ses activités régionales
multi-techniques, se retrouvèrent classifiées « ETS », aux côtés des services à l’environnement, entité
opérationnelle basée aux États-Unis, et des services d’ingénierie, opérationnellement rattachés au
Royaume-Uni. Les activités d’AMEC SPIE Rail se trouvèrent, elles, contenues dans un pot-pourri
joliment dénommé « Project Solutions », rassemblant à leur côté des activités traditionnelles de
génie civil et de bâtiment (Royaume-Uni, Amérique du Nord), de « construction management »
(États-Unis), de promotion immobilière, de Partenariat Public Privé (PPP) et de concessions (Royaume-
Uni et international).

Les activités pipeline subirent, quant à elles, un sort peu commun. Répertoriées dans le pétrole-gaz
– qui comportait deux centres de profit, amont et aval –, elles n’en furent pas moins confiées aux
responsables géographiques des zones où elles étaient basées (USA, Canada et AMEC SPIE pour
la France).

LE GROUPE AMEC
Est-ce à dire que le nouvel ensemble était trop hétéroclite, insuffisamment cohérent pour effacer les
pesanteurs du passé, et donc pour créer une culture qui lui soit propre ? Non. Une telle conclusion
serait hâtive et inappropriée. Il existait indubitablement une fierté d’appartenance à un groupe
devenu l’un des majors européens, dont les équipes partageaient des valeurs fortes. AMEC pouvait
notamment s’honorer de remarquables performances en matière de sécurité. Et la promotion de la
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diversité culturelle n’était pas un vain mot. Des filiales anglaises se virent placées sous la responsabilité
de managers français ou américains, sans que cela éveillât la moindre objection.
Mais AMEC souffrait de défauts de jeunesse. Avec l’acquisition du groupe d’ingénierie Agra en
Amérique du Nord et l’intégration de SPIE, sa taille avait doublé en 2 ans. Le temps passant, l’or-
ganisation et la segmentation stratégique auraient pu s’ajuster pour aboutir à la constitution d’un
groupe d’ingénierie et services à dominante énergie. Ce ne fut pas le cas. Pénalisée par des contrats
difficiles et de nombreux litiges en Amérique du Nord, AMEC ne sut pas réagir assez vite pour y
porter remède en cédant certains actifs non stratégiques et en prenant des mesures de redressement
Bourse de
drastiques. Or la Bourse de Londres, comme ses consœurs, exige des résultats rapides. Elle avait
Londres
admis le manque de lisibilité initial et la coexistence de plusieurs modèles d’entreprise. Ce qu’elle
n’admit pas, en revanche, c’est qu’activité, résultats et marges ne progressent pas réellement en
4 ans, ainsi qu’il ressort de l’annexe 37. Les analystes financiers londoniens en conçurent de la
lassitude et la sanctionnèrent : le cours de bourse d’AMEC reflétait celui d’une société sans réel
potentiel de croissance, et son price/earnings ratio fut aligné sur le secteur le moins attrayant pour
les financiers, la construction.

L’ÉCLATEMENT
Certains actionnaires importants, qui avaient cru au projet d’AMEC, réagirent vigoureusement,
exigeant du conseil d’administration et de la direction générale du Groupe des remises en cause
fondamentales. Leurs opinions furent relayées par de nouveaux administrateurs indépendants, qui
contestèrent nombre des décisions antérieures.

Dès 2002, il était clair dans l’esprit des de Spie Batignolles à Financière Spie Bati-
dirigeants et des administrateurs d’AMEC gnolles, elle-même détenue à 50,1 % par
que la construction ne ferait pas partie, Magellan Management et 49,9 % par Bar-
dans l’avenir, des priorités d’AMEC. Les clay’s Private Equity France.
équipes de Spie Batignolles en avaient François-Xavier Clédat devint président-
vite pris conscience. François-Xavier directeur général de la nouvelle Spie Bati-
Clédat réagit sans attendre et proposa gnolles, assisté dans sa mission par Fran-

La
un projet de LMBO 130, qui fut accepté çois-Xavier Anscutter, directeur général
dans son principe en décembre 2002 par délégué.
Peter Mason. Une nouvelle société Spie De ce fait, AMEC SPIE fut, dès sa constitution
Batignolles fut constituée, par apports en 2003, une société exclusivement dévolue
d’actifs, à la fin de l’exercice, pour faciliter
la transaction. Soixante-dix-huit cadres
dirigeants décidèrent, dès le début de 2003,
aux activités électriques et électroméca-
niques. Les cessions des autres activités de
construction d’AMEC s’étalèrent sur la pé-
cession
de se réunir au sein d’une société baptisée
Magellan Management pour prendre le
contrôle de leur entreprise en s’associant
riode 2004-2006.
des
activités
130 - Leveraged
Management avec un partenaire financier, Barclay’s
Buy Out, c’est- Private Equity France, qui apportait le
à-dire rachat complément des capitaux nécessaires.

construc-
de l’entreprise
par ses diri-
Les discussions avec AMEC débouchèrent,
geants, faisant le 23 avril 2003, sur un protocole d’accord
appel à des qui permit d’ouvrir des négociations en vue

tion
financements
de la cession. Celle-ci se concrétisa le 5
bancaires.
septembre 2003, jour où AMEC céda 51 %
264
265
NAÎTRE ET RENAÎTRE 23

Mais Peter Mason fit face et garda l’initiative tout au long des multiples « strategic reviews » qui
furent lancées pendant deux ans. Et il se fit le promoteur, en dépit de la profonde remise en cause
que cela impliquait, de la solution la plus favorable aux intérêts des actionnaires : l’éclatement
complet du groupe.
Il proposa de transformer AMEC en une société d’ingénierie pétrole-gaz, également présente dans
les autres domaines de l’énergie, et notamment celui de l’électricité nucléaire. Cette orientation fut
approuvée par le conseil d’AMEC au cours du second semestre 2005, et la sortie de SPIE du groupe
anglais officialisée par un communiqué de presse en date du 24 novembre de la même année.
Les débats furent assez rudes tout au long des séances de Conseil d’AMEC. Le flegme et
l’« understatement », arts dans lesquels les Britanniques sont pourtant passés maîtres, y firent
souvent défaut. Peter Mason, dont le mandat de CEO ne fut d’ailleurs pas renouvelé, quitta AMEC en
2006. Et cependant, son plan fonctionna à merveille. L’entreprise réalisa tout d’abord de significatives
plus-values dans la cession de quelques unités opérationnelles – AMEC SPIE, promotion immobilière,
PPP. Mais surtout le cours de bourse s’envola, multiplié par trois ! AMEC était désormais perçue et
traitée comme une société d’ingénierie.
Le successeur de Peter Mason ne manqua pas de s’attribuer tout le crédit de ce succès…

BILAN FINANCIER 2002-2005


Bien qu’assez brève, l’intégration de SPIE dans AMEC donna lieu à quelques mouvements majeurs.

LA SORTIE DE LA CONSTRUCTION
La cession de Spie Batignolles en 2003 fut, bien sûr, un fait marquant. Mouvement stratégique
essentiel qui allait déterminer l’avenir de SPIE, et ceci dès sa mise en vente par AMEC en 2006. Avec
des activités de construction incluses dans le périmètre cédé, le profil des acheteurs et les modes
de valorisation auraient été, à n’en point douter, fort différents.

LA CESSION DES ACTIVITÉS « LIGNES ET POSTES »

Forclum Les activités de lignes THT et de centrales à l’exportation avaient été progressivement interrompues.
Il restait néanmoins à prendre position sur le secteur « postes export », activité à la fois volatile et
risquée, du fait notamment de la difficulté à maîtriser les sous-traitants de génie civil. Tirant avantage
d’une embellie de l’activité – liée à d’importantes commandes algériennes –, AMEC SPIE décida en
2005 de la céder. Forclum manifesta son intérêt, mais à la condition que la cession portât également
sur les activités postes et lignes THT France. La transaction fut en définitive conclue sur ces bases, à la
satisfaction d’AMEC. Elle permettait en effet d’éviter d’importants problèmes sociaux. Le chiffre d’af-
faires des activités cédées s’élevait à environ 70 millions d’€, avec une marge avant impôts de 3,6 %.

L’APOGÉE DES ACTIVITÉS FERROVIAIRES


Le rapprochement des pôles France et Royaume-Uni – qui s’effectua sous leadership français –
marqua l’apogée des activités rail dans le groupe SPIE. En 2004, le chiffre d’affaires du secteur
atteignait 650 millions d’€, avec un résultat avant impôt de 22,5 millions d’€ (soit 3,5 % du CA).
L’ensemble, économiquement sain – avec une répartition harmonieuse maintenance, petits pro-
jets (en France et au Royaume-Uni), grands projets export « récurrents » (métros de Caracas et du
Caire) –, semblait promis à un bel avenir.
Cette prospérité économique se traduisit par une amélioration des marges et par la poursuite des
efforts d’innovation avec, notamment, le développement du système APS (Alimentation des tram-
ways par le sol) par la filiale Innorail (voir page ci-contre).
SCB
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19

20
To be or not to be « one AMEC »

En 1998, la SGTE, filiale d’ingénierie de SPIE, En 2000, le groupement conduit par Alstom,
réinvente la fourniture d’électricité des tram- dont Spie Enertrans pilote le sous-groupement
ways grâce à un système d’alimentation par le constitué pour la réalisation des voies ferrées,
sol. Cette innovation, conçue par une équipe se voit attribuer par la Communauté Urbaine
d’ingénieurs dirigée par Olivier Peyraud, répond de Bordeaux le projet de construction de la
au souci des municipalités de respecter l’esthé- première phase du tramway portant sur la réa-
tique de certains sites de centre-ville. lisation de trois lignes pour desservir les pôles
L’alimentation traditionnelle d’un tramway principaux de l’agglomération.
est réalisée par une ligne aérienne de contact Le projet, d’un montant de 290 millions d’€,
qui nécessite des ouvrages importants : po- porte sur la fourniture du matériel roulant, de
teaux et massifs en béton ou ancrage dans les la voie ferrée, du système d’alimentation par le
façades existantes. Le courant de traction est sol, du revêtement des voies et de la mainte-
capté par l’intermédiaire d’un pantographe et nance de l’ensemble.
le retour de ce courant de traction s’effectue Le système d’alimentation par le sol, conçu par
sur les rails de roulement. Le système Innorail Innorail, est installé sur une partie significative
remplace l’ensemble de la ligne aérienne et de du tracé (environ 8 km, soit 1/3).
ses supports par un système sécuritaire entiè- En octobre 2003, un tramway franchit le Pont de
rement intégré à la plate-forme du tramway. Ce Pierre à Bordeaux et inaugure la première circu-
système est constitué par des segments de rail lation, dans un espace public, d’une rame équi-
de 8 mètres affleurant la chaussée et séparés pée du système d’alimentation conçu et mis en
par des joints isolants de 3 mètres. Chaque œuvre par SPIE.
segment est contrôlé par un coffret d’alimenta- Ce système innovant nécessite d’importantes Alimentation
tion enterré dans la chaussée et n’est mis sous modifications du tramway – près d’une tonne de par le sol
tension que lorsqu’il se trouve entièrement re- matériel supplémentaire embarqué. De ce fait,
couvert par le véhicule. Les coffrets de faible SPIE prit la décision en 2003 de céder Innorail à
encombrement sont disposés dans l’entrevoie Alstom, SPIE conservant en exclusivité les tra-
tous les 22 mètres dans des regards intégrés au vaux d’installation.
revêtement. Le courant de traction est capté par
deux patins situés en zone médiane du véhicule
et espacés de 3 mètres de manière à permettre
le franchissement des joints iso-
lants sans perte d’alimentation.
joint isolant
Une antenne associée à chaque
patin permet la détection du
véhicule grâce à une boucle de
détection intégrée à chaque
segment.
coffret d’alimentation
patins/antennes
boucle de détection segment de rail 750 V segment de rail 0 V

Un tramway nouvelle génération :


le sans fil conçu par Innorail 266
267
NAÎTRE ET RENAÎTRE 23

Il fallut cependant déchanter. La « renationalisation » par le gouvernement Blair des activités an-
glaises de maintenance remit profondément en cause les orientations stratégiques de ce secteur
et influença de façon décisive les décisions prises en 2005 et 2006 le concernant.

L’ÉMERGENCE DES SERVICES PÉTROLIERS…


Spie Capag, devenu AMEC SPIE Capag, poursuivit
sa stratégie de recherche de grands projets inter-
nationaux pour le compte de majors pétroliers. BTC
Le contrat emblématique de cette période fut le
pipeline BTC – liaison Caspienne-Méditerranée
via la Géorgie pour le pétrole, Caspienne-Turquie
pour le gaz –, signé avec un consortium de majors
de la profession dirigé par BP. AMEC SPIE réalisa,
en association avec la société Petrofac, la section
géorgienne du projet. Le contrat se heurta à de
nombreuses difficultés : conditions climatiques
dans les zones montagneuses, non disponibilité
des terrains, réaction hostile des populations lo-
cales, intervention des ONG dans une zone de
sources thermales. Il en résulta des surcoûts et un
découvert considérable en cours de contrat, mais
BP – qui entretenait d’excellentes relations avec
AMEC – sut reconnaître la qualité du travail ef-
fectué et l’affaire s’avéra en définitive bénéficiaire.

Pipeline Caspienne- Les activités de service pétrole-gaz récemment acquises – Foraid et Ipedex – furent regroupées
Méditerranée en Géorgie avec celles issues de SPIE – Spie Enertech – dans un nouvel ensemble : SPIE Oil and Gas Services.
archives SPIE.
Ce secteur rencontra au départ de multiples difficultés, liées à la diversité de ses origines, et il fallut
procéder à un profond remaniement de son management. Cette réorganisation produisit rapide-
ment des effets positifs et permit le décollage du chiffre d’affaires (cf. annexe 49) et du résultat.

L’ALLÉGEMENT ET LA DYNAMISATION DES ORGANISATIONS


Gauthier Louette mena tambour battant la filialisation des activités multitechniques (cf. annexe 36,
liste des filiales). Il s’agissait d’une véritable révolution culturelle, mettant fin à deux décennies
d’organisation centralisée qui avait fortement marqué les esprits et modelé la culture antérieure.
Les directeurs de filiales devinrent des acteurs plus proactifs. Ils avaient la charge de décliner dans
leurs zones la stratégie du Groupe et d’assumer pleinement le management de l’entité qui leur était
confiée. Cette remise en cause profonde déboucha à la fois sur un allègement des structures, avec
la suppression du niveau d’organisation intermédiaire entre les agences et les filiales régionales, et
sur une meilleure efficacité opérationnelle.

Elle permit dans les années qui suivirent une remarquable progression des marges.

VERS PLUS DE NUCLÉAIRE


SPIE prit en avril 2005 une position minoritaire de 49 % dans un ensemble d’entreprises spécialisées
131 - Le vendeur était la société
Clemessy, alors filiale de Dalkia, en mécanique dans le secteur nucléaire 131. Cet ensemble réalisait un chiffre d’affaires d’environ
du groupe Véolia. 45 millions d’€ :
SCB
Schneider SPIE
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To be or not to be « one AMEC »

• Game Nucléaire, société de tête basée à Cherbourg exerçant


principalement une activité de maintenance mécanique à l’usine de
retraitement de la Hague.
• ATM, basée à Pont-Saint-Esprit, réalisant des activités de mainte-
nance sur le site de Marcoule, et sa filiale ATM Industrie, fabriquant
des outillages spéciaux pour l’usine d’AREVA de la Hague.
• BEA, société basée à Amberieu effectuant des opérations de main-
tenance en robinetterie pour le compte d’EDF.
Usine de
retraitement
de La Hague SPIE porta à 100 % sa participation dans cet ensemble en 2006. Les
4 sociétés furent, après la sortie de SPIE du groupe AMEC, intégrées au
sein de Spie Thermatome pour former SPIE Nucléaire, entité désormais
à même de fournir une gamme complète de prestations à l’ensemble
des opérateurs du cycle du combustible nucléaire et notamment à ses
deux grands clients du secteur, EDF et AREVA.

RÉSULTATS CONSOLIDÉS AMEC SPIE


Centrale nucléaire EDF
Les comptes consolidés AMEC Europe Continentale – AMEC SPIE et archives SPIE.

AMEC SPIE Rail – ne furent établis qu’en 2003 et 2004, la décision de cession d’AMEC SPIE ayant
été officialisée dès novembre 2005.

L’indicateur de résultat chez AMEC était le « PBT », c’est-à-dire le résultat opérationnel courant
avant impôts (voir annexe 37).
On constate une poursuite de l’amélioration des marges enregistrée pendant le RES. Le résultat
opérationnel courant avant impôts, peu différent de l’EBIT chez AMEC SPIE, dépasse 3,6 % en 2004.

AMEC SPIE regroupe les services multitechniques régionaux, AMEC SPIE Communications, ainsi
qu’AMEC SPIE Energie Services et ses filiales – Spie Capag, Spie Thermatome, Linelec, Cepel,
Foraid, Ipedex.

Les marges d’AMEC SPIE sont confortées par celles d’AMEC SPIE Energie Services et de ses filiales,
supérieures à celles de Spie Trindel durant cette période.

268
269
« DONNEZ-MOI UN LEVIER ET JE SOULÈVERAI LE MONDE. »

Archimède.

Archives SPIE
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

LELBO :
UN LEVIER POUR L’AVENIR
DE SPIE

SPIE, UNE ENTREPRISE CONVOITÉE

SPIE, une
Comme on l’a vu, AMEC SPIE devait
entreprise s’intégrer à un groupe mondial d’in-
convoitée génierie et services axé sur l’énergie.
Avec l’éclatement du groupe AMEC
ressurgit l’identité historique du
groupe et son nom, SPIE, véritable
actif stratégique de
l’entreprise, qui reste
fortement ancré dans
la mémoire collective,
aussi bien dans celle
des collaborateurs que
celle des clients.

AMEC, société cotée,


se devait de respec-
ter un processus ri-
goureux pour mettre
en œuvre la cession
d’AMEC SPIE. Dès
l’annonce de la déci-
sion de vente, s’ouvrit
une phase d’études de
270 270
271
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

la situation économique de l’entreprise, avec la participation de divers experts, cabinet d’audit


(KPMG), banque conseil (Citigroup) et conseils juridiques et fiscaux (Linklaters et PriceWaterhou-
seCoopers). Hawkpoint, avec l’accord d’AMEC, conseillait les collaborateurs de SPIE.
L’opération débuta comme il est d’usage par la remise, fin mars 2003, d’un « info-mémo »
– ensemble de données financières et stratégiques – aux 21 postulants préalablement retenus par
les banques conseil. Les 4 candidats ayant remis les offres non engageantes les plus attrayantes
– PAI partners, Wendel, BC partners et Vinci – entamèrent début mai la phase de « due diligence »
et de rencontres avec les dirigeants.

L’étape suivante consistait en la remise, le 2 juin 2006, d’offres engageantes par ces 4 concurrents
présélectionnés. Mais le scénario bien huilé se grippa. Eiffage, quoique non pré-qualifié, présenta
en effet une offre non sollicitée, assortie d’un prix supérieur à ceux fournis jusque-là, à titre indicatif,
par les compétiteurs dans le cadre du processus de cession.

Onze ans après sa tentative manquée de prise de contrôle en 1995, son PDG, Jean-François Roverato,
repartait à l’assaut ! Il forçait la main au Board d’AMEC qui, compte tenu du prix offert, ne pouvait
refuser de prendre en compte l’offre du groupe français. Cette situation provoqua d’importants
remous à l’intérieur de SPIE, dont les équipes n’entendaient pas perdre leur indépendance. Les
instances représentatives du personnel, quant à elles, ne manquèrent pas de faire savoir au Board
d’AMEC qu’elles ne pourraient émettre un avis sur
l’opération qu’au terme d’études détaillées et ap-
profondies sur ses conséquences sociales.

Aussi quand PAI partners présenta à son tour – le


19 mai – une offre ferme non sollicitée de reprise
d’AMEC SPIE, celle-ci fut accueillie avec soulagement
par la direction générale d’AMEC. Un conseil excep-
tionnel fut réuni dans la nuit du 19 au 20 mai afin
de choisir entre Eiffage et PAI partners, qui fut en
définitive retenu, en dépit du prix moins élevé qu’il
proposait. Les administrateurs craignaient qu’une
cession à Eiffage n’entrainât de longues et délicates
discussions avec le management et les comités d’en-
treprise d’AMEC SPIE. Pressés par le temps – le Stock
Exchange exigeait des décisions rapides –, ils furent
donc naturellement conduits à écarter cette solution.
Un communiqué de presse en date du lundi 22 mai
officialisa l’issue des négociations.
Actionnariat
UNE STRUCTURE CLASSIQUE DE FINANCEMENT LBO de SPIE

Le choix de PAI partners, leader français du LBO et l’un des principaux acteurs de ce secteur, consti-
tuait un gage de succès. Dès le début du mois de juin, les comités d’entreprise donnèrent leur aval
à la poursuite des négociations et la dernière condition suspensive (le feu vert des autorités de la
concurrence) fut levée le 20 juillet. Le 27 juillet 2006, un communiqué annonçait le « closing » de
l’acquisition d’AMEC SPIE, intervenu le jour même.
132 - Dont environ 52 millions d'€ de
capital proprement dit et 228 millions
Le financement fut rapidement mis en place. Avec une dette nette de 639 millions d’€ et des
d'€ d’ORANs – obligations rembour-
sables en actions ou en numéraire – fonds propres voisins de 280 millions d’€ 132 – soit un peu plus de 30 % du total à financer –, la
souscrites par les actionnaires. structure bilancielle de la holding de tête, FINANCIÈRE SPIE, était raisonnable au regard des critères
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

de l’époque. Le ratio dette nette/EBITDA était quant à lui proche de 6 sur la base des résultats de
l’exercice 2005.

Le capital de FINANCIÈRE SPIE fut ouvert aux collaborateurs du Groupe, la culture issue du RES
l’imposant à l’évidence. Leur participation fut portée d’une part par un fonds commun de pla-
cement d’entreprise (FCPE) dans le cadre de la réglementation de l’Épargne salariale, et d’autre
part par des sociétés ad hoc pour les cadres de direction. Au total, la participation des salariés Vinci
actionnaires représentait 8,75 % du capital. On trouvera en annexes 38, 39 et 40 le schéma
juridique du LBO, des éléments complémentaires concernant l’épargne salariale et la description
des principes de gouvernance du LBO.

L’ADIEU AU PIPELINE ET AU RAIL


Dès que fut prise la décision de vente d’AMEC SPIE, il sembla évident qu’AMEC SPIE Capag ne
pouvait être incluse dans la transaction. AMEC SPIE, entité essentiellement tournée vers le service
de proximité, ne disposait plus des ressources en hommes et du know-how nécessaires à la maîtrise
d’une entreprise entièrement dédiée aux grands projets internationaux.

Cette décision mit donc fin à la belle aventure du pipeline dans le Groupe, entamée près d’un siècle
plus tôt. AMEC SPIE Capag, devenue l’un des leaders mondiaux du pipeline on-shore, resta dans
un premiers temps dans le périmètre AMEC. L’entreprise rejoignit ensuite le groupe Vinci, principal
actionnaire d’Entrepose à qui AMEC la céda en 2007.

La cession de SPIE Rail, qui intervint l’année suivante, avait une dimension encore plus symbolique
puisque l’activité ferroviaire était à l’origine du Groupe qui y avait fait ses premières armes dès le
milieu du XIXe siècle.

Les filiales de ce secteur avaient été incluses dans le périmètre de cession à PAI partners. Solution qui
s’imposait car, avec la renationalisation de la maintenance ferroviaire anglaise, le centre de gravité
de l’unité opérationnelle rail se situait à nouveau en France. Le modèle d’entreprise de l’activité rail
française, quoique différent de celui de l’ingénierie électrique, ne posait pas de problème majeur. Les
contrats de pose de caténaires ou de voies étaient le plus souvent de taille moyenne et les activités
françaises de maintenance apportaient une récurrence bienvenue au secteur.

Mais la confirmation, quelques mois plus tard, du lancement par les autorités françaises de gigan-
tesques projets de PPP – Partenariats Public Privé –, telle la nouvelle liaison TGV Tours-Bordeaux, SPIE cède
changea la donne. SPIE Rail, leader français incontesté dans le domaine des caténaires TGV et sa filiale rail
acteur majeur de la pose de voies, ne pouvait évidemment s’en désintéresser. Mais elle se trouva
confrontée à un dilemme insoluble. Soit elle cherchait à s’imposer comme partenaire de premier
rang dans les consortiums, mais elle devait alors accepter d’engager de très lourds frais d’études et
courir le risque de solidarité sur des affaires de taille considérable (plusieurs milliards d’€), soit elle
se résolvait à n’être qu’un sous-traitant, mais elle serait écartée du rôle de concepteur et inévitable-
ment laminée par les groupes de génie civil, leaders des consortiums. Aucune des deux solutions
n’était véritablement satisfaisante.

Sur ces entrefaites, Jean Monville reçut au cours de l’été 2006 des manifestations d’intérêt d’Alstom
et de Colas, filiale de Bouygues, pour l’achat de SPIE Rail. Après débat, il apparut que la solution de
la vente – bien qu’émotionnellement difficile à prendre – était la seule raisonnable et un processus
de cession fut mis en place avec l’aide de la banque Hawkpoint. Du fait du lancement des grands
projets, le know-how ferroviaire de SPIE était très convoité. Les deux autres grands français du génie
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273
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

UNE IMAGE FORTE AU SERVICE thon qui démarre pour lancer le chantier « iden-
D’UNE AMBITION PARTAGÉE tité et image » auprès des salariés.

La sortie du groupe AMEC imposait à AMEC SPIE Basée sur des audits de notoriété et d’image
– qui redevenait une entreprise de plein exer- externes (clients, leaders d’opinion, écoles,
cice – de revoir certaines bases de son identité. journalistes, la profession…) et sur une étude
Elle devait au minimum changer de nom, de interne réalisée d’une part, au travers de
logo et faire évoluer sa façon de se présenter. « groupes d’expression » représentatifs de la
Objectif : donner une nouvelle dimension au diversité de SPIE (métier, âge, ancienneté, sexe,
Groupe et renforcer son image. niveau de responsabilité, pays, région, filiale…)
Première apparition du logo en
pour sa partie qualitative, et d’autre part, d’un
interne dans le numéro spécial UNE DOUBLE DÉMARCHE INTERNE questionnaire envoyé aux salariés pour sa par-
du magazine interne Rencontres ET EXTERNE tie quantitative, la nouvelle identité de SPIE fut
d’août 2006. bâtie sur les valeurs d’entreprise
Convaincue de la nécessité d’impliquer les col- partagées au quotidien par les
laborateurs dans la construction de la nouvelle femmes et les hommes du Groupe.
identité, la direction générale souhaita, malgré Un document articulé autour de ces
les délais extrêmement courts imposés par la valeurs, baptisé L’ambition parta-
www. finalisation de la cession d’AMEC SPIE, qu’une gée, et résumant le nouveau projet
spie.com
démarche impliquant le plus de salariés pos- de développement du Groupe fut
sible soit mise en œuvre en complément des en- distribué à l’ensemble des salariés.
quêtes d’image externes. Ainsi, dès l’annonce
vers fin mai 2006 de l’accord intervenu entre
AMEC et PAI partners, c’est un véritable mara-
UN NOUVEAU LOGO : extrait de la présentation
du nouveau logo dans le numéro spécial de
Rencontres d’août 2006 :
« L’esprit pionnier, un territoire retrouvé.
Le nom SPIE, socle identitaire du logo, est conçu
dans une typographie inédite traduisant à la fois
le dynamisme et la stabilité, gage d’une réussite
durable… Le symbole qui l’accompagne évoque
tout autant la force de l’énergie, le rayonnement
international, la diversité des compétences, des
métiers et des clients. Comme une voile gonflée,
notre nouvelle identité visuelle souligne l’in-
dépendance retrouvée de SPIE et l’énergie qui
l’anime pour bâtir un avenir à la hauteur de ses
ambitions. »
L’évolution du logo SPIE de 1900 à 2006 est
proposée en annexe 55.

