Thème 2 - La Séparation Des Pouvoirs

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Année universitaire 2022-2023

Travaux Dirigés - Licence 1 Semestre 2 Groupe 4


Droit constitutionnel
Cours du Professeur Stéphane MOUTON
Équipe pédagogique : Adiouma BA, Clothilde COMBES, Matthieu RABAGLIA, Camille RICHARD, Claire
THURIES

THÈME 2 - LA SÉPARATION DES POUVOIRS

DOCUMENTS

• Document 1 : MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Livre XI, Chapitres IV et VI


• Document 2 : Jonh LOCKE, Deux traités sur le gouvernement civil
• Document 3 : Tableau comparatif de la durée des cycles constitutionnels dans les
diverses théories
• Document 4 : Adhémar ESMEIN, « Deux formes de gouvernement », RDP, 1894,
p. 30 et s.
• Document 5 : Julien BOUDON, « Le mauvais usage des spectres, la séparation « rigide »
des pouvoirs », RFDC, 2009, p. 247
• Document 6 : Alexander HAMILTON, John JAY, James MADISON, Le Fédéraliste, extrait
du Chapitre XLVII, « Examen & application du sens du Principe qui exige la séparation
des pouvoirs », éd. 1792, tome II, pp. 133-134
• Document 7 : Mauro BARBERIS, « Le futur passé de la séparation des pouvoirs »,
Pouvoirs, 4/2012, n° 143, pp. 5-15

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

• Adhémar ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel, 1896


• Michel TROPER, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française,
LGDJ, 1973
• Jean-Philippe FELDMAN, « La séparation des pouvoirs et le constitutionnalisme »,
RFDC, n° 83, juillet 2010
• Revue Pouvoirs, « La séparation des pouvoirs », n° 143, 2012

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• Michel TROPER, « Les classifications en droit constitutionnel », RDP, 1989, pp. 945-
956
• Stéphane MOUTON, « La séparation des pouvoirs ? Du concept politique aux
concrétisations juridiques », Revue française de droit constitutionnel, n° 120, 2019/4

EXERCICE
DISSERTATION : À la lumière de vos connaissances et des documents à votre disposition, vous
présenterez les différentes concrétisations de la séparation des pouvoirs en France.

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Document 1 : MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Livre XI, Chapitres IV et VI

Chapitre IV

La démocratie et l'aristocratie ne sont point des États libres par leur nature. La liberté politique ne
se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n'est pas toujours dans les États modérés ;
elle n'y est que lorsqu'on n'abuse pas du pouvoir; mais c'est une expérience éternelle que tout
homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait !
la vertu même a besoin de limites.

Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête
le pouvoir. Une constitution peut être telle que personne ne sera contraint de faire les choses
auxquelles la loi ne l'oblige pas, et à ne point faire celles que la loi lui permet.

Chapitre VI

Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des
choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit
civil.
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige
ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des
ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les
différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement
la puissance exécutrice de l'État.
La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que
chacun a de sa sûreté ; et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un
citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative
est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; parce qu'on peut craindre que le même
monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.
Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative
et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des
citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le
juge pourrait avoir la force d'un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du
peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions
publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
[...]
Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y
étant composé de deux parties, l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes
les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. Ces trois
puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement nécessaire
des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert.

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Document 2 : John LOCKE, Deux traités sur le gouvernement civil

