Droit Des Contrats Spéciaux
Droit Des Contrats Spéciaux
DROIT CIVIL
COLLECTION
DROIT CIVIL
DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Laurent AYNÈS
L’ouvrage
Le droit français a encore connu, depuis la précédente édition, un foisonnement
de réformes textuelles, principalement en 2016, à commencer par l’ordonnance
du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, qui interfère souvent
avec le droit des contrats spéciaux. Le Code de la consommation a été refondu
et renuméroté (ordonnances des 14 et 25 mars 2016, la seconde transposant une
directive européenne de 2014) ; ses liens sont étroits avec les contrats spéciaux,
notamment en matière de vente, d’entreprise et de crédit. La loi sur la « Justice du
XXIe siècle », fourre-tout s’il en est, modifie des dispositions du Code civil
notamment sur la vente, l’arbitrage et surtout le contrat de transaction, dont une
DROIT
Ph. MALAURIE
L. AYNÈS
P.-Y. GAUTIER
partie du régime, resté intact depuis 1804, est supprimée.
Auparavant, il y a eu la loi « Macron » du 6 août 2015 qui intéresse au premier
chef les contrats de distribution, mais aussi la vente commerciale. D’autres
réformes s’annoncent, notamment le projet relatif à la responsabilité civile.
DES CONTRATS
L’intervention législative croissante atteint ainsi le Code civil, sous prétexte de
modernité, de sorte que la synthèse et le recul sont plus que jamais nécessaires.
Quant à la jurisprudence relative à la plupart des contrats traités dans ce volume,
elle reste abondante, très commentée et requiert un tri, ce que les trois auteurs ont
SPÉCIAUX
ISBN 978-2-275-04099-8
www.lextenso-editions.fr 44 €
DROIT
DES CONTRATS
SPÉCIAUX
Philippe M ALAURIE
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Laurent A YNÈS
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris 1)
Pierre-Yves G AUTIER
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
8e édition
Présentation de la collection
La collection de Droit civil réunit, outre Philippe Malaurie et Laurent Aynès,
des auteurs qui ont le souci de renouveler l’exposé du droit positif et des questions
qu’il suscite.
Les ouvrages s’adressent à ceux qui – étudiants, universitaires, professionnels –
ont le désir de comprendre, en suivant une méthode vivante et rigoureuse,
ce qui demeure l’armature du corps social.
Ouvrages parus
Introduction au droit
Droit des personnes – La protection des mineurs et des majeurs
Les biens
Droit des obligations
Droit des contrats spéciaux
Droit des sûretés
Droit de la famille
Droit des successions et des libéralités
Droit des régimes matrimoniaux
PREMIÈRE PARTIE
LA VENTE
Premières vues sur la vente ........................................................................................ 53
LIVRE I
ÉLEMENTS DE LA VENTE
LIVRE II
EFFETS DE LA VENTE
DEUXIÈME PARTIE
CONTRATS DE SERVICES
LIVRE I
MANDAT
Premières vues sur le mandat .................................................................................... 291
LIVRE II
LOUAGES
LIVRE III
CONTRATS VARIÉS D’ÉCHANGES
LIVRE IV
CONTRATS DE RESTITUTION
Premières vues sur les contrats de restitution ......................................................... 523
LIVRE V
CONTRATS ALÉATOIRES
Premières vues sur les contrats aléatoires ............................................................... 603
LIVRE VI
CONTRATS RELATIFS AU LITIGE
Rev. proc. coll. = Revue des procédures col- RID pén. = Revue internationale de droit pé-
lectives nal
Rev. sc. mor. et polit. = Revue des sciences RJDA = Revue de jurisprudence de Droit
morales et politiques des Affaires (Francis Lefebvre)
Rev. sociétés = Revue des sociétés RJ com. = Revue de jurisprudence commer-
RFD aérien = Revue française de droit aé- ciale
rien RJF = Revue de jurisprudence fiscale
RFDA = Revue française de droit adminis- RJPF = Revue juridique Personnes et Famille
tratif RJS = Revue de jurisprudence sociale
RFD const. = Revue française de droit RRJ = Revue de recherche juridique (Aix-en-
constitutionnel Provence)
RGDA = Revue générale du droit des assu- RSC = Revue de science criminelle et de
rances (suite de la RGAT) droit pénal comparé
RGD int. publ. = Revue générale de droit in- R. sociologie = Revue française de sociolo-
ternational public gie
RGDP = Revue générale des procédures RTD civ. = Revue trimestrielle de droit civil
RHD = Revue historique du droit RTD com. = Revue trimestrielle de droit
RIDA = Revue internationale du droit d’au- commercial et de droit économique
teur RTD eur. = Revue trimestrielle de droit euro-
RID comp. = Revue internationale de droit péen
comparé RTDH = Revue trimestrielle des droits de
RID éco. = Revue internationale de droit l’homme
économique S. = Recueil Sirey
Juridictions
CA = arrêt de la Court of Appeal (Grande- Cons. prud’h. = Conseil des prud’hommes
Bretagne) JAF = décision d’un juge aux affaires fami-
CA = arrêt d’une cour d’appel liales
CAA = arrêt d’une cour administrative d’ap- J.d.t. = décision d’un juge des tutelles
pel KB = arrêt du King’s bench (Banc du roi)
Cass. Ass. plén. = arrêt de l’assemblée plé- (Grande-Bretagne)
nière de la Cour de cassation QB = arrêt du Queen’s Bench (Banc de la
Cass. ch. mixte = arrêt d’une chambre mixte reine) (Grande-Bretagne)
de la Cour de cassation Réf. = ordonnance d’un juge des référés
Cass. ch. réunies = arrêt des chambres réu- Req. = arrêt de la chambre des requêtes de
nies de la Cour de cassation la Cour de cassation
Cass. civ. = arrêt d’une chambre civile de la Sent. arb. = sentence arbitrale
Cour de cassation Sol. impl. = solution implicite
Cass. com. = arrêt de la chambre commer- TA = jugement d’un tribunal administratif
ciale et financière de la Cour de cassation T. civ. = jugement d’un tribunal civil
Cass. crim. = arrêt de la chambre criminelle T. com. = jugement d’un tribunal de com-
de la Cour de cassation merce
Cass. soc. = arrêt de la chambre sociale de T. confl. = décision du Tribunal des conflits
la Cour de cassation T. corr. = jugement d’un tribunal de grande
CE = arrêt du Conseil d’État instance, chambre correctionnelle
CEDH = arrêt de la Cour européenne des T.f. = arrêt du Tribunal fédéral (Suisse)
droits de l’homme TGI = jugement d’un tribunal de grande ins-
CJUE = arrêt de la Cour de justice de l’U- tance
nion européenne TI = jugement d’un tribunal d’instance
Cons. const. = décision du Conseil constitu- TPIUE = Tribunal de première instance de
tionnel l’Union européenne
Acronymes
AFNOR = Association française de normali- DASS = Direction de l’action sanitaire et so-
sation ciale
CCI = Chambre de commerce internatio- DPU = Droit de préemption urbain
nale IRPI = Institut de recherche en propriété in-
Ccne = Comité consultatif national d’é- tellectuelle
thique pour les sciences de la vie et de la OPE = offre publique d’échange de valeurs
santé mobilières
12 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Abréviations usuelles
A. = arrêté IR = informations rapides
Adde = ajouter loc. cit. = loco citato = à l’endroit cité
Aff. = affaire m. n. /déc. /concl. = même note/décision/
al. = alinéa conclusion
Ann. = annales n. = note
Appr. = approbative (note) n.p.B. = non publié au Bulletin des arrêts de
Arg. = argument la Cour de cassation
Art. = article op. cit. = opere citato = dans l’ouvrage cité
Art. cit. = article cité passim = çà et là
Av. gal. = avocat général préc. = précité
cbné = combiné pub. = publié
cf. = se reporter à rapp. = rapport
chron. = chronique Sect. = section
col. = colonne sté = société
comp. = comparer somm. = sommaires
concl. = conclusions supra = ci-dessus
cons. = consorts TCF DIP = Travaux du Comité français
Contra = solution contraire de DIP
crit. = critique (note) th. = thèse
DIP = Droit international public/Droit inter- V. = voyez
national privé v = versus = contre
doctr. = doctrine vo = verbo = mot (vis = verbis = mots)
éd. = édition *et** = décisions particulièrement impor-
eod. vo = eodem verbo = au même mot tantes
Et. = Mélanges Sauf indication contraire, les articles cités se
ib. = ibid. = ibidem = au même endroit réfèrent au Code civil.
infra = ci-dessous
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
A. BÉNABENT, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, LGDJ, 11e éd., 2015.
Fr. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Dalloz,
10e éd., 2015.
D. et N. FERRIER, Droit de la distribution, LexisNexis, 7e éd., 2014.
B. GROSS et Ph. BIHR, Contrats, t. I, Ventes et baux, PUF, Thémis 2e éd., 2002.
J. HUET, Les principaux contrats civils, in Traité de droit civil de J. Ghestin, LGDJ, 3e éd.,
2012, avec H. LÉCUYER, G. DECOCQ et C. GRIMALDI.
F. LABARTHE et C. NOBLOT, Le contrat d’entreprise, in Traité des contrats de J. Ghestin,
LGDJ, 2008.
F. LECLERC, Droit des contrats spéciaux, LGDJ, 2e éd., LGDJ, 2012.
Ph. LE TOURNEAU et al., Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2016/
2017.
Ph. LE TOURNEAU, Responsabilité des vendeurs et fabricants, Dalloz Référence, 5e éd.,
2015.
Fr. COLLART-DUTILLEUL (dir.), Droit de la vente immobilière, 6e éd., Dalloz Référence,
2016-2017.
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la distribution, 3e éd., Sirey, 2015.
P. PUIG, Contrats spéciaux, 6e éd., HyperCours Dalloz, 2015.
J. RAYNARD et J.B. SEUBE, Contrats spéciaux, LexisNexis, 8e éd., 2015.
RIPERT et ROBLOT, Traité de droit commercial, t. II, LGDJ, 17e éd., 2004, par
Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, nos 2482-2789.
N. SAUPHANOR-BROUILLAUD et alii, Les contrats de consommation, Règles communes,
LGDJ, 2012.
Fr. ZENATI-CASTAING et T. REVET, Contrats (vente et échange), PUF, 2015.
H. CAPITANT, Fr. TERRÉ, Y. LEQUETTE et Fr. CHÉNEDÉ, Grands arrêts de la jurisprudence
civile, 13e éd., Dalloz, 2015.
PREMIÈRES VUES
SUR LES CONTRATS SPÉCIAUX
La notion de contrat spécial2, ses sources et son domaine (Chapitre 1) ont évolué
(Chapitre 2).
SECTION I
NOTION
La notion de contrat spécial est dominée par deux antinomies : entre les règles
générales et les règles spéciales (§ 1) et entre les contrats nommés et les contrats
innommés (§ 2), antinomies qui expliquent les difficultés de la qualification (§ 3).
1. Biblio. : Ch. GOLDIE-GENICON, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit
spécial des contrats, LGDJ, 2009, préf. Y. Lequette. L’auteur expose que d’autres règles générales régis-
sent les contrats spéciaux, notamment le droit communautaire et les droits fondamentaux, et que ce
qui subsiste de la théorie générale « se mue insensiblement en un fonds commun de règles, suscepti-
bles d’être adaptées ou écartées si l’obtention de la solution jugée la plus opportune l’exige » (p. 4 de la
couverture). N. BALAT, Essai sur le droit commun, LGDJ, 2016.
18 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
spéciaux », qui constituent aussi des « contrats nommés », parce que la loi ou les
usages qui les réglementent leur donnent un nom (par exemple, vente, bail, prêt,
assurance, etc.). Le droit des contrats spéciaux est plus élaboré et plus concret que
ne l’est la théorie générale : il énonce les règles principales d’un certain nombre
de contrats, en quelque sorte leur cadre essentiel. Il leur donne souvent un
contenu préconstitué « omnibus », permettant aux parties de personnaliser facile-
ment leur contrat et de l’adapter à la fin qu’elles poursuivent. Il suffit à une per-
sonne de dire : « je vends ma maison à telle personne qui accepte et à tel prix »,
pour que l’on sache aussitôt quelles vont être les conséquences du contrat.
Le droit des contrats spéciaux présente ainsi un aspect vivant et une diversité auxquels par-
vient difficilement la théorie générale des obligations. Le phénomène est saisissant aujourd’hui
avec l’apparition d’une multitude de contrats nouveaux, spontanément créés par la pratique et
les recommandations de la commission des clauses abusives qui échenille, clause par clause, les
contrats usuels ; non la vente, ni la vente mobilière, ni même la vente de marchandises, ce qui
serait trop général pour saisir la vie contractuelle quotidienne, mais la vente de matériels de
cuisine ou celle d’automobiles neuves2 : le droit devient proche de la réalité concrète.
cet égard, il constitue un droit commun, le droit commun de la vente. De même, le droit de la
vente immobilière est spécial par rapport au droit commun de la vente ; mais il est général, parce
qu’il gouverne toutes les ventes immobilières, urbaines ou rurales ; à cet égard, il constitue un
droit commun, le droit commun de la vente immobilière ; on pourrait longuement continuer ce
genre de scissiparité.
4º La théorie générale peut faire des immixtions dans les contrats spéciaux, en imposant un
régime précis (ex. : Ord. 10 févr. 2016 portant réforme des contrats, qui réglemente maintenant
la détermination et la réduction du prix dans les contrats de services, le double mandat, le man-
dat apparent, le pacte de préférence et la promesse unilatérale, la tacite reconduction, la prohi-
bition des engagements perpétuels, la commission, le prix dérisoire, etc.).
4. D. GRILLET-PONTON, Essai sur le contrat innommé, th. Lyon, 1982, ronéo et son article au D. 2000,
chron. 331, « Nouveau regard sur la vivacité de l’innommé en matière contractuelle » ; J.-F. OVERSTAKE,
Essai de classification des contrats spéciaux, LGDJ, 1969 ; X. HENRY, La technique des qualifications
contractuelles, Nancy II, 1992. Pour une typologie fondée sur la cause : J. ROCHFELD, Cause et type de
contrat, LGDJ, 1999, préf. J. Ghestin ; Fr. TERRÉ, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifica-
tions, th. Paris, LGDJ 1956, préf. R. Le Balle, nos 559 et s. ; N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à
l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés, Dalloz, 2010.
5. Infra, no 869.
20 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
L’histoire romaine de la notion conserve donc une actualité dans certains développements
contractuels contemporains.
I. — Idée romaine
4. Action en justice. – Pour comprendre qu’à Rome la dénomination du contrat comman-
dait sa validité, il faut rappeler que le droit romain était procédural. Il n’y avait de droit que là où
existait une action en justice, et le nombre des actions était limitativement énuméré6. Jusqu’à la
fin de l’époque classique (IIIe siècle), un contrat n’était obligatoire que s’il faisait partie d’une
catégorie de contrats à laquelle une action avait été accordée, soit par la loi (action de la loi
ou action civile), soit par le préteur (action prétorienne) ; ces contrats avaient un nomen dans
l’édit du préteur. Aussi furent-ils qualifiés de contrats « nommés » : par exemple, la vente, le
mutuum, le dépôt, le prêt à usage, etc. Les contrats qui ne remplissaient pas les formes des
contrats nommés étaient dépourvus d’efficacité : ex nudo pacto non oritur actio (du pacte nu,
aucune action ne peut naître). Ultérieurement – Justinien (VIe siècle) a achevé l’évolution par
une innovation radicale, annonçant le nouveau visage du contrat –, l’action praescriptis verbis
a été accordée pour sanctionner les contrats innommés : dans ces contrats, si l’une des parties
avait spontanément exécuté son obligation, elle pouvait, au moyen d’une action en justice, obli-
ger son cocontractant à exécuter la sienne. La convention avait alors une causa et devenait obli-
gatoire. Le nombre de ces contrats étant illimité, on les a classés en quatre catégories, tenant à la
nature de l’exécution unilatérale : do ut des (je fournis afin que tu fournisses) ; do ut facias (je
fournis afin que tu fasses) ; facio ut facias (je fais afin que tu fasses) ; facio ut des (je fais afin que
tu fournisses). En fait, la pratique utilisa tellement certains contrats innommés qu’elle leur donna
un nom ; par exemple, le contrat d’aestimatum, la rerum permutatio (échange), le precarium
(concession précaire). Bien que nommés en fait, ces contrats ne l’étaient pas en droit ; ils ne
pouvaient donc être sanctionnés que par l’action praescriptis verbis, qui supposait une exécu-
tion antérieure par une des parties et une inexécution par une autre.
Ces idées n’ont surtout qu’un intérêt historique7. D’abord, parce que la conception du droit a
évolué ; il n’est plus vrai de dire que le droit dépend de l’action, mais plutôt l’inverse : tout droit
fait naître une action8. Ensuite, parce que la conception du contrat a aussi changé, à partir du
moment où la liberté contractuelle a été admise. En conséquence, 1) tous les contrats sont obli-
gatoires, même s’ils ne correspondent pas à un type prévu et réglementé par la loi ; 2) les parties
peuvent faire toutes sortes de contrats, même non spécialement prévus par la loi. Aussi com-
prend-on que certains auteurs aient nié l’intérêt de cette distinction9. Elle n’est pourtant pas inu-
tile.
6. A. LAINGUI, « Les contrats spéciaux dans l’histoire des obligations », in Le droit contemporain des
contrats, Trav. et recherches de la Faculté des sciences juridiques de Rennes, 1985-1986, Economica,
p. 39-47 ; J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, nos 441 et s.
7. O. DESCAMPS, Plura sunt negocia, RDC 2013. 475.
8. Exceptionnellement, il existe des droits sans action (ex. : obligation naturelle ; obligation éteinte
par prescription) et des actions sans droit subjectif (ex. : action du Ministère public).
9. PLANIOL, « Classification synthétique des contrats », Rev. crit. 1904. 470 et s., sp. 484 : « ... Nous
n’avons plus besoin des contrats innommés et nous ne pouvons même plus en faire [...] C’est se trom-
per et tromper les autres par une confusion inévitable que de dire que les contrats nouveaux qui se
rencontrent dans le droit moderne sont des contrats innommés ».
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 21
D’une part, il est des contrats complètement innommés, parce qu’ils ne comportent aucun
caractère des contrats nommés existants ; si la pratique les développe et les organise, ils ont
vocation à créer progressivement de nouvelles catégories de contrats nommés (ex. : le
crédit-bail10 ou le bail à nourriture11) ce qu’un auteur appelle, selon une terminologie un peu
obscure, des contrats innommés « typiques »12 qui sont, en réalité, des contrats sui generis13.
D’autre part, il est des contrats innommés « atypiques »14, qui, malgré des différences, peuvent
se rattacher à un contrat nommé existant, sans jamais constituer un contrat spécial nouveau (par
exemple, le prêt à usage comportant une « gratuité d’affaires », qui est un satellite du prêt pro-
prement dit15 ; ou encore le contrat d’enseignement privé ; ou bien le « pilotage » dans la cons-
truction immobilière)16. Enfin, un contrat peut être plus ou moins nommé par la loi, c’est-à-dire,
plus ou moins organisé. Par exemple, le crédit-bail est maintenant un contrat nommé et défini
par l’article L. 313-7 du Code monétaire et financier, mais il n’en comporte que certaines règles ;
de même, le contrat de réservation d’un immeuble à construire est nommé par la loi (CCH, art.
L. 261-15), muette sur plusieurs éléments de son régime.
Des contrats nommés et organisés par la loi disparaissent parce que la pratique les délaisse
peu à peu ; même leur nom s’enfonce dans l’oubli. Ils ne périssent pas complètement, car ils
sont rarement abrogés : en droit, les institutions meurent rarement. Disparition qui peut être
lente, un coma prolongé17 : par exemple, la concession immobilière (L. 30 déc. 1967) et la loca-
tion-accession (L. 12 juill. 1984) ; ou brusque, un avortement, lorsque le contrat est créé de tou-
tes pièces par la loi et que la pratique n’en use pas : la loi n’est donc efficace que si elle s’appuie
sur la pratique. Contrairement à l’adage anglais : Parliament can do anything, except changing a
man into a woman (le Parlement peut tout faire, excepté changer un homme en femme), le légis-
lateur n’a pas de véritable pouvoir créateur en matière contractuelle (bien que souvent il pense
le contraire).
6. Genèse, vie, agonie des contrats nommés. – Le contrat innommé permet un incessant
renouveau des pratiques contractuelles : en enrichissant des techniques existantes ou acclima-
tant des modèles étrangers. Après que tel notaire, ou tel commerçant, ou tel syndicat profession-
nel l’ait imaginé, par l’effet de la pratique le contrat devient peu à peu nommé, en fait ; lorsque
la loi consacre cette nouvelle nomination, l’achèvement est presque accompli (par ex. pour le
contrat de fiducie : art. 2011 et s., 2488-1 et s.)18. Il est parachevé lorsque la loi organise le nou-
veau contrat, organisation qui peut être plus ou moins étoffée ; ce parachèvement législatif
n’intervient pas toujours.
L’intérêt pratique de la distinction entre contrats nommés et innommés réside dans la qualifi-
cation, une des activités essentielles du juriste.
§ 3. QUALIFICATION
7. Classification et interprétation. – La qualification est une difficulté que soulève toute
règle de droit. Le droit constitue en effet un ensemble limité de règles, tandis que la vie suscite
une infinie variété de faits. Pour appliquer le droit au fait, il est nécessaire de qualifier le fait,
c’est-à-dire déterminer la catégorie juridique dans laquelle il entre. Par exemple, l’application
d’une règle pénale suppose la qualification préalable de l’infraction : tel acte illicite constitue-
t-il un vol ou un abus de confiance, un viol ou une autre agression sexuelle ?
À l’égard des contrats spéciaux, la question est de savoir quel statut régit tel ou
tel contrat individuel, c’est-à-dire dans quelle catégorie contractuelle il convient
de le classer pour déterminer son régime juridique ; par exemple, savoir s’il est, ou
un bail, ou une vente, ou un prêt, etc., afin de le rattacher aux règles du bail, de la
vente ou du prêt, etc.
À l’inverse, s’il n’entre dans aucune catégorie, mais présente des liens avec d’autres, on
pourra lui appliquer tout ou partie de leur statut, par analogie. C’est une méthode nécessaire,
qui présente les inconvénients de toutes les méthodes rigides, en multipliant les conflits de
qualification19 ; par exemple, pour le dépôt-vente la différence entre la vente et l’entreprise,
pour la location-vente la différence entre bail et vente, etc. En toute hypothèse, les règles géné-
rales s’appliqueront (art. 1105).
I. — Quand ?
La qualification est un préalable à l’application d’une règle juridique, que celle-
ci soit impérative – la volonté des parties est inefficace si elle est contraire à cet
impératif – ou supplétive : en l’absence de volonté contraire, la règle s’applique.
Le plus souvent, elle est inaperçue tant elle s’opère aisément21. Mais la nature
juridique du contrat n’apparaît pas toujours immédiatement : par exemple, lors-
qu’il y a juxtaposition de plusieurs contrats nommés, la qualification permet de
déterminer la règle applicable.
Il est courant que dans une même relation contractuelle, deux types disparates de contrats
soient juxtaposés. La doctrine contemporaine distingue selon que cette juxtaposition constitue
ou non un ensemble unitaire22. Dans le premier cas, on parle généralement de « contrat com-
plexe », dans le second, de « groupes ou de chaînes de contrats ». La distinction s’impose, mais
est difficile à appliquer, ce qui explique que la terminologie soit à la fois flottante et peu par-
lante. En outre, l’exécution d’un contrat fait souvent intervenir plusieurs personnes : il y a
« cocontrat » et « sous-contrat ». Dans les « ensembles contractuels », il n’y a pas une méthode
unique de qualification.
19. A. BÉNABENT, « Les difficultés de la recodification : les contrats spéciaux », in Livre du bicente-
naire, Dalloz, 2004, p. 245 et s., sp. p. 248.
20. Ex. : Cass. civ. 3e, 24 janvier 2007, Bull. civ. III, no 6 ; RDC 2007.810, obs. J.-B. Seube : « La com-
mune intention des parties avait été de conclure un bail, peu important que la société Oreco se soit par
ailleurs engagée à stocker les eaux-de-vie de la société Bisseuil ou de leurs clients ».
21. Ex. : l’acte transférant la propriété d’un immeuble en contrepartie d’un prix est une vente d’im-
meuble.
22. D. GRILLET-PONTON, op. cit., no 94 ; B. TEYSSIÉ, Les groupes de contrats, th. Montpellier, LGDJ,
1975, préf. J.-M. Mousseron ; I. NAJJAR, « La notion d’ensemble contractuel », in Mélanges A. Decocq,
Litec, 2004.
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 23
La qualification n’a d’intérêt que lorsque chacun des statuts spéciaux auquel un
contrat complexe peut se rattacher est différent et que leur régime juridique est
incompatible. Par exemple, les conditions de validité d’une promesse unilatérale
de vente n’étant pas les mêmes que celles d’une promesse synallagmatique, il est
nécessaire de qualifier une promesse unilatérale avec stipulation d’une indemnité
d’immobilisation afin de savoir quelles règles lui sont applicables, puisqu’on est
aux frontières du contrat unilatéral et du contrat synallagmatique. De même, cer-
taines règles de l’échange sont différentes de celles de la vente ; quand leur appli-
cation est en cause, il faut déterminer si un échange avec soulte est un échange
ou une vente, etc. Dans tous ces cas, il existe un conflit entre les lois applicables à
chacun des contrats spéciaux auquel se rattache le « contrat complexe ».
26. * Cass. com., 25 octobre 2011, no 10-23538, Bull. civ. IV, no 173 ; RTD civ. 2012.113, obs.
B. Fages et 128, obs. P.Y. Gautier ; Rev. sociétés 2012. 25, n. Th. Massart : validité d’une transaction
conclue entre le cédant du contrôle d’une société, celle-ci et le cessionnaire, « situation d’interdépen-
dance », les concessions du cédant (abandon de sa créance de compte courant) bénéficient à la
société cédée, mais aussi au cessionnaire, dont la renonciation à la garantie de passif est ainsi causée,
puisqu’il en jouit de façon « indirecte ». *Cass. com., 13 février 2007, Faurecia, Bull. civ. IV, no 43 ; D.
2007. 654, n. X. Delpech ; JCP G 2007.II.10063, n. Y. Serinet ; Defrénois 2007.1042. n. R. Libchaber ;
en l’espèce, quatre contrats avaient été conclus entre une société d’informatique et un client ayant
pour objets la licence sur un programme, la maintenance, la mise à jour et la formation du personnel ;
le défaut de délivrance dans l’exécution du premier entraîna les trois autres dans son sillage : ils étaient
« interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indé-
pendamment les uns des autres... ». V. les thèses de J.-B. SEUBE, L’indivisibilité et les actes juridiques,
Litec, 1999 et S. BROS, L’interdépendance contractuelle, Paris II, 2001, et sa chron. au D. 2016. 29.
S. PELLÉ, La notion d’interdépendance contractuelle, Dalloz, 2007 ; C. AUBERT DE VINCELLES, RDC
2007.983. Si une clause du contrat contredit cette indivisibilité, pour peu qu’elle soit artificielle et
jure avec son économie, le juge la répute non écrite : * Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, no 11-22768,
Société Business Support services, no 11-22927, 2e esp. Bull. civ. ch. mixte no 1 ; JCP G 2013, 673-674,
n. F. Buy et J.B. Seube ; D. 2013. 1658, n. D. Mazeaud ; Contrats, conc., consom. 2013 no 176,
n. L. Leveneur ; RDC 2013. 849, avis L. Le Mesle et 1331, obs. Y.-M. Laithier ; RTD civ. 2013. 597,
obs. H. Barbier : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant
une location financière, sont interdépendants ; sont réputées non écrites les clauses des contrats incon-
ciliables avec cette interdépendance » (la résiliation du contrat principal de « partenariat » de services
et de publicité, 1re esp., ou celle d’une sauvegarde de fichiers informatiques, 2e esp., entraîne celle du
contrat de location du matériel).
27. Cass. civ. 1re, 10 septembre 2015, 2 esp., nº 14-13658 et 14-17772, Bull. civ. I à paraître ; JCP G
2015, 1138, n. J. Lasserre-Capdeville ; Contrats, conc., consom. 2015, nº 274, n. L. Leveneur ; Defré-
nois 2016. 76, obs. J.-B. Seube ; Dr. et patr. 2016, 7-72, n. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2016.11, obs.
T. Genicon et 16, obs. Y.-M. Laithier ; RTD civ. 2016.111, obs. H. Barbier : achats d’un toit photovol-
taïque et d’une éolienne, la résolution de la vente entraîne celle du prêt.
28. Infra, no 955. Pour un exemple d’indivisibilité légale : art. L. 341-1 C. com. (loi Macron du
6 août 2015) : tous les contrats relatifs à un même rapport de distribution avec le revendeur doivent
prendre fin simultanément. Ce qui doit valoir pour le terme, la résolution, la caducité.
29. Cass. com., 5 juin 2007, Bull. civ. IV, no 156 ; D. 2007.1723, n. X. Delpech ; JCP G
2007.II.10184, n. crit. Y. M. Serinet ; Dr. et patr. 2007.87, p. 87, obs. L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck ;
RTD civ. 2007.569, obs. B. Fages : « la résiliation des contrats de location et de maintenance n’en-
traîne pas lorsque ces contrats constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible, la résolu-
tion du contrat de vente mais seulement sa caducité, l’acquéreur devant restituer le bien vendu et le
vendeur son prix, sauf à diminuer celui-ci d’une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la
chose en raison de l’utilisation que l’acquéreur en a faite et à tenir compte du préjudice subi par l’ac-
quéreur par suite de l’anéantissement de cet ensemble contractuel » : la « caducité » de la vente, à la
différence de sa résolution, a donc pour conséquence qu’il faut tenir compte pour la restitution du
prix, de la dépréciation de la chose à raison de son usage par le locataire. Avec Cass. civ. 1re, 10 sep-
tembre 2015, préc., qui évoque la résolution et non la caducité. Le nouvel article L. 341-1 préc. parle
de la « résiliation ».
30. Cass. civ. 1re, 28 octobre 2015, nº 14-11498, Bull. civ. I à paraître ; D. 2016. 187,
n. S. May-Ferrié ; RDC 2016. 207, obs. E. Savaut (le contrat de vente prévoyait un différé de rembour-
sement, qui n’avait pourtant pas été coché dans le contrat de prêt, le premier suffit pour en jouir).
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 25
2) L’une des variétés des ensembles contractuels est la chaîne de contrats, courante en matière
commerciale, faite de rapports contractuels successifs, ayant un objet commun, noués entre des
personnes différentes : par exemple, la vente commerciale n’est qu’un stade dans la circulation
des marchandises ; elle est précédée et suivie d’autres ventes : le vendeur tient la chose vendue
d’un auteur qui l’a lui-même reçue d’un autre et la revend à un sous-acquéreur, etc. La question
est celle de l’indépendance ; notamment afin de savoir quelle est la répercussion sur l’ensemble
des relations commerciales d’une clause attributive de compétence judiciaire31 ou de la résolu-
tion d’une des ventes. La qualification de « chaîne de contrats » n’est pas propre aux chaînes de
ventes, où elle a d’abord attiré l’attention ; elle appartient à la théorie générale des contrats.
Pendant un temps, avait été admise l’idée qu’un groupe de contrats rendait « nécessairement
contractuelle » la responsabilité entre les membres du groupe, même s’ils n’avaient pas traité
l’un avec l’autre, ce que la première chambre civile de la Cour de cassation avait énoncé en
un principe général. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a condamné cette
tentative32, sauf dans les chaînes de contrats comportant un contrat translatif où les différentes
actions en garantie contre les contractants successifs ont toutes un caractère contractuel parce
qu’elles sont transmises33.
10. 3º Cocontrats ; sous-contrats. – Les chaînes de contrats doivent être distinguées des
cocontrats et des sous-contrats faisant intervenir plusieurs participants à un contrat. 1) Dans le
cocontrat34 (par exemple, la cotraitance35, la coassurance, le coemprunt auprès de plusieurs prê-
teurs), il y a plusieurs participants pour un seul objet36. 2) Le sous-contrat37 est une convention
ayant pour objet l’exécution d’une convention par une autre personne qu’une partie au contrat
principal ; par exemple, le sous-mandat38, la sous-location39 ou la sous-traitance40.
II. — Comment ?
A. QUALIFICATION EXCLUSIVE
Lorsqu’un contrat est complexe, il n’a qu’une seule nature : la qualification est
exclusive. Soit, il emprunte la nature juridique de sa principale composante, soit,
plus rarement, il acquiert une nouvelle nature, distincte de ses composantes.
44. Une loi de 1964 (C. rur. pm., art. L. 326-1 et s.) a disposé que plusieurs contrats constituaient un
unique contrat d’intégration agricole (soumis à un régime particulier) lorsque, selon l’expression de la
Cour de cassation, ils avaient été conclus « dans la perspective l’un de l’autre » ; infra, no 842.
45. Droit des obligations, coll. Droit civil.
46. Fr. LABARTHE, « Les conflits de qualification », Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 539.
47. Cass. civ. 3e, 15 février 1978, Bull. civ. III, no 84 ; JCP G 1979.II.19090, n. S. Galle.
48. Jurisprudence souvent réitérée, ex. : Cass. com., 6 juillet 2010, 09-14661, inédit, Contrats, conc.
consom. 2010, no 241, n. L. Leveneur : « le contrat de déménagement étant un contrat d’entreprise,
lequel se différencie du contrat de transport en ce que son objet n’est pas limité au déplacement
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 27
garde49 ; ou bien le transport de fonds50 ; ou bien l’échange avec soulte qui, selon l’importance
de la soulte, est un échange ou une vente. De même dans certains contrats comme l’entreprise,
où on trouve des obligations accessoires de dépôt, le contrat conserve sa nature principale d’en-
treprise, par exemple, le contrat de garage51.
14. Nature nouvelle. – Parfois, tout en étant exclusive, la qualification s’opère selon une
méthode différente. On ne cherche pas l’élément principal du contrat complexe, car le contrat
a une nature distincte de celle de ses composants : un contrat nouveau apparaît ; d’abord, pen-
dant un certain temps un contrat innommé typique, sui generis ; ultérieurement, il acquiert un
nouveau nom et un statut original. Ainsi en est-il du crédit-bail, sans doute parce que la réfé-
rence au bail était artificielle52.
B. QUALIFICATION DISTRIBUTIVE
C. QUALIFICATION INEXACTE
La qualification doit traduire la volonté réelle des contractants60. Elle est parfois
inexacte, soit du fait des parties (elle doit alors être redressée), soit de celui des
juges, soit de celui de la loi.
18. 2º Juges. – La qualification donnée par les juges à un contrat est quelquefois inexacte.
Inexactitude inutile, délibérée ou approximative.
1) Tantôt, les tribunaux donnent des qualifications inutilement inexactes. Ainsi, pour le
contrat de coffre-fort, longtemps et à tort qualifié de location62.
55. Dans la gérance salariée, le propriétaire d’un fonds de commerce en confie la direction à un
tiers, moyennant rémunération ; le gérant rend ses comptes au propriétaire qui fait siens les profits et
les pertes et surveille la gestion, ce qui l’oppose à la gérance libre. Les gérants non salariés des succur-
sales de maisons d’alimentation de détail, que l’on appelle souvent des gérants succursalistes, ont, en
droit du travail, un régime particulier (C. trav., art. L. 7322-1 et s.).
56. Ex. : Cass. soc., 13 janvier 1972, Bull. civ. V, no 28 (arrêt no 1) ; JCP G 1972.II.17240 bis : « le fait
que X ait la qualité de gérant libre de fonds de commerce, donc de commerçant, ne pouvait l’empê-
cher de bénéficier de la législation du travail, dans ses rapports avec son employeur, s’il remplissait les
conditions exigées à cet effet ».
57. La gérance libre (location-gérance) est une convention par laquelle le propriétaire d’un fonds
concède à un gérant l’exploitation de son fonds pendant une période déterminée ; l’exploitation se fait
sous l’autorité et avec les risques du gérant, à la différence de la gérance salariée ; infra, no 684.
58. V. toutefois Cass. com., 9 mars 1953, D. 1953.324 : « la mise en gérance libre dudit fonds ne
constitue pas une sous-location interdite (par une clause du bail de l’immeuble dans lequel le fonds
était exploité), mais la location d’un meuble incorporel ». Il n’y a donc pas violation du bail.
59. TGI Évry, 7 décembre 1989, Defrénois 1991, art. 34961, n. A. Chappert (en matière fiscale).
60. Fr. TERRÉ, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, th. Paris, LGDJ, 1957, préf.
R. Le Balle.
61. V. A. VAN EECKHOUT, « Vers un renouveau du troc dans la vie des affaires ? », RDC 2006.917.
62. Infra, no 868.
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 29
D. REFUS DE QUALIFICATION
20. Contrat sui generis. – Parfois, le particularisme du contrat est tel que non
seulement il n’entre dans aucune des qualifications des contrats nommés, mais est
complètement soustrait aux statuts des contrats spéciaux. Ainsi en est-il de la
« multipropriété », conférant un simple droit de jouissance « à temps partagé » à
63. Cass. civ. 1re, 31 mai 1978, Bull. civ. I, no 210 ; D. 1979.48, n. I. Foulon-Piganiol.
64. Cass. civ. 1re, 5 janvier 1961, aff. du taxi de Rio, Bull. civ. I, no 7 ; D. 1961.340.
65. Paris, 12 décembre 1952, JCP G 1953.II.7650, n. M. de Juglart.
66. Infra, no 714.
67. D. GRILLET-PONTON, th. préc., nos 38-39.
68. Il s’agit d’une convention entre agriculteurs ayant pour objet des échanges de travail et de
moyens d’exploitation. V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
69. Pour l’application de la Sécurité sociale à une « hypothèse-frontière » : Cass. soc., 10 février
1977, Bull. civ. V, no 99 ; D. 1978, IR 158, obs. Chesné et Martin : « L’entraide définie par l’art. 20 de
la loi du 8 août 1962 est, en principe, exclusive de toute contrepartie pécuniaire ou en nature ».
70. B. BOCCARA, « La concession immobilière », JCP G 1969.I.2245, sp., no 29 ; GRILLET-PONTON, op.
cit., supra, no 202, p. 225, no 3.
71. Infra, no 712.
30 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
des vacanciers (C. consom., art. L. 224-69)72. Il s’agit de ce qu’on appelle parfois
un contrat sui generis.
Quelques auteurs ne le distinguent pas du contrat innommé73. On peut aussi y voir ce que l’un
d’eux appelle un contrat innommé typique74. Enfin, à l’inverse, selon un autre, le contrat sui
generis serait presque un contrat nommé, sauf une différence spécifique75.
La notion a un sens négatif : un contrat sui generis n’est pas un contrat nommé ;
il est soustrait au régime légal d’un contrat spécial, aussi bien lorsque ce régime
est impératif que lorsqu’il est dispositif.
21. Relativité. – La notion de contrat sui generis est relative : un contrat peut, à
certains égards, être nommé, et, à d’autres, innommé.
Ainsi peut être qualifiée de sui generis une convention qui pourtant est nom-
mée, afin de la soustraire au statut spécial d’un autre contrat nommé auquel elle
ressemble. Par exemple, le « contrat préliminaire » à la vente d’immeuble à cons-
truire est prévu et organisé par la loi (CCH, art. L. 261-15) ; à cet égard, il est un
contrat nommé. La question s’est posée de savoir s’il s’agissait d’une promesse
unilatérale de vente, soumise à enregistrement dans les dix jours de son accepta-
tion, à peine de nullité, lorsqu’elle est faite par acte sous signature privée
(art. 1589-2) ; pour écarter cette règle, la Cour de cassation a décidé que ce type
particulier d’avant-contrat était une convention sui generis76.
Aujourd’hui, il est fréquent que l’organisation légale d’un contrat spécial soit
impérative, excluant plus ou moins complètement la liberté contractuelle. Ce
qui pose un problème de sources.
SECTION II
SOURCES
La source principale du droit des contrats spéciaux est, au moins en apparence,
la loi et la jurisprudence, comme pour toute autre partie du droit. L’importance
72. V. Les Biens, coll. Droit civil. À l’égard de ces contrats, le C. consom. contient un certain nom-
bre de règles : offre de contracter par écrit, comportant les mentions essentielles (L. 224-73) ; délai de
repentir de quatorze jours (L. 224-79), condition suspensive si l’acheteur a emprunté pour payer
(L. 224-88) ; v. aussi l’intervention des agents de voyages (C. tour., art. L. 211-4) ; J. RAYNARD, RTD civ.
1998.1004 ; R. SAINT-ALARY, D. 1999, chron. 147.
73. D. GRILLET-PONTON, th. préc.
74. D. GRILLET-PONTON, th. préc.
75. G. CORNU, RTD civ. 1976.160 ; ex. : TGI Paris, 25 février 1977, Gaz. Pal. 1977.II.478 ; RTD civ.
1977.789, obs. G. Cornu : le contrat conclu entre un frère des écoles chrétiennes et sa congrégation
est « un contrat sui generis », non un contrat de travail. V. également pour les relations entre un pas-
teur et son église : Douai, 30 mai 1984, JCP G 1986.II.20628, n. Th. Revet : « la préparation du règne
de Dieu sur la terre ne constitue pas, du fait de sa finalité spirituelle, une activité relevant du Code du
travail, quelles que soient les modalités juridiques pratiques utilisées »... ; l’arrêt a été maintenu par
Cass. soc., 20 novembre 1986, JCP G 1987.II.20798, n. Th. Revet ; RTD civ. 1987.569, obs.
Ph. Rémy ; J. SAVATIER, « La situation, au regard du droit du travail, des pasteurs de l’Église réformée »,
Dr. soc. 1988.375. De même, le contrat d’exclusivité conclu entre une clinique et un médecin n’est ni
un mandat ni un contrat d’intérêt commun ; dès lors la clinique peut librement résilier le contrat en
respectant le délai de préavis : Cass. civ. 1re, 25 juin 1996, Bull. civ. I, no 269.
76. Cass. civ. 3e, 27 octobre 1975, Bull. civ. III, no 309 ; D. 1976.97, n. Frank ; Defrénois 1976,
art. 31050, m. n. ; RTD civ. 1976.363, obs. G. Cornu : « Un tel contrat (sui generis) ne peut être identi-
fié à la promesse unilatérale de vente acceptée, au sens de l’art. 1840 A, CGI (aujourd’hui art. 1589-2
C. civ.), dont les dispositions sont d’interprétation stricte ».
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 31
respective de ces deux sources évolue sous la pression des nécessités économi-
ques et de l’idéologie dominante : le libéralisme économique fait confiance au
juge et se méfie de la loi ; au contraire, le dirigisme croit bienfaisant l’encadre-
ment légal des pratiques contractuelles.
Dans un régime d’économie mixte, comme l’est celui de la France, les lois sont
abondantes, et les procédés d’intervention de l’État dans les contrats se diversi-
fient (§ 1). Mais la pratique joue aussi un rôle important, constituant une source
d’une nature originale (§ 2).
§ 1. LOIS
I. — Lois et règlements
Selon les époques, l’importance respective du caractère impératif ou supplétif
des lois relatives aux contrats spéciaux a changé, ce qui rend importante leur qua-
lification.
77. Ex. pour l’application des art. 1999 et 2000, obligeant le mandant à indemniser le mandataire
de ses pertes et le rembourser de ses frais : Cass. com., 7 juill. 2004, Bull. civ., IV, no 150 : « Les
art. 1999 et 2000 [...] ne sont pas d’ordre public ».
78. Infra, no 809.
32 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
23. « Droit économique » ; droit européen ; droits de l’homme. – Les contrats spéciaux
sont, en outre, soumis à des sources nouvelles du droit. À côté du « droit classique » (le droit
civil complété par le droit commercial, le droit rural et le droit pénal), est apparu un « droit éco-
nomique » (le droit de la consommation et celui de la concurrence), qui ne constitue pas un
corps cohérent, use d’une terminologie parfois imprécise et est souvent en contradiction avec
les règles traditionnelles, en raison de ses objectifs sociaux et économiques. Ses règles sont sou-
vent la transposition de normes communautaires79.
Un Code de la consommation a été promulgué en 1993. De nombreuses directives européen-
nes sont souvent adoptées et doivent être intégrées à ce code ; elles sont parfois très contraignan-
tes (ex. : les lourdes amendes infligées aux entreprises qui ne respectent pas les règles de la
concurrence) ou au contraire ont une grande flexibilité (la régulation) allant jusqu’au conseil
(les autorités de la concurrence « accompagnent » les entreprises pour leur enseigner les bonnes
pratiques de la concurrence). Le droit de la consommation, comme celui de la concurrence, se
prête mal à la codification, car il est dépendant de la conjoncture : il ne peut procéder qu’au
« coup par coup », ce qui explique son fouillis et son instabilité80. Le droit de la consommation
exerce une influence croissante sur le droit commun des contrats : il a ainsi permis de renouveler
de nombreuses analyses sur les mécanismes fondamentaux (formation du contrat, cause, grou-
pes de contrats, terme, clauses d’irresponsabilité, abus, etc.)81. Il en est de même du droit de la
concurrence82 et des droits fondamentaux.
24. Qualification. – Selon que la loi est supplétive ou impérative, les effets de
la qualification sont différents83.
Lorsqu’elle est supplétive, elle s’applique à défaut de convention contraire. Par
exemple, pour la vente, le Code civil fixe le lieu où doit être délivrée la chose
vendue (art. 1609) ; ces dispositions ne s’appliquent que si les contractants
n’avaient pas, à cet égard, fixé leur obligation. Encore faut-il qu’il s’agisse d’une
vente. Si le contrat est innommé, il faut d’abord recourir à la qualification, qui
permettra, le cas échéant, de le considérer comme une vente.
Lorsque les règles légales sont impératives : elles ne peuvent être écartées par la
volonté des parties. Par exemple, les dispositions relatives à l’information et à la
protection des consommateurs.
25. Contrat sui generis. – À l’égard des lois impératives et parfois des lois sup-
plétives, la qualification de contrat sui generis produit des conséquences différen-
tes, puisqu’elle a pour effet de le soustraire au statut légal. Le résultat habituel est
de rendre valable un contrat dont la licéité est pourtant incertaine ou même dou-
teuse ; plus rarement, l’inverse se produit : du fait qu’il est sui generis, le contrat
devient parfois nul.
La qualification de contrat sui generis (comme celle de contrat innommé) permet souvent de
soustraire une convention au régime légal impératif d’un contrat spécial déterminé, ce qui
explique la suspicion qu’elle suscite. Ainsi, les tribunaux ont fait échapper certaines conventions
au statut du fermage84 en les qualifiant de contrats innommés ou de conventions sui generis. De
79. J. HUET, « Les sources communautaires du droit des contrats », LPA 1997, no 35, p. 8.
80. D. FENOUILLET et Fr. LABARTHE, dir., Faut-il recodifier le droit de la consommation ?, Economica,
2002 ; C. AUBERT DE VINCELLES et N. SAUPHANOR-BROUILLAUD, Les 20 ans du Code de la consommation,
Lextenso 2013, spéc. p. 7 s., « Le Code de la consommation à l’épreuve du droit commun ».
81. N. SAUPHANOR-BROUILLAUD et alii, Les contrats de consommation, Règles communes, LGDJ 2012 ;
du même auteur, « Le contrat de consommation et les contrats spéciaux », Mélanges B. Gross, Presses
Univ. Nancy 2009, p. 305 s. J. JULIEN, Droit de la consommation, LGDJ, coll. Domat, 2015.
82. R. RAYMOND, Droit commun et droit spécial des contrats d’affaires, Université Versailles-Saint-
Quentin, 2012.
83. Biblio. : C. PÉRÈS-DOURDOU, La règle supplétive, th. Paris I, LGDJ, 2004, préf. G. Viney.
84. Ex. : une convention conférant la jouissance précaire d’une ferme à un indivisaire (Cass. soc.,
15 février 1952, D. 1952.613, n. R. Savatier), infra, no 665.
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 33
85. Cass. civ. 1re, 12 octobre 1967, Bull. civ. I, no 292 ; D. 1968, somm. 29.
86. Req., 11 juillet 1933, Gaz. Pal. 1933.II.716 ; infra, no 977.
87. J. CHEVALLIER, « Réflexions sur l’institution des autorités administratives indépendantes », JCP G
1986.I.3254 ; C. A. COLLIARD et G. TIMSIT, dir., Les autorités administratives indépendantes, PUF,
1988 ; Introduction au droit, coll. Droit civil ; M. A. FRISON-ROCHE, « Autorités administratives incompri-
ses (AAI) », JCP G 2010.1166 (critique d’un rapport parlementaire envisageant la fusion de certaines de
ces autorités).
34 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’Autorité de la concurrence ordonnera qu’il soit mis fin88. La Commission des clauses abusives
n’a qu’un rôle de conseil89 ; ses abondantes recommandations ont pourtant parfois un écho90.
§ 2. PRATIQUE CONTRACTUELLE
27. Lex mercatoria ? – Dans la mesure où la loi est dispositive, elle ne fait, le
plus souvent, que consacrer des pratiques contractuelles déjà établies par des pra-
ticiens ou des organismes professionnels91 – formulaires (par ex. : les formulaires
notariaux), contrats types, conditions générales de vente, polices d’assurance, etc.
92
. Les particuliers n’ont qu’à recopier ces modèles, qui constituent aujourd’hui la
source la plus vivante et la plus mal connue du droit des contrats spéciaux.
Les créations les plus importantes qu’aient connues les contrats sont dues à la pratique com-
merciale. Certains voudraient qu’elle constitue une véritable source du droit, à raison de l’utilité
économique : « l’utilité emporte la validité »93 : la pratique commerciale serait une source du
droit même contra legem, une sorte de lex mercatoria interne94. À la différence du droit romain,
la jurisprudence n’a jamais admis ce raisonnement95 : ce n’est pas parce qu’une clause est cou-
rante et utile qu’elle est licite ; le fait n’est pas le droit.
Les contrats commerciaux ont une autre source importante – les usages.
88. Ex. : la restitution en nature des cuves prêtées aux pompistes de marque par les compagnies
pétrolières, infra, no 913.
89. Ex : Cass. civ. 1re, 13 novembre 1996, carte Pastel, Bull. civ. I, no 399, à propos d’un contrat
d’abonnement : « Les recommandations de la Commission des clauses abusives ne sont pas génératri-
ces de règles dont la méconnaissance ouvre la voie de la cassation ». Comp. Paris, 7 mai 1998, D. Aff.
1998.1082 : la recommandation « ne lie pas le juge, mais il peut l’utiliser pour s’éclairer ».
90. Ex., sur les clauses de « laisser croire » : Cass. civ. 1re, 19 juin 2001, Bull. civ. I, no 181 ; JCP G
2001.II.10631, n. G. Paisant : « La clause litigieuse était rédigée en des termes susceptibles de laisser
croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [...], avait
pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et
devait être réputée non écrite, selon la recommandation no 82-04 de la Commission des clauses abu-
sives ».
91. Le rôle de la pratique dans la formation du droit, Trav. Assoc. Capitant, Journées suisses 1983,
Economica, 1985 ; J.-L. SOURIOUX, Recherches sur le rôle de la formule notariale dans le droit positif, th.
Paris, Librairie journ. not., 1967, préf. J. Boulanger ; M. CABRILLAC, « Remarques sur la théorie générale
du contrat et les créations récentes de la pratique commerciale », in Ét. G. Marty, 1978, p. 235-254.
92. G. CHANTEPIE, RDC 2009. 1233.
93. J.-M. LELOUP, « Les contrats commerciaux », in L’évolution contemporaine du droit des contrats,
Journées R. Savatier 1985, p. 167 et s. : « L’utilité emporte la validité » (p. 169), ce qui peut être rappro-
ché du pragmatisme du préteur romain. Comp. Paris, 13 novembre 1984, sté Natalys, JCP G
1985.II.20466, n. Gross : pour admettre la validité d’un contrat de franchisage, où la déterminabilité
du prix était douteuse, l’arrêt énonce le motif suivant : « Toute autre solution aboutirait à condamner
totalement l’existence même des contrats de franchise comportant une clause d’exclusivité d’approvi-
sionnement ». L’arrêt a été cassé par la Cour de cassation : Cass. com., 18 janvier 1988, Bull. civ. IV,
no 31 ; cette jurisprudence est révolue depuis qu’est jugé valable le contrat de distribution dont le prix
est indéterminé.
94. Plusieurs internationalistes soutiennent que les contrats internationaux relèvent, au moins en
partie, d’une lex mercatoria, constituée par les pratiques du commerce international : ex. :
B. GOLDMAN, « La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux ; réalité et perspectives »,
JDI 1979.475 ; Ph. KAHN, « Les principes généraux du droit devant les arbitres du commerce interna-
tional », JDI 1989.305 ; F. OSMAN, Les principes généraux de la Lex Mercatoria, th. Dijon, LGDJ, 1992 ;
J. M. MOUSSERON, « Lex mercatoria, Bonne mauvaise idée ou mauvaise bonne idée ? », in Ét. L. Boyer,
Toulouse, 1996, p. 469 et s.
95. Ex. : dans les affaires des pompistes de marque, la jurisprudence avait naguère condamné une
pratique commerciale répandue sur l’indétermination du prix (infra, no 837). Cette jurisprudence est
révolue.
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 35
SECTION III
DOMAINE
Seuls certains contrats spéciaux sont ici étudiés.
D’une part, ne seront pas traités certains contrats civils, dont le particularisme
est devenu tellement marqué qu’ils ont maintenant leur propre droit, échappant à
peu près complètement au droit commun : les contrats de mariage, de société et
d’association, et, à un moindre degré, le contrat de travail, le contrat d’édition, le
contrat médical (à supposer que la relation entre patient et médecin soit un
contrat, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui96), l’assurance, les baux ruraux et com-
merciaux, le bail d’habitation et le contrat de construction. La plupart de ces
contrats étaient étudiés en qualité de contrats spéciaux de droit civil par les
auteurs de droit civil du XIXe siècle et ne le sont plus par les contemporains, car
du fait de leur complexité ils relèvent de disciplines distinctes. Si des contrats
anciens s’en vont, de nouveaux naissent : la théorie des contrats spéciaux est un
renouvellement constant.
D’autre part, le droit civil ne s’applique que partiellement aux contrats adminis-
tratifs, commerciaux et ruraux et aux contrats de travail. Il est vivifié par les
contrats internationaux.
l’intérêt général auxquelles répondent ces contrats101. Le Conseil d’État peu à peu en prend
conscience102.
101. P. DELVOLVÉ, « Un droit des contrats sans summa divisio serait-il possible ? », in De l’intérêt de la
summa divisio droit public, droit privé, ouvr. collec., dir. B. Bonnet et P. Deumier, Dalloz, 2011,
p. 257 s.
102. Conseil d’État, Rapport annuel, 2008. « Le contrat, mode d’action publique et de production
de normes », cf. Fr. TIBERGHIEN, JCP G 2008, 458. Ex. : la révision des clauses pénales excessives : CE,
29 décembre 2008, OPHLM Puteaux, JCP G 2009, act. 32, renversant la jurisprudence antérieure : « il
est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d’augmenter les péna-
lités résultant du retard, par application des principes dont s’inspire l’art. 1152 C. civ. [devenu
l’art. 1231-5 al. 2], si ces pénalités atteignent un montant excessif ou dérisoire eu égard au montant
du marché ». Dans une décision récente, le Conseil d’État soumet le contrat administratif à une « exi-
gence de loyauté des relations contractuelles », CE, ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers,
RDC 2010.803, obs. J. Rochfeld.
103. L. LORVELLEC, « Y a-t-il une spécificité des contrats ruraux ? », in Le droit contemporain des
contrats, préc.
104. J.-M. JACQUET et al., Droit du commerce international, 3e éd., Dalloz, 2014 ; J. BÉGUIN et al.,
Droit du commerce international, 2e éd., LexisNexis, 2011 ; V. HEUZÉ, La vente internationale de mar-
chandises, LGDJ, 2000 ; M. FONTAINE, Droit des contrats internationaux, FEC, 1989.
105. Supra, no 27.
106. Ph. KAHN, La vente internationale de marchandises, th. Dijon, Sirey, 1963, préf. B. Goldman.
107. Infra, no 286.
108. Infra, no 65.
NOTION, SOURCES ET DOMAINE 37
même contrat trop de différences entre les règles internes et les règles internationales, quel que
soit leur particularisme respectif (loi du maximum de différences entre le droit interne et le droit
international)109.
No 31. réservé.
109. « La loi du maximum de différences des lois internes et des traités diplomatiques »,
J.-P. NIBOYET, Traité de droit international privé français, Sirey, 1944, nos 934 et s.
110. M. FONTAINE, « Les contrats internationaux à long terme », in Ét. Houin, Dalloz, 1985, p. 263
et s.
111. G. MORIN, « Le devoir de coopération dans les contrats internationaux », Dr. prat. com. int.
1980, 9-28.
112. Infra, no 805.
113. Infra, no 44.
n CHAPITRE II n
ÉVOLUTION DES CONTRATS SPÉCIAUX
L’évolution qu’a connue le droit des contrats spéciaux peut être examinée à
trois égards1. D’abord, la technique juridique : l’importance respective qu’ont
eue, au cours de l’histoire, le droit des contrats spéciaux et la théorie générale
des obligations (Section I). Puis, la transformation idéologique, l’évolution qu’a
ici connue l’esprit des lois (Section II). Enfin, le changement matériel et écono-
mique : la « dématérialisation » et la « neutralisation » des contrats (Section III).
SECTION I
THÉORIE GÉNÉRALE ET STATUTS SPÉCIAUX
L’importance respective que dans le droit des contrats occupent la théorie géné-
rale et les statuts spéciaux a, au fil des temps, varié ; comme souvent dans les ins-
titutions civiles, l’évolution a été cyclique. Par rapport à la théorie générale des
obligations, le droit spécial des contrats spéciaux est passé de la prédominance
au déclin avant de connaître une renaissance et peut-être un nouveau déclin
(§ 1) ; en outre, le droit contemporain est devenu touffu (§ 2).
§ 1. CYCLES
32. Données permanentes et facteurs politiques. – Les rapports entre la théorie
générale des obligations et le droit des contrats spéciaux peuvent être conçus de
deux manières. Ou bien, surtout une théorie générale et peu de règles spéciales ;
la théorie générale règle l’essentiel (formation, force obligatoire, pouvoir modéra-
teur du juge, effet relatif...) ; le droit des contrats spéciaux n’est alors qu’une appli-
cation particulière de la théorie générale, parfois dérogatoire. Ou bien, à l’inverse,
aucune théorie générale, mais une série de statuts spéciaux, contrat par contrat.
Chacun de ces systèmes présente des avantages. Le premier encourage la liberté
1. Ph. RÉMY et Ph. JESTAZ, L’évolution du droit des contrats spéciaux, Journées R. Savatier, préc.,
no 26, p. 103 et s., p. 117 et s. Cf. aussi Le droit contemporain des contrats, Travaux et recherches,
Fac. droit Rennes (1987), dir. L. Cadiet.
40 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
de création. Le second donne aux parties qui se sont bornées à choisir tel contrat
nommé une grande sécurité.
1º Aucun système de droit n’a adopté intégralement et durablement l’un ou l’autre parti.
D’une époque à l’autre, d’un régime à l’autre, l’accent est mis tantôt sur la théorie générale,
tantôt sur les statuts spéciaux. Cette évolution est le résultat de données permanentes et de fac-
teurs conjoncturels ou politiques. Les données permanentes tiennent à la nature des choses : on
ne peut traiter de la même manière un contrat de vente et un contrat de bail, un prêt d’argent et
un contrat d’entreprise. Des règles spéciales s’imposent ; elles tiennent à l’essence de chaque
type de contrat.
2º Interviennent aussi la conjoncture, la politique et des considérations économiques (diri-
gisme ou libéralisme), sociales (nécessité de protéger telle catégorie de contractants), monétaires
(lutter contre l’inflation ou la déflation), idéologiques (plus ou moins grande confiance dans les
vertus de la loi) qui conduisent à multiplier les statuts légaux particuliers ou, au contraire, en
réduire le nombre. Ces facteurs temporaires expliquent le caractère cyclique de l’évolution,
que l’on peut diviser en deux étapes : jusqu’au Code civil (I), depuis le Code civil (II).
2. J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, nos 513 et s.
3. V. P.-Y. GAUTIER, « Sous le Code civil, Rome », in Livre du bicentenaire du Code civil, Dalloz,
2004, p. 51 et s. ; Ph. MALAURIE, « Droit romain des obligations, droit français contemporain des
contrats et l’Europe d’aujourd’hui », JCP G 2000.I.246.
ÉVOLUTION DES CONTRATS SPÉCIAUX 41
Ainsi en est-il de la vente : le droit contemporain la diversifie, plus que ne le faisaient le droit
romain et l’Ancien droit, puisqu’à la nature du bien, il ajoute des distinctions attachées à la qua-
lité du contractant. La vente d’un professionnel à un consommateur n’a pas le même régime que
la vente entre professionnels ou entre consommateurs. La vente de meubles de séries (ex. : auto-
mobiles, appareils ménagers) fait l’objet de « conditions générales de vente » unilatéralement
fixées par le fabricant, s’appliquant à tous les acquéreurs et conférant un statut propre à ce
genre de vente. La vente d’un immeuble est différente de celle des meubles ; la vente d’un
immeuble urbain est différente de celle d’un immeuble rural ; la vente d’un immeuble urbain
situé dans une ZAD, une ZAC ou une ZIF est différente de celle d’un immeuble urbain situé
hors zonage. La vente d’un immeuble à construire est différente de celle d’un immeuble achevé.
La vente d’un immeuble à construire à usage d’habitation est différente de celle des autres
immeubles à construire, etc.
La vente est donc un contrat spécial, à partir duquel prennent corps de nouvel-
les formes différenciées de ventes : s’applique ici la loi de spécialisation progres-
sive des contrats, qui se développent par scissiparité. Il en est d’autres exemples.
Le régime du bail a toujours été divers selon son objet. Mais les classifications du
Code Napoléon étaient différentes de celles d’aujourd’hui, en combinant avec la
vente, de multiples dérives du tronc commun. L’arborescence du mandat est
encore plus parlante : le nombre de ses dérives est tel qu’on peut y voir une
sorte de « bonne à tout faire » (comme le contrat d’entreprise) d’autant plus
qu’un de ses satellites, l’agence d’affaires, a lui-même ses propres dérives, très
nombreuses.
Cependant, il arrive que le juge, à l’encontre du législateur, tende à retrouver
l’unité d’un contrat, voire de plusieurs, à travers le régime de ses caractéristiques
fondamentales (ainsi, le prix, les clauses de responsabilité, et l’obligation de
conseil, etc.).
Une autre spécialisation apparaît. À partir du bail, la loi crée de nouveaux
contrats complexes. Ainsi le bail à construction, mélange de bail et de contrat
d’entreprise. De même, le contrat de crédit-bail, qui semble être un mélange de
mandat, de prêt, de bail et de vente, mais constitue un contrat distinct de ses com-
posantes. Telle est la loi de la complication progressive.
35. 2º Retour à la théorie générale ? – Depuis le milieu des années 1980, une
aspiration au retour à la théorie générale du contrat (C. civ., titre III du livre III),
enrichie, le cas échéant, de certaines règles nouvelles (contrats d’adhésion, pro-
tection du consommateur...) se manifeste dans la doctrine et dans le droit positif,
notamment à travers la jurisprudence.
4. . V. Actes du colloque de Caen « Existe-t-il une théorie générale des contrats spéciaux ? », Petites
Affiches 28 nov. 2012, p. 3 s. ; ainsi que le débat RDC 2006. 597.
42 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Les tribunaux font souvent preuve à notre époque de hardiesse, dans les matières pourtant
traditionnellement réservées à l’intervention législative : la jurisprudence est créatrice de droit
dans le domaine économique (responsabilité dans les groupes de contrats...) ou dans celui de
la protection d’une catégorie de contractants (clauses abusives, protection de la caution...),
avant de se voir fréquemment codifiée par les normes légales. Cette évolution a conduit à réé-
crire et à réformer les dispositions générales du Code civil (titre III du livre III, O. 10 fév. 2016). Il
conviendrait ultérieurement, de réécrire les titres VI à XIII du livre III, consacrés aux principaux
contrats spéciaux dont les dispositions n’ont guère été modifiées depuis 1804, et souvent sont
archaïques5. L’association Capitant travaille sur une réforme des contrats spéciaux. Le droit euro-
péen des contrats est en gestation, qui devient un mythe : personne ne croit plus à l’Europe sans
nation, à laquelle on – notamment Roosevelt – avait songé aux lendemains de la fin de la
Seconde Guerre mondiale.
36. Foule ou petit nombre ? – Sur le nombre des contrats spéciaux contempo-
rains, on peut faire deux propositions qui, pour contradictoires qu’elles paraissent,
sont conciliables, parce qu’elles ne sont pas du même ordre.
1º D’une part, dans la mesure où s’exerce la liberté contractuelle, la liste des
contrats spéciaux susceptibles d’être conclus est illimitée. Cependant, on peut
dénombrer les types de contrats le plus souvent pratiqués ; c’est en ce sens
qu’on parle de contrats spéciaux (ils font partie de diverses espèces). La liste de
ceux que la loi a prévus et organisés donne l’impression touffue de grand nombre.
Encore plus si on y ajoute ceux qui ne doivent leur existence et leur régime qu’à
la pratique, sans avoir été aménagés par la loi. Le phénomène était saisissant en
1804 ; il l’est beaucoup plus aujourd’hui.
2º D’autre part, cette immense et multiforme foule des contrats spéciaux contemporains peut
se ramener à un tout petit nombre de types principaux, qui correspondent aux besoins essentiels
de l’homme et ont à la fois permanence et universalité. L’instrument principal des échanges
économiques est la vente ; l’instrument exclusif de la représentation, moteur de l’activité juri-
dique, est le mandat ; ces deux contrats constituent la matrice originaire de tous les contrats6.
On peut y ajouter le louage issu de l’un plus que de l’autre, l’instrument de tous les services.
38. « Grands » et « petits ». – Déjà, la liste des contrats spéciaux donnée par le
Code Napoléon est hétéroclite (titres VI à XV du livre III, art. 1582 à 2058) : ce sont
d’une part les quatre contrats principaux – vente, échange, louage9, société – et
d’autre part ceux qu’au XIXe siècle on appelait les « petits contrats » – prêts, dépôt,
mandat, jeu, pari, cautionnement et transaction.
Depuis, la pratique et la loi ont imaginé un nombre considérable de nouveaux
contrats spéciaux qui parfois se sont purement et simplement greffés sur des
contrats existants (I), parfois ont donné lieu à une réglementation (II), parfois
enfin sont d’inspiration étrangère (III).
I. — Contrats « greffés »
La « greffe » peut résulter de la juxtaposition d’un contrat à un autre, ou, plus
simplement, de la stipulation d’une clause qui en modifie l’économie.
39. 1º Juxtaposition de contrats. – Quelquefois, de nouveaux contrats, sans être réglemen-
tés par la loi, se sont « greffés » sur des contrats anciens dont ils empruntent plus ou moins le
régime. Ainsi le contrat de déménagement s’est « accroché » au contrat de transport qui, lui-
même, bien que réglementé, s’était déjà « accroché » au contrat d’entreprise (C. consom., art.
L. 224-63 et s.). Le contrat d’hôtellerie est un autre exemple de contrat inventé par la pratique
qui se greffe sur des contrats anciens10 ; ce contrat complexe comporte deux obligations essen-
tielles : l’hébergement du voyageur (lui-même un mélange de bail et de contrat d’entreprise), la
réception et la garde des effets du client (contrat de dépôt) ; à quoi la convention des parties peut
ajouter des obligations accessoires (restauration, usage du téléphone et de la télévision, blan-
chissage, etc.) qui résultent de contrats d’entreprise. Pour complexe qu’il soit, le contrat d’hôtel-
lerie peut lui-même être intégré dans le contrat d’entreprise.
On pourrait donner d’innombrables autres exemples de contrats « greffés », inventés par la
pratique : ainsi, les contrats de restauration (l’ancien contrat d’aubergiste), de garage, d’abonne-
ment, etc. Dans la technique juridique, le plus souvent, on fait du nouveau en utilisant des
cadres anciens ; on rattache des créations à des institutions connues (« du vin nouveau dans de
vieilles outres »).
La greffe n’est pas toujours heureuse. Ainsi, ce fut en utilisant le bail que la pratique a fait des
contrats de location saisonnière, par lesquels une personne loue pour sa famille une maison
balnéaire, campagnarde ou montagnarde pendant la durée des vacances ; c’est aussi le même
type de contrat qu’elle utilise pour la « para-hôtellerie » qui ajoute à la jouissance de l’immeuble
les services que l’on peut attendre d’un hôtel (domestiques, repas, etc.). Or, le régime du bail
s’applique mal à ce genre de contrats ; par exemple, la responsabilité du preneur en cas d’incen-
die de la chose louée, qu’énonce l’article 173311.
9. Pour le C. civ., le louage pouvait être soit un louage de chose (par exemple, le bail d’une maison
ou d’une ferme), soit un louage d’ouvrage (que l’on appelle maintenant contrat d’entreprise), soit un
louage de services (que l’on appelle maintenant contrat de travail).
10. L. MORET, « Le contrat d’hôtellerie », RTD civ. 1973.667.
11. Infra, no 690.
44 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
des postes permanents. Ce qui explique l’intervention du législateur (C. trav., art. L. 1221-2) ;
désormais, le contrat de travail est, en principe, conclu sans détermination de durée (CDI).
Mais la pratique contemporaine a encore plus développé les contrats à durée déterminée, afin
d’échapper aux règles contraignantes du licenciement. En février 2016, le gouvernement a envi-
sagé une profonde transformation du contrat de travail pour lui donner plus de « flexibilité », ce
qui a suscité de considérables difficultés politiques. Les textes ont, comme souvent, produit un
effet boomerang et pervers.
Les tribunaux redressent la qualification chaque fois qu’ils l’estiment frauduleuse, c’est-à-dire
lorsqu’elle a pour seul dessein d’éluder artificiellement une règle impérative.
43. Adhésion conventionnelle d’un contrat à une loi d’ordre public. – Un contrat peut être
conventionnellement soumis à une règle d’ordre public, bien qu’il n’entre pas dans son
domaine ; mais il ne peut alors être soustrait aux dispositions impératives de la loi16.
16. Nombreux exemples. Le principe a été posé pour les baux commerciaux, Cass. Ass. plén.,
17 mai 2002, nº 00-11664 ; Bull. civ. Ass. plén.., no 1 ; D. 2003.333, n. crit. S. Becque-Ickowitz ;
RTD civ. 2003.85, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2002.1234, obs. crit. R. Libchaber ; RDC
2003.127, obs. J.-B. Seube : « en cas de soumission conventionnelle au décret du 30 septembre 1953
relatif au bail commercial sont nulles les clauses contraires au texte [...], relatives à la forme du congé ».
17. Infra, no 870.
18. Infra, no 870.
19. Infra, no 522.
20. Infra, no 742.
21. Définition : L’affacturage est un contrat par lequel une personne – le factor – (généralement un
établissement financier) achète ferme des créances qu’une autre personne (généralement un industriel
fabricant de biens de consommation) a contre ses débiteurs (généralement ses clients). L’industriel
adresse au factor les factures établies sur ses clients, auxquelles il joint les pièces (bons de commande
et de livraison, reçus du client) attestant la livraison de la marchandise, et par là même la créance
ferme qu’il possède contre eux ; il se fait alors payer par le factor, qui reçoit de l’industriel une quit-
tance subrogative lui permettant d’exercer contre les clients tous les droits qu’avait l’industriel. Le
débiteur doit se libérer entre les mains du factor, s’il a été informé de l’affacturage (ce qui souvent
résulte d’une mention portée sur la facture : Paris, 21 janvier 1970, JCP G 1971.II.16837, 2e esp.,
n. C. Gavalda).
22. Infra, no 838.
23. Infra, no 823.
24. Infra, no 824.
25. Infra, no 715.
46 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION II
ESPRIT DES LOIS
La différence entre le Code Napoléon et le droit contemporain n’est pas seule-
ment technique et quantitative, tenant à ce que la liste des contrats spéciaux d’au-
jourd’hui est beaucoup plus importante qu’elle ne l’était en 1804. Les lois ont
changé, dans leur esprit, leurs caractères31 et leur morale.
Tous les contrats obéissent à une morale sous-jacente, plus ou moins cons-
ciente. Outre celle qui domine l’ensemble des contrats (§ 1), une morale particu-
lière apparaît dans certains, les « petits contrats » (§ 2).
§ 1. CONTRATS EN GÉNÉRAL
47. Morale de fer, concurrence et infinie patience. – 1º La règle morale sous-jacente à l’en-
semble des contrats, notamment aux « grands contrats » – vente, louage –, était en 1804 celle
qui inspirait la théorie générale des obligations : tenir sa parole, être de bonne foi, respecter les
intérêts d’autrui. À certains égards, ces données se sont renforcées : l’esprit d’affaires, les soucis
d’efficacité et d’utilitarisme qui marquent notre temps appellent dans le contrat une morale de
fer qui transparaît dans beaucoup de contrats commerciaux modernes, de plus en plus dominés
par la libre concurrence, cette « main invisible »32, qui incite au développement paisible et éco-
nome, et dont le Traité de Rome sur les Communautés européennes, devenues l’Union euro-
péenne, a fait son objectif principal.
2º La concurrence est libre, mais doit être loyale : la concurrence déloyale est une faute enga-
geant la responsabilité délictuelle de son auteur. Entre deux contractants une clause peut limiter
la concurrence par une obligation de non-concurrence, licite si elle est indispensable à la pro-
tection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient
compte des spécificités de l’activité du débiteur et comporte l’obligation pour le créancier de lui
verser une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives. En outre, sont prohibées les
pratiques anticoncurrentielles (O. 1er déc. 1986, modifiée, auj. C. com., art. L. 420-1)33.
3º À d’autres égards, l’esprit civil contemporain est fait de modération qui explique un déve-
loppement du pouvoir du juge dans le contrat ; ainsi, de plus en plus s’imposent les exigences de
la bonne foi contractuelle et la sanction de l’abus : le droit des contrats confère une place crois-
sante à l’appréciation, cas par cas, des situations particulières et perd peu à peu sa prévisibilité.
48. Répartition financière des risques. – Les contrats, surtout les contrats commerciaux
conclus entre professionnels, répartissent les risques qui peuvent résulter de l’inexécution d’un
contrat et notamment décident qui en aura la charge financière – perte fortuite de la chose,
inexécution fautive, défaut de conformité, retards de la livraison, vices cachés, dommages cau-
sés aux tiers, retard ou défaut de paiement –, ce qui est souvent l’objet de clauses dites de non-
garantie. Cette répartition est un élément de l’équilibre contractuel : par exemple, plus les garan-
ties sont étendues, plus, en général, le prix est élevé. Ce n’est pas toujours ainsi que la jurispru-
dence comprend la question ; à cet égard, elle méconnaît une des réalités contemporaines des
contrats.
31. Sur les caractères supplétifs du C. Nap. et, au contraire, souvent impératifs des lois modernes,
supra, no 22.
32. Adam SMITH, Inquiry into the nature and the wealth of nations, 1776 (Recherches sur la nature et
la cause de la richesse des nations).
33. Ex. : Cass. com., 16 mai 1995, Bull. civ. IV, no 147 : constitue une stipulation illicite de pratique
anticoncurrentielle, la clause d’une coopérative de détaillants soumettant à autorisation préalable du
conseil d’administration de la coopérative la possibilité pour l’un des détaillants de vendre des pro-
duits en provenance de la coopérative dans un de leurs points de vente où existe un autre adhérent.
48 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 2. « PETITS CONTRATS »
En 1804, c’était surtout dans les « petits contrats » que la règle morale avait un
particularisme marqué. Soit une morale positive, la faveur à l’amitié ; soit une
morale négative, les scrupules jansénistes et rigoristes devant le jeu, l’usure et
les procès.
49. Faveur à l’amitié ? – 1º Dans le Code Napoléon, l’amitié animait le prêt à usage, le
dépôt, le mandat et le cautionnement ; ils étaient des contrats entre amis ou parents, contrats
gratuits dominés par la confiance personnelle, un office d’amitié : entre parents et entre amis,
la solidarité est gratuite. L’amitié est pourtant un sentiment étranger au droit. Peut-être, cette
gratuité amicale était-elle le lointain effet de souvenirs romains, où le service excluait le salaire,
puisqu’initialement le travail était assuré par les esclaves. Plus probablement, cette faveur à
l’amitié venait-elle aussi de l’École du droit naturel, le seul système philosophique et politique
à avoir vu dans l’amitié un ressort social important.
50. Anciens scrupules rigoristes. – Les droits du jeu, du pari, du prêt à intérêt et de la tran-
saction étaient, en 1804, dominés par l’aversion contre le jeu, l’usure et les procès et ainsi mar-
qués par le jansénisme qui a dominé l’esprit juridique français à la fin du XVIIIe siècle. Aujour-
d’hui, beaucoup de nos compatriotes ont pour raisons de vivre hebdomadaires le loto et le
tiercé ; le Code de la consommation, dans sa partie relative à l’usure, admet la licéité de taux
d’intérêt conventionnels élevés ; le jeu est encouragé, l’esprit de finance domine, le procès est
resté un chiendent social, mais les parties savent se servir de ce qui permet de l’éviter (clause
compromissoire, transaction et médiation). Le temps et la morale ont changé.
SECTION III
DÉMATÉRIALISATION ET NEUTRALISATION
pour objet des biens corporels, mais aussi des droits incorporels, tel le droit au
bail35 ou le louage (fonds de commerce, location-gérance).
Certains contrats, comme le dépôt, la vente et le prêt, sont à leur tour affectés par la
dématérialisation36.
54. Plan. – Il existe plusieurs manières de classer les contrats spéciaux, au moins quatre.
1o On peut distinguer les contrats qui, comme la vente, sont translatifs de propriété
(échange, apport en société, donation, prêt de consommation), et s’opposent aux contrats de
prestations de service, parmi lesquels certains sont relatifs à une chose sur laquelle ils ne confè-
rent qu’une détention précaire (bail, dépôt, prêt à usage) et d’autres ont uniquement pour objet
une activité humaine (mandat, contrat d’entreprise, contrat de travail).
C’est la classification traditionnelle : elle a subi l’usure du temps, de la même manière que la
distinction entre le droit personnel et le droit réel. Elle perd de son intérêt lorsque sont en cause
des biens éphémères, menacés d’obsolescence.
2o On peut aussi distinguer les contrats entre professionnels, les contrats entre professionnels
et profanes (que l’on appelle parfois les contrats mixtes) et les contrats entre particuliers, parmi
lesquels une place à part doit être faite aux contrats entre amis. C’est peut-être la classification
de l’avenir dans la mesure où elle traduirait l’opposition entre les contrats de production et ceux
de consommation. Actuellement, elle est prématurée.
3o Un autre classement s’attache à l’équilibre des prestations résultant du contrat. Il faut met-
tre à part les relations gracieuses, qui respirent tellement la complaisance qu’elles ne sont pas
contractuelles ; ainsi le transporteur bénévole, dont la responsabilité est délictuelle. Mais la com-
plaisance n’exclut pas toujours la volonté contractuelle. Il existe des contrats de services que le
Code civil qualifiait de gratuits (mandat, dépôt, prêt à usage) parce qu’il y voyait un office d’ami-
tié : le mandataire, le dépositaire et le prêteur rendaient gracieusement service à autrui. Aujour-
d’hui, dans ces contrats, la gratuité est en recul : le mandat est, le plus souvent, salarié ; comme
le dépôt, qui se professionnalise. Seul, le prêt à usage est demeuré « essentiellement » gratuit,
c’est-à-dire que toute rémunération du prêteur est incompatible avec ce contrat, ce qui le distin-
gue du prêt de consommation ; mais l’esprit d’affaires le gagne aussi, peu à peu. Contrats de
services gratuits, ils ne sont pas à titre onéreux, ce qui est une lapalissade. Ils ne constituent
pas non plus des libéralités, car ils ne transfèrent pas de propriété. L’intérêt de cette qualification
est d’apprécier la responsabilité de celui qui rend un service gracieux de manière plus indul-
gente que pour celui qui poursuit un intérêt lucratif.
Ces contrats s’opposent aux contrats aléatoires, dont les effets dépendent du hasard. Ils se
distinguent surtout des contrats commutatifs, dont les uns sont translatifs de propriété (vente,
échange, apport en société), les autres sont des contrats de services (contrat d’entreprise, bail,
contrat de travail).
4o D’une façon plus pratique, on étudiera d’abord la vente, le plus usuel des contrats (Pre-
mière partie) ; puis les contrats de services (Deuxième partie) : le mandat, la seconde matrice
des autres contrats, l’instrument de la représentation (Livre I) ; les différents louages, baux et
contrats d’entreprise (Livre II) ; les contrats variés d’échanges économiques, voisins de la vente,
du mandat et du bail, qui en sont des dérives ou des mélanges (Livre III) ; les contrats de restitu-
tion, dépôts et prêts (Livre IV), les contrats aléatoires, jeu, pari et rente viagère (Livre V) et les
contrats relatifs au litige (Livre VI).
LA VENTE
PREMIÈRES VUES SUR LA VENTE
59. Le plus usuel des contrats. – Malgré son évolution tourmentée et sa diversi-
fication, l’élément constant de la vente est sa définition. Elle est le contrat par
lequel la propriété d’une chose est transférée à un acquéreur, en contrepartie
d’une somme d’argent1. Elle est l’archétype des contrats, celui qui en est la
matrice, le plus soumis à la théorie générale des obligations2.
Avant d’examiner les éléments qui permettent de la distinguer des autres
contrats (Section II), seront exposés son évolution, ses sources et ses caractères
(Section I).
SECTION I
ÉVOLUTION, SOURCES ET CARACTÈRES
§ 1. ÉVOLUTION
60. Du don à la vente en passant par le troc. – Au commencement était le don : je te donne
pour que tu me donnes. Ensuite, il y a eu le troc qui a fait naître l’échange, un bien remis contre
un autre. Puis, l’usage de la monnaie se développant, est apparue la vente, qui n’existe que s’il y
a un prix en argent. Il y a d’abord eu la vente au comptant, puis la vente à crédit. Ultérieure-
ment, de la vente a découlé le bail, initialement conçu comme une vente de fruits.
L’évolution de la vente a touché tous ses aspects ; au fil des temps, l’attention s’est portée sur
tel ou tel d’entre eux, comme on le verra en droit romain, dans l’Ancien droit, le droit intermé-
diaire et à l’époque contemporaine3.
1. Définition : le Code civil (art. 1582, al. 1) la définit un peu autrement : « une convention par
laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer ». Le texte s’explique par l’histoire : le
droit romain et l’Ancien droit liaient le transfert de propriété à la tradition : M. ALTER, L’obligation de
délivrer dans la vente de choses mobilières, th. Grenoble, LGDJ, 1972, préf. P. Catala. Biblio. : spéciale
à la vente : J. GHESTIN et B. DESCHÉ, La vente, LGDJ, 1990. Étymologie de vente : du latin vendo, ere =
vendre, d’où est dérivé vanter, le vendeur ayant l’habitude de vanter sa marchandise.
2. J. CARBONNIER, « Sociologie de la vente », Travaux et conférences de l’Université libre de Bruxelles,
Faculté de droit, VIII, Bruxelles, Larcier 1960 ; repris dans Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001,
p. 191-4204 et dans Écrits, PUF, 2008, p. 521.
3. J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, nos 481 et s.
54 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
61. 1º Droit romain. – Le droit romain a fait de la vente un prodigieux instrument d’échan-
ges économiques. Il n’en a pas résolu toutes les questions. Les réponses qu’il a données ont
souvent été inachevées ou remises en cause par l’évolution ultérieure, ce qui est le sort de
tous les systèmes juridiques. Avec beaucoup de simplifications, n’en seront retenues que six
données : le caractère consensuel, le transfert de propriété, les risques, la garantie des vices, la
lésion, les pactes adjoints.
1) Comme en droit français, où cependant les exceptions deviennent croissantes, la vente à
Rome était un contrat consensuel, c’est-à-dire que sa conclusion ne dépendait que de l’échange
des consentements. À l’origine, elle fut peut-être un contrat réel, naissant de la remise de la
chose à l’acheteur.
2) Puisqu’elle donnait naissance à des actions en justice, la vente était obligatoire ; mais le
transfert de propriété n’était pas réalisé par le contrat, car il supposait l’accomplissement d’un
acte distinct, la mancipatio (un acte rituel), l’in jure cessio (un procès fictif) ou, surtout, la traditio
(la remise de la chose à l’acheteur). De même, dans les ventes au comptant, le transfert de pro-
priété était, semble-t-il, subordonné à un autre élément, le paiement du prix. En droit français,
ces deux règles n’existent pas en général, bien que se manifeste une tendance à revenir au droit
romain à cet égard. Au contraire, le droit allemand continue à dissocier la vente et le transfert de
propriété.
3) Res perit emptori (les risques pèsent sur l’acheteur). Avec un raisonnement différent, le
droit français parvient à un résultat identique (res perit domino) : les risques pèsent sur le
propriétaire4.
4) Garantie édilicienne. Sur les marchés romains veillait un magistrat, l’édile curule5. Il ne
protégeait pas les imbéciles (de non vigilantibus non curat praetor : le préteur ne protège pas
ceux qui ne s’occupent pas de leurs intérêts) ; le vendeur ne garantissait donc pas les vices appa-
rents : l’acheteur n’avait qu’à ouvrir les yeux. Contre le vendeur malhonnête, les édiles avaient
organisé la garantie des vices cachés. L’acheteur put alors obtenir, soit la résolution de la vente
(l’action rédhibitoire), soit une indemnisation (l’action estimatoire : actio quanti minoris). Le droit
français contemporain a donné un développement important à la garantie édilicienne en la
transformant.
5) À la fin du Bas-Empire, afin de protéger les humiliores (les « petits ») contre les potentiores
(les « gros »), Dioclétien admit en cas de laesio enormis d’un vendeur d’immeuble la rescision de
la vente ou le versement d’un supplément de prix ; le régime actuellement applicable en France
est identique.
6) Pactes adjoints. Déjà à Rome, les usages commerciaux avaient peu à peu diversifié la
vente en y adjoignant les pactes les plus variés ; dans toute son histoire, la pratique en multiplie
les modalités, faisant d’un contrat simple et unique la source de contrats complexes et très nom-
breux. Le pacte adjoint romain le plus utilisé fut la lex commissoria, origine de la résolution des
contrats synallagmatiques pour cause d’inexécution du droit français.
Sur ce point, la construction romaine fut inachevée ; selon elle, la vente était, en quelque
sorte, l’adjonction de deux actes distincts, l’achat et la vente (emptio venditioque). Elle n’était
pas parvenue à affirmer l’interdépendance des deux obligations ; ce fut l’œuvre de l’Ancien
droit.
62. 2º Ancien droit. – L’Ancien droit développa avec des fluctuations diverses les règles
romaines, en les imprégnant sous l’influence des canonistes d’exigences morales et en faisant
apparaître des principes nouveaux. Fut ainsi affirmée l’interdépendance des obligations récipro-
ques découlant de la vente ; peu à peu furent posés les principes, et de la résolution pour cause
d’inexécution même en dehors d’un pacte commissoire exprès, et de l’exception d’inexécution.
Sous l’influence des notaires, le droit de la vente s’orienta peu à peu vers le principe du transfert
instantané de la propriété, en systématisant les clauses de style telles que la dessaisine-saisine.
Les garanties du vendeur non payé s’organisèrent, à partir du XVIe siècle, autour des privilèges,
celui du vendeur d’immeuble et celui du vendeur de meubles. La théologie de saint Thomas
d’Aquin, soucieuse d’équité, systématisa la théorie du juste prix ; elle se heurta sur ce point capi-
tal à la pratique qui, afin d’assurer la sécurité des transactions, fut hostile à la révision et à la
rescision de la vente pour cause de lésion : à cet égard, l’Ancien droit n’aboutit pas à des résul-
tats différents de ceux de Dioclétien. Ils seront partiellement remis en cause par la Révolution.
63. 3º Droit intermédiaire. – Pendant la Révolution, une des questions soulevées par la
vente d’immeuble fut la rescision pour cause de lésion. La Révolution fut en effet marquée par
la plus grande débâcle monétaire de l’histoire française, l’effondrement des assignats et des
mandats territoriaux, qui lui fut fatale. Aussi les vendeurs d’immeuble demandaient-ils systéma-
tiquement la rescision pour cause de lésion de leurs ventes, car ils préféraient retrouver leur
immeuble plutôt que de conserver une monnaie de singe. Ce qui eut pour conséquence une
insécurité générale des transactions immobilières, notamment celles qui portaient sur les biens
nationaux. Or, une des politiques de la Révolution fut de s’appuyer sur les acquéreurs des biens
nationaux, la nouvelle classe qu’elle avait créée. Afin de la protéger, la Convention abolit la
rescision ; avec le retour de la stabilité monétaire, le Directoire la rétablit, mais dans des condi-
tions strictes, reprises peu après par le Code civil.
garantie qui pèse sur le vendeur, l’obligation de payer le prix qui pèse sur l’acheteur ; la pro-
priété ne passe pleinement de la tête du vendeur sur celle de l’acheteur qu’au bout d’un temps
assez long. Dans les secondes, habituellement, c’est instantanément que la vente se conclut et
produit la totalité de ses effets.
§ 2. SOURCES
En l’état, les sources du droit de la vente sont internationales et internes : les
premières sont moins importantes que les secondes.
qu’elles, spontanément élaboré par les commerçants, généralement leurs associations profes-
sionnelles. Il constitue ce que l’on appelle le jus gentium nouveau ou la new law of merchants
ou encore la lex mercatoria13.
§ 3. CARACTÈRES
67. Consensuel, synallagmatique, onéreux, commutatif, translatif. – La vente a
traditionnellement cinq caractères : un contrat consensuel, synallagmatique, oné-
reux, commutatif et translatif. Certains évoluent.
1o Elle est généralement consensuelle. Elle se forme par le seul consentement
des parties et n’exige pour sa validité aucune forme solennelle ; elle existe dès que
les parties se sont mises d’accord sur la chose vendue et sur le prix. Cependant, la
législation contemporaine fait, dans plusieurs cas, reculer le consensualisme. Pour
certains types de vente, elle impose au vendeur de faire figurer des mentions obli-
gatoires dans le contrat, destinées à informer l’acquéreur (par exemple, cession de
fonds de commerce, vente à crédit, vente sur démarchage à domicile) ; à cette
exigence, elle ajoute parfois celle d’un acte authentique (par exemple, pour la
vente d’immeuble à construire du secteur protégé).
Ces règles de forme doivent être observées à peine de nullité, souvent une nullité relative, ce
qui est contraire à la sanction habituelle du formalisme15. Lorsqu’il s’agit de formalités, il est un
13. Ph. KAHN, La vente commerciale internationale, th. Dijon, Sirey, 1961, préf. B. Goldman ;
v. aussi supra, no 29. Il faut également compter sur les sources internes : P. MALINVERNI, Les conditions
générales de vente et les contrats types des chambres syndicales, th. Paris II, LGDJ, 1978, préf.
J. Hémard.
14. P. MALINVERNI, Les conditions générales, préc.
15. La doctrine classique enseignait que l’irrespect d’une règle de forme d’un contrat, quelle qu’elle
fût, entraînait toujours une nullité absolue. D’autres auteurs exposent la règle qui figure au texte : pour
58 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
cas, mais un seul, où leur respect est requis à peine de nullité. Lorsqu’une promesse unilatérale
de vente a pour objet un immeuble (ou un bien qui lui est assimilé), l’acte sous signature privée
qui le constate doit, à peine de nullité, faire l’objet d’une formalité fiscale, l’enregistrement, ce
qui est contraire au principe habituel du consensualisme et à la sanction habituelle du droit
fiscal.
En outre, sans être solennelle, la vente d’immeuble est souvent devenue formaliste.
2o Elle est synallagmatique parce qu’elle fait naître à la charge des deux parties
des obligations réciproques. Par conséquent, en cas d’inexécution, s’appliquent
les règles propres aux contrats synallagmatiques : exception d’inexécution, réso-
lution et théorie des risques.
3o Elle est un contrat à titre onéreux, qui ne peut donc comporter aucune
intention libérale ; l’avantage qu’elle procure à l’une des parties ne lui est
concédé qu’en raison de la prestation à laquelle elle s’oblige.
Les soldes ou les ventes avec primes ne sont pas des actes de générosité ; ils sont réglementés
et parfois interdits, notamment afin d’assurer un minimum de loyauté à la concurrence et d’em-
pêcher que soient dupés les consommateurs (C. consom., art. L. 121-19, qui l’autorise en revan-
che, lorsqu’elle n’a pas de « caractère déloyal »). La vente dissimule parfois une donation dégui-
sée : la forme extérieure est celle d’un acte à titre onéreux ; dans le fond, l’acte est une libéralité.
Elle peut aussi constituer une donation indirecte, lorsque le prix est inférieur à la valeur de la
chose et que le vendeur a une intention libérale ; la question présente un intérêt lorsqu’il s’agit
d’une vente d’immeuble faite à un prix lésionnaire dans une intention libérale : la rescision n’est
pas alors recevable16.
Le caractère commutatif d’un contrat n’est pas absolu. Il y a de l’aléa dans tout contrat et
notamment en toute vente ; tout contrat, et par conséquent toute vente, est, dans une certaine
mesure, un pari sur l’avenir. La dose d’aléa est plus ou moins forte suivant les hypothèses. Les
ventes aléatoires par nature sont les ventes de nue-propriété ou d’usufruit et moyennant rente
viagère ; il faut cependant s’assurer qu’elles sont réellement aléatoires, car il existe des cas où,
dans ces contrats, une partie ne court aucun risque de perte et a la certitude de toujours gagner :
la vente est alors nulle pour défaut de cause ; telle est la vente moyennant rente viagère dont les
arrérages sont inférieurs aux revenus produits par la chose.
5o La vente a pour objet le transfert d’un droit. Elle est donc un contrat transla-
tif, même si le transfert peut être retardé. Elle se distingue ainsi d’un acte extinctif,
la dation en paiement, malgré ses affinités avec la vente17 ; et d’un acte constitutif
la théorie générale du contrat, v. Droit des obligations, coll. Droit civil ; v. aussi FLOUR, AUBERT et
SAVAUX, Obligations, t. I, 15e éd., Sirey 2012, no 336. Dans certains cas, la loi prévoit expressément
que la nullité est relative (ex. : mentions obligatoires dans la cession de fonds de commerce :
L. 29 juin 1935, auj., C. com., art. L. 141-1).
16. Infra, no 219.
17. Droit des obligations, coll. Droit civil.
PREMIÈRES VUES SUR LA VENTE 59
SECTION II
DISTINCTION DE LA VENTE ET D’AUTRES CONTRATS
Pour qu’un contrat soit une vente, il doit comporter quatre éléments : un consentement, un
prix payable au vendeur (§ 1) et une chose (§ 2) dont la propriété est transférée à l’acquéreur
(§ 3). Ces trois dernières conditions permettent de distinguer la vente des contrats voisins. Le
consentement relève de la théorie générale des contrats et ne sera pas exposé.
§ 1. PRIX
L’élément le plus caractéristique de la vente est l’existence d’un prix, qui la différencie d’au-
tres actes juridiques : la donation, l’échange21, l’apport en société et la dation en paiement. La
distinction paraît nette ; il y a ou il n’y a pas de prix. En fait, elle est souvent relative car la pra-
tique invente de nombreuses situations intermédiaires.
68. 1º Vente et donation. – Selon une formule célèbre, « le don est la forme
primitive de l’échange »22. Ce sont tous deux des contrats translatifs de la pro-
priété. Pourtant, aujourd’hui, rien de plus différent, semble-t-il, que la vente et la
donation, car le donataire n’est tenu à aucune contrepartie envers le donateur qui
est inspiré d’une intention libérale. Pour ces deux raisons, la donation est antino-
mique de la vente, comme le titre gratuit l’est au titre onéreux.
Parfois, cependant, la différence s’estompe ; par exemple, dans la donation avec charges23 où
prédomine l’intention libérale si les charges ont une valeur inférieure à celle de l’objet donné.
Il n’en est autrement qu’en cas de fraude – l’apport en société déguise une vente – ou qu’une
disposition expresse le prévoit : ainsi, la loi dispose que la SAFER26 peut exercer son droit de
préemption en cas d’apport en société, sauf lorsque l’apport est fait à un GFA (Groupement fon-
cier agricole).
Certains apports en nature, dans les sociétés civiles, non incorporés au capital,
constituent cependant des variétés de ventes27.
La dation en paiement n’étant pas vraiment une vente, l’assimilation n’est pas totale ; ainsi, en
cas de procédure collective du solvens, elle est nulle lorsqu’elle est faite pendant la période
suspecte, parce qu’elle constitue un paiement anormal (C. com., art. L. 632-1). De même, elle
ne confère pas à celui qui la fait le privilège du vendeur.
24. Comme le montre le droit des sociétés, il n’est pas toujours un contrat, notamment lorsqu’il est
fait à une société en cours de constitution.
25. M. BUCHBERGER, Le contrat d’apport, Éd. Panthéon-Assas 2011 ; et sa note au D. 2013. 1600.
26. Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) sont des sociétés d’intérêt
public et sans but lucratif dont la loi a prévu la création dans chaque département. Elles ont pour objet
l’amélioration des structures agraires et la lutte contre la spéculation foncière. Elles acquièrent, au
moyen d’un droit de préemption, les biens ruraux aliénés à titre onéreux qu’elles revendent dans un
délai maximum de cinq ans, après avoir recomposé une exploitation rurale productive (infra, nos 152
et 153).
27. Ainsi, en droit d’auteur : v. P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 10e éd., 2017,
nos 718-719.
28. Biblio. : Fr. BICHERON, La dation en paiement, th. Paris II, éd. Panthéon-Assas, 2006.
29. Droit des obligations, coll. Droit civil.
30. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 juillet 1976, Bull. civ. III, no 311 ; JCP G 1977.II.18688, n. M. Dagot ;
JCP N 1976.II.18446 bis, n. Stemmer : « En cas de dation en paiement comme en cas de vente d’une
chose future, le transfert de propriété ne s’opère au profit du bénéficiaire de cette dation que lorsque la
chose est effectivement en mesure d’être livrée par celui qui doit la donner et reçue par celui à qui elle
est donnée » ; en l’espèce, il s’agissait d’une « fausse » dation en paiement : cession d’un terrain contre
local à construire.
31. A doit 1 000 à B ; il éteint sa dette en transférant à B un immeuble valant 1 000. Ex. : (Formule
qui se réfère à la compensation, non à la dation en paiement) : « La présente vente est consentie
moyennant le prix de 50 000 euros, qui sont compensés, en vertu d’un accord entre les parties, avec
pareille somme, montant d’un prêt consenti par B à A, aux termes d’un acte reçu par Me X... notaire à
Y... le tant... ».
PREMIÈRES VUES SUR LA VENTE 61
§ 2. CHOSE
72. 1º Vente et « vente de services ». – Il n’y a vente que si le contrat a pour
objet une chose, ce qui le distingue de la « vente de services ».
1) La vente ne suppose pas seulement un consentement et un prix, elle implique
aussi une chose. Toute espèce de choses peut être vendue, pourvu qu’elle soit
dans le commerce : meuble ou immeuble, corps certain ou chose de genre, pré-
sente ou future (pas la chose d’autrui), corporelle ou incorporelle. Lorsqu’elle
constitue un droit incorporel, on parle de « cession » : par exemple, cession de
créance, de clientèle, de fonds de commerce, de brevet d’invention, de droits
d’auteur, etc.
2) Encore faut-il qu’il y ait, juridiquement, une chose. Par abus de langage, celui des écono-
mistes, on parle parfois de « vente de services »35. Or, le droit de la vente lui est étranger ; com-
ment, par exemple, lui appliquer la garantie de conformité ? Souvent, la réglementation contem-
poraine, par exemple celle qui assure la protection du consommateur, traite d’une manière
identique la vente d’une chose et les contrats de prestation de services. De même, en matière
commerciale, il est courant qu’un contrat de services soit l’accessoire d’une vente. Soit avant la
conclusion de la vente ; ainsi dans la vente d’ordinateurs36 : celui qui offre de vendre doit infor-
mer le client des caractéristiques des appareils ainsi que leurs conditions d’utilisation. Soit sur-
tout après la vente ; par exemple dans ce que le langage commercial appelle le service
après-vente37.
32. Cass. com., 20 juin 1972, D. 1973.325, n. crit. J. Hémard : vente d’un véhicule neuf et, en
contrepartie, dation en paiement partiel d’un véhicule usagé.
33. Cass. civ. 1re, 27 décembre 1961, Bull. civ. I, no 629 : « Le contrat forme un tout [...] ; la reprise
de la voiture ancienne en contrepartie de l’achat de la voiture neuve était une des conditions stipulées,
supposant pour sa réalisation que la voiture à vendre serait remise » au garagiste.
34. V. toutefois Cass. civ. 3e, 9 décembre 1986, Bull. civ. III, no 177 ; Defrénois 1987, art. 34056,
no 84, p. 1187, obs. G. Vermelle : « La vente pouvant être réalisée moyennant une contrepartie autre
qu’un versement de somme d’argent... » ; la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, en
avait déduit la nullité de la convention pour indétermination du prix (art. 1591), en raison de l’impré-
cision de l’obligation de construire pesant sur l’acquéreur. La qualification de vente était inutile, car la
solution eût été la même, en application de l’article 1129 anc. À nouveau saisie de la question, la
même chambre a maintenu la qualification de vente, mais sauvé la convention, en dépit d’une incer-
titude relative à la valeur des constructions à venir : Cass. civ. 3e, 7 octobre 1998, D. Aff. 1998.1950.
35. Le Code du tourisme (art. L. 211-8 et s.) relatif aux contrats conclus avec une agence de voyages
parle de « vente de prestations de services ».
36. Infra, no 314.
37. Infra, no 438.
38. P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, th. Paris II, éd. Panthéon-Assas 2002.
62 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
39. Cass. civ. 1re, 24 novembre 1993, Monneret, Bull. civ. I, no 339 ; RTD civ. 1994.631, obs.
P.-Y. Gautier ; v. infra, no 766.
40. * Cass. civ., 14 mars 1900, Whistler, DP 1900.1.497, rapp. Rau, concl. Desjardins, n. crit. M. P. ;
S. 1900.1.104, « La convention par laquelle un peintre s’engage à exécuter un portrait, moyennant un
prix déterminé, constitue un contrat de nature spéciale, en vertu duquel la propriété du tableau n’est
définitivement acquise à la partie qui l’a commandé, que lorsque l’artiste a mis ce tableau à sa dispo-
sition et qu’il a été agréé par elle ; jusqu’à ce moment, le peintre reste maître de son œuvre, sans
toutefois qu’il lui soit loisible de la retenir pour lui-même ou d’en disposer au profit d’un tiers, à l’état
de portrait, le droit de reproduire les traits du modèle ne lui ayant été concédé que conditionnellement
en vue de l’exécution complète du contrat ; faute par l’artiste de satisfaire à ses engagements, il se rend
passible de dommages-intérêts ». Tant que l’artiste a décidé que la peinture n’était pas achevée, le
client n’en a pas été propriétaire ; si le peintre décide de ne pas livrer le portrait, il doit des domma-
ges-intérêts et ne peut faire usage de la toile peinte qu’en la rendant méconnaissable. St. DENOIX
DE SAINT-MARC, Le contrat de commande en droit d’auteur français, th. Paris II, IRPI, 1999 ; Droit civil
illustré, no 141.
41. Si le travail doit être fait sur des matériaux appartenant au maître, il s’agit évidemment d’un
contrat d’entreprise.
42. Cass. com., 7 novembre 2006, Bull. civ. IV, no 215 ; Contrats, conc. consom. 2007, no 62,
n. L. Leveneur « Le contrat conclu entre la sté Larsen (un négociant en vins de Cognac) et la société
Distillerie de Chabannes était un contrat d’entreprise par lequel la première avait confié à la seconde
la réalisation d’un produit qui ne correspondait pas à des caractéristiques déterminées à l’avance par
cette dernière, mais était destiné à satisfaire aux besoins particuliers exprimés par la sté Larsen ; le
moyen, qui postule que le contrat était un contrat de vente, est (donc) inopérant ». En l’espèce, le
contrat ne mentionnait pas le prix ; la sté Larsen, prétendant qu’il s’agissait d’une vente, en a vaine-
ment demandé la nullité ; la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a ordonné une exper-
tise pour déterminer le prix.
43. J. Carbonnier (n. citée infra, no 75) dit que dans la vente des choses futures, le transfert des ris-
ques a lieu lors de la réception de la chose par l’acheteur ; Req., 31 octobre 1900, DP 1901.I.65 ; S.
1904.I.337 : « Le marché à forfait pour la construction d’un navire, où l’entrepreneur fournit les maté-
riaux, constitue, en principe, non un louage d’ouvrage dans le sens de l’article 1798, mais une vente à
livrer dont l’objet reste, jusqu’à la livraison, la propriété du constructeur » ; v. toutefois Paris, 24 mai
1944, infra, no 75, qui s’attache à la date d’achèvement de la chose.
PREMIÈRES VUES SUR LA VENTE 63
1) Tenant compte de la volonté des parties, les tribunaux appliquent souvent à ce contrat com-
plexe une qualification distributive : la fourniture des matériaux relève de la vente, la prestation
de travail du contrat d’entreprise44.
2) Souvent aussi, ils appliquent une qualification exclusive, qui avait longtemps été la théorie
de l’accessoire (accessorium sequitur principale : l’accessoire suit le principal). L’application du
critère de l’accessoire en matière immobilière doit tenir compte du fait que le sol est toujours le
principal. Selon une règle d’origine romaine, superficies solo cedit (ce qui est construit sur le sol
a moins d’importance que lui), la loi a longtemps tiré des conséquences importantes de ce prin-
cipe, combiné avec la théorie de l’accessoire. Il fallait faire une distinction selon la personne qui
avait la propriété du sol lors de la conclusion du contrat ; si la construction devait être faite sur le
terrain du maître de l’ouvrage, il s’agissait d’un contrat d’entreprise45 ; si la construction devait
être édifiée sur le terrain de l’entrepreneur pour que, lors de son achèvement, l’ensemble fût
transmis à l’acquéreur, il s’agissait d’une vente. La solution était simple : par application de la
théorie de l’accessoire, le contrat était ou un louage ou une vente, ce qui était une qualification
exclusive, mais qui se fondait sur des éléments peu réalistes.
Aujourd’hui, les juges retiennent un autre critère : est un contrat d’entreprise, un contrat ayant
pour objet un « travail spécifique ».
75. Meubles. – La règle de l’accessoire est souvent appliquée en matière mobilière. Par
exemple, le contrat de restauration (anciennement dénommé contrat d’aubergiste) n’est pas
une vente de nourriture, mais un contrat d’entreprise, parce qu’il comporte plus de services (cui-
siniers et serveurs) que de fournitures de choses (les aliments)46.
La Cour de cassation s’attache maintenant à l’objet du contrat ; la vente porte sur une chose
dont les caractéristiques sont déterminées à l’avance et destinée à être produite en série47 ; le
critère du contrat d’entreprise se trouve dans la nature spécifique du travail à accomplir48.
76. Un seul critère pour tous les biens. – La Cour de cassation s’attache ainsi,
pour tous les biens, à l’objet du contrat : il y a vente lorsque la fourniture porte sur
44. Ex. : Cass. civ. 3e, 16 mars 1977, sté Tunzini-Entreprise, Bull. civ. III, no 131 ; JCP G
1978.II.18913, n. Hassler ; RTD civ. 1977.785, obs. G. Cornu (vente d’une centrale nucléaire à cons-
truire) : « La convention complexe liant X à Y comportait à la fois un louage d’ouvrage et une vente de
fournitures ».
45. Ex. : Cass. civ., 18 octobre 1911, DP 1912.I.113, n. M. Planiol (2 arrêts) : « Le contrat par lequel
le propriétaire d’un terrain charge un entrepreneur d’y construire un édifice constitue non une vente,
mais un louage d’ouvrage, même lorsque l’entrepreneur fournit, avec son travail, les matériaux de la
construction ».
46. Paris, 24 mai 1944, JCP G 1945.II.2742, n. E. Becqué ; RTD civ. 1945.121, obs. J. Carbonnier,
maintenu par Cass. civ., 1er août 1950, S. 1951.I.100 ; RTD civ. 1951.388, obs. J. Carbonnier (vente
d’une remorque faite sur mesure) ; jugé que le transfert de propriété avait eu lieu lors de l’achèvement
de la chose, sans qu’il fût besoin d’en attendre la livraison : « Dans le cas de vente de chose future, il y
a transmission de la propriété dès que la chose qu’on s’est engagé à livrer est effectivement en mesure
d’être livrée par le vendeur et reçue par l’acheteur » ; en l’espèce, il s’agissait d’une vente de chose
future, où la valeur des matériaux « était bien supérieure à celle du travail proprement dit » ; jugé que
la réquisition par l’armée allemande de la remorque après son achèvement, n’avait pas libéré le cons-
tructeur-vendeur ; l’indemnité de réquisition devait donc être versée à l’acheteur.
47. Ex. : Cass. com., 6 mars 2001, JCP G 2001.II.10564, n. Fr. Labarthe ; n.p.B. : (câbles de télécom-
munications) ; ou encore, l’achat d’une automobile est toujours une vente, bien que pour le construc-
teur, les dépenses de main-d’œuvre soient en fait plus importantes que ne le sont celles des fournitu-
res. Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises :
« A. 3. 1) sont réputées ventes les contrats de fournitures de marchandises ou à produire, à moins que
la partie qui commande celles-ci n’ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires
à cette fabrication ou production. 2) La présente Convention ne s’applique pas aux contrats dans les-
quels la part prépondérante de l’obligation de la partie qui fournit les marchandises consiste en une
fourniture de main-d’œuvre ou d’autres services ».
48. Ex. : Cass. civ. 3e, 18 novembre 2009, no 08-19355, Bull. civ. III, no 252 ; D. 2010. 741, n. Fr.
Labarthe ; Contrats, conc. consom. 2010, no 37, n. L. Leveneur (livraison d’éléments préfabriqués
pour un hôpital, ayant nécessité une « adaptation de l’appareil de production », en fonction d’une
« multitude de données » le contrat est un contrat d’entreprise et les règles de la sous-traitance s’ap-
pliquent).
64 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
77. Vente d’immeubles à construire. – Les lois du 3 janvier et 7 juillet 1967 ont
créé un contrat nouveau, la vente d’immeubles à construire qui, outre des règles
originales, mêle les régimes de la vente et du contrat d’entreprise51.
L’intérêt de ce genre de contrats est de permettre à un promoteur de financer partiellement la
construction avec l’argent provenant des accédants à la propriété avant l’achèvement de la
construction.
Lorsque le propriétaire d’un terrain52 s’engage à construire un bâtiment pour en transférer la
propriété à l’acquéreur, il s’agit d’une vente, comme l’indique le nom de l’institution. Mais la
garantie des vices cachés qui pèse sur le vendeur est, à partir de la réception des travaux, celle
des entrepreneurs (art. 1646-1), non des vendeurs53. Certains effets de la vente d’immeubles à
construire relèvent donc du contrat d’entreprise : sont combinés les statuts légaux de deux
contrats.
Ces règles ne s’appliquent pas à la vente d’immeubles achevés, que l’achèvement ait eu lieu
la veille de la vente ou cent ans avant ; logiquement, la Cour de cassation avait décidé qu’il en
était ainsi même lorsque c’était le vendeur qui avait lui-même construit l’immeuble ; il était donc
exclusivement soumis au droit de la vente et non aux garanties des vices imposées à
l’entrepreneur54. La loi du 4 janvier 1978 a brisé cette jurisprudence en ajoutant au Code civil
un article 1792-1, alinéa 2 : « Est réputé constructeur [...] toute personne qui vend après achève-
ment un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire » : ce vendeur est soumis à la garantie
pesant sur les entrepreneurs.
78. Vente d’immeubles ou de produits clefs en main. – En droit interne, on appelle parfois
« vente d’immeubles clefs en main » la vente d’immeubles neufs. Dans les relations internatio-
nales entre les pays développés et ceux qui sont en voie de développement, sont apparues des
ventes d’usines « clefs en main » ou « produits en main ». Dans les premières, le vendeur garantit
qu’au moment de la réception, c’est-à-dire peu de temps après l’achèvement des installations,
l’usine pourra fonctionner normalement ; dans les secondes, la garantie va au-delà de la
49. * Cass. com., 4 juillet 1989, sté Commercial Union Insurance Ltd, Bull. civ. IV, no 210 ; D.
1990.246, n. G. Virassamy ; JCP G 1990.II.21515, n. Y. Dagorne-Labbé ; RDI 1990.370, n.
Ph. Malinvaud et B. Boubli ; RTD civ. 1990.105, obs. Ph. Rémy : « Les contrats successivement conclus
portaient non sur des choses dont les caractéristiques étaient déterminées d’avance par le fabricant
mais sur un travail spécifique pour les besoins particuliers exprimés par la sté Fould-Springer (le fourni),
la cour d’appel a pu en déduire qu’ils étaient constitutifs non pas de ventes mais de contrats d’entre-
prise ». En l’espèce, la clause limitative de responsabilité n’était valable que si le contrat était un
contrat d’entreprise. La question se présente dans les mêmes termes pour définir la sous-traitance :
infra, no 754.
50. Ex. ; Cass. com., 7 novembre 2006, préc. supra, no 74 : vieillissement de cognac, sans caracté-
ristiques déterminées à l’avance par le fournisseur.
51. Ex. Cass. civ. 3e, 20 juillet 1994, Bull. civ. III, no 155 ; en l’espèce, la venderesse avait reçu de
l’entrepreneur les ouvrages sous réserve et en en connaissant les désordres ; l’entrepreneur était donc
libéré de la garantie (infra, no 771) ; jugé que « La garantie décennale ne pouvait s’appliquer mais la
venderesse demeurait responsable envers les acquéreurs ».
52. Il en est de même lorsque celui qui s’oblige à construire un immeuble destiné au logement avait
transféré le terrain à l’acquéreur par une vente antérieure ; CCH, art. L. 261-10.
53. Ex. : Cass. civ. 3e, 11 décembre 1991, Bull. civ. III, no 317 : « L’article 1641 sur la garantie des
défauts cachés de la chose vendue est inapplicable en cas de construction réalisée sous le régime
propre à la vente d’immeuble à construire prévue par l’article 1601-1 ».
54. Cass. civ. 3e, 11 décembre 1973, Bull. civ. III, no 619 : « Les constructeurs d’immeubles ne sont
tenus à la garantie décennale qu’à la condition d’avoir été liés au propriétaire par un contrat de louage
d’ouvrage ».
PREMIÈRES VUES SUR LA VENTE 65
réception ; le vendeur doit avoir fait fonctionner quelque temps l’usine, généralement avec du
personnel du pays de l’acheteur, que le vendeur s’était engagé à former55. La vente est mêlée
d’entreprise.
§ 3. TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ
I. — Vente et bail
79. Instantané ou successif. – À l’origine, le bail était une vente, la vente des
fruits produits par la chose. Aujourd’hui, la différence est nette : le critère essentiel
est que le bail, non la vente (sauf pour certains biens, comme la propriété intel-
lectuelle), est un contrat successif. En outre, la vente a pour effet de transférer la
propriété de la chose (un droit réel) ; au contraire, le bail ne confère pas de droit
direct sur la chose, il donne seulement au preneur le droit d’exiger du bailleur
qu’il lui procure la paisible jouissance de la chose pendant la durée du contrat
(un droit personnel).
Si nette soit la différence, sociologiquement, elle n’est pas toujours perçue par les intéressés,
comme l’avait relevé Jean Carbonnier pour la vente à crédit. Par exemple, l’acquéreur payant le
prix par mensualités d’un appartement en copropriété a souvent une mentalité de locataire et
voit dans le syndic de la copropriété une sorte de mandataire d’un bailleur mythique. De
même, l’acheteur à tempéraments d’une automobile qui, après son achat, est démolie avant
que toutes les mensualités n’aient été payées, imagine souvent qu’il est libéré : il se croit un
locataire dont l’obligation serait liée à la jouissance de la chose.
80. Obsolescence. – Surtout, à l’égard des biens contemporains, quand ils sont
marqués d’obsolescence, dont le temps et l’usage altèrent la substance57, il
n’existe guère de différences entre la propriété et la jouissance ; seul le droit
d’usage présente alors un intérêt : la vente et le bail se ressemblent donc si la
durée de la location est calquée sur celle de l’amortissement ; la distinction a
pour intérêt l’obligation d’entretien, pesant sur l’acquéreur s’il s’agit d’une vente,
sur le bailleur s’il s’agit d’un bail.
La confusion est encore plus grande lorsque la chose est à la fois éphémère et immatérielle :
par exemple, les logiciels ; les contrats qui les ont pour objet imposent une collaboration entre
les parties, entraînent un usage partagé et participent ainsi de la vente, du bail et du contrat
d’entreprise58.
55. Ph. KAHN, « Typologie des contrats de transfert de la technologie », in Transfert de technologie et
développement, Lib. techn., 1977, p. 445 et s., sp. 452.
56. Pour... le dépôt, v. infra, no 89.... l’entreprise, supra, no 76.
57. Ex. : ... biens d’équipement professionnel ou ménager : automobiles, ordinateur (infra, no 314).
V. Les biens, coll. Droit civil.
58. J. HUET, D. 1985, IR, 45 ; P.-Y. GAUTIER, RTD civ., 1994.373 ; pour la qualification de vente et ses
enjeux, J. HUET, in Mélanges Catala, Litec, 2001, p. 799 et s.
66 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
83. 2º Concession d’une carrière. – Le droit d’exploiter une carrière (sables ou pierres) ou
une mine (minéraux) donne lieu à une jurisprudence constante que la doctrine, en général,
continue à critiquer avec une ténacité qui, à la longue, se transforme en lassitude.
À première vue, ce contrat possède certains aspects du bail, car le concessionnaire a un droit
d’extraction qui s’exerce successivement, et doit une redevance, parfois fixée par périodes.
Au contraire, la jurisprudence décide que ce contrat n’est jamais un louage66, car le conces-
sionnaire consomme la substance de la chose, ce qui est l’antinomie de la jouissance, notam-
ment parce qu’aucune restitution de l’intégralité de la chose ne sera possible après l’exécution
du contrat. Les tribunaux en tirent de multiples conséquences : fiscales et civiles (par exemple,
l’exclusion... de la nullité pour vice de perpétuité ; ... de la résolution pour cessation momenta-
née de l’exploitation ; ... du privilège du bailleur : application de la garantie du vendeur, non de
celle du bailleur). L’exploitant n’a pas droit au renouvellement de son contrat. Il s’agit d’une
vente, mais d’une vente qui a une double nature. Entre les parties, elle est mobilière : une
vente de meubles par anticipation. À l’égard des tiers, elle est immobilière et ne leur est oppo-
sable que si a été accomplie la publicité foncière. Cette nature changeante et alternative est
singulière.
85. 1º Vente avec consignation. – Dans ce que la pratique commerciale appelle « la vente
avec consignation de l’emballage », le récipient consigné est-il prêté ou vendu ? L’acquéreur du
produit emballé est-il un emprunteur de l’emballage que le vendeur du produit aurait prêté, ou
propriétaire par l’effet d’une vente de l’emballage avec faculté de le restituer au vendeur contre
remboursement de la consignation ? La qualification relève de l’interprétation de la volonté
contractuelle et de l’économie du contrat.
Dans la pratique commerciale, il est habituellement prévu, le plus souvent par les conditions
générales de vente, que la consignation constitue un prêt à usage68, généralement assorti d’une
clause pénale garantissant la restitution de l’emballage. Ou bien un dépôt. En ces deux cas, la
propriété de l’emballage n’est pas transférée à l’acheteur. Elle peut aussi constituer une vente,
assortie d’une promesse de rachat69 ; la propriété est alors transférée. Les tribunaux décident
qu’il y a prêt à usage ou dépôt si l’emballage doit être restitué par l’acheteur et que son usage est
gratuit ; sinon, il y a vente avec faculté de rachat.
86. 2º Vente avec rachat. – La vente avec rachat70 est une modalité particulière
de la vente ; elle est un contrat par lequel une personne vend une chose et stipule
qu’elle pourra la reprendre si elle rembourse, dans un délai qui ne peut excéder
cinq ans, le prix et certains frais (art. 1659 à 1673) ; le vendeur n’en redevient
propriétaire qu’après avoir remboursé le prix à l’acquéreur71. Elle est une vente
conditionnelle, sous condition résolutoire. Elle dissimule parfois un prêt garanti
par une aliénation fiduciaire72. On la trouve utilisée en matière immobilière ou
de sociétés. La faculté de rachat est cessible, sauf clause contraire.
88. 1º Achat pour revendre. – Une personne vend à un tiers le bien d’un pro-
priétaire qui y consent76. On peut qualifier l’acte de deux manières. Ou bien, elle
a fait un achat suivi d’une revente : elle a acheté le bien du propriétaire, puis l’a
revendu à un tiers77 ; elle a alors agi pour son propre compte et dans son propre
70. Avant la loi de simplification et clarification du droit du 12 mai 2009, le contrat s’appelait
« vente à réméré ». Étymologie de réméré du latin redimo, ere = racheter. Sur l’historique :
O. Descamps, RDC 2015. 382.
71. À moins que l’acheteur n’ait pas encore payé, auquel cas il doit y avoir compensation entre les
deux dettes : Cass. civ. 3e, 25 octobre 2006, Contrats, conc. consom. 2007, no 42, n. L. Leveneur ;
n.p.B.
72. La requalification ne s’impose que si la fraude est prouvée : Cass. civ. 3e, 21 mai 2014, 12-
23607, Bull. civ. III nº 71, JCP G 2014, 942, n. F. Dournaux ; RTD civ. 2014. 668, obs. P.-Y. Gautier ;
Defrénois 2014. 1079, n. M. Mignot ; JCP G 2014, 1195, obs. G. Virassamy ; Dr. et patr., janv. 2015,
p. 59, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2015. 288, obs. M. Julienne : elle « ne pouvait se déduire de la
seule concomitance entre un acte de prêt et un acte de vente ». Droit des sûretés, coll. Droit civil.
73. Infra, no 530.
74. Infra, no 566.
75. Infra, nos 825 et s.
76. Avec l’accord de A, B vend à C le bien de A.
77. B achète à A et revend à C.
PREMIÈRES VUES SUR LA VENTE 69
intérêt. Ou bien, elle a été le mandataire du vendeur78 : elle n’a pas agi pour son
compte, mais pour celui d’autrui.
La question se pose en matière immobilière, pour distinguer le marchand de biens79 et l’agent
immobilier, ce qui présente un intérêt depuis que la profession et les pouvoirs de ce dernier ont
été réglés par la loi, à la différence du marchand de biens. Si l’intermédiaire a remis ou doit
remettre au vendeur une somme déterminée à l’avance, quel que soit le prix qu’il obtiendra de
l’acquéreur ultime, il y a vente80 ; l’intermédiaire est un marchand de biens s’il achète pour
revendre et en fait sa profession. Dans le cas contraire, notamment s’il doit rendre des comptes
et est payé au pourcentage, il y a mandat ou commission.
La question apparaît aussi dans la distribution commerciale81. Ce qui caractérise le mandat ou
la commission est que le mandataire ou le commissionnaire a l’obligation de rendre compte
parce qu’il agit pour autrui82 ; celui qui achète pour revendre le fait en son nom propre et dans
son intérêt, et trouve son profit dans la différence entre le prix d’achat et celui de la revente.
facture, le contrat est une vente, sauf si la facture est conditionnelle87. En tout cas, ce n’est pas
une vente à l’essai88. Est différent le contrat de « confié », relatif aux bijoux déposés chez un
joaillier afin qu’il les vende89 : lorsque le dépôt-vente est pratiqué entre un consommateur et
un professionnel, toute clause abusive, relative notamment à l’information ou à la restitution
de la chose, devra être annulée90.
90. Plan. – Cette étude de la qualification n’a pas seulement pour intérêt de révéler les traits
distinctifs de la vente. Elle en souligne aussi la diversité et ses nombreuses modalités. Il eût été
possible, après avoir exposé les règles générales applicables à toute espèce de vente (le « noyau
dur »), d’en étudier les différentes modalités, les unes après les autres. Ou bien encore d’exami-
ner distinctement les ventes d’immeubles – qui sont essentiellement des ventes civiles – et les
ventes mobilières – avec une sous-distinction entre les ventes civiles et les ventes commerciales
– ; sans doute, l’opposition majeure est-elle, en effet, entre les ventes immobilières et les ventes
mobilières.
On préfère adopter un plan plus classique, divisé en deux livres : les éléments constitutifs de la
vente (Livre I) et ses effets (Livre II).
87. On peut également trouver le critère de la qualification dans les modalités de rémunération du
dépositaire : à la commission, c’est un mandat, sur sa marge bénéficiaire, c’est une vente condition-
nelle.
88. Infra, nos 105-106.
89. Infra, nos 888 et 890.
90. V. la recommandation préc. de la Commission des clauses abusives.
n LIVRE I n
ÉLEMENTS DE LA VENTE
91. Consensuel. – Avec concision et élégance, l’article 1583 énumère les trois
éléments qui doivent être réunis pour que soit conclu un contrat de vente. La
vente est parfaite « dès qu’on est convenu de la chose et du prix », c’est-à-dire
qu’il faut le consentement des parties (Titre I), une chose (Titre II) et un prix
(Titre III).
L’article 1583 n’exige rien d’autre, ni solennité, ni formalité. De par son régime,
la vente est donc, sauf exception, un contrat consensuel.
Lorsque le propriétaire est une personne protégée soumise à une tutelle, le tuteur ne peut
vendre sans l’autorisation du conseil de famille ou à défaut, du juge (art. 505, L. 5 mars 2007).
CONSENTEMENT
98. Liberté d’achat et de vente. – Comme tous les contrats, la vente est un acte libre. Nul
n’est contraint d’acheter, nul n’est contraint de vendre. Le principe est donc qu’il n’y a pas
d’abus de droit à refuser d’acheter ou de vendre, même si l’affaire est intéressante1. Que nul ne
soit obligé d’acheter ne comporte, en droit, aucune limite ; en fait, cette liberté est formelle, car il
existe des produits qu’il est nécessaire d’acquérir pour vivre. Que nul ne soit obligé de vendre
comporte au contraire d’importantes exceptions juridiques, soit afin d’assurer la liberté des prix
et celle de la concurrence (C. com., art. L. 420-2 et la réglementation européenne sanctionnant
sous certaines conditions le refus de vente)2, soit lorsque le bien est saisi par le créancier qui se
fait payer par une procédure d’exécution.
1. Ex. : Cass. com., 5 juillet 1994, affaire de « Clochemerle », Bull. civ. IV, no 258 ; JCP G
1994.II.22323, n. J. Léonnet ; en l’espèce, dans une petite bourgade de province, des associations cari-
tatives s’approvisionnaient chez un pharmacien ; à la suite de différends politiques (élections munici-
pales), ces associations retirèrent leur clientèle à la pharmacie ; la cour d’appel les condamna à des
dommages-intérêts sur le fondement de l’abus du droit : leur but « étant, soit de la (la pharmacie) rui-
ner, soit de l’obliger à vendre dans les pires conditions ». Cassation : « En se déterminant par de tels
motifs impropres à caractériser en quoi, eu égard à la liberté fondamentale de toute personne de s’ap-
provisionner chez un commerçant, les associations avaient commis un abus de droit, la cour d’appel
n’a pas donné de base légale à sa décision ».
2. Ex. : l’abus de position dominante (par ex. : dans le domaine de la distribution, du cinéma, de la
propriété intellectuelle, etc.). Rappr. infra, nos 833 et 838.
3. Toutefois la rupture des pourparlers peut être fautive, spécialement en cas de mauvaise foi d’une
des parties : Droit des obligations, coll. Droit civil.
4. Ex. : * Cass. civ. 3e, 14 janvier 1987, dame Lebel-Orset, aff. du peintre Steinlen, cité infra, nos 138
et 203 : « La vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et le défaut
d’accord définitif sur les éléments accessoires de la cession ne peut empêcher le caractère parfait de
celle-ci, à moins que les contractants aient entendu retarder la formation de la convention jusqu’à la
fixation de ces modalités ».
74 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
5. Cf. aussi la loi du 12 juillet 1971, auj. l’art. L. 471-4, C. éduc. sur l’enseignement à distance
(généralement appelé « par correspondance ») qui interdit le démarchage.
6. La loi (C. consom., art. préliminaire), définit le consommateur comme « la personne physique qui
agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou
libérale ». V. Droit des obligations.
7. A.-S. LUCAS-PUGET, Contrats, conc., consom. 2016, Formule, nº 1.
8. Ex. : Cass. civ. 1re, 22 novembre 1994, Bull. civ. I, no 341 ; D. 1995, somm. 311, obs. J.-P. Pizzio :
« L’émission d’un chèque d’acompte est prohibée même s’il est démontré que le démarcheur ne l’a
pas sollicitée... ; (en conséquence) le montant du chèque doit être restitué à la personne démarchée à
son domicile ».
9. Art. L. 312-47 : l’acheteur doit « par une demande expresse, rédigée, datée et signée de sa main
“solliciter” la livraison ou la fourniture immédiate du bien ou de la prestation de services ».
L’art. R. 311-8 en précise les termes : « Je demande à être livré immédiatement (ou à bénéficier immé-
diatement de la prestation de services). Je reconnais avoir été informé que cette demande a pour effet
de réduire le délai légal de rétractation. Celui-ci expirera le jour de la livraison du bien (ou de l’exécu-
tion de la prestation) sans pouvoir être inférieur à trois jours ni supérieur à sept jours ». Si ce formalisme
n’est pas respecté, le délai n’est pas réduit : Cass. civ. 1re, 31 mai 1988, Bull. civ. I, no 166 ; D. 1988,
somm., 405, obs. J.-L. Aubert. V. aussi, en matière de crédit immobilier, infra, no 954.
10. Pas aux immeubles à usage mixte : Cass. civ. 3e, 30 janvier 2008, no 06-21145 ; Bull. civ. III,
no 15 ; JCP G 2008.IV.1406.
CONSENTEMENT 75
professionnel11. Il ne porte pas sur les terrains à bâtir12. Le délai court à compter de la notification
de l’acte et non d’une remise en mains propres13, sauf s’il a été conclu par l’intermédiaire d’un
professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente – en pratique, un agent
immobilier –, auquel cas la remise est soumise à un formalisme tatillon (CCH, art. L. 271-1,
al. 3 ; art. D. 271-6). Le non-respect de ce droit, d’ordre public, est sanctionné par la nullité,
bien que le texte ne le précise pas.
Un droit de rétractation est également énoncé dans certains contrats originaux, tel celui de
« multipropriété » (temps partagé sur un local) (art. L. 224-79)14.
La rétractation du consommateur ne saurait normalement faire l’objet d’une indemnisation au
profit du vendeur, du fait de l’usage du bien dans l’intervalle entre la conclusion du contrat et
l’exercice de cette faculté ; cependant, il ne saurait non plus y avoir d’enrichissement sans cause
au profit de l’acheteur (par exemple, celui qui en a fait une utilisation prolongée et profitable
pour lui)15. Aucun frais ne saurait être facturé au consommateur, hormis ceux de renvoi de la
chose (art. L. 221-23 et 24)16. Seul un accord exprès du consommateur peut permettre un paie-
ment.
101. 2º Réflexion préalable. – Pour les opérations plus importantes, la protection prend la
forme d’un délai de réflexion obligatoire : donné avant son expiration, le consentement du
consommateur est inefficace ; ainsi, la loi du 13 juillet 1979, relative à la protection des emprun-
teurs dans le domaine immobilier, ne rend définitif le contrat de prêt que trente jours après la
réception de l’offre par l’emprunteur, celui-ci ne pouvant accepter l’offre qu’après dix jours (art.
L. 313-19)17. Ce mécanisme de formation par étapes du prêt rejaillit sur la vente que celui-ci
finance, qui n’est définitive qu’après l’obtention effective du prêt18. Il s’applique aux locations-
ventes et aux locations assorties d’une promesse de vente (art. L. 313-38 et s.) ; on évoquera plus
loin la formation de la location-accession19. De même encore, l’article L. 271-1, al. 5 du Code de
la construction et de l’habitation offre à l’acquéreur non professionnel d’un immeuble
11. Une société civile immobilière dont l’objet statutaire est l’acquisition et la gestion de biens ne
saurait être tenue pour un non-professionnel, même si le destinataire de l’achat est une personne phy-
sique : ex. : *Cass. civ. 3e, 24 octobre 2012, SCI du Treho, no 11-18774, Bull. civ. III no 153 ; JCP G
2012 no 1401, n. L. Leveneur ; D. 2013. 280, n. Chr. Blanchard et 949, n. N. Sauphanor-Brouillaud,
Defrénois 2013. 175, n. S. Becqué et D. Savouré, 1134, chron. N. Haoualia, Rev. Lamy dr. civ.
juin 2013, p. 8, n. D. Bert ; Cass. civ. 3e, 16 septembre 2014, nº 13-20002, npB, D. 2014. 2390,
n. H. Skrzypniak ; Defrénois 2014. 1187, n. S. Becqué : même solution, alors même que la SCI est
familiale et ne possède qu’un immeuble, la promesse de vente a « un rapport direct avec l’ob-
jet social ». En sens contraire, C. GRIMALDI, « Acquisition d’un immeuble par une SCI : quelle(s) protec-
tion(s) ? », Defrénois 2016. 611 ; P.Y. GAUTIER, « Des limites de la personnalité morale », Mélanges
Ph. Merle, Dalloz 2012, p. 293 s. Le nouvel article préliminaire du Code de la consommation
(réd. Ord. 14 mars 2016) inclut les personnes morales dans les non-professionnels, lorsqu’elles agis-
sent « à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité professionnelle ».
12. Cass. civ. 3e, 4 février 2016, nº 15-11140, Bull. civ. III à paraître, D. 2016. 378 : cassation de
l’arrêt qui déclare nulle la promesse de ce chef, alors que l’acte n’avait pas « pour objet la construction
ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation ».
13. Jurisprudence plusieurs fois réitérée ; ex. : Cass. civ. 3e, 26 janvier 2011, Bull. civ. III, no 15 ; D.
2011.1730, n. crit. C. Tabourot-Hyest : « la remise de l’acte en mains propres, non constatée par un
acte ayant date certaine, ne répond pas aux exigences de l’art. L. 271-1 CCH [...] et ne peut, en consé-
quence, faire courir le délai de rétractation ».
14. Sur la nature (gratuité) et les conditions de forme (absence) du droit de rétractation, CJCE,
22 avril 1999, JCP G 2000.I.218, chron. L. Bernardeau.
15. CJUE, 3 septembre 2009, D. 2009. 2161, n. V. Avena-Robardet ; JCP G 2009 no 459,
n. G. Paisant ; Com. Com. Electr. 2010 no 64, n. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2010. 113, n. S. Pimont et
643, n. C. Aubert de Vincelles (le consommateur avait utilisé l’ordinateur portable pendant 8 mois,
avant de le rendre).
16. CJUE, 15 avril 2010, JCP G 2010 no 773, n. G. Paisant ; D. 2010.2132, n. G. Busseil ; RDC 2010.
1295, n. C. Aubert de Vincelles.
17. « La renonciation au bénéfice des dispositions d’ordre public de l’article L. 312-10, n’est pas
possible » : Cass. civ. 1re, 9 décembre 1997, Bull. civ. I, no 368 ; JCP G 1998.II.10148, 1re esp.,
n. S. Piedelièvre ; RTD civ., 1998.670, obs. J. Mestre. Ce délai est franc, expire donc au 11e jour.
18. Infra, no 954.
19. Infra, no 810.
76 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
d’habitation, un délai de réflexion de dix jours, au cours duquel l’acte authentique ne peut être
signé ; ce délai s’applique lorsque le contrat en la forme authentique n’a pas été précédé d’un
avant-contrat ; car celui-ci fait lui-même l’objet du délai de rétractation (supra).
1. L’avant-contrat, Actualité du processus de formation des contrats, dir. Olivier Deshayes, PUF,
2008 ; R. DEMOGUE, « Les contrats provisoires », in Ét. H. Capitant, Dalloz, 1939, p. 159 et s. ; Fr. COL-
LART DUTILLEUL, Les contrats préparatoires à la vente d’immeubles, th. Tours, Sirey, 1988 ;
E. SCHLUMBERGER, « Les contrats préparatoires à l’acquisition de droits sociaux », Dalloz, 2013 ;
M. GERMAIN, « Pactes, Statuts et ordre public », Mélanges Merle, Dalloz 2012, p. 305 s. ;
J.-M. MOUSSERON et al., L’avant-contrat, éd. F. Lefebvre, 2001.
2. Fr. COLLART DUTILLEUL, op. cit.
3. A. RIEG, « La punctation, contribution à l’étude de la formation successive du contrat », in Ét. Jauf-
fret, LGDJ, 1976, p. 513 et s.
78 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
La vente se forme par étapes dans plusieurs hypothèses : le Code civil connais-
sait les ventes à l’agréage (Chapitre 1) ; la pratique a développé les promesses de
vente et d’achat (Chapitre 2) et le pacte de préférence (Chapitre 3) ; la loi, surtout
contemporaine, les retraits et les préemptions (Chapitre 4).
n CHAPITRE I n
VENTES À L’AGRÉAGE
SECTION I
VENTE À LA DÉGUSTATION
L’agrément de l’acquéreur est discrétionnaire, car rien n’est aussi personnel que
le goût (« des goûts et des couleurs ne disputons pas ») ; tant qu’il n’a pas goûté la
chose, l’acquéreur bénéficie d’une option. Jusqu’à l’agréage, le contrat est donc
une promesse unilatérale de vente3 ; ainsi que l’énonce l’article 1587, « il n’y a
point de vente ». La vente ne se fait qu’après l’agréage. Jusqu’alors, le vendeur
est propriétaire ; les risques pèsent sur lui.
L’acheteur peut renoncer à son droit d’agréage et l’agréage peut être tacite4.
Si la marchandise n’est pas agréée, le contrat n’est pas conclu et le bénéficiaire
ne peut exiger d’autres marchandises ; pas davantage, le vendeur ne peut démon-
trer la loyauté de la marchandise fournie. Si elle est agréée, la vente est parfaite et
l’acheteur ne peut se rétracter5.
Sauf volonté contraire des parties, on présume qu’il y a vente à la dégustation lorsque les
qualités de la chose sont si subjectives6 qu’elles ne peuvent être appréciées que par le goût ;
au contraire, il y a vente à l’essai lorsque les qualités de la chose sont objectives et ne peuvent
être vérifiées que par un essai7.
SECTION II
VENTE À L’ESSAI
3. La renonciation au bénéfice de l’article 1587 ne se présume pas : Cass. civ. 1re, 24 mars 1998, aff.
du vin Pommard, Bull. civ. I, no 127 ; JCP E, 1999, p. 170 et s., n. M.-C. Sordino ; RTD civ. 1999.377,
obs. J. Mestre. Sur renvoi : Besançon, 14 septembre 1999, D. 2001.729, n. N. Olsak.
4. Cass. civ. 1re, 12 juillet 2007, Bull. civ. I, no 273 ; JCP G 2007.IV.2739 ; la vente de vin de Bor-
deaux doit selon les usages être faite dans les chais du vendeur ; en l’espèce, en l’absence d’agréage,
l’acheteur avait enlevé sans autre formalité la moitié de la commande ; jugé que « la renonciation aux
dispositions de l’art. 1587, si elle ne peut résulter du seul silence des parties, peut être tacite dès lors
que les circonstances établissent de façon non équivoque la volonté de celle-ci ».
5. Cass. civ. 1re, 21 novembre 2006, Bull. civ. I, no 512 ; Contrats, conc. consom. 2007, no 66,
n. L. Leveneur ; D. 2007.2966, n. B. Fauvarque-Cosson : « l’accord sur la chose et sur le prix intervenu,
en matière de vin, après que celui-ci a été goûté et agréé, valait vente ; peu importait que le vin ait été
commandé en vrac ou en bouteille » ; en l’espèce, après avoir goûté et accepté le vin qui était en
cuves, l’acheteur avait refusé la livraison au motif que les bouteilles présentaient un dépôt anormal
de tartre. La Cour de cassation casse Bordeaux, 27 avril 2004, D. 2005.155, n. J. M. Bahans et
M. Menjucq, qui avait jugé que la vente n’étant pas parfaite, le vendeur devait restituer le prix et rem-
bourser les frais engagés par l’acheteur.
6. Ex. : enregistrement musical, chien de chasse, cheval de course, vêtement sur mesure...
7. Ex. : automobile, machine...
8. Cass. civ. 1re, 7 juillet 1964, Bull. civ. I, no 370 : « La cour d’appel a souverainement estimé qu’en
raison de ses imperfections la machine ne lui avait pas donné satisfaction malgré un temps d’essai
suffisant ».
VENTES À L’AGRÉAGE 81
promises. Tant que l’essai n’a pas été accompli de façon satisfaisante, le vendeur
demeure propriétaire, et, par conséquent, chargé des risques, même si la chose a
été remise à l’acheteur, sauf si le délai d’essai (stipulé au contrat ou prévu par
l’usage) est écoulé9. L’acheteur doit effectuer l’essai loyalement ; il a, en général,
pendant l’essai, les droits et les obligations d’un emprunteur à usage.
Cette vente suppose, en fait, que l’acheteur connaisse mal la chose achetée ; elle est donc
d’autant plus pratiquée que les choses sont plus complexes.
Le Code civil la qualifie de vente sous condition suspensive (art. 1588), ce qui a été critiqué,
car tant que la « condition » est pendante, l’acquéreur a l’usage de la chose, alors que l’obliga-
tion sous condition suspensive ne peut être exécutée qu’après son avènement. Des auteurs y ont
vu... ou la succession de deux contrats – l’un provisoire (l’essai), l’autre définitif (la vente)10 —...
ou un mode de formation du contrat par étapes successives (la punctation)... ou un contrat avec
faculté de résiliation unilatérale11 à l’expiration du délai d’essai, la vente devenant parfaite si
l’acheteur ne manifeste pas de volonté contraire12.
9. Cass. civ., 10 janvier 1928, DP 1929.I.126 : « Les risques étant passés à sa charge (de l’acheteur)
par l’avènement de la condition suspensive d’essai ».
10. R. DEMOGUE, « Des contrats provisoires », in Études H. Capitant, Dalloz, 1938, p. 159 et s.
11. Comp. le contrat de travail temporaire à l’essai : Cass. soc., 25 janvier 1989, Bull. civ. V, no 57.
12. Cass. civ. 1re, 13 octobre 1998, Bull. civ. I, no 304 ; D. Aff. 1998.1900 ; Contrats, conc. consom.
1998, no 161, n. L. Leveneur (vente d’une jument, « si elle fait l’affaire ») : « La vente conclue sous la
condition suspensive d’un essai satisfaisant devient parfaite si, à l’expiration du délai d’essai, l’acheteur
n’a pas manifesté sa volonté de ne pas conserver le bien ».
13. Ex. : le fabricant laisse le client utiliser la chose quelque temps pour voir si elle lui convient ;
c’est une vente à la dégustation.
14. Ex. : Cass. civ. 2e, 19 mai 1969, Bull. civ. II, no 161 ; JCP G 1969.II.16105 : le garagiste « avait
conservé sur la voiture, dont (il) était propriétaire, les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction ».
15. Supra, no 79.
16. Paris, 12 décembre 1980, D. 1981, IR, 447, obs. Chr. Larroumet.
n CHAPITRE II n
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT
Depuis une trentaine d’années2, ces promesses suscitaient beaucoup de difficultés, la jurispru-
dence n’étant ni ferme, ni claire, ni stable ; en outre, la subtilité et les divisions de la doctrine lui
retiraient de son autorité.
108. Motifs. – Les raisons pour lesquelles, avant de conclure une vente définitive, on
convient d’une promesse de vente sont variées : en général, un ou plusieurs éléments de la
vente définitive fait défaut ; selon que cet élément est essentiel ou secondaire, la promesse est
plus ou moins proche de la vente. On peut distinguer trois situations, la promesse unilatérale, la
promesse synallagmatique et le contrat préliminaire.
1o Parfois, les éléments essentiels de la vente à venir (chose, prix, date...) ont été débattus et
convenus. Mais l’une des parties, habituellement le futur acquéreur, réserve sa décision. Elle
désire bénéficier, pendant un certain temps, d’un délai de réflexion à l’issue duquel elle exercera
une option : acheter (ou vendre) ou ne pas acheter (ou ne pas vendre). La promesse est unilaté-
rale.
2o Parfois, vendeur et acquéreur sont décidés, l’un à vendre, l’autre à acheter. Aucun ne dis-
pose d’une option, mais la vente n’est pourtant pas définitivement conclue, car il lui manque un
élément que la loi ou l’une des parties considère comme essentiel : autorisation administrative,
purge d’un droit de préemption, obtention d’un prêt, rédaction d’un acte authentique... La pro-
messe est synallagmatique. Ce type de convention soulève de nombreuses difficultés ; l’événe-
ment auquel est subordonnée la formation définitive de la vente peut dépendre plus ou moins de
la volonté des parties, si bien qu’il n’est pas toujours sûr que la vente soit décidée dès la pro-
messe. Souvent aussi, afin d’éviter les difficultés que suscite la promesse synallagmatique, les
parties lui donnent la forme d’une promesse unilatérale.
1. F. BENAC-SCHMIDT, Le contrat de promesse unilatérale de vente, th. Paris I, LGDJ, 1983, préf.
J. Ghestin ; Fr. COLLART-DUTILLEUL, op. cit., supra, no 102 ; Chr. PAULIN, RTD com. 1998.511.
2. Surtout depuis l’arrêt cons. Cruz, * Cass. civ. 3e, 13 décembre 1993, infra, no 120 qui avait retiré
une grande partie de sa force obligatoire à la promesse unilatérale de vente.
84 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Bien que les frontières entre les deux premières ne soient pas rigides et que la
troisième ait une nature ambiguë, on examinera distinctement la promesse unila-
térale (Section I), la promesse synallagmatique (Section II) et le contrat prélimi-
naire (Section III).
SECTION I
PROMESSE UNILATÉRALE OU PACTE D’OPTION
La promesse unilatérale de vente est l’archétype des promesses de vente, archétypes des pro-
messes de contrat, elles-mêmes archétypes des avant-contrats (§ 1). Bien que moins pratiquée, la
promesse unilatérale d’achat se rencontre aussi et relève de règles symétriques (§ 2).
I. — Contrat de promesse
Comme tout contrat, la promesse de vente est formée par la rencontre de l’offre
du promettant et de l’acceptation du bénéficiaire, qu’il ne faut pas confondre avec
la levée de l’option11. La chose et le prix doivent être déterminés.
7. Avec un régime cependant assez lacunaire, les contrats spéciaux n’étant pas encore refondus :
v. P.-Y. GAUTIER, « Morceaux de code », D. 2015. 1112.
8. Cass. civ. 3e, 23 janvier 1991, Bull. civ. III, no 39 ; D. 1992.457, n. I. Najjar ; la convention par
laquelle le bénéficiaire s’engage à acquérir dès que le promettant aura rempli un certain nombre
d’obligations, est synallagmatique, puisqu’elle « ôtait toute faculté d’option au bénéficiaire de la pro-
messe ».
9. Infra, no 123.
10. Ex. : Cass. com., 25 avril 1989, Bull. civ. IV, no 136. « La promesse de vente d’un fonds de com-
merce qui ne contient pas, en contrepartie de l’engagement de vendre de la part du promettant, un
engagement corrélatif d’acheter de la part du bénéficiaire, ne peut être considérée comme une pro-
messe synallagmatique ».
11. Les formulaires notariaux précisent souvent que l’acceptation est donnée par le bénéficiaire à la
promesse « en tant que promesse ».
86 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
112. Droits du bénéficiaire. – Tant que le bénéficiaire n’a pas levé l’option, la
vente n’est pas formée : le bénéficiaire n’a sur le bien aucun droit réel16. Il n’a de
droit que contre le promettant : le droit d’option.
Le droit du bénéficiaire a une nature ambiguë. Traditionnellement, on y voit une créance
contre le promettant. C’est, pour le moins, une créance originale, que son titulaire peut transfor-
mer unilatéralement en un droit réel de propriété. En réalité, il s’agit d’un droit potestatif : le
pouvoir d’acquérir par un acte de volonté unilatérale17 et ce droit entre dans son patrimoine.
12. Ex. : Cass. civ. 1re, 30 mai 1985, Bull. civ. I, no 173 ; D. 1986.65 ; une promesse unilatérale de
vente, dont l’option ne peut être levée qu’après le décès du promettant, constitue une promesse post
mortem valable, non un pacte sur succession future, parce que le promettant est tenu dès la promesse
d’une obligation pure et simple, créant un droit actuel au profit du bénéficiaire ; la promesse post mor-
tem « n’ayant suspendu que l’exécution d’un droit déjà né ». Comp. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le décès du
contractant, th. Paris II, Economica, 1988, nos 32-44. V. Les successions, coll. Droit civil.
13. Ex. : survenance d’une aliénation mentale au moment de la levée de l’option : Cass. civ. 1re,
30 novembre 1971, JCP G 1972.II.17018.
14. Cass. civ. 3e, 8 septembre 2010, 09-13345, Bull. civ. III, no 153 ; D. 2011.477, n. S. Amrani
Mekki ; Defrénois 2010.2123, n. L. Aynès ; JCP G 2010.1051, n. G. Pillet ; RTD civ. 2010.778, obs.
B. Fages ; RDC 2011. 57, obs. Th. Genicon et 153, obs. Ph. Brun : efficacité de la promesse à l’égard
de l’héritier du promettant, même mineur, puisque le promettant « avait définitivement consenti à ven-
dre ».
15. * Cass. civ. 3e, 15 décembre 1993, cons. Cruz ; infra, no 120.
16. Cass. civ., 7 mars 1938, DH 1938.260 : « La promesse unilatérale de vente n’a pour effet de
transmettre à celui qui en est bénéficiaire ni la propriété, ni aucun droit immobilier sur le bien qui en
est l’objet ; tant que le bénéficiaire n’a pas déclaré acquérir, l’obligation du promettant quoique rela-
tive à un immeuble constitue une obligation de faire qui ne peut engendrer, pour celui au profit duquel
elle existe, qu’une créance mobilière ».
17. L. BOYER, « Les promesses synallagmatiques de vente », RTD civ. 1949, 1 et s., sp., no 28, p. 27 ;
I. NAJJAR, Le droit d’option ; contribution à l’étude du droit potestatif et de l’acte unilatéral, th. Paris,
LGDJ, 1967, préf., P. Raynaud, p. 21 et s.
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 87
Par comparaison, le destinataire d’une offre n’acquiert aucun droit contre l’offrant, même si l’of-
fre lui est exclusivement destinée et comporte un délai d’acceptation18. La différence entre offre
et promesse, au moins pour le bénéficiaire, est nette.
113. Opposabilité. – Puisque le droit du bénéficiaire, tant que l’option n’est pas
levée, n’est pas un droit réel, son opposabilité aux tiers, notamment à celui qui
aurait acquis le bien promis en dépit de l’engagement du promettant, dépend de
la relativité contractuelle, non des règles de la publicité (publicité foncière, ou
registre du commerce, ou possession relevant de l’art. 2276, al. 1). Le droit du
bénéficiaire n’est opposable qu’aux tiers de mauvaise foi, c’est-à-dire ceux qui
ont eu connaissance de la promesse au moment de leur acquisition et ont été
ainsi complices de la violation de son obligation par le promettant19. Règle qu’é-
nonce maintenant le nouvel article 1124 al. 3 : « le contrat conclu en violation de
la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ». Les
juges ne peuvent donc plus se contenter de dommages-intérêts20.
Le fait d’avoir publié la promesse au fichier immobilier ne suffit pas à la rendre opposable aux
tiers21. Le système actuel n’est pas satisfaisant, car il crée une grave insécurité ; la publication du
droit d’option à fin d’opposabilité devrait être organisée22.
114. Durée. – La promesse est inscrite dans le temps : elle est nécessairement
temporaire, car elle est destinée à préparer une vente. Si l’option est levée après
l’accomplissement du délai, sans que celui-ci ait été prorogé23, le bénéficiaire ne
peut exiger la réalisation de la vente, car la promesse est devenue caduque24 ;
18. Cass. civ. 1re, 5 novembre 2008, no 07-16505, LPA 6 mars 2009, p. 8, n. R. Loir ; Dr. et patr. juin
2009, obs. L. Aynès : la lettre adressée au défunt « constituait seulement une offre de vente » à laquelle
le destinataire n’avait pas donné suite de son vivant ; la cour d’appel a retenu à bon droit « qu’aucune
créance mobilière ni aucun droit susceptible, comme dans l’hypothèse d’une promesse unilatérale de
vente, d’être transféré à ses ayants droit n’était entré dans son patrimoine ».
19. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 8 juillet 1975, Bull. civ. III, no 49 ; Gaz. Pal.
1975.II.781 : « Le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente est fondé à invoquer contre une
personne même étrangère à cette promesse, soit la fraude à laquelle celle-ci se serait associée, soit
seulement la faute dont elle se serait rendue coupable en acceptant d’acquérir un immeuble qu’elle
savait faire l’objet de la promesse ».
20. Cass. civ. 1re, 12 juin 1954, JCP G 1954.II.8225 ; en l’espèce, il s’agissait d’un pacte de préfé-
rence que n’avait pas respecté une vente postérieure : « L’annulation de la vente critiquée n’est pour
eux qu’une faculté et non une obligation ». La règle eût été la même si l’avant-contrat méconnu avait
été une promesse unilatérale de vente.
21. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 22 février 1977, Bull. civ. III, no 91 ; D. 1978.165, n.
Ph. Malaurie ; JCP G 1979.II.13233, n. M. Dagot ; Defrénois 1977, art. 31522, no 91, obs. J.-L. Aubert :
jugé que le seul fait d’avoir publié la promesse ne suffit pas à la rendre opposable à un créancier
hypothécaire qui a inscrit postérieurement son titre : il faut avoir « usé de la faculté prévue par l’arti-
cle 37-2 D. du 4 janvier 1955 en publiant, soit la demande en justice tendant à obtenir la réalisation en
la forme authentique de la vente parfaite entre les parties, soit un procès-verbal notarié constatant le
défaut ou le refus de Brice Maurel (le promettant) de procéder à ladite réalisation, soit une déclaration,
par acte notarié, de sa volonté d’exiger la réalisation de la promesse » ; cf. infra, no 146, pour le pacte
de préférence.
22. V. L. AYNÈS, n. D. 2011.851, sous Cass. 3e civ., 12 janv. 2011.
23. Cass. civ. 1re, 10 mai 2005, RDC 2005.1074, obs. Fr. Collart-Dutilleul ; n.p.B. : « La prorogation
du délai d’option d’une promesse unilatérale de vente ne peut pas être prouvée par un témoignage,
même si celui-ci émane du notaire rédacteur du contrat. » La prorogation ne produit d’effets que si en
sont respectées les conditions ; ainsi, une levée d’option faite purement et simplement après l’expira-
tion du délai initialement convenu est caduque, même si une prorogation conventionnelle du délai
avait été consentie en ayant été subordonnée à la remise des documents nécessaires à l’établissement
de l’acte authentique de vente et que ces documents n’aient pas été remis dans le délai prorogé.
24. Cass. civ. 3e, 15 juin 1982, Defrénois 1982, art. 32972, no 100, p. 1631, obs. G. Vermelle ; infra,
no 117.
88 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
En principe, la durée de l’option est fixée par les parties26. Il se peut cependant qu’elle soit
indéterminée ; trois règles s’appliquent alors : 1o le promettant peut, après un délai raisonnable,
mettre en demeure le bénéficiaire de choisir, après un délai également raisonnable : sorte de
préavis pour la résiliation d’un contrat à durée indéterminée. 2o Tant que le promettant n’a
pas mis le bénéficiaire en demeure, celui-ci dispose d’un délai qui expire au plus tard cinq ans
après la promesse (ou le moment où il aurait dû l’exercer : art. 2224) ; comme tout droit person-
nel, l’option de durée indéterminée s’éteint par la prescription quinquennale ; elle n’est pas sou-
mise à la règle contra non valentem, car l’exercice de l’option est possible dès la promesse, ce
qui est différent dans le pacte de préférence. 3o Les tribunaux peuvent induire de circonstances
particulières que le bénéficiaire a renoncé à l’acquisition27.
En outre, afin de lutter contre la dissimulation d’une partie du prix de la vente à intervenir28,
l’article 1589-2 impose à peine de nullité29 l’enregistrement de la promesse sous signature
privée30 de vente d’immeuble, de fonds de commerce ou de certains droits sociaux dans les
sociétés immobilières, dans les dix jours de son acceptation31. Il en est de même des cessions
sous signature privée de ces promesses. La promesse de vente est ainsi devenue un acte solennel
lorsqu’elle a pour objet un des biens énumérés par ce texte.
La jurisprudence, par hostilité au formalisme, interprète strictement cette disposition qui est
souvent une prime à la mauvaise foi : elle ne l’étend ni aux promesses d’achat, ni aux promesses
25. Ex. : Cass. civ. 1re, 24 janvier 1995, Bull. civ. I, no 53 ; JCP G 1995.IV.751 (pour le Bull., ce
moyen est « sans intérêt ») : « En admettant qu’un délai eût été fixé dans la promesse de vente pour
lever l’option, les vendeurs y avaient renoncé et la vente était devenue parfaite par suite de l’intention
clairement exprimée par le bénéficiaire de réaliser la vente, en réglant l’intégralité du prix en plusieurs
versements acceptés par le vendeur ».
26. Lorsqu’elle est de dix-huit mois, porte sur un immeuble et est consentie par une personne phy-
sique. infra, nos 115 et 122.
27. Ex. : Cass. civ. 3e, 24 avril 1970, Bull. civ. III, no 279 ; RTD civ. 1971.133, obs. Y. Loussouarn :
« Aucun délai n’ayant été stipulé pour lever l’option, (le promettant) ne pouvait rétracter ses engage-
ments sans mettre en demeure préalablement (le bénéficiaire) d’accepter ou de refuser l’achat de l’im-
meuble dans un délai déterminé ou bien de prouver sa renonciation à se prévaloir de la promesse ».
28. Ex. : le prix stipulé dans la promesse sous signature privée serait plus important que celui qu’in-
dique l’acte de vente authentique, donc enregistré. De même, le prix de cession passerait inaperçu, si
la cession sous signature privée n’avait pas été enregistrée.
29. Ex. : Cass. civ. 3e, 2 juin 1993, Bull. civ. III, no 80 ; Contrats, conc. consom. 1993.189,
n. L. Leveneur : « L’omission de cette formalité rend la promesse, frappée de nullité, insusceptible
d’être établie par quelque mode de preuve que ce soit ».
30. Cass. civ. 1re, 19 février 1991, Bull. civ. I, no 65 ; Defrénois 1991, art. 35077, no 58, obs.
G. Vermelle ; jugé qu’une promesse de vente constatée par un acte d’huissier n’est pas un acte authen-
tique car cet acte ne vaut « qu’à titre de simples renseignements » et est donc nulle si elle n’a pas été
enregistrée dans les dix jours.
31. Il s’agit, là encore, de l’acceptation de la promesse par son bénéficiaire, non de la levée de
l’option, qui n’aurait aucun sens. Ex. : Cass. com., 15 décembre 1987, Bull. civ. IV, no 274 ; JCP G
1990.II.15702 ; lorsque la promesse est faite sous condition, le point de départ du délai est celui de
l’acceptation de la promesse : « La réalisation de la condition suspensive a pour effet de faire rétroagir
le contrat à la date de l’acceptation ».
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 89
32. Largement comprises : ex. : Cass. civ. 3e, 5 juillet 1995, Bull. civ. III, no 175 ; JCP G
1996.II.22659, n. Y. Dagorne-Labbé ; en l’espèce, le bénéficiaire de la promesse s’était engagé à se
désister d’une action qu’il avait engagée contre des enfants du promettant ; jugé que l’obligation
qu’il avait ainsi prise suffisait à retirer son caractère unilatéral à la promesse ; le fait que le bénéficiaire
eut promis une indemnité d’immobilisation ne suffirait pas à retirer à la promesse son caractère unila-
téral : infra, no 123.
33. Pour qu’il y ait « un ensemble contractuel », il faut un lien de dépendance entre les différents
contrats : Cass. com., 15 janvier 2002, Bull. civ. IV, no 12 ; Defrénois 2002.765, note E. Savaux : cassa-
tion de l’arrêt qui avait refusé d’appliquer l’article 1589-2 à une promesse unilatérale s’inscrivant
apparemment dans un ensemble contractuel (cession de fonds de commerce, location et vente de
l’immeuble qui l’abrite), car il n’a pas recherché « s’il existait un lien de dépendance nécessaire entre
ces diverses obligations réciproques, susceptibles de modifier les caractéristiques de la promesse ».
34. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 mars 2003, Bull. civ. III, no 71 ; D. 2003.2197, n. P. Lipinski ; Defrénois 2003.
841, n. E. Savaux ; en l’espèce, dans une transaction avait été stipulée une promesse unilatérale de
vente ; à la demande du promettant, la cour d’appel l’annula, car elle n’avait pas respecté les formalités
prévues par l’article 1589-2 ; cassation : la cour d’appel avait relevé que l’accord dont la promesse était
un élément « constituait une transaction comportant des concessions réciproques des parties » : la pro-
messe se fondait dans la transaction. Confirmant cette position : * Cass. Ass. plén., 24 février 2006,
Soparco, Bull. civ. Ass. plén.., no 1 ; JCP G 2006.II.10065, avis J. Cedras ; Defrénois 2006.973, obs.
S. Becqué ; D. 2006.2057, chron. S. Chassagnard-Pinet et jur. 2076, n. Chr. Jamin ; RDC 2006.689, obs.
Y.-M. Laithier, rendu dans la même affaire : la promesse « n’est qu’un élément » de la transaction.
35. Cass. civ. 3e, 27 mai 1987, Bull. civ. III, no 111 : « La possibilité pour le bénéficiaire d’une pro-
messe de vente de se substituer un tiers, n’ayant pas pour effet de retirer à la promesse elle-même
son caractère unilatéral et de la dispenser de l’obligation d’enregistrement, la cour d’appel a justement
retenu que son enregistrement hors délai entraînait sa nullité ».
36. Cass. civ., 31 janvier 1866, DP 1866.I.69 ; S. 1866.I.152 : « Rien ne s’oppose à ce qu’une pro-
messe de vente devienne l’objet de cession. »
37. Ex. : la formule suivante : « Le bénéficiaire aura la faculté de se substituer toute personne phy-
sique ou morale dans les droits résultant à son profit de la présente promesse, mais sous réserve que
cette substitution n’entraîne aucune modification dans les conditions et délais de réalisation ». Ce qui
est conforme à la position adoptée sur la théorie générale de la cession de contrat par la Cour de
cassation : le consentement du cédé doit être donné, mais il peut l’être par avance : Cass. civ. 1re,
6 mai 1997, 2 arrêts, D. 1997.588, n. Billiau et Jamin ; comp. L. AYNÈS, D. 1998, chron. 25.
38. Il devrait rembourser cette indemnité au cédant, si celui-ci l’avait payée. Ce remboursement est
distinct du prix de cession que peut exiger le cédant. Lorsque le cédant est un marchand de biens, la
cession de promesse lui évite de se « titrer », donc de payer le prix de vente, avant de revendre. Le prix
de cession constitue sa rémunération ; mais il risque de faire apparaître le cédant comme un agent
immobilier (infra, no 522).
39. I. NAJJAR, D. 2000, chron. 635 ; E. JEULAND, Essai sur la substitution de personnes dans un rapport
d’obligation, LGDJ, 1999 ; G. PILLET, La substitution de contractant, th. Paris I, LGDJ, 2004 ; v. SOUBISE,
« La transmission, par substitution de bénéficiaire, des droits conférés par une promesse de vente », D.
1994, chron. 237 (qui y voit une délégation) ; Ph. BRUN, « Nature juridique de la clause de substitution
dans le bénéfice d’une promesse unilatérale de vente : une autonomie de circonstance ? », RTD civ.
1996, 29 et s ; M. BEHAR-TOUCHAIS, « Retour sur la clause de substitution », in Études L. Boyer, Toulouse,
1996, p. 85 et s.
90 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
40. Cass. civ. 3e, 2 juillet 1969, Bull. civ. III, no 541 ; D. 1970.751 et Defrénois 1970, art. 29469,
p. 36, obs. crit. J.-L. Aubert.
41. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 17 avril 1984, Bull. civ. III, no 87 ; D. 1985.234,
n. I. Najjar ; Defrénois 1984, art. 33432, no 118, p. 1490, obs. G. Vermelle ; RTD civ. 1985.177, obs.
crit. Ph. Rémy.
42. Jurisprudence plusieurs fois réitérée ; ex. Cass. civ. 3e, 12 avril 2012, no 11-14279, Bull. civ. III
no 60 ; JCP G 2012, 760, v. Y. Dagorne-Labbé ; Defrénois 2012.611, n. C. Grimaldi ; RDC 2012.
1217, obs. J. Klein et 1241, obs. Ph. Brun : « Le fait pour les bénéficiaires d’un compromis de vente
de se substituer un tiers, ne constituait pas une cession de créance et n’emportait pas obligation d’ac-
complir les formalités de l’art. 1690 C. civ. ».
43. * Cass. civ. 3e, 27 avril 1988, sté Safranado, Bull. civ. III, no 83 ; D. 1989.65, n. I. Najjar ; Defré-
nois 1988, art. 34384, no 127, p. 1465, obs. G. Vermelle : « L’exercice, par le bénéficiaire d’une pro-
messe unilatérale de vente, de la faculté qui lui a été reconnue de se substituer une autre personne,
n’ayant pas le caractère d’une cession de créance, la cour d’appel, qui a constaté que M. B., bénéfi-
ciaire substitué, avait rétracté son acceptation, a pu retenir [...] que la qualité de Mme S. (la bénéfi-
ciaire originaire) pour lever l’option n’était pas douteuse ».
44. * Cass. civ. 3e, 28 juin 2006, époux Gomès, Bull. civ. III, no 166 ; D. 2006.2439,
n. M. Behar-Touchais ; Defrénois 2006.1851, n. E. Savaux ; RDC 2006.1096, obs. I. Dauriac ; Lamy
dr. civ. novembre 2006.5, chron. H. Kenfack ; JCP G 2007.II.10015, n. G. Pillet : cassation de l’arrêt
qui annule une promesse comportant une faculté de substitution, en considérant que l’acheteur pou-
vant transférer son droit à un tiers, n’était pas obligé, de sorte que la promesse serait unilatérale, « alors
que la faculté de substitution stipulée dans une promesse de vente est sans effet sur le caractère unila-
téral ou synallagmatique du contrat (et que la cour) avait constaté que l’acte comportait des engage-
ments réciproques ».
45. * Cass. civ. 1re, 14 décembre 1982, sté Acofra, Bull. civ. I, no 360 ; D. 1983.416, n. L. Aynès : « La
cession d’un contrat synallagmatique permet au cédé de poursuivre directement le cessionnaire qui
est tenu envers lui en vertu du contrat transmis ; en l’espèce, adoptant les motifs du tribunal, la cour
d’appel a, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, estimé que la société l’Arche
avait cédé à la société Acofra l’ensemble des droits et obligations nés du contrat du 6 mai 1971 qui
la liait à M. Acquaviva ».
46. Droit des obligations, coll. Droit civil ; contra : * Cass. civ. 3e, 27 avril 1988, sté Safranado,
préc. ; L. AYNÈS, La cession de contrat, th. Paris II, Economica, préf. Ph. Malaurie, no 304.
47. Cass. civ., 31 janvier 1866, préc.
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 91
117. 1º Levée de l’option. – L’option ne peut être levée que pendant la durée
pour laquelle elle a été consentie ; passé ce délai49, elle devient caduque.
La levée de l’option manifeste la volonté d’acquérir et forme donc la vente.
C’est à cette date 1º que le bénéficiaire doit être capable d’acquérir ; 2º doit être
évalué l’immeuble en cas de rescision pour lésion et 3º part le délai de l’action en
rescision. La formation de la vente ne rétroagit pas au jour de la promesse, car le
bénéficiaire n’avait pas encore consenti à acquérir ; mais elle peut être soumise à
une condition suspensive.
Lorsque la chose promise a été détruite par cas fortuit entre la promesse et la vente, la pro-
messe devient caduque et le bénéficiaire est libéré de toute obligation, notamment de payer une
indemnité d’immobilisation50. Si elle n’a été que partiellement détruite, lorsqu’il s’agit d’un
immeuble bâti, demeure toujours le sol ; peut-il exiger la conclusion de la vente et le paiement,
le cas échéant, de l’indemnité d’assurance versée au promettant ? Une décision l’a admis, appli-
quant l’article 1303 (devenu l’art. 1351-1)51.
S’il existe sur la chose un droit de préemption qui est exercé, la promesse devient caduque52.
57. Cass. civ. 3e, 12 janvier 1994, D. 1995.52, n. F. Macorig-Venier ; en l’espèce, le bénéficiaire,
dès le jour de la promesse, avait été « mis en possession réelle » (?) de l’immeuble ; il avait alors
consenti un bail à un tiers après la levée de l’option, bien que le transfert de propriété fût retardé.
Jugé que le bail était valable.
58. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 juin 1996, Bull. civ. III, no 165 ; D. 1997, chron. 119, I. Najjar et somm.
169, obs. D. Mazeaud.
59. Ex. : Cass. civ. 1re, 15 novembre 1994, Bull. civ. I, no 334 : l’acquéreur dont la vente n’a pas été
réalisée par la faute du promettant doit être indemnisé de la perte des bénéfices escomptés.
60. En matière immobilière, le bénéficiaire est protégé contre les aliénations que pourrait consentir
le vendeur pendant la durée du litige par la prénotation (D. 4 janvier 1955, art. 37-2).
61. Jurisprudence souvent réitérée depuis * Cass. civ. 3e, 15 décembre 1993, cons. Cruz,
Bull. civ. III, no 174 ; D. 1994.507, n. Fr. Bénac-Schmidt ; somm. 230, obs. O. Tournafond ; D. 1995,
somm. 87, obs. crit. L. Aynès ; JCP G 1995.II.22366, n. crit. D. Mazeaud ; Defrénois 1994, art. 35845,
no 61, obs. crit. Ph. Delebecque : « Tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obliga-
tion de la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et la levée d’option, postérieure à la
rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’ac-
quérir ».
62. V. toutefois D. MAINGUY, RTD civ. 2004.14 et JCP G 2012, no 808 ; M. FABRE-MAGNAN, RDC 2012.
633. Et plus généralement, le débat pour et contre sur ce point ib., p. 617 s.
63. * Cass. civ. 3e, 11 mai 2011, no 10-12875, Bull. civ. III no 77 ; D. 2011.1457, n. D. Mazeaud et
D. Mainguy ; Defrénois 2011. 1023, n. L. Aynès ; JCP N 2011.1163, rap. M. Rouzet ; Dr. et patr. févr.
2012, p. 69 s., n. Ph. Stoffel-Munck ; Contrats, conc. consom. 2011, no 186, n. L. Leveneur ; RDC
2011. 1133, n. Y.-M. Laithier et 1259, n. Ph. Brun : « la levée de l’option par le bénéficiaire de la pro-
messe postérieurement à la rétractation excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre
et d’acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée » (le bénéficiaire a levé l’option
dans le délai requis, mais après la rétractation, l’ayant droit du promettant ayant exercé une action en
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 93
promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du
contrat promis ».
L’indemnité d’immobilisation ne peut donc être modifiée par les tribunaux en vertu de l’arti-
cle 1231-5, alinéa 2 (ancien art. 1152), à la différence de la clause pénale68. Cependant le béné-
ficiaire conserve son indemnité (ou doit être remboursé) lorsque son refus de lever l’option est
justifié, par exemple en raison d’un vice de la chose ou d’un défaut de conformité69.
L’article L. 271-2 du Code de la construction et de l’habitation, interdit la perception d’une
indemnité avant l’expiration d’un délai de sept jours, délai pendant lequel l’acquéreur non pro-
fessionnel doit pouvoir librement se rétracter (art. L. 271-1)70. En outre, l’article 1589-1 frappe de
nullité tout « engagement unilatéral souscrit en vue de l’acquisition d’un bien [...] pour lequel il
est exigé ou reçu de celui qui s’engage un versement, quelle qu’en soit la cause ou la forme »,
règle ayant pour but d’éviter les pratiques de certains agents immobiliers.
Lorsqu’elle résulte d’une promesse consentie par une personne physique sur un immeuble,
pour une durée de dix-huit mois, le montant de l’indemnité ne peut être inférieur à 5 % du
nullité de la promesse). La chambre commerciale lui a emboîté le pas pour les promesses de cession
de droits sociaux : Cass. com., 13 sept. 2011, no 10-19526, D. 2012.130, n. A. Gaudemet ; RTD civ.
2011.758, obs. B. Fages. De même, le Conseil d’État : CE, 2 avr. 2015, D. 2015. 869.
64. B. BOCCARA, « De la notion de promesse unilatérale », JCP G 1970.I.2357 bis.
65. Cass. civ. 1re, 5 décembre 1995, Bull. civ. I, no 452 ; Defrénois 1996, art. 36.354, no 62, obs.
D. Mazeaud : « L’indemnité d’immobilisation, stipulée dans une promesse unilatérale de vente
comme acquise au promettant en cas de défaut de réalisation de la vente, constitue le prix de l’exclu-
sivité consentie au bénéficiaire de la promesse ».
66. Cass. civ. 3e, 5 décembre 1984, Bull. civ. III, no 208 ; D. 1985.544, n. F. Bénac-Schmidt ; JCP G
1986.II.20555, n. G. Paisant ; Defrénois 1986, art. 33653, n. J.-M. Olivier ; RTD civ. 1985.372, obs.
J. Mestre, 592, obs. Ph. Rémy : « la stipulation d’une indemnité d’immobilisation au profit du promet-
tant ne constitue pas une clause pénale ».
67. Cass. civ. 3e, 24 septembre 2008, Bull. civ. III, no 139, Dr. et patr. juin 2009, chr., obs. L. Aynès :
la somme d’argent était due par le bénéficiaire s’il faisait obstacle au jeu de la condition d’obtention
du prêt ; jugé que la stipulation « fût-elle improprement qualifiée d’indemnité d’immobilisation, avait
pour objet de faire assurer par l’acquéreur l’exécution de son obligation de diligence » dans la
demande de prêt ; la somme d’argent a alors un caractère comminatoire.
68. Cass. civ. 3e, 5 décembre 1984, Bull. civ. III, no 207 ; D. 1985.547, n. J. Bénac-Schmidt ; RTD
civ. 1985.594, obs. Ph. Rémy : « Les sommes versées par lui (le bénéficiaire d’une promesse unilatérale
de vente) n’étaient pas destinées à assurer l’exécution d’une convention » ; cassation de l’arrêt qui
avait appliqué l’art. 1152, al. 2 (devenu l’art. 1231-5).
69. Cass. civ. 3e, 28 janvier 1987, Bull. civ. III, no 13.
70. V. J.-F. SAGAUT, RDC 2009. 1587.
94 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
prix et doit être consigné chez le notaire ou garanti par une caution (CCH, art. L. 290-2,
L. 25 mars 2009).
123. Qualification de la promesse. – On s’est demandé si l’existence d’une indemnité d’im-
mobilisation ne transformait pas la promesse unilatérale en promesse synallagmatique. Ce qui
aurait eu au moins deux conséquences ; l’une, sur la preuve : la preuve de la promesse synallag-
matique est soumise à la règle du double original (art. 1375, ancien art. 1325). L’autre, sur sa
validité : la promesse sous signature privée non enregistrée dans les dix jours n’est nulle que si
elle est unilatérale (art. 1589-2)71 ; inversement, la promesse de cession d’un fonds de commerce
n’est soumise aux mentions informatives du cessionnaire que si elle est synallagmatique72.
La promesse demeure unilatérale en dépit de l’indemnité d’immobilisation, car les obligations
du promettant et du bénéficiaire ne sont pas « symétriques »73 : celui-ci ne s’est pas obligé à
acheter. Peu importe pour certains auteurs le montant de l’indemnité, même si son importance
oblige, en fait, le bénéficiaire à acheter74.
(l’acheteur, en dépit du refus de crédit, avait continué comme si de rien n’était et n’en avait même pas
informé le vendeur).
79. Cass. civ. 3e, 12 avril 1995, Bull. civ. III, no 111 ; D. 1996.286, n. crit. O. Staes.
80. Il devra alors conclure aux conditions initialement prévues ; par exemple, il ne pourra réclamer
la conclusion du contrat avec une réduction du prix, au cas où la non réalisation serait imputable à
faute au vendeur : Cass. civ. 3e, 31 mars 2005, Bull. civ. III, no 82 ; JCP G 2005.II.10157, n. H. Kenfack ;
en l’espèce, la promesse était subordonnée à l’obtention d’un certificat d’urbanisme qui fut refusé ; la
cour d’appel débouta le bénéficiaire qui voulait néanmoins conclure les ventes, « sous réserve d’une
réduction de prix en réparation du préjudice résultant du dol du vendeur » ; rejet du pourvoi.
81. Cass. civ. 3e, 23 juin 2010, Bull. civ. III, no 133 ; Defrénois 2011.245, chr. M. Dagot ; JCP N
2010, no 1320, no 7, obs. S. Piedelièvre ; JCP E 2010, no 1870, n. L. Leveneur ; Contrats, conc. consom.
2010, no 221, m. n. ; Dr. et patr. 2011.641, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RTD civ. 2010.551, obs. B. Fages ;
RTD com. 2010.795, obs. D. Legeais : « une offre préalable de crédit conforme aux dispositions du
Code de la consommation, qui ne sont exigées que pour la protection de l’emprunteur, n’est pas
nécessaire pour la réalisation de la condition suspensive d’obtention du prêt [...] ; la formule d’usage
“sous réserve de prise de garanties et des assurances” ne rendant pas cet accord conditionnel et ne
portant pas atteinte à son caractère ferme ».
82. Ex. : « Dans les rapports entre le promettant et le bénéficiaire, le prêt sera considéré comme
obtenu lorsque les deux conditions suivantes seront cumulativement remplies : 1) Le bénéficiaire
aura reçu de l’établissement ou des établissements prêteurs une offre ou des offres de prêt formulées
(conformément au C. consom.) Le prêt ou les prêts répondront aux caractéristiques sus énoncées. La
demande de réalisation du bénéficiaire ne pourra avoir lieu que dix jours après la dernière en date des
offres de prêt, délai de réflexion imposé par (le code) pour l’acceptation de l’offre de prêt par l’em-
prunteur ».
83. Cass. civ. 1re, 17 novembre 1998, Bull. civ. I, no 324 ; Contrats, conc. consom. 1999, comm.
no 19, n. L. Leveneur.
84. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 1re, 19 juin 1990, Bull. civ. I, no 175 ; en l’espèce, la
cour d’appel avait accordé au promettant l’indemnité d’immobilisation stipulée dans une promesse
de vente ; il faut « que le bénéficiaire d’une promesse de vente ait fait le nécessaire pour obtenir les
96 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Si le prêt est obtenu et que le bénéficiaire ne veut pas lever l’option, il perd son
indemnité d’immobilisation89 ; au contraire, si le prêt n’est pas obtenu, l’indemnité
doit être remboursée, quelles que soient les clauses stipulées ou les circonstances
dans lesquelles le prêt n’a pas été obtenu90.
crédits en temps voulu » ; or celui-ci n’avait « accompli aucune démarche pendant la prorogation de
la promesse, se bornant à former une demande de prêt auprès d’une banque le jour de l’expiration du
délai ». Rejet du pourvoi.
85. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 3e, 30 avril 1997, Bull. civ. III, no 95 ; D. Aff. 1997.696 ;
Defrénois 1997.1014, n. D. Mazeaud : la cour d’appel « a constaté qu’aucun acte de prêt n’avait été
formalisé au terme convenu de 20 avril 1987 a pu en déduire que la condition devait être considérée
comme défaillie et que les époux Plazen ne pouvaient plus exiger que l’acte de vente devenu caduc,
fût réitéré ».
86. Cass. civ. 3e, 24 septembre 2008, cité supra no 122.
87. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 septembre 2007, no 06-15640, Bull. civ. III, no 143 ; D. 2008.329,
n. A.-C. Martin ; JCP G 2008.II.10116, 1re esp., n. Bl. Mallet-Bricout ; Defrénois 2007.1744, obs.
E. Savaux ; RTD civ. 2007.770, obs. B. Fages ; en l’espèce, il avait été prévu que le prêt à l’obtention
duquel était subordonnée la vente aurait dû être d’une durée de quinze ans ; or l’acquéreur ne l’avait
pas sollicité ; la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir refusé de constater la réalisation
de la condition en raison de la faute de l’acquéreur, en constatant que la banque aurait de toute façon
refusé le prêt, compte tenu de la situation financière de l’acquéreur-emprunteur.
88. Cass. civ. 1re, 9 mai 1996, Bull. civ. I, no 190 ; D. 1996, IR, 148 : « La clause de la promesse de
vente qui lui (le bénéficiaire-emprunteur) imposait la signification au vendeur de la non-obtention du
prêt dans le délai légal faisait échec aux dispositions d’ordre public de la loi du 13 juillet 1979 ».
89. Cass. com., 31 janvier 1989, Bull. civ. IV, no 47.
90. Cass. civ. 3e, 9 novembre 1988, Bull. civ. III, no 189 ; JCP G 1989.II.21296 ; en l’espèce, l’ache-
teur avait subordonné son achat à l’obtention de deux prêts ; l’un lui fut refusé, et le vendeur proposa
de se substituer au prêteur pour accorder le crédit ; la cour d’appel jugea que le refus de l’acheteur de
conclure la vente était « abusif ». Cassation : « Les parties n’étaient pas convenues d’un autre mode de
financement susceptible de se substituer au prêt refusé ».
91. Ex. : Affiliation : Cass. com., 16 février 1993, Bull. civ. IV, no 60 : une société « s’affilie » à une
autre en prévoyant que l’affiliée s’engage à acquérir de façon prioritaire à l’affiliant toutes les marchan-
dises nécessaires à son exploitation.
92. Les promesses unilatérales d’achat d’actions à un prix plancher sont valables : Cass. com.,
16 novembre 2004, Bull. civ. IV, no 197.
93. * Cass. civ., 25 novembre 1896, aff. Hollier-Larousse, DP 1897.I.34 : « Une promesse d’achat
dont il a été régulièrement pris acte oblige celui qui l’a faite, alors même que la partie envers laquelle
elle est contractée ne s’est point obligée à vendre, et que la réalisation du contrat est subordonnée à sa
volonté ».
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 97
suspensives, etc.)94. Elle échappe à l’article 1589-295. Pour des acquisitions immobilières, l’ac-
quéreur non professionnel, jouissant d’un droit de rétractation, ne saurait être tenu de procéder
à un versement anticipé (art. 1589-1)96.
Parfois, dans les promesses croisées, les parties concluent une promesse unilatérale de vente
et une promesse unilatérale d’achat du même bien. L’un promet de vendre si l’autre achète,
l’autre promet d’acheter, si le premier vend : une vente définitive paraît alors formée97. Il se
peut, cependant, que les parties aient voulu différer la formation de la vente jusqu’au moment
où l’une d’elles exercerait son option ; si aucune des deux ne lève l’option dans le délai
convenu, les promesses sont caduques98. Si l’une d’elles lève l’option, l’autre est engagée,
même si elle a renoncé à la sienne.
SECTION II
PROMESSE SYNALLAGMATIQUE
94. Ex. : Cass. civ. 3e, 13 mai 1998, D. 1999. somm. 10, obs. O. Tournafond (promesse devenue
caduque, option non levée par le vendeur, condition suspensive non réalisée).
95. Cass. civ. 3e, 18 mars 1975, Bull. civ. III, no 112 : « L’article 1840 A., CGI [aujourd’hui C. civ.
1589-2], qui ne vise que les promesses unilatérales de vente, laisse en dehors de son champ d’appli-
cation les promesses d’achat. »
96. Cass. com., 14 janvier 2014, nº 12-29071, npB : une promesse d’achat et une promesse de
vente d’actions dans des termes identiques ne constituent pas une vente parfaite si le bénéficiaire a
déclaré accepter la promesse « en tant que telle si bien qu’elle n’emporte, pour lui, aucune obligation
d’achat ». Supra, no 122.
97. Cass. com., 22 novembre 2005, Lavaud, Bull. civ. IV, no 234 ; D. 2006, AJ 149, n. A. Lienhard et
2006, Pan. 2639, n. crit. S. Amrani Mekki, chron. crit. J. Mouly, p. 2793 ; Defrénois 2006.605, obs.
crit., R. Libchaber ; RDC 2006.383, obs. Ph. Brun et 1095 obs. crit. A. Bénabent ; RTD civ. 2006.302,
obs. J. Mestre et B. Fages ; Dr. et patr., octobre 2006, p. 30, chron. crit. C. Grimaldi : « l’échange d’une
promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagma-
tique de vente valant vente définitive, dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet
et qu’elles sont stipulées dans les mêmes termes » ; la plupart des commentateurs se sont montrés cri-
tiques, d’abord du fait de la méconnaissance de la volonté des parties, ayant utilisé les promesses
croisées pour ne pas s’engager définitivement, ensuite parce qu’un délai de levée d’option avait été
stipulé et était expiré dix ans avant que l’une d’elles en réclame l’exécution.
98. Comp. Cass. com., 22 novembre 2005, préc.
99. Conséquence : si le promettant a fait l’objet d’une liquidation judiciaire avant la réitération,
celle-ci est « sans effet » sur la promesse et le juge-commissaire ne saurait céder le bien à un tiers,
fût-ce à un meilleur prix : Cass. com., 7 mars 2006, Bull. civ. IV, no 63 ; D. 2006, AJ 859, obs.
A. Lienhard.
100. Supra, no 100.
98 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
vente, parce que la conclusion définitive de la vente n’est pas encore possible, ou
que la vente ne doit pas immédiatement produire ses effets. Les parties concluent
alors une promesse synallagmatique ou une vente sous condition suspensive101 de
l’événement futur, qui la rendra définitive.
Cette pratique suscite un abondant contentieux, parce qu’elle utilise une même expression,
« la condition suspensive », pour régir des situations différentes, parfois opposées. Tantôt, les
effets de la vente rétroagissent au jour de la promesse ; tantôt, ils sont simplement différés ; tan-
tôt, c’est la formation de la vente qui dépend d’un événement futur : la promesse de vente n’est
alors qu’un projet, surtout si la survenance de l’événement dépend du bon vouloir des parties.
Des distinctions s’imposent.
En droit civil, une condition est un événement futur et incertain suspendant l’existence d’une
obligation. Comme on ne peut en même temps s’obliger et ne pas s’obliger, seul un événement
ne dépendant pas des parties peut constituer une condition, car lui seul est incertain. Si l’événe-
ment mis en « condition » est l’exercice par les parties d’un acte de volonté – telle la réitération
de la promesse par acte authentique ou le paiement du prix –, l’acte n’est pas conditionnel et
peut avoir deux significations, selon la volonté des parties. Ou bien, elles se sont engagées à
exécuter cet acte ; l’événement n’est pas incertain, puisqu’elles peuvent y être contraintes ; il
constitue un terme. Ou bien, il s’agit d’un simple projet, qui n’est pas obligatoire.
Lorsque la promesse a pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage
d’habitation au bénéfice d’un non-professionnel, celui-ci dispose d’un droit de rétractation de
sept jours à compter de la notification de l’acte102 ; lorsque la vente est conclue par un acte
authentique, l’acheteur bénéficie non d’une faculté de rétractation, mais d’un délai de réflexion ;
aucune somme ne pourra être perçue par le vendeur dans l’intervalle (CCH, art. L. 271-1 et 2)103.
101. Rarement sous condition résolutoire, pour une raison fiscale : dans une vente sous condition
résolutoire, les droits de mutation sont immédiatement dus, car il y a mutation ; en outre, si la condi-
tion se réalise, de nouveaux droits sont dus, car il y a une nouvelle mutation en sens inverse. Au
contraire, dans une vente sous condition suspensive, les droits ne sont exigibles que s’il y a réalisation
de la condition : ils sont donc éventuels, suspendus, et ne sont payés qu’une fois.
102. La notification doit être faite (art. L. 271-1 al. 2) « par lettre recommandée avec demande
d’avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermina-
tion de la date de réception ou de remise » ; sur les formes de la notification supra, no 100.
103. Biblio. : Ph. PELLETIER, Defrénois 2001.205 ; O. RAULT, JCP G 2001.I.294 ; H. PÉRINET-MARQUET,
JCP G 2002.I.129. Le versement d’un acompte pourra cependant être fait entre les mains d’un agent
immobilier, qui devra les rendre au cas où le bénéficiaire se rétracterait effectivement.
104. Cass. civ. 3e, 7 juillet 1993, Bull. civ. III, no 111 ; D. 1994.597, n. J.-P. Clavier ; D. 1993, somm.
211, obs. A. Penneau.
105. Droit des obligations, coll. Droit civil. Rappr. * Cass. civ. 3e, 28 juin 2006, époux Gomès,
Defrénois 2006.251, supra, no 116 ; la faculté de substituer l’acquéreur n’ôte pas à la promesse son
caractère synallagmatique.
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 99
Quels qu’en soient les termes, les promesses synallagmatiques de vente consti-
tuent tantôt des ventes conditionnelles (§ 1), tantôt des ventes à terme (§ 2), excep-
tionnellement de simples projets (§ 3).
§ 1. VENTES CONDITIONNELLES
I. — Dispositions légales
La loi subordonne certaines ventes soit à une autorisation administrative, soit à
une condition suspensive.
106. Ex. : Cass. com., 15 février 1994, Bull. civ. IV, no 64 : « La déclaration prévue par les arti-
cles L. 574 et 575, C. santé publ. (auj. art. L. 5125-16 et L. 5125-17) ; (“tout pharmacien se proposant
d’exploiter une officine doit en faire la déclaration préalable à la préfecture où elle sera enregistrée”)
constitue une formalité préalable à l’exploitation et non à la cession d’une officine pharmaceutique ;
c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que l’omission dans l’acte de cession, de la stipulation
d’une condition suspensive relative à cette déclaration n’entraînait pas la nullité d’un tel acte ».
107. Cass. civ. 1re, 7 décembre 2004, Bull. civ. I, no 307 ; Contrats., conc. consom. 2005, comm.
no 60, n. L. Leveneur ; RDC 2005.681, obs. D. Mazeaud : « s’appliquent aux cessions d’officiers publics
ou ministériels, les règles de droit commun de la vente mobilière qui n’admettent pas la révision du
prix ».
108. Cass. civ. 1re, 16 juillet 1985, Bull. civ. I, no 224 : « Si le titulaire d’un office est libre d’exercer
son droit de présentation et de choisir son successeur jusqu’à la nomination d’un nouveau titulaire par
le garde des Sceaux, ce qui lui donne la faculté, jusqu’à cette nomination, de retirer une précédente
présentation pour la remplacer par une autre, une telle faculté n’exclut pas, conformément aux règles
du droit privé, l’obligation de réparer le dommage résultant de l’inexécution d’un engagement ».
109. Cass. civ. 3e, 18 mars 1974, Bull. civ. III, no 128 ; JCP G 1975.II.17947, n. Thuillier ; Defrénois
1974, art. 30727, obs. Frank : « Toute promesse de vente ou de location, toute vente ou location de
100 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
II. — Convention
terrains bâtis ou non bâtis, compris dans un lotissement, ainsi que toute acceptation d’un acompte,
sont interdites avant l’arrêté d’autorisation du préfet ; toute inobservation des dispositions prévues par
la réglementation en matière de lotissement peut, à la requête des propriétaires ou du préfet, entraîner
la nullité, sauf pour les parcelles pour lesquelles le permis de construire a été accordé ».
110. Supra, no 124.
111. Cass. civ. 3e, 19 mai 1999, Bull. civ. III, no 120 ; Contrats, conc. consom. 1999, comm. no 141,
n. L. Leveneur ; D. 2000.692, n. I. Ardeef ; JCP G 2000. II.10336, n. J.-L. Elhoueiss : « La cour d’appel a
pu déduire de ce manquement de Mme Z. à son obligation de solliciter un prêt correspondant aux
caractéristiques définies dans la promesse de vente qu’elle avait empêché la réalisation de la condition
suspensive ».
112. Cass. civ. 3e, 24 septembre 2003, Bull. civ. III, no 164.
113. Cass. civ. 3e, 2 avril 1979, Bull. civ. III, no 85 ; D. 1980, IR, 103, obs. Martine : « Le défaut d’au-
torisation du cumul n’entraîne pas la nullité de la vente consentie à un acquéreur déjà exploitant ». Le
régime des « structures agricoles » s’est libéralisé (L. 23 janvier 1990).
114. Ex. : la loi soumet maintenant à une autorisation administrative la plantation de vignes. Dans
une espèce, il s’agissait de la vente d’un terrain destiné à la vigne ; bien qu’il en eût fait une condition
de son contrat, l’acheteur, par sa faute, n’obtint pas l’autorisation administrative de planter ; le contrat
demeura obligatoire parce que le vendeur n’avait pas à supporter les conséquences de la négligence
de son acquéreur (Cass. civ. 3e, 9 juillet 1980, Bull. civ. III, no 136 ; D. 1981, IR, 312, obs. J. Ghestin) ;
la solution eût pu aussi se fonder sur l’article 1178, ce qu’a fait expressément Cass. civ. 3e, 18 mars
1998, Contrats, conc. consom. 1998, no 85, n. L. Leveneur ; n.p.B.
115. Si l’acheteur est entré dans les lieux dès la promesse, il doit une indemnité d’occupation s’il
n’y a pas rétroactivité (Cass. civ. 3e, 12 mars 1974, Bull. civ. III, no 114), et n’en doit pas dans le cas
contraire (Cass. civ. 3e, 9 juin 1971, Bull. civ. III, no 365) ; le vendeur a droit aux loyers jusqu’à la réa-
lisation de la condition, s’il est stipulé que l’acheteur n’a droit à la jouissance de la chose qu’à partir de
cette date : Cass. civ. 3e, 19 juillet 1995, Bull. civ. III, no 209 ; Defrénois 1996, art. 36272, no 13, obs.
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 101
caduque et chaque partie peut s’en prévaloir116, sauf si l’inaccomplissement de la condition était
imputable à l’acquéreur117. Ou si elles conviennent d’une prorogation118. La caducité étant
objective, il n’y a ni responsabilité d’une des parties, ni indemnisation de l’autre119. Ces condi-
tions suspensives sont enfermées dans des délais déterminés ou dans un « délai raisonnable »120.
§ 2. VENTES À TERME
Ph. Delebecque ; pour l’incidence de la rétroactivité dans la communauté conjugale, v. Droit des régi-
mes matrimoniaux, coll. Droit civil.
116. Cass. civ. 3e, 29 mai 2013, no 12-17077, Bull. civ. III no 69, RTD civ. 2013. 592, obs. H. Barbier
(non obtention d’un prêt) ; Cass. civ. 3e, 13 juillet 1999, Bull. civ. III, no 179 ; D. Aff. 1999.1461 ; Defré-
nois 1999.1331, obs. D. Mazeaud ; JCP G 2000.I.215, n. G. Virassamy : permis de construire obtenu
hors délai ; le vendeur peut refuser de s’exécuter tout comme l’acheteur aurait pu le faire, « la défail-
lance d’une condition suspensive emporte caducité de la promesse synallagmatique de vente dont
peuvent se prévaloir les deux parties ».
117. Ex. : Cass. civ. 3e, 24 septembre 2008 ; D. 2008.2497, n. G. Forest ; Defrénois 2008.2290,
n. E. Savaux ; JCP G 2009.II.10016, n. Y. Dagorne-Labbé ; RDC 2009.60 obs. n. s. D. Mazeaud ;
Bull. civ. III, no 139 (l’acquéreur n’a pas procédé aux diligences requises, il doit payer l’indemnité
convenue, réductible selon le régime de la clause pénale).
118. Cass. civ. 3e, 29 mai 2013, préc.
119. Cass. com., 28 mai 2013, no 12-15339, n.p.B. ; RTD civ. 2013. 592, obs. H. Barbier (cassation
de l’arrêt qui a fait jouer une clause pénale, alors que le prêt n’avait pas été obtenu, sans faute de la
part de celui qui l’a sollicité).
120. Cass. civ. 3e, 20 mai 2015, nº 14-11851, Bull. civ. III à paraître ; RTD civ. 2015. 619, obs.
H. Barbier : pas d’obligation perpétuelle ; après plusieurs années, la promesse est caduque.
121. Cass. civ. 3e, 9 juin 1971, Bull. civ. III, no 362 : nonobstant leur accord sur la chose et sur le
prix, les parties peuvent décider que l’acquéreur n’aura la propriété de la chose cédée qu’à compter
du jour de la réalisation par acte authentique.
122. Cass. com., 27 juin 2000, Bull. civ. IV, no 132 ; Contrats, conc. consom. 2000, no 154,
n. L. Leveneur : vente de fonds de commerce non conforme à l’article L. 141-1, C. com. (le contrat ne
comportait pas les mentions obligatoires) : « L’acte authentique signé ultérieurement est exempt des
causes de nullité qui selon la société M., viciaient l’acte sous seing privé, les parties ayant maintenu
leur commune volonté alors qu’aucune cause de nullité n’affectait le nouvel acte, la société M. n’est
pas fondée, faute d’intérêt, à poursuivre l’annulation du compromis ».
123. Ex. : * Req., 4 mai 1936, sté F. et autres, DH 1936.313 : « L’énonciation dans un acte sous
seing privé portant accord sur la chose et sur le prix qu’un acte notarié sera ultérieurement dressé n’a
pour effet de subordonner la formation et l’efficacité du contrat à l’accomplissement de cette formalité
que s’il résulte clairement, soit des termes de la convention, soit des circonstances que telle a été la
volonté des parties ».
102 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
volonté de s’engager de manière irrévocable, mais le transfert de propriété est différé. La vente
est formée au jour de la promesse124.
137. Option : vente forcée ou résolution. – Si l’une des parties se dérobe à son obligation,
en ne payant pas le prix ou en refusant de signer l’acte authentique, l’autre dispose d’une option.
Ou bien, elle poursuit l’exécution forcée de la vente, sous astreinte (signature de l’acte) ou
obtient un jugement valant acte de vente, qui pourra être publié125, puis elle agit en paiement
et en dommages-intérêts contre l’acquéreur, sur lequel elle exerce des voies d’exécution. Ou
bien, au contraire, elle entend être dégagée de ses obligations et demande la résolution pour
inexécution de la vente, réclamant en outre des dommages-intérêts126 ; la résolution est la
seule issue si l’acheteur est insolvable ou est soumis à une procédure collective (sauvegarde,
redressement ou liquidation judiciaire), lorsque, en ce dernier cas, l’administrateur judiciaire
juge inopportune l’exécution du contrat127. L’échéance du terme sans « régularisation » de la
vente ni paiement du prix n’entraîne la caducité de la promesse que si les parties l’avaient
décidé128.
§ 3. SIMPLE PROJET
138. Exceptionnel. – Dans certains cas, les parties à la promesse synallagmatique ont
réservé leur engagement : elles avaient fait de la signature de l’acte authentique un événement
incertain ; en réalité, elles ne s’étaient pas engagées. La promesse synallagmatique n’était qu’un
projet, ou, ce qui revient au même, une vente sous condition potestative129.
L’analyse suppose une interprétation de volonté. Pour constater que l’acte ne constituait qu’un
projet, les juges du fond doivent relever que les parties ont entendu faire de la signature de l’acte
notarié la condition de leur engagement130, ce qui peut résulter de circonstances particulières131.
124. C’est à cette date que doit être appréciée la bonne ou la mauvaise foi de l’acquéreur, lorsque
la promesse viole un pacte de préférence ; ex. : Cass. civ. 3e, 25 mars 2009, nº 07-22027, Bull. civ. III,
o
n 68 ; Dr. et patr. juill-août 2009, p. 86, obs. L. Aynès ; RTD civ. 2009. 337, obs. P.-Y. Gautier ; RDC
2009. 991 obs. n. Y.-M. Laithier ; Defrénois 2010. 454, n. Y. Dagorne-Labbé : « La connaissance du
pacte de préférence et de l’intention de son bénéficiaire de s’en prévaloir s’apprécie à la date de la
promesse de vente, qui vaut vente et non à celle de sa réitération par acte authentique ».
125. E. DEBILY, L’exécution forcée en nature des obligations contractuelles non pécuniaires, th. Poi-
tiers 2002, nos 393 s. ; Cass. civ. 3e, 20 décembre 1994, Bull. civ. I, no 229 ; D. 1996, somm. 9, obs.
O. Tournafond ; RDI 1995.341, obs. Groslière et Saint-Alary-Houin ; cassation de l’arrêt qui avait
décidé que le vendeur ne pouvait être condamné qu’à des dommages-intérêts en se fondant sur le
motif erroné suivant : « Le vendeur n’est tenu envers l’acquéreur que d’une obligation de faire pouvant
se résoudre en dommages-intérêts ».
126. Jurisprudence constante ; ex. Cass. civ. 1re, 11 décembre 1963, Bull. civ. I, no 549 ; D.
1964.198. Mais le demandeur peut changer d’avis : Cass. civ. 3e, 25 mars 2009, 08-11326,
Bull. civ. III no 67 ; RDC 2009.1004, n. obs. Th. Genicon ; Defrénois 2009. 2319, n. E. Savaux.
127. Aix, 23 janvier 1965, JCP G 1965.II.14312, n. Deghilage.
128. Cass. civ. 3e, 18 février 2009, Bull. civ. III, no 47 ; Dr. et patr. juin 2009, chr., obs. L. Aynès : « le
terme fixé pour la signature de l’acte authentique n’était pas assorti de la sanction de la caducité de la
promesse » ; C. GRIMALDI, D. 2012.517.
129. Jurisprudence souvent réitérée ; ex. : Cass. civ. 3e, 19 juin 2012, no 10-22906 et no 10-24222,
n.p.B. ; RDC 2014. 54, obs. Ph. Brun ; v. Droit des obligations, coll. Droit civil.
130. Jurisprudence constante : ex. : * Cass. civ. 3e, 14 janvier 1987, dame Lebel-Orset, aff. du pein-
tre Steinler, D. 1988.80, n. J. Schmidt : « L’arrêt retient souverainement que les parties à l’acte du
13 novembre 1978 s’étaient, dès cette date, entendues sur la chose et sur le prix, et si elles ont prévu
l’entérinement de l’acte par un notaire, il ne résulte ni des dispositions de cet acte, ni des circonstances
de la cause qu’elles aient voulu faire de cette modalité accessoire un élément constitutif de leur
consentement » ; v. également sur cet arrêt : supra, no 98 et infra, no 203.
131. Ex. : Cass. civ. 3e, 11 décembre 1984, Bull. civ. III, no 212 : « L’arrêt retient souverainement que
le report de la vente et du transfert de propriété à la date de la signature de l’acte notarié s’expliquait
par le caractère particulier de l’acquisition effectuée dans un but d’utilité publique par une société
d’économie mixte dont la décision définitive était subordonnée à la réalisation de conditions adminis-
tratives et à l’obtention d’autorisations de la puissance publique et que les parties ont entendu subor-
donner le caractère parfait et définitif de la vente à la condition suspensive de la signature de l’acte
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 103
Passé le délai pendant lequel doit être réalisée la condition suspensive, la promesse devient
caduque132.
Cette situation est exceptionnelle, car elle peut faire le jeu d’un contractant de mauvaise foi et
tromper la confiance de son cocontractant. Sauf en cas de dédit, il est contradictoire de vendre
tout en se réservant la possibilité de ne pas vendre : protestatio non valet contra factum (traduc-
tion libre : il est impossible, par une réserve, d’empêcher un acte de produire ses effets ; traduc-
tion encore plus libre : toute volonté doit être cohérente).
SECTION III
CONTRAT PRÉLIMINAIRE
authentique ; la cour d’appel en a exactement déduit que le délai d’exercice de l’action en rescision
n’avait commencé à courir qu’à la date de cet acte ».
132. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 octobre 1994, Defrénois 1995, article 36.100, obs. D. Mazeaud : « Dans
l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, les juges du fond ont pu considérer que les parties
au compromis ont voulu reporter le transfert de propriété à la date de signature de l’acte authentique,
et qu’elles avaient entendu faire de la signature de cet acte la condition même de leur engagement ; en
conséquence, les juges du fond ont pu décider que la vente était caduque, faute de rédaction d’un
acte authentique ».
133. Ph. MALINVAUD et al., Droit de la promotion immobilière, Dalloz, 9e éd., 2014, nos 401 et s. ;
J.-B. AUBY, H. PÉRINET-MARQUET, R. NOGUELLOU, Droit de l’urbanisme et de la construction, LGDJ, coll.
Domat, 10e éd., 2015.
134. Comme la plupart des contrats (supra, nos 5 et 6), le contrat de réservation vient de la pratique ;
il peut aussi avoir pour objet la conclusion d’autres contrats : un transport, un lieu de camping, une
chambre d’hôtel, un mouillage à quai, un emploi, etc. ; infra, no 870.
135. Infra, no 810.
104 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
136. La Cour de cassation est, à cet égard, exigeante : un plan des locaux et un devis descriptif
sommaire ne suffisent pas ; le contrat doit, à peine de nullité, mentionner « la surface habitable
approximative et la qualité de la construction » : Cass. civ. 3e, 17 avril 1984, Bull. civ. III, no 84 ; Defré-
nois 1984, art. 33379, no 87, p. 1068, obs. H. Souleau.
137. Cass. civ. 3e, 28 mars 1990, Bull. civ. III, no 86 ; D. 1991.187, n. R. Cabrillac ; somm. 158, obs.
G. Paisant : cassation de l’arrêt qui « modère » le dépôt de garantie en y voyant une clause pénale.
138. Ph. PELLETIER, Defrénois 2001.205 ; O. RAULT, JCP G 2001.I.294.
139. Cass. civ. 3e, 18 décembre 1984, Bull. civ. III, no 217 ; 3 juin 1987, Bull. civ. III, no 114.
PROMESSES DE VENTE ET D’ACHAT 105
142. Nature juridique. – La nature juridique de ce contrat est controversée. Après avoir
montré combien la doctrine est partagée et la Cour de cassation flottante, une analyse sera pro-
posée.
2o La Cour de cassation n’a pas pris parti dans la controverse. Afin de ne pas
soumettre le contrat préliminaire à l’article 1589-2146, elle s’est bornée à dire qu’il
ne constituait pas une promesse unilatérale de vente et elle a décidé qu’il s’agis-
sait d’un « contrat sui generis »147 – ce qui ne signifie pas grand-chose148 – et qu’il
140. Cass. civ. 3e, 20 octobre 2004, RDC 2005.264, obs. D. Mazeaud ; n.p.B.
141. Comp. pour une promesse de réserver un bail : Cass. civ. 3e, 16 novembre 1988, infra, no 307 :
« L’engagement souscrit par une SCI de réserver aux adhérents d’une association d’aide au logement,
la location des appartements construits à l’aide des prêts qu’elle a souscrits (le 1 % patronal) constitue
une obligation de faire, laquelle, à la différence d’un droit réel affectant les immeubles, ne peut être
sanctionnée autrement que par des dommages-intérêts ».
142. Cass. civ. 3e, 28 juin 1977, Bull. civ. III, no 285 ; Defrénois 1978, art. 31592, obs. E. Frank ; RTD
civ. 1978.373, obs. G. Cornu.
143. G. CORNU, obs. RTD civ. 1972.611 ; 1974.433.
144. Fr. COLLART-DUTILLEUL, op. cit., supra, nos 102-103 ; R. SAINT-ALARY, « La vente d’immeubles à
construire », JCP G 1968.I.2146, no 47.