Une nouvelle identité


pour une nouvelle ambition
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

SPIE HISSE
SES NOUVELLES COULEURS

Le 14 septembre 2006, l’en-


treprise retrouve officielle-
ment son nom historique SPIE,
dévoile son nouveau logo et
sa nouvelle signature insti-
tutionnelle : SPIE, l’ambition
partagée. À la fois facteur de
cohésion interne et vecteur
d’image du professionnalisme que les collabo-
rateurs de l’entreprise mettent en œuvre au ser-
vice de leurs clients, cette identité réaffirme la
mission du Groupe : accompagner durablement
le développement des collectivités et des entre-
prises.

DE SPIE À MySPIE

Pour accompagner le dévelop-


pement de sa nouvelle iden-
tité, SPIE a mis en œuvre un
ensemble d’outils de commu-
nication innovants qui lui ont
rapidement permis d’atteindre
un public plus large, de se
démarquer significativement Campagne de lancement de la nouvelle SPIE
de ses concurrents tout en ré- « Plus SPIE que jamais », septembre 2006.
pondant aux engagements du
Groupe en termes de développement durable.
Citons la bibliothèque virtuelle du Groupe et le
monde virtuel en ligne MySPIE, qui présente en
3D l’ensemble des activités de l’entreprise de
façon ludique.

MySPIE

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

civil, Vinci et Eiffage, ainsi que Balfour Beatty, major anglais du BTP et leader des infrastructures rail
en Europe, firent également acte de candidature.

L’opération fut lancée en septembre 2006. Alstom et Balfour Beatty se retirèrent, mais la compétition
resta vive entre les trois autres participants. Colas l’emporta en définitive. Un accord d’exclusivité
fut signé le 20 décembre 2006 et la cession proprement dite « bouclée » le 30 mai 2007 après
obtention de tous les accords nécessaires. Le « flash » d’information interne daté du même jour
– voir annexe 41 – rappelait les « riches heures » du rail chez SPIE.

UNE NOUVELLE ORGANISATION


Avec la disparition des activités pipeline et rail, le nombre des filiales de premier rang fut ramené à
9, dont 6 géographiques et 3 de spécialités sous l’égide de Gauthier Louette, directeur général du
nouvel ensemble.
On trouvera en annexe 42 la liste de
ces filiales et de leurs dirigeants à fin
2009.

ARGENT
FACILE …
L’argent coulait
à flot au début
de l’année 2007.
Les dettes d’ac-
SPIE back for recap of loan, SG and BNP mandated quisition des en-
treprises « sous
LBO » franchirent
allègrement le cap
des 6,5 EBITDA, ce
qui impliquait des
PER (ratio valeur de
l’entreprise/résultat
net) compris entre
15 et 20, donc
élevés, sans que la
croissance potentielle
des marchés où opéraient les entreprises concernées le justifiât. Les conditions de remboursement
devinrent de plus en plus lâches, tout en faveur des emprunteurs, qui virent avec satisfaction les
marges des banques se réduire du fait de la concurrence féroce qu’elles se livraient.

En parallèle, les pourcentages requis d’« equity », c’est-à-dire de fonds propres, s’abaissèrent en
Subprimes
dessous de 30 % du montant total à financer, accroissant l’effet de levier, et donc le rendement des
capitaux des investisseurs. Ces derniers, comme tout spéculateur qui s’enrichit, ne manquaient pas
de se féliciter de leur clairvoyance dans le choix de leurs investissements… À n’en point douter, le
133 - Rapport dette nette/fonds mouvement ascendant de la dette LBO et des ratios de « gearing » 133 eût continué si la croissance
propres. des crédits « subprimes » avait été un peu plus lente.
134 - Banque de Financement et
d’Investissement, activité bancaire
où sont traditionnellement logés les Dans ce contexte « d’exubérance irrationnelle » de la BFI 134, les emprunteurs devaient se défendre
financements de LBO. pour ne pas accepter toutes les alléchantes propositions de financement qui leur étaient soumises !
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Au cours du deuxième trimestre 2007, PAI partners lança l’idée d’une « récap », terme impropre du
jargon LBO désignant, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer au premier abord, une opération
de restitution partielle de l’apport de fonds initial des actionnaires et un recours accru à la dette
bancaire (cf. annexe 43, « Petit lexique du LBO »). Inutile d’ajouter que les banquiers se bousculèrent
pour organiser le montage ! Ils le regrettèrent amèrement par la suite… mais n’anticipons pas !
L’annexe 44 illustre le mécanisme de l’opération. Les banquiers prirent à hauteur de près de 200 mil-
lions d’€ le relais des actionnaires, qui purent ainsi se reverser un montant équivalent en rembour-
sant l’essentiel des ORANs (obligations remboursables en actions ou en numéraire) qu’ils avaient
initialement souscrites. Les liquidités générées par la vente de SPIE Rail, grossies par la trésorerie
courante résultant d’une gestion efficace du besoin en fonds de roulement, purent de ce fait être
affectées à l’acquisition de Matthew Hall au Royaume-Uni. Simple et élégant ! Une belle opération
d’« amélioration de l’effet de levier », bien caractéristique de l’état d’esprit qui régna jusqu’à la fin
du premier semestre 2007, avant que la crise financière ne vint « chambouler » le petit monde du
LBO… L’empressement des banquiers à améliorer la rentabilité des fonds propres des actionnaires
de FINANCIÈRE SPIE, tout en réduisant leur propre rémunération, ne peut manquer de surprendre
les esprits simples ! Il s’explique en partie par le fait que les banques leaders engrangeaient de
confortables « fees »(c’est-à-dire des honoraires) à l’occasion de ces opérations… Mais on ne peut
s’empêcher de penser que, pris d’une sorte d’aveuglement ou de frénésie, les financiers avaient fini
par croire que les « arbres – ainsi probablement que leurs bonus – pouvaient monter jusqu’au ciel ».

Les collaborateurs de SPIE réagirent quant à eux de façon pragmatique. Leur apport de fonds
datant de 6 mois seulement pour ce qui est du FCPE, il apparut peu opportun de procéder aussi
rapidement à un remboursement anticipé, après une campagne active en faveur de la souscription
qui avait impliqué toute la direction générale du Groupe. PAI partners accepta alors de vendre
une partie de sa participation à hauteur des sommes reçues par les collaborateurs à l’issue du
remboursement des ORANs. De ce fait, la participation des salariés actionnaires dans FINANCIÈRE
SPIE passa de 8,75 % à 12,75 %.

UNE RETOMBÉE DE L’ALLIANCE AVEC AMEC


L’année 2007 fut marquée par un développement stratégique majeur : l’implantation de SPIE
au Royaume-Uni avec la reprise de la division « ingénierie électrique » d’AMEC. Cette division,
dénommée BFS (Building and Facilities Services) provenait pour l’essentiel d’une ancienne acqui-
sition d’AMEC dénommée Matthew Hall. Elle était le dernier pan d’activités non encore cédé par
le groupe anglais dans le cadre de son projet de restructuration stratégique. Les dirigeants de
BFS, avec à leur tête Grahame Ludlow, marquaient une nette préférence en faveur d’une cession
à SPIE. Les liens amicaux tissés au cours des quelques années de vie commune au sein d’AMEC
jouèrent alors un rôle déterminant. Au terme de la consultation organisée par son ancien action-
naire, SPIE l’emporta, et la division renoua avec sa marque commerciale Matthew Hall, sous la
forme SPIE Matthew Hall.

Avec plus de 2 300 collaborateurs, cette entreprise avait enregistré en 2006 un chiffre d’affaires
d’environ 500 millions d’€ et dégagé un résultat d’exploitation de l’ordre de 15 millions d’€. Elle
opérait presque uniquement dans le secteur de l’immobilier tertiaire, si l’on exclut quelques clients
industriels, tel MacLaren. SPIE Matthew Hall, qui avait en effet réalisé les installations électroméca-
niques de la prestigieuse implantation du constructeur automobile à proximité de Londres, continuait
à en assurer la maintenance.
Le repositionnement stratégique de cette nouvelle filiale de SPIE, trop axée sur les grands projets
tertiaires au détriment des petits contrats récurrents et de la maintenance, fut très rapidement
engagé.
276
277
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

LES ORIGINES DE MATTHEW HALL treprise – elle compte moins de dix employés à
la mort de son fondateur, en 1878 – n’en a pas
Rien ne prédisposait Matthew Hall, ouvrier qua- moins progressé et gagné sur le terrain les ga-
lifié dans une fonderie de plomb né dans un vil- lons qui vont lui permettre, avant la fin du XIXe
lage de la campagne anglaise, à devenir entre- siècle, de sortir de l’anonymat grâce à quelques
preneur. Et pourtant, en 1848, il quitte sa région réalisations prestigieuses.
natale de Newcastle-upon-Tyne pour s’établir à
Londres et devenir artisan plombier. Matthew Hall était à n’en point douter un
Il a de l’intuition : l’urbanisation galopante de homme de qualité. Excellent professionnel, il
l’Angleterre ouvre de vastes comprit aussi que l’avenir de son entreprise dé-
perspectives aux hommes pendait d’abord de sa capacité à détecter et à
comme lui qui maîtrisent le attirer les talents. La décision qu’il prit de s’at-
travail du plomb. Les besoins tacher les services de son neveu, Andrew Ans-
en installations sanitaires et ley Common, astronome et inventeur, est à cet
en chauffage vont croître de égard remarquable. Inutile d’effectuer de lon-
façon considérable. gues recherches pour affirmer que peu d’astro-
Quoiqu’à la pointe du moder- nomes ont joué un rôle éminent dans la plombe-
nisme, les baignoires et toi- rie. Mais l’essentiel n’est pas là. Il réside dans
lettes qu’installait le modeste l’exemplarité de la démarche du fondateur de
artisan à ses débuts n’ont évi- l’entreprise, que ses successeurs s’efforcèrent
demment pas laissé de traces toujours par la suite de prolonger, en recrutant
dans l’histoire de l’industrie des équipes dirigeantes de talent. Cette consta-
anglaise. Mais l’humble en- tation n’est pas neutre. Elle explique sans
conteste la pérennité de l’entreprise qui, résis-
tant aux crises, sut remarquablement s’adapter
aux évolutions du monde. Passer de l’ingénierie
des toilettes individuelles à celle des raffineries
n’est pas une mince performance, même en un
siècle !

Mais s’il avait le souci du futur, Matthew Hall


n’en était pas moins un gestionnaire du pré-
sent. « Cost cutter » avant l’heure, il faisait une
chasse déterminée aux frais généraux. Selon
la rumeur, il rédigeait ses « business reports »
et sa comptabilité sur le dos d’enveloppes usa-
gées ou sur des morceaux de papiers volants.
Certains, sans indulgence, souligneront l’aspect
archaïque de son comportement mais d’autres
y verront
ont le côté visionnaire d’un
d un précurseur de

Le plombier
et l’astronome…
Le LBO : un levier pour l’avenir
l avenir de SPIE

ll’économie
’ verte, tout brillant ingénieur et inventeur de multiples
een notant au passage brevets, qui intégra l’entreprise en 1890.
qque ces pratiques su- Son fils, Thomas Andrew Common, lui succéda da
rrannées sont après tout à sa mort en 1903 comme Senior Partner avant ant
moins risquées que les
m de devenir Managing Director en 1927 quand and
ttechniques financières Matthew Hall devint une « Private Company ». Il
ddéployées par les ban- abandonna ses fonctions en 1936, 88 ans après rès
qquiers du XXIe siècle… la création de l’entreprise par son grand-oncle.
le.
QQuand il rejoignit son Edwin Baden et Bertram Baden, les fils de H.E.
ooncle à la tête de l’en- Baden, rejoignirent l’entreprise en 1905 et 1911
911
ttreprise, A.A. Common respectivement, et y assumèrent les plus hautes
pparvint à instaurer la te- responsabilités. B. Baden, coopté comme Chair-
nnue d’une comptabilité man et Managing Director de Matthew Hall en
1936 au départ de T.A. Common, passa
ensuite le flambeau à son frère Edwin qui
quitta l’entreprise en 1964, 74 ans après
l’entrée de leur père. Dr Andrew Ainslie
Common.
Les deux « dynasties » Hall/Common et archives Matthew Hall.

Baden ont à l’évidence façonné Matthew


Hall. Elles lui ont apporté compétences, vi-
sion stratégique et continuité dans l’action
managériale. Elles ont forgé la culture de
l’entreprise et lui ont donné une âme. Com-
ment expliquer autrement l’attachement et
les carrières hors du commun de quelques
anciens tel Jack Woodbridge qui, entré en
1878, quitta l’entreprise en 1941, après 63
ans de bons et loyaux services ?
On se prend à rêver en ces temps où la du-
en bonne et due forme sur des registres dignes rée du travail et l’âge de départ en retraite sont
de ce nom. Mais Matthew Hall s’insurgea contre devenus les sujets de vives querelles !
ces extravagances qui, pensait-il, risquaient de
mener l’entreprise à sa ruine ! « L’AGILITÉ » STRATÉGIQUE DE L’ENTREPRISE

LES HOMMES Le jeune ouvrier qu’était Matthew Hall avait su


faire preuve de « flair » stratégique en optant au
Comme son oncle, A.A. Common sut s’attacher bon moment pour un métier et pour un marché
des hommes de premier plan et notamment porteurs d’avenir.
Herbert Edwin Baden, n
Son neveu et successeur sut lui aussi se mon-

278
279
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

Matthew Hall au début trer visionnaire, ce qu’après tout on pouvait at- Les « fils Baden », Edwin et Bertram, hommes
des années 1960. tendre d’un astronome de talent ! Récompensé d’affaires avisés et férus de technique, furent
© Stewart Bale, archives Matthew Hall.
en 1883 par une médaille d’or de la Royal Astro- également à l’origine de deux mouvements
nomical Society pour la qualité des clichés de stratégiques majeurs :
la nébuleuse d’Orion qu’il avait réalisés grâce • Le lancement des activités de conditionne-
à un télescope de sa conception, A.A. Common ment d’air, avec un premier contrat au « Carre-
devint en effet président de cette noble et pres- ras Building » à Londres, en 1928.
tigieuse institution en 1895. • L’entrée de l’entreprise dans le domaine de
Mais A.A. Common, quoique ayant « la tête dans l’électricité – chauffage, séchage, éclairage –
les étoiles », était doté d’un bon sens que n’au- durant les années 1930.
rait pas désavoué son oncle. Il ne manqua pas Ils surent ensuite tenir la barre d’une main
le virage du chauffage central en s’appuyant sur ferme durant les années « noires » du second
son adjoint, H.E. Baden. conflit mondial. La participation de Matthew
En 1894, l’entreprise se vit attribuer son Hall à l’effort de guerre lui ouvrit d’ailleurs de
premier contrat majeur en ce domaine avec le nouveaux horizons technologiques. L’entre-
Walsingham Hotel. Réalisation prestigieuse prise apprit la mécanique, le travail des métaux,
car cet établissement, situé sur l’emplacement les applications du plomb dans la chimie et la
actuel du Ritz, à côté de Green Park, fut à l’époque fabrication des explosifs. Elle approfondit ses
considéré comme le plus grand au monde. connaissances en électricité et éclairage.
Le « sanitaire » et le « thermique » devinrent L’après-guerre vit Matthew Hall, sous
ainsi les pierres angulaires de l’activité de Mat- l’impulsion des deux frères, faire feu de tout
thew Hall sur lesquelles l’entreprise bâtit sa no- bois en matière d’innovations : gainage et
toriété et sa prospérité. protections de plomb pour l’industrie nucléaire,

Le plombier
et l’astronome…
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

chauffage urbain, canalisations préfabriquées ressources gazières et pétrolières de la mer du


modulables, systèmes de sprinklers, etc. Parmi Nord vint en effet à point nommé pour satisfaire
ses hauts faits figure l’installation d’une pompe les ambitions sans cesse grandissantes de
à chaleur expérimentale pour le chauffage et la Matthew Hall. Capitalisant sur son acquis
climatisation du Royal Festival Hall, sur la rive culturel de la décennie précédente – c’est-
sud de la Tamise, à l’occasion d’une exposition à-dire sur son savoir-faire accumulé en
qui fut organisée en 1951 pour promouvoir le conception/construction de grands projets –,
savoir-faire britannique. le groupe aborda avec le succès que l’on sait
le monde de l’offshore. La seconde branche
Forte de ses compétences en électricité, méca- de son activité, les services techniques aux
nique et tuyauterie, et de ses capacités d’étude bâtiments, historiquement rattachée à ses
et de réalisation, l’entreprise aborda dès le dé- racines les plus anciennes, ne fut pas en reste.
but des années 1950 le domaine de l’ingénierie Florissante pendant toute la période, elle
process – chimie, pharmacie, industrie pétro- s’affirma définitivement comme un domaine
lière – qui, pendant plus d’une décennie, allait d’excellence, une référence pour la profession.
constituer un important relais de croissance. Vint ensuite la fusion avec AMEC, qui visait à
Mais les meilleures choses ont une fin. Quand restructurer la profession…
la dernière raffinerie eut été construite, il fallut
se remettre en cause… On ne peut terminer ce bref récit de l’histoire
de Matthew Hall sans aborder ses références
Émergea alors la stratégie des années 1970 internationales. Elles sont évidemment assez
et des années 1980, baptisée « Energy récentes. La modestie de l’entreprise à ses dé-
and Building services ». L’exploitation des buts et la nature même de ses activités ne la

Matthew Hall
a 160 ans

280
281
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

Centre de production prédisposaient pas à partir vers le grand large !


et de recherche, MacLaren, La première grande aventure sera celle de
Grande-Bretagne l’Afrique du Sud. Matthew Hall ne se l’autori-
archives Matthew Hall.
sera qu’après un siècle d’existence, dans les
années qui suivirent la Seconde Guerre mon-
diale, quand elle jugea sa taille suffisante 135.
Cette expérience se prolongera ensuite dans de
nombreuses autres régions du monde. En 1985,
le groupe comptait plusieurs dizaines d’implan-
tations ou filiales dans les pays les plus variés :
Afrique du Sud, Australie, États-Unis, Malaisie,
Norvège, Pays-Bas, Belgique, France…
Depuis plus de vingt ans, SPIE Matthew Hall fournit
Dès la fin des années 1970, Matthew Hall reven-
des services d’ingénierie et de maintenance,
diquait d’ailleurs avec fierté sa vocation inter-
et des prestations énergétiques à la Tate Gallery,
135 - Son chiffre d’affaires était voisin nationale, ce qu’illustre remarquablement une l’un des plus grands musées du monde.
de celui de la SPIE à cette période. photo du rapport annuel 1979 présentant son archives Matthew Hall

…et vint le temps


de SPIE Matthew Hall
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

construction rêvaient alors, semble-t-il, de St-Pancras, aménagement


conquérir la planète. Mais Matthew Hall, elle, complet des sections prin-
le fit avec une retenue et un sens de la mesure cipales de la gare : zones
tout britanniques. Car si l’on feuillette ce même de billeterie, d’arrivée et de
rapport annuel, on constate que la proportion départ et salons VIP.
archives Matthew Hall
du chiffre d’affaires international ne dépasse
pas 11 % !
Cette anecdote n’est pas sans intérêt. Matthew
Hall, qui a connu trois siècles, a su tout au long
de son parcours s’adapter, innover, saisir les
opportunités. Mais l’entreprise l’a toujours fait
avec sagesse, sans doute grâce à un subtil do-
sage de bon sens, de professionnalisme et de
créativité mais aussi de prudence.
président, Sir Rupert Speir, devant une publicité
de l’entreprise à Heathrow qui affiche un slo- Peut-être parce qu’elle eut à sa tête à ses dé-
gan, très explicite : buts un plombier et un astronome, alliance im-
« Wherever you’re going, look for us, we are probable mais fructueuse de deux hommes qui
there. » Slogan qui n’est pas sans rappeler celui surent conjuguer leurs talents et leurs goûts
de la Spie Batignolles des années 1980 : « Notre respectifs, et en transmettre la leçon à ceux qui
chantier : le monde » ! les suivirent…
Toutes les entreprises d’ingénierie et de (Voir annexes 45 a et 45 b)

Grahame Ludlow, président-directeur général


de SPIE Matthew Hall et Gauthier Louette,
directeur général de SPIE SA
le jour de la signature du rachat de Matthew Hall
par SPIE (août 2007).
archives SPIE

SPIE Matthew Hall a été chargée de la


conception, de l’installation et de la mise en
service de systèmes mécaniques, électriques,
incendie et sanitaires des bâtiments du terminal 5
de l’aéroport d’Heathrow à Londres.
archives Matthew Hall.

282
283
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

BILAN STRATÉGIQUE ET FINANCIER


DE LA PÉRIODE 2006-2009 DU LBO

PRÉAMBULE : LE LBO, UN LEVIER ?


Au-delà des critiques parfois justifiées, parfois caricaturales, concernant la maximisation du TRI 136
– avec toutes les conséquences attrayantes que cela implique pour la rémunération des investisseurs-
actionnaires et les gratifications des dirigeants –, le LBO s’avère un remarquable outil de recentrage
stratégique et de rigueur de gestion. Il oblige en effet à prendre en compte la rareté des ressources
financières, soigneusement calibrées au départ et étroitement encadrées par la suite par une série
de « covenants » (cf. annexe 43) destinés à prévenir les dérapages.

Dans un grand groupe – ce fut le cas chez AMEC –, la contrainte financière ne se pose pas dans
les mêmes termes. Elle existe, bien sûr, mais au niveau global. De ce fait, les unités opérationnelles
n’éprouvent généralement pas de difficulté à couvrir des besoins de trésorerie imprévus et liés à
des événements exceptionnels perturbant le déroulement « normal » d’une affaire. Ainsi AMEC
SPIE Capag ne rencontra aucun problème pour financer un découvert de près de 100 M$ durant
le cours de la réalisation du pipeline BTC. Ce qui aurait été plus délicat si cette filiale avait été rat-
tachée à une SPIE indépendante. La puissance financière des grands groupes favorise une forme
PAI partners
de laxisme dans le choix des affaires : pour autant que le risque final soit acceptable, leurs unités
opérationnelles sont même parfois incitées par leur Direction Générale – pour des raisons de plan
de charge et de communication boursière – à signer des contrats qui peuvent créer des besoins
de financement intermédiaires importants. Le LBO oblige au contraire les dirigeants à assurer une
parfaite cohérence entre la structure du portefeuille d’activités et les ressources financières de l’en-
treprise. D’où, par exemple, le choix délibéré, dans le cas de SPIE, d’éviter les trop grands projets
– de montants supérieurs à 10/20 millions d’€ – et de privilégier au contraire les petits contrats.
Stratégie au demeurant non pénalisante car, partout en Europe, ce segment du marché de l’ingé-
nierie électrique s’avère statistiquement plus rentable.
3URMHWV
La réponse à la question initiale – le LBO, un levier ? – est claire. Oui sans conteste, car il implique un
effort de réflexion stratégique riche d’enseignements pour l’entreprise. L’évolution du portefeuille
de SPIE, indubitablement positive en termes de performances, n’est pas étrangère au choix des
formules d’actionnariat, RES puis LBO.

Est-ce à dire que le LBO, est une solution idéale de long terme pour un groupe de la taille de SPIE ?
Là aussi la réponse s’impose d’évidence. Non... Lorsque l’entreprise s’est recentrée, qu’elle a amélioré
ses marges et optimisé ses besoins en fonds de roulement, elle doit chercher ailleurs ses sources de
progrès et de développement. Il lui faut se diversifier et favoriser la créativité. Et, il lui faut aussi, le
cas échéant, trouver des capitaux frais. Or la crise financière a contribué à augmenter le coût du
capital dans la formule du LBO, en diminuant ainsi l’attrait.

UN NOUVEAU VISAGE POUR SPIE


Les deux tableaux ci-après mettent clairement en évidence la profonde mutation subie en 10 ans
par le portefeuille d’activités de SPIE. La cession des activités « pipelines » et « infrastructures rail »
constituent l’aboutissement d’un processus de recentrage sur les activités de services de proximité,
principalement dans le domaine de l’ingénierie électrique. Pour accomplir cette évolution, l’entreprise
136 - Taux de Rentabilité Interne de a trouvé des relais de croissance, tant internes qu’externes, soit en élargissant son implantation
l’investissement, c’est-à-dire taux de
rémunération des investisseurs partici- géographique en Europe, soit en développant de nouveaux métiers de spécialités (pétrole-gaz,
pant au LBO. communication).
SCB
Schneider SPIE
50

00

50

00
18

19

19

20
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

Cession
pipelines
4000 Arrêt Grands Projets
3URMHWV
Cession Cession solde
génie civil Construction projets
France électromécanique
3500

3000

2500
Cession Rail

2000

Grands projets génie civil


1500
Construction France
Projets énergie 1000
et électromécanique
Pipelines
500
Rail
Services régionaux 0
multitechniques (SRM) 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Les annexes 46 et 47 illustrent quant à elles la variété des compétences de SPIE et des marchés
sur lesquels elle opère. Cette « division des risques », qu’accentue le choix stratégique de privilé-
gier les petits contrats au détriment des grosses affaires, est le fondement de la stabilité et de la
« résilience » du modèle d’entreprise de proximité SPIE (cf. annexe 48) lequel, soumis au « crash
test » de la crise financière puis économique, a remarquablement résisté. La croissance organique
n’a pas subi de choc brutal frappant les entreprises opérant sur des marchés à caractère cyclique,
elle a seulement marqué une inflexion consécutive à la baisse des PIB des pays d’Europe de l’Ouest
où l’entreprise est implantée.

