Alain Brunn - Ce Que Barthes Fait de La Rochefoucauld
Alain Brunn - Ce Que Barthes Fait de La Rochefoucauld
Alain Brunn - Ce Que Barthes Fait de La Rochefoucauld
De même pour [les] affinités [de Gide] avec Montaigne (les prédilections de Gide n'indiquent pas une
influence mais une identité) ; ce n'est jamais sans raison que Gide écrit une oeuvre critique. Sa
préface à des «morceaux choisis» de Montaigne, le choix même des textes, nous apprend autant sur
Gide que sur Montaigne.
Notes sur André Gide et son "Journal."[1]
On voit bien dans les Essais critiques comment le sujet de l'écriture "évolue" (passant d'une morale de
l'engagement à une moralité du signifiant) : il évolue au gré des auteurs dont il traite,
progressivement. L'objet inducteur n'est cependant pas l'auteur dont je parle, mais plutôt ce qu'il
m'amène à dire de lui : je m'influence moi-même avec sa permission : ce que je dis de lui m'oblige à le
penser de moi (ou à ne pas le penser), etc.
Qu'est-ce que l'influence ? Roland Barthes par Roland Barthes.[2]
Qu'est-ce que «La Rochefoucauld» pour Barthes ? Que représente ce nom pour lui ? D'évidence, La
Rochefoucauld, c'est d'abord un texte, les Réflexions ou Sentences et Maximes, seule oeuvre à laquelle
il ne cesse de se référer, directement ou indirectement. Dans les Nouveaux Essais critiques, il reprend
une préface donnée auparavant à une édition de ce texte : mais cette préface est aussi l'occasion, pour
lui, de revenir au problème posé par l'âge classique, tel qu'il le formule, dès 1953, avec Le Degré zéro
de l'écriture. La Rochefoucauld est en effet un exemple parmi tant d'autres de cette écriture classique
qu'avait conceptualisée ce premier livre ; mais il ne se réduit pas, dans la constellation des références
barthésiennes, à ce seul rôle exemplaire : «La Rochefoucauld» représente, sans doute, l'un des textes
qui ont accompagné l'itinéraire critique de Barthes avec le plus de constance - moins que Racine ou
Michelet, certainement, mais de façon extrêmement régulière, plus que Lafayette, La Fontaine
(pourtant très présent au début de l'oeuvre), ou même que La Bruyère, auquel est consacré un article
des Essais critiques. Il apparaît nominalement dès 1955, et la dernière allusion au moraliste prend
place en 1978. C'est sans doute cette permanence qui permet à l'écrivain d'occuper une double place
dans l'imaginaire critique de Roland Barthes. D'une part, il est symbole d'une époque que le critique
n'a cessé d'affronter, ce mythique dix-septième siècle que le Sur Racine, et la polémique qui suivit,
permettent de repérer dans toute sa portée provocatrice : «La Rochefoucauld», alors, participe d'un âge
qui est aussi valeur. D'autre part, il constitue un des éléments de la réflexion de Barthes sur «l'auteur»,
objet que le critique n'eut de cesse (en même temps qu'il l'incarnait) de déconstruire ; cette réflexion
(éminemment caractéristique pour Barthes de la modernité), commencée avec la critique
des Mythologies[3], poursuivie par l'article intitulé «Ecrivains et écrivants» [4], connut sans doute son
aboutissement dans la proclamation de «la mort de l'auteur», annoncée dans un article donné
à Mantéia en 1968[5] qui eut valeur de manifeste. La durable présence de La Rochefoucauld laisse
entendre qu'il a pu ainsi nourrir la réflexion de Barthes sur cette notion, cette figure de l'«auteur», et
qu'il a donc pu aussi renvoyer au statut, à la fonction, au rôle de Barthes lui-même : le critique serait
renvoyé à son image, comme l'homme de la fable de La Fontaine. Aussi ne tentera-t-on pas d'analyser
l'apport et l'information critique[6] de Roland Barthes, ou les points discutables de son analyse, mais de
dégager ce que Barthes fait de La Rochefoucauld ; la formule témoigne surtout du souci de faire
surgir, non l'oeuvre de La Rochefoucauld telle que l'élabore la lecture de Barthes, mais la place de
cette oeuvre dans une autre oeuvre, et c'est à cela que convie le rapprochement de «Barthes» et de
«l'histoire» : on ne cherchera pas le ou les sens donné(s) par le critique à un auteur ou à une oeuvre -
même si ce sens est effectivement fabriqué par Barthes, dans l'optique d'une histoire du sujet inspirée
sinon mise en place par la philosophie heideggerienne - mais la place de ces sens (l'augustinisme, le
discontinu, le pessimisme, le profane, la démystification) dans un ensemble critique qui s'en sert pour
s'élaborer soi-même, en un geste que Barthes revendique : «ma deuxième façon de lire : quand j'ai un
travail à faire, un cours, un article, un livre, alors oui, je lis des livres, je lis d'un bout à l'autre, en
prenant des notes, mais je ne les lis qu'en fonction de mon travail, ils vont dans mon travail»[7]. C'est la
façon dont Barthes met en oeuvre ce mouvement de La Rochefoucauld vers son travail qui sera donc
questionnée. Autrement dit, et pour reprendre des termes employés par Barthes lui-même dans son
article sur La Rochefoucauld, on tentera de «psychanalyser la structure» de cette relation du critique et
du moraliste. Ou, au moins, de penser la relation plus que les objets qu'elle unit, et de voir ce que
Barthes construit de lui-même, lorsqu'il construit l'objet «La Rochefoucauld». La question, ainsi, a
changé : elle n'est plus tant «qu'est-ce que La Rochefoucauld pour Barthes ?», que «à quoi lui sert-
il ?».
1. Présences de La Rochefoucauld.
Dans quelles circonstances, et à quelle fin, d'abord, Barthes fait-il appel à La Rochefoucauld ?
Pourquoi l'itinéraire critique de Barthes constitue-t-il si régulièrement cette oeuvre, ou plutôt ce texte,
en objet ? Avant de rapporter les mentions de ce nom à d'autres textes pour établir une cohérence de la
lecture barthésienne, il convient sans doute de délimiter le corpus larochefoucaldien de Barthes.
1. La première mention de La Rochefoucauld apparaît dans un article de 1955, «"Nekrassov" juge de
sa critique»[8]. Barthes y annonce que Sartre, avec Nekrassov, a quitté l'idéologie de l'intelligentsia
bourgeoise :
«Sartre a trahi son passé d'écrivain de Secondaire ou du Supérieur, il n'a plus écrit pour les anciens
élèves du lycée Janson-de-Sailly ou du lycée Henri IV, pour la critique "humaniste", qui a fait
quelques versions latines dans sa jeunesse, connaît le nom de Juvénal, croit à la "complexité" de l'âme
selon La Rochefoucauld et à l'éternelle noirceur de la nature humaine selon Courteline.»
Le propos, ici, apparaît comme provocateur : la comparaison du moraliste classique avec le
dramaturge boulevardier au sein des références essentielles de «l'âme bourgeoise» ne peut que frapper
le lecteur (surtout bourgeois). Mais par là s'impose (au prix du rattachement pour le moins discutable
de La Rochefoucauld à la pensée «humaniste», sur lequel Barthes reviendra lui-même [9]) un massif
classique qui court de la latinité au théâtre de boulevard, de façon homogène ; massif cohérent, donc,
par rapport auquel Sartre, figure exemplaire et ambiguë de l'écrivain moderne, peut se dégager.
