L'impact de L' " Arrêt Perruche " Sur Les Échographistes Et Les Gynécologues Obstétriciens
L'impact de L' " Arrêt Perruche " Sur Les Échographistes Et Les Gynécologues Obstétriciens
L'impact de L' " Arrêt Perruche " Sur Les Échographistes Et Les Gynécologues Obstétriciens
RECHERCHE SUBVENTIONNEE
PAR LE GIP "MISSION DE RECHERCHE DROIT ET JUSTICE"
JANVIER 2005
1
Remerciements......................................................................................................................................................3
INTRODUCTION ...................................................................................................................................4
1. L'arrêt Perruche : bref rappel des faits .............................................................................................................4
2. Les réactions du corps social............................................................................................................................5
3. Les précédents de l'"arrêt Perruche".................................................................................................................5
4. Limiter la portée de l'arrêt ................................................................................................................................6
5. Une loi pour mettre un terme à la jurisprudence .............................................................................................7
6. Questions abordées par la présente recherche .................................................................................................8
MÉTHODOLOGIE...............................................................................................................................10
1. Les étapes de l'étude .......................................................................................................................................10
2. Les sources d'informations .............................................................................................................................10
2.1. Les Journées de Médecine Fœtale à Morzine.........................................................................................11
2.2. Rencontres au "jeudi du Conseil de l'Ordre des Médecins" consacré à l'"arrêt Perruche". ..............12
2.3 Le Collège Français d'Echographie Fœtale...........................................................................................13
RESULTATS .........................................................................................................................................14
I - PREMIÈRE APPROCHE PAR QUESTIONNAIRE ......................................................................15
1. Caractéristiques des répondants .....................................................................................................................16
1.1. Âge et sexe................................................................................................................................................16
1.2 Profession..................................................................................................................................................18
2. Réponses aux questions posées .....................................................................................................................18
3. données objectives concernant l'évolution de la pratique de l'Interruption Médicale de Grossesse............25
II - ENTRETIENS ..............................................................................................................................28
1. Contexte médico-légal et état de la "solidarité nationale" à l'égard des "personnes handicapées" pendant
la durée de l'étude ...........................................................................................................................................29
2. Présentation des personnes interviewées .......................................................................................................35
2.1 Profil des praticiens des équipes hospitalières .......................................................................................35
2.2 Profil des praticiens rencontrés hors de toute équipe.............................................................................35
2.3 Spécialités exercées par l'ensemble des personnes enquêtées ................................................................35
2.4 Des secteurs géographiques d'exercice aux profils socioculturels opposés : ......................................36
3. Description des conséquences de l'arrêt Perruche et de la judiciarisation sur les médecins et les patients37
3.1 L'échographie fœtale, une pratique menacée ? .......................................................................................37
3.1.1 L'affirmation d'une meilleure organisation de la pratique de l'échographie................................37
3.1.2 De nombreuses démissions..............................................................................................................39
3.1.3 Les motifs de l'arrêt de l'échographie foetale par certains praticiens .........................................40
3.1.4 Davantage d'arrêt de l'échographie fœtale dans le secteur privé que dans le secteur public.....46
3.1.5 "Le renouvellement de la profession n'est pas assuré" ..................................................................48
3.1.6 Des solutions alternatives pour la pratique française de l'échographie fœtale ?.........................50
3.1.7 Une inégalité d'accès croissante à l'échographie foetale ..............................................................51
3.1.8 Davantage de naissances d'enfants trisomiques 21 dans les milieux défavorisés ou issus de
l'immigration ?................................................................................................................................55
3.1.9 Témoignage d'une échographiste exerçant en Guyane..................................................................59
3.2 Vers un eugénisme de précaution ?..........................................................................................................64
3.2.1 Devoir d'information…....................................................................................................................64
3.2.2 Le droit d'être informé....................................................................................................................65
3.2.3 Chevauchement du dépistage anténatal et déplacement de l'Interruption Volontaire de
Grossesse de douze à quatorze semaines : un facteur susceptible de favoriser un "eugénisme de
précaution" .......................................................................................................................................68
3.2.4 Entre douze et quatorze semaines de grossesse : une situation paradoxale pour l'interruption de
grossesse ...........................................................................................................................................69
3.3 Intensification des interrogations d'ordre éthique concernant le dépistage prénatal. .............................72
3.3.1 Réaffirmation des finalités thérapeutiques du dépistage prénatal. ...............................................72
3.3.2 Le refus de régler l'absence de prise en charge des personnes handicapées et l'intolérance
sociale face à la "différence", par l'Interruption Médicale de Grossesse......................................75
3.3.3 Respecter l'enfant à naître grâce à l'échographie ?.......................................................................76
2
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................................105
3
Le présent document constitue le rapport scientifique d'une recherche financée par le GIP
"Mission de recherche Droit et Justice", (Décision n° 22.07.08.12 du 8 juillet 2002).
Son contenu n'engage que la responsabilité de ses auteurs
Toute reproduction, même partielle, est subordonnée à l'accord du GIP.
REMERCIEMENTS
Nous remercions tous les médecins et les équipes soignantes qui ont accepté de répondre
à nos questions malgré un emploi du temps très chargé, les organisateurs du Colloque annuel de
Médecine Fœtale de Morzine ainsi que les participants qui nous ont fait part de commentaires
précieux en répondant au questionnaire que nous avons présenté en 2002 et 2003.
Merci également au couple de parents qui a accepté d'apporter un témoignage et aux
personnes qui nous ont fourni des informations utiles à ce travail : Directeurs d'assurances,
Directeur de recherches, le SYNGOF et son équipe.
Merci enfin à la "Mission de recherche Droit et Justice" qui nous a donné les moyens de
réaliser cette recherche et au Centre d'Etude des Mouvements Sociaux qui a soutenu sa
réalisation.
4
INTRODUCTION
Le 17 novembre 2000, la Cour de Cassation promulguait un arrêt qui allait déclencher
un des plus importants mouvements de contestation dans le monde médical et rapidement se
faire connaître, au cours des débats qui s'ensuivirent, sous le nom "d'arrêt Perruche", du nom de
la famille impliquée dans le procès.
En 1982, Madame Perruche se retrouve enceinte. Elle présente, comme sa fille de 4 ans,
une éruption cutanée qui fait penser à une rubéole1. Au regard de l'extrême gravité des
conséquences sur le fœtus, le médecin de famille fait procéder à des tests sanguins. Suite à une
erreur d'analyse du laboratoire, elle est considérée comme étant immunisée contre l'affection.
Elle poursuit donc sa grossesse alors qu'elle avait indiqué à son médecin qu'en cas de résultat
positif, elle souhaitait procéder à une Interruption Médicale de Grossesse, ainsi que le lui
autorisait le code français de la santé publique quand "il existe une forte probabilité que l'enfant
à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité incurable en l'état actuel de la
science". 2
En définitive, son fils, Nicolas, naît avec de multiples altérations dues à la rubéole. La
famille cherche donc à engager la responsabilité du médecin et du laboratoire.
Dans un arrêt en date du 17 décembre 1993, la Cour d'Appel de Paris juge ces derniers
responsables de fautes contractuelles et estime que le préjudice des parents doit par conséquent
être réparé mais stipule que le "préjudice" de l'enfant n'est pas causé par les fautes médicales
commises, les déficiences du jeune homme résultant de la maladie contractée par sa mère et non
de l'erreur de diagnostic.
Par un arrêt du 5 février 1999, la Cour d'Appel d'Orléans, retenant que l'enfant ne subit
pas un préjudice dû aux fautes commises, refuse de l'indemniser.
Cette décision est cassée par l'arrêt de la Cour de Cassation du 17 novembre 2000 qui
stipule : “ Dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des
contrats formés avec Madame Perruche avaient empêché celle-ci d’exercer son choix
d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce
dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les
fautes retenues. ”
Il ne reste plus alors à la Cour de Paris qu'à statuer sur le montant de l'indemnisation à
attribuer à Nicolas Perruche. À cette indemnisation viendront s'ajouter les actions récursoires de
la sécurité sociale demandant un dédommagement pour les frais engagés pour cet enfant depuis
sa naissance, puisque celle-ci n'aurait pas dû avoir lieu.
1
Maladie éruptive contagieuse due à un virus. Chez la femme enceinte non immunisée, une rubéole
survenant dans les premiers mois de la grossesse peut être à l'origine de malformations congénitales ou
d'une fœtopathie évolutive.
2
Article L162-12 du Code de la Santé Publique.
5
Bien que la Cour de Cassation ait alors justifié sa décision par la volonté de donner au
jeune homme des moyens de subsistance que la société française offre parcimonieusement3 aux
enfants et aux adultes qui sont atteints dans l'intégrité de leurs facultés, le fait qu'on ait pu
indemniser quelqu'un parce qu'il n'avait pas été supprimé in utero suscita une considérable
émotion parmi les médecins échographistes et gynécologues obstétriciens, ainsi que chez de
nombreuses personnes handicapées ou leurs familles. Ces dernières s'émurent d'une
jurisprudence qui semblait déclarer préférable la non-vie à une vie atteinte d'un "handicap". Elles
y voyaient l'affirmation éminemment dangereuse de l'indignité des vies atteintes d'anomalies
physiques ou mentales, en d'autres termes une déclaration eugéniste.4
Quant aux professionnels de santé, ils s'indignaient de cet arrêt qu'ils trouvaient inique :
le médecin devenait - par décision judiciaire - le responsable d'atteintes qui n'avaient d'autre
origine que l'infection rubéolique tandis que le praticien qui avait suivi la grossesse précédente
de la plaignante et ne l'avait pas incitée à se faire vacciner contre cette infection pouvant
provoquer de graves lésions fœtales, n'était pas mis en cause.
Or, dans la mesure où un tel dépistage n'a d'autre issue qu'un avortement lorsque les
parents le souhaitent, certains prévoyaient que cette décision de justice allait augmenter le
nombre des Interruptions Médicales de Grossesses (IMG) dès qu'il y aurait suspicion
d'anomalies fœtales. En effet, l'avortement par erreur d'un fœtus indemne de malformation
n'avait jamais eu, à notre connaissance, de conséquence sur le plan juridique, seules les erreurs
ayant empêché une IMG ayant, jusque-là, suscité des actions en justice.
Pareille logique, (sans être créée par l'arrêt Perruche comme nous le verrons), risquait
donc, selon des praticiens interrogés, de provoquer ce que l'avocat général de la Cour de
Cassation, Jerry Sainte Rose, et des médecins appelaient un "eugénisme de précaution". Ne
seraient plus simplement éliminés les fœtus atteints de troubles d'une "particulière gravité", mais
aussi ceux qui le seraient peut-être !
3
Le montant de l'Allocation Adulte Handicapé (AAH) s'élevait à 587,74 euros en 2004.
4
Les associations de personnes handicapées ou de leurs familles étaient divisées sur le sujet, les unes
jugeant que, étant donné les carences sociales, l'indemnisation d'un enfant dont le handicap n'avait pas été
dépisté avant sa naissance était susceptible de corriger ces défaillances, les autres estimant qu'une telle
indemnisation constituait une violence dans la mesure où elle signifiait à l'enfant qu'il aurait été préférable
qu'il ne soit pas né, et instaurait de toute façon une véritable discrimination entre les personnes dont le
handicap était éventuellement dépistable pendant la période prénatale, Et celles dont le handicap ne l'était
pas ou qui étaient devenues handicapées ultérieurement à l'occasion d'un accident ou d'une maladie.
5
La vie 22 mars 2001. N°2899.
6
Peu de décisions de justice, au sein d'une juridiction civile, provoquèrent pareil débat et
une aussi forte médiatisation, d'autres procès similaires n'ayant jamais eu un tel écho. En effet,
ce n’était pas la première fois que des médecins se voyaient implicitement accusés d’être les
auteurs d’infirmités dont aucun acte médical n’était pourtant la cause, et l’idée qu’il fallait
indemniser un enfant atteint de déficiences jugées graves parce qu’il n’avait pas été avorté
n’était pas inédite au moment de cette affaire puisque quatorze plaintes avaient été portées en
1999 contre le corps médical pour des raisons semblables, même si leur légitimité n'avait pas
toujours été admise par les tribunaux chargés de statuer sur les affaires concernées. Ainsi, il était
déjà arrivé que des couples portent plainte pour “ préjudice corporel”á infligé à leur enfant,
alors qu’aucune erreur médicale n’était à l’origine d’infirmités dont seuls les aléas liés à la
procréation étaient malheureusement la cause. Ce genre d’imputation se retrouve dans des
affaires au cours desquelles des médecins étaient tenus pour responsables de trisomies 21, de
spina-bifida6, d’agénésies 7, de rubéoles… en somme d’affections qui peuvent hélas survenir lors
de la gestation et indépendamment de toute intervention médicale.
De même, il avait été affirmé à plusieurs reprises au cours de certains procès, que des
enfants nés handicapés, avaient subi, en raison d’une erreur de diagnostic, “ une perte de
chances ” de n’avoir pas vu leur vie interrompue avant leur naissance. Par exemple, le 10
octobre 1995, le tribunal de grande instance de Pontoise reconnaissait la légitimité de la plainte
de parents ayant eu recours à la justice parce que l’échographiste avait conclu à la normalité du
fœtus alors que leur fille était née atteinte d’un spina-bifida. Ce tribunal en déduisait que l’enfant
avait été “ privée du choix dont ses parents devaient disposer pour elle ” et que “ les fautes
médicales avaient dès lors engendré pour l’enfant une perte de chances de voir ses parents,
correctement informés, poursuivre ou non la grossesse. ” Autrement dit, ce tribunal
reconnaissait bel et bien la légitimité, pour cette petite fille, d'une indemnité compensatrice pour
avoir été privée de la possibilité de ne pas naître.
Quant à la Cour de Cassation, elle avait notamment admis l’indemnisation d’un enfant
atteint de trisomie 21 dans l’affaire Quarez, dont le jugement avait été rendu le 14 février 1997.
Alors que le Conseil d’Etat avait estimé, dans un communiqué de presse, en date du 20 février
1997, que “ le fait d’être en vie ne saurait être regardé comme un préjudice subi par l’enfant ”,
la Cour de Cassation avait, comme le faisait remarquer dès cette époque Marie-Angèle Hermitte,
déjà admis “ le droit des enfants handicapés d’être indemnisés pour avoir été conçus ” .á Dès
1991, elle avait en réalité adopté cette position puisqu’elle avait alors affirmé l’existence d’un
lien de causalité entre l’ “ abstention fautive du médecin” et la “ perte de chance ” subie par
une petite fille privée, d'après le jugement, De la possibilité d’"éviter de subir les conséquences
de la rubéole" dont sa mère avait été atteinte pendant sa grossesse. Comme le seul moyen pour y
parvenir aurait été l’avortement, cela revenait déjà à dédommager l’enfant d’avoir été mise au
monde.8
Prenant acte de toutes ces objections, les magistrats de la Cour de Cassation tentèrent
dans un premier temps de limiter la portée de la décision qu'ils avaient prise le 17 novembre
2000 : alors que, le 13 juillet 2001, ils examinaient à nouveau en Assemblée Plénière la demande
faite " au nom " de trois enfants, dont deux étaient atteints d’agénésie des membres, et le
6
Malformation congénitale de la colonne vertébrale, caractérisée par l'absence de soudure des arcs
postérieurs et de l'apophyse épineuse d'une ou plusieurs vertèbres, le plus souvent au niveau lombo-sacré.
(Petit Larousse de la médecine). Cette anomalie est de gravité variable. Quand elle est grave, elle peut
s'accompagner d'hydrocéphalie et de désordres neurologiques.
7
Absence totale ou partielle d'un organe ou d'une structure dès la vie embryonnaire due à une cause
héréditaire. (Petit Larousse de la médecine)
8
Un enfant avait également été indemnisé en 1996 pour avoir été conçu : alors qu’on avait dit à ses
parents que la maladie dégénérative dont souffrait son père n’était pas transmissible, le jeune garçon,
engendré en raison de cette absence de risque supposée, souffrait pourtant de la même maladie.
7
troisième d’un spina-bifida, ils ne revinrent pas sur le principe de l'indemnisation de l'enfant,
mais refusèrent d'indemniser ces enfants-là au motif que, dans les cas en cause, l'interruption
médicale n'aurait peut-être pas été acceptée.
La Cour refusait ici le dédommagement des enfants au motif que, à l’inverse de Nicolas
Perruche dont la vie aurait été interrompue dans le délai d’une IVG ordinaire (le diagnostic de
rubéole se faisant dans les dix premières semaines de grossesse9), les conditions d’une
Interruption Médicale de Grossesse n’auraient peut-être pas été réunies puisqu'il aurait fallu que
les atteintes des enfants soient jugées d'une "particulière gravité". En d’autres termes, la Cour
réaffirmait la légitimité de la plainte faite “ au nom de l’enfant ”, mais suspendait sa recevabilité
à la question de savoir si l’Interruption Médicale de Grossesse aurait ou non été accordée ce qui,
on en conviendra, rendait ces affaires encore plus incompréhensibles pour le commun des
mortels.
L’embarras de la Cour était ici visible puisque les parents des trois enfants en cause
avaient eux-mêmes été indemnisés parce qu’ils avaient été privés de la possibilité de recourir à
l’IMG, les conditions de sa réalisation ayant ainsi été jugées recevables à ce moment-là. Cet
embarras n'engagea toutefois pas les juges à revenir sur le principe de l'indemnisation de l'enfant
puisque, le 28 novembre 2001, ils affirmaient par l’arrêt 486 la légitimité de la plainte portée
“ au nom ” d’un enfant atteint de trisomie 21, en ajoutant même que celui-ci devait bénéficier
d’une " réparation intégrale " de son "préjudice".
Face aux protestations des médecins, des personnes handicapées et de leurs familles,
suscitées par l’affirmation, réitérée à trois reprises en séance plénière par la Cour de Cassation,
de la "recevabilité de l’ action de vie préjudiciable ”,11 face à la perspective d’une multiplication
de procès, et devant la menace d'une cessation brutale d'activité par les échographistes, le
gouvernement accepta alors d’examiner la proposition de loi, initialement faite par le médecin et
Député Jean François Mattéi, destinée à récuser la jurisprudence et à proposer la création d'un
observatoire chargé d’évaluer "la situation morale, matérielle et financière, des personnes
handicapées. ”
L'Assemblée Nationale adopta finalement le 4 mars 2002 le texte suivant, qui constitue
le début de la loi relative aux " droits des malades " :
9
Et l'Interruption Volontaire de Grossesse étant alors admise jusqu'à douze semaines.
10
"Une insulte à l'égard de notre dignité", La Lettre de l'Espace Ethique, Espace Ethique de l'Assistance
Publique des Hôpitaux de Paris. Hors série N°3, 2001, p16-17.
11
Rapport de M. Blondet, conseiller rapporteur à la Cour de Cassation, p.18.
8
L'ampleur des questions éthiques posées par cet arrêt qui rendait indirectement les
médecins responsables de la "qualité" de l'enfant à naître, associée à la forte teneur émotionnelle
des éléments en cause (erreur de diagnostic, handicap de l'enfant, naissance non souhaitée…) ont
agi comme autant de catalyseurs des soupçons et des angoisses plus ou moins conscientes qui
touchent chacun et, de ce fait, ont entravé une évaluation objective de l'impact de cette
jurisprudence sur le corps médical.
En votant une loi dans l'urgence, le 4 mars 2002, le législateur pensait mettre un terme à
cette jurisprudence et à un mouvement social qui, une fois déclenché, risquait de menacer
l'avenir de la médecine obstétrique et échographique, avec toutes les conséquences que cela
impliquait. Mais cette loi a-t-elle réglé la question ? l'arrêt Perruche a-t-il, aujourd'hui encore,
des répercussions sur les pratiques des médecins et, dans l'affirmative, quels changements cela
occasionne-t-il ?
Entre octobre 2002 et août 2004, nous avons enquêté, pour répondre à ces questions,
auprès de praticiens désireux de réfléchir à ces questions.12 La grande complexité du sujet traité
n'a pu être approchée qu'en acceptant de nous laisser conduire par nos interlocuteurs au cœur de
leurs préoccupations, de leurs interrogations et de leurs contradictions. Ces deux années passées
à recueillir les témoignages de ces praticiens, non seulement sur le sujet même de cette recherche
mais également sur l'intérêt et les vicissitudes de leur métier, nous a fait découvrir un univers
méconnu, les patients ne regardant pas du côté des coulisses et les praticiens ne livrant
généralement pas leurs états d'âme sur la place publique. Si la plupart des professionnels
interrogés déclarent aimer leur métier, il ne faut pas longtemps, dans une réunion ou lors d'un
entretien, pour découvrir parfois un malaise profond, qui touche à des préoccupations concernant
12
Outre des gynécologues obstétriciens et des échographistes, nous avons rencontré des équipes médicales
comprenant des infirmières, des sages-femmes, des psychologues, des généticiens, des pédiatres etc. cf.
méthodologie.
9
les objectifs et le sens d'un métier dont l'exercice a été profondément modifié en quelques
décennies. C'est sur ce terrain, où les questions éthiques sont omniprésentes, que la montée en
puissance de la judiciarisation est venue se greffer. Dans ce contexte, il ne leur a même pas été
nécessaire d'être directement impliqués dans de tels procès pour que la crainte d'actions
judiciaires se soit imposée au quotidien. Nombre d'entre eux avouent leurs inquiétudes face à des
exigences de "qualité" de l'enfant à naître, naguère encore inédites dans leur profession. Ils
déplorent quelquefois de n'avoir qu'un pouvoir limité sur une évolution sociale, jugée
discriminante, qui prend appui sur un essor technologique dont l'objectif initial était
principalement thérapeutique. Ces praticiens, conscients de l'immense responsabilité qui est la
leur - et qui pourtant leur échappe parfois ont donc accepté de nous exposer leurs difficultés
actuelles, des doutes et des interrogations dont les enjeux sont tels qu'ils devraient être à présent
ceux de tous car ils engagent l'avenir de notre société et notre façon d'être au monde.
10
METHODOLOGIE
- dans un premier temps, il s'agissait de prendre contact avec des médecins et des équipes
médicales afin de leur faire connaître ce projet de recherche et de leur soumettre un
questionnaire semi directif. Celui-ci devait nous servir à obtenir des données rapidement
chiffrables sur le sujet traité mais allait surtout nous permettre au vu des réactions et
commentaires de finaliser au mieux les questions que nous allions poser lors des entretiens
individuels.
- Le second temps de cette enquête, le plus long, fut de réaliser des entretiens individuels ou
quelquefois collectifs. Ces entretiens, recueillis d'octobre 2002 à août 2004 ont été réalisés
sur le lieu de travail des praticiens13 ou par téléphone (pour les médecins qui, trop occupés,
ne pouvaient nous recevoir ou qui habitaient hors de la métropole (Guyane)). Ils furent
presque tous, à la fois saisis directement sur l'ordinateur et enregistrés sur magnétophone
pour vérification des propos recueillis. Ils sont totalement anonymes, mais il est toujours
possible que les personnalités connues dans ce domaine puissent être reconnues par leurs
pairs lorsque ces derniers connaissent leurs prises de position publiques.
C'est en grande partie grâce à ces "portes d'entrée" que le recueil d'analyses et de
témoignages a pu être réalisé auprès de praticiens dont la surcharge de travail ne permet pas
13
Médecins et personnel soignant impliqués dans la venue au monde des enfants : sages-femmes,
infirmières, psychologues, pédiatres, généticiens…
14
Danielle Moyse a travaillé les questions éthiques attenant au diagnostic prénatal. (Cf. biblio)
15 èmes
7 et 8èmes journées de Médecine fœtale du 27 au 31 mars 2002 et 2003 à Morzine.
11
Après que Danielle Moyse eut fait une communication aux VIIèmes journées de médecine
fœtale à Morzine, en mars 2002 et profité de cette occasion pour y évoquer ce projet de
recherche, un des médecins qui avait en charge cette manifestation, demanda aux auteurs du
présent rapport d'organiser, pour le colloque suivant qui allait avoir lieu fin mars 2003, une
rencontre/débat entre des personnes handicapées16 et les participants, praticiens de l'obstétrique.
Certains des chefs de service rencontrés lors de ces colloques ont ensuite encouragé les
membres de leur équipe à participer à notre étude. D'autres nous ont communiqué les
coordonnées des praticiens qui leur semblaient confrontés aux situations les plus instructives sur
les questions que notre recherche se proposait d'examiner.
En Mars 2004, nous sommes retournées à ces journées de médecine fœtale afin de
participer à deux "ateliers" qui concernaient directement notre sujet. L'un d'entre eux était
consacré à la prise en charge psychologique des femmes ayant pratiqué une Interruption
Médicale de Grossesse, l'autre, notamment animé par le directeur adjoint d'un des principaux
assureurs des médecins, portait précisément sur le phénomène de la judiciarisation. Cet assureur
nous a ainsi fourni de précieux renseignements.
16
Ces personnes étaient connues personnellement des auteurs, certaines l'ont été à l'occasion d'une enquête
auprès de personnes handicapées physiques sur leur perception du dépistage prénatal. Elle a donné lieu à
un ouvrage : Les personnes handicapées face au dépistage prénatal. Ed ERES. 2001.
17
A l’occasion des journées de 2002 avait notamment été discutée la question des demandes d'Interruption
Médicale de Grossesse en cas de diagnostic de membres manquants ou de malformations oculaires.
12
Quand les entretiens avaient lieu dans des services hospitaliers, il est arrivé à cinq reprises
(une fois à Paris, une fois en banlieue parisienne et trois fois dans quatre grandes villes) que nous
ayons préalablement été invitées à assister aux réunions hebdomadaires des Centres
pluridisciplinaires18 qui examinent les demandes d'interruption de grossesse en cas de diagnostic
prénatal d'anomalie. Dans au moins deux de ces services, nous aurions pu assister à ces réunions
par vidéoconférence pendant plusieurs semaines, mais nous ne disposions pas d'un budget
suffisant pour réaliser ce type d'étude qui aurait pourtant permis de saisir in situ les points de vue
divergents qui se confrontent parfois. L'objectif n'étant pas de réaliser une étude approfondie sur
la dynamique interne de ces Centres et n'ayant pu assister qu'à cinq séances, il serait difficile
d'en faire l'analyse. Ces réunions ont donc essentiellement été l'occasion de prendre pied dans le
travail de l'équipe et de réaliser ensuite des entretiens avec plusieurs praticiens désireux de
participer à cette recherche.
Tout d'abord, ce sont donc principalement des praticiens hospitaliers qui ont accepté de
nous rencontrer, avant que, sur leurs conseils, nous soyons amenées à recueillir les propos de
plusieurs médecins pratiquant, ou ayant pratiqué, l'échographie en secteur libéral.
Le 26 septembre 2002, Danielle Moyse fut invitée à faire une communication à une
journée d'étude du "Conseil de l’Ordre des médecins" qui consacrait précisément ce jour-là sa
séance à la question suivante : “ Y a-t-il un avant et un après Perruche ? ”.
18
Ces centres pluridisciplinaires, créés p ar décision de la ministre de l'emploi et de la solidarité et du
secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale en date du 20 avril 1999 (J.O. Numéro 147 du 27 juin 1999),
sont implantés dans quatorze grandes villes de France. Ils ont notamment pour fonction de réguler la
pratique de l'Interruption Médicale de Grossesse. Chaque semaine, l'ensemble des équipes de ces centres
se réunit pour discuter des demandes d'IMG. L'avis des spécialistes des atteintes en cause est toujours
recherché. La décision de répondre favorablement ou non à la demande parentale est prise par l'équipe
médicale qui va tenir compte non seulement du devenir médical de l'enfant mais également de la situation
psychologique et matérielle de la famille. Des considérations extra médicales (état psychologique des
parents, situation sociale ou familiale précaire…) influencent fortement la réponse favorable à une
demande d'IMG lorsque l'anomalie détectée ne rentre pas précisément dans le cadre d'une "affection d'une
particulière gravité". Il peut s'agir d'anomalies relativement bénignes, les demandes parentales concernant
les anomalies graves et incurables étant généralement acceptées quelle que soit la situation des parents.
13
Par ailleurs, lors de la réunion du Conseil de l'Ordre des Médecins, le 26 septembre 2002,
nous avons rencontré la Présidente de l'Ordre des sages-femmes. Cette dernière ayant décrit les
difficultés que rencontre aujourd'hui cette profession, cet entretien a ensuite constitué une
indication précieuse concernant les questions que nous avons ultérieurement posées quand nous
rencontrions des praticiennes19 exerçant cette profession.
Lors d’un débat en octobre 2001 à la Cité des Sciences et de l’Industrie20, dont le thème
était : "Existe-t-il un droit à ne pas naître handicapé ?", Danielle Moyse avait exposé à Roger
Bessis, médecin échographiste, alors Président du collège français d'échographie fœtale le projet
de la présente recherche. Celui-ci avait aussitôt donné son accord pour répondre à nos questions.
Remplacé par un de ses collègues au moment où nous avons commencé notre étude, ce dernier
nous a accordé un long entretien et nous a permis de rencontrer plusieurs médecins pratiquant
essentiellement l'échographie en secteur libéral, concrètement plus touché par les arrêts de la
Cour de Cassation que l'hôpital (les arrêts de l'échographie fœtale se sont surtout produits en
secteur libéral).
Enfin, nous avons recherché toutes informations utiles sur Internet, par exemple sur le site
du SYNGOF (Syndicat National des gynécologues obstétriciens de France) qui donne des
exemples utiles sur les difficultés pour ces médecins à exercer aujourd'hui.
19
Même si la profession est aujourd'hui exceptionnellement exercée par des hommes, la plus grande partie
des sages-femmes sont des femmes.
20
Handicaps congénitaux et préjudice : existe-t-il un droit à ne pas naître handicapé ? Samedi 20 octobre
2001. Les intervenants du débat étaient : Axel Kahn (Directeur de l'Institut Cochin), Didier Sicard
(Président du Comité Consultatif National d'Ethique (C.C.N.E.), Roger Bessis (alors Président du Collège
Français d'Echographie Fœtale), Bertrand Mathieu (Professeur de Droit à Paris 1), Patrick Gohet, (alors
Directeur Général de l’Union Nationale des Associations de Parents et Amis de Personnes Handicapées
Mentales (UNAPEI), Danielle Moyse.
14
RESULTATS
15
Pour simplifier, les résultats présentés ici concernent l'ensemble des questionnaires
recueillis (147). Les commentaires abondants aux questions ouvertes qui illustrent ces données
chiffrées ont, par ailleurs, été très utiles pour les entretiens individuels.
On observe une légère sur-représentation des femmes dans l'ensemble des réponses
(57 %) ainsi qu'une disparité entre l’âge de celles-ci (45 ans) et celui des hommes (49 ans). La
représentativité homme/femme décroît au fur et à mesure que l'âge est plus élevé avec une nette
inversion dans les proportions après 50 ans.
Le faible pourcentage de femmes dans les tranches d'âge les plus élevées, observé au
niveau national, confirme les témoignages de praticiens exerçant de longue date qui affirment
que les femmes médecins ont mis du temps à s’imposer dans les professions médicales et plus
particulièrement dans celles touchant à la naissance, surtout à des postes de chef de clinique.
Des récits exposent ces difficultés particulières. Cette disparité tend à se réduire voire à
s'inverser pour les plus jeunes générations. D’après les données de la DREES (Direction de la
Recherche des Etudes et de l’Evaluation Scientifique) de 200221, on peut en effet observer une
féminisation de la profession médicale toutes spécialités confondues selon que l'âge est plus
jeune.
21
Sicard Daniel - Document de travail : Les médecins – estimation au 1 er janvier 2002 – n° 44, décembre
2002. Ministère des Affaires Sociales, du Travail et de la Solidarité – Ministère de la Santé, de la Famille
et des Personnes Handicapées.