4000
Acquisition SPIE,
Acquisition de WHS partenaire
3500 de GAME nucléaire
de confiance
Acquisition durable
Acquisition de Matthew Hall
3000 d’Ipedex

Acquisition
2500 de FORAID
Acquisition
Acquisition de Controlec
2000 de MNCD

1500 Acquisition OGS (pétrole-gaz)


de HIS
Communication
1000 Acquisition
de Juret Nucléaire
500 SRM Europe
SRM France
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Acquisition
de Laurent Bouillet

Il est intéressant de noter que les activités pétrole-gaz – dont la progression a été remarquable –
s’inscrivent également dans une démarche de proximité, avec des implantations permanentes sur
les champs pétroliers et gaziers, comme il ressort de l’annexe 49.
284
285
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

GRANDIR

La cession de SPIE Rail, conjuguée avec la croissance du « free cash flow » (cf. annexe 43) et les
tirages sur une ligne de financement dite « CAPEX » 137, a permis à SPIE de mener une ambitieuse
politique d’acquisition, notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. La proportion du chiffre
d’affaires européen, hors France, a donc progressé pour atteindre 27 % à fin 2009 (cf. annexe 50).
Free cash flow
• Au Royaume-Uni, le modèle d’entreprise de SPIE Matthew Hall s’aligne progressivement sur
celui de SPIE, avec élimination des grands contrats risqués et aléatoires. Le chiffre d’affaires, de ce
fait, régresse mais la marge EBIT/chiffre d’affaires est en revanche en forte progression, dépassant
désormais 4 %.

Les perspectives d’investissements d’EDF au Royaume-Uni, notamment dans le domaine du nucléaire,


apportent un potentiel de développement significatif pour SPIE dans ce pays pour les années qui
viennent. Pour s’y préparer, le Groupe a acquis fin 2009 la société EI WHS – CA d’environ 50 mil-
lions d’€ –, bien implantée dans les secteurs de l’énergie et du pétrole-gaz.

Gauthier Louette
Gauthier Louette est né le 21 juillet 1961. Directeur des opérations dès 1993, il supervise
Diplômé de l’École polytechnique et de alors l’ensemble des chantiers de Spie Capag,
l’ENSTA (École nationale supérieure des de la Norvège à la Birmanie, en passant par la
techniques avancées) Gauthier Louette intègre Colombie, le Yémen et le Cameroun.
SPIE en 1986 comme ingénieur En 1998, Gauthier Louette est nommé direc-
de chantier chez Spie Capag. teur général de Spie Capag, poste qu’il occupe
Ce choix initial du terrain l’amè- jusqu’en 2002 quand lui est confiée la direc-
nera à participer dès le début tion de l’ensemble de la branche Pétrole-Gaz
de sa carrière à de nombreux du Groupe. Outre Spie Capag, celle-ci compre-
projets aussi divers que la mo- nait Spie Enertech, spécialisée dans l’électrici-
dernisation de la raffinerie de té, l’instrumentation et le contrôle commande,
Leuna en ex-Allemagne de l’Est, ainsi que la société Foraid nouvellement ac-
la réalisation clés en main d’un quise, spécialisée dans les services pétroliers.
terminal charbonnier en Indoné- Ipedex vint s’y joindre début 2003.
sie, la construction de gazoducs En juillet 2003, Gauthier Louette devient di-
en France ou d’oléoducs en Inde. recteur général d’AMEC SPIE. Il conduit à son
Ce goût prononcé pour la réalisation d’ou- terme le repositionnement stratégique du
vrages complexes et l’international lui per- Groupe engagé par Jean Monville à la fin des
met d’acquérir une expérience opérationnelle années 1990. Il mène une démarche vigou-
solide dans des contextes multiculturels. Di- reuse d’amélioration de la performance ainsi
recteur de projet à partir de 1992, il dirigera qu’une politique active d’acquisition, faisant
notamment la construction du pipeline de de SPIE un leader européen des services de
distribution de produits raffinés pour Nigeria proximité dans les domaines de l’énergie et
National Petroleum Corp (NNPC), projet de des communications. Gauthier Louette est
195 millions d’US$. président-directeur général de SPIE depuis le
1er janvier 2010.
137 - Destinée précisément à financer
les acquisitions, elle avait été fixée à
70 millions d’€ dans le cadre de la
« récap ».
SCB
Schneider SPIE
50

00

50

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20
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

• La Hollande constitue un exemple intéressant de construction dans la durée de positions stra-


tégiques. Absent de ce pays au début du RES, SPIE y est désormais un acteur majeur – il y détient
une position de n° 4 –, en particulier dans l’industrie. La période du LBO a été marquée par deux
acquisitions importantes, Controlec et HIS (Heijmans Industrial Services).

Rachetée à sa société mère allemande SAG GmbH, Controlec est une entreprise
de services d’ingénierie, d’installations et de maintenance pour l’industrie dans les
métiers de l’électricité, de l’instrumentation et des automatismes. Basée à proxi-
mité de Rotterdam, Controlec réalisait au moment de son entrée dans le Groupe
un chiffre d’affaires d’environ 55 millions d’€ et employait 450 personnes. La
composante ingénierie de son portefeuille, en forte synergie avec les activités ins-
tallation de SPIE Nederland, s’est avérée un atout déterminant pour cette filiale.
L’acquisition de Heijmans Industrial Services – 335 collaborateurs, chiffre d’affaires
2007 de 70 millions d’€ –, également implantée près de Rotterdam, a permis à SPIE
d’accéder à des compétences mécaniques dans le cadre de son activité industrielle.

• Ces opérations ont été complétées par une série d’achats d’entreprises listés en
annexe 51. À noter, en France, où SPIE continue à diversifier son réseau d’implan-
tations régionales, la prise de contrôle de Juret en 2008. Avec ses équipes de près
de 600 personnes réparties au sein de ses 10 sites en Bretagne et dans les pays
de Loire, et son chiffre d’affaires de 75 millions d’€, ce groupe régional réputé est
venu renforcer les positions de SPIE dans l’Ouest de la France.

DES MARGES QUI « DÉCOLLENT »


(Cf. annexe 52)

Les réformes mises en œuvre par Gauthier Louette et son équipe ont porté leurs fruits. La suppres-
sion d’un niveau opérationnel a fortement accru l’efficacité de l’organisation. Elle a permis des
réductions substantielles de frais de structure, tout en « rapprochant » les directions des filiales
de leurs clients. Motivées par les enjeux du LBO, les équipes ont largement dépassé les objectifs
initiaux. La marge EBIT/Activité progresse de 3,3 % en 2005 à la veille de la sortie d’AMEC, à
4,8 % à fin 2009. D’ores et déjà, plusieurs filiales France multitechniques, SPIE Oil and Gas Ser-
vices et SPIE Nucléaire, dépassent le seuil des 5 % et se situent donc au niveau des meilleures
« performeurs » de la profession.

Publicités financières d’annonce des résultats de 2006 à 2009.


archives SPIE.

286
287
NAÎTRE ET RENAÎTRE 24

En termes de chiffre d’affaires, SPIE se situe en 2009 dans le peloton de tête européen, comme
l’illustre l’annexe 53.

VOUS AVEZ DIT BFR ?


Derrière cet acronyme mystérieux pour les profanes se cache une dimension financière essentielle
pour une entreprise en LBO : le besoin en fonds de roulement (cf. annexe 43). Sa réduction, par
une gestion avisée du compte client 138, permet de dégager des ressources de trésorerie affectées
aux investissements – physiques ou acquisition d’entreprises – ainsi qu’à la réduction de la dette
nette (cf. annexe 43), indicateur soigneusement surveillé par les banques en période de crédit rare.

L’entreprise a réussi une remarquable performance au cours des premières années du LBO en amé-
liorant son BFR de 217 millions d’€, soit l’équivalent d’un peu plus d’une année d’EBIT (173 mil-
lions d’€). On mesure ainsi l’importance de la performance et son impact déterminant sur les
capacités d’autofinancement de l’entreprise.

Gauthier Louette présente


les résultats 2008 aux cadres
dirigeants du Groupe
archives SPIE.

Communiqué
de presse
résultats 2009

SPIE N’EST PAS PRISONNIÈRE DE SES « COVENANTS »


Ainsi qu’il ressort de l’annexe 43, les « covenants » sont des contraintes imposées par les banques
concernant certains ratios de financement. Leur « non-respect » à un instant donné peut entraîner
la remise en cause du coût ou de la structure des crédits initialement mis en place, c’est-à-dire par
des hausses de taux d’intérêts ou par des appels de fonds propres complémentaires. Si, dans ce
dernier cas, le fonds de LBO n’obtempère pas, il peut perdre sa mise, les banques prenant alors le
contrôle de l’entreprise. Le « covenant » le plus significatif est le ratio dette nette/EBITDA. Dans
le cas de SPIE, la bonne gestion du BFR, conjuguée à l’amélioration des marges et la croissance
concomitante de l’EBITDA, a permis à l’entreprise de s’éloigner dès 2006 de la zone de danger au
voisinage des « covenants ».
138 - Le crédit fournisseur, en général Fin 2010, la dette nette ne devrait pas dépasser 3,3 EBITDA, ratio inférieur de moitié au « covenant »
utilisé au maximum des possibilités
contractuelles et légales, n’est pas, le imposé à cette date. Elle ne sera donc pas très éloignée de celle qui résulterait d’un financement
plus souvent, un levier d’action. « corporate » classique.
SCB
Schneider SPIE
50

00

50

00
18

19

19

20
Le LBO : un levier pour l’avenir de SPIE

UN MODÈLE DE CROISSANCE DURABLE

En dépit d’une crise économique sans précédent depuis 1929, la croissance de SPIE n’a marqué
qu’une légère inflexion en 2009 sans recul brutal du CA. Cette constatation illustre la robustesse
du modèle.
Tel qu’il a été conçu, il est garant d’une croissance autofinancée aux conditions minimales sui-
vantes : un portefeuille de clients diversifié atténuant la cyclicité, des marges suffisantes, un BFR
nul et une répartition de l’activité sur un très grand nombre de petits contrats qui diminue de ce
fait le « coût » du risque.
La croissance totale de SPIE (interne et externe) pourrait à nouveau atteindre 10 % l’an, seuil atteint
par l’entreprise au cours des dix dernières années. De « Naître et Renaître, un
nouveau projet pour SPIE »
L’annexe 54 en apporte la justification théorique. Les performances passées ne sont donc pas le à « SPIE, acteur de l’économie
fruit du hasard : elles résultent d’un modèle d’entreprise qui permet de générer une croissance verte » (rapports annuels
durable auto-financée. 2005-2009)
archives SPIE.

1997 2009 Coefficient TCAM (Taux de croissance


(1) (2) (2) /(1) annuel moyen) Rapport
annuel SPIE
Chiffre d’affaires « services » 1 200 3 725 3,11 9,9% 2009
Valeur d’entreprise 150 139
1 500 * 10 21,2%
* Sur la base d’une valorisation de 8,2 fois l’EBIT 2009 140

La création de valeur, hors tout effet de levier à caractère financier, a bien sûr bénéficié de l’amélio-
ration des marges, dans un contexte de maîtrise des risques et de recherche d’activités récurrentes.

139 - Prix d’achat à Schneider au


départ du RES. Les apports/sorties
de capitaux propres ont ensuite été
négligeables.
140 - Référence : rapport Nexia pour
l’évaluation des parts du FCPE, p. 50 :
coefficient de capitalisation d’IMTECH,
société cotée d’ingénierie électrique,
au 31-12-2009.
288
289
« LA PASSION EST LE MOTEUR DE NOS PLUS BELLES RÉALISATIONS. »

Hegel.

Archives SPIE
Épilogue

ÉPILOGUE

PASSION D’ENTREPRENDRE
Il est, en cette fin 2010, deux catégories d’optimistes, bien différents. Les premiers, avec une certaine
candeur, pensent que la crise qui a éclaté en 2007 va profondément modifier les règles régissant
l’économie mondiale. Les seconds, oubliant le présent et rétifs à toute évolution de leurs valeurs,
affirment que la « reprise » se manifestera en 2011 141 et que tout recommencera comme avant,
mieux qu’avant.

L’entrepreneur ne se classe dans aucune de ces deux catégories. Ni naïf dans ses jugements, ni
passif dans sa conduite, il n’imagine pas pouvoir fonder ses plans sur l’avènement miraculeux de
comportements « moraux » ou sur d’improbables évolutions. Guidé par le désir et la passion – mo-
teurs de toute action créatrice –, il mène à bien ses projets avec détermination, courage et ténacité.

Il ne prétend pas s’abstraire du monde financier avec lequel il doit forcément composer ; il en ap-
prend le langage, les codes et les règles – aussi changeants et volatiles que les modes vestimentaires.
Mais, même s’il évite de le proclamer devant les banquiers et analystes qui l’observent et le jugent
– avec quelle légitimité d’ailleurs ? –, il a bien compris qu’effets de levier et autres artifices ne sont
pas créateurs de valeur, au sens où il l’entend lui-même.

Toute action entrepreneuriale s’inscrivant dans la durée, il privilégie les actionnaires qui, tout en
exigeant de lui rigueur et réactivité, ont la sagesse de ne pas négliger le long terme. Il s’emploie
à rentabiliser au mieux les capitaux qui lui sont confiés – juste rémunération du risque pris – mais
sans pour autant viser les rendements extravagants dont se vantent – se vantaient ? – maints
financiers. 141 - En 2009, ils l’avaient déjà
pronostiqué en 2010.
290
291
NAÎTRE ET RENAÎTRE 25

L’entrepreneur met les chiffres à leur juste place. Ils sont essentiels car, traduisant les performances
de l’entreprise, ils servent à la piloter et, bien sûr, à « l’apprécier ». Mais ils ne sont que la consta-
tation et l’enregistrement des performances, la partie passive du management. L’amélioration des
marges génère rarement de la passion.
L’objectif premier de l’entrepreneur est tout autre. Il consiste à communiquer son propre enthou-
siasme à ses collaborateurs, à la communauté d’hommes et de femmes qui l’entourent et le secon-
dent. Sans ce partage d’émotions et de valeurs, librement consenti et vécu, l’entreprise ne donnera
pas le meilleur d’elle-même. Elle perdra donc en efficacité, n’en déplaise aux purs gestionnaires…

COHÉRENCE
Économie
verte
Il serait erroné de qualifier de « conjoncturelle » la crise qui a frappé l’économie mondiale. Elle
résulte en réalité de l’inadaptation et des dysfonctionnements croissants d’un modèle économique
devenu défaillant face à un monde aux ressources limitées. Le développement ne pourra désormais
se définir et se poursuivre sur des bases identiques à celles du passé.

Dans ce contexte, «l’économie verte », c’est-à-dire une économie consciente de la rareté des
ressources naturelles, en particulier énergétiques, s’imposera naturellement à tous. Fervents du
retour à la bougie et de la décroissance rédemptrice ou observateurs pragmatiques moins portés
sur les dogmes s’affrontent, parfois avec vigueur, sur les mesures à prendre, et
les priorités sont encore loin de faire l’objet d’un consensus. Mais les deux camps
se rejoignent pour affirmer que la limitation des ressources naturelles générera
des contraintes sans cesse croissantes et que la chasse au gaspillage s’imposera
comme un impératif vital.

Dès lors, le recours à de nouvelles formes d’énergie et la recherche de « l’efficacité


énergétique » – sources d’activités prometteuses pour les entreprises d’ingénierie
électrique – constitueront des axes de réflexion majeurs dans la définition des
politiques économiques.

L’opinion publique, il faut s’en réjouir, est de plus en plus consciente de la nécessité
d’évaluer et de prendre en compte tous les impacts – positifs ou négatifs – de
l’activité économique. Cette préoccupation est évidemment partagée par les jeunes
collaborateurs de l’entreprise, qui reconnaissent en SPIE un groupe responsable
et innovant, dont l’ensemble des métiers contribue à répondre sur le long terme
L’économie verte, au cœur aux défis énergétiques et environnementaux. Il en résulte une convergence entre
du projet d’entreprise de SPIE les aspirations légitimes du corps social et des collaborateurs – volonté de préparer et de préserver
archives SPIE.
l’avenir – et les intérêts financiers de l’entreprise – potentiel de croissance du chiffre d’affaires et
des profits.

Cette cohérence entre « valeurs » et « opportunités financières » constituera indubitablement un


atout précieux pour SPIE dans l’avenir.

INDÉPENDANCE
En sortant d’AMEC, SPIE a reconquis sa liberté, c’est-à-dire la faculté de se développer de façon
indépendante en affectant ses ressources à son propre projet, sans subir les effets néfastes des
conflits d’intérêt « intragroupes ». Elle a désormais une vocation bien établie, l’ingénierie électrique,
et une stratégie sans ambiguïté, le déploiement de réseaux de services de proximité, au contact
de ses clients.
Épilogue

La mobilisation de toute une entreprise autour d’objectifs clairement exprimés et perçus a toujours
été et restera toujours un facteur inégalable de succès. Les expériences des électriciens de SPIE, dans
le cadre de l’ancienne Spie Batignolles ou du groupe AMEC, ont dans le passé étayé la pertinence
d’une telle affirmation. Les synergies, fréquemment vantées, avec les métiers du génie civil et du
bâtiment sont, en revanche, restées le plus souvent à l’état de promesses. Et l’évolution actuelle
de l’ingénierie électrique ne la rapproche pas des activités traditionnelles du BTP. Au contraire. Son
mode relationnel avec ses clients, fondé sur la récurrence et la proximité – avec un rôle croissant
de la maintenance –, ses caractéristiques de management et son contenu technologique l’en
éloignent irrémédiablement.

La participation des filiales électriques des groupes pluridisciplinaires aux grands projets d’infrastruc-
ture débouche bien souvent sur des partages de risques contre nature avec leurs sociétés sœurs.
Elle contribue seulement à une mutualisation des risques – positifs ou négatifs – qui n’a guère de
sens car les électriciens n’ont aucun levier réel sur la gestion des très grands projets.

SPIE
Il ne s’agit nullement de remettre en cause la légitimité du choix de certains grands groupes de en images
construction d’intégrer une composante « ingénierie électrique » dans leur portefeuille d’activités.
Les conclusions précédentes visent simplement à montrer que la justification de cette option ne relève
pas d’impératifs de « stratégie industrielle » – les synergies sont négligeables – mais de décisions à
caractère « patrimonial » de holdings cherchant à élargir leur éventail d’activités.

SPIE, pour la première fois depuis des décennies, ne se pose plus de questions sur la nature de
son « core business », et sur la cohérence de ses ambitions avec celles d’unités dont les intérêts
divergent des siens. Ayant goûté depuis le lancement du LBO aux bienfaits de cette indépendance
retrouvée, elle souhaite et croit possible de la conserver. Dans ce contexte, il n’apparaît pas opportun
de l’intégrer totalement dans un groupe de BTP en risquant de déstabiliser une entreprise dont la
stratégie de développement est clairement établie. Une association avec un acteur industriel de
la construction ou de l’énergie – devenant actionnaire de référence aux côtés du personnel – per-
mettrait en revanche, dans le cadre de règles du jeu clairement définies, de mettre en place des
coopérations profitables aux deux parties tout en préservant leur autonomie et leurs stratégies
respectives. Ce type de partenariat n’exclurait évidemment pas une entrée en bourse qui serait
de nature à faciliter l’apport de capitaux nécessaires au développement de l’entreprise, tout en
contribuant à sa notoriété tant auprès des investisseurs que du grand public.

Au-delà de l’aspect « rationnel » des choses, il existe un élément « émotionnel » d’importance,


car il constitue à la fois un ciment et une force vitale pour l’entreprise : la confiance dans l’avenir. L’actualité
En dix ans, SPIE s’est prouvée à elle-même sa capacité à surmonter ses problèmes et à inventer son de SPIE
futur, au service de ses clients. Ses collaborateurs en tirent à juste titre une réelle fierté. Ils souhai-
tent donc poursuivre l’aventure… avec des actionnaires industriels ou financiers partageant leur
aspiration et leur projet.

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NAÎTRE ET RENAÎTRE 25
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Annexes

ANNEXES
Annexe 1 .......................Arbre généalogique des Goüin Annexe 25.......................... Distributions de dividendes
Annexe 2 ................................................. Descendance et augmentations de capital de Spie Batignolles
d’Édouard Rodriguès-Henriquès Annexe 26.............Valeur boursière de Spie Batignolles
Annexe 3-a......................Activité et résultats de la SCB Annexe 27................. Organisation de Spie Batignolles,
Annexe 3-b ... Répartition de l’activité de la SCB (en %) période 1992-1995
Annexe 3-c ........................... Répartition géographique Annexe 28............................................ Journal du RES,
des marchés de TP de la SCB Rachat de l’Entreprise par ses Salariés
Annexe 4 ....................... Activité de la SCB par secteurs Annexe 29........... Schéma juridique et financier du RES
et par zones géographiques Annexe 30................Modalités de financement du RES
Annexe 5 ......Ventilation du chiffre d’affaires de la SCB Annexe 31....................... SPIE : acquisitions et cessions
Annexe 6 ............... Évolution de la rentabilité de la SCB stratégiques de la période du RES (1997-2003)
Annexe 7 ............................Structure du passif du bilan Annexe 32..........SPIE : croissance « quasi-organique »,
de la SCB de 1913 à 1940 période 1997-2002
Annexe 8 .............................Indice du coût des travaux Annexe 33...................SPIE : profil du chiffre d’affaires,
en France de 1913 à 1940 exercice 2002
Annexe 9 ....................................Généalogie simplifiée Annexe 34...............................SPIE : forte amélioration
de la descendance d’Henri Schneider de la rentabilité de 1997 à 2002
Annexe 10 ......................................Activité et résultats Annexe 35 .......................SPIE : reprise de la croissance
de la Direction Travaux Publics de Schneider Annexe 36 ..........Organisation AMEC SPIE SA en 2004
de 1925 à 1938 Annexe 37 ..................... AMEC : évolution de l’activité
Annexe 11...................................Généalogie simplifiée et des marges
de la famille Empain Annexe 38 ............................Schéma juridique du LBO
Annexe 12.......................... Évolution des résultats nets Annexe 39 .........................LBO SPIE : Épargne salariale
de la SCB de 1940 à 1956 Annexe 40 .......................................Gouvernance LBO
Annexe 13.......................... Évolution des résultats nets Annexe 41 ......................... Flash interne d’information
de la SCB de 1954 à 1967 annonçant la cession de SPIE Rail
Annexe 14...................................Répartition du capital Annexe 42 ....................Organisation SPIE SA, fin 2009
de SPIE au 30 juin 1966 Annexe 43 ......................................... Petit lexique LBO
Annexe 15.................................Évolution et répartition Annexe 44 ............................ « Récap » 2007 : tableau
du chiffre d’affaires de SPIE de 1947 à 1967 emplois-ressources FINANCIÈRE SPIE (FS)
Annexe 16...................................Évolution des marges Annexe 45-a ........... Matthew Hall : activité et résultats
de SPIE de 1948 à 1967 Annexe 45-b ..... Quelques dirigeants de Matthew Hall
Annexe 17.................................Évolution et répartition Annexe 46 ............. SPIE, répartition du CA par marché
des effectifs de SPIE Annexe 47 ................................. SPIE, un large éventail
Annexe 18 ... Augmentations de capital et distributions de compétences et de spécialistes
de dividendes de Citra de 1949 à 1968 Annexe 48 .......................SPIE, un modèle d’entreprise
Annexe 19............................... Activité et résultats nets fondé sur la proximité en Europe
de Spie Batignolles de 1968 à 1982 Annexe 49 .............SPIE, un modèle d’entreprise fondé
Annexe 20.......... Répartition du CA de Spie Batignolles sur la proximité, sur les champs pétroliers et gaziers
Annexe 21................. Organisation de Spie Batignolles, Annexe 50 ............SPIE, répartition du chiffre d’affaires
période 1982-1992 par zone géographique
Annexe 22................Quelques grands chantiers export Annexe 51....................................Liste des acquisitions
et leurs records Annexe 52 ..........................SPIE, une bonne résistance
Annexe 23................... Autres acquisitions stratégiques des marges malgré la crise
de la période 1982-1991 Annexe 53 ............................................... Concurrence
Annexe 24............................... Activité et résultats nets Annexe 54 ..Modèle de croissance ingénierie électrique
de Spie Batignolles de 1982 à 1991 Annexe 55 .......Évolution du logo SPIE de 1900 à 2006

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NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 1 : Arbre généalogique des Goüin


(sont en rouge les noms des dirigeants de la SCB)

Ernest I Goüin - Anne-Mathilde Rodriguès-


Henriquès

Jules-Édouard — Marie-
Lucie — Wilbrod Chabrol Fanny — Georges Guiard
Thérèse Singer

Édouard — Gaston — Ernest II — Robert-Eugène — Élisabeth


Anna — Louis Lorieux
Suzanne du Buit Marie-Marguerite Cottin Jeanne Treilhard Chevreau d’Antraigues
Germaine — Hervé Michel

Marguerite — Edmond de
Denise — marquis Guy de
comte Bernard de Ganay

Simone — baron Beyens


Lucienne — Jean Gradis

comte Alain de Solages


Henry — Isabel Lang

Hubert (mort jeune)


Cadoine de Gabriac

Roger (mort jeune)

Rivière de la Mure
Marie-Louise —

François Balsan

Adams Clifford
Marie-Laure —
Magdeleine _

Marie-Claire
Monique —
Jean-Pierre

Jean-Louis

Philippe
Charlie

Annexe 2 : Descendance d’Édouard Rodriguès-Henriquès


(sont en rouge les noms des dirigeants de la SCB)

Édouard Rodriguès-Henriquès —
Esther-Nancy Lopez de Saa

Félicité-Cécile — Anne-Mathilde — Marie — Camille-Thérèse —


Gustave d’Eichtal Ernest I Goüin Sébastien de Genuyt Paul Roland-Gosselin

Cf arbre généalogique Georges — Jeanne Jean Roland-Gosselin —


Jeanne — Paul Le Bret Maurice Madeleine
de la famille Goüin Chauchat Jeanne Rodriguès-Henriquès

Robert Le Bret Hélène — Odette —


Janine —
Henri — Mme Georges Jean Marie-Thérèse Jean-Camille François Paul-
Pierre Larcher
Roland-Gosselin Bellaigue Dubois-Taine

Etienne
René Guy Le Bret Jacques
Le Bret
Annexes

Annexe 3-a : Activité et résultats de la Société de Construction des Batignolles


En millions de francs courants

de 1846 à 1871 de 1885 à 1914

Exercice Chiffre Capacité Bénéfice Auto- Exercice Chiffre Capacité Bénéfice Auto-
d’affaires d’auto- distribué finance- d’affaires d’auto- distribué finance-
finance- ment finance- ment
ment ment
1846-47 1,78 0,063 0,063 0 1885-86 34,11 6,35 4,57 1,6
1847-48 3,02 0,063 0,063 0 1886-87 35,51 5,34 2,08 3,26
1848-49 3,33 0,063 0,063 0 1887-88 36,32 2,59 2,08 0,51
1849-50 3,30 0,070 0,070 0 1888-89 36,43 2,19 2,08 0,11
1850-51 3,38 0,065 0,065 0 1889-90 35,29 2,88 0 2,88
1851-52 6,21 0,063 0,063 0 1890-91 28,65 2,95 1,42 1,53
1852-53 9,13 0,181 0,063 0,118 1891-92 17,07 1,86 1,25 0,61
1853-54 9,77 0,247 0,110 0,137 1892-93 12,13 1,25 1,25 0
1854-55 11,45 0,334 0,251 0,083 1893-94 11,93 1,27 1,26 0,01
1855-56 13,69 0,577 0,063 0,514 1894-95 11,57 1,62 1,62 0
1856-57 12,23 0,560 0,220 0,340 1895-96 10,14 1,41 1,41 0
1857-58 12,44 0,532 0,144 0,388 1896-97 9,27 1,41 1,29 0,12
1858-59 17,97 0,526 0,180 0,346 1897-98 9,37 2,58 1,58 1,00
1859-60 19,19 0,764 0,180 0,584 1898-99 14,20 1,59 1,58 0,01
1860-61 17,45 0,749 0,288 0,416 1899- 19,93 1,59 1,58 0,01
1861-62 16,48 1,413 0,234 1,179 1900
1862-63 14,27 1,694 0,216 1,478 1900-01 20,61 1,59 1,58 0,01
1863-64 9,93 2,099 0,216 1,883 1901-02 23,69 1,60 1,58 0,02
1864-65 7,04 3,082 0,072 3,010 1902-03 25,27 1,42 1,42 0
1865-66 7,61 3,866 0,072 3,794 1903-04 21,11 1,42 1,42 0
1866-67 9,99 4,307 0,115 4,192 1904-05 22,60 1,62 1,42 0,2
1867-68 12,06 4,103 0,173 3,930 1905-06 27,44 1,74 1,42 0,32
1868-69 13,55 3,887 0,144 3,743 1906-07 28,50 0,53 1,42 – 0,89
1869-70 10,93 3,767 0,216 3,551 1907-08 23,52 2,71 1,62 1,09
1870-71 10,21 4,526 0,216 4,310 1908-09 22,01 2,40 1,68 0,72

Source : AG des Établissements Ernest Goüin et Cie, thèse de Rang-Ri Park, volume 4,
1909-10 23,90 1,74 1,65 0,09
La SCB de 1846 à 1971 et de 1885 à 1914.
1910-11 25,16 2,90 1,96 0,94
1911-12 28,92 2,00 1,96 0,04
1912-13 30,71 2,48 1,94 0,54
1913-14 29,81 1,66 0,92 0,74

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NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 3b : Répartition de l’activité de la SCB (en %)


période 1860-1873 1871-1885 1886-1914
ateliers de mécanique 27 % 16 % 16 %
ponts et charpentes métalliques 32 % 5% 9%
sous-total construction métallique et mécanique 59 % 21 % 25 %
infrastructures ferroviaires 38 % 59 % 28 %
ports – 18 % 35 %
équipements urbains et hydrauliques 2% 2% 12 %
sous-total travaux publics 41 % 79 % 75 %
total général 100 % 100 % 100 %
Source : thèse Rang Ri Park, volumes 1 et 2.