145. VION, Defrénois 1974, art. 30657.
146. Supra, no 115 ; Cass. civ. 3e, 16 novembre 1994, Bull. civ. III, no 196. L’article 1589-2 n’est
écarté que si le contrat préliminaire a pour objet un immeuble à construire à fins d’habitation, non
s’il s’agit d’un immeuble « à usage de dépôts, commerce et bureaux ».
147. Cass. civ. 3e, 27 octobre 1975, sté Noury, Bull. civ. III, no 309 ; D. 1976.97, n. E. Frank ; JCP G
1976.II.18340 ; Gaz. Pal. 1976.I.67 ; RTD civ. 1976.363, obs. G. Cornu : « il s’agit d’un contrat sui
generis, essentiellement synallagmatique ».
148. Supra, nos 20-21.
106 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
149. Cass. civ. 3e, 21 juin 1977, Bull. civ. III, no 270 ; D. 1979.571, n. Nguyen Phu-Duc.
150. Ph. MALINVAUD et al., op. cit., no 403.
n CHAPITRE III n
PACTE DE PRÉFÉRENCE
1. A. GAUDEMET, « La portée des pactes de préférence ou de préemption sur les titres de sociétés »,
Rev. sociétés 2011.139.
2. J.-P. DESIDERI, La préférence dans les relations contractuelles, th. Aix-en-Provence, PUAM, 1997 ;
L’avant-contrat, ouvrage collectif dir. O. Deshayes, PUF, 2008, spéc. p. 139 et s. : dossier spécial,
Dr. et patr., janvier 2006, p. 36 et s. Sur le pacte de préférence relatif à une cession d’actions de
société : * Cass. com., 7 mars 1989, aff. Schwich, Bull. civ. IV, no 79 ; D. 1989.231, concl. M. Jéol ;
JCP G 1989.II.21316, concl. M. Jéol, n. M. Reinhard ; JCP E, 1989.II.15517, no 1, obs. A. Viandier ;
Rev. sociétés 1989.479, obs. L. Faugerolas.
3. Infra, no 149.
4. Ex. : Cass. com., 3 octobre 2006, Bull. civ. IV, no 204 ; JCP G 2007.I.104, no 7, obs. R. Wintgen ;
D. 2006, AJ 2603, obs. A. Lienhard ; RTD civ. 2007.142, obs. P.-Y. Gautier (au sujet des formes de la
levée de l’option).
5. Certains auteurs, dans la définition du pacte de préférence, font disparaître la référence à l’offre
de prix : J. SCHMIDT, Négociation et conclusion des contrats, Dalloz, 1982, no 386, ce qui permet de
l’étendre à d’autres contrats : bail, prêt, contrat d’édition (C. propr. intell., art. L. 132-4) ;
P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, 10e éd., PUF, 2017, nos 507 et s. ; B. GROSS, « La priorité
du bénéficiaire du pacte de préférence : à prix égal ou à “égalité de prix et de conditions” ? », Liber
amicorum G. Bonet, Litec, 2010, 281 et s. ; comp. Cass. civ. 3e, 20 mai 1992, Bull. civ. III, no 164 : le
seul fait qu’une offre de vente confère à son destinataire une « priorité d’achat » ne suffit pas à consti-
tuer un pacte de préférence.
6. Supra, no 112.
108 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Ce pacte est souvent associé à un autre contrat. Par exemple, comme la promesse de vente, il
est parfois stipulé dans un bail au profit du locataire8. Il peut aussi intervenir dans une donation
faite au profit d’un parent, lorsque le donateur ne souhaite pas qu’un bien déterminé sorte de la
famille. Ou bien, dans un apport à société, notamment une société de famille, pour les mêmes
raisons. Toujours dans les sociétés, il se présente fréquemment dans des clauses statutaires ou
des pactes extrastatutaires, dits « d’actionnaires », portant « clause d’agrément » ou de « préemp-
tion ». Les associés s’y engagent mutuellement à se proposer par préférence leurs parts, avant de
les négocier avec des tiers9.
Quelquefois, il accompagne une vente ; par exemple, il est convenu que si l’acheteur vient à
revendre, le vendeur aura un droit de préemption ; ce qui n’est pas, contrairement aux apparen-
ces, une vente avec rachat10 : l’acheteur reste libre de vendre ou de ne pas vendre, tandis que
dans la vente avec rachat, il est obligé de revendre la chose si le vendeur initial la réclame dans
le délai convenu ; l’intérêt de la qualification tient à ce que le pacte de préférence n’est pas
soumis au maximum de cinq ans pendant lequel le rachat peut être stipulé (art. 1660). Ou bien
encore, le propriétaire d’un bien qui n’en aliène qu’une partie confère à l’acheteur un droit de
préférence sur le reste. Le pacte peut être aussi associé à une constitution d’hypothèque : le
constituant s’engage à offrir au créancier hypothécaire la vente, s’il décide d’aliéner. Entre pro-
fessionnels, il est soumis au droit de la concurrence11.
Dans d’autres cas, le pacte de préférence est autonome : il est l’objet principal
d’un contrat conclu entre le propriétaire et le bénéficiaire.
La nature juridique du pacte (Section I) permet d’en déterminer l’efficacité (Sec-
tion II).
SECTION I
NATURE JURIDIQUE
7. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 1re, 16 juillet 1985, Bull. civ. I, no 224 : « La promesse de
préférence, par laquelle le promettant s’engage envers le bénéficiaire de ladite promesse à notifier à
celui-ci toute offre d’un tiers, pour permettre à ce bénéficiaire d’exercer son droit de préférence ou d’y
renoncer constitue un acte licite qui confère au bénéficiaire un droit personnel ».
8. Le pacte de préférence a alors généralement pour durée celle du bail. Si le bail est renouvelé, en
stipulant que « toutes les clauses et conditions du bail demeurent inchangées », les juges du fond peu-
vent décider « que les parties n’avaient pas repris les stipulations relatives à ce pacte (de préférence)
[...] (et que) ledit pacte constituait une convention distincte du bail et était devenu caduc à l’expiration
de la location » : Cass. civ. 3e, 21 décembre 1988, JCP G 1989.II.21324.
9. Ex. : Cass. com., 17 janvier 2012, nº 09-17212, D. 2012.719, n. J. Moury ; RTD civ. 2012.334,
obs. P.-Y. Gautier ; Bull. civ. IV no 10 (l’agrément doit être pur et simple et non soumis à condition sup-
plémentaire).
10. Supra, no 86.
11. Infra, nº 833.
PACTE DE PRÉFÉRENCE 109
12. Cass. civ. 3e, 2 juillet 1974, Bull. civ. III, no 283 ; Defrénois 1974, art. 30 773, p. 1339, obs.
E. Frank : terre de labour devenant constructible.
13. Ex. : Cass. civ. 1re, 24 février 1987, Bull. civ. I, no 75 ; RTD civ. 1987.739, obs. crit. J. Mestre : « Si le
pacte de préférence est en principe transmissible aux héritiers des parties, il en est différemment lorsque
les circonstances révèlent une intention contraire, même tacite, des parties de ne conférer à cette obli-
gation qu’un caractère strictement personnel. » En l’espèce, il s’agissait d’un pacte de préférence stipulé
dans un acte de partage : « La cour d’appel a constaté [...] que la clause contenant le pacte de préférence
ne mentionne que les copartageants eux-mêmes, sans faire référence à leurs héritiers et ayants droit,
tandis qu’une autre clause, insérée dans le même acte, quelques lignes plus haut (a) conféré expressé-
ment aux héritiers et ayants droit des copartageants le bénéfice d’un droit de passage ».
14. Supra, no 116.
15. Cass. civ. 3e, 4 janvier 1995, Bull. civ. III, no 8 ; Defrénois 1995, art. 36100, no 62, obs. crit.
Ph. Delebecque.
16. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 janvier 2003, Bull. civ. III, no 9 ; D. 2003.1190, n. H. Kenfack ; Contrats,
conc. consom. 2003, no 69, obs. L. Leveneur ; Defrénois 2003.852, obs. R. Libchaber ; JCP G
2003.II.10129, n. E. Fischer-Achoura ; RDC 2003, p. 45, obs. crit. D. Mazeaud ; en l’espèce, la cour
d’appel avait annulé ce pacte parce que « l’obligation de proposer de vendre un immeuble à des béné-
ficiaires déterminés sans qu’aucun prix ne soit prévu est purement potestative et ne constitue pas un
pacte de préférence ». Cassation : « la prédétermination du prix du contrat envisagé et la stipulation
d’un délai ne sont pas des conditions de validité du pacte de préférence. » À l’inverse, le prix peut être
prédéterminé, même si la préférence est accordée pour un très long délai : * Cass. civ. 3e, 23 septem-
bre 2009, 08-18187, Bull. civ. I, no 203 ; JCP G 2009, no 479, obs. G. Pillet ; RTD civ. 2009. 717, obs.
B. Fages, 2010. 127, obs. P.Y. GAUTIER ; Defrénois 2010. 104, obs. R. Libchaber ; contrats, conc.
consom. 2010, no 2, n. L. Leveneur ; RDC 2010. 32, obs Th. Genicon, 660, obs. S. Pimont ; Dr. et
patr. févr. 2010, p. 68, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Rev. Lamy dr. civ. juin 2010, p. 7, chron. H. Kenfack :
le pacte de préférence, avec un prix déterminé, conclu pour une durée de vingt ans, ne constitue pas
« une atteinte au droit de propriété ».
17. V. DEMOGUE, RTD civ. 1926. 394 : action « ad exhibendum », obligeant le promettant à divul-
guer les conditions du contrat projeté avec le tiers. Même s’il n’y a pas de clause d’offre concurrente,
si les parties au pacte n’avaient pas fixé de prix lors de sa conclusion et que d’autres acquéreurs se
manifestent, il faudra bien que le bénéficiaire s’aligne.
18. Cass. civ. 3e, 16 mars 1994, Bull. civ. III, no 58 ; D. 1994.486, obs. crit. A. Fournier ; Defrénois
1994, art. 35897, no 128, obs. L. Aynès ; v. égal. Cass. civ. 3e, 15 janvier 2003, préc., qui vise l’arti-
cle 1174 et évoque la condition, qu’il tient ici pour valable, parce qu’elle profiterait au créancier,
plus qu’au débiteur.
110 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
dit : « je promets de vous vendre si je vends », l’événement auquel est subordonnée la promesse
ne présente pas le caractère accidentel de la condition qui ne peut être que la modalité d’une
obligation. Plusieurs conséquences résultent de ce que le pacte de préférence ne devrait pas être
ramené à une promesse unilatérale de vente. D’abord, les règles de capacité : en matière de
promesse unilatérale de vente, la capacité de vendre est exigée lors de la promesse, non lors
de la levée de l’option19. Au contraire, la conclusion d’un pacte de préférence n’est pas un
acte de disposition : le promettant ne s’est pas engagé à vendre, mais seulement à donner une
préférence ; la capacité de disposer n’est donc exigée chez le promettant que lors de l’exercice
du droit de préférence. Ensuite, contrairement à la promesse unilatérale de vente, le pacte de
préférence peut avoir une longue durée (jusqu’à vingt ans, art. 2232), il peut être conclu sans
délai déterminé20. Il ne s’éteint pas par la prescription quinquennale21. En cas de délai indéter-
miné, le promettant pourra le résilier unilatéralement22 ; ou bien le juge pourrait y mettre un
terme, au-delà d’une durée raisonnable, comme dans le prêt à usage. Enfin, il est soustrait à
l’article 1589-2, qui impose l’enregistrement des promesses unilatérales de vente portant sur
des immeubles et biens assimilés.
SECTION II
EFFICACITÉ
L’efficacité du pacte de préférence doit être appréciée dans les deux relations
juridiques qu’il met en cause : promettant-bénéficiaire ; bénéficiaire-tiers acquéreur.
pourra lui en faire grief et engager sa responsabilité, voire réclamer les mêmes
conditions. Le pacte peut servir plusieurs fois, au cas où une première offre serait
refusée par le bénéficiaire.
Le pacte est cessible, sauf si son libellé exprime un caractère intuitu personae à
l’égard du bénéficiaire25. Constituant une restriction à la liberté de disposer, il est
d’interprétation stricte26. Le bénéficiaire peut y renoncer27.
Si le promettant ne respecte pas le pacte, il peut être condamné à l’exécution
forcée en nature, sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une dispro-
portion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier
(nouvel art. 1221). Des clauses peuvent renforcer l’efficacité du pacte.
Le pacte oblige le promettant à offrir au bénéficiaire la préférence s’il vend28 ;
mais ni les aliénations voisines de la vente (apport en société, dation en
paiement...), ni la donation n’ouvrent le droit de préférence, car le bénéficiaire
ne peut se substituer à celui qui profitera de l’aliénation envisagée29. Il en irait
autrement en cas de fraude.
La Cour de cassation accroît l’efficacité du pacte de préférence immobilier en décidant que
celui-ci interdit au promettant de donner à bail l’immeuble à un preneur jouissant d’un droit de
préemption30 et engage sa responsabilité si le preneur préempte31 ; mais ces solutions ne s’ap-
pliquent pas à la préemption de la SAFER32.
préc., supra no 143 (notification par lettre recommandée AR, à laquelle une assignation par voie
d’huissier ne saurait équivaloir).
25. Cass. com., 13 février 2007, Club hippique l’oxer de Deauville, Bull. civ. IV, no 38 ; D. 2007.648,
1re esp., n. A. Lienhard ; Defrénois 2007.775, n. L. Ruet ; JCP G 2007.II.10114, n. B. Thuillier ; RTD civ.
2007.367, obs. P.-Y. Gautier ; en l’espèce, le bénéficiaire du pacte, locataire commercial d’un her-
bage, avait fait l’objet d’une procédure collective. « Le pacte de préférence constituant une créance
de nature personnelle, la cession du contrat de bail ordonnée par le jugement arrêtant le plan de ces-
sion du preneur n’emporte pas transmission au profit du preneur du pacte de préférence inclus dans
ce bail ». Sur le transfert des droits et des dettes, infra no 308.
26. G. VIRASSAMY, JCP G 2014, nº 699 ; A. GAUDEMET, Rev. sociétés 2011.139 ; B. FAGES, obs. RTD civ.
2009. 716, avec les réf. ; H. BARBIER, RTD civ. 2016.110. Ex. : Cass. civ. 3e, 9 avril 2014, nº 13-13949,
Bull. civ. III nº 52 ; RDC 2014. 645, obs. J.-B. Seube : si le pacte porte sur un local et que le propriétaire
vend tout l’immeuble, l’obligation ne saurait conduire celui-ci à ne revendre que par lots (bail com-
mercial, hors la vente à la découpe).
27. Cass. civ. 3e, 3 novembre 2011, 10-20297, Bull. civ. III, no 181 ; D. 2011. 2796 ; en l’espèce, un
locataire, bénéficiaire d’un droit de préférence, avait payé son loyer (même après avoir reçu congé) au
nouveau propriétaire sans avoir invoqué sont droit de préférence ; jugé qu’il y avait renoncé : « une
renonciation tacite, certainet et non équivoque ».
28. Sur la durée et le prix, supra, no 144.
29. Cass. com., 15 décembre 2009, 08-21037, Bull. civ. IV, no 173 ; D. 2010. 148, n. A. Lienhard :
cassation de l’arrêt qui avait fait jouer une clause de préemption entre actionnaires, sanctionnée par
une clause pénale, à l’occasion d’un apport en société.
30. * Cass. civ. 3e, 10 mai 1984, Époux Gachot, Bull. civ. III, no 96 ; JCP G 1985.II.20328,
n. M. Dagot ; Defrénois 1985, art. 33612, obs. J.-M. Olivier ; RDI 1985.74, obs. Ph. Malinvaud et
B. Boubli : « Après avoir énoncé que le pacte de préférence n’interdit pas à lui seul un usage normal
du bien par son propriétaire, l’arrêt retient exactement qu’en louant, en 1974, à des tiers des parcelles
de terre sur lesquelles ils avaient précédemment consenti à X un droit de préférence, les époux Y ont
vidé ce droit de son contenu [...] ; d’où il résulte que les époux Y s’étaient mis volontairement dans
l’impossibilité d’exécuter le pacte de préférence. »
31. Cass. civ. 3e, 1er avril 1993, Bull. civ. III, no 116 ; D. 1993.165 ; Defrénois 1993, art. 35436, obs.
J.-M. Olivier ; RTD civ. 1993.346, obs. J. Mestre : « En affermant un bien sur lequel il avait précédem-
ment consenti un droit de préférence, le propriétaire s’est mis, volontairement, dans l’impossibilité d’exé-
cuter le pacte de préférence » ; cassation de l’arrêt qui avait refusé d’annuler la vente consentie au fer-
mier bénéficiant d’un droit de préemption, alors qu’un droit de préférence avait été consenti à un tiers.
32. Cass. civ. 3e, 3 décembre 1981, Bull. civ. III, no 200 ; JCP G 1982.II.19872 : « Le pacte de préfé-
rence accordé à M. Béjannin ne faisait pas obstacle à l’exercice par la SAFER de son droit de préemp-
tion ».
112 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
33. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 24 mars 1999, Bull. civ. III, no 80 ; D. Aff. 1999.665 ;
RTD civ. 1999.627, obs. Jourdain et 644, obs. P.-Y. Gautier ; Defrénois 1999.751, n. Ph. Delebecque :
« Le pacte de préférence constitue une créance de nature personnelle [...] (le bénéficiaire) ne disposait
d’aucun droit à l’encontre (du tiers) pour l’inexécution de ce pacte auquel il n’était pas partie ».
34. Supra no 113. Cass. com., 11 mars 2014, nº 13-10366, RLDA 2014, nº 95, n. J.-C. Pagnucco :
« la violation d’une clause de préemption figurant dans les statuts d’une société à responsabilité limitée
n’emporte pas par elle-même nullité de la cession de parts conclue entre deux associés ».
35. Cass. civ. 3e, 24 mars 1999, cité supra.
36. D. OHL, « Les pactes d’actionnaires à l’épreuve du droit boursier », D. 2011.323 ; O. DEXANT
DE BAILLIENCOURT, Les faits d’actionnaires dans les sociétés cotées, Dalloz, 2012.
37. Cass. com., 26 février 2013, no 12-13721, n.p.b., JCP G 2013 no 563, n. S. Schiller : droit de pré-
férence consenti à une entreprise accordant à des distributeurs la jouissance de son enseigne, au cas
où le contrôle de la société exploitant le magasin serait cédé à un tiers ; les associés de celle-ci cèdent
à un concurrent du bénéficiaire une fraction substantielle du capital, en deçà du seuil de contrôle, puis
le nouvel associé notifie la fin de l’accord de distribution. Cassation, au visa de cet adage, de l’arrêt
qui a refusé l’annulation de l’opération pour fraude, alors que le cessionnaire a reçu des « prérogatives
exorbitantes » et qu’il y a eu « dessein de dissimuler un changement dans le contrôle de la société ».
38. A. BÉNABENT, « Les nouveaux mécanismes », RDC 2016/Hors-série, 17 ; E. JEULAND, JCP G 2016,
no 737.
39. Cass. com., 2 février 2016, nº 14-20747, Bull. civ. IV à paraître ; D. 2016. 374, n. A. Lienhard ;
RTD civ. 2016. 389, obs. P.-Y. Gautier (clause statutaire de préemption sur des actions de société) : « si
l’acquéreur évincé a intérêt à l’annulation de la préemption prévue par les statuts, il n’a pas qualité
pour agir à cette fin ».
n CHAPITRE IV n
RETRAITS ET PRÉEMPTIONS
SECTION I
NATURE JURIDIQUE
§ 1. ANALYSES
147. Précontractuel, post-contractuel ou cession de contrat ? – Selon la défi-
nition que l’étymologie paraît imposer, l’analyse classique voit dans le droit de
préemption la faculté conférée à une personne d’acheter un bien de préférence
à tout autre ; il s’exercerait ante rem venditam (avant la vente), ce qui en ferait une
institution précontractuelle. Ce caractère l’opposerait aux retraits, dans lesquels
la substitution de contractant s’exercerait post rem venditam (après une vente
déjà conclue), ce qui en ferait une institution post-contractuelle.
1. Étymologie : du latin : prae = avant + emptio, nis = achat. Biblio. : C. SAINT-ALARY-HOUIN, Le droit
de préemption, th. Toulouse, LGDJ, 1979, préf. P. Raynaud.
2. Droit des obligations, coll. Droit civil.
114 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Cette analyse a été critiquée3 : il n’existerait pas de différence importante entre préemption et
retrait. Dans les deux institutions, la loi conférerait à une personne une option lui permettant de
prendre le contrat conclu par une autre, en se substituant à l’acquéreur qu’elle évince ; toutes
deux constitueraient donc une cession de contrat, légale et forcée. Selon cette analyse, les dif-
férences qui subsistent ne seraient pas essentielles. Le retrait trouble plus la formation du contrat
que ne le fait la préemption ; seule la préemption impose la notification préalable du contrat au
bénéficiaire du droit afin qu’il exerce son option ; en outre, dans le retrait, le retrayé n’est pas
libéré de ses dettes. Ces deux institutions seraient l’une et l’autre des substitutions d’acquéreur,
non des résolutions de vente suivies d’une revente.
La pratique, notamment notariale, est hostile à cette analyse. Souvent, elle se borne à notifier
au bénéficiaire du droit de préemption une déclaration d’intention qui ne comporte pas le nom
de l’acquéreur ; il ne peut donc y avoir reprise d’un contrat qui n’est pas conclu.
§ 2. APPLICATIONS
148. Retraits : les sociétés fermées et les sociétés ouvertes. – L’Ancien droit
connaissait de nombreux retraits qui s’exerçaient dans des domaines variés et
avaient surtout pour objet la protection d’intérêts familiaux et féodaux ; ils s’exer-
çaient dans des sociétés fermées. Après la conclusion d’une vente, une personne
(le retrayant) pouvait, pendant un certain délai, se substituer à l’acquéreur (le
retrayé) : selon la définition de Pothier, le retrait permettait à une personne « de
prendre le marché d’un autre et de se rendre acquéreur à sa place ». Le Code
Napoléon, plus attaché à une société ouverte, n’en avait conservé que trois dont
deux ont disparu : le retrait d’indivision, aboli par la loi du 13 juillet 1965 portant
réforme des régimes matrimoniaux, le retrait successoral, aboli par la loi du
31 décembre 1976 portant réforme de l’indivision et le retrait litigieux, encore
en vigueur (art. 1699 à 1701) et qui connaît un regain d’intérêt4. Exceptionnel, il
est d’interprétation stricte5. Il en existe d’autres formes modernes, par exemple en
3. C. SAINT-ALARY-HOUIN, préc.
4. Une créance est litigieuse, lorsqu’elle a fait l’objet d’un procès qui n’est pas terminé et porte sur
le fond du droit (art. 1700). La loi craint que les cessions ayant pour objet ce genre de créances ne
constituent une spéculation malsaine, où peut être exploité le besoin dans lequel se trouve le créan-
cier. Afin d’empêcher que le cessionnaire n’achète à bas prix une créance dont il exigera du débiteur
le nominal un montant plus élevé, le Code civil permet au débiteur de se substituer au cessionnaire en
payant le prix stipulé dans la cession (Droit des obligations, coll. Droit civil). Le retrait ne saurait être
exercé, lorsque le cédant ne fait que régler son créancier cessionnaire. Ou bien lorsque la contestation
ne porte que sur un accessoire de la créance : Cass. com., 26 février 2002, Bull. civ. IV, no 41 ; RTD civ.
2002.532 ; Defrénois 2002.767, n. E. Savaux. Ou sur la qualité à agir du cessionnaire : Cass. com.,
19 juin 2012, 11-11210, Bull. civ. IV, no 125, RTD civ. 2012.545, obs. P.-Y. Gautier. Ou que le débi-
teur a fait l’objet d’une procédure collective : Cass. com., 12 octobre 2004, Bull. civ. IV, no 183 ; RTD
civ. 2005.417, obs. P.-Y. Gautier : « le jugement de redressement judiciaire, emportant de plein droit
interdiction de payer toute créance née antérieurement à ce jugement, proscrit l’exercice du retrait
litigieux par les débiteurs soumis à la procédure collective ». Mais le retrait est possible lorsque la
créance a été cédée « en bloc », avec d’autres : Cass. civ. 1re, 12 novembre 2015, nº 14-23401,
Bull. civ. I à paraître ; Defrénois 2016. 73, obs. H. Lécuyer ; D. 2016. 355, n. G. Casu (cession de por-
fefeuille de créances par fabricant automobile) ; Cass. com., 31 janvier 2012, no 10-20972, Bull. civ. IV
no 14, RDC 2012. 838, obs. R. Libchaber (la caution d’un des débiteurs, emprunteur, peut racheter la
dette qui le concerne, en exigeant la production du document qui indique le prix payé) ; Cass. civ. 1re,
12 juillet 2005, Bull. civ. I, no 319 ; RTD civ. 2005.793, obs. P.-Y. Gautier.
5. Ex. : Cass. civ. 1re, 20 janvier 2004, Bull. civ. I, no 17 ; JCP G 2004.II.10033, concl. J. Sainte-Rose :
« Le retrait litigieux, institution dont le caractère litigieux impose une interprétation stricte, ne peut être
exercé que par un défendeur à l’instance qui conteste le droit litigieux ».
RETRAITS ET PRÉEMPTIONS 115
SECTION II
INVENTAIRE
Les droits de préemption sont conférés par la loi, tantôt à des particuliers (§ 1),
tantôt à l’État ou à des collectivités publiques, semi ou para-publiques (§ 2). Entre
particuliers, cette priorité consentie à une personne publique prend la forme d’un
pacte de préférence.
§ 1. PARTICULIERS
150. Preneur à bail et indivisaire. – Le bénéficiaire le plus caractéristique du
droit de préemption est le preneur à bail : le cas le plus connu et le plus ancien
est le droit de préemption dont bénéficie le fermier lors de la vente du bien loué
(C. rur. pm., art. L. 412-1 à 412-13). Il est également accordé aux locataires et
occupants de bonne foi d’un immeuble à usage principal d’habitation (L. 31 déc.
1975, art. 10, modif. loi du 24 mars 2014 ; L. 6 juill. 1989, art. 15, II). Dans ces
hypothèses, des intérêts privés sont surtout en cause ; mais il y a aussi un intérêt
général : soit une politique rurale (faire acquérir la terre à ceux qui la cultivent),
soit une politique de logement assez symétrique (faire acquérir le logement à ceux
qui l’utilisent).
Le droit de préemption conféré à un indivisaire présente un individualisme plus accusé
(art. 815-14 à 815-16, L. 31 déc. 1976). Il a pour objet d’empêcher que par la cession d’un
droit indivis, un étranger, n’entre dans l’indivision.
6. Procédure consistant pour les associés minoritaires d’une société cotée à contraindre l’associé
majoritaire à leur racheter leurs titres, pour qu’ils se retirent, ou l’inverse (C. mon. fin., art. L. 433-4) ;
ex. : Paris, 7 avril 1998, RTD com. 1998.634, obs. N. Rontchevsky : les autorités boursières disposent
d’un pouvoir d’appréciation. Les minoritaires devront être indemnisés, selon un prix qui n’est pas
laissé à la discrétion de l’offrant.
116 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
En cas de violation du droit de préemption conféré au locataire, la vente consentie au tiers est
nulle, mais le bénéficiaire de la préemption ne saurait être substitué à l’acquéreur7.
SECTION III
CONDITIONS
Malgré le particularisme de certains, les différents droits de préemption sont à
peu près toujours soumis aux mêmes conditions de fond (§ 1) et d’exercice (§ 2).
7. Cass. civ 3e., 15 novembre 2006, Bull. civ. III, no 226 ; JCP G 2006.IV.3408 : « le non-respect des
droits de préemption du locataire n’entraîne que la nullité de la vente et n’ouvre aucun droit de sub-
stitution ». Comp. supra, no 146, pour un pacte de préférence.
8. S. PÉRIGNON, « Le droit de préemption urbain », Defrénois 1987, art. 34013 ; du même auteur : « La
vente d’un immeuble partiellement inclus dans le périmètre d’une zone de préemption », Defré-
nois 1989, art. 34526 ; H. PÉRINET-MARQUET, « Droit de préemption et formation du contrat », AJPI,
10 janvier 1998, p. 25 et s.
9. H. PERRET, « Les SAFER en question », in Ét. P. Raynaud, Dalloz, 1985, 601-625.
10. V. J.-P. MENG, Defrénois 2014. 570.
11. V. H. BOSSE-PLATIÈRE, « Propos hétérodoxes sur les promesses conclues par le SAFER avec faculté
de substitution », Defrénois 2014. 850.
RETRAITS ET PRÉEMPTIONS 117
§ 1. CONDITIONS DE FOND
152. Domaine. – Pour qu’il puisse y avoir préemption, il faut un acte translatif,
ce qui exclut les cessions forcées12, les projets de vente caducs13, les ventes
résolues14 et les partages15 ; les aliénations faites intuitu personae, telle qu’une
donation ou un bail à nourriture, ne confèrent pas non plus de droit de préemp-
tion, au contraire de la vente, de l’apport en société et presque toujours de
l’échange lorsqu’il s’agit de personnes morales de droit public préemptant à l’en-
contre de particuliers. Le préempteur achète aux conditions du contrat initial16.
Lorsqu’il s’agit du prix, la règle est assouplie17.
Le juge doit vérifier le respect des objectifs pour lesquels la préemption a été accordée. Le
contrôle est vigilant à l’égard des SAFER18. et pour le DPU, souvent détournés de leurs fins19.
De même (la sanction est moins énergique), si le preneur préempteur n’occupe pas en perma-
nence les lieux préemptés, il doit des dommages-intérêts.
§ 2. CONDITIONS D’EXERCICE
Le droit de préemption s’exerce en deux phases : d’abord, l’initiative du ven-
deur, la notification du contrat (I) ; puis, la réponse du bénéficiaire du droit de
préemption, l’exercice de l’option (II).
I. — Notification
12. Cass. civ. 3e, 1er avril 1998, Bull. civ. III, no 79 ; D. Aff. 1998.805 (plan de cession dans la « fail-
lite ») : « Ce plan de cession n’avait pas le caractère d’une aliénation volontaire (et) le preneur ne béné-
ficiait pas du droit de préemption... ».
13. Paris, 24 avril 1990, D. 1992.254, n. appr. C. Saint-Alary-Houin ; JCP G 1991.II.21659, n. crit.
H. Muir-Watt : jugé que « l’annulation » d’une promesse de vente par un acte sous signature privée
« suffit à elle seule à faire écarter l’exercice du droit de préemption ».
14. Cass. civ. 3e, 4 janvier 1995, Bull. civ. III, no 5 ; RTD civ. 1995.917, obs. P.-Y. Gautier : « La réso-
lution de la vente ne constituait en rien l’aliénation à titre onéreux prévue » par le Code.
15. Cass. civ. 3e, 16 janvier 1991, D. 1991, IR, 43.
16. Ex. : Cass. civ. 3e, 1er mars 1989, Bull. civ. III, no 56 ; en l’espèce, la vente comportait une réserve
du droit d’usage et d’habitation au profit du vendeur ; la cour d’appel avait accordé au locataire la
préemption, en substituant un prix en argent au droit réel du vendeur. Cassation.
17. Infra, no 207 ; J. LAFOND, « Le contrôle du prix offert au locataire dans le congé pour vendre
(L. 6 juillet 1989, art. 15) », JCP G 1993.I.3648 ; JCP N 1992.I.35.
18. Ex. : a été annulée la préemption exercée par une SAFER qui avait rétrocédé le bien préempté à
une commune pour y installer une base de loisirs, alors qu’elle eût dû avoir uniquement pour fins, soit
d’assurer un meilleur équilibre économique aux exploitations, soit d’en sauvegarder le caractère fami-
lial, soit de lutter contre la spéculation foncière (Cass. civ. 3e, 4 décembre 1981, JCP G 1983.II.19980,
n. G. Peyrard ; JCP N 1982.II.273, m. n.) ; la SAFER doit donc faire une référence explicite à ses objec-
tifs : Cass. civ. 3e, 31 janvier 1990, Bull. civ. III, no 37.
19. S. PÉRIGNON, « Pathologie du droit de préemption urbain », Defrénois 1991, art. 34985.
20. Cass. civ. 3e, 10 mai 1989, D. 1990.365, n. G. Virassamy décide que cette déclaration constitue
une « simple offre », non une promesse de vente, qu’elle est donc caduque lorsque le propriétaire
décède, ce qui empêche la SAFER de l’accepter : « La notification d’une vente sous condition suspen-
sive au titulaire du droit de préemption ne constitue pas une promesse de vente mais une simple offre ;
l’offre devenue caduque par l’effet du décès du sollicitant ne peut être l’objet, postérieurement à cet
acte, d’une acceptation de la part d’une SAFER ». Cass. civ. 3e, 3 mai 1990, D. 1990, IR, 132 : la
118 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Celle-ci doit être précise, notamment sur les conditions proposées au tiers21.
Généralement, le notaire notifie une déclaration comportant l’intention de ven-
dre, l’indication du prix et de la chose, mais non l’intention de l’acquéreur ; la
Cour de cassation a estimé valable le procédé.
Souvent, la promesse de vente d’un immeuble comporte une condition suspensive de non-
exercice du droit de préemption. Si le bénéficiaire du droit de préemption décide de préempter,
la promesse devient caduque puisque la condition est défaillante : le serpent se mord la queue.
Bien qu’elle ait un caractère passablement frauduleux, la clause est licite22, sauf à l’égard de la
SAFER (C. rur. pm., art. L. 143-5) et des fermiers (art. L. 412-4), à moins qu’il ne s’agisse d’un
apport en société ou d’un échange ; quand la loi comporte ainsi des exceptions à ses propres
exceptions, sa politique législative n’est guère cohérente. Un auteur estime qu’il s’agit, non
d’une condition, mais d’une simple « réserve que les droits de préemption légaux ne soient pas
exercés »23.
Une autre manière de « purger » (comme dit le notariat) la vente du droit de préemption est
d’y faire renoncer le bénéficiaire, ce qui lui est possible lorsque son droit est acquis, c’est-à-dire
s’il connaît les modalités de la vente. Il suffit de le faire intervenir à la vente, afin d’éviter la
déclaration d’intention et son cortège de délais. Le plus souvent, le droit de préemption est
« purgé » du seul fait que son bénéficiaire ne l’exerce pas dans le délai imparti24.
connaissance par le locataire (bénéficiaire du droit de préemption) des conditions de la vente n’équi-
vaut pas à la déclaration d’intention. Mais la préemption exercée en l’absence de notification (en l’es-
pèce visée à l’art. L. 412-8 C. com.) est efficace : Cass. civ. 3e, 1er févr. 2012, no 11-11315, D. 2012,
1468, n. F. Roussel.
21. Cass. civ. 3e, 21 septembre 2005, Bull. civ. III, no 170 : en l’espèce, jugé que la SAFER, qui va
rétrocéder à d’autres tiers, en plusieurs ventes partielles, doit mentionner le prix de chacune afin que
le locataire puisse préempter lui aussi pour partie.
22. Jurisprudence constante. Ex. (mais plus applicable aux Safer) : Cass. civ. 3e, 26 avril 1978,
Bull. civ. III, no 162 ; Defrénois 1978, art. 31808, no 56, p. 1071, obs. J.-L. Aubert : « La condition sus-
pensive insérée au contrat, étant opposable à la SAFALT (la SAFER de l’espèce), sa défaillance rendait
inexistante la vente et, par suite, le droit de préemption qui supposait la réalité de celle-ci ».
23. S. BECQUÉ-ICKOWICZ, « La condition suspensive de non-préemption, faculté de repentir pour le
vendeur ? », Defrénois 2011.1519.
24. T. confl., 2 juin 1975, aff. du Poussin, Gaz. Pal. 1975.II.11572.
25. Sauf le droit de préemption dont bénéficient les indivisaires (art. 815-14), où le « cédant » peut
se rétracter, même après que le bénéficiaire du droit de préemption ait décidé de préempter :
Cass. civ. 1re, 5 juin 1984, Bull. civ. I, no 183 ; JCP G 1985.II.20469 ; Defrénois 1986, art. 33799, obs.
M. Vion ; RTD civ. 1985.428, obs. J. Patarin. V. Les successions, coll. Droit civil.
RETRAITS ET PRÉEMPTIONS 119
ses créanciers auraient pu opposer à l’acheteur : par exemple, la nullité pour erreur du
vendeur26, la rescision pour cause de lésion27 ou la surenchère du dixième28.
SECTION IV
SANCTIONS
SECTION I
VENTES COMMERCIALES
§ 1. PRATIQUE COMMERCIALE
§ 2. LOIS
159. Protection de l’acquéreur : formalisme informatif. – Les lois contemporai-
nes imposent un formalisme à un certain nombre de ventes, avec pour dessein la
protection de l’acquéreur, normalement réservée aux personnes physiques, non
aux personnes morales.
La politique législative qui anime ces règles relève de l’engouement que, sous
l’influence de l’idéologie américaine, on porte aujourd’hui aux vertus de l’infor-
mation. Un acte ne serait vraiment libre que s’il était éclairé ; à quoi s’ajoute une
prophylaxie civile par la prévention : mieux vaut informer l’acquéreur avant qu’il
ne s’engage, que de permettre à un ignorant de se dégager d’un mauvais contrat.
3. Supra, no 67.
4. V. aussi pour la violation d’un droit de préemption, supra, no 155.
5. Cf. la clause des quatre coins (entire agreement) stipulant que le contrat qui vient d’être signé est
la seule expression du consentement des parties, à l’exclusion de tout autre document ou accord ver-
bal antérieur. Cf. W. DROSS, Clausier, LexisNexis, 3e éd., 2016.
FORMES DE LA VENTE 123
I. — Fonds de commerce
L’inobservation de ces règles est sanctionnée par une nullité, originale parce qu’elle est à la
fois relative, facultative, encadrée par la loi et pluraliste. 1o Bien qu’il s’agisse d’une règle de
forme, la nullité est relative, parce qu’elle a pour objet de protéger l’acquéreur : lui seul peut
l’invoquer. 2o Elle est facultative pour le juge, ce qui est plus insolite, car d’habitude les nullités
sont de droit7 : par exemple, le juge peut refuser de prononcer la nullité de la cession bien que
l’acte soit dépourvu des mentions obligatoires, si, en fait, l’acquéreur était éclairé sur la valeur
du fonds8. La nullité procède donc d’un vice du consentement, le dol par réticence, dont la
preuve est facilitée par un vice de forme. 3o L’action en nullité est encadrée par la loi, car elle
doit être exercée dans l’année (art. L. 141-1, II) ; mais l’acheteur peut exercer l’action en nullité
pour dol dans un délai de cinq ans9. 4o Le vendeur doit garantir l’acheteur de la véracité de ces
mentions (art. L. 141-3) ; l’acheteur peut donc, comme dans toute vente, exercer une action réd-
hibitoire ou une action estimatoire. La responsabilité du rédacteur de l’acte peut aussi être
engagée10.
6. Cf. aussi la vente de navire (L. 3 janvier 1967, art. 3), qui doit, à peine de nullité, être écrite ; il en
est de même du navire en construction (L. 1967, art. 5).
7. Droit des obligations, coll. Droit civil.
8. Ex. : Cass. com., 30 janvier 1990, Bull. civ. IV, no 29 : « L’omission dans l’acte de cession d’un
fonds de commerce des diverses mentions rendues obligatoires par le Code de commerce ne suffit
pas à entraîner la nullité de l’acte dès lors que le consentement de l’acquéreur n’a pas été vicié par
cette omission ».
9. Cass. com., 5 juillet 1977, D. 1977, I.R.194 ; RTD com. 1977.712, obs. J. Derruppé ; n.p.B.
10. Ex. : Cass. civ. 1re, 13 octobre 1999, Bull. civ. I, no 276 ; Defrénois 1999.1342, obs. J.-L. Aubert ;
RTD com. 2000.230, obs. J. Derruppé : « en sa qualité d’officier public, le notaire est tenu de veiller à
l’efficacité des actes qu’il établit et il appartenait à M. X. (le notaire) de prendre toutes mesures permet-
tant de sauvegarder les intérêts des acquéreurs en application des exigences de l’art. 12 de la loi du
29 juin 1935 ».
11. V. VINEY, « À propos de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information », JCP G 2014,
nº 879.
124 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
pénales, la loi prévoit parfois une sanction civile, la nullité, qui est relative lorsque
le formalisme a pour objet l’information du consommateur.
L’information essentielle a pour objet le prix, particulièrement minutieuse en
cas de rabais ; par exemple, en cas de ventes jumelées, où deux produits sont
vendus en un seul lot, il faut préciser que le consommateur peut acheter chacun
séparément et en indiquer le prix : cette règle, d’une effectivité médiocre, est rare-
ment sanctionnée. Les éléments caractéristiques de la chose doivent aussi avoir
été portés à la connaissance du client. Ces dispositions s’appliquent pour tous
les contrats, y compris ceux conclu « hors établissement » et sur l’Internet, contrats
à distance (C. consom., art. L. 221-1 et s.)12.
La forme selon laquelle ces informations doivent être données varie selon l’ob-
jet et les modalités de la vente. La loi veut que l’information soit intelligible ; elle y
est parfois parvenue (ex. : l’affichage du prix) ; mais souvent l’excès de formalisme
et d’informations tue l’information. On peut dénombrer quatre types de formali-
tés, qui peuvent se cumuler : les mentions obligatoires dans l’acte, l’inscription sur
le produit, la remise de documents et les contrats types prévus par la loi.
1o Le système le plus classique est celui que la loi avait imaginé pour la cession de fonds de
commerce, les mentions obligatoires dans l’acte ; à cet égard, la loi est de plus en plus minu-
tieuse et sa portée de plus en plus incertaine. Par exemple, sur le crédit mobilier le Code de la
consommation (art. L. 312-12 et s.) entend, au moyen de mentions informatives obligatoires, que
l’acquéreur-emprunteur connaisse exactement l’économie du crédit qu’il sollicite et son interdé-
pendance avec le contrat principal. On pourrait donner d’autres exemples (C. consom., art.
L. 314-6 et s., sur l’usure, C. civ., art. 1601-1 et s., sur la vente d’immeubles à construire,
C. consom., art. L. 221-1 et s., sur les contrats hors établissement et à distance, L. 17 mars
2014, art. L. 313-1 et s. sur le crédit immobilier, etc.). Le contrat à distance devient souvent la
norme de référence. L’information doit être fournie sur un support durable, mais qui peut être
électronique (et le sera souvent).
L’information peut aussi résulter de la reproduction dans l’acte de certaines dispositions léga-
les (ex. pour le contrat préliminaire de vente d’immeuble à construire, le CCH, art. L. 261-27
oblige à reproduire dans l’acte les articles R. 261-28 à R. 261-31 du même code ; de même,
pour le « crédit lié », C. consom., art. L. 311-1). Il est douteux que les non-initiés, pour lesquels
ces règles sont faites, comprennent ces textes abscons.
La sanction qui frappe la méconnaissance de ces dispositions n’est pas toujours la même et est
parfois douteuse. Tantôt, la loi prévoit une nullité de plein droit13 ; ainsi pour la vente d’im-
meuble à construire (CCH, art. L. 261-11). Tantôt la faculté pour le consommateur de se rétracter
dans un délai très long (C. consom., art. L. 312-19). Tantôt, la loi ne dit rien ; ainsi des mentions
obligatoires en matière de crédit mobilier ; la nullité de droit serait une sanction peu appropriée ;
chaque partie devrait pouvoir prouver que son cocontractant connaissait ce que le contrat aurait
dû lui dire – une nullité facultative – ; le contrat ne devrait être annulé que si cette preuve ne
pouvait se faire14.
2o L’information du consommateur peut résulter d’un étiquetage ou d’une inscription sur les
emballages, par exemple pour la vente des produits alimentaires préemballés (C. consom., art.
L. 112-1 et s.).
3o Elle peut résulter de la remise de documents ; par exemple, les textes sur le crédit mobilier
ou immobilier obligent « le prêteur » à remettre à l’éventuel emprunteur un document contenant
l’offre de contrat de crédit et ses conditions (C. consom., art. L. 312-12 et s., art. L. 313-6 et s.). Ce
12. Les informations sont nombreuses et portent notamment sur le droit de rétractation, le paiement,
la durée du contrat, le service après-vente, la commercialisation des pièces de rechange, etc.
13. Cass. civ. 1re, 17 février 1993, Bull. civ. I, no 79 ; JCP G 1994.II.22217 ; Contrats, conc., consom.
1993.100 : jugé que lorsqu’un contrat est soumis à un formalisme informatif, c’est à la partie qui en
réclame l’exécution qu’il appartient d’en prouver la régularité.
14. L. AYNÈS, « Formalisme et prévention », nos 33-55, in Le droit du crédit au consommateur, Litec,
1982, p. 62-91. En ce sens, v. l’arrêt cité dans la n. suivante.
FORMES DE LA VENTE 125
SECTION II
VENTES CIVILES
15. Cass. civ. 1re, 15 décembre 1998, Bull. civ. I, no 366 ; RTD civ. 1999.383, obs. J. Mestre : « Les
dispositions en cause n’édictaient aucune sanction civile, telle que la nullité du contrat ».
16. Cass. civ. 3e, 5 décembre 1978, Bull. civ. III, no 361 ; D. 1980.219, n. Nguyen Phu-Duc.
17. Cass. civ. 3e, 17 juillet 1996, Bull. civ. III, no 191 : est nulle la promesse de vente d’un immeuble
à construire à usage principal d’habitation qui prévoit le paiement immédiat du prix.
126 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION III
VENTE AUX ENCHÈRES
163. Offre faite au public. – Dans la vente aux enchères, l’objet est offert au
public, l’acquéreur étant l’enchérisseur qui paye le prix le plus élevé18. Depuis
la seconde moitié du XIXe siècle, des règles diversifiées sont prévues pour plusieurs
variétés de ventes aux enchères. Il existe cependant un droit commun du consen-
tement dans toutes les ventes aux enchères, mobilières ou immobilières : les arti-
cles L. 320-2 et suivants du Code de commerce, qui organisent le régime des ven-
tes aux enchères, spécialement « mobilières volontaires »19 et les articles 2201
et suivants du Code civil pour les ventes sur saisie.
Parfois, le système des enchères est différent : l’acquéreur ou donneur d’ordres fait un appel
d’offres et retient le prestataire offrant la plus basse enchère. Ce sont les « enchères inversées »,
souvent exercées par voie électronique sur l’Internet, réglementées par l’article L. 442-10 du
Code de commerce, qui impose la transparence des opérations, afin d’éviter les abus ou les
discriminations, ainsi que la hausse ou la baisse artificielle des prix (sanctions pénales prévues
par l’art. L. 443-2)20.
164. Consentement. – Les ventes publiques sont multiples et peuvent être clas-
sées en deux catégories : volontaires ou forcées sous autorité de justice. La diffé-
rence porte sur l’existence du consentement du propriétaire (vente volontaire) ou
au contraire, son absence, suppléée par l’initiative de l’un de ses créanciers (vente
forcée, C. proc. civ. exéc., art. L. 221-3 et s.)21 Également l’absence de rescision
pour lésion, dans le second cas (art. 1684) et de garantie des vices cachés
(art. 1649). En revanche, le saisi est tenu de l’obligation de délivrance et de la
garantie d’éviction (art. 2208). Lorsque la vente forcée est convertie en vente
amiable, elle produit les effets d’une vente ordinaire (art. 2202). C’est le juge de
l’exécution (JEX) qui en fixe les conditions, notamment le prix-plancher22.
L’objectif commun à toutes ces procédures réside dans la volonté d’obtenir,
grâce au feu des enchères, le plus haut prix23.
Ces ventes sont organisées par un officier ministériel (notaire), une société com-
merciale agréée (les commissaires-priseurs ont perdu leur monopole), ou une juri-
diction.
L’offre présente un premier particularisme : un bien vendu aux enchères est proposé aux éven-
tuels amateurs par une publicité les invitant à prendre connaissance des conditions de la vente
et venir aux lieux et moments indiqués pour porter des enchères. La personne qui émet une
enchère accepte cette offre : celle qui a émis l’enchère la plus élevée en devient adjudicataire ;
l’acceptation résulte de la dernière enchère (C. com., art. L. 320-2). L’adjudicataire accepte les
Même s’il n’y avait pas place pour l’erreur (par ex. elle porte sur une qualité non
substantielle ou à caractère non déterminant), l’acheteur pourra se fonder sur le
défaut de conformité (par ex. erreur de datation). Ou encore, sur l’obligation de
renseignements pesant sur le vendeur et ses mandataires (opérateur de vente,
expert). Ceux-ci peuvent engager leur responsabilité extracontractuelle28.
165. Ventes mobilières. – Une loi du 20 juillet 2011 a libéralisé les enchères, dont les
règles antérieures, afin de protéger les commerçants, introduisaient des différences selon la
nature des marchandises.
L’art. L. 321-1 du Code de commerce autorise de façon générale la vente aux enchères de
biens neufs ou d’occasion, au détail, par lots ou en gros. Un des exemples les plus connus d’en-
chères est la vente d’objets d’art ou d’antiquités29. Certaines ventes (ex. après cessation d’une
activité) doivent recevoir l’autorisation du tribunal de commerce (C. com., art. L. 322-3).
24. Fr. LABARTHE, « La valeur contractuelle du catalogue dans les ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques », D. 2011.1779, ainsi que « La force du catalogue de vente aux enchères », in
L’art en mouvement, Mare & Martin 2013, p. 51 s. P.-Y. GAUTIER, D. 2007.1632 ; ex. Cass. civ. 1re,
27 févr. 2007, infra.
25. Cass. crim., 16 janvier 2007, no 06-82381, D. 2007.1772, n. L. Mauger-Vielpeau : leur mission
est de « proposer, en agissant comme mandataires des propriétaires, des biens aux enchères publiques
afin de les adjuger au mieux-disant des enchérisseurs ». Ils n’ont donc pas de rapports contractuels
avec l’adjudicataire.
26. Ex. : Cass. civ. 1re, 27 février 2007, époux Pinault, Bull. civ. I, no 9, D. 2007.1632,
n. P.-Y. Gautier ; en l’espèce, l’acheteur avait acheté une statue égyptienne représentant le roi Sesostris
III, de la XIIe Dynastie, datant de cette époque, comme le précisait le catalogue ; mais la statue avait été
réalisée beaucoup plus tard, « la référence historique, portée sans réserve expresse au catalogue,
n’était pas exacte, ce qui suffisait à provoquer l’erreur invoquée », car « la référence à une période
historique, un siècle ou une époque, garantit l’acheteur que cette œuvre ou cet objet a été effective-
ment produit au cours de la période de référence ». L’arrêt se fonde sur l’art. 1110 C. civ. ainsi que sur
le décret du 3 mars 1981 sur la dénomination des œuvres d’art. Comp., pour les mêmes acheteurs,
Cass. civ. 1re, 20 octobre 2011, Boulle, no 10-25980, JCP G 2011, 1350, n. Y.-M. Serinet ; D.
2012.76, n. Fr. Labarthe ; RDC 2012.54, obs. Th. Genicon ; Bull. civ. I, no 173 : meuble Louis XVI trans-
formé, ce que n’indiquait pas clairement le catalogue, mais le meuble restant authentique, l’acheteur
n’a pas prouvé que des indications plus explicites sur la restauration l’auraient détourné d’acquérir.
27. Jurisprudence constatée depuis l’arrêt du Poussin : Il y a eu deux affaires du Poussin ; la plus
célèbre a été celle d’Olympus et Marsyas, terminée par Versailles, 7 janvier 1987, D. 1987.485,
n. J.-L. Aubert. La plus récente, La fuite en Égypte : Cass. civ. 1re, 17 septembre 2003, Bull. civ. I,
no 183 ; JCP G 2004.I.123, no 1, obs. Y.-M. Sérinet ; Contrats, conc., consom. 2004.2, n. L. Leveneur ;
dans ces deux affaires, l’erreur du vendeur a été jugée la cause de la nullité. V. toutefois Cass. civ. 1re,
24 mars 1987, Le verrou de Fragonard, Bull. civ. I, no 105 ; JCP G 1987.II.21300, qui refusa d’annuler la
vente aux enchères publiques d’un tableau « attribué à Fragonard », alors qu’il avait été ultérieurement
reconnu qu’il était l’œuvre personnelle de Fragonard (et donc d’une bien plus grande valeur), parce
que « les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’œuvre ».
28. Cass. civ. 1re, 16 mai 2013, no 11-14434, Bull. civ. I no 104 ; Contrats conc. consom. 2013
no 178, n. L. Leveneur (cassation de l’arrêt qui a refusé d’engager la responsabilité du vendeur et de
l’intermédiaire à l’endroit de l’ayant cause de l’auteur, pour avoir présenté aux enchères et sans
réserve du catalogue, une œuvre à « l’authenticité douteuse »). V. égal. Fr. LABARTHE, D. 2014. 1047.
29. J. CHATELAIN, « L’objet d’art, objet de droit », in Ét. Flour, 1979, p. 63 et s.
128 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Les ventes aux enchères des meubles corporels ont longtemps constitué un monopole d’offi-
ciers publics, les commissaires-priseurs, incompatible avec la liberté de la concurrence à
laquelle oblige l’Union européenne. La loi du 10 juillet 2000 a, en partie, mis fin à ce mono-
pole ; elle distingue les ventes « volontaires » et « judiciaires », distinction qui suscite un conten-
tieux corporatiste. Lorsque la vente est « volontaire », elle peut être organisée par un « opérateur
de ventes volontaires », dont la loi organise le statut (C. com., art. L. 321-4 et L. 321-5 pour l’exi-
gence d’un mandat écrit) ; ce sont généralement de puissantes entreprises de commerce artis-
tique. Lorsqu’elle est « judiciaire » (elle a été imposée par le juge), elle continue à relever du
monopole d’un officier ministériel, dénommé « commissaire-priseur judiciaire ».
La vente aux enchères pratique souvent un « prix de réserve »30 : le vendeur et l’opérateur de
ventes volontaires conviennent en secret d’un prix en dessous duquel l’objet mis aux enchères
ne sera pas adjugé, même s’il est supérieur à la mise à prix initiale ; l’article L. 321-11 a consacré
cet usage. L’opérateur de ventes volontaires qui ne respecte pas le prix de réserve engage sa
responsabilité envers le vendeur31 ; le prix de réserve n’est opposable aux enchérisseurs que
s’ils en connaissent l’existence. L’opérateur est autorisé à s’engager auprès du vendeur à acquit-
ter personnellement un prix minimal, ce qui le rapproche d’un commissionnaire ducroire (art.
L. 321-12). Il est responsable à l’égard des deux parties, pour tout ce qui touche à la bonne
exécution de leurs obligations respectives (délivrance de la chose, paiement du prix, art.
L. 321-14), toute clause contraire étant réputée non écrite (ib.)32. Le montant et la charge de la
commission sont librement déterminés par les parties. La responsabilité des professionnels de
vente ne peut faire l’objet de clauses de non responsabilité et l’action se prescrit par cinq ans à
compter de l’adjudication (art. L. 321-17).
Pour les ventes forcées, la garantie des vices cachés est exclue (art. 1649), le propriétaire
exproprié n’étant pas vendeur de sa chose.
Sur l’Internet, des enchères sont portées, sans que l’intermédiaire prononce l’adjudication : il
reste un courtier (art. L. 321-3)33. Mais il est tenu d’informer le public de la « nature du service
proposé » (ib.).
La mise en adjudication constitue une offre de vente : une offre au public de la chose à une
date déterminée par l’adjudication. Elle est faite tantôt avec mise à prix – l’adjudication est pro-
noncée dès qu’un amateur a couvert cette mise à prix, même si l’enchère est unique –, tantôt
sans mise à prix – la vente n’est réalisée que si le vendeur accepte la dernière enchère. Si la mise
30. V. L. MAUGER-VIELPEAU, passim ; BARABÉ-BOUCHARD, « Prix de réserve et retrait du bien dans les
ventes aux enchères publiques de meubles », Defrénois 1995, article 36087.
31. Cass. com., 27 avril 1993, Bull. civ. IV, no 157 ; RTD civ. 1994.128, obs. P.-Y. Gautier : « La
vente à laquelle il a été procédé par le commissaire-priseur, avec autorisation judiciaire, était une
vente volontaire, ne privant pas le commissaire-priseur de sa qualité de mandataire du vendeur, et
celui-ci de la possibilité d’assortir la vente de prix de réserve » ; en l’espèce, une entreprise avait,
après autorisation judiciaire, fait vendre aux enchères publiques son stock de matériel, en indiquant
dans l’inventaire un prix « minimum d’enchère » ; la vente n’ayant pas atteint le prix escompté, le
vendeur assigna « le commissaire-priseur en paiement de la différence entre le prix payé et le prix
escompté » ; la cour d’appel le débouta en relevant que le juge n’avait pas fixé de prix minimum au
commissaire-priseur. Cassation.
32. Sur leur responsabilité en matière de garantie d’authenticité, infra, no 386.
33. Cass. civ. 1re, 19 février 2013, no 11-23287, Bull. civ. I no 22 ; JCP G 2013, no 464, n. L. Mauger-
Vielpeau, D. 2013. 1188, n. C. Durez (vente de véhicules d’occasion).
FORMES DE LA VENTE 129
à prix n’est pas couverte, une nouvelle adjudication peut avoir lieu sur une mise à prix
inférieure34.
Avant la vente forcée, un cahier des conditions de vente (le cahier des charges)
est rédigé par le créancier poursuivant. Il est destiné à faire connaître les condi-
tions de la vente ; après la vente, il déterminera les droits et obligations de l’adju-
dicataire. À partir du moment où il est définitif, il forme la loi des parties et même
plus que des parties ; pour reprendre une formule souvent adoptée par la Cour de
cassation, « il constitue une convention ayant force obligatoire entre les saisis-
sants, les créanciers du saisi, le saisi lui-même et l’adjudicataire »35. La solution
est curieuse, car ce cahier des charges n’est pas l’œuvre de la volonté des « par-
ties » ; aussi, l’a-t-on comparé à un quasi-contrat ou à un contrat judiciaire, col-
lectif et forcé. Il lie le saisi et l’adjudicataire, bien qu’ils ne l’aient pas rédigé ; il lie
aussi le créancier poursuivant, bien que celui-ci ignore souvent tout de l’im-
meuble ; il ne peut être modifié, même par un accord entre le poursuivant et l’ad-
judicataire. Les obligations du saisi ne s’imposent à l’acquéreur que si elles sont
mentionnées dans le cahier des charges36 qui ne saurait contenir de nouvelles
obligations, réclamées par certains créanciers37.
Le cahier des charges prévoit souvent que seuls ceux qui ont consigné peuvent enchérir ; la
consignation est une garantie contre l’insolvabilité, mais ne fait naître ni l’obligation d’enchérir,
ni l’acceptation de la mise à prix. La vente se déroule avec un cérémonial destiné à assurer le jeu
régulier des enchères : on brûle successivement trois bougies qui marquent le temps fixé pour
enchérir. Les enchères sont portées par des avocats. L’adjudication est faite au profit du dernier
enchérisseur. Dans les dix jours, toute personne peut faire une surenchère du dixième, qui
anéantit l’adjudication et oblige à de nouvelles enchères.
L’adjudication produit la plupart des effets de la vente (article 2208, alinéa 1er).
Mais non tous, car elle n’en emprunte pas la nature ; par exemples : le proprié-
taire, vendeur malgré lui, ne saurait être tenu de la garantie des vices cachés
(art. 1649) ; en revanche, il l’est de la délivrance et de la garantie d’éviction
(art. 2208, al. 2), sans qu’on comprenne ce traitement distinct38... Le créancier
poursuivant est responsable des obligations prévues par le cahier des charges,
sauf la garantie d’éviction39... lorsque l’adjudication avait pour objet un lot de
34. Cass. civ. 2e, 9 décembre 1997, Bull. civ. II, no 300 : « le tribunal, constatant le défaut d’enchères
sur la mise à prix, pouvait immédiatement ouvrir de nouvelles enchères sur la baisse autorisée de la
mise à prix ».
35. Jurisprudence constante. Ex. : Cass. civ. 1re, 27 janvier 1998, Bull. civ. I, no 37 : « Le cahier des
charges fait la loi des parties ».
36. Ex. : Cass. civ. 2e, 9 janvier 1991, Bull. civ. II, no 2 ; RTD civ. 1992.134, obs. crit. P.-Y. Gautier ;
en l’espèce, dans un immeuble en construction, un appartement avait été attribué par le promoteur au
propriétaire du terrain ; l’immeuble fut saisi ; l’adjudicataire refusa de livrer cet appartement, parce que
l’obligation du saisi ne lui avait pas été notifiée ; la Cour de cassation l’en approuva, parce qu’on était
en présence « d’une obligation de faire (la construction et la délivrance de l’appartement), de nature
personnelle et non réelle, qui n’était pas en l’absence de clause spéciale du cahier des charges passi-
vement transmissible à l’adjudicataire » ; égal. infra, no 308.
37. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 2e, 9 juillet 1997, Bull. civ. II, no 217 ; RTD civ.
1998.128, obs. P.-Y. Gautier.
38. V. Cass. civ. 3e, 25 mai 2005, D. 2005.3073, n. L. Mauger-Vielpeau ; Bull. civ. III, no 115 (le pro-
priétaire saisi avait dégradé les lieux).
39. Req., 31 janvier 1893, DP 1894.I.325 : « Le créancier poursuivant sur saisie immobilière la vente
des biens de son débiteur affectés en gage à sa créance ne peut être assimilé à un vendeur ordinaire ;
en effet, il ne vend que la chose appartenant à son débiteur et le prix qui la représente rentre dans le
patrimoine de ce dernier, pour être distribué entre ses créanciers suivant l’ordre des privilèges et hypo-
thèques ; d’où il suit, qu’en dehors d’une faute qui engagerait sa responsabilité et le soumettrait à une
action en dommages-intérêts envers l’adjudicataire évincé, dans les conditions des articles 1382
130 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
et 1383, il ne peut être tenu vis-à-vis de celui-ci, à la garantie stipulée par l’article 1626 au profit de
l’acquéreur contre le vendeur ».
40. Cass. civ. 2e, 3 octobre 2002, Bull. civ. II, no 199 ; D. 2003.1322, n. L. Mauger-Vielpeau : « un
jugement d’adjudication ne constituant pas un “contrat réalisant ou constatant une vente”, les dispo-
sitions de la loi du 18 décembre 1996 sont sans application aux ventes sur poursuite de saisie immo-
bilière ».
41. Rép. min., JOAN Q, 16 avril 2001.2308 ; Defrénois 2001, art. 37371 ; Ph. PELLETIER, « La protec-
tion nouvelle de l’acquéreur immobilier », ib., art. 37307 ; H. PÉRINET-MARQUET, obs., JCP G 2002.I.129,
no 35.
n TITRE II n
CHOSE
168. Diversité des choses. – Tout se vend, dit-on avec malveillance. Ce qui, en
droit, est trop tranché. Pour être vendue, la chose doit présenter un certain nom-
bre de caractères : être déterminée (Chapitre 1), aliénable (Chapitre 2) et apparte-
nir au vendeur (Chapitre 3) ; elle doit exister mais peut être future (Chapitre 4).
Les choses susceptibles d’être vendues sont de plus en plus nombreuses, parce que l’activité
de l’homme ne cesse de s’étendre. Souvent aussi, elles sont dématérialisées. Habituellement, la
nature de la chose commande le régime de la vente. Ainsi, seule la vente d’un immeuble est
rescindable pour cause de lésion1 ; pour les choses de genre, la détermination de la chose2 et
le transfert de propriété3 ne se font pas de la même manière que pour les corps certains. La vente
d’une chose menacée d’obsolescence, telle qu’un ordinateur4, confère surtout une jouissance :
la différence avec le louage de chose est alors peu accusée, ce qui explique le développement
du crédit-bail. La vente de choses dématérialisées, notamment des œuvres de l’esprit ou de leur
support matériel, comme les logiciels (à supposer qu’il s’agisse bien de vente) impose une col-
laboration entre les parties, plus grande qu’en droit commun5.
1. Infra, no 224.
2. Infra, nos 169-170.
3. Infra, no 251.
4. Infra, no 314. La vente d’un matériel informatique soulève de nombreuses difficultés. Les deux
principales sont l’obligation d’information (infra, no 314) et le lien entre la vente du matériel et la ces-
sion du logiciel.
5. Infra, no 314.
n CHAPITRE I n
DÉTERMINATION DE LA CHOSE
169. Corps certain, chose de genre. – La vente n’est valable que si la chose est
déterminée (art. 1583), ce qui découle directement de la théorie générale des
obligations (art. 1163, ancien art. 1129, al. 1)1.
1º La vente peut avoir pour objet un corps certain ; la détermination de la chose ne soulève
alors aucune difficulté ; il suffit qu’elle soit désignée par le contrat. Elle peut aussi avoir pour
objet une chose de genre, c’est-à-dire une chose définie par l’espèce à laquelle elle appartient,
ce qui est exceptionnel lorsqu’il s’agit d’immeubles, fréquent lorsqu’il s’agit de meubles ; la
détermination de la chose soulève alors davantage de difficultés.
2º Il est rare qu’un immeuble soit dans une vente une chose de genre, car il est rare qu’un
acheteur considère qu’un immeuble soit fongible avec un autre. Mais l’hypothèse se rencontre ;
par exemple, la vente d’un hectare de terres à prendre dans une contenance plus grande2, ou
d’un appartement à prendre dans un ensemble immobilier si la quantité et la qualité de l’appar-
tement sont bien précisées (ce qui paraît difficile car la qualité d’un appartement dépend de son
emplacement : l’étage, l’orientation). La vente est valable et obligatoire, mais le transfert de pro-
priété est différé jusqu’au moment où l’immeuble est individualisé. Il a été jugé qu’une dation de
terrain contre un local à construire était nulle pour indétermination de la chose si ce local n’avait
pas été suffisamment déterminé en n’étant désigné que d’une manière succincte3.
Il est courant, surtout en matière commerciale, qu’une vente mobilière ait pour objet une
chose de genre. La détermination de la chose peut se faire de plusieurs manières différentes.
Laissant de côté la vente sur référence, ne seront décrites ici que les ventes en bloc et à la
mesure.
1. Ex. : Poitiers, 14 avril 1970, D. 1970.536 : commande qui avait pour objet, sans autres indica-
tions, un « assortiment de timbres » ; jugé que la vente était nulle.
2. Cass. civ. 3e, 17 juillet 1968, Bull. civ. III, no 354 ; Gaz. Pal. 1968.II.291 ; RTD civ. 1969.137, obs.
G. Cornu : « L’accord créant à la charge de la société venderesse l’obligation de délivrer à (l’acheteur)
une superficie déterminée de terrain dans un domaine déterminé, c’est à bon droit que la cour d’appel
a considéré que l’objet de la vente était lui-même déterminé ».
3. Cass. civ. 3e, 26 novembre 1986, Bull. civ. III, no 168 : « La cour d’appel [...] a souverainement
retenu qu’il n’y avait, à la date de la vente du terrain, aucun accord des parties sur la chose promise,
inexistante et non déterminée, a exactement déduit que l’acte du 24 janvier 1974 n’avait pu entraîner
transfert de propriété au profit de la ville » (l’acheteur du terrain).
134 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’indication du lieu où elle se trouve4, soit par une liste5, soit par tout autre pro-
cédé. Le transfert de propriété6 et des risques7 se produit dès le jour du contrat. Les
conséquences sont inverses dans la vente à la mesure.
2º Il y a vente au poids, au compte ou à la mesure s’il est nécessaire de peser,
compter ou mesurer la marchandise pour individualiser l’objet de la vente
(art. 1585). Le mesurage (lato sensu) opère le transfert de la propriété8 et des
risques9, parce que lui seul spécifie la chose ; les parties peuvent en décider autre-
ment car ce sont elles qui fixent la répartition financière des risques. L’individua-
lisation de la marchandise doit être faite contradictoirement par le vendeur et
l’acheteur ou leurs représentants, sauf convention ou usage contraire.
Bien qu’avant le mesurage le transfert de propriété n’ait pas encore eu lieu, le contrat est
immédiatement obligatoire ; par conséquent, si, contrairement à son engagement, le vendeur
ne procède pas au pesage, au comptage ou au mesurage, l’acheteur pourra demander des dom-
mages-intérêts. La différence entre la vente en bloc et la vente à la mesure tient exclusivement à
la manière de déterminer la chose ; la façon de calculer le prix est indifférente10.
3º Lorsqu’il s’agit d’une vente à distance, où la marchandise doit être livrée à l’ac-
quéreur, l’individualisation de la marchandise résulte souvent de son acceptation
par le transporteur, considéré comme le mandataire de l’acquéreur11. Souvent
aussi la pratique commerciale précise ou modifie les règles du droit commun.
Certains auteurs estiment qu’il serait opportun de lier le transfert des risques à la livraison de la
chose, plutôt qu’à son individualisation, parce que la charge des risques devrait être la contre-
partie de la maîtrise de la chose12. La Convention de Vienne sur la vente internationale de mar-
chandises est en ce sens13.
4º Dans la vente à l’abonnement, la délivrance de la chose est faite pendant une certaine
durée, de manière continue (ex. : fourniture d’eau) ou répétée (ex. : un journal).
La deuxième condition que doit remplir une chose pour pouvoir être vendue est
d’être aliénable.
4. Ex. : je vous vends... tout le blé qui se trouve dans mon grenier ; ... tout le vin qui se trouve dans tel chai.
5. Ex. : Paris, 22 septembre 1995, D. 1995, IR, 230 : est une vente en bloc la vente de figurines en
étain, sans inventaire, malgré la référence « d’environ 650 000 pièces » ; peu importe qu’il manque
plus de 350 000 pièces : jugé que le prix ne doit pas être réduit.
6. Par conséquent, lorsqu’elles sont constituées après la conclusion de la vente, les sûretés réelles
conférées par le vendeur sont inopposables à l’acheteur, la saisie faite entre les mains du vendeur est
nulle et même la revente par le vendeur à un tiers constitue un abus de confiance si l’acheteur lui avait
laissé les marchandises en dépôt (ce qui implique qu’il s’agissait d’une chose mobilière).
7. Par conséquent, en cas de perte fortuite ou de réquisition de la chose vendue, l’acheteur conti-
nue à devoir le prix.
8. Par conséquent, si le vendeur est soumis à une procédure collective avant les opérations de
mesurage, la marchandise ne peut être réclamée par l’acheteur.
9. Par conséquent, en cas de perte fortuite ou de réquisition de la chose avant le mesurage, l’ache-
teur ne doit pas le prix.
10. Ex. : est une vente en bloc la vente d’un lot de 12 bœufs destinés à la boucherie, même si le prix
est calculé au kilo : Cass. civ. 1re, 1er février 1983, Bull. civ. I, no 49 ; JCP G 1984.II.20241, n. J. Hémard :
« La vente en bloc conserve son caractère lorsque le prix est fixé à tant la mesure et que le mesurage n’a
pour but que de déterminer le prix à payer » ; en l’espèce, un des animaux était mort avant la pesée ;
jugé que l’acheteur devait payer le prix au poids des douze bœufs : « dans le contrat de vente en bloc,
les marchandises vendues sont au risque de l’acheteur » ; Droit civil illustré, no 143.
11. Cass. civ., 31 décembre 1894, DP 1895.I.409, 2e esp. : « Dans les ventes sur commande des
choses qui se pèsent, se comptent ou se mesurent, la propriété [...] n’est, en principe, transférée à
l’acheteur que lorsque la marchandise est sortie des magasins du vendeur et a été remise au voiturier ».
12. F. GORÉ, « Le transfert de propriété dans les ventes de choses de genre », D. 1954, chron. 176 ;
« Le moment du transfert de propriété dans la vente à livrer », RTD civ. 1947.161.
13. Infra, no 254.
n CHAPITRE II n
CHOSES ALIÉNABLES
Le principe est la libre circulation des biens : tout est susceptible d’être vendu,
c’est-à-dire toutes les choses dont la possession procure à l’homme richesses,
avantages ou agréments. La possibilité de vendre est la règle, la prohibition l’ex-
ception. Ce qui résulte de l’article 1598 : « tout ce qui est dans le commerce peut
être vendu lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation ». Appa-
remment, selon le texte, seule la loi peut interdire la vente de certaines choses en
les mettant hors du commerce (Section I). La convention peut aussi l’interdire
(Section II). En outre, certaines personnes sont frappées d’une incapacité d’acqué-
rir (Section III).
SECTION I
CHOSES HORS DU COMMERCE
La loi interdit de vendre certains biens, soit pour des raisons d’intérêt géné-
ral (§ 1), soit, plus rarement, pour la sauvegarde de certains intérêts particu-
liers (§ 2).
§ 1. INTÉRÊT GÉNÉRAL
171. Tabous. – Pour des motifs auxquels la société tient plus profondément
encore qu’à l’intérêt général, il est des choses qu’il est interdit de vendre, sans
doute parce qu’elles sont taboues, qu’elles ont un aspect sacré auquel la société
interdit de toucher. Un thème à la mode est la désacralisation du monde, qui
coïnciderait avec une commercialisation générale : tout vaut tant, rien n’est
sacré. Quand le sacré recule, l’argent avance. En fait, la société contemporaine
ne se désacralise pas, elle change de tabous en multipliant des valeurs et des pro-
hibitions nouvelles, souvent plus contraignantes.
136 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Ainsi en est-il du corps humain ou des choses impures (les stupéfiants, les armes dangereuses
sauf autorisation, les remèdes secrets, la clientèle d’astrologue1, les marchandises contrefaites2,
les animaux atteints de maladies contagieuses, les produits nocifs), les attributs de la
souveraineté3, la fonction publique, le droit de vote, les choses du domaine public4. Également
les fichiers de clientèle, du moins s’ils ne sont pas déclarés5.
La distinction entre la personne humaine et la chose a longtemps été un des piliers de la civi-
lisation : elle a libéré l’homme de l’esclavage et c’est sur elle que repose la dignité de l’individu.
Elle est actuellement mise à l’épreuve : il y a une « chosification » de la femme, de l’enfant, de
l’embryon humain et du matériel génétique6. De même, peu à peu, les robots exercent une acti-
vité humaine : il y a une « personnalisation » des choses, des « intelligences artificielles ».
La question a soulevé surtout des difficultés à l’égard des clientèles civiles (I) et des autorisa-
tions administratives (II).
I. — Clientèles civiles
même médicales, « à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du client »10. Le
cédant peut garantir la non-défection de la clientèle, en dépit de cette liberté11 ; mais non
payer au cessionnaire un intéressement au titre des honoraires pris aux clients partis avec lui12.
Ces cessions sont d’interprétation stricte13.
10. * Cass. civ. 1re, 7 novembre 2000, Woessner, Bull. civ. I, no 283 ; JCP G 2001.I.301, no 16, obs.
J. Rochfeld et II.10452, n. F. Vialla ; Contrats, conc. consom. 2001, comm. no 18, n. L. Leveneur et
chron. no 7 par M.-C. Chemtob ; RTD civ. 2001.130, obs. J. Mestre et B. Fages et 167, obs. Th. Revet ;
Defrénois 2001.431, obs. R. Libchaber ; D. 2001, chron. 2295 d’Y. Serra ; 2400, note Y. Auguet et
2002, somm. 930, obs. Tournafond : « si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la consti-
tution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condi-
tion que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ; à cet égard, la cour d’appel ayant souverai-
nement retenu qu’en l’espèce cette liberté de choix n’était pas respectée a légalement justifié » la
nullité du contrat litigieux.
11. Cass. civ. 1re, 10 avril 2013, no 12-15168, n.p.B., Contrats, conc. consom. 2013, no 153,
n. L. Leveneur ; RTD civ. 2013. 369, obs. H. Barbier (experts-comptables). Le cédant risque, de peur
d’un procès mettant en œuvre cette garantie contractuelle, de refuser les clients qui veulent partir avec
lui (BARBIER, obs. préc.).
12. Cass. civ. 1re, 14 novembre 2012, no 11-16439, Bull. civ. I no 240 ; RTD civ. 2013. 113, obs.
Fages : la clause d’intéressement du cessionnaire, valable 10 ans, aux bénéfices du cédant pour les
clients partis avec lui, les prive de leur liberté et est nulle.
13. Cass. civ. 1re, 4 février 2015, nº 13-26452, Bull. civ. I nº 28 ; D. 2015. 2527, n. M. Gomy ; RTD
civ. 2015. 409, obs. P.Y. Gautier : une infirmière qui s’est interdit de se réinstaller dans la même com-
mune et a ouvert son cabinet dans une commune voisine, mais visite des patients habitant la première,
ne méconnaît pas la clause de non-réinstallation inscrite dans l’acte de cession, car ces stipulations,
« susceptibles de porter atteinte tant à la liberté d’exercice de la profession qu’à la liberté de choix des
patients, sont d’interprétation stricte et ne peuvent être étendues au-delà de leurs prévisions ».
14. A. BERNARD, « L’autorisation administrative et le contrat de droit privé », RTD com., 1987, 1-38 ;
B. THULLIER, L’autorisation en droit privé, th. Paris X, LGDJ, 1996, préf. A. Bénabent.
15. Cass. civ. 1re, 25 avril 1990, Bull. civ. I, no 84 : « C’est à bon droit que la cour d’appel a retenu
que “la présentation à la clientèle” était indissociable de la présentation à l’administration, puisqu’il ne
peut y avoir présentation à la clientèle si le successeur n’a pas été antérieurement agréé en tant que
chauffeur de taxi par l’administration ».
16. Beati possidentes était le titre d’une chronique de R. SAVATIER, in Les métamorphoses économi-
ques et sociales..., t. I, Dalloz, 1950.
138 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
1º Lorsque l’autorisation présente un caractère personnel, parce qu’elle dépend des qualités
du bénéficiaire, elle est accordée à une personne, n’est pas un élément du fonds de commerce
et est donc incessible. Par exemple, la licence relative à une entreprise de spectacles, ou à une
agence de voyages, ou à une profession auxiliaire du transport, ou à l’exploitation d’une car-
rière ; de même, l’autorisation d’utiliser le domaine public ne peut, en général, être cédée à un
tiers sans l’agrément de l’administration.
Cependant, l’administration est parfois indifférente au changement de titulaire et accepte la
personne présentée par le bénéficiaire actuel de l’autorisation ; ces autorisations, pour person-
nelles qu’elles soient en droit, ont donc en fait une certaine cessibilité.
2º Au contraire, il est des autorisations qui, données pour un fonds de commerce déterminé,
sont transférées de plein droit avec le fonds dont elles constituent l’élément essentiel, ce qui est
le cas habituel : l’autorisation est réelle. Par exemple, la licence de débit de boissons17, ou de
transporteur routier, ou d’exploitation d’une installation dangereuse, insalubre ou incommode18,
ou d’une officine de pharmacie19.
§ 2. INTÉRÊTS PARTICULIERS
175. Saisie, droits litigieux, succession, nom de famille. – Dans certains autres
cas, l’inaliénabilité énoncée par la loi a plus nettement pour motifs des intérêts
particuliers. Par exemple, les dispositions qui interdisent l’aliénation d’un bien
saisi24, ou la prohibition des pactes sur succession future25.
Il est également interdit à un juge ou à un auxiliaire de justice d’acquérir des droits litigieux
« qui sont de la compétence du tribunal dans le ressort duquel ils exercent leur fonction »
(art. 1597) ; la méconnaissance de cette règle est sanctionnée par une nullité absolue26. En
revanche, la cession de droits litigieux est organisée par la loi et même si elle est rare, se rencon-
tre avec son tempérament, le « retrait litigieux »27. Le nom de famille, incessible en droit civil,
est, en matière commerciale, disponible : il devient un nom commercial : « Le principe de l’ina-
liénabilité et de l’imprescriptibilité du nom de famille, qui empêche son titulaire d’en disposer
librement pour identifier une autre personne physique, ne s’oppose pas à la conclusion d’un
accord portant sur l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom
commercial »28.
SECTION II
CLAUSES D’INALIÉNABILITÉ
SECTION III
PROHIBITIONS D’ACQUÉRIR
d’autrui de les acheter (art. 1596 et C. com., art. L. 321-4 pour les enchères publi-
ques), pour qu’elles n’aient pas à choisir entre leur devoir et leur intérêt34. Ce qui
se traduit par une sorte de devoir de loyauté et d’information35.
Selon les cas, la sanction sera la nullité ou une autorisation préalable. Parmi ces interdictions,
on trouve les cas du tuteur (art. 509, L. 5 mars 2007), du mandataire chargé de vendre36, du
courtier37, du prestataire de services d’investissements (C. mon. fin, art. L. 533-10.) et du person-
nel hospitalier exerçant dans un établissement hébergeant des vieillards ou soignant des aliénés
(nouvel art. L. 3211-5-1 CSP, ancien art. 1125-1 C. civ.))38. Les personnes chargées de fonctions
judiciaires ne peuvent acquérir les droits litigieux (art. 1597) ; à la différence de la règle précé-
dente, la nullité encourue est absolue39.
Aux termes de l’article 1599, « la vente de la chose d’autrui est nulle » : une
personne ne peut vendre une chose qui ne lui appartient pas1. La règle paraît
imposée par le bon sens ; elle n’a pourtant pas toujours existé.
En droit romain, la vente de la chose d’autrui était possible : le vendeur promettait de trans-
mettre la vacua possessio (la possession paisible) à l’acquéreur ; s’il n’y parvenait pas, il était
condamné à l’indemniser. Les rédacteurs du Code ont estimé que la vente de la chose d’autrui
était devenue inconciliable avec le nouveau principe du transfert instantané de la propriété. Or
il est des cas de plus en plus nombreux où la vente ne le produit pas : la vente de la chose
d’autrui peut alors produire un effet.
La prohibition est maintenant plus gênante qu’utile et la jurisprudence s’efforce de la canton-
ner, aussi bien à l’égard du domaine de l’article 1599 (Section I) que de sa sanction (Section II).
SECTION I
CAS OÙ IL Y A VENTE DE LA CHOSE D’AUTRUI
Pour qu’il y ait vente de la chose d’autrui, il faut que l’acheteur soit exposé à
être évincé par le véritable propriétaire exerçant la revendication. Deux condi-
tions doivent donc être réunies : le vendeur ne doit pas être propriétaire (§ 1), la
vente doit produire un transfert immédiat de la propriété, ouvrant au véritable pro-
priétaire l’action en revendication (§ 2).
Pour qu’il y ait vente de la chose d’autrui, il faut que le vendeur ne soit pas propriétaire de la
chose. Pour évidente que soit la règle, elle soulève des difficultés : soit lorsque le vendeur a
vendu successivement la même chose à deux acquéreurs successifs (I), soit lorsque le vendeur
avait un droit indivis (II) ou une propriété qui n’était qu’apparente (III)2.
1. P. GUIHO, « Les actes de disposition sur la chose d’autrui », RTD civ. 1954.1 et s.
2. Cf. la situation de la vente conditionnelle : Cass. civ. 3e, 20 juin 1973, Bull. civ. III, no 433 : « La
vente de la chose sur laquelle le vendeur ne possède qu’un droit conditionnel n’est pas la vente de la
chose d’autrui et elle est seulement soumise à la même condition que le droit du vendeur ».
142 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
180. 1º Vente d’une part dans une masse indivise. – Ou bien, l’indivisaire cède
sa part dans une masse indivise, par exemple une indivision successorale. C’est
une cession d’universalité valable6. S’il n’y a pas de préemption, le cessionnaire
acquiert tous les droits et est tenu de toutes les obligations du cédant dans l’indi-
vision.
3. J. BOULANGER, « Conflits entre droits non soumis à publicité », RTD civ. 1935.435. Ex. : pour un
fonds de commerce : Cass. civ., 17 juillet 1930, DP 1932.I.112 ; S. 1931.I.297, n. Fr. Hubert ;
Gaz. Pal. 1930.II.402 : « En cas de vente d’un fonds de commerce, chose mobilière incorporelle,
lorsque les parties sont d’accord sur la chose et sur le prix, le transfert de la propriété du fonds s’opère
de plein droit par le seul effet de la convention, dans les rapports des parties entre elles comme à
l’égard des tiers ; dès lors, s’il y a conflit entre deux acquéreurs successifs du même fonds, c’est à la
date de leurs contrats successifs qu’il y a lieu de se référer pour le résoudre ».
4. Les successions, coll. Droit civil.
5. Cass. civ. 1re, 9 février 2011, 10-10759, Bull. civ. I, no 25 ; Defrénois 2011.1339,
n. S. Becqué-Ickowitz ; « la notification faite au titulaire du droit de préemption de l’intention de
céder ses droits indivis ne vaut pas offre de vente ; l’indivisaire qui a fait cette notification peut renon-
cer à son projet malgré la manifestation de volonté d’un autre indivisaire d’exercer son droit de
préemption ».
6. Ex. : une succession a trois héritiers A, B, C ; A cède sa part successorale à D, étranger à la suc-
cession.
CHOSE D’AUTRUI 143
181. 2º Vente d’une part dans un bien indivis. – Ou bien, l’indivisaire cède sa
part dans un bien indivis déterminé. C’est également une vente valable7 mais
aléatoire, car son résultat dépend du partage. Si le bien vendu est mis dans le lot
du vendeur, la vente est valable pour le tout ; s’il est mis dans le lot d’un autre
indivisaire, elle est caduque. Cette incertitude explique que ce genre de vente
soit rarement pratiqué.
La pratique s’efforce de rendre la vente moins aléatoire en la combinant avec une promesse
de porte-fort8. Le vendeur aliène sa part dans un bien indivis déterminé et se porte fort de la
ratification par ses copropriétaires. Si les copropriétaires ratifient, ils sont censés avoir vendu
au jour de la promesse : la vente est valable. Si les propriétaires ne ratifient pas, le vendeur est
tenu, selon l’article 1204 (ancien art. 1120), d’une indemnité réparant le préjudice que cause à
l’acquéreur le défaut de ratification. Le système est amélioré quand ce préjudice est déterminé
par une clause pénale ; sans doute, la vente demeure-t-elle aléatoire, mais l’aléa ne peut causer
de préjudice à l’acquéreur.
182. 3º Vente d’un bien indivis. – Ou bien enfin, un bien indivis est vendu par
un indivisaire sans le consentement des autres indivisaires9 ni autorisation de jus-
tice (art. 815-5). L’irrégularité est évidente (art. 815-3). Par conséquent, tant que le
partage n’a pas eu lieu, elle est inopposable aux autres indivisaires ; elle est subor-
donnée aux résultats du partage10.
Un indivisaire ne peut acquérir par prescription la totalité du bien indivis tant que sa posses-
sion est équivoque11. Il a même été jugé que le vice d’équivoque qui marquait la possession du
vendeur continuait à marquer celle de l’acquéreur et l’empêchait d’usucaper12, ce qui est
contestable, car l’acquéreur a une possession nouvelle, distincte de celle de son auteur, et qui
peut ne pas être viciée.
Pour une raison différente, est consolidée la vente faite par le propriétaire appa-
rent.
184. Condition, terme et promesse. – Il existe une seconde exigence pour qu’il
y ait, au sens de l’article 1599, vente de la chose d’autrui et par conséquent que la
vente soit nulle : il faut que la vente produise un transfert immédiat de la pro-
priété. L’acheteur peut alors se plaindre d’être exposé à la revendication du véri-
table propriétaire. Cette règle permet à la pratique d’assouplir la prohibition
légale ; il suffit de faire des contrats ne comportant pas de transfert immédiat de
la propriété. Trois procédés y parviennent : la vente conditionnelle, la vente à
terme et la promesse de contrat.
1º La vente de la chose d’autrui sous la condition suspensive que le vendeur deviendra pro-
priétaire est une vente sous condition potestative et donc nulle pour cette raison18. Elle ne serait
valable que si le vendeur avait déjà un droit conditionnel : elle serait alors une vente sous condi-
tion mixte19.
2º Un autre procédé, plus utilisé, est la vente à terme, où le transfert de propriété est différé
jusqu’au jour où le vendeur acquiert la propriété. Tel est le cas, courant dans la pratique com-
merciale, de la vente de choses de genre, où le transfert de propriété n’a lieu que lors de
13. Jurisprudence constante depuis * Cass. civ., 26 janvier 1897, aff. de la Boussinière,
DP 1900.I.33, 1re espèce, n. crit. L. Sarrut ; S. 1897.I.313 ; GAJ civ. nº 104 : « Dès que l’erreur com-
mune et invincible, ainsi que la bonne foi des tiers sont établies, les aliénations consenties par l’héritier
apparent échappent à toute action en résolution dirigée par l’héritier véritable ». A. DANIS-FATÔME,
Apparence et contrat, th. Paris I, LGDJ, 2004.
14. Ex. : F. LAURENT, Principes de droit civil français, Bruxelles, t. XIII, 1887, no 281.
15. L. LEVENEUR, Situations de fait et droit privé, th. Paris II, LGDJ, 1990, préf. M. Gobert, nos 81 et s.
16. Infra, no 579.
17. Infra, no 636.
18. Ex. : Cass. civ. 3e, 13 octobre 1993, Bull. civ. III, no 121 ; D. 1994, somm. 231, obs. G. Paisant ;
JCP G 1994.II.22280, n. Y. Dagorne-Labbé : « Ayant relevé que le bien, objet de la vente, était encore
la propriété d’un tiers non partie à l’acte et dont le consentement, pour le transfert de propriété à la
société Tepso (la venderesse) n’était assorti d’aucun délai, ni d’aucune précision dans le temps, ni dans
les démarches à entreprendre, ce qui avait pour conséquence de placer la vente dans le seul pouvoir
de la société qui pouvait, à son seul gré, décider ou non d’acquérir, sans être, de surcroît, contrainte
par un quelconque délai, la cour d’appel en a exactement déduit que la condition d’acquisition du
bien, sous laquelle l’obligation de vente avait été contractée, condition dont la défaillance ne retirait
au vendeur aucun des avantages stipulés en sa faveur, était purement potestative et, partant, nulle ».
V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
19. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 juin 1973, Bull. civ. III, no 433 : « La vente de la chose sur laquelle le ven-
deur ne possède qu’un droit conditionnel n’est pas la vente de la chose d’autrui et est seulement sou-
mise à la même condition que le droit du vendeur ».
CHOSE D’AUTRUI 145
l’individualisation de la chose, ainsi que des opérations sur marchés financiers ; il importe peu
que le vendeur ne soit pas propriétaire des objets vendus lors de la vente, ce qui arrive souvent
dans les ventes spéculatives. De même, lorsqu’il s’agit d’un corps certain, la vente à terme n’est
nulle que si, à l’échéance du terme, le vendeur n’est pas propriétaire de la chose.
3º Le dernier procédé consiste à disqualifier radicalement le contrat, en en faisant une pro-
messe synallagmatique de contrat, par laquelle le promettant s’engage à acquérir la propriété
d’une chose appartenant à autrui en vue de la transmettre à une personne qui en sera
l’acquéreur20.
SECTION II
NULLITÉ DE LA VENTE DE LA CHOSE D’AUTRUI
185. Fondements. – Rationnellement – au XIXe siècle ce fut une opinion répandue –, la nul-
lité aurait dû être absolue, puisque manque à la vente un élément essentiel, la chose. Mais le
droit n’est pas toujours rationnel : la jurisprudence a toujours dit que la nullité de la vente de la
chose d’autrui était relative. Pourquoi ?
20. Ex. : Cass. civ., 8 janvier 1866, DP 1866.1.61 ; S. 1866.I.99 ; en cette espèce, le promettant qui
avait vendu la chose d’autrui fut qualifié de mandataire du propriétaire : « Le défendeur Hue, s’étant
engagé envers le demandeur à lui procurer, dans un délai déterminé, l’acquisition d’une propriété
appartenant à un tiers, s’est mis, dans le délai convenu, en mesure d’accomplir son engagement par
l’achat stipulé d’un mandataire du véritable propriétaire et par la ratification de celui-ci » ; jugé que
cette convention liait les parties.
21. MAZEAUD-DE JUGLART, t. III, no 816.
22. Cass. civ., 22 novembre 1926, S. 1927.1.169, n. H. Vialleton ; le vendeur s’était porté fort pour
le propriétaire ; la nullité n’en a pas moins été prononcée.
23. PLANIOL et RIPERT, t. X, par J. Hamel, no 48.
146 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’article 2276 en matière mobilière)24 ; pour lui, la vente est res inter alios acta ;
mais il peut exercer l’action en revendication si les conditions en sont réunies25
ce qui consolide les droits de l’acheteur, seul maître de la destruction de l’acte.
Le caractère relatif de la nullité a d’autres conséquences sur la consolidation de la vente.
24. Jurisprudence constante, ex. : * Cass. civ. 1re, 17 juillet 1958, Biscos, D. 1958.619 ; l’art. 1599
« n’a trait qu’à la nullité de la vente de la chose d’autrui qui ne peut être invoquée que par l’acheteur
et non par le vendeur ou le véritable propriétaire ».
25. Ex. Cass. civ. 3e, 22 mai 1997, Bull. civ. III, no 114 ; RTD civ. 1997.960, obs. P.-Y. Gautier et
1999. 652, obs. F. Zénati : « L’annulation de la vente de la chose d’autrui n’est pas la condition de
l’action en revendication du véritable propriétaire »...
26. Cass. civ., 23 janvier 1832, Fargeot, D. jur. gén., vo Vente, no 545 ; S. 1832.1.666 ; en l’espèce,
des enfants avaient du vivant de leur père et en son absence vendu un immeuble lui appartenant ; jugé
qu’il s’agissait de la vente de la chose d’autrui et que l’action en nullité était éteinte par dix ans (ce qui
était alors la durée de la prescription extinctive) « la dame Laroche n’était pas recevable, après dix ans,
à attaquer en nullité la vente faite par elle-même dans cet acte de 1813 au sieur Fargeot ».
27. Chr. DUPEYRON, La régularisation des actes nuls, th. Toulouse, LGDJ, 1973, préf. P. Hébraud,
nos 66 et 76-96.
28. Cass. com., 2 juillet 1979, Bull. civ. IV, no 224 ; D. 1980, IR, 225, obs. B. Audit ; Defrénois 1980,
art. 32448, no 83, obs. J.-L. Aubert ; RTD com. 1980.138, obs. J. Hémard : « La nullité de la vente de la
chose d’autrui est couverte par le seul fait que (le vendeur) est devenu propriétaire avant que (l’ache-
teur), ainsi prémuni contre le risque d’éviction, ait invoqué la nullité et ce, indépendamment de la
connaissance que (l’acheteur) avait pu avoir de ce fait ».
29. Ch. DUPEYRON, op. cit., no 86.
30. V. l’art. 1352-3 C. civ. sur l’étendue de la restitution. Et la note F. SAFI, D. 2016. 1179.
n CHAPITRE IV n
CHOSES EXISTANTES ET FUTURES
La chose doit exister lors de la vente (art. 1601, al. 1) (Section I) ; la vente peut
aussi avoir pour objet une chose future (Section II).
SECTION I
CHOSES EXISTANTES
188. Perte de la chose. – Lorsque la vente porte sur une chose existante, la
perte de la chose avant ou lors de la formation de la vente soulève des difficultés,
différentes de celles qui apparaissent lorsque la chose a péri après la conclusion
du contrat, lesquelles relèvent de la théorie des risques1. L’hypothèse intéresse
surtout les ventes mobilières, particulièrement les ventes commerciales.
Si la perte est totale, le contrat ne peut se former faute d’objet : la vente est nulle. À la perte
matérielle, la jurisprudence assimile l’impossibilité d’utiliser la chose2. Si la perte est partielle,
l’acheteur, comme dans le cas des vices cachés3, a une option (art. 1601, al. 2) : soit « abandon-
ner la vente » – le contrat est nul –, soit la maintenir avec une réduction du prix – il y a réfac-
tion —. Dans les ventes commerciales, l’option disparaît souvent : le tribunal ou les usages4 peu-
vent obliger l’acheteur à une réfaction.
SECTION II
CHOSES FUTURES
La chose future n’existe pas encore, mais sa création est envisagée par les par-
ties : par exemple, les fruits à provenir d’une récolte, les poissons pêchés dans un
coup de filet. À côté des règles du droit commun qui viennent du droit
romain (§ 1), le législateur contemporain a réglementé la vente d’immeuble à
construire (§ 2).
§ 1. DROIT COMMUN
189. 1º Contrat commutatif : emptio rei speratae. – Tantôt, les parties ont
entendu faire un contrat commutatif ; l’objet de la vente est non une chose éven-
tuelle, mais la chose qui peut-être sera achevée, ce que les Romains appelaient
une emptio rei speratae : la vente est subordonnée à l’existence de la chose
future ; l’acheteur ne devra payer le prix convenu lors du contrat que si la chose
existe7. Par exemple, la cession de loyers à échoir ou la vente d’une chose à fabri-
quer. En ce cas, le transfert de propriété et des risques a lieu lors de l’achèvement
de la chose, sans qu’il soit besoin d’attendre la livraison8. On a vu les difficultés
qu’il y a à distinguer ce genre de vente du contrat d’entreprise. C’est une des rai-
sons pour lesquelles le législateur a réglementé la vente d’immeuble à construire.
Les activités audiovisuelles ont fait naître des contrats originaux, comme « le pré-achat de
droits », par lequel un distributeur ou un éditeur vidéo finance la production d’un film non
encore tourné, en achetant à l’avance le droit de le diffuser à l’avenir : le vendeur fabrique la
chose avec le prix déjà payé par l’acheteur.
190. 2º Contrat aléatoire : emptio spei. – Tantôt, l’objet de la vente n’est pas la
chose future, mais la chance ; ce que les Romains appelaient une emptio spei.
L’acheteur devra payer en toute circonstance le prix convenu lors du contrat.
L’exemple classique qui lui aussi vient de Rome, est la vente d’un coup de filet :
même si le pêcheur ne prend pas de poissons, le contrat est valable, et l’acheteur
doit payer le prix stipulé. Par exemple aussi, la vente d’une récolte sur pied9.
À l’emptio spei, on assimile la vente en bloc d’une chose future ; les risques sont à la charge
de l’acheteur dès la formation du contrat, sauf volonté contraire : la vente est faite aux risques et
périls de l’acheteur.
193. 1º Vente à terme. – Dans la vente à terme, le transfert de propriété a lieu lorsque l’im-
meuble a été achevé, ce qu’un acte authentique doit constater. Mais le transfert de propriété
« produit ses effets rétroactivement au jour de la vente » (art. 1601-2). La rétroactivité du terme
est contraire au droit commun, où seule la condition produit un effet rétroactif. Cette règle, tech-
niquement curieuse, a pour raison d’être d’empêcher que le vendeur ne grève l’immeuble de
droits réels entre le jour de la vente et celui où l’immeuble est achevé, ce qui est la justification
habituelle de la rétroactivité.
L’acheteur ne doit payer le prix qu’au jour de la livraison. Avant cette date, il peut cependant
être tenu de verser des « dépôts de garantie » au fur et à mesure de l’avancement des travaux, les
sommes sont incessibles, insaisissables et indisponibles (CCH, art. L. 261-12) ; ils répondent à la
même fin que les dépôts de garantie dans le contrat préliminaire13.
194. 2º Vente en l’état futur. – La vente en l’état futur d’achèvement est, au moins dans la
France septentrionale, plus souvent pratiquée que ne l’est la vente à terme. Le vendeur transfère
immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol et les constructions existantes. Les construc-
tions à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de l’exécution. Le transfert
clause de forfait, la vente sur pied fût aléatoire. Comp. LA FONTAINE, « Perrette et le pot au lait » : « Le lait
tombe ; adieu, vache, cochon, couvée ».
10. Biblio. : « La vente d’immeubles à construire : questions actuelles », RDI 2012, no 1. Ex. :
Cass. civ. 3e, 7 avril 2004, Bull. civ. III, no 73 ; Contrats, conc. consom. 2004, no 94 : la garantie qui
pèse sur le vendeur constructeur est la garantie incombant au constructeur, et non celle du vendeur ;
v. aussi supra, no 77.
11. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 octobre 2015, nº 14-23612, Bull. civ. III à paraître ; D. 2015. 2423, note
Ch. Dubois ; JCP G 2016, nº 51, n. M. Béhar-Touchais ; RTD civ. 2016.107, obs. H. Barbier et 139,
obs. P.Y. Gautier ; RDC 2016. 214, obs. Ph. Stoffel-Munck : le non-respect des exigences relatives
aux notices explicatives est sanctionné par la nullité du contrat (mais la démolition de l’ouvrage, aux
frais de l’entrepreneur, ne peut être ordonnée sans un contrôle de proportionnalité).
12. C’est-à-dire des immeubles à usage d’habitation ou professionnel et d’habitation.
13. Supra, no 141.
150 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
des risques ne s’opérera cependant qu’une fois l’opération immobilière terminée14. À cet égard,
jusqu’à ce que l’immeuble soit achevé, le vendeur demeure maître de l’ouvrage afin qu’il ne
perde pas la direction des travaux (art. 1601-3). Réciproquement, l’acheteur doit échelonner
ses paiements au fur et à mesure de l’avancement des travaux (ib.).
L’immeuble achevé, l’acheteur devra en prendre livraison et payer le solde, sauf à prouver
l’existence de retards injustifiés ou d’un défaut de conformité. Il jouira non de la garantie des
vices cachés de droit commun15 mais de celle qui pèse sur les architectes et entrepreneurs (dix
ans pour les gros ouvrages, deux ans pour les menus ouvrages : art. 1792 et 1792-4 ; un an pour
agir : art. 1648, al. 2) ; il bénéficie aussi de la garantie des vices apparents ou des défauts de
conformité (un mois à compter de la réception : art. 1642-1, al. 1)16. Si le vendeur répare, le
contrat ne peut être résolu, ni le prix réduit (art. 1642-1, al. 2).
195. 3º Vente à rénover. – Dans la vente « d’immeubles à rénover », l’acheteur charge le
vendeur de rénover l’immeuble pour son compte (il agira comme son mandataire), le prix
étant ventilé entre « l’existant au jour de la vente » et « les travaux devant être réalisés par le
vendeur » et payé graduellement (CCH, art. R. 262-1 et s.). La rénovation porte sur la « majorité »
des fondations ou des éléments d’équipement, de sorte que les travaux les « rendent à l’état
neuf ». Les diagnostics techniques devront être fournis et la vente peut être précédée d’une pro-
messe. Il y a lieu à garantie d’achèvement. Ces ventes font naître les garanties légales des vices
cachés et décennales de la solidité de la construction ; elles peuvent aussi donner lieu à des
garanties conventionnelles supplémentaires des désordres apparents et des défauts d’isolation
phonique17.
14. Cass. civ. 3e, 11 octobre 2000, Le Lion de Belfort, Bull. civ. III, no 163 ; JCP G 2001.II.10.465, n.
Ph. Malinvaud ; Defrénois 2001.878, obs. H. Périnet-Marquet ; en l’espèce, une vente d’immeuble en
état futur d’achèvement avait pour objet des terrains situés au-dessus d’anciennes carrières de la ville
de Paris autour du Lion de Belfort ; après la conclusion du contrat, ces carrières furent classées monu-
ment historique, « d’où il résultait que la construction prévue ne pouvait être réalisée dans son objet » ;
jugé que le promoteur, la SCI Le Lion de Belfort, devait restituer les sommes que lui avait versées l’ac-
quéreur : « le transfert des risques ne s’opérant sur le bien acquis que lors de la livraison des immeubles
construits, et avant celle-ci, les risques pesaient sur le vendeur qui en était débiteur » ; l’arrêt applique
la règle res perit debitori.
15. Jurisprudence constante : Ex : Cass. civ. 3e, 29 mars 2000, Bull. civ. III, no 78 : « l’art. 1641 sur la
garantie des défauts cachés de la chose vendue est inapplicable en cas de construction réalisée sous le
régime propre de la vente d’immeuble à construire prévue à l’art. 1601-1 ».
16. S. BECQUÉ, RDI 2009. 448.
17. V. ZALEWSKI et D. SAVOURÉ, « Les garanties de l’acquéreur d’un immeuble neuf ou rénové », Defré-
nois 2011.12795.
n TITRE III n
PRIX
200. Pas de prix, pas de vente. – Le prix est une somme d’argent1 que l’acqué-
reur doit payer au vendeur en contrepartie de l’aliénation de la chose transmise. Il
constitue un élément essentiel à la vente ; pas de prix, pas de vente. Principe fon-
damental qui a deux significations. Celle qui longtemps a attiré l’attention avait
pour objet la détermination, le sérieux et la réalité du prix2. Plus profondément,
le prix permet de qualifier le contrat : une convention dans laquelle la contrepar-
tie à l’aliénation de la chose serait autre qu’une somme d’argent ne pourrait être
une vente, mais serait un autre contrat tel qu’un échange, un apport en société, un
louage d’ouvrage ou un contrat innommé3.
201. Analyse économique. – Économiquement, la somme d’argent due par l’acheteur est
généralement constituée de deux éléments : le prix et les frais de la vente.
1. Supra, no 70, pour la dation d’un immeuble à construire, en contrepartie d’un terrain.
2. Infra, nos 203-219.
3. V. PLANIOL et RIPERT, t. X, 2e éd. par Hamel, no 35. Jurisprudence constante : Ex. : * Cass. civ. 1re,
12 octobre 1967, dame Isnard, Bull. civ. I, no 292 ; D. 1968, somm., 29. En l’espèce, il s’agissait du
transfert de la nue-propriété d’un immeuble contre l’engagement de procéder à des réparations ; jugé
que la convention ne pouvait être annulée pour défaut de prix, parce qu’elle n’était pas une vente,
mais un contrat innommé.
152 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
202. Définition juridique. – Ainsi le prix comprend-il en droit « tous les élé-
ments qui profitent au vendeur et qui correspondent dans son patrimoine à la
valeur de la chose vendue »8.
Il est habituellement une somme d’argent remise au vendeur. Il peut aussi être constitué par
une compensation avec une dette du vendeur envers l’acquéreur9 ; ou le paiement d’une dette
du vendeur envers un tiers10, ce qui constitue, soit une indication de paiement si le tiers n’a pas
expressément consenti à ce que l’acquéreur devienne son débiteur, soit une délégation dans le
cas contraire11 ; le prix peut encore consister en une somme d’argent et la remise d’une chose ou
un service.
On peut classer les règles qui régissent le prix en deux catégories. Les premières, plus techni-
ques que les secondes, sont relatives à sa détermination, sa réalité, son sérieux et sa sincérité
(Chapitre 1) ; les secondes, plus politiques que les premières, tendent à en assurer la justice (Cha-
pitre 2). L’opposition doit être nuancée : toute règle, si technique soit-elle, exprime toujours une
politique et, inversement, toute politique s’exprime toujours par des règles techniques.
SECTION I
DÉTERMINATION
l’interprétation4. Tout ceci n’est que l’application du droit commun des contrats.
Le particularisme du droit français de la vente tient à une autre règle : le montant
du prix doit être déterminé par accord des parties au moment de la formation du
contrat, et « indiqué » dans l’acte, sinon la vente est nulle, voire inexistante
(art. 1591). Une lecture littérale de l’article 1591 conduirait à exiger que les par-
ties se mettent d’accord sur un chiffre et l’indiquent sur l’instrumentum ; à défaut,
la vente serait inefficace car personne ne pourrait déterminer ce prix à la place
des parties ; en particulier, le juge ne pourrait se substituer aux parties, ce qui
conduirait, à défaut d’accord entre elles, à une impossibilité de fixer un prix.
Cette interprétation de l’article 1591 a été longtemps justifiée par une considération pratique :
comment fixer le prix et sauver la vente, si les parties ne l’ont pas fait elles-mêmes dès la conclu-
sion du contrat ? Et une donnée politique : le droit français a longtemps manifesté une certaine
rigidité à l’égard du prix en voulant éviter que sa fixation mette l’une des parties à la merci de
l’autre. Les choses ont beaucoup changé à l’époque contemporaine. La suspicion à l’égard des
procédés de fixation du prix postérieurement à la vente a disparu. Demeurent deux principes :
1º) le juge ne peut intervenir sur le prix, pour le fixer, le majorer ou le diminuer5, car le prix est
l’affaire des parties ; 2º) si le prix n’a pas été précisé dans l’acte de vente, les parties doivent avoir
convenu d’un procédé de détermination du prix qui permette de parvenir à un montant sans
qu’un nouvel accord de leur part soit nécessaire, et sans que l’une des parties soit à la merci de
l’autre6. Ainsi, une nouvelle lecture de l’article 1591 s’est progressivement imposée : le prix doit
être déterminable par application des clauses du contrat. Il n’est ni nécessaire qu’il soit chiffré au
moment de la conclusion du contrat, ni indiqué dans l’acte7. Le droit de la vente se sépare donc
désormais du droit commun fixé par les arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 19958 sur
un point : il n’est pas permis aux parties de conclure une vente en abandonnant la fixation du
prix au pouvoir de l’une des parties, qui s’exercerait après la vente. Sur ce point, le droit positif
évoluera peut-être encore9 ; cette particularité de la vente pourrait être justifiée par sa nature
propre : l’échange d’une chose contre un prix. L’ordonnance du 10 février 2016, prévoyant
que le prix peut être fixé par le créancier à défaut d’accord dans les « contrats et prestations de
services » (art. 1165) et qu’une clause peut autoriser la fixation unilatérale du prix « dans les
contrats cadre » (art. 1164), paraît isoler la vente ; à moins qu’au contraire elle ne pousse à inter-
préter l’article 1591 comme permettant une telle convention ; celle-ci rend en effet la prestation
déterminable « sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire » (art. 1163).
Le sens de la règle doit être précisé dans trois hypothèses où la vente comporte
un élément qui, en raison de l’accord des parties, interdit d’en préciser le prix lors
cession ne peut empêcher le caractère parfait de celle-ci, à moins que les parties aient entendu retar-
der la formation de la convention jusqu’à la fixation de ces modalités ».
4. Cass. civ. 1re, 21 mai 1990, sur la charge de la TVA, supra, no 201.
5. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 septembre 2007, Bull. civ. III, no 159 ; Defrénois 2007.1725, obs.
R. Libchaber : « l’art. 1591 C. civ. n’impose pas que l’acte porte en lui-même une indication du prix,
mais seulement que ce prix soit déterminable » (en l’espèce, le prix de vente de l’immeuble n’était pas
énoncé dans l’acte, mais les propriétaires en avaient donné quittance à l’acheteur ; se fondant sur des
commencements de preuve par écrit, le juge a reconstitué le prix).
6. Jurisprudence constante, ex : Cass. com., 7 avril 2009, no 07-18907, Bull. civ. IV no 48 ; Dr. et
patr. juill.-août 2009, p. 89, obs. L. Aynès ; D. 2009.1138 : « S’il résulte de l’article 1591 du Code
civil que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties, ces dispositions n’imposent
pas que l’acte porte lui-même indication du prix, mais seulement que ce prix soit déterminable ; que
tel est le cas lorsqu’il est lié à la survenance d’un événement futur ne dépendant pas de la seule
volonté de l’une des parties ni d’accords ultérieurs ».
7. **Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, 4 arrêts, infra, no 209.
8. Cass. com., 7 avril 2009, cité supra.
9. V. déjà Cass. com., 29 septembre 2015, nº 14-15040, n.p.B., D. 2016. 407, n. J. Moury et
B. François : validité du modèle de vente « enveloppe fermée », prévue dans un pacte d’associé,
chaque partie s’engageant à accepter le prix proposé par l’autre, dès lors qu’il est le plus élevé. Il y a
d’autres formules : « duel à la mexicaine », « roulette russe », etc.
DÉTERMINATION, RÉALITÉ ET SÉRIEUX DU PRIX 155
de la vente, ce qui ne l’empêche pas d’être déterminable : le prix est alors calculé
par un tiers, ce qui ne soulève guère de difficultés (§ 1) ; il est fixé par un cours ou
par un tarif, ce qui a naguère suscité un énorme contentieux et un important revi-
rement jurisprudentiel (§ 2) ; il est lié à la rentabilité de la chose (§ 3).
L’article 1592 reconnaît la validité d’une vente dont le prix sera fixé par un
tiers10. Cette situation conventionnelle (I), courante dans les cessions de droits
sociaux (II), doit être distinguée de l’exercice de certains droits de préemption (III).
10. Ex. : un contrat de bière : Cass. com., 25 mai 1981, Bull. civ. IV, no 247 : « L’estimation par un
tiers désigné suivant la convention des parties rend le prix déterminable ».
11. Cass. com., 16 février 2010, no 09-11586, Bull. civ. IV no 39 ; D. 2010. 1765, n. J. Moury : « le
tiers désigné par les parties avait reçu de celles-ci mission non d’exercer un pouvoir juridictionnel,
mais de procéder sur des éléments de fait à un constat s’imposant aux parties, lesquelles en avaient
préalablement tiré les conséquences juridiques » (évaluation du prix de cession de droits sociaux).
12. Contra : Ph. STOFFEL-MUNCK, RDC 2014.318 : contrat « sui generis » d’évaluation.
13. Cass. civ. 1re, 2 décembre 1997, Frydman, Bull. civ. I, no 334 ; D. Aff. 1998.144, obs. Boizard ;
RTD civ. 1998.402, obs. P.-Y. Gautier : « si, aux termes de l’art. 1592, le prix de vente peut être laissé
à l’arbitrage d’un tiers, il importe que ce mandataire commun des cocontractants ait véritablement la
qualité de tiers, c’est-à-dire qu’il ne soit pas dans la dépendance de l’une des parties ». En l’espèce,
dans un différend qui opposait la sté l’Oréal et le groupe Frydman, les parties avaient choisi comme
tiers arbitre un ancien dirigeant d’une société du groupe l’Oréal, sans que le groupe Frydman le sût ;
jugé que sa désignation était nulle, car « le consentement donné par le groupe Frydman n’a pas été
donné librement ». Pour l’arbitrage, infra, no 1268.
14. Paris, 17 septembre 2004, Panzani, D. 2004, IR.2766 et 2005, somm. 3051, obs. Th. Clay ; RTD
civ. 2005.154, obs. crit. P.-Y. Gautier : « le tiers expert peut [...] apprécier les clauses du contrat se
rattachant à l’exercice de sa mission ».
15. Cass. com., 4 février 2004, Bull. civ. IV, no 23 ; D. 2004.2330, n. C. Bloud-Rey ; JCP G
2004.II.10087, n. C. Castets-Renard ; JCP E, 2004.1001, no 1, obs. Caussain, Deboissy et Wicker ;
Contrats, conc. consom. 2004, no 56, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2004.310, obs. P.-Y. Gautier ; en l’es-
pèce, la cour d’appel avait refusé de déclarer responsable le tiers évaluateur parce qu’il n’avait pas
commis « d’erreur grossière [...] dans l’exécution de sa mission ». Cassation : « l’erreur grossière est
une condition de la remise en cause de la détermination du prix et non de la responsabilité du man-
dataire chargé de celui-ci [...] ; le vendeur est en droit d’obtenir réparation du préjudice que lui cause
la sous-évaluation de la chose vendue ».
16. Cass. com., 6 février 2007, Bull. civ. I, no 30 ; D. 2007.656, n. X. Delpech et 2008, Panor, 385,
obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles, sol. impl., rendu dans la même affaire, approuvant l’arrêt de
156 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
puisque sa mission repose sur leur contrat17. C’est une différence importante avec celle de l’ex-
pert évaluateur visé à l’article 1843-418.
205. Office du juge. – Ce mandataire peut être désigné par les parties dans le
contrat, ou par un tiers tel que le juge si le contrat en avait prévu la faculté. Sinon,
la vente serait nulle19. Par exemple, si le contrat n’a pas désigné le mandataire, ou
si celui qu’il a choisi refuse ou décède, le juge ne peut le faire du moment que les
parties ne lui en ont pas donné le pouvoir20. La seule possibilité serait de condam-
ner à des dommages-intérêts la partie qui refuse après le contrat de choisir le tiers
qu’elle avait promis de désigner21 ; d’une manière générale, le juge ne peut lui-
même déterminer le prix22.
Cette solution est liée à la conception traditionnelle que nous avons de l’office du juge, qui ne
peut intervenir dans le contrat si les parties ne lui en ont pas donné le pouvoir. Cette position
sera peut-être un jour abandonnée, car elle est contraire aux droits des grands pays commer-
çants : il est des cas où la détermination du prix pourrait être faite par le juge, lorsque le contrat
ou le marché lui donnent les éléments qui en permettraient le calcul23.
renvoi (Versailles, 27 septembre 2005, D. 2005. 2942, n. Delpech), qui avait décidé que les erreurs du
calcul commises par les experts, à partir des résultats comptables connus, ne constituaient pas une
faute contractuelle ; la Cour avait qualifié l’obligation d’obligation de moyens.
17. Cass. com., 6 février 2007, préc., qui souligne le caractère contradictoire de la mission, en
conformité avec la « méthodologie » convenue avec les parties.
18. Infra, no 206.
19. Il faut que le tiers accepte sa mission. Ex. : Cass. civ. 3e, 23 octobre 1979, Bull. civ. III, no 188 ;
Gaz. Pal. 24 février 1980 ; RTD civ. 1980.366, obs. G. Cornu. En l’espèce, il avait été convenu que le
prix serait fixé par l’administration des domaines ; la cour d’appel avait annulé la vente, car l’adminis-
tration n’a pas pour fonction d’intervenir « directement dans la formation des prix qui doivent résulter
du libre jeu de l’offre et de la demande ». Cassation : « le service des domaines avait accepté sa mis-
sion ».
20. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ., 25 avril 1952, D. 1952.635 ; JCP G 1952.II.7181 ;
Gaz. Pal. 1952.II.71 ; RTD civ. 1952.515, obs. J. Carbonnier : « Si les parties ont seulement convenu,
dans une promesse de vente d’immeuble, que le prix serait fixé « par expert », non désigné, et qu’elles
ne peuvent après la levée d’option se mettre d’accord sur la désignation de cet expert, celle-ci, deve-
nue contentieuse, ne peut être faite par le juge, dont l’intervention, non prévue dans la convention, se
trouverait ainsi imposée pour la perfection du contrat de vente, là où la loi n’a voulu que l’action libre
et exclusive des parties ». En revanche, le juge pourrait procéder de son propre chef à la désignation de
l’expert, si le prix était déterminable : Cass. com., 10 mars 1998, Bull. civ. IV, no 99 : « La cour d’appel,
qui a ainsi fait ressortir le caractère objectif du critère choisi pour la fixation du prix, a pu en déduire
que celui-ci était déterminable et dès lors, sans se substituer aux parties, charger un expert de le chif-
frer, en application du critère retenu ».
21. Cass. civ. 1re, 24 novembre 1965, Bull. civ. I, no 651 ; JCP G 1966.II.14602, obs. Gaury ; RTD
civ. 1966.310, obs. G. Cornu : « Lorsqu’il est convenu que le prix sera évalué par des experts désignés
par les parties, la vente n’existe pas tant que la détermination du prix n’est pas faite ; la convention,
parfaitement licite, par laquelle les parties se sont obligées à désigner leurs experts, n’en doit pas moins
produire ses effets, et l’inexécution d’une telle obligation se résout en dommages-intérêts ».
22. Ex. : Cass. com., 29 juin 1981, Bull. civ. IV, no 298 ; en l’espèce, une entreprise s’était engagée à
un approvisionnement exclusif de produits pétroliers pendant dix ans ; en cours de contrat, le prix était
devenu indéterminé ; la cour d’appel l’avait calculé « en appliquant les prix habituellement pratiqués
par la sté Sud-Est-Pétroles (le fournisseur) ». Cassation : « En se substituant aux parties pour leur impo-
ser une méthode de détermination des prix qui n’avait pas recueilli leur accord, la cour d’appel a violé
le texte susvisé » (art. 1589). Comp. C. AUBERT DE VINCELLES, D. 2006.2635 s.
23. Contra : plusieurs arrêts : ex. : Cass. civ. 1re, 24 février 1998, Loualen, Bull. civ. I, no 81 ; D. Aff.
1998.531 : cassation au visa de l’article 1591 de l’arrêt des juges du fond qui avaient liquidé le prix
d’une cession de titres à leur valeur au jour de la négociation ; « en se déterminant ainsi par des élé-
ments extérieurs à l’acte de cession, la cour d’appel a procédé à une fixation judiciaire du prix et a ainsi
violé le texte susvisé ».
DÉTERMINATION, RÉALITÉ ET SÉRIEUX DU PRIX 157
La détermination du prix par le tiers s’impose au juge24, sauf si ce tiers a commis une erreur
grossière25 ; le juge doit alors nommer un nouvel expert26. Cette détermination est licite parce
qu’aucune des parties n’est à la discrétion de l’autre ; mais elles deviennent toutes deux soumi-
ses au pouvoir du tiers convenu, toujours sous la réserve de l’erreur grossière.
Si le tiers est mis dans l’impossibilité d’exercer sa mission par le fait d’une partie, la vente est
nulle27.
24. Ex. : Cass. com., 4 novembre 1987, Bull. civ. IV, no 226 ; JCP G 1988.II.21050 et n. A. Viandier :
« Il n’appartient pas au juge, en modifiant le prix, d’imposer aux parties une convention différente de
celle qu’elles avaient entendu établir ».
25. Jurisprudence constante. Ex. : Cass. civ. 1re, 25 novembre 2003, Bull. civ. I, no 243 ; D.
2003.3053, n. A. Lienhard ; RTD civ. 2004.308, obs. P.-Y. Gautier : « en modifiant le sens de la mission
qui lui était confiée et en sortant du cadre juridique qui en était le fondement, l’expert avait commis
une erreur grossière ». Comp. Cass. com., 15 janvier 2013, no 12-11666, Bull. civ. IV no 9 ; D. 2013.
342, n. A. Couret (ne commet pas une erreur grossière l’expert qui n’anticipe pas une évolution de la
jurisprudence).
26. Le juge ne peut procéder lui-même à cette évaluation, mais doit désigner un expert :
Cass. civ. 1re, 25 janvier 2005, JCP 2005.II.10.046, n. O. Renard-Payen ; Bull. civ. I, no 49 ; Contrats,
conc. consom. 2005, comm. no 79, n. L. Leveneur ; Defrénois 2005.1146, n. D. Gibirila.
27. Cass. civ. 2e, 8 avril 1999, Bull. civ. II, no 67 ; JCP G 1999.II.10136, n. A. Viandier ; Contrats,
conc. consom. 1999, no 125, n. L. Leveneur ; RTD civ. 1999.852, obs. P.-Y. Gautier ; Revue de l’arbi-
trage 2000.106, obs. J. Pellerin ; en l’espèce, le cédant et l’entreprise cédée avaient par des « pratiques
arbitraires » pesé sur la détermination du prix, car la comptabilité qu’ils avaient présentée était parti-
culiérement obscure, au point d’être inutilisable.
28. Biblio. : J. MOURY, Droit des ventes et des cessions de droits sociaux à dire de tiers, Dalloz Réfé-
rence, 2011-2012.
29. Un prix global suffit lorsque plusieurs sociétés font l’objet de la cession de contrôle : Cass. com.,
8 avril 2008, Bull. civ. IV, no 84 ; D. 2008.1203, n. X. Delpech ; RTD civ. 2008.475, B. Fages ; RTD
com. 2008.780, obs. C. Champaud et D. Danet ; l’art. 1591 « n’exige pas la ventilation du prix ».
30. Ex. : Cass. com., 10 mars 1998, Bull. civ. IV, no 99 ; JCP G 1998.I.163, no 2, obs. A. Viandier et
J.-J. Caussain ; Defrénois 1998, art. 36811, no 8, obs. crit. H. Hovasse : « l’arrêt (de la cour d’appel) a
constaté que l’acte faisait référence, pour la fixation du prix des actions restant à acquérir, à la valeur
réelle de l’entreprise et à l’évolution des résultats et que les éléments sont indépendants de la seule
volonté des parties ; la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir le caractère objectif des critères choisis
pour la fixation du prix, a pu en déduire que celui-ci était déterminable et, dès lors, sans se substituer
aux parties, charger un expert de la chiffrer en application du critère retenu ».
31. Ex. : Cass. com., 14 décembre 1999, Bull. civ. IV, no 234 ; D. 2000, somm. 335, obs. Reygrobel-
let, 474, obs. Hallouin a jugé nulle, par application de l’art. 1591, une cession où « la détermination
du prix définitif nécessitant l’établissement contradictoire du bilan à la veille de la régularisation de la
cession, sans que les parties [...] aient prévu la désignation, en cas de désaccord, d’un expert chargé de
faire l’estimation, ce dont il résultait la nécessité d’un nouvel accord de volontés ».
158 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Le recours à un tiers expert est prévu par l’article 1843-4 lorsque la cession s’impose à un
associé32, résulte de la loi ou des statuts ; à défaut d’accord entre les parties, le président du
tribunal statuant en la forme des référés doit désigner un expert chargé de déterminer la valeur
des droits sociaux33. Son rôle est un peu différent de celui du mandataire commun de l’arti-
cle 1592 : il ne s’agit pas tant d’arbitrer un prix que de révéler une valeur. La Cour de cassation
a ainsi considéré que l’expert était investi d’une mission technique par la loi et non par les par-
ties, de sorte qu’il n’aurait pas à respecter les méthodes et directives dont elles avaient pu
convenir34. Une ordonnance du 31 juillet 2014 est venue briser sa jurisprudence et mofifier
l’art. 1843-4 : « l’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer lorsqu’elles existent, les règles et
modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts ou par toute convention liant les
parties »35. Il ressemble pour le surplus à un mandataire commun (art. 1592 préc.)36.
III. — Préemption
207. Proposition de prix. – Dans d’autres occasions, le juge exerce un rôle dans la détermi-
nation du prix. Sans parler de l’expropriation, qui n’est pas une vente, dans certaines préemp-
tions (ni celle de l’indivisaire, ni celle du locataire), le bénéficiaire de la préemption peut
demander au juge de diminuer le prix proposé à l’occasion d’une vente amiable37 (ex. : la
SAFER fait une contre-proposition renvoyant la balle au vendeur : C. rur. pm., art. L. 143-1
et s.). La situation est différente de celle que régit l’article 1592 : le « prix du juge » ne s’impose
pas aux parties qui peuvent renoncer à l’acte ; il constitue seulement une proposition.
208. Vente à terme. – Dans la vente au cours, le prix est déterminé par réfé-
rence à une cotation de la chose vendue sur un marché. Généralement, le cours
choisi par les parties est celui qui est en vigueur au jour de la livraison. Ce qui
implique qu’il existe un cours et surtout que la livraison de la chose et le paiement
du prix soient tous deux à terme.
Ce genre de stipulation est fréquent dans une période d’instabilité économique où il est
impossible au vendeur de prévoir le futur prix de revient de la marchandise ; on la rencontre
aussi en droit boursier.
32. De sorte qu’en dehors de ces cas, c’est le droit commun qui s’applique : Cass. com., 11 mars
2014, no 11-26915, Bull. civ. IV nº 48 ; D. 2014. 759, n. B. Dondero : inapplicabilité à une « promesse
unilatérale de vente librement consentie par un associé ». Sauf à ce que les parties se soumettent
volontairement au texte (A. COURET et J. MOURY, D. 2015.1328).
33. L. BORÉ et alii, « Les experts », Revue de droit d’Assas, oct. 2012, p. 74 s. B. DONDERO,
« Art. 1843-4 C. civ. : classifications suggérées », Mélanges B. Tricot, Dalloz-Litec, 2011. A. COURET,
« L’évolution récente de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil »,
Ét. B. Bouloc, Dalloz, 2007, p. 249 ; Y.-M. SERINET, RDC 2009. 657.
34. Cass. com., 5 mai 2009, no 08-17465, Bull. civ. IV no 61 ; D. 2009.1349, n. A. Lienhard et 2195,
n. B. Dondero ; RTD civ. 2009. 548, obs. P.-Y. Gautier ; Dr. et patr. avril 2010, p. 108, obs. D. Porac-
chia : « seul l’expert détermine les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits,
parmi lesquels peuvent figurer ceux prévus par les statuts [...] ; en précisant la méthode à suivre par
l’expert, la cour d’appel a violé [l’art. 1843-4] ». Elle avait même jugé que ces particularités ne sau-
raient donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité : Cass. com., 8 mars 2011, no 10-
40069, Bull. civ. IV, no 36 ; D. 2011.1390, n. A. Couret et 2421, chron. J. Moury ; RTD civ. 2011.364,
obs. P.-Y. Gautier.
35. A. COURET et J. MOURY, passim (régime général et pouvoir d’interprétation).
36. Cass. com., 15 janvier 2013, préc.
37. Ex. pour le fermier : C. rur. pm., art. L. 412-7. Cass. civ. 3e, 7 novembre 1990, Bull. civ. III,
no 220 : le juge doit « prendre en considération pour fixer la valeur vénale des biens au jour de la
vente la moins-value résultant de l’existence du bail ».
DÉTERMINATION, RÉALITÉ ET SÉRIEUX DU PRIX 159
Appliquant les principes généraux, la Cour de cassation décide que la vente est
nulle ou valable selon qu’une partie est ou non soumise au pouvoir de l’autre. Si
le prix n’est pas fixé par le contrat, la vente est valable lorsque le cours résulte
d’un marché, parce que le prix est indépendant de la volonté ultérieure du ven-
deur ou de l’acheteur lorsque le marché est important, bien que l’acheteur et le
vendeur fassent tous deux partie du marché, car le pouvoir de négociation dont ils
disposent est trop faible pour infléchir les cours38. Au contraire, la vente est nulle
lorsque la référence à un cours est indéterminée, ou qu’il n’existe pas de marché
de référence39.
38. Ex. : Cass. civ. 1re, 14 décembre 2004, Bull. civ. I, no 327 ; Contrat, conc. consom. 2005, comm.
no 64, n. L. Leveneur, (cours de la pomme de terre).
39. Cass. com., 21 mars 1983, Bull. civ. IV, no 110 : « après avoir constaté que la convention liti-
gieuse ne donnait aucune indication sur le prix de la fourniture de farine, ne se référait à aucun prix
de marché et ne visait aucune place ni aucune mercuriale déterminée, la cour d’appel qui a fait res-
sortir que la référence au cours en vigueur lors de chaque livraison, loin de se reporter à une indication
sérieuse, précise et objective, revêtait un caractère potestatif laissant à M. Pascoualle (le concédant
d’une exclusivité de vente) la possibilité de traiter à un prix fixé unilatéralement, a décidé à bon droit
que la convention susvisée était nulle ».
40. Cass. com., 2 juillet 1979, D. 1980, IR, 225, n. B. Audit.
41. Jurisprudence constante depuis ** Cass. Ass. plén., 1er décembre 1995, SA cie Atlantique de
téléphone, 3e esp., et 3 autres arrêts du même jour, GAJ civ., nos 152-155 ; D. 1996.17, concl. Jéol,
n. L. Aynès ; JCP G 1996.II.22.565, concl. Jéol, n. J. Ghestin ; RJDA 1996.1, chron.
M.-A. Frison-Roche ; LPA, 27 décembre 1995, obs. D. Bureau et N. Molfessis ; Defrénois 1996,
article 36.354, no 57, obs. Ph. Delebecque ; RTD civ. 1996.153, obs. J. Mestre : « Lorsqu’une conven-
tion prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la
convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus
dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».
42. Ex. : Cass. com., 4 novembre 2014, nº 11-14026, n.p.B., JCP G 2014. 1310, n. A.S. Choné-Gri-
maldi ; D. 2015. 183, n. J. Ghestin ; RTD civ. 2015. 123, obs. H. Barbier ; RDC 2015. 233, obs.
Ph. Stoffel-Munck, 293, obs. M. Béhar-Touchais : fourniture de chair d’escargot, le vendeur facture à
l’acheteur 25 % plus cher qu’à ses autres clients, sa marge avec l’approvisionné est de 29 %, alors
qu’elle n’est que de 10 % avec les autres : ces éléments prouvent « le caractère excessif des prix » et
ce « dès l’origine », de sorte qu’il a « abusé de son droit de fixer unilatéralement le prix des marchan-
dises ».
43. Supra, no 203.
160 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’ordonnance du 10 février 2016 codifie la jurisprudence à l’article 1164 C. civ., avec la même
limite de l’abus, pouvant entraîner le cas échéant la résolution du contrat.
Le droit de la concurrence (C. com., art. L. 420-2) se réfère aussi à l’abus dans la fixation du
prix, l’abus des prix bas ; il a un autre objectif, l’assainissement de la concurrence. Le droit de la
consommation exige, « lorsque le prix ne peut être raisonnablement calculé à l’avance », que le
vendeur fournisse « le mode de calcul du prix » (C.consom., art. L. 112-3).
44. « La détermination du prix : nouveaux enjeux un an après les arrêts de l’Assemblée plénière »,
ouvr. collectif, Dalloz, RTD com. 1997 ; sur la détermination du prix en droit allemand :
F. KUTSCHER-PUIS, « Détermination du prix de vente – L’expérience allemande », RID comp. 1997, no 1.
45. En revanche, le fournisseur qui vend à un client plus cher qu’au reste de sa clientèle, avec de ce
fait une marge brute beaucoup plus élevée, commet un abus, empêchant l’approvisionné de « faire
face à la concurrence » : Cass. com., 4 novembre 2014, préc.
46. La Cour de cassation a pris une position prudente et circonstanciée dans une affaire de contrat
de coffre-fort (infra, no 868), qui a une portée générale pour déterminer l’abus dans le pouvoir unilaté-
ral de fixer un prix : Cass. civ. 1re, 30 juin 2004, Bull. civ. I, no 190 ; D. 2005.1828, n. D. Mazeaud ;
RTD civ. 2004.749, obs. P.-Y. Gautier ; RDC 2005.275, obs. Ph. Stoffel-Munck : « chaque partie
étant libre de fixer les prix qu’elle entend pratiquer, le nouveau prix n’est pas abusivement fixé, malgré
une augmentation de 100 %, car le comportement n’est pas fautif dans la mesure où le client a été
averti en temps utile de cette future hausse ».
47. V. F. SAFI, Droit et patr. mars 2013, p. 30 s. ; A. CONSTANTIN, RTD com. 2012.129 ; J.-P. BERTREL,
Dr. et patr. nov. 2008, p. 44 s.
DÉTERMINATION, RÉALITÉ ET SÉRIEUX DU PRIX 161
Ce type de stipulations peut s’expliquer de deux manières : soit il s’agit d’un bien dont la
valeur dépend des produits qu’il permet d’obtenir ; les parties déterminent le prix, non sur une
estimation, toujours approximative, mais d’après les produits futurs réels (brevet, fonds de com-
merce, créance...) ; soit le bien a une valeur en lui-même, indépendamment de son exploitation ;
mais le vendeur entend être associé à la rentabilité qu’il prend entre les mains de l’acquéreur.
Dans ce second cas, la clause est plus difficile à justifier, car le vendeur, par définition, aliène la
chose et perd donc tout intérêt à son exploitation. Mais souvent, les deux raisons sont cumulées :
par exemple, dans la vente à un constructeur d’un terrain dont la valeur dépend de la construc-
tibilité effective, laquelle sera fixée par le permis de construire. De plus, il arrive que le vendeur,
souvent une collectivité locale, entende décourager une revente spéculative d’un terrain qu’il a
vendu dans des conditions avantageuses pour des raisons sociales, en imposant à l’acquéreur s’il
revend dans un certain délai un partage ou même la confiscation de la plus-value.
Ces stipulations soulèvent une difficulté relative à la liberté de l’acquéreur. S’il s’agit bien de
déterminer le prix de la vente, l’acquéreur ne devrait avoir aucune liberté, ou, à tout le moins,
être étroitement contrôlable par le vendeur. La clause participe de la détermination du prix. Au
contraire, s’il s’agit d’associer le vendeur aux profits futurs (à la vente s’ajoute une espèce de
participation), l’acquéreur ne répond que de sa faute, et la validité de la vente n’est pas en
cause. La clause devrait alors être qualifiée de clause « d’intéressement ». La notion de « com-
plément de prix » à laquelle se réfère la pratique ne permet pas de trancher, car dans les deux
cas la somme est due en raison de la vente.
En général, les tribunaux décident que la vente est valable, même en présence d’une clause
de détermination du prix, parce que le vendeur n’est pas à la merci de l’acheteur, mais seule-
ment d’un aléa commercial qu’il a accepté48.
SECTION II
RÉALITÉ ET SÉRIEUX
212. Subjectif et objectif. – Le prix doit être réel et sérieux pour que la vente
soit valable. La raison de cette règle est différente de celle qui impose la détermi-
nation du prix. Elle s’est longtemps trouvée dans la théorie de la cause, qu’a aban-
donnée l’ordonnance du 10 février 2016 sur la réforme des contrats, la rempla-
çant par celle des contreparties : « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au
moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage
est illusoire ou dérisoire » (art. 1169). Il ne suffit pas que la vente ait été voulue
(c’est-à-dire qu’il y ait eu un consentement exempt de vices), il faut aussi que
l’obligation du vendeur ait une contrepartie, le prix.
Les deux notions de prix réel et sérieux sont distinctes, car elles n’ont pas la
même teneur : l’une est subjective, s’attachant à l’intention des parties (§ 1), l’autre
est objective, s’attachant à l’existence matérielle du prix (§ 2). La jurisprudence ne
fait pas toujours la différence.
§ 1. PRIX RÉEL
Ce qui s’oppose au prix réel est le prix fictif (parfois dénommé prix simulé), dont
il était convenu entre les parties, dès la conclusion du contrat, qu’il ne serait
48. Ex. : Cass. civ. 1re, 28 juin 1988, Bull. civ. I, no 212 ; D. 1989.121, n. Ph. Malaurie ; Defrénois
1989.443, obs. G. Vermelle ; RTD civ. 1989.299, obs. J. Mestre et 343, obs. Ph. Rémy : en l’espèce,
une partie du prix dépendait du chiffre d’affaires que l’acquéreur aurait obtenu en exploitant lui-
même le bien acquis (un cabinet d’expertise automobile) ; jugé que le prix était déterminé car il « ne
dépendait que de l’aléa prévu et accepté par les parties dans l’intérêt de M. Delaison » (l’acquéreur).
162 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
jamais payé. Par exemple, au moyen d’une contre-lettre, le vendeur en fait remise
à l’acheteur. La jurisprudence décide que le contrat est valable s’il constitue une
donation déguisée, qui suppose démontrée l’intention libérale.
213. Simulation et fisc. – Le principe est qu’une vente est valable, comme tout
acte juridique, même si elle comporte une simulation. Sauf une exception, impor-
tante en pratique : dans les ventes d’immeubles et biens assimilés (office ministé-
riel, fonds de commerce, clientèle, droit au bail immobilier), la loi (art. 1202,
ancien art. 1321-1), afin de lutter contre la fraude fiscale fréquente en la matière,
annule les contre-lettres majorant secrètement le prix49 ; cette nullité peut être
invoquée par chacune des parties, même celle qui avait eu l’initiative de
l’illicéité50 ; mais les règles de la responsabilité peuvent l’obliger à réparer le pré-
judice qu’elle a causé à son contractant.
Certaines décisions avaient prononcé la double nullité et de la contre-lettre et de l’acte appa-
rent, en y voyant une cause illicite ; le juge, par exemple, estimait que la contre-lettre constituait
la cause impulsive et déterminante de la vente ; ou bien encore, ce qui était à peu près la même
chose, que la contre-lettre et l’acte ostensible formaient une convention indivisible. Cette solu-
tion a été abandonnée pour une raison de politique législative, la prime à la dénonciation de
l’illicite : il n’y a pas lieu de tenir compte d’une indivisibilité, même si elle existe ou a été stipu-
lée ; seule la contre-lettre doit être annulée51.
§ 2. PRIX SÉRIEUX
214. Dérisoire. – Un prix est sérieux lorsqu’il n’est pas dérisoire ; il est dérisoire lorsqu’il est
inexistant (zéro euro) ou ridiculement bas (un lingot d’or vendu à un euro), ce qui est un critère
objectif (rappr. nouvel art. 1169) Par exemple, dans la vente moyennant rente viagère, lorsque
les arrérages de la rente sont inférieurs aux revenus produits par la chose52. On a contesté la
solution, en remarquant que le vendeur était débarrassé du souci et des aléas de la gestion, ce
qui aurait conféré une cause à son obligation et dû rendre valable la vente53. L’utilité de la
49. Ex. : vente d’immeuble pour un prix déclaré de 1 000 ; contre-lettre majorant le prix de 500. En
faisant annuler la contre-lettre, l’acheteur est dispensé de payer les 500 et conserve l’immeuble en
n’ayant payé que 1 000. L’acte secret n’est pas nécessairement écrit : Cass. civ. 3e, 5 mars 1997,
Bull. civ. III, no 51 ; D. Aff. 1997.441 ; « l’acte secret n’avait pas besoin d’avoir une existence maté-
rielle » ; en l’espèce, le vendeur avait admis avoir reçu une somme non déclarée dans l’acte ; la dissi-
mulation était donc « avérée ».
50. Cass. civ. 3e, 25 juin 1985, Bull. civ. III, no 103 ; D. 1986.212, n. crit. E. Agostini : « La nullité
d’ordre public dont était frappée la lettre de change (qui représentait la partie dissimulée du prix)
interdisait aux juges de lui faire produire effet, et l’acheteur était en droit de s’en prévaloir alors
même qu’il en aurait été responsable ».
51. Cass. ch. mixte, 12 juin 1981, Bull. civ. ch. mixte, no 5 ; D. 1981.413, concl. Cabanes ; RTD civ.
1982.140, obs. Fr. Chabas : « La nullité édictée par ce texte (actuel art. 1202 al. 2) à l’égard de toute
convention ayant pour but de dissimuler partie du prix de vente d’un immeuble ne s’applique qu’à la
convention secrète et ne porte pas atteinte à la validité de l’acte ostensible sans qu’il y ait lieu de
rechercher s’il y a ou non indivisibilité entre les deux conventions ».
52. Ex. : * Req. 1er mai 1911, cons. Pellet, DP 1911.1.353, n. M. Planiol : « En droit, le prix est un des
éléments essentiels et constitutifs du contrat de vente, et en fait, il appartient aux tribunaux de consi-
dérer la vente comme manquant en réalité de prix, lorsque, suivant leur appréciation, le revenu de la
chose vendue suffit pour l’exécution des engagements contractés envers le vendeur, sans que l’ache-
teur n’ait aucune chance (sic) de perte à courir, ni aucun sacrifice à faire de ses propres deniers ». Afin
de calculer le revenu, il faut tenir compte des fruits produits par la chose, non de ceux qui sont impu-
tables au travail de l’acquéreur : ex. : pour une vente de vignes : Cass. civ. 1re, 24 octobre 1978,
Bull. civ. I, no 319 ; JCP N 1979.7168 ; RTD civ. 1979.396, obs. G. Cornu : « Le revenu à prendre en
considération était celui que pouvait produire le capital représentant l’ensemble immobilier formant
l’objet de la vente, à l’exclusion des fruits que l’acquéreur retirait de l’exploitation grâce à son travail ».
53. PLANIOL, n. préc. ; PLANIOL et RIPERT, t. X, par J. Hamel, no 41.
DÉTERMINATION, RÉALITÉ ET SÉRIEUX DU PRIX 163
théorie du prix sérieux apparaît surtout lorsqu’une vente n’est pas rescindable pour cause de
lésion (par exemple, une vente aléatoire telle que la vente moyennant rente viagère – il n’y a
pas de prix sérieux lorsque cette vente manque d’aléa – ou une vente mobilière telle qu’une
cession de fonds de commerce). Il ne faut pas confondre le prix dérisoire avec le prix insuffisant,
qui pose un problème différent, celui de la lésion54. L’aléa s’apprécie (comme pour la lésion) au
jour de la cession55. Dans le cas du prix dérisoire, ce sont l’objet et la contrepartie qui font
défaut, rendant nul le contrat, de nullité relative56. La prescription obéissant au droit commun
(art. 2224), le délai de deux ans, propre à la lésion (art. 1676), est inapplicable57.
215. Vente à un euro. – La vente à un euro est parfois valable, soit parce que la
convention constitue une donation indirecte58, soit parce que, lors du contrat, la
chose était sans valeur – par exemple, une entreprise en difficultés59 ; soit surtout
parce que la chose vendue a une autre contrepartie que l’unique euro. Elle est
valable et soumise au régime de la vente si l’acquéreur prend des obligations
constituant une contrepartie de la chose60 réelle et sérieuse61. Il en est de même
du crédit-bail, où le prix finalement payé peut être dérisoire parce que résiduel ;
54. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 juillet 1995, Bull. civ. I, no 303 ; D. 1997.206, n. A.-M. Luciani ; RTD civ.
1995.881, obs. J. Mestre : erreur d’étiquetage d’une bague ; mais « le prix n’apparaît nullement déri-
soire » ; la vente est maintenue.
55. Cass. civ. 3e, 27 mai 2010, no 09-65258, n.p.B. ; JCP G 2010 no 843, n. Y. Dagorne-Labbé : ces-
sion de parts sociales d’une SCI ; l’immeuble loué rapportait déjà le triple du montant de la rente ;
Cass. civ. 1re, 5 mai 1982, Bull. civ. I, no 164 : vente moyennant rente viagère ; l’acheteur savait que
le vendeur allait bientôt mourir ; jugé que la vente était nulle.
56. La chambre commerciale de la Cour de cassation décidait que la nullité était absolue : *Cass.
com., 23 octobre 2007, D. 2008, 954, n. G. Chantepie ; JCP G 2008.II.10024, n. N. Roget ; Defrénois
2007.1729, obs. R. Libchaber ; RDC 2008.234, obs. Th. Genicon ; Contrats, conc. consomm. 2008,
comm. no 65, n. L. Leveneur ; Bull. civ. IV, no 226 ; Dr. et patr. mai 2008, p. 91, n. L. Aynès et
Ph. Stoffel-Munck (cession de parts sociales) : « absence d’un élément essentiel du contrat » ; mais la
troisième chambre civile est d’un avis contraire : nullité relative (Cass. civ. 3e, 24 octobre 2012, no 11-
21980, n.p.B. ; Droit et patr. juin 2013, p. 69, obs. L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck : « un contrat de
vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et cette nullité, fondée sur
l’intérêt privé du vendeur, est une nullité relative »). La chambre commerciale s’est inclinée :
Cass. com., 22 mars 2016, no 14-14218, Bull. civ. IV à paraître ; Contrats, conc., consom. 2016,
no 136, n. L. Leveneur ; JCP G 2016, no 797, obs. Y.-M. Serinet ; RTD civ. 2016. 343, obs. H. Barbier :
c’est « la nature de l’intérêt, privé ou général », qui dicte le régime de la nullité (cession de parts socia-
les).
57. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 décembre 2010, no 09-16838, Bull. civ. III, no 224 : immeuble vendu
1 500 000 €, alors qu’il en vaut 16 700 000, la demande, quoique formulée près de 8 ans après la
vente, restait recevable.
58. Infra, no 218.
59. Ex. : Paris, 11 septembre 2009, Bull. Joly Sociétés 2009.374, n. P.-Y. Gautier : cession entre
actionnaires de la quasi-totalité des titres, elle est valable, car « le vil prix était justifié par l’opération
de rééquilibrage souhaitée par les différents partenaires. La situation de la société était alors critique ».
60. Ex. : vente pour le prix de quelques centimes d’euro d’un terrain, de bâtiments, d’un matériel
avec une reprise de dettes « l’ensemble formant un tout indivisible » : Cass. civ. 3e, 3 mars 1993,
Bull. civ. III, no 28 ; JCP G 1994.I.3744, no 1, obs. M. Fabre-Magnan ; RTD civ. 1994.124, obs.
P.-Y. Gautier : « Dans le cadre de l’économie générale du contrat, la vente du terrain était causée et
avait une contrepartie réelle ».
61. Dans une décision relative à la liquidation judiciaire d’une cie d’aviation, la Cour de cassation a
vérifié si les prestations complémentaires de l’euro symbolique avaient ou non constitué une contre-
partie réelle, et sérieuse de la chose vendue : Cass. com., 28 septembre 2004, sté EAS (Euro Airlines),
Bull. civ. IV, no 167 ; D. 2005.302, n. M. A. Rakotovahiny ; RTD civ. 2005.157, obs. P.-Y. Gautier :
« c’est à bon droit que la cour d’appel après avoir relevé que le prix de 5 F ne constituait pas un prix
réel pour la cession respective de trois aéronefs, d’un matériel d’exploitation, d’un stock, de deux
créances dont l’une pouvait atteindre 1 000 000 F, de la billetterie dans la limite de 5 000 000 F a
retenu que l’engagement par le concessionnaire de reprendre certains contrats de travail ne pouvait
être considéré comme une contrepartie des biens cédés ». Cette décision moralise le règlement des
entreprises en difficultés, mais le rend difficile.
164 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
les loyers antérieurs avaient amorti le bien et la validité du contrat s’apprécie dans
son ensemble62.
La réglementation de l’urbanisme permet à l’occasion de l’octroi d’un permis de construire
(C. urb., art. R. 111-14) ou d’une autorisation de lotir (art. R. 315-29, 1) ou en remplacement de
la taxe locale d’équipement (art. R. 332-6), la cession gratuite ou la vente à un euro de terrains
au profit de la collectivité publique. C’est une façon d’obliger le constructeur ou le lotisseur à
financer des équipements publics63. Cette opération est valable puisqu’elle est prévue par la loi
(dans la mesure où la réglementation lui est conforme), bien qu’elle ne soit ni une vraie vente
(puisqu’il n’y a pas de prix véritable), ni encore moins un acte à titre gratuit (puisqu’il n’y a pas
d’intention libérale et que l’opération est forcée). Il s’agit d’une forme simplifiée d’expropriation.
216. Prix excédant la valeur apparente. – À l’inverse, alors que la chose vendue est peu
valorisée au bilan, le prix peut être substantiel compte tenu de sa valeur de rendement, suscep-
tible d’être liée à divers actifs, notamment incorporels64. Cette situation se rencontre dans les
cessions de droits sociaux de certaines entreprises.
SECTION III
SANCTIONS
217. Nulle ou valable. – La vente est nulle lorsque le prix est indéterminé, fictif
ou dérisoire ; cependant, lorsqu’il est fictif ou dérisoire, elle peut être maintenue à
titre de donation déguisée ou indirecte si le « vendeur » avait eu l’animus
donandi.
218. Nullité relative. – Lorsqu’une vente est conclue sans que le prix ait été
réel ou sérieux, la jurisprudence avait un moment décidé qu’il n’existait pas de
contrat, parce qu’il n’y avait pas de prix. Elle frappait la vente de nullité absolue,
sanction pratique de l’inexistence, avec les séquelles qui en résultaient : indépen-
damment de la prescription, désormais de cinq ans pour toutes les nullités
(art. 2224), la nullité pouvait être invoquée par tout intéressé65, la vente ne pouvait
être confirmée. Si les parties n’avaient pas fixé de prix, le juge ne pouvait en cas
de désaccord se substituer à elles, même en suivant une estimation d’experts66. Le
juge ne pouvait non plus soulever d’office la nullité67. Cette jurisprudence avait
été abandonnée par les chambres civiles de la Cour de cassation, mais maintenue
à tort par la chambre commerciale ; elle vient d’être abandonnée.
Désormais, la vente dont le prix est fictif ou inexistant est nulle d’une nullité
relative, parce qu’un intérêt privé est exclusivement en cause68 ; seul, par consé-
quent, le vendeur pourrait l’invoquer, de même, le contrat pourrait être confirmé.
219. Donation déguisée et indirecte. – Lorsque le prix est fictif, une partie,
généralement l’acheteur, combat parfois la nullité en invoquant la théorie des
donations déguisées et des donations indirectes. Si elle parvient à démontrer que
le vendeur était animé d’une intention libérale, elle aura démontré que la véri-
table qualification du contrat n’est pas celle que donnent les apparences, qu’il
ne s’agit pas d’une vente (qui serait nulle), mais d’une donation (qui est valable)
parce que l’appauvrissement du vendeur est justifié par son animus donandi ; elle
est alors soumise aux règles de fond des donations.
Donation déguisée et donation indirecte diffèrent, en principe, profondément69. La première
suppose un mensonge, une simulation : apparemment, l’acte est une vente ; en réalité, les parties
ont eu l’intention de donner. La seconde, au contraire, n’implique aucun mensonge, mais
confère un avantage consenti par le biais d’un acte à titre onéreux volontairement déséquilibré.
L’objet de la donation déguisée, en vue du calcul du rapport, de la réduction, ou de la révoca-
tion, est la chose vendue ; alors qu’il consiste dans la différence de valeur en cas de donation
indirecte (somme d’argent). En réalité, la jurisprudence contemporaine n’applique rigoureuse-
ment cette distinction, ni dans son principe, ni dans ses effets. Traditionnellement, l’application
de la théorie des donations déguisées à la vente dépendait seulement du point de savoir si l’acte
respectait les règles de forme de la vente.
68. Cass. com., 22 mars 2016, préc. : « attendu qu’il y a lieu d’adopter la même position [que la
première et la troisième chambres civiles] ; qu’en effet, c’est non pas en fonction de l’existence ou
de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature
de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime
de nullité applicable ; Attendu qu’en l’espèce, l’action en nullité des cessions de parts conclues pour
un prix indéterminé ou vil ne tendrait qu’à la protection des intérêts privés des cédants » ; nullité d’un
bail à construction dont le loyer était dérisoire : * Cass. civ. 3e, 21 septembre 2011, no 10-21900,
Bull. civ. III, no 152 ; RDC 2012.47, obs. E. Savaux et 130, obs. J.-B. Seube ; JCP G 2011, no 1276,
n. J. Ghestin ; D. 2011.2711, n. D. Mazeaud ; Dr. et patr., févr. 2012, p. 64, n. Ph. Stoffel-Munck.
69. Les successions, coll. Droit civil.
70. Cass. civ. 1re, 22 octobre 1975, Bull. civ. I, no 288. « Les libéralités faites sous le couvert d’actes à
titre onéreux sont valables lorsqu’elles réunissent les conditions de forme requises pour la constitution
des actes dont elles empruntent l’apparence, les règles auxquelles elles sont assujetties quant au fond
étant celles propres aux actes à titre gratuit ». Un arrêt a même décidé qu’il pouvait y avoir une dona-
tion déguisée valable dans un acte de vente dont le prix avait été laissé en blanc : Cass. civ. 1re,
9 novembre 1976, Bull. civ. I, no 341 ; Defrénois 1977, article 31467, no 70, p. 941, obs. J.-L. Aubert :
le vice de l’acte en la forme était pourtant profond.
71. Cass. civ. 3e, 7 avril 1976, Bull. civ. III, no 144.
72. Cass. civ. 1re, 2 février 1970, Bull. civ. I, no 41 : l’action en révocation pour ingratitude d’une
donation déguisée d’une vente à vil prix n’est recevable que si est démontrée l’intention libérale :
« demoiselle Théodore (la prétendue donatrice), n’établissant pas son intention libérale, ne démontrait
pas la simulation alléguée ».
73. Sur la preuve de la simulation : Droit des obligations, coll. Droit civil.
n CHAPITRE II n
JUSTICE DU PRIX
Savoir si un prix est juste ne relève pas seulement du droit, mais est aussi lié aux
fondements du droit : faut-il et comment imposer une justice contractuelle ? À pre-
mière vue, la question paraît dépendre exclusivement de facteurs économiques.
220. Libéralisme économique. – Dans un régime de libéralisme économique, la recherche
du juste prix est une question qui ne se pose pas.
Dans le pur libéralisme, c’est-à-dire l’économie de marché, la fixation des prix dépend de la
loi de l’offre et de la demande ; elle est librement faite par les particuliers, ce qui semble
conforme aussi bien à l’intérêt privé qu’à l’intérêt général. À l’intérêt privé, parce que chacun
des contractants défend lui-même ses intérêts, et ce serait de cet antagonisme entre les deux
contractants que résulterait l’équilibre contractuel ; du moment que le consentement a été
sain, le contrat serait juste. À l’intérêt général, parce que la recherche du profit dans une société
de libre concurrence constituerait le seul stimulant de l’activité économique, en développant par
« une main invisible » (Adam Smith) l’esprit de création et de consommation. Le postulat du
libéralisme économique est que le droit n’a pas à contrôler la justice du prix.
SECTION I
RESCISION POUR LÉSION
222. Vente d’immeuble et autres contrats. – Le Code civil (art. 1674 à 1685) permet au
vendeur d’immeuble de demander la rescision de la vente quand il a été lésé de plus des sept
douzièmes1. Des lois postérieures ont prévu une révision (non une rescision) pour cause de
lésion des achats de produits intéressant l’agriculture (L. 8 juill. 1907) et des cessions de droits
d’auteur (C. propr. intell., art. L. 131-5) ; la jurisprudence a aussi admis dans les contrats de man-
dat et d’entreprise une modération des honoraires excessifs, c’est-à-dire de la rémunération due
aux professions libérales.
§ 1. FONDEMENTS
223. Subjectif ou objectif. – En droit français, la lésion ne vicie pas, généralement, la
convention (art. 1168, nouveau, qui n’emploie plus ce mot, ancien art. 1118)2. Pourquoi donc
la vente d’immeuble est-elle le seul contrat à pouvoir être rescindé pour cause de lésion, et
pourquoi dans cette vente seul le vendeur peut-il exercer la rescision, et pourquoi la prescription
est-elle aussi brève ?
Plusieurs explications ont été données : les unes, de nature individualiste, rattachent la resci-
sion à d’autres institutions (I) ; les autres, de nature objective, confèrent à la rescision une auto-
nomie (II).
I. — Systèmes individualistes
Pendant longtemps, on a estimé que la lésion n’était pas, par elle-même, une cause de nullité
de la vente : elle aurait fait présumer un autre vice ; c’était ce dernier qui aurait été, en réalité,
sanctionné : la lésion n’aurait donc été retenue que pour une raison de preuve. Selon les méca-
nismes habituels de la présomption, l’objet de la preuve est simplifié ; la victime de la lésion est
dispensée d’établir le vice véritable du contrat, il lui suffit de prouver le préjudice subi : res ipsa
loquitur.
Ce vice présumé serait, selon les uns, un vice du consentement, selon les autres, une faute.
Les systèmes individualistes se subdivisent donc en une conception volontariste (A) et délic-
tuelle (B).
A. CONCEPTION VOLONTARISTE
Selon la conception volontariste, la lésion fait présumer un vice du consentement, une erreur,
un dol ou une violence. Cette conception correspond à une notion libérale du contrat : le contrat
serait toujours obligatoire, sauf lorsque la volonté a été altérée. Cette théorie ne correspond plus
à l’idée que nous nous faisons maintenant du contrat et a été condamnée pendant l’entre-deux-
guerres. La place du nouvel article 1168, dans la section sur le « contenu » du contrat marque
l’approche désormais objective de la notion.
1. Historique : Fr. CHÉNEDÉ, RDC 2014. 527, sur l’intervention décisive du Premier Consul.
2. Droit des obligations, coll. Droit civil.
JUSTICE DU PRIX 169
La Cour de cassation a alors décidé que si les conditions des articles 1674 et suivants étaient
réunies, la rescision devait être prononcée, même si l’absence de vices du consentement et
notamment de l’erreur était démontrée3. Donc, même lorsque l’acheteur démontre que le ven-
deur a vendu en parfaite connaissance de cause et en pleine liberté, le vendeur peut faire pro-
noncer la rescision de la vente pour cause de lésion. En outre, l’analyse ne rend pas compte de
l’ensemble du droit positif : pourquoi seule la lésion du vendeur d’immeuble est-elle prise en
considération, non celles de l’acheteur d’un immeuble, du vendeur ou de l’acheteur d’un
meuble ? Aussi a-t-on affiné l’analyse en faisant appel à une idée délictuelle.
B. CONCEPTION DÉLICTUELLE
Selon la conception délictuelle de la rescision, la lésion fait présumer la faute de son bénéfi-
ciaire, qui a exploité la gêne ou l’inexpérience d’autrui. L’acheteur a tiré profit du besoin d’ar-
gent du vendeur ; le préjudice qu’il lui cause doit donc être réparé, soit par une indemnité, soit
par une nullité. Ce qui est à peu près la règle des Codes civils allemand4 et suisse5.
§ 2. CONDITIONS
La rescision pour cause de lésion des ventes d’immeubles n’est admise qu’à titre exceptionnel
par le Code civil, car elle est contraire au principe général excluant la prise en considération de
la lésion, à la sécurité des transactions et au respect de la parole donnée et couronne l’échec de
la justice contractuelle6. Aussi est-elle soumise à de strictes conditions de fond (I) et de receva-
bilité (II).
I. — Conditions de fond
Deux sortes de conditions doivent, quant au fond, être remplies. Il faut qu’il
s’agisse d’une vente d’immeuble (A) et que le prix soit inférieur de plus des sept
douzièmes à la valeur de l’immeuble vendu (B).
A. VENTE D’IMMEUBLE
Le caractère immobilier de la vente est une condition nécessaire à la rescision, mais non suf-
fisante, car les ventes aléatoires, celles qui sont faites par autorité de justice et celles qui résultent
d’un contrat de crédit-bail ne peuvent jamais être rescindées, même lorsqu’elles sont immobiliè-
res.
225. 2º Ventes aléatoires. – Les ventes aléatoires ne sont pas rescindables pour
cause de lésion, car « l’aléa chasse la lésion » : celui qui joue ne peut se plaindre
de perdre (critère psychologique) ; en outre, une prestation aléatoire ne peut être
évaluée (critère mathématique). Certes, tout contrat est, plus ou moins, marqué
d’aléa12 ; afin qu’il soit soustrait à la rescision, il faut donc qu’une prestation soit
complètement dépendante du hasard et que la perte subie par un des contractants
du fait du hasard se traduise par un gain de l’autre13.
Encore faut-il que la vente soit véritablement aléatoire14 ; ce n’est pas le cas lorsque la valeur
de l’usufruit réservé par le vendeur est de minime importance15, ou lorsque l’acheteur ne court
aucun risque en raison de l’âge et de l’état de santé du vendeur. Ou lorsque la rente viagère est
une simple modalité de paiement d’un prix stipulé en capital, ou susceptible d’être transformée
en capital : les tribunaux admettent cependant la rescision s’il est possible d’établir un rapport de
valeur entre la chose vendue et la rente convertie en capital16 ; de même encore, sans aucune
conversion, lorsque les arrérages de la rente sont inférieurs aux revenus de l’immeuble, ils pro-
noncent la rescision pour lésion ou la nullité pour absence de prix17.
12. J. CARBONNIER, RTD civ. 1946.324 ; G. KLEIN, « Aléa et équilibre contractuel dans la formation de
la vente d’immeuble en viager », RTD civ. 1979.13-40 ; infra, no 997 ; Droit des obligations, coll. Droit
civil.
13. Tel n’est pas le cas de la vente d’un immeuble dont l’exploitation est soumise à autorisation
administrative (source minérale) : Cass. civ., 15 juillet 1952, D. 1952.702 ; S. 1953.I.75 : « Le retrait
ou le défaut de renouvellement de cette autorisation ne pouvait procurer au vendeur dessaisi de sa
chose aucun gain supplémentaire et les chances (sic) de pertes de l’acheteur n’étaient pas directement
compensées par les chances de gains du vendeur ; ce contrat, aux termes de l’article 1104 [devenu
art. 1108], ne pouvait être considéré comme aléatoire » ; BURST, n., D. 1979.248.
14. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 juin 1998, Bull. civ. III, no 125 : « Mme B. n’encourait aucun risque [...]
vente conclue sans contrepartie effective » (rente très faible, comparée à la valeur importante de l’im-
meuble, dans une région touristique).
15. Req., 22 novembre 1937, DP 1939.I.81, 1re esp., n. R. Savatier : « Pour se trouver à l’abri de l’ac-
tion en rescision, il ne suffit pas qu’une vente contienne un élément aléatoire ; dans cette hypothèse, la
rescision reste possible lorsque les circonstances donnent au juge le moyen de déterminer la valeur des
obligations soumises à l’aléa ; dans la cause, les juges du fond constatent qu’en raison des conditions
spéciales qui assortissent le contrat, l’aléa est presque nul » (vente de nue-propriété).
16. Cass. civ. 3e, 3 octobre 1991, Bull. civ. III, no 219 ; D. 1992.218 ; RTD civ. 1992.578, obs.
P.-Y. Gautier : « La cour d’appel qui [...] a relevé que la valeur vénale de l’immeuble excédant de
plus de cinq fois le prix de vente, la lésion pouvait être établie en dehors même de l’aléa que pouvait
constituer la réserve d’usufruit, a ainsi souverainement apprécié que cette réserve était de trop minime
importance par rapport aux valeurs retenues, pour conférer à la vente un caractère aléatoire ».
17. Supra, no 214.
18. Supra, no 163.
19. * Cass. com., 8 juillet 1980, sté Fabe, Bull. civ. IV, no 290 ; D. 1981.24, n. F. Derrida ; Defrénois
1981, article 32583, m. n. ; D. 1981, IR, 568, obs. B. Audit : « Les ventes non rescindables prévues par
l’article 1684 sont seulement les ventes ne pouvant “être effectuées autrement qu’en justice” ».
20. Cass. civ. 3e, 4 juin 2008, Bull. civ. III, no 102 ; D. 2008.1692, n. I. Gallmeister et 2480,
n. L. Mauger-Vielpeau ; Defrénois 2008.2176, n. Ph. Malaurie ; Contrats, conc. consom. 2008, no 257,
n. L. Leveneur.
172 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
est interdite lorsque la licitation a été imposée par le désaccord des licitants21, ou
que la vente résulte d’une liquidation judiciaire22.
La condition essentielle pour que la rescision puisse être prononcée est relative
à l’étendue de la lésion.
227. Laesio enormis. – La rescision ne peut être prononcée que si la lésion est
considérable – de plus des sept douzièmes, énonce l’article 1674 –, ce qui est
proche de la lésion d’outre moitié de l’Ancien droit et de la laesio enormis du
droit romain. L’immeuble doit être estimé au moment du contrat ; peu importe
qu’après la vente, il ait pris une plus-value, si formidable fût-elle : la lésion a pos-
teriori est sans conséquence sur la validité de la vente23. Autrement, une insécurité
générale des ventes en serait résultée. Sa valeur doit être appréciée par rapport au
marché24.
Naguère, on avait parfois rattaché cette règle à la conception volontariste de la rescision : la
preuve que la lésion ferait présumer un vice du consentement serait qu’elle devait être appréciée
au moment où le vendeur a donné son consentement ; la lésion ne serait donc pas un vice
objectif de la vente : elle n’altérerait pas le contrat du seul fait qu’il y a un déséquilibre entre le
prix et la valeur de l’immeuble, surtout si ce déséquilibre apparaît après la conclusion du
contrat.
21. Cass. civ. 1re, 25 avril 1984, Bull. civ. I, no 135 ; Defrénois 1985, article 33600, no 94, p. 1150,
obs. G. Vermelle : « En l’espèce, la licitation avait été imposée par le désaccord persistant des colici-
tants et la vente, ouverte aux étrangers, offrait les garanties légales entourant les ventes publiques ; (la
cour d’appel) en a justement déduit que l’action en rescision était exclue ».
22. Ex. : Cass. civ. 3e, 6 octobre 2010, no 09-66683, Bull. civ. III, no 182, Contrats, conc. consom.
2011, no 3, n. L. Leveneur ; « la vente de l’immeuble d’un débiteur en liquidation judiciaire par le liqui-
dateur, fût-elle de gré à gré, était selon l’article (C. com., art. L. 642-18) une vente qui ne pouvait être
faite que par autorité de justice [...] la vente n’était pas rescindable pour cause de lésion ».
23. Ainsi, un jugement rétroactif conférant à l’immeuble une valeur accrue, reste sans effet :
Cass. civ. 3e, 17 juin 2009, no 08-15055, Bull. civ. III no 153 ; D. 2009. 2588, n. G. Chantepie ; Defré-
nois 2009. 2076, n. Y. Dagorne-Labbé (annulation d’un plan restrictif d’occupation des sols) ; en
revanche, le juge peut tenir compte d’indices postérieurs : Cass. civ. 3e, 4 décembre 2012, n.p.b. ;
RDC 2013. 617, obs. C. Quezel-Ambrunaz (un certificat d’urbanisme avait été délivré pour une par-
celle contiguë un mois après la signature de la promesse).
24. Cass. civ. 3e, 21 juillet 1999, Bull. civ. III, no 187 : « La valeur de l’immeuble doit être fixée au
plus élevé des prix de vente que le vendeur aurait pu en obtenir » ; le préjudice doit être calculé
« compte tenu de l’évolution du marché immobilier ».
25. Supra, no 117. Ex. Cass. civ. 3e, 7 juillet 2010, cité supra, no 224 « l’aléa doit s’apprécier au jour
de la réalisation de la vente, soit en l’espèce au jour de la levée de l’option » (de sorte que le juge n’a
pas à tenir compte des rapports économiques préalables des parties, s’imbriquant dans la vente (bail à
construction)).
JUSTICE DU PRIX 173
solution symétrique à celle de la promesse unilatérale de vente, mais à celui de la vente condi-
tionnelle. Le motif était là aussi purement technique : la condition étant rétroactive, la vente était
censée avoir été conclue ce jour-là26. Ce qui était prêter à la rétroactivité de la condition une
portée qu’elle n’aurait pas dû avoir ; sa raison d’être est de protéger le titulaire du droit sous
condition suspensive contre des actes conclus avec un tiers par le propriétaire sous condition
résolutoire pendant la période intérimaire, non de fixer les rapports entre vendeur et acheteur.
La réforme du droit des contrats a supprimé la rétroactivité de la condition suspensive (art. 1304-
6 al. 1).
228. Délai. – L’action doit être intentée dans les « deux années à partir du jour
de la vente » (art. 1676, al. 1). La loi a imposé un délai bref, afin d’assurer la sta-
bilité du contrat : l’acheteur et les sous-acquéreurs ne doivent pas être exposés
pendant trop longtemps à cette épée de Damoclès. Aussi le délai est-il préfix et
n’est donc pas susceptible de suspension (art. 1676, al. 2)27 ; mais il peut être inter-
rompu (art. 2244).
L’article 1676, alinéa 1, donne pour point de départ du délai « le jour de la vente », ce qui
soulève des difficultés en cas de vente sous condition suspensive, puisque la vente s’accomplit
en deux phases. La jurisprudence décide que « le jour de la vente » est celui de la réalisation de
la condition, parce qu’effectivement le vendeur ne pouvait utilement agir avant28. Ainsi, lorsqu’il
s’agit de ventes sous condition suspensive, « le jour de la vente » est tantôt celui de la vente
conditionnelle lorsqu’il s’agit d’évaluer l’immeuble29, tantôt celui de la réalisation de la condi-
tion lorsqu’il s’agit de fixer le point de départ biennal30. Inélégance juridique !
26. Jurisprudence constante souvent réitérée. Ex. Cass. civ. 3e, 30 mars 2011, no 10-13756, Bull. civ.
III, no 55 ; D. 2011.1376 ; Defrénois. 2011.1401, n. H. Lécuyer ; RDC 2011.885, n. S. Pimont : « “le
moment de la vente” visé par l’art. 1675 était celui de la rencontre des volontés sur les éléments essen-
tiels du contrat, à savoir, la chose et le prix, ce qui correspondait normalement à la date de la promesse
de vente, même en présence d’une condition suspensive ». En l’espèce, une promesse synallagma-
tique sous la condition suspensive de purge du droit de préemption avait été conclue en 1994 ; les
acquéreurs en avaient demandé la réitération par acte authentique en 2006 ; entre-temps, l’immeuble
était devenu constructible, sa valeur avait plus que centuplé ; jugé pourtant qu’il devait être évalué au
regard de l’art. 1675 au jour de la promesse.
27. Droit des obligations, coll. Droit civil. Ce qui ne constitue pas une violation du droit à un procès
équitable, imposé par la Conv.EDH (art. 6 § 1) : Cass. civ. 3e, 20 mai 2009, D. 2009.1536, n. G. Forest ;
Contrats, conc. consom. 2009, no 215, n. L. Leveneur ; Bull. civ. III, no 117.
28. Ex. : Cass. civ. 3e, 24 février 1999, Bull. civ. III, no 53 ; D. 2000.38, n. I Najjar.
29. Supra, no 227.
30. Cass. civ. 3e, 16 novembre 2005, Bull. civ. III, no 224 ; RDC 2006.385, obs. Ph. Brun : « La pres-
cription de l’action en rescision pour lésion ne commence à courir en cas de vente sous condition
suspensive qu’à compter du jour de la réalisation de la condition ou de la renonciation à son béné-
fice ».
174 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
À l’égard d’une promesse synallagmatique, le délai court du jour de la promesse31 ; pour une
promesse unilatérale, de la levée de l’option32.
229. Renonciation du vendeur. – À première lecture, l’article 1674 paraît rendre inefficace
la renonciation du vendeur. Aux termes de ce texte, le vendeur a le droit de demander la resci-
sion de la vente « quand bien même il aurait renoncé dans le contrat à la faculté de demander
cette rescision et qu’il aurait déclaré donner la plus-value »33. Cette disposition a pour but d’em-
pêcher que la renonciation à la rescision ne devienne dans les ventes d’immeubles une clause
de style qui ferait de la loi une lettre morte.
Ce dernier point demeure controversé : savoir si le vendeur peut faire cette renonciation avant
d’avoir été payé, c’est-à-dire entre le contrat et le paiement : ayant encore un impérieux besoin
d’argent, il est soumis à la même contrainte que celle qui l’avait incité à vendre. La renonciation
à un droit d’ordre public, comme celui d’exercer la rescision, n’est valable que lorsque ce droit
est acquis ; il est donc raisonnable d’estimer que la renonciation du vendeur ne peut intervenir
que si elle a été faite après le paiement. La jurisprudence admet aussi que la rescision serait
irrecevable si le vendeur s’était contenté d’un prix inférieur aux sept douzièmes de la valeur
de l’immeuble dans l’intention de gratifier l’acquéreur ; l’intention libérale exclut la lésion : il y
a donation indirecte.
§ 3. EFFETS
230. Option de l’acquéreur ; rachat de la lésion. – Si la lésion a été prouvée, la
rescision devrait produire l’effet attaché à toutes les nullités, le retour au statu quo
ante, c’est-à-dire la restitution de l’immeuble au vendeur et le remboursement du
prix à l’acheteur34. Ce n’est pas tout à fait ce que décide la loi. Elle donne à
l’acheteur la faculté de sauver le contrat et de conserver l’immeuble, en payant
le supplément du juste prix, moins un dixième (art. 1681, al. 1).
31. Cass. civ. 3e, 29 janvier 1992, Bull. civ. III, no 35 ; D. 1993, somm., 236, obs. G. Paisant : « Ayant
constaté que l’acte authentique du 16 septembre 1983 était l’exacte traduction de la volonté exprimée
le 13 février 1981 par les parties qui avaient définitivement arrêté, à cette date, les conditions financiè-
res de la vente, la cour d’appel en a exactement déduit que la vente étant parfaite au jour de la signa-
ture de l’acte sous seing privé, l’action en rescision pour lésion n’était plus recevable à l’expiration du
délai de 2 ans, à compter de cette date, fixé par l’article 1676 ».
32. Obs. G. PAISANT, D. 1991, somm., 161, sous Grenoble, 22 mars 1990 et Versailles, 21 mai 1990
33. Ex. : Cass. civ. 3e, 7 juillet 2010 préc., supra, no 224 : en l’espèce, le vendeur avait accepté de
prendre en compte les loyers payés par le futur acquéreur et les travaux de celui-ci, dans l’exécution
d’un bail à construction.
34. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 novembre 2006, Bull. civ. III, no 223 ; JCP G 2006.IV.3350 : le liquidateur de
la société acheteuse qui se fait rembourser et rend l’immeuble n’a pas à se faire autoriser par le juge de
la procédure collective : « l’option prise par le liquidateur en application de l’art. 1681 ne requérait pas
l’autorisation du juge puisqu’il s’agissait non d’une vente mais de la mise à néant d’une vente antérieu-
rement réalisée ».
JUSTICE DU PRIX 175
La déduction du dixième peut s’expliquer de deux manières : ou bien par les incertitudes
qu’ont toujours en la matière les évaluations, ou bien par l’idée que si le vendeur avait exigé
le juste prix, l’acheteur n’eût peut-être pas acheté. Il est légitime qu’il ait cherché à acheter à
un prix un peu plus élevé que la valeur réelle de l’immeuble.
L’acheteur a donc le choix entre la nullité et ce que l’on appelle, dans une
expression plus imagée qu’exacte, le « rachat de la lésion »35. Le « rachat de la
lésion » suppose que l’acquéreur verse au vendeur une indemnité représentant
la valeur dont le vendeur n’avait pas été payé ; si la somme qu’il offre n’est pas
suffisante, le juge prononcera la rescision36. Pendant longtemps, le calcul de cette
valeur n’avait pas soulevé de difficultés : il s’agissait de la différence nominale
entre le prix convenu et la valeur de l’immeuble, moins un dixième.
La dépréciation de la monnaie a, ici comme ailleurs, causé beaucoup de diffi-
cultés lorsqu’un espace de temps a séparé le contrat du paiement de l’obligation.
Le problème a intéressé d’abord l’étendue de la dette en capital, puis la déduction
du dixième et enfin les intérêts.
35. Prérogative qui n’appartient qu’à lui : Cass. civ. 3e, 6 juin 2007, Defrénois 2008.61,
n. Y. Dagorne-Labbé ; Bull. civ. III, no 102 : « si le vendeur invoque la lésion, il ne peut en tirer
comme conséquence que la rescision de la vente, seul l’acquéreur pouvant offrir une revalorisation
du prix pour éviter que la vente ne soit rescindée ».
36. Cass. civ. 3e, 4 décembre 2002, Bull. civ. III, no 252 ; RTD civ. 2003.519, obs. P.-Y. Gautier.
37. Cass. civ. 3e, 22 janvier 1970, cons. Vidal, D. 1970.753, rap. Cornuey ; n.p.B. « Le supplément
doit correspondre non à la valeur vénale de l’immeuble au moment où il a été vendu, mais à sa valeur
réelle à l’époque où doit intervenir ce règlement complémentaire et ne doit porter que sur la partie
impayée du juste prix. »
38. V. Droit des obligations, coll. Droit civil. Ex. l’immeuble valait 100 000 € lors du contrat, le prix
convenu était de 40 000 € ; il y avait donc lésion des 7/12e ; le bien vaut aujourd’hui 1 million d’€ ; la
fraction impayée était de 6/10e. Le complément impayé est de 6/10e d’1 million, soit 600 000 €.
39. * Cass. civ. 3e, 4 décembre 1973, Bron, Bull. civ. III, no 614 ; RTD civ. 1974.430, obs. G. Cornu :
« Le dixième dont l’article 1681 autorise la déduction est celui du “prix total” résultant des deux verse-
ments, initial et complémentaire, de l’acquéreur ». Dans l’ex. précédent, le prix total est de 600 000
+ 40 000 ; le dixième est donc de 64 000 € ; Droit civil illustré, no 145.
176 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION II
LIBERTÉ DE LA CONCURRENCE
40. Cass. civ. 3e, 3 mai 1972, sté imm. de Paris-Banlieue, Bull. civ. III, no 284 ; D. 1972.598, n.
Ph. Malaurie ; Defrénois 1972, article 30167, m. n. ; JCP G 1972.II.17143, rap. Fabre ; Gaz. Pal.
1972.II.897 ; RTD civ. 1973.139, obs. crit. G. Cornu : « Le supplément du juste prix qui produit l’intérêt
moratoire prévu par l’article 1682 du jour de la demande, étant une quotité de la valeur de la chose
que l’acquéreur a préféré garder, suit, jusqu’à son évaluation définitive, les variations de valeur de
cette chose ».
41. Sur renvoi, Orléans, 14 juin 1973, D. 1974.485, n. Ph. Malaurie ; Defrénois 1974, article 30791,
m. n. ; RTD civ. 1974.630, obs. crit. G. Cornu.
n LIVRE II n
EFFETS DE LA VENTE
TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ
ET DES RISQUES
SECTION I
TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ
1. V. cep., pour les ventes consenties dans les rayons des grands magasins, qui ne sont parfaites que
lors du passage en caisse : * Cass. com., 8 janvier 2002, Bull. civ. IV, no 1 ; D. 2002.567, n. E. Chevrier ;
3003, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 2002.323, obs. P.-Y. Gautier : « Les clients n’ont manifesté leur volonté
d’acquérir les objets qui leur ont été présentés que lors de leur passage aux caisses [...] ; la rencontre
des volontés entre les acheteurs et le vendeur ne s’est réalisée qu’à cet instant ».
2. Jurisprudence constante ; ex. Cass. com., 23 novembre 1993, Bull. civ. IV, no 431 : le transfert de
propriété des valeurs mobilières dématérialisées « a eu lieu dès l’accord des parties sur les titres et sur
leur prix » ; P. BLOCH, « L’obligation de transférer les risques dans la vente », RTD civ. 1988.673 ; CHA-
ZAL et VICENTE, « Le transfert de propriété par l’effet des obligations dans le Code civil », RTD civ.
2000.477 s. ; G. BLANLUET, Le moment du transfert de propriété, le bicentenaire du Code civil, Dalloz,
2004, p. 409.
3. Aix, 11 juin 1908, DP 1910.II.305, 1re esp., n. J. Valéry. En l’espèce, la vente avait pour objet des
récoltes sur souches (vente en bloc) ; jugé que le porteur d’un warrant agricole ne pouvait acquérir sur
les choses warrantées un droit opposable à l’acquéreur de ces choses s’il avait su, lorsque le warrant
lui avait été endossé, qu’elles avaient cessé d’appartenir à l’emprunteur.
180 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
payé, pratique consacrée pour la réforme des sûretés (art. 2367 et s.)13. Enfin, dans beaucoup de
ventes, l’extension des garanties, notamment des vices cachés et le développement des clauses
de réserve de propriété révèlent que l’empreinte du vendeur ne s’efface pas d’un coup par le
seul effet du contrat14 ; il faut du temps afin que le vendeur soit désinvesti de sa propriété et
réciproquement l’acheteur en soit investi.
Peu à peu apparaît ainsi une nouvelle compréhension, plus large, du transfert de propriété, un
transfert de la qualité de propriétaire ; de même, la cession de créance serait la cession de la
qualité de créancier, et la cession de contrat, celle de la qualité de contractant15. Ainsi, l’acqué-
reur d’un immeuble loué acquiert, sous certaines conditions, la qualité de bailleur qu’avait son
vendeur (art. 1743) ; la jurisprudence ne lui fait cependant pas systématiquement acquérir les
droits de son vendeur nés avant la vente16.
La plupart des droits étrangers, sauf la Common Law, écartent le principe du transfert immé-
diat de la propriété par le seul effet du contrat. Ainsi, le droit allemand maintient la dissociation
romaine entre l’effet obligatoire de la vente qui oblige le vendeur à délivrer la chose (BGB,
§ 433, al. 1) et le transfert de propriété (BGB, § 925 et 929)17.
SECTION II
TRANSFERT DES RISQUES
253. Propriétaire. – Le principe est que la charge des risques est liée à la pro-
priété (art. 1196, ancien art. 1138, al. 2) : res perit domino18.
Chaque fois que la propriété est transférée instantanément, par le seul effet du
contrat, c’est sur l’acheteur que, normalement, pèsent les risques, dès la conclu-
sion du contrat. Aussi est-il tenu de payer le prix même si la chose a péri19. La loi
applique ce principe à la vente à distance : « La marchandise sortie du magasin du
vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il n’y a convention contraire, aux risques et
périls de celui à qui elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et
le voiturier chargés du transport » (C. com., art. L 132-7)20.
La règle s’harmonise avec d’autres dispositions légales, notamment la nullité de la vente pour
défaut d’objet, en cas de perte de la chose antérieure à la vente (art. 1601, al. 1). Elle se justifie
par le souci de libérer l’ancien propriétaire de la charge des risques ; par conséquent, dans la
commune intention des parties, l’acquéreur joue le rôle d’un assureur ; c’est à lui de s’assurer et
de payer les primes d’assurance ; il s’agit d’une répartition financière des risques.
21. * Cass. com., 20 novembre 1979, sté Mécarex, Bull. civ. IV, no 300 ; JCP G 1981.II.19615,
n. J. Ghestin ; D. 1980, IR, 571, obs. B. Audit ; en l’espèce, une installation de nickelage avait été
détruite par un incendie, avant d’avoir été payée au fournisseur ; le contrat comportait une réserve
de propriété « jusqu’au paiement intégral de l’achat » ; la cour d’appel avait décidé que les risques
étaient néanmoins à la charge de l’acheteur (il aurait donc dû payer le prix), car la clause de réserve
de propriété « instituait non une condition suspensive, mais une condition résolutoire ». Cassation : « la
cour d’appel a dénaturé ladite clause qui disposait de façon claire et précise que le transfert de pro-
priété de l’installation serait suspendu jusqu’à parfait paiement » ; sur renvoi, Metz, 29 octobre 1980,
D. 1981.138, n. Y. Guyon ; JCP G 1981.II.19615.
22. Cass. com., 24 novembre 1980, Bull. civ. IV, no 391 ; D. 1981, IR, 545, obs. Mercadal.
23. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 décembre 1967, Crohas, Bull. civ. I, no 358 ; RTD civ. 1968.708, obs. crit.
Chevallier : vente d’animaux atteints d’une maladie contagieuse ; le contrat est nul (C. rur. pm., art.
L. 223-2, al. 1) ; le vendeur doit donc restituer le prix ; l’acheteur n’a rien à restituer si les animaux
ont péri : « Par l’effet de l’annulation de la vente, (le vendeur) était censé n’avoir jamais cessé d’être
propriétaire des brebis et il supportait les risques de leur perte, sauf à prouver une faute de Crohas
(l’acheteur) » : ce n’était pas à celui-ci qu’il appartenait de prouver que la perte était due à une maladie
contagieuse pour s’exonérer des risques, qui ne pesaient pas sur lui.
24. E. POISSON-DROCOURT, « Les restitutions entre les parties consécutives à un contrat », D. 1983,
chron. 85, nos 9 et 10 ; Marie MALAURIE, Les restitutions en droit civil, th. Paris II, Cujas, préf. J. Ghestin,
1991, préf. G. Cornu, p. 130-131 ; L. GUELFUCCI-THIBIERGE, Nullité, restitutions et responsabilités, th.
Paris I, LGDJ, 1992, no 813. L’ordonnance du 10 février 2016 sur la réforme du droit des contrats
n’en dit mot, bien qu’elle consacre plusieurs dispositions aux restitutions (art. 1352 et s.).
25. Ph. KAHN, La vente commerciale internationale, th. Dijon, Sirey, 1961, préf. B. Goldman.
26. V. O. DESHAYES, RDC 2012.92.
n TITRE II n
OBLIGATIONS DU VENDEUR
PREMIÈRES VUES SUR LES OBLIGATIONS
DU VENDEUR
Depuis 1804, les effets de la vente sont devenus plus complexes. Désormais, le
transfert de la propriété et des risques se situe souvent après la formation du
contrat. Surtout, les obligations du vendeur se sont accrues et compliquées, soit
par l’effet du contrat, soit par celui du droit (c’est-à-dire loi, jurisprudence, prati-
ques et usages). Enfin, la garantie des vices n’est plus simplement un complément
de la délivrance, mais devient une obligation distincte.
Il a toujours été admis que le vendeur pouvait être tenu d’autres obligations résultant du droit
commun ou des stipulations contractuelles. Par exemple, lorsque la chose n’est pas immédiate-
ment livrable, le vendeur est obligé de la conserver ; ou bien, lorsque la vente est faite à la
mesure ou à la dégustation, le vendeur doit procéder au mesurage ou fournir à l’acheteur le
moyen de goûter la chose. Surtout, une facture doit être remise ; elle est un document comptable
indiquant la quantité, la nature et le prix des marchandises vendues et des services exécutés ;
elle peut être aussi un mode de preuve de l’engagement et de l’exécution de la fourniture ; elle
est obligatoire pour « tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité
professionnelle » (C. com., art. L. 441-3, al. 1).
Selon les règles classiques, le vendeur n’avait pas l’obligation de renseigner l’acheteur, encore
moins de le conseiller, sauf stipulation particulière. C’était à celui-ci de s’informer. Ce que par-
fois on disait en latin, de plusieurs manières : caveat emptor (à l’acheteur de veiller sur ses inté-
rêts), ou bien encore, comme le disaient les Anglais : emptor debet esse curiosus (l’acheteur doit
être curieux). Celui qui s’était engagé à la légère était mal venu de demander au juge, après
coup, de le soustraire aux conséquences de sa promesse.
186 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
1. Cette hétérogénéité des préjudices de l’acheteur apparaît quelle que soit l’obligation du vendeur.
Ex. : le vice caché d’une automobile peut, ou bien entraîner des pannes répétées, ou une consomma-
tion d’essence excessive (c’est un préjudice spécifique à la vente) ; ou bien provoquer un accident
mortel (qui peut frapper l’acheteur ou n’importe qui).
PREMIÈRES VUES SUR LES OBLIGATIONS DU VENDEUR 187
insupportable : le poids des primes d’assurance devient trop lourd et les assureurs ne veulent
plus assurer. L’exemple américain est à cet égard probant : un reflux pourra apparaître, pour
restreindre la responsabilité des fabricants et de l’ensemble des professionnels, par exemple, en
limitant les dommages-intérêts non économiques ou en admettant que le fabricant n’est pas res-
ponsable des « risques du développement »2. C’est en ce sens que s’est orientée la directive
européenne sur la responsabilité du fait de produits défectueux et la loi de transposition
(art. 1245-10, ancien art. 1386-11). Trop de responsabilité paralyse l’initiative et entrave le pro-
grès industriel. Quant au dommage corporel, l’avant-projet de loi sur la responsabilité civile le
soumet au droit extracontractuel (art. 1233).
272. Droits étrangers et international. – Cette évolution n’est pas particulière à la France ;
dans tous les pays industriels, le vendeur professionnel a vu ses obligations s’étendre, notam-
ment la responsabilité du vendeur fabricant du fait de ses produits ; c’est le droit français qui a
donné à ce phénomène le plus d’ampleur. Le caractère international qu’a souvent la vente de
marchandises attache à la diversité des lois d’importantes conséquences : non seulement les dif-
ficultés habituelles tenant aux conflits de lois, mais des effets de distorsion sur la concurrence.
Une tentative d’unification mondiale a été faite par la Convention de Vienne portant loi
uniforme3. Un effort d’harmonisation européenne a également été entrepris : la Commission de
l’Union européenne a, le 25 juillet 1985, publié une directive sur la responsabilité du fait des
produits défectueux, transposée par la loi du 19 mai 19984 ; outre la directive du 5 avril 1993 sur
les clauses abusives, le Parlement et le Conseil de l’Union ont adopté une directive du 20 mai
1997 sur la protection des consommateurs dans les contrats à distance, transposée aux arti-
cles L. 221-1 et suivants du Code de la consommation ; la directive du 25 mai 1999 sur la
conformité dans la vente a été transposée en France par l’ordonnance du 17 février 2005. D’au-
tres directives sont en cours de transposition.
L’extension des obligations du vendeur entraîne leur complexité qui, parfois, rend incertain le
droit applicable à la réclamation de l’acheteur déçu. Par un choc en retour, ont été engagées des
tentatives afin de simplifier les obligations du vendeur. Après avoir cherché s’il y a pluralisme ou
unité (Sous-Titre I), seront examinées les obligations principales du vendeur, la délivrance (Sous-
Titre II), les garanties d’éviction (Sous-Titre III) et des vices cachés (Sous-Titre IV).
2. Infra, no 382.
3. Supra, no 65.
4. Infra, no 381.
n S OUS - TITRE I n
P LURALISME OU UNITÉ ?
Le nombre des obligations auxquelles est tenu le vendeur suscite un débat qui
ne présente pas seulement un intérêt académique, mais produit aussi des consé-
quences sur la politique législative. Il y a un pluralisme des obligations du ven-
deur, aujourd’hui croissant (Section I) ; certaines tendances contemporaines affir-
ment au contraire leur unité (Section II).
SECTION I
PLURALISME DES OBLIGATIONS
280. Acheteur déçu : deux ou quinze actions ? – Selon le Code civil, le ven-
deur a une condition juridique simple : il est tenu de « deux obligations principa-
les, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend » (art. 1603). Aujour-
d’hui, ses obligations sont devenues nombreuses et complexes. L’obligation de
délivrance s’accompagne d’une obligation de renseignements et d’une obligation
de sécurité. La garantie recouvre deux obligations distinctes : la garantie d’évic-
tion et celle des vices cachés ; la garantie d’éviction n’est pas la même selon
qu’elle a pour objet le fait du vendeur ou celui d’un tiers ; la garantie des vices
cachés n’est pas la même selon que le vendeur et l’acheteur sont ou non des pro-
fessionnels. En outre, l’erreur de l’acheteur interfère souvent avec l’inexécution
des obligations du vendeur, sans compter, sous-jacentes, les règles de la respon-
sabilité délictuelle. L’acheteur déçu par la chose remise, ou en éprouvant un
dommage, a donc de nombreuses voies afin de faire valoir son droit, dont l’objet
et le régime sont différents. Le droit européen a un peu simplifié les choses.
On en fera l’inventaire (§ 1) avant d’en tenter une combinaison (§ 2).
190 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 1. INVENTAIRE
Deux corps de règles ouvrent de nombreuses voies de droit à l’acheteur insatis-
fait : le droit commun et les garanties du droit spécial de la vente1 ; une dualité,
d’un autre type, apparaît aussi en droit anglais.
282. 2º Garanties. – Lorsque l’acheteur est évincé, soit par un fait personnel du
vendeur, soit par un tiers qui implique une insuffisance de la propriété du ven-
deur, il peut invoquer la garantie d’éviction (art. 1626 et s.) qui est à durée indé-
terminée (jusqu’au plafond des vingt ans, art. 2232) et d’ordre public quand il
s’agit du fait personnel ; quinquennale et susceptible d’être modifiée par conven-
tion quand il s’agit du trouble de droit venant d’un tiers4.
1. Biblio. : Ph. LE TOURNEAU, Responsabilité des vendeurs et fabricants, Dalloz Référence, 5e éd.,
2015-2016.
2. Infra, no 329.
3. Infra, no 328.
4. Infra, nos 363-364.
PLURALISME OU UNITÉ ? 191
§ 2. COMBINAISONS
Des intérêts pratiques sont attachés à la distinction entre ces multiples actions,
surtout le délai pendant lequel elles peuvent être exercées8. La doctrine a labo-
rieusement essayé de distinguer l’erreur, la garantie des vices, le défaut de déli-
vrance et la garantie d’éviction. Les frontières sont souvent difficiles à tracer.
les tribunaux annulent une vente pour erreur, bien que l’action n’ait pas été intro-
duite dans le délai de l’article 1648. Aussi d’autres auteurs continuent-ils à main-
tenir la distinction. Selon l’un, l’erreur porterait sur les qualités que l’acheteur
avait envisagées en achetant la chose : elle aurait un côté subjectif ; le vice
caché, au contraire, concernerait, uniquement les services rendus par la chose –
il aurait donc un aspect objectif12. Ou bien, l’erreur impliquerait la complète inap-
titude de la chose, par nature, la garantie supposerait seulement la défectuosité
accidentelle13. Ou bien, il y aurait erreur lorsque serait absent un des attributs de
la chose tandis qu’il y aurait vice lorsqu’est affecté l’usage qu’on en attend14. Ou
bien l’erreur s’apprécie lors de la formation du contrat, le vice caché après la déli-
vrance. Malgré leur verbalisme, il y a quelque chose d’exact dans chacun de ces
critères15.
Lorsqu’il y a à la fois erreur et vice caché parce que l’une provient de l’autre, la jurisprudence
décide parfois que l’acheteur a une option : il peut, soit exercer l’action en garantie (prescrip-
tion : 2 ans), soit exercer l’action en nullité (prescription : 5 ans)16. Mais la tendance serait désor-
mais au non-cumul des actions17. Corrélativement, le juge saisi d’une demande fondée sur l’er-
reur devrait requalifier en vice caché si les faits s’y prêtent18. Le droit spécial de la vente
l’emporte sur la théorie générale des contrats, ce qui est la méthode d’interprétation conforme
aux principes généraux. L’unification du point de départ de la prescription (découverte du fait
litigieux) rend maintenant ces différences moins utiles.
285. Délivrance défectueuse et vice caché. – La remise d’une chose qui n’est
pas conforme (même d’une manière mineure19) aux stipulations contractuelles
20. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 mars 1992, Contrats, conc., consom. 1992, comm. no 130, n. L. Leveneur ;
n.p.B. : « Dès lors que les juges du fond ont retenu que le produit Stabilivo n’était pas conforme aux
stipulations contractuelles, ils ont pu estimer que l’action fondée sur l’inexécution de l’obligation de
délivrer une chose conforme à sa destination pouvait être exercée, peu important que le défaut de
conformité puisse ou non constituer un vice caché ».
21. * Cass. civ. 1re, 13 octobre 1993, sté Bouchonnerie Gabriel, cité infra : saisie d’une action en
dommages-intérêts par l’acheteur, la cour d’appel l’avait débouté : « la société Gabriel ne justifiait
pas d’un préjudice actuel » ; cassation.
22. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 26 juin 2001, affaire de la Porsche sans toit élec-
trique, Contrats, conc., consom. 2001, comm. no 156, n. L. Leveneur ; n.p.B. ; « La réception sans
réserve de la chose vendue couvre ses défauts apparents de conformité ».
23. Cass. com., 14 mai 1985, Bull. civ. IV, no 147 : « Les effets de la résolution étaient pour l’une et
pour l’autre (l’action résolutoire et l’action rédhibitoire) identiques en l’espèce ». Dans cette décision,
la Cour de cassation a admis que, saisi d’une demande en résolution pour défaut de conformité, le
juge pouvait résoudre la vente pour vice rédhibitoire.
24. Ex. : je vous commande une automobile 10 CV, vous me livrez une automobile de 5 CV : il y a
défaut de conformité ; vous me livrez une automobile de 10 CV qui tombe en panne : il y a vice caché.
25. Jurisprudence abondante ; 1o Cas ne soulevant guère de discussion : il y a défaut de délivrance,
non vice caché lorsque... l’ordinateur n’a pas la puissance promise : * Cass. civ. 1re, 13 octobre 1993,
sté Bouchonnerie Gabriel, Bull. civ. I, no 287 ; D. 1994.211... le kilométrage figurant au compteur de
l’automobile est inexact : Cass. civ. 1re, 16 juin 1993, sol. impl., Bull. civ. I, no 224 ; D. 1994.546, n.
Th. Clay... le certificat d’immatriculation du tracteur est erroné : Cass. civ. 1re, 13 juin 2006,
Bull. civ. I, no 309. Au contraire, constitue un vice rédhibitoire, non un défaut de délivrance... des cais-
sons de traitement d’air non étanches : Cass. civ. 3e, 15 mars 2006, Bull. civ. III, no 72 ; ... un terrain
pollué par un ancien stockage d’hydrocarbures et de ce fait inconstructible : Cass. civ. 3e, 8 juin 2006,
Bull. civ. III, no 145 ; ... un matériel conforme à celui qui avait été promis au contrat, mais « insuffisant,
défectueux et inutilisable en l’état » : Cass. com., 16 juillet 1973, Bull. civ. IV, no 247 ;
JCP G 1974.II.17.864, 2e esp., n. J. Ghestin ; ... tuiles gélives : Cass. civ. 1re, 5 mai 1993, Bull. civ. I,
no 158 ; D. 1993.506, n. A. Bénabent ; ... produits destinés à assurer l’étanchéité d’une cuve et n’en
empêchant pas les déchirures ; Cass. civ. 3e, 24 avril 2003, Bull. civ. III, no 86 ; D. 2003, IR, 1341 ; ...
2o Cas douteux : Il y a manquement à la délivrance dans le défaut affectant un enduit : Cass. civ. 1re,
17 juin 1997, Bull. civ. I, no 205 ; Contrats, conc., consom. 1997, no 163, n. L. Leveneur : « Inaptitude à
l’utilisation contractuellement définie » ou lorsque... une motocyclette a un vice de construction, en
raison d’un défaut de conception, qui cause un accident : Cass. civ. 1re, 5 novembre 1985, Bull. civ. I,
no 287 ; RTD civ., 1986.370, obs. Ph. Rémy... lorsque le défaut de conformité a été non apparent par le
194 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION II
UNITÉ
fait du vendeur : « il avait apposé des étiquettes sur des semences ne comportant aucune mention sur
le traitement, alors que l’étiquette du producteur mentionnait que les graines n’étaient pas traitées » :
Cass. civ. 1re, 30 mars 1999, Bull. civ. I, no 118 ; Contrats, conc., consom. 1999, no 110, n. L. Leveneur ;
... ou les vis des têtes d’un alternateur sont insuffisantes eu égard à la commande : Cass. com., 4 mai
1993, Bull. civ. IV, no 173 ; RTD civ. 1994.363, obs. P. Jourdain... un véhicule pour handicapés en sur-
charge permanente : Cass. civ. 1re, 17 juin 1997, Bull. civ. I, no 206.
26. Infra, no 330.
27. Pour le maintien de cette différence, ex. : Cass. com., 14 octobre 2008, no 07-17977, Toujas,
Bull. civ. IV no 172 ; D. 2009.412, n. C. Ogier ; corrosion de rayonnages métalliques, alors que les
conditions générales de vente présentaient leur peinture comme anti-corrosive, cassation de l’arrêt
qui n’a pas recherché si « les rayonnages présentaient les qualités décrites dans (les) conditions géné-
rales de vente et si dans la négative, la société M. n’avait pas manqué à son obligation de délivrance ».
28. Cass. civ. 3e, 25 mars 2003, JCP G 2003.I.170, no 6, obs. Y.-M. Serinet ; n.p.B. : « étaient receva-
bles les actions fondées d’une part, sur la non-conformité de la chose vendue et, d’autre part, sur
l’erreur commise sur une qualité substantielle de cette chose ». V. cep. Cass. civ. 3e, 17 novembre
2004, Bull. civ. III, no 206 : l’action des vices cachés constitue « l’unique fondement possible ».
29. Cass. civ. 1re, 6 novembre 2002, Bull. civ. I, no 260 ; Contrats, conc., consom. 2003, comm.
no 38, n. L. Leveneur : « L’action en garantie des vices cachés n’est pas exclusive de l’action en nullité
pour dol ».
PLURALISME OU UNITÉ ? 195
30. Revirement de jurisprudence : Cass. Ass. plén. 21 décembre 2007, Bull. civ. Ass. plén., no 10 ; D.
2008.228, n. L. Dargent ; JCP G 2008.II.10006, n. L. Weiller ; RTD civ. 2008.317, obs. P.-Y. Gautier ;
Cont. conc. consom. 2008, no 92, n. L. Leveneur ; RDC 2008.327, obs. A. Bénabent et 435, obs.
Y.M. Serinet ; Defrénois 2008.1457, n. E. Savaux : « Ayant constaté [...] qu’elle était saisie d’une
demande fondée sur l’existence d’un vice caché dont la preuve n’était pas rapportée, la cour d’appel,
qui n’était pas tenue de rechercher si cette action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur
à son obligation de délivrance d’un véhicule conforme aux stipulations contractuelles, a légalement
justifié sa décision de ce chef ».
31. Cass. civ. 3e, 30 janvier 2008, Bull. civ. III, no 21 ; D. 2008.546 ; RDC 2008.1242, obs. Fr. Col-
lart-Dutilleul : la cour d’appel, saisie d’une demande fondée sur les vices cachés au sujet d’un
immeuble infesté de termites, n’avait pas à rechercher d’office s’il n’y aurait pas eu réticence dolosive.
n S OUS - TITRE II n
D ÉLIVRANCE
SECTION I
EXÉCUTION
300. Ventes sur place. – Le Code civil donne plusieurs exemples de la manière
dont peut s’accomplir la remise de la chose dans les ventes sur place (art. 1605
à 1607).
La délivrance peut être accomplie par la remise de la chose, habituelle dans le commerce de
détail ; la chose étant quérable et non portable, il suffit qu’elle soit « mise à la disposition » de
l’acheteur, sans qu’elle lui soit livrée. Ce peut être une tradition symbolique : par exemple, la
remise des clefs : les clefs sont le symbole de la possession, symbole qui n’a rien de magique,
car elles confèrent un pouvoir ; ce peut aussi être un marquage4. La délivrance peut résulter du
1. Cass. civ. 1re, 20 mars 1989, Bull. civ. I, no 140 ; supra, nos 280 et s.
2. Ex. : Cass. com., 17 juillet 1990, JCP E 1990.I.20436 ; n.p.B.
3. Cass. civ. 1re, 1er décembre 1987, Bull. civ. I, no 324 ; Defrénois 1988, art. 34157, rap. P. Sargos,
2 arrêts : « Le vendeur est tenu de délivrer une chose dont les caractéristiques correspondent à la com-
mande et l’acheteur ne peut être tenu d’accepter une chose différente » ; en l’espèce, le vendeur avait
livré un mobilier de chambre à coucher dont les ferrures et les couleurs ne correspondaient pas à la
commande ; l’acheteur demanda la délivrance d’une chose conforme ou la résolution de la vente avec
des dommages-intérêts ; il fut débouté par la cour d’appel : « les ferrures ou la couleurs du bois du
nouveau mobilier n’en modifiaient pas profondément l’aspect » ; cassation.
4. Ex. : marquage d’animaux : l’animal peut rester dans le troupeau du vendeur ; il est possédé par
l’acheteur s’il en porte la marque. De même, le marquage d’arbres, qui ne suffit pourtant pas à opérer
la délivrance si le vendeur avait aussi promis d’autres prestations : par exemple, l’abattage, la coupe, le
façonnage et l’acheminement.
200 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
seul consentement des parties, art. 16065 (solo consensu) ; parfois (rarement en matière com-
merciale), elle résulte du constitut possessoire : le vendeur n’a plus la propriété qu’il a transférée
à l’acquéreur mais conserve la détention à titre de détenteur précaire (par exemple, locataire) : il
y a interversion de la possession.
301. Ventes à distance. – La vente à distance intéresse principalement les meubles corpo-
rels : toutes les ventes internationales et beaucoup de ventes commerciales. Elle oblige à un
transport – maritime, aérien, ferroviaire, fluvial, routier. Elle n’impose pas au vendeur d’assurer
le transport et de faire entrer la marchandise dans les magasins de l’acheteur : la délivrance s’ac-
complit par remise de la chose au transporteur6 : la marchandise est transportée aux risques de
l’acheteur, l’obligation du vendeur se borne à permettre à l’acquéreur de la retirer. Cette règle
est susceptible d’être modifiée par la convention.
Lorsque la vente se fait en cours de transport, la délivrance est souvent dématérialisée ; il suffit
de la remise par endossement du titre représentant la marchandise, par exemple, le connaisse-
ment pour les marchandises transportées sur un navire. Le dépôt en entrepôt douanier ne consti-
tue pas une délivrance si les parties n’en avaient pas convenu, parce que la chose n’est pas mise
à la disposition de l’acheteur7. Par l’Internet, la vente par correspondance est très importante (ex.
« Amazon ») ; elle peut être alors entièrement dématérialisée : par exemple, par le télécharge-
ment du bien immatériel sur l’ordinateur. Les règles de fond sont les mêmes.
SECTION II
ÉTENDUE
Pour déterminer l’étendue de la délivrance, apparemment la règle est simple : la
délivrance doit remettre à l’acquéreur une chose conforme au contrat (§ 1) ; les
difficultés intéressent surtout les accessoires de la chose (§ 2) auxquels s’ajoutent
aujourd’hui l’information et le conseil (§ 3).
§ 1. CHOSE
Savoir quelle chose doit être remise constitue pour l’essentiel une question de
fait, qu’il suffira de décrire, d’abord pour la vente de corps certains, puis pour
celle de choses de genre et de certains biens particuliers ; enfin, seront exposées
les règles relatives au lieu et à la date.