17
DREES - gynécologues-osbtétriciens
Tranches d'âge Hommes % Femmes % Total = 100%
31-39 ans 48,5 51,5 682
40-49 ans 53,4 46,6 2212
50-60 ans 69,2 30,8 2064
Total 59,3 40,7 4958
Si l'on compare ces données concernant uniquement les gynécologues obstétriciens avec
celles recueillies par notre questionnaire, on retrouve cette féminisation à un degré accru :
L’ancienneté dans la profession est de 17 ans en moyenne générale, 19 ans pour les
hommes et 16 ans pour les femmes.
L’effectif de notre échantillon étant très faible nous ne pouvons en tirer aucune
conclusion concernant l'ensemble des professions médicales impliquées dans la mise au monde
des enfants. L’information la plus pertinente quant à l’évolution de cette profession en ce qui
concerne le rapport hommes/femmes reste sans conteste les données statistiques de la DREES
présentées précédemment.
22
Aucune femme gynécologue-obstétricienne n’a plus de 51 ans !
18
1.2 Profession
Quatre-vingt quinze pour cent des personnes ayant répondu au questionnaire sont des
médecins, dont près des trois-quarts des gynécologues obstétriciens (57,8 %) et des
échographistes (11,2 %).
Comme nous pouvons le voir dans le tableau suivant, plus de la moitié des répondants
exerce son activité dans le secteur public (40 %) ou dans un secteur d'activité mixte privé-public
(18,4 %). Quatre personnes sur dix environ travaillent en cabinet ou dans des cliniques
(41,4 %)).
Île-de-France 12 4 13 7 36 24,5
grande ville 10 6 19 7 42 28,6
ville moyenne 21 8 24 12 65 44,2
SR 3 1 4 2,7
Total 43 18 59 27 147
total % 29,3 12,2 40,1 18,4 100,0
nouvelles des professions concernées par la naissance et dont l’évolution semble leur échapper.
Notons que 27 % ne répondent pas à cette question.
Malgré leur inquiétude, 82 % sont d'accord pour dire que les procès peuvent être une
bonne chose dans certains cas. Ils insistent sur le fait que " les médecins ne peuvent être traités
différemment et doivent être assujettis à des lois" et que la notion de “ faute lourde ” doit
continuer d’exister, ne serait-ce que pour " dissuader ceux qui sont peu et mal formés de
continuer à exercer". Néanmoins, la notion de “ faute ” et particulièrement de “ faute lourde ”
est souvent questionnée ou du moins admise sous certaines conditions. La faute doit notamment
être " la cause directe du handicap, ce qui exclut de rendre le médecin responsable d'un
handicap congénital." Quant à l'échographie, ils soulignent les limites de ses possibilités
diagnostiques " les fautes graves doivent être sanctionnées mais personne n’est parfait, on
commet forcément des erreurs dans notre pratique et toutes les erreurs ne peuvent être
sanctionnées à partir du moment où le travail a été fait dans les règles de l’art." Est interrogée
également cette tendance " à rechercher un coupable quand il n’y en a pas (dans tous les
domaines et pas seulement le domaine médical)."
- L’augmentation des primes d’assurance, qui est effective pour 50 % des personnes
interrogées, n'est pas considérée comme légitime par 52 % des répondants. 37 % au contraire
considèrent que c'est justifié, au motif que "le risque couvert est aujourd’hui très important et
que les compagnies d’assurances ne peuvent être des organismes philanthropiques". Ce qui est
alors présenté comme posant problème, c’est surtout l’absence d’évolution du tarif
conventionné, qui ne correspond absolument plus à la très forte augmentation des primes
d’assurances, certains médecins ayant vu leur prime d'assurance en responsabilité civile
professionnelle multipliée par 6, selon le SYNGOF. 23 La majorité des répondants (61 %)
considérait que la loi de 2002 ne réduirait pas le montant de ces primes. De fait, si elles ont été
parfois réajustées après la loi qui mettait un terme à la jurisprudence Perruche, elles ont
globalement augmenté. Tous les professionnels du secteur privé ont, sur ce chapitre, été
touchés. Seul le secteur public semble actuellement épargné.
Seize praticiens ont arrêté leur activité et vingt et un l'ont sérieusement envisagé.
L’augmentation des primes d’assurance a largement contribué à cette décision mais ce n’est pas
toujours cette seule raison qui a motivé cet arrêt : ces professionnels renoncent à poursuivre une
activité qui a perdu beaucoup de sens à leurs yeux, comme nous pourrons le voir ultérieurement
dans l'analyse des entretiens individuels.
La plupart, néanmoins, affirment n'avoir jamais songé à arrêter leur pratique en évoquant
ou bien la passion de leur travail, ou l'impossibilité dans laquelle ils disent se trouver de
pratiquer l'obstétrique sans l'aide de l'échographie. Écoutons ces témoignages :
- Je n'ai pas eu l'intention d'arrêter, mon travail me passionne.
- Abandonner ce formidable outil d'exploration, c'est reculer de 20 ans. J'aime faire des
échographies.
- Ma motivation vis-à-vis du diagnostic anténatal et sa nécessité ne peuvent être entravés
par ce mouvement social qui rend compte d'une déviation du diagnostic anténatal. C'est
surtout la prise en charge sans "euthanasie" qui me motive.
- C'est moi qui pratique mes accouchements, j'ai besoin des échographies comme éléments
de surveillance.
- Si je dois arrêter la pratique échographique, je ne travaille plus ! Donc, c'est impossible !
- Quand on exerce une profession depuis 20 ans, il est très difficile de l'arrêter, c'est un
crève-cœur.
23
Il ne reste plus en France qu’une compagnie médicale mutualiste, qui accepte, sous certaines conditions,
d’assurer les obstétriciens. Les primes sont estimées entre 15 000 et 20 000 euros pour un accoucheur
n’ayant eu aucun litige dans les 5 années. (Source site Internet du SYNGOF).
20
- Certains professionnels estiment qu'il ne faut plus faire d'échographie, je pense que c'est
un retour en arrière impossible.
Certains considèrent alors le risque médico-légal comme faisant partie intégrante de leur
métier :
- On est tout de même là pour s'occuper des grossesses des femmes, de leurs enfants, et
l'on sait au départ que c'est un métier à risque.
- L'échographie obstétricale est mon choix. Il faut assumer les risques du travail dans
lequel on s'est engagé. La fuite est trop facile.
D'autres font aussi dépendre la poursuite de leur activité d'une redéfinition des objectifs
de l'échographie fœtale et du dépistage anténatal :
- Je ne continuerai qu'à condition que je sois persuadé de rendre service en matière de
santé publique et pour répondre à la demande des couples, à condition que, pour la
société le diagnostic anténatal apparaisse clairement comme destiné d'abord à prévenir
les complications maternelles et infantiles, avant d'être "le ticket" pour le droit à l'IMG.
- La véritable question est de décider si l'échographie obstétricale apporte un intérêt pour
les couples et les fœtus."
La vérification d’un tel phénomène est difficile puisque, si les Centres Pluridisciplinaires
statuant sur les demandes d’IMG doivent rendre au Ministère de la Santé un rapport tous les
deux ans, aucune étude nationale de ces données n’a encore été publiée. En revanche, le
Registre des Malformations Congénitales de Paris enregistre depuis 1981 tous les cas
d'anomalies morphologiques ou chromosomiques dépistés dans la population des résidants de la
région Ile de France. Les données de ce registre nous ont été transmises par l'Unité de
Recherche Epidémiologique en Santé Périnatale et en Santé des femmes (Unité 149 de
l'INSERM) qui les répertorie. L'épidémiologiste Gérard Bréart a fait une communication sur ce
sujet au cours des journées fœtales de Morzine en mars 2004. Nous renvoyons également aux
données objectives consignées dans l'ouvrage dirigé par le Docteur Véronique Mirlesse. 24 Afin
de ne pas interrompre la présentation des résultats de notre questionnaires, ces données sont
présentées à la fin de ce chapitre.
24
Mirlesse Véronique (sous la direction de) – Interruption de grossesse pour pathologie fœtale – Editions
Flammarion – mai 2002.
21
- À la question de savoir si le fait que certains praticiens cèdent davantage aux demandes
d'IMG “ pose des problèmes éthiques ”, les deux tiers (67 %) répondent par l’affirmative tandis
que 8 % répondent négativement (25 % sans réponse).
- Si la loi n’avait pas été votée, 31 % disent cependant qu’ils auraient arrêté leur pratique
et 25 % qu’ils l’auraient orienté autrement (en arrêtant l'échographie prénatale par exemple). 44
% ne se prononcent pas sur cette question.
- Les explications ou les justifications des réponses qui ont été faites dans les
"observations complémentaires" sont quant à elles nombreuses et variées. La grande richesse de
ces commentaires est à souligner et quelques praticiens nous ont d'eux-mêmes indiqué leurs
coordonnées pour poursuivre la réflexion de façon plus précise.
En ce qui concerne l’état d’esprit des répondants, il se partage entre plusieurs grandes
tendances :
Une autre tendance consiste à manifester des inquiétudes et des interrogations partagées par
beaucoup :
Nous vivons dans une société “ bizarre ”. Dans un CHU, un foeticide a été réalisé en
cours d’accouchement pour une trisomie 21 découverte par amniocentèse tardive. Alors que les
réanimateurs “ s’acharnent ” parfois dès que l’enfant est né. (Je ne dis pas que je suis
25
Mais une loi a-t-elle cette vocation ?
22
favorable à l’euthanasie chez un nouveau-né). Par ailleurs, il est inquiétant de voir que le recul
de la date de l’IVG permettra des interruptions précoces pour des anomalies mineures.
Nous verrons certains évoquer des Interruptions Médicales de Grossesse pour “ suspicion
d’anomalies ”.
Enfin, on note des inquiétudes quant à la manière dont les couples et les femmes vont
maintenant vivre la grossesse :
éLe dépistage est dévastateur pour le vécu de la grossesse. Il introduit la notion de doute et une
angoisse terribles à supporter pour la femme enceinte.é
À de telles inquiétudes, s'ajoute parfois le sentiment que tous les patients n'auront plus
tous également accès aux techniques d'investigations anténatales :
" J'ai une inquiétude par rapport à la proposition d'échographies obstétricales pour les
gens à faibles revenus en raison de la disparition forcée des cabinets de secteur 1 et de la
diminution des praticiens continuant l'échographie en province. La raréfaction des praticiens
nécessite parfois de faire 40 kilomètres. C'est le cas en Bretagne par exemple.
Un médecin évoque alors à son tour les effets potentiellement délétères d'examens qui ne
sont pas sans risque pour les enfants à naître : " Suite à la présentation d'un nombre croissant de
dossiers en réunion des Centres de diagnostic prénatal, il y a majoration du nombre
d'amniocentèses, avec les risques propres à l'amniocentèse ", écrit par exemple un praticien
faisant clairement allusion aux fausses couches, provoquées par cet examen, d'enfants ne
présentant parfois aucune anomalie.
La crainte de servir de “ boucs émissaires ” est donc certes très présente, mais c'est
surtout celle du “ toujours plus de dépistage ” et de l’eugénisme qui sont évoquées en mettant
quelquefois clairement en cause des pratiques dans lesquelles ils sont impliqués sans que leurs
finalités soit toujours clairement définies :
- La demande “ d’absence TOTALE de risque ” et “ d’enfant parfait ” n’a fait que croître et
embellir. En postnatal, la “ FAUTE ” ou l' “ ERREUR ” est recherchée, il faut un
responsable.
- Il y a un courant de demande de risque zéro, invocation du “ droit ” à un bébé parfait.
- Nous assistons impuissants à une dérive eugénique de nos pratiques.
Le désarroi est parfois tel, qu’il est exprimé avec des mots violents contre des patients
jugés trop exigeants :
Il y a un changement complet du rapport médecin-patient. Nous vivons dans une société
sur-assistée qui génère une incapacité chronique à l'adaptation aux situations qui se présentent.
Par dessus cela, le rôle éminent de l'argent, de la consommation confinent à l'égoïsme,
provoquent la récrimination. Notre système est complètement décadent et voué à la destruction.
Ceci conduit par ailleurs à l'affirmation de la nécessité de réexaminer des pratiques dont
la mise en place n'a pas été suffisamment pensée aux yeux de plusieurs praticiens. L'un d'eux
écrit :
Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Il faut arrêter de nous croire tout
puissant, et réfléchir avant de proposer un dépistage de masse. Il faut avoir l'honnêteté de dire :
"nous ne savons pas tout faire". Il ne faut jamais méconnaître l'impact négatif de certains
congrès qui disent qu'on peut par exemple diagnostiquer des craniosténoses26 en anténatal,
avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Il faut revoir la définition du mot "dépistage"
et réfléchir à notre pratique de dépistage en échographie !
Un échographiste pense donc qu’il serait nécessaire de “ mettre à plat ” toutes les
données disponibles sur ce sujet et de mener de vastes études :
" Je pense fondamental de réaliser une grande enquête sur l’intérêt de l’échographie :
- auprès des accoucheurs, pour leur en demander les bénéfices
- auprès des pédiatres, chirurgiens, pédiatres, néonatalogistes, généticiens, psychologues,
- psychiatres, médecins généralistes, sociologues…
- auprès des patients, couples, qui ont eu un enfant normal, qui ont tiré un bénéfice du
diagnostic anténatal ou, au contraire, ceux qui en ont souffert."
26
Soudure prématurée des sutures crâniennes chez l'enfant gênant le développement du cerveau.
24
25
Pour plus de lisibilité de cette évolution, nous la présentons ici par des courbes qui, on le
voit aisément, mettent en évidence un parallélisme entre augmentation du dépistage et
augmentation des IMG.
80
60 dépistage
img
40
20
0
90-94 95-99
27
"Dix ans d'Interruptions Médicales de Grossesse pour malformation dans la population parisienne.
Données du registre des malformations congénitales de Paris. Données 1990-1999", C. de Vigan, V.
Vérité, V. Vodovar, J. Goujard. In Interruption de grossesse pour pathologie fœtale, sous la direction de
Véronique Mirlesse. Médecine-Sciences, Flammarion, mai 2002. P. 16-21.
28
Ce syndrome est une affection assez fréquente chez l'homme lié à une aberration chromosomique liée à
la présence d'un ou de plusieurs chromosomes X surnuméraires. Il provoque une anomalie du
développement des testicules, une stérilité et parfois des difficultés dans les apprentissages. Le sujet est
d'apparence normale, de taille plutôt grande.
26
POLYMALFORMATIONS
100
80
60 dépistage
40 img
20
0
90-94 95-99
Le diagnostic d'anomalie réductionnelle des membres est quant à lui devenu beaucoup
plus fiable puisque entre 1990 et 1994, on ne le dépistait que dans 27, 4 % des cas, tandis
qu'entre 1995 et 1999, on a atteint 48, 1 % de diagnostic. Parallèlement, on est passé de 16, 4 %
d'interruption de grossesse à 28,8 %. Malgré l'augmentation des IMG, ce tableau montre qu'elle
n'est pas strictement parallèle à l'augmentation des diagnostics.
40
dépistage
30
img
20
10
0
90-94 95-99
Tout indique donc que l'augmentation de l'IMG est liée au perfectionnement des
techniques : plus on dépiste, plus le nombre d'avortements en cas d'anomalies augmente. Ceci
est d'ailleurs pleinement confirmé par la comparaison des données du registre de Paris avec
celles de registres européens. "Le registre de Paris appartient au réseau de registres de
malformations européens EUROCAT, note les auteurs de l'article ci-dessus mentionné. La
comparaison du pourcentage d'IMG entre les registres EUROCAT montre que le taux d'IMG
est particulièrement élevé dans les trois registres français <outre celui de Paris, il en existe un
à Strasbourg, et un à dans les Bouches-du-Rhône>, et plus particulièrement à Paris, et ceci tant
pour l'ensemble des malformations que pour la trisomie 21."29
En effet, dans le tableau présenté qui couvre la période 1990 à 1994, seul Paris atteignait
au cours de cette période un taux de 63,4 % d'interruption de grossesse pour la trisomie 21.
29
Vigan (de) et coll. In Mirlesse V. op. cit. p. 20
27
Un article paru dans les "Annales de génétique", révèle de toute façon que, très
logiquement, le nombre d'interruption de grossesses est proportionnel au dépistage prénatal
réalisé dans chaque pays, et en particulier, au nombre d'échographies réalisées en cours de
grossesse. Alors qu'aux Pays-Bas et au Danemark où l'échographie ne se pratique pas
systématiquement le taux d'IMG est de 39 %, il atteint 82 % en France, en Allemagne, en Italie
et en Espagne où trois échographies sont pratiquées. 31 La proportion d'interruptions de
grossesse est sans doute également relative aux politiques concernant les personnes handicapées
dans chacun des pays concernés.
Comme le note judicieusement un chercheur de l'INSERM commentant les données
d'EUROCAT : "On peut se demander si les politiques de suivi des grossesses et les taux d'IMG
ne reflètent pas un phénomène plus général, intervenant en amont, caractérisé par une plus ou
moins grande tolérance au handicap selon les pays qui influencerait tant les politiques de suivi
des grossesses que le recours plus ou moins important à l'interruption de grossesse. L'hypothèse
demande à être vérifiée, mais on sait par ailleurs que la France accuse un certain retard, en
termes d'accessibilité et d'intégration des personnes handicapées, en particulier par rapport
aux pays scandinaves."32
Quoi qu'il en soit, le nombre d'interruptions de grossesse est manifestement relié à la
politique de dépistage anténatal, le développement des techniques et l'accroissement des
examens augmentant aussi très généralement le nombre des avortements pour détection
d'anomalies.
Si l'inflation de ce que les praticiens que nous avons nous-mêmes interrogés ont appelé
les "examens parapluie" se révélait alors être un phénomène général, il est d'autant plus évident
que cela augmenterait les IMG, que ces examens sont précisément faits pour détecter des
anomalies dont le non-dépistage pourrait susciter la naissance d'un enfant atteint d'une
malformation. Mais la vérification d'un tel impact sera difficile dans la mesure où il n'est pas
évident de déterminer précisément ce qu'on fait rentrer dans la catégorie des "examens
parapluie". Une telle appréciation est évidemment impossible pour le non-médecin ! quoi qu'il
en soit, nos participants ne semblent pas avoir noté une augmentation directe de l'IMG en raison
de la judiciarisation. Si elle avait lieu, ce serait effectivement sans doute, par le biais de
l'inflation des investigations provoquées par " la crainte de passer à côté de quelque chose." Il
faudra de toute façon attendre les nouvelles données du registre des malformations de Paris pour
voir si le dépistage des anomalies continue à être de plus en plus fiable. Mais si nous en
disposions, il ne serait pas évident de savoir quelle part en reviendrait à la surenchère dans les
investigations.
30
Ibid. p.20.
31
"Contribution of ultrasonographic examination to the prenatal detection of chromosomal abnormalities
in 19 centres across Europe", C. De Vigan, N. Baena, E. Cariati, M. Clementi, C. Stoll, and the
EUROSCAN Working Group, Annales de Génétique, 44, 2001. p. 25.
32
Ville Isabelle - "Evolution du dépistage prénatal" in Personnes handicapées et situations de handicap.
La documentation française N° 892, 93-96, septembre 2003.
28
II
ENTRETIENS
29
Comme nous l'avons mentionné pour commencer, notre étude auprès des praticiens s'est
déroulée entre octobre 2002 et août 2004. Bien que l'enquête juridique soit assurée par l'équipe
du Professeur Catherine Labrusse-Riou, de l'Université de Paris I, nous avons tenu à savoir dans
quel contexte médico-légal s'exprimaient les personnels que nous rencontrions. Il était
effectivement important de savoir si les craintes éventuellement exprimées par les praticiens
concernant le risque de procès auquel les expose leur pratique étaient légitimées par un nombre
manifestement croissant de procédures.
Pour tenter de faire le point sur cette question-nous avons rencontré le directeur adjoint du
Sou Médical qui assure avec la MACSF (Mutuelle Assurance du Corps Sanitaire Français) 73,5
% des médecins libéraux français, 95 à 97 % des sages-femmes et demeure, avec cette mutuelle
à laquelle il est désormais associé et la société AXA, un des trois assureurs des professions
médicales les plus exposés au risque médico-légal (gynécologie-obstétrique, anesthésie et
chirurgie).
Ainsi, la loi du 4 mars a peut-être dissuadé certains parents de se lancer dans des actions
en responsabilité quand une erreur de diagnostic prénatal les a empêchés de recourir à
l'interruption de grossesse. Mais il ne semble pas possible d'attribuer la stabilisation des
procédures à une meilleure solidarité nationale à l'égard de ceux qui doivent bénéficier de
mesures spécifiques pour participer pleinement à la vie sociale. Seul l'avenir pourra donc dire si
l'amélioration de l'accueil des enfants atteints dans l'intégrité de leurs facultés, et de leurs
familles sera suffisante pour dissuader les parents de chercher des aides financières auprès des
assureurs des médecins.
En l'absence de "solidarité nationale" effective, les parents qui avaient engagé une
procédure avant la loi du 4 mars 2002 ont bien entendu ressenti cette loi comme une véritable
injustice. Certains d'entre eux l'ont fait savoir en adressant des courriers aux membres du
gouvernement concernés ou à des représentants politiques. C'est notamment le cas de la famille
dont le dossier a été le premier à être jugé sur la base de l'article 1 de la loi du 4 mars. Cette
famille avait engagé une action en justice parce que, au cours de sa grossesse, Madame L. avait
été informée qu'elle était enceinte de jumeaux à propos desquels les investigations prénatales
avaient révélé que l'un des deux enfants à naître était anencéphale, alors que l'autre était indemne
de malformation. Ayant donc poursuivi sa grossesse, cette femme accouchera alors d'un enfant
qui mourra très peu de temps après la naissance, et d'un autre enfant qui, loin d'être indemne de
malformation, se révèlera finalement être polyhandicapé. Deux ans après la naissance du petit
garçon, ses parents engageront une procédure contre les médecins dont la "faute caractérisée"
sera reconnue. Or, à l'issue du jugement rendu le 17 décembre 2003 par le Tribunal de Grande
Instance de Lorient, les parents du jeune garçon né en 1993 n'ont obtenu que la somme de 15000
euros chacun, somme considérablement inférieure à celles obtenues par les parents de Nicolas
Perruche. C'est pourquoi, dans une interview accordée au journal le Monde, la mère du petit
garçon déclarait : "Après avoir été victimes d'une faute médicale, nous sommes maintenant
victimes d'une loi." S'étant adressé au Président de la République et au Ministre de la Santé, cette
famille enverra également une lettre au Parti Socialiste dont le contenu est à la fois révélateur
des difficultés soulevées par la loi du 4 mars concernant l'indemnisation des parents, et, surtout,
des lacunes persistantes de la "solidarité nationale".
"Pourquoi n'obtenons-nous que le préjudice moral qui en réalité couvre seulement nos
frais de procès demande cette lettre. Pourquoi les époux Perruche ont obtenu trois fois plus que
nous en préjudice moral ? La sœur de Nicolas a également été indemnisée de 15240 euros, ce
que, nous parents, obtenons à ce jour. Notre fils aîné ayant subi deux ans de psychothérapie
n'est pas reconnu. Cet article premier nous a anéantis et nous le trouvons particulièrement
injuste vu notre histoire malheureusement lourde de conséquences. Deux autres affaires
similaires sont actuellement devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Nous
33
"L'avant–projet de loi sur les handicapés doit être amélioré" Charles Gardou, Julia Kristeva - Le Monde
28 janvier 2004.
31
souhaiterions éviter d'en arriver là. Nous n'avons pas compris la polémique autour de l'arrêt
Perruche et cette loi qui a aussi balayé d'un trait l'arrêt Quarez. Les assureurs via le corps
médical avaient fait croire à quelque 220 procès de ce type. Nous serions à peine une dizaine. 34
Est-ce nous qui allons ruiner ces assureurs. La révision de la loi de 1975 sur les handicapés ne
change absolument rien à notre situation."
Quelle que soit la position qu'on puisse avoir vis-à-vis de l'"arrêt Perruche", il est clair
que sa récusation ne peut effectivement être pleinement justifiée que par la mise en place de la
"solidarité nationale" annoncée. Or, en l'occurrence, les parents d'enfants lourdement handicapés
sont totalement démunis. Les institutions capables d'accueillir de tels enfants, même
provisoirement, étant en nombre très insuffisant. Des familles se mobilisent ainsi pour obtenir ce
qu'elles appellent un "droit au répit", c'est-à-dire un accueil temporaire qui leur permettrait de
retrouver provisoirement une vie ordinaire. Or, la lecture du jugement rendu par le tribunal de
Lorient concernant cette affaire révèle que la "solidarité nationale" demeure à ce point un vain
mot qu'on y retrouve un des points qui avaient le plus fait scandale dans l'affaire Perruche : la
Caisse Primaire d'Assurance Maladie demande la rétroversion des sommes allouées à l'enfant
depuis sa naissance ! Cette demande a été déboutée par le jugement, mais elle est hautement
révélatrice du fait qu'un organisme d'Etat affirme une fois encore, être victime d'un préjudice
quand une grossesse menant à la naissance d'un enfant handicapé n'a pu être interrompue ! Dans
un tel contexte, comment des parents, aux prises avec des difficultés matérielles considérables,
dont les conséquences sur la vie familiale ne sont plus à démontrer, pourraient-ils croire en cette
solidarité nationale ?
Le Directeur Adjoint du Sou Médical, interrogé sur cette question, reconnaîtra d'ailleurs
que, depuis la loi du 4 mars, "la situation des parents d'enfants handicapés ayant engagé une
procédure pour anomalie foetale s'est aggravée", dans la mesure où ils ne peuvent pas espérer
trouver des subsides auprès des assureurs des médecins. Notons toutefois que ce recours n'est
possible que pour les familles dont l'enfant est affecté d'un handicap dépistable en ante natal.
Pour les autres parents d'enfants handicapés, la situation reste inchangée.
Pour autant, ce représentant du principal assureur des médecins n'en estimait pas moins
que la possibilité de mise en cause de ces derniers par voie judiciaire n'était nullement déjouée.
Les actions entreprises pour erreur de diagnostic prénatal sont en effet à replacer dans un
mouvement beaucoup plus vaste touchant l'obstétrique dans son ensemble. Au cours de
l'entretien, étaient à la fois évoqués les avancées techniques qui engendrent des situations
incitant à obtenir réparation financière par le moyen d'une action en justice, et le changement de
l'attitude des juges vis-à-vis des familles plaignantes :
"La situation est relativement stable en termes de nombre d'affaires. S'il y a une petite
progression, ce qui a surtout changé, c'est la façon dont les magistrats traitent ces affaires. Ils
ont davantage tendance à démontrer la faute. Les indemnisations versées sont de plus en plus
lourdes, considérables. Même en obstétrique, il y a une augmentation du nombre d'actions en
justice, mais c'est surtout le coût moyen qui est important.
Par exemple, quand un enfant subissait autrefois une anoxie à la naissance35,
généralement il décédait, alors que maintenant il vit. Il y a donc prise en charge des frais. Ce
sont des dossiers qui peuvent dépasser trois millions et demi à 4 millions d'euros
d'indemnisation partagés entre les parents de l'enfant et la Sécurité Sociale qui demande
remboursement de toutes les hospitalisations, lorsque l'on considère qu'il y a un lien de
causalité entre l'état de l'enfant et la faute. Dans le cas où le médecin aurait par exemple dû
faire une césarienne au moment de l'accouchement."
34
N'ayant pu avoir confirmation de ces chiffres, nous en laissons la responsabilité aux auteurs de cette
lettre.
35
Manque d'oxygénation à la naissance pouvant provoquer de graves lésions.
32
Il y a des dossiers humains terribles. Nous en tenons compte. Mais autrefois, quand un
enfant naissait avec une grave anoxie provoquant une Infirmité Motrice Cérébrale36, les
magistrats considéraient que l'enfant n'avait pas d'état de conscience, tandis que maintenant ils
considèrent qu'on ne peut pas ne pas dédommager37."
Dans ce contexte, l'assureur évoque d'ailleurs aussitôt les risques auxquels sont exposés
les médecins réanimateurs, et, par voie de conséquence, les assureurs de ces médecins :
"Quand un enfant meurt à la naissance à la suite d'une faute, on paye environ 2 à 3000
euros pour les parents. Si l'équipe médicale arrive à le réanimer, c'est 38 millions d'euros."
À la question : " Ont-ils donc intérêt à ne pas réanimer ?", l'assureur répond donc sans
hésitation :
"Oui, bien sûr, c'est évident."
C'est donc l'ensemble des procès occasionnés par des erreurs ou des fautes médicales, et
non pas seulement les affaires concernant des erreurs de diagnostic prénatal, qui est ici présenté
comme un sujet d'inquiétude.
En effet, à la question de savoir s'il y a, encore aujourd'hui, des procès pour non-
diagnostic anténatal d'anomalies, l'assureur répond :
"Oui, mais les décisions sont en notre faveur. Les avocats ont essayé de contester la loi du
4 mars en disant que c'était anticonstitutionnel, contraire à la Convention Européenne des
Droits de l'Homme. Mais les jugements leur ont donné tort. Il y a eu une ou deux
condamnations, mais uniquement pour préjudice moral. <L'affaire ci-dessus mentionnée en est
l'exemple>. D'autres condamnations ont réfuté la responsabilité des médecins.
Il y a eu une affaire d'enfant né sans globes oculaires. Les parents ont arrêté de travailler.
Ils demandaient d'avoir un salaire jusqu'à leur retraite. Le juge a renvoyé cela à la solidarité
nationale."
Une certaine inquiétude demeure cependant non seulement quant à la question de savoir si
de telles requêtes ne pourraient pas faire l'objet d'un autre traitement dans des affaires
ultérieures, mais aussi parce que la loi du 4 mars ne concerne pas le conseil génétique. Or,
certaines familles, déjà affectées par une anomalie ne désirent procréer que si les médecins leur
certifient qu'elles n'encourent pas le risque d'une transmission héréditaire :
"Des gens sont allés voir un conseiller génétique avant de procréer. Le médecin leur a
donné le feu vert et l'enfant est né atteint d'une maladie congénitale. Pour se défendre,
l'Assistance Publique de Paris faisait valoir la loi du 4 mars. Les juges ont dit que la loi visait le
non-dépistage d'une malformation chez le fœtus et non un mauvais conseil génétique. Les
parents ont donc obtenu gain de cause."
Évoquant cette affaire aux 9ème Journées de Médecine Fœtale de Morzine, en mars 2004,
cet assureur avançait effectivement des chiffres très importants :
"Il y a un problème avec le conseil génétique. Il n'est pas visé par la loi. Or, l'échographie
participe à un moment du conseil génétique... Dans une affaire récente, 5600 euros mensuels ont
été alloués à l'enfant pour toute la durée de sa vie. Et les parents ont reçu 220 000 euros."
À vrai dire, on peut effectivement considérer que la loi du 4 Mars 2002 concerne
seulement le diagnostic prénatal puisque ce sont les anomalies qui n'ont pas été détectées
pendant la grossesse qui y sont reconnues comme susceptibles de susciter la reconnaissance du
"préjudice des parents".
36
Troubles moteurs, consécutifs à une lésion cérébrale périnatale des centres moteurs.
37
Ce qui, à condition qu'il y ait évidemment faute médicale, paraît d'ailleurs doublement légitime dans la
mesure où, d'une part, l'Infirmité Motrice Cérébrale n'équivaut pas du tout à une absence de conscience
chez des sujets qui ont même souvent une intelligence normale, et où, d'autre part, l'absence de conscience
d'un sujet ne doit pas le priver d'une éventuelle indemnisation.