Chapitre XII
Du pouvoir législatif, exécutif et fédératif d’un Etat

143. Le pouvoir législatif est celui qui a droit de régler comment les forces d'un État peuvent être
employées pour la conservation de la communauté et de ses membres.
Mais parce que ces lois, qui doivent être constamment exécutées, et dont la vertu doit toujours
subsister, peuvent être faites en peu de temps, il n'est pas nécessaire que le pouvoir législatif soit
toujours sur pied, n'ayant pas toujours des affaires qui l'occupent. Et comme ce pourrait être une
grande tentation pour la fragilité humaine, et pour ces personnes qui ont le pouvoir de faire des
lois, d'avoir aussi entre leurs mains le pouvoir de les faire exécuter, dont elles pourraient se servir
pour s'exempter elles-mêmes de l'obéissance due à ces lois qu'elles auraient faites, et être portées à
ne se proposer, soit en les faisant, soit lorsqu'il s'agirait de les exécuter, que leur propre avantage,
et à avoir des intérêts distincts et séparés des intérêts du reste de la communauté, et contraires à la
fin de la société et du gouvernement : c'est, pour cette raison, que dans les États bien réglés, où le
bien public est considéré comme il doit être, le pouvoir législatif est remis entre les mains de
diverses personnes, qui dûment assemblées, ont elles seules, ou conjointement avec d'autres, le
pouvoir de faire des lois, auxquelles, après qu'elles les ont faites et qu'elles se sont séparées, elles
sont elles-mêmes sujettes; ce qui est un motif nouveau et bien fort pour les engager à ne faire de
lois que pour le bien public.

144. Mais parce que les lois qui sont une fois et en peu de temps faites, ont une vertu constante et
durable, qui oblige à les observer et à s'y soumettre continuellement, il est nécessaire qu'il y ait
toujours quelque puissance sur pied qui fasse exécuter ces lois, et qui conserve toute leur force : et
c'est ainsi que le pouvoir législatif, et le pouvoir exécutif, se trouvent souvent séparés.

145. Il y a un autre pouvoir dans chaque société, qu'on peut appeler naturel, à cause qu'il répond
au pouvoir que chaque homme a naturellement avant qu'il entre en société. Car, quoique dans un
État les membres soient des personnes distinctes qui ont toujours une certaine relation de l'une à
l'autre, et qui, comme telles, sont gouvernées par les lois de leur société, dans cette relation pourtant
qu'elles ont avec le reste du genre humain, elles composent un corps, qui est toujours, ainsi que
chaque membre l'était auparavant, dans l'état de nature, tellement que les différends qui arrivent
entre un homme d'une société, et ceux qui n'en sont point, doivent intéresser cette société-là, et
une injure faite à un membre d'un corps politique engage tout le corps à en demander réparation.
Ainsi, toute communauté est un corps qui est dans l'état de nature, par rapport aux autres États,
ou aux personnes qui sont membres d'autres communautés.

146. C'est sur ce principe qu'est fondé le droit de la guerre et de la paix, des ligues, des alliances, de
tous les traités qui peuvent être faits avec toutes sortes de communautés et d'États. Ce droit peut
être appelé, si l'on veut, droit ou pouvoir fédératif : pourvu qu'on entende la chose, il est assez
indifférent de quel mot on se serve pour l'exprimer.

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147. Ces deux pouvoirs, le pouvoir exécutif, et le pouvoir fédératif, encore qu'ils soient réellement
distincts en eux-mêmes, l'un comprenant l'exécution des lois positives de l'État, de laquelle on
prend soin au-dedans de la société; l'autre, les soins qu'on prend, et certaine adresse dont on use
pour ménager les intérêts de l’État, au regard des gens de dehors et des autres sociétés; cependant,
ils ne laissent pas d'être presque toujours joints. Pour ce qui regarde en particulier le pouvoir
fédératif, ce pouvoir, soit qu'il soit bien ou mal exercé, est d'une grande conséquence à un État;
mais il est pourtant moins capable de se conformer à des lois antécédentes, stables et positives, que
n'est le pouvoir exécutif; et, par cette raison, il doit être laissé à la prudence et à la sagesse de ceux
qui en ont été revêtus, afin qu'ils le ménagent pour le bien public. En effet, les lois qui concernent
les sujets entre eux, étant destinées à régler leurs actions, doivent précéder ces actions-là : mais qu'y
a-t-il à faire de semblable à l'égard des étrangers, sur les actions desquels on ne saurait compter ni
prétendre avoir aucune juridiction ? Leurs sentiments, leurs desseins, leurs vues, leurs intérêts
peuvent varier; et on est obligé de laisser la plus grande partie de ce qu'il y a à faire auprès d'eux, à
la prudence de ceux à qui l'on a remis le pouvoir fédératif, afin qu'ils emploient ce pouvoir, et
ménagent les choses avec le plus de soin pour l'avantage de l'État.