302. Corps certain et chose de genre. – Lorsqu’il s’agit d’un corps certain, la
délivrance doit porter sur la chose même qui a été vendue ; le vendeur ne peut lui
en substituer une autre (aliud), sans l’accord de l’acheteur. Ce qui peut faire
5. Ex. : ancienne tradition brevi manu, interversion de possession, lorsque l’acheteur détenait déjà
la chose à un autre titre (Cass. com., 3 juillet 2012, no 11-20425, Bull. civ. IV no 147 ; RDC 2012. 1244,
n. S. Pimont, au sujet de l’opposabilité d’une clause de réserve de propriété). Ou encore, vente de vin :
suffisent : 1o l’agréage et la confirmation de l’acheteur, bien que les contenants n’aient pas été dési-
gnés : Montpellier, 27 mai 1948, JCP G 1948.II.4561, n. E. Becqué, maintenu par Cass. com., 9 mai
1951, 4e esp., Bull. civ. II, no 165 ; 2o la confirmation de l’acheteur et la désignation des récipients par
le vendeur acceptée par l’acheteur : Cass. com., 9 mai 1951, 1re esp., Bull. civ. II, no 165.
6. Ex. : Cass. com., 8 octobre 1996, Bull. civ. IV, no 229 : « Lorsque la cour d’appel constate que le
vendeur a remis les marchandises au transporteur et que celui-ci les a acceptées sans réserve, il en
résulte que le vendeur a rempli son obligation de délivrance ».
7. Automobile importée de l’étranger ; le vendeur et l’acheteur résident à Metz ; l’entrepôt douanier
est à Lyon : Cass. civ. 1re, 25 octobre 1978, Bull. civ. I, no 325 ; D. 1979.20 ; JCP G 1980.II.19305 ; RTD
civ. 1979.808, obs. G. Cornu ; RTD com. 1979.139, obs. J. Hémard : « La mise en entrepôt de douane
ne constitue pas un acte de délivrance au sens de la loi ».
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 201
303. Droits intellectuels. – La propriété littéraire est constituée par un faisceau d’attributs
distincts ; la cession des droits d’auteur peut ne porter que sur certains : C. pr. int., art. L. 131-4,
alinéa 1 : « la cession par l’auteur peut être totale ou partielle », elle ne doit porter que sur les
droits ayant fait l’objet d’« une mention distincte dans l’acte de cession », article L. 131-316. De
même, pour les logiciels17.
8. Ex. de cas où le vendeur n’a pas exécuté son obligation : jurisprudence abondante et constante ;
ex. : 1o vente d’un livre portant un numéro déterminé ; la délivrance porte sur le livre convenu, mais
avec un autre numéro : * Cass. civ. 1re, 26 novembre 1980, dame Bedoucha, Bull. civ. I, no 310 ; D.
1981, IR, 439, obs. Chr. Larroumet ; RTD civ. 1981.647, obs. G. Cornu ; un détail dérisoire devient
essentiel par la volonté des parties ; 2o vente d’un ordinateur qui n’avait pas la puissance promise,
même si « le matériel remplissait l’usage auquel il était destiné » : * Cass. civ. 1re, 13 octobre 1993, sté
Bouchonnerie Gabriel, cité supra, no 285.
9. Cass. com., 3 décembre 1980, Bull. civ. IV, no 409 ; en l’espèce, la cour d’appel avait condamné
un vendeur-fabricant à des dommages-intérêts, parce qu’il n’aurait pas livré un matériel conforme à
celui qui avait été commandé : il « ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la conformité de la
marchandise ». Cassation : « Vu l’article 1315 [devenu art. 1353] ; [...] la non-conformité du matériel en
cause doit être prouvée par la sté Air-Automatic (l’acheteur), demanderesse à l’exception ».
10. Cass. civ. 1re, 19 mars 1996, Bull. civ. I, no 147 ; D. 1997, somm., 27, obs. app. P. Jourdain ;
Defrénois 1996, art. 36448, no 163, obs. crit. A. Bénabent : « il incombait au vendeur de prouver qu’il
avait mis la chose vendue à la disposition de l’acheteur dans le délai convenu » ; en l’espèce, le ven-
deur prétendait, à tort, « qu’il appartenait à (l’acheteur) qui se prévalait d’un défaut de délivrance
conforme à la commande du véhicule de prouver que celui-ci ne lui avait pas été remis dans le délai
convenu par les parties ».
11. Cass. civ. 1re, 1er décembre 1987, cité supra, deux arrêts, rap. P. Sargos.
12. Le seul fait que le prix soit faible par rapport à la valeur de la marchandise ne suffit pas à faire
présumer que les parties aient voulu que la marchandise vendue fût de qualité médiocre ou comportât
des vices : Cass. com., 11 janvier 1972, sol. impl., Bull. civ. IV, no 26 ; JCP G 1972.II.17072 ; RTD com.
1972.443, obs. J. Hémard.
13. Ex. : Si le vendeur s’était engagé à apposer un label, la conformité en dépend : Cass. com.,
9 juillet 1957, Bull. civ. III, no 221 : « L’apposition du label, formellement promise (par le vendeur)
avait été la raison déterminante de cette commande ».
14. Ex. : Cass. civ., 24 mars 1874, S. 1874.I.428.
15. Ex. : Req., 27 février 1894, DP 1894.I.216 « eu égard aux circonstances dans lesquelles le mar-
ché avait été conclu, il y avait lieu de le considérer comme indivisible dans son exécution ».
16. Sur les contrats d’auteurs, v. P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 10e éd., 2017, à
paraître, nos 465 et s.
17. Cass. civ. 1re, 9 novembre 1993, Bull. civ. I, no 395 ; RTD civ. 1994.373, obs. P.-Y. Gautier ; en
l’espèce, « un contrat de vente de logiciel » avait conféré au cessionnaire les droits d’usage et de repro-
duction du logiciel, non « les droits d’adaptation et de traduction, à défaut de mention expresse ».
202 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
18. Ex. Cass. civ. 1re, 6 décembre 1994, Bull. civ. I, no 365 ; RTD civ. 1995.644, obs. crit.
P.-Y. Gautier : « la cession de la totalité ou de la majorité des actions d’une société anonyme ne consti-
tue pas la cession du fonds de commerce figurant à l’actif de la personne morale ».
19. Cass. com., 24 mai 2011, nº 10-12163, Bull. civ. IV, no 86 : « cette formalité incombe au seul
cédant ». Biblio. : J. PAILLUSSEAU, « La garantie de conformité dans les cessions de contrôle »,
JCP G 2007.I.136 ; sur la garantie d’éviction, infra, no 350 et des vices cachés, infra, no 394.
20. Cass. com., 23 janvier 1990, Bull. civ. IV, no 23 ; D. 1991.337 ; Defrénois 1991, art. 35041, no 3,
obs. J. Honorat ; Rev. sociétés 1990.248, obs. Y. Guyon : « La garantie prescrite par l’article 1641 (celle
des vices cachés) ne s’applique qu’à raison des défauts de la chose vendue elle-même ; [...] en l’ab-
sence de clause de garantie de passif ou de révision du prix, la révélation du passif fiscal ne constituait
pas un vice caché des droits sociaux cédés ».
21. Ex. : Cass. com., 3 avril 1979, Rev. sociétés 1981.723 ; Paris, 12 juillet 1991, JCP G 1992.I.3561,
no 13, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain : « Le silence gardé par (les cédants) constitue une réticence
dolosive ayant pour effet de vicier le consentement (des cessionnaires) qui n’auraient certainement
pas conclu ou auraient conclu à de toutes autres conditions s’ils avaient connu les risques encourus ».
22. * Cass. com., 12 mai 2004, Belay, Bull. civ. IV, no 94 ; D. 2004.1599, n. A. Lienhard ; RDC 2004,
p. 921, obs. D. Mazeaud : « M. Samuel Belay, dirigeant et actionnaire des Sts Belay co Financière [...] a
manqué à l’obligation de loyauté qui s’impose au dirigeant de société à l’égard de tout associé en
dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur les consentements » ; en l’espèce, un
actionnaire avait cédé des actions au dirigeant de cette société, qui ne l’avait pas informé des négo-
ciations engagées avec un tiers pour lui revendre ces actions à un prix beaucoup plus élevé ; cassation
de l’arrêt de la cour d’appel qui avait refusé de condamner à des dommages-intérêts le dirigeant ces-
sionnaire, pour sa réticence dolosive.
23. P. MOUSSERON, Les conventions relatives à la garantie dans les cessions d’actions, th. Montpellier,
1997, préf. M. Germain.
24. Ex. de formule : « Le cédant garantit au cessionnaire que la situation comptable de la société
établie par [...] au jour de l’entrée en vigueur de la cession fera ressortir un résultat positif, de [...] au
minimum. Toute insuffisance de la situation nette fera l’objet d’une réduction du prix restant à régler
par le cessionnaire au cédant ».
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 203
moins valable, car le cédant conserve un intérêt dans l’opération : celui d’éviter les conséquen-
ces personnelles d’une « procédure collective » éventuelle25. La garantie de l’actif s’interprète en
faveur du cédant26.
2º L’autre garantie du passif consiste dans l’engagement pris par le cédant de payer les dettes
nées antérieurement à la cession et qui se révéleraient après ; par exemple, celle qui est issue
d’un redressement fiscal portant sur un exercice antérieur27. Cette convention n’est pas une
garantie d’actif ; elle ne couvre pas, sauf clause particulière, une diminution de l’actif social28.
Elle soulève deux difficultés. D’abord, savoir si la société, ou les créanciers sociaux, peut s’en
prévaloir en vertu d’une stipulation pour autrui tacite. Ensuite, celle du sort de la vente, au cas
où la dette du cédant dépasse le prix retiré de la cession, qui paraît alors avoir été consentie pour
un « prix négatif ». Comme pour la garantie de l’actif, la jurisprudence décide que le cédant
conserve un intérêt dans la vente, qui lui a permis d’échapper à la procédure collective à
laquelle il était directement ou indirectement exposé29.
305. Lieu ; frais ; personne. – Si le lieu de la délivrance n’a pas été convenu, il
est, lorsqu’il s’agit d’un corps certain, l’endroit où la chose était au moment de la
vente (art. 1609) et lorsqu’il s’agit de choses de genre, le domicile du vendeur.
La convention peut modifier ces règles. Dans les contrats internationaux, elle utilise quelques
termes usuels dont la signification a été précisée par la Chambre de commerce internationale
(CCI) : les « incoterms » (international commercial terms). Par exemple : à l’usine (au magasin,
à la mine, etc.), franco-wagon (point de départ convenu : le chargement de la marchandise a lieu
sur l’engin de transport), FOB (« franco board » : port d’embarquement convenu), CAF (coût,
assurance, fret : port de destination convenu) ; rendu frontière (lieu de livraison convenu) ;
rendu telle ville ; vente à domicile (livraison chez l’acheteur). Ce qui a, en outre, des conséquen-
ces sur le moment auquel s’opéreront l’agréage et le transfert des risques, et les charges finan-
cières du transport et de l’assurance d’enlèvement, à celle de l’acheteur (art. 1608).
La délivrance est normalement faite à l’acheteur ou à toute personne en ayant reçu pouvoir30.
306. Délai. – Si aucun délai n’a été convenu, une distinction doit être faite entre les ventes
civiles et les ventes commerciales. Dans les premières, la délivrance doit être immédiate, ce
qu’on appelle la vente en disponible, encore que souvent les tribunaux fixent un « délai
raisonnable »31. Dans les ventes commerciales, le délai dépend des usages, quand il en
existe32 ; il s’agit aussi d’un « délai raisonnable »33.
25. D. CHILSTEIN, « Les biens à valeur négative », RTD civ. 2006.663 ; Ch. FREYRIA, « Réflexions sur la
garantie conventionnelle dans les actes de cession des droits sociaux », JCP G 1992.I.3600.
26. Cass. com. 9 juin 2009, Bull. civ. IV no 77 ; RTD civ. 2009. 741, obs. P.-Y. Gautier : la clause
imposant l’information du cédant par le cessionnaire de la survenance de dettes, avec le délai pour
la dénoncer, s’interprète contre ce dernier.
27. Cass. com., 10 juillet 2007, Bull. civ. IV, no 188 ; JCP G 2007.II.10154, n. D. Houtcieff ; D. 2007,
2839, n. Ph. Stoffel-Munck et P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2007.773, obs. B. Fages ; RDC 2007.1107, obs.
L. Aynès : la garantie est due, même si le cessionaire est le dirigeant et principal actionnaire de l’en-
treprise, objet de la vente des titres.
28. Ex. : Cass. com., 14 mai 1985, Bull. Joly Sociétés, 1985.782 ; jugé que la garantie du passif ne
couvrait pas des créances irrécouvrables.
29. Cass. com., 6 janvier 1987, JCP Cl 1987, 16342, no 202, obs. A. Viandier ; RTD civ. 1992.777,
obs. P.-Y. Gautier.
30. Art. 1342-2 (ancien art. 1239) : « le paiement (c’est-à-dire ici la délivrance du produit par le ven-
deur) doit être fait au créancier (ici, l’acheteur), ou à la personne désignée pour le recevoir ».
31. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 avril 1973, Bull. civ. III, no 274 : « À défaut de délai convenu, il appartenait
aux juges du fond de déterminer le délai raisonnable pendant lequel les vendeurs devaient livrer la
chose vendue ».
32. Cass. com., 8 octobre 1956, sol. impl., Bull. civ. III, no 225.
33. Ex. : Cass. com., 12 novembre 2008, no 07-19676 ; Contrats, conc., consom. 2009, comm.
no 30, n. L. Leveneur ; Bull. civ. IV, no 192 ; RDC 2009. 599, obs. S. Pimont ; JCP G 2008.IV.2997 : « à
défaut de délai convenu il appartient aux juges du fond de déterminer le délai raisonnable dans lequel
le vendeur devait délivrer la chose vendue » ; en l’espèce, les parties n’avaient arrêté aucune date pour
204 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Si une date a été convenue, le délai peut être de rigueur34 ou purement indicatif,
ce qui commande les conséquences du retard ; à défaut de précision, les juges
tiennent compte des usages ou des objectifs du contrat35. Généralement, il est
indicatif. S’il est de rigueur, l’acheteur n’a pas à mettre le vendeur en demeure :
le seul fait qu’il soit échu et que la délivrance n’ait pas eu lieu suffit à justifier la
résolution aux torts du vendeur36.
S’il est stipulé que le vendeur n’a aucune responsabilité en raison de son retard, la clause est
abusive et les tribunaux l’annulent parce que l’acheteur est à la merci du vendeur37. Dans les
ventes commerciales, il est rare qu’un délai de grâce soit accordé, parce que le délai de livraison
est important, car souvent l’activité de l’acheteur dépend de la ponctualité du vendeur38.
Entre professionnels et consommateurs, la loi (C. consom., art. L. 216-1 et s.) accorde au
consommateur la faculté de résoudre le contrat jusqu’à trente jours après sa conclusion.
§ 2. ACCESSOIRES
307. Choses. – Aux termes de l’article 1615, « l’obligation de délivrer la chose
comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel ». Ce
texte, comme la plupart des dispositions du Code civil relatives à la vente, est
interprétatif de la volonté des parties : c’est donc à elles qu’il convient de se réfé-
rer afin de connaître l’étendue des accessoires que le vendeur est tenu de délivrer
à l’acquéreur.
Les accessoires sont d’abord les choses constituant le complément naturel (ex. les fruits) ou
nécessaire à l’utilisation de la chose vendue ; ce fut la signification initiale de l’accessoire39.
Dans la pratique commerciale, ils comprennent souvent les emballages et le conditionnement
qui deviennent ainsi la propriété de l’acquéreur ; parfois, l’emballage n’est pas cédé ou l’est avec
promesse de rachat40 ; le fait que le vendeur ait l’obligation de fournir l’emballage a pour consé-
quence qu’il est responsable des dommages causés à la marchandise en raison des défauts de
l’emballage, alors même qu’il bénéficie d’une clause exonératoire de responsabilité pour le cas
d’inexactitude de la marchandise livrée41. Souvent aussi, des documents doivent être remis avec
la mise en service de la machine vendue. Les juges du fond ont estimé qu’un délai de six mois était
raisonnable étant donné la complexité et l’anciennité du matériel vendu. Rejet du pourvoi.
34. Cass. com., 4 juin 1980, cité infra, no 324 : la vente stipulait que la livraison devait s’effectuer à
telle date « autant que possible » ; le fait qu’elle ait eu lieu après ne justifie pas la résolution.
35. Ex. : Req., 22 février 1875, DP 1875.I.471 : marché de farine : « L’usage, qui forme la loi des
parties, à moins qu’il n’y ait été dérogé, accorde à l’acheteur pour le paiement un délai de 30 jours,
à partir de la livraison ».
36. TI Paris, 9 mars 1977, Gaz Pal., 11-12 décembre ; RTD civ. 1978.150, obs. G. Cornu : achat par
un consommateur auprès d’un vendeur dont la publicité assurait « contrat de confiance oblige ».
37. Cass. civ. 1re, 16 juillet 1987, Bull. civ. I, no 226 ; D. 1988.49, n. J. Calais-Auloy ;
JCP G 1988.II.21001, n. G. Paisant : « Conférant au professionnel vendeur un avantage excessif,
notamment en lui laissant en fait l’appréciation du délai de livraison et en réduisant le droit à répara-
tion prévu par l’article 1610 au bénéfice de l’acquéreur non professionnel en cas de manquement par
le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu, cette clause devait être
réputée non écrite » ; v. également infra, no 322, pour une recommandation de la commission des
clauses abusives.
38. LE GALL, « Le retard dans la livraison des marchandises vendues », RTD com. 1963.239.
39. Ex. : quand on vend un immeuble, on vend en même temps, sauf stipulation contraire, les
immeubles par destination ; s’il s’agit d’une automobile, on vend aussi la roue de secours, le cric et
la manivelle ; la vente d’un manège comprend le matériel de sonorisation, etc.
40. Supra, no 85.
41. Cass. com., 10 juillet 1951, DMF 1951.535.
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 205
la chose vendue afin d’en permettre l’usage42, à commencer par l’instrumentum constatant la
vente et l’accomplissement des formalités de publicité. La livraison peut s’accompagner d’une
mise en service (pour les consommateurs : C. consom., art. L. 217-18, comprenant la remise de
la notice d’emploi).
42. Ex. : dans les ventes... immobilières : certificat d’urbanisme, extrait cadastral, titres de
propriété... mobilières : documents sanitaires, fiscaux, douaniers, administratifs ; pour une automobile,
la « carte grise » : Cass. civ. 1re, 22 janvier 1991, Bull. civ. I, no 23 ; ou le certificat de contrôle tech-
nique des voitures de plus de cinq ans : Versailles, 24 septembre 1998, D. Aff. 1998.1855 (mais l’ache-
teur ne prouve pas son préjudice). Pour un cheval pur-sang, certificat d’origine : Cass. civ. 1re,
26 novembre 1981, Bull. civ. I, no 352 ; 29 novembre 1994, Bull. civ. I, no 355 : « En livrant une mar-
chandise (destinée à l’exportation) accompagnée de certificats de salubrité (exigés par le pays impor-
tateur) dépourvus de sincérité, le vendeur a manqué à son obligation de délivrer la chose convenue » ;
jugé que la vente devait être résolue.
43. Cass. com., 11 décembre 2001, Contrats, conc., consom. 2002, comm. no 58, n. L. Leveneur ;
n.p.B.
44. Ex. : le vendeur avait conclu un contrat avec un entrepreneur, ou un assureur, ou un locataire.
Dans quelle mesure la créance et la dette résultant de ce contrat sont-elles transmises à l’acquéreur ?
Question qui se ramène à l’opposabilité du contrat à un ayant cause à titre particulier et peut être
rapprochée de la cession de contrat. Droit des obligations, coll. Droit civil.
45. Ex. : Cass. civ., 12 janvier 1937, DH 1937.99 : « En dehors des cas exceptionnels pour lesquels il
est disposé autrement par des textes spéciaux, l’aliénation d’un bien à titre particulier n’a pas pour effet
de transférer à l’acquéreur les droits déjà nés sur la tête du disposant à l’occasion de la jouissance de
l’exploitation de ce bien, mais qui ne font pas corps avec lui et n’affectent pas sa constitution ; en
particulier, les créances possédées par un commerçant, même pour causes commerciales, ne devien-
nent pas des éléments constitutifs de son fonds et la vente du fonds s’opère par transport desdites
créances à l’acheteur, sauf l’effet de clauses spéciales qui concerneraient leur cession » ; pour une
clause d’habitation bourgeoise : Cass. civ., 29 mars 1933, DH 1933.282. Pour une créance de dom-
mages-intérêts : Cass. civ. 3e, 17 novembre 2004, Bull. civ. III, no 206 ; RDC 2005.347, obs. Ph. Brun :
« en l’absence de clause expresse, la vente d’un immeuble n’emporte pas de plein droit cession au
profit de l’acquéreur des droits et actions qui ont pu naître au profit du vendeur en raison des domma-
ges affectant l’immeuble antérieurement à la vente ».
46. Ex. : Req., 3 septembre 1940, DA 1941.37 ; JCP G 1940.II.1557, n. E. Becqué : « S’il est de prin-
cipe que l’acheteur, en tant qu’ayant cause à titre particulier du vendeur, est un tiers à l’égard des
obligations antérieurement contractées par celui-ci à l’occasion de la chose vendue, il en est autrement
lorsque cet acheteur, par une disposition spéciale de la vente, a déclaré s’obliger personnellement à
exécuter les obligations de son vendeur ».
206 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
47. L. AYNÈS, La cession du contrat, th. Paris II, Economica, 1984, préf. Ph. Malaurie. Les actes de
vente d’immeuble rappellent généralement la règle légale. Ex. : « L’acheteur fera son affaire person-
nelle, à compter de ce jour, de la continuation ou de la résiliation de toutes polices d’assurances
contre l’incendie et autres risques, contractées relativement à l’immeuble, de telle manière que le ven-
deur ne soit jamais recherché à cet égard » (le vendeur n’est libéré de l’obligation de payer les primes
qu’à compter de la notification de cette clause à l’assureur). Le contrat peut écarter la règle légale :
ex. : « Le vendeur fera son affaire personnelle, etc. » .
48. T. II, 7e éd., 1961, par P. Esmein, § 176, no 169.
49. Ex. : Cession de droits sociaux : jurispr. constante ; ex. : Cass. com., 26 janvier 1970,
JCP G 1970.II.16385, n. Y. Guyon ; n.p.B. : « Fouilly (le cédant) a cessé de courir les risques et les chan-
ces de la société, il a transmis à son cessionnaire le droit attaché à ces titres d’exercer l’action sociale ».
50. FLOUR, AUBERT et SAVAUX, Obligations, t. I, 15e éd., Sirey, 2012, no 446 : « La créance est transmise
avec le bien chaque fois qu’elle en est indissociable : c’est-à-dire, chaque fois que la première n’offre
d’intérêt que pour le propriétaire du second et n’est même susceptible d’être exercée que par lui ».
51. Ex. : Cass. civ., 12 décembre 1899, Gonthière, DP 1900.I.361 ; S. 1901.I.497, n. Tissier : l’ayant
cause à titre particulier est tenu des dettes de son auteur « lorsque ces obligations ont pour effet de
restreindre ou de modifier le droit transmis ou qu’elles forment la condition nécessaire de son exer-
cice » ; en cette espèce, l’acquéreur d’une superficie s’était engagé à ne pas réclamer de dommages-
intérêts au propriétaire d’une mine, son vendeur ; jugé que cette obligation avait été transmise aux
propriétaires successifs de la superficie.
52. Ex. : Cass. civ. 1re, 5 janvier 1999, sté Thermo-King, Bull. civ. I, no 6 ; D. 1999.383, n. Cl. Witz ;
RTD civ. 1999. 492, obs. J. Raynard ; JCP G 2000.I.199, no 19, obs. G. Viney ; la Convention de Vienne
relative aux ventes internationales de marchandises « régit exclusivement les droits et obligations
qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et l’acheteur ».
53. * Cass. soc., 16 mai 1958, Combes, D. 1958.464 ; RTD civ. 1958.421, obs. J. Carbonnier : « Le
contrat de bail ne créant entre les parties que des droits personnels, l’acquéreur de l’immeuble ne peut
en principe agir contre le preneur pour des manquements au bail antérieurs à la vente, sauf le cas de
cession de créance régulièrement signifiée ou de subrogation expresse figurant à l’acte de vente ».
54. Cass. civ. 3e, 18 octobre 2005, Bull. civ. III, no 197 ; RDC 2006.470, obs. X. Lagarde : « l’action
en nullité relative pour dol étant réservée à celui des contractants dont le consentement a été vicié,
la cour d’appel a exactement retenu qu’en dépit de la subrogation générale qu’elle détenait en vertu
des actes de vente, la sté FP Invest (l’acquéreur) était sans qualité pour engager une action en nullité
(d’un bail consenti par la venderesse) en raison du dol dont aurait été victime Mme de Bordas » (la
venderesse).
55. En revanche, le cessionnaire peut invoquer la créance de non-concurrence dont le cédant
bénéficiait, qui délimite le droit à la clientèle qui lui a été transmis : Cass. civ. 1re, 3 décembre 1996,
Docteur Roques, D. 1997.151, rapp. Y. Chartier, n. Serra ; JCP G 1997.II.22799, n. J.-J. Daigre : la
garantie de non-concurrence attachée à un cabinet revendu plusieurs fois, « doit être sauf clause
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 207
contraire, présumée comprise parmi les droits transmis par le cessionnaire, lorsqu’il vient à son tour à
procéder à la même opération au profit d’un tiers » ; v. Droit des obligations, coll. Droit civil.
56. Cass. civ. 3e, 16 novembre 1988, Bull. civ. III, no 163 ; D. 1989.157, n. Ph. Malaurie : « L’acqué-
reur d’un bien à titre particulier ne succède pas de plein droit aux obligations personnelles de son
auteur, même si celles-ci sont nées à l’occasion du bien transmis ».
57. Cass. civ. 3e, 7 décembre 2005, Bull. civ. III, no 244 : « en l’absence de clause expresse, la vente
d’un fonds de commerce n’emporte pas de plein droit cession à la charge de l’acheteur du passif des
obligations dont le vendeur pourra être tenu en raison des engagements initialement souscrits par lui ».
58. Jurisprudence constante : ex. : * Cass. Ass. plén., 7 février 1986, sté produits céramiques de l’An-
jou, Bull. civ. Ass. plén., no 2, 1er arrêt ; D. 1986.293, n. crit. A. Bénabent ; D. 1987, somm., 185, obs.
H. Groutel ; JCP G 1986.II.20616, n. crit. Ph. Malinvaud ; Gaz. Pal. 1986.II.143 ; RTD civ. 1986.605,
obs. Ph. Rémy ; GAJ civ., no 208 ; sur cet arrêt, infra, no 417.
59. Cass. civ. 1re, 4 février 1963, entreprise moderne de canalisations, Bull. civ. I, no 77 ; S.
1963.I.93 ; JCP G 1963.II.13159, n. R. Savatier ; RTD civ. 1963.565, obs. G. Cornu : « La garantie due
par le vendeur pour les vices cachés, étant inhérente à l’objet même de la vente, appartient à l’ache-
teur comme détenteur de la chose en vertu d’un droit qui lui est propre et qu’il tient du contrat ; à juste
titre, la cour d’appel a, dès lors, estimé que le sous-acquéreur pouvait intenter l’action rédhibitoire
directement contre le vendeur originaire ». Sur cet arrêt, infra, no 409.
60. Cass. civ. 1re, 26 mai 1999, Contrats, conc., consom. 1999, no 153, n. L. Leveneur ; n.p.B.
61. Jurisprudence plusieurs fois réitérée ; ex. : Cass. civ. 3e, 23 mars 1968, Bull. civ. III, no 131 ; D.
1970.663, n. Ph. Jestaz.
62. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 31 janvier 2007, Bull. civ. III, no 15 ; RDC 2007.738,
obs. S. Carval : « le contrat de vente stipulait que l’acquéreur prenait le bien vendu dans son état actuel
et qu’il s’interdisait d’intenter une quelconque action contre les entreprises ayant réalisé les travaux » ;
en l’espèce, après la conclusion de la vente, un mur de soutènement faisant partie du bien vendu
s’était écroulé ; cassation de l’arrêt ayant refusé au vendeur la qualité pour agir contre l’architecte
paysagiste qui avait fait réparer (mal) ce mur avant la vente. La Cour de cassation considère ainsi
que le vendeur qui n’est plus propriétaire peut encore agir en paiement de sommes d’argent contre
le débiteur, même si la créance se rattache au fonds cédé : P.Y. GAUTIER, RTD civ. 1997. 964 et 2002.
321.
63. Ex. : Cass. civ. 3e, 23 septembre 2009, no 08-13470, Bull. civ. III no 202 ; RDC 2010. 589, obs.
O. Deshayes ; RTD civ. 2010. 336, obs. P. Jourdain (l’arrêt réserve le préjudice personnel du vendeur,
qui lui conserverait qualité pour agir et déclare qu’il est indifférent que lors de la vente, l’acquéreur ait
connu le vice).
208 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
64. * Cass. Ass. plén., 7 février 1986, sté produits céramiques de l’Anjou, préc. : A. fournit des bri-
ques qui se révèlent friables à B. entrepreneur, qui construit un bâtiment pour C. maître de l’ouvrage,
lequel le vend à D. D. peut agir directement en responsabilité contractuelle contre A. Du même jour,
un arrêt identique de l’Assemblée plénière sur l’action du maître contre le fabricant, infra, no 417.
65. Cass. civ. 1re, 5 janvier 1999, sté Thermo-King préc.
66. Cass. civ. 2e, 17 décembre 2009, no 09-11612, Bull. civ. II no 290 ; RDC 2010. 601, obs.
S. Carval : « la cession de créance transfère de plein droit au cessionnaire... sauf stipulations contraires
ou actions incessibles par nature, l’action en responsabilité, contractuelle ou délictuelle, qui en est
l’accessoire » ; action en responsabilité contre celui qui a frauduleusement mobilisé les créances
cédées.
67. Cass. civ. 3e, 18 juin 1997, Le Berre, Bull. civ. III, no 149 ; D. Aff. 1997.89 ; Contrats, conc.,
consom. décembre 1997, comm. no 178, n. L. Leveneur ; Defrénois 1997.1008, obs.
Ph. Delebecque ; RTD civ. 1997.964, obs. crit. P.-Y. Gautier : « La vente de l’immeuble n’emporte
pas de plein droit cession au profit de l’acquéreur des droits et actions à fin de dommages-intérêts,
qui ont pu naître au profit du vendeur en raison de dégradations causées à l’immeuble antérieurement
à la vente ».
68. Cass. com., 17 décembre 1996, D. 1997.387, n. M.-H. Monserié ; n.p.B. : « La cession d’un
fonds de commerce n’inclut pas nécessairement celle du bail des locaux dans lesquels ce fonds est
exploité ».
69. Cass. civ. 3e, 2 octobre 2002, Bull. civ. III, no 189 : « l’acquéreur de l’immeuble ne peut agir
contre le locataire pour des manquements du bail antérieurs à la vente, sauf cessions de créance ou
subrogation expresse ».
70. Ex. Cass. civ. 3e, 21 février 2001, Bull. civ. III, no 22 ; D. 2002, somm. 392, obs. G. Pignarre ; en
l’espèce, la venderesse avait vendu une propriété rurale sans avoir informé l’acheteur qu’un droit de
chasse la grevait ; l’acheteur avait demandé la réparation de son préjudice ; il fut débouté par la cour
d’appel : « le droit de chasse [...] découle de la loi » ; cassation : « Vu l’art. 1602 ; [...] il appartenait à la
venderesse d’informer l’acquéreur, quelle que soit l’utilisation envisagée pour l’immeuble, de la situa-
tion juridique de la propriété vis-à-vis de l’exercice du droit de chasse ».
71. Cass. civ. 1re, 3 mai 2000, Aff. des photos de Baldus, Bull. civ. I, no 131 ; D. 2002, somm. 298,
obs. Tournafond ; JCP G 2001.II.10510, n. Chr. Jamin ; 2000.I.272, nos 1 et s., obs. Grég. Loiseau ;
Defrénois 2000.1110, obs. crit. D. Mazeaud ; 1115, obs. approbative Ph. Delebecque ; Contrats,
conc., consom. 2000, comm. no 140, n. L. Leveneur ; en l’espèce, dans une vente aux enchères,
l’acheteur n’avait pas prévenu le vendeur que les photos de Baldus acquises « à un prix dérisoire
avaient une grande valeur » ; rejet de l’action en nullité pour réticence dolosive : « aucune obligation
d’information ne pesait sur l’acheteur ».
72. Cass. civ. 3e, 15 novembre 2000, Bull. civ. III, no 171 ; D. 2002, somm. 928, obs. O. Tournafond,
2e esp. ; JCP G 2002.II.100054, n. Lièvremont ; 2001.I.301, no 1, obs. Y. Sérinet ; Contrats, conc.,
consom. 2001, comm. no 23, n. Leveneur ; Defrénois 2001.242, n. E. Savaux ; en l’espèce, des
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 209
I. — Devoir d’information
310. Distinctions. – Le vendeur, même non professionnel, doit renseigner l’ac-
quéreur sur la chose vendue et lui communiquer les informations utiles dont il
dispose. Dans les ventes mobilières, cette obligation pèse surtout sur le fabricant
et le vendeur professionnel76 : ils doivent décrire le produit, indiquer ses modalités
acquéreurs avaient commis des manœuvres pour faire ignorer aux vendeurs les richesses du sous-sol
vendu ; la nullité a été prononcée pour réticence dolosive.
73. B. RUDDEN, « Le juste et l’inefficace ; pour un non-devoir de renseignements », RTD civ.
1985.91-104.
74. P. JOURDAIN, « Le devoir de se renseigner », D. 1983, chron., 139. Ex. : Cass. civ. 1re, 11 juin
1980, Bull. civ. I, no 186 ; RTD civ. 1984.734, obs. J. Huet ; jugé qu’un acheteur « viticulteur confirmé »
« ne pouvait ignorer le danger d’une intervention dans une machine en mouvement » ; Cass. civ. 1re,
26 novembre 1981, Bull. civ. I, no 354 : vente d’un appareil de traitement des eaux ; l’acquéreur, spé-
cialiste en la matière, aurait dû consulter le fournisseur sur la nature des eaux à traiter ; cf. aussi pour la
vente d’ordinateurs : infra, no 314.
75. Cass. civ. 1re, 3 juillet 1985, Bull. civ. I, no 211 ; RTD civ. 1986.368, obs. J. Huet : « Vu l’arti-
cle 1135 [devenu l’article 1194] ; il appartient au vendeur professionnel de matériau acquis par un
acheteur profane de le conseiller et de le renseigner et, notamment, d’attirer son attention sur les
inconvénients inhérents à la qualité du matériau choisi par le client, ainsi que sur les précautions à
prendre pour sa mise en œuvre, compte tenu de l’usage auquel ce matériau est destiné ». En l’espèce,
il s’agissait de la fourniture de « tuiles ornementales », généralement utilisées en raison de leurs quali-
tés esthétiques pour la couverture de monuments historiques. L’acquéreur les avait fait poser sur un
support qui n’était pas étanche, sans que le fabricant l’eût informé de la porosité de ces tuiles ; jugé
que le fabricant avait méconnu son obligation de renseignements.
76. Selon certains auteurs, les obligations du fabricant et du revendeur devraient être dissociées
(G. VINEY, n. JCP G 1979.II.19139, 1re part.) ; l’obligation de renseignements pèserait essentiellement
sur le fabricant, le revendeur ayant seulement à transmettre les informations reçues du producteur.
Des arrêts paraissent aller en ce sens. Ex. : Cass. civ. 1re, 19 janvier 1983, Bull. civ. I, no 30 : « L’obliga-
tion de renseigner le client sur les précautions à respecter dans la manipulation d’un appareil incombe
au vendeur, et non pas, sauf circonstances particulières dont l’existence n’a pas été recherchée en
l’espèce, au réparateur ». En l’espèce, la cour d’appel avait refusé au réparateur d’un congélateur le
droit de se faire payer « aux motifs qu’il aurait appartenu aux “livreurs” successifs d’informer
210 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
M. Vermesch des précautions à prendre dans la manipulation de l’appareil ». Cassation. D’autres arrêts
sont en sens contraire : ex. : * Cass. civ. 1re, 23 avril 1985, sté Lefranc-Bourgeois, Aff. du peintre Hilaire,
Bull. civ. I, no 125 ; D. 1985.558, n. S. Dion ; RTD civ. 1986.367, obs. J. Huet : « L’obligation de rensei-
gnements incombe aussi bien au fabricant qu’au revendeur spécialisé ». Pour les vices cachés, infra,
no 411 ; sur l’information que le vendeur professionnel doit au consommateur : supra, no 161.
77. Cass. com., 11 juillet 1988, Bull. civ. IV, no 250 : « La société Lefébure a manqué à l’obligation à
laquelle elle était tenue, en sa qualité de vendeur professionnel, de renseigner l’acquéreur d’un maté-
riau nouveau sur ses conditions d’utilisation, le cas échéant, en lui proposant de substituer au produit
choisi le matériau adéquat. » En l’espèce, il s’agissait d’un produit nouveau d’étanchéité qui s’était
révélé impropre à l’usage auquel il était destiné « eu égard au site et à la période des travaux ». Jugé
que le fournisseur était responsable pour manquement à son devoir de conseil, compte tenu de son
expérience dans « les nouveaux produits d’étanchéité ».
78. Les attendus de la Cour de cassation sont parfois embarrassés, ce qu’explique la relativité de la
distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat ; ex. : * Cass. civ. 1re, 23 avril 1985, sté
Lefranc-Bourgeois, Aff. du peintre Hilaire, préc. : « Si l’obligation de renseignements est une obligation
de moyens, le défaut d’information sur les conditions d’emploi du produit et les précautions à prendre
prive l’utilisateur du moyen d’en faire un usage correct, conforme à sa destination » peinture vendue
sous tube ne comportant aucune indication d’emploi ; utilisée par un artiste, elle s’était écaillée. Jugé
que le fabricant était responsable.
79. * Cass. civ. 1re, 28 octobre 2010, aff. des carrelages en terre cuite ; infra, no 314.
80. Par ex. Cass. civ. 3e, 16 janvier 2013, no 11-27101, Bull. civ. III no 4 ; D. 2013. 676,
n. O. Sutterlin (risque de pollution).
81. Ex. : Cass. civ. 1re, 28 mai 2008, Bull. civ. I, no 154 ; JCP G 2008.II.10179, n. F. Beyneix ; en l’es-
pèce, le vendeur d’un appartement situé en rez-de-chaussée avec vue sur un espace vert, n’avait pas
informé l’acquéreur que serait édifiée une future construction le privant de sa vue ; il a été condamné a
réparer le préjudice subi par l’acquéreur ; v. aussi pour le dol par réticence supra no 284.
82. L’erreur de diagnostic n’entraîne ni la responsablité du vendeur de bonne foi si avait été stipulée
une clause de non garantie, ni celle de l’expert s’il n’avait pas commise de faute : Cass. civ. 3e, 6 juillet
2011, no 10-18882, Bull. civ. III, no 126 ; RTD civ. 2011.776, obs. crit. P.-Y. Gautier ; Contrats, conc.
consom. 2011, no 232, n. L. Leveneur. Ce diagnostic serait donc un « leurre » (P.-Y. GAUTIER, obs.
préc.).
83. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 janvier 2005, Bull. civ. III, no 8 ; D. 2005, Jur. 2513, n. M. Boutonnet ;
JCP G 2006.II.10033, n. P. Savin et Y. Martinet ; Defrénois 2006.726, n. B. Rolland : « lorsqu’une instal-
lation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d’en infor-
mer par écrit l’acheteur ; il l’informe également, pour autant qu’il les connaisse, des dangers ou incon-
vénients importants qui résultent de l’exploitation » ; en l’espèce, le terrain vendu avait été une
décharge publique ; cassation de l’arrêt qui avait refusé de prononcer la résolution de la vente, car
l’acheteur était, en fait, au courant.
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 211
84. Cass. civ. 3e, 6 juillet 2011, préc. (amiante dans les cloisons d’une chambre et d’un dressing,
non décelable sans travaux destructifs) ; Cass. civ. 3e, 23 septembre 2009, Bull. civ. III no 204 ; Contrats,
conc., consom. 2009 no 285, n. L. Leveneur ; Defrénois 2010. 99, n. E. Savaux ; RDC 2010. 657, obs.
Ph. Brun ; Revue Lamy dr. civ. janv. 2010, n. Delahais et Metayer : la loi « n’oblige le propriétaire de
l’immeuble qu’à transmettre à l’acquéreur l’état établi par le professionnel, sans constater l’existence
d’un engagement spécifique des vendeurs de livrer un immeuble exempt d’amiante ».
85. Cass. civ. 3e, 16 mars 2011, no 10-10503, Bull. civ. III, no 36 ; Defrénois 2011. 1400,
n. J.-B. Seube : incombe au vendeur un « devoir général de loyauté » (présence d’amiante, le vendeur
le savait et n’en a rien dit).
86. Cass. civ. 1re, 28 juin 2012, no 11-17860, Contrats, conc. consom. 2012 no 251, n. L. Leveneur,
n.p.B. (volets en sapin pour une maison de Noirmoutier).
87. Cass. civ. 3e, 16 janvier 2013, no 11-22591, Bull. civ. III no 6, JCP G 2013, 974, obs. J. Ghestin :
règle supplétive.
88. Ex. : * Cass. ch. mixte, 8 juillet 2015, nº 13-26686, Bull. civ. ch. mixte à paraître ; JCP G 2015,
1088, obs. Y.M. Serinet ; D. 2015. 2155, n. V. Mazeaud et 2016. 38, obs. P. Brun ; Contrats, conc.
consom. 2015, nº 253, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2015. 895, obs. P.Y. Gautier, 2016.130, obs.
P. Jourdain ; RDC 2015. 848, obs. O. Deshayes ; Dr. et patr., févr. 2016, n. Ph. Stoffel-Munck (état
parasitaire erroné, les acheteurs sont en droit de se faire indemniser de la totalité des travaux effectués
et pas seulement de la perte d’une chance).
89. V. toutefois * Cass. com., 1er décembre 1992, sté Lefebvre et Trezeguet, Bull. civ. IV, no 391 :
« Tout vendeur d’un matériel doit, afin que la vente soit conclue en connaissance de cause, s’informer
des besoins de son acheteur et informer ensuite celui-ci des contraintes techniques de la chose vendue
et de son aptitude à atteindre le but recherché ».
90. Ex. : insert ayant provoqué un incendie : Cass. civ. 1re, 18 juin 2014, 13-16585, Bull. civ. I
nº 114 ; Contrats, conc. consom. 2014, nº 212, n. L. Leveneur (le vendeur aurait dû conseiller à l’ache-
teur de le faire installer par un professionnel qualifié et ne pas se contenter de la remise de la notice
d’utilisation) ; produit agricole dangereux pour les yeux : il faut que le fabricant le dise ; il ne suffit pas
qu’il indique le mode d’emploi et recommande d’éviter un contact prolongé avec la peau :
Cass. civ. 1re, 14 décembre 1982, Bull. civ. I, no 361 ; RTD civ. 1983.544, obs. G. Durry : « Le fabricant
d’un produit doit fournir tous les renseignements indispensables à son usage et notamment avertir
l’utilisateur de toutes les précautions à prendre lorsque le produit est dangereux » ; pour la charge de
la preuve d’un vice caché, infra, no 402. Sur le vice caché d’une chose dangereuse, infra, no 396.
91. Le produit réunissant le plus le danger et la nouveauté est le médicament ; infra, no 396.
92. Cass. civ. 1re, 11 juin 1991, Aff. du Mobil-home, Bull. civ. I, no 201 ; D. 1993, somm., 241, obs.
O. Tournafond ; JCP G 1993.I.3572, obs. G. Viney ; RTD civ. 1992.114, obs. P. Jourdain : « L’action en
212 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur pour manquement à son obligation de sécurité,
laquelle consiste à ne livrer que des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de
nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, n’est pas soumise au bref délai imparti
par l’article 1648 ». En l’espèce, les acquéreurs d’un mobile-home étaient morts dans leur véhicule,
intoxiqués par l’oxyde de carbone le lendemain de l’acquisition ; jugé que l’action en responsabilité
contractuelle n’était pas soumise à ce qui était alors le « bref délai » de l’article 1648.
93. Infra, no 396.
94. Cass. civ. 2e, 21 juin 1982, Bull. civ. II, no 537 : « Il n’existait aucune certitude qu’une faute en
relation de cause à effet avec le dommage ait été causée par la société Péchiney ».
95. Ex. : Cass. com., 8 janvier 1973, Bull. civ. IV, no 16 : « Le vendeur d’un produit dont la dénomi-
nation était indiquée n’était pas tenu d’y joindre un mode d’emploi, l’acheteur devant en sa qualité de
professionnel connaître la formule d’utilisation ou se renseigner sur elle ».
96. Cass. civ. 1re, 4 mai 1994, Bull. civ. I, no 163 ; D. 1994, somm., 236, obs. G. Paisant : « Le ven-
deur d’un produit très récemment commercialisé (graines de cerfeuil tubéreux) avait l’obligation de
donner à l’utilisateur tous renseignements utiles pour sa mise en œuvre ».
97. Cass. civ. 1re, 3 juin 1998, Bull. civ. I, no 198 ; D. Aff. 1998.1172 : « L’obligation d’information du
fabricant à l’égard de l’acheteur professionnel n’existe que dans la mesure où la compétence de celui-
ci ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens
qui lui sont livrés » ; en l’espèce, le vendeur professionnel d’une soupape défectueuse destinée à une
automobile a été débouté de son action en garantie contre le fabricant : il lui « appartenait, en sa qua-
lité de vendeur professionnel, de prendre toutes mesures autorisant une connaissance parfaite de la
part du public ».
98. Ex. : Cass. civ. 3e, 21 juillet 1993, Bull. civ. III, no 117 ; D. 1994, somm., 237, obs.
O. Tournafond : le vendeur non professionnel n’engage sa responsabilité pour manquement à son obli-
gation d’information que « s’il disposait d’informations qu’il n’avait pas communiquées aux acqué-
reurs ».
99. * Cass. civ. 1re, 28 octobre 2010, no 09-16913, aff. des carrelages en terre cuite, Bull. civ. I,
no 215 ; D. 2010.2580, obs. X. Delpech ; Defrénois 2010.2309, n. G. Rabu ; RDC 2011.531,
n. S. Pimont : « il incombe au vendeur professionnel de prouver qu’il s’est acquitté de l’obligation de
conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer
EXÉCUTION ET ÉTENDUE DE LA DÉLIVRANCE 213
néophyte. Longtemps cette obligation a été limitée aux choses complexes telles
qu’un ordinateur ; la Cour de cassation l’applique maintenant à toute espèce de
chose100. L’article 1112-1 du Code civil ne codifie que l’obligation d’information,
mais celle de conseil s’impose par la nature de chaque contrat.
Cette obligation existe avant la conclusion du contrat : les tribunaux décident que le
fournisseur101 doit conseiller l’acquéreur en lui indiquant quel matériel convient à ses besoins ;
elle constitue, même alors, une responsabilité contractuelle102. Elle continue après la formation
du contrat afin, cette fois, d’aider au bon fonctionnement de l’appareil103.
La responsabilité du vendeur n’est pas engagée du seul fait que la chose vendue
n’a pas les performances escomptées104, parce qu’une collaboration – un « dialo-
gue » dit parfois la Cour de cassation – doit s’établir entre le vendeur et son
contractant tenu de l’informer de ses besoins105. Souvent, est adjoint un contrat
de maintenance, obligeant le fournisseur à entretenir la chose vendue106. En d’au-
tres termes, le vendeur a une obligation de conseil et d’information ; l’acquéreur,
une obligation de collaboration. Si l’acheteur ne suit pas le conseil que lui a
donné le vendeur, celui-ci échappe à toute responsabilité107.
quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue ». En l’espèce, la vente faite
par un professionnel portait sur des carrelages destinés à être posés autour de la piscine de l’acheteur,
carrelages qui s’étaient désagrégés au contact de l’eau de piscine, par un phénomène d’électrolyse : la
cour d’appel avait exonéré le vendeur parce qu’il n’avait pas été informé par l’acheteur de l’emploi de
la marchandise vendue. Cassation.
100. . * Cass. civ. 1re, 28 octobre 2010, aff. des carrelages en terre cuite, préc.
101. Cass. com., 5 décembre 1989, Bull. civ. IV, no 306 ; D. 1990, somm., 322, obs. J. Huet : le
devoir de conseil incombe exclusivement au distributeur lorsque lui seul a été en relation avec l’ache-
teur.
102. Cass. com., 25 juin 1980, Bull. civ. IV, no 276 ; RTD civ. 1981.157, obs. G. Durry : « Le devoir
de conseil constitue une obligation contractuelle ». Par conséquent, l’assureur qui ne couvre que la
responsabilité délictuelle du fournisseur n’engage pas sa garantie.
103. Cass. com., 11 juillet 2006, Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 108, n. L. Leveneur ; n. p.
B. statuant sur le fondement de l’obligation de délivrance : elle « n’est pleinement exécutée qu’une fois
réalisée la mise au point effective de la chose vendue ».
104. Cass. com., 3 décembre 1985, Bull. civ. IV, no 284 ; RTD civ. 1986.372, obs. Ph. Rémy ; R.
informatique, 1986, no 4, le devoir de conseil ne constitue pas une obligation de résultat.
105. Cass. com., 14 mars 1989, Bull. civ. IV, no 89 : « Les manquements éventuels du fournisseur
d’un équipement informatique à son devoir de conseil, dont elle (la cour d’appel) a relevé exactement
qu’il se limitait à une obligation de moyens, devaient s’apprécier en fonction des besoins et des objec-
tifs définis par son client ».
106. Sur le transfert au sous-acquéreur du contrat de maintenance : Versailles, 21 mai 1986, D.
1987.266, n. J. Huet.
107. Ex. : Cass. com., 11 juin 1985, Bull. civ. IV, no 188. En l’espèce, l’acquéreur d’un dispositif
contre le vol n’avait pas accepté les propositions de la société Fichet-Baude et avait acquis un procédé
moins élaboré. Jugé que « la société Fichet-Baude ne pouvait être tenue en l’occurrence d’une obliga-
tion de résultat et n’avait pas manqué à son obligation de conseil ». Cass. civ. 1re, 11 déc. 2013, nº 12-
23372 : « il incombait à la société commerciale Citroën, vendeur professionnel, de prouver qu’elle
s’était acquittée de son obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de M. X
afin d’être en mesure de l’informer, au regard de la nature et de l’importance des réparations effec-
tuées sur ce véhicule, de l’adéquation de celui-ci à l’utilisation qu’il projetait et aux qualités qu’il en
attendait... ».
108. Ex. : Cass. civ. 1re, 7 avril 1998, Bull. civ. I, no 150 ; Contrats, conc., consom. 1997, comm.
no 97, n. L. Leveneur : « L’obligation de conseil imposait à l’installateur, de s’informer des besoins de
sa cliente et d’adapter le matériel proposé à l’utilisation qui en était prévue ».
214 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
109. Cass. civ. 1re, 26 novembre 1981, supra, no 307 : « Il ne pouvait être reproché à la société CIR
(le fabricant) de ne pas s’être inquiétée de l’eau à traiter, cette démarche incombant en premier lieu à
l’utilisateur, la société des établissements Armand et cie, qui ne pouvait arguer de son ignorance en la
matière et à qui il appartenait de consulter la société CIR en lui présentant “toutes les données du
problème à résoudre” ».
110. Cass. civ. 1re, 25 juin 2002, Caméra café, Bull. civ. I, no 177 ; RTD civ. 2003.83, obs. J. Mestre
et B. Fages et 105, obs. P.-Y. Gautier : le devoir de conseil du vendeur « s’inscrivait nécessairement
dans son domaine de compétence technique », ce qui n’était pas le cas pour savoir si un employeur
pouvait installer des caméras dans la cafétéria de l’entreprise.
111. Infra, no 826.
112. Infra, no 838.
113. Ex. : assurer ensemble la formation du personnel.
114. Ex. : usage d’une automobile de tourisme pour la compétition.
115. Ex. : Cass. com., 15 avril 1975, Bull. civ. IV, no 106 : peinture utilisée pour enduire une cuve à
vin : le vendeur « informé de la destination de la peinture s’est abstenu, malgré la demande qui lui était
faite, de signaler qu’il y avait une contre-indication, et a ainsi livré, en connaissance de cause, un pro-
duit impropre à l’usage auquel il était destiné ». Cass. com., 11 mai 1965, Bull. civ. III, no 306 : le chan-
tier naval avait livré une vedette de rivière, alors qu’il savait que l’acheteur devait l’utiliser en mer ;
jugé que la vente devait être résolue.
116. Cass. com., 19 mars 1973, Bull. civ. IV, nos 124 et 125 (2 arrêts) : sans que le vendeur le sache,
l’acheteur emballe des fruits avec un papier taché, destiné à d’autres usages ; Cass. com., 24 janvier
1968, JCP G 1968.II.15429 : machine à laver utilisant non l’eau de ville, mais celle d’un puits particu-
lièrement calcaire, sans que le vendeur l’ait su.
117. Cass. com., 14 novembre 1977, Bull. civ. IV, no 253 : bagues d’étanchéité fabriquées sur mesu-
res dont les propriétés diffèrent selon le découpage : le vendeur fabricant est responsable pour 10 % du
défaut de conformité s’il ne s’est pas renseigné sur les besoins de l’acheteur.
n CHAPITRE II n
SANCTIONS DU DÉFAUT DE DÉLIVRANCE
SECTION I
FAITS JUSTIFICATIFS DU VENDEUR
Le vendeur peut repousser l’action en exécution ou en résolution de l’acheteur
insatisfait si ce dernier n’a pas payé le prix, au moyen de l’exception d’inexécu-
tion (§ 1) ou si l’inexécution est due à la force majeure ou au fait de l’ache-
teur (§ 2). Il peut également repousser l’action en résolution tenant à une déli-
vrance défectueuse si l’acheteur a accepté la marchandise purement
et simplement, ce que l’on appelle la réception sans réserve (§ 3). Tout ceci est
de droit commun.
1. Ex. : Cass. com., 21 octobre 1974, Bull. civ. IV, no 261 : cassation de l’arrêt qui avait condamné
l’acheteur à payer le prix pour le motif qu’il avait refusé de vérifier la conformité de la chose, sans
chercher si le vendeur la lui avait présentée.
2. L’art. L. 217-7 C. consom. présume, sauf preuve contraire, que les défauts de conformité appa-
raissant dans les vingt-quatre mois de la délivrance existaient lors de la délivrance. CJUE, 4 juin 2015,
D. 2015. 1275 : la présomption est d’ordre public.
216 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 1. EXCEPTION D’INEXÉCUTION
L’exception d’inexécution invoquée par le vendeur a surtout sa place dans les
ventes au comptant ; elle exerce aussi un rôle, mais moindre, dans les ventes où le
prix est payable à terme.
§ 2. FORCE MAJEURE
3. L’exception joue aussi bien contre l’acheteur que contre les sous-acquéreurs ; elle porte égale-
ment sur les accessoires, par exemple les documents administratifs : ex. Cass. civ. 1re, 24 septembre
2009, no 08-10152, Bull. civ. I, no 178 ; D. 2010. 302, n. N. Borga ; JCP G 2009. 380, n. A. Aynès ;
Contrats, conc. consom. 2009 no 284, n. L. Leveneur : « Vu l’art. 1612 C. civ., ensemble les règles gou-
vernant le droit de rétention ; le droit de rétention est un droit réel opposable à tous, y compris aux
tiers non tenus de la dette » (les sous-acquéreurs de camping-cars ne peuvent contraindre le vendeur
impayé par son débiteur insolvable à leur remettre les pièces administratives). La solution est identique
dans le contrat de dépôt.
4. Ex. : Cass. civ. 1re, 19 novembre 1996, Bull. civ. I, no 411 ; JCP G 1997.II.22862, n. J. Huet : « Sauf
convention particulière, l’obligation, pour l’acheteur, de payer le prix de vente résulte de l’exécution
complète, par le vendeur, de son obligation de délivrance » ; en l’espèce, un ensemble de matériel
informatique avait été incomplètement livré ; l’acheteur refusait de payer le prix ; cassation de l’arrêt
qui le condamne à payer, alors que le dispositif manquant était indispensable au fonctionnement du
système.
5. Cass. civ. 1re, 24 septembre 2009, préc. : rétention des cartes grises de camping-cars déjà reven-
dus à des sous-acquéreurs ; le droit réel du vendeur leur est opposable.
6. Cass. civ., 2 juillet 1924, DP 1926.I.95 : « Le contrat prévoyant des livraisons à des dates éche-
lonnées, chaque livraison constituait, en l’absence d’une indivisibilité du contrat voulue par les parties,
une vente distincte ». Supra, no 302.
SANCTIONS DU DÉFAUT DE DÉLIVRANCE 217
Une clause du contrat peut déterminer la notion et les effets de la force majeure.
Elle est fréquente dans les ventes commerciales à exécution successive et dans les
ventes internationales8. Son but principal est de préciser quels événements peu-
vent libérer le vendeur ; il est aussi souvent d’élargir la définition de la force
majeure ; par exemple, la clause de hardship permet de réviser la vente dont,
par suite de l’évolution économique, l’exécution devient trop onéreuse pour
l’une des parties. Le nouvel article 1195 la rend moins utile.
§ 3. FAIT DE L’ACHETEUR
7. Les décisions relatives à la fourniture d’électricité qui ont une conception étroite de la force
majeure. Ex. : TGI, Angers, 11 mars 1986, JCP G 1987.II.20789, n. appr. J.-P. Gridel : ne constitue pas
une force majeure libératoire un froid exceptionnel lorsque « l’EDF ne verse aucune pièce de nature à
justifier que les jours précis où se sont produites les interruptions de courant incriminées le froid ait été
si exceptionnel qu’il ne pouvait être raisonnablement prévu ». De même, Douai, 17 mars 1989,
JCP G 1989.II.21386, n. appr. O. Sachs : jugé que l’obligation d’EDF à l’égard d’un « abonné de
base » (sic) est une obligation de moyens, et que l’EDF ne répond pas des interruptions de courant
dues à des « circonstances climatologiques d’une exceptionnelle sévérité ».
8. M. FONTAINE, Droit des contrats internationaux, FEC, 1989, p. 211 et s.
9. H. BOUCARD, L’agréation de la livraison dans la vente, public. Univ. Poitiers 2005 ; M. ALTER,
L’obligation de délivrance dans la vente de meubles corporels, op. cit., supra, no 286, nos 92-109 ;
Ph. KAHN, La vente commerciale internationale, op. cit., p. 122-132.
10. Ex. : « En cas de livraison par bateau, la reconnaissance de la marchandise en qualité aura lieu
dans le bateau avant que soient entreprises les opérations de déchargement. La vérification en quantité
est effectuée contradictoirement avec le marinier ; aucune réclamation ne sera admise si elle n’a pas
été formulée avant le déchargement ».
11. Ex. : Cass. com., 17 février 1998, Bull. civ. IV, no 84 ; en l’espèce, la marchandise (vêtements
importés de Thaïlande) n’avait pas été réceptionnée chez le vendeur par l’acheteur lui-même, mais
par son mandataire, qui l’a remise ensuite à un transporteur. Jugé que le vendeur avait « rempli son
obligation de délivrance ».
218 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
des choses complexes, le contrôle prend du temps et une période d’essai doit
souvent s’écouler afin que soit appréciée la conformité12.
La protestation peut prendre une forme quelconque, tandis que lorsqu’il s’agit
de vices cachés, elle doit résulter d’une action en justice. À la réception sans
réserve est assimilée la tardiveté de la protestation de l’acquéreur, qui doit être
faite rapidement, conformément aux usages.
L’acheteur qui accepte sans protester la chose qui lui est remise ne peut, par la suite, préten-
dre qu’il y avait un défaut apparent de conformité, tenant à une insuffisance de quantité ou à un
défaut de qualité13. Si le défaut n’est pas apparent, mais aisément décelable par un examen
attentif – dont l’ampleur et la nature dépendent de la nature de la marchandise et de la qualité
des parties14 –, l’acheteur peut encore protester. S’il s’agit d’un vice caché, l’acheteur peut invo-
quer la garantie des vices cachés dans les deux années suivant leur découverte15.
SECTION II
OPTION DE L’ACQUÉREUR
12. Ex. : Cass. com., 10 février 2015, nº 13-24501, Bull. civ. IV nº 33 ; Contrats, conc. consom.
2015, nº 111, n. L. Leveneur ; D. 2015. 1683, n. T. Rouhette et C. Tilliard ; RDC 2015. 494, obs.
J. Huet ; Dr. et patr., juill.-août 2015, p. 82, obs. L. Aynès (industrie spatiale) : « il importe que soit éta-
blie l’effectivité de la mise en route [...] s’agissant de matériels très sophistiqués ».
13. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. com., 1er mars 2005, Bull. civ. IV, no 42 ; Contrats, conc.
consom. 2005, comm. no 127, n. L. Leveneur : « l’acceptation sans réserve de la marchandise vendue
par l’acheteur lui interdit de se prévaloir du défaut de conformité » ; en l’espèce, après livraison de la
marchandise, acceptée sans réserve, le vendeur assigna l’acheteur en paiement du solde du prix ; la
cour d’appel accueillit la demande reconventionnelle de l’acheteur en résolution de la vente pour
défaut de conformité ; cassation.
14. Cass. civ. 1re, 20 mai 2010, no 09-10086, Bull. civ. I, no 119 ; JCP G 2010.842, n. crit.
H. Bourcart ; D. 2010.1757, n. O. Deshayes ; RDC 2010.1317, obs. Ph. Brun ; en l’espèce, l’acheteur
– un professionnel – avait réceptionné sans réserve la marchandise, dont le défaut de conformité
n’était pas apparent ; jugé que la responsabilité devait être partagée entre vendeur et acquéreur et les
dommages-intérêts modérés : « La Sté Alupharm (acquéreur) avait commis une faute de négligence en
acceptant sans réserve ni contrôle technique lesdits conteneurs (achetés d’occasion) tandis que la qua-
lité de l’inox était déterminante et qu’il était techniquement possible de la vérifier rapidement ».
15. Ex. : Cass. com., 4 juin 1981, Bull. civ. IV, no 263 : « L’agréage n’avait pas eu pour objet de pri-
ver la société Sucab du droit de mettre en cause la société Robin à raison des vices cachés qui affec-
taient antérieurement la marchandise ». Infra, no 400.
16. Ex. : Cass. civ. 1re, 25 mars 1997, Bull. civ. I, no 111 ; en l’espèce, une personne avait acheté des
piquets de clôture, qui lui furent livrés ; mais en raison d’un défaut de percement, ils étaient défec-
tueux ; elle accepta de les conserver, mais refusa de les payer ; le tribunal la condamna « au motif
que ni la résolution de la vente, ni une diminution de prix n’étaient demandées » ; cassation.
SANCTIONS DU DÉFAUT DE DÉLIVRANCE 219
SECTION III
ACTION EN EXÉCUTION
17. Cass. com., 27 octobre 1953, D. 1954.201, n. H. L. : « Le créancier à qui son titre donne tout à
la fois une action en exécution et l’action résolutoire n’est pas présumé avoir renoncé à celle-ci parce
qu’il exerce la première ».
18. Dans le droit de la consommation, il faut tenir compte de la « hiérarchie des remèdes » : rem-
placement ou réparation, et après seulement résolution (C. consom., art. L. 217-9 et L. 217-10).
19. Infra, no 328.
20. Infra, no 437.
21. Droit des obligations, coll. Droit civil.
22. Infra, no 359.
220 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION IV
RÉSOLUTION
Il peut également agir directement contre le fabricant originaire (pour le régime analogue de la
garantie des vices cachés)24.
Lorsqu’il s’agit de ventes avec livraisons successives et que seule une livraison est défec-
tueuse, la résolution ne porte sur l’ensemble du marché que s’il est indivisible : chaque livraison
23. Ex. : Cass. com., 25 juin 1980, Bull. civ. IV, no 277 : « La cour d’appel a relevé que la cause du
mauvais fonctionnement de la chaîne de lavage, fabriquée par la société Tusveld, résidait dans les
imperfections techniques de ce matériel et ayant retenu à la charge du vendeur les négligences qu’il
impute à tort à son agent commercial et constaté le dommage subi par l’acquéreur du fait de l’immo-
bilisation et de la non utilisation pendant plusieurs années de l’appareil, elle n’a fait qu’appliquer les
dispositions de l’article 1184 en prononçant la résolution du contrat avec octroi de dommages-inté-
rêts ».
24. Infra, no 416.
25. Droit des obligations, coll. Droit civil.
26. Infra, nos 326 et 328-329.
27. Droit des obligations, coll. Droit civil. Ex. de résolution : livraison d’un système de gestion infor-
matisée, inutilisable pour l’acquéreur : Cass. com., 28 octobre 1986, cité supra, no 313. Ex. de vente
qui n’a pas été résolue : Cass. com., 4 juin. 1980, Bull. civ. IV, no 239 : vente d’un camion dont la
charge utile était inférieure aux engagements ; jugé que l’acheteur ne devait pas obtenir la résolution,
mais seulement des dommages-intérêts : « les “insuffisances” ainsi constatées ne rendent pas le véhi-
cule impropre à l’usage auquel il est destiné, mais en diminue seulement les possibilités d’utilisation ».
SANCTIONS DU DÉFAUT DE DÉLIVRANCE 221
constitue un tout autonome, sauf clause ou économie contraires du contrat, ce qui est la consé-
quence des règles sur l’étendue de l’obligation de délivrance28.
28. Cass. civ. 1re, 13 janvier 1987, Bull. civ. I, no 11 : « Dans les contrats à exécution échelonnée, la
résolution pour inexécution partielle atteint l’ensemble du contrat ou certaines de ses tranches seule-
ment, suivant que les parties ont voulu faire une convention indivisible ou fractionnée en une série de
contrats ». Cf. supra, nos 302 et 318.
29. Ex. : Cass. civ. 1re, 20 décembre 1988, Bull. civ. I, no 373 : « S’agissant pour les établissements
Jacques Marionnet, vendeur professionnel, de limiter leur responsabilité non à raison des vices cachés
de la chose vendue mais des défauts de conformité de la marchandise livrée, la cour d’appel n’avait
pas à rechercher, pour déclarer la clause opposable au G.A.E.C. (l’acheteur) si ce dernier était un pro-
fessionnel de même spécialité que le vendeur ». En l’espèce, le vendeur avait livré à l’acheteur des
plants de kiwi d’une variété autre que celle qu’il avait commandée ; les conditions générales de
vente stipulaient que le vendeur ne pouvait, en aucun cas, être tenu de réparer le manque à gagner.
Jugé que cette clause était valable. L. LEVENEUR, « Vente entre professionnels et clause limitative de res-
ponsabilité », Contrats, conc. consom. 1994, comm. no 3 ; Y. GONTIER, Plaidoyer pour une révision judi-
ciaire des clauses limitatives de responsabilité, th. Aix 2005, préf. J. Mestre.
30. Avant la codification de l’art. 1170 : ex. : Cass. com., 13 février 2007, Bull. civ. IV, no 43 ; D.
2007.654, obs. X. Delpech ; JCP G 2007.II.10063, n. Y.-M. Serinet ; RDC 2007.707, obs. D. Mazeaud :
en l’espèce, une entreprise avait acquis la licence d’un logiciel déterminé, à la place duquel un autre
matériel fut livré ; outre la résolution, elle demanda des dommages-intérêts que lui refusa la cour d’ap-
pel, en raison d’une clause limitative de responsabilité : cassation ; il y a eu « manquement à une obli-
gation essentielle (qualifiée d’« objectif final » des contrats) de nature à faire échec à la clause limitative
de responsabilité » ; sur résistance de la cour de renvoi (Paris, 26 novembre 2008, RDC 2009. 1010,
obs. Th. Genicon), la Cour de cassation a finalement considéré que la clause litigieuse « ne vidait pas
de toute substance l’obligation essentielle » du débiteur, ni ne « contredit sa portée », à partir du
moment où la limitation de responsabilité n’était pas dérisoire et ne faisait que répartir les risques
entre les parties : Cass. com. 29 juin 2010, nº 09-11841, Bull. civ. IV, no 115 ; D. 2010. 1832,
n. D. Mazeaud ; Contrats, conc. consom. 2010, no 220, n. L. Leveneur ; Com. com. élect. 2010,
no 99, n. Ph. Stoffel-Münck ; RDC 2010.1220, obs. Y.-M. Laithier et 1253, obs. O. Deshayes.
31. Cass. com. 10 février 2015, préc., supra nº 321 ; CJCE, 17 avril 2008, réponse à question préju-
dicielle, JCP G 2008.II.10152, n. G. Paisant ; D. 2008.2631, n. G. et L. F. Pignarre ; infra, no 333.
222 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION V
RÈGLES PARTICULIÈRES AUX VENTES COMMERCIALES
La caractéristique des ventes commerciales est d’être spéculatives et de porter
sur des marchandises susceptibles d’importantes variations de cours ; en outre, le
droit commercial est dominé par un respect scrupuleux de la bonne foi et des
engagements contractuels ; la morale des affaires est une morale de fer, et non,
comme en droit civil, celle d’une infinie patience ; enfin, il évite autant que pos-
sible le recours au juge. Aussi a-t-il prévu trois institutions relatives à l’inexécution
ou à l’exécution fautive de la délivrance par le vendeur : la réfaction, en cas
d’exécution insuffisante (§ 1), le remplacement, en cas d’absence complète d’exé-
cution (§ 2) et le laissé pour compte, en cas d’absence de conformité (§ 3).
§ 1. RÉFACTION
327. Réduction du prix. – Dans une vente commerciale, l’acheteur qui se
plaint de la mauvaise qualité ou de la quantité insuffisante de la livraison peut
être obligé par le juge de garder la marchandise si elle reste propre à l’usage
convenu ; bien entendu, l’acheteur bénéficie alors d’une réduction sur le prix32,
ce que l’on appelle la « réfaction »33. La réfaction ne peut avoir lieu que si le
défaut de la marchandise est modéré ; non s’il constitue une absence de confor-
mité, par exemple si la différence entre la marchandise achetée et livrée touche à
la référence, la nature, l’origine de la chose ou sa marque34. La Convention
de Vienne étend la réfaction à toutes les absences de conformité, mais seul l’ache-
teur peut l’invoquer (art. 50), alors que dans le droit français interne, elle peut lui
être imposée.
La réfaction ne peut jouer que dans le sens de la réduction : le juge ne saurait obliger l’ache-
teur à accepter une marchandise de quantité supérieure à celle qu’il avait commandée et de
payer un prix plus élevé. Toutefois, si l’acheteur l’accepte, il devra payer le supplément corréla-
tif. Comme le nom de l’institution le suggère, le contrat est « refait », ce qui est contraire aux
règles traditionnelles du droit civil.
32. Ex. : vente de queues de langouste de qualité médiocre : diminution de la moitié du prix :
* Cass. com., 23 mars 1971, Aff. des queues de langoustes, Bull. civ. IV, no 89 ; D. 1974.40,
n. M. Alter.
33. MARTIN DE LA MOUTTE, « Les sanctions de l’obligation de délivrance », in La vente commerciale,
ouv. collect. sous la direction de J. Hamel, Dalloz, 1951, p. 190.
34. Req., 23 mai 1900, motifs, DP 1901.I.269 : « D’après les usages du commerce, auxquels les
contractants sont réputés se référer dans les transactions relatives au négoce, à moins qu’ils n’y déro-
gent par un pacte commissoire exprès, lorsqu’un marché à livrer a été conclu sans échantillon, l’infé-
riorité de qualité, si elle n’est pas considérable, n’entraîne pas la résolution des conventions, mais seu-
lement une réduction du prix ».
SANCTIONS DU DÉFAUT DE DÉLIVRANCE 223
§ 2. REMPLACEMENT
328. Rachat de la marchandise. – Lorsque la vente est commerciale et porte sur
des choses de genre35, par exemple du blé, l’acheteur, en cas de défaillance
importante, a le droit de se « remplacer » sans autorisation judiciaire préalable,
c’est-à-dire qu’il a la faculté de racheter pour le compte du vendeur les marchan-
dises que celui-ci n’a pas livrées.
Le remplacement doit être précédé d’une mise en demeure de l’acheteur36,
impartissant au vendeur un délai précis afin de s’exécuter ; ce qui a pour but
d’exercer une dernière pression sur le vendeur, d’établir sa défaillance et de
démontrer la bonne foi de l’acheteur. Celui-ci doit se remplacer, c’est-à-dire se
procurer une marchandise de quantité et de qualité identiques ; il doit le faire à
la date la plus proche de la défaillance du vendeur et aux cours les moins oné-
reux. Si le prix que paye l’acheteur est plus élevé que celui qui avait été convenu
avec le vendeur37, la différence est à la charge de celui-ci ; s’il est inférieur (ce qui
est beaucoup plus rare), l’acheteur conserve la différence au titre de
dommages-intérêts38.
C’est une forme de justice privée. On peut y voir un mode d’exécution en nature, prévu par
l’ancien article 1144. Mais si le texte permettait au créancier, en cas d’inexécution, de faire exé-
cuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur, il exigeait une autorisation judiciaire préa-
lable. Il s’agissait plutôt d’une résolution unilatérale de la vente par l’acheteur qui permettait de
calculer les dommages-intérêts ; le contrôle du juge n’était qu’éventuel et a posteriori39. Le nou-
vel article 1222, qui remplace et élargit l’ancien article 1144, va dans ce sens, pour tout le droit
commun de l’obligation, puisqu’il autorise le créancier, après mise en demeure, à faire exécuter
l’obligation, sans avoir besoin d’une autorisation judiciaire.
35. Il ne peut donc y avoir remplacement lorsque la vente a eu pour objet un corps certain :
Cass. com., 20 janvier 1976, Bull. civ. IV, no 26 ; RTD com. 1976.785, obs. J. Hémard : machine déter-
minée et individualisée.
36. Douai, 2 février 1892, DP 1892.II.181 : « Les principes généraux qui règlent l’obligation de faire
et les usages commerciaux sont d’accord pour exiger de la part de l’acheteur de marchandises livrables
à terme qui ne les a pas reçues, une mise en demeure formelle au vendeur en retard ».
37. Ex. : le prix du quintal de blé convenu avec le vendeur avait été de 18,50 euros ; l’acheteur se
remplace au prix de 19 euros ; la différence est à la charge du vendeur.
38. Dans le même exemple, l’acheteur se remplace au prix de 11,50 euros ; il conserve le bénéfice.
39. M. ALTER, op. cit., nos 210 et s. ; D. PLANTAMP, « Le particularisme du remplacement dans la vente
commerciale », D. 2000, chron. 243.
40. Ex. : Cass. com., 2 juin 1958, Bull. civ. III, no 225.
224 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
les tribunaux, chaque fois qu’il estime que sa livraison était conforme et que
l’acheteur avait eu tort de la refuser. L’institution est consacrée par la Convention
de Vienne (art. 49).
n CHAPITRE III n
RESPONSABILITÉ POUR DÉFAUT
DE CONFORMITÉ DANS LE DROIT DE
LA CONSOMMATION
1. Infra, no 437.
2. Infra, no 386.
226 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
victime adhère au groupe, car elle peut préférer agir de son côté (art. L. 623-9
et s.).
Le nouveau dispositif distingue la garantie légale (Section I) et la garantie com-
merciale (Section II).
SECTION I
GARANTIE LÉGALE DE CONFORMITÉ
§ 1. OBJET
332. Unicité de l’obligation. – La principale innovation résultant de l’ordon-
nance de 2005 tient à la fusion des deux obligations du vendeur, délivrer une
chose conforme et garantir les vices cachés ; désormais le vendeur n’est tenu
que d’une seule obligation : « livrer un bien conforme au contrat » et « répondre
des défauts de conformité existant lors de la délivrance » (C. consom., art. L. 217-
4). La loi comporte une définition de la conformité, lorsque le bien est propre à
l’usage « habituellement attendu » d’un bien semblable (ib., art. L. 217-5) : la
garantie des vices rédhibitoires – ceux qui affectent l’usage de la chose – rejoint
donc la conformité3. Si l’usage attendu de la chose est « spécial », c’est-à-dire non
habituel, il doit avoir été porté à la connaissance du vendeur et accepté par lui. La
conformité peut dépasser l’aptitude à l’usage ; elle s’entend d’une correspondance
à la description donnée par le vendeur sous forme d’échantillon ou de modèle, ou
des qualités qu’un acheteur peut légitimement attendre de la chose eu égard aux
déclarations publiques du vendeur ou du fabricant, notamment dans la publicité.
La loi entend ainsi moraliser les pratiques publicitaires.
L’acheteur doit prouver le défaut de conformité et son existence au moment de la vente. Mais
l’article L. 217-7 le fait bénéficier d’une présomption simple : les défauts de conformité qui se
révèlent dans les vingt-quatre mois de la livraison sont présumés exister à ce moment, sauf au
vendeur à prouver que l’origine de la défectuosité est postérieure à la délivrance, car la pré-
somption est simple4.
§ 2. REMÈDES
333. Deux options. – Dans le droit de la consommation, l’action en défaut de
conformité se prescrit par deux ans, non à compter de sa découverte – ce qui est
le régime des vices cachés – mais de la délivrance du bien (C. consom., art.
L. 217-12).
L’acheteur peut choisir entre la réparation et le remplacement du bien (art.
L. 217-9) ; le vendeur peut refuser ce choix s’il entraîne un coût manifestement
excessif, compte tenu de la valeur du bien ou de l’importance du défaut (« théorie
du moindre coût »). L’appréciation du caractère disproportionné du choix de
3. Le défaut de conformité s’apprécie au regard des données de la technique : Cass. civ. 1re, 7 mai
2008, Bull. civ. I, no 128 ; RDC 2008.1172, obs. G. Viney : le vendeur du téléviseur ne pouvait antici-
per les nouvelles formes de transmission des images haute définition.
4. Cette présomption est d’ordre public et le juge doit l’appliquer d’office, le cas échéant : CJUE,
4 juin 2015 préc., supra nº 317.
DÉFAUT DE CONFORMITÉ 227
334. Autres actions. – Action de groupe. – La loi (C. consom., art. L. 217-13)
prévoit que ce régime spécial ne prive pas l’acheteur des autres moyens que lui
offre le droit commun ou le contrat ; ainsi, il conserve le droit de mettre en œuvre
la garantie des vices cachés des articles 1641 à 1649. Il se pourra donc, lorsque le
défaut de conformité constitue un vice caché au sens de l’article 1641, que
l’acheteur, forclos en ce qui concerne l’action en responsabilité de l’arti-
cle L. 217-9 en raison de l’écoulement du délai de deux ans, puisse agir en garan-
tie des vices cachés, le délai de prescription (également de deux ans) courant de
la découverte du vice10. Cette action est subsidiaire : elle ne peut être engagée
que si le remplacement ou la réparation sont impossibles11. En cas de manque-
ment à une catégorie de consommateurs, une association agréée peut exercer
par avance et pour leur compte une action de groupe, variété de « class action »
(art. L. 623-1 et s.).
Le consommateur ne doit pas panacher les deux régimes. Aucune action directe
n’est prévue contre le fabricant ; mais l’acheteur peut exercer l’action que lui
confère le droit commun, qui lui ménage cette possibilité12. Le revendeur
conserve son action récursoire pour toute la chaîne de contrats13.
335. Droit impératif. – Le nouveau régime est impératif. Les conventions limi-
tatives ou exonératoires, directement ou indirectement, sont réputées non écrites.
Mais lorsque la réclamation du consommateur s’est exercée, les parties peuvent
convenir d’écarter ou d’aménager les remèdes légaux (C. consom., art. L. 241-5).
5. Ex. : Cass. civ. 1re, 9 décembre 2015, nº 14-25910, Bull. civ. I à paraître ; JCP G 2016, nº 173,
chron. G. Paisant ; D. 2016. 369, n. S. Desmoulin-Canselier : l’affection de l’acheteur pour son chien
vicié (graves troubles de la vision) justifie qu’il réclame une opération et refuse qu’il soit remplacé.
6. L. GAUDIN, « Regards dubitatifs sur l’effectivité des remèdes en cas de défaut de conformité », D.
2008.631. La sanction de dépassement du délai est automatique : TI Nice, 7 novembre 2006, D. 2007,
AJ 441, n. C. Rondey : en l’espèce, un nettoyeur vapeur-aspirateur, dont une pièce avait déjà été rem-
placée, ne fonctionnant toujours pas ; le vendeur a laissé passer le délai sans le réparer à nouveau ou
le remplacer, jugé qu’à la demande de l’acheteur, la vente devait être résolue.
7. Sur le contrôle du remède approprié : CJUE, 16 juin 2011, JCP G 2011, no 1062, n. G. Paisant ;
RDC 2011.1233, obs. C. Aubert de Vincelles (2 arrêts, carrelage et lave-vaisselle).
8. CJCE, 17 avril 2008, supra, no 326 ; CJUE, 16 juin 2011, préc.
9. V. O. SALVAT, « La garantie spéciale de conformité et l’obligation générale de délivrance
conforme : quel choix d’action pour l’acheteur ? », Contrats, conc. consom. 2006, chron. no 18.
10. Infra, no 400.
11. Cass. civ. 3e, 20 octobre 2010, no 09-16788 ; Bull. civ. III, no 191 ; RTD civ. 2011.141, obs.
P.-Y. Gautier ; Contrats, conc. consom. 2011, no 2, n. L. Leveneur : ce n’est que « si la réparation et le
remplacement du bien sont impossibles (que) l’acheteur peut rendre le bien et se faire restituer le prix
ou garder le bien et se faire rendre une partie du prix ».
12. I. MARIA et O. GOUT, « Réflexions sur la transmission éventuelle des actions en garantie de
conformité », JCP G 2008.I.109.
13. CJUE, 16 juin 2011, préc.
228 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION II
GARANTIE COMMERCIALE
349. Deux garanties. – Le vendeur ne doit pas seulement délivrer la chose ven-
due, il doit aussi en garantir1 la propriété (ce qu’on appelle la garantie d’éviction)
et son aptitude à un usage normal (ce qu’on appelle la garantie des vices
rédhibitoires)2.
Ces deux obligations sont corollaires à l’obligation de délivrance : il ne servirait
à rien à l’acheteur d’avoir reçu la chose si, ensuite, il en était dépossédé ou ne
pouvait s’en servir. Obligations corollaires mais différentes de l’obligation de déli-
vrance, bien que la distinction ne soit pas toujours facile, comme l’ont montré les
subtils rapports entre le vice rédhibitoire et le défaut de conformité. Elles révèlent
que des relations continuent entre les parties après la conclusion du contrat, et
même après la livraison de la chose.
Par la garantie d’éviction, l’acheteur a la promesse du vendeur qu’il ne perdra pas ses droits
sur la chose, soit pour une cause antérieure à la vente, soit même pour une cause postérieure s’il
s’agit d’un fait personnel du vendeur.
350. Ventes civiles et commerciales. – 1º Cette garantie a surtout pour domaine les ventes
civiles. Il est rare que dans une vente commerciale l’acquéreur soit exposé à être évincé,
puisque ce type de vente a généralement pour objet des meubles corporels (les marchandises)
où l’acheteur trouve sa protection dans la possession.
2º La garantie d’éviction intervient dans certaines ventes commerciales3. Ainsi, les cessions de
fonds de commerce, où précisément le cédant est soumis aux deux obligations que la garantie
d’éviction met à sa charge ; d’une part, la garantie du fait personnel ; il doit s’abstenir de tout fait
La loi dit quels faits donnent lieu à garantie ; mais la convention peut écarter les
règles légales, aujourd’hui moins souvent qu’autrefois. Avant d’étudier les effets
de la garantie (Section III), seront examinées les garanties légale (Section I) et
conventionnelles (Section II).
SECTION I
GARANTIE LÉGALE
La loi prévoit deux sortes de garanties d’éviction : celle du fait personnel (§ 1) et
celle du fait des tiers (§ 2). L’une établit une interdiction, l’autre une protection.
351. Qui doit garantie ? – Selon l’analyse classique, la garantie du fait person-
nel interdit au vendeur de troubler la jouissance ou la propriété de l’acquéreur,
même par des actes qui eussent été licites s’ils avaient été exercés par une autre
personne (art. 1626). La règle est illustrée par l’adage : « Qui doit garantie ne peut
évincer » et appliquée par l’article 1628 qui interdit à peine de nullité au vendeur
de s’en exonérer, parce qu’aucun débiteur ne peut stipuler qu’il n’exécutera pas
son obligation. Tel est le principe (I) ; il comporte des tempéraments dont l’impor-
tance est croissante (II). Si le vendeur est une personne morale, la garantie pèse
aussi sur son dirigeant, s’il n’est pas étranger à l’opération11.
I. — Principe
352. Troubles de fait et de droit. – La garantie du fait personnel interdit au ven-
deur les troubles de fait et les troubles de droit à l’encontre de l’acquéreur. D’une
part, il ne peut accomplir des faits qui portent atteinte à la propriété de l’acqué-
reur, qui eussent été licites s’ils avaient été commis par un tiers (troubles de fait)12 ;
par exemple de faire concurrence à son cédant d’un fonds de commerce, même si
l’engagement de non-concurrence est expiré13. D’autre part, il ne peut exercer
une action en justice contredisant le droit de l’acquéreur (troubles de droit)14.
S’il agit, l’acquéreur pourra opposer une exception de garantie et demander au
juge de faire cesser le trouble par tous moyens15.
Cette garantie n’est pas limitée dans le temps16.
11. Cass. com., 24 mai 2005, Bull. civ. IV, no 112 ; D. 2005, AJ 1634, n. E. Chevrier ; Contrats, conc.
consom. 2005, comm. no 135, n. Marie Malaurie-Vignal : « si le vendeur est une personne morale,
cette interdiction pèse non seulement sur elle, mais aussi sur son dirigeant ou sur les personnes qu’il
pourrait interposer pour échapper à ses obligations » (violation de l’obligation de non-rétablissement).
12. Ex. : le vendeur cède son bien deux fois : Cass. civ. 1re, 27 mai 1986, La cage aux folles,
Bull. civ. I, no 144 ; D. 1987.209, n. P.-Y. Gautier (adaptation d’une pièce de théâtre au cinéma).
13. Ex. : Cass. com., 15 décembre 2009, nº 08-20522, Bull. civ. IV no 172 ; Contrats, conc. consom.
2010, no 66, note L. Leveneur ; JCP G 2010.89 : « après l’expiration de la clause de non-concurrence, le
cessionnaire des actions demeure fondé à se prévaloir de la garantie légale d’éviction ». Il reste à savoir
si cette garantie devient perpétuelle : V. P.Y. GAUTIER, RTD civ. 2001. 611.
14. Ex. : Un vendeur vend la chose d’autrui ; ultérieurement, il en devient propriétaire parce qu’il
l’a acquise, ou l’a usucapée, ou en a hérité du véritable propriétaire ; il ne peut revendiquer l’im-
meuble vendu, parce qu’il doit garantir l’acquéreur ; jurisprudence constante ; ex. Cass. civ. 3e,
20 octobre 1981, Bull. civ. III, no 168 ; D. 1982, IR, 531, obs. crit. B. Audit : « Le vendeur, qui doit
garantie à l’acquéreur, est tenu de répondre de son propre fait ; il ne peut, par suite, évincer lui-
même l’acquéreur en invoquant la prescription acquisitive pour se faire reconnaître propriétaire de la
chose vendue dont il a conservé la possession, l’acquéreur étant toujours recevable dans ce cas à lui
opposer l’exception de garantie qui est perpétuelle ». L’obligation de garantie passe aux héritiers :
Cass. civ. 3e, 13 juillet 2010, no 09-13472, Bull. civ. III, no 147. Ou bien il vend sa marque ; il ne peut
en réclamer la déchéance contre le cessionnaire ; Cass. com., 31 janvier 2006, Inès de la Fressange,
Bull. civ. IV, no 27 ; D. 2006, AJ 861, obs. Ph. Allaeys ; RTD civ. 2006.339, obs. P.-Y. Gautier ; Contrats
conc. consom. 2006, comm. no 79, n. L. Leveneur ; en l’espèce, un ancien mannequin avait cédé son
nom de famille à une entreprise, dont elle avait été évincée par la suite et souhaitait reprendre son
nom. « Mme de la Fressange, cédante, n’était pas recevable en une action tendant à l’éviction de l’ac-
quéreur » (du nom cédé).
15. PLANIOL et RIPERT t. X, par Hamel, no 91.
16. PLANIOL et RIPERT, op. cit., no 89 ; infra, no 363.
232 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
II. — Tempéraments
353. 1º Troubles de fait. – La garantie du fait personnel comporte un tempérament impor-
tant ; lorsque le vendeur d’un immeuble est demeuré propriétaire d’un terrain voisin, il peut
exercer ses droits sur son bien, même s’ils causent un préjudice à l’acheteur17, sauf si, lors de
la vente, il avait limité ses droits sur la chose qu’il avait conservée18.
354. 2º Troubles de droit. – Bien que le vendeur ne puisse, par une action en justice,
contester la propriété de son acquéreur, il peut exercer contre la vente une action en nullité,
en rescision ou en résolution, parce qu’il a le droit de critiquer un contrat irrégulier. Ce qui lui
est interdit est la revendication de la chose vendue si le contrat n’avait pas été anéanti19.
La garantie du fait personnel interdit donc certaines actions et certains faits. La garantie contre
les tiers a pour objet de faire protéger l’acquéreur par le vendeur contre les tiers.
17. Une personne est propriétaire d’une maison et d’un terrain au bord de la mer ; elle vend la
maison sans conférer à l’acquéreur de servitude de vue, ni grever le terrain d’une servitude non aedi-
ficandi ; elle a le droit de construire sur le terrain qui lui reste un édifice qui masque la vue sur mer de
la maison vendue sauf si cette interdiction découle de l’économie de l’acte ; Droit civil illustré, no 148.
18. Cass. civ. 1re, 29 novembre 1955, aff. du Riviera Palace de Nice, JCP G, 1956.II.9216 ; RTD civ.
1956.548, obs. J. Carbonnier.
19. Ex. : Cass. com., 31 janvier 2006, Inès de la Fressange, préc.
20. Ou le vendeur du vendeur : Cass. civ. 3e, 28 mars 1990, Bull. civ. III, no 93 : « L’obligation de
garantie qui pèse sur le vendeur peut être invoquée aussi contre l’auteur de celui-ci si l’éviction trouve
son origine dans le fait de ce dernier ».
21. Ex. : Cass. civ. 3e, 11 mai 2011, no 10-13679, Bull. civ. III, no 74 : vente d’un bien en copropriété,
puis défaut d’entretien des parties communes. Toutefois, lorsqu’une prescription acquisitive bénéficie
à un tiers possesseur après la vente, mais avait commencé à courir avant, la vente est annulée comme
ayant eu pour objet la chose d’autrui : Cass. civ. 3e, 10 juillet 1996, Bull. civ. III, no 180 ; D. 1998.509,
n. N. Reboul.
22. Cass. civ. 1re, 28 octobre 2015, nº 14-15114, Bull. civ. I à paraître ; JCP G 2016, 190,
n. M. Ranouil : jugement antérieur à la vente, de condamnation au profit d’un créancier du vendeur,
donnant naissance à une hypothèque judiciaire, l’acheteur est contraint de délaisser le bien : peu
importe que l’inscription ait été postérieure à l’acte. La garantie a ici été invoquée par voie subroga-
toire par l’assureur du notaire, qui a indemnisé l’acquéreur, en application de sa responsabilité civile.
23. Cass. civ. 3e, 11 mai 2011, préc. (en l’espèce, le défaut d’entretien était imputable à la copro-
priété).
GARANTIE D’ÉVICTION 233
A. UN DROIT
357. Droits réels et bail. – Les « charges » auxquelles songeaient les rédacteurs
de l’article 1626 étaient des droits réels portant sur la chose ou, plus précisément,
des droits réels principaux – usufruit et servitude – parce qu’ils démembraient la
propriété. C’est ce qu’énonce par exemple l’article 1638 au sujet des servitudes
non apparentes26. La jurisprudence a étendu la notion de charge à l’hypothèque,
qui est un droit réel accessoire, en raison du risque d’expropriation qu’elle fait
peser sur l’acquéreur. Et même au droit personnel que confère le bail, bien qu’il
ne s’agisse pas d’une charge réelle27 : l’existence d’un bail est souvent ressentie
par l’acquéreur comme une charge, qui a pris, du fait de l’article 1743, alinéa 1,
et surtout de la législation spéciale des loyers et fermages, un caractère de réalité.
24. Le texte s’applique rarement ; toutefois Cass. civ. 1re, 5 novembre 1991, Bull. civ. I, no 300 ; RTD
civ. 1992.576, obs. P.-Y. Gautier : en l’espèce, un arrêt avait décidé qu’un tiers avait acquis par usu-
capion une parcelle vendue ; jugé que l’acquéreur ne pouvait agir en résolution de son acquisition sur
le fondement de la garantie d’éviction, car la possession trentenaire sur laquelle le tiers avait fondé son
action était entachée d’équivoque : « il existait (donc) des moyens suffisants pour faire rejeter cette
action ».
25. Ex. : Cass. civ. 3e, 3 décembre 2008, no 07-14545 et no 07-17516, Bull. civ. III, no 197 ; D. 2009,
99 : le vendeur avait un différend préexistant avec un tiers sur la propriété du terrain, objet du contrat :
« la découverte d’un droit invoqué en justice par un tiers sur la chose vendue, existant au moment de
la vente, non déclaré et ignoré de l’acheteur, constitue un trouble actuel obligeant de ce seul fait le
vendeur à en garantir l’acquéreur, avant même qu’intervienne un jugement le constatant ».
26. Cass. civ. 3e, 7 janvier 2016, nº 14-24777, Bull. civ. III à paraître : le vendeur qui a dissimulé la
violation d’une servitude non aedificandi doit la garantie à son acheteur (mais le notaire, qui ne pou-
vait le suspecter, n’est pas responsable).
27. Cass. civ. 1re, 16 décembre 1958, Bull. civ. I, no 566 ; D. 1959.34 ; Gaz. Pal. 1959.I.107 ; RTD
civ. 1959.337, obs. J. Carbonnier : « L’éviction qui résultait pour (l’acquéreur) de la diminution de
jouissance que lui imposait la découverte de la location antérieurement consentie (au preneur) par
son vendeur obligeait de ce seul fait ce dernier à l’en garantir ».
234 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Mais la garantie n’est pas due si l’acquéreur connaissait le bail28, sauf mauvaise
foi du vendeur29, ce qui rapproche la charge non déclarée du vice caché.
28. Cass. soc., 10 juillet 1962, Bull. civ. IV, no 640 : « À la différence du droit de préemption, le bail
ne porte pas atteinte à la propriété ; l’existence d’un bail relève non de la garantie d’éviction, mais de
la garantie des charges ; celle-ci n’est pas due lorsque l’acquéreur a eu connaissance des charges de la
vente ».
29. Cass. civ. 3e, 13 novembre 2003, Bull. civ. III, no 200 ; RDC 2004, p. 329, obs. Fr. Collart-Dutil-
leul ; en l’espèce, le vendeur « avait certifié dans l’acte de vente que l’immeuble vendu était libre de
toute location (ce qui, comme il le savait, était inexact) ; il importait peu que (l’acquéreur) ait pu avoir
connaissance de la présence (du preneur à bail rural) sur la parcelle, qu’elle pouvait considérer comme
une simple tolérance non créatrice de droit ».
30. Ex. : il n’y a pas d’éviction, mais vice de la chose ou défaut de conformité lorsque la parcelle
vendue, décrite comme étant une terre labourable, est, en réalité, composée de bois.
31. V. O. BARRET, « Recours offerts à l’acquéreur contre le vendeur au cas de superficie insuffisante
de l’immeuble vendu », RTD civ. 2012. 207. Cass. civ. 3e, 3 juillet 1974, Bull. civ. III, no 292 : « Vu l’ar-
ticle 1636, applicable seulement lorsque l’acquéreur a été évincé d’une partie de la chose » ; en l’es-
pèce, il y avait à la fois une insuffisance de contenance et une non-conformité : la parcelle « décrite
comme étant en nature de terre et d’une contenance d’1 ha 69 a 20 ca s’est révélée être en nature de
bois et d’une contenance de 50 a » ; la cour d’appel avait résilié la vente : « Il s’avère en effet qu’il
(l’acquéreur) a contracté par erreur et ne l’aurait point acquise (la parcelle) s’il en avait connu la véri-
table nature et la contenance réelle » ; cassation : la cour d’appel n’avait pas constaté d’éviction.
32. Cass. civ. 3e, 24 novembre 1999, Bull. civ. III, no 225 ; D. 2000, somm. 286, obs.
O. Tournafond ; JCP G 2000.I.237, nos 19 et s., obs. Y.-M. Serinet ; en l’espèce, l’acquéreur prétendait
que la contenance d’un immeuble acheté en état futur d’achèvement était inférieure à la surface pro-
mise et avait agi en diminution du prix contre son vendeur, qui a opposé avec succès l’art. 1622 impo-
sant l’exercice de l’action dans le délai d’un an, à peine de déchéance : « la cour d’appel a retenu, à
bon droit, que l’article 1622 était applicable à la vente en état futur d’achèvement sous réserve de faire
courir le délai préfix d’un an à compter du transfert de la propriété, constaté par la livraison ».
33. Ex. : Cass. civ. 1re, 11 janvier 2005, Bull. civ. I, no 25 ; Contrats, conc. consom. 2005, comm.
no 107, n. L. Leveneur ; en l’espèce, la vente avait pour objet des truites destinées à l’exploitation pis-
cicole appartenant à un autre propriétaire. La quantité des poissons livrée ayant été inférieure à celle
qu’avait prévue le contrat, l’acquéreur demanda un remboursement partiel du prix ; il fut débouté par
la cour d’appel, faute d’avoir agi dans l’année de la vente ; cassation : « l’art. 1622 ne s’applique pas
aux ventes de meubles » et « les poissons avaient été cédés [...] indépendamment du terrain sur lequel
avaient été implantés les bassins, de sorte qu’ils ne peuvent présenter les caractères d’immeubles par
destination ».
GARANTIE D’ÉVICTION 235
34. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 février 1973, Bull. civ. III, no 144 ; D. 1973, somm. 92 ; en l’espèce, le géo-
mètre avait commis une erreur involontaire ; Versailles, 5 février 1999, D. 1999, IR, 98 : « La clause de
non-garantie de superficie est opposable à l’acquéreur, dès lors qu’il ne rapporte pas la preuve que le
vendeur savait » (la différence).
35. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 décembre 1959, Bull. civ. I, no 542 ; Defrénois 1960.27980 ; RTD civ.
1961.146, obs. J. Carbonnier. En l’espèce, la cour d’appel avait appliqué « la clause de non-garantie
au motif que l’existence d’un dol n’était pas établie à la charge de la venderesse ». Cassation : la cour
d’appel aurait dû « rechercher si les faits établis contre elle (la venderesse) n’étaient pas constitutifs
d’une faute lourde susceptible de faire échec à ladite clause ».
36. Cass. civ. 3e, 24 mars 1999, Bull. civ. III, no 79 ; Defrénois 1999.1140, obs. H. Périnet-Marquet,
1328, obs. Ph. Delebecque ; en l’espèce, la clause d’une vente en état futur d’achèvement « précisait
que “l’acquéreur prendra les biens et droits immobiliers présentement vendus tels qu’ils existeront lors
de leur achèvement, sans garantie de contenance, la différence excédât-elle un vingtième pour ce qui
concerne le terrain”, la cour d’appel a exactement retenu qu’il ne pouvait exister en l’espèce de renon-
ciation valable des acquéreurs au bénéfice de l’art. 1619 [...], les époux Lefin ne pouvaient accepter
par avance une réduction de contenance qui n’était que du seul pouvoir du vendeur ».
37. Cass. civ. 3e, 12 janvier 1982, cons. de Montaigne, Bull. civ. III, no 12 ; D. 1982, IR, 530, 2e esp.,
obs. B. Audit ; RTD civ. 1983.147, obs. Ph. Rémy : « La clause de non-garantie de contenance ne dis-
pense pas le vendeur de garantir l’acheteur contre l’éviction d’une partie de la chose vendue ».
38. Cass. civ., 10 mars 1948, D. 1948.255 ; RTD civ. 1948.347, obs. J. Carbonnier : « Si, aux termes
de l’article 1629, dans le cas même de stipulation de non-garantie, le vendeur en cas d’éviction est
tenu à la restitution du prix, il en est autrement, par exception, quand l’acquéreur a acheté à ses ris-
ques et périls ». L’acceptation d’un pareil aléa peut résulter, comme en l’espèce, de termes équiva-
lents ; bien que la clause eût été rédigée comme d’habitude, la Cour de cassation a admis qu’elle
avait produit son effet, bien qu’il y ait eu manifestement éviction pour une des parcelles vendues ; la
vente avait été faite « aux risques et périls » de l’acheteur parce qu’elle avait pour objet, non une par-
celle déterminée, mais un ensemble de terres.
39. Cass. civ., 23 novembre 1931, DP 1932.I.129, n. L. Josserand : « Si le défaut de contenance d’un
immeuble ne peut donner lieu, par application de l’article 1619 qu’à une diminution du prix lorsque la
différence en moins excède un vingtième, il en est autrement lorsque le défaut de contenance rendrait
cet immeuble impropre à la destination, connue des parties, en vue de laquelle il a été acquis ; en ce
cas, la contenance devient en fait une qualité substantielle de l’objet du contrat et l’erreur sur cette
qualité rend applicable l’article 1110 du Code civil » ; en l’espèce, le vendeur avait indiqué que la
parcelle avait une superficie de 7 800 m2, alors qu’elle n’en avait que 5 119, au plus : les acquéreurs,
« dans le but unique connu du vendeur de la revendre après l’avoir morcelée, la contenance annon-
cée était une condition essentielle du contrat, l’arrêt (de la cour d’appel) relève ensuite que le vendeur
a volontairement, de mauvaise foi, induit en erreur les acquéreurs et ainsi vicié leur consentement ».
Nullité du contrat ; rejet du pourvoi.
40. Paris, 7 avril 1998, D. 1998, IR, 136 : « la clause de non-garantie (de contenance) ne pouvant
être tenue en échec que si le vendeur est un professionnel et l’acquéreur un non-professionnel ».
41. La connaissance de la superficie réelle par l’acheteur, avant la vente, « ne le prive pas de son
droit à la diminution du prix, qui n’est pas subordonné à la preuve d’un préjudice » : Cass. civ. 3e,
5 décembre 2007, Bull. civ. III, no 218 ; JCP G 2008.II.10117, n. L. Leveneur : différence de 5 m2.
236 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
une insuffisance de la contenance doivent être intentées dans l’année suivant la conclusion du
contrat (art. 1622)42.
361. Propriétés incorporelles. – La garantie d’éviction existe aussi dans les ces-
sions de propriétés incorporelles48, telles que les droits d’auteur.49.
Pour qu’il y ait éviction engageant la garantie du vendeur, il ne suffit pas qu’un
tiers ait eu un droit sur la chose vendue, il faut aussi que, lors de la vente, l’ache-
teur l’ait ignoré.
B. IGNORANCE DE L’ACHETEUR
362. Emptor debet esse curiosus ? Non. – Pour que le vendeur soit tenu à
garantie, il faut que l’acheteur ait ignoré la menace d’éviction. La raison d’être
de la règle est évidente : l’acheteur n’a pas à se plaindre si la charge était appa-
rente, ou si, ne l’étant pas, cette menace lui avait été déclarée ou s’il en avait eu
connaissance ; de quoi pourrait-il se plaindre ? Il a acheté en connaissance de
cause50. La même règle apparaît dans le vice caché.
L’application de ce principe soulève des difficultés ; tout le droit de la vente
évolue en effet vers une extension de la garantie renforçant les droits de l’acqué-
reur, améliorant la garantie et aggravant les obligations du vendeur. Ici aussi, il
prend plus en compte les intérêts de l’acheteur que ceux du vendeur. Comme
on le verra dans l’étude des vices rédhibitoires, naguère on disait qu’emptor
debet esse curiosus (l’acheteur doit être curieux) ; on dit maintenant que le ven-
deur doit être loyal. La question s’est essentiellement posée à l’égard des servitu-
des.
1º La jurisprudence du XIXe siècle dispensait le vendeur de déclarer les servitudes apparentes :
en ouvrant les yeux, l’acheteur en avait connaissance. Il en était de même, avec un peu moins
d’évidence, des servitudes légales que l’acheteur était censé connaître puisqu’il devait, selon
l’adage connu, connaître la loi. On était allé jusqu’à se demander si la transcription (aujourd’hui
la publicité foncière) des servitudes non apparentes ne dispensait pas le vendeur de les déclarer,
puisque l’acheteur n’avait qu’à consulter la transcription pour être informé. Dans ces trois cas,
emptor debebat esse curiosus.
2º En trois étapes, la jurisprudence du XXe siècle a évolué en élargissant la garantie du vendeur
afin de souligner le devoir de loyauté auquel il est tenu. 1 Elle a d’abord décidé dans un arrêt de
principe que la publication à la publicité foncière d’une servitude non apparente (ou d’un usu-
fruit) ne dispensait pas le vendeur d’en informer l’acquéreur51. L’arrêt a d’abord eu pour intérêt
de fixer la véritable portée de la publicité foncière qui est faite pour protéger l’acquéreur contre
les actes de disposition de son vendeur, non pour protéger le vendeur contre le recours en
garantie de l’acquéreur. Surtout, il annonça une évolution importante dans la théorie de la
garantie : en cas de charges grevant la chose, le vendeur n’y échappe plus au moyen de pré-
somptions permettant de penser que l’acheteur était au courant, mais seulement en démontrant
directement que l’acquéreur les a effectivement connues. 2 La seconde étape a eu les servitudes
légales pour objet. La jurisprudence a décidé que l’acheteur n’était tenu de les connaître que si
elles constituaient une charge normale de la propriété résultant de l’état des lieux52 : le seul fait
qu’une servitude fut légale ne dispensait pas le vendeur d’en informer l’acheteur. 3 La troisième
50. Cass. civ. 1re, 15 octobre 1996, Bull. civ. I, no 355 ; Contrats, conc. consom. 1997, comm. no 5,
n. L. Leveneur : « La personne qui a participé à une contrefaçon en mettant en vente un produit qu’elle
savait être contrefait, n’est pas fondée à obtenir la garantie de son vendeur pour l’éviction qu’elle subit,
qui est de son fait ».
51. Jurisprudence constante depuis * Req., 30 décembre 1940, Bonnet, DC, 1941.107,
n. J. Carbonnier ; JCP G 1941.II.1622, n. E. Becqué ; RTD civ. 1940.290, obs. H. Solus : « Il appartient
au vendeur d’informer l’acheteur des servitudes occultes, et non à l’acheteur de se renseigner à cet
égard ; la L. du 23 mars 1855 (sur la transcription) est faite en principe pour protéger l’acquéreur contre
les actes de disposition du vendeur et non pour protéger le vendeur contre le recours en garantie de
l’acquéreur ».
52. Cass. civ. 1re, 21 février 1956, Bull. civ. I, no 87 ; D. 1956.285 ; JCP G 1956.II.9200, n. Blin ; RTD
civ. 1956.549, obs. J. Carbonnier ; en l’espèce, il s’agissait d’une servitude légale non aedificandi que
le vendeur n’avait pas déclarée et que l’état des lieux ne permettait pas de soupçonner ; l’acheteur a
obtenu la « résiliation » du contrat (sic).
238 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
étape a porté sur les servitudes apparentes ; bien que, par définition, elles fussent visibles, le
vendeur doit les déclarer quand l’apparence n’est pas claire et qu’ainsi l’acquéreur peut ne pas
s’en rendre compte53.
On est loin de la vieille règle emptor debet esse curiosus (rappr. art. 1112-1 C. civ.).
Les règles légales sur la garantie d’éviction peuvent être modifiées par la volonté des parties,
parce qu’il appartient aux contractants de fixer l’économie de leur contrat et de répartir la charge
financière des risques.
SECTION II
GARANTIES CONVENTIONNELLES
Les conventions relatives à la garantie d’éviction sont diverses et peuvent faire
l’objet de deux grandes classifications. D’une part, elles peuvent soit étendre, soit
limiter, voire écarter, la garantie légale. D’autre part, elles peuvent avoir pour
objet la garantie du fait personnel ou la garantie contre des tiers : en outre, selon
les cas, elles sont valables ou nulles. Quelles qu’elles soient, elles sont toujours
d’interprétation restrictive.
363. Garantie du fait personnel. – Les clauses extensives de la garantie du fait personnel
sont rares. On les trouve surtout dans les cessions de fonds de commerce54. La garantie légale
interdit au cédant d’installer un autre fonds susceptible de porter concurrence au cessionnaire
parce que ce qui constitue un fonds de commerce est la clientèle. L’acte de cession peut élargir
cette obligation pesant sur le cédant, en lui interdisant d’exercer un commerce quelconque, à
condition que cette interdiction soit limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle soit rémuné-
rée et ne soit pas disproportionnée ; autrement, elle supprimerait la liberté du commerce et de
l’industrie55. L’acquéreur ne peut invoquer la méconnaissance de cette obligation que s’il
éprouve un préjudice56.
En principe, les clauses restreignant la garantie du fait personnel sont nulles : le vendeur ne
peut jamais se réserver le droit d’évincer l’acquéreur (art. 1628). Sont également inefficaces les
53. Jurisprudence constante : ex. : * Cass. civ. 1re, 13 janvier 1965, Guillou-Pilven, Bull. civ. I, no 39 ;
D. 1965.555 ; Gaz. Pal. 1965.I.371 ; RTD civ. 1965.667, obs. G. Cornu ; en l’espèce, il s’agissait d’un
oléoduc dont la pose était en cours lors de la vente : « Guillou-Pilven, vendeur, avait l’obligation de
faire connaître à la sté du Pra-l’Abbé la convention conclue par lui avec la sté Trepil et la servitude
passive ainsi que les autres engagements qui en résultaient, la présence du pipe-line entraînant une
diminution certaine de jouissance ».
54. Ces clauses sont conformes à la réglementation de la concurrence (C. com., art. L. 420-1). Ex. :
Avis de la commission de la concurrence dans le secteur de la presse gratuite en région Provence-
Alpes-Côte d’Azur, 20 mai 1986 (BOEC 1986.223) : « En application des articles 1625 et s., le vendeur
d’un fonds de commerce doit s’abstenir de tout acte de nature à diminuer l’achalandage, et à détour-
ner la clientèle du fonds cédé. Il est loisible aux parties d’aménager conventionnellement cette obliga-
tion dans une clause de non-rétablissement. » La question se présente dans les mêmes termes à l’égard
du droit européen de la concurrence (l’art. 101, TFUE). Cf. * CJCE, 28 janvier 1986, Aff. Pronuptia,
infra, no 836 : « Ne constitue pas une restriction de la concurrence au sens de l’article 81, § 1 (du Traité
de Rome) [...] l’interdiction faite au franchisé d’ouvrir, pendant la durée du contrat ou pendant une
période raisonnable après l’expiration de celui-ci, un magasin ayant un objectif identique ou similaire
où il pourrait entrer en concurrence avec l’un des membres du réseau ».
55. Cass. soc., 10 juillet 2002, Bull. civ. V, no 239, arrêts nos 1 et 3 ; D. 2002.2491, n. Serra ; JCP G
2003.I.130, no 1, obs. P. Morvan ; Defrénois 2002, art. 37644, no 94, p. 1619, obs. crit. R. Libchaber ;
JCP G 2002.II.10162, n. F. Petit ; RDC 2003, p. 17, obs. J. Rochfeld : « une clause de non-concurrence
n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans
le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte
l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie, ces conditions étant cumulatives ».
56. Cass. civ. 1re, 19 novembre 1996, Bull. civ. I, no 404 ; RTD civ. 1997.157, obs. crit.
P.-Y. Gautier : « en l’absence de préjudice, (les acquéreurs) étaient sans intérêt à agir en exécution de
la clause contractuelle, caractérisant ainsi l’abus de droit dont procédait leur demande ».
GARANTIE D’ÉVICTION 239
Au contraire, les clauses restrictives sont fréquentes et licites. Elles doivent être
expresses et non équivoques60. Et sont d’interprétation étroite : la non-garantie de
contenance ne dispense pas le vendeur de garantir l’éviction61. Si elle couvre le
risque d’éviction, elle exonère le vendeur de tous dommages-intérêts, non de la
restitution du prix, sauf si l’acheteur avait acheté à ses risques et périls (art. 1629).
Le contrat devient alors aléatoire, l’acheteur a acheté non la chose, mais l’espoir
de la garder : la vente est une emptio spei62.
Comme pour la garantie des vices cachés63, la clause restreignant la garantie
d’éviction est privée d’effet si le vendeur est de mauvaise foi ou un professionnel
(par exemple, un promoteur) ; aucun texte du Code civil ne le dit, mais la juris-
prudence le décide par application des principes généraux.
SECTION III
EFFETS DE LA GARANTIE D’ÉVICTION
57. Ex. : Cass. com., 14 avril 1992, Bull. civ. IV, no 160 ; RTD civ. 1993.150, obs. crit. P.-Y. Gautier :
« le vendeur d’un fonds de commerce a l’obligation de s’abstenir de tout acte de nature à détourner la
clientèle du fonds cédé ; dans le cas où les parties ont stipulé que le vendeur ne pourrait se rétablir
dans son activité dans un certain délai, l’expiration de ce délai n’a pas pour effet de le libérer de l’obli-
gation légale de garantie de son fait personnel, qui est d’ordre public ». En l’espèce, la garantie
conventionnelle était de cinq ans ; le vendeur s’était rétabli dix ans après la cession ; la cour d’appel
avait jugé qu’il n’avait pas contrevenu à son obligation. Cassation : la cour d’appel aurait dû « procé-
der [...] aux recherches concrètes nécessaires au regard de l’obligation légale de garantie ».
58. Cass. com., 2 décembre 1965, Bull. civ. III, no 623 ; Gaz. Pal. 1966.I.185 : « L’article 1628 ne fait
pas obstacle à la validité de la clause de non-garantie, destinée à renseigner l’acquéreur sur une cir-
constance particulière antérieure à la vente et susceptible de provoquer éventuellement son éviction
ou d’entraîner, à son détriment, une situation préjudiciable, éventualité dont il a, en se portant acqué-
reur, accepté le risque. »
59. Supra, no 353.
60. Ex. : Cass. civ. 3e, 7 juillet 2010, Époux V, no 09-12055, Bull. civ. III, no 140 ; RTD civ. 2010.794,
obs. P.-Y. Gautier : « cette clause de non-garantie de désignation et de contenance ne dispensait pas
les vendeurs de garantir les acheteurs contre l’éviction de la chose vendue ».
61. Supra, no 359.
62. Supra, no 190.
63. Infra, no 432.
240 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Ce n’est pas tout à fait le système du Code civil, qui écarte certaines règles de la
responsabilité contractuelle (art. 1630 à 1637), mais non toutes (art. 1639). Il énu-
mère les éléments de l’indemnité due à l’acquéreur (art. 1630) ; pour simplifier,
n’en seront retenus que deux, le prix et les dommages-intérêts. Par rapport au
droit commun de la responsabilité contractuelle, ces dispositions, tantôt favorisent
l’acquéreur, tantôt le défavorisent.
La prescription est soumise au droit commun, à défaut de texte spécial, cinq ans
à compter de la connaissance du fait faisant naître la garantie (art. 2224) ; le délai
ne court pas, tant que l’éviction n’est pas consommée (art. 2233, 2o).
366. Prix. – En cas d’éviction totale, le prix payé au vendeur doit être rem-
boursé à l’acheteur et, conformément au droit commun, la somme est fixe, figée
et n’est donc pas réévaluée, par application du nominalisme monétaire, même si
du temps s’est écoulé entre le paiement du prix (par l’acheteur) et son rembourse-
ment (par le vendeur). Le particularisme de la garantie d’éviction tient à ce que le
prix doit toujours être remboursé par le vendeur à l’acquéreur, même si, lors de
l’indemnisation, la chose vendue s’est dépréciée ou ne vaut plus rien, et même si
elle a péri par cas fortuit (art. 1631). Le système est à cet égard plus avantageux
pour l’acquéreur que ne l’est le droit commun : l’acheteur réalise un bénéfice,
puisqu’au lieu d’un bien déprécié, il récupère ce qu’il a versé. De toute façon,
l’acheteur est dans une situation favorable, car si l’immeuble a augmenté de
valeur, il a droit à des dommages-intérêts.
En revanche, en cas d’éviction partielle, si la chose a diminué de valeur, la perte sera pour
l’acheteur, qui ne pourra se faire restituer que la valeur de la portion évincée, sans pouvoir se
faire rembourser de la différence de prix (art. 1637)64.
64. Cass. civ. 3e, 21 mars 2001, Bull. civ. III, no 37 ; RTD civ. 2001.614, obs. P.-Y. Gautier ; Defré-
nois 2001. art. 37399, no 72, obs. R. Libchaber ; Contrats, conc. consom. 2001, comm. no 121,
n. L. Leveneur : en l’espèce, « si, dans le cas de l’éviction d’une partie du fonds vendu, la vente n’est
pas résiliée, la valeur de la partie qui se trouve évincée lui est remboursée suivant l’estimation à
l’époque de l’éviction, et non proportionnellement au prix total de la vente, soit que la chose ait aug-
menté ou diminué de valeur ».
65. Ex. : Cass. civ. 3e, 7 juillet 2010, Époux V, no 09-12055, préc. : « l’acquéreur évincé a droit à la
réparation de tout le préjudice causé par l’inexécution du contrat » (remboursements des frais de pro-
cès).
GARANTIE D’ÉVICTION 241
(si elles sont voluptuaires, seul le vendeur de mauvaise foi en est tenu, art. 1635), plus-values
tenant à des causes économiques ou monétaires, ce qui est à peu près le système du droit com-
mun, sauf la réparation du préjudice imprévisible.
2º Le système est désavantageux pour l’acquéreur en ce qu’il prévoit que l’évaluation se fait
au jour de l’éviction, c’est-à-dire à la date de la décision constatant l’éviction66. Il serait plus
juste, conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle et de la dette de valeur,
d’évaluer l’immeuble au jour du jugement condamnant le vendeur à indemniser l’acheteur.
66. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 7 juillet 2010, préc. : « L’indemnité d’éviction due
par le vendeur aux acquéreurs évincés doit être faite à la valeur du bien dont ils sont évincés à la
date de la décision d’éviction, quels qu’aient été les projets des acquéreurs pour ce bien ».
n S OUS - TITRE IV n
G ARANTIE DES VICES CACHÉS
379. Évolution et extension. – La garantie des vices cachés dans la vente (dite
aussi édilicienne, car créée par les édiles curules romains) s’est étendue au fil des
temps, afin de protéger l’acheteur.
1. Ex. : En raison de la nature du sous-sol (marécage mal comblé : Cass. civ. 3e, 15 février 1989,
JCP G 1989.IV.141 ; n.p.B. ; JDI 1989.361, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli) ; 17 janvier 1990,
Bull. civ. III, no 26 (« le terrain vendu présentait à la date du contrat un vice caché le rendant impropre
à sa destination ») ou du sol qui s’affaisse (ex. : Cass. civ. 3e, 20 janvier 1988, JCP G 1988.IV.117 ;
n.p.B.) ou des champignons (mérules), ou des insectes (termites), ou même quand les servitudes d’ur-
banisme rendent un immeuble impropre à son usage. Il y a des textes spéciaux pour certains vices (par
ex. pour les termites, L. 8 juin 1999) et l’amiante.
2. Supra, no 77.
3. B. GROSS, La notion d’obligation de garantie dans le droit des contrats, th. Nancy, LGDJ, 1964,
préf. D. Tallon ; pour l’extension de l’art. 1641 à l’ensemble des contrats relatifs à la production d’une
chose : PUIG, RDC 2005.963 et 1118.
4. Ex. : Poitiers, 16 décembre 1970, Aff. du turbot botulique, Gaz. Pal. 24 avril 1971 ; RTD civ.
1971.670, obs. G. Cornu : en l’espèce, le poisson servi par le restaurateur était infecté d’un virus indé-
celable (le virus botulique) qui rendit malade le client. V. aussi la responsabilité des centres de trans-
fusion sanguine ayant utilisé un sang contaminé par le virus du sida, infra, no 387.
244 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
L’origine est romaine et fut l’œuvre des édiles curules5. Initialement, il s’agissait de ventes
d’esclaves, ce qui a pour toujours imprimé certains traits à la théorie : les vendeurs étant d’une
malhonnêteté proverbiale, ils étaient présumés de mauvaise foi si l’esclave avait un vice qu’ils
prétendaient ignorer6 (il fallait moraliser la vente) et étrangers – des Orientaux – (le commerce
international était très sensible à la garantie des vices cachés) ; les acquéreurs étaient des
Romains, qu’il fallait protéger (la garantie des vices cachés était faite pour protéger certains
acquéreurs). Puis, la garantie édilicienne a eu pour objet des animaux ; son aspect moralisateur,
international et protecteur s’est atténué, sans pour autant disparaître. Les caractères que Rome a
conférés à l’institution sont demeurés constants pendant longtemps.
Selon le Code civil, qui a repris la tradition romaine, la garantie a pour objet le vice caché qui
compromet l’utilité de la chose ; elle a pour conséquence essentielle de permettre à l’acheteur
d’obtenir à son choix soit une résolution de la vente, soit une diminution du prix ; ces règles
n’ont qu’un caractère supplétif, que la convention peut donc écarter.
Dans la pratique contemporaine des affaires, la garantie est devenue un élément de la poli-
tique commerciale, que l’on appelle parfois le marketing. Les commerçants multiplient dans
leurs contrats des clauses de garantie, souvent différentes de la garantie légale. Lorsqu’elles
sont conclues entre un professionnel et un consommateur, elles sont dépourvues d’effets dans
la mesure où elles restreignent la garantie légale.
À l’égard des vices cachés la législation contemporaine devient préventive : ce qui explique
les « diagnostics techniques » préalables que le vendeur doit désormais communiquer à l’ache-
teur (amiante, termites, plomb, énergie, assainissement, pollution, sites classés, etc.) à peine de
nullité ou d’une aggravation de la garantie. Ces documents sont prévus dans d’autres codes que
le Code civil (ex. : CCH, C. sant. pub., C. environnement, etc.).
5. J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, no 498 ; v. aussi supra,
no 61.
6. ULPIEN, Digeste, 21.I.2 : « ces professionnels doivent connaître la chose qu’ils vendent, d’autant
plus qu’ils ont pu se renseigner eux mêmes sur place en l’achetant » ; Ph. COCATRE-ZILGIER, « La rédhibi-
tion de l’esclave pour cause de maladie en droit romain », Revue générale de droit médical 2008, p. 9
et s.
7. H. MAZEAUD, « La responsabilité civile du vendeur-fabricant » RTD civ. 1955, 611-621.
8. Y. MARKOVITS, La directive CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits, th.
Paris I, LGDJ, 1990, préf. J. Ghestin.
GARANTIE DES VICES CACHÉS 245
chose a un vice caché ; elle a été transposée dans les articles 1245 et suivants (anciens art. 1386-
1 et s.)
Ce régime n’est guère différent de celui auquel était parvenue la jurisprudence française, en
matière de responsabilité contractuelle ou délictuelle du fait des choses. Elle prévoit que doit
être accordée une action aux victimes, s’ajoutant au droit antérieur. À certains égards, la direc-
tive aggrave les obligations des fabricants, à d’autres, elle limite celles des vendeurs profession-
nels. La question la plus controversée a été de savoir si le « risque du développement »9 devait
être supporté par le fabricant, ou, au contraire, constituait une cause d’exonération. La directive
ouvre une option aux États membres. En France, la transposition a été effectuée par une loi du
19 mai 199810. Ne supprimant pas le régime actuel, la directive ainsi transposée ajoute un droit
complexe à un système compliqué. Dans une décision tatillonne, la CJCE a condamné la France
pour n’avoir pas transposé à l’identique la directive en assimilant la responsabilité des vendeurs
et fournisseurs et celle des producteurs11.
Le deuxième texte, qui concerne plus spécialement la garantie des vices cachés, est la direc-
tive du 25 mai 1999 sur la conformité dans la vente des biens de consommation, dont la trans-
position a été réalisée par l’ordonnance du 17 février 200512.
383. 1º Animaux. – Selon le Code Napoléon, les règles générales sur la garan-
tie des vices s’appliquaient aux ventes d’animaux domestiques malades, ce qui
entraînait de nombreuses difficultés d’application : les vices étaient difficiles à
découvrir et les brefs délais pour agir mal fixés par l’usage ; en outre, les progrès
de la médecine vétérinaire avaient permis de découvrir de nouvelles maladies,
leur thérapeutique et leur prévention. Depuis 1838, la législation est intervenue
à plusieurs reprises (aujourd’hui C. rur. pm., art. L. 213-1 et s.), afin d’écarter le
9. Il s’agit d’un défaut du produit, indécelable compte tenu de l’état des sciences et de la technique
au moment où il a été mis sur le marché, infra, no 398.
10. G. RAYMOND, Contrats, conc. consom. 1998, chron. 7 ; J. GHESTIN, JCP G 1998.I.148 ; J. HUET,
D. Aff. 1998.1160. Cahier spécial, D. Aff. 16 juillet 1998, par F.-X. Testu et J.-H. Moitry, et du
même TESTU, ib., p. 1995 et s. ; G. VINEY, D. 1998, chron. 291 ; Chr. LARROUMET, ib. 311, ainsi que le
no spécial des Petites Affiches, 28 décembre 1998, égal. avec les rapports L. Leveneur (défauts) et
N. Molfessis (produits) ; Y. DAGORNE-LABBÉ, Defrénois 1998.1265 ; J. REVEL, RTD com. 1999.317 (sur la
coexistence avec le droit commun subsistant). Et pour les constructeurs : Ph. MALINVAUD, D. 1999,
chron. 85. V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
11. CJCE, 25 avril 2002, D. 2002.2462, n. Chr. Larroumet et chron. 2458 par J. Calais-Auloy.
12. Supra, nos 330-336.
246 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
droit commun13 en : 1) énumérant les vices propres à chaque espèce (ex. : équi-
dés, porcins, bovins, etc.), 2) imposant une preuve du vice par expertise, 3o
déterminant le très bref délai (quarante-cinq jours maximum) pendant lequel l’ac-
tion peut être exercée (C. rur. pm., art. L. 223-7).
384. 2º Installations classées. – La loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées pour la
protection de l’environnement, modifiée par une loi du 13 juillet 1992 prévoit dans son article 8-
1 (codifiée dans le C. env., art. L. 514-20) que « lorsqu’une installation soumise à autorisation a
été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d’en informer par écrit l’acheteur ; il
l’informe également, pour autant qu’il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants
qui résultent de l’exploitation. À défaut, l’acheteur a le choix de poursuivre la résolution de la
vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la remise en état du site
aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné par
rapport au prix de vente ». La loi ne fait qu’appliquer les principes généraux de la garantie des
vices cachés ou plutôt des « risques » cachés ; dès lors qu’il y a information, il n’y a plus vice
caché.
13. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 1re, 30 septembre 2010, nº 09-16890, Bull. civ. I,
no 182 ; D. 2011.659, n. D. Mazeau : « l’action en garantie dans les ventes d’animaux domestiques
est régie, à défaut de convention contraire non invoquée en l’espèce, par les seules dispositions du
Code rural ».
14. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 mars 1992, Bull. civ. I, no 81 ; Contrats, conc. consom. 1992, comm.
no 129, obs. L. Leveneur : « L’action en nullité de plein droit prévue par l’article 240, C. rur. pm. (auj.,
art. L. 223-7), n’est pas exclusive des actions tendant à la nullité de la vente fondée sur les vices du
consentement, et notamment sur le dol [...] ; ce délai de quarante-cinq jours imparti par ce texte ne
s’applique pas aux demandes invoquant l’existence d’un tel vice ».
15. Cass. civ. 1re, 5 mai 1987, Bull. civ. I, no 136 : « Les règles légales relatives à la vente d’animaux
domestiques atteints d’une maladie réputée contagieuse, telles qu’elles sont définies par les arti-
cles 224 à 243 et 284 et s., C. rur. pm. (auj., art. L. 221-1 et s.), peuvent être écartées, au bénéfice
des articles 1641 et s. par une convention contraire, qui a été retenue en l’espèce par l’arrêt attaqué
et dont l’existence n’est pas contestée ».
16. Ex. : Cass. civ. 1re, 11 janvier 1989, Bull. civ. I, no 1 ; Defrénois 1989, art. 34595, no 101, p. 1133,
obs. G. Vermelle : « Les règles légales de la garantie des vices rédhibitoires dans la vente des animaux
domestiques, telles qu’elles sont définies par les articles 284 et s., C. rur. (auj., C. rur. pm., art. L. 213-2
et s.), peuvent être écartées par une convention contraire, qui peut être implicite et résulter de la des-
tination des animaux vendus et du but que les parties s’étaient proposées et qui constituait la condition
essentielle du contrat ».
17. Ex. : Cass. civ. 1re, 12 mars 1980, Bull. civ. I, no 85 ; restitution d’une partie du prix, alors que le
chien acheté était inapte à la reproduction : l’achat d’un chien destiné à l’élevage « pouvait être pré-
sumé fait en vue de la reproduction ».
18. La commission des clauses abusives avait déjà proposé que le droit commun s’applique aux
vices cachés dans les ventes d’animaux de compagnie à des acheteurs non professionnels, BOCC,
9 mai 1981, Cass. civ. 1re, 20 novembre 1990, Bull. civ. I, no 246 : « L’art. L. 213-1 du C. rur. pm. (auj.,
art. L. 213-5), selon lequel la vente des chiens et chats est nulle de plein droit lorsque, dans les 15 jours
francs qui suivent leur livraison, ils sont atteints de certaines maladies, qui tend à la défense des ache-
teurs, n’a en aucun cas pour effet de leur interdire l’exercice des actions en garantie des vices cachés ».
19. Supra, nº 333.
GARANTIE DES VICES CACHÉS 247
385. Sociologie. – Vue à travers la jurisprudence, la sociologie des vices rédhibitoires est
diverse. Le consommateur mécontent du mauvais fonctionnement de la chose achetée, celui
qu’on voit dans les arrêts, est souvent du type opiniâtre. Plaider jusque devant la Cour de cassa-
tion pour un manteau jauni par le soleil ou une machine à laver qui ne lave pas ! Tantôt, il a
raison, car l’objet était impropre à son usage. Tantôt, il est un Chicaneau ou une comtesse Pim-
bêche, toujours atrabilaire – le procès est son exutoire. Tantôt, il cherche un avantage indu. Le
consommateur est de plus en plus épaulé par les puissantes, efficaces et bruyantes associations
de consommateurs. La « class action » à la française ne fera que l’amplifier (C. consom., art.
L. 623-1 et s., L. du 17 mars 2014). Un autre type est la victime dramatique de dommages cor-
porels, par exemple les consommateurs de médicaments mortels. L’avant-projet de loi sur la
responsabilité civile soumet la réparation du dommage corporel aux règles extracontractuelles
(art. 1233). À l’opposé, il est des fabricants qui se croient tout permis. Le vice rédhibitoire appa-
raît aussi dans une autre espèce de litiges très différents, celui qui oppose les industriels entre
eux, par exemple un armateur à un chantier naval, soit directement, soit à la suite d’un recours
en garantie. L’importance des litiges est extrêmement variable : d’une centaine d’euros à des
centaines de millions.
En fait, comme toujours, la jurisprudence ne permet pas de bien connaître la sociologie
réelle : elle n’a affaire qu’aux vices ayant causé des dommages corporels ou, pour les dommages
matériels, ceux qui intéressent des espèces moyennes. D’une part, on ne plaide pas pour des
petits litiges parce que les frais et les ennuis du procès sont décourageants – mais, inspirées du
droit américain, il existe plusieurs class actions (les associations de consommateurs agréées peu-
vent exercer une « action collective ») ; la loi sur l’action de groupe pourrait changer la situation.
Les articles L. 623-1 et suivants du Code de la consommation prévoient la réparation du préju-
dice patrimonial d’acheteurs consommateurs d’une même catégorie, par action à l’encontre du
vendeur, tenu par les garanties légales ; les consommateurs sont représentés par avance par une
association agréée qui fait fixer la responsabilité du vendeur par un juge, puis ils se manifeste-
ront après des mesures de publicité du jugement, afin d’être indemnisés. L’action suspend la
prescription des demandes individuelles. L’acheteur n’est pas tenu d’adhérer et conserve le
droit d’action individuelle, notamment pour les autres dommages qu’il a subis.
D’autre part, ce n’est pas devant les tribunaux étatiques, mais devant des arbitres que se
règlent généralement les litiges importants entre industriels.
Les conditions requises pour que la garantie légale des vices cachés soit enga-
gée sont de deux ordres : des conditions de fond, essentiellement le vice caché
(Section I) et des conditions d’exercice, essentiellement le délai pendant lequel
l’action doit être introduite (Section II).
SECTION I
CONDITIONS DE FOND
386. Vente et vice. – La première condition est qu’il y ait une vente. Presque toutes les ventes
font naître une obligation de garantie, même les ventes aux enchères1. Sauf celles qui sont faites
obligatoirement par autorité de justice (art. 1649), par exemple la vente sur saisie2, qui échappent
également à la rescision pour lésion ; mais l’acquéreur, victime d’un vice caché antérieur à l’acqui-
sition de la chose par le saisi, peut exercer une action contre celui qui avait vendu au saisi3. Lorsque
la chose est fournie gratuitement, accessoirement à une vente, la garantie doit aussi jouer4.
1. Dans ses effets, la vente aux enchères publiques est une vente comme les autres, établissant un
rapport direct entre le vendeur et l’acheteur. En principe, la société de ventes volontaires de meubles
(ex-commissaire-priseur) n’est qu’un mandataire du vendeur : Cass. civ. 1re, 23 mars 1982, Bull. civ. I,
no 119 : « M. Pierre B., commissaire-priseur chargé par M. Jean R. de vendre un dessin pour le compte
de celui-ci, était le mandataire du vendeur » ; et tenue d’un devoir de conseil : C. com., art. L. 321-17 ;
Cass. civ. 1re, 12 mars 2002, Bull. civ. I, no 90, « indications erronées » figurant dans le catalogue et
fournies par l’expert ; la responsabilité de celui-ci se trouve également engagée. Cass. civ. 1re, 3 avril
2007, D. 2007.2288, n. crit. F. Baillet Bouin, Bull. civ. I, no 141 préc. ; le dol du vendeur, si elle l’igno-
rait, n’engage pas sa responsabilité : Paris, 31 janvier 1997, D. Aff. 1997.343. Au cas où sa responsa-
bilité est retenue, elle peut être condamnée in solidum avec le vendeur, avec un recours contributif
contre lui : Cass. civ. 1re, 22 avril 1997, Bull. civ. I, no 129 ; D. Aff. 1997.759 : « le commissaire-priseur
est tenu de ne donner que des informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la
clientèle et, dans ses rapports avec l’acheteur, sa responsabilité peut être engagée envers lui in solidum
avec le vendeur, sauf à ce que, dans ses rapports avec ce dernier, seul celui-ci ait éventuellement à
contribuer ». Fr. CHATELAIN et P. TAUGOURDEAU, Œuvres d’art et objets de collection en droit français,
LexisNexis 2011 ; M. CORNU et N. MALLET-POUJOL, Droit, œuvres d’art et musées, CNRS, 2e éd., 2006.
2. L. LEVENEUR, Contrats, conc. consom. 1992, comm. note 112, sous Cass. civ. 1re, 3 mars 1992 :
« Ce serait en effet un comble que celui-ci (le saisi), qui n’a rien demandé, ni rien offert et n’a fait
que subir la vente forcée de son bien, doive ensuite garantir l’acquéreur contre la découverte des
défauts ! » ; L. MAUGER-VIELPEAU, Les ventes aux enchères, 2e éd., Economica, 2017.
3. Supra, no 226.
4. Cass. com., 25 novembre 1997, Bull. civ. IV, no 308 ; D. Aff. 1998.65 ; Contrats, conc. consom.
1998, comm. no 43, n. L. Leveneur : support informatique affecté d’un virus remis à titre gratuit,
250 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Comme la notion l’indique, pour qu’il y ait vice caché, deux éléments doivent
être réunis : que la chose soit impropre à son usage normal (§ 1) et que le vice soit
caché (§ 2) ; afin que la garantie du vendeur soit engagée, une troisième condition
est exigée : le vice doit se rattacher à la vente (§ 3).
§ 1. IMPROPRIÉTÉ DE LA CHOSE
387. Vice rédhibitoire. – Pour qu’il y ait vice rédhibitoire, il faut que la chose
soit « impropre à l’usage auquel on la destine » (art. 1641). Cette notion abstraite
recouvre des situations diverses et concrètes : tous les maux contemporains du
consommateur et du fabricant5. Il faut que le vice soit rédhibitoire, c’est-à-dire
qu’il empêche l’usage de la chose, ce qui n’est pas le cas s’il est peu important,
affectant seulement l’agrément6 (sauf pour les produits de luxe7) ou ses qualités
secondaires ou s’il est facilement réparable8.
Il doit s’agir de l’usage de la chose, auquel elle est normalement destinée. Si le vice empêche
un usage inhabituel de la chose, le vendeur n’a sa garantie engagée que s’il l’avait acceptée, ce
qui suppose qu’il en avait été informé par l’acheteur. Lorsque l’acheteur précise au vendeur
l’usage particulier auquel il destine la chose et que celle-ci n’y satisfait pas, l’action qu’il intente
n’est pas une action en garantie des vices cachés, mais en responsabilité pour inexécution de
l’obligation de délivrance, qui n’a pas à être intentée dans le délai de deux ans de l’article 16489.
388. Vice temporaire et réparé. – Il a été jugé qu’un vice temporaire n’était pas
rédhibitoire10. Si l’acheteur a accepté la réparation, il ne peut réclamer la résolution, comme le
prévoit le droit actuel de la vente au consommateur.
comme il est d’usage, en complément d’une revue vendue aux usagers ; la chose « ne pouvait être
physiquement dissociée avant que l’acquisition de la revue permette d’en disposer ; [...] elle constituait
l’un des éléments du contrat de vente ».
5. Ex. : sang infecté de sida, légumes putréfiés, blés charançonnés, semences stériles, pain qui rend
fou, chrysanthèmes qui refusent de fleurir, fromages grouillant de bactéries, cheval borgne, chat
domestique qui meurt presque tout de suite après son achat, produits industriels mal conçus ou mal
fabriqués (ex. : automobile dont le défaut de fabrication cause un accident mortel à l’acquéreur) et qui
fonctionnent mal, appareils de télévision qui implosent, bateaux qui coulent, automobiles, machines à
laver, fers à repasser, etc., tombant en pannes répétées ou consommant trop d’énergie, tuiles gélives,
médicaments qui tuent ou rendent infirmes (le cas le plus grave), immeubles infestés d’amiante ou de
termites, dont les fondations s’effondrent ou qui prennent l’eau de toutes parts, fonds de commerce
contre lequel une procédure de fermeture administrative avait commencé, virus informatique, teinture
de cheveux qui rend chauve, cuisinière à gaz qui explose, etc. La liste des produits défectueux est
inépuisable.
6. Ex. : Cass. civ. 1re, 22 avril 1997, Bull. civ. I, no 129 ; la Jaguar avait un compteur libellé en miles,
non en kilomètres et l’acheteur était un collectionneur averti ; Paris, 13 mai 1997, D. Aff. 1997.1145 :
défauts qui « affectent essentiellement l’esthétique de la voiture ».
7. La distinction entre ce qui relève de l’usage et de l’agrément est relative : d’un produit de luxe, on
n’attend pas le même usage que d’un produit courant. De même, l’usage peut s’entendre de l’aptitude
de la chose à être revendue : Cass. civ. 1re, 11 déc. 2013, nº 12-23372 (automobile d’occasion).
8. Ex. : Cass. civ. 3e, 28 mars 2007, Bull. civ. III, no 50 ; Defrénois 2007.1014. n. Y. Dagorne-Labbé ;
RDC 2007.1199, obs. Ph. Brun ; Dr. et patr. mai 2008, p. 32 s., n. J. Lesueur : le non-raccordement de
l’immeuble à un réseau collectif d’assainissement ne rend pas la chose impropre à l’usage que l’ache-
teur pouvait en attendre. L’art. L. 1331-11-1 C. santé publ. prévoit désormais que l’information doit
être portée à la connaissance de l’acquéreur dans un document annexe.
9. Cass. com., 17 février 1981, Bull. civ. IV, no 92 ; en l’espèce, la cour d’appel avait déclaré irrece-
vable l’action de l’acheteur parce que tardive ; cassation : elle devait « rechercher (si le vendeur)
n’avait pas engagé sa responsabilité, en livrant des “fermes” insuffisamment étudiées pour répondre
aux conditions d’utilisation résultant de la commande ».
10. Cass. civ. 3e, 25 janvier 1989, Bull. civ. III, no 23 ; D. 1990.100, n. crit. Y. Dagorne-Labbé ;
Defrénois 1989, art. 34595, no 102, p. 1135, obs. G. Vermelle : « Un tel trouble ne justifie pas la
CONDITIONS DE LA GARANTIE LÉGALE 251
389. Perte de la chose. – Si la chose qui avait des vices périt après la vente, l’article 1647
fait une distinction : si la perte est due au vice, le vendeur doit indemniser l’acheteur ; si, au
contraire, elle est due à un cas fortuit, elle est pour l’acheteur. Ce qui est l’application de la
théorie des risques. Malgré le texte de l’article 1647, alinéa 2, un arrêt a admis, même en ce
cas, l’exercice de l’action estimatoire s’il y avait un vice de la chose11.
390. Vice apparent, vice caché et bonne foi. – Si l’acheteur sait que la chose a
un vice, il ne pourra se plaindre : la chose livrée a en effet les qualités qu’il atten-
dait ; il l’a acceptée en connaissance de cause, le vice n’est donc pas caché
(art. 1642). Ainsi en est-il si le vice est apparent12 ou si le vendeur13 ou un
expert14 a attiré l’attention de l’acheteur sur un vice occulte de la chose en l’infor-
mant. En cas de vice apparent, l’acheteur doit aussitôt le dénoncer15.
Ainsi, le vice est caché lorsque l’acheteur ne pouvait le découvrir et l’a ignoré16.
Ce caractère est relatif : il dépend des qualités de l’acquéreur (A) et de la nature de
la chose (B).
Peu importe que le vendeur n’ait pas connu ces vices : il est tenu de la garantie, même s’il est
de bonne foi (art. 1643). Mais il ne doit pas alors de dommages-intérêts (art. 1645) et les clauses
exonératoires de responsabilité sont valables.
restitution partielle du prix ». La cour d’appel avait obligé le vendeur d’un immeuble à restituer à
11. Cass. civ. 1re, 3 décembre 1996, Bull. civ. I, no 441 : « Si la perte de la chose vendue arrivée par
cas fortuit est aux risques de l’acheteur, qui en est demeuré propriétaire, elle ne fait pas obstacle à ce
que celui-ci obtienne, par la voie de l’action estimatoire, la réduction du prix que justifie la gravité du
vice dont cette chose était atteinte ».
12. Cass. civ. 3e, 10 septembre 2008, no 07-17086, Bull. civ. III, no 130 ; JCP G 2008.IV.2595 : une
commune avait acquis un terrain en état de « friche industrielle » ; or « il était de notoriété publique
que ce terrain avait servi depuis 1945 de déchetterie de ferrailles diverses ; elle (l’acquéreuse) ne pou-
vait ignorer qu’il était sérieusement pollué ».
13. Ex. : termites : Cass. civ. 3e, 26 février 2003, Bull. civ. III, no 53 ; Defrénois 2003.914,
n. Y. Dagorne-Labbé ; Contrats, conc. consom. 2003, comm. no 106, n. L. Leveneur ; RDC 2003.245,
obs. F.-G. Trébulle, 2004.974, obs. Fr. Collart-Dutilleul : « Ayant relevé que Mme H. et Mme A. ne
contestaient pas que l’agent immobilier leur avait signalé l’existence d’une infestation de capricornes
dans la charpente et leur avait conseillé de prendre l’avis d’un spécialiste [...], la cour d’appel a pu
déduire de ces seules constatations que la présence non révélée (par le vendeur) de termites ne consti-
tuait pas un vice caché justifiant l’allocation de dommages-intérêts ».
14. Cass. civ. 3e, 27 septembre 2006, Bull. civ. III, no 194 ; RDC 2007.366 obs. Fr. Collart-Dutilleul.
15. C. NOBLOT, « Les clauses de dénonciation des défauts et vices apparents dans la vente »,
Contrats, conc. consom. 2013, Formule no 9.
16. Ex. : si, pour découvrir le vice du navire, il avait fallu faire une sortie en mer, accompagné de
techniciens (Cass. civ. 1re, 26 septembre 2012, no 11-22399, Bull. civ. I no 192 ; RDC 2013. 161, obs.
Ph. Brun, cassation de l’arrêt qui a « ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ») ; ou monter
dans les combles et sur la toiture puis faire intervenir un homme de l’art. Cass. Ass. plén., 27 octobre
2006, Bull. civ. Ass. plén., no 13 ; JCP G 2007.I.104, no 12, obs. A. Constantin et II.10019,
n. L. Leveneur ; Defrénois 2007.431, n. Y. Dagorne-Labbé (charpente infestée d’insectes xylophages
et tuiles gélives).
252 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
A. ACHETEUR OCCASIONNEL
B. ACHETEUR PROFESSIONNEL
autant de connaissances que lui25. La seule question qui se pose est de savoir s’il a
« la même spécialité » que le vendeur, ce qui est une vue excessivement juridique
et peu réaliste.
L’acheteur professionnel « de la même spécialité que le vendeur » est donc obligé de procéder
à une vérification minutieuse de la chose, car, par hypothèse, il possède les qualités profession-
nelles lui permettant d’apprécier les qualités et les défauts de la chose. Dans le doute, il a intérêt
à faire des réserves.
2º D’autre part et surtout, s’il existe des vices indécelables27 que, même curieux
et compétent, on ne peut découvrir qu’en démontant la chose et en étant un
expert hautement qualifié : la garantie des vices cachés reste due, même entre
professionnels de la même spécialité. De même, le vendeur professionnel ne
peut échapper à l’aggravation de sa responsabilité en démontrant le caractère
indécelable du vice28.
D’autres distinctions doivent être faites, tenant à la nature de la chose vendue.
25. Ex. : un chantier naval (constructeur de navires) et un armateur (acheteur) sont des profession-
nels qui ne sont pas de la même spécialité, même si l’armateur est une entreprise qui dans son bureau
d’études a des gens qui en savent autant que le chantier sur la construction navale. Idem pour un
fabricant d’avions (ex. Airbus) et une compagnie aérienne (ex. Air France ou British Airways) : ce ne
sont pas des professionnels de la même spécialité ; il est pourtant inopportun de les protéger contre
leur ignorance.
26. Droit des obligations, coll. Droit civil.
27. Ex. : Cass. com., 15 novembre 1983, Bull. civ. IV, no 311 ; RTD com. 1985.180, obs. J. Hémard
et B. Bouloc : « La cour d’appel ayant relevé que la simple observation des purgeurs automatiques
n’était pas suffisante pour déceler leur défectuosité, qu’il a fallu les scier, donc les détruire, pour se
rendre compte du vice, a tiré de ces constatations les conséquences légales qui en résultaient en fai-
sant apparaître que ces vices avaient pu rester cachés à (l’acheteur) malgré sa qualité de profession-
nel ».
28. Infra, no 413.
29. Ex. : Cass. civ. 1re, 11 mars 1980, sté Vilmorin-Andrieux, Bull. civ. I, no 84 : « Une firme spéciali-
sée dans la commercialisation de produits, fussent-ils naturels, est tenue par le fait même de son acti-
vité et de sa spécialisation d’en connaître les vices ». En l’espèce, la sté Vilmorin-Andrieux avait vendu
à des maraîchers du Roussillon des graines de salade ; or les plantations avaient révélé des anomalies ;
jugé que le producteur de semences était responsable.
254 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Si le principe est clair, son application est relative : le vendeur garantit l’usage
normal que l’acheteur pouvait raisonnablement attendre de la chose. Mais tout
dépend de la vétusté de la chose : il est des défauts de la chose qui ne sont pas
des vices cachés mais résultent de son ancienneté33, du prix auquel elle a été
payée34 et de son apparence35.
Ces ventes comportent souvent des clauses restrictives de la garantie des vices cachés36. Cer-
taines sont typiques des ventes d’occasion, par exemple, la clause « vendu dans l’état où se
trouve la chose ». Un arrêt y a vu une clause exclusive de responsabilité37 ; si la vente est
conclue entre un professionnel et un non-professionnel, elle est réputée non écrite
(C. consom., art. L. 241-5).
30. Cass. com., 12 décembre 1995, sol. implic., Bull. civ. IV, no 302 ; D. 1996.297, n. J. Paillusseau ;
JCP E, 1996.II.541, n. A. Viandier et J.-J. Caussain. Il faut prouver que le vice affectant l’immeuble
(appartenant à une SCI) : « était de nature à rendre les parts sociales cédées impropres à leur destina-
tion ». Les garanties légale et contractuelle sont sans préjudice d’un éventuel vice du consentement :
Cass. com., 3 février 2015, no 13-12483, Bull. civ. IV no 15.
31. Ex. Cass. civ. 1re, 7 mars 2000, Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 109, n. L. Leveneur (le
Bulletin civil dit que ce moyen est sans « intérêt ») : « L’achat d’une chose d’occasion s’entend norma-
lement d’une chose en l’état où elle se trouve » ; en l’espèce, le tracteur n’avait pas de portières.
32. Cass. com., 11 juin 1954, D. 1954.697 ; Gaz. Pal. 1954.II.258 ; RTD civ. 1955.128, obs.
J. Carbonnier : « La responsabilité édictée par l’article 1641 à l’encontre du vendeur s’applique en prin-
cipe à la vente de toutes marchandises et de tous objets ».
33. Versailles, 28 septembre 1990, D. 1991, somm. 168, obs. Tournafond : « en raison du kilomé-
trage déjà parcouru, il (l’acheteur) pouvait normalement prévoir qu’il courait le risque d’avoir à effec-
tuer des réparations au cours des mois à venir [...] Cette vétusté ne saurait, en l’état, être considérée
comme un vice caché ».
34. Ex. : l’acquéreur d’une automobile achetée au prix du métal ne peut raisonnablement prévoir
qu’elle fonctionne.
35. Ex. : l’acquéreur d’un manteau jauni par le soleil ne peut raisonnablement prévoir que le jau-
nissement disparaîtra : Cass. com., 5 février 1974, cité supra, no 391.
36. Infra, no 431.
37. Cass. civ. 1re, 25 juin 1968, Bull. civ. I, no 183 : « cette clause équivalait à l’insertion dans le
contrat d’une clause de non-garantie ».
CONDITIONS DE LA GARANTIE LÉGALE 255
Cour de cassation, cette obligation lui impose de livrer « des produits exempts de
tout vice de nature à créer un danger »38.
Ce qu’énonce aussi le Code de la consommation : « les produits et les services
doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions
raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle
on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des person-
nes » (art. L. 421-3). La directive de 1985 énonce aussi une responsabilité de
plein droit, contrats et délits confondus, pesant sur le fabricant des produits défec-
tueux causant un dommage aux personnes ou aux biens (la simple indication
d’une inaptitude à l’usage convenu est insuffisante)39. Elle exclut celle de l’inter-
médiaire, soumise au droit commun de la responsabilité pour faute40.
Le produit peut être corporel ou incorporel (par ex. un programme informatique infecté d’un
virus) ; on peut alors remonter la chaîne des responsables jusqu’à son concepteur. Lorsqu’il s’agit
d’un produit de santé, le professionnel qui s’en sert (hôpital, médecin) en est aussi responsable41.
En matière de produits agro-alimentaires, une autre directive (2002) pose un certain nombre
d’obligations, tendant à assurer leur « traçabilité »42. Peu importe que les règles de l’art aient a
priori été respectées (art. 1245-9, ancien art. 1386-10). La loi « Touraine » du 26 janvier 2016
organise une action de groupe permettant à une association agréée d’obtenir une indemnisation
générale pour des victimes de produits de santé au titre de leur dommage corporel (CSP, art.
L. 1143-1 et s.)43.
Cette responsabilité n’empêche pas l’acheteur d’être prudent, spécialement lorsque l’embal-
lage du produit comporte un mode d’emploi et des mises en garde, à peine d’un partage de
responsabilités (art. 1245-12, ancien art. 1386-13)44. En revanche, le fait du tiers est indifférent
(art. 1245-13, ancien art. 1386-14)45 sauf s’il est complètement imprévisible (art. 1245-10,
ancien art. 1386-11) ; doivent être établis le défaut du produit46 et le rapport de causalité avec le
38. Jurisprudence constante. Ex. : * Cass. civ. 1re, 17 janvier 1995, sté Planet-Wattohm, Bull. civ. I,
no 43 ; D. 1995.350, n. P. Jourdain : « Le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts
de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les
biens ; il en est responsable tant à l’égard des tiers que de son acquéreur ».
39. Biblio. : « La responsabilité du fait des produits défectueux, trente ans après la directive », dos-
sier spécial, dir. DURRY et alii, Resp. civ. Assur. 2016, nos 1 à 15.
40. Ex. : Cass. civ. 1re, 12 juillet 2012, no 11-17. 510, Bull. civ. I no 165 ; RDC 2013. 111, obs.
G. Viney : le chirurgien prothésiste n’est pas soumis à ce régime, mais au droit commun de la respon-
sabilité pour faute.
41. CJCE, 10 mai 2001, D. 2001.3065, n. P. Kayser ; RTD civ. 2001.898, obs. P. Jourdain et 988,
obs. J. Raynard ; JCP G 2002.II.10 141, n. H. Gaumont-Prat (injection d’un liquide de perfusion défec-
tueux) ; Cass. civ. 1re, 24 janvier 2006, 2e esp., Bull. civ. I, no 35 ; JCP G 2006.II.10082, n. L. Grynbaum.
42. J.P. BUGNICOURT, F. COLLART-DUTILLEUL et J.-S. BORGHETTI, « Le droit civil de la responsabilité à
l’épreuve du droit spécial de l’alimentation », D. 2010. 1099.
43. K. HAERI et B. JAVAUX, D. 2016. 330 ; S. ARAMNI-MEKKI, JCP G 2016, 146.
44. La Cour de cassation est exigeante pour admettre cette exonération : Cass. civ. 1re, 7 novembre
2006, Bull. civ. I, no 467 ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. nos 60, n. G. Raymond et 64,
n. L. Leveneur ; RTD civ. 2007.139, obs. P. Jourdain ; RDC 2007.312, obs. J.-S. Borghetti : en l’espèce,
faisant des travaux de cimenterie pour son usage personnel, un particulier avait été brûlé par le ciment
qu’il avait acheté ; le fabricant de béton en a été déclaré responsable en raison d’une information
insuffisante ; jugé que la faute de la victime (pendant une heure après l’apparition du dommage elle
avait continué à porter un pantalon souillé par le ciment) ne constituait pas « la faute exonératoire de
l’art. 1386-13 [devenu art. 1245-12] ».
45. Cass. civ. 1re, 21 juin 2005, Bull. civ. I, no 275 ; D. 2006.565, n. S. Lambert : « l’intervention d’un
tiers n’était pas de nature à exonérer la société fabricante ».
46. Notion que contrôle la Cour de cassation : ex. * Cass. civ. 1re, 24 janvier 2006, sté Aventis-Pasteur,
Bull. civ. I, no 33 ; D. 2006.1273, n. L. Neyret ; JCP G 2006.II.10082, n. L. Grynbaum ; RDC 2006.841,
obs. J.-B. Borghetti ; en l’espèce, la cour d’appel avait insuffisamment motivé « le caractère défectueux
du vaccin litigieux », le déduisant du seul fait que la notice mentionnait un effet secondaire nocif, fût-ce
« très rarement ». Cassation. Selon L. Grynbaum, n. préc., il s’agissait plutôt d’un rapport de causalité : le
caractère défectueux du vaccin ne résultant pas du seul fait qu’il avait causé un dommage.
256 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
dommage47 (art. 1245-8, ancien art. 1386-9), ce qui suscite une jurisprudence abondante et cir-
constanciée, notamment pour les dommages causés par des médicaments ; la jurisprudence a
imposé à ces producteurs une nouvelle obligation qu’elle appelle « une obligation de
vigilance »48.
Lorsque le produit est complexe, les deux producteurs (du composant et de l’en-
semble) sont solidairement responsables (art. 1245-7, ancien art. 1386-8), sauf si
le sous-traitant prouve que le défaut n’est pas de son fait (art. 1245-10, ancien
art. 1386-11). Les constructeurs sont exclus du champ d’application de la loi
(art. 1245-5, ancien art. 1386-6), étant soumis à un régime propre (art. 1792 et s.,
1646-1)49.
La victime a une option entre ce droit spécial (art. 1245-17) et le droit commun,
qui ne sera bientôt qu’extra-contractuel (futur art. 1233) en cas de dommage
corporel.
397. 4º Produits nouveaux. – Les hésitations sont plus grandes lorsqu’il s’agit de produits
nouveaux, ceux qui comportent une innovation technique. On avait un moment soutenu que
le vendeur ne saurait être tenu de garantir qu’un produit nouveau n’entraînerait pas de consé-
quences dommageables portant atteinte à la sécurité des personnes, à peine d’entraver le pro-
grès technique : l’acheteur savait qu’il prenait des risques. Désormais, il est acquis que le ven-
deur a une obligation spéciale d’information tendant à instruire l’utilisateur du mode d’emploi et
des dangers de la chose50.
47. Ex. : * Cass. civ. 1re, 24 janvier 2006, Institut Pasteur, Bull. civ. I, no 34 ; JPC G, 2006.I.166, no 5,
obs. Ph. Stoffel-Munck et II.10082, 3e esp., n. L. Grynbaum ; RTD civ. 2006.323, obs. P. Jourdain : en
espèce, il s’agissait d’une hormone de croissance administrée à un patient décédé de la maladie
de Creutzfeld-Jacob ; la causalité avait été établie, en l’espèce, du fait de la faute : « le rapport
de M. Montagnier (autorité médicale spécialiste de l’hormone de croissance) avait souligné, dès 1980
(bien avant les faits de l’espèce), la nécessité impérative de prendre toutes les précautions dans l’extra-
ction, la purification et la composition des hormones de croissance et malgré ce rapport, les précau-
tions recommandées n’avaient pas été suivies d’effet ». Le rapport de causalité est souvent établi par
un faisceau d’indices et le recours aux « présomptions graves, précises et concordantes » : ex. :
Cass. civ. 1re, 10 juillet 2013, no 12-21314, Bull. civ. I no 157 ; D. 2013. 2306, avis C. Mellottée, n.
Ph. Brun et J.S. Borghetti (lien entre des vaccinations contre l’hépatite B et l’apparition d’une sclérose
en plaques). La Cour de cassation a décidé d’un renvoi préjudiciel à la CJUE sur ces questions de
preuve : Cass. civ. 1re, 12 novembre 2015, nº 14-18118, Bull. civ. I à paraître ; JCP G 2016, 8, obs.
G. Viney.
48. Cass. civ. 1re, 7 mars 2006, Bull. civ. I, no 143 ; RDC 2006.844, obs. J.-B. Borghetti : « la cour
d’appel qui a constaté qu’en 1968, en présence de la littérature scientifique faisant état dès les années
1953-1954 de la survenance de cancers très divers et compte tenu d’expériences animales qui démon-
traient que le risque cancérigène était connu, a pu en déduire que cette société (un fabricant pharma-
ceutique) avait ainsi manqué à son obligation de vigilance ».
49. Sur les difficultés d’application à leur sujet, v. Ph. MALINVAUD, D. 1999, chron. 85.
50. Ex. : Cass. civ. 1re, 7 novembre 2006, préc. : le fabricant de béton aurait dû prévenir ses ache-
teurs qu’ils devaient porter des vêtements de protection, afin d’éviter tout contact avec la peau, sous
peine d’allergies ou de brûlures, et laver immédiatement les zones exposées ; Cass. civ. 1re, 9 juillet
2009, Bull. civ. I, no 176 ; JCP G 2009, 308, 2e esp., chron. P. Sargos : la notice d’information du médi-
cament ne reproduisait pas la liste des effets secondaires, qu’on trouvait dans le Dictionnaire Vidal.
51. Ex. : dans les années 1950, le caractère radioactif d’un produit paraissait être une qualité (ex. : le
caractère phosphorescent des aiguilles et des chiffres d’une montre) ; aujourd’hui, on y voit une nui-
sance.
CONDITIONS DE LA GARANTIE LÉGALE 257
défaut existe et a bien provoqué un dommage, mais une sorte d’excuse civile52. Comme toute
exception, elle est d’interprétation stricte53.
399. Antériorité à la vente. – Le vendeur n’est pas garant des vices qui ne se
rattachent pas à la vente, ce qui est à la fois négatif et positif.
1º D’une part, pour faire naître la garantie, le vice doit être antérieur à la vente54
ou plus exactement au transfert de propriété qui, dans les ventes de choses de
genre, résulte généralement de la livraison ; il suffit que le vice soit alors en
germe, comme le sont la pourriture dans un produit naturel, des charançons
dans le blé55 ou une paille dans l’acier ; la pourriture, le charançon et la paille
existaient avant la vente et n’ont produit leurs effets qu’après. Le vendeur ne
garantit pas seulement les vices qui lui sont imputables ; il doit garantir aussi que
la chose est apte à l’usage prévu, même si le vice est dû à un tiers ; il a alors un
recours contre le tiers.
2º D’autre part, lorsqu’il y a utilisation défectueuse de la chose, le vice n’est pas imputable à
la vente, mais à l’acquéreur. Il en est de même si la chose est utilisée d’une manière qui n’est pas
conforme à son usage habituel56, sauf si l’acheteur s’en était convenu avec le vendeur.
3º Pas davantage, la garantie du vendeur n’est engagée en cas d’usure tenant à l’utilisation
prolongée57. Le vice est alors imputable non au vendeur, mais au temps. De surcroît, la chose
a rempli son usage normal. Il n’y a pas non plus de garantie lorsque le vice est imputable à
l’acquéreur58.
En outre, l’exercice de la garantie est soumis à des conditions particulières.
SECTION II
CONDITIONS D’EXERCICE
Les conditions d’exercice relatives à la garantie des vices cachés sont de deux
ordres : le délai (§ 1), qui soulève plus de difficultés que la preuve (§ 2).
52. Chr. LARROUMET, « La notion de risque de développement, risque du XXIe siècle », in Clés pour le
siècle, Dalloz, 2000, p. 1589 et s.
53. CJCE, 10 mai 2001, préc.
54. Ex. : Cass. com., 8 juillet 1981, Bull. civ. IV, no 316 : « La société Geem ne faisait pas la preuve
que le dommage était dû à un vice caché antérieur à la vente ». Sur la preuve : infra, no 401.
55. Req., 8 mars 1892, DP 1892.I.204. « Les charançons n’étaient alors dans les grains de blé qu’à
l’état rudimentaire [...] ; cet état de la marchandise constituait un vice caché, engageant la responsa-
bilité des vendeurs ».
56. Cass. civ. 1re, 8 avril 1986, RTD civ. 1987.557, obs. J. Huet ; n.p.B. : « Il n’y a pas de relation
directe entre la vente d’un objet et l’utilisation aberrante qui peut en être faite ». Jugé qu’une société
fabricant des pétards n’était pas responsable de l’incendie d’une usine consécutif au jet d’un pétard
dans la cheminée de cette usine par un enfant.
57. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 décembre 1973, Bull. civ. I, no 337 : après l’usage d’une bouteille de gaz
pendant dix-huit ans, celle-ci explosa ; jugé que le vice de la chose n’était pas imputable à la vente :
« La preuve du lien de causalité entre le vice originaire de la chose et le dommage n’était pas établie ».
58. Cass. civ. 1re, 22 janvier 1991, Bull. civ. I, no 30 : vente de produits cosmétiques et d’hygiène
corporelle ; jugé que le fabricant et le vendeur ne doivent pas la garantie de l’affection due aux carac-
téristiques propres à l’utilisateur.
258 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 1. DÉLAI
400. Deux ans. – Depuis l’ordonnance du 17 février 2005 (art. 3), le délai de recevabilité
pendant lequel l’action doit être exercée, prévu par l’article 1648, est de deux ans à compter
de la découverte du vice ; l’expiration du délai fait perdre l’action et l’exception. Dans sa rédac-
tion antérieure (1804), le Code disposait que l’action résultant des vices rédhibitoires devait être
exercée « dans un bref délai » (ancien art. 1648), qu’elle n’avait pas fixé, sauf en certaines
hypothèses59. Seul cas dans le Code Napoléon, où la loi, ni ne chiffrait la durée d’une prescrip-
tion, ni n’en déterminait le point de départ et laissait faire le juge. La souplesse légale s’expli-
quait par la diversité des situations dans lesquelles la garantie était en cause : les choses, n’étant
pas toutes les mêmes, ne devaient pas toutes être traitées de la même manière. Elle avait pour
rançon un contentieux considérable.
Le point de départ du délai est la découverte effective du vice60 qui peut résulter
d’un rapport d’expertise, faisant suite à une mesure d’instruction in futurum (CPC,
art. 145)61 ; ce peut être aussi le jour où l’acheteur a découvert ou aurait dû
découvrir le vice, du fait du mauvais fonctionnement et où il s’est manifesté ou
aurait dû le faire auprès du vendeur. Ce qui peut donner un point de départ assez
incertain (dans le sillage du droit commun de la prescription extinctive, où le
point de départ est « le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaî-
tre les faits lui permettant de l’exercer [l’action en justice] », art. 2224). L’essentiel
est que l’acheteur ait démontré sa diligence. Il faut ensuite une action en justice :
une réclamation amiable serait inefficace. Le délai pour agir étant bref, l’arti-
cle 1648 ne saurait s’interpréter largement, au profit de l’acheteur.
Le délai butoir du droit commun s’applique à l’action en garantie : vingt ans « à compter de la
naissance du droit » (art. 2232), c’est-à-dire du jour du contrat. Dans les ventes aux consomma-
teurs, le délai est également de deux ans mais court de la délivrance ; le consommateur est
moins bien traité que l’acheteur ordinaire ; cependant il pourra opter pour le délai du Code
civil. Et même si lui ou son avocat n’y pense pas, le juge pourrait le faire d’office à leur
place62.
59. Ex. : Vente de... navires (L. 3 janv. 1967, art. 8)... immeubles à construire (art. 1648, al. 2, réd.
L. 7 juill. 1967)... machines dangereuses pour les ouvriers (C. trav., art. L. 4411-7) : délai d’un an ; ...
animaux domestiques : supra, no 384. Le « chiffrage » du délai ne fera probablement pas disparaître les
difficultés. Ex. : pour un navire : le point de départ est-il le rapport d’expertise ? Oui. (Cass. com.,
27 nov. 1973, Bull. civ. IV, no 344 ; JCP G 1974.II.17887, 1re esp., n. Ph. Malinvaud ; RTD com.
1975.1011, obs. du Pontavice). La nature de la défaillance commande la durée du délai : ex. : « l’in-
suffisance de vitesse est un vice apparent et constitue donc un défaut de conformité » : Cass. com.,
27 avril 1979, Bull. civ. IV, no 132 ; la prescription est de cinq ans.
60. Biblio. : J. KLEIN, Le point de départ de la prescription, Economica 2013. Ex. : vente... d’un tau-
reau reproducteur : le délai court du jour où l’acheteur s’aperçoit que l’animal ne peut accomplir de
saillie : Cass. civ. 1re, 30 janvier 1967, JCP G 1967.II.15025 ; n.p.B. ; ... d’une machine : le délai court
du jour où sont apparus des inconvénients dans son fonctionnement : Cass. com., 18 février 1974,
JCP G 1974.II.17798 ; n.p.B. La découverte du vice peut être éloignée du jour de l’achat :
Cass. civ. 3e, 2 février 1999, Contrats, conc. consom. 1999, comm. no 71, n. L. Leveneur ; n.p.B. ; en
l’espèce, l’achat de fenêtres à double vitrage avait eu lieu en décembre 1982 ; l’acheteur avait assigné
en 1992 ; la cour d’appel avait jugé l’action irrecevable parce qu’exercée tardivement ; cassation : elle
aurait dû « rechercher la date à laquelle le vice s’était révélé à l’acquéreur ».
61. Le rapport d’expertise est le point de départ habituel lorsque le vice est technique : ex. :
Cass. civ. 1re, 11 janvier 1989, Bull. civ. I, no 12 ; Defrénois 1989, article 34595, no 103, obs.
G. Vermelle (automobile) ; RTD com. 1989.711, obs. B. Bouloc. Lorsqu’il y a un désaccord entre les
experts amiablement choisis (l’un estimant que le vice avait pour cause la mauvaise utilisation de la
chose, l’autre une réparation défectueuse antérieure), le point de départ du délai est le dépôt du rap-
port de l’expert officieux, si c’est lui qui a permis à l’acquéreur de découvrir le vice : Cass. civ. 1re,
19 mars 1991, Bull. civ. I, no 101.
62. La Cour de cassation reste assez conservatrice sur ce point : Cass. Ass. plén., 21 décembre 2007,
motifs, Bull. Ass. plén.., no 10 ; RTD civ. 2008. 317, obs. P.Y. Gautier.
CONDITIONS DE LA GARANTIE LÉGALE 259
Lorsque le délai est interrompu, notamment par une action en référé expertise,
un délai de même durée se met à courir (art. 2231). En rupture avec le droit anté-
rieur, il n’y a plus « d’interversion » par retour à la prescription de droit commun.
Celui qui oppose la fin de non-recevoir de la prescription doit se justifier63.
§ 2. PREUVE
Trois preuves doivent être faites : du vice, de son origine et de son caractère
occulte. De plus, pour l’obtention de dommages-intérêts, il faut démontrer la
connaissance du vice par le vendeur. En général, non toujours, la preuve incombe
à l’acheteur.
63. Cass. civ. 3e, 9 févr. 2011, no 10-11573, Bull. civ. III, no 23 ; RDC 2012.125, obs. Pimont (date de
connaissance du vice par l’acheteur). En effet, la prescription est une fin de non-recevoir (CPC,
art. 122), de sorte que la charge de la preuve doit normalement peser sur le défendeur, même si l’ache-
teur seul connaît le moment de la découverte du vice. Le juge va surtout raisonner en termes de pro-
babilités et de présomptions de l’homme, précises et concordantes.
64. Cass. com., 25 octobre 1961, Bull. civ. III, no 380 ; D. 1962.290 ; Gaz. Pal. 1961.I.32 : « La maté-
rialité des livraisons étant reconnue et (l’acheteur) ayant utilisé et conservé la marchandise, il lui incom-
bait d’en payer le prix, sauf à lui à prouver qu’elle était atteinte de vices qui la rendaient impropre à
l’usage auquel elle était destinée ».
65. Ex. : Cass. civ. 1re, 15 janvier 1976, Bull. civ. I, no 22 : « la reprise des plants (de thuyas) a échoué
dans des proportions anormales ; il ne résulte pas de cette constatation que lesdits plants étaient
atteints d’un vice les rendant impropres à l’usage auquel ils étaient destinés ».
66. Ex. : Cass. civ. 1re, 21 juillet 1987, Bull. civ. I, no 250. En l’espèce, une automobile neuve est
vendue ; après quelques mois d’utilisation normale, le moteur s’enflamme : « Ce feu avait pris nais-
sance dans le carburateur ou à sa périphérie immédiate [...] ; la personne qui avait loué ce véhicule
(location-vente) avait satisfait à son obligation contractuelle d’entretien et une intervention étrangère
sur l’automobile ou une mauvaise utilisation n’était pas prouvée » ; la cour d’appel « a pu en déduire
que le sinistre révélait nécessairement un vice de construction ou un défaut de matière entraînant la
garantie du fabricant vendeur et n’a pas méconnu les règles sur la charge de la preuve ».
67. Jurisprudence souvent réitérée ; ex : Cass. civ. 1re, 24 septembre 2009, no 08-16097, Bull. civ. I,
no 185 ; D. 2009. 2426, n. I. Gallmeister : après une vaccination contre l’hépatite B, deux ans plus tard,
n’est apparue une sclérose en plaques ; le patient n’a pas prouvé que le vice avait la vaccination pour
origine : le fabricant n’est donc pas responsable ; infra, no 414.
68. Cass. com., 1er avril 1997, D. Aff. 1997.632 ; n.p.B. : le vendeur avait changé une première fois
la pièce défectueuse à ses frais : « Cette attitude, en l’absence d’éléments contraires, établit l’existence
d’un vice caché ».
69. Cass. civ. 1re, 15 juillet 1999, Bull. civ. I, no 252 : « la cour d’appel, ayant relevé que des graines
de même provenance avaient eu des résultats complètement différents dans le Maine-et-Loire et sur les
parcelles litigieuses, ce qui tendrait à confirmer l’influence des facteurs climatiques régionaux retenus
par l’expert sans que la mauvaise qualité des graines elles-mêmes puisse être retenue, a souveraine-
ment déduit de ces constatations l’absence de vice caché ».
260 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
70. Ex. : Cass. com., 18 janvier 1984, Bull. civ. IV, no 26 ; en l’espère, une cuve pour produits pétro-
liers comportait des fissures ; les causes n’en avaient pas été déterminées ; jugé par la cour d’appel que
le vendeur était garant de ce vice caché ; cassation : « sans relever aucune circonstance établissant que
le vice allégué était antérieur à la vente, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
71. Cass. civ. 1re, 27 mars 1980, Bull. civ. I, no 107 : « Vice caché résultant du fait qu’une bielle avait
“coulé” dans les jours qui ont suivi l’achat de la voiture ».
72. Cass. civ. 1re, 15 juillet 1999, Contrats, conc. consom. 1999, comm. no 175, n. L. Leveneur ;
n.p.B. : camion « peu ancien, bien entretenu, etc. », dont « l’incendie révélait nécessairement l’exis-
tence d’un vice caché, qui ne pouvait être qu’un vice de construction ».
73. Cette présomption est d’ordre public : CJUE, 4 juin 2015 préc., supra nº 317.
74. Cass. civ. 1re, 21 juillet 1970, Bull. civ. I, no 249 ; en l’espèce, la sté Fly-Tox avait vendu des sacs
d’occasion qui avaient contenu des produits herbicides ; ces sacs firent l’objet de ventes successives ;
un marchand d’engrais les acquît, et les livra remplis de ses produits à des clients cultivateurs lesquels,
constatant des dégâts à leurs cultures, agirent contre lui, qui se retourna contre le vendeur initial, la sté
Fly-Tox ; jugé qu’elle n’était pas responsable, ayant informé « l’acquéreur originaire du danger que
présentaient [...] ces emballages ».
75. Cass. civ. 3e, 26 février 2003, cité supra, no 390.
76. La modicité du prix permet parfois de présumer la connaissance du vice par l’acheteur : Ex. :
Cass. civ. 1re, 13 mai 1981, Bull. civ. I, no 165 : « L’acheteur avait donc dû se douter que la voiture
qu’il achetait n’était pas en très bon état ».
77. Supra, no 393.
n CHAPITRE II n
EFFETS DE LA GARANTIE LÉGALE
Les effets de la garantie légale doivent être examinés d’abord dans le cas simple
des relations entre acquéreur et vendeur (Section I), et dans celui, plus complexe,
de ventes successives où l’action est exercée par un sous-acquéreur contre le
fabricant (Section II) ; puis, dans le cas encore plus complexe, où l’action, après
avoir été exercée par l’ultime acquéreur contre son propre vendeur, entraîne une
action récursoire de ce dernier contre le fabricant-vendeur initial (Section III) et
enfin lorsque l’action est exercée par une personne complètement étrangère au
contrat (Section IV).
Le débiteur de la garantie est le vendeur ou, exceptionnellement, celui qui se
présente comme tel, même s’il n’est en réalité que le représentant du
propriétaire1.
SECTION I
RELATIONS ENTRE ACQUÉREUR ET VENDEUR
1. Cass. civ. 1re, 18 décembre 2014, nº 13-23868, npB, RDC 2015. 489, obs. A. Danis-Fâtome : le
garagiste, vendant le bien sur une plate-forme Internet, doit se comporter « comme le vendeur du véhi-
cule ».
2. Étymologie de rédhibitoire : du latin res, rei + habeo, ere = reprendre la chose. D’estimatoire : du
latin aestimo, are = fixer le prix ou la valeur de, lui-même, peut-être dérivé du grec eis + temos = celui
qui coupe le bronze (la monnaie).
3. 1o) La résolution doit porter sur l’objet de la vente : Cass. civ. 1re, 6 février 1996, Bull. civ. I, no 63 :
jugé que si la vente portait sur un ensemble routier constitué d’un tracteur et d’une demi-remorque,
seule affectée d’un défaut, la résolution devait avoir le même objet (l’ensemble routier). 2o) L’acqué-
reur ne peut exercer l’action rédhibitoire s’il ne peut restituer la chose. Ex. : Cass. civ. 1re, 12 janvier
1994, Bull. civ. I, no 23 ; RTD civ. 1994.878, obs. P.-Y. Gautier : « La cour d’appel qui constate que la
perte du véhicule vendu, imputable à la négligence de l’acquéreur, rendait impossible sa restitution au
vendeur, en a justement déduit que la résolution de la vente ne pouvait pas être prononcée ». Mais « la
262 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
perte de la chose, si elle faisait obstacle à la résolution de la vente, ne privait pas l’acquéreur du droit
de réclamer des dommages-intérêts au vendeur qui connaissait les vices ».
4. Ex. : Cass. civ. 1re, 19 février 2014, no 12-15520, Bull. civ. I nº 26 ; D. 2014.642, n. S. Pellet ; RDC
2014. 358, obs. E. Savaux, 374, obs. O. Deshayes et 641, obs. J. Le Bourg (restitution quatre ans après
la vente, peu importe l’usure) ; Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, 2 espèces, Bull. civ. I, nos 171 et 172 ; D.
2006.1869, n. C. Montfort ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 130, n. L. Leveneur ; RDC
2006.1140, obs. crit. Ph. Brun et 1230, obs. G. Viney : « en matière de garantie des vices cachés,
lorsque l’acquéreur exerce l’action rédhibitoire prévue par l’article 1644, le vendeur, tenu de restituer
le prix reçu, n’est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l’utilisation de la chose vendue ou à l’usure
résultant de cette utilisation ». Dans un arrêt du même jour, Bull. civ. I, no 165 ; Contrats, conc.
consom. 2006, comm. no 130, 2e esp., n. L. Leveneur ; la même chambre a décidé le contraire pour
le défaut de conformité : « si l’effet rétroactif de la résolution d’une vente pour défaut de conformité
permet au vendeur de réclamer à l’acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par
la chose en raison de l’utilisation que ce dernier en a faite, il incombe au vendeur de rapporter la
preuve de l’existence et de l’étendue de cette dépréciation ». La distinction ainsi affirmée entre vice
caché et défaut de conformité est contraire à l’évolution contemporaine ; elle est d’inspiration commu-
nautaire et n’a aucun fondement rationnel (v. les obs. préc. de Ph. Brun et de G. Viney). La chambre
commerciale a pris à son tour parti pour l’absence d’indemnité : Cass. com., 22 mai 2012, no 11-
13086, Bull. civ. IV, no 109.
5. Ex. : Cass. civ. 3e, 1er février 2006, Bull. civ. III, no 22 ; D. 2006.1213, n. L. Eyrignac ;
JCP 2006.II.10070, n. F. Rouvière ; Defrénois 2006.651, n. crit. E. Savaux : remboursement des travaux
effectués pour mettre le bien en conformité, même si la chose fût-elle viciée, vaut selon l’expert, plus
que le prix payé (« l’action estimatoire permet de replacer l’acheteur dans la situation où il se serait
trouvé si la chose vendue n’avait pas été atteinte de vices cachés ») ; Cass. civ. 3e, 19 avril 2000,
Bull. civ. III, no 87 ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 125, n. L. Leveneur ; Defrénois 2000.
1175, obs. A. Bénabent ; en l’espèce, l’immeuble acheté présentait des nuisances sonores anormales ;
leur suppression aurait coûté plus que le prix de l’immeuble ; l’acheteur décida de garder la chose, la
cour d’appel lui accorda une « indemnité [...] correspondant au prix de vente de l’immeuble ». Cassa-
tion : « lorsque l’acquéreur conserve la chose vendue, il n’a droit de se faire rendre qu’une partie du
prix ». V. égal. Cass. civ. 1re, 6 avril 2016, nº 15-12402, Bull. civ. I, à paraître ; RTD civ. 2016, no 3,
obs. P.-Y. Gautier : cassation de l’arrêt qui a condamné à plus que la restitution partielle du prix (ins-
tallation d’un nouveau moteur de bateau). La solution est différente lorsque le vendeur est de mauvaise
foi ou est un professionnel, parce qu’il peut être condamné à des dommages-intérêts.
6. Eux seuls ; le juge ne pouvant les substituer : Cass. civ. 3e, 10 novembre 1999, Bull. civ. III,
no 217 ; mais il n’a pas à suivre les experts, n’étant pas lié par leurs conclusions : Cass. civ. 3e,
1er février 2006, préc. : « la réduction du prix devait être arbitrée par experts ». Ce n’est pas non plus
à l’acheteur de le faire : Cass. civ. 1re, 3 mai 2006, Bull. civ. I, no 216.
7. Le vendeur occasionnel de bonne foi n’est pas tenu de dommages-intérêts (art. 1645, a contra-
rio) : * Cass. civ. 1re, 4 février 1963, Entreprise moderne de canalisations, supra, no 308 : « Le vendeur
qui ignore l’existence d’un vice de la chose n’est tenu qu’à la restitution du prix et des frais de la vente,
sans devoir garantir l’acheteur des conséquences du dommage causé par ce vice ».
8. Ex. : Cass. civ., 11 avril 1933, DH 1933.331 : « Le droit de demander, en cas de vices cachés de
la chose vendue, soit la résolution de la vente, soit une réduction du prix, n’exclut pas, alors d’ailleurs
que le vendeur a eu connaissance du vice au moment de la vente, la faculté pour l’acheteur d’en
demander la réparation en conservant la chose, ou par voie d’équivalence, des dommages-intérêts ;
cette faculté résulte du principe même duquel s’est inspiré l’article 1645 ».
EFFETS DE LA GARANTIE LÉGALE 263
L’acheteur a en droit commun un libre choix entre les actions rédhibitoire et estimatoire9 ; il
peut réclamer la réparation ou la résolution avec dommages-intérêts10 ; mais peut toujours
demander le remplacement ou la réparation, en application du droit commun, par une exécu-
tion en nature. Son choix lie le juge11. Dans le droit de la consommation aussi, « l’acheteur choi-
sit entre la réparation et le remplacement du bien » (C. consom., art. L. 217-9), mais en respec-
tant la hiérarchie des remèdes : résoudre s’il n’est pas possible de réparer12. Dans les relations
entre vendeur professionnel et acquéreur profane, aucune clause ne peut écarter ni limiter ce
choix13. La faute de l’acheteur ne le prive pas de son option14.
Il reste à savoir comment ces choix s’articuleront avec les nouveaux articles 1217 et suivants.
L’acheteur peut encore exercer une action autonome, en vue de l’indemnisation de son
dommage15. La remise en état de la chose ne met pas obstacle à l’indemnisation16.
9. Lorsque la chose vendue a disparu par cas fortuit, l’acheteur perd l’action rédhibitoire, puisqu’il
ne peut plus rendre la chose ; l’action estimatoire demeure : Cass. civ. 1re, 3 décembre 1996,
Bull. civ. I, no 441 ; Contrats, conc. consom. 1997, comm. no 44, n. L. Leveneur.
10. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 1re, 23 mai 1995, Bull. civ. I, no 216 ; D. 1996, somm.,
14, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 1996.191, obs. P.-Y. Gautier : « L’acheteur (d’une chose atteinte
d’un vice caché) a le choix, qu’il exerce sans avoir à le justifier, entre les options offertes par l’arti-
cle 1644 » ; en l’espèce, pourtant, le coût de la réparation était modique ; jugé que l’acheteur pouvait
exiger la résolution. Cependant, s’il a exprimé une demande principale rédhibitoire et accessoire, esti-
matoire, le juge peut alors, en fonction de l’espèce, ne faire droit qu’à la seconde : Cass. civ. 3e, 25 juin
2014, nº 13-17254, Bull. civ. III, nº 92 ; RTD civ. 2014. 902, obs. P.-Y. Gautier ; JCP G 2014, 1035,
n. J. Dubarry. En outre, il peut parfois être tenu compte des réparations : Cass. civ. 1re, 2 décembre
1997, Bull. civ. I, no 351 ; D. Aff. 1998.104 ; RTD civ. 1998.397, obs. P.-Y. Gautier (action en résolu-
tion introduite après réparation par le vendeur) : « Les défauts affectant cet instrument ne le rendaient
plus impropre à l’usage auquel il était destiné ».
11. Cass. civ. 3e, 20 octobre 2010, no 09-16788, Bull. civ. III, no 191 ; Contrats, conc. consom. 2011,
no 2, n. L. Leveneur ; JCP G 2011.63, no 13, obs. P. Grosser ; RTD civ. 2011.141, obs. P.-Y. Gautier ;
RDC 2011.521, obs. Ph. Brun : « le choix entre l’action estimatoire et l’action rédhibitoire appartient
à l’acheteur et non au juge qui n’a pas à motiver sa décision sur ce point » (nuisances acoustiques et
infiltrations dans un appartement acheté).
12. L. GAUDIN, « Regards dubitatifs sur l’effectivité des remèdes offerts au consommateur en cas de
défaut de conformité de la chose vendue », D. 2008.631 ; P.-Y. GAUTIER, obs. RDC 2005.925.
13. Ex. : Cass. civ. 1re, 5 mai 1982, Bull. civ. I, no 163 ; D. 1983, IR, 478, obs. Chr. Larroumet : « La
clause litigieuse en obligeant l’acheteur à accepter le remplacement de la chose reconnue atteinte
d’un vice caché exclut par là même qu’il puisse choisir la restitution plutôt que la diminution de prix » ;
cette clause est donc nulle.
14. Cass. civ. 1re, 11 février 1997, D. 1997.535, n. Cl. Mouloungui ; n.p.B. ; l’acheteur qui « a exces-
sivement fait jouer le démarreur de la voiture, provoquant son incendie, compte tenu d’un vice
caché », (caractère défectueux du dispositif d’allumage) : jugé que devait être maintenue la garantie
des vices cachés. L’arrêt ne précise pas si la responsabilité a été totale ou partielle.
15. Jurisprudence plusieurs fois réitérée depuis : ex. : Cass. civ. 3e, 24 juin 2015, nº 14-15205,
Bull. civ. III à paraître ; D. 2015. 1939, n. B. Waltz-Teracol ; JCP G 2015, 1261, n. G. Virassamy (action
d’un syndicat de copropriétaires, ayant qualité pour agir en raison d’un vice caché affectant les parties
communes de l’immeuble vendu par lots) ; * Cass. com., 19 juin 2012, no 11-13176, Société Ram-
baud, Bull. civ. IV, no 132 ; JCP G 2012, 963, avis L. Le Mesle ; RTD civ. 2012. 741, obs. P.Y. Gautier,
Contrats, conc. consom. 2012, no 227, n. L. Leveneur, RDC 2013. 101, obs. J.-S. Borghetti (vices
cachés affectant une machine pour produits bitumeux, l’acheteur n’exerce pas d’action rédhibitoire,
ni estimatoire, cassation au visa de l’art. 1645 de l’arrêt qui a rejeté sa demande de réparation).
16. Cass. com., 19 juin 2012, préc.
17. Infra, no 411.
264 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Il ne n’agit pas d’une responsabilité civile, contractuelle ou délictuelle, mais d’une garantie
légale20 ; aussi n’en est pas tenu l’assureur du vendeur, lorsque l’assurance est limitée à la
responsabilité21. Il est contestable de distinguer aussi nettement l’obligation aux dommages-inté-
rêts de la garantie de vices cachés, qui, avait pourtant dit la Cour de cassation en 1933, « résulte
du même principe »22.
18. Cass. civ. 3e, 8 octobre 1997, Bull. civ. III, no 193 ; Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 5,
n. L. Leveneur ; en l’espèce, l’immeuble vendu comportait d’importantes fissures, obligeant à le
reconstruire ; elles étaient ignorées de l’acheteur et connues du vendeur ; la reconstruction était d’un
coût excédant la valeur de l’immeuble ou son prix ; la cour d’appel fit « application d’un abattement
pour vétusté sur le coût de la démolition et de la reconstruction de l’immeuble ». Cassation : le ven-
deur devait payer la totalité de la reconstruction.
19. Cass. civ. 1re, 6 avril 2016, no 15-12402, Bull. civ. I à paraître, RTD civ. 2016, no 3, n. P.-Y. Gautier.
20. * Cass. com., 19 mars 2013, no 11-26566, La Dépêche du Midi, Bull. civ. IV no 45 ; D.
2013 1947, n. A. Hontebeyrie ; JCP G 2013 no 705, n. G. Pillet ; Contrats, conc. consom. 2013, no 129,
n. L. Leveneur ; RDC 2013. 967, obs. J. Le Bourg et C. Quézel-Ambrunaz : « le vice caché, lequel se
définit comme un défaut rendant la chose impropre à sa destination, ne donne pas ouverture à une
action en responsabilité contractuelle, mais à une garantie dont les modalités sont fixées par les
art. 1641 et s. » (donc, les règles sur les clauses limitatives de responsabilité sont hors sujet).
21. Cass. civ. 3e, 13 novembre 2003, Bull. civ. III, no 194 ; RDC 2004, p. 344, obs. crit. Ph. Brun :
« ayant retenu, à bon droit, que la condamnation prononcée contre M. Ramès (un vendeur professionnel),
au titre des coûts des travaux de réparation de l’immeuble, trouvait son fondement non dans les règles de
la responsabilité civile, contractuelle ou délictuelle, mais dans l’obligation légale propre au vendeur de
garantir l’acquéreur des vices cachés de la chose vendue et ayant constaté (que la MSM, l’assureur), ne
garantissant que les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile a pu en déduire que la condam-
nation dont la garantie était demandée était étrangère à l’assurance souscrite auprès de la MSM ».
22. Cass. civ., 11 avril 1933, cité supra.
23. Cass. civ. 3e, 26 avril 2006, Bull. civ. III, no 106 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 155,
n. crit. L. Leveneur ; en l’espèce, un covendeur d’un vieux château avait, avant sa mise à la retraite,
dirigé une entreprise de bâtiments ; avant la vente, il avait fait rénover la charpente du château qui,
après la conclusion du contrat, fut ravagée par des insectes xylophages ; sur l’action en garantie des
vices cachés exercée par l’acheteur, il opposa vainement la clause de non-garantie : « la vente avait
été consentie par des vendeurs dont l’un était un professionnel de la construction immobilière ».
24. Cass. civ. 1re, 30 septembre 2008, Bull. civ. I, no 216 ; Contrats, conc. consom. 2009, comm.
no 4, n. L. Leveneur ; JCP G 2008.IV.2718 ; RDC 2009.111, n. A. Bénabent : « se livrant de façon habi-
tuelle à des opérations d’achat et de revente de véhicules d’occasion dont il tirait profit ».
25. Pour un vendeur professionnel : ** Cass. civ. 1re, 19 janvier 1965, affaire du pain de Pont-Saint-
Esprit, Bull. civ. I, no 52 ; D. 1965.389 : « Le vendeur qui connaissait les vices de la chose, auquel il
convient d’assimiler celui qui par sa profession ne pouvait les ignorer, est tenu, outre la restitution du
prix qu’il a reçu, de tous dommages-intérêts envers l’acheteur ». Il est aussi censé connaître le vice,
alors même que la chose a été directement livrée par le fabricant au client : Cass. civ. 1re, 8 juin 1999,
Bull. civ. I, no 198 ; D. Aff. 1999.1171 : « le vendeur professionnel ne peut ignorer les vices de la chose
vendue, même lorsqu’il a fait procéder à une livraison directe de la chose par le producteur au client ».
Cette présomption n’est pas applicable dans les relations internationales, soumises à la Convention
de Vienne sur la vente : Cass. com., 4 novembre 2014, nº 13-10776, Bull. civ. IV nº 161 ; D. 2015.
902, n. Cl. Witz (achat de sapins par une entreprise française, à un vendeur danois).
EFFETS DE LA GARANTIE LÉGALE 265
413. Vices indécelables. – Ainsi, le fabricant doit vendre une chose dépourvue
de vices et ne peut échapper à cette obligation en prouvant sa bonne foi : par
exemple, en démontrant son absence de faute, son ignorance du vice, parce
que celui-ci était indécelable, même après un examen minutieux de la chose
vendue33. Cette responsabilité objective, indépendante d’une conduite blâmable,
a beaucoup étendu la garantie des vices rédhibitoires.
414. Responsabilité et causalité. – La garantie des vices cachés suppose que soit démontré
le lien de causalité entre le vice et le dommage. La cause étrangère exonère donc le vendeur ou
le fabricant de produits défectueux34. Ce qui cantonne la responsabilité mais soulève les affres
SECTION II
RELATIONS ENTRE SOUS-ACQUÉREUR
ET VENDEUR INITIAL
Les vices cachés mettent en cause les relations entre sous-acquéreur et vendeur
initial dans l’hypothèse suivante : une chose est revendue par son acquéreur, qui,
à son tour, la revend, etc. – ce que l’on appelle souvent les ventes successives de
la même chose ou les chaînes de contrats : la situation est courante dans le com-
merce, où entre le fabricant-vendeur initial et le consommateur-sous-acquéreur
ultime se développe une chaîne d’intermédiaires – grossistes, détaillants – qui
généralement ont acheté pour revendre.
35. Ex. : Vaccination contre l’hépatite B, jurisprudence souvent réitérée ; ex. : Cass civ. 1re, 23 sep-
tembre 2003, Bull. civ. I, no 188 ; D. 2004.898, n. Y.-M. Sérinet et R. Mislawski ; somm. 1344, obs.
D. Mazeaud ; JCP G 2003.II.10179, n. Jonquet, Maillols, Mainguy et Terrier ; 2004.I.101, nos 23 s., obs.
G. Viney ; RTD civ. 2004.101, obs. P. Jourdain ; en l’espèce, Mme X. avait été vaccinée contre l’hépa-
tite B ; quelques mois après, elle fût atteinte de sclérose en plaques ; la cour d’appel déclara respon-
sable le laboratoire ayant fourni le vaccin. Cassation : « Vu les art. 1147 [devenu art. 1231-1] et 1382
[devenu art. 1240] interprétés à la lumière de la directive CE du 25 juillet 1985 ; la responsabilité du
producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du pro-
duit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage [...] ; or, la cour d’appel n’a pas tiré les consé-
quences légales de ses constatations desquelles il résultait que le défaut du vaccin comme le lien de
causalité ne pouvaient être établis ».
36. Jurisprudence plusieurs fois réitérée : ex. vaccination contre l’hépatite B, suivie de troubles neu-
rologiques : Cass. civ. 1re, 9 juillet 2009, no 08-11073, Bull. civ. I no 176 ; D. 2009. 1968,
n. I. Gallmeister : jugé que le laboratoire devait être condamné, car la notice de présentation du pro-
duit était insuffisante et il existait des présomptions graves, précises et concordantes que le vaccin était
à l’origine du dommage (pas d’antécédent familial, aucune autre cause n’apparaissait).
37. Pour un téléviseur, * Cass. civ. 1re, 20 mars 1989, sté Thomson-Brandt, Bull. civ. I, no 137 ; D.
1989.381, n. Ph. Malaurie. En l’espèce, l’implosion d’un téléviseur, acheté huit ans auparavant, avait
causé un incendie ayant ravagé un immeuble ; l’expert n’avait pu déterminer la cause de l’accident ; la
cour d’appel avait déclaré responsable le fabricant qui « n’a pas respecté son obligation de ne mettre
sur le marché que des appareils dont le dynamisme propre ne présente pas de danger ». Cassation :
« Le vendeur professionnel est seulement tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout
défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens. » Pour les domma-
ges causés aux tiers par l’implosion, la responsabilité est délictuelle : Cass. civ. 2e, 30 novembre 1988,
Bull. civ. II, no 240 ; RTD civ. 1989.324, obs. P. Jourdain : jugé que si l’expert constate « que le sinistre
a pour origine un vice caché du téléviseur », se trouve établie « l’antériorité du vice par rapport à la
vente » ; en l’espèce, l’appareil avait été fabriqué sept ans avant l’implosion.
38. Rappr. CJUE, 4 juin 2015, supra nº 332.
EFFETS DE LA GARANTIE LÉGALE 267
39. Jurisprudence constante : Ex. : Cass. civ. 3e, 7 mars 1990, Bull. civ. III, no 72 : « Le sous-acquéreur
est recevable à exercer l’action en garantie des vices cachés contre le vendeur originaire de la chose
atteinte du vice ».
40. Cass. com., 15 mai 1972, Bull. civ. IV, no 144 ; en l’espèce, le fabricant et le vendeur avaient été
condamnés solidairement par la cour d’appel à réparer le dommage causé par les vices cachés de la
chose fabriquée ; pourvoi du fabricant « qui n’a jamais été lié (à l’acquéreur) par un contrat de vente » ;
rejet du pourvoi : « Tout fabricant est tenu de connaître les vices de la chose fabriquée et doit en répa-
rer les conséquences dommageables ».
41. ** Cass. civ. 1re, 9 octobre 1979, sté Lamborghini, Bull. civ. I, no 241 ; Gaz. Pal. 1980.I.249 ; D.
1980, IR, 222, obs. Chr. Larroumet ; RTD civ. 1980.354, obs. appr. G. Durry : « L’action directe dont
dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice
caché affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle » ;
v. cep., pour la Convention de Vienne, Cass. civ. 1re, 5 janvier 1999, société Thermo-King, Bull. civ. I,
no 6 ; D. 1999.383, n. Cl. Witz ; Contrats, conc. consom. 1999, comm. no 53, n. L. Leveneur ; JCP G
2000.I.199, no 19, obs. Viney : cassation de l’arrêt qui n’avait pas caractérisé « l’existence entre (le
fabricant et l’acheteur final) d’un contrat de vente... » L’action directe est désormais prévue par le
nouvel art. 1341-3, qui ne distingue pas selon sa nature.
42. Ex. : Cass. com., 26 mai 2010, no 07-11744, Bull. civ. IV, no 100 ; JCP G 2010 no 849, n. J.J. Bar-
bieri : le fabricant de la chose vendue est en droit d’opposer au sous-acquéreur exerçant une action
contractuelle tous les moyens de défense qu’il pouvait opposer à son propre cocontractant.
43. Cass. civ. 3e, 26 juin 2002, Contrats, conc. consom. 2002, comm. no 173, n. L. Leveneur ; n.p.B.
268 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
plénière a décidé qu’il s’agissait d’une action contractuelle44. Est aussi contractuelle l’action
exercée par l’acquéreur contre l’architecte ou l’entrepreneur avec lequel le vendeur a contracté
(art. 1792, al. 1) : l’action en garantie se transmet avec l’immeuble.
L’avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile modifie l’article 1603 du Code civil
et codifie l’action directe contractuelle.
44. * Cass. Ass. plén., 7 février 1986, sté produits céramiques de l’Anjou, GAJ civ., no 266.
45. Cass. civ. 1re, 20 mai 2010, société Alupharm, cité supra, no 321 (« l’action résolutoire résultant
d’un même défaut de conformité se transmet avec la chose livrée ») ; Cass. com., 17 mai 1982,
Bull. civ. IV, no 182 ; D. 1983, IR, 179, obs. Chr. Larroumet : « l’action directe dont dispose le sous-
acquéreur contre le fabricant ou le vendeur intermédiaire pour la garantie du vice caché affectant la
chose vendue dès sa fabrication est nécessairement de nature contractuelle ».
46. Cass. civ. 1re, 6 juillet 1988, Bull. civ. I, no 231 ; RTD com. 1988.296, obs. B. Bouloc.
47. Seul le vendeur est tenu de restituer le prix, à la suite de la résolution et c’est à lui que la chose sera
rendue (non à son propre vendeur) : Cass. com., 3 février 1998, Bull. civ. IV, no 61 : « en cas de résolution
d’une vente, la restitution du prix reçu par le vendeur est la contrepartie de la remise de la chose par
l’acquéreur et ainsi seul celui auquel la chose est rendue doit restituer à celui-ci le prix qu’il en a reçu ».
48. Cass. civ. 1re, 20 mai 2010, préc. : le vendeur originaire « ne peut être tenu de restituer davan-
tage qu’il n’a reçu ».
49. R. SAVATIER, « Le prétendu principe de la relativité des contrats », RTD civ. 1939.525.
50. R. RODIÈRE, n. sous Aix, 5 octobre 1954, JCP G 1955.II.8548.
51. AUBRY et RAU, t. II, 7e éd., 1961, par P. Esmein, § 176, no 169.
52. G. VINEY, « L’action en responsabilité entre participants à une chaîne de contrats », in Ét. Hol-
leaux, Litec, 1990, p. 399-424 ; P. JOURDAIN, n. JCP G 1988.II.21070, sous Cass. civ. 1re, 8 mars 1988 :
« C’est l’appartenance au groupe qui, ôtant aux responsable et victime leur qualité de tiers, justifierait
une dérogation à l’article 1165 ».
53. Supra et infra, no 756. Rappr. futur art. 1233 C. civ.
54. CJUE, 7 février 2013 ; D. 2013. 1110, n. S. Bollée ; JCP G 2013, no 516, n. Ph. Guez ; RTD civ.
2013. 339, n. P. Remy-Corlay : « le sous-acquéreur et le fabricant doivent être considérés comme n’étant
pas unis par un lien contractuel (de sorte que la première clause attributive de juridiction est inopposable
au tiers sous-acquéreur du bien), sauf s’il est établi que ce tiers a donné son consentement effectif à
l’égard de ladite clause... ». V. appliquant cette jurisprudence européenne : Cass. civ. 1re, 11 septembre
2013, no 09-12442, Bull. civ. I no 162 ; JCP G 2013, 1129, n. C. Nourissat ; Contrats, conc. consom.
2013, no 257, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2013. 839, obs. H. Barbier ; D. 2014. 121, n. D. Mazeaud
EFFETS DE LA GARANTIE LÉGALE 269
SECTION III
ACTIONS RÉCURSOIRES
(inopposabilité de la clause par le fabricant au sous-acquéreur d’un compresseur, dès lors qu’il ne l’a pas
acceptée). Peut-être faut-il distinguer selon que le transfert profite ou nuit au sous-acquéreur.
55. Cass. civ. 1re, 19 janvier 1988, Bull. civ. I, no 20 ; RTD civ. 1988.549, obs. Ph. Rémy : « Si l’action
en garantie se transmet, en principe, avec la chose vendue au sous-acquéreur, le vendeur intermé-
diaire ne perd pas la faculté de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain ».
56. Ex. Cass. civ. 3e, 16 novembre 1988, Bull. civ. III, no 164 : le fait que les acheteurs aient remis en
vente une maison, après avoir connu le vice (des termites), les prive d’une action en garantie contre
leur propre vendeur ; ils sont en effet à l’origine de leur propre dommage. Jurisprudence constante.
57. Ex. : Cass. com., 19 mars 1974, Bull. civ. IV, no 102 ; D. 1975.628, n. Ph. Malinvaud ; JCP G
1975.II.17941, n. J. Ghestin : « L’entrepreneur ne pouvait exercer le recours (en garantie) avant d’avoir
été lui-même assigné par le demandeur principal ».
58. V. Droit des obligations, coll. Droit civil.
59. BONET et GROSS, « La réparation des dommages causés aux constructions par les vices des maté-
riaux », JCP G 1974.I.2602, nos 15 et s.
60. Ex. : Cass. com., 3 mai 1983, Bull. civ. IV, no 131 : le fabricant d’aliments destinés à l’élevage de
veaux, s’il est condamné à des dommages-intérêts en raison de la mauvaise qualité de ces produits, peut
se retourner contre le fournisseur du lait dont la matière grasse avait « une structure défectueuse » (sic).
270 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION IV
ACTION EXERCÉE PAR UN TIERS
61. Ex. * Cass. civ. 1re, 20 mars 1989, sté Thomson-Brandt, supra, no 415 : jugé que les dommages causés
aux tiers par l’incendie résultant de l’implosion d’un téléviseur ne relèvent pas de la responsabilité contractuelle.
62. Ex. : Req., 8 mars 1937, DP 1938.I.76, n. R. Savatier ; S. 1937.I.241, rap. E. Pilon : « Si la dispo-
sition de l’article 1382 [devenu art. 1240] ne peut, en principe, être invoquée pour le règlement d’une
faute commise dans l’exécution d’une obligation contractuelle, elle reprend son empire à l’égard des
tiers étrangers au contrat ». En l’espèce, un accident avait été causé à un tiers ; il était dû à un vice de
fabrication d’une automobile ; jugé que la responsabilité du fabricant de l’automobile était délictuelle.
63. Ex. : Cass. civ. 1re, 23 juin 1971, Bull. civ. I, no 212 ; JCP G 1971.II.16881, 2e esp. : « Le fabricant
n’est tenu à garantie envers le détaillant que s’il est établi que la chose par lui livrée comporte des
défauts ou des vices ayant joué un rôle dans la réalisation du dommage ».
n CHAPITRE III n
GARANTIES CONVENTIONNELLES
SECTION I
CLAUSES RESTRICTIVES
1. Cass. com., 28 juin 1994, Bull. civ. IV, no 248 ; RTD civ. 1995.138, obs. P.-Y. Gautier ; en l’es-
pèce, il s’agissait d’une société de crédit-bail, mais la règle en cause a une portée générale et s’étend
à tous les acheteurs : « Le refus, opposé par la société Bour, du bénéfice de la garantie conventionnelle
ne lui interdisait pas d’invoquer les manquements du vendeur à ses obligations légales ».
2. Ex. : vente d’immeubles : Cass. civ. 3e, 19 octobre 1971, Bull. civ. III, no 498 ; la clause stipulait
que les acquéreurs renonçaient « à tout recours contre leur vendeur pour cause de mauvais état de
la construction » ; la cour d’appel l’avait donc exclue pour des dommages causés à des planchers et à
la charpente par des « capricornes de maison » ; cassation pour dénaturation. Vente de camion :
Cass. com., 8 décembre 1975, Bull. civ. IV, no 297 ; D. 1976, somm., 28 : « en l’état où il se trouvait » ;
jugé que cette clause n’impliquait pas l’exclusion de la garantie des vices cachés.
3. Cass. civ. 3e, 16 janvier 2013, no 11-27101, Bull. civ. III no 4 ; D. 2013. 676, n. O. Sutterlin (obli-
gation légale d’ordre public de remise en état de l’immeuble).
4. Jurisprudence abondante : ex : Cass. civ. 3e, 16 décembre 2009, no 09-10540, Bull. civ. III,
no 288 ; (le vendeur savait qu’il y avait des termites et l’a tu).
5. Cass. civ. 3e, 23 février 1994, D. 1994.524, n. crit. C. Mascala ; n.p.B. : en l’espèce, les domma-
ges (écoulements d’eau) survenus à l’immeuble vendu « avaient été provoqués par l’installation défec-
tueuse et illicite d’un système d’assainissement autonome mis en place par M. Rambure-Lambert (le
vendeur) qui avait fait réaliser les travaux sans consulter la direction départementale des affaires sani-
taires et sociales et sans respecter la réglementation en vigueur, rendant ainsi les désordres prévisi-
bles ». Jugé que la clause de non-garantie ne pouvait produire effet à l’égard des acquéreurs « qui
n’étaient pas des professionnels du bâtiment » et n’avaient pas « une connaissance technique particu-
lière leur permettant de déceler les imperfections et les irrégularités du système d’assainissement ».
6. Supra, no 404. Jurisprudence plusieurs fois réitérée : ex. : Cass. civ. 3e, 6 octobre 2010, n.p.B. ;
Defrénois 2011.76, n. C. Sourzat (le vendeur, « simple particulier », avait réparé les anciens désordres
et croyait de bonne foi qu’ils étaient achevés, la clause exonératoire pouvait s’appliquer).
