La Belle Et La Bete
La Belle Et La Bete
La Belle Et La Bete
2008 171
Jean Cocteau
Dans les arcanes mystérieuses du désir
Jean MARAIS,
Josette DAY,
Mila PARÉLY,
Nane GERMON,
Michel AUCLAIR
Marcel ANDRÉ
Fiche d’analyse de film
La Belle et la Bête
France • 1946 •Noir et Blanc •1h40
Scénario Jean COCTEAU
d’après le conte de Mme Leprince de Beaumont
Photographie Henri ALEKAN
Musique Georges AURIC
Décors Christian BÉRARD et René MOULAERT
Assistant technique René CLÉMENT
L de la Bête qui se montre vulnérable sous son
L’histoire
’histoire regard, honteuse de sa laideur. En effet, la Bête
la revêt des plus beaux atours faisant de Belle
Dans les jardins d’un manoir du XVIIIème, une véritable princesse. Chose étrange, chaque
deux jeunes hommes, Ludovic et son ami soir, à dix-neuf heures précises, la Bête vient la
Avenant, s’amusent à tirer à l’arc. Une flèche rejoindre dans la salle où elle dîne et lui pose
pénètre à l’intérieur de la maison déclenchant toujours la même question : voulez-vous être ma
les foudres d’Adélaïde et de Félicie, les deux femme ? A chaque fois Belle répond non.
sœurs de Ludovic. Agacé par leur bêtise et leur
vanité, Ludovic n’a de cesse de les ridiculiser Si la Bête se montre parfois effrayante,
jusqu’à ce qu’elles disparaissent dans des chaises Belle la découvre aussi capable d’une grande
portées par quatre laquais. douceur. Et finalement, ce n’est pas sans plaisir
qu’elle partage sa compagnie le temps d’une
Pendant ce temps, Avenant a rejoint Belle, la promenade quotidienne dans le parc.
troisième sœur de Ludovic reléguée à la fonction
de Cendrillon. Avenant est amoureux de Belle Cependant, Belle se languit de son père
et rêve pour elle d’un avenir de princesse. Il lui qu’elle sait malade et supplie la Bête de la laisser
propose de l’épouser mais elle refuse car c’est partir. Elle finit par y consentir à condition que
auprès de son père qu’elle veut rester à jamais Belle promette de revenir après une semaine.
et ce d’autant que le vieux marchand est au Pour montrer combien elle a confiance en elle,
bord de la ruine après la disparition en mer de la Bête lui confie la clé d’or du pavillon de Diane,
ses navires. lieu mystérieux qui recèle un trésor. Belle a
désormais pouvoir de vie ou de mort sur la
Cependant, ayant appris que l’un de ses Bête.
bateaux est revenu au port, le père de Belle
s’apprête à partir avec l’espoir de récupérer ses De retour chez elle, Belle découvre son père
marchandises. Avant son départ, il propose à malade et ruiné par les dettes de jeu de son frère
ses filles de leur ramener un cadeau. Adélaïde Ludovic. Deux larmes transformées en diamant
et Félicie demandent un singe et un perroquet. le feront redevenir riche. A Ludovic et Avenant,
Quant à Belle, elle fait le vœu d’une rose. Belle raconte en détails sa vie au château et sa
relation avec la Bête déclenchant la convoitise
Arrivé au port, le vieil homme apprend de son frère qui n’hésite pas à conspirer avec
qu’il ne lui reste rien après le passage de ses ses sœurs pour s’approprier la clé du pavillon et
créanciers. Il repart bredouille, en pleine dérober le trésor. Quant à Avenant, jaloux de la
nuit, traversant la forêt sous les éclairs et les relation entre Belle et la Bête et désireux de la
grondements du tonnerre et s’abrite dans un tuer, il s’associe à leur conspiration.
château, où seules des statues l’accueillent et
l’invitent à s’asseoir et à se restaurer. L’homme Lorsqu’Avenant s’introduit dans le pavillon,
s’endort. Réveillé soudain par un rugissement, il est mortellement atteint par une flèche de
il accourt dans le parc à la recherche d’une Diane et prend aussitôt la forme de la Bête. Au
présence lorsqu’il aperçoit une magnifique rose même moment, la Bête qui était mourante se
qui semble s’offrir à lui. A peine l’a-t-il cueillie, relève auprès de Belle transformée en Prince.