Annexe 3c : Répartition géographique des marchés de TP


de la SCB

période 1871-1885 1885-1914


France métropolitaine 11 % 17 %
Colonies 53 % 23 %
Algérie 30 % 7%
Tunisie 5% 14 %
Sénégal et AOF 18 % 2%
Europe 36 % 24 %
Autriche-Hongrie 7%
Roumanie 13 %
Espagne 16 %
Russie 7,5 %
Bulgarie 7,5 %
Grèce 8%
Suisse et divers 1%
Empire ottoman 6%
Chine 10 %
Amérique du Sud 20 %
Argentine 2%
Brésil 9%
Chili 9%
Source : thèse de Rang Ri Park, volumes 1 et 2.
Annexes

Annexe 4 : Activité de la SCB par secteurs et par zones géographiques(*)


En millions de francs constants 1913

Chiffre Construction TP Exporta- dont Métropole


d’affaires mécanique seulement tions colonies Étranger
total TTC et métallique totales
1914 28,00 7,70 20,30 17,00 11,00
1915 20,00 7,30 12,70 11,50 8,50
1916 16,15 10,55 5,60 8,00 8,15
1917 18,00 17,10 0,90 1,00 17,00
1918 8,10 7,85 0,25 0,25 7,85
1919 12,69 9,04 3,65 3,65 2,40 1,25 9,04
1920 10,64 7,59 3,05 3,65 1,80 1,85 6,99
1921 17,97 14,98 2,99 4,19 2,94 1,25 13,78
1922 24,35 18,69 5,66 4,66 3,41 1,25 19,69
1923 21,96 11,48 10,48 8,43 5,95 2,48 13,53
1924 20,33 5,29 15,04 13,04 5,47 7,57 7,29
1925 21,52 2,20 19,32 18,46 7,14 11,32 3,06
1926 24,59 3,67 20,92 20,72 9,40 11,32 3,87
1927 21,84 21,84 21,64 9,92 11,72 0,20
1928 26,05 26,05 26,05 12,39 13,66 0,00
1929 29,55 29,55 28,75 12,65 16,10 0,80
1930 29,99 29,99 29,10 11,46 17,64 0,89
1931 29,07 29,07 29,07 11,73 17,34 0
1932 24,89 24,89 24,17 8,52 15,65 0,72
1933 19,99 19,99 19,59 5,03 14,56 0,40
1934 25,28 25,28 25,28 9,72 15,56 0
1935 24,00 24,00 22,80 8,24 14,56 1,20
1936 22,24 22,24 21,15 7,49 13,66 1,09
1937 22,02 22,02 21,35 7,49 13,86 0,67
1938 22,70 22,70 22,10 8,34 13,76 0,60
1939 23,26 23,26 22,06 9,54 12,52 1,20

Ventilation géographique du chiffre d’affaires (en % du total et par périodes)

Total Métropole Exportations Colonies Étranger


1914-1918 100 55,9 44,1 14,7 29,4
1919-1922 100 75,3 24,7 16,1 8,6
1923-1926 100 31,4 68,6 31,6 37,0
1927-1930 100 1,8 98,2 43,2 55,0
1931-1939 100 2,7 97,3 35,7 61,6
D’après Anne Burnel, La SCB de 1914 à 1939

300
301
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 5 : Ventilation du chiffre d’affaires de la Annexe 6 : Évolution de la rentabilité de la SCB(*)


SCB(*) sur les marchés étrangers (en %) En millions de francs constants 1913

1. par zones géographiques


1914-1918 1919-1930 1931-1939 Capacité Bénéfice Autofinan-
Russie 11,2 % - - d'autofinan- distribué cement
cement (dividendes brut
Pologne - 49,9 % 57,1 %
brute et
Grèce 39,8 % 29,0 % 4,3 % tantièmes)
Yougoslavie - 4,3 % 28,1 % 1914 0,91 0,74 0,17
Suisse 22,8 % - - 1915 1,46 1,01 0,45
Autres pays européens - 10,8 % 5,6 % 1916 2,28 1,28 1,00
Brésil 26,2 % 2,5 % 0,8 % 1917 7,03 1,24 5,79
Autres pays hors d’Europe - 3,5 % 4,1 % 1918 2,48 1,14 1,34
Total 100,0 % 100,0 % 100,0 % 1919 1,45 1,00 0,45
2. par secteurs d’activités 1920 0,83 0,79 0,04
1919-1930 1931-1939 1921 1,32 0,84 0,48
Travaux maritimes 81,4 % 55,7 % 1922 3,03 0,88 2,15
Chemins de fer 8,2 % 19,6 % 1923 1, 53 0,81 0, 72
Constructions métalliques 3,7 % - 1924 0,54 0,49 0,05
Ouvrages d'art et de génie civil 2,0 % 3,3 % 1925 – 2,25 0 – 2,25
Adductions d'eau et assainissement 3,8 % 16,0 % 1926 – 0,91 0 – 0,91
Bâtiments 0,5 % - 1927 2,22 0 2,22
Travaux fluviaux et canaux - 1,8 % 1928 0,79 0,12 0,67
Travaux routiers - 0,9 % 1929 0,87 0,20 0,67
Ingénieurs-conseils 0,4 % 2,7 % 1930 0,50 0,28 0,22
Total 100,0 % 100,0 % 1931 0,40 0,30 0,10
1932 0,42 0,43 – 0,01
1933 0,68 0,48 0,20
1934 1,00 0,49 0,51
1935 1,40 0,60 0,80
1936 1,11 0,55 0,56
1937 0,80 0,48 0,32
Annexe 7 : Structure du passif 1938 0,91 0,55 0,36
du bilan de la SCB(*) de 1913 à 1940 1939 1,21 0,77 0,44
En millions de francs constants 1913
1940 1,15 0,47 0,68
Fonds Passif
(*) D’après Anne Burnel, La SCB de 1914 à 1939.
propres hors fonds propres
1917 5,30 26,20
1920 10,57 2,90
1925 10,27 8,64
1930 4,92 13,56
1935 7,89 30,66
1940 4,40 29,06
(*) D’après Anne Burnel, La SCB de 1914 à 1939.
Annexes

Annexe 8 : Indice du coût des travaux en France de 1913 à 1940


(base 1913 = 100)

1. 1913-1914 : indice François Caron


2. 1915-1940 : indice de l’Académie d’architecture
Les chiffres en francs constants 1913 des annexes 4, 5, 6 et 7 ont été déduits des francs courants
en appliquant les coefficients ci-après.
1913 100 1927 632
1914 102 1928 638
1915 140 1929 721
1916 189 1930 807
1917 228 1931 797
1918 184 1932 757
1919 324 1933 685
1920 411 1934 668
1921 385 1935 541
1922 367 1936 590
1923 399 1937 901
1924 428 1938 997
1925 462 1939 1027
NB : Le rapport des indices INSEE de valeur du franc donne pour un indice 100 en 1913 un indice 969
1926 604 1940 1138 en 1940. L’écart n’est pas négligeable, 15 %, mais ne modifie pas les ordres de grandeur.

Annexe 9 : Généalogie simplifiée de la descendance d’Henri Schneider

Eugène I Schneider

Henri Schneider
(1840-1898)

Eudoxie Asselin
Zélie Asselin
1853-1942
1847-1869

Constance Schneider 1865- Eugène II Schneider 1868-


1935 — marquis 1942 — Antoinette
de Chaponay de Rafelis de St-Sauveur Zélie Schneider 1872-1969 Marguerite Schneider Madeleine Schneider 1879-
— comte de Ganay 1876-1969 — M. de Brantès 1969 — marquis de Juigne

Henri-Paul Jean Schneider Charles Schneider


May Schneider — François
Schneider 1896-1944 — 1898-1960 — Lilian
duc de Brissac de Brantès
1896-1918 Françoise de Curel Volpert-Guesde

Anne-Aymone de Extrait de l’ouvrage


Dominique Catherine
Brantès — Valéry Les Schneider, une dynastie
Schneider Schneider par Jean-Louis Beaucarnot,
Giscard d’Estaing
Hachette, 1986.

302
303
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 10 : Activité et résultats de la Direction Travaux Publics de Schneider(*) de 1925 à 1938


Activité ** (1925-1938) Résultats (1926-1938)
Partici- ED (***) Total Millions Millions
pations de F de F
1925-26 11,74 5,10 16,84 courants constants
1913
1926-27 11,41 4,40 15,81
1926-27 2,1 0,35
1927-28 8,04 3,78 11,82
1927-28 3,9 0,60
1928-29 11,34 1,73 13,07
1928-29 5,6 0,85
1929-30 12,07 1,70 13,77
1929-30 12,6 1,7
1930-31 13,97 2,25 16,23
1930-31 13,0 1,6
1931-32 33,50 4,36 37,87
1931-32 13,7 1,75
1932-33 26,95 5,18 32,13
1932-33 13,5 1,85
1933-34 22,08 1,91 23,99
1933-34 13,2 1,95
1934-35 16,14 4,95 21,09
1934-35 13,3 2,1
1935-36 11,12 5,38 16,50
1935-36 10,6 1,9
1937-38 17,53 6,30 23,84
Moyenne 1925-1931 : 14,7 millions de F Les chiffres 1936-1937 ne sont pas disponibles. 1937-38 11,2 1,2
Moyenne 1931-1938 : 25,8 millions de F

(*) D’après la thèse d’Agnès d’Angio, École nationale des Chartes, la politique de Travaux Publics du groupe Schneider de 1895 à 1949. Les taux d’inflation pris en compte sont ceux de l’annexe 8.
(**) En millions de francs constants 1913.
(***) ED : «Entreprises directes» réalisées par Schneider DTP seule, sans partenaire.

Annexe 11 : Généalogie simplifiée de la famille Empain


(sont en rouge les présidents du groupe, sont en bleu les dirigeants du groupe)

François-Julien Empain — Catherine Lolivier


1851-1897 1851-1914

général baron Édouard Empain Maria Florence Anna Emma Louise Baron François Empain —
(1852-1929) — Jeanne Becker 1856 1860 1864 1868 1871 Gislaine de Mont-Blanc

baron Louis Empain (1908-1971) baron Jean Empain (1902-1946) baron Édouard Empain (1914-1984) — M-Christine Ghislaine Marguerite
— Geneviève Hone marié successivement à : Rozell Rowland (veuve du baron Jean) 1923 1920 1917

— Christiane — Rozell
de la Rochette Rowland
baron Édouard-Jean Empain

Diane (1949)
Huguette
Monique
Claude

Michel

Janine

(1937)
Luc

Source : archives Empain Histoire


des groupes Empain et Schneider
de Marcel Fauvelais
Annexes

Annexe 12 : Évolution des résultats nets de la SCB de 1940 à 1956


Période de la guerre Période de l’après-guerre
Résultat Dividendes Résultats Résultats Résultat net après impôt Dividende Dotations aux
en MF en MF en M de F en M d'€ Exercices en MF en MF en M€ en MF provisions en
courants courants 1913 2010 courants 1913 2010 courants MF courants
1939-1940 5,54 5,34 0,66 2,05 1946 6,1 0,15 0,45 4,9 n.s.
1940-1941 5,66 5,64 0,57 1,8 1947 10,9 0,20 0,55 10,2 n.s.
1941-1942 5,69 5,36 0,48 1,5 1948 25,6 0,25 0,8 17,4 n.s.
1942-1943 5,66 5,71 0,38 1,2 1949 36,0 0,30 1,0 35,4 220
1943-1944 5,65 5,36 0,31 1,0 1950 33,7 0,30 0,9 28,2 290
1944-1945 9,91 18,73 0,37 1,15 1951 56,0 0,40 1,25 28,2 133
Source : AG de la SCB – Archives Schneider.
1952 56,3 0,35 1,15 28,2 245
1953 59,9 0,40 1,25 28,2 83
1954 41,3 0,25 0,8 35,4 220
1955 40,0 0,25 0,8 35,4 168
1956 37,0 0,20 0,7 35,4 298
Source : AG de la SCB – Archives Schneider.

Annexe 13 : Évolution des résultats nets


de la SCB de 1954 à 1967

Résultat net
en MF en M€ Dividende
courants 2010 en MF
courants Annexe 14 : Répartition du capital de SPIE au 30 juin 1966
1954 41,3 0,8 35,4
1955 40,0 0,8 35,4 7,4 %
3,8 %
1956 37,0 0,7 35,4
1957 38,2 0,7 35,4
43,6 %
1958 39,5 0,7 35,4
1959 0,69 1,0 0,50 45,2 %

1960 0,75 1,15 0,50


1961 0,57 0,8 0,50
1962 0,67 0,9 0,50
1963 0,61 0,8 0,62 Empain (Électrorail, Auxilacs, Grands Lacs)
1964 0,67 0,8 0,62
Groupe Lebon
1965 1,07 1,35 0,74
Marché
1966 1,1 1,35 0,74
Caisse des Dépôts et Consignation
1967 1,1 1,25 0,74 Source : étude de Stéphane Mole, Université de Caen, Unité professeur D. Barjot.

304
305
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 15 : Évolution et répartition Annexe 16 : Évolution des marges de SPIE


du chiffre d’affaires de SPIE de 1947 à 1967 de 1948 à 1967

Chiffre d’affaires Répartition du chiffre d’affaires en % Résultat net et capacité d’autofinancement


hors taxe en MF (reconstitution d’après les P.V. de conseils) en MF constants 1962 et en % du CA
constants 1962 1947 1952 1965 1948- 1953- 1958- 1963-
1947 16,9 Électricité 46 % 45 % 25 % 1952 1957 1962 1967
1948 15,1 Voies et traction électrique 30 % 6% 6% CA moyen en MF 35 52 172 362
1949 31,5 Canalisations 16 % 35 % 42 % Résultat net 0,45 1,1 2,4 2,5
1950 39,4 (moyenne de la période)
Divers 8% 14 % 27 %
1951 45,3 Résultat net en % 1,3 % 2,1 % 1,4 % 0,7 %
Total 100 % 100 % 100 %
du CA
1952 44,7
Taux moyen de croissance 1949-1957 : 9 % l’an Capacité d’auto- 2,1 4,2 8,9 14,1
1953 44,8
Taux moyen de croissance 1957-1967 : 22 % l’an financement
1954 46,7 (moyenne de la période)
Taux moyen de croissance 1949-1967 : 16 % l’an
1955 47,1 Capacité d’autofinance- 6,1 % 8,1 % 5,2 % 3,9 %
1956 55,6 ment en % du CA
1957 65,0 Source : étude Stéphane Mole, Université de Caen, Unité Professeur D. Barjot.

1958 102,4 Concernant les marges, il convient de souligner le changement de


1959 151,8 structure d’activité entre les périodes – leur niveau est plus faible
1960 194,2 dans le domaine des canalisations – et le fait que la décroissance
Annexe 17 : Évolution
est moins nette pour le ratio capacité d’autofinancement/CA qui
1961 192,7 et répartition des
effectifs de SPIE se maintient à 3,9 % dans la période 63-67. Or, en ces temps de
1962 217,7 forte inflation, les entreprises cherchaient à bénéficier au mieux
1963 261,5 Population salariée des dispositions fiscales de l’amortissement, au détriment de l’op-
1964 327,9 1947 2 240 timisation du résultat net. Le ratio capacité d’autofinancement/
1948 2 240 CA nous paraît donc davantage représentatif de la rentabilité.
1965 351,6
1966 388,3 1949 2 142
1967 484,2 1950 3 409
Source : étude Stéphane Mole, Université de 1951 2 454
Caen, Unité Professeur D. Barjot.
1952 3 041
1953 2 726
1954 2 350
1955 2 682
Répartition des salariés par catégories professionnelles,
1956 3 259 au 01/07/1962 en valeur absolue et en pourcentage
1957 2 926 Cadres Techniciens Ouvriers Total
1958 3 250 279 697 4 829 5 805
1959 5% 12 % 83 % 100 %
1960
1961 Répartition des salariés par secteurs d’activités en 1966
1962 Électricité 854 30 %

Les effectifs en fin d’exercice


1963 Traction électrique 314 11 %
ne sont pas disponibles
de 1959 à 1963.
1964 4 354 Canalisations 1 618 56 %
1965 4 694 Sondages 72 3%
Source : étude Stéphane Mole,
Université de Caen, Unité
1966 4 718 TOTAL 2 858 100 %
Professeur D. Barjot.
Annexes

Annexe 18 : Augmentations de capital et distributions de dividendes de Citra de 1949 à 1968

Nombre Dividende brut Dividende total Dividende total Augmentation de


d’actions par action en F MF courants M€ 2010 capital M€ 2010
1949 75 000 - - - – 21,4
1950 75 000 1 050 78,8 2,0 -
1951 75 000 - - - -
1952 100 000 - - - – 5,0
1953 100 000 - - - -
1954 100 000 - - - -
1955 172 500 - - - – 14,5
1956 172 500 - - - -
1957 172 500 - - - -
1958 172 500 - - - -
1959 172 500 6,41 1,1 1,7 -
1960 172 500 7,25 1,25 1,8 -
1961 172 500 7,25 1,25 1,8 -
1962 172 500 7,25 1,25 1,7 -
1963 172 500 7,25 1,25 1,6 -
1964 210 000 7,25 1,25 1,6 – 4,7
1965 210 000 7,25 1,25 1,6 -
1966 210 000 8,52 1,79 2,1 -
1967 210 000 8,52 1,79 2,0 -
1968 210 000 8,52 1,79 2,0 -
TOTAL 1949-1968 19,9 – 45,6 Source : AG Citra -
Archives Schneider.

Annexe 19 : Activité et résultats nets de Spie Batignolles de 1968 à 1982


Activité HT 142 Résultat Résultat Marge nette
MF courants M€ 2010 MF courants M€ 2010 en % de l’activité
1968 702 782 1968 4,6 5,2 0,65
1969 803 840 1969 4,8 5,1 0,60
1970 929 923 1970 4,8 4,7 0,50
1971 1 011 951 1971 - - -
1972 1 937 1 715 1972 0,8 0,7 0,05
1973 1 755 1 425 1973 8,9 7,2 0,50
1974 2 581 1 842 1974 17,1 12,2 0,65
1975 2 990 1 907 1975 24,6 15,7 0,80
1976 3 375 1 967 1976 26,2 15,2 0,80
1977 4 509 2 398 1977 27,3 14,4 0,60
1978 5 874 2 866 1978 34,1 16,6 0,60 142 - Nous n’avons pas retenu le
1979 6 068 2 673 1979 37,2 16,3 0,60 chiffre d’affaires comptable, moins
représentatif de la « production »
1980 7 151 2 722 1980 91,0 35,3 1,30 de l’année, puisque Spie Batignolles
Source : rapports annuels 1981 9 513 3 135 1981 114,6 39,1 1,20 arrête ses contrats à terminaison,
Spie Batignolles - mais « l’activité » de l’exercice qui est
Archives SPIE.
1982 13 076 4 009 1982 119,1 39,1 0,90 fournie par les rapports annuels.
306
307
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 20 : Répartition du chiffre d’affaires de Spie Batignolles


Part du chiffre d’affaires étranger Répartition du chiffre d’affaires Part des contrats pluridisciplinaires
dans l’activité par secteurs d’activités dans l’activité
Exercice % du CA HT Part du secteur dans l’activité (HT) Part du secteur Part des contrats
total 1974 1984 143 dans l’activité pluridisciplinaires
1972 39,8 % totale 1984 143 dans l’activité
Électricité 30 % 44 %
1973 38,0 % du secteur
Génie civil et bâtiment 51 % 35 %
1974 44,8 % Électricité 44 % 6%
Entreprise générale
1975 48,4 % Génie civil et bâtiment 35 % 40 %
industrielle 12 % 8%
1976 51,9 % Entreprise générale 8% 100 %
Pétrole-gaz 7% 13 % industrielle
1977 59,3 % Total 100 % 100 % Pétrole-gaz 13 % 15 %
1978 66,6 %
Total Groupe 100 % 27 %
1979 58,7 %
1980 55,2 %
1981 64,7 %
1982 61,2 %
Annexe 21 : Organisation de Spie Batignolles, période 1982-1992

Division Électricité qu’elle rencontra conduisirent à la rapprocher de Citra France.


Dirigée par Claude Coppin, elle comprend la Division Électricité Le territoire national fut alors découpé en deux zones, l’une à
et Nucléaire (DEN) et les activités régionales. dominante bâtiment, l’autre à dominante génie civil.
Basée à Clichy, la DEN exerce toutes les activités de spécialités Après le départ de Maurice Cancelloni, en 1985, et la démission
dans les domaines de l’énergie et du ferroviaire, les activités tumultueuse d’Henri de Roissard en 1987, Georges de Buffé-
de projets à l’export, soit seule, soit en accompagnement des vent confie la direction générale de la division Construction à
autres divisions dans les projets pluridisciplinaires, et dispose Guy Bidard jusqu’en 1991. Jean-Louis Bitouzet lui succédera
d’un réseau de filiales internationales – USA, Belgique, Maroc, à ce poste.
Afrique francophone, Venezuela, Brésil, etc.
Les activités régionales sont principalement celles de Spie Trindel, Division Ingénierie et Entreprises Générales (DIEG, puis DIEC)
société constituée après le rachat de Trindel. En fin de décennie Le début des années 80 voit la fusion effective de EGI (Entre-
sera créé un autre réseau, celui de Spie Auto-mation. prises Générales Industrielles) et de Speichim, cette dernière
Taux de croissance en F courants : Lorsque Claude Coppin devient directeur général de Spie Ba- étant jusque-là restée très indépendante avec son siège en ban-
+ 23 % l’an tignolles en 1987, Jean-Paul Jacamon lui succède à la tête de lieue Est de Paris, à Bondy. Après la réorganisation, le nouvel
Taux d’inflation : 9,5 % l’an la DEN. Il prendra la responsabilité de l’ensemble de la division ensemble sera rattaché à Maurice Cancelloni. Jean Coret, qui
Taux de croissance en € constants : Électricité en 1991, après le départ de Claude Coppin. dirigeait alors EGI, quitte son poste pour prendre la direction gé-
+ 12 % l’an nérale de Clecim que Schneider vient de céder à Spie Batignolles
Division Construction et dont il doit conduire le redressement et le développement.
Elle est dirigée, en début de décennie, par Maurice Cancelloni, Il est remplacé par Robert Pagni à la direction de EGI, Jacques
président-directeur général de SBTP (Spie Batignolles TP) et Bernard gardant la direction générale de Speichim.
Paul Malzac 144, directeur général, auxquels succédera Henri En 1987, la Division Pétrole et Canalisations est rattachée à la
de Roissard. Dans un marché en pleine effervescence et riche DIEG pour former une nouvelle entité baptisée DIEC, Division
en opportunités – barrages, aéroports, voies ferrées, etc. –, ils Ingénierie, Ensembles Industriels et Canalisations, dont la di-
s’appuient alors sur une importante organisation, localisée à Vé- rection générale est assurée par Pierre Fortuné.
lizy, permettant de couvrir l’essentiel des zones géographiques
de la planète. Division Pétrole et Canalisations
La division Construction inclut, également, les activités France, Placée sous la responsabilité de Claude Portmann, elle com-
avec la filiale Citra France, les concessions avec Sogeparc pour prend Spie Capag qui réalisera une série de très grands projets
143 - Chiffres 1982 non disponibles. les parkings et AREA pour les autoroutes, ainsi que les nouvelles de pipelines de pétrole, gaz et eau au cours des années 80, et
144 - Paul Malzac était également activités de promotion immobilière et de loisir à partir de 1987. EMH, une société spécialisée dans les systèmes d’amarrage
P-D.G de Citra France, filiale en charge
Le rapide développement du secteur bâtiment justifia la création offshore.
des activités hexagonales, poste
auquel lui succèderont Maurice Herzog d’une nouvelle filiale, Spie Construction, mais les difficultés
et Guy Bidard.
Annexes

Comité de direction générale Directions fonctionnelles


Après le départ de Claude Coppin (1991), Georges de Buffévent Jean Cuisinier, directeur général adjoint de Spie Batignolles, as-
met en place un comité exécutif restreint comprenant, outre lui- sume la responsabilité de la direction administrative et financière
même, trois directeurs généraux, Jean-Paul Jacamon, Jean-Louis jusqu’en 1987 ; Jean-Louis Bitouzet lui succède à cette date.
Bitouzet et Jean Coret, qui assument le pilotage de chacun des Didier Guibert, assure la direction des ressources humaines
grands ensembles, électricité, construction, entreprise générale jusqu’en 1989. Bernard Lairre lui succède en 1990 après un
et pétrole-gaz. intérim de quelques mois de Bertrand Geoffroy.