7. Ainsi, en matière de pollution d’installations classées : Cass. civ. 3e, 3 novembre 2011, no 10-
14986, n.p.b. ; RDC 2012. 1314, obs. M. Boutonnet.
GARANTIES CONVENTIONNELLES 273
3) Ou bien, l’acheteur a acheté à ses risques et périls : la clause est valable, sauf
fraude du vendeur12.
8. Supra, no 411.
9. Ex. : est nulle la clause limitant la garantie au remplacement de la marchandise défectueuse ;
l’acheteur doit pouvoir choisir entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire : Cass. civ. 1re, 5 mai
1982, Bull. civ. I, no 163 : « Le choix offert à l’acheteur par l’article 1644 s’exerce, sans que cet acheteur
ait à le justifier, entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire ».
10. Telle est la solution prévue par la loi du 8 juin 1999 sur les immeubles infestés de termites : le
vendeur doit annexer au contrat un « état parasitaire » (art. 8), de sorte que l’acheteur ainsi prévenu ne
pourra invoquer la présomption de vices cachés, lorsque le cédant est un professionnel (Th. REVET,
RTD civ. 1999.714).
11. Cass. civ. 1re, 20 décembre 1988, Bull. civ. I, no 373 ; Defrénois 1990, art. 34633, no 137,
p. 1418, obs. G. Vermelle : « S’agissant pour les établissements Jacques Marionnet, vendeur profes-
sionnel, de limiter leur responsabilité, non à raison des vices cachés de la chose vendue mais des
défauts de conformité de la marchandise livrée, la cour d’appel n’avait pas à rechercher, pour déclarer
la clause opposable au GAEC (l’acheteur) si ce dernier n’était pas un professionnel de la même spé-
cialité que le vendeur ».
12. Supra, no 392.
274 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Quand il s’agit de produits défectueux, la clause est admise entre professionnels, mais seule-
ment pour les dommages aux biens (art. 1245-14, ancien art. 1386-15).
Lorsqu’entre le fabricant et l’acquéreur ultime, qui par hypothèse est un professionnel de la
même spécialité que le fabricant, il y a eu des intermédiaires, ceux-ci doivent pouvoir aussi
invoquer la clause de non-garantie. Sinon, le revendeur intermédiaire, impérativement tenu de
la garantie légale envers l’acquéreur, ne pourrait se retourner contre le fabricant qui lui oppose-
rait la clause limitative de garantie : il supporterait toute la charge du vice16.
SECTION II
CLAUSES EXTENSIVES
435. Diversité. – Les clauses extensives de garantie sont toujours valables. Elles
peuvent consister en une garantie de bon fonctionnement, qui couvre toutes les
avaries, non imputables à l’acheteur, qui interviendraient pendant la période
convenue, même celles qui ne seraient pas considérées comme un vice au sens
de l’article 1641. Elles peuvent aussi prévoir l’échange de la chose vendue défec-
tueuse, dans des conditions plus favorables que la règle légale, l’acheteur étant
dispensé de prouver le vice et l’antériorité ; ce qui est susceptible de désavantager
l’acquéreur, en ne lui permettant pas de faire résoudre le contrat ; mais il peut
toujours invoquer la garantie légale17. Elles peuvent surtout étendre la durée de
la garantie ; ce qui n’a pas seulement pour intérêt d’allonger la garantie légale et
de dispenser l’acquéreur d’assigner obligatoirement le vendeur pendant le délai
légal18, mais aussi de faire que toute anomalie de la chose survenue avant
13. La clause limitative n’est donc pas valable si les deux parties, bien que toutes deux profession-
nelles, n’ont pas la même spécialité. Ex. : * Cass. com., 19 mars 2013, supra no 410 : entreprise de
presse qui achète une rotative défectueuse, l’acheteur « ne disposait pas des compétences techniques
nécessaires pour déceler les vices ».
14. De nombreux arrêts l’affirment, peu l’admettent : v. cependant Cass. com., 8 octobre 1973,
Bull. civ. IV, no 272 ; JCP G 1975.II.17927, n. J. Ghestin. En l’espèce, il s’agissait de la vente d’une auto-
mobile d’occasion faite entre deux garagistes aux « risques et périls de l’acheteur » : « Dès lors qu’elle
constatait qu’il s’agissait d’une vente entre professionnels de même spécialité et que cette vente sans
garantie avait été conclue par l’acquéreur professionnel en pleine conscience des risques qu’il accep-
tait de prendre à sa charge, la cour d’appel a pu considérer que celui-ci n’était pas fondé à invoquer,
nonobstant la clause litigieuse, la garantie du vendeur contre lequel aucune fraude n’était alléguée ».
15. Ph. MALINVAUD, « Pour ou contre la validité des clauses limitatives de la garantie des vices
cachés », JCP G 1975.I.2690.
16. C’est, peut-être, une des raisons pour lesquelles le ministère de la Justice demeure hostile à
toutes les clauses restrictives ou élusives de garantie, lorsque le vendeur est un fabricant ou un profes-
sionnel, même lorsque l’acquéreur est un professionnel de la même spécialité (Rép. min. just., JO déb.
AN, 24 juin 1977, p. 4168).
17. Cass. com., 28 juin 1994, cité supra, no 429.
18. Ex. : Cass. com., 2 mai 1990, Bull. civ. IV, no 132 ; D. 1990, IR, 146 ; JCP G 1990.IV.246 : « Sauf
stipulation contraire, les dispositions de cet article (art. 1648 ancien, qui prévoyait un “bref délai”) ne
s’appliquent pas à l’action tendant à faire sanctionner l’inexécution par le vendeur de marchandises
d’une obligation contractuelle de garantie ».
GARANTIES CONVENTIONNELLES 275
l’expiration du délai soit présumée due à un vice de la chose. Elles peuvent aussi
être une garantie de la marque, prévoyant que la réparation sera faite gratuitement
par n’importe lequel des revendeurs du réseau de la marque, ce qui est une clause
courante pour les ventes d’automobiles. Le plus souvent, ces clauses apparaissent
dans les conditions générales de vente.
436. Droit de la consommation. – Le Code de la consommation reconnaît la validité des
clauses extensives, sous le nom de « garantie commerciale » (art. L. 217-15, O. 17 févr. 2005) ;
elles doivent être précises, indiquant l’objet de la garantie, sa durée et son territoire ; par
défiance envers les fausses clauses extensives, en fait restrictives, le Code oblige le vendeur de
stipuler qu’il reste tenu de la garantie légale de conformité et même de celle des vices cachés ;
conformément à la méthode législative contemporaine, il devra reproduire intégralement plu-
sieurs articles des deux codes.
Les « périodes d’immobilisation » causées par la réparation ne s’imputent pas sur la durée de
garanties (art. L. 217-16).
SECTION III
CONDITIONS GÉNÉRALES DE VENTE
19. P. ANCEL, « La garantie conventionnelle des vices cachés dans les conditions générales de vente
en matière mobilière », RTD com. 1979, 203-229 ; P. MALINVERNI, Les conditions générales de vente et
les contrats types des chambres syndicales, th. Paris II, LGDJ, 1978, préf. J. Hémard ; en droit comparé,
D. BEN ABDERRAHMANE, Le droit allemand des conditions générales des contrats dans les ventes commer-
ciales franco-allemandes, th. Paris II, LGDJ, 1985, préf. M. Pédamon.
20. Loc. cit., no 26.
21. P. ANCEL, op. cit.. Ex. : six mois, un an, etc.
22. Supra, no 399.
23. Supra, no 387.
24. Supra, no 336.
276 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
OBLIGATIONS DE L’ACHETEUR
SECTION I
PAIEMENT DU PRIX
§ 1. MODALITÉS
Les modalités du paiement en fixent le moment (I), le lieu (II) et les modes de
preuve (III) ; lorsque la vente a pour objet un immeuble hypothéqué, la pratique
notariale a inventé un régime original (IV).
I. — Moment
En principe, le paiement se fait au comptant (A), sauf règle légale, usage ou
convention contraire (B).
A. PAIEMENT COMPTANT
500. Consignation. – Le prix est parfois consigné, c’est-à-dire qu’au lieu d’être
remis au vendeur, il est déposé dans une caisse publique. C’est une situation par-
fois prévue par la loi. Ainsi, en cas d’obstruction (art. 1345-1, ancien art. 1257,
al. 1), dans la distribution par contribution (art. 2216) et dans l’ordre, ou dans la
vente d’immeuble à construire, « en cas de contestation sur la conformité avec les
prévisions du contrat » (CCH, art. R. 261-14)1.
1. La consignation ne vaut alors paiement libératoire que si elle est accompagnée de réserves sur la
conformité : Cass. civ. 3e, 13 février 1985, Bull. civ. III, no 35 ; D. 1985.581, n. H. Souleau ; Defrénois
1985, article 33596, no 89, p. 1084, m. n. ; Gaz. Pal. 1985, Pan. 167, obs. Ph. Jestaz ; RTD civ.
1986.144, obs. Ph. Rémy : « L’article 19 du D. du 22 décembre 1967, devenu l’article R. 261-14,
CCH, n’autorise l’acquéreur à consigner le solde du prix exigible lors de la mise à sa disposition du
local, qu’en cas de contestation sur la conformité de celui-ci avec les prévisions du contrat ».
2. Ex. : l’acheteur peut refuser de payer le prix ; si le vendeur, ... ne délivre pas la marchandise :
Cass. civ. 1re, 19 novembre 1996, Bull. civ. I, no 411 ; JCP G 1997.II.22862, n. J. Huet, ... exige le paie-
ment sans que l’acheteur ait pu vérifier la marchandise : Cass. com., 21 octobre 1974, Bull. civ. IV,
no 261, ... ne fait pas les retouches promises aux vêtements vendus : Cass. civ. 1re, 17 février 1976,
Bull. civ. I, no 74. L’acheteur n’est obligé de payer que si la malfaçon n’est pas grave : Cass. com.,
16 juillet 1980, Bull. civ. IV, no 297. C. MALECKI, L’exception d’inexécution, th. Paris I, LGDJ, 1999, préf.
J. Ghestin, no 421.
3. Cass. civ. 3e, 18 janvier 1983, Bull. civ. III, no 17 : « La persistance des vendeurs dans leur action
en résolution non fondée constituait pour l’acquéreur un juste motif de crainte d’être troublé » ; en
l’espèce, la vente résultait d’une saisie ; jugé que l’adjudicataire pouvait refuser de payer le prix tant
que la validité de la saisie n’avait pas été définitivement jugée.
4. N. D, 1964, 33, sp. 34, in fine.
OBLIGATIONS DE L’ACHETEUR 279
Néanmoins, la Cour de cassation décide depuis 18815 que « le vendeur a, sauf convention
contraire, l’obligation, lors de la délivrance, d’effectuer la radiation des inscriptions des privilèges
ou hypothèques ayant grevé l’immeuble antérieurement »6. Des juges du fond ont résisté à cette
interprétation, en relevant l’impasse dans laquelle elle mettait le vendeur lorsqu’il restait tenu de
rembourser un prêt garanti par une hypothèque7 ; le vendeur ne peut, en général, payer ses créan-
ciers hypothécaires qu’avec le prix que lui verse l’acheteur, d’un autre côté, l’acheteur refuse de
payer tant que subsiste sur l’immeuble une inscription hypothécaire – on est au rouet ; on comprend
la nécessité de faire intervenir le notaire dans l’opération8. Néanmoins, la Cour de cassation persiste9.
créancier se constitue ainsi son propre titre. Au cas où l’abonné se montrerait de mauvaise foi, le
prestataire pourra résilier unilatéralement le contrat12.
II. — Lieu
505. Intérêts. – L’acheteur doit payer le prix convenu14. En outre, il doit des
intérêts jusqu’au jour du paiement du capital dans des conditions (art. 1652) un
peu différentes de celles du droit commun. Comme le prévoit l’article 1231-6
(ancien art. 1153), ils sont dus du jour de la sommation ; comme le prévoit l’arti-
cle 1103 (ancien art. 1134), ils sont également dus si la convention l’a prévu. En
outre, ils sont dus de plein droit si la chose vendue était frugifère15 et avait été
livrée. Cette règle se fonde sur l’équité : il serait injuste qu’avant le paiement du
capital, l’acheteur bénéficie à la fois des fruits de la chose et des intérêts du prix16.
2003, no 88, n. L. Leveneur ; Comm. com. élect. 2003, no 111, n. Ph. Stoffel-Munck : « France Télécom
bénéficie d’une présomption résultant du relevé des communications téléphoniques ». Cette présomp-
tion suppose que le contrat d’abonnement ait été prouvé par écrit : Cass. civ. 1re, 12 juillet 2005,
Bull. civ. I, no 328 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 2 ; RDC 2006.319, obs. Y.-M. Laithier :
« en l’absence d’écrit constatant l’abonnement, le relevé informatique émanant de la sté France-Télé-
com ne pourrait constituer un commencement de preuve par écrit de la créance litigieuse, de sorte
que, faute d’un tel commencement de preuve par écrit, la preuve par présomptions de l’existence
comme du montant de cette créance ne pouvait être admise ».
12. Cass. civ. 1re, 9 juillet 2002, Bull. civ. I, no 187 : factures d’électricité, que l’usager refusa d’hono-
rer sous un « prétexte spécieux ».
13. Ex. : Req., 17 février 1937, DH 1937.234 : « Tout paiement fait en France, quelle qu’en soit la
cause, doit être effectué en monnaie française ».
14. Sur l’indexation, v. Droit des obligations, coll. Droit civil.
15. Pour qu’une chose soit frugifère, il suffit que lors de la vente, la chose vendue soit susceptible de
l’être : Req., 19 juin 1928, DH 1929.144 ; en l’espèce, il s’agissait d’un immeuble susceptible d’être
loué. Cette règle a été étendue aux dividendes résultant de titres de sociétés : Ex. : Cass. com., 5 octo-
bre 1999, Bull. civ. IV, no 163 ; D. 2000, 552, note G. Morris-Becquet ; JCP G 2000.I.205, chron. Vian-
dier et Caussain ; Defrénois 2000.40, n. Le Cannu ; RTD com. 2000.138, obs. M. Storck : les bénéfices
« participent de la nature des fruits » (donc les intérêts courent de plein droit à compter du jour où le
prix aurait dû être acquitté).
16. Aix, 26 octobre 1970, D. 1971.370 : l’article 1652 « n’a pas pour objet de sanctionner une faute
de l’acquéreur ayant provoqué un retard de paiement du prix de la vente, mais procède d’une consi-
dération d’équité selon laquelle l’acquéreur ne peut à la fois conserver les fruits et revenus de la chose
vendue et les intérêts du prix de vente ». En l’espèce, la chose vendue « était une propriété horticole et
OBLIGATIONS DE L’ACHETEUR 281
donc frugifère » ; jugé que l’acheteur devait les intérêts du prix à partir de la mise en possession de la
chose jusqu’au paiement du capital ; le débat sur les responsabilités du retard était oiseux.
17. Cass. com., 17 novembre 1987, Bull. civ. IV, no 243 : « Si la vente au comptant d’une marchan-
dise sur un marché public peut constituer une présomption de fait du règlement de la transaction
intervenue, une telle présomption est abandonnée aux lumières et à la prudence du magistrat ». La
mise en jeu de cette présomption n’est pas clairement fixée. Selon un arrêt, elle n’existe que si elle a
été « corroborée par l’ensemble des circonstances de la cause » : Cass. civ. 1re, 7 février 1989,
Bull. civ. I, no 74 ; RTD com. 1989.713, obs. B. Bouloc (vente d’automobiles). Selon un autre, elle
existe « sauf circonstances particulières » que le vendeur doit démontrer : Cass. civ. 1re, 4 novembre
1970, Bull. civ. I, no 297 (vente aux enchères publiques).
18. Cass. civ., 15 juillet 1942, DC, 1943.104 ; RTD civ. 1943.265, obs. J. Carbonnier : « Ni le trans-
fert de propriété de la chose vendue, ni sa délivrance à l’acheteur ne forment, au profit de celui-ci,
présomption légale de libération du prix [...] ; il est donc admissible que (le vendeur) ait délivré la mar-
chandise dans la croyance qu’il aurait été payé quelques instants après ». En l’espèce, il s’agissait
d’une vente de haricots, au marché : le vendeur avait remis la marchandise à l’acheteur et demandé
à être payé ; les juges ont donné tort à l’acheteur qui soutenait que du moment qu’il avait reçu la
marchandise, il avait payé, puisque la vente était au comptant. Cf. aussi : Cass. civ. 1re, 21 mars 1960,
Bull. civ. I, no 168 ; Gaz. Pal. 1960.II.76 : la remise des bestiaux vendus à l’acheteur ne vaut pas, même
dans une vente au comptant, présomption de paiement du prix ; comp. J. Carbonnier, obs. préc.
19. Jurisprudence souvent réitérée ; ex. : Cass. civ. 1re, 3 juin 1998, Bull. civ. I, no 195 ; Defrénois
1999.99, n. S. Piédelièvre : « Il appartenait (au promettant) d’établir que la quittance donnée dans la
promesse n’avait pas la valeur libératoire qu’impliquait son libellé ». V. égal. P.Y. GAUTIER, obs.
RTD civ. 2009.339.
282 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
510. Simplification ? – De deux arrêts de la Cour de cassation20, il résulte que du seul fait
qu’il est détenteur du prix, le notaire doit payer les créanciers hypothécaires sans avoir à tenir
compte des oppositions faites par les créanciers chirographaires. Par conséquent, lorsqu’il est
remis au notaire, le prix est affecté par préférence aux créanciers hypothécaires, et la formule
compliquée de la clause stipulant le nantissement du prix est devenue inutile21.
20. Cass. civ. 3e, 17 janvier 1978, Bull. civ. III, no 38 ; D. 1978.605, n. H. Souleau ; Defrénois 1978,
article 31763 : « Le syndic de copropriété n’ayant pas fait inscrire l’hypothèque légale instituée par
l’article 19 de la loi (du 10 juill. 1965) se trouve, bien qu’ayant fait opposition, primé par les créanciers
hypothécaires régulièrement inscrits ».
21. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
OBLIGATIONS DE L’ACHETEUR 283
Si rigoureuse qu’elle soit, la clause résolutoire doit, conformément au droit commun, être
invoquée de bonne foi28.
La jurisprudence a assoupli le régime de la résolution, qui n’est plus nécessairement judi-
ciaire, même en l’absence de clause résolutoire ; ainsi le vendeur non payé qui n’a pas encore
livré la marchandise peut, s’il y a urgence, par exemple lorsque la marchandise risque de dépé-
rir, ou en cas de comportement grave de l’acheteur, résoudre unilatéralement le contrat29 en
faisant vendre aux enchères publiques la marchandise30 ; cette faculté ressemble à la résolution
que la loi a prévue pour le défaut de retirement31. Les nouveaux articles 1224 et suivants
devraient faire reculer la résolution judiciaire, à l’avantage des modes unilatéraux.
SECTION II
RETIREMENT
SECTION III
OBLIGATIONS SPÉCIALES
32. Ex. : Nancy, 10 juin 2009, Dr. rur. 2010, no 36, n. C. Lebel, au sujet d’une vente sur pied ; *
Cass. com., 21 avril 1950, Banque de l’Union Syndicale, S. 1951.I.47 ; RTD. civ., 1951.262, obs.
J. Carbonnier : cession d’actions qui devaient être payées et retirées avant une échéance que le ces-
sionnaire n’a pas respectée ; jugé que le cédant pouvait déclarer que la vente était résiliée (la valeur
des actions avait considérablement monté).
33. Cass. civ. 1re, 25 mai 1992, Bull. civ. I, no 166 ; RTD. civ., 1993.376, obs. P.-Y. Gautier ; RTD
com. 1993.156, obs. Bouloc : « Vu l’article 1657 ; la résolution de la vente au profit du vendeur en
cas de défaut de retirement ne peut lui être reconnue que s’il a préalablement délivré l’objet vendu
dans les conditions prévues au contrat [...] ; la révélation d’un défaut de la chose vendue, couvert par
la garantie des vices cachés, autorise l’acheteur à refuser la délivrance ». En l’espèce, au moment de
retirer l’automobile qu’il avait achetée, l’acheteur constata des vices et exigea des réparations ; le ven-
deur obtint de la cour d’appel la résolution de la vente pour défaut de retirement. Cassation.
34. P. COULOMBEL, in La vente commerciale de marchandises, ouvr. collect., dir. J. Hamel, Dalloz,
1951, p. 289-338 ; M. FONTAINE, Droit des contrats internationaux, FEC, 1989, « Les obligations survi-
vant au contrat », p. 323, qui envisage le sort des stocks et des documents et une obligation de « confi-
dentialité ».
35. Infra, no 833.
OBLIGATIONS DE L’ACHETEUR 285
36. 1er ex. : Cass. civ. 3e, 18 mars 1987, Bull. civ. III, no 59. Jugé qu’est nulle la clause de l’acte de
vente d’un terrain à bâtir interdisant à l’acquéreur l’exercice d’un type de commerce (vente de produits
pétroliers pour automobile) sans limite de temps. 2e ex. : en l’espèce, un fabricant avait vendu des
disques à une société de radio, subordonnant chaque diffusion radiophonique à son autorisation. Les
juges du fond ont décidé que la clause était nulle : * Paris, 2 mars 1979, syndicat national de l’édition
phonographique et audiovisuelle, JCP G 1980.II.19351, n. Plaisant : « L’acquéreur de biens mobiliers,
et a fortiori, celui d’objets de série, acquiert sur ces objets tous les droits du propriétaire ; rien ne peut
autoriser un producteur de disques, pas plus que tout autre vendeur, à limiter unilatéralement ses
droits ». L’arrêt a été cassé pour un autre motif par Cass. civ. 1re, 5 novembre 1980, Bull. civ. I,
no 285 ; JCP G 1982.II.19827.
37. Droit des obligations, coll. Droit civil.
38. Ex. : l’utilisation d’une automobile, supra, no 433. Ou d’une œuvre de l’esprit.
39. H. LALOU, « Les prohibitions conventionnelles d’exportation », DH 1929, chron. 79 ; Ph. KAHN,
La vente internationale de marchandises, th. Dijon, Sirey, 1961, préf. B. Goldman, p. 214-218. Ex. :
« L’acheteur s’engage à n’utiliser et à ne revendre le produit que dans le pays pour lequel il a été
vendu. » Généralement, une clause prévoit, pour le cas où elle n’est pas respectée, une amende,
non la résolution de la vente.
40. Supra, no 176.
n DEUXIÈME PARTIE n
CONTRATS DE SERVICES
Toutes sortes de conventions, autres que la vente, ont pour objet, non de trans-
férer un droit réel au cocontractant, mais de lui procurer un service1. Ainsi en est-
il du mandat (Livre I), des louages (Livre II), de divers contrats d’échanges écono-
miques (Livre III), des contrats de restitution (Livre IV), des contrats aléatoires
(Livre V) et des contrats relatifs au litige (Livre VI).
MANDAT
PREMIÈRES VUES SUR LE MANDAT
SECTION I
DIVERSITÉ ET COMPLEXITÉ
1. Biblio. : C. GIVERDON, L’évolution du contrat de mandat, th. Paris, 1947 ; Étymologie de mandat :
du verbe latin mando, are, lui-même dérivé de manum dare = mettre en main, confier. Le mot main est
symbole de force et d’autorité.
2. Étymologie de représentation : du verbe latin repraesento, are = rendre présent lui-même dérivé
de praesens, tis = présent apposé à absens = absent.
3. P.-Y. GAUTIER, « Un contrat spécial à proximité des autres », in Le mandat, un contrat en crise ?,
dir. N. Dissaux, Economica, 2011, p. 95 s.
292 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
commerciale, l’activité d’un certain nombre d’« agents »4, un des intermédiaires
indépendants de notre droit5. Beaucoup de professions utilisent aujourd’hui le
mandat ; inversement, l’emploi du mandat est de plus en plus lié à une activité
professionnelle. Le droit contemporain a cependant créé quelques hypothèses
de mandat d’amitié, qui était la règle en droit romain ; par exemple, la « personne
de confiance » en matière médicale (C. santé publ., art. L. 1111-66) ou, à un moin-
dre degré, le mandat de protection future (art. 477 et s., L. 5 mars 2007) dans le
droit des incapacités7.
L’agent d’affaires est le titre générique de l’activité professionnelle, souvent en qualité de man-
dataire, ayant pour objet de s’occuper des affaires des autres. Lorsqu’une activité est profession-
nelle, elle est généralement réglementée, afin de protéger les clients et les praticiens eux-mêmes.
Ainsi, l’agent immobilier est-il un agent d’affaires, généralement un courtier ; il est un manda-
taire lorsqu’il achète ou vend un immeuble ou un fonds de commerce pour le compte et au nom
d’autrui, ce qu’il fait rarement8 ; il se distingue du marchand de biens, qui n’est pas un manda-
taire et achète (il se « titre », dit le jargon notarial) en vue de revendre. De même, l’agent com-
mercial traite une affaire pour une entreprise9 ; l’intermédiaire de Bourse négocie une valeur en
Bourse pour le compte de son client ; l’agent de voyages est mandataire lorsqu’il conclut un
contrat de transport ou d’hôtellerie pour le compte d’un touriste, ou encore, l’agent artistique,
l’agent sportif10.
Le mandat implique l’accomplissement d’un acte juridique ; en général, l’agent n’est pas
exclusivement mandataire, puisqu’il se charge souvent de l’accomplissement d’actes matériels.
L’agent d’affaires est un mandataire s’il fait des actes juridiques pour le compte d’autrui ; au
contraire, il exécute un contrat d’entreprise s’il fait des actes matériels ; par exemple, s’il se
borne à rédiger un acte. De même, l’agence de voyages, lorsqu’elle organise le voyage, n’est
pas un mandataire mais un entrepreneur11. L’agent de publicité, lorsqu’il ne fait pas uniquement
des ventes ou des contrats pour le compte de son client, n’est pas davantage un mandataire12. Le
régisseur publicitaire (placement d’annonces auprès des supports) l’est en revanche. Il en est de
même de l’agent immobilier lorsqu’il fait visiter l’immeuble, publie des offres puis rédige une
promesse de vente, ce qui constitue, et de beaucoup, son activité principale : il est alors un
courtier, non un mandataire. L’agent artistique (impresario) remplit les deux rôles13.
4. Dans la Common Law, ce qui correspond à peu près au mandat est « l’agency » : infra, no 530. De
même, Rome connaissait les agentes in rebus (fonctionnaires impériaux du Ier siècle). Étymologie
d’agent : du verbe latin ago, ere = agir, pousser en avant.
5. Biblio. : N. DISSAUX, La qualification d’intermédiaire dans les relations contractuelles, LGDJ, 2007,
préf. Chr. Jamin ; Le mandat, un contrat en crise ?, dir. N. Dissaux, Economica, 2011.
6. Choisie par un majeur pour prendre les décisions médicales sur sa fin de vie quand il devient
« hors d’état d’exprimer sa volonté ».
7. Une personne désigne un mandataire qui gérera ses affaires quand un médecin aura constaté
l’altération de ses facultés. V. Ph. MALAURIE, « Le mandat en droit des personnes », in Le mandat, un
contrat en crise ?, préc., p. 115 s.
8. Sur la durée du contrat, infra, no 551 ; sur sa forme, infra, no 563. Afin de protéger le consomma-
teur pour lui assurer le concours d’un professionnel solvable et compétent, la loi Hoguet du 2 janvier
1970 subordonne cette activité à l’obtention d’une carte professionnelle.
9. Sur la forme du contrat, infra, no 563 ; sur sa révocation, infra, no 557.
10. J.F. CALMETTE et R. BOUNIOL, JCP G 2013, no 455.
11. Sur sa responsabilité, infra, no 714. Afin de protéger le consommateur, le Code du tourisme
subordonne l’activité d’agence de voyages à une licence, délivrée par l’administration.
12. L’agent de publicité assure en tout ou en partie, pour le compte de ses clients, la conception, la
réalisation, l’exécution et la diffusion de la publicité. Il est douteux qu’il soit un agent commercial, ce
qui est important afin de déterminer le régime de sa révocation. Mais l’intermédiaire pour l’achat d’es-
pace publicitaire est considéré comme un mandataire de l’annonceur ; son activité est réglementée
(L. 29 janvier 1993, art. 20-27) ; J.-J. BIOLAY, « Transparence et publicité », JCP E, 1993.I.249.
13. Sur le mandat en droit d’auteur, P.-Y. GAUTIER, in Mélanges A. Françon, Dalloz, 1995, p. 223
et s. ; et infra, no 540.
PREMIÈRES VUES SUR LE MANDAT 293
Plus nettement que nous, certains droits étrangers distinguent les agents com-
merciaux qui ont un pouvoir de représentation de ceux qui ne l’ont pas : par
exemple, le droit italien (agente con rappresentanza, titulaire de la procura, et
agente senza rappresentanza).
Dans l’exercice d’une profession libérale, le rapport entre le mandat et le
contrat d’entreprise est encore plus variable. Ainsi, l’avocat qui donne une
consultation ou un conseil à autrui ou plaide pour lui n’est pas un mandataire,
car une consultation, un conseil ou une plaidoirie ne sont pas des actes juridi-
ques, mais des prestations ; il n’est un mandataire que dans la mesure où il repré-
sente son client : il fait alors des actes juridiques pour le compte et au nom de son
client. En d’autres termes, son contrat est souvent mixte : à la fois, mandat et entre-
prise.
Le mandataire est un intermédiaire ayant le pouvoir d’agir pour autrui ; il établit
des relations juridiques entre le mandant et le tiers avec lequel il a matériellement
conclu un contrat. Tout mandataire est un intermédiaire ; la réciproque n’est pas
vraie ; tout intermédiaire n’est pas nécessairement un mandataire. Le courtier14 est
un intermédiaire : il met des personnes en rapport avec d’autres, mais n’est pas un
mandataire, car il n’a pas le pouvoir d’agir pour le compte et au nom d’autrui. Le
commissionnaire n’est pas non plus un mandataire ordinaire bien qu’il soit un
représentant, car il n’agit pas au nom d’autrui15.
523. Conduit-pipe et nuntius. – L’idée profonde du mandat est que la personnalité juri-
dique du mandataire s’efface derrière celle du mandant, parce que le mandataire agit au nom
et pour le compte du mandant : en quoi il est une représentation. Mais dans la réalité psycholo-
gique, la personnalité du mandataire n’est ni ne doit être absorbée par celle du mandant : le
mandataire n’est pas le pur instrument du mandant, ni ce que les Anglais appellent un
conduit-pipe, le canal, le pipe-line par lequel se déverse la volonté du mandant, ni ce que les
Romains appelaient le nuntius, le messager, le porte-plume ou le porte-parole, qui n’ont aucune
volonté distincte de celui pour lequel ils agissent. Le mandataire est, au contraire, l’auteur des
actes qu’il conclut pour le compte et au nom du mandant, dont il n’est pas le préposé19.
Car il existe dans le mandat deux volontés, celle du mandant qui demande à quelqu’un de le
représenter, et celle du mandataire qui accepte de le représenter avec une tête pensante et une
volonté ayant son indépendance. De là viennent la plupart des difficultés que connaît le
mandat, car peuvent se révéler une absence de concordance, des divergences, voire des anta-
gonismes entre les volontés du mandant et du mandataire.
Deux têtes pensantes, mais inégalement car, dans la pureté des principes, le mandat est
conclu dans l’intérêt exclusif du mandant, pour le compte duquel le mandataire agit. Ce n’est
pas toujours vrai. Ainsi, les Romains avaient utilisé la technique du mandat afin de parvenir à la
cession de créance que leur conception primitive de l’obligation ne permettait pas20 ; ils avaient
inventé la procuratio in rem suam faite dans l’intérêt exclusif du mandataire ; celui-ci était
chargé de recouvrer une créance appartenant au mandant et la conservait sans avoir de comptes
à rendre. De même, la pratique commerciale contemporaine a inventé le mandat d’intérêt com-
mun conférant aux mandataires plus de pouvoirs et de stabilité qu’ils n’en ont habituellement, et
comme son nom l’indique, dans l’intérêt commun du mandant et du mandataire.
SECTION II
APERÇUS HISTORIQUES ET COMPARATIFS
§ 1. HISTORIQUE
524. Représentation et profession. – Longtemps, le droit français a lié le mandat à la repré-
sentation. Le lien aujourd’hui s’estompe ; le mandat est de plus en plus lié à l’action pour autrui,
pas nécessairement en une représentation. Une autre ligne d’évolution apparaît, la profession-
nalisation du contrat. Comme souvent en droit civil, la césure se trouve dans la codification
napoléonienne.
525. Avant le Code civil. – Trois systèmes de droit ont marqué les étapes de
l’évolution : le droit romain, le droit canon et l’Ancien droit21.
1º Le droit romain avait éprouvé de grandes difficultés à admettre la représentation volontaire
d’une personne privée par une autre, surtout lorsqu’elle n’était pas en sa puissance. Pour deux
raisons. D’une part, le formalisme juridique interdisait la représentation : seule la personne qui
accomplissait les gestes et prononçait les paroles rituelles était liée ; il lui fallait donc être pré-
sente. D’autre part et surtout, l’obligation avait, en droit romain, un caractère personnel accusé
et entraînait la soumission du débiteur à son créancier : Rome hésitait à admettre qu’un débiteur
pût être une autre personne que celle avec laquelle le créancier avait corporellement traité.
Sous la pression de la pratique et du commerce, le mandat s’est développé.
Afin d’y parvenir, des procédés indirects ont été utilisés : le nuntius, qui rapporte fidèlement,
sans rien y ajouter, la volonté du représenté. Ou bien encore, le préposé du maître qui a plus
d’indépendance que le nuntius, mais est un alieni juris. Ou bien encore, le jussum : le mandant
signifie au tiers sa volonté d’assumer les conséquences de l’engagement pris par le mandataire.
Le plus difficile fut l’hypothèse où le mandataire était une persona extranea (un tiers) ; on a fina-
lement abouti à une représentation imparfaite, où le mandataire était obligé envers le tiers, et le
mandant était engagé envers le mandataire, soit que le mandataire eût un recours contre le man-
dant, soit même que le tiers pût agir directement contre le mandant. Rome n’a pas connu la
représentation parfaite, où seul le représenté est tenu des actes conclus par le représentant. La
représentation n’a jamais produit à Rome la plénitude de ses effets.
2º À partir du XIIe siècle, le droit canon a assoupli les mécanismes du mandat qu’il a étendu.
Afin d’assurer l’autorité pontificale dans l’Église universelle, ont été créés les légats pontificaux
mandataires du Pape, le rendant symboliquement omniprésent. Surtout, le droit canon porta un
coup décisif au formalisme des contrats (condamnation des vestimenta), ce qui permit le déve-
loppement du consensualisme en droit civil, et en conséquence, l’extension du mandat.
3º Dans l’Ancien droit, au fur et à mesure qu’a été admis le consensualisme, a disparu l’obs-
tacle que le formalisme opposait à la représentation. La reconnaissance de la représentation
volontaire s’est faite lentement, surtout au profit des communautés et des incapables. Au
début, la technique du nuntius fut reprise, sans être bien distinguée de celle du mandat. À la
fin du XVIe siècle, où le consensualisme progressa, la représentation volontaire fut plus clairement
comprise ; le mandant put laisser au mandataire un pouvoir d’initiative et pourtant le mandataire
ne fut pas personnellement tenu lorsqu’il avait révélé sa qualité, sans dépasser les bornes de son
mandat. En outre, à la fin du Moyen Âge, l’essor économique développa la représentation chez
les marchands, avec l’institution du contrat de commission, où l’on distingua selon que le com-
missionnaire s’était engagé au nom et pour le compte du commettant, ou en son nom propre.
Ce double mouvement a été accueilli par deux codifications napoléoniennes, le Code civil et
le Code de commerce.
§ 2. DROITS ÉTRANGERS
527. Droit allemand et Common Law. – 1º Alors que le droit français voit un ensemble
contractuel dans les relations entre le mandant et le mandataire, entre le mandataire et les tiers
et entre le mandant et les tiers, le droit allemand les distingue, surtout celles qui se nouent entre
mandataire et mandant et entre mandataire et tiers. Dans le système de la Prokura, le pouvoir
conféré au mandataire est, à l’égard des tiers, impérativement fixé par la loi. Le contrat de man-
dat a uniquement pour objet de fixer les rapports entre mandant et mandataire30.
Dans la Common Law, le domaine de l’agency est plus vaste que celui du mandat, puisqu’il
intéresse aussi bien les actes juridiques que les délits et quasi-délits (torts) dont l’intermédiaire
est l’auteur. Comme en droit français, l’agent (l’intermédiaire) n’agit pas seulement en qualité de
mouth piece (porte-parole) du principal (l’équivalent du représenté), car on distingue, d’une
part, l’authority – rapports entre le principal et l’agent – ; d’autre part, le power – relations
entre l’agent et le tiers – ; le power peut avoir une étendue plus large que l’authority.
On exposera les caractères fondamentaux du mandat (Titre I), puis ses effets
(Titre II).
CARACTÈRES FONDAMENTAUX
DU MANDAT
530. Définition. – Comme tout contrat, le mandat donne naissance à des obli-
gations ; son effet caractéristique est de conférer un pouvoir de représentation ; il
est un contrat par lequel une personne (le mandant ; ils peuvent être plusieurs)
donne à une autre (le mandataire) le pouvoir d’accomplir en son nom et pour
son compte des actes juridiques (art. 1984) (Chapitre 1). En outre, il est une
convention normalement à titre gratuit (art. 1986) (Chapitre 2). De plus, les rela-
tions du mandant et du mandataire sont temporaires et reposent sur l’intuitus per-
sonae (Chapitre 3). Enfin, comme la plupart des contrats, il est un contrat consen-
suel (Chapitre 4).
Il présente donc six caractères fondamentaux : il a pour objet des actes juridi-
ques, constitue un mécanisme de représentation, gratuit, temporaire, conclu en
considération de la personne et d’une manière consensuelle. Aucun de ces carac-
tères, sauf un (le caractère temporaire), ne lui est essentiel ; progressivement,
l’évolution contemporaine les fait tous reculer, plus la gratuité que les autres.
Lorsqu’il est commercial, il présente aussi d’autres particularismes ; non seulement sa preuve
est libre, mais surtout il est toujours onéreux et échappe souvent à la libre révocabilité.
n CHAPITRE I n
REPRÉSENTATION ET ACTES JURIDIQUES
SECTION I
REPRÉSENTATION
1. Cass. civ., 5 décembre 1933, DH 1934.49 ; S. 1935, L. 23 : « Un mandat peut être donné à un
incapable, dont les actes accomplis pour le compte du mandant échappent aux causes de nullité qui
vicieraient les mêmes actes, accomplis par l’incapable, pour son propre compte ».
2. Ex. : Cass. com., 4 octobre 2011, no 10-24810, Bull. civ. IV, no 149 ; Contrats, conc. consom.
2012 ; no 1, n. L. Leveneur : « l’annonceur est par l’effet du mandat, partie aux contrats d’espaces
publicitaires conclus en son nom et pour son compte » de sorte que le tiers cocontractant (ici le sup-
port de publicité) a une action en paiement de ses factures contre lui.
3. Contra : A.L. GRIZON, La qualification du contrat de mandat, th. Paris XI, 2010 ; selon l’auteur, les
liens entre mandat et représentation seraient consubstantiels.
302 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’acte occulte produit ses effets s’il est prouvé7 ; c’est un mandat, avec les obliga-
tions de restitution et de rendre compte qui pèsent sur les parties8.
Cependant, puisqu’à l’égard des tiers, le prête-nom ne représente pas le mandant, l’acquisi-
tion qu’il fait entraîne une double mutation de propriété : du vendeur à lui-même, puis de lui-
même à celui pour lequel il agit quand il lui transfère le bien qu’il a acquis. Ce qui produit de
lourdes conséquences fiscales pour les intéressés9. Il en est autrement, non seulement en cas de
mandat, mais aussi de déclaration de command, sous certaines conditions.
§ 2. FIDUCIE
536. Fiducie et mandat. – La fiducie10 fut à Rome le plus ancien des contrats
réels ; elle est aujourd’hui une institution vivante dans des pays étrangers,
ce cocontractant aurait eu connaissance de sa qualité ». Pour qu’il en aille autrement, il faudrait que le
tiers ait « participé activement » à la simulation : Cass. civ. 1re, 17 novembre 1999, Bull. civ. I, no 311 ;
Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 42, n. L. Leveneur ; en l’espèce, une femme avait remis à sa
sœur une somme d’argent à titre de prêt ; lorsqu’elle en demanda le remboursement, la sœur prétendit
que la somme avait été prêtée non à elle, mais à son mari dont elle n’était que la mandataire ; la cour
d’appel, approuvée par la Cour de cassation, rejeta cette défense : la cour d’appel a « décidé que les
parties étaient liées par une convention de prête-nom » et retenu « sans constater une participation active
de (la prêteuse) à la simulation, que celle-ci savait que l’argent serait remis au mari de l’emprunteuse ».
7. Il peut être prouvé par l’aveu du prête-nom ; ex. : Paris, 6 décembre 1989, D. 1990, IR, 2 : « L’ac-
quéreur d’un bien immobilier, figurant en cette qualité à l’acte notarié de vente, reconnaît avoir passé
une convention du prête-nom avec un tiers ». Jugé que c’était le tiers qui était le propriétaire.
8. Ex. : si le prête-nom a été obligé de payer le tiers, il a un recours contre celui pour lequel il a agi :
Req., 3 mai 1893, DP 1893.I.567 : « Le mandataire, lorsqu’il a, en son propre nom, contracté une obli-
gation, devient le débiteur personnel et direct du créancier, sauf son recours contre le mandant, au
regard duquel il conserve la qualité de mandataire ».
9. Ex. : Req., 10 février 1936, DP 1937.I.92, rap. E. Pilon : « Le mandataire (sic) prête-nom ne repré-
sente pas son mandant ; par suite, l’opération juridique dont il est l’instrument comporte, tant au point
de vue civil qu’au regard du fisc, une double transmission de propriété, la première s’opérant dans le
patrimoine du prête-nom, la seconde dans celui du mandant ».
10. Étymologie : du latin fiducia, ae = confiance, issu lui-même de fides, ei = foi : l’aliénateur fidu-
ciaire fait confiance à l’acquéreur pour obtenir la restitution du bien dont il était resté propriétaire
ultime.
304 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 3. PORTAGE
537. « Mères porteuses ». – Le portage d’actions est une convention imaginée
par la pratique commerciale : un établissement financier (le porteur) achète les
actions d’une société pour le compte d’un ou plusieurs donneurs d’ordre, qui
11. Les biens, coll. Droit civil ; Dossier spéc. Contrat de fiducie. Dr. et patr. 2008, p. 45 s. ; Cl. WITZ,
La fiducie en droit privé français, th. Strasbourg, Economica, 1981, préf. D. Schmidt ; F. BARRIÈRE, La
réception du trust au travers de la fiducie, Litec, 2004 ; Dossier spéc. D. 2007.1346 s., dirigé par le
même auteur.
12. La fiducie, introduite par la loi du 19 février 2007, a été réformée par la loi du 4 août 2008, et
les ordonnances du 18 décembre 2008 et 30 janvier 2009 ; sur ces réformes successives : R. RAHMAN et
G. PODEUR, « Fiducie-sûreté, Fiducie-gestion, les applications pratiques », Rev. Banque 2009, no 713 ;
L. AYNÈS, « L’introduction de la fiducie en droit français », RLDC 2009, 63 ; sur la fiducie-sûreté,
v. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
13. Infra, no 867.
REPRÉSENTATION ET ACTES JURIDIQUES 305
§ 4. COMMISSION ET COURTAGE
538. En son nom et pour autrui. – Le contrat de commission est surtout pratiqué en matière
commerciale ; il est conclu avec un intermédiaire en vue de la conclusion d’un autre contrat
(C. com., art. L. 132-1) : par exemple, un commissionnaire à l’achat ou à la vente ; un commis-
sionnaire de transport, qui se charge d’organiser un transport de marchandises ; un consigna-
taire, chez lequel des marchandises ont été déposées et qui est chargé de les vendre ; un corres-
pondant, chargé d’effectuer des opérations relatives aux effets de commerce16, etc.
14. M. COZIAN et al., Droit des sociétés, Litec, 28e éd., 2015, no 1594.
15. Ex. : Cass. com., 24 mai 1994, Bull. civ. IV, no 189 ; D. 1994.503, n. appr. A. Couret : « Vu l’arti-
cle 1844-1 ; [...] la cour d’appel a déclaré nulle et réputée non écrite la clause relative à la définition du
prix de rachat en retenant que la clause litigieuse avait eu pour but de garantir la SDBO contre toute
évolution défavorable des actions et de la soustraire à tout risque de contribution aux pertes sociales ;
en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la cession initiale avait été complétée par des pro-
messes croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit
de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un
prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux
bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux », Cassation.
16. M.-P. DUMONT, L’opération de commission, Litec, 2000 ; M.-L. IZORCHE, D. 1999, chron. 369.
17. Ex. : Cass. com., 3 mai 1965, Bull. civ. III, no 280 : « À la différence d’un mandataire, le commis-
sionnaire agit en son nom propre ou sous un nom social qui n’est pas celui de son commettant ».
18. Jurisprudence constante : ex. Cass. com., 11 février 2004, Bull. civ. IV, no 24 ; D. 2004.699 : « un
commissionnaire de transport est garant des faits du transporteur dès lors que le choix de celui-ci
n’avait pas été imposé par son commettant ».
19. Ex. : Cass. com., 7 mai 1962, Bull. civ. III, no 240 : « Le commissionnaire, qui agit pour le compte
d’un commettant en son propre nom, est personnellement tenu des obligations contractées envers les
tiers en cette qualité » ; peu importe qu’il ait pu connaître l’identité du commettant ; en l’espèce, Topa-
kian avait passé une commande de tissus à la sté Aimé Babouin, pour le compte de Bin Himd,
306 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
négociant en Arabie saoudite, qui n’avait acquitté qu’une partie du prix, en raison d’un retard de livrai-
son ; jugé que Topakian devait payer le solde.
20. F. AUCKENTHALER, « Commettants commissionnaires à la vente, détermination du véritable titu-
laire de la créance envers le tiers contractant », D. 1998, chron. 53.
21. Cass. com., 9 décembre 1997, Bull. civ. IV, no 333 ; JCP G 1998.II.10201, n. O. Litty ; en l’es-
pèce, agissant en son nom propre, un commissionnaire, afin d’expédier de France en Chine des mar-
chandises, avait confié à un transporteur maritime la partie maritime du transport ; le connaissement
mentionnait le nom du chargeur ; une fois le transport accompli, le commissionnaire fit l’objet d’une
procédure collective et le transporteur agit directement contre le chargeur en paiement du fret ; il fut
débouté : « le transporteur maritime, pour le recouvrement du fret à lui dû, n’a d’action directe à l’en-
contre du commettant du commissionnaire de transport que si celui-ci a agi, non en son nom propre
comme le prévoit l’art. 94, al. 1, C. com. (aujourd’hui C. com., art. L. 132-1, al. 1), mais au nom du
commettant, ainsi que l’envisage l’alinéa 2 du même texte ».
22. Ex. : Cass. com., 27 juin 1978, Bull. civ. IV, no 182 : « En la cause (c’est-à-dire, un contrat de
commission), les règles spéciales du mandat d’intérêt commun n’étaient pas applicables ».
23. Ce fut pour donner aux producteurs de films ce privilège que la Cour de cassation a jugé qu’ils
étaient liés aux distributeurs par un contrat de commission : Cass. civ. 1re, 11 avril 1995, Bull. civ. I,
no 166 ; D. 1996, somm., 70, obs. Th. Hassler : « la cour d’appel a justement retenu [...] que les distri-
buteurs de films agissaient en qualité de commissionnaires des producteurs pour le recouvrement des
créances de ces derniers, qui bénéficient du privilège légal » ; en l’espèce, un exploitant de salle de
cinéma fut mis en redressement judiciaire ; jugé que huit distributeurs de films devaient être admis en
paiement de leur créance, à titre privilégié.
24. Ex. : Cass. com., 28 mai 1991, Bull. civ. IV, no 196 ; RTD civ. 1992.86, obs. J. Mestre : « Le rôle
de la sté Sopegros (le groupement d’achats) était celui d’un intermédiaire qui faisait connaître les four-
nisseurs à ses adhérents et négociait les meilleures conditions des transactions à intervenir entre eux ; la
cour d’appel a par là même constaté que l’économie du contrat conclu avec la sté Mars (le fournis-
seur) n’impliquait pas que la sté Sopegros fût garante de l’exécution des commandes passées pour les
membres du groupement ».
25. Ex. : Cass. com., 25 octobre 1994, Bull. civ. IV, no 317 ; en l’espèce, la sté Cassin, fournisseur
sélectionné par la coopérative sté Codec, avait reçu une commande de la sté Sarid, qui avait adhéré
à la coopérative ; la sté Cassin fournit la sté Sarid, qui paya la coopérative, laquelle fut mise en redres-
sement judiciaire et ne paya pas le fournisseur ; jugé que la sté Cassin pouvait obtenir le paiement des
fournitures de la sté Sarid (qui aura donc payé deux fois, une fois à la coopérative, une autre fois au
fournisseur) : « La sté Codec n’était que la garante de la solvabilité de ses adhérents de telle sorte que
les fournisseurs n’avaient point déchargé les adhérents de leur obligation de paiement ».
26. Cass. com., 16 avril 2013, no 11-24018, n.p.b., Contrats, conc. consom. 2013, no 152,
n. L. Leveneur : « l’impresario ou agent artistique, qui a pour mission d’opérer le placement de l’artiste,
agit non comme mandataire de ce dernier mais en qualité d’intermédiaire et comme tel, est seul tenu
des engagements qu’il prend à l’égard des tiers ».
REPRÉSENTATION ET ACTES JURIDIQUES 307
27. Étymologie de ducroire : de l’italien del credere = de la confiance. Fr. GORÉ, « Le commission-
naire ducroire » in Le contrat de commission, p. 281 et s., ouvr. collect., dirigé par J. Hamel, Dalloz,
1949.
28. Sur la nature du contrat de ducroire, Fr. GORÉ, art. préc. ; F. DERRIDA, ib., p. 105 et s. ; LYON-CAEN
et RENAULT, Traité de droit commercial, t. III, no 453 ; THALLER, Traité, 8e éd., no 1128. Sur la portée de
cette stipulation, ex. : Cass. com., 22 octobre 1996, Bull. civ. IV, no 246 ; Contrats, conc. consom.
1997, comm. no 21, n. L. Leveneur ; D. 1998.511, n. D. Arlie : en l’espèce, une entreprise avait conclu
avec un agent commercial un contrat de représentation, comportant une clause de ducroire ; la cour
d’appel l’avait condamnée en application de cette clause à payer à son agent une commission pour les
commandes impayées ; cassation : « à défaut de toute stipulation contraire, fût-elle implicite, la clause
de ducroire garantit le défaut de paiement à l’échéance par un tiers et non la solvabilité de celui-ci ».
29. TGI Versailles, 28 mars 2006, professeur X, D. 2006, IR, 1631 ; RTD civ. 2006.576, obs.
P.-Y. Gautier : l’avocat, tenu de régler les honoraires du professeur de droit consulté pour le compte
de son client, est un commissionnaire ducroire parce que le règlement du barreau auquel il appartient
prévoit qu’il en est solidaire pour régler les correspondants recrutés dans l’exercice de sa mission. Le
ducroire est ainsi étendu à l’hypothèse où l’intermédiaire donne sa garantie au tiers-contractant, pour
la dette de son mandant ; Cass. civ. 1re, 14 novembre 2013, no 12-28763, JCP G 2014 no 13,
n. D. Landry et J. Villacèque, Bull. civ. I no 219.
30. Étymologie de courtier : de courir : le courtier court entre le vendeur et l’acheteur (ou bien il
court après l’un et l’autre). Le Vocabulaire juridique de G. CORNU le fait venir du latin collectarius, ii =
changeur, receveur du fisc. C. GRIMALDI, « Mandat et courtage », in Le mandat, un contrat en crise ?,
préc., p. 79 s. ; Ph. DEVESA, L’opération de courtage, th. Montpellier, Litec, 1993.
31. Pour un courtier de téléphonie mobile : Cass. civ. 1re, 18 octobre 2005, Bull. civ. I, no 366 ;
Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 20, n. L. Leveneur : « la qualité de courtier n’emporte pas
nécessairement celle de mandataire ».
32. Ex. : dans le commerce bordelais des vins : Cass. com., 3 mai 2003, Bull. civ. IV, no 82 ; D.
2004.414, n. J.-M. Bahans et M. Menjucq ; RTD civ. 2003.727, obs. P.-Y. Gautier : « le courtier a
pour fonction de mettre en rapport un négociant-acheteur avec un producteur de vins pour négocier
la récolte de ce dernier et il agit en mandataire de l’une et de l’autre parties [...] ; l’établissement et
l’envoi, par le courtier au vendeur et à l’acheteur de la “lettre de confirmation”, sans qu’il y ait de
leur part un accord formel, équivalait suivant l’usage ancien et constant en Bordelais, à une vente
parfaite, sauf protestation dans un très bref délai ».
33. V. Cass. civ. 1re, 18 octobre 2005, préc. : l’entreprise avec laquelle le client avait été mis en
contact par le courtier n’est donc pas responsable de son fait. Pour un impresario : Cass. com.,
22 mai 1991, Bull. civ. IV, no 173 ; RTD civ. 1992.86, obs. J. Mestre : « Sauf dispositions particulières
au contrat et dont il incombe à celui qui s’en prévaut d’en apporter la preuve, l’impresario ou agent
308 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 5. REPRÉSENTATION ET CESSION
artistique, qui a pour mission d’opérer le placement de l’artiste, agit, non comme mandataire de ce
dernier, mais en qualité d’intermédiaire et, comme tel, est seul tenu des engagements qu’il prend à
l’égard des tiers ».
34. Paris, 29 octobre 1992, JCP G 1993.IV.494 : « La sté qui a mis en présence 2 parties en vue de la
signature d’un bail commercial a agi comme intermédiaire et non comme mandataire ; elle n’est tenue
à aucune garantie ; il ne lui appartenait pas de vérifier la bonne foi du bailleur ou de se porter garant
de son comportement ».
35. Sauf si le contrat est illicite, ou si l’activité de l’intermédiaire aurait dû être gratuite (ex. : pour
une adoption : Cass. civ. 1re, 22 juill. 1987, Bull. civ. I, no 252 ; D. 1988.172, n. J. Massip ; Defrénois
1988, art. 34186, no 7, p. 317). La commission sera payée par le donneur d’ordre ou partagée entre
les deux parties, voire réglée par le tiers que le courtier a démarché.
36. Infra no 569.
37. V. ESCARRA, RAULT et HÉMARD, Contrats commerciaux, T. II, no 789.
38. Ex. : Paris, 24 juin 1963, D. 1964, somm., 46 ; RTD com. 1964.607, obs. J. Hémard ; Gaz. Pal.
1963.II.291 : « Le courtier en publicité ne peut prétendre à aucune indemnité si un client même très
ancien décide de se passer dorénavant de ses services ».
39. C. SIFFREIN-BLANC, « Le contrat d’agent immobilier : mandat ou contrat spécial d’intermédiaire ? »,
Defrénois 2007.1344. Cass. civ. 1re, 8 juillet 1986, Bull. civ. I, no 194 ; RDI 1986.488 : le mandat
conféré à une personne accomplissant des opérations d’agent immobilier « n’est en principe qu’un
mandat d’entremise consistant en la recherche de clients ou la négociation, ou l’une de ces missions
seulement ; seule une clause expresse, conforme aux prescriptions de l’article 72, al. 3, du D. du
20 juillet 1972, peut autoriser le mandataire à engager son mandant ». Infra, no 711. À l’inverse :
Cass. civ. 1re, 31 octobre 1989, Bull. civ. I, no 333, lorsque l’agent « n’avait agi qu’en qualité de repré-
sentant mandataire du vendeur », la loi Hoguet ne s’applique pas.
40. Supra no 165. V. F. ALTENBOURGER, Les enchères électroniques, th. Paris II, 2004.
41. L. D. GODEFROY, « Vers une régulation juridique des places de marché de commerce en ligne
entre particuliers », D. 2015. 2513. Il existe un texte spécifique sur l’obligation d’information de la
plate-forme : C. consom., art. L. 111-7.
REPRÉSENTATION ET ACTES JURIDIQUES 309
SECTION II
ACTES JURIDIQUES
42. Art. L. 321-1, al. 2, C. propr. intell. : « Ces sociétés [...] ont qualité pour ester en justice pour la
défense des droits dont elles ont statutairement la charge ».
43. Art. L. 321-10 du même code : ces sociétés « ont la faculté, dans la limite des mandats qui leur
sont donnés soit par tout ou partie des associés [...] d’exercer collectivement les droits en exerçant des
contrats généraux d’intérêt commun [...] ».
44. P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 10e éd., à paraître en 2017, no 719 ; rapp.
Cass. soc., 20 février 1949, D. 1951.73 ; 1re esp. ; JCP G 1950.II.5419, 1re esp. : « La SACEM [...] agissait
aux termes de ses statuts, non seulement comme mandataire desdits auteurs, mais encore comme
cessionnaire d’une fraction de leurs droits [...] ; il importait peu que cette société, personne morale
habilitée par la loi et ses statuts à ester en justice pour la défense de ses intérêts propres et ceux de
ses adhérents, n’ait pas fait figurer le nom de ses adhérents dans les actes de la procédure ».
45. Infra, no 708 ; P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 2002.323 ; Fr. LABARTHE, « La distinction du mandat et
du contrat d’entreprise », in Le mandat, un contrat en crise ?, dir. N. Dissaux, Economica, 2011, p. 39
s.F. LEDUC, « Deux contrats en quête d’identité, les avatars de la distinction entre le contrat de mandat
et le contrat d’entreprise », Études offertes à G. Viney, LGDJ, Lextenso éditions, 2008, p. 595 s. Sur les
combinaisons de courtage et de mandat, supra, no 539.
46. Ex. : l’activité des sociétés de ventes mobilières (les anciens commissaires-priseurs) aux enchè-
res publiques.
n CHAPITRE II n
GRATUITÉ DU MANDAT ?
546. Origine : amitié. – Dans ses origines romaines, le mandat supposait un rapport d’ami-
tié entre mandant et mandataire : pas de confiance sans amitié ; pas d’amitié sans gratuité. Pour
toujours, le mandat restera marqué de cette origine, malgré l’importance de l’évolution qu’il a
connue et bien qu’aujourd’hui le mandat salarié soit statistiquement beaucoup plus courant que
le mandat gratuit.
Dans le droit romain ancien, le mandat n’était pas seulement gratuit : il était essentiellement
gratuit, c’est-à-dire que le mandataire ne devait jamais être rémunéré. À partir du Haut Empire
(Ier siècle), sous l’effet des besoins commerciaux qu’ignorait la Rome pastorale primitive, tout en
maintenant le principe de gratuité, les Romains ont admis que le mandat pouvait être salarié au
moyen d’honoraires1 qui se distinguaient des salaires car le juge pouvait les réviser : les augmen-
ter, voire en décider le versement même si les parties ne l’avaient pas prévu, et surtout les dimi-
nuer lorsqu’ils étaient excessifs.
Le mandat a conservé dans le Code civil son caractère gratuit, « s’il n’y a convention
contraire » (art. 19862). Pothier y voyait un « pur office d’amitié », à la fois sous l’influence
romaine et celle de l’École du droit de la nature et des gens. Encore aujourd’hui, la vieille
règle s’applique dans les rapports entre particuliers.
Il s’agit d’assurer un maximum de « transparence » (v. encore le formalisme légal, pour les
agences de publicité, la loi Sapin du 29 janvier 1993, art. 20)6.
Les parties peuvent déterminer par avance les modes de fixation du salaire du
mandataire, selon deux méthodes. Soit une somme fixe due en tout état de cause ;
telle est la méthode libérale, où toute peine mérite salaire ; la rémunération du
mandataire n’est pas alors subordonnée à la réussite de l’affaire (art. 1999, al. 2).
Soit, plus fréquemment, une méthode commerciale et utilitaire qui stimule les
affaires, où le salaire est de tant pour cent : la commission dépend du succès7.
En ce cas, la rémunération du mandataire à raison de ses diligences est due une
fois l’affaire faite et l’acte passé8.
Lorsque le mandataire bénéficie d’une exclusivité et que l’affaire a été conclue par un autre, il
a droit à une indemnité, en réparation du préjudice résultant de la méconnaissance de son obli-
gation par le mandant. Au contraire, si le mandataire ne bénéficiait d’aucune exclusivité, il n’a
droit à rien9. Les règles régissant le contrat de travail sont inapplicables à la rémunération du
mandataire10. Les honoraires des syndics de copropriété sont obligatoirement forfaitaires
(art. 18, loi de 1965, L. du 24 mars 2014).
5. Le contrat d’agent immobilier relève plutôt de l’entreprise, mais le législateur l’a qualifié de man-
dat. Il est un « mandat d’entremise » ; pour sa rémunération, infra, no 711.
6. Ex. : pour la sanction de l’énoncé de la commission de l’agence de publicité dans des documents
extérieurs à l’écrit lui-même : Cass. civ. 1re, 24 février 1998, Bull. civ. I, no 76 ; Contrats, conc. consom.
1998, comm. no 69, n. L. Leveneur ; D. Aff. 1998.905. En l’espèce, un contrat organisant une cam-
pagne publicitaire avait été conclu entre une entreprise et un agent publicitaire ; l’entreprise avait
remis à l’agent une « étude » déterminant les prestations à fournir et leur rémunération ; se fondant
sur ce document, la cour d’appel avait condamné l’entreprise à payer la rémunération prévue. Cassa-
tion : « La cour d’appel, s’est ainsi référée à des documents extérieurs au contrat écrit du 20 septembre
1998 lequel ne satisfaisait pas aux exigences du texte susvisé » (art. 20 de la loi Sapin).
7. J. CARBONNIER, RTD civ. 1952.521 ; cf. aussi une situation intermédiaire : * Req., 29 octobre 1930,
sté des aéroplanes Potez, DH 1930.554 ; S. 1931.1.14 : en l’espèce, le mandataire chargé d’obtenir
une commande n’y était pas parvenu ; puis, le mandat était expiré ; quelques mois après, le construc-
teur obtint le marché, grâce aux démarches antérieures du mandataire ; celui-ci ne put obtenir la com-
mission, devenue caduque, mais obtint une rémunération « en fonction des avantages retirés de ladite
convention ».
8. En revanche, si l’affaire a été conclue sans qu’il y soit pour rien, il n’a pas droit à sa rémunération.
ex. Cass. civ. 1re, 21 juillet 1970, Bull. civ. I, no 243 : « une commission ne peut être allouée à un inter-
médiaire que si l’affaire qu’il a indiquée a été menée à bonne fin par ses soins ».
9. Cass. civ. 1re, 15 février 2000, Bull. civ. I, no 46 ; RTD civ. 2000.357, obs. crit. P.-Y. Gautier : « à
bon droit, la cour d’appel a retenu que lorsque le mandant a donné à plusieurs le mandat non exclusif
de vendre un même bien, il n’est tenu de payer une rémunération qu’à celui par l’entremise duquel
l’opération a été effectivement conclue au sens de l’art. 6 de la loi du 2 janvier 1970 ».
10. Cass. com., 21 avril 1992, Bull. civ. IV, no 175 : « Les règles relatives au contrat de travail ne sont
pas applicables à la rémunération allouée au gérant d’une SARL à raison de son mandat social ». En
l’espèce, un des gérants d’une SARL avait été déchargé par l’administrateur provisoire d’une société
des tâches qu’il y effectuait ; la cour d’appel avait décidé qu’il n’avait plus droit à une rémunération,
que le contrat liait à « l’exécution effective d’un travail ». Cassation : « Les statuts de la sté prévoient la
rémunération des gérants à raison de leur mandat social ». D’une façon plus générale, v. D. TOMASIN, in
Mélanges Despax, Presses Univ. Toulouse, 2002, p. 203 s.
GRATUITÉ DU MANDAT ? 313
549. Révision des honoraires. – Comme à Rome, les tribunaux se sont toujours
reconnu le droit de contrôler le montant des honoraires promis au mandataire,
soit pour les augmenter, soit, plus souvent, afin de les diminuer11, et cette règle
est d’ordre public12. Cette jurisprudence s’est étendue à tous les membres des pro-
fessions libérales13, même s’ils ne sont pas principalement des mandataires14.
Ainsi en est-il des agents d’affaires et des conseils15, même lorsque leur conseil est
aléatoire16. Pendant longtemps, les tribunaux se justifiaient en qualifiant inexacte-
ment ces contrats de mandat, même si l’agent d’affaires n’accomplissait pas d’ac-
tes juridiques au nom et pour le compte de son client. La règle subsiste, mais cette
qualification est abandonnée.
La rémunération ne peut être réduite que si elle a été stipulée avant l’accomplis-
sement de la mission. Si elle a été convenue après, elle ne peut être modifiée, car
le client a été à même d’apprécier l’importance et les résultats du travail fourni par
son contractant17. En outre, la théorie de la contrepartie peut priver le mandataire
de son droit à rémunération si, après la conclusion du contrat, la cause disparaît18.
La charge de la preuve du caractère excessif appartient au mandant19. La réduction
s’impose a fortiori si le mandataire a commis une faute20.
Cette jurisprudence traditionnelle et constante21 est contraire à l’interdiction habituellement
faite au juge de réviser le contrat. Selon les uns, elle se justifierait par l’équité ; selon d’autres,
11. Cette jurisprudence constante est très ancienne : Req., 11 mars 1824, Jur. gén. Vo Mandat,
no 75 : « Tout salaire d’agent d’affaires est sujet à évaluation et règlement par le juge » ; chron. ALBIGÈS,
in Mélanges Cabrillac, Dalloz-Litec, 1999, p. 11 et s.
12. Cass. civ. 3e, 20 février 1973, Bull. civ. III, no 145 : « Même si le mandat prévoyait que la com-
mission serait “irréductible et forfaitaire”, due en tout état de cause ».
13. Ex. : pour un comptable : Cass. civ. 1re, 3 juin 1986, Bull. civ. I, no 150 ; JCP G 1988.II.20791,
n. A. Viandier : « Les tribunaux peuvent, quand une convention a été passée en vue de l’exécution
de travaux donnant lieu à honoraires, réduire ces derniers lorsqu’ils paraissent exagérés, pourvu
qu’ils n’aient pas été versés en connaissance du travail effectué et après service fait ». Pour les avocats,
infra, no 767.
14. Ainsi le généalogiste, Cass. civ. 1re, 5 mai 1998, Bull. civ. I, no 168 ; Defrénois 1998.1042, n.
Ph. Delebecque ; Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 111, n. L. Leveneur : « Les tribunaux peu-
vent quand une convention a été passée en vue de la révélation d’une succession en contrepartie
d’honoraires, réduire ces derniers lorsque ceux-ci paraissent exagérés au regard du service rendu ».
15. Cass. com., 2 mars 1993, Bull. civ. IV, no 83 : « Le rapport d’expertise avait mis en évidence la
mauvaise qualité de la prestation de la sté CFCI (une sté de conseil en gestion d’entreprise) et les
honoraires réclamés étaient disproportionnés au regard de la petite taille de l’entreprise »...
16. Cass. civ. 1re, 23 novembre 2011, no 10-16770 ; Bull. civ. I, no 206 ; D. 2012.589, n. M. Séjean ;
D. 2011.2935, obs. I. Gallmeister ; JCP G 2011.1344, obs. B. Walz ; RDC 2012. 396, obs.
Y-M. Laithier : « l’aléa exclusivement supporté par M. B... ne faisait pas obstacle à la réduction éven-
tuelle de la rémunération convenue ».
17. Ex. : Cass. civ. 1re, 19 janvier 1970, Bull. civ. I, no 23 : « Les juges ne peuvent réduire la somme
qu’après la fin du mandat, le mandant a reconnu devoir au mandataire à titre de commission ».
18. Ex. : Cass. com., 21 décembre 1981, Bull. civ. IV, no 450 : l’agent immobilier chargé de commer-
cialiser un programme immobilier perd ses droits en cas d’impossibilité d’exécution du programme,
car il ne peut plus rendre de services : « Si le résultat cherché n’avait pu être obtenu, l’échec de l’opé-
ration était dû à un ensemble de circonstances particulières indépendantes des parties, d’où il résultait
que la raison même du maintien du mandat avait cessé d’exister [...] ; la rémunération promise devait
être limitée à la partie exécutée du contrat ».
19. Cass. com., 9 juillet 2002, Contrats, conc. consom. 2003, comm. no 3, n. L. Leveneur ; n.p.B.
20. Cass. civ. 1re, 14 janvier 2016, nº 14-26474, Bull. civ. I à paraître ; Contrats, conc., consom.
2016, nº 89, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2016. 391, obs. P.-Y. Gautier : la fixation préalable de la rému-
nération « ne fait pas obstacle au pouvoir que le juge tient [de l’art. 1999] de réduire, voire supprimer
cette rémunération, en considération des fautes que l’intermédiaire a commises dans l’exécution de sa
mission » (agent immobilier, qui ne s’était pas avisé d’une servitude non aedificandi conventionnelle).
21. Req., 12 janvier 1863, DP 1863.I.302 : « La cour (d’appel) avait le droit et le devoir de recher-
cher comme elle l’a fait le rapport de l’importance des soins, démarches et peines des mandataires,
314 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
par l’idée de cause requérant une certaine proportionnalité entre les prestations22 ; on fait aussi
appel à l’histoire, où les juges ont toujours exercé ce contrôle. L’explication la plus raisonnable
se trouve dans le pouvoir de surveillance que les juges exercent sur les professions faisant naître
un risque d’abus d’influence23. Plus techniquement, la fixation anticipée du prix d’une prestation
à venir (obligation de faire) fait courir aux parties un risque, qu’elles n’ont peut-être pas accepté,
de sorte que des vérifications peuvent être légitimement opérées24.
Le nouvel article 1165 confirme le droit de fixer le prix pour le prestataire, mais oublie le
pouvoir de révision du juge, évoqué seulement pour sanctionner l’abus.
avec l’importance de la rémunération convenue et de la réduire dans le cas où elle lui paraîtrait exces-
sive » ; cf. aussi * Cass. civ., 29 janvier 1867, Poictevin, DP 1867.I.53 ; S. 1867.I.245 (courtage, qualifié
de mandat).
22. H. CAPITANT, La cause dans les obligations, Dalloz, 1925, no 98.
23. G. CORNU, RTD civ. 1971.172.
24. Supra, no 548.
n CHAPITRE III n
CARACTÈRE TEMPORAIRE
ET INTUITUS PERSONAE
SECTION I
DÉCÈS ET PROCÉDURES COLLECTIVES
Le décès mettant fin au mandat est soit celui du mandant, soit, surtout, celui du
mandataire ; le cas des procédures collectives est un peu différent.
1. Cass. civ. 1re, 5 mars 1968, Bull. civ. I, no 85. En l’espèce, un peintre avait donné à une galerie
« “pour une durée illimitée” le mandat exclusif de vendre ses tableaux moyennant une commission
de 40 % » ; puis, il avait voulu révoquer le mandat ; estimant qu’il s’agissait d’un contrat à durée indé-
terminée, la cour d’appel avait accordé des dommages-intérêts à la galerie (sans doute, parce qu’elle
avait jugé que le peintre avait commis une faute en révoquant le mandat) ; cassation : « L’arrêt attaqué
a dénaturé la clause claire et précise » : le mandat était nul parce que perpétuel.
2. Cass civ. 1re, 6 juin 2000, D. 2001.1345, n. D. Krajeski ; RTD civ. 2000.858, obs. P.-Y. Gautier
(changement d’avocat).
316 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Lorsque le mandant est une personne morale, la dissolution de celle-ci met fin
au mandat7.
552. Mandat à effet posthume. – Depuis la loi du 23 juin 2006 qui a consacré la validité de
ce mandat en lui donnant un régime légal, le Code civil autorise le mandat post mortem, pour
3. Infra, no 573.
4. Ex. : Cass. soc., 22 juin 1978, Bull. civ. V, no 511 : « Vu les articles 1235, 2003 et 2008 ; il résulte
notamment de ces textes, d’une part, que ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition, d’autre
part, que le mandat finit par la mort du mandant ; si le mandataire ignore la mort du mandant, ce qu’il
a fait dans cette ignorance est valide, ignorance qu’il lui incombe de prouver ». En l’espèce, une caisse
de retraite avait continué à verser au compte en banque d’une retraitée, après son décès, les arriérés de
la pension qu’elle lui devait ; la banque a été qualifiée de mandataire de sa cliente ; la cour d’appel
avait rejeté l’action en répétition de la caisse : cassation : la cour d’appel n’avait pas relevé « que la
banque eût établi qu’elle ignorait, au moment de chacun des versements effectués, le décès du titu-
laire du compte ».
5. Req., 22 mai 1860, DP 1860.I.448 ; S. 1860.I.721 : « S’il est vrai que le mandat prend fin par la
mort du mandant, ce principe fléchit devant une volonté contraire exprimée par le mandant ou s’in-
duisant de l’objet du mandat et des circonstances dans lesquelles il a été donné ». En l’espèce, une
personne avait donné à son créancier mandat de vendre ses immeubles afin qu’il se paye sur le prix :
« Le mandat donné par la demoiselle Davy au sieur Boutton-Levesque de vendre ses immeubles pour,
avec le prix en provenant, se couvrir des avances qu’il avait faites pour elle, devait nécessairement,
dans la pensée des parties, se prolonger jusqu’à l’entière libération de la mandante » et donc se pour-
suivre après son décès.
6. Paris, 12 décembre 1967, D. 1968.269 : « Cette disposition (l’art. 2003) n’est que supplétive de la
volonté des parties ; elle cesse donc de s’appliquer lorsqu’il apparaît que telle a été la volonté du
mandant, cette volonté pouvant s’induire notamment de l’objet du mandat et du but dans lequel il a
été donné ».
7. Cass. com., 29 octobre 2002, D. 2003.2231, n. Brillet-Koering ; Contrats, conc. consom. 2003,
comm. no 36, n. L. Leveneur ; n.p.B. ; en l’espèce, une sté de sucrerie devait par un apport partiel d’ac-
tif à une autre sté, qui l’avait également apporté à une troisième sté, laquelle déclara ne plus continuer
le contrat d’agent commercial conclu avec la 1re sté ; jugé que le contrat était éteint, à défaut d’accord
entre les parties pour le continuer.
CARACTÈRE TEMPORAIRE ET INTUITUS PERSONAE 317
deux ans, prorogeables par le juge, donné à une personne physique (qui peut être un futur héri-
tier) ou morale, à condition qu’il soit justifié par un intérêt sérieux et légitime8 ; la forme authen-
tique est requise et la mission en principe gratuite, mais la rémunération est possible et vraisem-
blablement sera fréquente (art. 812 à 812-7). Le mandat prend fin par l’arrivée du terme, le décès
du mandataire ou une révocation judiciaire. Ou encore, si les héritiers se mettent d’accord sur
un nouveau mandataire. L’objet peut en être général, porter sur toute la succession ; le manda-
taire passera des actes d’administration, voire de disposition, si le mandant lui en donne
mission9. Les règles des articles 1984 et suivants s’appliquent, dans la mesure où elles ne sont
pas incompatibles avec ce statut spécial, voisin de l’exécution testamentaire.
De leur côté, conformément à une vieille tradition, les héritiers peuvent confier l’administra-
tion de la succession, une fois ouverte, à l’un d’eux (art. 813, combiné aux art. 1984 et s.). En cas
de crise, le juge a le même pouvoir (art. 813-1).
Les caisses d’épargne et certaines banques prévoient parfois que le mandat donné à un tiers
ou à un successible par le titulaire d’un livret ou d’un compte continuera à produire ses effets
après la mort du titulaire. Cette pratique permet de tourner les règles de la dévolution et de la
transmission successorales, même lorsque celles-ci sont impératives. Elle peut soulever des
conflits avec les héritiers10. Sans contester directement la validité du mandat post mortem, la
Cour de cassation a décidé qu’il ne devait pas heurter les règles successorales d’ordre public
et que l’établissement financier qui l’avait accepté engageait sa responsabilité envers les
héritiers11, ce qui a dissuadé les établissements de continuer cette pratique.
8. Ch. BAHUREL, Les volontés des morts, LGDJ, 2014 ; N. LAURENT-BONNE, « Aux origines du mandat à
effet posthume », RDC 2013. 827 ; M. GRIMALDI, « Le mandat à effet posthume », Defrénois 2007.3.
9. V. Les successions, coll. Droit civil.
10. Ex. : Le mandataire prétend avoir bénéficié d’un don manuel de la part de son mandant ; la Cour
de cassation repousse cette prétention. Ex. : Cass. civ. 1re, 14 juin 1977, Bull. civ. I, no 276 ; Defrénois
1978, art. 31653, no 14, p. 382, obs. G. Champenois : « Le mandataire est tenu de rendre compte au
mandant et la possession des deniers qu’il a perçus en exécution du mandat est entachée de préca-
rité ». V. Les successions, coll. Droit civil.
11. Cass. civ. 1re, 28 juin 1988, Crédit commercial de France, Bull. civ. I, no 209 ; D. 1989.181,
n. I. Najjar ; JCP G 1989.II.21366 ; JCP N 1989.II.74 ; JCP E, 1990.II.15715 ; Defrénois 1990,
art. 36.644, n. M. Beaubrun ; RTD civ. 1989.116, obs. J. Patarin ; RTD com. 1989.298, obs.
B. Bouloc : « Le mandat post mortem [...] ne pouvait transgresser les règles d’ordre public édictées en
matière successorale [...] ; le Crédit commercial de France, en exécutant le mandat sans l’accord de
tous les héritiers du mandant, avait commis à l’égard de ceux-ci une faute génératrice de sa responsa-
bilité ».
12. Cass. com., 20 avril 1967, Bull. civ. III, no 156 ; JCP G 1968.II.15339, 1re esp. : « Un tel mandat
(donné à un agent commercial, mandat d’intérêt commun) étant présumé donné intuitu personae, il
n’existe aucune raison déterminante d’écarter, en l’état actuel de la législation et en l’absence d’une
stipulation contractuelle contraire, l’application de l’article 2003, al. 4 ».
13. Jurisprudence souvent réitérée ; ex. : Cass. civ. 3e, 10 novembre 1998, Bull. civ. III, no 212 ; RTD
civ. 1999.416, obs. P.-Y. Gautier ; en l’espèce, un syndicat de copropriétaires avait saisi les biens d’un
copropriétaire débiteur d’un arriéré de charges ; le syndicat était représenté par une société qui s’était
fondue avec une autre ; or la fusion d’une société en entraîne la dissolution et transfert de son patri-
moine au profit de la société absorbante ; jugé que celle-ci était sans qualité pour représenter le syn-
dicat.
14. Ex. Cass. com., 3 mars 2004, Bull. civ. IV, no 42 ; RTD civ. 2004.525, obs. P.-Y. Gautier.
318 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
554. 2º Procédures collectives. – L’article 2003 prévoit que le mandat prend fin en cas de
déconfiture du mandant ou du mandataire. La règle a toujours été étendue à la faillite, mainte-
nant les procédures collectives. Par exemple, si l’administrateur d’une entreprise soumise à une
procédure collective résilie un contrat d’agent commercial, aucune indemnité n’est due, car le
mandat avait pris fin de plein droit15. Cependant, il est admis que l’administrateur peut maintenir
ces contrats lorsque l’entreprise a pour activité une représentation professionnelle16. En outre, la
procédure collective ne porte pas atteinte au mandat fait dans l’intérêt commun du mandant et
de tiers17.
SECTION II
RÉVOCATION ET RENONCIATION
§ 1. RÉVOCATION
On ne peut concevoir de mandat que si le mandant a confiance dans le man-
dataire ; non seulement lors de la conclusion du contrat, mais pendant toute sa
durée : la confiance vient-elle à cesser, le contrat doit disparaître. Aussi, l’arti-
cle 2004 prévoit, en termes énergiques, que « le mandant peut révoquer sa procu-
ration quand bon lui semble ». Ad nutum18, dit-on souvent.
Le mandat peut être révoqué à tout moment, même si sa durée est déterminée19. La révocation
peut être faite par tous moyens ; ainsi, elle pourra se faire tacitement en conséquence de l’exé-
cution personnelle par le mandant de l’acte pour lequel il avait donné procuration. Elle peut être
partielle20. La rémunération, si elle couvrait pour partie des diligences à venir, devra en principe
être proportionnée au service rendu et, en cas de révocation, ne saurait être complète21.
Elle ne produit effet que si elle est portée à la connaissance du mandataire22 et des tiers
(art. 2005)23 ; jusqu’à cette date, le mandant continue à être obligé par les actes du
mandataire24. La révocation ne constitue pas une sanction disciplinaire et ne se trouve donc
pas soumise aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme
sur le droit à un procès équitable25. Aussi, ni le respect des droits de la défense, ni l’exigence de
motivation ne sont-ils requis.
22. Cass. civ. 3e, 28 février 1984, Bull. civ. III, no 52 : « La révocation du mandat n’est opposable au
mandataire qu’au jour où celui-ci a eu connaissance de la volonté du mandant et non au jour où cette
volonté s’est exprimée ». En l’espèce, il s’agissait d’un agent immobilier ayant le mandat exclusif de
vendre les appartements d’une société immobilière ; la société avait révoqué le mandat par une lettre
recommandée expédiée le 28 décembre, pour prendre effet le 31 ; la lettre ne fut reçue par le manda-
taire que le 8 janvier suivant ; jugé que la société immobilière avait engagé sa responsabilité en ven-
dant ses appartements entre le 1er et le 23 janvier.
23. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 janvier 1965, Bull. civ. I, no 8 : « Le mandant n’établit pas avoir porté la
révocation du mandat à la connaissance du tiers ».
24. Ex. : Cass. civ. 1re, 8 novembre 1994, Bull. civ. I, no 323 ; D. 1995, IR, 6 ; JCP G 1995.IV.79 : jugé
que la convention d’honoraires conclue par le mandataire avec un avocat est opposable aux man-
dants, même pour les diligences postérieures de l’avocat à la date de révocation du mandat, tant que
la révocation n’a pas été portée à la connaissance du tiers : « le mandant doit assumer toutes les obli-
gations résultant des actes conclus par le mandataire au nom du mandant avant la prise d’effet de la
révocation du mandat ».
25. Cass. soc., 25 octobre 2005, Bull. civ. V, no 304 ; RTD civ. 2006.139, obs. P.-Y. Gautier.
26. Ex. : Cass. civ. 1re, 2 mai 1984, Bull. civ. I, no 143 : « Le mandant est libre de révoquer à tout
moment son mandat, sauf à ne pas commettre un abus de droit » ; en l’espèce, il s’agissait d’un man-
dat donné à un avocat.
27. Cass. soc., 24 juin 1973, Bull. civ. V, no 419 : jugé, en l’espèce, que le mandataire révoqué
« n’avait pas apporté la preuve, qui lui incombait, que des mesures malicieuses et vexatoires eussent
précédé ou accompagné sa révocation et ainsi sa demande (en dommages-intérêts) n’était pas fon-
dée ». En l’espèce, un syndic de copropriété avait été révoqué ; la cour d’appel, sans dire qu’il s’agis-
sait d’un mandat d’intérêt commun, avait refusé de lui accorder une indemnité, car la faute du man-
dant n’avait pas été prouvée. Cassation : il fallait rechercher « si la société Agence Lamy (le syndic)
avait commis un manquement de nature à justifier sa révocation sans indemnité ».
28. Cass. civ. 1re, 25 novembre 2015, cité infra nº 570 : un syndicat de copropriétaires bénéficie de
l’article L. 215-1 C. consom. sur le formalisme de la reconduction d’un contrat de services, fût-il repré-
senté par un syndic professionnel.
29. Req., 8 avril 1857, DP 1858.I.134 : « Aucune disposition de la loi ne défend de modifier le
contrat de mandat par des conventions particulières ; ainsi, il est loisible aux parties de stipuler que
la procuration ne pourra être révoquée sans que le mandataire reçoive une indemnité ». I. NAJJAR,
« Mandat et irrévocabilité », D. 2003, chron. 708.
320 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
est irrévocable, le mandant peut renoncer à l’opération projetée, ce qui met fin au mandat sans
qu’il y ait lieu à indemnité30.
La révocation d’un mandat « irrévocable » est, malgré le nom de cette convention, tenue par les
juges pour efficace : le mandataire perd donc ses pouvoirs (prétendument « irrévocables ») en dépit
de l’irrégularité de la révocation ; les actes faits par le mandant en méconnaissance du mandat « irré-
vocable » sont donc valables, sauf fraude31. Mais en révoquant un mandat « irrévocable », le mandant
engage sa responsabilité contractuelle32 ; par conséquent, le mandataire a droit à une indemnisation,
sauf s’il a commis lui-même une faute qui justifie la révocation33. Si une indemnité a été prévue à
l’avance, elle ne saurait être réduite, ne constituant pas une clause pénale34. En matière immobilière,
la clause d’irrévocabilité est inefficace, passé trois mois (décret du 20 juill. 1972, art. 78)35.
30. Cass. civ 1re, 30 mai 2006, Bull. civ. I, no 269 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 184,
n. L. Leveneur : « le mandat, même stipulé irrévocable de rechercher un acquéreur en vue de la
vente d’un bien, ne prive pas le mandant du droit de renoncer à l’opération ; la révocation produit
alors tous ses effets ». De sorte que si une clause pénale a été insérée dans l’acte, elle ne peut jouer.
31. Ex. : Cass. civ. 1re, 8 juin 1970, Bull. civ. I, no 208 ; D. 1971.261, n. J.-L. Aubert : « Le pouvoir sti-
pulé irrévocable ne [...] privait pas (le mandant) du droit de disposer personnellement de ses parts, en
qualité de propriétaire ».
32. Cass. civ. 1re, 5 février 2002, Bull. civ. I, no 40 ; D. 2002, 2640, n. Dagorne-Labbé et somm.
2838, obs. L. Aynès ; JCP G 2003.II.10 029, note D. Martin : « le mandat, même stipulé irrévocable,
[...] ne prive pas le mandant du droit de renoncer à l’opération ; la révocation produit (alors tous) ses
effets, sous réserve de la responsabilité du mandant envers le mandataire ».
33. Cass. civ. 1re, 23 mai 1979, Bull. civ. I, no 153 : « S’il est loisible aux parties de stipuler que le
mandat ne pourra être révoqué sans que le mandataire reçoive une indemnité, cette dérogation au
principe posé par l’article 2004 ne s’applique pas lorsque la révocation du mandat est rendue néces-
saire par une faute imputable au mandataire ; dans ce cas, le mandant n’est plus lié à son égard par la
promesse d’indemnité ».
34. Cass. civ. 1re, 6 mars 2001, Bull. civ. I, no 56 ; D. 2001, somm.2343, obs. Ph. Delebecque ; JCP G
2002.II.10067, n. Y. Dagorne-Labbé ; Contrats, conc. consom. 2001, comm. no 102, n. L. Leveneur ;
en l’espèce, il avait été stipulé qu’un mandat de gestion pouvait être révoqué moyennant « le verse-
ment d’une indemnité égale au montant des rémunérations qui auraient dû être perçues si le mandat
était allé jusqu’à son terme » ; jugé que cette stipulation était valable : « les dispositions de l’art. 2004
ayant un caractère supplétif, la cour d’appel a exactement jugé que l’indemnité contractuelle de rési-
liation litigieuse aménageait simplement les conditions de rupture du contrat et ne représentait que le
prix de la faculté de résiliation unilatérale, en dehors de toute notion d’inexécution, de sorte qu’elle
n’avait pas le caractère d’une clause pénale ».
35. A.-S. LUCAS-PUGET, « La clause d’irrévocabilité du mandat d’entremise de l’agent immobilier »,
Contrats, conc. consom. 2013, Formule no 13.
36. Ex. : ** Cass. civ., 13 mai 1885, Frédéric Fiat, DP 1885.I.350 ; S. 1887.I.220 : « Lorsque le mandat a
été donné dans l’intérêt du mandant et du mandataire, il ne peut pas être révoqué par la volonté de l’une
ou même de la majorité des parties intéressées, mais seulement de leur consentement mutuel, ou pour
une cause reconnue en justice, ou enfin suivant les clauses et conditions spécifiées par le contrat ».
37. * Cass. civ. 1re, 2 octobre 2001, Bernard, Bull. civ. I, no 239 ; Contrats, conc. consom. 2002,
comm. no 3, n. Leveneur ; RTD civ. 2002.118, obs. P.-Y. Gautier ; Defrénois 2002.321,
n. A. Rabreau ; JCP E, 2002.593, n. E. Treppoz et JCP G 2002.II.10094, n. Y. Dagorne-Labbé : « L’ab-
sence de cause légitime ne prive pas d’effet la révocation du mandat d’intérêt commun ».
38. Cass. com., 18 janvier 2000, Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 75, n. L. Leveneur ;
n.p.B. : l’indemnité est due sauf faute du mandataire ou renonciation de sa part et les clauses contrai-
res ou ambiguës sont sans effet.
CARACTÈRE TEMPORAIRE ET INTUITUS PERSONAE 321
39. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 mars 1987, Bull. civ. I, no 94 ; RTD com. 1988.291, obs. B. Bouloc. En l’es-
pèce, jugé qu’il y avait « une cause légitime de révocation sans indemnité » lorsque le mandataire
d’une compagnie d’assurances avait eu une « production » insuffisante, bien que le mandat fût d’inté-
rêt commun.
40. Ex. : Cass. com., 20 juin 1967, Bull. civ. III, no 267 : « La cessation de la fabrication des produits
dont la vente fait l’objet du mandat commercial constitue une cause légitime de rupture de ce mandat
lorsqu’elle ne s’accompagne d’aucune faute du mandant ».
41. Cass. com., 10 février 1975, Bull. civ. IV, no 39 ; RTD civ. 1975.556, obs. G. Cornu : « Le mandat
d’intérêt commun peut être révoqué [...] suivant les clauses et conditions spécifiées par le contrat ».
Toutefois : Cass. com., 2 mars 1993, supra, no 550 : « les usages professionnels ne prévalent pas sur la
loi ».
42. Cass. com., 5 décembre 1989, Bull. civ. IV, no 304 : « La dénonciation dans le délai contractuel
d’un contrat conclu pour une durée déterminée ne constitue pas la résiliation de ce contrat avant
l’échéance du terme ; [...] la sté Patz, loin de résilier le contrat litigieux, n’avait fait qu’user de la faculté
qui s’y trouvait stipulée de ne pas le renouveler au terme convenu ».
43. Cass. com., 18 janvier 2000, préc.
44. Cass. com., 16 mars 1993, Bull. civ. IV, no 109 ; D. 1994, somm., 224, obs. Y. Picod : le manda-
taire, non tenu d’une obligation d’exclusivité, qui travaille pour un autre mandant sans l’accord du
mandant initial, n’est exempt de faute qu’à la condition que « les produits (sic) de ce dernier (le nou-
veau mandant) ne soient pas concurrents de ceux du premier mandant ».
45. Ex. : les distributeurs de presse ont comme le journal ou la messagerie un intérêt à la distribution
de la presse, même s’ils ne courent aucun risque financier lorsque le journal reprend les invendus :
Cass. com., 2 mars 1993, Bull. civ. IV, no 90 ; D. 1994.48, n. T. Aubert-Monpeyssen ; JCP G
1993.II.22176, n. M. Behar-Touchais ; Contrats, conc. consom. 1993, no 106 n. L. Leveneur.
E. CADOU, La distribution de la presse, LGDJ, 1998.
46. Dans cette dernière hypothèse, tant le mandat que sa révocation devront obéir à la règle d’una-
nimité ou de majorité des deux tiers, selon les cas (art. 815-3, L. 23 juin 2006). À défaut, la révocation
serait nulle, ou inopposable au mandataire.
47. Cass. com., 20 janvier 1971, Bull. civ. IV, no 20 : « La stipulation d’un salaire ne permet pas, à
elle seule, de considérer le mandat comme étant donné dans l’intérêt du mandataire ».
48. Définition donnée par Cass. com., 8 octobre 1969, Bull. civ. IV, no 284 ; D. 1970.143, 1re esp. ;
JCP G 1970.II.16339 ; RTD com. 1970.474, obs. J. Hémard : « La réalisation de l’objet du mandat pré-
sentait (pour le mandant et le mandataire) l’intérêt d’un essor de l’entreprise par création et dévelop-
pement de la clientèle ».
49. Cass. com., 10 février 1970, Bull. civ. IV, no 49 ; D. 1970.392 : « En appliquant ainsi en la cause
les règles spéciales au mandat d’intérêt commun alors qu’en vertu (de l’art. L. 132-1, C. com.), les arti-
cles 1984 et s. ne s’appliquent qu’à celui qui, à l’égard de la clientèle, agit au nom du commettant et
non pas en son propre nom, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Par
322 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
commerciale, au prétexte que le concessionnaire agit pour son propre compte50... ni des actes
purement matériels accomplis par l’intermédiaire51. Celui qui ne fait que présenter la clientèle à
son cocontractant n’est pas non plus un mandataire d’intérêt commun52.
conséquent, si le contrat est à durée indéterminée, le commissionnaire n’a droit à aucune indemnité
en cas de résiliation, sauf s’il y a eu abus du droit ou violation du délai de préavis.
50. Refus de la qualification de mandat d’intérêt commun : * Cass. com., 7 octobre 1997, Maine
Auto, Bull. civ. IV, no 252 ; JCP G 1998.II.10085, n. J.-P. Chazal ; D. 1998.413, n. Chr. Jamin et somm.
333, obs. Ferrier ; RTD civ. 1998.130, obs. crit. P.-Y. Gautier et 370, obs. J. Mestre : « Le contrat de
concession exclusive ne constitue pas un mandat d’intérêt commun [...], le concédant peut résilier le
contrat de concession sans donner de motifs, sous réserve de respecter le délai de préavis et sauf abus
du droit de résiliation ». Ph. BRIAND, « Le mandat en droit de la distribution » in Le mandat, un contrat
en crise ?, dir. N. Dissaux, Economica, 2011, p. 135 s. Ph. GRIGNON, Le fondement de l’indemnité de fin
de contrat des intermédiaires du commerce, Litec, 2000, nos 242 et s.
51. Cass. com., 8 janvier 2002, Bull. civ. IV, no 1 ; RTD civ. 2002.323, obs. P.-Y. Gautier ; Contrats,
conc. consom. 2002, comm. no 87, n. L. Leveneur ; en l’espèce, les Galeries Lafayette (un grand maga-
sin) avaient concédé à un commerçant M. Sebagh, un emplacement « afin qu’y soient vendus des pro-
duits choisis par ce dernier mais commandés par la société » ; les Galeries Lafayette ayant révoqué
cette concession, jugé qu’il ne s’agissait pas d’un mandat d’intérêt commun, « les préposés de Sebegh
n’ayant effectué que des actes matériels de présentation des produits à l’exclusion d’actes juridiques
pour le compte de la société ».
52. Cass. com. 8 juillet 2008, Bull. civ. IV no 148 ; D. 2008.2140, n. X. Delpech ; Contrats, conc.
consom. 2008, comm. no 229, n. N. Mathey. L’arrêt précise que la qualification de mandataire d’inté-
rêt commun est aussi exclue parce que la clientèle appartient à l’intermédiaire et n’est point partagée.
53. Biblio. : J.-M. LELOUP, Les agents commerciaux, Delmas, 2016-2017.
54. Cass. com., 10 décembre 2003, Bull. civ. IV, no 198 ; D. 2004.210, n. E. Chevrier ; Contrats,
conc. consom. 2004, comm. no 34, n. L. Leveneur ; RDC 2004, p. 731, obs. crit. M. Behar-Touchais ;
en l’espèce, un contrat avait qualifié une personne d’« agent commercial indépendant » ; après quel-
ques années d’activités, l’entreprise pour laquelle elle travaillait décida d’y mettre fin ; l’« agent com-
mercial indépendant » demanda le versement d’indemnités, que lui refusa la cour d’appel ; rejet du
pourvoi : « l’application du statut d’agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les
parties dans le contrat, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leurs conventions mais des condi-
tions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée ».
55. Cass. com., 25 juin 2002, Bull. civ. IV, no 110 ; D. 2002.2529, n. E. Chevrier : rien n’oblige les
parties à signer un contrat écrit. Le juge est également libre de rechercher la qualification du contrat,
à la demande d’une partie qui la conteste : Cass. com., 10 février 2015, nº 13-28262, Bull. civ. IV
nº 17 ; Contrats, conc. consom. 2015, nº 85, n. N. Mathey.
56. Cass. com., 15 janvier 2008, Bull. civ. IV, no 4, JCP G 2008.IV.1285 ; en conséquence, si le pré-
tendu agent commercial négocie des contrats « pour son propre compte », et non « au nom et pour le
compte du mandant », il ne peut prétendre « au bénefice ou statut d’agent commercial ».
57. Cass. com., 18 octobre 1988, Bull. civ. IV, no 277 : l’agent commercial qui a pris l’initiative de la
rupture n’a pas droit à une indemnité.
58. Ex. : Cass. com., 15 octobre 2002, Contrats, conc. consom. 2003, comm. no 19, n. L. Leveneur ;
n.p.B. ; la faute grave est celle qui « porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun
et rend impossible le maintien du lien contractuel... ». C’est au mandant qui s’en prévaut d’en rappor-
ter la preuve.
59. Ex. : Cass. com., 13 avril 1967, Bull. civ. IV, no 145 : « Il appartenait à la société (le mandant) de
prouver que la résiliation du mandat était justifiée par une faute des mandataires ».
CARACTÈRE TEMPORAIRE ET INTUITUS PERSONAE 323
Le Code de commerce a intégré dans notre droit une directive communautaire, consacrant le
droit existant, mais en développant la protection des agents : droit à commission si le contrat a
été conclu grâce à lui, privation de l’indemnité uniquement en cas de faute grave (art. L. 134-
13), préavis obligatoire avant la rupture d’un contrat à durée indéterminée (art. L. 134-11), trans-
formation en contrat à durée indéterminée d’un contrat à durée déterminée qui continue à être
exécuté après son terme (art. L. 134-11), droit à indemnité en cas de cessation du contrat quelles
60. Cass. com., 8 juillet 2003, Bull. civ. IV, no 116 ; D. 2003.2234, n. crit. E. Chevrier : « l’arti-
cle L. 134-16, C. com. qui répute non écrite toute clause contraire à certaines dispositions du statut
des agents commerciaux, n’interdit pas aux parties de subordonner la prise d’effet du contrat d’agent
commercial à l’immatriculation de l’agent sur le registre spécial » ; en l’espèce, la cour d’appel avait
imputé les commissions reçues avant l’immatriculation sur l’indemnité de rupture ; rejet du pourvoi.
61. Le caractère d’ordre public de l’article L. 134-12 produit au moins deux conséquences (la
matière est très contentieuse) 1o) Cass. com., 28 mai 2002, Bull. civ. IV, no 91 ; D. 2003, somm. 459,
obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2002.833, obs. P.-Y. Gautier : « les parties ne peuvent décider qu’un
comportement déterminé constituera une faute grave et la clause contractuelle qui définit la non-
atteinte du chiffre d’affaires minimum à réaliser comme une faute grave justifiant le non-renouvelle-
ment du contrat sans indemnité doit être réputée non écrite ». 2o) Ce sont les éléments retenus par
l’article 134-12 qui doivent être retenus pour fixer l’indemnité, non d’autres : Cass. com., 25 juin 2002,
Bull. civ. IV, no 109 ; Contrats, conc. consom. 2002, comm. no 152, n. L. Leveneur « l’article 134-12 a
transposé la directive (du 18 décembre 1986) en optant pour la réparation du préjudice causé par la
cessation des relations contractuelles, et non la réparation de la perte de clientèle ».
62. Jurisprudence plusieurs fois réitérée ; ex. Cass. com., 17 juin 2003, Bull. civ. IV, no 99 ; D.
2003.1910, n. E. Chevrier : « si les parties peuvent convenir d’indemnités se cumulant avec celle qui
est prévue par le texte toute clause prévoyant une indemnité différente est non avenue ».
63. Cass. com., 15 octobre 2002 préc.
64. Ex. : Cass. soc., 21 novembre 1968, Aff. Tupperware, Bull. civ. V, no 525 ; JCP G 1969.II.15943 :
le contrat par lequel un fabricant « confie la vente d’articles ménagers en matière plastique [...] à des
démonstratrices qui, selon le procédé dit “home party”, les placeront dans le cercle de leurs relations
au cours de réunions organisées par une hôtesse à laquelle la démonstratrice remet ultérieurement les
objets commandés par les clientes moyennant le versement du prix d’achat » n’est pas un contrat de
travail de VRP, à cause de l’indépendance des intéressées (liberté des horaires), mais un mandat
d’agent commercial.
65. Puis, la Cour de cassation, statuant sur une clause de non-concurrence stipulée dans un contrat
de travail, a ajouté une condition nouvelle : que l’employeur devait avoir versé une contrepartie finan-
cière : Cass. soc., 10 juillet 2002, 3 arrêts, Bull. civ. V, no 239 ; D. 2002.2491, n. Serre ; JCP G
2002.II.10162, n. F. Petit ; Defrénois 2002.1619, obs. R. Libchaber ; RDC 2003.17, obs. J. Rochfeld :
« une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts
légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de
l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie
financière, ces conditions étant cumulatives ».
66. Ex. Cass. com., 28 mai 2002, préc. : « il appartient au seul juge de qualifier de faute grave les
faits qui lui sont soumis [...], les parties ne peuvent décider qu’un comportement déterminé (non-réa-
lisation par l’agent d’un quota) constituera une faute grave privative d’indemnité ».
324 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
qu’en soient la forme et la cause (art. L. 134-12)67. Le mandant, en vertu de son obligation de
loyauté (art. L. 134-4), doit mettre l’agent en mesure d’exécuter le contrat, veillant à ce qu’il
puisse pratiquer des prix concurrentiels par rapport aux autres distributeurs68. L’agent est lui
aussi tenu de se montrer loyal (art. L. 134-3)69 ; il a un an pour réclamer l’indemnité, à peine
d’être déchu de son droit (art. L. 134-12, al. 2)70.
67. Les juges se montrent en général protecteurs de l’agent ; ex. : l’appréciation restrictive de la
faute grave : Aix, 19 juin 2001, JCP G 2002.II.10 122, n. E. Mouveau.
68. Cass. com., 24 novembre 1998, Bull. civ. IV, no 177 ; Contrats, conc. consom. 1999, comm.
no 56, n. M. Malaurie-Vignal ; Defrénois 1999.371, n. D. Mazeaud ; RTD civ. 1999.98, obs. J. Mestre
et 646, obs. P.-Y. Gautier ; JCP G 1999.II.10210, n. Y. Picod : « Le mandant doit mettre l’agent com-
mercial en mesure d’exécuter son mandat ».
69. Cass. com., 15 mai 2007, Bull. civ. IV, no 128 ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. no 202,
n. M. Malaurie-Vignal : l’agent commet un « manquement à l’obligation de loyauté, essentielle au
mandat d’intérêt commun, dans le fait d’avoir caché l’activité parallèle » ; il n’a donc pas d’indemnité
de rupture, du fait de cette faute grave, même si les parties ne sont pas sous exclusivité.
70. Cass. com. 11 mars 2008, nº 07.10590, Bull. civ. IV, no 55 ; JCP G 2008.IV.1713 : « le délai de
déchéance d’un an prévu à l’art. L. 134-12 C. com. ne s’applique pas à l’indemnité visant à compenser
le non-respect du préavis prévu par l’art. L. 134-11 du même Code ».
71. H. DE BALZAC, les premières lignes de L’illustre Gaudissart : « Le Commis Voyageur, personnage
inconnu dans l’antiquité, n’est-il pas une des plus curieuses figures créées par les mœurs de l’époque
actuelle ? N’est-il pas destiné, dans un certain ordre de choses, à marquer la grande transition qui,
pour les observateurs, soude le temps des exploitations matérielles au temps des exploitations intellec-
tuelles ».
72. Le VRP peut être rémunéré par une somme fixe ou par une commission ou par une combinai-
son des deux. La charge de la preuve du droit à rémunération pèse sur le VRP (la question se pose
surtout lorsqu’il s’agit d’une commission) : ex. : Cass. Ass. plén., 26 février 1988, Bull. civ. Ass. plén.,
no 2 : « Il incombait au demandeur (le VRP) d’établir qu’il existait un accord ou un usage en vertu
duquel les marchés sur appel d’offres ouvraient droit à commission ».
73. Cass. soc., 2 mars 1966, Bull. civ. IV, no 225 : « Cette indemnité est destinée à réparer le préju-
dice que lui cause la perte, pour l’avenir, de la faculté de continuer à visiter ladite clientèle ». La charge
de la preuve de la création ou du développement de la clientèle incombe au VRP : Cass. soc., 2 février
1961, Bull. civ. IV, no 164.
74. Ex. : Cass. soc., 19 juillet 1988, Bull. civ. V, no 468 : le représentant « n’acceptant pas, malgré
des mises en demeure réitérées, d’exécuter les instructions de son employeur, avait continué à visiter
une partie de son ancien secteur attribuée à un autre représentant, au risque de nuire à la crédibilité de
la société et refusé de visiter ses nouveaux clients au risque de les voir perdus par la société ; elle (la
cour d’appel) a pu en déduire [...] que l’attitude de celui-ci (le VRP) constituait une faute grave justi-
fiant la rupture immédiate du contrat de travail ».
75. Cass. civ., 7 juillet 1988, Bull. civ. V, no 435 ; RTD com. 1989.299, obs. B. Bouloc.
76. N. DISSAUX, « La gérance-mandat, une troisième voie ? » D. 2010. 667.
CARACTÈRE TEMPORAIRE ET INTUITUS PERSONAE 325
§ 2. RENONCIATION
560. Une règle bien tempérée. – Puisque le mandat repose sur la confiance, le
mandataire77 peut y renoncer (art. 2003) en notifiant sa renonciation au mandant (art. 2007,
al. 1) : il ne peut être maintenu contre son gré dans les liens du mandat. Mais il doit une indem-
nité au mandant si cette renonciation lui cause un préjudice78, sauf s’il « se trouve dans l’impos-
sibilité de continuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice considérable »
(art. 2007, al. 2)79.
SECTION III
SUBSTITUTION DE MANDATAIRE
77. La règle ne s’applique pas aux mandataires de justice : Cass. civ. 1re, 10 juin 1986, Bull. civ. I,
o
n 161 : « Le mandataire désigné par autorité de justice ne peut mettre fin lui-même à ses fonctions
sans y avoir été expressément autorisé par une décision de l’autorité qui l’a désigné ». En l’espèce, le
tribunal de commerce avait désigné un administrateur judiciaire afin d’assurer le redressement d’une
entreprise en difficultés financières : il était prévu que ses honoraires étaient de 11 500 € mensuels,
que si sa mission venait à être écourtée par le tribunal, les honoraires continueraient à être dus pour
une durée d’un an, « que le rôle de M. Gandur (l’administrateur) “implique une intervention minimale
d’une année, quel qu’en soit le statut juridique” ». Au bout de six mois, « M. Gandur a informé la
société de sa démission de son mandat judiciaire, tout en se disant disposé à l’assister “en tant que
conseil” ». Jugé qu’il n’avait plus droit à indemnité du jour de sa démission.
78. Ex. : Cass. com., 14 mars 1995, Bull. civ. IV, no 74 ; RTD civ. 1996.195, obs. P.-Y. Gautier : « La
brusque cessation des fonctions de son agent commercial [...] a entraîné pour la sté Kempel (le man-
dant) divers préjudices ».
79. Ex. : une maladie, un changement de résidence ou de profession, une inimitié profonde entre
mandant et mandataire, etc.
80. Req., 8 janvier 1912, DP 1913.I.185, 2e esp., n. H. Lalou ; S. 1912.I.359 (avoué).
81. Bl. MALLET-BRICOUT, La substitution de mandataire, th. Paris II, Éd. Panthéon-Assas 2000, préf.
Chr. Larroumet : critique le rapprochement de la substitution de mandataire avec le sous-mandat.
82. Jurisprudence souvent réitérée ; ex. : Cass. civ. 1re, 28 février 1989, Bull. civ. I, no 98 ; Defrénois
1989, art. 34.530, obs. M. Vion ; RTD com. 1989.720, obs. B. Bouloc : « Le mandant a la faculté de
laisser à celui auquel est remise la procuration, le soin de choisir le mandataire ».
83. Ex. : Cass. civ. 1re, 29 mai 1980, Bull. civ. I, no 163 : « Le mandataire qui s’est substitué un tiers
pour l’exécution de sa mission, même avec l’autorisation du mandant, reste tenu d’une obligation de
surveillance vis-à-vis du mandataire substitué pour la bonne exécution du mandat ». En l’espèce, jugé
qu’une agence de voyage avait commis « un manquement à son obligation de veiller à ce que les
mesures prises par son correspondant local soient exécutées dans des conditions de sécurité suffisan-
tes ».
326 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Lorsque la substitution est permise, le mandant est tenu d’exécuter les actes
conclus en son nom et pour son compte par le mandataire substitué. En outre, le
Code civil accorde au mandant « dans tous les cas » (c’est-à-dire qu’il y ait eu ou
non autorisation), une action contre le sous-mandataire, qualifiée d’action directe
(art. 1994, al. 2) : il faut et il suffit que le mandataire substitué ait agi pour le
compte du mandant initial84. La Cour de cassation a également accordé une
action directe au mandataire substitué contre le mandant85 ; il y a eu ainsi « bila-
téralisation » de l’action directe. La recevabilité de cette action n’est pas subor-
donnée à la connaissance par le mandant de l’existence du sous-mandat86.
Le sous-mandataire peut donc directement réclamer ses honoraires au mandant ; mais dans la
double limite des engagements du mandant et de ceux du mandataire, le mandant peut lui
opposer le paiement au mandataire avant l’exercice de l’action87 ; l’action directe est donc
« imparfaite ». Le fondement de cette règle est incertain : cession de contrat ? Sous-contrat ?
Contrat conclu directement entre le sous-mandataire et le mandant par l’entremise du
mandataire88 ? C’est un sous-contrat un peu particulier, une sorte de représentation au second
degré89.
Entre mandataire et sous-mandataire, les relations sont celles qui découlent d’un mandat. Ainsi
des relations directes unissent les deux extrêmes (mandant et sous-mandataire) sans effacer celles
qui liaient les deux groupes de contractants (mandant-mandataire ; mandataire-sous-mandataire)90.
Le sous-mandataire est tenu d’exécuter les ordres qui lui sont notifiés par le mandant91.
84. Jurisprudence constante : Ex. : Cass. com., 2 décembre 1997, Vilgrain, Bull. civ. IV, no 313 ;
Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 42, n. L. Leveneur ; JCP G 1998.II.10160, note crit.
M. Storck : il résulte de l’art. 1994 que la substitution de mandataire sans autorisation du mandant
« avait pour seul effet de rendre le mandataire responsable de la gestion de celui qu’il s’est substitué,
elle n’était pas interdite » ; la responsabilité du mandataire substitué peut être engagée s’il a commis
une faute.
85. * Cass. civ. 1re, 27 décembre 1960, Louis Bruno, Bull. civ. I, no 573 ; D. 1961.491, n. J. Bigot ;
RTD civ. 1961.700, obs. G. Cornu ; GAJ civ., no 283 : « Le mandant peut agir directement contre la
personne que le mandataire s’est substitué ; par voie de conséquence, le substitué jouit d’une action
personnelle et directe contre le mandant pour obtenir le remboursement de ses avances et frais et le
paiement de la rétribution qui lui est due ».
86. Cass. com., 19 mars 1991, Bull. civ. IV, no 102 ; D. 1992, somm., 81, obs.
M. Rémond-Gouilloud ; RTD civ. 1992.414, obs. P.-Y. Gautier : « L’action directe du mandataire sub-
stitué contre le mandant peut être excercée dans tous les cas, que la substitution ait été, ou non, auto-
risée par le mandant ».
87. Jurisprudence plusieurs fois réitérée : Ex. : * Cass. com., 3 décembre 2002, Ziegler France,
Bull. civ. IV, no 188 ; 2003.786, n. B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2003.312, obs. P.-Y. Gautier ; Defrénois
2003.236, n. E. Savaux ; Contrats, conc. consom. 2003, comm. no 55, n. L. Leveneur : l’action directe
« ne peut toutefois être exercée qu’autant que l’action du mandataire intermédiaire n’est pas elle-
même éteinte [...] ; (lorsque) celui-ci a reçu les fonds, l’extinction de sa créance fait obstacle à l’action
directe » ; rapp. infra, no 755, la même situation faite au sous-traitant.
88. Ph. DELEBECQUE, D. 1996.290, no 13, sous Cass. com., 20 février 1996.
89. M. COZIAN, L’action directe, th. Dijon, LGDJ, 1969, préf. A. Ponsard, nos 62-93.
90. Autre conséquence : opposabilité de la clause compromissoire au mandataire substitué :
Cass. civ. 1re, 8 février 2000, Bull. civ. I, no 36 ; Rev. arb. 2000.280, obs. P.-Y. Gautier ; JCP G
2001.II.10570, n. D. Ammar : « la clause d’arbitrage international s’impose à toute partie venant aux
droits de l’un des contractants ; la cour d’appel [...] en a exactement déduit que la convention d’arbi-
trage stipulée dans le mandat du 9 février 1966 devait recevoir application à l’égard des mandataires
substitués ».
91. Cass. civ. 1re, 13 juin 2006, Bull. civ. I, no 304 : en l’espèce, semble-t-il (la Cour de cassation est
elliptique), un mari (« mandant originaire ») avait donné mandat à sa femme, (« mandataire intermé-
diaire ») de faire vendre par un commissaire-priseur divers meubles ; la femme révoqua le mandat
donné au commissaire-priseur ; le commissaire-priseur poursuivit néanmoins la vente sur instruction
du mari ; jugé qu’il n’était pas en faute.
n CHAPITRE IV n
CONTRAT CONSENSUEL
Comme la plupart des contrats, le mandat est, dans son principe même, un
contrat consensuel (art. 1985). Il peut donc être conclu par écrit, ou
verbalement1, ou même tacitement. L’écrit peut être dématérialisé (art. 1366
et s., ancien art. 1316-1) Là aussi, le principe comporte des tempéraments : dans
certains cas ou à certains égards, il est soumis à un formalisme qui, parfois consti-
tue même une solennité (Section I), parfois est simplement probatoire (Section II).
SECTION I
MANDAT TACITE ET MANDAT SOLENNEL
L’admission du mandat tacite est dangereuse, car le mandat ne doit pas être donné à la légère
et le mandant ne doit pas être engagé à son insu. Elle apparaît surtout lorsqu’il y a communauté
de vie3 ou d’intérêts4 ; souvent, les officiers ministériels en bénéficient5.
Le principe est que le mandat tacite doit être prouvé selon le droit commun6. La jurisprudence
admet facilement qu’il y ait un commencement de preuve par écrit7 ou une impossibilité morale
ou matérielle de se procurer un écrit8 rendant, l’un et l’autre, admissibles les présomptions et les
témoignages ; elle admet aussi, avec la même facilité, que le mandant a tacitement ratifié le
mandat9.
563. Mandat solennel. – Bien que dans son principe, le mandat soit consen-
suel, il est parfois solennel : il devient alors un contrat dont la validité est subor-
donnée à l’accomplissement de certaines formes, tantôt simples, tantôt authen-
tiques.
Les formes imposées par la loi peuvent être simples lorsqu’elles sont des mentions informati-
ves : un écrit sous signature privée serait suffisant, certains textes le précisant expressément
(L. 29 janvier 1993, L. Sapin sur le mandat « forcé » unissant les annonceurs aux intermédiaires
en achat d’espaces publicitaires). Le mandat « d’aliéner » (c’est-à-dire de faire des actes de
disposition10) doit être « exprès » (art. 1988, al. 2), ce qui implique un écrit. Cette règle est à la
3. Ex. : l’achat fait par un mineur habitant avec ses parents : TI Nîmes, 29 juin 1982, D. 1983.13
(Droit des personnes, coll. Droit civil). De même, une cour d’appel s’est fondée sur un ensemble de
faits pour décider « qu’après sa majorité, (une mineure) avait maintenu tacitement à son père le man-
dat qu’auparavant il tenait de la loi » : Req., 13 juin 1936, DH 1936.393 ; S. 1936.I.388. L’hypothèse
la plus vivante de mandat tacite est le mandat tacite entre époux, prévu par la loi (art. 1432, al. 1 et
1540) ; il n’y a mandat tacite que s’il s’agit d’un acte d’exploitation normale. V. toutefois pour un
emprunt de 221 812 fr. fait par un mari pour les besoins d’une exploitation agricole : Cass. civ. 1re,
12 novembre 1986, Bull. civ. I, no 259 ; JCP G 1988.II.21128, n. Ph. Simler ; Defrénois 1987,
art. 33393, no 32, p. 561, obs. G. Champenois. Dans un autre arrêt, la Cour de cassation a admis
qu’un bail commercial fait par un mari sur un propre de sa femme pouvait être justifié par un mandat
tacite : Cass. civ. 1re, 21 mars 1984 ; Defrénois 1984, art. 33432, no 121, p. 1498, obs. G. Champenois ;
n.p.B. Entre époux, l’acte d’exploitation normale est largement compris, parce que les relations entre
époux sont confiantes. De même, dans une moindre mesure, entre concubins. V. Droit des régimes
matrimoniaux, coll. Droit civil.
4. Ex. : un malade peut donner un mandat tacite au médecin traitant de charger un laboratoire de
faire un examen médical : Cass. civ. 1re, 27 mars 1979, Bull. civ. I, no 102 ; D. 1980, IR, 167, obs.
J. Penneau. De même, un représentant de commerce, selon les circonstances, a (Req., 27 nov. 1935, S.
1936.I.109) ou n’a pas (Req., 26 nov. 1935, S. 1936.I.69) le pouvoir de vendre les marchandises de
l’entreprise qui l’emploie. La loi a prévu des mandats tacites entre indivisaires pour les actes d’admi-
nistration (art. 815-3, al. 2, L. 31 déc. 1976).
5. Ex. : d’après les circonstances, la clause insérée dans un acte de vente ou de prêt selon laquelle le
paiement se fera en l’étude du notaire vaut, ou ne vaut pas, mandat tacite de recevoir les paiements :
Req., 10 octobre 1940, Gaz. Pal. 1940.II.166 ; Cass. civ., 3 novembre 1947, JCP G 1947.II.4009,
n. R.C.
6. Ex. : Cass. civ. 3e, 29 octobre 1970, Bull. civ. III, no 562 : « La preuve du mandat, même tacite,
reste soumise aux règles générales de la preuve des conventions et doit répondre aux exigences des
articles 1341 et s. » ; v. J. CARBONNIER, obs. RTD civ. 1947.205.
7. Cass. civ. 1re, 16 janvier 1952, Bull. civ. I, no 26 : un client adresse de nombreuses lettres à son
notaire habituel, le priant d’entrer en relations avec le vendeur, afin d’en obtenir un prix définitif : la
preuve du mandat tacite d’acheter est faite.
8. Req., 13 janvier 1925, S. 1926.I.227.
9. Req., 13 juin 1936, préc. En l’espèce, la fille majeure avait eu connaissance de la transaction
faite en son nom par son père ; jugé qu’il y avait eu mandat tacite.
10. Cass. com., 10 janvier 1966, Bull. civ. III, no 15 ; D. 1966, somm., 53 ; en l’espèce, le mandataire
des commanditaires d’une société en commandite (c’était, semble-t-il, un mandat général) avait, au
nom de ses mandants, transformé la société en société anonyme ; la cour d’appel avait décidé que
cet acte était opposable aux tiers. Cassation : « Le mandataire doit pour l’accomplissement de tous
les actes autres que les actes d’administration être habilité par un mandat exprès » ; or la transforma-
tion d’une société n’est pas un acte d’administration.
CONTRAT CONSENSUEL 329
fois une règle de forme et une règle d’interprétation11. La loi impose parfois que la procuration
soit authentique, à peine de nullité du mandat et, par voie de conséquence, de l’acte consenti en
vertu de la procuration nulle. Par exemple, à l’égard des actes de l’état civil (art. 36) ou des
révocations de testament (L. 25 ventôse an XI, art. 9, al. 2) ; cette dernière disposition n’a aucune
portée pratique car le formalisme imposé pour la révocation des testaments est léger. La loi exige
parfois l’emploi d’un contrat type (ex. art. 18, L. 1965, loi du 24 mars 2014, pour les syndics de
copropriété). Et même des formalités pré-contractuelles (art. 21, L. 1965, loi Macron du 6 août
2015 : « mise en concurrence de plusieurs projets de contrats »).
En dehors de dispositions expresses de la loi, la jurisprudence, systématisée par la doctrine, a
posé un principe reposant sur une distinction.
Le problème se pose lorsque l’acte à passer par le mandataire est authentique, par exemple
une donation, un contrat de mariage, une constitution d’hypothèque ou l’acceptation d’une ces-
sion de créance par le débiteur.
Il n’existe aucune difficulté lorsque l’authenticité n’est pas imposée par la loi mais résulte de la
volonté des parties12 : le mandat peut alors être sous signature privée. Dans le cas contraire,
lorsque la loi n’a pas expressément précisé les conditions de forme que doit remplir la procura-
tion ayant un acte solennel pour objet, deux principes paraissent s’opposer : celui du consensua-
lisme (le mandat n’est soumis à aucune forme) et celui du parallélisme des formes (la procura-
tion devrait avoir la même forme que l’acte qu’elle permet de passer). La conciliation entre ces
deux principes est faite au moyen d’une distinction découlant des fondements sur lesquels
repose le formalisme.
11. Ex. : Cass. civ. 1re, 21 décembre 1976, Bull. civ. I, no 421 ; en l’espèce, un propriétaire avait écrit
à une agence immobilière : « J’ai décidé de vendre au plus vite mon studio (suivent les conditions). Si
vous pensez avoir un acquéreur, faites-moi le savoir (sic) immédiatement et je viendrai sur place,
etc. » ; la cour d’appel avait décidé que cet acte constituait un mandat de vendre. Cassation : « Ces
documents ne comportaient pas un mandat exprès de vendre ». Infra, no 571.
12. Cass. civ. 1re, 5 janvier 1973, Bull. civ. I, no 8 : « Un mandat de passer un acte authentique ne
doit lui-même revêtir cette forme que si la passation de l’acte sous forme authentique est exigée par
la loi, ce qui n’est pas le cas en matière de prorogation de bail ».
13. Cass. civ. 1re, 27 juin 1995, Bull. civ. I, no 286 ; D. 1996.133, n. Micha-Gaudet : « La cour d’ap-
pel, qui a constaté l’insuffisance de la mention manuscrite, laquelle ne comportait pas l’indication en
toutes lettres et en chiffres du montant de la somme cautionnée et rendait l’acte irrégulier, celui-ci
constituant seulement un commencement de preuve par écrit susceptible d’être complété par des élé-
ments de preuve extrinsèques, a, par une appréciation souveraine de la portée des éléments de preuve
qui lui étaient soumis, retenu que ce commencement de preuve se trouvait complété par la reconnais-
sance de dette faite par les époux Aubriet, en leur qualité de caution, au profit des époux Collet dans
leur protocole du 11 septembre 1985, ainsi que par des actes d’exécution par les époux Aubriet de ce
protocole d’accord [...] ».
330 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
lui-même ; ces deux actes forment un tout indivisible et sont soumis aux mêmes
conditions »14.
Cette règle comporte une importante exception. À l’égard des hypothèques et des autres sûre-
tés réelles constituées par une société, le pouvoir d’hypothéquer peut être donné par un acte
sous signature privée (art. 1844-2) ; cette exception a d’abord été admise au profit des seules
sociétés commerciales en 1893 ; elle s’étend maintenant à toutes les sociétés, ce qui s’explique
par des besoins de commodité et, peut être aussi, parce que les sociétés n’ont guère besoin
d’être protégées. Bien que le texte ne le dise pas expressément, il doit également s’appliquer à
la mainlevée de l’hypothèque, si elle est consécutive à un paiement.
SECTION II
PREUVE
La preuve du mandat relève du droit commun régissant les actes juridiques
(art. 1985, al. 1), sauf certains infléchissements tenant à son particularisme. Il
faut distinguer l’existence et le contenu du mandat, et non seulement, comme
en droit commun, les rapports entre les parties (mandat et mandataire) et à l’égard
des tiers (mandataire et tiers).
14. * Cass. civ., 7 février 1854, de Barante, DP 1854.1.49 ; S. 1854.I.322 ; GAJ civ., nº 308 ; v. Droit
des sûretés, coll. Droit civil ; S. BECQUÉ, Le parallélisme des formes en droit privé, th. Paris II,
éd. Panthéon-Assas, 2004, no 250.
15. L’écrit peut être électronique : Caen, 5 mars 2015, RDC 2016. 241, obs. J. Huet.
16. Ex. : Cass. com., 4 mai 1970, Bull. civ. IV, no 141 ; en l’espèce, Chavanne prétendait avoir reçu
d’Imbert un mandat pour conduire un procès en son nom, à compte à demi ; il proposa d’en faire la
preuve par témoins ; la cour d’appel l’avait débouté : « La conduite d’un procès même commercial [...]
(est) un acte essentiellement et exclusivement civil ». Cassation : « Ledit mandat [...] était [...] commer-
cial à l’égard d’Imbert ; dès lors Chavanne était recevable à prouver par tous moyens contre Imbert, la
réalité et la teneur de l’engagement que celui-ci aurait pris à son profit ».
17. Ex. : si l’on prouve qu’un notaire a le pouvoir de recevoir un acompte, les tribunaux peuvent
admettre que son pouvoir s’étend à la réception des paiements ultérieurs : G. CORNU, obs. RTD civ.
1961.702 ; Cass. civ. 1re, 16 mars 1964, Bull. civ. I, no 157, préc.
CONTRAT CONSENSUEL 331
565. 2º Rapports avec les tiers. – Le tiers qui contracte avec un prétendu mandataire est
étranger au contrat de mandat conclu entre le mandant et le mandataire doit ainsi librement
pouvoir établir le mandat qu’il invoque. La question ne se pose qu’en matière civile, car en
matière commerciale la preuve est libre. La Cour de cassation18, approuvée par la doctrine19, a
longtemps décidé que le droit commun de la preuve des actes juridiques devait s’appliquer.
Aujourd’hui, elle accepte la liberté de la preuve20.
18. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 1re, 19 décembre 1995, Bull. civ. I, no 473 : « La preuve
d’un mandat, même verbal, ne peut être reçue que conformément aux règles générales sur la preuve
des conventions ; ces règles sont également applicables dans les rapports du mandant avec les tiers
qui ont traité avec le prétendu mandataire ». Des raisons pratiques justifient ces décisions ; le tiers qui
contracte avec un mandataire doit s’assurer que ce dernier a les pouvoirs qu’il prétend avoir.
19. Ex. : PLANIOL et RIPERT, t. XI, par R. Savatier, no 1453, p. 884 et s.
20. Cass. civ. 1re, 3 juin 2015, nº 14-19825, Bull. civ. I à paraître ; Contrats, conc. consom. 2015,
nº 222, n. L. Leveneur ; D. 2016. 172, obs. A. Aynès ; RDC 2016. 242, obs. J. Huet : banquier déposi-
taire des fonds, qui a accepté des retraits par un époux du compte sur livret ouvert par l’autre : cassa-
tion de l’arrêt qui avait exigé une preuve écrite ou un commencement de preuve, c’est-à-dire une
procuration, « alors que le banquier dépositaire qui se borne à exécuter les ordres de paiement que
lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de man-
dat auquel il n’est pas partie ».
n TITRE II n
EFFETS DU MANDAT
SECTION I
OBLIGATIONS DU MANDATAIRE
Le mandataire a deux obligations1 : exécuter sa mission, qui est son obligation
principale (§ 1) et rendre des comptes (§ 2).
§ 1. EXÉCUTION DU MANDAT
566. Obligations. – Le mandataire doit exécuter la mission qui lui a été impar-
tie. Selon les pouvoirs qui lui ont été conférés, il a une faculté d’initiative plus ou
moins étendue, l’obligeant à procéder au mieux des intérêts du mandant. Il
engage sa responsabilité s’il fait un acte inopportun ou ne fait pas un acte
opportun2.
En outre, lorsqu’il est professionnel, il est tenu d’un devoir de conseil, de renseignement et de
se renseigner, qui aggrave son obligation ; par exemple, il doit... veiller à ce que les documents
précontractuels soient conformes à ce qui a été promis aux clients3... assurer la régularité et
1. Ph. PETEL, Les obligations du mandataire, th. Montpellier, Litec, 1988, préf. M. Cabrillac.
2. Ex. : Cass. civ. 1re, 9 juillet 1985, Bull. civ. I, no 219 : « Un huissier, n’étant pas un mandataire
dépourvu de toute initiative, il incombait à X, sauf instructions formelles contraires de son client
quant à la date de la vente, de la fixer de la façon la plus propice aux intérêts de celui-ci et de la
déplacer ou de la maintenir en fonction de ces seuls mêmes intérêts ». En l’espèce, il s’agissait d’un
huissier chargé de faire une saisie, qu’il avait retardée à une date postérieure à la mise en « faillite » du
débiteur ; jugé qu’il était responsable.
3. Pour l’agent immobilier : Cass. civ. 1re, 2 octobre 2013, no 12-20504, Bull. civ. I no 194 ; RTD civ.
2013. 855, obs. P.Y. Gautier (placement immobilier qui s’avère désastreux, en dépit de ce qui avait été
indiqué dans la plaquette publicitaire ; l’agent avait une obligation d’alerte et de mise en garde, dont il
ne s’est pas acquitté ; il doit donc indemniser le client).
334 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
4. Jurisprudence constante souvent réitérée : ex. : un paiement qu’un conseil juridique avait l’obli-
gation de faire : ce mandataire ne doit pas se borner à envoyer le chèque, il doit vérifier « l’arrivée du
pli à sa destination » : Cass. civ. 1re, 2 octobre 1984, Bull. civ. I, no 243.
5. Cass. civ. 1re, 19 janvier 1988, Bull. civ. I, no 9 : « Le négociateur d’une cession d’un fonds de
commerce doit, en principe, s’assurer de la solvabilité des acquéreurs » ; il engage donc sa responsa-
bilité, si l’acquéreur avait remis un chèque sans provision et n’avait procédé à aucun règlement ulté-
rieur.
6. Cass. civ. 1re, 14 janvier 1997, Bull. civ. I, no 18 ; D. Aff. 1997.308 : « Vu les articles 1991 et 1992 ;
les rédacteurs d’actes sont tenus d’une obligation de conseil envers toutes les parties en présence et
doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent » ; en l’espèce, il s’agis-
sait d’un contrat de prêt, non remboursé, et rédigé par un avocat ; cassation de l’arrêt d’appel décidant
que l’avocat n’était pas responsable de n’avoir pas prévu de garanties de remboursement.
7. Cass. civ. 1re, 12 juillet 2007, Bull. civ. I, no 266, D. 2007.2234, n. X. Delpech (informer les méde-
cins habilités par la nouvelle jurisprudence à percevoir des sommes complémentaires auprès des cais-
ses primaires d’assurance-maladie).
8. Ph. PETEL, op. cit., nos 241 et s. ; ex. : Cass. civ. 1re, 10 février 1987, Bull. civ. I, no 43 : « Cette obli-
gation, qui est de moyens, doit s’apprécier en fonction des circonstances de la cause, et, en particulier,
de la volonté, de la situation et des connaissances des parties ». En l’espèce, les clients de l’agent
immobilier étaient des « commerçants ayant une certaine expérience des affaires » : ils avaient obtenu,
par l’intermédiaire de l’agent, une promesse synallagmatique de vente ayant pour objet un fonds de
commerce, comportant pour le promettant une faculté de dédit ; le cédant refusa de réaliser ; jugé
qu’ils ne pouvaient agir en garantie contre l’intermédiaire.
9. Cass. civ. 1re, 14 janvier 2016 préc. supra nº 549 : agent immobiler du vendeur, qui n’avait pas
informé l’acquéreur de l’existence de la servitude, parce qu’il ne s’en était pas lui-même avisé : « l’in-
termédiaire qui prête son concours à la rédaction d’un acte [...] est tenu de s’assurer que se trouvent
réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique... même à l’égard de l’autre partie ». La
règle est la même pour les notaires et les avocats.
10. Ph. PETEL, op. cit., nos 172 et s. ; Cass. Ass. plén., 9 octobre 2006, Bernard Tapie, Bull. civ.
Ass. plén., no 11 ; D. 2006, AJ 2525, n. X. Delpech et 2933, n. D. Houtcieff ; JCP G 2006.II.10175, n.
Th. Bonneau ; RTD civ. 2007.145, obs. P.-Y. Gautier : les juges du fond ont retenu à la charge du
mandataire (une banque) des manquements à l’obligation d’informer loyalement son mandant, qui
lui avait donné mission de vendre ses titres. Dans le même dossier, mais ne retenant pas d’atteinte à
l’art. 1596, du fait de l’absence de dissimulation au mandant : Paris 3 décembre 2015, supra nº 177.
11. Le mandataire se porte contrepartie lorsqu’il prend à son compte l’opération qu’il devait
conclure avec un tiers. Ex. : Cass. civ. 1re, 27 janvier 1987, Bull. civ. I, no 32 ; en l’espèce, le mandataire
avait acheté l’immeuble qu’il était chargé de vendre, au moyen d’une interposition de personne ; il
avait constitué une société civile où il était associé majoritaire : « L’interdiction faite au mandataire
d’acquérir par lui-même ou par personne interposée le bien qu’il est chargé de vendre s’applique
même si la vente se fait au prix fixé par le mandant ».
12. Ex. : Cass. civ. 1re, 19 décembre 1995, Bull. civ. I, no 474 : « Le mandataire qui poursuit une
vente judiciaire d’un bien pour le compte du créancier saisissant ne peut se rendre adjudicataire du
bien saisi ». L’art. 1596 s’applique à toutes les ventes, en dépit de son libellé évoquant les adjudica-
tions, les motifs de défiance étant les mêmes. Ex. Cass. Ass. plén., 9 octobre 2006, Bernard Tapie, préc.
13. Cass. com., 27 mai 1997, Bull. civ. IV, no 155 ; JCP G 1997.II.22930, n. M. Storck : « Chacune de
ces opérations effectuées dans un intérêt autre que celui du mandant, constituerait un abus de man-
dat » (achat et vente de titres par un gérant de portefeuille).
14. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 13 mai 1998, Bull. civ. I, no 169 ; RTD civ.
1998.927, obs. P.-Y. Gautier ; Defrénois 1999.366, obs. Delebecque, pour un agent immobilier :
aucun texte (spéc. la loi Hoguet) « ne fait obstacle à ce qu’un agent immobilier détienne un mandat
d’un vendeur et un mandat d’acquéreur, pour une même opération ». La situation est même la norme
EFFETS DU MANDAT 335
mandataire, de sorte que le mandataire aura droit à une double commission15. Le nouvel arti-
cle 1161 interdit la double représentation, sauf disposition légale ou si le représenté l’a autorisée
ou ratifiée ; la loi est donc, semble-t-il, supplétive, mais elle soulève des difficultés d’application
notamment dans l’administration des sociétés.
La méconnaissance de ces règles est sanctionnée par une nullité, relative puisqu’elles ont
pour raison d’être la protection du mandant16. Le mandataire doit éviter de se placer en situation
de conflit d’intérêts17.
chez certains mandataires, ainsi, les agents de voyages, agissant tant pour le compte du transporteur
que pour celui du passager.
15. Cass. civ. 1re, 9 avril 2015, nº 14-13501, Bull. civ. I, nº 80 ; RTD civ. 2015. 641, obs. P.Y. Gautier
(agent immobilier : les textes spéciaux ne dérogent pas à cette faculté).
16. Cass. civ. 1re, 29 novembre 1988, Bull. civ. I, no 341 ; Defrénois 1989, art. 34554, no 52, p. 760,
obs. J.-L. Aubert ; RDI 1989.368, obs. crit. D. Tomasin : « La nullité fondée sur l’article 1596 est une
nullité relative qui se prescrit par cinq ans ». Supra, no 186.
17. Ex. : Cass. civ. 1re, 3 mars 2011, nº 10-14012, Bull. civ. I, no 42, RTD civ. 2011.366, obs. P. Y.
Gautier (pas de conflit pour l’avocat d’une banque, qui s’était occupé auparavant d’un dossier pour
la famille du débiteur) ; J. MORET-BAILLY, « Définir les conflits d’intérêts », D. 2011.1100. CUIF, « Le
conflit d’intérêts », RTD com. 2005.5 ; B. DONDERO, « Le traitement juridique des conflits d’intérêts :
entre droit commun et dispositifs spéciaux », D. 2012.1686 (obligation de révélation ou d’interdiction
à peine de sanction) ; D. SCHMIDT, « Essai de systématisation des conflits d’intérêts », D. 2013. 446.
18. Jurisprudence constante ; ex. : la banque, chargée d’encaisser les chèques, est responsable des
fautes commises en exécutant mal ce mandat : Cass. com., 15 janvier 1958, sol. impl., Bull. civ. III,
no 25 ; JCP G 1958.II.10462 bis, n. H. Cabrillac : « Le banquier, mandataire du porteur d’un chèque
remis à l’encaissement, ne peut être considéré comme en faute, d’avoir, sauf obligation résultant
d’une convention particulière, attendu l’extrême limite du délai légal pour effectuer cette présenta-
tion ».
19. Cass. civ. 1re, 19 février 1963, Bull. civ. I, no 110 ; JCP G 1964.II.13475 : en l’espèce, le PMU
n’avait pas transmis des paris à l’hippodrome à la suite de la rupture de lignes téléphoniques ; jugé
qu’il était responsable parce qu’il n’avait pas démontré « l’impossibilité d’exécution ».
20. Ex. : les contrats de crédit-bail prévoient souvent que le « preneur » agit en qualité de manda-
taire de la société de crédit-bail pour choisir le fournisseur et le matériel et qu’il est à cet égard tenu
d’une obligation de résultat ; en conséquence, si le matériel ne répond pas à l’usage auquel il est des-
tiné ou est atteint de vices rédhibitoires, le « locataire » engage sa responsabilité envers le « bailleur » :
Cass. com., 11 mai 1981, Bull. civ. IV, no 214 ; D. 1982, IR, 195, obs. M. Vasseur. Infra, no 821.
21. Ex. : Paris, 25 novembre 1988, D. 1989, IR, 1 : « L’agent de change n’est pas débiteur d’une
obligation de résultat ».
336 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Cette faute est appréciée en tenant compte des aptitudes respectives du man-
dant et du mandataire, et de l’existence ou de l’absence d’un salaire. La respon-
sabilité de celui qui rend un service gratuit est, en effet, appréciée sans sévérité
(art. 1992, al. 222). La faveur à la gratuité a pour conséquence une indulgence
dans l’appréciation de la faute23, sans pour autant entraîner une
irresponsabilité24 ; mais elle est sans effets sur l’étendue de la réparation25 et
n’écarte pas la présomption de faute qui pèse sur le mandataire ayant échoué
dans sa mission26. Lorsque le mandataire est un professionnel rémunéré, sa res-
ponsabilité ne comporte aucune modération27 ; on peut le présumer en faute,
sauf preuve contraire.
L’action en responsabilité est, conformément au droit commun, soumise à la prescription
quinquennale28, sauf lorsqu’un texte spécial en modifie la durée, par exemple en matière de
construction, où elle est décennale ou biennale selon la nature des ouvrages. Ainsi en est-il du
promoteur immobilier (art. 1792) ou de celui qui « accomplit une mission assimilable à celle
d’un locateur d’ouvrage », bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ou-
vrage (art. 1792-1, al. 3). De même en matière commerciale. Les clauses limitatives de respon-
sabilité exonèrent le mandataire, sauf s’il a commis une faute lourde ; s’il est professionnel, ces
clauses sont sans effets sur le devoir de conseil. Si l’inaccomplissement de la mission est dû à
une faute du mandant, le mandataire ne saurait en être responsable29.
22. Ex. : le gros lot manqué : Cass. civ. 1re, 16 mai 2006, Bull. civ. I, no 241 ; en l’espèce, un petit
groupe s’était constitué pour jouer au PMU ; l’un de ses membres « à qui l’argent était remis faisait
enregistrer les paris à partir des combinaisons de numéros choisis en commun. » Or cet intermédiaire
avait modifié le numéro et ainsi empêché de gagner le gros lot ; jugé qu’il n’était pas responsable du
préjudice subi par le groupe.
23. Ex. : Cass. civ. 1re, 3 février 1909, DP 1911.I.413 ; S. 1909.I.428 : le mandataire n’est pas res-
ponsable car « il remplissait un mandat purement gratuit » et « les précautions par lui prises étaient
normales et suffisantes ».
24. Ex. : Cass. civ. 1re, 8 décembre 1965, Bull. civ. I, no 686 : « Bien qu’ayant agi à titre bénévole, (il)
n’en était pas moins tenu d’exécuter correctement la mission qu’il avait reçue, notamment celle de
régler les entrepreneurs ».
25. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 janvier 1980, Bull. civ. I, no 11 ; RTD civ. 1981.406, obs. crit. G. Cornu : « Si
aux termes de l’article 1992, al. 2, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureuse-
ment à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire, cette disposition ne concerne
que l’appréciation de la faute et non l’étendue de la réparation ».
26. Cass. soc., 30 novembre 1945, préc. supra.
27. Ex. : pour un commissionnaire en douane : Cass. com., 4 octobre 1988, Bull. civ. IV, no 259 ;
RTD com. 1989.301, obs. B. Bouloc : « Elle (la commissionnaire) n’avait pas apporté à l’exécution de
son mandat le soin qu’impliquait sa spécialisation professionnelle ».
28. Cass. civ. 3e, 5 juillet 1978, Bull. civ. III, no 279 ; RTD civ. 1979.623, obs. G. Cornu : « L’action
en responsabilité formée par le mandant contre le mandataire pour fautes de gestion est soumise à la
prescription trentenaire du droit commun ».
29. Cass. civ. 1re, 7 février 2006, préc. supra : le commissaire-priseur avait spontanément retiré de la
vente une œuvre d’art, qui ne correspondait pas aux mentions du catalogue fournies par le vendeur.
30. Jurisprudence constante : Ex. : Cass. com., 9 mai 1985, Bull. civ. IV, no 143 : « L’exécution des
obligations contractées par un mandataire au nom et pour le compte de son mandant n’incombe
qu’à ce dernier ». En l’espèce, la société Calberson représentait la société égyptienne du canal
de Suez, qui, ayant commandé des marchandises, les avait fait embarquer avec retard. La Cour de
cassation casse la décision de la cour d’appel qui avait refusé au mandataire (la sté C.) le rembourse-
ment par le vendeur des frais de stationnement à Marseille des wagons ayant amené la marchandise.
EFFETS DU MANDAT 337
contractuelle envers les tiers31, sauf son recours contre le mandant32. Au contraire,
le mandataire est responsable des délits ou quasi-délits (art. 1240, ancien
art. 1382 et 1241, ancien art. 1383) qu’il commet dans l’exécution de sa
mission33. Lorsqu’il est mandataire social, sa « faute détachable » peut engager sa
responsabilité34.
Le mandant peut, en outre, être responsable, à l’égard des tiers, de la faute du mandataire, si
celui-ci est son préposé (art. 1242 al. 5, ancien art. 1384, al. 5) et si l’acte du mandataire ne
constitue pas un abus de fonction35. Corrélativement, le mandataire n’a pas d’action contrac-
tuelle contre le tiers cocontractant, mais pourra éventuellement rechercher sa responsabilité
délictuelle, fondée sur une faute à son détriment36.
§ 2. REDDITION DE COMPTES
31. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 novembre 1993, Bull. civ. I, no 329 ; JCP G 1994.IV.158 ; Defrénois 1994,
article 35845, no 58, obs. Ph. Delebecque : « Le mandataire qui traite en son propre nom avec un tiers
devient le débiteur de ce dernier, sauf son recours contre le mandant ». En l’espèce, une société de
gestion avait loué un appartement « sans aucune mention du nom de Mme Loris, propriétaire de l’ap-
partement » ; jugé qu’elle devait prendre en charge les dépenses de mise en état des lieux loués.
32. Supra, no 534, à propos du prête-nom, et no 538, à propos de la commission.
33. Ex. : Cass. civ. 1re, 11 avril 1995, Bull. civ. I, no 171 : « Le mandataire est personnellement res-
ponsable envers les tiers des délits ou quasi-délits qu’il peut commettre à leur préjudice dans l’accom-
plissement de sa mission, cette faute pouvant aussi bien résulter d’une abstention que d’un acte posi-
tif ».
34. Ex. : Cass. com., 28 avril 1998, Bull. civ. IV, no 139 ; JCP G 1998.II.10177, n. D. Ohl ; RTD civ.
1998.688, obs. P. Jourdain et 1999.99, obs. J. Mestre ; RTD com. 1998.623, obs. Petit et Y. Reinhard :
« la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis
une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement ».
35. Droit des obligations, coll. Droit civil.
36. Cass. Ass. plén. 9 mai 2008, D. 2008.2328, n. A.L. Thomat-Raynaud ; JCP G 2008.II.10183,
n. H. Kenfack ; Bull. civ. Ass. plén.. no 3 ; Defrénois 2008.1986, n. E. Savaux ; RTD civ. 2008.485, obs.
B. Fages et 498, obs. P.-Y. Gautier ; RDC 2008.1151, obs. S. Carval (l’agent immobilier peut réclamer
l’équivalent de sa commission en dommages-intérêts à l’encontre de l’acquéreur qui l’a trompé).
37. La dispense peut être tacite et résulter des circonstances : Cass. civ. 1re, 12 novembre 1952,
Bull. civ. I, no 431 ; c’est à l’adversaire de prouver que les fonds n’ont pas été utilisés conformément
aux instructions du mandant.
38. Ex. : Cass. civ. 1re, 12 novembre 2015, nº 14-28016, Bull. civ. I, à paraître : « il incombe au man-
dataire de justifier de l’utilisation des fonds reçus ou prélevés » (cassation de l’arrêt qui avait inversé la
charge de la preuve, en obligeant le mandant à démontrer que le mandataire habilité à effectuer des
retraits bancaires en avait fait usage à des fins personnelles et qu’il n’en avait pas lui-même profité).
39. Quelles qu’aient été les intentions du solvens. 1er ex. : le débiteur devait 1 000 au mandant ; il
verse au mandataire 1 200, car, par erreur, il croyait devoir cette somme. 2e ex. : le débiteur devait
1 000 au mandant ; il verse au mandataire 1 200, par erreur matérielle. Dans les deux cas, le manda-
taire doit restituer 1 200 au mandant : Cass. civ. 1re, 8 juillet 1975, Bull. civ. I, no 226 ; D. 1976.315, n.
Gaury ; RTD civ. 1977.149, obs. G. Cornu : « Doivent être considérées comme reçues en vertu du
mandat, et non à l’occasion de l’exercice de ce mandat, les sommes remises au mandataire pour le
compte du mandant et dont il a, en son nom, donné décharge ; il est dès lors tenu de faire raison de la
totalité de celles-ci audit mandant, sauf si ce dernier a accepté expressément l’utilisation que le man-
dataire en a faite ».
338 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Si le mandant prétend que les comptes sont irréguliers, il doit le prouver. Après sa mort, les
comptes devront être rendus à sa succession40. Lorsqu’une somme est versée à un compte ouvert
au nom d’un mandataire pour le compte du mandant, elle peut être saisie par le créancier du
mandataire tant qu’elle n’a pas été restituée au mandant puisqu’elle est censée faire partie du
patrimoine du mandataire41. Ce qui suppose qu’elles n’aient pas été affectées à un compte spé-
cial (ou un sous-compte), permettant de les individualiser et de les séparer du patrimoine et de la
« faillite » du mandataire42 ; en effet, la chose n’est plus alors fongible. Certains professionnels
sont obligés à cette comptabilité séparée : avocats (D. 25 août 1972, art. 40 et 42) ; notaires
(D. 19 décembre 1945, art. 15) ; syndics de copropriété (L. 10 juillet 1965, art. 18, L. du 24 mars
201443). Le dossier doit être transmis au mandataire succédant à celui qui avait été chargé de
l’affaire44.
SECTION II
OBLIGATIONS DU MANDANT
Le mandant a des obligations envers son mandataire (§ 1) et, surtout, envers les
tiers (§ 2).
§ 1. ENVERS LE MANDATAIRE
40. Cass. civ. 1re, 2 février 1999, Bull. civ. I, no 35 : la cour d’appel a, « après déduction des dépen-
ses estimées pour les besoins de la défunte, fixé le montant des retraits non justifiés devant être rap-
portés à la succession ».
41. Cass. civ. 1re, 20 avril 1983, Bull. civ. I, no 127 ; D. 1984, IR, 78, obs. crit. M. Vasseur ; Defrénois
1983, art. 33132, n. Chr. Larroumet : « Les sommes inscrites à un compte de chèques postaux consti-
tuent, dès leur versement, quelle que soit l’origine des fonds versés, une créance du titulaire du
compte contre le centre des chèques postaux » ; Chr. LARROUMET, n. D., 1998.91. Sur la nature des som-
mes déposées dans un compte bancaire, infra, no 887.
42. Cass. civ., 23 février 1909, DP 1909.I.421 (notaires) ; Cass. civ. 1re, 19 février 1985, Bull. civ. I,
no 68 (conseils juridiques).
43. Les syndics de copropriété doivent ouvrir un compte au nom de chaque syndicat de coproprié-
taires dont ils ont la charge ; à défaut d’accord des mandants, la banque ne peut établir une fusion
entre ces comptes et compenser leurs créances ; jurisprudence plusieurs fois réitérée ; en dernier lieu,
Cass. com., 10 février 1998, Bull. civ. IV, no 64 ; RTD civ. 1998.702, obs. P.-Y. Gautier : « le banquier
ne pouvait se méprendre sur la nature et l’origine des fonds ». La loi du 24 mars 2014 interdit les
conventions de fusion ou les compensations (art. 18 préc., L. 1965).
44. Pour un syndic de copropriété : Cass. civ. 3e, 5 octobre 2004, Bull. civ. III, no 162 ; RTD civ.
2005. 419, obs. P.-Y. Gautier. La règle s’applique aussi aux avocats, aux agents commerciaux, etc.
45. Ex. : 1º pour un commissaire-priseur : Cass. civ. 1re, 23 mars 1982, Bull. civ. I, no 119 : en l’es-
pèce, une vente faite devant un commissaire-priseur fut annulée à la demande de l’acheteur parce
que l’œuvre d’art mise en vente était un faux ; jugé que le commissaire-priseur pouvait demander au
vendeur dont il était le mandataire, non seulement le remboursement du prix qu’il lui avait avancé
mais aussi, en application des articles 1999 et 2001 « dès lors qu’aucune faute ne lui est reprochée
et même si l’affaire n’a pas réussi, les frais et avances qu’il a faits pour l’exécution du mandat ainsi
que les intérêts de cette somme ». 2º Les avances consenties par un syndic de copropriété ne sont
pas remboursables, car la loi du 13 juillet 1965 ne lui permet pas de faire des avances pour le compte
du syndicat « sauf circonstances particulières pouvant justifier l’application de l’art. 1999 » :
Cass. civ. 3e, 29 mai 2002, Bull. civ. III no 115 ; RTD civ. 2003.109, obs. P.-Y. Gautier ; jugé qu’en l’es-
pèce, le syndic ne pouvait se faire rembourser ses avances qui « ne relevaient pas de circonstances
EFFETS DU MANDAT 339
l’indemniser de ses pertes, sauf si elles ont été causées par sa faute, (art. 2000) et
lui payer les honoraires convenus, sauf si le mandat était nul46.
Ces dispositions étant supplétives de volonté47, les parties peuvent prévoir que le mandataire
supportera ses frais, par exemple en les déduisant de sa commission forfaitaire ou même excep-
tionnellement les pertes essuyées48, à la condition qu’elles n’aient pas pour origine un fait impu-
table au mandant49. Même si l’affaire a été conclue sans son intermédiaire, la rémunération est
due au mandataire dès lors que c’est lui qui a apporté l’affaire : sa mission a bien été exécutée
pendant le temps du mandat et la cause du paiement existe bien50. Si l’affaire n’est pas conclue,
mais qu’il a exécuté sa mission sans faute, il doit également être payé (art. 1999, al. 2).
dont le syndic n’avait pas la maîtrise » ; la cour d’appel avait précisé que le syndic n’avait pas averti les
copropriétaires de ces avances et n’avait pas engagé les actions pour le recouvrement des créances ;
Cass. civ. 3e, 16 octobre 2013, no 12-20881, D. 2013. 2465, obs. Y. Rouquet, Bull. civ. III no 131 ; RTD
civ. 2014.139, obs. P.Y. Gautier (même solution, le mandat du syndic avait été résilié, il avait pour-
suivi sa mission et ne sera pas remboursé de ses dépenses). L’art. 18 de la loi de 1965, réd. loi de 2014,
confirme l’interdiction des avances.
46. Ce qui n’est pas le cas lorsque le mandat donné à l’agent immobilier ou à l’agent d’affaires a un
vice de forme (supra, no 563). Le mandat de vendre donné à un agent immobilier par un indivisaire,
sans l’accord des autres copropriétaires, est valable, mais inopposable aux autres indivisaires ; par
conséquent, la commission est due : Cass. civ. 1re, 16 juin 1987, Bull. civ. I, no 197 : « Le contrat par
lequel un indivisaire, agissant seul, donne mandat à un tiers de vendre la chose indivise, s’il est inop-
posable, sauf ratification, aux coindivisaires, n’est pas nul et produit ses effets entre les contractants ».
47. Req., 9 février 1938, DH 1938.213 : « Les dispositions de l’article 2000 d’après lequel le man-
dant doit indemniser le mandataire des pertes qu’il a subies à l’occasion de sa gestion n’étant pas
d’ordre public, il peut y être dérogé par la convention des parties ».
48. Cass. com., 26 octobre 1999, motifs, infra.
49. Cass. com., 26 octobre 1999, Bull. civ. IV, no 195 ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 41,
n. Leveneur ; RTD civ. 2000.136, obs. P.-Y. Gautier : « les pertes que le mandataire a essuyées à l’oc-
casion de sa gestion et dont les parties peuvent décider qu’elles seront couvertes par un forfait sont
exclusives de celles qui ont pour origine un fait imputable au mandant ».
50. Cass. civ. 1re, 8 juillet 1994, Bull. civ. I, no 234 : « Lorsqu’un agent immobilier fait visiter à une
personne l’immeuble mis en vente et qu’ensuite le vendeur traite directement avec cette personne,
l’opération est réputée effectivement conclue par l’entremise de cet agent, lequel a alors droit au paie-
ment de la commission convenue, sauf à tenir compte du prix de vente réel de l’immeuble et des
circonstances ou fautes de l’agent » ; CJCE, 12 décembre 1996, D. 1997.438, n. J.-M. Leloup : « L’agent
commercial lorsqu’il est chargé d’un secteur géographique a droit à la commission afférente aux opé-
rations conclues avec des clients appartenant à ce secteur, même si elles l’ont été sans son interven-
tion ».
51. Ex. Cass. civ. 1re, 25 novembre 2010, no 08-12432, Bull. civ. I, no 241 ; en l’espèce, le mandat
donné à l’agent immobilier n’était pas exclusif ; l’acheteur a été présenté au mandant par un autre
agent ; le premier se voit refuser une indemnité car il n’y a ni faute ni abus : « Attendu que lorsque le
mandant a donné à un mandataire le mandat non exclusif de rechercher un bien, il n’est tenu de payer
une rémunération qu’à l’agent immobilier par l’entremise duquel l’opération a été effectivement
conclue, au sens de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1970, et cela, même si le bien lui avait été précé-
demment présenté par le mandataire initial, sauf à ce dernier à prétendre à l’attribution de dommages
et intérêts en prouvant une faute du mandant qui, par abus de sa part et compte tenu des diligences
accomplies, l’aurait privé de la réalisation de l’acquisition ».
340 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
mandants lorsqu’ils ont nommé ensemble le mandataire pour une affaire com-
mune (art. 2002)52. En outre, la révocation du mandat devra alors être faite par
l’ensemble des co-mandants53.
570. Engagement du mandant. – Envers les tiers, le mandant est lié comme s’il
avait traité lui-même sans avoir employé d’intermédiaire, ce qui est la consé-
quence de la représentation54 (art. 1998). Il se trouve même engagé par le dol ou
les fautes de son mandataire55. Mais il n’est tenu que dans la mesure où le man-
dataire a eu un consentement sain – ce qui est le droit commun56 – et avait le
pouvoir de le représenter – ce qui est une règle spécifique au mandat (I). Cepen-
dant, dans certains cas importants, il est engagé malgré le dépassement de pou-
voirs, s’il y a eu faute de sa part, mandat apparent (II) ou ratification (III).
52. V. L. AYNÈS et A. HONTEBEYRIE, D. 2006, chron. 331 ; P.-Y. GAUTIER, obs. RTD civ. 1993.845.
53. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 juillet 1973, Bull. civ. I, no 247 : « sauf convention contraire, lorsque plu-
sieurs indivisaires ont donné d’un commun accord un mandat, il n’est pas possible à l’un d’eux de
révoquer, sans l’accord des autres, le mandat dont il s’agit ».
54. Ex. : Cass. civ. 1re, 25 novembre 2015, 2 esp., nº 14-20760 et 14-21873, Bull. civ. I à paraître ; D.
2016. 234, n. A. Tadros ; Contrats, conc. consom. 2016, nº 49, n. S. Bernheim-Desvaux ; JCP G 2016,
260, n. N. Dissaux : le mandataire, fût-il professionnel, qui représente un mandant qui ne l’est pas,
s’efface derrière ce dernier, lequel peut donc opposer au cocontractant les règles favorables du droit
de la consommation ; Cass. civ. 1re, 14 novembre 1978, Bull. civ. I, no 346 : « l’exécution des obliga-
tions contractuelles passées par un mandataire au nom et pour le compte de son mandant incombe
à ce dernier seul ».
55. Cass. civ. 3e, 29 avril 1998, Bull. civ. III, no 87 ; RTD civ. 1998.930, obs. P.-Y. Gautier et
1999.89, obs. J. Mestre. En l’espèce, une SCI avait donné le mandat de vendre ses appartements à
une société financière (la sté CEF) à la connaissance de la SCI, qui donna aux trois acquéreurs « des
informations fallacieuses [...] appuyées par une offre de garantie du locataire excessive afin d’accrédi-
ter que le prêt serait remboursable par les loyers » ; jugé « que la SCI était responsable du dol commis
envers les époux Morin (tiers acquéreur), tiers de bonne foi par la sté CEF dans l’exécution de son
mandat ».
56. Les vices du consentement du mandataire deviennent ceux du mandant, qu’il représente : Ph.
STOFFEL-MUNCK, RDC 2015. 443.
57. Cass. civ. 1re, 18 juin 1970, Bull. civ. I, no 204 ; D. 1971.261, n. J.-L. Aubert : « Le pouvoir stipulé
irrévocable, donné par Lévy à Oggero de céder un certain nombre de parts sociales, ne le privait pas
du droit de disposer personnellement de ces parts, en qualité de propriétaire ».
EFFETS DU MANDAT 341
573. Absence de pouvoirs. – D’évidence, le mandat est nul lorsque le prétendu mandataire
était dépourvu de pouvoirs ; la Cour de cassation a décidé que cette nullité était relative66.
58. Ex. : Limoges, 12 mars 1935, DH 1935.341 : le mandat de vendre ne comporte pas celui de
recevoir le prix ; Req., 31 décembre 1845, S. 1845.1.362 : le pouvoir d’administrer ne comporte pas
celui de transiger ; Cass. civ. 1re, 21 décembre 1976, Bull. civ. I, no 421 ; D. 1977, IR, 145 : le mandat
de négocier une vente n’implique pas le pouvoir de la conclure.
59. Ex. : Cass. civ. 3e, 29 novembre 1972, Bull. civ. III, no 646 : « Vu l’article 1989 ; aux termes de ce
texte, le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat et de ce qui en est
la suite nécessaire » ; en l’espèce, un mandat avait conféré à un notaire le pouvoir « de recevoir “tous
paiements et arrérages de la rente” » ; la cour d’appel avait décidé « qu’il donnait pouvoir au notaire
de renoncer au jeu déjà acquis d’une clause résolutoire ». Cassation : il s’agissait d’un « acte de dispo-
sition qui n’est pas la suite nécessaire de ce qui était porté dans le mandat ».
60. Ex. : A donne à B le pouvoir de vendre, pour le prix minimum de 140 000 € l’immeuble qu’il
possède à tel endroit. Le mandat de faire une donation ne peut être qu’un mandat spécial :
Cass. civ. 1re, 29 juin 1983, Bull. civ. I, no 192 (mandat entre époux) ; cf. Les régimes matrimoniaux,
coll. Droit civil.
61. V. * Cass. crim., 20 mai 2015, supra, nº 526 (mandat de se faire restituer des sommes indûment
confisquées, donné par 55 000 justiciables à une personne morale). M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit.,
T. XI par R. Savatier, préc., no 1459.
62. Par ex. présider une assemblée générale (de copropriétaires), alors qu’il n’est pas associé et
même s’il peut prendre part au vote : Cass. civ. 3e, 13 novembre 2013, no 12-25682, D. 2013. 2697,
obs. Rouquet ; Bull. civ. III no 146.
63. La procuration est alors extrêmement longue, de façon à embrasser toutes les hypothèses.
64. Un pouvoir d’administration peut comprendre un achat ou une vente s’il est nécessaire à l’ad-
ministration d’un bien. Ainsi l’achat de certains produits pour la gestion d’une entreprise :
Cass. civ. 1re, 7 octobre 1975, Bull. civ. I, no 258 : « En achetant des vaches pleines et des aliments
pour le bétail, destinés au domaine, (le mandataire) avait accompli des actes d’administration, et
n’avait pas outrepassé ses pouvoirs ».
65. Ex. : Cass. civ. 3e, 17 juillet 1991, Bull. civ. III, no 216 ; en l’espèce, pour décider que le notaire
d’un propriétaire avait le pouvoir de vendre au nom de son client, la cour d’appel avait relevé « qu’au
cours d’une entrevue, chacune des parties a expressément décidé de mandater un notaire pour élabo-
rer le projet définitif et établir les formalités de la vente ». Cassation : « De tels motifs [...] ne caractéri-
sent pas l’existence d’un mandat exprès d’aliéner donné au notaire ».
66. Cass. civ. 1re, 12 novembre 2015, nº 14-23340, Bull. civ. I à paraître ; Defrénois 2016.71, obs.
J.-B. Seube et 124, n. C. Lebel ; Contrats, conc., consom. 2016, nº 31, n. L. Leveneur ; RTD civ.
2016.105, obs. Barbier (bail commercial, le locataire ne peut exciper de la nullité du contrat, du fait
342 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Pratiquement, la question ne se pose que dans le cas de décès du mandataire et surtout de révo-
cation ou de non-renouvellement du mandat : le mandant n’est pas lié par les actes faits par le
mandataire qui a perdu ses pouvoirs. Pour établir la date des actes faits par le mandataire, la
Cour de cassation a décidé « que c’est au mandant qui entend contester la date d’un contrat
conclu par son mandataire qu’il incombe d’apporter la preuve de la fausseté de la date »67.
Si l’intermédiaire qui s’est présenté comme mandataire ne jouissait d’aucun pouvoir, le sup-
posé mandant n’est pas obligé, sauf application des règles du mandat apparent (nouvel
art. 1156, al. 1er, C. civ.) ; de même, sa responsabilité civile n’est pas engagée, au cas où le
supposé mandataire commettrait des actes illicites, au détriment des tiers. Au cas où le mandat
serait expiré et si l’acte a été utile à l’ancien mandant, la gestion d’affaires pourrait trouver à
s’appliquer68. L’article 18 de la loi du 1965, L. du 24 mars 2014, interdit cependant au syndic
de copropriété d’avancer des fonds au syndicat.
574. Dépassement de pouvoirs. – Le mandant n’est lié que par les actes du
mandataire faits dans la limite de ses pouvoirs69. Par exemple, si le mandat est
limité à l’administration, la vente faite par le mandataire est sans effets à l’égard
du mandant, parce que la vente est, en général, un acte de disposition70. Si ce
mandataire a dépassé ses pouvoirs, ce qu’on appelle parfois un excès de pouvoir,
le mandant ne peut être engagé par un acte qu’il n’a pas voulu71 ; le tiers acqué-
reur a acquis a non domino, et il a commis une imprudence en ne vérifiant pas les
pouvoirs de celui avec qui il contractait, sauf à bénéficier de l’apparence. Le tiers
pourra exciper de la nullité (nouvel art. 1156 al. 2).
La situation est donc la suivante : le mandataire est responsable à l’égard du mandant et celui-
ci est obligé envers les tiers lorsque les conditions du mandat apparent sont remplies72. Si l’acte
du mandataire a été utile au mandant, on peut cependant envisager le remboursement73.
de l’absence de pouvoir du représentant du propriétaire) ; Cass. civ. 1re, 2 novembre 2005, Bull. civ. I,
no 395 ; RTD civ. 2006.138, obs. crit. P.-Y. Gautier : « la nullité d’un contrat en raison de l’absence de
pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée » ; en
cette espèce, un contrat d’assurance de groupe avait été conclu par une entreprise ; un des bénéficiai-
res, salarié de l’entreprise, qui avait agi au nom de l’entreprise, avait demandé l’application de l’assu-
rance (paiement d’indemnités journalières pour le cas de maladie) ; l’assureur lui opposa la nullité de
l’assurance, ayant été conclue par un salarié dépourvu de mandat ; cassation de l’arrêt qui avait
accueilli cette exception de nullité.
67. Cass. civ. 1re, 4 janvier 1984, Bull. civ. I, no 5 ; RTD com. 1985.355, obs. J. Hémard et B. Bouloc.
68. Contra : Cass. civ. 3e, 16 octobre 2013, no 12-20881 ; RTD civ. 2014.139, obs. P.Y. Gautier,
Bull. civ. III no 131 (pas de remboursement des avances consenties par un syndic dans l’attente que
son successeur reprenne la gestion).
69. Ex. Cass. civ. 1re, 26 janvier 1999, Bull. civ. I, no 30 : le mandant est lié « pour ce qui a été exé-
cuté conformément au mandat ».
70. Ex. : Cass. civ. 1re, 27 janvier 1973, Bull. civ. I, no 25 : « La procuration donnant au mandataire le
pouvoir de gérer et d’administrer une ferme avec le pouvoir de traiter, de transiger et de compromettre
ne permettait pas à celui-ci de conclure une vente immobilière ».
71. Ex. : Cass. com. 26 mars 2008, Bull. civ. IV, no 69 ; RTD civ. 2008.689, obs. P.-Y. Gautier ; RDC
2008.1177, obs. S. Carval : en l’espèce, le mandataire de bourse avait acheté les titres cotés le lende-
main du jour où il aurait dû le faire, « le mandant n’est pas tenu d’exécuter les actes faits par son
mandataire au-delà du pouvoir qui lui a été donné... l’exécution de l’ordre d’achat était intervenue
après que celui-ci fut devenu caduc et ne pouvait dès lors engager le donneur d’ordre ».
72. Ex. Cass. civ. 3e, 15 mai 2002, Bull. civ. III, no 100 : le syndic qui a imprudemment demandé une
étude à un architecte doit garantir la copropriété, tenue elle-même d’indemniser l’homme de l’art.
73. Tradition de POTHIER : Mandat, nos 74 et 299, sur le fondement de la gestion d’affaires ; V. aussi
Ch. BEUDANT, Cours de droit civil, 2e éd. par son fils ROBERT et P. LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, T. XII par
R. Rodière, no 316 ; mais la Cour de cassation n’y est pas favorable : Cass. civ. 3e, 29 mai 2002,
Bull. civ. III no 115 ; RTD civ. 2003. 109, n. P.Y. Gautier (pas de remboursement pour le syndic de
copropriété qui a fait sans autorisation des avances de fonds pour régler les créanciers). V. égal.
l’art. 18 préc. nouveau de la loi de 1965.
EFFETS DU MANDAT 343
575. Détournement de pouvoirs. – Le mandant n’est pas non plus lié si l’acte du
mandataire constitue un détournement de pouvoirs, bien qu’apparemment il soit
resté dans les limites de sa mission ; généralement, il s’agit d’hypothèses où le man-
dataire poursuit son intérêt personnel au détriment de ceux du mandant et viole
ainsi son obligation de loyauté, par exemple, en cas d’abus de blanc-seing74. Le
mandataire est bien entendu responsable, mais l’acte n’est annulé que lorsqu’est
rapportée la preuve d’un concert frauduleux entre le mandataire et le tiers75.
Le détournement de pouvoirs est un abus de pouvoirs qui tient à l’intention du mandataire.
Afin d’assurer la sécurité des transactions, la bonne ou la mauvaise foi du tiers est appréciée
comme à l’égard du mandat apparent.
576. Absence de pouvoirs. – L’acte conclu par un mandataire sans pouvoir est
nul. La nullité est relative76. Pas davantage le contrat n’est conclu avec le manda-
taire, qui voudrait s’en prévaloir77. En revanche, il peut lui être opposé lorsqu’il
s’agit d’actes conclus pour le compte d’une société en formation (art. 1843 ;
C. com., art. L. 210-6) : si la société ne « reprend » pas les actes, le prétendu man-
dataire est personnellement engagé78.
La faute du mandant et surtout le mandat apparent apportent d’importantes limi-
tes à ces règles.
A. FAUTE DU MANDANT
74. Ex. : Req., 13 février 1883, DP 1884.I.80 : « Si aux termes de l’article 1998, le mandant n’est pas
tenu de ce qui a pu être fait au-delà du mandat, il en est autrement lorsque le mandant a imprudem-
ment confié au mandataire un blanc-seing dont il a abusé pour contracter vis-à-vis d’un tiers de bonne
foi, des engagements qui excèdent la limite de ses pouvoirs ».
75. Jurisprudence constante : ex. : Req., 14 avril 1908, DP 1908.1.344 ; S. 1909.I.23 : « L’engage-
ment pris par un mandataire n’oblige le mandant que vis-à-vis de tiers de bonne foi, et le contrat inter-
venu à la suite d’un concert frauduleux entre le mandataire et le tiers doit être annulé ».
76. Cass. civ. 1re, 9 juillet 2009, no 08-15413, n.p. B. ; Contrats, conc. consom. 2009 no 260,
n. L. Leveneur : « la nullité d’un contrat pour absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut
être demandée que par la partie représentée » (en l’espèce, le constructeur avait soulevé la nullité du
contrat conclu par un pseudo-mandataire, alors que le pseudo-mandant avait demandé son exécution).
77. Cass. civ. 1re, 2 novembre 2005, supra.
78. V. cep. supra nos 573-574 sur la gestion d’affaires.
344 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
envers les tiers de bonne foi, lorsque leur erreur a été rendue possible par une
faute du mandant. Par exemple, le mandant n’avait pas prévenu le tiers de la
révocation du mandat (art. 2005), ou bien avait donné un blanc-seing, ou bien
la procuration était obscure.
B. MANDAT APPARENT
79. A. BATTEUR, Le mandat apparent en droit privé, th. Caen, LGDJ, 2004 ; A. DANIS-FATÔME, Appa-
rence et contrats, th. Paris I, LGDJ, 2004 ; J. CALAIS-AULOY, Essai sur la notion d’apparence en droit com-
mercial, th. Montpellier, LGDJ, 1959, préf. Cabrillac ; M. N. JOBARD-BACHELIER, L’apparence en droit
international privé, th. Paris, LGDJ, 1984.
80. ** Cass. Ass. plén., 13 décembre 1962, Banque canadienne nationale, Bull. civ. Ass. plén., no 2 ;
GAJ civ., no 282 ; D. 1963.277, n. J. Calais-Auloy ; JCP G 1963.II.13105, n. P. Esmein ; RTD civ.
1963.572, obs. G. Cornu : « Le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent,
même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue
des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le
tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ce pouvoir ». En l’espèce, le président d’une banque avait
cautionné une dette au nom de la banque sans en avoir le pouvoir ; jugé que la banque était engagée.
81. Supra, no 527.
EFFETS DU MANDAT 345
580. En fait de mandat, croyance légitime vaut titre. – Pour qu’il y ait mandat
apparent, deux conditions doivent être remplies.
1o) Qu’il y ait apparence de mandat, c’est-à-dire qu’une personne se comporte
en fait comme un mandataire, alors qu’elle n’en a pas les pouvoirs ou les outre-
passe.
2o) Que le tiers soit de bonne foi (art. 2009) ; la jurisprudence exige que son
erreur ait été légitime ou, en d’autres termes, que sa croyance ait été légitime82 :
il a eu de bonnes raisons de croire aux pouvoirs du mandataire : « que des cir-
constances autorisent le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ce
pouvoir »83. Comme l’avait dit Pierre Voirin, « la théorie de l’apparence n’est pas
une planche de salut à l’usage des négligents et des étourdis, mais une protection
réservée aux victimes d’une croyance légitime »84.
581. Preuve. – À la différence du mandat exprès ou tacite, la preuve du mandat apparent
peut être faite librement, notamment par présomptions85.
82. Malgré les analogies que le mot d’apparence suggère avec la théorie du propriétaire apparent
(supra, no 183), il n’est pas nécessaire qu’à la bonne foi du tiers s’ajoute l’erreur commune ; il suffit que
la croyance soit légitime.
83. Jurisprudence constante depuis **Cass. Ass. plén., 13 décembre 1962, Banque canadienne
nationale, préc. supra.
84. N. DP 1929.II.81.
85. Ex. : Cass. civ. 3e, 21 janvier 1981, Bull. civ. III, no 19 ; Jour. not. 1981, article 56035 ; en l’es-
pèce, le débiteur du prix de vente l’avait remis au notaire rédacteur de l’acte, auquel le vendeur
n’avait pas donné le pouvoir d’encaisser le prix pour son compte ; jugé que pouvait être présumé
que le notaire était le mandataire apparent du vendeur.
86. Cass. civ. 1re, 25 octobre 1977, Bull. civ. I, no 387 : « Les juges du second degré, ayant admis que
la faute commise par Leydier l’avait été en sa qualité d’agent général mandataire de la compagnie
(d’assurance), en ont justement déduit que celle-ci devait être déclarée civilement responsable du
dommage causé par cette faute ».
87. Cass. civ. 3e, 25 mai 2005, Bull. civ. III, no 117 ; JCP G 2005.IV.2541 ; RDC 2005.1071, obs. Fr.
Collart- Dutilleul.
88. Cass. com., 26 janvier 1976, D. 1976, IR, 112 ; n.p.B.
89. Cass. com., 12 mai 1987, D. 1987, IR, 134 ; n.p.B. : « L’erreur commise par le vendeur quant à
la personnalité de son cocontractant était légitime ».
90. Cass. com., 23 janvier 2007, Contrats, conc. consom. 2007, comm. no 115, n. L. Leveneur.
91. Cass. com., 29 mars 1966, Bull. civ. III, no 179 ; JCP G 1967.II.15310, 2e esp.
92. Cass. com., 9 mars 1999, Bull. civ. IV, no 57 : « le banquier, porteur de bonne foi d’un billet à
ordre signé au nom d’une société, n’est pas tenu de vérifier ni la signature apposée sur l’effet ni
346 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
immobilières93, ... un marchand de biens traite avec l’intermédiaire94, ... une procuration sur un
compte bancaire a permis de souscrire des emprunts95.
Seul le tiers peut invoquer le mandat apparent à l’encontre du supposé mandant et non le
mandant, à l’encontre d’un tiers qui se serait immiscé dans l’exécution de la mission confiée au
mandataire96.
l’étendue des pouvoirs du signataire, et la société est engagée par la signature de son mandataire
apparent, sauf à elle d’établir être étrangère dans la formation de cette apparence de mandat ».
93. Cass. civ. 3e, 20 juin 1972, Bull. civ. III, no 414 : « Le seul fait pour Martinot, d’avoir agi en tant
que directeur d’un cabinet de transactions immobilières ne pouvait lui conférer le caractère d’un man-
dataire apparent autorisant, en l’espèce, l’acquéreur à ne pas vérifier le pouvoir de représentation
invoqué par lui ».
94. Cass. civ. 1re, 29 avril 1969, Bull. civ. I, no 155 ; D. 1970.23, 1re espèce, n. J. Calais-Auloy : « Le
prêt consenti par Riou avait été effectué dans des conditions tout à fait contraires aux usages du com-
merce, que Riou qui exploite un cabinet d’affaires, est particulièrement bien placé pour connaître par-
faitement et dont il ne pouvait s’écarter qu’à ses risques et périls ».
95. Cass. civ. 1re, 30 septembre 1997, Bull. civ. I, no 258 ; D. Aff. 1997.1249 ; en l’espèce, une
femme, Mme R. avait contracté des emprunts auprès de deux prêteurs ; « ayant reçu procuration sur le
compte bancaire de sa fille [...], elle a tiré sur ce compte et remis aux prêteurs “en garantie” deux
chèques qui sont demeurés impayés faute de provision » ; les prêteurs ont été déboutés de leur action
contre la titulaire du compte bancaire : « Si Mme R. avait reçu de sa fille une procuration sur son
compte bancaire, elle n’avait reçu, pour autant, mandat de contracter ou de garantir des emprunts ».
96. Cass. com., 21 mars 1995, Bull. civ. I, no 101 : « le mandat apparent a pour seul effet d’obliger le
mandant à exécuter les engagements pris envers les tiers par le mandataire apparent, mais non d’y
obliger ce dernier ».
97. Cass. civ. 1re, 30 novembre 1965, sol. impl., Bull. civ. I, no 664 : acte translatif ou constitutif de
droits réels immobiliers ; Cass. com., 9 mars 1970, Bull. civ. IV, no 88 : emprunt, cautionnement ;
v. aussi : ** Cass. Ass. plén., 13 décembre 1962, Banque canadienne nationale, préc., ci-dessus.
98. Ex. Cass. civ. 3e, 25 mai 2005, préc. supra : « l’acquéreur qui a accepté une offre de vente à lui
transmise par un professionnel en vertu d’un mandat nul, peut invoquer à son profit l’existence d’un
mandat apparent ».
99. Infra, no 711.
100. Ex. : Cass. civ. 1re, 5 juin 2008, Bull. civ. I, no 163 ; D. 2008.1693, n. Y. Rouquet : « la preuve de
l’existence et de l’étendue du mandat de gestion immobilière délivré à un professionnel ne peut être
rapportée que par écrit et le mandat apparent ne peut tenir en échec ces règles impératives ».
EFFETS DU MANDAT 347
pu légitimement croire que le notaire avait le pouvoir d’agir à cause de la réputation de pru-
dence qu’ont ces officiers ministériels101... ou, au contraire, ne pas l’être, lorsque le notaire
accomplit manifestement un acte sortant de ses obligations professionnelles : par exemple l’ac-
ceptation d’un paiement tardif privant le créancier du bénéfice de la clause résolutoire102. De
même, un acte de disposition103 fait par un indivisaire sans avoir reçu de mandat de ses consorts
peut, selon les circonstances... être couvert par la théorie du mandat apparent104... ou ne pas
l’être105. À l’égard des époux, la tendance actuelle est de n’admettre qu’exceptionnellement le
mandat apparent106, à peine de retirer toute portée à la répartition des pouvoirs qu’organisent la
loi et le régime matrimonial.
3o) La qualité du tiers joue également un rôle afin de savoir s’il y a ou non un
mandat apparent. Notamment, un professionnel est tenu à plus de diligence que
ne l’est un profane : il ne peut prétendre à un mandat apparent lorsque les usages
lui commandent de demander des justifications à son interlocuteur107. Ce qui
n’est pas toujours vrai : par exemple, lorsque le mandant a commis une faute ou
n’a pas été étranger à l’apparence créée108. À l’inverse, les tribunaux sont indul-
gents envers les profanes, lorsqu’ils sont peu avertis des affaires109.
101. Cass. civ. 3e, 2 octobre 1974, Bull. civ. III, no 331 ; JCP G 1976.II.18247 ; validité de la vente
d’un immeuble faisant partie d’une succession, conclue par le notaire chargé de la liquider : « le com-
portement de Magois, notaire, [...] avait permis à Rouault de croire légitimement que celui-ci agissait
dans les limites du mandat donné par Bouvier, et qu’ainsi ce dernier se trouvait engagé par l’accord
intervenu entre son mandataire apparent et Rouault ».
102. Cass. civ. 3e, 15 juin 1976, Bull. civ. III, no 266 : en acceptant le paiement tardif de l’acheteur
d’un immeuble, le notaire du vendeur n’avait pas le mandat apparent de renoncer à une clause réso-
lutoire : « Le pouvoir d’accomplir un acte de disposition ne relevant pas de l’exercice normal de ses
attributions professionnelles, excédait si manifestement la mission d’encaissement [...] qu’il ne pouvait
être légitimement tenu pour crédible sans vérification de l’existence d’un mandat spécial qui eût habi-
lité ledit notaire à disposer d’un droit déjà acquis au bénéfice du vendeur ».
103. Les actes d’administration faits par un indivisaire sans le consentement des autres relèvent du
mandat tacite : art. 815-3, al. 2.
104. Ex. : Cass. civ. 3e, 6 février 1973, Bull. civ. III, no 102 : « Les juges d’appel ont relevé que la mai-
son, presque en ruine, était de faible valeur, que les indivisaires étaient unis par des liens de parenté,
qu’il existait des difficultés de communication entre la France et l’Espagne (où était domicilié un des
coïndivisaires) [...] que X apparaissait comme le représentant de ses coïndivisaires [...], la cour d’appel
[...] a pu décider que (l’acquéreur) avait traité avec des mandataires apparents des coïndivisaires
absents et dans les limites de leur mandat ».
105. Cass. civ. 3e, 13 novembre 1979, JCP G 1981.II.19509 ; n.p.B. (bail).
106. Jurisprudence plusieurs fois réitérée ; ex. : Cass. civ. 1re, 31 mars 2010, no 08-19649, Bull. civ. I,
no 81 ; D. 2010. 1019 ; Dr. et patr. juill.-août 2010, p. 102, obs. L. Aynès ; RDC 2010.952, obs. Ch.
Goldie-Genicon : le fait que la femme soit restée passive lors de la vente du bien commun ne fait
pas présumer son accord. Au contraire, il y a mandat apparent si le conjoint a une procuration nota-
riée de son épouse (quand bien même la procuration serait dépourvue d’effet) : Cass. civ. 1re, 11 mars
1986, Bull. civ. I, no 67.
107. Ex. : un marchand de biens qui est en même temps gérant de société doit vérifier les statuts
d’une société pour savoir si le gérant avait le pouvoir de vendre ; exclusion du mandat apparent :
Cass. civ. 1re, 29 avril 1969, Bull. civ. I, no 155 ; D. 1970.23, 1re esp., n. J. Calais-Auloy. Au contraire,
on est plus indulgent envers un rural ou un vieillard : Cass. civ. 3e, 27 novembre 1969, Bull. civ. III,
no 771 : « Acquéreur non averti et dont on ne pouvait raisonnablement exiger qu’il prît la précaution
préalable de vérifier le pouvoir du mandataire avec lequel il traitait ».
108. Ex. : Cass. com., 25 février 1980, Bull. civ. IV, no 94 : commande de fournitures à un conces-
sionnaire ; bien que le concédant ait révoqué la concession, le paiement fait par l’acquéreur à l’ex-
concessionnaire est libératoire : (le concédant) « n’étant pas étranger à l’apparence ainsi créée et (le
solvens) pouvant légitimement croire que l’ex-concessionnaire avait agi en qualité de mandataire du
concédant ».
109. Ex. : Cass. civ. 3e, 27 novembre 1969, Bull. civ. III, no 771 : « Les apparences, bien que contraires à
la réalité, étaient suffisamment convaincantes pour entraîner la croyance légitime de Toffoli, qui était un
acquéreur non averti “dont on ne pouvait raisonnablement exiger qu’il prît la précaution préalable de
vérifier les pouvoirs du mandataire avec lequel il traitait” ». En l’espèce, Toffoli avait acheté une villa
d’un mandataire d’une SCI, qui avait seulement le pouvoir de l’administrer ; jugé que la vente était valable.
348 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
III. — Ratification
110. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 juillet 1987, JCP G 1987.IV.321 ; n.p.B. : « L’existence de la procuration,
quelle qu’en soit la date, emporte ratification rétroactive des actes du mandataire ».
111. Ex. : Req., 23 mars 1897, DP 1897.I.152 ; S. 1897.I.114 ; 2 décembre 1935, DH 1936.52 : la
ratification « résulte de tous actes, faits et circonstances qui manifestent de la part du mandant la
volonté certaine de ratifier ». Une des formes courantes de la ratification tacite est l’exécution par le
« mandant » de l’acte fait par le « mandataire », ou un rappel de l’acte dans un acte ultérieur égale-
ment fait par le « mandant ».
112. Cass. civ. 1re, 28 avril 1980, Bull. civ. I, no 129 ; RTD civ. 1981.408, obs. G. Cornu : « Le fait
que le mandataire qui dépasse son mandat déclare agir en son nom personnel ne s’oppose pas à ce
que le mandant ratifie ses actes ». En l’espèce, un éditeur français avait demandé à un éditeur étranger
de traduire un ouvrage, sans que l’auteur lui en eût donné le pouvoir. Ultérieurement l’auteur donna
tacitement son approbation (il signala à l’éditeur les erreurs de traduction) : c’était une ratification.
113. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 décembre 1979, Bull. civ. I, no 304 : « L’existence de la procuration, dès
lors qu’elle est admise, et quelle qu’en soit la date, emporte ratification rétroactive de l’acte passé
par le mandataire » ; en l’espèce, A, B et C sont indivisaires. A passe un acte au nom de ses coproprié-
taires sans en avoir le pouvoir. Il en reçoit ultérieurement procuration ; l’acte est ratifié ab initio.
114. Ex. : Cass. civ., 4 mars 1891, DP 1891.I.313 : « Cet effet rétroactif ne peut être opposé aux tiers
qu’autant que l’existence de l’acte ratifié leur a été révélée soit par une inscription, soit par une tran-
scription suivant la nature de l’acte ».
115. Ex. : Cass. civ., 9 mai 1853, DP 1853.I.293 ; S. 1854.I.30 : « Le mandant qui a ratifié, même
tacitement, sans aucunes protestations ni réserves, ce qui a été fait en son nom, renonce par cette
ratification à réclamer contre celui-ci une indemnité à raison des retards ou des changements apportés
à l’exécution du mandat » ; en l’espèce, A est le mandataire de B ; il dépasse ses pouvoirs ; B ratifie ; B
ne peut demander une indemnité à A.
116. Ex. : Req., 28 mars 1855, DP 1855.I.165 ; S. 1856.I.590 ; en l’espèce, A est le mandataire de B ;
il dépasse ses pouvoirs dans un acte conclu avec C ; B ratifie ; C agit contre B ; B peut demander une
indemnité à A.
EFFETS DU MANDAT 349
LOUAGES
1. J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, no 471.
2. Dans l’Ancien droit, les synonymes étaient déjà nombreux : bailler, louer, afermer, arrenter, amo-
dier.
n TITRE I n
BAUX
PREMIÈRES VUES SUR LES BAUX
1. Comp. TROPLONG, Droit civil expliqué, De l’échange et du louage, 1840, p. XIV : « .. le louage
aime le soleil de la civilisation ; il se développe et grandit sous son influence. Tandis que la nuit des
temps barbares le rapetisse. Si vous descendez au degré le plus bas de la civilisation, vous ne lui voyez
jouer presque aucun rôle dans la vie civile ». Pour une analyse sociologique et historique du bail,
S. MAGRI, Rev. fr. de sociologie, XXXVII, 1996, p. 397-418.
2. Supra, no 52.
3. Ex. : Un promoteur immobilier propose à ses clients d’acheter des appartements, qui lui sont
immédiatement « loués » pendant dix ans, à charge de verser aux « bailleurs » un loyer qui est en réa-
lité l’intérêt du prix payé par l’acquéreur : le revenu du propriétaire n’est pas constitué par les loyers de
sa chose, mais par l’intérêt de la somme qu’il a dépensée. Le promoteur « locataire » prend à sa charge
toutes les réparations et « sous-loue » ces appartements à des tiers. C’est un système d’investissement,
qui permet des rendements nets.
356 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
pour une courte période, des biens mobiliers (ex. : automobile, matériel de chantier, appareils
audiovisuels).
601. Bail mobilier. – Le bail mobilier n’est pourtant pas ignoré de la loi. Le
Code civil le mentionne à deux reprises (art. 1711 et 1713) ; deux textes régle-
mentent le bail portant sur un meuble incorporel : la location-gérance du fonds
de commerce (C. com., art. L. 144-1 et s.) et la location d’actions et de parts socia-
les (ib., art. L. 239-1 et s.).
La location mobilière, secondaire en 1804, a connu un développement important, notamment
dans plusieurs domaines. Celui de la consommation, où la location peut constituer une opéra-
tion de crédit, lorsque sa durée est voisine de celle de l’amortissement, s’il s’agit d’un bien dont
la valeur réside tout entière dans l’usage (véhicule, appareil électro-ménager...) : la somme des
loyers représente le prix, augmenté des intérêts. La Cour de cassation a décidé que ce contrat
n’était pas soumis aux règles du Code de la consommation relatives aux opérations de crédit4.
Celui de l’équipement professionnel, sous forme du renting ou de « location-service »5 : lors-
qu’un bien d’équipement professionnel présente une grande complexité, implique une mainte-
nance régulière, et se trouve rapidement dépassé par les progrès de la technique (ex. : standard
téléphonique...), l’utilisateur a parfois intérêt à être locataire plutôt que propriétaire, ce qui lui
évite un investissement rapidement inutile. La location atteint les titres de sociétés, afin de faci-
liter la transmission des petites et moyennes entreprises (PME), sorte de période d’essai pour le
futur dirigeant et le propriétaire actuel, voire de leasing sur des biens incorporels6. Ce bail est
réservé aux seules personnes physiques et sa possibilité doit être inscrite dans les statuts. Les
parties se répartiront les droits et devoirs (dividendes, participations aux assemblées, etc.) à la
manière de l’usufruit. La délivrance se fait par l’inscription sur le registre des titres de la société.
4. Cass. civ. 1re, 11 octobre 1989, Bull. civ. I, no 317 ; D. 1991.225, n. crit. P. Ancel ; contra
J. STOUFFLET, « La protection des consommateurs faisant appel au crédit », in Ét. de Lagrange, p. 231 ;
J. CALAIS-AULOY et H. TEMPLE, Droit de la consommation, Dalloz, 8e éd., 2010, no 335.
5. Ch. VOLAIT, La location-service, une technique locative d’équipement pour l’entreprise, th. Paris I,
ronéo, 1976 ; B. GRELON, Les entreprises de services, Economica, 1978, nos 302 et s. ; S. DAUPHIN, « L’es-
sor de la location de longue durée », Contrats, conc. consom. 1997, chron. no 2 ; infra, no 824.
6. C. MALECKI, D. 2005, chron. 2382.
7. Cass. civ., 16 août 1882, DP 1883.I.213, 1re esp. ; S. 1884.I.33, n. A. Esmein ; « Les règles généra-
les applicables au louage de biens immeubles le sont également au louage des biens meubles, autant
qu’elles sont compatibles avec la nature des choses ». P.-Y. GAUTIER, RTD civ. 1996.923.
8. Cass. civ., 16 août 1882, n. préc. ; Cass. civ. 1re, 5 mai 1998, Contrats, conc. consom. 1998,
comm. no 112, n. L. Leveneur ; n.p.B.
PREMIÈRES VUES SUR LES BAUX 357
9. Cass. com., 2 juillet 1996, Bull. civ. IV, no 198 ; RTD civ. 1996.923, obs. P.-Y. Gautier : « l’arti-
cle 1732 relatif aux baux des maisons et des biens ruraux n’est pas applicable aux rapports entre loueur
et locataire-gérant d’un fonds de commerce » ; crit. par P.-Y. Gautier, RTD civ. 2000.352.
10. Cass. com., 21 avril 1992, Bull. civ. IV, no 168 ; JCP G 1993.II.22101, n. T. Dubaele : l’arti-
cle 1733 « n’est pas applicable à la location des fonds de commerce, qui sont des biens incorporels ».
11. La licence met la marque à la disposition du contractant, pour en jouir et sans garantie de la
rentabilité du contrat : Cass. com., 18 mars 2014, nº 12-29453, npB ; Comm. com. élec. 2014, nº 77,
n. Caron ; JCP G 2014, 1116, n. J. Ghestin ; Dr. et patr., janv. 2015, p. 64, obs. Ph. Stoffel-Munck ; cer-
taines licences sont obligatoires et sous la surveillance du droit de la concurrence : ex. CJUE, 16 juillet
2015, D. 2015. 2482, n. J.C. Roda ; RDC 2016. 302, obs. L. Idot (brevets de télécommunications).
12. A. LEBORGNE, Recherches sur l’originalité du louage d’immeuble, th. Aix, 1992, ronéo.
13. Cass. com., 20 janvier 1966, Bull. civ. III, no 42 ; D. 1966.484, n. R. Garron : « Si, en principe, le
caractère d’une location dépend de la destination prévue par les parties, il ne peut dépendre de celles-
ci de qualifier à leur gré cette destination, ni de se référer à une législation autre que celle imposée par
la loi » ; en l’espèce, la question était de savoir si « un fonds de commerce de maraîchers » était un bail
commercial ou rural.
14. Ex. : Paris, 7 mai 1998, D. Aff. 1998.1082.
15. J.-B. SEUBE, RDC 2015. 874. Biblio. : Ph. PELLETIER et S. FRAÎCHE-DUPEYRAT, Les baux d’habitation
après la loi ALUR, LexisNexis, 2014 ; J. LAFOND, Les baux d’habitation, Litec, 7e éd., 2007 ; H. DES
LYONS et Y. ROUQUET, Baux d’habitation, 8e éd., Delmas, 2015-2016.
358 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
nombreux baux sont encore régis par elle puisque les lois Quilliot du 22 juin 1982 et Méhaigne-
rie du 23 décembre 1986 ou celle du 6 juillet 1989 n’ont pas eu le courage de l’abroger. Mais se
trouve mise en place une « sortie progressive » de la loi de 1948. La loi Quilliot avait plus sacrifié
à l’idéologie qu’aux nécessités économiques : elle n’était pas une législation d’exception liée à
la pénurie momentanée, mais, à bien des égards, un manifeste16, dont les effets psychologiques
avaient accentué la pénurie de logements.
La loi Méhaignerie « tendant à favoriser l’investissement locatif... » participa d’un autre esprit,
l’esprit libéral ; elle libéra les loyers et le renouvellement des baux conclus après son entrée en
vigueur, afin de mettre un terme à la crise de la construction. La loi du 6 juillet 1989 modifia
profondément la loi Méhaignerie, en reprenant de nombreuses dispositions de la loi Quilliot : un
curieux cocktail. Elle comportait des dispositions sur les loyers qui ont eu des conséquences
directes sur l’investissement et le parc locatif. D’une part (art. 17), si les loyers sont, en règle
générale, librement déterminés par le contrat, il existe un grand nombre de logements où le
loyer doit être fixé par référence « aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour
des logements comparables » ; on revient, sans le dire, au loyer « scientifique » de la loi de
1948. En outre, dans la plupart des nouveaux baux, « le locataire dispose, sans qu’il soit porté
atteinte à la validité du contrat en cours, d’un délai de deux mois pour contester le montant du
loyer auprès de la commission de conciliation ». D’autre part (art. 18), dans certaines « zones
géographiques » et pour une durée déterminée, le gouvernement peut limiter par décret les
hausses de loyers. De toute façon (art. 17 c), « lors du renouvellement du contrat, le loyer ne
donne lieu à réévaluation que s’il est manifestement sous-évalué ». Pauvre bail d’habitation sou-
mis aux nombreux changements politiques de la France ! On comprend qu’il ne figure pas dans
le Code civil. La loi ne s’applique pas aux personnes morales locataires (durée, prix, droit de
préemption, etc.), sauf accord exprès des parties17. Elle ne s’applique pas non plus aux locations
en « meublé » (art. 2, al. 2), car la fourniture des meubles rapproche le contrat d’une variété
d’hôtellerie18. La loi ALUR de 2014 restreint le champ d’application et le régime de faveur des
meublés, montant du loyer compris (art. 25-3 et s. nouveaux de la loi de 1989). La compétence
du contentieux appartient au tribunal d’instance.
La loi ALUR contient de très nombreuses dispositions contraignantes, touchant également l’ur-
banisme, le droit de la copropriété, etc. Sa mesure phare est l’encadrement des loyers, dès la
conclusion du bail initial, avec la fixation réglementaire d’un « taux médian de référence », obli-
gatoire dans toutes les communes importantes, à commencer par les grandes villes19.
Pour l’essentiel, ces textes sont d’ordre public (art. 2, L. 1989, modif. L. 2014) et les parties ne
peuvent y déroger20. Le décret nº 2015-587 du 29 mai 2015 est de ce point de vue éloquent,
érigeant le droit spécial en droit commun des baux d’habitation : « le régime de droit commun
en matière de baux d’habitation est défini principalement par la loi du 6 juill. 1989 modifiée.
L’ensemble de ces dispositions étant d’ordre public, elles s’imposent aux parties qui en principe,
ne peuvent y renoncer ». Pourtant, quelques renonciations sont ainsi admises à la loi de 1948,
en se conformant à celle de 198921.
16. Ex. : Article 1 : « Le droit à l’habitat est un droit fondamental, il s’exerce dans le cadre des lois qui
le régissent [...] Les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équili-
brés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives » ; cette disposition, peu
normative (elle relève plutôt de l’exposé des motifs), est reprise par la loi du 6 juillet 1989, article 1.
17. Ex. : Cass. civ. 3e, 23 mai 1995, Bull. civ. III, no 126 ; RDI 1995.801, obs. Collart-Dutilleul : « les
dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ne régissent pas les locations consenties à des personnes morales
(sauf) accord exprès des parties pour soumettre leur bail à des dispositions ».
18. Ex. : Cass. civ. 3e, 9 février 2005, Bull. civ. III, no 35 : n’est pas une location en meublé, mais un
bail d’habitation soumis à la loi de 1989 le bail ne comportant pas « les éléments d’équipement essen-
tiels, tels que le réfrigérateur, des plaques chauffantes ou une gazinière, permettant aux locataires
d’avoir une jouissance normale des locaux ».
19. Ph. PELLETIER et S. FRAÎCHE-DUPEYRAT, cités ci-dessus ; le no spécial Defrénois 2014.543 et s.
20. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 mars 1996, Bull. civ. III, no 73 : les dispositions de la loi de 1989 sont d’or-
dre public « et la convention [...] ne pouvait contenir renonciation pour le bailleur à invoquer la nullité
de la clause excluant le bénéfice d’une nouvelle loi d’ordre public ».
21. Versailles, 16 avril 1999, D. 2001, somm. 174 : renonciation non équivoque, par la signature
d’un bail soumis à la loi nouvelle.
PREMIÈRES VUES SUR LES BAUX 359
Comme dans les relations de travail, se développent des accords collectifs entre bailleurs et
associations de locataires ; les pouvoirs publics encouragent cette concertation qui souvent
empêche les conflits.
605. 3º Baux commerciaux. – Le statut des baux commerciaux (C. com., art.
L. 145-1 et s.) s’applique, pour l’essentiel (car il existe plusieurs extensions) aux
baux immobiliers destinés à l’exploitation d’une clientèle commerciale ou artisa-
nale : il faut donc qu’il y ait exploitation d’un fonds de commerce dans les lieux
loués et que le locataire soit propriétaire de ce fonds23. Dès l’origine (L. 30 juin
1926), il avait eu pour objet la protection de la « propriété commerciale » : éviter
que le preneur n’ait plus son fonds de commerce en perdant la jouissance de
l’immeuble où il exploitait son commerce, ce qui suppose une autonomie de
gestion24.
Il ne régit pas l’ensemble des relations entre le bailleur et le preneur, mais seulement l’octroi à
celui-ci d’un droit au renouvellement en fin de bail, certaines règles de fixation et de révision
des loyers, la durée minimum du contrat, le régime de la résolution, ainsi que plusieurs facilités
d’exploitation (déspécialisation)25. Le reste relève du Code civil. Cette protection des locataires
commerçants est aujourd’hui critiquée ; elle constitue un frein à l’expansion économique et est
ignorée par les autres pays de l’Union européenne26. Les parties peuvent se placer volontaire-
ment sous l’empire du statut, si elles le font sans fraude27.
Il est d’ordre public, notamment dans ce qu’il a de plus important, le droit au renouvellement
(C. com., art. L. 145-15). Il laisse plus de place à la liberté contractuelle que le statut des baux
ruraux mais la réglementation contemporaine se fait plus contraignante (V. par ex. au sujet de la
réévaluation du loyer, art. L. 145-34, réd. loi du 18 juin 2014).
606. 4º Baux ruraux. – Le statut du fermage (C. rur. pm., art. L. 411-1 à L. 417-
15) s’applique à « toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage
22. Ex. sur la solidarité entre copreneurs pour le paiement du loyer (V. cep., la refusant au sujet
d’avocats : Cass. civ. 3e, 30 octobre 2013, nº 12-21034, Bull. civ. III no 136, RTD civ. 2014.137, obs.
P.Y. Gautier ; Contrats, conc. consom. 2014 no 32, n. L. Leveneur ; RDC 2014. 216, obs. J. Klein et
223, obs. J.-B. Seube).
23. Biblio. : L. RUET, Les baux commerciaux, éd. Defrénois, 3e éd., 2015.
24. Cass. civ. 3e, 5 février 2003, Bull. civ. III, no 25 ; D. 2003.910, n. Y. Rouquet ; une entreprise titu-
laire d’un emplacement dans un centre commercial ne bénéficie pas du statut des baux commerciaux
car elle n’a pas « d’autonomie de gestion ».
25. Infra, no 686.
26. M. CLARET, « La propriété commerciale dans la CEE », Administrer 1985.25.
27. Cass. Ass. plén., 17 mai 2002, Bull. civ. Ass. plén.., no 1 ; JCP 2002.II.10 131, n. J. Monéger ;
Defrénois 2002.1234, n. R. Libchaber ; D. 2002.333, n. S. Becqué-Ickowicz ; RTD civ. 2003.88, obs.
J. Mestre et B. Fages : « En cas de soumission volontaire (au C. com., D. 1953 relatif au bail commer-
cial), sont nulles les clauses contraires aux dispositions impératives... » (pas de dérogation à la forme
solennelle du congé). Ce qui vaudra pour le prix, le renouvellement, les cessions, la déspécialisation,
etc. V. D. BUREAU, « L’extension conventionnelle d’un statut impératif », Mélanges Malaurie, Defrénois,
2005, p. 125.
360 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
28. CE, 17 mai 1989, RD rur. 1990.482 : jugé que le préfet peut substituer l’exploitant qu’il désigne
au fermier choisi par le bailleur.
29. Supra, no 82 et infra, no 615.
30. Infra, no 665.
31. Cass. civ. 3e, 26 juin 1994, Bull. civ. III, no 136 ; JCP G 1994.IV.2163 : « Ayant souverainement
constaté que M. Contiveaux (le propriétaire des animaux) n’avait, même après le début de 1987, effec-
tué aucun des ouvrages qui lui auraient incombé s’il avait acquis la qualité de preneur et qu’il avait, en
1988, déclaré qu’il considérait toujours les animaux comme “étant en pension”, la cour d’appel qui,
ayant constaté que M. Durieux (le propriétaire du terrain) avait continué, après 1986, à entretenir les
lieux par la taille des haies, la cueillette des fruits et le maintien en état du système de clôtures, n’avait
pas à procéder à des recherches (pour savoir si était applicable le statut du fermage) que ses consta-
tations rendaient inopérantes ».
32. P. OURLIAC, « Cinquante années de droit rural », RD rur. 1993.193 ; n. JCP G 1995.II.22446 sous
Cass. civ. 1re, 23 février 1994.
33. St. BERRE, Du droit de planter de la vigne, th. Lyon III, ronéo, 2004.
34. Cass. civ. 3e, 17 avril 1996, Bull. civ. IV, no 105 ; D. 1997.318, n. E. Agostini ; RD rur. 1996.225,
n. Weber et 410, n. M. Géninet.
35. Infra, no 620.
PREMIÈRES VUES SUR LES BAUX 361
À l’égard du bail, plus que de tout autre contrat, se vérifie la relativité de la notion de contrat
spécial36 : du Code civil à telle loi particulière, chaque étape intermédiaire est un degré dans la
spécialisation progressive37.
Après avoir examiné les caractères généraux du bail (Sous-Titre I), en dépit de sa
diversité, on exposera les règles concernant sa formation (Sous-Titre II), sa durée
(Sous-Titre III), et les éléments du statut du preneur (Sous-Titre IV).
36. Supra, no 5.
37. Ex. : Responsabilité du preneur en cas d’incendie (infra, no 690). Pour une grange soumise pour
partie à un bail d’habitation : Cass. civ. 3e, 31 mai 1989, RTD civ. 1990.301, obs. Ph. Rémy : il faut
appliquer l’article 1733 : le droit du bail (art. 1733) est spécial par rapport au droit commun ; le bail
rural comporte une règle plus spéciale (C. rur. pm., art. L. 415-3) ; la convention d’occupation précaire
ou les conventions pluriannuelles de pâturages (C. rur. pm., art. L. 481-1) échappent à la règle spé-
ciale.
n S OUS - TITRE I n
C ARACTÈRES DU BAIL
Aux termes de l’article 1709, « le louage des choses est un contrat par lequel
l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain
temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer »1. Deux élé-
ments le caractérisent : la jouissance à laquelle s’oblige le bailleur, c’est-à-dire le
droit personnel de jouissance conféré au preneur (Section I) ; le loyer que celui-ci
s’oblige à payer en contrepartie (Section II). Ils permettent, surtout le premier, de
distinguer le bail d’autres contrats ou de situations juridiques voisines.
SECTION I
DROIT PERSONNEL DE JOUISSANCE
Le bailleur « s’oblige à faire jouir l’autre partie d’une chose pendant un certain
temps ». Comme beaucoup d’autres contrats « relatifs » à une chose (vente, dépôt,
...) ou comme l’usufruit, le bail permet au preneur d’appréhender matériellement
une chose. Seul le bail lui donne aussi un droit de jouissance (§ 1) personnel (§ 2).
§ 1. JOUISSANCE
Titulaire d’un droit exclusif de jouissance2, le preneur peut user de la chose et
en percevoir les fruits ; mais non en altérer la substance : temporaire, le droit de
jouissance l’oblige à la restituer à l’expiration du contrat. Le bail se distingue ainsi
de la vente (I), du dépôt (II), du contrat d’entreprise (III) et de l’emphytéose (IV).
1. Il n’y a pas d’autre condition : Cass. civ. 3e, 28 octobre 2009, no 08-20224, Bull. civ. III no 236 ; D.
2009. 2752 : cassation de l’arrêt qui « a ajouté à la loi une condition tenant à la date de la prise d’effet
du bail ».
2. Cass. civ. 3e, 11 janvier 2006, Bull. civ. III, no 10 ; Defrénois 2006.721, n. E. Savaux ; RDC
2006.758, obs. J.-B. Seube : « en l’absence d’une libre disposition à usage exclusif de ce local, la
convention signée entre les parties ne pouvait être qualifiée de bail ». En l’espèce une entreprise de
thalasso-thérapie avait contracté avec un enseignant en « gymnastique aquatique » (sic) afin de mettre
à sa disposition des bassins de piscine et des vestiaires ; pour contester la révocation unilatérale de cet
engagement, l’enseignant prétendit qu’il s’agissait d’un bail professionnel ; les tribunaux rejetèrent sa
demande car l’enseignant « bénéficiait de la mise à disposition d’un bassin de piscine partagé avec
d’autres utilisateurs et selon des horaires modifiables à tout moment ».