Cette relation de «l'humanisme» avec La Rochefoucauld trouve peut-être sa source dans l'analyse de
La Bruyère par Brunetière, citée au début de l'article consacré au premier dans les Essais critiques[10]:
«c'est l'idée d'humanité disait Brunetière, qui commence à se faire jour.» C'est aussi à l'occasion de cet
article qu'est faite la seconde mention du nom de La Rochefoucauld [11] ; mais on ne s'y attardera pas, le
nom servant principalement à dégager les différences entre les deux moralistes, en termes de
signification et de réception, La Rochefoucauld assurant son succès posthume par la «radicalité» de sa
position[12]. C'est un autre passage de l'article qui retiendra ici notre attention ; parlant du désintérêt
général pour La Bruyère, Barthes affirme que
«la modernité, toute prête cependant à s'approprier les auteurs anciens, semble avoir eu le plus grand
mal à le récupérer : connu à l'égal des grands noms de notre littérature, La Bruyère est cependant
déshérité, on dirait presque désaffecté ; il lui manque même ce dernier bonheur de l'écrivain : être
méconnu.»
Et c'est peut-être ici que se noue l'ambiguïté du rapport à La Rochefoucauld, à la fois éloigné parce
que classique, et proche parce que la modernité se le serait «approprié». Autant dire pourtant que
Barthes justifie ici notre étude : c'est bien l'investissement du moraliste par le critique, ou
l'investissement qu'est le moraliste pour le critique, que nous tentons de comprendre. Reste que la
formule est ambiguë : qu'est-ce de La Rochefoucauld que la modernité s'est approprié ?
Vient alors, en 1967, la mobilisation de La Rochefoucauld en référence (parmi d'autres) du «match
Chanel-Courrège»[13] ; Coco Chanel s'y découvre
«élégante comme Racine, janséniste comme Pascal (qu'elle cite), philosophe comme La
Rochefoucauld (qu'elle imite en donnant elle aussi au public des maximes), sensible comme Mme de
Sévigné, frondeuse, enfin, comme la Grande Mademoiselle [...] Chanel, dit-on, retient la mode au bord
de la barbarie et la comble de toutes les valeurs de l'ordre classique : la raison, le naturel, la
permanence, le goût de plaire, non d'étonner»
Face à elle, se dresse le «futurisme» de Courrèges ; l'opposition, à la fin de l'article, est ramenée à celle
de «la tradition» et de «la novation», du «classicisme» et du «modernisme», conçus désormais, au
moment de la résolution dialectique de l'article donné à Marie-Claire, comme «les deux rimes
nécessaires d'un même distique ou les exploits opposés d'un couple de héros sans lesquels il n'y a pas
de belle histoire» ; la mode peut ainsi devenir «le spectacle profond d'une ambiguïté, et non l'embarras
d'un choix inutile». On hésite pourtant à faire retour de la mode à la littérature : peut-on vraiment voir
dans la conclusion de l'article la résolution heureuse de l'opposition classique/moderne chez Barthes ?
Peut-être, à condition de bien voir que si l'un et l'autre ici coexistent, c'est bien parce que l'un définit
l'autre, sert à le penser ; leur coexistence est heureuse parce que nécessaire au plaisir de l'esprit ; mais
il serait sans doute hasardeux de forcer cette résolution opportune, tant le couple joué par Barthes
semble s'opposer axiologiquement - c'est-à-dire moralement et politiquement. De toute évidence, la
mode ne permet pas une opposition aussi frontale du «classique» et du «moderne», et la reconversion
de ces catégories littéraires devenues (via leur dimension esthétique) outils d'une analyse sémiologique
de la mode, au profit de la connaissance de la littérature (au sens où ces catégories, après leur passage
par la mode, entretiendraient entre elles de nouveaux rapports) ne peut se faire directement ; si la
littérature apprend quelque chose à la mode, il est douteux en l'occurrence que la mode apprenne
quelque chose à la littérature. Retenons seulement que «La Rochefoucauld» ici est dit «philosophe», et
qu'il «donne [...] des maximes au public», qu'il est donc une sorte de prescripteur mondain - la
maxime, ici, telle que délivrée également par François VI et Coco, apparaît bien comme un énoncé
normatif, qui semble tenir aux règles du goût et de la bienséance à la fois.
2. La Rochefoucauld fait un nouveau retour en 1971, dans l'article «Une idée de recherche» [14], pour
aider la proposition d'une lecture de Proust (que Barthes cite parfois comme un des derniers
classiques) en moraliste, par la réduction d'une scène du romancier à la structure «ne ...que» (mais
cette réduction est tout de suite récusée, et abandonnée, la «vérité du discours» de Proust romancier
démentant l'éventuelle «vérité du projet» d'un Proust moraliste). C'est que, en 1961, Barthes a donné la
préface aux Maximes qui deviendra le premier article des Nouveaux Essais critiques (1972)[15], et le
lieu central de la présence de La Rochefoucauld chez Barthes. On reviendra plus en détail sur cet
article, qui nécessite une analyse indépendante. Toujours est-il que, dix ans plus tard, reste du
moraliste lu par le critique un instrument, la négation restrictive comme mouvement intellectuel
réinvestissable. L'auteur, isolable enfin du corpus où il est pris, semble devenu, en lui-même, un objet
digne de l'intérêt critique de la modernité.
Rien d'étonnant alors à le voir nourrir les Fragments d'un discours amoureux, au moins une fois de
manière explicite[16], dans un des curieux jeux intertextuels que permet le fragment barthésien : le nom
de La Rochefoucauld figure en note d'une maxime de Barthes, «aucun amour n'est original», qui
appelle (assez logiquement, puisque la prétention à l'originalité est précisément démentie) la maxime
36 de La Rochefoucauld (ou est appelée par elle ?) : «Il y a des gens qui n'auraient jamais été
amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour», en un jeu de miroirs étrange, qui renvoie
dos à dos, ou face à face, les deux auteurs, liés plus qu'opposés par le jeu typographique et la similarité
des formules, l'une fût-elle explicitement du registre de la citation, et l'autre intégrée à un ensemble
plus vaste.
En 1978, Barthes fait une dernière mention de La Rochefoucauld, dans une préface à La Parole
intermédiaire, de François Flahault[17], comme un exemple de ces «moraliste[s] classiques[s]» qui ont
eut la «vision» d'un «homme qui ne serait, à la lettre, qu'une tactique». La mention est brève,
mentionne La Rochefoucauld comme un exemple, donné entre parenthèses, au sein d'un groupe, les
moralistes, eux-mêmes proches de romanciers, Stendhal et Proust, et de deux figures
incontestablement modernes, un philosophe et un psychanalyste, Sartre et Lacan. La généalogie
semble fermer la boucle, et indiquer ce que la modernité a gardé de La Rochefoucauld : la modernité
naît, ici, avec les moralistes. Est ainsi significatif l'emploi, non assumé explicitement par le texte, de la
négation restrictive : à terme, elle semble bien identifiée au moraliste, intimement associée à lui, en
même temps que devenue l'emblème d'autres figures intellectuelles (jusqu'aux modernes), et
finalement, peut-être, de Barthes lui-même. «La Rochefoucauld», ici, est presque devenu la matrice
d'un instrument discursif, qui se trouve séparé de son lieu d'origine, la maxime, et de son contexte
culturel, pour n'être plus qu'un geste intellectuel. Au terme d'un parcours critique qui commence avec
l'évocation (même indirecte) du «rattachement au pouvoir» de l'écrivain classique [18], et de son écriture
qui signale son appartenance à un «groupe qui se tenait autour du pouvoir» [19], comment La
Rochefoucauld peut-il voir son statut changer, au point de devenir un instrument utilisable par
Sartre[20] ou Lacan, c'est-à-dire par une modernité peu suspecte d'accointances avec la monarchie ?