148. Quoique, comme j'ai dit, le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif de chaque société soient
réellement distincts en eux-mêmes, ils se séparent néanmoins mal aisément, et on ne les voit guère
résider, en un même temps, dans des personnes différentes. Car l'un et l'autre requérant, pour être
exercés, les forces de la société,, il est presque impossible de remettre les forces d'un État à
différentes personnes qui ne soient pas subordonnées les unes aux autres. Que si le pouvoir
exécutif, et le pouvoir fédératif, sont remis entre les mains de personnes qui agissent séparément,
les forces du corps politique seront sous de différents commandements; ce qui ne pourrait
qu'attirer, tôt ou tard, des malheurs et la ruine à un État.

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Document 3 : Tableau comparatif de la durée des cycles constitutionnels dans les
diverses théories

Maurice HAURIOU

Premier cycle : 1789-1848 69


ans
1789 – 1795 6 ans Régime conventionnel

1795 – 1814 19 Dictature de l’exécutif


ans

1814 – 1848 34 Equilibre parlementaire


ans

Deuxième cycle : 1848 – 1929* 81


ans
1848 – 1 an Régime conventionnel
1849**

1849 – 1870 21 Dictature de l’exécutif


ans
1870 – 1929 59 Equilibre parlementaire
ans

* 1929 ne date pas un changement de régime, mais le dernier traité de Maurice HAURIOU.
** Louis-Napoléon rompt avec le contrôle parlementaire dès avant le coup d’Etat.

André HAURIOU (prolongement de la théorie de Maurice HAURIOU)

Troisième cycle : 1946 - …

1946 – 1958 12 ans Prépondérance Assemblée

1958 – 1974 16 ans Prépondérance Exécutif

1974 - … … Retour à l’équilibre

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Document 4 : Adhémar ESMEIN, « Deux formes de gouvernement », RDP, 1894,
p. 30 et s.

« Le gouvernement semi-représentatif ne compte point parmi ses dogmes la séparation du pouvoir


législatif et du pouvoir exécutif. Il suppose, au contraire, une autorité unique : la représentation
nationale, c’est-à-dire l’Assemblée législative. Un autre membre de l’Assemblée déclarait que les
constitutions de 1791 et de 1848 n’ont point péri parce que qu’elles reposaient sur l’institution
d’une Assemblée unique ; elles ont péri parce qu’elles portaient l’une et l’autre un germe de mort ;
parce que, à côté d’une assemblée unique, elles créaient un pouvoir exécutif indépendant de cette
assemblée. Or, lorsqu’en présence d’une assemblée unique vous créerez un second pouvoir qui
pourra opposer autorité à autorité, il est des coups d’Etat parlementaires, ou par des coups d’Etats
militaires. Si l’on constitue un pouvoir exécutif distinct, il doit nécessairement être subordonné du
pouvoir législatif. De là deux conséquences. En premier lieu, le titulaire du pouvoir exécutif devra
être nommé et choisi par le pouvoir législatif. Le titulaire du pouvoir exécutif doit rester dépendant
du pouvoir législatif, révocable par celui-ci. »

Document 5 : Julien BOUDON, « Le mauvais usage des spectres, la séparation « rigide »


des pouvoirs », RFDC, 2009, p. 247

Quand on examine attentivement la Constitution américaine, une conclusion s’impose : les


fonctions ne sont pas rendues étanches, les organes ne sont pas enfermés dans l’exercice d’une
seule fonction. Les fonctions sont partagées, comme le note Bernard Chantebout, ou plutôt
« balancées », sans que la balance exclue toute spécialisation. Les trois fonctions sont balancées
entre plusieurs organes. Si on commence avec la fonction législative, on devra concéder que la Cour
suprême intervient en la matière depuis qu’elle s’est arrogée le contrôle de constitutionnalité des
lois fédérales lors de l’affaire Marbury v. Madison de 1803 Le président participe lui aussi à la fonction
législative : il peut recommander des lois, surtout il est doté du droit de veto sur les bills du Congrès.
Si l’on passe ensuite à la fonction exécutive, on soulignera que le Sénat est incontestablement
associé à l’exécution : il doit approuver les traités négociés par le président et les nominations aux
emplois publics fédéraux. Enfin, concernant la fonction judiciaire, elle est parasitée tant par l’organe
législatif que par l’organe exécutif : d’une part le Sénat est érigé en juge lorsqu’il se prononce sur
les impeachments, de l’autre le président fait œuvre juridictionnelle lorsqu’il accorde des grâces.