qu’un cri de colère se fait entendre et une bête
monstrueuse apparaît, l’accusant de vol et lui PISTE DE REFLEXION
promettant la mort. A moins qu’une de ses filles Pistes de réflexion
ne prenne sa place…
De retour chez lui, le marchand raconte son Chef d’œuvre incontestable du cinéma
incroyable aventure. Inquiète pour son père, français, le film de Jean Cocteau est une
Belle s’enfuit discrètement au petit matin et se adaptation singulière du conte de Mme Le Prince
rend au château. Elle y entre avec confiance et de Beaumont. Jouant à la fois sur la dimension
se laisse conduire jusqu’à sa chambre. onirique et merveilleuse des images en même
temps que sur leur réalisme, Cocteau nous
A sa première rencontre avec la Bête, Belle conduit dans les profondeurs de l’inconscient
s’évanouit d’effroi. Mais à son réveil, la jeune et les arcanes mystérieuses du désir, aux
fille comprend vite qu’elle n’a rien à craindre résonnances infinies pour le spectateur.
• Entre rêve et réalité
Entre rêve et réalité
couloir bordé de voilages évanescents dans
lequel Belle avance en glissant.
Comme dans la plupart des contes, la Belle Un couloir aux nombreuses portes qui
et la Bête évoque les étapes fondamentales est aussi une représentation de l’inconscient.
qui structurent le grandissement de l’être Ses portes ne s’ouvrent qu’à condition de s’y
humain et ce sur un mode purement poétique abandonner avec confiance, sans résistance
et symbolique. L’une de ces phases, est le aucune, comme le fait Belle lorsqu’elle entre
nécessaire détachement envers ses parents pour la première fois dans le château. Elle est
que toute personne doit un jour effectuer pleine d’allant et de joie – filmée dans la grâce
pour advenir à ce qu’elle est. Belle est une d’un ralenti -, avançant vers l’inconnu et se
jeune fille captive. Captive de ses deux sœurs laissant conduire jusqu’à sa chambre où l’attend
qui, jalouses de sa beauté, l’ont reléguée aux un décor magnifique, où l’attend ce qu’elle
taches domestiques ; de son frère Ludovic doit devenir, ce qu’elle est au fond d’elle-
qui semble voir d’un mauvais œil la demande même : une princesse. Idée que Belle refusait
en mariage d’Avenant ; et lorsqu’Avenant la lui prédisait.
enfin, captive de l’affection Le silence qui accompagne
qu’elle éprouve pour son la Bête lorsqu’elle gravit
père, ce qui l’empêche l’escalier en portant Belle
de vivre sa propre vie en dans ses bras jusqu’à sa
acceptant notamment chambre donne une intensité
d’épouser Avenant qu’elle particulière à ce moment.
aime secrètement. Belle
doit donc franchir une Il fallait donc que des
étape pour se libérer de circonstances de la vie se
ces liens familiaux qui chargent de conduire Belle
l’entravent. là où d’elle-même elle n’osait
pas aller. Cocteau leur donne
Un arrachement doit avoir lieu. Ce désir de un caractère magique : une rose, un monstre.
liberté existe en Belle même si elle n’en a pas Un mot pourrait désigner leur origine : Désir.
conscience. Il surgit à travers la médiation d’un Comment sinon rendre compte de ces
objet que la jeune fille demande innocemment: prodigieux hasards qui surgissent dans la vie
une rose. Symbolique, cette rose va être à d’une personne ?
l’origine de son départ de la maison et de sa
séparation d’avec son père et l’amènera à vivre • L’L’Importance
importance du
duregard
regard
sa destinée personnelle. Le temps est venu. La
rose qui en elle était latente doit s’épanouir et Comme Belle, la Bête a besoin que quelque
être cueillie. chose ait lieu dans sa vie : qu’un regard d’amour
se pose sur elle. Après avoir subi la malédiction
Rien de tout cela ne s’effectuera dans de sorcières, elle souffre de sa laideur qui
le champ de la conscience et avec Belle le l’empêche d’être aimée et la réduit à n’être
spectateur est basculé dans un univers onirique qu’une bête sauvage. Sa honte est manifeste. Elle
à l’intérieur duquel rêve et réalité s’entremêlent. ne peut supporter d’être regardée par Belle et
A son insu, quelque chose d’essentiel va se ne cesse de le répéter : Il ne faut pas me regarder
jouer pour la jeune fille, elle va s’attacher à la dans les yeux. Votre regard me brûle, je ne supporte
Bête et donc par la même occasion couper sa pas votre regard. Le regard de Belle est un miroir
relation trop fusionnelle avec son père. qui rappelle sans cesse à la Bête sa monstruosité
en voyant la peur qu’elle suscite chez l’autre.