C'est surtout dans l'écriture de l'article consacré aux Réflexions ou sentences et maximes que se donne
à lire de la façon la plus détaillée et la plus riche le rapport du critique et du moraliste. C'est donc sur
lui qu'il convient de revenir pour répondre, d'abord, à la question : pourquoi La Rochefoucauld ?
2. maxime, fragment, archaïsme.
1. L'attention de Barthes, dès le début de l'article, se porte sur la question de la forme d'écriture : «la
maxime est une proposition coupée du discours» ; mais c'est surtout que la maxime est conçue comme
l'autre du fragment[21], sans pourtant que Barthes choisisse toujours très clairement, pour son écriture
même, entre les deux possibilités.
Mais La Rochefoucauld aussi a écrit des fragments : «les réflexions sont des fragments de discours,
des textes dépourvus de structure et de spectacle»[22] ; or la maxime semble fonder son pouvoir sur le
spectacle, parce qu'elle a une pointe[23] :
«qu'est-ce qu'une pointe ? C'est, si l'on veut, la maxime constituée en spectacle ; comme tout spectacle,
celui-ci vise un plaisir [...] ; comme tout spectacle aussi, mais avec infiniment plus d'ingéniosité
puisqu'il s'agit de langage et non d'espace, la pointe est une forme de rupture»,
c'est-à-dire qu'elle dévoile le spectacle des mots lui-même. Par le jeu de l'antithèse qu'elle met en
oeuvre, elle permet en effet d'exhiber ce que Barthes désigne comme la nature archaïque du langage
mis en place à travers l'aphorisme ; car l'antithèse [24]
«n'est au fond que le mécanisme tout nu du sens et comme, dans toute société évoluée, le retour aux
sources fonctionne finalement comme un spectacle surprenant, ainsi l'antithèse est devenue une pointe,
c'est-à-dire le spectacle même du sens».
C'est donc dans cette fermeture du sens, qui permet de constituer la maxime en spectacle, que se
trouve pour Barthes la différence essentielle entre celle-ci et le fragment, marqué au contraire par
l'ouverture du sens. Il écrit ainsi, pour différencier maximes et réflexions, dès le début de l'article [25] :
«à travers [les Réflexions] c'est de nouveau un langage fluide, continu, c'est-à-dire tout le contraire de
cet ordre verbal, fort archaïque, qui règle le dessin de la maxime.»
Mais, pour comprendre l'intérêt de la mobilisation de ces notions par Barthes, il convient de revenir
sur leurs places dans son oeuvre critique : c'est par un détour à travers le Roland Barthes par Roland
Barthes que l'on envisagera le sens et la valeur (puisqu'aussi bien l'appréhension de La Rochefoucauld
par Barthes se distingue de celle de La Bruyère par là, et que «toute Forme est aussi Valeur» [26]) de ces
Formes de l'écriture.
2. L'écriture de Barthes, telle qu'il en fait voir le spectacle dans Roland Barthes par Roland Barthes ,
hésite sans cesse sur sa définition même[27] :
«il n'a cessé de pratiquer l'écriture courte : tableautins des Mythologies et de l'Empire des signes,
articles et préfaces des Essais critiques, lexies de S/Z, paragraphes titrés du Michelet, fragments
du Sade II et du Plaisir du texte».
Bien évidemment, il en va de même dans le Roland Barthes par Roland Barthes, comme dans
les Fragments d'un discours amoureux. La cause semble entendue : Barthes écrit par fragments (à
l'instar d'un La Bruyère, bien plus que d'un La Rochefoucauld) ; là où la maxime ferme le sens, le
fragment se démarque par son ouverture, son caractère presque dialogique : le fragment, c'est la
maxime sans son spectacle, et donc sans le pouvoir par là instauré. Pourtant, l'essai se finit par une
évocation de la maxime, et non du fragment, qui est l'occasion pour Barthes de faire le point sur son
rapport à cette Forme-Valeur[28] :
«Il rôde dans ce livre un ton d'aphorisme (nous, on, toujours). Or la maxime est compromise dans une
idée essentialiste de la nature humaine, elle est liée à l'idéologie classique : c'est la plus arrogante
(souvent la plus bête) des formes de langage. Pourquoi donc ne pas la rejeter ? La raison en est,
comme toujours, émotive : j'écris des maximes (ou j'en esquisse le mouvement) pour me rassurer :
lorsqu'un trouble survient, je l'atténue en m'en remettant à une fixité qui me dépasse : "au fond, c'est
toujours comme ça" : et la maxime est née. La maxime est une sorte de phrase-nom, et nommer, c'est
apaiser. Ceci est au reste encore une maxime : elle atténue ma peur de paraître déplacé en écrivant des
maximes.»
Et c'est bien la maxime de La Rochefoucauld qui semble-t-il lui a servi de modèle, capable qu'elle est
de (se) défendre[29] :
«La maxime est un objet dur, luisant - et fragile - comme le corset d'un insecte ; comme l'insecte aussi,
elle possède la pointe, ce crochet de mots aigus qui la terminent, la couronnent - la ferment, tout en
l'armant (elle est armée parce qu'elle est fermée).»
Et, plus encore, d'apaiser[30] :
« [...] ce qui importe, c'est d'apaiser, fût-ce au prix d'une vision pessimiste, l'insupportable duplicité
de ce qui se voit [...] ; pour La Rochefoucauld, la définition, si noire soit-elle, a certainement une
vision rassérénante [...] la démarche de La Rochefoucauld est bénéfique dans son procédé : elle fait
cesser, à chaque maxime, l'angoisse d'un signe douteux.»
On voit bien comment la réflexion sur La Rochefoucauld a été le lieu, pour le critique, d'une réflexion
plus vaste sur une forme dont il hérite, et dont il semble assumer l'héritage. Reste que la maxime est à
la fois dangereuse, puisqu'armée et idéologiquement contestée, et paradoxalement apaisante. Comment
l'oeuvre de Barthes concilie-t-elle (ou ne concilie-t-elle pas) ces deux visages de la maxime, qui
semblent inséparablement liés mais difficilement compatibles ?
3. En fait, il semble bien que ce qui fascine Barthes dans la maxime soit aussi ce qui l'effraie ; la
maxime est en effet à la fois ce qui suspend la syntaxe, et ce qui en reconduit le pouvoir.
Car la maxime a pour spécificité de reposer sur une structure particulière [31] :
«Pour [les maximes qui ne vont pas vers le discours], la structure est là, qui retient la sensibilité,
l'épanchement, le scrupule, l'hésitation, le regret, la persuasion aussi, sous un appareil castrateur [...]
De quoi est-elle faite, cette structure ? De quelques éléments stables, parfaitement indépendants de la
grammaire, unis par une relation fixe, qui, elle non plus, ne doit rien à la syntaxe.»
C'est que, explique alors Barthes, la spécificité linguistique (formelle) de la maxime est de ne pas
reposer d'abord sur les liens logiques établis par la syntaxe, mais sur les «essences», c'est-à-dire les
idées convoquées dans les maximes. Ainsi la maxime est-elle fondamentalement a-grammaticale, et a-
syntaxique.