On ne peut se montrer exhaustif ici. On se focalisera sur l’empiétement le plus net (et le plus
dérangeant pour Esmein) : le veto. La doctrine constitutionnelle française, secouée pourtant par
Michel Troper, a bien du mal à admettre ce que les Américains avouaient dès 1787 : par le veto, le
président est fait co-législateur. Aux termes de l’article I, section 7, clause 2 de la Constitution, toute
proposition de loi (bill) votée par les deux Chambres du Congrès devra être « présentée » au
Président. Trois hypothèses alors : le Président signe le projet qui devient une loi (« shall become a
law ») ; le Président refuse de signer le projet et le renvoie devant le Congrès mais son obstruction
peut être surmontée si chacune des Chambres se prononce à la majorité des deux tiers en faveur

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du texte qui devient une loi (« shall become a law »); le Président garde le silence et ne renvoie pas le
texte durant les dix jours qui suivent la « présentation » du bill (et non son vote par le Congrès) –
celui-ci devient une loi comme si le texte avait été signé (« shall be a law, in like manner as if he had
signed it »), à moins que le Congrès ne s’ajourne. Cela interdit au président un quelconque renvoi,
de sorte que le bill ne deviendra pas une loi (« it shall not be a law ») : c’est ce qu’on appelle le pocket
veto.

La procédure exige que le président soit toujours sollicité – dans tous les cas de figure, le projet de
loi doit lui être « présenté ». Et cela fait du président un co-législateur : la véritable association du
président à la législation réside dans la « présentation » préalable, qui le met en mesure de refuser
sa signature. Dans la plupart des hypothèses, le président manifestera une volonté, soit qu’il
approuve le bill en le signant, soit qu’il le désapprouve en le renvoyant aux Chambres avec ses
observations. La situation n’est alors pas douteuse. Mais le Président peut aussi rester passif. Pour
éviter qu’il paralyse la machine législative à bon compte, c’est-à-dire sans prendre position, la
Constitution dispose que l’écoulement d’un certain délai est synonyme d’approbation : au bout de
dix jours, dimanches exceptés, la proposition de loi devient une loi comme si le Président l’avait
signée, bel exemple de fiction juridique. C’est la seule circonstance où une loi sera promulguée et
entrera en vigueur sans signature présidentielle. Mais si le Congrès s’ajourne dans l’intervalle, la
présentation exigée du bill au Président reprend tout son intérêt : la proposition de loi ne deviendra
pas loi. Le pocket veto est une arme redoutable surtout en fin de session parlementaire : comme dans
toutes les démocraties occidentales, l’agenda législatif est aux États-Unis particulièrement chargé
dans les derniers jours de la session.

Il reste que le veto s’entend d’abord, dans 60% des cas, de l’opposition formelle du Président à un
bill voté par les deux Chambres du Congrès. À la convention de Philadelphie, le débat a porté sur
le caractère absolu ou relatif du veto présidentiel et, au cas où le veto relatif serait privilégié, sur la
majorité nécessaire pour surmonter le veto. Les Fédéralistes les plus convaincus, Wilson et
Hamilton en tête, militaient pour un veto absolu : il leur semblait que c’était le seul moyen d’assurer
l’indépendance du chef de l’exécutif. C’est un échec patent puisque la proposition ne reçoit aucun
vote favorable. Aux yeux des délégués, il fallait bien un check sur le législatif, et le remettre à
l’exécutif, sans que celui-ci, incarné dans un seul individu, puisse bloquer définitivement la volonté
des assemblées. Le veto devenait donc relatif (« qualified »), le Congrès pouvant le surmonter
(« override »). Toute la question était de savoir à quelle majorité ? Les deux Chambres sont ici à
égalité, de la même manière que pour le vote du bill. Deux seuils ont été débattus : 2/3 et 3/4. Un
seuil élevé avait naturellement la préférence des Fédéralistes puisque, rendant le veto d’autant plus
difficile à surmonter, il s’approchait du veto absolu. La Convention va d’abord dans leur sens avant
de se déjuger . La cause du revirement est que le Président serait trop puissant : avec le soutien d’un
quart seulement de l’une des deux Chambres, il pourrait paralyser le Congrès ; il lui suffirait de
corrompre quelques sénateurs pour atteindre cette minorité dans la Chambre haute (qui comptera
initialement 26 sénateurs).