Annexe 22 : Quelques grands chantiers export et leurs records (à leur date de réalisation)

Le chemin de fer de Sishen-Saldanha L’aménagement hydro-électrique du Guavio se décompose en


Il s’agit d’une voie ferrée de 861 km reliant le gisement de mine- plusieurs ouvrages souterrains, tous gigantesques. Au total,
rai de fer de Sishen au port de Saldanha, sur la côte occidentale ce sont 25 km de galeries, 2 200 m de puits et 1 500 000 m3
de l’Afrique du Sud. Alors que la moyenne journalière de pose excavés dont 250 000 pour la centrale proprement dite. De
de voie prévue était de 2 200 à 2 400 m, elle atteignit, en fait, nombreuses difficultés, en particulier des accidents géologiques,
3 400 à 3 600 m. Ces excellentes performances ont été rehaus- ont souvent retardé ce chantier dont les travaux de génie civil,
sées par deux records du monde de pose de voie : 4 310 m achevés fin 90, auront duré neuf ans et mobilisé jusqu’à
pour une journée de 9 heures et 6 548 m, le 22 mars 1976 145, 120 expatriés français et 2 500 colombiens.
avec une amplitude exceptionnelle de 14 heures de travail.
La centrale nucléaire de Koeberg
L’alimentation en eau potable de Riyad (RWTS) En Afrique du Sud, où se trouvait la plus grosse agence de
Spie Capag s’est distinguée sur ce chantier en Arabie Saoudite, Spie Batignolles à l’étranger, l’entreprise était leader du groupe-
en 1982, en réalisant la plus puissante installation de pompage ment de Koeberg qui construisit, avec l’entreprise sud-africaine
– 450 MW et 850 000 m3 par jour – pour une canalisation d’eau Murray-Roberts, la centrale du même nom sur le modèle des
haute pression. Cette adduction d’eau de 466 km, jalonnée de centrales françaises 900 MW (Tricastin). Ce chantier, réalisé en
6 stations de pompage équipées alternativement de pompes association avec Framatome et Alsthom pour la partie fran-
installées en parallèle dans les stations 1-3-5 et en série dans çaise, fut un très grand succès technique. Les fondations de la
les stations 2-4-6, a été conçue pour permettre l’alimentation centrale furent réalisées avec des appuis antisismiques reposant
de Riyad pour une période trente ans. Chaque station est gérée sur une interface inox-beryllium qui firent l’objet d’un brevet
par microprocesseur, l’ensemble étant relié au centre de contrôle et reçurent le prix de l’innovation à l’export. Un peu plus tard,
principal par un système de télétransmission. le procédé fut agréé par EDF. Le chantier fut également un
extraordinaire succès financier, probablement le plus grand de
Le pipeline HBJ l’histoire du Groupe.
Ce contrat obtenu par Spie Capag en 1986 constitue le plus
long tronçon de gazoduc (1 770 km) jamais réalisé dans le La centrale nucléaire de Karun
monde. Situé dans un pays de contrastes et de démesure, l’Inde, La centrale nucléaire de Karun en Iran, située près d’Ahwaz à la
il a été baptisé en utilisant la première lettre de chacune des trois frontière Iran/Irak, avait été commandée par le Shah. Commen-
principales villes traversées par le pipeline : H comme Hazira, B cée à la fin des années 70, cet énorme chantier de 2 x 900 MW
comme Bijaipur et J comme Jagdishpur. Il traverse 4 états, fran- qui devait s’accompagner de la construction d’une ville nouvelle,
chissant 300 km de terrains dangereux, 99 rivières, 300 routes resta inachevé à cause de la révolution.
et voies ferrées, des canaux d’irrigation, etc. Une situation complexe : les paiements ayant été interrompus
Plus de 4 000 hommes – dont plus de 300 expatriés – ont pendant plusieurs mois, la COFACE donna son accord pour la
travaillé jour et nuit dans des conditions climatiques souvent résiliation en juin 1979.
très difficiles. Outre le pipeline lui-même, le projet comprend
quatre stations de compression, une station d’entrée et neuf L’usine chimique de Sasol
stations de sortie. De plus, le gazoduc HBJ possède des équi- Cette réalisation exceptionnelle, située en Afrique du Sud,
pements informatisés de télécommunication et de supervision est une usine chimique permettant la transformation du
très sophistiqués, les plus modernes jamais installés sur un tel charbon en essence. Elle fut réalisée en association avec l’Air
ouvrage à l’époque de sa mise en service. Liquide selon un procédé de liquéfaction mis au point par les
Allemands pendant la dernière guerre. Ce chantier dura 3 ans, 145 - 6 458 m de voies représentent
Barrage du Guavio Spie Batignolles étant responsable de la construction de l’usine 790,30 tonnes de rails, 2 821 tonnes
Péripéties et rebondissements de toutes sortes jalonnent l’his- de production d’oxygène. de traverses et 20 150 attaches posées
en une journée. Cette cadence soute-
toire de ce projet colombien réalisé par Spie Batignolles et ses
nue a permis l’achèvement des travaux
confrères de CCI. deux mois avant la date contractuelle !
308
309
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 23 : Autres acquisitions stratégiques de la période 1982-1991

Installation électrique son passif. Les deux entreprises avaient, en 1983, remporté
En France, l’opération la plus significative dans ce secteur, en ensemble un important contrat pour l’usine de laminage à froid
dehors de l’acquisition de Trindel, est l’achat de la Compagnie de Cilegon à Java en Indonésie.
d’Entreprises Électriques (CEE). Cette société fut créée en 1985
par apport des activités d’installation d’équipements électriques Bâtiment
de la CSEE devenue ensuite Compagnie des Signaux. La CSEE Après une série de petites opérations 146, c’est en 1987 que
céda le contrôle de CEE à Spie Trindel en 1986. Avec une acti- SCGPM, entreprise familiale, rejoint Spie Construction pour
vité de 400 MF et un effectif de 1 000 personnes environ, les renforcer ce secteur d’activité. Le marché du bâtiment avait
agences de CEE bien implantées en Bretagne, Pays de Loire, repris en 1986, mais SCGPM n’avait pas rebondi. La société
Région Parisienne, Guadeloupe, Aquitaine, Sillon Rhodanien, et était en réelle difficulté, fin 1987, avec un carnet de commandes
très présentes dans les secteurs de la défense – arsenaux de Brest quasiment vide et une trésorerie très tendue. À l’époque, l’en-
et de Lorient – du nucléaire et des infrastructures de transport, treprise comptait 10 ingénieurs pour plus de 1 000 personnes,
rejoignirent le réseau de Spie Trindel, en 1987. et elle réalisait 600 millions de F de chiffre d’affaires. Un projet
En Europe, la reprise, en 1988, de l’entreprise électrique belge d’entreprise fut rapidement mis en place pour remplir le vide
Abay TS au groupe Schneider marque la première étape dans laissé par la disparition de la famille, ce qui permit la relance de
la stratégie européenne du Groupe. Initialement rattachée à la la société. C’est à l’occasion de cette acquisition que François-
DEN, elle rejoindra ultérieurement Spie-Trindel dont elle consti- Xavier Clédat rejoignit Spie Batignolles.
tuera la première filiale européenne. En 1989, l’achat de la société savoisienne de construction Ton-
della conforte le développement de l’activité construction et
Ingénierie permet une participation importante du Groupe aux travaux
Spie Batignolles cherchait à renforcer son portefeuille « pro- d’infrastructures et de bâtiment liés aux JO d’Albertville.
cess » dans le cadre de sa stratégie pluridisciplinaire. C’est dans Dans le domaine du génie civil, aucune acquisition majeure ne
ce contexte que s’inscrivit l’acquisition de Clecim. En 1985, fut réalisée au cours de la période, la dernière opération signi-
Clecim, filiale de Creusot-Loire, spécialiste de l’étude et de la ficative demeurant l’achat de SA Truchetet et Tansini, effectuée
réalisation d’équipements et d’ensembles industriels pour la si- en 1975. La SATT était une importante entreprise familiale de
dérurgie, les métaux non ferreux, le laminage, la coulée continue travaux publics et maritimes – 250 millions de F de chiffre d’af-
et les presses, entre chez Spie Batignolles, qui complète ainsi ses faires – qui s’était trouvée en difficulté en raison de retard de
capacités de conception et de réalisation de grands ensembles règlement de travaux à l’étranger et de la mauvaise rentabilité
industriels. Spie Batignolles reprend, pour 1 franc, cette société, d’une diversification récente mal maîtrisée dans le bâtiment. Son
qui est un des leaders mondiaux dans son domaine, en assurant directeur général, Guy Bidard rejoignit alors Spie Batignolles.

Annexe 24 : Activité et résultats nets de Spie Batignolles de 1982 à 1991

Activité TTC 147 Résultat net Résultat net Résultat net


MF M€ consolidé consolidé consolidé en %
courants 2010 MF courants M€ 2010 de l’activité HT
1982 13 930 4 271 1982 119,1 36,4 0,9
146 - En prenant une participation
de 33,3 % fin 82 dans Coignet 1983 14 000 3 913 1983 131,7 36,9 1,0
Entreprises, le Groupe cherche à 1984 135,4 35,3 1,0
élargir l’accès de SBTP aux techniques 1984 15 200 3 957
de construction industrialisée de 1985 18 160 4 457 1985 144,7 35,5 0,9
bâtiments dont Coignet a été l’une
des entreprises pionnières. Malheu- 1986 18 500 4 418 1986 161,7 38,5 1,0
reusement, les difficultés de Coignet
1987 19 800 4 597 1987 178,2 41,4 1,0
(45 MF de pertes en 1981 pour un CA
de 940 MF) persistent et la société est 1988 20 500 4 621 1988 200,8 45,3 1,1
mise en règlement judiciaire en 1984. 1989 250,2 54,3 1,1
Spie Batignolles prend partiellement
1989 26 000 5 655
la société en location-gérance en 1990 25 200 5 310 1990 251,1 52,9 1,1
juillet 84 sous le nom de SNCE.
1991 24 300 4 955 1991 – 952,2 – 194,2 – 4,2
147 - Les chroniques sont fournies
TTC pour cette période. L’écart entre Source : rapports annuels Spie Batignolles - Archives SPIE. Taux de croissance moyen en F courants : 8 %
activité HT et TTC varie de 7 % à 10 %
Taux de croissance moyen en € constants : 3 %
selon les exercices, en fonction de la
proportion du chiffre d’affaires export. Taux d’inflation moyen (INSEE) : 5 % l’an
Annexes

Annexe 25 : Distributions de dividendes et augmentations Annexe 26 : Valeur boursière de Spie Batignolles


de capital de Spie Batignolles

Période 1968-1982 Nombre Cours de Valeur Valeur


d’actions l’action globale globale
Dividendes Augmentations de capital Solde
en MF MF courants M€ 2010
MF M€ MF M€ M€
courants 148
courants 2010 courants 2010 2010
1968 1,1 46 149 51
1968 3,3 3,6
1969 1,1 48 149
50
1969 3,3 3,4
1970 1,1 48 149
47
1970 3,3 3,3
1971 1,54 ns ns
1971 - - – 22,0 – 20,7
1972 1,54 ns ns
1972 - -
1973 1,54 89 149
72
1973 4,9 3,9
1974 1,54 40 61 46
1974 5,5 3,9
1975 1,55 47 72 46
1975 6,1 3,9 – 31,0 – 19,7
1976 2,17 46 100 59
1976 7,6 4,4
1977 2,17 38 82 44
1977 8,6 4,5
1978 2,17 56 122 59
1978 10,4 5,1
1979 2,89 68 197 87
1979 15,3 6,8 – 43,0 – 18,9
1980 2,89 67 194 75
1980 21,7 8,5
1981 2,89 100 289 99
1981 26,0 8,8
1982 3,85 164 631 194
1982 36,6 11,3 – 120,0 – 36,8
1983 3,85 152 585 163
Total période 71,4 – 96,1 – 24,7
1984 3,85 158 608 158
1985 3,85 260 1 001 246
Période 1983-1990
1986 4,82 700 3 374 806
Dividendes Augmentations de capital Solde
1987 4,82 690 3 325 772
MF M€ MF M€ M€
2010 1988 4,82 370 1 783 401
courants 2010 courants 2010
1989 4,96 635 3 149 684
1983 38,5 10,7
1990 4,99 625 3 118 657
1984 38,5 10,0
1991 5,05 444 2 242 456
1985 44,3 10,8
1992 5,05 290 1 464 292
1986 55,4 13,2 – 289,0 – 69
Source : rapports annuels Spie Batignolles - Archives SPIE.
1987 57,8 13,4
1988 65,0 14,7
1989 84,4 18,3
1990 84,9 17,8
Total période 108,9 – 69 + 39,9
Source : rapports annuels Spie Batignolles - Archives SPIE.

148 - Moyenne arithmétique des


cours, ou moyenne du PH/PB.
149 - Valeur estimée à dix fois le
résultat net.
310
311
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 27 : Organisation de Spie Batignolles, période 1992-1995

1. ACTIVITÉS OPÉRATIONNELLES • Activités régionales


Construction Les deux réseaux existants, celui de Spie Trindel et celui de Spie
C’est dans ce secteur que Claude Coppin procède aux chan- Automation, sont maintenus. Spie Trindel est dirigée par Jacques
gements les plus significatifs : Fautrel jusqu’en 1993, puis par Yannic Burin des Roziers. Alain
• Les activités régionales France de BTP étaient divisées depuis Nicolaïdis conserve la direction de Spie Automation.
quelques années en deux zones géographiques, sans aucune Pétrole-gaz
justification opérationnelle réelle. Il les regroupe et confie la Après la cession des activités ingénierie et entreprises générales
responsabilité du nouvel ensemble à François-Xavier Clédat, à Technip, en 1993, la seule entité rémanente de la DIEC est
jusque-là président de la SCGPM. Spie Capag, filiale pipeline. Jean Coret quitte Spie Batignolles
• Les activités grands projets de génie civil sont, après le départ suite à cette cession. Bernard Wagon prend alors la direction
de Jean-Louis Bitouzet, en 1992, placées sous la responsabilité de Spie Capag.
de Jean Renault, tant pour la France que pour l’international. « Grands risques »
• Les activités de promotion immobilière sont rattachées « en Placée sous la responsabilité de Pierre Fortuné, une cellule
double commande » à Jean Renault, d’une part, pour les as- spécialisée est chargée de gérer un certain nombre de litiges
pects opérationnels, et à la DAF, d’autre part, pour les aspects importants.
financiers.
Électricité 2. DIRECTIONS FONCTIONNELLES
Ce secteur ne subit aucun changement significatif d’organisa- Bernard Lairre assume la responsabilité de la direction des res-
tion par rapport à la période précédente. sources humaines jusqu’en 1996.
• Activités de spécialités, énergie et ferroviaire Olivier Dubois, chargé du contrôle de gestion et de la stratégie,
Sous la responsabilité de Bruno Cornet, elles sont exercées par assure en outre le suivi financier des activités de promotion
la filiale Spie Enertrans, créée en 1991, et qui a repris progres- et de loisir.
sivement la totalité des activités de l’ancienne DEN : projets et Jean Monville prend en main la direction commerciale du
filiales étrangères. Groupe de 1992 à 1995.
Annexes

Annexe 28 : Journal du RES, Rachat de l’Entreprise par ses Salariés

Un RES ne s’explique pas, il se vit jour après jour, heure après heure...
L’équipe de direction serait bien présomptueuse en prétendant qu’elle en maîtrisa le déroulement de bout en bout. Les imprévus,
la chance, et parfois le hasard marquèrent le voyage...
Mais il y eut, en permanence, un fil directeur, une volonté farouche d’arriver au port.

1. Intermède sans suite Didier Pineau-Valencienne s’était rendu dans les bureaux de
Claude Coppin, ayant accompli sa mission de relance de la Spie Batignolles le 22 mai 1995. Il avait défini, à cette occasion,
société, quitte la présidence le 26 février 1995. Il est remplacé la mission de Jean Monville et du Comité de Direction. Gérer
par Daniel Melin, précédemment directeur général de Schnei- Spie Batignolles en maîtrisant les risques et préparer sa sortie
der. Jean-Paul Jacamon a, de son côté, rejoint Schneider pour du groupe Schneider. Un incident oppose dès cette réunion
seconder Didier Pineau-Valencienne dès la fin 1994. Jean Renault, responsable du génie civil, à Didier Pineau-Va-
lencienne. Jean Renault quitte le Groupe en juin 1995, Jean
Daniel Melin semble au départ suivre un plan assez clair : Monville confiant à François-Xavier Clédat, déjà responsable
filialiser l’ensemble des activités pour faciliter des cessions de l’activité bâtiment et génie civil régional, l’ensemble du
partielles. Privilégier la vente de la construction et garder, le secteur construction.
cas échéant, les activités électriques chez Schneider.
2. Une belle opération financière
C’est dans ce contexte que se poursuivent les contacts avec Didier Pineau-Valencienne comprend que la vente de Spie
le groupe suédois Skanska 150, alors en pleine expansion. Batignolles est conditionnée par une « defeasance » complé-
Échanges d’informations réciproques. Étrange stratégie de mentaire d’actifs « mous » : réclamations non négociées,
Skanska qui se développe rapidement à l’international avec immobilier, etc. La restructuration financière correspon-
des risques élevés et des marges faibles ! Qu’en pensent ses dante sera la dernière mission de Jean-Claude Perrin chez
actionnaires ? Spie Batignolles. Il la réalisera avec l’aide d’Olivier Dubois
Des écarts de prix dans les évaluations préalables. Mais, plus et de ses équipes et retournera ensuite chez Schneider
important, Skanska ne sent pas très bien les objectifs de pour y prendre la direction financière en mai 1995. Il
Daniel Melin. La négociation s’enlise. sera, par la suite, associé à ce titre aux opérations de
Les dirigeants de Spie Batignolles ne sentent pas, non plus, le désengagement de Schneider.
projet de leur président, étonnamment distant. Il démissionne Les activités électricité et génie civil encore portées par
du groupe Schneider le 27 juin 1995 et part vers de nouveaux Spie Batignolles sont filialisées. La société, après cette
horizons. Spie Batignolles ne l’aura pas vraiment passionné. opération, devient un pur holding.

Peu avant le départ de Daniel Melin eut lieu un déjeuner avec Du 9 mai 1995 au 23 mai 1995, OPA de Schneider sur
des représentants de Fiat qui proposèrent une fusion de Spie Spie Batignolles. Les porteurs d’actions Spie Batignolles
Batignolles avec Impregilo, filiale du groupe turinois. Fallait-il deviennent actionnaires de Schneider. Pour éviter ou du
rire, crier à l’escroquerie ou garder son calme et goûter le moins minimiser les risques de recours des minoritaires,
repas qui au demeurant était excellent ? Nous choisîmes la dont Schneider a gardé de mauvais souvenirs en Belgique,
dernière solution… Nos interlocuteurs, qui connaissaient la les anciens porteurs d’actions Spie Batignolles reçoivent,
« defeasance » des actifs et la restructuration financière de en outre, un certificat de valeur garantie (CVG). Le prix de
Spie Batignolles – voir ci-après –, nous proposaient tout sim- ce CVG fut fixé à un niveau très confortable en regard de
plement de participer aux pertes reconnues d’Impregilo, en la valeur économique de l’action. L’opération est suivie
ajoutant que tout cela était en fait sans importance puisque d’une absorption de Schneider par Spie Batignolles qui
la participation de Schneider, comme celle de Fiat, deviendrait reprend ensuite le nom de Schneider.
inférieure à 20 %, seuil de consolidation, et disparaîtrait donc Le 27 juin 1995, création d’une « nouvelle Spie Bati-
des comptes des deux groupes. Il était, en effet, prévu de gnolles » par apport d’actifs à une société préalablement
fusionner ensuite avec deux autres sociétés italiennes, sans constituée. Schneider conserve en « defeaseance » cer-
doute déficitaires, pour obtenir la dilution souhaitée ! tains actifs immobiliers et un nombre limité de grands
150 - Des contrats export.
discussions Le 27 juin 1995, André Chadeau et Jean Monville sont nom- Ces deux opérations, dont les fiscalistes avertis n’auront
avaient été
més respectivement président-directeur général et directeur pas manqué de percevoir la logique, permirent un nou-
engagées
dès 1993 par général. André Chadeau jouera un rôle de président « non veau départ du Groupe.
Jean-Claude exécutif » jusqu’au terme de la négociation du RES, appuyant
Perrin. sans réserve l’équipe de direction.

312
313
NAÎTRE ET RENAÎTRE

3. Eiffage ou la colère de Paribas finale d’un tel rapprochement. Restructurations et problèmes


La restructuration financière de Spie Batignolles provoque sociaux apparaissent comme inévitables dans leur secteur où
la réaction immédiate d’un concurrent. Didier Pineau-Valen- Eiffage dispose déjà de trois réseaux nationaux. Impossible
cienne informe, en effet, Jean Monville, début juillet 1995, évidemment de s’en ouvrir à ce stade aux collaborateurs et
du projet d’offre de rachat de Spie Batignolles dont lui a fait aux instances représentatives du personnel, car il ne s’agit que
part Jean-François Roverato, PDG d’Eiffage. Aucun contact d’un projet non encore matérialisé par une offre concrète.
n’est toutefois organisé avec le management de la société.
Paribas, actionnaire important et administrateur de Schneider Rien ne filtre donc. Les dirigeants de Schneider et d’Eiffage se
et d’Eiffage, joue apparemment les intermédiaires. Serait-ce sont imposé un silence absolu pour éviter des interférences
aujourd’hui éthiquement acceptable ? malvenues et parvenir à un accord de principe dans les
meilleurs délais, la rapidité étant, d’évidence, une des condi-
Un silence de quelques jours s’instaure alors, qui suscite un tions majeures de succès. Pourtant, l’un des administrateurs
certain malaise parmi les dirigeants de Spie Batignolles : les dis- de Schneider, sans doute épris de transparence, s’en ouvre
cussions vont bon train mais restent quelque peu désincarnées auprès d’un de ses amis banquiers : le dimanche 16 juillet,
il lui indique qu’un conseil de Schneider a été organisé pour
l’examen d’une offre de rachat de Spie Batignolles par Eiffage,
mais en ajoutant que la date et le lieu restent encore inconnus.
Le banquier, ployant sous le poids du secret dévoilé, cherche
naturellement à s’en défaire. Nul ne sait comment il y parvint,
mais ce qui est certain, en revanche, c’est qu’André Jarosson,
président de GTM, contacte à ce sujet Jean Monville lundi 17
juillet en fin de journée. Ils se retrouvent le lendemain matin,
André Jarosson faisant part de son intention de faire une
offre concurrente à Schneider concernant Spie Batignolles.
Il précise qu’il souhaite, pour ce faire, s’associer à
Skanska qui, selon lui, serait toujours intéressé par
le secteur construction, pour autant que le prix soit
raisonnable. Les activités électriques seraient, quant à
elles, fusionnées avec celles de GTM. Le management
de Spie Batignolles réagit positivement, considérant
qu’une offre GTM-Skanska protégerait mieux l’emploi
du Groupe que celle d’Eiffage.
La nouvelle concernant le conseil d’administration
de Schneider est d’humeur vagabonde puisqu’elle
passe même par l’Élysée, dont elle ressort peu après
quelque peu enrichie. Un informateur indique en ef-
fet, dans l’après-midi du 18 juillet, à un dirigeant de
Spie Batignolles de ses amis, que ce conseil doit se tenir le
vendredi 21 juillet et qu’il a, en fait, pour but d’entériner un
accord avec Eiffage dont tous les points essentiels sont d’ores
et déjà négociés.
Mardi 18 juillet en fin d’après-midi, Jean Monville informe donc
André Jarosson qu’il ne lui paraît pas possible de passer par un
stade de conversations préalables. GTM, si elle souhaite rester
en course, doit présenter une offre compétitive à Schneider.
Jeudi en fin d’après-midi, GTM fait part à Schneider de son
intention de présenter une offre de reprise de Spie Batignolles,
mais celle-ci ne sera communiquée à Didier Pineau-Valen-
cienne que le vendredi matin avant le conseil. Celui-ci se réunit
comme prévu, mais en un lieu qui reste ignoré des dirigeants
en l’absence d’indications pré- de Spie Batignolles.
cises sur les intentions d’Eiffage.
L’optimisme n’est toutefois pas de rigueur. Les responsables de Michel François-Poncet, Président du conseil de surveillance
la construction, en particulier, sont sans illusion quant à l’issue de Paribas et administrateur de Schneider, a interrompu ses
Annexes

vacances pour venir approuver l’offre de reprise par Eiffage. de Tarmac, car situé à quelques encablures du siège de sa
L’autre représentant de Paribas au conseil de Schneider est filiale française Nicolleti à Nice.
Amaury de Sèze, également administrateur d’Eiffage. Coup
de tonnerre dans le ciel bleu de juillet : Didier Pineau-Valen- Diverses réunions d’échange d’informations d’octobre à dé-
cienne présente au conseil l’offre alternative de GTM. Violente cembre avec les équipes de Tarmac.
réaction d’Amaury de Sèze qui quitte la salle, discrètement En parallèle, réunions de Jean Monville avec un actionnaire
suivi par Michel François-Poncet. important d’OCP, un des leaders espagnols du BTP, puis avec
Fiorentino Perez, son président, à Madrid. Excellent contact
Dans le désordre qui s’ensuit, personne ne songe à analyser avec un véritable professionnel… Mais Fiorentino Perez n’a
rationnellement les offres en présence. Encore sous le choc de pas oublié l’échec de la tentative de prise de contrôle de SAE
la sortie flamboyante d’Amaury de Sèze, les administrateurs par sa société quelques années auparavant. Son objectif prio-
ne sont plus d’humeur à débattre sereinement de l’avenir de ritaire devenir leader en Espagne. Second objectif devenir :
Spie Batignolles. Ils chargent leur président de clarifier les président du Real de Madrid. Il réussira brillamment dans ses
intentions des prétendants dans les meilleurs délais. Il ap- deux projets.
paraîtra ultérieurement que l’offre de GTM est inférieure de
20 % à celle d’Eiffage. Toutefois, Didier Pineau-Valencienne Tarmac n’a pas compris l’intérêt des activités électriques de
et ses proches ne sont pas réellement convaincus par l’offre proximité et concentre ses investigations sur la construction.
de Jean-François Roverato qui prévoit un paiement en actions
Eiffage et comporte quelques conditions additionnelles en Voyage de Jean Monville à Londres… Beauté des Jaguar… puis
matière de garanties. silence… Neville Sims a entamé une négociation d’échange
Dans la même journée du 21 juillet, et en dépit du déroule- d’actifs avec Wimpey.
ment inattendu et peu protocolaire du conseil de Schneider, Neville Sims ne préviendra jamais Jean Monville de l’issue de
un conseil d’administration d’Eiffage avalise l’offre présentée ses tractations et de ses intentions vis-à-vis de Spie Batignolles,
à Schneider et ses principales conditions. ni par téléphone, ni par lettre, pensant à juste titre que celui-ci
peut acheter un journal et le lire.
Durant le week-end qui suit, samedi 22 et dimanche 23 juillet,
GTM entame une « due diligence » succincte des comptes 5. Qui a peur de Spie Batignolles ?
de Spie Batignolles avec l’appui de la direction du Groupe, Pas les clients en tout cas. En dépit des multiples déclarations
des auditeurs, et des banques conseils, afin d’être en mesure alarmistes de l’actionnaire et d’expressions journalistiques
de présenter une offre définitive à Schneider avant la fin de comme « Spie Batignolles, le boulet de Schneider » qui finis-
la semaine suivante. André Jarosson rencontre à cet effet le sent par faire florès, les clients continuent à lui faire confiance.
président de Schneider le jeudi 27 juillet. Vers 20h30, Didier Son professionnalisme reconnu la protège des turbulences qui
Pineau-Valencienne appelle Jean Monville. La réunion s’est l’affectent à court terme.
mal passée. Le président de GTM a réclamé un audit préalable
approfondi de Spie Batignolles, ce que Didier Pineau-Valen- Les investisseurs financiers font preuve en revanche d’une
cienne a refusé. La négociation est rompue. extrême réticence. Il faut dire que la réputation de la pro-
fession est exécrable au milieu des années 90. Par ailleurs,
Le lendemain, vendredi 28 juillet à 8 h, petit déjeuner de fascinés comme toujours, par les modes, ils se précipitent en
travail du Comité de Direction de Spie Batignolles. Au même rangs serrés vers les nouvelles technologies, alors en pleine
moment, Didier Pineau-Valencienne rencontre Jean-François émergence, dédaignant tout ce qui ne ressort pas de secteurs
Roverato. À 8h30, Didier Pineau-Valencienne appelle Jean en vogue. Seul l’un d’entre eux, TCR, montrera un intérêt
Monville et lui indique que la négociation est également rom- soutenu pour le dossier Spie Batignolles, qu’il suivra jusqu’en
pue avec Eiffage, son interlocuteur ayant refusé de modifier septembre 1996 en apportant une contribution intéressante
son offre. Jean-François Roverato s’en tient, en fait, strictement à l’élaboration du schéma financier.
à la ligne de conduite qu’il s’était fixée au départ, son offre
n’est pas négociable. Pour ce qui est des concurrents du métier, la situation est, à
Fin de l’épisode. La colère de Paribas durera de longs mois… vrai dire, contrastée. Les Français comme GTM et Eiffage, dans
leur tentative de 1995, cherchaient à absorber les activités élec-
4. Vacances cannoises triques et à faire disparaître un concurrent dans la construction
Poursuite en août 1995 des contacts préliminaires engagés tout en laissant à Schneider le maximum de risques liés à la
avec Tarmac, devenu par la suite Carillon. reprise et à l’arrêt de cette activité. Des concurrents étrangers
comme Skanska et Tarmac, on l’a vu, n’ont pas su évaluer le
Réunion de travail, durant la seconde semaine d’août, au potentiel représenté par les activités électriques régionales. Le travail continue…
Carlton de Cannes, lieu stratégique pour Neville Sims, CEO Dragados et OCP n’ont pas donné suite, craignant les réactions archives SPIE.