33
Toutefois, cette loi commence par affirmer que "nul ne peut se prévaloir d’un préjudice
du seul fait de sa naissance ". Or, c'est bien parce qu'il est né en raison d'un mauvais "conseil
génétique", que l'enfant concerné est indemnisé. On imagine donc que cette décision ne peut que
redoubler le sentiment d'injustice ressenti par les parents qui n'ont vu reconnaître "que" leur
préjudice moral, dans une situation qu'ils doivent pourtant trouver fort comparable à celle qui
vient d'être mentionnée : dans les deux cas en effet, l'enfant ne serait pas né s'il n'y avait pas eu
une erreur d'appréciation de la part d'un médecin concernant l'état futur de l'enfant à naître. Dans
un cas, pourtant, l'un est indemnisé, l'autre pas.
Ayant des intérêts divergents, voire incompatibles, les parents ayant engagé une procédure
se sentent lésés, tandis que les assureurs affirment que sans la loi du 4 mars, l'assurance même de
la pratique échographique était menacée.
Quoi qu'il en soit, l'assureur notait au moment où nous l'avons rencontré, que "les choses
semblaient se stabiliser", du moins en ce qui concernait les mises en accusation pour erreur de
diagnostic prénatal, mais il restait néanmoins sur ses gardes :
"Aujourd'hui on reste prudent. Si ça continue, ça va s'équilibrer. Mais les juges n'aiment
pas cette loi, ils sont furieux qu'on limite la responsabilité. Ils peuvent se rattraper sur le
préjudice moral. Si un magistrat l'évaluait à 1,5 million d'euros, il pourrait l'accorder, car il n'y
a aucun barème. L'appréciation du préjudice généralement évalué aujourd'hui à 30000 à 45000
euros relève du pouvoir souverain du juge."
L'inquiétude des médecins et de leurs assureurs s'inscrit de toute façon dans un climat
général où l'indemnisation des patients s'est développée en cas de troubles suscités par les aléas
thérapeutiques, même en l'absence de fautes ou d'erreur médicale. Pour pallier les difficultés
engendrées par une telle tendance, vient d'être créé l'Office National d'Indemnisation des
Accidents Médicaux (ONIAM) qui a dû traiter 1907 dossiers au cours de la seule année 2003.
Cet organisme a pour objectif d'indemniser des patients ayant subi un préjudice dont nulle erreur
médicale n'est la cause. Quand les experts jugent qu'il y a faute ou erreur, ce sont toujours, bien
entendu, les assureurs des médecins qui indemnisent le patient, mais quand ce n'est pas le cas, la
solidarité nationale doit, là encore, intervenir.
En fait, cette forme de la solidarité nationale ne concerne pas la naissance d'enfants
atteints d'une malformation, mais c'est bien dans ce climat de confusion entre accident médical
ou aléa thérapeutique et faute médicale que s'inscrit incontestablement l'examen des questions
traitées ici.
Le risque médico-légal lié au diagnostic prénatal renvoie effectivement à l'augmentation
générale des actions en justice visant des médecins, et il est d'ailleurs inférieur aux risques de
mise en cause auxquels sont exposés les praticiens dans le domaine de l'obstétrique et de la
chirurgie obstétricale. Ceci est attesté par les différences de tarif des primes d'assurance que le
Directeur Adjoint du Sou Médical a bien voulu nous transmettre : alors que la prime annuelle
d'un échographiste était de 2300 euros au moment où nous a été accordé cet entretien, elle
34
s'élevait à 10000 euros pour les gynécologues obstétriciens et à 15000 euros pour les chirurgiens
en gynécologie. Il peut arriver que ces primes se cumulent quand les praticiens cumulent eux-
mêmes les spécialités, mais la disparité des tarifs, dont les plus élevés concernent l'obstétrique,
montre bien que c'est cette dernière activité qui fait encourir le plus grand risque médico-légal.
Quant à la question de savoir si le montant des primes d'assurance des échographistes
avait été réajusté suite au vote de la loi mettant un terme à la jurisprudence Perruche et limitant
le risque médico-légal de ces praticiens, le Directeur Adjoint du Sou Médical répond : "On a
réduit les primes de moitié." S'il en est toujours ainsi, il faut croire que le risque apparaît comme
à peu près maîtrisé.
35
Sur les vingt-six autres praticiens (treize hommes et treize femmes), dont la moyenne
d'âge est de 51 ans40, treize d'entre eux exercent effectivement surtout leur activité en secteur
libéral, dont sept exclusivement. Le lieu d'exercice de ces vingt-six participants est très variable.
Il peut s'agir de Paris, de l'Ile de France, d'une ville proche de la région parisienne, ou bien d'une
ville de l'Ouest, de l'Est, du Nord, du Sud ou du Centre de la France. Nous avons même réalisé
un entretien téléphonique avec une échographiste exerçant en Guyane.
Les propos recueillis sont d'autant plus riches qu'ils émanent de praticiens impliqués dans
le déroulement de la grossesse, de l'accouchement, et de la petite enfance, de façon très
diversifiée.
38
Il n'était pas prévu dans cette recherche d'interviewer des parents. Nous avons accepté le témoignage de
ce couple qui avait eu connaissance de notre travail dans la mesure où il nous apparaissait qu'il faisait
singulièrement écho aux propos et préoccupations de certains praticiens.
39
Nous avons alors généralement recueilli les propos des praticiens successivement, mais il est
quelquefois arrivé que nous les ayons entendus en groupe de deux ou trois personnes. Le plus souvent,
nous avons néanmoins privilégié les entretiens individuels.
40
Au cours des entretiens réalisés au sein des équipes hospitalières, nous n'avons pas toujours pu connaître
l'âge de nos interlocuteurs, certains entretiens ayant eu lieu en groupe.
36
Les uns accueillent des patientes relevant d'un milieu socialement et économiquement
favorisé, tandis que d'autres reçoivent tout au contraire des patientes en situation sociale de très
grande précarité. C'est notamment le cas dans certains grands hôpitaux de l'Est parisien ou de la
banlieue Est de Paris, ou dans plusieurs régions françaises.
L'échographiste qui pratique cette spécialité en Guyane, a notamment fait apparaître
qu'une étude spécifique concernant le diagnostic prénatal, mais, beaucoup plus largement, le
suivi des grossesses, serait nécessaire dans les territoires d'outre-mer.
Quoi qu'il en soit, nous avons à la fois veillé à ce que soient entendus tous les
professionnels intervenant autour de la naissance (et pas seulement les médecins, en particulier
gynécologues-obstrétriciens-échographistes), mais aussi à ce que puissent être examinées les
situations en fonction des spécificités géographiques.
Les entretiens font d'ailleurs nettement percevoir les différences de l'impact de la
judiciarisation sur le domaine de l'obstétrique, suivant le lieu et le secteur d'exercice des
praticiens interrogés.
37
Seront alors successivement mentionnés les effets jugés "positifs" puis, surtout, les
conséquences "problématiques" des décisions de la Cour de Cassation :
" Le premier effet de l'arrêt Perruche concerne l'organisation. Avant cet arrêt, c'était un
peu une jachère peu organisée. On pratiquait par exemple beaucoup l'autodidactisme. On avait
un peu de tout dans les praticiens : des cliniciens qui faisaient de l’échographie
occasionnellement et d'autres praticiens qui en faisaient toute la journée. Ceux-ci avaient un
entraînement plus important. Il n'y avait pas vraiment de règles.
Puis il y a eu l'arrêt Perruche : il a eu quelques vertus et beaucoup d'inconvénients. Le
côté positif est que ça a permis d'organiser l'échographie qui est ainsi devenue adulte. Ça a
permis de mettre de l'ordre.
Pour répondre à l'obligation de moyens, certains étaient extrêmement exhaustifs dans
leurs examens. Mais ce n'est pas forcément mieux que des examens plus courts. Il nous a fallu
fournir une réflexion sur le contenu de l'acte. Des comptes rendus type ont ainsi été produits..."
La réorganisation de la profession et son "assainissement" sur le plan technique sont
effectivement présentés comme nécessaires par des échographistes ou des gynécologues
obstétriciens qui portent un jugement sévère sur le caractère "anarchique" du développement de
38
l'échographie. L'un d'eux, gynécologue obstétricien, exerçant dans l'hôpital d'une grande ville,
déclare :
"Le diagnostic prénatal ne s'est pas développé à l'hôpital. Pour cette raison que la
majorité des patrons étaient alors bien pensants, catho, de droite. Et ils ont tout de suite vu que
DPN = IMG. Donc, ils ont dit : " l'échographie, pas de ça chez moi ". Le diagnostic prénatal
s'est donc développé à l'écart. Ces médecins n'ont pas eu de postes hospitaliers, ils sont partis
dans le privé. Pour beaucoup ce ne sont pas des obstétriciens, ce sont des généralistes qui ont
ensuite lutté pour être reconnus, (syndicalement, par exemple). Et finalement on a décidé de
faire une validation d'acquis pour ces échographistes exclusifs qui ne sont pas spécialistes à
l'origine mais généralistes". Après avoir reconnu les compétences incontestables de certains de
ces praticiens, ce médecin n'en conclut pas moins :"Pour moi, le problème ce sont donc les
patrons d'hôpitaux qui n'ont pas voulu de cette technique et du coup, ça s'est développé à
l'extérieur de façon anarchique".
Un généraliste spécialisé dans l'échographie, exerçant en secteur libéral, déclare dans une
perspective similaire à propos des arrêts de la Cour de Cassation :
"Tout cela a eu du bon, au sens où ça a fait prendre conscience aux gens qu'on ne pouvait
plus faire de l'échographie comme on faisait du photomaton, qu'il fallait faire de l'échographie
de qualité. Dans ce sens, ça a obligé un certain nombre de gens qui étaient limite à arrêter. La
deuxième chose, c'est que les gens qui ont continué ont accepté de se remettre en question et
d'aller apprendre des choses, de constater que leur matériel n'était pas à la hauteur, de
réinvestir, et de consacrer un peu plus de temps à leur échographie. Prenons un exemple : vous
faites une échographie sur un bébé de cinq mois. La face est tournée vers l'arrière. Vous ne
pouvez voir son visage. Dans ces conditions, le médecin disait auparavant : "je reverrai ça à
l'échographie suivante". Oui, mais à l'échographie suivante, on n'est plus du tout dans les
mêmes conditions : le bébé a grandi. Aussi, aujourd'hui, on dira : "je vais vous reprendre
demain, pour vérifier." Et on ne lâche pas le fœtus, tant qu'on n'a pas regardé ça. Il y a donc une
exigence de qualité. Évidemment, il y a toujours des irréductibles qui font une échographie qui
sert d'abord à faire passer le client au tiroir-caisse… Mais, tout de même, il y a eu des prises de
conscience."
Une autre généraliste échographiste, exerçant également en secteur libéral dans l'Ouest
de la France, note le même effet d'assainissement de l'arrêt Perruche :
"Les pratiques se sont assainies, il n'y a plus d'échographie cinéma"41.
Malheureusement, explique le praticien précédent, l'incapacité dans laquelle se sont
trouvés les pouvoirs publics pour réguler la pratique de l'échographie a eu pour effet, une
régulation par les assurances qui a provoqué de nombreuses démissions :
"L'Etat n'a pas réussi à assainir le parc des échographistes. Peut-être en raison des
chapelles : les radiologues d'un côté, les généralistes de l'autre, les gynécologues de l'autre, et
ainsi de suite. Chacun s'arc boutant sur son petit diplôme. Quand l'assureur a vu que telle
catégorie professionnelle, ou tel professionnel donnait tel ou tel résultat, il a fait ses calculs plus
vite que le gouvernement. À partir du moment où on n'a pas su faire le ménage en s'appuyant
sur les organismes officiels que sont l'Université, le Conseil de l'ordre et les Syndicats,
l'assureur a dit : "j'augmente la note". L'Etat n'a pas su faire le ménage, c'est le payeur qui l'a
fait."
"À un moment, remarque sa collègue, je me suis demandée si ça n'allait pas être les
assureurs qui allaient nous dire comment exercer la médecine."
41
Ce que cette praticienne appelle l'échographie cinéma, c'est la conversion de l'instrument médical que
constitue l'échographie, en outil destiné à photographier le bébé avant sa naissance pour que cette
photographie anténatale figure dans l'album de famille. Cette pratique choque d'autant plus les
échographistes que les praticiens réalisant de telles "vidéo shows" (suivant les termes mêmes de cabinets
faisant la publicité de cette activité, y compris sur Internet) ne peuvent être inquiétés pour non diagnostic
puisque ces photographies anténatales n'ont aucune finalité diagnostique. Une polémique est actuellement
engagée au sein de la profession concernant ces pratiques.
39
L'augmentation des primes d'assurance et la crainte de procès sont alors perçues comme des
facteurs essentiels de l'arrêt de la pratique de nombreux médecins, lorsque l'ensemble de leurs
activités leur permettait de se reconvertir sans trop de difficultés :
"Le côté négatif <de l'affaire>, explique le Président des échographistes, a été la
démotivation des praticiens due à des surprimes assurantielles avec des tarifs variables étant
donné la difficulté d'évaluer les risques, à la difficulté aussi de continuer à travailler avec la
peur au ventre. Les arrêts qui ont confirmé l'arrêt Perruche ont alors mis le feu aux poudres. Et
il y a eu une désaffection partielle, particulièrement en province. Les confrères radiologues ont
trouvé l'argument pour arrêter bien que, en tant que radiologues, l'augmentation des assurances
ne les ait pas énormément touché.
Le phénomène de l'arrêt est difficile à quantifier. Dans la Sarthe par exemple, il y a eu
un moment où il n'y avait plus personne. Certaines patientes devaient donc aller dans les
départements voisins, plusieurs praticiens ne conservant que le versant gynécologique de leur
activité. Ça s'est un peu rectifié depuis."
Les gens ont eu peur avec ces procès ; beaucoup de gynécologues ont dit : "je ne m'en
sortirai pas". Là-dessus, la prime d'assurance a augmenté. Pour ma part, je suis passé de 500
euros à 2100 euros. Les obstétriciens qui étaient à 2 ou 300 euros sont passés à 15 000 euros.
Cela est dû au fait qu'ils font de la chirurgie. De plus, beaucoup de mes confrères gynécologues
obstétriciens avaient du matériel un peu ancien. On ne peut comparer quelqu'un qui a un
appareil à 30 000 euros avec quelqu'un qui a un appareil à 150000 euros. C'est la différence
qu'il y a entre le photomaton et le portraitiste. Donc, ces gens ont peut-être vu que leur plateau
technique n'était pas à la hauteur de ce qui se passait. Dans ces conditions, ils ont dit :
"J'arrête"."
L'arrêt Perruche est présenté comme un élément détonateur mais non comme la seule
cause du désistement de plusieurs médecins pratiquant l'échographie fœtale parmi d'autres
activités. Les difficultés matérielles et financières sont présentées comme décisives :
"La démission de certains était également due à la faible rémunération de ces actes qui
non seulement n'ont pas été revalorisés, mais ont de plus été décotés. En 1985, l'échographie
morphologique du 2ème trimestre rapportait 434 francs, aujourd'hui, si on continue à parler en
francs pour comparer, 372 francs !
Cela est dû au fait que l'échographie n'appartient pas à une spécialité à proprement
parler. Dans les négociations concernant la revalorisation des actes médicaux, on parle de la
chirurgie, de beaucoup d'autres actes, mais l'échographie est en queue de peloton dans la
négociation. Elle ne représente pas une grosse partie de l'activité générale. Il n'y a pas eu de
réévaluation."
"Moi j'ai commencé il y a 28 ans, témoigne également la généraliste échographiste
précédemment mentionnée. J'avais un chiffre d'affaires qui était d'un tiers supérieur à ce qu'il
est aujourd'hui. Je parle uniquement des honoraires. Je ne parle pas du matériel, du
secrétariat etc…"
Toutefois, si les difficultés matérielles et financières ont sans doute constitué le motif
principal de l'arrêt de la pratique de l'échographie obstétricale, les inquiétudes d'ordre éthique
concernant les finalités du diagnostic prénatal ont également pu être quelquefois déterminantes.
L'arrêt Perruche est alors appréhendé comme ce qui interroge profondément la fonction
médicale dans ses objectifs, et inverse même cette fonction initialement destinée à soigner.
La société dans son ensemble est présentée comme ayant pour devoir de soutenir cette
mission :
"Si l'enfant est handicapé, poursuit cette échographiste, une société démocratique doit
l'aider à vivre sa vie le mieux possible. C'est normal que l'enfant ait une aide pour vivre au
mieux sa vie. Mais on n'a pas à être indemnisé pour le préjudice d'être en vie. Je comprends que
c'est choquant qu'on offre seulement une aide aux parents. Parce que le jour où les parents s'en
vont, le jeune n'a plus rien et il faut qu'il puisse continuer à vivre en toute dignité, qu'il ait ses
parents ou non."
Face à ce que cette praticienne éprouve comme l'inversion même de sa fonction médicale,
laquelle ne peut à son sens qu'être renforcée par la non-acceptation générale de l'enfant
handicapé, elle affirme être "fière" de sa décision qui la met, après plusieurs années de malaise,
en conformité avec ce qu'elle estime être le rôle du médecin, à son sens invalidé par les arrêts de
la Cour de Cassation :
"Financièrement, j'ai beaucoup perdu, assure-t-elle, mais je veux vivre en paix avec ma
conscience. D'une certaine façon, je suis fière de pouvoir dire que je ne l'ai pas fait pour de
l'argent, car c'est évident que j'aurais eu intérêt financièrement à payer ma surprime."
L'arrêt Perruche est donc vécu ici comme le révélateur d'une conception inédite, mais qui
était néanmoins sous-jacente, du rôle du médecin et d'une appréhension de l'enfant incompatibles
avec les principes déontologiques jusque-là prévalant. "Le dernier diagnostic que j'ai fait
précise-t-elle, c'était une laparoschisis c'est-à-dire une absence de paroi intestinale. C'est une
malformation impressionnante car on voit le tube digestif, mais ça se répare <chirurgicalement>
et ce n'est pas associé à un handicap chromosomique. Avant, on rassurait les parents, on leur
disait :"On va vous réparer tout ça", et maintenant… L'avant dernier diagnostic, c'était une
grave malformation cardiaque. Je la dépiste à 4 mois et demi. J'envoie la patiente à un
spécialiste de cardio qui confirme mon diagnostic et quand la dame est revenue me voir à 7
mois, elle me dit : "si mon bébé a le moindre problème après l'opération, comme le chirurgien
m'a dit qu'il y avait 1% de risque, je vous intente un procès". Aujourd'hui, il y a des bébés qui
ont des malformations curables, mais moyennant de grosses interventions chirurgicales qui
coûtent cher, et des cardiologues disent aux parents, je l'ai entendu, qu'il vaut mieux
interrompre et recommencer".
42
Une gynécologue exerçant en secteur libéral dans le Nord de la France, et ayant également
arrêté l'échographie fœtale à la suite de l'arrêt Perruche, nous fera part d'inquiétudes similaires à
propos des objectifs de l'échographie et du diagnostic prénatal.
La peur du procès est d'abord invoquée ici comme motif déterminant de l'arrêt de la
pratique échographique, arrêt présenté comme choix commun à beaucoup de ses collègues :
"Je me formais beaucoup, et pourtant après l'arrêt de la Cour de Cassation, j'ai arrêté ma
pratique depuis juin 2002. D'autres médecins ont eu des procès, et on se voit souvent entre
gynécologues. Avant de venir à ce colloque42, j'étais allée à un autre colloque de gynécologie
pratique et nous avions discuté : j'avais alors réalisé les risques que je prenais. Nous avions
calculé que, simplement avec la trisomie 21, on avait un risque de procès tous les sept ans.
Aussi, peu continuent dans mon entourage et, même parmi les gynécologues obstétriciens,
beaucoup ont arrêté. En gynécologie médicale, dans le Nord, on était bien formés, on travaillait
bien. Mais tous ont arrêté."
Très rapidement après l'évocation des risques de procès, cette gynécologue en vient à dire
son malaise face à des propos ou des pratiques qui traduisent selon elle une dérive sociale :
"Ce qui m'a interpellé dans ma pratique quotidienne, c'est la demande d'enfant parfait. Je
ne peux pas accepter ça. C'est un gros problème. Il y a un bébé qui est né dernièrement avec une
agénésie d'oreille43, les parents étaient catastrophés et ils m'ont dit : "Si on a un autre bébé avec
un problème comme ça, on avortera". Pour moi, ce n'est pas acceptable, c'est une dérive de la
société."
Cette praticienne évoque alors les événements personnels successifs qui l'ont amenée à
s'interroger sur les finalités du diagnostic prénatal :
"Dans ma vie personnelle, il y a eu ma petite nièce. La femme de mon frère était enceinte
de vraies jumelles. On a découvert une cardiopathie extrêmement grave. On aurait dû faire une
IMG, mais, comme c'était des jumelles, ce n'était pas possible. Finalement, les enfants sont nés à
7 mois et demi, et la petite a été opérée. Aujourd'hui, elle est guérie. Alors, je me suis demandée
si faire des IMG, c'était bien.
J'ai encore été confrontée à un autre cas : on a fait une échographie, il y avait une
malformation cardiaque. Le père a demandé une IMG parce que l'enfant qui devait naître ne
pourrait pas vivre plus de cinquante ans… Alors, on se pose trop de questions. Il faudrait qu'on
travaille avec des philosophes. Moi, je ne peux plus continuer parce que je ne sais plus quoi
faire avec mes patients. En plus, je les connais trop. Ils sont très fidèles les patients dans le
Nord. C'est comme la famille. Ça m'est trop difficile en tant qu'être humain, pas en tant que
médecin. À l'hôpital, ils les mettent peut-être plus à distance. Ils les connaissent moins. Moi, j'ai
suivi pas mal de grossesses. Les gens je les connais tous. Ce n'est pas que médical. C'est ma
manière de travailler. J'aime bien mes patients… J'ai beaucoup réfléchi avant d'arrêter, mais
finalement je suis soulagée".
Ce médecin revient avec insistance sur "plein de petits exemples qui <l'ont> fait
réfléchir.":
"Dans ma famille, il y a des gens qui travaillent auprès d'enfants trisomiques 21. Ils les
aiment bien. Ma cousine ne veut pas faire de test. Surtout que les trisomiques ne sont pas les
plus difficiles…
Et puis, j'ai une amie de classe. Elle a une première petite fille, et le 2ème est trisomique
21. Et bien je l'ai vu au judo. Il se battait avec mon fils. Il faisait tout très bien… Alors, ne plus
faire d'échographie, ça me convient parce que ça me posait trop de questions. Et puis cette
dérive vers l'eugénisme me déplaît beaucoup, parce que je suis juive, alors je pense à Hitler...
L'arrêt Perruche a été l'élément détonateur. Mais j'avais déjà l'impression que la société déviait
vers quelque chose qui ne me plaisait pas trop… C'est cette dérive qui me pose problème et
l'enfant parfait. Il faut qu'il soit brillant. L'enfant est surinvesti. C'est tout juste si tout n'est pas
programmé : le Lycée, le choix de carrière etc,. Il n'y a plus de spontanéité, on attend aussi le
42
Cette praticienne a été rencontrée en mars 2004, au Colloque de Médecine Fœtale de Morzine.
43
Absence de développement de l'oreille.
43
moment parfait. Je ne suis pas trop d'accord. Je fais beaucoup de psychologie et j'aime bien la
philosophie. Alors, je me suis posée beaucoup de questions. Quand on se pose trop de questions,
on ne peut se contenter de faire de la technique. Moi, en tant que personne, il faut que je sois
d'accord avec ce que je fais. Je ne suis pas que technicienne. Je connais quelqu'un qui fait de
l'obstétrique et qui a arrêté aussi. En plus, ça prend beaucoup de temps et la grossesse devient
hyper compliquée. Ce n'est plus un événement heureux. Il y a beaucoup d'examens à passer.
Avant c'était peut-être moins bien suivi, mais ce n'était pas pareil. J'ai préféré garder le lien
humain plutôt que de faire de la technique".
Pour certains praticiens, les arrêts de la Cour de Cassation ont servi de prétexte à la
cessation d'une activité qui soulève des difficultés de plus en plus inextricables :
"L'arrêt Perruche a donné une sorte d'alibi aux gens qui voulaient arrêter depuis
longtemps, explique un radiologue converti par passion à l'échographie et exerçant toujours en
secteur libéral dans le Sud de la France. Ils se sont dits : "les gens m'embêtent, les juges aussi.
Puisque les gens ne m'aiment pas, j'arrête." Ça leur a donné un alibi un peu inconscient. On ne
touche pas à la vie et à la mort de façon innocente. Quand on prend des décisions qui
conduisent à l'IMG, ça touche les familles, et, dans la tête du médecin, il arrive qu'il y ait des
jours où ça ne va pas fort, parce qu'il se passe des choses très difficiles. L'arrêt Perruche a été
une sorte d'alibi pour ces gens-là. Mais il y a des gens qui ont fait de la médecine ou de
l'échographie fœtale leur passion. Je crois que ceux-là n'ont pas arrêté parce qu'ils n'étaient pas
au fond du désespoir (et ce mot n'était pas trop fort concernant certains !). Ceux-là n'ont pas
touché le fond parce qu'ils ont été très soutenus par leur clientèle."
Quand l'arrêt Perruche a, en revanche, rencontré un malaise bien antérieur aux arrêts de la
Cour de Cassation, il a été, explique ce praticien, la "goutte d'eau qui a fait déborder le vase."
Ce serait donc simplifier à l'extrême le problème, que d'imputer la démission de nombreux
échographistes aux seules raisons financières.
Contestant ainsi que la jurisprudence ait été une menace grave pour les échographistes
bien formés, il insistera donc sur l'injustice constituée par une attribution erronée de
responsabilité, et sur les implications implicites des arrêts de la Cour en ce qui concerne
l'Interruption Médicale de Grossesse :
44
A distinguer du Collège Français d’échographie.
44
" La jurisprudence n'était pas angoissante pour nous. Des gens qui avaient fait une
formation de qualité, qui avaient un appareil correct, qui assistaient à des congrès, qui
prenaient le temps nécessaire pour faire un examen de qualité, n'avaient pas trop de risques
d'avoir des problèmes.
La difficulté c'est qu'on a le sentiment qu'au niveau judiciaire la justice devrait être un
tout petit peu plus juste. Or, pour les questions médicales, elle ne l'est pas.
Dans l'affaire Perruche, la maman n'était pas immunisée après le premier enfant qu'elle
avait eu. La faute véritable ça a été de ne pas vacciner la mère à la sortie de la maternité en
prévision d'un deuxième enfant. Le médecin qui aurait dû faire cette vaccination n'a jamais été
inquiété. A été inquiété le laboratoire, bien qu’il semble que les tests aient été discutables.
C'était une situation limite.
Pour ce qui est du médecin qui a interprété les résultats, de toute façon ils ne pouvaient
que déboucher sur l'Interruption Médicale de Grossesse. Or les enfants touchés par la rubéole
ne sont pas systématiquement handicapés. Très peu le sont. Alors dire qu'il faut se débarrasser
de tous les enfants touchés par ce virus n'est pas acceptable non plus. La justice n'a jamais parlé
du médecin qui était en faute. Or, quel que soit le dossier, on a ce genre d'aberration juridique.
Il y a des exemples d'autres procès concernant des enfants atteints de Trisomie 21, où les
médecins ont été jugés coupables, alors qu'à l'époque où ils ont fait des tests, ces derniers
n'étaient pas validés, ils étaient faits à titre expérimental. Maintenant qu'ils le sont, on accuse le
médecin qui n'a pu dépister à l'époque.
Je ne défends pas à tout crin mes confrères, il y a des gens qui font des bêtises, mais il y a
des médecins qui font leur métier dans les règles de l'art et qui sont condamnés. Ça ne veut pas
dire que les juges ne sont pas compétents, mais que les listes d'experts sont à refaire… On a
besoin de juges qui font appel à des experts solides, bien formés… Je ne demande pas à avoir
des tribunaux spécifiques pour les médecins, je demande à ce qu'on ait des experts compétents."
"L'affaire Perruche était une affaire qui comprend une part d’absurde quant au fond, ce
qui a pu conduire à un sentiment d’impuissance ou de révolte chez des professionnels. En effet,
le problème était qu’une rubéole congénitale n’avait pas été reconnue in utero, ce qui avait
privé la mère du droit d’avorter, et avait finalement conduit à la naissance d’un enfant hélas
gravement handicapé.
Mais s’agit-il d’une erreur de diagnostic d’un médecin fautif, d’une impossibilité de faire
un diagnostic liée directement à la médiocrité de nos outils, de l’échec d’une politique de
dépistage, ou d’un faux négatif du dépistage, acceptable en tant que tel ?
Je m’explique : à mon sens, nous sommes dans la problématique du dépistage (les signes
cliniques de la rubéoles sont vagues, parfois absents, et on cherche à reconnaître les cas dans la
population générale, en faisant des tests sanguins) et non de diagnostic (je consulte mon
médecin parce que j’ai des symptômes évocateurs…). Cette perspective de dépistage nous ferait
recadrer le débat, et poser la question : sommes-nous capables de reconnaître in utero les
rubéoles congénitales ? Est-ce l’objectif premier des tests de rubéole faits en début de
grossesse ?
Voici l’historique : dans les années 80, il est apparu qu'une prévention des Rubéoles
Congénitales Malformatives était possible : la vaccination. L'objectif de la sérologie en début de
grossesse (prise de sang pour rechercher des anticorps dont la présence témoigne du fait que la
femme a été en contact avec le virus) était de reconnaître les femmes non immunisées et de les
vacciner en suite de couche. Puis quand la sérologie était négative (femme non immunisée) on a
pris l’habitude de surveiller les prises de sang. L’apparition d’anticorps montre que la rubéole a
été contractée en cours de grossesse. On cherche alors à savoir, par amniocentèse ou
échographie, si le futur enfant a contracté la maladie …
45
Mais le bât blesse quand la rubéole a été contractée en tout début de grossesse. Si les
premières prises de sang sont faites, mettons à 2 mois et demi, ce qui est fréquent, elles
concluent que la femme est immunisée (ce qui est exact), parfois que l’immunité est “ ancienne ”
(mais que veut dire “ ancienne ” ? 3 semaines, 8 semaines ?). On est alors faussement rassuré.
Cette situation est loin d’être exceptionnelle. Cela semble avoir été le cas de l’affaire Perruche.
Est il facile d’éviter ces “ échecs ” du dépistage ? À mon avis non. En effet :
Premièrement, ce problème des limites du diagnostic n’est pas toujours clairement
enseigné dans les facultés de médecine et est peu évoqué dans les manuels.
Deuxièmement, ces erreurs sont fréquentes, et le nombre de cas “ manqués ” n’est limité
que par l’extrême rareté de la rubéole congénitale. L’incidence annuelle des infections
rubéoleuses en cours de grossesse recensées en France métropolitaine par le réseau RENARUB
(Réseau National de la Rubéole) est de 5,40 /100000 naissances vivantes en 1999 et celle des
Rubéoles Congénitales Malformatives (de type “ Perruche) est de 0,14 /100 000 naissances
vivantes45. En 2001, sur 15 cas de Rubéole Congénitale Malformative prouvée ou fortement
suspectée (pour environ 750 000 naissances), 6 ont été diagnostiqués chez le nouveau né, et
correspondent à autant d’affaires Perruche potentielles, 8 ont donné lieu à une Interruption
Médicale de Grossesse, 1 à une fausse-couche spontanée. Chez 3 fœtus examinés après
interruption de grossesse, on ne retrouvait pas de malformation et le statut infectieux du fœtus
était inconnu46. Hélas, il est possible que cette faible sensibilité 47 du dépistage ne puisse pas être
améliorée.