Le veto relatif est le fruit d’un compromis : la balance des pouvoirs impose que les actes du Congrès
puissent être contrariés, tandis que les principes républicains imposent que le corps législatif,
présumé le meilleur représentant de la volonté du peuple, ne puisse être définitivement paralysé
par un exécutif monocéphale ressemblant furieusement à un monarque, voire à un tyran. Le

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mécanisme dessiné par la Constitution de 1787 articule en quelque sorte deux checks : le premier du
Président sur les bills du Congrès, le second du Congrès sur le veto du Président. Le veto relatif
invite à la discussion et incline au compromis, tandis qu’un veto absolu est une arme de destruction
massive – il est dissuasif au stade de la menace, mais il interdit tout compromis. En revanche, un
veto surmontable, et encore plus à la majorité des deux tiers dans les deux Chambres, oblige les
deux départements à chercher un terrain d’entente, et c’est seulement en dernier ressort que l’arme
du veto sera utilisée. D’une part le Congrès doit engager des pourparlers car il aura toujours du mal
à atteindre la double majorité des deux tiers au cas où le Président opposerait son veto (environ
4 % des vetos sont surmontés). D’autre part le Président doit compromettre parce que les partis
américains ne connaissent pas la discipline de vote de leurs homologues européens et sont prêts à
contredire un président pourtant d’une couleur politique identique à la leur.

Les pouvoirs législatif et exécutif sont, négativement, dotés de la faculté de se paralyser l’un l’autre
et ils doivent, positivement, collaborer pour gouverner. Il est inexact d’affirmer que « chacun paraît
enfermé dans sa fonction et isolé dans un rôle » (J. Gicquel) . Il n’y a pas de clôture fonctionnelle aux
États-Unis : il y a une spécialisation fonctionnelle, qui se traduit par un monopole de l’initiative mais
les frontières sont poreuses et franchies par des facultés d’empêcher réciproques. La spécialisation
n’est pas synonyme de monopole et de prison : d’une part, si les organes sont spécialisés, c’est-à-
dire s’ils sont principalement compétents pour une fonction identifiée, cela ne signifie pas qu’ils sont
exclusivement compétents; d’autre part, ils ne sont pas enfermés dans leur fonction principale ou
« naturelle » – ils peuvent s’en échapper et envahir, sur le fondement d’un titre constitutionnel, les
fonctions des autres organes.

La spécialisation des organes dans une fonction se traduit en anglais par l’expression « the bulk of » :
la fonction législative est pour sa plus grande part confiée au Congrès, la fonction exécutive est pour sa
plus grande part confiée au Président. la fonction judiciaire est confiée pour sa plus grande part aux cours
fédérales et notamment à la Cour suprême. Mais cela ne signifie pas que les organes ne sont pas
contrariés dans l’exercice de leurs fonctions ; la balance interdit toute clôture des domaines
d’activité. Les organes peuvent pénétrer dans le domaine « naturel » d’un autre sous une forme à la
fois négative (les facultés d’empêcher tel le veto) et positive (ainsi la ratification par le Sénat des
propositions présidentielles). C’est ainsi qu’il faut comprendre la célèbre assertion de la Cour
suprême dans l’arrêt United States v. Nixon de 1974 : « En concevant la structure de notre
gouvernement et en divisant et répartissant les attributs de la souveraineté entre trois branches
égales, les constituants ont cherché à mettre sur pied un système complet, mais les pouvoirs séparés
n’ont pas été conçus pour agir dans une absolue indépendance » 