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nationalistes du marché français. Hochtief, bien au fait des générateur de synergies pour les deux sociétés. Le prix est
malheurs de son confrère allemand Philip Holtzman avec Nord attractif pour Ginès, la participation des salariés dans un RES
France, se refuse également à toute acquisition en France. lui donne une garantie supplémentaire de réussite. Mais néan-
moins, Mariano est inquiet en cette belle journée de mars. Il
Le numéro 2 suédois, NCC, qui, comme Skanska, vivait des n’a pas encore convaincu Carlos March et il sait que, s’il n’y
jours heureux sur son marché national mais où il s’ennuyait réussit pas, ce sera peut-être la fin de Ginès Navarro. Il n’y
sans doute un peu, voulut aussi partir pour l’international. parviendra pas. En 1997, sa société sera absorbée par OCP
Contacté par Schneider, il ne donna toutefois pas suite, pré- qui prendra le nom de ACS.
férant investir sur les bords de la Baltique où il perdit en défi-
nitive beaucoup d’argent, sans faire preuve du même panache 6. AMEC
que Skanska qui lui n’hésita pas à se lancer à l’autre bout Les pérégrinations des négociateurs autour de l’Europe vont les
du monde ! Un autre grand Viking, le Norvégien Kvaerner, ramener vers les rivages de la Manche. André Safir, consultant
venait de s’illustrer par une politique d’acquisitions absolu- en stratégie de Schneider,
ment débridée qui avait, sans nul doute, fait le bonheur et est également en contact
la fortune de ses banques. Il était évident que l’aventure se avec les dirigeants d’AMEC,
terminerait en catastrophe, mais les dirigeants de Kvaerner numéro 1 anglais du secteur
étaient alors probablement les seuls à l’ignorer ! Ils avaient de la construction, qui vient
toutefois essuyé un sévère échec dans leur tentative d’OPA de résister à une tentative
sur AMEC en Angleterre, et n’étaient donc plus en mesure d’OPA de Kvaerner. La City
de prendre une initiative. a imposé un nouveau CEO,
Le Hollandais HBG aurait pu constituer un partenaire, mais Peter Mason. Ce dernier,
comme il venait de jeter son dévolu sur l’Allemand Weiss ancien de Balfour Beatty où
und Freitag, qui causera d’ailleurs sa perte, il n’était pas dis- il a côtoyé Spie Batignolles
ponible… Les entreprises belges comme B Six étaient trop à l’occasion du tunnel sous
petites… Les italiennes s’étaient autodétruites… la Manche, cherche des
opportunités de dévelop-
En ce début d’année 1996, le choix est donc devenu limité. pement hors d’Angleterre.
Il y eut une seconde initiative d’Eiffage, dans un schéma très André Safir organise une
différent de celui de 1995, impliquant son soutien au montage réunion, à Londres en mai
d’un RES par les salariés de Spie Batignolles. Mais les contacts 1996, entre Peter Mason et
avec Eiffage, réalisés par l’intermédiaire d’une banque, la CPR, Jean Monville. Des présentations des sociétés sont ensuite
seront interrompus en milieu d’année. Eiffage doit en effet organisées à Cergy. Bons contacts personnels et bonne adé-
faire face en 1996 à un difficile problème financier qui l’oblige quation stratégique : pas de recouvrement géographique,
à réaliser une augmentation de capital. L’Angleterre et l’Es- possibilité de développement conjoint dans le ferroviaire an-
pagne paraissent donc les seuls pays d’où peut émerger une glais, et le sentiment que Peter Mason et les dirigeants d’AMEC
solution industrielle. C’est la voie qui va être suivie. croient au projet du management de Spie Batignolles.

Mars 1996 : belle journée d’hiver en Andalousie, ciel clair d’un Rencontre à Londres entre
bleu pastel, couleurs douces… Jour de détente qui mènera Didier Pineau-Valencienne,
de Séville à Cadix, à travers une campagne verdoyante, une Jean-Claude Perrin et Peter
équipe de Spie Batignolles et les dirigeants de Ginès Navarro. Il Mason le 24 juillet 1996.
est apparu évident qu’il convenait de discuter avec ce groupe, La réunion se déroule dans
partenaire de longue date de Spie Batignolles en Espagne dans de bonnes conditions. Peter
le pipeline, le ferroviaire et les fondations spéciales. Mariano Mason indique à Didier
Lopez Plaza, président du groupe espagnol est un fier castillan, Pineau-Valencienne que si le personnel de Spie Batignolles
qui savoure ce retournement du destin. s’engage, AMEC ne sollicitera que des « due diligences »
restreintes. Didier Pineau-Valencienne, satisfait par cette
Mariano a parfois souffert dans le passé d’être traité en petit approche, confirme à Peter Mason l’ordre de grandeur
frère de Spie Batignolles. Mais il sait également que Ginès du prix de transaction. Conscient de la difficulté pour le
Navarro n’a pas la taille critique. Une acquisition en Espagne management de Spie Batignolles de mener en direct des
lui coûterait très cher et il a peu de chance d’en vendre l’idée négociations triangulaires, Didier Pineau-Valencienne lui
à ses actionnaires banquiers, la famille catalane March. De donne l’autorisation de choisir un banquier conseil. Le
…avec des équipes motivées, nombreux contacts ont eu lieu et des informations ont été choix du management, afin de réduire les risques de fuites
archives SPIE.
échangées. Le projet Spie Batignolles-Ginès a un sens, il est d’informations, se porte sur une banque non française, la
Annexes

Deutsche Bank – à l’époque DMG –, Marc Pandraud et Antoine quinzième révision d’un même document, il devient difficile
de Miramon étant responsables du dossier. de faire preuve du même enthousiasme créatif qu’en début
de discussion. Et lorsqu’on a oublié les raisons profondes de
Un cabinet d’avocats conseil, Wilkie Farr, vient également ap- ses propres exigences initiales, la seule solution consiste à
puyer les dirigeants de Spie Batignolles avec l’accord de Schnei- s’enterrer dans une tranchée profonde dont on ne peut plus
der. L’associé en charge du dossier, Michel Frieh, jouera un rôle vous déloger. Les participants en arrivent parfois à un point
essentiel dans le montage du RES aux côtés d’Olivier Dubois. où ils ne savent plus pourquoi ils sont là et pourquoi ils né-
gocient, ce qui ne les empêche pas, d’ailleurs, de poursuivre
7. Communiquer leur effort avec entêtement et acharnement. Les attitudes de
La communication fut un exercice délicat pendant toute la la partie adverse, des détails mineurs, prennent soudain une
durée de la période de crise, de 1992 à 1995. Il fallait, bien sûr, importance démesurée.
éviter, dans la mesure du possible, contradictions et dérapages,
mais cet objectif n’était pas facile à atteindre. D’un côté Didier Il est fondamental, dans de telles impasses, de briser la ratio-
Pineau-Valencienne exprimait la sensibilité de l’actionnaire qui nalité apparente mais inféconde des débats et la logique sous-
souhaitait sortir le plus rapidement possible d’un secteur non jacente de l’échec, d’introduire un peu de fantaisie, d’aborder
stratégique, de l’autre, Claude Coppin cherchait à exposer les problèmes sous des angles nouveaux, pour revigorer la
ses orientations pour le redressement de Spie Batignolles. La capacité créatrice des négociateurs. De jouer de tous les degrés
décision de Didier Pineau-Valencienne de s’appuyer sur le ma- de liberté bien sûr : prix, garanties, périmètre des actifs cédés.
nagement pour vendre sa filiale clarifie la situation. Glasnost De fixer des repères aussi.
du printemps 1996. L’équipe de la communication reprend
la maîtrise du contact avec la presse. Schneider ne cherchera Dans le cas de Spie Batignolles, il fallait déterminer, compte
plus à interférer de façon discordante. Importance du rôle de tenu de la « defeaseance » envisagée, ce qui serait vendu et
la presse. Ce qui est écrit dans les journaux a force de vérité. le prix des actifs cédés. Didier Pineau-Valencienne décida un
beau jour du prix : 1 milliard de F car c’était un chiffre rond.
On détermina ensuite ce qui était inclus dans le prix.
Ce milliard devint un élément essentiel, totalement intangible,
presque magique de la négociation. Tout pouvait être négocié,
mais pas le prix. Didier Pineau-Valencienne ajoutait au terme
de toute discussion : « je veux mon milliard ».
La manœuvre était en fait habile. Didier Pineau-Valencienne
prit la bonne voie en interdisant aux négociateurs de s’engager
dans une confrontation sur le prix, qui aurait pu provoquer des
tensions excessives et même la rupture du dialogue.

Dans les négociations naissent des relations complexes entre


participants qui mêlent rapports amicaux et agressivité refou-
lée. Relations un peu similaires à celles qui se nouent entre
les otages et leurs ravisseurs, que l’intensité émotionnelle du
En interne, il fut, en outre, décidé d’intensifier les opérations contexte réunit parfois dans une solidarité inexplicable pour
de communication : reconnaître les erreurs, proposer des idées les tiers.
pour bâtir l’avenir, parler, s’expliquer, débattre, impliquer la
hiérarchie. Un vaste projet, « Bilan et perspectives », est lan- En fait, Didier Pineau-Valencienne tenait de façon si évidente
cé et décliné à tous niveaux pour l’adapter aux auditoires. Il à son « milliard » qu’il n’était plus possible de l’en priver, tant
constituera une formidable base pour le lancement du RES, il en aurait souffert.
quelques mois plus tard.
9. Vacances studieuses – Août 1996
8. Le milliard de Didier Pineau-Valencienne Les investisseurs financiers veulent progresser dès le début
La rigueur des raisonnements juridiques et des négociations septembre. Les principes généraux sont définis, mais il faut
financières exige une attention de tous les instants. Point de désormais élaborer des schémas plus précis. Dans les discus-
nonchalance coupable, de rêveries gratuites ! La dimension sions avec AMEC, la même formule est envisagée : financer
poétique de ces exercices étant par ailleurs assez restreinte, l’acquisition des 50 % de Spie Trindel, propriété de Schneider,
il en résulte une certaine aridité d’ensemble qui peut générer par un crédit sans recours des banques.
chez les participants de l’agressivité ou de la lassitude et parfois
les deux à la fois. Ils ont bien des excuses, car lorsqu’on relit la

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Séances de travail avec Yannic Burin des Roziers et Bernard Le Cet exercice permit d’affiner les réflexions sur la structure de
Bourgeois, Directeur Financier de Spie Trindel, pour monter l’actionnariat. Le premier projet prévoyait trois entités juri-
le financement adossé au cash flow de Spie Trindel… Spie diques distinctes pour recueillir les souscriptions des cadres
Trindel, un paquebot stable qui résiste aux coups de vent, mais dirigeants, des cadres, des ouvriers et des em-
qu’il est difficile de faire accélérer instantanément. ployés. Cette formule avait été retenue parce
qu’elle permettait, dans les votes d’assemblées,
Contact pris avec Didier Pineau-Valencienne pour faire valider de prendre en compte plus aisément les montants
nos idées : accord sur les principes, les derniers paramètres souscrits et d’éviter des systèmes du type « un
sont définis, en particulier la répartition du « milliard » entre porteur de part, un vote ».
Spie Batignolles et Spie Trindel. Le prix de cession de la partici-
pation de Schneider dans Spie Trindel doit être égal à son coût Mais cette idée, après tout fort défendable, pro-
d’acquisition, soit 650 millions de F. Notre projet va pouvoir voqua un véritable tollé. Beaucoup y virent le
se développer. signe avant-coureur de la constitution de castes
bénéficiant d’avantages indus et ceci sans trans-
10. Vacance du pouvoir chez Spie Enertrans parence. Dans la culture française, le respect de
Crise chez Spie Enertrans, filiale spécialisée dans l’énergie l’égalité est une vertu cardinale. On supporte à la
et le ferroviaire. Le retournement de conjoncture était at- rigueur d’être « plus égal » que les autres, mais
tendu, mais il s’accélère et son ampleur est inattendue. Le jamais moins ! Il fallut donc repenser le projet
programme nucléaire français est interrompu prématurément, et s’orienter vers la constitution de deux structures définies
les commandes de tuyauteries s’effondrent, celles de lignes par le régime fiscal des investissements dont elles étaient le
et postes baissent fortement. La SNCF, surendettée, réduit réceptacle, régime spécifique du RES ou régime « Épargne
ses programmes d’investissements en caténaires et voies. Le Salariale ».
contrat du tunnel sous la Manche est maintenant terminé.
Beaucoup d’activités export sont désespérément déficitaires. Une autre caractéristique de la culture française est la re-

Les faiblesses de l’entreprise, autrefois masquées par le flot cherche d’avantages fiscaux de toutes natures. Les deux
des résultats bénéficiaires de quelques contrats bénis, appa- régimes offrant de tels avantages, la nouvelle solution fit
raissent soudain dans toute leur évidence : une myriade de l’unanimité.
centres de profits dont la seule justification est d’avoir été
créés un jour ; un système de gestion qui avale et digère des 12. Décider
chiffres dont les contrôleurs ne peuvent saisir le sens dans Le dossier est désormais clair. Deux décisions restent à
les entrelacs de ramifications et participations internes. Tout prendre : choisir le partenaire qui s’engage aux côtés du per-
changer ? Les dirigeants de Spie Enertrans semblent paralysés sonnel – AMEC ou l’investisseur financier – et donner le feu
par le poids du passé. Des études, des réflexions, mais trop vert pour le lancement du RES.
de lenteur dans l’action. Crise fort mal venue dans la phase Sur la première question, le consensus se fait rapidement dans
de lancement du RES. l’équipe de direction en faveur d’AMEC.
Bien sûr, les degrés de liberté seront plus restreints à terme,
11. Égalité, Fiscalité mais la solution industrielle est beaucoup plus solide, et la
Les réunions « Bilans et Perspectives » avaient un double sortie immédiate, en « cash », au cas où AMEC exercerait
objectif : présenter les nouvelles orientations stratégiques l’option d’achat qu’il a exigée, est attrayante pour les employés
et sensibiliser les équipes à l’éventualité, parmi d’autres actionnaires. Une sortie en Bourse est une voie beaucoup plus
solutions, d’un rachat de l’entreprise par ses salariés. Pour longue et plus aléatoire. Schneider penche également pour
le RES, rien n’était encore figé, il s’agissait simplement d’en AMEC, plus sécurisant pour lui au cas où les choses tourne-
prouver la faisabilité financière et d’échanger avec l’auditoire raient mal. La décision est prise.
sur quelques idées essentielles. La seconde décision allait donner lieu à des rebondissements
Annexes

de dernière minute. Une réunion de lancement du RES est téléphone mais sut, toute arrogance déployée, lui faire sentir,
programmée le vendredi 15 novembre 1996, mais il reste en quelques minutes, avec la sécheresse requise, l’étendue de
une question essentielle à résoudre : les employés devront-ils son désintérêt… Sans doute la définition de l’objectivité ?…
s’engager fermement à financer l’opération avant la signature Redonner le pouvoir à l’humour…
des accords définitifs avec Schneider ou devront-ils simplement
indiquer leur intention de financer, dans l’hypothèse où les Les syndicalistes : leur position est délicate en ces circons-
accords seraient signés ? Dans le second cas, il y a une consul- tances. Beaucoup de réunions, de l’engagement, des échanges
tation préalable, non engageante, suivie d’une opération de vifs et passionnés, souvent sincères. CFTC et CGC soutiennent
souscription si les accords sont signés. le projet, parfois avec des réticences individuelles liées à leur
filiale de rattachement, tous les secteurs n’étant pas appelés
Mercredi 13 novembre à 13 h, Jean Monville informe la au même développement. Les représentants de FO apportent
banque conseil de Schneider que la COB exige le principe également un appui sans réserve, en résistant jusqu’à la fin aux
d’une consultation préalable non engageante. Le banquier dérives démago-trotskystes de leurs dirigeants. Ils furent rem-
responsable du dossier, dont la rigidité et le manque d’imagi- placés peu après. La CFDT est déchirée comme il est d’usage,
nation n’ont d’égale que la perfection rigoureuse de ses tenues mais assume avec courage ses contradictions.
vestimentaires, indique qu’il s’opposera dans ces conditions
au projet des dirigeants. Les arguments qualitatifs, l’attache- La CGT… qu’en attendre sur un sujet aussi décalé ? Le thème
ment des équipes au Groupe, leur dévouement, les notions de l’actionnariat salarial, surtout dans sa forme RES, est bien
de valeurs, d’engagement le laissent de marbre. sûr à des années lumières des préoccupations traditionnelles
des cercles bien pensants poststaliniens. Désintérêt ou incom-
Jean Monville joint Didier Pineau-Valencienne par téléphone et pétence ? Nullement : résistance absolue au changement, vo-
un rendez-vous est fixé le lendemain jeudi 14 novembre, 10 h, lonté de s’ancrer dans des schémas préétablis, définitivement
à Boulogne. Jean Monville et François-Xavier Clédat, qui l’ac- figés. Les CGTistes sont des gens trop sérieux pour se laisser
compagne, réaffirment auprès de Didier Pineau-Valencienne la distraire par l’éphémère. Tel le géographe du Petit Prince de
confiance du management dans le succès du RES. Ce dernier, Saint-Exupéry, ils ne s’intéressent qu’aux structures immuables,
convaincu de la capacité des dirigeants de Spie Batignolles à indestructibles. « Il est très rare qu’une montagne change de
mobiliser leurs équipes et à réussir l’opération, donne son feu place, il est très rare qu’un océan se vide de son eau. Nous écri-
vert, seul, contre l’avis de son banquier. vons des choses éternelles. » La CGT vise l’éternité ! Décalage
absolu entre des engagements individuels d’une très grande
La réunion du 15 novembre aura bien lieu. sincérité et le carcan idéologique d’une organisation paralysée
par ses dogmes. Certains participèrent, à titre personnel, avec
13. Sous les feux de la rampe courage. Un merci leur est dû.
Cergy, 15 novembre 1996, 9 h. Réunion des Cadres dirigeants
du Groupe. 14. Dialogues et intentions
Lancement de la consultation « en vraie grandeur »
Silence, pas de voix, lumière aveuglante, pas de visages. Vendre après la réunion du 15 novembre. Même si « Bilan et
un RES à des projecteurs n’est pas chose aisée ! S’accrocher Perspectives » a relancé la communication, il subsiste
aux messages de l’écran, faire vivre sa conviction. Interventions un besoin fort d’expression et d’échange sur l’avenir.
de Jean Monville, François-Xavier Clédat, Yannic Burin des Contacts informels avec des membres du personnel,
Roziers, Olivier Dubois. Soutien sans faille au projet de tous les des syndicalistes, des cadres, des dirigeants opération-
orateurs. Message bien reçu, en dépit de quelques réactions nels. Les opérations « portes ouvertes » organisées
négatives, minoritaires. Répondre rapidement, ne pas laisser le soir donnent lieu à des discussions passionnées et
de place au doute. passionnantes.

Une deuxième réunion l’après-midi avec le personnel du siège, Difficile à expliquer : la forme juridique de FINANCIÈRE
salle archicomble. Spie Batignolles, le holding d’acquisition. La comman-
dite par action, un peu XIXe siècle, un peu poussié-
Poursuite des contacts avec les journalistes, entamés il y a reux. Qui est le commandité ? Une société anonyme
quelques mois : angoisse de l’article parfait à tout point de dont l’actionnaire majoritaire est le futur PDG de Spie
vue, mais où se glisse la petite phrase qui tue… Le début Batignolles. Sérieusement cadenassé ! Pouvoirs et droits des
d’une relation professionnelle, détendue mais efficace, de commanditaires, pas considérables : droit à l’information, droit
quelques années. Un accueil chaleureux, une écoute attentive d’approuver les comptes. Mais trois arguments finalement
de tous et de toutes… Sauf, bien sûr, de madame Orange, bien acceptés : en période de crise il faut un pouvoir fort, il
journaliste au Monde. Elle ne parla à Jean Monville que par faut éviter les luttes intestines si les affaires marchent bien,

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les commanditaires reprennent le pouvoir en décidant ou non Et pourtant le sentiment que le projet se
d’injecter des fonds si les choses tournent mal. construit, jour après jour, heure après heure,
qu’au-delà des accrochages inévitables, une
Spie Enertrans en crise. Le débat existentiel en cours et la complicité se trame. Relations amicales et
nécessité de restructurations importantes marquent les esprits. suivies avec Peter Mason et Didier Pineau-
Pas d’engagement suffisant de la hiérarchie, pas de réelle Valencienne. Le temps est compté, mais
mobilisation. l’objectif est proche.

Dialogue constructif sur les pouvoirs des employés-action- Le 19 décembre 1996 : Schneider signe avec
naires. Certains salariés, appuyés par quelques syndicalistes, FINANCIÈRE Spie Batignolles et AMEC le
poussent à une forte représentation des commanditaires au contrat d’acquisition. FINANCIÈRE Spie Bati- Peter Mason
conseil d’administration de Spie Batignolles. Un compromis gnolles et AMEC pourront acquérir 100 % de archives SPIE.

est trouvé. Il y aura un représentant désigné par les conseils Spie Batignolles et 50 % de Spie Trindel auprès de Schneider,
de surveillance des Fonds communs de Placement porteurs pour autant que les souscriptions des salariés dépassant 180
des parts des salariés. Cet administrateur sera présent dans les millions de F. Et au-delà de 180 millions ? Les négociateurs
comités d’audit et de rémunération du conseil d’administration seraient ravis, mais éprouvent quelques difficultés à expliquer :
tout au long du RES. Apport qui s’avérera a posteriori très cocktail de droit et de mathématiques ! Peut-on être juriste
positif, gage de transparence et de fiabilité dans la commu- et mathématicien ?
nication financière. Quatre volumes, 1500 pages. Œuvre idéale pour les amateurs
de livres qui ne se lisent pas, riche et foisonnante de précisions
La hiérarchie et les directions des ressources humaines se sont et de nuances infinies, produit du choc des passions et des
fermement engagées dans les réseaux de province, Spie Trindel rationalités des négociateurs, prévoyant tout sauf évidem-
et Spie Citra. Travail efficace et en profondeur. Les intentions ment ce qui est imprévisible et, bien sûr, indéchiffrable après
de vote remontent, d’abord lentement, puis en s’accélérant. que le temps en aura terni ou même effacé le sens initial. Et
pourtant œuvre essentielle dans l’instant, sorte d’immense
Ligne d’arrivée : soutien massif des équipes Spie Citra, Spie puzzle où les joueurs se sont accordés pour modifier la forme
Trindel et de SBTP, beaucoup plus mesuré chez Spie Enertrans. des pièces et les assembler, dessinant soudain les formes du
Il faut maintenant conclure. projet dont ils rêvaient.