Or la grammaire, comme le dit un texte qui n'a pas été retenu pour Le Degré zéro de l'écriture[32],
représente aux yeux de Barthes un «élément technique» destiné à faire perdurer ce «mythe de la clarté
française» dont le fondement est «lié à l'histoire politique de la France», puisque cet élément valorise -
au détriment de toute autre forme d'expression - «l'usage du groupe qui se tient autour du pouvoir»,
qu'il est donc inséparable de «l'autorité monarchique» ; celui-ci, en l'imposant, fait acte non seulement
de «cynisme», mais encore d'«hypocrisie» ; en effet, cette langue n'autorise qu'une «portion infime de
la nation» à la parole, sa «communicabilité [...] n'a jamais été qu'horizontale», et pas du tout
«verticale».
La maxime fascine donc Barthes car son rapport au pouvoir est ambigu : la maxime récuse la
grammaire, et donc se constitue hors le champ du pouvoir ; mais dans le même temps, elle reste
enfermée dans une vision fixiste du monde[33] :
«au moment même où La Rochefoucauld semble affirmer le monde en récupérant à sa façon la
dialectique, un projet manifestement moral intervient, qui immobilise la description vivante sous la
définition terroriste, le constat sous les ambiguïtés d'une loi qui est donnée à la fois comme morale et
physique»,
et cette vision qui impose son pouvoir législatif et violent «est tout entière dans la forme même des
maximes». Qu'est-ce qui préserve le fragment de cette ambiguïté ? Pourquoi la maxime est-elle
condamnée à se compromettre avec le pouvoir, quand le fragment y échappe ? C'est sans doute
l'ouverture du fragment qui permet une telle gageure.
Toujours est-il que se complète ici ce que Barthes désigne, dans les Essais critiques, comme le
caractère «archaïque» de la maxime, qui tiendrait donc, pour résumer, à trois références : un substrat
anthropologico-psychologique que dénote l'antithèse, qui fait de la pointe le signe d'un retour au
source, et rattache la maxime à un ordre oraculaire (archaïsme discursif de la maxime) ; un substrat
philosophique qui associe la maxime à un essentialisme des représentations et fait de la maxime
l'emblème de l'idéologie classique (archaïsme métaphysique de la maxime) ; et un substrat politique,
plus ambigu, qui lie la maxime à un ordre politique tyrannique : la maxime est législatrice et
moralisatrice, lors même que son rapport à la syntaxe récuse ce lien (archaïsme législatif de la
maxime). Ces trois substrats sont liés ; l'archaïsme discursif, qui rapproche la maxime d'un énoncé
religieux visant au dévoilement d'une vérité transcendante, se traduit inévitablement par un archaïsme
métaphysique, qui lui-même autorise en droit (puisqu'aussi bien il ressortit de l'idéologie) l'archaïsme
législatif de la maxime. Or l'archaïsme discursif lui-même empêche l'archaïsme législatif de la maxime
de se faire pleinement archaïsme politique : le discours archaïque dont participe la maxime se situe
déjà au-delà (ou en-deçà) de la syntaxe, qui est le seul véritable garant de l'orthodoxie politique
(classique et monarchique) du texte. Tout se passe donc comme si l'opposition des archaïsmes délivrait
la maxime de ces déterminismes idéologiques, et donc lui permettait d'échapper pour partie à la
critique de la modernité incarnée par Barthes ; préservée de l'archaïsme politique par son archaïsme
discursif, qui l'empêche de se soumettre aux règles classiques du discours, la maxime peut à la fois
dénoncer l'idéologie classique, et participer d'elle.
Dès lors, Barthes peut à son tour entretenir un rapport double avec la maxime, d'appropriation et
d'étrangeté, dont témoignerait aussi la dernière des chroniques données au Nouvel Observateur,
intitulée «Pause», dans laquelle il note, à propos de l'écriture qu'il recherche lui-même, et qu'il a
recherchée dans ce magazine[34] :
«La forme recherchée est la forme brève, ou, si l'on préfère, une forme douce : ni la solennité de la
maxime, ni l'âpreté de l'épigramme [...] , une forme délibérément mineure, en somme - en rappelant,
avec Borges, que le mineur n'est pas un rabais, mais un genre comme un autre [...]. J'écris ténu par
morale.»
La douceur recherchée par Barthes, que vient rompre la «solennité» de la maxime, est comme
l'amplification des qualités d'apaisement de la maxime. Car écrire en «forme brève», c'est-à-dire écrire
«ténu», se justifie par un souci moral, celui de ne pas imposer ses vues à l'autre. Pourtant, se lit ici
moins un refus qu'une ambiguïté : la maxime participe du fragment (elle apaise) ; mais elle n'en est
qu'une forme (elle n'est pas douce).
Aussi, quoique la Forme maxime soit porteuse d'une Valeur essentialiste qui semble la séparer
irrémédiablement de la modernité, elle peut être réinvestie par le critique; non seulement pour des
raisons «émotive[s]», comme le dit explicitement Barthes à la fin du Roland Barthes par Roland
Barthes, parce qu'elle nomme, et que «nommer, c'est apaiser», que donc elle ramène, du mythe
classique, le rêve d'une parole paisible, à quoi Barthes aspire [35]. Mais aussi pour des raisons
intellectuelles, qui rapprochent le moraliste du critique, car (et cette raison n'est autre que la première,
exprimée autrement) la maxime récuse la syntaxe, donc l'ordre classique, et permet ainsi de mettre en
cause l'idéologie qui la fonde, son inconscient politique : la maxime est «armée», d'abord, contre elle-
même ; elle est, en raison de sa diversité, l'instrument critique par excellence. Aussi le critique ne
rejoint-il pas le moraliste par le seul usage d'une forme : c'est bien toute une écriture qui semble
commune aux deux auteurs.
3. D'une écriture l'autre.
Ce ne sont pourtant pas seulement les similitudes de ces deux écritures qu'il s'agit ici de mesurer, mais
aussi les modifications que Barthes fait subir à la langue de La Rochefoucauld : ainsi se dessinera
peut-être plus précisément la différence qui sépare pour Barthes le classique du moderne.
1. Car l'écriture de Barthes se constitue par la reprise, le réinvestissement de modèles classiques
modifiés par une axiologie qui oppose classicisme (du XVIIème siècle à Proust) et modernité (de
Mallarmé à Sollers). De ce poids de l'héritage classique, le critique est conscient [36] :
«Cette manière de faire marcher un texte (par des figures et des opérations) s'accorde bien aux vues de
la sémiologie (et de ce qui subsiste en elle de l'ancienne rhétorique) : elle est donc historiquement et
idéologiquement marquée ; mon texte est en effet lisible : je suis du côté de la structure, de la phrase,
du texte phrasé : je produis pour reproduire, comme si j'avais une pensée et que je la représente à l'aide
de matériaux et de règles : j'écris classique.»
C'est ainsi dans la part d'incertitude de la comparaison («comme si j'avais») que se fonde la différence
du critique moderne et de l'écrivain classique. Aussi le critique s'inscrit-il dans un régime d'écriture
classique, qui donnerait le signifié pour premier et le signifiant pour second, et privilégierait ce
dernier. Ainsi la position d'écriture de Barthes peut-elle rencontrer celle de La Rochefoucauld sur de
nombreux points. Car la position de Barthes semble à bien des égards s'inspirer des règles de l'écriture
du moraliste, ce que semblait déjà laisser entendre l'analyse de la maxime.
2. Ainsi le critique occupe-t-il par son ambition heuristique la même position fragile que La
Rochefoucauld, et use-t-il donc parfois des mêmes ressorts énonciatifs que lui pour produire son texte,
malgré le doute, par le biais des «clausules d'incertitude» ajoutées au texte [37] :
«Son malaise, parfois très vif [...] venait de ce qu'il avait le sentiment de produire un discours double
[...] : car la visée de son discours n'est pas la vérité, et ce discours est néanmoins assertif.