Dès lors, la dichotomie élaborée par Michel Troper entre spécialisation et balance n’est pas
satisfaisante : les organes sont spécialisés mais aucune fonction n’appartient exclusivement à un
organe. La dichotomie semble peu pertinente en raison de la définition trop étroite donnée au mot
« spécialisation ». Dans la plupart des systèmes de balance, les organes sont « spécialisés », au sens
où ils sont principalement compétents pour une fonction donnée (ce qui se marque juridiquement
par l’initiative : des lois, des traités, des nominations aux emplois publics). La Constitution
américaine est topique de ce point de vue. À vrai dire, on pourrait proposer une adaptation plus
que formuler une condamnation de la distinction proposée par Michel Troper.

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Document 6 : Alexander HAMILTON, John JAY, James MADISON, Le Fédéraliste, extrait
du Chapitre XLVII, « Examen & application du sens du Principe qui exige la
séparation des pouvoirs », éd. 1792, tome II, pp. 133-134

« Si nous examinons les Constitutions des différents Etats, nous trouverons que cet axiome y est
établi sans aucune restriction, et que cependant il est des cas où les pouvoirs ne sont pas entièrement
séparés. Les Législateurs de New-Hampshire dont la Constitution a été faite la dernière, semblent
avoir parfaitement senti l’impossibilité et l’inutilité d’éviter tout mélange dans les pouvoirs ; ils ont
expliqué cette doctrine en déclarant « que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être
séparés et indépendants l’un de l’autre autant que la nature d’un Gouvernement libre le permet, ou
autant que cette séparation peut s’accorder avec l’unité et l’affection qui doit lier toutes les parties
de la Constitution » ; en conséquence, la Constitution mêle les pouvoirs à quelques égards ? Le
Sénat qui est une partie du Corps législatif, est aussi une cour de justice pour le jugement des
impeachments. Le Président, dépositaire suprême du pouvoir exécutif, est aussi président du Sénat,
et sa voix comptée comme celle des autres membres dans les cas ordinaires, est prépondérante en
cas de partage. Il est lui-même élu tous les ans par le Corps législatif, et son conseil est tous les ans
choisi par les membres du Corps législatif et parmi eux. Quelques officiers de l’Etat sont aussi
nommés par la Législature et les juges par le pouvoir exécutif. »

Document 7 : Mauro BARBERIS, « Le futur passé de la séparation des pouvoirs »,


Pouvoirs, 4/2012, n° 143, pp. 5-15

Depuis trois siècles, la séparation des pouvoirs joue un rôle important dans notre imaginaire
politique et juridique. À vrai dire, personne ne s’est jamais fait trop d’illusions sur sa réalité : il s’agit
bien d’une doctrine, non d’un fait ou d’une théorie scientifique. Après avoir analysé la formulation
de la doctrine de la part de Montesquieu, l’intervention parlera du futur passé (all. Vergangene
Zukunft, à la Reinhart Koselleck) de la séparation des pouvoirs. Son passé, traité dans un deuxième
temps, paraîtra souvent semblable à son futur : comme si le temps historique de la séparation des
pouvoirs n’était qu’un court intervalle entre un passé et un futur qui la négligent.

Les séparations des pouvoirs

La doctrine exposée dans De l’esprit des lois XI, vi) se compose de trois thèses, chacune appelée
ensuite séparation des pouvoirs bien que la dénomination ne convienne qu’à la troisième. La
première, ici appelée distinction des pouvoirs, est une définition-classification des fonctions
constitutionnelles : légiférer, exécuter, juger. Les deuxième et troisième thèses, ici appelées balance
des pouvoirs et séparation des pouvoirs au sens strict, sont des règles techniques concernant la
meilleure distribution des fonctions parmi les organes, bien entendu si l’on a pour but de garantir
la liberté politique. En fait, Montesquieu distribue les fonctions politiques (législation et exécution)
d’après la règle de la balance, et la seule juridiction d’après la règle de la séparation au sens strict.