15. Conclure Les 12 et 19 décembre 1996 : rencontres de Jean Monville


Olivier Dubois et Michel Frieh négocient le jour, négocient avec le Comité d’Entreprise de Spie Batignolles SA. Beaucoup
la nuit, la semaine, les samedis, les dimanches et jours fé- de solennité et de sérieux. De l’émotion et de la sincérité aussi.
riés. Font, défont, refont, refondent les accords. Puis rené- L’avis est donné, favorable. Restent à compléter quelques for-
gocient. Des juristes au teint pâle écrivent pendant des nuits malités juridiques et non des moindres, avant le 31 décembre
entières des textes qui seront mis en pièce dans la journée, 1996, date limite d’existence de la réglementation RES. Ce
Pénélopes laborieuses de cette odyssée juridique où les na- sera le dernier des RES…
vigateurs devront encore affronter quelques tempêtes. Des
papiers, des piles de papiers, des fax, des méls, des projets 16. COB je t’aime moi non plus
ou « drafts », des révisions, des révisions de révisions, des La COB exige, début 1997, qu’un avertissement figure en
« mark-up » de révisions révisées, ah ! le jargon juridique. première page de la note d’information destinée aux salariés
Des discussions sans fin avec soi-même, à deux, triangulaires, souscripteurs potentiels. Aucun débat possible. Douche froide.
AMEC, Spie Batignolles, Schneider, ah ! Les garanties. Nos banquiers, Marc Pandraud et Antoine de Miramon, sont
quelque peu découragés. Nous les réconfortons. Ils ne savent
Les audits, auditeurs internes, externes, les banques, les ban- pas encore que nous ne pouvons échouer. L’échec est interdit.
quiers, les juristes, les fiscalistes, les comptables, les financiers,
les contrôleurs de gestion, les notaires, oui, c’est utile les no- Avertissement
taires, les spécialistes des ressources humaines, de droit social, La Commission des Opérations de Bourse attire l’attention
de relations sociales, les fonctionnaires craints et révérés… en des souscripteurs sur les points suivants :
un mot les experts, ah ! l’expertise. Ballet sans fin. De longues 1. Les projections financières présentées reposent sur des
réunions avec un nombre incalculable de participants, des données prévisionnelles incertaines qui sont en rupture
explications techniques, des justifications, de la rationalité avec les comptes passés qui faisaient état d’une rentabilité
– un peu – de la passion – beaucoup – de la mauvaise foi médiocre ou nulle. Les commissaires aux comptes n’ont
– parfois – de la lassitude – souvent. pas validé ces projections. Ils en ont examiné la cohérence
interne et la pertinence de la traduction comptable.
Annexes

2. Le prix de souscription requis de 100 F est supérieur comité, Jean Monville devait, lors d’une réunion exceptionnelle
à la quote-part d’actif net consolidé correspondante de des cadres dirigeants, commenter la teneur de l’avertissement.
Spie Batignolles estimée au 31 décembre 1996 à 65,80 F. Cette réunion fut un échec : elle ne répondit pas aux attentes
3. Le minimum de souscription requis des salariés souhai- des participants et contribua peut-être plus à les inquiéter
tant participer à l’opération est de 100 F. Les montants de qu’à les motiver. Heureusement, les cadres dirigeants avaient,
souscription retenus par la société pour chaque catégorie comme la direction générale, la volonté d’aller jusqu’au bout
de salariés ne constituent que des hypothèses de travail. du chemin et de réussir le projet, en dépit d’un contexte, à
4. La société AMEC plc dispose d’une option d’achat vrai dire, peu favorable.
exerçable à sa seule initiative, qui ne constitue donc pas
une garantie ferme de rachat à terme. Ils avaient de fait bien du mérite à s’engager car leurs équipes
Son prix d’exercice est plafonné. AMEC restaient très hésitantes. La crise avait, après quelques années,
plc pourra exercer cette option après avoir instillé en chacun un doute profond et viscéral qu’accompa-
pris connaissance du prix résultant des ex- gnait le sentiment que tout pouvait basculer d’un moment
pertises réalisées. à l’autre, que Spie Batignolles ne maîtrisait plus son destin.
5. La détention indirecte d’actions de
FINANCIÈRE Spie Batignolles implique un Force est de reconnaître que des articles de presse relataient
risque d’illiquidité de leur investissement régulièrement les échecs passés, que l’actionnaire avait lui-
pour les souscripteurs dans le cas où la même dénoncé les erreurs de sa filiale et dit de façon expli-
société AMEC plc n’exercerait pas son cite qu’elle n’avait pas d’avenir en son sein. Cette amertume
option d’achat sur les actions FINANCIÈRE de Schneider – fort compréhensible au demeurant, compte
Jean Monville Spie Batignolles détenues par les FCPE et tenu de l’ampleur du désastre – se ressentait dans toutes les
archives SPIE. FSB Investissement. instances, réunions et séminaires du groupe.
6. La formule de calcul qui est retenue pour déterminer la va-
leur liquidative des parts des FCPE ne garantit pas leur valeur La situation était d’autant plus difficile à vivre que toute la
à terme qui dépendra de l’exercice de son option d’achat par profession était touchée. Certains des confrères et concur-
AMEC plc et, dans ce cas, des expertises réalisées. rents, rejetant avec fierté toute forme de médiocrité, s’étaient
7. Le mécanisme du prix plancher ne constituerait une distingués en enregistrant dans l’immobilier des pertes abys-
garantie que dans le cas où la société AMEC plc exercerait sales. Chaque semaine voyait son lot d’affaires de corruption,
son option d’achat. de financement illégal des partis politiques, d’abus de biens
sociaux faire la une des journaux – qu’on ouvrait sans enthou-
Sans commentaire, mais quelques questions : siasme par crainte de voir apparaître un nouveau scandale
éclaboussant la profession.
La COB a-t-elle exigé des avertissements aussi sévères de
Vivendi à l’occasion du lancement de ses plans d’épargne ? L’entreprise en question, la profession en question. Toute une
Si non, pourquoi Spie Batignolles a-t-elle fait l’objet d’un culture, tout un passé remis en cause, rejetés, dénoncés. Un
traitement de faveur ? monde qui s’effondre, provoquant l’incompréhension des
équipes face aux critiques virulentes de leur environnement.
Les actionnaires salariés de Vivendi ont perdu dans certains Autrefois admirées, louées pour leur courage et leur esprit
cas 70 % à 80 % de leur mise initiale. d’entreprise, encouragées à conquérir des marchés avec dé-
termination, elles se sentaient abandonnées et désemparées
Les actionnaires salariés de Spie Batignolles qui ont investi face aux nouvelles règles.
en épargne salariale auront, eux, encaissé 5,5 fois leur mise. Dans ce contexte, des réactions corporatistes se firent jour. On
Ont-ils le droit de considérer les fonctionnaires de la COB reprochait à Spie Trindel son incapacité à sortir des frontières
comme irresponsables ? françaises, ce qu’en fait on ne l’avait jamais autorisé à faire.
Selon que vous serez puissant ou misérable… Spie Enertrans se voyait vivement critiqué sur des aventures
internationales désastreuses sans justification stratégique. Les
17. Seule la victoire est jolie électriciens soulignaient, à l’envie, que la construction était
Le déclenchement de la dernière phase de l’opération – la fort éloignée des préoccupations de Schneider. Employés de
souscription – fut notifié par flash interne à l’ensemble du Spie Enertrans et de la construction soupçonnaient Spie Trindel
Groupe, le 8 janvier 1997. de visées autonomistes, hors du cadre de Spie Batignolles 151.
Un comité Groupe se tint le 13 janvier 1997. Les représentants
151 - Schneider était alors action-
des syndicats, tout concentrés qu’ils étaient sur leurs débats L’opération « Bilan et Perspectives » et les mesures de réorga- naire à 50 % de Spie Trindel et avait
et déchirements internes, n’attachèrent en définitive qu’un nisation du Groupe – rattachement des filiales européennes effectivement envisagé une solution
intérêt limité à la position de la COB. Mais à la sortie de ce d’électricité et de Spie Automation à Spie Trindel, redynami- spécifique pour cette filiale.

320
321
NAÎTRE ET RENAÎTRE

sation de l’ensemble de la construction par François-Xavier Le 12 février 1997 vit la clôture des souscriptions.
Clédat – visèrent à redonner un sens à une Spie Batignolles Les intentions déclarées à la fin de l’année 1996 furent tota-
recomposée, adaptée à son nouvel environnement concur- lement confirmées. Les opérations d’achat de Spie Batignolles
rentiel. Le nouveau projet d’entreprise de Spie Batignolles et par FINANCIÈRE Spie Batignolles, le holding d’acquisition des
ceux propres à ses grandes filiales ne laissaient pas les équipes salariés, se réalisèrent le 26 février 1997.
indifférentes mais, indubitablement, des craintes subsistaient.
Un formidable défi avait été relevé par les collaborateurs de
Il va sans dire que le RES n’était en aucun cas ressenti comme Spie Batignolles, par leurs dirigeants et par leurs conseillers,
une opération capitalistique. Pour beaucoup de souscripteurs, juristes, fiscalistes, commissaires aux comptes 152, qui s’étaient
les sommes investies étaient presque sûrement perdues. Ils engagés à côté d’eux avec une détermination et une conviction
s’engageaient par devoir, par attachement au Groupe et non toutes particulières.
pas pour la défense de leur emploi personnel, car il avait été
clairement spécifié que le statut d’actionnaire ne pouvait pro- Tous savourèrent la victoire… Une victoire sur la fatalité et
curer aucun avantage – et l’ensemble des équipes, y compris sur le doute. Il ne restait plus qu’à agir et faire d’un rêve
les cadres dirigeants, considéraient ce principe comme intan- une réalité !
gible. Ils voulaient, en fait, donner une dernière chance à Spie
Batignolles et pensaient que sauver leur mise, sans plus-value PS : Pour compléter cette chronique, il convient de souligner le
particulière, était le seul objectif envisageable. L’importance rôle important que joua Rodolphe de la Boulaye, conseiller de
que prit dans les discussions avec AMEC la garantie d’un prix la direction générale, durant la préparation du RES.
de rachat minimal égal à 120 % du prix de souscription en cas
d’exercice de l’option, illustre bien cet état d’esprit.

La réaction des équipes eut tous les aspects d’une réponse à un


pari pascalien : « Je ne suis pas sûr de gagner si je soutiens le
RES, mais je suis sûr de tout perdre s’il échoue ». L’attachement
au passé du Groupe, source d’une profonde fierté, joua sans
nul doute un rôle essentiel dans cette attitude. L’engagement
des dirigeants et de la hiérarchie fit le reste. Certains journaux
firent état de pressions excessives… Mais peut-on diriger sans
conviction, faire preuve d’engagement sans autorité ? Les
chefs seraient-ils condamnés à suivre leurs troupes ?

La souscription débuta le 15 janvier, hésitante pendant deux


semaines. Il fallut attendre le début du mois de février pour
voir grossir massivement les rangs des futurs actionnaires. La
machine était en marche, rien ne l’arrêterait plus.

152 - Arthur Andersen, qui apporta


un appui conceptuel et technique au
montage de l’opération.
Annexes

Annexe 29 : Schéma juridique et financier du RES


Fonds communs
de placement des salariés
100 %
FINANCIÈRE
Spie Batignolles
58,4 %
41,6 %
AMEC Spie Batignolles

72,2 %
100 %
27,8 % FINANCIÈRE
Schneider
Spie Trindel
MF 100 %
400
Prêt sans recours Autres filiales
Spie Trindel
Société Générale opérationnelles
Le capital de FINANCIÈRE Spie Trindel (FST) fut constitué par dernière céda à FST le solde de ses actions Spie Trindel d’une
apports d’actions Spie Trindel réalisés par Spie Batignolles et par valeur de 400 millions de F qui lui fut réglé au moyen de prêt sans
Schneider à hauteur de 650 millions de F et 250 millions de F recours. Spie Batignolles s’était, en outre, engagée à racheter à
respectivement. Spie Batignolles détenait ainsi une majorité de Schneider, en 3 ans maximum, l’intégralité de sa participation
72,2 % dans FST, la part de Schneider étant de 27,8 %. Cette dans FST, qui constituait de fait un relais de financement.

Annexe 30 : Modalités de financement du RES


1. Plan de financement de l’acquisition des actifs en millions de francs

Besoins Ressources
Acquisition de 100 % 350 MF Souscriptions des salariés 270 MF
de Spie Batignolles de Spie Batignolles
Acquisition des 50 % de Spie Trindel 650 MF Souscription AMEC 192 MF
possédés par Schneider Crédit sans recours Société Générale 400 MF
Augmentation de capital 112 MF Crédit vendeur Schneider 250 MF
Total 1 112 MF Total 1 112 MF

2. Mécanisme de souscription 3. Option en faveur d’AMEC


Le système de répartition du capital entre FINANCIÈRE Spie Ba- Dans les accords entre AMEC et FSB, AMEC bénéficiait d’une
tignolles (FSB) et AMEC était assez complexe. Il fallait, en effet, option d’achat de l’intégralité des actions Spie Batignolles déte-
voter en assemblée générale extraordinaire une augmentation nues par FSB pouvant être exercée à l’issue du RES, option qui
de capital de FSB alors que le montant des souscriptions des assurait, en fait, la liquidité de l’investissement des salariés dans
salariés n’était pas encore connu. Le système retenu consista à FSB. Les méthodes de valorisation de Spie Batignolles étaient
fixer un chiffre minimal de souscription, 180 millions de F, qui définies dans les accords et leur application garantie par l’inter-
assurait à FSB 51,4 % du capital de Spie Batignolles et une grille vention de banques d’affaires choisies par les deux parties. Les
de progression de ce pourcentage de participation, en fonction accords prévoyaient, en outre, un prix minimal égal à 120 %
de l’augmentation des souscriptions, sans qu’il puisse dépasser de l’investissement initial si l’option était levée. Le prix était en
60 %. Si les souscriptions n’atteignaient pas le seuil minimal de revanche plafonné par référence aux fonds propres (1,8 fois),
180 millions de F, les accords étaient caducs. Il était, par ailleurs, mais ce plafonnement s’avéra, en fait, très raisonnable et tout
convenu que l’excédent des sommes disponibles, au-delà des à fait conforme à la situation des marchés financiers en 2002,
350 millions de F nécessaires au rachat des actions de Spie à la date de l’exercice de l’option.
Batignolles, serait utilisé pour réaliser une augmentation de
capital qui s’éleva, en définitive, à 112 millions de F. Les fonds Si l’option d’AMEC n’était pas exercée, les accords prévoyaient
propres étaient, en effet, tombés après constitution des der- soit la recherche d’un investisseur, soit l’introduction en bourse
nières provisions, à moins de 300 millions de F, ce qui était très de Spie Batignolles.
faible comparé à un chiffre d’affaires d’environ 18 milliards de F.
322
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NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 31 : SPIE, acquisitions et cessions Annexe 32 : SPIE, croissance « quasiorga-


stratégiques de la période du RES (1997-2003) nique » 154 (période 1997-2002)
Acquisitions M€ CA 2002 Activités régionales M€ CA 2002
Développement géographique 227 France
Melotte, Hollande (1997) 153
27 DCCS 4,4
Air et Chaleur, Belgique 33 Caprim 1,9
EDS, Allemagne 32 ETS 10,8
Électron, Hollande 87 Tissot 13,8
Élecam, Maroc 18 Cipelec 2,4
Imisa, Espagne (2003) 153
30 Launet, EGE, CETM 6,5
Génie climatique 140 Touat 5,0
Laurent Bouillet (LBE, STEPE) 140 Suisse
Systèmes de communication 236 Électrotech 1,1
Élona 30 Portugal
MNCD (Spie Communications) 206 Cisec, Sometim, Solucoes, 13,0
Mécanique 20 Estruradas
Chaplain 20 Belgique
Services pétrole-gaz 192 VDH 3,2
Foraid 67 Maroc
Ipedex (2003) 153
125 MELB 7,0
Total chiffre d’affaires acquisitions 815 Sous-total 69,1

Cessions et arrêts d’activité M€ SPIE Énergie Services


Ingénierie électrique – 25 France
Antilles (Act. régionales) Osiris 3,3
Spie Tableaux – 16
(Spie Énergie Services) France
Activités centrales – 54 Technifer 4,0
et lignes THT export (SES)
Variation du % de contrôle d’ETF 10,0
Filiales export (Gabon, Venezuela) – 20
Sous-total 14,0
(SES)
Activités génie civil export – 144
(SBTPI)
SPIE Batignolles

Total chiffre d’affaires cessions – 259 France


TMB 11,4
Capet 2,1
Sorreba 2,5
153 - Non pris en compte dans le bilan Tecnifond 0,9
emplois-ressources (annexe 35). La
société Foraid a été également exclue
Allemagne
du bilan 1998-2002 car, acquise fin Mast Grundbau 9,8
2002, elle n’a pas été consolidée au
31 décembre. Sous-total 26,7
154 - Acquisition de petites entreprises
locales complétant des réseaux
existants. Source : documentation interne SPIE.
Total 113,1
Annexes

Annexe 33 : SPIE, profil du chiffre d’affaires, exercice 2002


Répartition géographique de l’activité Répartition du chiffre d’affaires
par secteurs d’activités
reste du monde 8 %
rail 11 %
reste de l’Europe construction Énergie et
21 % 28 % communication 61 %
France 71 %

Développement des services dans le secteur électromécanique 155 155 - Activités de BTP exclues.
156 - Pro forma, avec Ipedex à 100 %.
1997 2002 156
projets 21 %
projets 43 % services 57 % services 79 %

Source : documentation interne SPIE.

Annexe 34 : SPIE, forte amélioration de la rentabilité de 1997 à 2002

100 en millions d'€ 97,6


résultat net
81,7
80 EBITA
64,4
60 53,5 55,6
50,1
40,1 42,1
40 38,1
25,8
20,1
20 13,9

Activité et résultats : mieux que les objectifs du RES 3392


3078 Exercice 2001 dans le Business plan 1997
55,6
50,1 2627 2001
2002
33,5

2,7% 2,9%
2,1%

résultat net en M d'€ EBITA en % activité en M d'€


de l'activité
Source : documentation interne SPIE.

324
325
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 35 : SPIE, reprise de la croissance

Une croissance rapide après la phase de redressement 1996-1998

3500 activité en millions d'€ 3 409


l’an
+ 13 % 3 078
3000 2 790
2 532 2 456
2500 2 367 2 396

2000

1500

1000

500

0
1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Une croissance autofinancée

Bilan emplois-ressources - Période de 1997 à 2002


en millions d'€

Capacité d’autofinancement 581,5


Investissements opérationnels – 168,3
Capacité d’autofinancement disponible 413,2
Solde net des acquisitions et des cessions – 245,9
Dividendes – 20,5
Solde net des opérations financières 30,5
Variation de trésorerie 177,3
Source : documentation interne SPIE.
Annexes

Annexe 36 : Organisation AMEC SPIE SA en 2004

Direction générale AMEC SPIE SA


Président : Jean Monville
Directeur général opérations : Gauthier Louette
Directeur général administration / finance : Bernard Le Bourgeois

Filiales régionales multitechniques


Directeur général AMEC SPIE Ouest-Centre/Maroc : Jean-Louis Voillot
Directeur général AMEC SPIE Benelux : Patrick Waterkeyn
Directeur général AMEC SPIE Sud-Ouest/Espagne/Portugal : Alfredo Zarowsky
Directeur général AMEC SPIE Île-de-France Nord-Ouest : Philippe Cosson
Directeur général AMEC SPIE Sud-Est/Suisse : Thierry Baussart
Directeur général AMEC SPIE Est/Allemagne : Gilles Cachot

Principales filiales de spécialités


Directeur général AMEC SPIE Thermatome : Francis Butel
Directeur général AMEC SPIE Communications : Henri Juin
Président-directeur général AMEC SPIE Oil and Gas Services : Bernard Wagon
Directeur général AMEC SPIE Oil and Gas Services : Wilfried Brégier
Président-directeur général AMEC SPIE Capag : Bernard Wagon
Directeur général AMEC SPIE Capag : Daniel Gasquet

Directions fonctionnelles AMEC SPIE SA (responsabilité AMEC Europe Continentale)


Directeur des ressources humaines : Jean-Pierre Delécraz
Directeur du développement et de la stratégie : Bernard Jourdan
Directeur de la communication : Pascal Omnès
Directeur du développement durable : Didier Malamas
Directeur administratif finance : Gilles Renoult
Directeur des systèmes d’information et moyens d’exploitation : Jean-Paul Bertrand

Annexe 37 : AMEC - évolution de l’activité et des marges AMEC : Exercice 2004 – analyse de l’activité et des marges

2002 2003 2004 2005 CA en M£ % du total Résultat


Chiffre d’affaires opérationnel
en M de £ 4 331 4 712 4 816 4 942,5 en % du C.A.
Résultat courant avant 105,2 112,5 118,1 124,1 ETS 2 293 47% 3,3 %
impôts en M de £ Oil and Gas 1 212 25% 4,7 %
En % du CA 2,4 % 2,4 % 2,5 % 2,5 % Project solutions 1 368 28% 2,7 %
Sources : rapport annuel AMEC.
Ajustement – 57
Ensemble 4 816 100% 3,1 %
Sources : rapport annuel AMEC.

Activité SPIE RAIL Activité AMEC SPIE AMEC Europe


Pro forma Continentale
2003 2004 2003 2004 2003 2004
Chiffre d’affaires 722 650 2 376 2 520 3 098 3 170
Résultat opérationnel courant 19,2 22,5 88,8 93,2 108 115,7
avant impôt en M d’€
En % du CA 2,7 % 3,5 % 3,7 % 3,7 % 3,5 % 3,65 % Sources : rapport annuel AMEC
Europe continentale.

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327
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 38 : Schéma juridique du LBO

FCPE
Structures d’investissement
Fonds gérés par PAI partners
des salariés et du management
Sociétés des cadres
Participation : Participation :
– initiale : 91,25 % – initiale : 8,75 %
– après août 2007 : 87,25 % – après août 2007 : 12,75 %
Holding FINANCIÈRE SPIE

SPIE SA

SPIE SPIE SPIE SPIE


SPIE SPIE SPIE SPIE SPIE
Île-de-France SPIE Est Communica- Oil & Gas Matthew Hall
Sud-Est Sud-Ouest Ouest-Centre Benelux Nucléaire
Nord-Ouest tions Services (UK)
Filiales opérationnelles

Annexe 39 : LBO SPIE : épargne salariale

L’opération d’actionnariat salarié permit aux salariés adhérents Sur le périmètre concerné – France, Pays-Bas, Royaume-Uni,
au Plan Epargne Groupe d’acquérir des parts du FCPE SPIE Portugal, Belgique, Allemagne, Espagne –, 7 500 salariés ont
Actionnariat. Le montant total de la souscription a été de 15 mil- souscrit à l’opération pour un montant moyen de 2 006 € avec
lions de € abondés à 100 %, dans la limite d’un plafond de un abondement moyen de 1 900 €.
4 140 € par personne. Le conseil de surveillance du FCPE est composé de 8 membres
salariés porteurs de part (6 pour la France et 2 pour le reste de
La souscription fut réalisée en plusieurs étapes : après l’envoi l’Europe) et de 4 membres désignés par la direction de l’en-
d’un kit de souscription, le salarié avait la possibilité de sous- treprise.
crire par Internet ou par courrier. Le montant de l’abondement
individuel fut déterminé après réception de l’intégralité des L’Autorité des Marchés Financiers exerce un strict contrôle des
souscriptions. À l’issue de l’opération, le salarié reçut un relevé modalités de fonctionnement des FCPE, et en particulier de
d’opération lui indiquant à la fois le montant souscrit et l’abon- leur liquidité. Les actions SPIE n’étant pas cotées, le FCPE doit
dement versé, ainsi que le nombre total de parts du FCPE SPIE en permanence conserver un tiers de placements liquides pour
Actionnariat détenues. garantir le rachat des actions des sortants dans le cadre des
textes réglementant les cas de « sorties autorisées ».

Annexe 40 : Gouvernance LBO

SPIE Management Conseil FINANCIERE SPIE


La Sarl SPIE Management, dont les associés sont la Direction Il comporte 10 administrateurs, dont 6 représentants de PAI
générale de SPIE et les directeurs généraux des filiales de premier partners, et 4 administrateurs issus du management. Trois
rang, est la signataire du « pacte d’actionnaires » signé avec PAI comités spécialisés ont été mis en place : acquisitions, audit
partners. Ce pacte définit, comme il est d’usage, les droits et et rémunération.
obligations des deux parties, en leur apportant les protections
juridiques et financières adéquates. Conseil SPIE
SPIE Management gère par ailleurs les mouvements d’actionna- Un représentant du Conseil de Surveillance du FCPE siège au
riat dans les sociétés de cadres, dont elle assure la liquidité, en Conseil de SPIE S.A. Les sociétés de cadres (et SPIE 12) sont
organisant les transactions entre sortants et entrants. représentées à ce même conseil par 2 censeurs.
Annexes

Annexe 41 : Flash interne d’information annonçant la cession de SPIE Rail

328
329
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 42 : Organisation SPIE SA, fin 2009

Direction générale SPIE SA


Président : Jean Monville
Directeur général : Gauthier Louette

Filiales régionales multitechniques


Directeur général SPIE Ouest-Centre/Maroc : Jean-Louis Voillot
Directeur général SPIE Benelux : Patrick Waterkeyn
Directeur général SPIE Sud-Ouest/Espagne/Portugal : Pierre Vanstoflegatte
Directeur général SPIE Île-de-France Nord-Ouest : Philippe Cosson
Directeur général SPIE Sud-Est/Suisse : Thierry Baussart
Directeur général SPIE Est/Allemagne : Pascal Poncet

Filiales de spécialités
Directeur général SPIE Nucléaire : Francis Butel
Directeur général SPIE Communications : Gilles Brazey
~
Directeur général SPIE Oil and Gas Services: Yves Company

Direction fonctionnelles SPIE SA


Directeur administratif et financier : Denis Chêne
Directeur de la stratégie et du développement : Alfredo Zarowsky
Directeur des ressources humaines : Thierry Smagghe
Direction de la communication : Pascal Omnès
Directeur du développement durable : Jean Lucas

Annexe 43 : Petit lexique LBO

EBIT : Earnings Before Interest and Taxes correspond au résultat Free Cash Flow : flux de trésorerie disponible pour la société,
opérationnel de la société (hors discontinued – voir ci-dessous), après acquittement de l’impôt et des charges financières nettes,
c’est-à-dire au résultat avant prise en compte du résultat finan- pour le financement de sa croissance externe, le remboursement
cier et de l’impôt sur les sociétés. de la dette et la rémunération des actionnaires.
EBITDA : Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Covenants : accords avec les banques prêteuses de la société
Amortization est comparable à l’EBE, l’Excédent Brut d’Exploi- portant sur le respect de certains ratios de structure financière
tation c’est-à-dire au résultat opérationnel (ou résultat d’exploi- ou de résultat durant le LBO.
tation) hors dotations aux amortissements et provisions pour Dette nette : représente l’endettement de la société à court
dépréciations d’actifs. et long terme, à l’exclusion des ORAN (Obligations à Option de
Pro forma : retraitement des états financiers ou de gestion afin Remboursement en Actions ou en Numéraire) et déduction faite
d’apprécier et de comparer les performances de l’entreprise sur des disponibilités et valeurs mobilières de placement.
des bases homogènes en termes de périmètre et de période. Levier (leverage ratio) : dans le cadre du LBO est mesuré par
Discontinued : se dit d’activités en cours d’interruption ou de le rapport entre la dette nette et l’EBITDA pro forma calculé sur
cession ; les opérations liées à ces activités sont considérées non douze mois glissants. Il permet d’évaluer la capacité d’endette-
récurrentes et suivies de façon distincte dans les états financiers ment de la société au regard de son activité récurrente ; il fait
ou de gestion. généralement l’objet d’un covenant.
BFR : le besoin en fonds de roulement représente les capitaux ORAN : Obligations à Option de Remboursement en Actions
nécessaires au fonctionnement de l’entreprise résultant de la ou en Numéraire, généralement souscrites par les actionnaires,
différence entre les besoins de financement liés au cycle de qui constituent des « quasi fonds propres ».
vente ou de production (stocks, créances clients et autres dé- Recap : opération de refinancement du LBO consistant à res-
biteurs) et les ressources apportées par le crédit fournisseur et tituer aux actionnaires une fraction de leur mise initiale grâce
autres créditeurs. à une augmentation des concours bancaires, et donc du levier.
Operating Cash Flow : flux de trésorerie généré par les opéra-
tions courantes de la société à travers l’EBITDA et la variation de
BFR, après financement des investissements de renouvellement.
Annexes

Annexe 44 : « Récap » 2007 : Tableau emplois-ressources FINANCIÈRE SPIE (FS)

au 30/06/06 au 31/12/07 variation Observations


Ressources 544,7 736,6 + 191,9 La dette fut totalement restructurée avec rem-
Dettes boursement des lignes à coût élevé (mezzanine
bancaires et second lien, renégociation des marges et du
calendrier d’amortissement).
Provisions 0 10,00 + 10,0
Dividendes 267,0 414,5 + 147,5 La trésorerie de SPIE nécessaire au complément
versés par SPIE de dividende résulte en premier lieu de la vente
SA à sa société de SPIE RAIL et en complément de la trésorerie
mère F.S. d’exploitation.
Quasi fonds 227,5 52,1 – 175,4 Remboursement de 175,4 M d'€ en principal
propres et paiement de 24,6 M d'€ d’intérêt, soit un
(ORANs) décaissement total de 200 M d'€.
Capital 52,3 52,3 –
Total 1 091,5 1 265,5 + 174,0
ressources
Emplois 1 036,1 1 157,0 120,9 Augmentation de capital de SPIE souscrite par
Valeur partici- FS et prêt de FS à SPIE consenti par FS, pour le
pation FS dans financement de l’acquisition SPIE Matthew Hall
SPIE SA (ex AMEC BFS).
Prêt de FS – 83,0 + 83,0
à SPIE
Divers 55,4 25,5 – 29,9 Baisse résultant notamment des paiements des
réalisable et intérêts sur ORANs.
disponible
Total emplois 1 091,1 1 265,5 + 174,0
Source : rapport Nexia International au conseil de surveillance du FCPE, relatif aux années 2006 et 2007.