364 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
I. — Bail et vente
La distinction entre le bail et la vente paraît nette : la vente transfère un droit
réel, généralement de propriété, de manière définitive et instantanée, alors que
le bail ne confère qu’un droit de jouissance temporaire3. Historiquement, pour-
tant, le bail est né de la vente de fruits. Aujourd’hui, celle-ci soulève encore des
difficultés de qualification4. De plus, le bail débouche parfois sur un transfert de
propriété, lorsqu’il est associé à la vente.
Lorsque la location-vente a pour objet un bien d’équipement, la distinction entre bail et vente
est malaisée, car la jouissance de la chose en épuise l’utilité : le transfert de propriété ne présente
en lui-même aucun intérêt. La location permet alors, comme la vente, de réaliser une opération
de crédit.
La distinction entre le bail et la vente, en principe nette, s’estompe donc dans certains cas. Le
bail confère au preneur l’usus, comme la vente ; de plus, un certain nombre de baux donnent au
preneur vocation à se transformer en acquéreur, par l’exercice du droit de préemption10. Elle
n’en est pas moins nécessaire, car plusieurs règles propres à la vente (détermination du prix,
3. Supra, no 79.
4. Supra, no 82.
5. Supra, no 73 ; Cass. civ. 3e, 25 octobre 1983, Bull. civ. III, no 197 : « Il ne peut y avoir contrat de
louage lorsque le preneur consomme la substance même de la chose, objet du contrat ».
6. Supra, no 83.
7. Infra, nos 811-822.
8. Cass. civ. 3e, 10 juin 1980, sté Épipress, Bull. civ. III, no 114 ; D. 1980.566, n. Y. Guyon ; JCP G
1981.II.19655, n. E. M. Bey ; infra, no 814.
9. Infra, no 808. L’option est alors indivisible de la location.
10. Infra, no 699.
CARACTÈRES DU BAIL 365
transfert des risques, garantie...) ne s’appliquent pas, ou pas de la même manière, au bail, sans
compter les intérêts fiscaux de la distinction.
17. Cass. soc., 12 mars 1954, D. 1954.311 ; RTD civ. 1954.515, obs. J. Carbonnier ; Rev. loyers
1954.280 : « La nature du contrat d’hôtellerie se différencie de celui du contrat de location en meublé,
non par les modalités de règlement, mais par les prestations de fournitures secondaires qu’il n’est point
d’usage de trouver dans des baux de location en meublé ».
18. Cass. civ. 3e, 26 juin 1996, Bull. civ. III, no 161 ; JCP 1996.IV.1929 : constitue un bail, non un
contrat d’hôtellerie, la convention où « des prestations caractéristiques du contrat d’hôtellerie n’étaient
pas assurées bien que la sté Le Lion d’Or assumait, en qualité d’hôtelier-logeur, un ensemble d’obliga-
tions de surveillance, d’entretien, de fournitures d’eau et d’électricité et de fournitures de services, qui
sont exclusives du contrat de bail ». Le bail se caractérise aussi par les obligations du locataire :
Cass. civ. 1re, 19 octobre 1999, Bull. civ. I, no 278 ; D. 1999, IR, 257. « La cour d’appel a relevé
qu’aux termes du contrat, il avait été demandé à M. Ferrendel une caution à la remise des clefs, un
inventaire du mobilier devait être dressée et le nettoyage des lieux était à la charge du premier ; (la
cour d’appel) a ainsi caractérisé l’existence d’un contrat de location d’un appartement meublé ».
19. Req., 23 juin 1903, DP 1904.I.139 : « Les liens de subordination qui rattachent les cochers à la
compagnie (générale des voitures) font de ceux-ci des préposés salariés ».
20. Cass. civ. 2e, 11 mai 1956, Bull. civ. II, no 248 ; D. 1957.121, n. R. Rodière ; en l’espèce, il s’agis-
sait, pour appliquer l’article 1384, al. 1, (devenu art. 1242) de déterminer qui avait la garde d’un trac-
teur loué pour la journée avec son conducteur.
21. PLANIOL et RIPERT, t. X, par A. Tunc, no 418. De plus en plus de contrats sont encadrés par le droit
de la consommation (souscription, paiement et conditions de résiliation ; ex. : les « services de com-
munications électroniques ». C. consom., art. L. 224-26 et s.).
22. Cass. Ass. plén., 10 avril 1970, Bull. civ. Ass. plén., no 2 : « Il n’y avait pas, en l’espèce, un
contrat soumis au régime de la loi du 1er septembre 1948 ».
23. A. BÉNABENT et Cl. LUCAS DE LEYSSAC, « La nature juridique de la location saisonnière », D. 1977,
chron. 241.
24. Cass. civ. 3e, 1er juillet 1998, Bull. civ. III, no 145 ; Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 140,
n. L. Leveneur : « le contrat de séjour par lequel une maison de retraite s’oblige à héberger une per-
sonne âgée et à procurer des prestations hôtelières, sociales et médicales n’étant pas soumis aux règles
du Code civil relatif au louage de choses... ».
25. Cass. civ. 3e, 1er juillet 1998, préc.
CARACTÈRES DU BAIL 367
des réglementations, à cela près que l’article L. 111-7 C. consom. (loi Macron du 6 août 2015)
oblige la plate-forme qui sert d’intermédiaire à fournir un certain nombre d’informations
loyales26. Dans la loi « ALUR », le meublé devient exclusivement une location touristique,
condition de l’inapplicabilité de la loi de 1989.
26. P. STORRER, « Les premiers pas d’un droit "Airbnb" », D. 2016. 265.
27. Étymologie d’emphytéose : du grec emφuteusiz = plantation.
28. Cass. civ. 3e, 10 avril 1991, Bull. civ. III, no 114 ; D. 1991, somm., 304, obs. A. Robert : « Le droit
de libre cession constitue un caractère essentiel du bail emphytéotique ».
29. Ex. : Cass. civ. 3e, 5 décembre 2001, Bull. civ. III, no 142 : « redevance modique, droit réel »,
c’est bien une emphythéose, de sorte que le preneur doit apporter une plus-value au fonds, lorsqu’il
sera restitué plus tard à son propriétaire, car celle-ci est « la part principale de sa rémunération ».
30. CE, 25 février 1994, D. 1994.536, n. M. Lombard : « Si contrairement aux dispositions de l’art.
L. 451-5 C. rur. pm., le bailleur a en l’espèce le droit de résilier unilatéralement la convention dans
certaines hypothèses, une telle stipulation, exorbitante du droit commun peut être insérée dans un
bail souscrit en application des dispositions précitées de l’art. 13 de la loi du 5 janvier 1988 (permettant
à une collectivité territoriale de conclure en bail emphytéotique), sans que le contrat ainsi passé perde
la qualité de bail emphytéotique ».
31. Ex. : Cass. com., 24 juin 1997, Bull. civ. IV, no 202 ; JCP G 1998.II.10059, note Gonzalez et Cor-
nille : « Le preneur bénéficie sur le terrain d’un droit réel immobilier et sur les constructions, d’un droit
de propriété temporaire ». En cas de résiliation anticipée, celle-ci sera assimilée en droit fiscal, à une
cession consentie par le preneur au bailleur, en dépit des règles de l’accession (même arrêt).
368 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’existence d’un droit réel : longue durée32, faible redevance33, obligation de supporter les frais
des améliorations34, absence de destination imposée par le « bailleur » ou de restriction à
l’exploitation35, absence de faculté de résiliation au gré du bailleur36, faculté de céder, louer et
hypothéquer librement le droit de jouissance37. Cette recherche est devenue hasardeuse ; depuis
que le bail emphytéotique n’oblige pas nécessairement le preneur à faire des travaux d’amélio-
ration ou de construction, la raison d’être du droit réel de jouissance n’existe pas toujours38 et
aucun de ces critères n’est déterminant. Tout se passe donc comme si les mêmes baux pou-
vaient, au gré des parties, conférer un droit réel ou seulement un droit personnel, et se trouver
soumis ou échapper au statut des baux à loyer. Du moins on peut affirmer que lorsqu’un bail de
longue durée oblige le preneur à construire ou à améliorer le fonds, il ne peut s’agir d’un bail à
loyer ; ainsi en est-il du bail à construction39.
§ 2. DROIT PERSONNEL
621. Vaine controverse. – Selon les articles 1709 et 1719, la jouissance du preneur est due
par le bailleur ; le preneur est donc titulaire d’un droit de créance.
À quoi s’était opposée une controverse fameuse au XIXe siècle42, revivifiée à notre époque en
raison de l’éclosion de statuts spéciaux protecteurs : statut du fermage, baux commerciaux et
32. Cass. civ. 3e, 15 mai 1991, Bull. civ. III, no 140 : la précarité d’un bail (tenant à la faculté de rési-
liation que les bailleurs s’étaient réservée) exclut le caractère emphytéotique du bail.
33. Pas toujours : ex. : Cass. civ. 3e, 12 octobre 1994, Bull. civ. III, no 175.
34. * Cass. civ., 24 août 1857, aff. de la gare d’Ivry, DP 1857.I.326. En 1853, le baron de Ladoucette
avait loué des terrains à une compagnie de chemins de fer, pour une durée de 97 ans. Jugé que l’ad-
ministration de l’enregistrement ne pouvait soumettre cet acte aux droits frappant les baux emphytéo-
tiques.
35. Cass. civ. 3e, 12 décembre 1978, D. 1979, IR, 220 ; n.p.B.
36. Cass. civ. 3e, 15 mai 1991, préc.
37. Jurisprudence abondante : ex. : Cass. civ. 3e, 15 mars 1983, Bull. civ. III, no 74 ; Defrénois 1983,
article 33180, no 122, p. 1573, obs. H. Souleau.
38. TROPLONG, Rapport sous Req., 12 mars 1845, DP 1845.I.106 : « L’obligation d’améliorer un ter-
rain stérile qui a donné son nom au contrat d’emphytéose n’a jamais été considérée comme essen-
tielle ».
39. Cass. civ. 3e, 30 janvier 2008, no 06-21292 ; Bull. civ. III, no 14 ; JCP G 2008.IV.1399 : « consti-
tue un bail à construction le bail par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des cons-
tructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du
bail ». Peu importe que le preneur se soit engagé « à l’expiration du bail à remettre les baux dans l’état
dans lequel ils se trouvaient lors de sa prise de possession ».
40. Cass. civ. 3e, 7 avril 2004, Bull. civ. III, no 70.
41. B. CHEUVREUX, D. 2014. 1320.
42. TROPLONG, t. II, no 473 : « L’article 1743 est peut-être le plus grave et le plus fécond de toute la
matière du louage. C’est lui qui a transformé la matière de ce contrat ; c’est lui qui a fait passer le droit
du preneur de la classe des droits relatifs (jus ad rem) à la catégorie des droits absolus (jus in re) » ;
D. HOUTCIEFF, RRJ 2003-4, 2300 et s.
CARACTÈRES DU BAIL 369
baux d’habitation43 ; elle opposait les tenants du caractère réel du droit du preneur à ceux du
caractère personnel. L’opposabilité de son droit à l’acquéreur de l’immeuble (art. 1743) et à un
preneur postérieur44, le droit de renouvellement lui donnant vocation à la perpétuité, précisé-
ment baptisé « propriété » commerciale ou culturale, en auraient fait un jus in re, pas seulement
un jus ad rem.
L’enjeu de la controverse est plus théorique que pratique ; la plupart des conséquences de la
qualification font l’objet de dispositions spéciales : opposabilité du bail (art. 1743), publicité des
baux de longue durée (D. 4 janvier 1955, art. 28, 1º), protection possessoire (art. 2278), compé-
tence juridictionnelle, sort du bail entre époux (art. 1751, pour le bail d’habitation) ou dans la
communauté légale (art. 1425, L. 23 décembre 1985).
La Cour de Strasbourg considère donc un bail de très longue durée comme un bien et fait
bénéficier le preneur de la protection du droit de propriété assurée par la Convention EDH45.
La discussion révèle la relativité des catégories de droit réel et de droit personnel : un droit est
plus ou moins personnel ou réel. Alors que depuis longtemps la jurisprudence affirme le carac-
tère personnel du droit du preneur46, elle applique au conflit entre deux preneurs successifs des
règles propres au conflit des droits réels47. Les prérogatives importantes que confèrent aux pre-
neurs les statuts spéciaux tendent, comme au XIVe siècle, à lentement reconstituer un « domaine
utile » au profit du preneur et à ne laisser au bailleur que le « domaine éminent ».
Ayant une certaine opposabilité, le droit du preneur est doté des prérogatives du droit réel,
surtout dans les statuts spéciaux : vocation à la durée, avec le droit au renouvellement ou au
maintien dans les lieux, à la propriété, avec le droit de préemption ; voire parfois (statut du fer-
mage) un droit direct sur la chose louée, avec le droit d’en modifier la structure. Néanmoins, ce
droit demeure personnel. Il suffit d’observer les conséquences de sa violation par le bailleur : le
preneur doit engager la responsabilité contractuelle de celui-ci et ne dispose d’aucun moyen
pour retrouver directement la jouissance de la chose louée48.
622. Bail et usufruit. – Par son objet, l’usufruit est proche du bail : « l’usufruit
est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété »... (art. 578), et peut
également résulter d’un contrat. Mais l’usufruit démembre la propriété : à l’usu-
fruitier l’usus et le fructus ; au nu-propriétaire l’abusus49.
43. J. DERRUPPÉ, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des
droits de créance, th. Toulouse, 1952 ; « Souvenir et retour sur le droit réel du locataire », in Ét.
L. Boyer, Toulouse, 1996, p. 169.
44. Ex. : * Cass. soc., 1er juin 1954, Merker, Bull. civ. IV, no 383 ; JCP G 1955.II.8507, n. Mayer-Jack,
2e esp. : entre deux preneurs successifs de la chose louée, celui qui a l’antériorité du titre doit être
préféré à l’autre, « son droit, opposable aux tiers depuis le jour où il avait eu date certaine, l’étant
par conséquent à celui de dame Bouche (l’autre locataire) postérieur au sien ».
45. CEDH, 16 novembre 2004, Buncrona c/Finlande, RDC 2005.467, obs. A. Debet : « un bail
d’une durée de trois cents ans confère au preneur un intérêt patrimonial entrant dans la catégorie
des baux qui constituent “un bien” au sens de l’article 1 protocole 1o » ; en l’espèce, la couronne fin-
landaise avait, au XVIIIe siècle, consenti des droits d’une durée de trois cents ans aux ancêtres de la
famille Bruncrona portant sur des îles et de vastes espèces aquatiques ; en 1998, le service des eaux
et forêts de la République finlandaise ordonna à la famille Bruncrona d’évacuer les lieux. Condamna-
tion de la Finlande.
46. ** Req. 6 mars 1861, synd. Vollot, DP 1861.I.417 ; S. 1861.I.713 ; GAJ civ., nº 271, tête d’une
longue série : « Le bail n’opère aucun démembrement de la propriété, qui reste entière entre les mains
du bailleur, pour qui il n’est qu’un moyen de la rendre productive et d’en recueillir les fruits [...] ; sous
l’empire de l’ancienne législation, le caractère purement personnel et mobilier du droit que le bail
confère au preneur n’a jamais été mis en question [...] ; dans le silence qu’il a gardé à cet égard, il
est impossible d’admettre que le Code Napoléon, en reproduisant la définition que Pothier donne du
bail, ait entendu transformer la nature de ce contrat, pour en changer et en modifier les effets... ».
L’arrêt est fondé sur la tradition.
47. Supra.
48. La protection possessoire est accordée au détenteur « contre tout autre que celui de qui il tient
ses droits » (art. 2278, al. 2).
49. Les biens, coll. Droit civil.
370 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Titulaire d’un droit réel, l’usufruitier peut être mis directement en possession de
la chose, en jouir et en percevoir les fruits, sans rien attendre ni exiger du nu-pro-
priétaire. Les rapports entre usufruitier et nu-propriétaire sont dominés par l’indé-
pendance et l’ignorance réciproques : pendant toute la durée de l’usufruit, il
n’existe entre eux aucune relation ; tout au plus, le nu-propriétaire peut-il faire
sanctionner l’abus de jouissance de l’usufruitier par une déchéance judiciaire de
l’usufruit (art. 618).
Le droit réel de l’usufruitier est mobilier ou immobilier suivant son objet (art. 526) ; il peut faire
l’objet d’une sûreté réelle (gage ou hypothèque), être librement cédé ou loué (sous réserve des
dispositions de l’art. 595, dern. alinéa), ce qui constitue des différences importantes d’avec le
droit du preneur ; la sous-location dépend de la convention conclue avec le bailleur et la ces-
sion de bail est souvent limitée par le contrat ou par la loi.
SECTION II
PAIEMENT D’UN LOYER
Comme le prix dans la vente50, le loyer est de l’essence du louage de choses. À
défaut d’accord sur le fait qu’un loyer sera dû, le bail est nul, ou n’est pas un bail
mais un prêt à usage. Le prix sera normalement en argent, mais pourrait être payé
en nature (par ex. : marchandises, fraction de la production).
623. Bail et prêt à usage. – Comme le bail, le prêt à usage confère le droit de se
servir d’une chose et oblige l’emprunteur à usage à la restituer (art. 1875)51. Mais
les deux contrats s’opposent radicalement par leur essence, gratuite (art. 1876) ou
onéreuse (art. 1709). L’existence d’un loyer ou d’une autre contrepartie52 est
incompatible avec le prêt à usage, souvent utilisé pour déguiser un bail afin
d’échapper aux contraintes du statut des baux commerciaux53.
Que faut-il entendre par « loyer » ? La Cour de cassation estime qu’un bail doit comporter un
loyer sérieux54. Mais il n’est pas nécessaire que celui-ci enrichisse le bailleur55. Surtout, la mise à
disposition peut ne pas être gratuite, bien qu’elle n’ait aucune contrepartie immédiate, parce
qu’elle est un des éléments d’un contrat complexe (ex : contrat de fournitures, ou vente). L’ab-
sence de loyer interdit alors la qualification de bail. Les tribunaux retiennent parfois celle qui est
discutable, de prêt à usage, ou plus justement, de contrat innommé56.
Lorsque le loyer est dérisoire, le bail est nul, d’une nullité relative57.
56. Cass. civ. 3e, 31 mars 1978, An. loy. 1979.131 (contrat de fournitures) ; n.p.B. ; infra, no 910.
57. * Cass. civ. 3e, 21 septembre 2011, no 10-21900 ; Bull. civ. III, no 152 ; RDC 2012.47, obs.
E. Savaux et 130, obs. J.-B. Seube ; JCP G 2011, no 1276, n. J. Ghestin ; D. 2011.2711,
n. D. Mazeaud ; Dr. et patr., févr. 2012, p. 64, n. Ph. Stoffel-Munck : « la cour d’appel a retenu à bon
droit que le contrat de bail à construction conclu pour un prix dérisoire ou vil n’était pas inexistant
mais nul pour défaut de cause et en a exactement déduit que l’action en nullité de ce contrat, qui
relevait d’intérêt privé, était, s’agissant d’une nullité relative, soumise à la prescription quinquennale
de l’art. 1304 ». Aujourd’hui, toutes les actions en nullité sont soumises à la prescription quinquennale
(art. 2224). Mais le caractère relatif de la nullité a d’autres intérêts. Cette nouvelle règle s’applique
également à la vente, v. supra, no 214.
58. N. PETERKA, « Réflexions sur la nature juridique de l’apport en jouissance », Defrénois
2000.1137.
59. Cass. com., 3 décembre 1991, Bull. civ. IV, no 373 ; RTD civ. 1992.781, obs. crit. P.-Y. Gautier :
l’apport en jouissance n’est pas un bail ; C. REGNAUT, La notion d’apport en jouissance, th. Caen, LGDJ,
1994. M. BUCHBERGER, Le contrat d’apport, Éd. Panthéon-Assas 2011.
n S OUS - TITRE II n
F ORMATION DU BAIL
Le bail se forme entre des parties – bailleurs et locataires – qui doivent avoir
certaines qualités (Section I). Il suppose un échange des consentements dont la
preuve et la forme présentent des particularités (Section II).
SECTION I
PARTIES AU BAIL
Le louage des choses implique, comme toute convention, un échange de
consentements, ici entre bailleur et preneur1. La jouissance conférée à celui-ci
constitue sur le bien de celui-là une emprise plus ou moins durable suivant la
nature du bail. Pour le bailleur (§ 1) comme pour le preneur (§ 2), en raison des
besoins qu’il satisfait, le bail – spécialement immobilier – ne peut être anodin.
§ 1. BAILLEUR
635. Acte d’administration ? – Le bail ne confère au preneur qu’un droit per-
sonnel de jouissance. Donner à bail n’est pas disposer d’un droit : le bail de la
chose d’autrui ne peut donc être traité de la même manière que la vente de la
chose d’autrui.
Pour le Code civil, la conclusion d’un bail est un acte d’administration, souvent de saine ges-
tion. Elle peut être l’œuvre de l’administrateur du patrimoine d’autrui, par exemple le manda-
taire titulaire d’un pouvoir conçu en termes généraux ; elle ne devient un acte grave, nécessitant
un pouvoir spécial, que lorsqu’elle est conclue pour une durée supérieure à neuf ans. Le déve-
loppement des statuts spéciaux superpose à ce clivage traditionnel dont les textes actuels se font
encore l’écho (art. 595, 1718) une nouvelle distinction entre les baux ruraux et commerciaux –
conférant un droit au renouvellement – et les autres. Les premiers sont des actes d’administration
graves, justifiant des mesures de protection particulières.
1. L’art. 22-2 de la loi du 6 juillet 1989, L. du 24 mars 2014, réglemente les pièces justificatives que
le bailleur est en droit d’exiger du futur locataire. Il interdit la cosignature d’un ascendant.
374 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
2. Sur la location du droit de jouissance de l’associé d’une société d’attribution, qui n’est pas un
véritable droit réel, V. MALINVAUD et al., Droit de la promotion immobilière, Dalloz, 9e éd., 2014,
no 536.
3. Supra, nos 185 et s.
4. Cass. civ., 17 mai 1927, DP 1928.I.25, n. H. Capitant, concl. P. Matter ; S. 1927.I.89,
n. P. Esmein : « Le bail de la chose d’autrui sans effets (sic) dans les rapports entre le bailleur et le pre-
neur tant que celui-ci en a la jouissance paisible ».
5. Dans le cas contraire, il devra s’exécuter : Cass. civ. 3e, 7 octobre 1998, Bull. civ. III, no 187 : « Le
bail de la chose d’autrui (produit) effet entre le bailleur et le preneur (qui) n’a pas soutenu avoir subi un
trouble de jouissance ».
6. Droit des obligations, coll. Droit civil.
7. Cass. civ. 1re, 2 novembre 1959, Bull. civ. I, no 448 ; S. 1960.65 ; JCP G 1960.II.11456 ; Gaz. Pal.
1960.I.30 ; RTD civ. 1960.327, obs. J. Carbonnier : « Le bail consenti par une personne autre que le
véritable propriétaire n’en est pas moins valable et opposable à celui-ci, dès lors que le preneur a
conclu ce bail de bonne foi et sous l’empire de l’erreur commune ». Au contraire, l’apparence ne
peut être invoquée lorsque la qualité du bailleur était « douteuse » : Cass. civ. 3e, 29 janvier 1992,
Bull. civ. III, no 31.
8. Supra, no 183.
FORMATION DU BAIL 375
9. Cass. civ. 3e, 25 octobre 1983, Bull. civ. III, no 196 : « Bien que le bail commercial consenti pour
une durée de neuf ans ne constitue pas, en soi, un acte de disposition, le bail passé par l’acquéreur
d’un immeuble dont la vente a été résolue ne peut être maintenu que si le locataire a contracté de
bonne foi ».
10. Ex. : Cass. civ. 3e, 14 mai 1974, Bull. civ. III, no 194 ; Gaz. Pal. 1974.II.879 ; RTD civ. 1975.132,
obs. G. Cornu ; en l’espèce, la cour d’appel avait refusé d’annuler un bail commercial consenti par un
acquéreur dont le titre avait été ultérieurement résolu. Cassation : « Sans rechercher si la nature com-
merciale du bail, consenti par Gravelat sur un immeuble qui était inoccupé et dans lequel aucun com-
merce n’était exploité, et la possibilité qu’avait le locataire de se renseigner sur la précarité des droits
du bailleur [...] ne faisaient pas du bail litigieux un acte de disposition, la cour d’appel n’a pas donné
une base légale à sa décision ».
11. Lorsque l’indivision comprend un ou des usufruitiers, il y a lieu de respecter en outre les règles
propres à l’usufruit, infra, nos 641 et s.
12. Cass. civ. 1re, 27 octobre 1992, Descamps, Bull. civ. I, no 264 ; RTD civ. 1993.614, obs.
F. Zénati : « Il résulte de l’article 883 que le bail d’un bien indivis fait par un seul indivisaire n’est pas
nul ; il est seulement inopposable aux autres indivisaires et son efficacité est subordonnée au résultat
du partage » ; en l’espèce, la cour d’appel avait annulé un bail fait par un seul indivisaire en relevant
« qu’il importe peu que la chose louée ait été ultérieurement placée dans le lot du bailleur ». Cassation.
13. Par analogie avec le congé, Cass. civ. 3e, 12 janvier 1978, Bull. civ. III, no 36.
14. Versailles, 2 novembre 2001, D. 2003, somm., 730, obs. N. Pierre : « le bail (de la chose indi-
vise) est nul et cette nullité s’impose également au locataire dont l’expulsion est ordonnée ».
376 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Dans la mesure où elle est maintenue, la règle de l’unanimité présente un risque de blocage,
alors que la conclusion d’un bail est souvent un mode normal d’exploitation d’un immeuble à
usage commercial ou d’un fonds rural. Le jus prohibendi appartenant à chaque indivisaire peut
être une source d’abus, surtout lorsque les intérêts des copropriétaires sont opposés, par exemple
à propos de l’exercice du droit de reprise. Certains moyens traditionnels permettent de sauver le
bail conclu par un indivisaire seul. Ainsi en est-il du recours à l’apparence, lorsqu’un indivisaire
s’est comporté comme unique propriétaire, envers un preneur de bonne foi et victime d’une
erreur commune24. Il en est de même de la ratification par les autres indivisaires, qui peut être
tacite. Ou du mandat tacite. Ou de la gestion d’affaires. Ou de l’effet déclaratif du partage,
lorsque le bien loué est mis dans le lot du bailleur. La loi de 1976 ajoute des moyens nouveaux :
l’autorisation ou l’habilitation judiciaires, en vertu des articles 815-4, 815-5, 815-6.
15. Cass. civ. 3e, 11 février 1975, Bull. civ. III, no 53 : « tout indivisaire est recevable à faire reconnaî-
tre son droit de propriété indivis, et à agir en nullité des actes qui y porteraient atteinte [...] ; la cour
d’appel a admis à bon droit que les consorts Pouriau (des indivisaires) devaient être admis à demander
la nullité du bail portant sur le bien commun ».
16. Cette expulsion peut être réclamée par ceux dont le consentement n’a pas été donné. Les autres
restent garants du preneur.
17. Cass. civ. 3e, 19 octobre 1976, préc.
18. Req., 28 mai 1940, S. 1940.I.79.
19. Ex. : Cass. civ. 3e, 23 novembre 1976, Bull. civ. III, no 417 : cassation d’un arrêt dans lequel
« pour valider le congé, les juges du fond déclarent que dame Bertrand peut exercer seul son droit
de reprise sous la condition suspensive de la réalisation du partage, actuellement pendant devant le
TGI, alors que le congé [...] signifié par une seule des indivisaires ne pouvait produire d’effets... ».
20. Ex. : Cass. civ. 3e, 4 novembre 1976, Bull. civ. III, no 380 : unanimité pour intenter l’action en
résiliation et pour l’abandonner quand elle a été régulièrement engagée.
21. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 janvier 1978, Bull. civ. III, no 36 ; Defrénois 1978, art. 31808, no 53, obs.
J.-L. Aubert.
22. P. CATALA, L’indivision, Defrénois 2001, art. 32576, no 92.
23. Cass. civ. 3e, 23 mars 1977, Bull. civ. III, no 150 : « Il appartient au locataire qui n’a traité qu’a-
vec un seul [indivisaire] d’établir que celui-ci avait pouvoir à cet effet des coindivisaires à qui le contrat
est opposé, à moins que ceux-ci ne l’aient ratifié ultérieurement ».
24. Cass. civ. 3e, 21 janvier 1981, Bull. civ. III, no 17 ; D. 1983.36, n. crit. P. Diener : « Vu l’arti-
cle 1714 ; le bail consenti par le propriétaire apparent de la chose louée est opposable au véritable
propriétaire, lorsque le locataire a traité de bonne foi, sous l’empire de l’erreur commune » ; en l’es-
pèce, un bail à ferme avait été conclu par l’usufruitier seul, sans le concours du nu-propriétaire, au
mépris de l’article 595 ; jugé que le bail est valable si l’usufruitier est propriétaire apparent.
FORMATION DU BAIL 377
À ce titre, un indivisaire peut se voir reconnaître par les autres un droit de jouis-
sance exclusif, à titre onéreux ou gratuit. Proche du bail, cette convention s’en
distingue par le fait que les coindivisaires ne s’obligent pas à procurer à l’un des
leurs la jouissance du bien, mais s’interdisent seulement d’exercer leur propre
jouissance ; d’ailleurs, l’article 815-9, alinéa 2, ne fait pas de l’indemnité, contre-
partie de la jouissance, un élément essentiel de cette convention.
Il est aujourd’hui admis que les indivisaires peuvent consentir à l’un d’eux un
véritable bail sur la chose indivise25. Le bénéficiaire ajoute alors à sa qualité d’in-
divisaire celle, indépendante26, de preneur. La règle de la majorité des deux tiers
ou de l’unanimité, selon les hypothèses, doit être respectée, pour conclure
comme pour faire cesser ce bail.
640. Indivision organisée. – Lorsque les indivisaires désignent un gérant (art. 1873-5), celui-
ci a les pouvoirs d’un administrateur des biens d’autrui. L’article 1873-6 se réfère à ceux d’un
époux sur les biens communs27. Il invite donc à distinguer suivant la nature des baux : le bail
rural et le bail commercial nécessitent le consentement des indivisaires ; les autres baux peuvent
être conclus par lui seul ; mais ils sont soumis aux mêmes règles que celles qui gouvernent les
baux consentis par un usufruitier28.
III. — Usufruitier
Lorsqu’il y a usufruit, l’usufruitier a seul le droit de donner à bail, puisqu’il est
titulaire de l’usus et du fructus29. Il agit en son nom propre et le bail produit ses
effets dans son patrimoine. Il est tenu aux obligations du bailleur envers le
preneur30. Cependant, cet usufruit est temporaire ; les baux conclus par l’usufrui-
tier ont donc vocation à obliger le nu-propriétaire lors de la cessation de l’usufruit.
Pour en ménager les intérêts, la loi du 13 juillet 1965 (art. 595) distingue entre les
baux, suivant l’emprise plus ou moins durable (statuts spéciaux, durée du bail)
qu’ils exercent sur le bien loué31.
33. Cass. civ. 3e, 25 avril 1990, Bull. civ. III, no 100 ; RD rur. 1990.397 : « Le bail (rural) renouvelé
constitue dans tous les cas un nouveau bail » ; infra, no 667 ; en l’espèce, la nue-propriétaire avait
exercé l’action en nullité moins de cinq ans après le renouvellement, mais plus de cinq ans après le
bail ; la cour d’appel avait jugé prescrite l’action. Cassation. Au contraire, certains commentateurs
estiment que le renouvellement peut être consenti par l’usufruitier seul puisqu’il ne confère aucune
prérogative nouvelle.
34. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 janvier 1972, Bull. civ. III, no 69 ; D. 1975.22, n. J. Penneau ; JCP G
1972.II.17104, n. G. C. ; RTD civ. 1972.619, obs. Bredin.
35. J. LACHAUD, « Contrôle du juge sur le bail rural consenti par un usufruitier », Gaz. Pal. 1974.I,
doct. 57.
36. Supra, no 636.
37. Cass. civ. 3e, 21 janvier 1981, cité supra, no 638.
38. Il peut poursuivre seul la résiliation du bail : Cass. civ. 3e, 4 mai 1976, Bull. civ. III, no 186 ; RTD
civ. 1976.801, obs. Cl. Giverdon ; Defrénois 1976, art. 31221, p. 1291, obs. M. Vion ; et pour le
congé : Cass. civ. 3e, 16 mars 1988, Bull. civ. III, no 61 ; RTD civ. 1989.104, obs. Ph. Rémy ; le droit
de reprise s’apprécie en sa personne : Cass. civ. 3e, 16 janvier 1979, Bull. civ. III, no 18 : « Veuve
Arnauts qui avait seule en tant qu’usufruitière la qualité de bailleresse des terres et pâtures était fondée
à exercer seule la reprise en faveur de son petit-fils ». Il autorise seul les travaux d’amélioration cultu-
rale et foncière ; Cass. civ. 3e, 20 mai 1992, Bull. civ. III, no 163 ; Defrénois 1993, art. 35490, no 32,
obs. G. Vermelle.
39. Les régimes matrimoniaux, coll. Droit civil.
40. Cass. civ. 1re, 14 décembre 1976, épx Cheval, Bull. civ. I, no 403 ; JCP G 1978.II.18864,
n. J. Monéger.
FORMATION DU BAIL 379
aboutissait pratiquement à écarter les règles protectrices de la cogestion. Elle est revenue, sous
les critiques de la doctrine, à une plus grande rigueur41.
V. — Personnes protégées
643. Efficacité limitée. – L’administration du patrimoine d’une personne proté-
gée peut nécessiter la conclusion d’un bail. Acte normal de gestion, celle-ci est
librement autorisée, mais l’efficacité des baux conclus par le représentant seul est
limitée, comme en matière d’usufruit (art. 1718) ; elle ne confère en outre aucun
droit au renouvellement ou au maintien dans les lieux à l’encontre de la personne
protégée (art. 504)42, sauf si le juge des tutelles l’avait spécialement autorisé43.
Lorsqu’il s’agit du logement d’un majeur protégé, tout acte relatif à sa location
doit être autorisé par le juge ou le conseil de famille (art. 426).
§ 2. PRENEUR
Pour le preneur, la conclusion d’un bail est un acte d’administration ordinaire :
l’administrateur du patrimoine d’autrui peut sans restriction prendre à bail. La
qualité de preneur peut parfois appartenir à d’autres qu’au cocontractant du bail-
leur. Ainsi, lorsqu’un bail est consenti à des époux, ou entre dans la communauté
conjugale, ou encore en cas d’indivision entre les preneurs.
41. * Cass. civ. 1re, 24 mars 1981, Cellerin, cité supra, no 582 ; comp. pour un bail rural ou pour un
bien propre par le conjoint non propriétaire : Cass. civ. 1re, 6 juillet 1976, Bull. civ. I, no 246 ; JCP G
1978.II.18845, n. R. Le Guidec ; Defrénois 1977, art. 31350, no 46, p. 472, obs. G. Champenois.
42. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 mars 2000, Bull. civ. III, no 60 ; D. 2000, AJ, p. 273. Les personnes, coll.
Droit civil.
43. Ex. : Cass. civ. 1re, 21 juin 1989, Bull. civ. I, no 244 ; Defrénois 1989, art. 34574, no 92, obs.
J. Massip : « L’article 456, al. 3, qui dispose que les baux consentis par le tuteur ne confèrent au pre-
neur à l’encontre du mineur, devenu majeur ou émancipé, aucun droit à renouvellement ne concerne
que les baux conclus par le tuteur ou l’administrateur légal seul ; le juge des tutelles qui a le pouvoir
d’autoriser les actes de disposition a, à plus forte raison, le droit d’autoriser l’administrateur légal des
biens d’un mineur à consentir sur un bien dont le pupille est propriétaire, un bail donnant droit au
renouvellement au profit du preneur à l’encontre du mineur devenu majeur ».
44. Ex. : Cass. civ. 3e, 13 mars 2002, Bull. civ. III, no 60 ; D. 2002, IR, 1237 ; D. 2003, somm. 735,
obs. N. Dranas : « les dispositions de l’article 1751 ne sont pas applicables à une convention d’occu-
pation gratuite d’un local ».
45. Ex. : Cass. civ. 3e, 19 juin 2002, Bull. civ. III, no 140 ; Defrénois 2003.672, n. Brémond : « le
congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et l’époux qui a
donné congé reste solidairement tenu des loyers ».
380 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
pourvu qu’il y ait habité un temps46. Cette cotitularité a été étendue par la loi
ALUR du 24 mars 2014 aux personnes sous PACS (art. 1751 et 1751-1, pour le
droit d’attribution préférentielle).
Le bénéfice du droit au maintien dans les lieux s’étend au conjoint successible en cas de mort
d’un des cotitulaires, ainsi qu’à la personne pacsée (art. 1751 préc., modifié par la loi Duflot). En
matière rurale, sans donner à chacun des époux la qualité de preneur, l’article L. 411-68 du
Code rural et de la pêche maritime impose leur accord pour accepter la résiliation, céder le
bail rural ou s’engager à ne pas en demander le renouvellement, lorsqu’ils participent ensemble
et de façon habituelle à l’exploitation agricole. L’article 9-1 de la loi de 1989 prévoit, pour les
époux et les pacsés, que les notifications faites au locataire en titre sont opposables à son
conjoint ou partenaire si le bailleur n’en a pas eu connaissance par un acte positif de
notification47.
645. Bail et communauté. – Si le bail est conclu ou acquis (cession de bail) après le
mariage, il est un acquêt, lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté, à
moins qu’il n’en soit exclu et demeure propre, en raison de son caractère personnel ou inces-
sible (art. 1404, al. 1).
Le bail commercial n’a pas ces caractères. Il entre donc en communauté et a vocation à être
partagé à la dissolution de celle-ci. Cependant, seul l’époux cocontractant du bailleur a la qua-
lité de preneur. Pour protéger l’autre, lorsqu’il participe à l’exploitation commerciale ou artisa-
nale, l’article L. 121-5 du Code de commerce, sans lui conférer la qualité de copreneur, soumet
à cogestion l’aliénation ou la constitution de droits réels sur un élément du fonds nécessaire à
l’exploitation de l’entreprise, dépendant de la communauté.
À l’égard du bail professionnel, les auteurs sont divisés, et la jurisprudence ne paraît pas avoir
eu à choisir48.
Elle a décidé au contraire que le bail rural, personnel au preneur et incessible, ne tombait pas
en communauté49. L’époux titulaire du bail ne dispose pas pour autant d’une autonomie
complète50. De plus, il est fréquent que le bail ait été consenti aux deux époux, indivisément :
ils ont alors l’un et l’autre la qualité de preneurs.
646. Copreneurs indivis. Colocation. – 1ºLe bail peut être indivis entre plusieurs pre-
neurs soit dès l’origine (ex. : époux copreneurs), soit parce qu’il appartient à l’indivision suc-
cessorale ou postcommunautaire. Le bail ne peut alors être résilié ou modifié qu’avec l’ac-
cord de tous les preneurs51, le congé doit être délivré à chacun52 sauf s’ils sont
46. Cass. civ. 3e, 31 mai 2006, Bull. civ. III, no 135 ; D. 2006.2777, n. N. Damas ; RDC 2006.1143,
obs. G. Lardeux : en l’espèce, la cour d’appel avait refusé au mari de contester le congé signifié, alors
qu’il n’habitait plus dans les lieux loués depuis dix ans. Cassation : « le logement donné à bail à
Mme D. avait servi à l’habitation des deux époux ».
47. Cass. civ. 3e, 19 octobre 2005, Bull. civ. III, no 198 ; RDC 2006.405, obs. J.-B. Seube : « L’art. 9-1
de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matri-
monial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et la preuve que cette infor-
mation avait bien été donnée au preneur » ; en conséquence, est opposable à l’époux le congé signifié
seulement à son conjoint si le locataire, célibataire lors de la conclusion du bail, n’avait pas notifié
bailleur sa nouvelle situation matrimoniale.
48. Droit des régimes matrimoniaux, coll. Droit civil.
49. * Cass. soc., 27 février 1958, époux Mariol, Bull. civ. IV, no 301 ; JCP G 1958.II.10892, 2e esp.,
n. P. Ourliac et M. de Juglart : « Le bail rural étant conclu intuitu personae et incessible, le bailleur ne
peut, hors les cas prévus par le statut du fermage, se voir imposer un autre preneur que celui avec
lequel il a conclu [...] ; la substitution au preneur d’une tierce personne, fût-elle sa femme, ne peut
constituer au regard du bailleur qu’une cession prohibée ».
50. Supra, no 644.
51. Cass. soc., 20 décembre 1966, Bull. civ. IV, no 983 : « La résiliation du bail, signée par veuve
Henri Poulain, le 30 octobre 1963, ne pouvait en cours de bail, mettre fin à ce contrat au regard des
autres copreneurs qui entendaient continuer ce bail ».
52. Cass. soc., 21 janvier 1965, motifs, Bull. civ. IV, no 67 : « Si pour mettre totalement fin au bail
consenti à plusieurs personnes pour une période indéterminée, congé doit être notifié à chacun des
preneurs, le congé délivré à l’un d’entre eux seulement n’en demeure pas moins valable à l’égard de
celui qui l’a reçu ».
FORMATION DU BAIL 381
solidaires53. Cette indivision prend fin par le partage et l’attribution du droit au bail (C. civ.,
art. 831-2 ; C. rur. pm., art. L. 441-34).
2ºUne nouvelle variété de bail se développe, spécialement dans la jeunesse (ex. étudiants) : la
colocation, consistant à louer un bien à plusieurs entre lesquels est répartie l’obligation au paie-
ment du loyer et des charges. Elle est réglementée partiellement par l’art. 8-1, L. 1989, dans sa
rédaction de la loi du 24 mars 2014 : « location d’un même logement par plusieurs locataires
constituant leur résidence principale et formalisée par la conclusion d’un contrat unique ». Elle
doit obéir à un contrat type imposé par le décret nº 2015-587 du 29 mai 2015. En l’absence de
solidarité légale, la plupart des contrats types stipulent une solidarité entre les copreneurs, y
compris le dépôt de garantie, en cas de réparations à effectuer en fin de bail. Un « payeur »
unique peut avoir été désigné par le bailleur, afin d’éviter les règlements séparés. S’agissant du
congé, celui donné par le bailleur à l’un des colocataires vaut à l’égard de tous les autres ; à
l’inverse, celui donné par un des colocataires seul ne le libère pas de sa dette de loyer54. Dans
le bail d’habitation, la solidarité expire après six mois (art. 8-1 préc., L. 1989).
SECTION II
CONSENTEMENT
53. Cass. civ. 3e, 20 juillet 1989, Bull. civ. III, no 174 ; JCP G 1991.II.21595, 1re esp. ; Defrénois
1991, art. 35062, no 43, p. 728, obs. crit. J.-L. Aubert : « La notification d’un congé à l’un des preneurs
solidaires est opposable aux autres ; sur le bail d’habitation consenti à des époux », supra, no 644.
54. C. GRIMALDI, RDC 2010.917.
55. Infra, no 649.
56. Cass. civ. 3e, 20 mai 1992, Bull. civ. III, no 152 ; D. 1993, somm., 68, obs. E. Martine : « La pro-
messe de bail valant bail lorsqu’il y a accord des parties sur la chose et sur le prix... » ; en l’espèce, les
382 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
propriétaires d’une exploitation rurale avaient promis de la louer pour une période de 21 ans ; jugé
que le bail était conclu ; Droit des obligations, coll. Droit civil.
57. Jurisprudence constante depuis Cass. civ., 3 avril 1838, Jur. gén., vo Louage, no 80.
58. Ci-dessous sur la détermination du prix ; comp. Cass. civ. 3e, 27 juin 1973, Bull. civ. III, no 446 ;
D. 1973, IR, 198 : « Le prix étant un élément essentiel du contrat de louage, une promesse de bail ne
peut valoir bail que si elle contient accord des parties sur le prix ».
59. Cass. civ. 1re, 10 juillet 2002, Bull. civ. I, no 102 ; RTD civ. 2003.107, obs. crit. P.-Y. Gautier :
« l’art. 1143 n’est pas applicable à la violation d’un pacte de préférence qui met une obligation de
faire à la charge du débiteur », jurisprudence rendue obsolète par le nouvel art. 1123 al. 2 préc.
60. Car, en elle-même, la jouissance est équivoque : elle peut résulter d’une occupation sans droit
ni titre, d’un prêt à usage ou d’un véritable bail.
61. Cass. civ. 3e, 15 mars 2000, Bull. civ. III, no 54 ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 90,
n. L. Leveneur ; D. 2001, somm. 167 ; RDI 2000.253, obs. Fr. Collart-Dutilleul ; cassation de l’arrêt
qui avait permis au juge de fixer lui-même le prix, en se référant aux circonstances.
62. Droit des obligations, coll. Droit civil. Deux des arrêts d’Assemblée plénière de 1995, rendus au
sujet de la location d’une installation téléphonique, visaient l’art. 1709 : Cass. Ass. plén., 1er décembre
1995, Bull. civ. Ass. plén., no 7, 2 arrêts ; D. 1996.13, n. L. Aynès.
63. Droit des obligations, coll. Droit civil. Pour l’inapplicabilité de l’article 1129 (devenu art. 1163)
à l’indemnité de résiliation d’un louage de matériel informatique : Cass. com., 17 juillet 2001, Defré-
nois 2001.1425, n. E. Savaux ; n.p.B.
64. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 février 2006, Bull. civ. III, no 25 ; Defrénois 2006, art. 38433, no 47,
n. R. Libchaber : en l’espèce, les parties avaient convenu par avance du renouvellement du bail ;
elles n’étaient pas parvenues à s’entendre sur la révision du loyer ; les juges du fond ont imposé un
FORMATION DU BAIL 383
§ 1. PREUVE DU BAIL
Les articles 1715 et 1716 invitent à distinguer la preuve de l’existence (I) et celle
du contenu (II) du bail.
loyer fixé par expert ; cassation : « le loyer n’était soumis à aucune réglementation légale et les juges du
fond ne pouvaient se substituer aux parties, en désaccord, pour fixer les modalités de sa révision ».
65. Infra, no 653.
66. Droit des obligations, coll. Droit civil.
67. Aveu judiciaire ou extrajudiciaire ; ex. : ... lettre missive (Req., 5 mars 1856, DP 1856.I.146)...
ou clause dans un autre acte (Paris, 20 mai 1858, DP 1859.II.39)... ou commandement de payer les
loyers (Cass. civ. 3e, 12 février 1980, D. 1980, IR, 418).
68. Ex. : Cass. civ. 3e, 13 mars 2002, Bull. civ. III, no 59 ; LPA, 18 novembre 2002, p. 15, n.
Ph. Stoffel-Munck ; Defrénois 2002.1541, obs. J. Honorat.
69. Ex. : Cass. civ. 3e, 5 janvier 1978, Bull. civ. III, no 10 : « Si l’exécution d’un bail peut être prouvée
par témoins ou à l’aide de simples présomptions, elle ne saurait résulter de la simple occupation des
lieux, car elle suppose de la part de celui qui s’en prévaut, aussi bien l’accomplissement des obliga-
tions que l’exercice des droits découlant du prétendu bail ». En l’espèce, les époux R. occupaient une
habitation ; le mari décéda, intoxiqué par un chauffe-bain ; ses héritiers ne purent engager la respon-
sabilité du propriétaire du local en qualité de bailleur qu’en prouvant qu’il y avait un bail ; en l’ab-
sence d’écrit, ils devraient démontrer son exécution, en particulier, le paiement d’un prix convenu.
384 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
spécial. Or, la jurisprudence admet aujourd’hui que la preuve de l’exécution du bail peut être
rapportée par tous moyens70. Pratiquement, la preuve de la jouissance par le preneur sera
administrée par témoignages, et celle du paiement des loyers, le plus souvent, par les quittan-
ces délivrées par le bailleur71. Cette évolution aboutit, en fait, à rendre libre la preuve du bail
verbal exécuté.
Dans les baux d’habitation, c’est l’autre extrême, le formalisme réglementaire : la loi Duflot du
24 mars 2014 (art. 3 et s. L. 1989, modifiée) dispose que le bail doit être écrit et surtout, qu’il doit
obéir aux prescriptions précises d’un « contrat type », défini par décret en Conseil d’État (notam-
ment le montant du « loyer médian », celui que payait l’ancien locataire, etc. : décret nº 2015-
587 du 29 mai 2015).
70. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 février 1971, Bull. civ. III, no 147 ; RTD civ. 1971.867, obs. G. Cornu, tête
d’une longue série : « La prohibition de la preuve par témoins ou par présomptions d’un bail verbal
édictée par le texte (art. 1715) ne s’applique pas lorsque le bail a reçu exécution ».
71. Ce qui permet de revenir à la règle générale (preuve par écrit) ou spéciale (aveu du bailleur).
72. Seul le serment du bailleur, lui-même, non celui de ses héritiers, remplit les conditions de l’ar-
ticle 1716 : Cass. civ., 20 novembre 1945, D. 1946.184.
73. Cass. civ. 3e, 15 mars 2000, préc. ; si l’estimation est supérieure au prix déclaré par le preneur, il
supporte les frais de l’expertise.
74. Ce qui est une cause fréquente de surprise chez beaucoup de concubins, après la rupture du
concubinage ; le concubin qui n’est pas resté dans les lieux loués demeure solidairement tenu de tous
les loyers.
75. Cass. civ. 3e, 5 mai 2004, Bull. civ. III, no 87 ; D. 2005.750, obs. N. Damas ; JCP G
2004.II.10099, n. J. Casey ; RTD civ. 2004.510, obs. J. Mestre et B. Fages : « l’engagement solidaire
souscrit par des copreneurs ne survit pas, sauf stipulation expresse contraire, à la résiliation du bail et
l’indemnité d’occupation est due en raison de la faute quasi délictuelle commise par celui qui se main-
tient sans droit dans les lieux ».
76. Cass. civ. 3e, 24 juin 1998, Bull. civ. III, no 129 ; D. 1999, somm. 115, obs. R. Libchaber ; en l’es-
pèce, deux concubins avaient loué un logement ; le contrat avait stipulé une clause « Solidarité-
FORMATION DU BAIL 385
La solidarité est de plein droit entre époux (art. 220 et 1751) et entre pacsés (art. 1751 préc.
modifié). En revanche, elle ne s’applique pas aux simples concubins non-signataires du bail77.
Tous les autres copreneurs sont soumis au droit commun de la divisibilité de la dette de loyer,
sauf stipulation expresse78.
§ 2. CONSENSUALISME
653. Législation protectrice ; interprétation du contrat. – Puisque l’« on peut
louer ou par écrit ou verbalement... » (art. 1714), la règle générale est que l’écrit
n’est pas une condition de validité du bail. L’écrit offre seulement des facilités de
preuve.
Cependant, plusieurs législations spéciales l’imposent. Ainsi, l’article L. 411-4 du Code rural et
de la pêche maritime exige la rédaction et l’enregistrement du bail rural. De même, l’article 3 de
la loi du 6 juillet 1989 sur le bail d’habitation impose la rédaction d’un écrit, comportant certai-
nes mentions obligatoires et la remise de plusieurs documents justificatifs.
S’agit-il de règles de forme ? La difficulté est résolue depuis longtemps à l’égard du bail rural :
l’écrit n’est pas prescrit à peine de nullité du contrat ; un bail rural verbal est valable80 et relève
des règles de preuve d’un bail verbal81. Quant au bail d’habitation, les lois de 1986 et de 1989
(art. 3, avant-dern. al.) se contentent d’interdire au bailleur de se prévaloir de ses dispositions, et
d’imposer à chaque partie d’accepter à tout moment la rédaction d’un contrat conforme. La nul-
lité en la forme devrait être écartée82 ; le caractère successif du contrat et les intérêts du consom-
mateur protégé la rendraient inopportune.
L’interprétation du bail est soumise au droit commun (C. civ. art. 1188 et s., anciens art. 1156
et s.) ; l’art. 1602 C. civ. propre à la vente (interprétation contre le vendeur), règle d’exception, ne
saurait s’appliquer au bailleur. Les clauses défavorables au locataire s’interprètent
indivisibilité » entre les locataires ; le concubin ayant donné congé, la concubine resta dans les lieux et
paya la totalité de loyer jusqu’à son départ ; le tribunal d’instance rejeta sa demande en rembourse-
ment de la moitié de loyer engagé contre le concubin, parce qu’elle ne faisait « état d’aucun accord
sur le taux de participation du colocataire aux loyers ». Cassation ; v. aussi infra, no 651.
77. Paris, 29 novembre 2005, JCP G 2006.IV.1323.
78. Cass. civ. 3e, 30 octobre 2013, no 12-21034, Bull. civ. III no 136 ; RTD civ. 2014.137, obs. P.Y.
Gautier ; Contrats, conc. consom. 2014, no 32, n. L. Leveneur RDC 2014. 216, obs. J. Klein et 223, obs.
J.-B. Seube. (avocats).
79. Ex. : Cass. civ., 28 juillet 1908, DP 1908.I.461 ; S. 1909.I.381 : « Vu l’article 1736 ; la durée d’un
bail verbal, quel qu’en soit le prix, qu’il y ait ou non un commencement de preuve par écrit, ne peut se
prouver ni par témoins, ni par présomption ; l’usage des lieux seul doit déterminer cette durée et, par
suite, le délai dans lequel le congé peut être utilement donné ».
80. Ex. : Cass. soc., 29 juillet 1950, JCP G 1951.II.5988, n. P. Esmein ; jugé que le droit de préemp-
tion du fermier devait être accordé à un preneur titulaire d’un bail verbal.
81. Supra, no 650.
82. Cass. civ. 3e, 7 février 1990, Bull. civ. III, no 40 ; Defrénois 1991, art. 35030, n. J.-L. Aubert ; RTD
civ. 1990.679, obs. Ph. Rémy : « Le bail (soumis à la loi du 22 juin 1982) ayant été exécuté, l’absence
d’écrit ne le rendait pas nul ».
386 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
83. Cass. civ. 3e, 29 septembre 2010, no 09-69337, Bull. civ. III, no 173 ; D. 2010.2360,
n. Y. Rouquet ; RTD civ. 2010.797, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2011.63, n. F. Kendérian (charge
d’une grosse réparation).
n S OUS - TITRE III n
D URÉE DU BAIL
Comme la convention d’occupation précaire n’est pas un bail, la tentation est grande de l’uti-
liser pour échapper aux statuts impératifs des baux commerciaux. La loi du 18 juin 2014 l’a
consacrée dans le Code de commerce (art. L. 145-5-1 C. com. : à la condition de « circonstances
particulières, indépendantes de la seule volonté des parties »). Pour les baux ruraux, la règle est
identique (C. rur. pm., art. L. 411-2)8. Déjà, la jurisprudence n’avait admis la qualification de
convention d’occupation précaire9, échappant au statut des baux commerciaux, que si la préca-
rité avait été justifiée par des éléments particuliers et n’avait pas constitué pas une fraude desti-
née à échapper au statut impératif10 ; par exemple, attente de la liquidation d’une installation
définitive11, immeuble destiné à être démoli ou restauré12, attente du règlement d’une succession
ou d’un procès13, etc. Il en est de même pour les baux d’habitation14. Une variété de contrat
d’occupation précaire apparaît dans certains contrats sur l’Internet, de nature saisonnière, par
lesquels un propriétaire met à disposition son bien à un locataire, le plus souvent étranger,
pour la durée de son séjour, contre un prix, comme une chambre d’hôtel (modèle : « Airbnb »).
Le bail doit donner au preneur une jouissance d’une durée suffisante pour
répondre aux besoins sociaux (habitation) ou économiques (exploitation, donc
investissements) qu’il entend satisfaire. À la détermination initiale de la durée
(Section I) s’ajoute la stabilité du droit du preneur (Section II).
SECTION I
DÉTERMINATION DE LA DURÉE
La durée du bail est un élément essentiel sur lequel doit s’être fait l’accord des
parties ; à défaut, le bail n’est pas formé. L’enjeu est si grave que les législations
spéciales, dans une mesure variable, en ont soustrait la détermination à l’autono-
mie de la volonté. Aux principes généraux du Code civil (§ 1), les statuts spéciaux
(§ 2) apportent des bouleversements.
8. Le texte est limitatif ; il énumère trois cas de précaire : 1o mise en valeur des biens compris dans
une succession litigieuse dans l’attente d’un partage ; 2o maintien temporaire d’un preneur dont le bail
expiré ou résilié n’a pas été renouvelé ; 3o exploitation temporaire d’un bien non agricole ou dont la
destination agricole doit être changée.
9. L’occupation précaire ne doit pas être confondue avec le bail de deux ans maximum qui permet
d’échapper au droit au renouvellement ; il s’agit d’un véritable bail ; ex. : Cass. civ. 3e, 8 octobre 1986,
Bull. civ. III, no 135 : « si à l’expiration d’un bail (commercial) d’une durée au plus égale à deux ans, le
preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispo-
sitions du décret du 30 septembre 1953 ».
10. Ex. : Cass. civ. 3e, 9 novembre 2004, Bull. civ. III, no 195 ; Defrénois 2005.1157, n. L. Ruet ; en
l’espèce le contrat de bail conclu par l’Université de Lille III avait, en cours de bail, comporté un ave-
nant dans lequel elle s’engageait à quitter les lieux loués à une date déterminée, puis elle prétendait
que le bail, étant soumis au statut des baux commerciaux, l’avenant était nul et non avenu ; la cour
d’appel admit la validité de cette renonciation au statut des baux commerciaux. Cassation : la cour
devait « caractériser l’existence de circonstances particulières constituant un motif de précarité ».
V. aussi supra, no 42.
11. Caen, 27 janvier 1950, D. 1950, somm., 43.
12. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 janvier 1977, Bull. civ. III, no 20 ; D. 1977, IR, 159. Comme pour le pré-
caire rural, le critère du précaire commercial n’est pas toujours objectif ; en l’espèce, il a dépendu
d’éléments intentionnels.
13. TGI, Paris, 16 juin 1972 et Paris, 13 janvier 1972, JCP G 1973.II.17361.
14. Paris, 30 mai 1989, D. 1990, somm., 313, obs. Ph. Bihr : échappe à la loi du 1er septembre
1948, la convention de jouissance limitée dans sa durée « dès lors qu’il (le bailleur) a l’intention de
vendre les locaux et que la convention précaire lui permet de les libérer lors de la vente effectuée ».
DURÉE DU BAIL 389
§ 1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
Le Code civil (art. 1736 à 1740) applique aux baux la distinction entre les
contrats à durée déterminée et à durée indéterminée. La règle traditionnelle pro-
hibant les baux perpétuels complète cette distinction.
15. Mais la jurisprudence exclut la preuve de la durée déterminée qui ne serait pas un écrit, supra,
no 652.
16. Cass. civ. 3e, 4 février 2009, no 07-20980, Bull. civ. III, no 30 ; D. 2009.491, n. Y. Rouquet ; « Le
congé régulièrement délivré est un acte unilatéral qui met fin au bail et à l’obligation de payer le loyer
par la seule manifestation de volonté de celui qui l’a délivré » ; en l’espèce, bien que le locataire eût
donné congé, le bailleur avait prétendu que le locataire était tenu de payer les loyers jusqu’à la resti-
tution effective des lieux, matérialisée par la remise des clefs au bailleur.
17. Cass. com., 28 décembre 1949, D. 1950.158 ; Gaz. Pal. 1950.I.191 : « Vu l’article 1736 ; le
congé n’est soumis en principe à aucune formalité et il suffit qu’il exprime la volonté de la part de
celui qui le donne de mettre fin au bail, lorsque ce dernier est fait sans détermination de durée ».
18. Les règles de preuve sont en principe celles d’un acte juridique (art. 1359, ancien art. 1341) ;
mais la jurisprudence a parfois appliqué l’article 1715 de manière erronée : A. TUNC, in PLANIOL et
RIPERT, t. X, no 632. La lettre recommandée avec accusé de réception est le moyen le plus souvent uti-
lisé et s’y ajoute maintenant le courrier électronique certifié par la Poste ; pour les baux commerciaux,
il faut un acte d’huissier (C. com., art. L. 145-9).
19. Ex. : Cass. civ. 3e, 6 novembre 1975, Bull. civ. III, no 320 ; D. 1976, IR, 39 : en l’espèce, « Le bail
[...] disposait que les parties pouvaient y mettre fin moyennant un préavis de 3 mois » ; la cour d’appel
déclara « suffisant un préavis d’un mois », car les locataires avaient changé d’emploi et de localité et
avaient présenté un successeur au bailleur. Cassation.
20. Cass. civ. 3e, 30 septembre 1998, D. 1999, somm. 137 ; n.p.B. : interprétation stricte, exigence
de bonne foi de la part du locataire ; 4 avril 2001, Bull. civ. III, no 42 : le délai raccourci ne bénéficie
pas au locataire chômeur.
21. S. GAUDEMET, RDC 2014. 709.
390 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
L’occupation par le preneur après la date fixée pour la résiliation du bail devient une occupa-
tion sans droit ni titre22 ; le bailleur peut la faire cesser en recourant à l’expulsion, ordonnée en
référé ; son exécution effective dépend du recours à la force publique, donc de l’autorité admi-
nistrative : bien des décisions d’expulsion restent lettre morte. Une enquête sociale précède l’ex-
pulsion ; dans certains cas, l’expulsé doit être relogé ; la procédure doit être notifiée au préfet,
dans des délais fixés par la loi (CCH, art. L. 613-1 et s., ainsi que C. proc. civ. exéc., art. L. 412-
5). L’expulsion peut être retardée pendant plusieurs mois si le locataire est en situation d’exclu-
sion. La loi ALUR du 24 mars 2014 augmente les difficultés de l’expulsion pour le propriétaire.
En outre, pendant la période d’hiver (1er novembre-31 mars ib., art. L. 412-6, la loi ALUR pré-
voit qu’elle peut remonter jusqu’au 15 octobre) est interdite toute expulsion. Si l’expulsion n’a
pas lieu, le bailleur peut exiger une indemnité d’occupation, qui a une double nature : contre-
partie de la jouissance, comme le loyer, et réparation du préjudice subi23 ; elle peut être supé-
rieure au loyer24 ; elle n’est due que par celui des copreneurs qui, effectivement, occupe le local,
en raison de son fondement quasi délictuel25. Si l’initiative du congé provient de celui qui a
quitté les lieux loués et que l’autre partie soit restée locataire en titre, la solidarité est
maintenue26. Mais pour un an seulement.
22. À moins que le bailleur n’ait renoncé aux effets du congé, ce qui relève de l’interprétation de
volonté : Versailles, 3 juillet 1978, Gaz. Pal. 1979.I, somm., 256. Il n’y a pas alors tacite reconduction
(art. 1739), mais poursuite du même bail. Le preneur ne peut rétracter le congé qu’il a donné, sans le
consentement du bailleur : Cass. civ. 3e, 27 juin 1984, Bull. civ. III, no 125.
23. Cass. civ. 3e, 18 janvier 1989, Bull. civ. III, no 15 : si l’indemnité prévue en cas de maintien dans
les lieux après expiration de la location a été prévue par le bail et est supérieure au loyer convenu (en
l’espèce, elle était « draconienne »), elle est une pénalité excessive que le juge peut modérer
(art. 1231-5, al. 2, ancien art. 1152, al. 2) ; pour sa qualification de sui generis dans les baux commer-
ciaux : Cass. civ. 3e, 11 juin 1997, Bull. civ. III, no 132 : « L’indemnité d’occupation doit être détermi-
née (en fonction de la valeur locative) compte tenu de tous éléments d’appréciation ».
24. Cass. civ. 3e, 26 novembre 1997, Bull. civ. III, no 210 ; D. 1999, somm. 146.
25. Cass. civ. 3e, 16 mai 1984, Bull. civ. III, no 99 ; en l’espèce, à la suite d’un divorce, le logement
donné à bail avait été attribué au mari, et la femme l’avait quitté ; le mari ne paya pas les loyers ; le
bailleur obtint la résiliation du bail ; la cour d’appel condamna les deux époux à payer l’indemnité de
résiliation ; cassation : « aucune faute ne pouvait être reprochée à Mme Leroy ». Contra Paris, 28 mai
2002, D. 2003, somm. 732, obs. S. Pierre-Maurice ; v. aussi supra, no 651.
26. Cass. civ. 3e, 8 novembre 1995, Bull. civ. III, no 220. « M. Radilla qui s’était obligé solidairement avec
Mme Muldermans, demeurée locataire, reste tenu, de ce chef, au paiement des loyers et des charges ».
27. Supra, no 652. La tacite reconduction suppose l’expiration au terme convenu, non la résiliation
anticipée du bail : Cass. civ. 3e, 14 juin 1984, Bull. civ. III, no 118.
28. Le bail à périodes (le contrat précise la durée pour laquelle le renouvellement du bail peut être
proposé (ex. : un an), sans limiter le nombre de reconduction) est un bail à durée déterminée :
Cass. civ. 3e, 22 mars 1977, Bull. civ. III, no 137. « Le bail dont le renouvellement est prévu d’année
en année est un bail à périodes et non un bail à durée indéterminée » ; V. GERNEL-RYSSEN : « Les baux
renouvelables par périodes... », JCP N 1990.I.393. Sur le congé : TGI, Créteil, 26 avril 1994, JCP G
1995.II.22832.
29. Ex. : Cass. civ. 3e, 18 janvier 1995, Bull. civ. III, no 16 : « Le bail dont le terme est fixé par un évé-
nement certain, même si la date de sa réalisation est inconnue, est conclu pour une durée détermi-
née ». En l’espèce, le terme était « le décès des preneurs » ; la cour d’appel avait jugé que le bail était
d’une durée indéterminée et le congé valable. Cassation.
30. S’il quitte les lieux, sans rendre les clés ou que le bailleur ait refusé de les recevoir, il devra une
indemnité, puisqu’il est censé continuer à les occuper ; à lui de prouver qu’il les a rendues : Cass. civ. 3e,
13 octobre 1999, Bull. civ. III, no 202 ; D. 1999, AJ, p. 87. En cas de colocation, si l’un des copreneurs
DURÉE DU BAIL 391
Lorsque le locataire met prématurément fin au bail, il doit au bailleur les loyers restant à courir31.
Lorsque le non-renouvellement est illégal, le locataire peut prétendre se maintenir dans les lieux et
obtenir un nouveau contrat, si le juge a le pouvoir d’imposer un contrat forcé32.
rend les clés au bailleur, les autres restent engagés : Cass. civ. 3e, 18 février 2015, nº 14-10510,
Bull. civ. III nº 19 ; RDC 2015.511, obs. J.-B. Seube.
31. Cass. civ. 3e, 10 janvier 1990, Bull. civ. III, no 7.
32. Cass. com., 24 octobre 2000, Bull. civ. IV, no 163 ; Contrats, conc. consom. 2001, comm. no 7,
n. M. Malaurie-Vignal ; RTD civ. 2001.163, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2001.427, obs. E. Claudel ;
en l’espèce, un bailleur (il s’agissait d’un « louage » de carrières) avait, en donnant congé, refusé le
renouvellement de son bail à un entrepreneur et loué la carrière litigieuse à un concurrent qui était
en « situation de monopole ». Jugé que ce second bail était nul, non le congé donné à l’entrepreneur
évincé (donc condamné à être expulsé) : « selon l’art. 9 de l’ordonnance (du 1er décembre 1986 sur la
liberté de la concurrence, auj. C. com., art. L. 420-3) est nul “tout engagement, convention ou clause
contractuelle se rapportant à une pratique” anti-concurrentielle prohibée ; ce texte ne prévoit pas la
possibilité pour le juge d’ordonner la conclusion d’un contrat ou son renouvellement ».
33. 1o Le contrat est nouveau, ce qui a une incidence sur le cautionnement. Ex. : Cass. civ. 3e,
4 novembre 1980, Bull. civ. III, no 167 ; Defrénois 1981, art. 32797, no 125, p. 1646 : « L’arrêt énonce
exactement que l’avenant du 8 mars 1972 est un nouveau bail même s’il reprend les stipulations de
celui du 1er avril 1959 [...] ; (il) en a justement déduit que l’obligation de la caution avait cessé à l’ex-
piration de la durée contractuelle de ce bail ». Cf. aussi l’art. 1740. 2o Le contrat nouveau ne constitue
pas une rupture avec le contrat ancien. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 décembre 1999, Bull. civ. III, no 235 : le fait
que le contrat ait été tacitement reconduit « n’interdisait pas au bailleur de réclamer à la locataire [...] la
réparation des dégradations résultant de l’usage de la chose pendant toute la durée de la location ». 3o
Le contrat nouveau ne doit pas comporter de nouvelles clauses, sauf si les deux parties les ont accep-
tées : Cass. civ. 3e, 6 mars 1991, Bull. civ. III, no 77 ; RTD civ. 1992.137, obs. crit. P.-Y. Gautier.
34. O. PENIN, RTD civ. 2015.45.
35. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 juin 1998, Bull. civ. III, no 119 ; D. Aff. 1998.1208 ; RTD civ. 1999.93, obs.
J. Mestre : « Le bail tacitement reconduit constituant un nouveau contrat... » (donc une loi nouvelle lui
est applicable).
36. Ex. : Cass. civ. 3e, 5 novembre 2009, no 08-15433, RDC 2010.1325, n. C. Grimaldi. En revan-
che, la caution reste tenue si le renouvellement était prévu dans le bail : Versailles, 5 décembre
1997, D. Aff. 1998.233.
37. Cass. civ. 3e, 21 décembre 1988, supra, no 143.
38. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 février 1985, Bull. civ. III, no 26 : « Les stipulations du bail expiré ne peuvent
influer sur la durée du bail renouvelé par tacite reconduction qui prend fin au terme fixé par l’usage
des lieux ».
39. Cass. civ. 3e, 7 février 2007, D. 2007.664 ; RDC 2007.812, obs. J.-B. Seube ; n.p.B. (bail com-
mercial). Rappr. infra, no 695.
392 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Le bailleur peut s’opposer à la tacite reconduction, mais il doit manifester son opposition de
manière positive. Bien qu’aucune forme ne soit imposée40, le bailleur, en général, délivre un
« congé », auquel l’article 1739 fait allusion, qui n’a pas la même nature que le congé destiné
à faire cesser un bail à durée indéterminée : il ne s’agit pas de mettre fin à un contrat, qui s’éteint
de lui-même, mais d’empêcher sa reconduction ; les conditions de l’article 1736, notamment le
respect du délai suivant l’usage des lieux, ne s’imposent donc pas ; dans les baux commerciaux,
la règle est différente : la tacite prolongation (loi 22 mars 2012) n’est écartée que par un congé
donné au moins six mois à l’avance (C. com., art. L. 145-9)41. La tacite reconduction, ensuite,
suppose en la personne des bailleurs, capacité et pouvoir de donner à bail : lorsque le bail est
consenti par des indivisaires, l’opposition d’un seul suffit à l’empêcher, au cas où l’unanimité est
requise. La reconduction ne purge pas les vices du bail initial42. La loi du 28 janvier 2005 a
modifié les règles sur le rejet de la tacite reconduction dans les contrats conclus entre profes-
sionnels et consommateurs, en imposant au professionnel un formalisme informatif (C. consom.,
art. L. 215-1)43.
À l’inverse, il se peut que le locataire veuille quitter les lieux, pour des raisons
objectives, avant l’arrivée du terme ; en droit commun, il ne le peut pas, sauf si le
bailleur s’opposait à son départ sans motif légitime, commettant de ce fait un abus
de droit44.
40. Ex. : Cass. civ. 1re, 20 février 1996, Bull. civ. I, no 87 : « La tacite reconduction reposant sur une
présomption de volonté des deux parties est exclue dans le cas où le maintien en possession du pre-
neur est contredit par la volonté du bailleur d’obtenir la restitution du bien loué ».
41. Ex. : Cass. civ. 3e, 24 novembre 1999, Bull. civ. III, no 221.
42. Cass. civ. 3e, 11 juin 1986, Bull. civ. III, no 91 : « La tacite reconduction ne pouvant à elle seule
caractériser une manifestation non équivoque de la volonté des parties de renoncer à contester la
régularité du bail ».
43. Droit des obligations, coll. Droit civil.
44. Cass. civ. 3e, 22 février 1968, Bull. civ. III, no 71 ; D. 1968.607, note Ph. M. ; JCP G
1968.II.15735, note R. D. ; RTD civ. 1968.735, obs. G. Cornu ; Ph. SIMLER, obs., JCP G 1971.I.2413,
nos 15 et s. : en l’espèce, le bailleur (Ménard) s’était opposé à la résiliation de son bail demandée par
le locataire « muté par son employeur » ; la cour d’appel lui donna raison « le strict respect de la
convention claire et précise ». Cassation : « sans rechercher si l’exercice de son droit par Ménard repo-
sait sur des motifs légitimes ou si son refus de mettre fin au bail lui avait été, au contraire, dicté par le
désir de nuire à son contractant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
45. Cass. civ., 20 mars 1929, DP 1930.I.13, n. P. Voirin : elle est « fondée sur des raisons qui tien-
nent tant à l’organisation de la propriété qu’à des intérêts d’économie générale ».
DURÉE DU BAIL 393
est sanctionnée par la nullité du bail et non sa réduction46 ; l’action en nullité est
éteinte par la prescription quinquennale47.
Il est rare, en pratique, qu’un bail soit ouvertement perpétuel. Le plus souvent, il est à durée
indéterminée que seule l’une des parties peut rompre ; ou surtout, un bail à durée déterminée,
donnant à une seule des parties le droit d’exiger son renouvellement48 ou bien, le bail à vie49. Si
le droit de résiliation est bilatéral et non à la discrétion d’un seul, la perpétuité est écartée50.
Lorsque la loi favorise la prolongation indéterminée du bail sans réajustement de loyer, le droit
fondamental de propriété du bailleur peut être atteint51.
§ 2. BAUX SPÉCIAUX
SECTION II
STABILITÉ DE LA JOUISSANCE
Réglementer la durée du bail n’est rien si le droit de jouissance du preneur se
trouve à la merci d’événements inévitables, permettant d’y mettre fin. Renforcé
par les statuts spéciaux (§ 2), le droit commun (§ 1) assure au preneur une stabilité
plus grande que celle des autres contrats.
53. Cass. civ. 3e, 19 février 1975, Bull. civ. III, no 70 ; JCP G 1975.IV.117 ; Rev. loyers 1975.248 :
« Faute de congé valable, un bail soumis au (C. com.) se poursuit purement et simplement au-delà de
la date contractuellement fixée pour son expiration et il n’y a pas formation d’un nouveau contrat ».
54. TUNC, in PLANIOL et RIPERT, t. X, no 627 bis.
55. Cass. civ. 3e, 20 janvier 2010, no 09-10287, Bull. civ. III, no 16 ; D. 2010.326, n. Y. Rouquet ;
RDC 2010.900, obs. Gw. Lardeux ; JCP G 2010.179 : même si la « mutation » a été demandée par le
locataire.
56. Cass. civ. 3e, 9 janvier 2008, Bull. civ. III, no 3 ; D. 2008.295, n. G. Forest ; RTD civ. 2008.319,
obs. P.-Y. Gautier : « la libération des lieux loués au cours du délai de préavis n’est pas en soi constitu-
tive d’un manquement à l’obligation de jouissance paisible » : en l’espèce, le locataire était parti un
mois et demi avant l’expiration du préavis ; des squatters en avaient profité pour s’installer ; la Cour de
cassation reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché s’il n’y avait pas eu force majeure.
DURÉE DU BAIL 395
§ 1. DROIT COMMUN
671. 1º Aliénation de la chose louée. – Invoqué par les tenants du droit réel
comme le signe de l’opposabilité du droit du preneur, l’article 1743, al. 1 se
borne, en fait, à rendre obligatoire ce qui, dans l’Ancien droit, résultait d’une
clause courante dans les ventes d’immeubles : l’acquéreur de la chose louée
doit continuer le bail, il devient à son tour bailleur. Loin d’instituer seulement
une opposabilité du droit du preneur à l’acquéreur, le texte impose une cession
du contrat de bail, légale et obligatoire et déroge au principe de la liberté
contractuelle57.
Texte exceptionnel, cette opposabilité du bail à l’acquéreur d’un lieu loué
paraît conférer une sorte de droit de suite au locataire ; il est écarté pour cette
raison en cas de louage de meubles. Il suppose la réunion de deux conditions :
l’une, positive, est qu’il s’agisse d’un véritable bail (et non d’une convention d’oc-
cupation précaire, ou d’une convention attribuant un logement de fonctions au
salarié58), en cours au moment de l’aliénation, ayant date certaine, c’est-à-dire
authentique ou répondant aux conditions de l’article 1377 (ancien art. 1328)59.
La règle s’explique par le souci d’éviter une fraude facile par l’antidate60 ; elle
s’applique aux baux immobiliers soumis à un statut spécial, sauf lorsque le pre-
neur peut invoquer un droit légal au maintien dans les lieux61. Et vaut tant pour la
conclusion du bail que pour ses avenants (par ex. extension de la destination,
autorisation de sous-louer, etc.). L’autre condition est négative : l’absence d’une
clause dans le bail par laquelle le bailleur se serait réservé le droit d’expulser le
preneur en cas de vente, clause inefficace dans un bail rural (art. 1743, al. 2).
La loi du 6 juillet 1989 (bail d’habitation) a introduit une exception limitée : le bailleur peut
donner congé pour vendre à l’expiration du bail initial ou renouvelé, ou tous les trois ans
(art. 10)62. Le preneur bénéficie alors d’un droit de préemption (art. 15, II). Si l’aliénation inter-
vient en cours de bail, les dispositions de l’article 1743 s’appliquent. L’art. 15 modifié par la loi
du 24 mars 2014 n’autorise le nouveau propriétaire à donner congé qu’au terme du bail en
cours s’il exerce un droit de reprise et seulement à l’issue du premier renouvellement, s’il veut
vendre. Lorsque le congé pour vendre s’exerce dans un ensemble immobilier, son régime
(notamment l’information) a fait l’objet d’un accord collectif entre plusieurs représentants de
bailleurs et d’associations de locataires, consacré par la loi SRU du 13 décembre 2000.
57. L. AYNÈS, La cession de contrat, th. Paris II, Economica, 1983, préf. Ph. Malaurie, nos 100, 188-
197. La cession de contrat n’est normalement pas automatique et nécessite un nouvel accord de
volonté : nouvel art. 1216.
58. J. VIATTE, « Opposabilité à l’acquéreur de la location consentie comme accessoire à un contrat
de travail », AJPI 1970.531.
59. Les juges ont une conception large de l’acte authentique : il suffit que l’existence du bail y soit
relatée, alors même qu’il ne constitue pas son objet principal (Cass. civ. 3e, 15 mars 2000, Bull. civ. III,
no 55 ; D. 2000.285, vente de fonds de commerce). Les baux de plus de 12 ans doivent en outre être
publiés au service de la publicité foncière pour que le droit de jouissance excédant cette durée soit
opposable à l’acquéreur (D. 4 janvier 1955, art. 28, 1o b).
60. Un bail enregistré peut être frauduleux, ce que l’acquéreur peut démontrer : Cass. civ. 3e,
10 octobre 1979, D. 1980, IR, 40 ; n.p.B.
61. L’article 1743, al. 1, est alors étranger à la matière : Cass. soc., 11 juin 1949, JCP G
1949.II.5099 ; 18 juillet 1952, D. 1952.726 (bail soumis à la loi du 1er septembre 1948).
62. J.-L. PUYGAUTHIER, « Le congé pour vendre », Defrénois 2002, p. 653 et s., 727 et s.
396 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Les effets de la transmission du bail sont ceux de toute cession de contrat suc-
cessif : l’acquéreur ne devient créancier des loyers que pour l’avenir, il ne peut
invoquer les manquements du preneur antérieurs à l’aliénation, sauf si le vendeur
lui a spécialement transmis sa créance contre le preneur, ou s’il en souffre un
dommage actuel, ou si les manquements se sont renouvelés65. Lui seul peut désor-
mais délivrer congé, s’opposer à la reconduction ou au renouvellement ; lui seul
devient, à compter de l’aliénation, débiteur envers le preneur. Il ne prend en
charge les obligations de l’aliénateur que pour l’avenir66. Les sûretés, notamment
le cautionnement, bénéficient à l’acquéreur de plein droit, sauf stipulation
contraire dans l’acte constitutif de la sûreté67. Il en est de même de la fusion-
absorption de la société propriétaire68.
63. Ex. : Cass. civ. 1re, 19 mars 1991, Bull. civ. I, no 90 : « Le bail est opposable à l’acquéreur d’une
chose louée ; cette règle, de portée générale, s’applique en cas de licitation d’un bien indivis même si
le bail a été consenti à l’un des indivisaires ». Le bail consenti avant le commandement à fins de saisie
de l’immeuble loué peut être annulé, s’il n’a pas acquis date certaine ; ex. : Cass. civ. 3e, 16 mai 1984,
Bull. civ. III, no 101. S’il est consenti après le commandement, il doit l’être, à la demande des créan-
ciers ou de l’adjudicataire.
64. Jurisprudence constante depuis 1976 ; ex. : Cass. civ. 3e, 11 février 2004, Bull. civ. III, no 24 ; D.
2005.749, obs. N. Damas ; JCP G 2004.II.10009, n. A. Djigo : en l’espèce, la cour d’appel avait refusé
de déclarer opposable à l’acquéreur (un adjudicataire) un bail sous signature privée, dépourvu de date
certaine mais dont l’acquéreur avait eu connaissance. Cassation : « Vu les articles 1743 C. civ. et 684
C. pr. civ. [...] ; en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que la sté Scalbert investissement avait eu
connaissance du bail avant l’adjudication, la cour d’appel [...] a violé les textes susvisés ».
65. Cass. civ. 3e, 2 octobre 2002, Bull. civ. III, no 189 ; D. 2003, somm. 731, obs. N. Damas ;
L. AYNÈS, op. cit., no 193. Comp. supra, no 308.
66. Pour la restitution du dépôt de garantie versé lors de l’entrée dans les lieux : Cass. civ. 3e, 18 jan-
vier 1983, Bull. civ. III, no 14 ; Administrer juillet 1983.24, n. Frank ; Defrénois 1983, art. 33133, no 84,
p. 1167, obs. J.-L. Aubert : « La sté Sonimo (le locataire) n’ayant pas été partie à l’acte de vente, la
clause relative à la transmission du dépôt de garantie au nouveau locataire ne lui était pas oppo-
sable » ; en l’espèce, l’acte de vente prévoyait que l’acquéreur devait restituer le dépôt de garantie ;
jugé que, néanmoins, le locataire pouvait en demander la restitution au vendeur, qui était son bailleur
initial.
67. Cass. Ass. plén., 6 décembre 2004, Bull. civ. Ass. plén.., no 14 ; D. 2005.750, obs. N. Damas ;
227, n. L. Aynès ; Dr. et patr. avril 2005, p. 26 s., n. L. Aynès ; Defrénois 2005, 316, même note et
634, obs. E. Savaux ; JCP G 2005.II.10010, n. St. Piedelièvre ; RDC 2005.25, obs. D. Houtcieff : « en
cas de vente de l’immeuble donné à bail, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est,
sauf stipulation contraire, transmis de plein droit au nouveau propriétaire en tant qu’accessoire de la
créance de loyers cédée à l’acquéreur par l’effet combiné de l’article 1743 et des articles 1692, 2013
et 2015 du Code civil ».
68. Cass. com., 8 novembre 2005, Bull. civ. IV, no 218 ; JCP G 2005.II.10170, 2e esp.,
n. D. Houtcieff : « en cas de fusion absorption d’une société propriétaire d’un immeuble donné à
bail, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de
plein droit à la société absorbante ». Mêmes motifs que pour la cession de contrat. En revanche, si c’est
le locataire qui fait l’objet d’une fusion, la transmission automatique n’a pas lieu, car la caution s’est
engagée pour lui, non pour un autre. Elle restera tenue, mais seulement pour les dettes de loyer nées
avant la dissolution : Cass. com., 8 novembre 2005, Bull. civ. IV, no 219 ; JCP G 2005.II.10170, 1re esp.,
n. D. Houtcieff.
DURÉE DU BAIL 397
69. Les successions, coll. Droit civil. Le bail s’éteint par confusion lorsque le preneur est légataire du
bailleur : Cass. civ. 1re, 10 juillet 1984, Bull. civ. I, no 226 : « Le bail consenti en 1957 s’est éteint par
confusion à la suite de la réunion en la personne de Mlle J. de la double qualité de propriétaire et de
locataire ».
70. Ex. : Cass. soc., 4 juin 1959, Bull. civ. IV, no 656. Une telle clause est prohibée dans les baux
ruraux et les baux d’habitation (L. 6 juillet 1989), en raison du caractère d’ordre public des règles de
transmission qu’ils imposent. V. M. BEHAR-TOUCHAIS, th. préc., nos 164 et 334.
71. Même s’il résulte d’un congé : Cass. civ. 3e, 6 décembre 1996, Bull. civ. III, no 247 ; Defrénois
1996, art. 36.358, no 77, obs. A. Bénabent.
72. Si le bénéficiaire ne vivait pas avec le locataire depuis un an, il pourra être expulsé :
Cass. civ. 3e, 13 juillet 1999, Bull. civ. III, no 170.
73. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 avril 1991, Bull. civ. I, no 111 ; RTD civ. 1992.139, obs. crit. P.-Y. Gautier :
« La dissolution d’une association n’entraîne pas de plein droit la résiliation du bail qui lui a été
consenti ».
74. La clause résolutoire doit être exécutée de bonne foi, même s’il est stipulé qu’elle a lieu « de
plein droit ». Ex. : lorsque le locataire ne fait pas les travaux d’entretien nécessaires, la résolution doit
être précédée d’une mise en demeure : Cass. civ. 3e, 11 octobre 1977, Bull. civ. III, no 331 : « La mise
en demeure visant la clause résolutoire aurait dû, pour avoir effet, indiquer de façon précise les man-
quements auxquels il devait être remédié ». Il peut y avoir option entre la résolution conventionnelle et
la résolution judiciaire : Cass. civ. 3e, 4 mai 1994, Bull. civ. III, no 84 ; JCP G 1994.II.22380, n. crit.
B. Boccara : « La délivrance, par le propriétaire, d’un commandement visant la clause résolutoire du
bail, ne le privait pas de la faculté de demander ultérieurement le prononcé de la résiliation de cette
convention, même en invoquant les manquements, objet de cette mise en demeure ».
75. Pour distinguer entre la résiliation non rétroactive et la résolution qui l’est, la Cour de cassation,
examine si l’inexécution ou l’imperfection de l’exécution a eu lieu dès l’origine : Cass. civ. 3e, 30 avril
2003, Bull. civ. III, no 87 ; JCP G 2003.I.170, nos 15 et s., obs. A. Constantin ; RTD civ. 2003.501, obs.
J. Mestre et B. Fages ; RDC 2004, p. 365, obs. J.-B. Seube ; en l’espèce, le bailleur n’avait pas assuré
l’accès aux lieux loués par un ascenseur et un escalier qu’il avait pourtant promis ; le locataire obtint
des juges du fond la résolution rétroactive du bail et le remplacement, dès le jour de la conclusion du
bail, du loyer par une indemnité d’occupation. Pourvoi du bailleur qui s’est fondé sur la non-rétroac-
tivité de la résiliation des contrats à exécution successive. Rejet : « si dans un contrat à exécution
398 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
louée par cas fortuit (théorie des risques). En revanche, la résiliation unilatérale
n’est pas admise76. La mauvaise foi du bailleur importe peu dès lors que la faute
du locataire est établie77.
La perte de la chose s’entend de la destruction matérielle, aussi bien que de l’impossibilité
fortuite de l’utiliser conformément à sa destination78. La destruction peut être totale ou
partielle79 ; en ce cas, le locataire a une option (art. 1722) : exiger une diminution du loyer ou
demander la résiliation du bail80. L’obligation du bailleur dépend des causes de la destruction81 :
cas fortuit82 ? Le bailleur n’a pas à reconstruire, et ne doit aucune indemnité83 ; défaut
d’entretien84 ? Il doit reconstruire ou verser une indemnité d’éviction, et si la résiliation est pro-
noncée, elle l’est à ses torts. Pour alléger la charge des bailleurs, la jurisprudence assimile à la
force majeure la vétusté, lorsque les dépenses de remise en état seraient excessives85.
successive, la résiliation judiciaire n’opère pas pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté,
la résolution judiciaire pour absence d’exécution ou exécution imparfaite dès l’origine entraîne
l’anéantissement rétroactif du contrat ».
76. Cass. civ. 3e, 28 octobre 2009, no 08-16158, n.p.B. ; JCP G 2010 no 50, n. Chr. Lachièze : cassa-
tion de l’arrêt qui a « donné des effets de droit à l’action unilatérale de la bailleresse » (incidents de
paiement dès les premiers mois d’occupation du locataire commercial, le propriétaire reprend posses-
sion du local et change les serrures). Il faut cependant réserver le nouvel article 1226.
77. Cass. civ. 3e, 9 décembre 2009, no 04-19923, Bull. civ. III no 275 ; D. 2010. 87, n. Y. Rouquet :
en l’espèce, les dirigeants de la société locataire avaient été mis en prison, le fonds de commerce de
restaurant avait été cédé de fait, des travaux non autorisés avaient été effectués, la société bailleresse
était au courant, mais elle a été quand même en droit d’obtenir la résiliation du bail, car telle est la
« substance de son droit », distinct de « l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle ». Infra, no 693.
78. Cass. civ. 3e, 12 mai 1975, Bull. civ. III, no 171 ; D. 1975, IR, 186 (impossibilité d’exécuter par
suite de la création du marché de Rungis et de l’interdiction légale d’exploiter aux Halles de Paris). Le
C. rur. pm. (art. L. 411-32) permet au bailleur de résilier le bail rural des parcelles dont la destination
rurale peut être changée par un plan d’urbanisme. L’impossibilité doit être absolue et définitive, faute
de quoi le bailleur devra en répondre : Cass. civ. 3e, 2 juillet 2003, Bull. civ. III, no 138 ; D. 2004.1411,
n. G. Pignarre : traitement de l’immeuble contre l’amiante, qui pouvait être réoccupé par la suite. Si la
perte est due à la faute du locataire, le bail est résilié de plein droit, sans préjudice de dommages-
intérêts « à la charge de celle des parties déclarée responsable de cette perte » : Cass. civ. 3e, 22 janvier
1997, Bull. civ. III, no 17 ; JCP G 1997.II.22943, n. A. Djigo ; D. 1998.43, n. Furnacchia. Si elle est due
à la faute du bailleur, le locataire devra le prouver : Cass. civ. 3e, 28 mai 1997, Bull. civ. III, no 115.
79. Elle suppose cependant que la reconstruction ne puisse être raisonnablement effectuée :
Cass. civ. 3e, 19 décembre 2012, no 11-26076, Bull. civ. III no 189.
80. Comp. l’évolution de Cass. civ. 3e, 1er février 1995, Bull. civ. III, no 33 : « Au cas où la perte n’est
que partielle, il n’appartient qu’au preneur de demander la résiliation » ; avec Cass. civ. 3e, 19 mars
1997, ib., no 62 : le bailleur peut provoquer la résiliation du bail, lorsque la partie essentielle de la
chose louée (garage) la rend désormais impropre à sa destination.
81. Cass. civ. 3e, 13 mai 1998, Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 113, n. L. Leveneur ; n.p.B.
82. Cass. civ. 3e, 29 mai 1985, Bull. civ. III, no 87 : « Après avoir [...] constaté le mauvais état général
des bâtiments et la grande vétusté de certains d’entre eux devenus inaptes à leur destination, et relevé
que ce délabrement n’était pas dû à un défaut d’entretien par les bailleurs, la cour d’appel en a, à bon
droit, déduit qu’il y avait perte partielle par cas fortuit de la chose louée ».
83. Cass. civ. 3e, 29 septembre 1999, Bull. civ. III, no 92 ; D. 2000, AJ, 2 : le locataire commercial qui
aurait pu prétendre à une indemnité d’éviction avant la destruction des lieux en raison de la résiliation
du bail, ne peut plus, après la destruction, se maintenir dans les lieux ni exiger le paiement de l’in-
demnité.
84. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 janvier 1988, Bull. civ. III, no 13 : « En constatant la décision administrative
ordonnant la démolition d’un local d’habitation en raison de son état, la cour d’appel qui n’avait pas à
rechercher, pour faire application de l’article 1722, l’état de cet immeuble au moment de la
location... ».
85. Infra, no 681. Jurisprudence souvent réitérée : Ex. : Cass. civ. 3e, 29 janvier 1975, Bull. civ. III,
no 35 : « La cour d’appel ayant relevé que l’immeuble, vieux de quatre siècles, était depuis longtemps
dans un état devenu impossible, sans faute du propriétaire, en a justement déduit que le preneur pou-
vait seulement, en vertu de l’article 1722, demander la résiliation du bail ou la diminution du loyer ».
DURÉE DU BAIL 399
La Cour de cassation a déclaré qu’était abusive et donc nulle la clause qui obli-
geait le preneur à payer les loyers malgré la perte de la chose si le bail avait été
conclu entre un professionnel et un consommateur86. L’obligation du preneur
manquerait aussi de cause (disait-on naguère ; de « contrepartie » doit-on dire
aujourd’hui) et ce genre de clause devrait sans doute être annulée même lorsqu’il
ne s’agit pas de relations entre professionnels et consommateurs. Si le preneur a
payé d’avance, il pourra se faire rembourser87.
Les statuts spéciaux s’efforcent de limiter le jeu de la résiliation.
§ 2. BAUX SPÉCIAUX
674. Renouvellement, résiliation. – Les règles spéciales aux baux ruraux, com-
merciaux et d’habitation ont pour objectif essentiel de renforcer la stabilité du
droit du preneur à bail, par deux séries de dispositions exorbitantes du droit com-
mun, qui, a dit la Cour de cassation, ne sont pas contraires aux droits de
l’homme88 : 1) l’octroi d’un droit au renouvellement (bail rural ou commercial)
ou au maintien dans les lieux (L. 6 juillet 1989, modif. L. 24 mars 2014) à l’expi-
ration du bail initial et de ses renouvellements ; 2) la limitation de la résiliation en
cours de bail. À ce titre, elles sont d’interprétation stricte89.
La stabilité n’est offerte au preneur que s’il exploite ou habite personnellement
les lieux loués, de manière effective. Le droit du preneur mérite d’être préféré à
celui du bailleur, tant qu’il se fonde sur des intérêts sociaux ou économiques
jugés supérieurs. La préférence disparaît lorsque cessent l’exploitation ou l’habi-
tation effectives, ou que les intérêts du bailleur ont la même nature que ceux du
preneur : le bailleur dispose alors d’un droit de reprise.
Dans tous les statuts, le droit au renouvellement ou au maintien dans les lieux implique une
exploitation effective (C. rur. pm., art. L. 411-53 ; C. com., art. L. 145-8) ou une occupation
personnelle90. Le preneur jouit d’un droit de rétention sur l’immeuble en garantie du paiement
de l’indemnité d’éviction, sauf à préférer quitter les lieux mais sans perdre son droit91. Ce droit
86. Cass. civ. 1re, 6 janvier 1994, Diac, Bull. civ. I, no 8 ; D. 1994, somm. 209, obs. crit.
Ph. Delebecque ; JCP G 1994.II.22237, n. G. Paisant : « La clause qui fait supporter au preneur, dans un
contrat de location de longue durée, la totalité des risques de perte ou de détérioration de la chose louée,
même lorsque ceux-ci sont dus à un événement imprévisible et irrésistible constitutif de force majeure et
qu’aucune faute ne peut être imputée audit preneur, confère au bailleur un avantage excessif ».
87. Cass. civ. 3e, 1er avril 1998, Bull. civ. III, no 76 ; D. Aff. 1998.990.
88. Cass. civ. 3e, 27 février 1991, Bull. civ. III, no 67 : « Le décret du 30 septembre 1953 (auj. C. com.,
art. L. 145-1 et s.) permettant, en ce domaine, de réaliser un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt
général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu, n’était pas contraire aux
dispositions de l’article 1 du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales » ; en l’espèce, le bailleur avait vainement prétendu que le
droit au renouvellement prévu par le Code était contraire à la Convention européenne, qui protège le
droit de propriété ; V. cep. les limites posées par la CEDH, 12 juin 2012 préc., supra, no 668.
89. Ex. : Paris, 11 mars 1997, D. 1997.355, n. Ph. Bihr : les neveux et nièces du propriétaire n’en-
trent pas dans la liste des bénéficiaires du droit de reprise, prévue par l’article 15, L. 1989.
90. Cass. Ass. plén., 2 février 1996, JCP G 1996.II.22610, concl. J.-F. Weber, n. Fr. Auque ; Defré-
nois 1996, art. 36.286, obs. J.-L. Aubert : application de la L. 22 juin 1982 aux baux mixtes : « Si le
titulaire d’un contrat de location à usage mixte professionnel et d’habitation n’est pas tenu, durant le
bail, d’utiliser les lieux à chacun des usages prévus par la convention des parties, il ne peut, lorsqu’au
terme du contrat, il n’occupe pas pour son habitation principale, au moins partiellement, les locaux
pris en location, se prévaloir du droit au renouvellement du contrat que la loi du 22 juin 1982 confère
à celui qui habite les lieux loués ».
91. Cass. civ. 3e, 19 février 1970, JCP G 1970.II.16567 bis : « Le droit de rétention est le corollaire du
droit à indemnité d’éviction » ; 13 juillet 1994, Bull. civ. III, no 147 ; RTD civ. 1995.387, obs.
400 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
P.-Y. Gautier : le preneur « n’est pas tenu de rester dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité
d’éviction ».
92. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 février 1991, Bull. civ. III, no 64 ; JCP G 1991.II.21771, n. crit. P. Ourliac ;
RD rur. 1991.222 : le montant excessif du fermage est « un motif légitime du non-paiement » de la
partie excessive du fermage. V. égal. L. 6 juillet 1989, article 15 pour les baux d’habitation.
93. Ex., au sujet de l’art. 15 III, L. 1989 sur la reconduction forcée : Cass. civ. 3e, 15 octobre 2014,
13-16990, Bull. civ. III nº 128 ; D. 2015. 1184, note N. Damas ; RTD civ. 2015. 157, obs.
P.-Y. Gautier : ses dispositions « ne s’appliquant pas en cas de résiliation judiciaire du bail pour man-
quement du locataire à ses obligations » (paiement du loyer) ; Cass. civ. 3e, 31 octobre 2006,
Bull. civ. III, no 213 : « les dispositions de l’art. 7f de la loi du 6 juillet 1989 n’interdisent pas au proprié-
taire de poursuivre la résiliation judiciaire du bail sur le fondement de l’art. 1184 ; la cour d’appel [...] a
souverainement retenu que le manquement de M. S. à l’obligation de ne pas transformer les lieux sans
autorisation était suffisamment grave pour justifier le prononcé de la résiliation ».
94. Il existe d’autres causes de reprise : ex. : pour démolir (baux d’habitation et commerciaux).
95. Cass. civ. 3e, 17 juillet 1986, Bull. civ. III, no 116 ; JCP G 1987.II.20770 : « Le droit de reprise
n’est que la reconnaissance par la loi du droit pour le propriétaire de jouir de son bien ». Exception :
la réglementation des cumuls, aujourd’hui en recul : supra, no 135.
96. Paris, 11 mars 1997, préc. Exception : le bail commercial ; la reprise pour exploiter a disparu.
Cette particularité s’explique par la protection du fonds de commerce et le risque de concurrence que
ferait courir à l’ex-preneur la reprise des locaux par le bailleur. Celui-ci ne peut reprendre qu’en
payant une indemnité d’éviction. Elle subsiste cependant pour la partie d’habitation.
97. Cass. civ. 3e, 28 septembre 2005, Bull. civ. III, no 177 : « l’action tendant à faire déclarer valable
le congé, engagée par le titulaire du droit de reprise étant transmissible à ses héritiers et l’affaire ayant
été appelée et débattue à l’audience du 1er juillet 2003, le décès de Mme D. survenu postérieurement,
n’avait pas d’incidence sur le cours de l’instance ».
n S OUS - TITRE IV n
S TATUT DU PRENEUR
Le bail ne fait pas seulement naître, comme tout contrat synallagmatique, des
droits et des obligations qui, considérés du côté du preneur, caractérisent le
contrat (Chapitre 1) ; il confère aussi à celui-ci certaines prérogatives qui ne peu-
vent être ramenées à un droit ou à une obligation. Cette réunion des dettes et des
créances aux droits potestatifs1 (Chapitre 2) constitue le statut du preneur, plus ou
moins enviable, et par conséquent d’une plus ou moins grande valeur, selon les
baux et les époques. L’ordre public joue un rôle croissant, quels que soient les
baux, comme les droits fondamentaux, prévus par la CEDH.
1. Définition : Le droit potestatif est le pouvoir que peut exercer une personne pour modifier sa
situation juridique, sans qu’il s’agisse de réclamer un droit ou d’exécuter une obligation : ex. : le
droit d’option (dans la promesse de vente, ou entre la résolution et l’exécution forcée), le droit de
préemption, le droit de renoncer à un droit, le droit de céder un contrat... V. L. AYNÈS, op. cit., supra,
no 671.
n CHAPITRE I n
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL
Le Code civil comporte des dispositions détaillées sur les obligations issues du
bail : celles du bailleur (art. 1719 à 1727) et du preneur (art. 1728 à 1735). Les
règles générales sont complétées par des dispositions spéciales aux baux à loyers
(art. 1752 à 1756 ; L. 6 juillet 1989 (art. 6 et 7) et aux baux à ferme (art. 1766 à
1773 ; C. rur. pm., art. L. 411-25 à L. 411-29). Cet ensemble d’obligations est
groupé autour des deux éléments essentiels du bail : la jouissance de la chose
louée (Section I) et le paiement du loyer (Section II).
SECTION I
JOUISSANCE DE LA CHOSE LOUÉE
Le droit principal du preneur est de jouir de la chose louée : le bailleur lui doit
délivrance, entretien et garantie (§ 1). User n’est pas abuser : le preneur doit res-
pecter la chose louée, la maintenir en état et la restituer (§ 2).
§ 1. OBLIGATIONS DU BAILLEUR
L’article 1720, alinéa 1, ajoute que la chose doit être délivrée « en bon état de
réparations de toute espèce ». Cette obligation, différente de l’entretien13, n’im-
plique aucune distinction entre les réparations : le bailleur les supporte toutes,
mêmes celles qui, par la suite, pèseront sur le preneur. Le texte n’est pas d’ordre
public : il est fréquent que le bailleur soit expressément, ou même tacitement –
par exemple, lorsque le preneur « déclare bien connaître la chose et la prendre
en l’état » – dispensé de l’obligation de délivrer en bon état14. Les parties sont
défaut de délivrance était imputable au précédent locataire dont le bailleur devait répondre » ;
Cass. civ. 3e, 28 septembre 2005, Bull. civ. III, no 175 ; RDC 2006.398, obs. J.-B. Seube : l’occupation
illicite du bien loué par un tiers (sous-locataire qui se maintient dans les lieux) n’exonère le bailleur de
sa responsabilité du défaut de délivrance, que si elle présente les caractères de la force majeure.
3. Versailles, 9 novembre 2001, D. 2003.733, obs. N. Pierre ; si la superficie louée est différente de
celle qui avait été convenue, le locataire n’a droit à une indemnité que s’il subit un préjudice.
4. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 26 mars 1997, Bull. civ. III, no 70 : location d’un local
sis dans une copropriété, pour y installer un restaurant ; l’assemblée des copropriétaires a refusé au
bailleur d’exécuter les travaux indispensables ; la cour d’appel rejetta la demande en dommages-inté-
rêts du locataire : le bailleur avait demandé à l’assemblée des copropriétaires l’autorisation et donc
rempli ses obligations. Cassation : « il appartenait (au bailleur) de délivrer à son locataire un local
conforme à la destination prévue par le bail ».
5. Notamment, savoir si le droit au bail comprend le droit de chasse, le droit d’affichage, le droit à
la jouissance d’un chauffage ou d’un téléphone... dépend souvent de la destination convenue : Req.,
11 février 1907, DP 1908.I.276 : « Aux termes de l’article 1728, la jouissance du preneur est détermi-
née par la destination qui a été donnée à la chose louée par le bail ou par celle qui doit être présumée
d’après les circonstances, à défaut de convention » ; P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 1993.381.
6. Cass. civ. 3e, 25 juin 2008, Bull. civ. III, no 111 ; RDC 2009.161, obs. J.-B. Seube : le locataire peut
faire condamner le bailleur à lui remettre les clés de l’appartement alors même qu’il se trouve déjà en
possession d’une clé d’accès à l’immeuble.
7. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 décembre 1993, Bull. civ. III, no 168 ; D. 1994.462, n. M. Storck : location
d’un local à usage commercial dans une galerie marchande ; le bailleur n’en assurait ni l’ouverture,
ni le gardiennage ; jugé que le locataire pouvait suspendre les loyers.
8. Cass. civ. 3e, 5 juin 2002, Bull. civ. III, no 123 ; RDC 2003, p. 118, obs. Gw. Lardeux : « la clause
par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son
obligation de délivrance ».
9. Cass. civ. 3e, 6 mai 2014, nº 12-29504, n.p.B. ; RDC 2014. 647, obs. J.-B. Seube (remise des clés
pour que le loyer soit exigible).
10. Paris, 7 octobre 1998, D. Aff. 1998.1843 (galerie marchande modifiée, responsabilité du bail-
leur). Sur l’entretien, infra, no 681.
11. Ex. : Paris, 21 septembre 1995, D. Aff. 1995.172.
12. Cass. civ. 3e, 28 juin 2006, Bull. civ. III, no 161 ; D. 2007.904. n. N. Damas ; RTD civ. 2006.785
obs. P.-Y. Gautier : « vu l’art. 1719 ; le bailleur est obligé par la nature du contrat et sans qu’il soit
besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée [...] ; le défaut de paie-
ment par le locataire du premier loyer et du dépôt de garantie ne décharge pas le bailleur de son
obligation de délivrance ».
13. Infra, no 681.
14. S. BERNHEIM-DESVAUX, Contrats, conc. consom. 2015, Formule nº 8. Longtemps, la jurisprudence
a appliqué ces clauses sans difficulté : ex. Cass. soc., 11 octobre 1962, Bull. civ. IV, no 709 : « Par des
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 405
libres de répartir comme elles l’entendent leurs charges financières ; ces clauses
sont d’interprétation stricte15 ; et soumises au droit commun des contrats16. Cepen-
dant, le bail ne peut dispenser le bailleur de mettre la chose à la disposition du
locataire17. Son obligation bénéficie à l’ayant droit du locataire, qui prend sa
place18.
La loi du 6 juillet 1989 sur le bail d’habitation aggrave l’obligation du bailleur, qui doit déli-
vrer « les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement ». La
loi Duflot du 24 mars 2014 y ajoute toutes sortes d’obligations, ainsi qu’un diagnostic technique
relatif aux locaux (art. 3-3, L. 1989 modifiée). La convention peut prévoir que le locataire fera
des travaux et que ces dépenses s’imputeront sur le loyer ; le logement doit satisfaire à des nor-
mes minimales de confort et d’habitabilité (art. 6, a). L’article 1719, 1º du Code civil va plus
loin : le preneur a droit « à un logement décent »19. La loi Duflot dans ses intitulés évoque
même les habitats « indécents » ou « indignes ». Les articles 6 et 20-1 de la loi du 6 juillet 1989
modifiée en 2014 en tirent une conclusion pratique : le locataire, si l’immeuble est vétuste et
non mis aux normes, pourra mettre en demeure le bailleur d’y procéder, faute de quoi « le
juge peut réduire le loyer ». La clause qui mettrait les travaux de mise en conformité à la charge
du locataire, fût-ce avec une contrepartie, est interdite20.
L’obligation de délivrance du bailleur n’a pas sauf clause contraire, pour objet de faciliter
l’exercice par un locataire de sa pratique religieuse21.
clauses expresses, le bailleur peut s’exonérer de l’obligation de délivrer la chose louée en bon état et
de l’entretenir pour servir à l’usage auquel elle est destinée, les obligations n’étant pas de l’essence des
contrats de louage ». Maintenant, elle est beaucoup plus réservée : ex. : Cass. civ. 3e, 3 février 2010,
no 08-21205 ; D. 2010.442, n. Y. Rouquet, 1192, n. Fr. Niboyet ; RDC 2010.907, obs. Gw. Lardeux :
« Les parties ne peuvent valablement convenir que le locataire exécutera, même avec une contrepar-
tie, les travaux de mise aux normes de confort et d’habitabilité prévues par le décret du 6 mars 1987 ».
Surtout depuis la loi du 13 décembre 2000 créant un droit « à un logement décent ».
15. Bail d’immeuble : Cass. civ. 3e, 18 mars 1992, Bull. civ. III, no 88. La clause stipulant que le loca-
taire prendrait « les locaux dans l’état où ils se trouvent » n’exonère le bailleur que des réparations
nécessaires lors de la conclusion du contrat, non de celles dont la nécessité apparaît en cours d’exé-
cution. S. BERNEHIM-DESVAUX, passim.
16. Ex. : Nullité pour vice du consentement (réticence dolosive) : Cass. civ. 3e, 19 novembre 1985,
Rev. loyers 1986.130 : clause prévoyant que le locataire devrait payer toutes les sommes demandées
par le syndic de la copropriété, alors que le bailleur savait que des travaux importants étaient engagés
et n’en avait pas informé le locataire.
17. Cass. civ. 1re, 11 octobre 1989, Bull. civ. I, no 317 ; D. 1991.525, n. P. Ancel ; en l’espèce, il
s’agissait de la location d’un mobile-home ; le contrat stipulait que « la location du matériel et son ins-
tallation sont faites aux frais et risques du locataire, sous sa responsabilité » ; jugé que cette clause ne
dispensait pas le bailleur de prouver qu’il avait rempli son obligation de délivrance.
18. Cass. civ. 3e, 3 mai 2007, Bull. civ. III, no 66 : apport partiel d’actif ; le preneur originaire d’un
bail commercial pouvant faire de « l’enseignement post-secondaire », son successeur pourra le faire.
19. Un décret d’application du 30 janvier 2002 décrit la décence : éclairage, WC, surface, odeurs.
V. crit. de F. BELLIVIER, obs. RTD civ. 2001.216, et de Ph. BRIAND, « La mise aux normes et le bail d’ha-
bitation », Defrénois 2004, art. 37963 ; pour le bail commercial. J. DOUCET, « La mise aux normes et le
bail commercial », ib., art. 37964. Ex. : Cass. civ. 3e, 21 mars 2012, no 11-14838, Bull. civ. III, no 48 :
dès lors que le logement comporte plus d’une pièce, le locataire a droit à un wc à l’intérieur et non
sur le palier ; Cass. civ. 3e, 4 juin 2014, no 13-17289, RDC 2014. 648, obs. J.-B. Seube ; Bull. civ. III
nº 73 : un logement sans appareil de chauffage est indécent et nº 13-12314, ib., nº 74, présence de
rats.
20. Cass. civ. 3e, 3 février 2010, cité ci-dessus.
21. Cass. civ. 3e, 18 décembre 2002, Bull. civ. III, no 262 ; RTD civ. 2003. 290, obs. J. Mestre et
B. Fages, 383, obs. J-P. Marguénaud ; RDC 2003, 220, obs. A. Marais : un locataire de confession israé-
lite prétendait que pendant le sabbat, il ne saurait, en raison de la loi judaïque, utiliser le digicode de
l’immeuble et réclamait une serrure mécanique pour son usage personnel : « les pratiques dictées par
les convictions religieuses des preneurs n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ
contractuel du bail et ne font naître à la charge du preneur aucune obligation spécifique ».
406 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
22. Cass. civ. 3e, 24 juin 1998, Bull. civ. III, no 132 ; D. 1999.343, n. E. Agostini : « la clause du bail
mettant à la charge du preneur ladite obligation, était réputée non écrite en application de l’art. L. 415-
12 C. com. ».
23. Supra, no 680.
24. Comp., une répartition du même ordre dans l’usufruit : articles 605, 606. Cass. civ. 3e, 13 juillet
2005, Bull. civ. III, no 155 ; RTD civ. 2005.795, obs. P.-Y. Gautier et 2015. 1, chron. J. Ghestin : sont
des grosses réparations l’étanchéité et l’électrification sur le fondement de l’art. 606 définissant ces
grosses réparations dans l’usufruit.
25. Toutes les réparations, grosses ou menues, sont à la charge du bailleur, lorsque la dégradation
provient du vice de construction ou de la vétusté (C. rur. pm., art. L. 415-4). Ex. : Cass. civ. 3e, 10 mai
1989, Bull. civ. III, no 102 : « Les travaux prescrits par l’autorité administrative sont, sauf stipulation
expresse contraire, à la charge du propriétaire » ; pour un cas de clause expresse : Cass. civ. 3e,
23 juin 1993, Bull. civ. III, no 94 ; D. 1994, somm., 52, obs. L. Rozès ; le ravalement est à la charge
du bailleur : Cass. civ. 3e, 19 décembre 2012, no 11-25414, Bull. civ. III no 188 ; RTD com. 2013. 231,
n. F. Kendérian.
26. Il y a destruction, ou perte totale ou partielle, de la chose louée lorsqu’elle « ne peut plus être
conservée sans dépense excessive et devient ainsi impropre à l’usage auquel elle était destinée » :
Cass. soc., 6 avril 1951, D. 1951.505, n. R. Savatier ; S. 1953.I.219 ; RTD civ. 1951.227, obs.
J. Carbonnier (jurisprudence constante). Ainsi, les œuvres vives d’un bâtiment doivent être refaites ou
reprises, ou Cass. civ. 3e, 4 juillet 1968, Bull. civ. III, no 319, lorsque la dépense excède la valeur de la
chose ; v. supra, no 673.
27. Cass. civ. 3e, 19 décembre 2012, no 11-23541, D. 2013. 78, n. Y. Rouquet, Bull. civ. III no 190,
RDC 2013. 631, obs. J.-B. Seube (suppression de l’accès aux toilettes, gravats empêchant l’accès au
parking) ; Cass. civ. 3e, 31 octobre 2006, Bull. civ. III, no 215 ; Contrats, conc. consom. 2007, no 41,
n. L. Leveneur ; Defrénois 2006.1886, n. L. Ruet : cassation, au visa de l’art. 1719, de l’arrêt qui n’avait
pas recherché si « le défaut d’entretien des parties communes du centre commercial n’avait pas pour
effet de priver les preneurs des avantages qu’ils tenaient du bail » ; en l’espèce, il s’agissait d’un centre
commercial situé en banlieue ; le défaut d’entretien avait créé une insécurité. Cela ne va cependant
pas jusqu’à « garantir le maintien de l’environnement commercial » : Cass. civ. 3e, 3 juillet 2013,
Bull. civ. III no 88, RDC 2014.61, obs. J-B. Seube (présence de l’enseigne du bailleur).
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 407
Il doit prévenir et réparer les risques industriels de nature à porter atteinte à la santé ou la
sécurité des occupants28. S’il ne prend pas les mesures nécessaires, le locataire peut lui opposer
une exception d’inexécution suspendant son paiement des loyers29.
Les dispositions de l’article 1720, alinéa 2, ne sont en principe pas d’ordre public,
en tout cas en droit commun et dans les baux conclus par des professionnels30 ;
c’est ainsi que le bailleur peut charger le locataire de certaines réparations
d’entretien31 ou s’exonérer, dans une certaine limite, de celles qui lui incombent
normalement. Les parties déterminent elles-mêmes la répartition de leurs
obligations32. Mais portant à ces clauses une grande hostilité33, la jurisprudence
les interprète restrictivement34. En outre, elle déclare nulle la clause qui exonère le
bailleur de toute obligation, car le bail manquerait de cause puisque les obligations
du locataire seraient sans contrepartie35. Enfin, conformément au droit commun,
elle prive d’effets la clause en cas de faute lourde ou dolosive du bailleur36. Ou
de méconnaissance d’une obligation essentielle lui incombant (nouvel art. 1170).
Ces clauses sont inefficaces dans certains baux spéciaux, où la loi protège le preneur : ainsi
dans le bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 (art. 6, c). À l’égard du bail rural, la
jurisprudence est hésitante ; après avoir décidé le contraire37, elle semble revenue à sa position
initiale : le bailleur peut s’exonérer des réparations lui incombant38 sans pouvoir en charger le
preneur ; cette situation surprenante s’explique peut-être par la faiblesse du fermage (C. rur. pm.,
art. L. 415-12 et L. 411-12). Les réparations doivent être convenablement faites par les profes-
sionnels désignés par le bailleur, à peine d’engager sa responsabilité39. Dans les baux commer-
ciaux, une obligation d’information pèse sur le bailleur relativement à la répartition des charges
et des travaux (C. com., art. L. 145-40-2, loi du 18 juin 2014). Et les grosses réparations ne peu-
vent être mises à la charge du locataire (art. R. 145-35, qui fait renvoi à l’art. 606 C. civ.)
28. Ex. : Cass. civ. 3e, 2 juillet 2003, Contrats, conc. consom. 2003, comm. no 173, n. L. Leveneur ;
D. 2004.1411, n. G. Pignarre (désamiantage).
29. Ex. : Cass. civ. 3e, 19 novembre 2015, nº 14-24612, Bull. civ. III à paraître ; RDC 2016. 249,
obs. J.-B. Seube.
30. Droit des obligations, coll. Droit civil.
31. Ex. : Req., 14 janvier 1895, DP 1895.I.341 : « Les dispositions qui, dans les articles 1719, 1720,
1721 et 1722, déterminent, en l’absence de conventions y relatives, les obligations du bailleur, en ce
qui concerne notamment les réparations et les cas fortuits, ne sont pas d’ordre public et il peut y être
dérogé par des conventions particulières ». V. cep. infra, no 688.
32. Ex. : Grosses réparations à la charge du preneur = loyers plus bas ; ce n’est pas toujours vrai.
33. Comp., infra, no 683, pour l’obligation de garantie.
34. Ex. : Cass. civ. 3e, 6 mars 2013, no 11-27331, Bull. civ. III no 34 ; RDC 2013. 977, obs.
J.-B. Seube ; RTD com. 2013. 231, obs. F. Kendérian : le ravalement, les réparations de la toiture et le
remplacement de la chaudière de l’immeuble ne sauraient entrer dans une clause transférant au loca-
taire de façon générique les grosses réparations de l’art. 606 C. civ. sur l’usufruit ; ainsi que
Cass. civ. 3e, 19 décembre 2012 préc. (il ne suffit pas que le locataire ait payé des provisions pour le
ravalement pour établir son accord de le prendre en charge) ; Cass. civ. 3e, 9 juillet 2008, Bull. civ. III,
no 121 ; D. 2008.1999, n. Y. Rouquet et 2009.896, n. N. Damas ; RDC 2009.156, obs. GW. Lardeux.
V. égal. infra, no 688.
35. Cass. civ. 3e, 11 décembre 1984, préc.
36. Cass. civ. 3e, 18 juin 1985, Rev. loyers 1985.423 : « Faute grave du bailleur qui avait laissé se
perpétuer pendant cinq ans avant d’y remédier des désordres causés par un défaut d’étanchéité de
la toiture ».
37. Cass. civ. 3e, 16 février 1982, Bull. civ. III, no 46 ; Rev. loyers 1982.243 : « Le bailleur ne pouvait
contraindre les preneurs à le dispenser par avance de l’exécution des réparations lui incombant ».
38. Cass. civ. 3e, 4 février 1986, Bull. civ. III, no 3 ; D. 1986, IR, 481, obs. E. Martine : « Aucun texte
n’interdit aux parties de dispenser le bailleur de l’exécution des travaux d’entretien de la chose louée ».
39. Paris, 5 février 2007, JCP G 2007.IV.1502 (désinfection des lieux défectueuse).
408 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Le bailleur doit également réparer les dommages que cause au preneur la chose
louée, par suite du défaut d’entretien48. Il n’est responsable que si sa faute est
prouvée ou que si la chose louée comportait un vice49.
40. Encore faut-il qu’il se montre diligent et avertisse le bailleur en temps utile : Cass. civ. 3e,
9 février 2005, Bull. civ. III, no 32 ; Defrénois 2005.1835, n. L. Ruet (partage des frais de remise en
état, le preneur a attendu huit années avant de donner l’alerte).
41. Cass. civ. 3e, 23 mai 2013, no 11-29011, Bull. civ. III no 59 : si le preneur a fait exécuter lui-
même les travaux sans mise en demeure ni autorisation judiciaire et alors qu’il n’y a pas urgence, le
bailleur n’a pas à le rembourser.
42. Jurisprudence constante ; en dernier lieu, Cass. civ. 3e, 11 janvier 2006, Bull. civ. III, no 9 ;
JCP G 2006.I.123, no 13, obs. P. Grosser ; D. 2006.1406, obs. Gw. Lardeux : « en l’absence de mise
en demeure adressée à la bailleresse d’avoir à effectuer les travaux et de décisions de justice autorisant
la preneuse à les faire exécuter, la SCI (la bailleresse) n’était pas tenue d’en supporter la charge ».
43. Ex. : Cass. civ., 19 juillet 1950, Gaz. Pal. 1950.II.325 ; RTD civ. 1951.88, obs. J. Carbonnier ;
comp. Cass. soc., 5 juin 1953, D. 1953.601, qui refuse le remboursement. V. J. CARBONNIER, RTD civ.
1953. 710. V. E. DEBILY, L’exécution forcée en nature des obligations contractuelles non pécuniaires, th.
Poitiers 2002, nos 339 et s.
44. Droit des obligations, coll. Droit civil.
45. Ex. : Cass. soc., 7 juillet 1955, D. 1957.1, n. R. Savatier ; RTD civ. 1957.143, obs. J. Carbonnier :
« En aucun cas, les preneurs ne peuvent pour refuser le paiement des fermages échus, qui constituent
une créance certaine, liquide et exigible, opposer au bailleur l’inexécution par lui de travaux qui repré-
sentent une créance incertaine ».
46. Ex. : Cass. civ. 3e, 11 mai 1995, D. 1996, somm., 124, obs. E. Martine ; RD rur. 1995.456 ; bail à
ferme ; lors de l’entrée dans les lieux, les bâtiments étaient dans un grand état de vétusté ; le bailleur
s’était engagé à les réparer et n’exécute pas sa promesse ; jugé que le preneur était fondé à se prévaloir
de l’exception d’inexécution. Il le peut également lorsqu’il a effectué les travaux qui incombaient au
bailleur et que celui-ci ne le rembourse pas : Cass. civ. 3e, 11 janvier 2006, D. 2006, AJ 443,
n. E. Chevrier ; n.p.B.
47. Cass. civ., 26 novembre 1951, Gaz. Pal. 1952.I.72 ; RTD civ. 1952.241, obs. J. Carbonnier.
48. R. RODIÈRE, « Les accidents d’ascenseurs », D. 1956, chron. 13 ; P. ESMEIN, « La chute dans l’esca-
lier », JCP G 1956.I.1321.
49. Ex. : Cass. civ. 3e, 29 avril 1987, Bull. civ. III, no 90 ; RTD civ. 1988.149. obs. Ph. Rémy. En l’es-
pèce, le locataire d’un studio meublé avait été blessé par la chute d’une armoire ; la cour d’appel avait
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 409
Comme il s’agit de responsabilité contractuelle, on se demande si le bailleur doit avoir été mis
en demeure d’effectuer les réparations (art. 1231, ancien art. 1146)50. En réalité, comme dans
d’autres domaines, la mise en demeure n’est plus une condition de la responsabilité contrac-
tuelle. Mais il est souvent nécessaire, afin de pouvoir retenir contre le bailleur une faute contrac-
tuelle, que celui-ci ait été informé par le preneur de l’état de la chose, lorsqu’il ne pouvait la
surveiller51. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une mise en demeure, mais d’une manière
de stigmatiser la faute du bailleur et de manifester la volonté du créancier d’obtenir l’exécution
lorsque son droit n’est pas certain52.
683. 3º Garantie des vices cachés. – Comme tous les fournisseurs d’une chose, le bailleur
doit la garantie des vices cachés (art. 1721)53. Son obligation est analogue à celle du vendeur54,
sauf qu’elle n’a pas à être invoquée dans le délai imposé par l’article 1648 pour la vente. Seuls
sont garantis les vices non apparents et inconnus du preneur55, même inconnus du bailleur ;
c’est au locataire qu’il appartient de prouver que le dommage provient du vice56. Le bailleur
s’exonère en prouvant que le dommage provient d’une cause étrangère ou d’un cas de force
majeure57 ; sinon il est responsable58.
Lorsque le vice de l’immeuble (ou du meuble) loué est imputable au fournisseur ou au cons-
tructeur, le locataire peut agir directement contre celui-ci : cette action est, semble-t-il, de nature
délictuelle59 (rappr. futur art. 1233 C. civ. – avant-projet de loi sur la responsabilité civile).
Sauf lorsque s’applique la loi du 6 juillet 1989 (art. 6), le droit des locataires à un logement
décent, la garantie des vices cachés peut être limitée par une clause du bail, sans pouvoir être
complètement exclue60. On ne doit pas confondre une telle clause avec les « clauses de prise de
déclaré responsable le bailleur. Cassation : « Sans constater l’existence d’un vice de la chose louée, ou
un manquement des bailleurs à leur obligation d’entretien, la cour d’appel n’a pas donné de base
légale à sa décision ».
50. Ex. : Versailles, 19 novembre 1999, D. 2001, somm. 170, 2 arrêts : 1re espèce : la chaudière était
vétuste ; unilatéralement, les locataires décidèrent de la remplacer : « les locataires ne sont pas en droit
d’invoquer une prétendue compensation avec les loyers qu’ils devaient » ; ils engagent leur responsa-
bilité ; 2e espèce : « la surface du local donné à bail affectée par un dégât des eaux a été de l’ordre de
18 % de la surface totale ; il s’ensuit que le preneur ne pouvait retenir le paiement des loyers ».
51. Droit des obligations, coll. Droit civil ; Cass. soc., 29 mars 1957, Bull. civ. IV, no 401 ; Gaz. Pal.
1957.II.59 ; RTD civ. 1957.706, obs. J. Carbonnier ; le bailleur connaissait les lieux qu’il habitait.
52. Cass. civ. 1re, 21 février 1984, Bull. civ. I, no 68 : « Si l’obligation pour le bailleur d’effectuer les
grosses réparations n’est pas en principe subordonnée à une mise en demeure, il peut en être diffé-
remment en cas de circonstances particulières de nature à en justifier l’existence » ; en l’espèce, l’im-
meuble avait été détruit par un incendie ; le bailleur invoquait l’article 1722 et la résiliation du bail ; le
preneur soutenait le contraire : « C’est sans violer l’article 1720 que la cour d’appel a estimé qu’une
mise en demeure avait été nécessaire en l’espèce pour bien marquer la volonté du locataire quant à ce
qu’il estimait être son droit ».
53. J.-P. LE GALL, L’obligation de garantie dans le louage de choses, th. Paris, LGDJ, 1962.
54. Supra, nos 380 et s.
55. Ex. : Cass. civ., 10 juin 1949, D. 1949.496 (vice apparent : cave régulièrement inondée) ;
Cass. civ. 3e, 13 octobre 1981, Bull. civ. III, no 150 (vices cachés dans une dalle et un plancher).
56. Cass. civ. 3e, 29 avril 1987, préc.
57. Ex. : Req., 11 juillet 1900, DP 1900.I.507 (contamination des eaux d’un puits, en raison de celle
d’une nappe d’eau) ; Cass. civ. 3e, 26 octobre 1977, Bull. civ. III, no 357 ; D. 1978, IR, 41 (locataire
intoxiqué par un chauffe-eau défectueux, en cas de fautes imprévisibles et insurmontables de l’instal-
lateur) ; Cass. civ. 3e, 30 avril 1969, Bull. civ. III, no 343. Comp. Cass. civ. 3e, 2 avril 2003,
JCP 2003.IV.1981 : l’effondrement d’une voûte n’est pas dû à un cas de force majeure.
58. Cass. civ. 3e, 2 juillet 2003, Bull. civ. III, no 138 ; D. 2004.1411, n. G. Pignarre ; Contrats, conc.
consom. 2003, comm. no 173, n. L. Leveneur : le bailleur doit répondre de la présence d’amiante dans
les locaux « La société ACNF (le bailleur) avait été informée par le syndic [...] avant la signature du bail
de la présence d’amiante dans l’immeuble, elle connaissait les risques encourus à plus ou moins long
terme et s’était abstenue d’en informer le locataire, la cour d’appel a exactement retenu que le bailleur
lui devait, en application des art. 1721, sa garantie pour le trouble qu’il subissait ».
59. ** Cass. Ass. plén., 12 juillet 1991, Besse (par analogie), cité supra, no 9.
60. Ex. : Cass. soc., 25 octobre 1946, D. 1947.88 ; JCP G 1947.II.3400, n. P. Esmein ; Gaz. Pal.
1946.II.259 ; RTD civ. 1947.65, obs. J. Carbonnier : « La cour d’appel n’a fait qu’user de son pouvoir
d’appréciation, en déclarant nulles, pour défaut de cause, les dites clauses qui se complètent, n’ayant
410 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
possession en l’état », qui touchent aux réparations dont le bailleur s’était dispensé. Comme à
l’égard des obligations de délivrance et d’entretien, les parties sont libres de répartir elles-mêmes
leurs charges financières, mais sans exonérer le bailleur de toute obligation. En outre, ces clau-
ses sont nulles si le bailleur connaissait le vice caché car il serait de mauvaise foi, sauf s’il avait
informé le locataire car le vice serait apparent. Jusqu’ici, la jurisprudence n’a pas étendu au bail
la règle prétorienne assimilant le vendeur professionnel à un vendeur de mauvaise foi.
Ces stipulations, exorbitantes de la garantie, sont d’interprétation stricte61.
d’autre but que de supprimer la garantie du bailleur dans tous les cas ». Au contraire, est valable la
clause restreignant les garanties du bailleur dans des cas déterminés : Cass. civ., 16 juillet 1951, D.
1951.587 ; JCP G 1952.II.6717, n. P. Esmein ; Gaz. Pal. 1951.II.249 ; RTD civ. 1952.78, obs.
J. Carbonnier.
61. Ex. : Cass. civ., 25 janvier 1961, JCP G 1962.II.12429, n. R. Savatier.
62. Jusrisprudence souvent réitérée depuis Cass. civ. 3e, 6 mars 1996, Bull. civ. III, no 60 ;
JCP G 1997.II.22764 ; 1996.I.3958, no 1, obs. Chr. Jamin ; D. 1997.167, n. B. de Lamy ;
Defrénois 1996.1433, obs. A. Bénabent ; RTD civ. 1996.897, obs. J. Mestre et 1024, obs.
J.-P. Marguénaud : « les clauses d’un bail d’habitation (en l’espèce d’un HLM) ne pouvaient en vertu
de l’article 8.1 de la CEDH avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d’héberger ses pro-
ches » ; Pour l’incidence des droits fondamentaux prévus par la Convention européenne sur le bail :
A. DEBET, L’influence de la CEDH sur le droit civil, th. Paris II, Dalloz, 2002, préf. L. Leveneur, nos 429
et s.
63. Cass. civ. 3e, 25 février 2004, Bull. civ. III, no 41 ; D. 2004.1631, n. Chr. Caron ; 2005.753, obs.
N. Damas ; Defrénois 2004.1721, obs. J.-L. Aubert ; RDC 2004.988, obs. J.-B. Seube : en l’espèce, un
bailleur avait fait visiter les locaux loués sans l’accord de la locataire ; la cour d’appel refusa de le
condamner à des dommages-intérêts : « aucune intention de nuire ou autre faute de la bailleresse
n’est démontrée ». Cassation : « l’atteinte au respect de la vie privée ouvre droit à réparation ».
64. Cass. civ. 3e, 21 décembre 1987, Bull. civ. III, no 212 : en l’espèce, le bailleur avait mis le pre-
neur dans l’impossibilité d’exercer le commerce prévu par le bail ; cassation de l’arrêt qui avait
condamné le locataire à payer les loyers : la cour d’appel devant « rechercher [...] si du fait de l’inexé-
cution par le bailleur de ses obligations, le locataire ne s’était pas trouvé, après sa prise de possession
des locaux, dans l’impossibilité d’y exercer le commerce prévu par le bail ».
65. Ex. : le bailleur ne peut entrer dans les lieux loués, sauf pour vérifier l’exécution de ses obliga-
tions par le preneur ou si la convention l’avait permis ; v. aussi, Cass. civ. 3e, 4 mars 1987, Bull. civ. III,
no 37 ; dégât des eaux provenant d’un appartement situé à l’étage supérieur et loué à un autre loca-
taire.
66. Tant que les nuisances ne sont pas trop fortes et que les travaux sont avantageux pour les deux
parties : PLANIOL, RIPERT, t. XI, préc., TUNC et GIVORD, 2e éd., no 513.
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 411
La question de savoir dans quelle mesure le bailleur peut exercer dans les lieux un commerce
similaire à celui du preneur ou laisser un autre locataire le faire a suscité une abondante juris-
prudence, qui prend en considération les circonstances et l’intention des parties. En principe, la
paisible jouissance ne comprend pas le droit à la non-concurrence, sauf lorsque le bail a pour
objet un fonds de commerce (location-gérance). Le bailleur peut donc exercer lui-même69 un
commerce similaire70. Il en est autrement s’il s’est interdit de l’exercer dans les lieux ou de le
laisser exercer ; cette clause, dite de non-concurrence ou d’exclusivité, peut être expresse, ou
résulter de l’économie générale du bail, ou même de « circonstances particulières »71, ce qui
est bien vague ; comme toutes les clauses de non-concurrence, elle n’est licite que si elle est
limitée dans le temps et dans l’espace72 ; en outre, elle s’interprète restrictivement73. Elle est,
susceptible d’exécution forcée contre le bailleur, qui risque alors d’engager sa responsabilité
envers l’autre preneur qui viole, sans le savoir, la clause d’exclusivité74. En l’absence d’un tel
engagement ou de telles circonstances, un locataire peut, par l’action oblique (art. 1341-1)75 ou
en vertu d’une stipulation pour autrui, contraindre un autre locataire à respecter la destination
conventionnelle des lieux et supprimer ainsi la concurrence76.
67. Ainsi, le bailleur peut en vertu d’une « clause de souffrance », imposer au preneur des travaux
d’amélioration sur les accessoires des locaux (parties communes : galerie marchande), fussent-ils longs
(trois ans), sous réserve d’un droit à indemnisation : Paris, 28 janvier 1998, Palais des Congrès, D. Aff.
1998.366. La clause est d’interprétation stricte, par son caractère dérogatoire à l’article 1724, même
arrêt.
68. Ex. : changement dans les services (conciergerie) mis à la disposition des locataires : Cass. soc.,
9 juillet 1959, Bull. civ. IV, no 888 ; Gaz. Pal. 1959.II.157 ; RTD civ. 1960.329, obs. J. Carbonnier : « Un
contrat ne peut être unilatéralement modifié par la volonté des parties ». Pour une galerie marchande
modifiée, Paris, 7 octobre 1998, D. Aff. 1998.1843.
69. Cass. civ. 3e, 25 février 1975, Bull. civ. III, no 74 ; JCP G 1975.II.18096 ; RTD civ. 1975.736, obs.
G. Cornu : « Vu l’article 1719, 3 ; cet article impose au bailleur l’obligation de garantir au preneur la
jouissance paisible des lieux loués, mais non celle de lui assurer en outre pour l’exercice de son com-
merce, dans le silence du bail et à défaut de circonstances particulières, le bénéfice d’une exclusivité
dans l’immeuble ».
70. Pour le cas où il loue à un tiers, infra, no 685.
71. Aix, 4 janvier 1996, D. 1997.102, n. Y. Serra : il s’agissait en l’espèce d’un supermarché qui
avait donné en sous-location un local commercial situé sur son parking ; jugé qu’il ne pouvait exercer
la même activité que son locataire.
72. Pour les clauses de non-concurrence stipulées dans un contrat de travail : Cass. soc., 10 juillet
2002, 3 arrêts, Bull. civ. V, no 239 ; D. 2002, 2491, n. Y. Serra, qui prévoit en outre, au profit du salarié,
une compensation financière. Supra, no 558.
73. Cass. civ. 3e, 8 janvier 1997, Bull. civ. III, no 2.
74. Cass. civ. 3e, 4 mai 2006, Bull. civ. III, no 107 ; JCP G 2006.II.10119, n. O. Deshayes ;
RDC 2006.1154, obs. J.-B. Seube, 2007.267, obs. D. Mazeaud, 295, n. G. Viney et 419,
n. M. Behar-Touchais : « le locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité qui lui a été consentie par
son bailleur est en droit d’exiger que ce dernier fasse respecter cette clause par ses autres locataires,
même si ceux-ci ne sont pas parties au contrat contenant cette stipulation ».
75. Cass. civ. 3e, 4 février 1986, Rev. loyers 1986.182 ; n.p.B.
76. Cass. civ. 3e, 4 décembre 1984, Bull. civ. III, no 203 : « L’article 1166 [devenu art. 1341-1] per-
met aux créanciers d’exercer tous les droits et actions de leurs débiteurs, sans distinguer selon l’origine
de l’obligation ; l’arrêt qui retient que l’article 1719 faisait obligation à la commune de faire jouir paisi-
blement la sté Papazian n’avait pas à rechercher si la commune avait pris l’engagement de garantir
une exclusivité à cette sté ». En l’espèce, la commune de Cassis avait loué un terrain à la sté Plage
du Bestouan « l’autorisant à édifier des terrasses et des cabines de bains » et elle avait également
loué le terrain contigu à la sté Papazian « pour l’exploitation d’un débit de boissons et coquillages » ;
« La sté P. de B. ayant installé sur le terrain dont elle est locataire un commerce de snack-bar, la sté P.,
déclarant exercer les actions ouvertes à la commune de C., a demandé qu’il soit fait interdiction à la
412 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
685. Troubles occasionnés par un tiers. – L’article 1725 distingue les troubles
de fait et les troubles de droit.
1º Dans les premiers, le preneur est victime d’une voie de fait commise par une
personne qui ne revendique aucun droit sur la chose louée ; le bailleur ne doit pas
de garantie77 ; il appartient au preneur d’agir directement contre le tiers, en exer-
çant notamment l’action possessoire que le Code civil ouvre au détenteur
(art. 2278).
L’auteur du trouble de fait doit être un tiers. Est un tiers, et par conséquent le bailleur n’en
répond pas, un de ses copropriétaires78. Au contraire, ne sont pas des tiers, et par conséquent
le bailleur doit en répondre, tous ceux qu’il a autorisés directement ou indirectement à se trou-
ver dans l’immeuble : le préposé du bailleur (ex. : un concierge)... un colocataire79... un client
d’un locataire80... un entrepreneur81. Cette règle s’applique à tous les baux82. La loi du 6 juillet
1989 oblige le bailleur à faire cesser les troubles du voisinage causés par les locataires dont il
répond (art. 6-1), soit au préjudice d’autres locataires, soit de tiers.
Le bailleur n’est pas responsable du vol dont un de ses locataires a été victime, sauf faute
prouvée83, car à la différence du dépositaire84, il n’assume aucune obligation de garde, sauf
convention particulière85.
sté P. de B., sous astreinte, d’avoir une activité autre que celle prévue par son bail ». Condamnation de
la sté P. de B à respecter le bail dont jouit la sté Papazian. En cas de clause d’exclusivité, infra, no 685.
77. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 novembre 1987, aff. des clochards, Bull. civ. III, no 183. En l’espèce, la
porte d’entrée d’un immeuble à usage locatif (une HLM) n’était pas pourvue de dispositifs de ferme-
ture : « Il en résulte de nombreuses intrusions, notamment de clochards, avec les inconvénients de
toute nature dont ces hôtes de passage (sic) sont la source » ; la cour d’appel condamna le bailleur
« à faire cesser les troubles de jouissance subis par les locataires d’un immeuble en munissant la
porte d’entrée de celui-ci d’une fermeture de son choix ». Cassation : « Le bailleur n’est pas tenu de
garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance sans prétendre à
un droit sur la chose louée ».
78. Cass. civ. 3e, 25 mars 1998, Bull. civ. III, no 73 ; D. Aff. 1998.752 ; JCP G 1998.II.10107, n.
Djigo : « Cette copropriétaire était, à l’égard de la société bailleresse, autre copropriétaire, un tiers au
sens de l’article 1725 ».
79. Ex. : Cass. civ. 3e, 16 novembre 1994, Bull. civ. III, no 189 ; JCP G 1995.II.22391, n. Djigo : « Un
locataire n’est pas un tiers au sens du texte susvisé » (art. 1725) ; en l’espèce, jugé que le bailleur devait
sa garantie au locataire qui ne pouvait faire les réparations urgentes au lieu loué, en raison de l’oppo-
sition d’un autre locataire.
80. Cass. civ. 3e, 22 octobre 2003, Bull. civ. III, no 177 ; D. 2004.2078, n. C. Boulogne-Yang-Ting,
somm. 837, obs. N. Damas.
81. Y compris au sens large : ex. commune étant intervenue sur des canalisations et ayant provoqué
des infiltrations : Cass. civ. 3e, 7 novembre 2001, Bull. civ. III, no 121 ; D. 2002, AJ 404.
82. Ex. : Cass. civ. 3e, 30 novembre 1988, Bull. civ. III, no 169 : « L’obligation du bailleur de faire
jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail, qui tient à la nature du
contrat, ne comporte pas d’exception tenant à la qualité du bailleur » : un organisme d’habitations à
loyer modéré ne saurait donc prétendre n’être pas tenu à garantie du fait de troubles causés à d’autres
locataires au prétendu motif que l’attribution des logements obéit à des règles qui suppriment le droit
de choisir des locataires, droit dont dispose habituellement le bailleur.
83. Ex. : Cass. civ., 7 août 1951, D. 1951.682 : « Le bailleur n’encourt en principe aucune responsa-
bilité à raison du vol commis par un tiers au préjudice du locataire dans les locaux faisant l’objet du
bail ; il en est autrement dans le cas seulement où la perpétration du vol se rattache par un lien direct
de causalité à une faute déterminée dudit bailleur ou de ses préposés ».
84. Infra, nos 889-892.
85. Sur la valeur de la clause par laquelle le preneur renonce à tout recours en cas de vol :
Cass. civ. 3e, 17 juillet 1986, Bull. civ. III, no 114 ; D. 1987.481, n. Ph. Delebecque : « Le seul fait que
la société Fiparim ait organisé un gardiennage du centre commercial dont elle est propriétaire ne suffit
pas à lui interdire de se prévaloir de la clause du bail par laquelle le preneur renonçait à tout recours
en cas de vol ». En l’espèce, un local du Louvre des Antiquaires avait été l’objet d’un cambriolage
nocturne ; le système électronique de surveillance mis en place par le bailleur n’avait pas fonctionné ;
jugé que le bailleur n’était pas responsable, car était valable la clause d’irresponsabilité, aucune faute
lourde n’ayant été commise par lui.
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 413
2º La garantie des troubles de droit (art. 1726 et 1727)86 est due par le bailleur, à
condition qu’il ait été informé ou appelé en garantie par le preneur. Et que l’atten-
tion du preneur n’ait pas été attirée sur les risques d’éviction87. Suivant l’impor-
tance de l’éviction – partielle ou totale –, le bail sera résilié ou subsistera pour
partie, avec une diminution correspondante du loyer.
§ 2. OBLIGATIONS DU PRENEUR
86. Ex. : un tiers revendique un droit de propriété ou d’usufruit, même en commettant une voie de
fait (art. 1727), ou réclame le bénéfice d’une servitude sur la chose louée.
87. V. en matière de louage de choses mobilières incorporelles (brevets) : TGI, Paris, 14 décembre
1994, JCP G 1997.II.22892, n. J.-J. Burst, validité de la clause « risques et périls ».
88. Ex. : Cass. soc., 8 juin 1956, Bull. civ. IV, no 532 : « Berosta, troublant la tranquillité des voisins
par un bruit anormal jusqu’à une heure avancée de la nuit, ne jouissait pas en bon père de famille et
ne pouvait dès lors être considéré comme de bonne foi ».
89. Ex. : Cass. civ. 3e, 6 février 1973, Bull. civ. III, no 91 ; en l’espèce, le locataire avait été condamné
pour proxénétisme hôtelier et, à la demande du bailleur, le bail avait été résilié ; le pourvoi faisait
valoir que « la résolution du contrat ne peut sanctionner que la violation d’une obligation contrac-
tuelle » ; rejet : « le non-respect par Bertz de ses obligations était suffisamment grave pour entraîner la
résolution du bail ».
90. Ex. : Req., 23 avril 1898, DP 1898.I.507.
91. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 novembre 2009, no 08-21874, Bull. civ. III no 245 : les troubles du voisinage
causés par des visiteurs « ne justifient pas le prononcé de la résiliation du bail », alors qu’il n’était pas prouvé
qu’ils aient continué ; Cass. civ. 3e, 6 mars 1996, supra, no 684 ; est nulle, par application de la Convention
européenne des droits de l’homme, la clause qui interdirait au locataire d’accueillir ses proches.
92. Paris, 28 octobre 1999, D. 1999, IR, 275 (chien agressif, résiliation du bail).
93. C. BOULOGNE-YANG-TING, JCP G 2005.I.131 (sur l’interdiction des modifications, par voie de travaux).
414 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
94. Ex. : Cass. civ. 3e, 4 janvier 1991, Bull. civ. III, no 2 ; RTD civ. 1992.138, obs. P.-Y. Gautier : inter-
diction pour un locataire de faire des sous-locations touristiques pendant les vacances, d’un apparte-
ment à destination bourgeoise.
95. Cass. Ass. plén., 3 mai 1956, Bull. civ. Ass. plén., no 1 ; Gaz. Pal. 1956.I.394 : le consentement
du bailleur ne résulte pas d’une simple tolérance : « Le caractère d’une location est déterminé, en
principe, non par l’usage que le locataire a pu faire de la chose louée mais par la destination que lui
ont donnée les parties contractantes ; une simple attitude passive du bailleur n’implique pas, à elle
seule, ni une modification de la nature même du bail, ni un consentement à un changement de desti-
nation des lieux en l’absence d’autres circonstances relevées par les juges du bail et la caractérisant en
ce sens » ; en l’espèce, le locataire avait, dans les lieux loués à usage d’habitation, exploité un com-
merce de poisson au détail ; à l’expiration du bail, la cour d’appel lui a accordé le renouvellement :
« En le laissant faire (son négoce) pendant des années, les bailleurs doivent être considérés comme
ayant tacitement autorisé leur locataire à exploiter un commerce ». Cassation.
96. Contentieux abondant. L’interprétation de la clause soulève des difficultés. En principe, elle
n’est pas incompatible avec l’exercice d’une profession libérale : ex. : Cass. soc., 11 octobre 1957,
Bull. civ. IV, no 948 ; D. 1957.711 ; Gaz. Pal. 1957.II.292 ; RTD civ. 1959.118, obs. J. Carbonnier :
« La clause d’habitation bourgeoise contenue dans un bail n’interdisait pas nécessairement toute acti-
vité professionnelle dans les lieux lorsqu’elle ne s’accompagne d’aucun autre élément faisant apparaî-
tre l’intention des parties en ce sens ». Sauf s’il s’agit d’une clause d’habitation exclusivement bour-
geoise : Cass. soc., 19 décembre 1958, Bull. civ. IV, no 1382 : « La formule employée dans le bail était
exclusive et interdisait toute occupation autre que bourgeoise et par conséquent, une activité profes-
sionnelle ». La clause est incompatible avec l’exercice d’une profession... commerciale : Cass. soc.,
11 mars 1965, Bull. civ. IV, no 223... ou artisanale : Cass. soc., 11 octobre 1957, préc.
97. Cass. civ. 3e, 14 mai 1997, D. 1998.176, n. I. Couturier ; n.p.B. : interdiction de l’exploitation
commerciale ou touristique du bien rural loué : « le bail interdisait aux preneurs d’exercer dans les
lieux loués une activité commerciale, la cour d’appel (l’a, à bon droit, résilié) en retenant que les
époux D. commercialisaient dans les lieux loués des produits ne provenant pas de leur exploitation
tels le cidre ou le calvados et qu’ils organisaient, à un échelon touristique, avec des publicités dans
un journal, des visites payantes, individuelles ou en groupe de leurs installations fromagères ».
98. Ex. : déspécialisation des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-47 et s.) ; changement du mode
de culture par le fermier (C. rur. pm., art. L. 411-29) ; le refus du bailleur est vaincu par une autorisation
judiciaire. Le contrat peut interdire toute modification des lieux loués, ou la subordonner à l’autorisation
du bailleur ; en ce dernier cas : « le refus d’autorisation doit être légitime et justifié, faute de quoi celui-ci
constitue un abus de droit », Paris, 25 juin 2002, D. 2003.69, n. crit. Y. Rouquet.
99. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 septembre 2001, Bull. civ. III, no 102.
100. Ex. Cass. civ. 3e, 3 novembre 2005, Bull. civ. III, no 207 : « le bail ne peut soumettre l’installa-
tion, par un locataire, d’une antenne parabolique de télévision à l’autorisation préalable du bailleur ».
101. Cass. civ. 3e, 28 juin 2000, Bull. civ. III, no 131 ; RTD civ. 2001.160, obs. P.-Y. Gautier : raccor-
dement collectif au réseau câblé de télévision, auquel le locataire ne peut s’opposer, dès lors que la
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 415
La violation de ces obligations par le preneur relève du droit commun des contrats, bien qu’un
texte du Code civil la vise spécialement (art. 1729) : action résolutoire, jeu d’une clause résolu-
toire expresse, responsabilité contractuelle (le cas échéant, réparation en nature). Le bailleur
n’est pas tenu d’attendre la fin du bail pour demander la résolution102.
687. Obligation d’exploiter. – Le preneur n’a pas seulement le droit de jouir de la chose.
Dans plusieurs cas, il doit l’exploiter. Cette obligation résulte de certains statuts spéciaux et s’ex-
plique par deux raisons différentes : il existe souvent une association d’intérêts entre le bailleur et
le preneur, le premier tirant avantage de l’exploitation de sa chose : le fonds rural gagne à la
mise en culture, l’emplacement commercial prend de la valeur si le fonds qui y est exploité attire
une clientèle consistante ; de plus, la protection qu’accordent aux preneurs les statuts spéciaux
implique que ceux-ci soient effectivement exploitants : le défaut d’exploitation ou l’exploitation
défectueuse sont des motifs de résiliation et de non-renouvellement du bail (C. rur. pm., art.
L. 411-31, L. 411-53 ; C. com., art. L. 145-8). Le bailleur devra cependant mettre en demeure le
preneur d’exploiter et ce n’est qu’en cas de persistance de sa carence, qu’il pourra faire jouer la
résolution103.
Dans un esprit voisin, les baux d’habitation imposent au preneur de garnir les lieux loués de
meubles en quantité suffisante, afin de permettre l’exercice par le bailleur de son privilège ; les
statuts spéciaux (ex. : L. de 1948) n’accordent de droit au maintien dans les lieux ou au renou-
vellement qu’à l’occupant ou au locataire effectifs.
L’obligation de réparer n’est formellement énoncée qu’à l’égard des baux à loyer (art. 1754 et
1755 ; C. rur. pm., art. L. 415-4 ; L. 6 juillet 1989, art. 5) ; elle n’est qu’une conséquence naturelle
de l’obligation de restituer. Aussi comporte-t-elle les mêmes limites : pas d’obligation d’entrete-
nir (réparer, remplacer) ce qui est dégradé par vétusté ou – c’est le droit commun – par cas fortuit
majorité des autres occupants y a adhéré : « un accord proposé par un bailleur et approuvé par la
majorité des locataires impose à tous cet accord, intervenu dans le respect des dispositions légales,
ne va pas à l’encontre du principe de la libre concurrence ».
102. Cass. civ. 3e, 30 juin 2004, Bull. civ. III, no 134 ; RDC 2005.345, obs. J.-B. Seube.
103. Cass. civ. 3e, 13 novembre 1997, Bull. civ. III, no 201 : « il appartient au bailleur (bail commer-
cial) d’établir la persistance de l’infraction aux clauses du bail après l’expiration du délai de mise en
demeure ».
104. En matière d’environnement, par. ex., l’obligation de dépollution du site incombe aux locatai-
res successifs, non au propriétaire : Cass. civ. 3e, 2 avril 2008, Bull. civ. III, no 63 ; RDC 2088.1248, obs.
Gw. Lardeux.
105. Supra, no 601.
106. Cass. civ. 3e, 3 décembre 2003, Bull. civ. III, no 221 ; RDC 2004, p. 280, obs. Ph. Stoffel-Munck
et p. 359, obs. J.-B. Seube : « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment
où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ».
107. Cass. com., 6 mai 2002, Bull. civ. IV, no 79 ; Contrats, conc. consom. 2002, comm. no 120,
n. L. Leveneur : location-gérance d’un fonds de commerce non exploité par le preneur : « Le loca-
taire-gérant tenu à l’expiration du contrat de restituer le fonds en tous ses éléments, doit répondre de
la perte de valeur de celui-ci, lorsqu’elle est survenue par sa faute ».
416 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
ou force majeure, sauf clause contraire du bail108. La liste des réparations locatives, opposées à
celles que doit effectuer le bailleur, est donnée, à titre indicatif, par l’article 1754 et le décret du
26 août 1987 ; elle résulte, le plus souvent, de l’usage des lieux et de la convention des
parties109. La Cour de cassation utilise parfois les règles relatives à l’usufruit (art. 606) pour déter-
miner – de façon assez stricte – ce qu’il faut entendre par « grosses réparations » à la charge du
bailleur110. Le bailleur ne saurait mettre à la charge du locataire les grosses réparations touchant
à la structure même de la chose louée111.
108. Cass. civ. 3e, 14 décembre 1988, JCP G 1989.IV.60 ; n.p.B. : « Il n’y a pas lieu d’appliquer ce
texte (art. 1755) pour les réparations dont le bail a prévu qu’elles seraient supportées par le locataire ».
Encore faut-il que la clause contraire soit claire : Cass. civ. 3e, 31 octobre 2006, Bull. civ. III, no 212
(dégâts causés par une tempête, la clause portait que le locataire renonçait à toute réparation et que
ce serait lui qui effectuerait les grosses réparations prévues à l’art. 606. Cassation de l’arrêt qui l’avait
interprétée en en faisant exception à l’art. 1755).
109. Lorsque la charge incombant au preneur est augmentée, la convention est d’interprétation
stricte : J. CARBONNIER, obs., RTD civ. 1953. 710 ; Ph. DE BELOT, « Les réparations locatives »,
RDI 1990.163.
110. Cass. civ. 3e, 13 juillet 2005, Bull. civ. III, no 155 ; RTD civ. 2005.795, obs. P.-Y. Gautier : sont
des grosses réparations celles qui touchent à la « structure de l’immeuble et sa solidité générale »
(remise en état après inondations).
111. Ex. : Cass. civ. 3e, 28 mai 2008, Bull. civ. III, no 98 ; RDC 2008.1259, obs. J.-B. Seube : « travaux
nécessaires qui touchent au gros œuvre » : courts de tennis à l’abandon.
112. Ex. : Cass. civ. 3e, 11 décembre 1991, Bull. civ. III, no 310 : impossibilité de la relocation avant
l’achèvement des travaux qui incombaient au preneur.
113. L’obligation du locataire de procéder aux réparations locatives disparaît si les dégradations de
la chose avaient été rendues nécessaires... par la force majeure ou le vice de la chose. Ex. :
Cass. civ. 1re, 4 novembre 1987, Gaz. Pal. 1988, I, pan. 6 : location d’une bétonnière qui « s’était révé-
lée, très peu de temps après la conclusion du bail, atteinte de défectuosités excluant toute remise en
état et la rendant totalement inutilisable sans qu’il puisse y avoir à l’origine une faute du preneur [...] ;
dans ces conditions, l’abandon par la société (locataire) de l’engin au bord de la route n’était pas
fautif »... ou par la vétusté : Cass. civ. 3e, 17 octobre 1990, Bull. civ. III, no 188 : le preneur n’est pas
tenu lors de la restitution des lieux « à la remise à neuf des papiers peints, peintures et revêtements
de sol, atteints par la vétusté après 14 années d’occupation ».
114. Ex. : pour un ouvrier : Cass. soc., 29 mai 1954, D. 1954.571 : « L’article 1735 prévoit que le
preneur est tenu des dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison ;
cette expression doit être entendue dans son sens le plus large ; par suite, l’arrêt attaqué a pu considé-
rer le preneur responsable de la faute (qui avait causé un incendie) commise par un plombier qu’il
avait chargé d’effectuer une réparation dans un appartement, bien que celui-ci avait la qualité d’en-
trepreneur et ne se trouvait pas sous sa dépendance et sa subordination, la responsabilité du preneur
n’étant pas, en l’espèce, celle d’un employeur répondant du fait d’un préposé en vertu de l’arti-
cle 1384, mais celle d’un locataire responsable des faits imputables aux personnes de sa maison en
vertu de l’article 1735 ».
115. Ex. : Cass. civ. 3e, 19 novembre 2008, Bull. civ. III, no 174 ; D. 2008.3004, n. Y. Rouquet et
2009.897, n. N. Damas ; RTD civ. 2009.132, obs. P.-Y. Gautier ; Defrénois 2009.435,
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 417
l’article 1732 a pour effet de faire peser sur le preneur la charge de prouver la cause des dégra-
dations ou des pertes pour s’exonérer de la responsabilité. La clause qui fait supporter au pre-
neur les risques de perte ou de détérioration peut être annulée parce qu’abusive116.
Reste à établir, en principe à la fin du bail sauf si l’existence du bien est en péril, les dégrada-
tions ou les pertes, ce qui implique une comparaison entre l’état initial et l’état final de la chose
louée. La preuve de l’état initial peut résulter d’un état des lieux (art. 1730)117 ou d’un examen
contradictoire ou authentique de la chose. À défaut, le Code civil (art. 1731) présume que le
preneur a reçu la chose en bon état et doit la rendre telle118. Cette présomption est susceptible
de preuve contraire119 ; la loi du 6 juillet 1989 (art. 3, al. 2, dern. phr.) prévoit qu’« à défaut d’état
des lieux, la présomption établie par l’article 1731 ne peut être invoquée par celle des parties qui
a fait obstacle à l’établissement de l’état des lieux »120. La jurisprudence a étendu cette règle à
tous les baux d’habitation et à usage mixte121. Un état des lieux est également exigé dans les
baux commerciaux (C. com., art. L. 145-40-1, loi du 18 juin 2014).
L’art. 3-2, réd. loi du 24 mars 2014, impose la rédaction d’un état des lieux type. Si le locataire
continue à occuper les locaux après la résiliation – situation « d’après-contrat », l’article 1732
s’applique encore, en tant que de raison122.
En cas de fautes avérées du locataire, le bailleur n’est pas tenu d’attendre la fin du bail et peut
agir immédiatement en résiliation123.
n. Y. Dagorne-Labbé ; RDC 2009. 515, obs. O. Deshayes et 604, obs. Gw. Lardeux : le médecin auto-
risé à recevoir des patients à son domicile et son épouse ne peuvent « être personnellement tenus pour
responsables du comportement de certains des patients [...] dans les parties communes de l’im-
meuble » : (toxicomanes faisant de ces parties communes des lieux d’aisance).
116. Cass. civ. 1re, 6 janvier 1994, Bull. civ. I, no 8 : jugé que dans un contrat de location d’automo-
bile pour une longue durée « cette clause [...] confère au bailleur un avantage excessif ».
117. Cass. civ. 3e, 28 février 1990, Bull. civ. III, no 64 ; D. 1990, somm., 305, obs. Ph. Bihr : si l’état
des lieux est « sommaire », les lieux loués sont présumés avoir été en bon état. N’étant pas un contrat,
il peut n’être établi qu’en un seul exemplaire : Cass. civ. 3e, 23 mai 2002, Bull. civ. III, no 109 ; D. 2002,
IR, 1807.
118. Le constat fait foi jusqu’à preuve contraire : Cass. civ. 3e, 23 mai 2002, Bull. civ. III, no 110, « un
état des lieux dressé contradictoirement constate une situation de fait jusqu’à preuve contraire ».
119. Req., 27 décembre 1921, DP 1922.I.103 : « Aux termes de l’article 1731, en matière de bail de
maison ou de biens ruraux, lorsqu’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir
reçus en bon état de réparations locatives, sauf la preuve contraire ; cette preuve contraire peut être
faite par témoins, puisqu’elle porte sur un état de choses matériel et non sur un fait juridique ; pour
repousser la preuve testimoniale, le bailleur ne pouvait se prévaloir de la clause d’après laquelle un
état des lieux devait être dressé aux frais (du locataire) ; cette clause qui, d’ailleurs, n’a pas été exécu-
tée, ne saurait impliquer, de la part des preneurs, renonciation à se prévaloir du bénéfice de la preuve
qui leur appartenait légalement ».
120. Cass. civ. 3e, 5 mai 1993, Bull. civ. III, no 61 : « L’article 21 de la L. 22 juin 1982 (auj. art. 3,
L. 6 juillet 1989), lequel est applicable aux baux en cours, excluant expressément la présomption pré-
vue par l’article 1731 [...] ; dès lors, ne saurait être tenu du paiement d’une somme à ce titre, le loca-
taire sortant si aucun constat contradictoire n’avait été dressé à son entrée dans les lieux loués et si le
bailleur ne démontrait pas que les défauts relevés lui sont imputables ». Le locataire doit prouver que
le bailleur a empêché que le constat fût dressé : Cass. civ. 3e, 7 octobre 1998, D. 1999, somm. 143.
121. Cass. civ. 3e, 16 mai 2000, Defrénois 2001, art. 37374, p. 783, n. R. Crône ; n.p.B.
122. Cf. pour un crédit-bail : Cass. civ. 3e, 2 mars 2005, Bull. civ. III, no 55 ; RDC 2005.1087, obs.
J.-B. Seube ; JCP G 2006.II.10037, n. C. Hardouin Le Goff : en l’espèce, après résiliation d’un contrat
de crédit-bail, le crédit-locataire était resté dans les lieux ; approuvé par la Cour de cassation, les
juges ont décidé « que la continuation de l’occupation après résiliation du contrat pouvait s’éclairer,
quant aux obligations des parties, d’après la convention intervenue ».
123. Cass. civ. 3e, 30 juin 2004, Bull. civ. III, no 134.
124. Ex. : Cass. civ. 3e, 16 septembre 2009, no 08-10487, Bull. civ. III, no 193 : « en l’absence de
clause contraire du bail, l’accession des travaux d’amélioration exécutés par le preneur dans les lieux
loués, sans en informer le bailleur, doit se faire sans indemnité ».
418 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
S’il s’agit de véritables constructions, la jurisprudence n’est pas des plus claires.
Elle décide que l’accession joue au profit du bailleur, par application de l’arti-
cle 555, mais de manière différée, qu’il n’acquiert donc la propriété de ces cons-
tructions qu’à l’expiration du bail et qu’à fin de protéger l’indépendance du pre-
neur, celui-ci en a la propriété temporaire pendant la durée du bail125. Mais à
l’expiration du bail, le bailleur, par application de l’article 1731, est en droit de
demander la restitution de la chose louée en son état primitif, même si les cons-
tructions avaient été faites avec son accord126.
La loi du 6 juill. 1989 prévoit que non autorisé, le locataire s’expose au transfert gratuit au
bailleur des améliorations, sauf à celui-ci à exiger une remise en état (art. 7 f). Le bail peut régler
le sort des simples améliorations et prévoir le paiement d’une indemnité au preneur. Certains
statuts spéciaux donnent au preneur un droit à indemnisation, pour les améliorations apportées
au bien loué : bail rural (C. rur. pm., art. L. 411-69 à L. 411-78)127 ; bail d’habitation, lorsque les
travaux relèvent de la loi du 12 juillet 1967 (art. 5)128.
125. Longue série de jurisprudence ; ex. : Cass. civ. 3e, 4 avril 2002, Bull. civ. III, no 82 ; D.
2002.2508, obs. Bl. Mallet-Bricout ; JCP G 2003.II.10022, n. M. Keïta ; RTD civ. 2001.114, obs.
Th. Revet : « ayant relevé, à bon droit, qu’en application de l’art. 555 (sic : le texte dit le contraire), le
preneur restait propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu’il avait régulièrement
édifiées sur le terrain loué et que la clause d’accession insérée au bail prévoyant que le bailleur devien-
drait propriétaire desdites constructions ne pouvait jouer qu’en fin de bail et à défaut de
renouvellement »...
126. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 juillet 2000, Bull. civ. III, no 143 ; JCP G 2001.II.10537, n. Chr. Chalas ;
JCP N 2001.1587, n. V. Lasserre-Kiessow ; en l’espèce, le propriétaire d’un terrain l’avait loué à une
société frigorifique, qui avait « réalisé des constructions nouvelles sur une longue période avec l’ac-
cord du propriétaire » ; la cour d’appel avait estimé que le locataire était de bonne foi et que par appli-
cation de l’art. 555, al. 4 le bailleur ne pouvait exiger leur destruction et devait à son choix indemniser
le locataire de la dépense faite ou du coût de la construction. Cassation : « le terme de bonne foi,
employé par l’art. 555, s’entend par référence à l’art. 550, et ne vise que celui qui possède comme
propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore le vice et le bailleur était en droit
de réclamer la restitution de la chose en son état primitif ».
127. Il est difficile de prouver ce qu’est une amélioration culturale : ex. : Cass. civ. 3e, 7 juillet 1993
et 2 décembre 1992, Bull. civ. III, no 110 (1re esp.) ; JCP G 1994.II.22234, n. crit. P. Ourliac ; RTD civ.
1994.377, obs. P.-Y. Gautier ; ces arrêts induisent l’amélioration culturale... d’une augmentation du
cheptel (1re esp.)... du rendement (2e esp.). C’est surtout à l’égard des quotas (laitiers, betteraviers, viti-
coles) que l’application de la règle soulève des difficultés : le droit à un quota ne confère au preneur ni
créance, ni dette ; ex. : quotas viticoles : Cass. civ. 3e, 29 mars 2000, Bull. civ. III, no 71 ; D. 2000.709,
n. E. Agostini et Fr. Roussel : le preneur sortant n’a pas droit à indemnité lorsqu’il a apporté à l’exploi-
tation le droit de planter des vignes résultant d’une autorisation administrative ; quotas betteraviers :
Cass. civ. 3e, 3 avril 1996, Bull. civ. III, no 98 : « le droit à la livraison d’un contingent de betteraves
attaché à l’exploitation ne constituant pas une amélioration culturale, la cour d’appel a retenu, à bon
droit, qu’il n’y avait pas lieu à indemnisation de ce chef au profit du preneur sortant ».Le remplace-
ment des vignes par le fermier n’est pas une amélioration mais l’entretien du vignoble loué :
Cass. civ. 3e, 28 septembre 2011, nº 10-14933, Bull. civ. III, à paraître ; D. 2012.339, n. crit. Fr. Rous-
sel : « les frais de replantation ne constituent pas une amélioration mais l’obligation du bailleur d’assu-
rer la permanence et la qualité des plantations ».
128. Des améliorations, il faut distinguer l’exécution par le preneur de travaux incombant norma-
lement au bailleur qui doivent être remboursés. P. HILT, « La date de l’effet de l’accession dans les baux
immobiliers, plaidoyer pour l’accession différée », JCP G 2003.I.183.
129. Peu importe... qu’il s’agisse... d’une convention d’occupation précaire : Cass. civ. 3e, 28 octo-
bre 1975, Bull. civ. III, no 312 ; ... d’une location saisonnière : Cass. civ. 3e, 2 juin 1977, D. 1977.697
(v. les critiques de A. BÉNABENT et C. LUCAS DE LEYSSAC, « La nature juridique des locations saisonnières »,
D. 1977, chron. 241)... que le bail soit expiré et que le locataire soit resté dans les lieux loués « contre
la volonté du bailleur » : Cass. com., 27 mars 1990, Bull. civ. IV, no 89. Mais il faut une convention ; la
présomption ne s’applique pas lorsque le bail est nul : Cass. civ. 3e, 24 novembre 1976, Bull. civ. III,
no 423.
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 419
insuffisante ; il lui faut prouver que l’incendie a pour cause un cas fortuit (la force
majeure ou un vice de construction) ou a été communiqué par une maison voi-
sine. Le preneur est ici traité plus sévèrement qu’en cas de dégradation130.
Cette sévérité particulière du droit du bail, qui ne s’applique pas aux locations de fonds de
commerce131, est écartée par certains statuts spéciaux132 et n’est pas d’ordre public, s’explique
par différentes raisons : la crainte des incendies, qui justifie d’autres règles spéciales133 et conduit
à exiger du preneur une vigilance particulière ; la conviction suivant laquelle l’incendie, s’il n’est
pas dû à la force majeure, serait causé par la faute du locataire ; les difficultés de preuve de la
cause d’un incendie, qui obligent à attribuer à celui qui jouit de la chose la charge du doute. La
règle est critiquée et n’existe pas dans plusieurs droits voisins. Le développement de l’assurance
des risques locatifs la rend, dans le nôtre, supportable.
Les articles 1733 et 1734 distinguent selon que le bien est loué à un seul pre-
neur, ou à plusieurs.
1º Lorsque n’existe qu’un unique locataire, celui-ci est responsable envers le bail-
leur, à moins qu’il ne prouve que l’incendie est dû à une cause étrangère, c’est-à-
dire la force majeure, le vice de construction134 ou la communication d’incendie.
Mettant fin aux discussions doctrinales, la Cour de cassation a, à la fin du XIXe siècle,
décidé que pour échapper à la présomption il ne suffisait pas au preneur de démon-
trer son absence de faute ; il devait prouver la cause de l’incendie et son caractère
de force majeure135, ce qui conduisait à lui faire supporter les dommages dont la
cause était indéterminée ; à cet égard, il est tenu d’une obligation de résultat pure
et simple. Il doit réparer tous les dommages éprouvés par le bailleur136. Cependant,
le bail sera dans tous les cas automatiquement résilié137.
La faute du bailleur n’exonère pas non plus le preneur, tant qu’elle ne revêt pas le « carac-
tère » de la cause étrangère138. Le preneur n’est pas responsable de l’incendie provoqué par un
cambrioleur139 ; mais il répond de celui que causent les gens de sa maison ou ses sous-locataires
(art. 1735)140. Peu importe qu’il n’ait, pas, effectivement, surveillé la chose au moment de l’in-
cendie. Le caractère exceptionnel de la règle la réserve aux relations entre le bailleur et celui qui
est tenu à son égard d’une obligation de conservation (locataire ou occupant de droit) ; elle ne
peut être invoquée : ni entre nu-propriétaire et usufruitier ou locataire de l’usufruitier, ni entre
copropriétaires, ni entre colocataires, ou ni entre les locataires un copropriétaire141, ni entre pro-
priétaires voisins, ni même par le bailleur à l’égard du sous-locataire142 ni par le propriétaire à
l’égard d’un occupant de fait143. Le bailleur ne peut non plus l’invoquer contre le locataire, s’il a
été amené à indemniser des tiers victimes144.
le bail prend fin par la perte totale de la chose survenue par cas fortuit ou même par la faute de l’une
des parties, sauf les dommages-intérêts pouvant être mis à la charge de celle des parties responsable
de cette perte » ; les loyers ne sont donc plus dus.
138. Cass. civ. 3e, 13 juin 2007 ; Bull. civ. III, no 104 : le bailleur n’avait pas respecté ni les règles de
sécurité des installations classées, ni les prescriptions d’urbanisme ; mais ses fautes « n’étaient pas à
l’origine du sinistre ». Cassation de l’arrêt qui avait ordonné une réparation par moitié.
139. Paris, 26 avril 1982, Gaz. Pal. 1982.II.473, n. Margeat et Favre-Rochex.
140. Définition des « gens de sa maison » : Cass. civ. 3e, 16 juin 2004, Bull. civ. III, no 119 ; D.
2005.751, obs. N. Damas ; JCP G 2004.II.10196, n. A. Djigo ; Defrénois 2004.1723, obs.
J.-L. Herbert : « Ayant relevé que M. Dumon ne résidait pas, fût-ce temporairement dans les lieux
loués et qu’il n’y était pas intervenu à la demande des locataires à titre professionnel, le tribunal [...]
en a exactement déduit que M. Dumon ne pouvait être considéré “de la maison” des locataires au
sens de l’art. 1735 ». Sont donc « de la maison » les personnes intervenant dans les lieux loués à titre
professionnel à la demande des locataires et celles qui y résident, même temporairement, mais non les
amis ou visiteurs de passage.
141. Cass. civ. 3e, 19 septembre 2012, no 11-10827, Bull. civ. III no 123 (cassation de l’arrêt qui a
accueilli l’action du copropriétaire d’un lot dans un centre commercial, contre deux locataires,
« alors qu’il n’existait aucun rapport locatif »). C’est donc au tiers à établir la faute, ou bien une respon-
sabilité du fait des choses.
142. Cass. civ. 3e, 8 décembre 1993, Bull. civ. III, no 159 : « L’article 1733 concerne les seuls rap-
ports du propriétaire avec son locataire » ; 17 juillet 1996, Defrénois 1997.403, obs. A. Bénabent.
143. Ex. : Cass. civ. 3e, 17 juillet 1996, Bull. civ. III, no 184 : « L’article 1733 [...] ne s’applique que
dans les rapports entre le bailleur et le locataire ».
144. Cass. civ. 3e, 28 janvier 2016, nº 14-28812, Bull. civ. III à paraître ; D. 2016.880,
n. B. Waltz-Teracol ; RDC 2016. 255, obs. R. Boffa (frais de relogement d’occupants d’un immeuble
voisin, c’est l’art. 1242 al. 2, ancien art. 1384 C. civ. qui doit s’appliquer).
145. La totalité du dommage pèse alors sur le ou les autres locataires ; ex. : Cass. civ. 3e, 18 mai
1978, Bull. civ. III, no 201.
146. Par exemple, en prouvant que le feu avait commencé dans les parties communes, placées sous
la surveillance du bailleur : Cass. soc., 12 février 1954, S. 1954.I.170.
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 421
Lorsque le bailleur occupe147 lui-même une partie de l’immeuble, il ne peut invoquer contre
le locataire les articles 1733 et 1734. Il supporte seul tout le dommage résultant de l’incendie,
sauf s’il démontre que le feu n’a pu prendre dans les locaux qu’il occupe148.
SECTION II
PAIEMENT DU LOYER ET DES CHARGES
691. Liberté et contrôle des loyers ; charges. – Pas de loyer, pas de bail149 : le
paiement du loyer est l’obligation essentielle pesant sur le preneur (art. 1728, 2º).
Le loyer peut consister en de la monnaie ou en d’autres espèces (matières premiè-
res, produits finis, etc.), voire être acquitté en obligations de faire, constituant une
contrepartie de la jouissance de la chose150. Il est quérable151 et doit donner lieu à
la délivrance d’une quittance par le bailleur, si le locataire l’exige (L. 1989,
art. 21).
Le Code civil ne comporte – libéralisme oblige – aucune disposition concernant
la fixation du loyer ; elle est affaire de convention. Le principe est la liberté
contractuelle, tant à l’égard du loyer initial, de sa variation, que du loyer du bail
renouvelé. Il n’existe pas non plus de principe de révision en cours de bail. Ce
principe de liberté, dans les baux immobiliers, n’est devenu qu’une apparence.
Le montant des loyers exerce une influence majeure sur l’économie (inflation,
ouverture ou fermeture de certaines activités économiques...) et est une impor-
tante donnée sociale – le logement est une première nécessité – telle que, depuis
1920, le législateur est intervenu de manière presque constante pour le réglemen-
ter. Les objectifs qu’il se donne sont divers : faciliter la conclusion de baux et
modérer les exigences des bailleurs en cas de pénurie de locaux (ex. : loi du
1er septembre 1948, à la suite de la guerre) ; lutter contre l’inflation (lois de blo-
cage des loyers). Les bienfaits attendus de cette législation sont parfois illusoires :
147. À la condition que sa jouissance soit analogue à celle d’un locataire : Cass. civ. 3e, 30 novem-
bre 1983, motifs, Bull. civ. III, no 250 ; en l’espèce, le bailleur s’était réservé « un droit d’usage sur la
chambre froide (située dans le hangar loué) en y entreposant des fruits » ; la cour d’appel avait décidé
que la locataire était la seule responsable de l’incendie du hangar, parce qu’elle était « la seule loca-
taire en titre ». Cassation : la cour d’appel devait « rechercher si les conditions d’utilisation des lieux
loués par le propriétaire [...] n’étaient pas assimilables aux conditions d’utilisation par un locataire ». La
cour de renvoi a résisté en jugeant que « du fait de cette occupation des locaux, ce bailleur ne peut se
prévaloir des dispositions de l’article 1734, al. 2, l’al. 1 de ce même texte doit recevoir application »,
c’est-à-dire que tout le dommage devrait être réparti entre les divers occupants (Ph. RÉMY, obs., RTD
civ. 1982.617). Nouvelle cassation : Cass. civ. 3e, 17 juillet 1986, Bull. civ. III, no 119 : « Cette pré-
somption (des art. 1733 et 1734) cesse d’exister lorsque le propriétaire de l’immeuble occupe une par-
tie des locaux dans les mêmes conditions qu’un locataire ».
148. Req., 9 mai 1905, DP 1905.I.280 : « Si le propriétaire habite lui-même une partie de l’im-
meuble incendié, il ne peut, sans doute, quand la cause de l’incendie et le lieu où il a commencé
restent inconnus, invoquer les dispositions des articles 1733 et 1734 ; mais s’il prouve que le feu n’a
pas commencé dans la partie qu’il occupait, la présomption légale établie par l’article 1733 reprend
toute sa force ».
149. Supra, no 623.
150. Ex. : Cass. soc., 6 février 1985, Bull. civ. V, no 89 : lorsque le règlement du loyer a été converti
en paiement par le locataire de travaux de remise en état incombant au propriétaire, les juges du fond
peuvent estimer que cet arrangement constitue une modalité de paiement du locataire.
151. Cass. civ. 3e, 24 novembre 2004. Bull. civ. III, no 208 ; JCP 2005.II.10048, n. G. Kessler ;
Defrénois 2005.1828, n. L. Ruet : « S’il n’est pas contestable que les loyers sont quérables et non porta-
bles, il n’en demeure pas moins que le locataire auquel un commandement a été décliné, ne peut
arguer d’une éventuelle absence de réclamation antérieure du bailleur pour échapper à une obligation
essentielle de s’acquitter définitivement du paiement des loyers ».
422 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
il y a pénurie, on limite les loyers, ce qui provoque une nouvelle pénurie, plus
grave encore ; mieux vaut ne pas donner à bail, que louer à un prix jugé insuffi-
sant, etc.
1º La fixation initiale du loyer est libre en droit commun, tout comme ses modalités. Le loyer
peut être fonction du chiffre d’affaires du locataire, s’il est commerçant (« clause-recettes »)152.
Cependant, dans les baux ruraux, le fermage est déterminé à l’intérieur d’une « fourchette » éta-
blie, département par département, par l’autorité administrative (C. rur. pm., art. L. 411-11)153. Le
loyer d’un bail soumis à la loi du 1er septembre 1948 est calculé par l’application d’une valeur
au mètre carré, publiée chaque année par décret, à la surface corrigée de l’appartement (art. 26
à 44). La loi du 6 juillet 1989 modifiée en 2014 (loi Duflot du 24 mars 2014) fixe désormais,
dans les communes de plus de 50 000 habitants, un loyer réglementé par le représentant du
département, sur proposition d’un « observatoire des loyers » : un « loyer médian de référence »,
qui ne peut être dépassé au-delà d’un certain plafond (prix au mètre carré). Le montant est arrêté
en fonction d’un certain nombre de paramètres locaux et tenant à la qualité du bien. Il y a deux
catégories : le « loyer médian de référence majoré », qui ne pourra excéder 20 % du loyer
médian et le « loyer médian de référence minoré », qui ne pourra dépasser 30 % en deçà du
loyer médian. L’insertion dans chaque catégorie dépend de la valeur locative du bien. Un
« complément de loyer » peut être appliqué (en le motivant dans le contrat, au regard des
« caractéristiques particulières » du bien loué), mais sous un strict contrôle et le locataire peut
le contester devant une commission départementale (art. 3 et 17, L. 1989 modifiée). Un décret
du 10 juin 2015 réglemente ces points.
En outre, le bailleur est tenu de communiquer au locataire le montant de ce que payait son
prédécesseur (art. 3 préc.).
2º La variation du loyer au cours du bail dépend en principe de la convention des parties ;
généralement, elles adoptent un mécanisme d’indexation, par exemple pour les baux d’habita-
tion, sur l’indice de référence des loyers (panier comportant pour l’essentiel les prix à la consom-
mation, loi du 8 févr. 2008, art. 9). L’augmentation du loyer ne pourra excéder la variation de cet
indice. L’indexation est interdite dans certains baux (baux d’habitation soumis à la loi de 1948 et
baux ruraux, dont le loyer consiste en une certaine quantité de denrées – fermage). En outre, son
jeu est souvent limité (L. 6 juillet 1989, modifiée en 2014, art. 17 et s.), ou corrigé judiciairement
(C. com., art. L. 145-38 et L. 145-39). Si le bailleur ne se manifeste pas pour l’année écoulée, il
est présumé avoir renoncé (art. 17-1 nouveau). Quelle que soit la convention des parties, la loi
impose parfois une faculté de révision périodique permettant d’aligner le loyer sur la valeur
locative (C. com., art. L. 145-33 et L. 145-38 ; C. rur. pm., art. L. 411-11 et L. 411-13). C’est nor-
malement au locataire, débiteur du loyer, qu’il appartient de calculer la réévaluation.
3º Lors du renouvellement du bail, la fixation du nouveau loyer est en droit commun libre-
ment déterminée par les parties154. Mais elle est réglementée, lorsqu’il s’agit d’un bail d’habita-
tion (L. 6 juillet 1989, art. 17 et s. préc., L. 24 mars 2014), la loi prévoyant une diminution ou une
majoration, selon les paramètres imposés du loyer médian ; les parties négocieront et à défaut,
une commission départementale tentera une conciliation ; en cas d’échec, le juge tranchera ; le
bail rural est lui aussi plafonné (C. rur. pm., art. L. 411-11). Dans les baux commerciaux, les
parties sont partiellement libres de s’accorder pour fixer le loyer du bail renouvelé (C. com.,
152. Dans la clause recettes, le loyer est constitué d’une part, par un minimum garanti, souvent
indexé, d’autre part, par un pourcentage sur le chiffre d’affaires réalisé par le preneur l’année précé-
dente. La validité de la clause est admise par une jurisprudence constante, depuis Cass. civ. 3e,
10 mars 1993, Théâtre Saint-Georges, Bull. civ. III, no 30 ; « la fixation d’un loyer renouvelé d’un tel
bail échappe aux dispositions du D. 30 septembre 1953 (aujourd’hui C. com., art. L. 145-1 et s.) et
n’est régie que par la convention des parties ».
153. Si le fermage est excessif, le preneur peut en obtenir la réduction (C. rur. pm., art. L. 411-13) ;
la Cour de cassation ne lui permet pas d’agir en nullité (Cass. civ. 3e, 25 mars 1987, Bull. civ. III, no 60 ;
RTD civ. 1987.566, obs. Ph. Rémy).
154. Cass. civ. 3e, 8 février 2006, Bull. civ. III, no 25 ; Defrénois 2006.1236, n. R. Libchaber : cassa-
tion de l’arrêt qui avait déterminé le loyer à la place des parties, en fonction de la valeur locative, alors
que (bail professionnel) le loyer était libre : « le loyer n’était soumis à aucune réglementation légale et
les juges du fond ne pouvaient se substituer aux parties, en désaccord pour fixer les modalités de sa
révision ».
DROITS ET OBLIGATIONS NÉS DU BAIL 423
art. L. 145-33 et L. 145-34)155 ; un système de plafonnement pour certaines hypothèses est mis en
place (ibid.). À défaut d’accord, le bailleur peut refuser le renouvellement156.
4º Les charges sont payées par provision par le locataire en même temps que le règlement du
loyer ; elles sont pour les baux d’habitation limitativement énumérées par décret et le bailleur
devra en justifier auprès du preneur (y compris par voie électronique, art. 23 modifié).
692. Pas-de-porte. – Le pas-de-porte, aussi dénommé « droit d’entrée », est la somme d’ar-
gent versée au propriétaire d’un local libre ou au locataire en place, lors de la signature d’un bail
commercial. Selon l’intention des parties, il s’agit d’un complément de loyers ou de la contre-
partie d’avantages commerciaux, sans rapports avec le loyer157 ; en ce cas, sauf convention
contraire, le pas-de-porte n’a pas à être restitué lors de la résiliation du bail.
C’est une stipulation licite en soi, sauf disposition contraire158.
155. Cass. civ. 3e, 10 mars 2004, Bull. civ. III, no 52 ; D. 2004.878, obs. Y. Rouquet ; 2221,
n. S. Werthetalon : « rien ne s’oppose à ce que les parties choisissent d’un commun accord de déter-
miner à l’avance par une stipulation du bail les conditions de fixation du prix du bail renouvelé ».
156. Cass. civ. 3e, 2 juin 2003, Bull. civ. III, no 126 ; D. 2003.1838, obs. Y. Rouquet ; RDC 2004,
p. 35, obs. Gw. Lardeux : « le bailleur a toujours la faculté, en cas de désaccord sur le prix du bail,
de refuser le renouvellement du bail dans les conditions de l’article L. 145-57, C. com. ».
157. Cass. com., 14 novembre 1962, Bull. civ. III, no 454 ; D. 1963.307, 4e esp. ; Gaz. Pal.
1963.I.44 ; RTD com. 1963.49 ; AJPI 1965.336 : « Le versement d’un pas-de-porte que ne prohibe
aucune disposition des textes régissant les baux commerciaux, peut être, dans l’intention des parties,
soit un supplément de loyer payé d’avance, soit la contrepartie d’éléments de nature diverse, notam-
ment d’avantages commerciaux, sans rapports avec le loyer ».
158. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 février 1995, Bull. civ. III, no 50 : « Aucune disposition du D. du 30 sep-
tembre 1953 (auj. C. com., art. L. 145-1) n’interdit la remise d’une somme au bailleur par le preneur,
à son entrée dans les lieux ».
159. Cass. civ. 3e, 14 mai 1991, Bull. civ. III, no 135 : lorsqu’une clause résolutoire de plein droit a
été stipulée, le bailleur peut ne pas s’en prévaloir ; il fait alors prononcer la résiliation judiciaire ; en ce
cas, même si le locataire avait quitté les lieux, il devrait les loyers jusqu’au jour de l’arrêt qui prononce
la résiliation.
160. De plus, le jeu de la clause résolutoire est retardé et suspendu à la signification d’un comman-
dement dans certains cas : L. 6 juillet 1989, art. 24. La loi peut aussi restreindre la clause à certaines
inexécutions : ex. : L. 6 juillet 1989, art. 4, g : jugé que le non-paiement d’une indemnité forfaitaire
n’est pas l’équivalent d’un défaut de paiement de loyer ; la clause doit donc, à cet égard, être réputée
non écrite : Cass. civ. 3e, 14 décembre 1988, Bull. civ. III, no 184 ; D. 1989.423, n. G. Paisant.
161. Ex. : Cass. civ. 3e, 19 mars 2008, Bull. civ. III, no 53 ; RTD civ. 2008.688, obs. P.-Y. Gautier : en
l’espèce, le bailleur avait attendu cinq ans après la délivrance du commandement de payer, visant la
clause : jugé que « le seul écoulement du temps ne peut caractériser un acte manifestant sans équi-
voque la volonté de renoncer à se prévaloir des effets de la clause résolutoire ».
162. Ex. classique : notification d’un commandement de payer pendant les vacances estivales ;
Droit des obligations, coll. Droit civil. La Cour de cassation a admis que la clause était également
privée d’effets lorsque le bailleur l’avait invoquée pour mettre fin à la concurrence de son locataire :
Cass. civ. 3e, 10 novembre 2010, nº 09-15937, Bull. civ. III, no 199 ; Defrénois 2011.486, n. crit.
L. Ruet.
424 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
2º La dette de loyer se prescrit par cinq ans en droit commun (art. 2224) ; dans les baux d’ha-
bitation, la prescription est de trois ans (art. 7-1 nouveau, L. 1989), à compter de la connaissance
du fait générateur (alignement sur le point de départ, mais pas le quantum de l’art. 2224 préc.).
Dans le bail commercial, toutes les actions se prescrivent par deux ans (C. com., art.
L. 145-60)163.
3º La créance est garantie par le privilège du bailleur, lorsque le bail est immobilier164. En
outre, le bailleur exige toujours du locataire un dépôt de garantie (L. 6 juillet 1989, art. 22,
al. 1, dans les baux d’habitation, au maximum, un mois) payable avant l’entrée dans les lieux.
Le dépôt de garantie a pour objet non pas tant d’assurer le paiement des loyers que la remise en
état des locaux s’ils ont été dégradés par le fait du locataire165. Ce dépôt peut être remplacé par
une garantie autonome (art. 22-1-1). Le bailleur exige aussi très souvent une caution, garantis-
sant le paiement des loyers166 ; en ce cas, un formalisme devra être respecté, à peine de nullité
(art. 22-1)167. La loi ALUR du 24 mars 2014 propose, sur un mode supplétif (son dispositif est
cependant par défaut : art. 24-2, L. 1989 modifiée), de substituer aux garanties personnelles
une « garantie universelle des loyers » (la « GUL »), versée sur des fonds de solidarité et publics,
par une Agence publique, en cas d’insolvabilité du locataire. Elle est plafonnée et soumise à
certaines conditions.
Le bailleur peut insérer une clause, annulée si elle est abusive168.
163. Cass. ch. mixte, 12 avril 2002, JCP 2002.II.10 169, n. P.-H. Conac ; Defrénois 2002.1265,
n. R. Libchaber ; D. 2002, Jur. 2905, n. F. Perret-Richard.
164. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
165. Sur sa nature, v. Droit des sûretés, coll. Droit civil. V. égal. A.S. LUCAS-PUGET, Contrats, conc.
consom. 2015, Formule nº 9.
166. Sur le sort de la caution, en cas d’aliénation de la chose louée, supra, no 671.
167. Cass. civ. 3e, 8 mars 2006, Bull. civ. III, no 59 ; JCP G 2006.II.10131, n. E. Bazin : « les formalités
édictées par l’art. 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 sont prescrites à peine de nullité du cautionnement,
sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un grief ».
168. J. LAFOND, Les baux d’habitation, 7e éd., Lexis-Nexis 2007, no 452 ; CJUE, 30 mai 2013 ; RTD
eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles.
n CHAPITRE II n
POUVOIRS DU PRENEUR
SECTION I
CESSION DE BAIL, SOUS-LOCATION ET PRÊT
Bien qu’on ait longtemps pensé le contraire, ce qui explique les termes du texte
« et même », cession de bail et sous-location ont entre elles une différence non seu-
lement de degrés – la cession serait, comme sous l’Ancien droit, une sous-location
totale –, mais de nature : celle qui oppose au sous-contrat la cession de contrat4.
1. Supra, no 674.
2. Paris, 21 mars 2002, D. 2003, somm. 804, obs. S. Pierre-Maurice.
3. Cass. civ. 3e, 5 mai 1999, Bull. civ. III, no 103 ; D. 1999, IR, 139 ; en l’espèce, le locataire (loi de
1948) avait hébergé dans l’appartement loué plusieurs personnes ; à la demande du bailleur, la cour
d’appel en avait ordonné l’expulsion : le locataire « qui héberge à l’insu de son propriétaire est déchu
de ce droit », au maintien dans les lieux. Cassation : « vu l’art. 1709, ensemble l’art. 78 de la loi de
1er septembre 1948 ; [...] en statuant ainsi, sans constater l’existence d’une contrepartie à l’occupation
de l’appartement par les personnes hébergées, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
4. Droit des obligations, coll. Droit civil.
426 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
695. Bail ou vente ? – 1º Les effets de la cession de bail sont ceux de toute ces-
sion de contrat. Le cessionnaire du bail devient créancier de la jouissance des
lieux et débiteur des loyers et des autres obligations, directement à l’égard du bail-
leur ; du cédant, il ne peut rien exiger, si ce n’est la garantie due par le cédant
d’une créance (art. 1326). Ses droits et ses obligations sont ceux du bail cédé,
5. Ex. : Cass. civ. 3e, 13 février 2002, Bull. civ. III, no 40 ; D. 2002.1204, obs. Y. Rouquet ; en l’es-
pèce, un preneur à bail avait conclu avec un tiers une convention aux termes de laquelle il lui avait
consenti « l’usage » de plusieurs locaux pendant 13 300 heures et avait prévu diverses clauses particu-
lières ; le bailleur y avait vu une sous-location et demandait donc le « réajustement » du loyer, car le
prix de la prétendue sous-location était supérieur à celui du bail (C. com., art. L. 145-31) ; approuvés
par la Cour de cassation, les juges du fond s’y étaient refusés : « les limitations à la jouissance des lieux
dans le temps, les nombreuses prestations relatives à l’équipement et à l’entretien des locaux assurées
par (le locataire) ainsi que le contrôle de l’accueil et de la sécurité conservés par cette dernière démon-
traient que le contrat passé avec ce tiers ne pouvait se réduire à une sous-location ».
6. Pour : Cass. com., 15 juin 1993, Bull. civ. IV, no 253 ; RTD civ. 1994.881, obs. P.-Y. Gautier ; Rev.
soc. 1993.730, n. R. Libchaber (groupe de sociétés, la société mère devient coobligée) ; contre :
Cass. civ. 3e, 25 février 2004, Bull. civ. IV, no 38 ; RTD civ. 2004.747, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com.
2005.46, obs. J. Monéger (immixtion non caractérisée, la société mère n’est pas obligée).
7. Cass. civ. 3e, 10 mars 2010, no 09-10412, Bull. civ. III, no 57 ; RTD civ. 2010. 343, obs.
P.-Y. Gautier ; D. 2010. 1531, n. J.-M. Brigant ; RDC 2010.913, obs. J.-B. Seube : la clause d’agrément
« ne faisait pas obstacle, conformément aux dispositions de l’art. 8, § 1, Conv. EDH, à ce que le pre-
neur héberge un membre de sa famille, mais prohibait qu’il mette les locaux à la disposition d’un tiers,
quel qu’il soit, si lui-même n’occupait plus effectivement les locaux » (le locataire avait quitté les lieux
en les prêtant à sa sœur ; le bail est résilié).
POUVOIRS DU PRENEUR 427
8. Ex. : * Cass. civ., 7 janvier 1947, Dujour, JCP G 1947.II.3510, n. E. Becqué ; RTD civ. 1947.201,
obs. J. Carbonnier : « En l’absence de toute convention particulière et de circonstances spéciales, les
cessionnaires successifs d’un droit au bail deviennent, par l’effet même de la cession du contrat synal-
lagmatique de louage, débiteurs du bailleur originaire ; ils demeurent à ce titre et malgré la rétrocession
de leurs droits, tenus envers lui jusqu’à l’expiration du bail, des obligations qui en dérivent ; au bailleur,
doit être assimilé le preneur primitif poursuivant lui-même l’exécution du bail dont il est responsable
vis-à-vis de celui-ci. » ; v. aussi infra, no 698, * Cass. civ. 3e, 9 juillet 2003, dame Garibaux.
9. Cass. com., 19 février 1959, Bull. civ. III, no 82.
10. L. AYNÈS, La cession de contrat, nos 96, 194 s.
11. Cass. civ. 3e, 12 juillet 1988, Bull. civ. III, no 125.
12. Cass. civ. 3e, 5 juin 2002, Bull. civ. III, no 124 ; D. 2002.2471, n. Rouquet ; RTD civ. 2002.830,
obs. P.-Y. Gautier. C. NOBLOT, « La clause de garantie solidaire du cédant dans un bail commercial »,
Contrats, conc. consom. 2015, Formule nº 10.
13. Peu importe que la cession comporte ou non un prix : Cass. soc., 12 novembre 1954, Duzon, D.
1955.22 ; RTD civ. 1955.334, obs. J. Carbonnier : « La cession de bail est un contrat d’une nature par-
ticulière, comportant cession de créance au profit du cessionnaire, mais aussi transfert à la charge de
celui-ci de l’obligation de payer le loyer et d’exécuter les conditions de la location ; une telle conven-
tion n’est pas assimilable à une vente et ne comporte pas nécessairement stipulation d’un prix. »
14. Cass. civ. 3e, 14 novembre 2007, Bull. civ. I, no 207 ; RTD civ. 2008.117, obs. P.-Y. Gautier ;
RDC 2008.388, obs. J.-B. Seube.
15. Cep., le statut des baux commerciaux donne au sous-locataire un droit direct au renouvelle-
ment contre le bailleur, qui n’est que subsidiaire (C. com., art. L. 145-32).
16. Cass. civ. 3e, 19 février 1997, Bull. civ. III, no 35 : le propriétaire a « une action directe à l’encon-
tre (du sous-locataire), dans la limite du sous-loyer » ; en l’espèce, le locataire principal était devenu
insolvable ; jugé que le bailleur pouvait agir contre le sous-locataire.
17. Cependant, il ne peut pas demander son expulsion, tant que le bail principal n’est pas résilié :
Cass. civ. 3e, 1er février 2012, Bull. civ. III, nº 18.
428 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
contrat principal a été porté à sa connaissance par le locataire principal. Dans tous
les cas, celui-ci est garant des fautes du sous-locataire (V. art. 1735 préc. pour les
dégradations, ce qui vaut aussi pour le non-respect de la destination contractuelle,
ainsi que les indemnités d’occupation).
18. TI Paris 5e, 6 avril 2016, Airbnb, RTD civ. 2016, no 3, P.-Y. Gautier (résiliation du bail contre le
preneur qui a sous-loué grâce à l’Internet).
19. Cass. civ. 3e, 5 mars 1997, Bull. civ. III, no 49 : « Toute cession de bail rural (est) prohibée, même
si la cession (a) été acceptée par le bailleur ». Lorsque le preneur est une société, la cession de toutes
les parts sociales n’est pas une cession de bail : Ex. : Cass. civ. 3e, 18 mai 1994, Bull. civ. III, no 97 ; D.
1994, IR, 175 : il y a sous-location, justifiant la résiliation du bail lorsque « M. Naulot (titulaire d’un
bail rural) n’exploitait plus personnellement le fonds et les travaux de la ferme étaient exécutés par
M. Oppeneau une personne qui ne se contentait pas de lui apporter une aide bénévole, mais se com-
portait comme le véritable maître du fonds loué... (car) il avait été convenu que M. Oppeneau le nou-
vel exploitant réglerait les loyers ».
20. La cession de parts lorsque le preneur est une personne physique ayant mis le bail à la disposi-
tion de la société, peut constituer une cession de bail portant « atteinte aux droits des bailleurs » :
Cass. civ. 3e, 10 janvier 1990, D. 1990.557, 2e esp., n. G. Chesné.
21. Cass. civ. 3e, 7 novembre 1990, Bull. civ. III, no 220 ; JCP G 1991.II.21665, n. P. Ourliac ; il
s’agissait en l’espèce d’évaluer le fonds vendu en cas de droit de préemption du preneur : la cour
d’appel n’avait pas pris « en considération, pour fixer la valeur vénale des biens au jour de la vente,
la moins-value résultant de l’existence du bail ». Cassation.
22. Cass. civ. 3e, 10 février 1999, D. 2000.14, n. F. Kenderian ; n.p.B. : bail rural (vinicole) conclu
avec une société qui cède à un tiers toutes ses parts.
POUVOIRS DU PRENEUR 429
Un bail emphytéotique, conférant au preneur un droit réel, peut toujours être cédé26.
697. Réalisation. – La cession est pour le preneur l’exercice d’un droit, comme
l’est pour le propriétaire celui de vendre ou donner ; alors que la sous-location est,
pour le preneur, un mode d’exécution du bail. Si la sous-location n’est pas librement
autorisée par le contrat initial (ou la loi, exceptionnellement, pour les baux ruraux),
le juge ne peut substituer son autorisation au refus de consentement du bailleur : la
modification du contrat ne pourrait lui être imposée (art. 1103, ancien art. 1134)27.
La cession de bail produit ses effets essentiels entre le cessionnaire et le bail-
leur ; la jurisprudence imposait le respect des formalités de la cession de créance,
outre celui des conditions conventionnelles de cession, afin de rendre la transmis-
sion du bail « opposable » au bailleur28. La transmission était de droit en cas d’ap-
port partiel d’actif29.
23. Jurisprudence abondante et constante depuis Cass. civ., 18 février 1924, DP 1924.I.17.
24. Cass. civ. 3e, 7 avril 1994, Bull. civ. III, no 76 : même s’il s’agissait d’une « situation précaire » ;
v. toutefois supra, no 665.
25. Cass. civ. 3e, 9 juillet 2003, Bull. civ. III, no 147 ; D. 2003.2239, obs. Y. Rouquet : « l’omission du
preneur d’appeler la bailleuse à concourir à un acte de sous-location ne pouvant être régularisée »...
26. Cass. civ. 3e, 10 avril 1991, supra, no 620.
27. À propos d’une clause d’agrément, relative à une sous-location, dans un bail commercial :
Cass. com., 16 juillet 1962, JCP G 1962.II.12904, n. F. Givord ; RTD com. 1963.76, obs. A. Jauffret ;
n.p.B. : « Le droit, pour le propriétaire, d’interdire toute sous-location ou prêt des locaux loués à
usage commercial sans son autorisation expresse et préalable sous peine de résiliation du bail, n’est
soumis à aucune limitation ; il n’appartient pas aux tribunaux, en cas de refus du bailleur, d’autoriser la
sous-location ou le prêt du local, ni de rechercher ou de contrôler les motifs de ce refus ». V. au
contraire pour une clause d’agrément relative à une cession de bail : Cass. com., 19 février 1963,
Bull. civ. III, no 110 ; JCP G 1963.II.13299, n. F. G. : « Le preneur pouvait, en cas de refus injustifié, se
faire autoriser par justice ».
28. Ex. : Cass. civ. 3e, 30 avril 1997, Bull. civ. III, no 89 ; en l’espèce, le bail avait obligé le preneur à
obtenir le consentement exprès et écrit du bailleur à la cession de son bail et à faire établir la cession
par acte authentique en l’absence du bailleur ; jugé qu’était inopposable aux bailleurs une cession
faite sous seing privé sans que les bailleurs eussent été invités à y participer. Sur la nature et la portée
de cette intervention, P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 1993.155.
29. Cass. civ. 3e, 3 mai 2007, Defrénois 2007.1383, n. L. Ruet ; n.p.B. : l’obligation de délivrance et
d’entretien passe automatiquement à la société bénéficiaire de l’apport, pour l’usage des locaux tels
qu’ils avaient été fixés dans le bail initial.
430 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Ce qui était doublement critiquable : le bailleur cédé n’est pas un tiers, au sens de l’arti-
cle 1323, al. 2 (ancien art. 1690) ; en outre, les conséquences tirées de l’omission de cette forma-
lité, même si le bailleur a eu, par ailleurs, connaissance de la cession, constituent une véritable
prime à la mauvaise foi : résiliation du bail principal ou jeu d’une clause résolutoire30. L’ordon-
nance du 10 février 2016, en consacrant la cession de contrat, a mis fin à ces exigences
(art. 1216, al. 2).
698. Cession de dette ? – La cession de bail transfère au locataire-cessionnaire les droits du
cédant pour l’avenir, ce qui va sans difficultés. Il paraît plus difficile de le tenir obligé des dettes
passées du cédant, s’il ne s’y était pas spécialement obligé. Il avait cependant été jugé par la
Cour de cassation qu’il était tenu de payer une indemnité à raison des dégradations causées
par son auteur31. Depuis la réforme du droit des contrats, la cession de dettes est permise (nou-
veaux art. 1327 et 1327-1).
SECTION II
DROIT DE PRÉEMPTION
699. La terre à ceux qui ont les mains calleuses. – Dans le bail rural, l’« exploi-
tant preneur en place » dispose du pouvoir de se transformer en propriétaire par
un acte unilatéral, si le bailleur aliène à titre onéreux, dans certaines circonstan-
ces, le fonds rural loué (C. rur. pm., art. L. 412-1 à L. 412-13). Ce droit de préemp-
tion a servi de modèle au droit accordé par les lois du 31 décembre 1975 (art. 10)
et du 6 juillet 1989 (art. 15) au locataire ou occupant de bonne foi, en cas de
vente d’un local à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et
professionnel32. Dans ce dernier cas, le délai pour prendre la décision est de
deux mois. L’irrégularité ou la tardiveté de la notification est sanctionnée par la
nullité de la vente33. La vente peut intervenir en cours de bail, mais le locataire
pourra rester dans les lieux, l’immeuble étant vendu occupé. Si l’offre est faite à
l’expiration du terme, en revanche, et que le locataire n’exerce pas la préemption
dans le délai de préavis, il devra quitter les lieux, se trouvant « déchu » de son
droit, car l’offre de vente constitue en même temps un congé virtuel, s’il ne l’ac-
cepte pas34. Pour protéger le locataire, la loi Duflot du 24 mars 2014, modifiant la
loi de 1975, permet à la commune d’acquérir à sa place le cas échéant, pour lui
louer le local (art. 10 modifié).
La loi de 1975 s’applique à la vente consécutive à la division d’un immeuble en
appartements qui est plus dangereuse pour le locataire, car l’offre de préemption
peut lui être faite à tout moment et s’il la refuse, il devra quitter les lieux, le local
étant alors vendu libre.
Lorsque l’immeuble a été vendu en bloc, le locataire ne pouvait en principe exercer son droit
de préemption. Il était à craindre alors que l’acheteur (ex. un fonds d’investissement) revende « à
la découpe » l’immeuble, en escomptant une substantielle plus-value et obligeant de fait les
locataires à partir, faute de pouvoir payer un prix substantiel. Les juges avaient cependant eu
du droit de préemption instauré en 1975 une interprétation large35 et réservaient la fraude36.
Une loi du 13 juin 2006 vise à assainir cette pratique et contraint désormais le propriétaire initial
d’un immeuble de plus de dix logements à proposer préalablement la vente à chaque locataire,
alors même qu’il vendrait l’immeuble en bloc, sauf à ce que l’acquéreur s’engage à laisser les
locataires en place pour au moins six ans, le tout, à peine de nullité (art. 10-1 nouveau de la loi
de 1975)37.
Un droit de préemption est également reconnu au locataire commercial (C. com., art. L. 145-
46-1, loi du 18 juin 2014).
La méconnaissance des droits du locataire est sanctionnée par la nullité de la vente avec le
tiers38.
35. Cass. civ. 3e, 8 juin 2005, Bull. civ. I, no 127 ; JCP G 2005.II.10086, n. S. Raby : le fait qu’un lot
ait été vendu isolément après la division et avant la vente en bloc, suffit pour que le locataire puisse
préempter et réclamer l’annulation de la vente.
36. Ex. Cass. civ. 3e, 16 novembre 2005, Bull. civ. III, no 223 ; D. 2005, IR, 2968, obs. Y. Rouquet : le
propriétaire vend l’immeuble en bloc, après avoir établi un état descriptif de division, il aurait dû met-
tre en mesure les locataires d’exercer leur droit de préemption sur chaque lot.
37. Encore faut-il que le locataire exerce son droit de préemption lors de l’offre de vente, le repentir
tardif est sans effet : Cass. civ. 3e, 11 mars 2015, nº 14-10447, Bull. civ. III, nº 29 ; RDC 2015. 512, obs.
J.-B. Seube ; RTD civ. 2015. 605, obs. H. Barbier ; Dr. et patr. juill.-août 2015, p. 84, obs. L. Aynès.
38. Cass. civ. 3e, 23 juin 2010, no 09-13153, Bull. civ. III, no 128 ; D. 2010. 1709, n. Y. Rouquet :
irrégularité de l’information du locataire.
n TITRE II n
CONTRAT D’ENTREPRISE
PREMIÈRES VUES SUR LE CONTRAT D’ENTREPRISE
700. La bonne à tout faire. – Le contrat d’entreprise1 est un genre qui recouvre
des espèces hétérogènes. C’est l’ancien « louage d’ouvrage » tel que le qualifie
encore le Code civil (art. 1779 et s.), dont il est la version moderne et diversifiée.