C'est une gêne qu'il a eue très tôt ; il s'efforce de la dominer - faute de quoi il devrait cesser d'écrire -
en se représentant que c'est le langage qui est assertif, non lui. Quel remède dérisoire, tout le monde
devrait en convenir, que d'ajouter à chaque phrase quelque clausule d'incertitude, comme si quoi que
ce soit venu du langage pouvait faire trembler le langage.»
Ce tremblement du langage que recherche Barthes se traduit aussi dans la non systématicité de son
propos[38] ; le dernier fragment du Roland Barthes par Roland Barthes est d'ailleurs consacré au
«monstre de la totalité»[39]. Plus encore, le désordre affecté de ce dernier livre, tel que Barthes lui-
même en rend compte[40], n'est pas sans évoquer l'insouciance aristocratique de La Rochefoucauld.
Cet héritage se développe d'abord autour de la notion de fragment, dont on sait que la modernité, de
Valéry à Blanchot, l'a constituée en principe de libération du classicisme. On voit bien finalement que
ce motif, pensé par Barthes comme une utopie linguistique, reproduit cette ambivalence première de
l'héritage classique. Car si finalement toute écriture est fermeture [41], si rien du langage ne peut contrer
le langage[42], puisque
«toutes les écritures présentent un caractère de clôture qui est étranger au langage parlé»,
n'en reste pas moins qu'est présente chez Barthes l'utopie d'un discours libre, non soumis au fascisme
de la langue, que la réflexion autour du neutre, dans les années 1977-1978, vient peut-être incarner.
Cette ambivalence profonde du rapport de la langue au pouvoir, dont on a déjà dit que la maxime
l'incarnait de façon exemplaire (2, 3), excède donc, dans la suite de l'itinéraire critique, le seul cas de
l'âge et de l'idéologie classiques ; Barthes le pense en effet comme présent dans presque tout écrit [43] :
«La phrase est dénoncée comme objet idéologique et produite comme jouissance (c'est une essence
réduite du Fragment). On peut, alors, ou accuser le sujet de contradiction, ou induire de cette
contradiction un étonnement, voire un retour critique : et s'il y avait, à titre de perversion seconde, une
jouissance de l'idéologie ?»
On ne tiendra pas ici ce procès en contradiction du sujet barthésien, et on ne cherchera pas non plus à
expliquer ses perversions secondes ; on se contentera de noter que la phrase, devenue essence réduite
du fragment, est dès lors prise dans le même jeu de contradictions que lui, et que c'est à cette
contradiction que se nourrit le rêve barthésien du fragment qui ne serait plus écriture fermée, mais
langage ouvert, dialogue, lors même que la possibilité d'une telle écriture est mise en cause puisque la
phrase est prise dans la compromission qui habite aussi le fragment, et la maxime. Le procès fait à La
Rochefoucauld et à la maxime vaut finalement moins comme procès fait à un auteur ou même à un âge
de l'écriture que comme une illustration de l'ambiguïté de toute écriture, qui joue avec le pouvoir (et le
reconduit) et parfois le met en doute (et le suspend), en jouant de sa pluralité.
3. On avait déjà noté (1, 2) que la modernité de La Rochefoucauld s'était cristallisée autour de la
négation restrictive, devenue dans l'analyse barthésienne l'instrument technique de l'intellectuel
(Sartre, Lacan) pour passer derrière la doxa et donner une parole de vérité. Dans les Essais Critiques,
il notait d'abord[44] :
«N'est que est en somme le mot clef de la maxime car il ne s'agit pas ici d'un simple dévoilement (ce
qu'indique parfois l'expression en effet, au sens de : en réalité) ; ce dévoilement est presque toujours
réducteur ; il n'explique pas, il définit le plus (l'apparence) par le moins (le réel).»
Il précisait ensuite :
«il est aussi le fruit d'une avidité, sinon d'explication, du moins d'explicitation ; il participe [...] d'un
mouvement positif de rationalisation, d'intération d'éléments disparates : la vision de La
Rochefoucauld n'est pas dialectique[45], et c'est en cela qu'elle est désespéré ; mais elle est rationnelle,
et c'est en cela, comme toute philosophie de la clarté, qu'elle est progressive »
On comprend donc mieux comment cet outil de démystification peut devenir le signe privilégié du
travail de l'intellectuel. Paradoxalement, l'instrument n'est pas repris directement par Barthes ; on
observe ainsi qu'à «n'est que» est substitué «en fait», comme en une sorte de retour à ce «simple
dévoilement» que dépassait La Rochefoucauld[46] :
«Ces figures du Paradoxe sont innombrables ; elles ont leur opérateur logique : c'est l'expression "en
fait" : le strip-tease n'est pas une sollicitation érotique : en fait il désexualise la femme, etc.»
C'est que la définition larochefoucaldienne serait liée à une métaphysique essentialiste, quand le
paradoxe barthésien, pour être assertif, n'aurait aucune prétention à la vérité [47]. Le geste reste le même,
à l'ambition près : réduire, c'est aussi manquer les «efflorescences de la forme» [48] ; autant dire que
c'est manquer l'écriture même de l'auteur sur lequel se penche Barthes. Aussi bien, le geste qui
convient au moraliste et à l'intellectuel ne convient pas forcément au sémiologue.
4. C'est donc à cette différence d'objets (vices et vertus vs signes) que semble tenir la différence
d'écriture du moraliste et du critique. Se dégage alors la moralité du signe comme l'enjeu spécifique de
l'oeuvre de Roland Barthes ; or celui-ci opère une distinction entre moralité et morale [49] :
«Tout mon travail, c'est évident, a pour objet une moralité du signe (moralité n'est pas morale).
[...] L'état idéal de la socialité se déclare ainsi : un immense et perpétuel bruissement anime des sens
innombrables qui éclatent, crépitent, fulgurent sans jamais prendre la forme définitive d'un signe
tristement alourdi de son signifié : thème heureux et impossible, car ce sens idéalement frissonnant se
voit impitoyablement récupéré par un sens solide (celui de la Doxa) ou par un sens nul (celui des
mystiques de libération).»
La moralité du signe, telle que l'entend Barthes (une éthique de la communication, qui se pense non
par rapport aux sujets communicants, mais par rapport aux termes de la communication [50]) serait ainsi
bien plus proche du La Rochefoucauld des Réflexions diverses (celui du fragment ?) que de celui
des Maximes, dont la visée moralisatrice gêne la modernité barthésienne [51]; mais cette divergence se
fait aussi sur le fond d'une coïncidence, ce que confirmerait Barthes plus loin, lorsqu'il reprend, à
propos de lui-même[52] :
"Souvent, il se sentait bête : c'est qu'il n'avait qu'une intelligence morale (c'est-à-dire : ni scientifique,
ni politique, ni pratique, ni philosophique, etc.)."
C'est alors sur ce fond commun que peut se comprendre la fonction de La Rochefoucauld dans
l'oeuvre de Barthes : image d'un auteur qui écrit avec son intelligence morale, le moraliste est le
moyen d'une réflexion de Barthes sur une fonction - entendue, ici, comme un statut.