Annexe 45-a : Matthew Hall : Activité et résultats


1) Période 1938 à 1947 Les comptes publiés font apparaître ce que nous appellerions
Nous disposons des procès verbaux des assemblées générales aujourd’hui l’EBITDA. Le chiffre d’affaires n’apparaît pas dans
annuelles à partir de 1938, année où Matthew Hall est devenue les documents comptables, mais il peut être mentionné par le
une « Public Company ». président – Bertram Baden à cette époque – dans son rapport
aux actionnaires.

Exercice EBITDA en £ courantes Coefficient d’actualisation en £ 2010 EBITDA en millions de £ 2010


1938 38 163 50 1,91
1939 43 840 49,5 2,17
1940 30 001 44,9 1,35
1941 9 172 36,7 0,34
1942 41 154 34,6 1,42
1943 19 572 33,3 0,65
1944 28 627 32,6 0,93
1945 29 987 32,0 0,96
1946 31 526 30,7 0,97
1947 46 750 29,0 1,36
330
331
NAÎTRE ET RENAÎTRE

L’exercice 1939, favorisé par les commandes publiques liées Sur une longue période, l’entreprise progresse de façon signi-
à la préparation du conflit mondial, a vu l’entreprise réaliser ficative : l’EBITDA en £ constantes a doublé d’une décennie à
ses meilleures performances. Son chiffre d’affaires y a dépassé l’autre. En pourcentage il se situe, en revanche, à un niveau
1 million de £ – soit l’équivalent de 50 millions de £ 2010. Sa inférieur à celui d’avant-guerre.
taille était donc supérieure à celle de Spie ou de la Société de Matthew Hall a indubitablement bénéficié du développement
Construction des Batignolles à cette date. de ses activités « offshore » en Mer du Nord. Mais ses marges,
Son EBITDA s’élevait, toujours en 1939, à environ 4,3 % du comme celles de ses confrères du continent à cette période,
chiffre d’affaires. restent relativement faibles.
Lors de l’assemblée statuant sur les comptes de l’exercice sui-
vant, c’est-à-dire 1940, Bertram Baden précise que la marge Années 80
– qui s’est dégradée à 2,8 / 2,9 % – n’a jamais été aussi basse Les informations dont nous disposons sont parcellaires. Les seuls
depuis le début du siècle. Ceci implique que l’entreprise a tou- éléments disponibles sont les chiffres d’affaires de 1983 et 1987,
jours dégagé une marge au moins égale à 3 % depuis 1900, année précédant celle de la fusion avec AMEC.
ce qui est remarquable.
La situation se dégrade dans les années qui suivent. Les exer- Chiffre d’affaires en millions de £
cices les plus difficiles auront été 1940 et 1941 où, du fait des exercice M de £ courantes M de £ 2010
retards de règlement des clients publics, la trésorerie devient
1983 360 972
très négative. La société est même en perte en 1941 en raison
des très importants frais financiers. 1987 total 471 966
Mais, en règle générale, Matthew Hall maîtrise bien son besoin dont tertiaire 227 465
en fonds de roulement car, en dehors des deux années les plus
noires du conflit mondial, sa trésorerie sera restée constam- Là encore la croissance apparente doit être corrigée de l’in-
ment positive. flation. Notons que les activités « tertiaires », électriques et
mécaniques, représentaient environ la moitié du total en 1987.
2) Période 1950-1988 (année de la fusion avec AMEC)
3) Période 1988 à 2006 (phase AMEC)
Nous disposons paradoxalement de moins de documents que
pour la période précédente. Les sources sont constituées par Matthew Hall est éclatée après la fusion avec AMEC. Les activi-
une étude historique et par les rapports annuels conservés dans tés « offshore » rejoignent celles d’AMEC et la « maintenance
les archives de la société. tertiaire » est cédée pour l’essentiel. L’activité rémanente, consti-
tuée de projets d’installation électrique, prendra ultérieurement
Années 50 et 60 le nom d’AMEC BFS (Building Facilities Services).
La reprise économique de l’après-guerre, ainsi que la
diversification dans le domaine des raffineries et des industries Du fait des cessions précitées et de la crise de l’immobilier du
« process », ont permis à la société d’enregistrer un vif essor. début des années 90, le chiffre d’affaires régresse. Il s’élevait à
L’EBITDA décolle pour atteindre le chiffre de 565 000 £ en 1964, environ 165 millions de £ en 2000, pour un EBIT de 6,5 millions
soit l’équivalent de 8,6 millions de £ 2010. de £.

Années 70 Compte tenu des orientations stratégiques du groupe anglais,


Nous disposons de 5 rapports annuels : AMEC BFS va donner la priorité aux grands projets, et même aux
très grands projets, qu’elle réalise soit seule, soit dans le cadre de
« joint ventures » internes constituées avec d’autres filiales de
exercice CA en M£ EBITDA en EBITDA Coeff. CA EBITDA la société mère où elle assure la partie électrique et mécanique.
courantes M£ courantes en % du CA Actualisation en M£ 2010 en M£ 2010 Parmi les réalisations les plus prestigieuses, citons :
1975 119,1 2,7 2,3 % 6,26 745,6 16,9 • UCLH, un très grand hôpital de Londres
1976 156,3 3,8 2,4 % 5,43 848,7 20,6 • La base nucléaire de Faslane en Écosse
• Le centre technologique MacLaren près de Londres
1977 173,6 4,9 2,8 % 4,63 803,8 22,7
• Les installations électriques et mécaniques du terminal 5
1978 175,4 5,2 3,0 % 4,28 750,7 22,3 de l’aéroport d’Heathrow, un gigantesque chantier sur lequel
1979 220,0 4,6 2,1 % 3,73 820,6 17,2 Matthew Hall a engagé plus de 1 000 collaborateurs de ses
propres équipes, pour un contrat dont le montant a dépassé
La croissance de l’activité est considérablement amplifiée par 380 millions de £.
l’inflation, très vive à cette époque. Elle est pour partie d’origine
externe (acquisition de Franklin Hodge Industries, après celle BFS récupère en 2002 des activités de maintenance électrique
d’Holliday Hall). – environ 70 millions de £ de chiffre d’affaires – qui avaient entre
Annexes

temps été développées par un pôle « multiservices » à l’intérieur près de 20 ans, n’a effectué aucune acquisition dans ce secteur
du groupe AMEC. Elle va redresser ce secteur très déficitaire dans et a prélevé l’intégralité de la trésorerie qu’il a dégagée.
les années qui suivent.
Devenue SPIE Matthew Hall en 2006, l’entreprise a intensifié ses
Du fait de l’apport de ce nouveau département et du développement efforts de développement dans le secteur de la maintenance,
des grands projets (notamment le terminal 5 d’Heathrow), le chiffre qui représente désormais plus d’un tiers de son activité et où
d’affaires augmente fortement et dépasse 360 millions de £ à la elle compte de nombreux clients de premier plan (Barclays, JP
veille de la reprise d’AMEC BFS par SPIE. Il reste cependant inférieur Morgan, Lilly, Tate Gallery, Lloyds, Mac Laren…). L’acquisition
à ce qu’il était, en livres constantes, en 1987 (cf. tableau ci-dessus). récente de WHS, bien implantée dans le domaine de la pro-
Cette constatation confirme que l’activité « ingénierie électrique » duction d’énergie au Royaume-Uni, a par ailleurs conforté ses
n’a pas été considérée comme prioritaire par AMEC qui, pendant positions commerciales.

Annexe 45-b : Quelques dirigeants de Matthew Hall

Herbert Edwin Baden T.A. Common Edwin Baden


archives Matthew Hall. archives Matthew Hall. archives Matthew Hall.

Bob Burns Clive Groom Alan R. Brown John MacLean


archives Matthew Hall. archives Matthew Hall. archives Matthew Hall. archives Matthew Hall.

Annexe 46 : SPIE, répartition du chiffre d’affaires par marché 3 725 M d'€


CA total 2009
18 % Industrie

26 %
Énergie

29 % Tertiaire

9%
Infrastructures
Source : documentation interne SPIE 16 % Collectivités
332
333
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 47 : SPIE, un large éventail de compétences et de spécialités 3 725 M d'€


CA total 2009
4,1 % Process industriels et automatismes
32,8 % 8,9 % Sécurité électronique des sites
Installations électriques générales

12,0 % Génie climatique

6,1 % Génie mécanique

7,6 % Systèmes
11,5 % de communication & infogérance
Réseaux extérieurs 4,1 %
13,0 %
Spécialités nucléaires
Source : documentation interne SPIE Spécialités pétrole-gaz

Annexe 48 : SPIE, un modèle d’entreprise fondé sur la proximité en Europe

SPIE
Matthew Hall Pays-Bas

Royaume-Uni •

SPIE SPIE
Belgium Nederland

SPIE Île-de-France
Belgique
Nord-Ouest
SPIE
France Ouest-Centre
SPIE Deutschland
System Integration
SPIE Est
Allemagne
SPIE
Sud-Est
Portugal
SPIE
Sud-Ouest

SPIE de Mantenimiento Suisse


y Montaje
TecnoSPIE

Espagne

ELECAM

Maroc
Annexes

Annexe 49 : SPIE, un modèle d’entreprise fondé sur la proximité, sur les champs pétroliers et gaziers

Royaume-Uni
France Paris Kazakhstan
France Pau
Syrie Iran
Algérie E.A.U.
Qatar
Libye Oman Vietnam
Venezuela Soudan Thaïlande
Nigeria Yémen Brunei
Malaisie
Gabon
Congo Indonésie

Angola

Services pétrole/gaz CA en M d'€


2003 161
2004 204
2005 222
2006 335
2007 386
2008 429
2009 488
Source : documentation interne SPIE

Annexe 50 : SPIE, répartition du chiffre d’affaires par zone géographique

3 725 M d'€
25,4 % Europe Allemagne CA total 2009
(hors France) Belgique
61,4 % France
Pays-Bas
Espagne
Portugal
Royaume-Uni
Suisse
13,2 %
Source : documentation interne SPIE
International

334
335
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 51 : Liste des acquisitions depuis le lancement du LBO

2006 2007 2008 2009


Nom CA (M€) Nom CA (M€) Nom CA (M€) Nom CA (M€)
SPIE Ouest-Centre
SIPECT SA 10,0 Groupe 82,6 Angot 4,6
Juret et Atec
Energie
Lapierre 1,4
SPIE Sud-Ouest
PSIE 0,4 SOMTI 0,6 Socotech 7,6 EMCS 2,4
EST 4,2 MCE et 2,2 Thermi 1,4
Fabre Automa-
réseaux tion
Somintel 2,8 FICA 1,0
Durvat 0,8 BEA 0,3
autres 1,5
SPIE Sud-Est
Ent. Jean 3,5 Hamard 4,8 GTEC 3,0
Polaud
ACEM 3,1 Somelec 4,8
Pier 4,0 GB analyse 0,5
SPIE Est
Mouillot 8,8 Société 3,6 ARM-IRM 6,3
SA Roussel
Electricité 1,2
H. GILG
& Cie
SPIE Oil & Gas Services / SPIE Sud-Ouest
Gemco 12,1
SPIE Communications
Siemens 1,0
Ent Com
SPIE Ile-de-France Nord-Ouest
Pater 13,3 Upelec 5,0 Mouty 9,0
Noster
Revolux 5,5 FPEE 1,5
Gefca 6,6
Royaume-Uni
Matthew 506,6 WHS 67,1
Hall
Pays-Bas
Controlec 76,0 HIS 71,2
Benelux
Anca-tech 3,3
Portugal
ACI 2,6
Total en 14,6 637,1 200,9 96,6
M d'€ des
acquisitions
Annexes

Annexe 52 : SPIE, une bonne résistance des marges malgré la crise

en M d'€ EBIT (M d'€)


4000 3747 3725 250
3460
3500
200
3000 2691 4,6 % 4,9 %
2353 172,9 182,5
2500
4,0 % 150
2000 137,5
3,6 %
1500 100
3,3 % 96,9
1000 76,8
50
500

0 0
2005 2006 2007 2008 2009

Annexe 53 : Concurrence

Vinci Énergies + Cegelec 7615 157


7170

3859
Impech
4323
CA 2008 ( en M d'€)
3747 CA 2009 ( en M d'€)
SPIE
3725

Ineo + Axima + Endel 3578 158

3516
Forclum + Clemessy + Crystal
3265

Fabricom + GTI (Benelux) 1852 158 Nota bene - Nous n’avons pas pris en compte :
– le groupe espagnol ACS dont les activités d’ingénierie
électrique de proximité sont incluses dans un pôle plus
ETDE (Bouygues) 1850 vaste « Servicios Industriales » incluant des activités de
1627 projet. On peut estimer que le CA des activités com-
parables à celles des concurrents ci-dessus est compris
Source : documentation interne SPIE, rapports annuels des sociétés concernées entre 3 500 et 4 000 M d’€.
946
SNEF – le groupe allemand Bilfinger en l’absence d’informa-
885 tions suffisamment précises sur la nature de ses activités
« services » dans le domaine de l’énergie.
157 - Pro forma, la fusion Vinci
Énergies-Cegelec, ne devant se
matérialiser qu’en 2010.
158 - Ces sociétés sont rattachées à
Suez. Si l’on consolidait leur CA, le to-
tal obtenu, 5 430 M d’€, les placerait
en seconde position.
336
337
NAÎTRE ET RENAÎTRE

Annexe 54 : Modèle de croissance ingénierie électrique

Chiffre d’affaires 100


(1) EBITDA 5,5 Base performances «optimum» du métier
(2) EBIT 5 Base performances «optimum» du métier
(3) Frais financiers 0,7 Dette nette équivalente à 2,5 EBITDA, d’un taux moyen de 5 %
(4) Résultat avant IS 4,3 (‘4) = (2) – (3)
(5) Résultat après IS 2,9 Sur la base d’un impôt sur les sociétés de 33%
(6) Distribution de dividendes 0,9 30% du résultat après impôt
(7) Cash flow disponible 2,0 (7) = (5) - (6), sachant que :
a) les investissements d’exploitation sont statistiquement
égaux aux amortissements
b) le besoin en fonds de roulement reste nul (situation
« optimum »)
(7) Potentiel d’acquisition de chiffre d’affaires 5,0 (7) = (6) / 0,4 en supposant :
a) que le coût moyen des acquisitions est voisin de 40% du
chiffre d’affaires dans le secteur de l’ingénierie électrique
(fourchette de 25 à 50%)
b) que la dette peut s’ajuster en continu à 2,5 EBITDA et qu’il
n’y a donc aucun remboursement à effectuer

Ce calcul schématique, mais réaliste, montre qu’une entreprise Ceci montre qu’un objectif de croissance totale «durable»
d’ingénierie électrique peut autofinancer de façon durable une proche de 10 % est accessible.
croissance externe de 5 % l’an. Celle-ci s’ajoute à la croissance
dite organique qui, dans le secteur, est généralement légère- À l’inverse, si la marge est fortement réduite ou si la dette
ment supérieure à celle du PIB en euro courants (d’un point doit faire l’objet de remboursements, le potentiel de croissance
environ). externe « durable » peut devenir nul. Il en est de même si le
cash flow disponible doit être utilisé pour financer un besoin
complémentaire en fonds de roulement.

Annexe 55 : Évolution du logo SPIE de 1900 à 2006

1900 1968 1982 1998 2003 2006


Création de la Société Parisienne
pour l’industrie des chemins de
fer et des tramways électriques,
qui devient la Société Parisienne
pour l’Industrie Électrique SPIE,
en 1946.
Remerciements

REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier toutes celles et ceux qui ont apporté aux auteurs leurs témoignages ou leurs conseils,
fourni des documents ou des photographies, qui ont contribué à l’élaboration ou à la relecture de l’ouvrage,
et en particulier Brigitte Bourillon pour sa contribution à la conception et à la réalisation de la première édition
en 2004 de Naître et Renaître.

François-Xavier Anscutter Elvire de Brissac


Danièle Balmer Olivier Dubois
Henri Berthier Pierre Fortuné
René Berthon Michel Frieh
Jean-Louis Bitouzet Samantha Guillo
Philippe Bougon Jean-Paul Jacamon
Brigitte Bourillon Aimée Hockett
Yannic Burin des Roziers Frédérique Laverrière
Anne Burnel Anne Lefèvre
Alain Caire Jacques-Denis Le Roy de Monttessuy
Maurice Cancelloni Gauthier Louette
Lydia Cantèle Grahame Ludlow
Yves Chanoit Claire Mallet
Patrick Chassagnette Brenda Maycox
Nelly Cholet Alain Milhau
François-Xavier Clédat Pascal Omnès
Josiane Connan Rang-Ri Park-Barjot
Claude Coppin Jean-Claude Perrin
Jean Coret Didier Pineau-Valencienne
Bernard Cros Michel Polissadoff
Marina da Cruz Petejo Bernard Quereillahc
Pauline Daniel Lydia Sabaté
Marie-Christine Daudy Yves Saunier
Jean-Marcel Denis Valérie Sulpice
Liliane Destouches Nick Welsh
Mathieu Dorizon

338
339
NAÎTRE ET RENAÎTRE

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Sources – Anne Burnel, La Société de Construction des Batignolles
de 1914 à 1939, Histoire d’un déclin, Mémoires et do-
• Archives Nationales cuments de l’École des Chartes n° 41, Librairie Droz,
• Archives du groupe Schneider Genève, 1995.
• Archives de la Société de Construction des Batignolles – Rang-Ri Park-Barjot, « La Société de Construction des
• Archives du groupe Empain Batignolles des origines à la Première Guerre mondiale
• Archives SPIE (1846-1914) », thèse de doctorat de l’Université de Paris-
• Archives Spie Batignolles IV, sous la direction du professeur E. Bussière.
• Archives Matthew Hall – « Compagnie Générale de Construction de Locomo-
• Dossiers de presse SPIE tives Batignolles – Châtillon, CGCLBC ou LBC », rapport
• Documents internes SPIE historique interne.
• Archives de l’Académie François Bourdon, Le Creusot • SPIE
• Archives Royaumont – « Histoire des groupes Empain et Schneider » de Marcel
• CNUCED – Manuel des statistiques Fauvelais, archives Empain.
• Rapport Nexia International au conseil de surveillance – Stéphane Hole, « La SPIE 1945-1968. De l’installation
du FCPE électrique à la réalisation d’ouvrages clés en mains »,
• Rencontres : journal d’entreprise du groupe SPIE mémoire de maîtrise, Université de Caen, sous la direction
de Dominique Barjot, 1991.
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– « Mémo sur l’histoire de Matthew Hall », archives SPIE
Ouvrages concernant : Matthew Hall (auteur inconnu)
• Le groupe Schneider • Spie Batignolles
– Tristan de la Broise et Félix Torres, « Schneider, l’histoire – Marc Jayat, « Histoire d’un installateur électrique :
en force ». Trindel, 1923-1982 », mémoire de maîtrise, Université
– Agnès d’Angio, « La Politique de travaux publics du de Paris-IV (Sorbonne) sous la direction de François Caron,
groupe Schneider de 1895 à 1949 », thèse de l’École Na- 1990.
tionale des Chartes sous la direction de Dominique Barjot. – « Le Tunnel sous la Manche », étude interne.
– « La branche travaux publics de Schneider et Cie, nais- • Autres ouvrages
sance et développement (1895-1949) », Histoire, éco- – Suzanne Berger, Notre première mondialisation –
nomie et société, 1995, 14e année, n°4, p. 675-676. Leçons d’un échec oublié, coll. « La République des Idées
– Jean-Louis Beaucarnot, Les Schneider, une dynastie, », Seuil, 2003.
Hachette, 1986. – Xavier Bezançon, Les Services publics en France, Presses
• Le groupe Empain de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, 1997.
– Marcel Fauvelais, « Histoire des groupes Empain et – Elvire de Brissac, Ô dix-neuvième, Grasset, 1998.
Schneider », archives Empain. – Albert Broder et Félix Torres, Alcatel Alsthom, Histoire
• La Société de Construction des Batignolles de la Compagnie Générale d’Électricité, Larousse, 1994.
– « L’Œuvre d’un siècle, 1840-1946 », ouvrage historique – Gaston Cadoux, Étude « Électricité et Transports Ur-
interne. bains, Londres, Paris, Berlin », Revues des Deux-Mondes,
– Dominique Barjot, « La Grande Entreprise française avril 1906.
de travaux publics (1883-1974), contraintes et straté- – P. Danon et M. Karako, Croissance et concentration
gies », thèse de doctorat d’État, Université de Paris-IV dans le bâtiment en 1970, Ministère de l’Environnement
(Sorbonne), sous la direction de François Caron, 1989. et du Cadre de vie, 1978.
– Dominique Barjot, « Un grand entrepreneur du XIXe – Christian Gérondeau, La Saga du RER, Presses de l’École
siècle : Ernest Goüin (1815-1885) », Nationale des Ponts et Chaussées, 2003.
Revue d’Histoire des Chemins de Fer (RHCF), n° 5-6, au- – Louis Girard, La Politique des travaux publics du Second
tomne 1991, p. 65-89. Empire, A. Colin, 1952.
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– Paul Kennedy, The Rise and Fall of Great Powers, Ran- – Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, Grasset,
dom House, 1988, Fontana Press, 1989. 1990.
– Maurice Levy-Leboyer et François Bourguignon, L’Éco- – W.H.C. Smith, Napoléon III, Hachette, 1982.
nomie française au XIXe siècle, Paris, Économica, 1985.

Journaux, revues, Internet

• Articles de juillet 1995, novembre • « Hypercontenus » (susceptibles de changer)


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du groupe SPIE – cairn.info – strasbourg-tramway.fr
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Le Journal des Finances, 25 octobre – mamac-nice.org – photos.linternaute.com
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tique Internationale, – structurae – cloches.org
publié sur www.strategicsinterna- – planete-tp.com – marseillais-du-monde.org
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• M-A. Desplaces, La Crise pétro- – crdp-bordeaux – usinenouvelle.com
lière de 1973, publié sur Cliosoft, – wapedia.fr – lemoniteur-emploi.com
l’Histoire en ligne (www.cliosoft.fr). – google.fr – actu-environnement.com
– massalire.fr – sfjacques1966.free.fr
– afrik.com – amtuir.com
– hku.hk
– alger-roi.net

Crédits photographiques

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Y. Chanoit Sud G. Liesse R. Poinot
340
341
Achevé d’imprimer en décembre 2010
pour le compte de SPIE et des éditions Michel de Maule à Paris

© Éditions Michel de Maule, 2010


41, rue de Richelieu – 75001 Paris.
micheldemaule.com

ISBN : 978-2-87-623-278-5

(Imprimé en France)
Société de Construction des Batignolles, Schneider et SPIE, trois entreprises, trois cultures qui, à la fin
des années 1960, s’unissent et se mêlent au terme d’une route déjà longue pour poursuivre ensemble
l’aventure aux côtés des entreprises européennes qui les ont rejointes depuis. De la Monarchie de Juillet
à nos jours, plus de cent cinquante ans d’histoire au travers de révolutions, de guerres dévastatrices,
de conquêtes et d’effondrements d’empires coloniaux. De la civilisation du fer et de la vapeur à celle
de l’électricité, puis à celle des réseaux haut débit.
Dresser le portrait des entrepreneurs qui, au XIXe siècle, furent à l’origine du groupe SPIE, de ceux
qui l’ont ensuite animé, retracer les événements politiques et économiques qui ont influencé son
évolution, les grandes étapes de son développement et les réalisations qui ont marqué son existence,
tel est l’objet du présent ouvrage.

Jean Monville, polytechni-


cien, promotion 1963, est
entré dans le groupe SPIE
en 1978. Il en est devenu
le président-directeur gé-
néral en 1997 après avoir
organisé le rachat de l’en-
treprise par ses salariés. Il
est actuellement président
d’honneur de SPIE.

ISBN : 978-2-87-623-278-5

39 e TTC

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