Dans les commentaires sur l'affaire Perruche, on a négligé le problème de fond qui est
qu’une énorme machine de dépistage n'a pas marché, et ne peut pas marcher à tout coup, car sa
sensibilité excède à peine 50 %."
De même, l'échographie est loin d'être infaillible même si, en France, elle est considérée
comme étant souvent de grande qualité. On comprend alors, après ces constats, combien peut
devenir aléatoire l'attribution de responsabilités, en cas de non-dépistage d'une anomalie.
Si plusieurs médecins ont présenté le risque médico-légal comme un risque inhérent à leur
métier et avec lequel ils ont appris à vivre, le sentiment d'injustice vis-à-vis de certaines
décisions judiciaires s'est manifesté à plusieurs reprises non seulement parmi les échographistes
mais aussi parmi les obstétriciens :
"On a eu ici un procès, explique ainsi une gynécologue obstétricienne chef de service
dans un hôpital de l'Ouest parisien, mais pas en échographie, en obstétrique. Suite à un
accouchement, la patiente a fait une hémorragie, et elle est décédée. Il y a eu une accusation
d'homicide involontaire. On a fait pourtant beaucoup de choses médicalement pour la patiente
qui a fait une hémorragie interne subite : elle semblait aller mieux, et elle a plongé d'un coup. Il
y a eu une erreur d'appréciation, mais en même temps, c'était très difficile d'apprécier. Quand
on n'est pas l'agent causal, on ne risque pas de peine de prison. Mais il faut satisfaire la
demande de la famille. Donc il y a peine symbolique, avec sursis et amnistie. Et s'il y a
dommages et intérêts, ça relève de l'assurance hospitalière. Je connais d'autres médecins qui
ont eu des procès de ce genre. Certains procès peuvent être une bonne chose quand il y a
vraiment faute. Mais à moins d'avoir par exemple refusé de se déplacer, c'est dur de se voir
refuser tout droit à l'erreur d’appréciation d’un cas clinique. C'est dur de s'entendre dire qu'on
a tué quelqu'un. De plus, actuellement, c'est jugé par des juridictions qui ne sont pas adaptées.
Certes, il y a des experts. Mais le juge n'a pas eu vraiment le temps de lire le dossier, il n'y
connaît rien, et c'est lui qui va rendre le jugement en jugeant dans la même séance le jeune qui a
volé une "mob", et un autre qui revendait de la "cam". Certes, il ne faut pas être jugé par ses
pairs, mais il devrait y avoir des juridictions plus performantes. Or, la loi anti-arrêt Perruche ne
45
Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, n° 29, 27 juillet 2001.
46
BEH n° 21, 20 mai 2003.
47
Sensibilité = pourcentage de malades identifiés par rapport au total des malades, ici 8/15.
46
change rien à cela. Les juges sont débordés. Ils ont une quantité de dossiers qui dépassent leurs
capacités."
À la crainte d'être jugé par des tribunaux incompétents dans le domaine médical, s'ajoute
parfois le sentiment d'une autre forme d'injustice liée à l'ingratitude des patients :
"J'ai sauvé une dame et elle a quand même porté plainte contre moi, raconte un chirurgien
gynécologue obstétricien exerçant en hôpital. Je sortais de garde, et je suis resté pour une dame
qui, une heure plus tard serait morte si je n'étais pas intervenu. Or, elle a eu une élongation à
l'épaule qui l'a empêchée de travailler pendant trois mois, et elle a porté plainte pour cette
raison. Si j'étais parti, j'aurais été accusé de non-assistance à personne en danger, je suis resté
et j'ai été accusé parce que je n'aurais pas dû être en service ! Quand on a fait tout ce qu'on a pu
pour sauver une vie et qu’on se retrouve accusé ainsi, on a du mal à y croire à nouveau".
Dans l'hôpital d'une autre grande ville de province, un gynécologue obstétricien évoque
également avec une certaine amertume l'exemple d'une femme sauvée en cours d'accouchement
grâce à l'acharnement de toute une équipe médicale. Elle a bien remercié les médecins de lui
avoir sauvé la vie, mais elle a tout de même porté plainte contre eux en raison des troubles
sphinctériens occasionnés par cet accouchement difficile !
Enfin, après avoir reconnu la pleine légitimité de certaines actions en justice visant des
médecins, le responsable du grand service de gynécologie obstétrique précédemment cité, qui a
précédemment expliqué les limites du dépistage de la rubéole, précisera ses propos en ces termes
:
"La chose que je trouve atroce, c'est le pénal. Autant la recherche des responsabilités
civiles me semble légitime autant l'inculpation d'homicide est insupportable. Je suis allé
témoigner à un procès de sage-femme qui était totalement innocente, elle était accusée
d'homicide. Elle était jugée entre un faux-monnayeur et un homme qui avait poignardé une
petite vieille.
C'était tombé sur le lampiste, elle a eu beaucoup de mal à surmonter cette histoire. C'était
tellement invraisemblable que 40 médecins ont témoigné en sa faveur. Elle a été finalement
acquittée, mais après 5 ans d'instruction."
En fait, plusieurs des témoignages recueillis montrent que les médecins hospitaliers ou les
médecins libéraux, échographistes comme obstétriciens se rejoignent dans la même inquiétude
concernant les arrêts de la Cour de Cassation qui leur imputent en somme la responsabilité de la
trisomie, de la rubéole ou des malformations congénitales. À ce titre, on comprend pourquoi le
Président du Syndicat des échographistes estime que les hospitaliers sont déontologiquement
tout aussi concernés par les arrêts de la Cour de Cassation que les médecins libéraux. Les trois
témoignages qui viennent d'être mentionnés émanent d'ailleurs de trois médecins hospitaliers.
3.1.4 Davantage d'arrêt de l'échographie fœtale dans le secteur privé que dans le
secteur public
Reste que, dans les faits, ce sont principalement les échographistes exerçant en secteur
libéral qui, plus exposés professionnellement que leurs collègues hospitaliers, ont cessé cette
activité non seulement en raison d'une augmentation des primes d'assurance bien davantage
perceptible dans le privé que dans le public, mais aussi parce que ces derniers se sentent
davantage protégés par la structure hospitalière dans laquelle ils travaillent. Plusieurs
témoignages rendent compte de ces deux différences entre pratiques hospitalières et pratiques
libérales.
"Les augmentations des assurances touchent essentiellement les gens du privé, explique
ainsi une gynécologue obstétricienne travaillant dans un hôpital de la banlieue Est de Paris. À
l'hôpital, nos assurances ont un peu augmenté. Mais s'il y a plainte, c'est l'hôpital et le chef de
service qui vont aller au procès. Ce n'est que si les gens portent plainte directement contre nous,
que notre assurance personnelle va devoir être mise en jeu. Or, les gens portent généralement
47
plainte contre X, comme le conseillent les avocats. En effet, ça touche un maximum de gens,
donc il y a plus de chances d'obtenir quelque chose. C'est donc l'hôpital qui est attaqué, et il
faudrait que le chef de service considère que vous ayez fait une faute détachable du service48
pour qu'on ne soit pas couvert par l'hôpital. Donc, nos assurances personnelles ont un peu
augmenté, mais d'une façon tout à fait raisonnable. Mais les collègues du privé ont des
assurances qui ont augmenté de façon extrêmement importante. On a des collègues,
gynécologues obstétriciennes de formation, qui faisaient en ville des échographies à leurs
patientes qui venaient ensuite chez nous au 7ème mois de la grossesse. Or, ces collègues en
secteur 1 ont eu une augmentation telle de leurs primes d'assurance qu'elles ont arrêté."
Ces propos sont confirmés par une sage-femme échographiste, dans un hôpital de l'Est de
la France :
"Je n'ai pas eu d'augmentation de mon assurance parce que je pratique à l'hôpital. Or, le
milieu hospitalier a été beaucoup moins touché que le milieu libéral. Chez nous, pas grand
monde ne parlait de Perruche. La responsabilité est totalement différente. On a l'impression
d'avoir une responsabilité partagée. Les gens se sentent moins vulnérables que dans le privé."
48
Le praticien ayant par exemple refusé de se déplacer alors qu'il était de garde à son domicile, ou étant
arrivé en état d’ébriété.
48
duré presque trois ans. Ça n'a pas été facile, mais avec le recul, ça m'a vacciné. Je sais que
j'aurai d'autres plaintes dans ma carrière car on peut rater des choses, mais cela ne m'inquiète
plus."
Même touchés par un procès, les médecins très expérimentés et réalisant de nombreuses
échographies n'ont donc pas pour autant décidé de cesser leur activité : "Ce ne sont pas, dans
cette ville, les gens directement touchés qui ont arrêté. Ceux qui ont abandonné, ce sont des gens
qui faisaient peu d'échographie et qui se sont retrouvés avec une rentabilité trop faible entre la
prime d'assurance qui a considérablement augmenté, (pour ce praticien, elle a été multipliée par
trois) et le matériel à investir qui est très coûteux. Il y a deux genres d'échographistes : ceux qui
en font peu et ceux qui sont des référents et qui en font beaucoup : ces derniers n'ont pas
arrêté." Et si ce généraliste reconnaît que l'arrêt de la spécialité peut avoir été un phénomène
favorable lorsqu'elle était exercée par "des gens qui ne travaillaient pas bien", il juge que cet
arrêt a eu pour raison essentielle la non-rentabilité d'une activité devenue désormais incapable de
faire face à la conjonction d'investissements coûteux et de primes d'assurances importantes, et
non la crainte d'actions en justice due à une éventuelle incompétence : "J'avais beaucoup de
relations avec des gynécologues qui faisaient de l'échographie, précise-t-il. C'étaient des gens
qui avaient une formation considérable, qui avaient renouvelé leur machine, qu'on voyait
beaucoup dans les congrès, qui se formaient beaucoup," et pourtant, ils ont arrêté leur pratique.
"C’est sûr qu'il y a eu un avant et un après Perruche. Avant il y avait beaucoup de gens
qui faisaient de l’échographie obstétricale. Après, il n’y en a plus eu beaucoup qui ont continué
à en faire en ville. Par exemple, dans notre ville proche de la région parisienne, il y avait à peu
près 50 % de gynécologues obstétriciens qui faisaient de l’échographie, 50 % qui n'en faisaient
pas. Au niveau des radiologues, 80 % faisaient de l'écho, avant Perruche.
Actuellement, 10 % des radiologues font encore de l’échographie, et en gynécologie
obstétrique il n'en reste plus que quatre dans le département, sur une trentaine de praticiens.
Pour ce qui est de l'échographie exclusive, on était trois à en faire. Pour ma part, je suis
passé de 60 % d'échographie obstétricale (contre 40 % pour le reste qui était surtout de la
gynécologie mais également de la pédiatrie), à 99% . Mon associé fait 70 % d'obstétrique, mon
dernier confrère qui n'a pas voulu rentrer dans le système ne fait que 30 % d'obstétrique et a
éliminé absolument toutes les grossesses à risque (il refuse, par exemple, de suivre une
grossesse gémellaire)."
Quel que soit le motif du désintérêt ou du désinvestissement médical vis-à-vis de
l'échographie obstétricale et même de l'obstétrique en général, plusieurs professionnels ont de
toute façon insisté sur le fait que le renouvellement de leur profession n'était plus du tout assuré.
Le remplacement des médecins échographistes libéraux partant en retraite dans les années
qui viennent est présenté comme impossible :
49
"Si l’Arrêt Perruche n’avait pas été rectifié sur le plan législatif j’aurais arrêté, assure un
médecin qui essaye pourtant de pallier les démissions de ses collègues dans une ville proche de
la région parisienne. C’est clair, c’était la fin de l’échographie, mais aussi celui de la médecine
tout court si on continuait d'imputer ce niveau de responsabilité aux médecins. Les chirurgiens
n’auraient plus voulu opérer, les anesthésistes n’auraient plus voulu endormir etc, …
Pour vous donner un exemple, mon enfant a eu un orteil cassé : l'anesthésiste a fait signer
un cahier de 25 pages sur les risques encourus…Toute médecine était concernée, mais pour ce
qui est de l'échographie, je fais une formation pour les jeunes médecins. Quand je discute avec
les jeunes générations d'internes, je n'en trouve aucun qui veut se spécialiser en échographie.
L'avenir, il n'y en a pas. Les échographistes ce sont des gens qui ont globalement plus de 45 ans.
Dans quinze ans, il n'y en aura plus."
"Dans le contexte actuel, vous pouvez le marquer en gros, il n'y a pas de successeurs",
insiste un autre médecin généraliste diplômé d'échographie, exerçant dans une ville proche de la
région parisienne très touchée par l'arrêt de cette activité. Les décisions qui pourraient être
prises par le Ministre de la Santé aujourd'hui n'auraient d'effet que dans quinze ans. Comment
trouver des jeunes qui sauront qu'ils seront épuisés le soir, qu'ils n'auront pas de remplaçant
pour prendre des vacances, qu'ils seront endettés pour des sommes très importantes, et qu'ils
pourront avoir des procès ? Les radiologues ne reviendront plus à l'échographie de grossesse.
Les gynécologues n'ont plus, paraît-il, les enseignants pour les former. Quant aux généralistes
comme moi, ça c'est non ! Les jeunes ne vont pas se lancer là-dedans. C'est beaucoup trop
dangereux, surtout dans la mesure où on manque déjà de généralistes partout. Or, un
généraliste aura un patient toutes les dix minutes, à 20 euros la consultation, ce qui fait 120
euros par heure, contre 70 à 80 euros pour les échographistes. À cela s'ajoute qu'ils ont
essentiellement pour matériel une table roulante, alors qu'il nous faut investir des sommes
considérables pour le matériel."
"Quelle que soit la durée de l'examen, sa difficulté, la cotation est toujours la même,
explique de son côté une généraliste, échographiste exclusive dans l'Ouest de la France. Par
exemple, on a de plus en plus de femmes obèses pour lesquelles des collègues ne veulent pas
faire d'échographie. Ils nous les envoient." Et ce faisant, ces examens difficiles qui prennent
beaucoup de temps font baisser les revenus des médecins généralistes ! Certains d'entre eux
déplorent que les échographies faites par les médecins sont moins cotées que celles réalisées par
des sages-femmes : "L'échographie faite par une sage-femme est cotée un tiers de plus qu'un
examen fait par un médecin", explique la même praticienne. Cette inégalité de traitement
provoque un mécontentement d’autant plus légitime que c’est le médecin qui, en cas de
problème, sera légalement responsable :
"Les médecins ont les cheveux qui se hérissent quand les patients vont voir une sage-
femme qu'ils payent plus cher que le médecin spécialisé en échographie qu'ils vont voir ensuite
pour un second avis," déclare un gynécologue obstétricien exerçant en secteur hospitalier.
Insistant sur les difficultés rencontrées par ses collègues, un ancien radiologue converti à
l'échographie obstétricale exerçant principalement en secteur libéral témoigne donc en des
termes particulièrement alarmants :
"Ça fait plus de dix ans que nos tarifs sont bloqués. Pas une seule profession n'accepterait
ça. Si nous l'acceptons, c'est parce que nous nous sentons au service des autres, pas par l'appât
du gain. Je travaille de 8 heures à 21 heures, en ne mangeant que deux oranges le midi49. Je
connais deux ou trois échographistes qui passent leur vie dans leur cabinet. Un de mes amis
49
Lors de notre enquête, nous avons effectivement rencontré assez souvent des médecins, même
hospitaliers, qui ne prenaient pas le temps de déjeuner le midi.
50
prend des rendez-vous le dimanche matin50. On est soumis à une pression importante des gens
qui n'arrivent pas à obtenir de rendez-vous. On leur dit d'appeler la Préfecture…Moi, je lutte
pour que des collègues acceptent de faire du dépistage, de retravailler. On leur fait des
formations, car c'est une catastrophe nationale. On ne peut pas sérieusement penser que, dans
la région, le dépistage va être le fait de trois ou quatre personnes en Gironde, alors qu'il y en
avait une cinquantaine autrefois qui pouvaient faire une échographie de dépistage et nous
adresser, <à nous les spécialistes> en seconde intention, les cas qui posaient problème. On ne
peut pas imaginer que le dépistage anténatal va être fait par seulement deux à trois personnes
dans notre ville… On a une centaine de milliers de grossesses à gérer tous les ans. On ne va pas
y arriver. C'est une catastrophe nationale. "
L'exercice de l'échographie semble donc fortement compromis dans certaines régions, et
les conséquences pour la Santé Publique en sont prévisibles :
"On ne peut plus travailler en réseau comme on devrait le faire pour savoir quels sont les
examens raisonnables, explique le Président du Syndicat des échographistes de France. Pour les
patientes à bas risque, il n'est pas sûr que certains examens soient très efficaces. Certains
examens sont parfois trop sophistiqués. L'idéal est donc de travailler en réseau. Or, nous ne
pouvons pas toujours le faire. De plus, comme les échographistes exclusifs et très spécialisés
sont amenés à faire tout, il ne sont plus aussi disponibles aux grossesses à risque".
50
De fait, de nombreuses interviews de médecins libéraux ont été faites le soir tard (après 21 heures) ou
le dimanche.
51
Il s'agit de manipulateurs en radiologie spécialisés en échographie.
51
alors, c'est la création d'un autre métier. Dans ce qui est projeté de faire aujourd'hui, la
responsabilité n'est pas au manipulateur de radiologie. Il faut un médecin qui le supervise. Or,
ce n'est pas évident de donner à l'un la responsabilité, à l'autre, la pratique. Aux Etats-Unis, le
taux de diagnostic est beaucoup moins bon qu'en France", conclut la praticienne en accord sur
ce point avec tous les médecins interrogés sur l'éventualité d'une reprise de l'échographie par la
profession des manipulateurs de radiologie.
L’installation insidieuse d'une situation inégalitaire est évoquée par plusieurs praticiens
qui y sont déjà confrontés :
"Pour le moment, on peut parler très clairement d'inégalité d'accès à l'échographie. Les
médecins qui continuent sont complètement engorgés. De ce fait, certains se déconventionnent :
pourquoi rester avec la Sécurité Sociale ? En étant conventionné, les rendez-vous sont obtenus
avec deux mois de délai alors que si on n'y est pas, les délais sont d'un mois seulement.
Dans les zones rurales ou semi-rurales, c'est sûr qu'il y a une inégalité. Tout le monde n'a
pas envie d'aller dans la ville ou le département voisin.
L'inégalité est à deux entrées : géographique et par le risque de sélection financière. La
plupart des praticiens font un dépassement d'honoraires inévitable. D'autant plus que, jusqu'en
1989, les médecins pouvaient choisir s'ils voulaient exercer en secteur 1 <remboursé par la
Sécurité Sociale> ou en secteur 2 où les honoraires sont libres. C'était un genre de prime à
l'ancienneté. En 1989, cette possibilité a été bloquée pour soi disant trois ans. Etant donné la
démographie médicale, les médecins arrivaient tous à un âge où ils passaient en secteur 2, la
Caisse d'assurance maladie a donc bloqué cette possibilité de choix pour que tous les
spécialistes ne se retrouvent pas en secteur 2. Mais de ce fait, beaucoup de praticiens ont
bifurqué sur d'autres versants d'activité."
Parce que les uns font donc des dépassements honoraires en raison des motifs qui viennent
d'être évoqués et que les autres ont arrêté leur pratique, l'égalité d'accès à l'échographie n'est plus
assurée.
Plusieurs praticiens ont pu décrire concrètement la façon dont cette inégalité est en train
de se mettre en place. Ainsi, le chef de service d'un hôpital du Sud-Est parisien accueillant des
patientes des banlieues les plus défavorisées de Paris constate :
"Dans le département de Seine-Saint-Denis, il n'y a quasiment plus d'échographistes
privés. On se dit que les femmes vont se plaindre… Mais non ! Ce n'est pas cette population qui
va descendre dans la rue en disant qu'il n'y a plus une bonne qualité de soins. C'est donc ni vu ni
connu. Par contre, les femmes des quartiers chics de Paris continueront à bénéficier des
échographies ! Les délais pour obtenir des échographies sont devenus très longs. Ils sont de
52
deux mois. Logiquement, il y a donc beaucoup de femmes qui ne vont plus avoir d’échographie
de dépistage pour la mesure de la nuque par exemple. 52
Une collègue a envoyé une lettre au Ministre de la Santé. Elle dit que cela fait 25 ans
qu'elle exerce, et qu'elle est obligée de fermer son cabinet, sinon elle devrait travailler jusqu'à
22 heures. Elle a trois enfants qui font des études. Elle n'en peut plus. Elle veut alerter les
pouvoirs publics et l’opinion sur ce problème, bien qu'elle se soit entendu dire : tu abandonnes
les populations pauvres.
Moi, je forme des gens mais il faut dix ans pour former quelqu'un au meilleur niveau. On
dit au gouvernement de faire un signe pour nous aider car le dépistage prénatal va disparaître
pour les populations pauvres. Il n'y a plus de dépistage de masse comme avant. Les populations
qui n'ont plus les moyens financiers et intellectuels ne pourront plus être suivies. "
Cette praticienne décrit la mise en place d'une inégalité croissante sur le plan de la prise en
charge de la grossesse, inégalité dont la judiciarisation n'est pas estimée être la seule cause, mais
un facteur aggravant :
"Ceux qui en ont la capacité financière et intellectuelle savent que l'échographie doit être
faite à 12 et à 33 semaines53. S'ils ne trouvent pas de rendez-vous tout près, ils sont capables
d'aller téléphoner et de prendre un rendez-vous dans un cabinet parisien, ou d'insister… Mais si
vous avez quelqu'un qui parle mal français, qui est en situation irrégulière, qui a la CMU
(Couverture Maladie Universelle), si ce n'est l'Aide Médicale d'Etat ou encore rien du tout, ce
sera très différent. Je trouve que la situation matérielle et sanitaire se dégrade énormément
depuis à peu près 98-99. On a beaucoup de populations en situation de grande précarité,
réfugiées d'Afrique notamment. Nous avons à peu près 20 % des patientes en difficultés
étiquetables : à peu près 6 % n'ont aucune couverture sociale et ne peuvent pas en avoir pour
l'instant parce qu'elles n'ont aucun droit, 7-8 % qui sont à l'Aide Médicale d’Etat et 7-8 % des
gens qui sont à la CMU. Après vous avez des gens qui ont la Sécurité Sociale, mais dont les deux
membres du couple sont au chômage. Ils ne sont pas en précarité sur le plan administratif, mais
ils le sont sur le plan social. La Sécu, ça ne résout pas tout. Or, ces gens-là ne feront pas les
démarches voulues. Depuis 2002, on recommence à avoir, parmi les françaises elles-mêmes, des
grossesses non suivies. Quelquefois, pour des grossesses précédentes, les femmes se sont fait
suivre normalement, et là, devant la difficulté à obtenir un rendez-vous, (puisqu'il y a plein de
gynécologues et de gynécologues obstétriciens qui partent en retraite, les généralistes qui ne
52
La mesure de la nuque est un des premiers moyens de dépistage d'éventuelles anomalies (trisomie 21,
par exemple).
53
Nous retrouverons exactement la même analyse dans la bouche d'un échographiste travaillant en secteur
libéral dans une ville de province de moyenne importance : "Ceux qui prennent bien en charge leur vie de
façon habituelle, nous dira-t-il, prennent des rendez-vous à l'heure qu'il faut. Ceux qui ont des difficultés,
ce sont évidemment des gens qui sont en détresse. Ce sont les plus démunis qui se retrouvent lésés comme
d'habitude".
53
prennent pas beaucoup le relais parce qu'ils ne sont pas formés à suivre les grossesses, les
centres de PMI (Protection Maternelle Infantile) qui sont débordés) elles préfèrent attendre. On
leur dit : "On ne peut vous prendre en charge sauf problème particulier, il faut que vous alliez
voir votre médecin traitant". Elles n'ont pas d'argent pour le médecin, donc elles ne font rien. Et
l’on commence à avoir une recrudescence de femmes qui arrivent avec une grossesse non suivie.
Les 30 % d'arrêts de médecins du secteur privé ne peuvent qu'aggraver le problème."
Ce sont d'abord les considérables difficultés dues à l'afflux de populations privées de tout
droit qui sont présentées comme étant la cause de cette fâcheuse situation :
"Il y a des problèmes de barrière linguistique. On fait intervenir des traducteurs. Mais
c'est coûteux. Nous avons beaucoup de gens du voyage, venant de Yougoslavie, du Sri Lanka, du
Pakistan. On a des femmes qui arrivent à terme juste pour accoucher. En plus, on est près de
Roissy, il y a la "zone d'attente" dont l'hôpital est responsable. Quand il y a des femmes
enceintes, elles viennent ici. Ce sont des gens qui sont en situation irrégulière. Il n'y a aucune
couverture sociale. Elles arrivent de leur vol, sont en situation irrégulière et sont mises dans la
"zone d'attente". Ces personnes sont prises en charge par des associations, ou elles repartent
vers leur lieu de provenance".
Avec ou sans la judiciarisation, les problèmes sociaux sont ici considérables, mais la
cessation de la pratique de l'échographie par les praticiens exerçant en ville est présentée comme
un facteur d'inégalité supplémentaire :
"Les gynécologues ne font plus d'échographie parce qu'on leur demande plus de 9000
euros d'assurance par an54. Ça reste le point le plus catastrophique. Ceux qui ont arrêté n'ont
donc pas repris après la loi du 4 mars 2002.
Il y a des échographies morphologiques faites par des collègues extrêmement
compétents, qui coûtent cent cinquante euros (dont un tiers seulement est remboursé). Il y a
donc inégalité d'accès à l'échographie."
"C'est évident que l'arrêt Perruche a eu des conséquences extrêmement péjoratives sur
le fonctionnement de nos services", affirme donc cette obstétricienne.
Sur le plan de l'organisation, précise-t-elle, se surajoutait déjà une restructuration
complète du travail des médecins qui prennent des gardes et qui doivent avoir désormais un
repos de sécurité post garde, ce qui fait que les gens suppriment des consultations. Ce qui
diminue les taux d'échographies qu'on pratiquait normalement. À cela, s'est rajouté le problème
des échographistes de ville qui ne veulent plus faire d'échographie morphologique. Il y a eu
pour nous un surcroît d'activité.
On essaie de préserver les consultations d'échographie pour les patientes suivies chez
nous. Et si des patientes viennent de l'extérieur, ce sont des délais d'un mois et demi à deux
mois, voire l'impossibilité de la faire."
Le médecin généraliste spécialisé en échographie dans une ville proche de Paris décrit à
son tour la situation spécifique dans laquelle se trouve sa région :
"Tous les arrêts de l'échographie obstétricale posent des problèmes au niveau des
femmes, dit-il : toutes les femmes enceintes ne trouvent plus de possibilité de faire des
échographies et environ 10 % d'entre elles sont obligées d’aller dans une autre ville (à Paris ou
54
Le chiffre avancé ici varie en fonction des témoignages. L'assureur rencontré nous a effectivement
expliqué que les tarifs de la prime d'assurance variaient en fonction du type d'activité, de son intensité, du
matériel utilisé, de la formation du praticien, des précédents judiciaires etc…
54
dans une ville universitaire)" . "En conséquence, il y a sûrement des femmes qui ne sont pas
suivies", reconnaît ce médecin quand nous lui demandons de préciser les effets de cette pénurie
dans le suivi des grossesses.
Il précise : "on est obligé de mettre des critères de sélection des dames, on refuse des
rendez-vous parce qu’on ne peut pas fournir. En moyenne, je fais 20 à 22 examens par jour et
nous en refusons une quinzaine… Sur ces quinze femmes, certaines trouvent la possibilité d'aller
chez des confrères, d'autres vont à Paris, ou renoncent à l’échographie. On a mis comme critère
de suivi, en dehors des deuxièmes avis pour des pathologies particulières, de ne plus prendre de
grossesses en cours de route. Or, certains confrères radiologues font de temps en temps encore
la première échographie, mais refusent de faire l'échographie morphologique, parce que c’est
trop risqué."
Dans ce cas, toutes les femmes n'auront plus les moyens de pousser plus avant les
investigations et apparaît ici une inégalité flagrante dans l'accès à l'échographie.
"Les femmes socialement favorisées et intellectuellement plus formées ont l’information
et, dès qu’elles ont trois jours de retard de règles, elles prennent rendez-vous. Mais,
actuellement, on est à plus de deux mois dans les délais de rendez-vous, même en gardant des
places pour les urgences, on sature… Comme l'hôpital ne peut pas non plus absorber tout cela
parce qu'ils ne sont pas non plus très nombreux, la saturation est manifeste. Avec l’hôpital, nous
constituons les deux gros pôles de la région. Nous faisons 60 % des échographies. Après, les
gens vont où ils peuvent...
Quelques gynécologues envoient faire les échographies à Paris ou dans une ville ayant
une capacité d'exercice plus importante.
Certaines patientes de province sont envoyées à Paris, parce que ici, c’est à une heure
de train, mais ça peut être une autre ville proche. Mais la nôtre, qui n'est pas une ville
universitaire, est particulièrement en situation de crise parce que nous n'étions déjà pas
nombreux. Les villes moyennes sont plus touchées que les villes universitaires."
de se dire que 80 % des échographistes étaient des libéraux… il y avait des gens très pointus en
échographie qui ont arrêté, à part quelques exceptions. Tout cela conjugué, il n’y a pas
beaucoup de gens qui envisagent désormais de faire leur carrière sur l’échographie."
"On part sur une médecine à deux vitesses s’il n’y a pas un grand coup de barre, conclut
donc ce médecin, comme plusieurs de ses confrères. Cela dit, je ne voudrais pas être à la place
du Ministre de la Santé, car il y aura des choix à faire… Je ne vois pas de solution miracle. Moi,
je ne ferai pas machine arrière sur mes tarifs."
Un ancien radiologue reconverti à l'échographie exclusive dans une grande ville du Sud,
et travaillant pourtant en secteur 1, refuse pourtant encore de dépasser ses honoraires tout en
estimant ce dépassement pleinement justifié étant donné la faible rémunération de l'acte
d'échographie obstétricale, et la différence considérable de salaire entre échographistes et
radiologues :
"Moi, je suis installé en secteur 1. Je ne dépasse pas mes honoraires. La plupart des
gens sont, soit en secteur 2, soit en dépassement exceptionnel, vivement encouragé par les
Syndicats. Car effectivement, les tarifs de l'échographie sont, je pèse mes mots, humiliants. On
n'a plus les moyens de remplacer les machines, et si on n'a pas les moyens de faire un travail au
top niveau, nos diagnostics vont en pâtir à très brève échéance. Moi, j'ai deux machines qui vont
venir à échéance dans un an et demi, et je ne pourrai pas remplacer ces machines par des
machines du plus haut de gamme. Et ce n'est pas parce que je veux conserver des revenus
scandaleusement élevés. En secteur 1, il est impossible de dépasser 4000 à 4500 euros par mois
avant impôts. Il faut des machines coûteuses, du temps pour faire les échographies, taper les
comptes rendus, etc, etc, … En secteur 2, on peut tourner autour de 1000 à 1500 euros de plus.
Mes amis radiologues rigolent. Ils me disent : si tu étais radiologue comme nous, tu gagnerais
15 à 18000 euros par mois…"
On comprend que, dans ces conditions, la profession d'échographiste soit, parmi les
professions médicales, peu attractive financièrement.
L'abandon de cette échographie sera même évoqué comme une solution possible à la
crise, au niveau national. Or, un échographiste exerçant en secteur libéral remarque à ce propos :
"Avec la troisième échographie, il arrive quand même assez régulièrement de dépister
des anomalies qu'on n'a pas vues avant, soit parce que c’était impossible, soit parce qu'on est
passé à côté.