4. De l'écrivain à l'intellectuel : la place de Barthes dans la cité.
1. Car il est un autre élément qui entre en jeu pour renforcer le rapport du critique et du moraliste. La
maxime, chez La Rochefoucauld, a parti lié avec le paradoxe - mais le terme n'est jamais prononcé par
Barthes dans son article. Or c'est lui qui est présenté par Barthes comme l'un des moteurs de sa pensée,
au point de faire l'objet de plusieurs fragments du Roland Barthes par Roland Barthes : il se présente
ainsi comme habité par une longue opposition à la doxa[53], doxa comparée à Méduse, qui «pétrifie
ceux qui la regardent»[54]. C'est ainsi une forme de généalogie qui s'établit, de Socrate à Barthes, via ce
point obscur qu'est La Rochefoucauld. Peut-être un autre point obscur sert-il ici de liaison, et permet-il
au moraliste qu'on avait cru perdu pour la modernité de la rejoindre : il semble en effet que Barthes par
moment lise La Rochefoucauld avec les yeux de Nietzsche (un des piliers de la modernité où s'inscrit
Barthes[55]), comme lorsqu'il évoque la place fondamentale de l'«énergie» dans l'univers du
moraliste[56]. Mais le nom n'est jamais prononcé, qui aurait d'ailleurs reconduit l'ambiguïté du rapport
de la modernité à La Rochefoucauld. De Socrate à Barthes du moins, du philosophe au sémiologue, en
passant par le moraliste, le trajet s'organise autour d'un même ennemi, la doxa ; et c'est peut-être ainsi
que s'explique finalement la place de ce n'est que dans la langue du moraliste, qui marque (comme
plus tard en fait chez le critique) la volonté de défaire le paradoxe, de le «réduire» - mais au sens
guerrier cette fois.
2. Cette pensée du paradoxe (qui semble définir un type, une communauté d'esprit) s'ouvre alors sur
une éthique de l'écriture : s'affirme ainsi une volonté d'écrire en intellectuel non pour "détruire" "la
conscience bourgeoise", mais pour en "entretenir et [...] accentuer la décomposition"[57], et pour cela un
refus du "langage dogmatique", qui reconstitue ce qu'il prétend détruire. L'entreprise de La
Rochefoucauld semble bien reposer sur un tel geste de décomposition : c'est en tout cas ainsi qu'on
peut lire l'analyse barthésienne de ce «vertige du néant» qui pour le critique habite l'oeuvre du
moraliste[58] :
«descendant de palier en palier, de l'héroïsme à l'ambition, de l'ambition à la jalousie, on n'atteint
jamais le fond de l'homme, on ne peut jamais en donner une définition dernière, qui soit irréductible ;
quand l'ultime passion a été désignée, cette passion elle-même s'évanouit [...] ; la maxime est une voie
infinie de déception ; l'homme n'est plus qu'un squelette de passions, et ce squelette lui-même n'est
peut-être que le fantasme d'un rien : l'homme n'est pas sûr.»
On voit ainsi qu'avec cette instauration d'un vertige, c'est déjà l'entreprise critique de l'intellectuel (et
celle de Barthes lui-même) qui s'inscrit à l'horizon de ce geste (elle ne se mettra en place pour lui qu'au
XIXème siècle[59]).
3. Aussi l'essai consacré à La Rochefoucauld se construit-il autour d'une réflexion consacrée à la
figure de l'écrivain, pensée comme instituée, et pourtant contestatrice de l'ordre social ; ainsi tout
auteur semble-t-il pris dans ce double jeu de la langue à l'égard du pouvoir. Barthes écrit d'abord [60] :
«[le propos de la maxime] se fonde tout entier sur une imagination de la pesée ; comme un dieu,
l'auteur des maximes soupèse des objets et il nous dit la vérité des tares ; peser est en effet une activité
divine, toute une iconographie - et fort ancienne - en témoigne. Mais La Rochefoucauld n'est pas un
dieu ; sa pensée, issue d'un mouvement rationaliste, reste profane : il ne pèse jamais une Faute
singulière et métaphysique, mais seulement des fautes, plurielles et temporelles : c'est un chimiste, non
un prêtre (mais on sait aussi que dans notre imagination collective le thème divin et le thème savant
restent très proches).»
Si les deux thèmes se rapprochent, c'est autour d'un imaginaire du pouvoir consacrant un savoir (pour
le savant), d'une puissance marquant une sagesse (pour le dieu). Dans cet idéal expérimental de
l'écriture, La Rochefoucauld frappe déjà par son rapport à la modernité : reprenant une forme
archaïque, il la fait jouer hors de ses prétentions transcendantes, et affirme ainsi une méfiance certaine
à l'égard de la langue qui permet son réinvestissement par une certaine modernité.
Barthes revient, à la fin de l'essai, à cette question de l'auteur dans l'oeuvre du moraliste, et la
définition qu'il en donne laisse apparaître cette figure comme étrangement proche de celle que Barthes
lui-même a pu dessiner de lui, à la prétention à dire le vrai près [61] :
«L'auteur des maximes n'est pas un écrivain ; il dit la vérité (du moins il en a le projet déclaré), c'est là
sa fonction : il préfigure donc plutôt celui que nous appelons l'intellectuel. Or, l'intellectuel est tout
entier défini par un statut contradictoire , nul doute qu'il ne soit délégué par son groupe (ici la société
mondaine) à une tâche précise, mais cette tâche est contestratrice ; en d'autres termes, la société charge
un homme, un rhéteur, de se retourner contre elle et de la contester. [...] Tout se passe comme si la
société mondaine s'octroyait à travers La Rochefoucauld le spectacle de sa propre contestation ; sans
doute cette contestation n'est-elle pas véritablement dangereuse, puisqu'elle n'est pas politique, mais
seulement psychologique, autorisée d'ailleurs par le climat chrétien.»
Plus que le rapport ambigu de La Rochefoucauld à sa caste, c'est le rapport ambigu du moraliste et du
critique qui se donne ici à lire. Prisonnier encore de cette unicité du pouvoir qu'il n'abandonnera qu'au
moment de la Leçon (cf. 1, 2 et note 18), Barthes se refuse à penser que le pouvoir (politique) ait pu
être contesté de l'intérieur même, pour cette simple raison qu'il n'était pas Un. Aussi, lors même qu'il
inscrit La Rochefoucauld dans une lignée qui aboutit à la modernité, le critique se refuse à adouber par
là l'idéologie classique dans laquelle le moraliste aurait construit son oeuvre [62] ; il poursuit alors :
«En somme le groupe demande à l'intellectuel de puiser en lui-même les raisons - contradictoires - de
le contester et de le représenter, et c'est peut-être cette tension, plus vive ici qu'ailleurs, qui donne
aux Maximes de La Rochefoucauld un caractère déroutant, du moins si nous les jugeons de notre point
de vue moderne ; l'ouvrage, dans son discontinu, passe sans cesse de la plus grande originalité à la plus
grande banalité ; ici des maximes dont l'intelligence, la modernité même, étonne et exalte ; là des
truismes plats (ce qui ne veut pas dire qu'ils soient justes), il est vrai d'autant plus neutres que toute
une littérature les a depuis banalisées jusqu'à l'écoeurement ; la maxime est un être bifrons, ici
tragique, là bourgeois ; en dépit de sa frappe austère, de son écriture cinglante et pure, elle est
essentiellement un discours ambigu, situé à la frontière de deux mondes.»