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La distinction des pouvoirs

La distinction des pouvoirs est la définition-classification des fonctions constitutionnelles que l’on
trouve au début de l’Esprit des lois (XI, vi) « Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoirs [...] » :
à quelques détails de terminologie près, législatif, exécutif et judiciaire. En utilisant « pouvoirs » au
sens de fonctions, et « séparation » au sens de distinction, cette classification permet à Montesquieu,
et permettra ensuite à la dogmatique du droit public française et allemande, de distinguer une
fonction administrative et une judiciaire et de les subordonner à la législative. De façon inégale
pourtant, on attribue à l’administration un pouvoir discrétionnaire qui sera toujours refusé à la
juridiction.
Les critiques à cette classification sont connues : en théorie, il y a eu toujours plus de fonctions
constitutionnelles qu’elle n’en retient, et en pratique elle est susceptible d’une application rigide, à
trois organes ou groupes d’organes séparés entre eux. En réalité, la distinction en soi ne dicte
aucune distribution des fonctions, ni rigide ni souple, parmi les organes constitutionnels ; la
distribution, elle, ne relève que de deux règles différentes afin d’atteindre le même but : cette liberté
politique qui est conçue par Montesquieu – différemment des républicains précédents et des
libéraux suivants – comme sûreté de l’individu par rapport aux autres individus, soit particuliers
soit gouvernants. Ces deux règles sont la balance des pouvoirs et la séparation des pouvoirs au sens
strict.

La balance des pouvoirs

La balance des pouvoirs règle l’attribution des deux fonctions politiques, légiférer et exécuter la loi, à
des organes concourant à leur exercice : ici, « pouvoirs » signifie organes, et « séparation » balance.
Cette doctrine est énoncée dans l’Esprit des lois (XI, iv et vi), où l’on affirme, respectivement, que
seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir, et que les fonctions législative et exécutive doivent être
attribuées à des organes ni spécialisés ni indépendants . En particulier, dans le chapitre iv,
Montesquieu affirme : « C’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté
à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites […]. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir,
il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir»
Ensuite, dans tout le chapitre vi, Montesquieu applique l’idée de la balance des pouvoirs aux
fonctions politiques ; il suffira ici de souligner que dans la Constitution anglaise à l’exercice des
deux fonctions concourraient, du moins dès le xviiie siècle, trois organes ni spécialisés ni
indépendants : la Chambre des communes, la Chambre des lords et le monarque. Ce dernier
commençait alors à perdre son droit de veto et surtout le contrôle des ministres, qui allaient devenir
politiquement responsables devant la majorité des Communes.
Ce que Montesquieu veut obtenir en attribuant les fonctions législative et exécutive à des organes
de ce type n’est pas donc une séparation, moins que jamais rigide, mais une simple balance des
pouvoirs : concourant à l’exercice de leurs fonctions, législatif et exécutif sont contraints d’aller de
concert. Dit d’une autre manière, la doctrine de Montesquieu est purement négative ; elle ne refuse
que le monopole des trois pouvoirs, et ne prône que la séparation du judiciaire : ce pouvoir que
l’auteur avait exercé lui-même, quand il s’ennuyait à Bordeaux, et dont la séparation, selon lui, est
le caractère distinctif des États dits modérés au xviiie et aujourd’hui libéraux.

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La séparation des pouvoirs au sens strict