Je sais qu'il avait été envisagé de supprimer la troisième. Et un très grand pédiatre de
Paris est intervenu auprès du Ministère en disant : "un tiers des transpositions des vaisseaux est
dépisté au troisième trimestre. Si vous la supprimez, vous aurez la responsabilité de ces morts-
là"."
Quoi qu'il en soit, et quelle que soit l'utilité de cette troisième échographie, il est certain
que les femmes de milieu favorisé qui souhaiteront y recourir pourront toujours l'obtenir, tandis
que les femmes socialement défavorisées ne pourront y accéder.
3.1.8 Davantage de naissances d'enfants trisomiques 21 dans les milieux défavorisés ou issus
de l'immigration ?
" Je fais partie d'un groupe de réflexion assez restreint et récent qui émane des Centres
d'Action Médico-Sociale (où sont notamment suivis les enfants atteints de trisomie 21)." Cette
gynécologue-obstétricienne et échographiste a fait le choix, après avoir travaillé dans un hôpital
accueillant une clientèle plus riche, de venir exercer dans un hôpital où la population concernée a
des difficultés d'accès aux soins. Elle s'alarme : "Il apparaît, par rapport à une population
contrôle, que les enfants trisomiques 21 nés vivants sont, de façon très dominante, nés dans des
familles très défavorisées, en situation de grande précarité ou étrangères. On en est maintenant
à la deuxième phase d'interrogation : Pourquoi ? Est-ce que c'est un problème de choix culturel,
un problème d'accès aux soins, ou encore un problème de compréhension des soins je n'ai pas la
réponse".
"En étant ici, explique alors cette praticienne soucieuse des inégalités de traitement entre
les femmes, j'ai mis en place aussitôt quelque chose qui vise à recueillir la position des femmes,
si possible tôt dans la grossesse. Je vois à peu près toutes les femmes âgées, toutes les femmes
de la maternité qui sont en position de risque. On leur propose les stratégies classiques, on les
leur explique largement, et ensuite j'essaie de noter si elles y adhèrent et pourquoi. C'est encore
très sommaire, mais ce qui ressort en première approche c'est : une fois que les femmes ont
accès à tous les outils et qu'on leur explique la démarche, elles ont globalement toutes les
mêmes soins, qu'elles soient du XVIIe arrondissement ou d'Afrique."
"Il y a toute une part de patientes qui font confiance à la vie et qui disent : "on verra
bien". Elles sont d'ailleurs assez sensées ces femmes-là, explique cette obstétricienne. Ça nous
pousse dans nos retranchements par rapport à la médecine prénatale. Pour une malformation
létale ou très grave menant à la mort, c'est exceptionnel qu'elles aillent vers l'interruption de
grossesse, alors que dans d'autres hôpitaux parisiens où j'ai travaillé, c'était le cas. Elles vont
aller vers la naissance de l'enfant et dire : "Inch Allah". On en est là de nos observations, ce
n'est pas chiffré. Mais empiriquement, je pense que c'est juste ce que je vous décris là.
Je suis en train de mettre en place une réflexion sur la prise en charge spécifique pour les
femmes étrangères concernant la fertilité, le diagnostic prénatal, l'accouchement. Il y a ainsi
une façon de voir les menstruations dans le Berry, dans le VIIème, dans le XVIIe
arrondissement, chez l'africaine qui vient de Tombouctou qui n'est pas du tout la même. C'est
sur tout cela qu'il faut qu'on réfléchisse parce que je crois que nos systèmes de soin sont
totalement inadaptés à cette diversité."
Cette gynécologue décline alors les aspects de cette inadaptation tant sur le plan des
moyens d'information que sur celui de la difficulté à prendre en considération des formes de vie
et d'action totalement différentes des nôtres :
"On a des outils qui sont complètement inadaptés, basés sur l'écriture en français.
L'écriture, ce n'est déjà pas tout le monde, mais en français, c'est encore moins de monde. On a
des outils qui sont de plus basés sur des concepts et des raisonnements qui nous sont très
proches, qui reposent sur un référentiel culturel qui n'est pas du tout celui de femmes de
Tombouctou par exemple. C'est très intéressant de voir la stupéfaction des femmes face à des
propositions d'interruption de grossesse… Au début j'étais très maladroite en arrivant ici,
puisqu'on a un peu tendance à en venir à une discussion d'IMG devant des pathologies
extrêmement lourdes. Je me suis alors retrouvée à plusieurs reprises devant la stupéfaction des
femmes qui ne comprenaient même pas de quoi je pouvais bien leur parler, et qui me disaient :
"mais enfin, vous parlez bien de l'enfant que je porte ? Vous n'imaginez quand même pas…" Il
57
s'agit là de femmes intelligentes qui parlent bien, qui comprennent, et qui pour autant ne suivent
pas du tout le raisonnement qu'on peut suivre."
De façon très significative quant à l'état de la réflexion sur le diagnostic prénatal chez
plusieurs praticiens rencontrés, loin d'en conclure à la nécessité d'"éduquer" ces femmes pour les
convertir à nos façons de voir, cette obstétricienne poursuit au contraire dans les termes suivants
:
"Ça a eu pour première conséquence immédiate de faire changer complètement mon
discours, y compris d'ailleurs avec des patientes plus habituelles en laissant encore beaucoup
plus venir qu'avant. Alors que je pense que je faisais déjà partie de ceux qui laissent venir. Je
pense qu'on est très interventionniste, très agressif dans notre façon d'appréhender le diagnostic
prénatal. On fait coller au fer à repasser ce qu'on a appris et on est loin de la pensée des
femmes… Ça me frappe, même vis-à-vis de populations plus classiques. Ça m'a beaucoup fait
évoluer. La position des médecins influence considérablement les femmes du XIXe
arrondissement. Beaucoup moins les Africaines !
Il y a chez elles une résistance passive très intéressante : elles vous regardent et se
disent : "Cause toujours"… On n'arrive à la discussion que si on plonge un peu dans leur
univers. On leur fait comprendre qu'on ne parle pas d'Interruption de Grossesse pour
commencer. On parle de l'accueil de l'enfant.
Se font alors sentir les différences bien au-delà du seul problème du dépistage des
anomalies :
"On sent qu'il n'y a pas chez toutes les femmes la même approche de la fausse-couche, de
la fertilité, de l'infertilité… On a beaucoup de choses à penser autour de cela. Ça nous oblige à
réfléchir à nouveau à ces techniques pour la population traditionnelle. Et cela nous oblige à
modifier un peu notre façon de voir les choses de façon moins agressive, de façon plus
humaine."
Mais c'est évidemment en cas de dépistage d'une déficience chez l'enfant à naître que se
font probablement sentir les différences de la façon la plus sensible, et c'est surtout à ce propos,
en tout état de cause, que le médecin est appelé à réexaminer ses habitudes et ses relations avec
les patients avec le plus de délicatesse, s'il veut établir une relation de qualité avec eux :
"Ce que les femmes manifestent face à une proposition d'Interruption Médicale de
Grossesse, c'est vraiment de l'étonnement. Elles sont stupéfaites, certaines sont blessées, mais
comme on est quand même rarement violents, elles disent :"Mais qu'est-ce que vous pouvez
imaginer que je peux faire ?" L'IMG, c'est une hypothèse qui n'est même pas envisagée. Ce que
je n'ai pas encore très clairement en tête, c'est de savoir si c'est directement lié au niveau
d'éducation."
Dans la mesure où l'avortement pour cause de détection d'anomalie fœtale est rarement
choisi, l'impossibilité pour de nombreuses patientes d'obtenir des échographies de qualité justifie
qu'on parle ici d'inégalité d'accès aux soins et non pas prioritairement d'inégalité d'accès aux
techniques de sélection des naissances. Est alors particulièrement saisissante l'énumération des
difficultés liées, dans ce secteur défavorisé, à l'arrêt des échographistes pratiquant cet examen en
ville :
58
"L'impact de l’arrêt Perruche sur la décision des patients, ici, c'est zéro : il n'y a pas de
procès pour erreur de diagnostic prénatal. On peut observer une judiciarisation qui monte en
cas de problème à l'accouchement y compris dans les familles étrangères ou défavorisées. Les
gens n'ont pas d'argent, et quand ils ont un moyen d'en gagner un peu, ils peuvent chercher à en
avoir par ce moyen. Il peut donc exister des médecins inquiétés pour des problèmes
d'accouchement, mais pas pour un diagnostic prénatal. "
La chef de service de la maternité d'un hôpital de Seine-Saint-Denis dont nous avons déjà
mentionné les propos confirme de son côté la prévalence des plaintes pour raison obstétricale,
mais ajoute que les procédures dues à une erreur de diagnostic prénatal ne sont pas inexistantes,
quoique moins fréquentes, dans l'hôpital dont elle dirige la maternité :
"On a ici un dossier pour un handicap post accouchement, mais on en a également eu un
pour un syndrome poly malformatif non diagnostiqué avant la naissance. On a également eu un
problème avec un couple qui a refusé l'Interruption Médicale de Grossesse. La femme a été
césarisée. L'enfant est décédé peu de temps après. Le couple a dit : "Si on avait su la gravité des
choses, on aurait fait une IMG.""
Le recours à la voie judiciaire peut être encore plus tentant pour des populations
précarisées qui voient en elle un moyen d'obtenir quelques subsides, que pour des familles
bénéficiant de conditions de vie plus confortables :
"On voit ici une augmentation considérable du nombre de femmes voilées. Même avec des
burkas. Ça pose des problèmes dans la mesure où ces patientes ne veulent voir que des femmes
médecins. C'est possible pour les consultations ordinaires, mais pour l'accouchement ou les
consultations d'urgence en gynécologie, c'est l'équipe de garde qui va prendre en charge la
femme. Il n'y a pas un nombre croissant de gynécologues femmes. On ne va pas appeler à trois
heures du matin une femme parce que c'est un homme qui est de garde. Les soins sont les mêmes
pour tout le monde. Donc, ça nous pose des problèmes majeurs. S'il y a des refus de soins,
certaines vont jusqu'au bout du risque encouru, et d'autres vont malgré tout ensuite faire des
récriminations. Si on fait signer de plus en plus des refus de soins, c'est bien pour se préserver.
Nous avons l'épée de Damoclès du médico-légal en permanence au-dessus de nos têtes. Pendant
un moment, la secrétaire photocopiait des dossiers tous les jours pour des problèmes
d'obstétrique."
Dans les secteurs où les populations n'ont pas des ressources suffisantes pour s'offrir le
recours à des praticiens dont les services ne sont pas entièrement couverts par l'aide sociale,
l'accès à l'échographie comme moyen à proprement parler thérapeutique, c'est-à-dire comme
moyen de datation puis de suivi des grossesses, apparaît par ailleurs comme un privilège réservé
aux plus riches :
"La diminution des échographistes exerçant en ville, explique en effet la chef de service
de la maternité du grand hôpital de l'Est de Paris précédemment citée, est un problème majeur
pour nous. Ça aggrave le problème de l'accès aux soins. L'arrêt de ces échographistes a été
pour nous un drame. Je peux vous donner un chiffre brut : environ 50 % des femmes ont accès à
l'échographie du premier trimestre et la moitié de ces échographies sont très mauvaises. En
59
Se dessine ainsi très clairement la possibilité que s'instaure une situation où le rapport
aux enfants à naître obéira à deux logiques distinctes : celle de l'enfant à la fois choisi (ce qui
n'exclut pas alors dans quelques cas l'accueil volontaire d'un enfant handicapé) et soigné, celle
de l'enfant qui vient, accueilli (au moins par la force des choses !) tel qu'il est, mais dont la mère
ainsi que lui-même n’auront pas eu accès aux mêmes soins que la population plus aisée ou
mieux informée !
C'est d'ailleurs déjà cette situation qui nous a été décrite par une échographiste exerçant en
Guyane et dont le témoignage, recueilli par téléphone, ne diffère pas, sur certains points, de ceux
recueillis dans quelques-unes des villes les moins nanties du Val-de-Marne et en Seine-Saint-
Denis :
fécondité. Il y a des jeunes qui font une IVG, puis, trois mois plus tard, elles retombent enceinte,
et elles gardent l'enfant. C'est très aléatoire. L'avortement, pour elles, c'est une solution
pratique. En plus, il y a un trafic de médicaments abortifs. Au Brésil, pays frontalier avec la
Guyane, ces médicaments sont vendus sur les marchés."
Dans cette population très composite, d'une grande richesse ethnique, où cohabitent de
nombreuses traditions religieuses et culturelles, l'accueil de la pratique de l'Interruption Médicale
de Grossesse est alors variable :
"Se croisent des religions diverses : il y a des religions traditionnelles où l'on croit aux
dieux de la nature, les religions de peuples qui sont descendants d'esclaves qui venaient de la
côte Ouest de l'Afrique, des Catholiques, des témoins de Jéhovah qui font beaucoup de
prosélytisme. Le refus de l'IMG intervient beaucoup de la part de ces gens qui y font obstacle.
Mais souvent, la décision appartient à la famille, à la lignée maternelle, le père n'intervenant
pas. Je vois quelques pères, mais en général, la maman vient seule ou, comme ce sont de jeunes
mères, elles viennent avec leur mère ou leur dernier né. C'est une affaire de femmes. Chez les
femmes d’ethnie maron, il faut d'ailleurs qu'elles donnent le jour à une lignée matriarcale, il
faut des filles et la pression vient donc surtout des femmes."
Ces pressions varient donc en fonction de ces multiples traditions et contextes sociaux :
" Chez les gens de Saint-Laurent, les filles sont enceintes à 15 ans. Elles sont très
habituées à la médecine occidentale. Elles prennent leur décision seules. Les gens du fleuve qui
font des échographies, des prises de sang se réfèrent beaucoup aux avis du clan, du chef
coutumier. Des avis sont pris pour savoir si c'est un enfant qui a un mauvais sort… Il y a des
mères qui sont avides de savoir, qui regardent l'écran pendant l'échographie, qui essayent de
comprendre, et d'autres qui détournent le visage parce qu'elles ont peur que cela amène quelque
chose de mauvais. Il y a beaucoup de cérémonies autour de la gestation, c'est beaucoup codifié
sur le plan génital. Mais c'est en constante évolution. C'est un peuple qui vivait encore de façon
traditionnelle il y a 15 ou 20 ans. Les maronis ont changé leurs coutumes. Le changement est
très rapide. C'est une sorte d'acculturation."
Quelle que soit alors la diversité des réactions face à l'Interruption Médicale de Grossesse,
le nombre d'avortements pour cause d'anomalies fœtales est néanmoins en augmentation :
"Les gens évoluent très vite sur cette question. Ça fait 10 ans que je travaille là-bas : le
nombre d'amniocentèses a augmenté, celui des IMG aussi, même s'il y a toujours une grosse
pression des familles, des clans pour décider si on interrompt une grossesse ou pas."
Il est bien évidemment impossible, dans le cadre de cette étude, d'examiner l’état de cette
question en Guyane, mais nous retrouvons en l'occurrence le même type de témoignage qu'en
France en ce qui concerne la trisomie 21 :
"Il n’y a pas un seul trisomique 21 qui soit né ici après avoir été dépisté. Toutes les mères
ont accepté l'IMG. On a 1500 accouchements par an. On a eu trois trisomiques 21 non dépistés.
Pour d'autres handicaps en revanche, il y a des femmes qui ont quitté la région parce qu'elles
avaient peur qu'on interrompe leur grossesse. Elles ont fugué. Pour la trisomie 21, elles
acceptent, mais pas forcément pour d'autres anomalies."
Ici, une certaine forme d'"eugénisme" (le mot est employé par la praticienne elle-même)
semble d'autant plus acceptable qu'il s'agit de "ne pas laisser naître des enfants voués à des
souffrances pas possibles". En effet, "S'ils naissent avec de grosses malformations, ils risquent
de rester vivants dans des conditions sanitaires déplorables." "J'ai moi-même un fils IMC
(Infirme Moteur Cérébral), précise cette échographiste spécialisée dans l'échographie
obstétricale, Je connais donc un peu le problème en Guyane. Il n'y a rien du tout, tout est en
construction, en chantier, au niveau associatif. Il y a quelques professionnels spécialisés. Mon
fils, on a toujours réussi à l'intégrer à l'école, mais parce que son père et moi nous étions
médecins. Cela a d'ailleurs un effet d'exemple, d'autres familles demandant l'admission à l'école
61
d'autres enfants handicapés. Mais il y a des milliers d'enfants non handicapés qui ne sont pas
scolarisés !"
Et les formations universitaires sont loin d'être toutes accessibles. Par exemple, "il n'y a
pas de formation des médecins sur place. Il existe seulement une Université avec une première
année de médecine, mais la suite des études doit être faite en métropole. Et une fois que les
étudiants y sont allés, ils n'ont pas forcément envie de revenir."
À Saint-Laurent du Maroni, les médecins en exercice sont d'ailleurs uniquement français
ou étrangers. Les guyanais ayant fait médecine exercent à Cayenne, dans la capitale, alors que
"les communes ne sont pas des lieux où les guyanais sont tentés d'aller exercer."
Ici en effet, les difficultés se situent généralement très au-delà des difficultés sociales
existant en métropole, et celles qui sont attenantes à la prise en charge des enfants ou adultes
atteints dans l'intégrité de leurs facultés physiques ou intellectuelles se conjuguent avec des
problèmes sociaux beaucoup plus vastes. Dans ces conditions, le droit de bénéficier de la
"solidarité nationale", tel qu'il est énoncé par la loi du 4 mars 2002 pour couvrir les charges dues
à l'éducation d'un enfant souffrant d'un handicap, apparaît comme un objectif bien lointain dans
un contexte où la population ordinaire est elle-même privée d'accès à la scolarité ou aux soins
médicaux :
"Il faut une remise à niveau générale, que tout le monde puisse aller à l'école ou ait accès
aux soins, ajoute donc ce médecin. Beaucoup de choses devraient être remises à jour. Alors, si
en plus on pouvait exercer la "solidarité nationale" ! Mais il ne faut pas rêver, on a déjà
tellement de choses à rattraper. Les handicapés sont dans la même galère que le reste de la
population."
La tentation est grande, quand la famille n'est pas privée de toute couverture sociale,
d'envoyer les enfants atteints d'un handicap en métropole, ce qui occasionne à leur égard une
violence supplémentaire :
"Ici, il n'y a pas d'institutions. Beaucoup d'enfants sont arrachés à leur famille pour être
envoyés en métropole." Mais, puisqu'en France, la prise en charge institutionnelle s'arrête à 18
ans, ces enfants sont alors renvoyés en Guyane où l'isolement ne peut qu'être très important : "Ils
ne parlent plus que français, et non leur langue maternelle, leur fauteuil roulant est inutilisable,
<puisque tout est inaccessible>, etc, etc, … Nous, on demande surtout qu'ils demeurent sur
place avec des moyens adaptés, qu'on aménage la ville pour eux. Il y a des familles prises entre
le déchirement d'envoyer les enfants en France, et le désir de les garder. Mais ils pensent
souvent qu'ils seront mieux en métropole."
On comprend par conséquent que l'Interruption Médicale de Grossesse soit de plus en plus
accueillie comme une possibilité légitime dans une situation où l'accueil des personnes
handicapées déjà insuffisant en France est, en Guyane, quasi inexistant ! Comment des hommes
et des femmes en butte aux difficultés sociales les plus grandes lorsqu'ils sont valides pourraient-
ils délibérément choisir d'accueillir un enfant qui les placera dans une situation inextricable ? On
voit ici de façon particulièrement nette, comment la rencontre du dépistage prénatal et l'absence
de structures et de moyens destinés à accueillir ceux qui sont atteints dans l'intégrité de leurs
facultés ne peut que développer un eugénisme prénatal, seul capable d'éviter à des populations
déjà trop précarisées la faillite sociale à laquelle risquerait de les exposer la naissance d'un enfant
souffrant d'un handicap. Et dans un pareil contexte, l'impossibilité d'accéder au dépistage
anténatal par défaut global d'accès au système de santé se présente comme une inégalité et une
injustice supplémentaire, la sélection des naissances apparaissant comme le moyen de régler une
difficulté sociale dont le traitement par d'autres voies est inexistant !
Ici, on ne peut pas dire que le phénomène de la judiciarisation ait aggravé cette forme
d'inégalité puisque les populations, demandeuses de soins, sont encore loin des tentations
procédurières ! "La moitié des patients, précise la praticienne, n'a pas la Sécurité Sociale, et
62
parfois, quand ils l'ont, il y a une tracasserie administrative qui fait que les gens sont
perpétuellement non à jour. Les gens sont donc gentils. On n'a pas la phobie de nos confrères en
métropole. Il y a une grosse attente vis-à-vis du médecin. On a eu l'onde de choc de ce qui s'est
passé autour de Perruche par les médias et Internet. Mais ça n'a pas bouleversé notre façon de
travailler. On est plus vigilants vis-à-vis des populations métropolitaines (qui représentent 10 %
de la clientèle) auprès desquelles on essaye de faire passer le message suivant lequel on ne voit
pas tout à l'échographie. On essaye de communiquer. Sinon, c'est vrai que ça n'a pas amené de
gros bouleversements, sinon au niveau financier, et parce qu'il a fallu se former." En effet, les
nouvelles exigences des assureurs pour essayer de parer aux éventuelles erreurs n'ont pas
épargné les praticiens hors de la métropole :"Il faut être irréprochable comme nos collègues
métropolitains. Dans le compte rendu, j'ai rajouté une ligne pour dire qu'on ne dépistait pas
tout. Et puis, on a le même problème avec les assureurs. Le nôtre a demandé qu'on montre patte
blanche au niveau du diplôme. J'ai dû refaire un diplôme universitaire et, en Guyane, ce n'est
pas facile. J'ai dû faire des stages en métropole. Tout cela n’a pas empêché notre prime
d’assurance d’être multipliée par dix".
Il est à ce propos très intéressant de noter que, dans ce territoire d’outre-mer, c'est par
l'intermédiaire des assurances que s'est au fond concrètement fait sentir l'onde de choc de l'arrêt
Perruche : les patientes étant éloignées de toute tentation procédurière, les médecins auraient
légitimement pu considérer que le phénomène ne les concernait pas, mais ils ont été amenés à
refaire des formations au seul motif que les assureurs, et non les patients, demandaient des
garanties de compétence supplémentaires.
Pour autant, cela n'a entraîné aucune démission dans cette ville de sous préfecture
guyanaise :
"En métropole, il y avait beaucoup de radiologues libéraux. Nous on n'en a pas. À Saint-
laurent, on n'a pas vu la différence. Il n'y a eu aucun changement." Le travail est donc resté
stable pour les médecins puisqu'ils sont restés en nombre constant et puisque les malades n'ont
malheureusement pas davantage accès au système de soin que par le passé.
D'où ce constat, paradoxal dans un département où la moitié des patients ne peut
bénéficier des acquis de la médecine occidentale :
"Pour un rendez-vous, ce n'est pas comme dans certains endroits <de France> où il y a
trois ou quatre mois d'attente. On a même des patients qui viennent en vacances et en profitent
pour faire leur échographie parce qu'on est moins débordés que nos confrères. Notre associé
avait sa sœur qui était enceinte, et qui est venue faire son échographie ici, parce qu'en France,
elle n'y arrivait pas." !
L’inégalité dans l’accès aux soins est ici d’un autre ordre : le système médical demeure
souvent inaccessible à la population locale, tandis que des touristes métropolitains trouvent
facilement des services et des personnels à leur disposition. La différence de traitement tient au
fait que ces derniers sont affiliés à la Sécurité Sociale, ce qui n’est pas toujours le cas des
familles vivant en Guyane. Il serait donc urgent et nécessaire de réaliser une étude sur l'ensemble
du territoire de Guyane ainsi que dans tous les territoires d'outre-mer pour faire le point sur l’état
sanitaire de la population. Il apparaît ici en tout état de cause que la mise en place d'une
"médecine à deux vitesses", brandie comme une menace ou un risque dans certaines régions de
France, est déjà une réalité en Guyane.
préservant des éventuelles complications de la grossesse et d'un instrument les confrontant à des
choix quant à la poursuite ou à l'interruption de cette grossesse en cas de dépistage d'anomalie
foetale. L'inégalité d'accès à l'échographie laisse donc augurer l'établissement d'une double
"inégalité" : inégalité dans les soins prénataux, inégalité dans les possibilités de "choix"55 des
caractéristiques de l'enfant à naître. L'intrication de ces deux aspects, qui semblent aujourd'hui
indissociables, pose ainsi des difficultés éthiques d'autant plus grandes aux praticiens exerçant
encore cette spécialité que la surcharge de travail à laquelle ils semblent condamnés par les
démissions de leurs collègues leur laisse peu de temps pour prendre quelque distance par rapport
à leur activité.
L'instauration de cette double "inégalité" n'a manifestement pas été effacée par la loi du 4
mars 2002, et le risque d'un arrêt de l'échographie par un grand nombre de praticiens n'a pas non
plus entièrement été déjoué par cette loi : si elle a manifestement rassuré un certain nombre de
médecins (toutes spécialités confondues) en ce qu'elle a rétabli l'idée que ces derniers n'étaient
responsables que des fautes ou des erreurs qu'ils avaient effectivement commises et non des
accidents imputables aux seuls aléas de l'existence, elle semble avoir été pour le moment
impuissante à faire reprendre l'échographie aux médecins qui avaient arrêté cette pratique au
lendemain des arrêts de la Cour de Cassation.
Certes, les raisons de ces arrêts ont été multifactorielles. La judiciarisation a
généralement provoqué des démissions quand le risque médico-légal s'ajoutait chez les
praticiens à des difficultés matérielles ou renforçait un malaise préexistant.
Reste que la menace de l'arrêt de l'échographie telle qu'elle avait été brandie après les
décisions de la Cour de Cassation n'a, d'après les professionnels que nous avons rencontrés, que
partiellement été déjouée.
55
Nous mettons ce mot entre guillemets car nous savons à présent que de nombreux facteurs extrinsèques
(géographiques, culturels, économiques…) viennent restreindre le libre arbitre.
64
Deux autres motifs sont effectivement mentionnés comme facteurs favorisant un éventuel
eugénisme de précaution : le devoir d'information aux patients et le déplacement de la date limite
de l'Interruption Volontaire de Grossesse.
Interrogé sur la mise en place d'une telle forme d'eugénisme, le Président du collège
français de l'échographie répond :
"Cela ne s'est pas fait directement. Là où les choses ont changé et où cela a eu un effet
délétère, c'est que tout ce qui peut arriver doit être dit, toutes les possibilités, dont l'exception.
Or, le parcours anténatal est truffé d'exceptions. Alors, la décision parentale s'oriente vers
l'IMG. On dit : la règle générale dans telle ou telle situation est favorable, mais dans certains
cas, les femmes ont des complications, les enfants des séquelles. Et, dans l'angoisse, les parents
ne retiennent que l'exception. Indirectement, ça influence la demande. Souvent on entend cette
question : "Est-ce que vous pouvez nous assurer que l'enfant ne sera pas handicapé ? ". Or, on
est obligé de dire non."
La sage-femme déjà citée, échographiste exclusive exerçant dans l'Est de la France donne
un exemple de l'impossibilité dans laquelle se trouve un médecin de rassurer sa patiente quand
une anomalie mineure est découverte, même si cette dernière ne donne théoriquement pas accès
à l'IMG :
"L'échographie, c'est une des rares pratiques où l'on a plus intérêt à tuer son patient qu'à
le garder en vie : pour l'instant il n'y a pas eu de procès pour IMG sur un enfant sain.
Supposons qu'on détecte un pied bot chez un enfant. On dit aux parents : "ça se répare". Les
parents demandent si ça peut vouloir dire qu'il y a autre chose. Notre rôle est difficile : on ne
peut pas leur certifier que l'enfant sera sain à 100 %. D'autre part, le fait qu'il ait des pieds bots
lui donne un peu plus de risque que la population témoin d'être atteint d'autres pathologies. Que
dire aux parents ? Les rassurer ? S'ils demandent une IMG et qu'on la refuse, c'est faire prendre
à l'équipe médicale un grand risque. Pour l'instant, on le prend ce grand risque, mais avec une
arrière-pensée…"
Sans prétendre pouvoir alors évaluer l'impact du devoir d'information sur la demande
d'avortement pour suspicion d'anomalie, un obstétricien-échographiste exerçant dans le privé
dans une ville de l'Ouest de la France, évoquera spontanément, sans que nous y ayons fait
référence ce "devoir" comme une prescription parfois problématique :
65
" Moi ce qui m'a le plus gêné dans tout cela, c'est l'obligation d'informer. Et ça continue à
me gêner parce que c'est en contradiction avec ma façon de concevoir ma pratique. On est
obligé de tout dire. En disant tout, on impose aux gens une angoisse injustifiée. J'ai l'impression
que cette obligation d'informer, quoi qu'il arrive, plonge certaines personnes dans des désarrois
complètement inutiles. Avant on gérait l'angoisse nous-mêmes. C'est-à-dire que si on avait un
doute, on n'en parlait pas et puis on disait : "je préfère vous revoir dans quinze jours parce que
le bébé n'est pas bien tourné, et je ne vois pas bien". Maintenant, moi je continue à faire comme
ça. Mais je sais qu'il y a des collègues qui balancent tout le paquet à la patiente. C'est très très
ennuyeux quand il s'agit d'une toute petite anomalie dont on ne connaît pas du tout le pronostic.
C'est plonger les gens dans une angoisse qui est complètement insupportable, qui est contre
médicale. Ce n'est plus de la médecine, c'est de l'assassinat !"
Comme nous lui demandons alors s'il ne prend pas un risque médico-légal en adoptant
cette attitude, le médecin répond :
"Oui, je sais que je prends un petit risque : il y a eu des procès perdus par des médecins
non pas parce qu'ils avaient fait une erreur, mais parce qu'ils n'avaient pas informé. Le devoir
d'information maintenant, il n'y a même pas de jugement, c'est automatique."
Le chapitre "droit et respect des usagers" de la "loi sur le droit des malades56 stipule que:
56
Article L 11 11-1 de la " loi sur le droit des malades " concernant "l'information des usagers du système
de santé" et l'"expression de leur volonté."
66
"Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte
sur les différentes investigations, traitements, ou actions de prévention qui sont proposées, leur
utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement
prévisibles qu'ils comportent, ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences
prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations,
traitements ou action de prévention des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée
doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences
et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seule l'urgence ou
l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.
<…> En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé
d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au
présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen."
Nous pouvons évidemment noter que les professionnels de santé ne sont en fait tenus qu'à
l'information des "risques fréquents ou graves normalement prévisibles". À ce titre, il semble
que le médecin ne soit pas véritablement contraint d'évoquer auprès des malades les risques
"exceptionnels", mais il est vrai que la "gravité" et la "fréquence" sont des critères suffisamment
interprétables pour que les médecins répondent à cette injonction législative par une information
d'autant plus complète que l'article 11 11-6 de la même loi précise que :
"Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par
des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées et ont contribué à
l'élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d'une action de prévention, ou ont fait
l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen,
comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration, ou d'hospitalisation, des
protocoles et prescriptions thérapeutiques mises en œuvre, correspondance entre professionnels
de santé…"
Appliqué au problème qui nous occupe, cette loi n'est pas sans soulever d'épineuses
difficultés éthiques : le flot de détails donné par le texte de loi, peut clairement être compris
comme le devoir de livrer au malade toute information le concernant dès qu'il en fait la
demande. Quand cette information est délivrée à des parents qui ne peuvent pas supporter la
moindre suspicion d’anomalie du fœtus, fût-elle bénigne, et que cette information, loin d'être un
facteur d'amélioration de la santé de l'enfant à naître, n’a d'autre effet possible que son
élimination anténatale, on imagine à quels cas de conscience sont confrontés les médecins.