Peut-être le (non)écrivain La Rochefoucauld occupe-t-il ainsi la même place, dans l'imaginaire
barthésien de l'auteur, que la langue classique dans son imaginaire linguistique : lieu d'une utopie où se
résolvent paisiblement les contraires (puisqu'il ne peut pas y avoir de conflit), il est l'intellectuel qui à
la fois conteste son groupe, et y appartient, mais aussi celui qui transforme en «spectacle», c'est-à-dire
en pouvoir, ce discours même qui est le sien et grâce auquel il conteste l'ordre social, c'est-à-dire le
pouvoir lui-même. C'est finalement cette autorité paradoxale du moraliste qui pour Barthes fait le
classicisme de sa position : l'utopie d'un auteur sans autorité, d'un auteur neutre donc, d'un auteur,
peut-être, paisible dans une société apaisée, constituerait ainsi la différence entre le critique et le
moraliste, et la visée moralisatrice de La Rochefoucauld, récusée par Barthes, le serait bien d'avantage
parce qu'elle marque un inacceptable coup de force de l'écrivain que pour ce qu'elle dit du monde.
Conclusion.
Il est difficile, à bien des égards, de faire la critique d'une critique par empathie ; et parfois le moraliste
n'est chez Barthes que le critique déguisé. Comme Montaigne pour Gide, chercher ce que Barthes fait
de La Rochefoucauld nous conduit au moins autant au premier qu'au second. Au-delà de l'opposition
entre clacissisme et modernité, d'abord très fortement tenue par les oeuvres, le parcours de Barthes
semble le conduire à généraliser la critique faite au classicisme comme faisant le jeu du pouvoir à la
langue elle-même. La Rochefoucauld lui-même, plus encore qu'un texte, semble devenir un instrument
critique, le ne que, emblématique d'un geste qui va devenir celui de l'intellectuel : par cette médiation
s'atténue aussi l'opposition. La Rochefoucauld est enfin le lieu d'une réflexion sur la maxime et le
fragment, qui permettent à Barthes de construire l'utopie linguistique d'une parole sans spectacle ni
pouvoir, en un mot paisible (plus exactement, de construire l'image d'une parole paisible
nécessairement utopique pour le critique). Lieu d'une triple réflexion sur l'écriture, le classicisme et
l'auctorialité, La Rochefoucauld devient ainsi un ambigu lieu de passage entre classicisme et
modernité ; c'est que le moraliste est finalement lui aussi pris dans ce jeu d'oscillation de la valeur qui
anime l'oeuvre du critique[63] :
«D'une part la Valeur règne, décide, sépare, met le bien d'un côté, le mal de l'autre (le neuf / le
nouveau, la structure / la structuration, etc.) : le monde signifie fortement, puisque tout est pris dans
le paradigme du goût et du dégoût.
D'autre part, toute opposition est suspecte, le sens fatigue, il veut s'en reposer. La Valeur, qui armait
tout, est désarmée, elle s'absorbe dans une utopie : plus d'opposition, plus de sens, plus de valeur
même, et cette abolition est sans reste.
La Valeur (et le sens qui va avec elle) oscille ainsi, sans cesse. L'oeuvre, dans son entier, boîte entre
une apparence de manichéisme (lorsque le sens est fort) et une apparence de pyrrhonisme (lorsque l'on
désire son exemption).»
La Rochefoucauld serait ainsi un lieu bifrons où s'accuse le jugement double du critique, à la fois pris
dans une axiologie constitutive de l'entreprise sémiologique, et porteur d'un rêve d'apaisement. Il ne
faudrait pas en effet sous-estimer cette lassitude du critique, qui semble avoir autant à voir avec
l'inquiétude qu'avec la seule fatigue : ce que nous apprend finalement la présence de La
Rochefoucauld chez Barthes, c'est précisément ce mode d'existence proprement nostalgique du
«classique» chez lui, à la fois irrémédiablement impossible (la modernité l'a refusé, et c'est elle
finalement qui fait l'essentiel de l'investissement barthésien), et toujours regretté ; ce que traduit,
finalement, cette angoisse, si présente à la fin de l'oeuvre critique, d'une possible erreur de la
modernité[64] : «Toujours cette pensée : et si les Modernes se trompaient ? S'ils n'avaient pas de
talent ?» Alors La Rochefoucauld peut devenir un miroir pour le critique, non au sens où ce dernier se
reconnaîtrait dans cette figure d'auteur (Barthes, finalement, s'y refuse) mais au sens où, comme
l'homme de la fable de La Fontaine, pris par la beauté de la figure qui s'y dessine et qui n'existe pas,
pris par l'utopie linguistique qu'il y lit, il y confronte son oeuvre entière, sans pouvoir se défaire du
rêve (ou du cauchemar ?) qu'il y aperçoit.
Notes
[1] I, 24-25. L'édition des textes de Barthes ici utlisée sera celle des Œuvres Complètes, publiées par
Eric Marty, Paris, Le Seuil, 3 volumes, 1993-1995 ; le nombre en caractères romains indique le tome,
le nombre en caractères arabes la page.
[2] III, 176.
[3] I, 580, «L'écrivain en vacances».
[4] I, 1277.
[5] II, 491-495. Il est notable que l'article des Essais critiques consacré à La Rochefoucauld se finisse
sur l'évocation de «la mort du sujet» (II, 1347).
[6] Barthes évoque, dans Roland Barthes par Roland Barthes, un de ses professeurs, nommé
Grandsaignes d'Hauterive (III, 178), apparenté peut-être à l'auteur du Pessimisme de La
Rochefoucauld ; c'est l'une des rares références indirectes de l'article des Nouveaux essais critiques (II,
1339) ; doit-on y voir (aussi) le signe d'une des ces "anamnèses" si chères au critique ?
[7] III, 756, "A quoi sert un intellectuel ?", entretien avec B.H. Lévy, Le Nouvel Observateur, janvier
1977.
[8] I, 503.
[9] comme semblerait en témoigner l'évocation déjà mentionnée, à la fin de l'article des Essais
critiques, de «la mort du sujet» (II, 1347).
[10] I, 1334-1345. Le texte original est de 1963, il reparaît en 1964 dans les Essais critiques. Le titre
même de l'ouvrage est ambigu, qui peut renvoyer (et pourquoi pas ? Barthes lui-même avoue dans
sa Leçon qu'il s'agit d'un «genre ambigu où l'écriture le dispute à l'analyse», III, 801) à une autre figure
de moraliste, Montaigne, dont le rapport aux autres textes n'est pas sans évoquer, toutes choses
inégales par ailleurs, celui de Barthes lui-même avec la "littérature". Mais l'oeuvre de Montaigne
n'occupe qu'une place de second rang dans l'imaginaire critique de Barthes : même si elle est
relativement bien représentée dans les textes, elle n'intervient généralement qu'appelée par une figure
de premier plan, qui fait le sujet de l'analyse et permet la mobilisation de l'objet "Montaigne", Gide,
Michelet, Pascal ; il est remarquable que Montaigne ne soit non seulement jamais mobilisé pour lui-
même, mais encore jamais mobilisable par lui-même ; il doit toujours passer par le truchement d'un
autre, fût-il abstrait (Littré, institution éducative) ; ou/et se vider de son contenu, pour devenir une
simple date historique.
[11] I, 1334.
[12] Le motif revient plus loin, dans le même article, au moment d'une analyse stylistique et rhétorique
de l'oeuvre autour de la question du fragment : cf. I, 1342-1343.
[13] II, 413-416.
[14] II, 1218-1221. La mention du nom se trouve p. 1219, à l'intérieur d'une parenthèse.
[15] II, 1335-1347.
[16] III, 587.
[17] III, 851. C'est moi qui souligne.