L’espace dans lequel tout cela va se jouer
sera le château. Un espace nocturne, magique, Mais loin de se laisser effrayer par sa laideur,
à l’opposé de l’espace diurne, réaliste de la Belle se laisse toucher par sa souffrance et saura
maison du marchand, comme l’exact envers regarder au-delà, permettant à la Bête de révéler
de ce qui est donné à voir. La mise en scène ce qu’elle cache au fond d’elle-même : bonté et
permet de l’entrevoir comme un espace douceur. Cette progression dans leur relation se
imaginaire, fantastique voir surréaliste. Ainsi manifeste dans une scène magnifique : lorsque
les étranges statues qui se mettent à servir le la Bête boit dans les mains de Belle qui pour la
marchand, la Bête qui se met à fumer, le long première fois accepte son contact !
Le conte rappelle le pouvoir qu’une ainsi que les branches des arbres s’ouvrent sur
personne peut avoir sur une autre. L’être le passage du marchand et de Belle, comme
humain est fragile, vulnérable, et dépend pour pour leur tracer un chemin ; qu’une rose joue
son épanouissement du regard qui sera posé pleinement son rôle en étant le déclencheur
sur lui. « Je ne pouvais être sauvé que par un d’une série d’évènements qui aboutiront à
regard d’amour » dira le prince à la fin. Et quand l’épanouissement de Belle.
le regard de l’être aimé se fait mépris ou rejet,
il peut devenir mortel. S’en remettre à l’autre Magie ? Fantaisie ? Superstition ? Certes le
est donc la plus belle preuve d’amour et de film de Cocteau s’inscrit dans ces registres. Aux
confiance. Ce que fait la Bête lorsqu’elle confie fins de nous émerveiller mais aussi pour nous
la clé du pavillon de Diane à Belle. Elle lui donne parler de la réalité. Pour nous dire qu’il existe
pouvoir sur elle car, outre le trésor, ce lieu un monde auquel nous devons être attentifs
détient aussi un mystère comme le montrera la et qui n’obéit pas à la logique habituelle. Ainsi
scène de transformation d’Avenant. quelle logique y a-t-il à la menace de mort que
la Bête profère au marchand ? Elle n’a pas de
• LeLemonde
mondede
del’l’apparence
apparence commune mesure avec l’acte commis : le vol
d’une simple rose. Et pourtant, derrière cette
Il faut toujours aller au-delà des apparences absurdité apparente, se cache un sens plus
pour découvrir ce que l’on ne voit pas profond, l’arrachement de Belle à son père. Le
immédiatement. Cette idée est essentielle pour détour emprunté pour aboutir à cette étape est
Cocteau qui exprime souvent la nécessité de irrationnel. La Bête prévient le marchand : Ne
traverser les miroirs, de passer de l’autre côté réfléchissez pas ! Ne raisonnez pas ! C’est ainsi !
pour voir ce qui se cache derrière leur reflet. Vous devez faire confiance ! Il s’agit d’une belle
Cela vaut pour les personnes trop vite jugées leçon de vie sur la façon dont s’enchaînent les
sur leur apparence extérieure plutôt que pour évènements dans la vie. Ils sont bien souvent
leur beauté intérieure. Ainsi, derrière la Bête dépourvus d’un sens immédiat. Cocteau
se cache un Prince. A l’inverse, Belle dira : Il y le résumait sous l’expression « la logique
a bien des hommes qui sont plus monstrueux que illogique ».
vous et qui le cachent».Mais cela concerne aussi
le monde visible, que l’on voit, et le monde • L’L’importance
importance de
de la
lacroyance
croyance
invisible, celui qui préside à notre inconscient,
à notre esprit, à nos désirs et nos rêves. Des Mais comment croire à ce monde ? Com
forces invisibles mais pas moins agissantes. A ment le voir? En prologue de son film, le
l’intérieur de ce monde, les objets s’animent, réalisateur nous avertit : «Il faut croire, comme
nous regardent et nous parlent, nous dit l’enfant. L’enfance croit ce qu’on lui raconte et ne
Cocteau. « L’influence d’un objet sur nos couches le met pas en doute.»`La démarche de Cocteau
profondes dépasse ce qui se peut croire. » N’est-ce est de toujours susciter l’étonnement chez les
pas ce que l’art nous fait éprouver ? Le recours spectateurs à partir de l’irruption de l’étrange
à l’esthétique de Gustave Doré est l’expression et du merveilleux dans la réalité. L’image
de la nature vivante des objets pour Cocteau. devient alors une manière d’explorer des zones
De même que le travail extrêmement minutieux nouvelles, inconnues et d’apprendre à regarder
de la lumière fait exister les objets, leur donne autrement, avec d’autres yeux.
une présence, un sens nouveau et oblige le
spectateur à les regarder différemment. C’est Christine FILLETTE
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