Sommes-Nous Différents Face Aux Langues Étrangères
Sommes-Nous Différents Face Aux Langues Étrangères
Sommes-Nous Différents Face Aux Langues Étrangères
Lors de l'apprentissage d'une langue étrangère (L2), certains réussissent mieux et plus
rapidement que d'autres. De telles différences sont parfois présentées comme le signe d'une
« aptitude langagière », pour ne pas dire d'un don, supposition qui fait encore l'objet de vifs
débats.
Les études pluridisciplinaires qui interrogent les capacités adaptatives du cerveau sont plus
convaincantes. Le développement des méthodes de neuroimagerie a apporté de nouvelles
connaissances et renouvelé les approches : comment expliquer que les adultes acquièrent une
langue étrangère moins aisément que les très jeunes enfants ? Le fait d'apprendre une autre
langue a-t-il des effets neurocognitifs ? Comment expliquer que parmi les fonctions
supérieures, le langage est celle qui résiste le mieux au déclin cognitif lié au vieillissement ?
Quelques rares recherches s'intéressent aux effets neuronaux en fonction de la proximité entre
les deux langues (anglais/allemand) ou au contraire de leur éloignement (anglais/chinois). Les
recherches montrent que les aires activées sont les mêmes lorsqu'il y a similarité entre les
langues. En revanche, l'éloignement linguistique entraîne des différences dans les schémas
1
d'activation de certaines zones cérébrales (le gyrus frontal inférieur et supérieur gauche et dans
les aires temporo-médianes).
Les modifications anatomiques induites par la pratique d'une seconde langue ou l'expérience
bilingue ont également révélé des changements affectant la densité de la matière grise, la
substance blanche (les connexions neuronales) ou l'épaisseur du cortex. Ceux qui apprennent
rapidement présentent une plus forte densité et un volume plus important de la substance
blanche dans le gyrus d'Heschl. Ces changements peuvent même intervenir suite à des
apprentissages courts ou des entraînements intensifs. Ils sont sensibles à l'âge d'acquisition de
la deuxième langue : plus l'apprentissage est précoce plus la densité de la matière grise
augmente. Et plus la maîtrise de la deuxième langue augmente, plus la densité de la matière
grise et l'intégrité de la matière blanche augmentent.
Une première tentative d'identification des réseaux cérébraux qui soustendent l'apprentissage
lexical a été menée récemment par une équipe de chercheurs chinois et américains[2]. Un
groupe d'adultes anglais a appris durant 6 semaines (à raison de 3 séances par semaine) 48
pseudo-mots (monosyllabes CVC) en chinois mandarin sur lesquels ont été surimposés trois
types de tons (neutre, montant, descendant).
Les données d'imagerie cérébrale montrent que pour traiter l'information tonale et lexicale des
mots de la deuxième langue, les sujets qui ont le mieux appris recrutent des réseaux cérébraux
plus intégrés que ceux qui ont peu appris. Les analyses de connectivité montrent même un fait
surprenant : les différences existent avant même que l'apprentissage ait commencé (T1). Elles
révèlent un réseau fronto-temporal (connexions entre IFG, MFG et STG) qui pourrait être
prédictif pour distinguer bons et faibles apprenants. Un réseau plus cohérent et plus fortement
intégré, à la fois localement et globalement, caractérise l'apprentissage réussi (T2). C'est aussi
un réseau où les régions antérieures et postérieures communiquent par le biais de relais ( SMA
et INS) mais également directement, ce qui confère à la fois efficience et flexibilité à
l'apprentissage. Enfin, l'apprentissage lexical repose sur la connexion entre MFG et IPL, absente
chez les faibles apprenants.
2
[3]
3
Notes
[1] Ellen Bialystok, « Bilingualism. The good, the bad and the indifferent », Bilingualism,
Language and Cognition, vol. XII, n° 1, 2009.
[2] Jing Yang, Katleen Gates, Peter Molenaar et Ping Li, « Neural changes underlying
successful second language learning. An fMRI study », Journal of Neurolinguistics, vol. XXXIII,
février 2015.
[3] Pour information
IFG : traitement lexical et morphosyntaxique
MFG : traitement sémantique des mots, contrôle articulatoire, fonctions exécutives
SMA : production, contrôle moteur
INS : attention, saillance
STG : traitement acoustico-phonologique
IPL : mémoire de travail phonologique, apprentissage lexical
[4] Michèle Kail, Patrick Lemaire & Mireille Lecacheur, « Online grammaticality judgments in
French young and older adults », Experimental Aging Resarch, vol. XXXVIII, n° 2, 2012.
[5] Meredith Shafto et Lorraine Tyler, « Language in the aging brain. The network dynamics
of cognitive decline and preservation, Science, vol. CCCXLVI, n° 6209, 31 octobre 2014.