[18] in Le Degré zéro de l'écriture, I, 151. Plusieurs années après ce livre, Barthes évoque dans
sa Leçon"l'«innocence» moderne" qui "parle du pouvoir comme s'il était un" ; il poursuit, sous forme
de mea culpa déguisé : "nous avons cru que le pouvoir était un objet exemplairement politique ; nous
croyons maintenant que c'est aussi un objet idéologique, qu'il se glisse là où on ne l'entend pas du
premier coup, dans les institutions, les enseignements, mais qu'en somme il est toujours un. Et
pourtant, si le pouvoir était pluriel, comme les démons ?", III, 802. Le propos se poursuit dans presque
tout le texte. U. Eco en propose une lecture éclairante dans «La langue, le pouvoir, la force», repris
dans La Guerre du faux, Paris, Grasset, 1985, Le Livre de Poche, pp. 333-353.
[19] I, 170. La Rochefoucauld n'est pas cité (du reste, il est peu d'écrivains ici cités) ; mais la présence
du "plus grand seigneur de la littérature française" (J. Lafond) ne s'impose-t-elle pas dans une telle
problématique comme une évidence ? (cf. infra, 2, 3).
[20] On a pourtant vu (1, 1) que La Rochefoucauld semblait s'opposer frontalement, au début de la
réflexion de Barthes, au Sartre de Nekrassov. cf. II, 1344, qui poursuit implicitement le parallèle
Sartre-La Rochefoucauld (ce qui est pour le moins original, si l'on pense à la sévérité des analyses des
sartriens pour le moraliste) : «le mérite n'est en somme pour La Rochefoucauld que de la mauvaise
foi.»
[21] Il conviendrait de mener une étude comparative précise des analyses déployées pour rendre
compte du texte de La Rochefoucauld et de celui de La Bruyère (I, 1334-1345), à la fois étrangement
proches dans leurs étapes (question de l'écrivain, du fragment, la "modernité" de l'oeuvre, le langage et
le style, les "vraies questions" déployées par les oeuvres ...), et qui se différencient pourtant sous le
regard de Barthes. La subjectivité critique s'affirme plus touchée par le second, en même temps que
d'évidence La Bruyère n'occupe pas une place aussi importante que La Rochefoucauld (ne serait-ce
qu'en termes d'occurences) dans la réflexion de Barthes.
[22] II, 1335. Barthes distingue au début de l'article un cas intermédiaire, des maximes sans structure
«en route vers la réflexion, c'est-à-dire vers le discours.» Mais il les écarte vite de son parcours
critique : «elles ne sont que les bonnes ménagères du discours ; les autres y règnent en déesses.» (II,
1336)
[23] II, 1340-1341.
[24] II, 1341.
[25] II, 1335.
[26] I, 147.
[27] III, 166. Plusieurs fragments renvoient à cette question, Le Cercle des fragments, Le fragment
comme illusion, Du fragment au journal, III, 165-167.
[28] III, 232.
[29] II, 1336.
[30] II, 1343.
[31] II, 1336 : Barthes parle de la maxime larochefoucaldienne.
[32] I, 79-81, Responsabilité de la grammaire ; le texte avait d'abord paru sous le titre non moins
significatif : Faut-il tuer la grammaire ?
[33] II, 1345.
[34] III, 990-991.
[35] «La parole paisible», II, 1209, conclusion d'«Ecrivains, intellectuels, professeurs», article donné
à Tel quel, automne 1971.
[36] III, 165, Forgeries.
[37] III, 131, Vérité et asertion.
[38] III, 204, La personne divisée.
[39] III, 232.
[40] III, 208, L'ordre dont je ne me souviens plus.
[41] I, 150. (Le Degré zéro de l'écriture)
[42] III, 131.
[43] III, 174, La phrase ; cf. S/Z, II, 736 (5. a) : «Rôle idéologique de la phrase : en lubrifiant les
articulations sémantiques, en liant les connotations sous le "phrasé", en soustrayant la dénotation du
jeu, elle donne au sens la caution d'une "nature" innocente : celle du langage, de la syntaxe.»
[44] II, 1339-1340. Barthes n'emploie pourtant jamais le terme de paradoxe à propos de La
Rochefoucauld.
[45] Barthes nuance cette affirmation quelques pages plus loin (cf. II, 1344-1345, où il évoque le
«résultat paradoxal de cette dialectique» et «l'intuition» qu'a eu La Rochefoucauld de la dialectique de
la négativité.)
[46] III, 157, En fait ... cf. II, 1339.
[47] III, 131, Vérité et asertion.
[48] II, 1219, dans l'article déjà cité sur «Une idée recherche».
[49] III, 169, Le frisson du sens ; Barthes y revient dans Phases, Rq. 3, III, 206 : «moralité doit
s'entendre comme le contraire même de la morale (c'est la pensée du corps en état de langage)»
[50] cf. III, 1044, à propos du peintre Cy Twombly : «L'artiste n'a pas de morale, mais il a
une moralité. Dans son oeuvre, il y a ces questions : Que sont les autres pour moi ? Comment dois-je
les désirer ? Comment dois-je me prêter à leur désir? Comment faut-il se tenir parmi eux ?»
[51] II, 1345, déjà cité : «Mais au moment même où La Rochefoucauld semble affirmer le monde en
récupérant à sa façon la dialectique, un projet manifestement moral intervient, qui immobilise la
description vivante sous la description terroriste, le constat sous les ambiguïtés d'une loi, qui est
donnée à la fois comme morale et physique.»
[52] III, 179, Bête ?
[53] III, 130, L'arrogance ; cf. aussi le problème du paradoxe comme geste infini et toujours
réversible, III, 149, Doxa/paradoxa, et les corrections à apporter au geste paradoxal, III,
201, Paradoxa ; dernière mise au point dans Sed contra, III, 219.
[54] III, 188, Méduse.
[55] Il le nomme comme origine de la «moralité» qui, on l'a vu, dirige tout son travail (III, 143, Les
amis)
[56] II, 1344.
[57] III, 143, Décomposer/détruire.
[58] II, 1345. On peut se demander, ici, si la Maxime Supprimée 1, sur l'amour propre, n'est pas ici
réécrite, à sa manière, par Barthes, qui la rapproche de la 504 sur la mort, achevant, dans son texte, le
jeu de reflets propre à tout texte discontinu (un tel effet de réécriture a déjà lieu à la page précédente, à
propos de l'amour-propre lui-même). Hélène Merlin le montre déjà dans son article "Raisons
historiques d'un genre : maximes (politiques) et amour-propre", in "La Rochefoucauld, Maximes et
Réflexions diverses", littératures classiques, numéro 35, janvier 1999.
[59] III, 963, L'oscillation, Cours sur le Neutre, Collège de France, 6 mai 1978, repris dans Sollers
écrivain. Barthes y affirme : «Depuis qu'il existe comme figure sociale (c'est-à-dire depuis la fin du
XIXème siècle, et plus précisément depuis l'affaire Dreyfus), l'intellectuel est une sorte de Procureur
Noble des Causes Justes.» La même année, dans un article donné au Monde (III, 822-823) Barthes fait
du bonheur la cause de l'éloignement de «Voltaire-et-Rousseau» et des modernes : «C'est peut-être
qu'ils ne savaient pas (et personne autour d'eux) que le langage existe, que nous devons le supporter, le
travailler, en jouir comme de notre corps même, la condition contradictoire de notre aliénation et de
notre libération, de notre lourdeur et de notre légèreté.»
[60] III, 1338-1339.
[61] III, 1346-1347.
[62] Mais Barthes ne note-t-il pas lui-même (III, 154, L'écrivain comme fantasme, in Roland Barthes
par Roland Barthes) que "ce que le fantasme impose, c'est [...] l'écrivain moins son oeuvre : forme
suprême du sacré : la marque et le vide"
[63] III, 201, Oscillation de la valeur.
[64] III, 1275, Textes posthumes, 25 août 1979.
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