Il est aussi un contrat de « prestation de services », selon la nouvelle terminologie
du Code civil. Il a pour objet des services appliqués à une chose... matérielle : il se
rapproche alors de la vente ; ... immatérielle : il se rapproche alors du mandat.
Dans les deux cas, le contrat est conclu dans l’intérêt du maître de l’ouvrage ;
c’est un contrat de service, marqué par l’altruisme.
1º D’une part, il y a toute une catégorie de contrats d’entreprise qui ont pour
objet une chose matérielle ; le Code civil les régit sous le nom de devis et mar-
chés (art. 1787 à 1799), ce qui embrasse tous les contrats ayant pour objet la fabri-
cation (par exemple, la construction), la transformation ou l’entretien d’une
chose ; cette dernière activité a pris une importance considérable, avec le recul
du travail domestique. Ce sont des entreprises spécialisées qui assurent toutes sor-
tes de travaux et l’ensemble des « services », utiles aux particuliers et aux
professionnels2.
2º D’autre part, il existe de nombreux contrats d’entreprise ayant un objet
immatériel : par exemple, ceux que pratiquent les médecins, les avocats, les
agences de voyages, les conseils (juridiques, fiscaux, en organisation), les organi-
sateurs de spectacles, les professeurs3, etc.
Le contrat d’entreprise devient ainsi la « bonne à tout faire » des contrats spéciaux4. Ce qu’est
aussi le mandat. Toute activité dans l’intérêt d’autrui (ou presque) devient entreprise, si elle n’est
pas un mandat.
701. Une famille qui se démembre. – Certains de ces contrats sont devenus si usuels et ont
pris un particularisme si marqué qu’à l’intérieur du genre « contrat d’entreprise », ils sont
1. Le mot d’entreprise a en droit plusieurs sens : soit le contrat du même nom, soit un établissement
commercial ou industriel, soit la communauté de travail constituée par l’employeur et ses salariés (le
comité d’entreprise), soit toute activité. Biblio. : Fr. LABARTHE et C. NOBLOT, Traité du contrat d’entre-
prise, LGDJ, 2008.
2. B. GRELON, Les entreprises de services, th. Paris I, Economica, 1978.
3. V. P.-Y. GAUTIER, RTD civ. 2006.576 ; J. CARBONNIER, n. JCP G 1951.II.6439, qui y voit plutôt, en
raison de la particularité de son objet, un contrat innommé.
4. En anglais, entrepreneur se dit contractor.
436 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
devenus autonomes ; un rameau s’est détaché de l’arbre. Ce qui confirme la « loi de spécialisa-
tion progressive » des contrats spéciaux5.
L’exemple le plus ancien est le contrat de transport, qui était un contrat d’entreprise6
(art. 1779, 2º ; 1782 à 1786) et tend lui-même à se spécialiser ; des différences parfois importan-
tes s’établissent entre les transports terrestres (qui eux-mêmes se subdivisent en transports par fer
et transports routiers), fluviaux, maritimes, aériens ; il faut aussi distinguer les transports de mar-
chandises des transports de voyageurs, les transports fluviaux puis, maintenant, depuis la juris-
prudence Chronopost, le transport de marchandises rapide7.
Le même phénomène se trouve dans d’autres contrats d’entreprise : contrat médical, de res-
tauration (l’ancien contrat d’aubergiste), d’hôtellerie, d’édition et d’exploitation des œuvres artis-
tiques, contrat d’avocat (lorsque celui-ci ne représente pas son client). Surtout à l’égard des
contrats d’entreprise relatifs aux bâtiments (architectes, entrepreneurs – au sens commun du lan-
gage – et autres techniciens de la construction) ; un droit spécial au contrat de construction se
constitue progressivement, qui a son particularisme, mais ne se détache pas vraiment du contrat
d’entreprise, parce que le Code civil en entremêle les règles. De la même manière que la théorie
générale des contrats par rapport au droit des contrats spéciaux, les règles communes à l’en-
semble des contrats d’entreprise prennent progressivement un caractère résiduel, comme une
peau de chagrin.
Peu à peu, le contrat d’entreprise cesse d’être une catégorie homogène. Par exemple, le
contrat de construction se rapproche de la vente par les obligations qu’il fait naître (ex. : la
garantie des vices cachés). À l’inverse, les contrats d’entreprise intellectuelle (ex. : le contrat de
conseil) se rapprochent du mandat, par exemple, à l’égard de la révision du prix8.
Il subsiste cependant des principes généraux applicables à tout contrat d’entreprise, lorsqu’il
s’agit de déterminer son identité et sa formation (Sous-Titre I), ses effets et son extinction (Sous-
Titre II). Ne seront pas étudiées les règles particulières à chacune des variétés de contrats d’en-
treprise, notamment le contrat de construction, sauf lorsqu’elles permettent de saisir l’économie
et la théorie générale de ce contrat spécial.
5. Supra, no 34.
6. Lorsqu’il y a des travaux spéciaux importants de manipulation dans un transport, il s’agit d’un
contrat de déménagement, supra, no 11.
7. Infra, no 753.
8. Supra, no 549.
n S OUS - TITRE I n
F ORMATION ET NOTION
n CHAPITRE I n
FORMATION DU CONTRAT D’ENTREPRISE
1. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 17 décembre 1997, Bull. civ. III, no 226 ; D. Aff.
1998.667 : « le contrat d’entreprise n’est soumis à aucune forme particulière et est présumé conclu à
titre onéreux » : en l’espèce, M. Mercier avait demandé des honoraires de maîtrise d’œuvre pour la
construction d’une maison de Mme Bayer ; la cour d’appel le débouta car « il invoque des travaux exé-
cutés pour elle sur la base d’un devis qui n’est pas signé, sans établir qu’ils aient été convenus à titre
onéreux et encore moins que le prix ait été précisé ». Cassation. Il peut être conclu par courrier élec-
tronique : Cass. civ. 1re, 1er juillet 2015, nº 14-19781, n.p.B., Comm. com. électr. 2015, nº 79,
n. G. Loiseau ; RDC 2016.39, obs. A. Danis-Fatôme : commande de consultation en droit comptable.
2. Ex. : la construction d’un navire (L. 3 janvier 1967, art. 5). Ou encore, en droit d’auteur (C. propr.
intell., art. L. 131-2).
3. A. BÉNABENT, « La preuve du contrat d’entreprise », Contrats, conc. consom. 1992, no 4. Jurispru-
dence constante : ex. : Cass. civ. 3e, 18 février 1981, Bull. civ. III, no 36 : « La charge de la preuve de
l’existence d’un contrat incombe à celui qui s’en prévaut ».
4. Infra, nos 766-769.
5. Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, Bull. civ. I, no 166 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 129,
n. L. Leveneur : en l’espèce un entrepreneur, avait construit un caveau ; il demanda le prix de ses travaux
à sa cliente, qui refusa, « le caveau n’étant pas conforme à celui qui lui avait été commandé » : la cour
d’appel la condamna à payer : « il appartient (à la cliente) d’établir la consistance exacte de ce qu’elle
avait commandé et elle n’apporte pas cette preuve ». Cassation pour avoir inversé la charge de la preuve.
6. Cass. civ. 1re, 19 juin 2008, no 07-15643 ; Bull. civ. I, no 172 ; JCP G 2008.IV.2319 : « il incombait
au débiteur (le maître de l’ouvrage, débiteur du prix) d’apporter la preuve de ses allégations selon
lesquelles ceux-ci (les travaux promis) n’avaient été que partiellement exécutés ».
7. Ex. : CJUE, 15 janv. 2015, D. 2015. 213 (clauses abusives) ; Aix-en Provence, 28 oct. 2014, D.
2014. 2246 ; RTD civ. 2015. 158, obs. P.Y. Gautier (formalisme du contrat, écrit et honoraires).
8. Infra, no 752.
440 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
caractéristiques des travaux à exécuter et le prix auquel ils seront réalisés. Parfois,
au contraire, l’entrepreneur fixe plus tard le prix, ce qui est un risque pour le
client, que celui-ci doit assumer9.
En principe, le devis n’est pas soumis à des règles particulières ; il est
facultatif10 ; aussi bien pour sa forme que ses effets, il relève de la théorie générale
des avant-contrats. L’entrepreneur détermine un montant fixe ou une fourchette ;
si le client l’accepte, les parties sont liées. Généralement, il constitue une pro-
messe unilatérale de contrat obligeant l’entrepreneur et non le client (le maître
de l’ouvrage) à conclure le contrat définitif : aucun honoraire n’est dû11.
Il n’en est pas toujours ainsi : tout dépend de la volonté des parties et des usages professionnels,
ainsi que de l’importance des travaux préliminaires exécutés. Ou bien, il s’agit d’un projet, élé-
ment des pourparlers, et non une promesse de contrat ; le maître de l’ouvrage n’est donc pas lié,
sauf par les règles de la bonne foi12. Ou bien, à l’inverse, il y a un engagement réciproque qui n’est
pas pour autant une promesse synallagmatique de contrat, parce que les obligations ne sont pas
« symétriques », mais un contrat d’étude : un honoraire est dû à l’entrepreneur même si le contrat
relatif à la réalisation n’est pas conclu13. Ces règles s’appliquent à tous les contrats d’entreprise, y
compris à la construction14. En droit de la consommation, les devis sont parfois obligatoires.
9. TGI Versailles, 28 mars 2006, cité infra : consultation d’un professeur non précédée d’un devis ;
son client doit l’honorer, même si les conclusions le déçoivent.
10. Par ex. : TGI Versailles, 28 mars 2006, D. 2006, IR, 1631 ; RTD civ. 2006.576, obs. P.-Y. Gautier
(consultation de professeur de droit, pas de devis, prix déterminé une fois la consultation établie) ;
Cass. civ., 23 octobre 1945, D. 1946.19. Parfois, il est obligatoire. Ex. : pour les chirurgiens-dentistes :
Versailles, 4 février 1988, JCP G 1988.IV.367 : « En vertu des règles de déontologie en usage dans la
profession de chirurgien-dentiste, des soins importants ne doivent pas être accomplis sans devis préa-
lable afin que le patient connaisse la nécessité, le coût et les aléas des travaux à effectuer ; dans le cas
contraire, comme en l’espèce, le paiement des honoraires est limité aux travaux réalisés dans la mesure
d’une acceptation du patient ».
11. Ex. : Cass. com., 30 novembre 1971, Bull. civ. IV, no 288 ; D. 1972.209 : aucune demande
n’avait été adressée au paysagiste-pépiniériste : « Le plan proposé par Bonnet (le paysagiste-pépinié-
riste) pouvait être considéré comme un avant-projet en vue de l’établissement d’un contrat définitif » ;
la demande en paiement d’honoraires faite par le paysagiste-pépiniériste était donc sans fondement.
12. Cass. com., 20 mars 1972, Bull. civ. IV, no 93 ; JCP G 1973.II.17543, n. J. Schmidt : rupture bru-
tale de pourparlers prolongés avec une entreprise qui, à la connaissance de l’auteur de la rupture,
avait engagé de gros frais.
13. Ex. : Cass. civ. 3e, 9 février 2011, no 10-10264, Bull. civ. III, no 20 ; JCP G 2011, 640, n. Fr. Labar-
the ; Contrats, conc. consom. 2011 no 110, n. L. Leveneur : cassation de l’arrêt qui ne recherche pas
l’existence d’un contrat imposant le paiement, même en cas de refus du devis. Dans le commerce
international également, lorsque des études préalables coûteuses sont nécessaires, doivent être payés
les frais afférents à cette étude si le contrat n’aboutit pas. Dans la réparation automobile, l’usage est
que le devis soit payant et imputable sur le prix de l’éventuelle réparation.
14. Pour les architectes ou les décorateurs, Cass. civ. 1re, 7 février 1966, Bull. civ. I, no 89... ou pour
les bureaux d’études, Cass. com., 25 juin 1973, Bull. civ. IV, no 217 ; D. 1973, somm., 150 ;
Cass. civ. 3e, 6 mars 1973, Bull. civ. III, no 163. Certains arrêts considèrent que l’architecte doit être
réglé de ses diligences, fussent-elles simplement préparatoires : Cass. civ. 3e, 16 janvier et 29 avril
1985, RDI 1985.255 et 374 ; n.p.B. ; cf. aussi pour un concours de projets : Cass. civ. 3e, 24 septembre
2003, RDC 2004, p. 369, obs. A. Bénabent ; n.p.B. : il faut présumer que chaque projet doit être rému-
néré. La preuve du contrat d’architecte relève du droit commun ; ainsi, lorsqu’existe un commence-
ment de preuve par écrit, elle peut être faite par témoignages ou présomptions : Cass. civ. 3e, 11 juin
1986, D. 1987.285, n. A. Gourio ; n.p.B. En l’espèce, le commencement de preuve tenait aux circons-
tances suivantes : « Mlle Amiache avait autorisé les architectes à pénétrer dans sa propriété un temps
nécessairement assez long eu égard à l’importance des documents établis par eux ; elle leur avait
fourni les pièces indispensables à leur travail ». S’il s’agit d’un contrat de promotion immobilière relatif
à l’habitation, un contrat d’études préalables peut être conclu à titre onéreux (CCH, art. R. 222-4,
al. 1), sauf s’il a pour objet une maison individuelle. Ph. MALINVAUD et al., Droit de la promotion immo-
bilière, Dalloz, 9e éd., 2014, no 788.
n CHAPITRE II n
NOTION DE CONTRAT D’ENTREPRISE
1. Terminologie : le mot de « client » serait préférable. Le maître d’œuvre est distinct du maître de
l’ouvrage ; il intervient dans l’entreprise de construction et a pour mission de concevoir l’œuvre et de
contrôler l’exécution de l’ensemble des travaux ; généralement il est architecte, mais il peut être aussi
ingénieur-conseil voire entrepreneur.
2. Cette définition est la reproduction presque identique de celle que donne la Cour de cassation :
ex. : Cass. civ. 1re, 19 février 1968, Bull. civ. I, no 69 ; D. 1968.393 ; JCP G 1968.II.15490 ; RTD civ.
1968.558, obs. G. Cornu : « le contrat d’entreprise est la convention par laquelle une personne charge
un entrepreneur d’exécuter, en toute indépendance, un ouvrage ; il en résulte que ce contrat, relatif à
de simples actes matériels, ne confère à l’entrepreneur aucun pouvoir de représentation » ; le mandat,
au contraire, suppose que le mandataire ait le pouvoir de faire des actes juridiques et confère un pou-
voir de représentation, supra, no 541. Biblio. : F. LEDUC, « Deux contrats en quête d’identité, les avatars
de la distinction entre le contrat de mandat et le contrat d’entreprise », Études offertes à G. Viney,
LGDJ, 2008, p. 595 s.
3. Cass. civ. 3e, 17 décembre 1997, supra, no 702 : il est « présumé conclu à titre onéreux ».
4. Supra, nos 73-77.
5. Supra, nos 618-619.
6. Supra, no 76.
442 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION I
CONTRAT D’ENTREPRISE ET MANDAT
Contrat d’entreprise et mandat ont l’un et l’autre pour objet des prestations de
services. Les intérêts de la distinction (§ 2) impliquent l’examen des éléments
caractéristiques de chacun de ces contrats (§ 1).
§ 1. ÉLÉMENTS DISTINCTIFS
709. Acte « matériel » et « personnel ». – Le contrat d’entreprise et le mandat
obligent l’un et l’autre à des services, mais leur objet respectif présente deux dif-
férences fondamentales ; la difficulté apparaît lorsqu’une personne agit pour
autrui. Est-ce un mandat ou un contrat d’entreprise ?
D’une part, le mandat a pour objet principal des actes juridiques8 ; le manda-
taire exerce sa volonté en accomplissant des actes juridiques, dans l’intérêt du
mandant ; par exemple, le mandataire conclut des ventes pour le compte du man-
dant. Alors que le contrat d’entreprise est traditionnellement relatif à des actes
matériels : par exemple, le médecin dispense des soins, l’architecte conçoit une
construction9, etc. Mais depuis plus de cinquante ans, ce contrat a subi une déma-
térialisation importante10 ; selon le Code Napoléon, le louage d’ouvrage consistait
uniquement en une prestation matérielle11 ; aujourd’hui, il peut avoir pour objet
une activité intellectuelle12, mais il n’est pas alors complètement soumis aux
règles du contrat d’entreprise13 ; sans doute, comme on l’a dit joliment, parce
que ces prestations « se consomment par leur délivrance même »14.
Dans les professions libérales, la distinction entre le mandat et le contrat d’entreprise est diffi-
cile pour deux raisons : la prestation due par un notaire, un avocat ou un architecte est aussi
immatérielle que celle d’un mandataire ; ces professions reposent, comme le mandat, sur la
confiance ; en outre, le service dû par ces professionnels est souvent lié à un acte juridique :
l’avocat ou le notaire donnent un conseil ou une consultation, avant de participer à la conclu-
sion d’un acte. De son côté, le mandat professionnel implique l’exercice d’un devoir de conseil,
qui s’ajoute à l’exécution de la mission. Sont entrepreneurs... le notaire, lorsqu’il rédige un acte,
... l’avocat, lorsqu’il délivre une consultation, ... l’architecte, lorsqu’il dessine un projet... (ce
sont leurs activités principales) ; ce rapprochement explique certaines règles communes, notam-
ment celles qui ont trait à la fixation et à la révision des honoraires15. De plus, un mandat
s’ajoute souvent au contrat d’entreprise.
commis une faute de gestion ou si elle limite une obligation essentielle25. L’expérience du client
doit aussi être prise en compte pour atténuer ou supprimer la responsabilité de l’intermédiaire26.
Un auteur estime que le contrat de gestion est principalement un contrat d’entreprise27.
tenue d’assurer la surveillance de l’évolution de son compte, sauf si elle avait reçu de celle-ci des mises
en garde » ; en l’espèce, Mme B. de H. avait donné à une société de bourse un mandat de gérer un
portefeuille de valeurs mobilières ; au bout de trois mois, des pertes importantes en étaient résultées,
à cause de la « pratique anormalement spéculative » adoptée par la sté ; la cour d’appel avait décidé
que Mme B. de H. en était en partie responsable « en ne réagissant pas à la réception d’avis d’opéra-
tions portant sur des montants anormaux » ; cassation.
25. Paris, 23 septembre 1993, D. 1994, somm., 213, obs. Ph. Delebecque, 1995, somm., 199, obs.
I. Bon-Garcin ; RTD com. 1994.87, obs. M. Cabrillac et Teyssié ; V. égal. STORCK, RTD com. 1999.158.
Sur l’obligation essentielle, v. Th. BONNEAU, passim.
26. Ex. : Cass. civ. 1re, 13 octobre 1998, Bull. civ. I, no 296 : le client « opérateur averti, (ce qui
exclut) un manquement à l’obligation de conseil ».
27. P.-F. CUIF, Le contrat de gestion, th. Paris I, Economica, 2004, préf. L. Aynès.
28. Supra, no 539.
29. Cass. civ. 1re, 6 mars 1996, Bull. civ. I, no 114 ; D. 1997.223, n. Amar-Layan.
30. Sur cette qualification : Cass. civ. 3e, 17 juin 2009, no 08-13833, Bull. civ. III, no 148 ; D. 2009.
2724, n. N. Dissaux ; Defrénois 2009. 2329, obs. R. Libchaber : est un mandat d’entremise le contrat
qui donne « pouvoir de mettre en vente l’immeuble et de trouver acquéreur, sans autorisation d’ac-
cepter une offre d’achat ni de conclure la vente » ; Chr. ATIAS, « Mandat de vendre et offre de vente
(protection du client de l’agent immobilier et protection du vendeur) », D. 2003.1922.
31. Ex. : est soumis à la loi Hoguet l’agent dont le mandat prévoit qu’il a pour mission de réaliser
l’achat, la vente, l’échange d’immeuble, la vente de fonds de commerce : Cass. com., 7 juillet 2004,
Bull. civ. IV, no 147 ; D. 2004.2230, obs. Y. Rouquet : ne lui est pas soumis l’agent dont le contrat
prévoit... qu’il n’est qu’un représentant mandataire du vendeur : Cass. civ. 1re, 19 janvier 1979,
Bull. civ. I, no 17... qu’il a une mission de conception, d’assistance et de commercialisation :
Cass. civ. 1re, 1er décembre 1993, Bull. civ. I, no 349, etc.
32. Cass. civ. 1re, 2 décembre 2015, nº 14-17. 211, Contrats, conc. consom. 2016, nº 59,
n. L. Leveneur ; Bull. civ. I à paraître : « la preuve de l’existence et de l’étendue du mandat de gestion
immobilière délivré à un professionnel ne peut être rapportée que par écrit. Ni le mandat apparent, ni
la ratification de l’acte ne peuvent tenir en échec ces règles impératives ». Ne constituent pas le man-
dat écrit... un bon de visite : Cass. civ. 1re, 3 avril 2002, Bull. civ. I, no 103 ; JCP G 2003.II.10119)... une
promesse de vente : Cass. civ. 1re, 27 janvier 1987, Bull. civ. I, no 27. Il n’est cependant pas nécessaire
que cet écrit soit un acte authentique : Cass. civ. 1re, 9 décembre 2010, no 09-71205, Bull. civ. I,
no 253 ; JCP G 2010.1268.
NOTION DE CONTRAT D’ENTREPRISE 445
Les nullités39 résultant de cette réglementation sont d’ordre public, absolues40 et donc suscep-
tibles d’être invoquées par les tiers intéressés Lorsque le mandat est nul, le mandataire ne peut
ni... prétendre à une rémunération41... invoquer la clause pénale stipulée dans le contrat... obte-
nir des dommages-intérêts si l’acquéreur ou le vendeur refusent de réaliser l’acte42 ; les règles de
l’enrichissement injuste sont également exclues43. Mais malgré la nullité de l’acte, le mandant
peut, après coup, s’engager à payer l’agent44.
33. Cass. civ., 5 mai 1982, Bull. civ. I, no 159 ; JCP G 1982.II.20064 ; RTD civ. 1983.355, obs.
Ph. Rémy ; RDI 1982.536, obs. C. Saint-Alary-Houin : « Un mandat à durée déterminée, mais conte-
nant une clause de renouvellement indéfini par tacite reconduction, n’est pas limité dans le temps » et
est donc entièrement nul. La Cour de cassation a ultérieurement cantonné cette jurisprudence : pour la
première période, le mandat est limité dans le temps et par conséquent, à cet égard, régulier. Ex. :
Cass. civ. 1re, 10 juin 1987, Bull. civ. I, no 184 : « Un contrat de durée limitée contenant une clause
de renouvellement indéfini par tacite reconduction n’est pas nul dès son origine, seule la clause de
renouvellement étant atteinte ». Elle a également décidé que le mandat à durée déterminée... avec
un seul renouvellement par tacite reconduction était valable : Cass. civ. 1re, 9 mai 1990, Bull. civ. I,
no 95 ; RDI 1990.386. Le droit de la consommation (C. consom., art. L. 215-1, réd. L. 28 janvier
2005) a modifié la tacite reconduction des contrats conclus par un professionnel avec des consomma-
teurs : Les obligations, coll. Droit civil.
34. Cass. civ. 1re, 9 novembre 1999, Bull. civ. I, no 292 ; Contrats, conc. consom. 2000, comm.
no 38, n. Leveneur ; en l’espèce, la commission avait été « fixée selon le prix de l’acquisition lequel
était compris entre 3 500 000 et 4 000 000 F » ; jugé que le mandat était nul « car il ne précisait pas
les conditions de détermination de la rémunération ».
35. Cass. civ. 1re, 25 février 2010, no 08-14787, Bull. civ. I no 45 ; Contrats, conc. consom. 2010,
no 116, n. L. Leveneur ; JCP G 2010, no 625, n. N. Dissaux, qui exige cette formalité pour la validité
de l’acte même, au moins lorsque le mandat est exclusif.
36. Cass. civ. 1re, 5 avril 2012, no 11-15569, Bull. civ. I, no 81 ; en l’espèce, l’agent immobilier
dépourvu de carte professionnelle avait pourtant reçu d’un promoteur immobilier le mandat écrit de
commercialiser divers programmes immobiliers.
37. Cass. civ. 1re, 8 mars 2012, no 11-14234, Bull. civ. I, no 47.
38. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 11 mars 2009, no 07-20509, D. 2009.873,
n. Y. Rouquet ; Bull. civ. III, no 60 : « aucune somme d’argent n’est due, à quelque titre que ce soit, à
l’agent immobilier, avant que l’opération pour laquelle il a reçu un mandat écrit, ait été effectivement
conclue... » (les acheteurs avaient renoncé à la vente). Le principe est le même, lorsque la vente était
affectée d’une condition suspensive qui ne se réalise pas : Cass. civ. 3e, 19 mai 1999, Bull. civ. III,
no 120 ; Contrats, conc. consom. 1999, comm. no 141, n. L. Leveneur ; D. 2000.692, n. I. Ardeef ;
JCP G 2000.II.10336, n. J.-L. Elhoueiss : « À défaut de réalisation effective de l’opération, l’agent n’a
pas droit au paiement de la commission contractuelle non convenue ».
39. Critiques : E. MEILLER, « La distinction du formalisme et de la formalité, Réflexion sur les prescrip-
tions imposées au mandat de l’agent immobilier », D. 2012.160. Sans écrit, pas de paiement, même
sur le fondement de la gestion d’affaires : Cass. civ. 1re, 22 mars 2012, no 11-13000, D. 2012.879,
n. Y. Rouquet ; Bull. civ. I, nº 72.
40. Cass. civ. 1re, 18 octobre 2005, Bull. civ. I, no 363 ; en l’espèce, le mandat conféré à l’agent était
d’une durée indéterminée ; jugé qu’il était nul, d’une nullité absolue et ne pouvait donc être confirmé.
41. Cass. civ. 1re, 3 mars 1998, Bull. civ. I, no 91.
42. Cass. com., 15 décembre 1987, Bull. civ. IV, no 271.
43. Cass. civ. 1re, 18 juin 2014, no 13-13553, Bull. civ. I nº 110, RTD civ. 2014. 671, obs.
P.-Y. Gautier.
44. Cass. civ. 1re, 14 juin 1988, Bull. civ. I, no 185 : « cette convention n’est valable que si elle est
postérieure à la réitération de la vente par acte authentique » ; contra : Cass. civ. 3e, 14 janvier 2016,
nº 14-23898, Bull. civ. III à paraître ; D. 2016. 201, au sujet d’un syndic de copropriété : la nullité
résultant du défaut d’écrit ne saurait être suppléée a posteriori par un vote d’assemblée générale, vali-
dant sa rémunération.
446 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Le propriétaire n’est pas obligé d’accepter l’offre d’achat45 présentée par l’agent ; mais il
engage sa responsabilité et doit indemniser l’agent, s’il conclut l’affaire soit par lui-même, soit
par un nouvel agent, alors que le client avait été présenté par le premier46. De même, l’acheteur
ou le vendeur doit, non les honoraires, mais indemniser l’agent immobilier s’il lui a fait perdre la
vente par ses manœuvres dolosives ou par la fraude47. L’agent peut insérer une clause prévoyant
qu’il recevra sa commission ; elle doit être apparente et ne pas dépasser le montant convenu
(art. 78, al. 1, D. 1972, modif. D. 24 juin 2015).
Lorsque le propriétaire a donné un mandat non exclusif à plusieurs agents il ne doit de rému-
nération qu’à celui qui a négocié la vente48. Si la rémunération est excessive, elle peut
être réduite49. La loi du 24 mars 2014 dispose qu’elle peut être plafonnée par décret (art. 6
préc., L. 1970), un remboursement est possible, « lorsque la prestation fournie à un client n’est
pas conforme à la nature promise » (ib.). Mais ces règles ne s’appliquent pas aux conventions
conclues entre agents immobiliers50. L’agent immobilier ne garantit pas au propriétaire la solva-
bilité du locataire qu’il lui a présenté, s’il a procédé à des vérifications sérieuses51.
45. Cass. civ. 1re, 28 juin 2012, no 10-20492, Bull. civ. I, no 143 ; RTD civ. 2012. 743, obs.
P.-Y. Gautier : « le mandat d’entremise [...] ne lui permet pas d’engager son mandant pour l’opération
envisagée, à moins qu’une clause de ce mandat ne l’y autorise expressément », pas de commission,
sauf clause pénale ou faute du mandant.
46. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 juin 2010, motifs, no 09-14949, Bull. civ. III, no 112 ; D. 2012.62,
n. Y. Dagorne-Labbe ; RTD civ. 2010.581, obs. P.-Y. Gautier : « la constatation de manœuvres fraudu-
leuses destinées à éluder la commission d‘un agent immobilier n’ouvre pas droit au paiement de la
commission contractuellement prévue, mais seulement à la réparation de son préjudice par l’allocation
de dommages-intérêts ».
47. Jurisprudence plusieurs fois réitérée ; ex. : Cass. civ. 3e, 8 juin 2010, préc.
48. Ex. : Cass. civ. 1re, 9 juillet 2002, 2 arrêts, Bull. civ. I, no 184 ; Contrats, conc. consom. 2002,
comm. no 170, n. L. Leveneur ; JCP G IV, nos 2515 et 2516 : « lorsqu’une personne a donné à plusieurs
agents immobiliers un mandat non exclusif de vendre le même bien, elle n’est tenue de payer une
rémunération qu’à celui par l’entremise duquel l’opération a été effectivement conclue, au sens de
l’art. 6 de la loi du 2 janvier 1970 et cela même si l’acquéreur lui avait été précédemment présenté
par un autre agent immobilier, sauf à ce dernier à prétendre à l’attribution de dommages-intérêts en
prouvant une faute du vendeur qui l’aurait privé de la réalisation de la vente ».
49. Cass. civ. 1re, 2 juin 1993, Bull. civ. I, no 198 ; en l’espèce, la cour d’appel avait souverainement
décidé qu’une rémunération de 5 % n’était pas excessive : rejet du pourvoi ; elle avait aussi dit que le
juge n’avait pas le pouvoir de réduire « le montant de la commission [...] librement convenu entre les
parties » ; la Cour de cassation a dit que ce motif avait été « justement critiqué ».
50. Cass. civ. 1re, 3 janvier 1996, Bull. civ. I, no 1 : « Vu les articles 1 et 6 de la L. du 2 janvier 1970 et
72 du D. du 20 juillet 1972 ; les dispositions protectrices édictées par ces textes, en faveur des ven-
deurs et des acquéreurs, ne sont pas applicables aux conventions de rémunération conclues entre
agents immobiliers ».
51. Paris, 19 juillet 2006, JCP G 2006.IV.2970 : condamnation de l’agent négligent et réparation de
la perte d’une chance de percevoir les loyers impayés.
52. Étymologie de promotion : du latin promoveo, ere = faire avancer, mettre en mouvement. Le
promoteur met en mouvement et fait avancer la construction.
53. Cass. civ. 3e, 6 novembre 1985, Bull. civ. III, no 140 ; RTD civ. 1986.373, obs. Ph. Rémy : il n’y a
pas de contrat de promotion immobilière lorsqu’il y a simplement eu une « rénovation » de l’im-
meuble, parce qu’il n’y a pas eu de « construction » d’un ouvrage : « Les appartements avaient été
vendus clefs en main après la transformation de l’hôtel en immeuble d’habitation ».
NOTION DE CONTRAT D’ENTREPRISE 447
avec les architectes) – à cet égard il est un mandat. Après les hésitations de la
jurisprudence, la loi a tranché en faveur du mandat (art. 1831-1), bien qu’elle
eût imposé au promoteur des obligations dépassant celles d’un mandataire,
notamment la garantie des vices cachés et la prise en charge des dépassements
du prix. La Cour de cassation en a déduit que le maître de l’ouvrage pouvait être
condamné à payer les travaux réalisés par l’entrepreneur avec lequel le promo-
teur avait traité, parce que celui-ci avait agi en qualité de mandataire du maître de
l’ouvrage54 ; cette décision a permis au constructeur d’échapper à la loi du
concours auquel l’exposait la procédure collective à laquelle avait été soumis le
promoteur.
Le promoteur peut s’engager à réaliser lui-même le programme immobilier : il devient un
entrepreneur (art. 1831-1, al. 2). Il est alors nécessaire de savoir s’il agit en qualité d’entrepreneur
(il a promis de construire) ou de mandataire (il a géré une opération immobilière). Par exemple,
afin de savoir si le contrat qu’il conclut avec une personne chargée de la construction constitue
une sous-traitance ou l’exécution d’un mandat55.
713. Pompes funèbres. – Le contrat passé par le futur défunt ou sa famille avec une entre-
prise de pompes funèbres relève d’une qualification distributive. D’une part, cette entreprise est
un mandataire lorsqu’elle sert d’intermédiaire entre la famille et des tiers (propriétaire du cime-
tière, ministre du culte, etc.) pour conclure des actes avec eux. D’autre part, elle est un entre-
preneur lorsqu’elle accomplit la sépulture (inhumation ou incinération), qui est un acte
matériel56.
54. Cass. civ. 3e, 8 mars 1977, Gaz. Pal. 1977.II.421 ; RTD civ. 1977.787, obs. G. Cornu.
55. Cass. civ. 3e, 5 juin 1985, Bull. civ. III, no 89.
56. La Cour de cassation en a tiré pour conséquence que les juges ne pouvaient réviser ses prix, ce
qui est inopportun à cause du risque d’abus propre à ce genre d’entreprise, qui a pour clientèle des
gens dont la souffrance altère le consentement (Cass. civ., 23 octobre 1945, S. 1948.I.144 ; RTD civ.
1949.99, obs. J. Carbonnier).
57. Ch. LACHIÈZE, Les agents de voyage, Litec, 2007 ; du même auteur, Droit du tourisme, LexisNe-
xis, 2014 ; P. COUVRAT, Les agences de voyage en droit français, th. Poitiers, LGDJ, 1967, préf.
G. Cornu ; Fr. BOULANGER, Tourisme et loisirs dans les droits européens, Economica, 1996.
58. Ex. : Cass. civ. 1re, 30 janvier 2007, no 05-20050 ; JCP G 2007.II.10060, n. M. Poumarède ;
n.p.B. : « C’est à bon droit que le juge de proximité a retenu que la responsabilité de l’agence, dont
le mandat s’était limité à la délivrance de billets d’avion, ne pouvait être engagée en l’absence de
faute ». En l’espèce, l’agence avait vendu un billet de transport aérien aller et retour ; lors du retour,
la cie aérienne fut mise en liquidation judiciaire ; jugé que l’agence n’en était pas responsable, car
« l’inefficacité du titre était due à des circonstances extérieures au contrat » et « la solution de rempla-
cement » proposée par l’agence avait été refusé par le client.
59. Cass. civ. 1re, 30 octobre 2007, no 06-18510, Bull. civ. I, no 331 ; JCP G 2008.I.10039,
n. E. Bazin ; « la responsabilité de l’agence de voyage qui se borne à délivrer des titres de transport
est engagée en cas de faute prouvée » ; même situation que dans l’espèce précédente, sauf que
l’agence « se présente clairement comme partie contractante, le nom du transporteur n’apparaissant
qu’en petites lettres », puis écrivant au client « nous essaierons de défendre au mieux vos intérêts et
gérerons au cas par cas les dossiers aériens » ; jugé qu’elle était responsable de la défaillance du trans-
porteur.
60. Cass. civ. 1re, 27 octobre 1970, sté croisière et tourisme, Bull. civ. I, no 284 ; D. 1971.449,
n. P. Couvrat ; JCP G 1971.II.16624, n. R. Rodière ; RTD civ. 1974.392, obs. G. Cornu : « La cour d’ap-
pel retient que le rôle de la société de tourisme ne s’est pas limité à celui d’un simple intermédiaire,
mais qu’elle a mis sur pied une organisation complète et dans tous ses détails d’un voyage comportant
448 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
(un « tour operator »). Elle est alors responsable de plein droit des obligations
qu’elle prend – celles qu’elle doit elle-même exécuter ou faire exécuter par d’au-
tres. Elle n’échappe à cette responsabilité qu’en démontrant la force majeure, ou
le fait du contractant ou celui d’un tiers « étranger à la fourniture des prestations
prévues au contrat »61. En outre, elle est tenue d’une obligation d’information
(C. tour., art. L. 211-8 et 9).
Elle est régie par le Code du tourisme, transposant pour partie le droit commu-
nautaire ; également par le Code de la consommation (art. L. 221-1 et s., sur les
contrats conclus sur l’Internet). L’agent de voyages qui ne vérifie pas la réalité
des prestations promises peut être pénalement puni pour tromperie sur les qualités
de la prestation de service (C. consom., art. L. 441-1)62.
715. Sponsoring. – Le contrat de sponsoring63 recouvre deux réalités différentes selon qu’il
est pratiqué dans le commerce international ou dans la publicité. Dans le commerce
international64, une entreprise qui veut conclure un marché dans un pays étranger, notamment
ceux du Golfe, doit conclure un contrat avec un sponsor national de ce pays, à la fois garant
(moral) et courtier officieux, qui pour cet office perçoit une commission souvent substantielle (10
à 15 % du marché). Dans certains pays (ex. : l’Arabie Saoudite), le sponsor est souvent remplacé
par une joint-venture. La publicité aussi utilise le sponsoring65 ; une entreprise finance en tout ou
en partie certains projets – artistiques (ex. : une représentation à l’opéra ou une acquisition
d’œuvre d’art par le Musée du Louvre) ou sportifs (ex. : une course de voiliers) – au bénéfice
d’un parrainé qui en contrepartie lui assure la publicité de son nom ou de sa marque. Il s’agit
d’un contrat innommé (mélange d’entreprises réciproques, de prêt à usage et de donation avec
charges) soumis au droit de la publicité. Il est étroitement encadré (ex. : loi Evin de 1991 sur
l’alcool et le tabac).
§ 2. INTÉRÊTS DE LA DISTINCTION
l’utilisation de nombreux moyens de transport différents et qu’elle assurait diverses prestations telles
que logement, nourriture et distraction ; dès lors, l’arrêt attaqué a pu considérer que la société avait
agi en qualité d’entrepreneur... ».
61. Ex. : Cass. civ. 1re, 2 novembre 2005, Bull. civ. I, no 401 ; JCP G 2006.II.10018,
n. M. Poumarède ; D. 2006.1016, n. J.-Y. Maréchal ; RTD civ. 2006.329, obs. P. Jourdain ; Contrats,
conc. consom. 2006.41, n. L. Leveneur : en l’espèce, un touriste avait fait une chute dans l’escalier
de son hôtel à l’étranger ; même si elle n’y est pour rien, l’agence en est responsable de plein droit,
si elle a organisé le voyage, dès lors qu’elle n’établit ni la faute de la victime (dont le rôle actif ne
suffirait pas) ni une cause étrangère. La faute du prestataire semble également indifférente.
62. Cass. crim., 17 mars 1993, JCP G 1994.II.22192, n. crit. P. Couvrat.
63. Étymologie de sponsoring : du latin spondeo, ere = promettre, garantir, parrainer.
64. M. DUBISSON, « Le contrat de sponsor pour l’obtention d’un marché international », JCP G 1983,
C.I., 14027.
65. D. ROSKIS, « Le parrainage publicitaire », D. 1999, chron. 443 ; LAPOYADE-DESCHAMPS, « Le sponso-
ring », in Ét. Derruppé, Litec, 1991, p. 125 et s. ; HUGUET, « À propos du contrat de sponsoring, le par-
rainage publicitaire », JCP Cl, 1980.I.8940.
NOTION DE CONTRAT D’ENTREPRISE 449
rémunèrent des services intellectuels (médecins66, avocats, architectes, conseils, etc.). Mais il ne
peut réviser un devis stipulé dans un contrat de construction. Enfin, la sous-traitance est diffé-
rente du sous-mandat.
SECTION II
CONTRAT D’ENTREPRISE ET CONTRAT DE TRAVAIL
Contrat d’entreprise et contrat de travail ont l’un et l’autre pour objet un travail
pour autrui. Il est utile d’en déterminer les éléments distinctifs à cause des intérêts
qui s’y attachent.
Le critère le plus sûr se trouve dans la notion de clientèle : l’entrepreneur n’a pas
de patron, mais des clients. C’est un homme libre, autant qu’on peut l’être dans
l’exercice d’une profession où « le client est roi ». Le contrat d’entreprise est le
levier majeur de l’esprit d’entreprise – de création, de risque, de liberté —. Il est
la base de la profession libérale, et du dynamisme dans une économie libérale.
66. Ex. : Cass. civ. 1re, 18 juin 1970, Bull. civ. I, no 210 : le praticien (un dentiste) avait « l’obligation
d’aviser à l’avance sa cliente du taux particulièrement élevé de ses honoraires » ; l’arrêt souligne que le
Code de déontologie impose aux médecins d’établir leurs honoraires avec « tact et mesure », ce qui
est la même idée. Sur le prix, infra, nos 766 et s.
67. Ex. : Cass. civ. 3e, 2 octobre 1979, Bull. civ. III, no 164 : « Les éléments du contrat impliquant que
celui qui devait faire le travail avait conservé une indépendance dans l’exécution des travaux, les juges
d’appel ont pu qualifier de contrat d’entreprise la convention intervenue entre les parties ».
68. Th. REVET, La force de travail, th. Montpellier, Litec, 1992 ; « L’objet du contrat de travail »,
Dr. soc. 1992.859.
69. Sur l’indépendance de l’entrepreneur, tel qu’un professeur de droit, TGI Versailles, 28 mars
2006, D. 2006, IR, 1631 ; RTD civ. 2006.576, obs. P.-Y. Gautier.
450 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Les intérêts majeurs sont ailleurs : d’abord le salarié ne peut jamais être com-
merçant ou artisan, au contraire de l’entrepreneur. En outre, les risques sont à la
charge de l’entrepreneur (art. 1790)70 ; si la chose qu’il a faite est détruite par force
majeure avant la livraison, il n’a droit à aucune rémunération, alors que le salarié
conserve le droit à son salaire. L’entrepreneur répond de toutes ses fautes et de
son retard, alors que le salarié n’est responsable que de sa faute lourde.
Il existe un autre intérêt, moins important : à la différence de la rémunération de l’entrepre-
neur, les créances de salaire bénéficient d’un privilège général (art. 2331).
1. Biblio. : S. MOREIL, Les obligations nées du contrat d’entreprise, th. Paris II, Panthéon-Assas, 2009.
n CHAPITRE I n
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR
739. Travail et garantie. Délai. – À première vue, il est facile de déterminer les
obligations de l’entrepreneur qui doit accomplir le travail promis. Par exemple, le
médecin doit soigner, le transporteur transporter, le réparateur réparer, etc.
À la différence du vendeur ou du bailleur de chose, il ne doit pas, en général, puisqu’il s’agit
d’une activité, la garantie de conformité ; celle-ci est en effet liée à la fabrication ou à la remise
d’une chose1. Il en est autrement dans deux hypothèses : s’il a fourni la matière, il est tenu de la
garantie du vendeur ; et, surtout, s’il est constructeur : il a la maîtrise de l’ensemble de la chose2.
S’il fabrique le bien, il doit le délivrer au client dans le délai convenu ou d’usage (C. consom.,
art. L. 111-1, dans les rapports avec les consommateurs). L’entrepreneur doit accomplir son tra-
vail dans le délai convenu et, s’il n’en a pas été fixé, dans un « délai raisonnable »3. Il n’engage
sa responsabilité envers les tiers qu’en cas de faute prouvée de sa part, leur causant un dommage
(sauf à ce que ceux-ci se prévalent du contrat selon la règle générale, s’il l’a mal exécuté).
Les obligations de l’entrepreneur sont complexes, car leur étendue est variable
(Section I), comme l’est leur mode d’exécution (Section II).
SECTION I
ÉTENDUE
1. PLANIOL et RIPERT, t. XI, par A. Rouast, no 928 ; le contraire est parfois enseigné : v. B. GROSS, La
notion d’obligation de garantie dans le droit des contrats, th. Nancy, LGDJ, 1964, no 28 ; les arrêts
cités par cet auteur se réfèrent au contrat de construction, prévoyant que la garantie est due, même
en dehors du domaine de l’article 1792. Ex. : * Cass. com., 4 juillet 1989, sté commercial Union Insu-
rance Company ltd, supra, no 76. En l’espèce, une entreprise avait commandé « une installation de
distillation » qui s’était révélée défectueuse ; il s’agissait de savoir « s’il y avait lieu de faire application
de la clause limitative de responsabilité ». Elle eût été nulle s’il s’était agi d’une vente ; jugé qu’elle était
valable, parce que le contrat était un contrat d’entreprise.
2. Infra, nos 745 et s.
3. Cass. civ. 3e, 16 mars 2011, no 10-14051, Bull. civ. III, no 35 ; Contrats, conc. consom. 2011,
no 135, n. L. Leveneur (travaux de peinture).
454 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
En revanche, sauf mandat spécial, il n’a pas qualité pour représenter le maître dans la conclu-
sion d’actes juridiques4.
§ 1. ACCOMPLISSEMENT DU TRAVAIL
4. Cass. civ. 3e, 17 février 1999, Bull. civ. III, no 40 ; D. Aff. 1999.551 : « Le contrat de louage d’ou-
vrage ne confère pas de plein droit au maître d’œuvre mandat de représenter le maître de
l’ouvrage... ».
5. Cass. civ., 20 mai 1936, GAJ civ., nos 162-163, Docteur Nicolas c. époux Mercier, DP 1936.I.88,
concl. P. Matter, rap. L. Josserand, n. E. P. ; S. 1937.I.321, n. A. Breton : « Il se forme, entre le médecin
et son client, un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon bien évidemment
de guérir le malade, ce qui d’ailleurs n’a jamais été allégué, du moins de lui donner des soins, non pas
quelconques, ainsi que paraît l’énoncer le moyen du pourvoi, mais consciencieux, attentifs, et réserve
faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ».
6. Jurisprudence plusieurs fois réitérée : Ex. : Cass. civ. 1re, 3 juin 2010, no 09-13591, Bull. civ. I,
no 128 ; D. 2010.1522, n. P. Sargos ; JCP G 2010.788, n. S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2010.571, obs.
P. Jourdain.
7. La Revue des contrats (2011.335 s.) a ouvert un débat sur l’existence actuelle de la responsabilité
médicale contractuelle : « Feu l’arrêt Mercier ! ». Pour son maintien : M. BACACHE (p. 335 s.), Fr. LEDUC
(p. 345 s.), Pour sa disparition : Ph. PIERRE (p. 357 s.)
8. Cass. civ. 1re, 1er juillet 1969, Bull. civ. I, no 260 ; D. 1969.640, n. G.C.M. ; JCP G 1969.II.16091,
concl. R. Lindon ; Gaz. Pal. 1969.II.154 : « Vu l’article 1147 ; l’obligation de conduire le voyageur sain
et sauf à destination résultant de l’article 1147 n’existe à la charge du transporteur que pendant l’exé-
cution du contrat de transport, c’est-à-dire à partir du moment où le voyageur commence à monter
dans le véhicule et jusqu’au moment où il achève d’en descendre ».
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 455
cause étrangère, mais aussi son absence de faute. La nuance apportée à la classification est donc
insuffisante : les obligations de l’entrepreneur sont toujours complexes.
En plus de la prestation principale, l’entrepreneur peut aussi être tenu d’obligations
accessoires9. Dans le contrat de construction, un tiers garantit souvent la livraison10.
9. Cass. civ. 1re, 2 octobre 2007, RDC 2008.402, obs. P. Puig ; n.p.B. : surveillance de bijoux remis
sur un plateau par la cliente dans un salon de coiffure : « obligation de veiller à la sécurité des bijoux »,
sans qu’il soit besoin de recourir à la qualification de dépôt nécessaire.
10. Cass. civ. 3e, 3 décembre 2008, no 07-20931 ; JCP G 2008, 741, obs. crit. D. Houtcieff : jugé que
le garant de livraison est dans ses rapports avec le constructeur, tenu de la charge définitive de la dette
et n’a donc pas de recours subrogatoire contre l’entrepreneur.
11. Mais la faute sera souvent facile à établir : ex. : un expert-comptable ayant mal vérifié les
comptes de son client : Cass. com., 3 juin 1997, D. Aff. 1997.1282 ; n.p.B.
12. Ex. : Cass. civ. 1re, 5 mars 1991, Contrats, conc. consom. 1991, comm. no 132, n. L. Leveneur ;
n.p.B. ; jugé que l’entrepreneur était responsable de l’incendie consécutif à l’installation électrique
qu’il avait effectuée : le travail « ne relevait pas d’une technique particulièrement élaborée et la tech-
nique à mettre en œuvre présentait suffisamment de certitude pour que la société Le Rest (le maître
d’ouvrage) puisse escompter la remise en état complète de ses équipements ».
13. J.-J. BURST, « L’assistance technique dans les contrats de transfert technologique », D. 1979,
chron. 1 ; jugé qu’une convention d’assistance technique fait naître une obligation de résultat :
Cass. civ. 1re, 8 janvier 1985, Bull. civ. I, no 12 ; RTD civ. 1986.138, obs. J. Huet : en l’espèce, une
société spécialisée dans les explosifs avait donné des conseils sur la manière de détruire un bâtiment
en le faisant sauter ; jugé qu’elle était responsable du dommage causé : « La convention ne se limitait
pas à de simples conseils mais avait comporté la direction des opérations ».
14. Infra, no 752.
456 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
industrialisés et dans les anciens dominions britanniques. Dans les conventions avec les pays de
l’Est, le contrat « clefs en main » est plus fréquemment utilisé ; dans les pays d’Afrique de l’Ouest
et du Nord, il s’agit surtout du contrat « produits en main »15 ; ces pratiques changent rapide-
ment.
plusieurs arrêts considèrent que l’obligation du garagiste varie selon que la panne est due à un
défaut antérieur à son intervention, ou en est la conséquence24.
24. Cass. civ. 1re, 4 mai 2012, no 11-13598, Bull. civ. I, no 104 ; RDC 2012. 1200, obs. O. Deshayes :
le client ne prouve pas que la panne du turbocompresseur soit due à un défaut antérieur que le gara-
giste n’aurait pas réparé lors de la révision générale.
25. Seine, 27 mars 1945, Gaz. Pal. 12 juin ; RTD civ. 1945.198, obs. J. Carbonnier ; infra, no 866.
26. Cass. civ. 1re, 7 février 1978, Bull. civ. I, no 46 : « Le tribunal d’instance a caractérisé un manque-
ment à l’obligation de moyens qui s’imposait (au teinturier) dans l’exercice de sa profession ».
27. Cass. civ. 1re, 7 février 1978, préc. : le teinturier n’avait pas vérifié si le procédé de nettoyage
était adapté au tissu qui lui avait été confié ; cf. aussi Cass. civ. 1re, 27 mai 1968, Bull. civ. I, no 153 :
vêtement rongé par l’eau de javel après nettoyage ; on ne sait qui avait mis ce produit corrosif : le
client avant le nettoyage ou le teinturier pendant ? Qui est responsable ? C’est le teinturier, s’il ne
prouve pas que c’est le client.
28. Les litiges sont, en général, relatifs à une même situation : la dégradation du vêtement après
nettoyage est imputable au vice de la matière tenant, soit à la nature ou à la qualité du tissu, soit aux
réparations antérieures. Le teinturier n’est pas responsable s’il n’avait pas été informé par le client des
particularités de l’objet qui lui avait été confié : Ex. : * Cass. civ. 1re, 9 avril 1957, teinturerie Renov’ex-
press, Bull. civ. I, no 179 ; RTD civ. 1957.552, obs. J. Carbonnier : « L’ouvrier n’est tenu que de sa faute,
au cas de détérioration des matières qu’il a reçues à façonner et il n’encourt aucune responsabilité, s’il
rapporte la preuve que la détérioration de la chose ne provient pas de son fait » ; le consommateur doit
informer le professionnel du vice caché anormal qu’il connaît. Il existe un devoir de collaboration
entre les parties (pour la vente, à l’égard du devoir de conseil, supra, no 316).
29. Ex. : Cass. civ. 1re, 20 décembre 1993, Bull. civ. I, no 376 : « Le teinturier, locateur d’ouvrage,
peut se libérer en établissant qu’il n’a commis aucune faute », par exemple « en produisant un rapport
amiable du Centre technique de la teinturerie et du nettoyage duquel il résultait que les reflets rougeâ-
tres constatés après le nettoyage étaient le résultat de salissures révélées par le nettoyage qui les avait
éliminées sans “faire disparaître le problème” (sic) ».
30. La cause étrangère n’est pas nécessairement la force majeure ; inutile par conséquent qu’elle
soit extérieure, inévitable et imprévisible : Cass. civ. 1re, 28 novembre 1973, Bull. civ. I, no 328.
31. Versailles, 3 mars 1983, Gaz. Pal. 4 octobre 1984.
32. Un silo peut constituer un ouvrage immobilier : Cass. civ. 1re, 20 décembre 1993, Bull. civ. I,
no 374 : « Le silo se présentait comme un ensemble très important et solidaire des pièces assemblées,
élevé à partir du sol sur des fondations et rivé à celles-ci ; (la cour d’appel) a justement retenu que ce
silo était un ouvrage au sens de l’article 1792, malgré la possibilité de son déplacement, lequel ne
pouvait s’effectuer qu’en recourant à des moyens très importants ».
458 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
33. Ex. : Cass. civ. 1re, 21 juin 1989, Bull. civ. I, no 248 : « La règle de garantie pendant dix ans par
l’assureur de responsabilité du constructeur étant, depuis la loi du 4 janvier 1978, d’ordre public »...
34. Droit de la construction, dir. Ph. Malinvaud, Dalloz Action 2014-2015 ; Ph. MALINVAUD et al.,
Droit de la promotion immobilière, Dalloz, 9e éd., 2015 ; J.-B. AUBY, H. PÉRINET-MARQUET et
R. NOGUELLOU, Droit de l’urbanisme et de la construction, LGDJ, coll. Domat, 10e éd., 2015.
35. Ce délai est une mise à l’épreuve du bâtiment : Cass. civ. 3e, 15 février 1989, Bull. civ. III, no 36,
arrêt no 1 : « Le délai de la garantie décennale étant un délai d’épreuve et non un délai de prescription,
toute action fondée sur cette garantie ne peut être exercée plus de dix ans après la réception ». Il est
susceptible d’interruption : Cass. civ. 3e, 31 janvier 1990, JCP G 1990.IV.121 ; n.p.B. (comp.
Ph. MALINVAUD et al., op. cit., no 145).
36. Cass. civ. 3e, 1er décembre 1999, Bull. civ. III, no 230 : « la mise en jeu de la garantie décennale
d’un constructeur n’exigeant pas la recherche de la cause des désordres ».
37. Cass. civ. 3e, 29 janvier 2003, 2e esp., Bull. civ. III, no 18 ; JCP G 2003.II.10077, concl. Guérin :
« les défauts de construction étaient de nature à porter atteinte à brève échéance et en tout cas avant
l’expiration du délai de garantie décennale, à la solidité de l’immeuble ».
38. G. LIET-VEAUX, « Aggravation des désordres et responsabilité décennale des constructeurs »,
JCP G 2004.I.110.
39. Cass. civ. 3e, 28 septembre 2005, Bull. civ. III, no 180 ; JCP G 2006.II.100010, n. C. Noblot ; RTD
civ. 2006.129, obs. P. Jourdain : « l’entrepreneur responsable des désordres de construction, ne peut
imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi ».
40. Cass. civ. 3e, 25 janvier 1989, Bull. civ. III, no 21 : « Les locataires-attributaires n’ayant ni la qua-
lité de propriétaire, ni celle de maître de l’ouvrage, ne peuvent fonder leur action sur l’article 1792 ».
41. Cass. civ. 3e, 11 décembre 1991, JCP G 1992.IV.524 ; n.p.B. : « Le maître de l’ouvrage peut, pos-
térieurement à la vente de l’immeuble construit, exercer l’action en garantie décennale si celle-ci pré-
sente pour lui un intérêt direct et certain ». Comp. supra, no 308.
42. Cass. civ. 3e, 7 septembre 2011, no 10-10596, Bull. civ. III, no 145 ; RTD civ. 2011. 778, obs.
P.-Y. Gautier.
43. Ex. : la force majeure résulte de variations anormales dans la composition chimique de l’eau,
entraînant la corrosion et la perforation des canalisations : Cass. civ. 3e, 19 mars 1985, Bull. civ. III,
n 57 ; cf. aussi Cass. civ. 3e, 10 octobre 1972, Bull. civ. III, no 508 ; D. 1973.378, n. J. M. ; RTD civ.
o
1974.161, obs. G. Durry (bactéries dans l’eau des tuyaux). La preuve de l’absence de faute ne suffit
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 459
d’un tiers ou de l’immixtion du maître de l’ouvrage44. En outre, s’il a été informé des risques de
désordre et a persisté, il n’y a pas non plus de responsabilité45.
pas. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 juin 1982, Bull. civ. I, no 230 : panne d’un chauffage central deux mois après
son installation : on ne peut exonérer l’entrepreneur en se bornant à dire qu’il n’a pas été prouvé que
la panne fût imputable aux travaux.
44. Ex. : Cass. civ. 3e, 7 mars 1990, Bull. civ. III, no 70 ; RDI 1990.375, obs. Ph. Malinvaud et
B. Boubli : le maître de l’ouvrage « avait pris le risque d’assumer personnellement la maîtrise d’œuvre
d’une opération dont il connaissait les difficultés ».
45. Cass. civ. 3e, 20 mars 2002, Bull. civ. III, no 68 ; Defrénois 2002.1029, obs. H. Périnet-Marquet ;
RDI 2002.236, obs. Ph. Malinvaud.
46. Cass. civ. 3e, 16 mai 2001, Bull. civ. III, no 62 ; D. 2002.833, n. J.-P. Karila : « Les peintures ayant
un rôle purement esthétique ne constituant pas un ouvrage, ni un élément d’équipement, seule était
applicable la responsabilité contractuelle de droit commun ».
47. *Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, Sté des Maisons Enec, Bull. civ. III, no 80 ; JCP G 1995 II 22416,
n. J. Fossereau : « Les désordres des plafonds et cloisons, non apparents à la réception, n’affectaient
pas des éléments d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement et, ne compromettant
ni la solidité ni la destination de la maison, n’étaient pas soumis non plus à la garantie décennale, la
cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant exactement que la garantie de
parfait achèvement due par l’entrepreneur concerné n’excluait pas la responsabilité contractuelle de
droit commun pour faute prouvée ».
48. Cass. civ. 3e, 17 novembre 1993, Bull. civ. III, no 147, RD crim. 1994.225, obs. Ph. Malinvaud et
B. Boubli : « La garantie de parfait achèvement applicable aux désordres ayant fait l’objet de réserves
lors de la réception n’étant due que par l’entrepreneur et laissant subsister la responsabilité de droit
commun des autres constructeurs ».
49. Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, Sté des Maisons Enec, préc.
50. Cass. civ. 3e, 10 avril 1996, Bull. civ. III, no 100 ; RTD civ. 1996.918, obs. P. Jourdain ; D. 1997,
somm. 349, obs. O. Tournafond : en l’espèce, un dommage corporel avait été causé à une personne
qui en rendit responsable le syndicat de copropriétaires, lequel se retourna contre le promoteur qui
opposa la forclusion biennale ; la cour d’appel fit droit à l’action en invoquant une obligation de sécu-
rité ; cassation : « Les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les
personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité
contractuelle de droit commun ».
51. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 juillet 1997, Bull. civ. I, no 243 ; D. 1998.566, n. F. Arhab : « D’une part,
compte tenu de la configuration des lieux, l’entrepreneur avait souscrit l’obligation, accessoire au
contrat d’entreprise, d’assurer le transport du meuble, à l’extérieur de l’immeuble abritant l’atelier
[...] ; d’autre part, au cours de ce transport une convention d’assistance était intervenue entre (l’artisan
et son client) ; cette convention d’assistance emportait nécessairement pour l’assisté l’obligation de
réparer les conséquences des dommages corporels subis par celui auquel il avait fait appel » ; en
460 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’espèce, alors qu’un artisan transportait un meuble qu’il venait de décaper, il s’était fait assister par le
client qui chuta ; jugé que l’artisan était civilement responsable.
52. Jurisprudence constante. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 janvier 1984, Bull. civ. III, no 5 ; RTD civ.
1984.741, obs. Ph. Rémy : « L’action dirigée contre l’entrepreneur par le maître de l’ouvrage subrogé
dans l’action des héritiers de la victime, a un fondement quasi délictuel, la victime et ses héritiers
n’ayant pas été parties au contrat d’entreprise ». En l’espèce, une personne était décédée à la suite
de l’effondrement d’un escalier ; ses héritiers avaient agi contre le propriétaire, qui s’était retourné
contre l’entrepreneur.
53. Cass. civ. 3e, 20 novembre 2001, Bull. civ. III, no 135 ; D. 2002.3299, n. A. Rabreau ; en l’es-
pèce, un entrepreneur avait, par ses travaux « causé des nuisances » à un voisin ; sur le recours du
maître de l’ouvrage, la cour d’appel l’en avait déclaré responsable par application de l’art. 1384,
al. 1 : « en sa qualité de gardien des machines, outils et engins utilisés dans le chantier qui ont joué
un rôle actif dans la survenance des nuisances ». Cassation : « la responsabilité de l’entrepreneur, vis-
à-vis du maître de l’ouvrage condamné à réparer les dommages causés à un tiers sur le fondement des
troubles anormaux de voisinage est de nature contractuelle, et le maître de l’ouvrage ne peut invoquer
une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur gardien du chantier ».
54. Ex. : L’architecte : Cass. civ. 3e, 23 juin 1976, Bull. civ. III, no 281 : « La qualification profession-
nelle de l’architecte lui faisait obligation de conseiller (le traitement du bois de charpente) lors des devis
et d’en contrôler l’efficacité lors de la réception » ; il doit également faire connaître et respecter les
règles d’urbanisme ; ex. : Cass. civ. 3e, 10 novembre 1998, Bull. civ. III, no 213 ; JCP G 1999.II.10007,
note G. Liet-Veaux. En revanche, si le budget dépasse les capacités financières du client, il n’a pas à le
mettre en garde : Cass. civ. 3e, 9 novembre 2005, Bull. civ. III, no 213 : « l’architecte n’est pas tenu de
renseigner le maître de l’ouvrage sur ses propres capacités financières ». L’entrepreneur de bâtiments :
Cass. civ. 1re, 20 juin 1995, Bull. civ. I, no 276 ; D. 1996, somm., 12, obs. G. Paisant : « L’obligation
d’information et de conseil de l’entrepreneur installateur de matériau lui impose d’appeler l’attention
du maître de l’ouvrage sur les inconvénients du produit choisi et sur les précautions à prendre pour sa
mise en œuvre, compte tenu de l’usage auquel ce matériau est destiné » ; jugé que l’entrepreneur était
responsable de la décoloration des tuiles fournies. L’avocat : Ex. : Cass. civ. 1re, 29 avril 1997, D. Aff.
1997.729 ; Contrats, conc. consom. no 111, n. L. Leveneur, no 213 ; n.p.B. : la cour d’appel avait
déclaré responsable l’avocat qui avait engagé une procédure vouée à l’échec ; pourvoi de l’avocat,
qui reprocha à l’arrêt d’avoir mis à sa charge « la preuve de ce qu’il s’était acquitté de son devoir de
conseil ». Rejet : « l’avocat est tenu d’une obligation particulière d’information et de conseil vis-à-vis de
son client et il lui importe de prouver qu’il a exécuté cette obligation ». Il est également tenu d’un
« devoir de compétence » : Cass. civ. 1re, 14 mai 2009, no 08-15899, JCP G 2009, no 94, obs. H. Slim ;
Bull. civ. I, no 92 ; RTD civ. 2009. 493, obs. P. Deumier, 725, obs. P Jourdain, 744, obs. P.-Y. Gautier.
Le revirement de jurisprudence doit être prévisible : Cass. civ. 1re, 15 déc. 2011, no 10-24550, JCP G
2012, no 169, n. H. Slim, Bull. civ. I, no 214. L’obligation de conseil est appliquée aux notaires : ex.
Cass. civ. 1re, 11 juillet 2006, Bull. civ. I, no 389 ; D. 2006, Jur. 2510, n. P.-Y. Gautier ;
JCP 2006.II.10191, n. M. Mekki ; Defrénois 2006.1890, n. F. Hebert : « tenu de conseiller les parties et
d’assurer l’efficacité des actes dressés, le notaire doit préalablement à l’authentification d’un acte de
vente, veiller au respect des droits du bénéficiaire du pacte, et, le cas échéant, refuser d’authentifier la
vente conclue en violation de ce pacte » ; L’avocat n’est pas tenu de conseiller « l’opportunité écono-
mique » de l’opération à laquelle il prête son concours : Cass. civ. 1re, 4 novembre 2011, no 10-19942,
Bull. civ. I, no 193 ; D. 2011.2793 ; Defrénois 2011.1649, n. M. Latina. Ni garantir son efficacité.
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 461
55. Cass. civ. 3e, 14 janvier 2009, no 07-20245, Bull. civ. III, no 8 ; JCP G 2009.IV.1242 : « le devoir
de conseil du maître d’œuvre ne l’oblige pas à rappeler au maître de l’ouvrage l’obligation de respec-
ter les prescriptions du permis de construire qui s’imposent à lui en vertu de la loi ».
56. Jurisprudence constante : Ex. : Cass. com., 12 mai 1966, Bull. civ. III, no 243 : le garagiste « ne
saurait être admis à réclamer (au client) le montant des travaux par lui effectués en pure perte, qu’ils
l’aient été ou non suivant les règles de l’art, ayant manqué à l’obligation professionnelle que sa qualité
de technicien spécialiste de la mécanique automobile lui faisait, de déconseiller à un client incompé-
tent des réparations que ce dernier pouvait croire à tort possibles et efficaces ».
57. Cass. civ. 1re, 2 décembre 1997, Bull. civ. I, no 339 ; Contrats, conc. consom. 1998, no 40,
n. L. Leveneur ; JCP G 1998.I.129, no 9, obs. F. Labarthe ; en l’espèce, un facteur d’orgue avait construit
un orgue, qui comportait des malfaçons ; la cour d’appel exonèra le facteur, car la pièce dans laquelle
se trouvait cet instrument avait de mauvaises conditions atmosphériques et hydrométriques et le pro-
priétaire n’avait pas pris les précautions nécessaires. Cassation : ces constatations « ne suffisaient pas à
exonérer M. Raupp (le facteur), tenu d’un devoir de conseil, de toute responsabilité ».
58. F. VINEY, À propos de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information, JCP G 2014, no 879.
V. égal. C. consom., art. L. 111-5. Ex. : médecin : C. santé publ., art. L. 1111-2 et s. ; en jurisprudence :
Cass. civ. 1re, 25 février 1997, Bull. civ. I, no 75 ; Defrénois 1997, article 36591, no 82, obs. J.-L. Aubert ;
Contrats, conc. consom. 1997, no 76 : « Le médecin est tenu d’une obligation particulière d’informa-
tion, vis-à-vis de son patient et il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation ». G. VINEY et
P. SARGOS, RDC 2012. 1104.
59. Cass. civ. 1re, 25 novembre 2015, nº 14-26245, RDC 2016. 221, obs. O. Deshayes ; Bull. civ. I à
paraître : le notaire qui a manqué à son obligation de conseil au sujet des conséquences d’une cession
d’entreprise, doit réparation à l’une des parties, même si l’autre est fautive : son obligation « ne pré-
sente pas de caractère subsidiaire [...] elle n’est pas subordonnée à une poursuite préalable contre un
autre débiteur ».
60. Ex. : il doit le prévenir des inconvénients qui découleront de la construction d’un immeuble, ou
de l’installation d’un chauffe-eau, ou de la taille d’une pierre précieuse, ou du nettoyage d’un vête-
ment, ou de la réparation d’une automobile, ou de la réalisation d’un programme informatique, etc. ;
Paris, 18 juin 1985, Gaz. Pal. 10 février 1986.
61. Cass. civ. 3e, 15 février 2006, Bull. civ. III, no 37 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 100,
n. L. Leveneur ; en l’espèce, l’exploitant d’un pub avait demandé à un entrepreneur de faire de travaux
d’aménagement de son établissement ; devant l’importance des frais d’isolation acoustique « afin
d’éviter toutes nuisances sonores au voisinage », il ordonna l’interruption des travaux ; cassation de
l’arrêt qui avait accueilli sa demande en paiement contre l’entrepreneur : « il appartenait à l’entrepre-
neur de se renseigner, même en présence d’un maître d’œuvre, sur la légalité des travaux ».
62. L’architecte commet une faute en ne vérifiant pas les charges légales et réglementaires grevant
un terrain sur lequel il construit : ex. : construire un immeuble élevé contrevenant aux règlements d’ur-
banisme : Cass. civ. 3e, 4 mars 1971, Bull. civ. III, no 163.
462 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
63. Ex. : entrepreneur : Cass. civ. 1re, 17 juillet 1967, Bull. civ. I, no 264 ; RTD civ. 1967.841, obs.
G. Cornu : « La responsabilité de l’architecte et de l’entrepreneur reste engagée, alors même qu’il n’a
fait que suivre les ordres du propriétaire pour le mode de construction ou l’emploi de matériaux, à
moins que le propriétaire ne soit notoirement compétent en matière de construction » ; depuis une
jurisprudence abondante et constante qui a commencé en 1995, il n’en est pas de même des notaires
(dont la responsabilité n’est pas contractuelle) ; ex. : Cass. civ. 1re, 4 avril 2001, Bull. civ. I, no 104 :
« tenu de conseiller les parties et d’assurer l’efficacité des actes dressés, le notaire doit, préalablement
à l’authentification d’un acte de vente, veiller au respect des droits du bénéficiaire du pacte, et, le cas
échéant, refuser d’authentifier la vente conclue en violation de ce pacte ».
64. Cass. civ. 3e, 25 novembre 1998, Bull. civ. III, no 220 ; en l’espèce, un commerçant, mécontent
de l’installation électrique de son magasin, demanda à un artisan électricien de la modifier, exigeant la
remise en place des lampes halogènes qui avaient déjà provoqué la surchauffe et qui la causèrent à
nouveau. Jugé que l’artisan n’était pas responsable de cette nouvelle surchauffe et devait être payé.
65. N. REBOUL, Les contrats de conseil, PUAM, 1999, nos 97 et s., 678 et s. ; J. BERNARD DE SAINT-
AFFRIQUE, « Du devoir de conseil », Defrénois 1995, art. 36134.
66. Un avocat est tenu à plusieurs obligations professionnelles. 1o Une obligation de conseil :
Cass. com., 2 avril 1974, Bull. civ. IV, no 119 (en qualité de rédacteur de l’acte) ; il doit informer le
client que l’existence d’une controverse juridique rend incertaine la validité de l’acte, si ce revirement
était alors prévisible : Cass. civ. 1re, 15 décembre 2011, no 10-24550, Bull. civ. I, no 214, RTD civ., 318,
obs. P. Jourdain ; JCP G 2012.169, n. H. Slim (supra, no 750). 2o Une obligation de vigilance :
Cass. civ. 1re, 28 juin 1983, Bull. civ. I, no 188 : un conseil fiscal doit rembourser le redressement fiscal
de son client s’il a mal contrôlé sa comptabilité et est à l’origine de déclarations fiscales erronées
(v. toutefois, lorsque le client est un homme d’affaires expérimenté, Paris, 24 mars 1988, D. 1988, IR,
123). 3o Une garantie de validité de l’acte qu’il rédige : Cass. com., 28 novembre 1984, Bull. civ. IV,
no 326 : rédaction par un avocat d’un contrat conclu par une société en « faillite » sans l’assistance de
l’administrateur. Cette obligation s’accroît lorsque l’acte est contresigné (nouvel art. 1374). 4o Une
obligation de s’informer : Cass. com., 13 octobre 2009, no 08-10430, n.p. B. ; D. 2009. 2842,
n. Y. Avril : en l’espèce l’avocat avait conseillé de nommer directeur général d’une société une per-
sonne qui ne pouvait légalement le faire ; il aurait dû s’en enquérir. Dans tous ces cas, la responsabilité
de l’avocat a été engagée.
67. Supra, no 742.
68. Un conseil financier, sollicité par un prêteur, commet une faute, s’il évalue l’immeuble hypo-
théqué en ne tenant compte que de l’hypothèse où l’immeuble serait vendu (ou saisi) par lots, non en
bloc (à un prix très inférieur) : Cass. civ. 1re, 31 janvier 1984, Bull. civ. I, no 43 : « Le professionnel qui
procède à la négociation d’un prêt doit vérifier la réalité et la valeur des garanties offertes par l’em-
prunteur ».
69. Cass. com., 2 juin 1987, D. 1987.500, n. A. Viandier.
70. Cass. civ. 3e, 30 mars 1989, Bull. civ. III, no 75 ; Defrénois 1989, article 34633, no 129, p. 1405,
obs. H. Souleau ; RDI 1989.359, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli ; jugé que la société de contrôle tech-
nique n’était pas en l’espèce responsable des désordres de la construction : « La sté Socotec avait mis
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 463
1967) qui font naître, tantôt une simple obligation de moyens lorsqu’il s’agit d’un
conseil dont la sagacité est aléatoire, tantôt, plus rarement, une obligation de
résultat, lorsqu’il s’agit de l’exactitude de l’information, dont la découverte n’est
pas aléatoire71. Ils impliquent, en outre, une étroite collaboration avec le client,
qui garde sa liberté de décision. C’est au débiteur de l’obligation de conseil qu’il
appartient de prouver qu’il a correctement exécuté son obligation, non à son
créancier (le client) d’en prouver la faute72.
Ainsi..., le conseiller en organisation d’entreprise doit réorganiser une entreprise, sans pour
autant promettre qu’elle fera désormais des bénéfices : il s’agit donc d’une obligation de
moyens73... ; l’agence de renseignements commerciaux doit informer son client de la situation
commerciale d’une entreprise, sans se contenter, ni de l’opinion de la place, ni de la commune
renommée74. Lorsqu’un acte est rédigé, l’obligation de conseil est due, non seulement au client
mais aussi à son contractant75. Lorsque le client est une personne physique agissant pour sa vie
domestique, le professionnel est soumis au droit de la consommation : écrit, information, clauses
abusives, montant des honoraires, interprétation du contrat, etc.76
753. Faute lourde, substance du contrat ; clause abusive. – L’étendue des obli-
gations découlant du contrat d’entreprise dépend de la volonté contractuelle ou
de dispositions légales. Comme en droit commun des obligations, les clauses déli-
mitant les obligations de l’entrepreneur, limitant ou écartant l’indemnité due en
raison de l’inexécution, sont valables dans le contrat d’entreprise77. Elles sont
en garde la sté Sopire Intermarché (le maître de l’ouvrage) en ce qui concerne les désordres de la
toiture, mais il n’en avait pas été tenu compte ».
71. Ex. : banquier, les deux situations : J. HUET, « L’existence d’un devoir de conseil du banquier »,
D. 2013. 2921.
72. Ex. : Cass. com., 22 mars 2011, no 10-13727, Bull. civ. IV, no 48 ; D. 2011.1010, obs. X. Delpech
et 1606, n. H. Causse ; RDC 2011.857, obs. A. Carval : « c’est à celui qui est légalement ou contrac-
tuellement tenu d’une obligation particulière d’information de rapporter la preuve de l’exécution de
cette obligation » ; la cour d’appel a privé la décision de base légale en déboutant la cliente de sa
demande « sans caractériser en quoi la société de bourse, qui avait, aux termes du contrat de conseil,
“accepté de conseiller dans le choix de ses investissements le titulaire du compte ouvert chez le dépo-
sitaire”, avait satisfait à son obligation » ; en l’espèce, il s’agissait d’un contrat de conseil d’investisse-
ment conclu avec une société de bourse, dont la gestion avait fait perdre au client d’importantes som-
mes. Sur l’action en responsabilité du client, jugé que c’était à la société de bourse de prouver qu’elle
avait correctement exécuté son obligation de conseil.
73. Paris, 23 janvier 1990, D. 1990, IR, 50.
74. Une agence de renseignements financiers n’est pas fautive du seul fait qu’elle n’avait pas prévu
la « faillite » ultérieure de la personne sur laquelle elle a donné des renseignements. Au contraire, elle
est fautive... si elle ne vérifie pas les renseignements fournis (Cass. com., 30 janvier 1974, Bull. civ. IV,
no 41 ; D. 1974.428, n. Tendler) ; ... si elle dit, à tort, qu’une personne... est propriétaire d’un immeuble
(Cass. com., 14 mars 1978, D. 1979.549, n. Tendler) ; ... est commerçante (Cass. com., 15 janvier
1980, Bull. civ. IV, no 18 ; Rev. sociétés, 1981.51, obs. Guilberteau).
75. Cass. civ. 1re, 27 novembre 2008, Bull. civ. I, no 267, D. 2009.706, n. Chr. Jamin ; RTD civ.
2009.134, obs. P.-Y. Gautier (en l’espèce, l’avocat était rédacteur d’une cession de parts, le vendeur
étant son client ; l’acheteur subit les conséquences d’une mauvaise information juridique ; il doit être
indemnisé).
76. CJUE, 15 janvier 2015, Contrats, conc. consom. 2015, chron. nº 2, C. Aubert de Vincelles ; RTD
civ. 2015. 158, obs. P.-Y. Gautier.
77. Les clauses limitatives ou exonératoires en Europe, cité supra, no 428.
464 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION II
MODES D’EXÉCUTION
78. Jurisprudence constante. Ex. : Cass. Ass. plén., 30 juin 1998, Bull. civ. Ass. plén., no 2 ; JCP G
1998.II.10146, n. Ph. Delebecque ; Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 143, n. L. Leveneur ; en
l’espèce, un colis avait été confié à Air France (substitué à La Poste), qui l’avait conservé douze jours
sans pouvoir expliquer ce retard ; la Cour écarta les dispositions légales exonératoires de responsabi-
lité (C. P. et T., art. L. 13) en raison de la faute lourde commise par le transporteur : « les dispositions
exonératoires de responsabilité prévues par ce texte ne s’imposent que dans le cas où La Poste, ou le
transporteur que celle-ci s’est substituée, n’a commis aucune faute lourde dans l’exécution de sa mis-
sion ». La faute lourde tient au comportement du débiteur qui commet un fait dont il est très probable
qu’il causera un dommage, elle résulte aussi de la méconnaissance d’une obligation essentielle ;
v. Droit des obligations, coll. Droit civil ; Ph. STOFFEL-MUNCK, chron. Dr. et patr., octobre 2006, p. 98,
sur un des multiples arrêts Chronopost, Cass. com., 13 juin 2006, Bull. civ. IV, no 143.
79. Droit des obligations, coll. Droit civil. Cette exception d’origine jurisprudentielle est née à l’oc-
casion du contrat de transport rapide de marchandises dans l’affaire Chronopost : * Cass. com.,
22 octobre 1996, Bull. civ. IV, no 261 ; D. 1997.121, n. A. Sériaux ; Defrénois 1997.333 ; D. 1997,
somm. 175, obs. Ph. Delebecque ; Contrats, conc. consom. 1997, no 24, n. L. Leveneur ; JCP G
1997.II.22881, n. D. Cohen ; I.4025, no 1, obs. G. Viney ; I.4002, no 1, obs. M. Fabre-Magnan ; GAJ
civ., nº 157 : la sté Chronopost n’avait pas, contrairement à ses engagements, livré le lendemain de
l’expédition les plis qui lui avaient été confiés ; la Cour de cassation priva d’effets la clause limitative
de responsabilité. Elle s’applique à tous les contrats d’entreprise (ex. informatique). Encore faut-il, pour
que la stipulation soit invalidée, qu’elle « vide de sa substance l’obligation essentielle » : Cass. com.,
29 juin 2010, nº 09-11841, Faurecia 2, Bull. civ. IV, no 115 ; D.2010.1832, n. D. Mazeaud ; D.
2011.35, obs. P. Brun O. Gout ; RDC 2010.1220, obs. Y.-M. Laithier et 1253, obs. O. Deshayes :
« seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation
essentielle souscrite par le débiteur ». L’effectivité de la jurisprudence Chronopost s’en trouve ainsi
diminuée.
80. Cass. civ. 1re, 14 mai 1991, Lorthioir, Bull. civ. I, no 153 ; D. 1991.449 ; Contrats, conc. consom.
1991, comm. no 160, n. L. Leveneur ; GAJ civ., no 159 ; en l’espèce, un contrat de développement de
photographies exonérait de toute responsabilité le laboratoire en cas de perte des diapositives. Jugé
que cette clause était abusive, car elle « procurait un avantage excessif à la sté Minit France (le labo-
ratoire) et celle-ci du fait de sa position économique se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle ».
81. Dont la méconnaissance est sévèrement sanctionnée. Ex. : Cass. com., 4 mars 2008, no 07-
11790 ; Bull. civ. IV, no 53 ; JCP G 2008.II.10079, n. L. Guignard : « Le transporteur qui a été chargé
de transporter une marchandise en s’étant vu interdire toute sous-traitance par l’expéditeur et qui
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 465
sous-traite l’opération, se refusant ainsi, de propos délibéré, à exécuter son engagement, commet une
faute dolosive qui le prive du bénéfice des limitations d’indemnisation que lui ménage la loi ou le
contrat ».
82. J.-D. JOUDI, « La sous-traitance dans le contexte européen », D. 1992, chron. 215.
83. La Cour de cassation a adopté ici le même critère que celui qu’elle a retenu pour distinguer la
vente du contrat d’entreprise (supra, no 74) ; il y a sous-traitance, et non vente, lorsque l’obligation du
contractant a pour objet un « travail spécifique » : Cass. civ. 3e, 5 février 1985, Bull. civ. III, no 23 ; D.
1986.499, n. J. Huet ; RTD civ. 1985.737, obs. Ph. Rémy ; RDI 1985.526, obs. Ph. Malinvaud et
B. Boubli : « La S.P.A.B.A. n’avait pu satisfaire la commande qu’après avoir effectué un travail spéci-
fique en vertu d’indications particulières rendant impossible de substituer au produit commandé un
autre équivalent [...] ; de ces constatations, la cour d’appel a pu déduire que la S.P.A.B.A. n’avait
pas été un simple fournisseur mais avait conclu un sous-traité... ». Comp. H. PÉRINET-MARQUET, « Le
fabricant sous-traitant, une hybridation difficile », JCP G 1989.I.3399.
84. Ex. : Cass. com., 1er octobre 1991, Bull. civ. IV, no 268 ; Contrats, conc. consom. 1991, comm.
o
n 234, n. L. Leveneur ; en cette espèce, un industriel s’était engagé envers un autre à fabriquer divers
éléments destinés à s’incorporer dans des machines vendues à un tiers ; ce contrat ne se référant pas
au marché principal, jugé qu’il s’agissait d’un marché de fournitures, non d’une sous-traitance ; PUIG,
obs., RDC 2005.1111.
85. Cass. civ. 3e, 23 janvier 2002, Bull. civ. III, no 10 : location et montage d’échafaudages.
86. Cass. civ. 3e, 2 avril 2003, JCP G 2004.II.10042, n. J.-E. Caro, B. Sablier et S. Abbatuca ; n.p.B.
87. Cass. civ. 3e, 4 décembre 2004, Bull. civ. III, no 204 : « le sous-traitant ne pouvait renoncer aux
droits que lui confèrent les art. 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ».
88. Ex. : Cass. civ. 3e, 4 juin 1986, Bull. civ. III, no 88 ; RTD civ. 1986.365, obs. Ph. Rémy ;
RDI 1986.468, obs. Ph. Malinvaud ; en l’espèce, une SCI avait fait édifier un ensemble immobilier
pour le compte de copropriétaires ; les travaux furent exécutés par un entrepreneur principal et un
sous-traitant ; à la suite de diverses malfaçons (survenues notamment au chauffage), le syndicat de
copropriétaires en fit déclarer responsable la SCI, l’entrepreneur principal et le sous-traitant ; l’entre-
preneur principal fit un pourvoi, qui fut rejeté : « en retenant, d’une part, que la réalisation et le bon
fonctionnement du chauffage exigeaient une action concertée de tous les participants, d’autre part ;
qu’en absence d’un organe de coordination, chacun avait laissé aux autres le soin de s’informer, alors
que le devoir de conseil incombant à chacun d’eux était accru d’une obligation de renseignements à
l’égard de tous les autres intervenants, la cour d’appel a caractérisé le manquement fautif (de l’entre-
preneur principal) à ses obligations ».
466 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
89. Cass. civ. 3e, 10 mai 1991, Bull. civ. III, no 131 ; Contrats, conc. consom. 1991, comm. no 181,
n. L. Leveneur : l’existence d’une action et d’un paiement directs du maître de l’ouvrage n’empêche
pas le sous-traitant de réclamer le paiement à l’entrepreneur principal : « L’institution, dans les marchés
passés par l’État, les collectivités locales, les établissements et entreprises publics d’un paiement direct
du sous-traitant par le maître de l’ouvrage n’a pas pour effet de décharger l’entrepreneur principal de
son obligation contractuelle au paiement des travaux réalisés ».
90. Ex. : Cass. civ. 3e, 12 mars 1997, Bull. civ. III, no 55 ; D. Aff. 1997.504 ; en l’espèce, un sous-trai-
tant, « estimant que le coût de son intervention devait être évalué à une somme supérieure à celle qui
lui avait été payée », demanda la nullité de la sous-traitance, demande rejetée par la cour d’appel.
Cassation : la cour n’a pas constaté « l’existence, lors de la signature du contrat, d’un engagement de
caution de l’entrepreneur principal ».
91. Cass. civ. 3e, 18 décembre 2002, Bull. civ. III, no 267 ; D. 2003.1158, n. J.-E. Caro : « la caution
personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur princi-
pal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le mon-
tant du marché garanti ».
92. Cass. civ. 3e, 5 juin 1996, Bull. civ. III, no 134 ; JCP G 1996.II.22715, n. H. Périnet-Marquet : en
l’espèce, l’entrepreneur principal avait été mis en redressement judiciaire, « tout en restant devoir à
son sous-traitant certaines sommes », lequel, après avoir exercé une action directe contre le maître de
l’ouvrage, transigea avec lui pour une somme inférieure à celle qu’il avait réclamée ; ultérieurement,
invoquant que « le maître de l’ouvrage n’avait pas satisfait à son obligation d’exiger de l’entrepreneur
principal la fourniture de la caution imposée par la loi », le sous-traitant obtint la nullité de la transac-
tion et le paiement de l’intégralité de la créance, car la faute du maître de l’ouvrage était la cause de
l’absence de fourniture de la caution par l’entrepreneur principal.
93. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 12 mars 1997, préc.
94. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 21 octobre 1997, Bull. civ. I, no 279 ; JCP E,
1998.376, n. B. Petit ; « le sous-traitant garagiste réparateur est contractuellement tenu envers l’entre-
preneur principal d’une obligation de résultat qui emporte à la fois présomption de faute et présomp-
tion de causalité entre la faute et le dommage ».
95. Ex. : Cass. civ. 3e, 29 mai 1984, Bull. civ. III, no 106.
96. Cass. civ. 3e, 23 juin 1999, Defrénois 1999.1135, obs. H. Périnet-Marquet ; n.p.B.
97. Cass. civ. 3e, 26 avril 2006, Bouygues, Bull. civ. III, no 100 ; Contrats, conc. consom. 2006,
comm. no 154, n. L. Leveneur ; D. 2006.2504, n. J.-P. Karila. En l’espèce, à la suite des travaux de réno-
vation entrepris à l’Hôtel Georges V, situé à Paris, la société Bouygues avait causé des dommages
importants aux hôtels voisins (Prince de Galles, Queen Elisabeth, etc.) ; condamnée à les réparer, elle
a échoué à recourir contre ses sous-traitants : « l’entrepreneur principal ne peut exercer de recours
subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la
charge définitive ; la cour d’appel a exactement retenu qu’il incombait à la société Bouygues d’établir
la faute contractuelle éventuelle de ses sous-traitants ».
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 467
En revanche, il ne doit pas garantie, par exemple des troubles du voisinage, aux tiers qui subi-
raient un dommage du fait personnel des sous-traitants98.
98. Cass. civ. 3e, 21 mai 2008, Bull. civ. III, no 90 ; D. 2008.1550, n. S. Bigot de la Touanne et 2466,
n. N. Reboul-Maupin ; RTD civ. 2008.496, obs. P. Jourdain.
99. Cass. com., 15 décembre 1993, Bull. civ. IV, no 169 : « Ayant relevé que le contrat stipulait que
l’entrepreneur principal était dégagé de toute obligation de paiement vis-à-vis du sous-traitant à
concurrence des sommes dont le paiement direct par le maître de l’ouvrage était prévu, la cour d’ap-
pel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant qu’il s’agissait d’une délégation parfaite par
laquelle le créancier avait expressément entendu décharger le débiteur, cette délégation de créance
avait été acceptée par l’Assistance publique (le maître d’ouvrage) et elle était exclusive pour la sté
S.P.C. (le sous-traitant) de demander paiement à la sté Toutev (l’entrepreneur principal) ».
100. Et même au sous-traitant du sous-traitant (le « sous-traitant subdélégué ») : Cass. civ. 3e, 29 mai
1980, Bull. civ. III, no 107 ; D. 1980.443, 1re esp., n. A. Bénabent : « L’action directe doit être accordée
aux sous-traitants du sous-traitant de la même manière et sans distinction selon leur rang à l’encontre
du maître de l’ouvrage qui reste toujours le même quelle que soit la succession des sous-traitants ».
C’est ce qu’énonce aussi l’article 2, L. 1975 : « le sous-traitant est considéré comme entrepreneur prin-
cipal à l’égard de ses propres sous-traitants ». Peu importe le préjudice subi par l’entrepreneur princi-
pal, Cass. com., 19 mai 1998, Bull. civ. IV, no 158 ; D. Aff. 1998.1315 ; JCP E, 1999, p. 217,
n. D. Mainguy : recevabilité de l’action directe des sous-traitants, « quel que soit leur rang, contre la
compagnie maître de l’ouvrage en paiement de leur créance, dans la limite de ce dont elle reste débi-
trice », étant entendu qu’on n’a « pas à considérer s’il en résulte un préjudice pour l’entrepreneur prin-
cipal, bien qu’il n’ait pas acquiescé à l’agrément des sous-traitants, qu’il n’ait pas été lui-même judi-
ciairement poursuivi en paiement et qu’il n’ait pas souscrit d’engagements contractuels en faveur des
sous-traitants ». Le sous-traitant de second rang jouit également d’une action contre l’entrepreneur
principal, qui n’a pas su faire agréer tous ses délégués : Cass. civ. 3e, 9 décembre 1998, Bull. civ. III,
no 236 ; D. Aff. 1999.792.
101. L’agrément peut être tacite : Versailles, 16 janvier 1997, D. Aff. 1997.373 (faisceau d’indices
non équivoques) ; Cass. com., 17 mars 1998, ib. 1998.861 ; Bull. civ. IV, no 104 (le maître avait direc-
tement écrit au sous-traitant). La simple connaissance par le maître de l’ouvrage de l’intervention sur le
chantier de l’entreprise sous-traitante (ce que l’on appelle la sous-traitance occulte) ne suffit pas à
constituer l’agrément du sous-traitant par le maître : Cass. civ. 3e, 7 octobre 1998, Bull. civ. III, no 190,
« attitude passive, [...] aucun acte manifestant sans équivoque sa volonté d’accepter » ; Cass. civ. 3e,
13 septembre 2005, Bull. civ. III, no 162 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 5, n. L. Leveneur ; la
présence d’un maître d’œuvre sur le chantier est équivoque tant qu’il n’est pas prouvé qu’il aurait reçu
un mandat d’agréer les sous-traitants à la place du maître.
102. Cass. civ. 3e, 1er avril 1992, Bull. civ. III, no 110 ; D. 1994, somm. 148, obs. crit. A. Bénabent :
jugé que l’exercice par le sous-traitant de l’action directe contre le maître de l’ouvrage suppose non
seulement que ce dernier ait accepté le sous-traitant, mais encore qu’il ait agréé les conditions de
paiement du contrat de sous-traitance.
103. Si l’obligation du maître envers le sous-traitant résulte d’une stipulation conventionnelle, le
sous-traitant peut être payé directement par le maître de tous ses travaux, sans que ses droits soient
limités aux obligations du maître envers l’entrepreneur principal : Cass. civ. 3e, 3 février 1988,
Bull. civ. III, no 30.
468 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
doit constater104. Le maître peut refuser son agrément, mais sa décision n’est pas
discrétionnaire et se trouve limitée par l’abus de droit105.
Comme toutes les actions directes (cf. nouvel art. 1341-3), elle confère une
garantie ; comme toutes les garanties, elle soulève un conflit, ici, éventuellement,
avec les garanties constituées par l’entrepreneur principal sur sa créance contre le
maître106. La garantie devient illusoire si le maître a déjà payé107.
La loi n’est pas toujours respectée. Notamment, lorsqu’il s’agit de la construction de maisons
individuelles car les entrepreneurs principaux ne présentent généralement pas leurs sous-trai-
tants aux clients ; les sous-traitants sont donc privés de l’action directe contre le maître de l’ou-
vrage et du paiement direct108. En cas de non-respect des formalités prévues par la loi, le maître
de l’ouvrage risque de devoir payer deux fois109.
756. Sous-traitance : action directe du maître. – Le maître de l’ouvrage peut agir en respon-
sabilité contre le sous-traitant. La jurisprudence décide maintenant que cette action a une nature
délictuelle après avoir longuement hésité110. L’avant-projet de loi sur la responsabilité civile va
dans le même sens (art. 1233).
104. Cass. civ. 3e, 4 janvier 1996, Bull. civ. III, no 2 ; JCP G 1996.II.22696, n. D. Ammar : « N’est pas
recevable, en application des articles 12 et 13, al. 2, L. 31 décembre 1975, l’action directe du sous-
traitant qui ne justifie ni de la mise en demeure de l’entrepreneur principal, ni de l’envoi de la copie
de la mise en demeure au maître de l’ouvrage ».
105. Cass. civ. 3e, 2 février 2005, Bull. civ. III, no 24 ; JCP G 2005.II.10077, avis O. Guérin.
106. La question intéresse surtout les relations entre les sous-traitants et la banque qui finance l’en-
trepreneur chargé d’un marché. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
107. Cass. civ. 3e, 7 mai 1997, Bull. civ. III, no 97 (sur le 1er moyen, ici évoqué, le Bull. civ. dit qu’il
est « sans intérêt ») ; D. Aff. 1997.731 ; JCP G 1997.IV.1326 : le maître n’est pas obligé vis-à-vis du
sous-traitant si à la date où celui-ci se manifeste, il n’est « plus redevable d’aucune somme envers
l’entrepreneur ».
108. Ex. : Cass. civ. 3e, 5 juin 1985, Bull. civ. III, no 89 : « Ayant constaté qu’il n’était ni établi ni
même allégué que le maître de l’ouvrage ait eu connaissance du contrat conclu entre l’entrepreneur
Gros et la sté Mure (le sous-traitant), la cour d’appel en a exactement déduit que cette dernière ne
pouvait se prévaloir de l’action directe instituée par les articles 12 et 13, L. 31 décembre 1975 ».
109. Cass. civ. 3e, 6 décembre 2006, Bull. civ. III, no 241 ; JCP G 2007.IV.1064 : le maître ne peut
opposer au liquidateur de l’entrepreneur principal les paiements faits entre les mains des sous-traitants.
110. ** Cass. Ass. plén., 12 juillet 1991, Besse, supra, no 9 : « Le sous-traitant n’est pas contractuel-
lement lié au maître de l’ouvrage ».
111. Droit des obligations, coll. Droit civil ; M. DUBISSON, La négociation des marchés internatio-
naux, Feduci, 1982 ; La cotraitance internationale, Feduci, 1980 ; R. CABRILLAC, L’acte juridique
conjonctif en droit privé français, th. Montpellier, LGDJ, 1990, préf. P. Catala.
112. Cass. com., 17 novembre 1970, Bull. civ. IV, no 308 : « Les juges du fond peuvent estimer que
le groupement des trois entreprises constitue une société de fait dès lors qu’ils constatent que celles-ci
ont soumissionné ensemble, dans un but commun, un travail public, qu’elles ont apporté chacune,
pour arriver à ce résultat, tout le potentiel de leurs activités respectives, qu’elles ont, dans la conven-
tion qui les lie, manifesté la volonté de s’associer, de répartir les bénéfices du groupement, et de parti-
ciper aux pertes, étant stipulé que chacune d’elles supportera le cas échéant le déficit du compte
ouvert au nom du groupement ». Critiques de R. CABRILLAC, op. cit., nos 108-134.
OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR 469
les tiers. Lorsqu’il n’y a pas de société, les cotraitants sont fréquemment par l’effet de la conven-
tion, solidairement tenus envers le maître de l’ouvrage, bien qu’ils ne fassent pas le même
travail113 ; à défaut, les tribunaux les déclarent souvent tenus in solidum114 ; cependant, certains
contrats écartent la solidarité. Entre les coentrepreneurs, la responsabilité est délictuelle s’ils
n’ont pas conclu de contrats entre eux.
Le droit anglo-saxon donne souvent au groupement d’entreprises agissant dans le commerce
international la forme un peu mystérieuse des joint-ventures, c’est-à-dire des groupements
momentanés d’entreprises associant les maîtres d’ouvrage aux entrepreneurs115.
113. Ex. : Cass. civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. civ. III, no 100 ; JCP G 1991.IV.202.
114. Ex. : en matière de construction, à propos d’un architecte et d’un entrepreneur : Cass. civ. 1re,
25 janvier 1960, Bull. civ. I, no 49 ; contra, Cass. com., 24 octobre 1966, Bull. civ. III, no 404.
115. O. BAPTISTA et P. DURAND-BARTHEZ, Les associations d’entreprises (joint-ventures) dans le com-
merce international, Feduci, 1986 ; N. LACASSE et L. PERRET (dir.), La co-entreprise à l’étranger, Wilson
et Lafleur, Montréal, 1989.
116. Cass. com., 6 décembre 1983, Bull. civ. IV, no 339 ; RTD civ. 1984.523, obs. Ph. Rémy :
réparation d’un moteur électrique confié à un mécanicien impliquant l’intervention d’un électricien :
le premier devait donner au second « les notices techniques et les directives nécessaires ».
117. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 avril 1973, Bull. civ. III, no 268 : « Si les diverses entreprises dépendaient
plus ou moins les unes des autres pour l’exécution de leurs propres travaux, elles n’étaient pas solidai-
res pour les suites préjudiciables des retards dans la construction d’ensemble de l’immeuble ».
118. Cass. civ. 3e, 28 octobre 2003, RDC 2004.371, obs. A. Bénabent ; n.p.B. : « le contrat de maî-
trise d’œuvre, qui s’achève à la réception de l’ouvrage, n’est pas un contrat à durée indéterminée, et
ne peut être rompu unilatéralement par l’une des parties que sous réserve de la réparation du préju-
dice résulté de la rupture ».
119. Comp. : Cass. civ. 1re, 16 février 1994, Bull. civ. I, no 72 ; D. 1994, somm., 210, obs.
Ph. Delebecque ; JCP G 1994.I.3781, no 11, obs. Chr. Jamin : « Pour décider un partage de responsabi-
lité entre les architectes (les maîtres d’œuvre) et l’entreprise E.C.M.S. (l’entrepreneur), l’arrêt attaqué
énonce que l’action exercée par les premiers contre la seconde et son assureur a un fondement néces-
sairement contractuel, les architectes et l’entreprise E.C.M.S. ayant participé à la réalisation d’une
même opération immobilière en exécution d’un groupe de contrats ; en statuant ainsi, alors que les
architectes n’étaient pas contractuellement liés à l’entreprise E.C.M.S., la cour d’appel a violé le texte
susvisé [art. 1165, devenu art. 1199] ».
n CHAPITRE II n
OBLIGATIONS DU MAÎTRE DE L’OUVRAGE
SECTION I
PAIEMENT DU PRIX
765. Contrat onéreux ; garantie légale ; détermination. – Le contrat d’entreprise est néces-
sairement à titre onéreux (art. 1710) ; sinon, il serait une convention d’entraide où, comme tou-
jours, la responsabilité de celui qui agit à titre bénévole est allégée1. Il doit normalement être
rémunéré en argent par le maître de l’ouvrage, faute de quoi il constituerait un contrat innommé.
Le paiement effectif de l’entrepreneur est une préoccupation constante de la loi. Après avoir
doté le sous-traitant d’une double garantie (L. 31 décembre 1975), le législateur a voulu donner
à l’entrepreneur la certitude qu’il recevrait son paiement, en le faisant bénéficier d’un système de
garanties légales (action directe contre le prêteur) ou obligatoire (cautionnement...) (art. 1799-1).
Comme tout créancier, l’entrepreneur impayé jouit d’un droit de rétention sur la chose que le
contrat l’a obligé à livrer (art. 2286).
La forme du contrat étant soumise au droit commun de la preuve, le montant du prix peut être
établi par tous moyens, sauf lorsque la loi en dispose autrement.
Les modes de détermination du prix présentent une grande diversité. Soit le prix
n’est pas fixé à l’avance : il le sera « sur facture », une fois le travail fait, ce qui est
le procédé le plus conforme à la nature du contrat (§ 1) ; soit il est fixé par avance
globalement, il s’agit d’un contrat à forfait (§ 2) ; soit il est fixé sur série, il s’agit
d’un paiement sur devis (§ 3).
1. Cass. civ. 3e, 17 décembre 1997, Bull. civ. III, no 226 ; D. Aff. 1998.667 : « le contrat d’entreprise
[...] est présumé conclu à titre onéreux ».
472 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
contrat2. Comme dans le mandat, le prix dépend d’une activité humaine, dont
l’étendue peut ne pas être connue à l’avance. Le prix peut être fixé d’accord par
les parties après l’exécution. À défaut d’accord, le nouvel article 1165 prévoit que
le prix sera fixé par le créancier, le juge pouvant allouer des dommages et intérêts
au débiteur en cas d’abus. Cette règle modifie profondément la jurisprudence
antérieure qui décidait qu’à défaut d’accord, le juge (ou l’arbitre) devait le fixer
d’après la valeur de la prestation accomplie (coût + bénéfice). Il reste à savoir si
elle supprime ce droit spécial (rappr. art. 1105 C. civ.), alors que la solution est
d’une grande utilité3.
Lorsque le client s’en remet à la loyauté de l’entrepreneur, il en accepte le prix après
accomplissement de la tâche. Ce qui arrive aussi dans les professions libérales (médecin, avocat,
architecte). Mais la loi contemporaine intervient de plus en plus afin de protéger le client, pour
exiger, d’une part, un écrit, d’autre part, que soient précisés, dès la conclusion du contrat et pas
seulement après service fait, les modes d’évaluation des honoraires à liquider par la suite (V. not.
pour les avocats : art. 10, L. 31 déc. 1971, réd. loi Macron du 6 août 2015, « diligences prévisi-
bles, difficulté de l’affaire, frais », etc.), voire interdire certaines modalités (art. 8-1 préc. : pas de
pacte de quota litis). Les honoraires, même fixés à l’avance, peuvent être révisés (généralement
en baisse) par le juge qui prendra en compte l’importance du service, la qualité et la notoriété du
prestataire, le temps passé, etc.4. Cette révision se fonde sur le caractère encore imprécis de la
prestation attendue de l’entrepreneur au jour du contrat ; les honoraires doivent aussi être réduits
en cas d’exécution défectueuse5. Cette règle n’est pas codifiée dans l’article 1165 précité, mais
subsiste pour tous les contrats spéciaux où elle est nécessaire (v. art. 1105 préc.). S’ils sont
convenus après exécution de la prestation, la révision est exclue6. Les honoraires peuvent être
tarifés par un règlement professionnel. Ces tarifs n’ont aucun caractère obligatoire, mais peuvent
servir de référence7. Les avocats prennent souvent un tarif horaire, qui sera périodiquement
liquidé, en fonction des diligences passées sur un dossier8. Ils sont également en droit de prévoir
un honoraire complémentaire de résultat (art. 10 préc., L. 1971). Si une provision a été versée, le
2. Ex. : commande d’œuvre d’art : Cass. civ. 1re, 24 novembre 1993, Monneret, Bull. civ. I, no 339 ;
Contrats, conc. consom. 1994, no 20, n. L. Leveneur ; RTD civ. 1994.631, obs. P.-Y. Gautier : « Un
accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel du contrat
de louage d’ouvrage, en sorte qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de
fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause ».
3. V. arrêts cités plus haut ; F. LABARTHE, JCP G 2016, no 642.
4. Ex. : 1o Avocat : Cass. civ. 1re, 3 mars 1998, Bull. civ. I, no 85 ; JCP G 1998.II.10115, concl.
J. Sainte-Rose : « le second de ces textes (art. L. 10 31 décembre 1971, modifiée) ne saurait faire obsta-
cle au pouvoir des tribunaux de réduire les honoraires convenus initialement entre l’avocat et son
client, lorsque ceux-ci apparaissent exagérés au regard du service rendu ». 2o Généalogiste :
Cass. civ. 1re, 5 mai 1998, Bull. civ. I, no 168 ; Defrénois 1998.1042, n. Ph. Delebecque ; Contrats,
conc. consom. 1998, comm. no 111, n. L. Leveneur. 3o Société de conseil en bourse : Paris, 27 février
2001, RTD com. 2002.943, obs. M. Storck. 4o Arbitre : Paris, 13 décembre 2001, D. 2003.2475, obs.
Th. Clay : « le travail des arbitres mérite indiscutablement d’être rémunéré à hauteur de ce qui est légi-
timement réclamé ». 5º Professeur de droit : TGI Versailles, 28 mars 2006, RTD civ. 2006. 576, obs.
P.Y. Gautier ; Aix-en-Provence, 28 octobre 2014, RTD civ. 2015. 158, obs. P.-Y. Gautier.
5. Jurisprudence constante : ex. : Cass. com., 2 mars 1993, Bull. civ. IV, no 83 : « le rapport d’exper-
tise avait mis en évidence la mauvaise qualité de la prestation de la CFCI ».
6. Ex. : Cass. civ. 2e, 18 septembre 2003, Bull. civ. II, no 279 ; RTD civ. 2004.114, obs. P.-Y. Gautier :
« si les juges du fond apprécient souverainement d’après les conventions des parties et les circonstan-
ces de la cause le montant de l’honoraire dû à l’avocat, il ne leur appartient pas de le réduire dès lors
que le principe et le montant de l’honoraire ont été acceptés par le client après service rendu, que
celui-ci ait été ou non précédé d’une convention » ; en l’espèce, l’ordonnance du premier président,
qui a été cassée, avait réduit les honoraires, en expliquant par plusieurs motifs qu’ils étaient excessifs :
« le taux inhabituel, la simplicité de la procédure, le résultat peu exceptionnel obtenu [...] ont contribué
à rendre difficile la compréhension de l’importance des sommes qu’il (le client) laissait à son conseil ».
7. Ex. : le barème établi par l’ordre des architectes n’est obligatoire que si les parties s’y réfèrent :
Cass. civ. 3e, 5 février 1985, RDI 1985.255 ; n.p.B.
8. Ex. : Cass. civ. 2e, 7 février 2013, no 11-26718, Bull. civ. II no 23 ; RTD civ. 2013.395, obs.
P.-Y. Gautier (prise en compte des diligences du cabinet et d’un collaborateur).
OBLIGATIONS DU MAÎTRE DE L’OUVRAGE 473
montant définitif pourra être révisé par le juge, à la hausse ou à la baisse9. L’aléa exclut la révi-
sion, sauf s’il est supporté exclusivement par l’entrepreneur10. Si l’entrepreneur est déchargé
avant le terme de sa mission, sa rémunération sera proportionnellement diminuée11.
Dans les contrats conclus avec les consommateurs, la loi exige que le presta-
taire de services fournisse « le mode de calcul du prix » ci celui-ci « ne peut être
raisonnablement calculé à l’avance » (C. consom., art. L. 112-3). La prescription
est biennale (C. consom., art. L. 218-2).12
C’est à l’entrepreneur qu’il appartient, en l’absence de clause précise, de
démontrer que le prix qu’il demande n’est pas excessif13 et que le client lui a com-
mandé le travail pour lequel il réclame paiement14. Mais le nouvel article 1165 a
peut-être renversé cette règle.
§ 2. CONTRAT À FORFAIT
767. 1º Prix fixé globalement. – Le prix peut être fixé par les parties de manière
globale dans le contrat avant l’exécution de l’ouvrage. Il ne peut alors être modifié
unilatéralement par l’une d’elles ; notamment l’entrepreneur ne peut demander
d’augmentation, même si le coût du travail a dépassé ses prévisions. Ce qui
n’est qu’une application du droit commun des contrats à forfait15. Cette fixation
globale anticipée fait prendre un risque aux deux parties ; cette fixation définitive
du prix est compatible avec son indexation.
9. Cass. civ. 1re, 19 juin 2001, Bull. civ. I, no 178 (à la baisse, donc remboursement partiel par l’avo-
cat) : « le premier président après avoir fixé souverainement le montant des honoraires a [...] ordonné le
remboursement des sommes perçues en trop ».
10. Cass. civ. 1re, 23 novembre 2011, no 10-16770, Bull. civ. I, no 206 ; JCP G 2011, 1344,
n. B. Waltz ; D. 2012. 589, n. M. Séjean ; RDC 2012. 396, obs. Y.-M. Laithier : en l’espèce, un premier
testament avait institué une femme légataire universelle ; un second testament institua un autre léga-
taire universel ; moyennant un pourcentage sur la succession en cas de réussite, un ami du défunt
assista la première légataire pour obtenir l’annulation judiciaire du second testament ; jugé que la
rémunération excessive devait être réduite : « l’aléa exclusivement supporté par l’assistant ne s’oppose
pas à ce qu’il y ait réduction éventuelle de la rémunération convenue ».
11. Cass. civ. 2e, 10 décembre 2015, préc., supra nº 555 (avocat ; utilisation des critères habituels
d’évaluation de ses diligences : le client a transigé ; après avoir été révoqué, l’avocat n’a pas droit à
un honoraire de résultat).
12. Cass. civ. 2e, 26 mars 2015, nos 14-15013 et 14-11. 599, 2 esp., Bull. civ. II, nos 74-75, JCP G
2015, 649, n. C. Caseau-Roche.
13. Ex. : * Cass. civ. 1re, 18 novembre 1997, Bernheim, Bull. civ. I, no 313 ; D. Aff. 1998.21 ; Defré-
nois 1998.405, obs. A. Bénabent ; RTD civ. 1998.372, obs. J. Mestre et 402, obs. crit. P.-Y. Gautier ;
en l’espèce, un expert-comptable avait demandé en justice le paiement de ses honoraires que le client
avait trouvé excessifs ; la cour d’appel avait refusé de les modérer : « il n’appartient pas à la justice [...]
d’examiner la qualité de la consultation et, faute de contrat d’honoraires, il importe uniquement de
rechercher si la facturation est ou non exorbitante eu égard à la réputation du consultant et aux usages
de la pratique ». Cassation : « Il incombe au prestataire, en sa qualité de demandeur, d’établir le mon-
tant de sa créance et à cet effet, de fournir les éléments permettant de fixer ce montant, et il appartient
au juge d’apprécier celui-ci, en fonction notamment de la qualité du travail fourni ».
14. Ex. Cass. civ. 1re, 2 novembre 2005, Bull. civ. I, no 398 ; D. 2006.841, n. F. Garron : « il apparte-
nait à la société Brout (le garagiste) d’établir que Melle Ghislain (le client) avait commandé ou accepté
les travaux effectués sur son véhicule ; en l’absence d’une telle preuve, elle ne pouvait obtenir le paie-
ment de ces travaux sur le fondement du contrat qui les liait ou exercer une action de in rem verso en
faisant abstraction de celui-ci ».
15. Biblio. : M. LAGELÉE HEYMANN, Le contrat à forfait, Paris I, 2014, qui voit dans le contrat à forfait
une catégorie en soi, regroupant tous les cas où les contractants se sont interdits de revenir sur le prix
payé, alors que l’étendue de la prestation ne serait finalement pas ce qu’ils escomptaient, en plus ou
en moins, ce qui se rapproche du jeu et du pari, contrats aléatoires.
474 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
À l’égard de chaque contractant, ce système, aléatoire comme tout forfait, présente des avan-
tages et des inconvénients. Pour l’entrepreneur, il met les risques du travail à sa charge ; pas
tellement les risques monétaires et économiques, car lorsqu’elle a été stipulée et bien conçue,
l’indexation le protège, sans l’enrichir, contre les augmentations de prix de la main-d’œuvre ou
des matières premières ; surtout, les difficultés du travail imprévues, tenant par exemple à la
nature du terrain, à son inondation, etc. Pour le client, le forfait permet de connaître à l’avance
le prix qu’il devra payer mais suscite le danger que l’entrepreneur exécute les travaux aux moin-
dres frais, au détriment de la qualité de l’ouvrage.
16. Un arrêt de la Cour de cassation résume ces trois règles : Cass. civ. 3e, 24 janvier 1990,
Bull. civ. III, no 28 ; D. 1990.257, n. A. Bénabent ; RDI 1990.370, obs. Ph. Malinvaud et Boubli. En l’es-
pèce, des entrepreneurs ayant conclu un marché à forfait avaient fait pour ce maître de l’ouvrage des
travaux, ni demandés par écrit, ni prévus par le forfait ; la cour d’appel à la suite du comportement du
maître l’avait obligé à les payer. Cassation : elle n’avait pas constaté que « les modifications deman-
dées avaient entraîné un bouleversement de l’économie de contrats ni relevé à défaut d’une autorisa-
tion écrite préalable aux travaux, l’acceptation expresse et non équivoque, par le maître de l’ouvrage,
de ces travaux, cette fois effectués ni recherché si le maître de l’ouvrage avait reçu mandat à cet effet ».
17. Jurisprudence abondante et stricte. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 juin 2001, Defrénois 2002, p. 55, obs.
H. Périnet-Marquet ; n.p.B. ; en l’espèce, dans un marché à forfait un certain nombre de travaux non
prévus par un devis initial avaient été faits (agrandissement de la terrasse, équipements luxueux : revê-
tements en marbre, fenêtres à double vitrage) : ces travaux firent l’objet d’un procès-verbal signé sans
réserve : les juges du fond condamnèrent le maître à les payer ; cassation : « seule peut justifier une
sortie du forfait un bouleversement de l’économie du contrat, une autorisation écrite préalable aux
travaux ou l’acceptation expresse et non équivoque par le maître de l’ouvrage de ces travaux, une
fois effectués ».
18. Mais le juge du fond devra le constater : Cass. civ. 3e, 27 septembre 2006, préc. supra.
19. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 octobre 1966, D. 1967.29 : « L’accord verbal du maître de l’ouvrage sur
les modifications apportées à ce plan ne saurait être retenu, sans réduire à néant la protection du pro-
priétaire à laquelle tend ledit article » (art. 1793).
20. Cass. civ. 3e, 11 mai 2006, Bull. civ. III, no 118 : norme AFNOR admettant l’accord tacite,
impuissante à supplanter la règle légale.
OBLIGATIONS DU MAÎTRE DE L’OUVRAGE 475
La règle est soumise à plusieurs conditions, qui, parce qu’elle est dérogatoire au
droit commun, sont interprétées strictement. Il faut... 1) que le prix ait été fixé
globalement et à l’avance21... 2) qu’un plan et un devis aient été convenus entre
les parties afin de déterminer les travaux à exécuter22... 3) qu’il s’agisse de la
construction de bâtiments23, non d’aménagements intérieurs24... 4) que le contrat
soit conclu entre le maître de l’ouvrage et un entrepreneur principal, non un
sous-traitant25, peut-être afin d’empêcher que le sous-traitant ne subisse les rabais
obtenus par l’entrepreneur principal.
La jurisprudence a assoupli la règle. Ainsi, au cas où le forfait bénéficie à l’entrepreneur parce
que son travail a été moins onéreux que prévu, le forfait n’oblige que si l’entrepreneur est de
bonne foi26. Les travaux de sécurité étant indispensables, ils ne sauraient donner prétexte à un
paiement supplémentaire27. Si le marché est rompu du fait du maître de l’ouvrage, celui-ci devra
indemniser l’entrepreneur du fait de la désorganisation consécutive de son entreprise28.
769. Séries de prix. – Le marché sur séries est le plus souvent pratiqué dans la
construction.
Le prix n’est pas fixé globalement dans le contrat, mais article par article, sui-
vant devis. Il ne peut être déterminé définitivement qu’à la fin des travaux, d’après
la quantité exécutée29. Comme il est difficile aux particuliers de discuter le prix
des constructions sur des produits très différents, la pratique adopte souvent les
séries de prix constituées pour les travaux publics, étendues aux constructions
privées.
21. Il n’y a donc pas marché à forfait... si le devis est établi par une série de prix (infra, no 769) : ... si
le devis n’a été établi « qu’en guise d’estimation approximative » : Cass. civ. 3e, 2 février 1972,
Bull. civ. III, no 78... si le propriétaire s’est réservé la faculté de modifier le plan, ce que l’on appelle
un forfait imparfait ; jurisprudence constante. Ex. : Cass. civ., 10 mars 1880, DP 1880.I.386 : « Ces dis-
positions rigoureuses (art. 1793) ne s’appliquent qu’au forfait pur et simple tel qu’il est défini par le
Code ; mais elles cessent d’être applicables lorsque les parties, tout en stipulant le forfait, y ont ajouté
des clauses qui en modifient le caractère et les effets ».
22. Ex. : Cass. civ. 3e, 20 novembre 1991, Bull. civ. III, no 283 : la qualification de marché à forfait ne
peut être retenue dès lors que l’entrepreneur « n’avait préparé aucun document sérieux ni avant, ni
pendant les travaux, qu’il (l’entrepreneur) avait établi un devis très imprécis et avait élaboré des
plans n’ayant eux-mêmes aucun caractère contractuel ».
23. Ex. : pour la remise en état d’une piste de karting : Cass. civ. 3e, 11 juillet 1972, Bull. civ. III,
no 456 : « En statuant ainsi, sans rechercher si les travaux effectués concernaient un bâtiment et étaient
ainsi régis par l’article 1793, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision... ».
24. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 décembre 1964, Bull. civ. I, no 569 ; D. 1965.347 : « L’article 1793 ne sau-
rait s’appliquer en l’espèce, n’étant relatif qu’à la construction à forfait d’un bâtiment, le marché inter-
venu n’ayant trait qu’à des aménagements intérieurs n’entrant pas dans les termes du texte susvisé ».
25. Cass. civ. 3e, 15 février 1983, Bull. civ. III, no 44 : « Les dispositions de l’article 1793 ne sont pas
applicables à une convention de sous-traitance entre deux entreprises » parce qu’elles visent le contrat
conclu avec le « propriétaire du sol ».
26. Cass. civ. 3e, 2 mars 2005, Bull. civ. III, no 51 : en l’espèce, il existait une différence notable entre
la surface initiale de sols à traiter et la surface réelle et l’entrepreneur le savait : « l’entreprise, n’ayant
pas exécuté de bonne foi le marché forfaitaire, devait verser au maître d’ouvrage la somme réclamée ».
27. Cass. civ. 3e, 8 juin 2005, Bull. civ. III, no 125 : « les garde-corps indispensables à la sécurité de
l’immeuble devaient être intégrés dans le marché forfaitaire initial ».
28. Paris, 29 septembre 2006, JCP G 2006.IV.3332.
29. Ex. : la construction d’un mur à tant par m2, ou à tant par m3 de ciment ou à tant par journée de
travail.
476 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Système qui permet à l’entrepreneur de répercuter les difficultés inattendues rencontrées dans
son travail, et est moins rigide que le marché à forfait, et au client de ne pas dépendre de la
loyauté de l’entrepreneur, ce qui donne plus de prévisibilité que le contrat sur facture.
SECTION II
LIVRAISON ET RÉCEPTION
La prise de livraison et la réception sont des obligations du maître de l’ouvrage
qui n’apparaissent que lorsque l’entreprise est relative à une chose.
responsabilité contractuelle de droit commun37, ni de la garantie des vices cachés, pour laquelle
le droit de la construction prévoit un régime spécial de garantie décennale ou biennale38 qui
court à compter de la réception.
Elle peut être tacite39 et résulter notamment de la prise de possession et du paiement du prix,
lorsqu’ils traduisent la volonté de recevoir les travaux40. Cette forme de réception présente l’in-
convénient de rendre incertains les points de départ de la garantie et de l’assurance-construc-
tion. Une stipulation contractuelle peut faire de la prise de possession des lieux par le maître de
l’ouvrage une réception et une acceptation sans réserve des travaux41.
772. Réserves et silence ; garantie de parfait achèvement. – La réception peut être faite
avec réserves, ce qui n’empêche pas le transfert de la garde et des risques, mais oblige l’entre-
preneur à satisfaire aux réserves si elles sont fondées. L’entrepreneur est tenu pendant un an42
par la garantie de parfait achèvement qui l’oblige à remédier aux désordres signalés dans les
réserves et à ceux qui sont apparus pendant l’année de la réception (art. 1792-6, al. 2)43 ; si ces
désordres mettent en cause la solidité de l’ouvrage, sa destination ou son fondement, ils enga-
gent aussi la garantie décennale et biennale44.
37. Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, Sté des maisons Enec, préc. no 745.
38. Supra, no 746 ; cf. aussi Cass. civ. 3e, 12 mars 1986, JCP G 1986.IV.145 ; n.p.B. : la réception par
le maître de l’ouvrage produit effet sur le syndicat des copropriétaires qui n’était pas partie à cette
réception, « mais (qui) n’a pas plus de droits que le maître de l’ouvrage de qui il les tient ».
39. Cass. civ. 3e, 16 juillet 1987, Bull. civ. III, no 143 ; D. 1987.577 ; AJPI, 1988.160 ; RDI 1987.457 :
« L’article 1794-6 laisse subsister la possibilité d’une réception tacite » : la date de la réception est alors,
non celle de la décision judiciaire, mais celle de la réception tacite ; Cass. civ. 3e, 8 novembre 2006,
JCP 2006.IV.3336.
40. La jurisprudence est circonstanciée ; ex. : constituent une réception tacite... des conclusions
demandant une réception judiciaire : Paris, 2 mars 1988, D. 1988, IR, 92... la remise des clefs et une
prise de possession : Cass. civ. 3e, 12 octobre 1988, D. 1988, IR, 246... une prise de possession et le
paiement du prix : Cass. civ. 3e, 7 décembre 1988, Bull. civ. III, no 174... le paiement du prix :
Cass. civ. 3e, 16 mars 1994, Bull. civ. III, no 50. Mais... Cass. civ. 3e, 3 mai 1990, Bull. civ. III, no 104 ;
D. 1990, IR, 125 ; JCP G 1990.IV.245 ; RDI 1990.372 : « La prise de possession des lieux par un maître
d’ouvrage n’équivaut à une réception tacite que lorsqu’elle manifeste sa volonté non équivoque d’ac-
cepter l’ouvrage » ; ... Cass. civ. 3e, 22 juin 1994, Bull. civ. III, no 126 : le paiement du prix ne constitue
une réception tacite que s’il traduit « une volonté non équivoque » des propriétaires « de recevoir les
travaux ».
41. Cass. civ. 3e, 13 juillet 1993, JCP G 1995.II.22395, n. Le Bars ; n.p.B. : « par dérogation aux
conditions de la réception, prévues par l’art. 1792-6 le contrat stipulait que la prise de possession
des lieux, intervenue sans réception contradictoire préalable, entraînait d’office une réception et une
acceptation sans réserve des travaux ».
42. Cass. civ. 3e, 3 mai 1989, Bull. civ. III, no 95 : la garantie de parfait achèvement doit être invo-
quée dans le délai prévu par l’article 1792-6, c’est-à-dire un an après la réception ; Cass. civ. 1re,
4 juin 1991, Bull. civ. I, no 176 : la garantie de l’assureur du maître de l’ouvrage est engagée du seul
fait que la mise en demeure faite à l’entrepreneur de procéder aux travaux nécessaires est restée vaine.
43. Une abondante jurisprudence décide que la garantie décennale n’est pas applicable aux vices
ayant fait l’objet de réserves lors de la réception, ceux-ci étant couverts par la garantie de parfait achè-
vement, caduque si elle n’est pas invoquée dans l’année. Ex. : Cass. civ. 3e, 1er février 1988,
Bull. civ. III, no 24 : « Les désordres faisant l’objet de réserves lors de la réception ne sont pas couverts
par la garantie décennale, mais par la garantie de parfait achèvement ».
44. Cass. civ. 3e, 12 octobre 1994, Bull. civ. III, no 172 : « Les dispositions de l’article 1792-6 ne sont
pas exclusives de l’application de celles des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 et le maître de l’ouvrage
peut demander sur le fondement de la garantie décennale à l’entrepreneur réparation des défauts qui,
signalés à la réception, ne seront révélés qu’ensuite dans leur ampleur et leur conséquence ».
45. * Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, Sté des maisons Enec, cité supra no 747 : « La garantie de parfait
achèvement due par l’entrepreneur concerné n’excluait pas la responsabilité contractuelle de droit
commun pour faute prouvée ».
n CHAPITRE III n
EXTINCTION DU CONTRAT D’ENTREPRISE
1. Ex. : Une norme AFNOR (P. 03.11, art. 19-7) prévoit la continuation des travaux par les héritiers
en cas de mort de l’entrepreneur, s’ils en sont capables ; M. BÉHAR-TOUCHAIS, Le décès du contractant,
th. Paris II, Economica, 1988, no 148.
2. Ex. : Paris, 23 mai 1961, Gaz. Pal. 1961.II.283 ; sauf clause contraire du contrat, une personne
peut renoncer à effectuer une croisière, même après s’être engagée et avoir payé le prix.
3. Cass. civ. 3e, 18 février 1976, Bull. civ. III, no 69 : « Les juges d’appel, qui ont constaté par motifs
non ambigus que les travaux faisant l’objet du marché à forfait étaient “pratiquement” achevés lors de
la dénonciation du contrat par le maître de l’ouvrage et que l’entrepreneur “avait exécuté ses engage-
ments" ont pu estimer que cette dénonciation tardive ne pouvait entraîner la résiliation du contrat par
application de l’article 1794 ».
4. F. BERTRAND, « Les risques dans le contrat d’entreprise », RDI 1981.174.
480 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Lorsque la matière a été fournie par l’entrepreneur, celui-ci est responsable de sa perte quelle
qu’en soit la cause, fortuite ou fautive, tant que la chose n’a pas été livrée (art. 1788)5. Le maître
de l’ouvrage a une option : ou bien, il demande à l’entrepreneur de faire à nouveau les travaux6,
à l’identique7 ; ou bien, il demande la résolution du contrat et la restitution des acomptes8.
Cependant, si l’entrepreneur avait mis le maître de l’ouvrage en demeure de recevoir la chose
(art. 1788, in fine)9 ou si une stipulation du contrat l’avait prévu, les risques seraient à la charge
du maître qui devrait donc rémunérer l’entrepreneur de son travail. Peu importe que le maître
soit devenu le propriétaire de la chose, car la charge des risques n’est pas ici liée au transfert de
propriété, mais incombe au débiteur (res perit debitori), c’est-à-dire l’entrepreneur qui connaît la
chose. Au contraire dans la vente de chose future, la charge des risques est, sauf stipulation
contraire, associée à la propriété, et la jurisprudence décide que la propriété est transférée dès
l’achèvement de la chose10.
Lorsque la matière a été fournie par le maître, l’entrepreneur est libéré par la preuve de la
perte fortuite de la chose ; le Code civil dispose qu’« il n’est tenu que de sa faute » (art. 1789) ;
la jurisprudence a pratiquement unifié le régime de la responsabilité de l’entrepreneur, quelle
que soit l’hypothèse, fabrication ou travail sur la chose d’autrui et décidé que pour se libérer il
devait prouver son absence de faute11 ; il est donc responsable de la perte fautive et de celle dont
la cause est inconnue12 ; on dit parfois que sa « faute » est présumée. L’entrepreneur répond aussi
5. S’ils sont plusieurs entrepreneurs sur le chantier et que la cause de la destruction reste indétermi-
née, chacun n’est tenu que pour sa part, c’est-à-dire ce qu’il s’était engagé à fournir, sans responsabi-
lité in solidum : Cass. civ. 3e, 15 décembre 2004, Bull. civ. III, no 241 : « l’entrepreneur n’est tenu de
procurer au maître de l’ouvrage que la chose qu’il s’est engagé à fournir ».
6. Ex. : Cass. civ. 3e, 19 février 1986, Bull. civ. III, no 10 ; RTD civ. 1986.607, obs. Ph. Rémy. En l’es-
pèce, un promoteur avait fait construire en Corse « un ensemble immobilier destiné à être vendu en
copropriété par appartements en l’état de futur achèvement ; avant réception de l’ouvrage, mais après
la vente de plusieurs appartements, une explosion criminelle, dont les auteurs sont demeurés incon-
nus, a endommagé l’édifice ». Cassation de la décision qui avait refusé de condamner l’entrepreneur à
réparer le dommage.
7. Cass. civ. 3e, 28 octobre 1992, Bull. civ. III, no 281 ; RTD civ. 1993.603, obs. P.-Y. Gautier ; en
l’espèce, les entrepreneurs s’étaient obligés, selon un marché à forfait, à « la réalisation du lot ossature
métallique » d’un bâtiment ; « une partie de la couverture s’étant effondrée, avant la livraison de l’ou-
vrage, à la suite de chutes de neige », le maître de l’ouvrage demanda la reconstruction de « l’ouvrage
selon des normes propres à éviter les mêmes désordres et ce, sans augmentation du prix définitivement
arrêté » ; cependant, la cour d’appel déclara « satisfactoire leur offre (des entrepreneurs) de recons-
truire l’immeuble sans respecter les normes propres à la solidité de l’immeuble et sans mettre à leur
charge le surcoût qui pouvait en résulter ».
8. Cass. civ. 3e, 27 janvier 1976, Bull. civ. III, no 34. En cours de travaux, un incendie ravagea la plus
grande partie de l’ouvrage ; la cause en était fortuite ; bien que l’inexécution ne fût pas fautive, le
maître put obtenir la résolution du contrat et la restitution des acomptes versés.
9. Ex. : Cass. civ., 22 février 1897, DP 1901.I.75 : A (maître de l’ouvrage) avait fourni de l’orge à B
(entrepreneur) afin que celui-ci la transforme en malt. Après accomplissement du travail, A le vérifia
puis fut mis en demeure de retirer la marchandise, qui ultérieurement fut détruite par le feu. Jugé que B
n’était pas responsable, si le feu était fortuit ; sur cet arrêt, v. aussi infra, no 866.
10. Supra, no 74.
11. Ex. : Cass. civ. 3e, 17 février 1999, Bull. civ. III, no 41 ; Contrats, conc. consom. 1999, comm.
no 67, n. L. Leveneur ; RTD civ. 1999.629, obs. P. Jourdain ; en l’espèce, un incendie s’était déclaré
dans un entrepôt alors qu’un préposé d’un entrepreneur y effectuait des travaux ; la cour d’appel exo-
néra l’entrepreneur parce qu’aucun « élément de preuve ne permet d’incriminer l’utilisation du chalu-
meau dans l’origine de l’incendie ». Cassation : la cour d’appel n’a pas constaté « que l’entreprise
démontrait que l’incendie était survenu sans sa faute ».
12. Cass. civ. 1re, 14 mai 1991, Lorthioir, cité supra, no 753 : « Selon l’article 1789, le locateur d’ou-
vrage est tenu de restituer la chose qu’il a reçue et ne peut s’exonérer de sa responsabilité que par la
preuve de l’absence de faute ; dès lors, le jugement attaqué, d’où il résulte que la cause de la dispari-
tion des diapositives est inconnue, est légalement justifié » ; en l’espèce, un client avait confié à un
magasin de photographies des diapositives pour qu’elles fussent agrandies ; jugé que ce magasin
était responsable de la perte des photos, même si la cause en était inconnue.
EXTINCTION DU CONTRAT D’ENTREPRISE 481
du fait du personnel qu’il emploie (art. 1789)13. La règle suppose que la matière ait été confiée à
l’entrepreneur par le maître14. La perte de la chose dispense le maître de payer l’entrepreneur,
même si celui-ci a accompli le travail et achevé la chose (art. 1790), sauf dans deux cas. 1o)
Lorsque la perte tient au vice de la chose et que le maître est en faute15 ; si l’entrepreneur avait
connu ou aurait dû connaître ce vice, il perd son droit à rémunération, à raison de sa faute16.
2o) Le maître est également tenu de payer s’il avait été mis en demeure. Comme toujours lors-
qu’il s’agit de la charge des risques, ces règles peuvent être écartées par la convention ou les
usages.
13. Ex. : Cass. civ. 3e, 22 avril 1971, Bull. civ. III, no 253 ; Gaz. Pal. 1972.I.77 : si un entrepreneur
accomplit des travaux sur la chose du maître sans que celui-ci en ait perdu la détention, la dégradation
de la chose n’est à sa charge que si sa faute est démontrée.
14. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 octobre 1995, Bull. civ. I, no 346 : un imprimeur répond du fait de son pré-
posé qui met le feu à un stock de papier confié en vue de son impression.
15. Ex. : pour un teinturier, supra, no 745.
16. Supra, no 75.
n LIVRE III n
800. Circulation des richesses et activité juridique. – Aux deux contrats fonda-
mentaux, la vente – qui permet la circulation des richesses – et le mandat – qui
développe l’activité juridique –, s’est ajouté un troisième, dépendant plus du pre-
mier que du second, le louage, qui permet, soit l’exploitation des choses, soit un
élargissement de l’activité humaine. L’infinie variété des contrats découle de ces
trois matrices, qu’ils combinent selon une myriade de modalités1.
Dans cette constellation, il est trois dérives et mélanges qui doivent être mis à
part à cause de la simplicité de leur composition et de leur importance : 1)
l’échange, dérive de la vente ; 2) les combinaisons entre la vente, le bail et le
mandat : la location-vente et le crédit-bail qui peuvent être des contrats translatifs
de propriété, de jouissance ou constitutifs de sûretés – des techniques neutres en
quelque sorte – ; 3) les contrats d’intermédiaires : concession d’exclusivité, fran-
chisage et distribution sélective, contrats-cadres, proches de la promesse de vente
et présentant des analogies avec le mandat.
1. Supra, no 36.
2. MAZEAUD, DE JUGLART, no 1028.
n TITRE I n
ÉCHANGE
802. Comparaison avec la vente. – Ainsi que le définit le Code civil (art. 1702) :
« l’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une
chose pour une autre ». On l’appelle « troc » dans le langage familier1. En toute
première vue, il est, semble-t-il, une vente, où le transfert de propriété a pour
contrepartie, non une somme d’argent, mais une autre chose. Historiquement, la
vente découle de l’échange2, mais elle est devenue le contrat prépondérant. Tout
le droit de l’échange est dominé par le parallèle avec la vente.
Comme la vente, il est un contrat translatif de propriété et même l’est doublement, puisque
deux choses sont réciproquement transférées ; il est aussi un contrat commutatif, dominé par
l’idée d’équivalence entre les prestations. À la différence de la vente, il n’y a pas de prix mais
deux choses, qui se tiennent lieu réciproquement de prix ; en outre, le nombre des parties n’est
pas toujours le même : la vente est, par nature, bilatérale, l’échange peut être et est souvent
multilatéral (ex. : l’échange triangulaire).
1. V. A. VAN EECKHOUT, « Vers un renouveau du troc dans la vie des affaires ? », RDC 2006.917.
2. L’échange a été à Rome (rerum permutatio) un contrat controversé : les Sabiniens y voyaient une
modalité de la vente ; les Proculiens (dont l’opinion l’emporta) soulignèrent au contraire les différences
fondamentales qui opposaient la venditio et la permutatio ; J.-M. POUGHON, Histoire doctrinale de
l’échange, th. Strasbourg, préf. J.-P. Braud, LGDJ, 1987 ; A. BARDET-BLANVILLAIN, L’échange, th. Paris II,
2002 ; Q. GUIGUET-SCHIELÉ, « Repenser l’échange », RTD civ. 2013. 539.
3. Metz, 8 février 2000, JCP G 2001.II.10520, n. crit. S. Hocquet-Berg ; en l’espèce, la ville de For-
bach avait cédé un bâtiment évalué dans le contrat à 157 000 €, à des particuliers, qui réciproquement
lui cédèrent un terrain d’une valeur de 21 700 € et lui versèrent une soulte de 136 000 € soit sept fois
la valeur de leur terrain ; peu après, la majorité du conseil municipal ayant changé, la ville constata
que le bâtiment cédé valait trois fois plus que la valeur estimée dans le contrat ; elle demanda la res-
cision, mais fut déboutée parce que dit la cour, il s’agissait d’un échange, ce que conteste Mme Hoc-
quet-Berg dans sa note, en raison de l’importance de la soulte.
4. Jurisprudence constante : ex. : Cass. ch. réunies, 3 juillet 1957, Bull. civ. ch. réunies, no 4 ; D.
1958.185, 3e esp., n. R. Savatier ; JCP G 1957.II.10104 ; Gaz. Pal. 1957.II.73 ; RTD civ. 1957.704, obs.
J. Carbonnier : « L’échange des biens ruraux, dès lors qu’il est effectué sans fraude, échappe au droit du
486 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
803. Échange avec soulte. – L’opposition entre la vente et l’échange n’est pas
radicale ; souvent une chose est cédée, à la fois contre une chose et de l’argent,
parce que les deux choses permutées n’ont pas la même valeur. On dit alors qu’il
y a échange avec soulte5. L’existence d’une soulte transforme le contrat en vente
si elle est tellement importante qu’elle doit être considérée comme l’objet princi-
pal de la convention6 : accessorium sequitur principale : comme il arrive souvent,
un changement quantitatif entraîne un changement qualitatif. En tout cas, un
contrat est ou une vente ou un échange : il ne peut être les deux à la fois ; la qua-
lification est exclusive.
preneur en place, ce dernier ne pouvant dans ce cas offrir au bailleur le bien rural déterminé que celui-
ci désire acquérir ».
5. Étymologie de soulte : du verbe latin solvo, ere = payer.
6. Ex. : Cass. civ. 3e, 26 juin 1973, Bull. civ. III, no 436 ; D. 1973, somm. 143 ; RTD civ. 1974.145,
obs. Y. Loussouarn : « Il n’y a pas de contrat d’échange lorsque l’importance de la soulte permet de la
considérer comme l’objet principal de l’obligation de l’une des parties ». Autrefois, il fallait que la
soulte fût extrêmement importante pour que le contrat cessât d’être un échange. Aujourd’hui, l’opi-
nion est contraire : en cas de doute, la vente l’emporte – elle est le contrat le plus usuel – : il est pro-
bable que c’est elle que les parties avaient entendu conclure. Comp. : Metz, 8 février 2000, préc.
7. Cependant, la Cour de cassation a décidé que n’était pas un échange mais une vente la permu-
tation d’un immeuble contre des valeurs mobilières : Req., 26 février 1883, DP 1883.1.453 ; S.
1886.I.66 : « L’arrêt attaqué a vu, à tort, dans l’acte litigieux, un contrat mixte de vente et d’échange ;
ce contrat contient uniquement les éléments constitutifs d’une vente, à savoir le consentement des
contractants, une chose et un prix, dont une partie dans l’espèce devait être payée par une valeur
variable ».
8. Th. BONNEAU, Droit bancaire, 11e éd., LGDJ, coll. Domat, 2015, nos 639 s.
9. La Cour de cassation dit que ce n’est pas une vente, mais un contrat innommé ; ex. :
* Cass. civ. 1re, 12 octobre 1967, dame Isnard, Bull. civ. I, no 292 ; D. 1968, somm. 29 : transfert de la
nue-propriété d’un immeuble, moyennant l’engagement d’effectuer des réparations. Sur cet arrêt,
supra, no 200 ; aussi, Cass. civ. 3e, 17 mars 1981, Bull. civ. III, no 56 ; D. 1981, IR, 442 : « vente » d’un
immeuble rural à un euro et l’obligation d’aménager un centre équestre ; supra, no 200.
10. Ex. : accords entre opérateurs de téléphonie mobile, pour l’usage réciproque de leurs réseaux,
A. VAN EECKHOUT, op. cit., p. 923 s. ; ou contrats de « SEL », échanges de services entre voisins.
11. Ex. : J. CARBONNIER, obs., RTD civ. 1954.674 : « facio ut facias »... « chacun des échangistes s’en-
gage simplement à présenter l’autre à son propriétaire et à l’installer dans les lieux à défaut d’une
opposition de celui-ci selon les formes légales ».
ÉCHANGE 487
806. Échange forcé. – Généralement, l’échange est libre. Parfois, il est favorisé
par la loi, qui va même jusqu’à l’imposer. Par exemple, lorsqu’il constitue un ins-
trument de réorganisation foncière (C. rur. pm., art. L. 122-1 et s.) et de remembre-
ment rural (ib., art. L. 123-4).
12. Cf. le film de René Clair, Le dernier milliardaire (1934), évoquant la crise de 1929 qui amène à
revenir à l’économie de troc : une personne paie son achat avec une poule et le commerçant lui rend
trois œufs.
13. Biblio. : A. V. DELOZIÈRE LE FUR, La compensation dite multilatérale, th. Paris II,
éd. Panthéon-Assas, 2003 ; M. FONTAINE, « Aspects juridiques des contrats de compensation », Dr. prat.
com. int. 1981.179 ; P. DURAND-BARTEZ, « Le troc dans le commerce international et les opérations de
switch », Dr. prat. com. int. 1982.195 ; M. FONTAINE, « Les contrats de contre-achat », Dr. prat. com. int.
1982.161.
14. T. com., Paris, 28 octobre 1992, JCP G 1993.IV.354 : « L’opération de swap sur devises consti-
tue un groupe de contrats dont chacun trouve sa cause dans l’autre ; en effet, cette opération est com-
posée de différentes phases comportant chacune livraison d’une devise contre paiement dans une
autre devise ; les échanges de devises supposent l’accomplissement simultané des obligations récipro-
ques, caractéristique que l’on retrouve dans la vente au comptant de marchandises ; par ailleurs, le
contrat de swap implique un accord des parties sur les montants, les taux de change et les échéances ;
le contrat a, par conséquent, les caractéristiques d’un contrat synallagmatique ; il y a lieu de faire
application des règles de la vente et des conditions générales de l’Association française des banques ».
15. Ex. : livraison de blé français contre de l’acier russe, livrable à un chantier naval portugais qui
l’exporte en Russie, en échange de pétrole livrable en France, etc.
16. Ex. : Renault livre des automobiles à une entreprise colombienne, qui, en contrepartie, lui four-
nit du café. Renault vendra à des tiers le café, qui au deuxième degré sera en quelque sorte le prix des
automobiles. Le sort de l’échange ne sera pas affecté si Renault ne parvient pas à vendre son café, sauf
clause particulière. Mais l’échange doit être résolu si le café est défectueux (vice caché ou défaut de
conformité).
17. L’exportation est stipulée payable en devises pour sa totalité. Par un contrat distinct, parallèle au
contrat principal, le fournisseur promet d’acheter des marchandises à son cocontractant, voire à un
tiers.
n TITRE II n
LOCATION-VENTE,
LOCATION-ACCESSION, CRÉDIT-BAIL
SECTION I
LOCATION-VENTE
ET LOCATION-ACCESSION
2. Ex. : la clause qui réserve au seul établissement de crédit le droit d’intenter l’action en résolution
de la vente. Celle qui autorise l’établissement de crédit à réaliser le bien repris en cas de défaillance du
locataire sans permettre à ce dernier de présenter un acheteur faisant une offre satisfaisante, etc.
3. Cass. com., 7 février 1977, Bull. civ. IV, no 38 ; D. 1978.702, n. Nguyen Phu Duc : « Le contrat
litigieux [...] contient une clause particulière aux termes de laquelle “il reste entendu qu’à l’expiration
de la cinquième année, l’installation demeurera propriété de l’abonné, et sera alors entretenue par un
contrat d’entretien forfaitaire et annuel...” » ; la Cour de cassation déclare que « ledit contrat ne peut
s’analyser en une vente à crédit, le futur acquéreur est bien un locataire réglant à chaque échéance
des redevances correspondant à l’usage de la chose louée, puisque ce n’est qu’après versement de
l’intégralité des loyers pendant les cinq années prévues que le transfert de propriété sera réalisé... ».
4. Pour la période de location, elle reste soumise au droit des baux, Cass. civ. 3e, 3 juin 2001,
Bull. civ. III, no 75 : « la loi susvisée, d’ordre public, régit la période de location assorti d’une promesse
de vente ».
5. Ph. MALINVAUD et Ph. JESTAZ, « L’accession à la propriété par le contrat de location-accession », D.
1985, chron. 273-284 ; Droit de la promotion immobilière, avec P. JOURDAIN et O. TOURNAFOND, Dalloz,
9 éd., 2014, nos 609 et s.
e
6. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 avril 2009, no 07-21496, Bull. civ. III, no 84 ; D. 2009.1204, n. G. Forest ;
Defrénois 2009.1281, n. R. Libchaber ; Contrats, conc. consom. 2009, no 185, n. L. Leveneur ; Dr. et
patr. janv. 2010, p. 34 s., note P. Nabet : « ne peut constituer une location-accession le contrat qui
ne prévoit pas d’option d’achat au profit de l’accédant, mais qui comporte des obligations réciproques
de vendre et d’acheter ».
LOCATION-VENTE, LOCATION-ACCESSION, CRÉDIT-BAIL 491
à la loi du 12 juillet 1984, mais, le cas échéant, à une autre réglementation : législation des baux
et droit de la consommation (C. consom., art. L. 313-38 et s.).
Le caractère d’ordre public de la loi de 1984, dans le domaine qui est le sien, est discuté. La
loi n’en dit rien, et, à la différence d’autres lois récentes, ne prévoit aucune sanction pénale ; de
plus, son objet n’est pas de protéger, mais de créer un nouveau contrat. Cependant, les disposi-
tions tenant aux obligations financières réciproques paraissent s’imposer.
La location-accession est constituée par un contrat de location, qui n’est pas soumis aux
règles concernant le bail mais à un régime propre (art. 28 à 34), assorti d’une promesse unilaté-
rale de vente. Les inconvénients de la location-vente traditionnelle disparaissent : la restitution
des sommes dues par le bailleur-vendeur en l’absence de levée de l’option est garantie, notam-
ment par un nouveau privilège (art. 16) ou un cautionnement. Le locataire-accédant, derrière
lequel se trouve déjà le propriétaire ou le copropriétaire, dispose en matière de gestion de l’im-
meuble, notamment dans ses rapports avec la copropriété, de prérogatives importantes (art. 32) ;
il a des obligations plus lourdes que celles d’un simple preneur à bail (art. 29).
Le contrat est solennel, – il doit être établi par un acte authentique (art. 4) – et, conséquence
de la législation contemporaine protectrice du consommateur, comporter un certain nombre de
mentions informatives sur les éléments du contrat : description de l’immeuble, prix de vente
avec ses modalités de paiement, intention de l’acquéreur d’obtenir un prêt, date de l’entrée en
jouissance, montant de la redevance, modalités du paiement et imputation sur le prix, indemni-
tés de résiliation, référence des contrats d’assurance ; il doit aussi rappeler les règles légales sur
l’absence de maintien dans les lieux en cas de résiliation du contrat (art. 5).
Le contrat de location-accession, très complexe, impose au vendeur un risque financier qui
n’est pas suffisamment compensé : si l’option n’est pas levée, il ne peut conserver qu’une indem-
nité égale à 1 % du prix de vente (exceptionnellement, 3 %) (art. 11). En l’état, il n’est qu’un pis-
aller, destiné seulement à écouler des « queues de programme », suivant l’expression des pro-
moteurs. L’accueil de la pratique est réservé.
SECTION II
CRÉDIT-BAIL
811. Premières vues. – Le crédit-bail est une convention complexe par laquelle
un établissement financier loue un bien à une personne qui dispose d’une option
à l’expiration d’une période irrévocable de location.
Le crédit-bail est parfois dénommé en anglais leasing, ce qui révèle son origine
américaine7. Les mots sont trompeurs : lease veut dire bail, comme le mot rent. Le
crédit-bail n’est pas un louage de chose : comme le nom le suggère, il est un bail
qui garantit un crédit, un emprunt que l’on essaye de rembourser grâce aux reve-
nus de la chose qu’il a permis d’utiliser. Il est devenu un contrat original et très
utilisé.
Il constitue une œuvre de la pratique qui le diversifie sans cesse, au moyen de montages
contractuels. Partiellement réglementé par la loi (C. mon. fin., art. L. 313-7 et s.), il suscite une
jurisprudence abondante qui n’est pas toujours cohérente, sans doute parce que cette institution
d’origine étrangère s’intègre mal dans l’ordre juridique français.
812. Domaine et validité. – Le crédit-bail est soumis aux articles L. 313-7 et sui-
vants du Code monétaire et financier lorsqu’il porte soit sur un immeuble à usage
professionnel, soit sur un bien d’équipement ou un matériel d’outillage, soit sur
un fonds de commerce ou un établissement artisanal ou leurs éléments8. Lorsqu’il
porte sur un immeuble, il est généralement pratiqué par des sociétés financières
spécialisées, les Sicomi, qui bénéficient d’avantages fiscaux : sauf lorsqu’il porte
sur un fonds de commerce ou un établissement artisanal, le locataire peut déduire
l’intégralité de ses bénéfices. Les opérations de crédit-bail ne peuvent être faites à
titre habituel que par les établissements de crédit (ib., art. L. 313-7 et s.) ; la Cour
de cassation a frappé de nullité les actes conclus en méconnaissance de cette
règle9.
Pourquoi ces biens et non les autres ? Peut-être parce que c’est pour eux que le désir d’utili-
sation l’emporte peu à peu dans la mentalité contemporaine sur celui de l’appropriation et
qu’aujourd’hui la propriété peut ne constituer qu’une garantie, privée des prérogatives liées à
la maîtrise effective. Pour le crédit mobilier, peut-être aussi parce qu’il s’agit de biens menacés
d’obsolescence10. Un contrat qui porte sur des biens à usage personnel ou familial mais com-
porte tous les éléments du crédit-bail est un crédit-bail valable (à supposer que soit respectée la
loi) ; mais la réglementation spécifique ne lui est pas applicable – ni les avantages fiscaux, ni la
publicité. Il en serait de même si l’entreprise « bailleresse » avait elle-même fabriqué le bien11.
813. Utilité. – Une entreprise souhaite utiliser pour ses besoins professionnels
un bien – mobilier ou immobilier –, sans avoir ni à l’acheter tout de suite, ni
même ultérieurement. Elle le fait acquérir par une entreprise de crédit-bail qui le
lui loue pour une période correspondant à la durée normale de l’amortissement
fiscal. Le preneur a alors la jouissance de la chose et paye des loyers. Au terme
d’une période dite « irrévocable », il a une option : soit acheter le bien pour une
valeur résiduelle déterminée au début de l’opération ; soit le restituer ; soit, dans la
plupart des contrats, en demander le renouvellement.
Le leasing permet le financement des entreprises, et même l’autofinancement : c’est le bien
« acquis » en leasing qui procure les ressources nécessaires à son paiement. L’établissement de
crédit-bail n’est pas un véritable propriétaire bien qu’il en ait la qualité juridique ; il s’agit, dans
la réalité économique, d’une opération de crédit et d’une sûreté utilisant le louage de chose,
difficile à qualifier. Les établissements de crédit-bail cherchent à invoquer telle qualification
quand elle lui est avantageuse, telle autre, dans le cas contraire. Ce contrat a un grand succès,
parce qu’il convient à l’utilisation des biens menacés d’obsolescence, qu’il permet aux bailleurs
de fonds d’être garantis pour les capitaux qu’ils prêtent, aux utilisateurs de pratiquer l’autofinan-
cement et le profit par l’usage, sans compter les avantages fiscaux.
Ce n’est pas, cependant, une vente à crédit, notamment parce que le locataire
ne devient pas nécessairement propriétaire au terme du contrat et il bénéficie
d’une option16.
Ce n’est pas non plus un prêt d’argent17, garanti par une sûreté : l’utilisateur ne
rembourse pas un prêt, mais paye des loyers, bien qu’ils aient un caractère finan-
cier, car ils sont calculés sur l’importance de l’investissement. Ce n’est pas non
plus une promesse unilatérale de vente, puisque le contrat comporte une loca-
tion ; aussi, la Cour de cassation ne l’a-t-elle pas soumis à l’article 1589-218, impo-
sant des formalités à certaines promesses unilatérales de vente19. Ce n’est pas
davantage un louage de choses20 ; d’abord pour une raison de principe symé-
trique, puisque le contrat doit comporter une promesse de vente pour constituer
12. Cass. com., 8 décembre 1987, Bull. civ. IV, no 167 ; JCP G 1988.II.21065 : « Les parties à un cré-
dit-bail ayant la possibilité de fixer librement la durée de la période de location à l’expiration de
laquelle le preneur à la faculté d’exercer son option d’achat ».
13. Ex. : Cass. com., 30 mai 1989, Bull. civ. IV, no 167 ; Gaz. Pal. 1989.II.817 ; RTD com. 1990.93,
obs. B. Bouloc : « Vu l’article 1 de la loi du 2 juillet 1966, (auj. C. mon. fin., art. L. 313-7) ; pour être
constitutifs des opérations de crédit-bail visées par (la loi précitée), les contrats de location doivent
comporter de la part du bailleur une promesse unilatérale de vente donnant au locataire la possibilité
d’acquérir tout ou partie des biens loués ».
14. Ex. de mandat : « Le locataire choisit seul la marque et le type des équipements et désigne le
fournisseur de son choix. Il détermine avec ce fournisseur les spécifications techniques des équipe-
ments, fixe la date de livraison et éventuellement les modalités de mise en place et d’installation. »
Par conséquent, le crédit-bailleur est directement obligé à l’égard du vendeur : Versailles, 6 mai
1997, D. Aff. 1997.1117 (peu importe que le crédit-preneur ne prenne pas possession du matériel).
15. Ex. : Rennes, 6 septembre 2002, Comm. com. électr. 2003, no 7, obs. Ph. Stoffel-Munck.
16. Pour le rapprochement avec la vente comportant une réserve de propriété : J.-P. CHAZAL et
Y. REINHARD, RTD com. 2002. 932.
17. Les dispositions sur l’usure ne s’appliquent pas au crédit-bail : Rouen, 3 juillet 1970, D.
1971.465, n. Dessens ; Rép. min. just., no 25822, JOAN QR, 29 novembre 1972, p. 5370 ; JCP G
1973.IV.115.
18. * Cass. civ. 3e, 3 novembre 1981, Sté Ranch de la Bravone, Bull. civ. III, no 173 ; D. 1982, IR,
409, obs. M. Vasseur ; JCP G 1982.II.19867 ; RTD civ. 1982.434, obs. Ph. Rémy ; Rev. loyers
1982.75, obs. J. V. ; RDI 1982.395, obs. Groslière et Jestaz ; GAJ civ., nos 289-290, 1er arrêt : « Le
contrat de crédit-bail immobilier est un contrat d’une nature complexe dans lequel la promesse de
vente ne constitue qu’un élément d’une technique juridique permettant aux parties de réaliser une
opération globale leur offrant des avantages réciproques ».
19. Supra, no 115.
20. Comp. la jurisprudence des juridictions répressives : est coupable d’abus de confiance, en sa
qualité de locataire, le crédit-locataire qui, n’ayant pas réglé les loyers échus, ne peut restituer le
494 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
un crédit-bail21 ; en outre, la pratique écarte toutes les règles du bail22 ; enfin, il n’a
pas tellement pour objet la jouissance de la chose que la constitution d’une sûreté
et, dit la Cour de cassation de façon un peu abrupte, de « tendre » à un transfert de
propriété. La jurisprudence en a tiré comme conséquence que le contrat était
soustrait à la législation des baux, notamment celle des baux commerciaux et
que ne s’appliquait pas le privilège du bailleur d’immeuble23. Néanmoins, elle
ne s’interdit pas une application analogique, afin de compléter le statut
spécial24.
Le crédit-bail ressemble davantage à une location-vente, avec l’adjonction d’une promesse
unilatérale de vente. Dans les deux cas, il y a un mécanisme de crédit qui utilise le bail
comme une sûreté : celui qui finance l’acquisition de la chose en garde la propriété en qualité
de bailleur tant que la totalité du prix n’a pas été payée. Dans les deux cas aussi, le contrat
combine la location et la vente : en cours de bail, l’utilisateur de la chose est un locataire, à
l’expiration du bail, il a faculté de devenir propriétaire en payant un prix réduit et même symbo-
lique dans le crédit-bail immobilier. La différence essentielle entre la location-vente et le leasing
tient à ce que l’une est un contrat entre deux personnes tandis que l’autre implique l’intervention
d’une troisième personne, l’entreprise de crédit-bail, qui procède à l’achat préalable du bien
objet du leasing.
815. Sous-location. – Une sous-location ne peut constituer un crédit-bail25, bien que les
données économiques et financières soient les mêmes et que soient permis la cession-bail
(lease back) et le crédit adossé26.
816. Publicité et formalisme. – La loi (C. mon. fin., art. L. 313-10 et R. 313-3
et s.) impose une publicité (juridique et comptable) aux contrats de crédit-bail :
une inscription au greffe du tribunal de grande instance ou du tribunal de com-
merce, et pour un crédit-bail immobilier, la publicité foncière. À défaut, le crédit-
bailleur ne pourrait opposer son droit de préférence aux créanciers du crédit-pre-
neur, ni revendiquer le bien entre les mains d’un acquéreur éventuel, sauf s’il
démontre la connaissance qu’en avaient ces tiers ; cette preuve est difficile.
bien d’équipement loué. Ex. : Cass. crim., 22 novembre 1979, Bull. crim., no 313 ; D. 1979, IR, 215,
1re esp., obs. Puech.
21. Cass. com., 14 avril 1972, Bull. civ. IV, no 105 ; JCP G 1972.II.17269, n. E. Alfandari ; RTD com.
1973.327, obs. J. Hémard.
22. La convention met à la charge du locataire... les réparations incombant normalement au pro-
priétaire, ... la perte de la chose louée, même pour cause de force majeure, en stipulant que l’indem-
nité versée en cas de sinistre est déléguée au crédit-bailleur, ... la responsabilité tenant à la garde de la
chose, ... les charges fiscales ; le crédit-bailleur s’exonère de la garantie des vices cachés.
23. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 3e, 7 mai 1997, Bull. civ. III, no 99 ; Contrats, conc.
consom. 1997, comm. no 144, obs. L. Leveneur.
24. Cass. civ. 3e, 2 mars 2005, Bull. civ. III, no 55 ; RDC 2005.1087, obs. J.-B. Seube ; JCP G
2006.II.10037, n. C. Hardouin Le Goff : « les art. L. 313-7 s. C. mon. fin. ne contenant pas de disposi-
tion spéciale sur les obligations du crédit-preneur quant à l’entretien de l’immeuble, il pouvait être fait
application de l’art. 1732 ».
25. Cass. com., 14 mai 1985, Bull. civ. IV, no 149 : « Ne peut constituer une opération de crédit-bail
que la location portant sur des biens acquis en vue de cette opération par une entreprise qui en
demeure propriétaire ». En l’espèce, le locataire avait sous-loué le bien d’équipement mis à sa dispo-
sition par une entreprise de crédit-bail ; jugé que n’était pas applicable à la sous-location le droit du
crédit-bail, et notamment le Code monétaire et financier ; l’entreprise de crédit-bail pouvait donc
revendiquer le bien sous-loué, même si la sous-location n’avait pas été publiée.
26. Un producteur « vend » un bien à un établissement de crédit-bail, le prend en location, et le
sous-loue à un client : le risque financier de l’opération est pris par l’établissement de crédit-bail.
LOCATION-VENTE, LOCATION-ACCESSION, CRÉDIT-BAIL 495
817. Consommateurs. – Lorsque le crédit-bail a pour objet, non un bien professionnel, mais
un bien d’équipement familial ou ménager, il n’est pas soumis au Code monétaire et financier.
Comme il constitue un bail assorti d’une promesse de vente, il relève du Code de la consomma-
tion (crédit mobilier ou immobilier), si les conditions d’application en sont réunies.
27. Ex. : Cass. com., 12 avril 1988, Bull. civ. IV, no 127 ; JCP G 1988.IV.211 ; en l’espèce, la sté Géli-
route avait donné en crédit-bail un véhicule à la sté Comptoir Prigontin du bâtiment qui, ultérieure-
ment, fut mise en liquidation judiciaire ; jugé que la sté Géliroute ne pouvait revendiquer le véhicule
et que l’administrateur devait le vendre au profit des créanciers de la masse.
28. Cass. com., 14 octobre 1997, Bull. civ. IV, no 257 ; Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 1,
obs. L. Leveneur.
29. Cass. civ. 3e, 15 mai 1996, Bull. civ. III, no 116 : « destinée à protéger les droits du crédit-pre-
neur », la nullité est relative.
30. Cass. civ. 3e, 30 janvier 2002, Bull. civ. III, no 24 ; D. 2002.802, n. V. Avena-Robardet, somm.
2837, obs. L. Aynès ; JCP G 2003.II.10089, n. O. Pade ; Contrats, conc. consom. 2002, comm. no 29,
obs. L. Leveneur : en l’espèce, une sté avait donné en crédit-bail un immeuble à usage hôtelier ; les
loyers n’étant plus réglés, la sté de CB demanda la résiliation du contrat ; le locataire opposa une
exception de nullité tenant au dol, plus de cinq ans après la conclusion du contrat ; jugé que l’excep-
tion était tardive : « ayant constaté que la nullité du crédit-bail [...] avait été invoquée [...] plus de cinq
ans après la conclusion du contrat [...] et relevé exactement que dès ce moment l’exécution de l’opé-
ration de crédit se trouvait caractérisée, la cour d’appel, qui a retenu à bon droit que l’exception de
nullité qui pouvait être présentée après l’expiration du délai de prescription, pouvait seulement jouer
pour faire échec à une demande d’exécution d’un acte juridique qui n’avait pas été exécuté, a pu en
déduire que la demande d’annulation du contrat de crédit-bail était irrecevable comme tardive ».
31. R.-N. SCHÜTZ, Les recours du crédit-preneur dans l’opération de crédit-bail, th. Poitiers, PUF,
1993.
32. E. M. BEY, De la symbiotique dans le leasing et le crédit-bail mobilier, Dalloz, 1970.
496 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
fournisseur, et n’avoir que des droits et obligations financiers. Aussi, ces règles sont-elles écar-
tées par la pratique conventionnelle.
33. Cass. com., 30 octobre 1973, Bull. civ. IV, no 303 ; D. 1974, somm. 6 : « Le crédit-bailleur n’est
pas tenu de garantir la qualité et la fiabilité du matériel loué par lui mais librement choisi par le loca-
taire ». Ex. de clause : « Le preneur décharge expressément le bailleur de toute obligation de garantie
contre les vices cachés ».
34. Ex. : Cass. com., 4 juin 1996, Bull. civ. IV, no 156 ; D. 1996.631 ; JCP G 1996.II.22744,
n. M. Taillens-Dessalle : « En l’état de la clause litigieuse du contrat de crédit-bail, par la délégation
faite par la sté Loca PMI (le crédit-bailleur) à la sté Carrosserie nouvelle (le crédit-preneur), le bailleur
avait transféré au locataire tous ses droits et actions contre le fournisseur concernant la garantie des
vices cachés et l’assignation en résolution du contrat de vente du fournisseur par le preneur qui invo-
quait, avec le bailleur, la clause litigieuse, opérait signification de la cession de créance de garantie ».
35. Cass. com., 24 mai 1994, Contrats, conc. consom. 1994, comm. no 192, obs. L. Leveneur ;
n.p.B. : « Cette clause valait renonciation du locataire à la garantie légale du bailleur ».
36. Cass. com., 4 juin 1991, Bull. civ. IV, no 206 ; en l’espèce, la cour d’appel avait jugé irrecevable
l’action en résolution de la vente exercée par le crédit-preneur contre le vendeur parce qu’il était
devenu « en cours d’instance, propriétaire du matériel litigieux, en levant l’option d’achat à la fin du
crédit-bail ». Cassation : « En qualité de sous-acquéreur de la chose qu’elle prétendait non conforme
au contrat, la sté La Marée côtière jouissait de tous les droits et actions attachés à cette chose, qui
appartenaient à son auteur » ; supra, no 308.
37. Cass. civ. 1re, 11 février 1986, Bull. civ. I, no 27 ; D. 1986.541, n. B. Gross : « En vertu (du
C. consom.) qui consacre l’interdépendance du contrat de vente du bien et du contrat de crédit relatif
à celui-ci en vue d’assurer la protection du consommateur, l’emprunteur dispose d’une action directe
en résolution de la vente, sous réserve de l’intervention à l’instance ou de la mise en cause du prê-
teur » ; infra, no 955.
38. Grenoble, 13 juin 1991, JCP G 1992.II.21819, n. G. Paisant.
39. Cass. com., 15 mars 1994, Bull. civ. IV, no 109 ; JCP G 1994.II.22339, n. Fr. Labarthe : « Sauf
cause de nullité l’affectant directement, le contrat de crédit-bail n’est que résilié en conséquence de
l’annulation du contrat de vente » ; la cour d’appel avait, en conséquence de la nullité de la vente,
annulé le crédit-bail, car elle estimait que la vente était la cause du crédit-bail. Cassation : la cause
du crédit-bail c’est la jouissance de la chose ; la résiliation, à la différence de la nullité, n’est pas
rétroactive.
LOCATION-VENTE, LOCATION-ACCESSION, CRÉDIT-BAIL 497
40. Ex. : Cass. civ. 1re, 11 avril 1995, Bull. civ. I, no 169 : « Vu l’article 1184 [devenu art. 1227] ; la
résolution de la vente entraîne la résiliation du contrat de crédit-bail ».
41. ** Cass. ch. mixte, 23 novembre 1990, 2 arrêts, Bitoun et Lubin, Bull. civ. ch. mixte, no 3 ; D.
1991.121, n. Chr. Larroumet ; JCP G 1991.II.21642 ; Gaz. Pal. 27 juin 1991, concl. Dontenwille ;
Contrats, conc. consom. 1991, comm. no 30, obs. L. Leveneur ; GAJ civ., nos 289-290, 2e arrêt : « La
résolution du contrat de vente entraîne nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail, sous
réserve de l’application de clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation ».
Rappr. * Cass. ch. mixte, 17 mai 2013 préc., cité infra no 824.
42. Cass. com., 21 mars 1995, Bull. civ. IV, no 94 : « En présence d’un contrat de crédit-bail stipu-
lant, d’une part, le maintien de l’obligation au payement des loyers durant l’instance en résolution
de la vente, et, d’autre part, la réparation du préjudice résultant de cette résolution, doit être cassé
l’arrêt qui fait application cumulative des deux clauses ».
43. Cass. com., 1er juin 1993, Bull. civ. IV, no 215 : c’est seulement en cas de faute équivalente à une
fraude « que le crédit-preneur cesse d’être investi du droit de demander la résiliation du crédit-bail en
conséquence de la résolution de la vente, une faute simple ne justifiant éventuellement que l’alloca-
tion de dommages-intérêts ».
44. Cass. com., 19 mai 1992, Bull. civ. IV, no 199 : « Ayant retenu que la demande en résolution de
la vente du matériel litigieux avait été formée par M. Moeglin hors de tout mandat de l’établissement
financier propriétaire du bien loué, dès lors qu’aucun vice ou trouble de jouissance, affectant l’utilisa-
tion de ce bien n’était invoqué, la cour d’appel en a, à bon droit, déduit que la résolution de la vente
était inopposable à la sté Loveco, et qu’il n’y avait pas lieu de prononcer la résiliation du bail ».
45. Ex. : Cass. com., 26 octobre 1993, Bull. civ. IV, no 359.
46. Ex. : Cass. com., 26 octobre 1993, Bull. civ. IV, no 360 ; JCP G 1994.I.3744, no 13, obs.
Chr. Jamin ; en l’espèce, il s’agissait de clauses relatives à « l’absence de responsabilité du crédit-bail-
leur en cas de fonctionnement défectueux de la chose louée, et celles régissant les conséquences de
l’interruption du payement des loyers par le crédit-preneur » ; jugé que ces clauses « n’apparaissent
pas avoir eu pour objet de régler les conséquences de la résolution du contrat de vente ».
47. Ex. : Cass. civ. 3e, 21 mai 2008, no 07-12848 ; Bull. civ. III, no 94 ; JCP G 2008.IV.2121 : « l’in-
demnité due en cas de résiliation pour inexécution, qui, tant par l’anticipation de l’exigibilité des loyers
dès la résiliation du contrat que par le payement d’une année de loyer supplémentaire, majorait les
498 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
elle doit être réduite (art. 1231-5, ancien art. 1152, al. 2). L’entreprise de crédit-
bail n’a pas la mentalité d’un bailleur ni celle d’un propriétaire, mais celle d’un
établissement financier. Le locataire conserve le droit d’agir contre le vendeur48.
Lorsque le crédit-bailleur a conféré au crédit-preneur un mandat d’agir en résolution de la
vente contre le vendeur en cas de vices cachés du matériel crédit-baillé, ce mandat ne survit
pas à la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers49. La Cour de cassation a décidé
que le contrat qui obligerait le crédit-preneur à payer l’intégralité des loyers à courir jusqu’au
terme du contrat en cas de résiliation pour quelque cause que ce soit, était nul en vertu de l’ar-
ticle L. 313-7 du Code monétaire et financier50 ; bien que ce ne soit pas la raison qu’en donne la
Cour de cassation, cette indemnité manque de cause.
Lorsque le locataire est soumis à une procédure collective, la continuation du contrat peut
être imposée à l’entreprise de crédit-bail, malgré toute clause contraire. S’il est résilié, celle-ci
doit déclarer sa créance de loyers antérieurs au jugement, avec les risques de non-recouvrement
qui en résultent51 et ne peut se faire restituer le matériel fourni qu’en suivant les règles de la
procédure collective52.
charges financières pesant sur le débiteur, était stipulée à la fois pour le contraindre à l’exécution du
contrat et comme évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice subi par le bailleur du fait de la
rupture fautive de celui-ci » était une pénalité conventionnelle soumise à l’art. 1152, al. 2.
48. Cass. com., 8 décembre 1992, Bull. civ. IV, no 396 : « Le crédit-preneur a mandat du crédit-bail-
leur pour exercer les recours contre les fournisseurs, et ce, même après la résiliation du crédit-bail ».
49. Cass. com., 11 juillet 2006, Bull. civ. IV, no 173 ; D. 2006, AJ 2095, n. X. Delpech et 2007.413,
n. R. Mislawski ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 247, n. L. Leveneur : « en l’absence de sti-
pulation contraire, la cour d’appel a exactement retenu que la résiliation du contrat de crédit-bail a mis
fin au mandat donné par le crédit-bailleur au crédit-preneur pour l’exercice de l’action en garantie
contre le fournisseur ».
50. Cass. civ. 3e, 27 avril 1988, Bull. civ. III, no 81 : « Vu l’article (L. 313-7, C. mon. fin.) ; sous le cou-
vert d’une clause de résiliation anticipée à la demande du preneur, la stipulation dont il s’agit tend à
l’exécution de toutes les clauses du contrat, supposé non résilié, dans le seul intérêt du crédit-bailleur,
la cour d’appel a violé le texte susvisé ». En revanche, la clause est valable si le preneur a « la seule
obligation de payer le capital restant dû, représentant une somme sensiblement inférieure au cumul
des loyers restant à courir jusqu’au terme du contrat puisqu’elle ne comprenait pas les intérêts ».
51. Cass. com., 22 janvier 1974, Bull. civ. IV, no 27 ; D. 1974.514 : « S’agissant d’un contrat à exé-
cution successive, la société Locafrance, dont la créance était née antérieurement au jugement de
redressement judiciaire ou de liquidation de biens, ne pouvait prétendre être créancière de la faillite ».
52. Cass. com., 15 octobre 1991, Bull. civ. IV, no 291 ; Contrats, conc. consom. 1992, comm. no 4,
obs. L. Leveneur.
53. G. PARLÉANI, « Le contrat de lease-back », RTD com. 1973, 699-738 et n. au D. 1978.302.
54. 1er ex. : une entreprise ayant besoin de capitaux vend son siège social à une société de crédit-
bail, qui le lui loue aussitôt. 2e ex. : une entreprise cède sa production à une société, qui la lui remet à
sa disposition par un contrat de crédit-bail ; l’entreprise loue ensuite sa production à la clientèle par un
contrat de location simple – ou plus exactement une sous-location – ce que l’on appelle souvent le
lease-back fournisseur.
LOCATION-VENTE, LOCATION-ACCESSION, CRÉDIT-BAIL 499
55. Biblio. : A. GHOZI, « La location financière : des liaisons dangereuses ? », D. 2012. 2254.
56. * Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, Société Business Support services, nos 11-22768 et 11-22927, 2
esp., Bull. ch. mixte no 1 ; JCP G 2013, 673-674, n. F. Buy et J.B. Seube ; D. 2013. 1658,
n. D. Mazeaud ; Contrats conc. consom. 2013 no 176, n. L. Leveneur ; RDC 2013. 849, avis L. Le
Mesle et 1331, obs. Y-M. Laithier ; RTD civ. 2013. 597, obs. H. Barbier : « les contrats concomitants
ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépen-
dants ; sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance »
(il s’agissait dans les deux cas de services informatiques auxquels s’adosse une location financière).
Pour que l’ensemble disparaisse, il faut que le contrat principal soit préalablement anéanti d’une
façon ou d’une autre et pas seulement inexécuté : Cass. com., 4 novembre 2014, no 13-24270,
Bull. civ. IV no 159 ; RDC 2015. 268, obs. J.-B. Seube ; Dr. et patr. juill.-août 2015, p. 86, obs. L. Aynès.
n TITRE III n
CONTRATS DE DISTRIBUTION
5. Ex. : Dans le commerce des automobiles, il est utile que le revendeur ait un personnel capable de
les entretenir et de les réparer.
6. Ex. : Cass. com., 13 mai 1997, Bull. civ. IV, no 131 ; JCP G 1999.I.114, no 4, obs.
M. Fabre-Magnan ; en l’espèce, un distributeur de parfums s’était engagé à acheter au concédant
« au moins deux fois la valeur du stock minimum » ; jugé que « l’obligation ainsi imposée était dispro-
portionnée par rapport au pourcentage des ventes de la sté Estée Lauder (le concédant) sur l’ensemble
du marché [...] ; cette clause litigieuse ne présentait pas le “caractère raisonnable” devant s’attacher à
une clause d’approvisionnement minimum prévu dans un contrat de distribution sélective ». B. FAGES,
« L’abus dans les contrats de distribution », Cah. dr. entr. 1999 (no 6), p. 11 et s.
7. Ex. : Paris, 15 mai 1998, Contrats, conc. consom. 1998, comm. no 115, obs. M. Malaurie-Vignal ;
T. com., Paris, 2 avril 1999, Galeries Lafayette, D. Aff. 1999.98 et s.
8. Ex. : ne constitue pas un mandat, mais une concession de vente, la convention selon laquelle le
fabricant vend à un commerçant l’exclusivité de ses produits, lorsque le prix est payé ferme au concé-
dant, indépendamment de celui que payent les clients du concessionnaire auxquels les produits sont
revendus, et que le concessionnaire assure l’entière responsabilité de la revente : Cass. com., 13 mai
1970, Bull. civ. IV, no 161 ; JCP G 1971.II.18891, n. Sayag.
9. Supra, nos 557-558.
10. Cass. com., 6 novembre 1961, Bull. civ. III, no 395 ; D. 1962.186.
11. Cass. com., 6 novembre 1961, préc. : « L’abstention sans intention de nuire est susceptible de
constituer une faute dans les cas où les faits omis devraient être accomplis en vertu d’une obligation
légale ou professionnelle ; par application de ce principe, un constructeur de véhicules automobiles
peut engager sa responsabilité envers les tiers lorsqu’il maintient en fonction un concessionnaire dont il
connaît depuis longtemps la carence financière et les actes frauduleux » (en l’espèce, jugé que le
concédant n’avait pas commis cette faute).
12. Paris, 12 novembre 1962, D. 1963, somm. 825 : « Dans certains cas limites, le concessionnaire
agit en qualité de mandataire du constructeur, en particulier pour le service de garantie et de révision
assuré aux véhicules des clients de passage ; dans cette dernière hypothèse, le concessionnaire n’agit
plus pour son compte personnel mais se borne à exécuter le mandat conféré par le constructeur ».
CONCESSION EXCLUSIVE DE VENTE 505
concession est révoquée mais un agrément est maintenu ; ou bien, à l’inverse, après une période
d’agrément, une concession est accordée. De même, les pompistes de marque peuvent être
concessionnaires pour la distribution des lubrifiants et mandataires des compagnies pétrolières
pour les carburants.
13. J. GATSI, Le contrat-cadre, LGDJ, 1997, préf. M. Behar-Touchais. Le contrat-cadre en France, dir.
A. Sayag, Litec, 1994, vol. 1 ; Cass. civ. 1re, 15 mars 1988, Bull. civ. I, no 83 : puisque ce ne sont pas des
ventes, la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère interna-
tional d’objets mobiliers corporels ne s’applique pas aux concessions de vente.
14. Cass. com., 7 avril 1998, aff. sté Citroën, Bull. civ. IV, no 126 ; Contrats, conc. consom. 1998,
no 118, obs. S. Poillot-Peruzetto ; en l’espèce, la sté Citroën avait refusé de conclure un nouveau
contrat de concession avec un ancien concessionnaire ; jugé « que le concédant a le droit de traiter
avec le contractant de son choix ; il n’est pas tenu de motiver sa décision ni de communiquer les
critères selon lesquels ce choix est exercé » ; infra, no 834.
15. A. SEUBE, Le contrat de fournitures, Bib. droit de l’entrep., 1973 ; A. SEUBE et J.-M. MOUSSERON, « À
propos des contrats d’assistance et de fournitures », D. 1973, chron. 197-206.
16. Cass. com., 3 novembre 1992, Bull. civ. IV, no 338 ; JCP G 1993.II.22164, n. G. Virassamy ; RTD
com. 1993.124, obs. J. Mestre : « Ayant relevé que M. Huard (le concessionnaire) avait effectué des
travaux d’aménagement dans la station-service et que “le prix de vente appliqué par la sté B.P. à ses
distributeurs agréés était, pour le super carburant et l’essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces
mêmes produits au consommateur final par l’intermédiaire de ses mandataires”, l’arrêt retient que la
sté B.P. (le concédant) (devait) établir un accord de coopération commerciale (avec le
concessionnaire)... ; en privant M. H. des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la sté B.P. n’a
pas exécuté le contrat de bonne foi » ; v. égal. supra, no 558.
17. Paris, 17 janvier 1989, Aff. des Chantiers Bénoteau, et 19 mars 1990, Aff. B.M.W., D. 1990,
somm. 368, obs. D. Ferrier : « La clause de non-concurrence qui engage le concessionnaire exclusif à
ne vendre ou à ne faire vendre, directement ou indirectement, aucun produit directement concurrent
de ceux faisant objet de la concession, ne se limite pas au territoire concédé car le concédant ne peut
admettre que le concessionnaire profite de son exclusivité pour le concurrencer en dehors ».
506 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
830. Vices cachés. – Étant un vendeur, le concessionnaire est tenu envers les
acquéreurs de la garantie des vices cachés21 ou de la conformité, mais il a un
recours contre le fabricant22 ; le client, en sa qualité de sous-acquéreur, a une
action directe contre le fabricant, qui est de nature contractuelle23.
Lorsque la concession est l’élément d’un réseau collectif – comme l’est la concession auto-
mobile –, le client bénéficie de la garantie de réparation chez n’importe quel membre du réseau,
bien qu’il n’ait pas contracté avec lui : une sorte de contrat collectif.
831. Concurrence déloyale. – Le fait, pour un intermédiaire, de violer en connaissance de
cause, une convention d’exclusivité ne constitue pas, en soi, un acte de concurrence
déloyale24. Il en est autrement s’il a aidé, en connaissance de cause, un distributeur agréé ou
exclusif à violer son contrat, ou s’il commet une contrefaçon, un mensonge25 ou une fraude26.
18. Cass. com., 7 décembre 1993, Bull. civ. IV, no 450 : cette clause est licite, au regard du droit
unioniste, dès lors qu’elle « excluait toute appréciation subjective de la part du concédant et que l’in-
suffisance des performances n’était prise en considération qu’à l’issue d’une période globale d’une
année entière [...] ; (ainsi) cette clause était limitée ».
19. Le concessionnaire s’engage à occuper sur l’ensemble du marché (produits concurrents et simi-
laires) une place déterminée, fixée en pourcentage.
20. Paris, 14 mars 1991, Contrats, conc. consom. 1991, comm. no 222, obs. L. Vogel : « Cette
clause qui insère dans le contrat une obligation de résultat quant aux ventes de véhicules est une
clause restrictive de la concurrence susceptible d’affecter le commerce entre États membres, au sens
de l’article (art. 101, TFUE) ».
21. Cass. civ. 1re, 8 octobre 1957, Bull. civ. I, no 360 ; en l’espèce, le client n’avait traité qu’avec le
concessionnaire, sans connaître le concédant (le constructeur du tracteur) : « la cour d’appel a, par
une appréciation qui relevait de son pouvoir souverain, attribué à celui-ci (le concessionnaire) la qua-
lité de vendeur, comme tel tenu aux termes de l’article 1641 de garantir l’acheteur des défauts de la
chose vendue ».
22. Cass. com., 21 octobre 1970, Bull. civ. IV, no 285 ; JCP G 1971.II.16655, n. signée P. L. ; en l’es-
pèce, un concessionnaire avait vendu une « trancheuse » à un acquéreur et été condamné à des dom-
mages-intérêts envers celui-ci en raison des vices cachés de la chose vendue ; jugé qu’il avait un
recours contre le concédant : « La sté Intermat (le concédant), fabricant de la machine, devait répondre
à ce dernier titre, de ces vices (cachés) dans ses rapports avec son acheteur, la sté Lemerle, conces-
sionnaire ».
23. Cass. com., 17 mai 1982, Bull. civ. IV, no 182 : « L’action directe dont dispose le sous-acquéreur
contre le fabricant ou le vendeur intermédiaire pour la garantie du vice caché affectant la chose ven-
due dès sa fabrication est nécessairement de nature contractuelle » ; supra, no 418. Le nouvel
art. 1341-3 sur les actions directes ne distingue pas selon la nature de la créance.
24. Jurisprudence constante depuis Cass. com., 16 février 1983, sté Universal, Aff. Mitsubishi,
Bull. civ. IV, no 69 ; D. 1984.489, n. D. Ferrier, 1re esp. : « le fait allégué d’avoir importé en vue de la
vente en France des machines et du matériel Mitsubischi en dépit des droits d’exclusivité dont béné-
ficiait la sté Universal ne constituait pas en lui-même, en l’absence d’autres éléments, un acte de
concurrence déloyale ».
25. Ex. : Cass. com., 27 octobre 1992, Bull. civ. IV, no 332 ; D. 1992.505, 1re esp., n. A. Bénabent :
« Après avoir relevé que la sté Goguet avait mis en vente des parfums de la sté Dior dont le condition-
nement portait la mention “ne peut être vendu que par des distributeurs agréés” ; l’arrêt retient que
cette “mention usurpée” est “de nature à favoriser la vente” ; [...] la cour d’appel a pu décider que la
sté Goguet avait commis, envers la sté Dior, une faute constitutive de concurrence déloyale ».
26. * Cass. com., 27 octobre 1992, Azzaro, Bull. civ. IV, no 322 ; D. 1992.505, 3e esp.,
n. A. Bénabent ; Contrats, conc. consom. 1992, no 225, obs. L. Vogel : « Si le fait de commercialiser
des produits relevant d’un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte fautif,
CONCESSION EXCLUSIVE DE VENTE 507
La notoriété du réseau et donc son opposabilité peuvent faire présumer la mauvaise foi du
tiers27.
l’achat de marchandises, dans des conditions dont l’illicéité ou le caractère frauduleux est révélé par le
refus de justifier leur provenance, constitue en lui-même un acte de concurrence déloyale ».
27. N. FERRIER et L. SAUTONIE-LAGUIONIE, « La distribution à l’épreuve de l’opposabilité du réseau »,
RTD civ. 2011.225.
28. Cass. com., 7 avril 1992, Aff. Pepsi-Cola, Bull. civ. IV, no 154 ; Contrats, conc. consom. 1992,
no 177, obs. L. Leveneur, cassant Paris, 20 octobre 1990, D. 1991.165, n. Ph. Malaurie. En l’espèce,
la sté Pepsico avait concédé à la sté Perrier l’exclusivité pour la France métropolitaine de l’embouteil-
lage et de la distribution de la boisson Pepsi-Cola pour une durée de 60 ans. Afin de rompre ce contrat
en cours d’exécution, la sté Pepsico avait invoqué le C. com. ; elle avait été déboutée notamment pour
ce motif : « La caducité (sic) de la clause d’exclusivité est édictée dans l’intérêt des parties du contrat,
qui peuvent renoncer à s’en prévaloir ». Cassation : « l’exécution sans aucune réserve [...] n’a pas pour
conséquence de valider ladite clause (l’exclusivité pour 60 ans) [...] les actes dont la nullité est absolue,
étant dépourvus d’existence légale, ne sont pas susceptibles de confirmation ».
29. Cass. com., 25 mars 1974, Bull. civ. IV, no 106 ; JCP G 1976.II.18378, n. crit. Ph. Simler ; RTD
com. 1975.897, obs. J. Hémard ; en l’espèce, il s’agissait d’une concession comportant une obligation
d’approvisionnement exclusif d’une durée de 20 ans ; le concédant l’avait révoquée en cours d’exécu-
tion du contrat en invoquant le C. com. ; la cour d’appel avait « estimé que cette résiliation était abu-
sive, au motif que le C. com. ayant pour objet la protection de l’acheteur ne pouvait être critiquée par
le vendeur ». Cassation : « Les dispositions dont il s’agit sont d’ordre public et leur application peut être
demandée par toute personne y ayant intérêt ».
30. CJCE, 12 décembre 1967, sté Brasserie de Haecht, JCP G 1968.II.15673. Biblio. : M. TROCHU,
« Incidence du droit communautaire sur la rédaction des contrats de distribution », D. 1995, chron.
179.
508 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
sujétions que peut imposer un accord de fourniture ou de distribution exclusives (v. par ex. le
règlement 330/2010 du 20 avril 2010 sur les accords verticaux et les lignes directrices publiées
le 19 mai 2010, sur les restrictions verticales, destinées à conduire les entreprises à évaluer elles-
mêmes leurs accords)31. Les exemptions peuvent également être accordées par les autorités
nationales, sur le fondement du droit de l’Union européenne.
Des règles spéciales s’appliquent aux trois produits de grande consommation traditionnelle-
ment concédés : bière32, produits pétroliers (dix ans) et automobiles (règlement 461-2010)33 ; les
conventions d’exclusivité mobilisent une grande part de l’activité des fonctionnaires et des juges
européens : il s’agit d’une question sensible et d’une matière mouvante. Le droit français a du
mal à assimiler la notion économique de concurrence34. C’est à celui qui porte atteinte à un
réseau licitement constitué de démontrer la régularité de ses actes35.
31. Sur les règles verticales de 2010, appliquées à la distribution sur l’Internet : M. CHAGNY et St.
CHOISY, JCP G 2010, no 774 ; sur le règlement : M. MALAURIE-VIGNAL, Contrats, conc. consom. 2010,
chron. no 9.
32. Th. LAMBERT, « Le contrôle de l’assistance dans le contrat de bière », D. 2005.1085 : l’exclusivité
d’approvisionnement a pour cause l’obligation d’assistance prise par le fournisseur.
33. V. N. RAUD et G. NOTTÉ, Contrats, conc. consom. 2010, Focus no 45 et P. ARHEL, ib. chron. no 10.
Le règlement renforce la liberté de la concurrence.
34. Sur le règlement relatif au franchisage, infra, no 838.
35. Cass. com., 26 janvier 1999, Bull. civ. IV, no 29 : « il appartient à l’opérateur qui a acquis des
véhicules neufs pour les revendre de faire la preuve qu’il les a régulièrement acquis sur un réseau
parallèle ou auprès d’un autre concessionnaire ».
36. M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, Sirey, 6e éd., 2014.
37. Cons. conc., 17 décembre 2008, iPhone, Contrats, conc. consom. 2009, comm. no 52,
n. D. Bosco ; Comm. com. électr. 2009, no 16, n. M. Chagny ; RDC 2009. 551, n. C. Prieto : en l’es-
pèce, le fabricant de « smartphone » Apple avait accordé une exclusivité de vente à Orange, pour
une durée de cinq ans, en contrepartie de lourds investissements de la part de l’opérateur. Le Conseil
jugea que cette durée était trop longue, entravant la concurrence et était constitutive d’une entente
illicite et il suspendit l’exclusivité. Confirmé par Paris, 4 février 2009, Contrats, conc. consom. 2009,
comm. no 110, n. G. Decocq. Mais cassation : Cass. com., 16 février 2010, no 09-11968, n.p.B. ;
Contrats, conc. consom. 2010, no 102, n. G. Decocq ; RDC 2010.834, n. C. Prieto.
38. Définition jurisprudentielle : Ex. : Cass. com., 3 mars 2004, Bull. civ. IV, no 44 ; JCP G
2004.I.149, no 1, obs. crit. M. Chagny : en l’espèce, un distributeur a prétendu en vain que le fait de
l’approvisionnement chez un fournisseur pour une part prépondérante de son chiffre d’affaires suffisait
à établir son état de dépendance économique : sa prétention a été repoussée en se fondant sur une
définition de la dépendance économique : « l’état de dépendance économique, pour un distributeur,
se définit comme la situation d’une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de se substituer à l’un
de ses fournisseurs, un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement
dans des conditions techniques et économiques comparables » : l’état de dépendance économique
suppose donc l’absence de solution équivalente.Définition légale : la loi du 15 mai 2001 sur les nou-
velles régulations économiques institue les notions d’abus de relation de dépendance et d’abus de
puissance d’achat (C. com., art. L. 442-6, 2ob) : il s’agit de pratiques restrictives de la concurrence,
condamnables même si n’est pas démontrée l’absence de solution équivalente, Chr. BOURGEON, RDC
2003, p. 243.
39. Ex. : Cass. com., 25 janvier 2000, Contrats, conc. consom. 2000, comm. no 64, obs.
M. Malaurie-Vignal ; n.p.B. : le concédant en position dominante doit motiver son refus, afin de per-
mettre au juge de « vérifier si les concessionnaires sont choisis selon les mêmes critères objectifs oppo-
sables à tous les candidats ». V. égal. pour les pratiques discriminatoires : Cass. com., 19 mai 1992,
Bull. civ. IV, no 198 : constitue une pratique discriminatoire « le fait pour un fabricant de ne pas com-
muniquer à un seul de ses revendeurs l’ensemble des éléments y compris les rabais et ristournes, per-
mettant de déterminer le prix de revient du produit en vue d’en fixer le prix de vente pour ses clients ».
CONCESSION EXCLUSIVE DE VENTE 509
Lorsque la concession est à durée indéterminée, chacune des parties, notamment le concé-
dant, peut la résilier à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable48 si le conces-
sionnaire n’a pas commis de faute49, sans avoir à donner de motifs50, ni payer d’indemnité51. Le
juge ne saurait le condamner à poursuivre le contrat contre son gré52. Le non-renouvellement ou
la résiliation n’oblige même pas le concédant à reprendre le stock, s’il n’y a pas une clause
particulière l’imposant, ni, encore moins, à aider son partenaire à se reconvertir53.
La sévérité de la solution est telle que la jurisprudence tend à la limiter ; non seulement par les
tempéraments habituels de la faute du concédant54, sa mauvaise foi et l’abus du droit de non-
renouvellement ou de résiliation55 ; et aussi, elle vérifie la pertinence ou même la légitimité des
48. Ex. : Cass. com., 8 avril 1986, Bull. civ. IV, no 58 ; D. 1988, somm. 1919, obs. D. Ferrier : « Si [...]
la société Tim était en droit de mettre fin au contrat de concession conclu sans limitation de durée,
c’est à la condition que l’exercice de ce droit ne soit pas abusif ; la cour d’appel a retenu que la société
Tim avait mis fin brutalement au contrat l’unissant à la société van Beurden Mode Agenturen en l’avi-
sant quelques jours avant la collection d’été 1981 que cette collection ne lui serait pas confiée ; par ce
seul motif [...], la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».
49. Cass. com., 8 mars 1967, JCP G 1968.II.15346, n. J. Hémard : « Les retards dans les paiements
constituaient un manquement fautif aux obligations (du concessionnaire), justifiant la rupture du
contrat sans préavis ».
50. Cass. com., 30 novembre 1982, Bull. civ. IV, no 392 : « S’agissant d’un contrat conclu pour une
durée déterminée d’un an dénoncé plus de trois mois avant son expiration [...] le concédant n’avait
pas de motifs à fournir pour justifier sa décision d’y mettre fin ».
51. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. com., 5 décembre 1984, Bull. civ. IV, no 332 : « Le concé-
dant, qui était en droit de mettre fin au contrat verbal de concession à durée nécessairement indéter-
minée faute de stipulation d’un terme, avait respecté un préavis exempt de brusquerie pour résilier le
contrat ».
52. Cass. com., 28 novembre 2006, Bull. civ. IV, no 234 ; D. 2007.13, n. E. Chevrier (concession
automobile, plus de livraison de véhicules neufs ni de pièces détachées).
53. Cass. com., 6 mai 2002, Bull. civ. IV, no 81 ; D. 2002.1754, n. E. Chevrier ; JCP G
2002.II.10.146, n. Ph. Stoffel-Munck ; D. 2002, somm. 2842, obs. D. Mazeaud ; Contrats, conc.
consom. 2002, comm. no 134, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2002. 810, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC
2003, p. 34, obs. crit. J.-P. Chazal : « Le concédant n’est pas tenu d’une obligation d’assistance du
concessionnaire en vue de sa reconversion ».
54. 1er ex. : avant de résilier, par une lettre d’intention, il avait promis au concessionnaire que le
contrat serait renouvelé : il l’a ainsi induit en erreur et a donc commis une faute : Cass. com., 11 juillet
1978, Bull. civ. IV, no 199 ; RTD com. 1979.313, obs. J. Hémard ; RJ com., 1979.171, obs. R. Le Gui-
dec. 2e ex. : avant la résiliation, le concessionnaire avait fait d’importants investissements avec l’ac-
cord du concédant (hypothèse d’abus assez courante) : Cass. com., 5 avril 1994, D. 1995.355,
2e espèce ; JCP G 1994.I.3803, no 7, obs. Chr. Jamin ; n.p.B. : « La sté Gauthier (le concédant) a
consenti, à la demande de la sté Vag-France (le concédant), d’importants efforts d’investissement et
de publicité [...] ; (la décision) de rompre leurs relations, visant un partenaire ancien et des plus impor-
tants, ne pouvait pourtant avoir été prise que de longue date, de telle sorte que le concédant a
manqué de loyauté en n’informant pas de ses intentions la sté G qui n’avait pas démérité » ;
Chr. BOURGEON, « La prise en compte des investissements dans la résiliation abusive des contrats de
distribution », RDC 2004, p. 1107.
55. Ex. Cass. com., 8 octobre 2013, no 12-22952, Bull. civ. IV, no 148 ; D. 2013. 2617,
n. D. Mazeaud ; Contrats, conc. consom. 2013, no 265, n. N. Mathey, 2014, no 1, n. L. Leveneur : en
dépit du respect du préavis, le concédant avait cherché à empêcher la reconversion du concession-
naire et méconnu l’obligation de bonne foi.
CONCESSION EXCLUSIVE DE VENTE 511
motifs, lorsqu’ils sont avancés56. Le droit spécial prohibe également la « rupture brutale d’une
relation commerciale établie » (art. L. 442-6 I, 5º)57.
56. Sur le contrôle de la motivation : RDC 2004, p. 555 (L. Aynès), 579 (Th. Revet), 573
(M. Fabre-Magnan), 558 (D. Ferrier). Ex. : défaut de véracité des griefs du concédant, Cass. com.,
5 octobre 1993, Bull. civ. IV, no 326 ; JCP G 1994.II.22224, n. Chr. Jamin : « Après avoir énoncé qu’il
ne peut être reproché à la Régie (Renault), qui n’était pas tenue de motiver sa décision de résiliation,
d’avoir avancé des motifs qui s’avéreraient (sic) simplement inexacts, l’arrêt (de la cour d’appel) retient
que la Régie, non seulement a eu recours à une série de motifs délibérément fallacieux, mais encore
qu’elle a violé l’obligation d’exclusivité, qu’elle a été “de connivence” avec les agents de la sté Roussel
(le concessionnaire dont la concession a été résiliée) qui ont porté à celle-ci, sur le territoire concédé,
des “atteintes systématiques” à leur contrat, au profit de concessionnaires voisins, qu’elle a alourdi les
frais financiers de la sté R. et compliqué sa gestion, qu’elle a modifié unilatéralement les conditions
d’approvisionnement de la sté R. et aggravé ses conditions d’exploitation, qu’elle a commis des actes
de dénigrement et de discrimination ; en l’état de ces appréciations, la cour d’appel a pu décider que
la Régie avait rompu le contrat de façon abusive et de mauvaise foi ».
57. Ex. : Cass. com., 16 décembre 2014, Ikéa, infra, nº 1115.
58. Ex. : Cass. com., 7 octobre 1997, Bull. civ. IV, no 252 ; JCP G 1998.II.10085, n. J.-P. Chazal ; D.
1998.413, n. Chr. Jamin et somm. 333, obs. Ferrier ; RTD civ. 1998.130, obs. crit. P.-Y. Gautier et 370,
obs. J. Mestre : « le contrat de concession exclusive ne constitue pas un mandat d’intérêt commun ».
59. Supra, no 558.
60. Sur le critère de la conservation de clientèle, Ph. GRIGNON, Le fondement de l’indemnité de fin
de contrat des intermédiaires du commerce, Litec, 2000.
61. Chr. BOURGEON, « À propos des clauses d’intuitus personae », RDC 2004, p. 499.
62. Cass. com., 13 décembre 2005, Bull. civ. IV, no 255 ; D. 2005, AJ 149, n. A. Lienhard ; JCP G
2006.II.10103, n. H. Hovasse. En l’espèce, une fusion avait été établie entre la sté Garage Loustanau
Jean-Marie et la sté créée Garage Loustanau : « si la fusion a emporté la transmission universelle de
patrimoine de la sté G.L.J.M., les stipulations du contrat mettaient obstacle à sa transmission (celle
du contrat de concession) sans l’accord de la sté Levillauroy » (le concédant). Comp. Cass. com.,
29 janvier 2013, no 11-23676, Bull. civ. IV no 19 ; Contrats, conc. consom. 2013, no 75,
n. N. Mathey ; RTD civ. 2013. 397, obs. P.Y. Gautier : un changement de dirigeant de la personne
morale concessionnaire n’est pas un facteur d’intuitus personae justifiant la résiliation du contrat.
63. Jurisprudence plusieurs fois réitérée depuis Cass. com., 2 juillet 2002, Bull. civ. IV, no 113 ; D.
2003.93, n. approb. D. Mazeaud et 2426, obs. D. Ferrier ; JCP G 2003.II.10023, n. D. Mainguy ; RDC
2003, p. 50, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RTD civ. 2002.810, obs. J. Mestre et B. Fages ; en l’espèce, le
contrat de concession prévoyait que le concédant « devait examiner équitablement et avec tout le
soin requis le changement proposé » ; jugé que la cour d’appel avait « pu en déduire que le refus
d’agrément par le concédant devait être justifié par des impératifs tenant à la sauvegarde de ses inté-
rêts commerciaux légitimes » ; la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de n’avoir pas examiné
la légitimité des motifs invoqués par le concédant (la sté Opel-France avait refusé son agrément parce
que le candidat concessionnaire avait des « liens importants » avec la sté Volkswagen, concurrente
d’Opel).
512 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
une obligation d’acheter. La règle, initialement fondée sur l’article 1591, l’était devenue sur l’ar-
ticle 1129 (devenu art. 1163), ce qui était plus exact puisque ces contrats n’étaient pas des ven-
tes, en tout cas immédiates. Lorsqu’il avait été convenu que le prix des ventes à venir devait être
celui du tarif du fournisseur, le contrat-cadre lui-même était annulé en toutes ses dispositions, si
les éléments du tarif dépendaient de la volonté du fournisseur.
837. Obligation d’acheter ; détermination du prix ; revirement. – La Cour de cassation a
opéré un revirement de jurisprudence considérable, en décidant que : 1) L’article 1129 ne s’ap-
plique pas à la détermination du prix64 ; 2) Le prix peut ne pas être déterminé dans le
contrat-cadre65 ; 3) La référence au tarif est valable, mais en cas d’abus dans la fixation, le
contrat peut être résilié ou la responsabilité du fournisseur engagée66. Ce revirement est codifié
dans le nouvel article 1164.
64. ** Cass. Ass. plén., 1er décembre 1995, sté Le Montparnasse, Bull. civ. Ass. plén., no 9 ; D.
1996.13, concl. Jéol, n. L. Aynès, 4e esp. ; JCP G 1996.II.22.565, concl. Jéol, n. J. Ghestin, 4e esp. ; GAJ
civ., nos 152-155, 3e arrêt : « L’article 1129 n’étant pas applicable à la détermination du prix... ».
65. ** Cass. Ass. plén., 1er décembre 1995, cie Atlantique du téléphone, Bull. civ. Ass. plén., no 7,
1er arrêt ; D. et JCP G, ib. ; GAJ civ., ib., 2e arrêt : « Lorsqu’une convention prévoit la conclusion de
contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats n’affecte pas, sauf dispositions légales par-
ticulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou
indemnisation ».
66. ** Cass. Ass. plén., 1er décembre 1995, Vassali, Bull. civ. Ass. plén., no 8 ; GAJ civ., ib., 4e arrêt :
« La clause d’un contrat de franchisage faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes à
intervenir n’affecte pas la validité du contrat, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à rési-
liation ou indemnisation ». Supra, nº 210, avec les réf.
n CHAPITRE II n
VARIANTES DE LA CONCESSION EXCLUSIVE
6. Le franchisé est, par exemple, tenu de dresser sa vitrine de telle ou telle manière, de servir tel plat
ou telle boisson. Le franchisage est un système d’uniformisation commerciale ; il diminue les prix,
mais ôte au commerce sa diversité.
7. Cass. com., 7 novembre 2002, D. 2003, somm. 2427, obs. D. Ferrier ; n.p.B.
8. * CJCE, 28 janvier 1986, Aff. Pronuptia, Gaz. Pal. 1986.I, somm. 204 : RTD eur. 1986.306, obs.
M.-Ch. Boutard-Labarde. Sur cet arrêt, supra, no 363.
9. Cass. com., 2 juillet 2002, D. 2003, somm. 2430, obs. D. Ferrier ; n.p.B.
10. Cass. com., 11 mai 1999, Contrats, conc. consom. 1999, comm. no 137 ; n.p.B.
11. Rappr. Cass. soc., 10 juillet 2002, Bull. civ. V, no 329 ; D. 2002.1491, n. Y. Serra ; Contrats,
conc. consom. 2002, comm. no 141, obs. M. Malaurie-Vignal, rendu en matière de contrat de travail.
12. Paris, 16 février 1996, D. 1997, somm. 57, obs. D. Ferrier : « Le concessionnaire peut essayer de
prouver qu’il a une clientèle indépendamment de la marque dès lors que son contrat n’exclut pas qu’il
puisse mener une politique commerciale propre et donc avoir une clientèle spécifique ».
13. Cass. com., 23 octobre 2012, no 11-21978, Bull. civ. IV no 192 ; D. 2012. 2862, n. crit.
N. Dissaux ; Contrats, conc. consom. 2013 no 6, n. N. Mathey ; RDC 2013. 641, obs. C. Grimaldi :
l’enrichissement sans cause ne peut être invoqué « dès lors que l’appauvrissement et l’enrichissement
allégué trouvent leur cause dans l’exécution ou la cessation de la convention » (franchise de plusieurs
années pour une boutique de téléphones mobiles) ; J. BEAUCHARD, « La nécessaire protection du conces-
sionnaire et du franchisé à la fin du contrat », Mélanges Ph. Le Tourneau, Dalloz, 2008.
14. Cass. com. 9 juin 2009, 08-16168, n.p.B., JCP G 2009. 312, chron. N. Dissaux.
15. Intransmissibilité active à l’ayant cause du franchiseur : jurisprudence plusieurs fois réitérée ;
ex. : Cass. com., 3 juin 2008, 2e esp., Prodim, Lesage, Bull. civ. IV nos 110-111 ; JCP G 2008.II.10154,
n. C. Marechal ; D. 2008.1623, n. A. Lienhard ; Contrats, conc. consom., comm. no 200,
n. M. Malaurie-Vignal ; RTD civ. 2008.478, n. B. Fages ; RDC 2008.1278, obs. M. Behar-Touchais :
« le contrat de franchise, conclu en considération de la personne du franchiseur, ne peut, sauf accord
du franchisé, être transmis par l’effet d’un apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions »
(donc la bénéficiaire est irrecevable à agir au titre de la violation du contrat, avec la complicité d’un
tiers) ; Intransmissibilité passive à l’ayant cause du franchisé, ayant cédé son fonds à un concurrent du
franchiseur, en tâchant de le purger de la franchise : Cass. com., 15 mai 2007, Bull. civ. IV, no 129 ;
Contrats, conc. consom. 2007, no 204, n. M. Malaurie-Vignal ; RTD civ. 2007.794, obs.
P.-Y. Gautier ; RDC 2008.412, obs. M. Behar-Touchais : « l’acquisition d’un fonds de commerce, faite
sans déloyauté et dans le respect du droit de préemption conféré au franchiseur, ne constitue pas une
faute de nature à rendre l’acquéreur complice de la rupture, même fautive du contrat de franchise par
le cédant ».
VARIANTES DE LA CONCESSION EXCLUSIVE 515
territorial. L’exclusivité peut être plus ou moins restreinte : par exemple dans certains contrats, le
distributeur sélectif peut vendre d’autres produits. Une décision a admis que le refus de renou-
vellement devait être motivé22.
Ce genre de contrat doit être conforme aux règles européennes23 et françaises24 imposant la
liberté de la concurrence, plus facilement admise que lorsqu’il s’agit de concession exclusive
pure et simple. Ce droit fondé sur des réalités économiques évolutives suscite une jurisprudence
abondante et circonstanciée. Sous certaines conditions, il légitime un refus de vente de la part
du producteur ; en effet, par hypothèse, les revendeurs qu’il refuse de choisir sont dépourvus des
qualités requises pour exercer une distribution convenable du produit ; mais le producteur doit
démontrer que les conditions justifiant le refus de vente sont réunies, notamment que le réseau
de distribution sélective est licite parce que les critères déterminant le choix de distribution
sélective sont objectifs, dépourvus de toute discrimination et justifiés par les impératifs d’une
distribution adéquate des produits25. Le distributeur agréé n’a le droit de vendre qu’à des
consommateurs26 et doit respecter les exigences de la distribution sélective27. Cependant le dis-
tributeur non agréé, souvent importateur parallèle, qui achète à un tiers et vend des produits
relevant du réseau ne commet pas nécessairement une concurrence déloyale28, sauf s’il s’est
approvisionné auprès d’un distributeur agréé29 ; ou a dissimulé la provenance des produits
commercialisés30 ; ou a commis un acte de publicité mensongère ; ou a vendu des produits de
luxe dans un environnement « dépréciatif » (sic)31.
22. Cass. com., 27 avril 1993, Bull. civ. IV, no 159 ; RTD com. 1994.351, obs. J. Mestre : « Le refus
de vente que celle-ci (le fournisseur) lui a imposé n’est pas légitime dès lors que la sté Honda-France
n’a procédé à aucune réorganisation juridique de son réseau en remplaçant des distributeurs sélection-
nés par des concessionnaires exclusifs et il n’est pas contesté que la sté Europ-auto continue de remplir
les critères objectifs de qualité qui avaient permis son agrément ».