Lorsque après une interruption de grossesse à 6 ou 7 mois, il s’avère par exemple que l'enfant
était indemne de toute malformation, le malaise est partagé longtemps par toute l’équipe
médicale... Quand la malformation est bénigne et ne donne théoriquement pas accès à
l'Interruption Médicale de Grossesse, savoir que certains parents se sont rendus à l'étranger pour
mettre fin à la grossesse est également traumatisant pour toute l'équipe.
Si la curiosité des patients est donc souvent mentionnée comme un progrès, la nécessité de
donner l'information dans les moindres détails, en faisant part de tous les risques, y compris de
ceux dont la probabilité de réalisation est infime, est souvent questionnée.
Bien que la légitimité du "droit de savoir" des patients ne soit jamais contestée, ce droit
(plus que l'arrêt Perruche ou la judiciarisation en général), apparaît à la plupart des médecins
interrogés comme un élément susceptible d’accroître le nombre de demandes d'Interruption
Médicale de Grossesse avant même d’avoir la certitude que le fœtus est atteint d'une "anomalie
incurable d'une particulière gravité". Le Président du collège d'échographie fera ainsi remarquer
que nous sommes passés d'une période qualifiée de "paternaliste", par plusieurs de ses
collègues, où le patient était intégralement et sans discussion pris en charge, à une période où il
est considéré comme capable de recevoir l'information et, de fait, toujours en demande
d'information, comme le laissent effectivement entendre les exemples, de plus en plus
67
nombreux, de malades ayant recherché toutes les informations possibles par le canal d'Internet :
"les patients sont plus virulents, ils s'informent plus aussi. Ils ont "tout vu" sur Internet. Et ce
n'est pas une bonne chose car ils n'ont pas forcément vu les bonnes choses, note une
généticienne. Il faut toujours voir les choses au cas par cas. Or, eux ils ne retiennent que le
pronostic sévère, même si ce n'est pas forcément le cas le plus fréquent…. Mais c’est écrit sur
Internet. Ils ont les infos brut de brut, données par des gens qui ne savent pas forcément de quoi
ils parlent. Tout le monde peut écrire ce qu'il veut sur Internet, c'est sans contrôle."
Certains praticiens interrogent donc, non pas le devoir d'information du médecin, qu'ils
considèrent comme indiscutable, mais la façon même de dispenser cette information :
" On n'a pas attendu que la loi nous oblige à le faire pour informer les gens, dit un
échographiste. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours dit aux gens ce que je voyais
quand je faisais une échographie. Ça rassure les gens. Moi aussi, je leur donne le papier du
collège de l'échographie, précisant que l'échographie ne voit pas tout. Peut-être que plus jeune
j'aurais été plus gêné de dire aux gens : "votre bébé a un problème de rein, il va falloir faire
d'autres examens". Mais en fait, le véritable problème c'est qu'on ne peut pas asséner aux gens
la vérité de façon dure. Il faut les préparer, sinon leur esprit se ferme, et ils ne comprennent pas
Mon père était généraliste à la campagne, et il me dit : "vous êtes fous, de dire tout au malade,
les gens doivent être préparés à accepter la vérité". Il a exercé de façon humaniste. Il est vrai
que dans certains cas, on peut très bien occulter une partie de la vérité, au motif que le malade
n'est pas prêt à la recevoir. Mais à condition qu'il n'y ait pas une décision à prendre. C'est
évident que si on est devant un anencéphale, on leur doit la vérité. On doit une information aux
gens. Mais il faut la leur donner d'une certaine façon."
57
Nous y reviendrons.
68
Un autre facteur est encore mentionné comme susceptible de produire des IMG dont la
raison est un risque et non une forte probabilité d'anomalie, ce qui, théoriquement, ne donne pas
accès à l'Interruption Médicale de Grossesse. Il s'agit du déplacement de la date limite de
l'Interruption Volontaire de Grossesse :
"En moyenne, les femmes, en France, subissent trois échographies au cours de leur
grossesse, remarque le Président des échographistes. La première détermine l'âge de la
grossesse, et permet la mesure de la clarté nucale. À cette occasion, on arrive à faire le
diagnostic d'anomalies curables, mais à risque. Or, on a décalé à 14 semaines l'IVG. Étant
donné que la première échographie est faite à la douzième semaine, on a des fœtus qu'on ne
revoit pas au deuxième trimestre. Parfois on est pourtant dans le cas d'anomalies curables, mais
l'investissement de la grossesse n'est pas encore suffisamment fort, et un certain nombre de
fœtus n'y survivent pas."
"C'est une possibilité que des IMG passent sous couvert d'IVG, confirme la sage-femme
échographiste déjà citée. Si on détecte par exemple une nuque épaisse, on fait une amniocentèse
dont on connaîtra le résultat à 18 semaines. Si les résultats sont normaux la patiente demande :
"Est-ce que mon bébé est normal ? " Ce n'est pas sûr puisqu'il y a quand même la nuque épaisse.
Il y a des risques de malformations, cardiaques entre autres. Donc, on lui dit qu'il faudra
attendre l'échographie de 22 semaines pour pouvoir en dire plus. Mais là encore, ce n'est pas
parce qu'à 22 semaines, on n'aura pas vu d'anomalie, qu'on pourra certifier, qu'on n'en
dépistera pas d'autres plus tard. il faudra donc attendre tout au long de la grossesse. Attendre le
caryotype, la morphologie, etc…Quand certains parents ont cette perspective à 12 semaines, ils
vont dire : " On va en refaire un autre tout neuf." "
Le chef de service d'une des maternités les plus réputées de la région parisienne évoque de
même ce déplacement de la date de l'Interruption Volontaire de Grossesse (qui n'a par ailleurs
pas résolu les difficultés rencontrées par les femmes pour réaliser une IVG !) comme un élément
propre à favoriser l'élimination de fœtus au seul motif qu'il n'est pas absolument certain que le
futur enfant sera indemne de toute anomalie :
"C'est clair que s'est installé un phénomène d'interruption de grossesse au moindre doute
quant à la normalité du fœtus, mais je n'ai pas de chiffres. Parfois, on voit quelque chose à 12
semaines, mais on ne sait pas ce que cela veut dire, on propose une autre échographie, une IRM,
la personne dit :"Je n'en veux pas" et demande une IMG. On refuse, on dit que ce n'est pas une
indication d'Interruption Médicale de Grossesse, par contre on lui dit qu'elle peut faire une IVG.
Par esprit de cohérence, on demande à la personne de faire cette IVG ailleurs"...
Dès lors n'est-il pas, malgré tout, pertinent de parler dans certaines circonstances
d'eugénisme de précaution pour désigner l'élimination des fœtus dont les anomalies sont
simplement, possibles, probables, ou curables ? Interrogé sur ce point, le président des
échographistes préférera la formule suivante :
"On peut plutôt parler d'un eugénisme d'angoisse extrême qu'on ne peut prendre en
charge. C'est un problème qui revient régulièrement. Des IMG passent sous couvert d'IVG.
Souvent, les couples s'aperçoivent après qu'il y avait des solutions. Mais la découverte, à douze
semaines de grossesse, d'anomalies <dont on n'a pas encore vérifié la gravité> entraîne des
interruptions de grossesse."
3.2.4 Entre douze et quatorze semaines de grossesse : une situation paradoxale pour
l'interruption de grossesse
dans le cadre de l'IMG. On ne peut pas accepter d'IVG dès que le Centre a connaissance d'une
anomalie. Or, la femme dit : "Bon, je vais aller voir quelqu'un d'autre en demandant seulement
une IVG.""
La solution qui s'offre alors aux femmes est d'aller voir un autre Centre :
"On peut toujours mentir, mais normalement quand un médecin sait qu'il y a un problème
fœtal, il doit en référer au Centre pluridisplinaire, sinon il est en faute."
Une sage-femme échographiste exerçant en hôpital dans l'Est de la France, confirme que
la loi est en l'occurrence ignorée ou contournée :
"Il y a une loi qui dit que quand on dépiste une anomalie avant 14 semaines, on doit
passer par un Centre Pluridisciplinaire de diagnostic anténatal. Elle n'est pas toujours connue,
pas toujours bien appliquée. Une anomalie qui justifie par la suite une IMG pourra être faite à
n'importe quel moment. En revanche, si c'est une anomalie mineure, qui est vue à 22 semaines,
les parents peuvent dire : "Si on l'avait su à 12 semaines on aurait fait une IVG. C'est pourtant
une mécompréhension de la loi. Mais la femme aurait pu aller ailleurs pour demander l'IVG
sans rien dire à l'autre Centre. C'est vrai que le chevauchement du diagnostic anténatal avec le
déplacement de l'IVG à 14 semaines pose des problèmes. Ça nous a beaucoup compliqué les
choses. On ne sait plus ce qu'on doit faire. Est-ce qu'il faut regarder les mains ou non à
l'échographie, par exemple ? Techniquement, ce n'est pas facile. C'est beaucoup plus difficile
pour nous d'aller chercher un bout de bras ou une petite tête. Les gens ne savent pas du tout ce
que c'est un fœtus entre 12 et 14 semaines. Je ne sais pas qui légifère, mais l'avis médical était
contre ce déplacement de la date limite de l'avortement. On n'arrivait déjà pas à assumer le
nombre important d'IVG avant. Maintenant, s'il faut assumer celles entre 12 et 14 semaines, il
n'y a pas assez de monde pour ça."
Nous n'avons sur ce point rencontré aucun praticien tenant des propos sensiblement
différents, et tous s'accordent à dire qu'il fallait rendre plus facile l'accès à l'Interruption
Volontaire de Grossesse au lieu d'en déplacer la date limite.
Par conséquent, la réalisation d'IVG en raison d'un doute concernant l'état du fœtus n'est
pas présentée comme une conséquence exclusive de l'arrêt Perruche ou du risque médico-légal.
Dans la mesure où ce risque a été tempéré par la loi du 4 mars 2002, il ne saurait être la seule
origine de cet "eugénisme de précaution" dont parlent plusieurs praticiens sans toutefois pouvoir
chiffrer le nombre d'interruptions de grossesses réalisées en raison d'un doute concernant la
normalité du fœtus.
La loi du 4 mars 2002 n'a sans doute pas eu le pouvoir d'empêcher un tel phénomène, dans
la mesure où c'est avant tout le dépistage prénatal lui-même et non la judiciarisation qui suscite
71
parfois cette angoisse extrême susceptible de provoquer des interruptions de grossesse alors
même qu'on ne connaît encore ni le degré de gravité ni même la réalité de la malformation
fœtale. Toutefois, cette loi a probablement empêché l'aggravation de ce phénomène en rassurant
les professionnels.
En revanche, les arrêts de la Cour de Cassation ont eu cet effet secondaire d'accroître les
inégalités sociales et géographiques en ce qui concerne le suivi des grossesses et le dépistage
anténatal.
Il est donc permis d'avancer qu'un eugénisme différentiel, déjà latent pour des raisons
socioculturelles, a été radicalisé par les décisions de la Cour de Cassation qui ont fait
démissionner de nombreux praticiens se trouvant déjà en difficulté financière ou éprouvant un
malaise face au dépistage prénatal : privées d'accès à l'échographie qui est un des instruments
principaux du dépistage prénatal, les femmes de milieu social modeste semblent désormais
exposées à un plus grand risque d'avoir un enfant atteint d'une malformation que des femmes
venant de milieu socioculturel plus favorisé.
Ce constat ne doit cependant pas servir à faire l'impasse sur une interrogation
fondamentale concernant l'idée d'après laquelle la "justice" et le sens de l'"égalité" pour les
enfants à naître devraient désormais consister en une égalité dans les possibilités de les
sélectionner en fonction de leur état de santé ! Cela reviendrait en effet à faire de l'accès à
l'eugénisme la forme première de la justice sociale !
Il n'en reste pas moins que cette "inégalité" va venir se surajouter aux inégalités sociales,
et aggraver concrètement – du fait des carences dans la prise en charges des enfants atteints dans
l'intégrité de leurs facultés et des aides accordées à leur famille – des conditions de vie et de
travail souvent déjà précaires pour les familles d'origine modeste. On peut aussi craindre que ces
naissances d'enfants porteurs d'anomalies physiques ou mentales, si elles devenaient plus
fréquentes dans les milieux défavorisés, ne fassent ressurgir des conceptions anciennes où,
confondant les causes et ses effets, la déficience d'un enfant était perçue comme le signe de la
dégénérescence de groupes sociaux jugés inférieurs. Or, semblent déjà se présenter deux
possibilités distinctes de naître : les uns venant au monde sans qu'ait été vérifiée la "qualité" de
leurs facultés physiques ou intellectuelles, les autres ayant déjà fait l'objet d'actives vérifications.
La naissance naturelle, ordinaire et autrefois universelle, risque d'être aujourd'hui dévolue aux
plus défavorisés. Les enfants issus de milieux sociaux plus favorisés devront passer quant à eux
de nombreux examens in utero avant que leur soit délivré leur "laisser passer" pour le droit à
naître. Parmi eux, certains naîtront néanmoins avec quelques anomalies en dépit des nombreuses
"vérifications" anténatales.
S'ajoute à l'inquiétude déjà soulevée par un pareil constat celle due au fait que, moins bien
suivies durant leurs grossesses, les femmes défavorisées sont déjà davantage exposées à des
complications durant cette période. En conséquence, elles ne sont pas seulement privées d'accès
au dépistage prénatal à finalité sélective, mais de possibilités thérapeutiques, pour elles-mêmes
ou leur futur enfant. Les incertitudes des praticiens concernant les finalités thérapeutiques du
dépistage prénatal, dont l'échographie constitue un instrument privilégié, prennent donc ici une
dimension particulière, et les arrêts de la Cour de Cassation auront eu cet effet inattendu
d'intensifier les interrogations d'ordre éthique concernant ces objectifs.
72
Plusieurs médecins interrogés ont ainsi radicalement contesté que l'objectif essentiel du
dépistage prénatal, en particulier d'un de ses outils principaux, c'est-à-dire l'échographie, soit
l'Interruption Médicale de Grossesse.
Si les trois échographies pratiquées en France lui paraissent nécessaires, il insiste tout
particulièrement sur l'importance de celle qui est faite au premier trimestre :
"Ce qu'on fait en France me paraît bien, poursuit-il. L'échographie du premier trimestre
est indispensable, au 2ème trimestre, on dépiste les malformations, l'échographie du troisième
trimestre pourrait être remise en cause mais, par elle, on voit les retards de croissance. Si on
devait supprimer quelque chose, il faudrait en tout cas garder la datation et la biométrie faite au
premier trimestre."
d'interruption de grossesse pour une fente de la lèvre. Étant donné le caractère bénin de cette
anomalie, la mère n'a trouvé personne pour la faire en France, elle l'a faite à l'étranger. Pour
moi c'est un échec. Mais ça, ce n'est pas mon métier."
Le premier déclare ainsi : "La détection des malformations ne représente pas grand-chose
de notre activité en pourcentage. Le gros des anomalies de la grossesse, c'est le retard de
croissance intra utérin, c'est le placenta qui va saigner au moment de l'accouchement et qui va
peut-être tuer le bébé, c'est le cordon ombilical qui ne va pas, c'est le rein qui ne fonctionne pas
bien, c'est le virus qui va induire une mauvaise croissance, qui va le rendre malade…Tout cela
n'a rien à voir avec les malformations fœtales, et c'est totalement occulté dans les débats. Alors
que c'est l'essentiel de la médecine fœtale."
"Faire une échographie ne sert pas qu'à dépister une anomalie, insiste de son côté une
gynécologue obstétricienne pratiquant l'échographie en secteur libéral dans une grande ville de
France. Par exemple, pour un retard de croissance chez un enfant, on peut agir, on peut le faire
naître à l'avance, on peut savoir où est positionné le placenta pour la césarienne…idem pour la
hernie diaphragmatique, pour la malformation cardiaque etc…"
On sauve donc non seulement des vies de bébé mais aussi des organes de bébés. Et à ce
titre, c'est un examen extraordinaire. Je crois qu'il n'y a pas de semaine où on n'est pas conduit
à dépister une souffrance fœtale ou des signes qui laissent penser qu'il risque d'y avoir
prochainement une souffrance fœtale. On les surveille alors comme le lait sur le feu, dès qu'ils
commencent à décompenser et avant qu'il y ait des lésions qui s'installent, on les sort de là, et
après les parents rentrent chez eux avec un bébé en bonne santé. Donc, c'est ça notre métier,
c'est de sauver des mamans et de sauver des bébés."
"Cela dit, ce n'est pas chiffrable, parce qu'on crée des transferts. Plus on sauve de bébés,
plus il y a des bébés qui ont des problèmes. Avant on sauvait les bébés qui faisaient un kilo,
maintenant on les tire d'affaire à 500 grammes.
Il y a des bébés qui présentent des troubles à la limite de nos possibilités thérapeutiques.
Le résultat c'est qu'il y a un bon nombre d'enfants qui, autrefois, seraient nés handicapés qui
naissent en bonne santé aujourd'hui. On fait en sorte qu'il y ait beaucoup moins de fausses
couches du deuxième et du troisième trimestre, mais par contre, on ne diminue pas de façon très
importante ou significative le nombre d'enfants qui naissent avec un handicap. Parce qu'il y a ce
transfert de ceux qui seraient morts et qui naissent avec un handicap même si on prend en
considération ceux qui seraient nés avec un handicap et qui naissent en bonne santé. Mais ceci
dit, l'ensemble de la médecine est basée sur ce principe : en sauvant des gens on crée également
un certain nombre d'autres difficultés, certains développant d'autres maladies… Pourtant, ça ne
remet pas en cause le principe suivant lequel il faut sauver un maximum de gens."
Le chef de service de la maternité d'un hôpital proche insiste quant à lui sur le fait que le
bénéfice thérapeutique d'un diagnostic anténatal est d'autant plus grand que l'anomalie détectée
peut bénéficier d'un traitement chirurgical :
"On a fait beaucoup de progrès pour les becs de lièvre, souligne-t-il. On ne fait plus
d'IMG pour ça, alors qu'il y a quinze ans, on y allait hardi petit…Maintenant, les chirurgiens
ont des résultats fantastiques. Aussi, si on se demande si c'est une bonne chose de savoir par
avance que l'enfant a un bec de lièvre, la réponse est : "oui". On explique tout aux parents
concernant la prise en charge. On se paye même le culot de laisser les mères accoucher où elles
veulent et on leur dit : "vous nous l'amènerez ensuite." La mère n'a plus l'angoisse de se dire :
"Comment je vais faire ?" Cette angoisse est neutralisée par le diagnostic anténatal. C'est une
des plus grosses réussite du DAN.
58
Malformation caractérisée par une fente de la lèvre supérieure et/ou du palais.
75
: "Je ne veux pas le voir, je l'abandonne. la mère refusait de l'allaiter. Le diagnostic anténatal
peut atténuer cela. "
Certes, les thérapies anténatales ne sont pas très fréquentes et la préparation à la naissance
d'un enfant présentant une anomalie relève davantage de l'atténuation du choc psychologique
que des "soins", au sens strictement médical du terme. Mais on comprend le souci, manifesté par
les praticiens qui se sont exprimés sur ce sujet, de faciliter l'accès des femmes à l'échographie.
Une échographiste s'efforce ainsi d'améliorer la qualité de cet examen dans le quartier où elle
exerce, et de mettre en place une collaboration plus étroite entre l'hôpital et les médecins
exerçant en ville, dont certains ont une bonne connaissance des difficultés auxquelles sont
confrontées certaines populations socialement défavorisées ou/et issues de l'immigration :
"La diminution des échographistes en ville est pour nous un problème majeur: ça diminue
encore l'accès aux soins. Mais une fois qu'on a résolu ce problème d'accès aux soins, on n'a rien
compris si on n'a pas appréhendé la communication. C'est pas le tout de disposer des outils.
Nous avons quelquefois des échographistes insuffisamment formés mais qui ont un très bon
contact avec la population. Je suis donc en train de monter un réseau ville/hôpital avec des
médecins libéraux. Nous allons faire cela avec six ou sept structures hospitalières de naissance
du coin. Nous allons monter la même chose en ce qui concerne le suivi des grossesses. Il faut
s'appuyer sur les réseaux de quartier, les généralistes. Nous essayons de nous appuyer sur le
tissu social.
Actuellement, on est passé de 10 % d'échographie de qualité du premier trimestre à 23 %.
C'est peu, mais c'est tout de même quelque chose grâce au réseau. Nous passons un contrat
avec les échographistes exerçant en ville. Ils viennent à nos réunions de formation. Nous
procédons à une évaluation. Ils sont d'ailleurs très demandeurs. Il y a en fait eu une
détérioration lente, liée à la démographie des praticiens de cette profession : Les hospitalo-
universitaires ne forment pas d'échographistes et le quart des échographistes se sont arrêtés, ce
qui a entraîné une surcharge de travail considérable, depuis Perruche. Cet arrêt a joué
énormément sur les structures de naissance du coin : toutes les maternités du quartier ont
arrêté. Ici dans l'hôpital, on était à 1700 naissances il y a est passé à 2002 naissances à
personnel constant59."
Le médecin qui vient d'être cité aimerait en fait, comme plusieurs de ses collègues, que
l'usage sélectif de l'échographie et du dépistage prénatal soit limité par l'amélioration de l'accueil
de l'enfant atteint d'une déficience, et que la sélection des naissances en fonction de critères de
santé ne fasse pas office de "traitement social" du handicap ! L'arrêt Perruche, et plus
globalement la sélection prénatale tout entière sont à plusieurs reprises présentés comme des
symptômes de l'absence de prise en charge des hommes et des femmes qui sont atteints dans
l'intégrité de leurs facultés. Les témoignages de parents ayant intenté un procès pour erreur de
diagnostic prénatal depuis la loi du 4 mars 2002 qui a mis un terme à la jurisprudence Perruche,
et déplorant que les sommes obtenues par ce moyen soient très nettement insuffisantes pour faire
face aux besoins spécifiques de leur enfant leur donne évidemment raison.
"C'est un leitmotiv entre nous, affirme donc le médecin dont les propos viennent d'être
cités. Si on en est là avec l'IMG, c'est qu'il y a un gros problème de prise en charge de l'enfant
handicapé. S'il faut mettre l'accent quelque part, c'est sur cette prise en charge. Ce qui me tient
à cœur c'est d'élucider ce qui, dans la décision d'interrompre une grossesse pour détection
59
Soit une augmentation de 18 %.
76
d'anomalie, tient à la non-prise en charge post natale de l'enfant. Il faudrait poser la question
aux gens concernés."
Apparaît en fait dans l'analyse de certains praticiens une inquiétude quant à la possibilité
que l'Interruption Médicale de Grossesse n'aggrave l'état déjà défaillant de l'accueil fait
socialement en France aux enfants et aux adultes atteints d'une déficience, voire d'une anomalie,
même lorsque celles-ci n'empêchent pas de mener une vie autonome, physiquement ou
mentalement.
En l'état actuel des carences en matière de prise en charge des personnes handicapées, ce
praticien craint que l'élimination en nombre des fœtus porteurs de certaines anomalies
n'encourage la société à renoncer à tout effort d'adaptation spécifique en faveur des sujets qui en
seraient tout de même porteurs61... Parallèlement, dans cette situation d'intolérance et
d'insuffisances sociales, ne serait pas tentant et plus facile de faire appel aux possibilités
techniques d'élimination avant la naissance d'enfants atteints par une infirmité plutôt que faire les
efforts nécessaires pour changer les conditions de l'accueil des personnes handicapées et de leurs
familles ?
60
Les "arrêter", les "interrompre"… en parlant des fœtus est une façon courante, chez les praticiens, de
nommer l'Interruption Médicale de Grossesse.
61
Parce qu'ils auraient échappé à tout diagnostic ou parce que leurs parents auraient préféré les laisser
naître.
77
Le droit de décider de la vie ou de la mort, que nous nous octroyons aujourd'hui, doit être
pris et mesuré en poids de sagesse et d'intelligence d'une philosophie où Autrui est identifié pour
ce qu'il est vraiment."
Quand nous l'avons interrogé après la lecture de ce texte, nous avons demandé à ce
médecin ce qu'il entendait exactement par l'expression d'"échographie sans violence" et si elle ne
signifiait pas en fait pour lui : échographie sans IMG ?
"Non, a-t-il répondu sans hésitation, l'IMG ça va rester, mais on est en deçà de ce qui
devrait être si on veut rester dans cette espèce d'humanisme dont je parle. Je connais un couple
dont le bébé a été interrompu pour une malformation létale du cœur. Ce que j'ai vécu avec ce
couple a été très beau, c'est moi qui ai pratiqué l'IMG. Le dialogue qui a pu s'engager autour de
cet enfant et quand on a fait l'IMG a été optimal parce que nous étions dans cette justesse de
regard où le bébé était au centre. On a eu du mal à prendre la décision d'interruption mais en
même temps on a ressenti une sensation de paix, même en contemplant ce bébé mort dont on a
abrégé les souffrances. Mais cela est extrêmement rare…
Je sais que je suis ambigu, explique ce médecin, avec ces phrases que j'utilise sur le
respect absolu qu'il est difficile à replacer dans le contexte, mais ce qui me désole, c'est que le
bébé, à partir du moment où l'anomalie est soupçonnée, disparaît complètement. Et ça me
questionne parce que c'est moi, qui suis à la fois échographiste, philosophe et accoucheur, qui le
fais disparaître."
78
Ce médecin explique ainsi comment il tente parfois de faire comprendre aux parents le
statut d'exception de l'IMG au regard du droit et les difficultés qu'il rencontre alors dans certains
cas pour le faire entendre, particulièrement quand il refuse de souscrire à une demande
d'interruption de grossesse lorsque l'anomalie dépistée ne lui semble pas d'"une particulière
gravité incurable en l'état actuel de la science" : " Certains couples réagissent de façon
agressive, ils pensent que l’on est un méchant docteur, ils pensent en plus que l’IMG est un
droit. Quand on leur dit que ce n’est pas un droit, ils crient au scandale…" Cet obstétricien
énumère alors avec inquiétude les anomalies qui ne lui paraissent pas entrer dans le cadre de la
loi mais qui suscitent pourtant de façon non exceptionnelle des demandes d'interruption de
grossesse :
"Dans les Centres de dépistage anténatal on parle beaucoup d’IMG. Le problème, c’est
que l'on a parfois un doute. Ce doute ne va pas obligatoirement se réaliser, mais les gens
pensent tout de suite à l’IMG.
Par exemple, on trouve qu'un bébé a un petit fémur (toujours par rapport à une moyenne),
on prend garde de ne pas parler de nain, mais quelqu'un va parler de nain et il peut y avoir
demande d’IMG, alors que, dans l'incertitude où nous sommes généralement, l’enfant peut
naître à 45cm et mesurer 1m80 à 18 ans. Devant des maladies osseuses (l'achodronplasie62 par
exemple), les gens demandent souvent d'interrompre la grossesse. Pour le nanisme,
l'achodronplasie, c’est quasiment systématique. La détection du syndrome de Turner63 provoque
de façon non isolée un refus de l'enfant et une demande d'IMG."
Ce médecin s'inquiète alors de ce qu'il juge être une dérive dans la mesure où le pronostic
d'une pareille anomalie est incertain :
"On disait que ça occasionnait un retard mental. Or c’est faux, ça peut être juste un
retard dans l’acquisition des maths. Dans la rue, il y a plein de gens qui ont un retard dans
l’acquisition des maths. En fait, ces personnes atteintes du syndrome de Turner ont souvent
uniquement une stérilité."
De tels exemples montrent que les limites imposées par la loi sont quelquefois
outrepassées et que les raisons de cet acte peuvent même être inversées : il ne s'agit plus de
consentir à l'IMG en cas de forte probabilité d'anomalie d'une particulière gravité, mais au
contraire quand on n'est pas tout à fait sûr que l'enfant sera "normal".
"On arrive ainsi à faire entrer des cas limites dans le cadre de la loi, estime le même
obstétricien, dans la mesure où vous ne pouvez pas jurer aux parents la tête sur l’échafaud que
leur enfant va être normal. Ensuite, vous vous retrouvez coincé. Moi j’ai tendance à refuser
<dans les cas limites> et je dis aux gens d’aller voir une autre équipe, mais l’expérience prouve
qu’ils trouvent toujours quelqu’un qui accepte."
62
Nanisme avec dysmorphie.
63
Il associe une anomalie du caryotype (absence d'un chromosome sexuel X), une anomalie des ovaires et
une petite taille.
79
Le médecin philosophe dont nous avons mentionné le texte et l'interview plus haut est
plus optimiste quant à la capacité du Centre Pluridisciplinaire de la grande ville de province
auquel il est rattaché de résister à des demandes qui, à strictement parler, sont illégales. Ses
propos témoignent cependant du décalage entre l'ampleur des difficultés éthiques soulevées par
le dépistage prénatal et la possibilité même de dire ces difficultés. De son analyse, il ressort que
les actes techniques qui conduisent à révéler la vie prénatale constituent en soi, avant même que
ne soit prise quelque décision que ce soit à propos du fœtus, à plus forte raison avant que ne se
manifeste des récriminations concernant les éventuelles erreurs de diagnostic prénatal, un
bouleversement éthique tel, qu'il est difficile de trouver les mots justes pour en décrire l'exacte
portée :
"J'ai eu l'impression, remarque cet obstétricien, en écrivant le texte que je vous ai
transmis, que j'écrivais quelque chose que je maîtrisais très peu. J'espérais pouvoir le
développer dans un livre, mais je ne l'ai pas fait. Ce qui nous manque ce sont les moyens
méthodologiques et le langage adéquat pour décrire l'être que l'on regarde et que, parfois, l'on
va faire disparaître. Monsieur B., mon maître en échographie, qui est un véritable échographiste
et obstétricien, conserve le malaise de celui qui est dans la position de contribuer à la décision
de l'arrêt de la vie d'un futur enfant. Cela me paraît très important de conserver ce malaise.
Lors d'un Congrès, il parlait d'une agénésie du corps calleux65 pour lequel un bébé avait été
interrompu, puis d'un autre qui, avec la même chose, ne l'avait pas été, parce que, après avoir
fait une IRM à la mère, on avait découvert qu'elle avait la même chose alors qu'elle était
normale. Dans les cas où l'on n'est pas très sûr, on doit chercher des arguments en faveur de
l'enfant à naître. C'est cette médecine-là qu'il faut développer, c'est quelque chose dont
j'aimerais discuter avec les intervenants du Centre de diagnostic prénatal de la région, mais
c'est le genre de débat qui n'a jamais eu lieu parce qu'il n'y a personne pour porter le débat. Il
n'y a personne pour porter un regard éthique."
!Habité de questions face à cette technique échographique dont il dit à la fois qu'il la
pratique intensément, puisqu'il y a recours à chaque visite de ses patientes (qui ont donc 10 à 12
échographies au cours de leur grossesse) et qu'"il ne sait toujours pas pourquoi il fait de
l'échographie", ce praticien témoigne des contradictions auxquelles médecins et futurs parents
64
Les données du registre des malformations de Paris, auxquelles nous avons déjà fait référence, valident
ce témoignage.
65
Le corps calleux est constitué par les fibres nerveuses qui unissent les deux hémisphères cérébraux. Il
s'agit donc du non développement de cette partie du cerveau.