La séparation des pouvoirs au sens strict – où « pouvoirs » signifie organes, et « séparation » spécialisation
des fonctions et indépendance réciproques des organes – est proposée par Montesquieu dans les
célèbres passages de l’Esprit des lois (XI, vi) sur la puissance de juger. Tandis que le législatif et
l’exécutif anglais participent exceptionnellement à la fonction judiciaire, les juges ne participent
jamais aux fonctions législatives et exécutives : ils sont donc organes spécialisés et indépendants
par rapport aux autres. Du reste, la puissance de juger est la seule que l’auteur voudrait voir
« séparée » des autres : tandis qu’il écrit que même en Angleterre les trois pouvoirs sont « distribués
et fondus ».
C’est cependant ici, où les thèses de Montesquieu sont devenues un lieu commun, qu’elles
pourraient paraître plus surprenantes. Au regard du contexte anglais, en effet, l’auteur néglige la
production du droit par les juges de common law. Même par rapport au contexte continental, au
demeurant, il paraît ignorer la participation des juges à la production du droit sous la forme de
l’interpretatio du ius commune : négligence et ignorance qui pourraient paraître curieuses à ceux qui ne
voient en Montesquieu, à la Louis Althusser, que l’héritier d’une tradition nobiliaire et anti-
absolutiste qui avait toujours tenu à l’autonomie des Parlements
En réalité, si la faveur de l’auteur pour les juges ne se manifeste que dans la qualification du
judiciaire comme l’un des trois pouvoirs constitutionnels, jamais il ne considère ce pouvoir au
même niveau que les autres : pour lui, au contraire, il doit être un pouvoir nul dès son attribution.
On ne remarque jamais suffisamment, en effet, que Montesquieu attribue le pouvoir de juger à des
jurés tirés au sort dans la même classe que les particuliers soumis au jugement ; les nobles, du moins,
ne devraient être jugés que par leurs pairs, d’après cette inégalité devant la loi qui était constitutive
de la société d’Ancien Régime et que l’auteur se garde bien de contester. Mais surtout, lorsqu’on
cite Montesquieu à propos des juges, l’on suppose qu’il parle de juges permanents, tandis qu’il
évoque des jurys.

C’est bien cela qui explique les passages de l’Esprit des lois (XI, vi) à la fois les plus connus et les plus
équivoques. « De cette façon la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée
ni à un certain état ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n’a
point continuellement des juges devant les yeux ; et l’on craint la magistrature. » Ensuite, ce sont
bien les jugements prononcés par des jurés qui, l’optimisme aidant, pourraient être fixes « à un tel
point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi ». Encore, ce sont justement les jurés qui
sont présentés comme « la bouche qui prononce les paroles de la loi : des êtres inanimés qui n’en
peuvent modérer ni la force ni la rigueur ». Enfin, dès la Révolution, on a demandé à des juges
permanents ce que Montesquieu ne demandait qu’à des jurés.

Le passé de la doctrine

Il y a des auteurs et des œuvres, comme le remarque Jorge Luis Borges, qui créent leurs
précurseurs : c’est bien le cas de Montesquieu, et de ce texte inépuisable qu’est l’Esprit des lois. Ici
on ne donnera que peu d’exemples, du reste assez connus, de précédents de la séparation des
pouvoirs, en utilisant encore la grille de présentation des concepts de distinction, balance et
séparation stricte, mais avec deux précisions. La première consiste à dire qu’il ne s’agit de

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précédents qu’à rebours, c’est-à-dire à la condition de relire des textes antérieurs à la lumière d’un
ouvrage suivant. La deuxième précision, c’est que la sélection des précédents pourra être
doublement anachronique : elle pourra servir à souligner les aspects du passé de la séparation des
pouvoirs qui de quelque façon anticipent son futur.

Le futur de la séparation des pouvoirs

Les derniers trois siècles, il faut à peine le dire, ont tout changé ; les derniers cinquante ans, en
particulier, ont vu la métamorphose de l’État législatif (Gesetzesstaat en allemand), national,
démocratique et légicentrique, en État constitutionnel (Verfassungsstaat), non seulement régi par
cette source supérieure qu’est la Constitution, mais de plus en plus intégré dans les communautés
européennes, internationale et globale. Mais surtout le futur de la séparation des pouvoirs a pris
souvent la forme d’un retour au passé ; en particulier, le phénomène qu’une littérature toujours
croissante appelle judicialisation, globalisation judiciaire ou même juristocratie  est assez analogue à
la iurisdictio d’Ancien Régime pour s’autoriser à hasarder une hypothèse. Les juges ont toujours
participé à la production du droit, à titre d’interpretatio ou de simple interprétation ; la séparation du
judiciaire prônée par Montesquieu, donc, n’a été au plus qu’une exception, elle-même plus
apparente que réelle.

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