23. CJCE, 22 octobre 1986, Aff. Métro II, Rec. CJCE, p. 3074 : « La complexité de la technologie en
cause est actuellement telle qu’elle est de nature à justifier un réseau de distribution disposant de gros-
sistes et de détaillants spécialisés ».
24. Cons. conc., 16 décembre 1991, Contrats, conc. consom. 1992, no 37, obs. L. Vogel.
25. Cass. com., 28 juin 2005, Bull. civ. IV, no 139 ; D. 2005, AJ 1938, n. E. Chevrier et 2226,
n. R. Bertin ; RDC 2006.433, obs. M. Behar-Touchais : le juge doit même d’office « examiner les critè-
res de sélection (imposés par le concédant), leur objectivité et les conditions de leur mise en œuvre ».
26. Ex. : Cass. com., 12 juillet 1993, parfums Christian Dior, Bull. civ. IV, no 295 : « En procurant les
produits d’une marque à un magasin non agréé qui les dissimule dans un tiroir, le distributeur porte
atteinte à l’image de la marque et déstabilise le réseau de distribution sélective ».
27. Cass. com., 1er juillet 2003, Bull. civ. IV, no 115 ; D. 2003, somm. 2427, obs. D. Ferrier ; RDC
2003, p. 396, obs. M. Behar-Touchais ; en l’espèce, un distributeur sélectif de produits de luxe, a fait
condamner pour concurrence déloyale des distributeurs du même réseau, notamment parce qu’ils
n’employaient pas un personnel qualifié : « l’effet relatif des contrats n’interdit par aux tiers d’invoquer
la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n’ont pas été parties, si cette situation de fait
leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, et en retenant que
telle a été la situation de la sté Anaïs (le distributeur demandeur en l’espèce) qui fonde son action en
concurrence déloyale sur le non-respect, par les sociétés mises en cause, des obligations que leur
imposent les contrats de distribution sélective qu’elles ont signés les uns et les autres, et sur les avanta-
ges qu’elles en tirent... ».
28. Cass. com., 13 décembre 1988, Lanvin, Bull. civ. IV, no 341 ; D. 1989, somm. 269, obs. Y. Serra :
« Le seul fait d’avoir commercialisé des produits relevant du réseau de distribution sélective de la
société Lanvin-parfums ne constituait pas un acte de concurrence déloyale ». La règle est la même
lorsqu’il s’agit de concession exclusive : Cass. com., 16 février 1983, sté Universal, Aff. Mitsubishi,
supra, no 831.
29. D. FERRIER, D. 1997, somm. 56 ; et D. 1998, somm. 331 et 341. V. égal. l’art. L. 442-6, C. com.
C’est l’hypothèse classique en droit des obligations de la violation du contrat avec l’aide d’un tiers
complice ; la preuve de la collusion résulte le plus souvent de l’interdiction de revente apposée sur
les produits, etc.
30. Ex. : * Cass. com., 27 octobre 1992, Azzaro, D. 1992.505, 3e esp., n. A. Bénabent ; supra,
no 831.
31. Cass. com., 18 octobre 1994, Seiko, Bull. civ. IV, no 310 ; D. 1995, somm. 201, obs. Y. Serra,
1996.311, obs. I. Krimmer ; en l’espèce, la sté Seiko, fabricant japonais de produits d’horlogerie,
avait confié à la sté CGH la distribution exclusive de ses produits pour la France, la Belgique et le
Luxembourg ; la société CGH assurait leur distribution par un réseau de revendeurs agréés
VARIANTES DE LA CONCESSION EXCLUSIVE 517
Une distribution sélective qui serait discriminatoire est toujours illicite ; elle n’est frappée de
sanction, notamment une responsabilité que si elle a causé un préjudice à la concurrence en lui
portant atteinte ; ce qui suppose que le fournisseur, auteur de cette discrimination, détienne une
part de marché « qui ne soit pas d’importance mineure »32.
Le cinéma utilise aussi la distribution sélective, selon des modalités différentes ; souvent le
producteur entend choisir les salles où seront projetés ses films ; malgré le particularisme de
cette industrie, la Cour de cassation a jugé illicite cette pratique33. Les distributeurs de films
sont souvent les commissionnaires des producteurs34.
841. Internet. – La distribution en ligne bouleverse les données du droit de la distribution :
alors que la territorialité est consubstantielle aux réseaux, des distributeurs, agréés ou non, peu-
vent proposer au public, à des prix battant toute concurrence, des produits de marque, obtenus
au sein du réseau ou en dehors, à l’échelon planétaire, indifférents aux circuits traditionnels,
remettant ainsi en cause la politique des fabricants (géographie, prix, etc.) Elle est une vente à
distance35. Le critère permettant au fabricant d’avoir un accès direct et licite aux clients situés
dans le territoire du distributeur ou du concessionnaire, ou du franchisé, ou à ceux-ci d’avoir
accès à leurs clientèles respectives, est l’absence de recherche de captation spécifique de
celles-ci, ce que les autorités de l’Union européenne appellent les « ventes actives », en opposi-
tion aux « ventes passives » (quel charabia !). Le règlement UE no 330/2010 du 20 avril 2010
autorise les distributeurs agréés à vendre sur l’Internet, sans se voir imposer de limites par les
soigneusement choisis ; elle fit condamner d’autres entreprises qui vendaient en France, en Belgique et
au Luxembourg les mêmes produits, en se fournissant au « marché parallèle » ; « l’arrêt (de la cour
d’appel) après avoir exactement énoncé que le fait pour un revendeur de s’approvisionner sur un mar-
ché parallèle ne constituait pas en soi une pratique anticoncurrentielle relève [...] que les montres
Seiko sont vendues par (les entreprises poursuivies par CGH) [...] dans des magasins proposant au
public des articles « bas de gamme » [...] ; que le personnel de ces boutiques n’a ni les connaissances,
ni les compétences que tout consommateur est en droit d’attendre du vendeur d’un produit d’une
certaine notoriété et d’une relative complexité ».
32. Ex. : Cons. conc., 26 novembre 2003, Biotherm ; M. A. SABIRAU-PEREZ, « Distribution sélective et
préjudice concurrentiel », D. 2004, chron. 441.
33. Cass. com., 20 mars 1990, aff. Bird, Bull. civ. IV, no 84 ; D. 1990.278, concl. Jéol ; JCP G
1990.II.21520, m. concl. : « Ayant relevé que le refus injustifié de la sté Warner de fournir à la sté
Leaurel la copie qu’elle sollicitait privait celle-ci de la possibilité de diffuser en même temps que ses
concurrents un film qui venait d’être primé au festival de Cannes, et ce dans des conditions telles qu’el-
les avaient pour résultat de défavoriser ce distributeur indépendant, la cour d’appel a pu retenir l’exis-
tence d’un trouble manifestement illicite, même en l’absence de tout dommage imminent ».
34. Supra, no 538.
35. D. FERRIER, « La distribution sur Internet dans le cadre d’un réseau », D. 2006.2594 ; A. LECOURT,
« Franchise et internet : des rapports contractuels délicats », D. 2004, chron. 623 ; R. FABRE, « Les
contrats de distribution et internet à la lumière du nouveau règlement communautaire », D. 2001,
chron. 461. Certaines décisions se montrent libérales à l’égard des revendeurs en ligne : Cons. conc.,
29 octobre 2008, Pierre Fabre, D. 2008.862, n. C. Manara ; Com. com. électr. 2008, no 137,
n. M. Chagny ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. no 271, n. M. Malaurie-Vignal : le laboratoire
ne saurait interdire la vente en ligne de cosmétiques à ses distributeurs agréés ; d’autres sont sévères :
Versailles, 2 décembre 1999, motifs, D. 2000.92, n. C. Manara ; JCP G 2000.II.10282, n. M. Vivant :
« le distributeur doit remplir des objectifs de qualité des services et des conseils, de marketing et de
promotion de ses produits ; aussi il convient, sous astreinte, afin de mettre fin au trouble manifestement
illicite, de faire droit à la demande du fournisseur de cessation de la commercialisation de ses produits
sur le site internet litigieux par l’un de ses distributeurs » ; le franchiseur peut proposer ses services à la
clientèle sur l’Internet, sans que le franchisé puisse lui reprocher de méconnaître son exclusivité terri-
toriale : Cass. com., 14 mars 2006, Bull. civ. IV, no 65 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 82,
n. M. Malaurie-Vignal ; D. 2006, Jur. 1901, n. H. Kenfack.
518 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
fabricants36. Quant aux revendeurs non autorisés, ils ne devraient pas être autorisés à pratiquer
une distribution parallèle sur l’Internet37.
36. Ex. CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre, Contrats, conc. consom. 2011, nos 257,
n. M. Malaurie-Vignal et 263, n. G. Decocq ; JCP G 2011, no 1430, n. D. Ferrier, RDC 2012. 522, obs.
M. Behar-Touchais : la clause contraignant le distributeur de parapharmacie à ne vendre que dans un
lieu physique, avec le concours d’un pharmacien diplômé, alors que la nature des produits ne le jus-
tifiait pas, est anticoncurrentielle (TFUE, art. 101) ; Cass. com., 24 septembre 2013, no 12-14344, Bulll.
civ. IV no 141 ; D. 2014. 192, n. A. Mendoza-Caminade (caractère illicite, au regard de l’art. 101 TFUE
et de la jurisprudence de la CJUE, de la clause imposant la présence d’un pharmacien diplômé pour la
vente de produits dermo-cosmétiques et interdisant de ce fait la vente sur l’Internet). V. égal. Paris,
2 février 2016, Caudalie, Contrats, conc., consom. 2016, nº 92, n. M. Malaurie-Vignal : le distributeur
peut même formuler son offre sur une plate-forme générale, qui n’est pas la sienne, rendant la concur-
rence frontale avec le fabricant.
37. D. FERRIER, chron. préc.
38. Ex. : Cass. com., 9 février 1976, JCP G 1977.II.18598, n. J. Hémard ; n.p.B. : « La qualité de
revendeur agréé [...] a, dans les usages commerciaux, une signification précise équivalant à une “inves-
titure” donnée par le fabricant en contrepartie des garanties professionnelles que ce revendeur offre à
la clientèle ».
39. Cass. com., 18 mai 1971, Bull. civ. IV, no 138 ; RTD com. 1972.989.
40. Cass. com., 18 octobre 1994, Aff. Seiko, préc. Il suffit que la chaîne d’approvisionnement ait
une origine régulière pour que la garantie joue.
41. Ex. : dans l’affaire Interflora, le « règlement intérieur “stipulait” que les points (sic) membres ne
doivent appartenir à aucune autre organisation de transmission florale ». La Commission de la concur-
rence (12 décembre 1985, BOSP, 1986.37) a donné son avis : « La clause d’exclusivité imposée par
Interflora aux fleuristes de son réseau désireux d’appartenir parallèlement à une autre organisation de
transmission florale est de nature en raison de la position dominante que détient Interflora à entraver le
fonctionnement normal du marché considéré ».
42. Biblio. : H. BOSSE-PLATIÈRE et al., Droit rural, LexisNexis 2013.
43. Ex. éleveur : Cass. civ. 1re, 30 octobre 1995, Bull. civ. I, no 378 : « La sté B.V.T. fournissait à
M. Colombel les aliments nécessaires à son élevage de poulets et cet élevage était visité, chaque
VARIANTES DE LA CONCESSION EXCLUSIVE 519
semaine, par un technicien de cette sté, qui établissait des « fiches d’élevage » et prescrivait divers
traitements ; la cour d’appel a retenu que ce suivi systématique de chaque lot de poulets, préalable
à tout incident, ne pouvait être considéré comme l’exécution d’un simple devoir de conseil d’utilisa-
tion des aliments accessoire à leur vente ; [...] de ces constatations [...] il résultait que l’éleveur était
dans une situation de dépendance économique à l’égard de la sté B.V.T., la cour d’appel en a retenu
à bon droit que la convention litigieuse devait être réputée contrat d’intégration ».
44. La définition du « producteur agricole » soulève des difficultés. Ex. : Cass. civ. 1re, 7 octobre
1981, Bull. civ. I, no 276 ; JCP G 1982.II.19873, n. J. Prévault : un marchand de bestiaux n’est pas un
agriculteur. Mais Cass. civ. 1re, 8 décembre 1987, Bull. civ. I, no 327, précise que l’éleveur est un pro-
ducteur agricole dès lors « qu’il ne se bornait pas à “un achat pour une revente en l’état comme des
marchands de bestiaux” ».
45. La loi n’intéresse que l’intégration « capitaliste » : elle est étrangère aux contrats conclus entre
une société coopérative et un de ses adhérents. Elle s’applique aux contrats conclus entre une entre-
prise industrielle ou commerciale et une coopérative, elle-même liée contractuellement à ses adhé-
rents : Cass. civ. 1re, 24 avril 1979, Bull. civ. I, no 212 ; RD rur. 1980.543 ; 18 novembre 1986,
Bull. civ. I, no 242 ; Gaz. Pal. 27 mai 1987 ; RD rur. 1987.167, obs. L. Lorvellec.
46. Parfois, la jurisprudence a une compréhension large de l’ensemble contractuel. Ex. :
Cass. civ. 1re, 25 mai 1977, Bull. civ. I, no 248. En l’espèce, un éleveur avait conclu un contrat d’inté-
gration avec un marchand de bestiaux ; puis, il avait conclu un autre contrat avec un tiers, ayant uni-
quement pour objet la fourniture d’aliments. La cour d’appel avait décidé que ce second contrat n’était
pas un contrat d’intégration puisqu’il ne comportait pas, d’obligations réciproques. Cassation, car la
cour d’appel n’avait pas recherché « si les deux contrats n’avaient pas été conclus dans la perspective
l’un de l’autre, leur réunion aboutissant ainsi à créer un ensemble d’obligations réciproques de fourni-
tures, de produits ou de services ». Certaines décisions ont une compréhension plus étroite. Ex. :
Cass. civ. 1re, 20 décembre 1988, Bull. civ. I, no 363 ; D. 1989.205, n. Ph. Malaurie ; JCP G
1989.II.21219, n. J. Prévault ; JCP N 1989.II.346, même note ; en l’espèce, un aviculteur avait fait cons-
truire un poulailler avec l’aide de la société Sanders, fournisseur d’aliments pour volailles ; comme le
contrat de construction portait exclusivement sur cette construction pour un prix déterminé, jugé qu’il
était « autonome » et qu’il n’y avait donc pas d’intégration.
47. Cass. civ. 1re, 4 février 1992, Bull. civ. I, no 36.
48. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 janvier 1995, Bull. civ. I, no 18 ; D. 1995, somm. 123, obs. E. Martine ;
JCP G 1995.I.3843 ; Defrénois 1995, art. 36024, no 19, obs. J.-L. Aubert : « La nullité [...] ayant été édic-
tée dans le seul intérêt du producteur, est une nullité relative » ; en l’espèce, l’enjeu était la durée de la
prescription extinctive de l’action en nullité qui, jusqu’à la loi de 2008, était différente selon la nature
de la nullité.
49. Ex. : Cass. civ. 1re, 14 octobre 1975, Bull. civ. I, no 264 ; RD rur. 1976.223, obs. L. Lorvellec : le
juge doit « tenir compte de la valeur des prestations fournies par chacune des parties et de l’avantage
520 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
nullité du contrat de travail aboutit à des résultats plus simples parce que les pres-
tations réciproques y sont moins compliquées.
No 844. réservé.
qu’elles en (du contrat) retirent réciproquement » ; Cass. civ. 1re, 3 février 1987, Bull. civ. I, no 37 : le
juge ne peut liquider les pertes comme s’il s’était agi d’une société de fait ; Cass. civ. 1re, 8 décembre
1987, Bull. civ. I, no 327 ; RD rur. 1988.169, obs. L. Lorvellec : « L’éleveur a droit à la valeur des pres-
tations fournies au titre du travail effectué pour exécuter les contrats annulés » ; Cass. civ. 1re, 11 juin
1991, Bris, Bull. civ. I, no 187 : le juge doit remettre « les parties dans l’état où elles se trouvaient avant
ledit arrêt » (qui avait annulé le contrat) et ne pas se borner « à prendre en compte les prestations
pécuniaires versées par M. Bris (l’éleveur) à ses contractants, sans tenir compte des prestations d’éle-
vage fournies par cet éleveur » ; Cass. civ. 1re, 2 mai 1989, JCP G 1989.IV.245 ; RD rur. 1989.367 : la
restitution doit être calculée de telle sorte qu’elle n’aboutisse pas à une exécution du contrat. V. J.
DANET et L. LORVELLEC, « Les restitutions après l’annulation d’un contrat d’intégration soumis à la loi du
6 juillet 1964 », D. 1982, chron. 211-20.
n LIVRE IV n
CONTRATS DE RESTITUTION
PREMIÈRES VUES SUR LES CONTRATS
DE RESTITUTION
1) D’une part, il existe d’autres contrats qui obligent à une restitution, par exemple le gage ou
le bail ; ils ont un particularisme marqué, parce qu’il s’agit pour l’un d’un contrat constitutif
d’une sûreté et pour l’autre d’un contrat successif ; la différence avec le dépôt et le prêt à
usage tient surtout à ce que la restitution n’est pas l’essentiel du contrat. De même, le mandataire
doit restituer « tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration » (art. 1993). Plus proche du dépôt
et du prêt à usage existe le prêt de consommation, qui oblige à restitution, cette fois à titre prin-
cipal ; la différence tient à ce que la restitution ne porte pas sur la chose prêtée mais sur un
équivalent, parce que le contrat est translatif de propriété, ce que ne sont ni le dépôt ni le prêt
à usage.
2) D’autre part, il y a des obligations de restitution dont l’origine est non contractuelle ; ainsi,
la nullité ou la résolution d’un contrat dont l’exécution avait entraîné la remise d’une chose, par
exemple une vente ; ou bien, le rapport ou la réduction en nature d’une donation que le dona-
taire doit effectuer à la succession du donateur ; il existe également une obligation de restitution
dans des quasi-contrats tels que le paiement de l’indu ou l’enrichissement sans cause. Dans tou-
tes ces hypothèses, l’obligation de restitution est liée à d’autres obligations, plus complexes.
L’obligation de restitution est simple dans le dépôt et le prêt à usage, qui, selon une tradition
aujourd’hui mise en cause, sont des contrats unilatéraux, gratuits et réels et, à beaucoup
d’égards, ne sont pas complètement des contrats.
1. Étymologie de restitution : Restituo, ere : du latin : re (idée de retour) + statuo, ere = placer =
remettre en place. Biblio. : Marie MALAURIE, Les restitutions en droit civil, th., Paris II, Cujas, 1991, préf.
G. Cornu ; C. GUELFUCCI-THIBIERGE, Nullité, restitutions et responsabilité, th., Paris I, LGDJ, 1992, préf.
J. Ghestin.
2. Conséquences pour la preuve du prêt, infra, no 905.
524 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
848. 3º Contrats réels ? – Depuis quelque temps, l’existence des contrats réels
soulève une controverse. L’analyse classique, venant du droit romain3, qualifiait
le dépôt et le prêt de contrats réels4, c’est-à-dire des contrats qui ne pouvaient se
former que par la remise de la chose5 et non par le simple échange des consente-
ments. À Rome, pour les contrats, le consentement ne jouait qu’un rôle restreint,
bien que croissant au cours de l’histoire : il se bornait à préciser les modalités de
la restitution (lieu, date, et, le cas échéant, intérêts). Pour le Code civil, le carac-
tère réel de ces contrats apparaît nettement, notamment dans l’article 1919 relatif
au dépôt : il « n’est parfait6 que par la remise réelle ou fictive de la chose
3. J.-Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010, nos 476 et s.
4. Étymologie de réel : du latin res, ei = chose.
5. Le Code civil parle de « livrer » (art. 1875, 1892) ou de « recevoir » (art. 1915) ; le droit contem-
porain de « mise à la disposition ».
6. Le mot parfait (étymologie : du latin perfectus, a, um = fait complètement, de facio = faire + per =
tout à fait, complètement) est dans le langage juridique ambigu. Il peut désigner soit la conclusion du
contrat – le contrat est définitivement conclu parce que sont remplies toutes les conditions nécessaires
à sa formation –, soit ses conséquences – le contrat produit la plénitude de ses effets.
PREMIÈRES VUES SUR LES CONTRATS DE RESTITUTION 525
déposée ». Cette analyse a longtemps été maintenue par une partie de la doctrine
avec cependant un assouplissement notable et traditionnel : le dépôt ou le prêt
peuvent être précédés d’une promesse consensuelle, faisant naître des obliga-
tions, mais distinctes de celles qui résulteraient du prêt ou du dépôt lui-même.
La plupart des auteurs modernes voient, au contraire, dans le dépôt ou dans le
prêt des contrats consensuels7. Leur prétendu caractère réel traduirait seulement
cette règle de bon sens que les obligations de restitution du dépositaire et de l’em-
prunteur ne sauraient naître avant la remise de la chose. Le seul contrat pleine-
ment réel serait le don manuel puisque la promesse consensuelle de don manuel
est dépourvue d’effet8 (comme l’est la promesse de toute espèce de donation),
mais le don manuel n’est pas un contrat de restitution.
Ces dernières années, cette contestation a suscité un vif débat théorique, la majorité de la
doctrine estimant révolue la notion romaine de contrat réel ; on a même parlé de « déréalisa-
tion » du prêt9 ou bien de la « juridicisation » du contrat réel. D’autres auteurs sont réservés sur
cette évolution et continuent à voir dans les contrats de prêt des contrats réels10. Il y a en effet
dans le contrat réel une indivisibilité entre ses deux éléments : un accord de volontés (un contrat)
et la remise de la chose (un contrat réel). Le contrat réel est codifié à l’article 1109 alinéa 3 du
Code civil.
7. N. JOBARD-BACHELIER, « Existe-t-il encore des contrats réels en droit français, ou la valeur des pro-
messes de contrat réel en droit positif ? », RTD civ. 1985.1 et s.
8. Les successions, coll. Droit civil.
9. D. HOUTCIEFF, obs. sous Cass. com., 21 janvier 2004, RDC 2004, p. 744.
10. Ex. : Fr. GRUA, « Le prêt d’argent consensuel », D. 2003.1492 : « La conversion (du prêt) au
consensualisme ne paraît augurer d’aucune amélioration véritable [...]. Le crédit par avance de fonds
est une opération fractionnée en deux (l’accord de volontés et la remise des fonds), qu’il ne faut pas
vouloir réduire à un contrat unitaire ».
11. Jurisprudence abondante ; ex. : Cass. civ. 1re, 19 juin 2008, no 06-19753, Bull. civ. I, no 174 ; D.
2008.1825, n. X. Delpech et 2555, chron. F. Chénedé ; Defrénois 2008.1967, n. E. Savaux ;
RDC 2008.1129, n. Y.-M. Laithier et 2009.188, obs. P. Puig ; JCP G 2008.II.10150, n. A. Constantin ;
JCP E 2008.1964, n. D. Legeais : « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’étant pas un contrat
réel, c’est dans l’obligation souscrite par le prêteur que l’obligation de l’emprunteur trouve sa cause,
dont l’existence, comme l’exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat ».
12. Cass. civ. 1re, 7 mars 2006, Bull. civ. I, nº 10 ; RDC. 2006.278, obs. crit. P. Puig.
13. Cass. civ. 1re, 19 juin 2008, nº 06-19056 ; RDC. 2009. 183, obs. P. Puig ; D. 2008. 1827,
n. X. Delpech ; 2555. n. Fr. Chénédé, n’inverse pas la charge de la preuve l’arrêt qui, pour accueillir
la demande en remboursement d’un prêt fondée sur une reconnaissance de dette souscrite par l’em-
prunteur (prêt entre particuliers), retient qu’il incombe à celui-ci d’établir que le prêteur ne lui a pas
remis les fonds.
526 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
En 2004, la Cour de cassation a décidé que l’ouverture de crédit était une pro-
messe de prêt et obligeait à restitution dans la mesure « des fonds utilisés »14.
Cette jurisprudence révèle que le prêt et la promesse de prêt ne sont pas des contrats consen-
suels ; ils comportent à la fois un élément volontaire et un élément réel ; il n’y a d’obligation de
restitution que dans la mesure où il y a eu deux éléments qui ont été accomplis : un engagement
volontaire et la remise de la somme promise. Le banquier peut mettre fin à l’ouverture de crédit
à durée indéterminée, en respectant un délai de préavis auprès de son client (pour les entrepri-
ses : C. mon. fin., art. L. 313-12).
851. Nullité et résolution. – La nullité des contrats de restitution (ou leur réso-
lution) obéit à la prescription extinctive de droit commun (quinquennale,
art. 2224, L. 17 juin 2008). Cependant, elle ne modifie pas l’obligation principale,
celle de restituer ; par conséquent, la sûreté qui la garantissait subsiste15, alors
que, habituellement, la nullité du contrat principal entraîne la caducité de la
sûreté (ex. : pour la caution, art. 2289, al. 1).
Elle n’entraîne l’anéantissement que des stipulations secondaires : celles qui sont relatives aux
modalités du contrat. D’une part, celle qui est relative au terme : il y a déchéance du terme et la
restitution doit être immédiate ; d’autre part, celle qui est relative aux intérêts, s’il en avait été
promis.
852. 4o) Des contrats pas comme les autres ? – Le double caractère de ces
contrats : gratuits – aujourd’hui marqués d’une grande relativité – et réels – partiel-
lement remis en question – en fait des contrats pas comme les autres. Lorsqu’ils
sont gratuits, ils sont un peu en dehors du droit, ils constituent presque du non-
droit ; ce qui explique les règles de révocabilité et de responsabilité auxquelles ils
sont soumis. Parce qu’ils sont réels, la volonté exerce un moindre rôle que dans
les autres contrats et intéresse surtout les modalités de la restitution.
14. * Cass. com., 21 janvier 2004, Sté la gerbe d’or, Bull. civ. IV, no 13 ; D. 2004.498,
n. V. Avena-Robardet et 1149, n. Chr. Jamin ; RDC 2004.763, obs. D. Houtcieff ;
JCP G 2004.II.10062, n. S. Piédelièvre : « l’ouverture de crédit, qui constitue une promesse de prêt,
donne naissance à un prêt, à concurrence des fonds utilisés par le client » ; en l’espèce, une banque
avait consenti à une entreprise commerciale une ouverture de crédit de 2 millions de francs utilisée
par son bénéficiaire pour environ 1 million 900 000 ; l’entreprise commerciale fut mise en redresse-
ment judiciaire, la banque obtint d’être traitée comme les autres prêteurs, à concurrence des fonds
effectivement empruntés ; rejet du pourvoi.
15. Ex. : cautionnement : * Cass. com., 17 novembre 1982, sté Sodac, Bull. civ. IV, no 357 ; D.
1983.527, n. crit. M. Contamine-Raynaud ; JCP G 1984.II.20216, n. appr. Chr. Mouly et
Ph. Delebecque ; Defrénois 1984, art. 33251, no 25, p. 368, obs. J.-L. Aubert : « Tant que les parties
n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de
restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable ; dès lors, le cautionnement, en considération
duquel le prêt a été consenti, subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » ; en l’espèce,
un prêt à usage avait accompagné une promesse de fourniture de produits pétroliers, ultérieurement
déclarée nulle pour indétermination du prix ; le cautionnement qui garantissait la restitution du prêt a
pourtant été jugé valable. V. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
PREMIÈRES VUES SUR LES CONTRATS DE RESTITUTION 527
853. Plan. – Beaucoup de caractères sont communs au dépôt et au prêt, comme le révèlent
les ressemblances de leurs régimes. Il existe pourtant une différence essentielle. Le dépôt est fait,
soit dans l’intérêt du déposant, soit dans l’intérêt commun du déposant et du dépositaire ; le prêt
à usage est toujours fait dans l’intérêt exclusif de l’emprunteur ; le prêt de consommation est le
plus souvent fait dans l’intérêt commun de l’emprunteur et du prêteur. Le régime du dépôt
(Titre I) n’est donc identique, ni à celui du prêt à usage, ni à celui du prêt de consommation
(Titre II).
DÉPÔT
PREMIÈRES VUES SUR LE DÉPÔT
Aux termes de l’article 1915, « le dépôt, en général, est un acte par lequel on
reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature ». Cette
définition permet d’en dégager les caractères (Section I), ce qui règle la qualifica-
tion dans des hypothèses marginales (Section II)1.
SECTION I
CARACTÈRES
1. J. CARBONNIER, « La tentation du non-droit dans le petit contrat de dépôt », in Flexible droit, LGDJ,
10e éd., 2001, p. 341 s. Ph. RÉMY, RDC 2014. 143 et S. PIMONT, ib. 151. J. HOUSSIER, « De quelques para-
doxes du contrat de dépôt », Dr. et patr., oct. 2014, p. 28, (très) critique.
2. Ex. : Cass. com., 25 septembre 1984, Bull. civ. IV, no 242 : en l’espèce, un barman avait reçu par
complaisance un album de photos de portraits dont un amateur devait prendre ultérieurement
connaissance ; jugé que ce n’était pas un dépôt.
3. Ex. : usage d’un parking géré par une collectivité publique, * Cass. civ. 1re, 10 mars 1981, Aff. de
l’aéroport d’Orly, Bull. civ. I, no 85 ; D. 1981.395 : « La cour d’appel qui a relevé que l’organisation du
parc à voitures de l’aéroport d’Orly constituait une mesure de police, et que son utilisation faisait l’ob-
jet de textes réglementaires qui précisaient notamment que le droit de l’usager, en contrepartie de sa
redevance, était un simple droit de stationnement à ses risques et périls, a énoncé que ladite rede-
vance rémunérait uniquement le droit pour l’utilisateur d’occuper privativement et à titre temporaire
le domaine public ; elle en a déduit, justement, que la responsabilité de l’aéroport ne pouvait être
retenue ».
532 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
De ses origines romaines, il a longtemps conservé quatre traits : un contrat réel, un contrat
d’ami, un contrat de garde et un contrat diversifié. L’évolution contemporaine en a progressive-
ment fait complètement disparaître certains et altéré d’autres.
860. 1o Le plus réel des contrats réels. – Ce qui constitue le dépôt est la remise
volontaire de la chose (art. 1915 et 1919)4 ; il est donc un contrat réel, où l’obli-
gation de restitution a pour cause la tradition réelle ou fictive. Comme chaque fois
qu’il est fait référence au contrat réel, l’analyse est devenue contestée ; elle sou-
lève les mêmes discussions qu’à l’égard du prêt, bien que son intérêt pratique soit
moindre.
Le Code civil précise que cette chose doit être un meuble (art. 1918), et la nature du contrat
semble impliquer qu’il doit s’agir d’une chose corporelle5 ; la discussion est vive pour les biens
incorporels, tels qu’une valeur mobilière dématérialisée6. On peut également concevoir le dépôt
du support matériel de la propriété artistique, tel que des photographies7.
861. Dépôts immatériels. – Sur l’Internet, le public peut déposer des fichiers (musiques,
films, images, textes) dans des espaces de stockage virtuels, dits « nuages ». C’est le « cloud com-
puting ». Ce qui conduit à admettre les dépôts immatériels. Étant entendu que le professionnel
acheminera souvent le transport des données, de sorte que le contrat est mêlé d’entreprise8.
Selon la règle habituelle (art. 1931), comme pour le coffre-fort, le dépositaire en ligne ignorera
(délibérément) le contenu du nuage. Des tiers autorisés par le déposant pourront y avoir des
accès limités, à l’invitation de celui-ci. Souvent, le contrat sera gratuit, en tout cas avec les
consommateurs, mais c’est une gratuité d’affaires, car le professionnel y trouve toutes sortes d’in-
térêts (vente de matériel, publicités monnayées auprès d’annonceurs, etc.).
Le dépôt est pour l’instant le plus réel de tous les contrats réels.
862. 2o Contrat d’amitié ? – À Rome, le dépôt était un service d’ami, ce qui en caractérisait
l’esprit. Par exemple, le voyageur, le fugitif ou le mourant laissait chez un ami ou un voisin une
chose encombrante ou un meuble précieux, ce qui produisait trois effets que l’on retrouve dans
le Code civil. Il en découlait que le contrat était gratuit ; le Code dit même « essentiellement
gratuit » (art. 1917). Il en découlait aussi qu’il reposait sur la confiance ; le Code dit que l’on
« confie » un objet au dépositaire (art. 1931, 1937, 1963) ; de même, la faute majeure que com-
met le dépositaire est l’infidélité (art. 1945). Enfin, il en découlait qu’il était toujours fait dans
l’intérêt exclusif du déposant (ex. : art. 1930 et 1931) qui pouvait toujours en demander la resti-
tution (art. 1944).
863. Dépôt salarié. – Cette vision est devenue inexacte, aussi bien en son prin-
cipe que dans ses séquelles. Parfois, le dépôt est consenti dans l’intérêt exclusif du
dépositaire9. La plupart des dépôts sont aujourd’hui reçus par des professionnels ;
ils sont donc salariés et faits dans l’intérêt des deux parties : entreprises de ves-
tiaire, de garde-meuble, d’entrepôt (frigorifique ou non, précaire ou durable), de
stockage (de céréales, d’hydrocarbures, etc.), sans parler des banques. Ainsi, dans
4. La remise doit être volontaire : il n’y a pas dépôt lorsqu’une cliente oublie des boucles d’oreilles
chez un coiffeur, qui n’est donc pas responsable de leur vol : T. com. Seine, 5 mars 1952, D.
1952.484.
5. Cass. civ. 2e, 17 juillet 1991, Bull. civ. II, no 233 ; RTD civ. 1992.412, obs. crit. P.-Y. Gautier,
paraît se référer au contrat de dépôt pour qualifier l’obligation qu’a l’hôpital de veiller à la conserva-
tion d’un cadavre : « l’hôpital est tenu vis-à-vis de la famille et des proches, en sa qualité de dépositaire
de veiller à la conservation des corps pendant une durée pouvant atteindre dix jours et [...] la décom-
position constatée le quatrième jour caractérisant une faute de l’hôpital ».
6. Infra, no 881. V. aussi Cass. crim., 10 février 1972, D. 1972.400 : un chèque ne peut être remis à
son bénéficiaire à titre de dépôt.
7. P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 10e éd., à paraître en 2017, nos 640-641.
8. V. P.-Y. GAUTIER, « Du contrat de dépôt dématérialisé : l’exemple du cloud computing », in La
communication numérique, éd. Panthéon-Assas, 2012, p. 157 s. ; G. BRUNAUX, D. 2013. 1158 et 1297.
9. Le dépôt est alors une sûreté.
PREMIÈRES VUES SUR LE DÉPÔT 533
865. 4o Diversité. – Rome avait déjà admis que sur un modèle type de dépôt,
des variétés apparaissaient, ce que le droit moderne développe. Quand
10. Cass. civ. 1re, 5 avril 2005, Contrats, conc. consom. 2005, comm. no 148, n. L. Leveneur ; RDC
2005.1029, obs. A. Bénabent et 1123, obs. P. Puig ; Bull. civ. I, no 165 ; JCP 2006.I.123, no 8,
obs.Fr. Labarthe ; en l’espèce, il s’agissait du dépôt d’une automobile accessoire à une réparation
chez un garagiste : « le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste, accessoire à un contrat
d’entreprise, est présumé fait à titre onéreux » (le client avait laissé chez le garagiste sa voiture près de
trois mois après la réparation et refusait de payer ce service).
11. Cass. civ. 1re, 12 décembre 1984, Bull. civ. I, no 335.
12. PLANIOL et RIPERT, t. XI, par R. Savatier, no 1170.
13. Toutefois : Cass. com., 17 février 1981, cité infra : « La charge de restituer en nature la chose
remise est un élément essentiel du contrat de dépôt ».
14. A. TUNC, Le contrat de garde, thèse Paris, 1941.
15. La jurisprudence paraît considérer que le seul fait d’accepter de recevoir une chose fait naître
une obligation de surveillance, ou quasi-dépôt : v. pour des vêtements déposés au vestiaire d’un res-
taurant, infra, no 889 ; un bijou remis à un radiologue au moment d’un examen médical, infra, no 900.
16. Infra, no 887.
534 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
l’article 1915 dispose que « le dépôt, en général »..., il implique qu’il existe une
notion de dépôt recouvrant diverses espèces particulières. Ainsi, à côté du dépôt
proprement dit (art. 1917 à 1954), apparaissent le dépôt nécessaire (art. 1949-
1951), le dépôt hôtelier (art. 1952 à 1954), et le séquestre (art. 1955 à 1963).
Sans parler des dépôts que la pratique a fait naître : le dépôt irrégulier, le dépôt
dans les magasins généraux. Et beaucoup d’autres. Comme tous les contrats spé-
ciaux, le dépôt se diversifie.
La convention peut augmenter ou diminuer les obligations du dépositaire, sans que le contrat
cesse d’être un dépôt, à la condition de ne pas supprimer complètement l’obligation de garde et
de surveillance ; sinon le contrat deviendrait un bail17. Le critère permet de résoudre les difficul-
tés de qualification.
SECTION II
QUALIFICATION
866. Mandat, prêt à usage, louages, entreprise. – Le dépôt présente des analo-
gies avec d’autres contrats tels que le mandat, le commodat, le bail d’immeuble et
le contrat d’entreprise18. Une personne détient la chose d’autrui : en quelle qua-
lité ? En outre, la pratique a imaginé des contrats complexes qui combinent les
différentes conventions, ce qui suscite des difficultés de qualification. Le critère
du dépôt réside dans l’obligation de garder, de conserver19 et de restituer20.
1o Un mandataire reçoit une chose pour le compte du mandant ; est-ce un dépôt ? Oui, si la
remise a été faite en vue de la garde et de la conservation de la chose ; sinon, il est l’exécution
d’un mandat21.
2o À la différence du dépositaire22, l’emprunteur a le droit de se servir de la chose, ce qui
constitue l’essence même du crédit23 : le prêt à usage est fait dans son intérêt ; aussi la responsa-
bilité de l’emprunteur est-elle plus lourde que ne l’est celle du dépositaire24 ; la ressemblance
17. Il existe des hypothèses frontières : ex. : l’exploitant d’un entrepôt frigorifique qui précise que sa
seule obligation de surveillance est de fournir un volume refroidi, à la température choisie par les
déposants, Orléans, 12 juillet 1948, RTD com. 1949.161.
18. P.-Y. GAUTIER, RDC 2014. 149.
19. Toutefois pour le dépôt irrégulier, infra, no 886.
20. Ex. : lorsqu’un buraliste reçoit un bulletin de loto afin de le valider, il n’y a pas de dépôt, parce
qu’il doit transmettre un volet du bulletin au « centre de traitement », alors que, précise la Cour de
cassation, « le contrat de dépôt implique pour le dépositaire l’obligation de garder et de restituer en
nature la chose reçue » : Cass. civ. 1re, 19 janvier 1982, Bull. civ. I, no 29 ; D. 1982.457.
21. Cass. com., 1er juin 1993, Bull. civ. IV, no 221 : « Le seul fait pour un mandataire de recevoir des
fonds pour le compte de son mandant ne suffit pas à transformer le mandat en dépôt ; ainsi, en matière
de distribution de carburants effectuée sous le régime du mandat, le fait par l’exploitant d’une station-
service de conserver les recettes provenant des ventes à la clientèle jusqu’à leur versement quotidien
sur un compte désigné par la compagnie pétrolière, ne constitue pas, sauf stipulations contraires, un
contrat de dépôt au sein du contrat de mandat, mais l’exécution même de ce dernier ». Cassation de
l’arrêt qui, pour rejeter l’exception de compensation soulevée par l’exploitant, avait retenu que la
créance de la compagnie pétrolière avait pour cause la restitution d’un dépôt.
22. Toutefois, infra, no 886, pour le dépôt irrégulier.
23. Ex. : Cass. civ., 22 février 1897, DP 1901.I.75 : « La convention [...] ne contient pas, pour le pro-
priétaire des magasins, l’obligation de veiller à la garde des malts et de les restituer ; à défaut de cette
stipulation, elle présente tous les caractères du prêt à usage ou commodat des magasins ». En l’espèce,
le propriétaire d’un local le met à la disposition d’un commerçant afin qu’il y entrepose des marchan-
dises qui ultérieurement sont incendiées : est-ce le prêt d’un local (oui, en principe) ou le dépôt de
marchandises ? Sur cet arrêt, v. aussi supra, no 781.
24. Infra, no 915.
PREMIÈRES VUES SUR LE DÉPÔT 535
tient seulement au fait que les deux contrats sont tous deux des contrats réels et des contrats de
restitution.
3o Le dépôt ne peut avoir pour objet que des choses mobilières (art. 1918) ; mais certains
contrats participent à la fois du dépôt et du louage d’immeuble, ce qui se comprend parce que
le dépôt implique toujours la remise de la chose dans un local du dépositaire. S’agit-il alors d’un
dépôt de la chose, d’une location de ce local ou des deux à la fois ? L’analyse de volontés est
souvent difficile. Il est pourtant important de qualifier, en cas de perte de la chose. Le bailleur
s’engage seulement à assurer la jouissance paisible de la chose à son locataire ; il peut sans
doute s’obliger à surveiller les locaux (par un concierge, par exemple), mais sa responsabilité
n’est engagée que si est démontrée une faute lourde, notamment de ses préposés. Au contraire,
le dépositaire s’oblige à garder, à surveiller la chose et à la restituer dans l’état où elle lui avait
été remise ; à cet égard, la responsabilité du dépositaire est plus lourde que celle du bailleur ; en
outre, le dépôt échappe à la législation spéciale des baux.
4o Il y a aussi parfois un mélange ou une succession de contrats d’entreprise et de dépôt ; le
client remet à un entrepreneur une matière première afin qu’il la transforme en une chose ou
qu’il la répare : des arrêts en déduisent une obligation de garde née d’un dépôt fait accessoire-
ment au contrat d’entreprise25. La Cour de cassation a décidé que le contrat de pension d’un
animal était un dépôt26.
867. Dépôt de garantie. – En pratique, il arrive souvent que le créancier exige du débiteur
la remise d’une somme d’argent en garantie du paiement de sa dette à terme ; ainsi, dans le
bail27 ou la vente d’immeuble à construire28. Le créancier est alors propriétaire fiduciaire d’une
somme d’argent29.
§ 1. CONTRAT DE COFFRE-FORT
25. Ex. : Cass. com., 18 janvier 1972, Bull. civ. IV, no 25 : jugé que la remise de fourrures à un four-
reur afin de confectionner un manteau est un dépôt ; aussi le fourreur est-il responsable si le manteau
qu’il aura cousu est taillé dans d’autres peaux ; v. également pour un garagiste, infra, no 869 et pour un
teinturier, supra, no 745.
26. Cass. civ. 1re, 10 janvier 1990, Bull. civ. I, no 6 ; RTD civ. 1990.517, obs. Ph. Rémy ; RTD com.
1990.460, obs. B. Bouloc : « Le contrat qu’un éleveur avait conclu avec le propriétaire de chevaux de
course en acceptant d’assurer, moyennant rétribution, la pension de la pouliche que celui-ci lui avait
confiée dès sa naissance s’analyse en un contrat de dépôt salarié » ; jugé, en conséquence, que l’éle-
veur était tenu d’une obligation de garde ; Cass. civ. 1re, 31 mars 1992, Bull. civ. I, no 93 ; D. 1993,
somm. 64, obs. M.-E. Martine (pour un contrat d’engraissement) : « L’exploitant d’une pâture qui s’en-
gage, moyennant rémunération, à prendre en pension des bovins, contracte l’obligation de leur fournir
une nourriture saine ».
27. Supra, no 692.
28. Supra, nos 141 et 192.
29. P. CROCQ, Propriété et garantie, th. Paris II, 1992, LGDJ, 1995, préf. M. Gobert ; Droit des sûre-
tés, coll. Droit civil.
30. La Commission des clauses abusives souhaite que soient éliminées du contrat de coffre-fort les
clauses limitant la responsabilité des professionnels (BOCCRF, 20 mars 1987).
536 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
qu’un locataire a le droit de jouir de la chose par lui-même31. Il s’agit d’un contrat
autonome, un « contrat de garde » qui fait naître une obligation de résultat32. De
cette obligation de garde, le banquier est exonéré en cas de force majeure33 : si
l’accès aux coffres-forts est impossible en raison de forces majeures, le client doit
démontrer quels objets étaient enfermés dans le coffre et quelle était leur valeur ;
les tribunaux peuvent, à cet égard, se contenter d’indices ; pour le « trésor de
nuit »34.
Le titulaire du coffre peut s’interdire de déposer des choses au-delà d’une certaine valeur ;
cette clause ne limite pas la responsabilité du banquier, mais détermine l’étendue des obliga-
tions contractuelles ; elle produit donc son effet même en cas de faute lourde du banquier35.
§ 2. CONTRAT DE GARAGE
31. * Cass. com., 11 octobre 2005, Crédit Lyonnais, Bull. civ., IV, no 206 ; D. 2005, AJ 2869,
n. X. Delpech ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 19, n. L. Leveneur ; RDC 2006.335, obs.
A. Bénabent, 402, obs. J.-B. Seube et 422, obs. P. Puig : « l’art. 1722 n’est pas applicable au contrat
par lequel la banque loue à un client un compartiment ou un coffre dont elle assume la surveillance
et auquel le client ne peut accéder qu’avec le concours du banquier ». En l’espèce, la salle des coffres
était devenue inaccessible à la suite d’un incendie : la charge des risques pour cas fortuit pèse sur la
banque, non sur le client. Sur la qualification du contrat et les autres obligations qu’il contient, notam-
ment le prix, s’il est salarié, P.-Y. GAUTIER, RTD civ. 2004.749 ; J. CARBONNIER, ib. 1946. 234 ; J. LASSERRE-
CAPDEVILLE, JCP G 2015, 384.
32. Cass. civ. 1re, 15 novembre 1988, Bull. civ. I, no 318 ; D. 1989.349, n. Ph. Delebecque ; RJ com.,
1989.107, obs. Gallet ; RD bancaire et bourse, 1989.63, obs. Crédot et Gérard : « Le contrat de coffre-
fort faisait naître à la charge du banquier une obligation particulièrement stricte de surveillance qui lui
fait un devoir de vérifier si celui qui se présente, fût-il muni de la clef du coffre, est habilité à y avoir
accès ». Il en est de même si les objets se trouvant dans le coffre appartenaient à un tiers : Cass. civ. 1re,
29 mars 1989, Bull. civ. I, no 142 ; JCP G 1990.II.21415, n. E. Putman et B. Solletty ; RTD civ. 1989.560,
obs. P. Jourdain ; Cass. com., 9 février 2016, nº 14-23006, Bull. civ. IV à paraître (le coffre a été vidé
par le fils du client qui avait les clés, la banque reste responsable).
33. Cass. civ., 27 avril 1953, D. 1953.422 : « Le contrat constitué par la mise d’un compartiment de
coffre-fort à la disposition d’un client par une banque comporte pour celle-ci une obligation particu-
lière de surveillance, et le devoir de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer, sauf impossi-
bilité majeure, la sauvegarde du coffre et des objets qu’il contient » ; Cass. com., 11 octobre 2005,
préc. : le banquier est responsable, la preuve d’une force majeure n’ayant pas été rapportée.
34. Infra, no 877.
35. Cass. com., 22 mai 1991, RD bancaire et bourse 1991.759, obs. J.-L. Rives-Lange ; RTD civ.
1992.95, obs. J. Mestre ; n.p.B.
36. Cass. civ. 3e, 26 octobre 1977, Bull. civ. III, no 362 : en l’espèce, la société de parking avait
donné à bail un emplacement sans « s’engager à assurer la garde et la conservation des véhicules et
à restituer ceux-ci à leur propriétaire dans l’état où ils lui avaient été remis » : jugé qu’elle n’était pas
responsable du vol du poste autoradio installé dans la voiture stationnée.
37. Cass. civ. 1re, 16 juillet 1953, Bull. civ. I, no 251. En général le garagiste professionnel promet de
garder.
PREMIÈRES VUES SUR LE DÉPÔT 537
§ 3. CONTRAT DE « STATIONNEMENT »
870. Garde ou surveillance ? – Un instrument de transport – automobile, cara-
vane, navire – est souvent remisé dans un lieu qui n’est pas un garage. Le nom du
contrat n’est pas bien fixé : parking, location ou réservation de place, stationne-
ment dans un camping, mouillage à quai dans un port, entreprise46, etc. L’écono-
mie du contrat dépend de la volonté des parties47. Il n’y a dépôt que si une obli-
gation de garde est promise à titre principal ; sinon, il y a bail d’immeuble, qui
oblige seulement le bailleur à assurer à son contractant une paisible jouissance ;
38. Cf. aussi le contrat conclu avec des magasins généraux ; ce n’est pas le bail d’un local, mais un
contrat de dépôt.
39. Cass. civ. 1re, 24 juin 1981, Bull. civ. I, no 232 ; RTD civ. 1982.431, obs. Ph. Rémy : le garagiste
doit « prouver en cas de détérioration de la chose qu’il est étranger à cette détérioration en établissant
qu’il a donné à la chose les mêmes soins qu’il apporte à la garde des choses lui appartenant » ; V. égal.
Cass. civ. 1re, 5 févr. 2014, no 12-23467, Bull. civ. I nº 17 ; JCP 2014 no 189, n. S. Hocquet Berg, supra,
no 743 : c’est au garagiste de prouver que les détériorations préexistaient à la réparation ; lorsque l’au-
tomobile a été déposée en vue de la vente, l’obligation du garagiste est moins étendue : Cass. civ. 1re,
29 mai 1996, infra, no 882.
40. La clause limitative perd son effet en cas de faute lourde du garagiste : infra, no 892.
41. Supra, no 743.
42. Cass. civ. 1re, 24 juin 1981, supra. Selon Ph. Rémy, le garagiste est tenu, non en raison de sa
prétendue qualité de dépositaire, mais de débiteur d’une obligation de garde. Comme pour le contrat
de restauration (infra, no 889), on pourrait dire qu’il s’agit « d’une obligation accessoire du contrat de
réparation ».
43. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 8 octobre 2009, no 08-20048, Bull. civ. I, no 204 ; D.
2010.480, n. Cl. Mouly-Guillemaud ; Contrats, conc. consom. 2010, no 1, n. L. Leveneur ;
RDC 2010.95, obs. A. Bénabent.
44. Cass. civ. 1re, 5 avril 2005, préc. Sur la mixité des contrats : Fr. LABARTHE, « Les conflits de quali-
fication », Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 539.
45. Cass. 1re civ., 30 mai 2006, Bull. civ. I, no 270 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 181, n.
crit. L. Leveneur : réparation du bateau, suivie d’un dépôt « port à sec », puis incendie détruisant le
bateau ; jugé que l’entrepreneur dépositaire doit indemniser le déposant : « l’entrepreneur ayant reçu
une chose en dépôt pour réparation n’est pas libéré des obligations de dépositaire par la réalisation
des travaux commandés, mais demeure tenu de garder et conserver cette chose jusqu’à restitution ».
46. En ce sens, à propos d’un camion tractant un manège : Cass. civ. 1re, 26 janvier 1999, Bull. civ. I,
no 28 ; JCP G 1999.I.191 et nos 10 et s., obs. Fr. Labarthe : « la responsabilité de la sté Gournac (le
réparateur) était engagée, non au titre d’un contrat de dépôt, mais à l’occasion d’un contrat d’entre-
prise ».
47. D. PONTON-GRILLET, « Le contrat de réservation », D. 1991, chron. 26.
538 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Dans la pratique, l’application du critère n’est pas facile ; lorsque les contrats sont obscurs, on
ne sait s’il s’agit d’un dépositaire dont la responsabilité est allégée ou d’un bailleur dont les obli-
gations sont augmentées. En outre, on fait parfois appel à la distinction entre obligation de
moyens et obligation de résultat48, si relative qu’elle est devenue flottante. Dans le doute, il
faut présumer le bail, non le dépôt : l’aggravation de responsabilité doit avoir été clairement
voulue. La question a été débattue pour l’utilisation d’un parking à barrière automatique. La
Cour de cassation a décidé que ce n’était ni un dépôt, ni même un contrat lorsque le parking
était géré par un établissement public ; par conséquent, l’exploitant n’était pas responsable en
cas de vol du véhicule49, sauf si sa faute avait été démontrée par la victime50 : à la différence du
garage surveillé, le parking offre simplement un stationnement sans garde.
L’exploitant d’un parking ne peut, par une clause contractuelle, écarter son
obligation essentielle qui est d’assurer « la jouissance paisible d’un
emplacement »51.
Sauf si avait été promise une garde52, l’obligation reste atténuée pour une location de place...
de camping pour une caravane53... de mouillage à quai pour un navire54. Le propriétaire du
camping ou du port n’est tenu que d’une obligation de surveillance (obligation de moyens) : il
n’est responsable, en cas de dégradation ou de perte de la chose, que si sa faute est démontrée
par la victime55, alors qu’un véritable dépositaire a sa responsabilité engagée de plein droit sans
qu’il soit nécessaire d’en démontrer la faute (obligation de résultat). Le parking est cependant
responsable en cas d’inondation56.
Sera d’abord exposé le droit commun du dépôt (Chapitre 1) puis certaines variantes (Chapi-
tre 2).
SECTION I
CONDITIONS
1. Supra, no 859.
542 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
notamment être induit de la réception de la chose, tout au moins si celui qui l’a
reçue a voulu en assurer la garde. En voici deux exemples :
Premier exemple. – N’est pas dépositaire du manteau laissé dans la voiture l’entrepreneur
d’une cérémonie nuptiale qui a donné à une invitée la promesse qu’à la sortie de l’église elle
retrouvera la voiture qui l’avait amenée2 : il a promis la voiture, non la garde du manteau.
Deuxième exemple. – Si un café, un club sportif, un restaurant, un théâtre, etc., aménagent un
vestiaire ou des portemanteaux ou un local afin de recevoir les vêtements de leurs clients, ils
sont dépositaires des vêtements placés dans ces lieux. Sauf si une affiche bien exposée prévient
que « la direction décline toute responsabilité en cas de perte... ». Cette clause n’est pas une
restriction de la responsabilité, mais délimite le contenu de l’obligation.
SECTION II
EFFETS
Accessoirement (puisque le contrat est habituellement unilatéral), des obliga-
tions pèsent sur le déposant (§ 1) ; les obligations principales sont à la charge du
dépositaire (§ 2).
§ 1. OBLIGATIONS DU DÉPOSANT
878. Étendue. – Le Code civil (art. 1947) énonce que deux obligations peuvent
éventuellement naître à la charge du déposant. Éventuellement : ce qui implique
6. Même si le dépôt est gratuit : Cass. civ., 28 avril 1925, DP 1927.I.23 ; le dépositaire n’a alors droit
ni au paiement d’un salaire, ni au remboursement des « frais de garde ». Ex. : Cass. civ. 1re, 7 mars
1973, Bull. civ. I, no 88 : en l’espèce, un moteur avait été mis en dépôt gratuit pendant treize ans :
pas un centime pour rémunérer le gardiennage.
7. Ex. : le dépositaire qui, afin de conserver la chose, est obligé de l’entreposer, peut obtenir le rem-
boursement des frais de transport et de garde.
8. Cass. com., 18 décembre 1979, Bull. civ. IV, no 339 ; RTD civ. 1980.780, obs. G. Cornu : cassa-
tion d’un arrêt qui avait augmenté le tarif du « magasinage », « en raison de circonstances économi-
ques nouvelles ».
9. Cass. civ., 12 mars 1923, DP 1926.I.32, sous Req., 19 octobre 1925, S. 1925.I.313,
n. H. Mazeaud : « Le droit de retenir la chose déposée accordé par cet article (art. 1948) au dépositaire
ne peut garantir que le payement de ce qui est dû à raison du dépôt ». En l’espèce, une femme avait
été hébergée par des amis auxquels elle avait confié des valeurs mobilières. Elle en a demandé la
restitution que la cour d’appel a ordonnée à condition qu’elle rembourse à ses hôtes ses frais de nour-
riture. Cassation.
10. Ex. : Cass. civ. 1re, 7 janvier 1992, JCP G 1992.II.21971, n. Ramolonto-Ratiaray ; RTD civ.
1992.586, obs. crit. P.-Y. Gautier ; n.p.B. : « le droit de rétention d’une chose, conséquence de sa
détention, est un droit réel opposable à tous, et même aux tiers non tenus de la dette ». A. AYNÉS, Le
droit de rétention, Unité ou pluralité, th. Paris I, Economica, 2006, no 366.
11. Ex. : Cass. com., 23 juin 1964, Bull. civ. III, no 325 ; D. 1965.79, n. R. Rodière : le droit éventuel
à la rétention qui était né lors de chacune des remises antérieures à la dernière s’était éteint « avec la
dépossession » et (le garagiste) « n’était pas en droit de retenir le camion litigieux jusqu’au payement
de ses anciennes factures ».
544 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
est autrement si tous ces travaux relèvent d’un contrat unique12 – un contrat global : les parties
sont « en compte ».
§ 2. OBLIGATIONS DU DÉPOSITAIRE
I. — Garde
880. Un gardien conservateur. – La garde, prévue par l’article 1927, est l’obli-
gation essentielle du dépositaire ; là où elle n’est pas due, il n’existe pas de dépôt.
Toute remise d’une chose pour une autre fin n’est pas un dépôt ; par exemple,
lorsqu’une somme d’argent est confiée à une banque avec stipulation d’intérêts,
il n’y a pas de dépôt, car le dépositaire est de sa nature un gardien conservateur,
non un détenteur fructificateur. Il doit garder la chose, afin d’empêcher qu’elle ne
soit volée ou dépérisse.
Le dépositaire est tenu, en raison de son obligation de garde, à une vigilance et
un entretien de la chose, au moins un entretien normal14 ; les soins
exceptionnels15 ne sont dus que si une clause particulière l’impose. De même, il
est obligé d’assurer la chose déposée contre l’incendie16 ou le vol17. L’étendue
qu’ont les obligations de surveillance et d’entretien dépend de la nature de la
chose : on ne garde pas de la même manière un coffret de bijoux, un cheval de
course, un cadavre18 ou des valeurs mobilières ; sur sa responsabilité19.
881. Dépôt de valeurs mobilières. – Les obligations du dépositaire présentent un aspect
particulier lorsque le dépôt a pour objet des valeurs mobilières20. Il est tenu des obligations
découlant du dépôt, conserver et restituer ; en outre, il doit des obligations accessoires, sans
qu’il soit nécessaire qu’une clause du contrat le prévoie et par le seul effet de l’usage : encaisser
12. Cass. com., 20 novembre 1967, Bull. civ. III, no 372 ; D. 1968, somm., 22 ; en l’espèce, un gara-
giste avait conclu un contrat de réparation pour l’ensemble du parc automobile d’une compagnie
d’autocars ; le compte étant passif (pour des réparations antérieures, alors que le véhicule qu’il avait
réparé avait été restitué), il a eu le droit de retenir l’autocar qui lui avait été à nouveau confié ; v. Droit
des sûretés, coll. Droit civil.
13. Biblio. : I. AVANZINI, Les obligations du dépositaire, Litec, 2007.
14. Ex. : faire boire les animaux.
15. Ex. : un représentant de commerce se fait voler dans son automobile la collection de marchan-
dises qui lui avait été confiée, alors que sa voiture était garée la nuit sur la voie publique ; il n’est pas
responsable parce que « son comportement a été conforme à un usage courant de la part des auto-
mobilistes » : Cass. soc., 10 avril 1962, Bull. civ. IV, no 386 ; ce qui est discutable : non le stationne-
ment, mais de laisser des objets de valeur dans une automobile que l’on gare la nuit sur la voie
publique.
16. Cass. civ., 26 juin 1923, DP 1923.1.125.
17. Cass. civ. 1re, 18 octobre 1954, Bull. civ. I, no 289 ; D. 1955.81 ; JCP G 1954.II.8378.
18. Cass. civ. 2e, 17 juillet 1991, Bull. civ. II, no 233 ; RTD civ. 1992.412, obs. P.-Y. Gautier : « L’hô-
pital est tenu vis-à-vis de la famille et des proches, en sa qualité de dépositaire, de veiller à la conser-
vation des corps pendant 10 jours ». Jugé que l’hôpital était responsable si le corps s’était décomposé
le 4e jour.
19. Infra, no 889.
20. RIPERT et ROBLOT, et al., nos 2464 et s. ; F.-J. CREDOT et P. BOUTEILLER, « La responsabilité des ban-
ques en matière de conservation, de gestion et de placement en matière de valeurs mobilières », RD
bancaire et bourse 1988.615.
DÉPÔT DE DROIT COMMUN 545
les dividendes (cf. art. 1936) et signaler au client les opérations à effectuer sur les titres (échan-
ges, renouvellements, augmentations de capital, droits de souscription, actions gratuites).
Il n’a pas à informer le client des événements extérieurs au titre, par exemple ceux qui inté-
ressent la société émettrice, que l’on pourrait appeler les informations « boursières »21. Lorsqu’il
n’y a pas de contrat de gestion, les pouvoirs de la banque fondés sur la gestion d’affaires sont
limités22.
Depuis la loi du 30 décembre 1981, les valeurs mobilières ont été « dématéria-
lisées » : le droit du propriétaire du titre résulte d’une inscription à un compte chez
un intermédiaire habilité, par exemple une banque. Le dépôt de valeurs n’est plus
un dépôt, mais un contrat d’entreprise, auquel s’ajoute un mandat lorsqu’il s’agit
d’un compte « nominatif administré »23. Cette qualification est sans conséquence
sur l’obligation d’information qui pèse sur le banquier teneur du compte.
A. RESTITUTION
La restitution doit être faite en nature (1) au déposant (2).
1) Restitution en nature
La restitution en nature relève d’un principe (a) limité par des exceptions (b).
a) Principe
21. * Cass. com., 9 janvier 1990, BNP, Bull. civ. IV, no 2 ; D. 1990.173, n. J.-P. Brill ;
JCP G 1990.II.21459, n. J. Stoufflet ; RD bancaire et bourse 1990.192, obs. J.-L. Rives-Lange ; RTD
com. 1990.460, obs. B. Bouloc : « Si la banque, simple dépositaire de titres, assume, en vertu des usa-
ges, les obligations accessoires au contrat, inhérentes à la détention de ces titres, aux droits qui y sont
attachés et à leur restitution, ni ces usages, ni l’équité, ni la loi ne l’obligent en outre à informer le
déposant d’un événement affectant la vie de la société émettrice des titres ». En l’espèce, la banque,
dépositaire de titres, n’avait pas informé son client de la liquidation judiciaire de la société émettrice ;
jugé qu’elle n’était pas responsable.
22. Ex. : Cass. com., 12 janvier 1999, Bull. civ. IV, no 7 ; JCP G 1999.II.10070, n. B. Petit ; D.
2000.239, n. D. Fiorina : « dès lors que la banque s’est bornée à invoquer l’utilité de l’aliénation des
titres de son client pour justifier la gestion d’affaires alléguée, sans prétendre établir que son client ne
pouvait être raisonnablement considéré comme ne pouvant agir lui-même, ni caractériser la gravité
des risques que le maintien de la situation pouvait lui faire courir, la cour d’appel a pu statuer
comme elle l’a fait » ; jugé que la banque était responsable pour avoir, sans mandat, cédé des titres
de son client.
23. RIPERT et ROBLOT, et al., nos 1789-2470.
24. Cass. civ. 1re, 31 octobre 1989, JCP G 1990.II.21568, n. R. de Quenaudon ; n.p.B. ; en l’espèce,
un peintre avait confié à une société ses dessins ; celle-ci, à la date prévue pour la restitution, avait
chargé une société de coursiers de les restituer au déposant ; l’employé de cette société les avait jetés
dans une poubelle ; jugé que la société de coursiers était tenue envers le déposant d’une obligation
contractuelle de restitution.
546 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
même qu’il a reçue ». En cas de contestation sur l’identité entre la chose reçue et
rendue, la preuve de la différence incombe au déposant25.
La chose déposée doit être rendue dans l’état où elle se trouve au moment de la
restitution (art. 1933) ; l’usure et les avaries qui ne sont pas imputables au déposi-
taire sont à la charge du déposant ; mais comme le dépositaire a l’obligation d’en-
tretenir la chose (art. 1927), c’est à lui de prouver que la détérioration ne provient
pas d’un défaut d’entretien, ce qui, pratiquement, implique qu’il prouve qu’il lui a
apporté des soins normaux26. La règle est favorable au dépositaire ; la même
existe dans le prêt à usage et dans le droit commun des dettes de corps certain
(art. 1342-5, ancien art. 1245) ; elle est contraire au droit commun des restitutions
(par exemple, les conséquences des nullités ou les rapports de donation), où
généralement la chose doit être rendue dans l’état qu’elle avait lors de son entrée
dans le patrimoine du débiteur, de façon à ce que le retour au statu quo ante soit
assuré.
Si la chose déposée est frugifère, le dépositaire doit restituer les fruits perçus (art. 1936), à
compter de la mise en demeure, même ceux qu’il aurait pu percevoir et n’a pas perçus27. Ce
qui est le régime des restitutions dues par un possesseur de mauvaise foi qui, comme le déposi-
taire, n’a aucun droit de jouissance. Si sa responsabilité est engagée pour défaut de restitution en
nature, le dépositaire devra la valeur de remplacement de la chose28.
25. Cass. civ. 1re, 26 septembre 2012, no 11-12890, Contrats, conc. consom. 2012, no 272, note
L. Leveneur ; Bull. civ. I no 177 ; RTD civ. 2013. 137, obs. P.Y. Gautier (substitution alléguée d’une
œuvre d’art).
26. Cass. civ. 1re, 29 mai 1996, Bull. civ. I, no 225 ; le dépositaire doit prouver « qu’il est étranger à la
détérioration de la chose qu’il a reçue en dépôt ; l’étendue de cette obligation varie selon les circons-
tances » et non pour l’entretien : « n’avait pas à vérifier l’organe responsable du sinistre » (ib.)...
27. Cass. civ. 1re, 7 mars 1979, Bull. civ. I, no 86 : dépôt de titres que le dépositaire aliène ; jugé
qu’outre leur valeur, il devra restituer les dividendes produits entre la mise en demeure et la restitution
du capital, bien qu’il ne les ait pas perçus.
28. Cass. civ. 1re, 15 juillet 1999, Bull. civ. I, no 240 ; D. Aff. 1999.1439 : « La valeur de remplace-
ment de la chose déposée doit être estimée à la date où les juges allouent des dommages-intérêts,
sauf à justifier une autre évaluation » : lorsqu’un bijou déposé a été volé, la valeur de restitution à
laquelle le dépositaire sera condamné est, non celle qui avait été conventionnellement fixée, mais
celle qu’il a au jour du jugement.
29. Ex. : Cass. civ. 1re, 31 octobre 2012, no 11-15462, Bull. civ. I no 225 ; D. 2013. 209, n.
Gw. Lardeux (le dépositaire doit être cru, lorsqu’il « affirme avoir restitué l’entière somme déposée »).
30. Ex. : Cass. civ. 1re, 28 février 1989, Bull. civ. I, no 97 : « Le dépôt doit être remis au déposant aus-
sitôt qu’il le réclame, soit verbalement, soit par sommation, soit par tout autre acte équivalent ».
DÉPÔT DE DROIT COMMUN 547
884. Justes motifs. – L’obligation de restitution est plus contraignante dans le dépôt que
dans les autres contrats de restitution, parce que ce contrat repose, plus que tout autre, sur la
confiance. Le dépositaire est tenu de restituer la chose au déposant sans que celui-ci ait à faire
la preuve de sa propriété (art. 1938, al. 1)31 : le dépôt peut en effet avoir été fait par un autre que
le propriétaire. Il en est autrement lorsqu’à la connaissance du dépositaire, le dépôt portait sur
une chose volée (art. 1938, al. 2).
La restitution est également due lorsque le déposant est débiteur du dépositaire : l’exception
de compensation légale n’est pas ici opposable (art. 1347-2, ancien art. 1293, 2º) ; l’intérêt de
cette règle apparaît surtout lorsque le dépôt est irrégulier ; cependant, le dépositaire a un droit
de rétention lorsque sa créance est connexe à sa dette32.
Le dépositaire doit cependant refuser la restitution lorsqu’il a été l’objet d’une une saisie-attri-
bution ou d’une opposition (art. 1944) et d’une manière générale, s’il justifie de motifs « plausi-
bles », par exemple, s’il a des doutes légitimes sur les droits du déposant33.
b) Exceptions
Le principe de la restitution en nature est écarté dans deux cas : par le jeu de la
force majeure et en présence d’un dépôt irrégulier.
885. 1º Subrogation réelle et force majeure. – Il y a restitution par équivalent lorsque la
chose a été détruite par force majeure entre les mains du dépositaire qui a reçu une indemnité
représentative de la chose (art. 1934), par exemple une indemnité d’assurance, de réparation ou
de réquisition. C’est un cas de subrogation réelle : le dépositaire rendra l’indemnité reçue.
La restitution se fait également par équivalent lorsque le dépôt était un dépôt irrégulier parce
qu’il portait sur des choses de genre.
886. 2º Dépôt irrégulier. – Le dépositaire n’est pas non plus tenu à une restitu-
tion en nature lorsque le dépôt porte sur des choses de genre non individualisées
– c’est-à-dire des choses fongibles – que le dépositaire a de ce fait le droit de
consommer34, ce que l’on appelle souvent un dépôt irrégulier, proche du prêt de
consommation. En ce cas, le dépositaire doit restituer, non la chose reçue, mais
31. Ex. : Cass. civ. 1re, 20 juin 1995, Bull. civ. I, no 269 ; en l’espèce, un commissaire-priseur avait
restitué une œuvre d’art à l’ex-mari de la déposante ; il avait donc commis une faute et été condamné
à des dommages-intérêts envers celle-ci : « Il résulte des articles 1937 et 1938 que le dépositaire ne
doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, indépendamment de sa qualité de pro-
priétaire de la chose remise en dépôt [...] ; la chose déposée ne pouvait être restituée qu’à la dépo-
sante, indépendamment de la question, toujours en litige, des droits de propriété sur l’œuvre dépo-
sée ».
32. Cass. civ. 1re, 9 février 1988, Bull. civ. I, no 32 ; RTD com. 1988.677, obs. B. Bouloc : « Vu les
articles 1944 et 1948 ; aux termes du premier de ces textes, le dépôt doit être remis au déposant aussi-
tôt qu’il le réclame, à moins qu’il n’existe, entre les mains du dépositaire, une saisie ou une opposition
à la restitution ou au déplacement de la chose déposée ; il n’est permis de faire exception à cette règle
que si, en vertu du second de ces textes, le dépositaire est créancier du déposant en vertu du dépôt,
ou du moins s’il existe un lien de connexité entre la créance du dépositaire et le contrat de dépôt » ;
v. égal. supra, no 879, sur le droit de rétention.
33. Cass. civ., 11 juillet 1860, DP 1860.I.305 : le dépositaire de valeurs dépendant d’une succession
peut refuser de les restituer jusqu’à ce qu’il y ait été autorisé par justice, si le droit de l’héritier suscite
« des doutes légitimes » ; en l’espèce, il existait des mineurs qui avaient été écartés du partage à la suite
d’une transaction. Mais, Req., 5 juillet 1892, DP 1892.I.503 : le dépositaire est obligé de restituer si un
jugement ordonne l’attribution. L’opposition doit prendre la forme d’un acte d’huissier ; une lettre
recommandée ne suffirait pas : Cass. com., 11 février 2003, Bull. civ. IV, no 19.
34. Ex. : une cuve contient du pétrole appartenant à des personnes différentes (J. CARBONNIER, RTD
civ. 1950.201).
548 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
une chose semblable, de même espèce et de même quantité ; en outre, il n’est pas
libéré par la force majeure, parce que genera non pereunt (les choses de genre ne
périssent pas), ce qui est une différence importante d’avec le dépôt ordinaire. Si la
chose de genre est individualisée35, le dépôt devient « régulier » et la restitution
doit se faire en nature.
La distinction entre le dépôt irrégulier et le prêt de consommation est une crux juris. Objecti-
vement, tout se ressemble : les deux contrats ont pour objet l’un une chose fongible, l’autre une
chose consomptible, par conséquent fongible ; dépositaire et emprunteur ont le droit de se servir
de la chose ; la restitution se fait par équivalent ; sans doute le dépôt, non le prêt, est-il resti-
tuable à tout moment, mais ce n’est pas un élément essentiel. Ce qui change, c’est l’intention,
l’esprit respectif des institutions. Le dépôt, même irrégulier, est fait dans l’intérêt du déposant afin
que sa chose soit gardée ; le prêt est fait dans l’intérêt des deux parties, au moins celui de
l’emprunteur36. La distinction devient fuyante lorsqu’il s’agit de dépôt salarié, ce qui explique
les difficultés que soulèvent les dépôts bancaires.
35. Le dépôt est régulier lorsqu’il porte sur des choses de genre individualisées : par exemple, de
l’argent ou des pièces d’or mises dans un coffret ou un sac cacheté. Ex. : Cass. civ. 1re, 29 novembre
1983, Bull. civ. I, no 280. En l’espèce, un particulier avait déposé dans une banque 131 « souverains
d’or » achetés à Djibouti, puis avait donné l’ordre de les vendre ; la police les a saisis, parce que les
pièces étaient fausses ; la demande du déposant en remboursement de leur valeur (en vrai or) a été
repoussée parce qu’il s’agissait d’un dépôt régulier : « Les pièces avaient été conservées par la banque
dans une cassette close, déposée dans un coffre, ce qui permettait de les individualiser ».
36. Req., 2 décembre 1890, DP 1891.I.420 ; S. 1891.I.273 : sommes « déposées » à une société par
ses actionnaires : « La garde des fonds n’a jamais été le but principal et déterminant de la livraison qui
en a été faite à la société ; les opérations ont eu lieu, non comme dans tout dépôt, pour le plus grand
avantage des déposants, mais dans un double intérêt réciproque, celui des capitalistes, qui trouvaient
un placement plus avantageux à 5 %, et celui qui se procurait ainsi les fonds dont elle avait besoin ».
L’opération était donc un prêt à intérêt sujet à l’impôt qui le frappait.
37. Fr. GRUA, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, nos 170 et s. ; Th. BONNEAU,
Droit bancaire, LGDJ, coll. Domat, 11e éd., 2015, no 51.
38. RIPERT, ROBLOT et al., no 2361.
39. J. HAMEL et al., Traité de droit commercial, t. II, Dalloz, 1966, no 1640.
40. J. ESCARRA, Cours de droit commercial, t. VI, Sirey, 1951, no 425.
41. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 7 février 1984, Bull. civ. I, no 49 ; Defrénois 1984,
art. 33.427, obs. appr. Chr. Larroumet : « Dès l’instant de leur remise, les espèces (versées à une caisse
d’épargne), étant des choses de genre, deviennent propriété de la caisse à l’égard de laquelle le client
ne dispose plus que d’un droit de créance ». Pour E. Alfandari, « Les droits des créanciers et des dépo-
sants d’un établissement de crédit en difficulté », D. 1996, chron., 277, les déposants en banque sont
propriétaires des soldes créditeurs. Comp. supra, no 568. Pour Fr. Grua, on reste sur le terrain des
créances : D. 1998, chron. 258.
42. Ex. : Cass. civ. 1re, 3 juin 2015, nº 14-19825, Bull. civ. III à paraître ; D. 2015. 1588, n. A. Tehrani
(preuve par tous moyens de la procuration sur le compte).
DÉPÔT DE DROIT COMMUN 549
2) Restitution au déposant
888. À qui la chose doit-elle être restituée ? – Le principe est que la restitution
doit être faite au déposant (art. 1937). Par exemple, si le dépôt avait été effectué
par un mandataire, la restitution devrait être faite au mandant. Le dépositaire n’a
pas à exiger que le déposant qui réclame restitution fasse la preuve de sa
propriété43. S’il est mort, le bien sera restitué à son héritier (art. 1939).
La jurisprudence applique cette règle avec rigueur au dépôt bancaire : le banquier dépositaire
engage sa responsabilité si, même en l’absence de faute de sa part, il paye un chèque à un
contrefacteur44 ou remet les titres à un époux non-déposant45 ou exécute des virements sans la
signature autorisée46.
B. RESPONSABILITÉ
889. Obligation de moyens ? Conservation et restitution. – Le dépositaire
engage sa responsabilité contractuelle s’il ne peut restituer au déposant la chose
qui lui avait été confiée47 ou si elle a été détériorée par sa faute. Il a violé l’obli-
gation de garde à laquelle il est tenu : sa responsabilité est plus lourde que celle
du bailleur, qui n’assume aucune obligation de garde.
Bien que, sauf vestiaire organisé, la remise de vêtements à un restaurateur, salon de coiffure
ou club sportif ne soit pas un contrat de dépôt, celui qui accepte de recevoir la chose assume, lui
aussi, une obligation de garde, qui ressemble à celle du dépositaire48, à cette différence qu’elle
43. Cass. civ. 1re, 27 novembre 2001, Bull. civ. I, no 290 ; Contrats, conc. consom. 2002, comm.
no 23, n. L. Leveneur ; en l’espèce, un industriel avait déposé chez un garagiste du matériel ; lorsqu’il
en demanda la restitution, la cour d’appel le débouta car « il ne justifie pas être propriétaire du matériel
déposé ». Cassation : « il ne peut être exigé de celui qui a fait le dépôt la preuve qu’il était propriétaire
de la chose déposée ; le dépositaire ne doit restituer la chose qu’à celui qui la lui a confiée ».
44. Jurisprudence constante, ex. : Cass. com., 9 février 1993, Bull. civ. IV, no 52 ; JCP E 1993.II.439,
n. J. Stoufflet : « en sa qualité de banquier dépositaire, NSM ne pouvait être libérée de son obligation
de restituer les fonds du déposant qu’en vertu d’un ordre de payement revêtu de la signature authen-
tique de celui-ci et le chèque litigieux étant faux dès l’origine, son payement n’était pas libératoire pour
le tiré, même en l’absence de faute de celui-ci ».
45. Cass. civ. 1re, 3 juillet 2001, Bull. civ. I, no 198 ; D. 2002.1102, n. L. Comangès : le banquier
devra rembourser près de 200 000 € au déposant, dont le conjoint a vidé le compte. Il aurait dû vérifier
ses pouvoirs.
46. Cass. com., 3 novembre 2004, Bull. civ. IV, no 187 ; D. 2004.3063, n. V. Avena Robardet.
47. Jurisprudence constante, ex. : un bijou confié à un bijoutier a été volé : Cass. com., 12 novem-
bre 1986, Bull. civ. IV, no 205 : « Une prudence normale commandait à la société Faur (le bijoutier)
d’examiner la possibilité du percement du plafond, ce qu’elle n’a pas fait » ; l’arrêt précise aussi que
le dépositaire aurait dû s’assurer contre le risque de force majeure même si les bijoux étaient déjà
assurés, ainsi que le prévoit le Code des usages de la profession (bijouterie, horlogerie, joaillerie, orfè-
vrerie) ; sur le dépôt de bijou, v. aussi infra.
48. Cass. civ. 1re, 18 novembre 1975, Bull. civ. I, no 333 ; RTD civ. 1976.369, obs. G. Cornu : il ne
s’agit pas d’un dépôt, mais « d’une obligation accessoire du contrat de restauration » ; comp. pour les
salons de coiffure, infra, no 900.
550 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
est susceptible de convention contraire49, alors qu’elle est de l’essence du dépôt, et que le client
est tenu à une obligation de prudence50.
Par nature, l’obligation de restituer est une obligation de résultat : seule la resti-
tution effective satisfait le déposant. Pourtant, la Cour de cassation parle d’obliga-
tion de moyens51. Ce qui ne signifie pas que le dépositaire doit simplement s’ef-
forcer de conserver et de restituer la chose, et que sa responsabilité ne serait
engagée que si le déposant prouvait sa faute ; cette preuve serait souvent impos-
sible. Le défaut de restitution ou la restitution d’un objet détérioré font présumer la
faute du dépositaire52 ; la présomption est simple et peut être renversée par la
preuve d’un événement de force majeure ou par celle de l’absence de faute, ou
de ce que la chose était déjà détériorée lorsqu’il l’a reçue53. En pratique, les dété-
riorations ou disparitions dont la cause est inconnue engagent la responsabilité du
dépositaire54.
49. Cass. civ. 1re, 1er mars 1988, Bull. civ. I, no 57. En l’espèce, une dame avait accroché son man-
teau à un portemanteau situé à l’entrée d’un cabaret ; à sa sortie, elle ne l’a pas retrouvé ; jugé que le
cabaret n’était pas responsable, car un panneau était mis au-dessus du portemanteau « prévenant la
clientèle que l’établissement n’acceptait pas d’être dépositaire des vêtements qui étaient accrochés ;
de ces constatations, elle (la cour d’appel) a pu déduire, non seulement qu’aucun contrat de dépôt ne
s’était formé entre Mme Gillot et M. Scemama (tenancier du cabaret) mais aussi que ce dernier n’était
pas tenu en l’espèce d’une obligation de garde et de surveillance des vêtements de sa clientèle ».
50. Ex. : commettrait une imprudence, justifiant un partage de responsabilité, le client qui pend un
manteau de vison sur un portemanteau non surveillé. V. également, infra, nos 900-901 ; Droit civil illus-
tré, no 150.
51. * Cass. com., 22 novembre 1988, sté Nozeroy, Bull. civ. IV, no 316 ; RTD civ. 1989.328, obs.
P. Jourdain ; RTD com. 1989.526, obs. B. Bouloc : le dépositaire « n’est tenu que d’une obligation de
moyens et [...] il est exonéré de l’obligation de restituer la chose lorsqu’il rapporte la preuve de l’ab-
sence de faute ou de négligence de sa part » ; cassation de l’arrêt qui décide qu’un bijoutier n’est pas
exonéré de son obligation au seul motif que l’agression dont il a été victime n’avait pas le caractère de
la force majeure. En l’espèce, il s’agissait d’un « confié », c’est-à-dire d’un dépôt de bijoux entre deux
bijoutiers. Pour le dépôt d’une pouliche : Cass. civ. 1re, 10 janvier 1990, cité supra, no 866.
52. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 22 mai 2008, no 06-17863, Bull. civ. I, no 143 : « Si
le dépositaire n’est tenu que d’une obligation de moyens, il lui appartient en cas de détérioration de la
chose déposée de prouver qu’il y est étranger, en établissant qu’il a donné à cette chose les mêmes
soins qu’il avait apportés à la garde des choses lui appartenant ». Sauf à prouver que cette détériora-
tion existait avant la mise en dépôt ; en l’espèce, le déposant, constatant lors de la restitution que les
objets déposés étaient détériorés, demanda une indemnité réparant dommage ; il fut débouté par la
cour d’appel car « il ne rapportait pas la preuve que les dommages pouvaient être imputés à la société
(dépositaire) pendant qu’elle les avait en dépôt ». Cassation : la cour d’appel a inversé la charge de la
preuve.
53. Cass. civ. 1re, 22 mai 2008, Bull. civ. I, no 143, D. 2008.1550, n. X. Delpech ; Contrats, conc.
consom. 2008, comm. no 223, n. L. Leveneur ; Defrénois 2008.1953, obs. R. Libchaber ;
RDC 2008.1271, n. P. Puig : (meuble ancien mis en dépôt dans un hôtel des ventes et restitué endom-
magé) : « il incombait au dépositaire de prouver que les détériorations constatées existaient avant la
mise en dépôt des objets litigieux... ».
54. Cass. civ. 1re, 7 février 2006, Contrats, conc. consom. 2006, comm. no 101, n. L. Leveneur ;
n.p.B. : incendie d’un entrepôt, cause inconnue, le dépositaire est responsable.
55. Ex. : l’exode provoqué par l’invasion allemande de 1940 avait fait fuir un garagiste qui aban-
donna les voitures de ses clients : Cass. civ. 1re, 22 décembre 1954, Bull. civ. I, no 382 ; D. 1955.252.
56. Supra, no 885.
DÉPÔT DE DROIT COMMUN 551
Comme toujours, l’appréciation de la force majeure soulève des difficultés. Ainsi pour le vol :
c’est au dépositaire de prouver qu’il a pris les précautions suffisantes et que le voleur avait usé
de moyens qui, en l’espèce, avaient été irrésistibles57.
57. Cass. civ. 1re, 23 décembre 1958, Bull. civ. I, no 579 ; D. 1959.53 ; RTD civ. 1959.343, obs.
J. Carbonnier : « Dans le cas où la chose déposée a été endommagée par un tiers, le dépositaire salarié
doit, pour être exonéré de son obligation de la rendre dans l’état où il l’a reçue, prouver que le fait de
ce tiers présentait pour lui les caractères de la force majeure ; il demeure en conséquence responsable
de ces dommages envers le déposant lorsqu’une faute commise par lui a rendu possible le fait de ce
tiers ».
58. Cass. civ. 1re, 20 juillet 1994, Bull. civ. I, no 256 : « Vu les articles 1927 et 1928 ; pour être exo-
néré des conséquences de la disparition de la chose qu’il a reçue, le dépositaire salarié doit prouver
que le dommage n’est pas dû à sa faute ». En l’espèce, la cour d’appel avait engagé la responsabilité
du commissaire-priseur auquel avaient été confiés des objets d’art par un antiquaire, et qui avaient été
volés, parce qu’il n’avait pas prouvé la force majeure. Cassation.
59. Cass. civ. 1re, 12 décembre 1984, supra, no 863.
60. Sur les différences entre les clauses d’irresponsabilité et celles qui limitent l’obligation, Droit des
obligations, coll. Droit civil.
61. Ex. : le garagiste n’a le droit d’utiliser ni même de sortir l’automobile déposée dans son garage,
sans autorisation du déposant : Cass. civ. 1re, 2 février 1965, Bull. civ. I, no 91.
552 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
par les auteurs et journalistes aux agences de presse, afin qu’elles les cèdent à des
journaux62.
D’autre part, il est, sauf stipulations contraires, tenu d’une obligation de discré-
tion, ne pas chercher à connaître le contenu du dépôt, ce qu’implique l’arti-
cle 1931. Ainsi en est-il du contrat de coffre-fort et des dépôts en ligne sur
l’Internet63.
62. P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 10e éd., à paraître en 2017, no 640.
63. Supra, nº 861.
n CHAPITRE II n
DÉPÔTS SPÉCIAUX
Trois sortes de dépôts sont soumis à des statuts particuliers : le dépôt nécessaire
(Section I), le dépôt hôtelier (Section II) qui comportent tous deux des analogies
dans leur régime, et le séquestre, qui, lorsqu’il est judiciaire, s’éloigne beaucoup
du dépôt (Section III).
SECTION I
DÉPÔT NÉCESSAIRE
900. Peur et preuve. – Dans le dépôt nécessaire, le déposant n’a pas librement
effectué son dépôt ; le caractère contractuel s’efface1. Sans doute, doit-il être
accepté par le dépositaire, mais le déposant subit une contrainte, la peur que lui
cause un péril imprévu et qui l’a incité à fuir en déposant à la hâte ses affaires
(art. 1949) : il y a une nécessité imprévue2. Ce qui n’est pas, au sens des vices du
consentement, une violence, puisque la contrainte ne provient pas d’une per-
sonne, mais d’un événement3 ; coacta voluntas sed tamen voluntas : pour
contrainte qu’elle soit, une volonté reste une volonté.
Parce qu’il y a force majeure, le déposant n’a pu se préconstituer une preuve
écrite ; aussi peut-il librement démontrer le dépôt, quelle qu’en soit la valeur
(art. 1950). C’est uniquement en cela que le dépôt nécessaire a un régime déro-
gatoire.
La jurisprudence a compris étroitement, pendant longtemps, la notion de dépôt nécessaire ;
ainsi, le fait qu’il soit dans l’usage de laisser ses vêtements en un lieu déterminé d’un restaurant,
d’un salon de coiffure ou d’un club sportif, n’est pas un événement de force majeure soustrayant
le déposant aux règles ordinaires de preuve. C’est parfois même un acte de pure complaisance4.
Le problème se pose quand il n’existe pas de vestiaire organisé et que le client a accroché ses
vêtements dans le restaurant, le salon de coiffure ou le club sportif, par exemple, sur un porte-
manteau. La jurisprudence décide le plus souvent que le tenancier de l’établissement n’a pas
accepté d’être dépositaire5.
Cependant, dans ces cas, les tribunaux admettent souvent la preuve par témoins
de la remise du vêtement, en se fondant sur un autre raisonnement : ils se réfèrent
au droit commun qui admet la liberté de la preuve en cas d’impossibilité morale
de se préconstituer un écrit (art. 1360, ancien art. 1348, al. 1)6. En outre, ils sou-
mettent le restaurateur, salon de coiffure ou club sportif à une responsabilité qui,
bien que de droit commun, est à peu près la même que celle du dépositaire7.
Dans ce cas, aussi bien pour la preuve que pour le fond, le droit commun des
obligations ramène au droit spécial du dépôt.
SECTION II
DÉPÔT HÔTELIER
5. Ex. : Cass. civ. 1re, 8 février 2005, Lucie Saint-Clair, D. 2005.2260, n. C. Bloud-Rey ; Bull. civ. I,
no 67 ; Defrénois 2005.1233, n. R. Libchaber ; RDC 2005.1031, obs. I. Dauriac : la cliente d’un salon
de coiffure avait déposé ses bagues sur un plateau ; jugé que n’avait pas été caractérisée une « obliga-
tion accessoire de surveillance » pesant sur le salon de coiffure.
6. J. CARBONNIER, obs. RTD civ. 1948.227.
7. Supra, no 889.
8. L. MORET, « Le contrat d’hôtellerie », RTD civ. 1973.663-700.
9. Le vol à main armée n’est pas une force majeure : il ne s’agit pas de responsabilité, mais de
garantie : Cass. civ. 1re, 9 mars 1994, Bull. civ. I, no 91 ; « Si l’irrésistibilité de l’événement est, à elle
seule, constitutive de la force majeure, lorsque sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les
effets, encore faut-il que le débiteur ait pris toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de
cet événement ; ayant constaté en l’espèce que l’hôtelier ou ses préposés n’avaient pas effectué un
contrôle strict des entrées, le veilleur de nuit ayant lui-même ouvert la porte d’entrée à l’un des
DÉPÔTS SPÉCIAUX 555
malfaiteurs qui prétendait avoir rendez-vous avec une cliente de l’établissement, la cour d’appel a pu
estimer que ce vol à main armée ne constituait pas un cas de force majeure, dès lors que n’avaient pas
été prises toutes les précautions possibles que la prévisibilité rendait nécessaires ».
10. Ex. : le client n’avait pas placé ses objets de valeur dans le coffre de l’hôtel, mais dans celui de
la chambre, ne se conformant pas aux consignes de sécurité : Cass. civ. 1re, 12 juin 2012, no 11-18450,
n.p.b. ; Contrats, conc. consom. 2012, no 228 ; ou il est volé dans sa chambre dont il avait laissé à
l’extérieur la clef dans la serrure : Cass. civ. 1re, 10 mai 1954, Gaz. Pal. 1955.I.45 ; il porte des bijoux
avec lui ou sur lui : Cass. civ. 1re, 27 janvier 1982, Bull. civ. I, no 49 ; D. 1982, IR, 359, n.
Chr. Larroumet.
11. Ex. : Cass. civ. 1re, 30 mai 2000, Bull. civ. I, no 163 : il y a « jouissance privative » et donc respon-
sabilité de l’hôtelier, « au cas du vol du véhicule stationné dans les dépendances de l’hôtel » ; au
contraire, Cass. civ. 1re, 1er janvier 2000, Bull. civ. I, no 4 : l’hôtelier n’est pas responsable si le véhicule
stationnait sur la voie publique.
12. Cass. civ. 1re, 4 novembre 1986, Bull. civ. I, no 250 : « Pour bénéficier d’un droit à réparation
dans la limite équivalent à cent fois le prix quotidien de location, le client d’un hôtel qui soutient
avoir été victime d’un vol d’objets déposés dans sa chambre, s’il n’a pas l’obligation de rapporter la
preuve d’une faute quelconque de l’hôtelier qui aurait permis la commission du vol allégué, doit, en
revanche, s’il y a contestation sur la réalité du dépôt, justifier, fût-ce par présomption, de la matérialité
du dépôt ».
13. Cass. civ. 1re, 12 juin 2012 préc., le client n’a pas fourni les justificatifs de la valeur des objets
volés.
14. Ex. : Cass. civ. 1re, 14 février 1990, Bull. civ. I, no 44 : dépôt de bijoux dans le coffre de l’hôtelier
auquel le client ne pouvait accéder qu’accompagné d’un employé de l’établissement ; jugé qu’en cas
de vol, la responsabilité de l’hôtelier était illimitée.
15. Ex. : Paris, 26 novembre 1987, D. 1988, IR, 4 ; cette faute n’impose ni l’intention de nuire, ni
d’être une faute lourde.
16. Cass. civ. 1re, 11 mars 1969, Bull. civ. I, no 108 ; D. 1969.492 : « La responsabilité des hôteliers,
telle qu’elle résulte des articles 1952 et s. présente un caractère exceptionnel et ne saurait être étendue
par voie d’analogie ; en effet se rattachant au contrat d’hôtellerie, elle implique nécessairement que le
client est “logé” dans l’hôtel et n’est pas venu seulement pour prendre un repas » : stationnement de la
voiture du client dans la cour du restaurant, vol d’une valise pendant le déjeuner ; la responsabilité du
restaurateur n’est pas engagée, sauf si sa faute est démontrée.
17. * Cass. civ. 1re, 17 décembre 1957, sté clinique Marignan, Bull. civ. I, no 494 ; D. 1958.96 ;
JCP G 1958.II.10452 ; RTD civ. 1958.273, obs. J. Carbonnier : « La responsabilité imposée par l’arti-
cle 1952 aux aubergistes et hôteliers a été établie dans l’intérêt exclusif des voyageurs qui logent
chez eux ; le terme “voyageurs” désigne limitativement les personnes que les hôteliers reçoivent à
titre temporaire et passager [...] ; on ne saurait considérer, ni comme un hôtelier ou un aubergiste l’ex-
ploitant d’une clinique, ni comme un “voyageur” au sens de l’article susvisé les personnes qui
556 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
hôtellerie »18 ; aujourd’hui, la loi (C. santé publ., art. L. 1113-1 et s.) qu’avait anti-
cipée la jurisprudence19, assimile presque complètement le dépôt hospitalier au
dépôt hôtelier. La jurisprudence étend aussi le dépôt hôtelier au parc de station-
nement de l’hôtel et à un club de vacances20.
SECTION III
SÉQUESTRE
902. Conventionnel et judiciaire. – Le séquestre21 a été conçu par le Code civil comme une
variété particulière de dépôt, le dépôt d’une chose litigieuse (art. 1955 à 1963). Mais, de plus en
plus, le particularisme de l’institution s’accuse, et souvent il se rapproche du mandat, surtout
lorsqu’il est confié à un administrateur-séquestre ; il peut, malgré les termes de l’article 1956
(« un tiers »), être confié à un créancier, qui conserve la chose en qualité de séquestre22 ; cette
remise libère le débiteur23. Il peut porter sur un immeuble, et même, lorsqu’il s’agit d’une suc-
cession, sur l’ensemble d’un patrimoine24. À côté des séquestres conventionnel et judiciaire,
existent des séquestres administratifs seulement indiqués ici pour mémoire.
Le séquestre conventionnel est pratiqué de temps à autre : les plaideurs préfèrent s’en remettre
à la justice pour désigner la personne qui gardera la chose jusqu’à l’issue du procès.
Le séquestre judiciaire est une mesure conservatoire nécessaire en cas d’urgence. Le Code
civil a voulu qu’il ne porte pas trop atteinte aux prérogatives du propriétaire, la jurisprudence
en a élargi le domaine et à un moindre degré le rôle. La lettre de l’article 1961 paraît impliquer
qu’il ne peut intervenir que dans les cas expressément prévus par la loi ; cependant, la jurispru-
dence, à partir de l’entre-deux-guerres, a admis que le juge, notamment celui des requêtes ou
des référés, pouvait ordonner un séquestre toutes les fois qu’il l’estimait utile parce que sur un
bien ou un ensemble de biens, il y avait un conflit sérieux d’intérêts25. Il peut également prendre
viennent habiter une chambre pendant le temps où les soins spéciaux nécessités par leur état leur sont
dispensés » (c’est-à-dire les malades hospitalisés).
18. J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001, p. 344.
19. Cass. civ. 1re, 19 mai 1992, Bull. civ. I, no 146 ; JCP G 1992.IV.2047.
20. Paris, 15 juin 1988, D. 1988, IR, 224 : « Le club de vacances a l’obligation de garantir à ses
clients la surveillance des objets entreposés dans les chambres mises à leur disposition quelles que
soient les règles d’organisation et d’animation des séjours ».
21. Étymologie de séquestre : du latin sequester, tri = médiateur, puis, dépositaire d’un objet en
litige ; lui-même dérivé (?) de secus = le long de.
22. Ex. : Cass. civ. 1re, 30 juin 1965, Bull. civ. I, no 436 : « Il était possible à la cour d’appel de dési-
gner l’un des héritiers comme administrateur séquestre d’un bien de la succession, même en présence
de l’opposition d’un autre héritier, quel que dût être le sort du bien litigieux et quelques procédures qui
pussent être engagées pour déterminer ce sort ».
23. * Cass. civ. 1re, 17 février 1998, Banque Part Dieu, Bull. civ. I, no 64 ; D. Aff. 1998.469 ; Contrats,
conc. consom. 1998, no 58, n. L. Leveneur ; RTD civ. 1998.700, obs. P.-Y. Gautier : « Vu l’art. 1961,
3e ; il résulte de ce texte que lorsqu’il remet au séquestre désigné par justice les choses qu’il a offertes
pour sa libération, le débiteur est libéré ».
24. Mais, sauf les cas de la « faillite » et des successions litigieuses, une personne ne peut être des-
saisie de son patrimoine. Ex. : Cass. civ., 10 juillet 1876, DP 1876.I.314 : « Vu les articles 537 et 1961 ;
chacun a la libre disposition de ses biens et nul ne peut être privé du droit de les administrer qu’en
vertu d’une disposition formelle de la loi ; l’article 1961, no 2, confère aux tribunaux la faculté de placer
sous séquestre judiciaire soit une chose litigieuse entre deux ou plusieurs personnes, soit une chose
déterminée affectée à la garantie d’obligations d’un débiteur ; mais cette disposition de la loi ne les
autorise pas à appliquer une telle mesure, à titre provisoire ou à titre définitif, au patrimoine entier
d’un particulier non commerçant, fût-il en état de “déconfiture” ».
25. * Cass. soc., 15 mars 1956, Duru, Bull. civ. IV, no 256 : « Les tribunaux et, en cas d’urgence, les
juges des référés, sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation à l’effet d’ordonner la nomina-
tion d’un administrateur séquestre lorsqu’ils estiment que cette mesure est indispensable et urgente ; il
en est ainsi lorsqu’à l’occasion d’un colonat partiaire, l’une des parties empêche une saine gestion du
domaine rompant la bonne harmonie nécessaire à l’exécution du contrat de métayage basé sur la
DÉPÔTS SPÉCIAUX 557
la mesure à la demande d’un requérant ignorant l’identité réelle du créancier (« pour le compte
duquel il appartiendra »).
Le séquestre doit garder26 la chose et l’administrer27 jusqu’au moment où il devra la restituer
au plaideur à la fin du procès28. Le juge (éventuellement la convention) doit fixer la mission du
séquestre, mais il ne peut lui conférer, au plus, que le pouvoir d’administration, afin de ne pas
trop porter atteinte aux droits du propriétaire29. Le séquestre est responsable de ses fautes30, ce
qui le rapproche d’un dépositaire ordinaire31.
Conformément à l’article 1960, si le séquestre a été désigné avec l’accord des parties, il ne
peut se dessaisir des sommes à la demande d’une seule, sauf à engager sa responsabilité
professionnelle32. Le bien ou la créance conservée par lui n’entre pas dans son patrimoine, puis-
qu’il n’en acquiert pas la propriété. Il ne peut donc faire l’objet de saisies par ses créanciers33. En
revanche, ceux du ou des propriétaires qui se disputent le bien ou la créance peuvent en prati-
quer une entre ses mains, avec l’aléa de la décision finale du juge34.
confiance réciproque ». La question se pose souvent dans les litiges relatifs à une succession (v. Les
successions, coll. Droit civil) ou lorsqu’il y a des contestations entre associés : ex. : Req., 8 novembre
1933, DH 1934.569 ou entre indivisaires : l’article 815-6 exige que la mesure soit imposée par « l’in-
térêt commun ».
26. Cass. civ. 2e, 16 juin 1982, D. 1983.237, n. Y. Desdevises ; n.p.B. : « Le gardien de marchandi-
ses saisies devait veiller à la conservation de celles-ci et y apporter les soins d’un bon père de famille ».
En l’espèce, un clerc d’huissier avait été désigné comme gardien de marchandises saisies sur un débi-
teur ; celui-ci avait détourné les objets saisis, en ayant accès à l’entrepôt où ils étaient déposés ; la cour
d’appel y avait vu une force majeure exonérant le séquestre. Cassation.
27. Ex. : Cass. civ. 1re, 18 mars 1959, Bull. civ. I, no 169 : « Le séquestre judiciaire doit conserver et
administrer les biens séquestrés dans la mesure que commandent la nature même de ceux-ci et l’éten-
due de sa mission » ; en l’espèce, un séquestre avait été chargé de gérer un élevage de volailles : sur
5 000 poulets, 1 500 avaient crevé ; jugé que le séquestre n’avait pas commis de faute et n’était donc
pas responsable.
28. Ces sommes n’entrant pas dans son patrimoine, elles ne sauraient être appréhendées ni par lui-
même, ni par ses créanciers en cas de procédure collective : Cass. com., 13 novembre 2001,
Bull. civ. IV, no 177 ; D. 2002, AJ 328 : « le séquestre conventionnel oblige le dépositaire, même en
redressement judiciaire, à rendre la chose contentieuse déposée entre ses mains qui sera jugée devoir
l’obtenir, sans qu’il y ait lieu à concours entre les créanciers de ce dépositaire ». Cass. com., 24 avril
2007, Bull. civ. IV, no 114 : les sommes « doivent être restituées à ceux qui ont été jugés devoir les
obtenir ».
29. En cas de séquestre d’actions ou de parts de société, le séquestre, en principe, ne peut se faire
attribuer le droit de vote aux assemblées. Ex. : Paris, 18 avril 1961, JCP G 1962.II.12748, concl. Lam-
bert : « S’agissant d’actions de société, les pouvoirs de celui qui en est chargé (du séquestre) ne com-
portent pas normalement le droit de vote qui appartient, en principe, à l’actionnaire ou au mandataire
choisi par celui-ci ; toutefois, la conservation des actions [...] peut nécessiter aussi l’exercice de tous ou
certains des droits qui y sont attachés – et singulièrement du droit de vote – pour la sauvegarde des
intérêts sociaux et des intérêts de toute personne, quelle qu’elle soit, à qui la propriété des actions sera
reconnue ».
30. Cass. civ. 2e, 2 juillet 1997, Bull. civ. II, no 213 ; D. 1998, somm. 197, obs. Ph. Delebecque : res-
ponsabilité de plein droit, sous réserve de la preuve de l’absence de faute.
31. * Cass. civ. 1re, 17 février 1998, Banque Part-Dieu, préc. : « Lorsqu’il remet au séquestre désigné
par justice les choses qu’il a offertes pour sa libération, le débiteur est libéré ».
32. Cass. civ. 1re, 13 novembre 1997, Bull. civ. I, no 310 (notaire qui restitue indûment l’indemnité
d’immobilisation au bénéficiaire d’une promesse de vente).
33. Cass. com., 13 novembre 2001, Bull. civ. IV, no 177 : « Le séquestre conventionnel oblige le
dépositaire, même en redressement judiciaire, à rendre la chose contentieuse déposée entre ses
mains à la personne qui sera jugée devoir l’obtenir, sans qu’il y ait lieu à concours entre les créanciers
de ce dépositaire ».
34. R. PERROT et Ph. THÉRY, Procédures civiles d’exécution, Dalloz, 3e éd., 2014, no 381.
n TITRE II n
PRÊTS
PREMIÈRES VUES SUR LES PRÊTS
La distinction entre ces deux prêts est fondamentale en droit classique : elle vient de Rome et
le Code civil la retient (art. 1874) ; elle tend à s’estomper, car le prêt à usage perd, dans certains
de ses emplois récents, son particularisme. On rendrait mieux compte des réalités économiques
contemporaines en opposant le prêt gratuit (le prêt à usage) aux prêts intéressés, même s’ils por-
tent sur des choses consomptibles et surtout en mettant à part le prêt d’argent à intérêt, distingué
des différents prêts de chose, et dont la fonction économique est beaucoup plus importante.
Comme pour tout contrat réel, la preuve a deux objets, tous deux à la charge de celui qui
réclame la restitution : la remise de la chose, qui peut être établie par tous moyens, puisqu’il
s’agit d’un fait ; et l’intention de prêter4, qui relève de la théorie générale de la preuve de l’acte
juridique5. Mais la preuve de l’illicéité de la cause ou de l’absence de remise incombe à celui
1. Étymologie de prêt : du verbe latin presto, are = fournir, mettre à la disposition ; d’où dérive aussi
le mot prestation.
2. Supra, no 848.
3. Le mot a été supprimé en 2009 par une loi dite « de simplification du droit » (!).
4. Jurisprudence souvent réitérée : ex. Cass. civ. 1re, 19 juin 2008, no 07-13912 ; Bull. civ. I, no 176 ;
JCP G 2008.IV.2318 : « après avoir énoncé que la preuve de la remise de fonds ne suffisant pas à jus-
tifier l’obligation pour celui qui les a reçus de les restituer, il appartient à celui qui se dit créancier de
rapporter la preuve d’un contrat de prêt, dès lors que le bénéficiaire des fonds allègue un don manuel,
en revanche la preuve de l’absence d’intention libérale est libre ; [...] la preuve de ce contrat, dont la
charge pesait sur les demandeurs, ne pouvait être rapportée que par écrit, l’absence d’intention libé-
rale de ceux-ci n’étant pas susceptible d’établir à elle seule l’obligation de restituer des fonds versés ».
Cassation, par refus d’application de l’art. 1341, exigeant la preuve écrite pour tout acte excèdant une
certaine somme (1 500 € aujourd’hui). De même : la preuve de la remise des fonds... ne suffit pas à
prouver qu’ils avaient été restitués : Cass. civ. 1re, 5 mai 1971, Bull. civ. I, no 152... n’est pas un com-
mencement de preuve par écrit : Cass. civ. 3e, 19 février 1970, Bull. civ. III, no 127.
5. L’article 1359 (ancien art. 1341) s’applique, et un écrit est donc nécessaire si la valeur de la chose
prêtée excède 1 500 €, sauf en matière commerciale, ou si le prêt doit être remboursé à un tiers : juris-
prudence constante ; ex. : Cass. civ. 1re, 3 juin 1998, Bull. civ. I, no 195 ; Defrénois 1999.99, obs.
562 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
906. Cause ; prêt affecté. – La cause du prêt est une question qui ne se pose en
pratique que pour les prêts d’argent. Le prêt étant normalement un contrat réel, la
règle est que la cause de l’obligation de restitution est la remise de la chose prê-
tée. Ainsi, le fait que le prêt ait été consenti en vue d’une opération déterminée,
par exemple l’achat d’un bien particulier, en constitue seulement le mobile, non
la cause ; par conséquent, les obligations de l’emprunteur envers le prêteur ne
devraient pas être affectées par la nullité ou la résolution de la vente9 que le prêt
a permis de financer : il y a, au moins en théorie, indépendance du prêt et du
contrat principal. Pour le détournement de l’affectation du prêt10.
Ce principe comporte plusieurs exceptions. D’abord, si par la convention des
parties, le contrat de prêt avait été subordonné expressément ou même tacitement
à la conclusion et à l’exécution du contrat principal ; ensuite si le vendeur et le
prêteur avaient agi de concert ; ou enfin lorsque le droit de la consommation l’im-
pose dans les relations entre professionnels et consommateurs11.
Le prêt destiné à une opération illicite ou immorale est nul ; mais le prêteur peut se faire resti-
tuer la chose prêtée12, sauf lorsque la somme prêtée est destinée au jeu13.
SECTION I
NOTION
1o) Objet. Le prêt à usage peut porter sur toute espèce de biens – meubles1 ou
immeubles2 – s’ils ne sont pas consomptibles, c’est-à-dire s’ils ne se consomment
pas par le premier usage. Au contraire, le prêt de consommation, comme son nom
le suggère, porte sur les choses de genre consomptibles (et même non consompti-
bles, si l’emprunteur a le droit de les consommer). La chose la plus consomptible
est l’argent : le prêt de consommation est alors un prêt d’argent.
2o) Transfert de propriété. Ce qui doit être restitué dans le prêt à usage est la
chose (art. 1875), parce que l’emprunteur n’en a pas acquis la propriété
(art. 1877). Comme son nom l’indique, le prêt à usage ne porte que sur l’usage
de la chose ; on parle maintenant de « mise à la disposition » de la chose (ce qui
est conforme à l’étymologie du mot prêt). Il n’est pas translatif de propriété, ce qui
produit la conséquence habituelle : la chose est aux risques du propriétaire, c’est-
à-dire du prêteur ; si elle périt par cas fortuit sans que l’emprunteur ait commis de
faute, celui-ci est libéré (art. 1881).
Au contraire, dans le prêt de consommation, « l’emprunteur devient le proprié-
taire de la chose prêtée » (art. 1893), parce qu’il ne peut s’en servir sans la
consommer. Le prêt de consommation est donc translatif de la propriété3, avec
la conséquence inverse : les risques de la perte fortuite sont à la charge de l’em-
prunteur : genera non pereunt, comme dans le dépôt irrégulier.
3o) Date. La date de la restitution n’est pas fixée de la même manière dans les deux contrats.
Dans le prêt de consommation, elle ne présente presque aucune particularité et relève de la
force obligatoire des contrats (art. 1899 ; v. toutefois art. 1900) ; elle est au contraire altérée
dans le prêt à usage (art. 1889).
1. Ex. : le prêt d’un livre ; de la copie positive d’un film (P.-Y. GAUTIER, D. 1989, chron. 113) ; le prêt
d’une valeur mobilière, si l’emprunteur n’a pas le droit de la vendre ; une réponse ministérielle estime
que le fonds de commerce ne peut donner lieu à un prêt à usage : Rép. min. Justice 30.022, JO ANCR,
25 janvier 1988, p. 372 ; JCP G 1988.IV.120 : « Il n’apparaît pas [...] possible d’admettre la licéité d’une
convention de prêt à usage portant sur un fonds de commerce qui dissocierait la qualité de proprié-
taire du fonds de celle d’exploitant non salarié en dehors des garanties résultant des textes précités »
(C. com., art. L. 141-5 et s., L. 144-1 et s.). Les choses incorporelles peuvent aussi être prêtées, notam-
ment les œuvres de l’esprit, les enseignes et noms commerciaux, la clientèle, les instruments finan-
ciers, etc. La « restitution » consistera à ne plus s’en servir, au terme échu, volontairement ou parce
que le fichier est désormais verrouillé ou détruit. Il suffit d’interpréter l’art. 1875 selon la méthode
« historique » de Saleilles.
2. Jugé qu’un acte de prêt à usage immobilier peut être publié au service de la publicité foncière, en
vertu de l’article 37, D. du 4 janvier 1955 : Paris, 1er juin 1988, D. 1988, IR, 198 ; Defrénois 1989,
art. 34482, no 24, p. 425, obs. crit. L. Aynès.
3. Jugé que la remise de deniers par une entreprise à une autre entreprise qui est en relation d’affai-
res avec elle, afin qu’elle achète un matériel utile au développement de ses affaires, n’est pas un prêt à
usage de ce matériel, mais un prêt d’argent sans intérêt : Cass. civ. 1re, 15 janvier 1976, cité infra,
no 911.
4. Tenant la gratuité pour entièrement caractéristique du prêt, de sorte que par exemple, le prêt de
consommation à intérêt devrait être disqualifié en bail de choses consomptibles :
G. CATTALANO-CLOAREC, Le contrat de prêt, LGDJ, 2015.
5. Ex. : la remise de bijoux de famille à l’épouse par le mari, ou les beaux-parents est, selon l’inten-
tion des parties ou les circonstances de l’espèce, soit qualifiée de don manuel, soit, plus souvent, de
prêt à usage : * Cass. civ. 1re, 20 juin 1961, aff. La Rochefoucauld, Bull. civ. I, no 326 ; D. 1961.641,
n. R. Savatier ; S. 1962.5 ; JCP G 1961.II.12352, n. A. Ponsard ; * 23 mars 1983, dame Roques,
PRÊT À USAGE 565
deux contrats, la différence est évidente : l’emprunteur doit restituer, non le donataire ; il doit se
servir personnellement de la chose, ajoute la Cour de cassation6. La gratuité permet également
de distinguer le prêt à usage du prêt de consommation, souvent salarié, et de tracer la frontière
entre le prêt à usage et le bail, toujours salarié. Lorsqu’un propriétaire laisse la jouissance de son
immeuble à une personne, le contrat n’est un prêt à usage que s’il a été fait à titre gratuit (l’ap-
préciation de la gratuité peut soulever des difficultés)7. Sinon, il est un bail avec les conséquen-
ces qui en résultent, par exemple, le maintien du locataire dans les lieux lorsque la loi l’impose8.
Le domaine du prêt à usage vraiment gratuit se trouve dans les cercles de famille et d’amitié :
« Tu me prêtes ton Code civil ? ». Il constitue alors, le plus souvent, du non-droit9 : l’amitié n’ap-
précie pas les tribunaux. En outre, elle est un médiocre stimulant économique : la philanthropie
n’est pas un moteur de la circulation des richesses. Au contraire du prêt d’argent à intérêt, dont
le rôle économique est primordial. La renaissance du prêt à usage tient d’abord à une réaction
contre le fisc10, qui maintient cependant le contrat dans le cercle de famille. Mais son domaine
s’élargit, dépassant les relations d’amitié et de famille, pour s’étendre à des rapports d’affinité et
même aux milieux d’affaires. Comme beaucoup de contrats traditionnels, il devient une tech-
nique juridique neutre qui, indifféremment, peut servir à des fins multiples11.
Bull. civ. I, no 111 ; D. 1984.81, n. A. Breton ; Defrénois 1984, art. 33215 ; Les successions, coll. Droit
civil.
6. Ex. : * Cass. civ. 1re, 3 novembre 1988, Auger, Bull. civ. I, no 300 ; JCP G 1989.II.21375, n.
Th. Hassler ; JCP N 1990.II.301 ; Defrénois 1989, art. 34482, no 32, p. 442, obs. G. Vermelle ; RTD civ.
1989.570, obs. Ph. Rémy ; en l’espèce, une épouse avait donné à son mari, par acte sous signature
privée, la possibilité d’occuper gratuitement son appartement avec le droit de le sous-louer ; elle en
demanda ultérieurement la nullité, par application de l’article 931 imposant la forme notariée aux
donations ; la cour d’appel s’y refusa « parce que l’acte constituait, non une donation, mais un prêt à
usage ». Cassation : « Le prêt à usage ou commodat suppose que l’emprunteur doit se servir person-
nellement de la chose et la possibilité de “sous-louer” et de percevoir des loyers à cette occasion
constituait au profit de M. Auger une donation éventuelle des fruits qu’il était susceptible de perce-
voir ».
7. Cass. civ. 1re, 8 juin 1999, Bull. civ. I, no 192 ; D. 2000.423, n. J. Julien : « la mise à disposition du
local (une chambre) par la SCI du Marlin Moyen à son stagiaire permettait à celui-ci d’effectuer son
stage ; elle a ainsi exactement décidé que cette mise à disposition constituait non pas un prêt à usage
mais l’accessoire d’un stage non rémunéré » ; en l’espèce, un élève d’un lycée agricole effectuait un
stage non rémunéré dans un domaine agricole, qui avait mis à sa disposition une chambre, gratuite,
qu’un incendie ravagea ; jugé que n’étaient pas applicables les règles sur la responsabilité de l’em-
prunteur à usage. De même Cass. civ. 3e, 14 janvier 2004, Bull. civ. III, no 6 ; RDC 2004, p. 708, obs.
J.-B. Seube : le payement des charges exclut la gratuité.
8. Supra, no 623.
9. J. CARBONNIER, n. JCP G 1967.II.15130.
10. L’impôt de solidarité sur la fortune est dû par le propriétaire ou l’usufruitier, non par l’emprun-
teur à usage ou le locataire. Lorsqu’un père de famille a une fortune qui dépasse le seuil imposable,
parfois il donne une partie de ses biens à ses enfants, et s’en fait concéder la jouissance au moyen d’un
prêt ou d’un bail à loyer symbolique. Sous l’empire de l’IGF (impôt sur les grandes fortunes), l’admi-
nistration fiscale avait admis le procédé : Rép. min. no 58011, JOAN, 1984.495.
11. Supra, no 51.
12. C. BÉNOS, « L’altruisme dans le contrat de prêt à usage », D. 2013. 2358 ; R. FABRE, « Le prêt à
usage en matière commerciale », RTD com. 1977.193 ; C. MAURO, « Permanence et évolution du com-
modat », Defrénois 2000.1024.
13. Ex. : des supermarchés mettent gratuitement des chariots à la disposition de leurs clients : Ren-
nes, 19 décembre 1972, Gaz. Pal. 1973.I.397 ; RTD civ. 1973.587, obs. G. Cornu. Des compagnies
pétrolières mettent gratuitement à la disposition de leurs distributeurs (les pompistes de marque) les
566 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
contrat, ce n’est pas un prêt à usage14 ; les situations ne sont pourtant pas toujours
différentes.
Dans les relations d’affaires, on ne devrait pas parler de prêt à usage15, parce que le contrat n’y
est pas vraiment gratuit : la mise de la chose à la disposition prétendument « gratuite » du cocon-
tractant fait partie d’un ensemble contractuel qui constitue un contrat à titre onéreux16 : quand
on fait du commerce, on n’a pas d’intention libérale. Il vaudrait mieux, dans ces hypothèses,
parler de contrat innommé.
Parfois, dans les relations domestiques, on retrouve aussi le prêt à usage : par exemple, le prêt
par un concubin à son compagnon d’un bien meuble ou immeuble, de sorte qu’après sa dispa-
rition, le droit du survivant sera opposable aux héritiers du premier (art. 1879)17.
SECTION II
RÉGIME
L’emprunteur a des droits (§ 1) et des obligations (§ 2). Le prêteur n’a pas à pro-
prement parler d’obligations, compte tenu de la nature unilatérale du contrat de
prêt, mais peut engager sa responsabilité : apparaissent les conséquences de la
diversification du contrat, entre le prêt à usage ordinaire et le prêt à usage d’affai-
res (§ 3).
§ 1. DROITS DE L’EMPRUNTEUR
instruments nécessaires à l’exploitation (les cuves, etc.) : Cass. com., 22 juin 1965, Bull. civ. III, no 391 ;
infra, no 913. Un brasseur prête à un cafetier-limonadier le matériel de tirage de bière : Paris, 22 octo-
bre 1975, JCP G 1973.II.18746, n. J. Hémard. Un producteur prête une copie du film à la chaîne de
télévision qui l’a loué (P.-Y. GAUTIER, op. cit., no 626). Le prêt à usage peut porter sur des droits incor-
porels. Un fabricant de laine prête à un commerçant une enseigne portant sa marque (laine Pingouin) :
Aix, 16 mai 1973, D. 1974.676, n. F. Bories – c’eût été un franchisage si la concession avait été faite à
titre onéreux : supra, no 838. De même, la mise d’un bail rural à la disposition gratuite d’une société
d’exploitation agricole : « mise à la disposition », non transfert de propriété, en raison de l’incessibilité
du bail rural (G. CHESNÉ et M. HÉRAIL, « L’adhésion d’un fermier à une société d’exploitation agricole »,
JCP N 1980.I.59).
14. Ex. : Cass. civ. 1re, 25 novembre 2003, Bull. civ. I, no 235 ; RDC 2004, p. 718, obs. A. Bénabent ;
en l’espèce, un garagiste avait « prêté » un véhicule de remplacement à un client, qui l’endommagea ;
jugé que la responsabilité en incombait au garagiste, qui, n’informant pas le client de la nécessité de
souscrire une assurance, n’avait pas accompli un devoir de conseil ; la Cour ne requalifie pas le
contrat, mais le soumet au régime du contrat d’entreprise.
15. Contra, Ph. RÉMY, obs. RTD civ. 1984.121.
16. Ex. : lorsque la compagnie pétrolière met à la disposition « gratuite » du pompiste un local d’ha-
bitation et des instruments de travail, ce contrat est indivisible du contrat de fournitures.
17. J.-F. SAGAUT, « Le commodat : un prêt bien accomodant », RDC 2006.929 ; ce qui suppose que
le « prêteur » conserve la jouissance de la chose pendant la vie commune, la partageant avec « l’em-
prunteur ».
18. Supra, no 893.
PRÊT À USAGE 567
§ 2. OBLIGATIONS DE L’EMPRUNTEUR
I. — Restitution
L’emprunteur a l’obligation de restituer : 1o) en nature la chose prêtée, 2o) au
terme convenu. À ces deux principes, la jurisprudence et la loi ont apporté des
tempéraments.
913. Restitution en nature. – L’emprunteur doit restituer la chose même qui lui
avait été prêtée : il est tenu d’une obligation de garde (art. 1880) ; c’est précisé-
ment ce qui distingue le prêt à usage du prêt de consommation. Dans le prêt à
usage, la chose empruntée demeure la propriété du prêteur et c’est elle qui doit
être rendue. Les frais de la restitution incombent à l’emprunteur25, sauf convention
ou usage contraire.
La rigueur de la règle convient mal à certaines relations d’affaires, ainsi que l’ont montré les
affaires des pompistes de marque, aux mille faces26. Les compagnies pétrolières leur prêtent gra-
tuitement les cuves et machines dont ils ont besoin. Pendant près de trente ans, les règles sur la
restitution du prêt à usage ont eu pour conséquence que les pompistes devaient, à l’expiration
du contrat, rendre les cuves et les machines prêtées, en supportant des frais de dépose considé-
rables, sans pouvoir en restituer d’autres, même identiques27. Ce qui avait eu pour conséquence
de dissuader les pompistes de quitter la compagnie pétrolière prêteuse, à l’expiration du contrat,
ou d’en demander la résiliation ou la nullité. La restitution en nature entravait donc le marché de
19. Ex. : le prêt d’une automobile pour un usage de promenade n’autorise pas la compétition.
20. G. BAUDRY-LACANTINERIE, Traité de droit civil, Du prêt, avec A. WAHL, no 680, sur le double fonde-
ment de la gratuité et de l’intuitus personae.
21. Ex. : pièces de rechange nécessaires à la conservation de la chose, Paris, 18 novembre 1980,
JCP G 1981.IV.377.
22. Ex. : frais de... nourriture de l’animal prêté... entretien de l’automobile prêtée.
23. Il en est autrement si le prêt fait partie « d’un ensemble de relations contractuelles ».
24. Supra, no 879.
25. Cass. civ. 1re, 30 septembre 2003, Bull. civ. I, nos 175 et 197 ; Contrats, conc. consom. 2003,
no 175, n. L. Leveneur.
26. Cautionnement, supra, no 851 ; prêt d’argent, supra, no 851 ; concession exclusive de vente,
supra, nos 836-837.
27. Ex. : Cass. com., 22 juin 1965, Bull. civ. III, no 391.
568 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
28. Décision 29 septembre 1987, BOCC 1987.304. Cette décision a été confirmée par la cour
de Paris, 5 mai 1988, JCP G et CI, 1988.III.17475.
29. Cass. com., 18 février 1992, Bull. civ. IV, no 78 ; D. 1993.57, 2e esp., n. Ch. Hannoun ;
JCP G 1992.II.21897, n. M. Behar-Touchais ; en l’espèce, la cour d’appel avait jugé valable la clause
permettant au distributeur d’exiger, à l’expiration du contrat, la restitution en nature de la cuve. Cas-
sation : « L’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de
carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves et elle est
susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur [...] et constitue un frein à la concur-
rence d’autres fournisseurs ».
30. Cass. com., 7 décembre 1993, Bull. civ. IV, no 461 ; lorsque la durée du prêt est déterminée,
« l’emprunteur est tenu de restituer l’objet du prêt à l’expiration de celui-ci, ou, dans le cas d’une rési-
liation judiciairement prononcée de la convention, au moment où cette résiliation prend effet, sans
que le prêteur ait à le mettre en demeure » ; en l’espèce, les époux Arnicot avaient prêté du matériel à
M. Seguin auquel ils avaient loué leur restaurant ; le prêt devait être restitué à l’expiration du bail :
« Bien que les époux Arnicot n’aient fait aucune démarche avant l’assignation pour recouvrer le maté-
riel litigieux, la cour d’appel a pu accueillir la demande tendant à sa restitution en valeur ».
31. Et qu’a avalisé la Cour européenne des droits de l’homme, sous les fondements de la non-
rétroactivité des revirements de jurisprudence et du principe de concentration des moyens : CEDH,
17 mars 2015, JCP G 2015, 670, n. crit. C. Bléry ; RTD civ. 2015. 638, obs. crit. P.-Y. Gautier : les
emprunteurs de l’immeuble résistent à trois générations de propriétaires, après 55 ans.
32. * Cass. civ. 1re, 3 février 2004, Leimninger, Bull. civ. I, no 34 ; D. 2004.903, n. C. Noblot ;
Contrats, conc. consom. 2004, comm. no 53, obs. L. Leveneur ; Dr. et patr., avril 2004.116, obs.
P. Chauvel ; RDC 2004, p. 714, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Defrénois 2004.1452, n. R. Crône ; RTD civ.
2004.312, obs. P.-Y. Gautier ; GAJ civ., nos 287-288, 2e arrêt ; en l’espèce, un propriétaire avait autorisé
son frère à occuper à titre gratuit son appartement ; il décéda ; trente ans après, le frère gratifié était
encore dans les lieux ; les héritiers du de cujus demandèrent qu’il les libère. La Cour de cassation
cassa l’arrêt qui l’avait refusé.
33. La Cour de cassation a appliqué cette jurisprudence à un syndicat professionnel auquel une
commune avait prêté à titre gratuit un local pour l’exercice de ses libertés syndicales, sans avoir fixé
la date de la restitution : Cass. civ. 1re, 3 juin 2010, no 09-14633, Bull. civ. I, no 127 ; JCP G 2010.1146,
n. M. Mekki : « le respect de l’exercice effectif des libertés syndicales, autres que celles propres à la
fonction publique territoriale, ne crée aucune obligation aux communes de consentir des prêts gra-
cieux et perpétuels de locaux de leur domaine privé » ; de même, Cass. civ. 1re, 30 septembre 2015,
nº 14-25709, Bull. civ. I à paraître ; JCP G 2015, 1261, n. G. Loiseau ; D. 2015. 2350, n. A. Etienney
de Sainte-Marie ; Defrénois 2016. 74, obs. J.-B. Seube : restitution d’un local utilisé comme salle de
culte musulman, il suffit d’avoir fixé un préavis raisonnable, les emprunteurs ne sauraient prétendre
une atteinte à une liberté fondamentale.
PRÊT À USAGE 569
II. — Responsabilités
La responsabilité pesant sur l’emprunteur est contractuelle envers le prêteur (A)
et délictuelle envers les tiers (B). Elle applique, à peu près, les principes généraux,
mais aggravés, parce que l’emprunteur a reçu un service gratuit.
A. RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE
34. Cass. civ. 1re, 10 mai 1989, Bull. civ. I, no 191 : « Il ne résulte pas de ce que le prêt à usage pré-
sente, en principe, un caractère gratuit qu’il ne puisse y avoir de préjudice lorsque la chose n’est pas
restituée au prêteur auquel une indemnité d’occupation doit être versée ».
35. Infra, no 937.
36. J.-F. SAGAUT, « Le prêt à usage : un prêt bien accomodant », RDC 2006, p. 932.
37. Cass. civ. 1re, 27 juin 1995, Bull. civ. I, no 284 ; Contrats, conc. consom. 1995, comm. no 179,
n. L. Leveneur : « Si l’obligation de restituer la chose prêtée est éteinte lorsque la chose a péri sans
faute de l’emprunteur, ce dernier reste tenu, en application de l’article 1303, de céder au prêteur la
créance d’indemnité d’assurance relative à la chose périe ».
38. Ex. : plusieurs arrêts : ex. : l’occupant d’un chalet de montagne, mis gracieusement à sa disposi-
tion pour le mois de février répond de la perte de ce chalet tenant au fait d’un incendie survenu pen-
dant son séjour pour une cause demeurée inconnue : Cass. civ. 1re, 6 novembre 2002, Contrats, conc.
consom. 2003, no 37, obs. L. Leveneur ; n.p.B.
39. Ex. : Cass. civ. 1re, 28 juin 2012, no 11-17629, n.p.b. ; Contrats, conc. consom. 2012, no 226,
n. L. Leveneur : cassation de l’arrêt qui déboute le propriétaire de sa demande en réparation de l’in-
cendie, au motif que la faute de l’emprunteur ne serait pas rapportée (local d’une radio jeune) ;
Cass. civ. 1re, 1er mars 2005, Bull. civ. I, no 103 : incendie du chalet prêté, alors que les emprunteurs
l’avaient quitté après avoir garni l’intérieur et laissé les lieux sans surveillance ; jugé que les emprun-
teurs étaient responsables, n’ayant pas rapporté « la preuve d’une absence de faute [...] ou d’un cas
570 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Lorsque la chose est utilisée à la fois par le prêteur et l’emprunteur, l’emprunteur n’est respon-
sable de sa perte que si sa faute est démontrée : la situation est renversée40.
B. RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE
§ 3. RESPONSABILITÉ DU PRÊTEUR
fortuit » ; comp. Cass. civ. 1re, 17 décembre 2002, RDC 2003, p. 130, obs. J.-B. Seube ; n.p.B. : « l’em-
prunteur avait pris toutes les précautions nécessaires pour éviter l’incendie du bâtiment dans lequel
étaient entreposés les jeux électroniques » ; cf. M.-L. MORANÇAIS-DEMEESTER, « La responsabilité des per-
sonnes obligées à restitution », RTD civ. 1993.757 et s., spéc. no 29. Supra, nos 781 et 889.
40. Cass. civ. 1re, 19 mars 1975, Bull. civ. I, no 116 ; D. 1975.648, n. appr. A. Ponsard : « Le prêteur
doit établir que la destruction du bâtiment était imputable à l’emprunteur ». En l’espèce, une grange
avait été prêtée à un voisin et le propriétaire avait continué à s’en servir ; elle fut ravagée par un incen-
die dont la cause était demeurée inconnue ; jugé que l’emprunteur n’était pas responsable.
41. Ex. : pour le chariot prêté dans un grand magasin pour faire ses courses (un caddy) :
Cass. civ. 2e, 14 janvier 1999, Bull. civ. II, no 13 ; JCP G 2000.II.10245, n. S. Reifergeste : « en disposant
librement du chariot, hors toute directive de la société quant à l’usage, le contrôle et la direction de
celui-ci qui lui avait été prêté à l’état inerte et qui était dépourvu de tout dynamisme propre, M. Lesage
s’en était vu transférer la garde dans toutes ses composantes ».
42. Ex. : par application de la distinction entre la garde de structure et la garde de comportement, la
commune qui prête un poteau à une association de parents d’élèves pour l’organisation d’un spectacle
est responsable du dommage causé aux tiers par l’effondrement de la chose prêtée, imputable à sa
pourriture intérieure, parce que c’était le prêteur qui avait conservé la garde de la structure :
Cass. civ. 2e, 1er juillet 1976, Gaz. Pal. 1976.II, somm. 238 ; RTD civ. 1977.567, obs. G. Cornu.
43. Ex. : Cass. civ. 1re, 26 octobre 1960, Bull. civ. I, no 463, 2e esp. : un propriétaire met à la disposi-
tion gratuite d’un entrepreneur une échelle, afin qu’il fasse son travail ; en raison d’un vice caché,
l’échelle s’effondre, causant un dommage à l’ouvrier ; le prêteur n’est pas responsable, car il ignorait
le vice.
44. Ex. : Cass. soc., 18 mars 1975, Bull. civ. V, no 151.
PRÊT À USAGE 571
chose louée, même s’ils les ignoraient (art. 1643 et 1721). Pendant longtemps,
cette responsabilité n’a guère été invoquée : on était entre amis.
Le prêteur n’est pas tenu de la garantie d’éviction du fait des tiers, tant que le contrat est gratuit
et dans l’intérêt exclusif de l’emprunteur à usage.
Lorsque le prêt à usage sert aux relations d’affaires, la jurisprudence applique une présomp-
tion de connaissance des vices au prêteur qui, dans l’intérêt de ses affaires, prête à un profane45 :
il répond des vices cachés, qu’il les connaisse ou non ; la règle devient identique à celle de la
vente46 ; il est également tenu d’une obligation d’information47. Le prêt à usage connaît donc
deux régimes, selon qu’il est vraiment gratuit ou relève d’une « gratuité d’affaires ».
45. Cass. com., 24 novembre 1980, Bull. civ. IV, no 392 ; RTD civ. 1981.650, obs. G. Cornu : fabri-
cant qui prête « gratuitement » une cuve à un vigneron ; la cuve gâte le vin ; le fabricant est respon-
sable, bien qu’il ait ignoré le vice.
46. Supra, no 390.
47. Cass. civ. 1re, 25 avril 2003, Bull. civ. I, no 235 : « le garagiste qui prête un véhicule de remplace-
ment à un client est tenu d’informer celui-ci sur l’étendue des garanties de son contrat d’assurance
et sur l’intérêt de souscrire éventuellement des garanties complémentaires ».
n S OUS - TITRE II n
P RÊT DE CONSOMMATION
PREMIÈRES VUES SUR LE PRÊT
DE CONSOMMATION
1. Origine romaine : mutuum, i = argent emprunté à charge de revanche, à rendre sans intérêt ;
différent du fenus, oris = prêt à intérêt. Étymologie : du verbe latin mutuor, ari = emprunter, lui-
même dérivé de muto, are = déplacer, changer.
2. Intitulé du ch. II, du titre X, du livre III.
3. L’application du critère est parfois subtile. Ex. : jugé que : 1o est un prêt, non une participation à
l’achat d’un bien, la remise d’une somme d’argent destinée à acheter un fonds de commerce, dans
l’intention de répartir la plus-value qu’une éventuelle revente du fonds était susceptible de dégager
(Cass. com., 8 janvier 1969, Bull. civ. IV, no 11) ; 2o est une participation aux bénéfices la remise
d’une somme d’argent destinée à acheter en participation un tableau, dans l’intention de répartir le
bénéfice produit par la revente (Cass. civ. 1re, 27 février 1973, Bull. civ. I, no 73) ; bien que la Cour de
cassation ne l’eût pas dit, il s’agissait, en l’espèce, d’une société en participation.
576 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
4. PLANIOL et RIPERT, t. XI, par R. Savatier, no 1139. Req. 10 juillet 1905, DP 1906.I.191.
5. A. VIANDIER, La notion d’associé, th. Paris II, LGDJ, 1978, préf. Fr. Terré, no 176.
6. Sur l’immixtion du prêteur, P.-Y. GAUTIER, obs. RTD civ. 1994.881. La discussion intéresse surtout
la différence entre le prêt participatif et la société en participation ; G. RIPERT, « Prêt avec participation
aux bénéfices et association en participation », Ann. dr. com. 1905.53 ; Paris, 21 février 1986, D.
1986.548, obs. J. Honorat ; Defrénois 1986, art. 33813, no 5, p. 1349, m. n. ; RTD com. 1987.67,
obs. crit. Cl. Champaud et P. Le Floch. En l’espèce, un immeuble avait été acheté par une personne
qui, ensuite, l’a apporté à une société en participation, où l’autre associé apportait « la somme néces-
saire à la réussite de l’objet de cette association ». Jugé qu’il y avait société en participation, et non prêt
participatif, en raison de l’affectio societatis, de la recherche du partage des bénéfices, de l’acceptation
des risques et de la participation des deux parties à la gestion.
7. Prêts participatifs et prêts subordonnés ; un nouveau mode de financement, Feduci, 1983.
n CHAPITRE I n
OBJET DE LA RESTITUTION
930. Choses de genre. – Le prêt de consommation ne peut porter que sur des
choses consomptibles qui sont aussi fongibles, c’est-à-dire interchangeables ; par
exemple de l’or, du blé, des valeurs mobilières, de l’argent surtout, la chose fon-
gible par excellence. L’emprunteur doit rendre en équivalent, non la même
chose, mais une quantité identique de choses de la même qualité que celles qui
lui avaient été prêtées, même si elles ont changé de valeur, en baisse ou en
hausse1.
Ce prêt peut porter sur des choses non consomptibles si l’emprunteur a le droit de les consom-
mer ; ainsi des titres qu’il a le pouvoir de vendre, en s’engageant par exemple à restituer la valeur
qu’ils auront au jour du remboursement2. Les parties peuvent, en cours de contrat, modifier l’ob-
jet du remboursement ; par exemple, un prêt d’or remboursable en or ; ultérieurement, les parties
peuvent décider de le liquider en argent ; sauf volonté contraire, il n’est pas devenu un prêt
indexé sur l’or, mais est désormais un prêt d’argent pur et simple3 ; ce changement ne constitue
pas une novation4 et les sûretés qui le garantissaient ne disparaissent pas.
931. Prêt de titres. – Bien que les valeurs mobilières ne soient pas des choses
consomptibles, les articles L. 211-22 et suivants du Code monétaire et financier
soumettent le prêt de titres au régime du prêt de consommation5. Depuis la déma-
térialisation des valeurs mobilières, ces biens sont tous incorporels et leur prêt est
1. 1o Diminution de valeur. Ex. extrême : prêt de roubles tsaristes qui, lors de l’échéance du rem-
boursement, ne valaient plus rien : Req., 25 février 1929, DH 1929.161 : « Le prêteur n’a droit au rem-
boursement de ces roubles que d’après leur valeur au jour où il a fait au débiteur sommation de les
payer ; à ce jour, les roubles ayant perdu toute leur valeur, [...] la demande en remboursement est
dénuée de tout intérêt ». 2o Augmentation de valeur. Ex. : Cass. civ., 8 mai 1950, Bull. civ. I, no 111 ;
JCP G 1950.II.5602, n. appr. Delaire ; RTD civ. 1950.376, obs. J. Carbonnier (prêt de valeurs mobiliè-
res) : « Le prêteur qui a remis à l’emprunteur des valeurs de bourse avec la charge pour celui-ci de
rendre au terme convenu des titres de même nature et en nombre égal, a ainsi clairement manifesté
sa volonté de remplacer la chose prêtée par autant de choses de même espèce et qualité, et non par
des choses d’une valeur égale à celle qu’avaient les titres au jour du prêt ; une telle stipulation est licite
et ne peut être rendue caduque par une loi monétaire établissant le cours forcé ».
2. Cass. civ., 8 mai 1950, préc.
3. Ch. BRUNEAU, La distinction entre les obligations monétaires et les obligations en nature, th. ronéo,
Paris II, 1984, no 283.
4. Droit des obligations, coll. Droit civil.
5. Th. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 11e éd., 2015, nos 1034 s. ; H. CAUSSE, « Prêts de titres
[...] après la loi du 26 juillet 1991 », JCP E, 1992.I.125.
578 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
donc consensuel ; la durée du prêt soumis à cette loi ne peut excéder un an. Ce
prêt peut être garanti par la remise d’espèces ou de titres.
6. Cass. civ. 1re, 27 juin 1957, Guyot, Bull. civ. I, no 302 ; D. 1957.649, n. G. Ripert ;
JCP G 1957.II.10093 bis ; Gaz. Pal. 1957.II.41.
7. Droit des obligations, coll. Droit civil.
8. Emploi au premier degré : Cass. civ. 1re, 9 janvier 1974, Bull. civ. I, no 14 ; JCP G 1974.II.17806,
n. J.-Ph. Lévy ; Defrénois 1975, art. 30996, no 32, p. 1268, obs. J.-L. Aubert : « L’objet de la convention
au sens de (l’art. L. 112-1) [...] doit s’entendre dans son acception la plus large, et notamment l’objet
d’un prêt peut être de permettre à l’acquéreur (sic : il faut lire emprunteur) de construire ou d’acheter
un immeuble » : validité d’une indexation sur l’indice du coût de la construction d’un prêt d’argent
destiné à l’achat d’un immeuble. Emploi au deuxième degré : Cass. civ. 1re, 3 juillet 1973, Bull. civ. I,
no 225 ; Defrénois 1974, art. 30547, no 7, p. 292, obs. J.-L. Aubert : prêt d’argent destiné à rembourser
un emprunt réalisé en vue d’acheter un immeuble : l’indexation sur le coût de la construction est
valable.
9. Cass. civ. 1re, 9 janvier 1974, préc.
10. Cass. civ. 1re, 18 février 1976, Bull. civ. I, no 76 ; JCP G 1976.II.18465, n. J.-Ph. Lévy : « Les juges
du fond relèvent que la simple affirmation portée au contrat spécifiant que l’emprunt devrait servir à
des travaux immobiliers ne suffit pas pour justifier l’indexation des sommes prêtées ».
11. Cass. civ. 1re, 27 octobre 1981, Bull. civ. I, no 311 : le texte « n’exige pas que l’objet de la
convention soit constaté par écrit ».
n CHAPITRE II n
DATE DU REMBOURSEMENT
936. Échéance et saint-Glin-Glin. – Lorsque le prêt est fait pour une durée
déterminée, le prêteur est obligé de laisser à l’emprunteur la chose ou l’argent
prêtés jusqu’à l’arrivée du terme convenu (art. 1899) ; il n’a pas la faculté de rési-
liation anticipée, exorbitante du droit commun que confère le prêt à usage. À
l’échéance, l’emprunteur doit restituer (art. 1902). Comme en droit commun, le
terme peut être prorogé par accord entre les parties. La prorogation peut être
tacite, mais ne peut résulter d’une simple inaction.
Lorsque le contrat présente un caractère familial, d’entraide ou amical (ex. : le « prêt d’hon-
neur »), les parties ne fixent pas toujours la date du remboursement ; par exemple, elles stipulent
que l’emprunteur payera « quand il le pourra »1. Le juge détermine alors un délai raisonnable,
dépendant des circonstances (art. 1900 et 1901)2 ; ce qui n’est que l’application du droit com-
mun relatif au terme indéterminé3. La clause de « retour à meilleure fortune » est licite et le juge
doit la respecter4. Dans un prêt fait par un employeur à un salarié, est également licite la clause
prévoyant que le remboursement est immédiatement exigible lorsque le salarié quitte
l’entreprise5.
Il peut être convenu que le prêt ne sera exigible qu’au décès de l’emprunteur, c’est-à-dire que
seuls ses héritiers seront tenus du remboursement. Le prêt est alors viager. Afin de développer le
crédit à la consommation, dont on attend la croissance, l’ordonnance du 23 mars 2006, portant
réforme des sûretés, a réglementé dans le Code de la consommation (art. L. 315-1 et s.) le prêt
viager hypothécaire qui combine un prêt viager et une hypothéque : le montant du rembourse-
ment exigible est limité à la valeur de l’immeuble hypothéqué au jour de l’exigibilité. C’est
l’adaptation en France du Reverse mortgage américain.
prêteur l’accepte. 3o Si une clause du contrat le permet ; il est souvent stipulé qu’une « indemnité
de résiliation » sera due : il ne s’agit pas d’une clause pénale susceptible d’être réduite par appli-
cation de l’article 1231-5, alinéa 2 (ancien art. 1152, al. 2)9. 4o Dans les cas de crédits mobiliers
(C. consom., art. L. 312-34) et immobiliers (ib., art. L. 313-32) régis par le droit de la consomma-
tion. La loi prévoit un barème maximum (1 % du crédit faisant l’objet du remboursement anticipé).
Aucune indemnité n’est même possible, dans le cas où le remboursement fait suite à une perte
d’emploi, un décès, ou la vente du bien pour des raisons professionnelles (art. L. 313-33)10. L’in-
demnité de remboursement est destinée à compenser le manque à gagner du prêteur11.
En dehors des stipulations contractuelles ou des dispositions de la loi, le remboursement anti-
cipé n’est pas de droit, puisque le prêt à intérêt est normalement conclu dans l’intérêt commun
des deux parties12.
6. Ex. : Cass. civ. 3e, 14 janvier 1971, Bull. civ. III, no 30 : clause prévoyant l’exigibilité immédiate du
remboursement, en cas de vente à un tiers du bien que l’emprunteur avait promis de vendre au prê-
teur.
7. R. MIRBEAU-GAUVIN, « Le remboursement anticipé du prêt en droit français », D. 1993, chron. 43 ;
P.-Y. GAUTIER, RTD civ. 1993.607 ; O. LITTY, Inégalité des parties et durée du contrat, th. Paris II, LGDJ,
1999, préf. J. Ghestin, nos 364 et s. Le prêteur ne peut y faire obstacle, par ex. en exigeant un préavis
excessif : Cass. civ. 1re, 5 février 2009, no 06-16349, n.p.B. ; Contrats, conc. consom. 2009, comm.
no 116, n. G. Raymond (3 mois).
8. Req. 21 avril 1896, DP 1896.I.484, rapp. Voisin.
9. Jurisprudence constante : 1er ex. : Cass. com., 3 juillet 1991, Bull. civ. IV, no 254 : l’indemnité mise
par le contrat de prêt à la charge de l’emprunteur en cas de remboursement anticipé n’est pas une
pénalité ; elle n’est donc pas susceptible d’être réduite. 2e ex. : jugé (naguère la jurisprudence était
contraire) que cette clause d’indemnité pour remboursement anticipé est valable même lorsqu’elle
dépend du taux pratiqué par le prêteur à l’époque du remboursement pour des prêts de même nature
– ce qui est de pratique courante : Cass. civ. 1re, 6 mars 2001, Bull. civ. I, no 54 ; D. 2001.3238, obs.
L. Aynès ; Defrénois 2001.696, n. crit. E. Savaux ; Contrats, conc. consom. 2001, comm. no 103, obs.
L. Leveneur ; en l’espèce, la cour d’appel avait annulé la clause parce « que l’objet de cette indemnité
est indéterminé ». Cassation : « l’art. 1129 [devenu art. 1163, al. 2] n’est pas applicable à la détermina-
tion du prix » ; v. aussi supra, no 937.
10. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 juin 2015, nº 14-14444, Bull. civ. I à paraître : en cas de co-emprunt
immobilier, il suffit qu’un des codébiteurs soit licencié et peu importe que, pour le rachat, les débiteurs
aient trouvé un établissement financier aux taux plus favorables.
11. Cass. civ. 1re, 27 septembre 2005, D. 2005, Jur. 2670, n. X. Delpech ; Defrénois 2005.2003,
n. E. Savaux et 2006.332, n. S. Piédelièvre ; n.p.B. : « la cause de l’obligation au paiement de cette
indemnité consistait dans la réparation du manque à gagner subi par le prêteur du fait de la résiliation
anticipée du contrat ».
12. Ph. MALAURIE, « Baisse des taux d’intérêt, prêts à long terme et renégociation », D. 1998, chron.
317. Cass. civ. 1re, 27 septembre 2005, préc., motifs. Contra, J. HUET, « Un bienfait de l’histoire : la
subrogation opérée par le débiteur pour le remboursement anticipé d’un prêt d’argent en cas de baisse
des taux d’intérêt », D. 1999, chron. 303, pour la possibilité de remboursement anticipé par le jeu de
la subrogation imposée (art. 1346-2, al. 2, ancien art. 1250, 2o), alors même que dans le prêt à intérêt,
le terme est en faveur des deux parties. C. BLOUD, Le terme dans le contrat, th. Paris II, PUAM, 2003,
préf. P.Y. Gautier, nos 396 s.
DATE DU REMBOURSEMENT 581
13. Cass. civ. 1re, 3 juin 2015, nº 14-15655, Bull. civ. I à paraître ; RDC 2015. 836, obs.
Y.M. Laithier.
14. Cass. civ. 1re, 27 novembre 1990, Bull. civ. I, no 268. En droit commun, la condamnation aux
intérêts conventionnels peut se fonder sur une clause pénale ou sur les règles de la responsabilité :
Cass. civ. 1re, 18 novembre 1992, Bull. civ. I, no 283 ; RTD civ. 1993.607, obs. P.-Y. Gautier ; jugé que
les intérêts alors dus ne sont pas ceux qui résultent de « l’indemnité de résiliation », conventionnelle-
ment stipulée ; supra, no 938.
15. Cass. civ. 1re, 7 juillet 1998, Bull. civ. I, no 241.
16. La question s’est posée pour la législation du surendettement. 1re règle : le juge doit sanctionner
la faute du prêteur ; ex. : Cass. civ. 1re, 23 février 1993, Bull. civ. I, no 86 ; « pour décider de réduire à
50 000 F les sommes restant dues au crédit immobilier après la vente (résultant d’une saisie pour un
crédit immobilier), la cour d’appel relève que cet organisme doit assumer sa part des risques encourus
pour avoir prêté une somme destinée à acquérir un terrain et édifier une maison dont il est aisé de se
convaincre qu’elle ne remplissait pas les conditions d’une revente au prix coûtant en cas de nécessité
pour le prêteur de réaliser son gage dans des conditions difficiles » ; 2e règle : le juge doit aussi tenir
compte des ressources du débiteur ; ex. : Cass. civ. 1re, 4 avril 1995, Bull. civ. I, no 161 : en l’espèce, le
juge, pour sanctionner la légèreté du prêteur, qui avait connaissance de l’impossibilité pour l’emprun-
teur de rembourser, avait fait une remise complète du reliquat de la dette immobilière du surendetté
envers le prêteur. Cassation : « en se fondant exclusivement sur l’attitude fautive du prêteur lors de la
conclusion des prêts, sans rechercher si les ressources est les charges du débiteur rendaient nécessaire
la mesure qu’elle décidait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des texte sus-
visés » ; cf. C. consom., art. L. 733-1. En dehors du droit de la consommation, le droit commun pose à
peu près les mêmes règles pour les prêts déraisonnables, tels qu’un prêt à un débiteur dont la situation
financière est irrémédiablement compromise.
17. Supra, no 851.
18. Ex. : Cass. civ. 1re, 20 octobre 1998, Bull. civ. I, no 308 ; D. Aff. 1998.1894 ; en l’espèce, les juges
du fond avaient condamné l’emprunteur « à payer au prêteur une somme d’argent incluant les primes
afférentes à un contrat d’assurance garantissant le remboursement de l’emprunt » ; rejet du pourvoi de
l’emprunteur : l’emprunteur « était redevable des cotisations afférentes à ce contrat et que l’établisse-
ment de crédit était chargé de recouvrer pour le compte de l’assureur » ; sur le devoir de conseil du
prêteur : Cass. Ass. plén., 2 mars 2007, Bull. civ. Ass. plén.., no 4.
19. Infra, no 954.
n CHAPITRE III n
TAUX DE L’INTÉRÊT CONVENTIONNEL
940. L’argent ne fait pas de petits ? – D’abord dans son principe même. À la
différence des droits grec et romain même primitifs et de la Bible1, les droits reli-
gieux (mosaïque, canon2, musulman) l’ont interdit, avec plus ou moins de cons-
tance : « l’argent ne fait pas de petits ». Sous la pression des nécessités commer-
ciales antinomiques à la philanthropie, les prohibitions ont toujours été tournées
et ont toujours (ou presque), à la longue, craqué. Le problème de principe a été
remplacé par un problème de quantum.
941. Droit musulman : interdictions et subterfuges. – Le droit musulman a résisté à
l’évolution3. Dans les pays où il s’applique strictement (ex. : Arabie Saoudite, Libye, Iran, Pakis-
tan), et dans les banques islamiques (en quelque pays qu’elles exercent) l’intérêt (riba) est pro-
hibé : dans toute espèce de prêt, et toute espèce d’intérêt, quels qu’en soient le montant et le
taux (faible ou élevé), sauf en cas de nécessité absolue.
Afin de permettre au monde islamique de pratiquer le commerce, tout en respectant à la lettre
la loi religieuse, le droit musulman utilise des subterfuges juridiques (hiyal) pour rémunérer les
apporteurs de capitaux : ce sont des techniques inspirées soit du contrat de la société, soit de la
vente, soit même, du bail. Ainsi est licite... la commandite (mudharaba)4... la double vente (muk-
hatara, en latin médiéval, mohatra5)... la majoration du prix de la marchandise dans la vente à
crédit6... la participation aux bénéfices et le crédit-bail où (apparemment) un loyer rémunère le
louage d’une chose. Le tout c’est qu’il n’y ait pas, formellement, d’intérêt. Tout droit rigide s’as-
souplit, à la longue.
1. Psaumes, 37, 21 « L’impie emprunte et ne rend pas, le juste a pitié il donne » ; Siracide, 29 « Qui
pratique la miséricorde prêtera à son prochain ». Saint Mathieu, 25, 14-30 (parabole des talents),
notamment 26 : « Serviteur mauvais et paresseux, [...] tu aurais dû placer mon argent chez les ban-
quiers, et à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt [...]. Ce propre-à-rien de serviteur,
jetez-le dehors, dans les ténèbres ; là seront les pleurs et les grincements de dents ».
2. A. BERNARD, G. LE BRAS, H. DU PASSE, vo Usure in Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1948.
3. J. SCHACHT, Introduction au droit musulman, trad. franc., Maisonneuve, 1983, p. 70 ; S. JAHEL,
« L’adéquation du droit musulman classique aux procédés modernes de financement et de garantie »,
RTD com. 1985.483 et s., sp. 488.
4. Commandite où le commanditaire supporte la perte et profite des bénéfices. Les banques islami-
ques contemporaines substituent ce procédé au prêt à intérêt.
5. A a besoin d’argent : il vend un bien à B pour 1 000 ; B le lui revend immédiatement pour 1 100.
L’« infâme » Mohatra a été condamné par Pascal (Huitième provinciale).
6. B vend une chose à A ; comptant, le prix est de 1 000 ; payable au bout d’un an, le prix est de
1 100.
584 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Afin d’attirer la clientèle musulmane attachée à la rigueur coranique, les banques françaises
(comme d’autres banques occidentales) pratiquent maintenant ces procédés sous le nom de
« finance islamique », dont des instructions fiscales tirent les conséquences, par exemple en uti-
lisant l’équivalent français de la mukhatara7. Cette autorisation en France de subterfuges corani-
ques au nom de l’opportunité financière est une manière paradoxale de contourner la prohibi-
tion des prêts usuraires ; elle a été critiquée8.
942. Validité de l’intérêt ; droit français et usure. – En droit français, la validité du prêt à
intérêt est depuis longtemps admise9 : l’intérêt rémunère l’immobilisation des sommes prêtées,
ainsi que la prise de risque du prêteur10 ; il constitue une des causes principales de l’engagement
du prêteur.
La question ne se pose qu’en termes de montant de l’intérêt : comment empêcher l’usure11 ? La
législation a été, à cet égard, tourmentée. À la différence de l’Ancien droit, mais comme la Révo-
lution (L. 5 therm. an V, art. 1), le Code civil (art. 1907) avait posé le principe de la liberté, sou-
mise à des exceptions et à un formalisme ; le formalisme a été durable, non la liberté, qui per-
mettait tous les abus : les exceptions ont été croissantes. La loi du 3 septembre 1807 avait limité
l’intérêt conventionnel au taux légal ; le système ne dura pas, parce qu’irréaliste : il était de mau-
vaise politique législative de fixer un taux unique, car l’intérêt doit tenir compte de la conjonc-
ture monétaire et du risque pris par le prêteur, qui n’est pas toujours le même. La règle fut abro-
gée à la fin du XIXe siècle en matière commerciale (1886), puis après la guerre de 1914, en
matière civile (1918). Le retour à la liberté a, de nouveau, permis tous les abus ; il ne dura pas.
Le décret-loi du 8 août 1935 avait prohibé l’usure, définie pratiquement par le juge ; le système
ne dura pas non plus, parce que d’application trop difficile et imprévisible.
943. Droit spécial sur l’usure ; plafonds. – Une loi de 1966 sur l’usure, intégrée
dans le Code de la consommation (art. L. 314-1 et s.) a adopté un système souple
et facile à appliquer ; elle énonce deux sortes de règles, les unes de fond, les
autres de forme.
Au fond, elle impose au taux d’intérêt conventionnel une limite qui s’adapte à
la diversité des situations et à la conjoncture économique, sans que le juge ait de
pouvoir arbitraire12. Elle fixe un taux d’intérêt maximum : le taux convenu ne doit
pas dépasser de plus du tiers le taux effectif moyen (TEM) pratiqué par les établis-
sements de crédit pour les opérations de même nature pendant le trimestre
précédent13.
Par l’effet d’une loi de 2003, la règle ne s’applique pas aux prêts consentis à des personnes
physiques ou morales exerçant une activité professionnelle (C. consom., art. L. 314-6), pour
lesquelles le taux d’intérêt convenu peut donc être librement fixé14. Elle ne s’applique donc pas
aux prêts consentis pour des activités libérales ou agricoles15. En revanche, les découverts en
compte s’y trouvent très largement soumis : C. mon. fin., article L. 313-5-1.
Dans la forme, la loi (C. consom., art. L. 314-5) oblige, comme le fait le Code
civil (art. 1907, art. 2), à mentionner par écrit dans l’acte de prêt qu’il y a un inté-
rêt et son taux effectif global (TEG).
I. — Règles de fond
944. Taux effectif global. – La loi de 1966 prévoit que dans tout prêt d’argent à
intérêt doit être porté à la connaissance de l’emprunteur le taux annuel effectif
global (TAEG) qui lui permet de connaître le coût total du prêt proposé, tous
frais compris (C. consom., art. L. 314-1). Au taux d’intérêt proprement dit (rému-
nération du prêteur), sont ajoutés les frais, commissions ou rémunérations « de
toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des
intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt,
même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours
réels »16. Voir les précisions données par l’article L. 311-1, 5º.
Le taux est calculé au moment de la conclusion du prêt17 ; il ne peut donc tenir compte des
événements qui pourraient se produire par la suite et dont la survenance est incertaine : l’inde-
xation lorsque ce prêt est indexé18, la clause pénale en cas d’exigibilité anticipée19, l’indemnité
de résiliation en cas de remboursement anticipé, et les intérêts de retard ; la règle est la même
lorsque le prêt est stipulé à taux variables20.
14. Initialement, la règle s’appliquait à l’ensemble des prêts : N. FERRIER, « Les incertitudes du régime
de l’usure, liées à sa codification », RTD com. 2005.219.
15. Ex. : Cass. civ. 1re, 25 novembre 2015, nº 14-23224, Bull. civ. I à paraître, JCP G 2015, 1386,
n. J. Lasserre-Capdeville (groupements fonciers agricoles).
16. Tous les frais imposés pour l’octroi du prêt : ex. : Cass. civ. 1re, 12 juin 1990, Bull. civ. I, no 161 :
commission due à une société de crédit hypothécaire pour « la gestion du prêt » ; Cass. civ. 1re, 21 jan-
vier 1992, Bull. civ. I, no 22, 2e arrêt : « impôts, taxes et droits mis à la charge de l’emprunteur ne consti-
tuent pas un accroissement des charges de l’emprunt » ; Cass. civ. 1re, 13 novembre 2008, nº 07-
17737, Bull. civ. I, no 262 ; JCP G 2008.IV.2983 : frais relatifs à une assurance « dès lors que la banque
avait subordonné l’octroi du crédit à la souscription d’une assurance » ; Cass. com., 5 février 2008,
nº 06-20783, Bull. civ. I, no 25 ; JCP G 2008.IV.2983 : frais pour dépassement d’un découvert :
Cass. civ. 1re, 6 décembre 2007, Bull. civ. I, no 381 ; JCP G 2008.IV.1050 : frais de souscription de
parts sociales lorsqu’ils ont été « imposés comme maîtres d’octroi au prêt » ; Cass. civ. 1re, 8 novembre
2007, Bull. civ. I, no 349 ; JCP G 2007.IV.3211 : sur le coût d’une assurance facultative.
17. Cass. com., 26 mars 2002, Bull. civ. IV, no 57.
18. Cass. civ. 1re, 20 décembre 2007, Bull. civ. I, no 396 ; JCP G 2007.II.10044, n. A. Gourio : « le
texte susvisé (C. consom., art. L. 314-5) [...] ne fait pas obligation au prêteur, en cas de stipulation de
révision du taux d’intérêt original selon l’évolution d’un indice objectif d’informer l’emprunteur de la
modification du taux effectif global résultant d’une telle révision ».
19. Cass. civ. 1re, 1er décembre 1987, Bull. civ. I, no 318 ; JCP G 1988.IV.56. Le juge doit modérer la
clause pénale si elle est « manifestement excessive » (art. 1231-5, al. 2, ancien art. 1152, al. 2).
20. Cass. civ. 1re, 19 novembre 1996, Bull. civ. I, no 408 ; D. Aff. 1997.74 : « l’explication détaillée
des variations du taux avec ses plafonds a été donnée ».
586 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
946. Sanctions. – Si le TEG n’est pas indiqué ou est inexact, le taux convention-
nel est anéanti et remplacé par le taux légal. Outre des peines répressives prévues
par la loi, la méconnaissance de ces règles produit des conséquences civiles. La
nullité du prêt serait inopportune, car, comme dans tout prêt et tout contrat réel,
elle aurait pour conséquence la déchéance du terme, et par conséquent, oblige-
rait l’emprunteur à restituer le capital avant l’échéance et le dissuaderait ainsi
d’agir. Seule la stipulation d’intérêts irrégulière est frappée de nullité ; les intérêts
excessifs sont imputés de plein droit sur les intérêts échus, calculés au taux légal
et subsidiairement sur le capital. Cette nullité doit être invoquée dans les cinq ans
de la convention de prêt ou de l’ouverture de crédit, lorsque le concours financier
répond aux besoins de l’activité professionnelle de l’emprunteur, ou de la décou-
verte du caractère erroné ou de l’absence de mention du TEG, lorsque le prêt est
destiné à satisfaire des besoins non professionnels25. Cette sanction est plus modé-
rée que celle qui protège le consommateur, la déchéance de tout droit aux
intérêts26.
21. Infra, no 954. Ex. : prêt de 100 000, dont les intérêts payables mensuellement s’élèvent à 1 000.
Le taux annuel serait de 12 % ; le taux par période (mensuelle) de 1 %. V. Y. SALATS, Defrénois 1978,
art. 31703.
22. Y. SALATS, op. cit., dans l’exemple ci-dessus, l’emprunteur, s’il paie 1 000 par mois, aura versé un
intérêt annuel de 12,68 % ; pour payer un intérêt de 12 %, il ne devrait verser que 948,88 par mois.
23. Jurisprudence constante : ex. : * Cass. civ. 1re, 16 juin 1987, Banque Sofinco, Bull. civ. I, no 201 :
« Lorsque les versements auxquels l’emprunteur est tenu en exécution du contrat de crédit sont effec-
tués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global annuel doit être calculé en multi-
pliant le taux de période, qui tient compte des modalités de l’amortissement de la créance, par le
nombre de ces périodes comprises dans une année civile ». Cass. com., 3 déc. 2013, nº 12-23976,
Dr. et patr. 2014, nº 238, obs. crit. L. Aynès.
24. Ex. : si les versements sont trimestriels, le taux par trimestre est multiplié par quatre.
25. Ex. : Cass. civ. 1re, 2 mai 1990, D. 1991.41, n. Chr. Gavalda ; JCP G 1991.II.21655, n. J. Stoufflet.
26. Jurisprudence plusieurs fois réitérée. Ex. : Cass. com., 10 juin 2008, no 06-18906 ; Bull. civ. IV,
no 118 ; JCP G 2008.IV.2275 : « En cas de contestation des intérêts payés par un emprunteur [...], l’ex-
ception de nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel ne peut être opposée que dans un délai
de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le taux effectif
global (TEG), en cas d’ouverture de crédit en compte courant, la réception de chacun des relevés
TAUX DE L’INTÉRÊT CONVENTIONNEL 587
947. Mention écrite. – La loi exige à deux reprises que l’écrit constatant le prêt
mentionne l’intérêt convenu : l’article 1907, alinéa 2, suivant lequel, « le taux de
l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit », et l’article 314-5 du Code de la
consommation, suivant lequel « le taux effectif global déterminé selon les modali-
tés prévues aux articles L. 314-1 à L. 314-4 est mentionné dans tout écrit consta-
tant un prêt régi par la présente section », sous peine d’amende. À quoi s’ajoutent
les dispositions relatives à l’offre de crédit à la consommation27.
En combinant ces deux textes, la Cour de cassation décide que le taux de l’in-
térêt, visé à l’article 1907, est d’une part le taux de l’intérêt conventionnellement
stipulé, d’autre part le TEG. La règle s’applique à tous les prêts, y compris entre
professionnels28. Cette combinaison conduit aux règles suivantes :
1o) Faute d’écrit mentionnant le taux d’intérêt conventionnellement stipulé, le
prêteur ne peut prétendre qu’au taux légal si le caractère onéreux du prêt est
incontestable.
En cas d’ouverture de crédit en compte courant, la mention écrite du taux d’in-
térêt peut résulter des relevés de compte, à condition qu’ils indiquent le TEG29.
2o) Le TEG doit être calculé et mentionné par le prêteur, qui ne peut se conten-
ter d’indiquer ses composants30. L’article L. 312-8 du Code monétaire et financier
l’oblige à présenter dès l’offre de prêt un échéancier des amortissements, avec la
ventilation du capital et des intérêts.
3o) En cas de modification conventionnelle du taux en cours de prêt, l’acte
modificatif doit comporter le nouveau TEG31. Si le taux d’intérêt varie selon un
indice objectif facilement connaissable, le TEG effectivement appliqué n’a pas à
être indiqué sur les relevés périodiques32.
indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué constitue le point de départ du délai de cette prescrip-
tion ».
27. Infra, no 957.
28. Cass. civ. 1re, 22 janvier 2002, Bull. civ. I, no 23 ; Contrats, conc., consom. 2002, comm. no 72,
obs. L. Leveneur ; RTD civ. 2002.287, obs. J. Mestre et B. Fages ; D. 2002.2670, n. A. Debet : cassation
de l’arrêt qui avait « ajouté au texte susvisé une restriction qu’il ne comporte pas ».
29. Cass. com., 10 juin 2008, supra, no 945.
30. * Cass. com., 18 juin 1996, dame Rog, Bull. civ. IV, no 183.
31. Cass. com., 15 octobre 1996, Bull. civ. IV, no 232 ; D. 1997, somm. 171, obs. L. Aynès.
32. Jurisprudence constante depuis Cass. civ. 1re, 20 décembre 2007, Bull. civ. I, no 396 ; D. 2008 AJ
386, obs. Avena-Robardet ; JCP G 2008.II.10044, n. Gourio ; RTD com. 2008.150, obs. D. Legeais ; ib.
2008.614, obs. Bouloc : l’art. L. 314-5 C. consom.., « s’il impose la mention du taux effectif global dans
tout écrit constatant un prêt, ne fait pas obligation au prêteur, en cas de stipulation de révision du taux
d’intérêt originel selon l’évolution d’un indice objectif, d’informer l’emprunteur de la modification du
taux effectif global résultant d’une telle révision ». Antérieurement, la Cour de cassation décidait au
contraire que le TEG devait être indiqué : Cass. civ. 1re, 19 octobre 2004, Bull. civ. I, no 229, règle qui
continuera à s’appliquer si l’indice de variation n’est pas un indice objectif aisément connaissable.
33. Cass. com., 3 avril 1984, Bull. civ. IV, no 129 : est soumise à la loi de 1966 sur l’usure, l’opéra-
tion financière par laquelle des emprunteurs ayant reçu une somme en monnaie étrangère s’étaient
engagés à en rembourser la contrevaleur en francs. Rép. min. fin. no 41962 à Guy Geoffroy), JOAN
Q 19 mai 2009 : « Bien que la “monnaie de compte” soit rejetée par la liberté contractuelle, il appar-
tient à l’établissement prêteur de veiller à ce que l’utilisation d’une monnaie étrangère comme “mon-
naie de compte” respecte les dispositions du Code de la consommation, notamment en ce qui
concerne l’usure et la publicité ». V. F. CREDOT et Th. SAMIN, « Monnaie de compte étrangère », Rev.
dr. banc. et fin. 2009 com. 151.
588 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
licites34, bien que les méthodes de calcul du TEG et du seuil de l’usure soient ici
inadaptées35, mais non aux crédits à l’exportation36. Elle ne peut s’appliquer aux
conventions complexes mêlant le prêt à un contrat d’investissement : ni le TEM ni
le TEG ne peuvent être calculés, en raison du particularisme de l’opération.
949. Restitution des intérêts. – La loi ajoute (art. 1906) que « l’emprunteur qui
a payé des intérêts qui n’étaient pas stipulés ne peut ni les répéter, ni les imputer
sur le capital » : elle présume que si l’emprunteur a payé des intérêts, c’était par
l’effet d’une convention tacite37. Cette règle est interprétée restrictivement ; elle ne
s’applique ni aux comptes courants où le banquier impute unilatéralement les
intérêts au débit de son client (parce qu’il n’y a pas eu chez l’emprunteur la
volonté de payer les intérêts)38, ni aux intérêts usuraires39, ni aux intérêts conven-
tionnellement stipulés lorsque la stipulation est nulle et que leur taux excède le
taux légal40. Dans tous ces cas, l’emprunteur peut répéter les intérêts indûment
payés ou les imputer sur ceux qui sont dûs.
Elle admet... que la convention ou la demande en justice peuvent prévoir à l’avance la capi-
talisation des intérêts44... que si les conditions de cet article sont remplies, tout intérêt moratoire
peut être capitalisé, qu’il ait pour cause une convention, une clause pénale45 ou une
indemnité46. Surtout, elle décide que, sauf à l’égard des crédits consentis aux
consommateurs47, ces règles ne s’appliquent pas aux découverts des comptes courants48 ; pen-
dant longtemps la jurisprudence et la doctrine avaient fondé cette exception sur des usages ban-
caires, tout en trouvant singulier que des usages puissent l’emporter sur une règle impérative ;
aujourd’hui, on la justifie par le mécanisme même du compte courant, où l’intérêt étant immé-
diatement payé accroît naturellement le capital ; la convention et les usages ont pour seul rôle
d’en déterminer la périodicité. Les règles prohibant l’anatocisme reprennent leur empire après la
clôture du compte courant49 et lorsqu’on est en présence d’un simple compte de dépôt.
Lorsqu’elle est licite, la capitalisation des intérêts ne peut évidemment avoir lieu si le retard
dans le paiement des intérêts est imputable au créancier50.
951. Devises étrangères ; indexation. – 1º Les prêts en devises étrangères sont licites lors-
qu’ils sont effectués par une banque : la législation sur l’indexation déclare en effet licites toutes
les indexations « en relation directe [...] avec l’activité de l’une des parties » (C. mon. fin., art.
L. 112-2).
44. Pour une convention ; ex. : Cass. civ., 15 juillet 1913, DP 1917.I.50, « La convention destinée à
faire produire des intérêts aux intérêts d’un capital peut être valablement conclue avant l’échéance de
ces derniers ». Pour une demande en justice ; ex. : Cass. civ. 1re, 12 mars 1991, Bull. civ. I, no 89 : « Le
texte susvisé [art. 1154, devenu art. 1343-2] n’exige pas que pour produire des intérêts, les intérêts
échus des capitaux soient dus au moins pour une année entière au moment de la demande en justice
tendant à la capitalisation, mais exige seulement que dans cette demande il s’agisse d’intérêts dus pour
une telle durée ».
45. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 mai 1978, Bull. civ. I, no 187 ; en l’espèce, la cour d’appel avait refusé de
capitaliser les intérêts au motif « que les prétendus intérêts étaient en réalité des pénalités convention-
nelles ayant la nature de dommages-intérêts ne pouvant donner lieu à capitalisation ». Cassation : « Les
dispositions de l’article 1154 [devenu art. 1343-2] s’appliquent sans distinction aux intérêts moratoires
qu’ils soient judiciaires ou conventionnels ».
46. Cass. civ. 3e, 4 décembre 1991, Bull. civ. III, no 303 (le Bulletin ne publie pas ce motif, jugé
« sans intérêt ») : « Les seules conditions exigées par l’article 1154 [devenu art. 1343-2] pour que les
intérêts échus des capitaux produisent des intérêts sont que la demande en ait été judiciairement for-
mée et qu’il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière, sans que l’anatocisme puisse être
écarté en raison du caractère indemnitaire de la somme constituant la créance ».
47. Infra, no 956.
48. Ex. : Cass. com., 22 mai 1991, Bull. civ. IV, no 168 ; JCP E, 1991.II.190, n. J. Stoufflet ; D.
1991.428, n. Chr. Gavalda ; Banque 1991.758, obs. J.-L. Rives-Langes : « La capitalisation des intérêts
d’un compte courant se produit de plein droit à chaque arrêté périodique par fusion dans le solde
dudit arrêté, d’où il suit que l’article 1154 n’était pas applicable ».
49. Ex. : Cass. civ., 25 février 1930, DH 1930.251 : « Vu l’article 1154 ; si la capitalisation des inté-
rêts d’un compte courant peut être valablement stipulée suivant les usages du commerce pour la
durée du compte, elle ne saurait, en aucun cas, se prolonger au-delà de l’époque où le compte cou-
rant a pris fin, sinon dans les conditions prévues par l’article 1154 préc. ».
50. Cass. civ. 1re, 14 mai 1992, Bull. civ. I, no 142 : « Les juges du fond peuvent refuser d’ordonner la
capitalisation des intérêts si c’est par suite du retard apporté par celui qui la sollicite qu’il n’a pu être
procédé à la liquidation de la dette ».
51. La jurisprudence ne tient pas compte de l’indexation pour savoir s’il y a usure : Cass. civ. 1re,
21 janvier 1992, Bull. civ. I, no 22 : l’indexation du capital « ne doit pas être prise en compte pour la
détermination du taux effectif global. ».
n CHAPITRE IV n
PROTECTION DU CONSOMMATEUR
952. Règles de fond et règles de forme. – L’emprunt d’argent est un acte grave :
contre la jouissance immédiate d’un capital, l’emprunteur prend un engagement
pour l’avenir sans toujours en mesurer l’importance. De plus, les conditions finan-
cières du crédit sont souvent complexes et difficiles à comprendre. Pourtant, le
crédit est inséparable de la consommation. Le législateur est donc intervenu
pour protéger le consommateur par des règles de forme et des règles de fond.
1o Il l’a fait d’abord en imposant des règles de forme destinées à éclairer le
bénéficiaire du crédit et à lui permettre de comparer avant de choisir ; puis, de
manière plus ou moins permanente, des règles de fond, qui ont pour objet le
volume du crédit susceptible d’être accordé et ses modalités. Aujourd’hui, la pre-
mière série de règles relève du Code de la consommation, articles L. 312-1,
L. 313-1, L. 314-1.
2o Les règles de fond sont celles du droit commun, sous deux réserves1. D’une
part, le Comité consultatif du secteur financier peut suggérer de fixer le montant et
la durée maximum du crédit susceptible d’être accordé ; actuellement, il n’existe
aucune limite, car cette réglementation est en sommeil2. D’autre part, le crédit
gratuit est soumis à certaines règles contraignantes, lorsqu’il relève du Code de
la consommation (art. L. 312-41 et s.) : elles concernent la publicité et les consé-
quences d’une offre de crédit gratuit. Le Code de la consommation ne s’applique
qu’aux prêts relevant du droit français3.
1. X. LAGARDE, L’endettement des particuliers, Étude critique, LGDJ, 1999 ; N. CHARDIN, Le contrat de
consommation de crédit et l’autonomie de la volonté, th. Strasbourg, LGDJ, 1988, préf. J.-L. Aubert.
2. En pratique, l’achat à crédit d’un bien, notamment immobilier, suppose toujours que l’acquéreur
possède et paye comptant une partie du prix (par exemple, 10 ou 20 %).
3. Cass. civ. 1re, 19 janvier 1999, Bull. civ. I, no 21 ; Defrénois 1999.523, obs. M. Revillard ; JCP G
2000.II.10 248, n. Th. Vignal ; en l’espèce, faisant l’objet d’une saisie immobilière, les emprunteurs,
dans une opération internationale, avaient soutenu que le prêt était nul, faute d’avoir respecté la loi
française relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine du crédit ; ce
moyen a été rejeté : « la créance était soumise à la loi d’autonomie », en l’espèce la loi suisse.
592 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
4. Cass. civ. 1re, 27 mai 2003, Bull. civ. I, no 130 ; JCP G 2004.II.10050, n. D. Bonnet : « la destina-
tion professionnelle d’un crédit ne peut résulter que d’une stipulation expresse » ; en l’espèce, une
banque avait consenti un découvert à une avocate, puis l’assigna en remboursement du découvert
non autorisé ; jugé que seul le tribunal d’instance était compétent (juridiction du droit du crédit à la
consommation), sur le TGI. Même motif dans Cass. civ. 1re, 21 octobre 2003, cité infra.
5. Cass. civ. 1re, 30 mars 1994, Bull. civ. I, no 128 ; JCP G 1994.IV.129 : « Si sont exclus du champ
d’application (du C. consom.) les prêts destinés, notamment, à financer les besoins d’une activité pro-
fessionnelle, rien n’interdit aux parties de soumettre volontairement les opérations de crédit qu’elles
concluent aux règles édictées » par celui-ci.
6. Tout payement échelonné ou différé ne constitue pas nécessairement un crédit ; il faut qu’il y ait,
en outre, un délai consenti par le bailleur de crédit pour le payement : « Après la livraison du bien ou
l’exécution de la prestation » : * Cass. civ. 1re, 15 décembre 1993, sté européenne d’enseignement
Nadaud, Bull. civ. I, no 370 ; D. 1994.297, n. H. Davo : en l’espèce, il s’agissait d’un contrat d’ensei-
gnement, où une partie du prix avait été payée au moment de l’inscription, le solde étant payable par
trois versements trimestriels ; peu après l’inscription, les parents demandèrent la radiation de leur
enfant ; par application du C. consom., la cour d’appel annula le contrat. Cassation : « Aucun crédit
n’était consenti aux époux Burgard, même si les prestations étaient payables par versements échelon-
nés ».
7. Cass. civ. 1re, 16 janvier 1996, Bull. civ. I, no 31 : « Lorsqu’une banque a consenti à son client des
avances de fonds pendant plus de trois mois, le découvert en compte constitue une ouverture de cré-
dit soumise aux dispositions d’ordre public (du C. consom.) ; lorsque cette ouverture de crédit est
consentie tacitement, l’absence d’offre préalable régulière entraîne pour l’organisme de crédit la
déchéance du droit à tout intérêt couru, légal ou conventionnel, sur le solde débiteur d’un compte
bancaire ayant fonctionné à découvert pendant plus de trois mois ».
8. Cass. com., 1er décembre 1993, Bull. civ. IV, no 354.
9. Par conséquent, le crédit consenti par le vendeur ou l’entrepreneur ne relève pas de la loi. De
même la reprise de prêt, qui n’est pas l’obtention d’un prêt.
PROTECTION DU CONSOMMATEUR 593
10. Lorsqu’un prêt supérieur à 75 000 € n’a pas de destination particulière (prêt personnel), il n’est
pas soumis au C. consom. La destination immobilière du prêt peut être prouvée, et entraîne l’applica-
tion du droit de la consommation et des sanctions pénales ; Cass. civ. 3e, 25 avril 1984, Bull. civ. III,
no 91 : la destination de logement implique qu’elle soit plus importante que la destination profession-
nelle ; jugé, en l’espèce, que tel n’était pas le cas de l’achat fait « dans le but essentiel d’acheter un
vignoble prestigieux dont les bâtiments d’habitation ne constituent que “l’accessoire” ».
11. Sur les difficultés suscitées par le lien entre la construction et l’acquisition du terrain, M. DAGOT,
« L’interdépendance entre l’acquisition du terrain et la construction du logement », JCP N 1980.I.403.
12. Ex. : Cass. civ. 1re, 15 décembre 1993, Bull. civ. I, no 371 ; D. 1994.217, n. H. Davo ; en l’espèce,
il s’agissait de savoir si s’appliquait à un prêt de 3 000 € destiné à une opération immobilière, la loi
imposant un délai de forclusion aux actions relatives au crédit mobilier introduites tardivement (infra,
no 956) ; la cour d’appel l’avait admis en relevant que le montant des prêts était inférieur à 15 000 €
(alors le plafond légal). Cassation : « En se fondant ainsi sur le montant des prêts litigieux, et non sur
celui de la dépense dont ces prêts étaient destinés à compléter le financement, après avoir constaté
qu’ils étaient afférents à la construction d’un immeuble, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (du
C. consom.).
13. Le droit du crédit au consommateur, dir. I. Fadlallah, Litec, 1982. Sur le crédit immobilier :
C.-A. THIBIERGE, « La protection des acquéreurs de logements qui recourent au crédit pour financer
leur acquisition », Defrénois 1980, art. 32254 ; J.-M. OLIVIER, « La formation du contrat du crédit immo-
bilier », LPA, 29 avril 1998, p. 6 et s. ; D. MAZEAUD, ib.
14. Cette règle de l’offre de contrat de crédit s’applique au contrat préliminaire que constitue le
crédit-relais : Cass. civ. 1re, 26 janvier 1999, Contrats, conc., consom. 1999, comm. no 63, obs.
G. Raymond ; n.p.B. Elle s’applique à l’ouverture de crédit ainsi qu’à toute augmentation du crédit
consenti (art. L. 311-16).
594 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Seul l’écrit (art. L. 311-1, L. 312-12 et L. 312-17, qui prévoient également tout
« autre support durable ») rend possibles les mentions obligatoires, dont le légis-
lateur attend l’essentiel de la protection. Ces mentions ont pour objet non seule-
ment les caractéristiques du prêt ou du crédit offert (montant, fractions périodi-
quement disponibles, modalités, conditions d’une assurance, échéancier des
amortissements16 qui a soulevé de nombreuses difficultés17 ; surtout, le taux effec-
tif global...) et l’information juridique du consommateur sur ses propres droits18 :
notamment celui de rétracter son consentement (art. L. 312-19), ou le délai de
réflexion obligatoire (art. L. 313-10)19.
L’octroi d’un crédit mobilier impose, en outre, que soit joint à l’offre un formu-
laire détachable pour permettre l’exercice de la faculté de rétractation (art. L. 312-
21) et oblige le prêteur à établir l’offre elle-même conformément à un des modèles
types. La même possibilité existe en matière immobilière.
La méconnaissance de ces règles peut être relevée d’office par le juge (ancien art. L. 141-4
non encore recodifié)20.
Si le prêt est renégocié, en général à la demande et en faveur de l’emprunteur, le parallélisme
des formes n’a pas à être respecté, si une information spécifique, plus légère, de l’acheteur a été
15. H. CLARET, Contrats, conc. consom. 2011, chron. no 14 (obligations d’informer et de s’informer
du prêteur).
16. Jurisprudence formaliste ; ex. : Cass. civ. 1re, 16 mars 1994, Bull. civ. I, no 100 : jugé qu’« un
tableau qui se contenterait de détailler les dates des échéances et leur montant global, sans préciser
la part du remboursement affecté dans chacune d’elles à l’amortissement du capital par rapport à celle
couvrant les intérêts, ne satisferait pas aux exigences légales ».
17. Tableau d’amortissement. La Cour de cassation a longtemps frappé de la perte du droit aux
intérêts les prêteurs n’ayant pas remis à l’emprunteur un échéancier des amortissements en même
temps que l’offre de contrat de crédit, ce qu’avait tenté d’empêcher une loi de validation du 12 avril
1996. La CEDH, 14 février 2006, D. 2006, AJ 717 ; JCP G 2006.II.10171, n. M. Thioye ; RDC
2006.289, obs. Th. Revet ; RTD civ. 2006.261, obs. J.-P. Marguénaud, a condamné cette loi de vali-
dation car elle constituait une « ingérence dans les droits que (les emprunteurs) pouvaient faire valoir
en vertu de la loi et de la jurisprudence en vigueur et partant, au respect de leurs biens » sans justifi-
cation « d’impérieux motifs d’intérêt général », « atteinte disproportionnée à leurs droits ». La
déchéance n’est pas automatique : Cass. civ. 1re, 30 septembre 2010, no 09-67930, Bull. civ. I,
no 180 ; JCP G 2010, 995, n. C. Boismain ; D. 2010.2358, n. V. Avena-Robardet.
18. Ex. : Cass. civ. 2e, 3 juin 2004, Contrats, conc. consom. 2004, comm. no 137, n. L. Leveneur ;
RDC 2005.321, obs. M. Bruschi ; n.p.B. : « l’obligation d’information ne se limite pas à la remise de
la notice, dès lors que celle-ci ne définit pas de façon claire et précise les risques garantis ainsi que
les modalités de mise en jeu de l’assurance » ; en l’espèce, une clause de la police d’assurance de
groupe prévoyait que l’assurance ne s’appliquait « qu’aux emprunteurs âgés de moins de 65 ans, lors
de l’entrée dans l’assurance » et une autre stipulait que l’assurance n’était pas due en cas de décès de
l’adhérent après 65 ans. Le prêteur (c’est-à-dire une banque) aurait dû expliquer à l’emprunteur le sens
de ces clauses obscures et contradictoires.
19. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 mars 2004, Bull. civ. I, no 91 ; D. 2004.947, 4e esp., n. V. Avena-Robardet :
« l’obligation d’information [...] s’impose pour les renouvellements et les reconductions ».
20. B. GORCHS, D. 2010. 1300. Ce texte met fin à une jurisprudence contraire. Sur la nouvelle règle :
G. POISSONNIER, D. 2008, chron. 1285. La Cour de cassation s’est inclinée par un revirement de juris-
prudence : * Cass. civ. 1re, 22 janvier 2009, no 05-20176, Bull. civ. I, no 9, Crédit mutuel de Saint-Mar-
cellin, D. 2009.908, n. S. Piédelièvre ; JCP G 2009.II.10036, n. N. Monachon-Duchène et 10037, n.
crit. X. Lagarde ; Defrénois 2009.663, n. E. Savaux ; RDC 2009. 1078, obs. D. Fenouillet (au sujet de
la déchéance du droit aux intérêts pour méconnaissance des conditions de présentation de l’offre de
crédit). La Cour de justice considère qu’il s’agit d’un devoir et pas seulement d’une faculté : CJUE,
4 juin 2009, JCP G 2009, no 336, chron. G. Paisant ; RDC 2009. 1467, obs. C. Aubert de Vincelles ;
Ph. FLORÈS et G. BIARDENAUD, D. 2009. 2227.
PROTECTION DU CONSOMMATEUR 595
opérée (art. L. 313-24-1). Un simple avenant suffit21, sauf si la situation de l’emprunteur se trouve
aggravée22. Le formalisme n’est pas non plus requis en cas de report d’échéance, sans autre
modification23. Si la nouvelle information était omise, il devra être fait retour à l’intérêt stipulé
initialement. Au formalisme, s’ajoute ainsi la standardisation des actes de prêt : le droit de la
consommation est devenu un droit de masse ; il appelle l’automatisme dans la formation
comme dans la sanction. Le formalisme a ses inconvénients habituels : lourdeur de la paperasse,
entraves à l’activité, renchérissement des coûts, et, parfois, incitation à la mauvaise foi.
En matière immobilière, le prêteur doit également procéder à un examen préalable de solva-
bilité par une « évaluation rigoureuse » au stade précontractuel et prodiguer le cas échéant des
« recommandations personnalisées » (art. L. 313-12 et s., réd. ord. 25 mars 2016). Une fiche d’in-
formation standardisée européenne (FISE) est remise à l’emprunteur.
21. Cass. civ. 1re, 3 mars 2011, no 10-15152, Bull. civ. I, no 46 ; D. 2011.814, n. V. Avena-Robardet ;
JCP G 2011, no 581, n. N. Monachon-Duchêne : « les obligations prévues aux art. [L. 312-18 et s.]
C. consom. ne sont pas applicables, en cas de renégociation d’un prêt immobilier entre les mêmes
parties, aux modifications du contrat de prêt initial qui ne peuvent être apportées que sous la forme
d’un avenant conformément à l’art. L. 312-14-1 du même code ».
22. V. S. BECQUÉ, Le parallélisme des formes en droit privé, th. Paris II, éd. Panthéon-Assas, 2004,
nos 389 et s. ; P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 2003.521.
23. Cass. civ. 1re, 17 juin 2015, nº 14-14326, Bull. civ. I à paraître.
24. À propos de l’achat d’un fonds de commerce grâce à un emprunt, ex. : * Cass. civ. 1re, 1er juillet
1997, Laborie, Bull. civ. I, no 224 ; D. 1998.32, n. L. Aynès, ib., somm. 110, obs. D. Mazeaud ; Defré-
nois 1997.1251, obs. L. Aynès : « Les deux actes de vente et de prêt avaient été passés le même jour,
par-devant le même notaire ; ils étaient intimement liés [...] les parties avaient entendu subordonner
l’existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu, de sorte que les
deux contrats répondaient à une cause unique ; (la cour d’appel) a donc retenu à bon droit non que
l’obligation de l’emprunteur était dépourvue de cause, mais que l’annulation du contrat de vente avait
entraîné la caducité du prêt ».
25. Ex. Cass. civ. 1re, 22 juillet 1987, Bull. civ. I, no 259 : si le vendeur livre la chose avant que l’ac-
quéreur ait obtenu son financement, il pourra la récupérer en cas de non-obtention du prêt ;
V. VIGNEAU, « Le financement à crédit du contrat de consommation », Contrats, conc. consom. 2006,
chron. no 19. Les dispositions du Code de la consommation sont d’ordre public et les parties ne sau-
raient y déroger, Cass. civ. 3e, 6 juillet 2005, Bull. civ. IV, no 154 ; D. 2005, AJ 2145 (le délai accordé
par la loi à l’acheteur pour déposer le dossier d’emprunt ne peut être raccourci par la convention). Sur
« l’obtention » d’un prêt, supra, no 126.
26. Ex. : Cass. civ. 1re, 7 février 1995, Bull. civ. I, no 70 : « Le bien financé n’ayant jamais été livré par
la faute du vendeur, les obligations de l’emprunteur à l’égard du prêteur n’avaient pas pris effet » ; en
l’espèce, un consommateur avait acheté à crédit un appareil de télévision ; l’établissement financier
avait versé au vendeur le crédit consenti à l’acquéreur ; celui-ci restitua l’appareil que lui avait livré le
vendeur, parce que non conforme ; la cour d’appel condamna l’acquéreur à rembourser le prêt qui lui
avait été consenti. Cassation. L’emprunteur peut renoncer à l’interdépendance mais son adversaire
devra le prouver : Cass. civ. 1re, 1er mars 2005, D. 2005, AJ 888, n. C. Rondey ; Bull. civ. I, no 108.
596 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
L. 312-48)27, mais la CJCE a condamné cette condition28. Le prêt est résolu ou annulé de plein
droit si le contrat principal l’est, à la condition que le prêteur soit intervenu à l’instance, ait été
mis en cause (art. L. 312-55) ou informé29. La résolution ou la nullité du contrat principal ne
dispense pas l’emprunteur de restituer les sommes prêtées30, mais il n’a ni à exécuter une inde-
xation, ni à payer les intérêts conventionnels ; il ne doit que les intérêts légaux, à partir de la
mise en demeure (art. 1231-6, ancien art. 1153). L’article L. 311-1 mentionne également le « cré-
dit affecté », destiné à financer « la fourniture de biens ou services particuliers » et constituant
une « opération commerciale unique ».
2o La symbiose est moins complète en matière immobilière, parce que vendeur et prêteur sont
généralement étrangers l’un à l’autre : le prêt est conclu sous la condition résolutoire de la non-
conclusion du contrat principal dans un délai de quatre mois (art. L. 313-21). Ainsi, la Cour de
cassation a décidé que la nullité ou la résolution du contrat principal (par exemple, de la vente)
entraînait la résolution ou la nullité du prêt (art. L. 313-23) ; ce qui n’empêche pas que l’emprun-
teur soit, comme chaque fois que le contrat de prêt est nul, tenu de restituer les sommes
prêtées31 ; mais il n’a à payer que les intérêts légaux, à partir de la sommation de payer32. En
outre, l’emprunteur peut obtenir la suspension de ses obligations en cas d’accident affectant le
contrat principal ou s’il en conteste la validité33 (art. L. 313-29).
L’obligation de restituer qui pèse sur l’emprunteur peut être compensée avec la dette résultant
d’une faute du prêteur, si l’on peut reprocher à celui-ci, par exemple une imprudence dans la
remise des fonds ou dans l’octroi du crédit.
27. Cette mention doit être expresse : Cass. civ. 1re, 29 juin 2004, Bull. civ., I, no 188 ; Contrats,
conc. consom. 2004, comm. no 319, obs. M. Bruschi ; en l’espèce, un consommateur s’était inscrit à
un club de gymnastique et avait obtenu un crédit utilisable au moyen d’une carte de crédit pour finan-
cer son abonnement ; l’offre de crédit ne mentionnait pas quelle prestation était financée. La salle de
sport ayant brûlé, le consommateur a vainement demandé la résolution du contrat de crédit et le rem-
boursement des sommes perçues par le club depuis le sinistre.
28. CJCE, 4 octobre 2007, JCP G 2008.II.10031, n. G. Paisant : « Les art. 11 et 14 de la directive
87/102/CEE [...] doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que le droit d’exercer un
recours prévu à l’art. 11, § 2 de cette directive telle que modifiée, et dont bénéficie le consommateur,
soit subordonnée à la condition que l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de
service financé ».
29. Ex. : Cass. civ. 1re, 8 novembre 1994, Bull. civ. I, no 324 ; en l’espèce, le client avait régulière-
ment rétracté sa commande, mais n’avait prévenu la banque qu’après que celle-ci eût mis les fonds
à la disposition du vendeur. Jugé que « le prêteur, qui n’avait commis aucune faute, était fondé à
demander à l’emprunteur le remboursement de la somme prêtée, conséquence de l’annulation du
contrat de crédit ».
30. * Cass. civ. 1re, 2 mai 1989, sté DEFIMO, Bull. civ. I, no 181 ; D. 1989, somm. 338, obs.
J.-L. Aubert. En l’espèce, l’acquéreur d’une automobile avait obtenu un prêt d’une société de crédit ;
il n’a jamais obtenu la carte grise : à sa demande, la cour d’appel a résolu la vente et le prêt et dispensé
l’emprunteur de restituer les sommes empruntées. Cassation : la résolution « devait entraîner la restitu-
tion des prestations reçues de part et d’autre et la protection du consommateur prévue par la loi en
pareil cas tient à la possibilité pour l’emprunteur de se faire garantir par le vendeur du remboursement
du capital prêté auquel il est tenu ».
31. Ex. : Cass. civ. 1re, 1er décembre 1993, Bull. civ. I, no 355 ; JCP G 1994.II.22325, n. Chr. Jamin ;
Defrénois 1994, art. 35845, no 76, obs. D. Mazeaud : « En raison de l’effet rétroactif attaché à la réso-
lution judiciaire du contrat de vente, celui-ci était réputé n’avoir jamais été conclu, de sorte que le prêt
était résolu de plein droit ».
32. Cass. civ. 1re, 26 novembre 2002, Bull. civ. I, no 289 : « en raison de la résolution du crédit
consécutive à l’annulation de la vente, les parties devant être placées dans l’état où elles auraient été
si le prêt n’avait pas été souscrit, la banque peut prétendre à des intérêts au taux légal sur la somme
avancée, mais seulement depuis la mise en demeure et non depuis la mise des fonds à la disposition
des emprunteurs ».
33. Cass. civ. 1re, 18 décembre 2014, nº 13-24385, Bull. civ. I nº 215 ; Contrats, conc. consom.
2015, nº 103, obs. G. Raymond : construction de l’immeuble vendu en état futur d’achèvement inter-
rompue, alors que l’acheteur devait le louer et rembourser le prêt avec les loyers ; cassation de l’arrêt
qui a refusé la suspension, au motif que l’emprunteur avait déjà obtenu un différé d’amortissement.
PROTECTION DU CONSOMMATEUR 597
40. Le juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de payement des sommes qui
seront exigibles à l’expiration de la période de suspension, même en modifiant la durée initiale du
contrat, « sans que le dernier versement puisse excéder de plus de deux ans le terme initialement
prévu pour le remboursement du prêt » (art. L. 313-12).
41. Recommandation : 86/01, JCP G 1986.III.58557 ; RTD com. 1986.439.
42. Certains arrêts continuent cependant à appliquer la nullité : Cass. civ. 1re, 20 juillet 1994,
Bull. civ. I, no 262 ; D. 1995, somm., 314, obs. Pizzio ; Defrénois 1995, art. 36024, no 22, obs. crit.
D. Mazeaud : l’irrégularité de l’échéancier joint à l’offre de prêt entraîne non seulement la déchéance
du droit aux intérêts, expressément prévue par la loi, mais encore la nullité du prêt ; Cass. civ. 1re,
27 février 2001, Bull. civ. I, no 48 ; D. 2001.1388, n. V. Avéna-Robardet ; en l’espèce, il s’agissait de
l’acceptation d’une offre de contrat de crédit, dont la loi dit qu’elle ne peut être acceptée par l’em-
prunteur que 10 jours après qu’il l’ait reçue : « cette règle protectrice d’un intérêt privé, ne peut être
invoquée que par la personne qu’elle a vocation de protéger et sa violation est sanctionnée par la
nullité relative du contrat » (donc il y a prescription quinquennale).
43. Cass. civ. 1re, 18 mars 2003, Bull. civ. I, no 84 ; D. 2003.1036, n. C. Rondey ; RDC 2003, p. 95,
obs. M. Bruschi : cette déchéance ne frappe que les intérêts conventionnels, non les frais annexes à la
vente, ni les intérêts légaux à partir de la mise en demeure du débiteur.
44. Ex. Cass. civ. 1re, 18 mars 1997, Bull. civ. I, no 97 : elle « ne sanctionne pas une condition de
formation du contrat [et] n’est pas une nullité ».
45. Cass. civ. 1re, 18 février 2009, no 08-12584, Bull. civ. I, no 34 ; JCP G 2009.IV.1488 : « la
déchéance du droit aux intérêts conventionnels prononcé à l’encontre de la banque ne constituant
pas un payement, la cour d’appel en a, à bon droit, déduit que le montant correspondant devait en
être imputé sur le capital ».
46. Ex. : Cass. civ. 1re, 27 juin 1995, cité no 938.
PROTECTION DU CONSOMMATEUR 599
À ces sanctions s’ajoute, le cas échéant, celle que prévoit le même Code (omission du TAEG
ou TAEG inexact), combiné avec l’article 1907, alinéa 247. De même, si le formalisme n’a pas été
respecté ou a été mal respecté – l’une des mentions est inexacte (par ex. : discordance entre le
tableau d’amortissement et le TEG indiqué48) – le droit commun (vices du consentement49,
responsabilité50, interprétation de volonté...) conserve son empire51.
Ces règles sont d’ordre public et ne peuvent faire l’objet d’une renonciation52.
47. Supra, no 946 ; sur l’exclusion de la nullité en la forme, L. AYNÈS, « Formalisme et prévention »,
in Le droit du crédit, préc., nos 36-49.
48. Supra, no 954.
49. V. toutefois Cass. civ. 1re, 14 juin 1979, Bull. civ. I, no 240 ; D. 1989 som. 338, n. J.-L. Aubert ;
JCP G 1991.II 21362, n. G. Virassamy ; RTD civ. 1989.742, obs. J. Mestre : un consommateur se plai-
gnait de ce que la société de crédit ne l’eût pas informé de la survivance du prêt en cas de vol de sa
voiture, achetée grâce à un crédit, alors que les formes informatives avaient été remplies ; cassation de
la décision qui avait accueilli ce raisonnement : « il ne peut être reproché à l’établissement de crédit
d’omettre d’aviser son client de la poursuite de son contrat de prêt en cas de vol du véhicule, dès lors
que le législateur lui-même n’a pas jugé utile de faire figurer cet avertissement sur le modèle type qu’il
a lui-même rédigé, de sorte qu’aucune réticence dolosive ne peut être imputée à la société ».
50. Ex. : Cass. civ. 1re, 27 juin 1995, Bull. civ. I, no 287 ; Defrénois 1995.416, obs. D. Mazeaud ;
Contrats, conc. consom. 1995, comm. no 211, obs. G. Raymond ; D. 1995.621, n. S. Piedelièvre ;
RTD civ. 1996.384, obs. J. Mestre : « La présentation d’une offre préalable conforme aux exigences
de l’article 5 de la loi du 13 juillet 1979 (codifié aux art. L. 312-1, C. cons.) ne dispense pas l’établisse-
ment de crédit de son devoir de conseil à l’égard de l’emprunteur, en particulier lorsqu’il apparaît à ce
professionnel que les charges du prêt sont excessives par rapport à la modicité des ressources du
consommateur ».
51. Toutefois dans la question un peu semblable de la caution (l’art. L. 313-22 déchoit de ses inté-
rêts l’établissement de crédit qui a méconnu l’obligation annuelle d’informer la caution), la Cour de
cassation décide après avoir dit le contraire que cette sanction était exclusive, sauf faute lourde ou
dol : ex. Cass. com., 25 avril 2001, Bull. civ. IV, no 75 ; D. 2001.1793, n. V. Avena-Robardet ; Defrénois
2001.1407, n. V. Bremond : « il résulte de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984 [codifié dans
C. mon. fin. art. L. 313-21] que, sauf dol ou faute lourde du dispensateur de crédit, l’omission des infor-
mations prévues par ce texte est sanctionnée par la seule échéance des intérêts ».
52. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 avril 1996, Bull. civ. I, no 178 ; D. 1996.527, n. Th. Hassler : « La
déchéance du droit aux intérêts encourue pour l’inobservation de la règle d’ordre public édictée par
l’article [L. 341-8], C. consom., ne peut être couverte par une renonciation, même expresse ».
53. Ex. : Cass. com., 5 novembre 2003, JCP G 2004.I.169, no 18, obs. M. Cabrillac ; n.p.B. : une
caisse de sécurité sociale « engage sa responsabilité à l’égard des créanciers de l’entreprise à laquelle
elle a conféré une apparence trompeuse de solvabilité en accordant des délais de payement à un de
ses ressortissants dont elle savait ou aurait dû savoir la situation irrémédiablement compromise ».
54. Jurisprudence abondante, de plus en plus sévère pour les banques. Ex. : Cass. civ. 1re, 18 sep-
tembre 2008, no 07-17270, Bull. civ. I, no 203 ; JCP G 2008, art. 586, obs. L. Dumoulin ; RDC
2009.104, obs. S. Carval : en l’espèce, l’activité entreprise par les emprunteurs était rentable et les
charges de l’emprunt n’étaient pas excessives compte tenu des revenus de l’emprunteur et des profits
devant raisonnablement résulter de l’activité envisagée ; la cour d’appel avait refusé d’engager la res-
ponsabilité de la banque. Cassation : elle aurait dû préciser si l’emprunteur avait la qualité d’« emprun-
teur averti » ; s’il ne l’avait pas, la banque aurait dû l’informer sur les « charges du prêt », sa « capacité
financière » et « le risque de l’endettement ni de l’octroi du prêt ». Sur les notions... d’emprunteur non
averti... de risque caractérisé... l’exonération du prêteur du fait de l’emprunteur... les preuves de l’exis-
tence et de l’exécution de l’obligation de mise en garde : A. GOURIO, n. sous Cass. com., 11 décembre
2007 et Cass. civ. 1re, 30 oct. 2007, JCP G 2008.II.10055. Sur l’obligation d’information pesant de
manière générale sur le banquier dispensateur de crédit, supra, no 360.
600 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
55. Cass. com., 11 décembre 2007, Bull. civ. IV, no 260 ; JCP G 2008.IV.1102.
56. V. LEGRAND, « Le crédit renouvelable va-t-il devenir responsable ? », D. 2011.1990.
57. CJUE, 18 décembre 2014, D. 2015. 715, n. G. Poissonnier.
58. Cass. civ. 2e, 2 juillet 1997, Bull. civ. II, no 212 ; D. 1998.231, n. Chr. Atias (le syndicat de copro-
priétaires impayé des charges relatives au bien acheté avec un prêt consenti à des débiteurs dont la
situation était déjà obérée peut engager la responsabilité du prêteur).
59. Cass. civ. 1re, 18 février 2009, no 08-11221, Bull. civ. I, no 36 ; JCP G 2009, II 10091, n. A Gou-
rio.
n LIVRE V n
CONTRATS ALÉATOIRES
PREMIÈRES VUES SUR LES CONTRATS ALÉATOIRES
969. Chance et incertitudes. – Le contrat aléatoire1 est une variété des contrats
à titre onéreux qui s’oppose au contrat commutatif2. Il est un contrat dont l’exis-
tence ou l’étendue de l’obligation incombant à l’une des parties dépend du
hasard (art. 1108, al. 2, ancien art. 1104). Chacun des contractants a une chance
de gain et prend un risque de perte, chance et risque entre lesquels il y a récipro-
cité ; le même événement détermine le gain de l’un et la perte de l’autre : le coup
de dés dans le jeu, la durée de la vie humaine dans la rente viagère.
Tout contrat dont l’exécution comporte une emprise sur l’avenir est toujours plus ou moins
marqué d’aléa, parce que l’avenir est incertain (il est à Dieu...). De même, dans la mesure où un
contrat est dominé par la spéculation, il est plus ou moins marqué d’aléa, parce que chaque
partie court une chance de gain ou prend un risque de perte. Tel est l’aléa au sens commun
du terme : la réalisation exacte du bénéfice attendu et du contrat est incertaine. De même, l’in-
sertion d’une condition, résolutoire ou suspensive, crée une incertitude. Mais ces incertitudes ne
rejaillissent pas sur l’équilibre des prestations qu’ont voulu les parties. Au contraire, dans un
contrat juridiquement aléatoire, les parties ont voulu qu’il y ait un gagnant et un perdant, en
considération d’un événement futur et incertain. Il arrive aux tribunaux de confondre l’aléa et
l’incertitude. Ainsi, en matière d’assurance vie fondée sur la capitalisation de la prime : aucune
des parties n’est exposée à une perte, parce que l’assureur ne versera jamais que le produit du
placement de la prime, que ce soit à l’assuré si celui-ci souhaite sortir du contrat, ou aux béné-
ficiaires qu’il a désignés, après sa mort ; le montant exact du versement dépend de la durée de ce
placement, laquelle peut être incertaine ; mais l’équilibre du contrat n’en est pas affecté ; la Cour
de cassation décide cependant qu’il s’agit d’un contrat aléatoire3.
Le contrat aléatoire a donc, au sens technique de la notion, une signification précise : lors du
contrat, la prestation d’au moins l’une des parties, dans son existence ou son étendue, dépend
1. Étymologie d’aléa : du latin alea, ae = coup de dés. Biblio. : A. MORIN, Contribution à l’étude des
contrats aléatoires, th. Paris II, PU Clermont-Ferrand, 1998, préf. A. Ghozi ; A. BÉNABENT, La chance et le
droit, th. Paris II, LGDJ, 1973, préf. J. Carbonnier. M. LAGELÉE-HEYMANN, Le contrat à forfait, th. Paris I,
2014.
2. Droit des obligations, coll. Droit civil.
3. Cass. ch. mixte, 23 novembre 2004, 4 arrêts, Bull. civ. ch. mixte, no 4 ; Defrénois 2005.607, obs.
crit. J.- L. Aubert ; RDC 2005.297, obs. (à la fois critiques et approbatives) A. Bénabent ; RTD civ.
2005.434, obs. crit. M. Grimaldi ; GAJ civ., nº 133 ; « Vu les articles 1964 du Code civil, L. 310-1, 1o et
R. 321-1, 2o du Code des assurances ; le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de
la vie humaine comporte un aléa au sens des textes susvisés et constitue un contrat d’assurance sur la
vie ».