80
sont aujourd'hui confrontés par l'intervention croissante des techniques de dépistage dans le
temps la grossesse : "Moi je ne sais toujours pas pourquoi je fais de l'échographie, mais en
même temps je ne vois pas comment je pourrais ne pas en faire. Je ne fais plus de toucher
vaginal, je fais des échographies. Je ne prends même pas la tension de la mère, je vois avec
l'écho ce qui se passe. Je ne fais pas payer toutes ces échos, je n'en fais payer que trois. Je n'ai
pas payé mon matériel, c'est l'hôpital qui me le paye, c'est devenu mon stéthoscope obstétrical.
Toute patiente qui entre chez moi aura son écho. La seule chose qui pourrait m'arrêter c'est
d'apprendre que c'est nocif pour la santé du bébé."
La question de la judiciarisation, que ce médecin affirme ne pas craindre du tout pour lui-
même, passe au second plan au regard des multiples interrogations concernant une technique
échographique qu'il pratique avec intensité. S'il ne lui semble pas, en tout état de cause que ce
phénomène ait accru le nombre d'IMG, il lui semble au contraire que "mis à part le cas de la
trisomie 21, on déborde de moins en moins" et qu'on essaye dans son Centre de réduire, autant
que possible, le nombre d'IMG en recherchant systématiquement "tous les arguments en faveur
du fœtus".
Plus sceptiques sur ce point, plusieurs praticiens évoquent la difficulté d'avoir une attitude
de respect vis-à-vis de l'enfant à naître en un contexte où le critère de détection d'une "anomalie
d'une particulière gravité incurable en l'état actuel de la science", défini par la loi, et donnant en
principe accès à l'IMG apparaît à plusieurs reprises comme impuissant à délimiter les pratiques.
Cependant, des équipes de Centres Pluridisciplinaires, ou des médecins s'efforcent de justifier le
refus de certaines IMG en se référant strictement à la loi au cours du dialogue avec les familles.
Loin d'être dû au seul arrêt Perruche, c'est la technique d'échographie fœtale et son extension
particulière en France qui apparaît ici comme la cause première du phénomène. "Il y a un clan
des imageurs en France, qui a été quelque chose de très délétère dans la profession, nous dit un
obstétricien pédiatre rencontré dans le grand hôpital d'une grande ville de l'Est. Les femmes ont
pu lire dans des journaux féminins que tel médecin voyait tout. On ne peut plus revenir en
arrière, il y a tout un marché qui ne cesse de progresser et, de fait, on voit de plus en plus de
choses. Il y a dix ans, on ne voyait pas l'absence d'un membre, maintenant c'est difficile de
passer à côté. Dès la 13ème semaine, la patiente va demander une IMG ou la demande ailleurs
si elle est refusée par le Centre. Il y a donc une augmentation de la sensibilité et des attentes en
regard de ces possibilités…On a dit : "On est les meilleurs". Mais ça veut dire quoi ? On voit
tout, on avorte tout ?"
!Dans ce contexte, il serait d'ailleurs utile de vérifier que les patients ont une connaissance
précise de l'intitulé de la loi concernant l'Interruption Médicale de Grossesse, puisque certains
imaginent mal qu'on leur refuse l'IMG en cas de diagnostic d'anomalie, quelle que soit la gravité
de cette dernière. "Pour les parents, avance ainsi un des pédiatres rencontrés dans ce même
hôpital, soit l'enfant est normal, soit il ne l'est pas, la notion de particulière gravité n'a aucun
sens pour eux : l'enfant est bien ou il n'est pas bien." Lors d'une des réunions hebdomadaires du
Centre Pluridisciplinaire de cet hôpital à laquelle nous avons assisté, une obstétricienne exposera
le cas d'une demande d'IMG pour malformation d'une jambe, en précisant que ce couple en
grande difficulté psychologique n'envisageait même pas qu'on puisse ne pas accéder à sa
requête. Il considérait donc le Centre Pluridisciplinaire comme une instance simplement destinée
à avaliser les demandes des couples. L'incapacité de certains parents à tenir compte du critère de
"particulière gravité" a été confirmée ailleurs. La psychologue d'un hôpital d'une autre grande
ville en témoigne :
"Les femmes entendent : "Mon fœtus sera ou ne sera pas atteint". Elles ne peuvent pas,
dans le moment de la grossesse, faire autrement. Elles ont du mal à concevoir les choses
autrement qu'en termes de blanc et de noir. C'est dû à un état psychique particulier parce qu'on
est dans l'imaginaire où c'est tout ou rien. Elles ne peuvent pas entendre qu'il y a éventuellement
un petit problème curable…"
!Quant au critère d'"incurabilité", il ne semble pas toujours davantage entendu, comme en
témoigne le professeur en gynécologie obstétricale rencontré dans le même service :
81
"En 1997, on m'a adressé une femme forte parce qu'on ne voyait pas grand-chose à
l'échographie. J'ai dit qu'on ne verrait jamais bien étant donné la corpulence de la patiente.
Finalement cet enfant avait une artère ombilicale unique, un syndrome de Vacterl, qui consiste
en une association d'anomalies œsophagienne, vertébrale, anale. Théoriquement, ce n'est pas
visible à l'échographie, ces enfants vivent et ont une vie normale après opération. Pourtant, la
plainte est en cours pour le motif qu'on avait vu l'artère ombilicale unique mais pas le reste."
Quelle que soit en l'occurrence l'issue de ce procès, il témoigne du fait que la possibilité
de recourir à une chirurgie réparatrice ne dissuade pas nécessairement les parents de porter
plainte, même quand les conditions de l'examen sont, comme c'est le cas ici, particulièrement
difficiles.
"Les parents maintenant savent que par une expertise psychiatrique, il est possible de
faire valoir la détresse parentale ou la détresse maternelle, explique une psychologue exerçant
dans une maternité, Centre Pluridisciplinaire, à l'Ouest de Paris. C'est aussi pour ça que n'étant
pas psychiatre, je ne fais pas ces expertises-là. C'est une responsabilité que je n'aimerais pas
prendre. C'est très lourd, surtout pour des bébés viables et pour lesquels les malformations sont
tout à fait compatibles avec une bonne qualité de vie. Les parents sont presque tous au courant
de cette possibilité, par le biais d'Internet par exemple. On a déjà vu des parents venant avec des
lettres écrites montrant l'ampleur de leur détresse, avec des risques de suicide si on n'accédait
pas à leur demande. Heureusement, c'est rare. En quatre ans, je n'ai vu que peu de cas de ce
genre."
!Que ce type de problématique existe n'est, en tout état de cause, pas attribué à l'arrêt
Perruche qui interroge surtout les praticiens qui se sont focalisés sur la dimension éthique de
l'affaire parce qu'il diffuse le message suivant lequel on peut être indemnisé pour préjudice de
naissance dès lors qu'on est atteint dans l'intégrité de ses facultés.
Pour autant, les témoignages qui précèdent font apparaître de sérieuses contradictions
dans l'appréciation de la capacité du corps médical à contenir l'évolution de la demande
d'interruption de grossesse face au diagnostic d'anomalies qui ne rentrent pas exactement dans le
cadre des pathologies d'une particulière gravité : Si certains observent une relative stabilisation
des demandes, d'autres estiment que le perfectionnement des techniques de dépistage et une
certaine difficulté à résister à "la demande parentale" ne peuvent que favoriser à long terme ce
qu'ils appellent l'"aspiration à l'enfant parfait".
l'enfant atteint d'une "anomalie" s'inscrit rarement dans un tel projet66. Dans ce cas, il arrive que
la judiciarisation soit là pour dédommager du "préjudice" causé.
3.3.5 Des variations régionales, et par Centre de diagnostic prénatal, dans l'acceptation
des demandes d'Interruption Médicales de Grossesse ?
66
Exceptionnellement, il peut arriver que des personnes handicapées envisagent la naissance d'un enfant
ayant le même handicap. Ce peut-être le cas, par exemple, des sourds qui ne souhaitent pas toujours avoir
un enfant entendant.
67
D'autres praticiens affirment néanmoins que ce n'est pas toujours le cas. Notamment quand est invoquée
la détresse de la mère.
83
Ma femme exerce en hôpital, et on lui demande des IRM parce que le fœtus a la tête un peu
allongée, avec le prix que ça va entraîner pour la communauté. Tout cela est très anormal : on
n'accepte plus d'avoir un enfant qui va être un être humain avec ses imperfections. On veut avoir
une sorte de robot un peu mécanisé qui sera certes un garçon ou une fille, mais se doit d'être
parfait." Ce médecin poursuit en déplorant qu'ait été réalisée une IMG pour détection de deux
doigts manquants : "Nous ne souhaitions pas avaliser une IMG dans ce cas. D'autant que la
femme avait 43 ans, et n'avait pas d'enfant. Ensuite, elle est allée voir un autre Centre où on lui
a dit : "Comment ? On ne vous a pas proposé une IMG ?"Et on a supprimé le fœtus. Ensuite,
nous, on l'a récupérée et maintenant elle dit : " je n'aurais pas dû faire ça". Elle est en
psychothérapie depuis longtemps et elle ne s'en remet pas."
Nous n'avons pas les moyens de vérifier l'importance quantitative des Interruptions
Médicales de Grossesse effectuées à l'étranger, celle concernant la France étant déjà inconnue.
Pourtant, les praticiens interrogés n'ont jamais contesté l'existence de ces pratiques. Quant à des
différences de pratique de l'IMG par région, seuls les rapports, qui devraient être remis au
Ministère de la Santé par les Centres Pluridisciplinaires tous les deux ans, permettraient de les
connaître. Or, ces données ne font pas, au moment de la rédaction de ce texte, l'objet d'une
comptabilisation nationale.
Plus qu'une disparité entre les Centres de DPN, une psychologue exerçant dans le Nord de
la France, rattachée au même Centre Pluridisciplinaire que l'échographiste dont nous avons
mentionné les propos précédemment, note la variété des réponses suivant que le Centre de DPN
les reçoit en première ou en seconde position :
En effet, il arrive que le même type de demande soit jugé acceptable ou inacceptable par
la même équipe suivant qu'elle est ou non la première à l'entendre : "Il arrive, nous dira ainsi
cette psychologue, qu'une demande soit acceptée parce que nous sommes le deuxième Centre
devant lequel elle est présentée, alors qu'elle aurait été refusée si nous avions été le premier
Centre à l'entendre." Une demande sera de cette manière acceptée par un Centre
Pluridisciplinaire alors qu'elle avait été refusée par le précédent, non parce que ce dernier sera
nécessairement moins tolérant à certaines demandes d'interruption de grossesse qui n'entrent pas
très strictement dans les limites de ce qui est autorisé par la loi, mais parce que le maintien de la
demande parentale, malgré le refus initial, sera en quelque sorte la preuve de la "détresse
parentale". "Je me demande, poursuivra ainsi la psychologue qui vient d'être citée, s'il n'y a pas
une instrumentalisation de la psychiatrie" qui pousse la médecine à régler des problèmes qui ne
sont pas strictement d'ordre médical. Cette psychologue note l'augmentation des "indications
psychosociales", comprenant des demandes d'avortement émanant de tiers pour des grossesses
dues à des relations incestueuses, au fait que la mère est alcoolique, ou bien encore au fait que
les parents sont atteints d'un handicap. "Quel mandat la société assigne-t-elle à la médecine ?
La société ne se défausse-t-elle pas sur la médecine de ce qu'elle ne peut pas régler ? Dans
quelle société est-on, quand une demande d'interruption de grossesse est faite pour des
personnes handicapées par des tiers comme des tuteurs ou des magistrats ?"
une lettre émouvante demandant " la permission " de garder son enfant. Il n'est donc pas
étonnant que la psychologue s'inquiète du rôle dont sont ici investis les médecins. Ce qui arrive
lorsqu'ils sont indirectement conduits à régler par l'intermédiaire du diagnostic anténatal les
carences sociales dans la prise en charge des personnes handicapées et ce, même si les médecins
du Centre s'efforcent de résister aux demandes d'IMG jugées illégitimes ou incompatibles avec
ce que la loi autorise. "Ici on n'accepte pas une IMG pour une agénésie de la main par exemple,
dit ainsi cette psychologue. Et face à ce refus il y a trois propositions : les patients sont dirigés
vers un autre Centre, il y a un accompagnement psychologique, et il y a estimation du tableau
dépressif." Or, cette estimation lui semble généralement aller dans le sens de la demande des
parents, même si les responsables de la maternité du grand hôpital dans lequel elle exerce "tirent
vers le haut", suivant ses propres termes, le niveau de réflexion et de conscience professionnelle,
et n'envisagent donc jamais à la légère une demande d'interruption de grossesse.
Au cours des entretiens que nous avons réalisés, la plupart de nos interlocuteurs ont
dépassé la seule question de l'impact de l'arrêt Perruche et de la judiciarisation sur leurs
pratiques, pour interroger les implications de cette judiciarisation et du dépistage prénatal dans
son ensemble sur le lien parent/enfant. Nous avons déjà entendu un praticien s'inquiéter de la
conversion possible de l'enfant en une sorte de "robot mécanisé" devant répondre, comme un
produit marchant, à des exigences de "qualité". La crainte qui se manifeste alors à travers
plusieurs entretiens est celle que la judiciarisation ne soit que la prolongation et le passage à la
limite d'une forme de violence peut-être déjà implicitement contenue dans le projet du dépistage
prénatal. De ce fait, si toutes les plaintes pour erreur de diagnostic prénatal ne sont pas jugées
illégitimes d'un point de vue médical dans la mesure où les praticiens reconnaissent qu'il peut y
avoir eu négligence dans les investigations avant la naissance, plusieurs s'inquiètent du fait que
pour trouver des moyens de subsistance décents, un enfant handicapé doive alors apprendre que
s'ils l'avaient pu, ses parents auraient fait procéder à une Interruption Médicale de Grossesse…
Mais de tels procès ne seraient-ils pas alors l'élément visible de la violence de ce que plusieurs
appellent l'"entreprise prénatale" ? Violence à laquelle, nous l'avons vu, plusieurs praticiens
cherchent à échapper en tentant de faire du dépistage prénatal un instrument au service de
l'enfant à naître.
Mais c'est ici qu'apparaissent les propos les plus contradictoires concernant l'appréciation
des effets du dépistage prénatal sur le futur enfant et sur le lien parent/enfant.
Une des équipes hospitalières rencontrées évoquera même un débat ayant eu lieu lors
d'une rencontre entre professionnels de la naissance, et dont le thème était : "pour ou contre le
dépistage prénatal".
Au cours des entretiens que nous avons menés, nous avons d'ailleurs retrouvé à plusieurs
reprises la volonté de départager les arguments en faveur d'un dépistage prénatal systématique et
ceux qui plaident au contraire pour une réévaluation totale de son usage et de sa mise en œuvre.
85
Ce sont parfois les mêmes praticiens qui oscillent parfois successivement d'une argumentation à
l'autre !
Mais de tels avantages, que l'on retrouve résumés par l'affirmation selon laquelle le
dépistage prénatal et son instrument principal l'échographie ont pour fonction de "sauver des
bébés et des mamans", sont parfois jugés de peu de poids si l'on raisonne en termes de Santé
Publique : le dépistage prénatal sauve certes des vies de femmes et des vies d'enfant, mais
certains praticiens se demandent si ce bénéfice contrebalance les inconvénients qu'il engendre.
Tout du moins certains estiment-ils que l'affaire Perruche devait être l'occasion de s'interroger
sur certains choix de santé publique.
L'un d'eux, gynécologue obstétricien, exerçant dans un service réputé d'un hôpital
parisien, résume en trois points les questions principales qui lui semblent devoir être posées
concernant le dépistage prénatal. Après avoir souligné la fiabilité toute relative du dépistage de
la rubéole, ce praticien déclare :
"Cette affaire Perruche aurait pu faire s’interroger sur des choix de Santé Publique. Les
critères que donne l'OMS pour le dépistage d'une maladie, c'est que ce soit fréquent, que le
diagnostic soit précis, clair, évalué. Or, combien de cas dépiste-t-on avec le dépistage ?
Personne n'en a parlé. La nouveauté avec l'affaire Perruche, c'est que ça a forcé les
professionnels à se dire qu'ils ne faisaient pas de la médecine traditionnelle de diagnostic, mais
du dépistage.
Je crois que la notion de dépistage est devenue plus présente dans les esprits avec l'affaire
Perruche parce que les professionnels et les patients se sont demandés ce qu'ils faisaient. Ils ont
commencé à se demander “ à quoi ça sert tout ça ? ”
J’ai le sentiment que, devant l’affaire Perruche et les affaires analogues à la suite
d’échecs de dépistage échographique, il y a deux réactions extrêmes, et possiblement, un juste
milieu. Ces tendances valent surtout pour l’échographie.
Première réaction : une médecine très spécialisée pour “ mes patientes ”. Les médecins
ou sages-femmes se disent que leur clientèle doit bénéficier des soins de médecins
échographistes correspondants hyper spécialisés (probablement plus nombreux dans les
grandes villes ou les zones fortement attractives au plan universitaire, intellectuel, économique).
Cette option n’est pas réaliste à l’échelle du pays, dans une perspective d’égalité, car il faut
rendre un service de qualité au plus grand nombre, et le nombre d’hyper spécialistes est par
définition faible.
86
Autre extrême : la tendance défaitiste qui conduis à tenir un discours du genre : " tout ce
que les spécialistes nous montrent en matière de diagnostic prénatal de maladies rares, c'est du
pipeau, nous qui sommes des médecins de proximité, on ne pourra jamais réussir à voir des
malformations aussi subtiles ” : défaitisme, perte d’estime de soi.
Peut-être y a t il un juste milieu.
Se former le mieux possible techniquement est évidemment très important mais ce qu'il
faut aussi faire c'est clarifier le contrat qui unit les médecins et les malades en termes de
dépistage. Autrement dit, que choisit-on de dépister et quelle est la probabilité de réussir,
autrement dit, la sensibilité du dépistage ? Dans le cas de la trisomie 21 par exemple, les tests
de dépistage ont une sensibilité de 60-80 %. Pour ce qui est des principales malformations,
l’échographie a une sensibilité globale de l’ordre de 60 %.
Le nombre de cas est aussi important, car, à gravité égale, on tend à faire en priorité le
dépistage des maladies les moins rares. Ainsi, les malformations graves représenteraient 1 %
des grossesses, et les anomalies chromosomiques comme la trisomie 21, de l’ordre de grandeur
de 1/600 à 1/700 grossesses (contre un ordre de grandeur de 1/100 000 pour les rubéoles
congénitales malformatives).
Un autre problème est celui de l’information des patientes qui se soumettent au dépistage.
Par exemple, en 1987 est arrivé le dépistage de la T21 par les marqueurs sériques. Cela a
permis pour la première fois, de calculer le risque d'une femme d'avoir un trisomique 21 et de
mettre en parallèle le risque induit par l'amniocentèse. Avant on n'était pas dans un dépistage de
masse. Seules les femmes de plus de 38 ans étaient dépistées. Elles se préparaient avant même la
grossesse. Or, on a introduit un test où tout le monde allait passer à la moulinette. Personne n'y
était préparé, ni les médecins et sages-femmes, ni les femmes elles mêmes. D’où des difficultés
d’explication, en particulier sur un rendu de résultat “ probabiliste ” : risque d’anomalie
chromosomique de tant pour cent.
Un dernier problème, rarement abordé, est celui des effets nocifs des dépistages. Le mot
dépistage à une connotation positive. Cependant, le dépistage ne fait pas que du bien. Il inquiète
en mettant les gens en présence d’un risque qu’ils négligeaient jusque-là, et surtout il peut
induire la pratique d’examens comportant un risque. Il en est ainsi de l’amniocentèse. En
pratique, on identifie par un premier test en soi sans danger (échographie, prise de sang) un
risque d’anomalie, mettons de 1/100. Une amniocentèse est nécessaire pour confirmer ou
infirmer la présence de l’anomalie. Si on admet que le risque de complication de l’amniocentèse
(fausse-couche) est de l’ordre de 1/200, on comprend que pour 2 cas d’anomalie diagnostiquée,
on aura 1 fausse-couche due à une complication de l’amniocentèse."
grammes au lieu de mille). On n'a pas dit aux parents que, en définitive, le bébé était normal. Ça
aurait été trop violent pour eux68…"
Ce médecin évoque alors le cas d'une femme venue dans son service pour pratiquer à
contrecœur une interruption de grossesse après que l'amniocentèse eut révélé une incertitude à
propos du fœtus chez lequel on soupçonnait une anomalie prédisposant à un retard mental dans 2
à 3 % des cas.
" "Quand je suis sortie de chez la généticienne, avait alors expliqué la patiente à cet
obstétricien en arrivant en consultation, ma décision était prise qu'il n'y avait pas de problème
avec mon bébé".
Mais c'était sans compter sur la présence du mari !, poursuit alors le médecin : "je ne
supporterais pas ça", dit le mari70. Et les médecins tous, les uns après les autres, l'encouragent à
venir avorter. La voilà donc qui arrive pour avorter. Je lui dis : "j'ai une autre proposition à
vous faire, les statistiques donnent 2 à 3 % de risque, mais c'est sans compter avec
l'échographie. Maintenant qu'on a la puce à l'oreille, je vous propose de faire autrement, on va
suivre votre bébé à l'échographie, avec un de mes adjoints on va vous suivre, séparément, s'il y a
le moindre machin au cerveau qui apparaît, à n'importe quel moment de la grossesse, je vous
jure, on arrête la grossesse." Elle m'aurait embrassé : elle venait pour avorter, elle repartait
enceinte. Mon adjoint et moi-même, on l'a vue quatre fois, on ne voyait rien, le bébé était
morphologiquement normal. Puis, tous nous connaissons cette tension qui monte chez les
patients après l'accouchement :
- Il est normal ?
68
Il semble humainement compréhensible qu'il ne soit pas dit aux parents, après une IMG, que l'enfant
n'était atteint d'aucune anomalie. Les médecins, quant à eux, avouent généralement que, longtemps après,
ils en restent psychologiquement déstabilisés.
69
Nous aurions bien sûr souhaité chiffrer ce phénomène. Mais les données concernant l'IMG n'étant pas
disponibles, il est plus difficile encore de savoir combien d'IMG sont faites à la suite d'erreur de diagnostic
mettant en évidence une anomalie finalement inexistante.
70 ème
Une étude effectuée par Janine Sayre, psychiatre psychanalyste (présentée lors des 9 Journées de
Médecine Fœtale de Morzine) montre, qu'il y ait doute ou non, que ce sont surtout les pères qui s'opposent
à la poursuite de la grossesse. L'investissement narcissique du père n'est pas le même que celui de la mère.
88
Je l'appelle six mois plus tard, elle ne répond pas au téléphone. J'apprends par un avocat
qu'elle m'assigne en justice pour lui avoir refusé l'avortement médical. Depuis, elle a abandonné
sa plainte mais… Je la rencontre, elle me dit : " Rien ne va (au neuvième mois de vie de
l'enfant), je sais ce que c'est quand ça va avec un enfant, j'en ai déjà eu deux, c'est le troisième.
Rien ne va".
L'enfant a plus de deux ans maintenant. Le pronostic n'est pas bon. Et pourtant, tout le
monde à fait son boulot : celui qui a proposé le "vaccin de la trisomie 21", (comme disent
parfois les patientes), celui qui a fait l'amniocentèse, la généticienne qui lui a donné les
informations… Mais c'était sans compter avec la destruction du lien entre une mère et son
enfant, c'est un accident dramatique, irréversible… Nous avons là un exemple massif de ce que
peut être le DPN où, à un moment de la grossesse, la femme a dû envisager la mort de son
enfant."
"Où est-il donc intéressant le dépistage prénatal ?", demande alors cet obstétricien qui
enseigne pourtant cette pratique en Faculté dans une grande ville de France. Nous médecins,
avons dit pour le vendre à la société : "nous pouvons traiter des enfants in utero." Or, quand on
en traite un par an, qui donne un bébé en bonne santé, on est content. Donc, première
mystification genre Téléthon : "donnez de l'argent pour sauver les enfants myopathes…" En fait,
c'est pour mieux les avorter parce que les seules découvertes qu'on a faites grâce au Téléthon,
89
c'est le génome. Première mystification, donc, "on va traiter les enfants in utero", c'est pas vrai,
et ça ne le sera probablement jamais à grande échelle. Deuxième mystification, "on trouve des
choses qui permettent de soigner l'enfant à la naissance." Je vous accorde quelques
transpositions des gros vaisseaux… : 10 par an pour la France. Je vous accorde quelques
hernies diaphragmatiques où l'on fait accoucher l'enfant dans de très bonnes conditions : 10 par
an pour la France. Quelques atrésies digestives et ça y est ! fini les bénéfices ! donc soyons
clairs : dans l'offre de soins, nous avons décrété que nous allions traiter in utero : faux ; que l'on
allait mieux accueillir les enfants à la naissance et ainsi en sauver : cela ne me paraît pas très
évident. Ça, c'est dans un plateau de la balance Roberval et dans l'autre plateau il y a les effets
directs, mais ce n'est pas le plus grave, il y a tout ce que nous sommes en train de générer
comme doutes et suspicions entre les mères et les enfants… Donc le DPN est-il légitime tel qu'il
est pratiqué en France actuellement ? j'ai un immense doute médical et psychologique."
Évoquant ces questions avec un autre obstétricien, nous retrouvons énoncées les mêmes
inquiétudes, et les difficultés éthiques soulevées par l'arrêt Perruche seront aussitôt replacées
dans une réflexion plus vaste sur les investigations prénatales et ses finalités. Ce médecin
mentionne alors : "l'anxiété majeure, la déception et l'angoisse des patientes en cas de suspicion
d'anomalie., et souligne à son tour la "difficulté à évaluer les troubles psychologiques" causés
par le dépistage en l'absence de thérapeutiques possibles, en cas de détection d'anomalie ou de
simple suspicion d'anomalie.
La possible rupture du lien mère-enfant quand est posé un diagnostic qui conduit la mère à
souhaiter la mort de son enfant alors même que, dans certains cas, l'état pathologique du fœtus
n'est pas avéré est donc à nouveau évoquée :
"L'entreprise prénatale fait partie de la phobie de l'homme vis-à-vis de l'inconnu. C'est
une entreprise qui engage beaucoup d'argent, remarque le médecin. On fait partie d'un maillon
qui fait du pognon, qui doit être rentable. La femme fait les frais de tout ça. Et ce qu'on n'a pas
du tout évalué, c'est ce que ça va donner ensuite, pour les enfants, le fait qu'on ait douté d'eux.
Par exemple, nous avons connu une femme qui avait quatre enfants dont tous allaient bien, sauf
une fille atteinte d'une anorexie gravissime, actuellement récupérée, mais qui reste une enfant
90
psychiatriquement fragile. Quand elle était enceinte, la mère de cette jeune fille avait présenté
un syndrome abdominal douloureux à 12 semaines de grossesse.
À ce moment, témoigne l'obstétricien. Elle voit le gynéco qui lui dit que tout va bien, et
elle l'entend dire à la sage-femme : "elle a besoin d'être chouchoutée". Pourtant, elle revient
dans la nuit dans le service, et cette fois on appelle le chirurgien. En réalité, elle avait fait une
appendicite aiguë, et le chirurgien l'avait prévenue que peut-être le bébé ne survivrait pas à
l'opération. À partir de ce moment-là, cette femme a souhaité que son bébé décède. Or, à chaque
fois, lors d'échographies, l'échographiste disait seulement : "elle est petite, il va falloir la
gaver." Aujourd'hui, après dix ans de psychanalyse, cette femme dit qu'elle a mis du temps à
réaliser le lien entre l'anorexie de sa fille et les propos pourtant rassurants du praticien et elle
reconnaît surtout qu'elle n'a jamais pu nouer un lien avec cette petite fille, une fois émis un
doute sur ses capacités de vivre".
À en juger par cet exemple où n'a pas même été envisagée une Interruption de Grossesse
de façon explicite, comment les praticiens ne s'inquièteraient-ils pas des conséquences du
soupçon qui peut être jeté sur un enfant à naître par l'emploi de techniques de dépistage dont la
fiabilité n'est pas entière, s'interroge le praticien ? Et celui-ci se demande alors par exemple
quelles sont les finalités et les bénéfices des 700000 tests de dépistages de la trisomie 2171,
effectués en France pour 800000 grossesses annuelles, et qui ne réussissent à "dépister au bout
du compte que quelques centaines de trisomies 21 par an". Dans une autre équipe, une sage-
femme évoquera à son tour la modification du lien mère-enfant induit par les techniques de
vérification concernant son état :
"J'ai une amie qui en est à 3 mois de grossesse : elle dit qu'elle n'investit pas encore, elle
attend les résultats des différents examens.
Je connais d'autres cas où il n'y a pas d'investissement de la mère pour son enfant tant
que les résultats ne sont pas là, tant que l'amniocentèse n'est pas faite par exemple."
Lorsque qu'il y a dépistage d'anomalie fœtale, celui-ci pose à son tour un autre problème
dans la mesure où, affirme l'obstétricien précédemment cité :
"Les médecins ne connaissent rien du handicap. Il y a un clivage grave entre le monde du
handicap et le monde de l'obstétrique, une scission qui se fait dès la naissance : dès que l'enfant
est né, les médecins ne voient plus l'enfant ou alors rarement."
Le hasard a voulu qu'au cours de cette enquête, nous ayons eu l'occasion de rencontrer un
jeune couple qui avait été confronté durant des mois à l'angoisse suscitée par la suspicion d'une
anomalie fœtale pouvant avoir de graves conséquences. Bien entendu, un tel témoignage ne peut
avoir, à lui seul, valeur générale. Une étude devrait être menée auprès de plusieurs couples ayant
traversé des expériences similaires pour que puisse être ainsi pris en considération tous les
aspects des difficultés et avantages d'un diagnostic prénatal d'anomalie.
Il est probable que des parents attendant un enfant atteint d'une anomalie opérable se
féliciteraient alors des bons soins qui auraient été permis dès l'accouchement par un diagnostic
déjà fait pendant la grossesse. Nous ne pouvons toutefois pas manquer de reproduire le
témoignage qui suit dans la mesure où il fait singulièrement écho aux inquiétudes des médecins
précédemment évoquées, non seulement en ce qui concerne la question de l'impact du dépistage
prénatal sur les liens parents/enfant, mais aussi en ce qui concerne le rapport de la médecine non
spécialisée au monde du handicap.
71
A environ 28 euros par test.
91
72
Si ce test se révèle "positif", on procède effectivement à une amniocentèse pour voir si le fœtus n'est
pas atteint de la trisomie 21.
92
d'espoir. Il y avait une dramatisation, on n'avait pas devant nous des professionnels, mais des
êtres humains avec une peur panique du handicap."
Transparaissent alors en filigrane, à travers les propos de ces jeunes gens, les
conséquences que peut avoir un diagnostic d'anomalie fœtale, sur les liens qui unissent un couple
: "Je me disais : quitte à perdre mon compagnon, je ne peux pas tuer mon enfant." "Moi,
poursuit le père, j'étais dans une période où, par mon travail, j'étais confronté à des parents
d'enfants handicapés qui étaient au bout du rouleau… C'était donc très difficile. Cela dit, je ne
savais pas que j'aurais aussi peur du handicap. Le problème, c'est la méconnaissance du
handicap de la part des médecins. C'est la peur du handicap qui est plus déterminante en tout
cas dans leur attitude que celle de la judiciarisation."
"La connaissance que j'avais du handicap m'a influencée, conclut la mère, au sens où,
pour moi, une personne handicapée c'est une personne comme une autre. Si on refait un
deuxième bébé, on fera le moins possible d'examens. Il faut être extrêmement fort pour affronter
tout ça."