604 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
essentiellement du hasard4. Aussi n’est-il pas rescindable pour lésion5. Sans doute aujourd’hui, le
calcul des probabilités permet d’évaluer la chance. Mais cette évaluation ne vaut que statistique-
ment, pour les grands nombres, non pour la prestation d’un contractant déterminé ; pour les
individus, la chance est toujours aléatoire. Ce qu’ont voulu les parties est un équilibre de la
chance de gain et du risque de perte, et non des prestations elles-mêmes équilibrées ; par hypo-
thèse, l’une gagnera, l’autre perdra.
970. Rationalisation du droit ? – Dans le droit contemporain, le particularisme des contrats
aléatoires est en recul. Ainsi, le jeu ne paraît-il plus aussi immoral et n’est-il plus aussi souvent
mis hors la loi6. De même, malgré les apparences, la vente moyennant rente viagère est devenue
un contrat souvent commutatif, et même rescindable pour lésion7. Les causes de cette transfor-
mation sont difficiles à discerner : la rationalisation croissante du droit et l’effort pour prévoir
scientifiquement l’avenir ? La perte du goût du risque ? La transformation des mœurs et de la
morale ? Tout cela, ou à peu près. Ce qui est sûr c’est, selon l’expression d’un auteur, « l’intégra-
tion du hasard dans le champ juridique »8. Mais l’aléa et l’irrationnel, tout en reculant, demeu-
rent irréductibles.
971. Plan. – Des contrats aléatoires seront écartés le contrat d’assurance, dont l’importance
et le particularisme justifient une étude distincte, la cession de droits successifs et la tontine qui
relèvent du droit des successions et des libéralités9. Seront examinés, successivement, le jeu et le
pari, d’une part (Titre I) et le contrat de rente viagère, d’autre part (Titre II).
JEU ET PARI
Avant d’en voir le régime (Section II), seront brièvement exposées les notions de
jeu et de pari (Section I).
SECTION I
NOTION
une place exclusive ; surtout, ils correspondent à une utilité sociale parce qu’ils sont un mode de
sélection meilleur (ou moins mauvais) que le coup de poing, l’argent ou les relations.
4. Comme en témoigne la littérature. Le plus souvent, elle dénonce les vices du jeu. Ex. : BALZAC, La
peau de chagrin, Ch. I : « Aussi, le petit vieillard, qui sans doute avait croupi dès son jeune âge dans les
brillants plaisirs de la vie des joueurs leur jeta-t-il un coup d’œil terne et sans chaleur, dans lequel un
philosophe aurait vu les misères de l’hôpital, les vagabondages des gens ruinés, les procès verbaux
d’une foule d’asphyxiés, les travaux forcés à perpétuité, les expatriations au Guazacoalco ». Parfois,
elle en exalte les vertus. Ex. : Sacha GUITRY, Mémoires d’un tricheur (1935). Conclusion : « Le jeu vili-
pendé par ceux qui ne jouent pas n’est pas du tout ce qu’ils en disent. Ce que les gens qui ne jouent
pas ne savent pas, ce qu’ils ignorent, ce sont les bienfaits du jeu [...] ! Or, il ne faut pas contester l’in-
fluence excellente que le jeu peut avoir sur le moral. L’homme qui vient de gagner 1 000 francs, ce
n’est pas pour un billet de mille francs qu’il a gagné – c’est la possibilité d’en gagner cent fois plus. Il
n’a pas gagné 1 000 francs – il a gagné ! Quand il perd mille francs, il n’a perdu que mille francs.
Quand il les gagne, il a gagné les premiers mille francs d’une fortune incalculable... ».
5. Cf. aussi un juge anglais avait annulé en 1812 un pari fait en Angleterre entre deux Anglais sur la
durée de la vie de Napoléon. Ou bien, il incitait un des parieurs à relâcher son effort de guerre contre
l’« ennemi du genre humain » – ce qui eût été une trahison – ; ou bien, il incitait un des parieurs à
assassiner Napoléon – ce qui eût été un crime : dans les deux cas, le pari était immoral.
6. POTHIER, Traité du jeu : « À la différence des contrats ordinaires qui rapprochent les hommes, les
promesses contractées au jeu les divisent et les isolent. On ne peut être heureux au jeu que de l’infor-
tune des autres : tout sentiment naturel est étouffé, tout lien social est rompu. Un joueur forme le vœu
inhumain et impie de prospérer aux dépens de ses semblables : il est réduit à mendier le bien qui leur
arrive, et à ne se complaire que dans leur ruine ». J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2001,
« Variations sur les petits contrats », p. 339. P.-Y. GAUTIER, « Passion et raison du droit en matière de
jeux d’argent », Pouvoirs 2011, no 139, § 91 et s. Sur les rapports avec l’immoralité : D. FENOUILLET,
Mélanges P. Catala, Litec, 2001, p. 505.
JEU ET PARI 607
SECTION II
RÉGIME
Inspiré par l’Ancien droit, le Code civil pose en principe que le jeu est un
contrat hors du droit qui ne peut donner lieu à aucune action, ni pour obliger à
exécution, si la dette de jeu n’a pas été payée (§ 1), ni pour obliger à répétition, si
la dette a été payée (§ 2). Ni validité, ni nullité, ce régime juridique singulier
appelle l’explication (§ 3) qui justifie des limites ; la législation, l’administration8,
les mœurs et surtout, la jurisprudence ont sapé les principes du Code civil : l’ex-
ception de jeu, qui était la règle, tend à devenir l’exception. Les règles du droit
civil n’ont pourtant pas changé ; mais elles sont aujourd’hui doublées par d’autres
7. TGI, Pontoise, 29 juin 1988, D. 1990.42, n. P. Diener : la demanderesse (une joueuse qui
conteste la validité de ses chèques de casino) « fait observer que pour son malheur elle fréquente le
casino d’Enghien depuis 1946, qu’elle s’y est totalement ruinée et qu’au cours des cinq dernières
années seulement elle a émis au total 4 381 000 F de chèques de casino à son profit. Aujourd’hui,
âgée de 73 ans, elle est réduite à vivre sur les allocations garantissant un minimum vieillesse aux per-
sonnes âgées ». Littérature : S. ZWEIG, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme.
8. La CJUE voit dans le jeu et le pari une prestation de services qui n’est pas différente des autres et
doit bénéficier de la liberté d’établissement ; doit donc être condamnée la réglementation intérieure
qui les limite ou l’interdit : CJCE, 6 novembre 2003, JCP G 2004.II.10172, n. Th. Verbrest et
P. Reynaud.
608 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 1. ACTION EN EXÉCUTION
977. Dette de jeu, dette d’honneur. – « La loi n’accorde aucune action pour
une dette de jeu ou pour le paiement d’un pari » (art. 1965). Par conséquent, le
gagnant à un jeu ne peut réclamer en justice le paiement forcé de son gain ; le
9. Les tribunaux interprètent contre l’organisateur de loteries les documents ambigus qu’il envoie à
ses clients : Ex. : Cass. civ. 1re, 28 mars et Cass. civ. 2e, 28 juin 1995, Bull. civ. I, no 150 et II, no 225 ; D.
1996.180, n. J.-L. Mouralis. Il peut être condamné à exécuter sa promesse : Cass. civ. 2e, 11 février
1998, Bull. civ. II, no 55 ; JCP G 1998.I.155, no 1, obs. M. Fabre-Magnan et 185, no 1, obs. G. Viney,
II.10.156, n. G. Carducci ; Defrénois 1998.1044, n. D. Mazeaud ; D. 1999, somm. 109, obs.
R. Libchaber : « Du fait de la rencontre des volontés, la société était tenue par son engagement,
accepté par Mme F., à payer à cette dernière la somme promise ». La Cour de Justice des communautés
européennes va dans le même sens (CJCE, 11 juillet 2002, JCP G 2003.II.10 055, n. H. Claret, à propos
de la compétence juridictionnelle).
10. Jurisprudence constante depuis * Cass. ch. mixte, 6 septembre 2002, Maison française de distri-
bution, Bull. civ. ch. mix., no 5 ; D. 2002.2531, n. A. Lienhard et 2963, n. D. Mazeaud ; Comm. com.
électr. 2002, no 156, n. Ph. Stoffel-Munck ; JCP G 2002.II.10 173, n. S. Reifergerste ; Defrénois
2002.1608, n. E. Savaux : « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénom-
mée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige par ce fait purement volontaire à le
délivrer... ».
11. Ex. : Cass. crim., 22 août 1990, D. 1990, IR, 243.
12. Texte au JO 13 mai 2010.
13. La lecture des premiers articles de la loi est édifiante et hypocrite : « les jeux d’argent et de
hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ; dans le respect du principe de sub-
sidiarité, ils font l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité
publique et de protection de la santé et des mineurs » (art. 1er) ; « la politique de l’État en matière de
jeux d’argent et de hasard a pour objectif de limiter et d’encadrer l’offre et la consommation des jeux et
d’en contrôler l’exploitation [...] ; compte tenu des risques d’atteinte à l’ordre public et à l’ordre social,
l’exploitation des jeux d’argent et de hasard est placée sous un régime de droits exclusifs délivrés par
l’État. » (art. 3). La loi prévoit des mesures tendant à prévenir « le jeu excessif ou pathologique » (art. 3
et 26) : le jeu est traité comme une drogue. Il est interdit aux mineurs.
14. P.-Y. GAUTIER, art. cité supra, no 973.
JEU ET PARI 609
15. Du moins si le joueur n’est pas interdit de jeux par l’autorité administrative. La Cour de cassa-
tion a décidé que si le casino a omis de contrôler le joueur (interdiction pour 5 ans) et l’a laissé entrer,
il engage sa responsabilité à son endroit et lui doit des dommages-intérêts : Cass. civ. 2e, 30 juin 2011,
no 10-30838, Bull. civ. II, no 146 ; D. 2011.2448, n. O. Penin ; RTD civ. 2011.770, n. P. Jourdain : le
joueur interdit « n’était pas privé d’un intérêt légitime » à être indemnisé, tant qu’il ne réclame pas
son gain, car la société aurait dû « assurer l’efficacité de la mesure d’exclusion des salles de jeux
concernant Mme X, en raison de son addiction au jeu ».
16. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 novembre 2011, no 10-24007, Bull. civ. I, no 192, D. 2011.2793 : dès lors
que l’existence d’un prêt pour jouer est établie (grosses sommes en espèces, considération de la qua-
lité des parties), l’exception est opposable ; Cass. civ. 1re, 30 juin 1998, Bull. civ. I, no 229 ; D. Aff.
1998.1253 ; D. 1999, somm. 112, obs. R. Libchaber : en l’espèce, un joueur avait signé au profit du
casino d’Enghien un chèque, en contrepartie de plaques de jeu ; le chèque étant sans provision, le
casino assigna vainement le joueur : « si toute “remise” de plaques contre un chèque ne constitue
pas une avance et ne caractérise pas une opération de crédit, il en est autrement lorsque les circons-
tances de l’espèce démontrent que celle-ci n’a eu pour but que de couvrir un prêt consenti par le
casino pour alimenter le jeu ».
610 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Encore faut-il qu’il y ait prêt17. Il faut aussi que le prêteur ait eu connaissance ou
simplement soupçon de la destination qui sera donnée à ses fonds. C’est à cette
condition que le prêt est illicite, ce qui le met hors du droit.
Mais est valable le prêt fait par un casino à un joueur pour lui permettre de rentrer chez lui,
car ce prêt n’a pas pour cause le jeu. Il en est de même du prêt que l’emprunteur utilise pour
jouer, si le prêteur l’ignore : pour le prêteur, le prêt n’est pas illicite (article 1162 ; avant la
réforme du droit des contrats, le Code civil se référait à la cause « contraire aux bonnes mœurs »,
ancien article 1133). Le prêteur ne peut se voir opposer l’exception de jeu que s’il est de mau-
vaise foi. Sur l’Internet, « le jeu à crédit est interdit » (art. 30, L. 12 mai 2010).
980. Chèque de casino. – Un joueur utilise parfois un chèque pour jouer, afin de payer ses
dettes de jeu ou de miser de l’argent, des jetons ou des plaques. Si le chèque est encaissé, le
joueur ne peut en demander le remboursement (art. 1967) ; si le tireur a émis un chèque sans
provision ou fait opposition, il a commis une infraction (qui, depuis la loi du 30 décembre 1991
fait l’objet d’une pénalité libératoire). Civilement, le porteur de mauvaise foi (non le tiers de
bonne foi) ne peut en réclamer le paiement, ni obtenir des dommages-intérêts (art. 1965), car
le chèque a une cause illicite.
La Cour de cassation, statuant en Chambre mixte18, puis, la Chambre criminelle19 ont posé
une règle contraire au profit des casinos autorisés par l’administration. Lorsqu’ils ont reçu un
chèque (même émis sur une formule qu’ils ont fournie, ce que l’on appelle un chèque de casino)
en paiement d’une somme d’argent destinée au jeu, ils peuvent en réclamer le paiement ou des
dommages-intérêts lorsque le chèque est sans provision ; la Chambre criminelle n’a pas
appliqué cette règle lorsqu’un cercle autorisé à organiser des jeux de hasard, a remis au joueur,
non de l’argent, mais des jetons ou des plaques en contrepartie du chèque sans provision20,
parce que le casino consent alors une avance au joueur. De même, la première Chambre civile
décide que le casino n’a pas d’action si, à sa connaissance, le chèque était sans provision ; il y
aurait alors une avance, c’est-à-dire un prêt soumis au jeu auquel s’applique l’article 1965. Le
droit devient fragmenté et irrationnel.
981. Tiercé. – Une évolution se manifeste aussi à l’égard des mandats et asso-
ciations relatifs au jeu. Pendant longtemps, la jurisprudence avait décidé qu’é-
taient frappés d’exception de jeu tout mandat relatif au jeu et toute association
ayant le jeu pour objet. Elle écarte maintenant l’exception lorsque le jeu a été
autorisé par l’administration.
La question a été surtout jugée à l’égard du PMU, du tiercé et du loto. Pour le mandat par
lequel une personne charge une autre d’acheter un billet : le contrat est valable et le mandant
a donc le droit d’obtenir le gain réalisé par le billet que le mandataire a acheté21. Pour
17. Cass. civ. 1re, 3 mai 1988, Bull. civ. I, no 124 : ayant « relevé [...] qu’il n’y avait pas eu prêt de la
part du caissier d’un casino, mais simple accord de commodité entre le client et lui pour que celui-ci
n’ait à établir qu’un seul chèque en fin de soirée plutôt qu’une série de chèques successifs chaque fois
qu’il allait chercher des jetons ».
18. * Cass. ch. mixte, 14 mars 1980, sté des hôtels et des casinos de Deauville, Bull. civ. ch. mixte,
no 3 ; Gaz. Pal. 1980.I.290, concl. Robin ; D. 1980, IR, 336, obs. M. Puech et 434, obs. M. Cabrillac :
« La tenue des jeux de hasard au casino de Deauville est autorisée par la loi et réglementée par les
pouvoirs publics et cet établissement est habilité à recevoir les chèques ».
19. Cass. crim., 21 octobre 1991, D. 1992, IR, 16 ; JCP G 1992.IV.415.
20. Cass. crim., 15 novembre 1993, D. 1995.302, n. J.-L. Mouralis.
21. Cass. crim., 28 mai 1970, 2e esp., JCP G 1971.II.16728, n. A. Bénabent : « L’article 4, L. 2 juin
1891, ne vise pas le cas du mandataire bénévole qui, par complaisance, a porté l’enjeu d’un parieur
au guichet du PMU, dès lors que ledit mandataire n’a participé à aucun risque et n’a pas cherché à
réaliser un bénéfice personnel ni à servir, même indirectement, l’intérêt de tiers ».
JEU ET PARI 611
l’association aussi : lorsque des billets gagnants sont achetés en commun, chacun des associés a
le droit d’obtenir sa part de gains22.
§ 2. ACTION EN RÉPÉTITION
982. Mise sur table. – Si la dette de jeu a été payée, le perdant ne peut exercer
l’action en répétition (art. 1967), quelle que soit la date à laquelle a eu lieu le
paiement, même lorsqu’il a été anticipé.
Souvent, les partenaires à un jeu posent leur mise sur la table avant la partie, ce qui donne la
certitude que le paiement sera assuré malgré le défaut d’action en exécution : celui qui perd ne
peut reprendre son enjeu, et la jurisprudence y a même vu un vol.
§ 3. FONDEMENTS
983. 1º Non-droit et droit ? – Pour savoir quel est le fondement actuel du régime auquel le
jeu est soumis, il faut maintenant distinguer le droit commun du jeu et son droit spécial.
1) Le jeu ne peut en droit commun donner lieu à exécution forcée et son exécution volontaire
ne peut donner lieu à répétition. La doctrine est perplexe pour expliquer ces règles curieuses.
Les uns font appel à la règle nemo auditur : il y aurait une immoralité dans le jeu, telle qu’elle
exclut du prétoire celui qui invoque sa qualité de joueur pour réclamer soit le paiement, soit la
répétition de la dette de jeu. L’immoralité du jeu est un thème connu : elle tient à ce qu’il fait
naître un espoir de gain facile, décourageant du travail ; il consacre donc un profit immoral,
parce que sans rapports avec le mérite ; en outre, il peut ruiner le joueur par le seul effet de la
passion. L’explication est boiteuse, ne serait-ce que parce qu’en général la règle nemo auditur
ne s’applique qu’à l’action en répétition23, alors qu’ici ce sont aussi bien les actions en exécution
qu’en répétition qui sont refusées au joueur. D’autres font appel à l’obligation naturelle qui ne
peut faire l’objet d’une exécution forcée, et dont le paiement volontaire ne peut être répété24. Là
aussi l’explication est boiteuse, car la promesse d’exécuter une obligation naturelle est obliga-
toire (elle « nove » l’obligation naturelle en obligation civile), alors que la promesse de payer une
dette de jeu ne l’est pas25. En réalité, le Code Napoléon avait mis les dettes de jeu hors du droit :
l’amusement, causa jocandi, était une situation de non-droit, qui relevait exclusivement de la
conscience individuelle.
2) En droit spécial, principalement pour les paris en ligne, l’action en exécution découle de
leur reconnaissance par la loi du 12 mai 2010 (les conditions de paiement de son gain au joueur
sont une des conditions de l’agrément donné par l’ARJEL). Le jeu est ici entièrement régi par le
droit.
22. Cass. civ. 1re, 4 mai 1976, Bull. civ. I, no 154 ; JCP G 1976.II.18540, n. de Lestang ; RTD civ.
1976.798, obs. G. Cornu : « En achetant en commun avec la dame S. un ticket de tiercé au PMU,
lequel est autorisé et réglementé par les pouvoirs publics, la dame M. a effectué une opération qui
échappe aux dispositions de l’article 1965 » ; id. pour le loto : Cass. civ. 1re, 5 juillet 1989, Bull. civ. I,
no 275. Le refus de partager les gains constitue une infraction pénale, l’abus de confiance : Cass. crim.,
20 mai 1985, Bull. crim., no 189.
23. Droit des obligations, coll. Droit civil.
24. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 octobre 1995, Bull. civ. I, no 352 ; D. 1996, somm. 120, obs. R. Libchaber,
et 1997, chron. 85, de N. Molfessis : « La transformation – improprement qualifiée novation – d’une
obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obli-
gation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci ». Droit des obli-
gations, coll. Droit civil.
25. Supra, no 978.
612 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
de jeu se sont assouplies en trois étapes : le Code civil, une loi de 1885 sur le
marché à terme, la loi de 2010 sur les paris en ligne.
1) Comme la tradition romaine, le Code civil admet, sous réserve de modéra-
tion, la validité des jeux qui ont pour objet l’adresse et l’exercice du corps, en
raison de leur utilité sociale ; il déclare valables « les jeux propres à exercer au
fait des armes, les courses à pied ou à cheval, les courses de chariot, le jeu de
paume », etc. (art. 1966, al. 1). Ainsi, le champion de boxe, ou son manager qui
le représente, peut demander le paiement de l’enjeu qu’il a gagné ; au contraire,
ne bénéficient pas de la faveur de l’article 1966 et ne sont pas exécutoires les
paris entre personnes n’ayant pas pris part au jeu. Il faut aussi que les enjeux
aient été modérés (art. 1966, al. 2) ; en fait, ce pouvoir de rejeter la demande
pour cause d’excès ne s’applique jamais.
2) L’article L. 211-35 du Code monétaire et financier, codifiant une loi de 1885,
déclare valables les marchés à terme26, même lorsque les parties n’ont pas eu
l’intention de leur donner une exécution réelle27. Le marché peut seulement se
régler par la différence de cours, sans livraison effective (art. L. 211-35 préc.).
Ces opérations sont assez courantes en bourse28. Elles peuvent exceptionnelle-
ment être admises, dans des contrats de gré à gré29. Ce sont des contrats innom-
més, qu’on retrouve aussi dans le commerce international30. Bien que les marchés
à terme constituent par essence un pari sur la hausse ou sur la baisse, la loi en
admet le caractère obligatoire parce que ce genre de jeu a une utilité sociale, en
assurant une régulation des cours. Tous ces actes sont valables parce qu’ils consti-
tuent des spéculations relatives au marché financier. La jurisprudence admet aussi
le caractère obligatoire des jeux organisés par la radio31, la télévision ou les
commerçants32.
3) Les paris en ligne, avec des objets très variés, sont désormais autorisés et
réglementés (loi préc. du 12 mai 2010).
985. Finances avariées et moralité douteuse. Nécessité fait loi. – La loi pénale ne punit
plus aujourd’hui un certain nombre de jeux et paris, bénéficiant d’une autorisation administra-
tive. Ainsi en est-il du loto, des jeux pratiqués par les cercles et casinos autorisés, comprenant les
machines à sous, des paris sur les courses de chevaux pratiqués par les sociétés autorisées, y
compris désormais sur l’Internet, le PMU, le tiercé et les paris en ligne. Le législateur prend par-
fois pour prétexte la protection d’intérêts généraux. La raison est, au premier degré, de procurer
au Trésor public des ressources indolores. Selon le mot de Gaston Jèze, la « loterie est une res-
source financière pour États à finances avariées et à moralité douteuse ». Dans une société en
crise, la Nation a besoin de ressources et de dérivatifs.
26. Dans le marché à terme, le vendeur et l’acheteur conviennent qu’à une date postérieure à la
conclusion du contrat et pour un prix fixé, l’un livrera des marchandises et des valeurs, l’autre qu’il en
prendra livraison.
27. Ex. : deux commerçants spéculent sur le cours du blé dans trois mois sans qu’il soit question de
livraison.
28. RIPERT et ROBLOT et al., Traité de droit commercial, t. II, 17e éd., nos 1841 et s.
29. Req. 24 novembre 1909, DP 1911.1.129, rapport Moras, n. L. Lacour.
30. Supra, no 24. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 mars 1999, Bull. civ. I, no 94 ; Defrénois 1999.1324, n.
Ph. Delebecque (prise de garantie contre la fluctuation des cours).
31. TGI, Paris, 18 décembre 1974, Gaz. Pal. 1975.I.258 ; RTD civ. 1975.561, obs. G. Cornu.
32. Paris, 13 décembre 1974, D. 1975.234, n. Fergani ; RTD civ. 1976.368, obs. G. Cornu ; supra,
no 976.
n TITRE II n
990. Sources. – Un autre contrat aléatoire est celui que le Code civil dénomme
le « contrat de rente viagère » (L. III, T. XII, Ch. II : art. 1968 à 1983). D’une
manière générale, la rente1 est une créance ayant pour objet des prestations pério-
diques – argent ou parfois denrées – qui s’appellent des arrérages ; elle est une
obligation qui s’inscrit dans le temps, une obligation successive. Le débiteur s’ap-
pelle débirentier, le créancier, crédirentier. La rente est viagère2 lorsque sa durée
est restreinte à la vie du créancier. Lorsque sa durée est fixée par un terme certain
(ex. : 10 ans), elle n’est jamais viagère : lorsqu’il s’agit d’une vente, elle est un
mode de paiement du prix par tempéraments.
Malgré le langage du Code, il n’existe pas à proprement parler de contrat de rente viagère, car
la rente est une créance d’un genre particulier, qui peut naître de sources diverses. Ou bien, de
règles successorales ; par exemple, l’usufruit du conjoint successible peut être converti en rente
viagère (art. 759 et s.). Ou bien, du partage : une soulte sous forme de rente viagère peut com-
penser l’inégalité entre deux lots. Ou bien, de la responsabilité délictuelle : souvent une lésion
corporelle est indemnisée au moyen d’une rente viagère. La rente peut aussi être constituée à
titre gratuit par l’effet d’une donation ou d’un legs. Lorsqu’elle a pour contrepartie un bien, elle
est une vente moyennant rente viagère, que l’on appelle souvent aliénation à fonds perdu, parce
qu’à la mort du vendeur ses héritiers ne retrouvent ni fonds ni contrepartie. Seule cette hypo-
thèse sera ici examinée.
À côté de la vente en viager, est apparu le prêt viager hypothécaire, où le propriétaire garde
son bien, mais se procure du crédit auprès d’un établissement financier, qui sera remboursé par
ses héritiers ; ce contrat est réservé aux consommateurs (C. consom., art. L. 315-1 et s.).
1. Étymologie de rente : ancien participe passé du verbe rendre : la rente est ce que « rend » l’argent
placé.
2. Étymologie de viager : de l’ancien français viage : le temps de la vie, lui-même dérivé de vita, ae
= la vie.
614 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
du crédirentier ; le procédé est efficace même à l’encontre des héritiers réservataires : il peut
donc être antifamilial3.
En réalité, la rente viagère n’est pas un pousse au crime, pas plus que l’assurance sur la vie.
Très souvent, elle est cédée à une compagnie d’assurances qui en fait le service. Le contrat
demeure aléatoire ; cet aléa en est précisément la cause. Lorsque le crédirentier décède très
vieux, longtemps après la constitution de la rente, le débirentier aura payé plus que la valeur
de la chose, parfois plus de dix fois. À l’inverse, lorsque le crédirentier décède quelques jours
après la conclusion du contrat, le débirentier n’aura pratiquement rien payé.
992. Modalités. – La vente moyennant rente viagère est susceptible de nombreuses moda-
lités. Généralement, il est prévu que l’acquéreur paye comptant une fraction du prix, appelée
« bouquet ». Souvent, le crédirentier se réserve l’usufruit de la chose vendue ou un droit d’usage
et d’habitation ; en ce cas, habituellement, les dépenses d’entretien lui incombent, tandis que les
grosses réparations sont à la charge du débirentier. Lorsque le crédirentier est marié, il est cou-
rant que la rente viagère soit réversible sur la tête du survivant.
SECTION I
CONDITIONS
La rente viagère dépend de deux éléments : la « tête » de celui sur lequel elle est
constituée (§ 1) et son taux (§ 2).
§ 1. TÊTE
La « tête » de la rente pose deux problèmes. Sur la tête de qui la rente peut-elle
être constituée, c’est-à-dire quelle est la personne dont la durée de vie détermine
la durée de la rente ? (I). Quand, en raison de sa tête, la rente manque-t-elle d’aléa
et donc de cause ? (II)
3. La littérature voit habituellement dans le débirentier un aigrefin sans scrupule exploitant d’hon-
nêtes et pauvres vieillards. Par exemple, le conte de Maupassant « Le petit fût », où maître Chicot (un
gros propriétaire cauchoix) avait acheté moyennant rente viagère la ferme de la mère Magloire ; au
bout de deux ans, trouvant un peu longue l’exécution de la vente, il lui offrit un petit fût de calvados ;
l’hiver suivant, la mère Magloire mourut, et le conte s’achève en oraison funèbre sur le mot de maître
Chicot : « C’te manante, si alle s’était point boissonnée, elle en avait bien pour dix ans de plus. »
CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE 615
995. Moins de vingt jours ? – Dans le cas de l’article 1975, ce qui annule le
contrat n’est pas tellement que le vendeur soit mort presque aussitôt le contrat
conclu ; c’est un aléa dont profite le débirentier, de même qu’il aurait, inverse-
ment, supporté la longévité de son contractant. Ce qui vicie le contrat est que le
vendeur était, lors du contrat, à la connaissance de l’acheteur ou non, atteint
d’une maladie qui l’a fait mourir moins de vingt jours après : il n’y avait pas
d’aléa. Sans doute aussi il y a un calcul assez louche de l’acheteur qui « caresse
l’espoir et calcule la proximité de la mort »9. La règle existait déjà dans l’Ancien
droit, mais c’était le juge qui, cas par cas, selon la durée, la gravité et l’apparence
de la maladie, appréciait le caractère aléatoire de la vente. Pour mettre fin au
pouvoir du juge, source d’incertitudes, le Code civil a chiffré le délai à vingt jours.
10. Cass. civ. 3e, 3 octobre 1968, Bull. civ. III, no 362 ; D. 1969.81 ; RTD civ. 1969.142, obs.
G. Cornu : « La réalisation de la condition oblige à se reporter pour déterminer la situation respective
des parties au jour où l’engagement conditionnel est intervenu » : en l’espèce, il s’agissait d’une vente
dont le prix était, partie un capital, partie une rente ; elle était subordonnée à la condition que le capi-
tal fût payé dans le mois suivant « la conclusion du contrat » ; le crédirentier décéda plus de vingt jours
après la signature de l’acte, moins de vingt jours après le paiement du prix ; jugé que la vente était
valable. * Cass. civ. 3e, 18 décembre 2002, Bull. civ. III, no 270 ; Defrénois 2003.849, obs.
R. Libchaber : lorsque l’acte authentique de vente a été précédé d’une promesse synallagmatique de
vente sous signature privée, le délai court du jour de la promesse, la date de la promesse étant oppo-
sable au légataire universel, qui n’est pas un tiers au sens de l’article 1328.
11. Supra, no 228.
12. Cass. civ. 1re, 21 octobre 1969, Bull. civ. I, no 307 ; JCP G 1970.II.16159, n. R. Lindon ; RTD civ.
1970.374, obs. crit. G. Cornu.
13. * Cass. civ. 1re, 2 mars 1977, épx Desangles, Bull. civ. I, no 115 ; Defrénois 1977, art. 31582,
no 11, p. 1597, obs. J.-L. Aubert. « L’article 1975 n’interdit pas de constater, pour des motifs tirés du
droit commun des contrats, la nullité d’une vente souscrite moyennant le versement d’une rente via-
gère, même quand le décès du crédirentier survient plus de vingt jours après la conclusion de la vente ;
ainsi en est-il lorsque l’acquéreur n’ignorait pas, le jour de la conclusion de cette vente, que le décès
du vendeur était imminent, ce qui enlevait tout caractère aléatoire à la vente dont le prix n’était plus
réel ni sérieux ».
14. Ex. : Le vendeur était... le médecin de l’acquéreur... (rapp. Cass. civ. 3e, 2 février 2000, préc.), ...
son gérant, ... son voisin. Le seul fait que le vendeur ait eu un âge avancé (79 ans) ne suffit pas, par lui
seul, à effacer le caractère aléatoire du contrat : Cass. civ. 1re, 23 juin 1981, Bull. civ. I, no 231 ; Defré-
nois 1982, art. 32915, no 49, p. 1091, obs. J.-L. Aubert.
15. Ex. : Cass. civ. 1re, 7 décembre 1983, Bull. civ. I, no 290 ; D. 1984.563, n. L. Mayaux ; Defrénois
1984, art. 33405, n. J.-M. Olivier ; RTD civ. 1985.184, obs. J. Patarin : « Le contrat n’avait pas un carac-
tère aléatoire [...] (une telle clause) avait pour effet de faire échec aux règles successorales en privant le
vendeur de toute liberté ultérieure de disposer d’une partie de sa créance, ladite clause constituant dès
lors un pacte de succession future en ce qu’elle attribuait à l’acheteur un droit privatif sur une créance
qui appartenait normalement à la succession ».
CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE 617
vendeur de tout droit sur le prix16 ; cette dernière qualification est discutable, car une rente via-
gère véritable, dont la licéité n’eût pas été discutable, aurait produit le même effet. En réalité, le
contrat était privé d’aléa bien qu’il spéculât sur la durée de la vie humaine : l’acquéreur ne cou-
rait aucun risque de perte, le vendeur n’avait aucune chance de gain. Privée d’aléa, la vente, qui
s’affirmait et se voulait aléatoire, manquait de cause.
§ 2. TAUX
997. Liberté. – Le montant de la rente est fixé par les parties. Le principe est la
liberté, affirmée en termes vigoureux : « la rente viagère peut être constituée au
taux qu’il plaît aux parties contractantes de fixer » (art. 1976). La seule limite est
un plancher : les arrérages de la rente ne doivent pas, à peine de nullité du
contrat, être inférieurs aux revenus de la chose, parce que le contrat n’aurait
plus de caractère aléatoire17. Il ne s’agit pas seulement de liberté contractuelle,
mais aussi de la nature aléatoire de la rente : le taux de la rente varie d’un contrat
à un autre parce qu’il dépend de l’âge et de la santé du crédirentier.
999. 1º Indexation. – La rente viagère est un contrat successif parce que les
arrérages sont périodiquement payables pendant une période de temps. Lors-
qu’elle est en argent – la situation la plus fréquente –, elle subit l’effet de l’érosion
monétaire qui, rapidement, aboutit à déséquilibrer le contrat et à ne plus assurer
au crédirentier les revenus qu’il escomptait. Aussi les parties ont-elles pris l’habi-
tude d’indexer la rente.
Dans la rente viagère, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier accorde la liberté dans
le choix des indices, en raison du caractère alimentaire de la rente ; par exemple, une rente
viagère peut être indexée sur l’indice général des prix ou des salaires, indexations que le droit
commun des contrats interdit26. C’est au crédirentier qu’il appartient de procéder à la réévalua-
tion périodique27. Même indexée, une rente viagère peut être révisée par la loi ou par le juge.
1000. 2º Révision légale. – La rente viagère est l’un des contrats pour lesquels
la loi a exceptionnellement admis une révision. La règle générale est la condam-
nation de la théorie de l’imprévision : la force obligatoire du contrat interdit d’en
modifier l’économie si les parties ne sont pas d’accord pour le faire, même si
l’équilibre contractuel a été bouleversé par des circonstances que les parties ne
pouvaient prévoir28.
La loi (L. 25 mars 1949, modifiée à de très nombreuses reprises) a écarté cette
règle pour les rentes viagères, en raison de leur caractère alimentaire, sans vouloir
modifier leur équilibre initial29. C’est une loi complexe. Sa complexité a nui à son
effectivité30.
La loi a prévu deux mécanismes de révision.
L’un est automatique et forfaitaire à l’égard des rentes en nominal fixe, c’est-à-
dire pour les rentes en argent qui ne sont pas indexées : presque chaque année, la
loi de finances donne un barème de majoration, variant avec la date de naissance
de la rente, d’autant plus élevé que la rente est plus ancienne.
1001. Révision judiciaire. – En outre, la loi prévoit un mécanisme de correction judiciaire
des majorations forfaitaires – légales ou conventionnelles par l’effet d’une indexation –, afin de
tenir compte des fluctuations de la contrepartie qui proviennent des circonstances économi-
ques ; on ne doit pas tenir compte des accroissements de valeur imputables à l’acheteur.
L’idée qui justifie ce correctif est que la majoration de la rente devrait être parallèle aux fluctua-
tions de la contrepartie, ce qui constituerait une sorte de dette de valeur31. Le crédirentier
comptait sur les revenus de l’immeuble : la rente devrait augmenter au fur et à mesure qu’aug-
mentent les revenus. Mais à beaucoup d’égards le mécanisme de la correction judiciaire s’écarte
avait annulé la vente « pour prix vil et dérisoire » ; le pourvoi faisait valoir que la rente n’était qu’une
« modalité d’exécution du payement » et que le prix était réel, fut-il lésionnaire ; rejet du pourvoi : le
crédirentier était âgé de 85 ans et la rente représentait 1,09 % de la valeur réelle de l’immeuble.
26. Droit des obligations, coll. Droit civil.
27. P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 1997.159.
28. Droit des obligations, coll. Droit civil.
29. Cass. civ. 1re, 29 octobre 1984, Bull. civ. I, no 284 : cassation d’un arrêt qui, pour réviser une
rente, énonçait qu’elle avait été sous-estimée au départ.
30. H. MARIE, « La révision des rentes viagères constituées entre particuliers », th. Paris, Lib. journ.
not. et avoc. 1980 ; BERGEL, « La révision judiciaire des rentes viagères entre particuliers », RTD civ.
1973.45 ; M. MOREAU, « La majoration de la rente viagère en cas d’aliénation de la contrepartie »,
RTD civ. 1977.389.
31. Droit des obligations, coll. Droit civil.
CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE 619
de la dette de valeur : la correction judiciaire ne peut intervenir qu’une seule fois, doit être par-
tielle et peut être individualisée.
1) La loi ne prévoit cette correction judiciaire qu’une seule fois par contrat. Sans doute, a-t-
elle voulu éviter la multiplication du contentieux ; dans d’autres cas, elle n’a pourtant pas eu ce
scrupule, sans que, pour autant, les inconvénients aient été très sensibles ; ainsi, la révision judi-
ciaire des baux commerciaux peut être triennale.
2) La correction doit être partielle : elle ne peut jouer qu’à concurrence de 75 % (art. 2 bis,
al. 2) ; la politique législative est que l’érosion monétaire ne doit pas être exclusivement à la
charge d’une partie.
3) Elle peut être individualisée par le juge ; le tribunal possède, et de deux manières, un pou-
voir de modération : en premier lieu, il peut fixer la majoration en tenant compte des « intérêts
en présence » et notamment des intérêts sociaux et familiaux (art. 2 bis, al. 2, in fine) ; en second
lieu, il peut faire une remise totale ou partielle de la majoration au débiteur pour tenir compte de
sa situation personnelle (art. 4, al. 3, in fine, et 4 bis, al. 2). Dispositions curieuses, où l’étendue
d’une dette dépend des facultés respectives des parties, ce qui n’a guère de précédents, sauf
l’obligation alimentaire, et l’analogie n’est pas fortuite.
Ces révisions de la rente viagère, imposées par la loi, et surtout le pouvoir de correction
conféré au juge sont insolites dans notre droit. On y a parfois vu une révision du contrat pour
cause d’imprévision, ce qui est inexact, puisque le mécanisme s’applique même lorsqu’il y a
une indexation conventionnelle et que les parties ont alors prévu la dépréciation monétaire et
organisé l’adaptation de la rente ; la Cour de cassation a en effet décidé que peu importe la
volonté des parties, car le seul objet de la révision judiciaire est d’assurer la proportionnalité
de la rente à la valeur du bien aliéné32 ; il s’agit, en d’autres termes, d’une dette de valeur,
mais d’une quasi-dette de valeur qui peut avorter, puisque la révision judiciaire ne peut avoir
lieu qu’une seule fois.
La révision judiciaire de la rente n’entraîne pas novation de la dette par changement d’objet33,
pas plus que la cession du bien contre reprise de la rente n’entraîne novation par changement de
débiteur. Deux conséquences en résultent. D’une part, le cédant reste tenu de la rente et des
majorations34, sauf s’il a été libéré par le crédirentier, ce qui est l’application des règles gouver-
nant la cession de dette35. D’autre part, même si le crédirentier a libéré le cédant, la rente conti-
nue à avoir pris naissance à la date de sa constitution, non à celle de l’aliénation du bien, ce qui
est important afin de déterminer le taux de la majoration légale36.
SECTION II
PAIEMENT DE LA RENTE
1002. Extinction. – Le débirentier a pour obligation de payer les arrérages de la rente : il ne
peut s’en libérer en payant au créancier le capital représentatif de la rente (art. 1979) : le
« rachat » d’une rente viagère n’est possible que s’il y a accord des parties. Si onéreux soit le
service de la rente, le débiteur est donc tenu de la continuer jusqu’à la mort du créancier. Ce
qui est la conséquence et de la force obligatoire du contrat et de son caractère aléatoire.
En conséquence de son caractère viager, la rente s’éteint à la mort de la personne sur la tête
de laquelle elle est constituée. Les héritiers peuvent en revanche réclamer les arrérages impayés,
32. Cass. civ. 1re, 25 mars 1969, Bull. civ. I, no 126 ; D. 1969.469, n. Sornay ; JCP G 1969.II.15919,
concl. R. Lindon ; RTD civ. 1970.376, obs. G. Cornu : « Le législateur a admis comme un principe
qu’en toute circonstance la rente devait rester proportionnée à la valeur du bien aliéné ».
33. Lyon, 22 mars 1978, JCP G 1980.II.19394, n. H. Marie.
34. Cass. civ. 1re, 21 juin 1967, Bull. civ. I, no 230 ; D. 1967.545, n. A. Breton : « En cas d’aliénation
par le débirentier des biens constituant la contrepartie de la rente, sans que l’acquéreur se soit engagé
à assumer la charge de celle-ci, le débirentier ne peut opposer cette aliénation au crédirentier et reste
seul débiteur envers lui de la rente et de sa majoration ».
35. Droit des obligations, coll. Droit civil.
36. Cass. civ. 1re, 20 novembre 1967, Bull. civ. I, no 335.
620 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
37. Jurisprudence constante : ex. : Cass. civ. 3e, 13 juillet 1999, Bull. civ. III, no 175 ; Defrénois
2000.476, n. Y. Dagorne-Labbé : « en sa qualité d’héritière (des créanciers), Mme Simone Dubouchez,
qui se trouvait investie de tous les droits et actions de la défunte, était recevable à agir en restitution,
des loyers indûment perçus par M. Henri Dumas » : en l’espèce, les parents de Mme S. B. avaient
vendu leur immeuble moyennant rente viagère avec réserve d’usufruit ; ils décédèrent ; leur fille
demanda le paiement des arrérages impayés et la restitution des loyers que les acquéreurs avaient
indûment perçus pendant que les vendeurs n’occupaient pas les lieux.
38. Il suffit que cette preuve rende vraisemblable qu’est vivant celui sur la tête duquel la rente est
constituée : Cass. civ. 1re, 12 janvier 1994, Bull. civ. I, no 22 ; JCP G 1994.II.22331, n. crit. Y. Dagorne-
Labbé : en l’espèce, la preuve laissait « présumer que celui-ci était en vie ».
39. Cass. civ. 1re, 9 novembre 1976, Bull. civ. I, no 340.
40. N. RTD civ. 1960.497.
41. Ex. : Cass. civ. 3e, 10 novembre 1992, Bull. civ. III, no 294 ; JCP G 1993.II.22136 : « Les disposi-
tions de l’article 1978 n’étant pas d’ordre public, il peut y être dérogé par une clause stipulant, sans
équivoque, la faculté pour le crédirentier de faire prononcer la résolution du contrat en cas de non-
paiement de la rente ».
42. La clause prévoit à peu près constamment que la résolution aura lieu de plein droit ; elle ajoute,
tantôt – c’est le système le plus rigoureux – : « Sans mise en demeure, par le seul fait du non-paiement
d’un arrérage » ; tantôt – c’est un système plus modéré – : « par le seul fait du non-paiement d’un arré-
rage suivi d’une mise en demeure infructueuse, à la volonté du crédirentier, sans autre formalité judi-
ciaire » ; le crédirentier peut y renoncer et agir en résolution : Cass. civ. 3e, 8 juin 2006, Bull. civ. III,
no 143 ; Defrénois 2006.1495, n. Y. Dagorne-Labbé.
43. Ex. : Cass. civ. 3e, 8 avril 1987, Bull. civ. III, no 88 ; Defrénois 1988, art. 34202, no 15, p. 375,
obs. J.-L. Aubert. En l’espèce, le crédirentier s’était abstenu pendant plus de dix ans de réclamer le
payement de la rente, en raison des liens affectifs qu’il avait avec le débirentier ; puis, brusquement,
en raison des dissensions dans le ménage du débirentier, il a réclamé son payement et a invoqué la
clause résolutoire. Jugé « que la clause résolutoire n’avait pas été invoquée de bonne foi » ; supra,
no 510.
CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE 621
SECTION III
BAIL À NOURRITURE
1004. Pas une rente viagère. – Le bail à nourriture est un contrat par lequel une
personne (le bailleur à nourriture) s’engage à pourvoir aux besoins vitaux (nourri-
ture, entretien, logement et santé)48 d’une autre (le preneur à nourriture) ; la
contrepartie est, soit un capital en argent, soit une redevance périodique, soit
l’aliénation d’un bien. Seule cette dernière hypothèse sera retenue. Ce n’est pas
une vente moyennant rente viagère, puisque la contrepartie du transfert de pro-
priété n’est pas une somme d’argent. Il constitue un contrat innommé, et son
régime a été fixé par la pratique et la jurisprudence.
Le contrat présente des analogies avec la rente viagère, non seulement dans ses caractères
successifs et alimentaires, mais surtout dans sa nature aléatoire encore plus accusée. L’aléa ne
tient pas seulement à la durée indéterminée de la prestation (la vie humaine) comme pour la
rente viagère, mais aussi à son importance, encore plus indéterminée, car elle dépend de l’âge
et de la santé du bailleur. Son autonomie tient surtout au caractère personnel de l’obligation, qui
en empêche la cession : un tiers ne peut se substituer au preneur du bail à nourriture, alors qu’un
tiers (par exemple, une compagnie d’assurances) peut reprendre la rente due par le débirentier,
ce qui est de pratique courante.
44. Ex. : Cass. civ. 1re, 15 juin 1994, Bull. civ. I, no 217 ; JCP G 1995.I.3828, nos 11 et s., obs.
Chr. Jamin : « Si l’action en résolution du contrat de rente viagère, ouverte au crédirentier par une sti-
pulation dérogatoire à l’article 1978, est transmissible à ses héritiers, c’est, à la condition qu’il (le cré-
direntier) ait, de son vivant, accompli les formalités prévues par cette clause ».
45. Cass. civ. 3e, 24 février 1999, Bull. civ. I, no 54 ; Defrénois 1999.983, n. Y. Dagorne-Labbé ; en
l’espèce, l’acte de vente contenait une « résolution de plein droit » ; la cour d’appel en avait déduit la
résolution de plein droit pour défaut de payement des arrérages ; cassation : « la clause résolutoire avait
pour seul objet de permettre au crédirentier de demander en justice le prononcé de la résolution ».
46. Ex. : Cass. civ. 3e, 28 mai 1986, Bull. civ. III, no 84 ; RTD civ. 1987.363, obs. Ph. Rémy : « L’arti-
cle 1978 n’est pas applicable en cas de défaut de paiement de la partie du prix payable en capital » :
La solution est la même lorsque la vente est convertie en rente : la clause résolutoire reste valable :
Cass. Ass. plén., 4 avril 2008, Bull. civ. Ass. plén., no 1 ; JCP G 2008.II, n. R. Wintgen ; Defrénois
2008.1829, n. Y. Dagorne-Labbé ; RDC 2009.151, obs. S. Pimont.
47. Cass. civ. 3e, 11 avril 1973, Bull. civ. III, no 280 : « Les juges d’appel qui ont décidé que les arré-
rages de la rente déjà versés demeureraient acquis au vendeur ont, en fixant ainsi dans la limite de leur
pouvoir souverain les modalités et l’étendue de leur réparation, constaté l’existence du préjudice subi
par celui-ci ».
48. La définition des besoins vitaux donnée par la jurisprudence est rigoureuse : ex. Cass. civ. 1re,
20 février 2008, no 06-19977, Bull. civ. I, no 56 ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. no 150,
n. L. Leveneur ; D. 2009.276, n. L. Saenko ; Defrénois 2008.1351, n. E. Savaux et 1699,
n. Y. Dagorne-Labbé ; JCP G 2008.IV.1559 ; RDC 2009. 549, obs. A. Bénabent : « un contrat qui ne
met pas à la charge de l’acquéreur l’obligation d’assurer la subsistance du vendeur, mais l’obligation
d’assurer deux promenades hebdomadaires, de lui procurer l’habillement nécessaire et d’assurer le
suivi de sa correspondance ne constitue pas un bail à nourriture mais un contrat de vente qui peut
être résolu pour vileté du prix ».
622 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
À cause de son affinité avec elle, le bail à nourriture peut parfois se transformer
en vente moyennant rente viagère.
Le juge jouit d’un assez grand pouvoir d’appréciation ; par exemple, selon que l’acquéreur
locataire a ou non des revenus suffisants afin de payer une rente ; si l’exécution du bail à nour-
riture est devenue impossible par suite de la mésentente entre les parties, le juge prononcera ou
la conversion du bail en vente moyennant rente viagère ou sa résolution pour cause
d’inexécution52. Ce pouvoir est difficile : c’est par rapport aux prestations en nature qui étaient
initialement dues que le juge devra apprécier l’équivalence de la rente53 ; or, il est difficile de
chiffrer une obligation aussi aléatoire : la santé du bailleur peut s’altérer et ses besoins s’accroî-
tre. Apparaît ainsi, liée au pouvoir d’appréciation du juge, une révision judiciaire pour cause
d’imprévision que le droit commun interdit à tous les autres contrats, sauf disposition spéciale.
1º Quant à la nullité, le principe est que ne lui sont en théorie applicables ni l’article 1975
(nullité en cas de décès dans les vingt jours du créancier)54, ni la nullité pour défaut de cause55
ou vileté de prix56, ni la rescision pour cause de lésion57, parce que le contrat est aléatoire. La
règle est injuste et se fonde sur la pure technique. Le principe est en recul et la jurisprudence
récente l’écarte souvent : lorsque le bailleur était très âgé58 ou très malade59 ou que les revenus
de la chose étaient suffisants pour couvrir l’obligation du preneur60 ou qu’il y avait à la fois un
bail à nourriture et une rente viagère qui était l’obligation principale. Il en est de même, lorsque
le prix est dérisoire et que des éléments objectifs permettent d’écarter le principe selon lequel
« l’aléa chasse la lésion »61.
2º Quant à la résolution, la jurisprudence interprétant restrictivement l’article 1978 refuse de
l’appliquer au bail à nourriture. Par conséquent, lorsque le locataire n’exécute pas ses obliga-
tions, le juge peut, même en l’absence de clause résolutoire, résoudre le contrat62.
3º L’obligation du bailleur (notamment l’hébergement et les soins) ayant en général un carac-
tère personnel très accusé, aucune substitution de personnes n’est possible. La jurisprudence en
a tiré plusieurs conséquences ; d’abord, sur le droit de préemption ; par exemple le droit de
préemption du fermier, qui s’exerce même si la vente est faite moyennant rente viagère, ne
peut jouer en cas de bail à nourriture63. L’action n’est pas transmissible aux héritiers du
créancier64. Puis sur la résolution : la cessation par le débiteur de l’exécution personnelle de
ses obligations est une cause de résolution65.
56. Ex. : Cass. civ. 1re, 26 avril 1988, Bull. civ. I, no 121 : « Le bail à nourriture étant, en principe,
aléatoire, les juges du second degré, qui n’ont pas exclu l’existence d’un tel aléa, en ont justement
déduit que le contrat litigieux échappait à l’action en nullité pour vileté du prix ».
57. Req., 6 mai 1946, D. 1946.287 : « Le prix convenu se composant surtout de prestations telles
que l’entretien du vendeur dans le sens le plus large, et l’obligation de le soigner tant en santé qu’en
maladie, la vente comportait pour chacune des parties un aléa certain et pour ce motif [...] l’action en
rescision devait être rejetée ».
58. Cass. civ. 1re, 21 janvier 1957, Bull. civ. I, no 33 : « La cour d’appel déclare à bon droit inappli-
cable en l’espèce l’article 1975 ; tenant compte de l’âge avancé du vendeur et de son état de maladie
grave, dont elle relève qu’il était de nature à laisser prévoir sa fin prochaine, survenue, de fait, peu de
temps après, elle constate qu’en l’absence d’aléa, le prix stipulé était dérisoire et la vente nulle par
application de l’article 1591 ».
59. Cass. civ. 1re, 4 juin 1957, Bull. civ. I, no 257 ; D. 1958.79, n. Ph. Malaurie : « En omettant [...] de
rechercher [...] si [...] le revenu de la chose vendue était suffisant pour l’exécution des engagements
contractés envers le vendeur, sans que les acquéreurs eussent eu aucune chance de perte (sic) à cou-
rir, ni aucun sacrifice à faire en définitive de leurs propres deniers, ce qui était de nature à établir
l’absence de prix alléguée, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».
60. Cass. civ. 1re, 4 juin 1971, Bull. civ. I, no 179 ; JCP G 1971.II.16884.
61. Cass. civ. 3e, 16 décembre 1998, Defrénois 1999.983, n. Y. Dagorne-Labbé ; D. 2000.504,
n. M.-C. Cauchy-Psaume ; en l’espèce, la cour d’appel avait décidé qu’il n’y avait pas de prix dérisoire,
parce que le prix n’était pas lésionnaire ; cassation : le vendeur avait demandé la « nullité de la vente
pour vileté du prix ».
62. Cass. civ. 1re, 8 février 1960, Bull. civ. I, no 85 ; D. 1960.197 ; RTD civ. 1960.497, obs.
J. Carbonnier : « Si aux termes de l’article 1978, le seul défaut de payement des arrérages par le débi-
rentier dans un contrat de rente viagère, n’autorise pas le crédirentier à rentrer dans le fonds par lui
aliéné, cette disposition, strictement exceptionnelle, ne saurait être étendue en dehors du cas précis
qu’elle prévoit ; en l’espèce, l’acheteur d’une nue-propriété, qui devait, en contrepartie, fournir au
vendeur le logement et l’entretien de sa personne, n’ayant pas rempli ses engagements, le vendeur
était en droit de demander à la cour d’appel de résoudre le contrat ».
63. Cass. civ. 3e, 8 mars 1983, Bull. civ. III, no 69 : « Le bail à nourriture ainsi conclu intuitu personae
échappait au droit de préemption du preneur ».
64. Cass. civ. 1re, 19 septembre 2007, Defrénois 2008.1212, n. Y. Dagorne-Labbé ; n.p.B.
65. Cass. civ. 1re, 17 décembre 2002, Bull. civ. I, no 306 ; RTD civ. 2003.291, obs. J. Mestre et
B. Fages ; en l’espèce, les bailleurs à nourriture, après la conclusion du contrat, étaient partis pour
l’île de la Réunion ; à la demande des preneurs, le contrat a été résolu ; pourvoi : « le caractère person-
nel de leur obligation n’impliquait pas leur présence personnelle aux côtés du créancier, pas plus
qu’elle n’excluait que leur obligation ne puisse être assurée par des tiers ». Rejet du pourvoi : « la réso-
lution s’impose à défaut par les débiteurs de l’exécution personnelle de leurs obligations » ; crit.
Fl. MILLET, « Le bail à nourriture ou la vie privée dans le commerce », JCP G 2004.I.116.
n LIVRE VI n
1098. Plan. – La transaction a l’effet le plus radical, puisqu’elle met fin au litige
(Titre I). Les conventions d’arbitrage (clause compromissoire, compromis) en orga-
nisent le règlement par un juge privé, l’arbitre (Titre II).
1. J. JOLY-HURARD, Conciliation et médiation judiciaires, th. Paris II, PUAM, 2003, propose de les éri-
ger en une nouvelle catégorie, les « contrats de pourparlers judiciaires » et les oppose à la transaction,
os
n 631 et s., ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas toujours de concessions réciproques dans leur cas ;
L. CADIET, « Liberté des conventions et clauses relatives au règlement des litiges », LPA, 5 mai 2000,
p. 30 et s. ; « Une justice contractuelle », in Ét. J. Ghestin, LGDJ, 2001, pp. 177 ; Th. CLAY, « Transaction
et autres contrats relatifs aux litiges » in La transaction dans toutes ses dimensions, ouvr. coll. Dalloz,
2006, p. 13 et s. ; L. CADIET et Th. CLAY, Les modes alternatifs de règlement des conflits, Dalloz, 2016.
2. V. cep., M. DE FONTMICHEL, Le faible et l’arbitrage, Economica, 2013.
n TITRE I n
TRANSACTION
1. Étymologie de transaction : du latin transactio, onis, qui vient du verbe transigo, ere = mener à
bonne fin, régler une affaire, mettre un terme, lui-même dérivé de trans = à travers + ago, ere = pousser
devant soi. La transaction met un point final au litige. Biblio. : L. BOYER, La notion de transaction, th.
Toulouse, Sirey, 1947 ; R. MERLE, Essai de contribution à la théorie générale de l’acte déclaratif, th.
Toulouse, Rousseau, 1948 ; B. PONS, Contrat de transaction, Solutions transactionnelles, Dalloz Réfé-
rence 2014-2015 ; Ch. BOILLOT, La transaction et le juge, PU Clermont-Ferrand, 2003, préf. P. Le
Cannu ; L. POULET, Transaction et protection des parties, LGDJ, 2005.
2. Jhering avait vilipendé la transaction : « transiger sur un droit bafoué, afin de s’épargner les ennuis
et les frais d’un procès, c’est déserter devant un combat nécessaire ». La lutte pour le droit, traduct.
O. De Meulenaere.
3. F. BOULAN, « La transaction douanière, Études de droit pénal douanier », Ann. Fac. dr. Aix, 1968,
p. 219 et s.
4. J.-P. CHAUCHARD, « La transaction dans l’indemnisation du préjudice corporel », RTD civ. 1989,
p. 1-39.
628 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
qui a son particularisme ; ainsi, l’absence de concessions réciproques ne la remet pas en cause,
ce qui lui donne une plus grande sécurité5. Sur ce modèle, des lois postérieures (L. 9 décembre
1986 et 6 juillet 1990) ont imposé la même obligation au Fonds de garantie des victimes des
actes de terrorisme et d’autres infractions.
Le Premier ministre a recommandé à l’Administration de recourir plus souvent à la transac-
tion, qui constituerait « un élément de la qualité du service public »6. Le droit judiciaire privé
développe la transaction, à laquelle il consacre plusieurs textes (spéc. C. pr. civ., art. 1567)7.
Elle existe également en matière pénale (C. civ., art. 2046, C. proc. pén., art. 41-1-1)8 ; elle est
par exemple un des instruments favoris des Douanes et de l’Administration fiscale, en matière
d’infractions douanières (v. C. proc. pén., not. art. 6, al. 3), ou bien dans les médiations pénales9.
Mais ce sont les règles du Code civil qui s’appliquent pour l’essentiel, notamment sur son exé-
cution et son interprétation10.
1100. Plan. – Causée par l’existence d’un litige, elle est un contrat original
(Chapitre 1). Sa formation (Chapitre 2) et ses effets (Chapitre 3) relèvent du droit
des obligations contractuelles tout autant que du droit judiciaire privé, notamment
de la théorie de l’action en justice.
5. Cass. civ. 2e, 16 novembre 2006, Bull. civ. II, no 320 ; JCP G 2007.II.10032, n. approb.
L. Mayaux ; RLDC 2007, no 2439, obs. D. Baugerard ; RDC 2007.671, obs. C. Pérès ; RGDA 2007.
565, chron. L. Poulet : « la loi du 5 juillet 1985 [...], d’ordre public, dérogatoire au droit commun, qua-
lifie de transaction la convention, qui se forme lors de l’acceptation par la victime de l’offre de l’assu-
reur et cette transaction ne peut être remise en cause à raison de l’absence de concessions récipro-
ques ».
6. Circulaire du 6 février 1995, JO du 15 février 1995 ; JCP G 1995.III.67306.
7. E. SERVERIN et al., Transactions et pratiques transactionnelles, Economica, 1987, p. 61-138.
8. Ex. : pour une transaction avec la partie civile : Cass. crim., 25 novembre 2015, nº 14-84985,
Bull. crim. à paraître ; D. 2015. 2503.
9. J.B. PERRIER, La transaction en matière pénale, thèse LGDJ 2014 ; Ex. : Cass. civ. 1re, 10 avril 2013,
no 12-13672, Bull. civ. I no 80 ; D. 2013. 1663, note J.B. Perrier : un procès-verbal de médiation pénale
« constitue une transaction qui, en dehors de toute procédure pénale, tend à régler tous les différends
qui s’y trouvent compris... » (renonciation d’un concubin à porter plainte contre l’autre pour violences,
en contrepartie d’engagements pécuniaires de ce dernier).
10. V. WESTER-OUISSE, Conventions et juridiction pénale, thèse Nantes, 1999, nos 404 et s.
11. P.-Y. GAUTIER, Les sources du droit de travail, ouvrage coll., PUF, 1998, p. 142 et s. ; X. LAGARDE,
« Les spécificités de la transaction consécutive à un licenciement », JCP G 2001.I.337 ; L. PIZZIO-DELA-
PORTE, « De la transaction prévue par le Code civil » in 1804-2004 Le bicentenaire du Code civil, Dal-
loz, 2004, p. 598 et s.
12. Propositions en vue de la réforme du Titre XV, rapport au ministère de la Justice, Centre Louis-
Josserand, Univ. Lyon-III, La Documentation française, 2014 ; Th. CLAY, JCP G 2014, nº 492.
13. L. MAYER, RTD civ. 2014. 523.
n CHAPITRE I n
NOTION DE TRANSACTION
SECTION I
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
L’article 2044 énumère les trois éléments constitutifs de la transaction : une convention, une
contestation née ou à naître et la volonté de terminer ou de prévenir cette contestation. S’y
ajoute la nécessité de concessions réciproques.
La volonté des parties est de mettre fin à une contestation déjà née ou de prévenir celle qui est
à naître. Cet objectif donne à la transaction une place particulière parmi les contrats : elle n’a
pour finalité ni d’assurer la circulation des richesses, l’exploitation d’un bien ou un service, ni de
consentir à autrui un avantage purement gratuit (art. 1107). Il s’agit d’un contrat à titre onéreux et
commutatif3 dans lequel l’échange des prestations est destiné à éteindre un litige. Peu importe
que le contrat ne soit pas expressément qualifié de transaction, le juge le requalifiera le cas
échéant4. Comme l’arbitrage, la transaction est en général secrète, les parties insérant le plus
souvent des clauses de confidentialité ; dans les affaires, plus encore qu’ailleurs, les contractants
ne doivent pas perdre la face.
1. Infra, no 1116.
2. Infra, no 1119.
3. L. BOYER, op. cit., supra, no 1100, p. 75 ; S. NEUVILLE, « La transaction suspecte », D. 2000, chron.
571, qui en tire les conséquences au regard des nullités de la période suspecte dans les faillites
(C. com., art. L. 632-1).
4. Cass. civ, 1re, 9 juillet 2003, Bull. civ. I, no 174 ; JCP G 2003.II.10171, n. R. Desgorces.
630 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
11. Ex. : Cass. civ. 1re, 4 février 1976, Bull. civ. I, no 56. La transaction était souvent simulée, en
matière de partage, afin d’échapper aux lourdeurs du partage judiciaire en présence d’un mineur,
avant la réforme de l’article 466 ; ou à l’action en rescision pour lésion de plus du quart ; infra,
no 1108.
12. Ex. : Cass. soc., 3 février 1983, Bull. civ. V, no 81 : en l’espèce, les locataires-gérants d’une sta-
tion-service avaient reçu, au moment de la résiliation amiable de leur contrat, une indemnité contre la
renonciation à toute prétention pouvant résulter du contrat résilié ; une cour d’appel a estimé que cet
acte n’était pas une transaction « puisque n’apparaissent nulle part des éléments d’une contestation et
de concessions réciproques » ; cassation : « Cet acte, qui était dépourvu de toute ambiguïté, était des-
tiné à prévenir une contestation à naître et contenait des concessions réciproques ».
13. Cass. soc., 21 mai 1997, Bull. civ. V, no 185 ; JCP G 1997.II.22926, n. F. Jacquet : « Vu les
art. 1134, 2044 et 2052 ; [...] l’existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité
d’une transaction, doit s’apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature
de l’acte ; si, pour déterminer si ces conditions sont réelles, le juge peut restituer aux faits, tels qu’ils ont
été énoncés par l’employeur dans la lettre de licenciement, leur véritable qualification, il ne peut sans
heurter l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction
avait pour objet de clore en se livrant à l’examen des éléments de fait ou de preuve ; en se livrant à
l’examen des faits pour apprécier le caractère de gravité de la faute invoquée par l’employeur, la cour
d’appel a violé les textes susvisés ». Sauf si la fantaisie ou le mensonge étaient trop flagrants.
14. P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 1997.693. Ex. : Cass. soc., 6 mai 1998, Bull. civ. V, no 228 : « la
cour d’appel, qui a constaté qu’il résultait de l’exposé préliminaire de l’acte transactionnel comme
de son texte lui-même que les parties n’avaient pris en considération que leurs divergences sur la rup-
ture et les indemnités y afférentes, sans faire la moindre référence à la clause de non-concurrence et à
sa contrepartie, a pu en déduire que cette clause n’était pas dans l’objet de la transaction ».
15. L. BOYER, op. cit., supra, no 1100.
16. Ex. : Cass. com., 2 octobre 2001, Bull. civ. IV, no 157 ; D. 2001.3119, n. A. Lienhard : les parties
ont « fait l’économie d’une procédure judiciaire, dont l’issue était aléatoire ».
632 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
transaction interdit au juge. On dit, donc, que la concession est une renonciation
à une prétention, pas forcément à un droit. Mais si la prétention est manifestement
fantaisiste, ou impossible, il n’y a pas de concession.
L’article 2044 ne mentionnait pas cet élément essentiel que la jurisprudence s’est chargée de
réintroduire17. Le projet de loi pour la Justice du XXIe siècle le codifie (art. 2044 nouveau). Sans
concessions réciproques, pas de transaction : ainsi en serait-il... d’une renonciation par le seul
salarié à une indemnité de licenciement, alors que l’employeur ne renonce à rien18... de la pré-
tendue renonciation d’une entreprise au paiement d’un surplus de travaux, alors que son client
s’est déjà engagé à en payer une partie et ne renonce à aucun droit19.
17. Sur l’historique, P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 1992.783 ; Ch. JARROSSON, D. 1997, chron. 267.
V. égal. B. FAGES, « Équilibre et transaction » in La transaction dans toutes ses dimensions, ouvr. coll.
Dalloz, 2006, p. 53 s. ; contra, Cass. civ. 2e, 16 novembre 2006, supra no 1099.
18. * Ex. : Cass. soc., 3 avril 1990, sté Clause, Bull. civ. V, no 153 : « Après avoir retenu, hors toute
dénaturation, que la convention avait été conclue après que la décision de licenciement ait été prise à
l’encontre du salarié, la cour d’appel a pu estimer qu’elle n’emportait pas la rupture amiable du
contrat de travail ; ayant alors relevé qu’afférente aux conditions de règlement des conséquences du
licenciement ainsi décidé, ladite convention ne comportait de concessions qu’à la charge du salarié
qui, sans contrepartie, renonçait à une part importante des indemnités conventionnelles auxquelles il
pouvait prétendre, elle a, à bon droit, décidé qu’elle ne constituait pas une transaction interdisant au
salarié de faire valoir ses droits ».
19. Cass. com., 22 novembre 1988, Bull. civ. IV, no 320 : en l’espèce, à la suite d’un désaccord entre
le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur sur le décompte final des travaux, l’entrepreneur avait fait
accepter par le maître une lettre de change représentant le montant partiel des sommes réclamées,
qu’il endossa. Jugé qu’il n’y avait pas eu de transaction en l’absence d’une concession du maître de
l’ouvrage « lequel s’était déjà engagé irrévocablement, par l’acceptation de la lettre de change, à payer
la somme portée sur cet effet, et dès lors que (l’entrepreneur), en endossant la lettre de change, n’avait
fait qu’exécuter le droit qui lui avait été conféré par ce titre ».
20. Ex. : * Cass. civ. 1re, 6 décembre 2007, Bull. civ. I, no 383 ; Contrats, conc. consom. 2008, no 90,
n. L. Leveneur ; Defrénois 2008.693, obs. R. Libchaber ; Dr. et patr., mai 2008, p. 93, n. L. Aynès et
Ph. Stoffel-Munck : en l’espèce, un pêcheur à pied avait été indemnisé par un Fonds mis en place à
la suite de la marée noire de l’Erika : la victime a perçu nettement moins que ce qu’elle réclamait, mais
a évité une « procédure longue et coûteuse », outre qu’elle n’établissait pas toute la mesure du préju-
dice allégué ; jugé que la transaction était valable (notes crit. Libchaber et approb. Aynès).
21. Jurisprudence constante, ex. : Cass. soc., 13 mai 1992, Bull. civ. V, no 307 ; RTD civ. 1992.783,
obs. P.-Y. Gautier (le salarié perçoit une indemnité faible et qui lui est due, tout en restreignant sa
liberté de travail) ; Cass. soc., 5 janvier 1994, Bull. civ. V, no 1 : constitue une transaction, qui ne peut
être remise en cause sous le prétexte que les concessions réciproques seraient déséquilibrées, le
contrat conclu entre un employeur et son salarié licencié, par lequel celui-ci s’était engagé à une obli-
gation de non-concurrence et en contrepartie, l’employeur lui avait payé une indemnité. V. toutefois,
infra, no 1108.
22. Jurisprudence constante ; ex. : Cass. soc., 18 mai 1999, Bull. civ. V, no 223 : « Eu égard à son
montant, l’indemnité transactionnelle revêtait un caractère dérisoire et partant, ne constituait pas une
véritable concession, ce dont il résultait que la transaction était nulle ».
23. 1er ex. : litige sur le montant d’une indemnité : le créancier accepte de limiter sa prétention, et le
débiteur accepte de ne pas contester celle du premier en évaluant d’un commun accord l’indemnité.
NOTION DE TRANSACTION 633
1104. Tout est transaction ? – Le flou qui entoure la notion de litige – tout droit
subjectif peut être litigieux – ainsi que la souplesse qui caractérise les concessions
réciproques rendent souvent difficile l’identification de la transaction.
Cet impressionnisme juridique est la conséquence de l’élargissement progressif des concep-
tions en la matière. Initialement, la transaction était destinée à éliminer l’aléa du procès ; elle
impliquait que le droit litigieux fût douteux32 : la transaction était le contraire d’un jeu. Progres-
sivement, la jurisprudence a admis qu’un droit incontestable en son principe, comme celui qui
2e ex. : litige entre deux voisins sur l’exercice d’un droit de passage : en réglementant par leur conven-
tion celui-ci, chacun renonce à déduire en justice la totalité de sa prétention.
24. Ex. : Cass. civ. 3e, 4 décembre 1985, Bull. civ. III, no 161 : dans une procédure de préemption par
une SAFER, l’acheteur évincé renonce à contester la régularité de la préemption, moyennant rétroces-
sion d’une partie des biens préemptés.
25. Infra, no 1123.
26. Cass. com., 2 octobre 2001, D. 2001.3119, n. A. Lienhard : « La remise de dette, qui a un carac-
tère gratuit ou onéreux, peut être consentie lors d’une transaction ».
27. * Cass. Ass. plén., 24 février 2006, Soparco, Bull. civ. Ass. plén.. no 1 ; JCP G 2006.II.10065, avis
J. Cedras ; Defrénois 2006.973, chron. S. Becqué ; D. 2006.2057, obs. S. Chassagnard-Pinet et jur.
2076, n. Chr. Jamin ; RDC 2006.689, obs. Y.-M. Laithier : « La transaction est une convention ayant
entre les parties autorité de la chose jugée, stipulant des engagements réciproques interdépendants
dont la promesse de vente n’est qu’un élément, de sorte que l’art. 1840 A CGI (aujourd’hui C. civ.,
art. 1589-2, annulant les promesses unilatérales de vente sous seing privé non enregistrées dans les
dix jours) est sans application ». V. supra, no 115.
28. * Cass. com., 25 octobre 2011, no 10-23538, Bull. civ. IV, no 173 ; Rev. sociétés 2012.25, n. Th.
Massart ; RTD civ. 2012.128, n. P.-Y. Gautier : validité d’une transaction conclue entre un cédant du
contrôle d’une société, celle-ci et le cessionnaire, « situation d’interdépendance », les concessions du
cédant (abandon de sa créance de compte courant) bénéficient à la société cédée, mais aussi au ces-
sionnaire, dont la renonciation à la garantie de passif est ainsi causée, puisqu’il en jouit de façon
« indirecte ».
29. Cass. soc. 14 janvier 2014, nº 12-27284, JCP G 2014, nº 358, n. J.-B. Perrier, Bull. civ. V nº 6,
RTD civ. 2014.400, obs. P.-Y. Gautier : engagement de l’ex-salarié de ne pas dénigrer publiquement
l’ancien employeur.
30. Ex. : Cass. soc., 15 décembre 2010, Bull. civ. V, no 298 : rupture amiable d’un contrat de travail
sans concessions réciproques.
31. Cass. soc., 24 mai 2006, Bull. civ. V, no 189 : nullité de la transaction conclue par un salarié qui
remplissait les conditions légales pour rompre avant terme un contrat de travail. Cass. civ. 1re, 9 juillet
2003, Bull. civ. I, no 174 ; RDC 2004, p. 1033, obs. X. Lagarde ; contra : Cass. civ. 2e, 16 novembre
2006, cité supra, no 1099 : transaction prise en application de la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents
de la circulation.
32. BIGOT de PREAMENEU, Présentation du C. civ. au corps législatif, L. III, 1re partie : « dans la transac-
tion, tout était incertain avant que la volonté des parties l’eût réglé. Le droit était douteux, et on ne peut
pas déterminer à quel point il était concevable à chacune des parties de réduire sa prétention ou
même de s’en désister » ; le juge devra « vérifier si l’objet de l’acte était susceptible de doute ».
634 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
résulte d’un jugement définitif33, pût être matière à transaction ; il suffit qu’un litige sur l’exécu-
tion soit possible, ce qui est presque toujours le cas. La transaction change de visage et devient
un procédé conventionnel de mise en œuvre du droit34.
La transaction voisine alors avec la simple modification d’une obligation par la volonté des
parties35. À la différence de la transaction, celle-ci est destinée, non à éviter un litige, mais à
permettre la survie du contrat en l’adaptant à des circonstances nouvelles. La survie du contrat
peut être un moyen d’éviter un litige sur sa résolution36. Selon un auteur, le critère de la distinc-
tion entre les deux conventions réside dans la cause impulsive et déterminante des concessions
réciproques, c’est-à-dire dans la volonté des parties37. Objectivement, la transaction impliquerait
l’existence d’un droit douteux. Mais il faut peu de choses pour qu’un droit le devienne.
Sous l’angle des concessions réciproques, la transaction se distingue parfois difficilement d’un
contrat translatif ou constitutif ordinaire : tel est le cas lorsque le sacrifice de l’une des parties est
étranger à l’objet du litige38.
SECTION II
ORIGINALITÉ
Contrat relatif à un litige, la transaction doit être distinguée d’une série d’autres actes juridi-
ques qui ont également un effet sur lui (§ 1)40. Acte déclaratif à l’égard des droits en litige, la
transaction se différencie, mais plus difficilement, du partage (§ 2). Mettant un terme au litige,
elle doit être distinguée du jugement, avec lequel elle entretient cependant de nombreux rap-
ports (§ 3).
33. * Req., 12 novembre 1902, sté agence imm. et comm., cité supra, no 1102.
34. E. SERVERIN, P. LASCOUMES, T. LAMBERT, op. cit., supra, no 1100, p. 33 : « Les droits engagés dans le
litige étant de plus en plus souvent des droits déterminés, la convention aura pour objectif principal
d’en aménager l’exécution. Cette transformation a été rendue possible par la transformation corrélative
de la notion de droits litigieux : les rédacteurs du C. civ. pensaient surtout à des droits subjectifs dont la
preuve était difficile à établir, notamment par suite de l’absence de titres. Les juristes modernes conçoi-
vent les droits litigieux plutôt comme des droits certains, dont l’exécution soulève des difficultés ».
35. A. GHOZI, La modification de l’obligation par la volonté des parties, th. Paris II, LGDJ, 1980, préf.
D. Tallon, nos 115-161.
36. Ex. : contrat de vente, inexécuté par le vendeur : en modifiant la prestation due par celui-ci, les
parties évitent un litige sur la résolution.
37. A. GHOZI, op. cit., nos 119-133.
38. Supra, no 1103, et infra, no 1123.
39. Ex. : Cass. soc., 16 mai 2000, Bull. civ. V, no 179 ; D. 2001.273, n. Cath. Puigelier : « la rupture
d’un commun accord d’un contrat à durée déterminée [...] a pour seul objet de mettre fin aux relations
des parties ; elle ne constitue pas une transaction destinée à mettre fin, par des concessions récipro-
ques, à toute contestation née ou à naître résultant de la rupture définitive du contrat de travail, et ne
peut avoir pour effet, peu important les termes de l’accord, de priver le salarié des droits nés de l’exé-
cution des contrats de travail ».
40. V. H. KENFACK, « Transaction et autres risques de confusion », in La transaction dans toutes ses
dimensions, ouvr. coll. Dalloz, 2006, p. 25 et s.
NOTION DE TRANSACTION 635
§ 2. TRANSACTION ET PARTAGE
1107. Affinités. – Le partage amiable est une convention par laquelle les indi-
visaires décident de mettre un terme à l’indivision, en attribuant à chacun d’eux
un droit exclusif sur un bien qui composait la masse indivise.
Il existe des affinités entre la transaction et le partage, à tel point que certains avaient affirmé
jadis que le partage amiable était toujours une transaction : il permet d’éviter un partage judi-
ciaire, comporte l’équivalent de concessions mutuelles – chaque indivisaire renonce à ses droits
sur les biens attribués à ses copartageants – et, surtout, produit comme la transaction un effet
déclaratif : il se borne à conforter et à « libérer » des droits qui existaient antérieurement ; l’attri-
butaire était déjà un propriétaire, dont le droit subissait, avant le partage, la concurrence de ses
coindivisaires ; le partage supprime cette cause de litige.
Tout partage amiable n’est pas nécessairement une transaction, parce qu’il n’implique pas le
règlement d’un litige43. Le partage comporte, en réalité, trois objets : un accord sur la
§ 3. TRANSACTION ET JUGEMENT
44. Ex. : contestation sur la validité ou l’interprétation d’un testament instituant un légataire univer-
sel ou à titre universel... ; sur le droit d’attribution préférentielle...
45. Ex. : litige relatif au caractère indivis ou propre de tel immeuble ; ... au x comptes de l’indivi-
sion ; ... à la qualité de la gestion des biens indivis...
46. L. BOYER, op. cit., supra, no 1099, p. 463-486.
47. VIZIOZ, Rec. gen. lois 1931, 49 ; L. BOYER, op. cit., supra, no 1099, p. 450.
48. Droit des sûretés, coll. Droit civil.
NOTION DE TRANSACTION 637
49. S. 1909.I.305, n. Tissier ; P. HÉBRAUD, obs. RTD civ. 1955.359 ; L. BOYER, op. cit., supra, no 1099,
p. 479 ; P.-Y. GAUTIER, obs. RTD civ. 1994.634 ; A. ENGEL-CRÉACH, Les contrats judiciairement formés,
Economica, 2002, nos 17 et s. ; ex. Cass. civ. 1re, 14 novembre 2012, no 11-24238, n.p.b. ; Rev. arb.
2013. 138, note Billemont ; RTD com. 2013. 476, obs. E. Loquin, au sujet d’une homologation par
l’arbitre : « simple constatation de l’accord des parties, sans aucun motif », l’acte est un simple contrat
et chaque partie peut opposer l’exception d’inexécution, alors même que les voies de recours sont
fermées.
50. Cass. civ. 2e, 27 mai 2004, Bull. civ. II, no 253 ; RDC 2004, p. 1036, obs. X. Lagarde : « Ayant
relevé que la transaction avait été homologuée par le jugement du 15 mars 1996, la cour d’appel a
retenu à bon droit que ce jugement lui conférait force exécutoire » ; inutile que le jugement le dise.
51. Comp. sur le donné-acte, dénué d’autorité de chose jugée, opposé au jugement : Cass. civ. 1re,
4 février 1975, Bull. civ. I, no 43 ; D. 1975.405, n. Gaury ; RTD civ. 1976.200, obs. R. Perrot.
52. H. CROZE et O. FRADIN, « Transaction et force exécutoire », in La transaction dans toutes ses
dimensions, ouvr. coll. Dalloz, 2006, p. 95 et s. L’ancien article 1441-4 a inutilement été abrogé en
2012, et remplacé par une procédure compliquée, avec le système du renvoi d’un régime à un autre :
CROZE et LAPORTE, Gaz. Pal. 2012. 703 ; F. MARCHADIER, Gaz. Pal. 2012. 3245, qui souligne que la tran-
saction s’aligne sur les autres modes alternatifs.
53. Cass. civ. 2e, 24 mai 2007, Bull. civ. II, no 133 ; D. 2008.129, n. P. Julien et J.-B. Racine ; JCP G
2007.II.10172, n. H. Croze et O. Fradin.
638 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
contrôle exercé par le juge de l’homologation est formel et ne s’étend par exemple pas aux vices
du consentement54. « Il ne peut en modifier les termes » (art. 1565). Cependant, il doit s’assurer
de sa validité et de son caractère exécutoire55. Le titre exécutoire ne vaut qu’à l’égard des
parties56. Il peut être également fait recours à un notaire57.
54. Le juge ne procède qu’à un contrôle minimum de régularité et de conformité à l’ordre public : *
Cass. civ. 2e, 26 mai 2011, no 06-19527, Bull. civ. II, no 120 ; RTD civ. 2011.559, obs. P.-Y. Gautier
(indifférence d’une plainte pénale postérieure, fondée sur la violence et le délit d’extorsion, le recours
contre la décision d’homologation est irrecevable).
55. Cass. civ. 1re, 10 septembre 2014, nº 13-11843, Bull. civ. I nº 146 ; RTD civ. 2014. 904, obs. P.Y.
Gautier et 2015. 695, obs. Ph. Théry : la transaction contenait une condition suspensive (agrément des
administrateurs de l’entreprise cocontractante), qui n’était pas réalisée.
56. Cass. civ. 2e, 8 janvier 2015, cité infra, nº 1129 (l’homologation ne vaut pas à l’égard de la cau-
tion, pourtant en nom propre à l’acte).
57. Cass. civ. 2re, 21 octobre 2010, no 09-12378, Bull. civ. II, no 173 ; D. 2011.493,
n. S. Chassagnard-Pinet ; RDC 2011.465, obs. R. Libchaber : « les dispositions de l’art. 1441-4, C. pr.
civ. ne font pas obstacle à ce qu’une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère
force exécutoire ».
n CHAPITRE II n
FORMATION DU CONTRAT DE TRANSACTION
SECTION I
OBJET
1114. 2º Intérêt public. – Les droits d’intérêt public ne peuvent faire l’objet
d’une renonciation conventionnelle. Ainsi en est-il des actions relatives au
domaine public ou à la puissance publique et de l’action publique naissant
d’une infraction (art. 2046).
À ce principe, il existe deux exceptions majeures. D’une part, en matière d’infractions écono-
miques, fiscales et douanières, de nombreux textes autorisent l’administration poursuivante à
transiger avec le délinquant sur le montant de l’amende6. D’autre part, l’administration fiscale
peut transiger avec un contribuable sur des amendes fiscales, lorsque celles-ci ne sont pas défi-
nitives : une telle transaction éteint l’action de l’administration7.
1. Ex. : transaction sur le partage successoral, ou sur les dommages-intérêts dus par un ex-époux à
l’autre.
2. Cass. com., 23 janvier 2007, Bull. civ. IV, no 12. « En s’engageant dans une transaction, fût-ce
moralement, à ne pas copier les produits commercialisés par une société concurrente, une société
de prêt-à-porter a exprimé la volonté non équivoque et délibérée de s’obliger envers la société concur-
rente ; la cour d’appel en a donc exactement déduit que cette clause avait une valeur contraignante
pour l’intéressée et qu’elle lui était juridiquement opposable ».
3. Ex. : Cass. civ. 2e, 21 mars 1988, Bull. civ. II, no 74 : transaction entre deux époux séparés de corps
sur la prestation compensatoire qui serait due après le divorce : « Aucune procédure de divorce
n’étant engagée, les époux ne pouvaient valablement transiger sur leur droit futur à une prestation
compensatoire ». Sur la nature de la prestation compensatoire, v. Droit de la famille, coll. Droit civil.
4. Cass. civ. 1re, 14 décembre 2004, Bull. civ. I, no 325 ; D. 2005.1985, n. C. Mathieu : « sauf lorsque
le divorce est prononcé sur demande conjointe, la prestation compensatoire ne peut être fixée que par
le juge ; il en résulte qu’aucune convention, fût-elle notariée, relative à l’attribution à l’un d’entre eux,
d’une prestation compensatoire, ne peut être conclue par les époux ». L’art. 268. relatif aux disposi-
tions générales concernant tous les divorces, autorise désormais les conventions entre époux sur les
conséquences patrimoniales du divorce, toujours sous la condition d’homologation.
5. Comp., pour la cessibilité du droit aux arrérages échus, Cass. civ. 1re, 15 mai 1973, Bull. civ. I,
no 164 ; D. 1973.478 : « La règle de l’indisponibilité des créances alimentaires ne s’oppose pas à ce
que le créancier puisse en céder les termes échus ».
6. PERRIER, cité supra no 1099 ; F. BOULAN, « La transaction douanière », préc. ; J.-H. SYR, « La nature
de la transaction économique », JCP G 1969.I.2280 ; MERLE et VITU, Traité de droit criminel, Procédure
pénale, Cujas, 5e éd., no 65 ; sur la pratique de ces transactions, E. SERVERIN, P. LASCOUMES et T. LAMBERT,
op. cit., supra, no 1100, p. 141-242.
7. Liv. procéd. fiscales, art. L. 251 ; cet effet extinctif se produit même en cas d’erreur grossière de
l’administration : CE, 14 novembre 1990, no 69875. De même pour les contributions directes, Liv. pro-
céd. fiscales, art. L. 247-1o.
FORMATION DU CONTRAT DE TRANSACTION 641
8. Ex. : Cass. ch. réunies, 17 mars 1954, JCP G 1954.II.8208, n. P. Ourliac et M. de Juglart : renon-
ciation à la réglementation des sous-locations. X. LAGARDE, « Transaction et ordre public », D. 2000,
chron. 217.
9. Ex. : C. trav., art. L. 1231-4 (règles relatives à la résiliation du contrat de travail). La Cour de cas-
sation interdit que la transaction soit conclue prématurément, car le salarié est encore sous la dépen-
dance de l’employeur. Il faut attendre la lettre de licenciement et la motivation qu’elle contient
(Cass. soc., 1er juillet 2009, no 08-43179, Bull. civ. V no 171 ; JCP S 2009, no 1421, n. C. Puigelier : la
transaction « ne peut être valablement conclue par le salarié licencié que lorsqu’il a eu connaissance
effective des motifs du licenciement par la réception de la lettre... ») La nullité est de nature relative
(ordre public de protection) ; seul l’employé peut donc s’en prévaloir : Cass. soc., 28 mai 2002,
Bull. civ. V, no 182 ; JCP 2002.II.10 147, n. D. Corrignan-Carsin ; Defrénois 2002.1253,
n. R. Libchaber ; D. 2003.1464, 2e esp., n. A. Devers ; W. DROSS, « Ordre public et transaction », in La
transaction dans toutes ses dimensions, ouvr. coll. Dalloz, 2006, p. 63 s.
10. Cass. com., 28 janvier 2003, Bull. civ. IV, no 11.
11. Cass. com., 5 novembre 2003, Bull. civ. IV, no 164 ; RDC 2004, p. 1032, obs. X. Lagarde.
12. 1er ex. : une fois le dommage corporel réalisé, une transaction sur l’indemnisation est possible ;
2e ex. : une fois la rupture du contrat de travail consommée, ou acquise en son principe, une transac-
tion sur ses conséquences est efficace : Cass. soc., 29 mai 1996, préc. : « La transaction ayant pour
objet de mettre fin au litige résultant d’un licenciement ne peut valablement être conclue qu’une fois
la rupture intervenue et définitive » ; 3e ex. : la rupture brutale d’une relation établie (C. com., art.
L. 442-6) n’empêche pas les parties de transiger : Cass. com., 16 décembre 2014, Ikea, nº 13-21363,
Bull. civ. IV nº 186 ; Contrats, conc. consom. 2015, nº 34, n. N. Mathey ; RTD com. 2015. 787, chron.
N. Dissaux ; RTD civ. 2015. 411, obs. P.Y. Gautier : si ce texte « institue une responsabilité d’ordre
public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir
des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l’indemnisation du pré-
judice subi par suite de la brutalité de cette rupture ».
13. Cass. soc. 14 janvier 2014, supra nº 1103 : pas d’atteinte à la liberté d’expression du journaliste
qui s’est engagé à ne pas dénigrer son ancien employeur pendant 18 mois.
14. Ex. : Paris, 4 décembre 2014, Contrats, conc. consom. 2015, nº 101, obs. G. Raymond : crédit
mobilier à la suite d’un démarchage, transaction entre le prêteur et les emprunteurs : « il est notam-
ment possible pour les parties de transiger sur les modalités d’application d’un droit acquis d’ordre
public, pourvu qu’elles ne méconnaissent pas dans leur principe les droits consacrés par des disposi-
tions impératives, seraient-elles à finalité protectrice ».
15. Ex. : T. com. Rouen, 7 juin 1971, JCP G 1971.II.16918.
16. Cass. civ. 1re, 12 juin 1967, Bull. civ. I, no 208 ; D. 1967.584, n. A. Breton ; JCP G 1967.II.15225,
n. R. L.
642 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION II
CAPACITÉ ET POUVOIR
17. Cass. ch. mixte, 29 janvier 1971, Bull. civ. ch. mixte, no 1 ; D. 1971.301, n. J. Hauser et
A. Abitbol, concl. R. Lindon ; JCP G 1971.II.16718 ; Defrénois 1971, art. 29881, obs. J. Massip ; en l’es-
pèce, une mineure avait été violée ; ses parents renoncèrent en son nom à toute indemnité en répara-
tion du préjudice moral et matériel causé à la victime, moyennant la somme de 1 200 €. Puis les
parents se ravisèrent et invoquèrent la nullité de la transaction, que n’admit pas la cour d’assises ;
cassation : « L’administrateur légal, agissant avec le consentement de son conjoint, peut transiger au
nom du mineur... ». Mais tout en se présentant comme une transaction, l’acte analysé par l’arrêt
constituait une renonciation à un droit au sens de l’article 389-5.
18. Ex. Cass. civ. 1re, 20 janvier 2010, no 08-19627, Bull. civ. I no 13 ; RTD civ. 2010.302, obs.
J. Hauser : « contrat judiciaire » entre les parties (parents et assureur), ne pouvant être conclu devant
le juge sans l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles.
19. Ex. : Cass. civ. 1re, 22 octobre 1974, Bull. civ. I, no 269 : la clause de direction du procès n’em-
porte pas, en elle-même, pouvoir de transiger.
20. Cass. civ. 1re, 7 juillet 1987, Bull. civ. I, no 220 ; D. 1988, somm., 236, obs. A. Brunois.
FORMATION DU CONTRAT DE TRANSACTION 643
commissaire, le débiteur ayant été entendu (C. com., art. L. 622-7). Dans le second cas, le liqui-
dateur peut transiger avec la même autorisation et selon les mêmes conditions ; dans certains
cas, la transaction est en outre soumise à l’homologation du tribunal (C. com., art. L. 642-24).
SECTION III
FORMES
SECTION IV
CONSENTEMENT
27. B. MALLET-BRICOUT, « Vice et transaction », in La transaction dans toutes ses dimensions, ouvr.
coll. Dalloz, 2006, p. 35 s.
28. Violence : * Cass. civ. 2e, 26 mai 2011, motifs, no 06-19527, Bull. civ. II, no 120 ; RTD civ.
2011.559, obs. P.-Y. Gautier (extorsion alléguée des concessions, mais le juge ne la vérifie pas, à l’oc-
casion du contrôle minimum d’homologation). Dol : Cass. civ. 2e, 20 octobre 2005, Contrats, conc.
consom. 2006, comm. no 23, n. L. Leveneur ; n.p.B. : dol par réticence d’une partie qui a dissimulé
ses revenus. V. cep. pour un cas où le dol était invoqué (mensonge), mais que la Cour de cassation a
refusé de sanctionner : Cass. soc., 12 février 1997, Dr. soc. 1997.421, n. crit. G. Couturier ; RTD civ.
1997.693, obs. crit. P.-Y. Gautier ; Defrénois 1997.1077, n. Bénabent : il est vrai que son auteur était
un salarié. Pour un cas de violence (contrainte économique) ; * Cass. civ. 1re, 30 mai 2000, Deparis,
Bull. civ. I, no 169 ; D. 2000, Jur. 879, n. J.-P. Chazal et 2001, somm. 1140, obs. D. Mazeaud ; Contrats,
conc. consom. 2000, comm. no 142, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2000.827, obs. J. Mestre et B. Fages,
863, obs. P.-Y. Gautier ; Defrénois 2000.1124, obs. Ph. Delebecque ; JCP G 2001.II.10461,
n. G. Loiseau : transaction entre l’assureur-incendie et la victime ; cassation de l’arrêt qui écarte la
contrainte économique parce que la transaction ne peut être attaquée pour lésion « alors que la tran-
saction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se
rattache à la violence et non à la lésion ».
29. Cass. civ. 1re, 11 septembre 2013, no 12-20816, Bull. civ. I no 172, D. 2014. 636, obs. S. Amrani
et M. Mekki, JCP G 2013, 1236, n. N. Guerrero ; RTD civ. 2013. 856, obs. P.Y. Gautier ; Contrats,
conc. consom. 2013, no 258, n. L. Leveneur : ce fut le jour où le cocontractant était allé consulter un
avocat que celui-ci lui fit découvrir le dol qu’il alléguait, au soutien de sa demande en nullité (tran-
saction entre cohéritiers).
30. Cass. civ. 1re, 17 décembre 2002, Bull. civ. I, no 309 ; RTD civ. 2003.313, obs. P.-Y. Gautier ;
JCP 2003.II.10081, n. H. Kenfack : « si le juge peut rescinder la transaction pour dol, il n’a pas le pou-
voir d’en modifier les termes, ni pour ce motif, ni pour fait nouveau ».
31. Biblio. : P. GERBAULT, « L’erreur dans la transaction », LPA 17 juill. 2006, p. 5 s.
32. Cass. civ. 1re, 19 décembre 2000, Bull. civ. I, no 334 ; RTD civ. 2001.381, obs. P.-Y. Gautier ; D.
2001, Jur. 2193, n. Ph. Soustelle : la caution n’aurait pas dû transiger avec le créancier, car celui-ci
n’avait pas déclaré sa créance dans la procédure collective ; Cass. civ. 1re, 29 mai 2001, Bull. civ. I,
no 156 ; D. 2001, AJ, 1944 ; RTD civ. 2001.909, obs. P.-Y. Gautier décide le contraire, dans une situa-
tion proche, en se fondant sur l’absence d’objet : « quelle que fût l’obligation contractuelle
de M. Laurien et de Mme Paul (caution) de s’informer sur la situation du débiteur principal (mis dans
une procédure collective), la transaction était nulle faute d’objet ».
33. Ex. : Cass. civ. 1re, 17 juin 2010, no 09-14144, Bull. civ. I, no 138 : la transaction avec le manda-
taire sur sa rémunération est nulle, car son propre contrat, qui justifiait sa prétention, était irrégulier.
FORMATION DU CONTRAT DE TRANSACTION 645
1121. Erreur sur le droit contesté. – Des deux erreurs dont l’article 2053 (bien-
tôt supprimé) admet qu’elles soient causes de nullité, seule l’erreur sur l’objet du
litige est souvent invoquée et soulève des difficultés. L’erreur sur la personne ne
présente aucune particularité39 ; plus rarement encore « l’erreur-obstacle », c’est-
à-dire un malentendu fondamental40.
34. Ex. : Cass. civ. 3e, 15 mai 1991, Bull. civ. III, no 145 : les juges ne peuvent « réparer qu’une erreur
purement arithmétique dans la transaction elle-même » ; en l’espèce, la cour d’appel avait décidé « que
l’erreur de calcul de l’expert a nécessairement affecté la transaction puisque le rapport d’expertise, qui en
est l’annexe, a servi de base à la négociation et que cette erreur doit être réparée ». Cassation.
35. L. BOYER, thèse citée, supra, no 1099, p. 71 et s.
36. L. BOYER, ib., p. 123 et s., et 153 et s.
37. Supra, no 1101.
38. L’erreur sur l’objet du contrat ayant conduit à la transaction ne s’étend pas de plein droit à celle-
ci : Cass. civ. 1re, 17 mars 2016, nº 14-27168, Bull. civ. I à paraître, JCP G 2016, nº 585, n. G. Deharo ;
D. 2016. 1231, n. L. Mayer ; JCP G 2016, no 797, obs. Y.M. Serinet.
39. Droit des obligations, coll. Droit civil.
40. Ex. Pau, 6 juin 2005, JCP G 2005.IV.3420 : l’assureur avait formulé son offre d’indemnité en
euros, alors qu’il pensait en francs ; la disproportion était considérable.
646 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Comme toujours, la notion d’objet est difficile à saisir. L’objet ne consiste pas
dans les prestations dues par les signataires de la transaction, qui constituent les
concessions41. Il ne se confond pas, non plus, avec la chose qui est l’objet du droit
litigieux : une erreur sur la substance de cette chose ne permet pas d’obtenir la
nullité de la transaction42. On est proche de l’erreur sur la valeur du droit litigieux,
qui ne peut être prise en considération puisque la lésion n’est pas une cause de
rescision de la transaction (art. 2052, al. 2, bientôt supprimé). Ainsi, l’erreur sur
l’étendue du préjudice présent, c’est-à-dire sur le montant du droit à indemnisa-
tion, est-elle exclue43. L’objet du litige est le droit subjectif contesté, qui est le
fondement de l’action qu’éteint la transaction : droit à indemnisation, droit au
paiement d’un prix, vocation successorale, droit de propriété... Une erreur sur
l’existence44 ou sur la nature de ce droit45 peut entraîner la nullité du contrat.
Ou encore, sur son étendue46.
Afin de protéger les victimes d’un préjudice, la jurisprudence admet facilement l’erreur sur la
nature du droit à indemnisation, ce qui oblige l’assureur à couvrir les conséquences d’un acci-
dent, imprévues lors de la transaction. Lorsque les parties transigent sur les conséquences pré-
sentes d’un accident, l’apparition de lésions après la transaction et non prévues lors de celle-ci
permet de prononcer la nullité pour erreur47, comme s’il s’agissait d’un droit à indemnisation de
nature différente de celui qui a fait l’objet de la transaction (on se rapproche de l’autorité relative
de la chose jugée). Il en va de même, ce qui est plus surprenant, lorsque la transaction a porté
41. Ex. : Paris, 10 avril 1987, D. 1987, IR, 134 : l’erreur sur les qualités d’un véhicule remis par un
garagiste en exécution d’une transaction n’est pas une cause de nullité.
42. Cass. civ. 1re, 17 mars 2016, préc. ; Cass. civ. 3e, 28 octobre 1974, Bull. civ. III, no 383 ; dans la
même affaire, Cass. civ. 3e, 20 juin 1978, Bull. civ. III, no 256 ; en l’espèce, les propriétaires de parcel-
les expropriées avaient conclu avec l’autorité expropriante un « accord amiable » sur le montant de
l’indemnité ; trois ans plus tard, un rapport d’expertise révéla que les parcelles recélaient une réserve
de dalles naturelles d’une très grande valeur ; les juges du fond annulèrent la transaction ; cassation :
l’erreur sur les qualités substantielles des parcelles ne constituait pas une erreur sur l’objet de la
contestation : « l’erreur invoquée par les expropriés et relative à l’étendue du gisement et aux possibi-
lités d’exploitation ne pouvait être prise en considération ».
43. Jurisprudence constante. Ex. : Cass. civ. 1re, 24 octobre 1978, Bull. civ. I, no 320 : décision rela-
tive à des accidents de la circulation, qui relèvent de la loi du 5 juillet 1985.
44. Ex. : Une personne transige sur l’étendue de sa responsabilité, alors qu’elle n’est pas respon-
sable (Toulouse, 9 novembre 1959, D. 1960.105, n. N. Catala) ; ou la victime ignorait qu’elle avait
droit à une indemnité supplémentaire : Cass. soc., 24 novembre 1998, Bull. civ. V, no 515 : « La tran-
saction a été conclue sur la croyance commune que seule l’indemnité légale de licenciement pouvait
être réclamée par le salarié » ; ou elle croyait avoir transigé sur le prix d’un tableau dont les auteurs
étaient incertains, mais sans qu’il ait jamais été question que ce soit en réalité un Monet, ce qui s’est
avéré par la suite : Cass. civ. 1re, 28 mars 2008, Bull. civ. I, no 95 ; RDC 2008.727, obs. Y.-M. Laithier ;
JCP G 2008.II.10101, n. Y.M. Serinet ; D. 2008.1866, n. E. Treppoz ; Defrénois 2008.1958,
n. R. Libchaber.
45. Ex. : erreur sur la nature des droits successoraux servant de base à une transaction : Cass. civ.,
17 novembre 1930, DH 1931 ; S. 1932.I.17, n. A. Breton ; en l’espèce, il s’agissait d’une « renoncia-
tion » à succession faite par un héritier moyennant une somme que lui payent d’autres héritiers ; elle a
été annulée pour cause d’erreur sur la substance : « Il y a erreur sur la substance, notamment quand le
consentement de l’une des parties a été déterminé par l’idée fausse que cette partie avait de la nature
des droits dont elle croyait se dépouiller ou qu’elle croyait acquérir par l’effet du contrat ».
46. Cass. civ. 1re, 22 mai 2008, préc. : transaction fondée sur une erreur quant à la contenance du
bien vendu.
47. Ex. : Cass. civ. 2e, 10 janvier 1990, Bull. civ. II, no 9 : troubles épileptiques apparus postérieure-
ment à la transaction, conclue au vu d’une expertise qui n’avait retenu que des troubles de mémoire
« la cour d’appel a pu en déduire que l’erreur commise par Mlle Donnifort, consistant à ne pas avoir
prévu les lésions graves dont les symptômes caractéristiques n’étaient apparus et dont le diagnostic
n’avait été formulé qu’après la transaction portait sur l’objet même de la contestation ».
FORMATION DU CONTRAT DE TRANSACTION 647
sur toutes les conséquences présentes et à venir de l’accident : la découverte d’une lésion impré-
visible lors de la transaction en permet la remise en cause48.
Cette extension de l’erreur est critiquable ; en réalité, l’objet de la contestation que règle la
transaction est le droit à indemnisation, et la victime n’a commis aucune erreur. En outre, la
nullité de la transaction est une sanction inappropriée. Il faudrait que la victime puisse obtenir
une indemnité supplémentaire, à raison du préjudice nouveau. Il suffirait d’appliquer le principe
d’interprétation stricte49, ou d’autorité relative de la chose jugée (art. 1355 et 2052, bientôt
refondu) ou de limiter au seul préjudice présent l’effet de toute transaction. Ainsi, la loi du 5 juil-
let 1985, en matière d’accidents de la circulation, permet-elle à la victime de réclamer un sup-
plément de réparation en cas d’aggravation de son dommage (C. assur., art. L. 211-19 ;
v. également pour les victimes d’actes de terrorisme et de certaines infractions, C. assur., art.
L. 422-2).
1123. Erreur sur le titre. – Le litige est la cause de la transaction. Si les parties
ont cru par erreur à l’existence ou à la possibilité d’un litige, cette erreur sur la
cause conduit à la nullité de leur convention.
Ainsi, lorsque le litige avait déjà été tranché définitivement par un précédent
jugement ignoré des parties (art. 2056, bientôt abrogé). Au contraire, si les parties
connaissaient ce jugement, elles ont pu valablement transiger sur son exécution51
ou modifier les droits qui en étaient issus52.
De même, en cas de découverte de la nullité du titre sur l’exécution duquel les
parties ont transigé (art. 2054, bientôt abrogé). Le titre s’entend ici de l’instrumen-
tum comme du negotium. S’il s’avère que l’une des parties n’a aucun droit, aucun
litige relatif à l’exécution de ce droit n’est possible53. Encore faut-il que l’igno-
rance de la nullité du titre ne soit pas la conséquence d’une erreur de droit, de
principe, exclue par l’article 2052, alinéa 2, bientôt abrogé54.
48. Cass. civ. 1re, 10 juin 1986, Le danseur de la discothèque, Bull. civ. I, no 164 ; en l’espèce, un
jeune homme de 19 ans avait fait une chute en dansant dans une discothèque ; quelques mois après,
il reçut de l’assureur une somme le dédommageant de l’incapacité temporaire de travail et signa une
« quittance définitive et sans aucune réserve quelles que soient les circonstances ultérieures » ; la tran-
saction a été annulée car la victime ignorait les séquelles de son accident.
49. Infra, no 1127.
50. Ex. : Cass. civ. 1re, 3 février 1969, Bull. civ. I, no 59 : la victime, un ouvrier étranger, ne fit que
signer une quittance imprimée à l’avance.
51. * Req., 12 novembre 1902, DP 1902.I.566, cité supra, no 1102.
52. Supra, no 1104.
53. C’est aussi une erreur sur l’objet du litige : supra, no 1121.
54. Req., 14 novembre 1938, DP 1939.I.19 ; Cass. com., 26 novembre 1957, Aff. des « arômes »,
Bull. civ. III, no 326 ; en l’espèce, deux sociétés avaient transigé sur l’utilisation de deux marques de
648 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Si les parties ont transigé sur la nullité elle-même, l’erreur est évidemment
exclue. De même, si elles ont pris en considération l’éventualité d’une nullité.
Enfin, si l’une des parties a traité au vu d’un instrumentum qui s’est révélé faux
(art. 2055, bientôt abrogé) ou dans l’ignorance d’un instrumentum décisif, eu
égard à la portée limitée de la transaction (art. 2057, al. 2, bientôt abrogé)55, le
litige était purement apparent : la transaction est nulle56.
Au contraire, si la transaction porte « généralement sur toutes les affaires » que les parties pou-
vaient avoir ensemble, elles sont censées avoir renoncé à invoquer la découverte de l’instrumen-
tum ; la portée limitée de ce titre ne doit pas remettre en cause une transaction générale
(art. 2057, al. 1, bientôt abrogé) ; sauf en cas de dol, toujours sévèrement traité. La future loi
sur la Justice du XXIe siècle conduira à l’application du droit commun, erreur, dol et violence.
parfums voisines (Arôme et Arôme trois) ; ultérieurement, l’une des deux marques a été annulée (le
mot Arôme, sans addition, pour désigner un parfum, n’est pas, en effet, une marque distinctive) ; la
transaction n’en a pas moins été maintenue : « La rescision d’une transaction conclue en exécution
d’un titre nul ne peut être demandée lorsque la nullité du titre est le résultat d’une erreur de droit ».
55. Ex. : transaction sur une créance qu’un acte de remise de dette découvert ultérieurement a
éteinte.
56. L. BOYER, th. citée, supra, no 1099.
n CHAPITRE III n
EFFETS DE LA TRANSACTION
SECTION I
NATURE DÉCLARATIVE
1. L. BOYER, th. citée, supra, no 1099, p. 328-353 ; R. MERLE, Essai de contribution à la théorie géné-
rale de l’acte déclaratif, th. Toulouse, 1948, p. 181-205 ; comp., voyant dans la transaction un acte
translatif, CHEVALIER, L’effet déclaratif de la transaction et du partage, th. Rennes, 1932.
2. Ex. : Cass. civ. 1re, 21 janvier 1997, Bull. civ. I, no 25 ; Contrats, conc. consom. 1997, comm.
no 62, n. L. Leveneur ; D. 1997, somm. 189, obs. L. Aynès ; RTD civ. 1998.378, obs. J. Mestre : les clau-
ses d’un contrat d’assurance, à l’égard duquel est intervenue une transaction, continuent à s’appliquer
dès lors que l’objet de la transaction (le droit litigieux) est étranger à ces clauses : « sauf intention
contraire des parties, la transaction n’emporte pas novation ».
3. Cass. civ. 3e, 10 novembre 1971, Bull. civ. III, no 549 : une offre de transaction ne vaut pas recon-
naissance du bien-fondé des droits du colitigeant ; elle ne permet donc pas de pratiquer une saisie : la
créance demeure incertaine : Cass. civ. 3e, 18 février 1981, JCP G 1981.IV.159. V. égal. Cass. civ. 1re,
5 février 2014, nº 13-10791, Bull. civ. I nº 18, JCP G 2014 nº 504, n. J.-B. Perrier : « les pourparlers tran-
sactionnels ne sont pas constitutifs d’une reconnaissance de responsabilité interruptive de prescrip-
tion ».
650 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
préexistants4. Assez proche, un autre montre que la transaction, comme le partage ou le juge-
ment, a pour effet de « libérer » un droit préexistant, en éteignant la contestation adverse qui
l’empêchait d’exister pleinement5. Ces explications mettent en évidence l’originalité de la tran-
saction : elle est nécessaire à l’exercice de droits dont elle n’est pourtant pas la source6. On peut
en dire autant du partage et du jugement. Parfois, les parties confèrent en outre au contrat une
prise d’effet rétroactive, le plus souvent pour régulariser une situation de fait ou aménager les
conséquences d’une situation à l’origine illicite. Une telle clause est valable, sauf fraude aux
droits des tiers7.
4. R. MERLE, thèse citée, supra, p. 189 ; no 137. Mais l’effet déclaratif ne saurait couvrir des fraudes :
v. Cass. soc., 18 juin 1996, Bull. civ. V, no 251 ; RTD civ. 1997.449, obs. P.-Y. Gautier.
5. L. BOYER, th. citée, supra, no 1099, p. 362.
6. La transaction peut en outre, mais accessoirement, être source d’obligations, lorsque la contre-
partie d’une concession consiste en une obligation de payer, de faire ou de ne pas faire. De la même
façon, un contrat translatif, comme la vente, peut être aussi créateur d’obligations.
7. Rapp. J. GHESTIN, Traité de droit civil, le contrat, effets, avec Chr. Jamin et M. Billiau, LGDJ, 3e éd.,
2001, nos 160-164.
8. Les biens, coll. Droit civil.
9. L. BOYER, th. citée, supra, no 1100, p. 346.
10. Ex. : deux voisins transigent sur la propriété d’une cour commune. L’un renonce à sa revendi-
cation, moyennant la remise d’une parcelle appartenant à l’autre. La transaction est déclarative, en ce
qui concerne la propriété de la cour. Elle est translative, à l’égard de la propriété de la parcelle.
11. Req., 26 avril 1880, DP 1881.1.12 : « Il est certain [...] qu’un jugement ou une transaction qui
reconnaît l’existence d’une créance antérieure, loin d’éteindre cette créance, ne fait pas autre chose
que la confirmer et la corroborer ». Cass. civ. 1re, 17 octobre 1962, Bull. civ. I, no 430 : vendeur et
acquéreur transigent sur une action en rescision pour lésion ; la clause résolutoire continue à s’appli-
quer ; 25 février 1976, Bull. civ. I, no 86.
12. MAGUERO, Traité alphabétique des droits d’enregistrement, 2e éd., Transaction, no 74.
13. Instruction adm. no 1229, § 11, cité in MAGUERO, op. cit., no 75, Dictionnaire de l’enregistrement,
t. II, no 4321.
EFFETS DE LA TRANSACTION 651
une partie de la succession14. De même, l’annulation transactionnelle d’une vente est considé-
rée comme une revente, quelle que soit la cause réelle de nullité. Au contraire, la transaction par
laquelle le vendeur renonce à exercer une action en nullité n’opère aucun déplacement de la
propriété. On retrouve la différence entre renonciations translatives et abdicatives.
Le cas échéant, la somme versée peut être considérée comme un surplus de prix, si la contes-
tation portait sur sa vileté. De même, une transaction peut masquer une libéralité, en l’absence
de concessions réciproques.
SECTION II
EFFET EXTINCTIF
14. Cass. ch. réunies, 12 décembre 1865, Muteau et Bohet, S. 1866.I.78 : « Si, aux termes de l’arti-
cle 2052, les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort, et si, à ce
titre, elles ont en général un caractère simplement déclaratif, il n’en est pas nécessairement de même
vis-à-vis de l’administration de l’enregistrement ; [...] il y a lieu d’examiner si la transaction dont s’agit
au procès ne contient pas une disposition soumise à un droit proportionnel ; la transaction du 13 mai
1858, par laquelle les dames B. et M. se sont partagé la succession de Lucien D. a été un contrat com-
mutatif, par lequel l’une des parties s’est volontairement dessaisie d’une portion de biens de la succes-
sion dont elle était légataire investie, et l’autre a renoncé à poursuivre l’annulation de la disposition
testamentaire ; cette transaction, loin de l’anéantir, a consolidé le testament, puisqu’elle en a consacré
le principe et en partie maintenu les effets, et en stipulant, en outre, de la part de la légataire univer-
selle, l’abandon d’une partie des biens légués, elle a été essentiellement translative de propriété ».
15. Le projet de loi pour la Justice du XXIe siècle supprime ce texte pour ôter toute référence au juge-
ment et le remplacer par une périphrase, ce qui peut être regretté, car la formule était forte et parlante
(« la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite d’une action en justice ayant le même
objet »).
16. Ex. : Cass. civ. 1re, 16 avril 1985, JCP G 1985.II.20504, concl. Gulphe ; en l’espèce, deux méde-
cins associés dans une société civile professionnelle avaient convenu de dissoudre la société et d’apu-
rer les comptes entre eux et avec la société ; jugé que l’un des associés ne pouvait plus demander la
dissolution ni la liquidation judiciaires.
17. V. cep. : Cass. civ. 2e, 17 juin 1971, Bull. civ. II, no 222 ; JCP G 1971.II.16914 : les pouvoirs limi-
tés du juge de l’exequatur ne lui permettent pas d’apprécier si une sentence arbitrale viole l’autorité de
chose jugée attachée à une transaction.
18. Ex. : Cass. civ. 1re, 1er octobre 1980, Bull. civ. I, no 236 : si la transaction intervient après l’arrêt
d’appel, le pourvoi en cassation devient sans objet même si le désistement du pourvoi n’a pas été
régularisé.
652 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
pour accorder à l’une d’elles le titre exécutoire qui lui permettra d’obtenir l’exécution forcée de
la transaction (C. pr. civ., art. 1567)19.
Cet effet extinctif implique que la transaction n’ait pas été résolue pour inexé-
cution, ce que le juge saisi d’une nouvelle action peut constater afin de la décla-
rer recevable20. Et tout simplement qu’elle ait été exécutée21. C’est à celui qui pré-
tend qu’elle ne l’a pas été à en administrer la preuve, qu’il soit en demande ou en
défense22.
1129. Effet limité. – L’autorité qui s’attache à la transaction, comme celle qui
s’attache au jugement en dernier ressort (art. 2052, al. 1, sur le point d’être sup-
primé, et 1355), rend irrecevable une nouvelle action qui aurait un objet iden-
tique à celui de la convention : il n’y a plus d’action. La règle nécessite une déter-
mination précise de l’objet de la transaction. Comme celle-ci comporte une
renonciation conventionnelle, les articles 2048 et 2049 imposent une interpréta-
tion étroite : seule une nouvelle action strictement identique à celle qu’a éteinte la
transaction est irrecevable (ce qui correspond à l’autorité relative de la chose
jugée, cause et objet, art. 1355)23. Mais le dernier alinéa de l’article 2049 invitant
le juge à reconnaître l’intention des parties « par une suite nécessaire de ce qui est
exprimé » introduit de la souplesse dans la recherche d’intention24.
En réalité, l’appréciation stricte de l’objet de la transaction sert souvent à modérer son effet
extinctif et obligatoire, lorsque celui-ci est jugé inopportun. Ainsi, en présence d’une transaction
sur les conséquences d’un accident, spécialement celle qui touche à la personne, les tribunaux
permettent par ce biais25 à la victime de réclamer l’indemnisation complémentaire d’un préju-
dice imprévu au moment de la transaction, même si elle porte expressément sur l’ensemble des
dommages, présents et à venir26. De même, ils procèdent à une lecture très étroite lorsqu’il est
question de sûretés personnelles27.
1130. Effet relatif. – L’effet extinctif de la transaction est relatif, pour deux rai-
sons : d’abord, il s’agit d’une convention qui ne peut produire d’effets qu’à l’égard
19. Angers, 17 mars 1970, JCP G 1970.II.16425 ; RTD civ. 1970.812, obs. approb. P. Hébraud :
« Une transaction intervenue au cours d’un litige y met fin et donne lieu à radiation de l’affaire
quand les parties en acceptent l’exécution ; [...] il en est autrement si, tout en se reconnaissant tenue,
l’une d’elles refuse d’exécuter son engagement ».
20. Infra, no 1131.
21. Infra, nº 1131 ; ex. en matière pénale : Cass. crim., 19 mai 2015, nº 14-85885, D. 2015. 1983,
n. J.B. Perrier : transaction relative à une infraction de droit de la consommation, il n’est pas prouvé
qu’elle a été exécutée (chèque envoyé, pas de preuve qu’encaissé), l’action publique n’est pas éteinte.
22. Comp. Perrier, note préc.
23. Ex. : Cass. soc., 24 avril 2013, no 11-15204, Bull. civ. V no 116 (en dépit d’une formule générale,
la réparation relative à une discrimination sexuelle est exclue du champ de la transaction) ; Cass. soc.,
8 décembre 2009, no 08-41554, Bull. civ. V, no 279 ; D. 2010. 97 : transaction entre un salarié et son
ancien employeur, les valeurs mobilières de « stock options » n’ont pas été mentionnées, donc le sala-
rié les a conservées. Comp., refusant une interprétation de la transaction fondée sur l’équité et favo-
rable au salarié (constitution d’une rente de retraite) : Cass. soc., 30 novembre 2011, no 10-21119,
Bull. civ. V, no 283 ; RTD civ. 2012.335, obs. P.-Y. Gautier ; v. égal., validant la formule plus de récla-
mation « à quelque titre que ce soit » pour l’employé licencié pour faute grave, appliquée à l’indem-
nité de préavis : Cass. soc., 5 novembre 2014, nº 13-18984, Bull. civ. V, nº 260.
24. P.-Y. GAUTIER, obs. RTD civ. 1995.390, 1998.134, 2000.139.
25. La nullité pour erreur sur l’objet est un autre biais : v. supra, no 1121.
26. J.-P. CHAUCHARD, « La transaction sur l’indemnisation du préjudice corporel », RTD civ. 1989, 1-
39 ; ex. : Cass. civ. 1re, 9 juillet 1963, Bull. civ. I, no 381 ; JCP G 1963.II.13413, 1re esp., n. P. Esmein.
27. Cass. civ. 2e, 8 janvier 2015, nº 13-27377, Bull. civ. II, nº 5, D. 2015.1034, n. P. Barban ; RTD
civ. 2015.376, obs. H. Barbier : la caution d’une des parties, également dirigeant de l’entreprise, pour-
tant partie à l’acte, n’est pas engagée et doit être tenue pour un tiers.
EFFETS DE LA TRANSACTION 653
des parties contractantes (art. 1199, ancien art. 1165)28 ; de plus, l’autorité de
chose jugée que l’article 2052, alinéa 1 (bientôt supprimé) attache à la transaction
ne se produit qu’entre les colitigeants et leurs ayants cause universels, et à propos
d’une action déterminée. Aussi l’exception de transaction ne peut-elle être oppo-
sée ni à une personne qui n’a pas été partie à la transaction29 ; ni à une partie, dès
lors que celle-ci agit en une qualité ou en vertu de titres différents (art. 2050 et
2051). Le tiers n’a donc même pas à en réclamer la nullité – s’il le faisait, il serait
irrecevable.
La transaction pourrait exceptionnellement avoir un effet étendu, par exemple
si elle est conclue par une association de consommateurs dans le cadre d’une
action de groupe (variété de « class action »), pour le compte d’une catégorie
entière de victimes, lesquelles auraient adhéré au groupe (rappr. C. consom.,
art. L. 623-23)30.
Cependant, les tiers pourraient, conformément au droit commun des obligations
(art. 1200), l’opposer à l’une des parties, au titre de fait juridique, au moins si ce
bénéfice constitue une suite naturelle de l’acte, objective ou par la volonté des
parties, et s’il n’y a pas lieu d’apprécier largement sa portée, car le tiers se heurte
a fortiori aux articles 2048 et 2049 précités31. Inversement, la transaction peut leur
être opposée s’ils l’ont spontanément exécutée32.
À l’égard des cautions ou des garants de la dette (par exemple l’assureur), la transaction pro-
duit le même effet qu’un jugement : elle fixe la dette principale et par conséquent s’impose aux
garants33. Ils peuvent aussi l’invoquer si tel est leur intérêt34. La règle comporte des exceptions,
destinées à sauvegarder les intérêts du garant35. Elle est écartée en cas de transaction fraudu-
leuse.
La transaction obtenue par un coobligé solidaire en ce qui concerne sa part dans l’obligation
ne produit aucun effet sur les autres36. Mais si la transaction porte sur l’obligation elle-même, elle
28. Ex. en matière successorale – héritier qui transige avec un autre, sans obliger les autres cohéri-
tiers : Req., 2 janvier 1877, DP 1877.1.13 ; Cass. civ. 3e, janvier 1883, DP 1883. 1. 457 : « Elle ne pré-
judicie pas aux tiers et ne peut être invoquée par eux ».
29. Ex. : Cass. civ. 2e, 8 janvier 2015, nº 13-27377, Bull. civ. II, nº 5 ; D. 2015. 1034, n. P. Barban ;
RTD civ. 2015. 376, obs. H. Barbier : la transaction homologuée n’a pas de force exécutoire à l’encon-
tre de la caution, dirigeant de la société qui a transigé, alors même qu’il figurait en tant que tel à l’acte
(c’est une interprétation très libérale pour la caution, v. ci-dessus) ; Cass. com., 14 avril 1992, JCP G
1992.IV.1797 ; jugé que la transaction faite par le dirigeant d’une société n’était pas opposable à
une banque qui avait acheté un certain nombre d’actions de cette société.
30. Sur l’opposablité de la transaction en général : P. PAILLER, Rev. Lamy dr. civ., mai 2015, p. 59.
31. Ex. : Cass. soc., 20 novembre 2013, no 10-28582, Bull. civ. V nº 277, RDC 2014. 243, obs.
S. Pellet : le repreneur des actifs d’une entreprise en liquidation judiciaire peut opposer au salarié la
transaction conclue avec celle-ci, aux termes de laquelle celui-là renonçait à ses contestations. On
doit cependant prendre garde à ce que les renonciations sont de droit étroit.
32. Cass. civ. 1re, 20 mai 2003, Bull. civ. I, no 119.
33. Cass. civ. 1re, 5 octobre 1999, Bull. civ. I, no 253 : l’assureur subrogé prenant la place du subro-
geant, doit souffrir la même exception de chose jugée tirée de la transaction.
34. Cass. com., 9 novembre 1970, Bull. civ. IV, no 296.
35. En matière d’assurance de responsabilité, les polices interdisent souvent au responsable de tran-
siger avec la victime à peine d’inopposabilité de la transaction à l’assureur (C. assur., art. L. 124-2).
36. L’effet extinctif de la transaction ne se produit alors qu’à l’égard du coobligé qui transige :
Cass. com., 14 février 1989, Bull. civ. IV, no 67 : « Si la transaction faite par un coobligé ne lie pas les
autres intéressés, elle ne peut être opposée par ceux-ci pour se soustraire à leur propre obligation ».
654 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
peut être invoquée par les coobligés, si tel est leur intérêt37. Ceux qui ont payé jouissent d’un
droit à contribution contre les autres38.
SECTION III
EFFET OBLIGATOIRE
Bien que cette règle ait été jadis discutée par un excès d’analogie entre le juge-
ment et la transaction, la résolution pour inexécution (art. 1224 et s., ancien
art. 1184) peut sanctionner la carence fautive de l’une des parties42. A fortiori,
une simple exception d’inexécution peut être opposée par la partie non fautive.
En cas de résolution, les parties seront, du fait de la rétroactivité, remises dans
l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de la transaction et chacun de
leurs droits respectifs leur sera restitué, intact. Mais les tribunaux hésitent parfois
à la prononcer et préfèrent la stabilité du contrat à la renaissance du litige, soit
que l’inexécution affecte une obligation qui n’est pas la contrepartie de la
renonciation43, soit que l’inexécution elle-même ne soit pas avérée44, soit enfin
37. Cass. com., 28 mars 2006, Bull. civ. IV, no 85 ; D. 2006.2381, n. A.-L. Thomas-Raynaud ; RTD
civ. 2006.766, obs. J. Mestre et B. Fages : « un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction inter-
venue entre le créancier commun et l’un de ses coobligés, dès lors qu’il en résulte un avantage dont il
peut lui-même bénéficier » (le créancier impayé ayant effectué des travaux pour le compte de deux
sociétés de cinéma, ayant transigé avec une et renoncé à son droit d’agir, n’a de ce fait plus de droit
contre l’autre).
38. Le codébiteur condamné, qui a transigé peut se retourner contre l’autre (gestion d’affaires,
subrogation) : Req., 3 décembre 1906, DP 1908.5.34.
39. * Cass. Ass. plén., 24 février 2006, Bull. civ. Ass. plén. ; JCP G 2006.II.10 065, avis J. Cedras ;
Defrénois 2006.973, obs. S. Becqué ; D. 2006.2057, obs. S. Chassagnard-Pinet et 2076, n. Chr. Jamin ;
RDC 2006.689, obs. Y.-M. Laithier.
40. L. BOYER, th. citée, supra, no 1099, p. 336-340.
41. Cass. civ. 2e, 19 novembre 2015, nº 13-23095, Bull. civ. II à paraître : « l’action en exécution
d’une transaction relative au règlement du sinistre dérive du contrat d’assurance », de sorte qu’elle
est soumise à la prescription biennale.
42. Sur le principe, Paris, 20 septembre 1996, D. Aff. 1997.49 : « L’autorité de la chose jugée s’atta-
chant à celle-ci n’empêche pas la partie qui se plaint de l’inexécution par l’autre partie d’une des obli-
gations mises à sa charge par le protocole d’accord, de solliciter la résolution du contrat sur le fonde-
ment de l’article 1184 [devenu art. 1227], C. civ.. ».
43. Req., 24 janvier 1898, préc. : « Les avantages inexécutés n’avaient point formé, dans l’intention
commune des contractants, la condition de la renonciation faite par la demanderesse à tous ses droits
sur le domaine d’A... ».
44. Req., 26 juillet 1875, préc.
EFFETS DE LA TRANSACTION 655
45. Ex. : Cass. soc., 13 novembre 1959, Bull. civ. V, no 1140 ; D. 1960.111 ; S. 1960.I.73 : « Une
convention portant transaction ne peut être opposée par l’un des contractants que s’il en a respecté
les conditions ».
46. Ex. : Cass. civ. 1re, 10 septembre 2015, nº 14-20917, Bull. civ. I à paraître ; RTD civ. 2015. 897,
obs. P.Y. Gautier : procédure collective, impossibilité légale de régler ce qui est dû, aux termes de la
transaction.
47. Ex. : Cass. com., 25 octobre 1965, Bull. civ. III, no 523 : en l’espèce, une instance en résolution
d’une vente s’était achevée par une transaction obligeant le vendeur à effectuer certaines vérifications,
qu’il n’a pas accomplies ; jugé qu’une nouvelle action en résolution était recevable.
48. Cass. civ. 1re, 12 juillet 2012, no 09-11582, Bull. civ. I no 173 ; D. 2012. 2577, n. P. Pailler ;
Contrats, conc. consom. 2012, no 250, n. L. Leveneur ; RTD civ. 2013. 138, obs. P.Y. Gautier et 169,
obs. Ph. Théry ; RDC 2013. 83, obs. Y-M. Laithier : l’une des parties n’a pas réalisé les travaux promis
dans la transaction, la demande d’indemnisation de l’autre est à ce titre recevable.
49. Cass. civ. 1re, 12 juillet 2012, préc.
n TITRE II n
CONVENTIONS D’ARBITRAGE
SECTION I
NOTION
1201. Un juge privé. – Deux voies s’ouvrent aux parties lorsqu’elles décident
de faire trancher par un tiers le litige qui les oppose. Elles peuvent avoir recours à
la justice publique, c’est-à-dire à des magistrats professionnels, organisés au sein
du service public de la justice. Elles peuvent aussi décider de faire trancher le
litige par une personne ou un collège de personnes qu’elles choisissent et inves-
tissent de leur confiance : les arbitres.
L’arbitrage est une justice privée, dont la source se trouve dans la volonté des
parties. Le litige est soustrait aux juridictions étatiques ; il est confié à des
individus qui reçoivent des parties la mission de juger1. L’arbitrage présente un
double visage : juridictionnel, car, comme celle d’un juge, la fonction de l’arbitre
est de trancher le litige en disant le droit ; à ce titre, il est investi du pouvoir de
jurisdictio2 ; conventionnel, car l’origine de ce pouvoir se trouve dans un accord
Les avantages de l’arbitrage sont divers, mais contestés et relatifs dans le temps et l’espace5.
Traditionnellement, la justice arbitrale présente trois qualités : elle est plus rapide, moins oné-
reuse et surtout plus efficace que la justice étatique. Mais il y a des arbitrages qui n’en finissent
pas, alors que le procès civil, à l’époque contemporaine, peut être rapide. L’arbitrage est devenu
souvent onéreux, ne serait-ce qu’en raison de la rémunération des arbitres, en plus de celle des
auxiliaires de justice. À la différence du juge, l’arbitre est choisi par les parties ; il bénéficie de
leur confiance ; le déroulement de l’instance arbitrale dépend de leur convention ; l’arbitre est
souvent choisi en raison de ses compétences techniques, dont on peut attendre une meilleure
justice. Le recours à l’arbitrage, à la différence du procès étatique, permet parfois de préserver
des relations d’affaires, malgré le litige. Enfin, l’arbitrage peut demeurer secret, alors que la jus-
tice étatique est publique, ce qui, dans le monde des affaires, n’est pas négligeable6.
1202. Encouragement étatique ; droit spontané. – L’arbitrage est une institution ancienne
et universelle. Certains voient en lui l’origine de la justice étatique, ce qui est contesté7, que,
pour le moins, il concurrence directement. Pourtant, en France, l’État n’a jamais véritablement
cherché à imposer son monopole. Au contraire, dès l’Ancien droit, l’arbitrage a été encouragé et
même imposé en certaines matières par la loi. Il a traversé la tourmente révolutionnaire, et fait
l’objet, dans le Code de procédure civile de 1806, d’un titre entier. Malgré un sérieux coup
d’arrêt donné au développement de la clause compromissoire par la Cour de cassation au milieu
du XIXe siècle8, il n’a cessé de s’étendre, notamment sous l’influence du commerce international.
L’arbitre jouit d’une grande liberté par rapport au juge9.
Aujourd’hui, il est l’objet de deux groupes de textes. D’une part, les arti-
cles 2059 à 2061, qui comportent quelques règles générales relatives au domaine
du compromis et à celui de la clause compromissoire10. D’autre part, et surtout, le
livre quatrième du Code de procédure civile (réformé par le décret du 13 janvier
2011) : titre I pour l’arbitrage interne (art. 1442-1503), qui ne réglemente pas seu-
lement la procédure arbitrale, mais aussi les conventions d’arbitrage, titre II pour
l’arbitrage international (art. 1504-1527). En outre, certaines lois spéciales organi-
sent des arbitrages particuliers : ainsi, la loi du 29 mars 1935 instituant la Commis-
sion arbitrale des journalistes (C. trav., art. L. 7112-4 et s.), chargée de trancher les
contestations relatives à l’indemnité de licenciement d’un journaliste, sous certai-
nes conditions. On trouve désormais l’arbitrage au cœur de toutes sortes de
matières qui pourtant sont a priori étrangères aux affaires : consommation, travail,
contrats médicaux, rapports locatifs, famille11... Il faut également compter avec le
droit spontané, au cœur des affaires : droit des sociétés, marchés financiers,
21. Environ un tiers des sentences seraient, en France, rendues par des arbitres ad hoc :
Ph. FOUCHARD, op. cit., p. 285 ; comp. P. LALIVE, « Avantages et inconvénients de l’arbitrage ad hoc », in
P. Bellet, 1991, p. 301 et s.
22. Ch. JARROSSON, « Les frontières de l’arbitrage », Rev. arb. 2001.5, et les arrêts publiés dans la
même livraison.
23. Supra, no 1101 ; Cass. civ. 1re, 26 octobre 1976, Bull. civ. I, no 305.
24. Ch. JARROSSON, th. précit., nos 395-446.
25. Supra, no 1103.
26. Paris, 21 mai 1954, JCP G 1954.II.8232, maintenu par Cass. civ. 1re, 18 juin 1958, Rev. arb.
1958.91.
27. Ch. JARROSSON, loc. cit., pour qui le blanc-seing confié par les parties à un tiers pour qu’il mette
fin à un litige est un compromis.
28. Cass. ch. mixte, 14 février 2003, Bull. ch. mixte, no 1 ; RDC 2003, p. 182, obs. L. Cadiet, p. 189,
obs. X. Lagarde ; Contrats, conc. consom. 2003, comm. no 84, n. L. Leveneur ; Comm. com. électr.
2003, no 60, n. Grynbaum ; RTD civ. 2003, p. 294, obs. J. Mestre et B. Fages, p. 349, obs. R. Perrot ;
Cass. civ. 2e, 6 juillet 2000, Contrats, conc. consom. 2001, comm. no 2, n. L. Leveneur (ce qui inclut
le différend relatif à la nullité même du contrat, rapp. infra, no 1240).
29. Cass. civ. 2e, 10 juillet 2003, Bull. civ. II, no 233 ; D. 2003.3180, obs. Th. Clay.
PREMIÈRES VUES SUR L’ARBITRAGE 663
30. Cass. civ., 1re, 28 janvier 2003, Vivendi, Bull. civ. I, no 2 : « l’accord de la sté Vivendi pour la
mise en œuvre d’une médiation n’emportait pas, à défaut de manifestation de volonté non équivoque
en ce sens, renonciation à l’arbitrage et acceptation de la juridiction étatique ».
31. L. CADIET, chron. JCP G 1997.I.4064, nos 4 et 10.
32. Ch. JARROSSON, op. cit., no 391. Paris, 29 avril 1998, D. Aff. 1998.1091 (usant de son pouvoir de
requalification) : « mot arbitrage improprement utilisé », car « l’arbitre » ne pouvait d’après la clause
proposer que des solutions amiables.
33. Supra, no 1110.
34. Infra, no 1212.
35. R. DAVID, op. cit., no 4 ; Ch. JARROSSON, op. cit., nos 377 et s.
36. Paris, 20 novembre 2003, D. 2004.3179, obs. crit. Th. Clay ; en l’espèce, la convention confé-
rait au tribunal arbitral une mission de conciliation ; nullité de la sentence : « Les arbitres s’étant empa-
rés d’une mission d’arbitre sans la volonté des parties ».
37. Infra, no 1224.
38. Ex. : la clause compromissoire ne peut être insérée dans un contrat conclu entre un profession-
nel et un consommateur (infra, no 1242) ; au contraire une clause de conciliation préalable est valable
et n’est pas abusive (Cass. civ. 1re, 1er février 2005, n.p.B., JCP 2005.IV.1532) ; l’essentiel est qu’elle ne
prive pas le consommateur du droit de saisir les tribunaux en cas d’échec de la conciliation
(C. consom., art. L. 212-1).
664 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Un auteur estime cependant que l’expertise irrévocable – dont les parties déclarent qu’elles
accepteront par avance les résultats – devrait en principe être considérée comme un arbitrage,
dès lors que l’« avis » de l’expert est susceptible d’une exécution forcée40.
Dans les contrats internationaux de longue durée, portant sur la réalisation d’un ouvrage com-
plexe (ex. : un tunnel et son système d’exploitation, un ensemble industriel...), les obligations
respectives des parties ne sont pas complètement déterminées lors de la conclusion de l’accord.
Par exemple, un contrat d’entreprise met à la charge de l’entrepreneur la conception et la réali-
sation de l’ouvrage (« design and built ») ; de nombreux accords doivent intervenir à l’avenir afin
que le contrat puisse être exécuté. Une clause compromissoire figure généralement dans ces
contrats. Mais les parties désignent en outre un « comité d’experts » qui siège en permanence
et rend des décisions s’incorporant à la convention. Sa mission comporte aussi, naturellement,
la conciliation des parties. Un arbitrage ensuite peut intervenir sur ces décisions. Cette tech-
nique assure au contrat souplesse et permanence46.
39. Ch. SERAGLINI, JCP 2003.I.105 ; Ch. JARROSSON, op. cit., nos 233 et s. ; MOTULSKY, Écrits, t. II, p. 26
et s.
40. Ch. JARROSSON, op. cit., nos 288 et s.
41. L’expression est de B. OPPETIT, « Arbitrage juridictionnel et arbitrage contractuel », Rev. arb.
1977.315 ; R. David préférait l’expression d’« arbitrage de droit civil, technique de régulation des
contrats », in Ét. G. Marty, p. 383 et s.
42. Supra, no 204. Tout comme l’art. 1843-4 : P.-Y. GAUTIER, obs., RTD civ. 2011.557, au sujet d’une
« QPC », posée par un supposé arbitre, en fait un tiers-expert en matière de fixation du prix en matière
de cessions de parts sociales.
43. V. en ce sens le règlement CCI d’adaptation des contrats ; J. ROBERT, L’arbitrage, précité, no 3.
44. MOTULSKY, op. cit. ; B. OPPETIT, op. cit. ; P.-Y. GAUTIER ; obs., RTD civ. 1998.402 ; ex. :
Cass. civ. 3e, 4 mars 1998, JCP E 1999, p. 219, n. J.-M. Mousseron ; RTD com. 1998.578, obs.
J.-Cl. Dubarry et E. Loquin ; Defrénois 1998.1186, n. Duplan-Miellet (prix d’un bail) ; comp. R. DAVID,
in Ét. G. Marty, précité, pour qui il s’agit d’un véritable arbitrage.
45. J. ROBERT, op. cit. ; v. cep., en faveur d’une qualification plus générale d’arbitrage, Ch. JARROSSON,
op. cit., nos 328 et s.
46. Comp. P.-Y. GAUTIER, Rev. arb. 1991.611.
PREMIÈRES VUES SUR L’ARBITRAGE 665
SECTION II
ARBITRAGE INTERNE ET ARBITRAGE INTERNATIONAL
47. Biblio. : Le nouveau droit français de l’arbitrage, dir. Th. CLAY, Lextenso, 2011. Commentaire :
Ch. JARROSSON et J. PELLERIN, Rev. arb. 2011.5.
48. E. LOQUIN, « L’amiable composition en droit comparé et international », Lib. tech., 1980, no 213.
49. R. DAVID, op. cit., supra, au no 1203, no 17 ; Ph. KAHN, La vente commerciale internationale,
1961.
50. Ph. FOUCHARD, L’arbitrage commercial international, th. Paris, 1965, préf. B. Goldman.
51. Sur la notion d’arbitrage international, Ph. FOUCHARD, « Quand un arbitrage est-il internatio-
nal ? », Rev. arb. 1970.59 ; P. BELLET et METZGER, « L’arbitrage international dans le nouveau Code de
procédure civile », Rev. crit. DIP 1981.611 ; Ph. FOUCHARD, « L’arbitrage international en France après
le décret du 12 mai 1981 », Clunet 1982.375 ; R. DAVID, op. cit. ; J. ROBERT, op. cit., p. 257 et s. ; comp.,
en droit public, Y. GAUDEMET, Rev. arb. 1992, no 2, cité infra, no 1223.
666 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
conforme à l’ordre public international (ib., art. 1520 et 1525). Enfin, le juge français n’exerce
sur les sentences internationales qu’un contrôle réduit (ib., art. 1518 s.)59.
Dans l’ordre interne, le régime se rapproche : l’article 1464 du Code de procédure civile dis-
pose que les parties ou le tribunal ne sont pas tenus « de suivre les règles établies par les tribu-
naux étatiques », à l’exception des principes directeurs du procès (CPC, art. 4 et s.), comprenant
la loyauté, ainsi que de la règle de confidentialité (ib.).
SECTION III
NATURE DE L’ARBITRAGE
circonstanciée65. Elle peut prendre toute forme admissible66. L’arbitre est également
tenu d’un devoir de « loyauté » (CPC, art. 1464)67. Le mot, emprunté au vocabulaire
de common law, désigne le « doute raisonnable »68. En cas de fraude ourdie par un
arbitre, découverte après la reddition de la sentence, celle-ci sera annulée ou
révisée69.
L’arbitre engage sa responsabilité contractuelle lorsqu’il faillit à sa mission, soit
en « s’abstenant » de manière injustifiée (ib., art. 1457), soit en violant gravement
les devoirs de sa fonction70. Il doit respecter les délais, à peine d’engager sa
responsabilité71. La faute simple suffit alors. L’arbitre a, en effet, la conduite de la
procédure, c’est à lui de saisir le juge d’appui en application des articles 1460
et 1463 du Code de procédure civile, pour obtenir une prorogation de délai, si
les parties s’opposent sur ce point. Le cas échéant, l’arbitre sera condamné à répa-
rer la perte d’une chance pour la partie demanderesse de gagner son procès et
d’être indemnisée72.
et son avocat, pour favoriser celle-ci, il avait « circonvenu » à cet effet ses coarbitres ; Paris, 9 septem-
bre 2010, LPA, 21 février 2011, p. 17, n. M. Henry. En revanche, Cass. civ. 1re, 10 octobre 2012, no 11-
20299, Bull. civ. I no 193 ; D. 2012. 2458, n. Delpech et 2999, n. Th. Clay, JCP G 2012, 1268, n. B. Le
Bars ; Rev. arb. 2013. 129, n. C. Jarrosson ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin : le fait pour un pro-
fesseur de droit d’avoir été longtemps « off counsel » d’un cabinet dont l’avocat d’une des parties est
membre, ne justifie pas en soi qu’il existe un « doute raisonnable quant à son impartialité » ; de même,
« l’appartenance à une communauté scientifique » n’a pas à être spécialement révélée : Paris, 1er juillet
2011 ; D. 2011.3028, n. Th. Clay ; Rev. arb. 2011.611, chron. préc. D. Cohen (les coarbitres figurent
au comité d’une revue trimestrielle de droit).
65. Ex. Cass. civ. 1re, 20 mars 2013, no 12-18238, D. 2013. 2492, n. Th. Clay ; n.p.B. : l’arbitre a
bien indiqué qu’il avait déjà été désigné par des sociétés du même groupe, mais sans en préciser le
nombre (34 fois), la sentence est nulle. Comp. avec Cass. civ. 1re, 18 décembre 2014, nº 14-11085,
Bull. civ. I, nº 213 ; RTD com. 2015. 53, obs. E. Loquin : « caractère délibérément tronqué et réduc-
teur » de la déclaration relative aux liens d’affaires entre l’arbitre et un des avocats, suffisant à créer
un « doute raisonnable » sur l’indépendance du premier.
66. Ex. : un courrier de l’arbitre, accompagné de son curriculum vitae : Paris, 6 mai 2014, D. 2014.
2548, n. Th. Clay.
67. V. Y. DERAINS, « Les nouveaux principes de procédure : confidentialité, célérité, loyauté », in Le
nouveau droit français de l’arbitrage, préc., p. 91 s.
68. Cass. civ. 1re, 30 juin 2016 et 18 décembre 2014, préc.
69. Cass civ 1re, 30 juin 2016 et Paris, 17 février 2015, préc. ; saisie au fond, la cour a lourdement
condamné la partie à l’origine de la fraude : Paris, 3 décembre 2015, JCP G 2015, 1418, n. M. de Font-
michel.
70. Cass. civ. 1re, 15 janvier 2014, no 11-17196, Bull. civ. I, no 1 ; JCP G 2014, 231, concl.
P. Chevalier et 255, chron. E. Loquin ; AJCA 2014. 35, n. de Fontmichel ; Cahiers de l’arbitrage 2014,
nº 2, p. 299, n. L. Aynès : la responsabilité de l’arbitre n’est engagée que sur « preuve de faits propres à
caractériser une faute personnelle équipollente au dol, ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde
ou d’un déni de justice » (non lorsque l’arbitre, statuant comme amiable compositeur, n’a pas mani-
festement méconnu l’autorité de chose jugée de décisions précédentes).
71. * Cass. civ. 1re, 6 décembre 2005, Castagnet, Bull. civ. I, no 462 ; D. 2006.274, n. P.-Y. Gautier ;
JCP 2006.I.148, no 2, obs. Chr. Seraglini et II.10066, n. Th. Clay ; RTD civ. 2006.144, obs. Ph. Théry ;
Rev. arb. 2006.126, n. Ch. Jarrosson ; Lamy droit civil, avril 2006, p. 14, n. F.-X. Train ; RTD com.
2006.299, obs. E. Loquin ; RDC 2006.812, obs. G. Viney : en l’espèce, les arbitres étaient restés pas-
sifs, sans saisir en référé le Président du TGI et avaient néanmoins rendu leur sentence, qui a été annu-
lée pour tardiveté : « en laissant expirer le délai d’arbitrage sans demander sa prorogation au juge d’ap-
pui, à défaut d’accord des parties ou faute pour celles-ci de la solliciter, les arbitres, tenus à cet égard
d’une obligation de résultat, ont commis une faute ayant entraîné l’annulation de la sentence » ; Paris,
31 mars 2015, RTD civ. 2015. 612, obs. H. Barbier ; D. 2015. 2596, obs. Th. Clay (idem). En revanche,
lorsqu’il ne s’agit que d’apprécier sa faute au regard des difficultés de gestion de l’instance, notamment
du fait du comportement des parties, son obligation n’est que de moyens : Cass. civ. 1re, 17 novembre
2010, no 09-12352, Bull. civ. I, no 233 ; D. 2010.2935, obs. Th. Clay ; Rev. arb. 2011.943, n. Ch. Jar-
rosson. La nuance est parfois subtile.
72. Paris, 31 mars 2015, préc.
PREMIÈRES VUES SUR L’ARBITRAGE 669
73. Il faut donc distinguer la faute relative au « processus » de l’arbitrage et l’immunité ayant trait à
la « décision » rendue (L. AYNÈS, note préc.).
74. Cass. civ. 1re, 6 décembre 2005, préc. : si l’arbitre ne respecte pas l’art. 1456, il est responsable
de plein droit. Le délai de six mois court de l’acceptation manifestée par le dernier arbitre, qui peut
être antérieure à la signature de l’acte de mission : Cass. civ. 1re, 22 septembre 2010, Banque Delubac,
no 09-17410, Bull. civ. I, no 176 ; D. 2010.2941, obs. Th. Clay ; JCP G 2010, 965, obs. J. Béguin ; Rev.
arb. 2011.152, 2e esp., note J.-C. Betto et A. Reynaud. Comp., dans le même dossier, Paris, 31 mars
2015, préc.
75. En cas d’annulation de la sentence du fait de sa défaillance, tout ou partie des honoraires peut
être restituée.
76. Th. CLAY, thèse préc., nos 884-885. Ex. : Paris, 13 décembre 2001, préc. : « la rémunération de
l’arbitre peut être réduite en fonction des diligences accomplies ». Au contraire : TGI Paris, 25 novem-
bre 1999, Rev. arb. 2003.1312, obs. H. Lécuyer ; D. 2003 som. 2475 : l’honoraire est dû car l’arbitre
(un professeur de droit) avait fait son travail.
77. TGI Sens, 28 avril 2000, Rev. arb. 2003.1312, n. H. Lecuyer ; Paris 13 décembre 2001, D. 2003,
somm. 2475, n. Th. Clay ; Rev. arb. 2003.1312, n. H. Lecuyer. De sorte que si l’une des parties ne
règle pas sa part, l’autre devra le faire à sa place, puis se faire rembourser, en qualité de subrogée.
78. E. LOQUIN, « L’amiable composition en droit comparé et international », Lib. techn., 1980 ;
J. BÉGUIN, « L’étonnante liberté de l’arbitre amiable compositeur », Mélanges G. Wiederkehr, Dalloz,
2009, p. 1 et s.
79. E. LOQUIN, loc. cit. ; R. DAVID, op. cit., no 374.
670 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Les effets de la clause sont de dispenser l’arbitre de motiver en droit sa sentence80 ; ce qui ne
lui interdit pas d’appliquer la règle de droit lorsqu’il la déclare conforme à l’équité81. À l’inverse,
pour lui, l’équité n’est pas un subsidiaire, par rapport à la règle de droit, supposée incomplète ou
injuste ; il peut s’y référer directement.
Il reste cependant soumis à certains principes essentiels : le respect de l’ordre public et des
principes fondamentaux de la procédure82. Il semble qu’il puisse s’affranchir de la force obliga-
toire du contrat qui lui est soumis, comme il peut écarter une règle légale impérative ou non
(prescription, autorité de chose jugée, etc.). Son pouvoir lui permet même de modérer le contrat
pour l’avenir, sans toutefois le refaire83.
80. La référence à l’équité ne peut cependant pas être implicite et se déduire des motifs :
Cass. civ. 1re, 17 décembre 2008, Bull. civ. I, no 284 ; JCP 2009.II.10013, n. J. Béguin : l’application
d’une garantie de passif, « sans faire aucune référence à l’équité », viole la clause d’amiable composi-
tion ; au contraire admettant une référence implicite, Cass. civ, 1re, 28 novembre 2007, D. 2008.26,
n. X. Delpech et 187, n. Th. Clay ; JCP 2008.I.164, n. J. Béguin ; Bull. civ. I, no 369 ; RTD com.
2008.521, obs. E. Loquin (utilisation d’un contrat auquel ne sont pas parties les adversaires).
81. Interdiction de statuer directement en droit : jurisprudence constante ; ex. Cass. civ. 1re,
1er février 2012, nº 11-11084, Bull. civ. I, no 14 ; JCP G 2012, 201, n. J. Béguin : l’arbitre « devait faire
ressortir dans sa sentence qu’il avait pris en compte l’équité » (responsabilité contractuelle d’un débi-
teur) ; Cass. civ. 2e, 15 février 2001, Rev. arb. 2001.135, n. E. Loquin ; D. 2001, Jur. 2780, n. Ront-
chevsky ; JCP 2002 II.10.038, n. G. Chabot (application de la prescription extinctive) ; Cass. civ. 2e,
18 octobre 2001, Rev. arb. 2002.359, note Ch. Jarrosson (calcul mécanique de pénalités de retard).
82. Ex. : Paris, 28 novembre 1996, Rev. arb. 1997.380, n. E. Loquin (grande liberté, mais contrôle
de motivation) ; 4 novembre 1997, Rev. arb. 1998.704, n. Y. Derains (contradiction).
83. J. ROBERT, op. cit., nos 184 et s. ; Paris, 4 novembre 1997, préc. : « Pouvoir de modérer les effets
du contrat [...] en écartant au besoin l’application de certains droits nés de la convention, sous réserve
de ne pas en modifier l’économie, en substituant aux obligations contractuelles des obligations nou-
velles ne répondant pas à l’intention commune des parties ».
84. Ex. : Cass. civ. 1re, 3 octobre 2006, Bull. civ. I, no 420 : les parties peuvent changer d’avis en
signant l’acte de mission ; la cour d’appel doit en tenir compte.
n CHAPITRE I n
DOMAINE DE L’ARBITRAGE
1220. Renonciations. – L’arbitrage est une justice privée qui se substitue, par la
volonté des parties, à la justice publique. En décidant de soumettre leur litige à
l’arbitrage, les parties disposent de leur action. La convention d’arbitrage com-
porte une, et même souvent trois renonciations : à exercer l’action en justice
devant le juge étatique ; souvent aussi à faire appel de la sentence arbitrale ; et,
en cas d’amiable composition, à l’application des règles de droit au litige. La
convention d’arbitrage ressemble à la transaction, mais elle est encore plus
grave, dans la mesure où les parties s’engagent sans avoir connaissance du sort
qui sera réservé à leurs prétentions. Dès lors qu’elles ont accepté par avance un
processus d’arbitrage, les parties l’ont définitivement adopté, sauf renonciation
non équivoque.
Le domaine de l’arbitrage est donc doublement circonscrit : il n’est ouvert
qu’aux personnes qui ont la capacité et le pouvoir de disposer (Section I) ; il ne
porte que sur les droits disponibles (Section II).
SECTION I
CAPACITÉ ET POUVOIR
§ 1. CAPACITÉ
1221. Acte de disposition. – Le compromis et la clause compromissoire consti-
tuent des actes de disposition. Aussi ne sont-ils permis qu’à ceux qui peuvent
librement disposer de leurs droits (art. 2059).
672 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
§ 2. POUVOIR
Les administrateurs du patrimoine d’autrui peuvent conclure une convention d’arbitrage sous
certaines conditions : les règles sont différentes, suivant qu’il s’agit d’un administrateur privé ou
public.
À ce principe général, qui s’attache à la nature publique des personnes susceptibles d’être
engagées dans la convention d’arbitrage, s’ajoute une règle propre à la compétence administra-
tive : la clause compromissoire est nulle si elle a pour effet d’éluder, même entre personnes pri-
vées, la compétence de la juridiction administrative5.
Les choses évoluent sous l’influence de la doctrine6, des nécessités pratiques et de la
« contractualisation » de l’action administrative : un courant favorable à l’arbitrage prend corps
timidement en droit positif (C. just. adm., art. L. 311-6) ; des établissements publics industriels et
commerciaux peuvent être autorisés par décret à compromettre (art. 2060, al. 2) ; les personnes
publiques (État, collectivités, établissements...) peuvent souscrire des clauses compromissoires
dans les contrats qu’elles concluent avec des sociétés étrangères sous certaines conditions
(L. 19 août 1986)7. Des lois spéciales autorisent le recours à l’arbitrage par certains établisse-
ments publics.
C’est à l’égard des établissements publics industriels et commerciaux que la prohibition est le
plus critiquée. En tout cas, elle ne devrait pas jouer lorsqu’une convention internationale est
applicable, spécialement en matière d’arbitrage international, les traités l’emportant sur la loi
interne ; à condition que la conception que se fait le Conseil d’État de l’arbitrage international
rejoigne celle du droit privé, ce qui n’est pas actuellement le cas. Une intervention législative
d’ensemble serait souhaitable8.
SECTION II
ARBITRABILITÉ
§ 1. DROITS DISPONIBLES
propos d’Eurodisney, estimait impossible l’insertion d’une clause compromissoire, en l’état du droit
positif ; d’où l’intervention de la loi du 19 août 1986 (infra).
5. CE, 3 mars 1989, Area, Rec., p. 69, concl. Guillaume ; Y. GAUDEMET, Rev. arb. 1992, no 2.
6. Y. GAUDEMET, « L’arbitrage, Aspects de droit public, État de la question », Rev. arb. 1992, no 2.
7. Cette loi a été votée afin de permettre de stipuler une clause compromissoire dans le contrat
conclu avec la société Walt Disney, en vue de la création d’Eurodisney.
8. Sur l’évolution possible, v. le rapport Labetoulle au garde des Sceaux du 27 mars 2007, JCP G
2007, actualités, 149.
9. P. LEVEL, « L’arbitrabilité », Rev. arb. 1992, no 2.
10. Supra, nos 1112 et s.
674 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
personnes, et, d’une manière générale, ceux qui portent sur des droits hors du commerce juri-
dique. De même, ceux dont l’exercice met en cause un intérêt public et ceux auxquels la loi
interdit de renoncer.
1226. Intérêt public. – Lorsqu’un litige est susceptible de mettre en cause l’in-
térêt public, il ne peut être résolu par l’arbitrage. Il en est ainsi des conséquences
d’une infraction pénale, de l’application des règles des procédures collectives, qui
relèvent exclusivement du tribunal de la « faillite », ou de celles de la concur-
rence, internes ou communautaires14. En revanche, les brevets et les marques
peuvent faire l’objet d’un arbitrage, au moins lorsque l’ordre public n’est pas en
cause15. Même chose pour le droit d’auteur (au moins dans sa partie
patrimoniale)16.
Encore ces exclusions sont-elles strictement limitées à la mise en jeu de l’intérêt
public qui les fonde : ainsi est-il possible de compromettre sur les droits de la vic-
time d’une infraction pénale, ou de faire figurer dans le contrat d’exploitation d’un
brevet une clause compromissoire. Ou après la rupture brutale d’un contrat, rele-
vant de l’ordre public économique17.
1227. Ordre public de protection. – Bien qu’ils ne mettent en jeu que des inté-
rêts privés, certains droits ne peuvent être l’objet d’une renonciation, tant que les
conditions de leur exercice ne sont pas réunies. C’est le jeu habituel de l’ordre
public de protection. Cette circonstance réduit – mais n’exclut pas – l’arbitrabilité.
Le droit des baux immobiliers spéciaux en est une illustration : sur certains droits dits d’ordre
public (par exemple, le droit au renouvellement du bail commercial), il n’est possible de com-
promettre qu’après l’expiration du bail, époque à laquelle ils peuvent s’exercer.
C’est surtout dans le domaine des relations individuelles de travail que l’ordre public de pro-
tection se fait sentir. Une jurisprudence classique considérait comme inefficace la clause com-
promissoire (renonciation anticipée), alors qu’elle admettait le compromis, lorsque le litige avait
pour objet les conséquences de la cessation du contrat de travail18. Malgré les termes de l’arti-
cle L. 1411-1 du Code du travail, qui semble bien rendre impérative la compétence du conseil
des prud’hommes, elle décide aujourd’hui que le compromis est valable, pourvu qu’il soit
conclu après la cessation du contrat de travail19. Mais la clause compromissoire est toujours
nulle20.
18. H. MOTULSKY, L’arbitrage dans les conflits du travail, Écrits, t. II, 113 et s.
19. Cass. soc., 5 novembre 1984, JCP G 1985.II.20510, n. N. S. : « La cour d’appel ayant relevé que
le contrat de travail avait été rompu le 31 mars 1980, en a justement déduit que les parties étaient
devenues dès lors libres et capables de compromettre... ». Comp. pour la transaction, supra, no 1115.
20. Cass. soc., 12 février 1985, Bull. civ. V, no 97.
21. Paris, 16 février 1989, Rev. arb. 1989.711, n. L. Idot. En l’espèce, l’exécution d’un contrat de
distribution exclusif d’un film confié par une société française à une société suisse avait suscité un
litige. L’une des parties invoqua la violation d’une règle d’ordre public édictée par le Centre national
de cinématographie. L’arbitre se reconnut compétent, ce qu’approuva la cour d’appel saisie d’un
recours en nullité : « L’arbitrabilité d’un litige au regard de l’ordre public ne doit pas s’entendre de
l’interdiction faite aux arbitres d’appliquer des dispositions impératives, mais seulement de statuer
dans une matière relevant par la nature de la compétence exclusive de la juridiction étatique ou de
consacrer par leur décision une violation de l’ordre public – ce qui n’est pas le cas en l’espèce ».
22. I. FADLALLAH, « L’ordre public dans les sentences arbitrales », Rec. Cours Ac. dr. intern., t. 249,
1994, p. 372 ; P. MAYER, « La sentence contraire à l’ordre public au fond », Rev. arb. 1994, 615-652.
Ex. : Cass. civ. 1re, 8 mars 1988, Bull. civ. I, no 64 ; Rev. arb. 1989.473, n. P. Ancel : une sentence est
annulée pour violation du « principe de suspension des poursuites individuelles en matière de faillite
[qui] est à la fois d’ordre public interne et international. » . Quant à la décision elle-même, elle ne peut
être annulée que si la solution elle-même – et pas seulement les motifs ou le raisonnement des arbitres
– heurte l’ordre public : Cass. civ. 1re, 4 juin 2008, Lytec, Rev. arb. 2008, 473, n. I. Fadlallah. P. MAYER,
« L’étendue du contrôle, par le juge étatique, de la conformité des sentences arbitrales aux lois de
police », Mélanges Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 459 ; adde : Ch. SERAGLINI, « L’affaire Thalès et
le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public (ou les dérèglements de la dérèglementation) »,
Les cahiers de l’arbitrage, vol. III, 2006, p. 87, critique l’attitude libérale de la jurisprudence française.
23. Cass. com., 28 novembre 1950, Bull. civ. III, no 355 ; D. 1951.170 ; S. 1951.120, obs. Robert.
676 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
SECTION I
FORMATION
Comme le contrat lui-même, la clause compromissoire implique un échange de
consentements entre personnes capables. La méfiance du droit à son égard, en
matière d’arbitrage interne, se traduit de deux manières. Le domaine de la clause
est réduit (§ 1), sa forme est réglementée (§ 2).
Cette méfiance se réduit et un prochain décret remaniant le Code de procédure
civile devrait le rapprocher de l’arbitrage international, en le rendant plus libéral.
§ 1. DOMAINE
1241. Un ancien malentendu. – L’article 2061 a longtemps prohibé la clause
compromissoire. Ce texte était, semble-t-il, sans équivalent dans les droits étran-
gers, qui, souvent, ne distinguent pas entre le compromis et la clause compromis-
soire. Il était critiqué par les auteurs, qui lui reprochaient de mener à une diffé-
rence injustifiée entre les arbitrages interne et international, d’entraver
l’organisation par avance d’un arbitrage, et de reposer sur un malentendu10.
Le législateur avait cru consacrer un principe jurisprudentiel, qui n’a jamais eu la « raideur »
de l’article 2061. La décision de principe était un arrêt du 10 juillet 184311, intervenu à une
époque où la loi ne comportait aucune prohibition. Depuis, les textes autorisant la clause se
sont multipliés. En outre, la France a levé la réserve de commercialité dont elle avait assorti la
ratification de la Convention de New York du 10 juin 1958, sur « la reconnaissance et
inapplicabilité manifeste ; Ph. THÉRY, obs. crit., RTD civ. 2004, p. 770 ; Cass. civ. 2e, 18 décembre
2003, Bull. civ. II, no 393 ; Defrénois 2004.990, obs. R. Libchaber.
8. Infra, no 1247.
9. Ex. : TGI Paris, 20 octobre 1997, Unesco, Rev. arb. 1997.575, n. Ch. Jarrosson.
10. Ch. JARROSSON, « La clause compromissoire », Rev. arb. 1992, 259, 399.
11. Cass. civ., 10 juillet 1843, cie L’Alliance, S. 1843.I.561 ; D. 1843.I.543. Un contrat d’assurance-
incendie comportait une clause compromissoire, l’arbitrage devant avoir lieu au siège de la compa-
gnie d’assurance. Un assuré saisit le tribunal de Lyon qui déclara nulle la clause et s’estima compétent.
La nullité fut prononcée pour violation de l’article 1006, C. pr. civ. qui exigeait la désignation des arbi-
tres dans le compromis. La Compagnie d’assurance soutenait que, s’agissant d’une clause compromis-
soire, cette règle ne s’appliquait pas. La Cour de cassation maintint la nullité et ajouta : « Si l’on validait
dans le cas d’assurances contre l’incendie la simple [...] clause compromissoire, il faudrait reconnaître
et consacrer sa validité dans tous les contrats lors desquels on aurait consenti, en cas d’inexécution ou
de difficultés dans l’exécution, se soumettre à des arbitres non désignés ; [...] cette stipulation devien-
drait en quelque sorte banale et de pur style ; [...] l’exception au droit commun serait la règle et [...] l’on
serait privé des garanties que présentent les tribunaux ; [...] l’obligation de nommer des arbitres lors du
compromis a pour but [...] principalement de mettre les citoyens en garde contre leur propre irréflexion
qui les porterait à souscrire avec trop de légèreté et d’imprévoyance à des arbitrages futurs, sans être
certains d’avoir pour juges volontaires des personnes capables et dignes de leur confiance... ».
CLAUSE COMPROMISSOIRE 679
l’exécution des sentences arbitrales étrangères »12. Ce mouvement annonçait une modification
de l’article 2061, afin de limiter la prohibition au seul bénéfice des salariés et des
non-professionnels13. C’est ce qu’une loi de 2001 a inscrit dans l’article 2061, posant la validité
de principe de cette stipulation dans les contrats relatifs à une activité professionnelle14.
§ 2. FORMES ET CONTENU
12. Ph. FOUCHARD, « La levée par la France de sa réserve de commercialité pour l’application de la
Convention de New York », Rev. arb. 1990.571.
13. Ch. JARROSSON, op. cit., Ph. FOUCHARD, op. cit. ; Cass. civ. 1re, 21 mai 1997, Bull. civ. I, no 159 ;
Contrats, conc. consom. 1997, no 143, n. L. Leveneur : achat d’une Jaguar par un particulier français
au constructeur anglais : la clause compromissoire est valable, « sous la seule réserve des règles d’or-
dre public international, qu’il appartiendra à l’arbitre de mettre en œuvre, sous le contrôle du juge de
l’annulation ».
14. La Cour de cassation décide que la validation de la clause s’applique aux contrats antérieurs et
fait ainsi exception au principe de survie de la loi ancienne : Cass. civ. 1re, 22 novembre 2005,
Bull. civ. I, no 423 ; D. 2006, Jur. 277, n. crit. T. Le Bars et P. Callé ; Rev. arb. 2005.1011, n. crit.
D. Bureau ; JCP 2006.II.10015, n. E. Cornut ; Defrénois 2006.590, obs. R. Libchaber ; Cass. civ. 1re,
7 juin 2006, Bull. civ. I, no 282. P.-Y. GAUTIER, « Pour la rétroactivité in mitius en matière civile », Mélan-
ges Héron, LGDJ, 2008, p. 241 s.
15. Cass. civ. 1re, 29 févr. 2012, no 11-12782, LPA 2012, no 102, p. 11, obs. V. Legrand : « ayant
relevé que M. et Mme X n’exerçaient plus aucune activité professionnelle, la cour d’appel en a déduit,
à bon droit, que les contrats n’ont pas été conclus en raison d’une activité professionnelle au sens de
l’article 2061 du Code civil, de sorte que la clause compromissoire était nulle et de nul effet » ; en
l’espèce, les deux époux, commerçants retraités, avaient cédé leur fonds de commerce et consenti
un bail commercial. Le critère n’est donc pas l’expérience du signataire, mais la destination du contrat
qui comporte la clause compromissoire, comme en matière de clause abusive.
16. Cass. civ. 2e, 11 juillet 2002, Bull. civ. II, no 161 ; JCP G 2003.I.105, n. J. Ortscheidt : « La partici-
pation sans réserve du requérant à l’arbitrage valait de sa part renonciation au droit d’invoquer la nul-
lité de la clause compromissoire... » ; Cass. civ.1re, 6 juillet 2005, Bull. civ. I, no 302 ; D. 2006.1424,
n. E. Agostini ; Rev. arb. 2005.993, n. P. Pinsolle. L’arrêt se refère au principe anglo-saxon de l’estop-
pel, portant interdiction de se contredire déloyalement au détriment d’autrui.
17. Cass. civ. 1re, 15 mai 2008, no 06-20806, Bull. civ. I, n.p.B. ; RDC 2008.1122, obs. crit.
Th. Génicon : « La clause compromissoire, clause procédurale, n’étant qu’accessoire au contrat, et
non la cause de l’acte, les juges du fond en déduisent exactement que, même si le contrat stipule
que la nullité d’une seule clause entraîne celle du contrat lui-même, l’autonomie de la clause par rap-
port au contrat qui la contient ne permet pas d’admettre que la nullité entraîne la nullité totale du
contrat ».
680 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
litige18. Elle doit donc comporter, dès sa conclusion, les éléments qui le permet-
tront, sans qu’un nouvel accord n’intervienne. De là, la nécessité d’un écrit, suffi-
samment précis (ib., art. 1443). À peine de nullité, la clause doit être stipulée par
écrit. Il sera en papier ou sur support électronique (art. 1366 et s., C. civ.)19. Cet
écrit peut être la convention principale, dont il constitue l’une des clauses. L’arti-
cle 1443 permet aussi de se référer, dans le contrat principal, à un document qui
comporte la clause compromissoire. Ou encore à un échange d’écrits. Elle peut
couvrir plusieurs contrats (ibid.).
Ce procédé est répandu dans les relations commerciales : le contrat lui-même est conclu par
un moyen de communication (e-mail, téléphone, geste de la main...) qui ne permet qu’une indi-
vidualisation de ses éléments essentiels (prix, délai, quantité, qualité) ; pour le reste, les parties
renvoient à des « conditions types », « conditions générales » ou « règlements professionnels »,
qui comportent une clause compromissoire20.
Le droit français, qu’il s’agisse d’arbitrage international ou interne, manifeste un grand libéra-
lisme : il suffit que la convention des parties, qui n’est pas forcément signée, ni donc écrite, se
réfère à un autre document comportant une clause compromissoire. Ainsi une clause de ce type
peut-elle être adoptée par le simple silence à réception d’un document se référant à un contrat
type ou à un autre contrat, pourvu qu’une telle pratique soit conforme aux usages commerciaux
suivis entre les contractants (rappr. art. 2061 préc., rédaction loi sur la Justice du XXIe siècle, qui
n’exige qu’une acceptation)21. L’accord pourrait même être verbal et confirmé par simple lettre22.
SECTION II
EFFETS
Une fois le litige né, les parties s’obligent à le déférer au tribunal arbitral qu’elles ont prévu. Ce
tribunal doit être constitué. L’article 1452 du Code de procédure civile, permet de vaincre la
résistance de l’une des parties, par l’intervention directe du juge d’appui, dans la désignation
du ou des arbitres26. Une fois constitué, le tribunal arbitral est saisi par les parties conjointement,
ou séparément par la partie la plus diligente. Aucun nouvel accord n’est nécessaire, ce qui est
opportun puisque, par hypothèse, un litige a surgi entre les parties. L’arbitrage peut être à plus de
deux parties, elles devront alors s’accorder sur la personne et le nombre des arbitres, faute de
quoi le juge d’appui tranchera (art. 1453).
Les parties s’obligent à ne pas saisir du litige une juridiction étatique devenue
incompétente par l’effet de la clause compromissoire, hormis quelques cas limités
(urgence ; procédures d’exécution)27 ; la juridiction étatique devrait le constater, si
l’une des parties la saisissait (ib., art. 1448)28.
in Mélanges Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 711 ; B. HAFTEL, « L’autorité de la chose jugée par le juge
d’appui », D. 2016. 138.
24. Jurisprudence abondante ; ex. : Cass. com., 25 novembre 2008, Bull. civ. IV, no 197 ; Rev. arb.
2008.677, n. O. Cachard ; JCP 2009.II.10023, n. D. Manguy (extension de la clause d’une vente à un
crédit-bail). O. CACHARD, « Le contrôle de nullité de l’inapplicabilité manifeste de la clause compromis-
soire », Rev. arb. 2006.893. Sur l’autonomie de la clause compromissoire lorsque le contrat est nul :
supra, no 1240.
25. Ex. pour des pourparlers de renouvellement : Paris, 24 mai 2000, Rev. arb. 2001.535,
n. P. Didier ; pour une convention de garantie de passif expirée : Cass. civ. 2e, 8 avril 2004,
Bull. civ. II, no 162 ; RTD civ. 2004.770, obs. Ph. Théry.
26. S’y refuser constituerait de sa part un déni de justice et une violation de l’art. 6-1, Conv. EDH
sur le droit au procès équitable (v., en matière internationale, Cass. civ. 1re, 1er février 2005, Bull. civ. I,
o
n 53 ; D. 2005, somm. 3054, obs. Th. Clay).
27. Cass. civ. 1re, 7 juin 1989, Rev. arb. 1992.61, n. Y. Derains ; n.p.B.
28. Ex. : Cass. com., 10 mars 1998 et Versailles, 8 octobre 1998, Rev. arb. 1999.57, note A. Hory
(compétence du juge du provisoire, afin de « préserver une situation, des droits ou des preuves... ») ;
CJCE, 17 novembre 1998, ib., 1999.143, n. H. Gaudemet-Tallon (référé-provision).
682 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
initial. L’ensemble contractuel ainsi constitué entre les mêmes signataires relève-t-
il de la compétence arbitrale29 ?
Une réponse affirmative s’impose si les différents contrats font référence à celui
qui comporte la clause compromissoire30. Ce que prévoit l’article 1442 du Code
de procédure civile.
Dans le silence des contrats, la question est de savoir si le « litige » dont les parties ont voulu
attribuer le règlement à l’arbitre incluait nécessairement les difficultés d’exécution des contrats
subséquents. Il en est ainsi lorsque la clause est insérée dans un contrat-cadre qui nécessite, par
définition, des contrats d’application31. En l’absence d’un tel lien, la compétence arbitrale
devrait, en principe, être écartée32.
29. F.-X. TRAIN, Les contrats liés devant l’arbitre du commerce international, th. Paris X, LGDJ, 2003,
préf. I. Fadlallah.
30. Supra, no 1243.
31. Cass. com., 5 mars 1991, Rev. arb. 1992, 67, n. L. Aynès et 95, n. D. Cohen. Mais les parties
peuvent écarter, dans les contrats d’application, la clause compromissoire.
32. V. cep., estimant qu’une transaction fait partie de l’ensemble contractuel avec le contrat initial
disputé, dont elle procède : Cass. civ. 1re, 9 juillet 2014, nº 13-17495, Bull. civ. I, nº 126 ; D. 2014.
2092, n. V. Mazeaud et 2546, n. Th. Clay ; RTD civ. 2014. 888, obs. H. Barbier.
33. Ex. : Cass. civ. 1re, 9 juillet 2014, préc. (elle ne s’étend pas à une action contre le tiers complice
du cocontractant) ; Cass. civ. 1re, 16 juillet 1992, Bull. civ. I, no 232 ; Rev. arb. 1993.611, n.
Ph. Delebecque : « L’application d’une clause compromissoire ne peut être étendue à des rapports
d’obligations qui ne résultent pas de la convention où elle est stipulée » (promesse de porte fort) ;
cf. aussi pour un groupe de contrats : Paris, 29 novembre 1991 ; Rev. arb. 1993.617, n. L. Aynès.
34. Biblio. : S. AKHOUAD, La notion de partie dans l’arbitrage, Université Versailles Saint-Quentin,
2012. V. notamment, « L’arbitrage et les tiers », Rev. arb. 1988, sp. J.-L. GOUTAL, p. 449 et s. ; infra,
no 1248 ; D. COHEN, « Arbitrage et groupes de contrats », ib., 1997.471.
35. E. LOQUIN, « Arbitrage et cautionnement », Rev. arb. 1994, 235-252.
36. Cass. civ. 1re, 11 juillet 2006, Bull. civ. I, no 368 : « la clause d’arbitrage contenue dans un
contrat liant le stipulant au promettant peut être invoquée par et contre le tiers bénéficiaire d’une sti-
pulation pour autrui » (bénéficiaire d’une garantie de passif). Contra : Cass. com., 4 juin 1985,
Bull. civ. IV, no 178 ; RTD civ. 1986.593, obs. J. Mestre ; Rev. arb. 1987.140, n. Goutal.
CLAUSE COMPROMISSOIRE 683
y consentir, et même s’il ignore son existence ; ainsi la clause compromissoire est-
elle devenue un accessoire du droit transmis37.
Contrairement aux apparences, il n’y a aucune opposition entre la séparabilité de la clause
compromissoire38, et sa transmission par accessoire : le premier caractère a trait à l’investiture de
l’arbitre, le second à la prévisibilité contractuelle.
sentence s’impose à toutes les parties. Cependant, la mise en œuvre d’un tel arbi-
trage est difficile. D’abord, lorsque la clause prévoit un numerus clausus d’arbitres
(ex. deux, plus le président), alors que les parties sont en nombre supérieur42.
Ensuite, en présence de plusieurs contrats, même lorsqu’ils comportent tous une
clause compromissoire aux effets identiques (ex. : qui désignera l’arbitre ?). Elle
paraît impossible, lorsque les clauses compromissoires conduisent à un arbitrage
différent, ou que certains contrats n’en comportent pas. Le juge d’appui reçoit
compétence pour les difficultés de constitution du tribunal (art. 1453).
1249. Pluralité de litiges, indivisibilité. – Si une affaire est pendante devant un juge étatique
et que l’un des défendeurs est lié par une clause d’arbitrage, le tribunal peut-il juger de l’en-
semble, au motif de ce que les affaires sont trop étroitement liées pour qu’elles soient traitées
séparément ? Après hésitations, la Cour de cassation a répondu par la négative, alors même
qu’il existerait une indivisibilité : la partie dont le juge naturel est l’arbitre, pourra aller plaider
devant lui43.
42. Cass. civ. 1re, 7 janvier 1992, Dutco, Bull. civ. I, no 2 ; Clunet 1992.707, n. Ch. Jarrosson ; Rev.
arb. 1992.470, n. P. Bellet : les parties n’ont pas, en vertu du principe d’égalité, à être forcées de se
constituer en groupes pour nommer un seul arbitre par groupe (annulation d’une sentence
CCI. Celle-ci a depuis lors modifié son règlement).
43. Cass. civ. 1re, 16 octobre 2001, Bull. civ. I, no 254 ; D. 2001, IR, 3247 : « La seule constatation
d’une indivisivilité ne suffisait pas à faire obstacle au jeu de la clause d’arbitrage » ; en l’espèce, la
cour d’appel avait écarté la clause d’arbitrage stipulée dans un contrat conclu entre deux éditeurs,
parce qu’elle était également saisie d’une action en contrefaçon, dont le sort dépendait de la détermi-
nation des droits résultant de ce contrat. Cassation.
n CHAPITRE III n
COMPROMIS
1261. Effets. – Le compromis produit les mêmes effets que la clause compro-
missoire une fois le litige né. Il interdit aux parties de recourir aux juridictions
étatiques – sauf comme auxiliaires de l’arbitrage – et les oblige à coopérer à l’ins-
tance arbitrale.
1. Étymologie de compromis : du verbe latin : compromitto, ere = s’engager à s’en remettre à l’arbi-
trage d’un tiers. Le sens juridique est fidèle à l’étymologie. Dans la langue courante, le compromis
désigne la transaction (« trouver un compromis acceptable »...). Bibliog. : C. JARROSSON, « Le compro-
mis, convention d’arbitrage d’avenir ? », in Mélanges en l’honneur de B. Audit, LGDJ 2014, p. 465 s.
2. Supra, no 1220.
3. Supra, no 1121.
686 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
En outre, dans ces domaines, la conclusion d’un compromis permet d’éviter les discussions
sur la validité de la clause compromissoire et la renonciation tacite à en invoquer la nullité.
SECTION I
PREUVE
Comme la détermination de « l’objet du litige » par la convention est prescrite à peine de nul-
lité (art. 1445)8, il paraît difficile de se passer d’un support écrit, papier ou numérique. L’an-
cienne souplesse relative au compromis paraît désormais condamnée.
SECTION II
CONTENU
§ 1. OBJET DU LITIGE
8. Infra, no 1266.
9. Cass. civ. 2e, 11 juin 1997, Bull. civ. II, no 169 (préjudice non invoqué par le requérant).
10. Paris, 30 mars 1962, JCP G 1962.II.12843, n. P. Level.
11. TGI Paris, 4 avril 2003, Rev. arb. 2005.162, n. L. Jaeger ; RTD com. 2005.482, obs. E. Loquin :
C. pr. civ., art. 1454, les deux arbitres désignés par les parties peuvent nommer le président sans avoir
à en référer à elles. Sur le coarbitre : Th. CLAY, cité supra nº 1211.
688 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
même le mode de désignation des arbitres. Ou bien se mettre d’accord sur le nom
d’un arbitre unique.
Il suffit que les arbitres puissent être individualisés, pour que l’article 1450 soit satisfait ; ainsi
peut-on désigner l’arbitre par sa qualité professionnelle, pourvu qu’elle permette d’identifier une
personne déterminée (ex. : le bâtonnier de tel ordre, le président de telle juridiction...).
Les arbitres doivent rendre leur sentence dans un certain délai (6 mois indique à
titre supplétif l’art. 1463, préc.), sans préjudice des prorogations20. Parfois, des
sentences « intérimaires », mixtes ou avant-dire droit, seront rendues par les arbi-
tres, selon un calendrier spécifique. Ils peuvent également homologuer l’accord
12. Cass. civ., 21 juillet 1893, DP 1894.I.81 : « Si la nullité [...] résulte du défaut de désignation,
n’étant pas d’ordre public, est susceptible d’être couverte, elle ne peut l’être que par une désignation
ultérieure des parties, faite d’un commun accord entre les parties, l’accord sur ce point étant un élé-
ment essentiel du contrat ».
13. Supra, no 1211.
14. Supra, no 1211.
15. Paris, 31 mars 2015, supra nº 1211 ; 30 juin 2015, D. 2015. 2595, obs. Th. Clay.
16. Cass. civ. 1re, 30 mars 2004, cité supra, no 1211. Les parties peuvent aménager le calendrier
d’éventuelles prorogations : ex : Cass. civ. 2e, 20 juin 1996, Bull. civ. II, no 167 ; Rev. arb. 1997.594,
n. J. Pellerin ; cette prorogation peut être tacite, Paris 11 mars 1997, ib., 606, n. Y. Reinhard : « il n’est
pas interdit aux parties de décider par avance, dans la convention d’arbitrage, des prorogations du
délai d’une durée déterminée auxquelles l’arbitre pourra recourir, dès lors que le temps maximum
imparti à ce dernier pour statuer est ainsi conventionnellement arrêté ».
17. Ex. : Cass. civ. 1re, 29 juin 2011, Bull. civ. I, no 125 ; Rev. arb. 2011.678, n. C. Chainais (annula-
tion de la sentence qui a modifié le fondement d’une indemnité, sans inviter au préalable les parties à
en débattre). C. CHAINAIS, Rev. arb. 2010. 3 ; sur l’applicabilité de la Conv. EDH et de son art. 6-1 :
CEDH, 3 avril 2008, Rev. arb. 2009. 797, n. J.B. Racine.
18. P.Y. GAUTIER, « Convaincre l’arbitre », in Mélanges en l’honneur de B. Audit, LGDJ 2014, p. 397
et s.
19. Paris, 17 février 2015 préc., supra nº 1211.
20. Que les parties acceptent par avance dans l’acte de mission ou au cours de l’arbitrage, expres-
sément, ou tacitement, par la participation sans réserve à l’instance : ex. Cass. civ. 2e, 11 mai 2000,
Rev. arb. 2000.267, n. E. Tay-Pamart. Pour le cas où l’arbitre statue hors prorogation. V. Cass. civ. 1re,
6 décembre 2005, préc., supra, no 1211.
COMPROMIS 689
transactionnel des parties21. À l’égard des tiers, la sentence sera res inter alios judi-
cata, sauf à retenir son opposabilité22.
Des mesures conservatoires peuvent être sollicitées par le demandeur et pour-
ront être exécutées en cours d’instance, avec ou sans le concours de la force
publique (art. 1467 s.).
L’expiration du délai sans qu’une sentence ait été rendue rend le compromis
caduc (au contraire, s’il s’était agi d’une clause compromissoire, l’expiration de
la mission des arbitres ne priverait pas d’effets celle-ci23).
21. Cass. civ. 1re, 14 novembre 2012, no 11-24238, npb ; Rev. arb. 2013. 138, note Billemont.
22. S. BOLLÉE, « Les effets des sentences arbitrales à l’égard des tiers », Rev. arb. 2015. 695.
23. Cass. civ. 2e, 18 février 1999, Bull. civ. II, no 31 ; D. Aff. 1999.714 : « Lorsque l’arbitrage a sa
source dans une clause compromissoire, l’expiration du délai de mission des arbitres sans qu’une sen-
tence ait été rendue ne prive pas nécessairement la clause compromissoire de son efficacité ».
INDEX DES ADAGES1
Accessorium sequitur principale : 13, 74, L’argent ne fait pas de petits ? : 940.
803. La terre à ceux qui ont les mains calleuses :
Beati possidentes : 173. 699.
Caveat emptor : 270. Le don est la forme primitive de l’échange :
Coacta voluntas sed tamen voluntas : 900. 68.
Contra non valentem non currit Nemo auditur propriam suam turpitudinem
praescriptio : 114, 144. allegans : 983.
De non vigilantibus non curat praetor : 61. Pas de loyer, pas de bail : 691.
Dette de jeu, dette d’honneur : 977. Protestatio non valet contra factum : 138.
Donnant donnant : 318. Qui doit garantir ne peut évincer : 186, 351.
Emptor debet esse curiosus : 270, 309, 362. Qui vend le pot dit le mot : 250.
En fait de mandat, croyance légitime vaut Ratihabitio mandato aequiperatur : 585.
titre : 580. Res perit debitori : 781.
Error communis facit jus : 183. Res perit domino : 61, 253, 781.
Ex nudo pacto non oritur actio : 4. Res perit emptori : 61.
Fraus omnia corrumpit : 637. Superficies solo cedit : 74.
Genera non pereunt : 886, 890, 910. Un euro = un euro : 932.
L’aléa chasse la lésion : 67, 225, 998.
1. Les chiffres renvoient aux numéros, non aux pages. Ceux qui sont en caractères gras indiquent le
siège principal de la matière.
INDEX DES ARTICLES DU CODE CIVIL1
1719, 2 o
681 1787 73
a) Index alphabétique C
1. Les chiffres renvoient aux numéros, non aux pages. Ceux qui sont en caractères gras indiquent le
siège principal de la matière.
700 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
F M
Fipol, Cass. civ. 1re, 6 déc. 2007 : 1103. Maine Auto, Cass. com., 7 oct. 1997 : 557,
** Frédéric Fiat, Cass. civ., 13 mai 1885 : 835.
557. Maison française de distribution, Cass. ch.
mixte, 6 sept. 2002 : 976.
Maisons Enec, sté des, Cass. civ. 3e, 22 mars
G 1995 : 747, 771.
Mariol, épx, Cass. soc., 27 févr. 1958 : 645.
Gachot, Cass. civ. 3e, 10 mai 1984 : 145. ** Montparnasse, sté le Montparnasse,
Garibaux, dame, Cass. civ. 3e, 9 juill. 2003 : Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995 : 209, 210,
695, 698. 837.
Gomes, épx, Cass. civ. 3e, 28 juin 2006 :
116, 130.
Guillou-Pilven, Cass. civ. 1re, 13 janv. N
1965 : 362.
Nozeroy, sté, Cass. com., 22 nov. 1988 :
889.
H
Hilaire, aff. du peintre, sté Lefranc- P
Bourgeois, Cass. civ. 1re, 23 avr. 1985 :
310. ** Pain du pont St-Esprit, aff. du,
Hôtels et casinos de Deauville, sté, Cass. ch. Cass. civ. 1re, 19 janv. 1955 : 411, 421.
mixte, 14 mars 1980 : 980. Pellet, cons., Req., 1er mai 1911 : 214.
Père, dame, Cass. ch. mixte, 26 mai 2006 :
145, 146.
I Petit, dame, Cass. civ. 1re, 25 mai 1992 :
100.
Institut Pasteur, Cass. civ. 1re, 24 janv. 2006 : Planet-Watthom, sté, Cass. civ. 1re, 17 janv.
396. 1995 : 396.
Isnard, dame, Cass. civ. 1re, 12 oct. 1967 : Poictevin, Cass. civ., 29 janvier 1867 : 549.
804. Prodim, Cass. com., 3 juin 2008 : 838.
** Produits céram. de l’Anjou,
L Cass. Ass. plén., 7 févr. 1986 : 308, 417.
Pronuptia, aff., CJCE, 28 janv. 1986 : 363,
838.
Laborie, Cass. civ. 1re, 1er juill. 1997 : 9,
955.
Lamborghini, sté, ** Cass. civ. 1re, 9 oct. R
1979 : 417.
La Rochefoucauld, Cass. civ. 1re, 20 juin Ranch de la Bravone, sté, Cass. civ. 3e,
1961 : 910. 3 nov. 1981 : 814.
Lebel-Orset, dame, aff. du peintre Steinlen, Reignoux et autres, Cass. civ. 3e, 30 mai
Cass. civ. 3e, 14 janv. 1987 : 98, 138, 1969 : 83.
203. Richard F., Cass. civ., 11 mai 1898 : 350.
Lefebvre et Trezeguet, Cass. com., 1er déc. Rog, dame : Cass. com., 18 juin 1996 : 947,
1992 : 310. 949.
Lefranc-Bourgeois, sté, aff. du peintre
Hilaire, Cass. civ. 1re, 23 avr. 1985 : 310.
Leininger, Cass. civ. 1re, 3 févr. 2004 : 914. S
Le Monde, cie, Cass. civ. 1re, 16 août 1882 :
690. Schwich, Aff., Cass. com., 7 mars 1989 :
Louelen, Cass. civ. 1re, 24 févr. 1998 : 206. 143.
* SDBO, Cass. com., 10 févr. 1998 : 568.
Sociétés
INDEX DES PRINCIPALES DÉCISIONS JUDICIAIRES 701
— Acofra, Cass. civ. 1re, 14 déc. 1982 : — Ranch de la Bravone, Cass. civ. 3e,
116. 3 nov. 1981 : 814.
— Agence immobilière et commerciale, — Safranado, Cass. civ. 3e, 27 avr. 1988 :
Req., 12 nov. 1902 : 1102, 1104, 1123. 116.
— ** Atlantique de téléphone, — Sodac, Cass. com., 17 nov. 1982 :
Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995 : 209, 210, 851.
837. — Thomson-Brandt, Cass. civ. 1re,
— ** Française du téléphone, 20 mars 1989 : 415, 421.
Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995 : 209, 210, — UFB Locabail, Cass. civ. 1re, 28 mars
837. 2000 : 849.
— Bouchonnerie Gabriel, Cass. civ. 1re, Soparco : Cass. Ass. plén., 24 févr. 2006 : 8,
13 oct. 1993 : 250, 285, 302. 115, 1103, 1131.
— Business Support Services : 9, 821, Sotto, Cass. civ. 3e, 9 avr. 1970 : 224.
824. Steinlen, aff. du peintre, Cass. civ. 3e, 5 janv.
— Chronopost, Cass. com., 22 oct. 1996 : 1983, 14 janv. 1987 : 98, 138, 203.
22, 753. ** Syndic Vollot, Req., 6 mars 1861 : 621.
— Civile immobilière du Treho : 100.
— Clause, Cass. soc., 3 avr. 1990 : 1103. T
— Clinique Marignan, Cass. civ. 1re,
17 déc. 1957 : 901. Taurus Films, Cass. civ. 1re, 8 févr. 2000 :
— Commercial Union Insurance Ltd : 1247.
Cass. com., 4 juill. 1989 : 76, 739. Teinturerie renov. express, Cass. civ. 1re,
— Économ. de Rennes, Req., 26 déc. 9 avr. 1957 : 744.
1932 : 223. Thomson-Brandt, sté, Cass. civ. 1re, 20 mars
— Effikassociés : 9, 1103. 1989 : 415, 421.
— F. et autres, Req., 4 mai 1936 : 136.
— Fabe, Cass. com., 8 juill. 1980 : 226.
— Faurélie, Cass. com., 7 févr. 2007 : 9, V
753.
— Gachot, Cass. civ. 3e, 10 mai 1984 : ** Vassali, Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995 :
146. 209, 210, 837.
— Gerbe d’or, la, Cass. com., 21 janv. ** Vollot, syndic, Req., 6 mars 1861 : 621.
2004 : 849.
— Gosset, Cass. civ. 1re, 7 mai 1963 : W
1210.
— Groupe Dépêche du Midi : 410, 434. Whistler, aff. du peintre, Cass. civ., 14 mars
— Hôtels et casinos de Deauville, 1900 : 73.
Cass. ch. mixte, 14 mai 1980 : 980. Woessner, Cass. civ. 1re, 7 nov. 2000 : 172.
— Lamborghini, Cass. civ. 1re, 9 oct.
1979 : 417.
— Lefebvre et Trezeguet, Cass. com., Z
1er déc. 1992 : 310.
— Lefranc-Bourgeois, Aff. du peintre Ziegler France, Cass. com., 3 déc. 2002 :
Hilaire, Cass. civ. 1re, 23 avr. 1985 : 310. 561.
— Maisons Enec, Cass. civ. 3e, 22 mars
1995 : 771.
b) Index chronologique
— Mécarex, Cass. com., 20 nov. 1979 :
254. Cass. civ., 7 févr. 1854, de Barante : 563.
— ** Montparnasse le : Cass. Ass. plén., ** Req., 6 mars 1861, synd. Vollot : 621.
1er déc. 1995 : 209, 210, 837. Cass. civ., 29 janvier 1867, Poictevin : 549.
— Nozeroy, Cass. com., 22 nov. 1988 : Cass. civ., 16 août 1882, cie le Monde :
888. 690.
— Peavey Company, Cass. civ. 1re, 6 févr. ** Cass. civ., 13 mai 1885, Frédéric Fiat :
2001 : 308, 1247. 557.
— Planet-Watthom, Cass. civ. 1re, Cass. civ., 25 nov. 1896, aff. Hollier-
17 janv. 1996 : 396. Larrousse : 127.
— Produits céram. de l’Anjou, Cass. civ., 26 janv. 1897, success. de la
Cass. Ass. plén., 7 févr. 1986 : 308, 417. Boussinière : 183.
— Rambaud : 409. Cass. civ., 11 mai 1898, F. Richard : 350.
702 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Cass. civ., 14 mars 1900, Whistler, aff. du Ass. plén., 7 févr. 1986, sté produits céram.
peintre : 73. de l’Anjou : 308, 417.
Req., 12 nov. 1902, sté agence immobilière Cass. civ. 1re, 4 mars 1986, sté sports athlét. :
et commerciale : 1102, 1104, 1123. 567.
Req., 1er mai 1911, Pellet : 214. Cass. civ. 1re, 8 avr. 1986, aff. Merell-
Req., 26 déc. 1932, sté économ. de Rennes : Toraude : 311, 398.
223. Cass. civ. 1re, 14 janv. 1987, aff. du peintre
Req., 4 mai 1936, sté F. et autres : 136. Steinlen : 98, 138, 203.
Req., 30 déc. 1940, Bonnet : 362. Cass. civ. 1re, 24 févr. 1987, Michel
Cass. civ., 7 janv. 1947, Dujour : 695, 698. de Saint-Pierre : 73.
** Cass. civ. 1re, 19 janv. 1955, aff. du pain Cass. civ. 1re, 16 juin 1987, Banque
de Pont-St-Esprit : 411. Sofinco : 945.
Cass. soc., 15 mars 1956, Duru : 902. ** Cass. civ. 1re, 7 juill. 1987, épx Chabarot :
Cass. civ. 1re, 9 avr. 1957, teinturerie renov. 182.
express : 744. Cass. civ. 3e, 27 avr. 1988, sté Safranedo :
Cass. civ. 1re, 17 déc. 1957, sté clinique 116.
Marignan : 901. Cass. civ. 1re, 3 nov. 1988, Auger : 910.
Cass. soc., 27 févr. 1958, épx Mariol : 645. Cass. com., 22 nov. 1988, sté Nozeroy :
Cass. soc., 16 mai 1958, Combes : 308. 889.
Cass. civ. 1re, 17 juill. 1958, Biscos : 186. Cass. civ. 1re, 20 mars 1989, sté Thomson-
Cass. civ. 1re, 27 déc. 1960, Louis Bruno : Brandt : 415, 421.
561. Cass. com., 4 juill. 1989, sté commerciale
Cass. civ. 1re, 20 juin 1961, aff. La Union Insurance Ltd. : 76, 739.
Rochefoucauld : 910. Cass. com., 9 janv. 1990, BNP : 881.
** Cass. Ass. plén., 13 déc. 1962, Banque Cass. soc., 3 avr. 1990, sté Clause : 1103.
canad. nat. : 578, 579, 582. ** Cass. ch. mixte, 23 nov. 1990, Bitoun et
Cass. civ. 1re, 4 févr. 1963, Entrepr. mod. de Lubin : 821.
canalisat. : 308, 409. ** Cass. Ass. plén., 12 juill. 1991, Besse : 9,
Cass. civ. 1re, 13 janv. 1965, Guillou- 417, 683, 755.
Pilven : 362. Cass. civ. 1re, 25 mai 1992, dame Petit : 100.
** Cass. civ. 1re, 19 janv. 1965, aff. du pain Cass. com., 27 oct. 1992, Azzaro : 831,
de Pont-St-Esprit : 411. 840.
Cass. civ. 1re, 12 oct. 1967, dame Isnard : Cass. com., 1er déc. 1992, sté Lefebvre et
200, 804. Trezéguet : 310.
Cass. civ. 3e, 30 mai 1969, Reignoux et Cass. civ. 1re, 13 oct. 1993, sté
autres : 83. Bouchonnerie Gabriel : 250, 285, 302.
Cass. civ. 3e, 9 avr. 1970, Sotto : 224. Cass. civ. 3e, 15 déc. 1993, cons. Cruz :
Cass. civ. 1re, 2 mars 1977, épx Desangles : 107, 111, 120.
995. Cass. civ. 1re, 17 janv. 1995, sté Planet-
** Cass. civ. 1re, 9 oct. 1979, sté Watthom : 396.
Lamborghini : 417. Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, sté des maisons
Cass. com., 20 nov. 1979, sté Mecarex : Enec : 747, 771.
254. ** Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, cie
Cass. ch. mixte, 14 mars 1980, sté hôtels et Atlantique de téléphone ; cie française du
casinos de Deauville : 980. téléphone ; sté le Montparnasse ; Vassali :
Cass. com., 8 juill. 1980, sté Fabe : 226. 209, 210, 837.
Cass. civ. 3e, 3 nov. 1981, sté Ranch de la Cass. com., 18 juin 1996, dame Rog : 947,
Bravone : 814. 949.
Cass. com., 17 nov. 1982, sté Sodac : 851. Cass. com., 22 oct. 1996, Chronopost : 22,
Cass. civ. 1re, 14 déc. 1982, sté Acofra : 116. 753.
Cass. civ. 3e, 5 janv. 1983, aff. du peintre Cass. civ. 1re, 1er juill. 1997, Laborie : 9,
Steinlein : 98, 138, 203. 955.
Cass. com., 16 févr. 1983, sté Universal, aff. Cass. com., 7 oct. 1997, Maine Auto : 557,
Mitsubischi : 831, 838. 835.
Cass. civ. 3e, 10 mai 1984, Gachot : 145. Cass. civ. 1re, 18 nov. 1997, Bernheim : 766.
Cass. civ. 1re, 23 avr. 1985, sté Lefranc- Cass. com., 10 févr. 1998, SDBO, 568.
Bourgeois, aff. du peintre Hilaire : 310. Cass. civ. 1re, 17 févr. 1998, Banque Part
CJCE, 28 janv. 1986, aff. Pronuptia : 363, Dieu : 902.
838. Cass. civ. 1re, 24 févr. 1998, Louelen : 206.
INDEX DES PRINCIPALES DÉCISIONS JUDICIAIRES 703
LIVRE VI. – CONTRATS RELATIFS — Cass. civ. 3e, 26 mai 2011 : 1110,
AU LITIGE 1120.
Chapitre I. – Notion
TITRE II. – CONVENTION D’ARBITRAGE
Litige ; droit non litigieux ; exécution.
— Req., 12 nov. 1902, sté agence Ch. préliminaire.
immobilière et commerciale : 1102,
1104, 1123.
Promesse unilatérale de vente, contrat Premières vues sur l’arbitrage
complexe.
— Cass. Ass. plén., 24 févr. 2006, Responsabilité de l’arbitre, délais.
Soparco : 1103, 1131. — Cass. civ. 1re, 6 déc. 2005, Castagnet :
Concessions réciproques ; nécessité ; 1211.
licenciement. Autonomie de la clause compromissoire.
— Cass. soc., 3 avr. 1990, sté Clause : — Cass. civ. 2e, 4 avr. 2002, Barbot :
1103. 1240.
Concessions réciproques ; inégalité ; aléa.
— Cass. civ. 1re, 6 déc. 2007, Fipol : Chapitre II. – Clause compromissoire
1103.
— Cass. civ., 10 juin 1843, cie
— Concessions réciproques ; caractère
l’Alliance : 1241.
indirect ; interdépendance.
Transmissibilité ; opposabilité.
— Cass. com., 25 oct. 2011 : 9, 1103.
— Cass. civ. 1re, 5 janv. 1999, Banque
Worms : 1247.
Chapitre II. – Formation — Cass. civ. 1re, 8 févr. 2000, Taurus
Consentement, violence économique. Films : 1247.
— Cass. civ. 1re, 30 mai 2000, Deparis : — Cass. civ. 1re, 6 févr. 2001, sté Peavey
1120. Company : 1247.
— Consentement, violence, contrôle
d’homologation.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES1
A – mandat : 571.
– séquestre : 902.
Abonnement — aliénation, d’–
— bail : 619. – mandat : 563, 572.
— délivrance, vente : 170. — authentique
— eau : 503. – vente : 156.
— nature : 13, 73, 619. — disposition, de
— prix, paiement, vente : 503. – mandat : 572.
— résiliation : 503. — apparent : 582.
– rétractation : 100. — mixte
— téléphone : 503, 619. – arbitrage : 1242.
— vente à l’essai : 106. Acte de disposition
Abus — mandat : 572, 582.
— blanc-seing, de : 575. Action
— clause abusive : v. ce mot. — cession :
— dépendance économique, de : 833. – v. Droits sociaux.
— droit, de — de groupe (class action) : 331, 334, 385,
– acheter, refus d’ : 98. 396, 526, 1110, 1130.
– concess. exclus., révocation : 834. — directe
– mandat révocat. : 555. – commission, contrat de : 538.
– prêt à usage : 913. — c. d’entreprise (vices cachés) : 417 à 419.
– prêt, taux d’intérêt flottant : 947. – concession exclusive : 830.
– prix indéterminé : 210, 837. – crédit-bail : 820, 955.
– refus d’agrément (conces. exclusive) : – entrepreneur (prix) : 755.
835. – mandat : 561.
– restitution en nature, de : 913. – sous-acquéreur : 416 à 419.
– vente : 98. – sous-locataire : 695.
— position dominante, de : 234. – sous-mandat : 561.
– concession exclusive : 833, 837. – sous-traitance : 754 à 756.
— pouvoirs de, mandat : 578. – transport : 754.
Acceptation d’un prêt : 126. – vente (vices cachés) : 416 à 419, 830.
Accessoire — concours
— contrat (mandat) : 522. - erreur et vices cachés : 284.
— échange : 803. - non-conformité et vices cachés : 285.
— qualification : 13. — dommages-intérêts : 417.
Acheteur professionnel — estimatoire, action : 409.
— devoir d’information : 312 à 313. — quanti minoris, action : 327, 409.
— vice caché — récursoire, action : 281, 420.
– cl. limit. garantie : 434. — rédhibitoire, action : 409, 418.
– définition : 392. Adjudication : 163, 166.
Achèvement, vte. imm. à construire : 192. — TVA : 201.
Acompte, vente : 109. Affacturage : 44.
Acquisition propriété Affiliation, prom. de vente : 127.
— a non domino : 178 à 187. Agent
Acte — affaires, d’ : 521, 558.
— administration, d’ – devoir de conseil : 566.
– bail : 635. – honoraires : 548 à 549.
1. Les chiffres renvoient aux numéros, non aux pages. Ceux qui sont en gras indiquent le siège
principal de la matière.
710 DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
— bail, de : 648. Q
— consommateur : 124
— contrat d’entreprise, de : 703. Qualification : 7 à 21.
— contrat réel, de : 849 à 850. — artificielle : 18, 19.
— hôtellerie, d’ : 39. — bail, du – : 602, 615 à 624.
— porte-fort, de : 181. — cession de fonds de commerce : 16.
— prêt, de : 850. — consignation (vente avec) : 85.
— vente, de : 107 à 142. — contrat
– synallagmat. : 128 à 138. – entreprise d’ : 73 à 74, 709, 718.
— chose d’autrui : 184. – sui generis : 20, 1211.
— conditionnelles : 131 à 135. — crédit-bail : 813.
— rétractation : 100 à 101. — cumulative : 15.
— terme, à : 136 à 137. — dépôt : 866 à 869.
– unilatérale : 110 à 127. — dépôt-vente : 89, 106.
— achat, d’ : 127. — distributive : 15.
— cession, de : 88, 116. — échange avec soulte : 803.
— clause de dédit : 109, 121 à 123. — hôtellerie : 40, 619.
— concession d’exclusivité : 828. — exclusive : 13 à 14.
— condition suspensive : 124 à 126. — groupes de contrat : 11.
— contrat préliminaire : 139 à 142. — inexacte : 17 à 19.
— crédit-bail : 814. — location-vente : 807.
— crédit-immobilier : 955. — mandat : 522.
— croisée : 127. — prêt à usage : 911.
— dédit, clause de : 109. — promesse de vente : 110, 123.
— délai : 114, 125. — sous-traitance : 754.
— enregistrement : 115. Quittance
— forme : 115. — louage : 650, 691.
— indemnité d’immobilisation : 121 à 123. — vente : 506, 507.
— indivision : 182. – hypothèque : 509.
— location-vente : 807. Quotas
— pacte de préférence, et : 144. — baux ruraux : 689.
— prêt, condition, de la : 124 à 126. – clause de :
— prix — agents commerciaux : 558.
– arbitrage d’un tiers : 204 à 206. — concession commerciale : 829.
– indétermination du – : 208 à 210, 836
à 837. R
— publicité : 113.
— qualification : 110, 123. Rachat (vente avec) : 86, 143.
— rescision pour lésion : 227. Rachat de la lésion (vente) : 232 à 233.
— rétractation : 120, 129. Ratification, mandat : 562, 585.
— substitution : 116. Réception
— vente à la dégustation : 104. — contrat d’entreprise, du : 771 à 772.
— violation : 120. — réserves, avec : 285, 321, 772.
Promotion immobilière : 19, 712. — vente : 285, 321.
— prescription : 567. — vente d’imm. à construire : 77.
Propriété apparente : 183. Récolte sur pied
Propriété commerciale : 605. — vente : 190.
— franchisage : 838. Recommandation clause abusive : v. Clause
Protection du consommateur : abusive.
v. Consommateur. Reconduction bail : 667.
Prothèse dentaire : 740. Reconnaissance de dette, prêt : 849, 905.
Publicité Recours
— agent de : 521. — vente, garantie : 420.
— contrat de : 521, 715. Réel, contrat : 848, 861.
— crédit-bail, du : 816. Réfaction
— documents publicitaires : 360. — transaction : 1115.
— foncière — vente
– crédit-bail : 816. – inexécution délivr. : 281, 327.
– pacte de préférence : 146. – perte chose : 188.
– promesse de vente : 113. – résolution : 322.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 731
SOMMAIRE...................................................................................................................... 5
PREMIÈRE PARTIE
LA VENTE
LIVRE I
ÉLEMENTS DE LA VENTE
LIVRE II
EFFETS DE LA VENTE
DEUXIÈME PARTIE
CONTRATS DE SERVICES
LIVRE I
MANDAT
LIVRE II
LOUAGES
LIVRE III
CONTRATS VARIÉS D’ÉCHANGES
LIVRE IV
CONTRATS DE RESTITUTION
LIVRE V
CONTRATS ALÉATOIRES
LIVRE VI
CONTRATS RELATIFS AU LITIGE
DROIT CIVIL
COLLECTION
DROIT CIVIL
DROIT DES CONTRATS SPÉCIAUX
Laurent AYNÈS
L’ouvrage
Le droit français a encore connu, depuis la précédente édition, un foisonnement
de réformes textuelles, principalement en 2016, à commencer par l’ordonnance
du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, qui interfère souvent
avec le droit des contrats spéciaux. Le Code de la consommation a été refondu
et renuméroté (ordonnances des 14 et 25 mars 2016, la seconde transposant une
directive européenne de 2014) ; ses liens sont étroits avec les contrats spéciaux,
notamment en matière de vente, d’entreprise et de crédit. La loi sur la « Justice du
XXIe siècle », fourre-tout s’il en est, modifie des dispositions du Code civil
notamment sur la vente, l’arbitrage et surtout le contrat de transaction, dont une
DROIT
Ph. MALAURIE
L. AYNÈS
P.-Y. GAUTIER
partie du régime, resté intact depuis 1804, est supprimée.
Auparavant, il y a eu la loi « Macron » du 6 août 2015 qui intéresse au premier
chef les contrats de distribution, mais aussi la vente commerciale. D’autres
réformes s’annoncent, notamment le projet relatif à la responsabilité civile.
DES CONTRATS
L’intervention législative croissante atteint ainsi le Code civil, sous prétexte de
modernité, de sorte que la synthèse et le recul sont plus que jamais nécessaires.
Quant à la jurisprudence relative à la plupart des contrats traités dans ce volume,
elle reste abondante, très commentée et requiert un tri, ce que les trois auteurs ont
SPÉCIAUX
ISBN 978-2-275-04099-8
www.lextenso-editions.fr 44 €