Un médecin obstétricien déjà cité, évoque les pratiques des autres pays :
"Il y a une énergie terrible qui est développée pour le prénatal, explique-t-il. Quand on
regarde le résultat en termes d'efficacité, c'est nul. La Hollande, qui a zéro dépistage prénatal
parce qu'il n'y a pas les médecins pour le faire, et parce que les personnes handicapées
auxquelles ont les moyens de vivre, a une mortalité périnatale deux fois plus faible que la
France 73 Chez nous, on élimine tout ce qui est médiocre et l'on a encore une mortalité
supérieure ! C'est une question d'organisation et de soins. L'argent qui est mis dans la prise en
charge de la femme est d'une meilleure qualité. En Hollande, les sages-femmes voient quelles
femmes pourraient accoucher à la maison, c'est le cas de 30 % d'entre elles. Ici, on a dit : "la
grossesse, c'est dangereux, venez chez nous." La grossesse, qui est un phénomène naturel, a été
bien trop iatrogénisée. La surveillance tous les mois, c'est une ineptie. On pourrait utiliser cet
argent-là pour une prise en charge des grossesses pathologiques. Pour les grossesses sans
problème, les sages-femmes pourraient les suivre bien mieux que les médecins, elles font de la
relaxation, elles prennent le temps de parler..."
En ce qui concerne le dépistage prénatal systématique, le chef de service d'une des plus
importantes maternités de province déclare à propos des bénéfices thérapeutiques du dépistage
prénatal :
73
Des études comparatives précises devraient évidemment évaluer les avantages et inconvénients
comparés de chaque façon d'accueillir les enfants à naître. Notons ici la non distinction qui a longtemps
prévalu en Hollande entre IVG et IMG. La loi du 1er mai 1981 ne spécifie pas de délai limitant pour l'IVG,
mais dans les faits, elle n'est pas pratiquée au-delà de 22 semaines. Tuer un fœtus viable reste un
infanticide et la limite de la viabilité est estimée à 26 semaines d'aménorrhée. Un projet de loi était
récemment en cours pour autoriser l'IMG après 26 semaines en cas de pathologie grave du fœtus. "Cadre
légal français et européen" D. Gallot, H. Moreau, D. Lémery, in Interruption de grossesse pour pathologie
fœtale, sous la direction de V. Mirlesse. Flammarion 2002.
93
"Le bénéfice n'est certainement pas pour le fœtus qui n'a aucun intérêt à être dépisté. Le
fœtus n'a jamais intérêt à être dépisté avant la naissance : soit il n'est pas malade et il n'a pas
intérêt à ce qu'on s'occupe de lui, qu'on lui découvre des petites malformations, soit il a des
malformations graves et il y a des chances qu'il soit éliminé. Ce sont les parents qui ont intérêt
au dépistage prénatal74".
Quelques praticiens évoquent donc le désir de certaines femmes de revenir à une certaine
"naturalité de la grossesse". "L'argument pour avancer qu'il faut retourner au physiologique,
nous dira ainsi un professeur en gynécologie obstétrique, c'est de dire que trop de
médicalisation, trop de technique est iatrogène. Gérard Bréart, épidémiologiste75 a ainsi montré
que, pour un enfant de même poids à la naissance, le pourcentage de césariennes avant terme
était multiplié par 2 ou 3 selon que le diagnostic de retard de croissance était ou non porté in
utero." Reste à savoir si ces césariennes étaient abusives ou non puisque, comme le notait le
Président du Syndicat des Echographistes cité précédemment, pour éviter de graves séquelles à
un enfant qui a "cassé sa courbe de croissance in utero (…) on peut extraire le bébé et le mettre
en couveuse."
En effet, l'arrêt de la Cour de cassation, mais également tout procès pour non-diagnostic
d'anomalie fœtale (que l'indemnisation soit demandée au bénéfice des parents ou au bénéfice de
l'enfant) n'est évidemment pas jugé être la cause mais la manifestation du fait que les techniques
74
Remarque qui est elle-même pondérée par le témoignage des parents qui précède.
75
Directeur de Recherche à l'INSERM, Unité 149 Villejuif.
94
"Il y a certainement des demandes d'IMG pour des motifs qui n'auraient pas existé il y a
dix ou quinze ans, estime un gynécologue obstétricien, mais je ne crois pas que ce soit le fait de
la judiciarisation. Je crois que c'est le fait de l'enfant parfait, c'est un phénomène sociétal."
"La quête de l'enfant parfait s'interroge de même un échographiste hospitalier, c'est une
réalité mais ce n'est pas à cause des arrêts de la Cour de Cassation, c'est le fait de la société, si
on annonce à des parents que leur enfant ne rentre pas dans des critères habituels, qu'il aura
des problèmes, c'est quelque chose qu'ils n'acceptent pas, qui est dû aux performances
demandées aux enfants, ce n'est pas dû aux affaires judiciaires."
"Il y a des demandes d'Interruption Médicale de Grossesse pour des motifs aberrants,
témoigne de même une gynécologue obstétricienne exerçant en secteur libéral dans une des plus
grandes villes de France. Dans le Centre, on a eu le cas d'un risque de fente palatine. 76 Le père
était orthodontiste, c'est lui qui voulait faire faire l'IMG à 22 semaines. Je n'ai jamais pu
entendre un seul mot de la mère. Le père, lui, disait qu'il ne voulait pas de l'enfant. Ici, on a
refusé l'IMG et c'est un médecin généraliste qui leur a donné une adresse en Angleterre où ils
sont allés la faire. Finalement, ils ont découvert que la mère, avait un tout petit défaut à la lèvre.
Elle avait un risque de 20 % de fente palatine pour son enfant. Ils n'ont même pas fait faire de
vérification pour voir s'il s'agissait de la même chose chez l'enfant."
Un pédiatre exerçant dans un des hôpitaux d'une grande ville évoque à son tour une
demande d'interruption de grossesse qu'il juge plus que discutable :
"On a eu le cas d'une mère qui a eu une toxoplasmose77 mais dont le bébé ne présentait
aucun signe d'atteinte. De toute façon, il ne peut pas y avoir de pronostic effroyable. Le pire,
éventuellement, c'est que l'enfant ait une atteinte visuelle légère. Mais la femme ne voulait pas
entendre que son enfant allait vivre, qu'elle allait mener sa grossesse à terme alors qu'on ne
pouvait pas lui assurer un risque zéro."
Plus généralement confronté à des parents d'enfants atteints d'une anomalie, après la
naissance de ces derniers, ce pédiatre évoque les résistances à l'accueil de tels enfants :
"Quelquefois, on a des parents dont l'enfant a une malformation mineure et qui se ferment
à toute discussion : ils n'en veulent pas. On a beaucoup de parents qui ne peuvent pas admettre
d'avoir un enfant handicapé, même légèrement. Cela est en partie dû au corps médical qui a eu
un discours sur le progrès qu'on ne sait plus très bien contrôler. Mais il y a un problème de
société aussi : l'enfant différent on ne l'admet pas. La réponse de la société est importante. Il y a
un travail à faire sur l'acceptation du handicap à la maternité"
"Le mythe de l'enfant parfait est de plus en plus présent, surenchérit une psychologue
exerçant à l'hôpital dans une autre grande ville. C'est induit par les progrès de la technologie
médicale. Les parents disent par exemple à l'échographiste : "on m'avait dit qu'il ferait 2460
grammes, et il ne fait que 2300 grammes" !"
Sont ensuite énumérées et récapitulées par cette psychologue les indications d'Interruption
Médicale de Grossesse mentionnées au cours d'autres entretiens :
"Il y a des demandes pour des motifs qui n'existaient pas il y a dix ou quinze ans. Je ne
peux vous en chiffrer la quantité, mais il y a des indications nouvelles.
76
Malformation caractérisée par une fente de la lèvre supérieure et/ou du palais.
77
Maladie provoquée par les toxoplasmes, parasites se logeant dans les cellules du système lymphatique et
de divers organes.
95
Il y a dix ans les demandes d'interruption médicales de grossesse c'était pour des choses
graves ou létales (spina-bifida très grave, hydrocéphalie, absence de rein, par exemple).
Maintenant on en est à examiner des demandes pour des problèmes de membres, d'anomalies
chromosomiques bénignes.
Par ailleurs, il y a des choses qui me posent problème : je suis maintenant préoccupée,
inquiète et en colère d'une manœuvre d'éradication de la trisomie 21, par éradication anténatale
de ceux qui en auraient été porteurs. C'est vraiment quelque chose que je n'accepte pas. J'ai
demandé qu'on y réfléchisse en réunion d'éthique, parce que ce n'est même plus un problème : la
trisomie 21 ne passe même plus en commission pluridisciplinaire. Dès qu'il y a demande, c'est
automatiquement accepté.
Apparaissent également des indications psychosociales, des demandes d'interruption de
grossesse, sans aucune pathologie du fœtus, hors du délai légal pour des problèmes d'inceste,
des problèmes sociaux, des problèmes d'alcoolisme… C'est ce qui m'amène à beaucoup
m'impliquer dans ces staffs pluridisciplinaires.
Qu'est-ce qui se passe en effet dans notre monde, quand on décide d'interrompre une
grossesse quand des travailleurs sociaux, des juges de tutelles le demandent ?
Il arrive même que soit réalisée une stérilisation. Le chirurgien peut dire : "Ok, on
interrompt la grossesse, mais on fait la ligature en même temps…"
Je me rappelle une histoire de viol sur une jeune fille mineure, démunie, immature. On
avait du mal à évaluer si la retenue avec laquelle elle s'exprimait était une déficience ou une
timidité. On n'a pas cherché à savoir si elle était consentante. Elle a été étiquetée comme débile
violée. Une interruption volontaire de grossesse tardive a été réalisée. J'ai demandé comment
était l'enfant ? Tout allait bien.
Ce que je vois aussi c'est le recours au psychiatre, l'instrumentalisation du psychiatre,
quand une femme demande une IMG et qu'elle est refusée. Ici on n'accepte pas d'IMG pour
agénésie de la main par exemple. Certains parents acceptent un accompagnement
psychologique, d'autres vont aller voir d'autres Centres pluridisciplinaires, d'autres vont
présenter un tableau psychologique sévère avec menace de suicide. De plus en plus, il est fait
recours au psychiatre qui va souvent aller dans le sens de la demande des parents. C'est pour ça
que je parle d'instrumentalisation parce que le psychiatre va venir avaliser la demande des
parents de façon parfois un peu rapide.
Quand la demande est réitérée, c'est difficile de tenir la décision qui était prise, les
médecins cèdent. C'est douloureux parce que je pense que cette profession doit s'appuyer sur un
cadre solide, chaque fois qu'on franchit une limite, ça provoque un débordement d'angoisse,
d'agressivité parce que les gens ont peur qu'il y ait de moins en moins de limites.
Les refus, ça donne du sens aux actes acceptés, ça permet de vérifier qu'il y a un cadre, un
pilote. Depuis l'Arrêt Perruche, les pilotes, ce sont les parents. J'ai entendu un médecin dire :
"maintenant, je vais dire oui à toutes les demandes des parents".
Moi, je me demande quel mandat la société nous donne, elle se défausse sur la médecine
de quelque chose qu'elle ne veut pas prendre en charge.
Nous avons tous quelque chose à en dire, en tant que citoyens, car il s'agit du rapport de
la société avec les personnes faibles, handicapées, différentes… Ça nous concerne tous. On
attend que la médecine règle les problèmes sociaux. Les médecins, on leur dit : "maintenant
vous avez les outils diagnostics pour y parvenir, et aux parents qui voudraient garder leur
enfant handicapé : "vous l'avez voulu votre gamin"…"
Dans la même équipe, mais au cours d'un autre entretien, un échographiste confirme ce
témoignage :
" Je crois qu'on est dans une société où prendre la décision de garder un enfant
trisomique 21, c'est héroïque. Quand c'est le cas, ce n'est pas toujours pour des raisons
religieuses, cela peut-être pour des raisons humanistes. Mais des gens qui demandent un
diagnostic prénatal, à qui l'on annonce le résultat et qui disent qu'ils gardent l'enfant, il y en a
très peu, c'est très rare."
96
Loin d'être la cause du phénomène par lequel les malades ont changé de statut pour passer
de celui de patient à celui d'"usager de la médecine", la judiciarisation est bien plutôt le signe de
cette mutation. Dans cette perspective, l'arrêt Perruche n'apparaît alors effectivement que comme
"une péripétie", certes caricaturale, d'un phénomène beaucoup plus vaste.
Quand les spécialistes référents reçoivent pour vérification ou précision d'un diagnostic
des femmes enceintes dont le futur enfant est déjà suspecté d'atteintes morphologiques ou
génétiques après des examens antérieurs, il ne sont pas souvent témoins du rejet spontané que
provoque fréquemment le dépistage ou la suspicion d'une anomalie : le choc de l'annonce est
passé et si le deuil de "l'enfant normal" n'est pas encore fait, le couple concerné cherche à avoir
des informations complémentaires pour savoir quelles décisions prendre.
Par exemple, quand nous demandons à un gynécologue obstétricien, exerçant dans un des
hôpitaux parisiens spécialisés dans la prise en charge des grossesses pour lesquelles a déjà été
suspectée une anomalie fœtale, s'il lui est possible de confirmer ou d'infirmer la réalité de
l'"aspiration à l'enfant parfait", il nous répond :
"On voit venir l'enfant au 3ème trimestre avec de graves malformations. Ma pratique est
celle d'un hospitalo-universitaire dans un hôpital qui est confronté aux graves malformations.
On se situe au sommet de l'expertise.
On prend des précautions, on travaille avec un personnel qualifié, on travaille avec un
personnel qui prend le temps.
Je ne sais pas répondre à cette question. Certains de mes collègues exerçant en ville
voient des gens riches, des dames qui veulent payer pour avoir un enfant parfait…
Je discute avec eux, ils me disent :" je vois sans arrêt des enfants dont je suis obligé de
dire qu'ils sont normaux parce que les gens, sinon, ils n'en veulent pas".
Nous, dans notre service, on ne les voit pas ces gens-là.
Dans ma pratique, on est rarement confronté à cette demande d'enfant parfait, mais j'ai
une pratique biaisée."
Une autre praticienne pratiquant la fœtologie, dans un centre parisien spécialisé dans la
prise en charge des grossesses difficiles tiendra des propos similaires :
"Je ne suis pas au niveau du dépistage. Je pense que c'est normal d'espérer avoir un bébé
en bonne santé. C'est vrai que l'échographie participe du passage de l'enfant idéal, de l'enfant
exigé, fantasmé, à l'enfant d'une mère. On oblige les parents à être des parents avant l'heure, à
mettre un enfant derrière une échographie."
Une fois le choc de l'annonce de l'anomalie passé, les praticiens spécialisés dans la prise
en charge des grossesses difficiles rencontrent-ils moins fréquemment les réactions spontanées
de rejet que les praticiens confrontés aux réactions immédiates des familles face à la détection
d'une anomalie. En revanche, les praticiens se situant précisément "au niveau du dépistage",
particulièrement ceux exerçant en ville, ont fréquemment évoqué "l'aspiration à l'enfant sans
défaut" au cours des entretiens qu'ils nous ont accordés :
97
"Les gens veulent l'enfant parfait, nous dira notamment un échographiste exerçant en
cabinet privé. C'est vrai quand il y a détection d'un manque d'une partie du corps. C'est vrai
aussi en cas d'amniocentèse. Le résultat, c'est qu'elle met souvent en évidence que le risque de
déficience intellectuelle est un peu plus fort que dans la moyenne générale : on ne prend pas ce
risque. Les gens veulent des garanties. La grande question des femmes, c'est : "est-ce qu'il est
normal?" Notre réponse c'est : Je n'ai pas vu d'anomalie". Il y a là une subtilité sémantique que
certains comprennent, et que d'autres ne comprennent pas. J'ai l'impression que ça s'est
renforcé avec cette histoire de judiciarisation. Les gens disent dans les Centres de diagnostic
prénatal : si je ne peux pas avoir ce que je veux en France, je vais en Espagne. Je crois
qu'aujourd'hui il y a beaucoup de gens qui veulent l'enfant parfait. Si un psychiatre se lançait
dans l'étude du désir d'enfant des couples, je crois qu'il trouverait qu'ils veulent souvent la
blonde aux yeux bleus, et le bel Apollon des mers du Sud. Ça n'est pas dit comme ça, c'est plus
subtil : les gens demandent : "il est bien fait ? Il est normal ?
Il n'est pas bossu ?""
Les témoignages qui sont ici produits indiquent donc que la réaction de rejet de l'enfant
handicapé peut se modifier dans le temps et suivant l'accompagnement qui est proposé aux
parents. C'est pourquoi certaines équipes ont tenu à souligner que le choix de garder un enfant
atteint d'une anomalie pouvait être favorisé par le contexte, et que les tentations procédurières
pouvaient notamment être neutralisées par la qualité du dialogue avec les différents membres du
corps médical.
78
En l'occurrence, généralement catholiques.
98
un bon suivi, les gens n'insistent pas forcément. Pour la trisomie, la réaction n'est pas forcément
le rejet. Ici, on n'a pas eu d'abandons d'enfants trisomiques. C'est sûrement lié à l'annonce."
Outre les spécificités culturelles des patients, la disponibilité de l'équipe soignante et une
dotation suffisante en personnel sont présentés à plusieurs reprises comme des facteurs ayant des
conséquences directes sur les décisions qui sont prises suite au diagnostic d'anomalies fœtales.
Une des sages-femmes déclare ainsi : "Dans les IMG, le milieu médical y est pour beaucoup.
C'est nous qui donnons notre avis sur la demande d'IMG. En fait, le corps médical ne laisse pas
un vrai choix aux parents. Il y a eu une époque où toutes les toxoplasmoses, tous les
cytomégalovirus< dont les conséquences sur le fœtus sont extrêmement variables et
imprévisibles> donnaient lieu à l'IMG, surtout que ça pouvait se faire dans le délai de l'IVG.
Maintenant moins. Les parents comprennent certes difficilement qu'il y ait une part de risque
non évalué. Pourtant, si on explique, si on a du temps, ça peut aller. Je sais que ça pourrait être
pire ailleurs : il y a des endroits où l’on a supprimé les cours de préparation à l'accouchement,
mais ici non. C'est dommage de les supprimer, car c'est là que les choses peuvent se dire."
Ici, "les choses" peuvent-elles sans doute d'autant plus "se dire" que les patients ne sont
pas exposés aux difficultés de communication rencontrées dans certains services par des femmes
issues de l'immigration et ne parlant pas le Français79.
L'ensemble du service manifeste une sensibilité aiguë à toutes les questions éthiques
soulevées par le dépistage prénatal, et estime que l'ensemble de ces facteurs (patients bénéficiant
de conditions de vie favorables, bons moyens de prises en charge et de suivi des femmes
enceintes et réflexion du personnel quant aux objectifs du diagnostic prénatal) a une influence
plutôt positive en ce qui concerne l'acceptation des enfants atteints d'une anomalie : "A force de
pratiquer l'IMG, d'accompagner le deuil périnatal80, déclare la gynécologue obstétricienne, chef
de service de la maternité de cet hôpital, on s'est demandé si on n'allait pas trop facilement trop
vite, trop loin. On a donc eu un recul important par rapport à nos pratiques." De sorte que
l'équipe elle-même, qui ne réalise qu'une quinzaine d'interruptions médicales de grossesses par
an, a le sentiment d'avoir aujourd'hui, suivant les termes de ce médecin, une "tolérance accrue
au handicap". "On est désormais davantage dans la question : "qu'est-ce que la valeur de la
vie ?" On n'est plus dans la quête de l'enfant sans défaut", ajoute-t-elle.
79
Le chef de service de la maternité d'un des hôpitaux d'une des plus grandes villes de France insiste de
même sur l'importance du dialogue entre médecins et patients : quand nous lui demanderons si les parents
ont désormais une tendance marquée à exiger l'enfant "zéro défaut", il répond :
"C'est un point de vue pessimiste. On a matière à être optimiste : si on explique posément les choses, on
arrivera à faire prendre conscience aux gens que l'IMG c'est quelque chose de très violent. On arrive à
temporiser, à ne pas prendre de décisions radicales."
Mais un tel effort est singulièrement mis à mal quand les patientes et les médecins ne parlent pas la même
langue : "ici, on est obligé de passer parfois par un interprète. Mais on est obligé de se demander ce qui a
été traduit quand après avoir dit quelque chose de très complexe, c'est traduit en trois mots", nous dira
ailleurs un obstétricien.
80
Parmi les questions les plus épineuses que doivent affronter les praticiens, se trouve celle de
l'accompagnement d'une grossesse dont le fœtus présente des anomalies létales. Les obstétriciens sont
partagés sur ce point : certains pensent qu'il vaut mieux faire une IMG, d'autres estiment qu'il est moins
destructeur pour les familles d'aller jusqu'au bout de la grossesse et que leur deuil en sera facilité.
99
Pour tenter de désamorcer les tentations procédurières des patients, des efforts à la fois
d'ordre technique et d'ordre humain sont déployés, même s'ils jouent parfois en sens contraires :
"Les parents vont porter plainte facilement pour réparation financière à défaut de
réparation de l'enfant, note une pédiatre. Et Perruche a ouvert la porte à ça. Les parents
prennent des renseignements sur Internet et ils veulent des examens. Et nous, pour nous
protéger, on en fait un maximum." Avec l'arrière-pensée de la possible plainte. "On perd la
relation de confiance", note un chirurgien, gynécologue obstétricien." Il y a inflation d'examens
complémentaires. Le bébé est petit : on refait un examen. Car devant le juge, on vous
reprochera de ne pas avoir fait bénéficier la patiente de tout le plateau technique. À chaque
consultation, c'est le contrôle du dossier, des examens. Quand j'étais interne, explique ce
praticien âgé de trente-huit ans, il n'y avait pas tout ça. Or, aujourd'hui tous les obstétriciens ont
été mis en cause. Au moins par des menaces."
Dans un tout autre service d'un hôpital de l'Est de la France, une sage-femme
échographiste confirme cette perception des choses :
"On a tendance à ne plus agir simplement suivant sa conscience et son savoir faire,
remarque-t-elle, mais en fonction de ce qui pourrait nous être reproché. On perd un peu de son
libre-arbitre. On va décider des choses parce que médico légalement, c'est moins risqué. Il y a
des examens inutiles. On sait par exemple que certains examens n'apporteront rien dans 95 à 97
% des cas, mais pour le 2-3 % où ça pourrait être efficace, on va quand même les faire."
Pourtant, malgré ce contexte, plusieurs médecins affirment qu'il est possible par la qualité
du lien entre les femmes et le personnel médical spécialisé dans la prise en charge de la
grossesse d'éviter le rejet systématique de l'enfant handicapé. Cela exige évidemment que les
couples soient alors pris en charge non seulement par des psychologues mais aussi mis en
contact avec des associations de personnes ou de parents d'enfants atteints de handicaps qui leur
permettent d'imaginer une vie possible avec cet enfant à venir.
Encore faut-il, pour que cela soit possible, que les obstétriciens ne soient pas confinés
dans une hyper spécialisation qui les condamne à ignorer ce que peut représenter, en richesse
comme en épreuve, une vie marquée d'une altération physique ou mentale. À ce titre, il est
certain que la création de Centres Pluridisciplinaires, où obstétriciens et pédiatres, notamment, se
rencontrent, ne peut que favoriser la prise de conscience des difficultés des uns et des autres,
mais aussi contribuer à une meilleure connaissance de la vie d'enfants ou d'adultes handicapés.
Quels que soient ainsi les obstacles liés à l'éducation d'un enfant présentant une anomalie,
il semble que les échanges suscités par la création des Centres Pluridisciplinaires soient au moins
capables de briser la systématicité des décisions, à l'exception de celles concernant les fœtus
atteints de certaines anomalies comme la trisomie 21, dont il nous a été dit à plusieurs reprises
que sa détection ne suscitait plus même de discussion au sein des Centres Pluridisciplinaire une
demande d'interruption de grossesse pour ce motif étant systématiquement acceptée.
Il paraît donc bien évident que les médecins, quelles que soient les difficultés éthiques
que leur posent les possibilités sélectives qui sont permises par les techniques actuelles, ne
pourront pas résister à eux seuls à des demandes parentales dues à la conjonction de ces
techniques et à une faible tolérance à l'égard d'hommes et de femmes handicapés dont la société
favorise bien peu leur participation à la vie commune.
Plusieurs praticiens estiment d'ailleurs que la "société se défausse" sur eux pour
compenser l'absence de politique sociale vis-à-vis des personnes handicapées. Le diagnostic
prénatal les place de fait aux "premières lignes" pour résoudre des situations, des carences et des
contradictions sociales dont le traitement n'est pas forcément et uniquement d'ordre médical.
Selon tous les praticiens interrogés, la judiciarisation n'est pas à l'origine de cette situation, mais
elle ne peut que renforcer l'idée suivant laquelle l'enfant présentant une quelconque anomalie n'a
pas sa place dans notre société.
101
CONCLUSION
Nous avons commencé par souligner qu'au moment de la controverse suscitée par
la jurisprudence Perruche, les praticiens de l'obstétrique et de l'échographie avaient brandi
la menace de la mise en place d'un "eugénisme de précaution" et celle d'une démission
massive des échographistes.
Les médecins interrogés ont donc insisté sur le fait que le renouvellement de la
profession d'échographiste n'était absolument pas assuré dans le domaine de l'obstétrique.
L'éventualité d'une reprise de l'échographie fœtale par des sages-femmes ou par des
manipulateurs de radiologie paraît en effet peu réaliste aux praticiens dans un contexte où
ces deux professions ont déjà des effectifs insuffisants.
Ce qui précède n'est évidemment pas sans conséquence sur le deuxième point
abordé par notre présente étude : en effet, à partir du moment où toutes les femmes n'ont
plus également accès à l'échographie, le risque de l'"eugénisme de précaution" ne peut
concerner celles qui ne pourront pas même faire les trois échographies jusque-là
habituelles en France, faute de médecins susceptibles de les accueillir. En d'autres termes,
si "eugénisme de précaution" il y a, il ne peut paradoxalement concerner que les couples
suffisamment favorisés pour en "bénéficier" ! Ce qui, on en conviendra, nous renvoie dès
lors, à une forme tout à fait inédite de l'"eugénisme" celui-ci ayant traditionnellement visé
les plus pauvres !
En fait, si l'on maintient le terme d'"eugénisme" (auquel nous avons pour notre part
souvent préféré, par souci de précision, le terme de "gestion sélective des naissances" ou
de "sélection prénatale"81), l'inégalité d'accès au dépistage prénatal instaure plutôt un
"eugénisme différentiel", délibérément "choisi" par les uns, tandis que les autres ne
peuvent y avoir recours. Nous pouvons évidemment émettre quelques doutes quant à la
liberté même du "choix" des premiers, dans une société qui, ne faisant pas vraiment place
aux personnes handicapées, les condamne, ainsi que leur famille, à des situations
matériellement et psychologiquement difficiles à surmonter.
L'"eugénisme de précaution" ne peut donc concerner, s'il existe, que les couples
accédant aux techniques de dépistage prénatal. Les praticiens admettent alors que des
Interruptions Médicales de Grossesse sont réalisées non seulement en cas de forte
probabilité d'" anormalité " du fœtus, mais aussi en cas de doute concernant son état (ce
qui revient à admettre un phénomène s'apparentant à une forme d'"eugénisme de
précaution"). Mais ils insistent sur le fait que ces avortements ne sont pas exclusivement
ni même principalement dus aux arrêts de la Cour de Cassation et sur la difficulté d'en
vérifier l'importance quantitative.
81
Bien naître –bien être- bien mourir Danielle Moyse, ERES 2001.
103
Dans ce contexte, les décisions prises à trois reprises par la Cour de Cassation (du
17 novembre 2000 au 28 novembre 2001) ont été des éléments détonateurs ou des
facteurs supplémentaires mais non des causes exclusives de l'"eugénisme de précaution".
Pour qu'ils aient alors été des causes déterminantes d'un tel phénomène, il aurait fallu que
la loi du 4 mars 2002, qui met un terme à la jurisprudence, n'ait pas été votée.
Il arrive que des échographistes perçoivent, au cours d'une grossesse, des signes
qu'ils ne sont pas en mesure d'interpréter (ainsi qu'en témoigne également le couple dont
nous avons rapporté les propos) et cette loi n'a pas le pouvoir de changer cet état de
choses. Mais, présentée comme "nécessaire à la poursuite de la pratique", elle a rassuré
les praticiens et leur a peut-être permis de résister à des demandes n'entrant pas dans le
cadre de celles qui autorisent généralement l'IMG.
Si cette loi a par ailleurs mis un terme au débat public qui a entouré les décisions
de la Cour de Cassation, elle n'a cependant pas supprimé le malaise dont plusieurs
médecins nous ont fait part. Mal défini quant à ses objectifs, le dépistage prénatal est
souvent interrogé et présenté comme lourd de conséquences, humaines encore très mal
évaluées. La création, en 1999, des Centres Pluridisciplinaires témoigne de ces
inquiétudes et de la volonté de réglementer une pratique qui était laissée à l'appréciation
de médecins isolés. Beaucoup de participants à cette étude appellent ici à une réflexion
plus approfondie concernant les pratiques qui entourent désormais la naissance. Le
phénomène du contentieux lié à la naissance d'enfants handicapés apparaît à plusieurs
d'entre eux comme l'occasion de mettre au jour des questions éthiques et de redéfinir ce
que peut être une "bonne pratique" médicale dans le domaine concerné.
***
Pour permettre un débat éclairé sur ces questions, il nous est apparu que plusieurs
des éléments mis au jour par les professionnels qui nous ont répondu devraient donner
lieu à des études exhaustives que cette recherche n'avait pas vocation de réaliser, et
qu'elle n'aurait de toute façon pu effectuer au cours des deux années qui nous étaient
imparties et avec le budget dont nous disposions. La nécessité de telles études
complémentaires n'en est pas moins évidente.
82
Loi du 4 mars 2002 sur le Droit des Malades. Op. cit.
104
moral. Alors que les êtres humains étaient jusque-là égaux face à l'apparition de maladies
génétiques ou d'anomalies chromosomiques, cela ne serait plus le cas, et les techniques
prénatales auraient alors introduit une nouvelle inégalité face aux aléas de l'existence.
Une étude recueillant les propos de couples ayant été confrontés à un diagnostic
d'anomalie fœtale serait nécessaire pour que l'on puisse connaître en quoi interviennent
les défaillances dans l'accompagnement et la prise en charge des personnes handicapées
dans les décisions d'Interruption Médicale de Grossesse.
Des études comparatives seraient enfin fort utiles à un niveau européen pour savoir si
nos voisins échappent ou non à des logiques eugénistes. Il faudrait à cette occasion
étudier quels sont les liens entre la manière dont les grossesses sont suivies, le dépistage
prénatal et l'accueil des enfants porteurs d'anomalies.
***
Cette recherche aura donc montré que la question du contentieux lié à la
naissance d'enfants handicapés met au jour les nombreux problèmes auxquels sont
confrontés les "professionnels de la naissance". Ce contentieux permet en tout cas que
soit posée cette question essentielle : assisterons-nous à la mise en place d'une situation
où les uns attendront l'enfant qui vient sans avoir de prise sur ses caractéristiques à veni r
et les autres soumettront leur future progéniture à un " contrôle de qualité " toujours plus
actif ? Le responsable d'une maternité d'une grande ville de France nous disait, pour
décrire la situation en cours : "Autrefois les femmes attendaient un " heureux événement",
maintenant elles attendent un "sujet à risque"." Une telle mutation est socialement et
ontologiquement considérable.
105
BIBLIOGRAPHIE
La littérature concernant l’affaire Perruche est très abondante, et nous ne citerons ici qu’une partie de celle-
ci, notamment celle qui est la plus à même d’étayer la réflexion sur la responsabilité médicale. À cette bibliographie,
s’ajoutent des ouvrages concernant le diagnostic prénatal :
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